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10 j
BULLETIN
/ /
80C1ETE DE GEOGRAPHIE
DE LILLE
(bulletin )
DE LA
r r
SOCIETE DE GEOGRAPHIE
E LILLE
PREMIER SEMESTRE DE 1887
Huitième Année. — Tome Septième.
LILLE
IMPRIMKRIE L. DANEL
1887.
II
ôSG
t. 7-ê
621-735
PRÉSIDENT D'HONNEUR.
M. le Général Fâidherbe, G. C. 5fe, I. Q,
Ancien Gouverneur du S(^négal et Gén(^ral en chef de Tarniée dn Nord, S(:'nateur du
Nord, Grand chancelier de la L(''gion d'Honneur, Jlembre de l'inslilut.
MEMBRES D'HONNEUR.
MM. I{\Y0L (docteur) , A. %}. 4«., lieutenant gouverneur du Sénégal.
Brock (docteur), G.-C. Hhi ï- il- 0. î%» ancien ministre de la marine et des postes
de Norwège.
Dupiiis, ^, explorateur du Tong-Kin.
Debidour, :^, professeur à la Faculté des lettres de Naucy, président de la société
de géographie de l'Est.
De LÊsskps (F), G. C. î(!^ 4* •!*» membre de l'Académie française.
FoNciN, ^. I. ij., inspecteur général do l'enseignement secondaire, fondateur et
ancien président de l'Union Géographique du Nord.
GtiiLLOT E.. A.iy, professeur agrégé d'histoire au lycée Charlemagne, ancien secré-
taire-général de la Société, secrétaire de la Société de Géographie commerciale
de Paris. . ,
H\RM\ND (docteur), 3^. 4-., vice-président de la Société de Géographie commerciale
de Paris, consul général de France à Calcutta.
Levasseib, 0. ^, G. >^>^, membre de l'Institut, professeur au Collège de France et
au Conservatoire des Arts et Métiers.
S\voRGN\N DE Brazza 1*. , 0. ►f«, ^, lieutenant de vaisseau, chef de mission au
Congo
SuÉRUS, professeur agrégé d histoire au lycée Jeanson de Sailly, ancien secrétaire-
général de la Société.
Wiener, ^, consul de France à Santiago du Chili.
MEMBRES CORRESPONDANTS
MM. Barbier, %} I., secrétaire-général de la société de géographie de l'Est.
BÉcouRT, ^, inspecteur des forets au Quesnoy.
BoNvARLET, ►f", président du Comité flamand de France, consul de Danemarck à
Dunkerque.
CossERAT, censeur des études au Lycée de Lons-le-Saulnier.
Delamare, 0. ^, Q 1. C. >^, lieutenant-colonel au 82" de ligne, à Montargis.
Des Chenais , René (labbé) , »^ G. 0 , professeur à l'Institut des missions
africaines à Vérone (Italie).
DuRAFFouR, capitaine au 80" de ligne, à Tulle.
Gal'Thiot, a. y, ►J" ^, secrétaire général de la Société de géographie commerciale
de Paris.
Haciiisika (le marquis), 0. ^ ►f» Hh^ niinistre plénipotentiaire du Japon à Paris.
L.\LLEMAND (Frauçois), 1^ 0., imprimeur de la Cour, à Lisbonne.
Leblond (Adrien), professeur au lycée de Montréal ^Canada).
MiLLOï , ^, explorateur du Tong-Kin.
MoNNER Sans, 'i* 0., consul général de Hawai, à Barcelone.
MoNTEiL, A. Q, capitaine d'infanterie de marine, à Paris.
OuKAWA, ^, ancien chargé d'affaires et secrétaire de la légalioii du .lajion à Paris.
Thouar (A.) A. y:, e.xplorateur du Gran-Chaco, à St-Martin de Ré-
— 6 -
BUREAU DE LA SOCIÉTÉ.
MM.
Président Crepy-Danel (Paul), ^, Hh ^' i ^ -^•' négociant, vice-consul
(le Portugal, administrateur de la Banque de France.
Vice -Présidents Bossut (Henri), négociant, président du Tribunal de Com-
merce de Roubaix.
Brunel, 5^:, i) I., ^ inspecteur d'académie, direcleur de
l'enseignement primaire.
DÉJARDIN, avocat, ancien administrateur des hospices, député.
F.vrcHER , ^, A Q, ingénieur en chef des poudres et sal-
pêtres, lauréat de l'Institut.
M vsuREL (père), prés, du Tribunal de commerce de Tourcoing.
Secrétaire Général RE>"OUARD(Alfred), ingénieur civil, manufacturier, vice-consul
dTtalie, secrétaire-général de la société industrielle du Nord.
Secret, (jénérai adjoint .. Eeckmvn (Alex.), négociant, membre de la commission du
musée industriel et colonial et correspondant de la So-
ciété de géographie de l'Est.
Secrétaires Crépin (H.), inspecteur des Postes et Télégraphes.
DuFLOs-DE Mallortie, homme de lettres.
Trésorier I-romont, (Auguste), homme de Ici très
Bibliothécaire Van He.noe, Q I., vice-président de la Comnnssion historique
du département et de la commission des musées de la ville.
Archiviste Ol arré-Reybourbon, Q A, propriétaire, membre de la Com-
mission historique du Nord.
Conservateur des appareils Damie.n, A, Q, professeur adjoint à la l-aculté des Sciences,
scicnUfiques de la Société secrétaire de la Société des sciences et arts de Lille.
Comité d'études Bère, ingénieur de la manufacture des Tabacs
Deh\isnes (le chan.j, ^J. I., archiviste départ' honoraire.
président de la Commission historique du Nord.
Delessert-De Mollins, homme de lettres, à Croix.
Uescamps (Ange), manufacturier à Lille.
liuBURCQ (Victor), manufacturier, à Roubaix.
Epinay, Q a., professeur d'histoire au lycée de Lille.
Faiduerbe (Aristide^, 1. '4|, conseiller d'arrondissement ,
adjoint au maire, à Roubaix.
GossELET, i^, I. i}, professeur à la FaciiKé des Sciences., cor-
respondant de l'Institut.
Hedde, vice-président du Tribunal civil.
JACQn.N, inspecteur de l'exploitation au Ch. de fer du Nord.
Junker, tilateur de soie à Roubaix.
Li;burque-Comerre(Oscvr), négociant en lissus , a Roubaix.
.MvMET, l. %), |)rofesseur agrégé d'histoire, ancien élève de
l'école d'Athènes.
-Merchier, |)rofesseur agrège d'histoire au lycée de Lille.
Millier (Albert), négociant en lins à Lille.
Nicolle-Vkrstraete, ^, ancien lieutenant de vaisseau, ma-
nufacturier à Lille.
ScRivE-LovEii, *i* C , (Jules), manufacturier, membre de la
Chambre de Commerce à Lille.
Tu-MANT, A. Q dirccteurde l'école primaire supérieure de Lille
Verlv,!], ^, publicisle, membre de la Commission historique
Warin. propriétaire, vice-président de la Commission admi-
nistrative des Hospices.
DÉLÉGUÉS DES SECTIONS
Faisant partie de droit du bureau.
Arnieiilieres : M. Victor Poiciiain, industriel, maire.
Baillcul : M. Ignace de Cousskmackkr, propriclaire, adjoint au maire.
Tourcoing : M. François Masurel, président du Tnl)urial de commerce de Tourcoing.
1(1. M. Paillard-Lf.long, in-sorier de la Caisse d'('|)argnc.
Valemicnnes : M. Doitiuai;x, avocal, ancien bâtonnier de l'oidre, juge suppléant
au tribunal civil.
Id. iM. Foucart, Paul, avocat.
COMMISSIONS.
Le président de la Société, le secrétaire-général et le se:retaire-general-adjoint
font de droit partie de toutes les commissions.
I' COMMISSION DU BULLETIN ET NOUVELLES GEOGRAPHIQUES.
-MM. Renouard, (Alfred), président.
Quarré-Reybourbon, a. y!, rap-
porteur.
Delessert.
DuBURCQ (Victor).
DCFLOS DE MVLLORTIK.
MM. Foucart, Paul.
Leburqle-Commere.
Mamet, I. Q.
Les Conférenciers.
Les délégués aux Congrès
2" COMMISSION DES PRIX ET RECOMPENSES
MM. Brunel , ^, 1. il, §, président.
Jacquin, rapporteur.
BÉRE.
BOSSUT.
Damien, a. %}.
ÉPINAY, A. y.
Faidhebbe, Aristide, I. '^■
MM. F.ucuER.
JUNKER.
Leburque.
Mamet, I. %).
Qlarrk-Reybourbon.
TlLMAiNT, A. %}.
Van Hende, I. i}.
3*" COMMISSION DE L'EXAMEN DES OUVRAGES, CARTES ET APPAREILS
MM. Faucher, ^.
BÈRE, rapporteur.
Damien, A. Q.
Dehais.nes.
MM. QuARRÉ Reybourbon, a. Q.
BoiviN, adjoint.
Helluv.
Trouhet.
- 8 —
iT COMMISSION DES FINANCES
MM. Descamps (Ange), présideut.
Warin, rapporteur.
Uedde,
MM. (Albert) Mullier.
Verspieren, adjoint.
5" COMMISSION DES EXCURSIONS ET VOYAGES
MM. Crépin, président.
.lACQLiN, rapporteur.
gosselet, 5%.
Leburque Comerue.
ntcolle-verstraetk, ^.
AcHERAY, adjoint.
BÉGUIN (A), id.
Cado fils, id.
\V Castelain , id.
MM. Delahodde, adjoint.
DrCOUROlTBLE, id.
Facq, Paul. Id
Fauchille-Stiévenart, id.
Fernaux-Defrance,
id
UOUZÉ,
id
Lessens,
id
T ACQUET, (G.),
id
Werquin fils,
id
6° COMMISSION SPÉCIALE POUR ROUBAIX
Giiargéc de l'organisaliou des cours et conféreaces dans cette ville.
.MM. BossuT, (Henri), i)ri'Si(lent.
Duburcq (Victor), secrétaire.
Faidherbe, I. i}.
JuNKER, Charles
MM. Lebl'rque-Comerre.
Ferué, Cyrille, adjoint.
poutignac de villars.
Verspieren.
r COMMISSION SPÉCIALE POUR TOURCOING.
Chargée de l'organisation des cours et conférences dans celte ville.
MM. Masurel , François père , pré-
sident.
Desurmont, Jules, vice-presidenl.
Pmi.lard Lelong, secr«laiie.
Delmazure, Ernest
Destombes, Emile.
itiQUEsNOY, Paul.
loNGLEZ, Ch.nrlos.
— 9
MEMBRES FONDATEURS.
{Ayant acquitté une cotisation de 200 fr.)
MM. Baratte, officier d'ailmiiiistration du (.roisouiie Hcnard. (décédé à bord).
BossuT, (Henri), négociant en tissus, vice-pn'sideiit de la Sociélé, à Roubaix.
Crepv (Paul), 5J^, ►J«, A. il, négociant, président de la Société, à Lille.
D\ssonvili.e-Lei»oux, négociant en laines, a Tourcoing, (décède).
d'Audiffuet (marquis) '^ , Irésorier-payeur-général du Nord, a Lille, (décédé).
Debruvn, notaire honoraire, rue Nationale, -1 i.2, Lille.
DELAriRE-I'ARNOT (C), propriétaire, boulevard Sébastopol, 29, à Lille.
Eeckman, (Alex.), négociant, rue de Tournai, 73, à Lille.
Lorent-Lescornez, lilatcur de lin, rue Inkermann, à Lille
Mabieu (Auguste) ^, filateur de lin, conseiller général, Armentières.
Renouard (Alfred), lilaleur de lin, Secrétaire-général de la Société, à Lille.
ScnivE-LoYER (Jules), ►J*, inànufacluricr, rue Léon Gand)et(a, à Lille.
LISTE GÉNÉRALE DES MEMBRES.
NOS d'ins- MM.
criptioD.
Ainieus (Somme).
355. Savary. pharmacien.
Auuœiillin.
1051 Dupas, instituteur.
Auziu.
1058. Chavatte, (Eug.), Ingénieur des mines.
Ai'iiicntièrc»».
J82. Bailliez , principal du collège , rue des Jésuites, 2y.
1238. Becquart (Henri), fabricant de toiles.
965 Breuvvrt, brasseur, rue de Flandres, io.
912. Cado (Edmond), imprimeur libraire, GrandTlace, 2.
186. Citas, négociant en toiles, rue de la Gare, I.
943. CLAnissE-YEiiLEY, (Célestin), fabricant de linges damassés, rue de l.illo, 47
639. Cardon-Masson, filateur de lin, rue Bayart, 7.
1046. Debosque (Emile), ^, fabricant de toiles, rue des Glatignies, 4
M 84. Decaudain (Victor), négociant en vins, rue de Dunkerque, 83
1114. Demanne (Paul), commis-négociant, hôtel du Comte d'Egmonl
525. Dervaux, médecin- vétérinaire, rue Nationale, 38.
189. Dansette (Jules), étudiant en médecine, rue des Jésuites, 7.
187. Fremaux (L), négociant en toiles, rue de l'École, 9.
9fi0. Grenier, fabricant de toiles, rue de Liile, 60.
I UiG. Lâcherez (ils, fabricant de toiles, rue des Jésuiies, IS.
941 . l.VMBERT (Léopold), fabricant de toiles, rue de Lille, 70.
- 10 -
N'«dlns- MM.
rriplion
1057. Lepers (J.-H.), fabricant de toiles, rue des Glalignies, 10.
825. Lescornez (l'aul~), brasseur, rue de Flandre, 25.
1021 . Lei RiDVN-Borcin-:, fabricant de toiles, rue de la Gare, 2.
184. M\HiEii-rERi\v (Aiig.) ^, fdateur de lin, conseiller général, rue des ,lt\suites 7
9i2 MiELLEz, fabricant de toiles, rue de Strasbourg.
297. PoLciiAiN (Victor), fabricant de toiles, maire, faubourg de Lille, 14
983. OiENNEi.LE, fabricant de toiles, rue Bayart, 17.
940. ViLLVRD, ^., fabricant de toiles, me de Strasbourg, 2.
As>c(|.
I26><. Droui.ers-D'Halluin, distillateur.
DfiallIcuB.
of>2. De Coussemakeb, adjoint au maire , propri(Haire.
919. HiÉ-l)ELE.\iEu, maire, fabricant de loilcs
Bavai
2'J'i Crémont, pharmacien.
Bci'UC (Suisse),
482 Sever ( le commandiint du génie) , 0 H^ , A. ij, «i* , attaclié militaire a
l'ambassade française.
lié t II II lie-
ns Sv (Albert), greffier au tribunal.
BcuTry-lcz'Orchies .
1169 Laude-Dobignies, représentant.
Bofiitou (États-Unis) .
032. Heli.inger, Commission Merchant, 82, l'evonshire-Streel, Boom, 34.
Boiilogue-siii'-llcr.
987 HiîFFiN (A"* , pharmac'en de 1"^" classe, rue de la Tour-d'Ordre , 80
BrcMt [Finistère
820. I.EPOUTRE fils, aspirant (le marine.
309. Lacroix, chirurgien de la marine.
(WO. CviLi.EiiET ;Henri), directeur de lÉrole de télégraphie
Brciie<| (Le)
799. Moullé-Lamsre, teinturier en ti.ssus.
Brii^elIcK [Belgique).
840. r\R!MKiNTiER, avocat, rédacteur en chef du Touriste, boulevard Anspacli, 10'.'.
- H -
€alais-Sa!nt Pierre.
N"' d lus MM,
(TiptiOD
1U9. BuETON (Ludovic), ingénieur-directeur du tunnel sous-marin, 17, rueSt-Miclu'l.
Cafiifiiel.
817 GuiSELiN(Antonin), négociant en vins
Condc-ïiiir-l'Escaut.
1239. Beaumont-Cousin (Louis), entrepreneur de travaux publies.
Croi:&.
1205. Cromber (Henri), gérant de la Soeiété anonyme des produits chimiques.
218. Pelessert (Eug), propriétaire, iionune de lelti es, membre du comité.
167. De Mollins (S), arciiitecle et entrepreneur.
314. Gabrkl, attaché à la maison I. Holden.
362. GoFFiN (Joseph) , entrepreneur
1303. MoLiN (L.), peintre décorateur.
250. Mathieu, instituteur.
1022. Staes-Brame (V ), médecin.
9o. TiLMVN (Lucien), instituteur au l'ont-du-Breucq.
Uou
89. SoioTSMANS (Paul', minotier et négociant en farine.-*.
1272. !>i;bruvn (Fernand), propriétaire.
noulicu-Ustaires.
599. Derensv, instituteur.
ft}r«|uiiiglieiik li^!».
"tU'ô. Jules Marti.n, négociant en toiles.
Estalrcs.
64. Ga.melin (Auguste), tilateur et fabricant de toiles.
Foiirinieiit.
372. Azambre, notaire
l<'oiirnci!>.
404. Go.mbert, chef d'insUtution.
Freliu^liieu
945. Delecaille (Pierre), lllatcur de lin
Frctiu
798. Descarpentries (Eug), instituteur.
liauliouriliu.
77. BoNZEL (Arthur), distillateur.
Colo.mbier (Georges), lilaleur de lin.
1225 Defretin, architeete.
- 12 -
N" «J'ins- MM.
rription.
686. D'IiESPEL (le comte Edmond), propriétaire, maire.
705. Lefkbvue, professeur à l'école i)rimaire supi'iieure.
470. Lo.HiD.VN (Victor), directeur de l'école supérieure.
726. NicoLi:, architecte, bibliothécaire du Comice agricole de Lille.
738. SvNDER (Ad), blanchisseur de fils et tissus.
948. Verley, (.Iides), manufacturier.
949. Verlev (André), manufaclurier
7H. Waymel (Camille), distillateur.
Hazcbroiick .
634. JoppÉ, 0. 4-, A. 'i), président du tribunal de première instance.
723. VVNDE Walle (Henri), propriétaire.
1156 . Bricolt, contrôleur i^e^ contributions directes.
Hellemnics.
041 . Keromnès, ingénieur des ateliers de la Traction au chemin de fer du Noid.
958. Decoirchelle (Jules), filateur de lin.
Hem.
I17< . Brasme (Oscar, brasseur.
1120. Mll.\ton-Leborgxe (Jean), teinturier en tissus.
Ilénin-lilétard [Pas-de-Calais).
234. Desmars (Alfred), ingénieur-chimiste.
H93. Caillet (Edouard), négociant.
4202. Thelliez (Julien), étudiant.
Herrin-lez-Scclin .
671 . Wartelle-Boniface, 5!i^, blanchisseur de flls et tissus.
liSi .lladclelue-lcz-Lille.
811. Cuepelle-Fontaine, chaudronnier-constructeur, maire, rue de Lille, lo2
1250. Desse (fils\ horlicultour, rue do Lille.
87. Di BOIS, répétiteur, rue du Romarin, 7.
1002. KvsENBouT (Edmnnd\ changeur, rue Dassonville.
1023. Lagmeai-, pharmacien.
741 . Trambli.n (M'ii), directrice de l'école communale, rue du Chaafom .
636. Vanverts , pharmacien, rue de Lille.
Ijauuor
506. BoiiTEMT (Jules) , filateur de lin.
505. BouTEMY (Louis) , filateur de lin.
978. MurxE(Paur, brasseur.
816. Parent (fils), fabricant de tissus.
7. Valendlcq, (Jean), notaire.
— 13 —
M» (lins- MM.
criptioo.
59. BouKi-ET 5!^, (A.), ^. 0, «i-, préfet du Finistère.
liC Catcau {Nord).
94 Dubois (Henri), professeur au collège.
liens [Pas-de-Calaif].
660. BoLLAERT ^, agent général des mines de Lens,
236. Stiévenart (Arthur), fabricant de cables.
lilIiliE.
317. Abrey (Miss) , professeur de langue anglaise, rue Jean-sans Peur, 2.
1018. AcnERVV (Aciiille), leprésentant, rue Saint-Gabriel, 89.
338. Adler (Éniilej, négociant, rue Nationale , 83.
3(V Agacue (Alfred), propriétaire , square de Jussieu , 13.
48. Agvciie (Edouard), 5%, filaleur de lin, boulevard de la Liberté, V)!.
635. Alwoine (M"»-" Berthej , mstitutric ', rue du Marché , 58 bi.s.
1014. Alvvoine, commis principal des po.ste.s , boulevard de ia Liberté.
25Î Allvrd (Georges) , ancien magistrat , rue Royale , 104.
823. Allègre (Léonce) Notaire, rue Jacquemars-Giélée , 11.
1134. Allemes (A.), directeur d assurances, rue Nationale, 14.
1266. Amat (Maurice) direcleur d'assurances, rue de Paris, 39.
1097. Angelo (Thomas), éludiant, rue Patou, 25.
50. Albert, ^, I. y. inspecteur primaire , rue Colbert , 95, Lille.
Bacquet-Chevallay, négociant, rue Nationale.
839. Bacquet-Ducourolble (Ernest), négociant en tissus, rue Grande-Chaussée, 38.
1033. BviLLEU.v (Edmond), lilateur de lin, Boulevard Montebello, 4.
1138. B.ALET, conseiller de prélecture, rue Solferino, 160.
637. Barbry-Galliez, négociant entoiles, rue de Roubaix 17,.
784. Baruois (Henri), propriétaire, rue du Faubourg-de-Roubaix, 79.
21 . Barrois (Charles) , A. Q. ►J*., docteur ès-sciences, rue Solférino , 220.
57. Barrois (Edouard), propriétaire , rue des Guinguettes . 18.
326. Barrois (Théodore, (ils), licencié es-sciences, rue de Lannoy, 37.
507. Barrois (Théodore), ^, lilateur de coton, rue de Lannoy, 37.
542. Bastid , substitut du procureur de la République , rue Royale , 118 bis.
1228. B.\TAiLLE, gérant de la succursale de la Belle-Jardinière, boni, de la Liberté, 177.
1080. Batteur, directeur d'assurances, rue Stappaert, 7.
463. BAunRY, docteur eu médecine , Jacquemars Giclée, 14.
526. Bazin (M"e), économe de 1 institut Fénelon, rue de l'Hôpital-Militaire.
980. BÉcHAMP, ^., doyen de la Faculté libre de médecine.
476. Becquart (Henri), fondé de pouvoir , rue des Postes, 60.
592. Becquart, négociant en charbons, 25, quai de la Basse-Deùle.
339. Bedel , lieutenant-trésorier au 16*^ bataillon de Chasseurs à pied.
1008. BÉGiiiM. ancien notaire, propriétaire, rue des Stations, 50.
1012. Béguin (Auguste), négociant, rue Mercier, 14.
1104. Bkre (Frédéric), iugénieur des tabacs, rue Nationale, 171.
1227. Bériot (Camille) fabricant de chicorée, rue de Douai, 69.
607. Bernvrd-Wall VERT (Maurice), ►J-, négociant in cotons, boul. de la Liberté,66.
615. Bernard (Henri), 4*, rafflneur, près. hou. delach. decomnierce, r. deCourlrai,20.
- 14 -
N^d'lns- MM.
cri|itluii.
513 I5ERLEM0NT, A. Q, pi'ofesseur au Lycée.
1072. Heunard (.Feanl, rue de Coiirtrai, 20.
1107- Beunari), employé des postes, boulevard dt- la Liberté.
1060. Hernhardt. négociant, rue de ia Gare. 28.
6J4. Berthera.nd (M""' V^t) , propriétaire , boulevard de la Liberté, 4.
625. Berthkra.nd (M'ic Octavie) , boulevard de la Liberté, 4-.
81 . Bertoix, négociant en graines, rue Mercier, 8.
248. Bertrand (Charles), professseur à la Faculté des Sciences.
,o44. BÉTHtNE-DrRiEUX (M""' yve), propriétaire rue Saint-JbC(|ues , 25.
1 121 . BiD\RT, avocat, ancien magistrat, rue Aiexandre-Leleux, -18.
27. BiGO-DANELiÉmile),A ^ •!<, imprimeur, boulevard de la Liberté, 95.
520. BiGO (Louis), représentant des Mines de Len.':, boulevard Vauban, 13.3.
V62. Bloch (Armand), négociant en toiles, rue Jacquemars-Giélèe. 52.
804. Blonoeau (.Iules) , propriétaire, rue d'Angleterre, 42.
260. Blondeau (E.), avocat, rue d'Angleterre, 5.
1220. Blondin, îi^, juge honoraire, rue Saint-André, 12-
9o7. Blu.\i (Pierre), gérant, rue Solférino, 237.
502. BocQUET fC.) , négociant en drogueries, rue de Thionville, 7.
H55. Boivi.N, >^, architecte, rue Nationale, 284.
261. BoM-MART (Emile) , percepteur, place du Concert . 1 ter.
734. Bo.MPARn, négociant en métaux, rue Nationale, 218.
992. BoNAFFÉ (Pierre), sous-licutenant au 43* d'infanterie de ligne.
341 . Boniface (M""^ V^e) négociante en toiles, rue de Paris, 10<.
770. BoMFACE, négociant en charbons , rue des Meuniers, 24.
578. Bonté Auguste), négociant en huiles, rue de l'Uôpilal-Mililaire, 99.
553. BoREL (M™*) propriétaire, boulevard de la Liberté, 121.
90. BoTTiALX, négociant en lins, rue du .Molinel, 57.
982. BoiRGEOis (Louis), négociant, rue .lacquemars-Giélée , 52
1 159. Bouchez (Henri), étudiant, rue Patou, 6.
013. BouDRY, jugc-de-paix , façade de l'Esplanade, \2bis.
721 . BoccHAERT (l'abbé), professeur au collège Saint-Joseph, rue Solférino, 92.
1300. BofDEN (Siméon), courtier en graines, rue Basse, 25.
209 BiLLVRD, 5^, directeur des contributions directes, rue du Pont-Neuf, 28.
087. BoiLENGER, , A i}, professeur de piano, rue Jacqueniars-Giélée, 19.
549. BoLRBOTTE (Henri) , négociant , boulevard de la Liberté, 167.
1109. Bourgeois (Emile), représentant, rue Henri-Kolb, 7.
074. BoLTiioRS , l"" commis des contributions indirectes , 2 , rue de la Halle.
531 . BoiT.MV, receveur des télégraphes, chef du bureau de dépôt, rue d'Inkermann i .
1222. BoLTRV, docteur en médecine, rue de Douai, 79.
85. BouvART Gustave), l. ij, professeur au lycée, rue Nationale , 322.
000. BoYAVAL Louis), négociant eu mercerie, rue Nationale, 40.
1 107. BRvctERS-D'Hi'GO, négociant, rue .lacquemars-Giélée, 8.
069. Brunel, I f^ 5^, ►t«. inspecteur d'académie , place Philippc-de-Girard, 19
253. Brabant (Paul), fabricant de céruse, boulevard Louis XIY, 4.
419. Brongniart (M"<^^) , institutrice , itlace Philippe-le-Bon
080. Brugema.n, pianiste, nie Nationale, 82.
.'jO.j. Brumme , sous-lieulenant au 43* de ligne.
440. Brineal', pharmacien, rue Nationale , 71.
22. Bri:yerre, propriétaire, rue de Béthune , 27.
548. Buisîne-Clais , sculpteur, rue des Canonniers , 5.
628. Bi'REAu (Ernest) , négociant en fils , rue Solférino, 248.
— 15 —
cription .
1263. (Iakn (l';ii}j;eiie), iiiaimfacUiriei' a Croix, nio Solfôn'iio, 2i.7.
G2) . Cambon (Jules), I. %}, 0. ^, <^, G. «^ du Nichaiii. l'réfel du Khoiic.
867. CvNNLSsiÉ (Emile), banquier, boulevard de la Liberté, 93.
543. Canonne-I'hlivost, fabricant de papiers , pia.e Hichebé , 9.
1071 . CVivri.NVU-CoinyL, propriétaire, rue Colbert, 76.
Il 33. GviiLiER (l*aul), pliotogri|)he, rue Grande-Chaussée, 36.
781 . Caron, docteur en médecine, rue Saint-Gabriel.
1173. Caron, négociani, rue JacqueniarsGiélée, 15.
t)90. Casse (.Adolphe) ^, fabricant de linge de table, rue de Bouvines, 6 bis
•ilO. Gastklain (F.) , A. y, docteur en médecine , place de.s Reinneaux , 21.
37. Catei.-Béghin ^, propriétaire, ancien Maire, boulevard de la Liberté, 21.
38. Catel (Charles), fiiateur de lin, , rue d'iéna, 2.
411. Catoiuk, rentier, rue Nationale; 280.
407. CAiiCH[E-BECQL'ART , directeur d'assurances, boulevard de la Liberté, SG.
1077. C\iLLiEz (Henri), négociant en laines, rue du Molinel, 55, consul de La IMata.
107. Cavro , directeur de l'école primaire , rue Fombelle, 32.
M4 Cazeneuve (Albert;, »^, homme de lettres, rue des Ponts-de-Comines , 26
522. Cazier , commis-négociant , rue Manuel , 102.
Ghalant (Armand), propriétaire, Parc Monceau.
1019. Chaillaux (Charles), négociant, rue Nationale, 95.
782. CiiARBONNEZ (Paul), propriétaire, rue de Bourgogne, 14.
956. Chivoret (Alphonse), commis négociant, rue du Faubourg-de-Tournai, 72.
1098. Ghombart (Pierre), avocat rue des Fos.sé.s-Neufs, 53.
530 Cho.mel, instituteur, rue Colbert, 80.
966. Chotin (L.), docteur en médecine, rue d'Amiens, 30.
217. Christiaens , A. %}, directeur de l'école communale , rue du Long Pol , 55
1206. Cleenewerck , commis des postes et télégraphes.
868. Clochez (.Iules), rue du Sabot, 2.
1013. Cochez, docteur en médecine, rue de Tournai.
287 . Colas (Pierre) , étudiant , rue des Fos.sés-Neufs , 62.
539. Colle, courtier, rue du Curé-Saint Etienne , 9
140. CoMÈRE (L.), fabricant de plâtre, rue de la Halle, 9.
993. Comte, G. ^,4* 4*, général de division, place aux Bleuets.
656. Co.nstandt-Becquet, propriétaire, rue Boileux, 5.
1244. GoNVAiN (Henri, fils), étudiant, rue Léon Gambctta, 104
1248. CoppiÉTERS (Séraphin), boulevard Victor Hugo, 75
288. CoQLELLE (Edmond), négociant en toiles, lue de Puébla , 10.
408. GoQLELLE (Léopold), fondé de pouvoir, rue de l'Hôpital-Militaire, 5.
546. Cordonnier (L) , architecte, rue Négrier, 22 bis.
792. CoRDo.NNiER (Léou), sous-lieutenant au 43'' de Ligne,
833. Cordonmer-Pollet, négociant, rue Patou, M,
282. CoRMAN (Narcisse), brasseur, rue du Faubourg-dc-Tournai, 39.
82. CoRNUT,0. ^, ingénieur en chef des appareils à vapeur, rue de Puébla , 22.
CossET, négociant, rue de la Digue, 3.
793. CouRMONT (Léon), négociant en draps, rue Solférino, 292.
1040. Cox-Cappelle (E), négociant, rue Solférino, 526.
.U4. Crémo.nt, distillateur, bouhvard de la Liberté, 219.
715. Geépin (H), sous-inspecteur des postes, rue .Nationale.
1301 . Crépin tFlorimond-Henri), rue Colbert, 120.
701. Crepy Alfred), propriétaire, boulevard Vauban, 124.
280. Grepv (Adolphe), fiiateur de lin, rue du Bois-St-Sauveur, 6.
— If. —
xN" (l'iD8- MM.
criptiOD.
293. Ckepv ^Eugènej. ttlaleur de colon, boulevard Vauban, 92.
263. CuEHV (Kriie.<t\ filatour de lin, rue deTurenne. 2.
264. CuKPY (Léonj, filaleur de colon , rue de Boulogne, 7.
56. Crepv (Paul) ^ A. Q >i*, négociant en huiles, rue des Jardins, 28.
474. Crepy (.M""'' Paul) , propriétaire , rue des Jardins , 28
196 Crespki.-Tii.lov, 0. ^. propriétaire, ancien maire, rue Royale, 103.
266. Crespei, (Albert) îi^, fabricant de fils retors, rue des Jardins, 18.
670. Crespel (R), négociant en cires, rue Gambetta, 56.
M41 . CussoN, fabricant de loiies, rue Solférino, 294.
ii. D.\MiEN A. Qt professeur-adjoint à la Faculté des Sciences.
493. D.\NCHiN (Fernand) , avocat , rue du Priez, 18.
26. D.\.NEL (Léonard), 0. ^, C. ►J«, imprimeur, rue Royale, 85.
427. D.ViNEL (Léon), >i; imprimeur, rue Nationale, 192.
626. Danel (Louis), imprimeur, rue Jacquemars-Gielée, 23.
975. DvNiEL, professeur à Tceolo supérieure, rue du Lombard, 2.
1229. U.\NSET (.Narcisse), fabricant de toiles, rue des Auguslins, 7 bis.
223. D.VRcuEz, A. ^, professeur au lycée , rue Alexandre-Leleux , 3» .
1034. Dauchez (René), commis des postes, boulevard de la Liberté.
1230. Debaisielx, propriétaire, rue Belle Vue, 70.
320. Debvyser ^E^.ouard), courtier, rue Saint-André, 2o.
704. Debievre (E.), bibliotbécaire de la ville, rue Solférino, 258.
438. Debièvre (A.) , négociant , boulevard Vauban , 135.
835. Deblo.n (J.), teinturier, rue du Faubourg-de-Tournai, 162.
006. De Bolbeks (G.), négociant en huiles, place du Concert, 10.
1078. De Bruy.v (W.), vice-consul des Pays-Bas, rue de l'Hôpital-Militaire, 101,
H 77. Debriy.n, notaire honoraire, rue Nationale.
5i8. Deblchy (Fr.; , fabricant de tissus, rue Ba.sse , 36.
739. l!E Cagny (Edm.), courtier, rue de la PiqueriCj 8.
282. Decroix (Jules , père) , banquier, rue Royale, 42.
360. De FÉLiCE, ancien professeur, rue Mcolas-Leblanc, 22.
893. De France (général), 0. ^. chef d'élal-major-général du l" corps d'armée.
345. Defk.\nce-Dubrelcq , négociant , rue des Sept-Agache.>i
406. De Franciosi, A. y, ►i', homme de lettres, rue Nationale, 93-
237. Defren.ne, propriétaire, rue Nationale, 296.
68. De Grlmbuy, propriétaire, rue Royale, 107.
"33. Degelser (René), courtier en sucres, rue Nationale, 163.
66. DegiiUvAGE (M"»], A. Q, directrice de l'école primaire supérieure, membre du
(Conseil déparlemenlal de rinslruelion publique.
a41 . Deuaisne (le chanoine;, 1. Q, secrétaire général des Facultés libres, boulevard
Vauban, 56.
556. De Hactecloque, lieutenant au 16*^ chasseurs, rue de la Barre, 15.
55. Déjvrdln-Verki.nder , Député, boulevard Vauban, 17.
938. Delacolrt, receveur-rédacteur de lEnregistrement et des Domaines.
233. Deladerriere-Loiset , négociant en cuirs, rue Jacqueniars-Giélée, 61.
644. Delahouoe (Viclor), négociant en céréales, rue Gauthier-de-Chàtillon, 19.
892. Delattre (Georges), négociant, ruedlnkermann, 41.
971 . Dei.attre Par.not, propriétaire, boulevard Sebastopol, 29.
1 136. Delatiue-Duriez (Louis), fllateur de lin, 287, rue Gambella.
894. Delan.vov, commis principal des postes et télégraphes.
114. Delécaille , négociant en toiles, ancien adjoint au maire, ruePatou, I.
1113. Delécaille (Léon), négociant en toiles, boulevard de la Liberté, î .
- n -
N»« d'ins- MM. ■ ,
nriptiOD.
487. Deledicque (Paul) , noiaire , boulevard de la Liberté , 101.
1207. Delefils (Eugène), agent d'assurances, rue Patou, 4.
619. Delemeu (H.), négociant en vins, rue Nicolas-Leblanc, 19.
787. Deleiiue (Arlliur), tilat(Mir de lin, rue du Faubnurg-de-Toiirnai, 196.
916. Delerue, grefgier au Tribunal de Commerce, rue de la Gare, 16.
51.0. Delesvlle (M""* Alfred), rue de Tliionville.
1151 . Delesvlle-V\n de Weghe (Louis), filaleur de lin, rue d'inkermann, 33.
lOoo. Delestré (Henri), fils), fabricant de toiles, rue du Palais, 4.
1297. Delestué (Albert), fabricant de toiles, rue du Palais, 4.
220. Deleithé (Henri), négociant en lin , rue de Gaiid , 33.
1299. Delevau (Emile) , négociant, rue Barthélemy-Uelespaul, 5.
G3o. Delahaye (Aug ), propriétaire, rue Gambetla, 13.
219. Dei.gutte (Benjamin) , entrepreneur de transports, gare Saint-Sauveur.
427. Delhvyk (.Mlle) , institutrice , rue de l'Hôpital-Militaire , 33.
1 'i3. Delh.we , sous-lieutenant au 43'' de ligne.
ij89. Deligne, homme de lettres, rue de la Barre, 38.
753. Delsaut, in,speclcur primaire.
61. Demeunynck (Auguste), homme de lettres , rue des Chats-Bossus, 6.
376. De Montigny (Alfred), directeur d'assurances, rue de Béthuoe, .'i9.
576. De Montigny (Philippe), agent d'assurance, place du Concert, 1 bis.
856. De Myttenaere, négociant, rue Neuve, 4.
743. Deneck (Gustave), négociant en huiles, rue Brûle-Maison, 120.
1274. Denouille, inspecteur général d'assurances, rue Patou, 17.
352. De Pacutere. propriétaire, homme de lettres, rue Négrier, .56.
590. Deplécuin (Eugène) , sculpteur, rue de Douai, 96.
238. Dequoy (J.), ^ Hlateur de lin, boulevard Vallon, 79.
434. Deracue (Ch.), >3*» rue Molière, 3.
830. De Hic'juaut d'Hérouville, C. ^, C. ^,»|-, colonel commandant le 43*^ de ligne.
267. Dekode, ^, ancien président du Tribunal de Commerce, rue de Tbionville, 5.
1146. Derode-Corman (Edouard), propriétaire, rue du Longpot, 32.
902. Deroeux (Eugène), 9, rue Notre-Dame-de-Fives.
44. l»Ë Saint-Amou i(M"e Constance), boulevard de la Liberté. 115..
122. Descamps (Anatole), fabricant de (ils retors, boulevard de la Liberté 36.
8-42. Descamps (llippolyle), corroyeur, parvis St-Maurice, 7.
198. Descamps (Ange), filaleur de lin, rue Royale, 49.
491 . Descamps-Crespel , fabricant de fils retors, rue Royale , 77.
490. Descamps i^Jules), consul du Brésil, rue des Fleurs, 14.
1128. Descamps (Edouard), filaleur de lin, boulevard Vauban, 15.
663. Desmedt (Aug.), fdateur de lin, rue Tenremonde, 12.
538. Deschin (Edouard) , mécanicien-constructeur, rue du Bourdeau , 14.
994. Deschins (Léon), négociant, rue d'inkermann, 49.
316. Desrousseaux (Gustave) , négociant, rue St-André, 31,
837. Desrousseaux (Gustave), étudiant, rue de Roubaix, 34.
838. Desrousseaux (André), étudiant, rue de Roubaix, 34
824. Desplats , docteur e» médecine, boulevard Vauban , 52
1103. Desmazières, propriétaire, boulevard delà Liberté, 165.
828. Desmoutiers, chef du bureau, rue de la Barre, 41.
596. Desreumaux , restaurateur, rue Marais, 17.
1230. Desroussk.aux, secrétaire-adjoint de la Société Industrielle du Nord.
379. Desurmont (Ch.) , brasseur, rue du Quai . 22.
1269. De Surmont, industriel, rue d'isly, 62.
- 18 -
S"' d-iM- MM.
cripllon.
616. Db Swarte (Romain) , ingénieur civil, rue de Fleurus, 43.
623. De Swarte (Edouard), brasseur, quai de Wault, 12.
683. De Valroger. propriétaire, rue Royale.
1093. Devilder (Henri), banquier, rue<le l'Hôpital-Militaire, 5.
8lO. Dew'attines (Félix), relieur, rue Nationale, 88.
1186. Dkworst. (F.), négociaut en lingeries, rue de Roubaix, 40.
1199. Uhainvut (J.), employé des postes et télégraphe, quai Vaubaii, 25.
485. Dhaliain, entrepreneur, rue SI André, 44.
1200. DoBY (H.), employé des postes et télégraphes, rue Manuel, 80.
1273. DoLEz (.lulcs), avocat, rue Palou.
310. UoRNEMv.NN (G.-W), fabricant de bleu d'outremer, rue Nationale, 190.
1061 . Doumer, docteur en médecine, professeur, rue de Puébla, 28.
736. Drieux (Victi.r), lllateurde lin, rue de Fontenoy. 31.
H 23. Druon (D.), docteur en médecine, rue d'Ksquermes, 6.
392. UuBVR (Gustave) ^, directeur de VEcho du Nord, rue de l'as , 7.
1137. DuBAR (Léon), propriétaire, rue des Tours, 6.
1 127." DtBAR (Edouard), employé des postes et télégraphes, rue de Loos, 32.
1130. Dubois, propriétaire, lue Colbert, 97.
1224. Dubois, docteur er. médecine, rue Bourjembois.
766. Du Bousquet, ^ , ingénieur en chef de la traction du chemin de fer du Nord,
rue de Bavai.
397. Dubreucq (Horace) • fabricant (l'a:nidon, rue du Faubourg-de-Tournai , 198.
1157. Dubueucq, directeur de tissage, rue de Rivoli, 8.
104. DuBUS, instituteur, rue du .Marché , 49.
340. Ducastel (M""'), prupriélaire, rue Soiférino, 249.
857. Ducoin-Beharel. propriétaire, rue de la Barre, 34.
904. DucouRuuBLE (Juics,, propriétaire, rue dliikermann, 25.
1218. DuKLO, A. Q , chimiste, rue de Bourgogne, 34.
308. DuFLOs-DE Mallorïie, homme de lettres, rue du Gros-Gérard , 4.
436. DuGVRDiN (M"e Bcrthc) , institutrice , rue Masséna, 66.
988. DuHEM-PoissoNNiER (Antoine), propriétaire, rue de Puebla, 37
1212. DuuEM (Arthur), propriétaire, rue Stappaert.
517. DujABDLN (Armand), piopriétaire, boulevard Vauban, 27-
GG2. DujARDi.N (Victor) , notaire , boulevard de la Liberté, 165.
813. DuMEZ (MiiL), institutrice, rue de Fives, 48.
400. DuPLAY, négociant en fils, rue de Bourgogne, 18.
103. Dupont, directeur de l'école primaire , rue d'Artois, 200.
697. Dupont (M'ie), institutiice), rue Colbert, 45.
1279. Dupont (Fernand), boulevard de la Liberté, 130.
1232. Dupo.nt (Georges), boulevard de la Liberté, 1-30.
213. Dupret (A.j, instituteur primaire, au lycée.
809. DCPRÉ fils (Edouard), letordeur, rue des Pénitentes, 1 .
106. Duriez , directeur de l'école communale de la rue Boilly.
423. Duriez (M"'^), institutrice, rue Rolland, 6.
101 . DuRiEux, directeur de l'école prin)aire, rue des Poissonceaux, 19.
874. DussouRT ^, receveur principr.l des postes et télégraphes.
836. DuToiT (M""^), institutrice, rue Stappaert, 14.
1 1 10. DuTHOJT, banquier, rue l'atou, 35.
666. Dltuilleul, propriétaire, square Ju,><siou.
Duv\i,-L\i,ou\, iieinlre, bnulevard do la Liberté, 123.
- 19 -
N»» din8- MM.
cription.
291 . Eeckman, négociant, secrétaire-géaéral-adjoint, 73, rue de Tournai.
;il I . Epinay, a. Q, professeur d'histoire au lycée, 28, rue Malus.
10IG. EsGVii.LVS (Ferdinand), commis dos postes, boulevard de la Liberté.
1087. Étiennk 5^, ingénieur des ponts et chaussées , rue de Bruxelles, 4.
1032 EusTACHE (Gonzague), professeur à la Faculté libre de médecine.
228. F\CQ, iiej<ociant en bronzes , rue Esquerraoise, J15.
94. Faucher, 5^, ingénieur en chef des poudres et salpêtres.
448. FAiiciituR (Edmond) , président du Comité linier, square Rameau, 13.
946. F.vuoHEUR, (Félix, (ils), lîlateur de lin, rue Nationale, 304.
947. Faucheur (Albert), (îlaleur de lin, rue Nationale, 299.
500. Fvuchille-Prévost (M"'^), propriétaire, rue Basse.
1223. Fauchille-Stiévenart, fabricant de fils a coudre, rue Jacquemars-Giélée.
559. Fauchille (Edouard), propriétaire, rue Jacquemars-Giélée.
588. Fauchille (René), étudiant, rue de Tournai , 88 bis.
1048. Faucon (Victor), docteur en médecine, rue de PHôpilal-Militaire.
719. Faire (Henri), fabricant de céruse, rue des Postes, 88.
1081 Fauviixe, docteur en médecine, rue Patou, 16.
252. Fernaux-Defrance , négociant, rue Grande-Chaussée, 44.
1144. FiÉVET (Auguste), négociant en fers, rue Solférino, 280.
401 . Flament (M"e) , institutrice , rue de Lens, 69.
978. Flament (Gustave), rue Bonle-PoUet, 10.
H89. Floris, professeur, boulevard de la Liberté, 38.
713. Florin-Deffrennes, (Achille), propriétaire, rue d'Anjou.
418. FocKEu (Mii«j. institutrice , rue de l'Arbrisseau.
124. FocKEu , directeur de l'école de la rue de Juliers, 73.
598. Follet. A. y^, docteur en médecine, boulevard de la Liberté, 76.
953. Fontaine (César), propriétaire, square de Jussieu, 19.
1253. Fontaine (Georges), négociant eu drogueries, rue de Thionville.
2'i3. Fontaine-Flament, filateur de coton, rue des Sarrazins, 98.
1234. François (Paul), équipements militaires, rue Nationale, 247.
1235. Fremaux (Henri), propriétaire, rue Négrier, 23.
658. Froelich , chargé de cours d'enseignement spécial au Lycée.
324. Froment (MI'k) , professeur, rue Nationale, 53.
60. Fromont (Aug.), propriétaire, homme de lettres , rue de l'Hôpital-Militalre, 7*7
Il 78 Galland, négociant, rue du Moliuel, 11 .
361 . Gaillard, économe au Lycée.
1068. Gaillet (Paul), ingénieur civil, rue Solférino, 278.
'31 . Gauche (Léon), A. Q, négociant en cotons, rue de Paris , 153.
976. Gaulard. maître agrégé de conférences à la Faculté de médecine.
1217. Geeraert, propriétaire, rue Grande Allée.
691 . Gvnnevoise, ancien notaire, rueGanobetta. 35.
1165. Gknnevoise (Félix), fabricant de céruse, rue Solférino, 296.
M87 Genoux-Roux (Adolphe), directeur du Crédit du Nord, boulev. de la Liberté, 31 .
492. GiRAUD (Abel), négociant en vins, rue de la Italie, 35.
8y7. Gobert, pharmacien, rue Esquermoise, 26.
1017. GoDRoN (Emile), avoué, boulevard de la Liberté , 91.
834. Goguel (P), professeur de filature, rue des Sept Sauts.
8. GossELET, ^, I Q, profe.sseur à la Faculté des Sciences, rue d'Antin, 18.
97. GossiN, ^,i. i), agrégé de l'Université , proviseur du lycéij de Lille.
- 20 -
N*«d'in8- MM.
cripliOQ .
618. GRiNDEL (Julien) . représentant de commerce, nie André, 33.
1126. Gr.vtrt (Jules), manufacturier, rue de Pas, 11.
870. Gréterin, ^, directeur des postes et télégraphes du Nord, rue de RoDbaix, 30.
571 . Gronier (jeune) , négociant en métaux , rue de Cambrai , 30.
850. Gros (Julien), chef lampiste au Chemin de fer du Nord, rue des Arts, 44
405. GuuGKO.N (Georges) , voyageur de commerce, place de i'Arbonnoise . 3.
651 . GuicHARi) (Albert), avocat , rue André, 34.
676. Hache, professeur de langues, rue Jacquemars Giélée , 40.
191. Hallez, A. ^. docteur en médecine, rue des Jardins, 16.
299. H4LUER , 0. ^, général du génie.
710. Hance (llippolyte), propriétaire, rue de la Barre, 22, au 1".
44t. Hannoti.n (M""") , propriétaire, rue Jacquemars-Giélée, 39.
742 Hayem (Jules), propriétaire, cour des Innocents, 5.
985. IlECBT, professeur à l'école supérieure, rue du Lombard, 2.
256. Hedde , vice-président du tribunal civil, rue Solférino, 197.
899. Heindryckx (Paul), filaleur de lin, rue des Processions, 67
93. Hei.luv, professeur à l'école supérieure . rue Malus , 2.
871 . IIÉNON : inspecteur des postes et télégraphes , rue Dujardin , 8.
1004. HEiNRioT, employé au chemin de fer, place des Reignaux , 18
84. Henry docteur en médecine , rue de IHôpital Militaire , 38 bis.
455. Henry, fabricant de bleu d'outremer, rue Denis-Godefroi , 3.
464. Heulvnd, commis-négociant, rue des Fossés, 39.
92. Herlkmont. instituteur à l'école supérieure, rue du Lombard.
802. Herlin, notaire, ancien président de la Chambre des Notaires, square Jussieu, 19
918. Heuckelbouï (L.j, négociant en grains, rue d'inkermann, 39
3(;4. HiLST, négociant en toiles, rue du Dragon, 5.
lOol . HiRTZ (Liicien). négociant en toiles, rue de Tournai, 39 bis.
1 1 12. HiRTZ (Georges), négociant en toiles, rue de Tournai, 39 bis.
822. HocHSTETrER (Paul), docteur en médecine, rue de Fives, 44.
HocQUET, pharmacien, rue Léon Gambetta, 04.
896. HoLBECQ (Hrnest), pharmacien, rue Saint-Gabriel, 73.
1148. HouBRON (Kdmond), négociant en vins, place du Théâtre, 34.
380. HouzÉDE l'Aulnoit, a. ^. C. «^, avocat, rue Royale , 61.
381 . HouzÉ DE l'Aulnoit ^ , ancien lit'utenanl de vaisseau, rue de Turenne, 25.
453. HouzÉ (Victor) , avoué , square Jussieu ,11.
845. UuET (Charles) ►J<, ancien juge au Tribunal de Commerce, rue des Arts, 3t.
226. Ulmbeuï (Emile) , propriétaire , boulevard de la Liberté , 50.
7'J5. HussENoT, lieutenant au 16^ bataillon de chasseurs à pied, rue de Bourgogne, 28
61 2. iMBERT (Eugène) , directeur général du cadastre , rue Colbert , 150.
478. Jacquemarcq (J) chemisier, rue Nationale, 67.
569. Jacquin, inspecf de l'exploit, au chemin de fer du Nord, rue du Gd-Balcon.
Ii2i-. JvNSENS (Victor), négociant en vins, rue Wicar, 40.
460. JoNCKÈERE , négociant en produits chimiques, rue Bapliste-Monnoyer, 4.
1143. Joseph (Paul), ingénieur civil, boulevard de la Liberté, 55.
1352. Kerckove (Gustave), négociant en huiles, rue Ganlois, 11.
301 . LvBBE, propriétaire, ancien président du tribunal de commerce, rue du Metz, 6.
1188. Ladoire, ^, docteur en médecine, rue Colbert, 188.
102. L^DRiEEE , directeur de l'école du square Jussieu , 24.
- 21 -
N«» d'in» MM .
cription.
273. LvouRBAiiCM'""), propriclaire, nie Bontc-Pollet, 2.
63. LvFONT, professeur au Lycée, rue Colbert , <64.
425. L\GR\NGE (M™^), institutrice, rue de Bailleul, 25.
852. Laigle (Alfnîd), réprésentant de commtrce, rue de Courtrai, 23.
884. Lalisse, commis de direction du service technique des ti'légraphes.
413. Lamford (M"'' Emma), .square Ramfau, 7.
07. LvMBRET (Mlle), A. %^, directrice de l'institut Fénelon, rue Jean-Sans-Peur, 2.
700. Lammens (Edouard), propriétaire, rue Nationale, 194.
24<. Lammkns (G), propriétaire, ruo d'Angleterre, K.
840. Lancien, juge-de-paix du canton sud-ouest , rue des Pyramides, 3'J.
208. Laroche (Jules) , négociant en papiers, place du Théâtre, 64.
Laurand {M'"°), boulevard de la Liberté, 20.
365. L\urent; (Adolphe), négociant en lins , rue de la Louvière, 72.
711 . Laurent (Julien), négociant en rouennerles, rue à Fiens, i .
1043. Lavaux, négociant, place du Lion-d'Or, 14
981 . Lebrin, professeur à l'école supérieure, rue du Lombard, 2.
855. Lecat (Léon), conducteur des ponts et chaussées, rue l'atou, 33.
498 Lechat, (Eugène), négociant en draps, rue Desraazières.
274. Le Blan, (Paul), (ilateur de lin , rue Gauthier-de-Ghatillon , 24.
560. Le BLAN,(Julien), ^, fllateur de colon, rue Sollerino, US.
646. Leclair-Duflos, propriétaire, rue de Puébla, 17.
89. Lecoco, agent-conseil d'assurances, rue du Nouveau-Siècle , 7.
1201 . Lecocq (Alfred), négociant, rue Jacquemars-Giélée, 60.
1245. Lecocq (Alphonse), négociant en charbons, quai Vauban, 3.
888 Lecroart (Isidore), propriétaire, ruePalou,10.
311 . Leclercq (Frédéric), receveur municipal, rue Inkermann, 8.
901 . Leclercq (Gustave), négociai) l en lils, rue Jeaii-sans-peur. 45.
8li9. Lefebvre (Désiré) , courtier, rue du l'aubourg-de-lloubaix , 137.
120. Lefebvre, professeur de mathématiques au Lycée, place aux Bleuets, 20.
997. Lefebvre, professeur à l'école supérieure, rue du Lombard, 2.
537. Lefebvbe-Lelong , représentant de commerce, rue de Bourgogne, 52.
597. Le Fort (Hector) ^, médecin, rue Colbert, 44.
041 . Le Gavrian (Paul), propriétaire, député, boulevard de la Liberté, 133.
390. Légereau, instituteur, rue de Rivoli, 50.
647 Legougeux flls, négociant en lins, boulevard de la Liberté, 107.
366. Legrand, (Géry) ^, k.tj, homme de lettres, maire de Lille, r. Nicolas-Leblanc, 34.
47. Lemaitre (Gustave), i)ropriétaire, boulevard de la Liberté, 215.
100. Lemaire, directeur de l'école piimaire, rue Léon Gambetta, 97 bis.
683. LemoNxN[er (Raymond), propriétaire, quai de la Basse-Deùle, 72.
1247. Leneveu, place Saint-Marlin , 14.
337. Lequenne , propriétaire, rue Solférino, 232.
664. Leroy-Deles VLLE (Paul), négociant en lins, boulevard de la Liberté, 139.
384. Le Roy (Félix) ^, député, ancien président du tribunal civil, rue Royale, 105.
702. Le Roy, inspecteur commercial au chemin de fer du Nord, rue de Tournai, 47.
851 . Le Roy, négociant en rubans, Grand'place, 11
914. Lerouge-Dumouijn, professeur, rue Bernos, 7.
1353. Lesay (Charles), représentant, rue du Barbier-Masse, 22.
33. Lesert, géomètre, rue Koyale, 15.
832. Lesnes (Aimé), instituteur, école publique de filles, rue Watleau.
597. Lessens (Eugène), distillateur, rue Saint-André , 83.
16. Lesur, directeur de l'école primaire, rue des Stations, 52.
— 22 —
NO'd'ins- MM.
cription.
1211. Lkzies, néfiociant en tapis, rue (les Chats-Bossus.
558. Lewe, instituteur, rue Lydi'ric, 2.
955. Lhotte (Gustave), A Q, dirocleur du Pelil Nord.
887. Lheuueix, contrôleur du service techiiiciue des télégraphes.
11%. Lignier Octave) préparateur de botanique à la Faculté des sciences, Vieux-
Marché-aux-l*oulets, 20.
1192. LiNGRvND (Charles), négociant, boulevard de la liberté, 10.
896. LoBERT (Emile , pharmacien, rue du Priez, 30.
374 Loncke, (Eugène), directeur d'assurances, boulevard de la Liberté, i3.
330. LONGUAYE, (Edouard), propriétaire, boulevard de la Liberté, l'îl
1210. LoNGREZ, propriétaire, rue des Postes, 18.
15. LooTEN, docteur en médecine, rue des Molfonds, I.
477. LoRENT, (L.,) propriétaire, boulevard de la Liberté, 120.
454. Lorent-Lkscornez, filateur de lin, rue d'Inkeimann.
692. Lo.hthioir (Auguste), imprimeur, rue Golbert, 118.
693. LoRTHioiR (Léon), comptable, rue de La Marmora, 21.
\ 185. LoTVR, I. Q, professeur à la Faculté de médecine, rue Solferino, 201.
382. Lover (Ernest), filateur de coton, place de Tourcoing.
843. Mac Lvciii.vn (Georges), commis négociant, rue de Thionville, 15.
581 . MAHiF.r (Mlle), institutrice, rue Léon Gambetta, 210.
812. Maillard (Mlle), institutrice, rue de Fives, 48
1090. Mallet (D), conducteur des ponts et chausi^ées.
28. Mamet, L Q., professeur agrégé d'histoire, rue des Pyramides
240. Maquet (Ernest), négociant on lins, rue des Ruisses, 15.
Maquet (M'"" Alfred), propriétaire, boulevard Vauban, 31.
1153. Maracci (Madame), propriétaire, rue des Fleurs, M .
484. Marette, négociant en co'ons, rue du Vieux Faui)oiirg, 29.
682. Maroquin, négociant en charbons quai de la Bisse-Deùle. 46
1298. Martin (Edouard), étudiant en droit, rue du Palais. 9.
527. MvRTiN, (Mlle Marguerite), institutrice à l'Institut Fénelon.
197. Masse-Mel'rice, brasseur, rue de la Barre, 114.
1007. Masson (Arthur), peintre, rue d'Antin, 31.
;i99. Masquelier (Auguste) , ^ négociant en cotons , rue de Courtrai, 5.
514 Mas (Charles), négociant en toiles, rue du Molinel, Président du Tribunal de
commerce.
1219. Mathelin, îJS:, ingénieur, rue de Douai, 95.
841 . Mathieu, pro[)riétaire, rue Gauthier-de-Chàtillon , 14.
990. Mathis adjoint de 1" classe du génie, au fort Sainl-Sauvcur.
984. Mathon (Ferdinand), professeur, rue d'Angleterre, 7t.
1270. Merciiier, professeur d'histoire au lycée, rue Colbert, 80.
1099. Mertian de Muller, avocat, rue Boucher-de-Perthes, 74.
1063. Mertz (Nicolas), commis-négociant, rue de Paris, 222.
925. Méplomb (A ), propriétaire, rue Soiférino, 39.
962. Melon (Edouard), gérant de la Compagnie du Gaz de Wazemmes.^
<34. Meurice (Paul), négociant en bois, rue Soiférino, 20 1.
1 115. Mky.net (Albert), négociant en toiles, rue des Tanneurs, 49.
1142. MiG.NOT (Heini), avocat, rue .lacquemars-Giélée, 26.
195. Mili.ot, a. y., professeur au lycée., rue du Vieux-Marché aux Poulets, 18.
970. Monier (Louis), négociant en toiles, rue de Paris, 99.
1005. MoNTAiGNE-BÉRioT (Alphonse), banquiei , boulevard de la Liberté, 295.
1243. Morel (Alfred), tapissier, rue Royalo, 4*>
— 23 —
NO'd'ins- MM.
cripllon
655. MoREAu (C) , nnniifactuiier , 32 . rue des Ponts-de-Comines.
99. MouRcou, architecte, rue Manuel, 103.
986. MoiiRMVNT (Julien), nt'gociant en drogueries, rue des Prùtres, 26.
37-1. MuLLER, professeur au lycée, rue d'Antiii, 27.
204. MuLLiER (Albert), négociant en lins, rue d'Angleterre, 'i-8.
415. M"'^ MuLLiER-MANiiiz, rue de l'Ecole, 22, à Fives.
44 . MuoT, propriétaire, rue du Faubourg-de-Roubaix, 29.
534. Neut (Emile), négociant en lins , rue de la Grande Chaussée.
466. NicoDEME, négociant en fers, nie de Paris, 212.
.'jO. NicoLLE ^, fllateiir de lin, rue Jacqueraars-Giélée, r)9.
254. NoQUET, docteur en médecine , rue de Puébla , 33.
1037 NuYTTEN (Gustave), négociant en toiles, rue d'Angleterre, 60.
377. Obin (Jules), teinturier, rue des Stations , 101.
192. Oluer, A. %}, pasteur protestant, rue Jeanne-d'Arc.
333. Ollivier , docteur en médecine , rue Solférino , 314.
319. OviGNEtiR (Emile), 5^, avocat, rue de Tenremonde, 2.
1209. OzENFAM (Auguste), propriétaire, rue des Jardins.
1271. P.VNNiER (Paul), propriétaire, rue de l'Hôpital-Mililaire, 15.
0Î5. P.ARENT (Edmond), commis négociant, rue Nationale, 136.
714. Parsy (Achille), étudiant, rue Jean-saiis-Peur, 28.
1038. P.VTOiR, docteur en médecine, rue de Thionville, 16.
1054. P.AULi, sous-directeur du gaz de Lille , lue Saint-Sébastien . 17.
617. Pauris. négociant, rue Henri-Kolb, 67.
1000. P.UOT (E.), commissaire-priseur, rue Patou, 20.
1203. PÉROCHE (J.), ^, directeur des contributions indirectes du Nord.
330. Perot (Gaston), brasseur, rueColbrant, 12.
1140. Perrault, notaire, rue de l'Hôpital-Mililaire, 77.
1226. PÉRUS (Henri), propriétaire, rue de Bourgogne, 47.
20 Pesmn, ingéneur de la navigation , place Philippe-de-Girard , "8.
1 108. l'ÉTiN (Léonce), garde-magasin à ta manufaclure des tabacs.
310. Petit (Pierre), inspecteur des douanes, ruedes Jardins, 11.
469. PETrr (Delphiiij A. jyi, propriétaire, boulevard Vauban , 76.
605. Petit (Jules) , rédacteur en chef du Courrier populaire, rue Basse.
350. Philippe (Louis), avocat , boulevard de la Liberté , 30.
1231 . Picard (Armand), capitaine d'artillerie de forteres.se, place de la République ^
439. Pic \VET (Léon), filateur de lin, boulevard Louis XIV, 3.
769. PicAVET (Louis), lilaleur de lin, rue de Fives, 43.
703. PiERRON, ?^, ingénieur en chef des ponts et chaussées, rue de Bourgogne, 27
1103. PiLATE (Auguste), chef d'institution, rue ùe Béthune, 49.
385.^ Platel (Albert), négociant en bois , rue de la Préfecture , 2.
731 . Plisson (Eugèn ), négociant en fils, rue de laLouvière 7.
524 . Plumecoeq , chef de bureau à la préfecture du Nord .
1)48. Plumcoecq (M"e ainée), chez son père, à la Préfocture.
C49. Plumcoecq (M"e cadette) , chez son père, à la Préfecture.
561 . Pollet (J), vétérinair.' départemental , rue Jeanne Mail lotte, 20.
1232. Potier (G.), sons-lieutenant au 43° de ligne, rue de Roubaix. 52.
20 i . PoTiÉ (Jules) , caissier, rue Marais, 16.
432. PoiîiLLE (Emile), caissier, rue de la Louvière, 54.
996 Poulet (Jules), négociant, rue Jean-sans-Pcur , 52.
— 24 -
NO'd'lns- MM.
criplion.
698. Prévost (François), employer do Commerce, ruo Bnilc-Maison, 114.
224. l'RiEiRE (Madame la.) du couvent des Bernardines d'Esquermes.
1254. Prignkt-Dkspréaux, chef de bataillon au iS*^ de li^ne.
1152. Plgnièrk (Cliarles), contrôleur des Contributions directes, place St-Murliii, 2.
.■}B4. QrvRRÉ-REVBorRBON, (A), ^,propri('laire, membre de la Commission historique.
727 QuarréRkyboubbon (Mme), propriétaire, boulevard de la Liberté. 70.
735. OiiARBÉ-PRÉvosTfL.l, Libraiie. GraïKi'l'lace. 64.
442. QuEF . propriétaire , boulevard Louis XIV , 2
1-221 . Qlénet (Edmond), commis-négociant, rue Notre-Dame de Fives.
358. UvJAT, chez M Bouleiliier, pharmacien, rue des Suaires, 2,
881 . Rvnx (Emile), négociant en charbons , place de la République, ."?.
86. Raqukt (Désiré, , commis-négociant , rue Nationale., 52.
568. Regnabi) , chef de gare , à Lille.
678. Re.my (Emile), négociant en fer-s rue des Arts. 16.
585 . Rénaux (Georges , négociant en grains, rue d'Inkermann , 21 .
681 . Renocabd (Kmile), filateur el fabricjnt de toiles, rue de J'ilopital-Militaire, 66
96. RENOUMtDiAlfreil), filateur et fabricant de toiles, rue Alexandre Leleux, 46
292. Reuflet 'Frédéric), avocat , rue Nationale, 104.
216. Richard, directeur de l'école primaire, rue de la IMaine, 51 .
1111 . Richard, représentant, rue de la Quennette, 8.
169. RicHEZ , directeur de lÉcole communale , rue Saint-Sébastien .
1093. RiciiMOND (Julien), représentant, rue Canraartin, 62.
72. RiGVUX, l. Q, archiviste de la ville, Mairie de Lille.
88. RiGAUT, ^, A. Q, filateur, adjoint au Maire, rue de Valmy, 15.
435. RiGAUT (Ernest), fabricant de fils retors, rue Saint-Gabriel , 91
765 RiGOT, négociant en vins, place aux Bleueis 13.
443. Roger-Deplv.nck , négociant en lins, rue de Tournai ,2 t.
1176 RoGEz (Louis), fabricant de fils à coudre, rue de la .Justice.
126. RoGEz, represeniant de charbonnages, 39, rue Blanche
1 179 RoGiE, tanneur, rue de Bourgogne, 60.
603. RoLLEz (Arthur), directeur d'assurances, rue Jacquemars Giélée, 123.
121. Ros-MAN, A i}, professeur de littérature au lycée, rue Esqnermoise, 55 ter .
883. RosooR (Edmond), représentant, rue de la Gare, 17.
696. KossEL (Edouard fils), t3inturier, rue du Chaufour, 19.
284. Rousse \u \Meiie), institutrice, ruedel.ens, 11.
203. RousELLE (Théodore), agent général d'assurances, boulevard de la Liberlé,1i5
1134. lloTHÉ, commandant du génie, au fort Saint-Sauveur.
1047. RouRE (Ernest), négociant, rue Mercier.
1132. RoussELLE (Victor), capitaine en retraite, rue Léon Gambelta, 17.
720. RouzÉ (Lucien) , propriétaire , rue dei Jardins, o.
43. RouzÉ (Henri), propriétaire, boulevard de la Liberté, 220.
1233. RouzÉ (Emile), étudiant, rue des Augustius, 7 bis.
239. RouzÉ fÉmile). entrepreneur, juge au Tribunal de commerce, r. Joséphine, 20.
653. RouzÉ (Léon) , brasseur , boulevard de Montebello ,48.
665. RvcKEWAERT , fabricant de sacs en papier , rue d'Arras, 84.
Saisset-Schneideu, ^. A. Q, l'réfel du Nord.
1180. Salomon (Félix), fabricant de voitures, rue de la Digue, 17.
1139. Sano-Binault, propriétaire, rue Jeanne-d'Arc, 11.
72i. Sapin (Gustave), filateur de coton, quai de l'Ouest, 36.
- 25 -
N"« d-ins- MM.
cription.
763. Scalbkkt-Bkbnaiu), banquier, jiise au Tribunal de Tommcrco, rue de Courtral
96i. ScHEiBi (Frédéric), négociant, rue des Caiioiiniers, 10.
<3. SciiOTSMVNS lÉmilc), fabricanf dt' sucre, distillateur, boulev!<A() Vauban, y.
45G. ScHOUTTETEN (Jules , lilateur de coton, façade di; l'Esplanade , i)Z.
iM . SciiuBART, négociant en lins, rue Sl-Gonois.
40. ScRivK-WALLAEnT, G. C. 4^ Q, propriétaire, rue Royale. ^30.
201 . SoRivE-BiGo ^, ancien membre de la chambre de coniracrcc, rue du Lombard, I •
229. ScRivE (Gaston), négociant en lins, rue de Jemmapes.
356. ScRiVE-LoTER, 0.»J«, membre de la Chambre de commerce, rue Notre-Dame ^292.
364. ScRivE (Gustave), rue du Lombard.
610. ScRivE (Albert) , fabricant de cardes, rue des Buisscs , 13.
587 ScRivE (Georges) , fabricant do cardes , rue de Koubaix , 28.
135. SÉE (Edmond) , ingénieur , rue d'Amiens.
■1066. SÉGARi) (Emile), propriétaire, boulevard de la Liberté, 6o.
409i. Senoutzen, gérant de la maison Verstraele, rue Esquermoise, 48.
580. Servtski , professeur de dessin au lycée, rue Nationale, 332.
232. Sigebert (le frère), directeur du pensionnat des Maristes, rue des Stations.
52. Société Industrielle du Nord (La), rue des Jardins, 29.
426. SoMAiN (Mme)^ institutrice, rue de la Deùle, i .
631. SouiLLART (Léon,, étudiant en droit, rue Fontaine-del-Saulx, 20.
214. Speoer, directeur de l'école de la rue du Chemin de fer, 13, à Fixes.
1257. Si'HiET (Alphonse), fabricant de toiles, rue Léon Gamhetta.
967. Stalars (Karl), teinturier, rue Jacquernars Giélée, 100.
707. Steverlvnck (Gustave), négociant en savons, rue d'E.'^quermes, 10.
1302. Stiévenart (Henri), fabricant de couvertures, rue du Pont-à-Kaisnie.s, i.
231 . SwYNGHEDAuw (M^e), directrice de l'école communale de la rue Gombert.
712. Tacquet (Henri), iiercepteur, boulevard de la Liberté, 1t.
1255. Tacqiet (Georges), étudiant, boulevard de la Liberté, 14.
1191. Tailliez (Paul), publiciste, rue Nationale, 90.
997. Tanguy (J -B.), commis-négociant, rue Saint-Jacques, 16.
4iJ4. Tellier (M"*'), institutrice , rue de Tournai, 49 bis
872. Terlet, commis principal des postas et télégraphes, r. du l'aub.-de Roubaix, 99.
98. Testelln, (Achille), sénateur, .square Dulilleul, 23.
521 . Testelin (Alexandre), avocat, rue Jean-Sans-Peur, 14.
283. Thellier (Paul), avocat, rue d'Angleterre, 41 bis.
1059. Théodore (Alphonse, fils), négociant rue des Prêtres.
1256. Théry (Paul), avocat, square Dutilleul, 33.
954. Thieffry (Maurice), fabricant de toiles, boulevard de la Liberté, 207.
127. Thiriez (Alfred), filateur de coton, membre du Conseil sup' du Commerce,
rue Nationale, 308.
1150. Thiriez (Julien), manufacturier, rue du Faubourg-de-Béthune, 56.
999. Thiroloix (Paul), ingénieur civil, rue André ,31.
575. Tilloy-Delaune, administrateur des mines de Lcns, boulevard de la Liberté, 5
90. TiLMVN, 1. tj:, directeur de l'école primaire supérieure, rue Malus.
113. ToFFART, 1. 'ij, 0. >^, secrétaire-général de la Mairie, à l'Hôlel-de-Ville.
9. Toussaint, 1. Q, inspecteur primaire, rue Gautier de Chatillon, 11.
409. Toussix (Georges) , (ilateur de coton , rue Royale.
ToussiN (M""' Gustave), rue Royale, 83
1102. Trisbourg (Ernest), négociant en coton, place aux Bleuets, 19.
286. Trouhet (J.-B ), professeur de télégraphie, place de Bélhune, 3.
202. Tys (Alphonse), fondé de pouvoirs de la maison Crépy, rue de Courlrai
- 26 -
N-'M'ing- MM.
cription.
1082. Vaillant (Eugène), étudiant, rue Colt)ranl, 8.
387. Vaillk (M"'") , institutrice , rue des Tours , 14.
494. Valdelirvue (.Mfred) , fondeur en cuivre, rue des Tanneurs, 34.
. 60!. Vallet (Aipfionse) , publiciste, ruedii Molinel , i8.
1242. VANDER6imut;GHK (Désire), rue Saint-Nicolas, o.
708. Va.n Butseele, courtier, rue Nicolas-Leblanc, 7.
1088. Vandame (Emile), bras-cur, rue de Douai, 6o.
1089. Vandame (Georges), brasseur, rue de la Vignette, 65.
412. Van den Heede , tiorticulteur, rue du Faubourg-de Roubaix , 55.
1)82. Van den Heede (Charles), négociant en vins, rue Masséna,24.
1006. Vandenh^nde (Jiiles\ épicier, rue des Guinguettes, ol.
783. Vandeweghe (All)ert), filateiir de lin, boulevard lie la Liberté, 163.
73. Van Bende, I. %}, présid'-nt du musée de numismatique , rue Masséna , 50.
740. V\N Troostenberghe, courtier en îîls, rue Nationale, 74.
1085. VvNVERTS, pharmacien, rue de Paris, 199.
r)47. Vasselr, instituteur, Grande-Place, 42.
1083. Venot ^, 4*, vice-consul d'Espagne, boulevard de la Liberté, 39.
277. Vennln , négociant en métaux, rue du Pont Neuf, 4
562. Veblev (Charles), banquier, ancien président du Tribunal de Coraiiierce,
rue d'Angleterre, 41.
t14o. Verley-Bollaert, banquier, boulevard de la Liberté, 48.
880. Veirley (Edmond) , négociant en sucres , rue St-lMerre , 7.
15. Verly, ^, directeur de VÉcho du Nord, rue Solférino, 7.
737 . Vermesch, représentant, place du Théâtre, 46.
436. Verstaen. avocat, rue de Tenremonde, 7.
358. Villerval , instituteur, place Catinal.
804. ViLLETTE (Paul), chaudronnier-constructeur, rue de W^azemmes, 37.
4()2. Vincent (Georges) , agent d'assurances , rue Desmazières
847. ViOLLETTE (Ch) ^, I. Q, doyen de la Faculté des sciences, rue Patou, 43.
595. ViRNOT (t rbain) , négociant en produits chimiques , rue de Gand , 2.
785. Virnot(V), négoeiant, rue de Gand, 2.
786. ViRNOT (A), négociant, rue de (iand, 2.
645. Vcylsteke (Em), négociant en huiles, rue Colson, 10.
767. VuiLLAUME (Em), négociant en lins, parvis Sainl-Michel, 9.
1 172. Wackernie-Tesse (Edgard), négociant, rue Colbert, 29.
69.J. W\NDiiCQ (Alphonse), représentant, rue Nationale, 37.
467. Wallaert (M™'' Emile) , propriétaire , boulevard de la Liberté , 66
12. Wallvert (Auguste), filaleur de coton, boulevard de la Liberté, 23.
969. Wall\ert-Barrois (.Maurice), manufacturier, boulevard de la Liberté, 44
1 174. Wallez, contrôleur des contributions, rue Ratisbonne, 15.
488' Wanin, pr()|):iétaire.
16. W.VNNEBROucQ, ^ A l. Q, doyeu de la Faculté de médecine
567. Wannebroicq (P.) , représentant, rue de lArc , 7.
1074. Wannebroucq-Dutilleul fM'"" v" , propriétaire, rue de Puébla, 3'>.
278. Wargny, fondeur en cuivre, juge au Tribunal de Commerce, rue de Vaimy. I
1 123. WvREiN Prévost, constructeur, boulevard .Monlebello, 54.
70. Warin (Mlle Emilie), propriélaire . boulevard de la Liberié . 197.
69. Warin, propriélaire, administrateur dvs hospices, boulevard de la Liberté, 197
508. Wartel , docteur en médecine , rue du Faubourg-de-Tournai, 99.
420. Watteau (M"') , directrice de l'école communale, rue Saint-Gabriel , 83.
— 2,1 —
N"' d'ins- mm.
rriplion.
1 13;). Wattkblkd, fabricant de pain d'i^pices, rue Ksqnermoiso, 118 bis.
I2i. WiîiiKn, I )ro fosse ur d'allemand au Lycée, rue du Gros-Gérard . il bis.
o7i . Wkbek, ►!-«, directeur à I'lnii)iintcrie Kauei, rue des Fossés Neufs, 5'J.
;S27. VVekqiin lils, etudianl, rue des Fossés, 8. - , %
848. WiGAUT-HLiriN, négociant en toiles, rue de Paris, 214.
VIO. Ybkrt-Descat, brasseur, rue .lacqueinars-Giélee, 126.
liiUM'lICSi.
1040. Hennion (Jean), niateur de lin.
Loin iiic-lcz-Li Ile.
307. Vkrsth.vete (Eugène), propriétaire.
<0()9. FouKNiER (G.), pharmacien, membre du Coniîeil d'hygiène.
1251 . JoLivET (G.), |)ropriétairc.
I07o. P.\YEN, propriétaire, rue de Lille.
Lioow .
259. BiLLON, ^, docteur en médecine, Main;, Conseiller général.
545. DiPBEY (Alfred), négociant en vins.
1129. GuiLLEMAUD (Philipiie), filateur de lin.
862. LviNÉ, distillateur.
497. ToussiN (M""' Gustave) propriétaire, château de Longcliamp.
14. Wacqiiez-Lalo , I, %}, géographe, conseiller municipal.
lijoii {Rhône). *
244. LiicAS-GiRARDviLLE, ceuseur au lycée.
llacou, par Vieux-Condé (Nurd)
117. PoLLET yustin), ingénieur des mines.
ilarcf|-cu-Bar«Bul .
003. Depaius, instituteur.
1184 . Vasseur, recette des postes et télégraphes.
Madrid
58. Cambon (l'aul), C. i^ , I. C|, G. C. »i; Ambassadeur de France.
Marquette.
440. Larivjèke, directeur du lissage Jules Scrive et fils.
1024. Lagaciie, instituteur.
1351. Laurent (Charles), directeur général technique des Manufactures de produits
chimiques du Nord.
Mariiuillie».
481 . Brame (Max) , fabricant de sucre.
Meiiiu [Seine-et-Marne) .
972. De Svvarte (Victor), i^, A. Q, Trésorier-payeur général de Seine-et-Marne.
- 28 -
Mouscu-Baroeiil .
.N"'' cl'ins- MM.
cription.
002. Desoblaiin , piopriélairo , rue Neuve .
408. IlEGQUET {G.), employé des postes et télégraphes
.VIoavcauiL.
1282. Masurel (Edouard), filateur.
Mcullly-sur-Seiue.
777. Simon, propriétaire, avenue du Roule, 36.
Mleppe.
M58. Mvertens-Mesdvgiit, propriétaire.
H6.3. TniNELLE (Alfred), négociant en grains.
PariN.
290. A.NCHiER (Maurice-, gérant de la maison Moutli , rue de Sèze, 5
694. Cabt, industriel, rue de Flandre 99.
844. C.vsTEi,, 0 îfSî, ►J", colonel du génie en retraite, 22, rue de Dunkerque.
499. Cavbez (Jules) . médecin , place Voltaire , 2.
6. De Guerne, A. Q , naturaliste, ancien président d'honneur, rue Monge, 2.
1194. De Portugal de Faria (Antonio), chancelier du Consulat général de Portugal
à Cadix.
1 lOo. De Portugal de F.vria (Gnilherme-Frédéric), avenue des Champs-Elysées, 4 22.
227. Descamps (.l.j, agent-général des carrières de Ouenast , rue de l'Aqueduc , o.
1086. Desrumaux (Emile), négociant, rue de Flandre, 123.
51. Evrard (Alfred ^, ingénieur, boulevard des Italiens, 19
2H . (iRUEL (l'ahbe), professeur à l'Institut dos Missions étrangères.
2. GuiLLOT (E), A. i}, professeur au Lycée Cnarlemagne, 80, Itoul. St-Germaiu.
939. Kr\fft (Hugues), A. Q, explorateur, boulevard Malesherbes, 44.
315. Lardeur, C ^, ►i*, général de division.
959. Leseur (Félix), étudiant on médecine, rue Madame, 01.
o3. MvTHivs ^, ingénieur en chef de la Traction, rue de Maubcuge, 81.
913. OuKAWA ^, attaché à la légation .laponaise, avenue Marceau, 75.
1 . SuÉRUs, professeur au Lycée Janson de Sailly, I II, avenue Victor Hugo.
657. Théodore (Paul), étudiant, rue du Rocher, 25.
1182. Vkrstr,vkt (Louis), ingénieur, rue Friant, 9.
Poix.
950. WiLLioT (Zulmar), propriétaire.
l*ont-à-Mai*cci.
1027. DELESCLiiSE (Louis), propriétaire, conseiller général.
Qiilévy.
1028. Moine (Éloi), instituteur.
liouohlu.
483. Grolez (Henri) , pépiniériste.
533. Grolez (Louis), pépiniériste.
1092. Grolez (Jules), pépiniériste.
- 29 -
Roubaix.
K"' (l'ins- MM.
cription.
801 . Barbotin (Félix), négociant en tissus, rue Nain, 15.
891 . BvYVRT (Alexandre), coinmis-nogocianl, nie de rindiislrie 15
429. BoRAiis (M"i'), institutrice, rue des Anjies.
775 Bayaut (Ciiarles), fabricant de tissus, rue Fossc-aux Chênes, 52
752. Bkcquvrt (Louis), nét^ociant en laines, rue du Pays, 4.
1216. Bkrnvrd, docteur en médecine, route de Tourcoing.
865. Bo.nnel-Florin (Jules), fabricant, rue de Laiinoy.
1117. Bonnet (Jean), fabricant de tissus, rue du Grand Chemin. 36
394. Bossut (Emile) , négociant, Grande-Rue , 5.
158. Bossut (Henri), président du Tribunal de commerce, Grande-Bue, 5.
342. Bossut-Plichon , négociant , Grande Bue , 3.
773. BouLKNGER (E ), négociant en tissus, rue du Chemin de fer, 7.
789. BoYAVAL (Emile), pharmacien, rue de Launoy, 106
761. BuisiNE (H), négociant en tissus, rue St-Georges, 25.
155. Bllteau-Grimonprez, négociant en laines, rue Pellart, 31.
878. Carissimo (Alphonse) , fabricant , rue Fosse-aux-Chônes ,11.
772. Carissimo (Henri), négociant, rue du Grand-Chemin, 68.
431 . Chuistivens (M"") , institutrice , rue Olivier de Serres.
615. Cordonnier (Anatole), fabricant de tissus, rue des Lignes, 7.
902. Cordonnier (Eugène), fabricant au Petit-Beaumont.
166. CouLBAUx (Allie) , directrice de l'Institut Sévigiié , rue du Grand-Chemin.
807. Crei'klle (Jean), négociant en laines, rue des Champs, 15.
790. CuiGNiEi' (Gustave), propriétaire, boulevard de Paris, 61.
148. Daudet, négociant en tissus, rue du Grand Chemin, I5,
866. Dechenvux (Edouard), courtier, rue de Lille, 64.
747. Deuesdin (Ch.), fabricant de tissus, rue Nain. 4/.
1149. Kelattre (Emile), fabricant, rue Nain.
<54. Deleporte-Bavart, propriétaire, rue Colbert, 49.
800. Delesvli.e (Gh), agent d'assurances, Grande-Bue, 89
910. Dëspuès (Léon), proiiriétaire, rue des Arts, 65.
748. Desrousse vux (Richard), négociant en tissus, rue du Grand-Chemin, 16.
430. Detille (M'ie) , institutrice , hameau du Pille
627. De Villars (Alphonse) , négociant, rue du Grand-Chemin.
554. Dewitte ^A.), négociant-commissionnaire, rueBlanchemaille, 19.
882. Dhalluin-Lepers, (Jules), fabricant, rue Fosse-aux-Chônes, .32.
751 . Diligent (Ém.), professeur, rue Inkermann, 57.
591. DroulersPuouvost (Ch.), distillateur, Grande-Rue, i 08.
863. Dubar (Paul), fabricant , place Notre-Dame.
749. Dubreuil(V.), ingénieur, rue Neuve, 41.
295. Duburcq (V.), publiciste, rue des Longues-Haies, 16.
4101 . Duhamel (Louis), négociant, rue du Pays, 10.
347. Duburcq (Alf.), assureur, rue du Vieil-Abreuvoir, 6.
348. DuPiRE (Ed.), architecte, rue du Curoir, 24.
911. Dupuis (Eugène), négociant, rue du Collège, 2.
890. Durand (Clément), négociant en tissus, rue de la Gare.
652. Duthoit (Ed .) notaire, rue du Pays, 21 .
1H6. Eeckman (Henri), agent général d'assurances, rue Pellart, 32.
154. Ernoult (François), apprêteur, rue du Grand-Chemin, 77.
<63. Faidherbe (Alexandre) Q I. Conseiller d'arrondissement, rue deSoubize, 23.
— 30 -
N"'d'ins-^ MM.
criptioij.
164. F viDfiERBE (Aristide), in=tituteap, rue Brézin.
tiao. Fauvarque (Jules), fabricant rue Nain.
139. FKimrER (Edouard), filateur de laine, rue du Curoir, 59.
349 . Ferlie (Cyrille , fils) , négociant , rue de Li lie , II.
339. Ferlié (M""' Cyrille;, rue de Lille . ^i.
H6<. Fiorin-Chopvrt, propriétaire, boulevard de Pans.
1204. Florin (l.éupold), ancien fabricant, place de la Liberté.
861 . Fort fJ) négociant en tissus, rue .Neuve, 44.
H 18. Gadenne I Paul), fabricant de tis?n.s, rue de r.Uma.
779. GÉNIE (Edouard), négociant, rue St-Pierre, 19.
213. Geunez , directeur de l'institut Turgot , rue de Soubi.sse, 33.
908. Glaise (H.), instituteur, rue du Bois, 39.
393. Heinokyckx (Georges), négociant, au Kaverdy.
393. Heindrvckx (Albert), négociant, boulevard de Paris, 33.
1119. IzART (Jules), négociant en li.ssu8, rue d'Isly.
161 . JuNKtR (CI».), (ilateur de soie, rue de Waltrelos.
877. Lamblin (Jules) , fabricant, rue Fosse-aux-Chénes , 11.
917. Leblan, Jules, 5^. filateur, rue du Grand-Chemin, 35.
450. Lebrat. pasteur, rue des Arts, 39.
640. Leburql'e-Comerre , négociant en tissus, rue du Pays, 37.
1030. Leclercq (Louis, fils), fabricant, rue Saint-Georges.
797. Leconte-Scrépel (Km ), négociant, rue du Grand-Chemin, 111.
1217. Lefebvre, professeur à l'Institut Turgot.
149. Leloir, ,A.), rentier, rue du Collège, 169.
819. LiiPOLTRE-PoLLEr, fabricant, rue Fosse-aux-Chêiies, 21.
170. Lerat, directeur d'école communale, rue de l'Aima.
171 . Lerov, directeur d'école communale, rue Pierre de Roubaix
760. LiouviLLE (Georges), négociant, rue Neuve, 5.
849. .Manciioijl\s (Félix), négociant, rue Pauvrée, 42.
774. Masson (Armand), fabricant, rue du Pays, 24.
3S1 . Masurel, (Paul), négociant, rue de Tourcoing, 85.
722. Masurel (Albert), fabricant, rue du Pdy.s, 27.
1.3G. Mvsurel-Wattine (J.), négociant, rue du Chemin de For, 4?
738. Maslrel (Charles) , négociant , rue Fosses-aux-Chénes.
860. Meillasous, teinturier, rue Saint-Jean, 30.
370. Motte-Descamps, filateur, quai de Leers, 4.
369. Motte, (Georges), filateur, quai de Leers, 4.
327. .MoTrE-VERNiER, négociant, quai de Leers, 4.
451 . Motte, (Alfred), #; manufacturier, rue de Wattrelos.
805. Parenthou (Henri), négociant, rue Fossc-aux-Chêiies, 47
879. Pennel (Loui.'<) , rue de Lille , 14.
J029. Pfanmater (M'"*j, institutrice, rue de Lhomnielet.
759. PoTTiER (Georges), négociant, rue du général Chanzy 42.
1042. Prouvost (Amédéo, fils), peigiieur de laines.
157. Reboi;x, (Alfred) ►Ji, rédacteur en chef du Journal de Roubaix, rue Neuve, 1'
133. Richard (Paulin), fabricant, rue de l'Hospice, 31.
333. RoGiER (Moïse) , entrepreneur, rue de Lorraine, io.
608. Roussel (Emile), teinluriei, rue de l'Épcule.
746. Roussix (François), industriel, rue du Grand-Chemin, 49.
889. Rousseau (Achille), négociant en laines, Grande-Rue.
<62. Screpel-Roussel, fabricant, rue du Pays, 5.
- 31 -
NO'd'ins- MM
oription.
116. SEBERT(Émile\ rentier, rue Çharles-Quint, 24.
163. Skène, mécanicien, rue Neuve, 39.
762. Stuvt (Jules), négociant ea tissus, rue du Pays, 7.
909. Sturmkels (VValter;, conimis-nt^gociant, rue de l'Industrie, G.
788. Ternvnck (Henri), (ilateur et fabricant, rue Fos.ses-aux-Chênes. iTt.
991 . Thomvs-Les.vy, négociant, Grande-Rue.
•I213. Thover, directeur de la succursale de la banque de France.
160. Vvss.VRT (l'abbé), professeur des cours publics municipaux, rue du Curoir, 42.
723. Versi'IERkis (A ), assureur, boulevard de Paris, 45.
771. ViNCHON (A.), peigneur de laines, rue Traversière, 42.
951 . Vorelx (Léon), négeciant-comraissionnaire, boulevard de Paris.
1215. WATTKLLE-B\Y.\nT, fabricant, rue Fosse-aux-Cbénes.
630. W,vrriNE-HovELVCQLE , propriétaire, boulevard de Paris, 43.
745. W.XTTiiNE (Paul), membre au Tril)unal de (^lommerce, Grande Hue. <42.
332. Wattine (Gustave), membre de la Chambre de Commerce, rue du Ctiàlcau, 10.
806. Wibvux-Florin, fllateur, rue Fosse-aox-Chênes, 47.
Saint- Amaiid-lez-EauiL
979. LoBBÉ, receveur des postes et télégraphes.
ISaint Aiidré-Icz-Liillc.
557. Clinqi^t, instituteur.
l^aint-UeiiiM.
146. Dei.ebecoi;e. :^, agent-général du contrôle des receltes au chemin de fer du
Nord , rue des Ursulines.
1026 Zegbe (Ainould\ Inspecteur au Chemin de fer du Nord, ir., rue des Ursulines.
^aiut-liouiiiit «lu iliéiiégal.
1164. Descemet. ^, président du Conseil général.
Saiii(-||iiciitiii (Aisne).
1044. Mathieu. G. ^, général commandant la subdivision.
1050. De Franciosi (Ch.), lieutenant au 87^
Secliu.
225. Cattelotte, instituteur.
1010. Collette (Charles), notaire.
699. Collette (Pierre), licencié en droit.
1031 . Couvreur (Achille, flls), étudiant en médecine,
738. Desurmont (Achille) , (ilaîeur de lin.
1009. Desur.\iont (Edouard), adjoint au maire.
403. GuiLLEMAUD (Claude), fllateur de lin
Staple.
614. Reumaux (Isaïe), médecin, vice-président de la Société des Sauveteurs du Nord.
Steenwerck..
1147 Hubert, percepteur des contributions directes.
Teinpleuve.
1208. Baratte (Eugène), propriétaire.
Tuiircuiug-.
1359. Ballois (Henri), commis-négociant, rue de la Malcence, 15.
1329. Barrois-Lepers (Emile), négociant, rue de la Station, 9.
1286. Basuvau, receveur de l'enrogistrement, rue Winoc-Choctiueel, 18.
- 32 -
N»» d'iDJ- MM.
cription.
1270. Bevucvhne (Jean), comptable, rue de Wailly, 23.
1360. Bernahd-Flipo (Louis), fliateur, Grande-Place, 2.
1279. Berteloot, directeur des postes et télégraphes rue de THôtel-de- Ville.
1347. Bellque (l'aul), représentant, rue de la Malsence, 2.3.
1240. BiGo (Auguste), notaire, 56, rue de Guines.
1261. BocH, négociant, rue du Pouilly.
1364. Bocqi;et (Lucien), fliateur, rue Motte, 36.
132i. Bourgois-Lemvire, commis-négociant, rue du Prince, 69.
l.io6. Bllté (tloi), receveur municipal, rue d'Havre, 23.
■1342. CvnEN (A.), tailleur, rue Saint-Jacques, 10.
<287. Cvtrice-Lemvhieu (Henri), négociant, rue de Lille, 59.
920. Cvclliez-Leurent vMaurice), industriel, rue de Lille, 89.
1343. Deboncnies (Alptionse), négociant rue de Guines, 90.
1315. 1)EG\ESTEKER (Camille), négociant, rue des Carliers, 22.
1290. Deherripon (Hippolyte), gérant de banque, rue de Roubaix, 43.
<259. Delemvsure (Eniest), fabricant, rue Neuve-de-Roubaix, 190.
1295. Delemvsube-Fi-vyelle (François), bourreUer, rue de Tournai, 59.
1294. Dëlem\sure-Choul, fabricant, rue Denteux, 41.
-1319. Deletombe-Lemvn (A.), mécanicien, rue Motte.
936. Desurmont (Félix^ fliateur de laines, rue de Lille, 79.
1289. Desurmont-Joire (PauH. négociant, rue de Gand, 23. •
934. Desi RMONT (J.-B.), négociant en laines, rue Saiiit-lacqnes, G7.
933. Desurmont i Jules), négociant en laines, rue Saint-Jacques, 37.
1258. Destombes (Emile), courtier juré, rue Motte, 24.
1002. Uemolon, instituteur, rue de Gand, 12.
604. Diss\.HD, percepteur des contributions directes; rue de l'Abattoir. (5.
•1332. Dumobtier (J.-B.), négociant, rue Notre-Uame-des-Anges, 27.
■1281. DucouLOMBiER (Jules), commis-négociant, rue Martine, -18.
1338. Dubois (Auguste), pharmacien, rue du Tilleul, 50.
■1309. Dujvroin-Lvpersonne, négociant, rue Neuve-de-Roubaix, H4.
1318. Dlpre/.-Lei'ers (Louis), fliateur, rue des Piats, 74.
4296. Ucqiesnoy-Dewwbin, négociant, rue de Gand, ^8.
■1275. Ulquesnoy (Paul), banquier, rue de Tournai, il.
296. DuviLLiER (Joseph), fliateur de laines, rue du Tilleul, 02.
1308. Uuvillier-Lvbbe (Emile), avocat, rue Saint-Jacques, 43.
■1.335. F.vcon-Lepers. négociant, rue du Sentier, 29.
1367. FiCHXUX, docteur en médecine, rue de Lille, 54.
931 . Fupo-YVN OosT(P.), négociant en laines, rue du Sentier, 29.
1337. Fourré Renée), entrepreneur de roulage, rue de Guines, 63.
1288. Fouan-Lemv.n (V), peigneur de laines, rue Neuve-de-Roubaix, 65.
■1326. Florin-Rvsson (Jules), négociant, rue Neuve-de Roubaix, 41.
1327. Florin (Jules), commis-riégociant, rue Notre-ltame-des-Anges, 33.
1368. Frere-Glorieux (Emile), libraire, rue de Lille, 18.
1287. Girvroel (Félix), commis-négociant, rue de l'abattoir, 26.
1 160. Grvu (Augustin), négociant en laines, rue Leverrier, 20
1334. Grxu-Devkmv, courtier juré, rue Neuve-de-Roubaix, 15.
916. H.\ssEBROucQ(V.), î^, maire, propriétaire, rue de Lille, 83.
1341 . IsRVEL-DupoNT (A.), négociant, rue de la Station, 12.
922. J.\cqu\rt-Van Eslvnde (P.), fliateur de coton, rue du Sentier, 23.
254 . Jean, instituteur, rue des Cinq- Voies.
927. Jonglez (Charles), propriétaire, rue des Aages.
928. Jo.nglez-Bloi (P.), fliateur de laines, rue des Ursulines.
— 33 -
No-'d'ins- >(M.
ciiption.
1336. JovENivux (I'.), îïLM'ant de filature, rue de Midi. 39.
<246. L \MBiN-MoNiEz, rue du Château
1310. LvPEKsoNNE (Ferdinand), courtier juré), rue du Dragon, 100.
929. LoRTHioiR-iMoTTE (Bl.), négociant en laines, rue des L'rsulines.
<241. LvHorssE-BiGO, négociant.
930. Lvmourette-Delvnnoy (Pii.), filateur de laines, rue Blanche-Porte, 58.
1313. Lkclehco (Gustave), entrepreneur, rue de la Boule d'Or, 21.
1362. Lehembre-Pruvost (Louis), négociant, rue de Roubaix, 49.
1366. Legros (Jules), commis-négociant, rue de Guines, 51 .
1277. I.EHOtiCQ (Emile), négociant, rue du Tilleul, 47.
1325. Lehoucq (Jules fils,) fabricant, rue des Orphelins, 33.
176. Leloir (Jules), négociant, i)Iace des Nonnes.
701 . Lemaire (Jules), filateur de laines, rue d'Anvers.
1348. Lemvire (Henri), libraire, Grand' Place, 28.
1316. Lepers-Dalle (Henri), filateur, rue de la Station, 5.
1327. Leprlnce (Ernest), comptable, rue Neuve-de-Roubaix, 110.
334. Leroux-Lamourette (Louis), tilatcur, rue lilanche-Porlc, 35.
1320. Leroux Den.mel, négociant, rue du Bocquet, 14.
1354. Leroux- BÉRioT, agent d'assurances, rue de Lille, 95.
973. Leroux-Lamourette (Ed.), filateur, rue de Dunkcrque.
335. Leroux-Brame, (Ch.), négociant en laines, rue de Gand, 55.
1312 Leurent (Désiré), (ilateur, rue de Roubaix, 45.
1361 . Leurent (Jean), filateur, rue Chanzy, 22.
1303. Leurent-Ferrier (Henri), filateur, rue de Roubaix.
1314. Lombard (Georges), négociant, rue de Tournai, 113.
1323. Lombard (Henri), négociant, rue Neuve-de-Roubaix, 116
1350. LoRTHioiR (Albert), filateur, rue du Tilleul, 34.
1340. Mahieu, docteur en médecine, rue Nationale, 66.
1291. Mailliard (Etienne), rue St-Jacqvies, 65.
1264. Ma^nvut (Léon), négociant, rue Ste-Barbe, 23.
1 330 . M VQUET, gérant de banque, rue de Tournai, 1 09.
1328. aiVRESCAux (Edouard), gérant de banque, rue du CoUecleur, 19.
1280. Mvrescaux-Leroux (Floris), filateur, rue Ste-Barbe, 30.
1292. Masquilier (Augustin), entrepreneur, me de Gand, 32.
963. Masurel-Jonglez, filateur de laines, rue de Wailly.
325. Masurel, (François), propriétaire, rue de Wailly, 25
768. Masire V\n Elslvnde (Eugène), fabricant de tapis, rue de Gand. 42.
1284. Masure-Six (François), fabricant, rue de la Malcense, 47.
1343. Monnier (Léon), fabricant, rue Winoc-Chocqueel, 43.
923. Motte-Jacquart (A ), filateur de laines, rne du Pouilly, 18.
1293. Motte (Pierre), clerc de notaire, GrandTlace, 32.
1307. MuLLiEz (Jules), commis-négociant, rue du Sentier, 34.
13o.'>. Olivier (Hilaire), commis-négociant, rue des Archers, couv. d'Halluin.
1260. Pailliard-Lelong, secrétaire de la section, rue Ste-Barbe, 34.
I3i4. PoLLET-I.EMAN (Alphonse), fabricant, rue Delobel, 26.
1346. Pollet-Caulliez (Charles), négociant, rue de Lille, 50.
1317. Plwoust Leplvt (Georges), commis-négociant, rue de Verrier, 29.
932. Rasso.n-W.attine (E), négociant en laines, rue Chanzy, 30.
1070. Robbe (Henri), filateur, rue de la MalcensLV
177. RoGE.iu, docteur en médecine, petite Place, 5.
1333. Roussel (Antoine), courtier juré, rue Nationale, 07
3
— :^ —
NO'd'ins- MM.
piiplion .
4262. SvLLES (Arthur), commis-négociant, rue du Pouilly.
4331 . Sasselvnge (Edouard), ^, négociant, rue Wiiioc-Chocqueel, 42.
1267. Senkl\b-Montag.ne (François), propriétaire, rue Winoc-Ctiocqueel, 53
1357. SiMOE.NS-l'iLLE (Léon). comniis-né?ociant, rue du Ciiâteau, 20.
1339. Six-1{oil\N(;eh (Alplionse), négociant, place Thier.s, 32.
921 . Six (Auguste), filateur de laines, rue du Château, 62.
937. Six (Edouard), négociant en laines, place Thiers.
43()6. SToiuiw Jean), directeur de la condition publique, rue de Roubaix, ni.
1322. Si:iN ;l'hilippej, boucher, rue Saint-Jacques, o5.
91o. Taffin-Binauld, brasseur, rue du Tilleul, 30
1349. Tibeugiiie.vVanden Berghe, fabricant, rue de l'Aima, 31.
(3.38. Tihemts-Cvilliez (Charles), représentant, rue Verte-Feuille, 10
\:ii\ . ToN.NEL (Kugèiie). commis-négociant, rue de Meniu, 30.
1306. TiuNoY (Paul), directeur d'assurances, rue du Conditionnement, 9.
86. Vanneufvu.le, pharmacien , rue Saint-Jacques, 6.
1311 . V\N KLSiANDE, (Joseph), négociant, rue du Haze, 27.
1278. Veiismée, directeur de la voirie, rue de la cloche, 68.
1283 W.VELES ^Désiré), marchand-tailleur, rue St-Jacques, 30.
1336 . Werbrolcq-Beseme i Victor), représentant, Grand'l'lace.
Tuuis.
13. BoMP.\uD 0 4*. chancelier du ministre de France.
Valeucieunes.
1170. Weil, négociant en houblons, rue de Famars.
SOCIÉTÉ DE VALENCiENNES
BUREAU :
MM.
Président DoiTRivrx (A.), avocat, ancien bâtonnier, Valenciennes
Vice-Présidents Uelvme, Président de la Chambre de Commerce, Valenciennes.
N
SiROT (Jules), maître de forges, Conseiller général, St-Amand.
W.XGRET, nialtre de verreries, Conseiller d'arrondissement,
Escautpont.
Secrétaire-Général Foucart (Paul), avocat, Valenciennes.
Secrétaires Damien (F.), Directeur de l'école municipale (rue des Chartreux),
Valenciennes.
GiARD (Pierre), libraire, faisant fonctions ùq bibliothécaire-
archiviste, Valenciennes.
Trésorier Blnet (Adolphe) , expert- comptable , Conseiller municipal,
Valenciennes,
Conseillers Bouchez, notaire, Bouchain.
BuLTOT, notaire. Maire, Valenciennes.
Deladerrière, avocat, Valenciennes.
Uelsarte, Idrecteur de l'école municipale, rue Capron, Valea-
cieiuies.
Fraciie, industriel, Conseiller municipal, Valenciennes.
Lemoine , greffier du Tribunal de simple police, Valenciennes.
Sal'tte.\u, avocat, adjoint au Maire, Valenciennes.
— a5 —
MEMBRES ORDINAIRES.
MM. Ab\die, pharmacien, Valenoiennes.
Allvvènk, altaché à la Biinque de France, Valenciennes.
Am;ui(l (Victor), propriétaire, Coiidé-sur-l'Escaut.
Anikt (le docteur), |)li;irnia(:len, Valenciennes.
Ardouin, sous-lieutenant au 127" de ligne, Valenciennes.
Armand, avocat, Valenciennes.
L'AssoGi.\TioN Valengiennoise pour l'enseignement populaire, Valenciennei;
BvGHELU, contrôleur des Contributions directes, Valenciennes.
Bacuy-Nonclercq, clief d'institution, Valenciennes.
Bar\ (Charles), docteur en médecine, Valenciennes.
B.VR\, instituteur. Le Rosult.
B\RBET, ancien instituteur, Anzin.
BvssEz, à° Saint-Amand.
Bassez (Alfred), d" Thun.
Bassez, d" Petite-Forêt.
Batigny (Anatole), entrepreneur de peinture, à Valenciennes.
Bauchaurd, ancien instituteur, Escautpont.
Beaupère (Henri), notaire, Valenciennes.
Béghin, instituteur, Bellaing.
BÉRARD (Georges), juge d'instruction, Valenciennes.
Bernard, directeur de l'Agence de la Société Générale, Valenciennes.
BERïAu(E(tgard), propriétaire, à Valenciennes.
Berteaux, instituteur, Aubry.
Beryrand (Fernand), propriétaire. Le Quesnoy.
BiLLER (Josepli), notaire, Saint-Auiand.
Billet (François), distillateur, Marly.
Bineï (Adolphe), expert-comptable. Conseiller municipal, Valenciennes.
Blanchard, instituteur, Raismes.
Blvry, d° Saint Saulve.
Blin, percepteur, Valenciennes,
Boneill (Emile), comptable, Valenciennes.
Boquillon, instituteur, Famars.
Boucher (Edmond), brasseur. Conseiller municipal , Valenciennes.
Boucher, instituteur, Wallers.
Bouchez, notaire, Bouchain.
Bouillaux, ancien commissaire-priseur, Saint-Amand.
BouLAN (Paul), négociant, à Valenciennes.
Boulanger (Eniond), rentier, Raismes.
Boulanger (Léon), fabricant de meubles, Valenciennes.
Boulet (Sabin), pharmacien, d"
Boutoey ( M™" v^« ), propriétaire, d"
BouTRY, licencié-avoué, d°
Bradant (Alfred), fabricant de sucre, Onnaing.
Brepsant. principal du collège , Le Quesnoy.
Broudehoux, constructeur, Anzin.
Bruneau-Floub, maire, Saint-Amand.
Bruneel, ancien instituteur, Valenciennes.
Bultot (Amédée), maire, d"
BuLTOT (Edouard), avocat, d*
- 36 -
MM. Caille (Louis-Alexandre), secrétaire de la mairie, Condé.
Cailliau (Auguste), banquier, à Valenciennes.
Canonne, notaire, Bouchain.
Canonne, juge-de-paix, Bouchain.
Canu, arcliitecle, Valenciennes.
Canu (Jules), avocat, à Valenciennes.
Carlier, instituteur, Thivencelles.
Carlier (iabbé), curé-doyen, Saint-Araand.
CvKPENTiER, commissaire-priseur, à Valenciennes.
Castiau, docteur en médecine, Vieux-Condé.
Castiai:, maire, Condé.
Castiau (Fernand), notaire, Condé.
Cellier (Eugène), étudiant, Valenciennes.
Chabert (baron), receveur des finances, Valei'.ciennes.
Chadenier, sous-préfel de l'arrondissemenl, à Valenciennes.
Chapheau (Jules), comptable , Raismes.
Chaussez, huissier, Valenciennes.
Chavatte (Emile), ingénieur, directeur des mines de Crespin , Quiévrechain
Chéré (Louis), sous-lieutenant au 28'^ de ligne de Rouen, Valenciennes.
Cloart, directeur de l'école communale, faubourg de Paris, Valenciennes.
Clouet, instituteur, Leceiles.
CocHETEUx, docteur en médecine, à Valenciennes.
Collart (Léon), brasseur, Saint-Saulve.
CopiN (Léon), professeur de piano, Valenciennes.
Cordonnier, directeur de l'école communale, Saint-Amand.
CouLON (Hector), huissier, Valenciennes.
CoiRTiN (Edouard), juge-suppléant au Tribunal civil, Valenciennes.
CoviLLON, sous-lieutenant au 8*^ dragons, à Condé-sur-l'Escaut.
Gromback (Pierre), ancien principal du collège, Beuvrages.
Damien (François), directeur de l'école communale des garçons (rue des Chartreux)
Valenciennes.
Danniaux, ancien magistrat, à Valenciennes.
Dassonville, fabricant de sucre, maire, Préseau.
Debiève (Jules), négociant, Conseiller municipal , Valenciennes.
Kebosse (Edouard), marchand de cuirs, d"
DÈCLE (Julien) Conseiller d'arrondissement, d"
Defresnes (Charles), directeur de messageries, d"
Deladerrière (Emile), avocat, d"
Delvme, président de la Chan)bre de commerce, d"
Delannoy (M""* v'p Jules), propriétaire, d"
Delbauve (Liévin), négociant en cuirs, d"'
Delcoirt (Th.), notaire, d"
Deleau instituteur, Vicq.
Deliuye (Jules), avoué, Valenciennes.
Delhaye (Jules), conseiller municipal, Valenciennes.
Deliège, instituteur, Maing.
Delmotte (Ernest), négociant, Valenciennes.
Delquignies, instituteur, Mortagne.
Dels\rte directeur de l'école communale (rue Capron), Valenciennes
Demanest, notaire, Saint-Arnaud.
- 37 -
MM. Depflle (Arsène), propriétaire, Gomraegnies
Depret (Joseph), ingénieur, Anzin.
Dervaux (Ernest), industriel, Conseiller général, Condé.
Dëscamps, instituteur, Thiant.
Descamps, docteur en médecine, Kaismes.
Descarpentries, instituteur, Neuville-sur-Escaot.
Deschamps, d° Denain.
Deschanvres (Achille), distillateur, Denain.
DÉsoRBvix (Victor), avocat, Valenciennes.
• Devillers (Charles), avoué, d°
D'HoNDT, instituteur, Abscon.
Dombre, directeur des mines de Douchy, Lourches.
DouTRiAux, avocat, Valenciennes.
Drevfos (Léon), négociant, Valenciennes.
Dreyfus (Salomon), négociant, Valenciennes.
Dreypi;ss (Louis), liuissier, Valenciennes.
Droulers (Edmond), industriel, Fourmies.
Druesne, instituteur, Hérin.
Duriez (Jules), avocat , Valenciennes.
Dubois Risbourg, construcleur, Anzin.
DuGARDiN (Fcrnand), pharmacien, Valenciennes.
Dupas-Brvsme, négociant, d"
DupÉRÉ (Albéric), employé à la Compagnie d'Anzin, Denain.
Dupont, instituteur, Trith-St-Léger.
Dupont (Paul, fils), banquier, à Valenciennes.
DussARi , architecte. Valenciennes.
EwBANCK (Georges), avocat, Valenciennes.
Fally (Emile), brasseur, Condé.
Frappart, maire, Aulnoy.
Fontëllaye, négociant. Conseiller municipal, Valenciennes.
FoRicHON, capitaine de cavalerie en retraite, receveur des hospices, Valenciennes
Portier, entrepreneur, Valenciennes.
Foucart (Jean-Baptiste), avocat, Valenciennes.
FoucART (PauPi, avocat, Valenciennes.
Frache (Léon), tanneur, Conseiller municipal, Valenciennes.
François, instituteur, Saultain.
GiARD (Georges), libraire, Valenciennes.
GiARD (Pierre), d" d"
GiARD (Léon), courtier de commerce , Valenciennes.
Gidoin, chefdu contentieux à la Compagnie des mines, Anzin.
Gillet (Arthur), expert-comptable , à Valenciennes.
Girard (Paul), avocat, Valenciennes.
Givert (M">î Maria), directrice de l'école communale de filles (rue Capron), Valen-
ciennnes.
— 38 —
MM. GoroEMVND (Léon), avocat, Valenciennes.
Grimonprez (Eugène), ingénieur civil.
GcARY, directeur général de la Compaguie des mines , Anzin.
GuiLLEMABT, jugc au Tribunal civil, Valenciennes.
Hacart, instiluleur, Eslreux.
llVRiMGNiES père, membre de la Chambre de commerce, Famars.
llARPiGNiK.s (ils, commissionnaire on sucre, d°
IlArBOLRDiN, brasseur, Vieux-Condé.
Henrv, rédacteur en chef du Courrier du Nord, à Valenciennes.
Herbert, ancien notaire. Saint-Amand.
Herbert, mercier en gros. Valenciennes.
HiEN, instituteur, Ghàteau-L'Abbaye.
HoiJTABD (Eugène), maitrede verrerie, Denain.
HuGOO, instituteur. Nivelles.
HuGi'ET, contrôleur de charbonnages, Valenciennes.
HuNET, agriculteur, maire, Estreux.
HuYGHE, instituteur, Ouiévrechain.
Jacob (Adolphe), négociant, Valenciennes.
JAGER. percepteur, à Condé-sur-l'Escaut.
Jénart, ancien maire, Anzin.
Lajoie, ingénieur, Anzin.
Lapchin (Charles), négociant, d°
Lartisien, docteur en médecine, Denain.
Lebacqz (Albert), avocat, Saint-Amand.
Lecat (Julien), président du Tribunal de con)racrce, Valenciennes. ,
Lecerf, docteur en médecine, d**
LÉCUYER, 1" commis a la direction des douanes, d"
LEmEU (Adliémar), propriétaire, d°
Leduc, juge au Tribunal de commerce, d"
Lefervre (Auguste), notaire, d"
Lefebvre (Emile), propriétaire, d"
Lefrancq-Claisse, négociant, d°
Lejevl (Uippolyte), avocat, ^ d"
Lemvire, médecin-vétérinaire, Saint-Amand.
Lemaire (M"p), directrice de l'école communale de tilles (rue des Chartreux),
Valenciennes.
Lemoine (Emile), greffier du Tribunal de simple police, Valenciennes.
Lepez (F.), rédacteur en chef de ï'Imiiarlial, d"
Lerouge, instituteur, Hélesmes.
Leroy (Edmond), greffier du Tribunal de commerce de Valenciennes
Lestoili.e (Edmond), avoué, d"
Leslr, instituteur, Quarouble.
Lobert (Albert), négociant, Valenciennes.
Longcourty, instituteur, Bruille-Saint-Amand.
Ll'sardy (Georges), notaire, Jeulain.
Lussiez, instituteur, Kœulx.
Lcwez (Emile) étudiant, Valenciennes.
- 39 -
MM. Machdix, Instituteur, Anzin (Bleuse-Borne).
MviLLiET, constructeur, Anzin.
M\iziERUE (Auguste), adjoint au maire. Quarouble.
MvLicoRNE, grefticr en ctief du Tribunal civil, Valenciennes.
Mamss\hï-T\z\, ingénieur des arts et manufactures, Anzin.
M.VGNiEz(Ciiaries), agriculteur, Rouvignies.
MvRCH\ND, huissier, Condé.
MvRGKRiN, docteur en médecine, à Valenciennes.
MvRivGE (l^,douard), négociant en vins, Valenciennes
MvRivGE (Jean-Baptiste), maire, Ttiiant.
Mahlière (Cliarles), négociant, Valenciennes.
Mascvrt, ancien instituteur, Quarouble.
Mascmjx, notaire, Mortagne.
Massingie, négociant, Mortagne.
Mathieu (Amédée), propriétaire, Anzin.
Mestreit, directeur de la Compagnie des Tramways, à Anzin.
Melbs, avoué , Valenciennes.
Michel, instituteur, Marly.
Mo.nfroy, d" Fresues.
Moreaux-Sturbois, maire, à La Sentinelle.
MoREL, instituteur, Rombies.
Motte (31"l' Pauline), rue des Hospices, Valenciennes.
MOTTEZ (Paul), fabricant de sucre, Saii.t-Amand.
Muguet (Gustave), agent d'assurances, Valenciennes.
MuLLER, percepteur, d"
MusEUR (Alfred), constructeur, Blanc-Misserou.
Namur, notaire, à Valenciennes.
NicoLLE (François), juge au Tribunal de Commerce, à Valenciennes
Pagmen (Léon), professeur de piano , Valenciennes
Patoir-Lionne, négociant, Conseiller d'arrondissement, Wallers
Pernelet, directeur des douanes, Valenciennes
Pillez, mgénieur, directeur des mines de Vicoigne, Uaismes.
PiLLio.N Clément, cultivateur, Hérin.
Podevin (César), ancien avoué, Valenciennes.
PoDEviN (M"*^ Blanche), institutrice, Valenciennes.
Pouget, instituteur, Anzin.
Poutre, d" en retraite , Flines-lez-Morlagne.
Preux (de) (Gustave), au château de la Villette, Saultain.
Baux, instituteur, Lille.
Richard, d" Denaiu.
RiNGOT, d° Mastaing.
Saint-Quentin (Fénelon), avocat, Valenciennes.
Sautteau (Paul), avocat, adjoint au maire, Valenciennes.
Sërbat, industriel, Saint-Saulve.
- 40 -
MM. Serment, directeur des forges, Anzin.
SiROT (Jules), industriel, Conseiller général, Saint-Amand.
SizuRE, instituteur, Mout-des-Bruyères, Satnt-Amand.
L.\ Société d'Agriculture, Sciences et Arts, Valenciennes.
Stiévenard (François), marchaud-<^picier, d°
Tassin, maire, Crespin.
TvucHON, docteur en médecine, Saint-Yaast-là-Haut, Valencieunes.
Thellier (François), |)ropriétaire, Hérin.
Tison, instituteur, Anzin.
TouRTOis, d" Wasnes-au-Bac.
Trampont. géomètre, Valenciennes.
Trinquet (Alfred), marchand-brasseur. Conseiller municipal, Valencienues.
Trinquet (Numa), brasseur, Valenciennes.
Turbot, industriel, Anzin.
Vandeville (Jean-Baptiste), fabricant de sucre, Maing.
VÉREZ, notaire, Saint-Amand.
ViLLERVAL, instituteur, Onnaing.
Villerval, d" Escaudain.
VuiOT, d" Marquette.
Wagret (Adolphe), maître de verreries. Conseiller d'arrondissement, Escautpnnt.
Wallerand (M"'), directrice de l'école municipale de filles, Denain.
Watevu, vice-président du Bureau de bienfaisance. Conseiller municipal, Valen-
ciennes.
Wattecamps, sous-bibliothécaire , Valenciennes.
Wattiau (Myrtyl), constructeur de bateaux, Condé.
Weil (Emile), industriel, maire, Marly.
Weil (Hector), négociant, Marly.
WiNs (Léon), directeur de la sucrerie, Escaudain.
ZiMMERMANN, Chef de gare, Valenciennes.
Harmigniks, fabricant de cordages, Anzin.
Delvttre, instituteur, MiUonfo.sse.
Le Coste (Georges), percepteur, Valenciennes.
- 41
imÈS - VERBAUX DES ASSEMBLÉES (lÉNÉKALES.
Assemblée g^énérale du 98 Octobre i88G
Présidence de M. Paul Crepy.
La séance est ouverte à 8 heures 1/2.
MM. Paul Crepy , président , Alfred Renouard , secrétaire-général ,
Van Hende, bibliothécaire, Quarré-Reybourbon, archiviste, Delessort,
Duburcq , Mulliez , membres du comité d'études , prennent place au
bureau.
MM. Bossut . Faucher, Eeckman et Leburque-Comerre , s'excusent
par lettre de ne pouvoir assister à la séance.
Divers dons sont faits à la bibliothèque :
1° Par M. Tilmant , d'une collection de tableaux cosmographiques,
exécutés par les élèves de l'école supérieure de garçons ;
2" Par M. Henri Gaulier, consul de la République Argentine à Lille,
d'un exemplaire du dernier message du président de ladite République ;
3" Par M. Jules Leclercq, ancien président de la Société royale belge
de géographie, de deux brochures : « Antiquilès mexicaines » et « les
Geysers de la Terre des Merveilles » ;
4" Par M. le D"" Rouire , membre de la mission de l'exploration
scientifique de Tunisie , d'une brochure : « Exposition du système
hydrographique et orographique de la province d'Afrique, d'après
Ptolémée, et concordance des données Ploléméennes avec. les indi-
cations fournies par la topographie de la Tunisie actuelle. »
Des remerciements seront adressés à ces généreux donateurs.
M. Coudreau informe par lettre la Société que l'ouvrage qu'il
prépare sur l'Amazonie va paraître sous peu , et demande si quelques
membres ne voudraient pas s'inscrire au nombre des souscripteurs.
Cinq adhésions sont données séance tenante.
M. le président expose que le concours annuel a eu lieu le 28 juillet
dans les conditions habituelles ; les journaux en ont fait connaître le
résultat, et la distribution des récompenses sera faite , comme d'ordi-
naire , à la séance solennelle de janvier. 11 remercie MM. Brunel ,
Mamet , Epinay , Faucher , Jacquiu , Junker , Van Hende , Leburque-
Comerre , Duburcq et Alfred Renouard qui ont bien voulu corriger les
copies des concurrents et en faire le classement. A ce propos , il est
— 42 —
heureux de pouvoir annoncer que M. le Ministre de l'Instruction
publique , sur la demande du bureau , a bien voulu accorder un pris
d'honneur p(jur la meilleure copie.
Dans ses dernières séances , le comité d'études a désigné un certahi
nombre de nouveaux membres correspondants : MM. Delamare ,
Gauthiot . S. Oukawa , Bonvarlet , Bécourt et Monteil. M. le président
demande à l'assemblée de vouloir bien ratifier ces nomii^ations.
A l'unanimité , celles-ci sont aussitôt acceptées.
Plusieurs conférences sont annoncées. M. le président nomme
successivement M. Guillot, qui parlera des Grisons; M. Westmarck ,
suédois, qui nous entretiendra du Congo; etMM. deMahy etMoncehm,
qui trait,eront, Tun de Madagascar , l'autre de la Nouvelle-Calédonie,
et tous deux de la question coloniale. Les causeries des membres de la
Société varieront agréablement ces conférences ; MM. Trouhet,
Jacquin , Colardeau, Junker, Lefebvre, etc., ont bien voulu promettre
leur concours.
Le diplôme de la Société , que M. Van Driesten avait bien voulu se
charger de dessiner, est terminé : comme il est exposé dans la salle des
cours, les membres présents ont pu juger combien celui qui l'avait
entrepris avait apporté de soin et de perfection dans son œuvre. Aussi
le comité a-t-il jugé qu'il était du devoir de la Société d'en remercier
l'auteur d'une façon eflective, et il a proposé de décerner à notre
excellent héraldiste une médaille d'honneur dans la séance solennelle
de janvier. M. le président demande à l'assemblée de vouloir bien
approuver cette décision. A l'unanimité, les membres présents ratifient
la proposition du comité.
M. le président ajoute que, moyennant une cotisation supplémentaire
de cinq francs , tous les membres de la Société , qui en exprimeront le
désir, recevroiit le diplôme revêtu de leurs noms et titres.
Deux comuuinications d'un grand intérêt termhient cette séance :
l'une de M. Péroche , sur La iner Polaire; l'autre de M. Quarré-
Reybourbon , sur Blankenberghe et ses environs.
La réunion se sépare à 10 heures.
Assemblée jcénérale du 18 Décembre 1886.
Présidence de M. Paul Crepy
La séance est ouverte à 8 heures 1/2.
MM. Paul Crepy , président , Faucher , vice - président , Alfred
-43-
Renouard , secrétaire - général , Alex. Eeckmau, secrétaire - général-
adjoint. Quarré-Reyboiirbon, archiviste, Delessert et Warin, membres
du comité, prennent place au bureau.
M. le président fait part du décès de M. Alp. Gees , président de la
Société de géographie du Havre. 11 a transmis à cette Association tous les
regrets de notre Société pour la perte sensible qu'elle vient de faire.
Une section de la Société vient de se former à Tourcoing par les
soins de M. François Masurel père, délégué du comité pour cette ville.
Le secrétaire est M. Paillard-Lelong ; M. Desurmont a bien voulu
accepter les fonctions de vice-président. Déjà deux conférences ont
eu lieu , l'une de M. Potél , sur la République Argentine , l'autre de
M. le baron Michel , sur l'Australie , et plusieurs sont annoncées pour
le courant de la saison. La section de Tourcoing ne peut manquer, dès
lors, de devenir prospère , et il y a lieu de féliciter de ce résultat ceux
qui ont bien voulu se charger de son organisation.
M. le président annonce que le conférencier qui se fera entendre à
la séance solennelle de janvier de la Société de Lille , sera M. Gh.
Letort, conservateur de la bibliothèque de l'Arsenal, qui prendra comme
sujet : Vingt jours au Canada. Comme on pourra en juger, M. Lecort
est un conférencier de talent qui ne peut manquer de plaire à notre
auditoire habituel, et il y a lieu dépenser qu'avec son concours la séance
de janvier ne sera ni moins substantielle ni moins attrayante que celles
qui l'ont précédée.
Aux termes des statuts, les membres du bureau doivent être renou-
velés par tiers : ceux que le sort désigne comme devant sortir cette
année, mais cependant rééligibles, sont MM. Bossut , Brunel , Grépin ,
Déjardin , Delessert , Faucher , Hedde , Leburque et Renouard ; de
plus , M. le lieutenant-colonel Delamaie , actuellement correspondant
de la Société à Montargis, doit être remplacé.
Au scruthi secret qui a lieu immédiatement , les mêmes membres
sont réélus , à ruuanimité. M. Merchier , professeur agrégé d'histoire
au lycée de Lille, est désigné pour remplacer M. Delamare.
Deux communications terminent cette séance : l'une de M. Froment,
chef de station de première classe au Gongo français , « sur les
Régions de VAlima , de la Licona et la Sanga » ; l'autre de
M. Delessert, sur quelques phénomènes accidentels qui se sont pro-
duits dans diverses montagnes de la Suisse et notamment à Elm ,
en 1881.
La séance est levée à 9 heures 3/4.
- 44 -
Séance solennelle annuelle de la Distribution des Récompenses
DE LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE DE LILLE.
La séance solennelle de la distribution des récompenses a eu lieu
le Dimanche 0 Janvier, dans la grande salle des fêtes de la Société.
La réunion était considérable et les principales notabilités de la ville
y figuraient aux premiers rangs. Sur l'estrade, M. Paul Crépy, prési-
dait la séance, ayant à ses côtés les membres du bureau, ainsi que les
représentants des Sociétés de Roubaix, Tourcoing, etc. L'excellente
musique des « Amis Réunis de Marcq » prêtait son concours à cette
solennité.
Allocution du Président,
A l'ouverture de la séance, M. Paul Crépy, président, a pris la parole
en ces termes :
Mesdames, Messieurs,
« Je parcourais, il y a quelques jours, la liste déjà très longue des
Conférences organisées par notre Société, depuis sa fondation, et,
malgré la diversité des sujets traités, je constatais qu'ils se rappor-
taient pour la plupart, à l'Asie et à l'Afrique.
Sans doute, le mouvement Colonial, si actif depuis quelques années,
mais dont le développement semble aujourd'hui légèrement paralysé
par les difficultés éprouvées ou les insuccès subis, avait surtout pour
objet ces deux parties du Monde, et les plaidoyers si patriotiques de
MM. Harmand, Millot, Bayol, de Brazza et de Mahy avaient pour but
principal de vous faire connaître les pays sur lesquels la France,
revendiquait ou revendique encore ses droits légitimes. Mais, à côté
de ces régions, à peine ouvertes à notre commerce, et chez lesquelles
notre industrie doit chercher les débouchés qui lui manquent, en
europe, il existe une contrée où se trouvent des Etats déjà formés,
civilisés, avec lesquels les relations commerciales tendent de plus en
plus à augmenter, je veux parler du Nouveau Monde.
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L'Amérique a eu ses explorateurs, comme l'Asie, comme l'Afrique;
comme ces deux parties du Monde, elle possède ses marchés, ses
routes de commerce. Déjà, à plusieurs reprises, les questions qui l'in-
téressent, et qui nous préoccupent aussi, ont été développées devant
vous. Vous n'avez pas oublié la très éloquente conférence dans laquelle
M. le Consul Wiener vous exposa ses voyages de Guyaquil à l'Ama-
zone, et vous dénionlra quelle extension, notre commerce, en s'avan-
çant jusqu'à Manâos, pourrait trouver dans cette partie du Nouveau
Continent ; M. Thouar vous a relaté les péripéties de son expédition à
la recherche de la Mission Crevaux, si malheureusement massacrée
dans le Grand Chaco, au moment où eile cherchait à relier, par une
voie commerciale, le Paraguay aux affluents de l'Amazone ; les civili-
sations jadis si brillantes du Mexique, ont revécu pour vous, grâce aux
agréables causeries de M. Désiré Charnay, le doyen des explorateurs
français, à qui M. de Lesseps, au nom de la Société de Géographie
de France, attribuait, le mois dernier, la dotation du legs Poirier.
Un de nos plus jeunes explorateurs, M. Coudreau, vous a développé
la question du « Territoire Contesté » entre la France et le Brésil,
vers la région des Guyanes, provoquant ainsi dos tentatives de solution
d'une question discutée depuis deux siècles et demi ! M. le Lieutenant
de Vaisseau Courcelle-Seneuil vous a décrit la mission de la « Ro-
manche » au Cap Horn , dont il était le commandant à terre, mission
tout à fait scientifique, qui nous à fait connaître le pays si triste et
si peu exploré des Fuégiens. Enfin nos sections .de Roubaix et de
Tourcoing, ont eu la boinie fortune d'entendre M. Potel, parler- avec
la compétence qui lui est reconnue, du Paraguay et de la République
Argentine, ces Etats-Unis de l'Amérique du Sud
Si je rappelle devant vous ces souvenirs, c'est parce que, à côté des
noms si estimés de tous ces explorateurs, je puis joindre celui de
M. Charles Letort, qui veut bien venir nous raconter son récent voyage
dans une autre contrée de l'Amérique, vers laquelle bien souvent se
tournent nos regards. Le Canada, qu'il vient de visiter, dans des con-
ditions tout à fait exceptionnelles, fut longtemps une de nos meilleures
colonies ; il fut français aux XVIP et XVlir siècles ; il l'est encore
aujourd'hui de cœur, même après sa conquête par l'Angleterre ! C'est
donc une question à la fois intéressante et patriotique qui va vous être
exposée.
Mais auparavant, je tiens à remercier notre Conférencier d'avoir si
gracieusement répondu à notre appel, et à offrir l'expression de notre
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vive reconnaissance à M. Lourdelet, vice-président de la Société de
Géographie Commerciale de Paris. — C'est, en effet, à ses bons offices
que nous devons d'accueiilir, en ce moment, M. Letort. Sa présence
parmi nous contribuera certainement à resserrer encore les liens de
sympathie réciproque qui unissent notre Compagnie à la Société de
Géographie Commerciale — dont beaucoup de nos membres font partie
— dont notre collègue et ami M. Guillot est actuellement secrétaire —
dont plusieurs Conférenciers sont déjà venus jusqu'à nous, tandis que
de son côté , M. Renouard est allé faire cette année devant elle une
conférence sur les Textiles de l'Inde — dont enfin, M. Gauthiot. le
dévoué créateur et l'âme, ne laisse échapper aucune occasion de dire
du bien de nous, et de faire connaître nos efforts et nos travaux dans
la grande Cité Parisienne. »
Conférence de il. Lietort.
Après cotte allocution, vivement applaudie , M. le président a donné
la parole à M. Ch. Letort, conservateur de la bibliothèque de l'Arsenal,
à Paris, qui sous le titre « Vingt jours au Canada, » a fait à la Société
l'une des plus intéressantes conférences qu'il lui ait été donné d'en-
tendre. Cinquante projections à la lumière oxhydrique ont agrémenté
de la façon la plus heureuse les descriptions pittoresques et patrio-
tiques du conférencier, dont nous publierons ultérieurement in-
ecclenso les paroles , recueillies par l'un des sténographes ordinaires
de la Société.
Rapport sur les travaux de 1$$6.
M. Alfred Renouard, secrétaire général, a pris ensuite la parole eu
ces termes :
Mesdames, Messieurs,
« On dit que de nos jours les jeunes gens voyagent beaucoup plus
qu'autrefois. Rendons grâce aux chemins de fer qui leur facilitent les
plaisirs de la route, mais soyons aussi reconnaissants envers les
sociétés de géographie qui leur en inspirent le goût.
Dans le cours de l'année en effet, nous offrons à nos membres trois
- 47 -
genres de voyages très souvent iiK^Hits. A ceux qui craignent la fatigue
nous apprenons à voyager. . . au coin du feu , nous leur mettons sous
les yeux notre bulletin périodique, et pour peu que nos lecteurs aient
l'imagination féconde, nous les transportons au-delà des mers en les
attachant aux récits de nos explorateurs.
Aux plus intrépides — côté du plus grand nombre — nous offrons
des conférences ou des causeries de voyageurs, et nous avons la salis-
faction de constater ici que le sexe faible répond à notre appel avec la
plus grande bienveillance et vient à chaque fois émailler de ses fraîches
toilettes le noir sombre de nos habits.
Enfin il est aussi chez nous des voyageurs pour de bon — souvent
aussi des voyageuses — qui participent à nos excursions d'été et
forment de charmantes caravanes dont les villégiatures semblent tou-
jours trop courtes.
On n'a donc pas le temps de s'ennuyer dans notre monde géogra-
phique, où l'utile et l'agréable se coudoient journellement et semblent
avoir contracté un pacte indélébile ; aussi l'année nous semble-t-elle
bien courte, et pour mon compte je suis toujours étonné de devoir aussi
rapidement vous souhaiter la bienvenue.
Mais nous le faisons volontiers. Quand je dis « nous », j'entends une
collectivité qui comprend, outre le groupe de Lille , ceux que repré-
sentent Valenciennes, Roubaix et Tourcoing, auxquels nous envoyons
notre bulletin mensuel. Là aussi l'activité est grande parce que la di-
rection ne sommeille pas, et je suis heureux de pouvoir saluer les ho-
norables présidents de chacune de ces sections ici présents : M. Dou-
triaux qui a su dwiner à la société de Valenciennes une impulsion et
un entrain enviable ; M. Bossut, qui excelle à imprimer à la section de
Roubaix une vitalité et un élan que nous admirons toujours; et M. Fran-
çois Masui'el, qui a créé cette année à Tourcoing une section dont les
prémices nous promettent pour l'avenir les meilleurs espérances.
Passons en revue rapidement les travaux de chacun de nos voisins.
A Valenciennes tout d'abord, nous relevons sept conférences , dont
le compte-rendu trimestriel a été fait excellemment pour nos annales
par le dévoué secrétaire-général de cette association, M. PaulFoucart.
Notre ami M. Guillot, qui ne recule jamais quand il s'agit du bien de
notre Société, a bien voulu venir à deux reprises différentes dans la
patrie des Garpeaux et des Hiolle, et à chaque fois il a enthousiasmé son
auditoire, soit qu'il lui parlât des voyages de M. de Brazza, soit qu'il
entretint son public des sites si pittoresques et si gracieux du pays des
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Grisons. M. Faucher, notre excellent vice-président, s'est rendu à son
tour à Valenciennes, pour y parler de l'exploitation des nitrates et de
la récente guerre du Chili, du Pérou et de la Bolivie ; il a montré que,
si nous étions assez riches pour prêter à nos voisins, nous savions aussi
leur offru' des morceaux de choix et des conférenciers de talent. Je
nommerai encore parmi ceux qui ont entendu les Valenciennois ;
■M. Oukawa, sur le Japon ; M. Valcke, sur l'état libre du Congo ;
M. Alglave, sur la réforme de l'impôt des alcools : et enfin M. Marins
Vachon, sur la crise industrielle et artistique en France et en Europe ; —
ce qui vous prouve, Messieurs, comme je le disais tout à l'heure, qu'on
ne sait pas perdre son temps sur les rives de l'Escaut et que toujours
on y maintient les bonnes traditions dont nous sommes si fiers à Lille.
Au chapitre «excursions » , je note une première aux sources de l'Es-
caut, une seconde à Anzin et Saint-Amand, puis le voyage au Congrès
scientifique de Nantes de MM. Doutriaux et Foucart qui y ont repré-
senté leur société, tout cela sans compter les petites excursions com-
munes avec leurs voisins de Lille, dont je vous entretiendrai tout à
l'heure. Bref, entrain sur toute la ligne : tel est le mot de ralliement
que semblent s'être donné les membres de la Société de Valenciennes
depuis le pacte d'union qu'ils ont contracté avec nous. D'aucuns trou-
veront que le bien est contagieux ; je dirai à mon tour, qu'il ne deman-
derait qu'à se manifester.
Si de là je passe à Roubaix, j'ai le plaisir d'y constater une ai\ieur
non moins grande et des résultats tout aussi significatifs. Le Comité
spécial de cette ville foisonne d'ailleurs en hommes de dévouement
qui apportent à M. Henri Bossut leur utile écot et leur concours efl'ec-
til : j'ai nommé M. Leburque-Comerre, un passionné géographe et un
organisateur de mérite ; M. Duburcq, un secrétah'e modèle ; M. Junker,
le dévouement fait homme , et bien d'autres qui me pardonneront de
ne pas les nonnner tous, mais dont unanimement nous remai'quons ici
l'ardeur au bien et l'obligeance sans égales.
A l'inauguration des conférences de Roubaix, je vois encore ici
M. Guillot, qui commence la série par une magistrale étude de la ques-
tion d'Orient dans l'Asie centrale ; il est suivi bientôt de M. Coudreau,
qui nous entretient de son thème favori « le territoire contesté entre la
France et le Brésil», de M. Lefèvre. un enfant de Gascogne, qui sait
intéresser ses auditeurs en leur parlant de Bordeaux et du bassin de la
Gironde ; de votre secrétaire-général, qui prend comme texte « l'in-
dustrie cotonnière dans les Indes » ; de M. Castonnet des Fosses qui
— i« —
nous fait parcourir l'E.spagne eu artiste et eu homme d'affaires; de
M. Oukawa enfin, dont la verve originale n'est jamais en défaut quand
il s'agit de la Société de Lille, et qui veut bien nous exposer comme il
l'a fait à Valenciennes, les us et coutumes de son pays natal. Puis à
bref délai voici que commence une nouvelle série : M. Fabre le pre-
mier, dans un langage énergique et pittoresque, nous fait connaître les
mœurs et l'histoii'e toute française des habitants du Canada ; M, Fau-
cher, toujours obligeant, nous initie de nouveau aux péripéties si émou-
vantes de la guerre péruvio-chilienne ; M. Potel nous lait voyager en
son agréable compagnie au travers des républiques de la Plata;
M. Gastonnet des Fosses enfin discute avec nous les intérêts français
dans l'île de Madagascar et sait trouver à ce propos un langage patrio-
tique qui fait vibrer notre cœur de français. Honneur aux Roubaisiens
qui, avecleur seul concours, ont su réunir chez eux cette phalange de
conférenciers ! honneur surtout au président de la section et aux
hommes dévoués du Comité qui ont mené à bonne fin la tâche ai'due
qu'ils avaient entreprise.
Enfin la section de Tourcoing , qui pour être jeune n'est pas moins
vaillante, a eu deux conférences depuis un mois à peine que date sa
création : l'une de M. Potel, que déjà nous connaissons, sur les Répu-
bliques de la Plata ; l'autre de M. le baron Michel qui, de retour d'Aus-
tralie, a vivement intéressé ses auditeurs en leur décrivant ce pays
avec lequel ils ont des relations commerciales extrêmement suivies.
La section doit ce brillant début , tout autant à l'activité dont a fait
preuve son excellent président M. François Masurel, ainsi que je le
disais tout à l'heure, qu'à l'ardeur juvénile de son secrétaire, M. Pail-
lard-Lelong, la cheville ouvrière et l'âme du Comité local.
Après vous avoir entretenu des autres , vous tolérerez , Messieurs ,
que je vous parle de nous-mêmes, et que je rappelle ce qu'à fait notre
groupe de Lille, sous l'impulsion habile et énergique de son excellent
président. Nous aussi, mes chers collègues, je suis fier de le dire, nous
n'avons pas sommeillé ; et que je me reporte aux conférences ou aux
excursions, aux loisirs de l'hiver comme aux plaisii's de l'été, j'y cons-
tate d'un côté comme de l'autre une ardente vitalité et une louable
ardeur.
Le conférencier premier en date est notre excellent collègue M. Fau-
cher, qui a consenti à surmonter la fatigue et l'ennui d'une troisième
conférence sur un môme sujet pour nous entretenir, sous une forme
- 50 -
t(jiite nouvelle, du thème qui avait intéressé à un aussi haut degré nos
voisins de Valenciennes et de Roubaix.
Après lui le capitaine Monteil , de retour du Sénégal, nous a narré
ses voyages dans les régions inexplorées de cette contrée française ,
dont il a le premier dressé la carte exacte. Puis M. le lieutenant Valcke
nous a exposé, dans un langage sobre et clair, les difficultés que le
gouvernement belge a eu à surmonter pour arrivera étabUr l'état libre
du Congo sous les auspices de l'Association internationale Africaine. 11
ne semble pas toutefois que l'allure sauvage de ces contrées ait déplu
à notre conférencier, puisqu'il comptait alors y amener sa jeune femme
et que depuis il s'est embarqué avec elle pour ces régions abruptes,
absolument comme un bourgeois de Bruxelles à destination de Londres.
Vous voyez, Messieurs, quel bouquet d'orateurs nous avons eu pour
les débuts du dernier exercice : j'ose dire que la suite a répondu à ces
prémices.
Après eux, en efiet, nous entendons bientôt M. de Guerne qui,
chargé de diverses missions dans l'Océan glacial et la mer Baltique ,
sait brillamment arrondir les angles du langage scientifique , en nous
parlant de « la faune et la flore sous -marines à l'Observatoire de
Kiel «.
Puis ce sont nos membres qui, pendant quelque temps, veulent bien
consentir à faire nos causeries hebdomadaires du jeudi. M. de Franciosi,
le premier, nous procure une excellente soirée quand, dans un langage
séduisant et poétique , il nous décrit la capitale de l'Espagne et ses
habitants , avec une pointe d'humour qui nous permet , deux heures
durant, de nous croire de parfaits madrilènes. M le professeur Épinay
le remplace et nous donne sur les Indes Néerlandaises une attrayante
causerie qui maïquera dans nos annales ; puis M Lefebvre, de Roubaix,
nous parle avec amour du bassin de la Gironde, si bien chanté par son
compatriote Nadaud ; le regretté colonel Delamare , dont la parole
sonne comme un clairon et dont le cœur est toujours si français , fait
ensuite salle comble en nous parlant des « tribus indépendantes du
Sahara tunisien » ; enfin, M. Guillot sait encore trouver assez de
temps pour nous revenir un jeudi soir de Paris et , dans le langage
sémillant et plein de verve dont il est accoutumé , nous entretient de
cette question des colonies allemandes si brûlante aujourd'hui et d'une
importance si grande pour l'avenir.
Bientôt après , M. Richard vient nous parler de Madagascar, cette
île grande comme la France , que convoitent si bien les Anglais , mais
— 51 —
que tiennent bien encore les Français. Entre temps , M. Melon nous
fait une excellente causerie sur « les côtes de la France » avec ce
langage précis de géologue qui a étudié , et de l'observateur qui a
beaucoup retenu : et c'est M. Delessert qui termine la première série
de nos conférences, en nous initiant , à l'une de nos assemblées géné-
rales , aux beautés de la langue volapiik , dont on tente de faire une
langue commerciale universelle , en dépit de nombre de commerçants
qui prétendent encore s'en tenir à leur langue maternelle.
Avec M. Westmarck , nous reprenons , en hiver , nos conférences
interrompues pendant la belle saison, et nous retournons en Afrique ,
où cette fois , nous séjournons deux heures agréablement , au miheu
des cannibales Bangallas.
MM. de Mahy et Moncelon nous font revenir à la France en lui
parlant de deux de ses plus importantes colonies , et vous avez tous
présents à la mémoire , mes chers collègues , la double conférence
étincelante de vérité et de patriotisme que nous a faite le premier sur
Madagascar, le second sur la Nouvelle-Calédonie.
La pensée de tous était alors si près de l'Europe , que nous avons
prié l'excellent M. Guillot de nous y ramener tout doucement, et notre
ancien secrétaire - général , avec une bonne grâce charmante, est
venu, sur notre demande, nous entretenir du canton des Grisons qu'il
avait visité durant ses dernières vacances, et dont il nous a donné une
description si pittoresque que nous ne saurions faire autrement de
nous y rendre l'été prochain. Et comme , sur notre route , nous avions
rencontré pas mal de poteaux télégraphiques et autres appareils dans
lesquels l'électricité joue un rôle utile, nous avons prié M. Trouhet,
professeur à l'École de télégraphie, de nous initier aux mystères de
cette branche féconde de la physique : notre collègue s'y est prêté de
bonne grâce un jeudi soir , et nous ne saurions trop le féliciter de
l'intérêt qu'il a su donner à celte causerie toute technique.
Des comnmuications diverses ont agrémenté , entre temps , l'aridité
de nos assemblées générales ; j'ai à en signaler quatre : l'une de
M. Péroche , sur la mer polaire , l'autre de notre excellent archiviste ,
M, Quarré-Reybourbon , sur la plage de Blankenberghe et ses envi-
rons , une troisième de M. Froment , sur les régions de l'AIima , de la
Licona et de la Sangha , une quatrième , enfin , de notre infatigable
collègue , M. Delessert , sur les glaciers de la Suisse et les accidents
terribles auxquels ont donné lieu de récents éboulemeuts de montagnes
dans la partie Nord de ce pays accidenté.
— 52 —
J'arrive aux excursions , dans l'organisation desquelles une grande
part revient à M. Crépin , le dévoué secrétaire du Comité des études
et président de la Commission spéciale. M. Crépin s'est chargé lui-même
de donner l'élan , en conduisant nos membres au commencement de
l'été, à la verrerie d'Escaupont, qui appartient à M. Wagret, vice-prési-
dent de la Société de Valenciennes. Ce patronage vous dit assez,
Messieurs, quelle fête a été pour nos excursionnistes cette visite indus-
trielle, que M"*^ Wagret, avec une bonne grâce charmante, a transformé
en une réception dont nos touristes garderont le meilleur souvenir, et
qui s'est terminée, sous un gai soleil de mai, par un agréable retour au
travers la forêt de Bon-Secours.
Mais ce n'a été que le prélude : je cite à la hâte les excursions
au château de Renescure , à l'abbaye de Wœstyne et la vallée de
Clairmarais , sous l'habile direction de jNIM. Fernaux et Eeckman ;
celle aux grottes de Han , que MM. Houzé et Fanchille ont bien
voulu guider ; celle à la forêt de Mcrmal , sous la conduite de
MM. Rosman et Eeckman ; celle au château de Bel-Œil et au mont de
la Trinité, dont M. Senoutzen , aidé de votre secrétaire-général , a été
le chef dévoué ; celle enfin à Londres et ses environs, que MM. Facq,
Eeckman et Acheray, qui l'ont organisée avec le concours de M. Lubin,
ont su rendre assourdissante d'entrain et de gaîté. M. Acheray, d'ail-
leurs, en a écrit pour ses annales , un compte -rendu plein d'humour,
qui a dû engendrer bien des regrets chez ceux de nos membres que
leurs afl'aires ou leurs études ont éloigné forcément de cette partie de
plaisir.
J'allais oublier l'excursion de nos lauréats et l'alléchant voyage que
M. Léonard Danel leur offre généreusement chaque année. Sous la
direction de MM. Jacquin et Eeckman, nos candidats ont dirigé leurs
pas du côté du mont de Cassel et de Dunkerque , et c'est avec enthou-
siasme que chacun d'eux, au banquet final, a choqué son verre au toast
chaleureux et plein de cœur que notre collègue, M. Jacquin, a porté
au bienfaiteur annuel de la Société.
Chez nous donc, comme vous le voyez , Messieurs, le titre de socié-
taire procure des satisfactions de plus d'une sorte. Mais il manquait
encore quelque chose à vos membres , il manquait un souvenir de la
participation de chacun à l'œuvre que nous édifions depuis tantôt sept
ans. Pour y suppléer, nous avons fait appel au talent d'un artiste lillois
bien connu, M. VanDriesten. Aujourd'hui que le diplôme de la Société
de géographie de liille est terminé, je puis proclamer qu'il constitue une
- 53 -
œuvre d'art réussie au-delà de nos espérances, notre compatriote s'est
surpassé cette fois , et nous le prions d'accepter ici , connue un témoi-
gnage de nos remerciements, la médaille d'honneur que nous lui offri-
rons tout à l'heure, au nom de nos membres reconnaissants.
Puisque je suis ici sur le chapitre artistique, je profite, en passant, de
l'occasion qtû m'est offerte de remercier une fois de plus de l'utile
concours qu'elle nous prête , la musique des Amis réunis , de Marcq ,
qui chaque année, nous fait entendre les meilleurs morceaux de son
répertoire , sous l'habile direction de son chef dévoué , M. Philippe
Delecroix.
Je suis toujours heureux de rappeler, lorsque que je rends compte de
nos travaux annuels, que nous avons toujours jusqu'ici vécu avec nos
seules ressources et,, pour ainsi dire , avec les seules cotisations de ros
membres. Nous n'avons sollicité qu'un seul concours, celui de la
Chambre de commerce de Lille f et je me hâte de dire que ce corps
d'élite a répondu généreusement à notre demande et qu'il veut bien
nous accorder annuellement une subvention de 100 francs : la Chambre
montre ainsi qu'elle est toujours à l'avant-garde du progrès et qu'elle
sait encourager l'étude des sciences commerciales sous ses formes les
plus multiples.
Mais, chaque année aussi, de bienfaisants donateurs viennent grossir
notre maigre pécule et nous permettre de nous montrer envers les
lauréats de nos concours, aussi généreux qu'ils le sont ; que MM. Paul
Grepy , Léonard Danel et Henri Bossut veulent bien recevoir ici nos
plus sincères reraercîments : nous souhaitons que leur exemple soit le
plus contagieux possible. Il l'a été , d'ailleurs , pour la première fois ,
dans le monde officiel , car nous avons reçu récemment des encoura-
gements de haut lieu : MM. les Ministres de la Marine et de l'Instruction
pubhque ont bien voulu nous envoyer pour les lauréats de l'enseigjie-
ment secondaire, le premier une lorgnette de prix, le second unm.agni-
fique volume de géographie : au nom de la Société, je prie les pouvoirs
publics de recevoir ici l'expression la plus sincère de notre gratitude
pour leur bienveillante générosité.
Je n'ai pas besoin de dire. Messieurs, qu'avec de semblables prix, les
concurrents nous sont arrivés cette année plus nombreux que de
coutume. Malheureusement , malgré toute la meilleure volonté du
monde , il y a chez nous , comme partout , beaucoup d'appelés et peu
d'élus ; je suis heureux de pouvoir donner à ces derniers les félicitations
qu'ils méritent , en attendant que tout à l'heure le public d'élite qui
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remplit cette salle , leur témoigne à son tour, par ses applaudis-
sements, sa juste satisfaction.
Le prix d'Audiffret , de 600 fr., destiné au meilleur travail sur les
débouchés à trouver pour les productions industrielles dans la région
du Nord, et que depuis tantôt deux ans, nous offrons en vain de concours
en concours, sans rencontrer le candidat téméraire qui osât affronter
la lutte, a eu cette année un concurrent sérieux Le mémoire qui nous
a été présenté , suffisamment bon pour remporter le tiers du prix .
renferme des lacunes qui le rendent incomplet , et no peut être consi-
déré que comme une préface à ce que nous demandons. Nous sommes
heureux , toutefois , de pouvoir proclamer que notre collègue ,
M. Cantineau , qui a mérité d'être récompensé, a bien ouvert la voie et
frayé le chemin à ceux qui voudraient maintenant entrer dans le vif
de la question.
Youspouvez juger , Messieurs, par l'ensemble des travaux que je
viens de résumer, combien nous avons en estime le rôle prépondérant
dés sciences géographiques et comme nous aimons à cultiver le vaste
champ qu'elles nous offrent : rôle assez noble pour satisfaire dans leurs
aspirations les intelligences les plus délicates , champ assez vaste pour
offrir des récoltes à tous les ouvriers.
Parmi ceux-ci, les uns y abattent de riches moissons, d'autres se
contentent d'y glaner , 'mais de ce que chacun ramasse ou découvre,
tous en jouissent, car entre géographes les biens sont communs, et le
flambeau allumé par le génie, ne s'éteint pas, même quand il a commu-
niqué de proche en proche, sa flamme féconde au monde entier.
Aujourd'hui tous nos efforts tendent à profiter des travaux de nos
devanciers, à en créer de nouveaux à notre tour, puis à déduire de
tout cela des applications fécondes, pour en faire autre chose qu'une
richesse factice.
Nous avons toujours en vue cet apologue chinois que nous rappelait
naguère le regretté J.-B. Dumas, et qui est aujourd'hui plus que jamais
de circonstance. Certain voyageur rencontre près d'un puits un enfant
tout en larmes et criant la soif ; surpris de voir entre ses mains une
cruche vide munie d'une corde : pourquoi ne cherches-tu pas à rem-
plir la cruche, lui dit-il? le puits serait-il à sec. — H y a de l'eau dans
le puits, mais il est trop profond, répond l'enfant. — C'est ta corde qui
est trop courte, reprend le voyageur, cherche-en une plus longue et
tu boiras à ton gré.
Jamais pour vous. Messieurs, le puits de la science géographique ne
- 55 -
doit sembler trop profond ; c'est pourquoi , lorsque la corde est trop
courte, nous nous employons de toutes parts à l'allonger d'une façon
fructueuse. Alors seulement, toutes ces cruches, qui autrefois étaient
vides, se remplissent d'une eau pure et saine, alors seulement nous
pouvons puiser amplement aux sources mêmes de la vérité.
Jadis on ignorait d'où venaient les ondes aériennes apportant le
chaud ou le froid, le soc ou l'humide. Aujourd'hui le télégraphe signale
plusieurs jours h l'avance « devant qu'ils soient èclos » les orages et
les tempêtes. La corde destinée à sonder le puits de la science des
météores dépassait à peine autrefois l'étendue d'uu département, elle
atteint aujourd'hui le contour entier de la terre.
Il n'y a pas longtemps que l'Afrique intérieure existe pour la science,
il a fallu pour cela les etïbrts de savants et d'explorateurs de talent
qui n'ont pas craint de sacrifier leur vie et leur fortune, et depuis lors
que de découvertes multiples sont issues de ces commencements labo-
rieux, depuis que la science a mis entre les mains des Français, une
corde assez solide pour descendre au puits où la vérité était cachée !
Les travaux d'Alfred Marche et du marquis de Compiègne, précurseur
de De Brazza, ceux de Mage et Quintin , de Zweifel et Moustier, de
Sùleillet, des missions Galiéni et Borgnis Desbordes, comme ceux de
ces martyrs qui ont nom Flatters et Palat, nous ont amené à mieux
connaître ce continent mystérieux de V Afrique fermé presque entiè-
rement jusque-là à nous autres Européens, mais qui, grâce à ces
géographes, s'ouvre peu à peu à la civilisation.
Que dirais-je si je voulais citer les découvertes de Benoit Méchin,
Cotteau, Bonvalot, Capus, Ch. Martin, l'abbé Desgodins pour rj.s?ô ;
celles de Thouar, Courcelle-Seneuil, l'abbé Brasseur, Charnay, et
Crevaux pour ï Amérique , celles de La Pérouse, Dumont-Durville
et du commandant de Freycinet pour le monde océanique.
Voilà tous savants dont la France s'honore, qui ne se sont jamais
plaint des difficultés d'un problème, et qui à chaque obstacle ont tou-
jours fait appel au génie de la science, trouvant toujours et quand même
que la corde était trop courte. Les exemples que je viens de citer res-
teront toujours parmi nous, Messieurs, comme un perpétuel souvenir
de ce que peut la volonté intelligente unie à l'énergie et à la persévé-
rance ; c'est en les ayant sous les 3'eux que nos enfants apprendront à
cultiver les sciences géographiques et tenteront d'en retirer des fruits
aussi féconds que leurs éminents devanciers. »
- 56 -
INCIDENT.
Après la lecture de ce rapport, M. Paul Crepy, président, prend de
nouveau la parole :
« Tout en rapportant les actes de notre Société, notre Secrétaire-gé-
néral a dit un mot aimable pour chacun, il n'a oublié personne — sauf
lui-même. C'est trop de modestie !
Je viens combler cette lacune en proclamant que notre Comité
d'Etudes a décidé qu'une médaille d'honneur, grand module, serait
décernée au digne successeur de Messieurs Suérus et Guillot, M. Alfred
Renouard.
En vous la remettant, mon cher collègue, j'éprouve un sentiment de
satisfaction réelle, car mieux que tout autre, j'ai pu apprécier avec quel
zélé, quelle intelligence, vous avez constamment travaillé à la prospérité
de notre chère Société.
Tout éloge serait superflu, puisque ici, comme dans maintes autres
Sociétés 5 vous vous êtes fait connaître par vos œuvres, et si vos amis
de Roubaix, Tourcoing, Valenciennes, si tous, nous regrettons qu'une
distinction honorifique ne soit pas encore venue d'ailleurs récompenser
votre dévouement, recevez en attendant, ce souvenir que je suis fier
de vous offrir. » [Applaudissements).
DISTRIBUTION DES RÉCOMPENSES.
M. Alex. Eeckman, Secrétaire-général-adjoint, donne ensuite lecture
du palmarès :
Médaille d'honneur : M. Van Driesten , peintre héraldiste à Lille , pour le diplôme
de la Société dont il est l'auteur ;
Prix d'Audiffret : M. Cantineau-Gortyl, propriétaire à Lille, pour son mémoire sur
les débouchés à ouvrir à notre commerce local.
Euscignenient secondaire. — Jeunes filles.
r Au-dessus de 16 ans :
Aucune récoiiipense n'a été décernée.
- 57 -
2* Au-dessous de 16 ans :
!*'■ Prix : {offert par M. le Ministre de V Instruction publique)^ M"" Louise Vaillant,
élève du Collège Fe'nelon, à Lille, avec médaille d'argent.
2" — M'ips Berthe Michel, du même collège, avec médaille de bnnize.
3° — Frida Schéibi (reçoit l'éducation dans sa famille) à Lille.
4° — Elvire Courtecuisse, du Collège lénelon, à Lille.
En^cigncnicut primaire supérieur. — Jeunks filles.
1" Au-dessus de 15 ans :
1" Prix : M>'es Léonie Cousu , de V Institut Sévigné , à Roubaix , avec médaille
d'argent.
2° — Marie Vandame, de la même institution.
3° — Angèle Bourguoignon, de Y Ecole supérieure déjeunes filles, a Lille.
2° Au-dessous de 15 ans :
1" Prix : Mlles Louise Larière, de Y Ecole supérieure déjeunes filles, à Lille, avec
médaille d'argent.
2^ — Flore Crombet, de la même école.
3° — Eugénie Terlet, de la même école.
Enscignemeut primaire élémentaire. — Jeunes filles.
1° De 11 à 14 ans :
l" Prix : Mlles Henriette Nicole (reçoit l'instruction dans sa famille), à Lille, avec
médaille de bronze.
2° — Stéphanie Odou, de Y Ecole primaire élémentaire de la rue Racine,
à Lille.
2" De 9 à 11 ans :
i" Prix : MUes Noémie Lévi, de Y Institut Sévigné, à Roubaix.
2* — Louise Missi, de YEcole primaire élémentaire de la rue Racine,
à Lille.
Enseiguement secondaire. — Jeunes gens.
1° Au-dessus de 16 ans. — Cours de St-Cyr.
1°' Prix {offert par M. le Ministre de la Marine) : M. Camille Delezenne , du
collège d'Armentières, avec médaille d'argent.
2^ — MM. Maxime Sauvage, du lycée de Lille, avec médaille d'argent.
3° — Charles David, du même lycée.
i" — Jean Grimard, du même lycée.
2" Au - dessous de 16 ans :
1" Prix ; MM. Albert Boone, du lycée de Lille, avec médaille d'argent.
2° — Jules Robert, du même lycée.
3° — Théodore Borissow, du même lycée.
4" — Ildefonse Dalbertanson, du même lycée.
M. Pierre Molinari, de YEcole supérieure de Fourncs, ayant concouru par erreur
avec les élèves de l'enseignement secondaire, aurait été classé le 4' si sa composition
avait pu être admise.
- 58 -
Knseisnemeut primaire supérieur. — Jeunes gens.
1° Au-dessus de 15 ans :
l'"'' Prix : MM. Jules Lecocq, de l'Ecole jirimaire supérieure d'Haubourdiii, avec
médaille d'argent.
2* — Gustave Ammeloot, de la même école.
3' — Louis Delobel de la même école.
4' — Louis Vautrin, de VÉcole primaire supérieure de Lille.
h'' — Ernest Dupuis. de VEcole primaire supérieure d'Haubourdiii.
fi" — Adolphe Dellj^s, de la même école.
7* — Constant Lecomte. de la même école.
2" Au-dessous de 15 ans :
r'' Prix : MM. Jules Soenen , de VEcole primaire supérieure de Fournes , avec
médaille d'argent.
2* — Jules Lepilet, de la même école avec médaille de bron/.e.
•T — Georges Morel, àe VÉcole primaire st<j)erieMre d'Haubourdin.
4° — Désiré Rigaumont, de VEcole primaire supérieure de Fournes.
o*" — Auguste Logez, de la même école.
& — Charles Delalin, àe VEcole primaire supérieure A&hiVie.
7° — Henri Loubry, de VEcole supérieure d'Haubourdin.
8" — Oscar Tourlet , de VEcole des Frères de la rue du Tilleul , à
Roubaix.
9* — Julien Deschamps, de l'iîc-oZejj/nînatre supérieure d'Haubourdin.
Eiiselguemeut primaire élémentaire. — Jeunes gens.
1" De 11 à 14 ans .
V Prix: MM. Jules Crespel, de VEcole primaire élémentaire de Fournes, avec
médaille d'argent.
2" — Emile Cornaille, de la même école.
3* — Charles Bauvais, de la même école.
4" — Georges Delerue, de la même école.
5*" — Oscar Fournil, de VEcole primaire élémentaire d'Haubourdin,
6" — Adolphe Louvel, de la même école.
2" De 9 à 11 ans :
1'"' Prix •. MM. Alphonse Caudoux , de VEcole primaire élémentaire de Fournes .
avec médaille d'argent.
2" — Gilbert Leblond, de la même école.
3" — Alphonse Drucsnes, de la même école.
4' — Henri Monnet, de VEcole primaire élémentaire de Fiers.
5" — AMrùà hagSiQhe^ àe VEcole primaire élémentaire àe Fournes.
6° — Henri Stiévez, de la même école.
"7" — Louis Dutoit, de la même école.
59
COMMUNICATIONS AUX ASSEMBLÉES GÉNÉRALES
(in extenso.)
LE VOLAPUK,
LANGUE COMMERCIALE UNIVERSELLE,
Par M. DELESSERT, Membre du Comité d'études.
Personne n'ignore que de nombreux et inutiles essais ont été jadis
entrepris pour créer une forme de langage , qui pût servir indistincte-
ment à tous les peuples. — Je n'examinerai pas ici en quoi ont consisté
ces diverses tentatives, dont le résultat est toujours resté infructueux,
et neveux pas rechercher les noms de tous ceux qui se sont occupés de
cette intéressante question, depuis Descartes et Leibnitz jusqu'à Letel-
lier et autres savants contemporains.
Je rappellerai aujourd'hui que cette idée est de nouveau mise en
avant et qu'il se publie en ce moment des ouvrages spéciaux, auxquels
je ne puis que souhaiter un heureux succès.
J'espère que cet ingénieux système . simple et logique à la fois ,
n'échouera pas comme ceux qui l'ont précédé, bien que bon nombre de
personnes manifestent leurs craintes à cet égard. Mais ces appréhen-
sions ne tarderont pas à disparaître entièrement, quand ces nouvelles
notions auront reçu toute la publicité possible et qu'on aura connais-
sance de tout ce qui a été écrit sur cette question pleine d'intérêt.
Au reste, il serait difficile de ne pas se rendre à l'évidence, en cons-
tatant les immenses progrès déjà obtenus depuis si peu de temps.
— Imaginée par un linguiste allemand, M. Schleyer (1) , cette langue
commerciale universelle qu'il désigne sous le nom de volapiik, c'est-à-
dire langue de l'univer^s, (pûk, langue ; vola , génitif de vol, univers),
et à la création de laquelle il a consacré vingt ans de recherches
et de labeurs incessants, est non seulement d'une grande simplicité,
au point de vue grammatical ; mais elle possède en outre , quant à la
constitution des mots . des procédés de formation et de dérivation .
(1) Abbé au couvent de Mainau, près de Constance et sur le lac de ce nom.
- 6<) -
faciles à saisir , et dont le principe fondamental repose sur la théorie
des préfixes et des suffixes.
Il en résulte une connaissance relativement très prompte des mots
du dictionnaire, qui sont presque tous empruntés aux langues romanes
et germaniques , surtout à l'anglais et au français. Il suffira donc
d'apprendre les substantifs de cette nouvelle langue , c'est-à-dire les
mois radicaux, pour s'approprier facilement tous les autres mots
{dérivés ou composés) qui en dépendent.
Pour ce qui concerne la syntaxe, les règles en sont des moins
compliquées ; la construction est empruntée à la langue française.
En un mot, de tous les systèmes imaginés jusqu'à ce jour , c'est le
seul qui puisse prétendre à une valeur vraiment pratique.
Avant d'esquisser en traits rapides le mécanisme de cette langue , il
n'est pas inutile de rappeler ici quelques détails empruntés à la bro-
chure de M. Aug. Kerckhofis, extraite de la Revue-Gazette maritime
et comraerciale. — Ce journal a reproduit en juin 1885 la leçon du
cours libre de volapiJk , que l'érudit professeur a donné l'année
dernière, à Paris, à l'École des hautes études commerciales, et
dont les premiers essais ont été couronnés de succès.
Ainsi que le dit fort bien M. Kerckhoffs , il ne s'agit nullement de
faire adopter un nouvel idiome, qui devienne un jour l'organe univer-
sel des lettres et des sciences, comme l'a été la langue latine au
moyen-âge , ni de remplacer par le volapiik aucune de nos langues
modernes, aussi peu l'anglais ou l'allemand que le français, dans les
relations des peuples entre eux.
Si la langue française est devenue, depuis le dix -septième siècle,
l'organe officiel et universel dont se servent les diplomates de tous les
pays pour leurs rapports internationaux , il est tout aussi naturel et
môme indispensable que les industriels et les commerçants des
diverses contrées du globe puissent correspondre facilement et
directement entre pux, par le moyen d'un langage commun artificiel.
L'emploi de cet idiome international a, du reste , sa place toute mar-
quée dans ce siècle de lumière et de progrès , à côté des nombreuses
découvertes et inventions, qui ont déjà tant fait pour le rapprochement
des nations et la diff'usion des idées.
Les relations commerciales avec l'étranger sont d'autant plus faciles,
que l'entente, au moyen d'une langue commune aux deux parties
contractantes, peut s'établir d'une façon plus nette et plus précise. —
Mais, sur plus de huit cents langues qui sont parlées sur notre planète,
— fil-
on devrait en connaître au moins quarante ou cinquante , pour être à
même de comprendre les principaux peuples civilisés et entrer en
relations avec eux.
Or, il n'est pas donné à chacun de pouvoir passer quelques années
à l'étude de trois ou quatre langues romanes ou germaniques (parmi
les plus usitées),. et môme il est très difficile, pour ne pas dire
impossible , pour beaucoup de personnes , d'entreprendre celle d'un
seul dialecte sémitique ou d'un idiome monosyllabique, tel que le
chinois ou l'annamite ; et cependant les peuples , qui parlent ces
dialectes , comprennent plus du tiers de la population du globe.
Le volapiik, au contraire, exige un temps relativement court ; aussi
n'est-il pas étonnant de constater avec quelle rapidité la langue de
M. Schleyer a été adoptée presque partout.
Bien que les premières publications de ce savant polyglotte remontent
à peine à quatre ou cinq ans , ses disciples se comptent par milliers
dans plusieurs Etats, en Allemagne, en Autriche, en Alsace, en
Belgique , en Hollande , en Espagne , en Suède , en Suisse, en Angle-
terre, aux États-Unis, et même en Syrie et en Afrique : plus de soixante
Sociétés existent maintenant en Europe, en vue de l'extension de cette
langue.
Une Association française pour la propagation du Volapiik s'est aussi
constituée à Paris (174, boulevard Saint-Germain) et compte déjà de
nombreux adhérents. Elle est administrée par un Comité central ,
composé d'une vingtaine de membres , au nombre desquels nous pou-
vons citer : le président , M. Lourdelet , président de la Chambre
syndicale des négociants -commissionnaires; le secrétaire - général ,
M. Kerckhoffs, professeur à l'Ecole des hautes études commerciales ;
M. Francisque Sarcey, publiciste, etc., etc.
Un grand nombre d'ouvrages ont paru dès lors pour faciliter l'étude
de cette langue universelle ; la grammaire et le dictionnaire volapiik-
allemand (13,000 mots environ) en sont à leur 4" édition ; l'édition
française est sous presse actuellement.
M. Kerckhoffs a fait paraître, à l'usage des Français, un cours
complet de volapiik, suivi d'un vocabulaire de 2,500 mots.
De petits abrégés pour l'étude du volapiik ont été publiés non seule-
ment en latin et dans toutes les langues de l'Europe , mais encore en
chinois et dans le dialecte nama des Hottentots.
Plusieurs poètes , allemands et hollandais , ont transcrit en vers
volapiiks les chants nationaux de leur pays. Mentionnons , en passant,
- 62 -
le président de la Société des volapiikistes de Scheminerberg (Wiirtein-
berg), M. Kniele , qui a envoyé pour Jes élèves de M. Kerckhoffs. une
traduction en vers de la Marseillaise.
Il se publie trois journaux rédigés en volapiik : celui de M. Schleyer,
le Volapûkabled,àe Constance {avec \a.\r3i(\uc[ion du texte), les Vola-
pùkaklubs , de Breslau , et le Volapûkabled , de Rotterdam. —
Pai'is doit avoir aussi le sien, qui paraîtra prochainement.
De nombreux volapiikistes (plus de trois cents] de tous les pays se
sont réunis en 1884, à Friedrichshafen , sur le lac de Constance , dans
le but d'adopter définitivement la grammaire de M. Schleyer , et de
rechercher les meilleurs moyens pour la vulgarisation du volapiik.
Un second Congrès aura lieu à Niiremberg l'année prochaùie.
Ajoutons enfin, qu'à l'occasion de l'Exposition universelle, un grand
Congrès international de volapiikistes se tiendra à Paris, en 1889.
Voici un aperçu du nouvel idiome de M. Schleyer et des procédés
grammaticaux qu'il emploie :
Prononciation et orthographe.
L'alphabet se compose de huit voyelles et de dix-neuf consonnes
[q et w n'étant admises que dans l'orthographe des noms propres) ;
chaque lettre n'a qu'un seul et même son.
Les voyelles sont toujours longues et se prononcent comme suit :
a
comme
â
dans
pâte :
bal, un, se
prononce
bâle;
a
»
è
»
mais :
mal, six,
»
mail ;
e
»
é
»
bonté :
tel, deux,
»
télé ;
i
»
î
»
gîte :
kil, t7^ois.
»
kîle ;
o
»
ô
»
côte :
fol, quatre,
•»
fôle ;
o
»
eu
»
bleu :
jol, huit.
»
cheule ;
u
»
ou
»
fou :
lui, cinq.
»
loule ;
ii
»
u
»
nature :
zUl, neuf.
»
tsùle.
Le volapiik n'a pas de diphthongues ; on prononce séparément
chaque syllabe ou voyelle : lein. lion, pron. lé-ine ; laud. alouette,
pron. la-oude.
— 6:-} —
Les consonnes se prononcent connue en français, sanf quatre, à
savoir :
c, comme j anglais : cil, enfant, se prononce djile ;
g, » gic français : glok, pendule, » glauque ;
j, » c/i français : ]eY al, cheval, » cheval;
z, » 2 allemand : zif, ville, » isife.
La lettre h est toujours fortement aspirée.
Quanta l'accentuation, elle est la même qu'en français; l'accent se
trouve donc toujours sur la dernière syllabe : dunele, à l'auteur, se
prononce dounélé.
Les no7ns propices ne se traduisent pas ; on les prononce et on les
écrit avec l'orthographe propre au pays auquel ils appartiennent.
Seuls, les noms géographiques des grands Etats, ont une dénomina-
tion spéciale: Fient, la France; Nelij. C Angletey^re : Deut [déout),
l'Allemagne.
SUBSTANTIF.
Tous les noms sont du genre masculin, excepté ceux qui désignent
particulièrement des êtres féminins. Dans ce cas. on ajoute le préfixe
ofau nom masculin, ou le préfixe jï, lorsqu'on veut préciser le genre
naturel ; cette variante n'est pas adoptée par tous les volapiikistes. Ex :
Pul, le garçon ; of-pul, la fille.
'Blod, le frère ; oî-hlod, la sœur.
Tideli l'instituteur ; oî-tidel, l'institutrice.
Kat, le chat ; ji-kat, la chatte.
Suivant quelques-uns, on pourrait donc exprimer une différence, en
disant : ji-tidel, pour désigner la femme d'un instituteur, et ji-blod
pour la sa'wr, réservant of-blod pour indiquer une religieuse. — De
même, ji-leson signifierait une prmcesse mariée, taiidis que of-leson
se traduh^ait plutôt ^3iV princesse non mariée.
L'article défini et l'article partitif n'existent pas on volapiik. Il n'y
a qu'une seule déclinaison . qui est la même pour les autres parties
- ft4 -
déclinables du discours. Le pluriel se forme en ajoutant un s au
singulier :
Singulier. Pluriel.
N. Man, (un) Vhomme.
G. Mana, (d'un) deV homme.
D. Mane, a un) àVhotmne.
A. Mani, un) Vhomme.
V. O Man, — ô homme !
Mans, (des)
Manas, (de)
Mânes, (à des)
Manis, (des)
O Mans, —
les hommes,
des hommes,
aux hommes,
les hommes,
ô hommes!
Pour les noms propres, le génitif et le datif se rendent parles pré-
positions de et al (ou len). — On peut leur appliquer la marque du
pluriel ('s), s'il y a lieu. — Ex : de Schleyer, de Schleyer ; al [len)
Schleyer, à Schleyer.
ADJECTIF.
L'adjectif est ordinairement formé du substantif, auquel on ajoute
la terminaison ik: tien, ami; flenik, amical; gud, bonté; gudik,
bon ; bad, 7nal ; badik, mauvais ; fluk, fruit : flukik, fertile.
Il reste invariable et se place toujours après le substantif auquel il
se rapporte. Ex : tab boadik , une table de bois ; buks gudik, de
bons limbes.
Mais s'il est pris substantivement , l'adjectif doit être décliné.
Ex : liegiks e pofiks , les riches et les pauvres.
Remarques. — 1" En ajoutant la désinence os (neutre de om) à
l'adjectif, on en forme un substantif neutre. Ex: gudik, bon;
gudikos , le bien.
2° Les adverbes qualificatifs se forment des adjectifs par l'addition
d'un o. Ex : gudiko, bien; gudikumo. mieux.
3" Quant aux degrés de comparaison , on ajoute au positif la termi-
naison um pour le comparatif, et tin pour le superlatif. Ex : gletik,
grand ; gletikum, p/tts grand; gletikiin, le plus grand.
Ajoutons que les conjonctions aussi Qi que se rendent par so et ka.
Ex : binob so yujiik ka om , je suis aussi jeune que lui.
Adjectifs numéraux.
Les nombres cardinaux, ainsi que les ordinaux, se placent après le
- 65 -
substantif qu'ils déterminent et restent invariables. La conjonction e
sert à réunir les unités aux dizaines, que l'on écrit en un seul mot :
1. Bal,
2. Tel,
3. Kil,
4. Fol,
5. Lui,
6. Mal,
7. Vel,
8. Jol,
9. Ztil,
00. Tuin(i;,
01. Tumbal,
10. Bals, 11. Balsebal, 21. Telsebal.
20. Tels, 12. Balsetel, 32. Kilsetel
30. Kils. 13. Balsekil, 43. Folsekil.
40. Fols, 14. Balsefol, 54. Lulsefol.
50. Luis. 15. Balselul, 65. Malselul.
60. Mais, 16. Balsemâl, 76. Velsemal.
70. Vels, 17. Balsevel, 87. Jolsevel.
80. Jols. 18. Balsejol, 98. Zulsejol.
90. Ziils, 19. Balsezul, 99. Ztilsezul.
900. Zultum, 1000. Mil, 10000. Balsemil.
109. Tumztil, 1900. Balmil zliltuni, 19000. Balsezulmil
Un mil'ion, balion ; un milliard, baliad ; un billion, telion ; etc.
Les ordinaux et leurs corrélatifs se forment par l'addition des dési-
nences id et ik :
Balid, premzer; balik, simple. — Teliô., second; telik, double. —
Kilid, troisième; kilik, triple. — Tumid, centièîtie ; tumik ,
centuple , etc.
En ajoutant à ceux-ci les terminaisons o , na , no , nik , nalik, on
obtiendra les locutions adverbiales correspondantes, ainsi que d'autres
adjectifs numéraux indiquant la répétition, etc. Ex :
Balido , premièrement ; telido , secondem,ent ;
Baliko , simplement ; teliko , doublement ;
Balna , une fois ; telna , deux fois ;
Balidna, la première fois ; telidna, la deuxième fois ;
Balidno , pour — — telidno , pour — —
Balnik , d'une espèce ; telnik , de deux espèces;
Baliialik, qui se répète une telnalik , qui a lieu deux fois,
fois.
Chaque nombre cardinal peut devenir substantif, en ajoutant el.
Ex : Kilel, un trois ; telel , un deux ou une paire ; kilsel , une
trentaine; balsetelel, une douzaine; tumel, une centaine; etc.
(1) Du mot yel, Vannée., on formera yeltum, le siècle.
66 -
L'addition du mol dil , partie, sert à former les nombres fraction-
naires. Ex :
Teldil(l), un demi; kildil , un tiers; foldil, un quart; etc.
Telsdil, la vingtième partie ; tumdil, la centième partie ; etc.
Le même principe est appliqué dans la nomenclature des jours de la
semaine , qu'on peut exprimer sous deux formes ; il en est de même
pour les noms des mois. En voici la liste :
Baldel ou soldel, dimanche ;
Teldel » mundel, lundi;
Kildel » tusdel, mardi;
Foldel ou vesdel, mercredi;
Luldel » dodel, jeudi;
Mâldel » flidel, vendredi;
Veldel ou zâdel, samedi.
Balul ou yanul, Janvier ;
Telul A febul, février;
Kilul » mâzul, mars;
Folul » apui, avril;
Lulul >■ mayul, mai;
Mâlul > yunul, Juin;
Velul ou yulul, Juillet ;
Jolul » gustul, aoiit;
Ziilul » setul, septembre;
Balsul » otul, octobre;
Balsebalul >^ novul, novembre ;
Balsetelul » dekul, décembre.
L'indication du temps peut se rattacher à ce chapitre.
On indique le temps k l'aide des mots glok ou dtip 'heure , et en se
servant des nombres ordinaux. — On mentionne d'abord les heures,
puis le quart ou la demi-heure, ensuite les minutes et les secondes.
Ex : Binos diip mâlid e lafik. il est six heures et demie ;
Diip telid e foldils kil, deux heures et trois quarts ;
ou diip telid e miirnts folselul , 2 heures et 45 minutes.
On procède de même pour la date : l'an, le mois, le jour et l'heure.
Ex : Lille, ba] mil joltum jolselul, velul balsid, diip ziilid
godela,
Lille,, le i(i Juillet 1885, à neuf heures du m.atin.
(1) On dit aussi lafik, demi, de laf, moitié (pour l'indication des heures).
— 67 -
PRONOM.
I. — Oiitro les quatre ^vonoms personnels, ob, ol, om, of (je , lu,
il. elle) el obs, ois, oms, ofs (nous, vous, ils, elles), qui se déclinent
comme les substantifs :
S. N. Ob, je ; PI. N. Obs. nous ;
G. Oba, de moi; G. Obas, de nous ;
D. Obe, à moi: D. Obes, à nous;
A. Obi, me ; A. Obis, nous ;
il y en a quatre autres qui sont : ons, le vous de la conservation
(au plur. onss, pron. once); os, le neutre de om, il, (le, ce); on ,
l'indéfini on; et ok, le réfléchi se.
II. — Les pronoms et adjectifs possessifs dérivent des pronoms per-
sonnels , terminés par ik : obik, mon, le mien ; obsik, noire, le
nôlre , etc. que l'on peut remplacer par le génitif des pronoms oba ,
obas, etc., s'il y a trop de désinences ik dans la phrase. Ex :
Mot g-udik obsik ou obas, notre bonne mère.
Ajoutons encore onsik, onssik, vôtre, le vôtre; et onik, le sien,
ce qui appartient à quelqu'un. — Les adjectifs possessifs se placent
après le substantif qu'ils déterminent et restent invariables ; mais,
employés comme pronoms, ils se déclinent et s'accordent avec le mot
auquel ils se rapportent.
III. — Il en est de même pour les adjectifs démonstratifs, lorsqu'ils
sont employés pronominalement. On les traduit par at {celui-ci,
ce. . . . ci) et par et [celui-là, ce — là) ; mais comme pronoms , ils
peuvent être rendus par atof, etof pour le féminin, et par atos, etos
pour le neutre (ceci, cela), surtout s'il s'agit d'éviter toute équivoque
dans la phrase. Ex :
Man at e vom et, cet homme-ci et cette feTnme-là.
At binom dutik et no binom, celui-ci est appliqué , celui-là
ne l'est pas .
On emploie ut, uts, utof pour désigner celui, ceux, celle.
Ex : Dom at binom ut kôsena olik , cette maison est celle de
ton cousin. Ces pronoms se déclinent comme les précédents ; les
terminaisons sont identiques : at, ata,ate, ati; ats, atas, ates, atis.
Ex : Sagob osi ate : lemolod obse atosi,./e le dis à celui-ci:
achète-nous ceci.
IV. — Les pronoms interrogatifs se rendent par kim, qui^. (masc.)
kif, qui'i. (fémin) et kis, quoi, que, qu est-ce que'? et sont déclinables.
Comme adjectifs, ils deviennent kiom, queH kiof, quelle'? 'klos,
queH (n.) Pour mieux préciser, on dit kimik [quelle sorte de) pour
les deux genres.
De ces formes principales dérivent encore d'autres adjectifs et
adverbes interrogatifs que nous ne pouvons tous énumérorici. tels que
kimid, le quantième'? kikod pourquoi'! kiiip, quand'? kiop, où"?
etc..
V. — Les pronoms relatifs se traduisent par kel (qui. que, lequel)
pour les deux genres, etkelos (ce qui, ce que) pour le neutre. En cas
d'équivoque, le féminin se rend par kelof. Ex :
Mans kelis elogob, les hommes que f ai vus.
Nolob kelosi vilom, je sais ce qu'il veut.
Mot sola at, kelofi elogol, la mère de ce monsieur que tu as vue.
On rend quiconque et quoi que pour aikel, aikelos, déclinables
aussi
Ex : Aikel binom badik binom nelabik . quiconque est
m-échant est malheureux.
Ai kelosi sagom. ogolob bifo, quoi qu'il dise, j'irai en avant.
VI. — Parmi les pronoms et adjectifs indéfinis, nous ne citerons
que ot [le même) , qui devient it ou sago , suivant qu'il est adjectif ,
pronom ou adverbe, comme dans l'exemple suivant :
Del ot, le mém,e jour ; del it, le jour même; delsago, même le
jour. 11 y a aussi diverses manières d'exprimer en et y, suivantlesens.
VERBE.
Pour former un verbe à l'infinitif, il suffit d'ajouter on au substantif,
qui n'est autre que le radical même du verbe. Ex : plik, la langue;
piikon, jOftWer. — Tik, la pensée; iikon, penser. — Les verbes
n'ont qu'ujie seule conjugaison, avec forme active, îorme passive et
forme réfléchie.
- 69 -
1. — Verbe actif.
En faisant suivre lo substantif des pronoms personnels, on obtient le
présent de Vindicatif. Ex :
Ti^db, je pense; tikobs, nous pensons;
Tikol, tu penses; tikols, vous pensez;
Tikona, il pense; tikoms, ils pensent;
Tikof, elle pense; tikofs, elles pensent.
Tikon, on pense;
On forme les autres temps du mode indicatif, en plaçant devant le
radical les augments a, e. i. o, u ; les temps dérivés sont alors carac-
térisés par certaines désinences, qu'on ajoute aux temps primitifs.
A. — Temps prirnitifs.
1. Indicatif présent (sans préfixe) : ii^oh., je pense ;
2. Imparfait, avec » : a , je pensais;
3. Passé indéfini, » » : e ., j'ai pense;
4. Plusqueparfait, >> » : i — , f avais pensé ;
5. Futur, » » : o ^ je penserai;
6. Futur antérieur, » » ; u , j'aurai pensé.
B. — Temps dérivés.
i. Le conditionnel se forme en ajoutant ov à l'imparfait et au plus-
queparfait de l'indicatif: Sitik.oh6v , je penserais ; itik.oh'6^r , j'aurais
pensé.
2. L'impératif se tire des divers temps de l'indicatif, auxquels on.
ajoute le suffixe od ; cette terminaison se remplace par la désinence
os, s'il s'agit d'un souhait plutôt que d'un ordre. Ex :
Fient lifomos ! Vive la France!
S. On obtient le subjonctif, en ajoutant le suffixe la aux temps cor-
respondants de l'indicatif; mais ce mode est rarement employé en vola-
pùk, les deux formes de l'impératif pouvant y suppléer. Cette désinenc»'.
[la], qu'on relie au verbe par un trait d'union, n'a jamais l'accent
(tikob-la), de même que li interrogatif. Ex :
Etikob-la, que j'aie pense; itikob-la, que j'eusse pense; etc.
- 70 -
Remarque: On l'ond l'interrogation k l'aide du préfixe li . suivi du
trait d'union ; mais cette particule devient inutile, quand la phrase
commence par un adverbe ou un pronom interrogatif. Ex :
Li nolol nuni ? sais-tu la nouvelle ?
Kiop ogolom? li-al Lisbonne? OU ira-i-il? A Lisbonne"^.
C. — Temps invariables.
1. Infinitifs. — Ainsi que nous l'avons dit en tête de ce chapitre,
l'infinitif se termine toujours parle suffixe on. — Pour distinguer le
passé et le futur du présent, il suffit d'ajouter à celui-ci l'augment e
pour le premier et o pour le deuxième. Ex :
Pelon, payer; epelon, avoir payé; opelon; devoir payer.
2. Participes. — Pour former le participe, on fait suivre le radical
du suffixe ol. Ex : plikol, parlant ; eptikol, ayant parlé: optikol,
derant ou allant parler . Les participes peuvent être pris substantive-
ment et se décliner comme tels.
II. — Verbe passif.
La lettre p est la marque distinctive du passif; elle précède les
temps de l'actif: pour le présent, qui commence toujours par une con-
sonne,on lui intercale un a. Pa, pâ pe, pi, po, pu, sont par conséquent
les syllabes préfixes des temps de tout verbe employé au passif. Ex :
Palofob, je suis aimé (on m'aime) ; povokom, il sera appelé (on
l'appellera) ; etc.
III. — Verbe réfléchi.
En volapiik, les verbes actifs seuls prennent la forme réfléchie, qui
se rend, soit en ajoniant le pronom réfléchi okaux diverses personnes
du verbe, soit en répétant le pronom personnel à l'accusatif. Ex :
Lofobsok, ou lofobs obis, nous nous aimons; etc.
S'appliquer, .^'enfuir, olc. se traduisent donc simplement par duton,
mogonon, etc.
- 71 —
IV. — Verbe impersonnel.
Les verbes impersonnels sont formés par le suffixe os. Ex
Lomib (pluie), lomibos, il pleut: tôt (tonnerre), etôtos , il a
tonne ; nif (neige), onifos, il va neiger ; etc.
Cette désinence s'ajoute aussi à d'autres verbes accidentellement
impersonnels, c'est-à-dire chaque fois que le pronom (il, on^ ce) repré-
sente quelque chose de vague, dont on retrouve l'expression dans
l'attribut apparent ou dans le complément direct apparent. Ex ;
Jinos das binos valik , il paraît que c'est tout ;
Pasagos das no binos lefulik , on dit que ce nest pas par/ail.
Remarques.
1" Quant aux- verbes auxiliaires, ils n'existent pas en volapiik ,
puisqu'ils sont remplacés par les augments ou préfixes e , i , u pour le
verbe avoir, et par les préfixes pa, pu, pe, pi, po , pu pour le verbe
être. Mais, employés dans leur sens propre, on les traduit par labon
(avoir) et par binon (être). Ex.:
Labobs bukis , nous avons des livres ; binom namel , il est
artisan; elaboms seki, ils ont eu du succès.
2° Il est aussi convenu que, dans certains cas douteux, on peut
traduire par binon le verbe être qui accompagne les verbes actifs ,
employés passivement. Ex :
Palofob , Je suis aimé, soit binob palofol ou pelofol ;
Pilofom , il avait été aiTné, soit ibinom » »
Les derniers chapitres , relatifs aux autres parties du discours , ne
renfermant au fond que des listes de petits mots, d'ailleurs fort inté-
ressantes à étudier, nous nous permettrons de les passer sous silence
et de donner ici un exemple de dérivation :
Rad. Piik , la langue.
i° AVEC suffixes:
Piik, langue; ptikik , qui a rapport à la langue ; plikatidel, pro-
fesseur de langue ; plikapok , faute de langue ; ptikon ,
parler ; piikônamod , façon de parler ; motapiik , langue
maternelle ; volapiik, langue universelle.
- 72 -
Piikat , discours ; pukatil , petit discours ; ptikaton , prononcer
un discours /^telaplikat, dialogue.
Piikav, philologie ; ptikavik , philologique.
Ptiked , sentence ; piikedik , sentencieux ; piikedavod , proverbe ;
pùkedavodik, proverbial ; valaptiked, devise.
Ptikel , orateur ; piikelik , oratoire ; ptiketil , petit babillard >
mopiikel , polyglotte.
Piikof, éloquence; ptikofik , éloquent; ptikofav , rhétorique;
piikofavik , qui a rapport à la rhétorique, à l'art oratoire.
Piikot, causerie, entretien; ptikotik , loquace, affable; -pii]s.oi6f ,
faconde, affabilité; okopiikot , monologue.
Ptiklib , phraséologie.
2° AVEC PRÉFIXES :
Biplik , préface.
Deptik, contestation; deplikon, contester.
Geptik, réponse; geptikon , répondre.
Leptik , affirmation; leptikôn, affirmer; lepiiked, maxime.
Lenptik , harangue ; lenpukon , haranguer.
Libopiik, acquittement; liboptikôn, acquitter.
Luptik , babil ; luplikel , babillard , bavard ; luplikon , bahiller ,
bavarder; luptiken, commérage; lupiikot, hâblerie;
luptiklam , bégaiement ; lupiiklel , bègue ; luptiklon ,
bégayer.
Mipiik , lapsus linguœ ; miplikon , se tromper en parlant.
Neptik , silence ; neplikik , silencieux ; neplikon , se taire.
Sepiik, prononciation; septikik, exprimable ; sepùkad, prononce
d'un jugement ; seplikam , articulation ; sepukon ,
exprim,er.
raplik, contradiction ; tapiikâl, esprit de contradiction; taptikon,
contredire.
CONSTRUCTION.
Nous avons déjà dit que le volapùk emprunte au français sa cons-
truction , recounue pour être la plus nette et la moins compliquée de
toutes les langues de l'Europe. — Terminons, en rappelant ce principe
général que le déterminé doit toujours précéder le déterminant, ei
que, par conséquent, dans une série de phrases composées, ce sera
— 78 —
toujours la proposition déterminante qui suivra la proposition déter-
minée. — On peut en excepter un ."eul cas, lorsqu'il s'agit de propo-
sitions secondaires , reliées par des conjonctions de subordination
autres que das (que).
Ajoutons enfin les quatre règles principales de construction, que
M. Kercklioffs a résumées connue suit :
1° L'aHjectif, soit déterininatif, soit qualificatit, suil le subslantif :
Flen obik vemo lofik, mon très cher ami.
Remarque : Les adverbes de quantité , étant considérés comme
préfixes, précèdent l'adjectif qu'ils déterminent [vemo lôf'ih, très cher).
2" Le sujet se place avant le verbe , quelle que soit la nature de la
phrase :
Flens olsik li-komoms ? Vos amis viennent-ils ?
3" Le complément et l'attribut suivent le verbe :
Logob oim,Je le vois ; ptikon gudiko , l)ien parler.
Remarque : La négation , ainsi que les pronoms , adjectifs et
adverbes d'niterrogation , peuvent seuls précéder le verbe :
Moni LLmodik labols ? Coînbien d'argent avez-vous ?
Kikod no ptikoms ? Pourquoi ne parlent-ils pas ?
4" Les difiérents compléments se suivent dans l'ordre de leur impor-
tance dans la phrase. C'est ainsi que le complément direct précède le
complément indirect , et que les compléments adverbiaux de temps
suivent innnédiatement le verbe :
Sedom ofen moni blode omik , il envoie souvent de l'argent à
son frère.
Il y aurait encore a traiter des idiotismes et de la formation des
mots, mais le temps et l'espace nous manquant, nous ne pouvons que
renvoyer nos lecteurs aux divers ouvrages publiés sur cette question,
et spécialement au Cours complet de Volapûk, par M. Aug. Kerckhoffs,
professeur à l'École des hautes études commerciales et secrétaire-
général de l'Association française pour la propagation du volapiik ,
Paris, 1886, librairie H. Le Soudier,
E. Delessert.
-»74-
NOUVELLES ET FAITS GÉOGRAPHIOUES
I. — Géographie scientifique. — Explorations et découvertes.
ASIE.
Frontière Rasso - Afghane. — Un nouvel incident s'est produit entre
les membres ançrlai?; et russes de la Commission de délimitation de la frontière
Afghane. 11 s'asic de la ville de Khodjali-Saleh , sur l'Aniou Daria , que les Russes
voudraient attribuer au territoire de Merw, tandis qu'elle appartient depuis trente-
cinq ans, d'après les Anglais, à l'Afghaiu-^ tan. La perte de cette localité, qui est
entourée des deux cotés de déserts et qu'une bande étroite de terrain fertile relie à
Balkh, aurait pour résultat de diminuer considérablement la longueur de la rive
Afghane de l'Amou-Daria.
Ce différend n'a pas encore été tranché.
Voyage (le lllI.Capuset Bonvalot dans l'Asie centrale. —
C'est de Batoum, ville récente qui appartient aux Russes depuis 1878 et qui, depuis,
est en pleine prospérité, que MM. Capus et Bonvalot sont partis. Ils ont pris d'abord
la ligne de chemin de fer qui gagne Bakou sur la Caspienne par Tiflis et qui esc ali-
mentée principalement par le pétrole transporté dans des wagons-réservoirs. Puis ,
désireux d'éviter les sentiers battus, ils ont quitte la voie ferrée à la station d'Had-
ji Kaboul. La poste russe les a menés par Salian à travers une immense plaine de
boue argileuse jusqu'à Lejikoràn; petit port ouvert aux vents du large, où mouillent
les steamers qui font le service de la Perse.
De là, à cheval et par des chemins fort difficiles, nos voyageurs ont suivi la corniche
du Talych en passajit par Astara, En/eli, les forêts de Ghilaii et Recht. Les habitants
de Talych sont d'origine turque et sont d'une paresse à toute épreuve, habitant
souvent de misérables paillotes en roseau pendant que le bois est à portée de leur
hache. A peine vêtus, ils supportent les rigueurs du climat avec facilité ; l'agriculture
est dans l'enfance.
D'Enzeli les voyageurs ont atteint Téhéran par Kasbine. Ils se proposaient de
gagner le Turkestan et la Bactriane pai' Meched, Sarachs et Merw.
Aux dernières nouvelles , nous apprenons l'arrivée de la mission à Tscliardschui
sur l'Amou-Daria. Les explorateurs ont eu beaucoup à soufl'rir de la chaleur, 44" en
moyenne à l'ombre. En traversant le désert qui s'étend entre Merw et l'Amou-Daria,
ils ont fait la triste découverte de six voyageurs indigènes morts de soif. Un accident
avait ci'evé les outres qui contenaient leurs provisions d'eau.
Explorations de M. le colonel liockhart et de Al. le colonel
Woodtliorpe dans le Uadakclian. — Une mission anglaise, d'abord
— 75 —
sous les ordres do M. le colonel Lockhart, pui> de M. le colonel Woodihorpe, par-
court en ce moment un des pays les moins connus de l'Asie centrale, le Badakchan.
Go hardi voyage, dans un pays limitrophe de la Roukharie et occupant environ sur
la longueur d'un degré les deux rives de TAmou-Dai-ia, a cause en Russie de vives
inquiétudes. On a vu là une tentative de l'Angleterre de s'établir solidenient sur le
fleuve principal de l'Asie centrale et de contrecai-rer ainsi un des projets favoris de
la Russie : la création d'un service de navigation à vapeur depuis la mer d'Aral
jusqu'à la Boukharie et à la frontière de l'Afghanistan.
Mais il paraîtrait que l'expédition anglaise n'a pas de si hautes visées. Il s'agirait
seulement de ramener à ses devoirs envers l'Afghanistan l'émir du Badakchan, qui
se sent entraîner vers le Tsar blanc.
l.es Auglaii^ eu Birmanie. — Une entente est intervenue entre l'Angle-
terre et la Chine au sujet de la Birmanie.
L'Angleterre reconnaît la suzeraineté de la Chine sur la Birmanie et admet que la
mission décennale envoyée par ce pays à la Cour de Pékin, depuis le XI» siècle,
avait pour but de payer tribut. L'Angleterre s'engage , pour l'avenir, à faire partir
cette mission dans les délais prescrits.
D'autre part, le Gouvernement britannique consent à rappeler la mission commer-
ciale sous le commandement de M. Colman INIacaulay, qui, du consentement de la
Chine, devait parcourir le Thibet et était prête à se mettre en route, à Darjeeling. La
Chine revient ainsi sur son autorisation, en alléguant la condition des affaires au
Thibet qui est telle que l'apparition d'une mission anglaise serait de nature à provo-
quer des troubles. En retour de ces deux concessions, la Chine promet : délaisser
l'Angleterre administrer comme elle l'entend la Birmanie ; de faire en sorte de faci-
liter le commerce entre cette colonie et le Yunnam, de conclure à cet effet une
convention commerciale ; de désigner une Commission pour déterminer le frontière
birmano-chinoise ; d'encourager enfin le commerce entre la Chine et le Thibet.
Tout cela ne constitue qu'une série de promesses vagues, tandis que la suzeraineté
de la Chine sur la Birmanie est positivement reconnue.
L'Angleterre, on le voit, n'a pu obtenir la possession de Bhamo qui, on le sait, est
le principal entrepôt du commerce de la Birmanie avec la Chine.
Port-LiazarefF à la Russie. — Comme compensation de l'occupation de
Port-Hamiltonpar l'Angleterre, la Russie vient de prendre possession de Port-Lazareff.
Port-Lazareif, appelé ainsi du nom du général qui s'est illustré à la prise de Kars,
est situé sur la côte Est de la Corée , dans la baie de Broughton, c'est-à-dire dans la
belle échancrure de la côte qui tient les meilleurs ports et les plus beaux mouillages
du Royaume.
Port-Lazareff est en face de Gensan, port ouvert au commerce depuis 1880, à l'Est
de la ville de Yon-Fun et près de l'embouchure de la rivière Dungon.
La Russie le convoitait depuis longtemps, parce qu'il est accessible en toutes
saisons;il remplacera avantageusement Wladivostock, qui est obstrué par les glaces
chaque année pendant de longs mois. Port-Lazareff est, de plus, situé dans l'une des
provinces les plus riches et les plus peuplées delà Corée.
Port Lazareff est une rade de huit milles cari'ées, à laquelle on arrive pai- un chenal
large de deux milles ; cette position est donc facile à défendre du côté de la mer, et
une rangée de montagnes l'entoure vers la terre.
Port-Lazareff est à 390 milles du Sud de Wladivostock, à 900 milles de Shanghaï et
à 1200 de Yokohama.
— 76 —
AFRIQUE.
LiCS Auglais sur le ]\'l^er et le Renoué. — Depuis que la Confé-
rence de Berlin a abandonné à l'Angleterre le bassin du Niger et du Bénoiié, les
Anglais n'ont pas perdu leur temps pour s'assurer des avantages qui leur étaient
concédés.
Après avoir acquis les droits de la Compagnie française qui s'était établie sur les
rives de ces deux cours d'eau, la National african Company, Usons-nous dans la
Gazette géographiqne, a confié à M. G. Thom.son le soin de conclure avec tous les
chefs dont l'autorité s'exerçait sur le Niger et le Bénoué, des traités lui assurant le
monopole du couunerce. Elle vient, en outre, d'obtenir une charte d'incorporation
qui confirme ses droits souverains sur 50 kilomètres de territoire le long du Niger et
du Bénoué. lui donne de pleins pouvoirs d'administration , l'autorise à percevoir des
impôts pour couvrir les frais de cette administration et lui accorde la faculté de se
faire concéder de nouveaux territoires.
C'est donc une nouvelle colonie anglaise créée au centre de l'Afrique ; c'est la
prise de possession de la plus grande artère fluviale de ce continent après le Congo.
Ijes expEorateua's de la rég;iou du Cameroun. — On sait que
l'Allemagne occupe la région du Cameroun et que ses possessions s'étendent de la
rive gauche du Rio del Rey jusqu'à la rive droite du Rio Campo, en pays Batanga,
sauf la petite enclave de Victoria, qui demeure possession anglaise.
Depuis que l'Allemagne a planté son pavillon au Cameroun, de nombreux voya-
geurs l'ont exploré en tous sens : le docteur Flegel, Pauli, Langhans, Hugo ZoUer,
enfin, tout dernièrement, le docteur Bernard Schwarz, qui, en quatre mois et demi, a
fait tout le tour du massif.
Le Cameroun vient d'être également visité par deux Suédois, MM. G. Valdau et
K. Knutson, qui ont publié une relation de leur intéressant voyage dans les Deutsche
Geograpliische Blattcr, de Brème. Leur itinéraire, plus ou moins parallèle à celui
du docteur Bernard Schwarz, les a conduits, par le lac Richard jusqu'au lac Balombi-
ba-mbou, à l'ouest de la route de Schwarz JDe ce point terminus septentrional de
leur voyage, ils se sont dirigés vers l'Ouest en suivant le parallèle du k^ôiY lat. Nord,
de Bakoundouba-boa jusqu'à Baloundou, par 9"2' long. E., en traversant la région
des sources de plusieurs rivières appartenant au bassin du vieux Calabar. De là,
franchissant le Même, cours moyen du Rio del Rey, ils ont regagné la côte, à Betikka,
en longeant le pied occidental du Cameroun.
Elit délimitation du Qabeu et dia Congo français. — Le ministre
de la marine, au moment du départ de MM. de Brazza et Ballay pour leurs postes
respectifs, a délimité les territoires du Gabon et du Congo fi-ançais par une ligne
qui, de Njolé sur l'Ogôoué, se dirige sur Kabamoucka (Baudoinville), poste de
Quillou, etqui de Kabamoucka va rejoindre les frontières des possessions portu-
gaises et de l'Ktat libre du Congo.
La Mission l<'raiic*aise de délimitation. — Nous avons, grâce au
journal le Temps, des détails précis sur l'œuvre de MM. Rouvier et Ballay, délégués
du Gouvernement de la République pour la délimitation de nos nouveaux établisse-
ments du Congo.
- 77 -
Partie de Bordeaux le 20 juin 1885, la délégation, h laquelle on avait adjoint M. le
capitaine Pleigneur pour les levés topographiques, touchait d'abord à Dakar. Elle y
engageait des laptots pour l'escorte et y achetait une douzaine d'ânes, pour faire au
Congo un e^isai d'acclimatation de ces animaux, essai qui a entièrenjent réussi ; car
ils ont parfaitement résisté au climat et rendu les plus grands services à la mission.
Par Libreville, ou arriva à Loango où le docteur Pallay organisa la caravane pour
l'intérieur, tandis que le conuuandant Rouvier se rendait à Vivi, quartier général de
l'État libre, auprès de l'administrateur général sir F. de Winton. On sait que le
créateur de Vivi n'a pas été heureux sur le choix de cette station qu'il a fallu d'abord
déplacer, ensuite transporter sur la rive opposée à Matali, qui est d'un abord plus
aisé.
Le départ de Loango eut lieu le 2 septembre. La caravane, qui comptait deux
cents porteurs, arriva en suivant la plage jusqu'au Quillou qu'elle remonta par eau,
en pirogue, jusqu'au poste français de N'Gotou.
Là, à cause des rapides, on abandonna la voie fluviale et on se dirigea par la route
de terre sur Macabana et F'hilippeville en passant par les postes de Scanley-Niadi et
de Stéphaniéville. Enfin de là, à travers une région très accidentée, difficile au
dernier point et au milieu de populations hostiles , on arriva cependant sans
encombre à Manyanga sur les bords du Congo.
C'est laque fut signé avec les délégués de l'Etat libre, le procès-verbal fixant la
limite sur le Bas-Congo des possessions des deux États.
Cette première tâche terminée, le 24 novembre, la mission se remettait en marche,
en suivant la rive droite du fleuve, par un route très accidentée, très difficile, s'arrê-
tait vingt-quatre heures sur le Stanley-Pool à Linzolo, à la mission dirigée par le
père Augouai'd, et le 1"'' décembre arrivait; enfin à Brazzaville, qui est devenu le
centre d'un marché d'ivoire des plus importants.
Là, la délégation s'embarqua sur la chaloupe à vapeur le Ballay, et remonta le
Congo, en s'arrètant d'abord à Ny antchou, poste français voisin de la résidence du
roi Makoko. On remonta le fleuve en fouillant la rive droite afin de reconnaître les
divers affluents, le Lefini exploré par M. de Brazza, le N'Keni, dont on ne connaît
que le cours inférieur, la N'Kémé, petite rivière inexplorée, l'Alima, la Likuala, le
Sangha et enfin l'Oubanghi. On constata qu'il n'y a pas d'affluent direct du Congo
qui porte le nom de Licona, à moins quq,ce ne soit la Likuala.
Le 9 janvier, les délégués arrivaient à Noundja, poste français créé par M. Dolisie
sur la rive gauche de l'Oubanghi. Ce fleuve n'aurait pas l'importance qu'on lui a
assignée. 11 n'est pas même navigable pour un canot à vapeur. M. Rouvier l'a
remonté jusqu'à environ 22.3 kilomètres de son confluent. 11 se dirige à peu près
au Nord.
Le 26 janvier, on fixa par 0' 6' 20' de latitude Sud le point frontière des deux
puissances. Les travaux des délégués on établi en outre que la Licona Nkoudja des
cartes et du traité n'est autre chose que l'Oubanghi.
Le retour a eu lieu par l'Alima ; pour atteindre cette rivière, AL Rouvier suivit
cette fois la rive gauche du Congo, en s'arrètant à N'Gombé et à Loukoiela, stations
de l'Etat libre, aujourd'hui abandonnées Puis, la mission s'engagea dans l'Alima
jusqu'à Lékéti, et pi'it la route de Brazza jusqu'à l'embouchure de l'Ogoôue d'où elle
gagna le Gabon.
La mission, en dehors de son rôle politique, a fait d'importants travaux géogra-
phiques. Elle a dressé une carte de nos possessions et déterminé astronomiquement
de nombreuses longitudes.
Faisons remarquer que la frontière a été amorcée en deux points seulement et
- 78 —
que son tracé ne pourra être établi à l'Est et au Sud qu'après une longue et minu-
tieuse exploration des régions entièrement inconnues qui s'étendent au nord du
fleuve, c'est-à-dire, à notre frontière orientale, et de la région presqu'inexplorée du
Congo maritime, oii se trouve une des frontières des deux États.
Aiigra Pequeua. — M. Gœring, Commissaire impérial, vient d'envoyer au
Conseil fédéral un exposé de la situation géographique, cliuiatologique, géologique
et agricole d'Angra-Pequena.
Il résulte de ce document que le grand pays des Namaquas, s'étendant sur une
largeur de 125 kilomètres entre l'Océan Atlantique et l'intérieur, est dépourvu d'eau.
On n'a que la ressource d'imiter ce que font les Boers, de construire des digues
pour arrêter les eaux des rivières pendant l'hiver.
Le sol de certaines vallées est fertile ; cependant le pays ne se prête pas à l'agri-
culture, mais fort bien, au contraire , k l'élève des chevaux et des bestiaux, comme
le prouvent les nombreux troupeaux que possèdent les indigènes. La situation se
présente, dit-on, un peu mieux dans le pays des Damaras.
Le commerce d'exportation pour les conserves de viande salée ne poura toutefois
soutenir la concurrence de l'Australie.
La vente des plumes d'autruche et des peaux de bœuf pourra être avantageuse.
Quant aux mines de cuivre à exploiter, il ne faut pas y songer. Finalement ,
M. Gpering propose d'établir près de Saudwich-HarbouT une fabrique de guano de
poisson et un abattoir.
Mais ce qui donne une valeur capitale à Angra-Pequena, c'est son port excellent
qui en fait une porte ouverte sur l'intérieur de l'Afrique.
Voyag;e de M. («leerup à travers l'Afrique. — Pour la huitième
fois, un Européen vient de traverser, d'une côte à l'autre, la partie centrale de
l'Afrique. C'est M. Gleerup.
On sait que M. le lieutenant Gleerup, agent de l'État indépendant du Congo, a
passé plus de trois ans en Afrique, qu'il a fait, avec le capitaine Hanssens, l'explo-
ration du haut Congo et qu'en dernier lieu, il était commandant en second de la
station des Chutes de Stanley, d'oii il est parti le 28 décembre 1885 pour Zanzibar,
avec une caravane arabe que T ipo-Tipo envoyait à la côte orientale.
Il a remonté le Congo en pirogue jusqu'à Kassongo, franchissant d'abord les sept
chutes de Stanley qui, à proprement parler, ne sont que des rapides.
M. Gleerup les remonta sans peine, mais par terre, en longeant le fleuve, tandis
que les Arabes balaient leurs pirogues le long de la rive. 11 séjourna quelques jours
dans un établissement que Tipo-Tipo a fondé sur la rive droite du Congo et qu'il
nomme Kibongo. De magnifiques plantations de riz, de bananiers, d'arbres fruitiers,
entourent l'établissement. Dans ces pays oii Stanley trouva tant de difficultés en
1877, M. Gleerup a voyagé avec la plus grande facilité.
Cette sécurité n'est due qu'à l'épouvante qu'inspirent les Arabes qui exploitent
le pays.
Sur la rive droite du fleuve, le voyageur a constaté l'existence d'un puissant
affluent, la Lowa, qui, à son embouchure, ne mesure pas moins de 900 mètres. La
Lowa doit drainer toute la région inconnue qui s'étend entre le Congo et le lac
Mouta-Nzigé ; elle descend une succession de terrasses et n'est pas navigable.
En amont du confluent de la Lowa, deux groupes de rapides barrent encore la
route de Nyangoué, les chutes d'Onkassa, que Stanley a reconnues et près desquelles
est mort, le i" décembre 1884, M. Louis Amelot, qui, un an avant M. Gleerup, avait
— 79 -
voulu tenter, lui aussi, le retour par la côte orientale, et des rapides que M. Gleerup
appelle les Wester-Falls, en l'honneur d'un agent de l'État libre.
Le 25 janvier, l'expédition arrivait à Nyangoué, qui depuis 1856 est l'établisse-
ment central des Arabes dans cette région. Le lieutenant ne resta que quelques
jour-; dans cette ville et se hâta de remonter à Kassongo, oii il trouva chez les fils*
de Tipo-Tipo une hospitalité cordiale. *
Le 11 février, il quitta Kassongo et mit un mois k traverser le Manyema, dont il
vante la fertilité. Il atteignit ainsi les rives du Tanganiyka oii il reçut l'hospitalité
du révéï'end M. Hore, qui travaille à monter sur le lac le steamer la Bonne-Nouvelle.
Trente-«trois heures de navigation amenèrent M. Gleerup à Oudjîji.
On quitta le Tanganiyka le 29 mars, en suivant l'itinéraire de Stanley. A Ourambo,
M. Gleerup rendit visite au successeur du fameux Mirambo ; à Taborah, il trouva la
mission des Pères français d'Alger dans une situation des plus prospères; à Mpou-
pouà, il rencontra M. Révoil qui, accablé par la fièvre, se trouvait dans l'impossibilité
de continuer son exploration. Il a été heureux de pouvoir lui prodiguer ses .soins et
l'a ramené k la côte assez facilement , grâce k l'hospitalité des stations allemandes
et des missions françaises et anglaises.
Le 25 juin 1886, M. Gleerup avec M. Révoil, toujours souffrant et porté en hamac,
arrivait enfin k Bagamoyo et s'embarquait pour Zanzibar si bien portant, qu'un de
nos correspondants nous écrit, qu'on eût dit qu'il avait traversé l'Afrique dans un
écrin de velours.
C'est au Mouvement Géographique de Bruxelles, que nous empruntons les détails
qui précèdent.
Ajoutons que M. Pierre-Edouard Gleerup est né k Chicago, de parents suédois, en
1860, et qu'il n'a pai' conséquent que 26 ans.
Voyage de .11. €reorgc»i Révoil au lac Tanganiyka. -M. Georges
Révoil, comme nous le disons ci dessus, est revenu k la côte, et par Zanzibar il a
gagné Saint-Denis (Réunion), d'oii, par le Yarra, il est arrivé k Marseille. C'est une
inflammation de l'iris contractée sur les bords du lac Tanganiyka, qui ne lui a pas
permis de pousser son exploration aussi loin qu'il l'avait projeté.
M. Georges Révoil était parti l'année dernière de notre ville pour Zanzibar, oii il
arriva le P' novembre. Après avoir assez promptement organisé sa caravane, il partit
le 22 novembre pour l'intérieur du continent africain, accompagné d'un interprète
militaire et d'un ingénieur, M. Angclvy, le même qui explora la Rovouma. Le 11
décembre, la petite expédition se mettait en route pour Taborah. Sur les bords du
lac Tanganiyka, M. Georges Révoil a pu enrichir sa collection de plantes et d'in-
sectes. Comme son collègue, l'explorateur Giraud, M. Révoil n'a pas eu k subir la
révolte et la défection de ses pagazis, mais il a enduré de rudes fatigues. Il a vu le
supérieur de la mission de Kipalapola, près de Taborah, et a reçu l'hospitalité k la
station fondée sur les bords du lac Tanganiyka par la Société internationale africaine.
Il est ensuite revenu k la côte parla route du Nyassa , souffrant beaucoup de
l'inflammation de l'iris.
E.es Allemands en Afrique. — MM. Rabenhorst, de Hambourg, ancien
capitaine de vaisseau, qui a été pendant longtemps directeur des comptoirs créés par
M. Woerman dans l'Afrique occidentale, le lieutenant Schmidt, plénipotentiaire du
groupe de la Société de colonisation qui a acheté le territoire dcWitou et les frères
Denhardt, sont partis pour l'Afrique, afin de prendre possession de ce pays au nom
de leurs mandants. Le lieutenant Schmidt avait été envoyé l'année dernière dans
- 80 -
rAfriquc orientale, par la Société de ce nom et avait acquis, pour le compte de cette
dernière, pendant les mois d'août et de septembre 1885, le territoire d'Usapamo, au
sud-ouest de Zanzibar, au moyen d'une série de traités conclus avec les chefs
indigènes.
AMERIQUE.
Départ de AI. Fréd. $$chi;«'afka pour l'Alaska. — M. Fréd.
Schwalka, coimu par ses voyages dans les régions arctiques, va entreprendre un
vovaoe d'exploration dans les montagnes de Saint-Elie, dans l'Alaska. Il se bornera
au côté de cette chaîne qui regarde la mer. L'expédition aura lieu sous le patronage
du New-York Times.
M. Seh\vatka est accompagné du professeur W. Libbey. 11 s'est embarqué le 14
juin à San-Francisco.
Ai^ceusiou du mont T^vekk^va^' par H. H. ^Vbitely. — M. H.
Whitely, le naturaliste voyageur qui a exploré l'intérieur de la Guyane anglaise
et atteint en dernier lieu le pic du mont Roraima , a depuis fait l'ascension du mont
Twekkway, situé à environ 50 milles N.-N.-O. de Roraima, sur la rive méridionale
de la rivière Garimang, au-dessous du confluent de l'Arouima.
Le mont Twekkway n'est pas aussi élevé que le Roraima, mais il est de forme
presque semblable, couronné par un sommet plat, et présentant des versants verti-
caux et un long talus en pente, allant du pied des versants à la Savanne qui couvre
la contrée subjacente. Il diffère du Roraima, en ce que le sommet en est boisé et que
la pente qui se trouve au pied offre dans une partie un accès relativement aisé pour
atteindre la cîme. L'écoulement des eaux présente aussi une différence remarquable ;
sur le Roraima l'eau tombe par-dessus le bord du plateau en formant de magnifiques
cascades, pendant la saison des pluies ; sur le Twekkway, il n'y a pas de chutes
d'eau, et l'eau s'écoule par une cavité d'une grande profondeur située au milieu du
plateau,
M. Whitely a mis douze mois à explorer la montagne et le pays environnant.
Uéliniitation de»» froutières de la République Argentine
et du Brésil. — Une Connnission vient d'être organisée pour la délimitation des
frontières, entre la République Argentine et le Brésil, sur le territoire des Missions.
On sait que les provinces méridionales du Brésil, entre le Paraguay et l'Uruguay,
sont profondément entaillécr: par l'Etat argentin de Corrientcs qui menace ainsi les
communications entre le Rio-Grande du Sud et la métropole. L'extrémité septen-
trionale du territoire argentin a été civilisée par des missionnaires jésuites de langue
espagnole, qui l'ont défendue avec bonheur contre les paulistes portugais. Par les
traités de 1750 et de 1777, la frontière, dans cette région, a été arrêtée aux fleuves
San-Antonio et Pepiri Guassu ; mais , il y a deux ans , l'explorateur Gustave
Niederlin, parcourut ces frontières pour le compte du Gouvernement argentin, et en
revint avec un rapport d'après lequel leur tracé aurait été mal défini, les fleuves
San-Antonio et Pepiri Guassu, coulant beaucoup plus à l'Est, de façon que le Brésil
ne conserverait entre la mer et le territoire argentin, qu'un isthme d'environ 50
lieues. C'est cette difficulté qu'il s'agit de trancher.
— 81 -
D'un autre rôté, une Gonuni.ssion a été également chargée de faire une minutieuse
étude de la région Andine, située entre les sources du Rio Santa-Gruz et la côte du
détroit de Magellan.
Le but de cotte expédition sera de tracer sur le terrain, la ligne internationale de
frontières entre la République Argcniine et le Chili.
OGEANIE.
Départ «le M. le docteur ^clirader et de M. Hugo Koller. —
Les Allemands s'occupent activement d'explorer leurs nouvelles possessions dans la
Nouvelle-Guinée. Une expédition dirigée par M. le docteur Sclirader est partie le
8 février 1886, de Londres, pour Batavia et Cooktown (Nouvelle-Guinée). Une
dépèche a annoncé depuis lors son heureuse arrivée. Elle a pour objet d'explorer le
littoral, en cherchant à pénétrer, si possible, a l'intérieur.
On parle aussi d'une expédition qu'entreprendrait en Nouvelle-Guinée, l'automne
prochain, M. Hugo ZoUer, le correspondant de la Gazette de Cologne, déjà bien
connu par ses voyages aux Gamerouns et à la côte de Guinée.
I%ouvelles aunexions Auj^laises dan«« l'Océauie. — Le Gouver-
nement anglais a pris possession le l''' août d'un nouvel archipel dans la partie
méridionale de l'Ucéan Pacifique, les îles Kermadec.
Ges îles forment un groupe nombreux, situé par le 31* degré de latitude Sud et par
le 178'^' degré de longitude Ouest, à l'Est de l'île Norfolk et au Nord-Ouest de la
Nouvelle-Zélande.
La principale se nomme l'île de Raoul ou du Dimanche. EUe a environ 12 milles de
circonférence ; les bords en sont hérissés de rochers escarpés ; on n'y trouve point
d'endroit propre à jeter l'ancre. On la dit couverte de bois. Elle est presque inhabi-
tée ; on n'y rencontre que quelques blancs, sans doute des matelots échappés à des
naufrages, des déserteurs, etc.
Les autres îles du groupe, sont : Macaulay, le Havre, l'Espérance et les Gurtis.
Elles ont été découvertes en 1793, par une expédition française, placée sous les
ordres du contre-amiral d'Entrecasteaux. Elles sont nonmaées d'après le capitaine
d'un des navires de son escadre, Huon de Kermadec.
L'île Raoul est dominée pai' un volcan haut de 1600 pieds ; les îles Gurtis et Macau-
lay sont des rochers plats qui surmontent la mer de 800 pieds Une famille d'améri-
cains était venue s'établir, U y a une dizaine d'années sur l'île Raoul, et culrivant
un coin de terre sur ce roc, vendait aux navires de passage des légumes et des fruits ;
mais le volcan étant rentré en activité, l'île fut secouée de tremfblements de terre
continuels et cette famille fut obligée de quitter ces parages désolés.
lies Alleuiauds en Océauie. — Non seulement l'Allemagne a occupé
l'archipel Marshall, mais elle a également pris possession des îles Brown et des îles
de la Providence.
— 82 —
REGIONS POLAIRES.
Départ de M. 1%'.-I¥. Gilder. — M. W.-N. Gilder, qui a déjà prie part à
plusieurs expéditions polaires, organise une nouvelle exploration.
Il recrutera un groupe d'indigènes et formera des équipages de chiens dans le
détroit de Cumberland ou dans la baie d'Hudson. Il s'embarquera ensuite, avec tout
son monde, sur un baleinier écossais, et s'avancera vers le Nord aussi loin qu'il le
pourra, probablement entre le cap Isabelle et le cap Sabin. Là, il passera l'hiver i
puis, au printemps, il ira au Fort-Gonger, où il espère trouver ce qui doit rester des
provisions du lieutenant Greely et une grande quantité dv? gibier.
S'il ne peut se rendre directement au Nord par le canal de Kennedy, il traversera
la terre do Schley et explorei-a les contrées adjacentes, qui sont encore inconnues.
Mais s'il réussit à arriver au Fort-Gonger, il suivra l'itinéraire qu'avait trace le
lieutenant Lockwood et tâchera de gagner la pointe la plus septentrionale du
Groëndland, et, si c'est possible, de pousser jusqu'au pôle.
Départ de H. Pcrry pour le Groëulaud. — M. l'Ingénieur Perry, do
la marine des Etats-Unis, est parti pour la Baie de Disco. Son intention est de tra-
verser le Groëndland dans la direction de la Terre de François-Joseph.
Explorations de llll. Ryder et Bloch sur les côtes du
Groenland.— Deux lieutenants de la marine danoise MM. G.-H. Ryder et P.-G.-D.
Bloch, avec le géologue Ussing, ont visité, cet été, les côtes du Groenland, presque
complètement inconnues, qui s'étendent d'Upernavik à la baie de Melville.
II. — Géographie commerciale. — Statistiques.
EUROPE.
Une nouvelle industrie en Suisse. — Dans une réunion , tenue
dernièrement à Saint-Gall, il a été décidé de favoriser l'établissement , en Suisse,
d'une fabrique de lainages légers. Une adresse votée dans ce sens au Conseil fédéral
prie celui-ci d'accorder à cette nouvelle fabrique une subvention destinée aux frais
d'instruction technique et de premier établissement.
Le Manchester Guardian, auquel nous empruntons ce renseignement, donne les
— 83 —
chiffres ci-après rolat.if^: aux importations de lainages et de laines brutes cii Sui.ssc
eu 1885 ; les chiffres sont relevés, par le journal auglais, en livres sterling :
Allemagne
IMPORTATIONS
en Suisse.
EXPORTATIONS
de Suisse.
liv. st.
l.:«3.237
527.602
410.038
105.377
liv. si.
286.958
56.687
16.143
2.137
France
Angleterre
Belgique
La valeur des importations des mêmes marchandises d'Italie, d'Autriche, de
Hollande et des États-Unis s'élève environ, ensemble, à 40,000 livres sterling.
Un musée commercial IVançals à Siaint- Sébastien. — On
annonce la fondation, dans cette ville, d'un musée commercial. Un syndicat vient de
se former, à cet effet, entre les piùncipaux négociants fi'ançais qui y sont établis.
Le musée en question, autorisé pai' le gouvernement espagnol, contiendra des
échantillons des produits des deux pays, France et Espagne. Les spécimens de ces
diverses productions seront groupés, classés et étiquetés suivant leurs espèces , de
façon à ce que le nom et la résidence du fabricant, ainsi que le coût du transport, les
droits de douane, etc., soient très nettement indiqués pour chaque article.
IjC commerce de l'Allemagne avec l'Italie. — Il résulte du rapport
du consul allemand à Milan, sur le commerce extérieur de l'Italie en 1885, que les
importations d'Allemagne en Italie et les exportations de ce pays sur rAUemagne se
sont accrues dans les proportions suivantes, de 1880 à 1885 :
1880
1881
1882
IMPORTATIONS
EXPORTATIONS,
lires.
54.964.000
66.497.000
84.514.000
113.910.000
110.730.000
120.420.000
liri\s.
78.380
67.985
73.058
88.550
109.251
105.250
1883
1884
1885
Un dépôt d'articles Français à Salouique. — On amiouce la iuu-
— 84 —
dation, dans cette ville, de produits frani^-ais dans un établissement qui prendra le
nom de Magasins parisiens de Magédoine.
Patronné par un syndicat de marchands français de France et de Macédoine, cet
établissement qui aura pour siège social la demeure du consul de France à Salonique,
port d'attache de nos grandes lignes méditerranéennes et devant être prochainement
relié au réseau général des chemins de fer européens, paraît destiné à un avenir des
plus sérieux.
Création d'une nouvelle f haïubre de commerce à Paris. —
11 vient d'être créé à Paris une Chambre de commerce italienne. Le but de cette
Chambre étrangère est de concourir à développer le mouvement des échanges entre
la France et l'Italie. Elle se tient à la disposition des négociants français pour leur
fournir les renseignements désirables sur le marché italien. Un musée d'échantillons
des produits qui alimentent principalement le commerce international franco-calien ,
a été annexé à cette nouvelle Chambre de commerce et est tenu à la disposition des
intéressés.
lie traité avec la Grèce. — Le traité de commerce conclu par la Grèce
avec la France est basé sur le systèm.e de la nation la plus favorisée. La France s'en-
gage à réduire les droits d'entrée sur les vins, de 4 fr. 50 à 2 francs ; sur les huiles ,
de 4 fr. 50 à 3 francs ; et de laisser les figues entrer en franchise. La Grèce , de son
côté, r éduit de 50 °/o les droits sur les vins, les soies et la parfumerie.
ASIE.
L'industrie cotonnière dans l'Inde. — D'après des documents statis-
tiques publiés dernièrement par l'Association des filateurs de Bombay, durant les
douze dernières années, le nombre des filatures, dans l'Inde, s'est élevé de 47 en
1876, à 95 en 1886, le nombre des broches de 1,106,112 en 1876 à 2,261 561 en 1886,
enfin, celui des métiers, de 9,389 à 17,455 pour la même période. Le nombre moyen
des ouvriers employés journellement est de 71,!^3 et la consommation moyenne
approximative est de 2,251,214 quintaux anglais représentant 643,294 balles
livres anglaises l'une.
Commentant ces chiffres, le Times of India estime que le capital employé dans les
filatures de l'Inde représente environ 1100 lakhs de roupies, ce qui, au change de
1 schelling 6 deniers, donne 8 millions 1,4 de livres sterling, soit 206 millions 250
mille francs.
I<e commerce français en Chine. — Suivant les journaux anglais,
grâce à l'initiative de M. Kraetzer, précédemment consul français à Sanghai, actuelle-
ment chargé d'aftaires de France à Pékin , une chambre consultative pour favoriser
le dévelt^pement des intérêts commerciaux français et des résidents français de
Sanghaï vient de se créer. Elle se propose d'entrer en communication avec les négo-
ciants et les institutions commerciales de la mère patrie, les colonies françaises et
les territoires placés iious la protection de la France, et ce, au point de vue des
relations commerciales avec la Chine.
Elle correspondra chrectement avec les diflerents ministères et , spécialement.
ceux du coininorcc et des afTaires étranp;èreR, de même avec les agents diploma-
tiques et consulaires français ainsi qu'avec les Chambres de commerce et les autorités
similaires dans les pays placés sous le protectorat de la France.
Ses principaux objectifs seront de s'occuper des changements désirables dans la
législation commerciale, de surveiller les concessions possibles de travaux publics ,
et l'organisation des service-; publics en ce qui concerne le commerce et l'industrie,
tels que les transports par eau et chemins de fer, les conventions postales et télégra-
phiques, les subventions à accorder aux lignes de steamers, etc. Elle se propose égale-
ment d'encourager la fondation d'écoles et d'associations destinées à la propagation
de notre langue. Des rapports sur les procédés de ventes et d'achats dans les pays
de l'Extrême-Orient seront aussi publiés paj' ses soins, et ce, dans des publications
périodiques ou des correspondances, de même que des renseignements sur les fraudes
pouvant être préjudiciables aux intérêts français.
Le comité exécutif se compose de six membres élus pai' l'assemblée générale de
l'association.
AMERIQUE.
lia culture du coton au Mexique. — On mande de Mexico que , par
suite des succès obtenus dans la culture du coton à Monterey, il a été décidé d'établir
dans le voisinage de cette localité une Société pour la plantation et la culture de
cette plante. La récolte sera naturellement destinée à la consommation locale.
I^e commerce à lle^&ico. — Le consul belge résidant au Mexique écrit à la
date du 1"'' janvier 1887 à son gouvernement :
« On distingue trois grandes catégories de maisons de commerce à Mexico.
1° Les maisons de « Ropa » qui ont pour spécialité les tissus de tous genres ;
2" Les maisons de « Ferreteria » qui vendent tout ce qui se rattache à la métallur-
gie et quelquefois la verrerie et les armes ;
3' Les maisons d' « Abarrotes » qui s'occupent de la vente des vins . liqueurs ,
conserves, denrées, bougies , etc. On pourrait y ajouter les drogueries et quelques
maisons faisant spécialement le commerce des verres, des cristaux et des armes.
Les maisons de « Ropa », qui étaient autrefois au pouvoir des Allemands, ont été
presque complètement accaparées par les Français, en particulier par ceux de Barce-
lonnette (Basses-Alpes), qui ont supplanté les Allemands, grâce à un travail infati-
gable et à la bonne renommée dont ils jouissent sur la place de Paris, oii on leur
accorde facilement un crédit de 400,000 fr. et 500,000 fr. Il est à remarquer qu'une
de leurs principales forces consiste dans l'appui mutuel qu'ils se prêtent dans les
atlaires, appui qui ne se manifeste qu'entre ceux qui sont d'origine barcelonnette.
Les Ferreterias sont généralement entre les mains des Allemands, qui, sous le
point de vue des conditions de vente, ont su acquérir la même supériorité que les
Barcelonnettes pour la Ropa.
Enfin , les Espagnols constituent en majorité les propriétaires des magasins
d'« Abarrotes ». S'ils ont réussi dans cette branche d'affaires, c'est également grâce
aux nombreux sacrifices de tous gem-es qu'ils s'imposent dès leur jeunesse. Ils
débarquent généralement dans le pays à l'âge de 8 ou 10 ans, deviennent successi-
— 86 —
vement apprenti, garçon de magasin, employé de comptoir ou commis, pour être, a'.i
bout de leur rude stage, admis en association. »
liasltiiatiou l»iidg;étairc dem Étati^ de l'Amérique du $iud.
— Voici , d'après un journal allemand , l'état actuel des finances des Etats de
l'Amérique du Sud, en millions de francs :
Brésil
République Argentine. . .
Chili
REVENUS.
DÉPENSES.
EXCÉDENT.
DÉFICIT.
232
206
201
165
58
26
25
23
20
17
15
12
7
7
3
292
195
200
240
57
27
53
27
28
24
18
,14
8
8
4
»
11
1
»
1
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
75
»
28
4
8
»
7
3
2
1
1
1
Mexique
Uruffuav
Venezuela
Colombie
Salvador
Guatemala
Bolivie
Equateur
Honduras
Costa-Rica
Nicaragua
Paraffuav
Totaux
1.017 mill.
1.195 mill.
13 mill.
191 mill.
Voici maintenant, d'après les chiffres précédents, le dé'i'eloppement des quatre plus
importants de ces États :
■
Brésil
République Argentine. . . .
Chili
REVENUS
1880
EN MILLIO
1885
NS DE FRANCS.
AUGMENTATION.
224
101
175
40
2,31
206
201
58
3 1,2 %
105 »
15 »
45 »
Uruguay
- 87 -
TiB production de l'or et de l'ar^çent aux ÉtatM-Uni». — Vnir-i
d'après la direction du Bureau des statistiques des États-Unis, la production de l'oi
ot de l'argent eu livres sterling pour chaque État durant l'année finissant ;n
1^'' octobre dernier :
ÉTATS OU TERRITOIRES.
Or.
Argent.
Alaska
Liv.
80.000
80.000
2.4fX).000
420 000
480.000
240.000
680.000
300.000
100. OUO
100.000
100.000
40.000
Liv.
»
740.000
360.000
1.660.000
40.000
400.000
1.840.000
1.400.000
600.000
»
1.340.000
40.000
Arizona
Californie
Colorado
Dakotah
Idalio
Montana
Nevada
Nouveau-Mexique
Orégon
Utah
Autres Etats ou territoires
Valeur monétaire totale
5.020.000
5.020.000
8.480.000
6.360.000
Valeur totale sur le marché
Voici, maintenant, les chiffres de la production similaire durant chacune des dix
dernières années :
1887.
1878
1879.
1880
1881.
1882.
1883.
1884.
1885.
1886.
Or.
8.900.000
7.500.000
6.000.000
6.480.000
6.040.000
5.800.000
4.880.œ0
4.520.000
5.240.000
5.020.000
Argent.
Liv.
7.600
7.100.
7.000,
7.000
8.030
9.200,
8.600
8.480
8.560
8.480
000
000
000
000
006
000
000
000
000
000
Dans les chiffi'es ci-dessus, l'argent est pris à sa valeui' nominale en or.
OGEANIE.
l.es blés iudiciis eu Australie. — En voici bien une autre ! Les cultiva-
teurs de blé en Australie, sont dans un grand état de surexcitation, par suite de
l'arrivée, chez eux, de plusieurs cargaisons de blés de Tlnde. Le Queeiislander,
journal du pays, redoute que le succès de ces importations n'amène la destruction
de la culture du blé dans le Sud de l'Australie au moment même oii cette culture
était appelée à prendre un grand développement. Les producteurs de grains de
Victoria souffrent également du fait de ces importations ainsi que la Nouvelle-Galles
du Sud et le Queensland.
Le Manchester Guardian, commentant le fait, ne trouve d'autre moyen de lutte
efficace que la culture intensive et les nouveaux procédés d'irrigation. Mais nous
croyons, qu'étant données les tendances protectionnistes de l'Australie, le gouverne-
ment de ce pays aura certainement recours à des moyens plus immédiats comme
efficacité. Quoi qu'il advienne, il nous a paru intéressant de signaler la chose comme
typique : les colonies anglaises obligées de se défendre contre des envahissements
mutuels de blés ! N'est-ce pas un comble économique susceptible de dérouter les
ji'us vieux liiiucrs du \\\>ie échange ?
SOCIETE DE GEOGRAPHIE
DE LILLE.
SOCIÉTAIRES NOUVEAUX ADMIS DANS LE COURANT DE FÉVRIER 1887.
MEMBRES ORDINAIRES.
L.11IC.
cription.
1388. CoQUELiN, juge au Tribunal, rue Négrier, 13.
1389. De Parades, négociant, rue Jeaii-Saus-Ptur, 46.
1390. ChvlviNï (Armand), propriétaire, parc Monceau.
1304. Waomek (le docteur^, niédecin spéciaiisle, rue d'Inkeimanu, 13.
1391 . Saisset-Schneider, préfel du Nord, place de la République.
Roubaix.
1392. BuTRUiLLE (le docteur), rue du Château, 43.
Tourcoing^.
1358. Degryse, électricien, rue Saint-Jacques, 58.
1 i69. LiAGRE (Louis), négociant en épiceries, rue de Lille, 35.
1370. Vouve Lepoutre (Félix), propriétaire, rue Winoc-Cliocqueel, 36.
1371 . Honnier (Alphonse), cominis-iiégncianl, rue de la Maicense.
1372. Gloriegx-Flajient (Alphonse), fabricant, rue des Orphelins, 18.
1373. Tack (Julien), représentant, rue de Guines, 58.
1374. Tibeal^ts-Caulliez (Alexandre), rei)résentant, rue des Nonnes, 25.
1375. Berton (Félix), représentant, rue du Calvaire, 14.
1376. Veuve Vandeputte-Mullié (Emile), négociant, rue Dervaux, 28.
1377. Voreux-Deschev\ux (Etienne), négociant, rue de Tournai, 17.
1378. Dupont (E.), conimis-négociaut, rue de la Cloche, 78.
1379. Destombes (Gustave), représentant, rue Motte, 22.
1380. D.vntoing (Charles), commis-nétiociant, rue du Casino, 15.
1381 . Claeys (Jules), pharmacien, place Notre-Dame.
1382. Gailliez (Sébastien), négdcianf, rue de Lille, 210.
1383. Honoré (Albéric), coramis-ncgocianl, rue du Nord, 31.
1384.. Glorieux (Charles), propriétaire, rue Notre-Dame, 15.
l38o. Fallot (Robert), fllaleur, rue Winoc-Chocqueel, 139.
1386. Jourdain (Eugène), fabricant, rue de la Station, 17.
1387. Lefebvre-Glorieux, négociant, rue Nationale, 84.
90 —
COURS ET CONFÉRENCES DE TOURCOING
L'AUSTRALIE TELLE QU'ELLE EST
par M. le baron MICHEL.
Ancien Officier de marine.
Conférence faite à Tourcoing le 14 décembre 1886.
Mesdames , Messieurs ,
Le but que nous voulons atteindro , c'est l'étude des colonies , tout
autant des colonies de l'étranger que de celles de la France. Malheu-
reusement, jusque dans ces dernières années, nous ne nous étions que
trop concentrés sur nous-mêmes , et lorsque nous avons enfin voulu
sortir de notre sphère , nous avons trouvé partout la place occupée
par deux nations rivales , l'Angleterre et l'Allemagne.
Connaître les pays étrangers , savoir les ressources qu'on y peut
trouver , ainsi que les déboucliés qu'on peut y créer , me semble une
étude faite pour attirer l'attention de celui qui aime son pays et veut
rendre à la France une situation digne d'elle. En prenant pour titre de
la conférence de ce soir : L Australie, telle quelle est, je tiens à vous
dire , Mesdames et Messieurs . que je vous raconterai ce que j'ai vu et
que je vous donnerai ensuite les conclusions que j'en ai tirées, conclu-
sions qui, je crois , auront leur valeur. Je vous présenterai l'Australie,
si je pouvais m'exprimer ainsi , absolument photographiée. L'Australie
est peu connue en France, nous pouvons bien l'avouer, car même beau-
coup d'Anglais ne la connaissent pas.
Lorsque je suis parti , il y a quatre ans , chargé d'une mission du
Gouvernement , je croyais connaître l'Australie : j'en avais étudié la
géographie , les ressources , le climat , tout ce qui la concerne ; je ne
connaissais absolument rien , et lorsqu'après un séjour de plusieurs
mois dans ce pays, je vis ce qu'il était réellement, je dus changer.
- Ul -
d'opinion , je ne dirai pas sur tous les points . mais sur presque tous.
Je vais très rapidement vous indiquer la situation géographique , la
nature môme de ce pays , pour arriver plus tard à en tirer des consé-
quences qui pourront vous intéresser plus particulièrement , vous qui
êtes dans un pays de travail , de probité commerciale , d'honneur, et,
ce qui est surtout bien rare en France , à notre époque , d'initiative
privée.
Je dois d'abord faire une distinction entre deux termes géographiques
qui peuvent donner lieu à confusion : Australie et Auslralasie. L'Aus-
tralie est le continent très grand dont je vous donnerai quelques
dimensions tout-à-l'heure , mais elle n'est que le continent. L'Austra-
lasie se compose, au contraire, de la Nouvelle-Guinée, de laTasmanie,
de la Nouvelle-Zélande et des îles Fidji, ainsi que de la Nouvelle-Calé-
donie qui nous appartient et à laquelle se joindront un jour, je l'espère,
les Nouvelles • Hébrides. J'appellerai donc le conlm^ni : Australie
proprement dite, et les autres colonies, colonies australasiennes.
Mais passons rapidement sur ces indications géographiques :je ne
veux pas avoir l'air de faire ici un cours , car évidennnent vous êles
plus forts que je ne puis l'être de ce côté, vous qui avez de nombreuses
relations avec ce pays. L'Australie est située entre le 110" et le 152" de
longitude Est. Au Sud de ce continent, se trou vêla Tasmanie, ou terre
de Van-Diemen, qui en est séparée parle détroit de Bass.ll y a ensuite
à FEst la Nouvelle-Zélande , qui se compose de trois îles ; elle descend
jusqu'au 48" de latitude Sud et s'étend jusqu'au 176° de longitude Est.
C'est à 200 lieues dans le sud-est de la Nouvelle-Zélande que se
trouvent les antipodes de Paris. Ce territoire est donc situé, comme
vous le voyez, à une assez grande distance de notre pays , mais grâce
à la vapeur et à l'électricité , cela n'est plus à présent, ce qu'on peut
appeler un obstacle, et les personnes de Tourcoing qui ont visité
l'Australie, pourront vous certifier que les principales villes de ce pays
ne sont plus éloignées de nous. La superficie de l'Australie est de
800 raillions d'hectares. Je sais que tous ces chiffres pourront faci-
lement se confondre dans la mémoire , mais enfin je les cite quand
même , voulant vous donner une idée très exacte de l'importance de
ce pays. L'Australie est donc quinze fois plus grande que la France ,
le continent seul : il est un sixième moins grand que l'Europe. Son
point le plus rapproché de nous, est à 18 mille kilomètres. Mon
ami et collègue , M. Bayle , a eu une excellente idée en faisant graver
sur les cartes d'invitation à cette conférence , une petite carte de
— 92 —
l'Australie, qui vous permettra de vous rendre mieux compte de la
topographie de ce pays ; c'est une ingénieuse idée dont je le félicite.
— Comme divisions politiques , l'Australie est divisée en trois
bandes allant du Nord au Sud : la bande orientale comprend trois
colonies, le Queensland , la Nouvelle -Galles du Sud et Victoria ; la
bande centrale appartient à l'Australie du Sud qui est séparée de son
annexe par un immense désert ; la bande de l'Ouest appartient tout
entière à la colonie de l'Australie occidentale. La Nouvelle - Galles du
Sud , qui elle-même ne date pas de bien longtemps encore (1778) , est
la plus ancienne des colonies australiennes, Cook lui a donné ce nom
de Nouvelles-Galles du Sud à cause de sa ressemblance avec le pays
do Galles. En 1840 , la Nfmvelle-Zélando se sépara la première; en
1851 , Victoria se sépara à son tour , et en 1854 , cinq colonies étaient
déjà constituées. On peut prévoir que d'ici à très peu de temps il se
formera encore une sixième colonie composée des territoires du Nord.
11 y a, d'ailleurs, encore sur le continent, bon nombre d'endroits inha-
bités qui se peupleront peu à peu , mais avant de fonder de nouvelles
colonies , les australiens , qui sont des gens très pratiques , attendent
que leurs ressources fiscales leur permettent de payer leurs employés,
car on ne fait pas comme chez nous dans ce pays-là , on attend qu'on
ait les ressources nécessaires pour payer ses fonctionnaires, ce dont je
le félicite. (Applaudissements.)
L'intérieur de l'Australie est relativement peu connu ; cependant ,
(et je ne puis me dispenser de rappeler ici à vos souvenirs les noms
de Burke, Willis et des autres courageux explorateurs qui sont morts
dans ces parages à la peine, martyrs de la science, et qui ont laissé parmi
leurs compatriotes des noms d'honnnes qui savent se sacrifier pour leur
pays), cependant, dis-je, les courageux explorateurs qui ont parcouru
les immenses territoires de TAustralie , en ont tiré cette conclusion ,
que bien des parties de ce vaste sol sont absolument favorables à la
culture et à l'élevage. Il existe, toutefois, un défaut dans ce pays, c'est
la sécheresse qui parfois est des plus intenses. Je me rappelle qu'en
l'ainiée 1884, au mois de janvier, époque à laquelle c'est dans ces pays
l'été , comme vous le savez . la sécheresse fut telle que de braves
australiens, en compagnie desquels je parcourais l'intérieur du pays en
explorateur, désirant ne pas pénétrer plus avant dans le désert, entre-
prirent à mon insu, afin qu'il nous fût tout-à-fait impossible de continuer
la route, do faire disparaître complètement les chevaux qui servaient
à nous transporter.
- 93 -
'D'après l'évaluation qui m'en a été faite par un de mes amis, il y eut
celte année-là , 250.000 moutons qui périrent victimes de ce terrible
fléau. Mais les efiéts de celte sécheresse diminuent rapidement , grâce
à l'énergique intervention des gouvernements. Ainsi, dans des endroits
absolument déserts il y a dix ans, j'ai vu des machines élévatoires qui
versaient d'énormes quantités d'eau dans de vastes auges , dans
lesquelles 200,000 moutons pouvaient s'abreuver en même temps. Je
vous donne ces chiffres', pour que vous sachiez ce que peut un pouph;
laborieux et intelligent, stimulé par l'amour de la liberté et de la patrie.
(Applaudissements.)
La structure générale du pays , pour en finir , (et il faut toujours
donner des images qui frappent l'imagination), le continent australien,
dis-je, ressemble en quelque sorte à une assiette de forme irrégulière
dont les bords seraient formés de nombreuses échancrures. La partie
la plus riche de ce continent est celle qui se trouve sur la carie à
l'Orient et dans le Sud, et qui est formée i)ar la chaîne des montagnes
Bleues, les Pyrénées et les Alpes australiennes. 11 existe dans l'inté-
rieur du pays une sorte de gravier qui se transforme peu à peu en
poussière et constitue un sable particulier qui n'a aucun rapport avec
le sable du bord de la mer ; mais dans cette espèce de déserts , on
trouve en beaucoup d'endroits de l'eau qui a été constatée en quantité
supérieure à celle des rivières et qui , en outre . est d'une excellente
qualité. Il serait, par conséquent, inexact de croire , avec certaines
gens, que dans peu de temps toute la partie riche de l'Australie sera
complètement épuisée ; ce serait, assurément là, une très grave erreur.
L'Australie, ce vaste pays, aurait , d'après les archives de la ville de
Lisbonne , été aperçue par les Portugais au milieu du XVP siècle. Je
veux bien laisser aux Portugais ce petit amour-propre, mais comme il
n'existe aucune preuve suffisante de la véracité de cette assertion , je
descends quelques années plus bas dans les annales historiques , et
j'arrive à la découverte certaine du continent australien en 1606 , par
les Hollandais qui y firent de nombreuses explorations. Les Anglais
n'y ont mis le pied pour In première fois qu'en 1699 , mais là où les
Anglais qui , comme vous le savez , sont tenaces , ont posé le premier
pied-, ils y ont bientôt mis le second, et quand ils iiy rencontrent
aucune opposition sérieuse, le pays tout entier leur est vile acquis.
L'Australie est donc devenue complètement anglaise et son nom primitif
de Nouvelle-Hollande, le titre de gloire de ses premiers explorateurs,
fut même supprimé. Le pays est anglais, les noms dus villes anglais ,
- 94 -
les noms géographiques anglais , et cependant les noms de Freycinet
et de quelques autres de nos illustres compatriotes sont restés sur les
cartes anciennes, et les habitants de l'Australie ont conservé pour nos
grands hommes iiiie profonde vénération.
Pendant que j'étais à Sydney, j'ai assisté un jour à une manifestation
bien touchante qui a eu lieu en faveur d'un de nos illustres capitaines ,
sur un navire sur lequel j'avais fait une expédition aux Nouvelles
Hébrides; je veux parler de notre compatriote, le malheureux
Lapeyrouse qui , comme vous le savez . périt en 1788 avec V Astrolabe
sur l'un des récifs qui entourent Tîle Vanikoro. Eh bien ! les Austra-
liens ont élevé à Lapeyrouse un monument qu'ils honorent avec le plus
grand soin ; c'est bien là, véritablement, une des marques indéniables
de l'admiration et de la sympathie qu'ils nous témoignent, et nous leur
devons également des remerciements pour les bons égards qu'ils ne
cessent jamais de nous accorder. (Applaudissements.)
Par qui l'Australie a-t-elle été colonisée ? Les personnes qui ont
l'habitude de lire les journaux , ont pu voir qu'une discussion s'est
engagée autrefois sur ce sujet à la Chambre, Les uns ont soutenu que
l'Australie avait été colonisée par les convicts ; c'étaient ceux qu^
veulent que la Nouvelle-Calédonie appartienne à cette race peu inté-
ressante de la société ; d'autres ont prétendu , au contraire , qu(3 les
convicts n'ont été pour rien dans la colonisation de l'Australie. Ceux-là
ont tort également ; la vérité est celle - ci , je suis heureux de pouvoir
dévoiler à mes compatriotes :
En mai 1787 , le capitaine Philipp débarqua à Botany- Bay , dans la
Nouvelle - Galles du Sud , avec 776 convicts , environ 200 soldats de
marine et un certain nombre de fonctionnaires d'administration ; ils
étaient au total 1 ,030 personnes et ils prirent possession du pays au nom
de l'Angleterre, sans qu'il leur fût fait aucune opposition, ils fondèrent
en 1788, dans l'admirable baie de Port-Jackson , la ville de Sydney qui
devint le centre de la colonie. Les premiers travaux de l'Australie ont
donc été exécutés par les convicts. Pendant un certain temps, l'Angle-
terre y déporta des criminels et y fonda des établissements péniten-
tiaires. J'ai vu à Port-Arthur des travaux exécutés par ces criminels,
et je vous déclare qu'ils m'ont véritablement jeté dans l'admiration.
La population libre s'accrut peu à peti, par suite de nouvelles immigra-
tions, et les colons devenant de plus en plus nombreux, plus riches et
plus puissants, finirent par imposer au gouvernement britannique
- 95 -
l'obligation de ne plus déporter personne dans le pays. La colonisation
a donc été faite par des hommes libres, mais le pionnier, c'est-à-dire
l'ouvrier qui prépare le travail , cet ouvrier était condamné , et voilà
par quel moyen l'autorité anglaise prit du développement en Australie.
Cependant ce souvenir de déportation a pesé longtemps après sur le
pays. Aussi, les Australiens n'aiment pas qu'on les appelle « colonial »,
ils veulent être « anglais » ; pourquoi ? parce qu'ils ne veulent pas
passer pour fils ou petits-fils de convicts. Eh bien ! je déclare que j'ai vu
des fils et des petits-fils de convicts qui étaient des hommes parfaite-
ment honorables, et d'ailleurs ne sommes-nous pas tous un peu fils ou
petits-fils de convicts par Adam et Eve , nos premiers parents, qui
furent condamnés au bannissement perpétuel ? (Rires.)
La population coloniale de l'Australie, qui était, en 1787, de 1,030
personnes, s'élève aujourd'hui à 3 millions d'âmes. Dans un pays
comme Tourcoing, où le sentiment de la vie de famille est très déve-
loppé , je n'apporterai aucun argument nouveau à votre manière de
voir, mais enfin (peut-être mes paroles dépasseront-elles l'enceinte de
cette cité) je ne serais pas fâché d'apprendre à mes compatriotes dans
quelles proportions les naissances et les décès ont lieu en Australie.
Les naissances sont de 3,5 7o • J6 ne crois pas que cette proportion soit
égalée en France. Quant aux décès, ils ne sont que de l,37o c'est bien là
la meilleure démonstration qu'on puisse faire en faveur de la salubrité
du pays. Vous voyez donc que l'Australie prend de grands développe-
ments, et si les habitants de ce pays veulent bien ne pas faire trop de
politique, ils seront bientôt le peuple le plus heureux du monde. Cette
population se compose surtout d'Anglais , d'Irlandais , de quelques
Allemands et de très peu de Français. Du reste , sauf la Plata, qu'a
décrite dernièrement dans cette même salle , mon honorable collègue
et ami, M. Potel , sauf aussi Barcelone , qui se trouve à très peu de
distance de la France, il y a bien peu d'endroits au monde, où j'aie ren-
contré beaucoup de Français. Vous , habitants du Nord , vous êtes un
peuple heureux , vous êtes travailleurs , vous êtes des gens ayant le
sentiment de la vie de famille , mais dans beaucoup d'autres parties de
la France , on ne trouve pas toujours les mêmes qualités et on ren-
contre souvent des hommes qui se plaignent. Mais si on leur dit :
« Vous n'avez qu'à traverser la mer, et vous rencontrerez un pays où
vous trouverez par le travail l'aisance, la fortune même , bien peu
d'entre eux sauront se résoudre à suivre ce bon conseil, surtout le
parisien qui ne demande que ses boulevards et les Folies -Bergères.
- 96 —
(Rires.) Eh bien ! ils n'ont plus maintenant le droit de se plaindre d'un
mal, quand on leur en offre le remède et qu'ils le refusent.
Il existe encore sur le sol australien quelques aborigènes dont vous
verrez tout-à-l'heure la photographie, mais cette race disparaît de plus
en plus ; elle ne prend , d'ailleurs , de la civilisation , que tous ses
défauts , aucune de ses qualités, les hommes surtout. En Tasmanie , la
race primitive a disparu ; en Nouvelle-Zélande , il existe une race
particulière , la race des Maoris, dont l'origine est la môme que celle
de nos indigènes Canaques de Taïti. Ces Maoris tendent davantage
à se maintenir et ils ont conservé une certaine forme de gouvernement
particulier. Toutes ces races sont d'ailleurs appelées à disparaître un
iour , car je ne crois pas qu'elles soient complètement assimilables y
notre civilisation , sauf celle des métis , qu'on rencontre en assez
grand nombre en Nouvelle-Zélande.
On trouve en Australie toutes sortes de métaux, même et surtout le
nickel et l'or. Les Nouvelles - Hébrides et la Nouvelle - Calédonie sont
assurément des pays très riches en minerais, mais l'Australie est encore
plus riche. Elle a déjà exporté en Europe pour 7 milliards d'or, et il
existe encore actuellement de ce métal , des mines extraordinaires ,
ainsi que de l'argent, du cuivre, du cobalt dans la Nouvelle -Galles
du Sud, etc —
J'ai dit précédemment que la population de l'Australie était de trois
millions d'âmes. D'après le dernier recensement , qui date de 1884, (et
il ne doit pas y avoir grand changement depuis cette époque) , il y a
dans ce pays 1,500,000 chevaux, 8,600,000 bêtes à cornes et 86 millions
de moutons. Tous ces animaux ont été importés ; les premiers moutons,
provenant des races pures des béliers anglais, sont venus en Australie
avec le capitaine Mac Arthur. Eh bien ! le sol australien est tellement
favorable à l'élevage des moutons, que 25 à 30 ans plus tard, le-
Anglais eux-mêmes eurent peine à reconnaître l'origine de ces
animaux. L'Australie est donc un pays absolument favorable à l'éle-
vage , et à chaque pas que je ferai dans le récit rapide que j'ai
entrepris , je chercherai à vous attirer vers ce pays , car un jour
l'isthme de Panama sera percé , je ne sais pas par qui (et je ne veux
pas entrer ici dans la discussion qui a été soulevée à ce sujet à l'égard
de M. de Lesseps) mais enfin il sera percé . et ce jour-là , l'Australie
en particulier , ainsi que cette riche partie de l'Océanie , qui l'envi-
ronne, deviendra le rendez-vous du monde entier, et si vous, Français,
vous tardez trop . il arrivera pour vous ce qui nécessairement a lieu
dans une salle trop pleine ; quand on y arrive trop tard, on n'y trouve
plus de place. (Rires.)
Il y a, paraît-il, en Australie , 151 espèces de kanguroos ; c'est un
quadrupède absolument particulier à ce pays ; il vit en très mauvaise
intelligence avec les troupeaux ; aussi s'efforce-t-on à en détruire la
race le plus vite possible , et en attendant la complète extermination
de ces animaux, les Australiens vendent très bien leur peau et se nour-
rissent même de leur chair. Il est probable qu'on nen verra plus
beaucoup sous peu de temps. Quant aux oiseaux , la race spéciale au
pays est l'autruche , qui disparaît également. Ce ne seront donc un
jour que tous les animaux importés qui primeront dans ce pays-là.
Seulement , parmi ces importations , il en est une qiu a pris un trop
grand développement, c'est celle des lapins. La race de ces animaux
s'est tellement accrue dans le pays, qu'en ce moment-ci , les gouver-
nements se voient obligés de s'en débarrasser à grands frais ; en atten-
dant, c'est une bonne fortune pour les colons , surtout en Nouvelle-
Zélande , d'où on a exporté , en 1884 , 10 millions de peaux de lapins.
Voyez combien les marchands de peaux de lapins peuvent faire de
bonnes affaires dans ces pays-là ! (Rires.)
Quant aux arbres, le plus répandu est l'Eucalyptus, dont (>n compte
jusqu'à 200 et quelques espèces. Malheureusement , cette espèce
d'arbre spéciale au pays, tend aujourd'hui, comme les animaux, à dispa-
raître de plus en plus à cause des incendies qui surviennent fréquem-
ment dans les forêts. 1 /incendie est, du reste, le moyen employé le
plus généralement par les Australiens pour le délncheraent ; c'est très
regrettable , car la salubrité du pays est due en partie à cet arbre , de
même que la Nouvelle-Calédonie doit sa salubrité à un autre arbre, le
Niaouli. J'espère donc que les autorités , ainsi que les particu-
liers, (et il faut reconnaître qu'en Australie , il est permis plus facile-
ment qu'en France de s'adresser pour ces choses-là, aux autorités, ce
qui est un bien), j'espère donc, dis-je , que les autorités comprendront
qu'il y a là un travail qu'il ne faut pas pousser à sa dernière limite.
Les arbres à fruits croissent admirablement dans le Sud ; on cultive la
canne à sucie et la vigne dans le Nord et un peu partout. Mais je ne
veux pas m'étendre davantage sur ce point, car l'heure marche,
malheureusement , et je veux appuyer de préférence sur les questions
qui peuvent vous concerner plus spécialement.
Eh bien ! voyez ce pays, il y a encore bien des personnes en France
qui ne cessent de l'appeler un pays de sauvages. « Comment , me
— 98 -
disaient certaines personnes au moment où je leur annonçais mon
départ , comment vous allez passer deux années dans ce pays de
nègres ! «> Or ! Mesdames et Messieurs , remarquez bien qu'il n'y a
pas de nègres en Australie . et que ce pays de sauvages , puisque
c'est ainsi qu'on ne craint pas de l'appeler , a 10,000 kilomètres de
lignes de chemins de fer. et en possède une , entr'autres , qui est vrai-
ment merveilleuse , et dont j'aurai l'honneur de vous faire voir tout-à-
l'heure la photographie. Je veux parler du grand Zig-Zag , ce chemin
de fer qui traverse les montagnes Bleues et qui est une œuvre , je ne
crains pas de le dire , vraiment digne de l'étonnement et de l'admi-
ration de nos ingénieurs des ponts et chaussées. Ce pays sauvage a
150 mille kilomètres de lignes télégraphiques connnuniquant avec les
lignes indiennes. Les Australiens connaissent quelquefois, avant même
cerlaines de nos villes de France, les nouvelles importantes de l'Europe.
Vous me permettrez de rappeler ici un souvenir personnel qui servira
à vous donner une idée de la facilité de communication télégraphique
qui existe entre l'Australie et la France : lorsque mon ami, M. Rouvier,
fut nommé ministre du commerce , ce dont j'avais été informé par le
télégraphe, je lui ai adressé aussitôt un télégramme de félicitations.
Eh bien! M. Rouvier , que j'ai revu depuis cette époque , m'a affirmé
que mon télégramme lui est parvenu un des premiers , et i^ourtant
vous savez que lorsqu'on arrive au pouvoir . on trouve généralement
des gens très empressés à vous féliciter. (Rires.)
Je ne vous dirai jamais assez combien les journaux australiens sont
admirablement bien renseignés. En France, il n'y a pas le moindre
petit endroit qui n'ait son journal, et cependant (je ne voudrais pas
déplaire aux journalistes , j'ai eu l'honneur moi-même d'être journa-
liste, et je fais quelquefois encore du journahsme scientifique) et cepen-
dant, dis je, je ne crois pas que, parmi ces nombreux journaux , il en
est un qui puisse être comparé au « Morning-Herald de Sydney » ,
pas même « Le Temps » qui est , selon moi , celui de nos journaux
le mieux informé.
Il n'y a pas en Austj-alie de'rehgion d Etat : cependant, par suite des
actes constitutionnels . certains membres du clergé anglican reçoivent
des traitements en rapport avec la haute situation qu'ils occupent; le
primat de Syihiey a 50,000 francs et celui de Melbourne 33,000 francs.
11 existe en tout 18 évêchés anghcans. Après l'Eglise anglicane, c'est
l'Eglise catholique qui eompte le plus grand nombre d'adhérents ; elle
a deux archevêques et 15 évêques. En dehors de ces deux grandes
— m —
religions, on en pratique une foule rie petites dans les détails desquelles
je n'entrerai pas. Je no voudrais rien dire qui pût froisser les senti-
ments religieux de qui que ce soit, car je crois qu'il faut à toat.homrae
un idéal , mais je puis cependant , dans ma liberté de critique , recon-
naître que, dans la pratique, certaines de ces religions font venir natu-
rellement le sourire sur les lèvres des étrangers. Le pays est tellement
religieux, que dès qu'un coin est libre dans une ville, on y construit
immédiatement une église, qui ne tarde pas bien souvent, s'il s'y trouve
un emplacement convenable, à voir se dresser devant elle une église
d'une autre secte. Je me rappelle même avoir lu un jour sur le fron-
tispice de l'une d'elles celte sorte de réclame : « Eglise indépendante»,
et en consultant mes notes à cet égard, avant de commencer cette
conférence, j'ai remarqué avoir écrit en regard de cette enseigne
ecclésiastique ; « Architecture idem. » 11 y a là une concurrence que
je ne ti-ouve pas digne dans une question religieuse ; c'est là, vérita-
blement , ce qu'on peut appeler un excès. Le peuple australien est
donc religieux au plus haut degré , et l'idée de religion chez lui, ne
s'écarte jamais de son profond amour pour la liberté et l'indépen-
dance. Un de mes amis, pasteur presbytérien, ayant prononcé un jour à
Melbourne, des sermons qui n'étaient pas tout-à-fait orthodoxes, fut
remercié pour ce fait par le consistoire : immédiatement , une sous-
cription fut organisée en sa faveur , et j'ai assisté à ia remise qui lui a
été faite d'un chèque de 75,000 francs. Il se trouva peu de personnes
dans la ville qui ne prirent pas part à cette forme de protestation ,
même parmi celles qui n'avaient pas approuvé son hérésie. Il y avait
là un sentiment admirable , le sentiment du respect de la liberté
poussé au plus haut degré.
L'instruction publique est très développée en Australie ; elle est
obligatoire et presque gratuite ; les écoles sont libres, mais le gouver-
nement conserve à leur égard le droit de contrôle. L'instruction secon-
daire y est également très répandue. Il y a au total , pour 3 millions
d'habitants, 6,0l)0 écoles et cinq universités, celles de Sydney, Mel-
bourne, Victoria. Adélaïde et Nouvelle-Zélande , qui délivrent des
diplômes. Quant aux sociétés savantes , aux classes et entretiens
du soir, le nombre en est également très grand. Ce qui est surtout
bien touchant, c'est de voir des hommes, après une journée passée
dans un travail pénible , venir écouter le soir l'enseignement des
sciences , de la géographie, de l'histoire, etc. . . Cet enseignement se
fait en anglais, les maîtres sont anglais , les études anglaises, mais les
— 100 -
australiens n'en conservent pas moins un profond amour pour la mère-
patrie. Malheureusement , il y a à côté de ces nobles qualités , une
ombre au tableau : les australiens connaissent trop le gin . le whisky
et d'autres boissons anglaises. Dans presque chaque coin de rue ,
il y a ce qu'on appelle un « Bar » ; c'est . comme vous le savez , un
endroit écarté où l'on se tient debout et où Ton boit en silence, ce qui
permet d'absorber davantage. Il n'y a pas en Australie , comme en
France, des cafés où chacun peut s'asseoir au graud jour, où la con-
sommation n'est qu'un prétexte à causerie ou repos ; là on boit pour
le seul plaisir de boire , et l'anglais qui, avec toutes ses qualités , a le
défaut de l'hypocrisie , aime à se cacher. Je me rappelle qu'il y avait à
la Bourse de Sydney , un étroit couloir fermé à l'entrée par une
petite porte au-dessus de laquelle on lisait ce mot : « Secrétariat », et
que dans les premiers temps de mon séjour en cette ville j'étais assez
intrigué de voir entrer journellement par cette petite porte de nom-
breuses personnes. Cet étroit couloir , comme je l'ai appris plus tard,
conduisait tout simplement à un Bar.
La législation australienne est, à peu de chose près, celle de l'Angle-
terre. Le h\i\Y, comme vous le savez , y joue un grand rôle. Le Jury
et le Self govermnent sontles bases de l'administration et de la justice.
Cependant, j'ai pu constater que les Australiens ont apporté à la légis-
lation anglaise des améliorations considérables et des modifications
très heureuses. La législature est indépendante et libérale ;le premier
juge de Sydney touche 82,500 francs d'appointements par an , et celui
de Melbourne 82,000 francs. Quant aux autres des magistrats, leurs
appointements varient de 15 à 20.000 francs par an. La justice
est donc largement payée en Australie ; aussi se compose-t-elle
d'hommes éminemment compétents et dont la plupart ne seraient pas
indignes du rôle le plus élevé de la magistrature française. Sauf dans
l'Australie occidentale , qui est restée entièrement au pouvoir de la
Couronne, c'est partout le gouvernement anglais qu'on trouve établi en
petit ; le gouverneur a les mêmes pouvoirs que la reine, sauf à en réfé-
rer à cette dernière , et les ministrcc; sont responsables devant les
Chambres. Je ne sais pas si le régime parlementaire gagne à être
exporté , mais je ne crois pas qu'on renverse en Australie des mi-
nistres des Travaux publics et de la Justice , uniquement pour savoir
si on mettra un sous-directeur dans un district ou si on n'en mettra
pas. (Rires).
Les améliorations et modifications qui ont été apportées à la consti-
— ItM —
tution anglaise sont duos aux Chartistes. Vous savez sans doute que
ces hommes, fidèles à leurs principes, ont soulevé à ce sujet en Angle-
terre dans la première moitié de ce siècle , un grand mouvement qui
a été réprimé par le gouvernement anglais avec une très grande sévé-
rité. Et cependant, je le répète, à part quelques-unes ayant trait, à des
questions de détail dont on peut iiégliger de tenir compte, les modifi-
cations qui sont dues à leur inspiration , ojit été généralement irès
heureuses.
Depuis mon retour en Europe, je pousse, quelquefois peut-être avec
trop d'ardeur, je pousse sans cesse notre jeunesse à aller au loin , non
pas à s'expatrier sans esprit de retour, non , le sentiment de la patrie
reste toujours là et fait, en cette circonstance, mentir le proverbe pour
le remplacer par cette nouvelle formule : « Loin des yeux , près du
cœur » , mais je pousse les jeunes gens à profiter de toutes les occa-
sions qui leur sont présentées pour aller au loin, non pas uniquement
pour se déplacer, mais afin surtout d'y étudier, d'y observer et de se
rendre compte des situations, des nécessités de toute sorte , pour que ,
plus tard , revenus dans leur pays, ils sachent profiter des nouvelles
connaissances qu'ils y apporteront. Lorsque vous aurez été au loin ,
jeunes gens , lorsque vous aurez vu certains de ces peuples qui sont
signalés comme barbares , lorsque vous verrez enfin ce que j'ai vu ,
vous direz : « Je veux pousser mon pays à imiter ce qu'il y a là ; je
veux surtout imiter cet amour véritable qui consiste à aimer son pays
en se disant : Toutes les fois que je pourrai lui être utile , même de la
façon la plus eff"acêe, je le ferai. » (Applaudissements.)
L'Australie ne compte pas encore un très grand nombre de villes ;
ceci s'explique facilement par le nombre des habitants qu'elle contient.
Cependant , il s'en trouve deux qui priment toutes les autres : Sydney
et Melbourne. Sydney, qui est la plus ancienne , a 220,000 habitants ,
et Melbourne 280,000. Ce sont deux villes très curieuses à étudier
séparément et à comparer. Sydney se trouve situé dans cette admi-
rable baie de Port-Jackson, dont on ne peut pas se faire une idée
par la photographie. Cette ville est de construction plus ancienne que
Melbourne , et est restée, si je puis m'exprimer ainsi, plus anglaise.
Ses habitudes sont anglaises ; à cinq heures du soir ses l'ues sont
désertes ; tout le monde se rend aux faubourgs.
La ville de Melbourne, au contraire, est de construction américaine,
c'est-à-dire qu'elle est bâtie à angles droits ; elle est animée beaucoup
plus tard dans la soirée que Sydne}' , et l'esprit de ses habitants est
— 102 -
également opposé, à certains points de vue, à celui des habitants de
cette dernière ville , et puisque j'ai l'honneur de parler dans un centre
commercial des plus importants , je dirai que Sydney est plus calme,
plus froid dans les affaires, et que Melbourne est plus américain,
c'est-à-dire plus hasardeux et quelquefois plus imprudent. Je crois que
ces quelques renseignements' sur ces deux grandes villes, loin d'être
nuisibles , auront pour quelques-uns d'entre vous . du moins , leur
utilité.
L'Australie , qui marche vite dans la civilisation . a également son
Trouville : Hobarttown , qui est la capitale de la Tasmanie , est une
ville charmante, d'un très joli style, j'allais dire qu'ily a de très jolies
femmes, mais quand on a vu les femmes françaises, on ne se rappelle
plus avoir vu en Australie de très jolies femmes (Rires.) Les toilettes
australiennes se composent de couleurs un peu trop brillantes peut-être.
Je me rappelle avoir rencontré un jour dans une rue de Sydney une
jeune australienne qui portait un crêpe noir sur une robe fond rose.
(A ce propos, je dois vous dire qu'en Australie comme en Angleterre,
on porte souvent le deuil au moyen d'un simple crêpe noir. )Vous voyez
par là , combien le sentiment des couleurs est développé chez les
australiens. On porte dans les grande^^ villes de très riches toilettes.
Pour ne vous en donner qu'un exemple, je vous dirai que j'ai vu une
fois à Melbourne une toilette qui avait coûté, disait-on . 25,000 û'ancs.
Inutile de vous dire, Mesdames et Messieurs, que je n'ai jamais acheté
pour ma part, des toilettes de ce prix-là. (Rires.)
Encore une petite critique que j'adresse à Sydney surtout : il doit
y avoir des pianistes parmi vous , Mesdames ; eh bien, je vous dirai
que j'adore le piano quand il est bien joué , que je l'aime moins quand
il est mal joué, et encore moins quand deux pianos jouent ensemble et
mal. Eh bien ! les pianos sont très importés en Australie; je ne dirai
pas qu'ily a un piano à chaque étage, attendu que les maisons n'ont
généralement qu'un seul étage, mais dans chaque maison certainement
il y a au moins un piano. Les jeunes fiUes australiennes sont char-
mantes, mais elles n'ont pas le moindre sentiment de l'art ; il est vrai
aussi que les pianos importés en Australie ont généralement une sono-
rité qui mo semble exagérée et dont il est juste que nous tenions
compte. Les pianos sont donc excessivement répandus à Sydney. Nous
ne sommes d'ailleurs pas seuls à en faire la remarque, car les austra-
liens eux-mêmes ne ménagent pas leurs critiques à cet égard ; j'ai vu
— loa
en effet , derjiièreineiit . dans le Journal de Sydney , que la ville
devrait prendre le nom de « Pianopolis ».
J'aborde maintenant la question de nos relations avec l'Australie,
d'abord au point de vue politique. Je suis obligé de mettre ici dans mes
phrases une très grande réserve, car je vais critiquer la représentation
officielle delà France dans ce pays. Je commence par déclarer que ceux
qui me connaissent particulièrement pourraient supposer que je parle à
ce sujet par suite d'un mécontentement personnel : j'étais en effet dans
les plus mauvaises relations avec le consul de Sydney ; j'ai probable-
ment eu tort, mais enfin nous étions nombreux dans ce cas-là, et par
conséquent beaucoup avaient tort. Mais ce que je vais dire ne. touche
pas la personne même des consuls , il touche uniquement notre orga-
nisation consulaire. Si nous voulons q;;o la France tienne dignement
son rang en Australie il est de toute nécessité qu'elle y soit repré-
sentée d'une façon digne d'elle.
Les Etats-Unis d'Amérique, l'Allemagne, le Chili même y ont des
consuls généraux. Nous avons bien, nous, à Sydney et à Melbourne, un
consul français, mais dans les autres villes, ce sont des négociants anglais
qui nous représentent : or, il ne faut pas demander à un homme plus
qu'il ne peut donner et il est bien cei-tain que si quelqu'un d'entre vous
s'adressait à un négociant anglais de la Nouvelle-Zélande, par exemple,
pour en obtenir des renseignements sur le commerce de ce pays, il
est bien certain, dis-je , qu'il n'en recevrait pas une réponse qui le sa-
tisfît. 11 faut donc que le gouvernement français envoie dans ces divers
pays des consuls qui soient français et travaillent pour les Français.
M. deFreycinet, je dois lui rendre cette justice, avait pai^faitement com-
pris la situation à cet égard, et je suis persuadé que, s'il avait pu
trouver dans son organisationbudgétaire, les ressources suffisantes pour
le faire, il aurait résolu cette importante question. Laissera-t-on à son
successeur le temps de s'en occuper? le temps, c'est peut-être beau-
coup, mais enfin j'espère qu'il le trouvera , car la chose mérite certai-
nement d'être prise en sérieuse coiisidération et en voici la raison :
j'ai connu à Sydney le docteur Krauel (les personnes qui coimaissent
assez bien l'Allemagne n'ignorent pas sans doute que le titre de doc-
teur y est donné à bien d'autres lauréats que ceux de la faculté de
médecine ; le docteur Krauel est docteur en droit de chancellerie), il
est consul général d'Allemagne ; c'est l'homme le plus aimable du
monde, et, ce qui est encore mieux, il s'occupe admirablement des
intérêts de ses nationaux. Le docteur Krauel a créé à Sydney, un cer-
— 104 -
cle qu'il dirige avec le plus grand soin. Tout AJIemand qui arrive en
Australie, muni des bons certificats d'honnêteté dont on peut lui deman-
der l'exhibition, est sûr d'y trouver des compatriotes qui l'aideront et
iudiqueront les endroits où il faut aller. C'est grâce à ses soins dévoués
que le docteur Krauel est parvenu à attirer en Australie, un très grand
nombre d'Allemands qui y ont fondé une colonie qui prospère. C'est
grâce à lui qu'un allemand qui arrive dans ce pays, quand bien même
il n'aurait jamais quitté la mère-patrie, retrouve-là une nouvelle famille
qui le soutient et l'encouiage. Voilà ce que doit faire un représentant
qui aime son pays. Or, quel est celui de nous qui, en voyageant , en a
trouvé un pareil ? Moi-même, lorsque je me suis adressé au consul français
de Sydney, lors de mon arrivée en Australie, pour tâcher d'en obtenir
une liste des Français résidant dans la ville : « Gomment voulez-vous,
me répondit-il, que je vous renseigne sur une chose qui m'est à moi-
même inconnue? Il n'y a personne à voir. » — Croyez-vous qu'un
pays puisse prospérer à l'étranger quand il y est représenté de cette
façon-là ? Non, la représentation consulaire de la France demande une
meilleure organisation et il est indispensable pour notre prospérité
coloniale que nous confiions nos intérêts à des personnes vraiment
dignes de représenter la France.
Il est à remarquer cependant que, malgré les progrès accomplis par
les Allemands en Australie , grâce à lenr excellente représentation
consulaire , ceux-ci sont moins sympathiques aux Australiens que
nous, Français. Pour vous en donner une preuve entre mille, je vous
demande la permission de lire devant vous quelques lignes qui ont été
prononcées par le Ministre-Trésorier Colonial de la Nouvelle-Galles
du Sud : « Dans l'intérêt de la liberté et des progrès de Thumanité , il
» n'y a aucun peuple avec lequel il importe plus que nous soyons dans
» des termes de parfaite amitié que le peuple français. Tous deux nous
» avons simé la justice , haï l'oppression , défendu les faibles et com-
r> battu côte à côte pour l'indépendance. Unis, nous ne craindrons pas
» les ennemis de la liberté et de la civilisation, quelque nombreux
» qu'ils puissent être. »
Eh bien ! sachons profiter de cette sympathie que les Australiens nous
témoignent. Vous surtout, jeunes geu s, qui voulez voyager et aller dans
ce pays, rappelez vous bien, quand vous vous trouverez en présence
des Australiens, rappelez-vous bien que c'est un peuple qui a beaucoup
fait et auquel vous devez surtout de l'admiration pour son énergie et
sa persévérance. Vous ne devez pas arriver au milieu d'eux en criti-
— iOn —
quant tout ce que vous y voyez, en disant : « Il manque ceci ou cela »,
mais au contraire en louant ce qui est louable , et en les encourageant
ainsi, vous ferez au moins preuve de tact. J'ai toujours été dans les
relations les plus cordiales avec les autorités coloniales et les gouver-
nements de ce pays, pourquoi ? parce que j'ai toujours admiré ce qui était
admirable : j'ai bien quelquefois critiqué ce qui était critiquable, mais
enfin, je suis toujours resté dans la vérité. Eh bien ! Messieurs, si vous
allez dans ce pays, inspirez-vous bien de cette pensée ; admirez l'éner-
gie et la persévérance des Australiens et soyez de véritables français,
des hommes aimables ne critiquant pas tout ce qu'ils voient, surtout
ce qui ne mérite que l'éloge.
Mesdames et Messieurs, j'ai cherché à vous donner succinctement une
idée de l'Australie ; je vais maintenant, avant de passer à la conclusion
de ma conférence, vous demander la permission de vous montrer par
quelques vues photographiques, le pays, ses habitants, les monuments
et les travaux d'art des Australiens.
{A l'aide de projections à la lumière oxhydrique, M. le baron Michel
fait alors défiler devant les yeux des spectateurs : un type de Naturel,
(Australie du Sud); deux jeunes Australiennes; une femme australienne
en tenue da campagne ; une reine Australienne (Queensland) ; un guer-
rier Australien (Queensland) ; un roi et une reine des Mia-Mia ; une vue
de Fernshaw (province de Victoria) ; des troncs d'Eucalyptus ; une
route dans les Montagnes bleues ; une route dans le Bush ; des Fou-
gères d'Australie ; la rue du Roi et la rue Glenell à Adélaïde ; la rue
Swanson à Melbourne ; l'hôtel des Postes, l'hô tel-de-ville, le muséum
d'histoire naturelle, une école publique de Melbourne ; Saint-Kilda,
faubourg de Melbourne ; le débarcadère de Sanridge près Melbourne ;
une vue de la baie de Sydney ; le palais du gouverneur à Sydney ; le
palais de l'Exposition (brûlé en 1882} à Sydney ; le chemin de fer dit
Grand Zig-Zag dans les montagnes bleues; enfin un type de bélier
australien primé. — Puis l'orateur continue:)
Il pourrait se faire, Mesdames et Messieurs, que ces quelques photo-
graphies eussent encore mieux gravé dans votre mémoire que mes
paroles, les pays que j'ai cherché à vous décrire. Mais j'arrive mainte-
nant au côté pratique. Je rends hommage aux personnes qui , à Tour-
coing, poussent leurs concitoyens à porter leur savoir au dehors. Il y
a en Australie un champ très vaste pour votre activité et vos qualités
spéciales. Je ne m'étendrai pas sur la laine ; c'est d'ailleurs par les re-
lations que vous avez déjà avec ce pays que vous pourrez compléter
— l'J6 —
VOS renseignements sur les points que je n'aurais pas suffisamment
éclaircis ; mais je vous dirai qu'avec les Australiens il y a autre chose
,à faire que d'acheter leurs laines. 11 y a eu France bien souvent des
gens qui disent : « Nous ne pouvons pas lutter avec les Allemands ,
les Anglais, surtout dans un pays anglais. » Eh bien ! les produits an-
glais, en dehors de l'habitude qu'on peut avoir de s'en servir, ne sont
nullement favorisés au point de vue de la douane. Les ciouanes en
Australie frappent aussi bien les produits anglais que les produits fran-
çais et allemands. Il y a dans la province de Victoria des droits qui
vont jusqu'à 25 "/o- Cette province est protectionniste, tandis que la
Nouvelle-Galles du Sud est libre-échangiste. Je crois que si Victoria
est protectionniste, c'est par jalousie, car ces deux colonies sont arri-
vées à un tel point de jalousie que l'on est obligé de changer de che
min de fer pour aller de l'une à l'autre, la largeur de la voie ferrée
n'étant pas la même dans les deux provinces. Je ne ferai pas de con-
clusion en matière de protection et de libre-échange, cependant je vous
demanderai la permission de citer un fait dont les personnes compé-
tentes pourront tirer elles-mêmes la conclusion. La Nouvelle-Galles du
Sud, ai- je dit, est libre-échangiste, tandis que Victoria est protection-
niste et impose des droits qui vont dans certains cas jusqu'à 25 "/(,.
Lorsque j'étais à Melbourne, je rencontrai un jour un de mes amis
qui me dit • « Nous sommes en train de faire une enquête très sérieuse
sur létat de notre industrie et vous verrez combien le système protec-
tionniste nous a été favorable. » Je repassai peu après et lui demandai
« Eh bien ! et votre enquête ?» « Ah ! me répondit-il, elle n'est pas
terminée^). Cette réponse me fut faite d'une manière si vague que je
compris tout de suite, non seulement que l'enquête était terminée,
mais que les résultats qu'elle avait donnés n'avaient pas répondu à son
attente, et je n'ai pas voulu le contrarier en continuant à le question-
ner sur ce sujet. Eh bien ! il y a au point de vue de l'instruction, car,
mai, je me place à ce point de vue personnel, un renseignement qu'il
ne faut pas négliger. De deux pays ayant le même sol, la même origine,
la même nationahté , les mêmes goûts et le même climat , l'un est
presque libre-échangiste et l'autre très protectionniste. L'industrie du
premier est la plus prospère ; tirez-en les conclusions pratiques.
J'arrive à la question de la vente des produits français en Australie
où, comme je vous l'ai dit précédemment, les Anglais et les Allemands
ne sont pas plus protégés que nous au point de vue de la. douane. Voilà
déjà un terrain sur lequel nous sonnnes tous égaux. Pouvez-vous fal)ri-
— 107 -
quer à des prix égaux, et, au besoin, inierieurs à ceux des Anglais et des
Allemands? C'est là une question que je me borne à vous poser, sans
essayer de la résoudre, puisque je suis dans un centre industriel très
développé, grâce à votre activité, à votre intelligence, et à votre bonne
entente des affaires. Si, comme je l'espère, vous pouvez affronter la lutte,
allez dans ce pays offrir vos articles en concurrence avec ceux des Alle-
mands, et même je le repète avec ceux des Anglais, mais n'oubliez pas
que pour la soutenir, il existe certaines conditions essentielles ([ue vous
devez remplir : il ne faut pas que vous arriviez chez les Australiens en
leur disant : « J'ai tel objet, j'ai telle étoffe, j'ai tel dessin qui me con-
vient, à moi ». Non, il ne faut pas vouloir imposer vos goûts aux peu-
ples avec lesquels vous voulez commercer. C'est une recommandation
que je me permets de vous faire, ce que voas voudrez bien me pardon-
ner, je l'espère. Consultez donc les goûts particuliers des Australiens
et suivez-les d'une façon régulière, quelque critiquables, quelques ridi-
cules qu'ils vous paraissent ! Autre conseil à suivre : lorsque vous serez
parvenus à leur fournir vos produits, ayez bien soin qu'ils soient tou-
joTirs conformes aux premiers fournis. Des négociants et industriels
français se sont vus supplanter dans certains pays, uniquement parce
qu'ils avaient cru bien faire' de modifier leurs types. Prenez-donc bien
note de cette recommandation, et maintenant si vous voulez commer-
cer avec les Australiens, ne vous laissez pas rebuter par les difficultés
du début. Des maisons anglaises, que je connais , sont arrivées , grâce
à leur persévérance , à des résultats extraordinaires. Employez leurs
moyens. Les Anglais qui voyagent beaucoup, envoient souvent leurs
fils pour commecrer avec ces contrées. Envoyez y aussi vos jeunes
gens avec une certaine quantité de vos marchandises , que vous
pourrez toujours produire dans les même conditions. Arrivés-là, qu'ils
cherchent à les vendre, et si au bout de 30 jours, ils n'y sont pas par-
venus, qu'ils les mettent aux enchères publiques. Vous pourrez leur
faire de nouveaux envois, qui seront placés de la même manière, et
c'est ainsi que vous arriverez peu à peu à obtenir des Australiens de
fortes commandes Si vous employez au contraire un autre moyen que
celui qne je vous indique, vous parviendrez difficilement à atteindre
ce but. Rappelez vous aussi qu'en Australie vous ne devez jamais, com-
me cela se fait en France, engager la conversation avec la personne à
laquelle vous présentez un article ; ce serait lui faire perdre un temps
dont vous ne profiteriez guère : l'objet que vous lui présentez est exa-
miné et alors il convient où ne convient pas : s'il ne convient pas, reti-
— 108 —
rez-vous, car il n'y a rien à faire. Vous connaissez donc maintenant les
moyens réellement pratiques d'arriver à faire des affaires avec l'Aus-
tralie. On dit qu'il faut imiter, pour cela, les Allemands : soit, les Alle-
mands sont sur beaucoup de points dignes d'être imités. Je n'admets
pas cependant que des Français puissent les imiter au point de descen-
dre jusqu'à leurs bassesses : j'ai vu des produits allemands importés
en Australie avec des étiquettes françaises et je vous assure qu'il fal-
lait avoir de fort bons yeux pour apercevoir, en certain cas , dans un
des coins de ces fausses étiquettes le mot : « Francfort ». Non, jamais
je ne conseillerai à des Français de pareils moyens. Je vous recom-
mande plutôt la persévérance des Anglais qui sont, comme vous le savez
des gens très pratiques. Envoyez vos jeunes gens en Australie pour
s'y renseigner ; expédiez leur là-bas vos articles et vous finirez par
aboutir à des transactions fructueuses.
Vous, jeunes gens, à qui l'avenir appartient, vous qui pourrez, non
pas hériter de nos fautes, mais qui pourrez profiter de nos malheurs,
je vous engage à aller en Austrahe où vous admirerez les prodiges du
commerce, l'initiative individuelle, enfin toutes les nobles qualités des
Australiens dont la base a toujours été l'amour de sa liberté et le res-
pect absolue de la loi. (Salve d'applaudissements).
-109-
SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE DE VALENCIENNES.
I^a Société de g;éog;raplile de Valenclennes
Pendant le quatrième trimestre de 1886.
Par M. Paul FOUGART, avocat, secrétaire-général de la Société de Valenciennes.
Pour terminer l'année 1886 , la Société de Géographie de Valen-
ciennes a patronné , avec la Chambre de Commerce , une conférence
donnée par M. Marins Vachon sur les Industries d'Art à l'étranger, et
a ensuite distribué les prix du concours qu'elle avait précédemment
organisé entre les élèves de l'Instruction primaire.
I.
La conférence de M. Vachon a eu lieu le 23 octobre , et le Courrier
du Nord en a rendu compte en ces termes :
« M. Marius Vachon qui , samedi soir , a donné une conférence à
Valenciennes devant un public très nombreux, a fait en ces dernières
années deux voyages successifs à travers l'Europe , en s'attachant à
une étude spéciale. Il avait reçu du gouvernement , en raison de la
création projetée d'un musée et d'écoles d'art industriels , la mission
d'aller examiner les institutions similaires établies déjà à l'étranger.
M. Vachon a ainsi visité , en 1881 et en 1885, l'Allemagne, l'Autriche,
la Hongrie , la Russie et l'Italie. Or , il a observé dans ces divers pays
un mouvement singulièrement énergique tendant au développement et
à la rénovation des industries d'art ; son second voyage lui a permis
de constater les progrès rapides accomplis en quatre ans. Et, selon
lui , il est nécessaire que la France accentue vivement ses efforts vers
le même but, si elle veut maintenir sa situation industrielle. C'est pour
répandre ces conseils que M. Marius Vachon a entrepris une série de
conférences .
» Il faut convenir qu'il nous a , samedi , cité des faits qui ne man-
quent pas d'éloquence.
- 140 -
» Dans un des plus petits Etats de l'Europe, par exemple en Suisse,
on ne compte pas moins d'une centaine d'écoles d'enseignement pro-
fessionnel et de neuf musées d'art et d'industrie à l'heure présente :
cela , outre des écoles ouvrières et des écoles primaires où l'enseigne-
ment du dessin est obligatoire.
» En Italie, il y a aujourd'hui soixante-quatre écoles d'art indus-
triel, sans compter un certain nombre d'écoles spéciales et d'établis-
sements destinés à l'enseignement professionnel des femmes.
» En Russie , qu'on regarde à tort chez nous comme un pays pres-
que sauvage , il a été fondé des écoles consacrées à l'application
industrielle de l'art, jusqu'au fond des provinces caucasiennes. A Saint-
Pétersbourg , on trouve , pour l'enseignement artistique spécial à
l'industrie , deux écoles et deux musées ; à Moscou , deux écoles et un
musée.
» Mais c'est en Allemagne surtout que M. Marins Vachon dit avoir
trouvé une situation exceptionnelle, au point de vue où nous nous
plaçons.
* On prétend quelquefois que la concurrence très préjudiciable que
l'Allemagne nous a faite en ces dernières années sur tous les marchés
du monde n'aura qu'un temps , que l'on commence à se fatiguer des
produits de l'industrie allemande , d'un prix peu élevé mais d'une
qualité inférieure, et à levenir aux objets français, plus soignés et plus
élégants. M. Marins Vachon dit qu'il ne faut pas trop caresser cet
espoir, et cela précisément parce que l'industrie allemande se trans-
forme en ce moment.
» Les Allemands , il est vrai , nous ont tout d'abord combattu sur le
terrain commercial en créant une production mtensive et plus ou moins
grossière , ce qui leur a permis de livrer des marchandises à très bas
prix.
» Mais eux-mêmes se sont aperçus des vices de ce système. A
l'usage . on a découvert la médiocrité de leurs produits et on s'en est
plaint. Ils ont reconnu aussi qu'à notre époque , où les moyens de
communication sont devenus si faciles et où l'outillage mécanique est
partout usité . tout objet banal , œuvre de la machine seule , peut être
aisément fabriqué en grandes quantités et d'une façon similaire sur tous
les points du monde ; de sorte qu'un industriel , dans ces conditions ,
n'est jamais assuré de n'être pas subitement supplanté auprès de ses
clients, nationaux ou exotiques , par un concurrent arrivé à vendre un
peu moins cher la même marchandise.
— m —
» Qu'ont fait alors les Allemands , gens pratiques et entreprenants ?
Us se sont déîibérêment mis à l'œuvre pour régénérer et relever par
l'art leur production : ils ne négligent rien pour arriver à donner à
tous les objets sortis de leurs ateliers un certain caractère d'agrément
et d'originalité, qui leur assure la préférence des acheteurs.
» Pour mener à bien leur projet, les Allemands , du reste , se sont
beaucoup servis du concours involontaire de leurs voisins et notamment
de la France. En 1878 , ils n'ont eu garde de montrer leurs produits à
l'Exposition universelle de Paris , mais ils sont venus étudier avec
grand soin les nôtres. Ils ont eu des sortes d'espions industriels qui
ont intimement analysé l'outillage de nos fabriques les plus renom-
mées, et se sont tenus au courant des progrès et des perfectionne-
ments de nos manufactures artistiques. A l'occasion, ils n'hésitent pas
à emprunter , pour nous servir d'un terme poli , ceux de nos modèles
qui leur conviennent.
» Quant à l'activité , à l'habileté , à l'unanime persévérance avec
lesquelles ont été mis en œuvre en Allemagne . pour atteindre le but
poursuivi , les éléments de succès recueillis dans les pays voisins ou
trouvés dans les dispositions et les souvenirs du peuple allemand
même , M. Marins Vachon nous a donné à cet égard des renseigne-
ments fort curieux et fort instructifs.
» De tous côtés ont été fondées des écoles d'enseignement profes-
sionnel destinées à former soit des patrons et des directeurs de fabri-
ques , soit des contre- maîtres et des ouvriers habiles. Les écoles de la
première classe sont au nombre de trente-six. Ce sont, en général,
des écoles spéciales, c'est-à-dire créées chacune pour un genre d'in-
dustrie déterminé ; c'est ainsi qu'il y a des écoles de tissage, des écoles
de métallurgie , etc. Quant aux écoles industrielles inférieures , qui
doivent fournir de bons ouvriers aux manufactures de produits d'art ,
on en compte 125, instruisant 14,000 élèves, dans le seul pays rhénan,
pour 6 millions d'habitants.
» Les Allemands ont créé aussi des musées d'art industriel , dont le
rôle est de procurer aux chefs d'atelier, aux artisans , de beaux mo-
dèles de meubles , d'étoffes , d'ustensiles divers , des motifs de déco-
ration pour les bâtiments , etc. Ces musées sont organisés de façon à
pouvoir être utilisés aussi largement que possible. On les bâtit de pré-
férence dans les quartiers ouvriers et industriels. On n'hésite pas à en
laisser sortir des objets ou. des collections quand on y voit un avan-
tage. C'est ainsi que le nmsée industriel de Berlin , administré par le
— 112 —
gouvernement , envoie fréquemment dans les villes de province des
groupes d'objets correspondant aux principales industries de ces villes.
» Ajoutons que le dessin est aujourd'hui très exactement enseigné
dans toutes les écoles allemandes , à l'effet de répandre le goût des
belles formes et de l'art.
» L'initiative privée réalise aussi en Allemagne des innovations sin-
gulièrement pratiques. L'exemple le plus frappant en est fourni par le
Musée industriel de Dusseldorf. Créé et largement doté par des parti-
culiers, ce musée est principalement affecté à l'usage d'une association
ouvrière annexe, fondée en 1883 , et qui est des plus curieuses.
Moyennant trois francs par an, tout artisan, tout ouvrier habitant dans
un rayon asssez étendu . peut entrer dans cette association: et dès lors
il a le droit de se faire adresser gratuitement et de conserver pendant
un certain temps chez lui tout modèle du musée, tout livre de la biblio-
thèque. 11 écrit , par exemple , à la direction : « On me demande un
meuble de telles dimensions et de tel style; envoyez-moi des modèles.»
Et aussitôt, soit des objets en nature , soit des reproductions photo-
graphiques ou autres, lui sont envoyés. Bien plus , quand, à l'aide de
ces modèles , l'associé a fait le dessin du meuble qu'il compte exécuter,
il a le droit d'envoyer au musée industriel ce dessin, qui y est corrigé,
gratuitement toujours, par des artistes attachés à l'établissement.
» On comprend les avantages de cette organisation : aussi l'associa-
tion ouvrière dont nous parlons comprend aujourd'hui 7,000 adhérents
dans le pays rhénan.
» Les administrateurs du musée industriel de Dusseldorf ne bornent
pas, du reste, leur action au rôle que nous venons d'indiquer. Ils se
font véritalDlement les missionnaires de l'art industriel. Chaque fois
qu'il y a une fête dans un village de la province, ils y organisent une
conférence et une exposition d'objets provenant du musée. Ces objets
sont choisis parmi ceux dont les paysans visités peuvent avoir
l'usage : ce sont des ustensiles, des meubles servant à la vie domesti-
que, mais relevés par quelques détail décoratif, offrant une certaine
élégance de forme, — et, bien entendu, de fabrication nationale.
y L'activité déployée par les associations de ce genre est étonnante,
dit M. Marins Vachon. Peut-être l'intérêt privé de l'industrie ne suffi-
rait-il pas à l'expliquer : derrière ce mobile, il y en a un autre encore,
le désire de battre et de ruiner commercialement la France, désir
habilement entretenu par le gouvernement allemand dans toutes les
classes de la société.
— 113 -
» Mais c'est le sort et la prospérité de l'industrie allemande que
tendent à assurer ainsi les institutions et les efforts dirigés par une
pensée habile. Tous les sacrifices faits pour développer et vulgariser
en quelque sorte l'art industriel ne sont pas destinés seulement à favo-
riser la vente des produits allemands à l'étranger : ils tendent à leur
réserver une clientèle certaine à l'intérieur du pays. Ils forment en
effet non seulement le goût des producteurs allemands, mais celui des
consommateurs, et ils le forment identiquement. Il s'établit ainsi un
idéal artistique national qui empêchera les acheteurs, en Allemagne,
d'abandonner les produits nationaux pour prendre ceux de l'étranger.
» Il y a lieu de remarquer en effet, dit M. Marins Vachon, que la
renaissance artistique observée dans plusieurs pays d'Europe, se base
sur les traditions nationales. C'est ainsi qu'elle s"inspire en Russie de
l'art oriental, en Italie de l'art du XV siècle.
» Il faut de même en France, a conclu le conférencier, nous mettre
résolument à l'œuvre pour créer et développer un art franchement
national : non seulement afin de donner à nos produits un caractère
qui leur permette de lutter avec avantage à l'étranger contre les pro-
duits allemands, mais aussi afin d'empêcher ceux-ci d'envahir notre
propre marché. Le goût français n'est pas tout à fait le goût allemand,
et il rejettera les objets portant la marque de ce dernier ; mais à la
condition que le goût français ne soit pas l'apanage de quelques privi-
légiés et qu'il soit inspiré à tous nos nationaux.
» A cet eflet, M. Marins Vachon demande qu'on suive l'exemple
donné par les autres peuples ; il conseille la créaMon d'associations
telles que celles décrites plus haut, l'établissement de musées d'art
industriel dans toutes les villes quelque peu importantes. A Valen-
ciennes, il nous a félicités de l'institution, aux Académies, de plusieurs
cours destinés aux applications de l'art à l'industrie, et nous a engagés
à pousser aussi avant que possible dans cette voie. Il recommande
l'expansion de l'enseignement du dessin, des écoles professionnelles,
etc.
» En somme, la pensée de M. Marins Vachon sur la situation ac-
tuelle des nations européennes et les conditions de leur prospérité
paraît se résumer dans les lignes suivantes, détachées du rapport qu'il
a présenté à la suite de son dernier voyage d'études à M. le sous-
secrétaire d'Etat des beaux-arts :
» Dans tous les pays d'Europe, il se produit en ce moment une
grande et profonde agitation artistique : on crée des écoles, des mu-
— 114 —
sées, on développe l'enseignement du dessin et le goût pour les œuvres
d'art. Toutes les nations deviennent concurrentes les unes des autres
pour l'industrie et le commerce. Comme, en raison des facilités de
communication et de relations introduites dans le mouvement général
par les chemins de fer. les })ercements de montagnes et d'isthmes, les
différents peuples ont adapté à leurs mœurs, à leurs besoins sociaux,
une certaine civilisation uniforme et collective : que. d'autre part, pour
ces mêmes raisons, il s'établit une sorte de moyenne économique qui
égalise à peu près les conditions de consommation, la nécessité s'est
fatalement imposée aux uns et aux autres de chercher à conquérir une
supériorité incontestable par l'originalité et par la valeur artistique de
leurs produits. C'est ainsi qu'on peut expliquer rationnellement ce
phénomène, qui se manifeste partout avec une intensité extraordinaire,
d'une renaissance artistique nationale. Chaque nation, Antée moderne,
semble vouloir reprendre des forces, se revivifier en touchant son sol,
en revenant à ses traditions et à son passé... Et à la fin de ce XIX*
siècle où, d'après les idéologues et les économistes, il devait s'opérer
une fusion entre tous les peuples, où toutes les barrières élevées par
les conventions politiques, par les mœurs variées devaient s'abaisser,
on voit poindre partout le particularisme le plus absolu, le nationalisme
le plus vivace, qui se manifeste par l'art, cette émanation de Tesprit
humain qui semblait devoir être le rayonnement éclatant de cette unité
intellectuelle si ardemment rêvée.
» Les peuples sentent instinctivement que l'heure est venue où, par
suite de la diffusion générale des sciences industrielles et commerciales,
on ne pourra plus se défendre contre l'invasion des voisins qu'en créant
entre tous les membres d'une race, d'une nation, une solidarité étroite
de besoins, de désirs et de satisfactions, basés sur une harmonie par-
faite de traditions, de goût et d'imagination... »
Telle a été dans ses grandes lignes, la conférence de M. Marius
Vachon. Nous devons toutefois remarquer que, selon l'usage, elle n'a
pas satisfait tout le monde. Avant de mourir, lejoui-nal la Réforme
du Nord a. en effet, émis à son sujet des réflexions un peu sévères :
» M. Vachon, « a-t-il dit » a insisté trop longuement sur la nécessité
de l'enseignement du dessin. Ne savait-il pas qu'il est donné très libé-
ralement et très complètement dans tout notre arrondissement ?
» Les grandes causes de la prépondérance allemande sont l'accrois-
sement de la population ; les races latines devenues malthusiennes ,
- 115 —
l'étude des langues vivantes, le bon marché des salaires, la protection
directe et indirecte donnée par l'Etat aux industries nationales, la sta-
bilité des ministères spéciaux, les tarifs de chemins de fer : tous ces
facteurs ont été à peine indiqués par le conférencier. . .
» M. Vachon aurait dû parler surtout de nos industries sucrières,
minières, métallurgiques, si menacées par l'Allemagne ; son terrain
était trop étroit et sa conférence trop longue. Les auditeurs se fati-
guaient d'entendre répéter la même idée sous des formes différentes.
» M. Vachon connaît bien rAlIemagne rhénane, la seule dont il nous
ait parlé, négligeant la Saxe, la Bavière, pays qui nous inondent pour-
tant de produits artistiques. 11 paraît moins ferré sur les ressources de
la France. 11 nous accuse de manquer d'écoles pour les ingénieurs. Ce
sont, hélas ! les places, qui font défaut. Il a oublié les écoles de Paris,
St-Etienne pour les mines et la métallurgie, l'Institut de Lille, les écoles
spéciales de Rouen, Roubaix, Lyon, Paris, Gluny, etc., etc. Il compte
une école des Arts et Métiers, il y en a trois ; et il a omis de nous parler
des sommes prodigieuses dépensées par nos vainqueurs en grands
travaux publics : canaux, chemins de fer, etc. C'est une revanche à
prendre. »
Les réflexions que nous venons de reproduire sont-elles bienjustes ?
Nous n'en sommes pas convaincu. M. Vachon avait pour sujet : Des
Industries d'Art à l'étranger, et non point : Des causes de la supé-
riorité industrielle de rAlIemagne. Et il nous semble avoir rempli
d'une manière très suffisante le cadre qu'il s'était tracé ?
IL
Avant de parler des résultats du concours organisé en 1886 par la
Société de Géographie de Valenciennes entre les élèves de l'instruction
primaire, il peut n'être pas inutile de jeter un coup d'oeil sur ceux des
années antérieures, afin de voir le chemin parcouru depuis le point de
départ de l'institution.
§ 1. — Concours de 1884.
C'est en 1884 qu'à l'exemple de plusieurs de ses sœurs et de ses
rivales, la Société de Géographie de Valenciennes ïonda ce concours.
Les prix en furent distribués dans une séance solennelle tenue le
116 —
13 Novembre , séance où M. Treille , député de Constantine , et
M. Edgai' La Selve, firent chacun une conférence sur \ Afrique du
Nord. — Les résultats de cette première tentative furent consignés
dans le rapport suivant du Secrétaire général.
« Mesdames, Messieurs ,
» Vous savez que , dés le début de cette année, la Société de
Géographie de Valenciennes avait annoncé que, dans le courant de
juillet, elle ouvrirait entre les jeunes gens des deux sexes âgés de
moins de 14 ans au i'"' janvier 1884. un concours comprenant une
double épreuve : la carte et la description de l'une des parties de la
France.
» Dès l'annonce de ce projet, une vive émulation régna dans toutes
les écoles de notre région, et ce lut sans étonnement, mais non sans
plaisir, que nous vîmes les inscriptions ne pas s'élever à moins de 142
pour les garçons et de 69 pour les jeunes filles.
» Notre premier soin avait été d'assurer, par de minutieuses précau-
tions, l'égalité entre les concurrents, et d'éviter avant tout que l'on
pût soupçonner le sujet d'avoir été divulgué à l'avance au profit de
quelques-uns. Ce sujet fut choisi par l'homme le plus compétent en
ces matières, l'honorable M. Lambert, inspecteur de l'instruction pri-
maire et l'un de nos vice-présidents, — qu'un deuil de famille éloigne
aujourd'hui, ce qui me permet de lui adresser un éloge que m'inter-
dirait sa modestie s'il était présent au milieu de nous. M. Lambert
nous le remit sous plis cachetés et ces plis ne furent ouverts que le
24 Juillet, à dix heures du matin, en présence des candidats réunis à
Valenciennes, à Saint-Amand, à Bouchain et à Gondé, pour prendre
part au concours.
» Ces candidats n'eurent à leur disposition ni livres, ni cartes.
L'emploi même de tout papier autre que celui distribué par les prési-
dents du concours leur fut interdit et vous savez tous que la feuille où
devait être recopiée la composition portait, en l'un de ses coins, une
enveloppe gommée, à l'intérieur de laquelle chaque candidat inscrivit
son nom, afin que les examinateurs ne pussent être soupçonnés de
s'être laissé influencer par aucune considération étrangère, et qu'ils
ne connussent eux-mêmes les noms des vainqueurs que lorsque ces
noms seraient devenus irrévocables.
- 117 —
» L'examen des compositions — œuvre longu(^ et minutieuse —
nous fit voir combicMi tend à s'élever dans notra arrondissement le
niveau des connaissances primaires ; il nous montre les progrès
accomplis, depuis quatorze ans surtout, dans l'étude de la géographie,
et nous prouva une fois de plus que les immenses sacrifices pécuniaires
consentis avec une si utile prodigalité par les communes et par l'Etat
pour améliorer l'instruction du peuple ne sont pas demeurés stériles.
» Le sujet choisi comportait la description et la carte du versant
français de la mer du Nord et de la Manche. Bon nombre de concur-
currents ont conçu la question dans toute son ampleur ; mais d'autres
ne se sont pas rendu compte que ce versant s'étend au-delà du bassin
de la Seine ; d'où supériorité des compositions qui, à ce bassin, ont
ajouté ceux de l'Escaut, de la Meuse et de la Moselle.
» Plusieurs cartes sont très soignées et l'une d'elles, presque par-
faite, annonce chez son auteur de remarquables dispositions pour l'art
où se sont illustrés jadis les d'Anville et de nos jours les Vivien de
Saint-Martin. Mais , surtout chez les jeunes filles, d'autres cartes
laissent à df^sirer et elles sont, en général, inférieures aux com-
positions.
» Celles-ci révèlent une instruction étendue et abondante ; elles
sont riches en détails et même souvent trop riches, parce que leur
accumulation fait parfois oublier les caractères généraux de chaque
région. Toute proportion gardée quant au mérite, plus d'une ressemble
à ces peintures des écoles primitives où le brin d'herbe du troisième
plan est traité avec autant de précision que le personnage du premier.
Rien n'étant sacrifié, rien ne ressort, et l'œil égaré confond l'accessoire
avec le principal.!
» Telle est l'impression que laisse l'ensemble du concours, impres-
sion des plus satisfaisantes, malgré les réserves que nous venons de
formuler avec une cordiale franchise, et bien meilleure assurément
que nous n'avions osé l'espérer. Que, sous la direction des maîtres et
des maîtresses aussi habiles que dévoués qui les dirigent, les jeunes
gens de notre arrondissement prennent confiance eu eux-mêmes ;
qu'ils se fient moins à la mémoire et donnent davantage à la réflexion ;
qu'ils accordent aux détails les mêmes soins que par le passé, mais
qu'ils apprennent à les grouper par grandes masses saisissantes, et à
ne pas confondre une énumération avec une description ; qu'ils s'ap-
pliquent avec plus de sollicitude encore au tracé des cartes ; que, par
la lecture raisonnée et fréquente de ces livi-es de géographie concrète
- 118 —
dont Elysée Reclus nous fournit en ce moment un admirable modèle,
ils s'ingénient à bien saisir l'aspect particulier des contrées diverses et
à le rendre d'une façon pittoresque ; et ils verroiit combien une étude
qui leur semblait d'abord triste et froide deviendra gaie et riante à
leurs yeux ; et ils verront quels immenses progrès récompenseront
leurs efibrts. Ils ont fait bien cette année-ci : qu'ils suivent nos
conseils et, l'année prochaine, ils feront encore beaucoup mieux. »
§ 2. — Concours de 1885.
Le concours de 1885 donna lieu au rapport suivant :
Mesdames , Messieurs ,
« Les concours ouverts cette année par la Société de Géographie
de Valenciennes ont attiré un nombre délèves légèrement inférieur
à celui de l'an dernier : au lieu de 221 candidats, dont 142 garçons
et 69 jeunes filles, nous n'avons plus eu à en inscrire que 161, dont
104 d'un sexe et 57 de l'autre. Mais nous dev; ns nous hâter de dire
que cette infériorité de nombre a été compensée par la supériorité de
mérite et que la force moyenne des compositions a même dépassé nos
espérances.
p Lors de notre première tentative, nous avions réuni dans un seul
concours tous les jeunes gens âgés, au début de janvier, de moins de
14 ans. On nous a fait observer que cette combinaison ne laissait de
chances qu'aux élèves qui approchaient de la limite d'âge, les enfants
de dix ou onze ans ne pouvant guère, toutes choses égales d'ailleurs,
sérieusement rivaliser avec ceux de plus de treize ans. Auss^ dans le
but d'éviter cet inconvénient et de permettre à tous d'aspirer à la
victoire, avons-nous pris le parti de créer deux divisions : l'une ren ■
fermant les élèves âgés de moins de onze ans le l'""" janvier 1885,
l'autre ceux âgés, à cette date, de plus de onze ans et de moins de
quatorze ans.
» Identiques pour les deux sexes, les sujets à traiter ont dû néces-
sairement être proportionnés à la force présumée des élèves.
» Vous savez que les plus jeunes ont eu à définir les divers genres
de canaux, à indiquer l'ensemble de la canalisation de la France, et à
en reproduire la carte.
— 119 —
» Tout simple qu'il est, ce sujet ne laissait pas de présenter certaines
difficultés. Il ne se trouve pas traité en bloc dans les livres élémen-
taires et les enfants devaient, pour s'en tirer, faire appel à autre
chose qu'à la mémoire. Le résultat a été néanmoins très digne d'éloge.
» Dans les travaux émanant des garçons, la partie descriptive de
cette composition s'est fait remarquer par la richesse et la précision
de ses détails. Le bief, le sas, l'écluse et tous les autres éléments dont
se compose un canal creusé à mains d'hommes ont été presque par-
tout soigneusement analysés quant à leur construction et à leur but.
On trouve là l'écho des promenades scolaires et des leçons que donne
l'instituteur en présence des choses elles-mêmos , promenades et
leçons qu'on ne saurait trop multiplier et qui gravent à jamais dans
l'esprit de l'élève des notions acquises tout en se jouant. D'un autre
côté, aussi bien dans les travaux des garçons que dans ceux Jes filles,
la nomenclature des canaux de la France a été faite avec une singulière
exactitude et non sans une certaine méthode qui marque un bon
enseignement.
» Quant à la carte, le tracé des canaux est généralement plus
complet chez les garçons que chez les filles, mais on constate que tous
ont, dans les yeux et dans la main, les contours de la France; que
l'image de notre patrie - apparaît clairement à leur esprit et qu'en la
reportant sur le papier, ils savent lui conserver sa physionomie propre.
» Tandis que les concurrents de la seconde division traitaient des
canaux, ceux de la première avaient à nous donner la description et la
carte de l'Algérie.
» Ils se sont brillamment acquittés de leur tache.
» L'an dernier, nous avions constaté une assez grande inégalité
entre les travaux des garçons et ceux des filles ; et, quoiqu'il en coûte
à notre galanterie, nous devons déclarer que ces dernières étaient
restées notablement inférieures à leurs rivaux. Cette année l'égahté
s'est rétablie et plusieurs compositions féminimes joignent à des cartes
fort convenables des textes d'une rare élégance.
» De leur côté, les garçons se sont distingués par tant de compositions
dépassant la moyenne, que si nous avions eu à notre disposition un
plus grand nombre de récompenses et si, à un autre point de vue, nous
n'avions craint d'en abaisser la valeur en les prodiguant, la quaran-
tième même par ordre de mérite aurait été digne de quelque mention.
L'an dernier, nous avions blâmé l'abus de l'énumération et l'absence
de plan dans les descriptions. Le concours actuel marque, sous ce
— 120 —
rapport un grand progrès. Les élèves se sont accoutumés à mettre
chaque chose à sa place, a distinguer l'accessoire du principal, à
répandre sur celui-ci la pleine lumière et à laisser le reste dans l'ombre
ou la demi-teinte. Où nous n'avions encore vu que des écoliers, nous
commençons à apercevoir des artistes et ils ont droit, pour leur effort,
à toutes nos félicitations.
;> D'où vient un si prompt changement? De deux causes selon nous:
d'abord de ce que l'enseignement des maîtres s'est, ujieux que par le
passé, appliqué à faire saisir les ensembles ; puis surtout de ce que les
élèves se sont passionnés pour la géographie et, par des lectures abon-
dantes et variées, ont pris plaisir, au sortir des classes, à étendre
leurs connaissances. Ils sont ainsi entrés dans la bonne voie, clans celle
du travail p*ersonnel qui seul conduit à la vraie science, et en dehors
des prix que nous nous ferons un plaisir de leur offrir, ils en recueil-
leront pour récompense de se sentir chaque jour plus éclairés et meil-
leurs. Cette heureuse émulation est un fruit de nos concours et elle
est de bon augure pour l'avenir des études géographiques. »
La lecture de ce rapport a été suivie de la distribution des prix, et
d'une conférence de M. Emile Bouant, professeur de physique au
Lycée Charlemagne , sur la Terre et VEau . conférence qui , plus
tard , a été intégralement publiée daus le Bulletin de la Société de
Géographie de Lille.
§ 3. — Concours de 1886.
Quant au concours suivant, la distribution de ses prix a eu lieu le
28 novembre 1886, au théâtre de Valenciennes, dans une cérémonie
dont le Courrier du Nord a rendu compte en ces termes :
« Les jeunes concurrents, leurs familles et leurs maîtres, joints au
public ordinaire des conférences géographiques, formaient dans la salle
une nombreuse assistance.
» Sur la scène ont pris place M. Doutriaux. président de la Société
de Géographie de Valenciennes, MM. Paul Crépy, Alù-ed Renouard
et Eckmann, président et secrétaires de la Société de Lille, M. Paul
Sautteau, adjoint au maire de Valenciennes , M. Euiile Pesier, vice-
président de la Société d'agriculture , sciences et arts , et difiérents
membres de la Société géographique, valenciennois et condéens.
» M. Doutriaux, en ouvrant la séance, a. dans une cordiale allocu-
— 12i —
tion, déclaré que la Société de géographie trouve une de ses plus vires
satisfaction à distribuer les prix du concours qu'elle a fondé il y a
trois ans. En prenant cette initiative, la Société de Géographie de
Valenciennes s'est proposée de développer dans notre arrondissement
le goût des études géographiques ; M. Doulriaux s'est félicité de l'aide
quide toutes parts lui a été prêtée à cet effet. La ville de Valenciennes,
la Chambre de commerce, la Société d'agriculture, sciences et arts,
ont bien voulu accorder chaque année des médailles aux lauréats du
concours. Chez les enfants appelés à se disputer ces récompenses, la
Société a rencontré beaucoup de bonne volonté et d'émulation ; en
leurs maîtres, elle a trouvé des auxiliaires tout dévoués. A tous,
M. Doutriaux a exprimé ses remerciments.
» 11 a dit, en terminant, que la Société de Géographie de Valen-
ciennes a été représentée récemment au Congrès géographique de
Nantes par son président et son secrétaire-général, et qu'elle a obtenu
les applaudissements des Sociétés les plus importantes de France, en
exposant l'organisation et le résultat de ces concours institués pour les
élèves de l'enseignement primaire.
» Enfin M. Doutriaux a rendu hommage à la complaisance avec
laquelle M. Guillot avait bien voulu se mettre à la disposition de la
Société de géographie de Valenciennes pour relever encore, par une
de ses intéressantes conférences, l'attrait de la solennité.
Dès que les applaudissements soulevés par ces paroles ont été calmés,
M. PaulFoucart, secrétaire-général de la Société de géographie, a
exposé dans le rapport suivant les observations suscitées par le con-
cours de 1886 ;
* Mesdames, Messieurs,
» Après les conférences solides ou brillantes par lesquelles
MM. Oukawa. Guillot. Walke et Faucher nous ont successivement
transportés du Japon dans l'Afrique centrale, et des bords du Congo
dans la Bolivie et le Pérou ; après d'autres conférences non moins
curieuses, bien que moins intimement liées à la géographie, par les-
quelles MM. Alglave et Vachon nous ont instruits, l'un de son projet
de monopole facultatif des alcools, l'autre de l'état actuel des indus-
tries d'art au delà du Rhin ; après diverses excursions pai^mi nos en-
tours et les voyages de certains de nos sociétaires en Angleterre ou à
— 122 —
Nantes, la Société de géographie de Valeiiciennes en revient aujour-
d'hui à la partie la plus utile et la plus fructueuse peut-être de sa tâche,
c'est-à-dire au concours qu'elle a établi entre les élèves de l'instruc-
tion primaire.
» Ce concours, dont nous allons nous faire un plaisir de distribuer
les prix, a eu lieu, comme vous le savez, le 22 juillet 1886. Calqué sur
celui de l'an dernier, il avait attiré 153 concurrents, comprenant 107
garçons et 46 jeunes filles, âgés au plus de 14 ans au 1^' janvier 1886,
et qui furent partagés en deux groupes, suivant qu'à la même époque
ils avaient ou non dépassé onze ans.
» Les plus jeunes eurent à tracer le plan et à faire la description de
l'arrondissement de Valenciennes.
» En leur donnant ce sujet, la Société de géographie comptait leur
offrir un thème facile, capable de mettre en jeu leurs observations
personnelles, et de produire des compositions variées,
» Son espoir a été quelque peu déçu, et loin d'exciter la verve des
élèves, ce programme si simple paraît les avoir embarrassés forte-
ment.
» Quant à la carte, les uns se sont amusés à tracer avec soin celle de
la France entière, à une échelle si minime que notre arrondissement
y disparaît presque tout entier ; les autres, mieux inspirés, en ont des-
siné une image plus distincte, mais très inférieure encore aux plans
que des élèves du même âge nous ont donnés dans d'autres cas.
» Les compositions offrent, en général, des insuffisances du même
genre. L'un des concurrents ne donne à notre arrondissement que
60,000 habitants. Un autre lui en octroie 400,000, et une jeune fille
plus généreuse encore, lui en accorde 600,000 ! En traitant des indus-
tries principales, presque tous ne manquent, point de parler, comme
existant encore, de la dentelle, disparue depuis longtemps pai'ce qu'elle
ne pourrait plus faire vivre les ouvrières qui la fabriqueraient ; mais
en traitant des voies de communication, ils se gardent bien de parler
des tramways, qu'ils voient manœuvrer quotidiennement, et que la
plupart avaient pris le matin pour se rendre au concours. Le motif,
c'est que leurs livres de classe ne citant que la dentelle, qui est ancienne,
et pas les tramways, qui sont neufs, ils se souviennent de ces livres,
au lieu d'essayer de traduire eux-mêmes sur le papier les faits qu'ils
ont sous les yeux.
> Ces remarques indiquent qu'U faut plus que jamais s'attacher aux
leçons de choses, aux promenades scolaires, à tout ce qui peut exciter
- 123 -
et tenir en éveil l'énergie propre des élèves. Moins de vagues réminis-
cences, plus d'observation et de réflexion, voila ce que nous deman-
dons pour l'avenir.
» Ceci dit, nous devons ajouter qu'afin do maintenir le zèle, nous
avons plutôt accru que diminué le nombre des récompenses qui, peut-
être, avaient été précédemment renfermées dans des limites trop
stricte.s. Notre jeune clientèle y verra tout à la fois une marque de
bienveillance et un. encouragement pour de nouveaux efforts.
» La première division, celle des élèves âgés de plus de onze ans,
eut, de son côté, pour sujet de concours, la carte et la description du
versant français de l'Océan Atlantique. En outre, pour montrer qu'ils
avaient une idée nette du relief du sol, les concurrents étaient invités à
tracer une coupe du terrain suivant une ligne allant de Brest à la
source de la Loire . Cette partie de la composition n'était pas obligatoire ,
mais il devait en être tenu compte pour le classement.
» Ici nous sommes contraints d'avouer que, par suite d'un manque
de galanterie qui leur sera facilement pardonné, les garçons l'ont
emporté sur leurs rivales. Tandis que, parmi celles-ci, les quatre pre-
mières seules ont dépassé la majorité absolue des points, le dixième
des garçons se trouve encore dans le môme cas. Il y a là, pour les
jeunes filles, une revanche que nous les convions à prendre l'année
prochaine.
» Les compositions sont, en général, fort bonnes. Sauf dans des cas
exceptionnels, le talent du dessin marche de pair avec la science des
faits, et la seule inspection de la carte permet de deviner le mérite du
texte. Quelques-unes de ces cartes sont belles et dénotent de rares
aptitudes. Toutefois, bon nombre de concurrents ont mal indiqué les
positions des villes, et n'ont pas indiqué du tout la nature des côtes
françaises sur l'Océan atlantique. Ce sont là des erreurs et des lacunes
que nous avons le devoir de signaler.
» Dans le texte, on trouve d'ordinaire des renseignements exacts sur
l'aspect et les productions du massif central de la France, mais rare-
ment une appréciation suffisante du rôle de ce massif quant à la nais-
sance et à la direction des cours d'eau. On y désirerait aussi un peu
plus de liaison entre les faits, plus d'idées générales montrant que
l'élève est en pleine possession de son sujet et domine sa matière au lieu
de se laisser dominer par elle,
» Malgré les réserves qu'une exacte justice nous a contraints à for-
muler, l'ensemble du concours est de nature à nous satisfaire et à
— 124 —
faire persévérer notre Société de géographie dans une initiative où elle
a eu le bonheur d'être généreusement encouragée par la ville de
Valenciennes, la Chambre de Commerce et la Société d'agriculture.
Ce concours annuel entre de plus en plus dans nos mœurs scolaires; les
élèves s'y préparent avec autant d'entrain que de persévérance, et se
livrent, en vue d'y réussir, à des lectures personnelles dont ils n'avaient
auparavant aucune idée. Ils sont soutenus parle désii* d'être publique-
ment récompensés dans une cérémonie telle que celle-ci, pai' l'espoir
de se surpasser eux mômes s'ils ont obteim déjà quelque prix et plus
encore par le plaisir qu'ils trouvent finalement dans un genre d'étude
d'abord considéré comme aride. Nous ne négligerons rien pour entre-
tenir et enflammer davantage encore cette généreuse ardeur. »
L'appel des lauréats a été fait ensuite. Chacun d'eux est venu cher-
cher la médaille qui lui était destinée et à laquelle la Société de géo-
graphie avait joint de fort beau livres. Les applaudissements de l'assis-
tance n'ont pas fait défaut: ils ont souligné notamment le nom de
l'école de filles d'Escaudain, dont les élèves ont remporté une bonne
partie des récompenses.
Une section delà Musique municipale aniiiiait la cérémonie en l'entre-
coupant de ses accords.
Voici la liste des jeunes gens récompensés :
PREMIERE DIVISION.
Garcous.
1. Médaille de vermeil offerte par la ville de Valenciennes, Adonis Tichoux ,
élève de VEcole communale de !Suint-Amand, dirigée par M. Cordonnier.
'l. Médaille de vermeil offerte par la Société d'agriculture , sciences et arts de
Valenciennes, Alphonse-Antoine-Jean Perron, Ecole de Saint-Auiand, directeur
M. Cordonnier.
3. Médaille d'argent offerte par la ville de Valenciennes, Alexandre Stéphan ,
Ecole de Valenciennes, directeur M. Damien.
4. Médaille d'argent offerte par la Chambre de commerce de Valenciennes ,
Arthur Gênez, Ecole de Bruay, directeur M. Badard.
5. Médaille d'argent , Émile-Désiré Quinet, Ecole de Saint-Amand, directeur
M. Cordonnier.
6. Médaille d'argent , Emile Dropsy, École de Valenciennes, directeur M. Da-
mien.
7. Médaille d'argent, Gustave AW&rt , Ecole de Notre-Dame-au-Bois , directeur
M. Lecat.
- 125 —
8. Médaille d'argent, Achille Dclsaut, École de Thiant, directeur M. Descamps.
9" Médaille de bronze , Adolphe Bource , École de Bruay-TIiiers , directeur
M. Marchand.
10. Médaille de bronze, Charles Lebon, Ecole de Bruay-TJiiers, directeur M. Mar-
chand.
Mentions honorables.
1. Paul Carrez , École de Bruay-Thiers, directeur M. Marcliand.
2. Henri Dhap, École de Valenciennes, directeur M. Damien.
2. Alfred-Jean-Baptiste Berteau, École de Curgies, directeur M. Dufour.
4. Alfred Delzant. École d'Anzin, directeur M. Tison.
5. Henri Fariueaux, École de Sebourç, directeur M. CarouUe.
6. Edmond-Jules Delhaye. École de Maing, directeur M. Deliège.
7. Jean-Baptiste Rigaux, École de Denain, directeur M. Deschamps.
S. Henri Renard, École de Vieux-Condé, directeur M. Vermesch.
9. Alexandre Rigaux, École de Maing, directeur M. Deliège.
10. Henri Hémez, École d'Hasnon, directeur M. Donné.
11. Julien Cacheux, École de Valenciennes, directeur M. Delsart.
12. Gharles-.loseph Delbart, Ecole de Yieux-Condé, directeur, M. Vermesch.
Filles.
1. Médaille de vermeil offerte par la Chambre do commerce de Valenciennes,
Laure-Marie-Louise Quinet, élève de YÉcole communale d'Escaudain, dingee par
M""* Deltour. ..-nu t^ 1
2. Médaille d'argent offerte par la ville de Valenciennes, Leome Gorbisez, hcole
de Valenciennes, directrice M™" Wallerand.
3. Médaille d'argent offerte par la Chambre de commerce de Valenciennes ,
Euc^énie Boutelier, École de Vicux-Condé, directrice M"" Démarez
4. Médaille d'argent, Héloïse Dhecq, École de Vieux-Condé, directrice M"" De-
rriâ.r6Z
5. Médaille d'argent, Emma-Louise Bochu , Ecole d'Escoudain, directrice
M""" Deltour. . .
6 Médaille d'argent, Jeanne Mallez, Ecole de Préseau, directnce M Lussiez.
7.' Médaille de bronze , Adolphine Thiéry, École de Vieutc-Condé , directrice
sœur Boulogne. .
8. Médaille de bronze, Odile Dudoignon, Ecole dHasnon, directnce M Bracq.
Mentions honorables.
1. Marie Fiévet, École d'Escaudain, directrice M""' Deltour.
2. Marie Pissot, École de Bouchain.
3. Marie-Duvivier, Ecole de Bouchain.
4. Henriette Fiévet, École d'Escaudain, directrice M'"' Deltour.
5. Claire Derquenne, École de Sebourg, directrice M™' Maizierres.
6. Élodie Sénéchal, École d'Escaudain, directrice M'"" Deltour.
7. Marie-Félicie Dhénain, École d'Escaudain, directrice M"'' Deltour.
8. Anna Héloir, École ae Valenciennes, directrice M'"' Givert.
9. Aimée Serrez , École de Valenciennes, directrice M'"*' Wallerand.
10. Octavie Tricart, École de Valenciennes, directrice M'' ' Givert.
- 126 —
SECONDE DIVISION.
Grarcons.
1. Médaille d'argent, Alphonse Legrand, élève de VÉcole communale de Saint-
Ayhert, directeur M. Caby.
2. Médaille d'argent , Auguste Classe, École rie Chdteau-V Abbaye, directeur
M. Hien.
3. Médaille d'argent, Paul Labarrière, École de Saultain, directeur M. François
4 Médaille de bronze, Clovis-Joseph Houzé , École de Sebourr/, directeur
M. Caroulle.
5. Médaille de bronze, Charles Louis Tissier, Ecole de Valenciennes, directeur
M. Lesur.
6. Médaille de bronze, Gustave Lemaire, Ecole de Maing, directeur M. Deliège.
Mentions honorarles.
1. Arthur Moreau, Ecole de Bruay, directeur M. Badard.
2. Alphonse Dervaux, Ecole de Valenciennes, directeur M. Damien.
3. Paul Bracq, École de Saint-Amand, directeur M. Cordonnier.
4. Léon Boulanger, École de Saint-Vaast, directeur M. Detammaker.
5. Henri Bernard, École de Saint-Vaast, directeur M. Detammaker
6. Odon Michaux, École de VieuxConde, directeur M. Vermesch.
7. Gabriel Chienne, École de Bouchain, directeur M. Tellier.
8. Alcide Lœuil, École de Thiant, directeur M. Deschamps.
9. Léon Bonté, Ecole de Valenciennes, directeur M. Damien.
10. Octave Goffart. École de Préseau, directeur M. Lussiez.
Filles.
PRIX.
1. Médaille d'argent, Marie-Octavie-Adèle Quinet, élève de VEcole communale
d'Escai'.dain, directrice M"" Deltour.
2. Médaille d'argent offerte par la Société d'Agriculture , sciences et arts de
Valenciennes, Jeanne Mariaee, École d'Onnainfj. directrice M""" Lenne.
3. Médaille de bronze offerte par la Société d'Agriculture , sciences et arts de
Valenciennes, Célestine Hennequet, Ecole d'Escaudain, directrice M"" Deltour.
Mentions honorables.
1. Victorine Dautel, École de Thiant, directrice M""" Hutin.
2. Héloïse Hoste, École de Thiant, directrice M""* Hutin.
3. Mathilde Moriaux, élève de M'"" Jottaye.
4. Jeanne DelofFre, École de Valenciennes, directrice M'"' Givert.
Conférence de M. Guillot.
La seconde partie de la séance , et non la moins attrayante , a
été occupée , comme il avait été annoncé , par une conférence de
M. Guillot.
— 127 —
M. Guillot , qui nous avait entretenus dans ses précédentes visites
à Valenciennes des diverses parties colonisées de l'Afrique , nous a
conduits moins loin cette fois , sans que le voyage accompli en imagi-
nation sous sa conduite fut moins agréable.
M. Guillot a visité pendant les dernières vacances de l'Université la
Suisse orientale , et notamment le canton des Grisons. Cette partie de
la confération helvétique est beaucoup moins connue des Français que
les cantons plus rapprochés de nos frontières. A cette circonstance
même , elle doit d'avoir gardé un caractère moins cosmopolite que la
Suisse occidentale. Elle ne le cède du reste en rien à celle-ci , quant à
la variété et à l'intérêt des sites qui s'offrent aux yeux des touristes.
Le conférencier a commencé à nous raconter en détail son voyage
à partir du moment où il quitta Lucerne : de cette ville il a gagné le
Saint-Gothard en côtoyant le lac des quatre Cantons et la Reuss. Dans
le canton des Grisons , il a parcouru toute la vallée du Rhin et celle de
rinn.
Peu d'excursions , semble-t-il , doivent fournir une matière aussi
riche et aussi variée au récit du voyageur. La nature y présente des
aspects les plus divers : ici ce sont d'abrupts et grandioses entas-
sements de rochers , là de sauvages forêts ou de riants pâturages sur
les pentes des montagnes , ici des lacs pittoresques , là des sommets
dénudés et des glaciers mornes. Et , chemin faisant , les miracles
opérés par l'ingéniosité et le travail humains, les pontsjetés au-dessus
des abîmes, les tunnels creusés à travers les monts , sollicitent l'admi-
ration à côté des magnifiques tableaux disposés par les bouleverse-
ments terrestres.
Si nous ajoutons que ni les souvenirs historiques , ni les légendes
ne sont rares dans cette partie de la Suisse , on comprendra tout le
parti qu'a pu tirer de ce voyage un homme tel que M. Guillot , intelli-
gent observateur, narrateur méthodique et précis , orateur facile et
élégant.
Des projections à la lumière oxhydrique ont fait passer sous les
yeux des assistants les points de vue les plus curieux de la contrée
visitée par le conférencier.
- 128 -
COURS ET CONFÉRENCES DU JEUDI SOIR
»
A LILLE.
(m exteîiso).
LA QUP:STI0N du SENEGAL
ET LES VOYAGES DU DOCTEUR BAYOL
Par M. E. GUILLOT ,
Professeur agrégé d'histoire au lycée Charlemagne ,
Membre d'honneur de la Société de Géographie de Lille ,
Secrétaire de la Société de Géographie commerciale de Paris.
Il est peu de sciences, qui depuis le commeucement du siècle aient
subi des transformations plus profondes, accompli des progrès plus
merveilleux et plus rapides que la géographie. Longtemps mal apprise
et mal enseignée, réduite le plus souvent à des nomenclatures avides
et superflues que ne tempérait aucune description générale et précise,
elle aenfiB- acquis sa vraie méthode et s'est perfectionnée en s'enrichis-
sant. Les grandes découvertes de notre époque la rectifient et l'éclai-
rent. La colonisation, dont le développement toujours croissant semble
résumer toute l'histoii'e des nations Eui^opéennes, durant les vingt der-
nières années lui apporte des éléments nouveaux et féconds. Aujour-
d'hui que la souffrance des industries nationales, conséquence inévi-
table du progrès industriel des paj's voisins, entraîne le ralentissemet
du commerce, il faut de nouveaux débouchés. Les grandes puissances
les recherchent avec une activité continue et jalouse: il n'est pas
jusqu'aux nations secondaires qui . soit pour satisfaire une ambition
parfois légitime, soit pour obéir à l'esprit d'imitation qui les tour-
mente ne se croient obligées d'entrer en scène et d'accomplir ça et là
quelques annexions bruyantes.
L'Angleterre, il faut le reconnaître, à la première donné aux autres
- 129 -
peuples, l'exemple de cette politique avide et insatiable que chacun s'est
ensuite et'tbrcé de pratiquer, Maîtresse de son immense et prospère
colonie des Indes, que les efforts du Dupleix et de Lally Tollendal n'ont
pu nous conserver, elle a achevé en soumettant les Mahraltes et les
Seykhs la conquête de ce vaste territoire ; depuis 1857, elle a mis à pro-
fit la révolte des cipayes pour rattacher l'Inde à la couronne par des
liens plus étroits, mais que la puissance Moscovite parviendra peut-être
un jour à briser. Les cotes de l'Inde-Chine lui sont en grande partie
soumises du Brahmapoutre à Singapour : tout récemment encore eUe
annexait la Birmanie, mais c'est en vain que depuis 1866 les expédi-
tions anglaises ont tenté en remontant le Brahmapoutre. l'Iraouddy.
le Salouen, de pénétrer en Chine, et d'attirer vers les possessions bri-
tanniques, les riches produits des provinces Méridionales du Céleste
Empire. L'intention de TAngleterre a d'aUleurs depuis quelque temps
été détournée vers l'Asie Centrale par les progrès menaçants des
Russes, et c'est là vers les Steppes du Turkestan. vers les passes de
l'Hindou-Kouch ou le pays accidenté de Hérat. que se décidera un jour
par les armes l'importante question de la conservation ou de l'abandon
de l'Inde.
En Afrique, prévenue p^ir nous dans la vaUée du Haut Niger, l'An-
gleterre essaie de commander le cours inférieur du fleuve par ses nom-
breux établissements delà cote do Guinée.
Le Cap et ses annexes lui assurent une situation propondérante dans
l'extrême Sud de l'Afrique, mais l'extension de cette colonne anglaise,
semble déjà à tout jamais, condamné, par l'hostilité des Boërs et les
nouveaux établissements de l'Allemagne à Angra Pequena. Chacun
sait quel coup terrible ont porté à l'orgueil et à la domination britanni
ques. la triste fin de Gordon et l'abandon forcé du Soudan Egyptien.
Mais repoussée d'un côté l'Angleterre , se relève toujours d'un
autre, elle n'hésite jamais à maintenir son prestige et à réparer ses
échecs.
L'Australie est devenue entre ses mains, en moins d'un siècle une
colonie prospère ; l'annexion des iles Fidji . des anciens Comptoirs
Hollandais de la Nouvelle Guinée, les progrès de la Nouvelle Zélande
ont assuré àl'influence Britannique, une extension jugée cependant
insuffisante par les colonies Australiennes, puisque, dans leur avidité
vraiment choquante, elles auraient voulu la voir étendre, à tous les
archipels Océaniens inoccupés jusqu'à ce jour. Si l'on joint à ces im-
menses conquêtes l'incorporation dans le Dominion of Canada de toutes
— iso-
les Colonies Britanniques de rAmérique Septentrionale, il est facile de
voir combien l'influence anglaise, déjà attaquée mais non anéantie
prédomine encore sur les différents rivages des di\ erses parties du
monde.
Tout autre a été la politique moscovite: Loin de s'établir un peu par-
tout à la surface du globe, la Russie, poussée par robligation fatale de
substituer aux contrées glacées qu'elle occupe des pays plus favorisés
au point de vue du climat et des productions, fidèle d'ailleurs aux prin-
cipes de Pierre Le Grand qui inspirent encore ses agrandissements
de chaque jour, la Russie cherche à grouper autour de ses possessions
Européennes des parcelles destinées à former un jour un vaste empire
Asiatique. Dans ce siècle, elle a franchi le Caucase, occupé les vallées
du Kour et de l'Aras, reprimé le révolte de Schamyl dans la Caucase,
démembré l'Arménie dont elle réclame encore quelque lambeau. Aux
villes maritimes de la Sibérie Orientale que les glaces bloquent six à
huit mois de l'année, elle a joint le fertile territoire de l'Amour et les
ports déjà meilleurs de Nicolaiewsk et de Vladivostok, enfin depuis un
demi siècle, dans le Turkestan, sa marche est foudroyante. La prise de
Tachkend, de Khokand, de Samarcand, de Khiva, de Géoktépé, de
Merv, marquent les étapes. Hier les Russes occupaient Merv : aujour-
d'hui ils veulent Saraks et Pendjeh ; demain ils réclameront Hérat la clef
de l'Afghanistan, puis l'Afghanistan le boulevard de l'Inde.
En présence de cette extension continue et menaçante de deux
grandes nations, la Russie et l'Angleterre, des puissances même secon-
daires n'ont pas cru devoir se désintéresser de ce grand mouvement
d'expansion coloniale, dont l'activité redouble chaque jour.
L'Espagne, malgré ses pertes du commencement du siècle non encore
oubliées, réduite aujourd'hui à quelques débris de son ancienne domi-
nation maritime, surveille avec une avidité jalouse, le Maroc sur
lequel elle suppose, grâce à ces possessions des Présides, avoir acquis
des droits que lui contestera peut-être l'Allemagne. Le Portugal,
réduit lui aussi, dans ses possessions extérieures, s'est effo'^cé de faire
revivre d'anciens droits sur le cours inférieur du Congo, tandis que la
Hollande se contente du fructueux commerce de ses colonies de
Malaisie.
Frustrés de la Tunisie et n'osan<: encore s'établir à Tripoli, les Ita-
liens occupent à grand bruit Assab, Massaouah, et engagent avec le
royaume de Choa des négociations peu désintéressées, mais peu fruc-
tueuses jusqu'à ce jour.
- 131 -
Enfin l'Allemagne elle-même, qui semblait jusqu'à pr<'^sent, se tenir
pour ainsi dire à l'écart, a voulu en s'associant à celte politique colo-
niale, ouvrir un champ immense à ses éraigrants. Chaque occupation
qu'elle accomplit semble d'ailleurs destinée à gêner ses voisins. Par
Porto-Seguro elle a pris pied sur la côte de Guinée à côté de l'Angle-
terre. D'Angra-Pequena elle surveille la colonie du Cap. Camerouns
lui permettra de pénétrer dans les régions encore peu connues de
l'Afrique centrale ; les événements de l'avenir nous montreront quel
doit être son rôle au Congo où elle occupe Noki ; elle s'est établie sur
la côte orientale d'Afrique malgré le sultan de Zanzibar dont elle
semble convoiter la riche succession, et à fondé des établissements en
Nouvelle-Guinée.
Ce mouvement de conquêtes pacifiques, d'expansion à l'extérieur a
eu naturellement son écho en France et il a rencontré dans notre
pays beaucoup d'adversaires, bien des sceptiques et quelques partisans.
Les uns se desintéressant absolument de ce qui se passe à l'étran-
ger, estiment que l'idée de la revanche doit empêcher toute inter-
vention active au dehors : les luttes politiques et les questions
intérieures leur semblent d'ailleurs moins dangereuses que des
agrandissements jugés par eux ou inutiles ou funestes. D'autres, sans
condamner en principe des acquisitions dont le but est de modérer
l'influence des nations voisines et de relever notre commerce , ne
croient point au succès de cette politique : les événements, il faut bien
l'avouer semblent parfois leur donner raison, lorsqu'ils allèguent la
lenteur de la colonisation dans l'Algérie à peine pacifiée, les erreurs
de l'expédition Tunisienne , les dépenses faites pour le Sénégal, les
difficultés que nécessitent la sauvegarde de nos droits à Madagascar,
le protectorat de l'Annam et l'occupation du Ton-Kin. Sans doute des
fautes ont été commises, et Thistoire de ces conquêtes, qui est encore à
faire, attribuera un jour à chacun sa juste part de responsabilité. Mais
la France ne doit pas rester stationnaire sous peine de déchoir au
moment surtout où se révèle l'activité de tous les peuples civihsés.
Sans poursuivre de parti pris des annexions stériles ou exagérées,
sans même acquérir des droits nouveaux elle doit pour son honneur,
pour son industrie, pour son commerce soutenir au moins ceux qu'elle
possède, et par une politique prudente, modérée mais ferme et résolue
quand les circonstances l'exigent, assurer le développement pacifique
de son influence extérieure.
Telle est l'opinion de quelques-uns qui, mieux inspirés selon nous,
^132-
et guidés par une appréciation plus judicieuse de nos intérêts natio-
naux, sans préconiser de parti pris les annexions lointaines, veulent
du moins que la France conserve son rang parmi les nations, qu'elle
renonce à cette politique d'hésitations et d'attermoiements dont les
tristes résultats nous sont aujourd'hui connus, et qu'elle arrête enfin,
par une diplomatie habile, par des occupations sagement prémédi-
tées , énergiquement accomplies quand elles auront été reconnues
nécessaires, les progrès singulièrement envahissants de l'Angleterre
dans le passé et le présent, de l'Allemagne dans l'avenir.
Les différents gouvernement qui se sont succédé depuis 1815 dans
noire pays se sont associés, plus souvent par nécessité politique que
par ambition personnelle au grand mouvement colonial qni est devenu
un des faits généraux les plus importants de notre siècle. La restaura-
tion avait par la prise d'Alger connnencé l'acquisition d'une colonie
nouvelle : la monarchie de Juillet a continué et étendu cette conquête .
grâce à elle aussi le protectorat Français a été imposé à plusieurs
Archipels océaniens. Le second Empire malgré ses sxpéditions stériles
ou funestes nous a donné la Cochinchine, région malsaine mais posi-
tion d'une importance capitale autour de laquelle se forme aujourd'hui
le vaste empire colonial que Dupleix avait jadis rêvé d'établir dans
l'Inde. Nos possessions du Sénégal ont commencé à se développer sous
l'intelligente administration du colonel Faidherbe. Enfin la Nouvelle-
Calédonie occupée a remplacé la Guyane comme colonie péniten-
tiaire.
Mais c'est surtout depuis quinze ans que les entreprises coloniales
ont passé pour ainsi dire à l'ordre du jour ; des questions nouvelles
sont nées, quelques-unes résolues aujourd'hui à la satisfaction de la
-France, d'autres attendant une solution qui s'impose et que l'on
s'efforce vainement d'éviter en la retardant.
Le Tonkin. déjà pris en 1873, et si misérablement évacué à cette
époque, vient d'être reconquis, à quel prix il est vrai ! mais d'une façon
définitive : le Cambodge annexé ; l'Annam a subi notre protectorat :
la Chine elle-même longtemps hostile, à dû reconnaître l'établissement
de notre influence dans ces régions. L'occupation de la Tunisie a donné
à l'Algérie son annexe naturelle : les intérêts français ont été sauve-
gardés au Maroc, Notre colonie de Gabon grâce aux entreprises paci-
fiques de M. de Brazza s'est étendue jusqu'à l'Ogooué et au Congo et
nous assure une position importante dans l'Ouest Africain. Au débou-
ché de la Mer-Rouge, Obock situé sur la route des Indes, peut, si nous
— 133 —
le voulons, devenir un port rival d'Aden. A Madagascar où, le drapeau
français a été planté pour la première fois il y a deux siècles et demi,
la France a constamment hésité. Elle a sans cesse foud<) sur ses côtes
des comptoirs évacués ensuite puis réoccupés pour être abandonnés
encore. Le traité qui a été récemment conclu entre les Howas, sans
être exempt de reproches, peut si le gouvernement en poursuit sin-
cèrement et fermement l'application, nous donner les avantages que
nous sommes en droit d'attendre. A toutes ces questions du Tonkin, de
la Tunisie, du Congo, de Madagascar est venue s'en ajouter une
autre, celle du Sénégal ou pour mieux dire, du Soudan, à laquelle se
rapportent tant d'expéditions et de voyages remarquables. Dans cette
partie de l'Afrique nous avons prévenu l'Angleterre qui, par ses
missions envoyées de Sierra-Leone, a vainement essayé de dominer
dans la vallée du Haut-Niger. Notre pavillon flotte aujourd'hui à
Bamakou et une canonnière française descend le fleuve. Mais avant
d'obtenir ce résultat, que d'hésitations, que de fautes commises ! que
de découragement succédant à des espérances brillantes 1 Et finale-
ment que d'efforts à accomplir encore pour arriver au but et pour faire
de notre Colonie ce qu'elle doit être, le débouché naturel des pro-
duits du Soudan!
C'est à Colbert que remonte l'origine de notre colonie du Sénégal,
mais il n'est pas de comptoirs qui aient été plus délaissés et traités
avec plus d'indifférence. Longtemps la domination française ne .s'est
étendue qu'à quelques stations maritimes telles que Saint-Louis et
Gorée. Perdu en partie au désastreux traité de Paris (1763) le Sénégal
nous fut rendu à celui de Versailles (1783) ; repris par l'Angleterre
pendant les guerres de la République il nous fut restitué en 1814, mais
pour être plus négligé encore qu'auparavant. En vain de hardis voya-
geurs pénétrant dans l'intérieur exploraient les régions qu'arrosent la
Gambie, la Falémé et le Niger; Mungo Park atteignait Ségou et des-
cendait le grand fleuve Soudanien où il devait rencontrer une fin si
déplorable; Caillié, parti du rlio-Nunez s'avançait jusqu'à Tombouctou
et, traversant le grand désert, atteignait le Maroc après un long et
pénible trajet.
Ces voyages n'attirèrent point l'attention du Gouvernement sur le
Sénégal et jusqu'en 185i aucun efibrt sérieux ne fut fait pour déve-
lopper cette colonie. Aussi sa situation était-elle déplorable. Depuis
1818 dix-sept gouverneurs et quinze intérimaires s'étaient succédé ,
trop rapidement à coup sûr, pour pouvoir exécuter une entreprise
- 134 -
durable ou former un projet sérieux : les rares colons menaient une
existence précaire et troublée par des transes perpétuelles ; les Maures
cantonnés au nord du Sénégal franchissaient fréquemment le fleuve et
pillaient sans cesse nos comptoirs. Aucune sûreté autour des villages :
l'anarchie était à son comble. Les chefs indigènes, profitant de la ter-
rem* qu'ils inspiraient, prélevaient des impôts humiliants, dont les moins
vexatoires n'étaient certainement pas les tonneaux d'eau-de-vie qu'ils
demandaient pour eux et leur famille. Enfin , danger plus terrible , un
immense effort était fait parle marabout Sénégalais El-Hadj-Omar pour
détruire avec toutes les forces fanatisées de l'Islam, les Etats nègres
encore idolâtres et jeter à la mer les Européens des côtes.
Un homme énergique en même temps qu'un patriote convaincu, — il
devait le prouver plus d'une fois dans sa carrière, — Faidherbe entre-
prit de mettre fin à une situation devenue intolérable , d'arrêter les
invasions menaçantes et loin de céder du terrain, d'étendre nos comp-
toirs sur les côtes et dans le Haut-Fleuve, vers le Niger , but de nos
efforts, où flotte enfin aujourd'hui le pavillon de la France. Par sa lutte
contre les Maures et les Toucouleurs . par les fondations et les
annexions accomplies, par la conduite qu'il a tracée à ses successeurs
Faidherbe est et doit être considéré comme le véritable fondateur de
notre colonie du Sénégal.
Bakel était en 1854 notre dernier poste sur le Haut-Fleuve et son
état ne permettait guère d'envisager avec confiance l'éventualité d'un
siège : une enceinte dégradée autour du fort ; une garnison indigène
peu sûre ; les aff"ûts hors de service ; des approvisionnements insuffi-
sants ; pas de chirurgien ; la population du village était en proie à
l'épouvante car El-Hadj-Omar venait de massacrer les habitants d'une
bourgade voisine : les corps sans tête étaient charriés par les eaux du
fleuve devant Bakel et les bandes ennemies apparaissaient à une petite
distance, le fusil sur l'épaule, psalmodiant les versets du coran d'une
voix sinistre. On sait quel courage montra , on cette difficile circons-
tance, le capitaine Faidherbe. L'eau du fleuve baissait rapidement et le
commandant du bateau « le Basilic » était obligé de redescendre à
« St-Louis. « Partir d'ici en un pareil moment serait pour moi quitter
« un champ de bataille lorsque la lutte va s'engager ; nous ne serons
« pas partis de vingt-quatre heures que le poste seia enlevé et notre
« domination fortement compromise Je vais vous donner une lettre pour
« le Gouverneur et je reste. Si vous pouvez remonter le fleuve et amener
- 135 -
« les renforts que je demande , je redescendrai avec vous à St-Louis ;
« sinon je partagerai le sort de la garnison (1). »
Faidherbe mît le [)oste en état de défense et par sa fière attitude
rassurant la garnison il empêcha El-Hadj-Omar d'attaquer Bakel
jusqu'à l'arrivée des renforts.
Devenu Gouverneur du Sénégal, Faidherbe résolût l'année suivante,
(1855) pour étendre la domination française d'établir un poste fortifié à
Médine à 260 lieues de la côte. Le fort était à peine achevé et armé, que
El-Hadj-Omar exalté par ses succès vint l'assiéger avec 25,000
hommes aguerris. On connaît les émouvantes péripéties de ce siège
mémorable qui dura 97 jours, et qu'a peut-être égalé sans le dépasser
le siège récent de Thuan Quan. Les ennemis firent des brèches
énormes qui furent bouchées par leurs propres cadavres ; le 18 juillet
1856 les défenseurs de Médine n'avaient plus guère qu'un coup de fusil
à tirer chacun, et une vingtaine de gargousses ; les vivres étaient com-
plètement épuisés, le commandant du fort, Paul Holl, un vieux traitant
mulâtre énergique et mteUigent, avait tout préparé pour faire sauter le
fort avec les gargousses qui restaient.
Tout à coup des détonations retentirent vers l'ouest. C'était le Gou-
verneur du Sénégal, lui-même, qui profitant de la première crue du
fleuve, avec un bateau d'un faible tirant d'eau n'ayant que dix centi-
mètres d'eau sous la quille, mais chauffé à toute vapeur bravait tous les
obstacles pour atteindre le poste qu'il avait créé et dont il était sans
nouvelles depuis plusieurs mois. Médine était sauvé ; El-Hadj-Omar
vaincu dans un sanglant combat se retira vers le Bambouk et renonça
bientôt à la lutte contre nous.
Délivré de cet adversaire, le colonel Faidherbe fit aux Maures une
rude guerre et les cantonna sur la rive droite du fleuve. Il fit construire
les postes de Matam, Rufisque , Portudal, Joal, le magnifique port de
Dakkar avec les trois phares qui en éclairent les approches. Il
soumît le royaume de Cayor pour assurer les communications entre
St-Louis etGorée, et mît en bon état nos comptoirs des rivières du sud.
Des améliorations nécessaires : routes, ponts, phares, lignes télégra-
phiques, communications régulières avec l'Europe furent établies dans
la colonie. On fit des plantations d'arbres, des jardins d'essai et la
(1) Faidherbe — Le Soudan Français — V partie. — Bulletin de la Société de
Géographie de Lille.
— 136 —
production de l'arachide commença à se développer. Enfin, Faidherbe
inaugurait l'exécution du projet qu'il avait formé de relier le Sénégal
au Niger par des postes dont il indiquait l'oniplacemeut. Le lieutenant
de vaisseau Mage et le D*" Quintin, envoyés en mission à Ségou sur le
Niger, furent bien accueillis par le fils et successeur d'El-Hadj-Omar,
le sultan Ahmadou.
La situation était donc bien changée lorsqu'on 1864 Faidherbe.
ayant reçu un avancement mérité, dut revenir en France. Ses deux
premiers successeurs maintinrent la colonie dans le statu quo se bor-
nant à réprimer quelques révoltes dans le Cayor et les rivières du sud.
En 1876, le colonel d'infanterie de marine Brière de l'Isle fut nommé
Gouverneur du Sénégal, et secondé par l'amiralJauréguiberry, ministre
de la marhie, prit à cœur l'importante mission qu'on lui confiait. C'est
le moment où l'ingénieur Duponchel et l'explorateur Soleillet venaient
de former le projet hardi, mais chimérique et certainement prématuré,
de réunir par une voie ferrée l'Algérie au Niger et au Sénégal.
Tandis que des expéditions partaient d'Algérie et n'aboutissaient,
après bien des efforts, qu'au désastre douloureux de la mission Flatters,
M. Legros, inspecteur général des travaux maritimes, était chargé
d'étudier les moyens d'étendre notre domination jusqu'au Niger et des
expéditions s'organisaient pour rechercher les itinéraires les plus favo-
rables à l'établissement d'une voie ferrée dans les contrées du Haut-
Sénégal. Nous touchons ici au rôle actif et brillant que joua le D"" Bayol
dans les missions qui furent alors formées. 11 convient donc de dire
quelques mots de l'éminent explorateur dont les voyages font le sujet
de cette brève étude et qui a consacré son activité, ses efforts, son exis
solution de cette question du Sénégal et du Soudan.
Jean-Marie Bayol est né le 24 décembre 1849, à Eyguières (Bouches-
du-Rhône). Il fit toutes ses études au lycée de Nîmes, où, quoique bien
jeune encore, il sentit se révéler ses goûts pour* la Géographie et les
voyages. Il eut d'ailleurs la bonne fortune de suivre les leçons d un
excellent maître qui a formé depuis d'excellentsi élèves, M. Brunel,
aujourd'hui inspecteur d'académie en résidence à LiDe. Devenu élève
de la faculté de Montpellier il suivit les cours de médecine et obtint le
le grade de docteur.
En 1869, il était nommé médecin de la marine et c'est en cette
qualité qu'il fit de 1875 à 1877 à bord de « la Vénus » une campagne
sur la côte occidentale d'Afrique. Il visita le Sénégal, les comptoirs
de la Guinée septentrionale, le Gabon, le Congo et la Guinée Por
:- i.-n -
tugaise. Après avoir exploré le cours du Corao et du Romboé qui
se déversent dans l'estuaire du Gabon, il remonta, presque jusqu'à sa
source, la rivière O'Bélo, et, animé déjà de ces sentiments humanitaires
et pacifiques qu'il a toujours montrés, il sauva sur ses bords une jeune
fille accusée do sortilège que l'on allait exécuter. Arrivé au Sénégal
en mars 1879, il fut bientôt nommé résident à l'amakou sur le Niger
et parlit en 1880, avec la mission Gallieni, pour occuper son poste. Le
combat de Dio modifia les plans primitivement adoptés. Bayol dut
revenir à St-Louis apprendre au Gouverneur le guet-apens dont l'ex-
pédition avait failli être victime. 11 explora, en 1881, le Fouta Djallon
et. après de longs palabres, il fit accepter par l'Alraamy à Timbo un
traité de protectorat. En 1883, il reçut la mission de traiter avec les
différents chefs du Grand Bélédougou, mission délicate et dangereuse
car elle inaugurait un revirement de politique. On renonçait désor-
mais à l'alliance des Toucouleurs qui nous avaient Joués pour acquérir
celle des Bambarras qui nous avaient combattus. Le D*" Dayol s'ac-
quitta de sa tâche avec un entier succès. Il s'avança jusqu'à Mourdia et
parvint, non sans difficulté, à faire accepter aux chefs Bambarras le
protectorat de la France. En récompense de ces brillants services,
il fut nommé (1884) lieutenant-gouverneur du Sénégal avec la haute
surveillance sur toutes les rivières du sud. Tel est, dans sa plus grande
simplicité, le résumé de cette carrière si courte et déjà si bien
remplie .
Au physique, le D"" Bayol est de petite taille, très brun, comme un
vrai méridional ; l'œil est vif et cependant très doux : la physionomie
exprime à la fois la bienveillance et l'énergie. Affable avec tous ceux
qui l'approchent, il ne cherche qu'à leur être utile. A Lille, où j'ai eu
l'honneur de le connaître, et où des rapports d'afî'ectueuse sympathie
l'unissent au digne Président de la Société de Géographie , M. Paul
Crépy et à sa famille, le D' Bayol ne compte que des admirateurs et
des amis. Causeur agréable et spirituel, il a cette finesse et ce
naturel qui dissimulent le vrai talent sous une simplicité aimable et
sous une franche gaîté. Par dessus tout il a le culte de la famille ; c'est
d'ailleurs, il faut le dire, une quahté qui se retrouve chez tous les
éminents explorateurs. Quand eu 1882 M. de Brazza vint dans le nord
de la France réclamer l'appui de l'opinion publique pour la mission
qu'il brûlait d'accomplir, il répondait aux féhcitations méritées qui lui
étaient adressées de toutes parts eu reportant tout l'honneur de son
succès sur sa mère vénérée qui l'avait soutenu de sa fortune et de ses
10
- 138 —
encouragements, et, après sa conférence, il nous priait de lui faire
connaître, sans retard, l'accueil enthousiaste qui avait été fait à son
fils dans la grande cité du Nord. Chez le Docteur Bayol nous retrou-
vons la même sensibilité familiale, la même affection pour les siens,
sentiment si louable d'ailleurs et qui vient tempérer d'une façon si
heureuse l'énergie de l'explorateur. 11 semble que tous les grands
voyageurs, exilés au loin, exposés aux privations et à des dangers sans
nombre soient amenés à se reporter, par un retour nécessaire et cons-
tant, de la pensée vers tous ceux qui leur sunt chers, et à trouver dans
ce souvenir délicieux comme un allégement à leurs fatigues et un
encouragement pour leurs travaux.
Vers la lin de 1879 la construction de lignes ferrées au Sénégal était
chose résolue, de nombreuses missions furent immédiatement orga-
nisées pour étudier leur futur tracé.
On s'occupa d'abord de la section de St-Louis à Dakkar, de beaucoup
la plus nécessaire. Le Sénégal est obstrué à son embouchure par une
barre dangereuse qui , en se déplaçant , forcé les navires à attendre
souvent plusieurs semaines avant de pouvoir remonter à St-Louis ou
descendre de ce port jusqu'à la mer. A Dakkar, la rade est au contraire
magnifique et sûre : c'est là que s'arrêtent les paquebots de France. La
ligne qui doit joindre ces deux points a été reconnue d'une exécution
facile. Un traité signé le 10 septembre 1879 avec le damel du Cayor
a autorisé sa construction que n'ont guère interrompue les troubles
survenus il y a peu de temps dans la contrée. Les travaux poussés
avec activité ont permis d'inaugurer, toute cette voie si importante
et depuis si longtemps désirée.
Trois missions furent chargées d'étudier le tracé de Saint-Louis à
Médine le long du fleuve et dans Tintérieur du pays. M. Piétri explora
un pays plat, d'un accès facile et dont la population très clairsemée se
montrait favorable à nos projets.
Le Plateau du Ferlo fut visité par M. Monteil et ie projet de
construction d'une voie ferrée à travers cette contrée pauvre, cou-
verte de mares et dépourvue de bois de construction, futvîte écarté.
M. Jacquemart traversa en longeant le Sénégal une plaine inondée
périodiquement par les eaux du fleuve et d'une fertilité extrême : le
bois ne manque pas ; les habitants du Toro sont favorables ; leur chef
qui a visité l'exposition de 1878 professe pour nous une sincère
amitié ! mais l'hostilité se manifeste à mesui'e qu'on avance vers
Médine ; chez les Toucouleurs c'est de la haine ; un chef osa déclarer
- 139 -
à la mission que tous les habitants émigreraieiit si l'on songeait à
construire un chemin de fer ou un télégraphe.
Ces difficultés, déjà sensibles, devaient devenir plus grandes encore
pour les expédi lions qui ont sillonné le pays entre Mèdine et le Niger.
A la fin de 1879, le capitaine Gallieni, accompagné du lieutenant
ValL'ère remontait le Sénégal et un peu plus tard des ouvriers amenés
de Saint-Louis commençaient le fort de Bafoulabé au confluent du
Bafing et du Bakoy ; une j'oute fut même entreprise afin de le relier à
Médine. Pour la première fois depuis Faidherbe la domination Fran-
çaise faisait un pas nouveau; on résolut de pénétrer jusqu'au Soudan,
de passer des traités avec les différents chefs indigènes depuis Médine
jusqu'au Niger, et surtout avec le roi du Ségou , Ahmadou dont
l'influence avait été jusqu'alors prépondérante.
M. le capitaine d'infanterie de marine Gallieni fut placé pai* M le
gouverneur Brière de l'Isle à la tête de l'expédition. Il avait avec lui
MM. Pietri et Vallière déjà connus par d'utiles explorations dans le
Haut-Sénégal ; M. le docteur Tautain, aide-médecin de la marine ;
M. le docteur Bayol, médecin de 1'^ classe de la marine accompagnait
l'expédition en qualité de médecin-major , et , arrivé à Bamakou,
devait y résider comme représentant du gouvernement français.]
La mission partit le 30 janvier 1880 de Saint-Louis et se compléta à
Bakel : elle comprenait 132 hommes dont 5 officiers. Elle passa à
Médine, Bafoulabé, fut bien reçu dans le pays de Kita ou un traité fut
signé après de longues négociations avec le chef principal de la con-
trée. Tout semblait donc présager une marche heureuse et rapide,
lorsque le 11 mai, vers le village fortifié de Dio, à 45 kilomètres envi-
ron du Niger, se produisit la désastreuse attaque qui faillit compro-
mettre singuUèrement le sort de la mission. Les Bambarras qui habi-
tent le Bélédougou faisaient depuis longtemps une guerre acharnée
aux Toucouleurs. Quand ils surent qu'un convoi considérable de plus
de 200 bêtes de somme traversait leur pays chargé de présents pour
Ahmadou leur ennemi mortel, ils ne purent résister au désir de l'en-
lever. Tous les membres de la mission firent courageusement leur
devoh'. Le capitaine Gallieni après avoir vu tomber la moitié de ses
hommes armés, malgré les pertes terribles que nos fusils perfectionnés
infligeaient aux assaillants, prit le parti de leur abandonner son convoi
ei de se retirer vers le Niger en combattant. La poursuite des Bam-
barras dura sept heures à travers un pîxys accidenté et mal connu.
Au passage d'une rivière le docteur Bayol faillit périr et fut sauvé par
- liO —
son domestique nègre. Enfin après une marche des plus pénibles on
atteignit le 12 mai à 2 heures de l'après-midi les bords du Niger : on
n'avait pas mangé depuis trente heures.
Le capitaine Gallieni croyait trouver bon accueil à Bamakou ; mais
la partie guerrière de la population s'était laissé entraîner dans la
prise d'armes pour l'enlèvement du convoi ; on ne rencontra donc
dans ce village qu'hostilité et malveillance. Le docteur Bayol fut
chargé de regagner Saint-Louis le plus rapidement possible et d'ap-
prendre au gouverneur l'attaque de Dio et le départ de la mission
pour Ségou. Le 15 mai, accompagné de 6 hommes, il se^dirigeait vers le
Sud-Ouest, dans les montagnes, traversait le Manding, leBirgo, visitait
sa capitale Moiirgonla, et le 30 mai il parvenait à Bafoulabé ou la
réception, cordiale de M. Marchi et de ses officiers lui fit oublier les
fatigues du dangereux voyage qu'il venait d'accomplir.
Pendant que le docteur Bayol descendait le Sénégal et rentrait à
Saint-Louis, le capitaine GtJlieni traversait le Niger, et après une
marche de cinq jours le long de la rive droite du fleuve se dirigeait
vers Ségou-Sikoro. Ahmadou le voyant arriver les mains vides ne
reçut pas immédiatement la mission et lui assigna une résidence près
du Niger dans les environs de sa capitale. Après de longs pourparlers
il consentit à signer un traité qui approuvait nos actes et nous accor-
dait l'autorisation, à l'exclusion des autres nations, de faire le com-
merce sur le Haut-Niger. Ce traité est resté lettre morte, et l'on s'est
aperçu plus tard que par une mauvaise foi familière à ces peuples per-
fides , les articles du traité lédigé en langue arabe ne correspon-
daient en aucune façon aux conditions rédigées en langue française,
et que dans ses concessions apparentes Ahmadou nous montrait ainsi
sa malveillance et la duplicité.
Entre le Haut-Sénégal où la France domine aujourd'hui et les pos-
sessions anglaises de Sierra-Leone sur un espace de plus de 900 kilomè-
tres s'étendent des contrées très populeuses et qui ont été peu par-
courues telles que le Bambouk et le Fouta-Djallon. Le ministre délai
marine ne pouvait se désintéresser de l'étude de ces pays et le 12marsj
1881 il chargea M. le docteur Bayol de pénétrer dans ces régions eti
de négocier avec les chefs qui les gouvernent des traités les plaçant
sous le protectorat de la France. ,
La mission commença à s'organiser à Paris. En firent partie, un de mes!
excellents camarades de collège, M. Billet, le même qui plus tard devait
périr si malheureusement avec la mission Crevaux, un jeune dessina-
— lil —
teur, M. Noirot, et M. Moustier, qui avait déjà en 1879 accompli avec
M. Zweifel un voyage aux sources du Niger. Le docteur Bayol s'arrêta
à Dakkar ou pour compléter le personnel de son expédition il dut faii'e
appel à tous les mauvais sujets de l'endroit ; le 10 mai il atteignait
Boké sur le Rio-Nunez ; c'est là que commença le voyage d'explo-
ration.
Le 17 mai la mission quittait Boké et pénétrait dans les montagnes
du Fouta-Djallon , cette Suisse africaine, comme l'appelle le docteur
Bayol : la pluie tombait sans interruption et les accidents devenaient
de plus en plus nombreux.
Bayol traversa la région déserte qui précède Bambaya, atteignit le
pays pittoresque et ravissant de Bourleré, puis après avoir franchi le
Téssé affluent du Bafing, il entra dans Fougoumba, la ville Sainte des
Peuhls où il eut le plaisir de rencontrer un compatriote M. Gaboriau
qui se rendait à Timbo pour faire une convention commerciale avec
l'Almaray.
A partir de Fougoumba le pays devient de plus en plus peuplé et
riche. Le Baflng fut franchi et le 1" juillet la mission entrait à Donhol-
Fella grand village appartenant à l'Alraaray Ibrahima- Sory qui venait
de quitter le pouvoir. Celui-ci après de longs palabres consentit avec
une entière bonne foi à placer son pays sous notre protectorat. Bayol
se rendit ensuite à Timbo où, bien reçu par l'Almamy Haraadou, qui
était alors au pouvoir, il fut heureux d'obtenir la ratification complète
de ce traité le jour même où en France on célébrait la fête nationale
(14 Juillet 1881).
L'Almamy lui confia plusieurs de ses parents et quelques notables
qui devaient suivre la mission en France, cette politique inaugurée par
Bayol. et que, sur un autre théâtre, pratique en ce moment un. de nos
consuls, devrait être suivie par tous les explorateurs, qui pénètrent
dans les contrées inconnues. Les indigènes transportés pour quelque
temps dans un pays étranger, comprennent peu à peu la supériorité de
notre civihsation. l'utilité de nos inventions de toute nature : ils appren-
nent ainsi à aimer et à respecter la nation qui les accueille, et, revenus
chez eux ils sont presque toujours les pai-tisans les plus dévoués decette
influence étrangère qu'ils ignoraient et dont ils ont apprécié les avan-
tages.
Bayol revint à Doiiliol Délia, séjourna à Tourtouroux d'où M. Noirot
alla explorer les sources de la Gambie et du Rio Grande, et pénétra
dans la région aurifère du Bambouk. Il y découvrit un placer, qui
- 142 -
donne 0k.640 d'or et Ok. 040 d'argent à la tonne de minerai, ce qui
fait de ce pays une contrée bien supérieure auBouré. Des traités d'ami-
tié et de protectorat furent signés avec tous les chefs qui gouvernent
entre la Gambie et le Sénégal ; ainsi se trouve ouverte au commerce
du Haut Fleuve une route nouvelle vers le Fouta Djallon.
Le 17 noveuibre la mission arrivait à Médine ou l'accueil cordial du
capitaine Combes, du D' Colin et de M. Cartier dédommagea le D'
Bayol des privations supportées pendant un parcours de 1.300 kilomè-
tres, accompli pendant la saison des pluies la plus désastreuse pour les
Européens.
L'attaque de la mission Gallieni à Dio et les études du chemin de fer
projeté vers le Niger, avaient fait comprendre combien il était néces-
saire de nous établir solidement dans la vallée du Haut Sénégal et de
fonder ces postes, jadis réclamés par Faidherbe, et dont le premier il
avait indiqué l'emplacement. Aussi dès 1880, en même temps que Gal-
lieni se dirigeait sur Ségou, une expédition composée de six compa-
gnies de tirailleurs Sénégalais et d'une compagnie auxiliaire d'ouvriers
d'artillerie, sous les ordres du lieutenant-colonel Borgnis-Desbordes
devait aller créer de nouveaux postes au-delà de Bafoulabé ; en même
temps des officiers d'état-major, sous la direction du commandant Der-
rien accompagnaient le colonel pour dresser la carte du pays, et faire
les études du tracé du chemin de fer.
Dans sa première campagne, le colonel Borgnis-Desbordes s'établit
solidement à Kita, où un fort fut élevé et il détruisait le village deGou-
banko, peuplé de Peuhls hostiles, qui se livraient au brigandage et pil-
laient les caravanes : dans le combat le lieutenant d'artillerie Pol, de
Douai, qui avait sauvé la vie au D"" Bayol près de Médine, périt en fai-
sant courageusement son devoir.
L'année suivante, malgré la terrible épidémie de fièvre jaune, à
laquelle succomba le nouveau gouverneur du Sénégal, M. delxnneau,
et qui retarda les préparatifs de l'expédition, le Colonel remonta le
Sénégal, ravitailla notre fort de Kita (janvier 1882) et se dirigea vers le
Niger où un nouveau prophète Samory, avait surgi, étendant chaque
jour son influence par ses massacres et entraînant à la suite une armée
de musulmans fanatisés. La petite troupe passa à Mourgoula, traversa
le Niger et se porta aux secours de Keniéra : mais elle arriva trop
tard. Samory avait depuis cinq jours pris cette place et l'avait entiè-
rement détruite. Le colonel brûla plusieurs camps de Samory et rentra
- 143 —
à Kitale 11 mars ; les travaux du fort furent achevés et en mai, la colonne
redescendait versSt-Louis.
Dans la 3* campagne le colonel Desbordes avait à remplir des instruc-
tions précises : il devait s'établir sur le Niger vers Bamakou, village
le plus rapproché de Kita; et dominant le cours supérieur du Niger, à
l'endroit ou ce grand fleuve commence à être navigable même aux plus
basses eaux.
Le 21 novembre 1882. la colonne atl oignait Kita : elle comprenait
515 combattants, dont 35 officiers et possédait quatre pièces de canons.
Elle se dirigea vers Mourgoula, dont le chef s'était déclaré pour Samory :
le Colonel le força à émigrer vers le Kaarta avec toute la population
du village; puis s'engageant dans le Petit Bélédougou, il détruisit Daba
où le chef qui avait été le principal instigateur de l'attaque de Dio,
opposa aux fi'ançais une résistance désespérée. Enfin, après avoir exigé
des chefs les plus compromis des amendes et reçu leur soumission, la
colonne expéditionnaire débouchait dans la vallée du Niger et le 7
février 1883 était posée solennellement la première pierre du fort de
Bamakou. Samory ayant essayé d'en troubler les travaux, le Colonel
lui livra dans les premiers jours d'avril, trois rudes combats fit brûler
Nafadié et après une poursuite des plus vives le rejeta dans le Sud.
Pendant que l'expédition principale, partie de Kita, atteignait ainsi les
bords du Niger, des missions importantes avaient été organisées par le
colonel Desbordes, pour étudier et pacifier les pays placés à droite et
à gauche de la route qu'il avait suivie. C'est ainsi que M. le capitaine
de Lamieau visita le Birgo et le Gadongou ; les capitaines Bomiier et
Brisse explorèrent le Petit Bélédougou et le pays de Bamakou. Enfin
M. le D"" Bayol, chargé d'abord d'une mission dans le Kaarta que les
circonstances ne permirent pas d'accomplir, devait pénétrer dans le
Petit Bélédougou et s'avancer jusqu'à Mourdia et Ségala.
Les instructions données par le colonel Desbordes marquaient un
revirement de la politique française dans ces régions.
Ahmadou et les Toucouleurs nous avaient trahis malgré leurs pro-
messes : il fallait maintenant se concilier les Bambarras, les frères de
ceux qui en 1880 nous avaient attaqués à Dio, et qui en 1883 avaient
défendu héroïquement Daba.
M. le lieutenant Quiquandon fut adjoint à la mission Bayol et chargé
plus spécialement de dresser la carte du pays.
Le Docteur avait auprès de lui, Tchati, fils du chef de Koumi et
Sirki, frère du chef de Mourdia ; un interprête médiocre et quelques
- i44 —
musulmans venus de St-Louis complétaient le personnel de la
mission.
Parti de Bamakou le 16 avril, le D'' Bajol passa à Nossombougou,
Koumi, Manta, Bore, Dampa et arriva le 4 mai à Mourdia ; dans tous
ces viQages, il fit accepter aux chefs, quelquefois après une courte
entrevue, souvent après de longs et pénibles palabres des traités qui les
plaçaient sous le protectorat de la France. Puis U étudia avec soin l'état
politique de ces pays, les ressources militaires qu'ils pouvaient nous
fournir un jour pour combattre Ahmadou ou Samory ; il recueillit enfin
les renseignements géographiques et statistiques sur toutes ces contrées
visitées pour la première fois par des Européens.
Bayai aurait voulu pénétrer dans le Dionkoloni et le canton de Ségala ;
mais des troubles venaient d'éclater dans le premier de ces deux pays,
le chef de Mourdia avait rappelé son frère, qui avait jusque la conduit
la mission et les autres gruides refusaient d'aller plus loin. Il fallut
donc s'arrêter à Douabougou et prendre le chemin du retour. Bayol
visita quelques villages qu'il avait laissés sur ses flancs, et le 27 mai il
était de retour à Bamakou.
La mission avait obtenu des résultats pi'écieux dans de voyage de 41
jours. EUe avait relevé 313 kilomètres d'une région implorée et réussi
à faire accepter les traités auxquels le colonel Desbordes attachait une
importance considérable pour le rôle futur de la France dans le Soudan
Occidental.
C'est par ces expéditions multipliées, par les tentatives laborieuses
et patientes que nous a été ouvert peu h peu l'accès du Haut Niger.
Aujourd'hui notre paviQon flotte à Bamakou et le fort construit par
le colonel Desbordes atteste notre ferme intention de nous installer
définitivement sur le grand Fleuve, dont la navigation peut nous appar-
tenir. Comme l'a prouvé l'expédition du commandant Boilève en 1884,
le ravitaillement de nos postes les plus récents et les plus avancés vers
l'Est, peut désormais s'accomplir sans difficulté sérieuse . Une camion-
nière française flotte sur le Niger . Le sultan de Tomboucton a envoyé en
France une ambassade qui atteste soii vif désir de nous accueUlir favo-
rablement et d'engager avec les Européens des relations commerciales
empreintes de la plus sincère amitié.
Il ne nous appartient pas ici d'exposer les nombreux avantages que la
France est appelée à recueillir des grands sacrifices qu'elle a faits et
auquel elle doit consentir encore pendant quelques années.
Dans l'histoire de tout peuple, les colonies exigent de sérieuses
— Un —
dépenses avant de produire le plus mince revenu. Les documents
publiés par le général Faidherbe, les considérations si précises pré-
sentées par le D" Bayol dans le récit de ses différents voyages, enfin,
r<imotion si vive provoquée à Freetown chez nos voisins, les Anglais de
Sierra-Leone par notre présence dans la Haute vallée du Niger, suffisent
h démontrer que nous accomplissons une œuvre utile pour le présent,
fructueuse pour l'avenir.
Ce sera l'honneur de Faidherbe, de Desbordes, de Bayol d'y avoir
contribué et d'avoir revêlé l'impoi tance du Sénégal et du Soudan, à
tous ceux que peuvent préoccuper l'afferiiussement de notre puissance
extérieure et les intérêts de notre commerce sur les différents points
du globe (1).
E. GUILLOT.
(1) Dans la campagne 1885-86, nos postes du Haut Sénégal ont été ravitaillés par
le colonel Frey; Samory mis en déroute près de Farki DJingo le 17 janvier 1886,
semble être disposé à traiter; l'attaque du fort de Bakel pari révolte Mahmadou
Lahmine a été victorieusement repoussée. En 188G, Sainory semble avoir manifesté
le désir de se rapprocher de nous et son fils le prince Karamoko n'oubliera certaine-
ment pas de longtemps l'accueil qui lui a été fait en France.
— 146 -
NOUVELLES ET FAITS GÉOGRAPHIQUES
I. — Géographie scientifique. — Explorations et découvertes.
EUROPE
Grèce. — Tremblement de terre. — Le 27 août dernier, il y a eu un grand
tremblement de terre en Grèce. La sphère de ce phénomène avait son point central
près de Philiatra, sur la côte de Messénie , au sud d'Arkadia , et s'étendait de la
péninsule de Morée sur l'Egypte, la Sicile, l'Italie du Sud, la moitié occidentale des
Balkans, les Alpes dinariques , les côtes d'istrie et de Dalmatie jusqu'au canton du
Valais et l'Oberland bernois : elle avait par conséquent un rayon d'une longueur
d'environ 1,600 kilomètres. D'après les avis des préfets grecs , 6.000 maisons ont été
détruites en Messénie. A Philiatra, qui est complètement en ruines, le nombre des
morts est évalué à 300. Presque toutes les maisons sont endommagées à Zante ainsi
qu'à Katakolo et Pyrgos où la cathédrale est en ruines. Patras et toutes les îles
Ioniennes, surtout Corfou, ont beaucoup souffert de la catastrophe. Mais au-delà de
cette sphère d'action, même déjà à Otrante et dans d'autres villes de l'Italie du Sud,
ou a éprouvé de fortes secousses sans autres conséquences. On annonce d'Alexandrie
qu'on ne se souvient pas avoir jamais ressenti un tremblement de terre aussi violent,
sauf que les dégâts occasionnés y étaient aussi peu importants qu'à Syracuse , à
Catane, Reggio, surl'île d'ischia, à Bari, Avellino, Lecce etPotenza.
Le capitaine du na vire la Valette a adressé un rapport à l'intendant en chef des
ports, à Malte , donnant certains détails sur ce tremblement de terre.
« Le 27 août, dit-il, à 11 h. 30 m. du soir, à la latitude de 36' 18' N. et à 21" 32' de
longitude E., ou à une distance de 50 milles ouest 1,2 S. du cap Matapan, je ressentis
subitement un choc très violent qui fit trembler le vaisseau , principalement les
machines, pendant une durée d'environ 11 secondes. Le vaisseau avançait à raison
de 10 nœuds à l'heure et ce mouvement violent arrêti sa marche. Le machiniste
croyait à un accident. Après le choc, tout se trouva de nouveau dans son état normal.
A minuit, dans la direction ouest-nord-ouest, à la latitude de 36" 17' N. et à 21" 27' de
longitude Est, je remarquai sur notre droite quelque chose comme une masse
d'épaisse fumée noire qui s'élevait, sous la forme d'un cône, perpendiculairement à
l'horizon et changeaiTC par intervalles en une couleur rougeàtre. Entretemps , il
régnait un calme parfait, avec une mer pénible d'ouest par intervalles. Le 28 , à 4 h.
du matin , lorsque le vaisseau était à la latitude de 36' 12' N. et à 20" 43' de longitude
Est, le vent commença à souffler du nord-ouest, ce qui rendit l'horizon plus clair.
A 10 h. du matin , le second du vaisseau , qui était en observation sur le pont , me fit
part qu'il avait observé dans la mer , sur une longueur d'un quart de mille , dans la
direction du nord au sud, plusieurs raies d'une couleur noire jaunâtre. La mer conti-
nuait toujours à être lourde du côté de l'ouest avec fort peu de vent. Comme le
vaisseau avait une cargaison de bétail , qui souffrait beaucoup de la chaleur , je ne
pouvais perdre de temps à mesurer la profondeur des raies dont il vient d'être
question ; ce qui fit que je m'efforçai de les éviter. »
- 147 -
ASIE.
Turkestau. — Unk nouvelle oasis. — La Russie a construit avec une rapidité
étonnante le chemin de fer transcaspien, partant de Michailow, sur la mer Caspienne,
par Askabad, jusqu'à l'oasis de Merw : cotte ligne a été livrée déjà cet été à l'exploi-
tation jusqu'à Tschardschin, sur une longueur totale de 1,041 kilomètres.
La revue de Vienne , Deutsche Rundschau , annonce qu'on s'occupe maintenant en
Russie de la création d'une nouvelle oasis près de Tschardschin. Le plan consiste à
percer près de cette localité la rive de l'Amou-Daria et à mener une partie de l'eau
de ce fleuve dans les canaux situés dans les déserts, et dont l'existence remonte aux
temps anciens, mais que l'on a négligés depuis longtemps. Les travaux de nivelle-
ment ont fait constater que l'eau s'écoulera d'elle-même sur une distance 90 à 100
kilomètres. On n'aurait donc rien à faire qu'à entreprendre le percement et à nettoyer
les plus grands canaux , ce qui ne donnerait lieu qu'à une dépense totale de quatre
millions de francs seulement. Tous les autres travaux peuvent être confiés aux indi-
gènes qui sont très habiles dans l'établissement de canaux d'irrigation et qui ratta-
cheront aux principaux canaux tout un réseau de rigoles pour l'irrigation. Ainsi une
région argileuse , privée jusqu'ici de toute végétation , serait transformée en une
oasis de verdure qui serait en état de nourrir un quart de million de personnes. En
même temps, on espère agrandir également l'oasis de Merw parla construction d'une
digue qui permettrait de mieux utiliser l'eau du Murghab. On gagnerait ainsi à peu
près 400,000 acres à la culture , chiffre que l'on espère porter au quadruple par des
défrichements ultérieurs.
Voyage de II. G. Radde daus l'Asie centrale. — Après diverses ex-
cursions faites à la fin de mai d'Askhabad dans les monts Kopet-Dagh et à la nouvelle
frontière russo-persane, M G. Radde a continué son exploration vers l'Est. A la Pente-
côle, il se trouvait à Karybend, sur le Tedjen, d'oii il est parti pour Merw. Pendant le
voyage, son compagnon, le docteur Wal ter, a eu le malheur de se casser la jambe droite.
A Merw, un ingénieur , M. Kontchine , qui venait de l'Amou-Daria, a rejoint le
docteur Radde et l'on a entrepris le voyage à la vallée du Pendjdé , en remontant la
rive gauce du Mourgha .
Les voyageurs ont beaucoup souffert de la chaleur. 11 y avait de 58 à 59 degrés
centigrades, et cela par un veut du Nord qui , partant des sables bridants du Kara-
koum, dévore tout sur son passage. Après avoir passé la luiit du 21 juin sur le champ
de bataille du Kousehk , il a fallu , pour rejoindre le Tedjen , traverser une contrée
des plus désertes , et cela par une chaleur torride. C'est avec la plus grande peine
que le docteur Radde , miné par la fièvre, a pu se traîner jusqu'à Sérakhs d'oii , par
Karybend, il a regagné, le 26 juillet, Askhabad.
MM. les docteurs Radde et Walter sont rentrés à Tiflis le 28 août. En revenant de
Mesched, MM. Radde et Kontchine ont traversé cinq chaînes parallèles du Kapet-
Dagh , et sont rentrés sur le territoire russe , à Louftabad. Après les préparatifs
nécessaires pour le retour à Tiflis, les voyageurs se sont dirigés sur Kisil-Arvah et
Kasantchik, pour faire une plus ample connaissance avec les plantations des jardins
de ces localités. Ils ont étudié ensuite , avec la plus grande attention , la végétation
des lagunes et des sables de Mollah-Kara.
Ils apportent à Tiflis de riches collections.
Voyage de H. Groubtcbe^sky dans la province de Kaschgar.
— Le lieutenant Gronbtchevsky vient d'explorer la partie occidentale de la province
de Kaschgar, de la ville de Kaschgar jusqu'à Yarkend et Khotan.
Au point de vue géodésique, M. Gronbtchevsky a relié, pour ainsi dire, les travaux
opérés en 1867 par le capitaine Kouropatkine avec ceux effectués l'année dernière
— 148 —
dans le midi du Kaschgar, du lac Lob-noor jusqu'à Khotan et Aksou, par le général
Prjevalsky, le célèbre explorateur russe. Le relevé exécuté par M. Gronbtchevsky a
non seulement complété et corrigé celui de M. Forsyth , dit de la mission anglaise ,
qui date de 1873-74 : mais il a embrassé encore l'espace qui sépare Ireschtaman (le
fort frontière du Ferghana) de Kaschgai* et cette ville du défilé de Souïok.
Outre ces travaux géodésiques , le jeune voyageur a fourni un grand nombre de
données authentiques sur l'organisation intérieure et la situation économique de la
contrée, et cela, quoiqu'il ait opéré son voyage dans des conditions difficiles, provenant
tant du mauvais vouloir des autorités chinoises que des intempéries d'un automne
avancé.
On sait que , depuis la mort de Yacoub - Khan , en 1877 . les Chinois occupent le
Kaschgar.
M. Gronbtchevsky a été le premier Européen à visiter le Kounjout, au sud du
Pamir, au-delà de la chaîne des monts ]Moustag. Ce Khajiat est baigné par le cours
supérieur de l'un des affluents de l'indus supérieur, le Kounjout, qui lui a donné son
nom. Ce pays , bien qu'agricole , est extrêmement pauvre. On n'y compte que
vingt-huit villages, et la capitale Baltit n'a que cinq cents foyers. La population du
Khanat n'est que d'une vingtaine de milliers d'habitauts. Les villages disposés à
terrasses sur le versant des rochers , sont fortifiés contre les incursions des Nogars ,
qui sont aussi belliqueux et enclins au brigandage que leurs voisins.
Le commerce est bien médiocre ; la monnaie y est inconnue ; les échanges se font
avec du sable d'or ou des esclaves. L'élève du bétail est nulle. Quelques yaks et
brebis, sans compter deux cents chevaux , voilà tout ce qu'on y trouve. Et le climat
est cependant magnifique. On y voit l'arbre à thé . ainsi que le riz , le raisin , les
grenades , les pèches et les abricots. Ce sont les femmes qui cultivent la terre.
Ce petit Khanat , tributaire des Chinois jusqu'en 1885, est soumis depuis lors à
l'Impératrice des Indes.
Coutinuation de la niiiisiou de 1111. Bonvalot et Capus. —
MM. Bonvalot et Capus , chargés d'une mission dans l'Asie centrale, ayant trouvé
l'accès de l'Afghanistan fermé du côté de Méroutchak, ontvouluy pénétrer par le Nord,
en partant de Samarcande et suivant le cours de l'Amou-Daria. Ils sont arrivés à
Tchardjoui, ont traversé le fleuve, gagné Karakoul et Sarmacande, où ils sont arrivés
le 12 août. Aux dernières nouvelles, ils étaient sur le point de quitter cette ville, se
dirigeant vers l'Afghanistan par le Hissar et la vallée du Sourldiane ou du Kafirnagan.
On a su depuis que les deux voyageurs ont été arrêtés aux environs de Balclc par les
Afghans dont ils voulaient traverser le pays pour aller s'embarquer à Bombay. L'un
des hommes les plus savants et les mieux renseignés sur les affaires de l'Asie Cen-
trale, le général sir Henry Rawlinson , croit que la vie de nos deux entreprenants
explorateurs ne court point de danger , et que le pis qui puisse leur arriver, c'est que
les autorités afghanes les fassent reconduire à la frontière. Ce n'est pas la première
fois que MM. Bonvalot et Capus explorent l'Asie Centrale. Nos lecteurs se rappellent
les avoir entendus à la Société de géographie de Lille. En 1881 et 1882, ils ont visité
le Turkestan Russe et nous possédons dans notre bibliothèque la relation de cet im-
portant voyage, publié par l'éditeur Pion , en deux volumes ayant pour titre : De
Moscou en Bactriane et Du Gohistan à la Caspienne .
On nous communique au dernier moment une lettre datée de Sarmacande ,
5 novembre , adressée à M. Capus père par son fils , et qui annonce que MM. Capus
et Bonvalot ont été remis en liberté par les Afghans , après une captivité de trois
semaines, et que les hardis voyageurs se disposent à revenir en France par les voies
les plus rapides.
— 149 —
Dans le haut llékonjs^. — Le lit du Mékong, navigable en toute saison
jusqu'à Saniboc, se compose, eu amont de ce point, d'une série de bassins parsemés
d'îles et communiquant entre eux par de seuils rocheux.
Ce sont ces rapides qui ont été passés par le torpilleur 44 , monté par M. le capi-
taine de vaisseau Reveillère, le 9 septembre 1885. Depuis , ils ont été remontés par
des chaloupes à vapeur qui ont pu parvenir jusqu'à mi -chemin de la distance qui
sépare Stung-Trcng des cataractes de Kong.
Il résulte de ce voyage , que le Mékong sera ouvert , des qu'on voudra , à la navi-
gation à vapeur jusqu'aux chutes de Kong, à condition d'employer à ce service des
navires convenablement approprisé, dont la vitesse de route devra être de dix noîuds
au minimum, et qui devront pouvoir compter, d'une façon absolue, sur leur machine
et leur gouvernail.
Le passage pourra être singulièrement amélioré par le balisage convenable et
aussi par la création d'un corps de pilotes qu'on trouvera à recruter parmi les
riverains.
llijssion de 11. Kiii^ht en Chine. — La China Merchant Steam Navi-
gation Cy, la puissante Compagnie de navigation chinoise créée par Li-Hung-Chang,
vient de charger M. Knight, un de ses meilleurs officiers, d'étudier le cours supérieur
du Yang-Tze-Kiang , entre Ichang et Chung-King , le plus grand centre commercial
de la province du Szechuen. Cette exploration a été faite déjà , il y a treize ans , par
Francis Garnier. Si le rapport de M. Knight est favorable, la Compagnie fera
construire des steamers spéciaux pouvant franchir les rapides, et Chung-King sera
déclaré port ouvert.
liCfS stations Russes eu Extrême - Orient. — Une canonnière alle-
mande vient de visiter les stations russes de l'Extrême-Orient. Nous empruntons au
journal de bord les renseignements suivants :
Vladivostock , que ne visitaient autrefois que quelques pêcheurs mandchous , est
devenu un port de guerre important. La baie est profonde et parfaitement accessible :
elle est défendue par des redoutes armées de gros canons ainsi que par des mines
sous-marines et des torpilles. La garnison , installée dans des bâtiments solides et
commodes, s'élève à 1,500 hommes d'infanterie de terre . d'artillerie et de génie. Le
nouvel arsenal permet de mettre à sec les plus forts navires et de faire toutes les
réparations désirables. La population est de 6,000 habitants dont 3,000 Mandchous.
Le commerce , qui atteint 4 millions de roubles , est entre les mains des Allemands.
Korsakaowsk, la principale localité dans le sud de l'île Sakhaline , renferme 1,400
déportés, dont 400 seulement sont internés, les autres ayant la faculté d'habiter où
ils veulent. L'île est divisée en trois districts relevant du Gouverneur général , qui
réside à Alexandrowsk. Le seul commerce consiste dans l'exportation d'une espèce
de saumon, que pèchent les Japonais et dont ils expédient 3,000 tonnes environ.
Pétropalo%vsk , n'a guère que 500 habitants. Elle renfernte 89 cabanes en bois ,
;} églises , l'école et les magasins dans lesquels le gouvernement et les particuliers
entreposent leurs marchandises. Le gouvernement vend à prix fixe, sans exclure la
concurrence , de la farine, du plomb , de la poudre , du sel , etc. Les peaux d'ours
marin sont le seul article d'exportation avec celles de zibeline, de loup, de renard et
de loutre.
AFRIQUE.
La frontière maritime entre Ea Tunisie et la TripoIiCaine.
— Depuis roccupation française en Tunisie, la question de h» fixation des fi'ontières
entre la Régence et la Tripolitaine avait été laissée dans l'ombre.
— 150 —
Cependant, outre l'intérêt qu'il y avait au point de vue politique de bien délimiter
aux tribus turbulentes de cette région l'étendue de leur territoire, une autre considé-
ration plus importante peut-être s'imposait au point de vue des eaux territoriales.
La région maritime en litige, qui s'étend à l'Est des Bibans est, en effet, un vaste
banc fertile en éponges, que les pêcheurs tripolitains de l'oasis de Zouara voudraient
bien accaparer à leur profit, et cela au détriment de notre tribu tunisienne des Accara
de Zaris, également pêcheurs d'épongés.
Or, c'est cette frontière qui vient d'être définitivement fixée pai- l'Ingénieur hydro-
graphe, M. Héraud, et le Gonuaandant du Linois, M. de Magniac ; on a fixé la limite
de la Régence au cap Tadjir, à 20 kilomètres des Bibans. A quand la fixation de la
frontière de terre ?
11. le capitaine Cernera dans la région de l'Hadrar. — Le
21 août, est arrivé à Las Palmas (îles Canaries) la Commision que la Société de Géogra-
phie de Madrid avait envoyée en Afrique sous la direction du capitaine Julio Cervera.
Cette expédition était partie le 16 juin de la factorerie de Rio de Oro, où elle était
de retour le 24 juillet, venant du Sahara occidental , sans vivres , sans vêtements et
dans un état déplorable. Elle avait eu à endurer de grandes souffrances dans le désert
avec les Arabes qui l'accompagnaient ; elle avait été à diverses reprises menacée de
mort par les indigènes , et avait eu à supporter la faim et la soif , par une chaleur de
57° à l'ombre et de 65" au soleil.
Un instant même, les membi-es de l'expédition ont été séquestrés six jours dans un
douar, et ils ne sont sortis de ce mauvais pas qu'en payant une forte rançon.
Des données recueillies sur les lieux, il résulte que la région de l'Hadrar , qu'on
supposait si riche et si peuplée, n'est ni plus ni moins que le prolongement du désert
sans végétation , sans rivières , n'ayant d'autres habitants que des tribus nomades
vivant dans la plus grande pauvreté.
il. le colonel Qalliéni au Sénés^al. — C'est le colonel Galliéni , l'ex-
plorateur du haut Niger (1883) qui est chargé cette année de ravitailler les postes qui
relient le Sénégal au haut Niger.
11 est accompagné du capitaine Valière , fils du général, ancien Gouverneur du
Sénégal , qui a pris part à tous les travaux de la brigade topographique du haut
Fleuve, dirigée par M. Derrieux.
I^aniory et le Foutah-Djallon. — De graves nouvelles nous parviennent
de la côte occidentale d'Afrique. Le puissant chef Samory {alias Samodou), dont on
connaît les démêlés avec les autorités fronçaises du haut .Sénégal, ne se contente pas
de s'être taillé un vaste empire dans le territoire baigné par le haut Niger et ses
affluents. 11 rêve d'étendre sa souveraineté sur tous les pays qui le séparent de la
côte d'oii il tire ses approvisionnements de toute nature.
Poursuivant ce but depuis plusieurs années et aidé dans ses projets par quelques
lieutenants dévoués, il a conquis à main armée ou soumis la plupart des petits Etats
indépendants qui se trouvaient entre le haut Niger d'une part, la colonie de Sierra-
Lesne et nos rivières françaises du Sud, d'autre part. Les populations qui ont osé
résister à l'envahisseur ont été décimées et réduites à l'esclavage ; celles qui se sont
soumises ont an embrasser l'islamisme. De proche en proche, l'armée de Samory est
parvenue à peu de distance de la côte, et l'un de ses lieutenants campe à proximité de
notre poste militaire de Benty Mellacorée.
Mais t<jus ces succès ne suffisent pas à l'ambition de Samory : on lui attribue le
projet d'attaquer et de soumettre à sa domination le Foutah-Djallon , grand et popu-
— 151 -
leux pays , qui non seulement a toujours vécu en paix avec la France , mais qui ,
depuis cinq ans , à la suite de la mission de notre compatriote Rayol , s'est placé
volontairement sous le protectorat français.
Les Foutahs habitant le Foutah-Djallon sont gens pacifiques, adonnés à l'agricul-
ture et au commerce ; ils appartiennent à la religion musulmane et sont arrivés à un
degré de culture bien supérieur à celui que possèdent les hordes à demi -barbares
contre lesquelles Samory a combattu jusqu'ici.
Samory n'a donc pas même le prétexte ordinaire de la propagande religieuse pour
envahir et ruiner le Foutah-Djallon ; mais , de plus , en donnant suite à ses projets
belliqueux, à son goût de rapines et de destruction , il viole manifestement ses enga-
gements vis-à-vis de la France , engagements d'après lesquels il s'est formellement
interdit toute attaque contre les possessions françaises et les pays protégés par la
France.
Nous aimons à croire que le Gouvernement français, qui doit être au courant des
agissements de Samory , rappellera ce chef turbulent à l'exécution de ses engage-
ments et saura protéger, contre la rapacité et la cruauté de ses guerriers, qui ont été
et sojit encore nos ennemis, ce pays si iiitéressant et relativement civilisé du Foutah-
Djallon, avec lequel nous avons toujours eu d'excellentes relations commerciales et
politiques , et qui , comme nous l'avons dit déjà, a accepté le Protectora français.
Nous nous plaisons à citer , à ce sujet , l'article 1*"" du traité signé, en juillet 1881 ,
par les Almamys du Foutah-Djallon :
« Le Foutah- Djallon déclare être l'allié intime des Français auxquels l'unit déjà
» une vieille et loyale amitié. Les Almamys, chefs du pays, placent le Foutah-Djallon
» sous le Protectorat de la France. »
Nous rappellerons que , dans ces dernières années , ce pays a été fréquemment
visité par plusieurs de nos compatriotes ; nous citerons notamment le docteur Bayol,
MAI. Olivier de Sanderval, Gaboriau et Ansaldi. Ils y ont été tous bien reçus et sont
unanimes à reconnaître que le Foutah-Djallon est un pays d'avenir, dont la France a
le plus grand intérêt à protéger l'existence et à favoriser le développement.
Retour de 11. H. Johustoii de son expédition au Kilimand-
jaro. — M. H. Johnston, qui, à son retour de son expédition au mont Kilimandjaro,
a été nommé vice-Gonsul aux Gameroons, a envoyé à la Gazette Géographique une
relation de son voyage en amont de la rivière de ce nom, au mois de juin dernier.
Parti de Bell-Town, après avoir passé le long des points accessibles , situés plus
bas, et bien connus des Européens , il est arrivé à un endroit un peu au-delà de
Ngale-Nyamsi, à la distance d'environ 60 milles. On cesse de rencontrer les Man-
graves à environ 24 milles de la côte ; ensuite le pandamus ou pin en vrille devient
l'arbre dominant des rives de la rivière , dont le sol marécageux est bordé comme
d'une frange d'Orchidées Lissochilus de six pieds qui donnent de nombreux bouquets
de fleurs couleur mauve.
A mesure que les rives deviennent plus élevées et le sol plus ferme , \e pandamus
fait place à son tour , à une grande variété d'arbres forestiers , parmi lesquels on
remarque des acacias, des sterculias et des ériodendrons, mêlés de palmiers raphia
aux gigantesques panaches, et de bosquets de palmiers à huile.
Un peu plus loin , M. Johnston a pénétré dans la contrée des Ouauris, oii il a été
frappé de l'aspect de prospérité qui y régnait ; sur les bords de la rivière est échelon-
née une série continue de villages et de plantations indigènes ; les forêts des premiers
âges ne se trouvent plus que dans l'intérieur.
A quelques milles au-delà de Ngale-Nyamsi , village du chef de Boudiman. il a pu,
en gravissant une hauteur d'environ 500 pieds au-dessus de la rivière , apercevoir ,
— 152 —
par un jour clair , très iietteinent une chaîne de montagnes aux pics fantastiques,
situées au Nord à une distance de 50 à 60 milles de la rivière. Il en a calculé l'altitude
entre 10,000 et 12,000 pieds.
I>alleniag;uc et l'Angleterre sur le golfe de Guinée. — Le
Reichsanzeiyer de Berlin, publie le texte du traité qui a été passé entre l'Angleterre
et l'Allemagne , relativement aux possessions des deux pays en Afrique occidentale ,
sur le golfe de Guinée, et la délimitation exacte des territoires. La ligne de frontière
suit à l'intérieur la rive droite du Rio del Rey depuis l'embouchure de ce fleuve
jusqu'à sa source, prend de là en ligne droite la direction de la rive gauche du vieux
Kalabar ou fleuve Cross , dépasse ce fleuve et se termine à peu près au 9" 8' longi-
tude Est de Greenwich , au point désigné sous le nom de Rapids sur la carte de
l'amirauté anglaise.
Le gouvernement allemand a proposé de prolonger la ligne frontière vers l'inté-
rieur, proposition acceptée par le gouvernement anglais. La ligne nouvelle partirait
des Rapids et continuerait dans la direction diagonale vers la rive droite du Bënué, à
l'Est de Yola, jusqu'à un point à déterminer ultérieurement.
Le clieniin «le fer du Congo. — Le Syndicat anglais qui s'était consti-
tué à Londres pour la construction d'un chemin de fer au Congo, s'est dissout. Il n'a
pu s'entendre avec le Roi des Belges sur la rédaction définitive d'une charte contenant
les relations du Syndicat avec le Gouvernement du Congo.
Les exigences du Syndicat auraient fini par changer l'État du Congo en Colonie
anglaise.
Depuis , un Consortium belge , La Compagnie du Congo pour le commerce et
l'industrie^ a été formé en vue de la création du chemin de fer entre le haut et le bas
Congo.
Une expédition composée d'ingénieurs et de spécialistes va étudier sur le terrain le
tracé et les frais d'établissement de la ligne. On pense que cette expédition aura
terminé ses travaux en dix-huit mois.
Jusqu'à présent, deux projets ont été préconisés. Le premier , celui de Stanley, a
Vivi pour tête de ligne et comprend deux tronçons reliés entre eux par un bief navi-
gable de 175 kilomètres. Les deux tronçons auraient une longueur totale de 192
kilomètres.
Le second part de Mahadi , sur la rive opposée, et va jusqu'à Léopoldville , sans
transbordement. La ligne aurait 280 kilomètres.
Afrique australe. — Les Bushmens. — Les Bushmens (d'après un article
publié dans le Journal de la Société royale asiatique, et résumé dans The Scottisch
geographical Magazine^ d'avril 1886) forment maintenant à peine une race , encore
moins une nation. Ils sont divisés en une foule de petites tribus isolées et répandues
dans l'Afrique australe ; ils se sont réfugiés dans les déserts ou dans les montagnes
arides, afin d'échapper à la persécution, à l'esclavage ou à l'extermination. Par leurs
relations générales et leurs- mariages d'occasion avec d'autres populations , avec
lesquelles ils ont été inévitablement plus ou moins en contact, ils ont modifié en partie
leur caractère particulier et acquis celui de leurs voisins. Les voyageurs donnent à
leur sujet des récits quelque peu contradictoires, parce qu'ils ont vu des tribus diffé-
rentes dont chacune avait acquis, par son isolement et son commerce avec des races
étrangères, de nouveaux traits distinctifs. Deux faits caractérisent d'une manière
frappante cet isolement : 1" des tribus qui se composent à peine de cinquante indi-
vidus ont acquis des pai'ticularités de dialecte telles qu'ils ne peuvent être compris par
- 153 -
les tribus voisines , bien qu'il n'y ait que quelques milles de distance entre elles ;
2° ils n'ont pas de nom commun ou national , et ne nous sont connus que sous les
sobriquets qui leur sont donnés par leurs voisins ou sous des noms de localités. Les
Boers leur ont donné le nom de Bojesman, en anglais Bushman , les Hottentots les
appellent Saan, les Bechuana, Ba-roo , les Cafres , Abaliva , etc. Le seul nom qui
pourrait être considéré, avec doute, comme national est Khuai, appliqué à une tribu
spéciale. Quoi qu'il en soit, malgré toutes ces différentes appellations, on peut affir-
mer positivement qu'il y a une race Khuai ou homme des bois. A part la question de
langage, l'homme des bois représente au point de vue anthropologique une branche
distincte parmi ces races africaines : il est distinct du nègre et du Bantu ainsi que du
Hottentot avec lequel il a quelques traits caractéristiques communs et avec lequel ,
par conséquent, il a été confondu pendant longtemps ; néanmoins la distinction est si
évidente que tous les voyageurs l'ont sentie.
Les caractères permanents de la race sont spécifiés comme suit : la peau est légère-
ment brune, couleur cuivre, ou même légèrement jaune, et jamais blanche , à moins
que ce ne soit par un fort mélange évident avec le Bantu ; en outre , un homme des
bois nouveau-né n'est pas blanc , comme un Bantu nouveau-né , mais rouge ; les
cheveux sont développés en touffes , comm ceux du Tasmanien et ont une coupée
ovale transversale : à peine y a-t-il un poil sur la figure ou sur le corps. Le crâne est
bien défini, il est rond et étroit ; les tempes sont larges, les yeux fort éloignés l'un de
''autre et légèrement obliques, les os de la face proéminents ; le nez varie beaucoup ,
mais est généralement grand et plat. Le corps en général est bien proportionné , les
épaules sont larges, les bras et les jambes bien développés, avec les mains et les
pieds remarquablement petits. L'énsrme développement des hanches qui donne aux
Hottentots leur apparence ridicule, se trouve parmi les hommes des bois , mais ne
semble pas être un caractère de race ; il ne se présente probablement que lorsque les
hommes des bois sont croisés avec les Hottentots. La formation particulière appelée
en français le tablier égyptien^se retrouve parmi les femmes des Bushnians et-senible
être de race. Leur denture les place dans une classe spéciale ; les dents ne sont pas
conmie de l'ivoire mal coupé , comme chez le Bantu ; mais elles sont régulières et
d'apparence nacre et perle. Toutes choses considérées, les Bushmans semblent être,
quand ils ne sont pas mêlés avec les Bantus ou les Hottentots , de petite stature et
brachycéphalique , mais bien proportionnés. Le prognathisme , qui est le caractère
essentiel du vrai sauvage, n'est jamais très marqué, soit dans le Bushman, soit dans
le Hottentot ou le Bantu.
Quant au moral, le Bushman est beaucoup meilleur que ne nous l'ont fait connaître
les premiers voyageurs et les tribus voisines. 11 a un grand amour de la liberté ; il ne
connaît pas de maîtres et n'a pas d'esclaves. C'est pourquoi il préfère la vie errante
du chasseur à celle de l'agriculteur ou du berger paisible. Ses besoins sont excessi-
vement modestes ; il construit rarement une hutte, préférant les cavernes naturelles
qu'il trouve dans les rochers ; ailleurs il forme une sorte de nid dans le bois , d'oii
dérive son nom d'homme des bois (Bushman; ; ou bien il creuse un trou en terre.
Son vêtement est simplement une petite peau, ses armes la lance , la flèche et l'arc
dans leur forme la plus rudimentaire. Les flèches et les têtes de lance sont toujours
empoisonnées. 11 a un outil de la plus simple construction avec lequel il bêche quel-
ques racines mangeables qui croissent à l'état sauvage. Pour faire du feu , il se sert
encore du système primitif , qui consiste à frotter deux pièces de bois l'une contre
l'autre. Le Bushman n'a pas de religion et pas même une idée d'une divinité, mais il
est très superstitieux. Nonobstant , il est moralement de beaucoup supérieur au
Bantu ou Hottentot, car il n'est jamais cruel sans nécessité et est bon et serviable
envers les hommes de sa tribu ; il est vrai qu'il vole du bétail , mais k ses yeux le vol
11
- 154 -
de bétail est une manière de chasser. Il possède un grand talent d'imitation comme
le démontrent les peintures et les sculptures laissées par les Bushmens sur les murs
de leurs cavernes et sur les rochers ; ces dessins sont exécutés^avec des terres glaises
de différentes couleurs, les sculptures sont faites avec des ciseaux en silex. Dans
leurs représentations, il y a toujours une ressemblance frappante et réaliste.
Le Bushman possède un instrument de musique , rudimentaire , il est vrai , mais
qui sert encore à démontrer cet étrange mélange de la vie sauvage avec le goût
artistique.
La langue des Bushmens se compose de dialectes innombrables , possédant une
grande abondance de gutturales et de voyelles nasales et incertaines.
Cette race a dû habiter autrefois une aire beaucoup plus étendue qu'aujourd'hui ;
mais on ne possède pas les moyens de la retrouver. On ne peut , sous ce rapport ,
que rappeler leurs analogies avec la race égyptienne la plus ancienne , en tirer la
supposition qu'elle pourrait être de la même souche primitive que celle-ci.
Retour de II. le capitaine Bove de sou Toyagc dans le
Haut-Congo. — M. le capitaine Bove est de retour en Italie de son voyage
dans le Haut-Congo.
Arrivé à Stanley Falls le 18 août, U n'y est resté que quatre jours. Dès le 10
septembre, il était de retour à Léopoldville.
Les impressions qu'il rapporte du Congo sont loin d'être satisfantes , et U répète
qu'il n'a pas la moindre confiance dans l'avenir de cette contrée.
Sur le i'ongo ISupérieur. — La station de Steuiley-FaUs a été attaquée
par une tribu d'Arabes, on ne sait dans quelles circonstances, et a dû être aban-
donnée par les agents de l'État du Congo.
L'évacuation de cette importante station remet en question l'occupation du Haut-
Congo, et il est à craindre que les Arabes ne reprennent leur système de razzias sur
les rives de ce fleuve que l'Etat libi'e cherchait à protéger contre les exactions des
marchands d'esclaves.
l,e lac i%ganii. — On lit dans la Gazette Géographique :
« Un commerçant allemand, qui de 1885 à 1886 a fait le tour du pays des Kalaha-
ris en partant de Wynburg (dans l'État libre d"Oraiige), puis passant du Bechua-
naland anglais au lac de Ngami, et enfin gagnant au Sud Upington, pour revenir à
Wynburg. a rapporté des curieux détails, sur la situation actuelle du lac et de ses
' alentours.
» Le voyageur allemand a atteint le lac le 17 septembre 1885 ; il est demeuré sur
ses bords pendant près de trois mois , et alors il a visité la nouvelle capitale de
Moremi sur le Tunke ou Tioge.
» Les Tuanas (Batuanas), dont Moremi est le chef, par suite des récentes excur-
sions des Matubelis , se sont retirés dans la région marécageuse au nord du lac.
C'est une race physiquement et moralement dégénérée ; ils ne sont plus au nombre
de plus de 500 en tout. Les plus riches d'entre eux ont des chevaux et sont armés de
fusils. Les Bakubas et les « Bushmen » (hommes des buissons) sont leurs esclaves.
» Le voyageur est d'avis que le pays de Kalahari conviendrait parfaitement à
l'élève du bétail ; et il fait observer que le lac Ngami est plus accessible par la baie
de Walefish que par le Cap ou par Natal. Selon lui, le lac Ngami est beaucoup moins
étendu qu'on ne l'avait représenté , confirmant ainsi ce qu'avaient dit d'autres
explorateurs depuis la première découverte du lac en 1849 par Oswell , Murray et
Livingstone.
M. Selcus, lors de son dernier voyage en Angleterre, a fourni des renseignements
- 155 -
qu'il tenait du docteur Aurel Schulze sur les rivières au Nord du lac. D'après cet
explorateur, le Tuuke (Tioge ou bas Okavanga) ne va plus directement se déverser
dans le lac, mais il forme d'immenses marécages au Nord. Un bras de cette rivière
rejoint le Chobc, un autre, connu sous les noms de Dzo et de Mashabe, se perd dans
le lac Mabube ; tandis qu'un autre de ses bras (le Tamatu Katia) va au Sud se jeter
dans le Botletle qui coule dans la direction du Su-Ouest pour se déverser dans le lac
Ngami, et dans la direction du Sud-Est pour tomber dans le lac Rumadan.
» Le négociant allemand a tracé un plan détaillé de son itinéraire, en indiquant les
distances, mais comme les renseignements sont sans preuves à l'appui, ils ne peuvent
être que d'une utilité relative. »
Au Zoulouland. — On sait qu'après l'expédition conduite contre le roi Cet-
tiwayo dans le Zoulouland, l'Angleterre a évacué ce pays fertUe et tempéré, sans
mènie le prendre sous son Protectorat. Cette attitude a laissé le champ libre aux Boërs
qui , poussés par le besoin de trouver de nouveaux pâturages pour leurs troupeaux ,
se sont établis peu à peu dans le pays et ont finalement pris possession d'une partie
du territoire Zulu. Les indigènes ont réclamé alors la protection de l'Angleterre et la
colonie du Natal a demandé l'annexion du Zoulouland.
On a consenti à une transaction qui règle provisoirement la question.
Le Zoulouland va être divisé en deux parties : la partie orientale jusqu'à la mer
sera réservée aux Zoulous et placée sous le Protectorat de l'Angleterre : la partie
partie occidentale sera cédée en toute souveraineté aux Boërs avec le district
d'Ungojona.
Travaux de 11. A. d'OIlTcira sur l'Afrique portugaise. —
M. A. d'Oliveira vient de publier à Lisbonne , une carte de l'Afrique méridionale
portugaise au 1/600000 , d'après laquelle on peut se rendre compte des prétentions
du Portugal sur les territoires de l'Afrique équatoriale. D'après ce document ,
l'Afrique portugaise dépasserait de beaucoup les limites que , jusqu'à présent, les
cartes étrangères au Portugal lui attribuaient et s'étendrait d'un océaa à l'autre. Elle
comprendrait tout le bassin du Zambèze , à l'exception de la partie du bassin du lac
Nyassa, située au Nord du 11° 30' lat. Sud. Au sud du fleuve, tout le pays des Ma-
Tébélé serait portugais, quoiqu'aucun voyageur portugais ne l'ait traversé. La carte
indique les itinéraires des explorateurs portugais , jusqu'à la travesée de l'Afrique
par Capello et Ivens en 1884-1885.
I%os niissionuaircs dans l'Afrique Orientale. — Dans l'Ouganda,
la situation n'est plus tenable pour nos missionnaires. Le roi Mwanga , prévenu par
les Arabes, ne cesse de leur créer des difficultés et des dangers. S. E. le cardinal de
Lavigerie s'est ému d'une pareille situation , et est intervenu officieusement auprès
des diverses puissances représentées à Zanzibar , les priant d'agir auprès de Saïd-
Bargasch qui, seul, peut exercer quelque influence efficace sur les Arabes répandus
entre les grands lacs et la mer.
Ii*>s Allemands à la côte orientale. — Une dépêche de Zanzibar, en
date du .30 octobre , annonce que M. Juhlke a acheté pour le compte de la Société
africaine, le territoire de Mackdichou.
Ce territoire s'étend au Sud jusqu'au pays de Witou et comprend l'excellent port
de'Duruford, situé à l'embouchure du Woubouche, ainsi que l'embouchure du Djoub,
qui donne accès dans les montagnes des Gallas.
M. Juhlke a établi une station à Durnford.
L'acquisition du Makdichou empêchera que le pays de Witou ne soit séparé, au
— 15G —
Nord, des autres possessions allemandes par un territoire appartenant à une puissance
étrangère.
On sait que le pays de Witou a été vendu à la Compagnie par M. Clément Denhart,
et que la ligne des côtes de ce territoire est de 60 kilomètres.
Au dernier moment , nous recevons une dépêche de Zanzibar (7 décembre), qui
annonce que le docteur Juhlke , représentant de la Société allemande de l'Afrique
orientale, a été massacré par les Çomalis à Kismayoo , près de l'embouchure du
Djoub.
Ses procédés arbitraires auraient indisposé les populations.
Socotora aux Anglais. — Des avis d'Aden portent que le Résident politique
anglais à Aden a annexé, le 30 octobre, aux possessions britanniques, l'île de Socotora.
Cette île est située dans l'Océan Indien, à l'Est du golfe d'Aden et à 371 kilomètres
du cap de Guardafui. Elle a une superficie de 1,600 kilomètres carrés et une popu-
lation de 4,000 âmes environ. Ses habitants sont d'origine arabe et professent
l'islamisme.
Jusqu'au milieu du seizième siècle l'île Socotora faisait partie des possessions portu-
gaises. Le Gouvernement portugais l'ayant abandonnée , les Anglais essayèrent à
leur tour d'y établir une station navale , mais finirent par y renoncer à cause de la
stérilité de l'île. Depuis lors, l'île de Socotora était tributaire du Sultan deMascate.
Décret relatif* à OI>ock. — Non seulement les condamnés aux travaux
forcés , d'origine arabe seront dirigés sur Obock , mais encore les Africains et les
Indiens condamnés par les tribunaux de la Réunion et de nos Etablissements de
l'Océan Indien, C'est ce qui vient d'être établi par un décret récent.
AMÉRIQUE.
États-Uniïi. — Tremblement de terre du 31 août 1886. — L'excellente revue
Science , de New-York (du 10 septembre 1886) publie une carte et un article ayant
pour but de déterminer l'origine et l'aire du tremblement de terre du 31 août.
Une ligne de faiblesse dans la croûte terrestre s'étend de Troy, N. Y., vers le sud-
ouest, passant au-dessus de Baltimore, Washington et Richmond pour se perdre au
sud de Raleigh. La secousse sérieuse paraît avoir eu son origine le long de cette
ligne dans la Caroline du Nord et dans l'Est de la Caroline du Sud, le 31 août à
9 h. 49 du soir (75" temps du méridien). Elle ne s'est pas produite sans avertissement
préalable. Pendant longtemps de légers chocs avaient été ressentis de temps à autre
dans la Caroline du Nord, et quelques jours avant la catastrophe des secousses assez
faibles avaient été ressenties à Charlestown. De la Caroline, le tremblement rayonna
avec une grande rapidité (de 20 à 60 milles par minute) à travers la grande aire limi-
tée au Sud par le golfe du Mexique, au Nord par le Michigan, la province d'Ontario ,
New-York et le sud de la Nouvelle-Angleterre, à l'Est par l'océan atlantique, où on
la ressentit probablement à une distance de près de 500 milles dans la mer, et à
l'ouest, par le centre de la vallée du Missipi. On ne l'a pas ressenti aux îles Bermudes.
11 serait hautement désirable de vérifier les limites de la secousse ainsi que le
temps exact pendant lequel le choc a été primitivement ressenti à tous les points
compris dans l'aire troublée. 11 arrive souvent qu'il se trouve des endroits dans l'aire
d'un tremblement de terre où le choc n'est pas perceptible, probablement à cause de
certaines particularités locales dans la formation géologique, tandis qu'il est bien
marqué à des points non loin de là. Des points de ce genre sont déjà signalés dans la
- 157 -
Floride, l'Indiaiia et le Coniiccticiit , par exemple ; ces informations sont des plus
intéressantes.
L'hypothèse avancée par Perroy, est que les tremblenients de terre sont connexes
avec des marées souterraines , dues à l'influence coml)inée du soleil et de la lune ,
et analogues h celle de l'Océan. A un point donné les couches de la terre se trouvent
sous une tension accumulée pendant des siècles ; cette pression s'accroît lentement ,
mais graduellement jusqu'à ce qu'elle arrive à un point où la rupture est imminente.
Deux fois par jour les grosses vagues du flux de l'Océan viennent battre la côte , et
il est possible que les changements prodigieux de pression dus à ces vagues , sont
augmentés encore par des mouvements analogues à l'intérieur de la croûte. Ainsi
arrive le moment critique oii elles ajoutent « la dernière paille » qui doit déterminer
la rupture. Dans cet ordre d'idées, il est très intéressant de remarquer qu'au moment
oii se produisit le grand choc à Charlestown , cette influence de la marée était à son
maximum. Le 29 août , la lune était à son périgée à 2 h. du matin ; le même jour ,
nouvelle lune à 8 h. du matin , agissant en ligne directe avec le soleil (l'èclipse du
.soleil avait lieu à 5 h. du matin le 29 août) ; c'est pourquoi on a eu des marées
excessivement hautes pendant i)lusieurs jours de suite. Le passage supérieur de la
lune avait lieu à Charlestown à 2 h. 22 du soir le 31 aoiàt. La haute marée qui suivit
(la plus haute des deux marées du jour) avait lieu à 9 h. 35 du soir, juste vingt
minutes avant que le choc ne se produisit. Cette coïncidence est naturellement très
intéressante.
Ce qui semble remarquable aussi, c'est qu'aucune vague de mer ne suivit le choc :
et c'est un fait providentiel qu'elle n'ait pas eu lieu, sinon les résultats de destruction
et de morts d'hommes auraient été cent fois plus grands. Une vague de mer (appelée
souvent. très incorrectement une vague de marée), de dimension plus ou moins
grande , est l'accompagnement presque invariable d'une grande secousse qui se
pi'oduit près de la côte de la mer.
11 n'est pas nécessaire d'entrer maintenant dans de plus grands développements
sur les effets généraux de ce sérieux tremblement de terre, ni de faire des théories
sur les causes des ti-emblements de ten-e en général ou de celui-ci en particulier ,
plus que nous l'avons fait déjà. Pour faire une étude qui ait quelque valeur , il faut
attendre la compilation et l'élaboration d'un grand nombre de matériaux et les
rapports des géologues qui sont actuellement à l'œuvre dans la région oii la catas-
trophe a fait ses plus grands ravages.
Voyage de II. le docteur Ilaveiï à l'Alaska. — M. le D' Haven a
visité , lui aussi , l'Alaska et parcouru la région du grand glacier de INIuir qui a été
découvert en 1797 par Vancouver et qni a plus d'étendue que tous les glaciers de
l'Europe réunis.
Le docteur Haven ne croit pas que l'Alaska de\ienne jamais un pays agricole. 11 y
fait trop froid : mais sous le rapport de la magnificence et du caractère pittoresque
de l'aspect de la nature, cette région est sans rivale dans le monde.
La profoudetir «le la rivière IViagara. — Depuis qu'un certain
M. Graham a réussi, enfermé dans un tonneau , à sauter les chutes du Niagara, des
ingénieurs américains ont voulu avoir des renseignements sur la profoudeui* de l'eau
au-dessous de ces chutes.
Ce n'est que très difficilement que leur bateau, une chadoupe à vapeur , a pu
s'approcher du pied de la chute : car de grandes et fortes vagues , sillonnant la
rivière , le repoussaient avec force , et tel était le fracas , que l'on n'ai'rivait pas à
s'entendre. Ils réussii'ent toutefois à parvenir aux points voulus et mesui'èrent 75
pieds de profondeur près du bord, un peu plus loin 90 pieds, près du chemin de fer.
- 158 —
174 pieds. Là où le Niagara se rétrécit presque sabitement entre des hautes
murailles presque verticales , il coule avec une telle vitesse qu'on ne peut sonder ;
mais où commencent les tourbillons, la profondeur de l'eau dépasse 195 pieds.
Equateur. — Les savants français qui , au siècle dernier , mesurèrent par la
triangulation un arc du méridien sous Téquateur, fixèrent par des pyramides les
points les plus importants : Oyambaro , Caraburo et Tarqui. Quelque temps après,
le Gouvernement espagnol, en guerre avec la France, fit détruire ces pyramides.
M. Roquafuerte, Président de la République de l'Equateur , en fit reconstruire deux.
Aujourd'hui, le Gouvernement équatorien vient de voter des foads pour la recons-
truction de la troisième pyramide à Tarqui, extrémité Sud de l'arc mesuré par les
savants français.
Voyage de M. Ten Kate dans l'Amérique du $$ud. — M. Ten Kate
a quitté le 15 décembre 1885 , Parainaribo pour aller visiter les nègres des bois sur
le Haut-Surinam ; puis il a parcouru les deux rives du Maroni, depuis GalLbi, à son
embouchure , jusqu'au saut d"x\rmina , près duquel habite Apatou , le brave et
dévoué compagnon de Crevaux. Là , se trouvent des établissements pénitentiaires
peuplés de déportés arabes et annamites et des placers d'or encore inexploités.
Pai" George-Town, dans la Guyane anglaise, M. Ten Kate arriva à l'île de la Trinité
et de là, gagna Giudad Bolivar dans le Venezuela, oii il arriva le 7 mars. Visitant les
pays parcourus par Humboltd, il atteignit Cumana lo 1*' avi'il.
De là, par La Guayra , il s'est rendu à New-Yorli d'où il est revenu en Hollande
après une absence de quatorze mois (juin).
lies communications entre le Brésil et la Bolivie. — D'après
le Commercio do Amazonas, il résulte d'un voyage d'exploration dans le haut Purus,
de laquelle ont fait partie plusieurs commerçants , que la navigation y est moins
difficile que dans la Madeira, et que la communication avec la République de Bolivie,
par le Purus, serait moins coûteuse, moins longue, et dans tous les cas plus facile
que pai" le fleuve Madeira. Les explorateurs ont rencontré une tribu d'Indiens qui
parlaient l'espagnol comme on n'avait jamais entendu parler dans la vallée de
Purus ; ils se sont mis en rapport avec ces Indiens et ont échangé des produits de
l'industrie amazonnienne pour des arcs , des flèches , des plumes et des pannes ,
fabriqués par les Indiens.
Traversée de l'Amérique du Sud par 11. Fouaiilet.— M. Fouail-
let, ancien ingénieur, employé aux travaux du percement de l'isthme do Panama,
vient de visiter en détail l'Amérique méridionale.
Il a parcouru d'abord la côte du Pacifique à partir d'Antofagasta , exploré la
Cordillère occidentale jusqu'au lac Titicaca, et visité, sur son parcours, Puno dans le
Pérou, et Chititaya dans la Bolivie.
Arrivé aux sources du Pilcomayo , il côtoya cette rivière jusqu'au Gachimayo ,
dans la province de Ghuquisaca , et pénétra dans le centre de la Bolivie.
Dans ce pénible voyage, il avait pour compagnon M. F. Ligée et deux Indiens.
Il descendit le Rio Pilcomayo dans une espèce de cauiot fait de troncs d'arbres et
arriva à Port-Pacheco.
Il fut assez heureux de pouvoir recueillir de la bouche de quelques Indiens Tobas
des particularités sur la mort tragique de Crevaux, et il sut où était enterré notre
infortuné compatriote.
M. Fouaiilet continua à explorer le Rio-Pilcomayo jusqu'à Bupai-Uarmi, à environ
40 lieues de son embouchure. Étant obligé de revenir sur ses pas, il atteignit Santa-
Luccie, et parcourut à cheval les plaines qui séparent ce village de Santa -Fé.
— 159 —
M. Fouaillet se propose -de remonter le Pilcomayo et de rechercher les restes de
Crtvaux, qui doivent s(> trouver à Ipah , dans les environs de Avenirarcha , sur la
rive droite du fleuve et à 71 lieues de son confluent.
1%'onvellcs de II. Tliouar. — Les nouvelles reçues de M. Thouar ne sont pas
satisfaisantes. L'explorateur, après avoir remonté le Pilcomayo sur un long parcours,
a été tellement fatigué par son voyagi>, qu'il est tombé malade et qu'il attend d'être
un peu remis pour continuer son voyage jusqu'à Sucre, la capitale de la Bolivie.
Depuis son départ, il a exécuté cent cinquante croquis, types et paysages , un
itinéraire de Buenos-Ayros à Tucuman , de Tucuman à Salta , de Salta à Jujuy , de
Jujuy à Tarija, de Tarija à Aguairenda, de Caisa à Macharetti. A San-Francisco, il a
vu h'S Tobas et recueilli un rt'Volver de la mission Crevaux.
Départ de .11. Fernandcz pour l'exploration de l'Araguay-
Guazu. — Au mois de septembre , un capitaine de la marine argentine, M. Fer-
nandcz , est parti d(3 Buenos-Ayres pour explorer la rivière Araguay-Guazu et
compléter les recherches faites par le commandant Fontana en 1882. C'est sous le
patronage de l'Ipstitut géographique argentin qu'a lieu cette exploration qui a pour
but également de trouver un débouché à la Bolivie intérieure.
I%ouvelIe expédition II. de Brettes dans le Gran-Cbaco. —
M. de Brettes va étudier la ban<li' de territoire comprise entre le Rio Pilcomayo et
11' Rio Bermejo. 11 est accompagné de M. de Boisvie , ingénieur, et Robin, ex-sous-
officier d'artillerie.
Le Gouvernement argentin lui a fourni une escorte.
M. de Boisvie a déjà habité le Paraguay et l'Uruguay. 11 est tout particulièrement
chargé de l'hydrographie de l'expédition.
M. de Brettes entrera dans le Ghaco en remontant le cours du petit Rio Monte-
Lindo , jusqu'au point où ce cours d'eau s'infléchit vers le Sud-Ouest , à environ
quinze lieues de son embouchure dans le Rio Paraguay. Une partie du Monte-Lindo
a été explorée en 1881 par le commandant Sola.
Du point où il quittera le Montn-Lindo, M. de Brettes suivra une ligne aussi droite
que possible, parallèle aux rios Bermejos et Pilcomayo, dans la direction de Tarija.
11 coupera ainsi à angle droit le parcours suivi par le colonel Ibazetta, qui a fait le
trajet d'un rio à l'autre. 11 tentera de s'aboucher avec les tribus des Tobas qui ont
massacré l'expédition Crevaux et de recueillir des données plus sérieuses que celles
qui ont été mises en avant jusqu'à ce jour.
Départ de II. le lieutenant - colonel Fontana pour la Pata-
g^oiiie. — C'est encore la Patagonie que le colonel Fontana va explorer. 11 visitera
cette fois la zone comprise entre les rivières de Chubut et de Senguel, ainsi que les
points situés au Nord jusqu'au 42'' degré de latitude et jusqu'au 46' degré au Sud.
Découverte de gisements aurifères à la Terre-doFeu. — De
Buenos-Ayres, M. Ch. Rouvier, ministre de France, écrit à la date du 26 septembre
qu'on vient de constater l'existence de gisements aurifères dans la Terre-de-Feu. Les
terrains qui avoisineiit la baie de Saint-Sébastien contiendraient de l'or en abondance,
sous forme de lamelles ou de petits œufs (pépites). En dépit de sa température
glacile, le pays est habité par une belle race d'hommes, les Onas, qui semblent être
les derniers vestiges des Patagons. Grands, bien faits, de mœurs douces et hospita-
lières, les Onas n'apporteront aucun obstacle aux travaux d'exploration auxquels on
va se livrer. D'autre part , la colonisation européenne commence à se porter en
Patagonie ; plus de cinquante familles s'y sont étjiblies dans ces derniers temps.
- 160 -
OCÉANIE.
Expédition de 11. O. Forbes dans la ItouTClie - Guinée. —
L'expédition de l'explorateur anglais H.-O. Forbes vers la chaîne de montagnes de
Owen-Stanley , a échoué à cause du manque de ressources. Par suite de retards
imprévus que son départ avait subis, il était arrivé seulement à la fin d'août 1885 au
port de Moresby , trop tard pour entreprendre encore, avant la saison des pluies ,
l'expédition vers le centre de la chaîne de montagnes : cela l'obligt^a à établir une
station au village de Sogeri, à deux journées de marche dans l'intérieur des terres.
Durant son séjour forcé à Sogeri, il employa tous ses loisirs à recueillir des obser-
vations météorologiques et à faire la triangulation du district en rapport avec les
levés anglais des côtes. Il explora le district dans tous les sens et il est parvenu à
recueillir près de 4,000 espèces de plantes dont il a fait l'envoi au British Muséum,
indépendamment d'un grand nombre d'oiseaux. Il a ainsi noué dos relations amicales
avec les tribus de l'intérieur et engagé ses aides d'Amboyne à apprendre leur langue.
Enfin, vers le milieu du mois d'avril, il est parti , accompagné du Révérend J. Ghal-
mers, pour le mont Owen Stanley ; malheureusement, il était insuffisamment pourvu
pour un long séjour, à cause de l'épuisement de ses provisions et de ses moyens
pécuniaires. Arrivée dans le territoire des tribus d'Ehe et de Bereka, son expédition
se trouva au pied des falaises escarpées qui forment la base de la chaîne de mon-
tagnes. On ne pouvait persuader les naturels, à cause de leur crainte superstitieusr
de la montagne, à accompagner son expédition et au-delà de ce point il n'y avait })lus
d'habitants ni de chances d'obtenir de la nourriture. Le pays était d'une âpreté
extrême, présentant une succession d'abîmes et d'élévations escarpées couverts d'une
végétation dense et chétive, sans sentiers et sans moyens de transport. La boussole
était dérangée par une force magnétique qui la rendait impropre au service. M. Forbes
croit qu'il aurait atteint le sommet avec vingt hommes qu'U avait avec lui, s'il avait
eu les moyens de les payer pour un terme de service plus long , leur terme actuel
expirant le l*'' du mois de mai. Mais comme il avait épuisé ses moyens , il fut forcé ,
bien à contre-cœur, de retourner sur ses pas. 11 arriva au port Moresby au commen-
cement de mai et après avoir licencié ses hommes, il se mit en route pour Cooktown
dans le Queensland , pour se rendre de là à Sydney et y engager les autorités colo-
niales à lui fournir les moyens de renouveler son essai. Mais il a accepté depuis le
poste de commissaire pour le Sud-Est de la Nouvelle-Guinée avec résidence à l'île
de Dinner.
De i'étyniolojiçte de» noms en llalaisic. — Un obligeant correspon-
dant qui a visité les Indes néerlandaises . nous envoie une note sur l'étymologie des
noms de Bornéo et de Célèbes.
Le nom de Bornéo, — Le numéro du 1" septembre 1886 du journal Bataviaasch
Nieuwsblad explique comme suit l'origine de ce nom.
Chacun sait bien certainement que les indigènes ne connaissent pas le nom de
Bornéo que les Européens donnent à la plus grande des îles de l'archipel malais.
Parlez-leur de Bandjermasin, de Pontianak, Sambas ou Soekadana(i), ils vous répon-
dront au sujet de ces diverses localités , suivant qu'ils les ont visitées , qu'ils y ont
des liens de famille ou des relations de commerce ; mais demandez à ces mêmes
gens s'ils ont déjà été à Bornéo, ils vous répondront : néant.
Pourtant le nom de Bornéo doit être indigène, mais combien il doit être abâtardi !
(1) La diphtongfue oe en mahis se prononce comme ou en françai-^
- Ifil -
car ce n'est pas le nom d'une personnalité européenne ni celui d'une région
européenne.
Broenei ou plutôt Beroenei , comme il faut écrire ce mot, est formé de oenei avec
le préfixe ber et , précédé du mot Tanah , il signifie Terre à Benjoin ; de plus ,
cette appellation est stnilement donnée à cette partie de l'île qui est située au nord
des possessions néerlandaises de Bornéo , entre les 2° et 4'^ degrés de latitude nord ,
et non pas à l'île tout entière.
J'ai trouvé dernièrement, dans quelques vieux papiers, l'explication du nom de
Bornéo étendu à cette île, explication qui me paraît très admissible et que, pour cette
raison, je donne ci-après :
Le capitaine d'un navire de la Compagnie des Indes orientales qui était venu pour
la première fois à Soekadana devait, entre autres choses , y prendre un chargement
de noix de coco.
A la vue des nombreux cocotiers qui étaient plantés le long de la plage . il fit
remarquer au Djoeroe batoe (pilote) indigène, qu'il pourrait certainement obtenir là
les noix de coco. Le Bjoeroe batoe répondit : Boleh , Toean , kerna ini tanah bern-
jioer. iyous le pouvez, seigneur, c'est ici une terre à noix de coco.)
Le capitaine qui ne savait pas que le mot anglais njioer (1) signifiait noix de coco,
crut que bernjioer était le nom du pays devant lequel il se trouvait à l'ancre et
l'inscrivit sur son journal de bord comme bernioer.
Que ce mot soit devenu très rapidement dans la bouche des Européens bernjioer,
bernioer : Bornéo, cela se peut très bien concevoir. Combien de noms abâtardis de
localités indigènes sont encore maintenant eu usage ! Un exemple entre un grand
nombre , Prinseneiland (île du Prince) que nous nommons opiniâtrement Poeloe
Pandita, tandis que le nom indigène est réellement Poeloe Penggeitan.
Le nom de Célèbes. — J'ai souvent eu l'occasion de remarquer que le nom de la
grande île Selebes était écrit de deux manières différentes : Selebes ou Celebes sur
les cartes publiées de l'ai'chipel malais, ainsi que dans les livres de voyages et de
géographie
Me trouvant un jour chez ]\I. van Hëvell (2) , assistant-résident à Païnan , qui ,
antérieurement , avait séjourné pendant plusieurs années dans les Moluques et qui
connaît les différents dialectes qui y sont parlés, je lui demandai comment, selon lui,
le nom de l'île devait être orthographié. D'après les renseignemen.ts qu'il a bien
voulu me communiquer , il résulterait que Selebes ou Celebes est un nom imposé à
l'île par les navigateurs européens , que celle-ci a été très probablement la première
des îles Moluques qui ait été visitée par eux et que sans doute elle a reçu alors le
nom de Soeloe besi pour la distinguer des autres îles Sooloe situées plus au nord. Le
mot malais besi veut dire fer et, en effet, la côte ouest de l'île est riche en minerais
de fer. Par dégénérescence ou abâteœdissement , le nom Soeloe besi est très proba-
blement devenu Selebesi et enfin Selebes ou Celebes.
Il conviendrait donc d'écrire plutôt le nom avec un S : Selebes.
(1) Le mot malais ordinairement employé pour noix de coco est : kalapa ; le mot njioer
est sans doute spécialement en usage chez les Malais de cette partie de Bornéo.
{Note du traducteur.)
(2) M. van Hoëvell est retourné depuis peu dans les Moluques où il occupe actuellement
le poste d'assistant-résident à Gorontalo, dans la presqu'île nord de Selebes. Il est l'auteur
d un ouvrage très estimé intitulé ; Ambon en moor hepanldelijk de Oeliasers (in 8° avec
carte), door G.-W.-W.-C. baron van Hoëvell. Dordrecht, Blussé ea van Braam; 18"75.
- 162 -
Les indigènes ne désignent pas l'île par un nom général, mais ils donnent des
noms spéciaux aux différentes parties des côtes : Tanah, Manghasar (1), Tanah
Wadjo, Menado^ etc., etc.
|ja questiou de la côte llaclay. — M. Michluho Maclay, lisons-nous
dans le journal d( s Débats^ ist un Pttit-Russien né en 1857 qui, dès vingt ans, partit
pour les universités allemandes et se livra avec ardeur à des études d'anthropologie,
d'anatomie comparée, d'ethnographit; sous Virchow. notamment, et Charles-Ernest
de Boer. Ce derni( r, insiste dans sa Crdnioloffie sur les importants problèmes de
mélange et de diffusion des races négroïdes que l'on pourrait résoudre par l'étude des
peuplades inconnues qui habitent la Nouvelle-Guinée. Ce fut là le point de départ pro-
bablement de la vocation de jNI. Maclay, et en 1871, à peine âgé de vingt-quatre ans, il
s'embarqua sur le navire de guerre russe Vitias^ et malgré tous les conseils et toutes
les supplications des personnes qui connaissaient la cruauté des habitants de la grande
île Papoua, il se fit débarquer avec deux serviteurs sur le littoral Nord-Ouest de la
Nouvelle-Guinée, entre le Cap Croisilles et le Cap King William, sur une côte qui
a reçu depuis le nom de côte Maclay. On porta ses instruments et ses bagages à
terre ; les chai-pentiers du navire lui bâtirent une hutte à laquelle il ne voulut même
pas que l'on mit des verrous , puis le navire leva l'ancre et disparut le laissant seul
sur une terre inhospitalière dont les habitants sont adonnés à l'antliropophagie et se
ti-ouvent au plus bas d^■g•ré de la civilisation. Pendant plus d'un an, jusqu'en décembre
1872, il vécut avec des honmies qui , selon sa propre expression, en étaient encore à
l'âge de pierre.
Les commencements furent difficiles. L'un' des serviteurs de M. Maclay tomba
malade et mourut ; l'autre, effrayé par l'attitude peu rassurante des sauvages, n'osait
abandonner la hutte. M. Maclay était seul à s'aventurer au loin. Il ne connaissait ni
la langue ni les coutumes des aborigènes ; il était sans armes , n'ayant pas voulu
conserver des moyens de défense auxquels il aurait tôt ou tard commis l'imprudence
d'avoir recours ; muni seulement de son ombrelle , de son calepin et de son crayon ,
il allait au loin étudier la botanique et la faune de l'île. Les sauvages ne savaient que
penser de ce petit homme mince, blanc et blond qui semblait ne pas s'apercevoir de
leur présence. Ils le suivaient à distance en l'entourant, essayaient de le mettre à
l'épreuve en le visant avec leurs arcs ou en faisant semblant de le frapper avec leurs
lances. Mais quand ils virent que cet homme étrange restait inoffensif et souriant, et
que, loin de leur nuire, il leur rendait service en pansant leurs blessures, en leur
donnant des morceaux de fer, ils prirent confiance et peu à peu des relations amicales
s'établirent entre l'explorateur et les Papouas.
M. Maclay parle de ces sauvages avec estime. Ils mangent leurs prisonniers de
guerre, mais ils traitent Ijien leurs femmes ; ils ont, comme tous les vrais sauvages,
le respect absolu de la vérité et de la parole donnée ; ils connaissent la propriété ,
mais ils n'ont aucune religion et pas de caste sacerdotale. M. Maclay leur en imposa
surtout par sa véracité minutieuse et par son habitude de tenir eonstammimt ses
promesses.
Il resta ainsi à la côte Maclay jusqu'en décembre 1872, quand un navire russe le
rendit à la vie civilisée en le conduisant à Batavia. Il publia alors des recherclies sur
la cràniologie des Mélanési(>ns , puis parcourut les îles Malaises jusqu'en 1875. En
1876, il entreprit un long voyage dans les Archipels de la Micronésie occidentale ,
puis en 1877, il revint s'établir à la côte Maclay et pour apprendre à connaître mieux
(1) Le nom est généralement écrit d'une manière incorrecte : Mccassar.
- 163 -
los aborigènes, il élut doniicilc sur l'îlo Bili-Rili oii les habitants fabriquent dos poto-
ries qui attirent ch(>z eux, de temps en temps, des membres des tribus de l'intérieur.
Il était en excellentes relations avec les indigènes ; il était assez estimé et connu
d'eux pour qu'un mot de passe donné par lui pût servir de sauf-conduit dans toute
l'île. Dans les voyages qu'il venait de faire en Océanie , il avait été témoin de la
destruction et de la misère des races noires par suite du contact de la civili-
sation, par l'abus des spiritueux , les maladies contagieuses, les massacres, et cette
chasse aux esclaves à peine déguisées qui Sc> pratique dans toute l'Océanie sous le
nom d'engag(Mnents libres , pour procurer des bras à l'Australie. Il voulut épargner
ees maux aux habitants de la côte qu'il avait visitée et, ayant obtenu leur assenti-
ment, il s'adressa le 23 janvier 1879 à sir Arthur Gordon , haut Commissaire anglais
pour le Pacifique Occidental et l'un des fonctionnaires anglais les plus liumains et
les plus éclairés qui aient rempli ce poste. M. Maclay demandait le Protectorat de
l'Angleterri) pour les 15,000 à 20,000 Papouas qui habitent la côte Maclay et en
possèdent les terres. Une invasion de blancs qui s'emparerait des champs de cette,
tribu la forcerait à se retirer vers l'intérieur, et à y chercher de nouvelles terres. Ils
seraient repoussés par les habitants des montagnes ; de là des guerres sans fin.
M. Maclay voulait que l'Angleterre reconnût leur droit de propriété , comme elle
l'avait fait pour la Nouvelle-Zélandi', et qu'elle interdît l'importation de l'eau-de-vie ,
des armes et de la poudre.
A cette époque, l'Angleterre n'avait pas encore de rivaux dans cette partir' du
monde ; la politique coloniale de l'Allemagne n'était pas inaugurée ; l'appel de
M. Maclay ne fut pas entendu, et la Nouvelle-Guinée resta un pays sauvage, n'appar-
tenant en fait à personne. Il y a deux ans, quand M. de Bismarck prétendit à la posses-
sion d'une partie de la côte de l'île, l'Angleterre se rappela trop tard cette lettre de
M. Maclay. Elle cita sa demande dans une note du 19 septembre 1884. Le Ghaancelier
répondit, le 14 janvier 1885, que cette demande n'avait pas été suivie d'effet et qu'elle
ne donnait à l'Angleterre aucun droit sur la côte dont elle avait négligé d'assurer le
Protectorat. L'Allemagne passa outre et s'enipai'a de la côte de Maelay sans prendre
à l'égard des indigènes aucune des mesures de protection que réclamait son
explorateur.
M. Maclay résolut alors d'affirmer ses droits personnels à la côte qu'il avait habi-
tée si longtemps et s'adressa au Gouvernement russe pour demander protection. 11
poursuit cette campagne depuis Sydney où il s'est établi il y a doux ans , et une
partie de la presse russe soutient ses demandes. Sans qu'il soit permis de croire que
la question de la côte Maclay doive susciter de bien grosses difficultés enti-e la Russie
et l'Allemagne, il est curieux de constater que cette puissance rencontre sans cesse
des Slaves sur le chemin de ses entreprises coloniales. Ce fut M. Ragozinski aux
Caniérouns ; c'est aujourd'liui M. Michluho Maclay à la Nouvelle-Guinée.
L'Alleniajsne en Océanie. — L'Allemagne a définitivement renoncé à la
station et au dépôt de charbon que le protocole de Rome lui avait accordés dans l'une
des îles Garolines ou des îles Palaos.
L'Allemagne a acquis, dans les îles Marshall, des ports qui valent mieux que les
stations auxquelles elle renonce.
D'un autre côté , la Compagnie allemande de la Nouvelle-Guinée , a établi une
seconde station à Port-Hatzf(>ldt par 145° 9' longitude Est et 4" 24' latitude Sud , et
une troisième à Port-Constantine, par 145" 45' longitude Est et 5» 30' latitud(> Sud.
U. le capitaine Dailiuaun sur la rivière Augusla. — M. le
capitaine Dalmann a parcouru au mois d'avril dernier , avec un petit vapeur ,
— 164 -
l'importante rivière découverte par le docteur Finsch et à laquelle on a donné le
nom de l'impératrice Augusta, sur la côte Nord de la Nouvelle-Guinée.
li'ilc Uréparapara (Nouvelles-Hébrides). — Pendant son exploration dans
l'archipd des Nouvclles-Hébi'ides , la Dives a découvert , le 30 mars , un excellent
mouillage dans l'île Ui'éparapara, oii aucun navire n'avait jamais pénétré.
L'Etat-Major de ce bâtiment a levé le plan de cette baie et en a relevé les sondages,
pour doter nos cartes marines de cet abri précieux qui, en l'honneur du navire et de
son équipage , port; ra le nom de baie de la Dives.
Une île nouvelle. — Une île nouvelle a été découverte au Nord de l'Océan
Pacifique par un vapeur anglais se rendant de Sydney à Shanghaï.
L'île d'Allison (C'est le nom qu'on lui a donné, d'après celui du capitaine qui com-
njandait le navire) est située entre l'île Durour et le groupe de l'Echiquier, par 1° 25'
de latitude Sud et 143" 26' de longitude Est. Elle a environ 2 à 3 milles de long, est à
une altitude de 100 à 150 pieds, et est bien boisée.
REGIONS POLAIRES.
Départ de il. le colonel Gllser pour le pôle ]l'ord. — Le colonel
Gilser est parti d(^ Winipc g, h' 9 septembre, à la tête d'une expédition pour les
régions arctiques, dont le but serait d'atteindre au pôle Nord.
I.'e'xpédition danoise an Groenland. — En 1886 , le Fylla, à bord
duquel se trouvait le prince Waldemar et le naturaliste M. Th. Holm, a visité la côte
occidentale du Groenland.
Après un séjour de trois semaines dans les glaces à Gothaab, (17 juin-9 juillet), le
F^ZZa atteignit Upernivik le 17 juillet. Pendant un mois, les naturalistes ont pu fah'o
leurs recherches sur cette côte inhospitalière. Le Fylla est revenu le 4 septembre à
Copenhague.
11. le docteur H. Lalionne eu Islande. — M. le docteur H. Labonne,
chargé d'une mission en Islande, a traversé l'île entière, du Nord au Sud, sans tente
ni provisions, il a fait l'ascension de l'Hékla, dont le plus haut sommet a été trouvé
de 1,533 mètres au-dessus du niveau de la mer ; à cette altitude, le thermomètre
marquait 14" au-dessus de zéro, tandis que dans la plaine la température était à
8" au-dessous de zéro. M. Labonne a visité le grand geyser ; le 17 juillet dernier, il
fut témoin d'une éruption qui s'éleva jusqu'à 33 mètres. Il a recueilli une grande
dalle rejetée par un geyser et située à 5 mètres de profondeur , remplie de tiges
euillées qui de prime abord attestent, en dépit des traditions des Sagas , que l'an-
cienne végétation de l'île ne dépassait pas la proportion des arbrisseaux actuels.
- 165 -
II. — Géographie commerciale. — Statistiques.
EUROPE.
Ohanibrc de cominerce espag;nole à Paris. — Se conformant aux
récentes instructions reçues de son gouvernement, le consul d'Espagne avait adressé
le mois dernier un avis aux deux cent cinquante principaux commerçants espagnols
résidant k Paris, pour les inviter à se réunir à l'ambassade d'Espagne , rue Saint-
Dominique , dans le but de créer une Chambre de commerce espagnole. Cinquante
personnes environ ont repondu à cet appel. Elles ont nommé une Commission qui
s'est mise aussitôt en rapport avec le consul. A la suite d'une séance qui a duré
jusqu'à quati'e heures , la nouvelle Chambre de commerce a été composée de
douze membres. Ce sont : MM. don Salvador Lopez, président ; don Moreno, don
Jore Pellijevo Juan Minnuesa, Adolfo Calzado, Dani( 1 Antola, Abaroa, Mariano Urra-
vietta, Daniel Espelata, Arturo Melida, Enrique Roose, Ordonner.
Le coninicrce extérieur de l'Autriclic. — En Autriche, les expor-
tations sont toujours en augmentation sur les importations , on peut en juger par
ce fait que les premières dépassaient les secondes :
En 1885 de 114,000,000 florins.
1884 79,000,000 -
1883 125,000,000 —
1882 128,000,000 -
1881 90,000,000 —
1880 63,000,000 —
Ije dév(^lo|tpeineat de l'iudustrie allciiiaiidc. — Un rapport des
Chambres commerciales allemandes donne les résultats suivants du développement
de l'industrie allemande durant les dernières vingt -cinq années. Les étonnants
progrès de sa production , de ses importations et exportations peuvent être relevés
par le tableau que voici Pour faciliter la comparaison, le nombre 100 indique le point
de départ :
Population en 1860 100
» en 1885 124,1
Extraction de charbon en 1861 100
» » en 1885 412,5
» de fer en 1861 100
> » en 1885 717,1
— 166 —
Sucre eu 1871 100
» eu 1884 602,3
Longueur des chemins de fer en 1868 100
» » » en 1882 214,3
Capitaux investis en 1868 100
» en 1882 274,4
Consommation de fer en 1864 100
» » en 1883 341,3
» de charbon en 1872 100
» » en 1883 155,6
» de coton en 1865 100
» » en 1884 343,6
» de jute en 1866 100
» » eu 1884 3276,7
Importations totales en 1872 100
» en 1884 133,2
Exportations totales en 1872 100
» en 1884 190,7
Les progrès matériels de l'Espagne. — Eu 1799 , la population de
l'Espagne était de 10 millions à peine ; le 31 décembre 1882, elle était de 18 millions.
Eu quatre-vingt-cinq ans, elle a augmenté de 72 °/^ , ou de 8,40 pour 1,000 tous les
ans. 11 y a quatre-vingt-cinq ans , la population agricole était de 3,615,006: aujour-
d'hui , elle est de 9,3^8,000. La superficie du sol est montée, pondant la même
période , de 21,250,000 jusqu'à 77 millions et demi d'hectares. Il y avait eu 1799 un
peu plus de 19 millions de têtes de bétail eu Espagne ; il y eu a aujourd'hui plus
de 38 millions. La population qui s'adonne au commerce et à l'industrie était alors
de 1,033,000 âmes ; elle est présentement de 3,038,000, et le nombre des fabriques
s'est élevé de 883 à 13,941.
Pendant ces vingt-cinq dernières années , les échanges de l'Espagne ont suivi une
progression ascendante remarquable. En 1860, les importations et les exportations
réunies n'étaient que de 643 millions de francs ; elles se sont élevées à ^21 millions
en 1870, à 1,361 millions en 1880, et, enfin, à 1,398 millions en 1884. L'augmentation
annuelle a été de 47 °/o.
Dans toutes les branches de production, ou signale le même réveil. L'Espagne ,
aujourd'hui, produit plus de 20 millions et demi d'hectolitres de vin ; elle eu consomme
plus de 13 millions et demi, et en exporte 7 millions. Comme pays viuicole, elle vient
tout de suite après l'Italie et la France.
Eu même temps , son réseau de voies ferrées se complète activement. En 1880 ,
elle n'avait que 4,180 milles de chemins de fer ; en 1884, elle en avait déjà 5,180, soit
une augmentation de 1,000 milles.
Le commerce extérieur de la Suisse. — Encore un pays expiant
cruellement son zèle libre-échangiste !
Le rapport publié, pour 1885, par l'Association suisse du commerce et de l'indus-
trie, nous fournit les chiffres suivants qui ne sont guère en faveur de la balance
commerciale de ce pays.
Pour l'année 1865, les importations sont de 1 milliard 050,989,201 francs , contre
- 167 —
seulement 954,561,285 francs pour les exportations. Dans le détail concernant les
pi-incipaux pays, nous relevons les chiffres ci-après :
Allemagne
Autriche - Hongrie .
France
Italie
Belgique
Hollande
Russie
Egypte
IMPORTATIONS.
Francs.
315.870.922
97.455.871
235.216.156
219.807.533
37.397.792
9.901.558
24.588.681
17.818.474
EXPORTASIONS.
Francs.
274.498.383
55.229.075
191.536.988
120.122.084
21.337.872
6.271.669
15.239.768
2 403.215
VEconomist apprécie ce rapport de la façon la plus sombre :
« Le rapport, dit-il, réprouve toute politique de représailles , toute pratique de
droits protecteurs, de primes ou de drawbacks et insiste sur la nécessité de rester
fidèle aux règles traditionnelles du libre-échange. »
Mais il ne peut s'empêcher de relever l'opinion émise ironiquement par un journal
faisant observer, à ce sujet, « qu'autant vaudrait recommander à un homme en train
de se noyer avec les mains liées, de se sauver par lui-même. » Et. il ajoute qu'il est
à craindre que, poussé par le mouvement d'opinion existant actuellement en Suisse,
le gouvernement fédéral ne finisse par se laisser enfin aller à des mesures légèrement
protectionnistes.
La na^igatiou daus les ports ottomans. — Une statistique publiée
par la douane, établit conmie suit le mouvement de la navigation dans les ports
ottomans, du T"" mars 1882 au l^' mars 1883. L'époque est déjà lointaine, dira-t-on ;
mais qui connaît la Turquie estimera que cette statistique réalise un grand progrès.
Angleterre 5.832.024 tonnes.
Autriche-Hongrie •. . . . 3.787.740 —
France 2.461.660 —
Russie 1.926.517 —
Turquie J. 306. 218 -
Italie 1.089.878 —
Grèce 1.516. 938 —
Allemagne 138.358 —
Belgique 97.364 —
Suède et Norwège 92.324 tonnes.
Danemark 57.954 —
Hollande 29.555 -
ASIE.
Renseignements statistiques sur l'Inde angaise. — 1. Villes
DE l'Inde. — La population de l'Inde est essentiellement rurale : sur 1,000 personne ;
— 168
909 vivent dans les villages et 91 seulement dans les villes ; ou , en s'exprimant en
chiffres absolus : de 253,577,619 personnes, 229,939,894 personnes appartiennent à la
population des campagnes et 23,037,447 à la population des villes. Aussi n'y a-t-il
pas moins de 39,040 villages qui comptent de 1.000 à 2,000 habitants et 8,931 villages
de 2,000 à 5,000 habitants.
Si Ton admet le chiffre de 5,000 comme minimum du nombre d'habitants pour une
ville, on trouve qu'il y a 1,902 villes aux Indes , dont 66 de plus de 50,000 habitants.
Il est à remarquer que le plus grand nombre de grandes villes se trouvent dans le
nord de l'Inde.
Voici les villes qui ont plus de 100,000 habitants :
VILLES.
Bombay
Calcutta
» (faubourgs)
Nord suburbain
Sud suburbain
Madras
Hyderabad avec Secunderabad
Lucknow
Benares
Dehli
Patna
Agra
Bangalore
Amritsar
Gawnpore
Lahore
AUahabad ,
Jeypore
Rangoon
Poona
Amedabad
Bareilly
Suret
Howrah
Baroda
PROVINCES
ou ÉTATS.
Bombay
Bengale
»
»
»
Madras
Hyderabad;
Provinces nord-ouest,
» »
Punjab
Bengale
Provinces nord-ouest
Mysore
Penjab
Provinces nord-ouest,
Punjab
Provinces nord-ouest,
Jeypore,
Birma britannique . . .
Bombay
»
Provinces nord-ouest,
Bombay
Bengale
Baroda
POPULATION.
773.196
433.219
251.439
29.982
51.658
405.848
.354.902
201.308
199 700
173.393
170.654
160.203
155.857
151.896
151.444
149.369
148.547
142.578
134.176
129.751
1-27.621
113.417
109.844
105.200
101.818
11. Religions. — Les règles appliquées lors du recensement établissaient la
distinction entre huit confcs.-5ions religieuses. Ce sont : les religions des Hindous ,
des mahométans, des aborigènes, des boudhistes, des chrétiens , des Sikh, des jain,
des Sasnami, des Kabipanthi, des adorateurs de la nature, des Parsis, des juifs, des
Brahmo et des Kunibhipathia. Après déduction des 59,985 individus dont on ne
- 169
connai^^sait pas la religion , la population restante des 253,821 ,83f) têtes se répartit
niiniériquenieiit dans les 14 divisions suivantes :
Nombre absolu.
Par 10,000
de population.
Hindous
187,937.4.50
50.121.585
5.426.511
3.418.884
1.862.634
1.853.426
1.221,896
398.409
347.994
143.581
85.397
12.009
1.147
913
7.402
1.974
2.53
135
73
73
48
16
14
6
5
3
Mahoniétans
Aborigènes
Boudhistes
Chrétiens
Sikh
Jain
Satnami
Kabu'panthi
Adorateurs de la nature
Parsis
Juifs
Brahmo
Kumbhipathia
Ce tableau emprunté au rapport sur le recensement de l'Inde britaïuiique. vol. I,
diffère par plusieurs détails d'un tableau analogue publié par le Calendrier de Gotha
pour 1886, pp. 750, qui doit avoir été pris dans le recensement de l'empire de 1881 ,
vol. II (statistique de la population).
Les chiffres ci-dessus montrent que les Hindous forment les trois quarts de la
population totale de l'Inde britannique , les mahométans représentent les 8/10 du
quart restant , les aborigènes 1/10 et les boudhistes 1/20. Les Hindous se trouvent
dans toutes les provinces de l'Inde ; seulement dans la partie britannique du Punjab
et du Birma britannique , ils forment moins que la moitié de la popidation ; dans le
Mysore, Madras, Coorg, Berar et Hyderabad leur nombre dépasse 90 p. c.
Les mahométans sont proportionnellement les plus forts dans le Punjab, ensuite
dans le Bengale qui dépasse toutes les autres provinces par ses chiffres absolus ,
puis suivent Assam et les provinces nord-ouest. Mysore et l'Inde centrale sont les
provinces les moins mahométanes des Etats indigènes, et les provinces centrales
britamiiques ont l'élément mahométan le plus faible, 125 p. 1,000 seulement.
Les aborigènes se composent d'une foule de tribus qui habitent les régions les
plus éloignées et dont les idées religieuses sont de la nature la plus grossière. Ils
adorent toutes sortes de forces naturelles , de bons et de mauvais dieux , et ne se
distinguent dans leur culte que par certaines particularités de tribus : des 6,426,511
aborigènes , 2,055,822 se trouvent dans le Bengale ; 1,533,599 dans les provinces
australes ; et 891,424 dans l'Inde centrale.
Les boudhistes appartiennent , pour la plus grande partie, au Birma britannique
(3,251,584 des 3,418,884), pxovinces en dehors de laquelle il n'y en a plus que 200,000
répandus dans le reste du pays, ce qui est d'autant plus étonnant que l'Inde a été le
berceau de la doctrine de Boudha.
La religion chrétienne est une des plus anciennes de l'Inde , comme nous le
12
— 170 -
démontrent les traditions et les inscriptions en langue pehlvi, sur le mont Saint-
Thomas et dans d'autres lieux. Mais malgré le zèle dont sont animés les mission-
naires qui sont venus chercher ici un champ d'activité à leur propagande , il
est à constater qu'ils n'ont gagné que peu de terrain. La religion chrétienne, quoique
prêchée de tous côtés depuis assez longtemps , ne compte , d'après le recensement ,
que 1,862,634 âmes. Ce qui accuse toujours une progression assez importante depuis
les derniers recensements. La plupart des chrétiens se trouvent dans le Sud (Madras
et Travancore) et ensuite dans le Bengale.
Les autres confessions ne sont pas assez importantes pour en dresser , en un
tableau spécial, la répartition par province.
111. Langues. — Robert Cut a démontré dans son ouvrage faisant époque : Esquisse
des langues modernes de l'Inde orientale , Londres , 1878 , que les 250 millions, qu^
formaient la population d'alors de la presqu'île du Gange, parlaient 97 langues diffé-
rentes et 234 dialectes, parmi lesquels on ne comprenait pas les langues et dialectes
des étrangers immigrés dans le pays (Européens, Américains, Africains, Asiatiques,
etc.). 11 ramenait ces 97 langues à cinq grands groupes principaux : les langues indo-
européennes (branche hindoue), les langues dravidienne, kolarianienne , tibétaine et
la langue khassi.
De ces familles de langues les deux premières sont les plus importantes ; tandis
que les langues indo-européennes sont répandues dans tout le nord de l'Inde et une
partie du plateau central , les langues dravidiennes sont parlées dans tout le sud.
Celles des Koch , Manda ou Vindhya, est en usage parmi les tribus montagneuses
non cultivées des contrées élevées de Chosa-Nagpur , au sud-est de Calcutta ; les
langues tibétaines ont leur domaine dans les vallées de l'Himalaya et les pays mon-,
tagneux de l'Inde orientale , la langue khassique est limitée à un petit territoire au
nord de l'Assam, entre les monts Garo et le pays des Gachari.
Les instructions données aux employés chargés du service du recensement ,
n'avaient pas prévu cette classification ; elles n'exigeaient que la désignation de
toutes les langues parlées aux Indes britanniques , à l'exclusion des dialectes ; mais,
à cause probablement de l'inaptitude des employés à distinguer, dans chaque cas
donné, entre les langues et les dialectes , ces derniers ont été admis souvent comme
langues de sorte que le rapport du recensement donne une liste de 162 langues
différentes, dont 106 appartiennent aux Indes, 17 à l'Asie en dehors de l'Inde , 28 à
l'Europe et une à l'Afrique. Ce qui diminue considérablement la valt ur de ce relevé,
c'est le manque d'une indication quelconque pour non moins de 22,626,485 individuc.
On peut distinguer par la classification des langues entre celles qui sont répandues
sur une grande aire de l'Inde et celles qui sont limitées à des territoires déterminés.
Pour les premières, on a établi les groupes suivants :
Hindoustani 82,497,168
BengaUen 38,965,428
Telugu 17,000,358
Marathi 16,966,665
Punjabi 14,246,844
Tandl : 13,068,279
Guzrati : 9,620,688
Canarien 8,366,008
Ooriya 6,816.415
Malahien 4,847,681
Bnrmesi 2,248,479
Sindi 2,101,767
Pashtu 915,714
- 171 -
Les autros langues sont parlées par un trop petit nombro d'individus pour en faire
une énumération ici.
Il peut y avoir un certain iniérêt à consigner les langues étrangères parlées aux
Indes ; voici les principales :
Anglais 202,920
Beluchi 177,273
Kaschmiri 49,828
Arabe 21,188
Perse 15,722
Chinois 14,466
Portugais 10,523
Français 1,510
Allemand 1,471
Arménien 1,308
Hébreu , 901
Italien 804
Turc 560
WaUisch 205
Grec 193
Hollandais ; 114
IV. Les provinces britanniques. — Les possessions totales de l'Angleterre aux
Indes comprennent une aire de 1,465,541 milles carrés anglais ou 3,795,595 kilo-
mètres carrés , avec une populatioji de 255,758,851 habitants (1881) ; de ce nombre ,
876,143 milles carrés anglais reviennent aux possessions immédiates , ou 2,269,117
kilomètres carrés , avec une population de 198,761,067 habitants, tandis que les
Etats tributaires occupent une superficie de 589,398 milles carrés , ou 1,526,478 kilo-
mètres carrés, avec une population de 56,997,784 habitants.
Jusque dans ces derniers temps, on avait admis pour les Indes l'ancienne division
historique en trois présidences : Bengale, Madras et Bombay. Aujourd'hui, les deux
dernières ont seules conserve ce titre. Chacune de ces divisions est administrée par
un gouverneur qui est sous les ordres directs du secrétaire d'État pour les Indes à
Londres , et est complètement indépendante du gouverneur général , pour autant
qu'un acte du Parlement n'en dispose pas autrement. Madras et Bombay ont à leur
tour dans leur administration certaines particulai'ités qui les distinguent essentielle-
ment l'une de l'autre comme du reste des Irides. Cliacune de ces trois grandes divi-
sions territoriales a son armée propre et une administration civile particulière ,
seulement celle du Bengale n'est pas limitée au district administratit de ce nom , car
la présidence de Bengale a cessé d'exister ; son aire est répartie entre une demi-
douzaine de différentes provinces dont l'une continue à porter l'ancien nom. C'est
pour cette raison que ce que l'on appelle Bengale ne comprend plus l'ancienne prési-
dence de Bengale, mais plutôt la province actuelle du Bengale inférieur, sur le coiu's
inférieur et dans le territoire de l'embouchure du Gange.
Sous le rapport administratif , les différentes pai'ties de l'empire anglo-indien se
trouvent ou immédiatement sous le gouverneur général, comme Ajmere, Bérar, Coorg
avec Bangalore et les îles Andaman, ou indirectement comme les fragments de l'an-
cienne présidence de Bengale : Bengale propre , Assam, les provinces nord-ouest et
Audh, le Punjab, les provinces centrales, le Birma britannique. Nous avoHS indiqué
ci-dessus la position des présidences de Madras et de Bombay auxquelles sont encore
soumis Sind et Aden.
- 172 -
Les cheaiiiuis (le fer au Japon. — En 1885, a eu lieu Touverture du
railway de Omijaà Utsunouiiya de la ligne de Tokio-Takasaki, sur une section d'une
ongueurde 75 kilomètres, dont la propriété appartient à la Société privée des voies
ferrées de Nippon-Tedsudo. Ainsi s'approche de plus en plus le moment de la réali-
sation du plan qui consiste à relier les deux principales villes de l'empire, Tokio et
Kioto. Aussi la construction du chemin de fer qui se dirige de Kioto dans les pro-
vinces à l'Est de Biwaese, notamment dans celles de Mino, Omi et Owari, est poussée
avec une grande activité. La ligne de Osaka-Sakai, construite par la Société privée de
Hankai-Tedsudo Kaislia , sur une longueur de 5 kilomètres, a dû être également
livi'ée à l'exploitation à la fin de 1885. Ainsi , actuellement, les lignes de chemins de
fer de l'État en exploitation, ont une longueur de 365 kilomètres, et les lignes privées
193,5 kilomètres, soit en tout 558,5 kilomètres : en outre, l'Etat a en construction HO
kilomètres et les Sociétés 67 kilomètres, en tout 177 kilomètres.
lia population française au Tonkin. — La population française au
Tonkin au 30 mai de l'année courante , était de 657 individus. Sur ce nombre , nn
comptait 530 hommes, 70 femmes , et 57 enfants , dont 33 du sexe féminin. La popu-
lation française d'Hanoï est la plus nombreuse , 334 : Haïphong vient en seconde
ligne avec 182 français ; Sontay en a 41 ; Bacninh , 31 : Quang-yen, 19 ; Nandin, 16 ;
Haiduong, 10 : Nin-binh, 9 ; Laokay, 5 ; Lang-Son, 5 ; Hung-yen, 3, et Thainguyen 1.
AFRIQUE.
La population de l'Algérie. — Voici le résultats complets du recense-
ment de la pooulation algérienne en 1886 :
Français, 219,627 ; augmentation sur 1881, 24,209.
Israélites natui"alisés, 52,595 ; augmentation sur 1881, 6,932.
Musulmans, 4,284,762 : augmentation sur 1881, 442,265.
Étrangers, 206,212; augmentation sur 1881, 23,838.
AMÉRIQUE.
Les produits français au Canada. — La Chambre de commerce de
Montréal vient d'appeler l'attention du ministère du commerce sur la diminution ,
depuis quinze ans , de l'importation des produits français au Canada. Les vins seuls
font exception, mais n'occupent pas la place que mériterait l'importation croissante
du Dominion. La Chambre émet l'opinion qu'il conviendrait d'établir des conuiiuni-
cations directes entre la France et le Canada, à l'exemple de la ligne allemande
d'Avers à Montréal.
Les progrès agricoles et contnterclaux des États-Unis. —
Sous le titre « La force et la kau^lesse relatives des nations ». une revue améri-
caine, ^le Century, vient de publier un article remai'quable , surtout par les chilïrcs
qu'il pi'oduit relativement aux progrès agricoles et conunerciaux de l'Union.
Cette étude, consacrée par son auteur, M. E. Atkinson , de Boston, à établir un
parallèle entre la situation de son pays et celle des grandes puissances européennes ,
conclut à un état d'infériorité considérable de ces dernières au vis-à-vis des États-
Unis. 11 en donne naturellement pour cause plusieurs raisons dont , en premier lieu ,
les armées permanentes. N'ayant pas à le suivre sur ce terrain politique, nous nous
en tiendrons simplement à ses constatations économiques.
— 173 -
A cfi point de vue, il a choisi comiii(> é|)oquc d'obsorvation les 20 aiinéos qui se sont
écoulées de 1865 à 1885.
Ou sait, qu'eu 1865 , au lendemain de la grande guerre de sécession dans laquelle
avait failli sombrer la République américaine , ses hommes d'Etat arborèrent carré-
mint le drapeau de la protection. 11 s'agissait non seulement d'éteindre une dette
Ibrmidalile contractée en quelques années, mais encore de travailler au relèvcMiient
industriel, agricole et commercial de ce grand pays. Voyons , d'après M. Atkinson ,
comment ils y sont parvenus, grâce à leur intelligente initiative protectionniste.
Durant cette période de vingt années , écoulées de 1865 à 1885 , la population île
l'Union ne s'est accrue que de 69 "j;„ ce qui est, du reste, déjà un chiffre considérable.
Par contre, la récolte eu grain s'est élevée de 256 " „. celh> du coton, de 194 "/„. et celle
des foins d(^ 106 "/„. Le réseau des eheu^ins de fer s'y est augmenté d(3 280 "'„ , et la
production de la fonte de 386 "/„ ! En outre , les États-Unis exportent en articles
manufacturés oii produits alimentaires, de 75 à 80 ",'o de leur production annuelle.
Enfin, la dette est plus qu'à moitié éteinte !
Ces chiffres ont une éloquence qui dispense de tout conunentaire. Et si, comme le
fait remarquer l'auteur de l'article , on tient compte de l'augmentation relativement
minime du chiffre de la population , on arrive naturellement à constater l'énorme
accroissement de bien-être ajiporté à la collectivité par un tel développement.
Chicago. — La population de Chicago s'élève au chiffre de 605,000 dont 226,000
Allemands, 154,000 Américains, 120,000 Irlandais, 55,900 Slaves, 33,000 Scandinaves,
30,000 Anglais , 16,000 de races latines, 8,000 noirs , 4,000 Canadiens et 9,000 de
diverses autres origines.
Gomme le fait remarquer la Gazette Géor/raphique , les Allemands sont plus
nombreux que les Américains . lesquels nv surpassent que de peu le nombre des
Irlandais.
Chicago est plus Irlandais qu'aucune ville de Tlrlande, excepté Dublin et Belfast ,
et plus allemand que Munich, Dresde ou Cologne.
Moins d'un quart de la population natale est d'origine américaine.
OGÉANIE.
Sitiiatiwii ccouoinif|tie «le l'Australie nK'ridioualc. — La
Deutsche Rundschau, de Vienne, public l'article suivant sur la situation économique
de l'Australie méridionale.
La colonie sud-australienne , fondée le 28 décembre 1836, fête cette année le cin-
quantenaire de son existence et tiendra l'année prochaine dans la capitale Adélaïde ,
une exposition internationale d'industrie dont l'ouverture est fixée au 20 juin, jour de
l'avènement au trônt^ de la reine Mctoria. Le Parlement a voté pour cet objet 32,000
livres sterling et de riches pai'ticuliers ont souscrit une sonune de 17,250 livres. La
construction du bâtiment de l'exposition a été adjugée par contrat pour la sonune de
20,500 livres sterling. La colonie, considérée dans sa limite étroite jusqu'à 26' de
latitude sud, c'est-à-dire la partie colonisée proprement dite, comprend 17,862 milles
carrés allemands, et le territoire du nord qui en dépend depuis 1863, 24,626 milles
cai'rés allemands, ensemble 42,488. La population s'élevait , à la fin de l'année 1885 ,
à 349,769 personnes , dont 6,346 indigènes , ou 3,478 du genre masculin et 2,8tî8 du
genre féminin, 313,423 blancs ou 163,641 du genre masculin et 149,782 du genre fémi-
nin et 4,150 Chinois. Adélaïde , ville capitale , compte 43,969 et avec ses faubourgs ,
127.000 âmes.
En 1885, il y a eu 1,016 naissances , contre 3,987 ilécès. L'inmiigration a été de
- 174 -
12,185 personnes et l'émigration de 18,876. Cette forte émigration , la plupart pour
Victoria , semble devoir s'élever considérablement dans le courant de cette année ;
dans les trois premiers mois de 1886 , rémigration a dépassé l'immigration de 3,955.
C'est la conséquence des conditions déplorables de la colonie , produites par les prix
minimes des produits d'entrepôt , par les mauvaises récoltes , par l'abondance du
marché des travailleurs , etc.. Déjà en 1842 , 1852 et 1867 jusqu'en 1868 , la colonie a
eu à traverser de fortes crises. — La libre immigration d'Europe aux frais de l'Etat a
été suspendue en 1884. Dans la période décennale de 1875 à la fin de l'année 1884 , il
est arrivé dans l'Australie du Sud 30,042 émigrants (dont 16,470 du genre masculin
et 13,572 du genre féminin) dont le transport a coûté à FEtat 557,400 £.
L'année financière a été clôturée, au 30 juin 1885, avec un déficit (de 784,121 £ ou
75,000 £ PU plus que l'année précédente et l'année suivante laissera derrière elle une
situation beaucoup plus sombre encore). — La dette publique montait à 17,052,200 £
et elle a été .portée , à la fin d'avi'il 1886 , par un nouvel emprunt de 1,332,400 £ , à
18,384,600 £., dont l'intérêt annuel se chiffre par 761,522 £. Ce qui donne 57 £ 14
schilling par tête de la population actuelle.
L'importation de l'année 1885 a été calculée à 5,289.014 £ (— 460,338 £ contre
l'année précédente) et de ce chiffre on a réexporté un total de 1,031,546£. L'exporta-
tion, par contre, avait une valeur de 5,417,145 £ ( — 1,206,-559 £), dont 4,385,599 £
( — 906,623 £) de produits de la colonie. Parmi les produits d'exportation les plus
importants , les blés et les farines comptaient pour 2,162,513 £ ( — 329,383 £) , la
laine pour 1,417,245 £ ( — 263,898 £ ) et le cuivie pour 323,530 £ ( — 51,795 £ ).
L'importation de l'Allemagne ne se chiffrait qu'à 38,966 c+J ( — 22,821 £ ) et l'expor-
tation pour ce pays à 580 £ ( — 1,700 £).
De l'aire totale de la colonie, les particuliers ne possèdent que 10,159,015 acres ou
4,111,938 hectares et de ce chiffre 1,950,000 ou 789,106 hectares sont livrés à la
culture du blé. L'année 1885-86 a fourni de nouveau une mauvaise récolte. Plus d'un
quart des champs ensemencés de blés n'a produit aucune récolte et le reste n'a donné
que 8 bottes (36 à 35 litres) par hectare.
Il y avait en exploitation 1,063 milles ou 1,711 kilomètres de chemins de fer et
628 1/4 milles ou 1,011 kilomètres de lignes en construction. La recette de l'année a
été de 631,182 £ ( -h 24,643 £ que l'année précédente). Le l"^^' mai 1886, le chemin de
fer de l'Est partant de la ville d'Adélaïde , sera livré à l'exploitation sur toute sa lon-
gueur jusqu'à la limite de la colonie Victoria , soit 182 3/4 milles ou 294 kilomètres.
Comme raccordement à cette ligne , la dernièi-e section du chemin de fer de l'Ouest
partant de Melbourne, sera également livrée à l'exploitation à la fin de 1886. Les villes
d'Adélaïde, de Melbourne et de Sydney seront alors raccordées par chemin de fer.
Jusqu'à la fin de juin 1885, on avait dépensé 7,607,991 £ pour la construction de
chemins de fer.
La chute de pluie en 1885 ne s'est élevée . d'après les observations enregistrées à
l'Observatoire d'Adélaïde , qu'à 15,88 pouces anglais ou 393 millimètres. La grande
sécheresse de l'année est la cause de grandes pertes en bétail.
Gi^ienieuts d'or danfs l'AustraHc occidentale. — Nous avons
déjà annoncé dans notre numéro de juillet 1886 . page 59 , que des gisements d'or
avEÙent été découverts dans le nord de l'Australie septentrionale , entre la baie King
et le golfe de Cambridge. Cette région avait été explorée d'abord en 1879 , par
M. Forrest . qui l'avait reconnue propre à l'industrie pastorale et favorable à la colo-
nisation. Une colonie vient de s'établir à Wyndham , à la pointe du bras occidental
du golfe de Cambridge , avec un port , l'un des meilleurs de l'Austrahe. Les champs
d'or sont situés dans l'intérieur , entre 16" et 19" 30^ lat. S., 126° et 129° longit. E.,
- 175 -
à 220 milles dv Wyiulhani et à 320 nulles de Derby qui est situé sur la baie Kiiig.
On trouve lu métal en lingots dont le plus grand trouvé est do 19 onces ; le métal est
actu(>llemont à la surface ou à peu près, et près de la rivière Ord, affluent du golfe de
Cambridge.
Population «le la ;\ouvelle-Xélan«le. — La publication 'ITie Colomce
and India donne l 'S résultats généraux du dernier recensement , dont les détails
n'ont pas encore été publiés. Le fait principal di; ce recensement est le grand accrois-
sement qui s'est produit dans la population de l'île du nord. Dans Tile du sud , il y a
326,076 Européens et dans l'île du nord 247,404, donnant un total de 573,480 pour la
colonie. En outre , il y a encore dans l'île du nord environ 20,000 Maoris. Il y a eu
une augmentation dans l'île du sud de 10 p. c, tandis que l'accroissement dans l'île
du noi'd s'est élevé à 28 p. c. La population d'Auckland a augmenté dans une propor-
tion bien plus rapide que dans aucune autre ville de la Nouvelle-Zélande. La popu-
lation totale de la ville en 1881 (lors du dernier recensement) était de 25,670 ; le
recensement actuel la porte à 37,205. La population des districts suburbains s'est
accrue de 17,922 à 23,120. Ce qui donne un total de 66,325 pour la ville et les fau-
bourgs, faisant d'Auchland de beaucoup la plus grande des villes de la Nouvelli^-
Zélande, et inférieure seulement à Melbourne et à Sydney parmi les villes de
l'Australasie.
La POPULATION MAORI DE LA Nouvelle-Zélande. — Le Bulletin delà Société de
géographie de Berlin consacre aux Maoris un long article dont nous extrayons les
détails suivants :
D'après le recensement fait au 4 avril 1881 , la colonie de la Nouvelle-Zélande
compte encore en tout 44,097 individus connus sous le nom de Maoris, dont 24,368
du genre masculin et 19,729 du genre féminin, ainsi répartis :
22,872 masculins , 18,729 féminins dans l'île du Nord :
1,121 » 940 » » Sud;
65 » 60 » dans les îles Ghatham ;
ensemble 43,787, plus 310 Maoris faits prisonniers dans la dernière guerre contre les
colons.
D'après ces relevés , le noyau de la population maori vit dans l'île du Nord oii
s'est conservé également le groupement d'après les races. On y a constaté vingt
tribus, dont douze ont chacune plus de mille individus. Les principales tribus sont
les Ngapuhis avec 5,564 personnes , les Woikatos avec 5,233 et les Ngatika avec
4,730. Les autres sont de moindre importance.
Le recensement fournit aussi quelques doiuiées sur l'âge des Maoris. On les a divi-
sés en deux classes, ceux qui ont plus de quinze ans et ceux au-dessous de cet âge.
Pour les Maoris du Nord , il n'a pas été possible d'établir le chiffre de leur âge pour
4,250 personnes. Quant aux autres, au nombre de 37,351, il y en avait ;
Au-dessous de 15 ans, 6,882 masculins, soit 33,49 p. c. de la population masculine,
5,738 féminins , soit 34,15 p. c. de la population féminine ; au-dessus de 15 ans ,
13,665 masculins , 11,066 féminins.
Pour la population blanche, le rapport du nombre des individus au-dessous de
15 ans est de 39,74 p. c. pour la population masculine , et de 46,85 p. c. pour la
population féminine.
Ces chiffres ne sont pas sans importance, puisqu'ils permettent detii-er des conclu-
sions sur l'augmentation ou la dimiimtion des races.
Ce qui frappe surtout, c'est le faible chiffre pour cent de la population féminine des
Maoris, qui laisse peu d'espoir que leur nombre s'augmentera à l'avenir.
- 176 -
D'ailleurs , d'après tous les indices actuels , on peut prédire la disparition petit à
petit de leur race. Les motifs qui militent en faveur de cette thè.sc sont les mêmes
que Ton a déjà fait valoir pour les autres territoires oii l'élément anglo - saxon se
trouve en lutte avecles indigènes non civilisés, lutte qui a toujours fini par la dispa-
rition de ces derniers. Le sous-secrétaire d'Etat aux affaires étrangères, sir Charles
Dilkc, appelle ses compatriotes, dans son livre « Grande-Bretagne y> . une « race de
destructeurs » , en ce sens qu'ils s'entendent à préparer une prompte fin aux races
avec lesquelles ils se trouvent en contact ; tel a été le cas pour la plupart des tribus
américaines de l'Asie occidentale et de l'Afrique , non pas qu'ils atteignent leur but
par la guerre ou le massacre des masses , mais par le simple fait de leur présence ,
sans recourir à aucun moyen de coercition. Pendant que les Hollandais, les F'rançais
les Espagnols, les Portugais (pour l'Allemagne aucune expérience n'a encore été
faite) s'entendent à mélanger avec les races extra-européennes et préparent ainsi
l'existence d'une race mixte , les Anglais n'ont jamais entendu observer ce procédé.
Ils ne supportent pas d'élément étrajjger à côté d'eux et ne se mêlent jamais au sang
étranger. Ils détruisent la race la plus faible ou se posent vis-à-vis d'elle comme une
race supérieure lorsque, comme aux Indes, leur œuvre de destruction se brise contre
des forces numériques supérieures.
La colonisation de l'Australie présente un enseignement des plus instructifs pour
cette propriété caractéristique des Anglo-Saxons que beaucoup d'entre eux consi-
dèrent comme une loi de la nature. Les nègres australiens , qui avaient acquis un
certain degré de civilisation, ont été réduits à un petit nombre dans le cours de quel-
ques périodes décennales, et, sans crainte de se tromper, on peut affirmer qu'à la fin
de ce siècle l'élément envahisseur anglais aura fait disparaître complètement les indi-
gènes de Victoria et de la Nouvelle-Galles du Sud, comme c'est déjà le cas aujourd'hui
pour la Tasmanie. Dans les autres colonies, le procédé d'extirpation est un peu plus
lent, parce que le petit nombre de colons blancs ne peut coloniser que petit à petit les
immenses régions du pays.
Dans la Nouvelle-Zélande , les premiers colons ont trouvé une race douée d'une
certaine culture, probablement d'origine malaise ; elle n'a pas renoncé volontairement
à son autonomie , qu'elle n'a perdue qu'à la suite de plusieurs guerre s. Les dc^rniers
combats sérieux , qui ont décimé naturellement le nombre des Maoris , eurent lieu
avec l'appui des troupes anglaises de 1861 à 1865 , et eurent pour conséquence la
confiscation d'une grande partie du pays qui leur était resté. Actuellement , des
67 1(2 millions d'acres qui forment l'aire de la Nouvelle-Zélande, il y a environ quinze
ndllions en possession nominale des indigènes ou des Européens qui en ont acquis
des indigènes ; cette région du pays, réservée aux propriétaires primordiaux , se
trouve exclusivement dans l'île du Nord, oii vivent, connue nous l'avons vu, des races
de Maoris encore existantes , abstraction faite des restes éparpillés dans les autres
parties de la Nouvelle-Zélande.
Les Maoris que l'on rencontre aujourd'hui en Nouvelle-Zélande, ne répondent plus
aux descriptions que nous en ont faites les voyageurs qui ont visité précédemment
cette île. Ils font en général l'impression d'une race en décadence, qui est vouée à la
disparition. Parmi les gens d'âge , on trouve encore des statures fortes , bien condi-
tionnées pour la guerre, tandis que la jeune génération est de constitution faible et
disgracieuse, sans dignité ni force de volonté.
Four les Faits et Nouvelles géographiques non extraits :
LE SECRÉTAIRE-GÉNÉR.VL ,
ALFRED RENOUARD.
SOCIETE DE GEOGRAPHIE
DE LILLE.
SOCIÉTAIRES NOUVEAUX ADMIS DANS LE COURANT DE MARS 1887.
N" d'ins- MM
cription
MEMBRES ORDINAIRES.
IJlle.
1417. Savary (Gustave), négociant, rue Léon-Gambetta, 176.
llont-à-lieuii.
I40'i-. DupoKTAiL (Jean-Bapliste), boulanger.
Roubalx.
U10. PoLLET (César), fabricant, rue Nain.
1411 . Leplat (François), fabricant, rue du Grand-Chemin.
1412. Barenne-Lvgneai; (Alfred), commis-négociant, boulevard de Strasbourg.
1413 Desciiamps (Henri), représentant, rue du Pays.
14U. Carré-Palatte (Henri), négociant, Graiid'l'lace.
1415. Rolleald-Passagez (Henri), rédacteur en clief de la Vie Roubaisienne, rue des
Arts, 45.
Tourcoiug;.
1393. Grimonprez-Fretin (veuve), bouchère, rue du Haze, 29.
1394. Le.maire-Cal;lliez (Joseph) iilateur, rue de la Cloche, 41.
1395. Motte frères, filateurs, rue de la Station, 13.
1396. Flipo-Prouvost (Charles), filaleur, rue du Château, 62.
1397. Delobel (Victor), négociant, rue du Tilleul, 10.
1398. Glorieux (Gustave), représentant, rue du Midi, 3.
1399. AssEMAiiNE fils (Auguste), commis-négociant, rue des Anges, 21.
1400. Leurent (Paul), fabricant, rue de Roubaix. 30.
liOl . Desurmont-Jonglez (Théodore), (ilateur, rue de Lille, 67.
1402. Dervaux-Leclercq (veuve .Iule.>^), propriétaire, rue du Sentier, 39.
1403. Tbéry (Raymond), propriétaire, rue Desurmont, 5.
1405. W^ttinne lils (Charles), représentant, rue de Gand, 2.
1400. GuiBÉ, proviseur du lycée, boulevard Gambelta, 100.
1407. Pollet-Hassebroucq (Louis), tilateur, place Charles-Roussel, 11.
1408. Destombes (Georges), commis-négociant, rue Neuve-ile-Roubaix, 99.
1409. DECoNiNCK-DnaoRTiER (Louis), représentant, rue de la Latte, 51.
13
— 178 -
COMMUNICATIONS AUX ASSEMBLÉES GÉNÉRALES
(in extenso.)
LA FORET DE MORMAL
Par M. Henri BÉGOURT.
Inspecteur des Forêts au Quesnoy (Nord).
(Suite) (1).
II.
Pertes éprouvées par la forêt depuis le xi"^ sièle. — Causes qui les ont provo-
quées et efforts tentés pour en atténuer les effets. — Etablissement de domaines
agricoles et de viviers. — Admission des bestiaux au paisnage et à la paisson. —
Invasions dont elle a été le théâtre et dévastations qui en ont été la consé-
quence. — Usurpations commises par les riverains. — Abandon de terrains en
faveur d'établissements religieux. — Concessions à titre d'engagement et en
majorât. — Aliénations. — Retour au massif de plusieurs enclaves. — Sa
contenance à diverses époques.
Les Chartres et les documents du moyen-âge nous apprennent que
la destruction ou l'amoindrissement d'un grand nombre de nos forêts
a été intimement lié à la concession par les seigneurs à leurs sujets
de divers droits d'usage, et, en particulier, de celui de prendre le bois
nécessaire tant au chauffage qu'à la construction et à l'entretien des
maisons (2). « De grande ancienneté, dit Guy Coquille, les seigneurs,
voyant leurs territoires déserts ou inhabités, concédèrent des usages
à ceux qui voudraient les habiter, moyennant quelques légères
prestations, plutôt en reconnaissance de supériorité qu'en vue de
profits pécuniaires (3). » Mais avec le temps, ces concessions dégéné-
rèrent presque partout en une insupportable licence et eurent pour
(1) Voir page 206 du tome précédent, 1886.
(2) Championnière. De la propriété des eaux cowra» ies, p. 341.
(3) Coutume du Nivernois, question 303. Voyez aussi Léopold Delisle , Études
ur la condition de la classe agricole et l'état de l'agriculture en Normandie, p. 374.
— 179 —
les forêts des conséquences désastreuses : ce ne fut plus alors la soli-
tude des bois qu'on eut à déplorer, mais leur rapide diminution.
Par un privilège assez rare dans les annales des forêts , Mormal fut
exempt de ces délivrances usagères (1) ; les comtes de Hainaut y
octroyèrent seulement le droit, encore exercé de nosjours, de ramas-
ser gratuitement le menu bois mort, et celui d'abattre avec un crochet
les branches sèches des arbres, sous la condition d'emporter ces pro-
duits à dos d'homme (2). Mais il était dans la destinée de la forêt d'être
éprouvée par d'autres causes de destruction dont quelques-unes, véri-
tables fléaux, faillirent en amener le démantèlement.
Nous allons les passer en revue et nous indiquerons en même temps
les mesures protectrices qui furent prises afin d'arrêter l'extension
des sarts et clairières auxquels elles donnèrent naissance.
En raison de l'étendue considérable de leurs domaines boisés , dont
les produits ligneux excédaient les besoins , les premiers comtes sou-
(1) Disons toutefois que la comtesse Marguerite, fille de Bauduiu VI, de Gonstan-
tinople, pour récompenser les bourgeois d'Avesnes qui l'avaient servie fidèlement,
leur accorda , entre autres droits , celui de prendre à Mormal , tous les bois néces-
saires à leurs besoins ; mais, ils ne paraissent pas avoir joui longtemps de ce privilège,
soit, qu'à raison de leur éloignement du massif, ils n'aient pas trouvé d'avantages à
en user, soit qu'il ait été racheté. Voici , d'ailleurs , la charte de concession ; « Nos
Margareta Flandriœ et Hannonife Goraitissa , notumfacimus quod honiinibus villes
de Avesnes legem dimus et libertatem burgentiam de Valencena , et quod eruut
liberi in bonis et corpore per totam nostram terram , porunt piscari hamo et rete ,
venari pilo et pluma et aiMuatura et fune, habebunt ligna ad Mormal ad focum et
batimentum, quia sunt domestici et fidèles Gomitiss^e. Actum in Peteghem Kalendis
Martii, anno Domini 1247. Dumées , Jurisprudence du droit fratiçais , p. 81 , d'oii
nous avons extrait cette charte , rapporte que le privilège concernant la pêche et la
chasse, fut confirmé par 'Louis XIV , en 1664 , sur le cahier que le mayeur et les
echevins lui présentèrent , et par le duc d'Orléans, seigneur de la terre et paierie
d'Avesnes, en 1717, après vérification du titre.
(2) Ce droit d'usage est consigné dans la charte délivrée à la commune du
Quesnoy, en 1390, par Aubert de Bavière , comte de Hainaut et confirmée, en 1435,
par Philippe-le-Bon. On y lit , en effet : « Tout chil de le ville et des fourbous qui
ont harnas, cariaus au bos, doivent cascun akaruer au Noël, cescun an , ou castiel ,
une karetée de laigne et se le doient prendre en Mourmail dou bos de Monseigneur.
Et se li kai'tons ny va , il est à deux sols blancs. Et se peult cueillir li kartons en
Mourniail trois verghes de nesplier pour karruer sans meffait. — Ei se doit li bour-
geois avoir pour son feuwage, chou de sec bos menut qu'il trouveroit à terre et qu'il
peut abattre de terre au havet pour aporter à sen col par lui ou par sen serviteur
sans me/J'ait. — Et otel franchise doit avoir li hospitaulx, la maladrie et li hostel-
lerie. » Arch. départ, du Nord. Gh. des Gomptes, à Lille. Inventaire Godefroy,
N" 11980.
— 180 —
verains du Hainaut élevèrent à Mormal des vaches et des porcs, afin
d'accroître leurs revenus , et comme l'élevage des animaux entraîne
nécessairement la construction d'étables pour leur donner un abri et
de bâtiments pour y loger les gardiens, ils firent successivement bâtir
au Quesnoy, à Hache , aux Etoquies , à Locquignol (1) , à Guilbert
'Maisnil (2), à la Glayelle (3), etc., des édifices appelés d'abord manses
ou metz et plus tard censés. Autour de ces édifices, dont quelques-uns
furent l'origine des villages ou de hameaux, on défricha quelques
bonniers de bois qui furent , les uns affectés à la culture des céréales
et du houblon, les autres convertis en prairies, de manière à pourvoir à
l'alimentation du bétail pendant l'hiver, ainsi qu'à la nourriture du
personnel proposé à sa surveillance ; en outre , on créa sur les princi-
paux cours d'eaux des étangs qui furent peuplés de poissons , dont on
faisait une bien plus grande consommation au moyen-âge qu'aujour-
d'hui, et qui étaient destinés à la table des comtes , quand ils venaient
en villégiature au Quesnoy et dans la forêt, ou qui étaient distribués à
leurs serviteurs.
Dans le principe , les comtes administraient leurs domaines ruraux
de la même manière que les anciens rois francs : ils les faisaient
cultiver par des serfs ou des colons placés sous l'autorité de maî-
tres , et comme ceux-ci n'avaient aucun avantage à les étendre aux
dépends de la forêt, elle ne fit alors que des pertes peu sensibles. 11
n'en fut plus de même lorsque ces domaines furent baillés à cens à
des hommes hbres ; les censitaires ou tenanciers firent tous leurs efforts
pour augmenter leur tenure : lorsque les incendies , qui ont toujours
été fréquents dans le massif, les abroutissements ou des faits de guerre
engendraient des vides et des clairières, ils en demandaient la con-
cession et cette concession leur était généralement accordée, parce qu'en
cédant à leurs sollicitations, on se procurait immédiatement un revenu
(1) Cartulaire (déjà cité) des Cens et rentes dus au comte de Hainaut, 1265-1286.
(2) Lettre de l'année 1346 , par laquelle Marguerite , impératrice des Romains ,
comtesse de Hainaut, etc., assigne à sa sœur Isabelle les revenus de Braine-le-
Comte, Quenaast, Étrœungt , trente wit journés et demi de prêt a environ , gisans
vers Renautfolie, estans en deus pièces », etc. Trésorerie des chartes du Hainaut.
Arch. de l'État à Mons.
(3) Compte VIF de Philippe de Beaumont , receveur-général du Haitiaut , du.
1" octobre 1649 au 30 septembre 1650. Arch. départ, du Nord. Ch, des Comptes à
Lille.
- 181 -
qui n'aurait pu être recueilli qu'à une époque lointaine, si ces vides et
ces clairières avaient étô rétablis en nature de bois, et qu'on s'épar-
gnait le soin de procéder à des reboisements toujours coiiteux et
même incertains . à cause de la liberté donnée aux tenanciers et à
d'autres permissionnaires de faire parcourir à leur bétail toutes les
parties de la forêt. Il convient, en effet, de remarquer qu'en se nour-
rissant d'herbe, les bêtes à cornes détruisent une grande quantité de
plantes, soit en les broutant en même temps que l'herbe, soit en les
écrasant sous leurs pieds. « Les sols des massifs forestiers bien com-
plets , dit M. Bouquet de la Grye (1), étant généralement dépourvus
d'herbe, le bétail se rejette dans les cantons mal plantés et dans les
clairières où les herbages sont abondants ; là , il broute tous les plants
qui auraient pu garnir les vides et il contribue ainsi à maintenir en
l'aggravant le mauvais état de ces cantons Le porc ne fait pas
autant de mal aux forêts que les autres animaux domestiques, si d'ail-
leurs on a le soin de ne pas laisser séjourner le troupeau trop long-
temps sur le même point et fouiller trop profondément ; son passage
loin de laisser des traces fâcheuses, produira de bons résultats , parce
qu'il aura pour effet d"araeublir le sol et de le purger d'une grande quan-
tité d'insectes et de petits rongeurs. »
Cependant, si le paisnage et la paisson (2) n'avaient été exercés que
par les censitaires , le dommage causé par leur bétail aurait été très
limité et l'intégrité du massif n'aurait subi que peu d'atteintes. Mais
les personnes autorisées à profiter des herbes, des glands et des faînes,
étaient nombreuses : c'étaient outre les tenanciers, les comtesses douai-
rières de Hainaut qui élevaient dans la forêt 500 bêtes à cornes ou che-
valines et 200 porcs (1) ; le Grand Bailli des bois, le Receveur Général,
le Grand Veneur du Hainaut , et le personnel sous les ordres de ces
officiers qui jouissaient, ainsi que nous le verrons dans la suite, de
droits très étendus sous ce rapport ; puis venaient certains privi-
légiés et enfin tous les riverains.
Ces derniers fournissaient à la forêt le contingent le plus élevé en
(1) Guide du forestier. S" éd. p. 211 et suiv.
(2) Ces expressions ont des sens très différents suivant les provinces ; dans le
Hainaut, paisnage , painage ou peinage est synonyme de pâturage des herbes ; la
paisson est la nourriture des porcs, qui comprend les glands, les faînes, etc.
(3) La dernière comtesse douairière de Hainaut fut Marguerite de Bourgogne,
épouse de Guillaume IV et mère de Jacqueline.
— 182 —
bestiaux. En 1399, les villes de « Potielles, Villeriel, Mecquignies-ou-
Moiit, Mecquignies-ou-Val, Bavisiel. Obies, Louvignies-da-leis-Bavay,
Buvignies, Audignies, Bavay, Biermeries ^ Frasnoit, Gommignies ,
Pont-s-Sarabre, Beiiaimont, Sassegnies, Landrecies , Preux-au-Bos ,
Robiersart , Englefontaine , Pois , Ghisegiiies , Louvigiiies-du-leis-
Caisnoit, Roucourt, Lostignot et la ville dou-Caisnoit, » etc, ne met-
taient encore au pâturage que 1072 vaches et 189 veaux , soit en tout
1261 bêtes à cornes (1) ; mais, dans la suite, cette quantité fut bien
dépassée : elle s'éleva à 2000, puis à 3000 têtes [2). En temps d'in-
vasion, elle était plus considérable encore, car à l'approche des ennemis,
les habitants des campagnes affluaient de plusieurs lieues à la ronde
dans le massif avec leurs bestiaux, dans l'espoir trop souvent déçu d'y
trouver un refuge inviolable et d'écbapper à leurs réquisitions.
La quantité des porcs introduits dans la forêt suivit également une
progression croissante ; si en 1425, on eii voit 1462 admis à la pais^
son et 624 au recours ou arrière paisson (3) , on en compte plus
tard 2000 , et parfois davantage, quand, la fructification des chênes (;t
des hêtres ayant réussi, la glandée et la faînée sont abondantes (4).
Une telle accumulation d'animaux, jointe à la liberté laissée à chacun
de les porter à sa convenance sur tous les points du massif, devait,
comme nous l'avons dit plus haut, amener la ruine de nombreux peu-
plements : c'est en effet ce qui se produisit. Certains cantons de l'inté-
rieur prirent l'aspect de prés-bois, tandis que ceux voisins des orières
ou bordures passèrent généralement du régime de la futaie à celui du
(1) Compte partiel de Jehans Vrediatils , recepveurs de Haynnau , i399-1400
Arch. dép. du Nord. Gh. des Comptes à Lille.
(2) Compte IV^ de Charles de Martigny , conseiller dv Roy et receveur-général,
de Haynnau, du i"^ octobre 1574 au 30 sept. 1575. Mêmes archives.
(3) Compte de Williaume Estievenart, dit du Cambje, recepveres de Haynnau^
du l'^'' sept. 1425 au i" sept. 1426. Mêmes archives.
(4) II est à remarquer que , parmi les étrangers , les manants seuls profitaient du
paisnage , tandis que toutes les classes de la société participaient au bénéfice de la
paisson. Ainsi, dans l'année 1425, que nous prenons pour exemple , nous voyons
figurer parmi les permissionnaires , outre les petits propriétaires des environs :
Williaume, seigneur de Preux , avec 15 porcs ; le Bailli do Hainaut , avec 100 ; le
châtelain de Sassogne, avec 18 ; Jacques de Floyon, avec 40; Monseigneur de Ville,
avec 16 ; Adrien de Mastaing, avec 20 ; Ernould d'Escaubiecque , maître boucher à
Mons, avec 433 ; le boucher de Pont , avec 153. — Compte de Williaumes Estié-
venart , dit du Cambge . recepveres de Haynnau , 1425-1426.
- 183 -
taillis simple ou composé, transformation qui était une première étape
dans la voie du défrichement.
En 1535, le mal était devenu si intense, qu'une réaction devenait
inévitable. Sur les représentations des officiers de a forêt et de ceu
de la Chambre des Comptes de Lille, Charles-Quint décida que désor-
mais « les vaches n'yroient plus au boys, » et il interdit « de prendre ou
lever aucun droit de peinage » (1). De plus, pour prévenir les délits de
pâturage, il éleva la pénalité. D'après les anciennes Chartes, il en
coûtait V sols blancs de loi seulement à ceux qui introduisaient fraudu-
leusement une bête aumaille dans le massif (2) ; l'amende fut portée à
Lx sols. On continua à tolérer la paisson , comme étant moins domma-
geable que le paisnage, mais seulement jusqu'à la Chandeleur, à peine
pour les officiers de la privation de leurs offices, s'ils venaient à « la
bailler à recours plus longtemps, » et pour les propriétaires des cochons,
d'une amende de xx sols par tête de ce bétail, pour un premier délit,
d'une amende double en cas de récidive et de la confiscation de ces
animaux, si la même infraction se renouvelait (3).
Ces sages mesures paraissent avoir été sérieusement appliquées
pendant plusieurs années ; mais à la suite de la seconde incursion
de François P dans le Hainaut, qui apporta la ruine parmi les popula-
tions aux alentours de la forêt, Marie, reine douairière de Hongrie,
qui gouvernait alors les Pays-Bas , leur octroya (4) la faculté de faire
paître 3000 bêtes à cornes et chevalines (5). Non-seulement les localités
voisines du massif lui fournirent leur contingent, mais il en vint
aussi de villages éloignés, tels que Monceau, Happegarbe, Bettrechies,
Bâchant, etc. Aussi on ne tarda pas à voir reparaître les anciens abus :
les abroutissements , en effet, se manifestèrent de tous côtés, bientôt
suivis de vides et de défrichements.
(1) Ordonnance de 1635, Art. lv. Arch. dép. du Nord. Gh. des Comptes , à Lille.
Fonds de la forêt de Mormal.
(2) Franc?dses et aucthoritez du forrest de Mourmal. Art. xxxiiii à xxxvii. Arch.
de l'État à Mons, Grand Baillage des Bois du Hainaut.
(3) Ord. de 1535, précitée, art. ui.
(4) Ordonnance du 16 février 1549, citée dans le Compte vii de Philippe du
Jardin, receveur-général du Hainaut, du 1" oct. 1550 au 30 sept. 1551. Arch. dép. du
Nord. Gh. des Comptes, à Lille.
(5) Ce nombre était toujours dépassé , car on comptait pour une seule tète deux
veaux (hawes , halles ou hallins) , âgés de moins de deux ans et demi.
— 184 -
Cependant les officiers de la forêt et ceux de la Chambre des
Comptes de Lille tout en déplorant les maux que causait le pâturage,
ne négligèrent pas de faire entendre leurs doléances au souverain ;
ils lui exposèrent qu'il y avait nécessité « de défendre que les bestes à
cornes, si comme vaches et hallins, n'ayenf plus à entrer au bois, affin
de laisser croistre les foyaulx et jeusnes gectz... et ce, pendant
l'espace de sept ou huit ans seulement Mais, comme la dicte dé-
fense, ajoutent-ils, serait fort odieuse au povre peuple, vivant de leur
bestial alentour de la dicte forêt, signamment en ce temps tant misé-
rable pour ne les priver en ung coup du bénéfice des pastures et nour-
ritures qu'ilz sont accoustumés y prendre et obvier à une infinité
d'exclamaces , aussy pour ne tant préjudicier sa dicte Majesté en son
droict et prouffit des herbaiges, l'on pourroit ceste fois faire la
dicte deffense pour la moictié de la dicte forrest seullement, . . . per-
mectant néanraoings que les bestes chevalins y puissent entrer et
continuer leurs pastures pour n'estre tant inclinés au broussement que
les aultres, en payant trente ou quarante pattars pour chacune beste,
au lieu de xv pattars, et quinze ou vingt pattars de chacun poullain au
lieu de yii pattars deniers que l'on paye présentement Quant aux
pourcheaux, l'on les pourra permectre aller audict bois quand il y
aura paisson comme du passé ... à condition touttesfois de l'ester
endeans le premier janvier par chacun an, parce que quant il n'y en
a plus de fruict, ilz viennent aussi à brousser et retourner la terre et
ainsi faire dommaige aux foyaus ou jeusnes gectz y estans » 1 . Mais
ces vœux restèrent en partie stériles , car les événements militaires
dont le Hainaut ne cessa d'être le théâtre jusqu'à la fin du XVP siècle,
ne permirent de remédier qu'imparfaitement au mal.
C'esf en 1601 seulement que les archiducs Albert et Isabel édictèrent
des mesures sérieuses pour y mettre un terme. Us prescrivirent la
mise en défends des jeunes tailles «jusqu'à l'eage de quinze ou seize
ans », de manière à les mettre « hors du danger du mors des bestes qui
les pourroient endommager » (2) ; ils décidèrent aussi, pour faciliter
(1) Articles et moyens conceuz et advisés pour le restdblissement du bois de
Mourmal, par Messeigneurs les président et gens des comptes à Lille , oys aulcuns
officiers dadit bois. Arch. dép. du Nord. Chambre des Comptes de Lille. M. 57.
Forêt de Mormal,
(2) Ordonnance de 1601, Art. xii. Arch. dép. du Nord. Ch. des Comptes, à Lille.
M. 57. Forêt de Mormal.
— 185 —
la tâche des sergents, que désormais les vaches porteraient « au col,
une, par raison, grande clochette sonnante, sans le son d'icelle pouvoir
empêcher» (1) ; ils interdirent en outre aux moutons l'entrée du
massif (2) ; quant aux pourceaux, ils les y admirent, mais seulement
dans les cantons défensablos et à la condition qu'eux aussi porteraient,
un sur dix, une clochette sonnante (3) ; enfin pour assurer la répression
des délits, leurs Altesses ordonnèrent que les bestiaux trouvés en
dehors des cantons qui leur seraient assignés, seraient appréhendés,
confisqués et vendus par les sergents callengeùrs, et que ceux-ci. dont
le zèle avait sans doute besoin d'être stimulé, recevraient 4 pattars, à
titre de gratification, pour tout cheval, vache ou porc saisi et le dixième
denier pour une bête ovine (4). Cette pénalité peut paraître draco-
nienne et il semble qu'elle aurait dû prémunir les jeunes coupes contre
l'envahissement du bétail : il n'en fut rien malheureusement. Gomme les
animaux confisqués étaient toujours vendus dans la contrée, les délin-
quants les faisaient racheter à vil prix par des tiers, et se livraient à
de nouveaux abus.
Préoccupée de leur persistance, la Cour des Comptes chargea en
1606, le commis des finances d'Ennetières, de visiter la forêt, et de faire
le nécessaire pour en empêcher le renouvellement. Après avoir
constaté qu'elle était « à demi vuydée » et qu'on l'avait excessivement
« chargée de bêtes à paisnage , surpassant le nombre désigné par
l'acte du 16 février 1549 » (5), cet officier prit le parti de défendre
immédiatement de pratiquer « le dit paisnage jusqu'à rappel de son
Alteze Sérénissime et des Seigneurs des finances ». Les archiducs
approuvèrent cette mesure, mais leurs bonnes intentions furent bientôt
paralysées. En présence de la misère générale engendrée par les
guerres civiles et étrangères, ils revinrent en 1616 sur leur détermi-
nation, et ils autorisèrent encore une fois le parcours du massif par
les bêtes à cornes et chevalines, sous la réserve que leur nombre
ne dépasserait pas 3000 et que chaque permissionnaire payerait 3 flo-
(1) Même ordonnance. Art. xiv.
(2) Idem. Art. xviii.
(3) Idem. Art. xix.
(4) Idem. Art. xiv à xix.
(5) Extraict du procès-verbal de la visite du domaine de Haynault, faite en l'an
mille siy cens six. Arch. départ, du Nord, Ch. des Comptes, à Lille, M. 57. Forêt de
Mormal.
- 186 —
rins par tête de bétail. Cette situation se prolongeajusqu'à la Conquête
fançaise, avec cette aggra-\ation que durant roccupation du Hainaut
par les armées de Louis XIII et de Louis XIV, les jeunes tailles, qu'une
ordonnance de 1626 (1) avait de nouveau mises en défends, ne furent
aucunement respectées et subirent des dommages incalculables (2).
Lorsque le démembrement du Hainaut fut accompli et que la forêt
fut réunie au domaine royal, le nouveau gouvernement, qui avait
intérêt à se concilier la sympathie des populations, toléra le pâturage,
mais l'exercice en fut réglementé. Toutefois, si l'on parvint à arrêter
le développement des clairières, on eut encore à compter avec les
abroutissements dans les jeunes ventes. Le Grand Maître des eaux et
forêts, Raulin d'Essarts , dans son procès-verbal de visite générale
de 1750-1751, rapporte en effet, « qu'elles seraient partout bien
venantes et peuplées, vu la bonté du fond de la forêt, si les bestiaux de
Locquignol et des villages riverains, ayant occasion d'entrer de tous
côtés dans la forêt pour le pâturage sous la futaye. n'en détruisaient
les jeunes recrus, soit dans leur passage, soit dans leur déborde-
ment,... qu'aussy il serait de la dernière conséquence de ne plus
affermer le dit pâturage , afin que les jeunes ventes pussent se
regarnir» (3).
Reproduite presque tous les ans, cette demande fut enfin prise en
considération : un arrêt du Conseil, du 12 mai 1778, abolit en effet
l'exercice du pâturage, et un autre, du 29 juillet 1785, le supprima
définitivement , malgré les plaintes des mayeurs des paroisses voisines
qui étaient parvenus à faire révoquer le précédent (4).
A l'époque de la première révolution, on put craindre que le gouver-
nement reviendrait sur sa détermination, car au moment de la rédaction
des cahiers des doléances, la prévôté de Bavay réclama instamment le
retour à l'ancien état de choses (5) ; mais les événements qui survinrent
(1) Art. 73. Arch. de rinspection des Forêts du Quesnoy.
(2) Procès-verbal de Jean Le Feron, escuyer, conseiller rfu Roy^ commissaire
député par Sa Majesté pour la reformation générale des Eaues et Forests de France
et des conques tes de Sa Majesté dans les provinces de Flandres, pânsim. Arch. de
l'Inspection des forêts du Quesnoy.
(3) Archives nationales.
(4) Arrêt qui limite au 15 août 1785, la permission portée par celui du 17 mai
précédent, de conduire et faire pâturer les bestiaux dans les bois du Roy, etc.
Archives nationales. E. 2ôi3.
(5) Louis Legrand , Sénac de Meilhan et V Intendance du Hainaut et du
Cambrcsis, p. 401.
— 187 -
pou d'années après, détournèrent l'attention de la question, en sorte
qu'il ne fut donné aucune suite à sa demande (1). Quant à la paisson,
elle cessa d'être pratiquée dans la première partie de ce siècle, le
changement de régime introduit dans la forêt en 1778, en ayant rendu
l'exercice de moins en moins avantageux pour les éleveurs.
Dans les lignes qui précèdent, nous avons fait connaître incidemment
que l'on doit rapporter aux invasions dont la forêt a été le théâtre
depuis la fin du moyen âge, une partie des pertes qu'elle a éprouvées.
Afin de justifier cette assertion, nous ferons l'historique de ces inva-
sions et nous signalerons également, pour ne pas revenir sur ce sujet,
les faits militaires antérieurs auxquels elle a été mêlée.
Le premier en date remonte à l'époque romaine et nous est révélé
par l'historien do la conquête des Gaules. Après avoir franchi les mar-
ches qui séparaient le pays des Ambiens de la Nervie, César vint
asseoir son camp sur la rive droite de la Sambre, près d'Haut mont, et
trouva devant lui , de l'autre côté de la rivière , les Nerviens massés
dans la forêt (2), sous les ordres de Boduognat. Dans la lutte qui s'en-
gagea, si César finit par l'emporter, il le dût moins à la valeur qu'à la
discipline et à l'armement de ses légions, car ses adversaires, com-
battant avec le courage du désespoir, furent réduits de 60000 guerriers
à 5000 et de leurs 60 chefs, il n'en survécut que 3 (3).
Après avoir pacifié la Nervie , Rome y apporta la civilisation, et
Agrippa , gendre d'Auguste , commença ces larges chaussées qui
(1) Ajoutons cependant qu'en 1870 , des ctialeurs excessives ayant détruit llierbe
dans les campagnes , les moutons , les clievaux et les vaclies eurent accès dans la
forêt. En quelques jours, elle fut envahie par dix mille de ces animaux, qui y eurent
bientôt brouté toutes les plantes herbacées; déjà ils attaquaient les jeunes pousses
des végétaux ligneux, quand la maladie se déclara parmi eux et obligea leurs
propriétaires, en présence de^ nombreuses victimes qu'elle fit, à les retirer précipi-
tamment.
(2) Lebeau. Not. hist. sur i'Arr. d'Avesnes , p. 322. Napoléon ^^ dans ses
remarques sur les commentaires de César, dit également que la bataille de la Sambre
eut lieu non loin de Maubeuge et M. Z. Piérart, dans ses Exe. hist. etarch., p. 229,
place sur le plateau de Wargnories le camp romain. Les opinions sont d'ailleurs très
partagées sur le théâtre de l'action ; ainsi M. Lcglay soutient qu'il faut le placer à
Vinci , près de Cambrai ; Lelong, dans son histoire du diocèse de Laon , entre Lan-
drecies et Preux-au-Bois, et la plupart des historiens belges à Prestes, entre Namur
et Charleroi.
(3) CÉSAR. De bello gallico, lib. n, cap. It)-i8.
- i88 —
rayonnent de Bavay dans toutes les directions (1) et auprès desquelles
des colons vinrent se fixer. Deux siècles plus tard, il fallut pour pro-
téger les environs de cette ville contre les insultes de pirates avant-
coureurs des Normands, qui remontaient la Sambre jusqu'à h forêt sur
de frêles embarcations recouvertes de peaux , construire à Quartes
une flottille , à la tête de laquelle fût placé un chef, ayant le titre de
Prœfeclus Sambricœ classis, in loco Quartensi sïve Hornensi (2).
Nous avons indiqué précédemment (3j quelles furent pour Mormal
les conséquences de l'invasion de 407 ; disons rapideaient que dans la
période suivante, la forêt fut parcourue par les bandes de Clodion et
d'a'itres chefs francs, puis par les Neustriens et les Austrasiens , pen-
dant les luttes entre ces deux fractions d'un même peuple. Après les
Francs, apparurent les Normands, qui commencèrent leurs incursions
dans la contrée en 881 et mirent tout à feu et à sang, sans épargner les
monastères d'Hautmont et de Maroilles, dont les moines cherchèrent
en vain un refuge dans les bois. Les seuls souvenirs que ces barbares
aient laissés de leur passage dans le massif, consistent en deux
tombes. La première, dorigine franque, gisait au canton de Chêne
Cuplet, où elle a été découverte en 1850 ; mais elle paraît avoir été
visitée antérieurement, car on n'y a rencontré ni squelette, ni armes,
ni colliers ; depuis lors , les larges dalles en calcaire carbonifère qui
formaient les parois de cette tombe, ont été transportées à Englefon-
taine et utilisées pour la construction d'un puits. La seconde, connue
sous le nom de tombe de Gargantua, se trouve à l'angle formé par la
route départementale d'Avesnes au Quesnoy et par la laie du Cerf ;
c'est une calotte sphérique en terre, de huit mètres de diamètre, avec
trois mètres de flèche. Pour quel chef Normand a-t-on élevé ce
tumulus? C'est une question à laquelle il est impossible de répondre,
car les fouilles qui y ont été exécutées au moment de sa restauration
en 1882 , n'ont amené la découverte ni de vestiges humains , ni de
débris d'armes et d'un autre côté, aucun document ancien n'en fait
mention (4).
(1) On les désigne généralement de nos jours sous le nom de chaussées Brunehaut;
on prétend, d'ailleurs, que cette reine les fit réparer.
(2) Notitia dignatum imperii rouiani,
(3) Voir le chapitre 1.
(4) Le souvenir de cette figure étrange et fantastique, dont la légende s'est empa-
rée et qui a inuuortalisé Rabelais, s'est perpétué sur plusieurs points de la P>ancc,
— 189 —
L'histoire ne nous fournit aucun renseignement sur les événements
militaires qui ont dû se passer à Mormal au moment de l'établissement
de la féodalité et pendant Tinvasion des Hongrois qui, sous la conduite
des Conrad, renouvelèrent les atrocités commises par les Normands
dans la contrée. 11 nous faut descendre jusqu'à l'année 1184, pour
trouver un fait de quelque importance ayant eu ce massif pour théâtre.
La guerre régnait alors entre Bauduin V, comte de Hainaut et
Philippe d'Alsace , comte de Flandre , soutenu par l'archevêque de
Cologne et le duc de Louvain. Vivement pressé par ses ennemis et
reconnaissant l'impossibilité de les vaincre en bataille rangée, Bauduin
incendia Le Quesnoj et les habitations aux alentours ; toutefois, il
laissa une forte garnison avec des vivres dans le château de cette ville.
Philippe vint y mettre le siège et ne put s'en emparer ; mais avant de
se retirer, il détruisit dans la haie du Ghard , dépendance de la forêt,
la plus grande partie des daims, des cerfs et des bubales dont elle était
peuplée. L'année suivante , pour se venger de son vassal , Jacques
d'Avesnes, qui avait pris parti pour ses ennemis , Bauduin brûla un
grand nombre de villages de sa seigneurie, y compris Landrecies (1),
dont les habitants furent pour la plupart massacrés dans Mormal, où ils
avaient cherché un asile (2).
Après ces événements, le massif semble être resté paisible pendant
150 ans. L'alliance contractée par Guillaume II, comte de Hainaut,
avec les Anglais , y attira en 1340 un corps français commandé par
Jean, duc de Normandie , âls de Philippe IV, qui ne quitta la contrée
qu'après avoir incendié le château de Potelle (3), les deux Wargnies,
où Ton montre encore la chaussée de Gargantua , le col de Gargantua, l'antre de
Gargantua, le palais de Gargantua D'après M. Bourquelot, Revue des cours litté-
raires, l''" année, p. 32, l'origine de ce héros remonterait à la religion gauloise, et
suivant Wattaux, cité par M""* Clément Hemery, la tombe de la forêt ne serait autre
que celle d'Ursus , mort à la bataille du Brai-Moulcon. Quoi qu'il en soit , il est
évident que, de même que pour Hercule, on a mis au compte d'un seul, des événements
se rapportant à plusieurs héros.
(1) Landrecies fut entouré de fortifications en 1096, par Gossin, seigneur d'Avesnes
et l'un de ses petits-fils, Nicolas, les releva en 1140.
(2) GisLEBERT, p. 139-149; Jacques de Guise, xii, p. 312-316; Delewarde , m,
p. 122-130.
(3) Bâti en 1298, par Gille de Mortagne, ce château fut plusieurs fois saccagé ou
démoli, puis reconstruit sur ses anciennes fondations ; c'est la seule demeure féodale
qui soit restée debout dans les environs de Mormal.
- 190 -
Frasnoy, Gommegnies etHerbignies, où fût tué le sire de Gommegnies
qui, avec six écuyers seulement, essaya de tenir tête à 350 assaillants.
Cette invasion terminée, le pays recouvra sa tranquillité jusqu'au
moment où l'ambition de Philippe-le-Bon, duc de Bourgogne et comte
de Flandre , qui convoitait l'héritage de Jacqueline de Bavière , com-
tesse de Hainau(, y attira tous les malheurs de la guerre. En 1422, les
troupes bourguignones s'avancèrent de Guise sur Pont-sur-Sambre,
où elles séjournèrent plusieurs mois ; l'année suivante , un déta-
chement de ces troupes s'établit au canton du Quesne-au-leu, d'où il
se jeta sur Mecquignies, dont le château fût saccagé, ainsi que sur les
villages voisins. « Il n'y eut alors , dit W. Estiévenart , aucunes
biestes à cornes allant en paisnage que tant seulement celles appar-
tenons as drois , des offiscyers pour tant que es marches et villaiges
d'entour le ditte forest, les dittes biestes sont grandement admeuries
et perdues par les gherres et tant paul qu'il en demora ont trouvé celli
année asses pastures pour nient anal les camps et en leurs pastures
sans aller en le ditte forest. » (1) A la suite des Bourguignons , paru-
rent les Armagnacs, qui s'étaient misa leur poursuite ; à leur approche,
nombre de riverains gagnèrent Mormal ; mais ces nouveaux ennemis
no les y inquiétèrent pas et rebroussèrent chemin après avoir pillé
le château de Sassogne (2),
Cependant après une héroïque résistance, Jacqueline, que presque
tous ses partisans avaient abandonnée, s'était vu forcée de se dépouiller
de ses états en faveur de Philippe-le-Bon (1426). Mais si la guerre était
terminée , les désordres qui l'avaient accompagnée , ne cessèrent pas
immédiatement. Une bande de pillards, connue sous le nom de bande
d'Orchimont, du lieu où elle s'était consliluée, vint s'établir à Mormal, à
proximité de la paroisse d'Hargnies , dont les habitants firent cause
commune avec elle, et de là, elle se répandit dans les villages voisins
qu'elle frappa de contributions. A la nouvelle de ses brigandages , les
(1) Compte de Willaumes Estiévenart , dit du Canibge , recepveres du Haynau ,
du l*"" septembre 1425 au l"" septembre 1426. Arch. dép. du Nord. Gh. des Comptes ,
à Lille.
(2) Ce château qui était situé au sud de la forêt, sur le territoire actuel de Noyelle,
lut bâti au XIP siècle, par Nicolas, seigneur d'Avesnes. Il eut beaucoup à souffrir au
temps de Henri II et de Louis XIII et subsista dans un état de délabrement jusqu'en
1734, époque oii l'on a commencé à le démolir ; avec ses débris, on a construit une
ferme dans le voisinage.
- 191 -
prévôts (le Bavay et du Quesnoy se mirent à la tête de troupes que
renforcèrent des gens de Berlaimont, et finirent par en débarrasser le
massif et ses environs. Mais ce fut pour peu de temps : quelques mois
après en eôet, cette bande se reforma sur un grand pied et reprit sa
première position dans la forêt , comptant surprendre les voyageurs
qu'atlirait à Bavay la foire du Béhourdy (1''^ décembre 1430). Ayant
appris que ces partisans avaient tué un de ses sergents , le prévôt de
cette ville, après s'être concerté avec le bailli deSt-Ghislain, rassembla
une troupe de gens à pied et à cheval et les repoussa jusqu'à Sivry,
où ils furent rejoints par le bâtard d'Orléans qui en prit le comman-
dement et alla avec eux ravager la Lorraine. (1).
On était alors à la tin de la guerre de Cent ans et les routiers qui
avaient combattu les Anglais, se trouvant licenciés, se répandirent sur
toute la France. Une de leurs bandes, commandée par Chabannes et
d'autres chefs, s'abattit en 1436 sur le Hainaut , où elle justifia le
surnom d'Ecorcheurs , donné à ceux qui en faisaient partie. Mormal
servit encore une fois d'asile aux habitants de la région ; mais celte
fois encore, ils n'y furent pas inquiétés , bien que le corps que Jean de
Cro}^ avait rassemblé au Quesnoy pour résister à l'invasion et qui était
commandé par CoUart de Sennières , bailli de Lessines, eut été battu
par ces Ecorcheurs ; ceux-ci, en effet, se retirèrent en Champagne,
à la suite de leur victoire.
Après la mort de Charles le Téméraire et le mariage de sa fille avec
Maximilien d'Autriche, les Pays-Bas, que Marie de Bourgogne appor-
tait en dot à son époux, furent pour les Maisons de France et d'Autriche
le théâtre des luttes qui devaient durer trois cents ans, et la forêt,
par suite de sa position sur la frontière , y joua un rôle considérable.
En 1477, les troupes de Louis XI parurent devant Landrecies qui,
mal fortifié alors, ne se défendit pas. Douze cents cavaliers français
commandés par le prévôt de Paris et le maire de Bayonne prirent pos-
session de la ville, dont les habitants s'étaient enfuis dans Mormal ;
mais peu de temps après ils furent attaqués et surpris par Ilacquenet
de Vaux, de la compagnie des archers du comte de Chimay, à la tête
de soldats auxquels s'étaient joints des habitants d'Englefontaine et
(1) Compte précité de Willaumes Estiévenart, passim. M. L. Delhaye, Bavay et la
contrée qui V environne, p. 397.
— 192 —
d'ailleurs. Pour se venger, les Français mirent le feu à la ville et bien-
tôt Louis XI vint en personne assiéger Le Quesnoy dont il s'empara
après avoir perdu 500 des siens dans un assaut. Pendant toute l'année
1477 , ses troupes se répandirent dans la forêt que le Bailli des bois
avait vainement essayé de protéger, en faisant rompre les ponts sur la
Sambre, et elles y détruisirent, avec les viviers, toutes les censés et les
maisons du domaine de Locquignol. Le Receveur du Hainaut , qui ne
peut faire de recettes durant cette campagne, rapporte qu'après le départ
des ennemis, «les censiers nesy vouloient rebouter, se on ne refaisoit
les buis, parois et fenêtres Sy est aussi que durant ceste année,
la gherre a esté entièrement ouverte par entre le Roy et Monseigneur
et se sont tenus grant plente de Francbois au Quesnoy, par coy il a
esté forcé audit Jehan Manescbe (censier de Hache) , de luy, sa femme,
et son maisnaige rendu fugitif et s'en aller demeurer en lieu sceur ,
pourcoy il n'a fait en Tété de l'an LXXVII quelque proffit de la dite
censé. » Il relate aussi que « de Noël Pesquereau, pour la maison ,
gardin et pasture des Etoquies... or est ainsi que pour la gherre, Lf
n'a pu joyr de ceste censé ;... de Gollart Gouvreau, Gillart Druet et
Guillaume Wauthier, pour la pasture du Fer-à-Gheval, gisans derrière
Gilbert-Maisnil, ... or est ainssi que ceste présente année , il n'a pu
joyr d'icelle censé, à cause delà gherre; du censier de la maison de
la Motte, que l'on dist au Lossignot..., or est ainsi que on lui a quitté
ceste année et l'année ensuyaut... de tant qu'il n'en a peu joyr par les
Franchois. » Il constate ensuite que Pierot Becquet, demeurant aux
Etoquies, n'a pu pêcher dans la rivière de Sambre qu'il avait affermée,
et que « quant au fruit de la forest et paisson du dit Mourmal, pour
l'année de ce compte , la dicte paisson était assez bien adreschié de
fowines tant seulement, mais par la gherre et que les Franchois se
tenoient lors au Quesnoy en grant puissance, quelque vente ne proffit
n'en a esté fait ceste ditte année, car il n'a esté personne qui n'ait osé
aller et venir en ladite forest ». Il ajoute encoi*e que Jehan Gontart et
la veuve Simon de Rogeries , fermiers du vivier d'Ecaillon , n'ont pu
profiter de la pêche et que Jehan Jouveneau et la dite veuve, fermiers
des étangs Gorbeau et d'Ecaudemetz sont dans la même situation ;
« or est ainsi que dudit vivier audit compte quelque proffit n'a este fait,
car les Franchois durant la gherre les ont pesquiet et colpez les dic-
quez en y faisant du bien grand dommaige. » Enfin , il termine assez
plaisamment en disant que les digues des viviers à Truites et de la
Gressonniere ont été également coupées « par les dits Franchois pour
— 193 -
les povoir pesquier, à cause qu'ils n'avaieut loisir de les laisser courir
par la buse, doubtans que on ne venist coulre subs » (1).
Le Sire de Damuiartin , que Louis XI avait laisîsé pour délendre
Le Quesnoy, quitta cette place en 1478, et la paix d'Arras, signée en
1482, mit fin à cette guerre qui avait été désastreuse pour le Hainaut.
Aux environs de la forêt notauiraont, la plupart des villages avaient été
livrés aux flammes, et il fallut délivrer aux habitants des hêtres et des
chênes « affin qu'ils eussent aucune provision de bois pour euls
chauffer en l'ivier ensuiwant et aussi aucune quantité pour eulx com-
mencher à reraaisonner »(2).
Le pays jouit ensuite d'une tranquillité relative qui cessa dès l'éléva-
tion au trône impérial de Charles F'', d'Espagne , dont la puissance
démesurée constituait un danger pour l'indépendance de la France. Les
Impériaux s'étant avancésjusqu'enPicardië, François P'' les en ât déloger
et les poursuivit jusque dans le Hainaut, où il s'empara de Bouchain,
puis de Landrecies que les bourgeois lui abandonnèrent au bout de qua-
rante jours de siège, après l'avoir incendié, pour se retirer dans la forêt,
et en outre du château de Potelle (1523). A la nouvelle des succès
remportés par son adversaire, Charles-Quint qui se trouvait devant
Mézières, défendu par Bayard et Montmorency , abandonna le siège
de cette ville, et vint investir Landrecies ; mais les Français quittèrent
la place après en avoir rasé les fortifications. Pendant toute cette cam-
pagne, le massif eut beaucoup à souffrir des armées des deux nations
et le Receveur général rapporte « que les troupes impériales mangèrent
tout ce que les manans et habitants es tilles du Quesnoy, de Landrecies
Maroilles, Englofontaines, Lossignol, Berlemont... avoient et bruslè-
rent tout les bois qu'ils avoient achetés et fut ordonné à Messeigneurs
les Président et autres Seigneurs de la Chambre des Comptes à Lille
de les tenir dotant en soutiVance, . .. » et il ajoute: « quant aux ven-
daige des bois de muyaiges, aussy des esnoes, braix, braitteaux, ternes
et terneaux que l'on a ci-devant accoustumé vendre sur la forest de
Mourmail, obstant la guerre et la difficulté du temps, ne s'en sont
aucuns fois vendus.» Il consigne aussi ce fait que des bandes de parti-
(1) Compte de Jehan du Terne, conseiller de mon très redoubté et souverain
seigneur. Monseigneur le Bue de Bourgoingne , etc.. Comte de Haynau, Hollande
et Zellande, du 1" octobre 1477 au 30 septembre 1478. Arch. dép. du Nord. Gh. des
Comptes, à Lille.
(2) Même compte.
14
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sans parcourant le massif en tous sens, il fut alloué une somme de
ii"^ VIII liv. XII s. t. aux Lieutenant de la forrest de Mourmal, Receveur-
général, clers, officiers, sergens, raarchans avec leurs ghides, porteurs
de marteau, leurs serviteurs et clievaulx, et plusieurs gens de guerre,
tant (le cheval que de pied de la garnison du Quesnoy,... pour la
seureté de leurs personnes, et que les dits marchans fussent plus
hardis de suyr le dit marteau pour cause de la gherre et des feuiwars
que l'on craindoit estre en la dite forrest. » (1).
François I" reparut de nouveau dans le Hainaut, en 1543, avec une
armée de 40,000 hommes ; il mit le siège devant Landrecies qui ne se
défendit pas et dont il releva les remparts. Durant son séjour à
Maroilles, oii il avait établi son quartier général, ses troupes firent des
abatis dans la forêt et y incendièrent les censés des Etoquies, de la
Thourie et de Guilbert-Mesnil (2j ; pendant ce temps, le Dauphin , qui
s'était installé à Renaut-Folie, s'emparait successivement des châteaux
d'Aymeries (3) et de Berlaimont (4), ainsi que de Maubeuge. L'année
suivante, Charles-Quint voulut reprendre Landrecies ; mais la place
était défendue par le capitaine Lalande qui avait sous ses ordres 3000
hommes à pied et 200 cavaliers, et Frédéric de Gonzague qui comman-
dait ses forces, ne put s'en emparer après six mois de siège. Elle ne
lui fut rendue qu'à la paix de Grépy, en 1544 (5).
A peine monté sur le trône , Henri II s'allia aux protestants d'Alle-
magne contre Charles-Quint et ouvrit les hostilités en s'emparant
(1) Compte vingtysme {(le) Jehan de la Croix , conseiller de V Empereur et son
receveur-général de son pays et Comté de Eaynau, du i" oct. 1524 au 30 sept. 1525.
Arch. (iép. du Nord. Gh. des Comptes, à Lille.
(2) Compte sixième de Philippes du Jardin, conseiller de l'Empereur nostre sire,
et receveur-général de son pays et Comté de Haynau, du 1'^' oct. 1549 au 38 sept.
1550. Arch. dép. du Nord. Gh. des Comptes, à Lille.
(3) Assis près de la Sambre et dans le voisinage de la forêt, ce château qui remon-
tait au XIP siècle, appartenait en 1544, à Georges de Rollin. Ruiné en 1643, il n'en
reste que les fondations, lesquelles témoignent de son ancienne importance.
(4) Le château de Berlaimont, aux seigneurs de ce nom, était situé sur la rive
droite de la Sambre. sur le territoire d'Àulnoye. Il fut détruit, comme le précédent,
en 1643, par le duc d'Enghien ; il n'en subsiste que quelques débris.
(5) Landrecies appartenait à cette époque à Philippe III de Croy, prince de Chimai.
En con>;idération de son importance pour la défense du Hainaut, Charles-Quint en fit
rechange avec Philippe, contre la seigneurie de BlaLon, en 1545, et lit relever ses
fortifications.
- 195 -
de Metz, Toul et Verdun (1552). L'empereur s'efforça en vain de
reprendre la première de ces villes, avec une armée qui montait à
60000 hommes ;- le duc de Guise qui la défendait, lui tua la moitié de
son monde, mit le reste en déroute et s'illustra par son humanité à
l'égard des fuyards. Tout autre fut la conduite des Impériaux en
Picardie, où la gouvernante des Pays-Bas briila sept cents villages,
et en Artois où Gharles-Quint détruisit Thérouaneet Hesdm. A la nou-
velle de ces désastres, Henri II, que le mariage de Philippe avec Marie
Tudor avait justement alarmé, marcha avec 25.000 hommes sur les
Ardennes, où il prit Marienbourg, menaça Bruxelles et se rabattit sur
le Hainaut, sans que le duc de Parme qui lui était opposé, osât lui
résister; il mit tout à dévastation, et livra aux flammes, autour de la
forêt, Maubeuge, Pont-sur-Sarabre et Bavay ; mais il échoua devant
Landrecies et Le Quesnoy. Quelques temps après ces événements ,
Charles Quint que les maladies et le chagrin minaient , se retirait au
couvent de St-Just, après avoir abdiqué la couronne impériale en faveur
de son frère et laissé à son fils Philippe II l'Espagne, les Pays-Bas et
ses possessions en Amérique.
C'est sous le règne de ce dernier, que commencèrent les guerres de
religion qui devaient porter un coup si funeste à la prospérité des
Pays-Bas et auxquelles participèreni des bandes indisciphnées recru-
tées parmi les Allemands, les Hollandais, les Flamands, les Wallons,
les Italiens et les Espagnols. Pendant leur durée, la forêt fut, comme
aux époques précédentes, le refuge ordinaire des habitants du pays et
nombre de soldats d'armées en déroute la parcoururent en tous sens.
Elle regorgea de ces derniers, notamment en 1568, après la' victoire
remportée par le duc d'Albe auprès du Quesnoy sur le prince d'Orange;
en 1571 et en 1572, après les défaites de Louis de Nassau et du baron
de Genlis sous les murs de Mons ; en 1578, après la reprise de Binche,
de Maubeuge et de Berlaimont par les Espagnols :
« Plusieurs qui d'en estoient sauvez, dit l'historien Jean Petit, cité par Z. Piéràrt (1),
n'eurent aucun moyen de sortir hors du pays, crainte d'estre renconstrez en chemin
sur leur retraite par les prévosts des maréchaux, qui les chassoyent à tout aller et
avoyent charge d'en faire mourir autant qu'ils en poun-oient attraper : ils se mirent
par troupes à tenir les bois et forests , comme à Niepes en Flandre, Richebourg .
Olham et Verdrez en Arthois , Mourmal et autres en Hénaut , et se couvrant du
(1) Excursions hist. et arch., etc., p. 205 et 206.
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manteau et nom du prince d'Orange, firent en leur particulier la guerre aux prestres
et aux officiers de justice, qu'ils disoyent estre leurs ennemis , les tuant , pillant et
rançonnant, sans néanmoins faire tort aux paysans et raestayers qui de nuict leur
fourni&soient à manger. On les appeloit bosquets ou bosquillons pour ce qu'ils se
tenoyent aux bois et forests. lis gardoyent une certaine discipline entre eux, comme
de ne faire nul tort aux marchans ni autres passants , s'ils n'estoyent gens de
justice, lesquels ils faisoyent mourir. Quant aux gens d'église qu'ils trouvoyent
dedans les bois , ils les detenoyent auprès d'eux à la pluye et au vent . tant que
l'argent de la rançon fust venu. S'ils savoyent qu'il y eust esdits bois quelques
voleurs qui détroussassent les passans , ils les poursuivoyent tant que les ayant
attrapez, ils les livroyent aux gens des prévosts des maréchaux à l'entrée du bois ,
sans les laisser approcher plus près qu'à la portée de leurs harquebuses. Aussi les
autres n'eussent osé l'entreprendre. Ils avoyent pour arme-; la harquebuse pendue
en escharpe, un poignard à la ceinture et une longue demi picque sur l'espaule, avec
laquelle ils sautoyent tous fossés , fussent-ils de vingt pieds de large , gens tous
dispos , résolus et en grand nombre. Quand les prévosts en pouvoyent attraper
quelques-uns, ils les brusloyent ou rôtissoyent à petit feu. »
C'est pour résister à ces aventuriers, que l'on appelait aussi Gueux
de bois (1), que fut fortifiée la censé de la Motte, qui jusqu'alors n'avait
eu pour toute défense que les larges fossés pleins d'eau qui l'entou-
raient. Les ouvrages qui y furent exécutés , lui valurent depuis ce mo-
ment le nom de château ; en voici le détail :
Auhre despence pour plusieurs ouvraiges de terre faictspour le raprofondissement
des fossetz de la maison de Locquignol en la franche forrcst de Mormal ensemble
pour y avoir faict cincq petitz baulvercques et gourtines tout allenthour d'icelle
avecq des parapetes pour éviter aux invasions de plusieurs vacabundes et des
f'ranchois estans à Maubeuge, Bavay et uultres lieux aux environs et depuis de
ceulx tenans la partie dn prince d'Oranges et ce aussy que le pdssaige des
villes du Quesnoy, Avesnes et Landrechies ne fuist serez et que les marchans
puissent seurement despouiller et ameublir les marchandises qu'ils avoient
acheté en la dicte forrest, le tout faict par Vadvis de Monseigneur le conte de
Lalaing lieutenant gouverneur capitaine général et grant bailly de Haynnau,
lesquelz ouvraiges ont estez faictz durant le terme d'un an commenchant au
premier d'octobre XV<: soixante dyx sept et finissant le dernier septembre
XVe LXXXVIII, comme s'enssuit :
A Paul du Ghastel, Hubert Prévost et Jacques Floret pour par eulx avoir taillié
dyx mil wazons au pris de xx s. tournois le mil dyx livres tournois, iceulx employez
à faire un baulvercque auprès de la brasserie du dict Locquignol de cincquante sept
(l; C'est le comte de Berlaimont, seigneur de Hercies, Perwez, Bcaurain, etc., qui
donna naissance à la célèbre dénomination de Gueux, laquelle fut d'abord appliquée
aux 400 gentilshommes qui apportèrent leurs réclamations, en 1562, à Marguerite de
Parme, et passa ensuite aux hérétiques des Pays-Bas,
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piods de loing et de quarante pied/ d'espez avecq ung parapetc assis dessus le baul-
vei-cque de cincq pied/, d'espez et de xxn piedz de haultprins au boult du dict parapetc
jusques Teaue. Item à Gilles de Montevillo pour avoir chariez les dicts dyx mil
wazons priiis à Tenviron du dict Locquignol à l'advenant de lx sols parisis le millier,
trente livres tournois ensemble xl liv. t.
Audict de Monteville pour deux benneaux et deux chevaux qu'il
at livret l'espasce de douze joui's chacun pour charier les terres
qu'il al convenu avoir pour remparer derrière les dicts wasons au
pris de xxiui sols tournois chacun beneau par jour xxvui 1. vi s. t.
A luy pour la voiture de deux charées de fassines qu'il at amené
de la forrest de Mormal es lieux moings domaiguables au pris de
XX s. la charrée xl s. t.
A Jehan Gharin , Nicaise Mouche , Philippe Jehineau , Vinchant
Boels, Franchois Goppin, Antoine Dutrieu Pierre Porrette , Loys
Bourgeois, Antoine Pépin, Jehan de Reumont , Gilles Carlier
Grart , Jehan Gillart , Rolland Reumont , Antoine Frémault et
Anthoine Ricquoy en nombre de quinze fessiers pour par eulx avoir
employez quatorze jours chacun à bastir le dict bolvercq et parapetz
au pris de x solz chascun ouvrier par jour cv 1. tourn.
Auxdis Paul Du Ghastel, Hubert Prévost et Jacques Floret, pour
par eulx avoir taillié sys mil wasons employés à bastir , construire
et ériger la gourdine et parapete faict tenant le devant dict Bolverc-
que de vixxxn piedz de loing et ung parapete de cincq piedz d'espés
assis dessus de vingt piedz de haulteure au pris de vingt sols
tournois le millier porte vi 1. xs.
Audevant dict Gilles de Monteville pour avoir fait charier les
dis vi"" de wasons au phs de soixante solz tournois le millier xviii 1. t.
Audict Jehan Gharin , Nicaise Mouche , Philippe Jehineau et
consors en nombre de quinze pour chacun douze journées par eulx
employées à faire la dicte gourdine et parapete à l'advenant de dix
solz tournois chacun par jour iiu^x x liv.
Audict de Monteville pour deux beneaux avecq deux chevaulx
qu'il a livret l'espace de dyx jours chacun , pour charier les terres
qu'il at convenu avoir pour remparer la dicte courtine et parapete
an pris de xxiiii s. t. chacun beneau par jour xxim 1. t.
Aux prénommez du Ghastel , Prévost et Floret pour avoir taillié
syx myl wasons employez à construire , bastir et ériger le baul-
verque au derrière de la maison de censé audict Locquignol en
haulteur de xl piedz et xxx piedz d'espez avecq un parapete de
cincq piedz assis dessus en haulteur de vingt piedz audict pris
de XX s VI 1. 1.
Audict de Monteville pour le chariaige des dis syx milliers de
vsrasons audict pris xvui 1. t.
A luy pour deux beneaux et deux chevaulx qu'il at livret pour
charier les terres qu'il at convenu avoir pour ériger les dicts baul-
vercques et parapete durant l'espace de chacun huict jours au pris
de xxiîii sols tournois chacun beneau par jour à ceste payez xix 1. un s.
Au dict Jehan Gharin , Philippe Jehineau et consors au nombre
de quinze pour chacun huict journées par eulx employées à ériger
ledict Baulvercque à l'advenant de x s. tournois par jour lx 1. 1.
— 198 —
A'idict de Monteville pour avoir charié deux charées de fassines
audict pris de xx s. tournois pour chacune xl s.
A Paul du Ghastel et ses confrères pour syx milliers de wasons
qu'ils ont tallliés pour faire ung rampart au dehors de la maison
dudict Locquignol de cent piedz de loing et en largeur de xl piedz
et ung parapete assis dessus de cincq piedz d'espés, le tout en
haulteur de vingt piedz, a esté payé à l'advenant de xx solz de
chacun millier xi 1. t.
. Audict de Monteville pour le chariaige desdits vi mil de wasons
au pris de lx sols le millier xviii 1. t.
Pour par luy avoir livret deux chevaux et deux beneaux l'espace
de VI jours à xxiiii sols tournois le beneau xiiii 1. vm s.
A Jehan Gharin. Franchois Coppin, Philippe Jehineau et consors
en nombre de quinze pour par eulx avoir employez chacun vingt
jours à faire et construire le dict rampart à l'advenant de x sols
chacun par jour cl liv. t.
A Philippe Jehineau , Franchois Coppin et consors pour avoir
taillié sept mil wasons à l'advenant de xx s. lo millier vu 1. t.
lesquelz ont esté employez à faire ung aultre baulvercque de xlv
piedz de long et en largeure de soixante piedz et ung parapete assis
dessus, celui de cincq piedz d'espez , le tout en haulteur de vingt
piedz. Item au dict de Monteville pour avoir chariez les dits wasons
a lx sols le millier xxi livres, pour deux beneaux et deux chevaux
qu'il a livret l'espace de huict jours chacun pour remplir le dict
baulwercq à l'advenant de xxiiii sols tournois pour chacun beneau
XIX liv. un s. Item pour quatres charées de fassines qu'il at faict
charier pour ériger le dict baulvercq à xx sols chacune charrée
un liv. tournois et ausdicts ouvriers en nombre de quinze pour
chacun seize journées par eulx employez à faire le dict baulvercq
à l'advenant de x s. tournois chacun ouvrier par jour porte cent et
vingt livres tournois onsembles clxxi li. iiii s.
Ausdis Paul du Ghastel, Hubert Prévost et Jacques Floriet, pour
par eulx avoir taillié quatre mil wasons employez à construire et
ériger une courtine allant auprès l'abruvoir des chevaulx jusques
à la porte de derrière, en longheure de soixante dyx piedz à demy
ronde, en largeure de cincq piedz d'espés et douze piedz de hault ,
au pris de xx solz le millier, a esté payé un livres. Item au dict de
Monteville pour avoir charié les dits wasons au mesnie pris des
précédentes xii livi"es tournois ; pour deux beneaux avecq deux
chevaulx qu'il a livré l'espace de quatre jours chacun à xxnii sols le
beneau par jour ix liv. xu solz, et à treize ouvriers pour douze jour-
nées chacun, par eulx employez à faire la dicte courtine au pris de
X solz tournois par jour Lxxvni liv. ensamble cm liv xii s.
Ausdis du Ghastel, Floriet et Prévost pour vra™ de wasons
employez à faire ung ravelin derrière la grange audict Locquignol ,
rencontrant le baulwercq boutant hors jusques au vivier dudict
Locquignol de cent piedz de loncq avecq une parapete assis dessus
de cincq piedz d'espés et de vingt piedz de largeure et en haulteur
de quinze piedz au pris de xx sols le millier vm livres tournois.
- 199 -
Item , nudict de Monteville pour avoir charié les dits viii mil de
wasoiis au pris avant dit xxiiii livres. Item , pour deux bcneaux et
deux chevaux qu'il a livret l'espace de trois jours chacun à l'adve-
nant dexxini sols tournois le beneau par jour vii 1. un s. tournois.
Item , pour deux charées de fassinos audit pris xl sols et aux dits
ouvriers en nombre de dyx pour chacun xv journées employées à
faire ledict ravelin à l'advenant de x sols tournois par jour chacun
ouvrier lxxv livres tournois ensamble cxvi liv. iiii s t.
A Jehan Pecqueur , Philippe Jehineau et Antoine Ricquoy pour
VI mil de wasons audict pris de xx sols porte vi livres tournois,
iceulx employez à faii'e une courtine de clxvi piedz de loing et
xviii piedz de large en haulteur de xvin piedz allant jusques l'estable
des vaches au loing et jusques au rain des pourceaux etungpara-
pete de lxxv piedz de loing et v piedz de large et xviii piedz par
bas d'épesseur de wasons. Item , audict de Monteville pour avoir
charié les dits vi™ wasons au pris accoustumé port xvin livres et
ausdits ouvi'iers en nombre de douze pour chacun unze journées à
l'advenant de x sols par jour employez à ériger et construire la
dicte gourdine et parapete port liiii livres tournois revenant
ensamble la somme de lxxviii 1. t.
A Philippe Jehineau, Paul du Chastel ot Hubert Prévost pour
avoir taillié nœuf mil wasons au pris de xx sols tournois le mil, port
IX liv. tournois. Item , à quatorze ouvriers ayans employez chacun
XXI jours à X sols par jour chacun à bastir et ériger desdits ix""
wasons ung baulvercq au derrière des estables des chevaulx de uni
piedz de loing et xl piedz de large et ung parapete assise dessus le
dict baulvercq tout allenthour de nii^x piedz de long et cincq piedz
de large, et en haulteur de xvin piedz a esté payé cxlvii livres. Item,
à Gilles de Monteville p'our avoir chaiié les dits ix™ wasons à lx s.
du millier port xxvii livres et pour avoir livret deux chevaulx et
deux beneaux le terme de dyx jours chacun au pris de vingt-quatre
solz tournois le beneau par jour port vingt-quatre livres tournois
ensamble ii® vu 1. t
A Nicaise Mouche , Anthoine Ricquoy , Jehan Garin et leurs
compaignons ouvriers en nombre de quatorze pour chacun douze
jours par eulx employez d'avoir fosset et ruet la teire sur le ram-
part estant en bas au long d'icelluy depuis le grant baulvercq
derrière l'estable des chevaulx jusques et du loing la grande porte
et pond leurs portant vi^^x xii piedz de loing dyx piedz de profond
et vingt piedz de large, meisme d'avoir brutez les terres et ramparez
d'icelles le dict baulvercq au pris de x s. tourn. par jour port
iiiixx ini livres tourn. Item , à Paul du Chastel , Hubert Prévost et
Jacques Floret pour avoir taillié ix"" wasons au piis de xx s. tourn.
chacun millier ix liv. lesquelz ont esté employez à rechaucher les
parapetes et partie dudit grant baulvercq et aultres courtines et
Gilles de Monteville pour avoir charié les dits wasons à lx sols
tournois du milier xxvii livres tournois ensamble cxx liv. tourn
A Antoine Crequoy , Nicaise Mouche , Jehan Garin , Philippe
Jehineau et consors pour avoir nettoyez les vieulx fossez d'enthour
ledict Locquignol, contenant deux cens vingt verges par marchié
— 200 -
faict avecq eulx au pris de x sols tournois la verge leur a esté payé
la somme de ex 1. lourn.
A eulx pour avoir faict ung fosset nouveau de cent piedz de loing,
seize piedz de large et dyx piedz de profund, oii ilz ont employé*
eulx nœuf ouvriers chacun huict jours à x sols tournois par jour ,
icelluy fosset estant depuis la brasserie jusques le petit baulvercq,
icy XXXVI 1. tourn.
A eulx en nombre de treize pour chacun unze jours par eulx
employez au pris que dessus à faire les fossets tout près du baul-
vercq derrière la grange que derrière la maison de Locquignol
contenans deux cens piedz de loing dyx piedz de profund et xx piedz
de large a esté payé lxxiI. xs.tourn.
A Richard de Hestrud, maistre fessier sermenté du pays de
Haynnau, pour dyx huict journées par luy employez à visiter les
ouvraiges et réparacions de fosseries cy devant reprinses et conte-
nuz en certain quoyer pour ce faict , joinct la certification dudict
maistre fosseur en date le xiiii" mars xvc soixante dyx nœuf au pris
de XV solz tournois par jour luy a esté payé la somme de xiu 1. x s. tourn.
Somme toute xvic xxxiii livres xviii sols tournois (1).
Grâce à ces ouvrages, la censé de la Motte put servir de lieu de refuge
à ceux qui fréquentaient la forêt et aux habitants de Locquignol. Ils
furent d'ailleurs, plus d'une fois dans la nécessité d'en profiter, car dit
le P. Delwarde, * après la mort du prince de Parme, les provinces sou-
mises au roy d'Espagne, ne virent plus que des misères, des prises de
villes et de châteaux par les Hollandais à qui tout réussissait (2) ».
D'autre part, les Italiens et les Wallons se mutinèrent et se fortifiè-
rent dans le village de Pont-sur-Sambre, d'où ils firent des excursions
dans les lieux voisins, qu'ils avaient taxés à 900 florins par jour ; « où
ils passent, dit Strada, ils font pire que les ennemys x (3). On parvint,
non sans peine à les apaiser, mais ils restèrent longtemps encore la
terreur du plat pays. Ajoutons qu'à cette époque, Balagni de Montluc,
tout-puissant à Cambrai, butinait l'Artois et le Hainaut avec un ramas-
sis de vagabonds et de mécontents (4), et que Henri IV fit ravager la
(1) Compte huictyesme (dé) Charles de Martigny, conseiller du Roy et receveur
général du Haynnau , du l''' oct. 1578 au 30 septembre 1579, fol" 242 et suiv. Arch.
dép. du Nord. Ch. des Comptes, à Lille,
(2) Hist. gén. du Hainaut, t. VI, p. 602.
3) Guerres de Flandres, t. III, p. 260.
(4) Ces aventuriers avaient été dotés du nom bien caractéristique de « culs tout
nuds », Hommes et choses du Nord de la France, année 1829, p. 207.
— 201 -
contrée depuis la Sambre jusqu'à Anor. Le résultat de toutes ces
guerres fut l'appauvrissement et même l'anéantissement d'une grande
partie des bois du Hainaut. D'Ennetières constate, en effet, que la
forêt de Mormal était alors « fort diminuée et à moitié vuydée », que
la haie d'Avesnes et le grand bois de Ghimai étaient « fort ruynez »,
que « la forest de Brocqueroye était extii'pée pour les trois quartz ,
comme aussi les bois de Leurs Altèzes (Albert et Isabel) aux environs
de Mons, des dames de Saint e-Vauldrud et autres prélats » (1).
Pendant la période française de la Guerre de Trente-ans (1635-1643),
la forêt de Mormal eut à subir les mêmes calamités qu'à l'époque de la
guerre des Gueux. Au début des hostilités, on s'empressa de remettre
en bon état les fortifications du château de la Motte et de le garnir de
palissades, « par la conduite et relivrance d'Adrien Benoist, contre-
roUeur des ouvraiges et fortifications de la ville du Quesnoy et Nicolas
du Ghaleau, maistre masson sermenté de Sa Majesté au pays et comté
de Haynnau » (2). Mais ces ouvrages n'étaient pas assez forts pour
arrêter des assaillants pourvus d'artillerie ; aussi le château de la
Motte fut-il occupé en 1637, par les troupes du Cardinal La Valette,
après la prise de Landrecies et de Maubeuge. Il le fut de nouveau
en 1643, par le duc d'Enghien, qui n'abandonna le pays qu'après
avoir incendié et détruit ceux deSassogne, deBerlaimontetde Potelle.
Plusieurs corps français continuèrent toutefois à occuper la région ;
mais la mésintelligence s'étant mise entre les maréchaux de Rantzau
et de Gassion, l'archiduc Léopold profita de cette circonstance pour
leur reprendre Landrecies, défendu par M. d'Eudicourt, et pour les
chasser du territoire.
Gependant l'Espagne n'avait pas voulu déposer les armes au traité
de Westphalie ; la guerre continua donc entre ce royaume et la
France, et elle fut surtout désastreuse pour la partie de Hainaut, qui
environne la forêt. Celle-ci ayant été successivement occupée , en
1649, par le duc d'Harcourt, et, en 1650, par le maréchal Du Plessis,
(1) Extrait du verbal de la visite du domaine de Haynault, faicte en Van mille
six cens six, par le commis d'Ennetières, etc. Arch. dép. du Nord. Gh. des Comptes,
à Lille. M. 57. Forêt de Mormal.
(2) Compte dix noefviesme d^Ange Boes , receveur-général du Hainaut , du
1" oct. 16-n au 30 sep. 1638, fol" 294. Arch. dép. du Nord. Ch. des Comptes, à LiUe.
La dépense, d'après ce compte , s'éleva à 1339 liv. 15 sols tournois.
— 202 —
le Receveur général , Philippe de Beauraont , constate tristement
dans son compte de 1649-1650, que tous les domaines qui en dépen-
daient, y compris celui de la Clavelle , ont été . dévastés et que
depuis plusieurs années, il n'a pu faire aucune recette, « à cause des
misères, désolation et calamité, que la continuation des dites odieuses
gherres apporte et augmente de jour en jour dans le quartier du dit
Mourmal et villages en despendans : principalement depuis quattre à
cinq ans en ça, la violence a esté si extraordinaire, ajoute-t-il, que le
peuple est réduit à présent, à des extrémités insupportables en ceste
province de Haynault quy, depuis la reprinse de Landrechies at due
soustenir les armées, tant de Sa Majesté que celle des ennemys pres-
que pendant toutes les campagnes, et durant celles de l'année 1650 :
que lors des dits marchans et fermiers pensoient faire proffict de leurs
marchandises et des partyes des fermes ; le contraire at bien paru à
l'augmentation de leurs misères, par le siège de Binch, qui obligeoit
les soldatz et chariots de bagages et de munition de passer parla ditte
forrest, Landrechies, Quesnoy et villages voisins, de façon qu'ils
auraient été contrainct de fuir et de tout habandonner après avoir
perdu la meilleure partye de leurs bestes tant à cornes que chevalines,
sans pouvoir faire aucune commerce toutte Testée, leurs marchandises
estans restée dans la dite forest, sauffcequi a esté emporté par les
chartiers de munition et vivandiers et le bois qui fut du depuis bruslé
par les paysans des villages voisins, s'estans réfugiés dans icelle forest
à cause de la gendarmerie, lors des sièges de La Chapelle et Chastelet,
n'ayans encore moins fait proffict de leurs pastures et terres laboura-
bles, dont les dépouilles et herbages furent lors enlevées et fouragées
par les chevaux de la dite gendarmerie et ce qui a accreu ces disgrâ-
ces a esté la saison pluviale et extraordinaire survenue pendant la
dite année. . . » (1).
Malgré l'appui que leur prêta le princîe de Gondé, passé dans leurs
rangs à la suite des troubles de la Fronde, les Espagnols ne purent
tenir devant Turenne qu'Anne d'Autriche leur opposa. Celui-ci, après
avoir pris Le Quesnoy et détruit le château de Potelle (1654), les
repoussa jusqu'à Mons ; en l'année 1655, il vint camper entre Berlai-
(1) Compte septiesme de Philippe de Beaumont, escuyer, seigneur de Campaif/ne,
etc. , conseiller de Sa Majesté, et receveur-général du pays et Comté de Haynault ,
du 1"' oct. 1649 au 30 sept. 1650. Arch. du dcj». du Nord. Chi. des Comptes, à Lille.
- 203 -
mont et Pont-sur-Satnbre et s'empara successivement de Maubeuge et
de Gondé ; enfin, grâce aux 23 régiments que lui amena François de
Lorraine et qui entrèrent dans la forêt par Obies, pour en sortir entre
Aymeries et Maroilles, il prit Landrecies à la vue du prince de Gondé
qui avait essayé de lui en faire lever le siège. Pendant ces deux années
et les suivantes, la forêt et les domaines qu'elle renfermait, furent
soumis à des calamités de toutes sortes : les fermiers, succombant sous
le poids des réquisitions, désertèrent leurs censés pour la plupart et il
ne se fit d'autres exploitations dans le massif que celles qui étaient
nécessaires à l'entretien des garnisons françaises des villes voisines et
à l'armement des places fortes. Le traité de Pyrénées (1659) vint enfin
mettre un terme à cette situation lamentable.
Cependant la période Ja plus critique que Mormal ait encore traver-
sée, allait seulement s'ouvrir : elle comprend les années qui s'écoulent
entre le commencement de la guerre de dévolution et la fin de celle de
Hollande. La forêt était alors disputée par la France et l'Espagne, et des
commissaires de ces deux puissances s'en attribuaient réciproquement
l'administration. Dans cette situation, le commissaire de guerre Damore-
zan et l'intendant Talon, que Louis XIV avait désignés pour veiller à la
conservation du massif , rivalisèrent avec les officiers du roi d'Espagne,
à qui ferait les exploitations les plus ruineuses. Les garnisons françaises
du Quesnoy et de Landrecies s'y trouvaient d'ailleurs journellement aux
prises avec des détachements espagnols sortis de Mons (1), « aussi ne
s'enlevait-il alors, dit le procureur Delgove, aucun bois de la forêt,
qu'à force d'escortes de gens de guerre, ce qui l'a beaucoup dégradée
par cantons » (2). Le Féron qui, après la paix de Nimègue, procéda à
la reconnaissance du massif, en qualité de Commissaire réformateur,
fait un tableau navrant des dégâts qui avaient été commis. Décrivant
l'état dans lequel se trouvait la garde ou quartier d'Euglefontaine,
« l'on n'y veut marcher, dit-il, sans y voir de toutes parts, une infinité
des plus gros arbres coiippés, aussi bien que dans toutes les autres
gardes, et particulièrement sur les reins delà forêt et aux environs de
la Chaussée Brunehaut et des grands chemins, qui sont ruinés, dégra-
(1) Préambule d'un arrêt du Conseil d'État, du 26 mars 1689. Arch. nat.
(2) Mémoire de Delgove, procureur du Roy auprès de la maîtrise des eaux et forêts
du Quesnoy. Arch. nat. Qi, 835.
— 204 —
dés et plains des places vuides, à cause du pâturage des bestiaux. »
Dans la garde de Fontaine, canton de l'Haynault à part, il constate
que « 400 arpents sont entièrement ruinés et dégradés ny restant par
place que quelques chênes et loyaux ététéset ébranchés, avec quelques
jeunes revenus estant dessous, la plupart abroutis, les quelles coupes,
ajoute-t-il, le dit sergent (Martin Corduant) nous a dit avoir été faites
depuis 1637 jusqu'à présent par les délivrances et couppes qui se sont
faites pour la ditte ville de Laudrecy, qui auroient causé la ruine du
dit canton. » Dans la garde du Sart-Bara, il signale également, qu'on
y a abattu « de touttes parts, par placeaux choisis, une infinité des plus
beaux chênes et faiaux de la ditte garde, qui l'avoient percé et fusté
en plusieurs endroits, tant pour les fortifflcationset chauffage de lad.
ville du Quesnoy que ventes ordinaires par monstres, suivant la cous-
turae de la ditte forest » (1) Tous les autres quartiers présentaient des
traces de semblables dégradations ; elles portaient sur plus de 2380
arpents qui furent immédiatement récépés (2) « pour être remis en
bonne nature de bois » (2).
A la fin de la guerre de la succession d'Espagne, les feux des bivouacs
illuminèrent de nouveau le massif. Le prince Eugène vint y établu'ses
campements et y pratiquer des exploitations, tant en vue des sièges du
Quesnoy et de Landrecies, que pour approvisionner ses troupes en bois
de chauffage. La première de ces places venait de succomber, malgré
la belle défense de M. de la Badie et la seconde était vivement battue en
brèche, quand Villars profitant de la faute qu'avait commise son adver-
saire, en étendant ses forces depuis la Sambre jusqu'à Marchiennes,
où il avait ses magasins, tomba sur son aile droite à Denain et l'écrasa
complètement. A la nouvelle de ce désastre, les soldats devant Lan-
drecies, sous les ordres du prince d'Anhalt, furent saisis d'une terreur
panique et reprirent le chemin de leur pays, en détruisant sur leur
(1) Procès-verbal de Jean Le Féron, escuyer, conseiller du Roy, commissaire
député par Sa Majesté pour la réformation des Eaûes et Forests de France et des
conquestes de Sa Majesté dans les provinces de Flandres. Ach. de l'Inspection des
forêts du Quesnoy.
(2) Arrêt du Conseil d'État du 2 septembre 1779. Mêmes archives.
(3) A la fin du XVF siècle , la seigneurie de Preux appartenait à Gliislain de
Boufflers. Ayant pris partie pour la cause que soutenaient les comtes de Horn et
d'Egmont, il fut proscrit et privé de ses biens. Philippe II vendit la terre de Preux
à Charles de Martigny, Receveur général du Hainaut , moyennant 8000 livres de
- 205 -
passage le château He Preux (3), en incendiant la brasserie du château
de la Motte et en pillant toutes les maisons du domaine de Locquignol.
Sous Louis XV, Mormal jouit d'une tranquillité ([ui fut à peine
troublée, au début de la guerre de la succession d'Autriche, par quelques
détachements des troupes de Marie-Thérèse, que le Maréchal de
Noailles, qui concentrait ses forces a Aymeries, refoula sans peine
(1744). Mais en 1793, commence pour la forêt une nouvelle période de
calamités, dont les traces ne sont pas encore complètement effacées.
Après la défaite de Nerwinden, l'abandon de la Belgique et la défec-
tion de Dumouriez, l'armée française sous les ordres de Dainpierre,
s'était retirée sous les murs de Valenciennes. Le prince de Cobourg à
la tête d'une armée de 100000 hommes, parmi lesquels 25000 Anglais
et Hollandais commandés par le duc d'York et le prince d'Orange ,
l'atteignit, la battit et s'empara de cette place, malgré la belle défense
du général Férant. Les alliés marchèrent ensuite sur Bouchain , où
ils se divisèrent : les Anglais et les Hollandais , pour se porter sur
Dunkerque, et le prince de Cobourg, pour se rabattre sur le Quesnoy
et sur la forêt, dans laquelle le général Hillers s'était retranché d'une
manière formidable. Le camp français était établi à Hecq , près du
Quesne à l'Orière et protégé par deux abatis considérables : le premier
s'étendait depuis la maison forestière d'Herbignies jusqu'à la haie de
Mastaing, et le second, depuis la rue Coulon jusqu'à la tombe de Gar-
gantua où il rejoignait le précédent; de plus des redoutes avaient été
construites à côté de la maison précitée, au Rond-Quesne, à la rue
Coulon et à l'Opéra , sur la chaussée ; d'autres encore, avaient été
élevées le long des abatis. « Cet état des choses, dit un mémoire du
temps (1), laissait tout le monde en sécurité; l'on ne croyait pas que
l'ennemi put facilement surmonter cette barrière qui offrait tant de
moyens de défense. » Mais le général Hillers ne disposait que de
5000 hommes, pour occuper un front aussi étendu ; aussi ne put-il
résister à la première attaque dirigée contre lui. Le 17 août 1793, les
40 gros, monnaie de Flandre, le 2 août 1590, avec justice haute, moyenne et basse.
Ses descendants la possédaient encore à la fin du siècle suivant , oii elle passa au
sieur de Sucre , gentilhomme brabançon. Le château de Preux fut démoli vers le
milieu du siècle dernier.
(1) Mémoire de la commune du Quesnoy, adressé à la Convention nationale après
la capitulation de la place.
- 206 ~
bataillons des Chasseurs des Ardennes et de Rowergue-infanterie qui
occupaient Potelle , furent obligés de se replier sur Le Quesnoy et
ceux qui défendaient les redoutes de la chaussée et des abatis, de se
retirer précipitamment , par Locquignol et Hachette , de l'autre côté
de là Sambre ; enfin le général Hillers , avec le surplus de ses forces ,
dut venir se placer sous le canon de Landrecies , pour ne pas être
pris entre deux feux. En définitive, il n'avait fallu que quelques heures
au prince de Hohenloe qui conduisait l'attaque , pour se rendre maître
de toute la forêt.
Les Autrichiens se hâtèrent de s'y retrancher et le général de Cler-
fayt vint faire le siège du Quesnoy, défendu par Goulus et s'en em-
para le 11 septembre, malgré un retour offensif du général Hillers,
qui, après avoir emporté quelques redoutes occupées par l'ennemi
dans la forêt, dût encore une fois battre en retraite sur Landrecies.
La victoire de Wattignies, gagnée par Jourdan et Carnot (16 octo-
bre 1793), ne suffit pas pour délivrer Mormal de la présence des
Autrichiens. Après avoir rallié les forces du duc d'York, le prince de
Cobourg y éleva de nouveaux retranchements, « comptant faire de
cette position la base inexpugnable de sa marche sur Paris (1) ».
A cet effet, il fit un premier abatis , commençant au Pont-à-vaches
et passant par le carrefour de Roucourt et l'enclave du Magoniau,
pour aboutir au Pont du bois ; puis il en. établit deux autres, l'un dans
le massif de Landrecies, l'autre dans celui de Pierre-Révisoire ; cin-
quante-deux redoutes en défendaient les approches. Pou après, il
bloqua Landrecies, que les Français cherchèrent à dégager ; mais
leurs attaques décousues échouèrent et l'empereur François II, qui
était venu se mettre à la tête de son armée, y entra le 26 avril 1794,
après trois assauts qui lui coûtèrent 6000 hommes.
Les troupes impériales qui, depuis neuf mois occupaient Mormal,
s'y maintinrent encore pendant soixante jours ; elles ne Tévacuèrent
que le 9 messidor, an H, à la suite de la bataille de Fleurus , bientôt
suivie de la reprise de L:indrecies et du Quesnoy par Jacob et Schérer.
Après leur départ, on reconnut que les abatis qu'elles avaient faits,
embrassaient une surface de 767 arpents et que ceux des Français
(1) Mémoire historique des événements qui ont précédé^ accompagné et suivi le
siège de Landrecy, par les tyrans coalisés, p. 5.
- 207 -
occupaient 120 arpents. Mais les dégâts commis dans la forêt ne se
bornaient pas à ces abatis (1). Pour armer les places fortes du Nord,
le service foreslier avait dû raser une partie des cantons de la Queue
d'Oisy, du Vivier Muthiau, du Chêne Cuplet, du Quesneàl'Orière, des
Etoquies, etc. Les Maîtres des forêts qui accompagnaient les troupes
impériales , firent plus : non contents d'exploiter des bois pour
remettre en état de défense les places dont elles s'étaient emparées,
ils abattirent et dirigèrent vers le Pays-Bas les plus beaux chênes
des Réserves et des cantons voisins d'Obies et de Mecquignies ; ils
procédèrent même au martelage des deux coupes, avec l'espoir de
les vendre aux marchands de bois du pays ; mais personne parmi ces
derniers ne se présenta pour les acheter. Ajoutons, pour compléter le
tableau des misères que la forêt eut alors à subir, que les feux des
bivouacs qui furent allumés sur une foule de points, produisirent le
dépérissement ou la mort d'un grand nombre d'arbres sur pied (2), et
qu'avant de se retirer, l'arrière-gardo des ennemis incendia les maisons
forestières de Fontaine, de Landrecies, des Etoquies, du Fort Misère
et du Pont d'Hachette et détruisit les arbres fruitiers croissant sur les
terrains cultivés par les gardes.
Pendant la campagne de France, les alliés ne firent que traverser
la forêt qui n'eut à soulfrir que des habitants du pays. Après les Cent
jours, ils y parurent de nouveau ; le prince Auguste de Prusse vhit
camper aux Etoquies, d'où il bombarda Landrecies qui capitula le 23
juillet 1815 ; les Anglais bivouaquèrent deux jours au B rai-Pierrette,
où ils se signalèrent par une énorme consommation de bois ; puis
vinrent les Hollandais et les Russes. Tous les bois exploités; par les
adjudicataires des coupes furent mis en réquisition ; mais plus heureux
que les habitants de Locquignol et des villages voisins à qui on prît
les bestiaux, les chevaux avec les attelages, ces adjudicataires furent
dans la suite dédommagés de leurs pertes par l'Etat.
(1) Les deux abatis traversant la forêt de part en part avaient de 80 à 100 mètres
de largeur ; ceux exécutés dans les massifs de Pierre Révisoire et de Landrecies ,
s'étendaient en profondeur sur 300 à 400 mètres de chaque côté de la route de
Landrecies, et ailleurs sur 100 à 250 mètres.
(2) Le procédé employé par les détachements ennemis disséminés dans la forêt
pour résister au froid de l'hiver de 1793-1794, mérite d'être signalé : ils disposaient
des amas de bois sur le pourtour d'un cercle de 20 à 25 mètres de rayon , au milieu
duquel ils se plaçaient ; puis ils y mettaient le feu. De cette façon , ils recevaient de
tous les côtés à la fois les bienfaits de la chaleur.
— 208 -
La guerre de 1870-1871 devait amener encore une fois les ennemis à
Mormal. Quelques jours avant le bombardement de Landrecies, par un
corps de l'armée du générai de Gœben, un escadron de uhlands
poussa une reconnaissance jusqu'à Hecq et se présenta devant la forêt.
Les gardes, qui auraient pu leur en interdire l'entrée, avaient été mal-
heureusement dirigés sur Paris, avec leur chef, à la nouvelle de nos
premiers désastres. Mais il s'était formé dans la région, pour défendre
le massif, une compagnie franche, sur laquelle on avait fondé de
grandes espérances : elle ne les réalisa pas. Mal composée, mal com-
mandée , elle ne fit rien pour s'opposer à la marche des cavaliers
prussiens , qui purent battre la forêt et traverser Locquignol et
Hachette sans subir aucune perte. L'ennemi, d'ailleurs, ne s'était pro-
posé que d'enlever Landrecies par surprise ; ce plan n'ayant pas réussi,
il ise retira dans ses cantonnements (1), et la forêt ne se ressentit de l'in-
vasion qu'à cause des coupes extraordinaires qu'on y fit, en vue du
paiement de la rançon qui nous fut imposée par le traité de Francfort.
Nous ne terminerons pas l'historique des événements qui se sont
passés dans Mormal, sans indiquer qu'indépendamment de squelettes, on
y a rencontré çà et là divers objets se rapportant à ces événements : ce
sont des armes, des projectiles, des monnaies de diverses époques (2),
etc. Malheureusement, ces objets ont été détruits par ceux qui les
avaient trouvés et il y a lieu de déplorer tout particulièrement la
perte d'écussons en métal , aux armes de Thomas de Savoie , époux
de la comtesse Jeanne, découverts en 1826, non loin de l'Ermitage [S).
Il est inutile , du reste , d'y rechercher les traces du camp que Fran-
çois 1" aurait établi à Mormal, dans une de ses expéditions en Hainaut ;
les retranchements qu'on lui a attribués, ne sont autre chose que
les fossés d'enceinte d'une pépinière de 22 hectares, créée en 1806 au
canton du Fort-Mizère, en vue de cicatriser les plaies causées au
massif par l'invasion de 1793-1794. Mais on peut voir encore, aux
cantons du Croisil et du Magoniau, deux des nombreuses redoutes qui
ont été construites alors ; quant aux autres, elles ont été rasées en
(1) A. Deloffre, FILS. Relation du bombardement de la ville de Landrecies, p. 18.
(2) Nous ne possédons dans notre collection, qu'une seule de ces monnaies ; elle
est à l'effigie du cardinal de Bourbon, reconnu roi de France par les Ligueurs, sous le
nom de Charles X.
(3) M""' Clément Hemery. Exc. dans l'arrond. d'Avesnes, p. 263.
J^JifsmaifX de/
- 209 -
l'an XIII, par ordre du ministre de la guerre (3). Disons enfin, que la
consistance de certains peuplements témoigne enc(>re des ravages
commis pendant la première révolution, et que les futaies régulières
et d'âge moyen qu'on remarque aux cantons du Quesne-au-Leu, du
Bon-Wez, du Bi-ai-Robot, du Chêne Cuplet, du Quesne-à-l'Orière,
du Mont-Carmel, de l'Abatis, des Etoquies, etc., occupent l'empla-
cement de vieilles futaies qui ont été exploitées à cette époque agitée.
[A suivre.)
(1) Lettres du 26 vendémiaire et du 4 prairial, an XIII. Arch. de l'insp. des forêts
du Quesnoy.
15
— 210 —
LA MER POLAIRE
Par M. J. PÉROGHE,
Directeur général des contributions indirectes, Membre de la Société.
L'opinion a quelquefois été émise qu'une mer libre doit exister au
pôle. De hardis explorateurs ont même cru Fentrevoii'. Le fait n'aurait
rien d'inexplicable. Peut-être même faudrait-il s'étonner qu'il n'en fût
pas ainsi.
Assurément, ce n'est pas dans la saison d'hiver que la mer polaire, si
le pôle a une mer, serait débarrassé de ses glaces. Les froids, à cette
épt)que de l'année, ne peuvent être là que plus rigoureux qu'ailleurs. La
longue nuit qui y règne n'en donne que trop la certitude. Mais la saison
d'été y a naturellement une toute autre influence. Dès l'équinoxe du
printemps, le soleil, absent depuis six mois, y fait sa réapparition, et
il y revient alors, pour ne plus dispai^aître, jusqu'à l'équinoxe de
l'automne. Sans doute, tout d'abord il ne fait que se montrer à l'hori-
zon, dont il suit le contour sans s'en détacher; mais peu à peu il
monte, et, lors du solstice, il atteint jusqu'à la hauteur angulaire de
23° 28'. On sait que nos soleils de la fin de janvier, qui, au méridien,
après être descendus plus bas, sont revenus à une élévation à peu près
égale, sont loin d'être inactifs, lorsque les nuages ou les brunes ne les
obscurcissent pas. Dans le milieu du jour, ils peuvent liquéfier, quelque-
fois même assez abondamment, les neiges et les glaces exposées à leurs
rayons. Combien plus de puissance ne doit pas avoir le soleil de l'été,
au pôle, avec sa permanence que rien n'interrompt ! Il est vrai que nos
soleils de janvier exercent leur action dans des conditions de milieu qui
sont loin d'être celles dans lesquelles agit, au pôle, le soleil de Tété.
Mais ce n'est que pendant peu de temps, chaque jour, qu'ils acquièrent
la plénitude de leur force, et, durant près de 15 heures sur 24, ils
délaissent complètement notre ciel. Le soleil de l'été, au pôle, est non
seulement toujours présent, il reste de plus, pendant près de six semai-
nes, en quelque sorte à son maximum de hauteur. Dans l'ensemble, la
somme de calories qu'il y verse en juin et en juillet est donc bien supé-
rieure à celle que nos latitudes reçoivent, je ne dirai pas en janvier et
février, mais enfévrier et mars et peut-être même en mars et avril.
I
— 211 —
Si le pôle n'était pas envahi par les immenses congélations que les
hivers y accumulent, l'action solaire ne pourrait s'y marquer, l'été,
que beaucoup plus profondement que cela n'a lieu. Mais les rayons
caloriques de l'astre sont en grande partie absorbés par les froids qui
se dégagent des anioncellomenls de glace, et le réchauffement n'est pas
et ne saurait être, à beaucoup près, ce qu'il deviendrait sans cela.
Souvent aussi ils doivent être interceptés par les amas de vapeurs
condensées dont le soleil lui-même provoque la formation. Il n'y a pas
moins à penser qu'il ne puisse arriver à dissoudre, surtout dans les
années favorables, tout ou partie de la croûte épaisse qui recouvre les
eaux. Rien d'étonnant du reste que, sous des latitudes moins extrêmes,
vers le 80 parallèle par exemple, les mêmes effets ne se produisent pas.
Le soleil s"y élève bien, chaque joiu", dix degrés plus haut qu'au pôle ;
mais, chaque jour aussi, il s'y abaisse dix degrés plus bas, et cet abais-
sement ne saurait que leur faire perdre les avantages reçus dans l'autre
sens. Ces sortes de demi-nuits des régions polaires n'ont certainement
pas l'influence des nuits réelles, c'est-à-dire entièrement privées de
soleil. Elles n'en permettent pas moins au froid des retours quotidiens
que le pôlen'éprouve pas. Il ne faut pas oublier non plus que le 80'' paral-
lèle ne jouit pas, comme le pôle, pendant six mois consécutifs, ou plus
exactement pendant 186 jours, de la présence constante du soleil,
mais seulement pendant 134 jours, soit pendant 52 jours en moins, et
c'est là une autre cause d'infériorité.
L'état supposé de la mer polaire est surtout attribué aux courants
marins venus de l'équateur. 11 est certain que , même à leur entrée
dans la mer glaciale , ces courants conservent encore une portion
notable de leur chaleur. Admettre qu'ils puissent réchauffer les pôles à
ce point, serait toutefois reconnaître un pouvoir qu'ils ne sauraient
posséder. Au-delà d'une certaine limite , leur passage cesse , en effet ,
de se marquer très nettement. Réunis vers le centre où ils convergent,
ils ne sauraient , en tous cas , qu'aider à l'accomplissement de l'autre
action ; mais celle-là n'en resterait pas moins la principale.
Outre les courants océaniques , il y a ceux qui naissent des grands
mouvements de l'atmosphère. Ces derniers aussi pourraient avoir
leur part dans l'adoucissement des températures du pôle , où , comme
les autres, ils doivent tendre à se rencontrer. Leur intervention , on le
comprend, ne saurait être que plus secondaire encore.
On a dit des pôles que la température qui y règne ne saurait être
qu'au minimum. C'est possible, malgré la double influence dont il vient
— 212 -
d'être question, si on la prend dans son ensemble annuel. A ne l'envi-
sager qu'au seul point de vue de l'été , il n'en est sûrement pas ainsi.
Sans doute, les rayons du soleil, au méridien, plus obliques là que sous
n'importe quelle latitude , n'y arrivent qu'en traversant une plus
grande épaisseur de couches atmosphériques ; mais, à l'opposé et pour
chaque lieu au-dessous, l'obliquité devient, à son tour, plus forte et les
couches de l'atmosphère s'interposent là dans une proportion qui est
même beaucoup plus considérable. Le gain , dans un sens , se trouve
donc plus qu'absorbé dans l'autre. 11 l'est d'autant plus que le froid ,
qui résulte de cet abaissement quotidien du soleil, doit reprendre, sous
l'influence du milieu une intensité plus accusée.
Dans ce qui vient d'être dit des variations diurnes de la température
aux abords du pôle, il ne faudrait pas, cela va de soi, tirer cette conclu-
sion que plus on s'éloignerait du pôle, plus les nuits, s'aliongeant, l'été,
devraient être froides. La température de la nuit se ressent forcément
de celle du jour , et là où elle monte beaucoup le jour , le sol et l'air ,
qui s'en sont pénétrés, sont loin de tout perdre, la nuit, par le rayonne-
ment. C'est ce qu'Us en conservent, qui fait des nuits ce qu'elles sont
dans les zones tempérées ou chaudes. Sous le 70^ parallèle , malgré le
voisinage des glaces, l'influence du jouracquiert déjà, l'été, une réelle
prépondérance, et cette prépondérance se prononce d'autant plus
qu'au-dessous , dans certaines régions particulièrement , les vents du
sud et les courants équatoriaux qui ont moins perdu de leur chaleur,
ne peuvent qu'y ajouter davantage.
Y a-t-il à penser que les conditions de température de notre pôle se
retrouveraient exactement au pôle austral? L'inégal développement
des deux calottes de glace qui les entourent suffit pour répondre à
cette question. On sait, en efî"et, que celle du pôle antarctique descend
beaucoup plus bas que l'autre. La situation précessionnelle, plus favo-
rable à notre hémisphère, explique d'ailleurs le fait. A l'époque actuelle,
nos étés sont plus longs de 8 jours que ceux de l'autre partie du
globe , et , comme conséquence , nos hivers sont plus courts de ce
même laps de temps. Il est vrai que si les étés de l'hémisphère du sud
ont une moindre durée que les nôtres, ils se produisent, par contre ,
à une moindre distance du soleil et qu'il s'établit ainsi , à leur égard ,
une sorte de compensation. Seulement , il n'en est pas de même relati-
vement aux hivers qui, plus prolongés dans l'hémisphère austral, y
surviennent en outre alors que le globe occupe la partie de son orbite
la plus éloignée du foyer central. Les congélations de l'hiver y sont
- 213 -
donc plus considérables et l'on comprend que le soleil, l'été, criait
plus difficilement raison. Si les glaces des pôles disparaissent, l'été,
en plus ou moins grande partie , c'est donc bien plutôt du côté du nord
que du côté du sud que le fait doit se produire , et c est bien de ce côté
aussi que les efforts pour le constater doivent tendre de préférence et
se porter.
J'ai déjà eu ailleurs à établir, par des chiffres, ce que doivent être
les températures comparatives des deux hémisphères terrestres.
Quelques-uns de ces chiffres appliqués plus spécialement aux pôles ,
vont nous montrer dans quelle mesure les différences doivent s'y
produire. Le pôle austral reçoit l'été , à durée égale, 0,034 de chaleur
de plus que le pôle boréal ; mais ce dernier reçoit la sienne pendant
une différence de temps qui équivaut à 0,045 en excédent. La balance,
même dans ce cas, reste donc à son avantage. Elle lui devient bien
autrement favorable par rapport à l'hiver. Le pôle austral, l'hiver , ne
reçoit pas seulement 0,034 de chaleur de moins que le nôtre, il les
reçoit de plus pendant une durée qui est de 0,045 plus longue. L'écart
total s'élève ainsi à 0,080. Il devient d'autant plus évident que si des
chances de succès existent pour parvenir aux pôles , c'est bien moins
encore au sud qu'au nord qu'on doit les rencontrer.
Parviendra-t-on jamais jusqu'à l'un ou l'aulrede ces points extrêmes
et sera-t-on ainsi amené à constater ce que l'été y fait véritablement
de la mer qui peut y exister ? Il semble qu'il y aurait d'aulaut moins à
en désespérer qu'on s'en approcherait davantage , par cette raison que
les obstacles, vers la fin de juillet, alors que le soleil de l'été a accompli
son œuvre, devraient plutôt s'amoindrir que s'aggraver au-delà d'une
zone qui pourrait être délimitée par le 85^ parallèle.
J. PÉROCHE.
- 214 -
BÉJA ET SES ENVIRONS
Par M. V. DURAFFOURG, capitaine au 80""= de ligne à Tulle (1).
Membre correspondant de la Société.
I. — BEJA.
Ré$«unic bijiiforiquc.
Les Romains divisaient le Nord de l'Afrique , de l'Ouest à l'Est , en
Mauritanie , Numidie et l'Afrique.
L'Afrique proprement dite (Afrique proconsulaire Ifrikia, correspon-
dait à la Tunisie actuelle et à la Tripolitaine ; c'était un des greniers de
Rome - Ferax Africa) dont le nom est conservé par une partie de la
vallée de la Medjerda, appelée encore Frijia.
Après la ruine de Carihage (145 ans avant J.-C), lorsque les
Romains colonisèrent le Nord de l'Afrique , ils l'abordèrent principa-
lement par les rivages de l'Est , c'est-à-dire par la façade tournée vers
l'Orient, du cap Bon au golfe de Gabès. Ils vinrent ensuite s'installer
sur les terres des anciennes colonies phéniciennes et fondèrent
successivement de grandes cités , dont les ruines numenses nous
frappent d'étonnement. L'amphithéâtre d'El-Djem est, après celui de
Rome , le plus vaste que Ton connaisse.
En 430 , vinrent ensuite les invasions barbares de l'Ouest par les
rivages d'Espagne.
Plus tard , les Bysantins reprirent possession du pays pendant un
(1) Dans cette communication, M. Duraffourg résume les travaux qu'il a accomplis
dans la région de Béja eu 1^83.
— 215 —
siècle environ , c'est-à-dire de 553 h 620, de sorte qu'en résumé, ce
furent les parties orientales du Nord de la Tunisie qui subirent le plus
profondément et conservèrent le mieux l'empreinte de la culture
romaine.
Les populations Berbères , qui depuis des siècles avaient plié sous le
joug des Romains et des Bysantins , toutefois sans pei'dre leur indivi-
dualisme , virent d'abord en eux des libérateurs , leur prêtèrent leur
appui et , fort indifférentes en matière religieuse , comme elles le sont
encore aujourd'hui dans cette contrée, elles acceptèrent facilement
l'Islamisme. Cependant , les Berbères s'aperçurent bientôt que la
tyrannie religieuse musulmane était aussi lourde que la tyrannie des
exarques Bysantins ; elles s'allièrent de nouveau à ceux-ci et repous-
sèrent les Arabes.
En 688 , de nouvelles bandes Arabes armées , accoururent de
l'Orient , balayèrent les Berbères , les refoulèrent dans les montagnes
et traversèrent rapidement le Nord de l'Afrique. Vingt ans après,
en 711, elles étaient passées en Espagne, avaient écrasé les Visigoths
à la bataille du Guadolite et planté l'étendard du Coran sur la terre
Européenne.
Ces Arabes . qui laissèrent de si magnifiques traces de leur indus-
trie , de leur science agricole et même de leur génie littéraire et
artistique, qu'avaient-ils de commun avec les tribus errantes de nos
jours ?
Celles-ci nous présentent l'image exacte des sociétés pastorales des
temps bibliques , elles sont depuis l'origine de l'histoire , immobihsées
dans une existence appropriée au pays qu'elles parcourent ; elles ne
pourraient la modifier , et n'ont jamais su planter un arbre , comme on
le verra plus tard , ni tailler une pierre , aussi leurs villes ne sont que
des agglomérations de ruines qu'elles ne songent même pas à réparer.
Entre leurs mains , qu'est devenue Kairouan , la plus grande métro-
pole religieuse et littéraire ? Qu'est devenue Béja qui , au XV siècle ,
passait pour l'une des plus commerçantes de toute la Tunisie. C'est ce
qu'on verra plus tard.
Cette race s'est donc éteinte après avoir traversé l'Occident comme
un météore brillant , ou bien le souffle stérilisant de l'Islamisme en
a-t-il desséché la sève ? C'étaient des Orientaux que l'idée religieuse
avait momentanément galvanisés et qui , portés par un prodigieux
élan jusqu'aux limites connues , venaient étonner les Bai'bares autant
par l'élégance de leurs mœurs et la délicatesse de leur esprit , que par
— 216 —
l'enthousiasme de leur foi religieuse ; mais ce n'étaient point des
Arabes , ce n'étaient point du moins les frères de sang des tribus
auxquelles de nos jours on applique ce nom.
L'Arabe actuel est incapable de créer, de prévoir, il n'a jamais été
qu'un destructeur. Son royaume n'est pas de ce monde. En fait, il ne
connaît et ne désire rien en dehors de la vie traditionnelle de la tente
et du soin des troupeaux , se contentant, lorsqu'une région est épuisée,
de lever leurs campements et de porter la dévastation plus loin ; de
sorte que le pays est épuisé , ruiné et que la production n'est même
plus suffisante pour leur nourriture , tandis qu'autrefois la même terre
nourrissait une population décuple.
Béjà est la même ville qui , dans quelques éditions de Salluste , est
mentionnée sous le nom de Vacca; d'autres éditions, en efifet, portent
Vaga, dénomination conforme à l'une des inscriptions ci-après.
C'était, à l'époque de Jugurtha , une cité riche et commerçante , que
visitaient et même habitaient beaucoup de marchands Italiens , car
voici comment s'exprime Salluste :
« Erat , hanc abeo itinere qua Metellus pergebat, oppidum Numida-
» rum , nomine Vacca (Vil Vaga) forum rerum venalium totius regni
» maximum celebratum , ubi et incolare et meriari consueverant italii
» generis multi mortales. »
Cette ville se soumit d'abord volontairement aux Romains ; mais
ensuite , ayant, à l'instigation de Jugurtha , massacrée par surprise ,
pendant une fête publique , la garnison qu'elle avait reçue dans ses ■
murs , Metellus lui fit expier cruellement cette défection et la livra en
proie à ses soldats.
Plutarque , dans la vie de Marius, nous transmet à ce sujet les
mêmes détails que l'historien latin. Il est à remarquer qu'il écrit le
nom de Baya, dénomination à peu près identique, sauf une légère
différence de prononciation , à celle que la ville porte encore aujour-
d'hui. On n'ignore pas que dans la langue grec le B était ordinaire-
ment prononcé comme fe V des Latins.
Pline la cite sous le nom d'Oppidwn Vagence. A l'époque chré-
tienne, elle était la i-ésidence d'un évêque, sous Justinien, comme nous
le savons par Procope , qui écrit Biya à l'exemple de Plutarque , ce
qui ne doit pas nous étonner, puisqu'il écrivait également en grec. Les
murs d'enceinte qui entouraient jadis cette place , furent relevés , et
elle fut elle-même appelée Theodirias , en l'honneur de l'Impératrice.
- 217 -
C'est donc à cet Empereur , très probablement , qu'il faut attribuer
l'enceinte actuelle , enceinte qui , par la nature et quelquefois par
Tagencemeut irrégulier do ses blocs, accuse, comme je l'ai dit, une
reconstruction du Bas-Einpire , exécutée à la hâte avec des matériaux
plus anciens.
A l'époque d'El-Bekri, c'est-à-dire dans la dernière partie du onzième
siècle de notre ère , Béja jouissait encore d'une grande prospérité.
« Baja , dit cet écrivain arabe , renferme cinq bains , dont l'eau
provient des sources dont nous parlerons plus tard ; elle possède aussi
un grand nombre de caravansérails , et trois places ouvertes où se
tient le marché des comestibles. Les environs de Béja sont couverts de
magnifiques jardins , arrosés par des eaux courantes. Le sol est moins
friable et convient à toutes les espèces de grains. On voit rarement
des fèves et des pois chiches qui soient comparables à ceux de Baja ,
ville qui , au reste , est surnommée le grenier de l'Ifrikia. En effet , le
territoii^e est si fertile , les céréales sont si belles et les récoltes si
abondantes , que toutes les denrées y sont à très bon m.arché , et cela
lorsque les autres pays se trouvent , soit dans la disette , soit dans
l'abondance. Quand le prix des céréales baisse à Kairouan, le froment
a si peu de valeur à Baja, que l'on peut acheter la charge d'un chameau
pour deux dirhems (environ un franc). Tous les jours , il arrive plus de
mille chameaux et d'autres bêtes de somme destinés à transporter
ailleurs des approvisionnements de grains ; mais cela n'a aucune
influence sur le prix des vivres tant ils sont abondants. »
Aujourd'hui, Béja est bien déchue d'une pareille richesse. La popu-
lation dépasse à peine mille à quinze cents habitants. Néanmoins , ses
envu'onsisont si fertiles, principalement en céréales, qu'elle est toujours
demeurée l'un des plus importants marchés , pour le commerce des
grains, de toute la contrée , que les Arabes désignent par l'expression
générique de Frikia ou IFRIKIA, c'est-à-dire Afrique proprement
dite , expression dans laquelle ils comprennent la plus grande partie
du Nord de la Tunisie , et notamment tout le bassin de la Medjerda.
(Remarquons , en passant , que cette dénomination est un souvenir de
\d,provincia Africa des Romains.)
En 1883 , la disette se faisait sentir dans le Sud de la Tunisie d'une
manière à peu près générale, fort heureusement pour les habitants du
Sud , qu'il n'en était pas ainsi dans le Nord. Pour parer à l'insuffisance
de la récolte, les Ai-abes du Sud vinrent avec des milliers de chameaux
— 218 —
chercher du blé à Béjà-ville et se répandirent ensuite dans les envi-
rons, après avoir, pour ainsi dire, épuisé les réserves de grains qui se
trouvaient dans l'intérieur de cette ville.
Description phy^ïicguc de la ^'llle de Itéja.
La ville de Béjà , ancienne Vacca ou Végua , est située à l'Ouest-
Sud de Tunis , à une distance de 95 ou 100 kilom. et au Sud du cap
Serrât. La distance qui sépare Béja-ville de Béja-gare est de 12 kilom.
environ. La ville est bâtie en amphithéâtre sur la penchant d'une haute
colline. Un mur d'enceinte l'environne de toute part ; celui-ci est flan-
qué de distance en distance de tours carrées. Une casbah assez mal
entretenue occupe le point culmitiant du pentagone ii^régulier qu'elle
l'orme. Dans l'intérieur de la casbah , se trouve la fontaine Aïn-Bou-
taha , dont l'eau est de très bonne qualité , elle est bien meilleure que
celle de la fontaine principale qui se trouve dans l'intérieur de la ville
et que les habitants désignent sous le nom à'Aïn-BaJa. On descend à
celle-ci par un escalier de plusieurs marches qui conduit à une grande
cour, dont les murs latéraux sont construits en pierre de taille.
A l'extrémité de cette cour, l'eau sort d'un canal antique , aujourd'hui
très mal entretenu.
L'ensemble de la ville , sauf quelques parties , date très probable-
ment d'une époque antérieure à l'invasion Arabe. Sans être antique ,
à proprement parler , elle est bâtie avec des anciens matériaux qui ,
sans aucun doute , proviennent d'une création plus ancienne , et offre
tous les caractères d'une reconstruction bysantine accomplie à la hâte
avec des éléments divers. On remarque sur plusieurs points une double
enceinte , les matériaux employés diSerent complètement , ce qui
semblerait indiquer ou démontrer que cette ville a été construite sous
divers régimes et à diff'érentes époques.
La mosquée principale, consacrée à Sidna-Aïssa, qui se trouve
dans l'intérieur de la ville , passe pour la plus ancienne de la Tunisie.
Au dire du Cadi et du Kalife , Sidi-Mohamed-Ben-Jousseph , que j'ai
questionné à ce sujet , elle aurait été primitivement une église chré-
tienne. Suivant eux, ce sanctuaire aurait même été honoré de la
présence de Sidna-Aïssa (N. S. Jésusj , que les musulmans vénèrent,
sinon comme le fils de Dieu , du moins comme le plus saint et le plus
auguste de ses envoyés.
- 219 —
Depuis fort longtemps , je cherchais l'occasion de visiter l'intérieur
de l'ancienne basilique chrétienne , transformée en mosquée par les
Arabes. La chose était fort difficile ; n'étant pas musulman , il m'était
défendu de pénétrer dans la mosquée. Au dire de l'interprète qui était
avec moi ce jour-là (et qui lui-même était musulman) le Cadi ou le
Kalife seuls avaient qualité pour m'accorder cette faveur ; il fallait en
passer par là , je ne voulais pas m'adresser au Cadi une deuxième fois,
puisqu'il m'avait répondu qu'il ne voulait pas me l'accorder, que c'était
défendu. Je fus obligé de m'adresser au Kalife que je connaissais beau-
coup , et avec lequel j'étais très lié, pour le prier de vouloir bien nous
accompagner et me permettre de visiter la grande mosquée intérieure-
ment et extérieurement. Je dois dire que j'insistai beaucoup auprès du
Kalife pour l'obtenir , il me répondait , à différentes reprises , qu'il
n'accordait jamais cette faveur aux (Roumis-Européens) français ; mais
puisque tu es mon ami , je vais t'accompagner.
Après les salamaleks d'usage, j'entrais dans la mosquée ; après avoir
examiné sérieusement l'intérieur, je lui demande de me montrer les
inscriptions Romaines qui s'y trouvaient , il me répondit qu'il serait
fort difficile de les voir , qu'elles étaient cachées ou recouvertes de
chaux. Après avoir sérieusement insisté, il me conduisit à l'extérieur
de la mosquée et , muni d'une échelle et de plusieurs morceaux de fer
destinés à faire disparaître la chaux qui recouvrait la plupart des carac-
tères qui se trouvaient gravés sur une pierre assez large, je pus lire
dans deux endroits diff'érents les inscriptions suivantes :
1° MANIGI-SARMA
TRB. POTEST. XVI
ANl. PARH- DIVI-NE
SEPTIMIA. VAG. AN.
2° NN. VALE
I DECMIVS HILARIANVS HIL. VS. VC. PRO
ETIONVMBAILICAM CVIVSS
DES I DERABAT. ORN AFViNDA
. GAQ. RFVIiNO.... ISSIMO- LEGATO' SVO.
D'ailleurs , il était très difficile de copier exactement la foi-me des.
— 220 —
lettres, le temps me faisait défaut. J'ai mesuré les caractères , ils ont
environ 8 ou 8,5 en moyenne de hauteur.
A la dernière ligne de la première inscription de ce fragment épigra-
fique, on peut lire les mots Septimia Vag , nom antique de la ville de
Béja ; ce nom, à l'époque oii fut gravée cette inscription , était colonia
septimia Vaga. Dès que je fus possesseur de ces inscriptions, je m'em-
pressai de remercier le Kalife et de diriger mes pas dans la direction
de la demeure de M. Jeancolas , Agent consulaire Français , malheu-
reusement il était absent ce jour-là , je fus obligé de faire demi-tour et
de continuer mes recherches dans l'intérieur de la ville, en parcourant
toutes les rues sans pouvoir rien découvrir. Arrivé dans le faubourg
appelé Rebat-Aïn ceh-chems (faubourg de la Source du Soleil), à cause
d'une fontaine connue sous cette désignation , je fus obligé d'ajourner
mes recherches et je rentrai au camp.
Pour pénétrer dans l'intérieur de Béja par l'une des quatre portes
principales dont ses murailles sont percées , on se perd au milieu d'un
labyrinthe de rues et de ruelles irrégulièrement tracées. Deux quar-
tiers sont presque en ruines et à peine peuplés , ce qui fait que cette
ville renferme moitié moins d'habitants qu'on le suppose à pre-
mière vue.
La population totale est de 1,565 à 1,600 individus ainsi répartis :
Arabes de 1200 à 1300
Juifs de 80 à 100
Maltais de 80 à 90
Italiens de 60 à 70
Français de 45 y compris les agents
du télégraphe et autres. Le télégraphe récemment établi par les Fran-
çais nous rend de très grands services, puisqu'il nous permet de
communiquer avec Tunis directement en passant par la gare de Béja.
Les fils relient aussi la Régence à l'Algérie.
La porte Sud est l'une des plus fréquentées à cause de la situation
qu'elle occupe par rapport à la route qui conduit à la gare de Béja,
A l'entrée de la porte, figurent MM. Jeancolas, agent consulaire
français , et Pister , adjoint du génie , accompagnés de Sidi-Hassem ,
interprète auxiliaire du bureau des renseignements du cercle de Béja ,
à côté divers personnages arabes.
- 221 —
Camp «le Itéja.
Le camp de Béja , situé à 1,400 mètres environ , au Nord do la ville
de ce nom , est établi sur la naissance d'une croupe dont le sommet se
trouve à TOuest. L'altitude do ce point est de mètres ; il est
dominé au Nord par le Djbel-Meskino. A la côte 460 (voir le croquis
des environs de Béjà), un poste d'observation y avait été placé par
ordre du commandant supérieur du cercle de Béjà ; il avait pour
mission de veiller à la sécurité de la troupe et de survoilier les abords
du camp. Une petite baraque en planches servait d'abri aux hommes
de garde. La position avait été fort bien choisie. De ce point , la senti-
nelle pouvait très facilement observer : Béja au Sud ; la plaine et une
bonne partie de la vallée à l'Est ; le chemin de Mohamed-ben-Ali au
Nord.
Pendant le séjour du 57" et du 142^ de ligne au camp de Béjà ,
MM. les officiers avaient pris l'initiative (comme le 92" à Zaghouan)
de faire construire pour eux et pour la troupe des baraques en pierre
ou torchis ; ces baraques étaient destinées à remplacer avantageuse-
ment les grandes tentes qui leur servaient d'abri. Plus tard , le génie
prit la direction des travaux commencés, fit construire pour la troupe
des baraques en planches recouvertes en toile , des écuries pour les
chevaux et mulets , une ambulance - hôpital , et , en dernier lieu , un
logement pour le médecin en chef. Ce dernier a été solidement
construit et fort bien aménagé.
Par suite de la rentrée en France des bataillons désignés ci-dessus ,
le 10 octobre 1882 , le 2" bataillon du 92*^ de ligne quittait Zaghouan
pour se rendre à Béja , en passant par Bou-Amida , Gueblat , Medjez-
El-Bab , Oued-Zuergua et Béja.
En 1883 , le cercle des officiers , qui avait été commencé par nos
prédécesseurs , fût achevé par le 92® , sous la direction de M. le capi-
taine Marsan , qui , du reste , s'est fort bien acquitté de cette mission.
Ce corps de bâtiment était divisé en trois parties : 1** Bibliothèque ,
2" Salle de jeux ; 3" Logement pour les employés du cercle , etc.
La bibliothèque était fort bien aménagée et suffisamment pourvue de
plusieurs belles collections de livres scientifiques et militaires. Grâce
au bon concours du Ministre de la Guerre (M. le général BiUot) , cette
- 222 —
installation , bien qu'incomplète, procurait néanmoins à MM. les offi-
ciers les éléments nécessaires , pour pouvoir travailler d'une façon
plus sérieuse et plus assidue. En dehors des heures de travail, ils
pouvaient aussi prendre quelques récréations en commun; c'était, du
reste , bien permis dans un pays aussi désert , et où il n'y avait en
dehors, aucune distraction, si ce n'est la chasse.
Ohjet*; trouvé!^ dauiii l'Iuférleur «les toiiibeaiix par Ick ofB-
ciersii «lu 9^'^ «le ligue . à la suite «les fouilles qui out été
faites au eainp «le Béja (Tunisie).
Tous les vases ou objets dessinés dans ce petit travail , ont été
recueillis dans une nécropole mise à jour dans le camp de Béja.
Chaque tombeau se compose d'une chambre à peu près de forme
carrée , et dans laquelle on ne peut entrer qu'en se baissant. On y
descend en pénétrant par un trou vertical , large de 0.60 cent., et long
de 1 mètre. Le tout est creusé dans le roc à la façon des tombeaux de
l'époque phénicienne. L'ouverture est comblée de grosses pierres
enchevêtrées.
Chaque tombeau est une espèce de caveau de famille et contient
au moins quatre squelettes. Un seul de ces tombeaux contenait des
urnes cinéraires et un sarcophage en pierre.
rVécropole «le Béja.
Le hasard nous fait souvent découvrir les choses les plus cachées ,
le fait suivant va nous le prouver encore une fois de plus.
Le 4 février 1883, le capitaine Vincent , chef des bureaux des rensei-
gnements à Béja , voulait assainir son logement en cherchant à empê-
cher l'humidité de pénétrer par le soubassement. Pour arriver à ce
résultat, il avait résolu de faire enlever la terre qui se trouvait à proxi-
mité de sa maison (lisez baraque). Une dizaine de prisonniers arabes
avaient été employés à ce genre de travail. Après av^oir fait enlever
une couche de terre d'environ 0'"50 cent, environ, la nature du sol, de
friable qu'elle était, devint tout à coup dure comme de la pierre. Pour
vaincre cette résistance, le capitaine Vincent fut obligé d'avoir recours
rs;
(2J
'^-''
(1) Tombeau en piene contenant ces ossements iiun.aïus calcines (.1).
(2) Urne en terre cuite contenant des cendres et débris d'ossements humains
A côté de ces trois objets Irouvc.^ (};in,s !o .uuiiiti lombeau, gisaient d'autres squelette-?
qui n'avaient pas subi l'incinération et qui font croire que ces urnes cor)tenaie;it lov
cendres de certains membres de la famille morts dans un pays oii l'incinéracion ct-hi
pratiquée, et dont les restes avaient été rapportés à Béjà , pour y être déposé? dan-
le tombeau qui servait de caveau de famille
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(j ' Amwaaen/'ronz.i' trouve d/ins un foui beau PlLe/ucJfu (cuny dc'cja
('Z) £pUKfU' ilrsùrctc en bronze . . ^ d" - - < -
(3) Aulr-e epiiKjle i-n breu/.e •' ' '^ ,
(4-) Jalonnai e eu brnize- ^ <' '
PL.lIi
J.uù-cs Vùc-ay i> i'iuw d^'-is /l's '/l'/u/u-a/iji- un atin^ii (ù- Ijc/u
PLU
I 2 ) Urne fnci/nKilo/rt-
I
PL.I
"l- »;e vase conte'^âu U^rb (•a's^ci^'.îii^i ac poiii^îy,
(^) Ce plat a été trouvé cassé, corome l'indique !a figupfi, et les trous qu il p-..r'>,ait.
ui.iiquent; une réparation faite â l'aide de crarapons métalliques , ainsi que cela s«;
pratique encore aujoiu'd'hui (Ij.
' ' Vo..v le« ditférentes planches.
- 223 -
à la pioche, à la pince, etc., etc., et à la suite d'un travail assez labo-
rieux, il eût la bonne chance de découvrir une chambre sépulcrale,
(ou tombeau phénicien), dans laquelle il fit une trouvaille qui consistait
en différents objets, tels que : médailles, bracelets, broches, anneaux,
monnaies, lampes, amphores et lacrymatoires, ce dernier objet ainsi
dénommé parce que les antiquaires supposaient que ces vases avaient
servi à recueillir les larmes des parents ou des pleureuses gagées qui
assistaient aux funérailles. Mais il est constant aujourd'hui que ces
prétendus lacrymatoires étaient simplement destinés à contenir les
baumes et les parfums dont on arrosait les bûchers et les cendres
des morts.
Sur l'une de ces médailles, se trouvait l'effigie d'Astarté, génie des
Carthaginois , assise sur un lion et courant le long d'une source qui
découle d'un rocher. Ces différents objets étaient assez bien conservés.
Cette première découverte devait non seulement encourager le
capitaine Vincent à poursuivre ses recherches , mais encore attirer
l'attention de MM. les officiers du 92" (2*^ bataillon) qui se trouvaient
campés sur cette nécropole. En effet , les officiers de ce bataillon ,
commencèrent par sonder le terrain qui se trouvait à proximité du
bureau des renseignements, et, après une demi-journée de travail , le
capitaine Desblancs retirait d'une chambre sépulcrale, une amphore de
1"',20 de hauteur, et 0,85 centim. de circontérence (à la partie cen-
trale), fermée à sa partie supérieure avec un enduit de plâtre. Plus
tard, M. le lieutenant de Lespin,à la suite des touilles qu'il avait laites,
découvrait divers objets, tels que : lacrymatoires , amphores , lampes ,
monnaies , coupes et un sarcophage d'enfant ayant environ O^^SO cent.
de longueur et 0,50 cent, de largeur.
A l'intérieur et au fond de l'une de ces coupes (en terre cuite), un
corps de femme dessiné en relief , jusqu'au-dessous des seins , tenant
dans la main gauche une tête (voir la planche V). Cette coupe était fort
bien conservée, d'une beauté artistique tout à fait remarquable pour
l'époque. M. le lieutenant Louis , de ce bataillon , est l'heureux
possesseur de cet objet d'art.
Ne voulant pas laisser le soin à mes camarades d'emporter tout ce
qu'ils avaient trouvé, et désireux de posséder quelques-uns de ces
objets comme souvenir de la nécropole de Béjà,j'ai demandé et obtenu
deux lacrymatoires et une amphore que je conserve précieusement.
Quant à l'amphore trouvée par M. le capitaine Desblanc, elle a été
envoyée à M. Cambon, Ministre-Résident à Tunis, pour faire partie du
— 224 —
musée de la ville de Tunis , ce musée est destiné à recevoir les objets
d'art , les statues , les inscriptions , les mosaïques que l'on rencontre à
chaque pas sur le sol de la Régence. Cette collection , d'un prix inesti-
mable au point de vue historique surtout , offrira aux numismates , aux
archéologues , à tous les hommes d'étude enfin , un intérêt de premier
ordre. La Tunisie n'est -elle pas la terre classique des grandes luttes?
Les noms d'Annibal, de Scipion, de Régulus et de Massinissa résument
à eux seuls une des époques les plus retentissantes de l'histoire de
l'antiquité. C'est ce que le gouvernement français et le g(mvernement
bcylical ont parfaitement compris en prenant récemment des mesures
pour préserver de la destruction les objets d'art et les monuments
anciens de la Tunisie.
Bien que les mesures qui viennent d'être prises soient un peu
tardives, elles n'en produiront pas moins un excellent résultat. Elles
auront au moins l'avantage d'empêcher :
1° Aux étrangers de s'emparer de toutes ces antiquités ;
2° Aux habitants des différentes localités de la Régence, de détruire
inutilement ce qui, au point de vue de la science, devrait être conservé
et respecté. Malheureusement , il n'en a pas toujours été ainsi , chacun
a pris ce qui lui pai-aissait bon d'emporter et souvent même détruisait
ce qu'il était obligé d'abandonner, soit volontairement ou involon-
tairement.
Quant aux fouilles qui ont été faites dans la plupart des localités de
la Régence, elles ont été faites d'une façon inconsciente et peu métho-
dique. On aurait dû , dès le début , charger quelqu'un de compétent
pour diriger ces travaux , classer les différents objets recueillis et en
dessiner les contours.
OliftiervatlouM g;éuéralcs coucernaut la disposition
des toiiilieaux Phéuicicns (ou chambres sépulcrales).
D'après l'ensemble des observations faites par l'auteur , il résulte
que tout le terrain sur lequel est établi le camp de Béja actuellement ,
a dû être utilisé anciennement par les Phéniciens ou les Carthaginois
pour la construction d'une quanti lé considérable de chambres sépul-
crales. La nécropole semble offrir la trace des rues et d'alignements
véritables. Tous les tombeaux ont la même orientation , toussent du
- ias -
même modèle. Le caraclère en est fort simple , partout l'art Carthagi-
nois a répété ses lignes noires avec cette monotonie qui est l'un des
traits du génie oriental. Chaque tomheau est orienté de l'Est à l'Ouest ;
il se compose généralement d'une chambre à peu près de forme carrée
et dans laquelle on ne peut entrer qu'en se baissant. On y descend en
pénétrant par un trou vertical, large de O^jôO cent, et long de 1 mètre.
Le tout est creusé dans uji calcaire vif, jouissant de propriétés émi-
nemment sarcophagiques. Il y a des caveaux à deux ou trois niches.
Ce sont des espèces de caveaux de famille. L'intérieur est fort bien
conservé. Les cendres et autres objets qui s'y trouvaient, devaient
être à l'abri des intempéries.
Bardo (ancien palalfii du Bey).
Le Bardo, situé à l'Est du camp, faisait autrefois partie des maisons
de plaisance de Hussein , né en 1778 , mort en 188.5. Actuellement ,
cette résidence est complètement tombée en ruines. Une partie des
matériaux a été employée pour la construction d'un cercle pour MM. les
officiers du 92''
Le Bardo est , sans contredit , le coin de terre le plus charmant , le
plus agréable de toute cette contrée. Il est entouré de frais et délicieux
vergers , où des arbres fruitiers de toute espèce sont cultivés par nos
soldats. De tous côtés, circule une eau vivitiante qui ne tarit jamais et
qui dérive, par de nombreuses rigoles, d'un ruisseau qui prend nais-
sance à la source de Neptune. (Un bassin y avait été construit par les
soins du 57** de ligne.) Ce ruisseau répandant sur son passage la fécon-
dité, l'abondance, arrose notre immense jardin potager (lequel a énor-
mément contribué à améliorer la nourriture de nos soldats et même
des officiers). J'erre avec bonheur et ravissement, dans cet immense
jardin, sous les épais ombrages, que je rencontre partout. De superbes
oliviers , de vieux noyers épars au milieu de bosquets odorants , de
citronniers , d'orangers et de grenadiers, de cognassiers, de superbes
treilles me rappellent la France au sein môme de l'Afrique , en même
temps que les gémissements de la brise qui se joue dans la cîme des
arbres, le gazouillement des oiseaux qui voltigent dans leurs branches
et l'éternel murmure de l'eau qui court et serpente en sens divers sur
le sol qu'elle fertilise , forment autour de moi un suave et mystérieux
16
- 228 —
concert , qui me semble la voix de la iialiu-e elle-même cliantaut sou
Créateur.
Aujourd'hui , je m'aperçois que je suis moins sensible à ces charmes
de la nature. Quand on est jeune, la nature parle beaucoup, mais dans
un âge plus avancé , lorsque la perspective que nous avions devant
nous , passe derrière , que nous sommes détrompés sur une foule
d'illusions , alors la nature devient plus froide.
Pour que cette nature nous intéresse encore , il faut qu'il s'y attache
des souvenirs de Ja société , nous nous suffisons moins à nous-mêmes ;
la solitude absolue nous pèse, nous éprouvons le besoin de ces conver-
sations qui se font le soir à voix basse entre parents ou amis. Aussi ,
combien de fois ai-je reporté mes pensées et mes regards vers la
France ?
IJiic céréiuoiiie dew Aïssaoïia clan» la inoMCiiiée
de ^»i(liia-AÏK«!ta à Béja.
Le 17 décembre 1883, MM. les officiers du 92'' de ligne, le personnel
de l'infirmerie -hôpital, les officiers des bureaux des renseignements
avaient été invités par le Gadi à assister à une représentation des
disciples de Ben-Aïssa, qui devait avoir lieu à- 8 heures du soir, dans la
mosquée de Sidna-Aïssa, dont il a été déjà question au début de cette
notice.
Avant d'entrer dans les détails , il est nécessaire de savoir que les
disciples de ISen-Aïssa, ou les Aïssaoua, forment une secte bizarre, qui
se livre dans les villes et dans les tribus Tunisiennes et Algériennes à
des exercices surprenants, mais aussi profondément écœurants.
Quand on les a vus une fois , on éprouve un certain dégoût pour les
adeptes de Sidi- Aïssa et on se garde bien d'assister encore à leur céré-
monie monstrueuse et charlatanesque. Cependant , l'auteur de ce récit
a eu la curiosité d'assister à cette dernière représentation, à seule nu
de bien s'en rendre compte ; il a vu les Aïssaoua opérer la première
fois à Bône en 1867, et pour la deuxième fois en 1808, et bien, malgré
cela, c'est presque toujours la même mise en scène et les mômes exer-
cices. Le marabout Moliammed-Ben Aïssa est le fondateur de cette
confrérie. Ses adeptes prétendent que le saint marabout Ben-Aïssa
-leur a donné le pouvoir de supporter les plus affreuses tortures corpo-
— 227 — ^
relies, de braver les inorsures de tous les reptiles , d'avaler des clous ,
de manger des caccus recouverts de leurs épines, d'être insensibles aux
tranchants des sabres , au contact du 1er rougi , en un mot , d'être
invulnérable.
Doit-on y ajouter foi? je ne le crois ; car il est impossible qu'il en
soit ainsi. Ces tours sont exécutés avec une certaine adresse, néan-
moins nous avons eu . avons encore en France des prestidigitateurs
qui leur sont bien supérieurs en tout, pour ne citer queRobert-Houdin,
et cependant son renom de sainteté est encore loin d'être établi.
En entrant dans la mosquée où devait avoir lieu la cérémonie, un
arabe se trouvait à la porte et nous dit de quitter notre chaussure,
conformément aux us et coutumes des indigènes, nous fûmes obligés
de nous exécuter. Du reste, ce n'était que le commencement de l'entrée
en scène. En entrant dans la mosquée, un cherik nous attendait à la
porte intérieure, après les salamaleks d'usage, il nous conduisit à l'en-
droit qui nous était réservé. Là se trouvaient des chaises apportées
exprès pour nous , car les Arabes ne s'en servent presque jamais chez
eux ; puis , une fois assis , un cavoidje (cafetier) nous servait le café
maure dans des espèces de tasses à peu près semblables à celles que
nous avons en France. Tout près de nous brûlaient des parfums conte-
nus dans des récipients ayant une forme assez bizarre. C'est une
marque de respect en usage chez les orientaux, lorsqu'ils vous traitent
en maître et qu'ils veulent vous rendre les honneurs. Dès que tous les
préparatifs furent terminés, la séance commença de la façon suivante :
L'orchestre du Caïde débuta par une sérénade ; l'instrument dont les
musiciens se servaient était une espèce de hautbois avec une anche
plate et cerclée d'une rondelle de bois où s'appuyaient les lèvres det^
musiciens ; immobiles, les yeux baissés, ne faisant d'autres mouvements
que ceux indispensables pour le placement des doigts sur les trous ; ils
nous jouèrent une tonalité très élevée, une cantilène qui rappelait
beaucoup la danse des aimées.
La cour dans laquelle la cérémonie allait commencer , était assez
vaste , entourée par des bâtiments à toits plats et crépis à la chaux ;
elle s'éclairait bizarrement par des bougies et des lampes placées à
terre auprès des groupes.
Les femmes de la ville s'étaient rangées sur les terrasses pour jouir
à leur aise de l'horrible spectacle qui allait avoir lieu.
Les Aïssaoua s'étaient groupés au nombre d'une trentaine environ ,
autour du Mokaddem ou officiant , qui commença d'une voix lente et
— 228 —
monotone , à réciter une prière que les adeptes accompagnaient de
grognements sourds. De temps à autre , un faible coup de darhouka
rythmait et coupait ce murmure., qui allait s'enflant peu à peu et se
grossissant comme une vague avec un bruit de tonnerre lointain.
Tout à coup , un cri aigu , prolongé , chevroté , un piaulement de
chouette , un sanglot d'enfant égorgé , un rire de goule dans un cime-
tière partit à travers la nuit comme une fusée stridente. Cette note ,
d'une tonalité surnaturelle , cette note aiguë , frôle et tremblée
poussée comme un soupir de hyène , méchante comme un ricanement
de crocodile , éveilla dans le lointain un redoublement d'applau-
dissements.
Ce miaulement infernal était poussé par les femmes, qui soutiennent
ce cri en frappant leur bouche avec le plat de la main pour faire vibrer
le son. On ne saurait imaginer rien de plus sinistre , rien de plus
affreux. Les grincements des roues des chars à bœufs qui , pendant la
nuit , dans les montagnes de l'Aragon, font fuir les loups d'épouvante ,
ne sont , à côté de cela , que de l'harmonie rossinienne.
Cet épouvantable applaudissement parut exciter les Aïssaoua ; ils
chantèrent d'une voix plus forte et plus accentuée , les joueurs de
darbouka frappent leur peau d'onagre avec une vigueur et une activité
toujours croissantes.
Les têtes des assistants marquaient la mesure par un petit hoche-
ment nerveux , et les femmes scandaient l'interminable litanie des
miracles de Sidi -Mohammed- Ben -Aïssa de glapissements déplus en
plus rapprochés.
La ferveur de la prière augmentait ; les adeptes commençaient à se
décomposer ; ils remuaient la tête comme des poussah , ou la faisaient
rouler d'une épaule à l'autre , la mousse leur venait aux lèvres , leurs
yeux s'irjectaient, leurs prunelles renversées fuyaient sous la paupière,
et ne laissaient voir que la cornée ; tout en continuant leur balance-
ment d'ours en cage , ils criaient : « Allah ! Allah ! Allah ! » avec une
énergie si furibonde , un emportement de dévotion si féroce , d'une
voix si sauvagement rauque , si caverneusement profonde , que l'on
aurait plutôt dit des rugissements de lions affamés, que des articula-
tions de voix humaines. Je ne conçois pas comme leurs poitrines
n'étaient brisées par ces gromellements formidables à rendre jaloux
les fauves habitants de l'Atlas.
Le rythme des tambours devenait de plus en plus impérieux ; les
Aïssaoua s'agitaient avec une frénésie enragée j le balancement de la
~ 229 —
tête, qui n'avait été exécuté d'abord que par quelques-uns , était main-
tenant général , seulement les oscillations prenaient une telle violence,
que l'occiput allait frapper les épaules, et que le front battait la poitrine
en brèche , cela bientôt ne suffit plus. Le balancement avait lieu de la
ceinture en haut, et le corps décrivait un demi-cercle effrayant ; c'étaient
les convulsions de l'épilepsie , de la danse de Saint -Guy, comme au
moyen-âge.
De temps en temps, quelque frère épuisé de fatigue , roulait à terre ,
haletant , couvert de sueur et d'écume , presque sans connaissance ,
mais poursuivi par le tonnerre implacable des darboukas, il tressaillait
et se soulevait par secousses galvaniques comme une grenouille morte
au choc de la pile de Volta. A cette vue, les spectateurs enthousias-
més , secouaient leurs burnous sur les bords des terrasses et faisaient
grincer , avec un bruit plus sec et plus rauque , la crécelle de leur
voix. On remettait le chaviré sur son séant , et il recommençait de
plus belle.
Un Aïssoua , considérable dans la secte , et qu'on semblait regarder
avec une sorte de terreur respectueuse, se tordait dans des crispations
de démoniaque , ses narines tremblaient , ses lèvres étaient bleues ;
les yeux lui sortaient de la tête , les muscles se tendaient sur son cou
maigre comme des cordes de violon sur le chevalet ; des trépidations
nerveuses agitaient son corps du haut en bas ; ses bras se démenaient
comme les ressorts d'une machine détraquée , avec des mouvements
qui ne partaient plus d'un centre connnun, et auxquels la volonté
n'avait pris part ; on le mettait debout en le tenant sous les aisselles ,
mais il se projetait si violemment en avant et en arrière , comme ces
personnages ridicules qui font des saints grotesques dans les panto-
mimes , qu'il entraînait avec lui ses deux assesseurs , et retombait
bientôt à terre en se tortillant connue un serpent coupé , et en rau-
quant le nom d'Allah avec râle si guttural et si strident , quoique bas ,
qu'il dominait le cri des adeptes , les piaulements des femmes , et le
trépignement des convulsionnaires.
Le désordre était au comble , l'exaltation touchait à son paroxysme.
Par la persistance du chant , du tambour et de l'oscillation , les Aïssa-
oua avaient atteint le degré d'organisme nécessaire à la célébration
de leurs rites; le délire, la catalepsie, l'extase magnétique, la con-
gestion cérébrale , tous les désordres nerveux traduits en sanglots ,
en cantorsions , en raideurs tétaniques , convulsaient ces membres
disloqués et ces physionomies qui n'avaient plus rien d'humain.
- 230 -
Tout cela grouillait , fourmillait, trépidait, sautillait , hurlait dans
un pêle-mêle hideux. Les mouvements do l'homme avaient fait place à
des allures bestiales. Les têtes retombaient vers le sol comme des
mufles d'animaux , et une fauve odeur de ménagerie se dégageait de
ces corps en sueur.
Nous frissonnions d'horreur dans notre coin . mais ce que nous
venions de voir n'était que le prologue du drame.
Se traînant sur les genoux ou les coudes , ou se soulevant à demi ,
les Aïssaouas tendaient leurs mains terreuses au Mokaddem, tournaient
vers lui leurs faces hâves , livides , plombées , luisantes de sueur ,
éclatées par des yeux étincelants d'une ardeur fiévreuse et lui deman-
dant à manger avec des pleurnichements et des câliaeries de petits
enfants.
« Si vous avez faim , mangez du poison » , leur répondit le Mokad-
dem , comme le fit Sidi-Mohammed-Ben-Aïssa à ses disciples , qui s'en
trouvèrent si bien, d'après la légende, dont cette cérémonie est
destinée à perpétuer la mémoire.
Ce qui se passa, après que le Mokaddem eût fait signe d'apporter la
nourriture, est si étrange, que je prie mes lecteurs de croire littéra-
lement ce que je vais leur dire. Des serpents de différentes espèces,
furent tirés de petits sacs et dévorés vivants parles Aïssaoua, avec
des marques d'indicible plaisir ; ceux-ci léchaient des pelles ou des
bêches rougies au feu ; ceux-là mâchaient des charbons ardents ;
d'autres puisaient dans des terrines et avalaient des clous , ou mor-
daient des feuilles de cactus dont les épines leur traversaient les joues.
J'ai gardé assez longtemps plusieurs de ces feuilles épaisses et dures
qui portaient l'empreinte des dents de ces étranges gastronomes.
Chacun , en dévorant sa dégoûtante pâture , imitait le cri d'un
animal, qui, le rugissement du lion, qui, le sifflement de la vipère, qui,
le renâclement du chameau , ou poussait des cris inarticulés , spasme
de l'extase, échappements de l'hallucination , appels aux visions incon-
nues , perceptibles pour les croyants seuls.
— m —
II. — LES ENVIRONS DE BEJA.
Aspect js;;éuéi*al. — <^roji;;ra|>liic.
Le pays que nous avons parcouru a pour limites , vers le Nord , les
chemins des Ouchtetas jusqu'à la source de rOued-Beja; celui des
Mogoa jusqu'à Sidi-Mohammed-Ben-Ali . Vers l'Est, la source d'Aïn-
Chaallou. A l'Est-Sud, la station de l'Oued-Zergua. An Sud, la Medjerda.
A rOuest, Souk-El-Tnin (route d'Aïn-Draham) jusqu'à la naissance de
rOued-Kessob.
L'aspect du système montagneux de la région reconnue, ressemble
beaucoup à celui de l'Algérie ; le terrain est généralement déchiqueté
par des ravins formés par des ruisseaux à sec qui, à la première pluie
un peu abondante, se transforment en torrents. On y rencontre de
larges assises de calcaires, de grès, bouleversées, redressées, décou-
pées par de profondes déchirures qui, par la variété et la hardiesse de
leur silhouette , donnent à cette partie un relief tout particulier qui
peut se comparer à celui de la Kabylie. Toutes ces élévations de terre
portent l'empreinte de révolutions violentes. Les assises de grès qui
les composent, de la base au sommet, sont parfois relevées presque
verticalement. D'autres fois, par suite de pressions latérales, ces
masses se sont infléchies et se montrent alors contournées à la manière
de voûtes presque régulières. Ce qui donne à ces accidents de terrain
une forme de dômes arrondis. Ces différentes élévations de terrain se
relient entre elles et s'alignent suivant une dh'ection déterminée par
des chaînes sensiblement parallèles à la côte. Ces chaînes de mon-
tagnes sont séparées par des vallées étroites et profondes au fond
desquelles coule une petite rivière.
L'intérieur du pays est très montueux et des plus accidenté. Les
sommets de deux à trois cents mètres sont très nombreux.
Le pays renferme une assez grande quantité de sources. 11 est aussi
sillonné par des cours d'eau. Les vallées qu'ils arrosent sont séparées
par des plateaux rocheux })eu productifs, quelques-uns sont recouverts
de pâturages pour la nourriture des troupeaux.
Au Nord de la Medjerda s'étend une vaste région montagneuse dont
— 232 -
les points culminants sont : le Djebel-Arar, leDjebel-Guesna, le Djebel-
Tehenot et le Djebel-Smadah et Monchar. Ces massifs montagneux
sont sensiblement parallèles à la ligne du chemin de fer de Bône à
Tunis, enserrant par leurs contreforts des plaines étroites, formées de
petits bassins, ils viennent se jeter pour la partie méridionale dans la
Medjerda qui va à la mer par l'Oued-Zergua, Medjez-el-Bab, Tébourba-
Djedeida et Rhar-el-Melah où elle se jette dans la mer.
Hydrographie.
Le régime des eaux de cette contrée a beaucoup d'analogie avec
celui de l'Algérie.
Dans la région parcourue, il n'y a pas, à proprement parler, de cours
d'eau méritant la dénomination de fleuve, à l'exception de la Medjerda,
dont l'étude ne nous incombe pas entièrement. Nous décrivons tout
d'abord ses affluents de gauche :
1° L'Oued-Béja , qui prend naissance à la chaîne de montagnes du
Djebel-Ed-Dharghougri au Nord de Béja , coule du Nord au Sud , du
Sud à l'Est, puis de l'Est au Sud; il va se jeter dans la Medjerda, tout
près de la gare de Béja. Son bassin est formé paf les pentes Nord, Est
et Ouest des montagnes environnantes.
Il reçoit sur sa gauche une multitude de petits affluents dont le nom
nous est inconnu, ayant toutes les formes de crevasses assez pro-
fondes, aux pentes presque à pic et une longueur qui varie entre cinq et
dix kilomètres. Plusieurs d'entre eux donnent peu d'eau pendant l'été,
et sont, au contraire, très abondants , pendant la saison des pluies.
Le débit de l'Oued-Béja est en moyenne de 30 à iO litres par seconde,
il est presque guéable sur tout son parcours et son fond est tantô.^
sablonneux ou rocheux. Sa longueur est de 25 à 28 kilom. Arrivé au
chemin de Medjez-el-Bab, il s'élargit et coule presque en plaine
jusqu'à la Medjerda où il se jette.
L'Oued-Kessob (rivière des roseaux ; voir le croquis de l'itinéraire
de Béja à Souk-el-Tnin) prend sa naissance par plusieurs têtes de
ravins d'abord, et porte le nom de Oued-Bou-Hail , dans le massif de
Souk-el-Tnin , puis ensuite il est grossi par un affluent de droite , qui
prend sa source près du douar Sidi-Saïd , arrivé à ce point, il prend
le nom d'Oued-Kessob , puis de nouveaux affluents des sources Aïn-
Omeiran grossissent son cours à hauteur du Khanguel-el-Feama.
- 233 -
Affîuents de gauche, — Les affluents de gauche sont au nombre de
trois : 1° le Khanguet , qui prend naissance dans le massif du Khan-
guet et des Ouled-Berhim , et suit une direction Nord -Sud , se jette
dans rOued-Kessob ;
2° Le ruisseau d'El-Fehama , qui coule du Nord au Sud et se jette
dans rOued-Kessob ;
3" Le ruisseau El-Gueriah , qui prend naissance au massif du Khan-
guet, coule du Nord au Sud et se jette dans l'Oued-Kessob , après un
parcours de 10 à 12 kilom. environ. Arrivé à la hauteur d'El-Guériah,
'Oued-Kessob coule du Nord au Sud , traverse le chemin de fer à 12
kilom. environ de Souk-el-Kremis et va se jeter dans la Medjerda.
Son cours est d'environ 38 kilom. Son fond est rocailleux. Les berges
dans la partie supérieure , sont parfois à talus assez raides , et il est
souvent impossible de le traverser à gué à l'entrée du défilé du Khan-
guet. 11 est arrivé plusieurs fois que des convois ou des détachements
venant d' Aïn - Draham , ont été obligés d'attendre pendant plusieurs
jours que les eaux aient diminué, pour pouvoir le traverser. Cette
rivière est très poissonneuse, comme on va le voir.
Pendant les mois de mai et de juin 1883 , la compagnie avait été
chargée de rendre le chemin (lisez sentier) de Béja à Souk-el-Tnin ,
accessible aux voitures. Ce travail était assez difficile dans un pays
aussi accidenté et surtout avec les moyens dont disposait le détache-
ment. Néanmoins, les hommes se livraient assez volontiers à ce genre
d'exercice. En dehors de leurs occupations journalières, quelques-uns
d'entre eux se livraient à la pêche avec succès, ils apportaient au camp
du détachement une quantité assez considérable de poissons (de 20 à
30 kilog.), d'une qualité inférieure, il es vrai , néanmoins , c'était pour
eux une amélioration apportée à leur nourriture journalière habituelle.
C'est aussi un pays très très giboyeux , l'auteur se livrait assez faci-
lement au plaisir de la chasse , il était aussi facile de rapporter des
perdreaux ou colombes que du poisson. Une heure et même une demi-
heure , suffisait pour tuer six ou huit perdreaux , et même sans se
déranger de table, l'auteur a tué deux perdreaux et quatre tourterelles.
Il y a lieu de remarquer que nous nous trouvions campés en plein air,
à proximité de broussailles et de haies de cactus.
Le pays renferme une assez grande quantité de belles sources. Il est
aussi sillonné par. des cours d'eau. Les vallées qu'ils arrosent , sont
séparées par des plateaux recouverts en partie de pâturages pour la
nourriture des troupeaux.
- 234 -
Végétatiou. — Es!>;euceM crarbrci^ . bol» et foret».
Les essences feuillues sont bien moins abondantes dans cette région
que dans la région de Zaghouan. La végétation dépend . en grande
partie., de la nature du sol et de l'abondance de l'eau.
Le long du cours de l'Oued-Kessob, on trouve sur les rives des lau-
riers (roses) en abondance . ils sont si épais dans certains parages
qu'il est impossible d'y circuler à cbeval. Les autres arbustes, tels que
le mélèze, le caroubier , l'olivier sauvage . le thuya , le lentisque , sont
excessivement rares.
Il n'y a, à proprement parler, pas de forêts ni de bois.
Il en est de même le long de l'Oued-Béja , à moins de donner l'une
de ces appellations aux broussailles qui couvrent les flancs des mon-
tagnes. Dans les environs de Béja, il y a quatre bosquets d'oliviers qui
servent pour ainsi dire à indiquer les quatre points cardinaux.
Climat.
Le climat de la région parcourue est généralement insalubre, mais
aussi la température est très mobile ; le thermomètre varie à peu près
de () degrés en hiver à -i- 42 et même 14 degrés à l'ombi-e en été
(journées du 11 et 12 juin. àBéja-camp et au camp de l'Oued -Kessob.)
Les pluies ne sont pas réparties entre les diverses saisons : des
pluies diluviennes, des vents d'une très grande violence régnent pen-
l'hiver et même une partie de l'été. Il est arrivé (en 1882 et 1883^
plusieurs fois , au camp de Béja, que des ouragans terribles, renver-
saient tout sur leur passage. Des toitures entières . recouvrant les
baraques de la troupe ou celles des officiers , ont été enlevées. Pour
remédier à cet état de chose v des mesures de précaution avaient été
prises à ce sujet. Des pierres, d'un certain poids , avaient été placées
sur le faîte et le bas-côté des baraques. Des espèces de câbles en fil de
fer reliaient la toiture au sol , à seule fin d'en augmenter la solidité.
Certaines années, il tombe même de la neige sur les massifs monta-
gneux des environs, voire même à Béja , le 18 avril 1883. Il est vrai
que c'était une année exceptionnelle , au dire des Arabes , car ils
- 235 —
prétendaient que , de mémoire d'homme , ils n'avaient eu de la neige
à Béja.
La transition entre l'hiver et l'été est à peine sensible ; quant, à l'au-
tomne , il s'annonce souvent par des pluies torrentielles qui permettent
aux Arabes de commencer à labourer. Les labours souffrent du relard
dans les pluies , et la croissance de l'herbe dos pâturages est alors
lente. La question des pluies est donc capitale pour la prospérité de ce
pays , la richesse de ses habitants résidant surtout dans la culture et
l'élevage des troupeaux.
!^ource!<t et puit^. — Eau^ putalilcs.
Toute la région qui s'étend au Nord de Béja . possède des eaux bien
meilleures et plus abondantes que la contrée Sud de ce point. Dans la
région Nord, on trouve une quantité de sources d'eau excellente, four-
nissant un rendement suffisant pour approvisionner les habitants et les
caravanes , mais en revanche on y rencontre moins de culture , parce
que l'eau n'est pas utilisée à l'irrigation des terres. Il est vrai de dire
que l'on pourrait aisément améliorer sensiblement, sous tous les
rapports , le rendement des sources, rien qu'en les aménageant et en
les captant.
La partie Sud de Béja , comprise entre l'Oued-Zergua à l'Est , la
Medjerda au Sud et l'Oued-Kessob à l'Ouest, est loin d'être aussi favo-
risée sous le rapport de l'eau potable. 11 est arrivé en 1881, au moment
de l'expédition de Tunisie, que la plupart des troupes qui se trouvaient
de passage ou campées sur la ligne de Bône- Guelma , étaient privées
d'eau potable. Pour remédier à cet inconvénient , l'autorité avait été
obligée de donner des ordres pour faire transporter à Béja et autres
lieux, l'eau nécessaire au ravitaillement de la troupe. L'eau était prise à
Tunis, puis transportée dans des wagons-réservoirs jusqu'à destina-
tion, puis déposée dans une citerne de la gare de Béjà. De là , elle était
distribuée à la troupe, mais pas en quantité suffisante. On éprouvait de
grandes difficultés pour s'en procurer à volonté.
Dans la région du Sud, l'eau contient généralement du sel, exemple :
l'eau de la Medjerda , d'autres rivières ou ruisseaux contiennent de la
magnésie. Cependant , il est à remarquer qu'aucun des puits de cette
région ne contient d'eau amère , que , par suite , tous les puits situés
— 236 —
dans la région Sud , peuvent servir à abreuver le bétail , et que les
cliameaux et même les chevaux boivent volontiers l'eau de ces puits
ainsi que l'eau de la Medjerda.
Voici quelques échantillons d'eaux analysées par M. Moissonier :
Bèja. — Eau du puits du Bardo. Limpide , aéré. Saveur agréable ,
oileur nulle; — l'analyse chimique décèle 11 centigrammes de résidu
par litre , ce qui est une excellente proportion. Ce résidu se compose
surtout de bicarbonate de chaux , dont la présence rend l'eau disges-
tible et agréable. 11 n'y a que des traces de sulfate de cliaux et de
matière organique. C'est là une eau excellente sous tous les rapports.
Souk-Ahras. — Saveur désagréable. — Résidu par litre : 95 centi-
grammes (cette proportion est beaucoup trop forte. Elle ne dépasse pas
30 centigrammes par litre dans les eaux de bonne qualité). — Matières
organiques environ 25 centigrammes par litre. Cette proportion est
considérable. — Cette eau est très mauvaise et doit occasionner des
accidents.
Fernana. — ( Camp Carthaginois ) , odeur désagréable. — Résidu
par litre : 20 centigrammes. — Matières organiques en décomposition ;
quantité très appréciable. La présence de ces matières organiques et
l'odeur désagréable lorsqu'elles sont en putréfaction, rendent cette eau
très suspecte. On constate parmi les hommes du 7" chasseurs et du 83®
qui en font usage, de nombreux cas de dian*hée ; immédiatement , sur
le rapport du médecin du 7^ chasseurs . le commandant supérieur en
interdit l'usage.
S'il n'y avait pas eu moyen de s'en procurer d'autre , on n'aurait pu
l'améliorer que par l'ébullition et le filtrage avec charbon , après
refroidissement.
Population.
La pcqnilalion du territoire que nous avons parcouru . est peu
dense : le pays est en pleine décadence depuis la domination turque,
et la mauvaise administration des derniers beys est une des causes
sérieuses de la dépopulation.
La population est incontestablement bien inférieure à ce que l'on
- 2:s7 —
rapporte des temps passés ; plusieurs causes ont contribué à cette
décadence , et voici les principales : 1" les exactions administratives de
toutes espèces; 2" les maladies épidémiques ; 3" climat malsain. L'émi-
gration qui s'est produite au début de l'expédition en 1881. Les
renseignements fournis au gouvernement beylical par les chefs indi-
gènes sont loin d'être vrais. Il s'en suit donc qu'il est fort difficile de
pouvoir , même approximativement , donner le chiffre de la population,
de l'ensemble des douars faisant partie du cercle de Béja. Du reste , il
n'est pas nécessaire de posséder ce renseignement , qui , à mon avis ,
est sans importance. Il suffira au lecteur de savoir que la population
générale de la Tunisie s'élève à 1,200,000 habitants, d'après les ren-
seignements qui m'ont été fournis par la Résidence , il y a environ
quatre ou cinq mois.
Quant à la population de la ville de Béja , il est beaucoup plus facile
de s'en rendre compte à peu près exactement. Voici la décomposition
par catégorie d'individus et le nombre de chaque nationalité :
Population totale 1 .585
I Arabes 1.300
Juifs 90
Dont.....; Maltais 80
Italiens 70
Français 45
A part la ville ou plutôt le village de Déjà , il n'y a aucune agglo-
mération méritant l'attention. La partie du territoire traversé , ne
comprend guère que deux tribus : les Amdun et les Ouchtetas.
Production du sol.
Le sol produit toutes les espèces de céréales. Les vergers , trop
rares malheureusement , renferment à peu près tous nos arbres frui-
tiers : amandiers, abricotiers, pêchers, poiriers, pommiers, pruniers,
cerisiers, cognassiers, et ceux du pays, tels que grenadiers, jujubiers,
citronniers, orangers, figuiers. Tous ces arbres sont de belle venue ,
principalement les figuiers , ils produisent , selon l'espèce , des figues
blanches ou noires. Enfin , il faut citer les figuiers de Bai^baiùe ou
— 238 —
cactus, que l'on trouve disposés soit en ligne parallèles , soit en haies :
le fruit , liérissè et piquant , fait la nourriture d'un grand nombre de
familles pendant l'été.
Les vergers produisent encore des melons , pastèques , tomates ,
piments , etc. , etc.
Les quelques vergers que nous avons rencontrés , sont placés près
d'eau courante, qui en permet l'irrigation laquelle, à son défaut, se fait
au moyen de norias assez primitifs.
L'olivier n'abonde pas dans cette contrée , pas plus que les autres
essences d'arbres. Il est assez difficile de se procurer du bois de
chauffage, car il n'en existe pas à proximité du camp.
En 1882 et 1883, le fournisseur de la troupe était obligé d'aller
jusqu'à rOued-Zergua chercher du bois de chauffage , de le faire
transporter par le chemin de fer jusqu'à la gare de Béja. De la gare ,
il était ensuite transporté au camp au moyen de voitures à deux roues
ou arabas, conduits par des arabes ou des maltais.
Les essences feuillues font à peu près complètement défaut dans les
environs qui se trouvent à proximité de Béja. Presque partout
en est dépourvu.
Agriculture. — Induiiitrle. — ComiMerce.
Le sol est loin d'avoir la fécondité de l'ancienne Afrique romaine, et
ceci pour plusieurs raisons : 1** les Arabes livrés à eux-mêmes, non seule-
ment ils n'ont fait aucun progrès , mais ils ont perdu les traditions des
procédéis de culture des temps passés. L'administration imprévoyante
des gouvernements qui se sont succédé depuis l'invasion musulmane ,
n'a pas su conserver ou développer des systèmes d'irrigation capables
de donner sur certains ponits une grande fertilité ; — 2" aucun procédé
moderne, actuellement en usage en France et à l'Etranger , n'a été
mis en pratique par les Arabes ou Tunisiens; — Us se contentent de
gratter le sol tant bien que mal, puis ils répandent le grain sur la terre
ainsi labourée, sans se préoccuper du reste. Je n'ai jamais vu un arabe
cultiver la terre avec goût ; quoiqu'il en soit , le sol produit toutes les
céréales.
Les travaux agricoles commencent à l'époque des pluies, vers la mi-
octobre , par le fromejit et les fèves , ils continuent en novembre par
— 239 —
l'orge elles poi.s duchés. La récolte se fait en juin pour l'orge, et fin
juillet pour le ironienl ; on cultive surtout le blé dur. Le grain rend ,
en moyenne, de 8 à il, dans les meilleures récoltes, ou dans les terres
les mieux cultivées.* la moyenne s'élève jusqu'à 14 et même 17.
Les Tunisiens ne battent pas le grain : ils le foulent sous les pieds
des chevaux ou des mulets sur des aires battues et recouvertes de terre
glaise ou de fiente de vache.
La paille en sort brisée et constitue le teben ; elle est entassée sur
Taire même et couverte pour les besoins de l'hiver. Ils vannent le
grain en le jetant en l'air à la pelle, à l'opposé du vent, et ils le con-
servent dans des silos qui leur tiennent lieu de grenier.
La culture des terres et la répartition des récoltes se font de la
manière suivante :
On appelle zouidja , l'espace de terre que peut labourer une paire
de bœufs. Les propriétaires emploient des khammès : ils leur four-
nissent le cheptel et la semence, les khameafont les travaux et gardent
pour leur salaire le cinquième de la récolte. Leur nom de khannnès,
vient du mot « khamsa » qui veut dire cinq.
Industrie.
L'industrie peut être considérée comme nulle à peu près.
Il y a cependant dans l'intérieur de la ville de Béja quelques rares
ateliers et des plus primitifs . où l'on fabrique des epèces de sabots
sculptés. Ils sont en bois d'olivier ou de caroubier ; une espèce de
bride en cuir garnie de laine sert à fixer le pied sur le corps du sabot.
Cette espèce de chaussure assez coquette, est portée par les femmes
des arabes qui ont une certaine fortune. Le prix d'achat est de trois à
cinq francs la paire et connue à Tunis sous le nom de « babouches d'El-
Baja >. Les ouvriers peuvent gagner 1 fr. 50 par jour pour ce travail.
Quant aux femmes , il y en a quelques-unes qui se livrent à la confec-
tion de burnous ou de fiidjs (tentes) pour *les besoins de leur famille.
A part la vente des grains, qui est assez considérable , le commerce
est à peu près nul.
Le bétail est généralement d'une qualité médiocre, le bœuf surtout ;
on emploie celui-ci comme bête de L>bour. En revanche, il y a de forts
beaux uîoutoiis ; ils sont très rencjmmés comme qualité de viande.
_ iAO —
Le mouton appartient à la race à queue large et graisseuse. Le prix
d'achat n'est réellement pas élevé. L'auteur a acheté de superbes
moutons, pesant de 20 à 28 kilog., pour la somme de 6 à 7 francs. Ces
moutons étaient destinés à l'ordinaire de la compagnie.
Les volailles sont de petite venue et assez médiocres, il est vrai que
le prix d'achat est bien moins élevé qu'en France. En 1882 et 1883 ,
pour la somme de 1.50 à 2 francs, on se procurait d'assez bonne volaille
à raison de 0.75 à 1 franc la pièce.
Chemlii de fer. — Voles de couiiuunlcatlon.
Le cercle de Béja est traversé par le chemin de fer de Bône à Tunis,
ayant un développement total de 354 kilom. En partant de Bône à
5 heures du matin, on arrive à Tunis-ville à 8 heures du soir et réci-
proquement. Le trajet s'opère en passant par les principaux points ,
tels que Bône , Duvivier, Souk-Ahras , Ghardimaou, Souk-el-Arba et
Tunis. Prix des places : 1"', 39 fr. 65 ; 2«, 30 fi-. 10 et 3^ 21 fr. 25.
Les voies de communications ne sont pas nombreuses. Avant l'arri-
vée.des Français en Tunisie, il n'en existait aucune dans cette région.
En 1882 et 1883. certaines modifications ont été apportées. Les troupes
ont été employées à la construction des routes du campàBéja-ville. De
Béja-ville à la gare, un tracé avait été fait par les soins du génie, mais
ce travail n'a jamais été achevé depuis. En 1883 , le 92" avait été
chargé de construire un chemin de Béja -camp à Souk-el-Tnin (voir
l'itinéraire).
L'entretien des routes et des chemins est complètement nul dans la
partie du territoire que nous avons eu à parcourir , et nous croyons
qu'il en est de même partout ou à peu près dans toute la Régence ,
excepté dans les environs de Tunis et de Aïn-Draham où des routes
ont été construites par le corps d'occupation.
V. DURAFFOURG.
SOUK- EL TNfN,
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des Environs de BEJA
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ITINERAIRE DE BEJA A SOUK EL -TN/N.
par It Khan^net-el- Fehama..
RR Ruines romaines
"■« Limites.
Echelle âu ^
100,000
EJA
— Mi —
NOUVELLES ET FAITS GEOGRAPHIQUES
I. — Géographie scientifique. — Explorations et découvertes.
EUROPE.
Fraace. — Commission centrale des services géographiques. — Le ministre
de rinstructiou i^ubliquo , sur le vœu émis par le Congrès des Sociétés françaises de
géographie , vient de créer une Commission centrale des services géographiques ,
dans laquelle entreront des représentants de tous les ministères et des principales
Sociétés de géographie.
Enseignement de la géographie scientifique. — Le 20 novembre a eu lieu à la
Sorbonne l'inauguration de la chaire de géographie, physique , récemment créée. Le
titulaire est M. Vélain, maître de conférences de géologie à la Faculté des sciences
de Paris, qui a fait partie de plusieurs missions scientifiques.
Nouvelle Société de Géographie. — Une Société de géographie vient de se
constituer à Toulon, sous la présidence d'honneur de M. l'amiral Krantz , préfet
maritime , et la vice-présidence d'honneur , de M. le Maire de Toulon. Voici la
composition du Bureau :
Président : M. Wendeling, colonel d'infanterie de marine en retraite ;
Secrétaire-général : M. GensoUen, avocat ;
Secrétaire-adjoint : M. Guillebert, avocat ;
Archiviste- trésorier : M. Chabaud, négociant.
liCs ucg;oclatious pour le percement des Pyrénées orien-
tales. — M. Georges de Frézals écrit à ce propos à la Société de géographie
commerciale de Paris :
« L'influence des voies internationales est grande sur le développement des
relations commerciales et sur l'affermissement des liens de solidarité et d'amitié.
Jusqu'à ce jour, nous ne communiquons avec l'Espagne que par deux voies, et
deux voies ferrées , qui bordent l'une l'Océan, l'autre la Méditerranée. Elles sont
placées aux deux extrémités de la grande muraille des Pyrénées ; mais cette muraille
n'est pas encore percée.
Dès 1864, dans des conférences techniques internationales, MM. Eusebio Page,
ingénieur espagnol, et Decomble, ingénieur français, reconnaissaient mutuellement
l'utilité de chemins de fer destinés à unir, le plus et le mieux possible : d'une part,
Paris et le Midi de la France à Madrid et au Nord de l'Espagne , et d'autre part,
17
— 242 —
Paris et la France à Oran et à l'Algérie. Dès 1865, le ministre des Travaux publics
de France instituait un service d'étude de toutes les grandes vallées pyrénéennes
qui aboutissent k la frontière espagnole. Une quinzaine de tracés ont été proposés
parmi lesquels je ne citerai que celui des Aldudes, de Bayonne à Pampelune, trop à
rOuest pour avoir pu être pris en sérieuse considération.
Depuis 1871 , dans nos départements du Midi, les populations , la presse , des
Sociétés, des municipalités, des Chambres de commerce , des Conseils généraux —
celui de la Haute- Garonne , notamment — et le Congrès national des Sociétés fran-
çaises de géographie, tenu à Bordeaux, en 1882, s'en sont préoccupés. Des rivalités
locales s'élevaient, violentes des deux côtés des monts.
Pour y mettre fin , les deux gouvernements ont nommé en 1884, une Commission
internationale dont les membres étaieiit :
Pour V Espagne :
MM. Julio de Arellano, premier secrétaire d'ambasade ;
Juan de Velasco y Fernandez de la Cuesta ;
Le général marquis de Villa Antonia;
José Alvarez y Nunez, inspecteur général des ponts et chaussées;
Pour la France :
MM. de Montholon, conseiller d'ambassade;
Le général Paucellier ;
Croizette-Dunoyer , inspecteur général des ponts et chaussées.
C'est ce dernier qui a été élu président de la Commission.
Cinq tracés ont été étudiés :
A l'Est : un tracé passant par les vallées du Salât et du Noguera Pallaresa.
Un tracé passant par les vallées de la Garonne supérieure et du Noguera
Pallaresa.
A l'Ouest : un tracé par les vallées de la Neste, d'Aure et du Cinca.
Un tracé par les vallées d'Aspe et du rio Aragon.
Un tracé par les vallées du Saison et du Roncal.
A la suite de ces études, les commissaires que je vous ai cités ont signé à Madrid,
le 13 février 1885, une convention provisoire par laquelle deux tracés ont été et sont
adoptés :
A l'Est, celui du Salât et du Noguera Pallaresa ; appelons-le désormais plus
simplement : le Noguera-Pallaresa.
A VOuest , celui dAspe et du rio Aragon ; appelons-le ici comme en Espagne : le
Canfranc.
Les deux grandes lignes internationales à exécuter sont donc :
Celle de Saint-Girons à Lérida, par le Noguera-Pallaresa.
Celle d'Oloron à Huesca, par Canfranc.
11 y avait, Messieurs, une ligne, celle du Roncal, qui nous était plus avantageuse
que celle de Canfranc.
La distance totale de Paris à Madrid par Hendaye étant actuellement de 1,452
kilomètres , elle sera par Canfranc de 1,434 kilomètres, et elle aurait été parle
Roncal de 1,288 kilomètres.
Le tunnel de faîte sera pour le Canfranc de 8 kilomètres , avec des altitudes de
1,070 et 1,262 mètres , et il aurait été pour le Roncal de 4 kilomètres 200, avec des
altitudes de 890 et 946 mètres.
— •Î4::5 -
Les dépenses de la France pour le CanlVanc seront d'environ 56 millions et elles
auraient été pour le Roncal d'environ 38 millions , — 18 millions de moins.
Les n^cettes immédiates prévues en France pour le Canfranc sont de 16,000 francs
par kilomètre , et elles étaient pour le Roncal de 29,000 francs.
Les recettes à venir prévues en France sont pour le Canfranc de 22,000 francs
par kilomètre, et elles étaient pour le Roncal de 40,000 francs.
Le génie militaire espagnol s'étant formellement opposé au Roncal, la France, afin
d'obtenir la ligne de Paris à Carthagène par Toulouse , Saint- Girons et Lérida , a
accepté celle de Madrid à Paris par Saragosse, Huesca et Oloron.
La convention internationale stipule que ces deux lignes seront exécutées simul-
tanément dans les deux pays et qu'elles seront achevées dans un délai de dix
années à dater de l'approbation de la Convention internationale par les Certes et
par nos Chambres.
Chez nous, les deux lignes doivent être exécutées par l'État. Elles sont comprises
dans les conventions de 1883. L'Etat est donc chargé de construire 17 kilomètres
de voie de Saint-Girons à Seix, et 25 kilomètres d'Oloron à Bedoux , et en outre les
voies de raccordement aux tètes de tunnel.
La ligne de Toulouse à Lérida par Saint-Girons et Seix constituera le tronçon de
raccordement d'une ligne directe de Paris à Carthagène, la plus rapide. Messieurs,
pour atteindre l'Algérie. Carthagène n'est qu'à six heures d'Oran , et c'est une
traversée presque toujours excellente.
La dépense totale des deux lignes, en y comprenant le prix des ouvrages défensifs
exigés par notre génie militaire , peut être évaluée pour la France à plus de 100
millions. N'oublions pas , Messieurs , que , d'après la Convention internationale ,
l'exécution de ces deux lignes doit être simultanée.
Avant la Convention internationale, l'Espagne avait concédé une ligne de Canfranc
qui n'a pas été étrangère à la solution définitive, et cette ligne avait été inaugurée
par le roi Alphonse XII, alors que M. Albareda , actuellement ambassadeur à Paris ,
était ministre de l'Instruction et des Travaux publics.
Depuis la Convention internationale, nous ignorons si l'Espagne à terminé l'étude
de la ligne du Noguera Pallaresa , qui nécessiterait le vote par les Certes d'une loi à
la suite de laquelle la ligne devrait être concédée à une Compagnie.
Mais ce que nous savons, c'est que la grande muraille qui nous sépare de l'Espagne,
avec laquelle nous devrions avoir vingt fois plus de rapports commerciaux, n'est pas
encore percée ; c'est que la Commission internationale négocie encore — notre
gouvernement vient d'y nommer M. Ceccaldi — et c'est qu'il faut que les négocia-
tions aboutissent à un résultat pratique. Personne, dans cette salle, n'est-il pas vrai,
n'est partisan du statu quo. Quoi ! les Alpes ont été percées et les Pyrénées ne le
seraient pas ! Et nous serions voués à passer aussi longtemps les Pyrénées à mulei,
que la Manche en bateau !
Or, il ne suffit pas pour percer les montagnes de dire : Lo que ha de ser no puede
faltar. Ce qui doit être ne peut manquer. La Société de géographie commerciale
devait agir et s'agiter. Elle agit et elle s'agite , et pour l'action et pour l'agitation »
rien ne vaut mieux que la synthèse et l'analyse de la question même par un esprit
des i^lus élevés.
Cet esprit des plus élevés, ai-je besoin de vous le présenter, Messieurs. Tous vous
connaissez depuis longtemps le nom de Castelar, et votre accueil toujours bienveillant
envers les étrangers, le sera particulièrement envers cet ami de la France.
Ce n'est ici ni le romancier , ni le philosophe , ni l'historien , ni l'académicien , ni
l'ancien Président d'une République , c'est le député de Huesca qui va nous entre-
— 244 —
tenir des chemins de fer des Pyrénées centrales. Quel sacrifice , Messieurs , pour
l'orateur illustre, que celui de s'exprimer dans une langue qui n'est pas la sienne ! »
Projet de jouctiou du Volga et du Don. — M. Léon Dru a entretenu
de cette question la Société de géographie commerciale de Paris :
« En 1885, le 20 juin , je reçus l'autorisation officielle de faire l'étude du projet du
canal de jonction du Volga au Don. La mission que j'organisai à Paris fut composée
de MM. Lanet, ingénieur, Gombelles frères , pour les opérations de tachéométrie et
de M. Baugé , chef sondeur. Rendu à Tzaritzin le l*' août, elle s'adjoignait un ingé-
nieur russe, M. Dovstanskyx, détaché par le ministère des voies et communications,
et un secrétaire-interprète, M. Popoff.
Les résultats démontrent que l'on peut franchir la ligne de faîte de cette sorte
d'isthme qui sépare le Don du Volga : on aura des écluses sur le versant du Volga et
sur celui du Don.
Le Volga est à la cote 0,00 , le Don à — 39 , les cotes rapportées au niveau de la
mer Noire.
Le tracé adopté développe 86 kilomètres et permet de créer un port intérieur à
Krivaû-Mouzgie, pour se raccorder à la ligne ferrée de Griazi. Cela est très impor-
tant pour le trafic de l'intérieur de la Russie.
Les écluses sont faites pour laisser passer les barques du Volga : ce sont des
bateaux de grande dimension
Le canal sera alimenté par des réserves établies le long de son parcours, et réunis-
sant de 45 à 50 millions de mètres cubes , puis par des machines disposées sur le
Volga, mais cela n'est pas absolument indispensable.
On prévoit, en peu de temps, un trafic de 900,000 tonnes. Il en passe actuellement
près de 500,000. Des routes de terre font avec le chemin de fer les transbordements
de marchandises d'un fleuve à l'autre.
En 1096 , Pierre le Grand chercha à joindre les deux fleuves Volga et Don. On a
retrouvé les tranchées, commencées par ses ordres, à 15 kilomètres de Kamichinka ;
elles sont en parfait état de conservation.
Avant lui , Sélim 11 , fils de Soliman le Magnifique , avait tenté cette opération
lorsqu'il fit le siège d'Astrakan vers 1563. Depuis, des ingénieurs russes ont produit
quelques projets auxquels il ne fut pas donné suite.
Ce projet de Canal est une oeuvre nationale ; il est reconnu comme difficile, mais il
aura de grandes conséquences pour le pays. Ce sera la réunion de la mer Baltique et
de la mer Blanche à la mer Noire ; puis celle de la Caspienne à la mer Noire égale-
ment et au bassin méditerranéen. Ce sera aussi la réalisation de l'idée de Pierre le
Grand, qui consistait à faire rentrer le Don dans le système général de navigation
des fleuves de l'empire.
Le trafic de l'Asie viendra par cette voie nouvelle , qui permettra à la marine mili-
taire de l'empire d'envoyer son matériel de Sébastopol dans la Caspienne , pour ses
opérations sur le Turkestan comme aussi de concentrer ou d'échanger ses flottilles
légères de torpilleurs , etc., de la Baltique à la mer Noire , la mer Baltique et la mer
Blanche étant déjà réunies par des canaux au Volga. >
IjC poiut le plus 6levé du Daueniark. — On avait cru jusqu'ici ,
lisons -nous dans les Procecdings of the R. G. S., de Londres, que la colline
la plus élevée du Danemark était l'Himmelbjorg, dans l'intérieur du Jutland. Des
mesures précises exécutées l'été dernier , ont fait découvrir deux montagnes qui
— 245 —
dépassont cette colline célèbre dans l'histoire : ce sont le Bavnehoï , près de Skan-
derborg-, qui mesure 550 pieds et le Skovhoï , près d'Iding, de 540 pieds , tandis que
rHinim(>lbjerg- n'a que 517 pieds. Le distingué géographe danois, professeur Erslcv,
parle avec enthousiasme de la vue magnifique qu(! l'on a au sonmiet du Bavnehoï.
Iles liOlToïleu. — Dans le cours de l'été dernier, l'amirauté nonvégienne a
effectué une série de sondages au large des îles Rost et Varo, à l'extrémité des îles
Loffoden. Le résultat a été la découverte d'un banc à l'Ouest de l'île Rost, s'étendant
sur une longueur de près de 90 milles géographiques dans le Nord-Atlantique. La
profondeur en cet endroit est de 150 brass(;s , et elle s'accroît soudainement jusqu'à
300 brasses. La largeur du banc n'a pas encore été mesurée complètement , mais on
a constaté qu'il s'étend à une distance assez considérable à l'Est des îles Loffoden.
On espère que cette découverte sera avantageuse aux pêcheries de harengs de la
côte occidentale.
C'aiiease. — MM. Dent et Donkin , deux des membres les plus actifs du Club
alpin anglais, ont passé leurs vacances de l'été dernier à explorer avec des guides
des Alpes le groupe central du Caucase , les pics et les glaciers qui entourent le
Koshiantau (5,210 mètres). En dépit du mauvais temps dont ils eurent à souffrir
presque continuellement , ils réussirent à faire l'ascension du Tau Tetnuld , la
Jungfrau du Caucase, dont ils estimèrent l'altitude à 16,500 pieds (5,030 mètres). Ils
firent d'autres courses de glaciers , qui nécessiteront de nombreuses et importantes
corrections sur les cartes du district. Les voyageurs alpestres ont été frappés de
l'aspect merveilleux des montagnes caucasiennes : la chaîne du Koshtantau leur a
offert la vue la plus grandiose qu'ils aient jamais contemplée. M. Donkin a rapporte
un certain nombre de photographies représentant les sites et les habitants.
ASIE.
Forniose. — Dans la réorganisation de Formose comme province séparée , le
gouvernement chinois propose d'introduire certaines modifications administratives.
Une nouvelle ville serait bâtie à un endroit appelé Hu lu-Tun, oii se trouve actuelle-
ment un joli village. Cette nouvelle ville serait la résidence du gouverneur et du
trésorier provincial et deviendra la capitale de la province.
Dcssccboiuent «lu lac Balkliash. — On sait tout l'intérêt qui s'attache
à la question du dessèchement des lacs de l'Asie centrale. M. Venukoff continue
à entretenir l'Académie des sciences de cette question.
D'après les observations d'un explorateur russe , ^I. Nicolsky, le dessèchement du
lac Balkhash, c'est-à-dire l'abaissement continuel de son niveau, se fait à radson d'un
mètre tous les 14 ou 15 ans. Comme ce lac a plus de 19,000 kilomètres carrés de
superficie, l'évaporation annuelle, s'il n'y a pas de perte souterraine, atteint l'énorme
chiffre de 1,300,000,000 de mètres cubes. En supposant , dit M. Venukoff, cette eau
versée sur la ville de Paris , dans les limites des fortifications , nous aurions une
couche de 17 mètres d'épaisseur ; c'est cette masse d'eau qui disparaît annuellement
de la superficie d'un seul des lacs de l'Asie centrale pour n'y retourner jamais. Or ,
ces lacs sont encore nombreux et leur étendue commune (y compris la mer Caspienne),
- 246 -
dépasse au moins 17 fois la superficie du Balkhash ; on voit quelle est la perte en
eau qu'éprouve annuellement l'atmosphère des steppes où ces lacs forment la source
unique de l'humidité. Il est à ajouter que la partie méridionale du Balkhash , connue
sous le nom d'Ala-Kul , sous l'influence de l'évaporation rapide , se transforme'peu à
peu en un dépôt de sel, précisément de la même manière que le Kara-Bugaz, qui fait
partie de la mer Caspienne.
ÏJne ville d'cauiL au Japon. — Les Parisiens qui rentrent de Vichy ou
de Carlsbad , apprendront probablement avec quelque étonnement qu'il existe des
villes d'eaux fréquentées par des valétudinaires dans ce gai pays du Japon où nos
amateurs de bibelots ne s'attendent guère à découvrir ni des malades cacochymes ni
des stations thermales. Il y a cependant des uns et des autres, et le journaliste
anglais qui nous initie aux charmes agrestes et sociaux du petit village d'Ikao , le
Spa japonais , nous présente là l'image curieusement diversifiée , orientalisée , d'un
de nos propres lieux de cure à l'usage des fashionables , avec tout son mélange de
villégiature, de laisser-aller, de soins sanitaires et de haute vie.
Ikao est un petit village des montagnes de la province de Josehin, à 70 milles de la
capitale Tokio. On y a découvert, il y a quelques années, des sources chaudes à 50",
contenant du fer et du sulfate de soude , bonnes par conséquent contre les maladies
d'estomac, la débilité générale , et appréciées par-dessus tout par les Japonais pour
les bains presque bouillants qu'elles permettent de prendre. On sait le rôle que les
bains chauds jouent dans l'existence du peuple le plus propre de l'Orient.
La transformation des mœurs , l'existence à l'européenne qui s'est introduite au
Japon, a eu pour conséquence, comme chez nous, un grand accroissement de l'acti-
vité sociale , une surexcitation de la concurrence , un surmenage intellectuel , qui
nécessitent les vacances et la villégiature. Aussi , en été , fonctionnaires , commer-
çants , hommes d'État , princes du sang fuient les villes et vont se réfugier dans des
stations thermales comme Ikao. Ce village est formé d'hôtels , non pas de grandes
casernes en pierre comme les nôtres , mais d'anciennes auberges à la japonaise ,
gracieuses maisons en bois, avec des murs eu papier huilé et ayant pour mobilier
des nattes. Ces maisons sont disposées des deux côtés d'un sentier pi'esque à pic,
si bien que les toits des unes sont au niveau du rez-de-chaussée des autres ; le sen-
tier, la principale rue du village, est bordé des boutiques de gâteaux, des maisons de
thé, des bains publics que l'on rencontre habituellement au Japon ; il conduit par un
petit bois à un temple schintorite où la source thermale sort de terre. Cette source
est assez abondante pour former un véritable torrent qui roule avec fracas dans un
ravin près du village ; chaque maison en reçoit un filet qui sert à alimenter les bains
publics ou privés, et c'est toute la journée un bruit d'eau, de légères fumées, les cris
et les rires des hommes et des femmes se baignant soit ensemble, soit séparément ,
dans de grandes cuves de bois profondes de trois ou quatre pieds.
Ces bains, les ablutions à l'eau froide, les frictions, les frottages à la pierre ponce
sont continuels , et toute l'existence des hôtes de cette ville aquatique se passe en
peignoir, en yucata , robe de coton de toute couleur que portent les deux sexes en
la ceignant d'une cordelette de soie , d'une bande de satin ou de crêpe. En ce
costume , on joue au «70 ou aux échecs , on boit d'innombrables et minuscules tasses
de thé ou de raki, on fume tout le jour de petites pipes de trois ou quatre bouffées
d'un tabac très doux , on s'entretient en famille , entre amis , ou l'on organise des
intermèdes de musiciennes, de danseurs, de bateleurs.
Le Japonais, à l'encontre de tous les Orientaux , est marcheur et prend le plus vif
plaisir aux beautés des paysages. Aussi peut-on voir tous les après-midis , depuis
- 247 —
les vérandas des hôtels, des groupes de trois ou quatre personnes, hommes, jeunes
femmes et enfants qui, vêtus d'étoffes éclatantes et hottantes, protégés par de magni-
fiques parasols en papier orange, grimpent le long des sentes herbeuses et couvertes
de lis de la montagne , pour s'enfoncer plus haut dans les bois de cryptomerias et
gagner quelque site ou quelque point de vue ou on rencontre infailliblement une
auberge rustique ou une maison de thé pleine de gracieuses jeunes filles.
A la tombée de la nuit, toute l'agitation se concentre dans Tunique rue du village ;
des conteurs publics, des saltimbanques, des jongleurs, des musiciens et des charla-
tans se mêlent à la foule ; les maisons de thé regorgent d'hôtes et sont pleines de
bruits et de rires ; à chaque coin de ruelle des marchands de pâte sucrée , qu'ils
débitent chaude et malléable , en fabriquent, sous les yeux émerveillés des enfants ,
des tortues , des corbeilles , des dragons et mémo des symboles peu honnêtes. Les
baigneurs se dirigent vers la source ; ce sont de simples marchands , des nobles
portant leurs armes tissées dans le dos et sur l'une des manches de leurs robes ;
des prêtres boudhistes ayant toute la tête rasée , vêtus de soie jaune et s'évcntant
sans cesse comme le leur recommande leur religion ; des dandies , étranges parmi
cette population au costume national , habillés d'un complet européen, le col droit ,
chaussés et gantés à l'anglaise ; des groupes enfin de jeunes femmes et de jeunes
filles drapées dans de magnifiques robes de soie aux couleurs éclatantes et fondues ,
leurs magnifiques cheveux noirs coiffés haut, roses et rieuses, qui ressemblent dans
la réalité et sur nos albums à de véritables et énormes fleurs. On bavarde autour de
la source, on boit chacun à la même tasse eu bambou, on s'assied un instant sur les
bancs qui sont autour ; on rentre se coucher sur de fraîches notes , et une journée
de l'heureuse vie que l'on mène à licao est terminée.
AFRIQUE.
Hue graniniairc cougo «Su XVISI" siècle. — La parfaite connais-
sance du Congo par nos pères, révélée par le Globe do Lyon , vient de recevoir une
nouvelle preuve dans les découvertes de grande valeur faites au musée de la Propa-
gande par le P. Duparquot. 11 s'agit du manuscrit d'un missionnaire à Saint-Antoine-
de-Sogno (Congo), et des archives do l'ancienne mission de Loango (aujourd'hui
Congo français), reliées en un fort volume et renfermant les trois manuscrits qui
suivent :
1° Essay d'une grammaire congo suivant l'accent kakongo ou malamba ,
48 p. in-4" ;
2° Dictionnaire congo-français. Il est complet et contient 17 cahiers , de la lettre
A à la lettre Z ;
3" Le registre dos baptêmes , mariages et décès pendant les années 1774
et 1775.
Le registre des baptêmes n'a plus aujourd'hui qu'une importance relative ; mais
il n'en est pas de même de la grammaire et du dictionnaire. Ces deux ouvrages , en
effet, pourront être d'un grand secours aux missionnaires , aux explorateurs et aux
résidents actuellement au Congo. Au point de vue de l'histoire de la géographie ,
CCS documents ont une valeur sur laquelle il est inutile d'insister.
— 248 —
AMÉRIQUE.
EiCS sources du II îssîssîpî. — Récemment le capitaine Willard Glazier
a émis la prétention d'avoir découvert les sources du fameux fleuve américain sur
un point situé au-delà du lac Itasca de Schoolcraft. Or, M. Roussel Hinman , dans
un article publié dans le journal américain Science , déclare que la prétention du
capitaine Glazier n'est point fondée. L'auteur montre , en citant des documents
officiels , que l'existence du petit lac situé sur le trajet des cinq affluents du lac
Itasca fut connue de Schoolcraft en 1832 et de Nicollet en 1843. Ni l'un ni
l'autre de ces deux explorateurs ne donna un nom au petit lac, n:iais cette omission
fut réparée par la carte du Land Office de 1879 , oii il est nommé « lac de l'Élan ».
et ce nom a la priorité sur celui de « lac Glazier » qui lui a été donné par le capi-
taine Glazier en 1881.
États-Unis. — La pluie dans la région du Pacifique. — Nous trouvons dans
Science {t. VIII, p. 307), un intéressant résumé d'un travail du lieutenant Glassford
sur la distribution des pluies dans la région des États-Unis voisine du Pacifique.
La hauteur de pluie maximum s'observe à Neah-Bay (territoire de Washington),
oii l'on recueille annuellement 2,797 millimètres (moyenne de 9 années d'observa-
tions). Plusieurs autres stations dans le Nord indiquent de 1,200 à 1,500 millimètres.
Dans le Sud, oii la -sécheresse est en certains points remarquable . le minimum est
donné par la station de Bishop Crrek (Californie) , oii la tranche annuelle d'eau
tombée ne dépasse pas 33 millimètres (d'après 3 années d'observations ; à Yuma
(Arizona), on constate 65 millimètres (11 années d'observations). On sait depuis
longtemps que toute la partie des États-Unis comprenant le Nord-Ouest du Texas ,
le Nouveau-Mexique et l' Arizona est une région extrêmemeiit sèche . l'une des plus
sèches du globe. En juillet et en août, il n'y pleut jamais , ou s'il y tombe parfois
quelques gouttes d'eau, elles ne laissent pas de ti'ace au pluviomètre.
OGEANIE.
■%ouvelle-Zclandc. — La récente éruption volcanique. — En attendant le
rapport d'un géologue expert, dit M. Arch. Geikie dans la revue « Nature », de
Londres (du 5 août 1886), nous devons nous contenter des récits , souvent contra-
dictoires, des correspondants arrivés en hâte sur la scène de la grande catastrophe
qui a dévasté récemment la terre des merveilles de la Nouvelle-Zélande, et que nous
avons signalé l'an dernier aux lecteurs de la Société de géographie de Lille). Toutefois,
il est possible, d'après le> diff'érents récits, de tracer les traits principaux de l'éruption
et de noter leur ressemblance avec ceux d'autres éruptions volcaniques antérieures. Il
est impossible de ne pas être frappé de l'analogie entre les phénomènes qui se sont
produits en juin dernier à la Nouvelle-Zélande et ceux qui accompagnèrent la grande
éruption du Vésuve aux premiers siècles de notre ère. Dansles deux cas, une montagne
qui n'avait jamais été connue pour être un volcan actif, a fait subitement explosion,
avec une violence terrible , remplissant l'air de cendres et de pierres. Dans ces deux
régions, des tremblements de terre précurseurs ont annoncé la catastrophe : un
— 249 -
épais manteau noir de nuage volcanique suspendu sur la montagne, une pluie de
poussière, de sable et de pierres chaudes, une décharge de boue, sans écoulement de
lave, pour autant qu'on a pu s'en assurer, et l'ensevelissement d'un district sous
une épaisse couche de débris volcaniques.
Dans une région aussi sujette aux secousses et tremblements de ten'e que le centre
de l'île du Nord de la Nouvelle -Zétando, dans la direction Nord-Est-Sud-Ouest, il
était naturel qu'on n'eût pas prêté une attention spéciale à la fréquence plus ou
moins grande on à la violence Les secousses avant la date de l'éruption volcanique
actuelle. Mais, sans doute, des faits relatifs k ce sujet ont dû être remarqués par des
observateurs locaux. En effet, d'après les récits desjournaux,il semblerait qu'il y ait
eu différents signes précurseurs qui, rapprochés des événements postérieurs, peuvent
ne pas avoir été sans importance. On dit, par exemple, que le volcan éteint Ruapehu.
le plus haut pic de l'île du Nofd, que l'on n'a jamais vu manifester quelque activité
depuis la découverte de la Nouvelle-Zélande , commença à jeter de la vapeur par le
sommet, environ trois semaines avant l'éruption. Quinze jours avant la catastrophe,
une vague de trois pieds de haut s'éleva subitement sur le lac Tarawera, situé au
pied de la montagne du même nom. Sans aucun doute, il y a eu d'autres symptômes
précurseurs, en dehors de l'activité du tremblement de terre, de l'approche de cet
événement, bien que quelques jours avant leur destruction, les fameuses White and
Pink Terraces furent visités par un groupe de touristes qui n'observèrent aucune
vigueur insolite dans les sources chaudes, ni ailcune indication quelconque qui
devait faire prévoir que ces dépôts de fées devraient être bientôt le théâtre d'une
violente action volcanique.
Le 10 juin, vers minuit et demi , les secousses de tremblement de terre, qui sont
familières aux habitants du district du lac, ont pris une vigueur et une fréquence
tout à fait inusitées. A la colonie du Wairoa, qui est à cinq milles environ du lac
chaud et des terrasses de tuf du Rotomahana , le sol fut secoué violemment pendant
une heure ou plus, les chocs plus puissants se suivant à ces intervalles d'environ dix
minutes. Les habitants tirés de leur sonuneil, sortirent en courant de leurs maisons.
Enfin, quelques minutes après deux heures du matin, un choc d'une violence
exceptionnelle fut suivi d'un grondement assourdissant , et aussitôt on vit s'élever
une colonne de feu du sommet de la chaîne de montagnes à cinq ou six milles à
l'Est, du côté opposé au lac Tarawera. La cîme du mont Tarawera (environ 2,000
pieds de haut) avait sauté en l'air, laissant une énorme fissure sur le flanc de la mon-
tagne. L'incandescence des laves chauffées à blanc, de l'intérieur rougissait le ciel à
plusieurs milles aux environs. Des milliers de blocs de laves incandescen.tes furent
lancés dans l'air. La voûte de cendres noires, qui s'étaient accumulées au-dessus de
la montagne et s'étaient répandus à plusieux's milles à l'entour, devint le théâtre
d'une violente tempête électrique. Elle semblait être déchirée par des éclairs inces-
sants et le fracas continuel du tonnerre , se mêlant aux grondements du volcan ,
augmentaient la terreur de la nuit.
Les géologues ne croyaient pas comme une probabilité future qu'une éruption dût
jamais se produire des trois énormes cônes tronqués qui dominent le lac Tarawera. Ils
étaient éteints depuis les temps, suivant la ti'adition, dss anciens INIaoris. Les natu-
rels s'étaient habitués, pendant des siècles probablement, à porter les morts à leurs
sommets solitaires et mystérieux. Les ossements de plusieurs générations successives
gisent en blanchissant sur ce haut plateau isolé ; celui-ci était arrivé ainsi à gagner
une sainteté particulière aux yeux des Maoris, qui n'auraient pas permis à un blanc
de s'en approcher. Non seulement ces grands cônes étaient éteints selon toute appa-
rence, mais l'action volcanique de tout le distinct était d'une énergie décroissante
que les géologues ont appelée la période « solfatare ». De nouveaux geysers pou-
— 250 —
vaieiit surgir, rivalisant avec ceux déjà en activité dans le district, ou les surpassant
même, et les orifices de l'éruption pouvaient changer de place , amenant par leur
déplacement des troubles locaux considérables , mais personne ne s'attendait à une
grande éruption comme celle qui vient d'avoir lieu daus ce district et sembable à la
plus gigantesque explosion du Vésuve.
La grandeur de l'explosion peut être déduite de plusieurs faits cités dans les
rapports des joui-naux. Un observateur de New-Plymoulh, sur le côté occidental de
l'île, à 150 milles de la scène du désastre , vit s'élever la colonne de cendres loin
dans l'air, et a calculé que sa hauteur ne pouvait être moindre que 22,000 pieds.
On prétend avoir entendu le bruit de l'explosion à Ghrist-Church, à une distance do
300 milles. Les cendres tombèrent sur une vaste aire de terre et de mer au Nord et
à l'Est de l'ouverture de décharge . Les vaisseaux naviguant même à 130 milles ,
trouvèrent l'air chargé d'une fine poussière qui se déposait sur le pont. Des explo-
rateurs aventureux cherchant à porter secours aux pauvres Maoris, ont trouvé que
la hauteur des cendres encore toutes chaudes, accumulées près de la scène de
l'explosion , ne devait pas être inférieure à 20 pieds. A une distance de 30 ou 40
milles, le dépôt avait encore plusieurs pouces d'épaisseur, ce qui doit donner une
idée de l'énorme quantité de rochers mis en poudre par la grande explosion du
Tarawera
Les malériaux éjaculés de cette montagne semblent consister piincipalement en
fragments libres de laves, d'escarbilles, de. cendres et de fine poussière avec de
grandes quantités de vapeur, et probablement aussi-d'eau chaude et de boue sorties
des flancs du volcan.
Pour autant qu'on a pu juger d'après les récits, il n'y a pas eu d'émission de lave,
quoique, d'après les « flammes » et les « balles de feu » dont il a été généralement
question , on peut trouver éventuellement que la lave fondue a coulé quelque part
sur les côtés de la montagne.
Non loin de la base du cône volcanique du Tarawera , se trouvent le lac d'eau
chaude et les terrasses de tuf de Rotomahana. On a souvent remarqué la nature
perfide de ce district, ses décharges de vapeur, ses étangs en ébullition, son sol
chaud exhalant des vapeurs et ses geysers éruptifs, ne restant pas toujours aux
mêmes endroits, mais prêts à se déclarer à de nouveaux points sans avertissement
préalable. Cette localité a été comprise dans les troubles volcaniques de la région.
Les fameuses terrasses ont sauté en l'air, les fragments de tuf ont été ramassés
parmi la poussière et les cendres de la contrée environnante , et le lac sur les bords
duquel ils se trouvaient a été englouti. Sur leur emplacement, une vingtaine de
cônes de boue vomissent des pierres et de la vase, et lancent des nuages de vapeur.
De nouvelles ouvertures pour l'échappement de la vapeur et l'écoulement de la vase
vase volcanique , se sont ouvertes surtout le pays , et l'aspect du paysage a été
entièrement changé. Une désolation indescriptible s'est substituée à une scène
d'une beauté féerique. Même en admettant que l'activité volcanique se calme et
que les sources de tuf peuvent recommencer leur ecuvre de dépôt, il faudra plusieurs
générations avant qu'elles puissent édifier à nouveau des terrasses comme celles
qui ont été détruites. Le nouvel aspect du pays ne manquera pas d'attirer les
touristes, mais les merveilleux escaliers du Te Tarata ne sont plus qu'un rêve
du passé.
Un des traits caractéristiques de l'éruption, c'est la formation de la vase qui a
englouti la colonie de AVaiora. D'après les récits des survivants, les maisons furent
anéanties par la chute de la vase mêlée de cendres et de pierres. La pluie tomba
pendant la nuit, mais c'est à peine si la vase a pu être formée par le mélange de la
pluie et des cendres sèches. 11 semble qu'elle est tombée en boue liquide , et il est
- 251 -
très probable qu'elle a été éjaculée ainsi par quelque fissure environnante. L'orifico
de l'éruption n'a probablement pas été seulement le grand cône de Tarawera; il est
plus probable qu'il y avait plusieurs ouvertures non seulement à Rotomahana, mais
plus près de Waiora, par lesquelles s'est élancée une grande quantité de boue sur
le disti'ict environnant.
Une autre question qui mérite attention, ce sont les mouvements de l'air pendant
le temps de l'éruption. Les observations barométriques à Rotorua et dans d'autres
lieux sur les côtés opposés de l'île, seraient d'un grand intérêt. D'après les récits
des journaux, il est certain que de grands troubles atmosphériques ont accompagné
l'éruption. Une heure environ après la grande explosion, le vent s'éleva subitement
dans le district de Rotorua et de Wairoa, et souffla avec une force capable de déra-
ciner et renverser un grand nombre d'arbres et d'enlever les feuilles et les branches
de ceux qui étaient restés debout. A Rotorua, la direction de l'ouragan était du côté
de la scène de l'activité volcanique, comme si l'air était entraîné dans le tourbillon
causé par l'explosion. Quelques heures plus tard, le vent cessa subitement et alors
les cendres commencèrnnt à tomber , emportées vers le Nord par quelque courant
supérieur de Tair. Reste à savoir jusqu'à quel point ces mouvements atmosphériques
étaient dépendants ou indépendants de l'éruption.
Une nouvelle île. — Aujourd'hui que le globe est sillonné en tous sens , la
découverte d'une île inconnue est un fait assez rare pour qu'on le signale , même
lorsque ses dimensions ne lui donnent pas une grande importance.
Le navire Fei-Limtj avait annoncé qu'en faisant route de Sydney à Sanghai , il
avait rencontré au nord de la NouveUo-Guinée, une île non portée sur les cartes. Le
commandant Moore fut envoyé avec le Rambler , navire attaché au service hydro-
graphique, pour contrôler le rapport du capitaine Allison du Fei-Lung. Il a retrouvé
l'île en question : elle est située entre l'archipel de l'Échiquier , découvert par
Bougainvillée en 1768, et l'île Durour. Sa position géographique est d'environ r25'
de latitude Sud et 143''26' de longitude Est G. Elle a de 2à 3 kilomètres de longueur
et s'élève de 30 à 50 mètres au-dessus de la mer ; elle est complètement boisée.
Quoique ces parages soient couverts d'îles dont les positions ne sont rien moins que
bien déterminées , il ne semble pas douteux que la nouvelle île n'a jamais été portée
sur une carte.
RÉGIONS POLAIRES.
Groenland. — C'est de Godhavn qu'on a reçu les dernières nouvelles de
M. R. E. Peary, de la marine des États-Unis, qui au commencement de cette année
a quitté l'Amérique en destination du Groenland ; il s'est enfoncé dans les glaces de
l'intérieur du continent , dans le but d'atteindre un point d'où il pourrait découvrir
le sommet du Mont Petermann, près de la naissance du fjord François-Joseph.
La canonnière danoise Fylla , expédiée au Groëenland en mai dernier , sous le
commandement du prince Valdemar de Danemarck, vient de rentrer à Copenhague.
Le navire a atteint assez facilement Upernivik , station la plus septentrionale de la
côte occidentale. Mais dans le milieu de juin, l'expédition fut bloquée par les glaces
pendant quelques semaines à Godthaab. Les naturalistes de l'expédition se sont
livrés dans le cours du voyage à des recherches hydrographiques, botaniques et
zoologiques, et ont recueilli d'importantes collections et observations scientifiques.
— 252
II. — Géographie commerciale. — Statistiques
et Faits économiques.
EUROPE
IjC commerce des lîl« et tissus en Allemagne. — Les statistiques
officielles relatives aux importations et exportations des filés et des tissus durant
Tannée 1886 viennent de paraître.
Voici d'abord un tableau donnant les importations des filés, en 100 kilos , compa-
rativement à celles des trois années précédentes :
Filés de coton
1886
1885
1884
!
1883 j
221.827
133.404
202.578
39.136
208.108
159.550
193.181
33.710
211.409
150.053
189.979
37.733
219.472
151.^2
166.973 1
33.726
Filés de lin
Filés de laine
Soies
Totaux
596.945
594.949
599.204
572.093
Voici maintenant , les chiffres relatifs aux exportation de filés pour ces quatre
mêmes années, toujours par 100 kilos :
Filés de coton
1886
1885
1884
1883
72.923
34.420
54.005
11.899
71.698
36.050
56.7.37
11./j81
71.843
20.913
51 843
10.423
81 771 ;
20.853
48.136
9.942
Filés de lin
Files de laine
Filés de soie
TuT.\ux
183.247
175.966
155.022
100.712
i
Ainsi, depuis 1883, les exportations de ce genre ont environ doublé 1
•^53 —
Enfin les chiffres des exportations de tissus fabriqués en tous genres, pour 1886 ,
sont, en'lOO kilos, de 694,084, contre 607,096 seulement eu 1883.
I.a légalisatiou des factures cwi-opécnnes aux consulats
aiiiéricaius. — Les bureaux de la douane américaine vieiuicnt d inventer de
nouvelles tracasseries pour les exportateurs européens. En vertu d'une circulaire en
date du 16 décembre dernier, les agents consulaires d'Europe ont ete invites à
exiger des exportateurs que les indications suivantes soient portées sur les factures
présentées à leur législation :
!'• La valeur marchande de chaque article sur les principaux marchés du pays
d'expédition , à raison de sa qualité et de son unité particulière de poids et mesure ;
2" Le prix du transport jusqu'au port d'embarquement ;
3° Le prix du transport par mer ;
4° Les frais d'emballage, y compris la mise on caisse, les cartons, etc. ;
5° Le montant des assurances , des commissions , des légalisations , des rabais et
des escomptes, enfin la nomenclature détaillée de tous les frais , quels qu ils soient ,
qu'aura entraînés la préparation des marchandises pour les marchés des Ltats-Ums.
1 réatiou à Atlièues d'une Cliaml.re consultative française
de commerce. - Sur rmitiativo de M. Wattbled , consul de France au Piree ,
les colonies françaises d'Athènes et du Piréc, réunies sous la présidence du comte de
Montholon, ont constitué une Chambre consultative de commerce.
M. Stephanopoli, directeur du Messager d'Athènes, en a été nommé président.
AFRIQUE.
I.a consommation des tissus en Tunisie. - Nous extrayons d'une
communication adressée à la Chambre de commerce de Lyon , par M. Massicault ,
résident général à Tunis, les renseignements suivants :
« Pour les tissus de coton qui sont ceux que la Tunisie consomme en plus grande
quantité , le pays est absolument tributaire de l'Angleterre et de l'Allemagne ; quant
aux tissus de fil , qui sont d'une consommation très limitée , parce qu'ils ne sont
employés que par la population européenne, ils proviennent de France, mais surtout
de Belgique et d'Italie.
» Restent les soieries qui sont d'un écoulement assez important dans la Régence
pour les qualités ordinaires et de bas prix.
» Les articles de plus grand débit de ce genre sont :
1° Les tissus unis, tels que lustrine, mai-celine, etc.;
2° Les mouchoirs et rubans ;
3*^ Les damas mi-coton (ou déchets de soie) et soie. »
M. Massicault ajoute que « l'article de fabrication française, quoique très apprécié
à Tunis comme qualité, est délaissé, en général, à raison de la cherté qui ne le met
pas à la portée de la majorité de la clientèle de ce pays » ; aussi estime-t-U que les
maisons françaises auraient intérêt à se rendre compte par elles-mêmes, en visitant
— 254
la Tunisie, des modifications qu'il conviendrait d'apporter dans la fabrication des
tissus pour lutter contre la concurrence étrangère.
AMERIQUE.
Ije commerce et l-aj^riculture aux États-Unis en 1$S6. — Le
chiffre total des importations poui: Tannée écoulée , est de 663,417,009 dollars,
donnant sur 1885 une augmentation de près de 13 7o- Quant aux exportations , elles
se chiffrent par 713,289,000 dollars , en augmentation de 3 1/2 7o sur l'année 1885.
Voici, par période des quatre ti'imestres, les chiffres relevés exprimés en dollars :
Importations et Exportations.
Premier trimestre
Deuxième —
Troisième —
Quatrième —
Totaux . . .
Importations.
1886 1885
$
161.140.000
164.450.000
169.665.000
165.162.000
663.417.000
137.225.000
143.797.000
150.225.000
156.622.000
585.869.000
Exportations.
1886 1885
163.586.000
164.025.000
158.050.000
227.628.000
713.289.000
185.871.000
150.465.000
137 863.000
214.051.000
688.250.000
La valeur totale des exportations de coton a été , en 1886, de 43,041,000 livres
sterling contre 36,877,000 sterling en 1885 , soit un bénéfice de 6,164,000 livres ,
représentant 16 1/2 °/o'
L'une des industries qui s'est le plus développée est l'industrie métallurgique.
Voici, en effet, les chiffres de production , en fer et en acier, pour les trois dernières
années :
Production de fer et d'acier.
1884
Fonte
Tonnes de 2000 liv.
Bessemer
Lingots d'acier
Tonnes de 2000 liv.
Bessemer
Rails d'acier
Tonnes de 2000 liv.
4.589.613
4.529.869
6.272.000
1.540.595
1.701.757
2.240.000
1.116.621
1.074.607
1.680.000
1885
1886
- 255 —
En ce qui concerne l'agriculture, voici, pour la i)ériodo des vingt dernières années,
'S chiffres de production et les étendues en blé et en maïs :
1866.
1886.
Acres en culture Boisseaux
15.424.U0U
37.000.0U0
151.990.000
457.000.000
MAIS
Acres en culture Boisseaux
34.303.000
75.300.000
867.840.000
1.665.000.000
Ce qu'il y a de plus frappant dans ces chiffres , c'est certainement ceux relatifs à
la production du blé , qui a quadruplé depuis vingt ans En outre , son prix s'est
abaissé l'année dernière d'une façon considérable. Le prix moyen du blé rouge n" 2
était, en 1886, à New-York , de 88 cents 3 4 le boisseau contre 1 dollar 27 cents 3/4
en 1882. Celui du maïs est tombé , la même année, à 48 cents 2/3 contre 80 cents 3/4
en 1882.
Au moment oii la discussion sur les droits à établir pour l'entrée des céréales chez
nous vient à peine d'être terminée à la Chambre , ces chiffres ont une actualité
saisissante.
Rcpulïliqiie fie Colombie. — Mines d'or et d'argent. — D'après une
circulaire du ministre des affaires étrangères de la République de Colombie, ce pays
est riche en produits du règne minéral . Le fer , le cuivre , le plomb , l'antimoine , le
zinc, l'arsenic, la houille , le sel gemme, le soufre , les émeraudes , etc., s'y trouvent
en très grande abondance ; mais l'or constitue la richesse principale du sol. La pro-
duction totale de la Colombie en métaux précieux depuis la conquête, au XVP siècle,
peut être estimée à 653,000,000 de piastres (3,265,000,000 francs). Considérant le
pays divisé en deux grandes zones coupées par la Magdalena , 633,000,000 de
piastres correspondent à la partie occidentale du fleuve et 20,000,000 à la partie
orientale.
La production de chacun de ces métaux augmente graduellement. Ainsi , celle de
Tor, qui arriva à son point culminant au commencement de ce siècle , à S 3,100,000
par an, descendit jusqu'à 2,000,000 (en 1861), à cause de la guerre de l'indépendance,
de la liberté des esclaves (1851) et des guerres intestines ; mais elle est remontée , en
ces dernières années, à S 2.955,000.
Pendant le premier quart de ce siècle , il n'y eut pas une seule mine d'argent en
exploitation dans la Colombie. Depuis 1873 , la production du métal a augmenté
rapidement : elle a atteint le chiffre de 1 million de piastres en 1883 et de 1,250,000
on 1884.
On trouve à peu près partout et à différentes hauteurs des alluvions aurifères ,
mais surtout dans les vallées , suivant la direction des cours d'eau ; il est donc
possible de faire arriver de lourdes machines à plusieurs des plus riches placers ,
situés sur les bords des fleuves , la Magdalena, l'Atrato , le San-Juan , le Cauca, etc.
Les filons d'or et d'argent sont situés sur les montagnes , en général dans des
endroits sains soumis à une température moyenne et même froide. On peut dire ,
— m-\ —
d'ailleurs, que le plus grand nombre de régions métallifères jouissent d'un climat
salubre et se trouvent dans de bonnes conditions pour l'approvisionnement des
vivres. La principale exception à cette règle est le Ghoco, dont le climat ardent ,
pluvieux et humide, expose à des fièvres paludéennes.
Les éti-angcrs peuvent acquérir des mines aux mêmes conditions que les naturels ,
et suivant le code de chaque département. Comme d'après la Constitution récemment
sanctionnée, les mines appartiennent à la nation , la législation sera , à l'avenir ,
uniforme pour toute la République.
Pour les Faits et Nouvelles géographiques non extraits :
LE SECRÉTAIRE-GÉNÉRAL ,
ALFRED RENOUARD.
SOCIÉTÉ DE GEOGRAPHIE
DE LILLE.
SOCIÉTAIRES NOUVEAUX ADMIS DANS LE COURANT D'AVRIL 1887.
MEMBRES ORDINAIRES
APPARTENANT A LA SOCIÉTÉ DE VALENCIENNES.
M°" Thiky, maîtresse de pension, à Valenciennes.
MM. Dehon et Seulin, imprimturs, à Valenciennes.
S.\BÈs (Albert), étudiant, à Valenciennes.
BiLLiET (Edouard), négociant, à Valenciennes.
SiMMRE, pharmacien militaire, à Valenciennes.
MvsrON (François), propriétaire, à Marly.
Raverdy (Eugène), propriétaire, à roadé-sur-l'Escaul.
MABiLLE (Henii), banquier, à Valenciennes.
BocA (Charles), avocat, à Valenciennes.
L\MBOLR (fils), inspecteur au chemin de fer du Nord, à Anzin.
Lesens, avocat, à Valenciennes.
TYRonE, directeur de la C'e de Thivencelles et Fresnes-Midi, à Fresnes.
Grimom'rez, propriétaire, à Valenciennes.
Devémy (Edmond), brasseur, à Valenciennes.
Thomas (i éon), procureur de la République, à Valenciennes.
Poulle, sub>lilut, à Valenciennes.
DÉFOSSEZ (le docteur), à Abscon.
Lamutte (André), avocat, à Valenciennes.
Vasseir (Uyppulile), diiecleur d'assurances, à Valenciennes.
BoLcoART (René), négociant, à Saiul-Amand-les-Eaux.
Vernus (Emile), président du conseil des prudhomraes, à Valenciennes.
Ayasse, imprimeur, a Valenciennes.
Caffiai x (fils), négociant, à Valenciennes.
Thellier de P0NCHEV1I.LE (Charles), avocat, député du Nord, à Valenciennes.
BoiviN, diiecleur de la succursale de la Banque de France, à Valenciennes.
Veiliian, infzénieur des ponts et chaussées, à Valenciennes.
Renvrd (Léon), maître de verreries, député du Nord, à Fresnes.
Delcourt (Eugène), avocat, à Valenciennes.
1»
— -i58 — •
COMMUNICATIONS AUX ASSEMBLÉES GÉNÉRALES
(in extenso.)
LA FORÊT DE MORMAL
Par M. Henri BÉGOURT.
Inspecteur des Forêts au Quesnby (Nord).
(Suite) (1).
Les guerres longues et malheureuses n'apportent pas seulement la
misère et la désolation parmi les populations dont le territoire est
envahi ; en les poussant au désespoir, ellos les excitent aussi h com-
mettre des désordres que l'autorité, au milieu des préoccupations de
toutes sortes dont elle est assiégée , est généralement impuissante à
réprimer. Mormal n'en fût pas à l'abri pendant cette longue période do
troubles qui commence sous le gouvernement de Marguerite de Parme
(1559-1567), et se poursuit sous le duc d'Albe (1567-1573), Don Luis de
Requesens (1573-1576), Don Juan d'Autriche (1576-1578), pour se termi-
ner sous Alexandre Farnèse (1579-1592), par la séparation des Pays-Bas
catholiques des Pays-Bas protestants. Mais non contents de piller cette
forêt, ceux qui vivaient à son ombrage, commirent sur elle des antici-
pations que facilitaient singulièrement d'ailleurs l'absence de limites
précises et la participation des Baillis des bois du Hainaut à tous les événe-
ments militaires qui signalèrent cette époque néfaste. On pourra juger
de leur importance par le passage suivant d'un mémoire où nous avons
déjà puisé, et qui, à côté du mal qu'il constate, indique le remède à
lui appliquer : « Il est bien requis, dit l'auteur de ce document, de
faire abourner toutte laditte forrest, adfin que les héritiers voisins ny
puissent doresenavant riens en prendre et empescher de n'augmenter
leurs héritaiges comme ilz ont toujours faictjusques à présent ; et pour
ravoir et rettirer ce qu'ilz peulvent avoir prins, seroit besoing
(1) Voir page 206 du lome précédent (1886) et page 178 de ce voluiae (1887).
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de la. Forêt de
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»
— 259 —
faire mesurer en la présence d'aulcuns commis et députez par
Sa Majesté touttes les terres et heritaiges y contiguës et joinriantes,
commandant aux héritiers exhiber leurs tiltres et lettraiges pour, suivant
iceulx, les garder en droictz et asseoir les formes ; par ce moyen, on
remettroit au proftict de Sa dicte Majesté ce qu'il se Irouveroit avoir esté
perdu et aliéné quy seroit sans auculne doubte grand nombre de terres
à présent perdues par Sa dicte Majesté... Item serait besoing faire tout
allenthour de ladicte forrest de larges et profondz fossetz avecq une
haye vive par de dens, pour éviter que personnes, ne nuls chariotz, ny
bestiaulx ny entrassent que par lesdits chemins au boult des quelz y
faudroit construire bonnes barrières pour les fermer quand besoing
seroit et de trois ans à aultres faire relever lesdictz fossetz aux fraiz,
assavoir la moictié de Sa Majesté et l'autre moictié des héritiers
voisins. » (1)
11 était réservé aux Archiducs Albert et Isabel, dont la sollicitude
éclairée s'étendait à toutes les branches de l'Administration, de
s'opposer à ces anticipations. Ils prescrivirent à cet effet le terrier-
menaige ou cercle-rtianeige (2) de la forêt. Cette opération fut très
laborieuse, car, commencée vers l'an 1600 (3), elle souleva un si grand
nombre de difficultés, qu'en 1626, elle n'était pas encore entièrement
terminée. On négligea d'ailleurs de placer des bornes (4) à tous les
angles du périmètre ou d'ouvrir des fossés de clôture continus , de
sorte que le but que l'on avait en vue ne fut pas complètement
atteint.
Mais il ne suffisait pas de faire rentrer dans leurs limites les héri-
tiers voisins : il fallait aussi expulser du massif tous ceux qui étaient
venus s'y implanter. Leur nombre devait être assez grand, car dans
l'impuissance où ils. s'étaient trouvés de mettre leurs vassaux à l'abri
des excès des armées amies ou ennemies, les seigneurs de la région
les avaient poussés à venir y chercher un asile. Sur la proposition des
seigneurs de Pérenchies, Grand BaiUi des bois duHainaut et Guillaume
Chamart, Conseiller et Avocat fiscal de la cour de Mous, les Infants
(1) Inventions et moyens de grandetnent augmenter la forrest de Mormal , mé-
moire précité.
(2) Ces mots sont synonymes de déli nitation générale et bornage.
I (3) Ordonn. de 1601 , précitée , art. xxv.
(4) Les insignes de la Toison-d'Or étaient gravés sur ces bornes.
— im —
ordonnent que commandement leur soit fait d'abattre leurs maison-
nettes, et, dans le but de s'en débarrasser plus rapidement, ils accor-
dent « de grâce » à chacun d'eux, pour qu'ils puissent se pourvoir
ailleurs d'autres habitations, « quinze florins une fois, à peine s'ilz ne
le font pas, mesmes d'estre cella faict par voye de justice et de perdre
leur dict don gratuit. » En même temps ils interdisent aux seigneurs
d'envoyer à l'avenir leurs vassaux dans la forêt, « à peine de fourfaic-
ture et acquisition de leur justice... et aultres peines qui seront trou-
vées convenables à leurs connivences et dissimulations.» (1) L'expulsion
de la forêt de ces individus ne coûta pas moins de peine que la reprise
d'une partie des terrains usurpés le long des bordures ; il fallut, pour
en finir avec eux, que Philippe IV envoyât sur les lieux un « avocat
d'office » avec mission de faire comparaître devant les Jurés de Mormal
tous ceux qui y possédaient des maisons, huttes ou cabanes « afin
d'exiber et vérifier leurs titres, et en ce cas qu'il y a aucuns mal fondés
il les (fasse) par voye de justice, et après qu'ils seront deument ouïs en
leurs deffences, déposséder ou oster leurs dittes huttes ou cabanes. »
De plus, interdiction fut faito aux riverains d'élever de nouvelles cons-
tructions, sous peine « d'estre fustigés de verges et bannis à perpé-
tuité de la forêt. » (2)
Les guerres qui précédèrent le démembrement du Hainaut, occa-
sionnèrent de nouvelles usurpations et le rétablissement dans le massif
de maisons de perches (•^). Le premier soin des officiers de la Maîtrise
des Eaux et Forêts du Quesnoy, après la conquête, fut d'expulser les
envahisseurs. Parmi ces dei-niers, se trouvait un certain Martin Gant,
natif d'Hachetle, qui s'était soliiement établi au quartier de Maroilles.
J.-B. Le Féron, qu'un arrêt du Conseil, du 19 avril 1677, avait commis à
la délimitation générale et au bornage de la forêt, constata, en effet,
que « icelle maison, lieu et pourpris (était) entourée d'une baye
d'espines vive avec de grands fossés, et d'autant, ajoute-t-il, que ledit
Gant a enclos un canton de la . dite forest avec une barrière pour s'y
(1) Ordonnance de J016, art. ix et x. Arch. ilu Jép. du Nord. Ch. des Comptes à
Lille. M. 57. Forêt de Mormal.
(2) Ord. de iôW, art. 70 et 71. Arch. de rinspection des forêts du Quesnoy.
(3) On retrouve encore çà et là dans la forêt , les emplacements des hûtes qui ont
abrite en temps d'invasion une partie des habitants qui étaient venus y chercher un
refuge ; ils sont signalés par ditiérents vestiges et particulièrement par des carreaux
rouges qu'on a parfois fait remonter à l'époque romaine.
- 261 —
retirer pendant la guerre avec les païsans d'allenthour, nous ordon-
nons que le fossé sera ravallé, rabattu et deffense audit Martin Gant
d'en faire de pareils, à peine de mil florins d'amende. » Le procès-
verbal de délimitation, dressé par Le Féron, relate que nombre de
riverains ont outrepassé leurs limites. Cet officier leur fit restituer
leurs emprises et condanma les plus aurlacieux à des amendes dont
quelques unes s'élevèrent à 115 florins; après quoi, on remplaça les
bornes qui avaient disparu, et l'on rafraîchit sur certains points les
fossés de périmètre. (1)
Pendant le siècle suivant, on procéda à trois vérifications des limites:
la première fut effectuée, en 1741, par Jean-Antoine Garion, maître
arpenteur juré en la Maîtrise du Quesnoy ; la seconde, en 1749, par
Jean-Baptiste Lhussier, et la dernière, en 1778, sous le Maître parti-
culier Aupépin. A la suite de ces opérations, les bornes brisées ou
disparues furent remplacées et les fossés curés à vieux fonds, vieux
bords.
Quand survint la première révolution, la plupart des bornes, dont le
nombre s'élevait à 408, furent renversées par les riverains, qui profi-
tèrent du désordre qui régnait dans le pays, et du peu d'autorité des
officiers forestiers, pour commettre de nouvelles usurpations. L'un
d'eux vint se fixer au canton du Brai Gochin, près de la chaussée, où
il se construisit une masure encore existante ; les autres se conten-
tèrent de faire reculer, autant qu'ils purent, les haies sinueuses qui
séparaient leurs héritages delà forêt. On aura une idée approximative
de l'importance du terrain qu'elle a dû perdre de la sorte, si l'on se
représente le développement de son périmètre qui, encore aujourd'hui,
n'a pas moins de 80,000 mètres.
Ge n'est qu'en 1827, qu'on procéda à un nouveau bornage. L'opéra-
tion fut exécutée par MM. Delattre, Inspecteur des Forêts au Quesnoy
et Lemoyne, Sous-Inspecteur des Forêts à Landrecies, qui durent
presque partout accepter les faits accomplis. Le procès-verbal qu'ils
dressèrent à cette occasion, était, comme tous ceux de leurs devan-
(1) Procès-verbal du bornage de la, forest de Monnal, exécuté en 168.5, par J.-B.
Le Féron , escuyer, Seigneur du Plessis , Conseiller du Roy en ses conseils , Maître
ordinaire en sa chambre des comptes , Commissaire nommé par Sa Majesté pour la
réformation générale de ses forêts et à la charge de Grand-Maître des eaux et forests
au département de Flandre , Artois , Haynaut , pays d'entre Sambre-et-Meuse et
d'Outre-Meuse. — Arch. de l'Inspection des forêts du Quesnoy.
— 362 -
ciers, tout-à-fait incomplet, en ce qu'il se bornait à relater les distances
qui séparaient chaque borne de la suivante, sans donner aucune indi-
cation sur la valeur des angles que formaient les sinuosités du péri-
mètre; de plus, on y trouvait souvent des énonciations aussi vagues
que l'est celle-ci : « De cette borne, la ligne périraétrale se dirige au
Sud sur une longueur de 164"°, 4*^, en suivant une ligne sinueuse tenant
aux propriétés du sieur Meurant, jusqu'à la borne 283. » Il eut donc
été impossible de s'appuyer en justice sur ce procès-verbal pour faire
vider les contestations qui auraient pu surgir. Un fait en vint bientôt
démontrer l'insuffisance : quoique les haies de périmètre fissent partie
de la forêt, il paraît certain que le service forestier local souffrit que
les riverains se chargeassent de les reslouper (1) et profitassent du
produit de la tonte ; ce fut assez pour que la plupart d'entre eux
élevassent des prétentions sur la propriété de ces haies. Bien que
l'Administration eut cité des arrêts du Conseil de 1684 et de 1687 qui
ordonnaient la vente des bois dépérissants implantés dans ces haies ,
et produit un procès-verbal du 20 janvier 1688 constatant le mar-
telage de 1150 arbres dans lesdites haies ; bien qu'elle eut rappelé
que dans les balivages exécutés postérieurement à ces dates, les nou-
veaux arbres dépérissants qu'on y avait rencontrés, avaient toujours
été frappés du marteau de l'Etat et vendus à son profit; enfin qu'elle
eut fait remarquer que ces mêmes haies étaient établies sur les crêtes
d'un fossé dont les terres étaient rejetées du côté de la forêt , elle
succomba dans plusieurs instances , à la suite desquelles le Ministre
des Finances prescrivit d'abandonner toutes les autres. (2)
Dans cette situation, la commission qui fut chargée, en vertu d'un
arrêté du 30 avril 1859 du Directeur Général des Forêts, de procéder
à la révision de l'aménagement de Mormal, demanda à l'Administra-
tion l'autorisation de procéder de concert avec les riverains, à la
reconnaissance amiable des limites de cette forêt, de faire abattre les
haies de clôture, non seulement sur tous les points où ces haies appar-
tenaient à l'État ou étaient mitoyennes, mais encore sur ceux ou les
riverains reconnus propriétaires y donnaient leur adhésion, puis de
(1) Mot wallon qui signifie entretenir.
(2) Lettre du 27 septembre 1848, approuvant deux arrêtés du Préfet du Nord conte-
nant propositions d'abandonner l'instance Guffroy. Arch. de l'Inspection des forêts
du Quesnoy.
— 2r>3 —
faire ouvrir entièrement sur le sol forestier, à 0"'50 de la ligne de
limite, un fossé de clôture do 2 mètres de largeur. Celle proposition
^ant été agréée, on fit disparaître successivement la plus grande partie
des vieilles haies et on ouvrit un fossé continu, qui, indépendemment
de l'avantage de mettre désormais le massif à l'abri d'usurpations
nouvelles, aura celui de prévenir bien des contestations et même des
procès entre l'Administration et les propriétaires riverains (1).
Parmi les autres causes qui ont concouru à réduire la contenance
de la forêt, nous mentionnerons à présent les aliénations et les con-
cessions accordées à des établissements religieux.
Motivées, soit par des embarras financiers du gouvernement, soit
par des doctrines économiques heureusement répudiées aujourd'hui,
les aliénations ont porté sur les cantons détachés de Mormal : la haie
Hourdeau, située sur le territoire de Landrecies, la haie de Quelipont,
(partie domaniale (2) située sur celui de Preux-au-Sart, et les haies le
Comte et des Lombards, situées, l'une sur Landrecies, l'autre sur Loc-
quignol. La haie Hourdeau (188 arpents) fut vendue, en vertu d'une
loi du 28 ventôse an II, en. thermidor an IV. pour la somme de 48574
livres , à M. Joseph Bâillon, gérant des fortifications du Quesnoy, et
plus tard maire de cette ville et député au Corps législatif. Madame
Scolastique Robillard, veuve en premières noces de M. Desfontaines,
seigneur deFrasnoy, et en secondes noces du vicomte de Bouno-Lesdi-
gnières, se rendit acquéreur à la même époque de la haie de Quelipont
(i6arp. 15 p.) au prix de 3297 liv. La haie le Comte (68 h. II a.) fut
aliénée en vertu d'une loi du 25 mars 1831 et échut à un spéculateur
pour la somme de 203000 francs. Quant à la haie des Lombards (21 h.
76 a.), elle fut vendue en suite d'une loi du 4 nov. 1862, pour 81,000
francs, à M. d'Albert . duc de Luynes et de Chevreuse.
Les religieux dotés aux dépens du massif sont les Bénédictins de
Maroilles et les Récolets de Mormal.
Les premiers possédaient une censé avec 66 rasières s'étendant sur
(1) Projet d'aménagement du 5 fev. 1864 , par MM. Dupuy de Glinchanip et
Charles ; p. 5 à 7. Arch. de rinspection des forêts du Quesnoy.
(2) Le domaine ne possédait qu'un tiers de ce bois, le surplus, soit environ
H2 arpents , appartenant au seigneur de Frasnoy.
- 264 —
la rive gauche delà Sambre, près du chemin de Locquignol à Maroilles.
On ne connaît pas la date à laquelle ce domaine leur fut accordé, et les
religieux ne pouvaient produire eux-mêmes d'autres titres qu'une
longue possession (1). Ils jouissaient en outre, en regard de leur censé,
d'un droit de pêche dans la Sambre qui leur fut concédé par Bauduin-
le Vieil et qui leur fut confirmé par Jeanne et Ferrand, en 1231, puis
par Louis XVI, en 1785 (2). La comtesse Jeanne leur accorda aussi
un chemin de 30 pieds de largeur, tendant de leur terre d'Hachette à
la Sambre, mais en se réservant la justice sur ce chemin et sous la
condition de pouvoir établir un pont sur cette rivière en face du
domaine de Renaut-folie qui leur appartenait également. A la première
révolution, la censé d'Hachette et ses dépendances furent réunies au
domaine national, puis vendues pour une somme de 15,900 fr. en prin-
cipal, à Jean Huvelle de Locquignol (3),
La concession accordée aux Réoolets occupait une petite vallée
pittoresque située à peu de distance d'Hachette. On ignore également
l'époque où elle leur fut faite ; on peut affirmer toutefois qu'elle n'est
ni antérieure au XIP siècle, puisque c'est seulement après la troisième
croisade que ces religieux firent leur apparition dans le Hainaut, ni
postérieure à la fin du XIV** siècle, car il en est question dans un
compte de la recette générale de 1393-1394 (4). La conjecture la plus
vraisemblable est qu'ils furent autorisés à se fixer dans la forêt par la
comtesse Jeanne qui, d'après nos anciens chroniqueurs, se distinguait
par une vive piété et dota un grand nombre de communautés tant en
Hainaut qu'en Flandre (5). Quoi qu'il en soit, le terrain occupé par eux
(1) St-Génois. Droits prhnitifs des ancientics terres et seigneuries du pays et
comté de Haynaut , etc., p. 3J8.
(2) Arrêt du Conseil d'État , du 26 mai 1785.
(3) Quant à l'abbaye de Maroilles , pillée en 1789 par des habitants de Taisnièri s ,
ayant à leur tête Jean Fiévet , elle partagea le même sort et fut en grande partie
démolie en 1794. Gossart. Précis de T histoire des principaux établissements reli-
gieux qui existaient autrefois dans l'arrondissement d'Avesnes.
(4) « Pour le fachon de im livres de candeilles de chire tant pour l'iermitaige
comme pour leditte maison de Haches.... ii solz. » Compte de Colart Haignet ,
receveur de la recette générale du Hainaut, pour 139;j-lo'J4 , fol" 46 . v". Arch. du
départ, du Nord. Ch. des Comptes à Lille.
(5) Elle succéda en 1304 , à son père Bauduin VI de Hainaut et épousa , en pre-
mières noces , Ferrand de Portugal que Philippe-Auguste fit prisonnier à Bouvines ,
et , en secondes noces , Thomas de Savoie qui lui survécut Elle mourut sans posté-
rité, en 1244, laissant à sa sœur Marguerite les comtés de Flandre et de Hainaut.
— 2(v) —
n'avait qu'une médiocre étendue , car, au moment de sa plus grande
extension, il embrassait à peine une surface de deux bonniers.
Le bâtiment qui leur servait d'asile, s'appelait l'ermitage ; c'est qu'à
l'origine , il n'était habile que par un seul religieux et par son clerc
qui l'aidait « à dire messe (1)». Il était alors très modeste , quoique
désigné parfois sous le nom de moûtier (2) : il ne se composait en effet
que d'un rez-de-chaussée, comprenant deux chambres et une chapelle
dédiée à St-Roch. Dans la suite, plusieurs cénobites vinrent s'y fixer,
et tout en conservant son nom, il fut l'objet d'agrandissements, mais en
définitive de peu d'importance.
Les comtes de Hainaut prenaient à leur charge les réparations que
nécessitait l'ermitage de Mormal (3) ; ils distribuaient ainsi à ses
habitants quelques aumônes (4) et les autorisaient à prendre dans la
(1) « A Messire Jehan et frère Baude, hiermittes el yermitage de Mourmail, a estet
délivret à plusieurs fois ou terme de ce compte en pain cuit, el ayde leur gouver-
nanche i mui ii rasières. » Compte de Colart Haiynet , receveur du Hainaut ,
du !•"■ sept. 1398 au l*'" sept. 1399, foP 91. Arch. du dép. du Nord. Ch. des Comptes,
à Lille.
(2) Compte de Jean Rasoirs , receveur du Hainaut, du 1" sept. 1427 au T' sept.
1428 , fol" 42. Mêmes archives.
(3) On lit en effet dans le Compte de Wuillaumes de Sommaing , bailli des bois
du Hainaut, pour 1399-1400. à l'art, intitulé Ouvraiges et aultres parties : « à Jehan
Estrée, carpentiers demeurans à Maroilles, pour m jours avoir ouvré à rhiermitaige
de Mourmal, au mois d'octobre un'"' xix (1399) , au remettre en estât les allans dudit
lieu , ou mestier estoit et les pafïix recouverts d'arselles ou besoing estoit , à un solz
le jour et ses dépends, sont xii solz »
Voir également un Compte de Jacques de tloion , bailli des bois pour 1404-1405 ,
fol" 36 , et ceux de Jean Rasoirs et de Charles de Martigny, receveurs du Hainaut ,
le premier pour Tannée 1427-1428 , foP 42 , et le second , pour l'année 1594-1595 ,
folo2;:^6.
(4) En voici des exemples :
1° A III povres frères hermites liquel ont esteit en Termitaige de leditte foriestpar
VI mois ou terme de ce compte , a esteit delivreit en aumosne ou lieu qu'il soloient
avoir pain , compenaige et laitais es dictes maisons de Renaufollie et Haces à cascun
nu solz , Ti deniers le mois par iiii leur candeilles mi libvres xii deniers , et à frère
Hue Roussiel , hermite et wardaig doudit lieu par otel par le terme de vi mois de
lui seul à ce pris xxti solz, sont cviii solz .
« Pour demi vaissiel de sel accatté et delivreit as dis hermites
IX solz , item pour une rasière de pois xiin solz et pour une
couppe de fèves ii solz, vi deniers, sont xxv solz \t den. »
Compte de Gérard Engherans , receveur du Hainaut , pour 1413-1414 , fol. 45
Arch. du dép. du Nord. Cli. des Comptes, à Lille.
2" « A Messire Jehan Liermitte . ])riestre demorant à l'ermittaige de Mourmaul ,
— 266 —
forêt, pour leur chauffage , des arbres morts ou renversés par le vent.
Après la conquête française , le roi pourvut, comme les anciens sou-
verains du pays, a l'entretien de leur édifice ; mais le droit dont ils
jouissaient de se procurer les chablis et les arbres secs nécessaires à
leurs besoins leur fut supprimé , en 1751 , par le Grand Maître des
Eaux et Forêts, Raulin d'Essart, comme ne reposant sur aucun titre.
Sur leur réclamation , intervint un arrêt confirmant la décision de cet
officier : nous le rapporterons intégralement à raison de l'intérêt qu'il
présente :
«.< Sur la requête présentée au Roy, en son conseil , par les religieux Récolets
du couvent de Mormal , contenant qu'ils sont établis dans le milieu de la forêt de
Mormal , pour y rendre service aux sujets de Sa Majesté , spécialement aux officiers
de la ]Maîtri?e particulière du Quesnoy et aux gardes de ladite fores t , et encore à
2000 ouvriers au moins qui travaillent et se logent dans des cahanes qui se bâtissent
dans cette forest , qui est de i lieues de diamètre ; que ces ouvriers n'ont d'autres
secours spirituels, tant pour la messe, que pour les autres sacrements , que des sup-
plians, qui y sont autorisez par les curez des villages circonvoisins ; que depuis leur
fondation, on leur a toujours accordé pour leur chaulî'age, le bois qui leur est néces-
saire chaque année ; qu'il y a 100 ans environ , qu'on leur désigne un certain endroit
à ladite forest pour y prendre , à force de bras , les bois tendres et abattus par les
vents, et ce, sous les yeux des gardes, après , néanmoins, qu'ils ont été marquez du
marteau du Roy ; que cette manière de les aider ne porte aucun préjudice aux inté-
rêts de Sa Majesté, attendu que lesdits bois tendres ne se vendent jamais, par
l'impossibilité d'y introduire les voitures dans les coupes de ladite forest, oii il se
trouve quantité de ces bois qui tombent à mesure que les bois durs qui , seuls ,
forment ladite forest, croissent et s'élèvent ; que c'est ce qui oblige les officiers de
la dite Maîtrise de laisser pourrir les dits bois tendres dans l'endroit oii ils tombent;
que par une nouveauté des plus singulières, le S' Raulin d"Essart, Grand-Maître des
eaux et forests du département de Haynault , leur refuse ce secours ordinaire , sous
prétexte qu'ils ne sont pas compris dans l'Etat des coupes et ventes de bois , chauf-
fages et autres droits d'usage concernant la dite forest de Mormal , arrêté au conseil
le 1" septembre 1674 , en exécution de l'ordonnance des Eaux et Forests du mois
d'aoust 1669 ; qu'ils ont lieu d'espérer de l'équité naturelle de Sa Majesté , qu'elle
voudra bien leur continuer les bienfaits que les Hoys ses prédécesseurs leur ont
pour ses gaiges d'argent que on lui donne cascun an en ayde de sen vivre , pour lui
et son clercq qui lui aide à dire messe , a estct pour le terme de xii mois acomplis
à le fin de ce compte , par ledit recepveur payet, à ix solz le mois , cvm solz ; item
pour xii rasières de bleid à lui délivret audit terme pour leur gouverne à xvii solz le
rasière, x libvres un solz ; item pour xii libvres de candeilles à xxvii deniers le libvre
XVII solz : item pour ii quartiers seel délivret à lui en ce terme, xv solz ; item , pour
une rasière de poix xviii solz et pour x libvres d'oille xv solz. Sont ces parties ensi
délivrées que dit est xix libvres vu solz. •»
Co»q)tf (le Guillaume Estièvenard . dit rlu Canibi/e , receveur du ITainaut , pour
li2n-l 126 . fol" i7. Mèines'arch.
- 267 ~
accordés jusqu'à présent; que cette aumône leur est, d'autant plus nécessaire, qu'ils
ne possèdent aucuns biens, et que se trouvant isolés au milieu de cette vaste forest,
ils ne peuvent y subsister qu'au moyen de cette grâce et que c'est dans ces circons-
tances qu'ils ont été conseillez de se pourvoir. A ces causes requéroient les suplians
qu'il plût à Sa Majesté leur continuer , à titre d'aumône , le droit qui leur a été cy
devant accordé par les Roys , prédécesseurs de Sa Majesté , de prendre annuelle-
ment, dans ladite forêt de Mormal , les bois chablis et rompus j)ar les vents , dont
ils auront besoin pour leur ciiauflTage, et ce, suivant la marque et délivrance qui leur
en sera faite par celui des officiers de ladite Maîtrise que ledit sieur Grand-Maître
jugera à propos de commettre à cet ertet. Veu la dite requête et les pièces y jointes,
ensemble l'Etat arrêté au conseil le l"' septembre 1674 , cy dessus mentionné, dans
lequel les suplians ne sont compris pour aucun droit de chauffage , de quelqu'espèce
que ce soit dans ladite forest de Mormal , et l'avis du dit Grand-Maître du 26 dé-
cembre 1751. OuY le rapport.
Le Roy en son conseil , sans avoir égard à la requête ny aux demandes , fins et
conclusions des suplians , dont Sa Majesté les a débouté et déboute , a ordonné et
ordonne que l'Etat des coupes et ventes de bois , chauffages et autres droits d'usage
de la forest de Mormal , arrêté au Conseil le 1" septembre mil six cent soixante-
quatorze , sera exécuté selon sa forme et teneur.
De Lamoignon. Machaut.
« A Fontainebleau , le 24 du mois d'octobre 1752. » (1).
Ce serait sortir de notre cadre que de nous étendre sur les Récolets
do Mormal dont on s'est d'ailleurs fort peu occupé jusqu'à ce jour.
Nous ajouterons seulement qu'indépendamment des besoins spirituels
des habitants d'Hachette auxquels ils pourvoyaient en vertu d'une
autorisation épiscopale (2), ces religieux se consacraient à l'éducation
des enfants de ce hameau et de ceux du village de Locquignol, et que
plusieurs d'entre eux se répandaient dans la contrée en qualité de
confesseurs ou de prédicateurs. Un état des religieux profès de leur
établissement, dressé en vertu d'un décret de l'Assemblée constituante
du 26 mars 1790, nous indique qu'à cette époque ils étaient au nombre
de quatorze, dont sept pères et autant de frères ; ils déclarèrent à la
(1) Archives nationales. E , 1283.
(2) « Au thuillier dou Lostignot , siergeans de le foriest de Mourmail , liquels au
command de monseigneur le baillieu des bos fu à Gambray pour ii jours ou mois
d'apvril l'an Illlc pour les lettres de le capielle dou Lostignot et del hiermitaige de
Mourmail avoir renouvelées de la grasce de monseigneur de Gambray paiiet pour les
despens de lui et de sen cheval ledit terme. Et avoecq pour le escripture et le saiicl
des lettres xxxii solz. » Compte de Piersant d'Audref/nies , bailli des
bois du Hainaut depuis le 1" mars 1400 jusqu'au 1"' sept, 1400, fol" 20. Arch. du
dép. du Nord. Gh. des Comptes à Lille. Voir aux mêm(?fe arch. sur le même objet, un
Compte de Thierij de Mersen , bailli des bois , pour 1408-1409 , fol" 21» , v".
— 2R8 —
«
Commission municipale du Quesnoy, qui avait été chargée de faire une
enquêle sur leur couvent, que leur intention était d'y rester, d'y vivre
et d'y mourir en conformité de leurs vœux (1]. Quelques années après,
ils furent, comme tant d'autres religieux, expulsés de leur retraite (2),
et aprôs leur départ, l'ermitage, que la municipalité centrale du canton
de Berlaimont avait confié à la garde du citoyen Lécoyez (3), tomba
sous les coups des démolisseurs Leur cimetière, dans lequel une place
était réservée pour les habitants d'Hachette, ne fut même pas respecté:
les tombes qu'il renfermait furent enlevées par quelques individus de
ce hameau qui les employèrent au pavage de leurs étables à porcs, où
on les retrouve encore. Quelques pierres à demi cachées sous les
ronces où gisant au fond de ruisseaux , un tertre sur lequel s'élevait
une croix, tels sont, avec d'anciens fossés de clôture, les seuls vestiges
qui signalent aujourd'hui l'emplacement de l'antique ermitage des
Récolets de Mormal.
Il ne nous reste plus à mentionner, parmi les causes qui ont diminué
l'étendue de cette forêt, que les décisions ayant eu pour objet l'abandon
des terrains nécessaires à l'établissement de voies publiques dans ce
massif. Disons d'abord qu'avant 1839 il n'existait pas de chemins de
cette nature à Mormal , car ceux qu'on y trouvait faisaient partie du
sol forestier ; pendant longtemps même, ces chemins servirent exclusi-
vement à l'exploitation des coupes ou à la desserte du domaine de Loc-
quignol , et il était interdit aux habitants du dehors de les fréquenter
(1) Archives municipales du Quesnoy.
(2) C'étaient les pères François Motte, 39 ans, gardien ; Léopold Emaque, 47 ans,
prêtre vicaire ; Ange Fiévet , 52 ans , stationnaire de Landrecies ; Antoine Hégo ,
55 ans, prêtre terminairo ; Michel Leplat, 40 ans, prêtre prédicateur ; Antoine-Joseph
Leplat, 40 ans, missionnaire ; Sylvis, André, 39 ans, prédicateur et confesseur à Ma-
roilles; les frères Norbert Martin , 63 ans , brasseur de la maison : Célestin Rappe ,
40 ans , quêteur de Landrecies ; Prosper Laforge , 36 ans , jardinier ; lldefonse Le-
maire , 36 ans , cuisinier, et Valengin , tailleur d'habits.
(.3) Liberté. Egalité.
L'an 4 de la République française une et indivisible , le vingt-deux pluviôse ,
Jacquo-Joseph Applencourt , sergent-garde en la forests de Mormal au quartiers de
Maroilles , fait raport que la municipalité central du canton de Berlaimont a nomé
et instalé le citoyen Louis Lécoyez d'Acheté, conservateur de l'hermitage et lui a
accordé pour indemnité la jouissance du térain qui l'environne, pourquoy j'ay fait le
présent par d'avant les citoyons administrateurs de l'administration forestière établie
au Quesnoy, pour servir et valoir ce que de raison ; en foi de quoi , j'ay signé :
Applencourt . Arch. do l'insp ction d. s forêts du Quesnoy.
— V?()'.l —
avec chevaux et voitures pour communiquer entre eux (Ij. Lorsque le
commerce et l'industrie eurent pris une certaine extension dans la con-
trée, qui resta purement agricole et forestière pendant très longtemps,
cette situation devint intolérable pour une partie de la population; aussi
les archiducs Albert et Isabel se trouvèrent amenés à accorder « pour
la commodité de leurs sujets » mais seulement à titre de tolérance,
l'autorisation de circuler sur un certain nombre de chevaachoires,
notamment sur les sections des deux chaussées qui longent la forêt sur
une partie de son périmètre et qui y étaient rattachées, sur la carrière
de Berlaimout à Herbignies, sur le chemin de Landrecies à l'Homme-
Pendu, sur ceux des Etoquiesau Sart-Bara et de Jolimetz à Hachette.
Mais , d'un autre côté , ils disposèrent que quiconque s'écarterait de
ceschevauchoires, serait passible d'une amende de c sols-blancs, pour
la première fois, de ce pour la seconde fois et que tout individu qui
serait repris une troisième fuis ou aurait dételé ses bêtes pour les
faire paître, serait puni de la confiscation de son attelage (2).
C'est seulement en 1839 qu'apparaissent les premiers chemins publics
dans la forêt. A cette époque, la commune de Locquignol fit classer en
vicinalité, en vertu de la loi du 21 mai 1836, les sections des deux chaus-
sées qui longent une partie de son territoire ainsi que la Grande Carrière
et le grand chemin de Jolimetz à Hachette. Depuis, l'Etat lui a aban-
donné le chemin Triolin tendant d'Hachette à Sassegnios et ceux du
Veri-Donjon et des Grandes-Pâtures. En 1842, l'administration des ponts
et chaussées ayant décidé l'établissement dune roule départementale du
Quesnoy à Avesnes qui evait empurnter une partie du chemin de Joli-
metz à Hachette, l'Etat céda au département le terrain nécessaire pour
relier Locquignol au hameau de la Noire-Tête, dépendance de Berlai-
mont. Enfin, la Compagnie du chemin de fer du Nord acquit, en 1853
et en 1872, les terrains occupés dans la traversée du massif par les
(1) C'est en eftet , ce qui résulte du compte de 1399-1400 , de WUlaume de Som-
maing^ bailli du bois de Hainaut, où on trouve les condamnations ci-après :
« De Hanin Nadoul , demorans à Berlaimont , lequels fu trouvés en le forest de
Mourmail par Reinier, escuyer, sicrgeant menant sel sur sou car sans en avoir
grasce, celui venant de Valenchiennes, rechuypt pour les lois x sols.
» De Bataille, demorans à Engkffontainne, le quels fu par ledit Reinier
trouvés cariant sur l'escluse du Vivier de l'Escaillon, rechuypt les lois de. x sols. »
(2) Ordonnnce de 1607, art. 98 à 100. Arch. départem. du Nord. Chambre des
Comptes à Lille. M. 57. Forêt de Mormal.
~ 270 -
lignes de Paris à Cologne et de Valenciennes à A.ulnoye (1). Nous ne
nous étendrons pas davantage ici sur ces voies de communication qui
embrassent ensemble une superficie de 90 hectares, nous réservant
de revenir ultérieurement sur ce sujet.
On a vu ci-dessus à combien se chifirent les pertes éprouvées par la
forêt par le fait des aliénations, des abandons de parcelles à des établis-
sements religieux et des cessions de terrain pour la voierie. Mais nous
avons négligé de donner la même indication en passant en revue les
autres causes qui l'ont affaiblie : nous allons combler cette lacune.
Un cartulaire des rentes et cens dus au comte de Hainaut de 1265 à
1286, nous fournit les premières indications à cet égard ; on y lit ce
qui suit :
« Si a li Guens au Caisnoit sen castel et se basse-court, et ses viviers : le vivier
d'eutor le castel , le vivier d'OnoilIes (2) , le vivier de le Glaièle , le petit vivier de-
seure (3), le vivier dou Wéz de le Pière, les ii viviers de Mortruel, le petit vivier
deseure Morteruel (4) , le vivier d'Escaillon , le vivier à Truites , le vivier de le Cres-
sonnière , le vivier d'entor le naaison dou Louskegnot , le viveret de Savoie et le
vivret dou Gart (5).
» Et si vaut li kewe dou vivier d'Onoiles, por pasturage de bestes xl s. par an. . .
» Et si a se maison au Loskegnot et le maison de Savoie et de le Gressonnière.
» Et si a ses titres ahannables et ses près ki furent mesurés par Bauduin d'Es-
truem et Jakemon d'Erchin, el quarosm l'an LXVI.
» En le grande pièce derrière le maison i'ahanier a xni muy v witeux et demi à le
corde don bos. Tenant au cortil Waregni, sans celui cortil, ii witeus. Entre Fescluse
dou grant vivier et le maison de le Gressonnière, xn witeus et demi. D'autre part, le
Gressonnière xn witeus et ui verges. Et en l'autre grande pièce, xi muy lxxv verges.
» Summe de ces tières (6), valent par an (7).
» Si a li Guens de ses prés ou bos de Mormail el liu qu'on dist à haies de Haces
dusques as Estokis, entor xxx boniers ki ont iadis esté censi.
» Des prés qu'on dist as Estokis xxx boniers.
» En kewes de ces prés entrans en Mormail, entor i bonnier.
» Et si est li ries Balleton, ko li comtesse Marguerite fist ahanner : si en portèrent
les gens le conte de Blois l'avaine à larrechin et puis le ramenèrent-ils par force de
di-oit en la pièce de tière.
(1) La première de ces lignes nécessita une emprise de 10 h. oO a. 50 c , et la
seconde une emprise de 13 h. 2:^ a. 66 c. pour lesquelles l'État reçut de la Gompagnie
des indemnités de 61830 fr. tt de 65445 fr.
(2) Ges deux viviers étaient situés entre Le Quesnoy et la Glayelle.
(3) et (4) Il s'agit peut-être ici de la Flaque à grues et du vivier Gorbeau.
(5) Ces cinq derniers viviers étaient proches de la censé de la Motte, à Locquignol.
(6) et (7) Passages laissés en blanc.
» Et eu le présciicf des gens le conte de Blois , les gens Medaine le lisent kierker
sur voitures et firent mener là u il lor pl(>ut de par Medarne.
» Et si a I fosset ki Yi(Mit devers Landrcchies tout selonc le bos de Morniail et va
parmi le Sart de Ilaoes, valt par an eutor nu lib.
» Et si a le Cuens, al issue de Morniail, al lés devers Preus, si qu'on venroit devers
Landrechies , xx witeus de tiere ke Mahius li Vénères de Preus tint lonc tans , tant
k'il vesqui, et revinrent à Medame kicrkiés de blet en l'aoust l'an LXVII , (1) valent
entor c s. par an.
» Et si a encor witel et demi de prêt ke Mahius tint , ki valt par an entor x s.
Segist selonc Morniail.
» Et si a I prêt ki gist à Grawetie, ki Ifu maistre Felippon de Louvegnies grant
tans. Valt par an entor xxxv s. et tant en redi Gerars de le Carnoie par an
De 128G à 1500, les domaines en culture s'augmentent au détriment
de la forêt de ceux dits de Guilbert-Mesnil et du Fer-à-Gheval, près de
Sassegnies ; du Sarty et de l'esnoe Francart, touchant à la censé d'Ha-
chette ; des esuoës Alexandre et de Ramousy près des Etoquies, dj la
pâture le Royiine du Bos, aujourd'hui du Roi du bois, déjà desrodée en
1399, et du Sart de Maubeuge, sur lequel on a construit depuis la
maison forestière de Locquignol ; puis du pré Hardret, appelé dans la
suite Muthiau. D'autre part, le nombre des viviers s'accroît de celui de
la Jouquière, voisin du territoire de Mecquignies et de ceux d'Ecau-
demetz et Gorbault, proches de Jolimetz. A la fin du XV siècle le
domaine de Hache comprend 28 bonniers, ceux du Fer-à-Gheval et du
Sarty, 18 et 48 bonniers et celui des Etoquies, 40 (2),
Entre les années 1500 et 1525, on voit apparaître le Sart de la
Tourie, près d'Hachette, le Vivier aux Vaches, près d'Englefontaine,
le Neuf-Vivier et le Petit-Vivier, sur un affluent de la Sambre; en
même temps l'enclave de Locquignol reçoit quelques accroisse-
ments (3).
Pendant le quart de siècle suivant, la haie du Ghard (282 mencaudées)
fut complètement défrichée. Le canton de la Glayelle (51 bonniers, 46
verges) subit le même sort : le bois y fut « du tout colpé et vendu par
ordonnance de la reine de l'an xv° trente sept pour la garde de la ville
(1) Année 1269.
(2) Compte dixyème de Nicolas Dassonleville , receveur général de Hainaut du
1"'' octobre 1499 au 30 septembre 1500. Arch. départ, du Nord. Chambre des Comptes
à Lille.
(H) Compte vingtysme de Jehan de la Croix , receveur général de Hainaut du
V' octobre 1524 au MO septembre 1525. Mêmes archives.
27-2 —
du Quesnoy, à cause des guerres lors régnantes » et le terrain l'ut
ensuite loué à des fermiers, « à condition que lesdits fermiers. . . . seraient
tenus le tout avoir hauwé entre deux terres tous les estocqs et rachines
estans en laditte Clayelle, et tellement faire que lafaulch puisse courir
partout. » On défricha également dans le voisinage de la fontaine Herbé-
gaghe, aujourd'hui des Bécasses, l'esnoe Bourlart, appelée plus tard
pâture Fiévet (1).
Les pertes subies par la forêt de 1550 à 1575 sont encore considéra-
bles. Ce sont : la haie le Borgne ou Libourne (13 bonniers, 2 journels)
qui avait été saccagée pendant la deuxième campagne de François 1"
dans le Hainaut ; « certain lieu et plaiche non abosquié, inhabitable et
plain de croihsches vulgairement appelée le Bray du Charloton »
(15 mencaudées, 2 journels) ; « certaine place vaghe , communément
appelée Hannebray et dans la suite Brai Balicq (4 mencaudées, 7 ver-
ges) ; « certaine plaice et lieu vague communément appelé
l'annauwe Bernard » , connue à présent sous le nom de pâture de la
Chapelle (10 mencaudées) ; « certain lieu et plaice vague joindant
la cauchie Brunehault , au quartier de Jolimetz, communément appelé
l'annauwe Hacquin » (10 mencaudées) ; « certain lieu et plaiche
non estocquis, inhabitable, vulgairement appelé le Groisilz » (7 bon-
niers, un journel) ; etc (2),
De 1575 à 1600, les dégâts commis par plusieurs corps d'armée ou
par les bestiaux provoquent le défrichement de « certain lieu séant en
Mourmail, tenans de tous côtés à la ditte forest et au passage Quévy-
le-Bèghe, communément appelé la Tapperie » ; du Bien du Quesne
(1 bonnier et 3 journels) , de la Flaque à Grues (3 journels, 12 verges),
près de Jolimetz ; du Magoniau (13 bonniers, 4 verges). En outre, on
mit en culture, entre Hecq et Landrecies : un bonnier un quart à
Facibis ; 12 bonniers, au Quesne à l'Orière ; 4 bonniers un quart de
journel, au Culot Primot ; 25 à 26 bonniers à la Toubiette ; 9 bonniers
et un demi journel, à la Haute Cornée ; 6 bonniers un journel et demi,
aux Aulneaux ; 13 à 14 bonniers près des Etoquies, et 8 bonniers au
(1) Compte septième de Philippes du Jardin, conseiller de l'Empereur et receveur
général de son pays et comte de Haynnau, du l*"" octobre 1850 au bO septembre 1851 .
Arch. dép. du ISord. Chambre des Comptes à Lille.
(2) Compte quattriesme de Charles de Martigtiy , conseiller du Roy notre sire et
son receveur général de Haynnau, du 1'^' octobre 1574 au 30 septembre 1575.
— 273 —
Trou Huron , près de la Noire-Tête (1) ; enfin , on défricha au
centre de la Forêt le terrain dénommé depuis lors les Grandes-
Pâtures « gisantes entre autres lieux qu'on dist la Planque à eauwe et
la cocque Broncquart, comprendant d'estendue 16 bonniers, 1 journel
et 60 verges, appliquées à la censé de Locquignol, pour accomoder le
censier de pâturage. » (2).
Mais les défrichements ne devaient pas s'arrêter là. Par une ordon-
nance de 1601, les archiducs Albert et Isabel, prescrivirent de faire
desroder tous les cantons que les dernières guerres et de récents
abus de pâturage avaient ruinés. Les défrichements portèrent sur un
grand nombre de parcelles disséminées principalement sur les rives de
la forêt et donnèrent naissance aux pâtures Jean-le Thor, du Plain des
Carhers, Jean Pasquier, du Brai Jean Deghaye, du Brai Petit Jehan,
du Brai-Robot, de la Fontaine-Glaré, Lange, de la vallée des Rohans,
Gille Florette, Pierre Baudez, du Brai-Dieu, du Plain du Sart-Bara,
du Chêne desrodé, Triohn, Tortehaye, du Fort-Mizère, des Houïes de
la Rouillette, du Culot la derrière, de l'Eclusette du Plessy dit d'An-
glefontaine, du Vivreuil, Mézières, Nocent, du Renard au Vert-
Douzon, de l'annowe Bouton et de la Pâture Malgueule.
Cependant une ordonnance de 1607 vint enfin mettre un terme à ces
défrichements qui compromettaient l'existence de la forêt. « Recognais-
sant, y est-il dit, le grand et irrécupérable dommaige que souffrons par
le desrodement de plusieurs portions et coingz de nostre forest
que Ton a réduitz en terres labourables, pretz et pastures veuil-
lans pourvoir à l'advenir que tel dommaige ne nous advienne, avons
interdit et deffendu, interdisons et deffendons à tous nos officiers, de
l'advenir permettre semblables desroderaents Et si par importu-
nité ou aultrement en ordonnons aulcuns, de n'accomplir nos comman-
demens sans empréalable nous en advertir et de l'intérêt qu'en aurions
à peine de nostre indignation. » [3] Cette interdiction fut renouvelée
en 1627, par une autre ordonnance où on lit ce qui suit : « Avons def
fendu et deffendons bien expressément que nulles parties de nostre
ditte forest, grande ou petite, ne soient à l'advenir desrodées pour
(1) Compte premier d'Adam d'Odrimont, receveur général du Hainaut, du 1" oc-
tobre 1599 au 30 septembre 1600.
(2) Compte xxi* de Charles de Martigmj, receveur général du Hainaut , du 1^' oc-
tobre 1592 au 30 septembre 1593, p. xi, v".
(3) Ord. de 1607, art. 96
19
— 274 —
être vendues ou données à ferme, voulant que les parties vagues
soient rencloses de hayes, semées de glands et semencées de faux et
gardées comme les jeunes tailles. » (1). Ces prescriptions furent exé-
cutées et, dès ce moment, le massif n'eut plus à redouter que les
entreprises des riverains pour augmenter leurs héritages.
Nous n'entrerons ici dans aucun développement sur le mode d'ex-
ploitation des parcelles qui ont constitué le domaine de Locquignol ;
mais nous indiquerons de suite les circonstances qui ont amené la
dispersion de la plupart d'entre elles et le rattachement du surplus à
la forêt.
Eu 1465, on accorde à Jehan Mustiau « le pré Hardret (2 bonniers
environ) à rente perpétuelle, pour le prix de xl sols blancs par an à
la St-Remy, » et , en 1490, la terre de Ramousy à Willaume le
Mayeur, par un acte d'arrentement (2), moyennant xx sols blancs de
rente par an. En 1549, le Bon-Wez passe dans les mêmes conditions
dans les mains du Baron d'Hertaing, et les brais de la Jonquière et du
Culot de Lannoy dans celles de Monseigneur de Bellignies et de
Claude de Hennin, seigneur d'Anfroipret, Obies et Bavisiau, qui y
établirent des viviers. D'autres actes d'arrentement rédigés vers le
même temps attribuèrent à des habitants de Preux et d'Hecq le Vivier
aux Vaches (33 mencaudées 8 verges), et à des individus de Locquignol
plusieurs maisons voisines du château, ainsi que le jardin Grumeau,
un autre jardin situé derrière l'étable des chevaux sauvages, un terrain
près du Vert-Donjon, l'annowe Francart et quelques autres parcelles
de peu d'importance. Enfin, en vertu de lettres patentes du 15 octobre
1563 (3), la censé de Guilbert-Mesnil (78 rasières) et les pâtures du
Fer à Cheval (40 rasières) furent accordées en arrentement perpétuel
à Gille de Berlairaont, Baron d'Hierges, moyennant une redevance
annuelle de 360 hvres, monnaie de Hainaut (4).
(1) Ordonnance de 1626, art. cxi.
(2) L' arrentement était un acte par lequel on livrait , généralement pour prix de
services rendus , un héritage pour une longue durée ou une durée indéfinie , moyen-
nant une redevance très minime.
(.S) Par ces mêmes lettres , Gille de Berlaimont reçut encore en arrentement la
terme du Hambut, située sur le territoire de Pont-sur-Sambre et attenante à la forêt.
(4) Comptes divers de la recette générale du Hainaut , notamment celui de 1574-
1575, à l'article intitulé : Aultre recepte, venant des maisons de Eaiches et Sartis ,
- 275 -
Telles sont les seules parcelles qui' paraissent avoir été séparées du
domaine de Locquigiiol, avant le dénieuibrement du Ilainaut. Sous
Louis XIV, on en aliéna de vastes surfaces, en vertu d'édits de mars
1695 et d'avril 1702, moins peut-être pour subvenir aux besoins du
Trésor qui étaient considérables que pour s'attacher la population
locale qui regrettait ses anciens maîtres, et pour introduire dans la
contrée des sujets d'autres provinces du royaume.
Par contrat du 12 avril 1696, l'Intendant Voisin céda, pour
14,405 liv. 5 s. en principal, à Amand François, seigneur d'Orchival,
tout ce que le Domaine possédait sur Jolimetz. savoir : la censé de la
Clayelle (1) comprenant un corps de ferme avec 51 bonniers de pâtures
et terres labourables, le pré Pajot (8 mencaudées). le pré Mortreux,
provenant de l'ancienne Silva Morteruel (14 mencaudées) (2). Tous
ces biens furent exemptés par le contrat d'acquisition de charges de
dixième ou de vingtième, comme aussi des charges locales assignées
sur les domaines de Morma et du Quesnoy. L'acquéreur fut, en outre,
doté des droits de seigneurie et de haute, basse et moyenne justice,
sur tout le territoire de Jolimetz, ainsi que de celui d'y élever un mou-
Estoquis, du Locquignol, Guillebert-Maisnil, du Fer-à-Cheval , ensemble d'autres
pretz et parties de pretz et aultres parties dépendans et gisans en la forrest de
Mourmal.
(1) II ne faut pas confondre cette censé de la Clayelle avec une autre du même
nom , séant autrefois sur le jugement de Louvignies et comprise entre la chaussée
Brunehaut et la censé d'Onoilles d'une part, et le rieu et le canal de l'Ecaillon d'autre
part ; cette doraièro (260 mencaudées environ) fut incorporée en vertu de lettres pa-
tentes données à Gand par Charles-Quint , le 8 août 1527, au gros du fief de la terre
et seigneurie de Potelle , appartenant à Charles de Carondelet , seigneur du lieu.
Arch. du château de Potelle.
(2) Ancienne dépendance de Faurœulx jadis paroisse et à présent faubourg du
Quesnoy, Jolimetz, qu'on voit figurer dans un Compte de Jehan Vrédiaul , receveur
du Hainaut , pour 1399-1400 , doit sa désignation à une ferme de belle apparence
construite sur la terre de Moirausart ( dont le nom se retrouve dans celui de la rue
Mariensart). Cette terre fut donnée en fief, d'après un cartulaire de 1420, à Christians
Mailles, écuyer, par le comte Guillaume IV de Hainaut. Elle appartenait dans la
deuxième moitié du XVIP siècle au s"" François, originaire d'Artois, entrepreneur de
bâtiments et juré de Mormal, et échut après lui h son fils Amand François, seigneur
d'Orchival, mayeur du Quesnoy de 1570 à 1586 , entrepreneur des fortifications de
cette ville et subdélégué de l'Intendant, qui fit reconstruire la ferme précitée et bâtir
à côté le château dit d'Arthois, encore existant. En 1774, la terre dont il s'agit passa,
avec la censé de la Clayelle , à la famille de Nedonchel , par suite du mariage du
baron de Nedonchel avec l'unique héritière des François
— 276 —
lin à vent ; mais ses héritiers durent payer, en 1713, pour confirma-
tion, 2,700 livres, en 1723, pour droit de joyeux avènement, 2,800 livres,
et, en vertu d'un arrêt du 15 octobre 1782, pour être maintenus en
possession, une rente d'accensement de 400 livres.
Le domaine du Ghard, qu'on commençait à. appeler Béart (283 men-
caudées), fut vendu, en 1698, à Nicolas Let'ebvre de Belleperche, rece-
veur des consignations du Bailliage royal du Quesuoy, qui en céda la
même année 110 mencaudées au sieur Destbul aines , seigneur de
F/'asnoy. Leurs héritiers eurent également à verser, en 1708 et en
1723, des suppléments de finance, et, de plus, furent tenus, en vertu
d'un arrêt du 12 novembre 1782, de payer une rente d'accensement
de 1,800 livres.
Les autres domames aliénés pendant la même période sont les sui-
vants : l'Annowe Hacquin (10 arpents 63 perches), pour 1,875 liv. ; les
pâtures du Quesneà l'Orière (29 arp.), pour 2,147 Uv. 10 sols ; celles
du Vivreuil (3 arp. 71 p.), du Chêne Guplet (5 arp. 60 p.) et de l'Eclu-
sette (2 arp. 57 p.), pour 984 liv. 7 s. 6 d. ; la haie de la Bouillette
(61 arp. 13 p.;, pour 2,500 liv.; la censé des Aulneaux (57 arp.), pour
2,700 liv. ; la pâture Louis Duez (1 arp. 45 p.), pour 468 liv. 15 d. ; le
Culot Ladrière aux Bloques (8 arp. 83 p.), pour le même prix ; quatre
parcelles à Hache, dont l'une de 13 quartiers et demi, pour 360 liv. ;
la seconde de 18 -mencaudées, pour 1,900 liv. ; la troisième de 14 arp.
33 p., pour 2,275 liv., et la dernière de 28 arp. 74 p. pour 2,500 liv. :
la censé Thoury, le Petit-Vivier et le Neuf-Vivier (14' arpents 17 p.) ,
pour 2,296 liv.; la pâture du Sarty à Hachette (4 arp. 59 p.), pour
1,375 liv. ; enfin, la pâture Baudry, près de Guilbert-Mesnil, 13 arp.
14 p., pour 2,500 liv., au comte d'Egmont. Indépendamment des prix
de vente précités, les acquéreurs durent verser immédiatement après
l'adjudication 2 sols par livre, et ils furent astreints, par un édit de
1708, de payer un supplément de finance du quart du prix d'acquisition
et, par un autre du 27 septembre 1723, de verser encore un dixième de
ce prix, pour droit de confirmation. Ces biens, au surplus, étaient alié-
nés pour en jouir en roture, à titre d'inféodalionet de propriété incom-
mutable.
Mais on sait que, sous l'ancienne monarchie, les terres du domaine
royal n'étaient jamais aliénées qu'à la condition que le rachat pourrait
en être faitlorsqu'on le jugerait à propos, et que, si cette clause n'était
pas insérée dans l'acte d'ahénation, elle était toujours censée y être.
Le Grand Maître des Eaux et Forêts, de Saint-Laurent, se prévalut de
- 277 —
cette disposition, sur laquelle un de ses prédécesseurs avait déjà appelé
l'attention du Conseil d'Etat (1), pour réclaiVier la réunion à la forêt
d'un certain nombre des parcelles sus-désigiiées, en faisant valoir
qu'elles avaient été engagées pour un prix dérisoire. Conformément à
sa proposition fut rendu un arrêt, en date du 17 novembre 1780. qui
prescrivit le rachat de ces parcelles (2), dont quatre enclavées dans
Mormal, le Vivreuil, l'Eclusette, le Petit-Vivier et le Neuf- Vivier, et
les autres situées sur les reins du massif, le Chêne-Cuplet, le Quesne-
à-rOrière, la haie de la Rouille'te, le bois Libourne, la censé des
Aulneaux on Haute-Cornée, la censé Louis Duez, une partie de Hache
et la pâture Baudry, le tout d'une contenance de 254 arpents envi-
ron (3). Après rachat, ces biens furent mis en location et affermés,
pour une durée de 24 ans, aux anciens détenteurs qu'on voulait ména-
ger et qui n'avaient, d'ailleurs, pas de concurrents, moyennant un
fermage annuel de 4,523 francs, à charge par eux d'entretenir les
habitations existantes.
Cependant, malgré les avantages qu'on leur avait accordés, ces
fermiers ne se résignaient pas à leur nouvelle condition ; ils protes-
tèrent, par des agites extra-judiciaires en date des 30 avril 1786 et
décembre 1790 (4). contre l'arrêt de 1780 qui les avaient dépouillés de
(1) Mémoire pour M. de Laverdy, controUeur fjénèral des Finances , par
M. Raulin d'Essart. Arch. nat. Qi, 835.
(2) On y lit ce qui suit : « Sur ce qui a été représenté au Roi étant en son conseil
qu'il y avait dans la province de Haynaut des domaines aliénés par les Rois d'Es-
pagne , anciens souverains de cette province et par les prédécesseurs de Sa Majesté,
moyennant des sommes très modiques et sous la faculté de rachat perpétuel, en rem-
boursant les engagistes des sommes par eux payées pour ces aliénations ; que Sa
Majesté étant aux droits des anciens souverains par le traité de Nimègue , 1678 , et
en vertu de la clause de rachat perpétuel stipulé dans les contrats, avait sans aucune
contradiction le droit de rentrer dans ces domames, Le Roi étant en son conseil
a ordonné et ordonne que dans un mois pour tout délai, les engagistes des dites
portions de terrein seront tenus de remettre au conseil leurs contrats d'engagements,
quittances , finance , titres et pièces qu'ils peuvent avoir concernant l'engagement
des dits terreins pour être procédé à la liquidation des finances qui pourroient leur
être dues et pourvu à leur remboursement ainsi qu'il appartiendra. » Arch. de
rinsp. des forêts du Quesnoy.
(3) Procès-verbal de n'site des do)»aines réunis ,par Joseph de St-Laurent . che-
valier , conseiller du Roi en ses conseils , grand-maître enquêteur et général réfor-
mateur des eaux et forêts de France, au département de Hainault et Cambrésis, pays
d'Entre-Sambre-et-Meuse et d'Outre-Meuse, du 3 nov. 1781. Mêmes archives.
(4) Voyez Mémoire de Mtre Dumont , avocat , chez Porthraan , imprimeur de Son
Altesse impériale et royale, rue Neuve des Petits-Champs.
- 278 -
biens dont ils se croyaient propriétaires. A la faveur des événements
qui survinrent quelque temps après, leurs efforts furent momentané-
ment couronnés de succès : en effet, deux arrêtés pris par l'adminis-
tration centrale du département du Nord, le 30 frimaire et le 18 ger-
minal, an V, confirmés par un autre du Conseil de préfecture du
24 fructidor an X, décidèrent que les exposants seraient mis provisoi-
rement en jouissance des domaines qu'ils cultivaient sans payer de
fermage. Mais l'administration départementale, on statuant de la sorte,
avait commis un excès de pouvoir, et, d'ailleurs, les arrêtés précités
étaient contraires à la loi du 1" décembre 1790, qui stipulait, d'une
part, que toutes les aliénations effectuées postérieurement à l'ordon-
nance de Charles IX, du mois de février 1556, dite ordonnance de
Moulins, étaient réputées simples engagements, et, d'autre part,
qu'étaient réputées seules irrévocables les aliénations des terres vagues
ou vaines, autres que celles situées dans les forêts ou à cent perches
d'icelles. En vain les demandeui's soutinrenl-ils, ce qui était contraire
à la vérité, que les biens en litige étaient des terres vagues et qu'elles
étaient à plus de cent perches de la forêt ; ils furent déboutés de leurs
demandes et conclusions par un décret de Napoléon F^ rendu à Munich
le ITjanvier 1806, lequel disposait, en outre, qu'il serait incessamment
procédé, en la forme ordinaire, à un nouveau bail desdits biens, à
charge, par les fermiers, de les mettre en nature de bois avant l'expi-
ration du bail. Mais cette condition détourna les amateurs et comme ils
renonçaient à y souscrire, on la supprima pour ne pas aboutir à un
insuccès. Moyennant l'abandon de cette clause, on put relouer aux
anciens fermiers les terrains dont il s'agit au même prix que précé-
demment.
Ces derniers toutefois ne désespéraient pas de rentrer en possession ;
loin d'être abattus , ils renouvelèrent leurs protestations. De son
côté, le service forestier exposa que 63 h. 87 a, des dits biens étaient
convertis en pâture et renfermaient 823 arbres fruitiers ; que 5 h. 87 a.
étaient cultivés en houblon et55 h. 68 a., en céréales ; qu'on y trouvait
quatorze maisons dont trois, il est vrai, avaient été ruinées pendant
l'occupation autrichienne ; de plus que ces terrains étaient l'unique res-
source de 90 familles, possédant ensemble 300 têtes de bétail; enfin,
que le gouvernement ferait une mauvaise opération en les reboisant (1).
(1) Rapport de M Blanc-Lanaute, inspecteur des forêts au Quesnoy, du 20 juillet
1807. Arch. de l'Inspection des forêts du Quesnoy.
— 279
Ces considérations hâtèrent la solution du débat: le 21 mai 1808, parut
un décret qui accorda aux réclamants , à l'exception toutefois des
détenteurs des enclaves du Petit-Vivier, du Grand-Vivier, de l'Eclusette
et du Vivreuil, la propriété des domaines qu'ils occupaient, sous la
réserve du paiement du quart de leur valeur, conformément aux
dispositions de la loi du 14 ventôse an VII. Tous profitèrent du bénéfice
de ce décret, sauf le comte d'Egmont, qui avait émigré.
Quant aux autres domaines engagés, les uns comme le Ghard ou
Béart, la Clayelle avec son annexe Mortreux, Guilbert-Mesnil et le
Fer-à-Cheval, furent réunis au domaine national au début de la pre-
mière Révolution, et aliénés peu de temps après ; les autres furent
abandonnés à ceux qui les occupaient, soit gratuitement comme le
Vivier-Muthiau, à cause de leur faible étendue, soit moyennant le paie-
ment du quart de leui' valeur, comme l'annoweRacquin, leur superficie
dépassant 5 hectares (1).
La réunion à la forêt des enclaves du Petit-Vivier, dn Neuf- Vivier,
de l'Eclusette et du Vivreuil avait été précédée de celle d'une partie
de la pâture Fiévet (8 h. 40 a. 38 c), des pâtures de la Fontaine-Claré
(2 h, 41 a. 14 c), du Brai-Petit-Jean, du Brai-Pierrette (2 h. 70 a. 8 c),
de la Flaque et du Pré Mézière (1 h. 48 a. 21 c.) , des petits viviers
du Chêne et de la Tenure (65 a. 47 c), de la pâture Malgueule (4 h.
43 a. 60 c). de l'étang d'Ecaudemetz et du terrain de l'Ermitage. Les
gardes , à qui ces enclaves furent concédées pour une période de six
années, les repeuplèrent à la fin de la troisième année de jouissance ,
avec 1,000 plants de haute tige à l'hectare, essence chêne et 7,000 de
basse tige, essences hêtre, charme, etc.
Le service forestier se disposait à proposer le rattachement au
massif d'autres enclaves , lorsqu'à la date du 25 août 1811 , parut un
décret ordonnant la cession au Domaine extraordinaire de ce qui res-
tait à l'Etat de l'ancien domaine de Locquignol, à l'exception de 89 ares
attenant à chacune des maisons de garde. Après l'exécution de cette
mesure, Napoléon F*" qui cherchait à s'entourer d'une nouvelle noblesse
dévouée à sa dynastie, décréta le l""" janvier 1812 l'abandon du domaine
(1) 11 est à remarquer que les propriétaires actuels du Vivier-aux- Vaches , arrenté
sous Charles-Quint , moyennant le payement annuel de 16 florins 6 deniers , payent
encore cette rente.
- 280 -
de Locquignol à trois de ses membres : le comte Jacques Defermon,
Président de la section des finances au Conseil d'Etat et Intendant
général du Domaine extraordinaire, le comte Pierre-Antoine-Bruno
Daru, Ministre secrétaire d'Etat et le comte Jacques-Nicolas Duchâtel,
Directeur général de Tadministration de l'enregistrement et des
domaines. Il était stipulé dans l'art. 4 du décret que, dans le cas d'ex-
tinction de la descendance masculine et légitime des donataires, leurs
biens seraient réversibles au Domaine extraordinaire.
La dotation du comte Defermon se composait de l'enclave de Locqui-
gnol avec le château de la Motte , moins quelques parcelles aliénées
avant Louis XIV et 3 arpents situés près de la ruelle Salé, dont avait
joui le prince de Croy, comme Grand Veneur de Hainaut, et qui avaient
été vendus le 22 brumaire an 111, des pâtures du Vert-Donjon, du
Croisil, du Magoniau, du Brai-Dieu, du Sart-Bara, de Gilles Flurette,
de la pâture Fiévet, du Brai Balicq, de la Chapelle, Mézière, du Roi du
Bois, etc., s'étendant sur 180 h. 86 a. 37 c.; le majorât du comte
Duchâtel, comprenait des prairies aux Etoquies, à Hache, etc., d'une
surface de 92 h. 83 a. 37 c; enfin, le comte Daru fut mis en possession
des Grandes pâtures, de l'ancien étang de l'Ecaillon, de la Flaque à
Grues, de la pâture Baudry, etc., comprenant 84 h. 39 a.
Les comtes Daru et Duchâtel ne conservèrent que quelques années
les biens faisant partie de leur dotation; sur leurs demandes, ils furent
vendus en 1834, sous la réserve que l'Etat leur verserait l'intérêt des
sommes perçues par le Trésor. Quant au majorât du comte Defermon,
il fit retour au Domaine en 1884, à la mort du dernier héritier mâle du
donataire. Parmi les parcelles dépendant de ce majorât, il s'en trou-
vait plusieurs à l'état d'enclaves ou de quasi-enclaves, qu'il était de
l'intérêt de l'Administration de rattacher au sol forestier, savoii' : les
pâtures des Aulneaux ou Fiévet, du Brai-Balicq, Gilles Florette, de la
Cressonnière, du Vert-Donjon, Mézière, du Magoniau, du Brai-Dieu et
du Bois-Pierre , d'une contenance ensemble de 37 h. 22 a. Par déci-
sion du -31 mai 1885, le Ministre des Finances autorisa le service des
Domaines à en faire la remise à celui des Forêts, au fur et à mesure de
l'expiration des baux courants.
Après avoir signalé les pertes éprouvées par la forêt, nous avons à
indiquera présent l'étendue qu'on lui reconnaissaità diverses époques.
Le titre le plus ancien où il est fait mention de sa contenance est le
cartulaire du XIIP siècle que nous avons cité précédemment et dans
- 281 —
lequel on lit ce qui suit : « Et si a le Cuenssen bos de Mormail là ù il a
par mesure m" ix'= muis m witeus à le corde dou bos.» Mais cette
indication, en admettant qu'elle soit exacte, ce qui paraît bien douteux,
car nos anciens géomètres n'employaient que des procédés fort impar-
faits pour arpenter des terrains de grande étendue, ne nous apprend
rien, parce qu'on ignore à quelle unité plus récente correspond le mui,
la plus ancienne mesure usitée dans la forêt ; en tout cas , il faut
observer que dans ce mesurage ainsi que dans ceux effectués posté-
rieurement, les cantons détachés du massif et les haies situées au-delà
de la chaussée de Bavay à St-Quentin n'y ont pas été compris.
D'après une note reposant aux archives du département du Nord(1]
et paraissant datée du XVP siècle, la forêt, « suivant les escripts et
cartulaires, s'étendait autrefois sur vii*'cxix bonniers ini"vi verges »,
soit sur 10098 hectares environ , chiffre qui vraisemblablement com-
prenait les surfaces occupées par le domaine de Locquignol, mais non
les haies précitées.
A la fin du XVP siècle , elle passait pour renfermer « six mil trois
cens bonniers et cinq cens quatre vingt dix bonniers de pretz^ pastu-
raiges, aulneaux, viviers, estocquies et aultres plaches wides, où ne
voit bos. » Mais l'exactitude de ces chiffres parut vraisemblablement
douteuse; car, on voit les Archiducs Albert et Isabel prescrire en
1601 « de faire remesurer au juste la forest et en faire dresser la carte
figurative, avec spéciffication des terres, villes, villaiges et hameaulx
y abbritans, chemins et piécentes la traversans, les ruisseaulx y fluans,
les prés , les pastures et viviers qui se trouveront dedans icelle ,
ensemble les lieux et places les plus renommées ». Le mesurage pra-
tiqué en vertu de cette ordonnance , accusa une contenance de
« vi"viii<=iiii" I bonniers xxx verges demie » (o). La forêt était « ainsy
(1) M. 57. Forêt de iMormal.
(2) Ordon. de 1601, précitée, art. xxvi.
(3) L'opération fut exécutée par maître Michel Hosselet , mesureur du Hainaut et
donna lieu à la dépense ci-après :
» A Michel Hosselet , mesureur sermenté du pays de Haynnau , résidant à Binch «
pour avoir fait le mesuraiche de la franche forest de Mourmal à ses frais, et lui-même
saillairé les ouvriers qui ont fait les yoyes pour jecter sa mesure , a esté
payé iii<^ 1. ts«
» A Baudry de Monteville , Wallentin du Trieu , Jaspart du Vivier,
Jehan Moreau et Adrien Riégnault , sergeants de la franche forrest de
Mourmail, pour leur sallaire d'avoir yacqué à conduire maistre Michel
Hosselet, en faisant le mesuraige de la ditte forrest, etc xxii 1. x s. t.
— 282 -
courtresse de deux cens trente huit bonniers , cinquante-cinq verges
demie qui a esté vendu, sarté ou empiété » (1).
Il résulte d'un autre mesurage fait en l'an 1628 , qu'alors Mormal
«contient seulement vi" v° iiu" xiii bonniers , deux journaux onze
verges , chacun bonnier contenant quatre journelz ou quatre cens
verges de vingt piedz quarrez chacun » soit 9297 hectares ; que « les
pretz , pastures et terre à labeur enclavées en la ditte forrest con-
tiennent 11'= XXXI bonniers et demi, deux verges moins», soit 326 hec-
tares; et que la dite forrest de tour a ix" cl verges » (2).
Après la conquête , un arrêt du Conseil d'Etat du 29 avril 1679,
prescrivit à Faultrier, Intendant du Hainaut et à Le Féron de faire
procéder, en même temps qu'à la délimitation, au mesurage de la forêt.
Les arpenteurs royaux Claude et Louis Chandellier constatèrent
qu'elle ne renfermait plus que « seize mille sept cens vingt deux
arpents, cinquante verges, mesure du bois, revenant à la mesure du
pays et de laditte forest a six mille vingt bonniers, chaque bonnier
composé de 4 journels, lejournel de 100 verges, à raison de vingt
pieds 10 pouces, vallant onze de France pour chacune verge, y compris
trois cent quatre vingt quinze arpents , soixante une verges pour les
terres, prez et héritages de Locquignol et de l'Ermitage » (3). Mais de
graves erreurs avaient été commises par les sieurs Chandellier ; leur
travail fut refait en 1689 par Maximilien Le Clercq, qui trouva que la
forêt, sans les domaines enclavés, renfermait 17563 arpents 97 verges.
Dans le siècle suivant, on procéda à quatre mesurages successifs, en
1716, en 1725, en 1775 et en 1777, qui accusèrent des différences
considérables : en effet, le premier, exécuté par les sieurs Noisette et
DelvaUée, attribuait au massif 17473 arp. 47 v. 11 p. c; le second,
16753 arp. 97 v. c; le troisième, dû aux sieurs Lhussiez père et fils.
» A Adrien de Montigny, organise du Quesnoy, pour avoii" thiré et
painct la carte figurarive de la forrest de Mourmal et à TOrdonnance
de Monsieur de iMérode, esté payet huit livres de xl gros qui font xvi 1. ts.
. Extrait du Compte d'Adrien d'Odrimont ( 1599-1600) , receveur général du Hai-
naut. Arch. dép. du Nord. Gh. des Comptes , à Lille.
(1) Procès-verbal précité de la visite du domaine de Haynnault, par d'Ennetières.
(2) Pièce commençant par ces mots : « Pour accomplir le IIP et dernier membre
de l'ordonnance de Messeigneurs des finances. ...» M. 57. Forêt de Mormal. Arch.
du dép. du Nord. Gh. des Gomptes de Lille.
(3) Procès-verbal de réformation de la forest de Mormal^ précité.
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Par Caron orp'ord. du Roy
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LA FORET DE MORÎIAL jrajtf :fiho if'jyim l'û/lgim/ consrrtr aujr JjrAtnv efnr jS.iiiJr e/ fo/èfj
y ^/ujiiaiix Jil.
— 283 -
19227 arp. 97 v. 7 p. c. (1) et le dernier 16948 arp. 47 p. c. (2). De la
comparaison de ces chiffres, il semblerait que la forêt eût tantôt gagné,
tantôt perdu du terrain ; en réalilê , elle n'avait pendant toute cette
période, ni reçu d'accroissements, ni éprouvé de pertes ; les arpen-
tages seuls laissaient beaucoup à désirer. La première opération bien
faite ne date que de 1826 ; le sieur Watteaux, qui l'exécuta reconnut
que la forêt conieiiait 9199 hectares, chiffre reconnu exact dans la suite
et très peu différent de celui qu'on aurait dû trouver au siècle pré-
cédent.
L'aliénation de la haie des Lombards, l'abandon de terrains pour
l'établissement de voies publiques, la rectification du périmètre sur une
partie de son développement, ainsi que la révision de l'aménagement,
déterminèrent l'Administration, en 1859, à faire procéder à une trian-
gulation générale du massif, afin d'en connaître positivement la surface.
M. H. Lambert, Garde général du service des Travaux d'art, qui fut
chargé de cette opération, constata qu'il renfermait 9131 h. 54 a.
Depuis lors, sa contenance a été de nouveau altérée par suite des
cessions nouvelles de terrains, faites dans l'intérêt de la vicinalité et
de l'incorporation d'une partie des biens provenant du majorât du
comte Defermon ; elle s'élève aujourd'hui à 9163 h. 11 a.
En résumé, depuis huit cents ans, la forêt a perdu environ 2000
hectares. Si cette perte n'a pas été plus considérable, c'est que les
divers possesseurs de ce riche domaine ont généralement veillé avec
soin à sa conservation ; c'est que, peuplée d'essences dures, sa masse
principale était traitée en futaie pleine, régime qui offrait une résis-
tance plus grande aux causes de destruction que celui du taillis (3) ,
ajoutons que la richesse de son sol et la vigueur de la végétation lui
permirent de réparer dans une certaine mesure les dommages que la
main de l'homme et la dent du bétail lui faisaient fréquemment éprou-
ver, et que , sur une partie importante de son périmètre , la forêt
était et est encore limitée, ou par d'anciennes voies romaines , ou par
(1) Mémoire de Delgove , procureur du Roi , auprès de la Maîtrise des eaux et
forêts du Quesnoy, à Monseigneur de Beauinout. Arch. nat. Qi 835.
(2) Arrêt du 12 mai 1778, ordonnant un nouvel aménagement. Arch. nat. E. 1549.
(3) On constate en effet que les défrichements ont principalement porté le long
des cours d'eau où ne croissaient guère que des aunes et autres bois tendres.
- 284 -
la Sambre, ou par des bois particuliers qui lui servent de boulevard.
Disons enfin que ce qui l'a surtout préservée du sort qui a atteint
tant d'autres massifs qui ne sont plus qu'à l'état de souvenir, ou dont le
nom même a disparu, c'est sa vaste étendue qui ne permettait pas de
l'aliéner facilement.
Heureusement , le temps n'est plus où les administrateurs des
deniers publics, sur la foi de théories dont l'expérience a fait justice,
représentaient les forêts comme un reste des temps barbares et récla-
maient à grands cris l'anéantissement, sinon de tous les massifs doma-
niaux, du moins de ceux situés en plaine. Mieux éclairés à présent,
nos hommes d"Etat savent qu'une opération de cette nature serait pré-
judiciable au pays, désastreuse pour le Trésor, et qu'elle ne profiterait
qu'à quelques capitalistes dont le seul souci est de s'enrichir (1) ; nous
avons rapporté d'autre part que. loin de songera restreindre l'étendue
de Mormal, le gouvernement actuel lui avait rattaché un certain nom-
bre d'enclaves perdues pour elle depuis plusieurs siècles : il est donc
permis d'envisager l'avenir avec confiance. Au surplus, nous avons
le désir de prouver que le défrichement de cette forêt aurait les plus
graves conséquences pour les nombreuses industries qu'elle dessert
dans la région, et que sa conservation intéresse le régime des eaux et
est intimement liée à la défense du territoire sur laquelle on ne saurait
veiller avec trop de sollicitude.
[A suivre.)
(1) « La vente des nombreuses forêts de l'État réalisée depuis le commencement
de ce siècle fournit à ce sujet des renseignements probants. On a fait le compte de
toutes les sommes encaissées par le Trésor public à la suite de ces aliénations, et on
a d'autre part évalué la perte de revenu qui en résultait pour le budget de l'Etat. Le
rapprochement de ces deux comptes , capital et intérêts , a permis d'établir que les
forêts aliénées représentaient un revenu net (c'est-à-dire déduction faite des impôts,
frais de garde , de gestion et d'entretien) dépassant 4 p. 100. C'est là un placement
très avantageux , et l'Etat a eu grand tort d'aliéner des bois d'une valeur aussi pro-
ductive; ces bois, vendus avec faculté de défricher, ont généralement disparu. Mieux
aurait valu, pour l'Etat, recourir à l'emprunt pour se procurer les ressources extraor-
dinaires dont il avait besoin , et que le budget normal et ordinaire ne pouvait lui
fournir. » A, Noël. Essai sur les repeuplements artificiels^ etc. Introd., p. x.
- 285 -
BLANKENBERGHE & SES ENVIRONS
Par L. QUARRE-REYBOURBON ,
Officier d'académie , Archiviste de la Société ,
Membre de la Commission historique du Nord.
L'habitant d'une grande ville , interrompant une vie occupée , pour
venir se reposer à Blankenberghe, se demande à quoi il passera le
temps, après les quelques instants consacrés à son bain, à la lecture
des journaux au Casino et aux promenades sur la digue. Plusieurs
goûtent le plaisir de rester longtemps en contemplation de l'Océan ,
assis sur un banc ou sur une des nombreuses chaises qui invitent
au repos et qui sont disséminées sur une belle digue, si agréable,
où les voitures n'ont pas accès. Certainement le spectacle de la mer ,
des nombreux bateaux à voiles et à vapeur qui apparaissent à l'horizon,
et celui des joyeux ébats des baigneurs et des baigneuses, leur offrent
des diversions qui peuvent abréger de beaucoup le temps.
Mais il n'en est pas de même des personnes qui aiment le mouvement
et les distractions variées. Pour ces dernières, il y a une ressource bien
grande : Les Excursions. Beaucoup répondront : mais il n'y a rien de
curieux dans les environs, sinon Ostendeet Bruges, que nous connais-
sons. Pardon, vous avez à voir une quantité de villages qui offrent par
leur situation, leurs restes de monuments, leur riche végétation, les
moyens de passer votre temps d'une manière utile et agréable.
Le pays environnant Blankenberghe était très peuplé et très commer-
çant avant de subir les cataclysmes qui l'ont réduit à l'état où nous le
trouvons. Maintenant, il cherche à se réveiller par l'attrait de ses
plages heureuses , bien situées et offrant toute sécurité aux bai-
gneurs.
Ayant dix jours à passer à Blankenberghe, j'ai choisi comme motif
de distractions, celui des excursions.
Je n'ai pas l'intention de répéter, au sujet des villes, les indications
décrites dans les guides, je n'en dirai qu'un mot ; car je veux simplement
— 286 —
parler des localités qui n'y sont qu'indiquées et qui, pour la. plu-
part ont une histoire et des légendes. Je ne décrirai que la partie
Nord-Est, située entre Blankenberghe, Heyst et Bruges, jusqu'à la
Hollande.
Il m'a été donné de visiter les plages de la Belgique et de la France,
depuis Heyst jusqu'à Arcachon, Biarritz et même St-Sébastien. C'est à
Blankenberghe que j'ai trouvé le plus de sécurité pour les baigneurs.
La pente qui conduit à la mer est douce. Le fond , en sable fin . peu
parsemé de coquillages , produit aux pieds l'effet d'un moelleux
tapis d'Aubusson. Ajoutez à cela une surveillance très intelligente,
pour éviter les accidents : des barques de sauvetage sont montées
par d'habiles nageurs prêts à porter secours en cas de danger, et, sur
la rive, d'autres surveillants rappellent, par un son de trompe, l'im-
prudent qui s'aventure trop. Aussi pas ou peu d'accidents sont signalés
dans cette station balnéaire.
Le coup d'œil de la digue est magnifique à la saison des bains : la
plage avec ses nombreuses cabines (1) et ses tentes de toutes cou-
leurs, dont les drapeaux flottent au vent, avec ses baigneuses aux
longs cheveux épars qu'elles demandent à la brise de sécher, et avec
les nombreux enfants qui font des fortins dans le sable ou jouent au
Groket, offre un spectacle animé et varié.
En face de la mer, la digue , large et commode , est bordée d'élé-
gantes villas et d'hôtels dont l'architecture et les plans tranchent sur
le fond par leur variété. Quelques-uns portent des noms agréables.
J'ai relevé 172 numéros sur toute la longueur.
L'existence de Blankenberghe a été fort tourmentée par les inon-
dations et les guerres. Jadis cet endroit portait le nom de Scharpehout
et fut englouti par la tempête de lo34. Il s'y trouvait une église dédiée
à Notre-Dame, mais elle a été ruinée.
Les inondations revenaient presque périodiquement. Celle de 1404,
fut la plus désastreuse : elle s'étendit à plus de trois lieues dans l'in-
térieur du pays. On conçut alors le projet d'opposer une barrière aux
envahissements de la mer, par la construction d'une digue s'étendant
de Gravelines jusqu'à Anvers. Ce plan grandiose , surtout pour
l'époque, fut mis à exécution par les Seigneurs propriétah*es des terrains
limitrophes, d'après les ordres du Comte de Flandre, Jean-sans-Peur,
(1) On comptait en août 1886 : 475 cabines.
— 287 —
d'où lui vient ce nom qu'elle porte encore aujourd'hui : Digue du
Comte Jean. En trois ans la digue fut construite. Malgré cette
barrière , la mer fit encore, parfois, irruption dans les campagnes,
qu'elle stérilisait ainsi pour de longues années. Après la désastreuse
marée de 1808 , un ingénieur brugeois, s'opposant à l'avis de ses col-
lègues français, qui voulaient laisser du terrain à la mer, fit cons-
truire le système de brise-lames qui existe encore. La vague, venant
se briser contre les jetées, n'entame plus les dunes, que le sable, eu
s'accumulant , soutient et fortifie. La science d'un ingénieur avait
sauvé l'humble bourgade qui, mise en sécurité, put atteindre le degré
de prospérité où elle s'est élevée comme ville de bains. 11 n'a pas fallu
longtemps poui' que cette ville arrivât à l'état où eUe se trouve ; une
vingtaine d'années suffirent pour rendre un nid de pêcheurs, la rivale
d'Ostende.
Il est question des bains à Blankenberghe depuis un temps éloigné.
M. Van den Bussche qui en a fait l'historique (1) , nous dit que les
habitants de l'endroit se sont toujours baignés, mais que leur costume
de bains laissant tout à désirer, les magistrats durent, au mois d'août
1410, faire publier une ordonnance portant qu'il était défendu
de se baigner le dimanche et les jours de fête , sous peine , pour
le délinquant, d'être frappé d'amende et de voir confisquer ses vête-
ments, sauf le plus indispensable ; mais cette ordonnance donna lieu à
un autre scandale, les baigneurs dont on avait saisi les vêtements s'en
retournaient chez eux non vêtus. Cette confiscation fut abolie en 1416.
L'interdiction de se baigner le dimanche fut levée en 1514 , et voici
comment : les archers de St-Sébastien de Bruges , étant allés à un
grand tir qui avait lieu à Blankenberghe, voulurent se baigner, mais
on les empêcha en leur exhibant l'édit qui défendait l'accès de la mer
le dimanche. Les archers n'entendirent point de cette oreille et vou-
lurent passer outre ; les choses tournaient à mal quand les échevins,
pour éviter un conflit, retirèrent l'ordonnance.
Celui qui eut la bonne idée d'élever un pavillon en planches sur la
dune , fonda la prospérité de la bourgade. Bientôt les baigneurs
fatigués d'Ostende y arrivèrent. Le pavillon appela la digue et l'es-
calier. La digue se garnit de maisons et du Kursaal. Enfin le chemin
(1) Dans : La Flandre, revue qui se publiait à Bruges.
- 288 —
de fer acheva de donner à cette localité une vogue qui va croissant
chaque année. En 1855 la liste de la saison renseignait 1400 étrangers ;
celle du 28 août 1886 en accusait 16,692.
Le Kursaal, devenu un hôtel de premier ordre, est remplacé par un
Casino magnifique, dont l'organisation sera bientôt entièrement ter-
minée. L'orchestre y est bon, les consommations y sont de premier
choix. De beUes peintures ornent la grande salle de concert, la salle
de bal est spacieuse, d'excellents billards permettent aux joueurs de
montrer et d'exercer leur adi'esse. Dans une des salles contenant deux
billards se trouve un magnifique panneau peint par François Musin,
1886, représentant la bataille de l'Ecluse, avec cette inscription au bas
en français et en flamand : « Le 22, Juin 1340 la flotte du roi
Edouard III d'Angleterre arriva devant Blankenherghe, le lende-
main eut lieu la bataille de l'Ecluse, célèbre combat naval. La flotte
française alliée aux Génois fut en partie dçt^^uite. »
Le même sujet est représenté sur un plat de porcelaine. G est la vue
de ces objets qui m'a engagé à faire le voyage de l'Ecluse.
La digue de mer de Blankenbergue a plus de deux kilomètres de
longueur et l'estacade en mer a 405 mètres ; c'est sur cette dernière
que les amateurs aiment à se promener et à pêcher. Cet endroit sert
de débarcadère à Tarrivée des barques de pêcheurs. Il est curieux de
voir leur rentrée : leurs femmes et leurs filles viennent les attendre.
Quelle activité ! le poisson est trié : les espèces fines sont traitées avec
toutes sortes d'égards. Celte aristocratie se compose des turbots, des
barbues, des maquereaux, des grandes soles. Le poisson déchargé est
ensuite vendu dans la rue, parterre, à la criée, après que chaque patron
a mis de côté la part gratuite des pêcheurs vieux et pauvres.
L'administration municipale a le projet de faire construire un
minck , un marché aux poissons ; nécessité impérieuse , car la seule
industrie de Blankenherghe a bien le droit d'être installée convenable-
ment. Le poisson s'étale de temps immémorial sur le pavé , et ce
marché, plus que primitif, n'est pas de nature à répandre de délicats
parfums dans la ville.
Une seule construction s'éleva d'abord au milieu des montagnes de
sable : c'était le vieux fortin qui servait de phare. Il représentait là le
passé et subit d'étranges destinées. En 1591, il fut pris par le gouver-
neur d'Ostende ; une partie de la garnison fut égorgée et la ville,
pillée. Les Espagnols le reconstruisirent et en firent une vigie. Plus
— -^9 —
tard, rÉgli^^e lui saccagée elle lortiu servit à la célébration des offices.
Il a été démoli il y a peu d'années. C'est sur son emplacement que
s'élève le Casino.
I-ilankenberghe, à cause de ces péripéties, ne possède pas de monu-
ments anciens. Après l'inondation de loo4, qui détruisit, comme nous
l'avons vu, l'Église de Notre Dame de Scharpehout, on en fit une autre
à une distance plus grande de la mer. consacrée en 1358 et dédiée à
St-Antoine. Incendiée par les Anglais en 1405, par ceux de Flessingue
en 1508 et de nouveau par les Anglais en 1591, celle-ci fut rebâtie et
bénie le 24 avril 1613. Elle consiste aujourd'hui en trois nefs terminées
à lEsfc par des absides à trois pans. La tour se trouve en tête du bas
côté Nord ; une chapelle à deux baies, au bas côté Sud, sert de sacristie.
Le maître-autel et les chapelles sont du style de la fin du XVIP siècle;
les voûtes des bas côtés ont été faites vers la fin du XVIir (1768). Cet
édifice, insuffisant pour le culte, surtout pendant la saison des bains,
ofi're un aspect triste et négligé.
Une nouvelle église est en construction dans un autre quartier de la
ville, du côté d'Heyst. C'est l'administration communale qi/i en a
entrepris l'érection. Malheureusement la bâtisse reste en suspens, on
prétend que la partie actuellement construite ne pourra pas supporter
le poids de l'édifice. L'entrepreneur dit avoir suivi le plan et les ins-
tructions do l'architecte ; de là, procès avec toutes les lenteurs ordi-
naires. Le bâtiment est abandonné depuis un an : on attend la décision
suprême de la cour de Bruxelles.
L'hôtel-de-ville n'a rien de monumental ; dans la grande salle qui
ressemble à une ancienne chapelle , surmontée d'un petit clocher avec
cadran et girouette , on a installé un petit théâtre où des artistes
bruxellois jouent, pendant la saison, la comédie et l'opérette.
J'ai lu, dans un petit journal de Bruxelles, la description suivante
de cet hôtel-de-ville et l'annonce du projet conçu par la Municipalité
(l'en faire construire un nouveau : « La Maison communale actuelle est
« une bicoque. Elle est trop exiguë ; elle ne tient sur ses fondations
« que par habitude ; elle est voisine d'une métairie vieille comme le
« monde, qui n'est là pas plus à sa place qu'un furoncle sur la joue d'une
« jolie femme. »
Dans cet hôtel-de-ville , d'un intérieur si peu attrayant , on voit deux
beaux portraits, ceux de Marie-Thérèse et de son mari Maximilien.
Les pêcheurs ne donnent pas un regard à ce dernier portrait, mais ils
s'arrêtent dans une admiration silencieuse devant celui de l'Impératrice,
■20
— -.^I) —
qu'ils adorent à l'égal de la mer et qui est restée leur seule souveraine.
Une charte de 1770, revêtue du sceau de cette princesse, sert encore
de règlement aux pêcheurs. Le doyen de la corporation en possède
l'original écrit sur parchemin. Elle est déposée dans un grand coffre
où est serré un petit coffret. Selon la tradition, 1 Impératrice préoccupée
du sort des pêcheurs, leur aurait remis ce coffret avec la recomman-
dation de ne l'ouvrir qu'en cas de force majeure. Nul ne sait ce qu'il
conti(?nt. 11 y a quelque chose de touchant dans cet attachement à la
souveraine qui leur trace leurs droits et leurs devoirs.
On connaît le pittoresque et immuable costume des pêcheurs , dont
le luxe consiste dans deux boutons formés de deux pièces d'argent ,
des couronnes à l'effigie de Marie-Thérèse.
Chose singulière, Napoléon I", dont les pêcheurs ne se soucient
guère, protégeait aussi ceux de Blankenberghe. Il leur avait accordé
le privilège de fournir sa table de marée.
Les pêcheurs de Blankenberghe jouissaient encore d'un autre pri-
vilège, avec ceux de Heyst et de La Panne : celui d'emporter avec eux,
en mer, un jeu de cartes. — Un seul — faveur qui était refusée à leurs
confrères d'Oslende et de Nieuport (1).
Ces pêcheurs forment une population à part qui n'a rien de commun
avec celle qui vit des bains. Esclaves de la routine, ils ont vu d'un mau-
vais œil, le port qui a été creusé à leur intention, il y a quelques années,
et, aussitôt la saison des bains finie, au lieu de profiter d'un débarcadère
toujours abordable , pour décharger à sec le produit de leur pêche , ils
préfèrent en revenir à leurs anciennes habitudes et laisser leur barque
sur la plage où la marée haute la reprend.
Le phénomène de la phosphorescence s'observe certains jours sur la
mer du Nord. Il se remarque surtout pendant les nuits obscures. Dès
le coucher du soleil, la surface de la mer s'illumine : à la crête
de chaque vague surgissent comme des feux follets qui dansent et s'en-
trecroisent. Plus le flot s'approche du rivage, plus les flammes bleues
se multiplient, jusqu'à ce que les lames se rejoignent et se brisent à
grand bruit sur le sable, en formant des volutes de feu de quinze à vingt
mètres de long.
(1) La Belgique illustrée, publiée sous la direotion de M. Eug. Van Bemmel,
2 vol. in-4«, fig. Bruxelles 1885-1886.
— -iw —
Le comte de Flandre vient chaque année passer quelque temps à
Blankenbergho, avant d'allor à Heyst habiter sa villa. A ce sujet, cette
année, la Vigie de la Côte, qui donne la liste des étrangers de Blan-
kenberghe et de Heyst, annonçait que les prhic(»s Baudouin et Albert
avaient fait une promenade en mer sur le Lèopold II. Le steamer
était dirigé par le capitaine Ecrevisse, heureux nom pour un capitaine
de bateau à vapeur.
Je me suis bien étendu sur Blankenberghe , je n'ai cependant aucun
intérêt pour que cette station de bains de mer soit plus fréquentée
qu'une autre. Loin de moi également la pensée de nuire à la vente des
guides de voyage, si utiles par leurs indications précises. Je terminerai
par l'énoncé des projets que la municipalité compte faire exécuter. J'ai
dit qu'une nouvelle église est en construction, que l'on projette un
nouvel hôtel-de-ville et un marché aux poissons.
Il s'agirait également d'un égout collecteur nécessaire pour l'écoule-
ment des eaux et l'hygiène de la ville. Les plans sont faits, adoptés et
les fonds sont prêts. 11 ne reste à trancher que certaines difficultés
d'intérêts personnels, pour déterminer l'endroit où ces eaux se déver-
seront dans la mer.
Il est aussi question de créer tout un quartier nouveau en allongeant
la digue du côté de l'est, vers Heyst. On construirait une sorte de pro-
montoire-promenoir dont les assises seraient toujours battues par les
vagues.
L'idée est certainement excellente et ne pourrait manquer d'obtenir
du succès. Les plans ont été exposés à Bruxelles et les fonds sont trou-
vés. On mettra peut-être la main à l'œuvre plus tôt qu'on ne pense,
l'affluence des baigneurs augmentant chaque année dans des proportions
considérables.
Toutes ces intentions de l'administration municipale sont bonnes.
Il est désirable qu'elles se réalisent dans l'intérêt de Blankenberghe.
La petite ville ingénue fait peau neuve. Elle met en action le pro-
verbe : « Pour ne point dégénérer il faut progresser ! »
Bruges est certainement de beaucoup l'excursion la plus agréable,
ainsi que la plus intéressante et instructive que l'on puisse faire ,
d'autant mieux que de Blankenberghe , le trajet , par chemm de
— 29^! -
fer , se fait en 26 minutes et que les trains, aller et retour, sont nom-
breux pendant la journée.
Je n'ai pas à donner la description de cette ville magnifique, si
pleine de souvenirs de tous genres et dont il existe de nombreuses
monographies (1).
On a souvent comparé Bruges à la Belle au bois dormant. Il y a
du vrai aussi : la cité endormie, avec sa double ceinture d'eau et de
verdure qui entoure sa taille bien prise , prête admirablement à cette
comparaison.
Cette ville n'a plus d'espoir, dit-on, que dans le projet de faire revenir
les eaux de la mer dans son port. Projet dont tous les plans sont prêts
et qui a fait l'objet d'un mémoire sérieux.
Bruges reprendrait son activité d'autrefois et viendrait rendre de
grands services au commerce, surtout en cas de blocus de la ville
d'Anvers qui, par sa position géographique, se trouve à la merci de la
Hollande, maîtresse des bouches de l'Escaut, dont une simple escadre
peut interdire lentrée. Bruges n'a qu'à attendre , le jour viendra où la
nécessité de lui rendre son imporlance sera reconnue. Il y a déjà
beaucoup de chemin de fait en ce sens.
Bruges est un véritable musée d'antiquités que le savant et l'artiste
(1) Histoire de Bruges et les événements dont cette ville a été le théâtre jusqu'à
la Révolution française, in-8°, fig. Bruges, 1850 (l'auteur est un Lillois, M. A. Couvez).
Monuments et Yues de Bruges, dessinés par F. Stroobant, accompagnés d'une
description historique, in-8', figures. Bruges, J. Bufta, S. D.
Bruges en trois jours . Promenades dans la Venise du Nord, par Ad. Duclos, avec
5 cartes et plusieurs gravures, in-18. Bruges, 1883.
Bruges et ses environs, par M. H. James Weale, in-18, fig. Bruges, Desclee, etc.
1884.
Description de tous les Pays-Bas, etc., par Messire Lojis Guicciardin, gentilhomme
florentin, in-fol., figures. Anvers, 1582. (11 y a eu plusieurs éditions de cet ouvrage).
Les Délices des Pays-Bas ou description géographique et historique des XVII
provinces Belgiques, etc., 5 vol. in-12 ornés de nombreux plans et gravures. Liège,
1769. (Également cet ouvrage a eu plusieurs éditions).
Le Délices de la Belgique ou description historique, pittoresque et monumen-
tale de ce roy cnme, par A. Wauters, archiviste de la ville de Bruxelles, gr. in-S"
orné d'une carte et de 100 planches. Bruxelles, 1844.
La Belgique illustrée, ses monuments, ses paysages, ses œuvres d'art, publié
sous la direction de M. Eug. Van Bemmel, 2 vol. in-4'', nombreuses figures.
Bruxelles, 1886.
Les Guides des voyageurs en Belgique. Badeker, Gonty, Joanne, etc., etc.
- 293 -
doivent connaître. Ce qui distingue l'architecture de la plupart de ses
•'édifices, c'est l'alliance du j^oût >hi luxe 5 celui du beau.
Je ne ni'arrêierai dans cette ville que pour nie procurer les moyens
d'aller à Danime, puis à l'Écluse.
La route de Bruges à Damme est une des plus belles de la Flandre
elle est bordée de grands arbres qui forment berceau, côtoyant le
magnifique canal qui conduit à L'Ecluse, mais dont les eaux sont mal-
heureusement gâtées par le rouissage du lin.
L'aspect de Damme est celui d'une ville morte; sa population,
réduite à L200 habitants, était de 25,000 il y a (juelques siècles.
Quelques monuments et les façades de plusieurs maisons rappellent sa
splendeur et attestent que c'était autrefois une grande ville.
Me trouvant en pays exclusivement flamand, j'ai eu recours a
M. le Curé, vieillard très agréable et érudit, qui s'est mis à ma dispo-
sition pour me renseigner sur tout ce qui pouvait m'intéresser. En
moins de vingt minutes, ce vénérable pasteur m'avait montré son
église, raconté l'histoire de la ville et de ses monuments, sans omettre
les légendes.
Damme s'appelait naguère Honds Dam. La digue du Chien. (Un
chien figure dans ses armes).
Voici l'origine de cet emblème. En 1168, les invasions de la mer
donnant de l'inquiétude, on construisit une forte digue se dirigeant de
Bruges sur Cadsand ; de nombreux ouvriers y étaient occupés. Mais
la besogne n'avançait pas. Chaque nuit défaisait ce que l'on avait fait
pendant la journée. A cette époque, on aimait à assigner des causes
mystérieuses aux faits les plus simples. Les ouvriers avaient remarqué
qu'un chien noir sans maître les accompagnait sans cesse et se trouvait
à son poste chaque matin ; il les regardait travailler toute la journée,
et, le soir, il ne quittait pas la digue en même temps qu'eux. Ce chien
devint suspect. Un matin, après une nuit orageuse, les ouvriers ayant
vu de nouveau leur besogne de la veille détruite, s'emparèrent du chien
noir, le jetèrent dans la brèche et l'ensevelirent sous une montage
de terre. A dater de ce moment, la digue tint bon, et les ouvriers, qui
s'étaient bâti près de là des maisons , donnèrent à cette aggloméra-
tion le nom de Honds Dam (la digue du Chien).
C'est ainsi que la ville de Damme doit sa fondation à quelques
ouvriers zélandais et hollandais qui travaillaient à la construction de
la digue érigée pour préserver la ville de Bruges et son territoire des
invasions de la mer.
- 294 —
Aux quelques maisons élevées par les ouvriers , des personnes
vinrent en ajouter de nouvelles et s'y fixer pour faire le commerce ;
les marchands y affluèrent; en moins de trois ans, les constructions
en firent une ville assez importante, et un port de mer. Vers l'an 1180,
Philippe d'Alsace y fonda un tribunal, avec deux bourgmestres et des
échevins .
La mer, en poussant une pointe à Tintérieur des terres en 1187,
agrandit tellement le port que le roi de France, Philippe-Auguste, y
fit entrer, en 1213, une flotte de 1700 navires, qui lut en grande
partie détruite par les Flamands et les Anglais. Les Français pillèrent
la ville, oîi ils trouvèrent un riche butin : les soies de la Chine et de la
Syrie, les pelleteries de la Hongrie, les draps les plus précieux de la
Flandre, les vins de Gascogne, le plomb et 1 etain de l'Angleterre, le
cuivre rouge de la Pologne et des masses d'argent non travaillé. Les
trésors dont ils venaient de s'emparer, leur firent oublier le danger qui
les menaçait. La flotte anglaise, sous le commandement du comte de
Salisbury, étant venue fermer le port, les Français furent obligés de
brûler les vaisseaux cernés qui avaient échappé une première fois aux
Anglais et mirent en même temps le feu à la ville. Ils ne surent
enlever cependant ni le port ni les canaux et, dès que leur armée se
fut retirée, les vaisseaux étrangers reparurent et la ville, rebâtie,
entourée de murs et d'un rempart, eut de nouveau l'Europe pour
tributaii^e .
Les éphéméridos de Damme sont curieuses et méritent d'être ana-
lysées (1).
(1) En 1240, les villes Hanséatiques y établirent un comptoir et, bientôt après, les
Lombards y fixèrent un dépôt pour leurs marchandises. — En 1241, Jeanne de
Constantinople conféra à Damme de nouveaux privilèges. — Après 1251, les Gantois
creusèrent un canal de leur ville à Damme, passant par Wondelghem, Maldeghem
et Moerkerke et lui donnèrent le nom de « Lièvre, » la chère, la mignonne. C'est sous
ce canal que fut construit en Flandre le premier siphon, en 1388, à l'eadroit nommé
Bonhoucke {*}.
En 1270, les fortifications furent renouvelées et agrandies. — En 1297, Damme fut
assiégée et prise par les Flamands et les Anglais, qui ensuite se querellèrent pour le
partage du butin, et Edouard ayant conclu une trêve avec Philippe-le-Bel, se retira
avec son armée à Gand. — En 13(30, la ville fut surprise par les Français, et, le
14 juillet 1384 par les Gantois, sous la conduite de François Ackerman , qui , plus
(*) Bruges et ses environs, par W.-H. James Wealo, in-1?. Biufre."!, 188i.
— 295 —
L'hôtel-de- ville était jadis le bâtiment des Halles, fondées en 1242,
et rebâties de 1464 à 1468. Cet édifice est remarquable et de bon
style (1).
tard , à la tèle de 1,500 hommes d'élite, la défendit pendant 21 jours contre
Charles VI et une armée de 90,000 hommes; lorsqu'il ne put plus tenir par suite du
manque d'eau , il fit sa retraite et arriva en sûreté à Gand pendant la nuit. — En
1404, la ville faillit être submergée par un ouragan terrible; une large brèche s'ouvrit
sous la porte dite de la Grue, et la marée resta vingt-quatre heures.
Damme devait servir à l'accomplissement d'un grand fait de l'histoire de la fin du
règne des Ducs de Bourgogne. Dans le réfectoire de la maison du Bailli de cette ville
fut célébré, le 3 juillet 1468, entre 5 et 6 heures du matin, par l'évêque de Salisbury,
le manage de Charles le Téméraire avec Marguerite d'York, qui , accompagnée de
son frère, Edouard W, avait fait voile à Margate le l"' juillet. Ils déijarquerent à
l'Écluse, oii le duc leur rendit en secret une visite, et oii les fiançailles eurent lieu.
Le 2 juillet, Marguerite arriva à Damme, d'oii les nouveaux mariés firent leur
joyeuse entrée à Bruges. — Ce fut de Damme qu'Edouard IV s'embarqua, le 19
février 1471, pour retourner en Angleterre, et c'est là que fut signé, le 29 novembre
1490, le traité de Damme, pardonnant les méfaits des Brugeois contre Maximilien.
La splendeur de Damme ne dura que deux siècles environ. La mer, en se retirant,
lui reprit la prospérité qu'elle lui avait donnée.
Guicciai'din (*) en parle en ces termes au XVr siècle :
« Mais despuys les Normans la ruinant par plusieurs foys, et elle
» estant non-seulement affligée par les estrangers, ains encore presque anéantie par
» ses voisins plus proches : asçavoir les Brugeois ; elle est réduite en si pouvre
» estât, qu'elle est presque du tout exposée à la discrétion et volonté de ceux de
» Bruges. »
Comme nous l'avons dit, la cause principale de la décadence de Damme fut l'éloi-
gnement graduel de la mer, qui commença au XlIT siècle ; elle s'était déjà retirée
si loin en 1410 que la navigation, même jusqu'à lEcluse, était difficile : en 1470, les
gTands navires ne pouvaient plus y arriver ; en 1475 le port avait presque disparu
sous le sable. Une autre cause fut la dissolution de la grande ligue Hanséatique au
XVI" siècle L'entrepôt de vins, fixé à Damme pai- Louis de Nevers en 1331, y resta
jusqu'en 1565.
En 1617, Albert et Isabelle firent fortifier de nouveau la ville de Damme. — En
1633, elle fut occupée par les Hollandais, et en 1706. prise par le duc de Marlborough.
En 1716, les remparts furent nivelés selon les conditions du traité d'Anvers de 1715.
L'ancien port est aujourd'hui une praiàe, et la ville, autrefois si peuplée et si opulente
n'est plus qu'un village.
(1) Le porche est plein d'élégance et de simplicité, on y arrive par un double
escalier très élevé. Trois grandes salles occupent toute la longueur de l'édifice.
L'une d'elles sert de cabaret. La chambre du conseil est intéressante: voûtée à pleins
cintres, elle possède de larges sommiers en bois qui traversent la salle, ayant des
aiguilles sculptées avec soin et dont le travail en relief révèle un artiste habile.
') Description de tous les Vays Bas. etc., par M<>ssire Louis Guicciardin, «"te, in-r', plaoches. Anvers, lo8î
296 -
Devant l'hôtel-de-ville se trouve la statue du père de la poésie fla-
mande: Jacques de Coster Van Mariant, inaugurée le 9 septembre
1860 (1). Quelques maisons des XI V^ et XV'' siècles encadrent bien la
grande place et lui donnent un style d'un autre âge.
Damme possédait trois paroisses , il ne reste que l'église Notre-
Dame, autrefois collégiale. Ce monument qui remonte à l'année 1180
a été en partie détruit. 11 n'y reste que le chœur et les chapelles laté-
rales qui servent au culte. Le clocher est relié avec cette partie par
des murs sans voûtes. Cet édifice a un aspect dont on chercherait
vainement l'équivalent (2).
Il nous reste à dire un mot sur l'hôpital StJean , fondé en 1249 par
Dans une autre salle qui sert de débarrassoir, les moulures qui ornent des niches
représentent des sujets tirés d'Uylewspiegel.
Dans la salle du Conseil se trouvent des pincettes en fer battu, qui ont 1 mèti-e
72 centimètres de longueur ; elles servaient à placer des troncs d'arbres sur de gigan
tesques chenets également en fer battu, hauts de 90 centimètres, placés dans une
immense cheminée aux armes de Damme et portant la date de 1609.
L'édifice est couronné par une tourelle à jour qui contient deux cloches du
XIV siècle, l'une portant la date de 1391 et l'autre celle de 1398. On remarque, à cet
antique monument, deux pierres suspendues à la façade. Selon la tradition , les
femmes qui s'étaient mal conduites devaient traverser la ville avec une de ces pierres
dans chaque main. Cet usage est consacré par un proverbe flamand : «< 11 a porté sa
pierre. » dit-on d'une personne qui a commis une action honteuse.
Il faut nécessairement mentionner les souterrains qui se trouvent presqu'au niveau
du sol. Ils sont très beaux. Sur les clefs de leurs voûtes h belles nervures, sont
sculptés des écussons et des figures oii se rencontre le briquet de Bourgogne. Ces
beaux souterrains sont loués pour magasins, dépôt de fumiers et étable à porcs.
(1) Jacques de Coster, né à Mariant en 1235, mourut en 1300 à Damme, dont il
était le greffier. 11 a laissé, en langue flamande, de nombreux ouvrages, qui étaient
en grande vogue au moyen-àge. — Enterré dans l'église Notre-Dame, il avait sur sa
tombe une pierre tumulaire sur laquelle étaient gravés un hibou et un personnage
représenté assis, portant des besicles et lisant.
(2) • L'église de Damme offre beaucoup d'intérêt à l'archéologue ; les murs sont en
partie construits en appareil irrégulier; au XIV siècle, on a ajouté considérable-
ment, du côté Est, au chœur et à ses chapelles latérales. La partie antérieure fut
brûlée, en 1578, par les soldats du prince d'Orange ; en 1725. le transept et les bas
côtés de la nef ont été démolis. Les murs de la nef et la tour massive carrée qui la
précédait, existent à l'état de ruines bien conservées ; ils sont de la transition.
La vue de ce monument est très curieuse, la partie dépourvue de toiture et de
vitraux lui donne un aspect unique.
L'intérieur de ce qui reste de l'église est bien orné d'objets de différents styles.
M, le curé m'en a expliqué, en connaisseur, les causes des diverses transformations.
- 297 -
Marguerite de Coiistantir.op.e, Ce bâtiment, qui a conservé son archi-
tecture primitive doit probablement à sa destination de n'avoir pas été
abîmé. Il possède quelques belles antiquités.
Des six portes qui jadis donnaient entrée à la ville , il ne reste que
les ruines de celle de Sainte-Catherine. Quant aux deux églises qui
desservaient la ville avec la Collégiale, on n'en voit plus traces.
L'excursion à la ville de Damme est une des plus intéressantes que
l'on puisse faire en Flandre-, comme souvenir, ruines et points de vue
animés par une végétation vigoureuse.
En poursuivant vers l'Ecluse, on arrive par une route agréable à
Oostebecke , village éminemment agricole , de 800 âmes environ.
Les maisons soigneusement blanchies annoncent la propreté et l'aisance.
L'église, entourée de beaux arbres , se fait remarquer par une grosse
tour carrée en briques, dépourvue de flèche.
Plus loin se trouve Weestecappel , riche village de 1,400 habitants.
Comme à Oostebeke, tout y est riant et les maisons sont plus belles.
La culture du blé, du lin et des betteraves y amène le bien être.
L'église, du XP ou XIP siècle , bâtie en briques avec clocher octo-
gone, a été réduite de moitié et forme un carré par suite de l'ad-
jonction de deux chapelles latérales. L'intérieur de l'édifice est riche ;
on y trouve des ornements *de différentes époques. Comme l'église
possède des revenus relativement importants , chaque curé ajoute des
embellissements qui ne sont pas toujours faits avec esprit de suite.
Il existe près des murs de l'église des pierres tombales, dont plusieurs
sont remarquables.
Une belle route conduit aux frontières de la Hollande. On ne trouve
aucun changement, la campagne est toujours aussi verdoyante et les
maisons aussi bien tenues extérieurement.
Deux poteaux de forme élégante, ornés des armes du peuple qui a
pris pour devise : Dieu et rtion droit , indiquent l'entrée dans un nou-
veau royaume.
Le premier village à traverser est Sainte-Anne, petite commune
habitée par des cultivateurs et comptant 6 à 700 habitants.
Une grosse tour carrée . rappelant celle de Watten, l'escarpement
supprimé, sert d'église protestante ; on y a adossé un petit bâtiment
com.posé de deux fenêtres, pour servir de sacristie. Les catholiques ne
possédant pas d'église , vont à la messe à l'Ecluse, qui se trouve à peu
de distance.
Une magnifique allée d'arbres conduit à l'Écluse, belle petite ville
— 298 —
de 2,500 habitants. Cette cité, qui se trouve dans le même état de
décadence que Damme, a cependant un aspect frais et coquet, qui
lui donne une analogie relative avec Cassel, sauf la montagne. Une
certaine activité paraît y régner. Les maisons sont tenues avec un
soin remarquable; les rideaux des 'fenêtres, d'une blancheur imma-
culée, annoncent la bonne ménagère. A l'entour de la ville quelques
hauteurs rappellent les fortifications. On ne retrouve plus de traces de
l'ancien port. Comme nous le verrons plus loin, la séparation de la
Belgique avec la Hollande a donné le dernier coup à la navigation de
l'Écluse.
Cette ville a eu une grande importance. Dans son sav;mt ouvrage
sur l'histoire de l'art, page 99, M. le Chanoine Dehaisnes, dit que :
« Cent vaisseaux et même davantage entraient quelquefois dans le
port de l'Ecluse , depuis le lever du soleil jusqu'à la nuit tombante.
Anderson nous apprend qu'on y vit arriver 150 vaisseaux le même
jour, en 1486. » (1)
Les éphémérides de l'Ecluse comme celles de Damme, sont d'un
grand intérêt et demandent une anah'se (2).
(1) Histoire de fart dans la Flandre, l'Artois et le Hainaut avant le XV- siècle,
par M. le chanoine Dehaisnes, archiviste honoraire du département du Nord, etc.,
vol. in-4'' avec 15 héliogravures. Lille, 1886.
(2) Guicciardin (*) dans son chapitre : Les quatre Ports principaux de Flandre,
s'exprime en ces termes au sujet de cette ville : « L'Ecluse est ville maritime à trois
» lieues de Bruges et cinq de Middelbourg de Zélande : jadis elle fut bonne et riche ;
» mais les discordes qu'elle a eu avec Bruges luy ont rav}' et les richesses et la
» force ; de sorte qu'enfin elle a esté assujettie aux Brugeois, qui l'ont acheptée du
» Prince : et la restaurent et favorisent maintenant à cause qu'elle a un des beaux
» et asseurez ports qui soyent en l'Europe, et auquel peuvent estre reduitz à l'abry,
» et commodément plus de cinq cents navires : la ville ayant double fossé , et on
» pourroit en faire une place très forte, et imprenable ; ayant un château séparé
» d'icelle, quoique jadis plusieurs édifices posez entre le fort et la ville les joignissent
» ensemble ; mais estant mis par terre, le château est demeuré seul, servant de fort,
» et lequel apartenant au Roy. il y tenoit un capitaine avec des soldatz en garnison.
» Et ce fut là qu'on détint prisonnier le duc de Bouillon, pris au siège de Hesdin :
» et depuis le seig. de Chatillon. admirai de France, piis lors que Saint-Quentin fut
» forcé par l'armée du Roy d'Espaigne. »
Cette description est accompagnée d'un joli plan indiquant l'importance de la ville
et de son port.
L'Ecluse, dont le nom hollandais est Sluys (**) fut le partage du comte de Nevers,
(*) Description de touts les Pays Bas, etc., par Mcssire Louis Guicciardin, etc., in-f, flg.lin'vers, 1.58
(•*) tes B(?/icM des Pays Bas, uu description géograpliique et historique des XVII proTinces Belgiques.r., et
TOl. in-12 ornés de nombreux plans et gravures- Liège, 1760.
299 —
Le commerce de l'Écluse est celui du lin , de la betterave et des
graines, toutes les transactions se font avec la Belgique. Ou retrouve
sur les enseignes des commerçants, les mêmes noms qu'à Bruges, tels
que Beyaert, De Poostère, etc., etc.
L'ancienne église avec un beau clocher, sert maintenant d'Hôtel-de-
Ville. Au-dessus de la porte qui servait jadis de grand portail, se
trouve la date de MGGCXCII. Avant d'arriver aux bureaux, c'est-à-
descendu de Guy de Dampierre, comte de Flandre , mort en 1305. — Le 31 juin
1340 eut lieu devant son port le fameux combat naval entre les flottes Françaises et
Anglaises, connu sous le nom de: Bataille de l'Ecluse; les Français furent
vaincus. — En 1385, Philippe-le-Hardi , duc de Bourgogne , la fit entourer de
murailles, après l'avoir achetée de Guillaume, comte de Namur, auquel il donna
Béthune en échange. — En 1386. Charles VI, roi de France, fit à l'Écluse un grand
armement de mer contre les Anglais ; il consistait n 900 vaisseaux, et un nombre
infini de machines. La tempête en écarta une partie et les Anglais prirent les"débris.
—En 1493, Philippe de Clèves, seigneur de Ravestein,s'étant révolté contre Philippe-
le-Bel, son souverain, se retira à l'Ecluse, qui fut assiégée par Albert, duc de Savoie ;
après quatre mois d'attaque, la ville se rendit.
Ensuite s'étant rendue aux révoltés , elle fut assiégée par le prince de Parme l'an
1587 ; il y avait alors une garnison anglaise.
Le gouverneur Arnould Groenevelt soutint jusqu'à sept assauts; mais les provi-
sions venant à manquer, il fit une composition honorable. — Le roi d'Espagne y
demeura maître jusqu'en 1604, époque oii le prince de Nassau, contraignit la ville de
se rendre par la famine, après un siège de trois mois, pendant que les Espagnols
attaquaient Ostende. Il s'en suivit une trêve.
La trêve entre l'archiduc et les États-Généraux étant expirée le 9 avril 1621 , la
guerre recommença par le siège que Dom Inigo de Borgia, gouverneur d'Anvers, mit
devant la ville ; mais il fut obligé de le lever faute de vivres.
Le gouverneur et l'état-major de la ville étaient nommés par les États-Généraux ;
mais le gouvernement civil appartenait au bailli et au Magistrat, composé de deux
bourgmestres et de sept échevins. Quand la ville était sous la domination d'un pays
cathohque, il y avait deux églises paroissiales, l'une dédiée à la sainte Vierge, l'autre
à saint Jean, outre les couvents des Récollets et des Récollettes, avec un hôpital.
Sous le régime protestant, après bien des difficultés , M. Van Susteren , évêque de
Bruges, obtint des État-Généraux d'y laisser un prêtre, pour avoir soin des bourgeois
et des soldats catholiques.
Cette importante forteresse, après avoir été 103 ans au pouvoir des Hollandais,
fut investie le 17 avril 17 'i7 par le général comte de Lowendal , qui commandait un
corps détaché de 25,000 Français. Le 19, ils se rendirent maîtres du fort de Saint-
Donat, et avant qu'on eût tire un seul coup de canon contre l'Écluse, le colonel Lam-
berechts se rendit prisonnier de guerre, avec sa garnison de trois bataillons. Les
Français y trouvèrent cent pièces de canon, avec toute sorte de provisions. Le comte
de Montmorin fut établi commandant. 11 remit la place aux troupes hollandaises ,
l'an 1749, après la paix d'Aix-la-Chapelle. Les fortifications furent rasées confor-
mément aux stipulations du traité.
— 300 —
dire sous remplacement des orgues, on trouve plusieurs pierres tom-
bales et autres, bien conservées, de difiFérentes époques. La plus
récente est un cul de lampe à écailles d'une très belle exécution et
portant la date de MDCCLVI.
Les églises catholiques et protestantes sont des constructions mo-
dernes, ordre ionique, n'offrant aucun intérêt architecluraL
Il existe une histoire de l'Ecluse en hollandais, publiée à Midder-
burg en 1871 (i).
Cette excursion excessivement intéressante, peut se faire en peu de
temps avec le secours d'une voiture particulière prise à Bruges. Parti
de Biankenberghc à 6 heures 04 m. du matin, j'y étais de retour à
3 heures 27 m. du soir.
Non loin de la gare de Blankenberghe , un clocher se dessine
agréablement dans les. airs; c'est celui de Uitkerke, beau et riche
village de 1,500 âmes, situé à un quart de lieue, sur la route de Bruges.
Son heureuse situation et sa proximité de la ville d'eau en font un but
de promenade, surtout pour les personnes qui' aiment à faire une
course à âne.
Ce village, comme ses voisins, possédait une église du XI" ou XIP
siècle, qui a été détruite et remplacée par une autre bâtie au XVIL'
siècle. Au-dessus du portail se trouve la date de 1645. La flèche du
clocher a été élevée au commencement de ce siècle.
Cette église de forme entièrement carrée et dédiée à St-Amand,
dépendait avant la Révolutirtn du doyenné de St-Donat, de Bruges,
dont on voit les armes à plusieurs endroits. Jouissant de revenus assez
considérables, la fabrique peut contribuer largement à son ornement
tation, qui rappelle plusieurs époques et différents styles. La chaire de
vérité en bois sculpté du XVIP siècle est fort remarquable. Parmi les
tableaux . on distingue une Madone de l'Ecole Espagnole ; on y
remarque également un Porte-Paix en argent, donné à l'église en
1635, par Jean de Windt.
(1) Son titre : Een blik of de Vorming der stad Sluis en op den a anler harer
verstinguoerkcn van 1382 tôt 1587, door J.-H. Van Date, archivaris Van Sluis,
223 pages in-8% plan. Te Middelburg, 1871.
>H)i —
Quelques pierres tombales ornent, le pavé de l'église, et le cimetière
possède celles qui ont été nyelées lorsque celle-ci a été repavée.
L'aspect de Uitkerke est coquet, les maisons sont belles et bien
bàlies. Ce village a eu son historien en la personne de M. Tanghe ,
chanoine de Bruges (1). Je dois à la bienveillance de M. le Curé de pos-
séder un exemplaire de l'œuvre du chanoine.
Les personnes qui aiment les promenades peuvent se rendre à pied
à Lisseweghe, qui est la première station sur la route de Bruges. La
voie ferrée y conduit en quelques minutes.
Le village, situéà 25 minutes de la station, se devine dans un magni-
fique bouquet d'arbres d'où émerge une grosse tour quadrangulaire ,
annonçant une église remarquable.
Lisseweghe , qui compte aujourd'hui 2,000 habitants, était naguère
une localité importante, très riche et très populeuse. L'industrie dra-
pière y occupait, disent les anciens titres, 20,000 bras. L'ensablement
du Zwyn en amena la décadence. Ce vUlage est bien bâti et annonce
l'aisance des habitants. On peut dire que la nature, si bonne et si géné-
reuse, a mis un manteau de fleurs , de feuUlage, d'herbe verte et d'épis
raiirs sur les ruines de l'industrie. Où, jadis, battaient des métiers de
tisserands, bêlent maintenant de joyeux troupeaux.
Avant d'arriver à l'église, on passe devant la porte d'une belle ferme,
qui se trouve près d'une petite chapelle ombragée par deux tilleuls.
C'est ce qui reste de l'opulente abbaye Van der Does , plus tard Ter
Dost (2), fondée au XIF siècle par Lambert de Lisseweghe. Ses descen-
dants, signalés à plusieurs reprises dans les annales, avaient un
manoir dans le village dont ils portaient le nom.
Les richesses de cette abbaye étaient 1res grandes surtout en terrains
d'alluvion. bons à la culture. Vers le milieu du XIIP siècle , les moines
firent bâtir une splendide basilique.
Cette magnifique abbaye, de l'ordre de Cîteaux , fut détruite , en
1571, par les gueux de mer. Il n'en reste plus qu'une grange monu-
(1) Paracliiehock van Uitkerke, op gesteld, door G. -F. Tanghe^ kanonik, 136 p.
in-18. Bruges, i870. A la suite se trouve l'histoire de Saint-Arnaud, sous le titre :
Levé II van den IL Amandus, bisschop ))ii:>sionaris, apostel vanVlaenderen in patroon
Van Uytkerke, 86 pages in-18.
(2) Tous saints ou Toussaints.
— ;{()-^ —
mentale, et ceux qui la montrent ne manquent pas de dire que la
récolte de toute une année du village entier pourrait y être en-
grangée (1).
Près de la porte d'entrée de la ferme , on remarque une dalle tumu-
laire autrefois incrustée d'une crosse en laiton ; on y voit les traces
d'une légende portant la date de 1426.
L'église de Lisseweghe est de beaucoup la plus belle de toutes celles
des environs de Bruges (2). D'après M. le Curé , cette église, qui est
classée parmi les monuments historiques de la Belgique , ne tai'derait
pas à être remise dans son état de construction et d'ameublement pri-
mitifs.
Le peu d'objets remarquables qu'elle renferme sont quelques restes
de vitraux peints, 1598-1629 ; quelques dalles tumulaires ; la Visitation,
]}3ir Jacques Van Oosi le Vieux-; et un Christ en croix par Louis de
Deysier.
Dans la sacristie , on conserve quelques objets curieux ; je citerai un
bassin d'oflértoire allemand, portant le nom du fabricant, M. Luther.
C'est ce nom qui m'engage à le signaler.
La tour est surtout d'un effet majestueux , sa hauteur est de 50™.
Le voyage à Lisseweghe est fort agréable et on retourne volontiers
dans une localité aussi riante.
(1) Cette magnifique abbaye de l'ordre de Cîteaux fut détruite en 1571 par les
gueux de mer. A la place de la belle église du XIII* siècle, se trouve maintenant un
étang muré. 11 n'a été sauvé, de cette destruction, qu'une grange monumentale
construite en 1280, qui mesure 58 mètres 50 cent, de longueur sur 24 mètres -de lar-
geur et dont le pignon a 31 mètres d'élévation. Cet intéressant édifice est divisé en
trois nefs par deux rangs de piliers en bois de chêne posés sur des bases en pieiTC
qui soutiennent une magnifique toiture. Dans les murs latéraux, à l'intérieur, se
trouvent plusieurs niches géminées "à sommet triangulaire. Les murs sont sou-
tenus, à chaque extrémité, par trois contreforts et percés par six fenêtres, composées
chacune de deux lancettes. Cette construction est étonnante et gigantesque.
(2) Elle fut bâtie au commencement du XllP siècle, avec les aumônes offertes à
une image miraculeuse de la Sainte Vierge, encore vénérée de nos jours.
Selon James Waele (*), elle est peut-être du même architecte que la partie orien-
tale de Saint-Martin d'Ypres. C'est une vraie cathédrale , en style ogival primaire
cruciforme à trois nefs, construite avec un grand luxe. Elle fut détruite en partie en
1586. En 1680, on reconstruisit les voûtes du chœur et du transept. Dans le
XVIir siècle, la nef et les bas côtés furent plafonnés et beaucoup de parties de
l'église subirent le même sort. Il y a peu d'années, ce monument a été restauré ; les
travaux de l'architecte ont été l'objet de critiques.
(*] Bruges et tes environs, par W. H. James Waele, in-18, flg
— :5o;! —
Le village de Wenduyue offre aussi une excursion bien curieuse.
Les baigneurs de Blankeuberghe ne peuvent manquer d'aller voir un
petit village distant d'une lieue et qui semble couché nonchalamment
dans un pli des dunes, ayant pour habitants des pêcheurs et des culti-
vateurs , qui possèdent tous leurs maisons et un lopin de terre, dans
lequel ils récoltent ce qui leur est nécessaire en blé, en légumes et
surtout en pommes de terre. Il ne compte pas de pauvres.
Wenduyne est la prera.ère station de la ligne du tramway qui relie
Blankeuberghe à Ostende. Jadis on y allait en suivant la plage ; main-
tenant qu'elle est coupée par le port de Blankenberghe , il faut con-
tourner celui-ci du côté de la terre et prendre la digue du Comte Jean
pour s'y rendre. Quand vous y allez par la route pavée, vous ne voyez
autour de vous que des pâturages où paissent mélancoliquement de
grands bœufs qui, étonnés de voir dans cette solitude d'autres êtres
qu'eux, viennent le long du chemin vous regarder en levant leur muifle
baveux. Pas un arbre, pas une maison, et toujours devant vous le clo-
cher et une montagne de sable qui semblent fuir à mesure que vous
avancez.
Wenduyne, dont il est fait mention sous le forestier Lydéric , après
avoir été un bourg important se trouve réduit à 3 ou 400 habitants. Un
petit nombre de maisons disséminées au pied de trois ou quatre dunes
immenses qui leur servent de rideau, voilà cet étrange village
Qui dort dans le repos
Entre un double océan de sables et de flots. (1)
C'est peu de chose , mais c'est tout charmant de pittoresque, de
silence et de poésie. Une des dunes est si élevée, qu'elle peut rivaliser
avec le Hooge-Blekker , la plus haute des dunes du littoral. A son som-
met, on a construit une cabine de douaniers. On dirait vraiment en la
voyant juchée si près des nuages, que le fisc a adopté la devise de
Fouquet : «Où ne monterai-je pas?» De ce point culminant, on
découvre, d'un côté Flessingue ; de l'autre le port d'Ostende ; on a
derrière soi les pâturages où paît un nombreux bétail, et les tours de
Bruges ; devant soi, l'immensité de la mer où passent des voiles blan-
ches ou les panaches de fumée des bateaux à vapeur.
(1) La Belgique illustrée, etc., publiée par Eug. Van Bemniel, 2 v. in-4'', 1885-1886.
- 304 -
L'église, dédiée à la Sainte-Croix, est remarquable. Elle fut érigée
en église paroissiale en 1150. Elle a eu beaucoup à souffrir des
guerres et des éléments, l'eau et le feu : La bataille de L'Ecluse au
XIV® siècle; une inondation au XV; le vandalisme au -XVF y
ont tour à tour exercé leurs dévastations. Néanmoins , l'intérieur en
est coquettement tenu. La chaire de vérité, le tabernacle, un ostensoir
aux armes de saint Donat de Bruges, quelques pierres tombales dont
plusieurs représentent des femmes portant un costume de religieuses,
méritent l'attention des visiteurs On peut signaler une petite cha-
loupe de pêche munie de ses agrès, en panne au pied d'une croix
en chêne. C'est un ex voto dont la légende rappelle une tempête
du XV^ siècle (1).
Le curé de la paroisse est un vénérable vieillard qui reçoit agréa-
blement les visiteurs, leur donnant,' avec une extrême complaisance,
les renseignements qu'on désire obtenir de lui et montrant avec
plaisir une belle armoire sculptée, provenant de l'église et qui orne
depuis longtemps son presbytère.
Wenduyne possède un établissement d'hydrothérapie marin pour les
enfants rachitiques, fondé par M. le docteur Van den Abeele, direc-
teur de l'asile des aliénés de Bruges. Cette maison soigne environ
70 enfants pauvres. Une aile du bâtiment est destinée aux enfants
riches qui reçoivent des soins particuliers. L'établissement est dirigé
par les religieuses du même ordre que celles qui desservent l'hôpital
Saint-Jean, de Bruges, Les religieuses prennent également des pen-
sionnaires qui désirent faire une saison, d'une manière paisible, aux
bords de la mer. Les enfants et les pensionnaires prennent les bains
avec le secours des cabines appartenant à l'établissement médical.
M. le docteur Van den Abeele vient plusieurs fois par semaine
visiter son œuvre, qui possède une chapelle et un aumônier. L'aspect de
cet établissement est riant et confortable.
La municipalité de Wenduyne a fait construire une petite digue de
mer, abritée par les brise-lames qui protègent également celle de
(1) Lors de la tempête qui abîma Blankenberghe et toute une partie du littoral,
l'église et le village de Wenduyne ne furent pas épargnés. A quelque temps de là ,
des pêcheurs étant en mer virent flotter sur les vagues quelque chose qu'ils prirent
pour un débris de navire. Ils s'en approchèrent et reconnurent la croix de leur église.
Ils en opérèrent le sauvetage et la rapportèrent pieusement à Wenduyne, on elle est
restée en grande vénération.
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Blankeiiberghe. Elle a fait la dépense de quatre cabines pour baigneurs.
Deux auberges ou petits hôtels se sont établis sur la plage.
Wendujne est une future station de bains de mer. Les dunes se
prêtent à des constructions, qui, par leur situation pittoresque, rappel-
leraient Arcachon ou mieux Rosendaël près Dunkorque, à cause de
la similitude des sables.
Rien n'est plus facile que l'excursion à Heysl . On s'y rend par le
chemin de fer établi sur la digue du Comte Jean, vieille de près
de cinq siècles C'est sur cette partie du littoral, que la mer menace
le plus la campagne; il est certains points où les dunes n'ont que
50 mètres de largeur et 9 de hauteur. Cette barrière serait insuffi-
sante si la mer se fâchait, comme elle fit tant de fois pendant les siècles
écoulés et, dans le nôtre, en 1808.
La route est charmante ; pendant dix minutes le regard est distrait
par une échappée des dunes qui montre le vaste horizon de la mer,
bientôt cachée derrière un rideau de sable.
Non lohi de Heyst, on traverse les écluses jumelles, qui déversent
dans la mer, l'une le canal de Selzante, dont les eaux autrefois stéri-
Hsaient les plus fertiles terrains des deux Flandres et donnaient la
fièvre à leurs habitants ; l'autre, le canal de Schipdonck, où coulent
les eaux de la Lys corrompues par le rouissage du lin. Deux hardis
ponts de fer jetés sur ces canaux livrent passage au chemin de fer
qui conduit à destination.
Heyst est aujourd'hui ce que Blankenberghe était avant d'être
envahi par le monde élégant.
Cette nouvelle station balnéaire, encore inconnue il y a quelques
années, a maintenant une digue assise dans le genre de celle de
Blankenberghe, très longue et garnie d'un Kursaal, de bons hôtels
et de joUes villas, dont la plus remarquable est celle du comte de
Flandre, la dernière du côté de la Hollande.
Le pittoresque domine encore à Heyst, ainsi qu'un certain sans
gêne dans la toilette. On peut y vivre à bon marché. J'ai relevé dans
la vigie de la cote une annonce qui offre la pension par jour pour la
modique somme de 3 fr., et cela par un établissement situé sur la
digue de mer. Une personne m'a assuré être très bien traitée, dans un
21
- 3(16 -
établissement convenable, pour 5 fr. par jour, avec logement dans
une chambre agréable.
Le nombre des baigneurs va crescendo à Heyst. Je relève sur la
vigie de la côte le nombre de 5457, le 28 août 1886.
L'église est moderne, très grande, bâtie en briques, style roman.
Elle remplace une église du XP siècle avec clocher octogone,. dont
M. le curé conserve le dessin au presbytère.
Heyst a une population de 1500 à 2000 habitants, mais la démar-
cation est bien tranchée entre les pêcheurs et les habitants qui vivent
des bains ; ceux-ci habitent, à gauche de la gare, la nouvelle ville : les
premiers, l'ancien village dont l'aspect n'a pas beaucoup changé au
contact de plusieurs milliers d'étrangers qui le visitent à chaque
saison.
La pêche occupe à Heyst une trentaine de chaloupes non pontées
qui se laissent échouer sur le sable.
La vue de la digue du côté de la mer est magnifique ; par un temps
clair, on voit l'île de Walcheren et le panorama qui se déroule à l'em-
bouchure de l'Escaut.
Les promenades du côté de la terre sont admirables ; surtout celles
qui longent les deux canaux sur un trajet d'au moins deux lieues ,
qu'ombragent huit allées d'arbres.
Comme station de bains de mer, Heyst ne prendra probablement pas
l'essor qui fait la fortune de Blankenberghe , à cause des mauvaises
odeurs qui s'exhalent des canaux et viennent gêner considérablement
les habitants quand le vent souffle de l'Ouest. Mais de grandes et
hautes destinées lui sont réservées , si le projet qui est à l'étude se
réalise. On en ferait l'embouchure du port de Bruges avec lequel il
communiquerait par un vaste chenal. Heyst remplacerait la ville de
Damme d'autrefois.
A une lieue de Heyst, se trouve Knoke, qui est certainement une
station balnéaire de l'avenir. Le chemin qui y conduit est excessivement
agréable et original. Le village même , propre comme tous les
villages flamands, n'a de remarquable qu'une tour du commencement
du XI V^ siècle, placée en tête de la nef de l'église qui possède trois
tableaux peints par Erasme-Quellin le jeune, en 166(3, et un banc
de communion en chêne sculpté, (ies quelques objets montrent qu'au-
trefois Knoke avait une certaine importance.
Knoke n'a encore ni chemin de fer, ni cabines de bains, et le village
- 307 —
étant environ à deux kilomètres de la plag(\ on n'a pas la ressourc
des anciens baignours de Blankenberghe qui endossaient à leur hôtel
leur léger costume de baigneur, et, le bain pris, revenaient ruisselants.
Les dunes de Knoke ont une largeur qui varie de 800 à 1600 mètres
et une hauteur qui va de 15 à 25 mètres. Elles sont d'un aspect parti-
culier ; elles forment des cirques, des gorgés , etc. et ressemblent à
une chaîne de montagnes en miniature. Des essais de culture y ont
été tentés. Aussi, entre les mamelons de sable , voit-on parfois des
buissons verts où la vue aime à se reposer. Le lézard s'y chauffe au
soleil; de gros coléoptères s'y promènent gravement.
Les peintres amateurs de beaux sites , viennent y chercher le repos
après les travaux de l'atelier et y prendre des motifs de tableaux pour
les prochaines expositions.
Des projets sont sur le tapis au sujet de ce village aujourd'hui peu
connu. Oiï prépare toute une transformation. C'est une petite ville
qu'on bâtira ; des maisons isolées entourées de jardins , une digue de
mer avec son phare, un casino, etc., etc. Enfin tout ce qu'il
faut pour vivre agréablement. Les plans sont de M. l'architecte Baes,
qui en a exposé l'ensemble à la dernière exposition du Cercle artistique
de Bruxelles.
Avant de quitter Knoke, allez jeter un coup d'œil sur ce qui reste du
Zwyn, à une distance de deux kilomètres.
Le Zwyn était un ancien bras de mer qui fut formé par une déchi-
rure des dunes , à une époque Ibrt reculée. De fréquentes inondations
l'augmentèrent tellement, qu'il s'étendit bientôt à quatre lieues dans
les terres. C'est ainsi que , grâce à ces empiétements, les localités
situées à l'intérieur, comme l'Écluse, Lapscheure, Darame, devinrent
des ports de mer, et que Bruges, dont cette dernière ville était l'avant-
port, devint le centre d'un commerce important. Mais ce qu'un caprice
de l'Océan avait donné à ces villes leur fut repris par un autre caprice.
Le Zwyn s'ensabla peu à peu, et dès 1480 la navigation y devint
difficile ; bientôt elle y fut impraticable jusqu'à Damme.
Toutefois, le port de l'Écluse avait été épargné. Mais quand en
1830, la Belgique se sépara de la Hollande, celle-ci, furieuse, ferma
ses écluses pour punir le pays en l'inondant. Le mal qu'elle comptait
faire tourna contre eJle. Les eaux belges, en s'écoulant par le port de
l'Ecluse, y entretenaient une certaine profondeur qui le rendait navi-
gable. Les chasses supprimées, le port s'ensabla.
— 308 —
L'endiguement de ce qui restait du Zwyii demanda de longs et
pénibles travaux, qui furent terminés en 1872. Le Zwyn est mort , la
mer domptée et six cent cinquante hectares de terres fertiles, compo-
sées d'alluvions, sont livrées à l'activité des cultivateurs.
Bien d'autres excursions sont encore à faire, je citerai Ostende, qui
se trouve en communication avec Blankenberghe par Ja ligne de la
Société des chemins de fer vicinaux. Le trajet se fait en une heure
quinze minutes, par une route agréable longeant la mer, les dunes et
la campagne ; cinq arrêts coupent la monotonie du voyage (1).
D'Ostendevous pouvez aller à Nieuport avec le secours de la même
ligne de chemin de fer en parcourant une route intéressante coupée
par neuf arrêts [2).
Le chemin de 1er de FEtat permet d'élargir le cercle et de
visiter Gourtrai, Roulers, Thielt, ïhourout, Ypres, etc., sans oublier
le beau château de Wynendale, bâti au Xr siècle par Robert le Frison
et si heureusement restauré par les soins de M. Mathieu.
L'important est de pas métamorphoser en course au clocher, un
séjour qui doit être un temps de repos, pendant lequel « on doit se
laisser vivre» suivant l'avis des princes de la science.
(1) Blankeabergue (Digue), — Weaduyne. — Den Haen, — Glemskerke, —
Slykem, — Ostende.
(2) Petit-Paris, — Hippodrome, — Albertus. — Mariakerke, — Leffingue, —
Middelkei'ke, — Crocodile. — Weestende. — Lombartzijde, — Palingsbruggen. —
Nieuport-Ville.
— :so9 -
COURS & CONFÉRENCES DU SAMEDI SOIR A RODRAIX
( in extenso ).
LE NORD DE LA FRANGE
SES INDUSTRIES, SON COIVIIVIERCE, SES PORTS VIS-A-VIS LA CONCURRENCE
ÉTRANGÈRE,
Par M. Jules PETIT, Memhre de la Chambre de commerce de Boulogne-sur-Mer.
Conférence faite à Rouhaix le 26 février 1887.
Mesdames et Messieurs ,
L'observateur tant soit peu au courant des questions commerciales,
qui examine, sur une mappemonde, la situation géographique de la
France, est tout d'abord frappé par les immenses avantages qu'elle
présente, au point de vue des relations internationales.
Placée sur l'Océan Atlantique, en face des deux Amériques, direc-
tement soudée à l'Espagne, à l'Italie, à la Suisse, à l'Allemagne, à la
Belgique, ses côtes se développent sur les mers les plus commerçantes
du monde, c'est-à-dire la mer du Nord, la Manche et la Méditerranée.
A l'intérieur, elle est arrosée par des fleuves admirablement orientés,
traversant des vallées d'une richesse excessive, dont les populations
se distinguent par leur activité laborieuse, leur esprit d'ordre et leur
économie.
Grâce à cette position exceptionnelle, notre pays semblait tout dési-
gné pour devenir l'entrepôt général de l'Europe.
Cette conviction ne fait que s'accroître quand, limitant la portée de
notre examen, nous nous plaçons spécialement au point de vue de la
— 310 —
région du Nord, dont Roubaix, où j"ai en ce moment l'honneur de
prendre la parole, est un des principaux centres industriels.
Je ne crois rien exagérer en disant que la natiu'e et l'intelligence
humaine ont tout fait pour doter exceptionnellement vos belles et fer-
tiles contrées, dont le rapport est si considérable qu'il suffit seul, vous
le savez mieux que moi, à payer le tiers des impôts de la France.
Pom* constater la place prépondérante qu'occupe le Nord par ses
richesses minières, industrielles et agricoles, il suffit d'ouvrir V Album
officiel de Statistique graphique, publié par la direction des cartes,
plans et archives de l'État.
Nous y trouvons, dans la dernière édition, ceUe de 1882, les chif-
res suivants, représentant le tonnage moyen des canaux et voies
ferrées, tonnage ramené, pour ces dernières, à la longueur de chaque
réseau.
Chemins de fer.
TONNAGE MOYEN RAMENÉ A LA LONGUEUR DE CHAQUE RÉSEAU.
Nord 877.912 tonnes.
Est 503.878 —
Ouest 318.850 —
Orléans 407.444 —
P. L. M 595.796 ■
Midi .369.528 —
État 90.941 —
Secondaires 108.980 —
Canaux.
TONNAGE DES VOIES NAVIGABLES DE LA RÉGION DU NORD ET DU NORD-EST.
Aa ~22.6'i2 tonneaux.
Aire à La Bassée (canal d') 1 .068. 497 —
Aisne 558.802 —
Aisne (canal latéral à F) 438.858 —
Aisne à la Marne (canal de T) 518.219 —
Ardennes (canal des) ligne principale 155.307
Ardennes (canal des) embranchement de Vouziers 41.685 —
Bergucs (canal de) 65 . 223 —
Bourbourg (canal de) 7 37 .672 —
Calais (canal de) 184.120 —
Colme (canal de la) 67.587 —
A reporter 4.558 612 tonneaux.
— :m -
Report 4 . 558 . 612 tonneaux .
Saint-Denis (canal) 1.250.850 —
Dcûlo (canal de a) 934.602 —
E.scaut (Haut) de Gondé à Cambrai 1.370.963 —
Escaut (Has) de Condé à la frontière Belge 218.152 —
E.st (canal de V) branche Nord 109.617 —
Est (canal de T) Sud et embranchements 37.945 —
Fiirnes (canal de) 59.649 —
llazebrouck (canaux d') 13.637 —
Lawe 20.399 —
Lys 162.023 —
Marne (de Dizy à la Seine) 205.591 —
Marne (canal latéral à la) 510.306 —
Marne au Rhin (canal de la) 618.310 —
Saint-Martin (canal) 530.106 —
Meurthe 4.137 —
Mons à Condé (canal de) 741 . 157 —
Morin (Grand) 952 —
Moselle 45.209 —
Neuffosse (canal d') 1 .002.415 —
Oise 1.560.615 —
Oise (canal latéral à Y) et canal ch- Manicamp. . 1.996.417 —
Ourcq (canal de 1') 186.786 —
Saint-Quentin (canal de). 2.012.190 —
Roubaix (canal de) 126.216 —
Sambre 452.2.59 —
Sambre à l'Oise (canal de la) 122.676 —
Scarpe 294.990 —
Seine, de Corbeil à Paris 1 .835.664 —
Seine, traversée de Paris 1 .719.2-51 —
Seine, de Paris (aval) à la Briche 1 .459.957 —
Seine, de la Briche au confluent de l'Oise 2.1-52.979 —
Seine, du confluent de l'Oise à Rouen 741 .143 —
Seine, de Rouen au Havre 128.668 —
Sensée (canal de la) 1.437.583 — «
Somme (canal de la) 87.740 —
ToT.vL 29.009.766 tonneaux.
TONNAGE DES VOIES NAVIGABLES DE LA RÉGION DU CENTRE ET DE L'EST.
Arles à Bône (canal d") 81 .562 tonneaux.
Aube 5.891 —
Baïse 68.381 —
Beaucaire et la Radelle (canaux de) 203.476 —
Berry (canal du), ligne principale 605.967 —
Berry (canal du), embranchement de Noyers .... 1-52.841 —
A reporter 1 .918.018 tonneaux.
— 312 —
Report 1.118.018 tonneaux.
Bourgogne (canal de) 181 . 1.39 —
Briare (canal de) 376.357 —
Centre (canal du), ligne principale 426.360 —
Centre (canal du), rigole de l'Arroux 46.183 —
Cher canalisé 13.121 —
Dordogne, de la limite du département du Lot à
Libourne 15.371 —
Dordogne, de Libourne au confluent de la Garonne 100.161 —
Est (canal de T), branche Sud (et embranchem.i 37.945 —
Étangs (canal des) 194.393 —
Garonne, de Roquefort à Toulouse 3.120 —
Garonne, de Toulouse à Castets 18.473 —
Garonne, de Castets à Bordeaux 235.881 —
Garonne, de Bordeaux au confluent de la Dor-
dogne 105.164 —
Garonne (canal latéral à la) et embranchement
de Montauban 109.381 —
lole - 32.264 —
Loing (canal du) 435. 114 —
Leg 7.176 —
Loire, de Briare à l'embouchure de la Seine 6.406 —
Loire (canal latéral à la) 446.831 —
Marne (canal latéral à la) 510.306 —
Marne (canal de la Haute-) 164. .538 —
Marne au Rhin (canal de la) 618 310 —
Midi (canal du), ligne principale 74 .049 —
Nivernais (canal du) 97. .581 —
Midi (canal du), robine de Narbonne 18. 105 —
Orléans (canal d') 40.429 —
Pont-de-Vaux (canal de) 5.659 —
Roanne à Digoin (canal de) 171 , .591 —
Rhône au Rhin (canal du) 1-58.391 —
Rhône, du Parc à Lyon 60.798 —
Rhône, de Lyon à Arles 218.308 —
Rhône, d'Arles à la Méditerranée 208.734 —
Saône, du Port-sur-Saônc à Saint-Jean-de-Loone 45.162 —
Saône, de Saint-Jean-de-Loone à Lyon 287.006 —
Sauldre (canal de la) 18. 155 —
Seine, de Marcilly à Montereau 24.618 —
Seine, de Montereau k Corboil 960.011 —
Seine, de Corbeil à Paris 1 .8.3.5.661 -
Seine (canal de la Haute-) 8.976 —
Than (Pitang de) 96.093 —
Yonne, d'Auxerrc à la Roche 169.858 —
Yonne, de la Roche à Montereau 383 .969 —
Total 10.0a5.569 —
Différence en faveur des canaux du Nord-Est 18.924 . 197 tonneaux.
I
- 313 -
Dans ces conditions, n"est-onpas en droit, de se demander, comme je
le faisais en débutant, par suite de quelles circonstances un paj-s aussi
heureusement doué n'est pas, depuis longtemps, devenu l'un des prin-
cipaux entrepôts de l'Europe? Gomment nos industries du Nord sont
encore en grande partie tributaires de l'étranger pour leurs matières
premières? Comment nos ports de l'Atlantique, de la Manche, de la
mer du Nord ne peuvent soutenir le parallèle avec ceux de Londres,
Liverpool, Glasgow et surtout Anvers? Gomment enfin le Havre môme,
débouché des splendides vallées de la Seine et de ses affluents, n'oc-
cupe qu'une position bien secondaire et bien inférieure aux ports étran-
gers dont je viens de citer les noms ?
La réponse à ces questions ne sera ni longue, ni difficile.
Nous nous trouvons sur un pied d'infériorité notoire avec nos con-
currents parce que nous ne possédons pas de ports réunissant, au môme
titre que ceux de l'Angleterre, de l'Allemagne, de la Belgique, de la
Hollande, les conditions propres au développement de la navigation.
Pour l'industrie, le commerce, la navigation, comme pour la guerre,
il existe des points stratégiques qu'il faut occuper car ils réunissent les
conditions essentielles pour gagner les batailles ; ces points le Nord
les possède, mais ils ne sont pas organisés, ils manquent de moyens
de communication rapides et économiques avec les principaux marchés
du monde.
Gela est triste à constater — mais ce n'est pas en dissimulant ses
faiblesses qu'on peut y porter remède — de Dunkerque à Bayonne,
nous n'avons pas un port contamment accessible à la grande naviga-
tion commerciale.
Quelle difi'érence, si nous prenons pour objectif ce qui se passe chez
nos voisins ! Examinons donc rapidement les causes de leiu* fortune
et de leur merveilleux développement.
En Angleterre, on le sait, l'Etat laisse à l'initiative des citoyens la
charge de créer des ports là où le besoin s'en fait sentir. Les Gompa-
gnies qui s'organisent dans ce but n'ayant pas à souffrir des mille
entraves apportées chez nous à l'action particuhère , arrivent, dans
des conditions de rapidité surprenantes, à opérer de véritables mira-
cles.
Le port de Liverpool ofire un exemple tout spécial du maintien
constant de la profondeur d'eau ; la nature avait, incontestablement,
lait beaucoup pour atteindre ce résuhat si enviable, mais il faut
reconnaître que les travaux de l'homme l'ont puissamment développé.
- 314 —
Les docks qui complètent ce port ont . en effet, été établis sur des
parties de la rivière que la mer baignait autrefois, et ont ainsi réduit
encore la largeur du chenal, dont la profondeur a été, par suite, aug-
mentée sous l'action des chasses dues au jeu de la marée.
Liverpool est le second port de l'Angleterre, au point de vue du
tonnage général ; et, cependant, ce n'est que depuis 1825 qu'on a atta-
ché de l'importance à l'amélioration de la navigation de la Mersey. Le
premier plan exact et complet de la rivière remonte à 1821 seulement.
Pour obtenir les huit mètres d'eau indispensables à la grande navi-
gation, on a creusé la Clyde jusqu'à Glasgow, afin que ce district,
essentiellement manufacturier et houiller, ait un port et des bassins
qui lui soient propres.
Il y a un siècle à peine, la rivière la Clyde était guéable à 12 milles
(19 kilomètre) au-dessous de Glasgow, qui comptait alors 35,000 habi-
tants : en 1872, les navires tirant 22 pieds (6 mètres 60) d'eau quittent
ce port 2 ou 3 heures avant le plein , et gagnent la mer en une
marée.
Des travaux semblables ont été faits à Tembouchure de la Tyne.
En Allemagne, Hambourg offre encore un très remarquable exem-
ple de ce que peut le génie humain aux prises avec les difficultés d'une
entreprise gigantesque.
La Hollande mérite aussi d'attirer notre attention pai' les travaux
identiques qu'elle a su exécuter à Nieuwe-Diep.
Le port de Nieuwe-Diep est situé sur le Zuiderze, à l'est de la pointe
de Helder. Le courant de jusant avait creusé, en ce point, un chenal
de 4 ou 5 pieds de profondeur, praticable pour les petits bateaux seu-
lement
En 1873. on avait déjà obtenu 5 à 6 mètres de profondeur dajis le
port ; aujourd'hui le point le moins profond a encore 8 mètres d'eau
au-dessous du niveau de la basse mer et la profondeur moyenne est de
9"'40 à basse mer.
De très remarquables travaux ont également été accomplis dans le
port créé sur la mer du Nord à l'entrée du nouveau canal d'Amster-
dam et à l'embouchure du bras de la Meuse, nommé le Shew, qui
conduit directement à Rotterdam.
Le temps me manquant pour entrer dans une étude même sommaire
de ces ports artificiels, je me contenterai de renvoyer mes auditeurs
au mémoire récent et très complet de M. l'Inspecteur général Croizette
Desnovers.
— 815 -
J'ai hâte de terminer cbtte excursion chez nos voisins et, Irop heu-
reux concurrents, en disant quelques mots des phis redoutables de tous,
en l'état actuel des choses, c'est-à-dire de ceux établis à Anvers.
Pour donner une idée de l'accroissement de ce j)orl , depuis cinquante
années, j'aurai recours à la statistique.
Son mouvement qui, en 1830 n'était que de 730 navires, jaugeant
120,000 tonneaux, s'est élevé , en 1871 . à 5442 navires jaugeant
1,824,744 tonnes.
En 1880, son trafic a atteint le chiffre formidable de 3,876,000
tonnes.
Cet accroissement est dû surtout à l'approfondissement de l'Escaut,
aux travaux dont le port d'Anvers a été le théâtre dans ces dernières
années, à son outillage sans cesse perfectionné, au grand nombre de
voies ferrées et de canaux qui le desservent ; enfin, il faut le dire, aux
tai'ifs réduits des compagnies de chemins de fer belges et allemandes.
Il résulte d'une circulaire dont j'ai l'original entre les mains qu'An-
vers possède, dans un seul mois, 122 services réguhers directs vers les
divers points du globe et 68 avec transbordement en Angleterre, en
France, à Brème, etc. Pour arriver à réunir sans perte de temps des
services de cette importance,les quais ont été outillés de façon à pouvoir
servir d'accostage à 80 transatlantiques.
Ainsi que le fait judicieusement remarquer M. A. Marteau, dans son
intéressante et patriotique brochure sur le port d'Anvers (Le Havre,
octobre 1873) :
« Si, en quelques années, ce mouvement maritime et commercial
s'est développé avec une rapidité si formidable, il faut bien dire aussi
que la ville d'Anvers, d'une part, et, de l'autre, le Gouvernement, y
ont prêté la main, avec une ardeur extrême. Ni l'un ni l'autre n'a calculé
sachant très bien que calculer, en ces matières, c'est sacrifier l'avenir,
et que l'argent dépensé, en travaux de cette nature, produit mille pour
un et assure la richesse et la puissance du pays qui a su créer et qui
sait ' agrandir encore les établissements où le commerce maritime
est nécessairement appelé par les facilités et le bon marché qu'il y
trouve. »
Les avantages acquis jusqu'à ce jour, moyennant un sacrifice de plus
de cent miUlions, ne paraissent, toutefois pas suffisants à nos rivaux
qui, dans le Rapport du mouvement cotnmerciaL industriel eimari-
time pour l'exercice 1887. s'exprimaient ainsi :
« En tenant compte de la richesse, de la population et de la puis-
- 316 —
sance industrielle de notre rayon commercial, on comprendra que nous
devions concentrer dans notre port la plus grande partie du commerce
de l'Europe centrale. Notre place est plus rapprochée que le Ha^Te du
Nord de la France, de l'Alsace-Lorraine, de l'Allemagne et de cer-
taines parties de la Suisse ; mais la concurrence existe avec Le Havre,
dans l'Est de la France et dans une partie de la Suisse. »
Ce que j'ai dit plus haut de l'organisation du port d'Anvers et de ses
conditions de succès suffit à faire toucher du doigt le rôle prépondérant
du Transatlantique dans la grande jiavigation. Ces véritables cités flot-
tantes, d'un tonnage moyen de 4,500 tonneaux, transportant, avec une
rapidité précédemment inconnue (1). des centaines de voyageurs et des
quantités immenses de marchandises, permettent aux ports qu'elles
desservent de réaliser des bénéfices considérables sur ceux qui ne sont
pas organisés pour les recevoir.
Telle est la raison des sacrifices que se sont imposés nos concurrents
étrangers, certains, comme le fait remarquer M. A. Marteau, de
les récupérer au centuple dans un laps de temps plus ou moins
court.
En France nous semblons ou méconnaître cette loi économique ou
manquer de Tinitiative nécessaire pour la mettre en application.
Il n'entre pas dans mon programme de m'appesantir sur notre littoral
de l'Atlantique. J'ai dit, en débutant, qu'un port, pour progresser, devait
desservir d'importants districts manufacturiers et se trouver à proximité
des grands centres de production houillère , qui ont permis leur for-
mation économique.
Cette dernière condition manque à nos ports de l'Atlantique. Même
s'il possédait la profondeur voulue , le Havre, pour cette raison , ne
pourrait lutter avantageusement avec les porls que je viens de citer.
Evidemment, lorsqu'on est le port d'une ville comme Paris, et d'une
vallée comme ceUe de la Seine, on a une grande importance et on ne
doit marchander aucune amélioration, mais , il faut le reconnaître, —
malgré ses richesses agricoles , malgré ses industries, maigre Paris,
(1) Service de Liverpool à New- York (Note de la C'e Inmann) :
Voyage d'aller 10 jours.
Séjour pour déchargement et rechargement. . . 6 —
Voyage de retour 10 jours.
Ensemble 26 jours.
— 317 -
— cette région , n'est pas la région industrielle par excelloiice de la
France, attendu que la houille l'ail défaut à ses splcndides vallées.
Elle est , sous ce rapport, tributaire de l'étranger, c'est de l'Angle-
terre que Rouen tire ses charbons, et jamais , à moins de trouver une
force motrice économique , l'industrie rouennaise ne pourra lutter
avec celle de Manchester.
En outre de ces conditions d'infériorité, le port du Havre n'est pas
accessible à toute heure par les Transatlantiques ; quand ils s'y pré-
sentent à marée basse, ils doivent attendre 8 ou 10 heures. Résultat :
perte de temps pour les voyageurs et les marchandises ; perte d'argent
si évidente, pour les Compagnies, que le Gouvernement est obligé de
subventionner les grandes lignes qu'elles desservent.
J'aiTive à nos ports du Nord.
Ceux-ci, comme je l'ai établi tout d'abord, présentent bien l'immense
avantage d'appartenir à des régions industrielles et minières , mais ils
ne sont pas en eau profonde, ce qui les oblige à renoncer au service
régulier, et par là économique, des Transatlantiques.
Un tel état de choses peut-il sa perpétuer indéfiniment?
Est-il admissible que nos centres producteui's du Nord, restent
tributaires des ports étrangers ?
Allons nous continuer à voir le plus grand courant commercial du
monde passer devant nos yeux , pour aller vivifier et enrichir- les
entrepôts de Londres, de Liverpool, d'Anvers, de Rotterdam, d'Ams-
terdam, de Hambourg, abandonnant ainsi, faute d'une rade, la France,
à laquelle sa position géographique aurait cependant dû assurer un
sort tout différent ?
A toutes ces questions on ne saurait répondre que par la négative.
Voyons donc , en nous détachant de toute préoccupation locale et en
invoquant les dernières études hydrographiques de nos ingénieurs les
plus compétents , quel est , sur le littoral , le point stratégique indique
pour devenir le port naturel de notre région du Nord.
Le Nord possède 3 ports , Dunkerque , sur la mer du Nord , Calais,
sur le détroit, Boulogne, sur la Manche.
Pour l'observateur qui étudie les phénomènes géologiques dont
cette partie de nos côtes est le théâtre , il ressort clairement que les
ports situés au-delà du cap Gris-Nez sont dans des conditions
défavorables pour la grande navigation , par suite de leur continuel
ensablement.
Pour établir la justesse de cette assertion , il suffit d'examiner la
- 31X _
manière dont se forment les courants dans le détroit du Pas-de-Calais
et la mer du Nord,
Celui du flux, dont l'excessive puissance est augmentée d'une bran-
che du Gulf-Stream , s'avance par la Manche, entraînant avec lui, les
débris arrachés du fond de l'Atlantique et des côtes, et il agit avec une
force d'érosion d'autant plus grande que la Manche se trouve de plus
en plus resserrée entre la France et l'Angleterre jusqu'au détroit du
Pas-de-Calais.
Mais, dès que le flux débouche dans la mer du Nord, il se subdivise en
deux courants, formant comme les branches d'un gigantesque éven-
tail, qui déposent , le long des côtes françaises et anglaises, les amas
considérables de sable et de gravier qu'ils entraînent.
A l'endroit précis où le courant , allant du Sud au Nord, rencontre
celui qui descend en sens contraire, il se produit un remous violent,
sous l'empire duquel les alluvions transportées tombent dans des
zones médiales oh. ils forment par leur amoncellement les véritables
terres sous-marines, qu'on appelle des bancs. Tels sont, à travers le
détroit, dans le sens longitudinal, ceux de Varne et de Colbart.
L'action des apports de sables commence à se faire sentir auprès du
cap Gris-Nez à Sangate {Sand-gate, porte des sables), dont la désigna-
tion est suffisamment caractéristique.
C'est également par l'efî^et de ces courants que s'est graduellement
comblé le golfe de St-Omer ; que ce sont formés les Pays-Bas et
constitués ces bancs considérables, tels que le Dogger-Bauk, les South
et Nooth Goodvin. dont la présence fait courir les risques les plus
graves à la navigation, malgré les balises et autres avertissements qui
les signalent.
Pour cette raison . les ports de Calais et Dunkerque, situés sur un
pays plat et dont les plages s'étendent au loin dans la mer, ne possé-
deront jamais la profondeur nécessaire à l'entrée immédiate, à mer
basse, des Transatlantiques.
Malgré le travail incessant des dragues, on arrivera tout au plus à
obtenir, à l'entrée de ces ports, au moment de la basse mer, 2 mètres 40
dans le second , et 4 mètres dans le premier, profondeur suffisante
pour un service régulier avec l'Angleterre, mais ne présentant pas les
conditions requises par les Transatlantiques qui , je l'ai déjà dit . ne
peuvent attendre la marée et doivent arriver à toute heure à leur quai
d'accostage.
Le port d'Anvers échappe en partie à ces ensablements ; l'Escaut,
— 319 -
fleuve d'une grande puissance, habilement endigué . d('gage son par-
cours et opère de fortes chasses à sou embouchure ; toutefois, malgré
cet avantage, les bancs de sable qui se forment à l'entrée du port pré-
sentent un danger constant pour la navigation, et exigent l'emploi de
deux pilotes, l'un pour la pleine mer et l'autre à partir de Flessingue
pour la navigation fluviale , circonstance qui entraîne des pei'tes de
temps et des augmentations de frais généraux.
Toute autre est la situation du port de Boulogne. Comme le font
remarquer MM. les Ingénieurs Stœklin et Laroche, dans leur intéres-
sant travail sur Les ports 7naritimes considérés au point de vue de leur
établissement et de l'entretien de leur profondeur :
« Au lieu de présenter des tendances à l'ensablement , le promon-
toire du Boulonnnais a été et continue à être corrodé, mais comme il
formé de couches trè^ diflérentes, il se corrode irrégulièrement ; les
roches résistent plus ou moins suivant leur dureté, et forment des
caps, tandis que les couches de tuf et d'argile se rongent plus facile-
ment ; c'est ce qui donne à la côte du cap d'Alpreck au Gris-Nez ,
l'aspect d'une dentelure formée d'une série de pohites avec des ren-
trants intermédiaires.
Sur l'estran les courants se font également sentir ; mais leur action
est modifiée par l'action des lames qui prend ici la prépondérance.
L'action des lames a pour efiet de corroder les couches d'argile et de
tuf, et de niveler ensuite avec du sable les creux qui se produisent
entre les bancs déroche. Mais, malgré la présence de ce sable, la
plage de Boulogne est loin d'être ce qu'on appelle une plage de sable ;
quand on la suit entre la pointe de l'Heurt et celle de la Crèche , on
rencontre à chaque pas des arêtes de roche ou de tuf . et les forages
exécutés par M. Legros, en 1872, autorisent à penser que la chemise de
sable n'a nulle part une épaisseur supérieure à 2 mètres. Si on pouvait
enlever cette chemise, on retrouverait partout la falaise , se compor-
tant sous l'eau comme elle se montre au dessus , et produisant par
suite des couches très différentes dont elle est formée , les plateaux
signalés par M. Ploix . et les iiTégularités que l'on rencontre dans les
fonds, et qu'il serait absolument impossible d'expliquer avec une plage
de sable. »
Par suite de cette disposition de la côte , le port de Boulogne se
trouve situé dans une vaste baie , abritée des vents, qui soufflent du
Nord au Sud : à l'Est par les falaises et l'important massif de collines
— 3'^ -
qui les dominent : au Nord-Ouest et au Sud-Ouest par le développe-
ment des digues du grand port.
Etant donnée la facilite d'obtenir, dans ce port, une profondeur de 10
mètres (à basse mer) , on conçoit que les négociants d'Anvers voient
de ce côté une menace des plus sérieuses pour leur prépondérance et
que, lors d'un récent v^oyage , le roi Léopold se soit tout pai'ticulière-
ment intéressé aux travaux en cours d'exécution.
Tout concourt à établir qu'avec les facilités qu'il offrira aux Tran-
satlantiques, le port de Boulogne ne tardera pas à retenir une grande
partie du courant commercial qui . faute d'une rade plus au sud. a dû
jusqu'ici franchir le Gris-Nez pour aller chercher, fut-ce au prix de
constants dangers, la profondeur d'eau suffisante.
Cet avantage du port de Boulogne sur celui d'Anvers, comme rapi-
dité et économie, ressort très nettement d'une note que je dois à l'obli-
geance de deux officiers, de notre marine militaire, des plus distingués
et très au fait de la navigation dans la mer du Nord.
Comme on va le voir, elle complète très utilement les précédentes
explications. Je la cite textuellement :
« Un navire étant vis-à-vis de Boulogne, la distance jusqu'à l'em-
bouchure de l'Escaut (devant Flessingue) est de 100 milles. — La
distance de Flessingue à Anvers est de 45 milles marins (de 1,832
mètres). '"^^^
Un navire allant de Boulogne à l'Escaut, rencontre au milieu du
Pas-de-Calais :
Les bancs du Varne et du Colbart :
1" Au-delà du Gris-Nez sur tribord, les bancs de Calais, de Dun-
kerque, de Nieuport et d'Ostende, c'est-à-dire une série de bancs
s'étendant devant Nieuport jusqu'à treize milles au large;
2° Par bâbord, on a les bancs de Goodwin, les South-Falls, le San-
dettie, les Fairy-Bank, West-Hinder, etc., bancs qui deviennent de
plus en plus rapprochés les uns des autres en approchant de l'Escaut.
Le grand chenal entre ces deux séries de bancs est praticable pour
les navires a vapeur et les navires à voiles qui ont vent arrière, par
beau temps, avec de la vue, grâce au balisage.
On est obligé, en tout cas, d'aller relever le feu de West-Hinder et
de là, de courir, au milieu des bancs, sur le feu de Ribzand, placé
encore en tête des bancs qui forment comme une barre de l'Escaut,
mais par mauvais temps, par temps sombre, cela devient fort difficile,
même veut arrière.
— H21 —
En tout cas, cela est impraticable, même de beau temps, pour les
navires à voile d"uu certain tonnage; quand le vent esf contraire.
Les courants qui changent avec la marée et portent tantôt sur un
baiîc, tantôt sur un autre, augmentent le danger.
Les navires ont un abri dans ces parages, la rade des dunes ; mais
une relâche augmente les frais et occasionne du retard.
La distance des dunes à l'entrée de l'Escaut est encore de 80 milles,
et on rencontre sur la route les bancs de South-Falls, Sandettie, Fairy-
Bank, et on retrouve alors le West-Hinder.
Un navire à vapeur, filant dix nœuds à l'heure, mettra donc dix
heures en moyenne de la hauteur de Boulogne à Flessingue, et encore
cinq heures de Flessingue à Anvers (indépendamment des difficultés
particulières de la rivière).
Un navire à voiles, vent arrière, ayant une vitesse de S nœuds,
mettra 13 heures pour atteindre Flessingue, et ne pourra pas arriver
sans remorqueur jusqu'à Anvers, à cause des coudes de la rivière, à
moins de mettre plusieurs jours à remonter au milieu de difficultés
innombrables.
Mais quand un navire h voiles a vent debout, il faut d'abord qu'il
double le Pas-de-Calais ; quand il a réussi, il ne peut pas louvoyer au
milieu des nombreux bancs cités plus haut ; il lui faut donc, surtout
s"il vente fort, chercher un abri en rade des dunes et y attendre un
vent favorable-
Pendant ce temps, le navire qui aura relâché à Boulogne pourra
décharger, recharger, et profiter du même veut qei retarde son con-
current, pour repartir vers l'Ouest. »
De la note publiée page 316, il résulte qu'un Transatlantique faisant
d'Anvers à New-York dix voyages annuels, en ferait 11 1/2 de Bou-
logne à New-York, puisqu'il gagnerait 15 heures à l'aller et autant au
retour, soit 30 heures au total. Chaque voyage coûtant 200,000 francs,
ce serait donc une économie annuelle de 300,000 francs qu'il réali-
serait.
En supposant deuxTransatlantiques naviguant de concerve avec voya-
geurs et marchandises, l'un à destination de Boulogne, l'autre à desti-
nation d'Anvers, les passagers du premier seraient arrivés à Cologne,
Dusseldorf ou Bâle au moment où le second accosterait au grand quai
de l'Escaut.
22
— 322 —
En résumé, le port en eau profonde de Boulogne, quand il sera ter-
miné, offrira à la grande navigation les avantages suivants :
Rade d'accès facile pendant les grandes tempêtes d'ouest et de sud-
ouest, dont il n'était pas précédemment abrité, mais contre lesquelles
le protégeront désormais les digues, où, grâce à l'orientation de leurs
entrées, les navires seront poussés vent arrière ;
Profondeur constante de 10 mètres sans dragages à basse mer;
Transport rapide et économique des matières premières au profit de
la zone manufacturière du Nord.
A toutes ces considérations, il me faut ajouter que les ingénieurs
ayant une rade située comme nous venons de le voir, pourront y établii*
des bassins ou darses disposés de façon à présenter un quai en com-
munication directe avec le chemin de fer et le canal. Il sera donc
facile d'éviter les pertes de temps et de restreindre à leur plus juste
limite les frais généraux.
• Nous suivrons ainsi l'exemple d'Anvers, qui, afin de gagner quatre
heures sur le passage des écluses donnant précédemment accès dans
des bassins fort mal orientés, a dépensé cent vingt milli(His pourcons-
truu'e sur l'Escaut le fameux quai, dont j'ai parlé au début de celte
conférence, et auquel les transatlantiques accostent aussitôt arrivés.
Pour ces immenses steamers, en effet, le temps est tout ; ce qu'ils
gagnent en rapidité par la puissance de leurs machines , ils ne faut pas
qu'ils le perdent par des difficultés ou risques de navigation, des
arrêts ou des transbordements en rade et des accostages difficiles.
Je viens dédire que les ingénieurs pourront, parle moyen de darses,
mettre le port en eau profonde de Boulogne, en communication directe
avec le chemin de fer et le canal. Ici, on pourrait m'arrêter en m'ob-
jectant que Boulogne ne figure pas sur la carte des voies navigables
françaises.
Cela est vrai, mais je parle ici au futur. Or, comme complément
indispensable de la création de son port en eau profonde, Boulogne
devra être soudé aux canaux de la région du Nord, par la ville de
St-Omer. Si, en effet, on veut bien se rendre compte de la situation
géographique que j'ai précédemment exposée et de la nécessité pour
un port d'être rehé à un centre industriel ethouiller , on comprendra
que cette ligne est toute indiquée pour nous rendre plus facile encore
cette concurrence à Anvers, dont les Belges ont une si grande crainte.
L'épaisseur seule de quelques collines sépare le bassin du bas boulon-
nais du bassin de l'Escaut ; supposons que, par l'efiét d'une révolution
— 32:^ —
géologique, les eaux du fleuve se soient ouvert une brèche à travers
ces collines et que l'Escaut, suivant un cours etun niveau qui n'auraient
rien que de naturel, ait traversé le bas boulonnais et soit venu débou-
cher au port de Boulogne, quel serait de ce dernier ou de celui d'An-
vers le plus propre au développement commercial ?
Or, ce que la nature n'a [)as fait peut être entrepris par la main de
l'homme ; quand on a vu percer le canal de Suez et qu'on connaît les
travaux de l'isthme de Panama, que peut être le creusement des 50
kilomètres de canal vers St-Omer, qui relieraient toute notre indus-
trie du Nord au seul port réellement en eau profonde que puisse pos-
séder la région.
La nécessité de développer nos voies navigables et de les appro-
prier à tous les besoins du commerce, de l'industrie et de l'agriculture
s'impose d'une façon d'autant plus impérieuse que les tarifs de nos
Compagnies de chemin de fer nous mettent, au point de vue de la
rapidité et de l'économie des transports intérieurs, sur un pied d'in-
fériorité choquante vis-à-vis de l'étranger.
Cette question a fait, en ces derniers temps, l'objet de trop de mé-
moires, rapports et brochures, pour que je puisse songer à l'aborder à
la fin de cette conférence, déjà longue; je me contenterai, parmi les
nombreux documents dont il me serait facile d'appuyer mon argumen-
tation, d'emprunter quelques chiffres aux Recueil-Chaix P. V. et G.V.
du ^^ trimestre 1886.
Ils suffiront à donner une idée exacte des dispositions de nos Com-
pagnies, en permettant de comparer les conditions de transport faits
aux producteurs français, avec les réductions dont jouissent leurs
concurrents étrangers. Qu'on en juge:
PRIX eOlIPARÉS
U après les recueils Chaix P. V- et G. V. du 4" trimestre 1886.
TRANSPORT DES TISSUS DE LAINE ET DE COTON (petite vitesse).
De Distances. Prix. Tarifs.
Lille St-Sauveur . . . J l 245 kilom . 32 fr. par 1000 kilos . Tarif spécial n" 20
Roubaix ( x p • , ) ^53 — 32 — —
T' / â XT tins \ Lxr't'* *^i-k
ourcoing i ] 25b — .>2 — —
Boulogne .........] [ 252 — 21 fr. 25 — —
Différence en faveur des tissus Anglais. ... 10 fr. 75
— 324 -
TRANSPORT DES TISSUS DE LAINE ET DE COTON (grande vitesse).
DifTérences en favenr
De farif général. Tarif direct n^ 2. des tissus Anglais.
Lille J ( 110 fr. 40 De 92 fr. 50 17 fr. 90
Roubaix à Paris ) 113 95 Boulogne 92 50 21 45
Tourcoing \ / 114 80 à Paris 92 50 22 30
TRANSPORT DES FILS DE LIN , DE CHANVRE OU DE COTON (petite vitesse).
Fils blancbis ou teints
De Distances. Fils écrus pour tissage. pour tissage.
Lille St-Sauveur. .. ^ I 245kilom. 26 fr. par 1000 kilos. 32 fr. par 1000 kilos
Roubaix / \ 253 — 26 — .32 —
Tourcoing là Paris ^256 — 26 — 32 —
Boulogne i i 252 — 21 fr. 25 — 27 et 21,25(1) Tarifs, dir.
Calais ) ( 295 — 21 fr. 25 — 27et21,25(l) —
Différences en faveur des produits anglais : Fils écrus 4 fr. 75
Fils blanchis ou teints,. . . 5 fr. et 10 fr. 75
Me voici , Messieurs , arrivé au terme des observations que je dési-
rais vous soumettre, et il faut me résumer.
Comme j'ai essayé de l'établir, en m'autorisant de ce qui se passe
chez nos concurrents étrangers , pour qu'un centre industriel se déve-
loppe et progresse , il faut d'abord qu'il se trouve à proximité d'exploi-
tations houillères , ensuite qu'il ait , pour écouler ses produits
manufacturés et se procurer les matières premières , un port desservi
dans les meilleures conditions de rapidité et d'économie.
' La région du Nord, qui possède le premier de ces avantages, manque
encore du second , si bien que , pour maintenir ses relations avec les
grands marchés internationaux , il lui faut rester tributaire de
l'étranger.
Un semblable état de choses peut-il se perpétuer indéfiniment ? Je
ue le crois pas et c'est pourquoi j'ai cru devoir, utilisant, à défaut de
connaissances spéciales, l'expérience que m'a donnée une longue pra-
(1) 27 francs pour expéditions inférieures à 1,000 kilos.
21 fr. 25 pour expéditions de 1,000 kilos au moins.
— 325 —
tique des affaires, vous intéresser à un problème vous touchant de près
et dont la solution s'impose.
Cette solution, nous venons de la chercher ensemble et je vous ai
donné, avec une enlière franchise , mon avis, dégagé de toute préoc-
cupation locale et appuyé sur d'importants travaux rédigés , Ipour le
compte de l'État , par des ingénieurs tout à fait compétents en la ma-
tière. Ce que je cherche , c'est uniquement la vérité et , comme je n'ai
aucune prétention à Tinfaillibilité , je ne demande pas d'ériger ma
manière de voir en article de foi mais bien de provoquer une utile et
féconde agitation, d'où sortira la lumière.
Je le répète, en terminant , les intérêts de la région du Nord sont
gravement compromis par l'immense lacune que je viens d'indiquer. A
une contrée commerçante , industrielle et agricole comme la vôtre , il
faut un port pouvant recevoir les navires marchands du plus fort ton-
nage et permettant ainsi d'obtenir des conditions de transport comme
seuls les transatlantiques peuvent en offrir au commerce.
Quel est ce point stratégique désigné pour devenir l'Anvers du nord
de la France ? A vous , Messieurs , de décider si , comme moi , vous
estimez que Boulogne offre , à cet égard , les garanties nécessaires
pour justifier les sacrifices qu'impose une création d'aussi haute im-
portance.
En tout cas et quelque soit votre sentiment , il vous appartient d'é-
lever la voix et de la faire entendre dans les sphères gouvernementales.
Votre cause est juste et patriotique , il faudra bien qu'elle finisse par
triompher des obstacles et des objections contre lesquels elle pourra
se heurter. Personnellement , je m'estimerai très heureux si ma
modeste intervention de ce soir obtient le seul résultat que j'en ambi-
tionne : Hâter le grand mouvement d'opinion qui , sous peine de
déchéance, s'impose au district manufacturier du Nord.
La favorable attention avec laquelle vous avez bien voulu m'é-
couter, me permet d'espérer beaucoup à cet égard : je vous exprime
ma profonde gratitude ainsi qu'au sympathique Président et à ses
dévoués Collègues de la Section de Roubaix, à l'amabilité desquels
je dois la véritable bonne fortune d'être venu me mettre en rapports
avec UE public dont l'approbation m'est aussi précieuse que la vôtre.
— :326 —
SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE DE VALENCIENNES.
lia Société de géographie de Talenclennes
Pendant le premier trimestre de 1887 .
Par M. Paul FOUCART, avocat, secrétaire-général de la Société de Valenciennes.
I.
L'année 1887 a , pour la Société de géographie de Valenciennes ,
commencé par un malheur : Le 29 janvier est mort l'un des membres
les plus dévoués de son comité , Emile Deladerrière , emporté par une
maladie de poitrine à l'âge d'environ 40 ans.
Emile Deladerrière avait fait au Collège de Valenciennes de sérieuses
études, et dès 16 ans 1/2, il était bachelier es -lettres et bachelier
ès-sciences. Un goût très vif l'emportait vers la médecine. Mais , dans
la crainte de compromettre sa santé , qui était très faible , sa famille le
dirigea de préférence vers le barreau qu'elle considérait , bien à tort ,
comme exigeant moins de fatigues. Tout en suivant avec assiduité les
cours de la Sorbonne et du Collège de France , il fit donc son droit à
Paris, où la Faculté lui décerna un prix au concours général et le reçut
ensuite docteur, lorsqu'il avait à peine 21 ans. Il revint ensuite s'installer
à Valenciennes, où il ne tarda pas à se créer une belle clientèle.
Bien que privé de toutes les qualités extérieures de l'orateur,
Deladerrière , ainsi que l'a justement dit sur sa tombe M. Eugène
Delcour , bâtonnier de l'ordre des avocats , « exposait ses aflaires
» d'une façon lumineuse , ne négligeant aucun moyeu ni aucun détail ,
» comme s'il eut expliqué un problème scientifique dans lequel les
» plus petites fractions ne peuvent pas être négligées. Personne n'avait
» plus que lui le goût de l'ordre , du calcul et de la méthode. Il pour-
» suivait le succès avec une indomptable énergie, et bien souvent nous
» nous demandions comment , avec une santé si débile , il pouvait
» vsupporter la fatigue de plaidoiries aussi étudiées et aussi complètes. »
En dehors de ses devoirs judiciaires , Deladerrière donnait tous ses
loisirs à l'étude des sciences naturellles, pour lesquelles il avait conservé
une vraie passion. Ses vacances étaient consacrées à des promenades à
pied, à des herborisations et à des recherches géologiques qui lui firent
- 3i7 -
parcourir une grande partie du littoral océanique de la France. 11 s'était
intimement lié avec presque tous les professeurs de la Faculté des
Sciences de Lille, et c'est en leur compagnie que, bien souvent, surtout
à l'époque des grandes marées , il allait poursuivre ses investigations
au laboratoire de Vimereux.
Un compte-rendu d'une excursion géologique faite l'an dernier , par
M. Gosselet, à travers une partie de l'arrondissement de Valenciennes,
a été son dernier travail. 11 a paru dans le numéro du Bulletin de la
Société de géographie de Lille du l*"" novembre 1886. Mais, fidèle à ses
habitudes de modestie, Deladerrière n'a pas voulu le signer , et l'a
simplement fait suivre de ces mots : Un naturaliste Valenciennois.
Avant de mourir , il a légué à sa ville natale toutes ses collections
d'histoire naturelle, ainsi que sa bibliothèque scientifique. Ce legs a été
accepté par le Conseil municipal dans sa séance du 8 février 1887 , et
les objets qui en dépendent seront prochainement installés aux Ecoles
académiques.
IL
Le 6 mars , M. de Mahy , député de l'île de la Réunion et ancien
ministre de l'Agriculture , a fait , au théâtre de Valenciennes , une'
intéressante conférence sur la question coloniale de Madagascar.
Dans le Courrier du Nord, M. Victor Henry eu a rendu compte en
ces termes :
« Pour résumer de suite l'impression générale laissée par cette
séance, disons que jamais nulle conférence n'a paru plus courte , tant
M. de Mahy a su captiver et retenir l'attenlion de ses auditeurs. Ce
résultat , ce n'est pas à de brillants mais factices procédés oratoires
qu'il est dû. La parole de M. de Mahy est, au contraire, empreinte de
la plus complète simplicité ; rien d'étudié , rien d'apprêté dans le lan-
gage ; on sent le causeur habitué à parler d'abondance. Mais cette
parole toute simple reflète la clarté, la netteté des idées qu'elle traduit,
elle est animée par le souffle de la sincérité même , et s'échauff'e
fréquemment sous l'ardeur d'une conviction profonde et d'un vibrant
patriotisme. L'éloquence qui tire ainsi ses quahtés sa force du sentiment
intime, est la véritable éloquence, celle qui s'impose le pins.
» M. de Mahy a commencé par protester contre une opinion trop
répandue et suivant laquelle les Français seraient complètement privés
du génie de la colonisation. Toute notre histoire , a-t-il dit , est là pour
réfuter ce préjugé. Dès l'antiquité, nos ancêtres , les Gaulois fondaient
- 328 -
des colonies florissantes en Italie et jusque dans l'Asie-Mineure. Sous
l'ancien régime, pour montrer que les aptitudes colonisatrices des
Français n'avaient disparu, il suffit de rappeler la conquête du Canada,
et aux Tndes la tentative de Dupleix, dont les projets ont échoué par la
seule faute de l'imprévoyant gouvernement de Louis XV.
» Il est donc contraire à la vérité de prétendre que la politique colo-
niale ait été inventée par les hommes d'Etat de la troisième République.
Ceux-ci n'ont fait que reprendre une tradition nationale, et cela sous
l'influence de préoccupations bien fondées, selon M. de Mahy.
» Il est indéniable que depuis ces dernières années, toutes les nations
européennes tendent à fei mer leurs marchés aux produits des autres
peuples par l'établissement de droits d'entrée prohibitifs. En Amérique,
les Etats-Unis ont écarté par le même système les marchandises étran-
gères, et, chose grave, ils cherchent en ce moment à conclure avec les
États de l'Amérique du Sud une union douanière qui ruinerait aussi
dans ces contrées notre commerce d'exportation. Alors que la France
est menace de voir enlever à son industrie presque tous ses anciens
débouchés, n'était-il pas politique, conclut M. de Mahy, de chercher à
lui procurer dans les pays neufs une clientèle nouvelle ? De là l'expé-
dition du Tonkin , où les circonstances nous avaient engagés depuis
longtemps déjà : de là aussi les efforts faits pour affermir notre
situation à Madagascar.
» S'étendant particulièrement sur ce dernier point , M. de Mahy a
déclaré que s'il y a un reproche à adresser au gouvernement républi-
cain, ce n'est pas d'avoir maintenu nos droits sur l'île de Madagascar .
c'est de ne pas les avoir maintenus toujours avec assez de fermeté.
» Ces droits , ils sont incontestables. Ils ont été reconnus et défen-
dus sous Louis XIV , par lequel l'île fut déclarée dépendance de la
couronne , sous Louis XV et Louis XVI , sous la Convention , qui
décréta que Madagascar faisait partie intégrante du territoire national.
Napoléon F'" seul , donnant toute son attention à sa fatale politique
européenne , les laissa péricliter. Mais , après les traités de 1815 ,
l'Angleterre même reconnut la légitimité de nos droits sur cette grande
île, et nul de nos gouvernements ne les a depuis abandonnés.
» Comment se fait-il donc que notre influence à Madagascar se soit
trouvée en ces derniers temps compromise, qu'il ait fallu travailler à
la rétablir, et que la France n'y travaille pas , malheureusement , sans
une certaine hésitation ?
» C'est , répond M. de Mahy , qu'il s'est établi à Madagascar une
— 32(4 —
Société religieuse anglaise , la Société biblique britannique et étran-
gh-e, compagnie riche, puissante, intrigante, qui s'efforce de mettre la
politique an service de ses vues évangélistes. Sous prétexte que la
domination française à Madagascar tend à y introduire le catholicisme
au lieu du méthodisme protestant , elle n'épargne rien pour nous
chasser du pays et y appeler les Anglais à notre place. Et, comme
cette Société biblique a des ressources considérables , comme elle
étend ses ramifications parlout, comme elle a dans les diverses parties
de la France des adeptes et des correspondants, et qu'elle possède des
intelligences jusque dans nos bureaux ministériels , elle est parvenue ,
non seulement à nous susciter des difficultés dans la colonie, mais à
exercer , dans notre pays même , une certaine action sur l'opinion
publique et à inspirer à notre gouvernement des tergiversations et des
ménagements funestes, en semant adroitement l'opinion que Mada-
gascar ne vaut pas pour nous les sacrifices que nous y pourrions faire.
» Des réunions franco -anglaises ont eu lieu en ce sens au Grand-
Hôtel de Paris , et pour propager les résolutions qui y ont été prises ,
la Société Biblique de Londres a divisé la France en sept provinces
dont chacune a ses chefs et ses moyens d'action. La Province du
Nord comprend , d'après la carte dont M. de Mahy a donné connais-
sance au public, les départements de la Seine-Inférieure, de la Somme,
du Pas-de-Calais, du Nord, des Ardennes et de l'Aisne. A nous, désor-
mais prévenus , de ne plus nous laisser prendre aux pièges qui nous
ont été si habilement tendus.
5> M. de Mahy , quia longuement visité Madagascar, s'élève vive-
ment contre l'affirmation que nous n'en pourrons rien faire.
» L'île de Madagascar est plus grande que notre France. Elle ren-
ferme une population de deux millions et demi à trois millions d'habi-
tants, ce qui donne un joli chiffre de consommateurs déjà.
» Les produits que nous y écoulons sont les conserves alimentaires,
les vins, les eaux-de-vie, des bières spéciales qu'on fabrique à Bordeaux
et au Havre, et qu'on pourrait fabriquer dans le Nord, la quincaillerie,
les meubles communs, les articles de Paris, etc.
» Ces marchandises , les indigènes nous les paient non eri monnaie ,
mais en productions du pays , et ces productions sont aussi précieuses
que peu coûteuses sur place, ce qui permet les échanges les plus avan-
tageux. C'est ainsi qu'un vieux fusil , estimé 6 fr. 50 en France , se
vend là bas de 25 à 30 fr.. ou s'échange contre un ou deux bœufs.
• > On trouve à Madagascar des bois de charpente et d'ébénisterie ,
^ 330 —
de la cire, de la gomme , du caoutchouc , de la gutta-percha , produits
dont l'exploitatiou ne peut faire concurrence à nos industries métro-
politaines.
» Les bestiaux se multiplient aussi dans cette île d'une manière
prodigieuse. Rien à craindre non plus pour nos éleveurs français ,
pourtant, de ce côté : le voyage est trop long pour pemettre d'amener
à bon compte ces animaux en Europe. Mais ils pourraient faire l'objet
d'un commerce important si on en organisait l'exportation vers les îles
de la mer des Indes, Nossi - Bé , les îles de France , de la Réunion , de
Rodriguez, des Seychelles, etc.
» Enfin, le climat et la fertilité de Madagascar se prêtent à l'intro-
duction de cultures nouvelles , par exemple celle du coton, qu'il serait
si important pour la France de pouvoir se procurer dans une de ses
possessions , au lieu d'être à cet égard tributaire de l'étranger.
» Tel est le pays sur lequel , proclame M. de Mahy , il faut rétablii^
complètement notre domination et notre influence , compromises par
le traité fort critiquable signé avec la reine de la peuplade des Hovas.
Ce gouvernement hova est une oligarchie tout à la dévotion de la
Société biblique. Nous lui avons reconnu un pouvoir de souveraineté
qui ne lui appartenait nullement. Nous lui avons abandonné sans
défense les indigènes que nous avions eus pour alliés dans nos diffé-
rends belliqueux avec les Hovas, et ceux-ci en profitent pour martyri-
ser leurs anciens adversaires de façon à révolter le sentiment
d'honneur de tout Français.
» Heureusement, ce regrettable traité conclu avec les Hovas a
réservé les droits antérieurs de la France. Grâce à cette précaution ,
M. de Mahy croit que nous pouvons parfaitement rétablir notre
ancienne situation à Madegascar et mettre les Hovas à la raison , en
y employant l'énergie et l'esprit de suite nécessaires. Ajoutons que ,
suivant l'orateur, on a toute chance d'arriver au but voulu sans être
obligé de recourir aux moyens miUtaires, et en se bornant à une action
diplomatique très ferme.
» Des applaudissements fréquents et souvent très vifs, ont été
donnés à M. de Mahy par ses nombreux auditeurs. Et l'on peut ajouter
sans trop s'avancer, croyons-nous, que le sympathique député a rendu
beaucoup d'entre eux favorables à son opinion , c'est-à-dire qu'il n'a
pas perdu sa journée. ^>
- 331
NOUVELLES ET FAITS GÉOGRAPHIQUES
I. — Géographie scientifique. — Explorations et découvertes.
EUROPE.
Percement du tunnel de l'Apennin. — On sait que depuis long-
temps les Italiens travaillaient au percement du tunnel de l'Apennin, près de Ronco.
Le 23 avril 1887 , ce grand travail a été terminé. C'est surtout au commerce de
Gênes que profitera la nouvelle voie : les Génois , en effet , se plaignaient beaucoup
depuis le percement du Seiint-Gothard , de l'insuffisance des communations avec le
Nord; de plus , le mauvais état du tunnel de Giovi les exposait toujours au danger
d'une interruption complète des communications directes avec Alexandrie. Il est à
croire qu'aujourd'hui les voies ferrées existantes suffiront au transport des marchan-
dises italiennes.
ASIE.
l*Pojet d'eiKpIoration du Sânjs^-lla. — M. Gauroy, lieutenant d'infan-
terie de marine, a fait part à la Société de géographie de Paris, d'un plan d'explo-
ration du Sông-Ma, le principal cours d'eau de la province de Thanh-Hoa (Annam).
Cet officier se propose de remonter le fleuve , en compagnie de deux de ses cama-
rades et d'un ingénieur civil , aussi loin que possible , pour revenir ensuite , dans le
sud , traverser la ligne de partage des eaux vers le 2V degré latitude N., pour aller
sur Luang-Prabang par la vallée de la rivière Kaun. Le retour s'effectuerait soit par
le Cambodge et la Cochinchine , soit par l'Annam ;Tràn-Ninh). Le but de l'explo-
ration serait : 1° de reconnaître la valeur commerciale du Sông-Ma comme voie de
communication avec le Yun-Nan ; 2" de trouver ou d'établir une voie commerciale
entre le Tonkin et Luang-Prabang ; 3" de rallier les diverses tribus de ces pays à
l'influence française.
Les régions qu'aura à traverser M. Gauroy sont encore inconnues, excepté dans la
partie qui avoisine le Tonkin et oîi se trouve , en première ligne , le « Lac Tho ».
A la fin de 1878, un prêtre français, des Missions étrangères, M. Fiot , a remonté le
Sông-Ma, avec une douzaine d'indigènes , dans de petites barques. Après une navi-
gation de dix-huit jours , à partir de la dernière chrétienté que l'on rencontre avant
de s'enfoncer dans les montagnes, M. Fiot arriva sans accident à Luc-Ganh , en plein
Laos ; il avait dû franchir de nombreux rapides. L'accueil qui lui fut fait par les
habitants fut rien moins que bienveillant , et la fièvre des bois s'empara bientôt du
missionnaire et de ses compagnons. Au mois de juillet 1879, ISI. Fiot quitta le village
inhospitalier de Luc-Ganh et le pays des Ghâu, tributaire de l'Annam, pour se rendre
dans la petite tribu indépendante de Na-Ham , éloignée d'une journée et demie de
marche et où il fut bien accueilli. A la fin du mois d'août, voulant profiter de la saison
— 3:32 -
des hautes eaux pour redescendre au Tonkin, M. Fiot s'embarqua sur un radeau de
bambous, fit naufrage au passage d'un rapide et, épuisé, vint mourir à Hâo-Nho, le
13 septembre, à trois lieues seulement du colllège latin du Phu-Nhac.
On doit à ce courageux explorateur de précieux renseignements sur la langue des
Mois et, particulièrement , un dictionnaire ; nous aimons à espérer qu'un sort plus
heureux est réservé à la mission de M. Gauroy, sans oser pourtant trop nous attendre
au succès de ses deux premiers desiderata.
Résultats du voyage en Chine du général Pr.jéT«'alski. —
La Deutsche Rundschau de Vienne , donne une nouvelle qui ne pourra manquer de
causer quelque émoi dans le monde géographique : elle a trait à un voyage d'explo-
ration que vient de terminer Prjévvalski dans la Chine et le Thibet, dont ce voyageur
s'occupe actuellement de publier la relation et de dresser la carte. Il y aurait eu
là une concurrence assez étrange entre les Russes et les Anglais , car l'explorateur
russe patronné par la Société impériale de géographie de Russie aurait été, lors de
son voyage et alors qu'il n'était encore que colonel, sui\-i pas à pas par une expédition
anglaise sous la direction de M. Garey, à tel point que dans la direction de Khotan à
Akon , les deux voyageurs n'auraient été séparés que de quelques jours de marche.
L'expédition de M. Garey n'aurait eu d'autre but que de relever les erreurs de
Prjéwalski et de prouver notamment que les localités auxquelles le général aurait
donné de nouveaux noms étaient déjà connues des géographes. La Deutsche
Rundschau annonce qu'aussitôt l'ouvrage du voyageur russe paru , un ouvrage
anglais sera publié dans le but bien avoué de mettre en lumière les exactitudes, qu'on
dit d'ailleurs réelles, de Prjévvalski.
AFRIQUE.
Eniin>Bey. — On n'a oublié ni les tentatives infructueuses de l'Angleterre
pour maintenir son autorité et son prestige dans la Haute-Egypte, ni l'héroïsme
déployé par Gordon -Pacha à Khartoum ; ce qu'on sait moins, ce sont les efforts
tentés par le lieutenant de Gordon, Emin-Bey, pour se maintenir dans les régions
• du Haut-Nil , dans la province du Soudan équatorial.
Ge n'est donc pas sans intérêt qu'on lira les quelques détails qui suivent et que
nous résumons, sur Emin-Bey, d'après la Gazette universelle de Munich.
Emin-Bey n'est pas , comme on serait porté à le croire , d'origine égyptienne ; il
est né dans la Silésie autrichienne et s'appelle Schnitzler. D'abord médecin dans
l'armée turque , il fut , en 1874 , nommé médecin en chef des troupes égyptiennes.
Appelé par Gordon à prendre part à l'administration des provinces du Haut-Nil , il
fut chargé, en 1578, de la direction supérieure de la province du Soudan équatorial.
11 a déployé dans ce poste un véritable talent d'administrateur et surtout d'organi-
sateur ; il a su gagner la confiance des nègres , et , chose rare , il les a séduits au
point qu'ils lui prêtent la plus entière obéissance.
Les explorateurs qui ont vu de près son administration , rendent unanimement
hommage à son activité bienfaisante, à son intégrité, à son désintéressement. Placé
depuis huit ans à la tête d'une province fort riche, Emin-Bey est aussi pauvre
aujourd'hui que le plus indigent de ses sujets et toutes les ressources dont il dispose,
il les fait concourir à l'accomplissement de l'œuvre civilisatrice qu'il a entreprise
et qu'il poursuit sans relâche, malgré les obstacles de toute nature qui se présentent
en foule.
Homme de science en même temps que de gouvernement , il consacre les loisirs
— 333 —
bien rares que lui laisse son autorité, à rédiger des mémoires sur des questions de
géographie, d'ethnographie, de météorologie, de physique, et les envoie h des revues
allemandes. 11 fait ses observations en voyage , et ses voyages sont fréquents. C'est
ainsi que depuis 1876, il a exploré toute la région qui s'étend des lacs Ukéréwé et
Albert jusqu'aux limites nord de son gouvernement, et cela au milieu des plus
grandes difficultés et malgré les soucis que devaient lui causer l'insurrection du
Madhi.
En 1878, au moment oii l'administration du Soudan équatorial passa des mains de
Gordon dans celles d'Emin - Bey , la paix ne régnait que sur une étroite bande de
territoire , tout le long du Nil , au bord du lac Albert et dans une partie du pays de
Schuli. Partout ailleurs , mécontentement et soulèvement. Les marchands d'esclaves
nubiens tirèrent parti de ces désordres et, usant du droit du plus fort, s'emparèrent
d'un nombre formidable de nègres que personne ne protégeait plus , puisqu'ils
n'appartenaient plus à aucun État. En 1880, l'ordre était rétabli , et Emin-Bey , qui
avait relevé et armé toutes les stations brûlées ou tombées en ruine pendant la
période des agitations, tirait du pays pacifié un revenu net de 200,000 francs , alors
qu'avant son avènement il y avait un déficit annuel atteignant parfois un million.
Il construisit des routes , organisa un service hebdomadaire des postes , leva et
instruisit une petite armée et inaugura des relations commerciales avec les voisins.
L'insurrection de 1883 menaça de détruire ces germes de civilisation. Les hordes du
Madhi se ruèrent d'abord sur la province de Barh-el-Ghazal. Emin-Bey feignit de se
soumettre , les Nubiens se retirèrent vers le Kordofan , laissant ainsi à leur adver-
saire le temps nécessaire pour leur opposer des troupes et des fortifications.
Lorsqu'ils revinrent à la cliarge , ils vinrent se heurter contre la station fortifiée
d'Amadi. La place ne se rendit que sous le coup de la famine, et la garnison, compo-
sée uniquement de nègres dont Emin avait su exalter le courage , se retira dans la
direction de Makraka , battit l'ennemi qui la poursuivait, près de Rimo , et marcha
ensuite sans inquiétude sur Lado. En même temps , Emin-Bey fut avisé de la prise
de Khartoum et de la mort de Gordon. Bien loin de se décourager , il s'enfonça
encore dans le sud avec les deux vapeurs qu'il avait encore sur le Nil , afin d'aller
aux renseignements près des missionnaires de l'Ouganda , mais surtout pour aller
chercher des vêtements en drap pour ses gens qui en étaient réduits à se couvrir
de peaux de bètes.
Il passa la dernière journée de 1885 à Wadelaï, agitant le projet de renvoyer chez
eux les officiers et les fonctionnaires égyptiens , dans le cas où il ne recevrait
d'Egypte ni secours, ni nouvelles , et de ne retenir auprès de lui que les officiers et
les soldats du Soudan. Tous lui demeurèrent fidèles, résolus, comme ils le lui dirent,
à tenir avec lui et à partager son sort quel qu'il pût être.
Séparé du reste du monde, Emin-Bey a §ncore trouvé moyen de faire accomplir à
sa troupe des travaux pacifiques et civilisateurs.
Il écrivait de Wadelaï , à la date du 7 juillet 1886 , que toutes les stations étaient
occupées à la culture du coton et qu'on espérait ainsi se procurer le moyen de couvrir
sa nudité. Il avait lui-même formé des cordonniers, fait fabriquer du savon et culti-
ver le blé et le tabac. Depuis deux mois il n'avait vu certains articles de luxe tels que
le sucre ; mais il ne ressentait aucune privation , si ce n'est celle des livres et des
objets nécessaires à la formation de collections zoologiques. Il ressort des lettres de
Junker, qui était resté sous la protection d'Emin-Bey, à Lado, jusqu'à la fin de 1885,
qu'à cette époque Emin s'était retiré lentement vers l'Est en bataillant h chaque pas
avec les nègres et les Arabes, qu'il concentrait ses troupes de plus en plus sur le Nil
supérieur, sa ligne naturelle de retraite et qu'il avait ainsi réussi à maintenir et à
défendre les districts du sud et du centre de l'ancienne province de l'Equateur. A-t-il
- 3:i4 —
réussi à s'y maintenir jusqu'ici ? Il y était encore l'été dernier, et il croyait conserver
ce territoire à l'Egypte qui, en réalité, y a renoncé.
L'explorateur Schweinfurth croit que Emin-Bey occupe encore les stations de Lado,
Redjaf, Bedden, Keri , Labor , Dufileh, Fatiko et Wadelaï et qu'ayant été empêché
depuis 1883 de transporter en Egypte les produits de sa province , il doit être en
possession de grandes quantités d'ivoire qui suffiraient à elles seules pour couvrir
les frais d'une expédition destinée à le débloquer. M. Schweinfurth estime que dans
cette situation, Emin-Bey doit avoir d'autant moins envie de quitter la province de
l'Equateur, qu'il a encore 2,000 officiers et soldats sous ses ordres et que cette troupe,
même si elle consentait à être transportée à Zanzibar , ne trouverait pas facilement
les vivi-es nécessaires en route. Si le gouverneur tient encore ses hommes dans la
main, il doit, en effet, aimer mieux dominer sa province, sous quelque forme que ce
soit, que de se retirer à travers mille obstacles vers l'Est.
Mais il est possible que le plan d'Emin-Bey ait été modifié par des événements qui
se sont récemment produits dans le sud du territoire occupé par lui. Il a quitté Lado
avec 2,500 hommes se dirigeant vers Ungoro et Uganda. La première difficulté qu'il
a rencontrée provenait de l'hostilité qui avait éclaté entre Kabrega et Mwanga, rois
d'Ungoro et d'Uganda. Kabrega défendit à Emin - Bey de passer par Ungoro.
A Uganda on avait compté recevoir des mains d'Emin quantité d'armes à feu , et il
était dans l'intérêt de Kabrega d'empêcher cela. Emin-Bey tenta alors d'arriver à
Uganda en passant par Usoga ; mais il fut arrêté par la tribu des Badeki. Il réussit à
la repousser et il éleva sur son territoire le retranchement mentionné par M. Fischer,
l'explorateur récemment décédé et qui s'était porté au secours d'Emin. Le consul
général anglais John Kirck annonçait qu'à la date du 3 juillet dernier , Emin-Bey se
trouvait à Ungoro avec 400 hommes. Quoi qu'il en soit , il est certain que Mwanga ,
roi d'Uganda et successeur de Mtesa, est hostile aux blancs et qu'il intercepte toutes
les lettres adressées à Emin-Bey , et celles qu'il écrivit aux missionnaires ne
parvinrent pas davantage à leur adresse.
L'ami d'Emin-Bey, M. le D' Junker, explorateur russe, a tenté, en dernier lieu,
de vaincre toutes les difficultés, et de délivrer Emin. Il s'est avancé , l'été dernier ,
jusqu'à Rubaga , pour y acheter des étoffes destinées à Emin-Bey. Mais il a dû
quitter Rubaga sans pouvoir surveiller l'emploi de ces étoffes , dont l'acquisition, au
surplus , lui avait été rendue difficile par le roi Mwanga. Une lettre écrite par
M. Junker indique que sa confiance dans l'honnêteté du roi n'est pas entière. 11 croit
que le meilleur moyen au secours d'Emin-Bey et de lui ouvrir le chemin de la côte
orientale serait de se défaire du roi. « Une corde pour Mwanga et sa bande ! s'écrie-t-il
dans une lettre à M. Schweinfurt , délivrance d'Uganda ! secours à Emin - Bey et
occupation nouvelle de ces provinces ! »
M. Junker est arrivé récemment à Zanzibar et est maintenant en route pour le
Caire. Il apportera de nouveaux renseignements sur la situation d'Emin-Bey , que
le gouvernement égyptien vient d'élever à la dignité de Pacha.
M. Junker a télégraphié de Zanzibar qu'il a reconnu près de 500 nouveaux kilo-
mètres de rOuellé que , dans ces dernières années , il avait déjà descendu jusqu'au
24° de longitude Est de Paris.
Le Mouvement géographique croit qu'il est de plus en plus probable que
rOuellé est un affluent du Congo et que ce cours d'eau est la pai'tie supérieure de
l'Oubaudgi.
Détails »iui* Oran. — Départ de H. ^Vestmark d'Oran pour
le pay$i des Touaregs. — L'explorateur suédois Westmark qui, dernièrement,
est venu faire à Lille une conférence sur ses excursions dans le pays des Rengalas
— -.m —
(que nous publierons sous pju) nous a quittés avec l'iatentioii d'avancer à bref
délai vers le Sud de l'Algérie , du côté des régions habitées par les Touaregs. La
Société de géographie de Lille n'a pas voulu laisser s'éloigner son hôte sans contri-
buer pour une faible part (un don de 100 fr.) aux fi'ais de ce voyage géographique.
En la remerciant de ce souvenir , M. Westmark lui a adressé d'Oran la lettre
suivante :
« En quittant Marseille , je me suis dirigé d'abord à Oran , d'oii je pense pénétrer
plus dans l'intérieur. Oran m'a été désigné comme l'endroit le plus commercial de
votre splcndide colonie française. Et, en effet, on n'y voit, depuis le matin jusqu'au
soir , que des commerçants courir les rues, des vaisseaux charger ou décharger au
port, ou encore des mules passer avec leurs chargements de toutes espèces.
» Le commerce actuel se compose d'alfa , de blé , de vin rouge (exporté d'ici à
Bordeaux, d'oii il est vendu comme véritable vin de Bordeaux), et de bétail, comme
articles d'exportation , et de tabac articles de luxe , café, sucre et sel , du charbon
do terre et bois du nord, comme articles d'importation.
» Le commerce de ces articles donne au port une grande activité ; je remarque
qu'en 1885 on a exporté plus de 88,000 tonnes d'alfa, 136,000 tonnes de gi-ains, (dont
69,000 pour la France), 112,000 tonnes de vin (dont 109,000 pour Bordeaux), 246,000
moutons et 3,800 bœufs.
» Outre ces produits, on exporte aussi un peu d'huile d'olive, mais comme la
consommation en est très grande sur place , l'on se contente de cultiver l'olivier
presque seulement pour l'endroit. Les primeurs des légumes sont également exportés
de l'Algérie.
» Le commerce actuel se fait pour le moment presque exclusivement avec la
France , quoique la ville exporte des chargements considérables pour l'Espagne ,
l'Angleterre, l'Italie et la Grèce.
» La population travaillante arrive de l'Espagne. C'est ainsi qu'Oran, qui renferme
70,000 âmes compte plus de 50,000 Espagnols , tandis que la France n'y est repré-
sentée que pour 12,000 âmes.
» La langue officielle est naturellement le français , mais si l'on ne connaît pas un
peu d'espagnol , on a certainement des difficultés pour se faire comprendre.
» Gomme monnaie, le franc français est le plus répandu ; mais , chose particulière
dans ce pays , la monnaie espagnole est tellement en usage dans la contrée , qu'on
a quelquefois la plus grande difficulté à se procurer de la monnaie française pour
payer la poste, le chemin de fer , etc. Dans certains endroits , il faut donner jusqu'à
cinq pour cent pour se procurer de l'argent français.
» 11 est inutile d'ajouter qu'il y a une quantité de juifs qui savent faire fructifier
cette splendide industrie.
» Le pays, dans l'intérieur , est presque exclusivement habité par des Espagnols
qui, cependant, après un séjour de trois années, se naturalisent de manière à pouvoir
se procurer une propriété de 25 hectares , que le gouvernement donne gratuitement
à chaque citoyen français marié. Ces propriétés sont ensuite cultivées et rendent
souvent riches ces heureux propriétaires. Ils y installent , surtout dans les endroits
de la côte , des grandes plantations de vignes qui , ici , paraissent produire des
récoltes splendides. Cependant ces récoltes ont dernièrement eu à souffrir par la
négligence ou par l'imprudence d'un jeune cultivateur qui , empressé de se procurer
des vignes de la France , en avait , malgré la défense sévère , apporté une certaine
quantité à Oran. Malheureusement, ces plantes étaient remplies de phylloxéra, et cet
insecte après peu de temps, commençait à se répandre dans le pays.
» Outre le pyhlloxéra , les planteurs ont eu des ennemies terribles dans les saute-
relles dont on a trouvé le moyen de se garder. A peine avait-on pu s'en débarrasser.
— 83fi —
que Ton a eu à lutter contre de grandes souris qui, en nombre considérable, sont
arrivées dans les champs oii elles ont mangé les raisins. Un marchand de vin a eu ,
cette année-là , une récolte de deux cent vingt (220) hectolitres de vin en moins que
les années précédentes. Ces souris n'étaient pas disparues quon a trouvé un dernier
ennemi contre les vignes, les altises, qui mangent les feuilles. 11 a fallu alors envoyer
une foule d'hommes sur le champ pour recueillir ces petits et détestables ennemis.
Ce n'a pas été bien facile dans un endroit oia la main-d'œuvre coûte si chère.
» Gomme travailleurs , on engage de préférence des indigènes du Maroc qui sont
moins paresseux que les indigènes du pays et moins coûteux.
» L'Arabe est , en général , ici comme partout , paresseux et rebelle à tous les
travaux fatigants. 11 est aussi voleur menteur et canaille. Lorsqu'il voit un Européen,
il essaye de lui enlever quelque chose, et si le blanc apporte quelque objet de valeur,
il peut être persuadé de ti'ouver un fusil dirigé sur lui derrière un arbre ou derrière
une pierre, aussi est-ce avec les plus grandes précautions que les Européens
voyagent dans ce pays. Souvent l'homme blanc a été assassiné dans ces parages par
ces musulmans , sans qu'on eût pu rien découvrir ; mais heureusement ces assassi-
nats ont beaucoup diminué depuis que le gouvernement français s'est décidé à agir
d'après les lois musulmanes.
» Il arrive quelquefois ici que les prêtres indigènes indiquent aux autres les
victimes qu'ils désirent expédier. Ces fanatiques qui, dans plusieurs cas ont commis
des crimes, obtiennent ainsi la permission d'entrer chez le prophète, et sont même
si heureux de cette promesse , qu'ils s'exposent volontiers à n'importe quel crime ,
pour l'obtenir.
» Le gouvernement français a toujours , dans le cas où l'assassin a été découvert ,
guillotiné le bandit, mais immédiatement après l'exécution , on rendait autrefois la
tète et le corps à la famille. Les femmes du défunt cousaient alors la tète au corps
afin de pern^ettre au Mahomet de venir chercher l'exécuté par les cheveux et
l'amener au ciel.
» Jadis quand le gouvernement rendait la tête, les Arabes n'avaient pas peur de
commettre un méfait , mais aujourd'hui paraît-il , on refuse à rendre la tète , et les
indigènes, sachant que sans la dite tête ils ne peuvent pas profiter du paradis , ont
maintenant une terreur visible de s'exposer à ces crimes qui , heureusement , ont
ainsi considérablement diminué.
» Ce n'est pas seulement contre ces brigands que les français ont eu à lutter dans
ce pays, mais aussi contre toutes les hordes du Sud et de l'Est qui , de temps en
temps font des visites sur le territoire algérien. Sans ces révoltes, la France aurait
certainement en Algérie un vrai paradis oii les colonisateurs français trouveraient
assurément une récompense de leurs fatigues. »
Délimitation dc«« possessions portugaises et allemandes
clans TAfrique centrale.— Aux termes d'une convention signée à Li.sbonne,
le 31 décembre dernier entre le Portugal et l'Allemagne , les limites suivantes ont
été assignées aux possessions portugaises :
Au sud de l'Angola, le cours du Cunène depuis son embouchure jusqu'aux
deuxièmes cataractes ; la montagne Ghella ou Cunna jusqu'au Cubango, le cours de
ce fleuve vers le sud et l'est jusqu'à Andara , et d'Andara jusqu'au Zambèse en cou-
pant ce fleuve à la hauteur des rapides de Getime ; au nord du Mozambique , le
cours du Rovuma jusqu'à son confluent avec le Msisye , et de là aux rives du
Nyassa.
L'Allemagne s'engage à n'acquérir aucune domination sur les territoires compris
- 3S7 —
dans ces limites, à n'accepter aucun protectorat et à ne contrarier en rien l'influence
portugaise dans toute la région située entre l'Angola et le Mozambique.
Elle reconnaît au Portugal le droit d'exercer dans cette région son action civili-
satrice, en tenant compte des droits acquis par d'autres puissances.
nélimitatloii dcH pofiiscssioiiiii anglaises et alleinaiitles
dans l'Afrique orientale. — La Revue de géographie , de L. Drapeyron,
nous donne le texte adopté le 29 octobre dernier, relativement à la sphère d'action
de l'Angleterre et de l'Allemagne à la côte orientale :
Le gouvernement de Sa Majesté Impériale et le gouvernement royal de la Grande-
Bretagne s'étant entendus pour régler , par la voie d'une entente à l'amiable , diffé-
rentes questions relatives au sultanat de Zanzibar et au continent de l'Afrique
orientale situé en face de ce sultanat, des négociations verbales ont eu lieu à ce
sujet et elles ont abouti à un accord comportant les articles suivants :
1° L'Allemagne et l'Angleterre reconnaissent la souveraineté du sultan de
Zanzibar sur les îles de Zanzibar et Pemba, ainsi que sur les petites îles qui
entourent les deux premières dans un l'ayon de douze milles marins , et , enfin , sur
les îles Lannu et Mafia;
2° Ces puissances reconnaissent aussi comme possession du sultan sur le conti-
nent africain, le littoral qui s'étend sans interruption de l'embouchure du fleuve
Miningani dans la baie Tunaki jusqu'à Kipini. Ce littoral commence au sud du
fleuve Miningani, suit le cours de ce fleuve sur une distance de cinq milles marins et
se prolonge ensuite en largeur parallèle jusqu'au point oii il atteint la rive droite du
fleuve Rovouma ; après avoir coupé ce fleuve , il suit sa rive gauche. A partir du
littoral susdit, la limite s'enfonce dans l'intérieur du pays sur une étendue de dix
milles maritimes , en prenant pour base de cette mesure une ligne droite tracée de
la rive prise au moment de la marée la plus élevée. La frontière nord englobe la
localité Kau. Au nord de Kipini , les deux gouvernements reconnaissent comme
appartenant au sultan les stations de Kismadjou, Barowa, Merko, Mahdiskou, ^vec
un circuit dans l'intérieur de dix milles marins environ et Warsheik avec un circuit
de cinq milles mainns.
La Grande-Bretagne s'engage à appuyer les négociations de l'Allemagne avec le
sultan, ayant pour but d'affirmer à la Société allemande de l'Afrique orientale les
recettes douanières dans les ports de Dar-es-Salaam et Vangani contre une rede-
vance annuelle que payerait la Société au sultan ;
3° Les deux puissances sont d'accord pour entreprendre une délimitation de leurs
sphères d'intérêts respectifs dans cette partie du continent de l'Afrique orientale ,
ainsi que cela a été fait précédemment dans les parages du golfe de Guinée.
Le territoire oîi cette entente doit recevoir son application , sera limité au sud par
le fleuve Rovouma et au nord par une ligne allant de l'embouchure du fleuve Jana ,
tout le long du cours de ce fleuve et de ses affluents , jusqu'à l'intersection de
l'équateur avec le 38° de long. 0. ; et ensuite en ligne droite jusqu'à l'intersection
du P de latitude N. avec le 37" de long. 0. oii la ligne prend fin.
La ligne de démarcation commencera à l'embouchure du fleuve Wanga ou Umbe ,
ira en ligne directe vers le lac Jipe, suivra ensuite la rive ouest pour traverser, après
avoir passé sur la rive nord du fleuve Lumi , couvera en deux les localités Javeta et
Dschagga et suivra ensuite le long du versant nord de la chaîne des montagnes
Kilimandjaro, en ligne droite jusqu'au point situé sur la rive ouest du lac Victoria
Nyanza où passe le 1" de latitude.
L'Allemagne prend l'engagement de ne faire aucune acquisition de territoire au
nord de cette ligne , de n'y accepter aucun protectorat et de ne faire aucune oppo-
23
— 338 —
sition au développement de Tinfluence anglaise au nord de cette ligne ; la Grande-
Bretagne prend de son côté le même engagement pour ce qui concerne les territoires
situés au sud ;
4° La Grande-Bretagne usera de son influence pour hâter le règlement par une
entente à l'amiable des prétentions contradictoires qu'élèvent le sultan de Zanzibar,
d'une part , et la Société allemande africaine , de l'autre , sur le territoire de
Kilimandjaro ;
5° Les deux puissances reconnaissent comme appartenant au territoire de Witu la
partie de la côte qui commence au nord de Kipini et s'étend jusqu'à la sortie nord
de la baie de Monda ;
6" L'Allemagne et la Grande-Bretagne agiront de concert pour amener le sultan
de Zanzibar à adhérer à l'acte général de la Conférence de Berlin, sous réserve des
droits existants du sultan , conformément aux stipulations de l'article 1" de
cet acte ;
1° L'Allemagne prend l'engagement d'adhérer à la déclaration signée le 10 mars
1862 par la Grande-Bretagne et la France , relativement à la reconnaissance de
l'indépendance de l'Etat de Zanzibar.
En résumé, d'après cette convention , le sultan de Zanzibar voit son autorité limi-
tée à une distance de dix milles géographiques de la côte. 11 conserve au nord de
Kipini quelques points où depuis longtemps il tient garnison et lève tribut. Parmi
ces places se trouve Kismadjou , oii le docteur Juhlke a été assassiné d'une façon
assez mystérieuse. Le sultan de Vitu , qui se trouve actuellement sous la protection
de l'Allemagne , reçoit une partie de côtes longtemps désirée et dans laquelle se
trouve Manda-Bay, bien approprié pour en faire un port. Enfin, l'Allemagne reçoit
définitivement l'immense territoire entre la côte et le Kilimandjaro inclusivement.
Elle reçoit en outre l'administration des douanes, de manière à préserver dans
l'avenir le commerce allemand des chicanes des employés du sultan de Zanzibar.
Par cette convention , un vaste champ d'entreprises commerciales et coloniales est
ouvert à l'Allemagne ; mais si le commerce peut s'y développer immédiatement , il
faudra longtemps avant que le courant de l'émigration se dirige de ce côté.
AMÉRIQUE.
liC territoire contesté entre la Guyane française et le
Brésil. — M. Guignes , explorateur , annonce l'établissement d'un gouvernement
républicain à Gounani , dans le territoire contesté , entre la Guyane française et le
Brésil. Le pays de Gounani, serait au moins aussi grand que la France , d'après
M. Guignes, et les habitants auraient appelé à la présidence à vie de la nouvelle
République , Jules INI. Gros , ancien rédacteur de VExplcrateur et l'un des fon-
dateurs de la Société de géographie commerciale de Paris. Mais que va dire
M. Coudreau ?
Situation de quelques points au Sle^Klque. — Le Bulletin de la
Société royale belge de géographie , publie d'après les observations récentes de
M. Angel Anguiano, directeur de l'Observatoire de Tacubaya , la situation exacte de
quelques endroit du Mexique :
-339-
NOMS DES VILLES.
LATIT. NORD.
Guauajuato (collège de l'État)
Gachupines
Lagos (tour orientale de la paroisse)
Guadalajara (vieux séminaire)
Léon (collège de l'État)
Encarnacien de Diaz (sanctuaire) . . .
Aguascalieates (collège de l'État). . .
Celaya
21" 0' 58,1"
21 45 54,8
21 21 19,4
20 40 45.6
21 7 23,8
31 31 19,6
21 53 7,1
20 31 24,2
LONGITUDE OUEST.
de Greenwich.
de Tracuhaya.
H. M. S.
0 8 14,9
0 9 27,8
0 10 56,8
0 16 35,3
0 9 56,2
0 12 9,2
0 12 26,4
0 6 26,3
H. M. S.
6 45 1,4
6 45 14,3
6 47 43,3
6 53 21,8
6 46 42,7
6 48 55,7
6 49 12,9
6 43 12,8
OGEANIE.
Un nouveau protectorat aug;lai!i. — On annonce que le gouvernement
anglais aurait proclamé son protectorat sur les îles Ellice, situées au nord des Fedji
et au Nord-Ouest des Samoa, par 8** 30' lat. Sud et 170" long. Est, mais la nouvelle
est très contestée.
lia question des Carolines. — Aux termes d'un protocole signé le
8 janvier dernier, la Grande-Bretagne reconnaît la souveraineté de l'Espagne sur les
îles Carolines et les Palaos, dans les condittons admises par l'Allemagne.
lies lies l§>alonion à l'Allemagne. — Le Bulletin de la Société royale
belge de géographie annonce que celles des îles Salomon qui , par suite du traité du
6 avril 1885, pour la délimitation des souverainetés allemande et anglaise sont
échues à l'Allemagne, c'est-à-dire les îles Bougainville, Ghoiseul et Isabelle, ont été,
par décret impérial du 13 décembre 1886, soumises au protectorat de la Compagnie
de la Nouvelle-Guinée. Outre ces trois grandes îles , il y a encore Shortland, Saint-
Georges, Ramos, Gower , Carteret , Marqueen , Tasman et Ongton-Java. Le district
soumis à la Compagnie de la Nouvelle- Guinée , s'augmente par là d'environ 22,000
kilomètres carrés avec 80,000 habitants, pour autant qu'on peut l'établir d'après les
connaissances fort vagues que nous possédons sur les îles Salomon. Voilà un nou-
veau champ d'exploration pour les pionniers de la science ; les îles Salomon sont ,
en effet, les moins connues , même dans leurs contours, de toutes les îles de l'océan
Pacifique. Le principal avantage de cette acquisition est pour le moment de pouvoir
servir comme champ de recrutement d'ouvriers pour les plantations de la Société ;
on n'a pu encore établir que très peu de stations. — C'est à tort que récemment
on a soutenu que l'orthographe exacte était Solomon. Le groupe d'îles décou-
vert une première fois en 1567 , par l'Espagnol Mendana et retrouvé en 1768 par
Bougainville, a reçu le nom d'îles Salomon, dès le xvi® siècle, à cause de la richesse
des mines aurifères qu'on croyait devoir s'y trouver et en souvenir des expéditions
— 340
de Salomon à Ophir. Il est vrai qu'en anglais , le nom de ce roi s'écrit Solomon ,
mais ce n'est pas une raison suffisante pour adopter cette orthographe, alor.s surtout
qu'il s'agit de régions qui ne sont plus sous la domination anglaise , et qu'il est d'un
usage constant dans la littérature géographique tant allemande que française,
d'écrire : l'archipel Salomon.
II. — Géographie commerciale. — Statistiques
et Faits économiques.
EUROPE.
Ije commerce d'exportation des principales contrées
d'Europe. — Le Statistical Abstract , publié par le ministère du commerce
anglais, nous fournit à ce sujet des renseignements fort intéressants. Voici d'abord
un tableau donnant le chiffre des exportations des pays d'Europe pour la période de
1876 à 1885 (en livres sterling) :
Autriche -Hongrie
Belgique
1885
1876
£
56.007.000
48.000.000
8.333.000
123.524.000
143.015.000
74.106.000
37.833.000
5.431.000
5.619.000
27.529.000
13.255.000
53.365.000
213.045.000
£
49.602.000
42.551.000
8.888.000
143.024.000
127.385.000
44.100.000
48.340.000
6.425.000
5.102.000
17.543.000
12 374.000
52.794.000
200.639.100
Danemark
France
Allemagne
Hollande
Italie
Norvège
Portugal..
Espagne
Suède
Russie
Royaume-Uni
Ainsi , la France a perdu , durant cette période , 20,009,000 livres sterling , soit
£00,125,000 francs contre un bénéfice pour l'Allemagne de 16,630,000 livres sterling,
soit 415,750,000 francs.
- 341 -
En ce qui concerne seulement les filés de laine , nous relevons pour la période de
1880 à 1885, au compte de la France et de l'Allemagne , les chiilres suivants :
EXPORTATION DE FILES DE LAINE
Allemagne
1880 s
1885
£
1.812.000
1.424.000
£
1.617.000
1.972.000
France
C'est donc une diminution de 548,000 livres sterling, soit 13,700,000 francs , pour
la France , contre une augmentation de 175,000 livres sterling, soit 4,385,000 francs ,
au bénéfice de l'Allemagne.
Pour la même période , 1880-85 , l'Angleterre se trouve fortement atteinte par la
concurrence allemande , dans l'industrie cotonnière. Ses exportations s'y chiffrent
pai' 66,976,000 livres sterling , pour 1885 , contre 76,563,000 en 1880 , soit une dimi-
nution de 8,587,000 livres sterling.
L'élevage du bétail et la culture des blés dans les princi-
pales contrées d'Europe. — h'Economist , rendant compte d'une confé-
rence faite dernièrement devant la Société de statistique de Londres à ce sujet, nous
fournit les deux tableaux suivants.
Le premier, ci-après, a trait à l'élevage du bétail :
Royaume-Uni
Angleterre . . .
Galles
Ecosse
Irlande
Autriche
Hongrie
France
Allemagne . .
Hollande
Belgique
Suède
Italie
POPULATION
35.004.000
24.614.000
1.361.000
3.736.000
5.175.000
22.144.000
15.739.000
37.672.000
45.234.000
4.013.000
5.520.000
3.643.000
28.460.000
Habitants
par mille
cai'ré *
288.5^
483.4 4
184.0 «
122.6 1)
150.0 t'
191. 7;^-
126.5 it
184.0 %
216.8 i
315.0 3
487.0 )
27.2 )■»
257.3 €
Vaches
par mille
carré
32.8 i>
36.0 P
38.3 If
13.614
43.6: c
35.7 o
13.9^
31.4;
43. 6 '3
77.3 1
70.0 -.
8.5-1\
16.9 <3
Autres
bestiaux
par mille
carré
56.8 ^
57.6 3
59.0^
24.2 it
85.01
38.4 o
22.9 ]i
32.8 X
3^.1 i
37.27
51.6:7
4.9 1'
21.8 !i
Moutons
par mille
carré
238.7:-
322.1-^
340.0 1
220.0 k
103.0 a
32.21)
74.4 J
110.8^5
92.0 ^
56.3 -iijî
32.1 I
8.3 il
11.1
' Le mille carré ane
lais équivaut à 6 mètres carrés 45.
-/.^l
i(>^
•L'nJlSix OMjio^ Wf otL ;'»ifc -irvu-lX
ù^
— 342 -
Le second tableau donne la statistique détaillée de la production du blé dans les
diverses contrées européennes. Le voici :
Royaume-Uni
Angleterre
Galles
Ecosse
Irlande
Autriche
Hongrie
France
Allemagne . . .
Hollande
Belgique
Suède
Italie
boisseaux y
2.0 ' '"
2.8'r
1.2 1-
0.5 !•
1.7 >
4.5 2.
7.7 \
2.3 u
1.3^,
3.5 h
-2.0 1
4.9 A
L'acre représente
0 i»«ui
RECOLTE DE BLE PAR ACRE
S .2 g
28.2 1
22.0 ^
15.0 'o
13.0 ;
16 5 '■:
»
23.8 3
26.7 l
O -S
p. "
boisse
28,
28.
21.
32.
»
15.
11.
15.
18.
21.
25.
,8^
9^
5f
9 j
bM
3
4 é
9 H
11.9 \i)
8 41 et le boisseau 36 litres 34.
U co
28.0
»
»
»
16.0
13.1
16.0 S
»
23.4 7,
22.7 2
19.8 t,
12.3 1
boisseaux
35.2 -^
»
»
»
15.5 •<
11.70
16.1ÎC,
18.7 5"
22.7^
23.8 î
19.9 V
12.0 3
Convention entre la France et la Suisse pour la protection
mutuelle fies ntarques de faitrique. — Le président de la Confédé-
ration suisse, M. Droz , et M. Emmanuel Arago , ministre de France à Berne , ont
signé, le 27 janvier dernier, l'acte ratifiant l'article additionnel à la convention de
1882, et dont le but est de protéger , pendant quinze ans , les marques de fabrique
des deux pays, à partir du jour du dépôt, sans imposer l'obligation d'une nouvelle
inscription :
Voici le texte de cet arrangement additionnel :
« Le Conseil fédéral suisse et le gouvernement de la République française ayant
reconnu nécessaire de déterminer exactement la portée de la convention du 22
février 1882 pour la protection réciproque des marques de fabrique et de commerce
en ce qui concerne les dépôts de marques effectués sous l'empire de la convention
du 30 juin 1864, les soussignés, à ce dûment autorisés , ont échangé la déclaration
suivante :
» Il est entendu que les marques déposées dans l'un et l'autre pays en vertu de la
convention du 30 juin 1884 jouiront, jusqu'à l'expiration d'un terme de quinze
années , à partir du dépôt effectué , de la protection que la législation du pays
respectif accorde ou accordera par la suite aux marques indigènes , sans qu'il y ait
obligation de faire un nouveau dépôt. »
-343 -
l%o« exportation» en Bulg^arle. — La Chambre de commerce française
de Galatz constate, dans son dernier Bulletin mensuel, que le commerce français en
Bulgarie est encore très restreint. Tous les articles que l'on voit exposés dans les
magasins sont de provenance allemande ou autrichienne, bien que les étiquettes
soient en français ou en aient du moins la prétention. Les fers et articles de cette
catégorio viennent pour la plupart d'Angleterre.
Le commerce de la France pourrait devenir très florissant, en Bulgarie si les pro-
ducteurs et négociants français voulaient suivi'e le système de leurs concurrents
étrangers. Ceux-ci, au lieu de se contenter d'envoyer des voyageurs ou de remettre
leurs échantillons à des commissionnaires, installent maintenant des dépôts de leurs
produits, ce qui est un immense avantage.
C'est ainsi qu'une maison de Cronstadt a mis à Roustchouk, en dépôt, différents
produits de l'industrie austro - hongroise , parmi lesquels se trouvent en première
ligne les chaussures communes , les cuirs , les peaux , les chaises en bois recourbé ,
les outil=;, les tissus et confections en laine commune, etc.
Cette maison, qui , jusqu'à présent, n'avait pu faire en Bulgarie que des affaires
insignifiantes, a pu les porter, en quelques mois à un chiffre considérable. Mais elle
veut vendre la marchandise à un mois de date de la livraison , ce qui représente le
triple du crédit moyen accordé par les commerçants français.
11 est certain que l'article français plaît beaucoup, mais il est inconnu, c'est-à-dire
que le client a été si souvent ti'ompé , qu'il n'a plus foi en l'étiquette. Quand les
vraies marques seront connues et la supériorité des produits constatée , les
commandes se prendront facilement.
La production des céréales en Russie. — Un agriculteur russe ,
M. Jos. Randich, vient de publier sur cette question une étude intéressante que nous
résumons pour les lecteurs du Bulletin de la Société de géographie de Lille.
M. Randich commence par établir, au moyen de tableaux statistiques , trop longs
pour être reproduits :
1" Que depuis plusieurs années la production des céréales a constamment augmenté
dans la Russie méridionale , malgré la concurrence américaine et les prix extraordi-
nairement bas du blé sur les marchés européens ;
2" Que malgré ces bas prix, l'exportation des céréales russes par les ports du Sud
a été de plus en plus active, et s'est chiffrée par :
15,060,528 tchetverts en 1883 (le tchetvert = 2 hect. 097),
15.224,813 — 1884 ,
16,837,152 — 1885 ,
sans compter les quantités fournies à l'exportation par les ports de la Crimée et du
Caucase, quantités que l'on peut évaluer en moyenne à 500,000 tchetverts de blé ,
maïs et graines de lin pour les ports de Théodosie , de Sébastopol et d'Eupatoria ,
et à 500,000 tchetverts environ de maïs , orge et blé dur pour les ports de Poti et de
Batoum.
Les causes auxquelles il faut attribuer l'accroissement que l'on constate dans la
production des céréales, sont d'abord la construction de nouvelles lignes de chemins
de fer et l'abaissement des tarifs pour les expéditions destinées aux ports du Sud.
Ces deux premières causes ont eu pour effet la mise en culture de terres demeurées
incultes , ou laissées en pâturages , jusqu'à ce que les facilités de transport eussent
permis à leurs récoltes de participer à l'exportation. Le rayon de culture du blé s'est
— 344 -
élargi en même temps que s'étendait le réseau des voies ferrées , qu'augmentait le
matériel de transport et que diminuaient les frais de convoyage jusqu'au littoral de
la mer. D'un autre côté, si les prix ont baissé sur les marchés consommateurs de
l'Europe, cette baisse ne s'est pas fait sentir en Russie dans une proportion équiva-
lente à son importance, parce que la valeur du rouble a baissé simultanément. En
réalité, les prix des céréales sur le marché russe ont été plus élevés, pendant cette
dernière période décennale , qu'avant la guerre de Turquie de 1877 ; le change , qui
a porté la valeur de la livre sterling de 8 roubles à 10 roubles , a fait bénéficier
l'agriculteur russe de 20 p. c. de hausse sur ses blés , et c'est ainsi qu'il n'a pas
connu, lors de la forte baisse survenue en 1884, de prix inférieur à 1 rouble le pound
pour les bonnes qualités. Or , comme le dit fort bien M. Randich , le producteur
russe s'inquiète peu de savoir quelle est la valeur intrinsèque du rouble ; la chose
principale pour lui , « c'est de récolter plus de roubles qu'il n'en a semés, car, en
fait, il ne lui faut pas autre chose pour vivre ».
Quoi qu'il en soit , si ces prix permettaient à l'agriculteur de vivre , ils ne lui
laissaient pas de bénéfice, et l'on s'expliquerait difficilement qu'il n'abandonnât pas
la culture des céréales pour toute autre plus rémunératrice, si l'on ne savait qu'il ne
lui est pas possible de faire autrement. C'est qu'en effet, avec son système d'assole-
ment triennal, à jachère non cultivée, la Russie méridionale est obligée de s'en tenir
à la culture des céréales , qui est la moins coûteuse , et qui , d'ailleurs , ne pourrait
pas pas être changée sans grands sacrifices pécuniaires. Il y a bien quelques riches
propriétaires qui ont adopté un autre assolement, qui cultivent le blé et la betterave,
engraissent du bétail et fument leurs terres , mais comment veut-on que la grande
masse des cultivateurs , composée de paysans dépourvus de capitaux , puisse les
imiter ? En somme , dit M. Randich, on ne doit pas s'attendre à voir cultiver le sol
russe autrement qu'on ne l'a fait jusqu'ici, mal mais à bon marché.
Donc, la production céréale n'a pas diminué , et il est d'autant moins probable
qu'elle diminuera dans l'avenir , que pour aider l'agriculture , le Gouvernement a
créé en 1885 la Banque foncière des paj'sans et la Banque foncière de la noblesse.
Ces deux institutions de crédit ont commencé leurs opérations il y a quelques mois
seulement, de sorte qu'on ne peut pas encore juger de l'efficacité de la mesure par
les résultats obtenus jusqu'à présent. Tout en constatant que la création de ces
banques a pour but de soutenir le producteur dans la crise agricole qui sévit en
Europe, et notamment de lui fournir une compensation aux droits sur les blés à
l'entrée en France et en Allemagne, M. Randich pense que cette création sera salu-
taire seulement si le producteur, noble ou paysan , tire de sa terre un revenu suffi-
sant pour payer les intérêts de ses emprunts, les frais de main-d'œuvre et ceux de
transport. Or, ajoute-t-il , « il y aurait beaucoup à dire sous ce rapport, la terre
n'aimant pas à payer de gros intérêts ; mais l'agriculteur russe a été si souvent et si
longtemps exploité parles usuriers juifs, que l'établissement d'une banque agricole
dans ce pays doit être considéré comme un bienfait ». Au surplus , le paysan culti-
vateur, quand il est économe , n'a pas , en général , besoin d'emprunts ; la banque
agraire des paysans aura donc surtout pour effet de permettre à ceux-ci d'acheter
des terres, — ces terres dont ils ont besoin, — car leur nombre a considérablement
augmenté , principalement en Bessarabie et en Podolie , depuis l'affranchissement
des serfs en 1861. Il y a là une nouvelle cause d'augmentation probable de la pro-
duction céréale.
Enfin , il ne faut pas perdre de vue que les qualités spéciales du blé russe ne se
rencontrant pas dans les blés d'Amérique, rendent la concurrence de ceux-ci beau-
coup moins redoutable qu'on ne serait tenté de le supposer. Le blé russe trouvera
toujours acquéreur. « Le blé produit par la Russie méridionale, dit M. Randich, est
— 345 -
de plusieurs qualités distinctes, et celles-ci diffèrent entre elles autant que diffèrent
les métaux ; ainsi, le blé d'été connu sous le nom de Ghirca a un emploi tellement
différent de celui du blé américain Red Winter, que l'un n'a rien à craindre de la
concurrence de l'autre, à moins d'un trop grand écart dans les prix. »
Les blés russes peuvent être classés en six catégories, savoir :
1° Les blés tendres , comprenant le blé de Pologne , l'Azima de Nicolaïeff et celui
de l'Azoff ;
2° Les blés de force, comprenant le blé de Bessarabie glacé , les blés d'Eupatoria
et de Théodosie ;
• 3° Le blé d'été dit Ghirca tendre de Nicopol, de Marioupol, de Berdiansk ;
4^ Le blé d'été dit Ghirca d'Odessa, plus glacé que le précédent;
5" Le blé blanc dit Sandomirca ;
6" Le blé dur dit Arnaoutka et Koubanka.
Chacune de ces qualités spéciales a une clientèle spéciale , et l'Amérique ne peut
pas compter l'enlever à la Russie , aussi longtemps que le rapport des prix restera
ce qu'il a été dans ces dernières années.
C'est à cette circonstance et à la baisse du fret qu'il faut attribuer l'accroissement
de l'exportation qui a été signalé ci-dessus. Depuis plusieurs années , l'offre de
vapeurs anglais a été excessive et le tonnage de ces navires a augmenté dans des
proportions considérables. 11 en est résulté que le taux du fret est tombé , pour les
navires de première classe, de 45 et 35 shillings qu'il était en 1874, à 9 shillings par
tonne de suif en 1885-1886. Le taux moyen du fret pour la période 1883-1886 a été
de 20 shillings inférieur à ce qu'il était il y a dix ans. Or, une baisse de 20 shillings
sur le fret , équivaut à 10 p. c. de la valeur du blé au port d'exportation , et ces 10
p. c. ajoutés aux 20 p. c. fournis par le change, font ressortir à 30 p. c. la majoration
de prix que l'exportateur russe a pu payer au producteur russe. Cela suffit à expli-
quer conmient l'exportation des céréales russes a pu suivre le mouvement ascen-
sionnel de la production , au moment même oii les prix du blé en Amérique , en
Angleterre et dans toute l'Europe septentrionale et centrale atteignaient un niveau
jusqu'auquel ils n'étaient pas encore descendus.
En résumé , on peut conclure de ce qui précède , qu'à moins de circonstances
exceptionnelles provoquant, en même temps, la hausse du fret et celle du change , le
commerce et la production des céréales continueront à se développer dans la Russie
méridionale.
ASIE.
Le commerce avec la Turquie d'Asie. — Nous lisons dans une
correspondance de Smyrne qui nous est adressée :
« Il est fâcheux que les fabricants français ne veuillent pas se décider à imiter
leurs concurrents anglais , allemands et autrichiens. Ceux-ci savent que la popu-
lation ne demande que des articles bon marché, qui aient de l'apparence ; la solidité
de la marchandise n'est qu'un détail secondaire.
» Sans doute, les acheteurs aisés reconnaissent sans difficulté la supériorité des
soieries de Lyon, des rubans de Saint-Étienne , des étoffes de Reiras ou de Rouen ;
mais ces acheteurs sont en minorité , et la grande masse se porte sur les envois de
Grefeld, de Chemnitz, de Manchester ou de Vienne.
» En outre , nos industriels ont le tort de ne vouloir pas traiter directement avec
- 346-
le vendeur. Ici, comme partout, on cherche à se passer de l'intermédiaire du
commissionnaire , et il n'est pas sans intérêt de se rendre compte qu'un article qui
est passé par plusieurs mains arrive , sur le marché , grevé de fi'ais souvent considé-
rîibles, et devient invendable. »
liC commerce avec l'Egypte. — Voici ce que le consul de Belgique à
Alexandrie conseille à ses compatriotes , en vue de développer leur commerce avec
l'Egypte et de lutter contre l'Angleterre et la France:
« 1° Fondation de comptoirs belges; à défaut de succursales , avoir à Alexandrie
des représentants sérieux ;
» 2° Création d'un syndicat formé par des fabricants d'industries différentes,
lequel enven-ait , à frais communs , un agent choisi en Belgique et au courant des
produits belges. Cet agent , qui devrait fixer sa résidence à Alexandrie , aurait une
mission temporaire qui consisterait à faire connaître les produits des diverses
maisons qu'il représenterait et de procurer à ces maisons des relations directes avec
les principaux importateurs établis dans les auti'es centres égyptiens. Cet agent
pourrait aussi avoir un magasin qui renfermerait une exposition permanente des
articles à faire connaître ;
» 3° Octroi de facilités et de crédit aux maisons d'Egypte , parmi lesquelles il y
en a de très bonnes. Avec les paiements à terme (de trois à six mois) accordés à
bon escient , et qu'il faut refuser à la presque totalité des négociants arabes , les
transactions prendraient certainement un grand développement ;
» 4° Création d'une banque de crédit pour l'exportation. »
AFRIQUE.
Importation Ach tissus à Zanzibar et renseignements
commcrcîauiL sur l'ile. — Nous avons pu nous procurer les renseigne"
ments inédits suivants sur les articles qui se rapportent à l'industrie textile et
qui font l'objet du commerce d'importation à Zanzibar:
Tissus de coton. — Les cotons constituent la branche la plus importante du com-
merce d'importation de Zanzibar . Its représentent plus de la moitié de la valeur de
ce commerce.
Un seul genre est produit par l'industrie indigène : ce sont les cotonnades unies ,
dont une seule pièce constitue un vêtement. Ces pièces sont d'une longueur de 10 à
14 coudées et larges de 1 à 1/4 et se vendent de 1/4 à 3 piastres, suivant leur finesse.
Elles sont garnies à leurs extrémités d'une bande à rayures rouges, jaunes et noires
et de franges.
Les plus grossières se vendent au « courdja » , c'est-à-dire par 20 pièces.
Les cotons importés comprennent une infinité d'articles ayant chacun un usage
particulier et un nom différent selon la provenance.
Les cotonnades en pièces sont presque exclusivement de fabrication américaine ,
anglaise ou indienne et comprennent :
1° Les cotons écrus et unis de diverses qualités. — La plus importante est celle
-347 -
connue sous le nom de hami, dont la consommation est si répandue dans les pays
avabes. Parmi les marques les plus importantes, il faut citer :
Pour TAmérique : le pegasse , du Massachussets shirtings ; le lion debout , du
Belvédère long staple, et le coq, du Drilling manufactured at Boat Gotton mills.
Ces cotons sont connus sous le nom d'américains.
Pour l'Angleterre : le chameau n" 1 et n" 2 et le torian topan , de la maison
William Birch J"" de Manchester.
Pour l'Allemagne : le chameau, de la maison Oswald et C'e , de Hambourg.
Et enfin pour l'Inde : le taureau^ de Shirtings Kaiser-i-Hind, de Bombay.
Ces divers cotons, dont la longueur des pièces est de 30 à 40 yards , et la largeur
de 36 à 50 pouces anglais, se vendent en gros au poids. Le prix varie entre $ 0.30 et
0.36 la livre.
Les tissus de provenance américaine sont expédiés en ballot de 30 à 40 pièces
suivant la qualité.
Les hamis européens et indous sont en balles cerclés de fer contenant 50 pièces.
Le chiffre d'importation de cet article en 1884-1885 a été d'environ % 2,300,000.
2° Les cotons teints. — Le goût des tissus teints tend à diminuer pour faire place
aux tissus imprimés. Parmi ceux qui sont en usage, il faut citer les kanakis, connus
en Europe sous le nom de guinées , et les hamis teints en rouge.
Les kanakis des Indes sont de cinq qualités différentes ; ceux d'Angleterre et de la
Suisse de deux. Ils se vendent par courdja (20 pièces).
Les prix en sont très variables.
Les hamis rouges ou bendera viennent de Leyde (Hollande) et de Bombay.
On a importé de ces tissus, en 1884-1885, pour une valeur d'environ % 150,000.
3" Les cotons imprimés. — L'importance de cet article est considérable. Il sert
pour literie, rideaux, vêtements de femmes de toutes conditions, etc.
Ces tissus imprimés sont de provenance américaine et anglaise , plutôt de cette
dernière.
Les dessins en sont extrêmement variés , les couleurs vives sont les plus appré-
ciées. Parmi les genres les plus importants , nous mentionnerons en première ligne :
1" Les lessos ou mouchoirs de poche qui servent uniquement comme vêtement
pour les femmes. Les dessins d'une même douzaine ne sont et ne peuvent être
différents.
Les dimensions d'un mouchoir sont de 27/25, 30/28, 40/36 pouces anglais.
La douzaine coûte de $ 0.80 à 2.50 ;
2" Le khomgas (koulabiou), en anglais « scarves». Les pièces ont ordinairement
24 yards de longueur sur 28 pouces de largeur et se vendent de $ 12 à 45 le courdja ;
3" Les kikois, dont se servent généralement les Arabes et les nègres , ont de 25 à
40 yards de longueur et se vendent de $ 3 à 5 la pièce.
En 1884 - 1885 , on a importé pour une somme d'environ $ 300,000 de tissus
imprimés.
Draps. — Les Arabes se servent de draps noirs , bleu foncé et quelquefois rouge ,
pour la confection de leurs grands manteaux.
Ces draps sont minces, ont une largeur de 52 à 60 pouces anglais et coûtent $ 1.50
à 2.25 le yard, suivant la qualité. C'est principalement l'Allemagne qui les fournit.
Elle en a importé en 1884-1885, pour une somme d'environ § 9,000.
Fils a coudre , mercerie. — On fait peu usage de flls à coudre , de soie , de coton
ou de lin, ainsi que des articles de mercerie, la mode n'exigeant aucun ornement sur
- 348 -
les vêtements. Les costumes des riches araLes et indous sont ornés de galons et de
broderies d'or et d'argent provenant de Mascate et de Bombay.
L'Angleterre et l'Allemagne ont importé, en 1884-1885, pour § 5,000 de fils à coudre
et de merceries.
Fils a tisser. — Les tisserands zanzibarites ne font usage pour la fabrication des
hamis que des fils de coton venant de l'Inde. Ce pays en a expédié , en 1884-1885 ,
pour environ $ 10,000.
Gilets de coton. — L'usage des gilets de coton se généralise d'autant plus rapi-
dement que le nègre ne paie un gilet que § 0.25. La douzaine se vend en gros $ 2.80
L'Angleterre et l'Allemagne en ont importé, en 1884-1885, pour environ $ 2,700.
Maisons de commerce. — Nos industriels ne sauraient être assez prudents dans
le choix des maisons avec lesquelles ils désireraient établir des relations d'affaires.
« On ne saurait trop leur recommander, écrit a ce propos l'un de nos amis qui habite
le pays, de n'expédier des marchandises qu'après s'être, au préalable, mis d'accord
sur toutes les conditions de ventes , de frais divers et de recouvrements. C'est pour
n'avoir pas pris ces précautions que certains de nos fabricants ont eu à subir souvent
des pertes considérables. »
La plupart des établissements importants qui existent à Zanzibar font l'impor-
tation e( l'exportation de tous les articles, mais presque tous ne sont que des succur-
sales des grandes maisons d'Europe ou d'Amérique , dont ils reçoivent directement
les marchandises. Telles sont les maisons : Hansing et C'e , de Hambourg ; W.
O'Swald et C'e , de Hambourg ; Ropes and C", de New- York.
Celles qui ont leur siège à Za zibar sont : Widmer frères (de Zurich) , possédant
une succursale à Delago-Bay ; Smith Mackenzie and C", agents de la « British India
Steam navigation Company »; Fleury and C; Greffulhe, agent de la Compagnie des
messageries maritimes de Marseille.
Il existe à Zanzibar une centaine de négociants indous, arabes et goannais , ayant
un nom connu et un certain crédit sur la place.
En ce qui concerne les Indous, on cite comme les plus considérables, les Banians :
Djeram Scoudji , Ebdji Scoudji , Damouda Djeram , Wadi - Bima , Coudji - Ghamsi ,
Mamla-Mourdji, Werdji-Candji, Ravedji-Caissi, etc.
Les Khojas : Tharian-Thopan , Silinan-Davoud, Peera-Dewedje , Nossov-Lilani ,
Sova-Hadji , Fadil-Issa, Wali-Nadrali , IMassor-Nour-Mohamed.
Les Boorahs : Perra-Bay , Ibrahim-Waldji , Ibrahim-bin-Diafar, Moula-Adamji,
Loukmandji-Djane-Mohamed et enfin le Parsée, Shopoorji-Pestonji-Talati.
Parmi ces Indous, il y en a qui jouissent d'une fortune considérable.
Parmi les Goannais (Indiens portugais) qui n'ont à Zanzibar que des maisons de
détail , nous mentionnerons : C.-R. de Souza and C°, J.-P. de Souza, D.-B. Perèira,
Cosme J. de Souza, E.-F. de Souza junior, C. Rodrigues , F.-B. Mascarenhos,
C. de Silva , etc.
Parmi les Arabes, il faut citer en première ligne le Sultan lui-même, puis viennent:
Aly bin Issa , Salem bin Abdallah , Hachil bin Sneloum , Soifou bin Amand ,
Mohammed bin Soleman Almandri , Mohammed bin Abdallah Chaksy, et Abdallah
bin Sollam.
Les négociants banians, qui sont actifs, industrieux, sobres et économes, tiennent
pour la plupart à de grandes maisons de Bombay et du Cutch ; ils ont, en outre, des
correspondants dans les principaux ports de la côte d'Afrique.
Beaucoup d'entre eux reçoivent leurs marchandises directement d'Europe. Il y en
a aussi qui font le commerce de détail pour des maisons européennes.
- 349 —
Les firmes Hansinget Widmer relèvent du consulat général allemand.
Celle d'Oswald, du consulat d' Autriche-Hongrie.
MM. Smith , Mackenzie and G", ainsi que les Indous , relèvent du consul général
d'Angleterre.
MM. Fleury et C'c et Greffulhe, du consul de France.
Les Goannais, du consulat de Portugal, et Ropes and G°, du consul des États-Unis.
Les maisons arabes relèvent du Sultan de Zanzibar.
Lignes de navigation. — Il n'existe qu'une ligne régulière d'Europe vers Zanzi-
bar, c'est celle de la « British Indian Steam Navigation Company » de Londres. 11 y
a un départ pour Aden chaque semaine ; dans ce dernier port, les marchandises en
destination de Lamoo, Mombassa , Zanzibar , Kiloa, Lindi, Ibo et Mozambique sont
transbordées à bord d'un steamer de la même Compagnie, qui quitte Aden tous les
vingt-huit jours pour les ports ci-dessus indiqués , emportant aussi la poste que les
navires de la « Peninsular and Oriental » y déposent chaque semaine.
La « British India » expédie des colis ordinaires de Londres à Zanzibar , à raison
de 50 shillings, plus 10 p. c. de primage par 40 pieds cubes ou par tonne de 1,015
kilogrammes.
Les courtiers de cette Compagnie sont MM. Hankey-Gellashy-Sewell et Ci« ,
Leadenhall street, n" 109, à Londres.
La durée du trajet est d'environ six semaines.
La maison J.-P. Best, qui représente à Anvers la « Peninsular and Oriental Navi-
gation Company » , peut expédier par les steamers de cette ligne, avec connaisse-
ment direct, des marchandises pour Zanzibar , à raison de 65 shillings , plus 10 p. c.
de primage par 40 pieds cubes, ou par tonne de 1,015 kilogrammes.
Mais par suite d'un contrat existant entre Saïd Bargash et cette dernière Compa-
gnie, les marchandises sont débarquées à Bombay et apportées à Zanzibar par les
steamers du Sultan.
La durée totale de ce trajet est d'environ trois mois.
La maison- W. 0' Swald et C'e , de Hambourg , possède un steamer qui fait le
service entre cette ville et Zanzibar sans transbordement. Les départs sont très
irréguliers et le fret est de 50 shillings par 40 pieds cubes.
Les messageries maritimes de Marseille ont établi , à partir du mois de janvier
1887, une ligne directe entre cette ville et Zanzibar.J^Le prix du fret ne nous est
connu , mais il est , paraît-il , inférieur à celui de la < British India ». La durée du
trajet entre Marseille et Zanzibar est d'environ vingt jours.
AMERIQUE.
ËjCS tissas européens au Mexique. — Voici quelques renseignements
utiles que nous avons pu recueillir sur ce sujet :
Coton. — Les cotonnades à bon marché sont celles qui conviennent spécialement
à la région des terres chaudes du Mexique et principalement pour les places de
l'intérieur oii l'on donne aux tissus de coton les différentes applications réservées en
France aux toiles de chanvre.
Les quatre principaux tissus de consommation (les greycottons , les madapolams ,
les indiennes et les coutils) viennent d'Angleterre, des États-Unis et en très petite
quantité de France.
L'écoulement facile des cotonnades , joint aux droits d'importation ti'ès élevés
- 350 -
qui frappent ces tissus , en ont fait un article rémunérateur pour la contrebande
considérable qui se fait sur la ligne frontière formée par le Rio Grande , au nord
du Mexique.
Indiennes , madapolams et coutils. — Les producteurs français pourraient
entrer en concurrence sur ces articles avec les producteurs anglais et américains,
s'ils étudiaient davantage les goûts et les besoins de ce peuple.
Au Mexique , la marchandise vaut plus par Vapparence que par la qualité réelle.
Aussi les Anglais et les Américains s'efforcent-ils de confectionner des tissus
légers contenant peu de matière première , tout en offrant l'aspect des qualités
supérieures.
Ils obtiennent ce résultat par le fini qu'ils donnent à la fabrication et qui ne se
trouve pas dans les produits français de qualité inférieure. Telle est la raison pour
laquelle les indiennes , les madapolams et les coutils français ne supportent pas la
comparaison avec les produits anglais et américains.
L'attention de nos fabricants devrait se porter sur les articles de coton , dont
l'importation atteint un chiffre considérable. En faisant des produits conformes
aux besoins d'un consommateur pauvre , ils pourraient expédier concurremment
avec l'Angleterre et les États-Unis ; ils trouveraient au Mexique un débouché
important.
Nous ajouterons que les indiennes et un tissu de coton grossier, connu dans le pays
souslenomdemanfa^W^rwena, sont l'objet de l'industrie nationale. Des fabriques instal-
lées près de Puebla, livrent à la consommation certaines quantités de cette marchan-
dise. Toutefois , l'écoulement de ces fabriques n'a pas l'importance qu'il pourrait
avoir, et cela pour deux causes :
1° Les fabricants , malgré l'exemption de droits dont ils bénéficient , ne peuvent
livrer leurs produits à meilleur marché que ceux provenant de l'étranger ;
2° Les indiennes sont légèrement inférieures, parce que l'impression, au lieu d'être
sur tissus de coton blanc, est sur tissus de coton écru.
Bonneterie. — Il en est importé quelque peu de France , mais la plus grande
partie vient d'Allemagne. L'emballage en carton des Allemands en facilite beaucoup
la vente. On ne peut obtenir en France le même emballage qu'en payant un extra sur
le prix, ce qui rend la marchandise encore plus chère.
Lm. — L'Angleterre et la France pourvoient ce marché de tissus de lin.
Les mouchoirs, le fil à coudre, les serviettes, les coutils pour pantalons, les tissus
fins pour chemises, etc., sont anglais.
Les toiles françaises sont fort appréciées pour draps de lit, etc.
Laine. — Sur toutes les qualités supérieures , la France prime l'Angleterre et
l'Allemagne.
Les bons draps noirs viennent de France ; on en reçoit quelques imitations
d'Allemagne et d'Angleterre.
Les casimirs pour vêtements d'hommes sont également français.
Les cachemires et châles-cachemires proviennent tous de France. Les Allemands ,
paraît -il , n'ont pu réussir , jusqu'à présent , à imiter ce genre , malgré tous leurs
efforts.
Les flanelles anglaises sont préférées à cause de leurs dessins qui plaisent à
ce public.
Tapis. — Les tapis sont importés d'Angleterre. La vente en est très restreinte.
- 351
Soierie. — L'importation des articles de soie a beaucoup diminué en raison des
droits élevés prélevés sur ce produit.
La soierie noire est l'article courant ; elle venait autrefois de France , mais elle
rencontre aujourd'hui de la concurrence.
Pour les soieries comme pour les autres marchandises, le consommateur demande
de ïapparence, et le vendeur des tissus légers n'ayant pas à acquitter dos droits qui
chargent trop la vente.
Aussi a-t-on introduit sur ce marché, depuis quelques années, les taffetas de
Florence et les foulards suisses. Us sont évidemment d'une qualité inférieure aux
articles de Lyon , mais ils ont la même apparence et procurent à l'importateur une
économie de 4 à 5 p. 100 sur le prix de revient,
La rubanerie française est en concurrence avec les rubaneries allemandes et
suisses.
Le tableau ci-dessous fait connaître les prix auxquels sont vendus au détail les
principaux tissus que je viens de citer :
DESIGNATION
DES ARTICLES.
Tissus
de coton
Calicot. . .
impnmes
Madapolam
anglais chiné,
coton
. américain chi-
Goutils.< né, coton..
français coton
de lin
Cotons imprimés
Popeline, soie et coton.
(ParlOOkilogr.net)...
Mousseline
DROITS
d'importa-
tion
par mètre carré.
Cachemire laine.
Casimir en laine pour
vêtements d'hommes . .
Drap noir pour vêtements , ^^ ^
d'hommes f 3 p. 75 c
le kil. net
piastr. ceutavos.
0 15
0 11
0 11
0 11
0 15
0 15
0 15
0 35
0 15
5 00à7 50
0 11 àO 15
Selon
le poids,
par
mètre carré '
de 1 p. 05
jusau'à
imprimés 1 sur calicot . .
pour >
meubles \ sur cretonne.
0 15
0 17
LARGEUR
en
CENTI-
MÈTRES.
55 à 62
75 à 91
60 à 91
70 à 95
60
62
70
70
70
55
60 à 75
80 à 180
170 à 180
1170 à 180
62 à 75
62 à 75
PRIX
PAR YARA
'8.3 centimètres':
pia.str. centavos
0 12 à 0 15:
0 17 à 0 22
0 12 à 0 18
0 18 à 0 31
0 20 à 0 25
0 33 à 0 34
0 38 à 0 60
0 75 à 1 00
0 25 à 0 31
0 38 à 1 50
0 16 à 0 20
0 47 à 1 75
3 50 à 5 00
4 00 à 7 00
0 16 à 0 50
0 16 à 0 50
PAYS
DE PROVENANCE.
Angleterre ,
États-Unis.
Idem.
Idem.
Angleterre ,
Ét'-Unis, France
Angleterre,
États-Unis.
France.
Angleterre.
France.
Angleterre.
Idem.
France.
Idem.
Idem.
Angleterre ,
États-Unis.
Idem.
p
- 352 -
Habitudes commercules. — Les importateurs de ce pays s'approvisionnent , en
général , par l'intermédiaire de commissionnaires résidant à Paris et ne s'adressent
presque jamais aux fabricants. Le commissionnaire leur ouvre un crédit proportionné
à leurs capitaux et se charge de leurs achats moyennant une commission de 2 1/2 à
5 p. 100.
Ces achats sont payables à quatre-vingt-dix jours.
Les payements sont effectués par traites ou par l'envoi de produits du pays cpii :,
sont vendus par l'entremise d'un tiers. ■
Les ventes en gros se font habituellement à six et huit mois de terme , ou au
comptant , avec 6 à 8 p. 100 d'escompte.
Pour les Faits et Nouvelles géographiques non extraits .
LE SECRÉTAIRE-GÉNÉEAL ,
ALFRED RENOUARD.
SOCIETE DE GEOGRAPHIE
DE LILLE.
SOCIÉTAIRES NOUVEAUX ADMIS DANS LE COURANT DE MAI 1887.
MEMBRES ORDINAIRES
1.111e.
cription. '
1417. Frossvru. capitaine de génie, place Sébaslopol, 6.
1418. Herli.n (Georges), notaire, square de Jussieu, 17.
Iil9. Pauknt (Henri), l'abricant de brosses, rue Nationale, 161 .
1420. Raboisson (A.) fabricant de confiseries, rue du Vieux-Faubourg, 48.
1427. Ulîjaudin (Albert), inécanicien-coiistructeur, rue Boucher-de-Pertbes, 15.
1428. DuQUESNAY (Emile), négociant en vins, rue Nicolas-Leblanc, 17.
1429. Picard (Arsène), ^, trésorier-payeur-général, rue d'Anjou, 2.
1434. CwEz, photographe, rue de Bélhune, 77.
1436. Yennin, brasseur, quai de la llaute-Deùle.
Paris.
1435. Lemokjne, libraire, rue Bonaparte. 12.
Roubalx.
1421 . Del,\outre-Flipo (A.), propriétaire, Grande-Rue, 33.
1422. Del.\outre-C VULLIEZ (A.), propriétaire, Grande-Rue, 138.
1423. Druon-Voreux (A.), négociant, boulevard de Paris, 41 .
142Î'. Eloy-Duvillier, fabricant, buulevard de Paris, 65..
1425. Garissimo (Florent), fabricant, rue Nain, 19.
1426. Wattel (Antoine), rue de l'Espérance, 62.
1437. Pollet-Motte (Joseph), fabricant, rue Neuve, 29.
1438. Clerc (Léon), négociant en cotons, rue Fosse-aux-Chêne.s, 23
Tourcolug;.
H30. Vannostal (Victor), gérant de banque, rue des Orphelins, 31 . •
1431. DujARDiN (Prosper), commis-négociant, rue Verte, 64.
1432. Dëvillers (E.), huissier, rue d'Havre, 7.
1433. Uonoré-Lantoin, fabricant de fuseaux, rue des Pials, 26.
34
-354 -
PROCÈS -VERBAUX DES ASSEMBLÉES GÉNÉRALES.
Assemblée générale du 9 Mai 1887.
Présidence de M. Paul Crepy.
La séance est ouverte à 8 h. 1/2. MM. Paul Crépj, président ; Alfred
Renouard , secrétaire-général ; Alex. Eeckrnan, secrétaire-général adjoint ;
Van Heede, bibiothécaire ; Quarré-Rejb(>urbon, archiviste ; Grépin, secré-
taire du Comité d'études ; Leburque-Comerre et Delessert, membres du
Comité, prennent place au bureau.
Nouveaux sociétaires. — Le secrétaire -général donne lecture d'une liste de
présentation de 197 membres nouveaux. L'admission de ces sociétaires est pro-
noncée à l'unanimité.
Commission des finances. — M. Warin , président de la Commission des
finances, s'excuse par lettre de ne pouvoir assistera la séance. Mais, M. le
président fait connaître quelle est la situation actuelle de la Société. Ea 1886,
les recettes se sont élevées à 19,173 fr. 25 c. , et les dépenses à 18,223 fr. 40 c,
d'où résulte un excédent de 939 fr. 15 c. ; toutefois il reste encore à
solder une note d'impression qui au 31 décembre 188G n'étant pas encore
parvenue au trésorier. Comme nous avons affaire au plus patient des impri-
meurs et que les recettes de la Société s'accroissent avec le nombre de socié-
taires, les comptes n'ont n'en pas moins été arrêtés à la fin du dernier exercice,
et le reliquat reporté sur l'année 1887 oiî l'on soldera facilement tout ce qui
pourra se présentei.
Commission des prix et récompenses. — La Commission des prix et récom-
penses s'est réunie sous la présidence de M. Brunel. Elle a décidé que le con-
cours de 1887 aurait lieu entre les élèves domiciliés dans l'arrondissement de
Lille, (enseignement public ou libre) et appartenant aux catégories désignées
ci-après :
Pour les jeunes gens :
1" Enseignement secondaire. — Au-dessus de 16 ans: Programme du Cours
de Saint-Cjr. Au-dessous de 16 ans ; Géographie de l'Europe.
2" Enseignement primaire supérieur. — Au-dessus de 15 ans : Les cinq
parties du monde. Au-dessous de 15 ans : Géographie physique et politique
du département du Nord, de la France et de l'Europe.
- 355 —
3° Enseignement primaire élémentaire. — Agés de 9 à 11 ans : Sujets tirés
de la France et du département du Nord. Agés de 11 à 14 ans : Géographie
générale de l'Europe, à l'exceptioa de la France.
Pour les jeunes filles :
1° Enseignement secondaire. — Au-dessus de 16 ans : Géographie écono-
mique des cinq parties du monde. Au-dessous de 16 ans : La France.
2" Enseignement primaire supérieur. — Au-dessus de 15 ans : Les cinq
parties du monde Au-dessous de 15 ans : Géographie physique et politique
du département du Nord, de la France et de l'Europe.
3° Enseignement primaire élémentaire. — Agées de 9 à 11 ans : Sujets tirés
de la France et du département du Nord. Agées de 11 à 14 ans : Géographie
générale de l'Europe, à l'exception de la France.
La date du Concours a été fixée au Jeudi 16 juin, à 8 heures du matin, sauf
pour les élèves de l'enseignement secondaire, pour lesquels il est reporté au
jeudi 30 juin. Ce Concours aura lieu simultanément à Lille, au siège de la
Société de Géographie, 29 rue des Jardins ; à Roubaix et à Tourcoing, dans les
salles de l'Hôlel-de- Ville. Les copies seront fournies par la Société.
Les Elèves désirant prendre part au Concours devront se faire inscrire,
avant le 7 Juiû, à Lille, chez M. Paul Crépy, Président de la Société de Géo-
graphie, place aux Bleuets, 10 et 12, ou chez M. Alfred Renouard, Secrétaire-
Général de la Société, 46, rue Alexandre-Leleux ; à B.oubaix, chez M. Henrv
Bossut, Vice-Président, Grande-Rue, 5, ou chez M. Leburque-Comerre,
membre du Comité, rue du Pavs ; à Tourcoing, chez M. François Masurel
Père.
La demande d'inscription devra mentionner ; 1° Les nom, prénoms, et l'âge
de l'élève; 2" L'indication de l'établissement dont il suit les cours, et, pour les
élèves recevant l'instruction dans leur famille, l'adresse de leurs parents. ;
3" La catégorie, et, s'il j a heu, la série de catégorie dans laquelle l'élève
désire concourir. Toute demande d'inscription, qui ne renfermerait pas ces ren-
seignements, sera considérée comme nulle et non-avenue Les impétrants qui,
par suite de déclarations fausses ou incomplètes, seraient éliminés du concours,
recevront avis de la décision prise à leur égard par le Comité d'Etudes.
On peut s'inscrire par demande affranchie.
Enfin, la Commission a décidé que les lauréats des Concours précédents qui,
se présentant dans la même catégorie, auraient mérité mi nouveau prix, rece-
vraient un diplôme remplaçant et mentionnant le prix qui leur aurait été
accordé dans ce dernier concours.
Quant aux Prix et Récompenses, ils consisteront en Volumes, Atlas,
Médailles, Bourses de vojage. Diplômes, etc.; en voici la liste pour 1887 :
— 356 —
1" Prix offert par M. Paul Crépj 300 fr.
2" — M. Henrj Bossut 150
3° — M. François Masurel père. 200
4° — - M. Léonard Danel, à plusieurs jeunes gens Lauréats
consistant en un vojage dans une des villes ou
l'un des ports de la région du Nord 200
5" — Les Membres du Comité d'Etudes de la Société...
(Médailles et Diplômes d'Honneur) .
6° — une somme de 400 francs est offerte par la Société
de Géographie de Lille, au nom de feu M. le
Marquis d'Audiffret, à l'auteur du meilleur
mémoire traitant des débouchés à ouvrir ou à
développer pour les productions industrielles
du département du Nord 400
Les mémoires pour ce prix devront être remis avant le 1"' Novembre 1887,
au nom de M. le Président de la Société de Géographie, 29, rue des Jardins,
à Lille.
M. le président exprime l'espoir que cette année comme les précédentes, un
très grand nombre de candidats voudront se faire inscrire pour participer à
ces concours.
Don à M. Weslmarck. — On a pu voir aux nouvelles géographiques du
dernier bulletin que M. Westmarck s'était dirigé d'Oran vers l'intérieur de
l'Afrique et que sur sa demande, nous avions paiticipé pour une somme
de 100 fr. aux frais de son vovage. M. le président rappelle qu'en agis-
sant ainsi , le Comité a voulu montrer toute la sympathie et la bienveillance
de la Société pour le jeune explorateur suédois, il exprime le regret que nos
modestes ressources ne nous aient pas permis d'envojer une somme plus
importante.
Souscription au monument Soleillet. — Un Comité s'est formé récemment à
Paris pour élever un monument à l'explorateur Soleillet, que nous avons
entendu à Lille à diverses reprises et auquel la Société a décerné, en 1885,
une médaille d'honneur comme marque d'estime et de considération pour ses
travaux et explorations. M. le président rappelle qu'il a considéré comme un
honneur d'accepter de faire partie de ce Comité, il engage nos sociétaires à
participer à la souscription qui est organisée. Il annonce en même temps que
le Comité d'études , au nom de la Société dans son ensemble, s'est mscrit
parmi les souscripteurs.
Félicitations à M. Dehaisnes. — Un membre du Comité d'études , M. le
chanoine Dehames , vient d'être nommé membre correspondant du ministère
de l'Instruction pubUque. M. le président dit que la Société est heureuse de
II
— 357 -
cetle distinction accordée au savant auteur de « l'Art Flamand », il pense que
les membres présents voudront bien joindre leurs félicitations à celles qui
déjà ont été adressées à M. Deliaisnes.
Erection d'une statue au général Fatdherbe. — A.u moment où récemment
la statue du général Faidherbe, président d'honneur de la Société, était inau-
g-iirée à Saint-Louis du Sénégal, M. le président dit qu'il a été l'interprète du
Comité d'études, en adressant à M. Descemet, président du Conseil génénil de
Saint-Louis et membre de la Société de géographie de Lille , la dépêche
suivante : « Société géographie Lille assiste «le cœur inauguration statue
Faidherbe son président d'honneur. » M. Descemet ti répondu aussitôt :
« Colonie remercie Société géographie Lille. » M. Paul Crépj, dépose sur
le bureau divers journaux du Sénégal, rendant compte de la cérémonie d'inau-
guration et oii se trouve mentionnée l'arrivée de notre dépêche.
Cartes — M. Alex. Eeckman dit que les plus grands efforts sont faits pour
augmenter dans notre bulletin l'insertion de cartes accompagnant les textes. Il
fait remarquer que le dernier fascicule d'avril en contenait trois, et que,
malgré les exigences budgétaires, nous comptons pouvoir en insérer une dans
chaque bulletin mensuel. Sous peu paraîtra une carte générale de l'Afrique
équatoriale et australe complétée jusqu'à ce jour : nous n'attendons plus pour
la terminer que les résultats officiels de la mission toute récente de M. le
capitaine Rouvier et de M. le docteur Ballay ; les membres de la société auront
ainsi en mams un document renfermant d'une manière complète toutes les
découvertes importantes faites en Afrique depuis trente ans.
Diplômes. — Un grand nombre de sociétaires se sont fait inscrire pour
obtenir au prix de 5 fr. le diplôme composé par M. Van Driesten pour la
Société de Géographie de Lille. Ces diplômes sont presque tous terminés et
distribués. M. le Président dit qu'il n'en reste plus qu'un nombre restreint
d'exempliiires en blanc, il engage ceux des sociétaires qui en désireraient un
exemplaire de vouloir bien donner leurs noms au plus tôt au Secrétariat, afin
qu'on puisse être certain de satisfaire toutes les demandes qui se présenteront.
Nouveau membre correspondant. — M. le Président dit que M. Froment,
membre de la société, qui récemment a fait à Lille une conférence que publie-
ront prochainement nos bulletins, est reparti pour le Congo. Il demande à
l'assemblée, sur la proposition du Comité d'études, de nommer M. Froment
membre correspondant. Les membres présents décident à l'unanimité que le
nom de cet explorateur du Nord sera inscrit parmi les correspondants de la
société.
Bibliothèque. — M. Van Hende, bibliothécaire, annonce que prochainement
le catalogue complet de, la bibliothèque de la société sera arrêté et imprimé.
- 358 —
Il constate que, depuis le mois de janvier 1887, il lui a été envoyé près de
150 volumes, brochures et atlas, représentant 111 ouvrages différents, et
donne la liste des donateurs, par ordre d'inscription sur le catalogue, au fur et
à mesure des envois. Ce sont :
MM. Tilmant : 5 ouvrages de géographie et astronomie.
Général Faidiierbe : 2 ouvrages de linguistique et explorations.
De Grimbrj : 8 ouvrages divers.
Auguste Crépj : la carte d'un chemin de fer américain.
Louis Danel, son ouvrage : « Les presses d'imprimerie. »
Van Hende : 8 ouvrages variés.
Damien : 3 brochures de météorologie dont il est l'auteur.
A.imé Houzé de l'Aulnove : 7 ouvrages dont il est l'auteur et 30 brochures
de son regretté frère, le docteur Alfred Houzé, membre de la Société.
Louis Quarré : un bel atlas et 3 ouvrages historiques.
Duflos : un dictionnaire géographique et 4 ouvrages variés.
Alf. Renouard : 14 volumes et brochures sur l'industrie textile dont il
l'auteur et un programme d'enseignement.
J. Scrive-Lojer : l'histoire de Pafendorf en 8 volumes reliés et une
notice sur le lin dont il est l'auteur.
Cantineau : le voyage autour du monde du capitaine Woodes-Rogers.
Merchier : une brochure dont il est l'auteur et 7 brochures de M. Desdevises
du Désert.
De Guerne : 3 brochures de vojages dont il est l'auteur.
Alph. Herlin : 2 atlas des XVIF et VXIIF siècle.
Bertheloot ^de Tourcoing) : 10 volumes sur l'histoire des établissements
du commerce européen dans les Indes.
G. Leclercq : 3 ouvrages en 20 volumes, histoire moderne et littéraire.
Edm. Van Butsele : 2 volumes, vojages et découvertes au cœur de
l'Afrique.
Des remercîments seront adressés à ces généreux donateurs.
Commission des excursions. — M. le Président rappelle que la Commission
des excursions pour 1887 s'est réunie plusieurs fois sous la présidence de
M. H. Crépin ; le programme en a été arrêté récemment.
Une première excursion a déjà eu lieu le jeudi 21 avril à Lens, et nos
sociétaires conserveront le souvenir de la magnifique réception qui leur a été
faite par la Société des Mines et le Président du Conseil d'administration, ainsi
que de l'intéressant voyage souterrain qu'ils ont entrepris dans la fosse N" 3
(Liévin) jusque la fosse N" 4 (Lens). Voici quelles sont les autres excursions
projetées :
— 350-
DATES.
BUT OU ITINÉRAIRE.
ORGANISATEURS.
Jeudi Ifî mai.
Saint Amand-les-Eaux et ses
MM. Leburque-Gomère
environs.
et Léon HouzÉ.
Dimanche et Lundi
Anvers et vallée de l'Escaut.
MM. Leburque-Gomère
29 et 30 mai.
et Fernaux.
Dimanche 12 juin.
Gasèel (Mont de) et ses envi-
MM. Merchier et Fer-
rons.
naux.
Samedi et Diman-
Ruines de l'abbaye de Liessies.
MM. H. Crépin et Albert
che 25 et 26 juin.
— Forêt de Trélon et Lac de
la Folie(Excursion des dames)
Mullier.
Dimanche lOjuill.
Lumbres et la vallée de l'Aa.
MM. Alex. Eeckman et
H. Grépin.
Dimanche 24 juill.
Bois de Phalempin. — Mons-en-
MM . Epinat, Léon HouzÉ
Pévèle.
et Fernaux.
Dimanche 31 juill.
Procession de Fumes.
MM. Alfred Renouard et
Léon HouzÉ.
Dimanche et Lundi
Grottes de Han. — Vallée de la
MM. H. Grépin et Tac-
14 et 15 août.
Meuse.
QUET
En outre, M. le professeur Gosselet a bien voulu accepter la direction
d'une excursion scientifique dans l'Ardenne ou en Bel^que : la date en sera
ultérieurement fixée.
Enfin , MM. Acheray et Paul Fagq qui ont dirigé, avec tant de succès,
l'excursion de Londres , ont été priés par le Comité d'organiser la grande
excursion annuelle. Le but, l'itinéraire et les conditions de cette excursion, qui
aura lieu en août, seront annoncés en temps utile.
Il j a lieu de noter encore que, pour faire suite au vojage de Calais à Rouen
dont la relation a été publiée dans les bulletins de la Société, M. A. Guiselin,
de Cassel, se propose d'efi'ectuer à pied le trajet du Havre Trouville) à Rennes.
Ce voyage d'une durée de 26 jours comprendrait 21 étapes. Les excursionnistes
se rendraient directement au Havre par les voies rapides, feraient la courte
traversée du Havre à Trouville et de là exécuteraient à pied l'itinéraire ci-
après :
1 de Trouville à Dives 20 kilomètres.
2 de Dives à Caen 32 »
3 de Caen à Ba jeux 31 »
4 de Bajeux à St-Lô 35 »
5 de St-Lô à Carentan 27 »
- 360 —
6 de Garentan à Valognes 32 kilomètres.
7 de Valognes à Barfleur 31 »
8 de Barfleur à Cherbourg 34 »
9 de Cherbourg à Beaumont 38 »
10 de Beaumont aux Pieux 24 »
1 1 des Pieux à la Haie du Puits 38 »
12 de la Haie du Puits à Coutances 30 »
13 de Coutances à Granville 33 »
14 de Granville à Avranches. 30 »
15 d' Avranches à Pontorson 25 »
16 de Pontorson au Mont St-Michel [et retov/r) 20 »
17 de Pontorson à Dol 25 »
18 de Dol à Saint-Malo 38 ;>
19 de Saint-Malo à Dinan 28 »
20 de Dinan à Combourg ... 30 »
21 de Combourg à Rennes 41 »
Le voyage comporterait 4 arrêts d'une journée chacun ; les séjours seraient
choisis et fixés parles excursionnistes. Il aurait lieu en juin prochain, époque
des plus longs jours. On se mettrait en route chaque matin à quatre heures,
de façon à arriver à l'étape avant la grande chaleur. Chaque voyageur devrait
se munir d'un sac à porter sur le dos, pouvant contenir les vêtements, linge et
objets de toilette nécessaires.
Les frais du voyage sont évalués de 300 à 350 fr. y compris les frais de
chemin de fer en 3^ classe et à 400 fr. environ eu 2'' classe (de Lille au Havre
à l'aller et de Rennes à Lille par Paris au retour).
Les membres de la Société que ce voyage intéresse et qui désirent y
prendre part sont priés de s'adresser avant le 15 juin prochain à M. A. Gui-
selin, à Cassel, qui se met complètement à leur disposition et qui s'empressera
de leur fournir tous les renseignements dunt ils pourraient avoir besoin.
M. le Président ajoute que le Comité se réserve le droit de modifier, an
besoin , la date et l'itinéradre des excursions projetées.
Il annonce aussi que M. Cayez, photographe, membre de la Société, se
mettra à la disposition des excursionnistes lorsque la demande lui en sera faite
par la commission d'organisation.
Le programme de chaque excursion sera mis à la disposition des sociétaires,
29, rue des Jardins, à Lille, il indiquera l'itinéraire définitivement adopté et
le chifiFre des arrhes à consigner entre les mains de l'appariteur David, La liste
des adhéiiona sera close huit jours avant les dates fixées : passé ce délai,
toute soi^fcription sera rigoureusement refusée.
Congrès des sociétés savantes. — On sait que cette année, le Congrès des
sociétés savantes a lieu pendant les fêtes de la Pentecôte. Plusieurs membres
- 3fii -
de la société se sont inscrits pour j prendre part, ce sont MM. Isaïe Reumaux,
Alex. Eeckman, Albert Mulliez, Leburque-Comerre et Paul Grépj.
Congrès national de géographie de 1887. — Le Gongrr-s annuel de géogra-
phie se tiendra cette année au Havre. Le programme suivant nous en est
communiqué par la Société de géographie commerciale du Havre :
Géographie commerciale. — Situation géographique des ports français —
Leur outillage. — Facilités d'entrée et de sortie des bâtiments. — Pilotage.
— Mouvement commercial. — Étude du rôle des chemins de fer et des
canaux pour le service des ports français. (Rapport présenté par la Société
Bretonne de Géographie).
Colonisation. — 1" Réglementation de l'immigration chinoise et réorgani-
sation du régime du travail aux colonies. (Vœu du Congrès de 1886. — Rap-
port présenté par la Société Bretonne de Géographie).
2" Du travail pénal dans ses rapports avec la colonisation. — (Rapport
présenté par M. le Conseiller Hardouin).
3" Situation industrielle, commerciale et politique de nos colonies. —
Avantages qu'offre le protectorat dans les régions où le blancs ne peut vivre
et peupler aussi facilement que dans la métropole. (Rapport présenté par la
Société Bretonne de Géographie).
4° De la Colonisation dans la France continentale. (Rapport présenté par la
Société de Géographie de Tours).
Enseignement et cartographie. — l"Etude comparative de l'enseignement
géographique en France et à l'Etranger.
2** De la nécessité d'étudier dans leur entier développement les bassins
communs à la France et aux pajs limitrophes.
3° Des moyens à employer par les Sociétés de Géographie pour contribuer à
relever le niveau des production cartographiques. (Des rapports seront présen-
tés sur ces trois questions par la Société de Géographie Commerciale du Havre).
Questions d'organisation. — 1° Récompense honorifique à décerner pério-
diquement par les Congrès nationaux des Sociétés françaises de Géographie à
l'auteur de Tœuvre française qui ;;ura fait accomplir le plus de progrès à la
science géographique. (Rapport présenté par la Société de Géographie de Ljon .
2** Nomination d'une commission de permanence chargée de poursuivre la
réalisation des vœux émis par le Congrès. (Rapport présenté par lu Société
de Géographie Commerciale du Havre).
3" Des movens à employer par les Sociétés françaises de Géographie pour
étendre leur influence et rendre leur action plus efficace. (Rapport présenté par
la Société de Géographie de Tours).
Rappel de vœux. — Certains des vœux émis dans les Congrès précédents
- S02 -
sont restés sans effet. La Société de Géographie de l'Est se propose de pré-
senter au Congrès un rapport sur ceux qui lui paraissent devoir être renou-
velés.
Conférence he M. Trouhet sur la téléphonie a grande bistangk. —
La séance se termine par une intéressante conférence de M. Trouhet, profes-
seur à l'école de télégraphie, sur la Téléphonie à grande dislance.
Le conférencier s'excuse d'abord d'être obligé d'entrer dans quelques détails
techniques qu: s'écartent peut-être du domaine de la Géographie, cependant
le fonctionnement du téléphone et son mode d'exploitation ne peuvent être
ignorés aujourd'hai, car le téléphone est entré dans nos mœurs et quoique né
depuis dix ans à peine il a fait depuis longtemps le tour du monde.
M. Trouhet montre par quelques chiffres l'extension rapide des réseaux
téléphoniques dans les divers pays.
Le conférencier est heureux de faire remarquer que la première notion du
téléphone est due à un français, M. Bourseul, fonctionnaire de l'adminis-
tration des télégraphes, qui dès 1854 dans un remarquable exposé publié dans
les <<■ annales télégraphiques » a donné une description à peu près complète du
système tel que nous le vojous aujourd'hui avec sa plaque vibrante reprodui-
pant la parole articulée. Le défaut d'encouragements et l'état de la science
électrique à cette époque ne permirent pas à M. Bourseul de donner suite à
son idée.
En 1876, à l'exposition de Philadelphie, le téléphone de Bel leut un énorme
succès de curiosité, et depuis cette époque des perfectionnements incessants
vinrent augmenter l'intensité et la portée de sa faible voix.
Après avoir exposé le phénomène des transformations successives qui
s'opèrent aux points de vue mécanique, magnétique et électrique dans la
reproduction de la parole à distance, M. Trouhet montre l'avantage du per-
fectionnement apporté au système par l'adjonction du microphone à charbon
employé comme organe de transmission, le téléphone proprement dit restant
dans son rôle de simple récepteur de la parole à Tarrivée.
Le conférencier s'attache ensuite à démontrer la nature des difficultés ren-
contrés au début de la mise en service de ce précieux appareil : sa grande sen-
sibilité est une cause de gêne car il est influencé par les perturbations prove-
nant des courants électriques en circulation sur les fils voisins.
Le problème de la téléphonie à grande distance consiste donc à appliquer
les trois remèdes suivants :
1" Soustraire le circuit téléphonique aux influences inductives ;
2° Augmenter l'énergie de la voie téléphonique jusqu'à lui faire dominer
les bruits nuisibles ;
3° Diminuer la sensibilité du téléphone récepteur, le rendre indifférent aux
bruits étrangers tout en le laissant impressionné par les courants utiles.
— 363-
M. Trouhet donne ensuite la description du sjslème de M. Van Ryssel-
bcrghe qui non seulement atténue les bruits perturbateurs, mais encore fuit de
la téléphonie et de télégraphie simultanées à grande distance sur le même fil.
11 examine ensuite le sjstème plus simple employé pour la première fois
sur la ligne internationale de Paris à Bruxelles avec fil de retour et circuit
complet en bronze silicieux.
La ligne étant débarrassée des bruits nuisibles il suffit d'augmenter sa
conductibilité par un fil de gros diamètre ou meilleur conducteur que le fer
pour obtenir un bon rendement à de très longues distunces.
Le conférencier termine eu indiquant quelles sont les villes qui possèdent le
plus d'abonnés au téléphone: New-York, 15,000; Paris, 6,000; Berlin,
4,300; Londres, 4,193; Stockholm, 3,825; Rome, 2,054; Hambourg,
1,'.)51; Manchester, 1,171 ; Liverpool, 1,169; Copenhague, 1,336; Anvers,
1,020; Amsterdam, 1,195; Saint-Pétersbourg, 1,100. Dans le Nord nous
avons : Roubaix-Tourcoing, 412 ; Lille, 264 et Dunkerque, 193. La plus
importante des villes à ce point de vue est Stockholm qui pour une population
de 173,433 habitants a 3,825 abonnés, ce qui donne 45 habitants par abonné.
M. le Président remercie M. Trouhet de son intéressante conférence. —
La séance est levée à 10 heures 1/2.
Le Secrétaire-général ,
Alfred RENOUARD.
- 364
COMMUNICATIONS AUX ASSEMBLÉES GÉNÉRALES
LE SOUDAN FRANÇAIS
PÉNÉTRATION AU NIGER
A Monsifur Paui, GREPY, Président de la Société de Géographie de Lille.
Paris, 13 avril 1887.
Mon cher Président ,
Puisque les lecteurs du Bulletin de la Société de Géographie de Lille veulent
bien s'intéresser aux affaires du Sénégal, je désire les tenir, cette année, comme
les années précédentes^ au courant des événements qui se passent dans ce pays.
Mais, le temps me manquant pour faire la chose moi-même, je laisse ce soin à mon
gendre, M. le Capitaine BROSSELARD , qui , comme vous le savez , est parfai-
tement compétent en tout ce qui concerne l'Afrique , où il a pénétré déjà par
plusieurs côtés , et sur laquelle il a fait paraître des travaux considérables.
L. FAIDHERBE.
CINQUIEME PARTIE
Par M. BROSSELARD-FAIDHERBE, Capitaine d'infanterie,
attaché à l'état-inajor général du Ministère de la Marine et des Colonies ,
Membre correspondant do la Société de Géographie de LiLe.
Sommaire : Samory. — Mission du capitaine Tournier.— Insurrection de Mahmadou-
Lamine. — Mort de Boubakar Saadà. — Mahmadou-Lamiae, son passé, ses
premiers actes d'hostilité. — Invasion du Bondou. — Combat de Kounguel. —
Attaque de Bakel. — Opérations du lieutenant-colonel Frey contre le Marabout.
— La situation dans le Fouta. — Retour offensif de Mahmadou-Lamine. —
Campagne 1886-1887, le lieutenant-colonel Galliéni, commandant supérieur du
Soudan Français. — Événements dans le Cayor, mort de Samba Laobé , mort de
Lat Dior. — Assassinat du roi des Trarzas, Ely, Amar Saloum lui succède.
Deux événements dune grande importance, le traité de paix conclu
avec Samory. et l'insurrection de Mahmadou-Lamine, rendent l'histoire
du Haut-Fleuve particulièrement intéressante pendant l'année 1886.
Vers la fin de décembre 1885, le lieutenant-colonel Frey était à
Khayes, et son attention était attirée par les agissements du Marabout
Malimadou- Lamine qui avait établi sa résidence à Goundiourou. Malgré
- 365 -
toutes ses protestations d'amitié à notre égard, ce personnage s'em-
ployait activement à se faire reconnaître comme le chef des populations
Sarakholé He cette région, et à fomenter quelque soulèvement, dont
il pût prendre la direction pour asseoir définitivement son autorité.
Le colonel qui le surveillait, se disposait à faire cesser cette situation,
et achevait d'organiser la colonne de ravitaillement des postes de
l'intérieur. Lorsqu'il apprit que Niagossola était étroitement bloqué par
Malinkamory, lieutenant de Samory, et que Samory avait passé de sa
personne sur la rive gauche du Niger avec des forces considérables
pour s'opposer au ravitaillement de ce poste," il dût songer au ]>lus
urgent et marcher sans retard contre ce dernier.
On se rappelle que pendant la ampagne 1884-1 885,une petite colonne
surprise et assiégée pendant huit jours à Nafadié,fut dégagée à grand'
peine par le commandant Combes qui dut livrer ensuite, pour rallier
le fort de Niagassola, un combat meurtrier à Kokoro. L'armée noire,
commandée par Malinkamory, brûla le village de Niagassola, sous le
canon même de ce fort, et en présence de la colonne. Puis elle s'avança
jusque dans le Gangaran, et hiverna à Gale en face de notre fort de
Kita. Notre ligne de postes se trouva ainsi menacée sur une longueur
de près de 300 kil. et la situation sembla très mauvaise à la fin de
l'année 1885.
Partie le 20 décembre 1885 de Khayes. !a colonne dirigée par le
colonel Frey arriva à Kita dans la première quinzaine de janvier 1886.
Elle dût aussitôt attaquer Gale, où Malinkamory était retranché.
Nous ne reviendrons pas sur les opérations du colonel Frey contre
Malinkamory : rappelons seulement qu'après la destruction de son
armée au Marigot de Farako Djingo, la panique gagna Samory dans
Sanankoro, sa capitale, où il crut que nous allions venir l'attaquer. Ce
chef noir dépêcha donc un de ses conseillers Oumar Diah. pour
obtenir la paix à tout prix. Nous lui imposâmes pour condition qu'ii
se contenterait de la rive droite du Niger, et nous laisserait posses-
seurs de la rive gauche
Samory demanda comme une faveur qu'un de nos officiers vint
signer le traité sur son territoire.
Le capitaine Tournier, accompagné du capitaine Mahmadou-Racine,
des lieutenants Péroz et Durand, de l'interprète Alassanc, fut chargé
de cette mission. Il était suivi d'une escorte de spahis et de tirailleurs
sénégalais.
Ces officiers arrivèrent le 20 mars à Mansalah. En cet endroit la
— 366 -
mission trouva Mody-Fodé, gendre de Samory, envoyé par l'Almaray
avec 20 cavaliers et 200 fantassins pour la conduire à Kéniéba-Koura.
sa résidence. Le 21, on se mit en route ; le même soir la mission cou-
chait à Bouroubougoula ; le lendemain à la rivière Koba : et le surlen-
demain, à Domka.
Dans ce dernier village, eut lieu le partage du bœuf traditionnel.
cérémonie qui enchaîne par les liens de l'hospitalité ceux qui y pren-
nent part. Selon la coutume du pays, l'arrivée d'hôtes de marque doit
être saluée par l'envoi d'nn bœuf, lequel est tué sur l'heure, rôti par
quartiers et mangé séance tenante. Dans les circonstances où l'on
était, ce repas en commun devenait pour les indigènes un grand
é'"^nement. Aussi dès que les membres de la mission se furent con-
formés à cet usage, le camp retentit des cris d'allégresse des malinké ;
le tam-tam ne cessa de résonner ; et dès ce moment des courriers
partirent d'heure en heure pour Kéniéba, afin de renseigner l'Alraamy
sur les faits et gestes, même les plus insignifiants, de l'ambassade que
la France lui envoyait.
Le lendemain à huit heures , on lève le camp, et après avoir tra-
versé deux grands villages, Siguirri et Tiguibirri, abandonnés depuis
la guerre, on passe le Bafing, que nous appelons Tankisso, à 500 mètres
de son confluent avec le Niger. En ce peint, le Bafing de Tiguibirri
est un splendide cours d'eau de quelques centaines de mètres de large,
avec des fonds de 2 m. 50 à 3 m. (en cette saison) et dont les rives
sont couvertes de hautes futaies, de figuiers et de caïlcédrats. Le
passage se fait en moins d'une demi-heure, grâce aux nombreuses
pirogues que Samory y a envoyées ; et on va s'établir à un village
de marabouts, Togué, où des logements ont été préparés pour la
mission. Pendant que le capitaine Tournier s'occupe de l'installa-
tion, le heutenant Péroz, escorté par les spahis, part pour Kéiiieba-
Koura, afin de saluer l'AImamy au nom du colonel Frey et du capitaine
Tournier. A mi-chemin Malinkamory, à la tête d'une centaine de
cavaliers et de deux cents fantassins, arrive à sa rencontre au milieu
d'un tourbillon de poussière ; et, après les salutations d'usage, il le
conduit auprès de son frère.
Samory attendait l'envoyé Français sur une sorte de divan élevé,
couvert de tapis multicolores. Fort simplement vêtu de vêtements
noirs et blancs, le visage encadré par un tui-ban dont les extrémités se
rejoignent sous le menton, les traits fort réguhers, l'AImamy parait
— 367 -
avoir une quarantaine d'années. Sa physionomie est agréable, tout en
lui dénote une grande intelligence.
A ses côtés , deux hommes coiffés de hautes mitres de peau de
panthère portent la hache et la masse d'armes d'argent ciselé, qui
sont les insignes de la royauté. Ses intimes et ses conseillers ont pris
rang autour de lui, couverts de vêtements aux couleurs chatoyantes,
et derrière le divan, se tiennent ses neuf femmes préférées, non-
chalamment étendues et connue affaissées' sous le poids de leurs orne-
ments en or massif.
En arrière , sous l'immense gourbi construit pour la réception,
s'étagent en demi-cercle, par rang de taille et assis à la turque, le fusil
haut, 500 jeunes gens, sortes de gardes ou de pages qui ne quittent
jamais le Sultan.
Des deux côtés du gourbi, sont rangées en cercle des masses pro-
fondes de guerriers immobiles et le fusil haut. Malinkamory à cheval.
le bâton de commandement au poing, sur la tête un casque lamé
d'argent, la hache de même métal à l'arçon de sa selle, a pris place
sur l'un des flancs du gourbi. Il a derrière lui un escadron de deux
cents cavaliers aux uniformes éclatants : et plus loin en arrière sont
massées cinq compagnies de deux cents hommes.
Sur l'autre flanc, un peu pêle-mêle, mais en groupes distincts, sont
rangés les guerriers appelés des régions voisines pour assister à cette
imposante cérémonie. Les chefs de l'armée de Samory sont à cheval,
ceux des alliés sont à pied, devant leurs troupes leurs chevaux tenus
en main en arrière des guerriers.
Sur la quatrième face, une ligne épaisse de spectateurs, au milieu
desquels on voit un groupe nombreux de griots musiciens, aux ins-
truments les plus variés et les plus bizarres, dont ils tirent avec un
grand ensemble, des sons suffisamment rythmés
L'aire gigantesque que limite cette multitude est sablée d'un fin
cailloutis apporté du Niger et soigneusement nivelé.
Evidemment Samory a voulu étonner les blancs par le spectacle
grandiose qui les attendait. L'entrevue est très cordiale ; après un
échange réciproque de paroles obligeantes, le Sultan fixe au lendemain
à la même heure, la réception de la mission. A cet effet, il fait pré-
parer un campement à cinq cents mètres du sien.
Le lendemain 25 mars, la mission quittait Togué pour se rendre à
Kéniéba-Koura. Gomme la veille, Malinkamory vient à mi-chemin
- 368 -
pour l'escorter auprès de l'Almamy ; celui-ci la reçoit avec le même
apparat qu'il avait déployé pour recevoir le lieutenant Péroz.
Pour faire honneur à ses hôtes. l'Almamy monte à cheval et passe
la revue de ses troupes, puis Malinkamory fait manœuvrer cavaliers
et fantassins.
Enfin, pendant le mois qu'ils séjournèrent à Kéniéba-Koura, les
membres de la mission lurent entourés des plus grands égards et des
plus grands honneurs. Ce n'était pas sans raison que Samory agissait
ainsi : par la présence prolongée des officiers français sur son terri-
toire, et par ces négociations auxquelles il donnait tant d'apparat, il
voulait prouver à ses populations que les blancs le recoimaissaient, lui
nouveau venu, comme l'Almamy des pays de la rive droite du Niger.
C'était la consécration de l'empire nouveau qu'il venait de fonder.
Et en eflét, jusqu'en 1881, nous ne connaissions dans le Soudan qu'un
chet dont la puissance fût inquiétante pour nous; c'était Ahmadou, le
sultan de Ségou. successeur bien diminué du reste, du grand conqué-
rant El-Hadj-Omar. Quand MM. Zweifel et Moustiers allèi-eut aux
sources du Niger en 1879. ils entendirent parler d'une grande armée
composée de trente mille fantassins et de cinq mille cavaliers qui opérait
dans le bassin supérieur du fleuve. Mais ils ne surent point le nom du
chef qui la commandait. A la fin de 1881 des indigènes qui vinrent
demander secours au colonel Borgnis- Desbordes le lui apprirent :
Cette grande armée était celle de Samory.
Le Soudan occidental est dans une période de développement his-
torique : un homme plus entreprenant que les autres, réunit une bande
et se met en campagne : s'il est heureux, sa troupe grossit ; s'il a soin
de se faire musulman il a immédiatement l'appui des noirs convertis à
l'islamisme ; les jeunes gens qui préfèrent la vie guerrière à la vie
a'^ricole ou pastorale s'enrôlent eu foule sous son conunandement (1) ;
avec les années , il peut arriver comme El-Hadj-Omai- et comme
Samory. à fonder un grand empire. Mais ces empires ne survivent
point h leur fondateur, parce que ceux-ci ne savent leur donner aucune
or"'anisation. Ils ne connaissent pas d'autre moyen de gouvernement
que la terreur : la guerre et le pillage sont de première nécessité pour
(1) Les jeunes gens de 20 à 25 ans n'ont pour tout bien que leur fusil ; quand ils
reviennent d'une expédition heureuse , ils possèdent une demi-douzaine d'esclaves
des deux sexes , quelques bœufs , un cheval , c'est-à-dire tous les biens qui consti-
tuent la richesse pour un noir.
-369 —
eux. Toute leur force résidant dans leur armée ils lui sacrifient
tout.
Quand cette armée a épuisé le pays dans lequel elle s'est établie, il
faut lui en livrer un autre. On va un peu plus loin attaquer une région
voisine ; on massacre tous les hommes en état de porter les armes ; on
réduit les femmes à l'esclavage ; et on enlève les petits garçons pour en
faire des soldats qui grossiront les rangs. Les ressources de cette nou-
velle région épuisées à leur tour, ou pousse plus loin encore. Quand
le conquérant meurt, ses lieutenants essayent de se rendre indépen-
dants. Les populations si horriblement traitées profitent de ces dissen-
sions pour se soulever : et l'empire éphémère disparaît, laissant les
régions sur lesquelles il a pesé, ruinées et dépeuplées.
Pour le moment Samory est en pleine grandeur.
Il est métis de Poul et de Sarakholé (1) et a commencé par être simple
caravanier. Ou suppose que les Sarakholé sont les plus anciens domi-
nateurs du Soudan occidental : ils ont été dépossédés par des invasions
successives, mais ils sont restés groupés par îlots dans tout le Soudan.
Ils sont comme nous l'avons déjà dit plus haut très intelligents et très
vaniteux : ils conservent soigneusement leurs mœurs, et ne se mêlent
généralement point aux autres noirs. Ils aiment beaucoup les voyages, et
presque toutes les caravanes qui conduisent les esclaves et les marchan-
dises sur les sentiers de cette partie de l'Afrique, sont formées par eux.
Leur éparpillement même, leurfacihte cette profession, car en quelque
endroit qu'ils aillent, ils sont presque assurés de trouver des gens de
leur race qui les logent et les renseignent.
Samory est né à Bissau-Douyou (2) dans la province de Konia, rive
droite du Niger, du nommé Lakaufia et de Sokouna-Kamara. Son
père qui vit encore et réside auprès de son fils, était un Dioula, c'est-
à-dire un caravanier. Il subvenait à grand'peine aux besoins de sa
famille en colportant des étoffes et en faisant le commerce de captifs
sur les divers marchés du Ouassoulou. Samory embrassa l'état de son
père, et, à l'âge de seize ans, commença à voyager.
Un jour qu'il revenait de l'une de ses tournées et rentrait dans son
pays natal, Samory trouva son village dévasté par le roi Sory-Ibrahima
qui avait emmené sa mère en captivité. Ces événements datent d'une
(1 et 2) Ces renseignements sont diiférents de ceux qui ont déjà été donnés , mais
plusieurs versions ayant cours, je crois devoir citer celle-ci qui est une des plus
récentes.
25
— 370 —
vingtaine d'années. Il so rendit auprès de Sory et s'ofirit à le servir
comme soldat s'il voulait rendre la liberté à sa m«'?re. Sory les garrla
tous deux et les traita bien. Samory s'acquit une telle réputation de
bravoure que lorsqu'il revint dans son pays, les jeunes gens lui offrirent
de le mettre à leur tête. C'est ainsi qu'il commença à faire des con-
quêtes pour son propre compte. En peu d'années il s'empara de tous
les états du haut Niger et d'une partie du Ouassoulou. Au moment du
voyage de MM. Zweifel et Moustier, il était occupé à détrôner Sory,
son ancien maître. Celui-ci, un aventurier comme lui, qui avait comme
lui commencé par être marchand, l'avait appelé à son aide pour atta-
quer le Sangara. Le Sangara pris, Samory s'y trouva bien, car par
ce pays, plus voisin de la côte que tous ceux qu'il avait conquis jusque
là, il pouvait se procurer aisément des fusils, de la poudre et du sel.
Au lieu de retirer ses troupes, il attaqua Sory, le battit et le jeta en
prison, en lui donnant pour occupation de prier Dieu et son prophète
pour le succès des armes de son geôlier.
Aujourd'hui on évalue à cent cinquante-sept, les petits états dont
Samory s'est successivement emparé. On dit que son empire s'étend
sur l'espace compris entre Sierra-Leone et Ségou ainsi que sur le cours
du haut Niger et de ses affluents (1).
Le commandant de notre poste de Benty sur la Mellacorée, est en
communication avec un de ses lieutenants. Le nombre de ses soldats
armés de fusils serait de soixante mille ; et il aurait en outre cinq mille
cavaliers qu'il monte à grands frais avec des chevaux tirés du" Bélé-
dougou et du Macina. Il s'en faut que cette armée puisse être mise en
entier en ligne, car il est obligé d'entretenir des garnisons de tous
côtés pour contenir les populations La fraction de ses troupes qui est
mobile, est partagée en cinq corps, commandés chacun par un de ses
frères et sans cesse occupés aux frontières à pousser plus loin les
conquêtes.
Samory est musulman, sans être un croyant bien fervent. Il tient à
l'écart les grands marabouts dont il redoute les intrigues et l'influence.
(1) Le 23 mars 1887, le lieutenant t'éroz, envoyé de nouveau auprès de Samory,
a signé avec celui-ci un traité sur les bases suivantes :
1" Le Niger jusqu'à Tiguibéri, et le Tankisso jusqu'à ses sources servent de fron-
tières entre les possessions Françaises et les états de Samory ;
2" Tous les états de l'Almamy sont placés sous le protectorat de la France ;
3" Le coiiimerce français est libre dans les états de l'Almamv.
- 371 —
Cepenriaiit il fait construire des mosquées dans tous les grands villages
et il proscrit rigoureusement l'usage des boissons fermentêes, pour la
raison, dit-il, que l'homme ivre ne craint plus ni Dieu ni diable et se
montre prompt h la révolte.
On a vu l'été dernier à Paris un des fils de Samory, le prince
Diaoula-Karamoko, que son pore avait autorisé à accompagner la
mission du capitaine Tournier à son retour en France.
Actuellement enfin. Samory est parvenu à fonder un empire Malinké,
dans lequel se trouvent englobés un grand nombre d'états ou de popu-
lations disséminées d'origine Poul. Il y a donc en ce moment au
Sénégal trois races qui semblent vouloir se grouper. Les Toncouleurs,
les Malinkés et les Sarakholé. La première reconnaît comme chel'
Ahmadou ; la seconde subit en ce moment l'ascendant de Samory (1)
et la troisième est celle que le Marabout Mahmadou-Lamine rêvait de
grouper autour de lui.
Dès qu'il avait vu le lieutenant-colonel Frey se diriger vers le Niger,
contre Samory, le Marabout Mahmadou-Lamine avait réuni ses con-
tingents et s'était mis à parcourir les régions voisines de Bakel.
Un événement d'une haute gravité qui passa trop inaperçu favori-
sait singulièrement les projets du Marabout. Le roi du Bondou, Bou-
bakar Saada, venait de mourir. Cette mort marque l'origine de l'agita-
tion du marabout dans le pays,
A ce sujet nous devons donner quelques détails rétrospectifs sur ce
pays du Bondou II a toujours été soumis à deux influences contraires :
celle du Fouta état fanatique musulman, et celle du Kaarta, hostile à
l'islamisme. Il cédait alternativement à l'une ou à l'autre.
En octobre 1855, au moment où la colonne qui venait de construire
Médine, allait s'embarquer pour retourner à Saint-Louis, un indigène
se présenta au gouverneur et lui tint ce langage : « Je suis le fils de
l'Almamy Saada du Bondou, qui vous a cédé le terrain du fort de
Sénoudébou. Lors de l'invasion de notre pays par El-Hadj-Omar, notre
(1) D'après les dernières nouvelles, Samory serait à Bissandougou, ii procéderait
à Vorganisation religieuse de son royaume. 11 se ferait appeler émir el Mouménin et
donnerait à certains de ses villages les noms de Médine et de la Mecque. 11 interdit
aux villages de la rive droite du Niger de vendre des provisions aux Français et
presserait ceux de la rive gauche de passer sur la rive droite.
— 372 —
famille s'est divisée : Les uns par fanatisme ont pris parti pour El-Hadj-
Omar ; quant à moi , marié avec une princesse dé la famille ré-
gnante du Kaarta, j'ai pris parti pour les Bambara ; je me suis joint à
leur armée, et j'ai pris part à toutes les batailles qu'ils ont livrées au
prophète.
Vaincus partout, nous sommes aujourd'hui dispersés et fugitifs, mais
ma haine contre nos ennemis n'a fait qu'augmenter, et je viens me
mettre à votre service pour continuer à les combattre. Vous pouvez
compter sur moi jusqu'à la mort. »
Le Gouverneur accueillit la proposition du jeune chef, le nomma
Almamy du Bondou, et chargea le commandant de Bakel dé l'aider de
tout son pouvoir à conquérir son royaume .
A partir de ce moment, Boubakar déploya une grande activité dans
l'accomplissement ds sa tâche, notamment à la prise de Débou, en Mars
1856; à la prise de Naé, en Avril; à la défense de Sénoudébou, en
mai de la même année ; à la prise d'Amadié en mars 1857 , et enfin à
Somsomtata en août 1857.
En récompense des services qu'il rendait à notre cause, le gouver-
neur Faidherbe le fit nommer chevalier de la Légion d'honneur, le 21
décembre 1857.
Boubakar nous resta toujours fidèle : et rassurcîs de ce côté, nous
évacuâmes le fort de Sénoudébou en le mettant à sa disposition.
Après trente ans de règne, il est mort à la fin de 1885 et c'est certai-
nement cet événement qu'attendait le marabout de Gondiourou pour
entrer en campagne.
Boubakar avait eu un fils nommé Mahmadi, que le Gouvernement
avait fait élever avec le plus grand soin à l'école des otages en même
temps que Demba, fils de Sambala de Médine, pour assurer l'avenir
dans le Bondou. Malheureusement Mahmadi mourut jeune, et Boubakar
ne laissa que deux frères : Omar-Penda, âgé d'environ cinquante ans,
qui a toujours combattu auprès de son frère, mais qui n'a pas pour
nous beaucoup de sympathie, et un autre frère nommé Ahmadi-Soma,
un peu plus jeune, et qui a les mêmes dispositions à notre égard.
Les événements qui suivirent la mort de Boubakar-Saada montrent
combien le dévouement de ce personnage nous a été utile pendant
trente ans.
En 1885, il y avait dans le Bondou un parti hostile à Boubakar-
Saada.
— 373 -
Le Marabout le savait et avait conçu le projet d'attirer à lui les
mécontents.
Aussi, quand il apprit que la colonne avait quitté Khayes, se mit-il
à parcourir le Guidimaka, le Guoye, pour sonder les esprits et se rendre
compte, au cas où il aurait besoin de ses compatriotes, du concours
qu'il pourrait en attendre. Toute la population des provinces des deux
rives du Sénégal, des environs de Bakel à Khayes. c'est-à-dire sur un
parcours de plus de deux cents kilomètres, est d'origine Sarakholé. Cette
race ne se mêle pas aux autres , à cause de l'intelligence et de la
supériorité qu'elle s'accorde sur elles. Les vieillards qui se rappelaient
avec quelle vigueur, il y a une trentaine d'années, le général Faidherbe,
alors gouverneur, avait repoussé l'invasion religieuse d'El-Hadj-Omar,
malgré leur grande sympathie pour le prophète, n'auguraient rien de
bon d'une levée d'armes contre les Français. Mais le Marabout comprit
que si les chefs de vUlage et les vieillards appréciant à sa valeur l'exis-
tence paisible due à notre protection, ne pouvaient pas accueillir avec
enthousiasme l'idée d'un soulèvement, il n'en était pas de même de la
partie jeune de la population. Celle-ci, intelligente, mais légère et vaine,
était exaltée par des croyances religieuses qu'entretenaient les prédica-
tions des nombreux marabouts du Guidimaka et du Guoye : Elle ne
rêvait que guerre contre les infidèles dans l'espoir d'y trouver quel-
qu'occasion de pillage et de butin.
Une autre partie de la population, évaluée à douze ou quinze cents
hommes, et provenant des manœuvres, laptots. chauffeurs, capitaines
de rivière retraités ou licenciés, devait également fournir à Lamine un
concours précieux.
Ces anciens serviteurs, loin de rapporter de leur séjour parmi nous
des sentiments de reconnaissance, étaient animés à notre égard d'un
très mauvais esprit.
Redevenus dans leur village musulmans fanatiques, ils faisaient à
tout propos sonner très haut leur indépendance, et dans les conflits qui
quelquefois éclataient entre les indigènes et les blancs, ils se mon-
traient souvent mal disposés.
Il y avait, dis-je, dans les environs de Bakel, douze ou quinze cents
de ces anciens serviteurs : ils se rallièrent aussitôt à Mahmadou-
Lamine .
Dès 1880 j'avais déjà eu l'occasion de constater les mauvaises dispo-
sitions des gens du Guidimaka, lorsque nous traversâmes leur pays avec
la première colonne du colonel Borgnis-Desbordes .
- 374 -
Toutefois, notre tolérance fut excessive, désireux queuous étions de
ne pas créer d'ennemis sur notre base d'opérations.
Notre façon d'agir fut considérée et exploitée comme une marque de
faiblesse et d'impuissance, et rendit extrême dans ces dernières années,
l'arrogance des chefs de village. Ils en étaient arrivés à refuser formel-
lement de nous fournir même, quelques indigènes nécessaires pour le
transport des correspondances postales ; aussi, quand le marabout se
présenta dans le Khasso. le Natiaga et le Logo, il put réunir sans diffi-
culté le contingent de guerriers qu'il demandait.
Assuré de l'appui des populations, le marabout Mahmadou-Lamine
conçut le projet de s'emparer du Bondou.
Un prétexte fut bientôt trouvé : il annonça publiquement son inten-
tion d'aller combattre le Tenda qu'il représentait comme peuplé d'infi-
dèles et d'ennemis du Coran. — Lamine savait parfaitement que con-
formément à nos ordres, les chefs du Bondou s'opposeraient à son pas-
sage sur leur territoire ; il n'ignorait pas non plus la profonde impopu-
larité dans laquelle était tombé la famille régnante par l'oppression et
les lourds impôts dont elle avait accablé les populations, et il comptait
sur les dissensions qui existaient entre Omar-Penda. frère de Boubakar-
Saada et son héritier légitime, et Ahmadi-Soma, compétiteur au trône.
Aussi, dès que son appel à la guerre sainte lui eut donné une armée
de fanatiques et de pillards, commença-t-il par ravager le Bondou.
Le marabout Ma-Lamine Demba-Debassi. de son vrai nom, n'est
pas un noir ordinaire, c'est un ambitieux intelligent, devenu rusé et
habile, grâce au contact prolongé des chefs religieux qu'il a fréquentés
pendant de longues années.
Sarakholé. né sur les bords du Sénégal aux environs de Khayes ,
Lamine, après avoir étudié l'arabe à Bakel, partit à l'âge de 20 ans
pour entreprendre un voyage à la Mecque. Il resta absent pendant une
trentaine d'années, courut le monde musulman, et se vanta à son
retour d'avoir passé plusieurs aimées à Constaytinople.
En passant par Ségou, il eut rimprudence d'y annoncer son inten-
tion de fonder un empire Sarakholé aux dépens de celui d'Ahmadou.
Celui-ci le fit arrêter et le retint six ans prisonnier.
Il Qe reparut dans le haut Sénégal qu'en 1885.
Il était bien doué pour le rôle qu'il s'était choisi ; il est de haut»'
taille, il a la physionomie d'un homme fnit pour commander. 11 parle
bien, il est instruit pour un noir, et il s'est montré aussi rusé dans sa
propagande qu'audacieux dans l'action.
Le prompt succès de sa teutative prouve du reste suffisamment
CDiiibieii sont remarquables les ressources de son esprit.
En six mois il s'est fait une assez grande réputation pour pouvoir
réunir une armée.
Sa qualité de pèlerin de la Mecque lui donna dès son retour un cer-
tain prestige. Il racontait aux noirs crédules qu'il avait couché auprès
du corps de Mahomet et que le prophète n'était à peine plus grand que
lui de deux doigts. Il cherchait à leur insinuer par là que son rôle
serait presque aussi grand que celui du fondateur de l'Islam. Comme
tout bon prophète se reconnaît aux rairaclcvs qu'il a le don de faire,
en faisait.
Dans les derniers jours de novembre 1885, le colonel Frey avait fait
venir à Khayes le marabout Lamine pour obtenir des explications au
sujet du projet que lui attribuait l'opinion publique ; levée d'une armée
pour aller combattre les infidèles du Tenda puis Ahmadou.
Mahmadou-Lamine ne fit aucune difficulté pour se rendre auprès du
commandant supérieur, il protesta vivement de son dévouement aux
Français, qu'il^aimait, disait-il, de longue date. <iont il connaissait la
puissance et contre lesquels il n'entrerait jamais en lutte. Il nia tout
projet vis-à-vis du Tenda et avoua que son seul désir était de nous voir
déclarer la guerre à Ahmadou, ce qui lui permettrait de se mettre à la
tête des Sarakholè et de combattre à nos côtés, Sambala roi de Médine,
présent à ces entretiens, se porta garant du dévouement du Marabout
et conseilla vivement de ne pas prendre de mesures contre lui.
Le colonel accéda à cet avis et pensa même pouvoir autoriser Lamine
à se rendre à Tuabo village situé à une douzaine de kilomètres en aval
de Bakel avec une escorte de cinquante hommes choisie parmi ses
disciples, à la condition toutefois que ces hommes ne devaient point
porter d'armes. Lorsque Lamine passa à Bakel, le commandant du
poste remarqua que son escorte était armée, s'en étonna, et demanda
des ordres par télégraphe. ]Mahmadou n'attendit pas que l'on fut dis-
posé à s'emparer de sa persoinie et se dirigea sur Balou . village
soumis, situé à l'embouchure de la Falémé. 11 s'arrêta pour demander
à Omar-Penda l'autorisation de traverser le Bondou, voulant aller
attaquer Gamou. grand village fortifié du Tenda, entre la Gambie et
les frontières sud du Bondou. Il alléguait que les gens de Gamou
avaient jadis insulté sa mère et qu'il se proposait d'en tirer vengeance.
Ce prétexte était très bien choisi, car Gamou est un vieil ennemi du
Bondou. Boubakar l'a assièué deux fois sans succès et v a laissé ses
— 376 —
meilleurs soldats. Mahmadou comptait donc sur cette communauté de
haine pour s'ouvrir l'entrée du Bondou Mais Omar-Penda se méfia
et lui répondit par un refus formel.
Le Marabout était toujours à Balou et ses forces s'étaient considéra-
blement accrues. Le commandant de Bakel, escorté de quelques trai-
tants, alla tenter auprès de lui une démarche toute pacifique. 11 lui
représenta que c'était faire acte de rébellion que de vouloir traverser
un pays allié à la France, malgré l'opposition du chef de ce pays; et
ajouta que sa présence dans un village soumis avec des forces considé-
rables, pouvait être considérée par nous comme un acte d'Iiostilité.
A ce moment le Marabout se sentait fort d'environ deux mille hommes
qui s'étaient johits à lui : aussi répondit-ii qu'il ne comprenait pas la
défiance de la France et du Bondou à son égard ; que s'il était quelque
chose il le devait à la protection française : qu'il cherchait seulement a
aller à Gamou chez des infidèles, venger une vieille injure et que l'on
ne pouvait s'opposer à un désir aussi légitime.
Le Commandant ne put obtenir' satisfaction et Mahmadou-Lamine
commença à piller méthodiquement le Bondou sous prétexte de
nourrir ses troupes pendant leur marche vers Gamou. A la pre-
mière nouvelle de sa mise en route , Omar-Penda avait immédia-
tement abandonné Sénoudébou en donnant pour raison qu"il voulait
aller mettre sa ville à lui Boulébanè, en état de défense. Mahmadou-
Lamine entra donc à Sénoudébou sans tirer un coup de fusiL
Lorsqu'il y fut bien mstallé, il s'achemina vers Boulébanè. Omar-
Penda, estimant sans doute que la défense n'était pas suffisamment
assurée, n'essaya pas de résister, et s'enfuit dans loDamga, province du
Fouta, pour demander aide et assistance à Mahmadou Abdoul fUs
d'Abdoul Boubakar, chef dans le Fouta.
Dès la nouvelle de la prise de Sénoudébou. le Colonel envoya les
premiers ordres pour préparer un retour offensif qui aurait lieu
aussitôt que le ravitaillement des postes serait achevé.
La deuxième compagnie de tu-ailleurs, les troupes d'infanterie de
marine et les discipUnaires furent échelonnés entre Badumbé et Kita.
Le 15 février, apprenant le pillage des villages du Bondou et des envi-
rons de Bakel, le commandant du Haut-Fleuve envoya aux troupes
l'ordre de se diriger sur Khayes.
La deuxième compagnie devait, dès son arrivée à Khayes, être portée
à 150 hommes et être dirigée sur Bakel. De là les deux compagnies,
formant un effectif de 250 hommes environ, avaient l'ordre d'opérer
— 3T7 —
réunies, dans les environs du poste ; de visiter les villages dos pays
annexés ; de ramener l'ordre dans les populations ; en un mot d'exer-
cer un rôle de surveillance et de protection.
Le Marabout cherchait alors à entraîner quelques populati(<ns encore
indécises: il se disait notre api et donnait comme prouve de son
entente avec nous, la tranquillité dans laquelle vivait sa famille à
Goundiourou.
Pour mettre fin h ces agissements, ordre fut donné d'enlever et de
conduire à Médine les femmes et les captifs qu'il avait laissés dans son
village.
L'opération, habilement conduite par le commandant de la deuxième
compagnie (capitaine Ferat), eut un plein succès.
Toutefois elle décida le Marabout à abandonner ses projets à l'égard
du Tenda. à se déclarer ouvertement contre nous, et à concentrer ses
bandes à Kounguel. à six kilomètres de Bakel. Aussi le 13 mars ordre
était-il envoyé à la première compagnie de tirailleurs de la garnison
de Bakel de disperser ces contingents.
Le 14 eut lieu le combat de Kounguel. L'ennemi prévenu par l'inter-
prète Alpha-Sega, s'était embusqué dans un marigot situé environ à
mi-chemin de Kounguel, cette partie de la route était couverte et
constituait un passage difficile. Le commandant de la compagnie, trahi
par rinterprète, doima dans une embuscade habilement préparée, et
fut forcé de battre en retraite sur Bakel, en laissant aux mains de
l'ennemi une pièce de canon qui n'avait pu tirer un seul coup.
Nos pertes furent de dix tués et de vingt-cinq blessés dont deux
officiers. L'ennemi eut cent cinquante hommes tués et autant de
blessés.
Ce succès donna au Prophète un prestige immense et lui attira de
nouveaux contingents. Bientôt il se sentit en état de prendre l'ofiensive
contre nous. Le 3 avril une première attaque était exécutée par ses
bandes contre le village de Bakel. La plus grande partie de la popu-
lation sarakholé, secrètement dévouée à sa cause, se tournait contre
nous, lui livrait et incendiait elle-même le village de Mody M' Paie (partie
ouest de Bakel). Malgré cette trahison il rencontrait une résistance
énergique du reste de la population. Les traitants, quelques sarakliolé,
des bambaras et des yolofs habitants du village de Guidi M' Paie
(partie est de Bakel) ainsi que quelques Toucouleurs, secondés par le
feu du fort, soutinrent pendant plusieurs heures dans les rues du \il-
lage un combat acharné. L'attaque fut repoussée et éprouva des
_ 378 -
pertes considérables. De notre côté nous avions trois traitants tués et
environ cinquante blessés dont un seul appartenait à la garnison du
fort.
Le lendemain, une seconde attaque dirigée par le Marabout en per-
sonne n'avait pas plus de succès.
L'interprète Alpha-Sega qui avait déjà trahi le 14 mars à l'affaire de
Koungual devait mettre ^e feu à la poudrière, et. à lafaveur du désor-
dre qui en résulterait, ouvrir à l'ennemi. Surpris dans l'accomplisse-
ment de son crime, il fut immédiatement fusillé. La principale attaque
dirigée par le Marabout sur la porte du fort qui devait lui être ouverte,
échoua complètement. L'ennemi subit encore des pertes considérables.
A ce moment, le capitaine Férat arrivait à Diakandapé avec une
colonne qui comprenait la deuxième compagnie de tirailleurs, un déta-
chement d'infanterie et une pièce de canon. C'était l'avant-garde de la
colonne du colonel Frey.
Parti le 13 février de Bamniakou, le colonel était arrivé le 2 avril à
Khayes et hâtait la rentrée dos dernières troupes échelonnées sur la
ligne de ravitaillement, pour achever l'organisation du corps expédi-
tionnaire qui devait débloquer Bakel.
Le 10 avril l'effectif dont disposait le colonel Frey se i-éi>artissait do
la façon suivante :
Européens 150 :
Tirailleurs et spahis noirs 450 ;
Total.... 600 combattants.
La force et la composition du corps expéditionnaire permettaient
une action énergique et rapide. Toutefois, cette action ne pouvait être
entreprise qu'autant que Khayes où se trouvaient toutes les ressources
en approvisionnements serait mis à l'abri d'un coup de main. Malheu-
reusement ce nouveau point d'appui était entièrement dépourvu d'ou-
vrages défensifs, et il était difficile à la colonne de rien entrcprendro
avant d'}' avoir pourvu.
Les circonstances permirent d'adopter un plan d'opération atténuant
dans une large mesure les désavantages de la situation.
Les villages du Guidimaka après avoir fourni au Marabout des con-
tingents considérables avaient, à la suite du combat de Kounguel,
recueilli un grand nombre de blessés et doinié asile à ceux dont l'en-
thousiasme était devenu hésitant. Comme le sultan Ahmadou avait la
prétention d'exercei- des droits sur le Guidimaka. le colonel l'informa
des faits accomplis, et l'invita h châtier les coupable.'s. Ahmadou n'en fit
- :m9 —
rien. Il nous appart(Miail alors de prendre uous-iuèmes liiiitiative do la
répression. Une expédition immédiate dans le Gadiaka fui donc décidée.
Elle avait pour avantage de ne pas éloigner préniatui-ément la coloiuie
de Khayes ; en outre, l'attaque des villages devait produire de nom-
breuses désertions dans l'armée du marabout, forte alors de 15,000
hommes, en obligeant ceux des habitants qui s'étaient joints à lui à
revenir chez eux défendre leurs femmes et leurs enfants.
Le 12 avril commença pour la colonne expéditionnaire, une seconde
campagne de six semaines qui offre un grand intérêt,
^larches forcées, marches de nuit, surprises de nuit, tout ce qu'un
chef ingénieux et hardi peut demander à une troupe aguerrie, dévouée
et admirablement entraînée, fut essayé et presque toujours obtint
plein succès.
On est étonné des preuves de vigueur que sut encoie donner celte
vaillante troupe, quand on considère que deux mois avant elle com-
battait sur le Niger à plus de 800 kilomètres de ce nouveau théâtre
d'opérations. '^
Vne série de villages, bâtis le long du fleuve, furent pris les uns
après les autres et incendiés : les habitants s'étaient réfugiés à Bokhoro.
grand village de l'intérieur, avec leur bétail et leurs richesses.
Bokhoro fut surpris par une marche bien dissimulée, et pris après
deux combats de nuit et une résistance désespérée de la part de l'ennemi,
qui nous blessa dix tirailleurs et tua une vingtaine d'auxiliaires.
Les noirs, habitués à nous voir ne jamais nous éloigner des bords
du fleuve, furent consterm-s de la chute de Bokhoro. Un entendait la
nuit les femmes gémir et crier. Lamine ! Lamine ! viens à notre aide.
Le lendemain de Bokhoro. eut lieu un nouveau combat suivi de la
prise des deux grands villages de Guémou et de Bambella où Ton
trouva un riche butin.
Le Marabout avait dé) à à la suite de ses deux échecs renoncé à
s'emparer du village et du fort de Bakel; mais toutefois il avait conti-
luié à les faire étroitement bloquer par une partie de ses forces, pen-
dant qu'il se portait avec le reste à la rencontre du colonel. Voyant
ses bandes ébranlées et portées à la désertion à mesure qu'elles appre-
naient la marcbe de la colonne contre leurs villages, il fut obligé
d'interrompre le blocus de Bakel pour aller au devant des Français.
Il emmena alors avec lui six à sept mille hommes. La rencontre
eut lieu le 19 avril, à Tamboukhané. dans une position qu'avait choisie
ot fortifiée d'avance le colonel Frev. Le combat fut très résolument
- 380 -
engagé par les noirs. Le drapeau blanc du prophète ^int tomber à
vingt mètres de nos lignes. Son armée n'en fut pas moins dispersée
Les contingents, découragés, ne cherchèrent point à se rallier et son-
gèrent à rentrer chez eux. Lamine, se voyant abandonné, se sauva
vers le Bondou. La colonne se mit aussitôt à sa poursuite.
Si on jette un regard sur la carte, on voit que le Sénégal Qi son
affluent la Falêmé forment un angle presque droit. Makhana se trouve
sur ]o Sénégal à quarante cinq kilomètres environ du confluent, et
Senoudébou, sur la Falémé à peu près à la même distance de ce même
confluent.
Le territoire compris dans l'angle est un désert sans eau. La route
ordinaire longe les deux rivières et décrit par conséquent le même
angle qu'elles.
Le commandant Combes eut mission de poursuivre le Marabout
pendant que le colonel Frey se dirigeait sur Senoudébou à travers le
désert, avec une colonne légère. Ce dernier marcha quatorze neures,
de cinq heures du soir à sept heures du matin. Cette marche fut si
pénible que des auxiliaires (1) périrent de soif.
(3n arriva à temps pour barrer la route au Marabout , et . sans la
maladresse d'un guide, on l'aurait certainement capturé. 11 se reposait
au village de Kydira, où il venait d'arriver depuis une heure à peine
et se croyait dans la plus grande sécurité. L'on entendait son tamtam
invitant les populations des environs à venir saluer le grand prophète.
Un détachement fut envoyé pour garder le gué de Maé. au-dessus
du village, pendant que la colonne, très allongée par la rapidité de la
marche se reformait. Le détachement ne devait se montrer qu'au
moment où la colonne serait en état de passer le gué , de s'établir
en travers de la route et de cerner le village. Au lieu de conduire ce
détachement à Maé, le guide le mena à Kydira.
Nos hommes, apercevant sur la place une troupe de cavahers et de
fantassins, firent feu.
Mahmadou-Lamine se trouvait dans le tata du village . sorte
de réduit de la défense. N'ayant pas été inquiété jusque là dans sa
(1) On appelle auxiliaires au Sénégal, des volontaires qui s'adjoignent à nos
expéditions plus souvent dans l'intention de prendre part au butin que pour eom-
baitre. lis nous gènont plus qu'ils ne nous servent dans les routes et les rencontres,
mais ils deviennent utiles après le combat pour poursuivre l'ennemi en déroute et
razzier .
- 38i —
fuite, il était loin do soupçonner la présence des Français. Il pensa
d'abord que ces coups de feux étaient le fait de quelques indigènes
de la région que son retour mécontentait et qui s'attaquaient aux
siens. Il se contenta de hausser les épaules avec mépris. Un feu
de salve le détrompa « mais ce sont les Français » cria-l-il. Et fou
de terreur, il se précipita hors du tala, sans même prendre le temps
d'emporter les objets de valeur qu'il avait avec lui, et parmi lesquels
on trouva son cachet et les bijoux de ses fennues. 11 sauta à cheval et
se sauva à toutes brides sur Sénoudébou. Le tata, défendu par une
poignée de fidèles, fut enlevé d'assaut et les défenseurs tués à coups
de crosse de fusil, les tirailleurs répugnant à se servir de la baïon-
nette. Six cents femmes qu'il emmenait à sa suite, un grand troupeau
et tous les bagages tombèrent entre nos mains à Kydira. Dans ces
bagages se trouvaient plus de trois cents corans dont quelques-uns
étaient richement reliés et qui jusqu'à ce jour avaient été portés par
dix porteurs indigènes marchant pompeusement derrière lui (1).
Mahmadou-Lamine ne nous attendit point à Sénoudébou, où la
colonne se rendit aussitôt : il se réfugia dans le Diaka sur la limite
de la Gambie anglaise.
A la nouvelle de sa déroute, les contingents auxquels il avait
donné la mission de bloquer Bakel , traversèrent le fleuve et se
concentrèrent sur la rive droite, devant le village de Manahel. Ils
étaient environ 7 à 8,000 individus, parmi lesquels beaucoup de femmes
et beaucoup d'enfants, que la crainte de nos représailles avait fait
fuir de leurs villages. Le colonel Frey alla les y attaquer et après un
engagement qui dura trois heures, les dispersa et leur fit de nombreux
prisonniers.
Enfin une dernière leçon fut donnée aux gens de Guidimaka : il
s'agissait de 'châtier les villages de Guémou et de Kémaudao dans
lesquels s'étaient réunis les transfuges de Bakel et les populations
de plus de vingt villages qui n'avaient pas encore fait leui' sou-
mission.
Guémou est le même village dont la prise en 1857, sous le gouver-
nement du général Faidherbe, nous coûta six officiers tués ou blesses ;
(1) (Mahmadou-Lamine s'enorgueillissait beaucoup de cette bibliothèque ambu-
lante. Il prétendait que chacun des livres qui la composaient était le présent d'un
monarque ou d'un grand chef de croyants et qu'il l'avait reunie dans le cours de ses
trente années de voyages et d'études religieuses) .
— :W2 —
le chef de bataillon Faron, devenu général inspecteur de l'infanterie
de marine était parmi ces derniers (1).
En marchant vers ce point, la colonne fut attaquée en pleine nuit
par un groupe de cinq à six cents hommes résolus, qui tentèrent de
lui barrer la route. Le Marabout-Lamine n'étant plus là pour enlever
aux balles françaises leur efficacité, ainsi qu'il en avait fait la pro-
messe à ces populations crédules, les guerriers avaient eu recours à
leurs vieilles pratiques fétichistes ; ils avaient immolé des moutons
sur le sentier que devait suivre la colonne et à proximité du point
choisi pour leur embuscade. Il paraît qu'un sentier ainsi ensorcelé doit
devenir infranchissable à l'ennemi. Le sacrificateur fut tué par un
éclaireur sur le corps même de l'un de ces moutons, au moment où il
prononçait les paroles sacramentelles. Toutefois il S(mible que leur
foi dans ces sortilèges soit limitée. puisqu'ils n'attendirent pas la colonne
qui trouva le village de Guémou abandonné.
En allant de Guémou à Kémandao, la colonne hvra un combat très
rude à plusieurs milhers d'hommes. Ce fut le dernier rassemblement
important qu'elle ait eu à disperser. Elle termina ses opérations en
enlevant d'assaut un marigot dans lequel quatre cents hommes s'étaient
fortement retranchés : l'eimemi laissa soixante morts dans ce
ruisseau.
Tous les villages soulevés par Mahmadou-Lamine contre nous se
trouvèrent ainsi châtiés les uns après les autres : ses bandes étaient
anéanties ou dissoutes : les survivants demandèrent la permission de
rentrer dans leurs foyers, et à la fin du mois de mai la paix se trouva
rétablie dans le haut Sénégal. On estime à trois mille le nombre des
hommes qui ont })éri sous nos balles , ou par la soif et la faim dans la
brousse, pendant ces six semaines. Peu de campagnes ont été aussi
meurtrières au Sénégal.
La nouvelle de l'attaque de Bakel causa une certaine émotion à
Saint-Louis et le contre-coup s'en fit sentir en France. L'interruption
des communications télégraphiques augmenta l'émotion en laissant
libre cours aux bruits les plus étranges et les plus exagérés.
En présence de la surexcitation qui régnait à Saint-Louis, le comité
de défense dut se réunir et prendre les mesures nécessaires pour cal-
Ci) Le lieutenant de \ aisseau Aube, aujuurd'hui ministre delà marine, comman-
dait en second la colonne Faron et prit le conuuandement lorsque cet officier eut été
mis à peu près liors de combat.
- 3«;; -
\i\ov rirntatioii îles ouolofs contre les sarakholè qui habitaient la villr.
Oii dut interdire la vente dos armes et de la poudre Dans les premiers
jours d'avril, les noirs de Saint-Louis se présentèrent en masse à
l'hôtel du Gouvernement et demandèrent à partir pour Bakel ; malheu-
reusement, à cette époque de l'année des renforts ne pouvaient remon-
ter le fleuve. On croyait encore le colonel Frey avec sa petite colonne
à 800 kil. à Test du théâtre de ces événements, et Ton était d'accord
sur ce point que, si le Marabout à la suite d'un coup de main hardi,
parvenait à détruire les maga'-ins de Khayes, alors sans défenses, la
situation de la petite colonne serait fortement compromise.
Le bruit d'un concours promis à Lamine par les chefs du Fouta com-
mençait à circuler. Une prise d'armes chez les Toncouleurs. c'eut été
l'insurrection jusqu'aux portes de Podor.
Comme il fallait déjà prévoir le cas où l'envoi d'une colonne de
secours deviendrait nécessaire , un bataillon d'infanterie de marine fut
expédié de France en toute hâte à Saint- Louis.
Dans l'hypothèse d'un envoi de troupes de renfort pour le haut
fleuve, une difficulté se présentait; le fleuve, cette route naturelle, la
seule suivie jusqu'à ce jour pour remonter à Bakel. était rendu impra-
ticable par la baisse des eaux.
D'ailleurs , on ne pouvait organiser une colonne de secours sans
être auparavant l'enseigné sur la situation, et les nouvelles positives ne
parvenaient plus. En prévision des mesures à prendre dans le cas pos-
sible de complications ultérieures . il devenait urgent de recueillir à
l'avance des renseignements exacts sur la situation et de rechercher
les moyens d'y remédier.
Inspiré par les considérations que je viens d'é^noncer, le Ministre de
la Marine me donna l'ordre de partir par le courrier du 20 avril 1886,
et je reçus les instructions qui devaient me guider dans l'accomplis-
sement de la mission qui m'était confiée.
Le !'■' mai , j'étais rendu à Dakar et le 2 à Saint-Louis.
Un court séjour me permit d'y recueillir quelques renseignements
ainsi que quelques nouvelles plus ou moins incertaines, et je pris,
après avoir vu le gouverneur et les autorités de la colonie, les dispo-
sitions nécssaires pour me rendre dans le haut Fleuve.
Le iô mai , je partis de Saint-Louis sur le remorqueur le Bakel. et
le 18, je fus débarqué dans l'île à Morphil, près de Mafou, à 400 kil.
du théâtre de l'insurrection,
Mafou est . pendant la saison des basses eaux, le point terminus de
— 384 -
la navigation des steamers. Je dois constater que la colonie n'est pas
munie., comme il conviendrait, de vapeurs de faible tirant d'eau. A.vec
des canonnières de 0^,50 de tirant d'eau, on naviguerait en tout temps,
excepté peut-être , en avril et mai , sur le Sénégal (1).
J'étais parti de Saint-Louis avec quatre spahis, deux conducteurs et
un interprète , tous indigènes.
Je me proposais en allant à Bakel de rechercher un chemin très
direct, d'apprécier la possibilité de le faire suivre, le cas échéant, par
une colonne composée des différentes armes, et de me rendre compte
des ressources du pays. Il me paraissait également de Quelque utilité
de prendre contact avec les populations et de voir dans quelles dispo-
sitions étaient leurs chefs.
Suivant mes prévisions, j'arrivai le 30 mai à Bakel où je trouvai la
colonne du colonel Frey réunie et cantonnée.
Pendant ce voyage de douze jours, j'avais franchi la distance de
Mafou à Bakel, soit 350 kil. à vol d'oiseau, 450 environ par les chemins
que j'avais suivis à travers les régions les plus peuplées du Fouta
Malgré la chaleur torride du mois de mai, mes bêtes avaient sup-
porté vaillamment cette marche pénible ; mes noirs furent quelque-
fois indisposés ; l'un d'eux, malade, ne put me suivre au delà de
Matam.
Les entrevues qu'il me fut possible d'avoir avec les divers potentats de
cette grande confédération me procurèrent des renseignements utiles
sur la situation politique de ce pays.
J'ai pu constater que lïnfiuence d'Abdoul Boubakar était très res-
treinte dans le Bosséa et qu'elle n'existait réellement que dans la
région comprise entre Odégui et Matam.
Dans le Damga entre Matam et Dembakané, les populations sou-
mises depuis 1863 à notre domination, subissent actuellement le joug
de l'électeur Abdoul Boubakar. Ce personnage m'a déclaré qu'il avait
obtenu l'abandon de nos droits en sa faveur sur cette région, lors
d'une entrevue qu'il avait eu avec le Gouverneur quelques mois aupa-
ravant. Les notabilités qui accompagnaient le Gouverneur affirment
qu'aucune promesse n'a été faite au chef du Foula : celui-ci ment donc
sciemment.
(1) Les Anglais ont aujourd'hui, sur le Nil, des bateaux à vapeur qui ne calent que
30 à 40 centimètres, il est donc possible d'en avoir de semblables sur le Sénégal.
— :«5 —
Le prestige d'Abdoul Bou Bakar repose sur la confiance qu'il a su
depuis longtemps inspirer à tous les aventuriers avides de butin.
Ceux-ci s'empressent d'accourir au moindre de ses appels , certains
d'avance d'être conduits au pillage.
Si Abdoul est un maître brigand, malheureusement , c'est aussi un
politique rusé. Remuant et entreprenant, il est susceptible de nous
créer des embarras. Toutefois . il est avancé en âge ; son autorité s'en
ressent: et il serait désireux de jouir de la situation qu'il s'est créée
par tant d'efforts et de luttes. Il redoute d'autre part une reprise d'hos-
tillités dont le dénouement pourrait lui être fatal. Il sait qu'il a plus
obtenu par son habileté et sa souplesse d'esprit que par tout autre
moyen , et il comprend que nous ne pourrions tolérer sur notre ligne
de ravitaillement du haut fleuve un chef qui fut vis-à-vis de nous hostile
ou menaçant. Aussi devons-nous agir avec fermeté vis-à-vis de lui ,
et ne pas hésiter à lui refuser toutes les concessions qu'il nous deman-
dera de lui accorder.
Non content du Daraga où il règne en despote cruel et pillard,
Abdoul semble rêver encore d'obtenir la cession du Toro. Il ne lui
resterait plus alors qu'à reconstituer l'ancien Fouta démembré en 1863.
Le fils aine d' Abdoul qui dans l'état actuel des choses, n'hériterait à
la mort de son père ni du litre d'électeur ni de l'influence que celui-ci
s'est acquise, considère dès maintement le Damga comme un fief héré-
ditaire qui doit lui revenir à la mort de son père.
En admettant l'hypothèse que le Gouvernement français reconnaisse
à Abdoul les droits qu'il prétend avoir à la possession du Damga , son
frère Ali Bakar issu de même père et de même mère se croirait en
droit suivant les coutumes locales, de lui succéder et de s'approprier
son héritage. Il se trouverait alors en présence du fils de l'électeur
qui semble déjà marcher sur les traces du père et qui le lui disputerait
vigoureusement.
Il est fâcheux qu'on ait permis depuis un an l'immixtion d' Abdoul
dans les affaires d'une province soumise à notre autorité.
En admettant, comme il faut l'espérer qu'il renonce bientôt à ses
prétentions, l'œuvre d'organisation qu'il poursuit et qu'il a déjà eu
partie accomplie pour assurer sa domination, en ruinant nos partisans
au profit des siens , laissera subsister longtemps dans le pays une
impression fâcheuse ; d'autant plus que la tolérance dont nous faisons
preuve en laissant commettre au chef Toucouleur ses déprédations ,
est pour nos partisans les plus dévoués un aveu certain d'impuissance.
2e
— 386 —
Dans le cas d'un conflit entre le gouvernement français et un chef
Toucouleur, fût-ce même Abdoul bon Bakar. la plupart des villages
du Fouta hésiteraient à s'insurger ouvertement.
Mais ce qui paraît évident , c'est que la plupart des guerriers
quitteraient leurs demeures pour répondre à l'appel de celui qui nous
ferait ouvertement la guerre. Il est également vrai que tous les gens
ayant une situation dans le Fouta verraient sans regret la ruine
d'Abdoul : toutefois ils se refuseraient à nous aider de leur concours
dans une lutte contre lui.
Les Toucouleurs reçoivent le mot d'ordre religieux et politique du
Sultan de Ségou, et j'ai pu personnellement constater la présence des
émissaires d'Ahmadou dans les principaux villages. Musulmans
d'autant plus fanatiques qu'ils sont superstitieux et ignorants, les Tou-
couleurs nous feraient la guerre si nous avions des démêlés avec
Ahmadou. Ces populations du Fouta, riveraines du fleuve, sont maî-
tresses de la navigation pendant les basses eaux, et capables d'inter-
cepter toutes nos communications.
Cette situation intolérable ne saurait se modifier, tant que les chefs
du Fouta auront la moindre indépendance, et tant que notre action sur
les populations ne sera pas devenue telle que nous puissions mettre
fin à notre gré aux influences hostiles. Actuellement ces influences
agissent en toute liberté sans qu'il nous soit possible d'y mettre le
moindre empêchement et les gens du Fouta les accueillent d'autant
plus volontiers qu'ils sont plus isolés des européens qu'ils ne connais-
sent pas. Aussi nous considèrent- ils comme les pires ennemis de
leurs institutions et de leur race ; sont-ils disposés à favoriser ceux
qui nous font la guerre ; et à opposer une résistance perpétuelle à tous
nos efforts.
Le colonel Frey eut le 2 mai une entrevue avec Abdoul bou Bakar
dans ce même village de Dembakané, où le 29 mai je rendis égale-
ment visite au chef du Fouta.
L'impression du colonel Frey est la suivante :
« Il n'y a aucune confiance à avoir dans les bonnes dispositions
apparentes d'Abdoul bou Bakar.
» La réserve qu'il a montrée dans ces derniers temps lui était
imposée par le voisinage de la colonne et par la connaissance de nos
succès.
» La question du Damga vient de prouver la mauvaise foi de ce
chef. »
— :-!87 —
Nous avons laissé le marabout Mahmadou-Lamine fuyant devant le
colonel Frey qui le poursuivait. Après s'être réfugié dans la région
comprise entre la Falémé et la Gambie, l'agitateur parvint à réunir une
poignée d'aventuriers, tandis que la colonne était rentrée à Bakel.
Au mois de juillet 1886, avant de revenir à St-Louis, le colonel Frey
avait dû faire réoccuper le poste de Senoudebou, afin de maintenir à
distance les nouvelles bandes du Marabout et de protéger les habitants
du Bondou.
Le poste était en très mauvais état ; Mahmadou-Lamine en s'enfuyant
devant nos colonnes l'avait incendié. Mais l'enceinte quoique nécessi-
tant quelques réparations était encore défendable.
La garnison laissée à Senoudebou comprenait : 70 tirailleurs sous le
commandement de M. le sous-lieutenant Laty, assisté du sous-lieute-
nant Yoro-Coumba, et une pièce de canon commandée par l'adjudant
d'artillerie Fougas, servie par 8 tirailleurs auxiliaires de la batterie
Dans le courant du mois d'août, les bandes de Mahmadou-Lamine,
qui de sa personne s'était retiré à Diama, dans le Diaka, faisaient de
nouveau leur apparition dans le Bondou. L'une d'elles surprenait dans
le village de Picha, situé à 40 kilomètres dans l'ouest de Senoudebou,
Oumar-Penda, le frère et le successeur de. Boubakar-Saada, et le
tuait.
Saada Amady, frère d'Oumar Penda, lui succédait alors comme
Almamy du Bondou, Plus énergique et mieux avisé que son prédé-
cesseur, il réunissait ses sujets armés et venait s'établir aux abords
du poste de Senoudebou.
Dans le courant de septembre des bruits vagues circulaient au sujet
de Mahmadou-Lamine qui allait, disait-on, quitter Diaka, et tenter une
opération dont on ignorait l'objectif. En effet . le 22 septembre une
bande du Marabout attaquait le petit village de Sambakola situé à une
vingtaine de kilomètres à l'ouest de Senoudebou.
Immédiatement le sous-lieutenant Yoro-Goumba. devenu comman-
dant du poste par suite du départ de M. Laty, départ nécessité par
l'état de santé de cet officier, prenait toutes les dispositions nécessaires
pour résister à une attaque qu'il jugeait imminente. Il fit ensuite placer
les hommes de Saada Amady en embuscade en avant du poste, dans la
direction où il présumait que se présenterait l'ennemi. Les femmes et
les enfants étaient parqués à l'abri du poste , qui conservait sa gar-
nison entière.
Le 23 septembre l'attaque eut heu. Dix-huit cents hommes de Mah-
— 3S« —
madou-Lamine s'avancèrent contre les gens de SaadaAmady, qui,
sous le nombre, lâchèrent bientôt pied et se replièrent sur le poste.
Déjà les soldats de Malimadou pénétraient dans le village , les femmes
et les enfants s'enfuyaient dans toutes les directions, quand le sous-
lieutenant Yoro-Goumba prenant avec lui trente tirailleurs, sortit du
poste, tomba sur les assaillants, leur tua un grand nombre d'hommes
et les chassa du village et des abords. Il eut la sagesse de borner là
son action, et laissa les hommes de Saada Amàdy, qui s'étaient ralliés
et que le combat avait électrisés , s'élancer à la poursuite des
fuyards.
L'ennemi perdit 170 hommes dont 82 prisonniers qui furent passés
par les armes. On ramassa 300 fusils sur le champ de bataille. De notre
côté nous avions eu 3 tirailleurs tués et un blessé, et les gens du village
comptaient 4 tués et 15 blessés. Quatre jours après arrivait un
renfort inutile de 70 hommes envoyé de Bakel par le commandant
Combes.
Le poste de Sénoudébou créé pour empêcher les Dioula d'aller en
Gambie, a eu sa raison d'être, il y a trente ans. Aujourd'hui il paraî-
trait préférable de créer un établissement dans la Falemé moyenne.
D'ailleurs, on ne peut plus tirer parti des ruines du poste de Sénoudébou.
Un nouvel établissement construit dans la région voisine de Farabana
c'est-à-dire à 180 kilomètres du confluent de la rivière, bénéficierait
d'une partie du commerce du Bambouck , qui va aujourd'hui en
Gambie, c'est-à-dire chez les anglais. Le comptoir installé dans la
Falemé moyenne aurait cet immense avantage d'épargner aux cara-
vanes au moins quinze jours de route, les droits de passage dans
plusieurs pays entre la Falemé et la côte, et la crainte d'être pillés
pendant le trajet. Le commerçant qui apporterait du sel, des indiennes,
du cahcot, des alcools, de la poudre et des armes , serait assuré de
pouvoir acheter tout l'or extrait dans la région. L'or qui ne va pas à la
côte est acheté sur place par des caravanes de Dioula qui donnent
8 kilos de sel pour 15 fr. d'or. Ces commerçants n'ont qu'un seul
moyen de transport pour le sel : les ânes. Par suite, ils en apportent
relativement fort peu et leurs frais sont très grands ; le transport par*
eau diminuerait considérabbiuient leurs frais , et leur permettrait de
vendre leur sel à un prix bien inférieur à celui des caravanes de
Dioula.
Le lieutenant-colonel Galliéni a été nommé commandant supérieur
— :î89 —
du haut fleuve pour la compagne 1886-1887. Tout le monde n lu
rèmouvaiit récit du voyage do cet officier eu 1880, alors qu'êlant
capitaine, il fut chargé de porter des présents à Ahmadou. MM. Val-
lière et Tautain, ses glorieux compagnons se sont fait un honneur de
seconder de nouveau leur ancien chef de mission.
Le colonel Galliéni est arrivé le 15 novembre 1886 à Bakel , et a
assuré immédiatement l'exécution des réparations nécessaires au poste
et aux ouvrages environnants.
11 s'est rendu ensuite à Aroundou au confluent de la Falemé, pour
faire élever, sur un vaste plateau d'une salubrité parfaite . les instal-
latiims nécessaires h la première colonne qui devait venir s'y con-
centrer.
L'indulgence complète fut accordée au Guoy et au Kaméra , sous
condition de ne plus seconder Mahmadou Lamine en l'étoile duquel
les habitants semblent encore avoir confiance (1).
Le Guidimaka . cette province qui borde la rive droite du Sénégal
entre Bakel et Médine réclame notre protectorat. Ce malheureux pays
est réquisitionné sans mesurt; ni pitié par les cavaliers d'Ahmadou ,
qui forcent également les guerriers à rejoindre leur chef vers Ko-
niakary. On voyait dernièrement jusqu'en face de Khayes de longues
bandes d'hommes armés qui allaient vers l'est.
Au mois de janvier, Ahmadou avait auprès de lui une armée d'une
douzaine de mille hommes ; tous ses talibés de Nioro l'avaient suivi, et
de [)lus , les contingents du Kaarta , du Diombokho, du Guidimaka
étaient auprès de lui. Il avait établi son (piartier g<'iiéral à Konia-
kary distant de 3 ou 4 journées de marche de Khayes , et se disposait
à marcher sur Gouri, ou s'était réfugié le fils deMahmadou-Lamine(2;.
Les nombreux émissaires dont j'avais constaté la présence dans le
Foula, ont déjà réussi à faire émigrer plusieurs tribus de Poul et
(1) Le colonel (ialliéni a créé à Bakel une école d'otages. Trois enfants de chaque
village des pays Sarakolé et du Bondou y sont réunis ; quelques sujets sont Di.êmc
originaires des répions du Niger. On sait que le général Faidherbe avait créé autre-
fois à St-Louis une école d'otages, abandonnée depuis malgré les excellents résultats
obtenus.
Des écoles viennent d'être fondées un peu partout, grâce au dévouement de
M. Hubner, directeur du service des postes et des télégraphes dans la colonie.
M. Hubner est le délégué de la Société l'Alliance française pour la propagaiion de la
connaissance de la langue. Les résultats déjà obtenus sont fort appréciables.
(2) D'après do récentes nouvelles , Ahmadou serait reparti pour Nioro.
— 390 —
avec elles le chef Samba- Goiima. Il y a toujours lieu de se préoccuper
de l'attitude douteuse de notre voisin. Aussi est-il bon de savoir
que les postes qui, échelonnés sur la route du Niger, entre Bakel et
Baramako, couvrent une région égale en superficie au tiers de la
France, sont, grâce à la solidité de leur construction et à leurs appro-
visionnements, à l'abri de toute insulte, de la part de nos ennemis
mal armés et ignorants.
Le Colonel se proposant d'aller dans la région voisine de la Gambie
poursuivre Mahmadou-Lamine dans ses derniers retranchements,
crut nécessaire d'assurer par tous les moyens la sécurité de la ligne
de postes.
Dès son arrivée, le Colonel donna une nouvelle impulsion à la cons-
truction de la ligne ferrée du haut fleuve. Actuellement le point ter-
minus est au kil. 63, pendant cette campagne le kil. 94 pourra être
atteint, ce qui permettra de transporter un matériel de pont considé-
rable qui se détériore actuellement à Khayes et qui est destiné au
passage du Marigot de Galougo, large de 60'".
Du Galougo au Moumania (kil. 104) autre Marigot, on posera un
Decauville dont le matériel est déjà dans le haut fleuve. Ce Decaiiville
permettra de transporter le matériel de pont du Moumania (i).
Enfin, les disciplinaires achèvent une route carossable qui permettra
d'établir plus tard un Decauville jusqu'à Toukoto, distant de Khayes de
270 kil. Cette route est large deô"* avec fossés, ponts, accotements, etc.
■ Après avoir assuré l'exécution de ces importants travaux, le Colonel
se rendit à Diamou et organisa la 2*^ colonne placée sous les ordres du
commandant Vallière. Les deux colonnes allaient opérer contre
Mahmadou-Lamine.
Ce persomiage, d'une audace et d'une ténacité extraordinaires, con-
tinuait à organiser la résistance après son échec de Sénoudébou. 11
envoyait des émissaires nombreux dans tous les pays enviromiants et
poussait même jusqu'au Fouta-Djallon. A Diana, gros village fortifié,
il parvint à réunir plus de 3,000 guerriers bien approvisionnés en
armes et en munitions, grâce au voisinage des comptoirs anglais de la
(1) Dans quelques mois, les communications seront assurées dans les meilleures
conditions entre Khayes et Bafoulabé. Ce dernier point prend déjà une importance
commerciale considérable, et plusieurs maisons de commerce viennent d'y installer
des comptoirs.
- 391 -
Gambie. Prêchant la guerre sainte, Lamine commençait à se créer un
empire musulman, comme naguère Ahmadou et Samory (1).
La nécessité de marcher immédiatement contre Mahmadou-Lamine
était bien évidente, le Colonel organisa donc ses deux colonnes dans
des conditions telles, qu'il lui fût possible d'aller surprendre par une
marche rapide, le village de Diana. Les fantassins furent montés sur
des mulets, les canonniers sur de petits chevaux. Le fantassin monté
présente un grand avantage dans les expéditions soudaniennes, il rend
la colonne mobile et capable de faire des étapes de 30 kil.; en outre,
l'homme emporte six jours de vivres pour lui et son animal et diminue
par suite le convoi.
Le 11 décembre, le Colonel lançait l'ordre du départ : les deux
colonnes devaient partir l'une de Sénoudébou et l'autre de Diamou
(ces deux points sont distants de 200 kil.) et calculer leur marche
respective de manière à se trouver le 24 dans deux villages voisins
l'un de l'autre et situés chacun à à 8 kil. environ de Diana.
La première colonne devait barrer la route de l'est, la deuxième la
route du sud, tandis que la cavalerie et les auxiliaires surveilleraient
les routes du nord et de l'ouest. Les deux premières routes mènent
vers la Gambie et le Ferlo et paraissaient être les seules que le Mara-
bout dût chercher à prendre pour s'enfuir.
La première colonne, après une petite escarmouche à Sintouta,
(1) 11 est à peu près certain que Mahmadou-Lamine est affilié à la confrérie reli-
gieuse des Senoussyah ; peut-être a-t-il été à la Zaouïa de Djarghboub. Le grand
chef de Senoussyah qui y réside, subit Tinfluence d'un certain Mohammed Etteni,
originaire de Toasis de Ghadamès. Ce personnage fanatique dangereux , a organisé
le massacre des pères blancs et celui de la mission Flatters. 11 est l'instigateur d'un
vaste projet de conquête et de propagande religieuse que le chef des Senoussyah
serait à la veille de mettre à exécution. L'ermite de Djarghboub se disposerait à
parcourir les territoires occupés par les Touaregs , afin d'acquérir une grande
influence religieuse sur ces populations, dont il voudrait se faire des auxiliaires dans
l'intérieur de l'Afrique , contre l'élément chrétien en général , et les Turcs en
particulier.
Ce plan de conquête comprend dans le Soudan , Tombouctou , les rives du Niger
et celles du Sénégal. Dans le nord de l'Afrique , ce vaste programme a déjà reçu
dernièrement un commencement d'exécution. Grâce en effet au concours du chérif
Moulai Ahmed qui prêche dans la Tripolitaine la révolte contre les Turcs et la guerre
sainte contre les Chrétiens, les Touaregs viennent de prendre Ghàt, dont la garnison
turque a été massacrée,
Malimadou Lamine ne serait-il point l'exécuteur de la propagande Senoussyah
dans la région du Sénégal ?
- 392 -
trouvait tous les villages évacués sur sa route, bien que remplis de
grains de toute sorte, mil, riz, arachides, etc. : les habitants et les
troupeaux étaient cachés dans la brousse.
Les deux colonnes arrivèrent au jour et aux points indiqués. Elles
avaient dû faire des marches très pénibles, à travers un pays boisé et
riche en gommiers et en arbres à caoutchouc. Leur arrivée simultanée
jeta le désarroi dans la région.
Le 25 décembre, le Colonel se présentait devant Diana. 11 ne trouvait
que quelques hommes isolés qui avaient pris position dans un marigot,
et qui furent facilement cernés par Tavant-garde. Diana venait d'être
évacué, malgré les fortifications sérieuses qui l'entouraient.
Une colonne volante se lança sur les traces de l'ennemi el atteignit
le Marabout sur la frontière du Ouli. Le capitaine Robert s'engagea
résolument, tua une cinquantaine d'hommes, mais ne put s'emparer de
Lamine qui profila du combat pour se dérober par une fuite rapide. Les
chevaux étaient fourbus et, en outre, la ligne d'opérations s'étendait
d'une façon démesurée : l'on était, en efiét, à 300 kil. de Bakel. Enfin,
les dépendances du poste de Mac-Carthy étaient voisines ; la poursuite
n'était plus possible, il fallait s'arrêter.
Le chef du Ouli auquel le colonel avait écrit qu'il traiterait en enne-
mis les pays qui recevraient le Marabout, se jeta sur les traces de
notre adversaire et lui infligea une nouvelle défaite. Celui-ci fut obligé
à se retirer en fugitif dans le Niani où quelques villages sarakliolé
pouvaient être disposés à le recevoir. Laissant les auxiliaires du Bondou
dans la région, le colonel regagna Séaoudébou, après avoir détruit les
fortifications de Diana et épargné les villages environnants dont les
chefs avaient fait soumission.
Comme conséquence de la campagne du colonel Galliéni contre
Mahmadou-Lamine, l'Ahnamy du Bondou Saady Amady a renouvelé
le traité conclu avec nous par Boubakar Saada. Entre autres engage-
ments, il a pris ceux de ne plus recevoir de traitement des Anglais ;
d'acheminer les produits de son pays vers le Sénégal ; et de ne plus
empêcher les caravanes de Dioula de se rendre rlu Fouta-Djalon à Bakel.
Le Ferlo, le Diakha, le Tiali, le Mériko et le Ouli ont passé des traités
avec nous : ces derniers s'engageant à marcher contre Mahmadou-
Lamine s'il reparaissait chez eux. L'agitateur s'est réi'ugié à Tebe-
kouta, dans le Niani. Ll a encore autour de lui quelques partisans
recrutés dans le Ouli. Mais il y a lieu de croire qu'il ne lui sera pas
~ :m -
pt^'iiiis de se refornior pour l'offensive, car une l'orle colonne (1) partie
(le Saint-Louis le 10 avril 1887, se trouve actuclleuient dans la rivière
Saloum.
La région où opèrent nos troupes est située sur un territoire voisiu
de celui où s'est réfugié Lamine.
Celui-ci ne peut d'ailleurs remonter vers l'ouest dans le Ouli, ni vers
le noril dans le Ferlo, ces pays ayant reconnu le protectorat Français,
et so montrant disi)osés à faire un mauvais parti au Marabout. Il ne
saurait davantage songer à fuir vers le sud dans les dépendances
anglaises de Mac-Carty. Aussi se trouvant bloqué dansleNiani. il serait
sans doute obligé d'attendre le choc de la colonne du Saloum, si
celle-ci poussait une pointe vers Tébékouta.
Nos troupes il est vrai, ont une autre mission à remplir, car elles
donnent appui à notre allié Guédel, roi du Saloum, contre son ennemi
Saer-Maty, chef du Ripp. Ce dernier, marabout fanatique et guerrier,
était excité par les intrigues do Mahmadou-Lamine, réfugié dans le
voisinage de ses propres états. Il avait d'ailleurs l'appui du (dief des
Poul. Ali Boury, et du roi du Sine Nioko-Baye.
Le colonel Coronnat a franchi le 23 avril la rivière Salouni, avec
mie colonne portée à 600 hommes , et les auxiliaires de notre allié.
L'ennemi , qui gardait le gué de Saor, a été refoulé sur le village de
Goumbof. Battu en brèche, celui-ci fut pris d'assaut malgré une
vigoureuse résistance, et plusieurs retours offensifs de rennemi, qui
avait incendié toute la région environnante. Nos pertes s'élevèrent
dans cette première journée, à 2 tués tirailleurs indigènes" , et 10 blessés
parmi lesquels le commandant Caron. D'après une nouvelle de pro-
venance anglaise, à la date du 5 mai, Saer-^laty, complètement bat.tu,
aurait cherché un refuge dans le voisinage des comptoirs anglais de la
Gambie.
< >n ne saurait passer sous silence d'importants événements ([ui
(1) L'effectif de cette colonne était de 230 hommes d'infanterie et d'artillerie, un
renfort de 200 hommes est venu la rejoindre.
La colonne est précédée par l'escadron des spahis, et a avec elle quatre pièces de
caiion.
V Aréthuse et V Ardent ont fait voile pour la rivière Saloum et opèrent do concert
avec les troupes.
- 394 -
eurent, pendant l'année 1886, pour théâtre, une région voisine de
Saint-Louis , le Gayor.
Une querelle de famille s'était élevée entre le Damel du Gayor,
Samba Laobé fal et le Bour du Djolof , Ali Bouri N' Diaye, à la suite
de la répudiation, par ce dernier, de sa femme, princesse du Gayor
et proche parente du Damel. La fierté royale et l'intérêt . car le
Bourba Djolof n'avait point , selon l'usage , restitué la dot de la prin-
cesse répudiée, envenimèrent cette querelle au point qu'il fallut du
sang pour répai*er l'honneur de la famille.
Les armées se rencontrèrent dans le Djolof et les deux chefs com-
battirent , dit-on , corps à corps. La victoire resta à Ali-Bouri.
Après la défaite de Samba-Laobé . la poursuite victorieuse d'Ali-
Bouri fut arrêtée par l'intervention du gouverneur.
Une amende de 20,000 +V. fut imposée à Samba Laobé au profit
d'Ali Bouri.
Pour payer cette amende considérable . Samba Laobé fit d'abord
appel à ses administrés. Ne pouvant rien retirer de ces pauvres popu-
lations agricoles . surtout avant la récolte , le Damel s'adressa à des
colons installés sur son territoire : il leur réclama ce que les traités
l'autorisaient à prélever, une redevance sur le conmierce qui s'efièc-
tue sur son domaine.
Il fit donc percevoir une patente à Tiwawane, sur des commerçants
français. Quelques-uns la lui payèrent ; d'autres, en plus grand nombre,
la lui refusèrent , prétextant , connue c'était vrai , que déjà ils en
payaient une au Gouvernement français.
D'autres faits , tels que celui d'un troupeau de bœufs écrasé par un
train , rendirent les rapports plus tendus.
Le Damel molesta nos traitants , leur contesta le droit de s'établir
dans le rayon de cinq cents mètres fixé comme limite de leurs établis-
sements autour de Tiwawane, grand marché d'arachides et l'une dtis
stations du chemin de fer de Dakar à Saint-Louis.
Les colons réclamèrent protection au gouverneur.
Le 6 octobre 1886, le capitaine Spitzer. aide-de-camp du gouver-
neur, partit avec mission de faire des représentations au Damel et de
tâcher de l'amener, par la conciliation , à changer d'attitude.
Le capitaine Spitzer prit le chemin de fer, et ralliant à la station de
N'dand un peloton de 25 spahis, commandé par le sous-lieutenant
Chauvet, vint débarquer à Tiwawane, vers trois heures de l'après-midi.
- 395 -
A 150 mètres de la gare se tenait le Darael avec 150 hommes dont
une partie armés
Le capilaiue SpUzer fait arrêter le peloton rangé en bataille, puis
s'avance à cheval, accompagné d'un spahis indigène, qui lui sert
d'interprète.
Le Damel l'accueille avec hauteur et refuse toute discussion. « Si le
gouverneur est maître à Saint-Louis . je suis le roi de tout le Cayor,
dit-il. Tiwawane et la voie ferrée m'appartiennent et je n'ai que faire
de vos représentations. »
M. Spitzer. voyant son insistance inutile, s'éloigne, mais il envoie
successivement au Damel, pour tenter de renouer le palabre , deux
spahis et un maréchal-des-logis. Ce dernier aui'ait alors essayé d'en-
traîner le Darael vers le peloton, en prenant le cheval par la bride. Le
Damel tire sur le maréchal-des-logis et le manque. Deui: autres coups
sont tirés : un spahis indigène est atteint. Le capitaine Spitzer fait
mettre à ses spahis le sabre en mains et les fait charger. Ceux-ci se
précipitent sur le Damel et ses guerriers. Devant l'impétuosité de l'at-
taque, les noirs fuient et se dispersent de tous les côtés. Le lieutenant
Chauvet. suivi de deux hommes, se jette sur les traces du Damel.
Malgré le danger d'une embuscade dans les rues étroites et tortueuses
d'un village noir, il traverse Ndoukoumane. où il essuie un premier
coup de feu presque à bout portant qui ne l'atteint pas ; au delà,
il se trouve seul pendant quelques instants : l'un des spahis s'est
écarté; l'autre est resté en arrière. Malgré les difficultés que pré-
sente un terrain coupé par des cultures et des haies formées avec
des fagots d'épines, son cheval , bien enlevé , triomphe de tous les
obstacles et continue à mener grand train. Les distances se
rapprochent; à deux kilomètres du village, la bête que montait le
Damel est absolument fourbue.
« Pendant ce galop de deux kilomètres , dit le lieutenant dans son
rapport , le maréchal-des-logis Bégny tua un cavalier du Damel ,
Boubakar Mahmadou un second, et moi deux autres qui suivaient leur
chef de près. »
Le lieutenant Chauvet arrive ainsi jusqu'à dix mètres du Damel.
Le spabis Aly-Touré seul avait pu le suivre ; les autres étaient
à 50 mètres en arrière. « A ce moment , dit le lieutenant, le spahis
Aly-Touré me dépassa et piqua droit au Damel pour le sabrer.
Celui-ci lui déchargea un coup de feu à bout portant dans la pai'tie
— 396 -
supérieure de la poitrine; Aly Touré essaya de revenir sur son ennemi,
.Je le vis tomber de cheval. Il était mort. *
Le Damel fit feu sur moi de son second coup et me manqua , je
l'atteignis aussitôt, il dégaina et nous luttâmes assez longtemps à coups
de sabre (1). Je lui portai un coup de revers sur la figure, lui coupai
plusieurs doigts de la main droite dans une parade et enfin lui portai
sur l'épaule un coup qui le fit chanceler. Lui, de son côté, me porta un
coup de sabre qui. paré à temps, ne fit que couper ma vareuse.
Il fit deux blessures assez profondes a l'encolure de mon cheval ;
enfin il ui'atteignit d'un coup de plat de sabre à la cuisse. Je ripostai
pai- un nouveau coup de pointe » Damel descendit de cheval.
« Le spahis Oumar-X'-Diaye survint et lui envoya une balle dans
le flanc.
Samba-Laobé tomba sur les genoux, essaya de prendre un deuxième
fusil chargé à un coup : je me précipitai sur lui et lui portai deux coups
de pointe en pleine poitrine qui retendirent raide mort. » (2)
Une heure après , le peloton de spahis était réuni à la gare où l'on
apportait le corps du Damel. Vingt de ses gens avaient été tués. De
notre côté, outre le spahis tué, nous avions deux cavaliers grièvement
blessés.
Dès la mort de Samba-Laobé , son oncle et compétiteur Lat-Dior,
ancien Damel du Cayor. se mit en mouvement afin de rentrer dans
cette province où il espérait reprendre .le pouvoir. C'eut été une grave
faute d'entrer en composition avec ce personnage qui se vante de haïr
tout ce qui porte Je nom Français et tient à la France.
Le Gouverneur avait, du reste , pris ses précautions : après une
entrevue avec les chefs des captifs de la couronne, captifs eux-mêmes,
qui avaient remis leur pays entre ses mains , il avait fait afficher dans
tous les villages du Cayor une proclamation avisant les habitants que
le royaume était divisé en six provinces. Dans la même proclamation
il reconnaissait Samba-Laobé-Boury comme chef des Poul ; il enjoignait
à Lat-Dior de sortir immédiatement du Cayor, et aux chefs de pro-
vince de procéder militairement, s'il en était besoin, à celte expulsion.
(1) II était armé de trois fusils dont deux en bandoulièn^ ; celui qu'il avait en main
était un Lefauchenx à deux coups.
(2) Le combat entre le lieutenant à cheval et le Damel à pied aurait duré 12 minutes.
— Le Damel était u/i homme très vigoureux ; .sa taille dépassait deux mètres.
i
— :-i97 -
Lat-Dior s'était avancé jusqu'au village de Soguer, ii cinq heures do
marche de N'Dando, station de la ligne du chemin de fer: là, à la
tète de 150 hommes , il feignait d'attendre sa numinalion comme
Damel.
Les guerriers du Cayor se mirent en marche le 2G octobre, appuyés
par 45 spahis sous le commandement du capitaine Vallois.
Tout d'abord Lat Diui- sembla obéir aux ordres du Gouverneur, il ne
conserva auprès de lui que quelques cavahers et se retira vers l'Est.
En même temps ses émissaires faisaient courir le bruit qu'il avait
coupé la ligne du chemin de fer, et brûlé plusieurs villages.
Le 26, le capitaine Vallois arrivait à Diadié. Là, on apprenait que
Lat-Dior s'était dirigé sur Dekkelé sa résidence habituelle. Le len-
demain,*à 2 heures du matin, ia division se remettait en route vers ce
point, mais arrivée à Tchilmaka , ses éclaireurs l'avisaient que
Lat-Dior avait levé son camp et s'était porté vers l'Est , se plaçant
ainsi entre nos gens et la voie ferrée de St-Louis à Dakar.
On continua néanmoins sur le puits de Dekkelé , où il était urgent
de s'arrêter pour faire boire les chevaux, qui souffraient beaucoup de
ia soif. Les abords du puits, sur un rayon de 30 mètres, sont sablon-
neux et complètement dénudés ; au-delà, aussi loin qu'on peut voir, ce
sont des broussailles et des hautes herbes qui dépassent de beaucoup
la tête d'un cavaher à cheval. L'endroit était mal choisi pour un
campement : mais on n'avait pas le choix ; les chevaux n'avaient rien
bu depuis la veille.
A onze heures trente, les six premiers chevaux buvaient; tout-à-coup
une fusillade éclate sur la droite ; trois chevaux sont tués, six
hommes mis hors de combat. Presqu'au même moment, un feu violent
arrive sur notre front. Le capitaine Vallois rallie à droite la moitié
des spahis, le lieutenant Chauvet se porte sur le front avec l'autre
moitié.
On répond à l'ennemi avec un admirable entrain.
Lat-Dior avec trois cents hommes environ, s'était avancé dans les
herbes, et grâce à leur grande hauteur, il avait pu gagner le bord du
puits sans être aperçu et ouvrir le feu à petite distance.
k onze heures quaiante cinq, le capitaine Vallois était maître de la
situation ; il fit montera cheval vingt spahis et se porta en avant.
L'ennemi, déjà ébranlé, se débanda et prit la fuite.
Lat-Dior, ses deux fils et soixante-dix-huit de ses guerriers, avaient
été tués.
— 398 —
De notre côté, les pertes étaient sérieuses, un tiers de l'effectif des
spahis, hommes et chevaux, était hors de combat.
Depuis vingt-cinq ans, Lat-Dior nous avait toujours combattus, soit
par les armes, soit par ses agissements. Il nous infligea autrefois un
désastre sanglant à N'Golgol, où cent trois de nos soldats sur cent
quarante restèrent sur le terrain ; en 1869, ses cavaliers détruisirent
presque entièrement à Mekhey l'escadron de spahis sénégalais :
ses menées ont toujours mis en danger la tranquilUté du Cayor.
Le système des Damel a fait son temps. Il ne peut être cependant
question d'annexer le Cayor , où l'application immédiate de notre
administration serait impossible.
Dans cette région , les villages sont naturellement groupés en
Toundè (le Toundé est une sorte de canton) il semble nécessaire de
respecter ces divisions naturelles, et de consacrer par notre auto-
rité , dans chacun de ces cantons , le pouvoir d'un chef nommé
par la population. Nous éviterons ainsi de troubler l'état social de ces
peuples et l'application de notre administration s'imposera natu-
rellement peu à peu.
Chez les maures Trarza. Ely Ould Mohammed el Habib, le roi de
cette tribu était assez fidèle observateur des conventions avec la
France. Toutefois, il nourrissait toujours le secret espoir de dominer
le Oualo, pays de sa mère Djimbot ; on lui reprochait aussi les mauvais
traitements qu'il faisait parfois subir aux traitants. A la fin de septembre
1886 son neveu Ahmed Fall l'assassina. Celui-ci s'emparant aussitôt du
pouvoir, jeta la perturbation parmi le.s partisans d'Ely. faillit atteindre
son autre oncle, frère de la victime, Amar Saloum, et s'empara de
tout ce qui appartenait à ses deux oncles. Amar se réfugia chez Cheick
Sidia, le graud marabout desBrakna; tandis que le tils d'Ely, jeune
garçon de douze ans, gagnait Saint-Louis.
Ahmed Fall . le meurtrier d'Ely, put alors se faire nommer roi des
Trarza par les Ouled Ahmed ben Daliman. A la suite de ces événe-
ments . les Azouna et les autres partisans d'Ely se réfugièrent
dans le voisinage de Saint-Louis.
Ce ne fut parmi les maures que compétitions , batailles . et
tueries. Le gouvernement désirait vivement voir reprendre les
transactions commerciales. Jl ne pouvait cependant s'entendre avec
— 399 -
l'assassin d'Ely, notre ancien allié, et répudier son trère Araar Saloutn
ou son jeune fils Ahmerl Saloum.
On laissa donc ces voisins de la rive droite régler entre eux
leurs affaires, tout en faisant respecter énergiquement la live gauche
du fleuve bordant le Oualo et le Diinar.
Cependant les Trarza n'ignoraient pas que les i)références des
Français étaient acquises au frère d'Ely, successeur natui-el Aussi, les
défections ne tardèrent pas à se produire dans l'entourage de l'assassin
Ahmed-Fall.
Bientôt, assuré du concours de la majorité des Iribus, Amar Saloum
quitta Saint Louis avec une soixantaine d'hommes déterminés pour
encadrer les anciens partisans d'Ely devenus les siens. Il infligea peu
après à Ahmed-Fall une défaite sanglante k la suite de laquelle il ne
tarda pas à devenir maître absolu du pays et réussit le 17 mars à
atteindre Ahmed-Fall , son neveu, qu'il tua. Amar Saloum n'ayant plus
de compétiteur sérieux s'est aussitôt fait reconnaître roi, et les autres
princes, ainsi que les notables, sont venus lui faire leur soumission. Le
nouveau roi est un ami de la France ; il doit, dit-on, venir à
Saint-Louis pour })rotester, auprès du gouverneur, de son dévoue-
ment à la France. Quoiqu'il en soit, la paix est désormais assurée dans
cette partie du fleuve et le commerce possède maintenant la sécurité
qui lui est nécessaire.
Pour apprécier la partie des événements qui se déroulèrent chez les
maures Trarza, il est bon de jeter un rapide coup d'œil sur l'histoire
de leur famille royale.
En 1828 Mohammed El Habib fut nommé roi des Trarza. Quel-
ques années après son avènement il fit tuer son frère , Ould el
Eygat, dont il craignait les intrigues.
Mohammed el Habib eut d'une princesse Trarza, sa femme, trois fils
dont l'aîné s'appelait Seidi ; de Djimbot, reine de Walo, un fils, Ely ; et
d'une femme trarza nommée Saloum delà tribu des Ouled-Dahman, sept
fils. Mohannned el Habib fut assassiné en 18G0 par ses neveux, mécon-
tents du traité qu'il venait de passer avec le gouverneur Faidherbe.
Son fils Seidi, après avoir tué ses -cousins, les assassins, succéda à
son père. Eu 1871. Séidi et ses deux frères du même lit furent assas-
sinés par les sept frères Saloum, leurs frères consanguins.
Ely vengea sou frère Séidi en tuant plusieurs des assassins et fut
nommé roi. C'est ce roi qui, à son tour, fut tué au mois d'Octobre
1886 par ses neveux Ahmed FaU et Ahmed Dey, fils de Séidi. Ces deux
deux derniers furent tués à leur tour.
— iOO —
Ely avait d'une de ses cousines Sal'oum deux fils : Ahmed Saloum,
âgé de douze lus et un autre de trois ans qui fut tué par les assassins.
Lo dénouement heureux des événements survenus en 1886 et 1887,
montre combien notre puissance est solidement assise dans le Soudan
Français.
La campagne de ravitaillement des postes est terminée et la situation
est partout excellente.
Le colonel Galliéni a quitté Bammakou le G avril. Il est revenu par
la route du Bakhoy sur Kita.
Une compagnie indigène tient garnison sur le Niger.
Avant de prendre ses dispositions de retour, le Commandant supé-
rieur du Soudan Français a préparé le voyage que la canonnière va
faire à Tombouctou, et poussé l'achèvement du vapeur en construction
à Bammakou.
En consultant la carte ci-jointe, on peut remarquer que l'empire
d'Ahmadou très amoindri, n'a plus aucun point de contact avec le Niger.
Les populations riveraines du grand fleuve soudanien sont disposées
à faire bon accueil au pavillon français.
ïidiani, chef de Macina, est en excellentes relations avec nous, et
son concours nous est assuré.
A Tombouctou, les notables sont impatients de nous recevoir.
La route est donc ouverte et dans quelques semaines, dans quelques
jours peut-être, le vapeur Le Niger jettera l'ancre devant la cité si
longtemps mystérieuse du Soudan.
Ainsi, après sept ans d'efibrts et de persévérance, le programme
légué autrefois par le gouverneur Faidherbe se trouve accompli.
Bientôt la flottille de Bammakou promènera librement les couleurs
nationales à travers ces pays à peine connus que traverse le grand
fleuve soudanien sur un parcours déplus de 2,000 kilomètres jusqu'aux
chutes de Boussa.
Dans un généreux élan d'enthousiasme, les habitants du Sénégal
viennent de décerner un hommage suprême à celui qu'ils appellent le
père de la colonie, en dressant sur la place du Gouvernement, à
Saint-Louis, la statue du général Faidherbe (1).
Paris, 10 Mai 1887. Capitaine H. BROSSELABD.
(1) Une dépêclic de Saint-Louis que nous recevons à l'instant nous apjtrend que
« le colonel Galliéni vient de passer un traité avec Ahniadou et que ce dernier place
son empiré sous notre protectorat. »
— 401
COURS ET COx\FÉUE\GES DU JEUDI SOIR
A LILLE.
DES CLIMATS FROIDS AU POINT DE VUE DE LA VIE HUMAINE
Par le docteur L. WAGNIER ,
Officier d'Académie, membre de la Société de Géographie de Lille.
Conférence faite à Lille le 24 Février 1887.
Mesdames , Messieurs ,
Il y a quelques semaines nous entendions , avec un grand intérêt , la
conférence qu'a faite M. Letort, à la Société de Géographie , sur le
Canada (1). Nous avons fait ainsi, à sa suite, par la pensée , un voyage
des plus intéressants ; nous avons recueilli , avec un vif et patriotique
plaisii', les mille preuves qu'il nous donnait des sentiments d'attache-
ment que les Français du Canada, arrachés à la mère-patrie, ont
conservés pour elle. Et lorsqu'il nous montrait les immenses i-es-
sources, malheureusement méconnues lors de la cession de cette
magnifique colonie , que Voltaire lui-même appelait dédaigneusement
«quelques arpents de neige» , nous avons ressenti toute l'étendue de
la perte que la France a éprouvée alors.
Je me rappelais , en écoutant , les conditions chmatériques de ce
pays , qui , placé cependant sous la même latitude que la France , en
diffère tellement par le climat qu'il se trouve environ sur la même
ligne isothermique que Stockholm et Christiania ; et , d'ailleurs , la
description que faisait l'orateur du rigoureux hiver de cette contrée
nous rendait plus sensible cette donnée scientifique.
C'est à ce moment que j'eus la pensée qu'une étude sur les climats
au point de vue de la résistance humaine pourrait avoir de l'intérêt
pour notre Société ; mais je m'aperçus bientôt que la question des
chmats, de racclimatcmeut et de la colonisation en générai, même en
la restreignant dans les limites les plus étroites , dépasserait beaucoup
le cercle d'une conférence , et je me bornerai à l'étude des climats
froids et de la manière dont l'homme les supporte.
(1) La conférence de M. Leturt a été stéuograpliiée et sera prochaineuient rep;o-
duite in-extenso dans nos Bulletins.
27
— ^02 -
Je laisserai de côté toute énumération géographique quant à la
fixation des limites conventionnelles des climats tempérés, froids et
polaires , et je ne considérerai que le côté médical et hygiénique de la
question. Après avoir étudié rapidement l'action du froid en général sur
l'organisme humain et indiqué avec quelle énergie les forces vitales
résistent à cette influence , je dirai les conditions qui font varier cette
résistance , je parlerai des maladies dans les climats froids , de l'accli-
matement à ce point de vue , et de la colonisation des pays situés sous
une latitude plus élevée que la métropole en la comparant dans ses
grandes lignes avec la colonisation des pays chauds.
I.
La chaleur vitale , vous le savez . est le résultat des oxydations qui
se produisent au sein de l'organisme. Elle est si admirablement équi-
librée que l'homme conserve , à peu de ch(3se près , la même tempéra-
ture propre . intérieure , sous tous les chmats.
La chaleur que l'honmie produit à chaque instant tend à se perdre
quand le miheu où il se trouve est à une température plus basse que la
sienne , en vertu des lois qui président à l'équihbre général de la tem-
pérature des corps . par rayonnement et par conductiblUté.
L'action du rayonnement est surtout remarquable quand l'organisme
prend part à la radiation calorique terrestre si sensible dans certaines
circonstances, lorsque, par exem})le , par une belle nuit, les astres
brillent d'un vif éclat dans l'espace pur de tout nuage , et que rier
n'arrête la déperdition de la chaleur terrestre. Le refroidissement est
alors considérable et il a été noté dans des circonstances mémorables.
Dans son récit de la campagne de 1812 , Larrey déclare que c'était au
bivouac , lorsque le rayonnement était à son maximum , que survenait
la plus grande mortalité , aussi bien parmi les hommes que parmi les
animaux. Le capitaine Ross , qui s'est illustré par ses expéditions vers
le pôle Nord et dont les récits sont si intéressants et si utiles au point de
vue de la question de la résistance au froid , signale aussi le danger
considérable qui peut résulter de ce rayonnement.
A côté de l'influence du rayonnement , il faut placer celle de la tem-
pérature du milieu ambiant. Jusqu'à quel degré a pu descendre cette
température de l'air sans cependant dépasser les limites de la résistance
des forces vitales, luttant activement et puissamment aidées par les
— 4(i:; —
rossourcos dout rindustrioliuiiiaine dispose? Je ne citerai que quelques
chiffres eiripruiitôs aux récits des voyages de John Franklin , Ross ,
Parry, Back. On a observé par 66°, 11 de latitude Nord — 39^ par 64"
de latitude — 49^ par 69° de latitude — SO^S, on a constaté par 66" —
56". En 1834, on a noté au Fort-Reliance , dans l' Amérique anglaise —
56"7.
L'organisme humain oppose à ces froids excessifs les ressources
passives qu"il emprunte aux abris et aux vêtements dont je vais dire
quelques mots : il leur résiste aussi par les forces actives qu'il trouve
en lui-môme , dont je parlerai ensuite.
Pour ce qui est des abris ,. les cabanes de glace où hivernèrent la
plupart des expéditions vers le pôle et qui furent construites sur le
modèle de celles qui servent aux Esquimaux , sont l'exemple le plus
frappant qu'on puisse citer de leur influence.
Ce sont des huttes en forme de dômes dont la hauteur intérieure
n'atteint pas i"\bO ; elles sont faites de morceaux de glace disposés
par assises et solidement cimentés avec de l'eau , On y pénètre en ram-
pant par uue entrée longue et étroite ; une lumière douce règne dans
Tiutérieur , elle est fournie par un morceau de glace peu épais qui ,
enchâssé dans la paroi, sort de vitre, ou par une lampe alimentée d'huile
de })hoque contenue dans des os de baleine et dont la mèche est faite
avec de la mousse. Cette même lampe sert aussi à cuire les aliments.
C'est sur un banc de glace recouvert de peaux de phoques que Ton
s'assied , là aussi que Ton dort ; c'est presque le seul meuble.
Ce furent des cabanes semblables qu'habitèrent les matelots du
capitaine Ross et lui-même pendant les quatre hivers qu'ils passèrent
dans les régions polaires. Ils y dormaient , dit cet explorateur , chaude-
ment et à Taise, la température intérieure de la cabane étant souvent
au-dessous de — ^O". Ce bien-être relatif était dû à la suppression du
rayonnement par l'abri qui s'opposait aussi à l'influence réfrigérante
si puissante des mouvements de l'air.
Au cours de ces quatre années , Ross ne perdit que 3 de ses 23
compagnons , en quatre années également , Kotzebue , qui en avait 27,
n'en perdit aucun. Je rappellerai ces chifl'res tout à l'heure parce qu'ils
n'ont rien d'exceptionnel et qu'en général la mortalité de ces expédi-
tions , lorsqu'elles ont été préparées et conduites avec intelligence , a
été très faible en dehors des causes accidentelles.
Le choix des vêtements est très important dans ces circonstances. Il
y aurait bien des choses intéressantes à dire sur cette question des
— 4(J4 —
vêtements. Comment agissent-ils? En s'opposant aux mouvements de
l'air qui est en contact avec le corps ?
Lorsque l'oiseau couvert de plumes, qui sont pourtant si peu conduc-
trices , se trouve exposé à un froid excessif, nous le voyons se mettre
en boule ; dans les mêmes conditions , le poil des mammifères se
hérisse et la quantité d'air enfermée dans les téguments se trouve aug-
mentée par cet acte instinctif.
Les vêtements produisent les mêmes eôéts sur l'homme, et, à poids
égal, plus un tissu peut enfermer daii* dans ses mailles, mieux ii
l'emprisonne, mieux il maintient à la surface du corps la couche d'air
qui s'y est échauffée, mieux aussi il nous protège du froid.
L'action protectrice des vêtements est considérablement diminuée
sous l'influence des mouvements de l'air. Ce fait, d'observation cou-
rante, trouve des exemples frappants dans les récits des explorateurs :
l'un d'eux rapporte que, par un temps calme, dans une atmosphère
presque immobile, les hommes de son équipage vaquaient au-dehors
à leurs occupations alors que le thermomètre marquait — 41°; avec — 29",
s'U survenait une légère brise, ils étaient obligés de se tenir renfermés,
tant les échanges d'air que produisait dans les vêtements qui les
couvraient, le moindre mouvement atmosphérique, leur rendait plus
sensible l'action du froid.
En dehors de ces résistances passives que nous lui opposons, nous
luttons aussi contre le refroidissement par l'activité musculaire.
« La meilleure manière de se chauflér avec du bois, disait le profes-
seur Bouchardat, c'est de le scier. »
L'activité des nmscles augmente, en eflét, d'une façon assez notable
la quantité de chaleur que l'organisme produit, et, de plus, elle diffuse
cette chaleur dans toute les parties du corps et en paiHicuher aux
extrémités où le refroidissement est de beaucoup le plus rapide.
Lorsqu'on est exposé à un froid excessif, il faut se rappeler combien
l'immobilité est funeste, il faut faire appel à toute son énergie, lutter
pai' le mouvement contre la tendance au sommeil et à l'engourdisse-
ment, qui, dans ces circonstances, est le prélude de la mort.
Dans les désastres causés par le froid sur des armées en marche
et qui ne sont pas rares dans l'histoire des guerres, on a vu souvent
l'énergie du commandement, la vigilance des officiers, le dévouement
des vieux soldats, sauver de la mort .un grand nombre d'hommes, en
les empêchant de s'écarler, de s'arrêter, en leur rappelant à chaque
instant que leur salut dépendait de leur activité et de leur courage.
- i05 —
Quand Jacques Balraat fit, le premier, en 1786, l'ascension rlu Mont-
Blanc, il dut, lui aussi, à son énergie de sortir sain et sauf de cette
iéraéraire entreprise : arrivé au grand plateau, à H. 930 mètres, il fut
surpris par la nuit, redescendre était impossible, il [)rit vaillamment
son parti et se promena de long en large dans la neige jusqu'à ce que
le jour parut.
Rien n'est plus propre à montrer l'heureuse inilucnce de raclivifc
musculaire dans la lutte contre le froid que ce que rapporle Spallan-
zani d'un hivernage de Hollandais au Spitzberg : ceux, dit-il. qui
s'enfermèrent dans les cabanes en bois qu'ils av;iieiit construitt-s.
moururent de froid l'un après l'autre auprès du feu. ceux au contraire
qui vivaient à l'air libre, s'occupant à chasser, à chai'rier du bois ou à
d'autres travaux, conservèrent leur santé.
Non seulement le travail du corps, mais aussi l'activité intellectuelle
augmente la chaleur vitale, cette influence peut être telle qu'elle se
manifeste d'une manière sensible sur tout le corps quand la tension
de l'esprit est très prononcée, mais, plus souvent encore, il s'établit un
contraste frappant entre la température de la tête et celle des extré-
mités : si, dans ces conditions, l'homme veut se livrer au sommeil il
n'y parvient que difficilement, l'équilibre organique rompu produit un
malaise qui cause l'insomnie.
Les influences morales, les passions, influent sifr la production de
chaleur, quelques-unes l'augmentent, ce sont les passions expansives
et excitantes : l'espérance, la joie, la colère : les influences morales
dépressives : la crainte, la tristesse, le découragement, la diminuent.
Un heureux caractère, jovial, ardent et courageux est donc une
excellente condition lorsqu'il s'agit d'affronter les perds d'un voyage
dans les climats polaires.
Dans cette question de la résistance au froid, où nous avons à
examiner des points de vues nombreux, nous devons dire quelques
mots du rôle si important de l'alimentation. Si, comme l'enseigne la
physiologie, nous brûlons à chaque instant notre propre substance, et
si cette combustion est d'autant plus énergique que le milieu qui nous
entoure tend davantage à nous refroidir, c'est au moyen des aliments
que nous réparons les pertes continuelles qu'engendre la combustion
respiratoire et l'activité musculaire.
Après le repas, sous l'influence du commencement de la digestion.
nous éprouvons une sensation de frisson, mais le résultat définitif de
l'ingestion des ahments est la production de chaleur.
_ 'm —
L'activité des fonctions digestives est doue une condition de pre-
mier ordre daus la question qui nous occupe, d'ailleurs cette activité
s'accroît beaucoup lorsque l'organisme doit lutter contre le refroidis-
sement, et si. dans nos climats, sous la seule influence saisonnière,
nous notons de grandes différences dans notre appétence pour les
aliments et dans l'énergie de notre estomac, cette différence est bien
plus prononcée quand on compare, au point de vue de la quantité
comme à celui de la qualité, le régime des peuples du nord à celui des
habitants des pays chauds.
Le docteur Hayes. qui a étudié et décrit avec soin les mœurs des
Esquimaux, attribue à leur genre d'alimentation la résistance que ces
peuples opposent à leur terrible climat.
Vivants, dit-il. presque sans feu. misérablement vêtus, ils n'en cons-
tituent pas moins une race vigoureuse, susceptible d'une grande résis-
tance à la fatigue et pou accessible aux maladies.
Le morse, le veau marin, le narval, l'ours, sont les éléments de
leur nourriture ordina're. Ils mangent la chair crue, habituellement
6 à 8 kilogr. par jour dont un bon tiers de graisse : des morceaux
d'huile de baleine gelée constituent pour ces peuplades un sorbet
délicieux.
Les marins qui firent partie des expéditions au Pôle-Nord durent
s'habituer peu à peu à un régime analogue et le docteur Hayes raconte
que, le besoin aidant, ce régime finit par être du goût des équipages.
C'est donc avec raison que dans le choix des hommes qui devaient
faire partie de ces expéditions, on tenait grand compte de la vigueur
stomacale.
On exigeait aussi la sobriété h l'égard des boissons alcooliques, non
seulement à cause de l'abus qu'on en peut faire, mais parce qu'on a
reconnu que l'alcool était funeste même à dose assez modérée et qu'à
Vexcitation passagère qu'il produit succède un état de dépression qui
prive l'homme d'une grande partie de sa ré.sistancc au refroidissement.
Je terminerai ce rapide exposé de la question des climats froids au
point de vue physiologique par quelques mots sur l'influence de l'âge
et sur celle du sexe.
La force de résistance au froid est à son maximum chez l'adulte ,
beaucoup moindre chez l'enfant, elle est très faible chez le nouveau -
né ; à mesure que l'enfant grandit et surtout dès qu'il peut courir, la
résistance augmente, mais l'enfant reste toujours plus accessible au
froid que les grandes personnes, particulièrement dans l'immobilité.
— 107 —
C'est nue vérité qu'on n'a guère besoin de rappeler aux mères qui
n'ont que trop de tendance à surcharger leurs enfants de vêtements
chauds ; si cette conduite est admissible pour l'enfant très jeune, elle
cesse de l'être lorsque l'enfant peut trouver dans l'activité musculaire
sous toutes ses formes une source de résistance au froid bien plus
énergique et bien plus salutaire.
Chez le vieillard, les fonctions calorifiques décroissent à mesure que
toutes les actions organiques s'élanguissent. et l'iniluence d'un milieu
où la température est basse devient funeste bien plus rapidement que
chez l'adulte.
Au point de vue du sexe, on peut dire, quoique le fait ne soit j)as
démontré expérimentalement , qu'il semble que la femme supporte
mieux que l'homme l'influence du froid.
Le fait est surtout remarquable dans les classes pauvres de la
société où les femmes sont incomparablement moins vêtues que les
hommes et ne paraissent pas souffrir davantage des abaissements de
température.
Dans la classe riche , les lourds manteaux , les épaisses fourrures
répondent plutôt pour elles aux goûts de luxe qu'à une nécessité réelle,
leurs épaules découvertes, par des températures parfois assez basses, le
prouvent. Cest d'ailleurs une remarque qui a été faite aux bains de
mer, les femmes redoutent moins que les hommes la fraicheur de l'eau
et elles se décident les dernières à partir quand commence à s'annon-
cer le retour de la saison rigoureuse.
Il faut sans doute accordei* ici une grande part dinfluence à l'ac-
tivité nerveuse.
Il
Lorsque la limite de la résistance est franchie, que l'action des
forces vitales est vaincue, les extrémités du corps et les pai'ties expo-
sées à l'air extérieur sont les premières atteintes. Le refroidissement
local peut être poussé très loin sans que la partie atteinte soit frappée
de mort. Le danger consiste surtout dans le réchauffement hiusque.
Après un faible degré de refroidissement, le réchauffement brusque
donne lieu à ce phénomène désagréable bien connu sous le nom de
l'onglée ; s'il succède à un refroidissement plus prononcé, à la congé
lalion, il produit la mort locale, la gangrène.
~ i08 -
Des soins bien entendus pourraient souvent l'éviter : le capitaine
Ross rapporte que dans une excursion, il eut une joue frappée de con-
gélation , cette partie avait blanchi sans qu'il éprouvât aucune sen-
sation , le marin qui marchait à côté de lui s'en aperçut et se mit à
frotter avec de la neige la joue du capitaine jusqu'à ce que le retour
de la coloration normale eut indiqué que le danger avait disparu.
Le réchauffement brusque peut d'ailleurs être le fait des seules con-
ditions météorologiques. A la compagne d'Eylau, malgré un froid
intense et une neige abondante , les soldats étaient en assez bonne
santé, quand, du 9 au 10 février le thermomètre monta brusquement
de — 19° à -1-6", aussitôt un grand nombre d'hommes furent frappés de
congélation à divers degrés, les cas de gangrène furent nombreux et
les plus maltraités, dit Larrey. furent ceux qui se chauffèrent.
C'est probablement à la rapide transition de température qu'il faut
attribuer les nombreux cas de congélation qu'on a constatés en
Algérie ; pour ne citer que le plus récent, ou 1879, au Tléta des Douars
une colonne de troupes fut assailHe par un ouragan de pluie et de neige
en se rendant d'Aumale à Laghouat, 19 hommes périrent.
11 faut tenir compte aussi , dans ces cas . de l'influence de la neige
fondante, cause puissante de refroidissement, et de la pluie demi glacée
qui pénètre la chaussure et les vêtements.
La mort par congélation est souvent précédée d'engourdissement .
les mouvements deviennent plus lents, la vue s'affaiblit, la parole s'em-
barrasse, il se manifeste une tendance invincible au sommeil. C'est
probablement ainsi que moururent, pendant la campagne de Russie, ces
senthieUes qu'on trouvait roides gelées à leur poste et qui ont inspiré
à V. Hugo ces vers célèbres et cette effrayante image :
On voyait les clairons à leur poste gelés,
Restés debout en selle, et, muets, blancs de givre.
Collant leur bouche en pierre aux trompettes de cuivre.
Cependant il n'en est pas toujours ainsi, souvent les cadavre.s de.'>
individus gelés révèlent par l'attitude des membres convulsivement
tordus les désordres cérébaux qui se sont profluits, et le rude combat
qui s'est livré contre la mort. Ces phénomènes cérébraux sont surtout
remarquables quand le passage du froid au chaud a été brusque. Pen-
dant cette même retraite de Russie, le pharmacien en chef Sureau
arriva à Kowno après avoir été exposé pendant de longues heures à
un Iroid excessif: il eut hâte de .'^e réchauffer, de se reposer, et dan.'^
_ 409 —
la chambre chaiiffée où il s'enferma, il mourut -subitement sans avoir
prononcé une paroioet comme frappé d'apoplexie, [.arrey qui rapporte
le fait dit aussi qu'on vit souvent, à la même époque, des soldats tomber
roides morts en s'approchant du feu , et que d'autres, pris d'un délire
furieux, so précipitaient au milieu des flammes.
Cepetidant la mort par congélation peut n'être qu'apparente. Pen-
dant l'hiver de 1802 . 20 soldats autrichiens qui s'étaient égarés dans
les neiges du Mont Cenis furent retrouvés engourdis et no donnant
plus signe de vie. On les plaça dans des lits froids, on les frictionna
d'abord avec de la neige, puis avec de l'eau froide, enfin avec de l'eau
tiède et ils se rétablirent promptement.
On pourrait multiplier les exemples, mais j'espère en avoir dit assez
sur la question du froid au point de vue physiologique.
Examinons rapidement quelles sont les susceptibilit('s morbides et
les immunités que crée h l'homme des climats tempérés sa migration
vers les pays froids.
m.
Il semble, au premier abord, que les maladies qu'on attribue dans nos
cHmats à l'aclion du froid doivent avoir dans les pays où le froid est
très rigoureux un développement très grand, il n'en est rien cependant,
si le froid excessif tue parfois, ses effets lents sont moins redoutables
que ceux du froid modéré, le rhumatisme, par exemple, est, au témoi-
gnage des observateurs, infiniment moins fréquent dans ces cUmat s que
dans le nôtre.
Pour la phthisie, malgr('' quelques divergences des auteurs, il semble
qu'il en est de même. Elle est plus rare parmi les troupes anglaises en
garnison au Canada que parmi celles qui restent en Angleterre; les
populations blanches du haut Canada en sont presque indemmes. Nom-
breux sont les faits qui justifient hi conduite des médecins américains
qui envoient volontiers les malades de cette catégorie dans des jtays
extrêmement froids mais à température peu variable. C'est ainsi que la
ville de Saint-Paul, dans le Minnesota, où règne un froid excessif
uiais réguher, est peuplée de phthisiques qui y jouissent d'une santé
relativement bonne. Cependant il y a, sous ce rapport, bien des consi-
dérations à peser, bien des distinctions à établir.
Le scorbut est fréquent sous les hatites latitudes ainsi que les
- 410 -
affections intestinales, elles sont souvent dues aux alternatives de
pénurie et d'abondance, d'abstinence et d'alimentation excessive et
grossière et aux boissons irritantes.
Il faut noter aussi l'ophtlialmio des neiges, maladie de la rétine occa-
sionnée par l'éblouissante blancheur des plaines glacées.
Par contre, les grandes endémies des pays torrides et des climats
tempérés, les fièvres palustres, entre autres, y sont à peu près incon-
nues, et il est certain que le tableau des maladies propres aux climats
froids et bien moins chargé et aussi bien moins effrayant que le cadre
pathologique des climats chauds.
IV
J'arrive à la question de l'acclimatement dans les pays froids.
J'ai dit tout à l'heure combien avait été faible la mortalité d'un grand
nombre d'expéditions dans les mers polaires. En dehors des causes
accidentelles comme celles qui ont amené le désastre de la Jeannette
et de son vaillant équipage, les hardis explorateurs dont nous avons
parlé et qui sont arrivés à des degrés de latitude où les Esquimaux
eux-mêmes ne se sont ja.iiais montrés, n'ont, en général, éprouvé que
des pertes minimes.
Ce fait qui prouve que les hommes des climats tempérés supportent
bien les climats froids, est corroboré par une foule d'autres faits
d'expérience.
Une chose plus digne de remarque, c'est qu'il semble que les habi-
tants des pays méridionaux supportent mieux que ceux du Nord uu
froid excessif.
Dans l'armée qui fit la campagne de 1812, et oîi tous les pays de
l'Europe étaient représentés, ce furent, dit Larrey, les Italiens, les
Espagnols, les Portugais, les Français du Midi qui résistèrent le mieux
au froid pendant la retraite, les Allemands, les Hollandais succom-
bèrent dans une proportion beaucoup plus grande.
Les tirailleurs Algériens ont donné lieu à la même remarque, non-
seulement devant Sébastopol. mais aussi lors des désastres par congé-
lation qui, comme je l'ai rappelé, se sont montrés assez fréquemment
en Algérie sur des corps de troupes en marche.
Le fait a été noté également qu'après un acclimatement dans les pays
chauds, un homme bien portant qui rentre dans son pays pendant la
— Mi -
saison rigourouso, est moins impressionné par le froid que ceux qui
n'ont pas quitté le pays. J'ai observé le fait sur moi-même.
Ce qui a pu être constaté dans une toule de cas isolés, de faits parti-
culiers, au sujet de la résistance aux climats froids des peuples méri-
dionaux, emprunte à l'iiistoire de la colonisation du monde une
démonstration bien plus convaincante.
Quel admirable développement n'a pas eu la colonisation Romaine,
lorsqu'elle s'est exercée au nord de la métropole, en Gaule, en Breta-
gne, en Germanie et sur les bords du Danube. Et, à une époque plus
récente, ne peut-on pas citer l'exemple du Canada où les Français
émigrés au nombre de 10.000, sont arrivés aujourd'hui à 1,000.000,
malgré les désastres de la guerre et une incessante émigration aux
États-Unis.
L'Acadie ou Nouvelle-Ecosse fut colonisée en 1671 par 47 familles
françaises qui se sont développi'es dans de telles proportions que les
français d'Acadie sont actuellement plus de 100,000 malgré les persé-
cutions de l'Angleterre.
11 y a cependant ujie limite au-delà de laquelle l'acclimatement
complet de la race aryenne émigrant vers le nord n'est plus possible.
On sait que la mortalité infantile est un élément de première impor-
tance dans la question de l'accliinatenient. Cette mortalité est grande
à Saint-Pétersbourg et il semble qu'on approche de cette limite de
l'acclimatement possible, limite que la vigueur de la race dans cette
région semble, à la vérité, reléguer beaucoup plus haut vers le Nord.
Le fait est plus remarquable encore pour l'Islande dont la population
diminue de jour en jour
Les résultats de l'émigration ont-ils été aussi brillants lorsqu'elle
s'est faite vers les climats chauds que lorsqu'elle a eu lieu vers les
pays septentrionaux.
Je notais lout-à- l'heure l'immense succès de la colonisation romaine
au Noi'd : ne peut-on pas placer en regard de la magnifique expan-
sion qu'elle a prise dans cette direction , sa disparition complète de
la terre d'Afrique où elle s'est pourtant exercé pendant sept siècles.
Quelqu'ait été l'importance du rôle qu'a eu la conquête arabe sur le
sol africain, a-t-elle été suffisante pour expliquer cette disparition . et
le climat n'a-t il pas eu la part la plus grande dans cette ruine ?
Un siècle suffit pour faire disparaître les vandales d'Afrique et les
Goths d'Italie.
L'histoire de l'Egyte oii tant de conquêtes ont passé montre mieux
- 412 -
que toute autre rinfluence primordiale du climat : ni les Hébreux, ni les
Perses, ni les Romains, ni les Arabes, niles Français, ni les Anglais, ni
les Turcs qui ont successivement occupé l'Egypte n'ont pu y prendre
racine, et. à travers toutes ces révolutions . toutes ces dominations, la
race primitive seule a persisté. Aujourd'hui même, les enfants des
Européens et des Turcs y subissent une mortalité eftrayante , ils par-
viennent rarement à franchir les limites de la première enfance,
pourtant si ces nouveaux- nés sont euToyés en Europe on les y élève
facilement.
Les Allemands réussissent fort mal en Afrique, et même pour les
Français on Algérie la question n'es', pas encore tranchée. 11 est évident
que les résultats de la colonisation française s'y sont beaucoup amé-
lioré'^, mais les hygiénistes qui, lors de la conquête, ont combattu la
colonisation algérienne comme impraticable ne seraient pas encore de
nos jours dépourvus d'arguments.
Pour l'Inde anglaise, la situation est moins belle encore au point de
vue del'acclimaiement. Dans la riche province du Bengale, la mortalité
des troupes anglaises est , dit le docteur Twinning, trois à quatre fois
plus élevée que dans le Royaume Uni. Dans la presqu'île du Gange, la
troisième génération de race anglaise n'existe pas.
Que dire du Sénégal où la mortalité est si considérable parmi les
troupes en station.
Je ne parlerai pas du Tonkin dont l'occupation est trop récente pour
qu'on puisse s'en faire une opinion exacte au point de vue de l'accli-
matement possible de la race française et aussi parce que cette
question touche à des discussions trop récemment et trop vivement
agitées pour être traitées dans cette pacifique enceinte.
11 est donc certain, et quoique cette règle comporte de nombreuses
exceptions dont l'exposé et la discussion nous entraîneraient beaucoup
trop loin, il est certain, dis-je , que les colonisations qui se sont faites
sous la même latitude ou en remontant vers le Nord ont eu, en généra!,
des destinées beaucoup plus heureuses que celles qui se sont faites
vers des climats plus chauds .
Cette question de l'acclimatement, des plus attachantes, demanderait
de grands développements, elle exigerait surtout un exposé préalable
des climats chauds dans leur influence sur l'homme de façon à pouvoir
établir un parallèle complet , je me bornerai donc à cette légère
esquisse. J'espère cependant en avoir dit assez pour indiquer de quel
socours peut être l'hygiène dans la question de la colonisation.
— ii:^ —
Il est de la plus haute importance de déterminer pour chaque race
et pour chaque contrée , pour chaque localité donnée jusqu'à quel
point r'acclimatement y est possible, les conditions nécessaires de
cet acchmatemenl, et d'en déduire le genre de colonisation applicable.
C'est là le rôle de l'hygiène générale; elle doit diriger, contenii- s'il
le faut, ou, au contraire, encourager l'esprit d'entreprise dans cet ordre
d'idées, elle est donc un puissant auxiliaire de la géographie. C'est ce
que cette conférence avait surtout pour objet d'indiquer.
Et , à ce sujet . permettez-moi , Mesdames et Messieurs , de vous
féliciter, en terminant, sur la manière élevée dont votre société com-
prend l'étude de la géographie, c'est-à-dire en reléguant au second
plan la stérile nomenclature des localités, et en recherchant, au
contraii'e, les données générales et les lois qui président au dévelop-
pement de l'activité humaine à la surface du globe.
L'hygiène n'est pas non plus restée en arrière dans cette voie : eJle
ne poursuit pas seulement l'extension du bien être de l'individu, elle
détermine les lois qui règlent la marche des nations , les migrations
des peuples, l'avenir des races.
Ces deux sciences se rattachent donc entre elles par une foule de
liens étroits, elles poursuivent d'ailleurs toutes deux les mêmes buts :
le bonheur de l'humanité, la gloire de la patrie.
D"" L. Waqniek.
41'. —
NOUVELLES ET FAITS GÉOGRAPHIQUES
I. — Géographie scientifique. — Explorations et découvertes.
ASIE.
Sibérie. — Em.ploratIous de 11. J. llartiu. — Nous apprenons qu'un
voyageur français, parti de France en 1882, et sur lequel on n'avait plus aucun
détail depuis longtemps, M. Joseph Martin, vient de rentrer à Paris.
Pendant cette longue absence de plus de quatre ans , M. Joseph Martin a fait
plusieurs voyages importants , et , entre autres , une expédition à travers les monts
Stanovoï, de la Lena au fleuve Amour. M. Martin a parcouru pour la seconde fois la
Sibérie orientale , et il en rapporte un matériel scientifique considérable. La région
des monts Stauovoi qu'il vient d'explorer est si peu connue, que son voyage constitue
un fait important dans les annales de la science géographique.
Il faut une santé de fer et une énergie hors ligne pour supporter les fatigues d'une
telle marche. Pour franchir la chaîne des monts Stanovoï , M. Martin a dû parcourir
une distance de 2,000 kilomètres, la hache à la main, se frayant un passage à travers
des forêts vierges, sans autre guide que la boussole , construisant à chaque pas des
radeaux et des ponts provisoires pour traver.-^er des cours d'eau , des torrents et des
bancs de glace. Le voyageur a perdu en route quarante rennes, tous ses chevaux et
tous ses chiens. Deux des indigènes qui l'accompagnaient sont morts de fatigue et
un troisième est devenu fou.
L'explorateur français, qui a poussé des pointes avancées jusqu'en Mongolie . en
Mandchonrie et même en Corée , revient chargé de documents et de collections pré-
cieuses qu'il se propose d'offrir à l'Etat. Le gouvernement français a mis à sa disposi-
tion une salle du Musée du Trocadéro pour y exposer ses collections. Les principaux
itinéraires ont été dressés à la section militaire topographique de l'état-major géné-
ral de Saint-Pétersbourg. i\L ISIartin a reçu, en reconnaissance de ses travaux
géographiques et géologiques, la croix de Sainte-Anne de Russie, la médaille delà
Société des naturalistes de Moscou et la médaille d'or de la Société de géographie
de Paris.
AFRIQUE.
Expédidou de M. le » Wolf. — >L le docteur Wolf , l'un des membres
de l'expédition Wissmann , qui fonda la station de Loulouabourg et découvrit le
Kassaï, fur chargé, après le déparc de MM. Wissman et Muller, de rapatrier les
indigènes Boulaba qui avaient suivi l'expédition. C'est après avoir rempli cette
mission et avoir créé une nouvelle station au confluent du Louéba , en avant des
rapides de la Loloua , que le docteur Wolf se lança dans l'exploration qui vient de
le conduire à la découverte d"une nouvelle route navigable dans le bassin du Congo.
Étant entré dans le Kassai , qu'il a pu remonter sans rencontrer d'obstacle , il est
passé dans le Sankourou , se dirigeant toujours vers l'Est, puis dans le Lomami ,
qui l'a conduit à huit jours seulement de Nyangoué.
Le Kassaï, est comme on sait, une large rivière sans cataractes , qui vient du
- 'lia -
Sud-Est et se jette dans le Congo, au nord de Stanleypool ; le Saiikouiou se jeifo
dans le Kassaï par un delta dont les deux bras mesurent respectivement 2i0 et 3(X)
mètres de largeur. Immédiatement en amont de son confluent, la rivière vient de
l'Est, avec une légère courbe vers le Nord.
M. Wolf a dû rebrousser chemin avant d'avoir achevé son exploration , unique-
ment à cause d'un accident de machine survenu à son vapeur VEn -avant ; mais il
n'en demeure pas moins établi , pour lui , que les produits européens , pour arriver
aux environs Nyangoué, d'abord , puis , par voie d'eau, aux environs du lac Tanga-
uika, n'auraient pas à remonter le Congo , coupé vers la moitié de son cours par
les Stanley-Falls ; ils prendront la route du Kassaï, du Sankourou et du Lomami.
Un rapport du lieutenant Von Nimptsch vient confirmer ces indications, au moins
quant à ce qui regarde le Kassaï.
Kxpédition de Stauley au siecours d'Uniiu-llcj. — On a lu dans
notre dernier Bulletin les détails que nous avons donnés sur Emin-Bey. La situation
du courageux lieutenant de Gordon a ému quelques explorateurs, et Stanley , entre
autres, s'est offert au gouvernement anglais pour aller le délivrer. L'Angleterre a
accepté.
Stanley s'est donc mis en route au commencement de cette année. Le 15 janvier ,
il passait à Bruxelles et avait une conférence avec le roi des Belges ; le 28 du même
mois il arrivait au Caire et n'en partait que le 6 février pour Aden , après avoir vu le
khédive ainsi que les explorateurs Junker et Schweinfurt. 11 espérait être à Zanzibar
vers le 10 février.
D'avance Stanley avait envoyé au Soudan le major Barthelot, l'un des officiers
les plus appréciés de la dernière expédition anglaise au Soudan, dans le but d'y enrô-
ler une centaine de Somalis en l'attendant. Le consul anglais a reçu toutes les
instructions nécessaires pour que les honmies soient enrôlés et prêts à partir lors de
l'arrivée de Stanley à Zanzibar. L'expédition sera aussitôt transportée en dix-huit
ou vingt jours à Barnana par le Cap , et il est probable que le 10 mars Stanley sera
arrivé à Bai'iiana.
11 partira de là sur Matadi, oii devront l'attendre et l'aider dans le transport des
charges par la route terrestre jusque Léopoldville , deux adjoints de l'expédition
Stanley, MM. Rose Traup et Ingham, tous deux anciens agents de l'État du Congo,
qui ont quitté Liverpool par le dernier steamer , avec mission spéciale de recruter
400 à 500 porteurs indigènes pour aider l'expédition.
A Léopoldville , des ordres sont donnés pour que le navire le Stanley et les
baleinières avec leur équipage soient libres et attendent l'expédition. Celle-ci , si
rien n'entrave sa marche, s'y embarquera au commencement d'avril.
Ce navire peut prendre à bord 250 passagers et dix tonnes de marchandises. En
même temps, il peut remorquer les deux baleinières en acier qui marchent à la rame
et à la voile , et qui peuvent chacune transporter trente personnes. Le steamer a
déjà prouvé qu'ainsi chargé il pouvait marcher, en remontant le fleuve , à raison de
30 milles marins ou 40 kilomètres par jour. Il lui faudrait moins d'un mois pour arri-
ver à la rivière Arouhimi, d'où l'expédition aura à traverser des pays inconnus pour
arriver à Wadclaï oii se trouve Emin-Bej'.
Aux dernières nouvelles, que publie le Mouvement géographique, on annonce que
Stanley et le major Berthelot sont arrivés à Zanzibar le 22 février. La veille , était
arrivé dans ce port , venant de Bombay , le steamer Madura de la British India C,
mis à la disposition de l'expédition par le généreux directeur do la Compagnie ,
M. Mackinnon. A Zanzibar, Stanley a eu une entrevue avec Tippo-Tip, le chef arabe
des Stanley-Falls, qui a protesté de sa soumission à l'État du Congo et exprimé ses
— w< —
regrets de ce qvii s'étsiic passé aux Falls en sou absence. Sa participation à Texpé-
dition de secours, dirigée par Stanley, est acquise.
Le 24 février , Stanley et ses adjoints, avec Tippo-Tip et les soldats égyptiens,
somalis et zanzibarites , se sont embarqués à bord du Madura , en destination de
Banana. L'expédition arrivera à l'embouchure du Congo vers le 12 ou le 15 mars.
Ainsi , cette importante expédition prend décidément la route du Congo. A son
arrivée au Caire , Stanley avait eu à discuter contre les autorités les plus compé-
tentes, les avantages de cette route sur celle du Karagoué ou celle du Massai , de
Zanzibar au lac Victoria. D'après les évaluations de Stanley , la route du Congo, par
terre, est de 595 milles anglais, dont 235 de Matadi au Stanley-Pool, et 360 des
Stanley-Falls au lac Albert, tandis que la route de Karagoué est de 950 milles et
celles du Massai de 925 milles ; en faisant 6 milles par jour de marche par terre , la
route du Karagoué demandera un total de 156 jours ; celle du Massai , 154 jours ;
celle du Congo, 157 jours, dont, par terre, 99 jours, et par vapeur 20 jours de Zanzi-
bar au Congo, 3 sur le Bas - Congo et 35 sur le Haut - Congo. Si ces prévisions se
réalisent, l'expédition arrivera sur le Haut-Nil vers le l*' août , après avoir traversé,
probablement, la région encore inconnue des Européens entre les Stanley-Falls et le
lac Albert.
Socotora aux Anglais» — En vertu du droit de préemption qui lui a été
accordé par la convention conclue en 1876 avec le sultan de Kaschin , dans l'Arabie
méridionale , le ministre anglais résidant à Aden a pris possession de l'île de Soco-
tora et l'a fait occuper le 30 octobre 1886. Les Anglais ont là un terrain de 3,600
kilomètres carrés environ de superficie. En 1834 , Wellsted donnait à l'île à peu
près 4,000 habitants ;' ce nombre , en 1881 , est évalué au moins à 12,000 par le
D*^ Schweinfurth.
lie lac ^'olcauique de Chala sur le IÂ.iIniautljaro. — Les Proce-
dinys de la Société Royale de géographie de Londres , publient une lettre écrite de
Sagalla par M. J.-A. Wray, le 19 novembre 1886, de laquelle il résulte que cet explo-
rateur a fini par atteindre le lac de Chala, décrit d'une façon si enthousiaste par le
voyageur Thomson. D'après cette lettre , le lac aurait trois milles de long environ
sur un mille de large, et les bords en seraient si escarpés que, le côté ouest excepté,
on ne peut que difficilement parvenir à l'eau. Cette eau est claire, froide et douce ,
bien que le lac ne semble avoir aucune issue ; on y trouve des poissons , le gibier
d'eau y est d'une abondance extrême et ses battements d'ailes produisent dans cette
sorte de puits le même bruit qu'un train éloigné.
Les bords, qui montent à environ mille pieds , sont richement boisés et couverts
de végétation jusqu'au niveau de l'eau. Il n'y a aucune ap[.)arence que l'eau ait
jamais monté plus haut , et il est probable qu'elle garde toujours le même niveau.
Les cris des oiseaux ont un son particulier , et M. Wray est persuadé que c'est là ce
qui a donné naissance à cette légende qu'antérieurement un village de Massai se
trouvait là et qu'il a été englouti sous les eaux du lac; les gens de Taveta croient
entendre des voix, le bêlement du bétail et autres sons de ce genre.
AMÉRIQUE.
Les familles cauadieuues françaises. — On achève en ce moment
au Canada, l'impression du Dictionnaire tfé nêaloyique des familles canadiennes,
par M. l'abbé Cypnen Tanguay.
C'est une œuvre unique en son genre, dont le premier volume a paru en 1871.
Inutile de parler ici des difficultés sans nombre que l'auteur a dû vaincre pour
- 417 -
conduire l'ouvrage à bonne fin. Vingt-cinq années ont été employées à examiner les
documents originaux au Canada et à l'étranger, à feuilleter patiemment tous les
registres des paroisses canadiennes et des grelies de chaque district, à classer
ensuite dans un ordre méthodique toutes les notes précieuses recueillies et à réunir
enfin en un seul corps les membres épars d'une même famille Environ 5(X).00(J actes
de naissance, de mariage et de sépulture ont été consultés, et tous ces renseigne-
ments, puisés aux sources authentiques, se complétant et se vérifiant l'un par
l'autre, ont été discutés à fond.
Le preuiier volume conqtrenait les commencements de la Nouvelle-France, de 1G08
à 1700 ; les matériaux réunis aujourd'hui compléteront l'époque de la domination
française.
Mais tandis qu'un seul volume a sutîi pour l'histoire généalogique de toutes les
familles françaises établies en ce pays avant 17<X), trois volumes suffiront à peine
pour rendre compte de l'accroissement naturel de ces familles, sans parler de nou-
velles recrues faites pendant les soixante dernières années de la période fran-
çaise
On comprend assez qu'une famille qui a joué un rôle important dans l'histoire
ait sa généalogie et puisse remonter de génération sn génération plusieurs siècles
en arrière, pour établir sou origine et se greffer à un chef de famille illustre ; mais
qu'un peuple de 2,000,'X)0 d'hommes ait sa généalogie complète de deux siècles, que
400.000 familles françaises habitant aujourd'hui le Canada et les Etats-Unis, puissent
remonter jusqu'à l'origine de la Nouvelle-France et retrouver non-seulement le nom
du premier colon qui a fait souche pour chacune d'elle, mais encore la province, le
diocèse, la paroisse de France, d'oii il tire son origine, cela paraît impossible,
incroyable, et cependant cela existe, cela est consigné dans le Dictionnaire génëa-
loc/ique.
Aussi lorsque les volumes de la seconde période du Dictionnaire auront été mis
en circulation, c'est-à-dire dans un an, le plus humble des 2,000,000 des descendants
des premiers colons de la Nouvelle France, aura son histoire généalogique complète.
11 aura sous les yeux toute la lignée de ses ancêtres.
N'est-ce pas merveilleux ?
La province de Québec ne sera pas la seule à profiter de cet ouvrage. Toutes les
provinces de la Confédération ont été françaises à l'origine et renferment des des-
cendants des premiers occupants du sol.
Les territoires de l'Ouest ont été parcourus en tous sens par des Canadiens-
Français, pionniers infatigables qui partout ont laissé des traces de leur passage et
souvent des établissements florissants.
La province d'Ontario est dans le même cas et renferme en outre plusieurs noyaux
importants de Canadiens-Français.
Le Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-Ecosse et l'île du Prince-Edouard ont été
colonisés par cette race énergique et vivace des Acadiens français qui a survécu aux
secousses les plus terribles que puisse éprouver une nation.
Les Etats-Unis eux-mêmes sont grandement intéressés dans cette histoire généa-
logique des familles canadiennes. Notons d'abord que le pays appelé Nouvelle-
France comprenait, outre le Canada actuel, tous les pays qui avoisment les Grands-
Lacs, toutes les vallées arrosées par le Mississipi, le Missouri et leurs affluents, et
que la Louisiane était une province toute française. Or, les noms des premiers
habitants français de ces vastes territoires, se trouvent dans le Dictionnaire généa-
logique. Les documents consultés à ce sujet, sont surtout deux recensements inédits
de la Louisiane, faits en 1606 et il2i, Tpuis les registres tenus parles anciens mis-
sionnaires envoyés par l'évêque de Quékec, lesquels remontent jusqu'à 1695.
28
- us -
Les descendants de ces premiers colons aimeront sans doute à connaître leurs
ancêtres ; les enfants des Acadiens dispersés aux FJtats-Unis et surtout dans la
Nouvelle-Angleterre, en 1754, pourront refaire la touchante histoire de leurs ancêtres;
et les Canadiens domiciliés dans la grande République, au nombre de plus de
500,000, n'oublieront pas que dans le Dictionnaire généalogique se trouvent leur
oiigine et le berceau de leur famille au Canada.
Au point de vue historique, l'ouvrage qui nous occupe, aura donc une grande
valeur, même pour les Etats-Unis. Les deux races, française et anglaise , se sont
coudoyées si longtemps sur les champs de bataille et dans le défrichement des
terres qu'elles se sont trouvées mêlées par des alliances et par les accidents de la
guerre. Il s'ensuit que des Français ont été faits prisonniers et sont demeurés de
l'autre côté des frontières ; d'autres sont allés chez nos voisins de plein gré, et vice
versa ; la population de la Nouvelle-Angleterre s'est trouvée un peu déversée sur la
Nouvelle-France. L'histoire de la Nouvelle-Angleterre se trouve ainsi intimement
liée à celle des territoires français limitrophes.
En 1690, pendant la guerre entre la Nouvelle-France et la Nouvelle-Angleterre,
les Abénakis firent beaucoup de prisonniers, surtout parmi les enfants, qui furent
élevés dans la Nouvelle-France : les Gill, les Raiseune, les Dicker ; de même des
Français faits prisonniers par les Anglais furent élevés et restèrent dans la Nou-
velle-Angleterre.
On trouvera donc dans le Dictionnaire beaucoup de noms d'origine anglaise ou
irlandaise, tels que Willis, devenu Oiiellet, Donaldson, devenu d'Alançon, Davis,
devenu d'Hévé, Sullivan, devenu Silvain.
L'ouvrage entrepris par l'abbé Tanguay, est vraiment colossal. Il donne la généa-
logie de toutes les familles canadiennes, depuis l'établissement de la colonie jusqu'à
nos jours, ce sera notre Lùn'e d'or, avec cette difierence qu'à Venise on ne tenait
compte que des familles nobles ; mais dans ce Dictionnaire, la famille la plus hum-
ble figurera comme les plus illustres.
L'exécution d'un pareil ouvrage offrait sans doute certaines facilités relatives.
Nous sommes assez près des origines puisqu'aucune de nos familles ne renionte au
delà de 1608. Plus tard nous aurions été dans les conditions des autres peuples.
Chez les anciens, les Juifs avaient des tablettes généalogiques très anciennes. Ils
les conservaient avec un soin jaloux. Dans les guerres, les persécutions, la captivité,
ils cachaient ces tablettes avec le même empressement qu'ils mettaient à soustraire
les vases sacrés à la profanation des païens.
Dans les temps modernes, l'Islande, cachée dans les brumes du Nord, peut se
vanter de posséder, seule croyons nous, des généalogies de ses principales familles,
mais non de toutes. L'origine sans doute en remonte assez haut. Il y a un orgueil
bien légitime à établir authentiquement sa généalogie à travers dix siècles et plus,
comme Torswalden, une des gloires de la statuaire, lequel prétendait descendre des
premiers découvreurs de l'Amérique. Mais les Islandais, emprisonnés dans leur île,
naissant et mourant dans la même hutte, peuvent assez facilement recueilUr les
noms de ceux qui l'ont fondée.
En Canada, principalement aux origines de la colonie, que de vicissitudes et de
migrations dans la vie d'un homme ! Né à l'extrémité orientale du Cap Breton, il se
mariait en passant à Québec, et s'en allait mourir au Détroit ou à la Nouvelle-
Orléans. M. Tanguay a voulu suivre, autant que possible, chaque individu a travers
ses pérégrinations, et indiquer le théâtre oii s'est accompli chacun des actes solen-
nels qui marquent l'existence de tout homme.
Les registres de Tétat-civil au Canada, dit à son tour l'abbé Tanguay lui-même.
~ '.19 —
sont de précieux documents que nous devons aux soins intelligents des premiers
apôtres qui se dévouèrent au service de cette nouvelle contrée.
Aucune loi civile n'imposait, à l'époque de la fondation du Canada, l'obligation de
tenir les actes des naissances, mariages et décès ; car l'ordonnance qui règle en
France la manière de tenir les registres ne remonte qu'à l'année 10G7, et elle ne fut
publiée au Canada, qu'en 1678.
Los premiers missionnaires n'en furent cependant pas moins fidèles à enregistrer
le mouvement de population de la colonie naissante ; et c'est aux précieuses et
uniques sources des registres qu'il faut recourir, pour connaître le berceau de notre
patrie.
Dès lors, pourrait-on dire, aucune recherche ne semble plus facile que celle qui a
pour but l'origine des familles canadiennes, . .
« 11 n'y a qu'à consulter les i*egistres. . . »
Maisici vont surgir les obstacles. 11 faudra d'abord recourir à un nombre de regis-
tres considérable pour suivre la généalogie d'une seule famille, et si les actes qui
en forment les différents chaînons ont été enregistrés dans les localités distinctes,
comme il arrive par la migration fréquente des famillec, il faudra de plus recourir aux
registres de toutes ces localités , lesquelles pour la plupart , sont tout à fait
inconnues.
De plus, ayant en main tous les documents à consulter, des difficultés plus grandes
encore vont se présenter, difficultés qui naissent des variations dans l'orthographe
des noms de famille. Des variations proviennent de la consonnance des noms, de la
mauvaise prononciation, où de la traduction des noms d'une langue étrangère.
Beaucoup de noms de familles canadiennes ont conservé leur orthographe prmii-
tive ; d'autres au contraire, ont subi de telles variations qu'il est naturellement diffi-
cile d'en reconnaître l'identité ; ainsi :
Belhoste, Belotte, Blo, Blau, Belleau.
Fribaut, Flibot, Philibot. »
Du Semmetienne, devenu du Cimetière.
Banlia, — Bainlast, — Baillac, — Bayac, — Bayard, - Baillard.
Buisson, — Bisson.
Chambrelan, — Chamberlan,
Arnaud, — Renaud.
Garnier, — Grenier.
Périllard, — Périgard.
Gormelin, — Gourmelin, — Gromelin, et Gromelon.
De Fogas, — Phocas et Phocasse.
Donaldson, — D'Alançon.
Davis, — D'hèvé, — Dévé.
Willis, — Houlet, — Ouellet.
Vauxelle, — Vocelle, — Boheur, — Boïl.
Lanouille, — Enouille.
Bereau, — Brault, — Bro, etc.
Pasquier, — Pasqet, — Pacquet, — Paquet.
-|- Guyon, — Guillon, Yon, — Dion.
Guiguère, Dier, — Guilloiinet, Dionet.
Guniàre, — Guillonnière, — Dunière.
Brechevin, — Brugevin, — Bergevin.
Beaujoux, — Bugeault.
Quesnel, — Tiennel.
Quenet, — Gueiiet.
- 'i2(t —
Ces variations sont encore à Tortlre du jour. •
Le Leader de Toronto, dans son numéro du 2-4 janvier 1865. rapportant le partage
des voix sur l'adresse en réponse au discours du trône, donne un très bel échantillon
de l'orthographe anglaise des noms canadiens-français.
Le voici textuellement :
<i. Liste des Députés qui ont voté pour la négative :
« MM. Bourasco, pour Bourassa.
Gapron, — Caroii.
Goopall, — Coupai.
Duckept, — Duckett.
Fortice, — Portier.
Graffirion, — Geort'rion.
Halrichbe Vigor, — Labrèche Yiger.
Lafroinbouse, — Laframboise.
Lagire, — Lajoie.
Louliot, — Pouliot.
Thibadeau, — Thibodeau. >
Puis, dans un grand nombre de noms de faniilles les mots Le et De, etc, sont tantôt
ajoutés et tantôt retranchés, et l'on a écrit également :
Le Tardif, — Tardiff, — Le Mercier, — Mercier.
Le Roy, — Roy, — Le Normand, — Normand.
Arrivé, — Larrivé, — Avisse, — Lavisse.
Gotty, — Le Gouty, — Pomier, — Le Paulmier.
Gréquy, — De Gréquy.
Mai'ets, — Des Marets.
Richer, — Leriché.
Lognon, — Aloignon.
De Béhik, — Béïque.
Puis encore un ancien usage dans les familles canadiennes désigne les enfants par
le nom de baptême du père, et ce nom finit par se confondre avec le nom propre de
la famille : ainsi les enfants de Tugal Gottin, seront appelés les petits Tuyal, puis
DugaL plus tard, Gottin dit Dugal, et les descendants ne seront plus désignés que
sous le nom de Buyal.
Les enfants de Raymond de Fogas, deviendront Phocasse dit Raymond, puis
Raymond.
Arnoul Lavergne ne pourrait reconnaître ses descendants que sous les noms de
Lavergne dit Renaud, puis Renaud.
Tèc Gernelius Aubrenan trouverait dans ses descendants, des Tecaubry, des Gor-
neli'js, des Tècle et enfin des Aubry.
Enfin, les actes des registres présentent plusieurs exemples de noms formés par
la fusion des noms de baptême et de famille.
Ainsi Dugrousse, pour Hugues Rousse.
Tecaubry — Tèc Aubry.
Montoléant, — Hamond Plehan.
Paulus, — Paul Hus.
Les priuclpaux. lacfs de l'Amérique septcutrionale. — Voici
des niesurages rapportés par le journal anglais Science , dans son numéro de
décembre dernier :
i?l
LACS D EAU DOUCE.
Elévation au-fli>ssns
du
niveau dp lu iiior.
Profondonr
plus prando.
Temiscouata
Supérieur. . .
Michigan . . .
Huron
Éi-io
Ontario
Tahre
Crater
Mètres.
121,9
185,6
177,4
177,4
174,6
75,3
1,904,1
Mètres.
152,4
307,8
263,3
214,9
98,7
22-4,9
501,4
608,4
Le lac Baïkal , en A.sie ,a une altitude de 414 mètres et une profondeur maximum
de 3,766 mètres.
OGÉANIE.
liCS lies du détroît «le Torrès. — Nous trouvons sur ce sujet dans le
Scottish çeof/raphicfll Mar/azinc une notice intéressante de M. John Douglas,
commissaire de la Grande-Bretagne dans la Nouvelle-Guinée anglaise :
Le bateau-phare de Proudfoot-Shoal est l'avant-garde de la côte australienne pour
les navires qui viennent de la mer d'Arafura. Souvent ce bateau reste pendant trois
mois sans comnmnication avec la côte. A environ dix-huit milles de Proudfoot-Shoal
se trouve Booby - Island ,' l'ancien bureau de poste du Détroit. Puis vient le groupe
des îles du Prince de Galles, dont l'une, Good-Island , munie de signaux , commande
le chenal que .suivent les vaisseaux d'un fort tonnage pour tourner l'extrémité nord-
est de l'Australie. Sir John Coode estime que Bertie - Bay , dans Good - Island , sera
un jour une station navale des plus importantes, mais il faudra construire un puissant
brise-lames , pour arrêter les marées pendant la période des vents du nord -ouest.
Port-Kennedy, dans l'île Thursday , est déjà actuellement un des meilleurs ports de
Queensland. L'île du Prince de Galles est une île d'une certaine importance, d'envi-
ron 12 milles carrés. Elle contient de l'eau douce en suffisance, et quoique une partie
de l'île soit pierreuse , elle renferme cependant aussi de riches prairies capables de
nourrir 1,-500 ou 2,000 têtes de bétail. De l'ancienne population de 500 indigènes , il
reste environ 100 personnes. Les îles Mulgrave et Banks sont pittoresques , mais le
capitaine Douglas n'avait pas le temps de s'y arrêter. Il séjourna deux jours dans
l'île de Jervis ou de Maubiaz, comme l'appellent les indigènes. Cette île contient une
station de missionnaires qui se compose d'une église , d'une école et de quelques
maisons habitées par des instituteurs indigènes. Le dimanche, environ 300 indigènes
se trouvaient à l'église, tous proprement vêtus et d'une tenue très décente.
M. Douglas se plut à constater l'influence produite par la civilisation sur ces
honmies originairement sauvages et brutes. Dans l'île Sabine, située tout près de la
côte de la Nouvelle-Guinée , les habitants étaient à un niveau intellectuel de beau-
coup inférieur ; la plupart étaient complètement nus. Darnley est la plus importante
des îles du détroit ; il y a là beaucoup de bons terrains et de l'eau en abondance ;
sur les 300 habitants, .50 des insulaires de la mer du Sud, quatre ou cinq sont Euro-
péens, les autres Bingi; c'est-à-dire Australiens autochtones. Murray est une très
jolie petite île, volcanique et fertile , mais malheureusement entourée de récifs qui
en rendent l'approche dangereuse. Au pied des montagnes, le long du rivage, s'étend
- 422 -
le village ; un peu plus haut, à cent pieds environ au-dessus , se trouvent le maisons
des missionnaires. Derrière l'établissement des missionnaires , les montagnes
s'élèvent brusquement en une pente abrupte , à 800 pieds au-dessus du niveau de
la mer.
IVonvclle-Guinée. — liC fleuve Impératrice Augiista. — Le plus
grand et le plus important des fleuves de la Nouvelle-Guinée allemande est l'Impé-
ratrice Augusta, découvert par l'explorateur docteur Otto Finsch et dénommé par lui,
qui se jette dans la mer près du cap délia Torre, à 3" 52' latitude S., et 144" 32' long.
E. de Gr.; seul de tous les fleuves de ces parages, son embouchure est libre et n'est
pas encombrée de récifs. Le gouverneur du pays, baron de Schleinitz, entreprit vers
la fin de juillet 1886, un voyage d'exploration en remontant ce fleuve sur le vapeur
Ottilie, en compagnie du vice-consul docleur Knappe , du docteur Schrader et du
docteur Hollrung (ces deux derniers font partie de l'expédition scientifique envoyée
en Nouvelle-Guinée). Ils remontèrent avec le vapeur, .qui avait un tirant d'eau de 3,
4 mètres, deux cents milles marins sans aucune difficulté. A cet endroit , le fleuve
s'élargit pour former un lac , qui n'a plus que 3 mètres de profondeur. Au moyen de
la chaloupe à vapeur , on put encore remonter cent milles ; et l'on aurait , à en juger
par le courant, encore pu continuer la même distance, si les provisions n'avaient
menacé de faire défaut. Le point le plus éloigné qu'on atteignit , était à 4° 16' lat.
Sud et 141" .50' long. Est de G., à 156 milles de l'embouchure du fleuve en ligne
droite, à 74 milles de la côte septentrionale, et à 60 milles des frontières anglaise et
hollandaise. Jusqu'à son élargissement , le fleuve s'étend dans la plaine ; les rives
sont couvertes tantôt de bois, tantôt de roseaux qui atteignent une hauteur de
6 mètres ; puis il traverse une couche de gneiss, d'ardoise et de quartz, pour reprendre
après son premier aspect. Pendant la saison des pluies , il doit se produire des inon-
dations, la ligne des eaux le faisait supposer. Les bois sagou alternent avec les
cannes à sucre. Dans les environs des nombreux villages d'indigènes, se trouvent
d'ordinaire des bois de coco. Les indigènes , qui voyaient pour la première fois des
blancs, se montraient réservés et pacifique^, quelques-uns s'étaient teints de diffé-
rentes couleurs. Leurs maisons sont protégées contre l'inondation par de hautes
substru étions. Les hommes sont nus , les femmes portent une ceinture autoui* des
reins.
II. — Géographie commerciale. — Statistiques
et Faits économiques.
EUROPE.
France. — Création de deux Chambres de commerce dans le Nord. — Par
décret en date du 30 mars 1887 , deux Chambres de commerce ont été créées à
Avesnes et à Armentières (Nord), en remplacement des Chambres consultatives
des arts et manufactures.
Ces deux nouvelles Chambres de conmierce sont composées chacune de douze
membres. Cela porte à neuf le nombre des Chambres de commen'e que comprend
actuellement le département du Nord.
Importation et exportation des papiers. — Nous extrayons de l'étude publiée
par le Bulletin de statistique et de législation cotnpnrce sur l'impôt sur le papier, le
tableau suivant qui donne le mouvement des importations et des exportations de
1870 à 1885 :
- 423 -
ANNÉES.
EXPORTATIONS.
IMPORTATIONS.
1
1871
kilogr.
12.386.037
19.281.512
2-4.010.803
23.&56.998
23.943.953
23.638.623
22.083.102
21.014.267
21.682.154
24.370.571
23.792.752
2:^.149.383
23.678.664
21.696 313
21.027.197
kilo^T.
2.902.6.36
4.711.475
3.180.904
3.320.940
3,. 587. 149
4.033.945
4 939.292
4 710.936
9.974.279
9.047.489
11.115.100
13. 891.^58
12.666.570
12.776.26.
12.168.169
1872
1873
1874
1875
1876
1877
1878
1879
1880
1881
1882
18a3
1884
1885
IBollaudc. — Chambre de commerce française. — Une Chambre de commer -o
iVaii(,'aise a été constituée à La Haye , par les soins de 'SI. Louis Legrand, ministre
lie France.
Cette Chambre a été divisée en trois comités , qui siègent à Amsterdam ,
Rotterdam et La Haye.
Allemagne — Le commerce extérieur. — Nous trouvons , à ce sujet, dans
le dernier numéro de VEcorwmist les renseignements ci-après qui lui sont
adre.ssés de Berlin sous la date du 4 avril courant :
<.< Je vous ai envoyé, disait cette correspondance , le mois dernier , une revue du
commerce allemand a Timportation et à Texportation pour 1886 ; mais cotte revue ne
fournissait qu'un aspect relatif de la question pour la raison que les rapports
commerciaux sont toujours, en Allemagne, publiés tard. »
La balance complète officielle vient enfin de paraître et la voici, d'après le corres-
pondant de VEconomist :
ANNÉES.
IMPORT
Quantité
\TI0NS.
Valeur
1886
1885
kilos.
16.940.488.000
17. 867.. 330. 000
marks.
2 955. 928.0001
2.989.969.000!
1886
— 926.842.000
— 34. 041.000'
ANNÉES.
EXPORT.
Quantité
ETIONS.
Valeur
1886
kilos.
18.924.283.000
48.814.023.000
marks.
3.111.928.000^
2.915.257.000'
1885
1886
-+- 110.260.000
-4- 196.671.000
424 -
C'est ainsi que, comme valeur et quantité , les exportations ont augmenté , taudis
que les importations ont diminué, et ce, dans des proportions fort sensibles.
D'après ces documents officiels , c'eset surtout dans les textiles que l'augmentation
est considérable dans l'exportation. Pour les tissus de soie , on relève le chiffre de
163,630,000 marks pour 1886 , contre seulement 133,490,000 marks en 1885 ; et , en
lainaiges, 172,520,000 marks en 1886, contre 159,010,000 marks en 1885.
Lee chiffres officiels pour les deux premiers mois de 1887 ont également été
publiés et fournissent encore de fortes augmentations sur ceux de la période corres-
pondante de 1886. C'est surtout l'industrie métallurgique qui bénéficie. Durant les
mois de janvier et de février, les exportations de rails ont été de 290,913 doubles
centners, contre seulement 181,012 pour janvier et février de l'année dernière. Celles
de fer en barres s'élèvent à 345.48.5 doubles centners, contre 205,514 doubles centners
en 1886. Enfin , les exportations de fer et d'acier manufacturés , pour les deux pre-
miers mois de 1887, représentent 1,630,054 doubles centners, contre 1.310,982
doubles centners en 1886.
Le développement du commerce de Fr.\nxeort. — Depuis la canalisation du
Mein, le port de Francfort voit s'accroître chaque jour son commerce d'une façon
des plus sensibles. L'ouverture d'un immense entrepôt de transit , qui doit avoir
lieu ce mois-ci, augmentera encore considérablement les affaires de cette localité,
vers laquelle affluent non seulement des masses de matières premières , mais
encore des produits manufacturés de toutes sortes. Ainsi , les chargements se
font directement de Singapoore sur Francfort de la façon suivante : des cargaisons
transportées par les steamers du North German Lloyd depuis Singapoore, sont
transbordées à Anvers , d'où elles arrivent directement par bateau à Francfort. 11 en
est de même pour les importations de Londres. Comme on peut en juger , c'est toute
une révolution d'avenir dans les transactions commerciales de cette ville : elle peut,
certainement, se trouver bientôt en rapports quasi-directs avec les principaux centres
commerciaux du globe.
Une exposition coloniale allem.vnde. — On mandait de Berlin , sous la date
du 6 de ce mois, l'information suivante :
« Le Conseil de la Ligue générale allemande pour la représentation des intérêts
nationaux allemands, a voté aujourd'hui une résolution en faveur de l'organisation
de la première exposition coloniale allemande pour l'automne de 1889. »
Influence de la ligne du Saint- Goth.\rd sur le commerce de l'Allemagne
AVEC l'Italie. — 11 résulte d'un rapport récent du consul d'Italie à Râle, qu'avant
l'ouverture de cette ligne , le charbon allemand se vendait , à Milan, 45 fr. la tonne ;
actuellement, il ne se vend plus que 30 fr. Voici , pour les quatre années ci-dessous,
les chiffres d'importation du fer et du charbon allemands en Italie :
Charbon
W A G 0 n s.
!
1883
1883
1884
1885
2.102
2.222
7.808
10.169
9 561
8.823
1
9.864 :
8.327
Fer
Aujçlctcrrc. — L'industrie métallurgique en 1886.
à VEconomist les renseignements ci-après :
Nous empruntons
425 -
11 résulte des rapports do l'Association métallurgique bntanniqno , qu'en 1^86, la
production du fer en barre puddlé dans le Royaume-Uni , se chiffre par 1,616,701
tonnes : c'est une diminution de 294,424 tonnes sur la précédente annéi".
La plus grande diminution s'est produite dans le South Staffordshire oii elle rr pré-
sente 110,602 tonnes de moins qu'en 1885. Vient après le Nord de l'Andeterre avec
64,647 tonnes de moins et les Galles du Sud avec 49,419 tonnes en moins. Dans le
West et le South Yorhshire seulement , on relève une faible augmentation de 2,908
tonnes.
Le tableau ci-dessous fournit les chiffres de cette production du fer en barre
puddlé depuis 1883 jusqu'en 1886 :
ANNÉES.
PRODUCTION.
1
DIMINUTION.
1886
1885
Tonnes.
1.611.70
1,911.125
2.327.535
2.730.504
Tonnes.
294.424 j
.326.410
492.969 !
111.030
1884
1883
Quant au nombre des iburncaux de ce genre eu feu ou non en feu , il est donné
par le tableau suivant :
ANNÉES.
Fourneaux
en feu.
Fourneaux
non en feu.
1
TOT.\I,.
1886
2.908
3.316
1.338
1.516
4.246
4.902
1885
C'est donc, pour Tanné? dernière, une différence considérable sur les fourneaux en
feu, de 656.
Autriche. — Le commerce extérieur. — Il résulte des rapports officiels qui
viennent d'être publiés dans ce pays , les chiffres suivants :
Pour l'année 1886 comparée à l'année 1885, les exportations sont en augmentation
et les importations en diminution. Les premières se sont élevée-; de 672 millions de
florins en 1885 à 722 millions du florins en 1886 ; quant aux secondes, les importa-
tions, elles restent, en 1886, à 547 millions de florins contre 557,9 en 1885. Le tableau
ci-dessous donne les fluctuations depuis 1882 :
ANNÉES.
IMPORTATIONS.
EXPORT.XTIONS.
1882
Millions de florins.
654.2
624.9
612.6
557.9
547.2
Millions de florins.
781.9
799.9 '
691.0
672.1 ;
722.9 1
1883
1884
1885
1886
- 426 —
Espagne. — Lee Anglais, les Allemands et les Belges. — D'après un
rapport consulaire anglais de Barcelone, les résultats du traité hispano-anglais ne
seraient guère profitables à l'Angleterre.
« Malgré, dit ce rapport, l'admission des marchandises anglaises sur le pied do la
nation la plus favorisée dans tous les traités passés entre l'Espagne et les nations
européennes , la concurrence est toujours des plus rudes. Aussi , l'Angleterre
doit-elle , pour réussir , produire des marchandises aussi bonnes , mais à meilleur
marché que celles fournies actuellement. »
La concurrence vient principalement des Belges et des Allemands. « Ainsi, conclut
le rapport en question, l'acheteur catalan préfère donner 5 schellings (6 fr. 25) pour
deux couteaux allemands de fabrication inférieure, que le même prix pour un couteau
anglais supérieur comme matière et fini , mais , en apparence , complètement pareil ;
il a ainsi, en effet , deux couteaux pour un. On raconte même fréquemment que des
nouveautés manufacturées à Barcelone sont actuellement exportées sur l'Angleterre,
d'oii elles sont réimportées avec des marques et de=; étiquettes anglaises. »
Serbie. — L'Industrie anglaise. — On annonce que les Anglais vont
établir des agences commerciales pour le dépôt des produits anglais dans les villes
situées sur la nouvelle voie ferrée de Belgrade à Salonique, par Vranja. A Salonique
se trouvera un dépôt colossal renfermant tous les produits de l'industrie anglaise.
Roumanie. — Le traité de commerce franco-roumanien.— La Chambre des
députés roumaine a émis les votes suivants sur les conventions commerciales :
« 1" Le gouvernement est autorisé à prolonyer jusqu'au 31 décembre 1887
l'arrangement commercial provisoire avec la France ;
» 2" Le gouvernement est autorisé à conclure des conventions provisoires jusqu'à
la même date avec d'autres États, en prenant pour base le système économique
inauguré par les nouvelles conventions commerciales et en assurant Texportatton
des bestiaux et des céréales. »
Le ministre des affaires étrangères, M. Phérékyde, a défendu devant la Chambre
le projet des conventions commerciales.
11 a dit que le pays tout entier sentait la nécessité de rassurer les intérêts écono-
miques, et qu'il estimait urgent de mettre un terme au conflit douanier avec la
France. Le gouvernement ne peut que s'associer à un tel ordre d'idées.
Si les nouvelles taxes sur les céréales votées par les Chambres françaises, a dit le
ministre, frappent d'une façon onéreuse les produits roumains, nos céréales peuvent
encore cependant trouver un débouché partiel en France, parce que les consomma-
teurs français supportent les taxes ; il est d'ailleurs d'autres produits , tels que le
maïs, le colza et les haricots , qui s'exportent en France dans les conditions ordi-
naires. Nous avons en conséquence un très grand intérêt à ce que l'état do conflit
prenne fin dans nos relations avec la France. Ce sentiment est unanime dans la
Chambre.
Le Sénat roumain a ratifié la décision de la Chambre de ce pays.
l>a production «lu sucre de betterave en ICurope en ISSfi-
ISSÎ. — On peut évaluer la production totale du sucre , pour Tannée 1886-1887 , à
2,580,0CX) tonnes, contre 2,146,171 tonnes pour 1885-1886.
Le tîibleau ci-dessous donne les chiffres détaillés comparatifs pour :
427 -
Allemagne
1884-85
1885-86
1
1886-87
Tonnes.
950.000
525.000
500.000
475.000
80.000
.50.000
Tonnes.
8i5.080
377.031
298.407
560.312
48.421
37.. 500
Touillas. 1
1.154.8i7
557.766 1
308.410 '
387.433 !
88.463 î
50.000 1
Autriche
France.
Ru.ssie
Belf^iquc
Autres pays
Totaux
2.580 000
2 146.751
1
2.546.889 .
1
1
Depuis 1880, pour chaque année, la production totale pouvait être estimée comme
suit :
1883-84
1882-83
1881-82 . ,
1880-81
1879-80
2.460.314 tonnes.
2.146.534 id.
1.868.974 id.
1.774.545 id.
1.403.929 id.
La cousoininatiou ilc la laiue. — Nous lison.s, à ce sujet, dans le
Manchester Guardian :
« Le tableau ci-après, donnant en millions de livres, la quantité moyenne de laine
mise à la disposition de manufacturiers d'Europe et de l'Amérique du Nord , a été
dressé par MM. Hclmuth Schwartze et G° :
ANNÉES.
LAINE
Eu
BRUTE LAINE LAVEE
rope et .Amérique d\\ Nopl .
LAINE NETTOTOE
pîir tèti> d'hahitnnt.
Livres anglaises.
Total.
Production.
Importât.
Total.
1850
790
955
1.05;)
1.293
1.414
1 .nA2
1.743
1.911
459
497
502
534
.525
.5:50
.560
504
55
113
152
132
29-
:135
392
477
514
610
654
766
822
865
9.52
1.041
1.93
2.03
2 13
2.38
2 44
2.42
2.52
2.66
1860
Moyenne :
! 1861-65
i 1866-70
! 1871-75
1876-80
1881-85
I 1886
On doit remarquer que ce tableau donne les chiffres pour les productions euro-
péenne et américaine avec les importations d'autres provenances.
Il est également à remarquer que la production moyenne de laine nettoyée après
lavage, a grandement diminué ; elle est tombée de 65,1 "/„ à 54,5 °lç, de la quantité de
laine brute. La chose est due à l'état stationnaire de la production européenne , esti-
mée en laine de toison lavée, et à la grande augmentation de laine en suint à l'actif
- 428 —
de la production des États-Unis , de l'Australie et de la Plata. En 1869 , 30 •/„ seule-
ment de la tonte australienne était pratiqué en suint , alors que l'année dernière , la
]iroportion était de 70 "',j- Les importations qui , en 1850, représentaient seulement
11 7o f^G la consommation totale, s'élevaient en 1860 à 18 7o pour atteindre actuelle-
ment 46 7o <Î6 cette même consommation totale.
ASIE.
Les mines «l'étaiu de Pérak. — Le Calaèi», mot dérivé de l'hindous-
tani Calai « étain », paraît avoir, de temps immémoriaux, fait la fortune de TEtatde
Pérak. Les voyageurs de Linschott , de Érédia et Tavernier , parlent avec emphase
de ce méisX précieux^ et ils ne manquent jamais d'accoupler son nom à celui de l'or.
Vers 1675, la monnaie de Pérak en était faite , et sa valeur ne semble pas avoir été
sensiblement différente à cette époque, de ce qu'elle est de nos jours.
Plus tard, vers 1780 , l'êtain devint l'article le plus important des exportations de
Malaeca, Sélangor s'étant décidé à exploiter, à l'exemple de son voisin, les richesses
naturelles de son sol. Depuis lors, la richesse de ce métal n'a cessé de soutenir des
milliers de bras à la solde d'industriels malais ou chinois , qu'ont imités , ces
dernières années, des Européens dans des conditions qui doivent leur assurer une
réussite complète.
Borné au Nord par la province anglaise de Welhsley et le territoire de Kédah .
tributaire de Siam , l'État de Pérak est limité à l'Est par le Kélantan et Pahang, el
au Sud par la rivière de Bernam qui le sépare de l'État de Sélangor. Sa superficie
est d'environ 12,000 kilomètres carrés.
Le pays est divisé en trois plaines allongées , par trois chaînes de montagnes
qui descendent parallèlement à la côte et atteignent une altitude moyenne de
2,000 mètres.
Le mot pérak , qui signifie en malais argent., était , dès l'origine , le nom de la
rivière qui arrose le territoire ; il est devenu celui de l'État d'après l'usage local qui
veut que le cours d'eau, qui tient lieii de route au milieu d'une nature sauvage aux
jungles impénétrables, serve à désigner tout son bassin.
Ce n'est qu'en 1875 que Pérak a été mis sous le protectorat de l'Angleterre ;
auparavant c'était un État indépendant, gouverné par un sultan malais et quelques
chefs indigènes , dont l'un , connu sous le nom de Mountri et siégeant à Larout ,
avait pour attributions spéciales la police des districts miniers et la perception des
impôts.
Jamais le Malais indolent ne con^îentit à se livrer d'une façon suivie au travail des
muies ; aussi les autorités du pays favorisèrent-elles de tout leur pouvoir rimmi-
gration chinoise, qui fournit la majeure partie des mineurs. Toutefois, ce n'était pas
chose facile que de recruter une forte armée de travailleurs, et la composition de la
colonie ouvrière laissa fort à désirer. Les premiers arrivants , furent pour la plupart
des réfugiés fuyant la Chine , oii ils avaient pris part à l'insurrection des Thaïpeng ,
ils donnèrent ce dernier nom à la capitale commerciale de l'État de Pérak. Les
mineurs chinois ne tardèrent pas à se diviser et à entamer des luttes sauiilantes qui
bouleversèrent, en 1872 , les districts miniers. Puis ce fut l'ouvrier malais qui leur
succéda dans cette voie , et , en 1875 , à la suite de l'assassinat du résident britan-
nique, les Anglais imposèrent à Pérak leur protectorat, et ils installèrent sur le trône
l'héritier présomptif Mouda Yousouf, avec le titre de régent.
L'accès de l'intérieur de la presqu'île de ^Nlalacca est difficile : les rivières seules
y servent de routes, et la végétation serrée qui recouvre le sol à toutes h s altitudes,
contribue à rendre laborieuse l'étude géologique du pays. Cependant les quelques
voyageurs compétents qui ont visité la Péninsule , s'accordent à y reconnaître la
— '£29 -
prédominance des terrains granitiques. C'est dans les terrains d'ailuvion, provenant
de la décomposition des terrains primitifs et des terrains de sédiment, que Ton
exploite le mineiai d'étain.
« Le minerai d'étain de Pérak , écrivait en 1881 M. Errington de la Croix, est
l'oxyde connu en minéralogie sous le nom de cassitérite. Sa couleur est généralement
le brun foncé ; mais dans quelques districts de Kinta on rencontre une variété assez
rare, d'un blanc sale , gris ou rosé, à l'aspect gras et légèrement translucide. Cette
variété est plus pure que l'oxyde brun ordinaire.
» Les nombreux filons de quartz qui traversent les terrains éruptifs sont les gise-
ments oii le minerai d'étain se trouve associé à l'oxyde de fer et quelquefois à de
l'or... Ces filons de quartz doivent avoir , dans certaines régions , une puissance
assez considérable , àenjugei' par les énormes blocs qui recouvrent le fond des
alluvions, et aussi par les échsntillons de minerai massif trouvés parfois au pied des
montagnes. Ces échantillons sont très volumineux dans le district de Chanderiong ,
où l'on a découvert presque à la surface du sol des blocs d'oxyde d'étain pur pesant
plus de 60 Icilogrammes.
Aussi l'armée ouvi'ière qui exploite ces richesses naturelles est-elle considérable
et augmente-t-elle considérablement chaque année.
Au mois de mars 1881, les districts miniers de l'État de Pérak comptaient environ
20,000 ouvriers chinois ; deux ans plus tard , ils en avaient 48,000 , répartis comme
l'indique le tableau suivant :
REGIONS.
Sélama . . .
DISTRICTS.
Sélama et Kréan
Trong:
POPULATION.
1881. 1884.
Haut-Pérak
Côte / Faroum-Mass
; Tingi
! Ville de Thaipeng
) Topai
^^^^^^ ) Assam-Koumbang
Kamouting
Salak
Kinering
/ Oulou-Kinta.
Raya
Pappau
Kinta <( Trap
Tedja
Kampar
Chanderiong
Chemor
V Batang-Padang. l Fanka
1 ( Klian-Barou.
; Bidor , .
Bas-Pérak
Bernam ,
Slim .
Totaux .
- 430 -
Lorsqu'on vient à Pcrak dans le but d'obtenir une concession minière, il faut tout
d'abord se faire enregistrer moyennant un droit de 1 dollar; puis on achète, au prix
de 2 dollars, un permis de recherches valable pour un an. On peut ensuite faire au
radjah Mouda une demande de concession de terrain par l'intermédiaire des admi-
nistrateurs des districts. Les concessions s'obtiennent pour vingt et un ans et à titre
gratuit. Les impôts auxquels elles sont soumises , une fois en cours d'exploitation ,
consistent en un droit fixe de 2 dollars par barrait (187 kilogrammes) d'étain métal-
lique, et en une taxe de 10 dollars à Larout, et de 8 dollars à Kinta , sur la valeur
des exportations.
L'exploitation de la concession comprend quatre opérations : le débroussaillement,
qui s'obtient des charbonniers indigènes au prix de l'abandon du bois enlevé ;
l'enlèvement du terrain stérile recouvrant le dépôt stannifère ; l'abatage du minerai
et son extraction, qui sont faits par les ouvriers ndneurs, à l'aide de l'instrument à
long manche appelé chanhol, qui sert à la fois de pelle et de pioche.
Les procédés primitifs des industriels indigènes ont été remplacés , sur les
concessions européennes , par des moyens d'action plus en rapport avec les progrès
scientifiques de l'Occident : la Société des mines détain de Pérah , Compagnie
française au capital de 3 millions de francs, possède un matériel important, composé
de machines des derniers modèles connus.
Les avantages de cette installation perfectionnée se font surtout sentir dans
l'épuisage des mines , qu'envahissent constamment les eaux de sources et celles
des pluies.
Une fois l'extraction faite , un triage sommaire de minerai et un simple lavage
séparent l'étain des matières étrangères qui l'accompagnent ; on le soumet alors à
un traitement métallurgique qui consiste à le faire fondre au four, et à le couler en
saumons du poids de 65 à 70 cattijs (43 kilogr. 750). Transporté ensuite à Pinang ,
il y est affiné par une refonte soigneuse , et il ne contient plus , après cela, que de
légères traces de fer, en fait d'impuretés. L'étain de Pinang est très apprécié sur les
marchés d"Europe.
Japou. — L'exportation génér.\le el'ropéenne. — Comme pays d'exportation,
le Japon attire de plus en plus l'attention de l'Europe Le trafic est , pour le moment,
soumis à certains soubresauts auxquels il faut s'habituer jusqu'à ce qu'il ait acquis
un cours normal et régulier.
D'après une statistique donnée par la Chambre de commerce de Yokohama et
corroborée par les tableaux établis parallèlement par plusieurs consuls de la loca-
lité , l'importation s'est élevée , en 1885 , à 28,847,385 yens (le yen équivaut à la
piastre mexicaine).
Les chiffres accusent une augmentation constante. Jusqu'à présent , il n'y a eu
d'ouvert au commerce étranger que les ports de Yokohama , Hiogo , Nagasaki ,
Hakodacé, Nigata. Il est à espérer que lorsque le nouveau traité sera conclu, toutes
les côtes du Japon seront accessibles aux vaisseaux européens.
Ce sont les étoffes qui occupent le premier rang dans cette importation,
12,562,173 yens.
L'importance de Timportation pour chaque nation européenne , se répartit
comme suit :
Angleterrre 12.415.421 yens.
Chine 5.763.053 —
Inde 3.596.964 —
États-Unis 2.726.184 —
— 4:-ii —
Allemague 1.695.652 -
France I.:i2y.866 -
Belgique 317.682 —
Suisse 309.254 —
Mais il est à remarquer que la part de l'Angleterre diminue de plus en plus
(4 millions de yens depuis 1881). La proportion de la France est encore plus dcia-
vorablo. Son chiffre actuel esta peine la moitié de ce qu'il était en 1881.
Seule l'Allemagne est favorisée. Depuis cette même année 1881 , son importation
a augmenté de 800,000 yens. L'Allemagne doit ce résultat à l'inlluence prépondé-
rante dont ses nationaux jouissent au Japon et aussi de ce fait que les principales
maisons d'importation des ports ouverts sont allemandes.
11 n'est que temps pour le commerce français de faire preuve d'énergie de ce côté
pour éviter d'être supplanté totalement par les Allemands.
La France commerciale au Japon. — Le consul de France à Yokohama écrit
que les grandes maisons de commerce et d'industrie qui ont un courant régulier
d'affaires au Japon , sont en général également représentées à Yokohama et à
Kobé. Au premier rang , il faut citer les Messageries maritimes. 11 mentionne aussi
les maisons de Vigan, Oppenlieimer et Bing, qui ont des agents dans les deux, villes,
et qui font toutes sortes d'opérations commerciales.
Le « Bon Marché » entretient au Japon , depuis bien des années , un acheteur
permanent.
De grands établissements industriels tentent , avec plus ou moins de succès , de se
créer des affaires au Japon ; ce sont d'abord les Forges et chantiers de la Méditeri
ranée , puis les établissements Cail , Fives-Lille , Commentry et FourchambauU ,
etc. Mais connue ccs établissements cherchent à obtenir des commandes plutôt du
gouvernement que des particuliers , ils ne sont représentés qu'à Yokohama et géné-
ralement d'une manière temporaire. Plusieurs d'entre eux se sont constitués en
syndicats , en vue du développement des débouchés de l'industrie française en
Extrême-Orient ; ces syndicats ont , à ce titre , des agents à demeure.
Les Français qui sont venus créer au Japon, pour leur propre compte, des établisse-
ments plus ou moins importants , sont une trentaine à Yokohama , sept ou huit à
Kobé , quatre ou cinq à Nagasaki. L'ensemble de leurs affaires ne représente pas un
très gros chiffre , mais ils sont , en général , dans une situation honorable et aisée.
Les cas d'indigence sont très rares dans notre colonie.
A cette catégorie de Français, on doit rattacher les inspecteurs de soies qui sont
employés tantôt par des maisons de notre nationalité, tantôt par des maisons étran-
gères. L'inspection des soies est un art tout français.
AFRIQUE.
Tuniïiie. — Commerce général. — Les importations dans les différents
ports delà Tunisie se sont élevées, en 1885, à 44,752,546 piastres, ou 1 ,200,000 francs
de moins que l'année précédente. L'année a été mauvaise. Mais si l'on envisage
toute la période de l'occupation française, le commerce de la Tunisie a gagné consi-
dérablement. De 1875 à 1880 , le mouvement général (importations et exportations)
ne montait en moyenne qu'à 54,600,000 francs par an , contre 118,200,000 francs de
1880 à 1885.
— A'32 —
Parmi les articles d'importation qui nous intéressent , figurent les fils et tissus de
coton pour 9,076,043 piastres, des étoffes de laine pour 1,357,181 et de soie pour
l,9i!0,Ui6. L'7\ng-leterre y a importé des tissus de coton pour environ 8 à 10 millions
de francs. Vient ensuite la France avec 6 à 7 millions de francs, consistant en étoffes
de soie, de coton, conserves, papier, etc. L'Italie y a envoyé du marbre, des meubles,
de la soie brute et des vins pour 2 à 3 millions de francs. Immédiatement après , se
range rAllemagne avec des bijouteries, des tissus de laine, des draps et bonneteries
pour la valeur d'environ 2 millions de francs. La Belgique est représentée dans
l'importation par les fontes, les instruments de fer, les rails, les verreries, quelques
articles de lin et de calicot rouge. Enfin, la Suisse vend aux Tunisiens des broderies,
des tulles, des fils de coton rouges, des calicots teints aux goûts des Orientaux, des
soieries et du fromage.
Les articles d'exportation , consistant en huiles , céréales et bétail , se dirigent
principalement sur la Sicile, et l'esparto (alfa), pour la fabrication du papier , est
presque totalement pris par l'Angleterre.
EiC Cap. — Importation de machines. — Le consul de France au Cap
fait remarquer que l'envoi des machines destinées à l'extraction de l'or , et qui
sont, aux termes du nouveau tarif, admises en franchise dans la colonie, prend
une importance chaque jour plus considérable. « J'appelle de nouveau , écrit - il ,
l'attention de nos établissements métallurgiques sur les bénéfices que réalisent
actuellement leurs rivaux d'Angleterre dans cette branche d'industrie , car je suis
fermement convaincu qu'à l'époque des pluies, les transports par la voie de Delagoa-
Bay, à destination de Barbeton et de Witwatersrand, seront assez faciles pour qu'ils
puissent leui* disputer ce monopole. Un agent devrait être envoyé , toute affaire
cessante, par un syndicat, à l'effet d'étudier la question sur place. »
Egypte. — Le commerce allemand. — La Gazette de Coloyne signale à
ses compatriotes une occasion offerte à l'industrie métallurgique allemande pour
prendre enfin pied en Egypte.
Il résulte, en effet, des rapports consulaires belges que le commerce des fers et des
aciers belges souffre beaucoup par les fraudes pratiquées par les intermédiaires.
Par suite , les acheteurs d'Egypte , se trouvant dans l'impossibilité d'obtenir des
livraisons .satisfaisantes, renoncent progressivement à l'emploi des fers et des aciers
belges. La feuille allemande conclut de là à la grande facilité pour les fabricants
métallurgiques de son pays , d'introduire leurs marchandises dans les meilleures
conditions, et elle leur conseille la création, à Alexandrie, d'un dépôt d'échantillons.
Pour les Faits et Nouvelles géographiques non extraits ,
LE secrétaire-général ,
ALFRED RENOUARD.
r r
SOCIETE DE GEOGRAPHIE
DE LILLE.
SOCIETAIRES NOUVEAUX ADMIS DANS LE COURANT DE JUIN 1887.
MEMBRES ORDINAIRES
Lille.
N»'d'ms- MM.
cription.
U39. D.VNJOU (Léon), négociant, rue Soiférino, 310.
U40. Geic.er-Gisclon, fabricant de busettes, rue d'Arras, 72.
4444 . Prolvost (Léon), agent d'assurances, square de Jussieu, 1 .
U42. C\LLENS, négociant, passage de La Fontaine.
U45. Desreumaux fils, négociant, rue Malus.
U40. LiÉNAHT-M.\Ri\GE, propriétaire, rue d'Inkermann, 19 hïs.
U47. SxNTENAiRE (Paul), représentant, rue du Vieux-Faubourg, 42.
Tourcoing.
1443. Debuchy (Victor), fllateur, rue Neuve-de-Roubaix, 58.
U44. Honoré (Albert), fabricant de lapis, rue de la Latte, 24
29
- 434 —
COMPTE-RENDU DES CONFERENCES
DE LA SECTION DE ROUBAIX.
Comme les années précédentes , le Comité de Roubaix , sous la
direction intelligente de M. Henry Bossut , a organisé en 1887, une
série de conférences dans la grande salle de la Bourse , mise obli-
geamment à sa disposition par la Chambre de Commerce de cette ville
qui en a la propriété. Ces conférences ont eu lieu le samedi , à huit
heures du soir, et. ont été très régulièrement suivies par un public de
300 à 100 personnes , désireuses de s'instruire et d'affirmer par leur
présence le succès constant et la puissante vitalité de la section.
MM. Victor Duburcq, secrétaire ; Leburque-Comerre , trésorier ; Juu-
ker, Cyrille Ferlié, etc., qui composent le Comité, ont apporté à
l'organisation de ces conférences , accompagnées presque toutes de
projections à la lumière oxliydrique , le concours le plus actif : nous
sommes ici l'interprète de tous les Roubaisiens , en rendant un
hommage mérité à leur dévouement constant.
1''® Conférence. — Madagascar et la question coloniale, par M. de
Mahy, député de la Réunion. — La Nouvelle Calèdonie, par M. Léon
Moncelon , délégué de la colonie au Conseil supérieur des colonies.
Par exception , la double conférence de MM. de Mahy et Moncelon,
a eu lieu le dimanche 16 janvier 1887, à quatre heures , dans le grand
salon de l'hôtel-de-ville de Roubaix. Huit cents personnes environ
s'étaient rendues à l'appel du Comité : les dames formaient plus d'un
tiers du Comité ; elles n'ont pas ménagé les applaudissements aux
conférenciers , montrant ainsi combien elles comprenaient l'utilité des
études géographiques et remerciant de celte façon le Comité qui savait
les entourer d'un intérêt aussi captivant.
A l'heure convenue , M. Henry Bossut, vice-président de la Société
et président de la section , a fait son entrée dans la salle , accompagné
des deux conférenciers , et de MM. François Masurel père , président
— /i35 -
(le la section (lo Tourcoing : Alfred Reiiouoivl, secrétaire -général de
la Société ; Eeckman , secrétaire-général-adjoint ; Van llende , biblio-
thécaire , et de MM. V. Duburcq , Leburque-Comerre , Gh. Juiiker,
Delessert et Verspieren, membres du comité de Roubaix
Avant de donner la parole au premier conférencier, M. Henry
BossuT a pronoacé le discours suivant :
« Mesdames et Messieurs,
» Quand on a l'honneur, qui m'arrive aujourd'hui, déporter la parole
au nom de la Géographie, devant un auditoire avide de connaître
toutes les parties du monde, il me semble qu'il est permis, lorsqu'on
est embarrassé comme je l'étais, d'aller chercher le sujet de son dis-
cours partout où il pourra se trouver, fut-il chez nos antipodes ? Voilà
pourquoi, Mesdames et Messieurs, j'ai feuilleté et parcouru avec soin
un livre de proverbes chinois recueilli par le R. P. Perny, provicaire
apostolique d'une des grandes provinces de la Chine, auteur d'un dic-
tionnaire des langues française et chinoise, savant missionnaire que
nous avons écouté, ici même, il y a deux ans, avec un intérêt bien
justifié. Or, j'ai lu dans ce recueil que :
Le plaisir de bien faire est le seul qui ne s'use jamais.
» Voilà un proverbe, me suis-je dit, qui fait bien mon affaire et que
nous trouverons d'autant plus vrai et plus juste que nous en ferons de
suite l'application :
» N'est-ce pas en effet pour le plaisir de bien faire que M. de Mahy,
député delà Réunion, ancien ministre, que M. Léon Moncelon, délégué
de la Nouvelle-Calédonie au conseil supérieur des colonies , vont
tantôt à Lyon et à Bordeaux , viennent à Saint-Quentin, à Lille et à
Roubaix, dans le seul but d'être utile, répandre leur parole avec leurs
enseignements ?
» Et si j'osais parler ici du désir de bien faire qui anime et qui dirige
notre Société de Géograpliie, n'auriez-vous pas l'explication de ce
plaisir qui ne s'use jamais et qui nous poussera vers la continuation de
notre œuvre sans rechercher d'autre récompense que cette satisfaction
intime ?
— 436 —
» J'ai lu encore dans ce petit livre, qui contient tant de choses, que :
Rien ne s'apprend nulle part sans un maître.
» Vous me direz certainement, Mesdames et Messieurs, que cette
vérité est un peu banale ; mais est-elle tant connue et tant appréciée
en France et u'est-il pas à propos que les Chinois nous la rappellent ?
Ce sont des maîtres pour nous , ces hardis explorateurs, ces savants
conférenciers et ces orateurs qui, après avoir parcouru le monde ,
étudié les contrées et les peuples, après avoir, au prix des plus rudes
fatigues et souvent des plus grands dangers, acquis un fonds de
connaissances étendues et solides, viennent nous apporter leur géné-
reux concours et nous faire profiter du fruit de leurs travaux.
» Et puisque nous sommes allés jusqu'en Chine , voulez-vous me
permettre , Mesdames et Messieurs , de ne pas en revenir sans en
rapporter un grand enseignement !
» A quelle cause, nous disait le R. P. Perny, attribuez-vous la durée
exceptionnelle, unique de la civihsation chinoise qui a vu disparaître
toutes les autres depuis plus de quatre mille ans qu'existe le Céleste-
Empire? J'aurais dû le savoir, mais aucun maître ne me l'avait appris
et je n'ai su que répondre : alors , mon éminent interlocuteur de me
dire : « à l'obéissance et au respect de la famille, dans l'école et dans
» l'état : respect à l'autorité du père , du professeur et du chef de
» l'État, respect enfin à toute autorité supérieure, humaine et divine. »
» Si nous pouvions, Mesdames et Messieurs, semer en France un
peu de cette graine d'obéissance et de respect qui entretient et
conserve la vie des nations, ne serions-nous pas heureux d'avoir
appris où elle se trouve et nous n'aurions pas encore à remercier le
missionnaire excellent qui aurait rendu un pareil service à notre chère
Patrie ?
» Vous pourriez croire. Mesdames et Messieurs . en écoutant ces
paroles qui reconnaissent et admirent en Chine des qualités dont nous
pourrions faire notre profit, que j'éprouve le regret de ne pas être
Chinois. — Rassurez vous. J'aime, comme tous les Français, mon pays
avant tout, — et, je me garderai bien de méconnaître ses quahtés
généreuses ; mais c'est parce que je l'aime que je voudrais voir assurer
sa grandeur et sa durée. Voilà pourquoi je suis allé si loin chercher
quelques sages conseils. Vous voudrez bien excuser la longueur du
voyage en tenant compte de notre bonne intention.
- 437 —
» Oui , Mesdames et Messieurs, uotre Société de Géographie sait
eut ce qu'elle doit de reme'rcîinents aux hommes de courage et do
science qui aident nos efforts et qui sont les auteurs de ses dévelop-
pements. Ce sont des maîtres auxquels il est juste et nous est doux
d'offrir l'expression de notre reconnaissance au début de la quatrième
soirée de nos réunions hebdomadaires. Le succès nous demeurera
assuré, Mesdames et Messieurs, si, par votre présence toujours aussi
nombreuse et aussi bienveillante et par de nouvelles adhésions, vous
pouviez encourager de plus en plus nos bonnes volontés. »
A la suite de ce discours, unanimement applaudi, M. Moncelon a pris
le premier la parole.
Avec une franchise dont on doit lui savoir gré , M. Moncelon a
déclaré nettement que l'objet de sa dissertation était moins une confé-
rence qu'une campagne colonisatrice. « Nous ne sommes pas coloni-
sateurs. » Cette déclaration a été faite si souvent, et si légèrement, dit
le conférencier, que nous en sommes arrivés à la prendre à la lettre
et à affirmer , sans autre examen , que la France n'est réellement pas
colonisatrice. C'est cette erreur que M. Moncelon a combattue avec
beaucoup de science et non moins de succès.
M. Moncelon est un causeur très attachant ; indépendamment des
arguments de sérieuse valeur qu'il a donnés en faveur de sa thèse, il a
charmé l'auditoire par certaines descriptions pleines de poésie ; l'itiné-
raire descriptif de France à la Nouvelle - Calédonie a été particulière-
ment goûté. Il ne nous est malheureusement pas possible de suivre
l'orateur dans ses justes critiques sur l'organisation de la colonisation
pénale, ainsi dans ses aperçus sur un régime colonial ayant pour base
une économie sage , une justice moins draconienne et une répartition
territoriale équitable entre les indigènes que nous allons , en somme ,
dépouiller avec assez de brutalité.
Les exigences de ceux que nous allons civiliser sont généralement
modestes ; néanmoins , on a le tort grave de les traiter durement , en
vaincus. Il en résulte des révoltes assez fréquentes et l'impossibilité
absolue de nous faire accepter pour autre chose que des ennemis.
Avant d'imposer des devoirs à des peuplades qui ne connaissent que
l'indépendance , il faudrait au moins , après la conquête , leur octroyer
des droits qui compenseraient les charges.
Un indigène disait à M. Moncelon , au moment de son départ pour la
France : « Nous te prions d'aller voir le grand chef (M. Grévy) et de
— 438 -
le prier de nous donner des litres de propriété semblables aux vôtres. »
C'est tout ce que ces gens demandent : au lieu de cela , on les initie
aux douceurs de l'impôt de capitation, on les administre à l'européenne.
M. Moncelon a terminé sa remarquable conférence par un appel au
patriotisme de chaque citoyen qui peut , dans la limite de ses forces et
de ses moyens, participer au grand mouvement qui se produit en France
en faveur de la colonisation.
Après M. Moncelon, M. de Mahy a pris la parole.
M. de Mahy a employé le même procédé que son prédécesseur à la
tribune , il a joué cartes sur table , et s'est immédiatement déclaré
partisan convaincu de la politique coloniale.
« Nous nous sommes réunis aujourd'hui , a dit l'honorable député ,
» dans une pensée commune, dans une pensée de patriotisme. Partisan
» ou non de la politique coloniale, il faut que chacun étudie la question.
» En avant ! voilà le mot d'ordre auquel nous devons obéir . voilà le
» moyen de continuer la prospérité acquise par le travail du passé. »
Madagascar nous appartient depuis plus de deux cents ans ; c'est à
la lutte contre l'influence de nos bons voisins les Anglais qu'il laut
attribuer nos insuccès dans cette île , dont la possession paisible nous
serait d'une si grande utilité.
Les Anglais , et plus particulièrement les missionnaires anglicans ,
ont , de tout temps , combattu notre influence dans ce pays , contesté
nos droits et intrigué bassement contre nous Ces raisons ne sont pas
les seules , cependant ; il faut y ajouter Tinsouciance de nos gouver-
nants et l'incurie administrative qui a toujours choisi les points les
plus insalubres ou les plus infertiles pour ses tentatives de colonisation.
D'après les affirmations de M. de Mahy , Madagascar nous offre des
ressources immenses et variées ; le climat au nord et au centre de l'île
est aussi sain qu'en France : les naturels du pays qui subissent le joug
des Hovas depuis de longues années , verraient avec plaisir le drapeau
français flotter en maître dans cette île merveilleuse qui possède une
rade, la rade de Diégo-Suarez , capable d'abriter toute notre flotte en
cas de défection navale.
Comme M. Moncelon , M. de Mahy s'est adressé au patriotisme de
ses concitoyens pour agir moralement en vue de la conquête définitive
de cette colonie , dont les avantages pour la métropole paraissent si
évidents.
Les deux conférences de MM. de Mahy et Moncelon seront repro-
- 439 —
duites in extenso dans nos bulletins.
2" Conférence. — L'Arménie et les Arméniens, par M. Jean
Broiissali. — Voici l'analyse de cette conférence qui a été faite à
Roubaix le 22 janvier 1887 (1) :
Le conférencier indique tout d'abord quelle est la situation géogra-
phique de l'Arménie , contrée de l'Asie occidentale , limitée par la
chaîne du Caucause au Nord , la mer Caspienne à l'Est, la Mésopota-
mie au Sud et l'Euphrate à l'Ouest , et traversée par des hautes mon-
tagnes parmi lesquelles le grand et le petit Ararat , le Taurus , les
Gortoouk et les monts , appelés par les Turcs , Bingneul. Comme ces
derniers donnent naissance à l'Euphrate, au Tigre, à l'Aras (Gehon) et
au Djarakh (Phison) , l'opinion publique place en Arménie le siège de
l'Eden ou Paradis terrestre. Il faut signaler dans ce pays de beaux
lacs , tels que le lac Salé , le lac de Van , le lac d'Ornou et le lac
Sévanger.
Le chmat est généralement froid ; cependant , dans les vallées et
dans les plaines, l'air est plus tempéré et le sol très fertile. On récolte
en abondance toute espèce de grains , vins , fruits , tabac , cotons. Les
montagnes recèlent des mines d'or , d'argent , de cuivre , de fer , de
plomb et de magnifiques carrières de marbre et de jaspe. On y trouve
aussi du sel gemme , des sources de naphte , de l'arsenic sufuré jaune ,
etc. Les races chevalines passent pour les meilleures de l'Asie occi-
dentale. La cochenille la plus estimée se trouve en grande partie aux
pieds de l'Ararat. La flore de l'Arménie est relativement l'une aes plus
riches du monde.
Au point de vue politique , l'Arménie , qu'on a justement appelé une
seconde Pologne , se trouve partagée en trois tronçons que se sont
adjugées la Turquie , la Russie et la Perse. Elle est sans contredit 1?
plus asservie parmi les nations subjuguées par les Ottomans. Les Turcs
n'ont appliqué à ce malheureux pays ni la. charte de Gulkhané de 1839,
ni le Hatti-Houmayoun de 1856. Après des siècles , la situation est la
même qu'aux premiers jours de la lutte. En droit comme en fait, il y a
(1) Nous donnons l'analyse détaillée des conférences qui ne sont pas reproduites
in extenso d2uis nos Bulletins.
- /i40 —
deux poids et deux mesures suivant qu'on est de la race d(;s vainqueurs
ou de celle des vaincus ; on promit soleunellement , au traité de Berlin
de 1878 , de réformer cet état de choses , mais ces promesses ont été
violées , et c'est en vain que les Arméniens ont adressé des protesta-
tions aux chancelleries européennes.
En dehors des indigènes , l'Arménie est peuplée de Turcs . Kurdes
et Turcomans , reste des peuplades qui ont fait irruption dans le pays.
Les Arméniens se distinguent par leur caractère grave , laborieux ,
intelKgent , hospitalier, calculateur. Ils sont attachés aux traditions de
leurs ancêtres et à leur gouvernement ; ils sympathisent beaucoup
avec les Européens dont ils apprennent les langues et les manières
avec facilité.
L'histoire de la nation arménienne remonte jusqu'au déluge et à la
Tour de Babel. D'après un monument historique , en partie conservé
par Moïse de Kerène , auteur arménien du V* siècle , le premier chef
de l'Arménie fut Haïg , fils de Thorgom , petit -fils de Noë. Haïg était
soumis à Bel ou Bélus , mais il se révolta contre lui , le tua dans un
combat , régna péniblement dans les environs du lac Van , et nomma
ses sujets Haïks et le pays Haïstane. Actuellement, cette dénomination
est encore conservée par les indigènes et le nom d'Arménien ne leur
est donné que par les étrangers ; ce nom tire son origine d'Aram, l'un
des fils de Haïg. Le dernier roi de la dynastie a été Vahë , à la mort
duquel l'Arménie tomba au pouvoir d'Alexandre, qui fit administrer le
pays par un simple gouverneur. Elle redevint plus tard un beau
royaume : Léon VI de Lusignanen a été le dernier roi, c'est en France
qu'il est venu se réfugier après avoir été vaincu par les Musulmans ,
et c'est au palais des Tournelles qu'il est mort en 1393 ; son corps
repose aujourd'hui dans la sépulture royale de Saint-Denis.
Depuis ce temps, l'Arménie a passé tour à tour sous les dominations
égyptienne, turcomane et turque. Elle a été bien longtemps le théâtre
et la victime des sanglantes rivalités de la Turquie et de la Perse qui
se disputaient sa possession. C'est en 1829 que la Russie est intervenue,
s'appropriant la meilleure partie de son territoire. A partir de cette
époque, ce malheureux pays a été traité de la façon la plus inique : à
l'heure actuelle , qu'on accumule tout ce que la tyrannie la plus éhon-
tée peut imaginer pour opprimer une population laborieuse et avide de
paix, et l'on aura le tableau du régime ottoman en Arménie ; massacres,
dénis de justice , lapines des employés, oppression exercée par les
- 441 -
fonctionnaires , faveurs pour les bourreaux et châtiments pour les
victimes, partout la désolation existe.
Le conférencier donne ensuite les détails suivants sur la langue et la
religion du pays :
La langue arménienne est une des plus anciennes du globe ; elle appar-
tient à la famille des langues aryiennes , dans lesquelle doivent être
compris le zend et le sanscrit, mais elle ne dérive ni de l'un ni de l'autre.
Elle comprend , comme lo grec , une langue ancienne et une langue
moderne. La langue moderne ou vulgaire n'a pas de règles lixos : elle
se subdivise en plusieurs dialectes dont quelques-uns sont très difficiles
à comprendre. Mais la langue ancienne ou littérale a un système
grammatical bien établi , et c'est dans cette langue que sont écrits le?
meilleurs ouvrages anciens et modernes.
L'alphabet arménien a été inventé au commencement du V* siècle et
se compose de trente-six lettres : toutes ces lettres se trouvent de
gauche à droite, et leur orthographe est en harmonie complète avec la
prononciation. La fréquence des aspirées, des sifflantes et des nasales,
plus encore que l'abondance des consonnes de toutes nuances, rendent
la langue arménienne peu agréable aux Européens ; cependant, pronon-
cée par les indigènes , elle ne manque pas d'une certaine harmonie
sonore et variée.
La religion primitive des habitants de l'Arménie était celle des
anciens patriarches; dans la suite, le sabéisme,le magisme et plus tard
le polythéisme grec y introduisirent leurs croyances. Ce furent les
habitants d'Edesse qui, les premiers, se convertirent au cliristianisme :
l'apôtre Thadée , l'un des soixante -douze disciples, convertit le roi
Abgar et la plupart des habitants de la capitale. Mais la religion chré-
tienne ne devint celle du pays qu'au commencement du IV siècle, alors
qu'il fut évangélisé par saint Grégoire, qui subit le martyre sur l'ordre
du roi Tiridate. Actuellement , la nation arménienne, par rapport à la
religion, se trouve divisée en trois catégories: catholique romaine,
grégorienne et proiestonte(évangéhste américaine). Les protestants ne
datent que de quelques années , et ont tout récemment obtenu de la
Porte d'avoir un chef particulier et d'exercer librement leur culte.
M. Broussali dit ensuite quelques mots de la situation économique
du pays :
Le solde l'Arménie est très fertile et peut être cultivé deux ou trois
fois par an ; le commerce des bestiaux y est très nuportant : les Armé-
niens conduisent leurs troupeaux à Gonstantmople, ils mettent six mois
- 442 -
environ à faire ce voyage. Les chevaux arméniens peuvent être compa-
rés aux chevaux arabes.
Le commerce comprend les cuirs , les cotons et les laines. (A ce
propos . M. Jean Brousali fait circuler dans l'auditoire divers échan-
tillons de tissus de laine de fabrication arménienne). On y vend aussi
de la garance , de l'opium , de la soie (qui s'exporte en Russie , au
Caucause et en Perse ) , des vins ( dont le plus estimé est celui de
Mousch), etc.
Le conférencier termine par quelques mots sur le caractère des
Arméniens :
Très aptes au commerce, ils sont d'une sincère probité. La cohabita-
tion sous le même toit est un des caractères distinctifs de la raco.
Lord Byron, dans ses voyages en Orient, a vu de près les Arméniens ;
voici ce qu'il en dit : « Il serait peut-être difficile de trouver dans les
annales d'une nation moins de crimes que dans celles du peuple armé-
nien , dont les vertus sont celles de la paix et dont les vices ne sont
que le résultat de l'oppression qu'ils ont subie. »
La conférence s'est terminée par quelques projections (vues de Jéru-
salem, Gonstantinople, Alexandrie ; tombeau des Mamelouks au Caire,
tombeau des rois à Jérusalem , quelques types Arméniens et plusieurs
autres sujets tirés de l'Orient.]
M. Henry Bossut a remercié le conférencier.
M. Broussali répondu que son but principal . en faisant des confé-
rences géographiques , était d'attirer l'atlention sur la malheureuse
situation dans laquelle se trouvait sa patrie.
3" Conférence. — L'Australie telle quelle est, par le baron Michel,
ancien officier de marine. — Cette conférence a eu lieu le 29 janvier
1887. Elle a été sténographiée lorsqu'elle a été faite à Tourcoing , et a
été publiée dans ce volume (page 90) .
4" Conférence. — Le Royaume-Uni , par M. Lefebvre , professeur
à l'Institut Tiirgot. — Cette conférence a été faite le 5 février 1887.
Elle sera prochainement publiée in extenso dans nos bulletins.
5" Conférence. — L'Islande, par M. le D' Labonne. — Cette confé-
rence a été faite le 12 février 1887. Elle sera à bref délai publiée
in extenso dans nos bulletins.
- 443 ~
6'' Conférence. — Les Consulats, les Chambrps de commerce à
V étrange?^ et les Musées comme/'Ciaux. , par M. Grousseau , avocat,
professeur à la Faculté libre de Lille. — Cette conférence a été faite le
19 février 1887.
Le sujet traité par M. Grousseau n'était peut-être pas très attrayant
pour les dames , mais son importance était considérable , et il serait à
désirer que des conférences semblables fussent faites dans toutes les
villes industrielles , afin d'appeler l'attention des intéressés sur les
réformes proposées par le savant conférencier.
M. Grousseau a parlé de l'utilité et du fonctionnement des consulats,
des Chambres de commerce en France et à l'étranger , et des musées
commerciaux.
La question la plus importante est incontestablement celle qui est
relative aux consulats.
Il ne suffit pas de connaître la situation géographique d'un pays, a
dit M. Grousseau en commençant, il est indispensable de connaître ses
institutions.
Avant toute chose , il faut avoir des renseignements très érécis sur
les pays avec lesquels nous avons des relations commerciales. Pour
obtenir ces renseignements, à qui les industriels doivent-ils s'adresser?
Aux consuls évidemment.
Cela paraît aussi simple que naturel, et cependant si notre commerce
d'exportation n'avait d'autres auxiliaires que les consuls, sa prospérité
serait fort compromise.
D'où vient donc cette infériorité de nos agents consulaires, alors que
ceux de l'Angleterre, de l'Allemagne et de la Belgique envoient à leurs
gouvernements des rapports si complets, si précis, si utiles ?
L'infériorité de nos agents vient uniquement de ce qu'ils n'ont ni les
goûts, ni les aptitudes de leurs fonctions , et, ajoute M. Grousseau , ils
ne sont pas trop blâmables.
Si en France, le consulat n'est pas un poste diplomatique, il a trop
d'intimité avec cette carrière pour se désintéresser de la politique.
Les agents consulaires et les diplomates passent par la même porte ;
le premier poste n'est qu'un stage préparatoire à des fonctions plus
élevées, plus brillantes et, par conséquent, plus recherchées. Pour
embrasser la carrière diplomatique , il suffit d'être licencié en droit ,
mais il faut subir le consulat et les quelques années que nos futurs
— 444 —
ambassadeurs perdent dans cette carrière ne sont pas un stimulant
capable de les pousser dans la voie des études économiques.
Voilà où est le mal, et il n'est pas nécessaire de le chercher ailleurs.
Pendant que les jeunes gens lancés dans la diplomatie parcourent
assez allègrement les étapes de la carrière sous le nom de secrétaire
d'ambassade, attaché d'ambassade , ministre plénipotentiaire , ambassa-
deur, ceux qui voudraient rester dans le consulat voient leur position
limitée à celle de consul général , poste qui n'est pas comparable , ni
comme considération , ni comme profit , à un poste de moindre impor-
tance dans la carrière diplomatique. Il y a donc nécessité absolue de
séparer ces deux carrières et de donner des avantages plus sérieux à
nos consuls. Alors seulement nous aurons des agents capables , qui
rendront à notre industrie d'immenses services. On éloignera ainsi du
consulat les licenciés en droit qui acceptent les fonctions de consul
avec dégoût, mais on y appellera tous les jeunes gens dont les connais-
sances et les aptitudes commerciales trouveront là leur meilleur emploi,
pour le plus grand bien de l'industrie nationale,
M. Grousseau parle ensuite des musées commerciaux et des exposi-
tions flottantes. Les premiers peuvent produire un excellent résultat ,
malheureusement , ils sont depuis des années déjà , soumis à l'examen
d'une Commission spéciale dont l'arrêt — comme les arrêts de toutes les
Commissions — se fait toujours attendre.
Quant aux expositions flottantes , M. Grousseau , sans avoir une bien
bonne opinion de cette innovation , y trouve une idée dont on pourra
peut-être tirer parti.
C'est surtout au redoublement de l'initiative privée qu'il faut
s'adresser pour améliorer notre commerce d'exportation, mais cela
sera toujours difficile au commerce français qui a trop de nonchalance
et uj]e dignité mal comprise qui l'empêche d'aller au chaland. Cette
nonchalance de nos commerçants est prouvée par un fait observé à
l'exposition d'Amsterdam. Certains prospectus de maisons françaises
étaient distribués à profusion à tous les visiteurs ; nos produits étaient
vantés , leurs qualités mises à jour et leur supériorité dûment établie
au moyen des tarifs accompagnant les prospectus. Malheureusement,
ces prospectus étaient Imprimés en français, ce qui rendait inutile . au
moins pour les neuf dixièmes, cette abondante distribution, et la valeur
des marchandises exposées était imprimée en francs, ce qui, dans le
pays des florins , doublait en apparence le prix de nos produits.
M. Grousseau termine sa conférence eu adressant une juste critique
- 445 —
à notre législation relativement au service militaire. L'Allemagne , par
exemple , dispense absolument le sujet qui part à dix-sept ans , et qui
est absent pendant quinze ans . Elle estime que celui qui s'emploie au
succès de l'industrie nationale, est aussi le serviteur de la patrie.
7^ Conférence. — Le Nord de la France , ses industries , son
commerce , ses ports en présence de la concurrence étrangère , par
M. J. Petit, membre de la Chambre de commerce de Boulogne-sur-Mer,
conseiller d'arrondissement. — Cette conférence qui a été faite à
Roubaix le 26 février, a été publiée dans ce volume (page 309).
8® Conférence. — La Grèce moderne et sa situation écono7nique,
par M de Joannès. Cette conférence a été faite le 5 mars 1887 et sera
publiée prochainement in extenso dans nos bulletins.
9^ Conférence. — L'Italie septentrionale, par M. Castonnet des
Fosses . vice - président de la Société de géographie commerciale de
Paris. — Cette conférence a été faite le 12 mars 1887 , en voici le
résumé succinct :
L'Italie se divise en deux parties : l'Italie du Nord et l'Italie du Sud.
La première comprend le Piémont , la Lombardie , la Vénétie et la
Toscane.
Sa race diffère de celle du Midi par son origine , son caractère , ses
mœurs et son langage.
Dans l'Italie du Nord , l'on assiste à un réveil commercial et indus-
triel. Les habitants de l'Italie méridionale aiment l'oisiveté et les
plaisirs.
Le Piémont a 30,000 kilomètres carrés et 3 millions d'habitants. On
y distingue des terres basses où on cultive le riz et le maïs , des terres
accidentées qui produisent le vin , les céréales , et qui possèdent des
plantations de mûriers ; enfin des régions montagneuses avec de vastes
forêts et d'excellents pâturages.
La race Piémon taise est très énergique , travailleuse et économe.
Le Piémontais émigré et le chemin de fer de Saint-Louis a été construit
en grande partie par lui,
M. Castonnet des Fosses donne un historique et une description de
la ville de Turin. Il parle des villes de Chieri et d'Asti , cités commer-
çantes au XIV siècle , qui entretenaient de grandes relations avec les
villes flamandes. Le vin d'Asti, si renommé , était principalement con-
sommé par des bourgeois de la Flandre.
-446 -
La Lombai'die comprend spécialement , mais d'une manière un peu
vague et sans limites bien précises, cette vaste plaine qui forme l'Italie
du Nord et qu'arrosent le Pô et l'Adige.
Au Nord , les Alpes entourent l'Italie comme d'une ceinture demi-
circulaire depuis Savone jusqu'aux Alpes Juliennes ; mais elles la
défendent mal . car leur pente la moins rapide est au nord , par où
viennent les invasions. Aussi les plaines fertiles de l'Italie septentrio-
nale ont-elles été , depuis les temps historiques , le champ de bataille
des nations européennes.
La différence des deux parties de l'Italie est marquée dans leur
climat. La péninsule , principalement dans sa partie méridionale ,
ressemble plus à l'Afrique qu'à l'Europe ; elle a de l'Afrique le climat
sec et brûlant et le redoutable sirocco qui souffle sur les côtes. Dans
la partie continentale, le voisinage des Alpes, l'abondance des fleuves,
la direction de la vallée qui s'ouvre sur l'Adriatique , entretiennent le
plus délicieux climat. Aussi , les plaines de la Lombardie et de la
Vénétie sont-elles d'une inépuisable fertilité, grâce au limon des nom-
breuses rivières qui les féconde.
On y cultive en abondance le riz , le blé , la vigne , l'olivier ; on y
récolte le coton et la soie.
Mais les deux priacipales productions de l'Italie septentrionale sont
le riz et la soie.
Donnons un. aperçu de quelques villes ; M Castonnet des Fosses a
traité cette partie de la conférence de la façon la plus beureuse : Sa
parole imagée , son style précis , ont doimé à l'auditoire une idée
frappante de ces cités légendaires qui furent le berceau de tant de
grands hommes et le théâtre de tant d'événements historiques.
Milan est une ville dont l'industrie et le commerce gagnent de jour
en jour : la noblesse milanaise ne dédaigne pas de se mettre à la tête
de l'industrie : elle a compris que c'était là le plus sûr et le seul moyen
pour un peuple comme pour une ville , de prospérer et de grandir.
Milan est la résidence des grandes autorités du pays ; il y a une Cour
de cassation, des lycées, des gymnases, des collèges, des musées, des
jardins . de nombreuses fabriques de soieries , velours , rubans . den-
telles , instruments d'optique et de mathématiques , carrosserie , etc. .
Vérone a , comme Milan , ses monuments et ses institutions : elle
renferme des antiquités archéologiques de grande valeur ; son industrie
est celle de la soie.
Venise est formée d'uu groupe de 70 îles reliées les unes aux autres
— 447 —
par 470 ponts. Elles laissent entre elles 149 canaux qui sont comme les
rues principales delà ville, et sont sillonnés par plus de 9,000 gon-
doles noires. Venise a un aspect original et pittoresque, mais en même
temps bien triste, surtout quand on songe à son ancienne splendeur ,
à son industrie jadis florissante , aujourd'hui bien déchue , à son com-
merce qui la mettait au nombre des premières puissances d'Europe et
qui lui permettait de s'appeler elle-même la dominante Venise.
Florence contient de nombreux et somptueux édifices ; ses places
sont couvertes de fontaines et de statues ; peu de villes offrent autant
de chefs-d'œuvre des arts qu'il serait trop long d'énumérer.
L'industrie de Florence est déchue : le travail de la laine , autrefois
très florissant , a maintenant cessé. La fabrication des soieries occupe
cependant encore un certain nombre d'ouvriers.
Au point de vue historique , Florence , par sa grandeur littéraire et
artistique comme par ses agitations et sa démocratie , a été l'une des
villes les plus célèbres de l'Europe. Elle a donné à la poésie Dante ,
Pétrarque ; l'histoire et la politique lui doivent Villani, Machiavel,
Guichardin ; elle a fourni avec Améric Vespuce sa belle part à la nom-
breuse phalange des grands navigateujs ; Michel Ange , Andréa del
Sarto , Benvenuto Cellini et Léonard de Vinci , avec toute l'École
Florentine , au XVP siècle , y représentent les arts du dessin. La
musique y a trouvé LuUi et les sciences, Galilée.
Après quelques mots sur Pise et Sienne, le conférencier parle de
Livourne qui est une ville morte. Le port est désert. Tout le mouve-
ment maritime de cette côte d'Italie s'est concentré à Gênes.
Le mouvement commercial de Gênes atteint 500 millions de francs,
dont 350 pour les exportations , et 150 pour les importations. Cette
ville se développe chaque jour ; elle est pour Marseille une rivale
redoutable.
De tout temps, les Génois se sont fait remarquer pour leur esprit
mercantile ; pour le prouver, il suffit de citer la fameuse Banque de
Saint-Georges, qui remonte au moyen-âge.
Disons quelques mots de la puissance commerciale et industrielle de
l'Italie en 1884, Son mouvement commercial atteignait 2 milliards et
demi, dont 400 millions pour les importations et 1,100 miUions pour les
exportations. La marine marchande a un tonnage de onze cent mille
tonneaux.
Il y a là un danger pour le commerce et l'industrie de la France.
- 448 -
La véritable lutte existe maintenant sur le terrain économique. Au
siècle dernier, Dupleix l'avait prédit : il faut agir.
M. Castonnet des Fosses termine en disant que les négociants de
Roubaix, qui font preuve de tant d'énergie et de persévérance, se
montrent les vrais compatriotes de Dupleix.
La ville de Roubaix donne l'exemple : à elle de réveiller les pro-
vinces qui, en France, vivent dans la torpeur et au jour le jour.
Roubaix a conscience de sa force et ne manquera jamais à sa mission.
Le conférencier adresse des remerciements à l'auditoire pour sa
bienveillante attention, et termine par un éloge délicat de Roubaix.
Les projections représentaient des vues des villes principales de
r talie du Nord, et de leurs monuments.
10* Conférence. — La navigation el la mamne dans les temps
anciens, par M. Jacquin , Inspecteur de l'Exploitation au chemin de
fer du Nord. Cette conférence sera publiée in-extenso.
Tous les ans , à l'occasion de l'ouverture et de la clôture des confé-
rences géographiques , le président de la section de Roubaix, l'hono-
rable M. Henry Bossut. prononce un discours rappelant les travaux
de la Société pendant l'année écoulée , passant en revue les conféren-
ciers venus à Roubaix et analysant leurs causeries.
En raison de son importance et de sa valeur , nous publions le
discours de clôture in extenso , convaincu qu'il intéressera tous nos
lecteurs.
« Mesdames et Messieurs,
» Tout d'abord , Mesdames et Messieurs , notre comité , qui a vu
deux des conférenciers sur qui il comptait , lui manquer pour cause
d'indisposition bien justifiée assurément , tient à vous exprimer ses
regrets et à s'excuser devant vous de l'interruption que nos réunions
ont éprouvées samedi dernier. Permettez-moi ensuite et avant de com-
mencer le compte -rendu habituel de nos conférences, de rendre
hommage à l'obligeance de M. Jacquin , inspecteur de l'exploitation
du chemm de fer du Nord , que nous n'avons plus à vous présenter ,
car tous nous avons conservé le meilleur souvenir de sa conférence
sur les chemins de fer. Nous lui avons demandé ces jours derniers un
concours nécessaire ; il a bien voulu, pour la clôture de cette cinquième
série de nos* conférences , nous promettre pour ce soir et nous appor-
- 449 -
ter sa parole instructive et sûre , dans une étude « de la navigation et
de la marine depuis les temps les plu.s reculés ». Je vais m'efibrcer de
retarder le moins possible le plaisir que nous aurons tous de l'écouter.
» Il y a un peu plus de deux mois , M. de Mahy , député , ancien
ministre du commerce, et M Léon Moncelon, délégué de la Nouvelle-
Calédonie, inauguraient avec un éclat, doiit nous nous sommes trouvés
justement fiers, la reprise de nos conférences annuelles. M. Léon
Moncelon, dans un langage sobre et ferme, nous entretenait de la
question de l'expansion coloniale ; il nous affirmait que les Français ,
contrairement à une opinion que rien nejustifle, ont l'esprit d'initiative
vers la colonisation ; il veut les pousser en avant et leur inspirer la
confiance qu'il a lui-même dans notre succès. C'est ainsi qu'il engage
ceux de nos ouvriers , qui ne trouvent pas en France leurs moyens
d'existence , à émigrer dans nos colonies . et il leur recommande les
Nouvelles - Hébrides , comme des îles d'une fertilité extraordinaire,
d'une richesse de végétation incomparable ; on ne pouvait douter , en
l'écoutant, qu'il avait fait lui-même la preuve de la sûreté de ses
conseils et de ses affirmations. Des projections lumineuses de vues de
la Nouvelle-Calédonie ont ajouté à l'intérêt de son récit tout rempli de
faits et d'observations qui distinguent l'homme d'action et de sens
pratique. Son livre , qu'il a intitulé le « Bagne » , dont il a fait hom-
mage à notre Société, traite avec un remaiT|uable talent la question de
colonisation pénale aujourd'hui en usage. Il la critique avec une sévé-
rité, hélas ! trop justifiée par les preuves de son insuccès à tous les
points de vue et surtout au point de vue moral, le criminel étant inuti-
lisé et traité à l'égal d'un travaileur.
» C'est aussi pour l'expansion coloniale que M. dii Mahy fait entendre
son éloquente parole : c'est dans une pensée patriotique qu'il appuie de
l'autorité de son beau caractère et du charme de son talent d'orateur ,
les arguments si bien présentés par son jeune ami, M. Léon Moncelon,
en faveur de la colonisation. Écoutez avec quel soin il nous fait
connaître Madagascar, et comment il sait nous apprendre l'importance
de cette grande île que la France possède depuis deux cents ans et qui
est non seulement un point stratégique redoutable, mais encore un lieu
de ravitaillement sans pareil où la vie est à si bon marché , qu'un bœuf
y coûte 7 francs . où tout abonde , le coton , le fer , le nickel , l'anti-
mohie, le plomb argentifère, l'or enfin ; où le charbon se trouve
presqu'au niveau du sol, de quaUté supérieure, dans un bassin houiller
plus considérable que tous les bassins réunis de la France : où tant de
- 450 -
richesses appellent et attendent l'activité intelligente de nos compa-
triotes,
» Pour que notre puissance y soit assurée , nous dit-il, ce n'est pas
la guerre qui est nécessaire, c'est notre travail qu'il faut y porter avec
un peu de notre capital , si abondant et si disponible. M. de Mahy est
un charmeur ; il a parlé longtemps, sans fatigue pour lui, sans recherche
de l'expression et avec une facilité si agréable que nous l'écouterions
enf^ore s'il l'avait voulu et si les meilleures choses n'avaient aussi et
surtout leur fin.
» Aucun de vous , Mesdames et Messieurs , n'a pu voir et entendre
sans émotion M. Jean Broussali, ce jeune homme de 22 ans, élève des
écoles chrétiennes d'Ezeroum, qui, venu en France avec sa mère pour
étudier le droit et devenir docteur , consacre sa jeune ardeur à inté-
resser l'opinion publique au relèvement de l'Arménie turque , sa
malheureuse patrie ; c'est dans ce noble but qu'il a essayé devant
vous , pour la première fois , sa parole toute empreinte de timidité et
de conviction. C'est ici même qu'il a fait ses débuts, et c'est devant la
Société de Géographie de Paris qu'il a parlé la seconde fois, pour mon-
trer l'état abandonné de l'Arménie et pour invoquer en sa faveur
l'exécution de rarticle 61 du traité de Berlin.
» A Paris comme à Roubaix , son succès a été mérité par sa per-
sonne sympathique, par son amour pour sa patrie dont il nous a rappelé
l'alliance avec la vieille Flandre , au temps des Croisades ; il nous a
redit les siècles de grandeur et de prospérité de sa nation dont il vante
les vertus patriarcales, l'esprit commercial et la proverbiale honnêteté.
Il ne pouvait manquer de nous raconter que pendant le mois de juillet,
dans une période de dix ou douze jours, il y a, dans son pays, un pèle-
rinage jusqu'aux Neiges du Moiit-Ararat , où s'est arrêté l'arche de
Noé après le déluge , où s'est conservé dans les glaces , pour l'admi-
ration des fidèles, un de ses mâts abandonné.
» Il affirme que Noé a planté la première vigne au pied du Mont-
Ararat ; nous l'avons cru sur parole et aussi sur le vin qu'il nous a fait
goûter , sans nous le faire apprécier beaucoup. Enfin , nous avons
applaudi le charmant conférencier en saluant le drapeau arménien
qu'il a planté au-dessus des produits de son pays, étofi'es , essences
d'arbres, minerais, dont il nous a laissé des spécimens.
» Le baron Michel est Thabile orateur de l'heure présente ; il est
l'avocat de l'avenir ; s'il rappelle le passé, c'est par respect de l'histoire
- /i51 -
el presqiK' malgré lui ; car il no voit volontiers qu'cMi avant ; il clianlo
le Go ahead des Yankees.
» Aussi, est-ce en Australie qu'ils nous transporte, chez ce nouveau
peuple , composé d'Anglais , d'Allemands , de peu de Français , hélas!
Avec quelle verve il nous dépeint cette île quinze fois grande comme la
France, habitée par trois millions trois cent mille européens . où il ne
reste que trente-cinq mille indigènes ; les Anglais en ont l'ail une terre
anglaise , après la perte de leurs colonies américaines ; les Hollandais
l'avaient découverte, nos voisins d'Outre-Manche l'onl accaparée et s'y
sont enrichis au début par les mines d'or, ensuite par l'élevage des
moutons, dont le nombre est évalué à 88 millions. La laine d'Australie
est une richesse qui ne s'épuise pas ; sa qualité est trop connue et
appréciée dans nos centres manufacturiers pour en faire l'éloge. Cette
conférence, enlevé avec une rare élégance de parole et un entrain fort
remarquable, s'est terminée par de nombreuses et intéressantes vues
lumineuses de Melbourne et de Sydney.
» Nous avons eu l'an dernier le plaisir d'entendre M. Lefebvre ,
professeur à l'Institut Turgot , qui faisait aussi et ici même ses débuts
avec un véritable succès ; notre Comité s'est empressé de lui deman-
der cette année une conférence sur le Royaume-Uni. Le jeune et
savant professeur, tout en nous donnant une idée générale des grandes
villes, des ports , de la marine marchande , des mines , de la richesse
industrielle et commerciale de l'Angleterre, de la fortune colossale de
ses habitants , de la puissance de l'Empire Britannique qui commande
et protège 300 millions de sujets répartis dans le monde entier , a
surtout dirigé son étude sur le caractère et les mœurs, sur les qualités
et les défauts de ce peuple froid , méthodique et sensé : c'est dans ses
rapports intimes aussi bien que dans ses relations avec l'étranger qu'il
a cherché à nous faire connaître cette nation si homogène , si redou-
table comme ennemie et comme concurrente , plus avancée que nous
dans le selt governement , mais plus exposée que nous , par sa consti-
tution civile et la distribution par trop inégale de sa fortune mobilière
et immobilière, aux crises sociales qui troublent notre époque.
» Dans un langage châtié et toujours facile , M. Lefebvre nous a
raconté, par le détail, les curieuses habitudes de la vie anglaise compa-
rée à la nôtre . et il va sans dire que sans contester le confortable de
nos voisins et le mérite des misses et des ladies , il a conclu en faveur
de la vie française et surtout des femmes françaises , préférence qui
— 452 -
s'explique et que nous pouvons nous pardonner, sans oublier toutefois,
que nul n'est bon juge dans sa propre cause.
» Si vous voulez bien, Mesdames et Messieurs, vous rappeler l'intelli-
gente physionomie du docteur Labonne , vous vous le représenterez
monté sur un de ces petits chevaux islandais, sobres, autant que vigou-
reux et énergique , traversant d'immenses étendues de terres arides ,
de neiges et de glaces ; l'agréable conteur nous a fait le récit de son
voyage en l accompagnant de projections lumineuses qui nous tenaient
attentifs à la fois des yeux et des oreilles ; nous l'avons suivi . parcou-
rant cette île volcanique qui ne possède qu'un seul arbre , un sorbier,
qui a une capitale d'un nom impossible à prononcer , Reykjavik , avec
3,000 habitants , qui renferme quelques bourgades , qui contient des
mines de soufre et dont le commerce peut se résumer dans l'exporta-
tion des plumes de l'Eider et des poneys , que le sphituel conférencier
nous conseille de nous procurer comme d'incomparables petits servi-
tours et dont, pour ma part, j'ai grande envie de profiter.
» Nous avions espéré que le docteur Labonne aurait pu nous faire
coimaître le Groenland, il nous l'avait promis, mais sa vivante parole a
tant d'attraits, qu'il est appelé par 40 villes , ahisi qu'il nous l'écrit. 11
n'a plus sa liberté, c'est un regret que vous partagerez avec nous.
» Votre comité , dont le devoir est de mêler l'utile à l'agréable , a
prié M. Grousseau , professeur éloquent , avocat distingué , de nous
instruire sur l'organisation « des Consulats, des Chambres de Com-
merce à l'étranger et des Musées commerciaux ». Ce sujet , si intéres-
sant pourRoubaix, est peu connu ; nous ne savions pas que le consulat
n'est qu'un passage pour monter dans la diplomatie ; M. Grousseau
nous a ainsi expUqué le peu de services que nous rendent nos consuls,
pendant qu'en Belgique et en Angleterre le consulat offre une carrière
dans laquelle le jeune homme , préparé par des études spéciiiles , sait
qu'il peut monter sur place en grade et en appointements et s'efforce ,
par son activité, par les renseignements qu'il donne à la mère-Patrie ,
de gagner son avancement , pour son profit et pour celui de ses
nationaux.
» Il y a là une réforme et une amélioration à faire. Les Musées com-
merciaux, que l'Aliemagne développe de jour en jour, ainsi que nous
le démontrera ici même après-demain . M. Marins Yachon , sous le
palronage de notre Chambre de commerce , appellent toute la soUici-
tude du gouvernement français qui, par les Consulats et les Chambres
de commerce à l'étraiiger , réunirait facilement dans nos villes indus-
- 453 -
triolles los éléments nécessaires à leur constitution et à Inur organi-
sation. On ne saurait mieux dire que M. Grousseau et Ions nos
remerciements lui sont adressés.
•» C'est une question très considérable et d'un intérêt presque vital
pour notre commerce que colle de l'approfondissement des ports du
Nord de la France. Un hf)mmo énergique et dévoué, M. Jules Petit ,
président de la Société de géographie de Boulogne , membre île la
Chambre de commerce , présidont du Conseil d'arrondissement du
Pas-de-Calais , s'est fait conférencier sans être orateur , comme il l'a
dit modestement . pour propager l'idée que Boulogne aura bientôt
réalisée. Créer des ports on eau profonde , afin d'y assurer à toute
heure l'accès au navire du plus fort tonnage . arrêter chez nous leur
course vers Anvers , retenir au passage une partie dos grands tran-
satlantiques qui peuvent être reçus au nombre de plus de quatre-vingts
dans le port florissant de cette grande cité d'un monde cosmopolite .
tel est le but de M. Jules Petit . que nous avons chaudement applaudi ,
en remerciant en môme temps M. Luteau, l'aimable sous -préfet de
Boulogne . qui l'avait accompagné.
» Il ne nous avait pas été donné encore, Mesdames et Messieurs, de
connaître la Grèce moderne au point de vue économique. Chacun de
nous, dans ses études classiques , a appris l'histoire de ce petit pays
qui a produit tant de grands hommes , qui a créé de si belles œuvres
en sculpture et en architecture et qui , des défilés des Thermopyles
jusqu'aux remparts de Missolonghi , porte la gloire des actions guer-
rières les plus hautes , mais nous ignorions tous ou presque tous , le
rôle que joua à notre époque ce peuple rajeuni par le travail dans
l'agriculture, l'industrie et le commerce. Les détails que M. de Joaunès
nous a donnés ont été des révélations. Par ses nombreux voyages ,
par ses résidences dans le Levant, par ses études comme ingénieur
dans les raines, dans les carrières de marbre, dans les chemins de fer,
le savant conférencier , qui est presqu'un compatriote , a su nous faire
assister au réveil de la Grèce, et a pu lui prédire un nouvel et brillant
avenir , en nous montrant presqu'achevé le percement de l'isthme de
Gorinthe.
» M. Castonnet des Fosses , à qui notre comité ne doit plus que des
remerciements pour son concours personnel et ses recommandations
aaprès de ses amis, nous a promenés comme habile cicérone à travers
les villes et les campagnes de l'Italie septentrionale , il nous a montré
en paroles simples et agréables et en projections lumineuses bien choi-
— 454 —
sies , Turin , Milan , Vérone , Venise , Florence , Livournc et Gênes ;
c'est surtout au point de vue industriel et commercial que s'est placé
M. Castoiinet des Fosses pour nous signaler les progrès réalisés en
Piémont et en Lombardie, où se sont développées, pour nous faire une
concurrence déjà redoutable, de nombreuses et grandes manufactures
de draperies et d'étoffes diverses. Il est bon, nousa-t-il dit, de connaître
ceux qui grandissent autour de nous , car il faut que nous grandissions
nous-mêmes pour lutter avec succès sur le terrain , ouvert à tous , des
intérêts économiques. M. Castonnet des Fosses sait beaucoup et ne dit
que ce qu'il sait bien. Ses études constantes de toutes les questions qui
intéressent la France sur le continent ou aux colonies. Pont mis à même
de publier des ouvrages qu'il a bien voulu offrir à notre Société. Nous
sommes heureux d'avoir ici l'occasion de l'en féliciter et de l'en remer-
cier. Un jour viendra oii nos ressources et votre concours , nous
permettront de commencer l'installation d'une bibliothèque dans un
public pour la lecture des livres et des cartes géogi'aphiques que Lille
tient à notre disposition pour s'ajouter à ce que nous possédons déjà.
Ce sera la seconde partie de notre œuvre.
» En terminant cet exposé , trop long , je le sais bien , Mesdames et
Messieurs , mais que je n'ai pas eu le temps ni le talent de rendre plus
court et plus intéressant, je dois vous annoncer, au nom de notre
comité, que le concours de géographie aura heu le jeudi 16 juin
prochain. Des programmes seront adressés aux écoles en temps utile.
» Nous manquerions à notre devoir, si, à propos du dernier concours,
nous ne rendions pas ici publiquement hommage à l'Institut Sévigné ,
qui a soutenu brillamment la lutte et a fait applaudir dans la salle des
récompenses de Lille, au mois de janvier, les noms de Mlles Léonie
Cousu , Marie Vandamme et Noémie Lévi.' Notre Comité leur adresse
aujourd'hui toutes ses félicitations.
» Et maintenant , Mesdames et Messieurs, je prie M. Jacquin de
vouloir bien prendre la parole. »
Le discoui's de M. Henry Bossut a été accueilli par une double salve
d'applaudissements .
- 455
COMPTE-RENDU DES CONFÉRENCES
DE LA SECTION DE TOURCOING.
A l'exemple de Roubaix , une section spéciale de Géographie a été
créée cette année à Tourcoing . grâce à l'initiative de M. François
Masurel père , Vice-Président de la Société . qui y a apporté un
dévouement dont nous ne saurions trop faire l'éloge. Un Comité a
été organisé par ses soms , avec M. Desurmont , juge au tribunal de
commerce, comme vice-président , et M. Paillard-Lelong , trésorier de
de la Caisse d'épargne de la ville , comme secrétaire , avec le concours
de MM. Ernest Delmasure , Emile Destombes , Paul Duquesnoy et
Charles Jonglez fils , comme membres du bureau.
A bref délai , une série de conférences a été organisée. M. François
Masurel a offert à la Section un appareil Molteni et un écran pour les
projections , et un sténographe de talent , M. Dujardin-Rouzé . négo-
ciant de la ville , a bien voulu sténographier chaque fois les paroles
des conférenciers.
Toutes les réunions publiques organisées par le Comité ont eu lieu
dans l'une des salles de l'hôtel-de-ville de Tourcoing , mise obligeam-
ment à la disposition de la Section par la municipalité ; à chaque fois
l'assistance s'est trouvée nombreuse et choisie , témoignant par son
attention de l'intérêt que lui présentaient les sujets traités et soulignant
par ses applaudissements le talent des orateurs.
r" Conférence. — Les Républiques de la Plata , par M. Potel ,
ingénieur civil , membre de la Société de géographie commerciale de
Paris.
Cette conférence a eu lieu le 9 décembre 1886. La séance a été
présidée par M. François Masurel père, président de la Section , ayant
à ses côtés , outre les membres du bureau de Tourcoing , MM. Paul
Crepy, président de la Société, etAlû-edRenouard, secrétaire-général.
- 456 -
M. le président a prononcé le discours suivant :
Mesdames et Messieurs,
» Mes collègues et moi sommes heureux de l'empressement avec
lequel vous vous êtes rendus à cette conférence , la première qui
marquf) la fondation de la section de géographie de Tourcoing , vous
savez ainsi témoigner de l'inlérêt que vous portez à notre œuvre, et je
vous en remercie.
» En fondant ici une annexe de la Société de géographie de Lille ,
nous adoptons le programme de cette Société qui se résume dans la
diffusion des coimaissanc<3s géograpliiques et l'accroissement de nos
relations commerciales ou autres avec les pays étrangers. Par les
conféi-ences que nous ferons cet hiver , par les bulletins que chaque
mois nous vous enverrons , nons voulons donner à nos membres les
notions les plus exactes sur le climat, le sol elles produits des diverses
contrées du globe, nous voulons en faire connaître la législation , le
commerce . l'industrie , le régime économique qui leur est propre.
» On.a souvent dit que nous ne connaissions yas suffisamment les
conlrées autres que la nôtre et surtout que nous ne les visitions pas
assez. Nous espérons encore donner le goût des voyages à ceux d'entre
nous qui ne se sentiraient pas encore portés vers ce genre de distraction,
ou plus , faire naître même, j'ose le dire, des idées d'émigration , mais
d'une émigration raisonnée . utile , qui fait la fortune de ceux qui
partent et aide à la prospérité de ceux qui restent. Les Français qui se
rendent ainsi à l'étranger feront toujours , j'en suis sur , honneur à la
France.
» C'est aux commerçants surtout que je m'adresse. Le monde entier
est devenu , de nos jours , client du commerce , c'est une nécessité de
le visiter pour cannaître ses besoins. L'entreprise, du reste, est facile,
car aujourd'hui du pays le plus éloigné , la vapeur sait faire un pays
voisin .
» La section de géographie de Tourcoing vous demande votre appui
pour l'œuvre qu'elle poursuit , œuvre avant tout patriotique et qui n'a
en vue que l'utile. Nous l'avons commencée aujourd'hui en appelant
parmi nous un conférencier de mérite , M. Potel , qui va vous entre-
tenir d'une région , la République Argentine , avec laquelle la ville de
Tourcoing engage journellement des transactions considérables. Nous
sommes persuadés que tous nous retirerons un grand et réel profit de
- 457 —
la soiréo qu'il vient nous offrir aujourd'hui. Je le prie de prendre la
parole. »
Après ce discours , vivement applaudi, M. Potel a traité d'une façon
des plus intéressanles le sujet qu'il s'était donné. Sa parole facile , sa
narration attrayante, les nombreux et utiles renseignements dont il a
su éuiailler son récit , enfin , les magnifiques projections qui ont , à
certains intervalles , coupé intelligemment son exposé , tout , enfin, a
contribué à faire de cette première conférence . que nous avons déjà
insérée dans nos bulletins , un véritable et réel succès.
2" Conférence. — L'Australie telle est , par M. le baron Michel ,
ancien officier de marine.
Cette excellente conférence , qui a eu lieu le 20 janvier 1886, a été
publiée in extenso, page 90, du présent volume.
3® Conférence. — Madagascar , par M. Jolivet , docteur en droit.
Cette conférence a eu Heu le 20 janvier 1887. M. Jolivet remplaçait
au dernier moment M. Richard, indisposé.
4" Conférence. — L'Algérie, par M- Vibert, membre de la Société
des explorateurs.
L'un de nos prochains bulletins reproduira in extenso cette confé-
rence, qui a eu lieu le 27 janvier 1887.
5" Conférence. — Vingt jours au Canada, par M. Leiort, profes-
seur à l'Ecole des Hautes études commerciales.
Cette conférence sera de même publiée in extenso dans nos bulletins.
Elle a eu lieu le 9 février 1887.
6" Conférence. — Madagascar et la question coloniale, par M. de
Mahy, député de la Réunion. — La Nouvelle-Calédonie, par M. Léon
Moncelon, délégué de la colonie au Conseil supérieur des colonies.
Cette double conférence a eu lieu le 20 février 1887. Elle sera
reproduite in extenso dans nos bulletins.
T Conférence. — L'Expansion coloniale chez tous les peuples,
par M. le baron Michel.
Cette coiiférence, qui a eu lieu le 23 mars 1887 , a brillamment clos
la série donnée à ses membres par le bureau do la section de Tour-
coing. Comme les précédentes , nous la reproduirons m extenso
prochainement.
— 458 -
COMMUNICATIONS AUX ASSEMBLÉES GÉNÉRALES
TROIS AFFLUENTS FRANÇAIS DU CONGO
RIVIÈRES ALIMA, LIKOUALA, SANGA
Par M. E. FROMENT, Chef de Station au Congo Français,
Membre correspondant de la Société de Géogi-aphie de Lille.
Messieurs ,
Ce n'est pas une conférence que j'ai la prétention de vous faire ,
c'est une simple causerie , non sur le Congo français en général , ce
qui pourrait nous entraîner trop loin , mais sur trois de ses affluents
que j'ai pu étudier plus particulièrement durant un séjour de près de
dix-huit mois. Notre estimé Président , M. Crepy , m'a prié hier seule-
ment de dire quelques mots sur cette contrée qui éveille à un si haut
degré la curiosité de tous ceux qui s'occupent de géographie ; je n'ai
donc pu me préparer d'une façon suffisante et vous me permettrez de
faire de larges emprunts à deux rapports adressés par moi au
Ministre du Commmerce en novembre 1885.
Je suppose que vous savez tous que notre voie de pénétration dans
l'intérieur , est actuellement l'Ogôoué , un cours d'eau qui ressemble
davantage à un gigantesque torrent qu'à un fleuve. Le long de son
cours, la Mission de Brazza a établi une chaîne ie stations dont le rôle
est de faire rayonner tout autour d'elles notre influence , de protéger
nos convois de ravitaillement , d'amener les indigènes , graduellement
et pacifiquement, à se constituer nos pagayeurs, nos travailleurs et
même nos soldats auxiliaires. De Franceville , point où l'Ogôoué et la
Passa, son affluent, cessent tout-à-fait d'être praticables aux pirogues,
à Dielé, station fondée au point où l'Alima , affluent du Congo . com-
mence à être navigable, il a fallu créer une route de 150 kilomètres, à
travers les plateaux qui séparent les deux bassins. Un service de por-
teurs , recrutés parmi les tribus Dalékés , permet de donner la main
— 459 —
aux convois de pirogues d'Ogôoué et d'amener sur l'Alima nos inar-
chaudises d'échange et notre matériel.
Cela dit . nous allons , si vous le voulez , descendre ensemble cet
Alima qui va nous ccuiduire directement au Congo.
L'Alima est d'abord formé de deux cours d'eau, le Diélé et la Lèkila,
qui prennent leurs sources , l'un au plateau des Tscicouyas , l'autre
dans le plateau de Datéké. C'est à leur fonction que la station de Diélé
a été établie. L'Alima ne reçoit ensuite que deux affluents ; ce sont :
rive gauche, le N'Gampo , difficilement navigable sur une faible partie
de son cours, et rive droite, le Lêkéti, que M. J. de Brazzaapu remon-
ter en pirogue jusque chez les Tscicouyas. Pendant les quelques quatre
cents kilomètres qu'elle parcourt ensuite , l'Alima ne reçoit plus
d'autres tributaires que des riviérettes sans importance, dont l'embou-
chure reste inaperçue au milieu des marécages et des bambous.
Très rapide — 3 à 4 nœuds en moyenne — le courant de la rivière
n'est cependant dangereux qu'à cause des troncs d'arbres qui l'obs-
truent et par les coudes brusques qu'il décrit, souvent à angle droit.
Les sinuosités de son cours sont telles qu'en beaucoup d'endroits , elle
se replie littéralement sur elle-même . et qu'après avoir marché quel-
ques minutes vers l'Est, par exemple, on suit tout aussitôt une direction
diamétralement opposée ; on ne voit jamais à plus de deux cents
mètres devant soi : toujours quelque coude barre l'horizon. Il s'ensuit
naturellement que les bancs de sable sont nombreux : ils encombrent
souvent le lit de la rivière et ne laissent qu'un étroit chenal le long de
l'une des rives. Pour une pirogue , cela n'a pas d'importance ; au con-
traire, cela facilite la montée en ce qu'on peut se servir de perches sur
ces bancs qu'un mètre d'eau à peine recouvre ; mais on de\ine les
inconvénients d'un pareil état de choses pour une chaloupe à vapeur ,
même d'un faible tirant d'eau. Si elle gouverne trop près des bancs ,
elle risque de s'échouer, si au contraire, elle frôle de trop près la rive
apposée , elle court le danger d'être poussée par le courant dans la
brousse ou de se heurter contre quelque tronc d'arbre immergé. Aussi
l'Alima ne sera-t-elle jamais navigable à des steamboats de dimensions
tant soit peu importantes.
Lers rives, couvertes d'une brousse inextricable, où domine le bam-
bou , sont basses et marécageuses. Rarement une falaise herbeuse ,
dernière ramification des collines batékées, vient rompre la monotonie
de ces murailles de verdure sombre et impénétrable. A mesure qu'on
se rapproche du Congo, le terrain s'abaisse graduellement ; les endroits
- 460 -
OÙ Ton puisse prendre pied deviennent de moins en moins fréquents ,
et si l'on traversait la brousse inondée qui partout borde la rivière, on
s'apercevrait qu'aux collines pittoresques du pays Batiké ont succédé
les plaines basses et giboyeuses des M'Boschis. Partout les bois de
construction foisonnent ; de beaux arbres , au tronc droit et élancé ,
dominent le fouillis des palmiers -bambous. Malheureusement, ces
abres, poussant dans un sol inondé, sont durs , difficiles à travailler et
coulent à pic dans l'eau.
La descente, depuis Diélé jusqu'au Congo , demande ordinairement
six jours ; la montée est d'une lenteur fastidieuse : il ne faut pas moins
de quinze jours à une pirogue bien armée pour l'effectuer. En fait de
pagayeurs, on en est réduit au personnel des postes ou aux piroguiers
engagés dans l'Ogôoué pour ce service spécial.
Trois races distinctes habitent le bassin de l'Alima, mais les rives
mêmes de la rivière sont occupées exclusivement par les Tpfourous ,
qui seuls, naviguent et pèchent dans ses eaux. LeHaut-Alima est
peuplé de Batékés , tandis que le Bas appartient aux M'Bochis. Ces
deux peuplades sont essentiellement agricoles ; leurs villages ne sont
jamais situés sur le même cours de la rivière. On peut supposer au
moins pour les M'Bochis, qu'ils ont été refoulés dans les terres par les
Tpfourous , au moment où ceux-ci . débouchant de l'Oubangui et du
Haut -Congo , ont remonté l'Alima et s'y sont établis en conquérants.
Quant aux Batékés, c'est un fait partout observé, aussi bien sur les
bords du N'Coui, du N'Gampo et du Diélé que dans le voisinage de
l'Alima, qu'ils évitent toujours de s'établir à proximité immédiate d'un
cours d'eau. Ils recherchent les hauteurs, le sommet des plateaux ou
des collines, là où règne la brise et où l'on est à l'abri des moustiques
et des miasmes paludéens.
Les Tpfourous sont une branche de la nombreuse et puissante race
qui a su monopoliser le commerce et la navigation du Congo et de ses
affluents depuis le Pooljusquau-delk de l'Equateur , et qui se nomme ,
suivant les lieux , Oubanguie , Babanguie , Banyannzie ou Abanko.
Emigrés probablement de l'Oubangui ou du Haut-Congo à une époque
déjà reculée, ils se sont établis d'abord dans les marais qui s'étendent
au Nord du delta de l'Ahma ; puis , ne pouvant tirer leur subsistance
de ce territoire inondé , ils ont dû remonter la rivière sur les deux
rives de laquelle ils se sont répandus jusqu'en amont du N'Gampo.
Aujourd'hui on compte dans l'Alima plus de soixante élabhssements où
ils se livrent exclusivement au commerce et à la manipulation du
— 461 —
manioc, qu'ils achètent on grande quantité et à des prix dérisoires aux
Datékés et M'Boschis de l'iatôrieur des terres. Une vingtaine de ces
établissements méritent le nom de villages; les autres ne sont que des
groupes comptant de trois à quinze cases , bâties le plus souvent sur
des terrains peu élevés au-dessus de la rivière et entouré de maré-
cages, comme de véritables îlots.
Pendant la saison sèche, c'est-à-dire d'avril ou mai à septembre, les
villages présentent l'aspect affairé de ruches d'abeilles ; les fennnes
pétrissent le manioc, les hommes l'entassent et l'emballent dans des
paniers en liane tressés à ceteilet par les enfants et les vieux. Rien ne
donne mieux une idée des aptitudes commerciales des Tpfourous, que
de voir sur la rive ces longues rangées de paniers , symétriquement
alignés, et si bien ficelés , si proprement amarrés , qu'ils ne seraient
nullement désavoués par des emballeurs d'Europe Durant les mois
d'avril à septembre, on peut évaluer, sans crainte d'exagération, à une
quarantaine de tonnes la quantité de manioc qui descend journellement
la rivière, à destination de Licouba.
C'est un curieux spectacle que de voir ces convois de dix , quinze ,
vingt pirogues , chargées à tel point que leur flottaison se trouve à
peine à deux ou trois centimètres du bordage, descendre le fil de l'eau
se laissant aller au courant, doucement, sans secousses et sans à-coups,
dirigées seulement par un homme et un enfant, assis l'un à Tapant,
l'autre à l'arrière , dont le rôle se borne à gouverner pour éviter les
chocs. Il suffirait de bien peu de chose pour emplir et faire couler ces
pirogues vieilles , pourries et grossièrement raconnnodées pour la
plupart, et cependant il est bien rare qu'un accident de ce genre leur
arrive.
Pendant la saison des pluies, la production du manioc diminue beau-
coup ; de plus , les risques que font courir à des embarcations aussi
lourdement chargées , les orages subits et les pluies torrentielles ,
deviennent si grands, que le transit se ralentit considérablement. Les
villages se dépeuplent; la majeure partie de la population émigré à
Licouba , le véritable pays Tpfourpu, leur métropole. Il ne reste à la
garde des établissements que les esclaves et les malades.
Licouba est un vaste ensemble de criques, do lagons et de lagunes ,
silloiuiant dans tous les sens la contrée qui s'étend entre l'Alima , le
Congo et la rivière Likouala, contrée marécageuse , couverte de prai-
ries tremblantes et de broussailles inondées. Les eaux brunâtres du
Congo y donnent rendez-vous aux ondes limpides de l'Alima ; mais
— 462 —
dans beaucoup d'endroits , l'absence de toute déclivité rend les eaux
stagnantes et infectes . Les convois de manioc s'engagent tous par
l'étroit et tortueux canal qui quitte l'Alima à une trentaine de kilo-
mètres de son confluent avec le Congo; les Apfourous , piroguiers
consommés, évoluent avec facilité dans toutes ces lagunes , mais nos
pirogues, armées avec des équipages peu familiers avec cette sorte de
navigation , y manoeuvrent difficilement. Parfois l'eau manque , et il
faut traîner la pirogue à travers les hautes herbes aquatiques : ailleurs
le chenal passe sous des voûtes de broussailles dont les racines immer-
gées dans une eau profonde , gênent tous les mouvements ; il lait si
sombre dans ces dédales, dont la longueur dépasse quelquefois plu-
sieurs kilomètres , et l'eau y est si noire qu'on se croirait dans les
égouts de Paris. A côté de cela , il y a de belles nappes d'eau , surtout
à mesure qu'on se rapproche du Congo. Je citerai le lac Boumbi, long
de trois à quatre kilomètres et lai'ge de deux, les lagons du Bêndja, où
des troupes nombreuses d'hippopotames régnent on maîtres incon-
testés. Toutes ces eaux sont très poissonneuses et fournissent aux
Apfourous un important élément d'alimentation.
Les villages, ou plutôt les villes, car ce sont de véritables fourmi-
lières humaines, sont bâtis sur des bancs d'argile, exhaussés en talus
par le travail des hommes de façon à défier les inondations de la
saison des pluies. Ces talus sont divisés en nombre infini par des
rigoles profondes où des pirogues circulent, et qui forment ainsi le
réseau des rues de ces Venises africaines. — Une multitude de petites
pirogues sillonnent incessamment les alentours des villages et contri-
buent à donner une grande animation au tableau. L'agglomération la
plus importante en Licouba, sur le lagon Molondo ; sa population
dépasse quatre mille âmes. D'autres centres secondaires s'élèvent dans
les lagunes ou sur la rive même du Congo.
Les principaux sont Bônoja (2 à 3000 hab.), Tkita (1500 habitants),
N'Counda (3000 hab.) Licouba et Benojà sont en quelques sortes des
localités industrielles ; on y fabrique en grande quantité des nattes
très prisées sur le Congo et l'AUma, des poteries de toutes formes et
de toutes dimensions (marmites, plats, assiettes, touques à l'huile et à
vin de palme, fourneaux pour conserver le feu en pirogue, etc )
des pagayes, des filets, des harpons et divers engins de pêche, tous
produits qui sont ensuite exportés dans l'Alima, la Likoualp, la Sanga
et jusque chez les Banyannzis de Bolobo. D'autres villages s'occupent
plus particulièrement de la fabrication de l'huile et du vin de bambou.
- 463 —
Los campements qu'ils conshruisent dans ce but sur les rives de
l'Alima, où abondent les palmiers bambous en livrent à la consomma-
tion d'assez grandes quantités. Les deux principaux débouchés de
l'huile sont la rivière Sanga et Dolobo ; quand au vin il ne donne lieu
qu'à un commerce tout local attendu qu'il n'est plus buvable au-delà
de vingt-quatre heures. Les Apfourous sont grands buveurs de vin de
palme ; à l'occasion des funérailles, qui durent chaque fois plusieurs
jours, il s'en consomme sur une grande échelle, chacun devant
manifester son deuil par une ivresse aussi complète que possible.
L'huUe de bambou, plus clair et d'un gris moins désagréable que
l'huile de palme fournis par YElœis Guïneensis, pourra rendre de
grands services quand des steamers nombreux auront été lancés sur
le grand fleuve. Déjà les chaloupes de l'Association Internationale
viennent sur les lieux s'approvisionner de cet ingrédien indispensable
à leurs machines. Purifiée, elle peut, à défaut de graisse, servira la
cuisine ; il est vrai que tous les estomacs ne peuvent s'accomoder du
léger goût qu'elle donne aux aliments.
Une grande vigueur physique jointe à un courage incontestable font
des Apfourous un peuple redouté des aborigènes. Mais jamais ils n'a-
busent de cette situation, ils comprennent trop bien l'intérêt qu'ils ont
à vivre en bonne intelligence avec les Batékés et les M'Boschis, leurs
nourriciers. Ils ne cherchent jamais à dénouer leurs démêlés avec eux
autrement que d'une façon toute pacifique. Du reste ils trouvent des
moyens plus persuasifs de les tromper et de les voler. L'Apfourou est
doué de toutes les qualités qui font un bon trafiquant ; il est hâbleur
et rusé en diable ; intarissable pour vanter les qualités de ce qu'il veut
vendre ou viprécier ce qu'il veut acheter. Des Européens peut au cou-
rant s'y laissent prendre tout comme de vulgaires Batékés. Il faut
toujours se faire une règle, quand on a affaire à un Apfourou d'offrir
à peu près le quart du prix qu'il propose de vendre et ce faisant, on a
encore des chances de payer plus que la valeur de l'objet marchandé.
J'ai vu acheté des pirogues deux cents... barrettes de cuivre alors que
le vendeur en avait d'abord demandé quinze cents.
Les articles qui ont le plus de valeur dans leurs échanges avec les
Batékés sont le sel, la poudre, les étofi"es très légères, et de bas prix,
la poterie et les nattes de Licouba, etc Ils se procurent les pre-
miers de ces articles à N'Counda, au confluent de i'Alima, ou à Dolobo,
deux localités ou se tiennent des marchés d'ivoire.
- 464 -
Les mœurs et usages des Apfourous sont identiques à ceux des
Babanguis de la Rivière Sanga dont je vais parler tout à l'heure.
Nos relations avec eux sont toujours amicales, ils paraissent avoir
oublié le combat qu'ils ont livré à M. de Brazza en 1878. Ne voient-ils
pas d'ailleurs que loin de mettre entrave à leur commerce et à leur
monopole, nous sommes devenus pour eux une source nouvelle de
bénéfices ? nos pirogues qui descendent ou remontent la rivière
s'arrêtent dans leurs villages, y achètent des vivres ou des produits de
leur industrie, et jamais le plus léger incident n'est venu éveiller leur
défiances.
Gomme toutes les peuplades conquérentés, les Apfourous sont très
prolifiques. Leur intelligence, leur activité, leur courage les désignent
comme les futurs auxiliaires du négoce européen : ils seront à l'Alima
et au Congo ce que les Pahouins deviendront, dans un avenir prochain
à rOgôoué.
Malheureusement, il existe chez eux, et développée d'une façon
effrayante, une hideuse maladie, lèpre ou syphilis qui fait des ravages
terribles. On ne peut accoster dans aucun village, si petit soit-il, sans
apercevoir de nombreux hommes, femmes ou enfants atteints de cette
affec'ion qui leur ronge le nez, la figure, les bras, les jambes, le corps
entier et, en fait de tristes êtres, objets de pitié et de dégoût pour leurs
compatriotes et leurs parents eux-mêmes. C'est une chose profondé-
ment triste de voir une race si forte et si vigoureuse, décimée par un
mal impitoyable, devoir ces malheureux enfants traîner une existence
douleureuse, trop souvent close par le couteau du féticheur à des fu-
nérailles quelconques. C'est surtout dans l'Alima que le nombre de ces
malheureux est grand : il semble que les chefs des pays- do Licouba,
désireux de s'épargner une vue aussi dégoûtante, les aient relégués là
pour s'en débarrasser.
En débouchant par l'Alima dans le Congo, si on remonte ensuite
vers le nord, on se trouve, au bout d'une grande journée de Pirogue,
en présence des confluents de la Likouala et de la Sanga, distants l'un
de l'autre d'un kilomètre à peine.
La Likouala a un débit aussi considérable que l'Alima ; son courant
est beaucoup moins rapide, mais sa largeur est double ; ses rives sont
basses, marécageuses et découvertes, au moins dans son cours infé-
rieur, et c'est ce qui fait que les eaux sont infectées par les crocodiles
et les hippopotames. Les indigènes établies à son embouchure la con-
naissent peu ; les Balanguis n'y sont établis que fort peu avant en
— 465 -
amont et disent ne pas pouvoir la remontera cause du caractère féroce
et guerrier des peuplades riveraines. La Likouala vient d'abord du
N. N. W. mais si on le remonte sur un certain parcours, elle sincline
tout à fait ensuite à l'W.
Le récent voyage de MM. .1. do Brazza et Pécile ne permet plus de
douter que Likouala ft la Licoua entrevue en 1879 par M. P. S. de
Brazza ne font qu'une seule et même rivière. Retraçons en quelques
lignes cette exploration qui a eu de si important résultats au point de
vue hydrographique.
MM. J. de Brazza et Pécile partirent de Lastoursville, station de
rOgôoué , en juillet 1885. M. de Lastours devait partir avec eux et
commander l'expédition, mais la mort était venu le surprendre au
moment où il faisait ses derniers préparatifs. Une dizaine d'hommes
(l'escorte, laptots et algériens, et une vingtaine de porteurs compo-
saient tout le personnel de cette mission. Son but était de chercher à
reconnaître l'Ivindo et le Sébé, deux affluents de l'Ogôoué, et de se
diriger ensuite vers la côte occidentale pour aboutir soit à Gameroons,
soit au Gabon. Mais des circonstances imprévues forcèrent MM. de
Brazza et Pécile à changer leur itinéraire.
Les mauvaises dispositions des tribus habitant la vallée de l'Ivindo'
les obhgèrent à se rejeter vers l'Est.
Traversant la Sébé, ils gagnèrent le Lébaï Ocoua, (rivière de sel)
puis le Likouala, qu'ils descendirent en radeau, et débouchèrent enfin
sur le Congo en décembre 1885. Leur voyage avait duré six mois.
Le cours supérieure de la Likouala est bordé de rives élevées et
déboisées ; le pays a tout le pittoresque et tout l'accidenté des plateaux
du Haut Alima. Quant aux populations, la rapidité avec laquelle s'est
effectuée leur descente n'a pas permis aux deux explorateurs d'en faire
même une étude superficielle. MM. J. de Brazza et Pécile supposent
que la Sanga n'est qu'un bras dérivé de la Likouala. Il est permis en se
fondant sur l'exploration qui en a été faite, sur les renseignements
pris auprès des indigènes, de révoquer en double cette hypothèse.
La rivière Sanga a été longtemps confondue avec le Congo, en raison
de sa largeur, du volume d'eau qu'elle roule, des îles qui encombrent
son cours et surtout des nombreux canaux qui la mettent en commu-
nication avec le fleuve jusqu'à une journée en amont de son principal
confluent.
Ce n'est qu'après l'avoir, à deux reprises difl'érentes, remontée pen-
dant une dizaine de jours, que M. Dolisie s'est aperçu qu'au lieu d'être
31
dans un bras du Congo, il se trouvait en réalité dans une rivière
distincte, constituant un des principaux affluents du grand fleuve.
Les Balanguis, qui habitent ces deux rives jusque très avant dans
l'intérieur, disent que sa direction est constamment N. N. E. ou N. E.,
qu'on peut la remonter durant de longs mois avant d'arriver à sa
source, que très loin en amoiil, elle communique avec l'Oubangui, dont
la direction connue est parallèle, ei qu'enfin son cours supérieur est
barré de rapides, bordés de rives élevées et rocheuses. Les populations
riveraines se construisent des habitations aussi hautes que nos maisons
à l'européenne ; elles sont armées de fusils très longs, obtiennent le
sel par l'évaporation de l'eau et se servent de cauris comme monnaies
dans leurs transactions. On y rencontrerait aussi beaucoup d'hommes
blancs.
Il est à remarquer que ces renseignements obtenus de divers indi-
vidus et dans des localités diS'érentes, sont toujours concordé entre
eux, sauf quelques légères variantes.
En tenant compte du merveilleux qu'ont toujours pour les noirs les
contrées inconnues et de l'exagération à laquelle ils sont inclins, ne
peut-on présumer, d'après ces informations, que les sources de la
Sanga sont situées dans les régions avoisinant le Soudan, peut-être
même sur un des versants du plateau d'où sortent maints affluents du
Nil. c'est-à-dire au pays des Niams-Niams, et que son cours supérieur
est habité par des populations ou musulmans, ou tout au moins en
rapport avec les Arabes de la côte orientale ? L'affirmation qui fait de
la Sanga un bras dérivé de l'Oulangui, est peut-être plus douteuse,
quoique n'ayant rien de bien impossible. Des explorations de M. Grein-
fell, de la « Daptist Missionary Society, » de M. Dolisii et du capitaine
Hanssens, û résulte que si l'Oulangui et la Sanga ne sont point deux
bras de la même rivière, elles suivent cependant deux directions
parallèles : toutes deux elles nous viennent du N.N.E.
Les rives de la Sanga comme celles de la Likouala, comme celles
du Congo lui-même, sont tantôt boisées, tantôt découvertes, toujours
basses, marécageuses et en grandes parties inondées à la saison des
pluies.
Les deux rives du grand fleuve, d'ailleurs, depuis la rivière N'Kéni
(Mpaka de Stanley) jusqu'au pays des Bangalas et même au-delà, pré-
sentent une vaste dépression s'avançant très avant dans les terres. On ne
peut mieux comparer le système fluvial du Congo à un immenSe enton-
noir, occupant tout le centre de l'Afrique Equatoriale, et dont le goulot
^ 467-
est figuré par le lit étroit et tourmenté que cette gigantesque masse
d'eau, pour arriver à l'Atlantique, a dû se frayer à travers la rè^^ion
montagneuse depuis N'tamo jusqu'aux chutes d'Yellala.
La flore de la région n'est pas riche en essences forestières. D'énor-
mes baobabs, des fromagers, des palétuviers d'eau douce, voilà ce
qu'on voit le plus fréquemment ; pas de ces beaux arbres bien droits
qu'on trouve en si grande abondance dans l'Alima, mais des troncs
rugueux, tordus, durs comme le fer, impropres à la construction.
C'est une des grandes difficultés que j'ai rencontrées quand il m'a
fallu fonder le poste de Bonga. Les bambous qui partout ailleurs rem-
placent les planches dans la confection des parois de nos habitations,
font absolument défaut : il faut aller les chercher dans le Likouala.
En revanche, les palmiers, Elœis Guineensis et Borassus abondent ;
partout on voit leur taille élancée et leur panache gracieux.
La faune est plus riche : les hippopotames et les crocodiles pullulent
le long des îles et des bancs de sable ; à terre on trouve l'éléphant,
l'antiJope des mariés et surtout les buffles. Ceux-ci sont si abondants
et si peu sauvages que pendant les quatre mois de mon séjour à
Donga, nous en avons abattu plus de cinquante. Leur viande et celle
des hippopotames m'ont même souvent permis de faire aux chefs des
largesses qui compensaient avantageusement celles que ma pauvreté
en marchandises m'interdisait. Les singes de toutes tailles, les pinta-
des, les perroquets, les tourterelles, pullulent dans les bois où dévas-
tent les plantations des natifs ; enfin les marabouts, les pélicans, les
canards, les corbeaux peuplent les marécages et les lagunes.
Donga, situé sur la rive droite de la rivière, à une demi-journée en
amont de son confluent, est l'agglomération la plus importante de la
Sanga. Sa population, composée d'éléments hétérogènes , est turbu-
lente et a souvent des démêlés avec les villages d'amont. Elle s'élève
au moins à quatre ou cinq mille âmes. Jadis Donga et toutes les loca-
lités situées sur le cours inférieur de la Sanga, obéissaient à un seul
chef, le puissant M'Pakama, qut fut paraît-il, un guerrier redoutable.
Mais lors de sa mort, ce fut un de ses esclaves, N'dombi, le chef actuel
de Donga, qui lui succéda, au détriment de son propre fils, trop jeune
pour prendre sa place. Les chefs des autres villages, n'étant plus
tenus en respect par la crainte que leur inspirait le terrible M'Pakama,
se proclamèrent indépendants et N'dombi fut réduit au seul connuan-
dement de Donga, où il n'exerce même plus la souveraineté que nomi-
nalement. Son caractère mesquin avare, son manque de dignité lui
— 4()8 —
ont fait perdre tout son prestige et jusque dans son village, des chefs
secondaires bravent son autorité et le tiennent en échec.
L'agriculture est peu en honneur à Donga ; le peu de terres culti-
vables que ses habitants peuvent disputer h l'inondation, une quinzaine
d'hectares environ, sont plantées en manioc, patates et arachides.
Toutes les plantations sont entourées de clôtures, et la nuit des fem-
mes veilles pour chasser les bufti(,^s qui viennent les dévaster.
Le village, comme tous les villages Dabanguis des rives du Congo
ou de ses affluents, ressemble à une véritable foret : les palmiers, les
fromagers, les baobabs, et les bananiers répandent partout la verdure,
l'ombre et la fraîcheur.
On y recueille beaucoup de vin de palme ; aucun palabre, aucune
transaction commerciale ne se traitent sans la calebasse tradilionnelle.
Pour donner au liquide des propriétés plus enivrantes, les indigènes y
mettent une racine appelée « liboga » connue des M'Pongouies pour
ses qualités aphrodisiaques.
Pendant la saison sèche, les Dabanguis se livrent activement à
une pêche que la baisse considérable du tleuve rend fructueuse.
L'industrie se borne à la fabrication de poteries avec l'argile spéciale
du lieu, layuelle pourrait faire des briques , tout comme celle de Braz-
zaville. Quelques forges primitives, identiques à celles dont se servent
les Pahouins et toutes les peuplades de 1 Ogoûé, ti-availlent les fers de
pagayes, les couteaux, les bracelets de fer et de cuivre, les colliers en
cuivre massif, etc.
Mais l'importance de Donga réside surtout dans son monopole com-
mercial qui s'exerce sur tout le transit de la rivière : les pirogues qui
arrivent d'amont avec de l'ivoire et des esélaves ne peuvent comnmni-
quer librement avec celles qui arrivent d'aval pour acheter. Un inter-
médiaire est nécessaire et il prélève une double commission sur
l'acheteur et le vendeur. De là une source de richesses pour la loca-
lité. Outre l'ivoire et les esclaves, il se fait aussi dans le Sanga, comme
sur le Congo, un commerce important de bois rouge de teinture, pro-
venant de rOubangui. Ce bois rouge . coupé en petites bûches irrégu-
lières de dix centimètres sur trois ou quatre, se vend dans l'Oubangui
au prix de cinq bûches pour une barrette de cuivre. Plus il descend
en aval sur le Congo, plus il est cher. A Banga, il vaut une barrette
pour trois bûches, à N'Gantchou et Bolobo, une barrette pour deux
bûches, au Pool enfin, une bûche pour une barrette.
Il en est de même pour l'ivoire qui, vendu très cher au Pool, est
- 'i(i9 -
acheté pour un morceau de pain dans la Saiiga supérieure. Ce sont les
monopoles qui accaparent la plus claire partie du bénéfice , et il est
certain que le commerce européen, s'il peut, sans effusion de sang, les
supprimer, réalisera, au moins dans les premières années, des avan-
tages énormes.
Honga s'approvisionne de manioc, d'huile de bambou et de nattes
aux gens do Licouba qui viemient journellement trafiquer dans la
Sanga.
La baneltc de cuivre « ///////«■•(; ^> des indigènes est la monnaie du
Congo et de tous les affluents depuis le Pool jusqu'aux Stanley-Falls.
Valeur intrinsèque et prix de transport compris, la barrette revient à
environ 0,25 centimes. Une poule vaut deux barrettes, un régime de
cinquante bananes en vaut trois ; une natte de Licouba ou un panier
de manioc de 1 Almia se donnent aussi pour deux barrettes. Un esclave
mâle se tarife à quatre ou cinq cents, une femme de trois à quatre
cents.
Si d"un coté Tivoii-e et tous les produits du pays sont meilleur
marché qu a Stanley-Pool. de lautre, les étoffes et tous les objets de
fabrication européenne ont dans la Sanga une valeur double de celle
qu'elles ont à N'couna. On recherche surtout les tissus bon marché et
de mauvaise qualité; il ne faut pas d'une étoff3 qui ne puii^se se vendre
au-dessous de huit ou dix barrettes la brasse, ce qui fait environ 1 fr.
25 k 1 fr. 90 le mètre. Une étofte grossière, faite de bourre de laine
rouge ou bleu s'y vend très bien au prix de vingt-cinq barrettes la
brapse de 1"'80. Chaque Babangui porte une large ceinture de cette
bourre qui est un long préservatif contre les refroidissements du
ventre, partant de la dyssenterie, si fréquente au Congo.
Les bouteilles vides s'arrachent littéralement à six barrettes pièce,
soit 1 fr. 50 ; les étuis de cartouch(3s Gras se vendent bien au prix de
cinq pour une barrette : les indigènes s'en font soit des pendants
d'oreille, soit des breloques à leur ceinture, soit encore des ferrures
pour le bois de leurs lances. Les cauris. les tombas (grosses perles de
verre) les congolos (petites perles de verre), sont très prisés des
dames balanguies qui s"en font des ceintures et des colliers. Quant
aux sonnettes, couteaux, glaces, ressorts, chaînes de cuivre, fusils,
poudre, sel, on n'en vend pas. Tous ces articles sont jetés en grande
quantité sur le congo parles caravanes des traitants noirs de la côte
et cela à des prix inabordables pour nous.
Les mœurs des Babanguis, des Banyannzis, des Oiibanguis, des
— 470 —
Abanhos et des Apfourous offrent entre elles une analogie complète.
Décrire une de ces tribus, c'est décrire toutes les autres.
L'autorité des chefs n'est effective que sur leurs femmes et leurs
esclaves ; tout homme libre est complètement indépendant dans ses
actes; il ne doit à son suzerain que son concours en temps de guerre.
L'influence et le rang d'un homme libre ou d'un chef sont en raison
de sa fortune, et celle-ci est en raison du nombre d'esclaves et de
femmes qu il possède et sui^ lesquels il a un droit de vie et de mort.
Les femmes, surtout la plus âgée, d'un chef ou d'un homme Ubre
jouissent dune certaine considération ; elles assistent aux délibéra-
lions de leurs maris, et sont traitées sur un pied plus égalitaire que
cela ne se voit généralement chez les noirs. Les gros travaux de
plantations sont laissés aux esclaves des deux sexes qui forment les
deux tiers de la population. L'adultère et le vol sont punis de la
décapitation sur les esclaves , d'une forte amende sur l'homme
libre.
Les honneurs de la sépulture ne sont accordés qu'aux chefs et aux
hommes libres : les cadavres des esclaves sont jetés à la rivière. Dès
qu'une médecine fort rudimentaire s'est déclarée impuissante à guérir
un esclave, celui-ci est emmené au milieu du fleuve pieds et poings
liés, quelquefois simplement amarré dans une natte, puis jeté à l'eau.
Les afl'ections les plus communes chez les Dabanguis sont la lèpre ,
moins développée cependant que dansl'Ahma, la pneumonie, due aune
température et à un sol humides , la dyssenterie , et cette maladie du
sommeil , sorte de léthargie mortelle, à laquelle la consommation exa-
gérée du liamba (sorte de chanvre fumé par les natifs) n'est peut-être
pas étrangère. La mortalité est assez considérable , mais comme cette
race est très prolifique et qu'en outre les vides sont immédiatement
par des achats d'esclaves , le chiô're de la populations ne s'en ressent
guère .
Les hommes se coiffent de façon à imiter , avec des tresses de che-
veux tombant sur le nez ou sur les tempes , des cornes de rhinocéros
ou des trompes d'éléphants. Ils sont bien bâtis et solidement musclés ;
ils se couvrent davantage que les femmes, chose qu'on observe du reste
chez toutes les tribus africaines ; jamais on ne les voit sans un fusil ,
des sagayes ou un couteau à la main , et connue ils sont assez irri-
tables et peu portés à se laisser intimider , cette habitude de toujours
être armés a souvent des résultats funestes. La moindre querelle dégé-
nère vile en rixe sanglante.
— 471 —
Les femmes participent de la nature vigoureuse de leurs maris ; elles
sont généralement massives , énormes , trop corpulentes en un mot
pour avoir quelque élégance dans les formes. Elles s'oignent tout le
corps d'huile de bambou et de peinture rouge les jours de grand gala ;
leurs onctueuses personnes ne sont alors rien moins qu'appétissantes.
Les dames du high-life portent autour du cou un énorme collier de
cuivre massif, dont le poids atteint une quinzaine de livres. Cet orne-
ment, pour le moins gênant, est très recherché et attire toujours à
celle qui le porte respect et considération.
En fait de religion , les Babanguis croient à une sorte de métemp-
sycose. J'ignore quelles sont au juste les divinités qu'ils se sont forgées;
toutes mes investigations à ce sujet sont demeurées sans résultat : les
indigènes n'aiment pas à être interrogés là-dessus , ils semblent
craindre quelque sortilège ou quelque mauvaise intention chez l'homme
blanc. Mais, ce que je puis affirmer , c'est leur croyance à l'immor-
talité de l'âme. Un chef de Bonga me demandait un jour si je n'étais
pas quelque chef du pays défunt et désireux de revenir vi^re sur les
lieux de sa première existence : un autre jour il s'informa , avec raille
précautions , si les blancs , qui en sont à leur deuxième vie , avaient
encore quelque chose à craindre de la mort. Mes hommes m'ont aussi
rapporté plus d'une fois les questions qui leur étaient faites par les indi-
gènes au sujet du pays d'où nous venions , cherchant à savoir si nous
n'y avions point vu quelqu'un de leurs parents ou de leurs amis tré-
passés.
Dans la suite , un frottement journalier avec nos hommes, et surtout
un jour , la vue d'un Européen blessé gi'ièvement les ont sans doute
convaincus que nous sommes des êtres comme les autres , sujets aux
mêmes infirmités et ne nous nourrissant nullement de <".liair humaine.
Néanmoins , l'homme à peau blanche reste pour eux un mystère et un
problème , sinon un immortel.
Chez ces peuplades na'ïves, de l'incomiu au merveilleux il n'y a qu'un
pas.
Je ne crois pas d'ailleurs que cela les empêchât de nous faire la
guerre , si nous leur en fournissions les motifs : nous croiraient-ils
immortels , ils nous combattraient quand même , ne serait-ce que pour
s'assurer de notre invulnérabilité.
Cette croyance à l'immortalité de l'âme est cau<!e d'une des plus
horribles coutumes qu'on puisse constater chez des tribus barbares :
je veux parler des scènes sanglantes qui accompagnent les funérailles
- 47-i —
de tout chef et de tout homme libre. On clioisit , parmi les femmes et
les esclaves du défunt , un nombre de victimes proportionné au rang
qu'il occupait : au milieu des orgies nocturnes qui suivent le décès ,
on les amène . solidement ligottés , près du cadavre ; là , on les fait
s'agenouiller , on assujettit une tresse de leurs cheveux à l'extrémité
d'une branche plantée en terre et courbée avec force ; puis le bourreau,
après avoir fait mille simagrées . rempUt son office, et les branches se
redressent brusquement , l'une après l'autre . secouant leur hideux
fardeau de têtes sanglantes , aux hurlements d'une foule surexcitée
par les danses et le vin de palme...
Quand il s'agit d'un grand chef, les immolations prennent les propor-
tions de véritables hécatombes ; c'est ainsi qu'à la mort de M'Fakama.
une vingtaine d'esclaves furent égorgés. Quelquefois le supplice varie.
M. Dohsii a vu , dans la Sanga , deux enfants enterrés vivants, et cela
sans pouvoirs'}' opposer.
Les cadavres , une fois décapités . sont abandonnés à la rivière ;
quant aux têtes , on les garde pour en orner la tombe du défunt en
honneur duquel on les a fait tomber.
Il sera difficile de faire disparaître ces terribles usages ; à Bonga, on
avait fini par y procéder la nuit , de crainte de voir les blancs s'y op-
poser , mais je savais toujours d'une façon certaine le nombre des
victimes sacrifiées. Cinq femmes s'enfuirent successivement des villa-
ges et vinrent demander protection au pavillon français.
Un chef Babangui , à qui on demandait de renoncer à cette orUeuse
coutume , répondit : «. Comment veux-tu que mes pères me reçoivent ,
si je ne suis accompagné de mes femmes et de mes esclaves, ainsi qu'il
convient à mon rang ? Ils me repousseraient comme un esclave et
refuseraient de m'admettre parmi eux. »
Les funérailles durent plusieurs jours et donnent lieu à des céré-
monies fort curieuses. Le cadavre , oint d'huile et tatoué de lignes
blanches, jaunes, oranges, dessinées avec symétrie , est dissimulé
jusqu'aux épaules sous une sorte de catafalque drapé d'étoiles aux
couleurs vives ; sur le catafalque et tout autour, on arrange les armes,
la pipe et les différents objets dont se servait le défunt . sa vaisselle ,
ses perles et toutes les marchandises qu'il possédait , jointes à celles
ofi"ertes par ses parents et ses amis. L'art et le goût qui règnejit dans
la disposition de tout cet appareil est remarquable. Les cases environ-
nantes sont décorées de morceaux d'étofies voyantes se balançant au
bout de longs bâtons , en guise de pavillons.
— 473 -
La danse des guerriers est (l"uiio sauvagerie indescriptible. Ivres de
vin do palme , la tête ornée de plumes , le corps peint eu deuil , ils
fondent les uns sur les autres, brandissant boucliers et sagayes ; on
croirait qu'ils vont s'entre-tuer . mais non , ils s'arrêtent à temps, avec
une précision admirable , baissent leurs lances vers le sol en les entre-
choquant , puis s'en vont reprendre leur élan.
Les femmes , en grand deuil , c'est-h dire avec une ceinture de
feuilles de bananier pour tout vêtement , chantent les vertus du m(n't
en des mélopées traînantes, d'une mélancolie touchante, qu'elles
rliythment en frappant dans leurs mains. Tour à tour , une d'elles se
détache du cercle qu'elles forment., s'avance en dansant au centre et
■ entonne une nouvelle strophe qu*^ tout le groupe répète ensuite en
chœur.
Les hurlements des guerriers . les chants des femmes , le claque-
ment régulier des mains , le bruit des pieds qui frappent le sol , le
cliquetis des armes , tout cela forme un vacarme . un tumulte que do-
minent à peine la sourde cadence d'une demi-douzahie de grands tams-
tams et le crépitement contiiui de la mousqueterie.
Une fois les cérémonies terminées, le cadavre est mis en terre avec
ses marchandises , ses armes et tous les objets exposés sur le cata-
falque . de façon à ce qu'il fasse son entrée dans l'autre monde d'une
manière digne de son rang.
Un court historique de notre établissement à Bonga . dans la rivière
Sanga , terminera cette esquisse.
En décembre 1884 . M. Dolisii . accompagné de MM. Pécile et J. de
Brazza , remontait une première fois le Sanga; il conclut partout, des
traités de protectorat avec les chefs de tous les villages . et il eut le
bonheur, dans ce travail, de devancer les agents de l'Association
Internationale, qui arrivèrent, en chaloupe à vapeur derrière lui, mais
trop lard. Un de ces traités , passé avec les chefs de Bonga . stipulait
la cession d'un terrain à la France , qui se réservait d'y établir un
poste. Ce terrain, qui n"a , comme tout le pays environnant, qu'une
élévation de un mètre cinquante au-dessus du nivcau ordinaire des
eaux , n'est inondé , au dire des indigènes, que dans les années de
crues exceptionnelles ; même alors il n'est guère recouvert que de
trente à cinquante centimètres d'eau. Des travaux de terrassements
assez considérables pourraient donc le préserver de cei, inconvénient ,
d'autant plus que le sol est formé d'une argile fort imperméable.
- 474 —
Les villages indigènes , qui sont bâtis sur un terrain de même hau-
teur, n'ont pris d'autre précaution contre l'invasion des eaux, qu'un
simple remblai de cinquante centimètres à l'intérieur des cases.
Je reçus, en février, au bas-Climat, l'ordre d'aller porter un
cadeau aux chefs de Bonga , et de m'entendre avec eux à l'effet d'oc-
cuper le terrain concédé. Je fus bien reçu par les chefs du pays qui me
demandèrent même de hâter mon établissement parmi eux. Le 6 mai
1885 , je vins définitivement m'installer et commencer les travaux
préparatoires de construction avec un caporal sénégalais et six anciens
esclaves gallois libérés. Le défrichement était terminé et une grande
maison d'habitation commencée , lorsqu'un accident de chasse m'o-
bligea , le 3 juin , de descendre à Brazzaville. Le 27 juillet , j'étais de
retour avec M. de Chavannes ; l'arrivée de M. de Brazza vint, en août,
interrompre la continuation des travaux. Jugeant la situation de Bonga
trop malsaine , et ne disposant d'ailleurs que d'un personnel trop
restreint , M. de Brazza sacrifia ce poste à celui plus important , au
point de vue politique , de N'Koundja. J'ai donc dû évacuer Bonga le
5 septembre 1885. Toutefois, l'utilité d'une station quelconque à proxi-
mité du confluent de l'Alima est reconnue ; deux routes se bifurquent
là : celle de Brazzaville et celle de l'Oubanqui. Or, le point le plus
favorable de toute la région est, sans contredit , Bonga , qui , outre son
importance commerciale, est le seul point où l'on puisse trouver des
vivres en abondance. Il est donc probable que le poste sera réoccupé.
La population, quoique très mélangée, nous a toujours été favorable;
elle comprenait tous les avantages qu'elle retirait de notre voisinage :
et c'est avec surprise qu'elle nous a vus partir.
Avec un sénégalais et six hommes armés de fusils à silex, je n'ai
jamais été inquiété d'aucune façon , et je suis certain que si notre
pavillon y est de nouveau arboré , il sera salué par les sympathies des
chef et de toute la population.
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o iralions âbanitoimeti + Mission» reli^nrsci
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- 475
NOUVELLES ET FAITS GÉOGRAPHIQUES
I. — Géographie scientifiqpie. — Explorations et découvertes.
AFRIQUE.
I^es poiHsessiipiis allemandes en Afrique. — Le Bulletin de la
Société de géograpfiie de Marseille annonce que MM. Rabenhorst, de Hambourg,
ancien capitaine de vaisseau, qui a été pendant longtemps directeur des comptoirs
créés par M. Woerman, dans l'Afrique occidentale, le lieutenant Schmidt , plénipo-
tentiaire du groupe de la Société de colonisation, qui a acheté le territoire de Witou,
et les frères Denhardt , sont partis pour l'Afrique , afin de prendre possession de
ce pays au nom de leurs mandats. Le lieutenant Schmidt avait été envoyé Tannée
dernière dans l'Afrique orientale par la Société de ce nom et avait acquis, pour le
compte de cette dernière , pendant les mois d'août et de septembre 1885, le territoire
d'Usaramo, au sud-ouest de Zanzibar, au moyen d'une série de traités conclus avec
les chefs indigènes.
lie D' Zint^rafl'au Kanieroun. — Le Gouvernement allemand a dési-
gné le D' Zintgratt , qui a visité l'Afrique Occidentale il y a quelques années , pour
explorer le système des rivières des districts du Kaineroun sur le petit steamer
« Natchigal ». 11 a l'intention de visiter les monts Kameroun. Gomme il paraît
qu'on peut s'y procurer de grandes quantités de caoutchouc, il sera accompagné par
un spécialiste.
Les e^KpIoratlonjti de M. Jacques de Brazza. — M. Jacques de
Brazza, frère cadet de l'éminent explorateur , Savorgnan de Brazza , vient , avec
M. Pecile , d'explorer un grand affluent du Congo nommé Séholi , qui vient débou-
cher à la rive droite, entre les confluents de l'Oubanghi et de la Licona, sous le nom
de Shanga. (Voir la Conférence de M. Fromont, insérée dans le présent Bulletin,
page 458.)
L'expédition est partie le 10 juillet 1886 de Madiville, sur l'Ogôoué , dans le pays
des Adoumas . Elle avait pour mission d'explorer le pays situé au Nord de cette
rivière , pour gagner , si possible , le Bassin de la Bénoué , en se maintenant sur la
crête qui sépare le bassin du Congo des autres bassins côtiers du Nord,
On traversa d'abord dans la direction générale Nord-Nord-Est, un pays couvert de
forêts immenses. Cette région, habitée par les Oumbétés et les Ossétés, fractions de
la grande famille des Obambas , est fertile et très peuplée.
Après avoir voyagé pendant un inois en forêt, l'expédition arriva dans les grandes
prairies des Mbokos. Le 3 septembre , elle atteignit les bords d'une rivière que les
indigènes appelaient .S'<?Ào/t , et qui coulait vers l'Est. Les observations astrono-
miques donnèrent comme latitude environ 1" 30' Nord.
— 47fi -
D'après les rapports des indigènes , le Sekoli (pai prend naissance sur le versant
oriental de la chaîne côtière à environ 100 kilomètres , en amont de l'endroit oii
l'expédition le découvrit, se dirige droit vers l'Est.
Cette rivière sépare le pays des Mbokos de celui des Okotas. Ces derniers occupent
une zone de forêts qui s'étend , sur une longueur de près de deux degrés . parallèle-
ment à rivindo. Ils ont pour voisins les Ossiébas à l'Ouest, les Obambas, les Mbétés
ou Oumbétés et les Ossétés , ainsi que les Mbokos k l'Est. C'est un peuple commer-
çant et guerrier, qui habite dans de grands villages formés de deux lignes de cases ,
s'étendant sur deux à trois kilomètres de longueur. Ils sont de petite taille . de cou-
leur sombre, et très amateurs d'ornements. On rencontre parmi eux quelques Baka-
lais, anciens occupants du pays, aujourd'hui émigrés vers les centres conmierciaux
de la côte. Ce sont les meilleurs interprètes , car ils savent se faire comprendre de
toutes les tribus de l'Ogôoué et du Congo , comme si les 'dialectes que parlent ces
tril)us étaient tous dérivés d'une languerinère bakalai. L'expédition entra ensuite
dans le territoire des Giambis, dont on avait parlé avec terreur. Ce ne fut que grâce
à un chef bakalai, marié à une femme giambi, que les membres de l'expédition, exté-
nués de fatigue et tremblants de fièvre , purent parvenir au village de Uokou , par
2" 30 de latitude Nord. Après y avoir passé un mois à souffrir de faim et sans pouvoir
obtenir de guides pour continuer leur route vers le Nord, les voyageurs se décidèrent
d'opérer leur retraite plutôt que de répandre le sang pour se frayer une voie. Au
Nord des Giambis, se trouvent les Abanhas et au Nord-Est les Poupous. Ces peujiles,
qui cependant voyagent beaucoup pour leur commerce, n'ont pas connaissance d'un
pays situé plus au Nord oii cesserait la forêt , pas plus qu'ils ne connaissent de
rivières ou de lacs. Dans cette direction, le nom de Niam-Niam leur est entièrement
inconnu.
A son retour , l'expédition traversa encore une fois le Sékoli avec l'intention de
descendre cette rivière jusqu'à son confluent avec le Congo. Sur le refus des indi-
gènes, de lui fournir des pirogues, elle en construisit, et pendant six semaines, d'une
navigation des plus pénibles , elle descendit le cours du Sékoli. Cette rivière , pen-
dant la première partie du trajet, continue à couler dans une direction générale
Ouest-Est ; puis elle s'infléchit doucement vers le Sud, arrêtée dans sa marche vers
l'Orient par la ligne de faîtes qui longe , à quelque distance , la rive droite de
rOubanghi.
Dans son cours, elle change plusieurs fois de nom, et reçoit sur la rive droite, un
affluent, YAmbili^ cpii est vraisemblablement la rivière Lebaï-Ocoua, découverte en
1878 par M. Savorgnan de Brazza, et sur les bords de laquelle le voyageur fut forcé
d'abandonner son exploration et de revenir à l'Alima.
Attiré par le sel qu'on recueille sur les rives désertes, les bœufs sauvages, les anti-
lopes , les éléphants , les hippopotames pullulent dans cette région , dont le paysage
revêt ainsi un cachet préhistorique.
Au-delà de l'équatcur , la rivière a une largeur qui varie entre 5UU et 800 mètres .
suivant le plus ou moins grand nombre d'îles qu'elle renferme.
Ce n'est qu'après les plus rudes épreuves que , dans les premiers jours de janvier
1886, l'expédition atteignit le Congo oii la rivière débouche en fa':e de l'ancienne
station de Loukoléla.
Là, elle rencontra fort heureusement la Commission française de délimitation,
composée de MM. Rouvier, Ballaz et Plcigneur.
Du confluent du Sékolé-Shanga, qu'on doit identifier avec la Bouanga explorée par
MM. Grenfell et Von François, l'expédition gagna l'Alima, qu'elle remonta pour
arriver au Gabon par la route de l'Ogôoué.
L'expédition avait iluré six mois. Sans parvenir au but qu'elle s'était proposé
- 477 -
d'atteindre, le bassin de la Benoué , elle n'a pas été moins fort utile , en ce sens
qu'elle a fait connaître d'une manière définitive l'existence d'une nouvelle grande
rivière navigable, coulant dans une direction à peu près parallèle à celle de la Licona
entre celle-ci et l'Ouhang-hi.
C'est au Mouve77ient Ge'or/rnpfnque de Bruxelles et à la Revue Géographique que
publient chaque semestre dans le Tour du Monde^ MM. Maunoir et Duveyrior, (pie
nous empruntons ces détails.
Ajoutons que M. Jacques de Brazza a rapporté de son voyage do nombreux
objets de toute sorte qui ont été exposés dans la grande Orangerie du .lardin «les
Plantes.
On a pu ainsi se confiruier dans cette idée que le Congo franc^ais est une terre
particulièrement intéressante à tous égards, et qui remboursera un jour au centuple
les faibles dépenses que son organisation impose en ce moment à notre pays.
Cervera Baviera dans l'Adrar. — Récemment est revenu en Espagne
M. Julio Gervera Baviera, chargé par la Société géographique de Madrid d'explorer
la partie du Sahara occidental qui confine aux possessions espagnoles situées entre
le Cap Blanc et le Gap Bojador. 11 était accompagné du professeur Don Francisco
Quiroga, qui devait se consacrer à l'étude de la météorologie, de la flore et de la
faune, et de Din Felipe Rizzo, interprète arabe . L'expédition est allée jusqu'à
l'Adrar, effectuant un parcours total de 900 kilomètres, à travers des districts demeu-
rés jusqu'ici à peu près inexplorés. Les plus hautes altitudes franchies ont été de 500
mètres au maximum au-dessus du niveau de la mer. On a conclu deux traités avec
des chefs Arabes, en vertu desquels l'Espagne acquiert une grande extension de
territoire.
Observations de 11. le D' I^ouis l%oIf sur le cours de Kan-
kourou. -T- Nous avons relaté dans notre dernier Bulletin les observations de
M. le D"" Wolf sur la rivière le Kassai et sur la découverte qu'il a faite d"une voie
courte pour pénétrer dans le Congo supérieur. Depuis ce temps , cet explorateur est
rentré en Europe et des détails plus précis nous sont donnés sur ses découvertes. En
réalité, il a reconnu le cours de Sankourou , importante rivière dont le nom avait
été prononcé par Livingstone , Gameron et Stanley , et que personne n'avait
encore vue.
Il résulte des observations de M. le D'" Wolf , que cette rivière magnifique , est
pour le Congo ce que le Cher est pour la Loire. C'est la corde du grand arc que le
Congo décrit sous l'Equateur . Par conséquent , comme nous venons de le dire , le
Sankourou est appelé à être la grande voie de pénétration vers le Congo supérieur,
vers Nyangoué , par exemple , dont il n'est éloigné que de dix jours de marche.
Le Sankourou, qui vient de l'Est , se jette dans le Kassaï par un delta dont les
deux bras mesurent respectivement 250 et 300 mètres de largeur. Le D' ^^'olf l'a
remonté pendant 800 kilomètres jusque sous 5" 30' de latitude Sud, reliant ainsi le
confluent à la partie découverte en 1882 . par Wissmann et Pogge , et qui porte le
nom de Loubilach.
On sait que tout ce pays, habité parla tribu des Bassongès , est extrêmement
peuplé. La découverte de la navigabilité du Sankourou, dont le cours a au moins
1,400 kilomètres ds longueur, met ces populations à portée de Léopoldville.
Poursuivant son exploration vers l'Est, le D"^ Wolf quitta le Sankourou pour péné-
trer dans un affluent qui, par 4" 20' de latitude Sud, présentait, sur la rive droite, un
delta formé par deux bras. En amont, sa direction est d'abord Nord, puis, immédia-
-418-
lement après, et d'une façon très brusque, il prend celle du Sud-Est. Wolf le remonta
pendant 140 kilomètres. 11 se disposait k pousser plus avant sa reconnaissance ,
lorsque, comme nous Tavons dit dans le dernier Bulletin (p. 415), un accident arrivé
à la machine de VEn-avant l'cmpècha d'aller plus loin (5" 20' de latitude). 11 est
convaincu que le tributaire sur lequel il se trouvait , n'était autre que le Lomani ,
dont Livingstone nous fit connaître le premier le nom, que Gameron côtoya quelques
années plus tard, et que Wissmann et Pogge traversèrent en 1882 ; le Lomani aurait
près de 900 kilomètres de longueur.
On comprend quelle est l'importance de la découverte du D' Wolf. 11 a trouvé la
route la plus courte pour pénétrer dans le Congo supérieur, que tous les explorateurs
signalent connue une terre promise.
M. Wauters, si compétent pour toutes les questions qui concernent l'hydrographie
de l'Afrique équatoriale, se demande si le Kassaï est un affluent du Sankourou, ou si
c'est le Sankourou qui est un affluent du Kassaï. 11 penche pour la première solution
et donne la primauté au cours d'eau dont le cours inférieur a été découvert par
MM. Wissmann , Von François et Mùeller , le cours moyen par le D' Wolf, et les
sources par Gameron.
Le Sankourou aurait 1750 kilomètres ; sa navigabilité a été constatée pendant
1,300 kilomètres. Ses principaux affluents seraient: adroite, le Mfini-Ikata et le
Lomani ; à gauche , le Koango , le Wambo, le Saïa , le Kouilou , le Loangé, le Kassï
et le Loubi.
lia haie de Diego Suarcz. — La baie de Diego Suarèz, lisons-nous dans
V Illustration , a été relevée hydrographiquement par l'état -major de la corvette la
Nièvre , en 188J , époque à laquelle le Gouvernement français avait déjà l'intention
d'y fonder un sérieux établissement colonial.
11 résulte du rapport officiel que cette baie n'a sa pareille , ni pour l'étendue , ni
pour l'ancrage, qu'elle est salubre, abondanunent fourni de sources et de rivières, et
que le territoire qui l'avoisine est propre à la culture.
Découverte par Diego Suarèz, navigateur portugais qui se rendait aux Indes, cette
immense baie seuible avoir été découpée connue à plaisir par la nature dans l'inté-
rieur des terres.
Ses contours capricieux forment cinq grantles rades : celle du Toitnerre , celle des
Cailloux blancs, celle de l'île du Sépulcre, enfin la Baie des Français et le port de
la Nièvre.
Ces baies se subdivisent à leur tour en havres , criques ou anses dont plusieurs
sont accessibles aux bateaux même d'un très fort tonnage.
Nne presqu'île resserrée entre la baie de l'île du Sépulcre et le cul-de-sac Gallois ,
s'avance au milieu de la baie de Diégo-Suarez.
Un large et fertile plateau s'élève sur cette presqu'île , où le Gouvernement a déjà
conunencé des installations : ponts , débarcadère , dépôts de charbon , magasins ,
chantiers de constructions , casernes , hôpitaux , etc. Plus tard , bassins de carénage
et arsenaux divers seront , dans cette position admirablement choisie , à l'abri de
toute agression de la part des Hovas.
Un fortin , construit sur le monticule i)ar lequel se termine le plateau de la pénin-
sule , domine la rade et protège les premiers établissements.
On peut très facilement rendre imprenable l'importante position de Diégo-Suarèz.
La nature a déjà presque tout fait dans ce but. L'entrée de la baie est un goulet de
trois kilomètres de longueur environ, sur deux de largeur, resserré entre les promon-
toires de la côte au Sud et au Nord.
- 479 —
En outre, pi"es(]iie au milieu du chenal qui reste libre, surj^it un îlot basaltique très
pittoresque, appelé Nossi-Volane, ou île de la Lune.
Des batteries installées sur les deux rives du chenal et croisant leurs feux avec
ceux des batteries qui seraient également édifiées sur Nossi - Volane , rendraient
inq)Ossiblc l'accès de la baie à tout navire ennemi. D'ailleurs , eùt-il forcé la passe ,
malgré tout, ce navire se trouverait encore en face <le Nossi- Lanr/our, qui se dresse
comme un bastion au milieu de la baie , et dont les batteries achèvevaient de le
couler à pic.
Des craintes au sujet de la sécurité de notre colonie de Diégo-Suarèz , à cause du
voisinage de l'établissement des Hovas à Ambohemarina, ont été manifestées et
pourraient être justifiées , si le Gouvernement permettait aux Hovas de faire , sur le
plateau qu'ils occupent, de nouveaux travaux de fortifications.
Le fond de la baie de Diégo-Suarez n'est séparé de la baie du Courrier, au Sud-
Ouest de la presqu'île d'Ambre , que par un isthme très étroit , qu'il est facile de
traverser en une heure de marche à \ned.
DéliinitatlouM défluitlves lie l'État indcpeudaut du Coug;o.
— Le texte de la convention de délimitation du Congo a été définitivement arrêté
à Bruxelles , vendredi 22 avril , après acquiescement de l'Etat et du gouvernement
français. Les ratifications ont dû être échangées le 26 ou le 27 avril.
Pour la délimitation , l'État accepte la transaction proposée par M. de Freycinet.
La limite sera le thalweg de l'Oubanghi. Le petit poste de N'Koundja , fondé par
M. de Brazza , et qui se trouve sur la rive gauche , est cédé à l'État libre , la rive
droite seule appartenant à la France.
La clause de préemption stipulée en 1885, ne sera pas opposable à l'Etat, s'il vou-
lait céder partie ou totalité de ses territoires à la Belgique.
L'État renonce à la loterie de 29 millions , dont l'émission en France aurait pu
avoir lieu , suivant un engagement pris par M. Jules Ferry , mais le gouvernement
français consent à admettre à la cote les titres de l'emprunt du Congo jusqu'à concur-
rence de 80 millions.
Les journaux de Bruxelles ont publié les documents dont la teneur suit :« Henri
Morton Stanley , agissant au nom de Sa Majesté le roi des Belges , souverain de
l'État libre du Congo, élève Hamed-Bin-Mohamed Tippo-Tib, à la dignité de vali du
district des Stanley-Falls , avec un traitement de trente livres sterlings par mois , et
aux conditions suivantes :
1° Tippo-Tib s'oblige à arborer le pavillon de l'État du Congo sur la station voisine
des Stanley-Falls, et à faire respecter l'autorité de l'État tant sur la rivière du Congo
et tous ses affluents qu'à cette station et en aval de la rivière jusqu'à la rivière
Arumni. 11 s'engage à empêcher les Arabes et les tribus établis dans l'étendue de ce
territoire à faire le commerce des esclaves ;
2" Tippo-Tib recevra un résident représentant l'Etat libre du Congo et l'emploiera
comme intermédiaire pour toutes les communications qu'il pourra avoir à faire à
l'administration générale ;
3" Tippo-Tib aura pleine liberté de faire le commerce dans toutes les directions et
dans tous les endroits qui pourront lui convenir ;
4° Tippo - Tib nommera un substitut pour l'intérim en cas d'absence , auquel il
déléguera ses pouvoirs, et qui lui succédera en cas de décès. Sa Majesté le roi des
Belges se réserve le droit de désapprouver le choix de Tippo-Tib si elle y trouve une
objection sérieuse ;
- m) —
5° Le présent traité aura ses pleins effets aussi longtemps que Tippo-Tib ou son
substitut pour rintériia, rempliront les conditions énumérées ci-dessus.
DélEniitatiou des poiiises.sion»» françai?«cs et alleiuancleK
sur la côte «les esclaves. — Gunfoniiénient à la convention du 24 décembre
1885 , les commissaires français et allemands ont déterminé la limite des posses-
sions françaises et allemandes , sur la côte des Esclaves. On a choisi le méridien
qui coupe la pointe occidentale de Tîle Bayol (dans la lagune entre Agoué et Petit-
Popo, un peu à l'ouest du village Hillacondji) en le prolongeant vers le Nord jusqu'au
neuvième degré de latitude septentrionale. Cet accord a été sanctionné par les deux
gouvernements.
li'euseiguemeiit frauçal^ au Sénég;al. — D'après un correspondant
de la Gironde , des écoles françaises fonctionnent à Bakel, Kayes, Médine, Bafou-
labé, Kita et Badoumbé ; chaque école comprend deux sections : la première , avec
les fils des chefs des villages environnants , sorte d'école d'otages , soumises à
l'internat ; les enfants sont nourris et habillés par les soins de l'administration ;
— la seconde , destinée à recevoir les enfants des tirailleurs indigènes. Chaque soir,
un cours est professé aux ouvriers et habitants de Saint-Louis.
L'école d'otages de Kayes compte trente élèves , enfants venus du fond du Bam-
bouck ou fils des chefs du Kaméra ; celle de Bakel en compte autant , fils des chefs
du Guoy. Parmi les élèves de l'école de Médine, se trouve le fils du fameux marabout
Mamadou-Lamine-Dramé. Le colonel Gallieni est très satisfait des résultats obtenus
jusqu'à ce jour; il s'efforce d'organiser de mieux en mieux le service de l'enseigne-
ment qu'il considère comme le plus puissant moyen d'étendre l'influence française.
Ij'Espagiie dans la nier Roug^e. — L'Espagne était désireuse depuis
fore longtemps d'occuper sur le littoral de la mer Rouge un point lui permettant
d'installer un dépôt de charbon, dépôt indispensable aux bâtiments de sa marine qui
empruntent la voie du canal de Suez pour desservir les îles Philippines.
Un officier de sa marine fut envoyé dans ce but, il y a environ un an, pour s'abou-
cher avec les tribus de la côte , et nous sommes heureux d'apprendre que ses
démarches viennent d'aljoutir, il y a deux mois. Cet officier. M. Pastorin , s'est, en
effet, entendu avec les indigènes Somalis et Dankalis pour l'acquisition d'une petite
baie libre jusqu'à ce jour d'occupation par une nation civilisée, et qui permettra à
nos voisins de se créer l'établissement que réclamait impérieusement la sûreté de
leurs communications avec l'Extrême-Orient.
J*iondag;es et forages en Algérie. — Notre colonisation en Afrique, soit
dans la région algérienne, soit dans la région tunisienne, soit au Congo, est consi-
dérablement facilitée par les forages de puits artésiens qui s'y exécutent.
L'histoire des Puits artésiens remonte, pour l'Algérie, aux époques les plus recu-
lées. Les sondeurs arabes qui ont creusé les nombreux puits indigènes qui existent
dans le désert , notamment dans le sud de la province de Constantine , formaient
jadis une corporation très estimée et même vénérée des Arabes.
Le R'tas, ainsi se nomme le sondeur indigène, a, de tout temps, joui de grands
privilèges, parmi les populations sédentaires ou nomades du sud de l'Algérie. Son
métier très dangereux, et les avantages immenses que les Arabes retiraient de ses
travaux, en faisaient un être à part. L'explication du fonçage d'un puits artésien par
— m -
le R'tas nous amènerait trèf^ loin, mais pour ju!j:or du dan;ier (|ue présente son tra-
vail, il faut se figurer un puits carré de 0'",70 de côté et de 60 à 80 mètres de profon-
deur environ, blindé en bois de tronc de palmier (le seul arbre qui existe dans la
région des puits). Le R'tas descend , s'enfonce petit à petit dans ce puits percé tout
entier dans l'argile et arrive sur la couche de poudingue rouge qui recouvre la partie
artésienne. Cette couche est percée à l'aide d'une pioche, et l'eau qu'elle retient
prisonnière, jaillit à ce moment avec une telle force, qu'il arrive assez souvent que
le malheureux sondeur est brusquement rejeté , aplati contre les parois du puits,
l'eau remonte en peu de temps à la partie supérieure sur le sol et rejette inanimé le
corps du R'tas.
L'arrivée des ateliers de sondage français , en 1856, a presque fait disparaître le
sondeur indigène. Nous avons pu, malgré cela , en rencontrer quelques-uns dans le
cours d'un voyage que nous avons fait en 1882 dans la province de Constant! ne.
Aujourd'hui leurs travaux sont complètement arrêtés , c'est un métier qui a
disparu, et les colons français avec leurs ateliers de sondage les font de plus en plus
oublier.
Les ateliers français appartenant à l'Etat, ont chaque année foré un grand nombre
de puits, et ont été conduits par M. Jus, ingénieur, ancien élève d'Arts et Métiers
d'Angers, auquel revient une grande part de la prospérité dont certaines régions
d'Algérie ont bén^éficié depuis. Malgré que M. Jus fut aidé dans ses travaux par des
soldats des bataillons d'Afrique, ce n'est pas sans difficulté qu'il a pu procédera ses
premiers travaux ; à plusieurs reprises sa vie a été en danger. Les Arabes voyaient
d'un mauvais œil un Français qui représentait encore pour eux l'ennemi envahisseur,
détrôner le pouvoir indiscuté du R'tas ; c'était une défaite dont leur amour- propre
souffrait beaucoup. Mais devant les avantages qu'il tirèrent des travaux de M. Jus ,
ils en vinrent à le vénérer autant qu'ils le détestaient au début, et aujourd'hui encore
ce dernier jouit d'une considération entourée de respect que beaucoup de marabouts
lui envieraient.
Le premier atelier de sondage appartenant aux colons fut installé par MM. Fau ,
Foureau et C'e qui ont fondé depuis la Compagnie de l'Oued Rirh, dont le siège est
Biskra. Le premier sondage artésien exécuté par cet atelier , a jailli au mois de
décembre 1881, et a donné dans l'oasis de Tarnerna Djidda , à une profondeur de 56
mètres, un débit de 4,000 litres par minute. Cet atelier était alors dirigé par
M. Boutain, ce fut le dernier poste français que rencontra le colonel Flatters, lors de
sa malheureuse excursion chez les Touaregs.
11 a fonctionné jusqu'au mois de mai 1882 et a foré cinq puits artésiens dans
l'Oued Rihr. Les profondeurs de ces différents puits ont varié de 50 à 80 mètres, et
leur débit moyen de 2,000 à 4,000 litres par minute. L'arrêt du travail a eu lieu en
1882 à cause de l'élévation de la température ; l'atelier était alors dans l'oasis de
Touggourt. Depuis cette époque, la Compagnie de l'Oued Rirh a continué ses tra-
vaux, tant en forages qu'en plantations de palmiers , et son avenir est complètement
assuré, grâce à l'énergie de ses directeurs , qui n'ont pas craint de faire pour leurs
besoins personnels les sacrifices qui avaient été jusque-là supportés difficilement
par l'État.
L'histoire militaire de notre colonie d'Afrique est, par maints endroits, liée à celle
des puits artésiens, et la facilité avec laquelle les Français, avec leur outillage per-
fectionné, faisaient jaillir l'eau du désert, en imposait aux Arabes comme Christophe
Colomb annonçant l'éclipsé du soleil aux sauvages de Saint-Domingue.
En Tunisie , les forages artésiens suivent également une marche régulière , et le
temps n'est pas éloigné où le nombre des oasis sera doublé , grâce au procédé de
forage français. Pour cette région, les études préliminaires pour la réalisation du
32
— 482 —
projet connu sous le nom de Mer intérieure du ccmmandant Roudaire^ ont consi-
dérablement avancé la reconnaissance du régime artésien. C'est en faisant les son-
d'études pour le canal devant faire communiquer les chotts avec la Méditerranée que
nos ingénieurs ont reconnu la présence du régime artésien de la Tunisie, lequel est
le même que celui de l'Oued-Rihr.
Résultats des e^&plorateurs Greiifell et Junker. — M. Wauters
a prétendu établir que /Quelle est un tributaire du Kongo , qu'il ne coule point vers
le lac Tchad, mais qu'il rejoint le Kongo par le Mobandji, cours d'eau nouvellement
exploré par M. Grenfell, M. Wauters invoque, à cet égard, l'autorité de Schweinfurth,
de Stanley , de Grenfell et de Lenz. Les géographes français , entre autres MM. de
Brazzaet Duveyrier, sont d'un avis différent, et, à l'arrivée du D' Junker à Zanzibar,
le vice-Consul français a fait savoir que Junker n'avait à présent aucun doute sur
l'écoulement de l'Ouellé dans le lac Tchad. Junker venait précisément d'explorer
l'Ouellé et avait atteint un endroit beaucoup plus avancé vers l'Ouest qu'on ne l'avait
fait auparavant. La question des limites du bassin du Kongo et de l'Etat libre du
Kongo n'est pas d'une petite importance pour l'établissement ultérieur de la fron-
tière des possessions françaises entre le Gabon et le Kongo. Toutefois, une nouvelle
lettre de Schweinfurth, adressée du Caire, semble encore une fois changer la question
de face.
A l'arrivée de Junker au Caire , Schweinfurth s'est aperçu que , quand il était à
Zanzibar, Junker ne savait rien du Mobandji, de Grenfell ni d'aucun des tributaires
septentrionaux du Kongo, à l'exception de l'Arou-Ouimi. Dès que les faits lui eurent
été exposés, en ce qui concerne les affluents du Nord, Junker a reconnu la probabi-
lité de la théorie de l'Ouellé-Mobandj-Kongo, et s'avoua absolument convaincu.
Junker a suivi l'Ouellé (appelé en cet endroit le Makoua) jusqu'au village de
Bassanga , par 22O4T40" E. Long, et 3" 13'l(y' N. de Lat., à un degré seulement au
nord du Kongo. Or , comme Grenfell a suivi le cours du Mobandji jusqu'à 4" 40' de
Lat. N., il en résulte que l'OuelIé-Makoua fait une grande courbe vers le N.-O., avant
de tourner au Sud pour se confondre avec le Mobandji jusqu'à son confluent avec le
Kongo , ou bien que le chenal exploré par Grenfell est une autre branche du
Mobandji.
En conséquence, le Mobandji serait constitué par l'Ouellé-Makoua, venant de l'Est
avec un cours à peu près parallèle au Kongo, et une autre rivière, probablement d'une
longueur et d'un volume moindres, le Genko-Kouta (branche de Grenfell), venant
du nord. Grenfell a trouvé le cours du Mobandji très encombré d'îles, et on suppose
qu'il se pourrait que le confluent de l'Ouellé-Makoua avec le Genko-Kouta, dont il a
remonté le cours jusqu'à 4" 3(/ N., lui eût échappé. Pour résoudre le problème, il
faudrait que quelqu'un descendit l'Ouellé-Makoua à partir de Bassanga et au-dessous,
de manière à passer dans le Mobandji inférieur, ou bien qu'il fit voile du Kongo vers
Bassanga en remontant. Le D'' Junker rapporte que, sur la partie de l'Ouellé qu'il a
explorée, il n'y a aucun obstacle à la navigation jusqu'aux chutes de Kissinga, visi-
tées par Schweinfurth, dans la partie supérieure du cours de la rivière. 11 regarde
l'Ouellé-Kongo comme la voie d'eau la plus directe et la plus parfaite pour pénétrer
dans le Soudan égyptien, et s'attend à ce que, si Stanley s'élance par le Kongo au
secours d'Emin-Bcy il trouve par l'Ouellé-Makoua sa meilleure route.
— 483 —
AMÉRIQUE.
Chez l'ancien Président de la République Arg^entine. — Le
général Juho Rocca , qui pendant six années , de 18H0 à 1886 , occupa le poste de
Président de la République Argentine, dont il fut le principal organisateur, est arrivé
à Paris le mois dernier. Il est accompagné de toute sa famille , ainsi que de son
ancien officier d'ordonnance, M. Gramajo, et de son secrétaire particulier, le docteur
Enrique Garcia Miron.
Notre secrétaire-général, de passage à Paris, grâce à l'influence d'un ami, a pu se
présenter chez le général Julio Rocca, qui s'est installé avec toute sa suite à l'Hôtel-
Gontinental, pour la durée de son séjour à Paris. L'ancien Président de la République
Argentine lui a fait le plus bienveillant accueil , malgré une légère indisposition qui
l'oblige à garder la chambre.
Le général Julio Rocca est âgé de quarante-quatre ans. Il est de haute taille, svelte
et d'apparence très vigoureuse.
Par une exception bien rare chez les Américains du Sud , ses cheveux et sa barbe
sont d'un blond très clair. Dès le premier aspect , on devine un homme d'une vive
intelligence et d'une rare énergie.
Son front est large et découvert, ses traits sont fortement accusés et pourtant son
œil a une expression d'une grande douceur. Rarement il nous a été donné de voir
une physionomie aussi ouverte et aussi sympathique.
Notre secrétaire-général ayant demandé au général Julio Rocca de vouloir bien
lui donner quelques renseignements sur l'organisation de la République Argentine ,
sur son développement , son avenir et ses relations commerciales , il pria son secré-
taire , qui connaît fort bien la langue française, de transmettre ses réponses. Voici
les renseignements que nous avons pu ainsi obtenir tant sur le paj'S lui-même que
sur son ancien Président :
Le général Julio Rocca est né à Tucuman , au mois de juillet 1843. Son père , le
colonel Rocca, fut le plus intrépide champion de l'indépendance.
Le jeune Rocca se fit remarquer de bonne heure par son intelligence et son appli-
cation au travail. Il choisit la carrière des armes.
A l'âge de dix-huit ans, il avait déjà assisté à plusieurs batailles et conquis le grade
de capitaine.
Durant la guerre du Paraguay , la plus audacieuse de toutes les guerres améri-
caines , il se distingua par son intrépidité et ses rares qualités de tacticien. Son
bataillon , le 6" de ligne , entraîné par son exemple , fit des prouesses de valeur et
mérita le surnom d'invincible.
En récompense de ses services , le capitaine Rocca fut nommé commandant et
bientôt lieutenant-colonel. Quand la République fut troublée par de nouvelles insur-
rections, ce fut le lieutenant-colonel Rocca qui rétablit le calme en remportant sur
les insurgés les victoires de Lomas Blancas et de las Playas. Au mois de novembre
1869, il reçut le commandement en chef de la frontière d'Oran. Il repoussa l'invasion
dirigée par Lopez Jordan. Il le battit à la bataille de Neambe, ce qui lui valut le grade
de colonel, qu'il reçut sur le champ de bataille mémo.
En 1874, les plus dangereuses attaques furent dirigées contre la constitution de la
République par les généraux Don Rartolome, Mitre et le général Rivas, appuyés par
le mouvement du général Arredondo , qui opérait sur la frontière. Le général
Arredondo était un soldat très expérimenté et il disposait de forces importantes. Le
colonel Rocca fut chargé de leur tenir tète. L'anxiété du pays était portée à son
— 484 -
comble. De la victoire de l'un ou l'autre de ces généraux dépendait le sort de la
nation. Le colonel Roeca déjoua les plus habiles combinaisons de son adversaire et
remporta sur lui la victoire de Santa-Rosa.
La nation accueillit la nouvelle de cette victoire avec des transports de joie et le
colonel Rocca fut nommé général.
Dès lors , il consacra tous ses efforts à l'organisation d'un service de défense sur
les frontières , afin de garantir le pays des incursions des pillards. Il fit plusieurs
campagnes dans l'intérieur des Pampas , captura un grand nombre d'Indiens et
augmenta le territoire de la République de plus de quinze mille lieues.
C'est aussi au général Rocca, qui ne tarda pas à devenir ministre de la guerre et
de la marine, que la République Argentine doit l'organisation actuelle de son armée
et de sa marine. L'armée , dont l'effectif sur le pied de paix ne dépasse pas 8,000
hommes, peut, en cas de guerre, s'élever au chiffre de 120,000 hommes bien équipés
et avec des armes perfectionnées. Une école navale a été fondée sous la direction
d'un officier de la marine française, M. Bœuf. Cette école compte 133 élèves.
La ffotte se compose de plusieurs cuirassés, de canonnières, de torpilleurs et d'un
grand nombre de navires de moindre importance qui mettent le pays à l'abri de toute
tentative d'ogression.
Tant de services rendus à la République, tant de batailles gagnées avaient fait du
général Rocca, un héros fort populaire. Aussi, quand le docteur Nicolas Avellaneda,
Président de la République depuis 1874, fut arrivé au terme de son mandat, l'opinion
publique le désigna-t-elle pour lui succéder. Pourtant , le général Rocca avait un
concurrent à la présidence, le général Bartolome Mitre, qui disposait de forces mili-
taires assez importantes.
Avec l'aide de Tejedor , gouverneur de la province de Buenos-Ayres , ce général
tenta un soulèvement qui se termina rapidement par la défaite des rebelles , dans
une bataille livrée sous les murs même de Buenos-Ayres. Après cette bataille , tout
rentra dans l'ordre, chacun quitta les armes pour retourner à ses affaires, si rapide-
ment que trois jours plus tard, la tranquillité la plus complète régnait dans la ville.
Le général Rocca pardonna généreusement à tous ses ennemis, nulle poursuite ne
fut exercée contre eux.
Seuls , quelques officiers furent mis en retrait d'emploi , mais pour peu de temps.
Cette générosité lui donna les meilleurs résultats.
Ses ennemis les plus acharnés devinrent ses plus chauds partisans.
Dès qu'il fut maître paisible du pouvoir, le général Rocca consacra toute son
activité à l'organisation de la République et à son développement commercial. 11 fit
construire les lignes de chemins de fer considérables qui relient Buenos-Ayres à
Tucuman et à Santiago, en traversant la Gordillière des Andes. Une autre ligne très
importante est en construction ; elle sera continuée jusqu'au détroit de Magellan.
C'est à lui aussi que la République Argentine doit la pacification des Pampas et
la destruction des bandes d'Indiens pillards , qui , par leurs incursions fréquentes ,
enlevaient toute sécurité aux éleveurs.
Le général Rocca , pendant les six années qu'il resta au pouvoir , sut s'entourer
d'hommes intelligents et actifs , qui le secondèrent habilement. Ce furent surtout
Irigoyen, avocat, ministre des affaires étrangères ; Victorino de la Plaza , ministre
des finances ; Eduardo Wilde , ministre de l'instruction publique , et Benjamin
Victorica , à la guerre.
Son mandat terminé , le général RocQa fut remplacé par son beau-frère , Juarez
Gelan , qui est le Président actuel. Nul doute que dans une nouvelle période de six
ans, le général Rocca ne revienne au pouvoir. La Constitution défend la réélection
immédiate d'un Président de la République.
- 485 -
Après avoir entendu tous les intéressants détails qu'on vient de lire , notre secré-
taire-général demanda quelle était l'importance des relations commerciales entre la
République Argentine et la France ?
La France, nous dit-on , jouit d'un prestige très grand dans toute la République
Argentine.
Tous les produits français y sont consommés de préférence aux autres, surtout les
articles de Paris. Nous suivons les mœurs et les habitudes françaises. Buenos-Ayres
possède de nombreuses maisons de confection de la plus grande importance.
Dans le tableau de notre commerce, la première place pour le chiffre des affaires ,
est certainement occupée par la Franco , surtout pour l'imijortation. L'Angleterre
vient ensuite, puis l'Allemagne et la Belgique. L'anné dernière, le connnerce d'im-
portation avec la France a augmenté de 9 millions et demi de francs sur celui de
1880, et près de 5 millions sur celui de 1879.
Gomme nous demandions si l'émigration des Européens dans la République Argen-
tine était considérable : le courant d'émigration, nous répondit-on, augmente de jour
en jour. En 1880, 21,274 Euroi)éens ont émigré dans la République Argentine; en
1801. ce chiffre s'élève à 35,817.
Que deviennent ces émigrants à leur arrivée ? continuâmes-nous.
Ils reçoivent l'hospitalité, durant huit et même quinze jours , à l'hôtel national de
"Émigration. Le bureau national du travail, trouve de l'occupation à ceux qui n'ont
pas de capitaux et qui ne trouvent pas directement du travail.
L'émigration doit-elle être encouragée ? Ne doit-on pas craindre l'encombrement?
Ici la réponse est typique : L'émigration des agriculteurs et de tous ceux qui
possèdent des métiers manuels doit être encouragée par tous les moyens. Ces gens
trouvent rapidement des emplois bien rémunérés.
L'exploitation du sol dans la République Argentine a subi une grande modification.
L'élevage a considérablement diminué et on s'occupe beaucoup de la culture des
terres qui donne d'excellents résultats. Nous avons encore d'immenses étendues de
territoire entièrement incultes et sans habitants. Les agriculteurs actifs sont donc
assurés d'arriver vite a de beaux résultats.
En terminant cette longue conversation, le secrétaire du généralJulo Rocca nous
fit remarquer qu'autant on devait encourager l'émigration des hommes possédant les
métiers dont il vient d'être question, autant on devait en dissuader les jeunes gens
se destinant aux carrières libérales. Les médecins français , par exemple , jouissent
d'une grande réputation, mais leur nombre est grand déjà.
Le service des autres carrières est suffisamment assuré par les jeunes gens du
pays.
€onte!«tation sur la délimitation de leurs froutières entre
les Itépuliliques de I%icara^ua et Costa -Uica. — L'attention
publique est attirée en ce moment dans l'Amérique Centrale sur la question des
limites qui existent entre les deux Républiques de Nicaragua et Costa-Rica. 11 s'agit
de savoir si Juanacaste appartient à l'un ou à l'autre pays.
Voici ce qui se dit du côté de Costa-Rica :
La Constitution de la République , en date du 21 janvier 1825, a bien déclaré que
le Rio-Salto constituait la frontière du côté du Pacifique, ce qui équivalait, en réalité,
à une déclaration que Juanacaste était bien reconnue comme appartenant au Nicara
gua, mais il faut aujourd'hui revenir sur cette déclaration, en raison du traité Jerez
Ganas, dans lequel la séparation de Juanacaste du Nicaragua a été acceptée.
Le Nicaragua répond :
Des faits et documents cités par le D' Thomas Avon , historien réputé du pays,
prouvent que la province de Nicoya a appartenu au Nicaragua à l'époque coloniale
oii ses limites étaient déterminées par le cours du Rio-Salta. 11 est aussi prouvé que
la République possédait le rio et la baie de San-Juan del Norte , découverts après
l'arrivée des premiers colons dans la province de Gosta-Rica, alors pauvre et impuis-
sante à établir ses droits sur le dit rio et soumise aux déprédations des Indiens
Mosquitos auxquels le gouverneur payait cependant un tribut annuel pour préserver
les colons de leurs dommages. Quant au traité Jerez-Ganas , il est nul et non avenu ,
quoiqu'il ait reçu la sanction de l'Assemblée du Nicaragua : cette sanction, en effet,
est contraire à la Gonstitution du Nicaragua de 1838, qui était alors en vigueur, et
est faite la déclaration de la possession de Juanacaste. Enfin , la République de
Gosta-Rica , après la guerre contre Walker et les flibustiers , a demandé autrefois à
la République de Nicaragua de lui céder Juanacaste en récompense des services
rendus : eût -elle agi ainsi au cas oii elle eût été certaine que Juanacaste fît partie
intégrante de son territoire ?
De tout ceci , il semble résulter que , dans cette question de limites , le droit se
trouve du côté de la République de Nicaragua. On devine , d'ailleurs , que les espé-
rances actuelles de Gosta-Rica sont , avant tout , un peu fondées sur les espérances
du succès que lui fait entrevoir la condition actuelle du Nicaragua , affaibli par des
dissensions intérieures.
Départ de II. Désiré Charnay. — M. Désiré Gharnay , que nous avons
entendu il y a deux ans à la Société de géographie de LiUe, qui a exploré avec tant de
succès le Mexique et la presqu'île du Yucatan , et a enrichi le musée du Trocadéro
de curieux spécimens de l'art et de l'architecture des anciens habitants de ces
contrées, est reparti de Paris pour continuer ses recherches. Dans le voyage qu'il a
fait l'année dernière, il a pu, malgré l'état troublé du pays, faire de nouvelles décou-
vertes , entre autres les ruines d'une cité inconnue, que les gens du pays appellent
Ek Balam, nom qui signifie « la ville du tigre noir ».
M. G. Oodio dans la République Argentine. — M. G. Godio
parcourt en ce moment les Missions de la République Argentine. En vapeur , il
a gagné d'abord Gorrientes , puis Ituzaingo , puis les rapides d'Apopé , mais son
vapeur s'étant brisé contre un écueil , il a dû , pour atteindre la capitale du terri-
toire des Missions, l'ancienne Itapua, aujourd'hui Posadas, recourir à la « galera »,
espèce de véhicule impossible , traîné par six ou huit chevaux, à travers les fon-
drières.
M. Godio a été attaqué par les Indiens ; mais les Remingtons ont eu raison des
assaillants.
Il se propose de faire une étude consciencieuse des pays qui séparent le Brésil de
la République Argentine.
Lies deux plus grands QeuTes du globe. — Le Major général
A. Von Tillo, de l'état-major russe , classe ainsi les huit plus longues rivières
du globe :
— 487 —
Missouri-Mississipi 6.971 kilom.
Nil 6.681 -
Yang-tze-Kiang 5.248 —
Amazone 5.091 —
Yennesseï-Selinga 4.903 —
Amour 4.853 —
Kongo 4.791 —
Mackenzie 4 .767 —
OGEANIE.
IiCS lies fl'^alllfs à la France. — Un télégramme de Sydney confirme la
prise de protectorat, au nom de la France, du groupe des îles Wallis.
L'archipel des îles Wallis , avec les indigènes duquel nous avions un traité de
commerce depuis 1842 , est situé dans la Polynésie , au nord - ouest de l'archipel
Bougainville, par le 13° 18' latitude sud et 179° longitude ouest.
Elles ont été découvertes en 1767 par le navigateur anglais Wallis, dont elles
portent le nom, et se composent de douze petites îles dont les plus importantes sont
Ourea et Nakouatea. Ourea, la plus grande, est de formation volcanique : elle mesure
2,500 hectares environ et contient trois chaînes de collines dont la hauteur n'excède
pas 200 mètres, et deux grands lacs servant de déversoir à des eaux jaillissantes qui
assurent la fertilité du sol. Ce dernier convient parfaitement à la plantation du café,
du cacao , de la canne à sucre , du coton et des cultures tropicales en général. La
population d'Ourea est catholique ; elle compte environ 3,500 hahitants.
C'est M. Ghauvot qui va occuper le poste de premier résident de France aux îles
Wallis.
REGIONS POLAIRES.
Mordensklôld au pôle Sud. — On annonce comme très prochain le
départ d'une nouvelle expédition que commanderait Nordenskiold et qui doit se
rendre dans les régions polaires australes.
II. — Géographie commerciale. — Statistiques
et Faits économiques.
EUROPE.
La population de Rome. — L'anniversaire récent de la fondation de
Rome a rappelé l'attention sur le nombre des habitants que cette ville a eus aux
différentes époques de son existence.
— 488 -
C'est sous l'empereur Auguste que la population de Rome a atteint son maximum ;
elle fut de 1,336,680 habitants.
A partir de cette époque, elle commença à décroître, à tel point qu'en Tan 525
après Jésus-Chrit, elle n'était plus que de 300,000 habitants. En 1375 , à l'époque du
retour du Saint-Siège d'Avignon, la population était réduite à 17,000 habitants. Elle
conunença à croître de nouveau , mais d'une façon très lente; à cette époque, vrai-
ment splendide pour Rome, c'est-à-dire sous le pontificat de Léon X, le chiffre de la
population n'était que de 50,000. Au commencement du siècle, il était de 165,000.
Le 31 décembre 1871 . époque du premier recensement, la population s'élevait à
248,208 habitants ; en 1872 , elle était de 250,620 ; en 1874 . de 257,000 ; en 1875 ,
268,130 ; en 1876, 272,560 : en 1877, 282,214 ; en 1878, 289,321 ; en 1879, 298,060 ; en
1880, 305,459; en 1881, 300,467 ; en 1883, 316,205 ; en 1884, ^4,649 ; en 1885,341036.
Enfin, aujourd'hui, la population de Rome et 356,000 habitants.
ASIE.
Lia production du poivre. — On sait à quelles atroces falsifications
donne lieu le poivre broyé dont nous nous servons usuellement. Nous avons pu nous
procurer au sujet de la production actuelle de ce produit quelques renseignements
inédits, que nous sommes heureux de pouvoir communiquer aux lecteurs du Bulletin
de la Société de géographie de Lille :
Les diverses qualités de poivres qui se traitent dans le commerce sont celles de
Pinang, de Singagore, de Tellichery, de Sumatra, du Malabar, de Trang et de Siam.
La presqu'île deMalacca,qui en produisait autrefois 4 millions de livres (1,800,000
kilogranmies), n'en donne presque plus.
La culture de ce produit, au point de vue de la quantité, s'est presque entièrement
circonscrite aux côtes de Sumatra, et encore a-t-elle diminué considérablement.
Autrefois , la production y atteignait 40 millions de livres (18 millions de kilo-
granunes) ; en 1872 , 142,000 piculs furent exportés à Pinang ; en 1873 , il n'y en eut
que 105,000 , et 96,000 seulement (6 millions de kilogrammes) en 1874. En outre ,
2 millions de livres (900,000 kilogrammes) prenaient annuellement la route directe
des ports de la Méditerranée. Réduite , dès 1877, à 22 millions de livres (10 millions
de kilogrammes) par la guerre qui désole le pays , la production de Sumatra est
tombée, en 1885, à 131,131 piculs, soit 8 millions de kilogrammes.
Le marché de Batavia reçoit du poivre des îles Lampong , situées sur la côte de
Sumatra, qui en donnent environ 23,000 piculs (1,450,000 kilogrammes) par an. La
cueillette se fait à partir de septembre jusqu'à la fin de janvier et fournit 2,0000
piculs par mois à Batavia ; de février à août il n'en arrive que 500 piculs mensuel-
lement.
Siam exportait tout son poivre en Chine , il y a quinze ans. En 1870, 25,544 piculs,
représentant la somme de 174,881 dollars, prirent directement ce chemin. En 1884 ,
les Détroits en ont reçu 6,227 piculs valant 110,675 dollars.
Le poivrier {Piper nigruni) est originaire des forêts du Malabar et du Travancore.
Depuis des siècles, le poivre a été un important article d'exportation de la côte occi-
dentale de l'Inde en Europe ; celui du Malabar est considéré comme le meilleur. Sa
culture est très siuiple. On plante des boutures au mois de juin , à l'époque oii
commencent les pluies , dans un sol riche et assez humide ; au bout de trois ans ,
elles commencent à produire à raison d'à peu près 2 livres (environ 1 kilogramme)
- 489 -
(In poivre par an , en moyenne, et cela jusqu'à l'âge de vingt ans, époque à laquelle
elles déclinent. La récolte se fait en mars ou avril : on cueille le fruit un peu avant
sa maturité, et on le laisse sécher en plein air.
Sur la côte du Malabar , on sème souvent le poivre ; les gens du métier préfèrent
ce genre de reproduction qui assure un rendement de plus longue durée que la repro-
duction par boutures, toutefois cette dernière donne de plus fortes récoltes et un
fruit plus gros et de meilleure qualité. On a généralement soin de planter les poivriers
au pied d'arbres à écorce rude qui leur servent de supports : ce sont principalement
le jaquier, le manguier et le cachou que l'on recherche à cet effet; le poivrier s'y
attache et grimpe jusqu'à 10 mètres de hauteur, si on n'a pas soin de le ramener vers
le sol pour faciliter la cueillette.
Dans l'île de Singapore , on cultive le poivre dans les jungles, à côté du gambier ;
ce voisinage présente certains avantages : les détritus du gambier constituent un
excellent engrais pour le poivrier , et le cultivateur peut consacrer à ce dernier les
loisirs que lui laisse cette même plante entre les récoltes. Le terrain ayant été défri-
ché et labouré préalablement, les boutures se plantent à 5 pieds de distance les unes
des autres, appuyées chacune par un jeune plant d'arbre à croissance rapide qui leur
donnera bientôt soutien et ombrage. Au bout d'un an ou dix-huit mois, lorsque le
poivrier a atteint une longueur de 3 ou 4 pieds, on le recourbe vers le sol et on l'y
enterre à quelques pouces de profondeur , laissant seulement à découvert un arc de
la tige, qui en peu de temps jette déjeunes pousses qui devront produire le fruit à
l'abri de leurs tuteurs. Cette façon de procéder, a pour résultat de multiplier le
nombre des jeunes poivriers en même temps que de leur donner une vigueur plus
grande par le développement des racines.
Gomme apparence et comme manière de croître, le poivrier tient de la vigne et du
groseille , mais ses feuilles sont de couleur plus foncée. Les fruits , en forme de
grains , se groupent en grappes de vingt à trente , assez peu serrés ; ils sont tout
d'abord verts, puis deviennent successivement rouges et jaunes en mûrissant.
Pour obtenir du poivre noir , on cueille les grains pendant qu'ils sont verts , un
mois avant la maturité ; on les expose au soleil jusqu'à ce que l'enveloppe extérieure
ait pris l'aspect ridé qu'elle a une fois l'article livré au commerce ; mis ensuite sous
un hangar sur des tamis exposés à la chaleur d'un feu couvert, ils y acquièrent leur
couleur noire.
Si l'on veut avoir du poivre blanc, on laisse mûrrir jusqu'à ce qu'il soit d'un beau
rouge brillant : son écorce est alors tendre et d'un goût douceâtre. Une fois cueilli ,
on le met dans des sacs grossiers à tremper dans de l'eau chaude ou froide pendant
un jour ou deux, ce qui relâche l'écorce au point qu'après avoir séché au soleil, une
simple friction manuelle suffit à la détacher. Le poivre blanc est alors vanné et livré
au commerce.
Le poivrier donne deux récoltes dans l'année ; les fleurs de la récolte principale
apparaissent en septembre avec les premières pluies de la mousson ; à la fin de
décembre, le fruit commence à mûrir , et on le cueille en janvier. Les plus beaux
grains servent à faire du poivre blanc. La floraison de la seconde récolte se déclare
en mars et avril, avec les pluies de la petite mousson ; le fruit se cueille en juillet et
août ; on paraît attribuer l'infériorité de cette récolte au manque d'humidité qui
marque l'apparition du fruit.
La culture du poivre est si aisée , qu'elle est à la portée de tous ; l'importance
croissante de ce ce produit semblerait devoir justifier des essais de plantation dans
tous les pays où le sol et les conditicftis climatérique sont analogues à ceux des points
actuellement exploités. Un sol plat , le long d'une rivière , est généralement très
favorable à cette culture ; il faut cependant éviter qu'il soit sujet à être inondé. On
— 490 —
doit éviter les terrains inclinés qui peuvent être ravinés par des pluies ; quant aux
plaines, qu'elles soient nues ou contraire couvertes de végétation , elles ne répon-
dront à cet usage qu'à la condition d'être soigneusement labourées et fumées. Le
poivre veut avant tout un cliniat humide.
Les planteurs aussi bien que les ouvriers qui cultivent le gambier et le poivre dans
l'île de Singapore , sont tous Chinois : il en est de même à Pinang. Il semble que
cette partie de la population soit seule douée de cette froide et imperturbable persé-
vérance qui accepte pour prix de ses travaux une récompense à long terme. Pour se
faire attendre plusieurs années, cette rémunération n'en est pas moins sûre en même
temps que hautement satisfaisante. Aussi voyons-nous avec regret le Chinois béné-
ficier seul , pour le moment , des profits d'une industrie que l'Européen pourrait
rapidement accroître à l'aide des ressources actuelles de l'agriculture scientifique.
AFRIQUE.
I^es cbemins de fer alg^ériens et tunisiens. — De grandes fêtes
ont eu lieu à Alger pour l'inauguration du chemin de fer d'Alger à Gonstantine, dont
la dernière section d'Aomar-Dra-El-Mizan à El-Adjiba vient d'être livrée à la circu-
lation. Désormais on peut toujours en chemin de for d'Oran à Alger , d'Alger à
Constantine , de Gonstantine à Philippeville, de Gonstantine à Guelma , à Bône et
à Tunis.
Le réseau des chemins de fer algériens et tunisiens appartiennent à sept compa-
gnies différentes, savoir :
1" La Compagnie de Paris à Lyon et à la Méditerranée, qui exploite deux lignes ;
1. Celle d'Alger à Oran (421 kilomètres). Principales stations : Alger, Maison-Carrée,
Bouffarik, Bhdah, La Ghiffa, El-Affroun, Bou-Medfa, Affreville (station de Milianah,
buffet), Orléan.sville, Relizane (buffet), Perregaux, Saint-Denis-du-Sig, Sainte-Barbe-
du-Telat et Oran. — 2. Celle de Philippeville à Constantine (87 kilomètres). Ces
deux lignes sont les plus anciennes et la première section livrée à la circulation a
été celle d'Alger à Blidah (52 kilomètres) ;
2° La Compagnie Franco-Algérienne eyploite la ligne à voie étroite d'Arzew à
Saïda et Mécheria (352 kilomètres), construite pour transporter l'alfa au port d'Arzew.
Principales stations : Arzew, Perregaux (intersection avec la grande ligne d'Alger à
Oran), Tizi (station de Mascara), Saïda, Kralfallah, El Kreider et Mécheria. ;
3° La Compagnie de l'Ouest algérien exploite deux lignes:!. Celle de Sainte-
Barbe-du-Tlelat à Razelma (153 kilomètres). Principales stations : Sainte-Barbe-du-
Tlelat, Sidi-Bel-Abbès, Ghanzy, Magenta , Titen-Yaya et Razelma. 2. Oran à Tlem-
cen. Cette dernière n'est encore exploitée que sur une longueur de 76 kilomètres
jusqu'à Aïn-Temeuchent. Principales stations : Oran, Misserghin, Lourmel, Rio-
Salado et Aîn-Temouchent ;
4° La Compagnie de l'Est algérien vient de livrer à la circulation la dernière
section d'Aomar-Dra-El-Mizan à El-Adjiba, de la grande ligne d'Alger à Constantine
(464 kilomètres). Principales stations : Alger, Maison-Carrée, l'Aima, Ménerville,
Palestro, Aomar-Dra-El-Mizan , Bordj-Bouïra ,* El-Adjiba, Sidi-Brahim, El-Achir,
Sétif, El-Guerrah , Kroubs et Constantine , avec embranchements : 1. Ménerville à
Haussonvilliers (17 kilomètres). — 2. El-Guerrah à Biskra, ouverte à l'heure qu'il
— 491 -
est jusqu'à El-Kantara (146 kilomètres). Principales stations : El-Guerrah, Batna,
Aïn-Touta, El-Kantara ;
5° La Compagnie de Bône-Guelma, qui exploite trois lignes : 1. Colle de Kroubs-
Tunis (447 kilomètres). Elle commence à Kroubs, à 16 kilomètres de Constantine et
a pour principales stations : Kroubs, Hamiuan-Meskoutine , Guelma , Duvivier,
Souk-Arras, Ghardimaou (frontière de Tunisie), Souk-El-Arba, Beja, Mcdicz-El-Bab,
Tébourba, Manouba et Tunis. — 2. Celle de Duvivier à Bône (55 kilomètres. —
3. Celle de Tunis à Hamman-El-Lif (17 kilomètres) ;
6" La Compagnie du chemin de fer de Mokta-El-Hadid, qui exploite le petit chemin
de fer de Bône à Ain-Mokra (33 kilomètres), destiné à transporter des minerais de
fer à Bône ;
7" La Compagnie italienne du chemin de fer de Tunis à La Goulette(10 kilomètres),
de Tunis à La Marsa (10 kilomètres), de La Marsa à La Goulette et de Tunis
au Bardo.
Indépendamment de ces grandes lignes, il existe un chemin de fer fer Decauville,
de Sousse à Kairouan (60 kilomètres).
L'immigration italleune en Tunisie. — Il est d'une grande impor-
tance pour la France de suivre le mouvement de l'immigration italienne sur le
territoire du Protectorat. A ce titre , les renseignements suivants présentent un
certain intérêt.
En voici le tableau d'après les statistiques de l'éraigration italienne :
1876 278
1877 282
1878 585
1879 467
1880 260
1881 265
Total : 1876 à 1881 2.137
Moyenne 236
Avant l'expédition française , la colonie italienne ne se grossissait annuellement
que de quelques centaines d'individus.
Depuis l'établissement du Protectorat, les progrès économiques de la régence ont
attiré un plus grand nombre d'immigrants.
Pendant l'année 1882 , il entrait en Tunisie plus d'Italiens que pendant les six
années précédentes. Le mouvement s'est ensuite un peu ralenti , comme le montre
l'état suivant :
1882 2. -235
1883 1 .867
1884 637
1885 818
Total : 1882 à 1885 5.557
Moyenne 1 . 389
Depuis que notre domination est bien assise en Tunisie, le pays offre du travail à
- 492 -
quatre fois plus d'ouvriers italiens. Nos voisins n'ont pas lieu de s'en plaindre. Mais
c'est un devoir pour nos hommes d'Etat d'observer avec attention le développement
de l'élément italien,
A la fin de l'année 1881, le consulat italien dénombrait 10,228 sujets italiens et 28
protégés , soit 10,249 ressortissants. L'immigration a fourni un contingent de 5,587
individus. S. M. le roi d'Italie a donc 15,836 sujets établis en Tunisie, à la fin de
l'année 1885 , en supposant que l'émigration ait été compensée par l'excédent des
naissances sur les décès (environ 150 par an), et environ 16 à 17,000 actuellement.
La présence de ces étrangers est un fait d'autant plus important que le nombre des
résidents français d'origine européenne doit être beaucoup moins considérable.
AMERIQUE.
Le commerce de l'Europe et des États-Unis avec le Mexique.
— Un rapport consulaire nous apjjrend que dans le tableau des importations de 1885
par le port de Tampico, classées au point de vue de la provenance et comparées à
celles de 1884, la part la plus grande revient aux Etats-Unis : elle est de 37 "/q de la
.somme totale pour 188.5, soit une augmentation de 113,487 fr. sur 1884.
Il y a lieu de noter que les États-Unis réalisent les plus grands progrès dans leurs
relations commerciales avec le Mexique. En 1880 , ils n'occupaient que le troisième
rang dans les importations commerciales avec le Mexique. En 1880, ils n'occupaient
que le troisième rang dans les importations. Grâce aux voies ferrées et maritimes
qui les mettent en contact journalier avec le Mexique, ils sont parfaitement ren-
seignés sur les goûts et les besoins de ce pays par de nombreux agents qui le par-
courent en tous sens, en vendant sur échantillons. Il ea résulte que leur concurrence
se développe et s'affirme chaque jour davantage.
Nous ne saurions trop attirer l'attention de nos hommes d'Etat, de nos diplomates,
de nos économistes et de nos praticiens sur le danger croissant de cet envahisse-
ment des Yankees qui menacent de faire la tache d'huile sur le continent tout entier.
Leur but, peu dissimulé, est d'accaparer tout le commerce des deux Amériques ,
en vertu de cet adage : l'Amérique aux Américains ^ de créer un vaste Zollverein
douanier qui s'étendra du cap Horn au canal de Panama, et des Antilles au Labrador,
de manière à fermer complètement l'accès de l'Amérique au commerce européen.
Ceci est pour la Fiance surtout, pour laquelle l'Amérique espagnole a toujours et
traditionnellement été le plus sûr et le plus fructueux des débouchés, d'un intérêt
capital.
Au Mexique, la France occupe encore le second rang, avec une augmentation de
203,376 francs, qui porte sur la mercerie, les porcelaines, les faïences et verreries, la
confection , les produits pharmaceutiques , la parfumerie , la chaussure , les chemins
de fer portatifs, la papeterie, l'eau-de-vie, les vins et liqueurs.
L'Angleterre, qui était, en 1884 , placée avant la France, est descendue d'un rang,
en subissant une notable diminution de 377,326 francs. Les articles qui offrent les
plus fortes différences en moins sont : les cotons tissés et filés , les tissus de lin, la
bière, la quincaillerie , les métaux en feuilles et en barres, les produits chimiques.
Après l'Angleterre, vient l'Allemagne, avec un abaissement de 86,945 francs,
portant sur la bière, l'eau-de-vie, les conserves alimentaires, la stéarine et les bougies
stéariques, la quincaillerie, la mercerie, les tissus de coton, les liqueurs.
L'Espagne tient le cinquième rang, avec une légère augmentation.
- 493 -
On voit que le commerce français est encore en une bonne « posture », qu'il faut
prendre garde de compromettre par le moindre relâchement ou la moindre impru-
dence.
OGEANIE.
Création d'iaii service régulier entre la IVoavellc-Caiédoiile
et Tahiti. — Le Conseil général a voté une subvention de 1^,000 fr. j)ar voyage,
aux vapeurs qui exécuteront un service régulier entre la Nouvelle-Calédonie et Tahiti,
subvention égale à celle allouée aux services entre Tahiti et San-Francisco.
Par contre, il a refusé une subvention de 25,000 fr. pour un service postal à vapeur
régulier à établir entre Tahiti et la Nouvelle-Zélande.
11 a rejeté les propositions de l'administration pour l'établissement d'un tarif
d'octroi de mer.
Eie gax à la 1%'ouvelle-Calédoiiie. — Le gaz a été inauguré à Nouméa
dans une soirée du 12 mars de cette année. Un grand bai a été offert à la population par
le propriétaire de l'usine , un Anglais, M. Trower, qui a, paraît-il, l'intention de pro-
poser au Conseil municipal d'acheter cette entreprise. Les choses ont été grandiose-
ment faites ; rien ne manquait à la fête d'inauguration. Nouméa est maintenant, de ce
côté, en avance sur la Martinique, la Guadeloupe , la Réunion , dont les capitale
sont encore éclairées aux huiles végétales ou minérales.
11 se manifeste une recrudescence marquée dans l'exportation des minerais
de cobalt.
Pour les Faits et Nouvelles géographiques non extraits ,
LE SECRÉTAIRE-GÉNÉRAL ,
ALFRED RENOUARD.
— 494 —
TABLE DES MATIÈRES
DU PREMIER SEMESTRE DE 1887.
I. — llcnibres de la Société.
PAOBS.
Membres d'honneur 5
Membres correspondants 5
Bureau de la Société 6
Commissions 7
Membres fondateurs 9
Membres ordinaires 9
Bureau et Membres de la Société de Valenciennes 34
Sociétaires nouveaux admis dans le courant de février 1887 89
Id. id. mai's 1887 175
Id. id. d'avril 1887 257
Id. id. mai 1887 353
Id. id. juin 1887 433
n. — Société de Valenciennes.
Paul Fougart. — La Société de Valenciennes pendant le quatrième trimestre
de 1886 (compte-rendu des conférences de MM. Marius Vacher et Guillot,
séance solennelle de la distribution des récompenses et coup-d'œil rétros-
pectif sur les précédents concours de la Société de Valenciennes) 109
Paul Foucart. — La Société de Valenciennes pendemt le premier trimestre
de 1887 326
III. — Section de Roubaix (Cours et Conférences du samedi soir).
Jules Petit. — Le nord de la France, ses industries, son commerce, ses ports,
vis-à-vis la concurrence étrangère 309
Compte-rendu des cours et conférences de la section de Roubaix et Discours
de M. Henry Bossut 435
IV. — Section de Tourcoing; (Caurs et Conférences).
Baron Michel. — L'Australie telle qu'elle est 90
Compte-rendu des cours et conférences de la section de Tourcoing et Discours
de M. François Masurel 456
V. — Séance solennelle de la dlistribntion
des récompenses.
Paul Crehy. — Allocution du président 44
Conférence de M. Letort (Analyse) 46
— 495 -
PAOBS.
Alfred Renouard. — Rapport sur les travaux de 1886 46
Incident 56
Distribution des récompenses 56
in, — Cours et conférences de Lille.
E. GuiLLOT. — La question du Sénégal et les voyages du D' Bayol 128
D' Wagnier. — Des climats froids au point de vue de la vie humaine 401
VII. — Communications aux assemblées générales.
Dei.essert. — Le Volapûk, langue commerciale universelle 59
BÉcouRT. — La forêt de Mormal (suite) (avec cartes) 78
Id. id. [suite) (avec carte) 258
PÉROCHE . — La mer polaire 210
Duraffourg. — Béja et ses environs (avec cartes et lithographies) 214
Quarré-Reybourbon. -■ Blankenberghe et ses environs (avec carte) 285
Brosselard-Faid herbe. — Le Soudan français (avec carte) 364
VIII. — Assemblées générales. — Procès- ver baux.
Assemblée générale du 28 octobre 1886 41
Assemblée générale du 18 décembre 1886 42
Assemblée générale du 7 mai 1887 354
IX. — Wouvelles et faits géographiques.
§ 1. — Géographie scientifique. — Explorations et découvertes.
Europe.
Grèce. — Tremblement de Terre 146
France. — Commission centrale des services géographiques 241
Enseignement de la géographie scientifique 241
Nouvelle Société de géographie 241
Les négociations pour le percement des Pyrénées-Orientales 241
Projet de jonction du Volga et du Don 244
Le point le plus élevé du Danemark 244
Iles Loflfoden 245
Caucase 245
Percement du tunnel de l'Apennin 331
Asie.
Frontière russo-afghane 74
Voyage de MM. Capus et Bonvalot dans l'Asie centrale 74
Explorations da M. le colonel Lokhart et de M. le colonel Woodthorpe dans le
Badakchan 74
— 496 —
PAOBS.
Les Anglais en Birmanie 75
Port-Lazareff à la Russie • 75
Turkestan. — Une nouvelle oasis 147
Voyage de M. G. Radde dans l'Asie centrale 147
Voyage de M. Groubtchevsky dans 1& province de Kaschgar 147
Continuation de la mission de MM. BonveJot et Gapus 148
Dans le Haut-Mékong 149
Mission de M. Knight en Chide l49
Les stations russes en Extrême-Orient 149
Forniose 245
Dessèchement du lac Balkhash 245
Une ville d'eaux au Japon 246
Projet d'exploration du Song-Ma 331
Résultats du voyage en Chine du général Frjéwalski 332
Sibérie. — Explorations de M. J. Martin 414
Afrique.
Les Anglais sur le Niger et le Bénoaé 76
Les explorateurs de la région du Cameroun 76
La délimitation du Gabon et du Congo français 76
La mission française de délimitation de nos nouveaux établissements du Congo. 76
Angra Pequena 78
Voyage de M. Gleerup à travers l'Afrique 78
Voyage de M. Georges Revoil au lac Tanganiyka 79
Les Allemands en Afrique 79
La frontière maritime entre la Tunisie et la Tripolitaine 149
M. le capitaine Cervera dans la région de l'Hadrar 150
M. le colonel Galliéni au Sénégal 150
Samory et le Fouta-Djallon 150
Retour de M. H. Johnston de son expédition au Kilimandjaro 151
L'Allemagne et l'Angleterre sur le golfe de Guinée 152
Le chemin de fer du Congo 152
Afrique australe. — Les Bushmens 152
Retour de M. le capitaine Bove de son voyage dans le Haut-Congo 154
Sur le Congo supérieur 154
Le lac Ngami 154
Au Zoulouland •. 155
Travaux de M. A. d'Oliveira sur l'Afrique portugaise 155
Nos missionnaires dans l'Afrique orientale 155
Les Allemands à la côte orientale 155
Socotora aux Anglais 156
Décret relatif à ûbock 156
Une grammaire congo du XVllP siècle 247
Emin-Bey 332
Détails sur Oran. — Départ de M. Westmark d'Oran pour le pays des
Touaregs 334
Délimitation des possessions portugaises et anglaises dans l'Afrique centrale.. 336
Délimitation des possessions anglaises et allemandes dans l'Afrique orientale. . 337
Expédition de M. le D' Wolf 414
— /i97 —
PAOBS.
Expédition de Stanley au secours d'Emin-Bey 415
Le lac volcanique de Chala sur le Kilimandjaro 410
Les possessions allemandes en Afrique 475
Le D' Zintgraft" au Kameroun 475
Les explorations de M. Jacques de Rrazza 475
Cervera Baviera dans l'Hadrar 477
Observations de M. le D" Wolf sur le cours du Sankourou .... 477
La baie de Diego Suàre/ 478
Délimitation définitive de l'État indéi)endant du Congo 479
Délimitation des possessions françaises et allemandes sur la côte des Esclaves. 480
L'enseignement français au Sénégal 480
L'Espagne dans la mer Rouge 480
Sondages et forages 480
Résultat des explorations Grennfell et Janker 482
Amérique.
Départ de M. Fred-Schwatka pour l'Alaska 80
Ascension du mont Twekkway par M. H. Whitely 80
Délimitation des frontières de la République Argentine et du Brésil 80
Etats-Unis. — Tremblement de terre du 31 août 1886 156
\'oyage de M. le D' Haven à l'Alaska 157
La profondeur de la rivière Niagara 157
Equateur 158
N'oyage de M. Ten-Kate dans l'Amérique du Sud 158
Les communications entre le Brésil et la Bolivie 158
Traversée de l'Amérique du Sud par M. Fouaillet 158
Nouvelles de M. Tliouar 159
Départ de M. Fernandez pour l'exploration de l'Araguay-Guaza 159
Nouvelle expédition de M. de Brettes dans le Gran-Ghaco 159
Départ de M. le lieutenant-colonel Fontana pour la Patagonie 159
Découverte de gisements aurifères à la Terre-de-Feu 159
Les sources du Mississipi 248
États-Unis. — La pluie dans la région du Pacifique 248
Les familles canadiennes françaises 416
Les principaux lacs de TAmérique septentiionale 420
Le territoire contesté entre la Guyage française et le Brésil 338
Situation de quelques points au Mexique 338
Chez l'ancien président de la République Argentine 483
Contestation sur la délimitation de leurs frontières entre les républiques de
Nicaragua et Costa-Rica 485
Départ de Î\I. Désiré Charnay 486
M. G. Godio dans la République Argentine 486
Les deux plus grands fleuves du monde 486
OCÉANIE.
Départ de M. le D' Schrader et de M. Hugo ZoUer 81
Nouvelles annexions anglaises dans l'Océanie 81
Les Allemands en Océanie 81
33
— 498 —
1"AGBS
Expédition de M. 0. Forbes dans la Nouvelle-Guinée 160
De rétymoloisie des noms en Malaisie 152
La question de la côte Maclay IfëS
L'Allemagne en Océanie Iffi
M. le capitaine Dalimann sur la rivière Augusta 16'i
L'île Uréparapara (Nouvelles-Hébrides) 164
LTne île nouvelle 248
Nouvelle-Zélande. — La récente éruption volcanique 251
Un nouveau protectorat anglais .'^9
La question des Garolines 339
Les îles Ralomon à l'Allemagne 339
Les îles du détroit de Torrès 421
Nouvelle-Guinée. — Le fleuve Impératrice Augusta 422
Les îles Wallis à la France 487
RÉGIONS POLAIRES.
Départ de M. W.-N. Gilder 82
Départ de M. Ferry pour le Groenland 82
Explorations de MM. Ryder et Bloch sur les côtes du Groenland 82
Départ de M. le colonel Gilser pour le j)ôle Nord 164
L'expédition danoise au Groenland 164
M. le D' H . Labonne en Islande 164
Groenland 251
Nordenskiold au pôle Nord 487
§ 11. — Géographie comme rcinle. — StatistÀgues.
EUROPK.
Une nouvelle industrie en Suisse 82
Un musée commercial français à Saint-Sébastien 83
Le commerce de rAllemagne avec Fltalie 83
Un dépôt d'articles français à Salonique 83
Chambre de commerce italienne à Paris 8'i
Le traité avec la Grèce '. . . . 84
Chambre de commerce espagnole à Paris 165
Le commerce extérieur de TAutriche 165
Le dévelup})ement de l'industrie allemande 165
Les ))rogrês matériels do l'Espagne 166
Le commerce extérieur de la Suisse 166
La navigation dans les ports ottomans 167
Le commerce des fils et tissus en Allemagne 252
La législation des factures européennes aux consulats américains 253
Création à Athènes d'une chambre consultative française de commerce 253
Le commerce d'exportation des principales contrées d'Europe 340
L'élevage <lu bétail et la culture du blé dans les principales contrées d'Europe . 341
— W.) —
PAr)KS.
(joiiveiuioH entn- hi Fiaiiic et la Suisse pour la protection tnuiuelle des inarques
(le fabrique -{42
Nos exportations en Bulgarie •{■43
I,a production des céréales en Russie 'M3
Krance. — Création de deux chambres de couimerce dans le Nord 1122
Importations et exportations des paj)iers 42Ii
Hollande. — Chambre de conuucrce française i23
/Mlemagne. — Le commerce extérieur 423
Le développement du commerce de Francfort 'i24
Une exposition coloniale allemande 424
.Influence de la ligne du Saint-Gothard sur le counuerce de l'Al-
lemagne avec l'Italie. i24
Angleterre. — L'industrie métallurgique en 1886 424
Autriche. — Le commerce extérieur 425
Espagne. — Les Anglais, les Allemands et les Belges en Espagne 426
Sci'bie. — L'industrie anglaise 426
Roumanie. — Le traité de commerce franco-roumanien 426
La production du sucre de betterave en Europe en 1886-87 426
l^i consommation de la laine 435
]^ ])opulation de Rome 487
Asie.
L'industrie cotonmére dans l'Inde 84
Le commerce français en Chine 84
Renseignements statistiques sur l'Inde anglaise. — Villes 167
— — Religions 168
— — Langues 170
— — Provinces britanniques. . . 171
Les chemins de fer au Japon 172
Ui population française au Tonkin 172
Le conuiierce avec la Turquie d'Asie 345
Le coumierce avec l'Egypte 346
Les mines d'étain de Pérak 428
.lapon. — L'exportation générale européenne i30
I^ Fran(-'e commerciale au Japon 431
La production du poivre 488
Afrique.
1^1 population de l'Algérie 172
l..a consommation des tissus en Tunisie 253
Importation des tissus à Zanzibar et renseignements commerciaux sur l'île. . . . 346
Tunisie. — Commerce général 431
Le Cap. — Imjiortation de machines 4lfô
Egypte. — Le commerce allemand 4!^
Les chemins de fer algériens et tunisiens 49()
L'immigration italienne en Tunisie 491
500
Amérique.
PAliKS.
La culture du coton au Mexique 85
Le commerce à Mexico 85
La situation budgétaire des Etats de l'Amérique du Sud 86
La production de l'or et de l'argent aux Etats-Unis 87
Les produi ts français au Canada 172
Les progrès agricoles et commerciaux des Etats-Unis 172
Chicago 173
Le commerce et l'agriculture aux États-Unis en 1886 254
République de Colombie. — Mines d'or et d'argent 255
Les tissus européens au Mexique 349
fee commerce de l'Europe et des États-Unis avec le Mexique 492
OCÉANŒ.
Les blés indiens en Australie 88
Situation économique de l'Austi'alie méridionale 173
Gisements d'or dans l'Australie occidentale 174
Population de la Nouvelle-Zélande 175
Création d'un service régulier entre la Nouvelle-Calédonie et Tahiti 493
Le eaz à la Nouvelle-Calédonie 493
Ulleifli|i.L.Oaiit).
BULLETIN
/ /
SOCIETE DE GEOGRAPHIE
DE LILLE
BULLETIN
DE LA
r r
SOCIETE DE GEOGRAPHIE
DE LILLE
DEUXIÈME SEMESTRE DE 1887
Tome Huitième. — Huitième Année.
LILLE
IMPRIMERIE L. DANEL.
1887.
r r
SOCIETE DE GEOGRAPHIE
DE LILLE.
SOCIÉTAIRES NOUVEAUX ADMIS DANS LE COURANT DE JUILLET 1887.
NO'd'ins- MM.
cription.
MEMBRES ORDINAIRES
La Madelelne-Iez-Iillle.
1452. Genr\u, conducteur des Ponts-et-Chaussées, rue de Lille, 7 bis.
E.llle.
1453. Crouan (Alexandre), agent de change, rue d'Angleterre, 56.
■1454. Ddprez (Emile), négociant, rue Soiférino, 289.
USo. Dubois (Etienne), industriel, rue du Metz, 20.
-1456. BAiLLiABD-BorRGiNE, négociant, rue du Chevalier-Français, 76.
1457. Laurence (Marcel), entrepreneur, rue d'Angleterre, 77.
■1458. Glorie (Ange), étudiant, boulevard de la Liberté, 40.
■1459. Lesage (Gustave), négociant en flis, rue de la Gare, \\.
Roubatx.
U48. Vandebeulque (Hector), commis-négociant, rue de l'Industrie, <2
U49. Scbive-Réqoillabt (P.), propriétaire, à Barbieux.
i450. Réquillart-Duthoit (P.), propriétaire, boulevard de Paris, 32.
1451 . RÉQUiLLART (Emost), propriétaire, rue du Pays, 22.
— 6 —
COURS ET COlNFÉRENGES DE TOURCOING
L'ALGERIE
Par M. Paul VIBERT , Membre de la Société auiicale des Explorateurs.
Conférence faite à Tourcoing le 27 janvier I88^t
Mesdames, Messieurs,
En venant vous parler de l'Algérie, de son présent et de son avenir,
particulièrement et surtout au point de vue de l'agriculture et du com-
merce, je n'ai pas l'intention de refaire toute l'histoire de notre grande
et belle colonie ; je veux simplement vous exposer un des points les
plus intéressants de la politique coloniale, telle que je l'entends, c'est-
à-dire de celle qui consiste, non pas à opérer des conquêtes parla voie
des armes , mais à faire de la France une nation toujours grande et
forte au point de vue des affaires, sur le terrain de l'exportation, sur le
terrain commercial, en un mot, de celle qui doit en faire une puissance
à même de lutter avec avantage contre la concurrence étrangère,
contre l'Angleterre et contre l'Allemagne.
La plupart des questions coloniales sont malheureusement très mal
connues en France, et, le plus souvent, elles sont encore entravées
dans leur développement par ces autres et délicates questions de poli-
tique et de religion, que nous ne devrions jamais y faire entre^ si nous
désirons vraiment faire un jour de la bonne el rapide colonisation.
En 1830, 31 et 33, c'est-à-dire au lendemain de notre conquête,
M. Déjobert prétendait que l'Algérie ne produiraitjamais que de l'opium
et qu'elle ne ferait que nous expédier des fûts vides. Or. on saitaujour-
d'hui dans quelles proportions énormes cette terre nous rapporte et
— 7 —
l'on pourrait dire avec une très grande justesse que, si l'Algérie était
appelée dans l'antiquité le grenier de Rome, elle tend à devenir la cave
de la France, comme je vais avoir l'honneur, Mesdames et Messieurs,
de vous le prouver.
Aux époques citées plus haut, c'est-à-dire en 1831-32 et 33, le chiffre
des affaires qui ont été traitées entre la métropole et la colonie a été
évaluée à 7.000,000 de francs. Aujourd'hui ce n'est plus à sept mil-
lions, mais à 600.000.000 de francs que s'élève le chiffre do nos affaires
avec l'Algérie, et ce chiffre sera doublé et même peut-être triplé dans
quelques années.
Il y a 50 ans à peine, un autre grand homme, un grand journaliste,
un des personnages les plus marquants de la presse parisienne, M. Emile
de Girardin considérait encore l'Algérie comme un gros boulet éter-
nellement attaché aux pieds de la France. Aujourd'hui nous pouvons
heureusement constater que ces prédictions étaient erronées. Il est juste
d'ajouter cependant qu'il y a 20 ans, c'est à-dire en 1866-67, un autre
grand Français, Prévost- Paradol. a prononcé sur l'Algérie des paroles
absolument prophétiques dans lesquelles il a fait ressortir les bienfaits
que la France aurait retirés de cette colonie. Et moi-même, plus modes-
tement, je m'efforce aujourd'hui de bien faire comprendre l'importance
des ressources qu'elle nous offre pour l'avenir, et je dis que, étant don-
né la situation géographique de la France, étant donné sa petite étendue
territoriale, étant donné le petit nombre de ses habitants et la trop
faible croissance de sa population, enlace des Anglais répandus partout,
des 60 milhons d'Allemands et des 90 millions de Russes, en face de
tous ces peuples puissants qui couvrent la surface du globe, étant donné
d'un autre côté, que nous avons devant nous les Etats-Unis, la Répu-
blique Argentine, l'Australie, pays encore peu habités, à part les
Etats-Unis qui, pour mettre en valeur leur territoire, ont usé de
moyens vraiment merveilleux , étant donné tout cela et la rapidité
étonnante avec laquelle ces pays se peuplent, il est certain que nous
Français , renfermés dans les limites étroites de notre territoire ,
vis-à-vis du monde entier . nous nous trouvons en face du problème
le plus redoutable et c'est ce problème que je veux vous faire toucher
du doigt.
L'Algérie n'a pas échappé à l'invasion de ces étrangers contre les-
quels il nous faut lutter sur le terrain des affaires commerciales, terrain
sur lequel il faut absolument qne nous les vainquions dans ce pays.
C'est le côté des affaires commerciales, c'est ce point des plus impor-
- 8 —
tants qu'il nous faut suivre de près, à l'instar des Etats-Unis et du reste
du globe, si nous désirons enfin que la France ne soit englobée à tout
jamais et ne disparaisse pas en tant que civilisation, en tant que
race.
Ce grand Français, dont je vous ai parlé tout-à-l'beure, disait encore
qu'il est absolument nécessaire que nous ayons sur la Méditerranée
une puissance solide et que nous la tenions sans cesse et toujours. Ces
paroles se sont encore réalisées, comme vous le savez, car nous avons
aujourd'hui un solide appui du côté de la Tunisie. Non-seulement la
Tunisie est une contrée merveilleuse, non-seulement ses ressources
s'accroissent tous les jours, non-seulement elle produit absolument
comme l'Algérie, mais purement au point de vue de notre puissance,
nous avons un intérêt capital à la posséder, car, en cas de guerre
européenne, je ne dis pas que l'Italie ait des convoitises sur nos colo
nies, mais en/ln, si elle en avait, 100.000 hommes seraient nécessaires
pour la protéger, si nous ne possédions pas la Tunisie, qui serait certai-
nement tombée entre ses mains si nous avions seulement tardé de 15
jours à trois semaines à la conquérir.
Vous voyez donc qu'à côté de certaines paroles décourageantes pro-
noncées il y a 50 ans, d'autres hommes compétents ont pressenti d'une
façon précise ce que l'Algérie deviendrait pour nous. Je vous demande
pardon, Mesdames et Messieurs, si j'entre dans des détails plus ou
moins arides, ils sont, à mon avis, nécessaires, car je veux vous faire
bien comprendre tout ce que nous pouvons retirer de l'Algérie.
Ce pays est essentiellement agricole et il y a des chances nombreuses
pour qu'il ne devienne industriel que dans de faibles proportions (je
veux dire « industriel » dans le sens complet du mot, comme on le
comprend à Tourcoing), et cela pour cette bonne raison que, sauf dans
les provinces lointaines et dans le Maroc, il contient insuffisamment
d'eau et de mines de houille. L'Algérie restera donc avant tout agri-
cole et vinicole, puisque sur ce terrain le rapport est absolument
merveilleux dans toutes ses parties.
L'Algérie renferme des mines de fer, de plomb, de zinc, de cuivre,
d'antimoine, etc.. On y trouve des carrières de marbre, d'onyx, de
plâtre et de pierres, et tout ce qu'il faut entiu pour subvenir à la cons-
truction et pour exploiter le minerai.
Le sous-sol de l'Algérie est d'une excellente qualité. On se figure
généralement que ce pays est aride, du moins pendant la sécheresse et
qu'on ne p(3ut rien y récolter, que tout est brûlé par le soleil. Eh bien!
-9 -
ceux qui pensent ainsi se trompent étrangement, car on est arrivé
aujourd'hui à démontrer d'une manière certaine (ce qu'avait déjà
prouvé le maréchal Bugeaud que l'on appelait, comme vous le savez,
le Père de l'Algérie, le Père du Soldat), que, aride parfois à sa surface,
la terre algérienne ne l'est pas du tout dans le sous-sol, et d'un autre
côté lorsqu'on arrive dans la région des hauts plateaux et des monta-
gnes, lorsqu'on arrive dans le Sahara, on rencontre des lacs plus
petits, il est vrai, que dans la région septentrionale, mais enfin considé-
rables, car il faut que ces immenses plateaux donnent naturellement
naissance à des cours d'eau.
L'algérie contient donc énormément d'eau, et il est aujourd'hui cer-
tain que, pour en obtenir, il suffit de percer des puits artésiens. Le
jour où la colonisation avancera dans le désert, on pourra former par
intervalles de nombreux oasis et rendre ainsi tout le pays fertile, y
compris l'immense désert du Sahara.
Il est bien entendu qu'il existe un autre moyen de faire pénétrer la
colonisation dans l'Afrique centrale, c'est de tracer jusqu'au Sénégal,
ce qui nécessiterait de grandes dépenses, le grand chemin de fer trans-
saharien, dont il a souvent déjà été question, mais je ne parle ici qu'au
point de vue de la culture et je dis que, grâce à ces hauts plateaux et
à ces rlifférents versants sahariens, grâce à ces différentes altitudes et
à ces ditierentes températures qui en sont la conséquence, nous pou-
vons entreprendre en Afrique une infinité de cultures des plus diffé-
rentes.
Eh bien ! c'est précisément en quoi consistent les grandes ressour-
ces de l'Algérie, et si jamais la science de la culture a été nécessaire,
si jamais la culture scientifique a dû être enseignée, c'est en Algérie
surtout qu'il faut qu'elle s'impose, et si en France on est enfin arrivé
a faire comprendre à la plupart des paysans les avantages de la culture
pratiquée avec l'aide des engrais chimiques, en Algérie, il ne s'agit pas
de ne pas comprendre, il faut absolument pratiquer cette nouvelle cul-
ture, et l'initiative doit en être prise non pas par les colons même, mais
par le gouvernement, par le gouverneur, par les hommes enfin qui se
tiemient à la tête de l'Algérie.
C'est en entrant résolument dans cette voie de la culture scientifique
que l'on parviendra à faire de l'Algérie un des pays les plus fertiles du
monde, surtout, et c'est indispensable, si l'on tient bien compte des
variétés de terrain, et si on les cultive comme il convient, ceci princi-
palement au point de vue des engrais, car il y a des engrais artificiels
- 10 —
qui sont bons dans les terres chaudes et mauvais dans les terres froides,
et réciproquement. Enfin , il faut absolument , sous toutes les formes ,
créer la culture scientifique.
Il y a encore un autre point qui demande à être amélioré, c'est la
mise en valeur des eaux qui existent à la surface de l'Algérie, ce qui
ne se fait pas sur une étendue suffisante. De ces hauts plateaux dont je
vous parlais toul-à-l'heure descendent des ruisseaux, des torrents qui
dévastent tout, des lacs, et avec ces cours d'eau sagement distribués
au moj^en d'endiguements et de canaux d'irrigation, on peut arriver à
des résultats vraiment merveilleux. C'est d'ailleurs ce qu'ont dû faire
déjà les Romains, dans l'antiquité, car l'on retrouve encore en Algérie
des vestiges qui nous le démontrent. Je pourrais encore vous citer
comme modèles : la Perse et le Japon qui arrivent à créer de brillantes
cultures de cette façon. Il faut que nous agissions de même en
Algérie.
On cultive sur le sol algérien (je passe rapidement en vue les prin-
cipales cultures) le maïs, dont la production se fait sur une vaste
échelle, l'orge, l'avoine, le froment, et en général toutes nos céréales.
La pomme de terre est malheureusement encore mal cultivée, et on
en importe de France environ 600,000 kilog. par an. On pourrait égale-
ment la produire sur une grande échelle ; mais les Algériens préfèrent
revenir au maïs, dont la production donne des résultats vraiment admi-
rables. Vous savez que les trois quai'ts des Arabes s'en nourrissent
absolument comme nous nous servons du pain, et qu'ils l'emploient à
faire des galettes , ce qu'Us appellent le cous - coussou , qui est leur
principal aliment.
On plante ordinairement le maïs de 1°\20 àl'",25 d'écartement, et on
le récolte ainsi. Dans ces dernières années cependant . à la ferme de
Moudjebem . un riche propriétaire , qui fait la culture en grand , est
arrivé à cultiver le maïs sous une autre forme , c'est-à-dire qu'il le
sème absolument dru et le coupe lorsqu'il est encore vert. 11 paraît
qu'il s'en trouve très bien, pour la nourritiu'e du bétail.
Vous savez que la plupart des moutons viennent des hauts plateaux
et nous sont fournis par les Arabes . particulièrement les moutons de
belle laine appelés mérinos.
Il y a en Algérie des chevaux extrêmement remarquables et très
renommés, mais le gros bétail y est peu répandu, et ceci est une consé-
quence de la mauvaise distribution des coui's d'eau. Maintenant que
l'on sait que le sous-sol algérien contient de l'eau à volonté, cette diffi-
- 11 —
cvilté pourra s'aplanir petit à petit, au fur et à mesure quo la coloni-
sation fera des progrès ; c'est un travail lent , c'est vrai , car on ne fait
pas de la colonisation du jour au lendemain, mais enfin il ne peut tôt
ou tard que s'effectuer.
Une autre difficulté que rencontraient les éleveurs de gros bétail
consistait, pendant la sécheresse , à ne pas le laisser mourir de faim.
Par la conservation du maïs qui compose une nourriture saine et des
plus nutritives, on est arrivé à résoudre la question et d'une façon
extrêmement simple. Cette conservation se fait par un moyen peu
connu en France, mais qu'on y emploie cependant pour les betteraves,
et qui consiste à creuser des silos dans lesquels on renferme le maïs.
On en conserve ainsi en pai'fait état avec un poids de mille kilos par
mètre de superficie , pendant la sécheresse , pour empêcher la trop
grande fermentation.
La culture maraîchère, dont la plus grande partie est entre les mains
des Espagnols, est également très développée et produit d'excellents
résultats.
Les orangeries rapportent de 600 à 800 francs l'hectare , ce qui n'est
pas à dédaigner. D'un autre côté , les mandarineries rapportent de
1,500 à 2,000 francs l'hectare et valent couramment 15,000 francs
l'hectare. — Eh bien ! Mesdames et Messieurs , (je vous demande
pardon d'entrer dans des détails aussi précis, mais je désire toujours
faire toucher du doigt ce qui le mérite) , nous avons malheureusement
à constater dans la consommation de ces deux produits . algériens par
excellence , une lacune vraiment déplorable et que nous devrions
absolument combler :
Nous consommons en France , par an , plus de 60.000.000 de kilog.
d'oranges et de mandarines , c'est-à-dire presque deux kilos par tête ,
ce qui est énorme. Ces 60 millions de kilos peuvent , mieux qu'en
nulle autre contrée du monde , être produits entièrement par l'Algérie
et par conséquent enrichir les colons. Eh bien! savez-vous combien,
nous autres Français, nous qui habitons le pays de France, savez-vous
combien nous allons acheter d'oranges en Espagne?- 50 millions de
kilos par an sur les 60 millions de kilos que nous consommons ! C'est
là un véritable malheur auquel il est absolument nécessaire que nous
remédiions, d'autant plus qu'il nous est extrêmement facile de le faire.
La France est d'ailleurs . dans toute question industrielle ou commer-
ciale, presque toujours assez riche pour se passer presque exclusive-
ment des étrangers si elle le voulait. — 'Applaudissements.) C'est
- 12 -
principalement à Gonstantine , à Blidah , etc., c{ue se centralise le
commerce des oranges , qui promet beaucoup de se développer.
Après les orangers viennent les oliviers dont on trouve en Algérie
de nombreuses forêts à Tétat sauvage. Nous allons malheureusement
encore en chercher la plus grande partie en Italie et en Sicile , tandis
que nous devrions, plutôt que de nous approvisionner toujours à
l'étranger et absolument à l'étranger, nous attacher surtout à mettre
en valeur nos colonies africaines en y cultivant ces fruits sur une
beaucoup plus grande échelle.
Le tabac se cultive aussi admirablement en Algérie ; la production
en est de 1,500 kilos par hectare ; elle est achetée en très grande
partie aux colons par l'Administration , et l'on peut dire que le com-
merce actuel du tabac est de 3 millions de kilos achetés presque en
totalité par le gouvernement, à raison de 80 à 150 francs les cent kilos.
La culture du tabac peut être confiée aux colons avec contrôle , et
dans ce pays plus grand que la France , on pourra rapidement fournil-
tout le tabac dont nous avons besoin, sans aUer en demander aux
espagnols, par exemple.
Le coton a été cultivé en Algérie dès le début de la colonisation , il
y a 50 ans, mais on y a renoncé d'une façon presque absolue , car en
face de la concurrence de la Louisiane et des Etats-Unis qui obtiennent
la main-d'œuvre du nègre à très bon marché , connue vous le savez ,
les colons n'ont pas pu lutter avec ces pays sur ce terrain.
On y cultive encore le lin , ainsi que la ramie qu'on commence à
produire sur une assez grande échelle. La ramie pourra être plus tai'd
la source de très grands profits pour la colonie. Malheureusement , ce
ne sont encore que les Anglais qui l'achètent par quantités assez fortes
et, d'un autre côté , il y a certains endroits , près de Gonstantine , par
exemple, où on ne cultive la ramie qu'avec une certaine difficulté. Elle
se teint très bien , mais comme c'est une matière assez délicate , il y a
des soins particuliers et coûteux à prendre pour qu'elle ne soit pas
brûlée par la teinture ; on ne récolte donc pas la ramie d'une manière
suffisante.
On cultive aussi l'alfa sur une très vaste échelle, mais sur ce produit
que cultive également l'Espagne, mais dans de plus faibles proportions
qu'en Algérie (car c'est un produit essentiellement algérien) , nous
avons encore à déplorer la concurrence ; cet alfa s'en va en grande
partie en Angleterre. Evidemment, c'est un bénéfice pour les Algériens,
mais celui des Anglais est bien préférable et voici pourquoi : cet
- 13 -
alfa, acheté par les Anglais, est transformé pai* eux en pâte à papier et
nous allons, nous Parisiens , qui publions 400 journaux par jour . leur
payer tous les frais de manipulation. Cet alfa vient cependant de
l'Algérie , et nous sommes , ce me semble , assez intelligents pour le
transformer nous - mêmes en pâte à papier et ne pas rester ainsi plus
longtemps tributaires des Anglais. [Applaudissements.)
Une autre culture qui a pris un grand développement dans ces der-
nières années, particulièrement dans les environs de Staovèli, c'est la
culture des plantes aromatiques : le géranium, l'héliotrope, la verveine,
le rosier, etc Vous tons qui êtes habitués à voir des géraniums.
des héliotropes, des fleurs de toute sorte, vous ne pensez pas peut-
être qu'on en voit en Algérie des champs immenses et que ces champs
arrivent à produire assez pour rapporter aux colons un bénéfice de
600 fr. par an à l'hectare.
La culture du Bambou est également très développée ; on en fait des
instruments de ménage et tout ce qu'on peut imaginer.
On commence, grâce aux puits artésiens, à faire des prairies artifi-
cielles, ce qui permettra de donner un très grand développement à
l'élevage des moutons que les arabes, à qui ce soin a été spécialement
confié jusqu'ici, pourraient abandonner petit à petit, eu égard au peu
de bénéfice qu'ils en retirent. C'est donc encore, dans cette circons-
tance, le côté scientifique de la question que nous ne devons pas
perdre de vue, si nous voulons conserver et multiplier la belle race
ovine de l'Algérie.
Les forêts, qui couvrent 2.300.000 hectares, (vous savez qu'elles
sont encore assez considérables en Algérie) produisent une infinité
d'arbres, notamment le Tuja, qui est très répandu, l'Eucalyptus et
surtout le chêne-liège, dontl'écorce sert à faire des bouchons, et qu'on
peut classer parmi les grands arbres nationaux de l'Algérie. On en a
tiré de plus une industrie curieuse autant que nouvelle, et voici com-
ment : lorsque la fabrication des bouchons est terminée, il reste natu-
rellement une quantité énorme de sciure et de détritus, et cette pous-
sière no faisait qu'un très mauvais fumier ; aujourd'hui les colons la
vendent très cher dans toute l'Europe, et l'on s'en sert pour emballer
les beaux fruits, principalement ces merveilleux raisins et ces excel-
lentes pêches que vous voyez à Argenteuil, à Fontamebleau et à
Montreuil, parce qu'on a reconnu que cette sciure est absolument
imperméable et conserve bien. On en exporte de l'Algérie depuis 10
jusqu'à 15 mille quintaux, dans certaines exploitations. C'est toujours,
- 14 -
comme vous pouvez en juger, une très bonne fortune pour les algé-
riens.
La colonisation, en Algérie, avait mal marché pendant 50 ans, et
cela parce qu'il fallait s'y établir, mais maintenant (je demande à le
constater hautement), maintenant que nous n'avons plus rien à craindre
de la part des indigènes, c'est-à-dire des trois millions d'arabes qui
habitent le sol algérien, nous avançons à pas de géants.
On a dit souvent que la plaine de la Milidjà était un foyer de fièvre :
assurément on exagérait. Quelques soldats français et même des colons
y ont en effet péri de cette maladie, mais à l'heure actuelle on peut
assurer que la fièvre a complètement disparu de toute l'Algérie, et
cela grâce à des travaux d'assainissement qui y ont été exécutés et
surtout aux nombreuses plantations d'Eucalyptus, cet arbre de dimen-
sions colossales qui nous vient de l'Australie et dont on connaît les
propriétés merveilleuses de salubrité. Il y a quinze ans encore, la
fièvre était à craindre dans le voisinage des mines de cuivre à Mokia
el HacUa et à un tel point que les ouvriers mineurs étaient obligés de
passer la nuit à deux lieues de là, pour se prémunir contre ses attein-
tes. Eh bien ! depuis qu'on a planté autour de la mime des Eucalyptus,
la fièvre n'est heureusement plus à craindre dans ces parages, et
aujourd'hui l'Algérie possède un climat absolument salubre.
L'élevage du bétail algérien qui, comme je vous le disais tantôt, est
confié presque exclusivement aux arabes, se fait surtout dans les
hauts plateaux d'où ceux-ci descendent par tribus pour le vendre au
colon et à l'européen ; ils fournissent à ces derniers environ 600,000
têtes par an, dont la majeure partie est composée de ces beaux mou-
tons mérinos, dont je vous ai parlé tout à l'heure, et dont la toison
remarquable est très estimée dans tous les pays du monde.
Pour ce qui concerne le défrichement des terrains, il est extrêmement
facile, grâce au prix de la main d'œuvre qui, en Algérie, est beaucoup
moins coûteuse qu'on pourrait se le figurer. Les travaux de défriche-
ment sont faits, d'abord, par les Espagnols et les Siciliens, qui y sont
généralement plus accoutumés que nous ; ils exigent de 3 fr. 50 à
4 fr. 50 par jour. Le Kabyle et le Marocain, qui descendent en masse
des montagnes au moment de la moisson et de la vendange, ne deman-
dent que 2 à 3 fr. par jour, et enfin, en Tunisie, ce pays merveilleux,
comme je le disais tout à l'heure, et oii nous sommes depuis peu de
temps encore, comme vous le savez, la main-d'œuvre est encore beau-
coup moins coûteuse ; elle n'est que de 1 fr. 50 à 2 fr. par jour. Les
- 15 -
arabes de la Tunisie sont très doux et très maniables ; on fait avec eux
tout ce que l'on veut, et il est à remarquer que, pour 1 fr. 50 à 2 fr.
par jour, ils nous donnent un travail tout à fait irréprochable. En
somme, les cultivateurs algériens peuvent s'en tirer parfaitement,
quant à la main-d'œuvre.
Pour ce qui concerne le prix des terrains, je les trouve relatés dans
un tableau que j'ai sous les yeux, mais je ne sais pas si je dois le lire,
car c'est assez long. La valeur des terrains varie de 60 à 120 fr. l'hec-
tare, principalement autour de Tunis.
Le défrichement n'est pas très difficile, puisqu'on peut le faire faire
à bon compte par des Siciliens, comme je vous l'ai dit.
Lorsqu'on s'embai^que pour l'Algérie avec un petit capital, il est peut
être plus simple d'acheter un terrain déjà cultivé qui, au bout de quel-
ques années, vous aura été d'un rapport immense, que de s'attacher
au défrichement d'une terre encore inculte. J'ai connu des cultivateurs
français qui ont opéré de cette façon et qui s'en trouvent très satisfaits.
Il est donc plus sage, en général, pour qui possède déjà un petit
pécule, de faire l'acquisition d'une propriété qu'il mettra promptement
en valeur.
Quand à celui qui ne possède pas de capital, il n'a qu'une seule
chose à faire, c'est de demander au gouvernement, pour les cultiver,
des terrains non encore défrichés. J'ai connu des personnes qui ont
opéré de cette façon et qui s'en trouvent très bien.
Il y a une chose, toutefois, qu'il faut éviter à tout prix, quand on
arrive en Algérie, c'est, pour pouvoir se passer du gouvernement ou
des différentes sociétés de colonisation, de tomber entre les mains de
ces gens qu'on appelle « prêteurs » et qui sont pour la plupart juifs et
voleurs, car si vous avez le malheur de vous adresser à eux, soit à
Constantine, soit à Alger ou ailleurs, vous êtes en grand danger de
perdre tout votre argent jusqu'au dernier sou. Il ne faut donc jamais
s'adresser à cette sorte de gens.
L'un des meilleurs moyens est encore de chercher à vous associer
avec un colon, déjà propriétaire d'une petite ferme, ou d'acheter de
commun accord avec lui des terres déjà cultivées. 11 est presque
certain que ce colon ne manquera pas d'accepter vos propositions, si
vous avez quelque argent à apporter dans l'entreprise. Il y a là une
affaire d'association souvent agréable sous tous les rapports pour celui
qui sait s'en servir d'une façon pratique.
Au point de vue de la culture, demandez d'ailleurs et faites ce que
- 16 —
l'on l'ait dans la République Argentine, dans cotte belle contrée de
rA.mérique du Sud. dont il n'y a pas très longtemps, je crois, un de
mes collègues a dû vous parler, car les gens de ce pays-là sont infini-
ment plus pratiques que nous. Lorsque, en France, une personne qui
désire émigrer s'adresse à un ministère quelconque en vue d'obtenir
des terres soit en Algérie, soit en Nouvelle-Calédonie ou ailleurs, on
commence par s'informer si cette personne a de la fortune, si elle est
honorable et si elle jouit d'une santé parfaite, et si, après avoir ter-
miné ces différentes enquêtes, on satisfait par hasard à sa demande,
il est rare qu'une fois arrivée dans l'une ou l'autre de ces colonies,
elle n'y rencontre pas des difficultés, de la part soit des fonctionnaires,
soit du gouverneur de la colonie, qui, en fin de compte, ne lui donnent
point de terre, comme cela arrive Ja plupart du temps. C'est ainsi que
l'on condamne parfois à mourir de faim de malheureux ouvriers, pau-
vres représentants de cette classe si intéressante de la société labo-
rieuse, et qui ne demandaient pas mieux que de gagner honorablement
leur vie par le travail. — Il est donc absolument nécessaire que, nous
tous, colons et Français, nous fassions nous-mêmes nos affaires en
Algérie, en dehors de toute espèce d'intervention gouvernementale,
que nous y fassions, dis-je, nos affaires nous-mêmes, par les seuls
soins de l'initiative privée.
Imitons sur ce point la République Argentine qui inonde le monde
de ses cartes et de ses prospectus, et use enfin tous les moyens possi-
bles pour attirer vers elle les Européens. EUe a des agences répan-
dues partout, non-seulement à Paris, au Havre, à Londres, en Alle-
magne, mais dans presque toutes les principales villes de l'Europe,
de telle façon que si vous voulez obtenir des renseignements quelcon-
ques sur Buenos-Ayres ou toute autre ville de la République, vous ne
manquerez pas de les trouver dans n'importe quel coin de l'Europe,
tandis que vous rencontrerez maintes difficultés avant de pouvoir en
obtenir sur la terre algérienne , cependant si proche de la France. Il
est donc de toute nécessité que nous établissions, pour remédier à cet
état de choses, de grandes sociétés, telles que le Crédit Foncier, pai*
exemple, qui, absolument indépendantes de l'Etat, se chargeraient de
piloter les Français en Algérie, et de leur procurer une position dans
cette belle contrée.
C'est de cette façon pratique, et absolument indépendante de toute
intervention gouvernementale, que nous arriverons, selon moi, à faire
de la culture en Algérie sur une vaste échelle.
~ 17 —
J'arrive à la question la plus intéressante de la transformation
agricole qui s'est opérée dans la colonie, question qu'il m'est impos-
sible de passer sous silence :
La vigne a commencé à y être importée vers Tannée 1857, mais à
cette époque on ne savait absolument pas ce qu'elle pouvait y produire
et on ne se doutait nullement qu'elle eût pris plus tard une grande
extension.
En 1870, on comptait dans toute l'Algérie environ 800 hectares
exployés à la culture de la vigne, et en 1876 on passait de ce chiffre
assez médiocre à celui beaucoup plus élevé de 17,000 hectares d'un
rapport très satisfaisant, dont 6,000 à Alger, 3,000 à Gonstantine, et
le reste à Oran , Staouéli, Gherchell, Mostaganem et dans le Sahel;
Actuellement, savez-vous combien les vignobles couvrent d'hectares
dans tout le pays : 80,000 ! Voilà ce qui a été fait depuis quinze ans :
du chitTre peu important de 800 hectares, on est arrivé avec une rapi-
dité étonnante à celui de 80,000 hectares qui ont produit pour l'expor-
tation, en 1884, un million d'hectolitres de vin et un million et demi
en 1885, soit un tiers de plus que l'année précédente.
La culture de la vigne est donc une bonne fortune qui transforme
complètement l'Algérie , et elle est appelée à une extension beaucoup
plus grande encore, si surtout on ne perd pas de vue la culture scien-
tifique et si on se rend un compte très exact des difiérentes altitudes
des terrains. Grâce à ces altitudes diverses , l'Algérie est un pays de
ressources merveilleuses pour l'industrie vinicole : telle terre d'une
essence grasse produira mieux telle espèce de raisins que telle autre
terre sèche , et réciproquement. G'est ainsi que , dans la partie de
l'Algérie appelée Kabylie , où il y a parfois , le matin , 4 à 5 degrés de
froid , en obtient des vins rouges qui sont excellents. Gette diversité
d'altitudes , et par conséquent de cUmats , peut amener pour la mère-
patrie des résultats d'une fécondité extrême , si nous avons l'intelli-
gence de nous en servir. Ge n'est pas sans peine qu'on est arrivé aux
résultats actuels : on a obtenu d'abord des vins qui ont tourné , ce qui
a fait dire à beaucoup de personnes que les vins de l'Algérie ne vau-
draient jamais rien ; cependant, au bout d'un certain temps , grâce à
certaines combinaisons , les vins algériens tournaient un peu moins, et
un peu plus tard , dès qu'on fut arrivé à construire des celliers pour
les conserver , ce grave inconvénient avait disparu. Pour vous prouver
qu'en Algérie il faut absolument avoir recours aux études et à Texpé-
rience dans la culture de la vigne , je vous dh-ai que , dans le début
2
- 18 -
de notre établissement dans ce pays , plusieurs colons essayèrent d'y
planter une sorte de raisins qui venait de la Champagne et qui est très
connue en France sous le nom de Pineau. lis le cultivèrent, et taillè-
rent les vignes qui en provinrent , de la même manière qu'en France et
avec tous les soins possibles , à taille courte. Mais ces vignes ne pro-
duisirent absolument rien , ce qui désappointa les importateurs , qui les
arrachèrent. Quelques-uns d'entre eux , toutefois , ne se découragè-
rent pas et bien leur en prit ; ils plantèrent la même sorte de vigne
taillée longue et , après divers tâtonnements et expériences , ils obtin-
rent , au bout de deux à trois ans , un vin , non pas équivalent , mais
bien supérieur aux vins français. Quant aux vins médiocres , précé-
demment récoltés , dont la valeur a été estimée de 2 à 300,000 francs^
ils n'ont pas été perdus car on est parvenu , en les faisant bouillir , à
les transformer en eaux-de-vie.
Un de mes amis , M. B. Gaillardon , qui a publié l'année dernière un
ouvrage remarquable sur la viticulture , prouve , par de nombreux
exemples , que plus la culture de la vigne fait des progrès en Algérie,
plus les résultats qu'on en obtient deviennent excellents. D'ici à peu de
temps , sans doute , l'Algérie pourra exporter dans la métropole plu-
sieurs millions d'hectolitres de vin par an. Actuellement , nous en
sommes encore , malheureusement , à acheter à l'étranger , et parti-
culièrement en Espagne , la plus grande partie des vins que nous
consommons ; c'est ainsi qu'en 1886 , neuf aiillions d'hectolitres de
vin , venant en grande partie de l'Espagne , ont été importés en
France. Quand donc cesserons- nous enfin d'enrichir continuellement
les Espagnols au détriment de nos colonies ! Quand serons-nous donc
enfin décidés à ne plus boire leurs vins dont la plupart . nous en avons
maintenant la preuve , sont uniquement fabriqués avec des eaux-de-
vie allemandes , des eaux-de-vie prussiennes , les eaux-de-vie de M. de
Bismarck et de ses compatriotes , ces empoisonneurs patentes. Savez-
vous bien que M. de Bismarck et les Allemands fabriquent leurs eaux-
de- vie avec de vieilles pommes de terre et des détritus de toute sorte,
au moyen de distillations qui ne font que les translormer en une
véritable boisson pernicieuse qui débilite l'homme et le tue! Il n'y a
guère longtemps encore, un député allemand a porté la parole sur ce
sujet à la tribune du Reichstagpour démontrer publiquement le danger
qui résulte de la consommation de pareilles boissons. M. de Bismarck
lui a répondu : « Je sais très bien que nous fabriquons des eaux-de-vie
qui empoisonnent , mais soyez sans crainte à cet égard : ce n'est pas
- 19 —
par le peuple allemand qu'elles sont absorbées . elles sont presque
exclusivement exportées dans les coloiiies fi'ançaises. » Jugez par ces
paroles jusqu'où va l'impudence chez le peuple allemand. Ces eaux-de-
vie , fabriquées de l'autre côté du Rhin , et que l'on devrait avec plus
de justesse appeler «eaux-de-mort », sont expédiées en très grande
partie en Espagne, où on les dénature pour en faire du vin qui traverse
bientôt les Pyrénées et se vend en France. Vou?- voyez que nous avons
un intérêt considérable à donner une grande impulsion à la culture de
la vigne en Algérie, afin que nous ne soyons plus de ce côté les tribu-
taires des Espagnols et , à plus forte raison , de nos plus mortels
ennemis : les Allemands. (Applaudissements).
Mesdames et Messieurs , je vous demande maintenant la permission
de vous exposer quelques idées générales après ces idées rapidement
esquissées sui' ce que peut fournir l'Algérie et sur les ressources
qu'elle nous procure 11 est évident que si nous allons nous pourvoir
en Algérie de ce dont nous avons besoin , il doit y avoir à cela une
contre-partie. Il est évident qu'un pays qui avance de jour en jour dans
la voie du progrès et qui est absolument finançais de cœur , il est évi-
dent , dis-je , que ce pays viendra , de son côté , chercher dans la
métropole tous les objets manufacturés dont il aura besoin , car c'est
toujours là le but principal de la colonisation , l'écoulement des pro-
duits du pays colonisateur ; il faut que , si une colonie procure des
ressources à la métropole , elle y vienne , à titre de réciprocité , s'ap-
provisionner de ce qui lui est nécessaire , et , pour que ces deux
conditions soient également bien remplies, il faut que nous allions
lutter contre les étrangers dans cette colonie sur le terrain des affaires
commerciales. C'est là le but principal de la politique coloniale ; cette
politique est celle qui consiste à lutter sur le terrain des affaires contre
la concurrence étrangère , et pas autre chose. Oui . mais vous m'ob-
jecterez peut-être qu'il n'y a en Algérie que 225 à 230,000 Français ,
130.000 Espagnols et étrangers , et plus de trois millions d'Arabes qui
sont nos ennemis. Détrompez-vous, les Arabes ne sont pas du tout nos
ennemis . et c'est là un phénomène extrêmement curieux. Après une
lutte acharnée , je ne dirai pas de cinquante années, mais de vingt ans
au moins , après la conquête de l'Algérie , entre les Français et les
Arabes , après de nombreuses batailles , presque quotidiennes , enga-
gées entre eux et dans lesquelles ils se juraient une guerre à mort , se
battaient côte à côte avec achai'nement et se tuaient à coups de fusils ,
il n'y a plus aujourd'hui de haine véritable entre les Français et les
- 20 -
Arabes. Nos rapports d'afifaires avec ces derniers sont très agréables
et toujours ils nous paient avec loyauté. Il n'y a pas, à beaucoup près ,
tant de haine aujourd'hui entre l'Arabe et le Français qu'entre le
Français et l'Allemand , taciturne et jaloux. C'est que l'.Arabe est à la
fois brave et loyal et que , lorsqu'il a donné sa pai^ole , vous pouvez
compter sur lui. Nous devons nous assimiler les Arabes avec fermeté,
intelligence et modération, mais non pas d'une façon brutale comme
on l'a voulu faire déjà , c'est-à-dire en prenant leurs biens et jusqu'à
leurs femmes. Nous devons les considérer comme nos égaux et non
pas comme des ennemis , en un mot , nous devons faire de l'Arabe
un bon citoyen. Mais , je le répète , les Arabes ont des mœurs et une
religion qui sont en contradiction continuelle avec les nôtres et que
nous devons pourtant respecter. Si nous voulons leur imposer nos
coutumes et nos moeurs d'une façon brutale . en les faisant enterrer,
par exemple , à la mode française , non-seulement ils n'en voudront
rien entendre, mais ils se révolteront et, ma foi, ils auront raison. Le
meilleur moyen de faire de l'Arabe un ami du Français , c'est de faire
en Algérie ce que les Hollandais ont fait dans leur immense possession
de Bornéo , par exemple : c'est de leur ouvrir des écoles. Nous pour-
rons de cette façon lui enseigner le français et lui montrer nos goûts ,
nos aptitudes, notre civilisation d'une manière vraiment pacifique.
Enfin , ce n'est pas en le traitant en ennemi et en voulant le dominer
par la force militaire et l'autorité que nous sympathiserons parfaitemeut
avec lui.. Laissons de côté nos instincts guerriers et faisons abstraction
de nos haines religieuses , en un mot , mettons l'intérêt de la patrie
au-dessus de nos intérêts personnels. Le jour où nous traiterons
l'Arabe on frère , le jour où nous lui achèterons honnêtement ses vins
et ses chevaux, par exemple , le jour où nous lui aurons fait com-
prendre que nous voulons nous allier avec lui sur le terrain du travail
et du commerce , ce jour-là l'Arabe oubliera toute espèce de rancune
religieuse ou autre , et il viendra à nous , parce que ce sera dans
son intérêt. C'est une théorie comme une autre, c'est vrai, mais elle
a au moins le mérite d'être praticable , et je crois , quant à moi, qu'il
n'y a pas de meilleur moyen de dominer un peuple que par le travail.
(Appla udisseinerUs) .
Malheureusement toutes ces idées sont précisément mal connues chez
nous.
Je voudrais, à Paris, par exemple, voir organiser tous les ans des
caravanes scolan-es pour l'Algérie. Yous savez que, chaque a/niée, le
- 21 —
conseil municipal de Paris, qui est assez riche, paraît-il, organise pour
la jeunesse parisienne des promenades municipales pendant les vacan-
ces. Eh bien ! il serait beaucoup plus utile, à mon avis, d'envoyer de
temps en temps des caravanes scolaires en Algérie, afin de faire voir
de près à notre jeunesse ce qu'est ce pays.
Enfin, un autre moyen qui me paraît beaucoup plus pratique est
celui qui consisterait à envoyer en Algérie, pour y conquérir une
position, ces enfants qu'on appelle «moralement abandonnés» et qui
traînent à Paris une vie misérable. Je ne puis m'empêcher de vous le
signaler, d'autant moins que j'ai eu parfois l'occasion de discuter sur
ce sujet avec quelques-uns de ces conseillers municipaux de Paris qui
s'appellent les « possibilistes », c'est-à-dire MM. Vaillant, Ghabert et
JojBFrin.
Ces hommes-là, aveuglés par je ne sais quelle passion, prétendent
qu'envoyer ces enfants en Algérie, c'est les envoyer dans un lieu de
déportation, c'est les mettre sous le joug de l'autorité et principalement
de l'autorité militaire. On a beau leur objecter qu'il y a quinze ans que
le régime du sabre a été aboli et que, par conséquent, leur raison n'a
pas de fondement : ces messieurs n'en veulent rien entendre. Et cepen-
dant, il existe en France, disséminés un peu partout, sans compter
ceux qui ont trouvé un refuge dans des établissements de correction,
de nombreux enfants moralement abandonnés, qui, pour une raison
ou pour une autre, sont malheureux et déclassés et qu'on pourrait dès
leur enfance, dresser et conduire dans le droit chemin. On en fait, il
est vrai, ce que Ton veut jusqu'à un certain âge et on leur donne quelque
éducation pour tâcher d'en faire de bons citoyens, mais à l'âge de 18,
20 ans, on les rejette sur le pavé sans aucun capital, sans famiUe ni
amis, et avec la honte et l'opprobre de leur origine. Ces enfants, n'ayant
plus de quoi se nourrir, se dispersent dans la métropole, et alors les
jeunes filles se perdent et les hommes deviennent des voleurs, des
assassins, des déclassés. Eh bien! ces enfants malheureux, ne pourrait-
on pas les arracher au mal en leur donnant des terres en Algérie où
ils pourraient devenir des cultivateurs honorables. Il y a actuellement
à Paris plus de 130.000 de ces malheureux, qui se lèvent le matin sans
savoir où et cominenl ils pourront se coucher le soir Ces filles qui se
perdent, ces hommes qui deviennent des V(deurs et des assassins, sont-
ils réellement coupables dans le sens complet du mot, lorsqu'ils sont
poussés par la faim ou par toute autre nécessité de la vie, et ne })our-
--^ 22 —
rait-onpas, avant qu'ils soient gangrenés par le mal, s'en faire des
instruments merveilleux de la colonisation? [Applaudissements).
Il y a d'ailleurs pour le colon, eu Algérie, des avantages que nous
ne connaissons pas suffisamment, particulièrement au point de vue du
service militaii^e : tout fils de colon établi en Algérie ne reste qu'un au
sous les drapeaux ; tout Français qui arrive en Algérie et promet d'}'^
rester 10 ans, profite de la même prérogative. Les Allemands, il est
vrai, ont poussé la libéralité plus loin en pareille circonstance (et pour-
tant, les Allemands sont dans tout autre cas beaucoup plus rigoureux,
comme vous le savez, sur ce qui concerne la question militaire) : tout
Allemand qui liabite l'étranger pendant un certain temps voulu est
dispensé totalement du service militaire. On devrait agir de même en
France à l'égard des jeunes gens qui se rendent dans les colonies, mais
enfin la prérogative actuelle est déjà pour eux, ce me semble, un grand
avantage.
Il n'y a pas en outre comme vous le savez de droits de mutation en
Algérie, ce qui est encore un grand avantage, et enfin on peut se pas-
ser dans ce pays de tout fonctionnaire pour l'achat et la vente des
propriétés, ce qui est surtout un progrès énorme : on peut, en Algérie,
comme en Australie, acheter ou vendre des propriétés de gré à gré,
sans qu'il faille passer par l'intermédiaire de ces vers rongeurs qui
coûtent 600 millions de francs à la France et qui ont noms : notaires,
avoués, huissiers, etc.. {Applaudissements).
Il y a donc des avantages énormes à aller habiter l'Algérie. Je vous
demande pardon, Mesdames et Messieurs, de vous parler avec une
extrême franchise, mais j'ai l'haljitude de toujours dire ce que je pense
et si parfois je vais trop loin, je suis sûr d'avance que vous me pardon-
nerez.
Les domaines commencent à venir considérables en Algérie, il y eu
a depuis 300 jusqu'à 500 hectares. Je vais, par un exposé rapide, vous
donner la situation de l'un d'eux ; c'est le domaine de Zouaïa, situé à
quatre kilomètres d'Alger ; il se compose de 60 hectares de vignobles,
15 de tabac, 15 de plantes diverses et d'oliviers, 75 de fourrages et
luzernes, 20 d'orangers, et enfin 120 de céréales et une partie en forêts ;
on y fait, comme vous le voyez, des cultures variées, et toutes ces
cultures sont d'un excellent rapport
Prenons maintenant la ferme de Mondovi, près de Gonstantine, dont
la valeur est de 800.000 francs, et sur la situation de laquelle il serait
également intéressant d'avoir quelques renseignements : elle se com-
- 23 -
pose do 2000 hectares, dont 600 de vignobles, 600 de céréales, 600 de
I)lantes diverses, 30 de prairies, 20 de jardins potagers, et 150 de cons-
Iruclions. C'est comme vous le voyez un des domaines les plus impor-
tants : il est estimé à l'heure actuelle o millions de francs et rapporte
environ 8(X),000 Irancs.
Deux jeunes frères, qui cependant n'étaient pas accoutumés aux
travaux de l'agricuUure, ont entrepris récemment l'exploitation d'un
domaine en Algérie ; ils se sont mis résolument à l'œuvre (car en Algé-
rie pas moins qu'en nul autre pays, c'est par le travail qu'on parvient
à la fortune) et les résultats de leur entreprise sont on ne peut plus
satisfaisants.
Le prix des terrains est de 1000 francs l'hectare sur le littoral. Les
terrains du Tell coûtent 400 francs l'hectare et 600 francs lorsqu'ils
sont déjà défrichés. Du côté de la plaine de la Miiidja. ils ne valent
que de 200 à 250 francs, ce qui constitue une différence énorme. A Sétif,
on a de la terre à 25 francs, 50 et 100 francs l'hectare et en Kabyhe,
pour 150 francs une terre assez bonne qui promet de faire vite fortune.
Il y a encore une quantité d'autres endroits où les colons sont peu
répandus et où l'on ferait à coup sûr fortune, mais toujours, bien entendu,
à la condition que l'on travaille et qu'on soit entièrement à ses affaires.
A cette conditioji, on peut arriver à retirer des bénéfices représentant
le tiers du capital engagé.
Il me reste à vous parler maintenant , Mesdames et Messieurs , d'un
point d'une très grave importance , qui va me forcer d'aborder , bien
malgré moi , la question militaire que j'aurais voulu pouvoir éviter.
D'un côté , comme je vous l'ai dit tout-à-l'heure , le meilleur moyen
d'arriver à une prompte et parfaite colonisation de l'Algérie , est de
diminuer autant que possible les forces militaires, d'un autre côté,
jious ne devons pas nous exposer à des insurrections. Il faut donc
absolument étudier la question d'une manière résolue.
Les Algériens, je veux dire les Arabes, qui habitent l'Algérie depuis
le littoral jusqu'au Sahara, sont bien calmes à l'heure actuelle et
paraissent soumis d'uiie façon absolue. Il n'en est pas de même dans la
région située au-delà des hauts plateaux qai se trouvent autour de
l'Algérie et sont habités par les Touaregs, ainsi que du côté du Maroc,
ce malheureux empire , en état de décomposition politique , et dont la
population se compose d'éléments hétérogènes : Anglais , Allemands ,
Espagnols , veulent y faille prédominer leur influence. — Les Ai'abes
du Sahai'a, de même que les Touaregs , forment une race musulmane
- 24 -
fanatique et très turbulente qui, avec les Marocains, environne l'Algé-
rie de tous côtés. Heureusement, comme ils sont nomades, c'est-à-dii^e
toujours à cheval par tribus à travers les sables du désert, ils sont loin
d'être dangereux , d'autant moins qu'ils sont mal armés , mais il n'en
est pas moins vrai qu'ils pourraient amener un jour une insurrection ,
bien que cependant ce soit peu probable, si l'on considère que le pays est
composé d'éléments ai'abes absolument disparates qui ne parviendraient
que difficilement à s'entendre du jour au lendemain pour une action
commune. 11 pourrait néanmoins survenir soit une guerre européenne
dans laquelle l'Angleterre ou l'Allemagne seraient engagées , soit
encore , et c'est plus probable , un excès de fanatisme religieux chez
les Touaregs, et alors nous serions bien forcés de .défendre la colonie.
Eh bien! le meilleur moyen de défense est trouvé et je suis convaincu
qu'il est excellent. J'ai apporté avec moi un volume qui traite ce sujet,
mais dont l'heure, qui est déjà assez avancée, ne me permet pas de vous
lire des extraits (1). Voici en substance ce que j'y ai lu : Si nous con-
sultons la plupart des officiers - généraux français , dont quelques - uns
sont devenus les amis intimes , et dévoués jusqu'à la mort , de grands
chefs arabes, tels quAb-del-Kader, par exemple, si nous consultons ces
hommes qui, par conséquent, doivent connaître absolument bien le
caractère arabe, i^s nous diront tout d'abord qu'en cas de guerre euro
péeime ou d'insurrection , étant donné la superficie de l'Algérie , qui
est de 25,000 lieues carrées, dans lesquelles se trouvent 50 postes mili-
taires, soit un poste par 500 lieues, étant donné d'un autre côté qu'un
petit nombre restreint de colons s'avancent et se disséminent de plus
en plus dans l'intérieur des terres et qu'il faut les protéger , étant
donné l'étendue de la côte qui est de 400 lieues et que nous avons une
ligne de chemins de fer (à peu près parallèle à la côte) passant par
Oran, Alger, Gonstantine et Tunis, étant donné les 100 lieues qu'il y a
à parcourir pour pénétrer jusqu'au Sahara , il en résulte qu'U faudrait
le chiffre énorme de 70,000 hommes pour défendre l'Algérie , car
aujourd'hui encore, s'il était nécessaire de transporter des troupes de
la côte algérienne jusqu'au Sahara, le temps nécessaire pour le faire
serait de 10 et peut-être même de 15 jours, puisque les 2,000 kilomètres
de chemin de fer et les 500 kilomètres , au moins , d'autres lignes qui
(1; Niox.
- 25 —
sont actuellemeiiL ou construction, se dirigent de l'Est à l'Ouest , et
rattachent Tunis à Gonstantiue , Alger et Oran. Il y a un autre moyen
qui s'impose, et ce moyen , le voici : avec des colonnes volantes de
i.500 hommes, on pourrait, non pas réprimer des insurrections , mais
toujours les éviter, et , pour y arriver , il suffirait de tracer des voies
de pénétration jusqu'au désert, c'est-à-dire des lignes de chemin de fer
viMiant aboutir dans le Sahara. Du jour où ces voies ferrées seraient
établies , non seulement elles nous seraient d'un puissant appui au
point de vue de nos affaires avec les Kabyles qui habitent les hauts-
plateaux, et à celui du développement de notre commerce et de la
forlune de la colonie, partant, de la métropole, mais encore et surtout
elle rendrait l'Algérie absolument imprenable et maîtresse absolue
d'elle-même. Il est évident que le meilleur moyen est encore de créer
une mer intérieure , mais c'est là un projet qui entre dans le domaine
de ces questions vitales qu'on n'ose trop réclamer , parce qu'on ne sait
pas quand ce rêve national pourrait être réalisé. Il est plus pratique ,
pai' conséquent, d'établir, comme je viens de le dire, deux ou trois
lignes de chemin de fer partant de la Méditerranée et aboutissant dans
le Sahara
Mesdames et Messieurs, je ne voudrais pas abuser plus longtemps
de votre bienveillante attention ; il me reste encore un point, un dernier
lioint, à vous exposer, et je vais le faire dans le but de vous démontrer
qu"au point de vue de la concurrence étrangère , le meilleur moyen de
consolider les liens qui unissent une colonie à la Métropole, et récipro-
quement, est au premier chef une mesure coloniale.
Eh bien ! aujourdhui on commence à comprendre d'une façon très
nette que. à côté du chemin de fer qu'on a considéré pendant 50 ans
comme le dernier moyen de progrès, à côté de ce moyen de transport
rapide mais coûteux , le moyen de transport par eau ne doit pas , tant
s'en faut, être négligé, et ceci est d'autant plus vrai qu'il est compris à
la fois par tous les grands peuples. C'est ainsi qu'à l'heure actuelle , il
est question de faire de Cologne, de Rome et de Manchester autant de
ports de mer. C'est ainsi que le port d'Anvers a été créé. A ce
propos , je me souviens qu'au lendemain de l'Exposition internationale
qui a eu lieu , il y a deux ans , dans cette dernière ville , les indus-
triels français, et particulièrement les Parisiens, en sont revenus avec
la presque totalité des médailles d'or et récompenses , et qu'à cette
occasion quelqu'un me disait : « Vous voyez bien que la France n'a pas
trop à craindre la concurrence des Allemands et des Anglais, et (ju'elle
— 26 —
est toujours la première nation du monde au point de vue industriel. »
Eh bien ! cola n'était que de la pure fantasmagorie : si nous avons
remporté à Anvers la plupart des médailles et des récompenses , et si
nous 3' avons battu les Allemands qui , le plus souvent , i e fabriquent
que de la camelotte, cela n'aurait pas dû nous empêcher de voir que la
création du port d'Auvers avait été absolument imposée par la volonté
de M. de Bismarck, et qu'une ligne de chemin de fer devait relier
cette ville à Cologne , Mayence et Francfort , c'est-à-dire aux grandes
lignes allemandes, pour nous enlever à tout jamais le transit do l'Angle-
terre et de la plupart des autres pays. — Vous voyez donc qu'il est
d'une absolue nécessité que les communications par eau soient
employées autant que possible , surtout . à mon point de vue , comme
un moyen pratique de colonisation, et j'ajouterai que , si nous voulons
absolument que notre protectorat au Tonkin et au Cambodge , par
exemple, soit à jamais établi dans ces contrées lointaines , c'est à la
condition que nous n'y soyons pas vaincus sur le terrain commercial
par les Allemands et les Anglais , par suite de l'insuffisance de notre
marine marchande, et, par conséquent, à cause de la cherté excessive
du transport de nos marchaii' lises. On peut évaluer , d'après les statis-
tiques, à 13,500 le nombre des navires marchands anglais qui ont
parcouru les mers de Chine pendant l'année 1886 , et à 46 seulement
celui des Français. Il s'ensuit que nous devons , la plupart du temps ,
passer par l'intermédiaire des Anglais pour l'expédition de nos mar-
chandises , et que , lorsque celles-ci arrivent à Hanoï . la capitale du
Tonkin, nous leur avons payé 30 à 50 7o de leur valeur pour frais de
transport, surtaxes de pavillon , commissions, etc.
A cause de l'insuffisance de notre flotte marchande , nous enrichis-
sons à notre détriment le commerce de l'Angleterre. Quelques riches
maisons de Marseille ont été frappées de cette vérité , et , pourvues
d'une marine marchande qui leur appartient , elles ont conservé inté-
gralement le monopole de notre commerce au Sénégal. La voie est
ouverte aux imitateurs et je souhaite qu'ils soient très nombreux. —
A cette question de la plus haute importance, se joint une autre
question qui ne l'est pas moins : c'est la création du Canal des Beux-
Mers , de l'Atlantique à la Méditerranée , et le canal maritime de la
mer à la capitale, qui doit faire de Paris un vaste port de mer. Du jour
où ce rêve national sera réalisé , nos relations comuîerciales avec
l'Algérie seront définitivement et solidement établies : non seulement
elle pourra nous expédier avec une extrême facilité ses vins , ses
- 27 —
oranges et une foule d'autres produits de son agriculture , mais encore
de notre côté, nous trouverons dans la colonie récoulem(;nt i-aiiide do
tous nos objets manufacturés , car les frais de transport par eau étant
beaucoup moins coûteux que par chemin de fer, nous pourrons alors
lutter victorieusement contre l'étranger. Et enfin ! Mesdames et
Messieurs . lorsqu'on se trouvera devant ce magnifique port d'Alger
et qu'on admirera par une belle matinée d'été, au soleil levant , ces
maisons étagées sur le bord de la mer et semblant se détaciier du
ciel , lorsqu'on se trouvera devant ces montagnes de l'Algérie qui
paraissent , à l'aurore surtout , recouvertes d'une poussière d'or , et
à la vue desquelles l'homme le moins sensible se sent , malgré lui ,
rêveur et i)oète, on se retournera vers la terre française, et on recon-
naîtra qu'on se trouve dans une seconde France, la France africaine !
{Applaudisse menis prolongés. )
— 28 —
COURS ET CONFERENCES DU JEUDI SOIR
A LILLE.
(m extenso).
LA NAVIGATION AERIENNE
Par M. P. GOLARDEAU, professeur de physique au lycée de Lille.
Conférence faite à la Société de Géographie de Lille , le 10 Mars 1885.
Mesdames . Messieurs ,
Lorsqu'on veut se rendre d'un pays à un autre , on peut, conlraire-
ment à un dicton populaire « y aller par quatre chemins ». Un premier
moyen, eu effet, le plus naturel et le plus démocratique, c'est de s'y
rendre à pied : un second, déjà plus restreint, serait de prendre le
chemin de fer : un troisième, de s'embarquer sur un navire en par-
tance : un quatrième enfin, serait de prendre un ballon, et à l'instar de la
fille de M""^ Angot, s'élever dans les airs. Quoique ce procédé soit, à n'eu
pas douter, le moins commode , et le plus sujet à accidents , c'est .
cependant de ce mode de locomotion, que je voudrais vous entretenir
aujourd'hui , vous faire voir : d'une part, ses débuts, d'autre part , les
résultats auxquels on est arrivé récemment
Eœpérience des Monlgol/ier — Personne n'ignore que l'invention
des ballons, d'origine toute française, est due à deux frères, Joseph
et Etienne Montgolfier, fils d'un riche fabricant de papiers de Vidallon-
lez-Annonay. Joseph, l'aîné, d'un caractère fort indépendant, s'é-
chappait à treize ans du collège de Tournon, pour aller vivre de coquil-
lages au bord de la mer. Réintégré dans sa pension, il ne put se
plier davantage aux exigences de l'enseignement classique : il s'enfuit
donc une seconde fois, et se mit à fabriquer du blou de Prusse, et
diverses drogues qu'il vendait lui-même. Inutile d'ajouter, qu'après
ces deux tentatives, on renonça à faire de lui un bachelier ! Etienne,
- 29 —
son fVère, beaucoup plus jeune, d'un caractère plus calme, était plutôt
un homme du monde. « Il était poli, allait à la cour de Louis XIV,
portait galamment son épée, faisant des compliments aux dames
coquettes et aux grands seigneurs. »
C'est Joseph l'aîné , qui eut le premier l'idée des ballons ; comment
cette idée lui vint-elle ? Ici les avis sojit partagés : les uns racontent
que c'est en voyant monter au plafond le jupon de M""' Montgolfier, sa
mère, jupon que l'on faisait sécher pendant l'hiver sur un mannequin
d'osier. Suivant d'autres, étant à Avignon, il cherchait au coin du feu,
le moyen de pénétrer dans Gibraltar alors assiégé par les Anglais,
lorsqu'il vil une feuille de papier, échaufi'ée par le foyer, monter dans
la cheminée avec la fumée. Mais il faut, Messieurs, oublier ces lé-
gendes : la simple vérité, c'est que Joseph Montgolfier qui avait étudié
la dilatation des gaz, savait que l'air suffisamment échauffé, devient
deux fois plus léger, et peut s'élever en emportant son enveloppe. Un
ballon, en effet, n'est autre chose qu'une enveloppe remplie de gaz, et
dont le poids total, est moindre que le poids de l'air qu'elle déplace. Je
n'ai nullement l'intention de développer ici la théorie scientifique des
ballons, l'explication aurait, je crois, peu de charmes : je veux seule-
ment essayer de vous la donner par un exemple. Lorsqu'on enfonce
dans l'eau, un objet moins dense que l'eau, un bouchon de liège, par
exemple, l'eau , vous le savez, réagit et tend à faire remonter le corps
à la surface. De même placez dans l'air, un corps moins dense que l'air,
il éprouvera lui aussi une poussée de bas en haut de la part de cet air ;
et si on abandonne cet objet à lui-même, il s'élèvera naturellement.
(Expérience du Ludionj.
Les deux frères Montgolfier s'appliquèrent donc à construire un
appareil de grandes dimensions, fait de toile d'emballage doublée de
papier de soie ; et ils firent en grand , l'expérience que nous allons
répéter ici même. Un réchaud fut allumé à la partie inférieure, sur
lequel on brûla dix livres de laine mouillée et de paille hachée : aussi-
tôt la machine remplie d'air chaud se souleva, et bientôt elle s'éleva
aux acclamations de la foule. En dix minutes, elle parvint à 500 mètres
de hauteur, mais comme elle perdait la plus grande partie du gaz
qu'elle contenait, par suite de la perméabilité de l'enveloppe, on la
vit bientôt redescendre vers la terre. Ce spectacle se passait le 4 juin
1783. Un procès-verbal de cette belle expérience fut aussitôt adressé
à messieurs les membres de l'Académie des sciences. L'Académie
nomma alors une commission poui' examiner ces faits ; cette commis-
- 30 —
sion après avoir, comme toujours, nommé iinesous-coininissioii, manda
à Paris, Etienne Montgolfier en le prévenant que son expérience
serait prochainement répétée aux frais de l'Académie.
Cependant l'expérience d'Annoiiay avait fait grand bruit, et les
Parisiens n'étaient pas satisfaits de voir Paris, centre des lumières,
devancé dans une pareille voie, par une ville, dont le nom était, la
veille encore, inconnu à la plupart d'entre eux : d'autre part, ils ne
pouvaient s'accommoder des lenteurs de la Commission académique,
il leur fallait à tout prix le même spectacle.
Expériences du physicien Charles. — 11 y avait alors à Paris, un
jeune professeur plein de zèle , le physicien Charles, qui se chargea de
subvenir aux frais de l'entreprise : il eut l'idée , toute naturelle d'ail-
leurs , de faire payer le spectacle à ceux qui viendraient le voir. Il
ouvrit donc une souscription , et plus de 10,000 francs furent recueillis
en quelques jours. Charles fabriqua donc un ballon de soie, bien
cousu, bien solide, et il se mit en devoir de le gonfler, place des
Victoires à Paris ; niais il rencontra dans cette opération des difficultés
inattendues. En effet, pour gonfler ce ballon, il fit usage d'un gaz,
nouvellement découvert, l'hydrogène, dont je vais vous indiquer
quelques propriétés remarquables. D'abord ce gaz est quatorze fois
et demie plus léger que l'air : voici, en effet, une bulle de savon gon-
flée de gaz hydrogène, et vous voyez avec quelle rapidité elle s'élève
dans l'air.
Ce gaz traverse très facilement les membranes de papier : pour le
montrer, je prends un verre rempli d'hydrogène ; je le ferme avec un
morceau de papier, et au-dessus j'approche une allumette enflammée
et voilà l'hydrogène qui a passé à travers le papier qui s'enflamme
lui-même, communique le feu au papier, et au gaz qui remplit le flacon
Enfln l'hydrogène, combustible comme vous venez de le voir, forme
avec l'air un mélange détonant. Nous avons ici un petit ballon de
collodion, rempli avec un mélange d'air et d'hydrogène, je l'enflamme,
vous entendez la détonation produite et voici maintenant les fragments
de collodion qui retombent et vous pouvez constater, que l'ébranle-
ment de l'air, produit par cette détonation, vient d'éteindre cette
bougie.
Quoiqu'il en soit, c'est du gaz hydrogène, que fit usage le physicien
Charles : le remplissage du ballon commencé le 23 août, n'était pas
terminé le 25 : chaque joai'uée se passait à introduire des torrents
— 31 —
(i'uii gaz qui disparaissait chaque nuit. Enfin le 25 août, on (ransporta
l'aérostat de la place des Victoires au Champ de Mars : ce qui se fit
à minuit pour éviter l'encombrement : il était étendu sur une char-
rette, précédé et suivi par des i^ens du guet qui ])ortaient des torches ;
et telle était la superstitieuse terreur qu'inspirait la vue de ce ballon, que
des hommes du peuple se rendant à leur travail se découvraient sur
le passage du cortège Enfin, le 26 août, à trois heures flu soir, un
coup de canon annonça aux 300.000 spectateurs qui se trouvaient là,
que l'expérience allait commencer : le ballon s'enleva, en effet, rapi-
dement, entra dans un nuage, ce qui fut salué par une clameur
immense ; on le vit de nouveau percer la nue A ce moment, l'émotion
était à son comble : beaucoup de personnes fondirent en larmes,
d'autres s'embrassaient, comme en délire : les yeux fixés sur un point
du ciel, ils recevaient sans songera s'en garantir, une pluie abondante
qui ne cessait de tomber [i].
« Cependant, au bout d'un peu moins d'une heure, le ballon, gonflé
outre mesure, éclatait sous la pression du gaz, et était précipité du
haut des airs sur le soi : il tomba à Gonesse. à trois heues do Paris , à
demi-dégonflé, et parvenu à ten-e, il semblait s'agiter, sous le souffle
du vent, connue un monstre colossal en proie aux dernières convul-
sions de l'agonie. Ce qu'éprouvèrent à cette apparition les braves
habitants de Gonesse, paisiblement occupés aux travaux des champs,
on peut le deviner aisément. Sans perdre une minute en vaines ré-
flexions, ils se sauvèrent à toutes jambes, tel fut leur premier mouve-
ment: le second fut de donner une direction à peu près raisonnable à leur
course folle : ils se rendirent en conséquence au presbytère de leur
village, et racontèrent au curé ce qu'ils avaient vu. Le curé, qui savait
ses paroissiens sujets a caution sous le rapport de l'intelligence, ne
voulut pas ajouter foi à leur récit : mais d'après les rapports unanimes
qu'il recevait de vingt bouches différentes lui affirmant qu'on pouvait
encore voir le monstre tombé du ciel, se démener furieusement sur
le sol, il résolut de lui courir sus ; et bravement il se mit à la tête
d'une formidable procession de gens armés de fléaux, de bâtons, de
fourches, voire même de fusils. Mais l'enthousiasme diminuait, au fur
et a mesure que l'on s'approchait : il y eut même dans les rangs des
assaihants, quelques désertions, qui faillirent amener une déroute
complète. La colonne hostile finit par investir l'aérostat : elle se mit
(1) Jamin. — Les Ballons.
- 32 —
à hurler, gesticuler, à faire le plus de tapage qu'elle put. espérant par
là l'effrayer, et le forcer à reprendre son vol, mais le monstre ne
bougea pas.
» Alors un paysan plus courageux que les autres (quelque ancien
troupier sans doute) ajusta le monstre avec le fusil qu'il s'était contenté
jusque-là de brandir en poussant des cris, et lâcha le coup. Dans
l'appréhension des conséquences d'une action aussi téméraire, tout le
monde s'enfuit : mais comme ils n'entendaient derrière eux rien d'in-
solite, les fuyards revinrent sur leurs pas, et constatèrent avec une
joie, facile à imaguier, que le monstre s'était pour ainsi dire évanoui
en fumée.
» La balle du fusil, en effet, avait fait merveille, en élargissant la dé-
chichure de l'aérostat, elle avait ouvert une large issue au gaz restant,
et bientôt l'enveloppe dégonflée, était retombée complètement immo-
bile. Ce résultat inespéré fit renaître le courage, même chez les plus
timorés ; tous se précipitèrent sur cet ennemi vaincu, et déchargèrent
sur lui des coups terribles de leurs armes variées : en un instant, ce
ballon qui avait coûté tant de soins fut en pièces : les paysans triom
phants poussèrent la cruauté des représailles, jusqu'à en attacher les
débris informes à la queue d'un cheval qu'ils promenèrent ensuite à
travers le village et les environs (1). »
Cet événement fit assez de bruit pour que le gouvernement crut
nécessaire de publier un « avis au peuple » touchant le passage et la
chute des machines aérostatiques. Cette pièce naïve disait que l'on se
proposait de renouveler l'expérience des ballons avec des globes beau-
coup plus gros : « Avis donc était donné à ceux qui découvriraient
dans le ciel de pareils globes, semblables à la lune obscurcie, que ce
n'était qu'une machine composée de taffetas, et de toile légère qui ne
pouvait causer aucun mal, et dont il était à présumer que l'on ferait
un jour des applications utiles à la société. »
Lu et approuvé , ce 3 septembre 178o.
Expérience de Monigolfier à Vet^sailles. — Ce premier essai, loin
de ralentir l'enthousiasme populaire, ne fit au contraire que l'exalter ;
le roi, lui-même, voulut être témoin d'une ascension. On prépai'a donc
pour lui, sous la directien de Montgolfier, dans la cour de Versailles,
une Montgolfière à son chiffre, avec tous les attributs de la mytho-
(1) La Science populaire. 1879.
— 33 -
logie. Malgré ses grandes dimensions (elle avait 57 pieds de haut), elle
se gonfla rapidement, et s'éleva pompeusement dans les airs aux accla-
mations de la multitude, pour aller tomber huit minutes après, dans
les bois de Vaucresson, à une lieue de Versailles. C'est le premier
appareil qui ait enlevé des êtres vivants , un mouton, un coq et un
canard. Ces animaux sortirent sains et saufs de cette épreuve :
j'ajouterai, cependant, qu'ils paraissaient inconscients du voyage qu'ils
venaient d'exécuter, et tout k fait insensibles à l'honneur de l'avoir
accompli les premiers.
Quelques aspects comiques de la question. — A partir de ce mo-
ment, les ascensions aériennes se multiplièrent; les unes avec succès,
les autres, au contraire, avec un insuccès éclatant, aussi, nous ne
nous étonnerons pas, si, de toutes parts, et au milieu de l'enthou-
siasme général, s'élevèrent des satires et des caricatures contre ces
amateurs inexpérimentés. Les orgues de Barbarie du temps jouaient
sur des airs variés le quatrain suivant :
Les Anglais , nation trop fière ,
S'arrogent le droit des mers;
Les Français , nation légère ,
S'emparent de celui de l'air.
Une caricature représentait un jeune homme qui glisse sur des
patins ! Deux petits ballons attachés à sa cravate facilitent sa course.
Sur une autre estampe, inspirée par le manque de réussite de cer-
tains amateurs inexpérimentés, qui, après avoir organisé une sous-
cription publique, ne parviennent à gonfler leur malencontreux appa-
reil, on indique « un moyen infaillible d'enlever les ballons. Ce moyen
infaillible consiste en leviers et en cordes !!! (1)
En même temps, on voyait à l'étalage des librah*es, de violents pam-
phlets, contre l'idée nouvelle des ballons : ces pamphlets déclaraient la
découverte des ballons immorale, Qi cela pour plusieurs raisons:
« r Parce que Dieu n'ayant pas donné d'aîles à l'homme, il était impie
de prétendre faire mieux que lui et d'empiéter sur ses droits ; 2" Parce
que l'honneur et la vertu sont en danger permanent, s'il est permis à
des aérostats de descendre à toute heure de la nuit dans les jardins et
vers les fenêtres. » Ce sont là, vous le voyez, des raisons concluantes
(1) jMarion. — Les Ballons.
- 34 -
cependant, je ne sache pas que. pour des enlèvements volontaires .
force serait de recourir à l'emploi embarrassant d'un aérostat : « il est,
je crois, avec le ciel d'autres accommodements. »
Seconde expérience de Montgolfter. Voyage de Pilaire des
Roziers. — Les Parisiens ne se lai-^sèrent pas toutefois influencer par
ces diatribes ; ils s'étaient, au contraire , partagés en deux camps : les
uns, partisans de Montgolfier, se prononçaient pour les ballons à air
chaud , les autres, partisans du physicien Charles, ne juraient que par
le ballon à gaz hydrogène. De nouvelles expériences étaient donc
nécessaires pour décider entre eux. Cependant la Commission de
l'Académie des Sciences avait mené à bonne fin son travail : elle avait
fait construire, à ses frais, la plus grande mongolfière que l'on eût
jaraai.s vue ; elle avait 70 pieds de haut, et jaugeait 6,000 pieds cubes.
Tous les jours, en présence de l'Académie et d'un public nombreux, on
la gonflait et on pesait sa force d'ascension, c'est à dire le poids qu'elle
serait capable d'enlever, tout en la retenant captive à l'aide de cordes.
Cette manœuvre était dirgée par E. Montgolfier, qui se faisait aider
par un jeune homme nommé Pilatie des Roziers. Tous les jours , il
montait dans une galerie qui entourait le bas du ballon et se laissait
enlever, dabord limidement à une faible hauteur, puis il augmentait
l'alitude de l'excursion, en présence du pubhc qui applaudissait cette
grande adresse, et sans doute aussi cette témérité peu connnune.
11 finit par atteindre une hauteur de 324 pieds ; de là, il dominait Mont-
martre, embrassait tout l'horizon , et ne cessait de répéter que ces
voyages étaient absolument sans danger. Tout était donc mûr pour
essayer dans l'atmosphère un premier voyage en ballon libre.
Le Dauphin offrit alors à Mongolfier le jardin de son château de la
Muette au bois de Boulogne, et le 17 octobre 1783, c'est à dire moins
de trois mois apj'ès la découverte des aérostats, l'expérience était pré-
parée. Mais au moment du départ, le préfet de police du temps survint
pour en empêcher l'exécution. En effet, lancer en l'air deux personnes,
dans une galerie de bois, avec une provision considérable de paille ,
près d'un ardent foyer qui pouvait à chaque instent y mettre le feu ,
paraissait d'une témérité peu commune. Le roi ne consentait à ce
départ qu'à la condition de remplacer les deux aéronautes par deux
condamnés à mort de bonne volonté que l'on gracierait ensuite. A cette
nouvelle, Pilâtre des Roziers s'indigne, il déclare qu'il ne cédera à per-
sonne, ni l'honneur du danger, ni la gloire du succès. Le marquis
— :« —
d'Arlandes, seigneur du temps, tranquillisa les consciences par ses
récits, et leva toutes les difticultés on se proposant pour être le com-
pagnon de l'aéronaute. Tout alla bien, les voyageurs atteignirent 3,000
pieds, traversèrent Paris et descendirent à quelque distance. La mont-
golfière 5vait donc suffi à les porter ; mais si elle s'échauffait vîle, elle
se refroidissait rapidement , on ne pouvait la maintenir en lair qu'à la
condition de forcer le feu et d'épuiser la provision de combustible.
Second voyage du physicien Charles. — La réponse de Charles
à ce défi de Pilàtre des Rosiers ne se fit pas attendre. Peu de jours
après, il ouvrait une nouvelle souscription de 10,000 fr «pour un globe
de soie devant porter doux voyageurs, lesquels s'élèveraient à ballon
perdu, et tenteraient en l'air des observations et des expériences de
physique. » Préparée avec maturité , calculée avec une rare intelli-
gence, cette ascension révéla tous les services que peut rendre en
pareil cas le secours des connaissances scientifiques, car le physicien
Charles avait perfectionné son appareil ; il avait imaginé la soupape,
qui donnant issue au gaz, permet une descente lente et graduelle de
l'aérostat ; la nacelle, où s'embarquent les voyageurs ; le filet qui sou-
tient la nacelle ; le lest qui règle l'ascension et modère la chute. On
peut dire qu'on n'a presque rien ajouté depuis cette époque aux dispo-
sitions que j'indique. Charles partit donc des Tuileries avec le même
concours de spectateurs, les mêmes coups de canon, le même enthou-
siasme du public. Ce fut-là une remarquable ascension : en moins de
dix minutes, l'aérostat parvint à une hauteur de 4,000 mètres, et une
demi-heure après, le ballon redescendait doucement à deux lieues de
son point de départ.
Dès que les détails de ce voyage furent connus à Paris, ils y provo-
quèrent un enthousiasme extraordinaire ; une foule considérable se
rassembla, dès le lendemain, devant la demeure du physicien Charles
et lui fit une véritable ovation.
« A partir de ce moment, la supériorité du ballon à hydrogène sur la
montgolfière ne fut plus contestée. Rien désormais ne devait être im-
possible à l'homme qui venait de conquérir l'atmosphère ; telle était
l'idée qui à cette époque se reproduisait sans cesse, elle était la passion
dominante de la jeunesse. La vieillesse en faisait le texte de mille
regrets amers. Témoin la maréchale deVilleroi : octogénaire et mala-Ie,
on la conduit presque de force aux Tuileries, car elle ne croit pas aux
ballons. Le ballon toutefois se détache de ses amarres, le physicien
- 36 -
Charles, assis dans sa nacelle, salue gaiement le public et s'élance
ensuite majestueusement dans les airs. Alors, sans transition, passant
de la plus complète incrédulité à une confiance sans bornes dans la
puissance de l'esprit humain, la vieille maréchale tombe à genoux , et,
les yeux baignés de larmes, laisse échapper ces tristes paroles : « Oui,
c'est décidé, maintenant, c'est certain, ils trouveront le secret de ne
plus mourir et c'est quand je serai morte ! (1) »
Les hommes qui avaient fondé en France la science de l' aérostation
eurent des sorts très différents : les deux Monigolfier furent comblés
des faveurs du roi, le physicien Charles devint un des professeurs les
plus adroits et les plus célèbres de son temps. Quant au plus audacieux
des trois, à Pilâtre des Roziers, qui, le premier, « se confia au chemin
de l'air », il périt malheureusement à l'âge de 29 ans, dans une ascen-
sion qu'il entreprit. Pour ne rendre de Boulogne à Londres, il eut la
malencontreuse idée de combiner en un seul la montgolfière et le
ballon à hydrogène : « C'était mettre le feu à côté de la poudre, disait
Charles à Pilâtre, mais celui-ci n'écoutait rien que son intrépidité et
l'incroyable exaltation scientifique dont il avait déjà donné tant de
preuves. En effet, au bout de quelques minutes, lorsque le ballon était
déjà dans les airs, une flamme violette apparaissait au sommet de l'ap-
pareil, puis tout fut précipité à terre, et lorsque les secours arrivèrent,
Pilâtre des Roziers venait d'expirer ; il avait alors 28 ans et demi.
Ballon de Napoléon r\ — Je n'ai pas , Messieurs, le dessein de
suivre en détail l'hitoire des nombreuses ascensions que tout le monde
voulut dès lors exécuter , je parlerai seulement des plus saillantes.
Pendant longtemps, et actuellement encore, les expériences des bal-
lons servirent dans les fêtes publiques. L'une des ascensions les plus
célèbres à cet égard est celle qui eut lieu à l'époque du couronnement
de Napoléon Y'. Le 16 décembre 1804, un ballon garni de 3,000 verres
de couleur s'éleva de la place Notre-Dame et disparut rapidement aux
applaudissements de la population parisienne. Le lendemain, à la pointe
du jour, quelques habitants de Rome apercevaient au-dessus de la
coupole du Vatican un point brillant , c'était le ballon lancé la veille
du parvis Notre-Dame, et que, par le plus extraordinaire des hasards,
le vent avait porté à Rome en quelques heures. Ce qui ajouta au mer-
veilleux de l'événement, c'est qu'en touchant la terre dans la cam-
(1) Marion. — Les Ballons.
- 37 -
pagne de Rome, le ballon s'était accroché aux restes d'un monument
antique, le tombeau de Néron. Pendant quelques minutes, on put
croire qu'il avait terminé sa course , mais bientôt poussé par le vent ,
il avait continué sa route, laissant toutefois à l'angle du monument
uue partie de sa couronne. Les journaux italiens, qui n'étaient pas sou-
mis à une censure aussi rigoureuse que les feuilles françaises, racon-
tèrent innocemment la chose; certains y ajoutèrent toutefois des
réflexions malicieuses , désobligeantes pour l'empereur. Enfin , cela
vint aux oreilles du maître, on alla jusqu'à en parler un jour devant
lui, à un de ses levers. Napoléon témoigna liautement son méconten-
tement et demanda avec humeur qu'il ne fut plus question de celui qui
avait lancé le ballon, et qui se nommait Garnerin,
L'aéronaute dont il s'agit avait fait, cependant , une invention assez
audacieuse : je veux parler du parachute . C'est , vous le savez , une
sorte de parapluie, muni à sa partie inférieure d'une nacelle dans
laquelle se place le voyageur. Lorsque le ballon est dans les airs,
l'aéronaute placé dans cette nacelle coupe la corde qui le relient à
l'aérostat; le parachute s'étale, offre à l'air une grande résistance, ce
qui ralentit considérablement, la descente. Garnerin fut donc le pre-
mier qui, à la ijauleurde 300 mètres, osa se précipiter ainsi à terre :
« Je laisse, dit-il, aux témoins de cette scène, le soin de décrire l'im-
pression que fit sur les spectateurs le moment de ma descente en para-
chute. Il faut croire que l'intérêt fut bien vif, car on m'a rapporté que
des larmes coulaient de tous les yeux, et que des dames , aussi inté-
ressantes par leurs charmes que par leur sensibilité , étaient tombées
évanouies. »
Voyages scieniifiqueR. Gay-Lussac. — Bien que les ballons
fussent connus depuis longtemps, les sciences n'en tirèrent d'abord
aucun profit. C'est en 1804 seulement que s'accomplit le premier
voyage scientifique. L'Académie confia cette délicate et dangereuse
mission à deux physiciens encore jeunes, mais déjà célèbres parleurs
remarquables travaux, à Gay-Lussac et à Biot. Parti , le 14 septembre
1804. des jardins du Conservatoire des Arts et Métiers, Gay-Lussac
s'éleva jusqu'à la hauteur de 7,000 mètres. Il fit avec un calme admi-
rairable toutes ses observations , et lorsqu'elles furent terminées , il
redescendit heureusement entre Dieppe et Rouen,
Arago rapporte à cette occasion une anecdote assez curieuse qu'il
tenait de Gay-Lussac lui-même. « Parvenu à la hauteur de 7,000 met.
-38 —
« Gay-Lussac voulut essayer d'aller plus haut, et à l'effet d'alléger le
» ballon, il se débarrassa de tous les objets dont il pouvait rigoureu
» sèment se passer Au nombre de ces objets figurait une chaise
» en bois-blanc que le hasard fit tomber sur un buisson près d'une
» jeune fille qui gardait des troupeaux. Très grand étonnement de la
» bergère, car le ciel était pur, le ballon invisible ! Que penser de la
» chaise, si ce n'est qu'elle provenait du paradis? A cette conjecture
» on ne pouvait opposer que la grossièreté du travail : les ouvriers ,
■» disaient les incrédules , ne pouvaient être là-haut si inhabiles ! La
» dispute en était là, lorsque les journaux en publiant les particularités
» du voyage de Gay-Lussac, y mirent fin, en rangeant parmi les effets
» naturels ce qui jusqu'alors avait paru un prodige. »
Catastrophe du 15 Avril 1875. — Depuis cette époque, les ascen-
sions entreprises dans un but scientifique se multiplièrent de plus en
plus ; on doit citer les noms de Flammarion, des frères Tissandier,
mais toutes ne furent pas également heureuses. En effet , lorsqu'on
s'élève ainsi dans latmosphère à des hauteurs de 7 ou 8000"" on ne
tarde pas à ressentir des effets physiologiques souvent très graves,
connus sous le nom de « mal des montagnes ». La respiration devient
de plus en plus pénible ; les pulsations du cœur plus fréquentes,
comme si cet organe s'efforçait de suppléer au manque d'oxygène par
la rapidité de ses fonctions : les tissus se gonflent sous l'action d'une
pression intérieure devenue prédominante , la face paraît plus grosse,
les lèvres épaisses et noires : puis la paralysie survient : elle se prend
aux jambes, aux bras, aux muscles du cou: la tête tombe, on est dans
l'impossibilité matérielle d'agir, de soulever même le doigt pour éviter
la mort.
Telles étaient les dangereuses observations recueillies par les aéro-
nautes qui s'étaient élevés à la hauteur moyenne de 8000'". Des expé-
riences de M. Bert, avaient permis de reculer cette limite, il avait fait
construire, à cet effet, une enceinte assez vaste pour qu'on put y
enfermer plusieurs personnes : on les introduisait par une porte qui se
fermait hermétiquement, et on les observait par des fenêtres, à travers
lesquelles, ils pouvaient à leur tour, communiquer par écrit avec l'ex-
térieur. En raréfiant l'air, comme cela arrive dans les ascensions,
M. P. Bert voyait naître et se développer les phénomènes que nous
venons de décrire, mais en introduisant dans cette enceinte, ce gaz
qui, dans lair, entretient la respiration et qu'on appelle l'oxygène, et
-39-
en diminuant progressivement la proportion de ce gaz inutile et sans
action, qu'on appelle l'azote, M. P. Bert, reconnut avec satisfaction que
les animaux continuaient à vivre. M. P. Bert se soumit lui-même à
l'expérience, et il déclare n'avoir rien ressenti d'insolite dans un air
aussi rarifié ; il aurait même poussé plus loin l'expérience, si les prépa-
rateurs effrayés de la responsabilité ne s'étaient décidés, en le trom-
pant, à laisser rentrer l'air, et à lui ouvrir sa prison.
Voyage de Sivel et Crocé-Spinelli. — Encouragés par ces résul-
tats, et voulant encore reculer la limite des ascensions, trois hommes
courageux, Sivel, Crocé-Spinelli et Gaston Tissandier s'élevèrent à
une grande hauteur, environ 7,500™, emportant avec eux 150 litres
d'oxygène, gaz qu'ils devaient respirer, dès qu'ils ressentiraient les
premières atteintes du « mal des Montagnes ». Mais cette quantité
d'oxygène était insuffisante, et c'est là ce qui causa leur perte; car,
résolus à braver tous les dangers, ils avaient décidé de n'employer
l'oxygène, que dans le cas de nécessité absolue, et lorsqu'ils voulurent
recourir au remède, il n'était plus temps; leurs bras étaient paralysés.
Vous savez ce qui arriva. M. Tissandier se rappelle, au bout d'une
heure de sommeil léthargique, avoir vu ses deux amis évanouis, au
fond de la nacelle ; quelques temps après, Crocé, qui s'était réveillé,
jette par dessus bord, les instruments, les couvertures, sans qu'on ait
pu savoir à quelle ivresse il obéissait. Le ballon s'éleva une à hauteur
inconnue, et quand enfin, il redescendit, et que Tissandier fut revenu
de son évanouissement, ses deux amis étaient sans vie ; Sivel et Crocé
avaient la figure noircie, les yeux ternes, la bouche ouverte et remplie
de sang.
Un tel malheur suscita la compassion publique, et une souscription
qui dépassa 100,000 fr. permit d'élever un monument digne de leur
courage, à ces deux martyrs delà science; à ces deux hommes, qui,
selon l'expression du Président de l'Académie des Sciences * étaient
tombés au champ d'honneur ! »
Tentatives anciennes pour diriger les hâtions. — J'arrive mainte-
nant. Messieurs, aux tentatives faites pour se diriger dans les airs, idée
qui est pour ainsi dire aussi ancienne que le monde. La mythologie, en
effet, est remplie de légendes à ce sujet. Vous connaissez l'histoire de
Dédale, fuyant la colère de Minos, et se sauvant avec son fils Icare,
à l'aide d'ailes de sa construction, qui lui permirent de traverser les
airs.
- 40 —
Les ailes étaient, paraît-il, soudées à la cire: l'imprudent Icare
s'étant élevé trop haut, fut atteint par un rayon de soleil qui fondit
cette cire , et le précipita dans la mer, auprès d'une petite île, qui
depuis se nomma Icarie.
Je citerai seulement au IV siècle, l'histoire d'un contemporain de
Platon, Archytas de Tarante, qui avait fabriqué, dit-on « une colombe
de bois qui volait ; mais, ajoute naïvement le chroniqueur, qui ne se
relevait plus quand elle venait à tomber. »
Sans nous attarder dans ces légendes , nous arriverons donc rapi-
dement à l'époque de Montgolfier. A peine inventés, les ballons furent
rais en usage dans les guerres de la révolution. Vous savez, eu effet,
qu'un ballon captif, s'élevant au-dessus des hauteurs de Fleurus,
malgré les balles ennemis, fit connaître aux Français les mouvements
des Autrichiens, et fut, pour nous, d'un grand secours dans le succès
de cette belle journée.
Ballons du siège de Paris. — Depuis, ces tentatives ne firent que
se multiplier, jusqu'à la guerre de 1870. On comprit pour la première
fois pendant le siège de Paris, l'importance des ballons libres. Un grand
nombre de messagers, risquant leur vie, allèrent au-delà des lignes
prussiennes, porter en province des nouvelles de Paris. Mais toutes
ces expériences n'étaient pas sans danger : sans parler des inconvé-
nients qui pouvaient résulter des projectiles ennemis, il fallait, dans
les hautes régions, où l'on devait se tenir, résister au froid : on ne
pouvait emporter de feu, à cause de Tinflammabilité du gaz d'éclai-
rage ; pour chauffer leurs aliments, les aéronautes avaient recours à
la chaux vive, qu'ils humectaient d'eau, ce qui, vous allez voir, produit
une quantité de chaleur, suffisante pour porter l'eau à l'ébullition. Il
fallait aussi tenir compte des courants d'air, qui entraînaient les aéros-
tats ; plusieurs furent entraînés du côté de l'Océan, où il fut impos-
sible de leur porter secours ; d'autres allèrent attérir soit en Allema-
gne, soit en Suède on en Norwège.
Voyage de M. Rolier en Norwège. — Parmi ces nombreux voyages
du siège de Paris, l'un des plus remarquables est celui de M. Rolier.
— « Le 24 novembre 1870. M. Roher, accompagné d'un franc-tireur
s'éleva de la gare du Nord à minuit, par un vent violent et par un ciel
sombre : les voyageurs allaient être entraînés, sans s'en douter, à une
altitude de 2,000"" par un courant aérien d'une vitesse peu commune.
- 44 -
Leur ballon allait, en effet, en 15 heures, traverser le Nord de la
France, la Belgique, la Hollande, la mer du Nord, et une partie de la
Norwège pour aller échouer au mont Lidd, à 300 k. au Nord de Chris-
tiania.
» Après avoir passé la nuit au milieu des ténèbres, les voyageurs
virent les vapeurs atmosphériques, qui les enveloppaient, se dissiper
au lever du soleil. Mais leur stupéfaction fut immense, quand ils
s'aperçurent que le vent les avaient poussés à la surface de la mer. En
effet, ils n'avaient pu se rendre compte ni de la vitesse de leur marche
ni de la direction suivie : tout ce qu'ils savent, c'est que sous leur
nacelle, c'est l'Océan , et qu'ils marchent sans doute vers le plus
effroyable des naufrages. Pendant 7 heures consécutives, ils planent
ainsi au dessus des vagues ; quelquefois, ils aperçoivent des navires,
qui leur apparaissent comme l'espoir du salut: mais leur espérance est
bientôt déçue ; car, ces vaisseaux ne sauraient, en aucune façon, venir
en aide au navire aérien, qu'entraînent toujours les courants atmo-
sphériques.
» Après plusieurs heures de voyage, M. Relier a sacrifié tout le lest
qui lui reste ; le ballon descend toujours : son compagnon et lui se
préparent à affronter la plus cruelle et la plus glorieuse des morts.
Tout à coup le ballon s'échappe du massif de vapeurs où il était enfermé
mais, ce n'est plus la mer qui s'offre aux regards des voyageurs, c'est
une montagne couverte de neige, autour de laquelle s'élève une forêt
de pins.
» L'aérostat est jeté violemment dans un champ de neige : les deux
Français sautent en même temps hors de la nacelle, et, le ballon,
allégé de leur poids, disparaît aussitôt dans les airs: on le re-
trouva plus tard, avec toutes les ^dépêches de Paris, à 40 lieues du
Mont Lidd.
» Voici donc, nos deux aéronautes, sans vivres, sans couvertures, dans
un pays inconnu : ils regardent autour d'eux ; nuls vestiges d'habita-
tions humaines ne s'ofirent à leurs regards ; cependant, descendant la
montagne escarpée, ils traversent la forêt qui les environne, et ren-
contrent une cabane abandonnée où ils passent la nuit. Le lendemain ,
après de nouveaux voyages, ils arrivent enfin dans un village, où un
paysan, leur explique, non sans peine, le mot de l'énigme : ils appren-
nent enfin ou le vent les a jetés. »
Les Norwègiens firent aux voyageurs du siège de Paris, un magni-
fique et touchant accueil. Quand les aéronautes arrivèrent à Christiania
-42-
la ville entière fut soulevée par l'enthousiasme! c'étaient des diners,
des fêtes, des ovations sans cesse renouvelées : le soir, quand ils ren-
traient chez eux , les deux Français voyaient défiler sous leurs fenê-
tres des étudiants qui chantaient des airs nationaux. Un jour, des
femmes du peuple se présentèrent devant eux, tenant leurs enfantspar
la main : « Bénissez ces enfants, disaient-elles, afin que plus tard, ils
soient braves comme vous. (1) »
Partout oii passaient les aéronautes, la foule les acclamait aux cris
de « Vive la France ».
« 11 est impossible, raconte M. Rolier, qui a donné tous ces détails,
» de se figurer l'impression que produisait sur nous le cri de « Vive la
» France » lancé au-delà des mers, par des populations sympathiques
» à nos malheurs. Dans notre isolement, c'était une consolation de
» senlir qu'il y avait encore quelques coins dans le monde, où l'on
» pouvait compter sur des vœux sympathiques et désintéressés. »
Mais s'il était relativement facile de sortir de Paris, en ballon, U
était beaucoup plus difficile d'y rentrer ; car il est matériellement im-
possible de partir d'un point éloigné, avec la certitude de passer au-
dessus de Paris, et d'y attérir au miheu des rues. Force était donc de
se résigner à l'emploi de pigeons voyageurs, porteurs de correspon-
dances microscopiques, que l'on amplifiait ensuite par des procédés
spéciaux.
C'est alors qu'un savant ingénieur. M. Dupuy de Lôme, se mit à
l'œuvre: il fit un ballon, allongé en forme de cigare, pour diminuer la
résistance de l'air. Ce ballon était muni d'une héhce, dont le mouve-
ment communiquait à l'appareil un déplacement perpendiculaire à celui
du courant qui l'entraînait : le ballon prenait dès lors une direction
intermédiaire. Malheureusement, quelque diligence qu'on ait faite, la
machine n'était pas terminée avant la capitulation, et l'essai fut fait
seulement le 2 février 1872.
Ballons dirigeables. — Expériences du mois d'août 1884. — Cette
expérience fit voir que la solution du problème se réduisait à armer la
machine de Dupuy de Lôme , d'un moteur léger et puissant. Une l*"*
expérience fut tentée avec succès au mois d'octobre 1883, par les deux
frères Tissandier, qui avaient armé leur ballon d'un gouvernail et d'une
(1) G. Tissandier.
- 43 _
hélice, mue par un moteur électrique, analogue à celui que nous
avons ici.
La question venait ainsi de faire un nouveau pas : aussi au mois
d'août dernier, M. Hervé Mangon, de l'Institut, faisait savoir à l'Aca-
démie des Sciences , qu'un ballon véritablement dirigeable s'était
élevé dans les airs à Meudon, qu'il avait suivi un itinéraire fixé d'avance
et qu'il était revenu prendre terre, au point même d'où il était parti.
« Cent ans après la découverte des frères Montgolfier, disait
M. Hervé Mangon, deux officiers français, MM. Renard et Krebs, ont
eu l'honneur de réaliser les premiers un aérostat dirigeable, et d'assu-
rer à notre pays la gloire de la solution d'un problème, regardé si
longtemps comme insoluble. »
Conclusion. — En présence de tous ces résultats , on peut se
demander, Messieurs, quel avenir est réservé aux ballons. Certaines
personnes n'ont voulu voir en eux que des instruments de carnage :
« Se figure-t-on, disent-elles, le sort des habitants d'une ville assiégée,
sur laquelle un ballon viendrait chaque jour, verser une pluie de dy-
namite!! » D'autres, beaucoup plus pacifiques, voient dans les ballons
un mode de transport et de voyage, et pensent ainsi réaliser la fiction
ingénieuse du livre intitulé « Cinq semaines en ballon. »
Sans se prononcer pour l'une ou l'autre de ces deux alternatives,
peut-être vaut-il mieux conclure par ce proverbe, vrai surtout, quant il
s'agit de découvertes scientifiques :
« Il ne faut jurer de rien. »
C'est, d'ailleurs, et sans une autre forme, la conclusion exprimée
jadis par Franklin, lorsqu'il assistait au départ du premier ballon,
conclusion qui sera celle de cette causerie : « A quoi peuvent servir
les ballons, lui demandait un de ses voisins ? » Et le philosophe Améri-
cain de répondre : « A quoi peut servir l'enfant qui vient de naître ? »
LUle.le20Mail881.
- 44
NOUVELLES ET FAITS GÉOGRAPHIQUES
I. — Géographie scientifique. — Explorations et découvertes.
ASIE.
Résultatfs srientiflque^i du Toyage <lc 11. J. llartin daus la
Sibérie orientale. — Une très intéress^aiite exposition des collections qu'a
rapportées , de son nouveau voyage dans la Sibérie orientale, M. Joseph Martin ,
dont nous avons dernièrement annoncé le retour en France, vient d'être ouverte au
palais du Trocadéro.
Envoyé pour la seconde fois sur les rives de la Lena , afin d'y étudier les nom-
breuses mines en exploitation , M. Martin entreprit, comme nous l'avons dit , de
parcourir cette fois la vaste contrée inexplorée comprise entre cette rivière et le
fleuve Amour.
Le voyage de notre compatriote , qui a duré cinq ans , a donné des résultats très
importants : ses relevés topographiques permetti'ont dorénavant de rectifier les
cartes antérieures de la Sibérie orientale, toutes fautives , de préciser l'orographie
des bassins de l'Oleckma, de la Zéa et de l'Amour , et font connaître la configxi-
ration exacte d'une partie de la chaîne des monts Stanovoï. Les collections de bota-
nique, zoologie, géologie, minéralogie, d'ethnographie et d'échantillons commerciaux
qu'il a apportées , enrichiront nos musées de pièces rares et d'espèces nouvelles.
Plusieurs peuples se partagent la Sibérie orientale , ce sont les Tschouktchis , les
Yakoutes , les Toungouzes . les Mandchous et les Ghilaks. Les régions de la Lena
et des monts Stanovoï, visitée:^ par M. Martin, sont peuplées presque exclusivement
par des Yakoutes et des hordes Toungouzes , et c'est auprès d'eux qu'il a recueilli
les pièces les plus importantes de la collection ethnographique.
Pendant son séjour parmi les Toungouzes , et au cours de sa longue exploration
en compagnie de plusieurs familles indigènes , M. Martii a eu l'occasion d'assister
plusieurs fois à des cérémonies religieuses de ces peuples encore adonnés au chama-
disme , — culte qui disparaît rapidement depuis que les Russes proscrivent et pour-
suivent à outrance ceux qui s'y adonnent , — et a pu ainsi se procurer un costume
complet de sorcier ou Ghamane Toungouze qui figure dans l'exposition. C'est le
premier que l'on ait rapporté en Europe , et le musée de Moscou lui-même n'en
possède pas ; il est destiné à enrichir le musée d'ethnographie du Trocadéro.
Rien n'est plus étrange que cet accoutrement à la fois misérable et prétentieux ,
composé de pièces disparates associées les unes aux autres. 11 se compose d'une
grande robe en peau de renne tannée et d'une tunique semblable soutachée d'ara-
besques en peau teinte et bordée d'une frange de lanières de cuir ; partout
pendent de longues bandes d'étoffes différentes ou de peau , auxquelles sont fixées
quelques queues et dépouilles d'animaux et un grand nombre de figurines gros-
sièrement découpées dans des plaques de fer poli et travaillé à la forge , qui
représentent des rennes, des poissons et des animaux de toutes sortes auxquelles
ils attachent un caractère sacré, des plaquettes de cuivre, des grelots et autres bibe-
— 45 —
lots qu'ils ont pu se procurer sur les frontières mongoles. Sur la poitrine, tombe un
plastron en cuir recouvert , comme le reste du costume, de ces amulettes. Gomme
chaussure , des bottes en peau. La tète est abritée sous une calotte en drap de
diverses couleurs , soutenue par une carcasse en lames de fer qui supporte une pièce
de fer représentant des cornes de renne ; des morceaux de peau de cet animal sont
enchevêtrés dans les branches. Cette coiffure maintient , en l'appuyant sur le front ,
un masque grossier en cuivre rouge battu et qui complète bien l'ensemble de ce
costume sauvage et grotesque.
Le principal instrument de culte des Chamanes est le tambour magique , qui leur
sert à s'accompagner dans leurs chants et leurs danses et à étonner les esprits , en
complétant par un bruit sourd et sonore l'horrible cliquetis de toute la ferraille qui
recouvre leurs vêtements. La forme de cet instrument caractéristique n'est pas iden-
tique chez, tous les peuples adonnés au chamanisme ; celui rapporté par M. Martin
est formé d'une peau tendue sur une membrane de bois, de forme ovoïde , au moyen
de sortes de chaînes en fer forgé. Il est orné de peintures rouges et bleues formant
bordures , représentant des l'ennes et divers sujets , et on le fait vibrer avec un
battoir courbe en os , recouvert d'un côte de peau avec son poil et dont le manche
figure une tète de renne. 11 diffère sensiblement des objets analogues provenant
d'autres peuples chamaniques qui existent déjà dans les collections du musée
d'ethnographie du Trocadéro,
Celui des Lapons , de dimensions un peu moindres , orné de figures plus compli-
quées, et qui représentent, outre des rennes, des profils de tentes, de croix ou swas-
tikas , etc. , est constitué , tantôt par un bloc de bois creusé avec une traverse de
même substance , tantôt par un cercle de bois mince avec des tendeurs en cordes de
boyaux. Le battoir est un petit marteau en os de la forme d'un T, auquel sont suspen-
dues des pendeloques de métal. Le prêtre , lorsqu'il veut tirer un horoscope , finit
par le laisser tomber sur le tambour , prétendant lire dans les signes touchés pai" la
pendeloque ou le marteau , la réponse aux questions qui lui sont posées . et qui ,
presque toujours , sont relatives aux rennes malades ou égarés. Enfin , le tambour
des Tschouktchis se réduit à un petit cercle de bois emmanché , couvert d'une peau
d'intestins de poisson et muni, en guise de baguette, d'un éclat de fanon de baleine.
Les cérémonies du culte des Touiigouzes sont jusqu'ici restées à peu près incon-
nues , aucun voyageur ne les ayant étudiées spécialement. La publication par la
maison Hachette du grand ouvrage de M. Martin sur son voyage , dont l'apparition
est attendue avec impatience par les ethnographes , jettera certainement beaucoup
de lumière sur cette question. Les seuls renseignements que nous ayons à ce sujet
sont fournis pai" un article, publié en russe, à propos des recherches du même voya-
geur, dans un journal illustré de Pétersbourg.
Un des hommes de l'escorte étant mort , le plus ancien Toungouze , raconte notre
confrère, revêtit les insignes religieux pour célébrer les obsèques. Le corps du défunt
fut placé près d'un grand feu autour duquel tout le monde se tenait debout , faisant
entendre des chants qui se terminèrent par des plaintes, des pleurs et des cris , tan-
dis que le prêtre, frappant sur son tambour, appelait les bons génies, et conjurait les
démons. Le Chamane s'adresse avec une éloquence véhémente aux divinités des
eaux et des airs, à la petite rivière , à la grand'mère montagne , objurgue tous les
animaux, la lune , le soleil et les étoiles. Il invoque aussi le chef des méchants
hénies : « Et toi , Chandaï , Satana des Satana , vieux comme les pierres et dur
comme elles , ne maltraite pas notre frère » ; puis il jette en l'air du beurre et de
l'alcool , en arrose le feu , répand du lait de rennes , pour remercier les dieux et
apaiser les démons. Alors commence l'ensevelissement. On place le corps dans un
tronc d'ai'bre et, à ses côtés, tous les instruments de chasse et les idoles qui lui ont
— 46 —
appai'tenu de son vivant. Le cercueil est juché sur une cliarpeute à quelque^; mètres
du .sol, et en s'éloignant, chaque Toungouze marque avec sa hache , en passant , un
signe sur le tronc qui le soutient.
Ce n'est pas seulement lorsqu'un des leurs meurt, mais à l'occasion de tous les
actes de la vie, que ces peuplades recommencent les mêmes invocations. Les nais-
sances, les maladies , le retour des saisons , la mort d'un animal sacré , tel qu'un
ours , le départ pour uu voyage, le passage d'un torrent , tout pour eux est un motif
de conjuration. Ils poussent la superstition si loin, que les guides toungouzes s'oppo-
saient absolument , non seulement à ce que M. Martin emportât les crânes humains
trouvés dans les tombes anciennes, mais même à ce qu'il prît les têtes et les pattes
des animaux tués à la cha' se. prétendant qu'il fallait absolument attacher ces osse-
ments, enfermés dans un morceau de peau , aux branches élevées d'un arbre , et les
y abandonner, sous peine d'attirer sur la caravane les plus grands malheurs. On
peut juger par ce seul fait des difficultés auxquelles se heurte un voyageur lorsqu'il
veut former des collections zoologiques dans un pareil pays.
Malgré ces obstacles , M. Martin est parvenu à réunir une série très importante
d'idoles , grossières statuettes de bois noirci par le temps , munies d'yeux de verre ,
habillées de fragments de peau , ornées de mâchoires de rennes sauvages. L'une
d'elles est une divinité phallique. D'autres , plus informes encore , sont de simples
morceaux' de bois surmontés de deux pointes , qui ont l'intention de symbolyser les
bêtes à cornes, et servent à la fois de fétiches et de jouets d'enfants.
La collection de M. Martin comprend également un certain nombre de vêtements ,
objets divers et idoles yacoutes.
Les Yacoutes , qui habitent à l'ouest des Toungouzes , sont en générad plus civi-
lisés que leurs voisins, et l'influence russe a changé plus profondément leurs mœurs.
Certai.ies tribus , habitant des districts éloignés , n'en sont pas moins encore très
fanatiques , et ont conservé leur ancien culte et leurs dieux. Elles ont , raconte
Billings, tout un panthéon de divinités : Aar-Toyon, l'auteur de la création ; Koubey-
Khatoum , sa femme ; Ouchyst , qui , disent-ils , a souvent paru parmi eux , tantôt
sous la forme d'un cheval blanc, tantôt sous celle d'un oiseau ; Ghessougoï-Toyon ,
leur protecteur spécial ; puis des esprits malfaisants , infiniment nombreux , divisés
en trente-cinq tribus , auxquelles ils offt'ent incessanmient des sacrifices et des
prières. Convaincus qu'ils sont d'être en état de démonocratie , c'est-à-dire sous
l'influence immédiate des esprits malfaisants , c'est à ceux-ci surtout que s'adresse
leur culte, exercé , comme chez les Toungouzes , par l'intermédiaire de Ghamane et
sous une forme similaire.
En outre du soin de leurs troupeaux de rennes et de chevaux , leurs principales
sont la chasse et la pèche qui leur procurent la noui'riture , des vêtements et des
peaux dont ils font un important commerce avec les colons russes. Ils ne craignent
pas d'attaquer l'ours avec un épieu à gros manche, armé d'une lame aiguë très lai'ge
et épaisse. Pour s'emparer des petits animaux à fourrure, martres , zibelines , etc.,
ils ont des pièges très ingénieux. M. Martin en a rapporté plusieurs spécimens.
Leur instinct nomade est poussé à un tel point , qu'ils ne veulent pas rester plus
de six jours à un même endroit , et qu'ils transportent malgré tout leurs tentes , ne
fût - ce qu'à une trentaine de mètres , prétendant que leurs yourtes , au bout de ce
temps, prennent une odeur malsaine et désagréable. M. Martin a eu souvent occa-
sion de rencontrer des métis de Toungouzes et Yacoutes et de Toungouzes et
Tschouktchis. Dans certaines localités, les mélanges de sang ont été tels, qu'aujour-
d'hui les résidents russes eux - mêmes ne peuvent plus discerner , d'après les traits
d'un indigène , à quelle race il appartient.
L'exposition de M. Martin comprend, comme nous l'avons déjà dit, une très belle
- 47 -
collection do uiinéralogif! formée d'environ treize cents échantillons des rochers ut
des minerais appartenant aux terrains qu'il a traversés et étudiés. Déjà, à son pre-
mier voyage , il avait rapporté une série importante de minéraux des rives de la
Lena et de la Transbaïkalie , qui a fourni à M. Vélain , directeur du laboratoire des
hautes études de géologie à la Sorbonne , les matériaux d'un ménioin; de la plus
grande importance qui a éclairci bien des points obscurs de la géolojiie de i-es
contrées et fait connaître plusieurs espèces absolument nouvelles. M. Vélain va
pouvoir continuer et compléter ses recherches.
Il n'a guère été plus aisé de former cette collection de géologie que celles d'ethno-
graphie ou d'histoire naturelle. M. Martin a eu , en effet, h lutter contre le mauvais
vouloir de ses porteurs, qui jetaient en cachette les pierres qu'il ramassait, et
lorsqu'il s'en aperçut, lui répondirent qu'il trouverait sur les bords de l'Amour autant
de cailloux qu'il le voudrait, sans leur donner la peine de les porter si loin!
L'étude des documents variés apportés par ce voyageur , offre un vif intérêt
d'actualité, en ce moment où l'attention de l'Europe est attirée sur les possessions
russes d'Asie. Elle nous fait mieux connaître , en effet , l'importance commerciale et
politique d'une contrée appelée sans doute à jouer un grand rôle par suite de sa
proximité avec la Chine , qu'elle limite sur une grande étendue , et de ses ports
mmenses et sûrs , libres de glace la plus grande partie de l'année, qui sont les seuls
que l'enipire russe possède sur l'Océan.
ller^V. — D'après un article du Journal de Saint-Pétersbourg, la nouvelle ville
de Merv , fondée récemment par les Russes . comprend actuellement 2,000 à
3,000 haliitants, dont la plus grande partie se compose d'employés et d'ouvriers
attachés au chemin de fer, et la plus petite d'une foule disparate de colporteurs
(Arméniens , Persans , Buchares , etc.) , parmi lesquels on rencontre des figures
étranges, des gens d'aspect bizarre venus de tous les coins du monde. La ville, qui
est en voie de formation , se trouve sur la rive gauche du Murghab, la forteresse est
élevée sur la rive droite. Les deux rives sont réunies par le pont du chemin de fer,
qui sert également de passage aux chariots et aux piétons. Une fois par semaine,
il se tient un marché en pleins champs devant le fort. Cependant, on ne peut espérer
un avenir brillant pour la nouvelle ville , car le climat est des plus malsains pour
les pjuropéens , si bien que dans tout le pays , à l'exception de Pendsch-Deh , on ne
trouve autant de malades qu'à Mervv.
l*rogrès des explorations russes claus l'Asie septeutriouale.
MM. Potanine . Skassy et Bérésofsky sont de retour de leur expédition en Chine et
on Mongolie; ils en ont rapporté d'immenses collections anthropologiques, zoologiques
et botaniques , et des cartes détaillées des contrées qu'ils ont parcourues pendant
leur voyage de trois ans. M. Tchersky, un ancien exilé de Sibérie, vient de publier à
Saint-Pétersbourg sa carte géologique des bords du lac Baïkal, avec une brochure
explicative. C'est un excellent ouvrage , qui ajoute beaucoup à nos connaissances
géographiques sur ce vaste bassin , ajourd'hui le mieux connu de tous les lacs de
l'Asie, grâce à ces travaux , à ceux des prédécesseurs de MM. Tchersky , Dybowski
et Godlefsky, et à ceux de l'éminent naturaliste , le docteur Radde. — M. Krasnof ,
l'éminent botaniste et géographe , à son retour de Saint-Pétersbourg de son voyage
dans le Thian-Shan et le Turkestan chinois, a fait une lecture des plus intéressantes
sur le bassin du Balkash et la géographie physique de l'Asie centrale. — La Société
de géographie russe continue à s'occuper du dessèchement des lacs de la Sibérie.
M. Tadrintzoff a exposé à la Société la nécessité de faii-e à ce sujet de nouvelles
— 48 -
recherches. Un coiuité a été nommé pour s'occuper de la question, et il est probable
qu'une expédition sera envoyée pour l'étudier sur les lieux.
Les Mittheilungen de Gotha résument comme suit les résultats des explorations
de M. Potanine :
Le 11/23 octobre 1886 , M. Potanine est revenu à Kiachta, de l'expédition (ju'il
avait entreprise avec le topographe Skassy et le naturaliste Beressowski dans la
Mongolie méridionale ; Beressowski seul prolonge encore son séjour , pour complé-
ter pendant l'été ses collections. Potanine avait quitté le 13/25 juin la ville de Gastai,
au N. du Koukou-nor, et avait croisé l'Obi , du sud au nord , par une route encore
inconnue ; il put se rendre compte ainsi que la continuation S.-E. de l'Altaï, se com-
pose de quatre chaînes parallèles , dont une seule avait été explorée en 1878/79 par
Pewzow. Potanine a fait à la Société impériale russe de géographie une relation
détaillée de ses dernières excursions dans les régions du Koukou-nor. Le 22 avril ,
les voyageurs étaient arrivés à Koukou-nor ; ils remontèrent le fleuve Ghargi et
croisèrent aux environs de sa source la route que Prjevalsky avait faite en 1872. En
traversant la région montagneuse qui sépare le bassin du fleuve Jaune des plaines
de la Mongolie méridionale , ils constatèrent que le système du Nan-chan y était
plus compliqué que la partie située du côté de Ljantcheu. Cette dernière partie ne se
compose que de deux chaînes , entre lesquelles s'étend la vallé du Daitoung-tche ,
tandis que l'autre est formée par trois chaînes séparées par deux vallées. Dans l'une
de ces vallées, le Daitoung-tche coule vers l'est, dans l'autre, le Jedsin, vers l'ouest,
et le Bardoun vers l'est ; toutes deux se réunissent au pied du couvent de Pabor-
tassy, situé à la hauteur de Hantcheu. Les cols de ces trois chaînes sont tous situés
à la même hauteur de plus de 3,900 mètre ; les vallées sont aussi toutes deux à 3,000
mètres, et ce n'est qu'à deux endroits qu'on les trouva à un niveau moindre. De la
vallée du Daitung-tche, habitée par les Tangoutes de la race des Arig , la route con-
duit au col Rdoussoug, le plus haut des trois, et de là en redescendant vers les
sources du petit Rdoussoug, un affluent de gauche du Jedsin. Le cours supérieur de
ce dernier est bordé, sur les deux rives , de hauts plateaux formant un vaste steppe
borné au nord par les monts Pabaoschan. C'est au petit couvent de Pabor-tassy ,
situé à une hauteur de 2,400 mètres sur le Jedsin, que finit le pays des Arig, et c'est
un peu plus à l'ouest que commence celui des Schira-jegoures. Deux routes mènent
de Pabor-tassy à Hantscheu ; la première franchit la montagne vers le N.-E. et
passe par la petite ville de Nangotscheu , l'autre remonte simplement le Bardoun.
C'est cette dernière que choisit l'expédition , mais l'épuisement des chameaux la
força à se diriger vers le col de Caldsin-dabau , quoique la vallée du Bardoun s'élar-
gît et devint plus praticable au-dessus du confluent de la Schouktscha qui vient du
sud. On atteignit le Galdsin-dabau le 22 mai. En descendant le Tachity , on atteint
une plaine et de là, en amont du Lagi, le col de Dagen-dabau, sur le côté nord duquel
se trouvent les sources du Charar-gol. Autour du Gharar-gol supérieur s'étend un
vaste plateau dans lequel les torrents qui se jettent dans le Doussyr, notamment
l'Irgylyn, le Rgam, le Gsdym, ont creusé de profondes vallées. Au sortir de la région
montagneuse, le Doussyr se jette dans le Jedsin. On atteint le Doussyr en suivant
la vallée desséchée du Bajan-gol qui rejoint le Doussyr à 9 kilomètres en amont de
la ville de Li-juan-in , encore située dans la région montagneuse à 22 kilomètres
environ du village de Schachi. Schachi est situé dans la plaine , sur la grande route
de Hantcheu à Ssutcheu. Les Jegoures sont un peuple que M. Potanine, le premier,
fait connaître à l'Europe. Ils habitent le versant septentrional de la chaîne de mon-
tagnes qui suit la rive gauche du Bardoun. Leurs pâturages s'étendent depuis la
rive gauche du Jedsin, en dessous de Pabor-tassy, jusqu'à la ville de Kaerne, située
au sud de Ssutcheu. Tout l'itinéraire des voyageui's a été établi par des mesurages
- 49 -
exacts. Sept points ont été fixés au moyen d'observations astronomiques: Goum-
boum, Ssinin, l'embouchure du Artclia ten-gol dans le Koukou-nor, Nagatcher dans
la vallée du Bardoun , Li-juan-in et deux points sur les fleuves Daitoung-che et
Rdoussoug-tchjou.
l<:thnograpliic «Se l'A^Nain (Hindonsfan). — Le major C. R. Mac-
gregor a lu à une des dernières séances de la Société royale de géographie de
Londres , un(> intéressante relation du voyage qu'il a fait avec le colonel R. G.
"Woodthorpe dans l'Assam supérieur, au source de l'Iraouadi. Nous en extrayons
les détails suivants sur l'ethnographie de ces régions :
Quatre peuplades principales habitent les parties de l'Assam situées entre Sadiya,
sur le Brahmapoutre, et l'Iraouadi supérieur ; c'est d'abord les Kamptis , originaires
de la Chine ; ils sont boudhistes, mais leurs relations constantes avec leurs voisins
qui sont adorateurs de l'esprit , ont légèrement modifié leur religion. Ils ont beau-
coup d'affinité avec les Siamois, tant dans le langage que dans la religion, les usages
et l'habillemeut.
Les Sinphos ou Kakhyens appartiennent à la race tibétaine. Ils conservent une
tradition sur le déluge qui n'atirait épargné qu'une seule famille , protégée par un
esprit, au sommet d'une montagne. Cette famille , les Singphos , aurait repeuplé la
terre. Leur langue est des plus difficiles à prononcer pour les Européens , à cause
des combinaisons de consonnes. Le genre des noms de choses ou d'animaux est
marqué d'une façon singulière ; la première syllaLe du mot est retranchée et l'on
ajoute Zà pour le masculin , ri pour le féminin. Ainsi s/iirown^ , un tigre sans dis-
tinction de genre ; roicglà^ un tigre mâle ; rougvi une tigresse.
Los 'Mishinis sont un peuple actif , entreprenant , sale, d'un type liiongol , nez
écrasé, yeux obliques. Leurs cheveux sont tournés en l'air et noués au sommet de
la tête. Tant les hommes que les femmes s'élargissent les oreilles au moyen
d'anneaux en argent.
Les Nagas habitent quelques misérables villages sur le versant nord-ouest du
Patkoi. Ils sont mal habillés , souvent nus , se tatouent la face , les jambes et
les bras.
Toute la région est peu peuplée, le climat assez malsain à cause des pluies presque
continuelles.; le terrain est en général boisé. Les seules routes sont les sentiers
tracés par les troupes d'éléphants et les rhinocéros.
AFRIQUE.
\oiiTellcs de l'c^ikpéditSou Stauley au secours <!'E']uiiii-!SSey.
— Le Times a reçu de M. Stanley une lettre datée du 9 mars et écrite à bord du
steamer Maclura , en route pour le Congo, A côté d'un certain nombre de remarques
aussi malveillantes qu'oiseuses sur ses rivaux en exploration africaine, l'érninent
voyageur y donne d'intéressants détails sur ses préparatifs et ses projets. Pour-
quoi faut-il qu'il affecte toujours de considérer le continent noir comme son domaine
propre et qu'il ne sache pas rendre justice aux efforts des pionniers qui marchent
à sa conquête par d'autres routes et d'autres moj"ens ? Ce n'est pas seulement sur
le bassin du Congo que M. Stanley paraît se croire investi d'une sorte de droit
divin ; c'est sur l'Afrique entière, y compris les îles voisines. Exemple, ce qu'il dit sur
Zanzibar :
— 50 —
« J'y suis arrivé le 22 février , écrit-il, et j'y ai trouvé à l'ancre une escadre alle-
mande de six navires, sous le commandement de l'amiral Knorr. Cette escadre est là
depuis assez longtemps et compte y rester encore. Naguère , on voyait rarement les
couleurs allemandes dans les eaux de Zanzibar. Les croiseurs anglais y régnaient
sans partage. On était sûr d'y trouver en permanence quelque grand navire de com-
merce sorti de la Tamise, et entouré d'une flottille de corvettes , de canonnières, de
chaloupes à vapeur , d'eaibarcations de tout genre. Le consul général d'Angleterre
surveillait activement les intérêts britanniques, et tout annonçait le développement
croissant de notre commerce. Huit ans se sont écoulés , et en revenant à Zanzibar,
c'est une escadre allemande que je trouve à la place de l'escadre anglaise, et des
marchands allemands à la place des marchands anglais. Rien de significatif comme
le ton et les allures de ces nouveaux venus. C'est l'envahissement érigé en système.
Hautains et impérieux dans toutes leurs manières , ils semblent porter écrit au front
le mot : Il faut. Les indigènes les considèrent avec stupéfaction, le prince avec
inquiétude, et c'est vainement que les anglais affectent une superbe indifférence.
Que signifie tout cela, je le demande ?
» J'ai été si occupé depuis quelques années de ce qui touche à l'Afrique orientale,
ipje j'avais fini par perdre de vue l'Afrique occidentale, et ce changement me stupéfie.
Les Français, avec leur audace habituelle, se sont déjà frénétiquement hâtés de
pousser leur pointe vers l'Est, par la côte occidentale, pour en chasser le commerce
britannique. Les Portugais se sont bruyamment jetés vers le Nord , pour affi'anchir
l'Afrique des ladrones anglais ; et voici qu'à la côte orientale, je trouve une dispo-
sition visible des Anglo-Saxons à s'effacer devant les Teutons !... Tout cela m'ébahit.
N'ayant pas entendu dire que la Grande-Bretagne ait récemment subi soit une guerre
désastreuse, soit une calamité nationale , je ne m'explique pas cette tendance cons-
tante à céder devant les clameurs, les vantardises et les héroïsmes de carton (noise ,
bleter and mok heroics). Le fruit était mûr à Zanzibar. 11 n'y avait qu'à allonger la
main pour le saisir. Nous y avons dépensé, depuis quarante ans, cinq ou six millions
par an ; nous y avons supprimé le commerce des esclaves et porté le chiffre de nos
affaires à une cinquantaine de millions. Tout cela pour nous laisser déborder par les
Allemands ? Cela semble incroyable et l'on a peine à se défendre de quelque amer-
tume à se voir ainsi vaincu sans combat. ...»
Ailleurs , M. Stanley n'est pas moins malveillant pour d'autres tentatives alle-
mandes :
« J'ai trouvé à Aden, dit-il, le coîute Pfeil et quatre conipagnons d'aventures. Quel
est l'objet véritable de leur expédition ? Je n'en ai pas la moindre idée. Ces messieurs
appartiennent à V Association allemande de l'Afrique orientale , qui prétend possé-
der d'immenses domaines dans le continent noir. Je ne saurais dire si un seul de ses
membres connaît le nombre exact de milles carrés désigné par ses cartographes
comme constituant ce domaine africain. Je crois bien qu'il s'agit de quelque 600,000
milles carrés. Mais c'est là une évaluation très élastique ; aucun de ces Brazza alle-
mands n'hésitera jamais à ajouter quelques milliers de milles carrés à ses tptaux ,
pour faire un nombre rond. »
Les renseignements que donne AL Stanley sur ses négociations préliminaires à
Zanzibar sont d'un intérêt plus spécifique :
« A mon arrivée , dit-il , j'ai trouvé toutes choses admirablement arrangées par
notre agent , M. Mackensie , avec le concours du consul général anglais. Les provi-
sions et marchandises étaient embarquées , les auxiliaires convoqués ; il ne restait,
pour ainsi dire , qu'à me rendre à bord , après avoir toutefois réglé quelques détails
d'iuiportance , tels que nos rapport à venir avec Tippo-Tip.
« Tippo-Tip est le chef de l'escorte qui m'accompagnait en 1877 dans ma marche
— 51 -
vers le Congo. C'est aujourd'hui un bien plus gros personnage qu'à cette époque. 11
a placé en fusils et en munitions la petite fortune qu'il avait gagnée à la sueur de
son front; des Arabes d'humeur aventureuse se sont rangés sous ses drapeaux , et
c'est ainsi qu'il est devenu une sorte de roi sans couronne dans la région qui s'étend
du lac Tanganika aux Stanley-Falls. 11 commande à des milliers de guerriers endur-
cis aux fatigues et aux dangers. Si je l'avais trouvé mal disposé, mon projet était de
passer aussi loin que possible de son rayon d'action, car les nuinitions que j'emporte
pour Émin-Pacha deviendraient un immense péril pour notre Etat du Congo, si elles
tombaient aux mains de cet homme. De Tippo-Tip ou de Mouanga, roi d'Uganda, je
ne sais vraiment pas quel serait l'ennemi le plus redoutable. Tippo-Tip, pour tout
dire, est le Zebehr du Congo. Mais j'avais sur Gordon , dans mes rapports avec mon
Zebehr, l'avantage qu'il n'existe pas entre nous de rancune personnelle et que je suis
libre de mes mouvements.
» Dès mon arrivée à Zanzibar , j'eus donc un entretien avec Tippo , je le sondai
prudemment, et je pus m'assurer qu'il était également prêt à m'aider ou à me com-
battre , selon les circonstances. Je choisis le premier parti. Notez que son concours
ne m'était pas absolument indispensable, soit pour arriver jusqu'à Emin, soit pour
me guider vers Wadelaï à travers des régions qu'il ne connaît pas du tout. Il y a
quatre routes du Congo à Wadelaï ; deux de ces routes sont au pouvoir de Tippo.
les deux autres échappent à son influence. Mais j'ai su au Caire , par le docteur
Junker, qu'Émin possédait environ 75 tonnes d'ivoire, qui valent quinze cent mille
francs, à raison de 10 francs la livre. Ce trésor peut nous permettre de couvrir les
frais de l'expédition et même la rendre financièrement fructueuse. Pourquoi ne pas
tenter d'amener cet ivoire au Congo ? Il ne faut pour cela que de^ porteurs en nombre
suffisant, et c'est ce qui m'a déterminé à traiter avec Tippo. Il s'est engagé à me
fournir 600 porteurs , à raison de 150 francs par trajet d'aller et retour de Stanley-
Falls au lac Albert. Chaque porteur prendra sur sa tête 70 livi'es d'ivoire. C'est donc
une valeur nette de 300,000 francs qui arrivera à Stanley-Falls à chaque voyage.
» Le contrat a été signé par devant le consul britannique. J'en ai profité pour
toucher un autre point avec Tippo, au nom du roi des Belges.
» La station de Stanley-Falls a été fondée par moi en décembre 1883. Depuis cette
époque, plusieurs Européens se sont succédés au commandement du poste. Le lieu-
tenant Wester, de l'armée suédoise , avait réussi à en faire une station présentable.
Mais son successeur, le capitaine Deang, se querella avec les Arabes, se vit obligé
d'évacuer le poste et, avant de battre en retraite , crut devoir brûler les établisse-
ments en détruisant toute l'artillerie. L'objet propre du poste était d'empêcher les
Arabes de poursuivre leur brigandages en aval des chutes. 11 s'agissait moins pour
cela de recourir à la force que d'avoir du tact ou , pour mieux dire , de savoir tour à
tour et à propos appliquer l'un et l'autre. Quoi qu'il en soit , la retraite des Euro-
péens rouvrait l'écluse aux incursions arabes. Tippo-Tip est précisément l'homme
qu'il faut pour les empêcher. Après un échange de dépêches par câble avec Bruxelles,
je me suis déterminé à le nommer gouverneur de Stanley-Falls , avec appointements
mensuels payables à Zanzibar par les soins du consul britannique. Il aur?. pour
fonction de défendre le poste contre les Arabes et les indigènes, au nom de l'État du
Congo. Son pavillon sera celui de l'Etat. 11 devra combattre et capturer tout parti
courant la campagne pour faire des prisonniers et dissiver tout rassemidement sus-
pect. 11 s'abstiendra personnellement de tout commerce en esclaves au-dessous des
chutes et l'interdira à ses subordonnés. Un résident européen sera placé auprès de
lui. Toute infraction aux articles du contrat entraînera la suspension immédiate des
appointements.
» Tandis que je poursuivais cette négociation, dit pour conclure M. Stanley ,
- 52 —
M. Mackensie payait quatre mois de salaire d'avance aux 620 porteurs enrôlés à
notre service, et aussitôt qu'un détachement de 50 d'entre eux avait reçu sa solde ,
il était embarqué dans un chaland et conduit à bord. Mon effectif total est de 709
hommes divisés en 7 compagnies. »
El-Golcali. — El-Goleah reconnaît notre autorité d'une façon effective sous
la forme d'un impôt annuel assez léger , depuis le mois de janvier 1873, époque
à laquelle le général de Galiffet y conduisit la première colonne qui y ait été.
Nous y avons un Caïd , qui relève actuellement de Ghardhaïa et qui y vient tous
les ans verser l'impôt imposé par la France.
Vu la distance, il est forcément en dehors de notre surveillance du'ecte et ne nous
fait guère connaître que ce qu'il veut bien nous apprendre , mais c'est une situation
à laquelle on ne peut remédier.
Le premier Caïd nommé a été cassé quelques années après , pour brigandages à
main armée sur différentes routes. Celui qui est en place actuellement est plus tran-
quille, mais n'a guère d'autorité sur ses gens qui sont toujours campés à grande
distance et ne sont pas d'humeur conmiode.
La seconde colonne qui a visité ce pays , sous les ordres du commandant Belin ,
commandant supérieur de Laghouat , y est arrivée en janvier 1882. P^lle y a ramassé
quelques obus lancés sur le Ksar par la première colonne, mais n'était venue là que
pour montrer aux gens du Sud que nous étions encore capables d'y venir, après le
désastre Flatters. arrivé l'année précédente.
Elle n'a pas eu un coup de fusil à tirer et est revenue par le même chemin :
Ghardaïa, Mettili et Bir-Rekaoui.
Les habitants du K.sar, dont l'oasis compte à peu près 20,000 palmiers, appar-
tiennent à la grande famille des Chaamba , qui tient tout le sud de la province
d'Alger par Ouargla (Chamba - Guebala) , Metlili (Clianiba - Bevezga ) et El - Goleah
(Chamba - Muradhi).
Ce sont des Arabes nomades au possible : Les trois quarts au moins des habitants
du Ksar n'y sont qu'au moment de la récolte des dattes : le reste du temps , les
maisons sont gardés pai* des nègres esclaves , ou des gens de confiance , ou même
pas gardées du tout.
Le Ksar est bâti sur un mamelon qui domine le pays environnant , mais les habi-
tants sont, comme je l'ai dit plus haut, dix mois sur douze, absents.
Ils sont en relations surtout avec Jusalah et le Touat. Ce sont des cavaliers remar-
quables à Méhari, mais ils n'ont pas de chevaux, l'orge coûte trop cher, et le pays
ne leur conviendrait guère , à cause des immenses dunes de sable mouvant dont il
est couvert.
Les nègres s"y trouvent en grande quantité comme esclaves , ainsi qu'au Mzab ;
mais ce mot d'esclave ne représente pas du tout ici la n^.ême chose que dans les pays
oii l'esclavage existait jadis : au Mzab, maîtres et esclaves passent leur temps à tirer
l'eau du puits pour arroser les jardins et ils travaillent autant l'un que l'autre.
L'esclavage est une nécessité dans ce pays qui manque de bras , par suite de la
chaleur excessive que l'on éprouve pendant neuf mois de l'année.
En 1881, une petite colonne française vint de nouveau visiter El-Golea et , comme
les deux précédentes, n'y fit qu'un court séjour et y fut bien reçue.
Obock. — L'exploitation de l'énorme réservoir de sel, qu'on appelle le lac
Assal, et qui se trouve à 18 ou 20 kilomètres d"Obock sur la route d'A(jussa et du
Choa , vient d'être concédée à M. Chefneux : cette concession est faite pour 50 ans ,
moyennant une redevance annuelle de 60,000 francs à verser au trésor d'Obock.
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L'exploitation commencera en avril 1888 ; pour la mise en valeur , la construction
d'un petit chemin de for s'impose ; ce sera l'amorce d'une ligne h pousser jusqu'à
Aoussa, sur le lac de ce nom , dans lequel se déversent les eaux de l'Aouache , qui
descend du Choa, et est navigable pendant huit mois de l'année.
Sans attribuer à cette exploitation une importance trop grande , il est permis de
la considérer comme devant inaugurer pour Obock une ère de vie commerciale et de
prospérité.
liibéria. — Nous recevons do Libreville (Gabon), de notre correspondant ,
M. Froment, à la date du o juin, les renseignements suivants sur cette contrée :
« La République de Libéria a été fondée, on le sait, vers 1821, par une association
philanthropique américaine , connue sous le nom de Société de colonisation. Des
nègres , arrachés à l'esclavage , y furent alors transportés , et on les mit à même de
pouvoir subvenir à leurs besoins par la culture et le commerce.
» Le protectorat de l'Union couvrit la jeune colonie jusqu'en 1845; à cette époque,
jugée assez forte pour voler de ses propres ailes, on l'abandonna à elle-même.
» Aujourd'ui ; la population libérienne proprement dite , ne compte pas plus de
15,000 âmes. Elle occupe tout le littoral compris entre la rivière St- Paul et le cap
Palmas. La capitale est Monrovia , ainsi nommée en mémoire du Président des
États-Unis, Monroe ; les villes principales sont : Caldwell , sur la rivière St - Paul ;
Millshury et Patinas.
» La Constitution libérienne est calquée sur celle des États-Unis. Le Président
est nommé pour trois ans , au suffrage universel ; il a un traitement aimuel de
25,000 francs. Le Sénat et la Chambre des députés ont entre eux deux vingt et un
membres et ne tiennent annuellement qu'une session de deux mois. Un article de la
Constitution dénie aux Européens et Américains de race blanche, tout droit de
propriété foncière ; ils ne peuvent , en outre , ni voter , ni exercer aucune fonction
publique.
» Les mulâtres ne sont pas compris dans ces lois prohibitives. On voit que les
nègres libériens n'ont pas oublié ce que la race blanche leur a jadis fait endurer.
•» 11 n'y a pas d'armée active à Libéria ; tous les citoyens en état de porter les
armes sont convoqués à différentes époques de l'année pour être exercés. Détail
curieux : cette milice est encore habillée des uniformes français dont Napoléon 111
lui fit jadis cadeau.
» Au moment où je suis passé à INIonrovia — 13 avril — une certaine effervescence
régnait dans la République : les élections présidentielles allaient avoir lieu dans une
quinzaine de jours et on y préludait par des meetings multipliés. Un de ces meetings
se tenait précisément le jour uième dans la rivière St-Paul, dont l'embouchure est
dans la baie Monrovia : les partisans des deux candidats en présence s'y étaient
rendus en nombre , non sans s'être faits suivre de victuailles et provisions de tous
genres, pai'mi lesquelles, m'a dit le Missionnaire de qui je tiens ces renseignements,
les liqueurs alcooliques tiennent une place considérable. Ces meetings sont parfois
très agités, et il n'est pas rare de voir le revolver , dont s'arme prudemment chaque
électeur libérien, devenir Vultiina ratio des deux partis rivaux.
» Le sol de Libéria est d'une grande richesse ; toute cette côte est peu élevée et
couverte de l'exubérante végétation des tropiques. Son climat est chaud , mais rela-
tivement sain ; la fièvre jaune y est inconnue. Le thermomètre monte rarement au-
dessus de trente degrés à l'ombre , ce qui n'est pas du tout une température
excessive, si on la compare à celles du Sénégal et du Congo. De grandes plantations
de calé , de coton , de canne à sucre , pourraient donner à Libéria une prospérité
considérable , si une intelligence plus raisonnée de ses intérêts , lui faisait oublier
— 54 -
ses rancunes contre la race blanche , seule capable d'imprimer au commerce et à
l'agriculture une sérieuse impulsion.
» Néanmoins , les colons libéi'iens ne se contentent pas de cultiver ces riches
produits , ils se sont faits en même temps industriels. Leurs distilleries et leurs
raffineries leur permettent de se passer d'intermédiaires entre eux et le commerce et
la consommation.
» Monrovia, qui compte environ 3,000 âmes, est bâtie sur un plateau qui s'avance
dans la mer en léger promontoire. On y voit beaucoup de maisons bâties à l'euro-
péenne ; leurs murs , blanchis à la chaux , et leurs toits de zinc , tranchent sur la
sombre et luxuriante verdure des palmiers et des manguiers. Un phare s'élève à
l'extrémité du proniontoire, mais la baie , d'un accès facile , n'est protégée contre les
vents du large par aucun travail d'art. Il n'existe pas même une cale de débarque-
ment où les embarcations puissent accoster pour échapper à la barre.
» Deux ou trois maisons européennes accaparent tout le grand commerce de
Libéria ; ce sont elles qui achètent le café , le coton et le sucre aux planteurs et qui
l'exportent. On est certain d'y retrouver la maison Werman , de Hambourg , qui a
semé des comptoirs sur tous les points de la côte occidentale d'Afrique. Il y a aussi
une maison belge.
» Les Missionnaires du St^Esprit sont installés depuis i-inq ans à Monrovia , m^is
de l'aveu même de leur supérieur, ils n'obtiennent aucun résultats auprès des nègres
libériens, qui sont tous méthodistes ou presbytériens. Il peut paraître singulier que
dans de pareilles conditions , ils s'obstinent à rester , alors que chez les peuplades
fétichistes de l'intérieur, ils auraient sans doute plus de succès.
» D'après le supérieur , qui tient lieu provisoirement d'agent consulaire français ,
l'Angleterre, ne pouvant être remboursée des sommes considérables que la Répu-
blique libérienne a autrefois empruntées à ses sujets, songerait à mettre la main sur
son administration financière, malgré l'intérêt et la sympathie que la reine Victoria
a toujours témoignés au peuple libérien. D'un autre côté , l'agent consulaire belge
manœuvrerait pour faire endosser cette dette à la Belgique ou à une banque belge
quelconque, de manière à avoir ba^re sur la République nègre , qui ferait , il faut en
convenir, une riche colonie.
» 11 faut espérer que l'Union américaine s'interposera , et qu'on ne verra pas le
seul essai de régénération des nègres , tenté jusqu'à présent , avorter après de
longues années de quasi - prospérité. Ce qu'il faudrait à Libéria , ce sont non des
maîtres , mais des guides. »
IjC futur port de Gabès. — On connaît les travaux du colonel Roudaire
sur la région des chotts algériens et tunisiens. A la suite de recherches qui lui avaient
montré que le niveau des chotts Melrir et Karsa était à environ 24 mètres au-dessous
de la Méditerranée , il avait formé le projet de rétablir la grande lagune du lac
Triton, signalée et décrite par les géographes de l'antiquité et qu'il appelait la Mer
tunisienne intérieure. Le projet fut vivement critiqué bien que patronné par
M, de Lesseps.
Le colonel Roudaire mort, un officier distingué, M. le commandant Landas ,
demanda et obtint l'honneur de reprendre l'œuvre projetée. L'année dernière ,
M. Landas qui avait parcouru , en l'étudiant soigneusement , la région , et y avait
retrouvé sur des points nombreux les restes de constructions d'aqueducs romains ,
indiquant rexisteuco d'abondantes irrigations et d'une culture prospère , eut l'idée
d'opérer aux environs de Gabès , des sondages qui lui révélèrent la présence d'une
nappe d'eau souterraine peu profonde. 11 creusa un puits qui lui donna de l'eau
jaillissante non loin de la mer , sur la rive de l'Oued-Nela. L'eau s'élevait à plus de
- 55 -
quatre mètres au-dessus du sol ; le débit du puits est de 9,000 mètres par minute.
Un autre puits a été creusé sur l'autre rive du cours d'eau. Des rij:oles ont été
établies, des cultures entreprises. Des villages ont surgi comme par enchantement
dans ce désert, En étendant les cultures, en appliquant 1( s ressources qu'elles créent
au développement graduel et prudent de l'entreprise, on s'occupera d'abord d'établir
pour les débouchés un port à Gabès ; puis ce port sera mis par un canal en comnm-
nication avec les terrains irrigués , qui marcheront , pour ainsi dire, vers le bassin
(les chotts. On pourra de la sorte se rendre compte de l'utilité et de la possibilité de
faire un mer intérieure.
C'est ce qu'a expliqué , le 2.5 juillet , M. de Lesseps à l'Académie des Sciences ,
en déposant les plans du futur port de Gabès oii aboutira le canal qui doit mener les
eaux de la mer dans les chotts Melrir et Rharsa , et créer ainsi la mer intérieure du
colonel Roudaire.
H. Scrpa-Pinto. — Le major Serpa- Pinto et le lieutenant Augusto Cardoso
sont arrivés à Lisbonne, venant de Mozambique.
Nous recevons de la Société de la Société de Géographie de Lisbonne des détails
des plus complets sur leur voyage.
Partis de Mozambique en 1884, ils se proposaient d'explorer le' territoire situé
entre la côte et le lac Nyassa, et de compléter dans cette région les études faites en
1&S3 par M. A. de Castiïho.
De Mussuril , ils se dirigèrent vers le Nord, le long du littoral , pénétrant dans le
pays de Matibana, dans la direction de la bai(^ de Fernaô Veilo/o, et explorèrent tout
le pays jusqu'à Guissanga dans les parages du cap Delgado.
D'Ibo, l'expédition revint sur le Mutepuezi et s'achemina vers Médo.
C'est là , que, par raison de santé, le major Serpa -Pinto dut abandonner la
direction de l'entreprise, qui fut dès lors sous les ordres du lieutenant Cardoso.
Partant de Médo , l'expédition se rendit à Métarica, à la recherche de la rivière
Lienda (Lyendo) , affluent du Kovuna , suivit quelque temps cette rivière , puis se
replia sur le lac Nyassa , qu'elle atteignit au territoire de Gui-Rassia , dont le chef
s'empressa de reconnaître la suzeraineté du Portugal.
D'après le lieutenant, le Lienda ne prend pas sa source comme on le pensait, dans
le lac N'Maramba ; il ne fait que le traverser, venant du mont Songe, à l'Ouest.
La mauvaise santé du lieutenant Cardoso le força à se replier sur la station
missionnaire de Blantyre ; de là , il s'achemina vers l'Est en passant le Ruo (ou
plutôt Luo) , près du pont Mélange. Là, il dut essuyer quelques manifestations
hostiles de la part des indigènes qui , le prenant pour un Anglais , essayèrent un
instant de lui barrer la route.
En poursuivant sa traversée vers le S.-E. , l'expédition est venue aboutir à
Quilimane.
Elle rapporte un grand nombre d'observations et de déterminations astronomiques
et météorologiques , et a fait , au point de vue orographique , hydrographique et
commercial, une étude des plus complètes de tout le pays qu'elle a parcouru.
lies D" Juuker et Schnltzler daus l'Afrlqae centrale. — Voici
une lettre que le docteur Selnveinfurtli a reçue le 6 novembre de Juncker , datée de
Msalala, côté sud du lac d'Ukéréwé , Afrique centrale., le 16 août; c'est un vrai cri
de désespoir. Juucker , Schnitzler , Lupton et Casati ont été isolés par le soulève-
ment du Mahdi , et défendent jusqu'au centre du Soudan, le drapeau du Khédive.
Voici ce qu'écrit le docteur .Juncker : « Bien cher ami ! je me trouve en bonne santé
— 56 —
k Msalala, après être échappé des griffes de Mwanga de Uganda (le cruel successeur
du roi Mtesa), et je m'empresse de vous fair'- savoir que j'ai engagé quarante por-
teurs, avec lesquels je compte me mettre en route pour Zanzibar. Faut-il donc en
arriver a la conviction que rien ne sera fait pour ces malheureuses provinces équa-
toriales. Ecrivez, publiez toujours, mon cher aini, seuiez des articles violents dans la
presse , pour ouvrir les yeux du public ! Je fais tout mon possible , pour obtenir
quelque amélio'"ation. Il est absolument nécessaire que de prompts secours soient
apportés à Emin-Bey (le gouverneur du Soudan). Je lui ai procuré à Uganda pour
huit mille francs de cotonnade, mais cela n'empêche cpae le roi Mwanga lui suscitera
encore bien des difficultés. Ce dernier a promis d'envoyer l'expédition avec les mar-
chandises à Unyoro par l'entremise d'un certain Muhammed-Bivi , mais elle n'est
jamais partie.
» Le prestige des Européens est singulièrement tombé ici.
» Ce serait une honte éternelle pour l'Europe si ou ne faisait rien pour venir en
aide à Emin-Bey. Ayez donc la bonté d'agir en ce sens ! Qu'on mette tin aux agisse-
ments de Mv anga et de ses complices ; qu'on délivre l'Uganda ; qu'on porte secours
à Emin-Bey et qu"on reprenne les provinces équatoriales ! C'est uniquement parce
que j'ai l'espoir qu'on agira ainsi , que je retourne on Europe. Écrivez-moi , je vous
prie, le plus longuement possible à Zanzibar. Votre ami sincère, Wilhem Juncker. »
Depuis lors, l'explorateur anglais, docteur Felkin, a reçu des nouvelles du docteur
Schnit/.ler (Emin-Bey), datées du mois de juin, d'après lesquelles il se trouvait en
bonne santé à Wadelaï, sur le Nil supérieur. D'après un rapport du docteur Juncker,
Emin-Bey a soumis les rebelles jusqu'à Lado sur le Nil Blanc. Casati se trouvait en
bonne santé à Wadelaï ; Lupton paraît avoir été tué. Le docteur Fischer et le docteur
Lenz ont été envoyés pour leur porter secours ; mais le premier , parti de Pangani
(côte orientale), en août 1885 , fut arrêté au lac Victoria, revint à Zanzibar en juin
1885 et mourut à sa rentrée en Europe : le second , envoyé par l'Autriche , a suivi le
Congo ; mais arrivé aux Stanley-Falls , en mars 1886 , il ne put continuer sa route
vers le nord, et se rendit à Nyangoué, puis à Kasongo et de là est arrivé à Zanzibar,
ayant ainsi accompli à travers toute l'Afrique, par la voie du Congo , une expédition
intéressante au point de vue scientifique, mais sans profit pour Emin-Bey.
Le docteur Juncker est revenu le 4 décembre dernier à Zanzibar , d'oii il s'est
rendu au Caire.
/^ffrÊquc équittorlale. — Missions catholiques. — Le journal hebdoma-
daire les Missions catholiques, qui se publie à Lyon, vient de faire connaître (n° 916)
les modifications apportées aux missions catholiques de l'Afrique équatoriale. Ces
missions étaient confiées les unes à la congrégation des Pères du Saint-Esprit , les
autres à celle des missionnaires d'Alger. Après des pourparlers entre les différentes
parties intéressées, c'est-à-dire entre le roi des Belges, souverain de l'Etat du Congo,
le cardinal Lavigerie, directeur de la mission d'Alger , et les Pères du Saint-Esprit,
il fut convenu et le Pape décida :
Que la congrégation des missionnaires belges de Scheut lez-Bruxelles serait char-
gée des missions du moyen et du bas Congo belge ; que les missionnaires d'Alger
conserveraient celles du haut Congo belge proprement dit, c'est-à-dire celles qui se
trouvent aux sources mêmes du Congo, entre le lac Tanganyka et les États de
Muata-Yanvo, et que la congrégation des Pères du Saint-Esprit prendrait , en com-
pensation de ce qu'elle perdait dans le Congo belge , la partie du Congo français qui
ne leur appartenait pas encore et les régions situées sur le Kassaï , en dehors de
l'Etat libre du Congo.
- 57 -
Ce sont ces arrangements qui vionnent d'être successivement consacrés par les
décrets officiels de la S. G. de la Propagande qui ont fondé : d'une part, le vicariat
apostolique du Congo, confié à Mgr Carie, et la nouvelle préfecture du Conj:o, qui a
pour préfet un Père de la même congrégation ; de l'autre, les missions du Congo
belge qui ont été données au séminaire africain de Louvain, fondé, sous la juridiction
de Tarchovêque de Malines et des autres évêques de la Belgique , par la Société des
missionnaires de Scheut Ic/.-BruxelIes , pi-écédemment chargée de Tévangélisation
de la Mongolie,
Enfin, la Société des missionnaires d'Alger conserve, comme par le passé , la
direction des quatre vicariats apostoliques dont les limites et les noms seuls se
trouvent modifiés par les décisions que nous venons de rapporter.
Ces quatre vicariats sont les suivants :
I. Le vicariat apostolique du haut Congo, dans les régions situées aux sources du
Congo et à l'ouest du Tanganyka , oii les missionnaires d'Alger , avaient , depuis
plusieurs années , commencé déjà et établi des missions ;
II. Le vicariat opostolique du Tanganyka, qui existe également depuis huit
annés ;
1 IL Le vicariat apostolique du lac Nyanza, existant depuis la même époque ;
IV. Enfin , le vicariat apostolique de l'Ounyaniembé , dont les limites ont été
déterminées par une décision toute récente de la Sainte Congrégation de la
Propagande.
Nous avons dit plus haut à qui étaient confiés le nouveau vicariat , la nouvelle
préfecture et les nouvelles missions du Congo. Les quatre derniers vicariats que
nous venons de nommer et qui restent confiés à la Société des missionnaires d'Alger,
ont à leur tête :
Celui du Nyanza, Mgr Livinhac , évêque titulaire de Pacando , de la Société des
missionnaires d'Alger ;
Celui du Tanganyka, Mgr J.-B. Charbonnier, qui vient d'être nommé par le Saint-
Père évêque titulaire d'Utique, de la même Société ;
Celui du haut Congo et celui de rOunyaniembé sont provisoirement confiés à deux
simples prêtres avec le titre de provicaires. Ce sont les RR. PP. Coqlbois , pour le
haut Congo, et Ludovic Girault , pour l'Ounyaniembé , déjà missionnaires dans ces
régions, qui ont été proposés pour ces deux charges par S. Em. le cardinal
Lavigerie.
AMERIQUE.
Les frontières «lu !*arag;na:r et «le la République Ar|;;eutine.
— Le gouvernement paraguayen doit nouuner, d'accord avec le gouvernement argen
tin, une Commission scientifique qui décidera sur la question de savoir si l'Araguay-
Guagu est, ou n'est pas, le principal affluent du Pilcomayo.
Dans ce dernier cas , les frontières de la République Argentine , seraient , comme
précédenmient, déterminés par les limites du Chaco ; mais , dans le premier cas , la
rivière Araguay-Guagu serait considérée comme la division naturelle <>ntre les deux
républiques, et la frontière argentine s'étendrait ainsi d'un degré de j)lussur le terri-
.toirc appartenant actuellement au Paraguay.
- 58 -
lia colonisation allemaude daus l'Amérique méridionale.—
D'après le Bulletin de la Société de Géographie italienne^ on annonce en Allemagne la
fondation d'une « Banque nationale transocéanique » qui aura ses sièges principaux à
Rio-de-Janeiro , à Burnos-Aires et à Berlin . Le gouvernement allemand qui a déjà
officiellement reconnu cette banque , s'efforce de détourner vers l'Amérique méridio-
nale la plus grande partie des émigrants qui aujourd'hui se dirigent vers l'Amérique
du Nord. Il y a plus de colonies allemandes dans l'Amérique latine qu'on ne le pense,
et presque toutes sont en pleine prospérité. Si l'on excepte la tentative malheureuse
de MM. Pinto et Holzwiessig d'amener environ 40,000 de leurs nationaux au Brésil,
on peut affirmer que tous les au<res essais de colonisation entre Porto - Alegre et
Buenos Aires ont réussi. Dans la province de Sainte-Catherine, on peut citer l'impor-
tante colonie de Dona Francesca , fondée en 1849 par la Société de colonisation de
Hambourg, et qui contient 10,000 Allemands. Non loin de là se trouve San-Benito ,
colonie de 3,000 âmes. Sur l'Itajahi, à environ 60 milles du bord de la mer, se trouve
Blumeneau , avec 11,000 colons allemands , et Brusque, avec 2,-500 Allemands, qui
ont reçu un subside de 200,000 francs. Dans la colonie de Don Pedro , il y a environ
3,900 Allemands avec 16,000 Italiens. Dans la province contigue, Rio Grande do Sul,
il y a une série de comptoirs allemands , qui commence un peu au sud de Porto-
Alegre et se dirige vers le N.-E. A Sainte-Catherine, on compte sur une population
de 200,000 habitants , 50,000 Allemands , et à Rio-Grande do Sul , sur 580,000 , pas
moins de 80,000 Allemands, sans compter 10,000 établis dans la Plata. On espère en
Allemagne que ces colonies formeront le nœud et le centre d'un Etat florissant et où
les Allemands seront tout-puissants. Cependant , il est à remarquer que tandis que
les Italiens se mêlent et se fondent facilement avec les Espagnols , les Allemands
restent à l'écart , apprennent difficilement la langue espagnole et conservent leurs
mœurs et habitudes particulières. Si le gouvernement les favorise , rien n'empêche
pourtant les Allemands de s'emparer de la plus grande partie du commerce et de
l'industrie de ces pays.
Cette statistique des colonies allemandes au Brésil complète le tableau donné par
M. Du Fief, dans son travail sur la densité de la population en Belgique, etc.
Ici encore, l'Allemagne donne à la Belgique un enseignement utile, peut-être même
un exemple à suivre, en montrant ce que l'on peut attendre de colonies d'émigrants
établis par agglomération et non isolément. Comme le dit M. Du Fief, dans son
travail sur la densité de la populationn , « l'Allemagne a dans tous les pays du
monde des représentants nationaux qui s'y emparent des transactions commerciales,
à leur profit en même temps qu'à celui de leur mère-patrie, tii-ant de celle-ci la
plupart de leurs produits d'échange.... Faisons donc comme ces nations , s'il est
démontré que l'émigration est aujourd'hui le remède à la stagnation du travail natio-
nal ; établissons au dehors , avec toutes les garanties possibles , ceux de nos conci-
toyens auxquels notre pays ne peut plus suffire ; créons , dans des pays nouveaux ,
des Belgiques nouvelles qui, par leur travail et leur prospérité même , continueront
de contribuer au travail et à la prospérité de leur commune patrie. »
Accroissement de fcm|iérature dans les mines du lae
^iupérieur. — M. H.-A.Wheeler vient de faire des observations thermomé-
triques dans les mines de cuivre de Keweenaw-Point, les plus profondes de toutes
celles que renferme le territoire des États-Unis. Les observations , que résume le
journal Ciel et Terre, furent faites dans cinq mines dont la profondeur varie 221 à
643 mètres, les distances horizontales intérieures étant à peu près égales à la pro-
fondeur des puits. Les résultats obtenus prouvent que le gradient thermométrique
~ 50 —
est un des plus faibles connus : il est de 59 à 60 mètres par 1" C. Les différences
considérables observées dans les cinq mines ont conduit à ti'ouver la cause de ce fait,
au premier abord singulier. Keweenawe-Point est une péninsule qui s'étend d'envi-
ron 115 kilomètres vers le centre du lac. Aucune des mines n'est conséquemment
bien éloignée de l'eau et celles qui s'en trouvent le plus près ont aussi le plus faible
gradient, les plus éloignées présentent un gradient plus rapide. Si l'on prend en
considération l'énorme étendue du lac Supérieur et le fait que sa surface seule
change de température , tandis que les couches profondes restent environ à 4" au-
dessus de zéro, il semble que le lac fasse office d'un immense réfrigérant, qui abaisse
la température de toutes les masses rocheuses qui l'environnent.
II. — Géographie commercdale. — Statistiques
et Faits économiques.
EUROPE.
lia préparation de l'eau de fleurs d'orau$;;cr flaus le llidi
de la France. — Tout le monde sait que l'eau de fleur d'oranger se prépare
avec les pétales de la fleur , que l'on a soin de séparer des autres parties , pistils ,
ovaires, etc., et qu'on appelle ne'roli l'essence que l'on peut extraire des fleurs
d'oranger, en même temps que l'on obtient l'eau distillée odorante. C'est du 25 avril
à la fin de mai que se fait d'habitude la cueillette des fleurs d'oranger, sur tout le
littoral méditerranéen. L'oranger , originaire de l'Inde , est probablement arrivé en
Arabie vers la fin du neuvième siècle ; mais on ne le signale dans le Midi qu'au
cours du seizième siècle. Ce que l'on peut assurer , c'est qu'en 1566 les plantations
d'orangers des environs d'Hyères offraient l'aspect de vastes forêts, et que ces ai-bres
étaient également cultivés à Saint-Chamas, à Fréjus, à Cannes, à Vallauris, à Aix et
même à Marseille. De nos .jours, c'est à Vallauris surtout que la culture de l'oranger
a pris, depuis quelques années , une grande extension. Le climat de cette localité .
toujours tempéré , est très propice à la végétation de cet arbre. Aussi peut -on dire
que Vallauris , où fonctionnent plus de quinze usines pour la distillation dos fleurs ,
est devenu le centre le plus important pour ce genre d'industrie. La cueillette
n'occupe pas moins de 2,000 personnes. La récolte est , en effet , ordinairement d'un
million de kilogrammes , ce qui , malgré les variations que subit le prix de vent ■ ,
constitue un revenu important pour les pays où l'on cultive l'oranger pour en
recueillir les fleurs. De 1880 à 1882, les fleurs d'oranger se sont vendues de 30 à 60
francs les 100 kilogrammes ; en 1885 , la gelée ayant presque entièrement détruit la
récolte, le prix s'éleva jusqu'à 350 francs. En 1886, les cours varièrent de 75 à KX)
francs. Le rendement varie beaucoup , selon l'époque à laquelle sont cueillies les
fleurs. Celles qui sont récoltées au début de la saison ne rendent guère que 50 centi-
- 60 -
grammes d'essence pai- kilogramme de fleurs ; mais les fleurs cueillies vers la fin de
mai produisent j usqu'à 1 gi-amme d'essence par kilogramme, c'est-à-dire que le ren-
dement moyen d'une année est de 750 kilogrammes d'essence.
IjCS SsifltistrScs textiles en Italie. — C'est sur ces industries surtout
que semble se porter , après la métallurgie et les constructions mécaniques , la
sollicitude des Italiens.
Il est pourtant utile de faire remarquer que c'est sur ce point que Timportation
étrangère a le moins progressé pendant les dernières aimées, ainsi que le? écritures
italiennes elles-mêmes le démontrent.
Le tableau ci-après, montrera quel est le mouvement d'entrée, en Italie, des fils et
tissus de chanvre, lin, laine, cotcn depuis 1881 :
Import.\tions en 1t.\lie.
EN PLUS
EN -MOINS
1881
1885
pour
1885
pour
1885
i
En n
lillier^ de quintaux métriqnos
1
Fils de lin et chanvre . simples , écrus
ou blanchis
55.0
7.3
52.6
59.5
11.5
20.3
4.5
4.8
» »
» »
» »
32.3
Tissus de lin et chanvre , écrus ou
blanchis
Fils de coton simples, écrus
— retors, écrus
40.7
10.2
30.9
11.7
» »
1.5
9 2
» »
— — blanchis
Tissus de coton écrus
34.6
32.3
24.2
38.6
37.2
30.8
27.7
31.6
2.6
» »
3.5
7.0
» »
1.5
» »
» »
— blanchis . .
— teints
— imprimés
Velours de coton
2.4
4.4
2.0
» »
Tissus de laine de toutes sortes , pei-
gnée et cardée, mérinos, cachemires,
draperies, passementeries, etc
56.2
60 1
3.9
» »
J'ai laissé de côté la soie et les soieries qui constituent une industrie tout à fait
spéciale en Italie.
Pour ce qui précède, on peut constater que , en présence de quelques augmenta-
tions sur les tissus de laine, de lin et de chanvre, il y a une diminution extrèuiement
importante depuis 1881, sur les filés de coton à l'importation en Italie. L'importation
des tis-us de coton n'a guère progressé que de quelques centaines de kilog. Quant
aux lainages, leur importation ne s'est pas accrue de 4,000 quintaux.
— 61 -
C'est que tout l'effort de la fabrique; italienne s'est porté sur ces articles , sur les
cotons spécialement, et les lilatures.
En 1881. l'importation en Italie des cotons bruts était de 48,182 tonnes, et la réex-
portation de 16,692 , en sorte que la consommation intérieure , pour la faljrication ,
n'était que de 31,470 tonnes.
En 1885 , cette importation est montée à 78,558 tonnes et la réexportation à
19,180 tonnes, d'oii il résulte que la consommation intérieure, c'est-à-dire la filature,
en a utilisé , sauf ce qui reste dans les entrepôts , 59,408, c'est-à-dire presque le
double du chifl're de 1881 ; cela seul indique quel progrès a fait cette industrie. Elle
s'est énormément développée pendant les cinq dernières années , et ainsi s'explique
la diminution de 32,300 quintaux dans les importations de filés de coton.
Pour en donner la véritable physionomie, je ne puis mieux faire que de transcrire
ici, pi'esque textuellement , les indications qui m'ont été fournies sur les industries
textiles, en Italie , par la Chambre de commerce française de Milan , en rendant
hommage à la compétence et au patriotisme éclairé des hommes qui composent le
bureau de cette Chambre et aux membres de la Chambre elle-même.
Filature de coton. — En 1877, d'après l'annuaire Neumann-Spallart , il y aurait
eu en Italie 880,000 broches consommant 264,000 quintaux, soit 30 kilog. par broches.
Actuellement , on calcule qu'il y a en Italie , 1,931,343 broches de filature qui se
répartissent comme suit :
En Lombardie, six filatures principales et . . . 452.162 broches.
En Piémont, six filatures principales et 266. 181 —
EnVénétie 65.000 —
En Ligurie 200.000 —
En Toscane 28.000 —
Province de Naples 120.000 —
Total (1) 1 .131 .343 broches.
Presque toutes les filatures italiennes sont établies sur des forces hydrauliques,
mais comme souvent celles-ci sont insuffisantes , ces établissements ont , en outre ,
des moteurs à vapeur.
Pai'mi les filatures importantes , le Cotonoficio Veneta , à Venise (de création
récente), est le seul qui marche exclusivement à la vapeur. On ne produit, en Italie,
que les titres gros ; les numéros fins proviennent encore en grande partie de l'Angle-
terre. La production en titres gros est plus que suffisante pour les besoins du pays.
Depuis quinze ans, le nombre des broches a presque doublé en Italie. Le nombre de
filatures travaillant le coton et le lin est supérieur à cent.
Tissage du coton. — On compte dans l'Italie septentrionale et dans l'Italie cen-
ti'ale, environ ;-J0,000 métiers qui se répartissent entre environ 103 établissements
divisés comme suit :
(1) Les statistiques italiennes accusent un plus grand nombre de broches , qui atteindrait, .«elon elles,
à environ 1,600,000; le recensement officiel, d'ailleurs, n'en est pas encore fait.
- 62 -
Province de Bergame ,12 établissements.
Province de Novare 8 —
Province de Milan 18 —
Province de Turin 14 -
En Toscane 29 —
(dont la majeure partie à Pise et à Pontedera ;
ce sont presque tous de petits tissages avec
métiers à main.)
Province d'Udine 9 —
(d'une importance médioci'e).
Province de Brescia 1 —
Province de Gênes 6 —
(tous importants, mais plus particulièrement le
tissage de MM. Figari et Bixio , à Rivarola ,
avec environ 1,800 métiers).
Province de Modène 4 —
(importance limitée).
Province de Venise 2 —
Total 103 établissements.
Le tissage du coton a pris un développement très grand depuis dix ans ; on peut
dire que, dans cette période , le nombre des métiers a presque doublé. Une des
raisons de cette augmentation de la production, dérive de ce que les tisseurs suisses,
qui ne pouvaient plus lutter sur le* marché italien à cause des droits d'entrée et de
la main-d'œuvre à bas prix, sont venus s'établir en Italie et y ont fondé de nombreux
tissages.
En ce moment, il y a une crise parmi les fabricants de tissus de coton , crise que
l'on attribue à une production trop forte comparativement à la consommation.
Une partie de ces tissages possèdent des forces hydrauliques , mais le plus grand
nombre fonctionnent par moteurs à vapeur (1).
Filature et tissage. — Laine. — En 1876, on comptait en Italie :
Établissements 540
Force chevaux-vapeur 1 .088
— hydraulique 6. 184
Broches actives 284.449
— inactives 20.937
Métiers mécaniques actifs 2.364
— — inactifs 207
— à main, actifs 5.989
Pas plus que pour le coton, nous ne tenons compte des métiers qui sont chez les
paysans et sur lesquels ceux-ci, parfois, travaillent pour leurs besoins personnels.
Déjà, il y a quelques année.^, l'emploi de la laine peignée qui auparavant était de
peu d'importance, arrivait presque à égaler celle de laine cardée.
(Ij Ou peut évaluer qu'il y a dans toute l'Italie : établissements tissant le coton et le lin, à la façon,
environ S40; tissant pour leur compte, environ 390.
— 53 —
En 1879, il est entré eu Italie
Tissus de laine cardée
Tissus de laine cardée avec chaîne coton
Tissus de laine peignée
Tissus de laine peignée avec laine et coton —
Tissus de laine brodés
Total.
quintaux.
12.085
7.256
'.).522
6.461
46
34.370
En 1879, il a été exporté d'Italie :
Filés de laine ou de poil
Tissus de laine de tous genres , y compris
ceux brodés
Objets divers
Total.
quintaux.
4.055
958
5.501
Voici un tableau de Timportation étrangère en Italie , pendant les onze premiers
mois de 1884 et de 1885 comparés:
DESIGNATION
Filés
Tissus de laine cardée . .
Tissus de laine cardée ,
chaîne coton
Tissus de laine peignée . .
Tissus de laine peignée ,
chaîne coton
Autres tissus manufactu-
rés, laine
Objets de laine cousus . .
Totaux
1884
Quintaux
5.561
18.510
14.547
21.833
7.393
6.534
3.136
75.814
Valeur
4.443.600
16 639.000
5.695.-910
26.199.600
6.653.700
3.732.020
6.272.000
69.635.820
1885
Quintaux Valeur
7.195
12.850
11.720
21.760
6.104
6.891
3.592
75.113
5.811.100
16.065.600
6.211.100
26.112.000
5.493.600
5.228.136
7.186.900
72.157.430(1]
(1) Il y a donc une légère augmentation comme il a été établi ci-dessus, d'après les cliiffres mêmes
fournis par les documents statistiques italiens.
En laine peignée, Tltalie ne compte que quati-e filatures, qui sont :
La Société de Borgosesia ;
Le Lanificio ds Schio ;
De Albertis, à Voltri ;
F. Bertolo, à Volti-i.
- 64 -
En laine cardée , on compte 120 filatures environ : il n'y en a pas à signaler
comme de grande importance. En général , les fabricants de tissus cardés ont égale-
lement leur filature. 11 n'e-t pas possible de produire une sérieuse statistique.
Le centre le plus important d'Italie comme fabrication d'articles de laine se trouve
à Biella et environs (province de Novare).
L'augmentation continue de fabriques qui se montent tous les jours , ne permet
pas de préciser la quantité d'établissements qui se trouvent dans cette province.
On calcule que le Biellèse (province de Novare) représente à peu près 2/3 (deux
tiers) des filatures et tissages de laine de toute l'Italie.
A Biella et environs, on compte plus de 10-3 fabriques de draps et autres tissus de
laine, ayant leurs filatures correspondant à environ 7,800 broches. Ces différentes
fabriques n'ayant ni l'emplacement suffisant , ni la force motrice nécessaire pour
augmenter la filature voulue par la consommation des métiers , sont , en outre ,
alimentées par environ 15 filatures ayant 7,-500 broches.
La quantité de métiers à la main est , depuis quelques années , en décroissance ,
car, afin de soutenir la concurrence étrangère, il a fallu les remplacer, petit h petit,
par des métiers mécaniques qui produisent davantage , et réduisent le coût de la
main-d'œuvi'e.
Les endroits oii plus spécialement se trouvent, dans le Biellèse , les fabriques de
lainages, sont :
Biella Ville , Vallées de Mosso et de Strona Coggiola , Sardevala, Sallone
Mangranda , Cassila.
Dans les auti-es parties de l'Italie, on peut citer : Turin , Schio , Bergame, Prato ,
Gênes.
Depuis 1870 , l'industrie de la draperie a fait un grand pas en avant ; elle a eu ,
cepeiidant, dans cette période, des moments difficiles : les grandes grèves des années
1879-1880 , et les grandes quantités de marchandises étrangères laissées sur le mar-
ché italien à des prix très bas, engagèrent les fabricants de la province de Fovare à
donner un très vif éjan à l'installation de métiers mécaniques ; et c'est à la suite de
cette augmentation de matériel conduit par la force motrice , qu'il y eut une grande
amélioration dans l'industrie de la laine. La production des tissus de laine est beau-
coup plus importante en cardé qu'en peigné. Les deux sei^^s établissements sérieux
qui produisent des tissus de matières peignées, sont : le Lanificio Kossi, à Schio., et
la maison Eromonesi et Varesi, à Lodi ; dans bien des genres , ces deux maisons
offrent des tissus qui peuvent rivaliser comme qualité avec la marchandise de prove-
nance française, ils ont de plus l'avantage d'être meilleur marché.
La production des tissus de matières cardées, est installée très largement ; elle
est déjà supérieure aujourd'hui à la consommation. Biella et les environs forment le
grand centre de cette fabrication.
En Toscane, et spécialement à Prato. on fabrique des di'ap cardés ; ce sont des
marchandises très ordinaires , mais d'un très bas prix , et , pour cette raison , conve-
nant particulièrement à la consommation de la masse.
Tenant compte de la production à bas prix de l'Italie en tissus cardés , l'industrie
française a peu de chose à faire dans cette catégorie de fabrication ; elle n'y trouverait
pas un débouché sérieux et rémunérateur.
Par contre, dans les tissus peignés , nous avons encore un assez vaste champ
d'expansion, mais il faudrait que le goût du pays fût étudié par nos fabricants plus
sérieusement que cela n'a été fait jusqu'à présent. Le plus souvent nos producteurs
veulent imposer leurs goûts et k-urs qualités ; ils devraient , tout au contraire , se
préoccuper davantage de ce que veuc le consommateur , et , par suite , se conformer
aux besoins du pays. Les Allemands n'ont pas imposé quand même leur goût ,
- 65 —
comme nous prétendons le faire , sous prétexte que nous donnons les modes ; dans
quelques nouveautés spéciales , cela peut encore se faire , mais pour la grosse vente
nous devrions travailler davantage suivant les besoins du pays. Les Allemands ,
avec leur grande facilité d'assimilation, ont compris cela et très promptement ; se
conformant aux désirs des négociants italiens, ils ont produit, comme matières ,
qualités , coloris . les articles exigés par la grande consommation italienne. La
lactique allemande est assurément celle qui convient dans le pays.
Les établissements Rossi . soit ceux de Schio , Pieve, Torre et Piovene , ont
produit :
1884 1885
Pièces 57.571 60.726
Tissus , mètres 1.674.453 2.455.413
FUés , kilog 459.260 591.900
Le produit des ventes de ces établissements a été :
En 1884 , de Fr. 16. 188 260.750
En 1885 , de » 17.193 404.100
Pour tout ce qui concerne la laine, le courant protectionniste est très fort en
Italie. A ce propos, voici ce que disait à ses actionnaires une autorité en la matière,
le sénateur A. Rossi , lors de la dernière assemblée générale du 28 février 1886 :
« En raison de tout ce que nous vous exposons, votre Conseil, en temps opportun,
» aura le devoir de faire observer au gouvernement que les très faibles droits dont
» sont frappés les articles de laine provenant de l'étranger font que , au lieu de
» diminuer l'importation , nous avons le regret , tout au contraire , de constater
» qu'elle augmente chaque année. »
Et plus loin :
<-< L'an prochain , le 31 décembre , le traité de commerce avec l'Autriche - Hongrie
» sera arrivé à échéance , et en raison de la clause insérée dans le traité franco-
» italien , celui-là aussi deviendrait révocable le 1" janvier 1888. Nous avons lu qu'il
» était du désir de la manufacture de Borgosesia (filature de laine peignée) de récla-
» mer une augmentation de droits a l'entrée ; nous savons également que cette
» augmentation est réclamée par la situation de l'industiie lainière du Biellèse et
» des auti-es parties de l'Italie. Nous joindrons notre signature à la relation spéciale
» et collective qui informera le gouvernement de nos vœux , de manière qu'il en soit
» tenu compte lors de la prochaine rédaction des traités , etc., etc. »
Chanvre, jute, lin. — Filature et tissage. On compte 70 à 80 filatures, petites
et grandes, et environ 200 fabriques de tissus. Nous pouvons citer :
Le Linifîciote Canapificio de Milan , ayant 25,000 broches filant chanvre jute, lin,
possédant en outre un tissage mécanique {200 métiers).
Trombini et C»e , à Milan : lin, chanvre et retors à coudre.
Sessa G. F. et C'e , à Milan : lin, chanvre et retors à coudre.
Société de Montagner, à Montagner [Yénétie) : lin, chanvre et retors à coudre.
Société Vénitienne, à Venise : fil à coudre.
Arnaud et Vigo, à Turin : filature de jute. (Tissage à Voltri.)
Société Balestrerie et Cie , à Lucques : filature de jute et tissage.
Justificio Pastareni, à Terni : filature de jute et tissage.
- 66 -
l'rateUi Prever , à Giavenne (Piémont) : filature de jute et tissage
Canupificio Ferrarese, à Ferrare : chanvre filé et cordages.
La Parlenopea, à Sarlo, près Naples : lin, chanvre, tissage.
Hennan et Buckly, à Sarno : lin, chanvre, tissage.
Canapicio Anglo-Italien, à Sarno : lin, chanvre, tissage.
Società anonvna filatura canapa (chanvre) : Ses usines sont à Casalanbio di Reno,
le siège de l'administration à Bologne. Établissement constitué en 1851 , reconstitué
en 1856 et qui n'a connnencé à marcher sérieui-jement qu'en 1858. Capital versé ,
1 .060.000 francs ; peut être porté à 1 .800.000 fr. Fonds de réser-ve, 261,461 fr. 52^
En 1881, on a travaillé 14,000 quintaux de matière. En 1883, environ mênie
quantité.
Cette nomenclature est (ixacte et inédite.
l/iudsi^trie «le la paiile eis Italie. — Tout le monde sait que la prépa-
ration de la paille destinée à la fabrication des chapeaux, constitue , en Italie , une
industrie spéciale d'une grande importance. M. Golnaghi, consul général à Florence,
vient de faire un rapport à ce sujet. M. Golnaghi établit que l'industrie de la paille
existait déjà au seizième siècle dans les environs de Florence. De là, elle s'est
répandue d'abord dans les autres parties de la Toscane , puis dans toute l'Italie.
Toutefois, elle paraît n'avoir acquis une grande importance qu'au commencement du
dix-huitième siècle , époque à laquelle Domenico Mïchelacci introduisit ou perfec-
tionna la culture du blé de printemps, en vue d'obtenir une paiile longue et fine. La
paille étant ici l'objet principal do la récolte , le grain n'étant plus que l'accessoire ,
on comprend que l'on doit adopter un système de culture tout différent du système
ordinaire. Ainsi , on doit semer très serré , etc. Au moment de la récolte , on réunit
les tiges en poignées , dont chacune peut être facilement tenue dans la main. Un
hectare donne 10,000 à 20,000 de ces poignées. On opère un premier blanchiment en
étendant les poignées en éventail sur le sol et les laissant exposées à l'air pendant
quatre ou cinq jours consécutifs, après quoi on les retourne et on les laisse encore
sur le sol pendant trois ou quatre jours. En cas de pluie , la paiile doit être rassem-
blée et recouverte. Une fois transportée à la fabri(iue, la paille commence par subir
un second blanchiment. Cette opération consiste à l'huiiiecter légèrement et à l'expo-
ser à la fumée du soufre dans une chambre close. Il s'agit alors de faire le triage
suivant le degré de finesse. On se sert pour cela d'un appareil composé d'une série
d'entonnoirs tronconiques combinés avec des plaques de cuivre perforées mobiles.
Ces plaques sont percées de trous de plus en plus gros ; généralement elles sont
numérotées deO à 13, mais quelquefois de 0 à 20. On prend une poignée de paille et
on la met dans le premier entonnoir , celui dont la jilaque a les trous les plus fins.
Les pailles les plus fines traversent la plaque et restent suspendues par les épis. On
enlève le reste de la poignée , que l'on place dans le second entonnoir , et ainsi de
suite jusqu'au dernier. Le triage étant achevé , on coupe les épis, ce qui se fait à
l'aide d'une machine spéciale. On assortit alors les pailles de même finesse suivant
la longueur. Il y a ordinairement cinq ou six longueurs pour les numéros les plus
fins. Après toutes ces opérations, la paille est prête à être tressée.
fl/éuiail eu Alleuiag;ikC. — On écrit de Berlin k X Agence libre :
>' Berlin a un infatigable esprit de concurrence contre Paris. La capitale de l'Alle-
magne veut d'abord égaler , ensuite surpasser la capitale de la France , même dans
les œuvres oii Paris est le plus inimitable.
67
» L'industrie de l'émail , qui était le monopole de Paris et de Limoges , est loljjet
(l'une émulation qui ne se las.'^e pas à Berlin. La princessi; impériale s'on occupe
spécialement. On a fait venir du Japon des ouvriers spéciaux pour joindre h l'email
français l'émail japonais, et ainsi l'emporter du coup.
>•> Ce qui a été créé jusqu'à ce jour est certainement remarquable ; mais on a la
douleur de continuer à domandcr les belles couleurs à ce Paris si envié et .si
détesté. »
MM. les industriels do Limoges se préoccupent- ils suffisamment de cet état de
choses ?
l/iii«iiiijKratioii étraii^çcrc cm Angleterre.— Le Board ofTrade
vient de publier à ce sujet dos documents officiels dont nous extrayons les rensei-
gnements ci-après :
Voici d'abord, pour une période de dix années, de 1871 à 1881, les chiffres relatifs
au nombre des étrangers résidant dans le Royaume-Uni.
La progression croissante relevée pour cette première période , n'a fait que
s'accentuer depuis. Le rapport le constate et donne , à ce propos , les détails
suivants :
Elnipire d'Allemagne
F'rance
1881
1871
Aufiiiicntîition
en 1881
4U..371
19.618
15.272
20.014
35.141
16.194
9.974
9.467
5.2:^0
3.424
5.207
10.547
Russie
Etats - L'nis
Pays divers
91.850
43.790
74.200
39.779
17.650
4.011
Totaux
135.640
113.979
21.661
Dans l'industrie du vêtement, l'influence de l'élément étranger est absolument
dominante, à l'exclusion presque de l'élément national. Il en est de même dans celle
de la meimiserie qui , sur un total de 23,000 ouvriers , en compte 4,000 étrangers ,
principalement allemands , avec des rus.ses et des juifs polonais. Enfin . au sujet de
la boulangerie, le rapporteur s'exprime ainsi :
« Les ouvriers attachés à l'industrie de la boulangerie déclarent que, depuis nombre
d'années, l'influence des boulangers allemands dans Londres a été si prépondérante,
que les Anglais sont graduellement forcés de renoncer à ce genre d'industrie. Une
autorité des mieux renseignées dans l'espèce , affirme que , durant les dix dernières
années, la proportion des boulangers allemands s'est accrue de 100 ""<, à Londres.
Il prétend que sur 4,000 maîtres boulangers établis dans cette ville , 2,U00 sont alb-
mands. Partout oii une affaire de ce genre se trouve disponible , il y a chance pour
qu'elle soit accaparée par un Allemand. Les maîtres boulangers allemands n'em-
ploient pas exclusivement des ouvriers de leur pays , mais les exceptions sont bien
rares. L'ouvrier allemand, surtout dès son arrivée à Londres, s'utilise à meilleur
mai'ché que l'ouvrier anglais , ce qui tend de plus en plus à mettre entre des mains
allemandes l'industrie de la boulangerie londonnienne. »
ASIE.
ï>.es chemins de fer du Japon. — L'industrie allemande a obtenu
récemment un certain nombre de commandes de rails et de matériel roulant pour
les chemins de fer du Japon et , à ce sujet, le Bautechniher publie les renseigne-
ments suivants : Le Japon possède actuellement 227 milles de lignes du gouverne-
ment et 120 milles de lignes appartenant à des C(jmpagiiies privées, soit un total de
347 milles en exploitation. Le gouvernement a, de plus, 68 milles, et les Compagnies
42 milles, soit 110 milles au total, en cours d'achèvement. Une longueur de 246 milles
a en outre été tracée, dont 91 seront consti-uits par le gouvernement et 155 par l'en-
treprise privée ; 456 milles de chemins de fer sont encore à l'état de projet, dont la
majeure partie, c'est-à-dire 336 milles, seront des lignes privées.
Sur la la ligne de Tokio-Nagasaki, appartenant à une Compagnie privée. 47 milles
ont été ouverts en 1885 , et le projet de ligne entre les deux capitales du Japon,
Tokio et Kioto, sera bien achevé. A l'est de Kioto, on fait de grands progrès dans la
construction des chemins de fer, et les chiffres qui précèdent font voir que le Japon
possède un total de 1139 milles de voies fen'ées achevées, en cours d'exécution ou à
l'état de projet.
dieintns de fei* en Perse. — Un syndicat composé en partie de Belges,
a obtenu réceumient du Gouvernement persan, à la suite de négociations laborieu.ses,
qui ont duré plus d'un an, la concession pour la construction du premier chemin de
fer persan. La première ligne partira de la capitale Téhéran, et aboutira à Shah-
Abdul-Azim , ville de 90,000 habitants , célèbre lieu de pèlerinage. La concession
accordée à cette Société belge a une importance beaucoup plus considérable que
celle de la simple construction d'une ligne de chemin de fer, car cette Société a
également le droit exclusif de construire et d'exploiter une longue ligne reliant la
mer Caspienne au golfe Persique. Cette Société a pris le nom de Société anonyme
belge des chemins de fer persan, avec son siège à Bruxelles.
lia houille du Toul^in. — Le steamer Cachar , qui vient de rentrer à
Toulon, importa' , pour la première fois en France, vingt tonnes d'une substance
d'origine nouvelle, dite » houille du Tonkin ».
C'est une matière sèche , friable , très chargée de soufre, qui représente les gise-
ments de puits différents, mais dont les échantillons sont de même nature. Les puits
sont situés dans la baie d'Along, k proximité de la mer.
On va essayer ce nouveau combustible dans l'arsenal maritime de Toulon . et
rechercher les moyens de Tutiliser; il sera tout d'abord employé à la fabrication
d'agglomérés.
■la production du l§>agou. — Le palmier sagou {metroxilon Sagus) four-
nit aux indigènes de l'archipel malais la nourriture farinacée que les autres peuples
d'Orient trouvent dans le riz, les céréales en général et les racines farineuses
— m -
Marco Polo écrivait en 1275 : « Et je vais vous conter une autre merveille : ils ont
une espèce d'arbre qui produit de la farine, et cette farine est un aliment excellent ;
cet arbre est long et élancé ; il a une écorce très mince , et cette écorce est remplie
de farine. »
Frère Odoricus, des Minorités, qui visita l'Archipel en 1518 , décrit ainsi la prépa-
ration du sagou alimentaire : « On coupe ce gros arbre à ras du sol : il on sort une
liqueur semblable a de la gomme, que l'on met dans des sacs en feuillage exposés
au soleil pendant quinze jours ; on plonge le résidu dans de l'eau de mer , puis dans
de l'eau douce , et l'on a alors une pâte savoureuse dont on fait du pain. » De nos
jours, cette manutention primitive a fait place à une préparation mieux entendue.
Le sagou est, après le nipa , le plus petit spécimen de l'espèce des palmiers; sa
hauteur dépasse rai-ement HO pieds ; par contre, c'est le plus large de l'espèce après
le Gomuti {Arcnc/a sacrharifera) , et il est difficile d'entourer des deux bras le tronc
d'un sujet adulte.
Dans son jeune âge, avant la formation du tronc, il présente l'aspcci d'un bouquet
de jeunes pousses. .Jusqu'au moment oii la tige atteint 5 ou 6 pieds de hauteur , elle
est recouverte d'épines aiguës qui la protègent contre les attaques du bétail et des
porcs sauvages ; ces épines tombent dès que la maturité du bois les a rendues
inutiles , grâce à une dureté naissante. De cette époque , jusqu'à son complet déve-
loppement , sa tige se compose d'une mince et dure paroi d'environ 2 pouces
d'épaisseur ; renfermant un fort volume de matière spongieuse et médullaire : c'est
la farine dont les indigènes de l'Archipel font leur pain ; puis , au fur et à mesure
de la formation du fruit , cette substance fai'ineuse disparaît , et lorsque l'arbre a
atteint son plein développement, le tronc n'est plus qu'une écorce vide.
Le sagou ne vit que trente ans ; il aime les terrains bas et marécageux ; Rumphius
dit « qu'il lui faut des bas-fonds humides oii l'on enfonce dans la vase jusqu'aux
genoux ; il croît aussi dans des sols de gravier, à la condition qu'Us soient saturés
d'eau ».
On distingue quatre variétés de sagou : le sagou de culture , épineux sur le tronc
et les feuilles ; le sagou sauvage , l'espèce à longues épines {Sagus lœvis) , générale-
ment connue des indigènes sous le nom de sagou femelle. La première et la dernière
de ces variétés sont celles qui donnent la meilleure farine ; l'espèce sauvage a une
moelle dure dont la préparation est difficile ; quant à la variété dépourvue d'épines,
vu les dimensions relativement restreintes de son tronc, elle contient peu de matière
médullaire.
Le sagou , comme tous les i)almiers , se reproduit par son fruit , dont la forme et
le fruit sont essentiellement variables ; .sa dimension moyenne est celle d'un œuf de
pigeon. Ce fruit fournit dans les îles Amboyna une abondante nourriture aux indi-
gènes. Quanta la farine, elle se consomme soit en potage, soit sous forme de
biscuits passés au four et faciles à conserver, dont les Malais se nourrissent au cours
des voyages qu'ils font à Singapore pour y apporter le sagou brut , qui s'y prépare
pour être réexporté en Europe.
Le palmier sagou est répandu dans toute la Malaisie, depuis la côte occidentale de
Sumatra jusqu'à la Nouvelle-Guinée. Il se développe normalement entre 10" de lati-
tude nord et 10° sud ; cependant on ne le trouve en forêts que dans la Nouvelle-
Guinée, les Moluques, les Célèbes , Mindanao , Bornéo et Sumatra. Originaire de la
partie de l'Archipel oii la mousson d'est , se faisant sentir avec violence , est accom-
pagnée de pluies torrentielles, il se reproduit avec la plus grande fécondité dans les
îles qui donnent le clou de girofle et la noix muscade.
De tous les sujets du règne végétal qui fournissent à l'homme une alimentation
farinacée, c'est certainement le plus productif et le plus facile à exploiter. Sa pro-
5*
- 70 -
duction est réellement prodigieuse ; il n'est pas rare qu'un arbre donne 4 ou 500
livres de matière nutritive brute. En tenant compte des maladies ou des accidents
qui peuvent atteindre le palmier sagou, on peut estimer, en moyenne, son produit à
300 livres (136 kilogrammes). Sur certains points , il serait bien supérieur ; d'après
Rumphius , il atteindrait 800 livres (362 kilogrammes) , dans les Moluques , et un
journal de Singapore affirme qu'à Sumatra il va jusqu'à 950 livres (430 kilogrammes)
au maximum, sans descendre au-dessous de 475 livres dans les cas les moins favo-
rables. En prenant pour moyenne 700 livres à Sumatra, où les arbres sont à 10 pieds
de distance les uns des autres , d'après Forest et Gi'a\vfurd , on arrive au chiffre de
300,000 livres de production par acre (136,000 kilogrammes) ; les palmiers se renou-
velant tous les quinze ans, la production annuelle est de 20,000 livres , soit de 9,000
kilogrammes par acre. Quand les sagous d'une plantation sont devenus adultes , la
récolte devient permanente, le mode de croissance assurant une succession constante
de nouveaux plants depuis le moment où les premiers ont commencé à étendre leurs
racines, et l'ordre de cette succession peut être réglé au couteau au gré du planteur.
Il n'y a pas de saison particulièrement favorable à l'extraction de la moelle ; il
faut se borner à attendre que l'arbre soit suffisamment développé ; l'époque de la
maturité dépend de la nature du sol dans lequel le palmier est planté. On compte en
naoyenne, quinze ans pour l'entière croissance d'un arbre ; mais ce n'est point à son
âge que l'on reconnaît s'il peut être abattu , c'est à son apparence extérieure. Les
habitants des Moluques distinguent six degrés dans la maturité de la substance
médullaire : le premier est marqué par une sorte d'efflorescence poudreuse sur les
branches, et le dernier par le commencement de la fructification. La moelle peut être
extraite à chacun de ces degrés ; pour cela , on coupe l'arbre près de la racine, et on
dépèce le tronc en morceaux de 6 ou 7 pieds que l'on fend en deux dans le sens de
la longueur ; puis on enlève la substance spongieuse et on la réduit en poudre avec
un pilon de bois.
Pour séparer la farine des filaments qui l'accompagnent , on jette le tout dans de
l'eau douce ; le mélange est passé à travers un tamis et va se reposer dans un réci-
pient au fond duquel se dépose la farine. La matière ainsi obtenue est le sagou brut
qui peut se conserver pendant un mois environ : c'est cette matière que l'on prépare
à Singapore pour la réexportation.
Dans l'Hindoustan , le palmier sagou sert à l'ornementation des jardins. Vu sa
fécondité et la facilité avec laquelle il se reproduit sans soins spéciaux , il devrait
rendre aux Hindous les mêmes services qu'aux Malais, et l'industrie s'en emparerait
avec succès.
A Bornéo, on le trouve le long de la côte du nord-ouest, à Kaluka, Oya, Muka et
Bentulu ; il y est cultivé par la population mellanue et donne un rendement considé-
rable ; entre Rijang et Bentulu , cette culture est susceptible d'un grand développe-
ment. A Sai awak , il y a plusieurs fabriques chinoises pour la manufacture du
sagou ; Muka . tout en alimentant cette localité . exporte aussi le produit brut à
Singapore. A Labouan , depuis que le sultan de Bornéo a levé certaines mesui-es
restrictives qui paralysaient le transport du sagou par les rivières, le commerce s'en
occupe activement , et l'île pourra devenir un centre important de préparation pour
l'exportation directe.
Dans les Célèbes, tous les habitants se nourrissent de ce produit, qui s'y trouve
en abondance. 11 y croît dans les vallées humides. Il y avait , en 1874 , dans les
districts de Tonsawang et de Ménado 3.53,600 palmiers donnant 2,500 piculs (156,250
kilogrammes) de sagou ; Billiton en comptait 20,600 : Riouvv produisait environ
58,000 piculs (362,500 kilogrammes).
- 71 -
Singapore est actuellement le centre de la fabrication du sagou et son principal
marché.
Ce produit y arrive à l'état brut de tous les points de la Malaisie, et notamment
de la côte nord-ouest de Bornéo , de la côte nord-est de Sumatra , ainsi que des îles
adjacentes, .de Siak à Indragari. Près de 25,0fX) tonnes en sont annuellement re(;ue8
et manufacturées ici par des industriels chinois sous forme de farine (flour) ou de
sagou perlé {pearl sagou).
La fabrication du sagou perlé est assez simple. On lave la matière brute sur des
plans inclinés d'oii elle tombe <lans des cuves à travers une étoffe fine qui la tamise:
après avoir été agitée dans les cuves pendant une heure, elle s'y repose pendant une
demi-journée , et donne un dépôt qui deviendra le produit de consommation. A cet
effet , il est de nouveau lavé à grande eau dans des conduits en bois garnis d'obs-
tacles sous forme d'écluses, contre lesquels la partie à conserver, plus dense que les
matières sans valeur , s'arrête et se consolide ensuite aux rayons du soleil. Brisé .
après cela , et passé au crible, le sagou ainsi obtenu est prêt à être petie. Il reçoit .
dans ce but , un mouvement de vibration horizontale et rotatoire sur une toile à
bords relevés, puis il est de nouveau criblé. On le chauffe alors sur des bassines de
fer exposées à flannne de fourneaux ardents , en ayant soin de l'y agiter constam-
ment avec des spatules de bois. Lorsqu'il a acquis une certaine consistance , il est
criblé pour la troisième fois ; il se présente alors sous l'aspect de grains de grandeur
égale à celle d'avant la cuisson , mais d'apparence glacée ou semi - transpau"ente et
d'une plus grande dureté. Une deuxième opération en tout semblable à celle - ci lui
donne enfin la consistance voulue et réduit le grain aux proportions désirées. Le
sagou est alors prêt à être exporté.
De 1862 à 1875 , les exportations de sagou de Singapore en Angleterre ont suivi
une progi'ession importante :
1862 165,635 cwts.
1863 123,870
1864 •. 111,423
1865 106,409
1866 151,788
1867 142,844
1868 241,860
1869 268,978
1870 268,666
1871 227,766
1872 288,862
1873 279,766
1874 300,29^»
1875 350,064
A partir de 1875, l'exportation se fait sur un grand nombre de points et se
développe annuellement :
72
ANNÉES.
UNITÉS,
EXPORTATIONS
[
1
EN
EUROPE.
1
EN ! EN
AMÉRIQUE. AUSTR.\LIE.
EN ASIE
et
EN MAXAISIE
1876
1877
G\vts.
Idem.
Piculs.
Idem.
Idem.
Idem.
Idem.
.316.500
^4.993
308.685
16.702
260.028
264.995
326.039
293.760
!
14.581 4.126
20.185 8.647
13.501 6.896
26.311 1 5.558
9.590 1 7.188
14.227 4.181
11.784 5.517
1
24 917
66.766
37.288
40.222
43.224
30.048
29.117
1878
1879
1880
1881
1882
Enfin, en 1883, Fimportation du sagou brut et l'exportation du sagou manufacturé
atteignent des proportions considérables.
■jC pétrole du Caucase. — Le Scottish geographical Magazine analyse une
récente brochure de M. Charles Marvin, intitulée : « L'invasion prochaine du pétrole
russe et son influence sur le marché anglais. » Cette brochure mérite l'attention ,
malgré ses tendances un peu exagérées. Comme on le sait , d'énormes quantités de
pétrole ont été découvertes aux deux côtés du Caucase , tant vers la mer Caspienne
que ver la mer Noire. A Baku, sur la côte ouest de la mer Caspienne , un seul puits
lance, d'une ouverture de dix pouces , 11,000 tonnes de pétrole par jour, c'est-k-dire
plus que tous les autres puits du monde ensemble.
Et ce n'est là qu'un puits parmi cent , et rien ne fait .supposer qu'ils s'épuiseront.
Ce pétrole de Baku, au dire de M. Redwood , chimiste de la Société de pétrole
de Londres , est , sous certains rapports , supérieur aux meilleures huilos améri-
cair-es. Ce qui manque , c'est uniquement un moyen de transport économique de
la mer Caspienne à la mer Noire. On a proposé à cet effet de construire un tuyau
de 600 milles, do Baku à un point de la mer Noire. Ce tuyau coûterait 50 millions de
francs ; et , ainsi que le fait remarquer M. Marvin , les projets de construction de
l'ouvrage principal et des différents accessoires, sont certes dignes de l'attention des
capitalistes européens.
En outre, il y a d'énormes champs de pétrole à Ilski, dans le voisinage de Novo-
Rassisk , sur la mer Noire ; une ligne de tuyaux de 47 milles relie déjà ces deux
points.
Le Chamber of Commerce Journal, de Londres , publie un rapport des plus inté-
ressants du colonel C. E. Stewart sur la matière , et nous conseillons à toute
personne que la chose intéresse , de lire à la fois ce rapport et la brochure de
M. Marvin. Une question de la plus haute importance est celle du chauffage parle
pétrole des chaudières à vapeur dans les navires et les locomotives.
Voici, à ce sujet, un extrait du rapport du colonel Stewart : « Les Russes nomment
aslatki le résidu du pétrole, après que la benzine, la gazoline et l'huile-soleil en ont
— 73 —
été extraites. Getastatki a dès lors perdu ses éléments volatiles et n'offre plus aucun
danger : il peut facilement servir pour les bateaux à vapeur et a, sur le charbon, de
nombreux avantages. Non seulement Pastatki o.^t plus propre que le charbon, il pent
encore plus facilement être chargé à bord du vaisseau et occupe beaucoup moins de
place. Il peut même être chargé dans des parties impropres à recevoir le charbon ,
ainsi entre les deux ponts du navire. 11 ne reste ni cendres, ni scories, la combustion
est complète. L'emploi de l'astatki dispense du nombre considérable di' chauffeurs
et de machinistes que nécessitent ordinairement le nettoyage des machines et le
règlement de la vapeur. Un vaisseau peut , au moyen d'un tuyau , prendre à bord
100 tonnes d'astatki par heure. Plus de 200 bateaux à vapeur brûlent l'astatki , tant
sur la mer Caspienne que sur le Volga et la mer Noire . l'usage de ce produit est
également introduit sur trois lignes de chemin de fer: celle de Laert-zin-Griazi; celle
ilu Caucase de Baku à Batoum ; la lii^ne Trans-Caspiitnnc' de Michaelofsk à Merw.
Les fourneaux d'astatki ne fument pas et exigent peu de surveillance. »
AFRIOUE.
Ce Cf u'ont coûté mos colonies d'Afrique. — A la dernière séance de
la Société de géographie conmierciale, M. Louis Vignon, consul de France , ancien
chef de cabinet du ministre du commerce , a fait une communication sur cette très
intéressante question : « Ce que l'Algérie et la Tunisie ont coûté à la France. »
La France a dépensé en Algérie , de 1830 à la fin de J886 , la somme énorme de
4 milliards 765 millions. Les recettes faites dans noti'e colonie pendant cette période
s'étant élevées à 1 milliard 165 millions, les dépenses réelles, non reinboursées, ont
été de 3 milliards 600 millions.
Dans cette somme, les dépenses du ministère de la guerre — frais de conquête et
d'occupation — ont été de 3 milliard-^ .300 millions. Ainsi , « les dépenses civiles » ,
pour administration , colonisation , travaux publics , etc. , demeurent au chiffre de
300 millions.
C'est là un très gros chiffre ; encore faut-il ajouter que l'Algérie nous coûte encore
tous les ans 75 millions, soit 20 millions de dépenses « civiles extraordinaires » pour
garantie d'intérêts aux chemins de fer et annuité à la Société générale algérienne, et
55 millions pour l'enti-etien du 19" corps d'armée.
En regard de ces énormes dépenses, M. Louis Vignon met les faibles sacrifices
faits par la Grande-Bretagne en Nouvelle-Zélande.
De 1849 à 1873, date des derniers sub.-ides à sa c/)lonie , l'Angleterre n'a dépensé
que 168 millions de francs, sur lesquels seulement 5 millions de « dépenses civiles ».
Pour subvenir à ses grosses dépenses de travaux publics , la Nouvelle-Zélande ,
au lieu d'avoir recours comme l'Algérie au Trésor métropolitain, a fait des emprunts
sur le marché de Londres.
M. Vignon résume donc la situation ainsi :
L'Algérie a coûté à la métropole trois cents raillions de « dépenses civiles » et lui
coûte encore vingt millions de « dépenses civiles extraordinaii'es » par an.
La Nouvelle-Zélande n'a coûté à l'Angleterre que cinq millions de « dépenses
civiles » et lui rapporte par an indirectement , quarante millions pour intérêt et
amortissement des sommes empruntées aux rentiers anglais.
De 1881 à 1886, la France a dépensé 165 millions en Tunisie , dont 142 millions de
— 74 —
frais de conquête et d'occupation. — Le budget tunisien paye toutes les dépenses de
la Tunisie, celles du corps d'occupation exceptées.
Cette très intéressante communication de M. Louis Vignon , fort applaudie , a eu
un grand succès.
Commerce avec le Gabon. — Le correspondant de la Société de
géographie de Lille au Gabon. M. Froment, nous adresse les renseignements
suivants, utiles pour ceux de nos concitoyens qui voudraient engager des affaires
avec ce pays :
« Libreville (Gabon), 5 niai 1887.
» Voici d'abord le tarifs des douanes pour les principaux objets d'importation
dans la colonie du Gabon-Congo :
Alcool à 50" et au-dessus
» de 25° à 50"
Eau-de-vie de moins de 25"
Armes de traite non rayées
Poudre de traite
Poteries, porcelaines et faïences les 100 kil
Verres et cristaux (y compris les glaces et miroirs) . .
Lard et porc salé
Jambon et langues fumées
Saucissons
Autres conserves de toutes sortes
Beurre salé ou de conserve
Fromages
Lait condensé non sucré
Poissons marines ou conservés
Céréales, grains, légumes, farines
Pommes de terre
Biscuit de mer
Tabacs fabriqués à fumer
Cigares, cigarettes
Sucres bruts ....
» raffinés
Café
Huiles fines pures
» minérales d'éclairage
Houille, coke " les 100 kil.
Fer en barres, fontes, tôles et acier
Cuivre eu masses, bai'res, saumons et plaques . . .
Sel marin et sel gemme ,
Savons id. 8 »
Bougies id. 16 »
Cidres, bières, limonades l'hectol. 5 »
Vins titrant moins de 16° id. 5 »
Fraucs.
l'hectol.
100 »
id.
60 »
id.
40 »
pièce.
2 »
le kil.
0 30
les 100 kil.
2 »
id.
15 »
id.
5 »
id.
10 »
id.
10 »
id.
10 »
id.
5 »
id.
8 »
id.
6 »
id.
10 »
id.
0 50
id.
2 »
id.
1 »
le kil.
0 60
id.
1 »
les 100 kil.
5 »
id.
8 »
id.
6 »
id.
6 »
l'hectol.
!! »
les 100 kil.
0 15
id.
2 »
id.
6 »
id.
0 4(J
- 75 -
\'ins titranl 16" el au-dessus rhectol. 10 »
Vermouth et vins aromatisés id. !}0 »
Vins mousseux la bouteille 0 'lO
Vinaigre le litre 0 ( T)
ad valorem.
Fils de lin, chanvre , coton, laine et soie 10 7„
Tissus de lin, chanvre, coton, laine et soie 10 °/o
Les tissus teints ou imprimés paient un droit supplé-
mentaire de 10 "/„
Passementerie - 10 °/„
Vêtements confectionnés 10 "/„
Chaussures et tous ouvrages en peau et cuir les 100 kil. 10 »
t >uvrages en fer, fonte et acier id. 4 »
» en fer-blanc id. 6 »
» en cuivre id . 12 »
» en plomb ou en zinc . id. 0 »
» en étain id. 12 »
Machines françaises exemptes.
» étrangères (jd valorem 10 "/„
Orfèvrerie et bijouterie le kil. 5 >>
Outils de toutes sortes les 100 kil. 8 »
Cout'^Uerie de toutes sortes id. 40 »
Instruments de musique ad valorem 10 " „
Chapeaux de toutes sortes la pièce 0 20
Les marchandises de provenance française bénéficient d'une réduction de 60 " q.
Les principah^s maisons de commerce du Gabon sont :
Hatton et Cooknon, de Liverpool ;
Woerman et G", de Hambourg ;
Uaumat, Béraud et Ci« , de Paris (rue Maubeuge, 5).
Ces trois niaisons font la traite de Tivoire du caoutchouc, de Tébène. du bois de
teinture et de l'huile de palme. Elles ont des comptoirs dans rOgôoué et sur tous les
points de la côte jusqu'à Ambriz (Angola). Les deux premières ont chacune une
ligne de steamers qui transportent en Europe les produits achetés à la côte. La
maison Daumas et Béraud n'a, jusqu'à présent, que des voiliers. Enfin , chacune de
ces trois maisons a une flottille de petits vapeurs pour le service côtier et fluvial
desservant leurs succursales. La maison Hatton et Gookson est de beaucoup la plus
importante, elle paie chaque année à elle seule 250,000 francs environ de droits de
douane, c'est-à-dire près de la moitié du total des droits perçus annuellement
au Gabon.
» D'autres maisons de commerce se sont installées à Libreville pour faire surtout
le détail ; quelques-unes récomment. Ce sont, par ordre d'importance :
Sajoux et G.'e française.
L. Pecqueur »
Archambaud et C''" de Bordeaux, quai des Ghartrons.
L. Rover et Cie de Cognac.
Stein allemande.
Holt anglaise.
- 76 —
Béthencourt portugaise.
Redembach française.
Pêne »
Gravier »
Ces établissements sont surtout des magasins de détail vendant aux Européens
(fonctionnaires et marins) des vins, liqueurs, conserves, etc., et aux noirs de l'eau-
de-vie, des étoffes, des vêtements confectionnés, de la chapellerie, de la coutellerie,
du tabac; et les mille bibelots qui composent l'étalage d'un bazar bien achalandé.
On a vu que les droits de douane , réduits de 60 °l„ pour les marchandises de
provenance française, importées sous tous pavillons , deviennent presque nuls. Les
industriels français profiteront-ils de cet énorme avantage pour essayer , enfin , de
mettre leur fabrication au niveau de la fabrication étrangère ?
11 est fortement question d'établir une ligne de paquebots français , partant du
Havre, pour desservir la côte occidentale d'AMque et surtout notre colonie du
Gabon-Congo. Actuellement, quatre lignes font ce service : une anglaise , partant de
Liverpool, et qui perd beaucoup de temps à cause de ses nombreuses escales sur la
côte de Guinée ; une allemande, de Hambourg, qui se trouve dans le même cas ; une
portugaise, partant de Lisbonne , et ne touchant que dans les colonies portugaises ,
Madère, Cap-Vert , Iles-du-Prince et San-Thomé , St-Paul de Loanda , etc , et enfin
une ligne belge, partant d'Anvers , et touchant au Havre, au Gabon et au Congo. »
AMERIQUE.
I/exportatiou den locomotives des États-Uuis. — Depuis 1875 ,
les États-Unis ont exporté pour 65,500,000 francs de locomotives. Cette exportation
s'est faite, pour les différents pays, dans les proportions suivantes : Russie , 4 pour
100 ; Angleterre et colonies anglaises , 29 pour 100 ; Espagne et Cuba, 10 pour 100 ;
Mexique, 14 pour 100 : Amérique du Sud, 37 pour 100.
Pour les Faits et Nouvelles géographiques non extraits :
LE SECRÉTAIRE-GÉNÉRAL ,
ALFRED RENOUARD.
- 77
COURS ETGOiNFÉRENGES DU JEUDI SOIR
A LILLE.
(m extenso).
LES PÈRES BLANCS D'AFRIQUE
Pai' l'Abbé Joseph VARIOT, Docteur ès-lettres. Professeur de littérature latine
à Lille.
Conférence faite à Lille le 8 février 1887
Si le quinzième siècle <>st le siècle de la découverte de l'Amérique ,
on peut bien dire du nôtre qu'il sera celui de la découverte de l'Afrique.
Depuis plus de cinquante ans . le conlinent noir excite la curiosité des
esprits et semble vouloir absorber , à son profit , l'activité humaine
tout entière.
Pendant que des hommes de génie percent les isthmes , pour étoMir
la libre connnunication des mers , les explorateurs de toute nationalité
se succèdent sans relâche et rivalisent d'audace pour achever la cou-
quête géographique du globe terrestre : ils parcourent nos possessions
françaises du Nord de l'Afrique , ils fout le guet aux portes du Sahara
et du Soudan, ils sont aux grands lacs , vers le sud - est , sous les feux
directs de l'équateur.
Aux récits enthousiastes publiés par les voyageurs, les peuples
d'Europe se sont émus à leur tour , et dans la pensée d'étendre leur
influence et d'accroître leur fortune , ils travaillent assidûment à fon-
der des colonies au sein des territoires qui viennent d'être ouverts.
C'est à qui plantera son drapeau sur quelque promontou-e isolé , c'est
à qui aura le bonheur d'être déclaré le premier occupant.
Toutefois , cette découverte de l'Afrique n'a pas réveillé que des
instincts de curiosité et de conquête. Elle a fait naître , au cœur des
nations civihsées, le désir de propager leur civilisation parmi les tribus
- 78 -
barbares , et comme la France , malgré ses épreuves , malgré ses
malheurs , demeure encore , en Europe . la première gardienne de
l'idée de civilisation, elle sait toujours en devenir Tapôtre , à l'aide
d'une armée nombreuse qui ne rompt jamais ses cadres . et par des
soldats qui n'ont pas le droit de répandre le sang, sinon le leur.
Parmi ces héros intrépides et toujours à la bataille , figurent au pre-
mier rang , ceux que la voix populaire de notre armée , des colons et
des Arabes a désigné sous le nom de Pères Blancs. On les appelle
aussi Missionnaires d'Alger , à cause de la ville qui fut leur berceau.
Les Pères Blancs ont considéré que s'il est beau de supprimer les
distances par le percement des isthmes , de tenter des excursions
hardies dans des continents jusqu'à ce jour impénétrables , il est plus
beau encore de ne rien ménager , de se dépenser en efibrts inouïs ,
pour faire reculer la barbarie , et rapprocher les âmes et les cœurs de
la grande famille humaine. Tel est le secret de leur vocation. Ces
ouvriers de Dieu ont eu l'ambition d'être les messagers de la vérité
divine , en même temps que les ambassadeurs de la civilisation
humaine.
Les Pères Blancs prennent leur nom de leur costume. Ils ont adopté
les vêtements de l'Afrique du Nord, afin de moins efi'aroucher les indi-
gènes et pour mieux se protéger eux-mêmes contre les ardeurs dévo-
rantes du climat, L'Arabe n'aime pas les hommes imberbes : le Père
Blanc doit donc porter toute sa barbe ; il est enveloppé de la gan-
dourah blanche , coiffé de la ceccia ou du hmk avec la corde tressée
en poils de chameau ; ii porte aussi le burnous flottant.
L'association de ces apôtres de l'Evangile s'est formée quelques
années avant la guerre, pour conjurer les effets terribles de la famuie
et de la peste chez les Arabes. Leur nombre s'est vite accru. Par la
délégation des chefs suprêmes de l'Église , avec le consentement du
gouvernement de la France , qui les a reconnus d'utUité publique , ils
ont tout d'abord travaillé h. fonder l'influence de leur patrie dans
l'Afrique du Nord , et c'est de la civilisation chrétienne qu'ils sont
aujourd'hui les hérauts dans la région des grands lacs de l'équateur.
On a pu dire avec vérité de cette œuvre , qu'elle est la plus grande de
ce siècle. Malgré le court intervalle qui les sépare de leur oi'igine , les
Missionnaires d'Alger comptent déjà plus de douze martyrs et quarante-
cinq de leurs membres viennent de fonder quatre vicariats aposto-
liques et onze établissements dans les royaumes de Nyanza , du
Tanganyka et sur la rive droite du haut Congo.
- 79 —
Une entreprise si considérable mérite bien une esquisse , un court
aperçu qui mette sous les yeux le dessein de tant d'âmes généreuses.
Car si Ton vante les exploits d'un seul homme qui a couché sous la
tente du désert, qui a navigué en pirogue aux chutes des cataractes ,
qui s'est frayé un chemin à travers les épines des forêts , au milieu de
l'escorte de toute la faune d'une région , n'est -il pas juste de parler
aussi d'une congrégation qui compte deux cent cinquante apôtres déjà
formés ou en voie de formation, qui voit compléter son œuvre par une
congrégation de femmes , où il y a déjà plus de cent membres actifs ?
Toute cette vaillante phalange brave aussi les climats, entend sans cesse
le glapissement enroué du chacal et le grondement famélique de
l'hyène, mais elle n'a pas le temps de le dire à toute la terre.
Quelles sont donc les Missions des Pères Blancs dans le Nord de
l'Afrique, quelles ont été leurs tentatfves dans le Sahara et le Soudan,
comment se sont -ils résolus , sous la bannière du Sacré-Cœur, à la
conquête des régions équatoriales ? C'est ce que j'ai l'intention d'indi-
quer en quelques pages rapides. Pour bien suivre leurs opérations ,
j'aurai besoin de fournir quelques données sur la topographie de
l'Afrique qui leur sert de théâtre , et de faire entrevoir les mœurs de
ces peuplades, abandonnées à des instincts sauvages.
Mais avant tout , nous devons faire connaissance avec ces pionniers
de la civilisation, qui sont aussi les apôtres de notre foi.
Vers la fin de 1867 , au lendemain de la famine et de la peste qui
avaient dévasté l'Algérie, plus de deux mille petits enfants abandonnés,
flétris, dispersés, mangeaient, autour des huttes , l'herbe des chemins.
On les recueillit sans se préoccuper des règles de la prudence humaine.
N'y a-t-il pas des heures ici-bas , où la prudence de ce monde est trop
courte pour les infortunes à secourir ? Mais la miséricorde divine a le
secret de susciter alors de grandes œuvres, afin de les opposer à des
détresses sans nom. Pour porter remède aux malheurs qui affligeaient
l'Afrique du Nord, il se rencontra un petit groupe déjeunes prêtres
français, résolus à se dépenser pour l'Eglise d'Algérie, dans notre
colonie et plus loin encore.
Alger fut leur quartier général ; les nombreux orphelins adoptés ,
fournirent un aliment au début de leur apostolat. Durant des années ,
le Pape et les Evèques eurent les yeux fixés sur l'œuvre naissante.
Elle se développait tous les jours , se formait à l'intrépidité tenace
comme elle s'entretenait dans l'espérance joyeuse, au contact des fils
de saint Ignace et des enfants de saint Vincent de Paul. Dès qu'elle eut
— 80 -
traversé les crises et les hésitations de la première croissance, l'Église,
par la bouche de ses augustes représentants, fit entendre à ces prêtres,
à ces frères, dont la jeunesse était encore toute vive, que l'heure était
venue de déclarer librement s'ils se sentaient capables de consacrer
leur vie à l'œuvre des missions d'Afrique et de s'y engager par ser-
ment. C'était un visa pour le martyre qui leur était otiért. Ils n'hési-
tèrent pas à l'accepter de grand cœur. Ainsi , suivant le mot d'un
publiciste catholique, au sujet des fléaux de 1867 : « Ce coup de foudre
avait creusé un puits de bénédiction , dont les eaux allaient vivifier les
déserts. »
La congrégation des Pères Blancs ne s'est pas formée d'une manière
soudaine ; mais nous ne l'étudierons pas dans toutes les phases de son
développement. 11 nous suffit , avant de la suivre dans sou action , de
nous représenter ses fonctions morales, son organisme, tel qu'il existe
aujourd'hui, tel qu'il s'est constitué et affermi en moins de vingt ans.
Quelle est donc la fin qu'elle se propose ; comment s'eôectue son
recrutement ; a-t-elle eu la prévoyance de se ménager une base d'opé-
ration , à l'exemple des troupes qui ne se mettent en campagne que
lorsqu'elles sont sûres d'être soutenues par la mère-patrie et de pouvoir
s'appuyer sur un camp bien retranché?
Dans une région où les enfants sont en si grand nombre , où les
malades de tout âge implorent les secours de chaque instant , les
Missionnaires d'Alger se proposent l'éducation des enfants et le soula-
gement des infirmes. Une congrégation de femmes est fondée à côté
de la leur , afin de pourvoir à l'éducation des petites filles , et pour
soigner les femmes des indigènes.
Des enfants à élever, des malades à guérir , c'est toujours et partout
le commencement de l'Evangile. Que signifie donc l'appel aux petits
enfants, si souvent répété par notre Sauveur , quel est donc le sens de
la recommandation faite aux Apôtres : « Soignez les malades ? » Mais
les enfants surtout réclament une sollicitude inépuisable. Leurs pre-
mières impressions auront un retentissement si décisif sur leur vie
tout entière ! Un proverbe arabe , dans sa forme concise , quoique un
peu absolue, en dit plus que tels manuels de pédagogie de notre temps :
« Instruire le vieillard , c'est écrire sur l'eau ; instruire l'enfant , c'est
écrire sur la pierre. » C'est, d'ailleurs , par l'entremise des enfants et
des pauvres infirmes qu'on arrive aux âmes, aux cœurs qui ont tant
besoin d'être relevés de lourdes dégradations et délivrés de longues
erreurs ! Mais la conversion n'est pas aâ"aire d'un jour. Pour être pru-
- 81 -
dente, elle doit être préparée par des épreuves multipliées, et demeurer
toujours libre, afin qu'il n'y ait jamais lieu de regretter les défections
qui naissent de l'empressement.
Les Pères Blancs d'Afrique, comme les bons ouvriers de la vigne de
Dieu, ne se contentent pas d'en défricher quelque parcelle et de four-
nir leur journée : ils songent au lendemain et à l'avenir , afin que la
succession des Apôtres soit interrompue. Le recrutement de l'œuvre
est incessant. Leurs écoles sont déjà nombreuses et disséminées un
peu partout : les unes sont spécialement dos maisons d'études, d'autres
sont créées surtout pour la formation morale et apostolique. Sur les
hauteurs de Carthage, ils ont un scholasticat où l'on cultive les sciences
sacrées comme les connaissances humaines, où l'on s'applique à parler
ces langues bizarres , qui témoignent de la confusion de la tour de
Babel et d'autres confusions encore. De la pépinière de Saint -Louis
de Carthage , sortent les Missionnaires et les professeurs préposés à
l'instruction complète des enfants , qu'ils soient Maltais , Arabes , Juifs ,
Nègres, Equatoriens ou fils de colons, comme il arrive à Saint-Charles
de Tunis et dans les établissements de Malte. La seule ville de Malte ,
dans l'un de ses vieux faubourgs . a vu créer , depuis 1881 , un institut
africain , pour la formation des médecins indigènes , un séminaire de
prêtres maltais , et une école normale primaire , où se préparent de
jeunes instituteurs kabyles.
Ils ont aussi fondé des écoles apostoliques , afin de discerner les
vocations et d'étudier les aptitudes. Français, Belges, Hollandais,
Alsaciens, Nègres et Arabes, tous sont appelés à former le contingent
de cette armée d'apôtres. A l'extrémité du village de Woluwe, près de
Bruxelles , il existe une école très hospitalière qui reçoit les enfants
de la généreuse Belgique, de la Hollande et des frontières d'Allemagne.
Il y en a une autre à Lille pour toute la grande région du Nord.
N'oublions pas l'école apostolique de Saint - Laurent d'Olt, dans
l'Aveyron , qui a déjà rendu tant de services , et d'où sont sortis les
jeunes Arabes qui suivent aujourd'hui les cours des Facultés catho-
liques de Lille : ils sont à la veille de soutenir leur thèse de doctorat
en médecine.
Dans chacune des écoles , il se fait un premier travail de polissure
sur les intelligences en même temps qu'un triage des volontés qui
s'annoncent comme devant être fortement trempées. Les éléments de
choix sont envoyés en Afrique pour continuer leur formation aposto-
lique à l'École centrale de Saint-Eugène. De là, les futurs mission-
— 82 —
naires passent au noviciat général de la maison Ca^^rèe. On les y
habitue à préférer « une misérable hutte k un palais , une nourriture
grossière aux mets exquis , l'eau au vin » ; ils s'y préparent , dans les
exercices d'une piété solide , au serinent , par lequel ils se consacrent
à l'œuvre de la mission jusqu'à la mort , comme Pères , s'ils sont
prêtres , comme frères , s'ils ne sont pas promus au sacerdoce.
Mais à une œuvre si étendue , il faut des appuis , les ressources sont
indispensables .
Grâce à Dieu , le point d'appui moral existe à Alger, sous un œil
paternel et vigilant. Alger est le contre où l'action du recrutement,
d'abord dispersée , s'agrège et se condense. De plus , les Pères Blancs
ont une procure à Sainte-Anne de Jérusalem, sur l'emplacement même
de la demeure où, selon la tradition, fut conçue et naquit la Bienheureuse
Vierge Marie ; ils en ont une autre à Saint-Nicolas de Rome , auprès
du successeur de Saint -Pierre. Ces établissements sont d'abord un
acte de piété et d'obéissance filiale. Où peut-on mieux puiser les inspi-
rations de l'apostolat et la foi vivante , dans toute son énergie , si ce
n'est à leurs sources, au tombeau du Sauveur, au berceau de la Sainte
Vierge , à la confession de saint Pierre et de saint Paul , près du
Vicaire de Jésus-Christ ? Mais leur présence à Jérusalem et à Rome
est aussi d'un grand poids auprès des peuples qu'ils doivent évangé-
liser.
Il suffit d'avoir feuilleté quelque étude sur l'Afrique , pour ne plus
ignorer de quelle superstition les Arabes entourent le tombeau de leur
prophète , de quelle considération ils accompagnent les pèlerins au
turban vert qui reviennent de la Mecque. Les Pères d'Afrique sont
bien obligés de compter avec les préjugés si invétérés des Mahomé-
tans ; ils ont dû se mettre à même d'opposer une réponse victorieuse
aux Arabes qui exaltent leur prophète et ses marabouts. Vous nou.*^
parlez de la Mecque , peuvent-ils dire , mais le tombeau du vrai et du
seul prophète est à Jérusalem ; quelques-uns de nos Pères y résident
et nous y allons aussi en pèlerinage. Vous vantez vos écoles si habiles
à expliquer le Coran , mais la véritable école qui interprète l'Evangile
est à Rome, et c'est de là que nous recevons la lumière !
Les Pères Blancs vivent d'aumônes et sont les clients de tous les
cœurs miséricordieux , de toutes les âmes qui ont l'intelligence de la
parole de l'Évangile : Celui qui donne asile à V Apôtre , recevra la
récompense de l'Apôtre ! Cependant , comme on pouvait s'y attendre ,
~ 8:^ -
ils n'échappent pas à l'esprit de malveillance qui s'acharne aux œuvres
catholiques pour les détruire. On a imaginé, sur de très petits calculs ,
que ces pauvres religieux possédaient des biens -fonds , des capitaux ,
des millions. Cette manœuvre perfide a été inventée, ce bruit répandu
d'une manière contagieuse, pour détourner des missionnaires d'Alger,
les aumônes et les ressources qu'ils attendent de la charité.... Les
millions sont une légende , et , comme le disait hier le véntTé Primat
d'Afrique, * quand on parle , sans compter , on y croit à force de l'en-
tendre dire ; quand on compte , ce sont des millions à rebours ». En
réalité, c'est dans les aumônes des catholiques du monde entier que
les Pères Blancs mettent ici-bas leur principale espérance ; mais leur
procure Ja plus vaste, celle qui ne se refuse jamais à leur assurer le
pain de chaque jour , c'est la France. Ils en sont les enfants . ils en
connaissent la charité, la bonté qui est celle d'une mère. Aussi ont-ils
établi une résidence à Paris , comme dans d'autres centres , où ils
reçoivent des offrandes et des charités , en échange des services qu'ils
rendent à leur patrie. Car , si les Pères Blancs sont les ministres de
l'Eglise , ils travaillent aussi pour la France. Partout où ils existent ,
ils répandent nos bienfaits , notre langue , nos mœurs , toute notre
influence. Un vaillant marin qui vient de s'éteindre , l'amiral de
Gueydon, était venu un jour leur faire une visite à la Maison- Carrée :
<v Je vous approuve , disait-il , parce qu'en cherchant à rapprocher les
indigènes de nous , par l'instruction des enfants , par la charité envers
tous , vous faites l'œuvre de la France ! »
Malgré cette approbation flatteuse, ce témoignage si autorisé, n'allons
pas croire que cette jeune congrégation n'ait pas connu l'adversité.
Elle a traversé ses épreuves , grandes et petites , mais surtout les
grandes qui sont venues de partout : des colons français ou étrangers ,
qui n'éinigrent guère pour leurs intérêts éternels ; de quelques lettrés
moralistes qui imaginent je ne sais quel royaume arabe cristallisé,
auquel il ne faut pas toucher ; des assemblées publiques à Paris et à
Alger qui refusent de modestes allocations à des prêtres qui sont pour-
tant plus influents que dos bataillons, au dire des Arabes On a prétendu
qu'ils ne sont pas populaires , qu'ils affectent une modestie calculée ;
on a ajouté , en les visant , que la plaie d'une colonie qui commence ,
c'est le prêtre , que la présence de ces missionnaires, dans nos posses-
sions du Nord, nous conduisait tout droit à des Vêpres Tunisiennes !
Ces insinuations et ces sarcasmes n'ont pas découragé les Pères Blancs.
Ils se sont souvenus que de vrais apôtres doivent être bafoués et
— 84 -
traités comme la balayure du monde ; ils ont continué à passer en
faisant le bien.
Un jour, toutefois, des esprits austères, qui voudraient de la géomé-
trie jusque dans le sacrifice , s'avisèrent de ne plus s'attaquer à leurs
personnes, mais à l'œuvre même. « Vous voulez trop entreprendre, —
disaient ces hommes qui ont surtout le zèle des autres . — le Nord de
l'Afi'ique, le centre, les grands Lacs ! mais vous n'y suffirez jamais ! »
Ce jour-là , celui qui est le Père des Missionnaires d'Alger , qui les
défend toujours comme les fils de ses entrailles, s'est senti atteint dans
ses afiections les plus vives , dans sa dignité de chrétien et dans son
patriotisme de français. Gomme l'Apôtre se levait autrefois devant ses
Juges , pour se réclamer du droit de citoyen romain , l'Archevêque
d'Alger s'est levé aussi, pour lancer cette réponse vibrante et pleine de
fierté : « Lorsqu'on travaille pour l'Eghse et pour la France, s'est -il
écrié, on ne fait jamais assez! Une entreprise pareille, réclame
l'homme tout entier , il y faut plus que du dévouement , elle exige
l'héroïsme ! »
Une réponse analogue était adressée , ces dernières semaines , au
Ministre revenu à résipiscence et qui offrait de rétablir au budget une
somme de cent mille francs , pour le clergé d'Algérie et de Tunisie. Le
crédit n'a pas été accepté par les évêques d'Afrique , il ne pouvait
l'être. Les motifs de ce refus s'imposent à toute conscience cathohque.
Aux heures de trouble et de déchirement qui sont les nôtres, faut -il
donc laisser croire à la France que les pouvoirs publics pourvoient à
tout le service religieux dans une vaste colonie , avec une aumône
presque dérisoire ? doit-on permettre , à l'occasion de la discussion des
crédits, que des hommes politique de toute tribu et de toute langue ,
soient admis à discuter des œuvres qu'ils ne peuvent comprendre ?
La Congrégation des Pères Blancs a ses vertus, ses établissements ,
ses points d'appui : elle a été trempée par l'épreuve et par la lutte.
Elle est prête à entrer en campagne.
Mais jetons tout d'abord un coup d'œil sur la carte d'Afrique.
L'Afrique, dont la superficie égale plus de trois fois celle de l'Europe,
offre l'aspect d'une île immense. Elle se développe au Nord, depuis
nos possessions d'Algérie et de Tunisie jusqu'au Gap de Bonne-Espé-
rance. La ligne de l'équateur partage le continent en deux parties
presque égales ; à l'ouest et à l'est, les mers lui forment une vaste
ceinture ; elle est cependant rattachée à l'Asie par l'isthme de Suez.
Les savants inchnent à penser, qu'à la différence de l'isthme de Suez,
- 85 -
autrefois submergé sous les eaux, le massif de l'Atlas, dont les deux
extrémités finissent au Maroc et en Tunisie, était, dans des temps très
anciens, relié à la Sicile et âux Sierras d'Espagne. A cet le époque
géologique, si jamais elle a existé, la mer Méditerranée n'ayant pas
encore fait éclater la soudure, l'Afrique n'aurait pas été une île , mais
bien un vaste appendice de l'Europe. Contentons - nous de sa forme
d'aujourd'hui et considérons-la comme une île. dont le nord, le sud-est
et un peu le centre doivent spécialement attirer notre attenlion.
Le rivage baigné par la Méditerranée, à partir de la province d'Oran.
jusqu'au cap Bon, dans la régence de Tunis , s'élève en amphithéâtre ,
sous le nom de tell ou sahel et s'adosse à l'Atlas . qui se divise en
chaînes parallèles à la mer , mais réunies entre elles par de puissants
contreforts. Quelques-uns de ces contreforts, à angle droit sur les hau-
teurs longitudinales . se détachent un instant de la chaîne principale ;
ils semblent prendre un essor violent , comme des arbres qui seraient
gênés à leurs bases . et s'élancent en pics et en cîmes nombreu^ es ,
entre lesquelles tournoient les vautours. Plusieurs de ces cîmes .
découpées en pitons et en aiguilles, sont glacées et couvertes de neiges
éternelles. Telle est la région montagneuse du Djurjurah ; sa configu-
garation se distingue surtout par des arêtes aiguës , par des ravins
abrupts et des précipices béants ; des sentiers étroits et escarpés
courent en lacets infinis sur les pentes ondulées, avant d'aboutir aux
demeures aériennes des Kabyles. Au printemps , la végétation y est
verte et éblouissante, le paysage sauvage et grandiose rappelle les sites
les plus pittoresques de la Suisse.
Lorsqu'on descend les pentes de l'Atlas, en tournant le dos au sahel,
le désert commence. C'est le Sahara avec sa longue mer de sable ,
aujourd'hui pleine de vagues et tourmentée par les rafales de la tem-
pête, demain d'une surlace calme, unie et brûlante, de temps en temps
seulement entrecoupée de quelques hauteurs vives et étincelantes au
soleil, comme des lames de sabre , ou couverte de quelques oasis , au
milieu desquelles, s'agitent, dans des murmures sans fin , les hauts
palmiers. Jadis, paraît-il, des fleuves roulaient sur ces nappes de sable
encore imprégné de salpêtre ; de nos jours , il n'y a plus que des lacs
d'eaux saumàtres et des puits creusés de loin en loin par les caravanes.
Le Soudan, les hauts plateaux prolongent le Sahara dans la direction
du Sud, et les cavaliers du désert, montés sur des méharis, les droma-
daires rapides , ou sur leurs chevaux qu'ils maîtrisent à leur gré
« comme de l'eau dans leurs mains » , peuvent . durant des centaines
(le lieues, se livrera des courses vertigineuses, approcher de Tombouc-
tou. la ville mystérieuse où tout le monde n'entre pas.
A partir de l'êquateur , si l'on se dirige vers le Sud . en suivant la
région de l'est, de manière à être enfermé entre la rive droite du haut
Congo et l'Océan Indien , on arrive aux grands lacs, où le Nil paraît
prendre sa source : le Victoria Nyanza et le Tanganyka. Quelques
voyageurs suivent la vallée du haut Nil, pour arriver aux grands lacs,
mais la l'oute par terre paraît plus courte et plus sûre , en partant do
Zanzibar, par la voie de l'Océan Indien.
L'Afrique du Nord, celle de nos possessions françaises , est devenue
la proie des Arabes. Ils ont, depuis des siècles, semé partout la terreur
et tout fait ployer sous la menace du cimeterre ; la polygam'e continue
à les entretenir dans des instincts bas et cruels. Mais l'invasion arabe
n'avait pas trouvé le sol sans premier occupant ; il était ptuplé par les
Berbères, les Egyptiens primitifs, qu'on appelait les hommes par excel-
lence. Des Berbères sont sortis deux grands rameaux , les Kabyles et
les Touaregs, répartis en plusieurs tribus. C'est une généalogie qu'il
faut retenir dans ses grands traits.
Dès les premiers siècles du Christianisme, et dans les époques qui
suivirent , les Berbères déjà gagnés à la vie agricole, avaient reçu la
prédication chrétienne. Cette tradition est demeurée si profonde , que
de nos jours, leurs descendants parlent encore de « l'ancienne voie des
ancêtres ». Ils furent longtemps fermes dans leur foi. Un historien
arabe , qui écrivait vers le quatorzième siècle , raconte que . placés
dans l'alternative de la mort ou de l'apostasie, quatorze fois ils parurent
adhérer à la religion nmsulmane, et quatorze fois ils revinrent à
« l'ancienne voie ». La persécution acharnée a fini par les briser. De
leur ancien christianisme , ils ne conservent aujourd'hui , que des
mœurs plus sévères , le signe de la croix , qu'on retrouve dans leurs
demeures , sur les selles de leurs chevaux , et jusque sur leur front ,
où le signe est devenu indélébile par les piqûres du tatouage. En
pleine Tripolitaine . à Khadamès , l'ancienne Cydamus des Romains .
une rue tout entière, c'est la rue du Non, témoigne encore de la résis-
tance que les pieux ancêtres des tribus Berbères surent opposer à
ceux qui voulaient les faire apostasier. Non, c'était le cri de ralliement
des Martyre! Toutes ces traditions sont conservées par les Kabyles du
Djurjuiah et les Touaregs du Sahara et du Soudan.
Car les deux grajides familles des Berbères prirent le paiti de céder
au flot envahisseur et de se retirer devant les fils de l'Islam. Les
- 87 -
Kabyles ou aborigènes cherchèrenl un refuge sur les sommets du
Djurjurah, où ne pouvaient chevaucher les cavaliers arabes. Ce n'est
qu'à la longue qu'ils ont adoj)té quelques cérémonies de la religion
musulmane ; elles sont entretenues chez eux par les marabouts arabes.
Il n'y a pas de marabout kabyle. D'ailleurs , les quelques inonieries
qu'ils pratiquent, ne leur tiennent pas au cœur, elles sont tout au plus ,
connue un burnous jeté sur leurs épaules , suivant l'expression du
général Daumas.
Le Kabyle de nos jours est gj-and . blond , osseux, et se rapproche
du type romain. On flirailmême d'une médaille romaine. 11 est toujours
rhonnne d'une race longtemps indomptée . à qui la servilmle est en
horreur, qui se souvient de toutes ses gloires, depuis Jugurtha jusqu'à
Abel-el-Kader, qui se barricade dans sa montagne de fer, et ne craint
pas de répéter à qui veut Tenlendrc. qu'il prépare deux sortes de
kouskous : le kouskous blanc, celui de l'hospitalité, et le koukous noir
qu'il met dans son fusil ; c'est la poudre et il sait la faiy^e pmHer !
Une autre famille des Berbères, les Touaregs, se trouvèrent encore
trop près des conquérants , dans le massif de l'Atlas ; ils firent leur
exode vers le sud. Aussi, depuis des siècles , ces tribus nomades sont
en route vers les vastes solitudes , dont ils se sont constitués les
gardiens.
On dit que leur nom de Touaregs signifient les indépendants , d'au-
cuns ajoutent qu'il faut traduire les brigands qui rançonnent les cara-
vanes et vivent de pillage aux portes du Soudan, les Arabisans, fidèles
à l'étjanologie, préfèrent les appeler <^ les Séparés ». Rien n'égale leur
énergie. Ils courent tout le jour par la chaleur, et dorment en plein
air sur une pierre , leurs armes à leurs côtés. Avec des souvenirs du
Christianisme plus effacés encore que chez les Kabyles, ils parlent un
dialecte de la langue berbère , et ne sont pas étrangers à toute civi-
hsation.
Les Touaregs no sont pas polygames , les femmes y sont libres et
respectées ; elles suivent avec grand soin l'éducation de leurs enfants
et s'entendent en littérature et en musique. C'est la dame, parmi les
Touaregs, qui chante en s'accompagnant sur une sorte de viole,
lorsque reviennent vainqueurs les terribles guerriers. Voici un signe
caractéristique de leur costume : les dames Touaregs ne sont jamais
voilées, les hommes le sont toujours, même la nuit ; les yeux seule-
ment sont à découvert. Ces nomades , toujours en route à travers le
Sahara el le Soudan , doivent se mettre en garde , par un voile bleu,
contre la réverbération solaire et les sables menus du désert.
D'autres tribus , installées plus loin dans le voisinage des hauts
plateaux, n'ont pas la facilité , comme les Touaregs , de vivre de vols
et de rapines. EUes sont forcément plus sobres. Ce n'est pas à dire,
qu'à l'exemple de l'autruche , ces Soudaniens mangent des cailloux
comme du pain , mais ils n'ont pas de répugnance à broyer les os des
animaux , pour s'en faire une bouillie alimentaire. Un explorateur
raconte qu'un matin, à son réveil . il s'aperçut de la disparition de ses
chaussures. Les naturels en avaient fait un plat succulent dont ils
s'étaient régalés.
La région des lacs de l'équateur est d'une étendue égale à celle de
l'Europe et ne compte pas moins de cent millions d'habitants. Elle est
surtout peuplée par les nègres Bantous. Ces tribus pullulent et n'ont
presque jamais le loisir de travailler , elles passent le temps à s'entre-
tuer ou à danser. Ces danses ne sont pas toujours farouches et belli-
queuses, elles sont quelquefois calmes et tranquilles, avec des mouve-
ments et des gestes presque imperceptibles. Les femmes ont leur danse
à elles, qu'elles exécutent doucement, sans se séparer de leurs enfants.
Mais les danses agitées, que les hommes se réservent avec tout l'appa-
reil des armes, finissent presque toujours par des blessures et l'effusion
du sang. Elles ne sont pas accompagnées , comme chez les Arabes ,
du bruit d'un tambourin qui retentit ou des sons perçants de la flûte
mêlés aux cliquetis des castagnettes. Le pas africain des Nègres est
conduit avec une agilité qui les transporte mieux que \2p0mbe; il con-
siste à soulever avec les pieds des nuages de poussière , pendant que
les bras se tordent en mille contorsions et que le gosier pousse ses
notes les plus rauques et les plus précipitées.
La race est belle, mais son éducation n'est pas commencée. La
langue paraît d'une difficulté extraordinaire. Un linguiste allemand, en
veine de plaisanterie , a dit que ce langage se distingue de tout autre
par ses quatre claquements : l'un ressemble au bruit d'une bouteille de
vin mousseux qu'on débouche , un autre au clac par lequel on excite
un cheval , les deux autres ne ressemblent à rien. Ce n'est là qu'une
boutade. Ce qui est vrai, c'est que dans cette langue dominent les sons
graves et aigus , les onomatopées , qui expriment les sentiments et les
sensations , à l'aide d'expressions sonores ou de cris inarticulés. Ces
peuples disent bonjour , en faisant subir une série d'inflexion à la
voyelle a. Quand le bonjour est sec , il n'y a presque pas d'inflexions ,
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elles sont interminables au contraire, et sur des modes variés, lorsque
le salut est gracieux.
Toutes ces peuplades , traquées sans cesse par les Arabes , qui font
également la chasse à l'esclave et à l'ivoire, se laissent surprendre par
le fanatisme nmsulraan. Sur toute la surface de l'Afrique , on compte
aujourd'hui plus de cinquante millions d'adhérents à la religion de
Mahomet !
En face de ces races du Nord, arrachées au Christianisme, de celles
du Sud menacées à leur tour par les Mahométans , en présence du
blocus que les nations d'Europe, avides de possessions nouvelles ,
entreprennent à l'envi contre toutes les régions de l'Afrique, les
Pères Blancs se sont demandé s'ils ne réclameraient pas une place ,
pour leur ministère de paix , dans tout ce mouvement colonial , et si
l'heure d'une nouvelle croisade n'était pas venue , pour commencer ou
reprendre la prédication de l'Evangile.
Les Missionnaires d'Alger forment une association toute jeune , qui
n'a pas vingt ans : elle est dans toute sa sève , dans sa première fraî-
cheur. Dès leur apparition, ils ont fait passer un souffle de résurrection
sur cette terre africaine , et à l'heure où tout semble finir parmi nous ,
ils ont la gloire de tout commencer là-bas.
Leurs postes sont établis sur le littoral de la Méditerranée française ;
les gorges serrées de l'Atlas se sont ouvertes à leur apostolat , depuis
la province d'Oran jusqu'au Djurjurah , jusqu'à la régence de Tunis ;
leurs stations , dans le protectorat , s'appellent Kairouan , la seconde
ville sainte des Arabes après la Mecque , Tabarca , dans le pays des
Ki'oumirs qui ne sont pas des êtres fabuleux, mais surtout Saint Louis
de Garthage et Tunis. Les profondes solitudes du Soudan les ont tentés ;
ils sont encore au M'zab, en plein Sahara. Les voici enfin, sous les plis
de la bannière du Sacré-Cœur, sur les bords des grands lacs de
l'Equateur.
N'est-ce pas le lieu de redire que le désert fleurit , qu'il est
embaumé !
Les petits enfants arabes, recueillis au moment de la famine de 1867,
puis élevés dans des asiles, sont devenus des jeunes gens et des jeunes
filles. Leur esprit a été éclairé , leurs mœurs adoucies ; des cœurs de
ces barbares on a fait des vases d'élection sans cesse purifiés par les
Sacrements ; le Dieu de l'Euchai'istie les a pénétrés de force et de
chasteté , leur existence a été renouvelée. L'un d'eux, en sortant de la
sainte communion , dont ils sont insatiables , disait dans le langage
— 90 -
familier à l'Orient : « Nous y allons comme de petits oiseaux affamés
se pressent autour de la main qui répand du grain pour les nourrir. »
Le moment décisif était venu. Renverrait- on dans leurs tribus ces
premiers-nés de la loi parmi les Arabes, au risque très probable de les,
exposer à l'apostasie ? Les confierait - on à des familles caîboliques de
France, et alors le contact d'une civilisation raffinée et pleine d'em-
bûches, ne deviendrait-il pas, pour ces âmes toutes neuves, comme un
danger de tous les instants ? Afin de ne pas les exposer à ces périls ,
on prit le parti audacieux de fonder des villages chrétiens , à quelque
deux cents mètres d'Alger. Ces villages chrétiens ne rappellent,
d'ailleurs , que d'une manière très lointaine les anciennes « réductions
des Jésuites au Paraguay ».
Les jeunes gens disposés à former une famille furent unis, ils eurent
la dot indispensable pour le premier établissement : une petite habi-
tation , une concession de terrain, des instruments de culture ; mais
Taliénation demeure soumise à de justes réserves. Au milieu de chaque
village , s'élève une église , qui est la maison de Dieu et la maison de
tous ; des écoles sont ouvertes aux petits enfants. Les Pères Blancs et
les Sœurs de la mission , qui ont élevé les parents , continuent leurs
soins à la jeune génération. Deux villages existent aujourd'hui ; ils
s'appellent Saint -Cyprien et Sainte -Monique, deux noms bien choisis
pour signifier la constance invincible et la tendresse inaltérable.
Les pauvres , les malades ne pouvaient être oubliés dans ces fonda-
tions chrétiennes. Les infirmes étaient nombreux, avaient besoin d"étre
consolés, ils réclamaient des remèdes surtout pour ces plaies hideuses
qui couvrent si souvent le corps des indigènes. Les soins d'un instant,
les consultations isolées n'étaient pas suffisantes pour des afièctions
chroniques et cruelles. Religieux et religieuses souhaitaient un hôpital.
Cet hôpital tant désiré, ils l'ont enfin obtenu.
Dans le voisinage des villages chrétiens, au pied du massif de l'Atlas,
on a construit en style moresque , et sous le vocable béni de Sainte-
Elisabeth, le grand hôpital des Attafs. La porte en est toute large
ouverte, et Ton y soulage des infortunés qui viennent quelquefois de
bien loin.
Le souvenir de l'inauguration reste vivant parmi les populations
arabes ; on se raconte encore, sous la tente, ladiff'a offerte aux nobles
invités par l'archevêque d'Alger , ainsi que la fantasia exécutée par
d'anciens chefs indigènes de l'armée d'Afrique. Plusieurs jours avant
la cérémonie, les femmes ai'abes tout aflairées autour des larges plats
- 91 -
en bois de frêne que fabriquent les Kabyles , avaieni broyé , sans
relâche , le froment qui sert au kouskous « do l'iiospitalilé » ; des
bardes étaient descendus des hauteurs de l'Atlas, avec de petits
poèmes de leur composition. D'Alger , de France et d'Angleterre
étaient accourus de magnanimes soldats ; des femmes illustres vinrent
aussi tenir la place des héros qui n'étaient plus.
Avec quelle émotion et quel transport n'a-t-on pas acclamé la pieuse
et noble épouse du glorieux vaincu de Castelfidardo, du vaillant soldat
de Gonstantine ! On l'avait cru perdu dans celle sanglante journée, et
les vieux chefs indigènes , en saluant son auguste compagne , après
tant d'événements survenus, rappelaient qu'ils l'avaient vu à l'ambu-
lance , le soir de la bataille , tout noir de poudre , respirant à peine ,
étendu sur le lit de camp, que, par une inspiration toute française, les
chefs de l'armée avaient recouvert du drapeau de Gonstantine.
Les détails d'une diffa ou d'une fantasia sont décrits dans tous les
livres sur l'Afrique ; mais comment ne pas évoquer ici le souvenir
d'une poésie qu'un vieil arabe avait écrite en mètre libre , et qu'il réci-
tait dans cet idiome guttural formé pour des poitrines profondes ? Le
vieux barde chantait et chantait toujours , mais son refrain préféré
était celui-ci :
Les enfants avaient pris la fuite,
N'ayant plus de pain et broutant l'herbe
Ils n'avaient plus de père ni de mère. . .
Le grand Marabout les a recueillis !
A ce souvenir du liéau et de la charité héroïque qui en avait triom-
phé, les larmes coulaient, las cœurs étaient attendris. Tout ce qui part
du cœur ne se fait-il pas entendre par lui ?
Pendant que les Pères Blancs présidaient à la formation des villages
chrétiens, à l'installation de l'hôpital des Attafs, leur avant-garde avait
déjà fait de nouvelles étapes. Depuis quelques années, et sutout lorsque
l'œuvre des orphelins arabes allait toucher à son terme , ils avaient
songé à étendre leur croisade. Ils n'eurent pas un moment d'hésitation
sur les tribus qu'ils évangéliseraient de préférence, de la population si
mêlée dont se compose l'Algérie. L'Arabe adulte est fanatique , privé
de toute liberté et sans cesse surveillé par des zélateurs fai'ouches.
Les Juifs, de leur côté, sont trop enfermés dans leurs afl'aires d'ici-bas
pour se mettre en pi ine de l'au-delà. Les Berbères, au contraire,
Kabyles et Touaregs , jadis conquis par les Romains , civilisés par le
— 92 -
christianisme, ont donné du sang pour la défense de leur foi, et, chez
eux, tous les vestiges de « l'ancienne voie » ne sont pas efiacés.
Les Pères Blancs se sont donc tournés vers la race Berbère , avec
l'espoir de rallumer le flambeau de leurs croyances , et les premières
expéditions s'engageaient dans le Djurjurah de la Grande-Kabylie. Des
stations furent établies sur les cônes qui s'étagent presque en demi-
cercle autour de Fort-National , « cette épine plantée dans l'œil » ,
comme l'appellent les Kabyles avec un profond chagrin. Ces stations
sont aujourd'hui au nombre de sept, et sur les sommets du Djurjurah,
comme au pied de l'Atlas, les premiers soins sont aux malades et aux
enfants.
Les voyages à travers les pays montagneux sont longs et pénibles.
Mais surtout dans ces régions qui semblent se dérober , les kilomètres
sont des kilomètres de spahis, qu'on ne fait qu'en une demi-heure ; on
n'a jamais fini de gravir des sentiers qui s'entrelacent, où quelquefois
tout le monde glisse et descend, homme et monture ; les premières
habitations ébauchées sur ces hauteurs ne sont pas toujours solides :
il leui' arrive d'être balayées par de terribles ouragans.
L'installation est toujours sommaire sur un sol en terre battue.
Dans la même pièce, pas très grande et que des portes à larges fissures
protègent mal contre le vent, on crée des compartiments fictifs, afin
d'agrandir le domicile. Q y a tout au fond , en face de la porte, ce que
l'on nomme la chapelle, celle-ci voilée par un tapis tendu ; près de
l'entrée, le divan, où sont accueillis les visiteui's ; dans un coin, la
cuisine, avec un attirail très restreint ; à une autre extrémité, le loge-
ment de la mule et aussi de deux petits sangliers apprivoisés ; au
milieu, la salle à manger avec une caisse qui sert de table. Après le
souper, la pièce tout entière est transformée en dortoir, et le Père
supérieur a le privilège de coucher dans la caisse, où viennent le
rejoindre les petits sangliers lorsqu'ils ont trop froid.
Quelque modeste que soit l'installation, le divan est rempli, dès la
première heure, de malades et de curieux : le marabout arabe vient
souvent y passer ses moments de loisir ; les infirmes surtout s'y
pressent et sont très prolixes dans la description de leurs maladies.
Mais l'école est l'œuvre principale des Pères Blancs.
Les Kabyles apprécient l'instruction pour leurs enfants, mais n'en-
tendent pas s'assujettir aux vexations de l'enseignement obligatoire.
L'internat, surtout l'internat des jeunes filles a le don de les exaspé-
rer, et lors d'une création récente qui ne fut pas de leur goût , on les
- 93 -
vit descendre à Fort-National et déclarer au résident civil qu'ils étaient
prêts à en finir plutôt que de laisser toucher à leur famille : « Si tu
veux prendre nos filles, lui disaient-ils, il ne nous reste plus qu'à
travailler une route pour aller nous jeter dans la mer ! »
Les Pères Blancs savent respecter la liberté des Kabyles et mériter
une confiance que des lois oppressives n'imposeront jamais. Aussi, dès
que la petite cloche de l'école annonce l'heure de la classe, sur l'un
des sommets du Djurjurah, les enfants accourent avec empressement
aux demeures respectives des « Pères marabouts et des vierges mara-
boutes. En hiver, et même jusqu'au mois d'avril, l'accès de l'école
n'est pas sans danger, parmi ces pics couverts de neige, où le sentier
doit être frayé chaque matin ; mais le père de famille aime sou enfant
comme la prunelle de son œil et ne consent pas à l'exposer seul à un
voyage aussi périlleux. Au premier signal de la cloche , le Kabyle
hisse l'enfant sur ses épaules , et d'un pied agile et assuré , s'avance
sur les arêtes vives qui bordent les ravins , et arrive enfin avec son
fardeau qui s'échappe triomphant de ses bras et va s'ébattre au milieu
des camarades. Vers les premiers jours du printemps dernier , un
membre de l'enseignement supérieur , venu de Paris pour une excur-
sion dans l'Atlas , assistait un matin à l'ouverture de la classe. Gomme
il témoignait sa surprise et son admiration à l'un des intrépides
Kabyles qui venait d'accompagner son fils : « Vois -tu, lui dit fami-
lièrement le Kabyle , je vais tout t'expUquer. Quand la cloche sonne ,
nos enfants ne restent plus en place ; ils sont comme des tourhillons,
impatients d'arriver chez les marabouts de France. On ne peut pour-
tant pas les laisser partir seuls dans la neige et sur la glace ! Nous les
élevons sur nos épaules et nous les apportons. » Le professeur, touché
de cette explication , fit un salut cordial aux Pères Blancs et leur dit
avec émotion : « Il y a ici un attrait pour ces enfants , et leur instinct
ne les trompe pas ; ils trouvent en vous des Pères ! »
Cette œuvre patriotique et de pacification poursuivie par les Mission-
naires d'Alger, les résidents civils de Fort-National ne se refusent pas
à la faire valoir contre les influences étrangères qui tentent de s'insi-
nuer jusque dans le Djurjurah. Les Anglais nous ont souvent appris à
nos dépens qu'ils aiment les colonies, mais surtout les colonies des
autres , où il n'y a plus qu'à s'établir , sans s'imposer les labeurs
ingrats de la première occupation. L'Angleterre regarderait-elle d'un
œil de convoitise nos possessions de l'Afrique du Nord ? On pourrait
le soupçonner , eu voyant les missions de propagande que la société
- 91 -
biblique de Londres s'est mis en tôle de diriger sur la Kabylie. Mais
les efforts des ministres anglicans et de leurs minislresses , ne sont
pas encore à la veille d'être couronnés de succès. Il y a quelques mois,
au cours d'une visite qu'un Père Blanc rendait au résident civil , on
annonce l'arrivée de quelques membres de la société biblique ; ils
demandent à être introduits. Le Père Blanc s'apprête , par discrétion ,
à prendre congé, mais il est retenu par le résident civil. L'entrevue ne
dura qu'un instant avec les nouveaux venus. La députation anglaise
sollicitait la protection du représentant de la France : elle venait tra-
vailler à la civilisation des Kabyles et leur apprendre à devenir de
bons Français. Le résident les remercia de tant de bonnes intentions ,
et leur indiquant de la main le missionnaire qui était debout à ses
côtés : « Nous avons en lui, dit-il, et dans tous les autres Pères Blancs,
des hommes qui s'entendent très bien en civilisation et dans l'art de
former les enfants de la France ! »
Ils ont, de plus, la joie de former les enfants de TEglise. Car, si les
jeunes Kabyles fréquentent leurs écoles pour apprendre le français ,
ils y viennent aussi pour entendre parler de Dieu et de « l'ancienne
voie ».
De temps en temps, quelques-uns de ces enfants, plus avides d'étu-
dier, décident leur famille à les laisser partir pour Alger , à la maison-
mére de la Mission. Ils s'y appliquent , ils écoutent et s'habituent à
« gouverner leur langue ». A l'époque des vacances, ils reviennent
dans les montagnes. Avec quels transports, au milieu de quelles effu-
sions ne se jettent-ils pas dans les bras de leurs mères ! Celles-ci,
suivant leur coutume d'exprimer leur joie , les accueillent avec de
grands cris ; elles convoquent leurs voisines , qui témoignent aussi
leur satisfaction par des clameurs assourdissantes. Alors tout ce qu'on
leur a enseigné dans la grande ville, les enfanrs le racontent dans leur
pittoresque langage. Là -bas, disent-ils, on nous apprend que Dieu
reçoit les siens dans des luaisons d'or , et que tous ceux qui ne sui-
vront pas la vraie voie, seront condamnés à manger du feu toujours.
A ces récits vifs et animés, les mères pleurent et méditent. Souhaitons
le jour où les enfants et les mères pourront être éclairés ! La conver-
sion de la femme, c'est la fin de l'islamisme !
C'est aussi la cause de la France et de l'Eglise que les Pères Blancs
ont prise en main , depuis 1875, dans la régence de Tunis et dans les
profondeurs du Sahara.
A une heure de la Goulette , s'élève eu amphitliéàtre une série de
- 95 —
collines couronnées par une hauteur célèbre qui lut longtemps l'Acro-
pole d'une colonie phénicienne. Sur le sommet principal de tous ces
monts était assise l'ancienne citadelle de Byrsa. On ne peut entre-
prendre l'ascension de ces collines étagées sans rencontrer quelque
grand souvenir , on ne peut faire un pas sans Couler quelque vestige
(kl passé. Le poêle épique a chanté . en langue latine, cette reine fugi-
tive, partie des côtes delà Phénicie, abordant à ces rivages pour y fon-
der la cité de Carthage , qui balança si longtemps la fortune de Rome.
La malheureuse exilée avait espéré pouvoir oublier , dans ce refuge ,
les amertumes de sa vie, tous ses chagrins ; elle en retrouva de plus
grands encore et iinit de désespoir au mUieu des flammes d'un bûcher!
Dans l'histoire des âges , l'histoire dégagée de la légende , a conservé
le souvenir d'une autre femme , l'épouse d'Asdrubal , qui se condamna
aussi à une mort violente . au sein de cette même forteresse , pour
échapper à l'armée de siège et aux outrages du vainqueur.
Après bien des vicissitudes, sous la domination de Rome , après les
jours de gloire et de persécution de la première prédication chrétienne,
temps admirables et terribles , où l'Eglise de l'Afrique proconsulaire
eut à verser des flots de sang pour la cause de l'Evangile — on a pu
comparer cette terre sacrée à un immense reliquaire baigné du sang
des martyrs ! — la citadelle devint un camp retranché , pendant les
croisades , et c'est là selon une tradition qui n'est pas démentie , que
..notre roi saint Louis , au milieu de son armée en deuil , étendu sur un
lit de cendre, rendit le dernier scupir, les yeux tournés vers « la douce
France ». Durant le cours d'une longue période, ces régions barba-
resques, dévastées par l'invasion musulmane, ne furent guère visitées
que par les Religieux voués à la rédemption des captifs , dont saint
Vincent de Paul fut assuiément le plus illustre.
C'est seulement dans la première partie de notre siècle , qu'on eut
entin la pensée d'élever . sur les ruines de l'ancienne citadelle , un
monument en l'honneur d'un Roi qui fut un guerrier et un apôtre.
Une bien modeste chapelle , sous le vocable de Saint-Louis ,"fut érigée
il y a quarante - cinq ans ; des prêtres français y remplirent la charge
d'aumôniers. C'est ainsi que l'acropole de Byrsa fit place à la chapelle
de Saint-Louis. Depuis plus de dix ans , les Pères Blancs ont reçu de
Pie IX la mission de la desservir ; Us y étaient établis à la tête d'un
orphelinat pour les indigènes , lorsque survinrent les événements de
1880 et l'expédition de Tunisie. On vit bien alors, pai" quel dessein
— 9(5 —
providentiel, ces enfants dé la France s'étaient installes sur les hauteurs
de Carthage.
Dès les premiers jours, notre armée d'occupation, notre marine
mouillée à la rade de la Goulette , se trouva à Saint -Louis en terre
française. Le corps du génie y fixa son quartier général pour les opéra-
tions de topographie et de triangulation ; officiers de la flotte et généraux
faisaient appel aux Missionnaires pour le service divin et pour la consola-
tion des malades. Plus tard , des sénateurs et des députés chargés d'eu-
quête, faisaient aussi séjour dans l'établissement de Carthage. Emus
et reconnaissants de la cordialité toute française avec laquelle ils
étaient accueillis, ils déclaraient sans vergogne, que certain cri de
guerre religieuse proféré ailleurs , n'était pas « un article d'exporta-
tion ou de navigation ». Au cours de cette expédition, qui devait
aboutir à notre protectorat reconnu, les officiers qui avaient visité
l'orphelinat des Pères, songeaient aussi à le recruter, et se vouaient,
entre-temps, à l'œuvre des abandonnés et des vagabonds. Un jour,
l'un de ces chefs au cœur magnanime, moijtait à Saint-Louis, accom-
pagné d'un jeune arabe. Le pauvre petit être était enfermé dans un
costume qui n'avait pas été confectionné à sa mesure , ni à la dernière
mode. Dès qu'il aperçut le Père Supérieur ; « Mon père , dit l'officier .
c'est un petit indigène que je viens de racheter, son équipage était
très restreint. Il n'est pas vêtu avec luxe, mais j'ai dû lui tailler moi-
même cet accoutrement, et mettre la main à l'aiguille, pour qu'il fut
en état de vous être présenté. Je vous prie de faire le reste. » Gom-
ment un orphelin, présenté sous de pareils auspices, n'aurait-il pas été
accepté, les bras ouverts ?
Voilà ce qu'on a vu pendant cette campagne de Tunisie ; mais com-
bien d'autres services rendus par les Pères Blancs, qui ne tombent
pas sous les yeux, et que Dieu se réserve comme un spectacle digue
de Lui et de ses Anges !
Une armée d'occupation, avec ses cadres, ses lignes déterminées.
ses moyens d'approche, n'apparaît au premier coup d'œil, que comme
une agglomération de soldats toujours dans l'action, incessamment
engagés dans quelque entreprise, dans quelque mêlée sanglante. Mais
ce n'est là qu'un aspect de la guerre et de la vie des camps. Aux
heures d'effort et d'entraînement, succèdent les journées d'attente, de
lassitude, où les cœurs, les âmes envahies subitement par les souve-
nirs, se sentent comme déracinées sur ces plages lointaines, avec tout
le malaise qu'on éprouve en face de l'inconnu. L'absence n'estelle pas
- 97 -
le plus grand de tous Jes maux ? El puis, il 3- a aussi là-bas, sur le sol
(\o la patrie, des existences que riiiquiétudo dévore, des pères qui
s'attristent, des mères qui se lamentent, de jeunes familles brusque-
ment interrompues, qui ne sont ingénieuses qu'à se tourmenter, qui
n'ont jamais assez de nouvelles, qui se défient de celles qui arrivent,
et qui du moins, seraient si heureuses de tout connaître à tous les ins-
tants ! A ces heures d'angoisses, il est bon, pour ceux qui sont loin de
la demeure paternelle, de toutes leurs affections, de pouvoir respirer
un peu d'air natal, de revivre quelques instants en France, au moins
par la pensée, de rencontrer des amis sûrs et dévoués en qui l'on
épanche le chagrin qui s'accumule, les ennuis noirs et les abattements
profonds ; il est bon que des épouses, des mères puissent com[)ter, en
toute vérité, sur des correspondants sûrs qui suppléent à tout ce que
les dépêches ont de si laconique ! Les Pères Blancs furent ces pré-
cieux intermédiaires entre les soldats, leurs familles et leurs enfants.
Qui pourra redire les visites souvent répétées, les entretiens forti-
flanls, les libres causeries échangées avec les Pères, par ces fils de la
France, qui retrouvaient, sur les hauteurs de vSaint-Louis, la patrie, le
souvenir du foyer, la consolation, T'espérance ? Qui pourra jamais
connaître toutes les lettres adressées à Garthage, tous les messages
qui en partaient, pour calmer, pour rassurer tant d'âmes gémissantes,
tant de cœurs meurtris ? Ce sont là des secrets et des mystères, qui
échappent au regard de la foule ; mais ceux qui ont pu les soupçonner,
verser le baume sur des plaies saignantes, faire passer dans des vios
en détresse le courant d'espérance qui retrempe et qui rafraîchit , ces
hommes-là, nous n'en pouvons douter, ont accompli une œuvre patrio-
tique et fi-ançaise.
C'est à Tunis que les Pères Blancs ont peut-être le plus contribué à
élabhr notre influence. Au moment de la reconnaissance du protecto-
rat, nous n'avions dans la capitale de la Régence, qu'une ou deux
écoles primaires dirigées par des religieuses et des religieux français.
Les ItaUens, qui sont en quête de colonie, avaient été plus avisés.
Convaincus que la langue est le meilleur véhicule pour propager les
mœurs et répandre les idées , ils avaient créé, depuis près de vingt
ans collège international, un collège déjeunes filles, des cours du soir,
et dans d'autres villes de la Tunisie, des établissements semblables.
Par ces fondations, ils essayaient de saisir la population maltaise, de
rapprocher de leurs coutumes les Juifs et les Musulmans. Mais les
dispositions de cette population mêlée ne leur étaient guère favorables.
— 98 -
Nulle puissance, plus que la France, n'a d'autorité et d'ascendant sur
les Juifs et les Arabes ; le Maltais lui-même a plus de penchant pour
le Français que pour l'Italien.
Il était donc indispensable qu'une grande école française fut ouverte
à Tunis ; les Pères Blancs se trouvèrent en nombre pour suffire à cette
besogne. Le collège Saint - Charles fut fondé. Dès l'ouverture, en
octobre 1882 , les élèves . de toute race , de toute religion vinrent en
si grand nombre, qu'il fallut construire une aile nouvelle. Aujourd'hui,
en plein quartier Européen , sur l'avenue .de la marine , et près de la
cathédrale do Tunis . s'élève le collège français, qui va bientôt compter
trois cents élèves. Les enfants aiment leur école, apprennent à s'y
connaître dès la première jeunesse ; la liberté de leurs croyances . de
leurs traditions y est respectée ; mais ils sont formés à la morale la
plus pure et s'habituent à considérer la France, comme la grande
]iation de Dieu , comme leur patrie. Afin que les études soient suivies
et régulières, pour que les Pères puissent se livrer tout entiers à l'édu-
cation, le collège Saint-Charles de Tunis est sous le même régime que
le collège Stanislas do Paris. Les professeurs sortent de l'Université' .
mais la direction et l 'administrations sont entre les mains des Pères
Blancs.
Les jeunes filles ont aussi leurs pensionnats , l'un k Tunis , l'autre à
Carthage, et sur le territoire de la Régence, grâce l'activité du vaillant
Primat d'Afrique , plus de quinze écoles primaires ont été créées , en
trois ans , avec les seules ressources de la charité. Ces écoles , desti-
nées à alimenter le collège Saint - Charles et les pensionnats déjeunes
filles, font l'admiration des visiteurs. Naguère, un membre de l'Asso-
ciation Franklin . protestant d'origine , chargé d'étudier les questu)ns
d'enseignement en Tunisie , a consigné cette phrase dans son rapport :
« Les Missionnaires , dans le protectorat , sont un merveilleux instru-
ment de colonisation. »
On a défini l'apôtre , un homme qui ne doit s'arrêter qu'à la fin du
monde. Les Pères d'Afrique ne s'arrêtent pas. Pendant qu'ils s'éta-
blissaient sur les hauteurs de Carthage , pour rayonner ensuite sur
toutes les villes de la Régence , d'autres groupes de missionnaaires .
trois par trois, comme c'est leur règle fondamentale, allaient à la
reconnaissance , par delà les gorges de l'Atlas . jusqu'aux portes du
Sahara et du Soudan. Ils voulaient atteindre les Touaregs , cette autre
famille des Berbères , qui est nomade et ne laisse de ses pas qu'une
trace fugitive dans les sentiers du désert. A leur suite , ils espéraient
- 09 -
pouvoir entrer à Tombouctou , la ville fameuse , ol porter le coup de
n.orl k la traite et à l'esclavage, qui est la source de toutes les
infamies. ■ j a
A cette fin , les Pères Blancs préparaient de longue mani des expé-
ditions dans le Sahara et dans le Soudan. Appuyés r.ur nos possessions
françaises les plus avancées au Sud de Biskra et même sur la Tripoh-
taine, ils choisissaient Tougourth , El-Goleah , comme des stations , où
ils pourraient rencontrer des caravanes et s'attacher des chameliers.
De là , ces voyages dans la régence de Tripoli , à Rhadamès , où les
Pères Blancs étaient déposés comme des colis dans une rue déserte ;.
de là ces excursions dans ces plaines de sable , couvertes d'alfas et de
broussailles épineuses , où l'on n'avait d'autre couche que le lit dessé-
ché des rivières et dans le voisinage des vipères à cornes qui donnent
la mort en deux heures : tout cela pour approcher les Touaregs ,
s'aboucher avec eux. et parvenir à se mêler à leurs caravanes en route
pour le Sud. par Ralh ou In-Salah. On disait les chefs Touaregs
fidèles aux engagements contractés.
Nous allons voir si les Pères d'Afrique ont pu échapper à l'instinct
rapace de ces pirates qu'on appelle « les écumeurs de ces mers de
sable ».
Vers la fin de 1874 . un événement étrange sembla favoriser les
projets d'une croisade dans le Soudan. Des Touaregs, convaincus
d'avoir pris part à une insurrection avaient été saisis, conduits à Alger
et condamnés à être passés par les armes. L'exécution n'eut pas heu ,
car leur grâce fut obtenue par l'intervention de Mgr d'Alger. Les
Touaregs . vivement touchés d'une démarche si inattendue . vinrent
remercier en corps celui qui leur avait sauvé la vie Un repas leur fut
offert , et à la fin de la réception , le chef des Touaregs prenant la
parole, dans le langage de toutes ces races du désert : « Tu es notre
Père, dit-il à l'Archevêque . nous te devons la vie. Compte désormais
sur nous : nous répondrons de ceux de tes enfants que tu voudras
envoyer dans le Soudan. Nous les accompagnerons, nous les défen-
drons jusqu'à la mort. » Cela dit. les Touaregs prirent le chemin
d'In-Salah: dans la direction du sud-ouest.
Dès les premiers mois de l'année suivante, on voulut mettre à profit
la bonne volonté des Touaregs. Une caravane, composée de trois
missionnaires . prenait la route la plus courte pour Tombouctou , celle
qui incUne vers l'Ouest et passe pai' In-Salah. Durant plusieurs mois
d'indicibles angoisses, on demeura sans nouvelles. Puis des chameliers
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échappés au désastre , vinrent annoncer que les Pères avaient été
massacrés par les Touaregs noirs ; les têtes avaient été tranchées , les
restes jetés au feu et calcinés. Le mystère de ce drame sanglant n'a
pu être éclairci. On a dit que les Touaregs n'avaient été que des émis-
saires , que les ordres partaient d'ailleurs. Il y a tant de Touaregs
aujourd'hui !
Malgré tout, les Pères Blancs ne connurent pas le découragement.
Ils se reposaient dans la pensée que le chemin du désert . arrosé du
sang de leurs martyrs , était définitivement ouvert , qu'en prenant de
préférence la route de l'est par Rhat , quoique la plus longue pour se
rendre à Tombouctou, ils pourraient s'appuyer sur des Touaregs répu-
tés très sûrs et très hospitaliers. Durant cinq années , par des recon-
naissances incessantes dirigées vers le Sud, depuis Rhadamès jusqu'à
Rhat, ils contractaient des amitiés, nouaient des alliances avec les plus
influents des Touaregs. Ces derniers , soupçonnés d'avoir trempé dans
la fin sanglante du colonel Flatters ne montraient aucune hostilité
envers les Pères et les voyaient même de très bon œil. L'heure tant
souhaitée venait de sonner pour cet héroïque Père Richard ; — nous
saluons en lui un breton et l'une des plus belles âmes de notre époque
— il allait être au comble de ses vœux et pouvoir partir avec ses deux
compagnons « les pieds sur la terre, le cœur dans les cieux ! »
On touchait à la fin de 1881. La caravane organisée et protégée par
les chefs Touaregs était partie de Rhadamès : elle s'était avancée à
près de cinq cents kilomètres dans le Sud. Après avoir dépassé Rhat ,
elle marchait à petites journées dans ces mornes solitudes e^, ne s'ar-
rêtait que pour camper auprès des puits, avoisinant les salines. Les
nouvelles reçues par les caravanes qui se croisent, étaient excellentes,
lorsqu'au commencement de 1882, des coureurs vinrent annoncer que
les Pères n'étaient plus ; ils avaient été décapités aux aboid d'un puits.
il y avait deux ou trois jours. Des cavaliers s'empressèrent d'accourir ;
ils ne trouvèrent plus que des ossements brûlés et noircis , des vête-
ments en lambeaux et couverts de sang, et tout près de ces objets san-
glants, le chien du Père Richard, un Slugi, au repos . abîmé dans sa
douleur, qui ne relevait la tête que pour faire entendre des hurlements
lugubres. Tandis que les hommes s'abandonnaient à une barbarie sau-
vage, un animal n'obéissant qu'à son instinct, pleurait à sa manière, et
réclamait par des cris, son maître qu'on venait d'immoler.
La tristesse fut grande dès les premières rumeurs qui apportaient la
nouvelle de ce second massacre : un long cri de douleur s'éleva dans
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lo monde chrétien, nue lettre partie d'Alger exhalait les plaintes de la
nntnre déchirée et prodiguait des consolations à des mères qui vivaient
encore ! Mais enfin , c'était un sentiment de joie et de fierté chré-
tienne, qui était la note dominante. Qui donc oserait soutenir que la
foi est morte parmi nous , que notre nation n'est plus capable de géné-
rosité et de sacrifice . lorsqu'elle a du sang à verser pour la cause de
l'Evangile pour la grandeur de la patrie française ? On le vit bien à la
messe d'actions de grâces , célébrée avec l'agrément du Souverain-
Pontife, en l'honneur des trois victimes. Tandis que les cœurs étaient
opprimés, les yeux rougis par les larmes, des voix animées par l'espé-
rance entonnaient le Te Demn, et célébraient ces trois enfants de la
France qui venaient d'être réunis à la glorieuse armée des Martyrs !
L'expérience était faite. Jusqu'à des jours plus propices , il ne fallait
plus penser à poursuivre la croisade au Nord , mais concentrer toute
l'action apostolique vers lo Sud-Est , par les passages ouverts dans la
direction des grands lacs. On devait prendre terre à Zanzibar, et
remonter dans la direction de Téquateur. C'était un voyage immense .
par mer, pour gagner Zanzibar, par terre, pour traverser des territoires
inconnus qui s'étendent du 10'' degré de latitude Sud jusqu'il la ligne
équatoriale. La perspective de ces obstacles et de ces fatigues ne put
ébranler le courage des Pères Blancs, ils .<e mirent en route pour les
Lacs et le haut Congo.
Pour effectuer le long trajet de Zanzibar aux grands lacs . il est
presque impossible d'utiUser les animaux vulnérables qui succombent
trop vite aux piqiîres du tséisé; il faut faire appel aux indigènes de ces
contrées et choisir , parmi eux, des porteurs fortement constitués.
Aussi, l'organisation d'une caravane est-elle une entreprise des plus
compliquées , selon le témoignage de tous les explorateurs qui s'en-
gagent dans les régions equatoriales.
Il s'agit, en efiet, d'allier et de mettre d'accord les éléments les plus
disparates : des Arabes, des Zanzibarites, des Nègres, qui jouissent de
([uelque réputation de sobriété et de modération dans l'usage des
boissons fermentées. C'est presque un problème insoluble , celui qui
ctmsiste à ahgner, h discipliner des êtres dégradés, faciles aux que-
relles, voleurs, incorrigibles et qui profitent souvent de la première
halte pour disparaître avec leur bagage. Lorsqu'on s'imagine avoir tout
conclu, on s'aperçoit que tout doit être recommencé. C'est une première
dépense d'énergie.
Ajoutez le ressort de la volonté sans cesse tendu dans des voyages
— 102 —
qui durent . non pas quelques jours , mais des mois et des mois . des
luttes à soutenir contre le climat, les ardeurs tropicales , des obstacles
h franchir qui se renouvellent avec une uniformité désespérante. Ici .
des neuves, de larges rivières, dont les gués sont toujours soigneuse-
ment cachés par les naturels du pays ; là, des forêts épaisses, des épines
drues et serrées, des plantes aux émanations fortes et acres et dont les
brindilles fouettent le visage, en y produisant une brûlure analogue à
celle que le piment fait dans la bouche. C'est un art de camper , mais
surtout de décamper à propos, pour ne pas entendre le rugissement du
lion qui glace de terreur, pour fuir le voisinage de serpents audacieux
qui rampent droit à l'homme , lancent leur venin à dix pas; et toujours
dans les yeux.
11 n'est pas possible de traverser une peuplade — et ces peuplades
ne sont séparées que par une jungle, par un marais — sans que la cara
vane soit soumise aux tracas et aux humiliations des tributs, des droits
de passage et de résidence, bien connus sous le non de hongo. Le plus
petit négus . la reine du plus modeste territoire entend bien qu'on lui
ofifre, de gré ou de force , un ballot d'étoffes , aux couleurs très vives :
peu importe la finesse du tissu. Après bien des pourparlers pour réduire
l'imposition, le ballot est accordé, et les porteurs se trouvent soulagés
d'autant. Pour entrer dans un village , on paye le hongo : on le paie
pour boire un verre d'eau , pour occuper un emplacement , pour être
admis dans la case du roi et même pour en sortir. Mais quelque vexa-
toire que puisse être ce droit de passage, réclamé à tout venant , on le
préfère encore au droit de pillage. Dans ce hongo substitué à la destruc-
tion de la caravane, les explorateurs s'accordent à reconnaître un
commencement de civilisation !...
Pendant les étapes, l'alimentation n'est pas facile, elle est aussi très
peu variée. On vit à la grâce de Dieu, aujourd'hui de racines broyées,
demain, et ce demain n'arrive pas souvent, d'un morceau de girafe.
Les forces sont vite abattues, l'estomac devient paresseux, et la fièvre,
qui couve en permanence sous ces régions boisées , mine h la longue
les plus fortes constitutions européennes. Faut-il s'étonner que tant de
voyageurs succombent à la maladie . lorsqu'ils ont vaincu mille autres
fatigues et triomphé des ruses, des embuscades et des guet-à-pens !
Malgré ces difficultés, qui paraissent insurmontables à première
vue, les Pères Blancs ont organisé trois , quatre caravanes , appuyées
dès la seconde , par des zouaves pontificaux . Belges presque tous ,
toujours avides de dévouement et de sacrifice, et agréés solennelle-
- 103 —
ment à titre d'auxiliaires jiour le commandement si difficile de porteurs
indigènes. Ces caravanes , parties de Zanzibar . sont parvenues à
Tabora. après des efforts prodigieux , « en montant et on doscendaiit
toujours ». A partir de Tabora , les Missionnaires du Nyanza prennent
la route du nord , ceux du Tanganyka et des sources du Congo , conti-
nuent à marcher en droite ligne dans la direction de l'ouest. D'autres
caravanes remontent en ce moment le Bas Congo , depuis notre colo-
nie de Brazzaville jusqu'aux cataractes de la ligne de l'équateur.
Plusieurs de ces admirables serviteurs de Dieu, quelques-uns des
zouaves pontificaux belges , n"ont pu supporter ce climat meurtrier ou
sont morts sous la zagaie des nègres sanguinaires. Leurs corps
reposent dans les profondeurs des forêts vierges et l'emplacement de
leur sépulture n'est révélé que par une petite croix de bois. C'est là
qu'ils attendent la résurrection glorieuse.
A peine établis au sein des grands royaumes qui entourent les lacs
de l'équateur, les Missionnaires d'Afrique eurent, sous les yeux un
spectacle navrant , auquel rien jusqu'à ce jour ne les avait préparés.
Les récits des voyageurs qui passent . des explorateurs qui vont vite ,
sont fantastiques , lorsqu'on les compare à la situation telle qu'elle
existe. Ces peuplades , en état de guerre continuelle entre elles , se
poursuivent sans cesse par le fer et par le feu . s'égorgent de tribus à
tribus, pour piller et pour détruire. L'enjeu de la lutte est souvent une
verroterie ou un fichu d'indienne. Les têtes des vaincus , plantées au
bout des piques . sont les hideux trophées qui servent d'avenue aux
villages.
Au milieu de ce ramassis de fauves . vivant dans le désordre et le
pêle-mêle de la honte, il ne faut pas s'attendre à trouver les traces de
la société . pas même celles de la famille. L'enfant guette son père ou
insulte sa mère, dès la première jeunesse : on se vole, on se vend , on
cherche à se dévorer. Dans ces contrées . on ne voit presque jamais
d'or ni d'argent , l'homme est la monnaie courante et l'instrument de
réchange. Le prix d'un objet, d'une mesure de sorgho ou de quelques
chétifs quadrupèdes, se compte par têtes d'esclaves . comme chez nous
on con)pte par louis de vingt francs. 11 n'est pas rare qu'une pièce de
cinq francs soit un homme !
En présence de cette aÔ'reuse dégradation, qui avilit toute la personne
humaine, les Pères Blancs ont pris le parti de tenter leur premier essai
de civilisation auprès des chefs, des femmes et des enfants.
Les chefs, naturellement curieux de tout ce qui est nouveau, ont fait
~ 104 ~
presque tous un accueil gracieux aux Missionnaires d'Afrique. Ces
grands négus sont ravis , lorsqu'on leur offre quelque costume étince-
lant, quelques dépouilles de nos grandeurs déchues : les Pères Blancs
ont eu soin de s'en munir au m.arché du Temple, avant de quitter
Paris. Le roi Mtésa , dont on a tant parlé . et malgré qu'il fût circon-
venu par des quakers venus d'Angleterre , ne se lassait pas de la con-
versations des Missionnaires. Souvent , accompagné de son chien ,
qu'il tenait en laisse, il venait échanger avec eux de fréquentes visites
dans l'installation qu'il leur avait permise et facilitée. Mais les Pères
Blancs n'ont pas dû se fier à ces premiers témoignages. Le barbare
reparaissait trop souvent chez l'enfant. N'est -il pas arrivé Mtésa . au
sortir d'entretiens si pleins de cordialité , de faire précipiter des cen-
taines de victimes dans le Nyanza, pour apaiser le génie du lac, de faire
exécuter cinquante de ses mille femmes , eu une seule fois , en une
seule nuit ? Le fils de Mtésa règne aujourd'hui ; il est malheureuse-
ment dans les dispositions de son père ; la crainte l'exaspère et le rend
cruel, La polygamie esta détruire et l'amour du sang à éteindre, avant
que la foi chrétienne puisse germer et s'étendre.
Les femmes et les enfants sont les premières créatures qu'il faille
conquérir à Dieu. Tout d'abord les mères. Ces malheureuses . dénuées
de tout secours , ne peuvent espérer de dignité morale que par l'in-
fluence de l'Evangile. Chargées des fatigues, des soins de la maternité,
elles sont vouées aux corvées les plus dures, et travaillent aux champs,
leurs petits enfants juchés sur leurs épaules. On ne leur accorde que
des satisfactions puériles ou meurtrières , celle de fumer une sorte de
haschîch sufibcant. Mais, à la différence des hommes , qui ont le privi-
lège de tousser, à leur aise, à chaque expiration, les femmes ne doivent
pas tousser. Qu'elles étoufi"ent plutôt !
Ces traitements indignes ne sont rien en comparaison des actes de
cruauté dont elles sont les victimes. Qu'on nous pardonne de consigner
ici des détails qui font horreur. Lorsque les chefs barbares construisent
un piège pour attirer le lion ou le tigre , ils proposent une de leurs
femmes comme amorce vivante. Nous connaissons les récits de ces
funérailles royales , où les femmes du mort sont ensevelies, malgré
leur terreur , malgré leurs cris , dans le lit d'une rivière , un moment
détournée de son cours. Ces créatures aflblées sont rangées en cercle
et accroupies autour du défunt, et lui servent de piédestal et de
monument funèbre. Quand la cérémonie est terminée , la rivière
reprend son cours.
— 105 —
Mais ce n'est pas seulement dans le palais des rois que la vie de ces
infortunées est exposée à de pareilles infamies. Il n'y a que quelques
mois, et dans le voisinage du Tanganyka , une pauvre femme avait été
envoyée à la recherche de débri^ de bois, pour alimenter le feu du soir.
La malheureuse , se trompant de sentier , fut tout à coup submergée
dans l'un de ces marécages cachés sous la végétation. Elle faisait
entendre des cris désespérés ; quelques passants riaient ; son mari :
impassible, la regardait de loin et finissait par lui jeter une corde, d'une
longueur dérisoh'e, en lui recommandant de se tirer du mauvais pas
commt^ elle pourrait. La nuit vint, on l'abandoiina. et lorsque le jour
reparut, elle avait été dévorée par un léopard ! — Cette destinée acca-
blante pèse sur plusieurs millions de créatures.
Ces femmes ont besoin d'être aidées , encouragées pour calmer les
humeurs farouches de ceux qu'elles épousent , pour être de vraies
mères et devenir ainsi l'honneur de leur foyer ; elles réclament les
vaillantes sœurs Maraboutes, qui puissent s'occuper de la mission déli-
cate des jeunes filles et des mères, comme elles le font dans la province
d'Alger et dans tout le massif de l'Atlas.
Et les enfants qui ne viennent souvent au monde que pour être
esclaves ! Pour se faire une idée de cette plaie de l'esclavage, il n'est
pas inutile de rappeler ce que les Missionnaires ont tant de fois observé
chez les infortunés dont ils procurent la délivrance. Ces pauvres petits
êtres demeurent, pendant des aimées, même après leur liberté, sous le
coup de la crainte, du tremblement et del'eff'roi. Us revoient longtemps
encore, dans des cauchemars sanglants , les terribles ravisseurs , leur
hutte incendiée , leur mère violemment arrachée à leur tendresse et
toutes les scènes de cruauté qu'ils ont dû subir C'est ce que nous racon-
tait un jeune nègre , racheté depuis quelques années , et qui couri
aujoui-d'hui sur ses dix-sept ans , selon toute vraisemblance. Il a vu le
jour au Sud de Tombouctou. V^endu six lois à des maîtres successifs ,
comme le témoignent quinze cicatrices de son visage , il a été délivré
par le Père Richard , à ( Juargla , sur les limites de notre occupation
française. On l'a éle\é , il s'est converti , et depuis qu'il est confié à la
sollicitude si douce . si patiente du Père Supérieur de Lille , il apprend
à travailler le bois, afin de pouvoir doimer un jour . dit-il , « un aspect
plus beau aux cases des nègres ! »
Ce jeune homme est sauvé. Mais les autres , comment les soustraire
à l'esclavage ? Leur prix n'est pas considérable ; un enfant ne coûte
que cent francs et même moins. Mais il y en a tant à racheter ! Quanti
— 106 -
on vient à penser que , malgré les eflbrts des nations civilisées , plus
de quatre cent mille enfants, de tout âge et de tout sexe, sont , chaque
année en Afrique, la matière vile d'une traite inexorable , soit que des
parents indignes en fassent un cdieux trafic, soit que ces petits êtres
deviennent les victimes de rapt, de chasse à l'homme ou d'attaques en
règle ; quand ou se représente ces longues chaînes d'enfants, torturè.s,
tramés dans les sables pendant des centaines et des centaines de lieues,
jusqu'à ce qu'on rencontre un marché favorable , comment n'être pas
ému et gagné par un sentiment d'humanité, de pitié , comment ne pas
venir au secours de si grandes infortunes . et ne pas contribuer à ce
qu'un grand nombre de ces enfants puisse être délivré et disposé, sous
la direction des Pères d'Afrique , à jouir de notre lumière et de nos
espérances ?
C'est à cette entreprise que les Pères Blancs ont voué leur vie dans
la région des grands lacs , Sûrs de tenir en main le vrai et seul flam-
beau de la civilisation , ils luttent et marchent avec confiance , sans se
laisser déconcerter par les oppositions de tout genre qui peuvent sur-
venir. Ils sont sujets à la contradiction, et cela est inévitable dans la
mêlée des passions humaines , où se choquent des éléments si divers ,
et qui sent encore si loin d'être réunis dans un même esprit de paix et
de concorde ! Les esprits empressés leur adressent cette critique :
Mais vous ne faites rien chez les nègres , ou bien vos progrès sont si
lents qu'ils demeurent insensibles ! Ceux qui se font une idole de la
liberté de conscience , plaident la cause de la barbarie , en faveur des
nègres : Si vous étiez encore les seuls représentants de la civilisation,
disent-ils aux Pères Blancs , mais vous coudoyez à chaque instant les
apôtres de confessions divergentes delà vôtre ! Quel parti peuvent bien
prendre ces barbares , au milieu de tant de croyances qui difî"èrent ?
Vous ne faites qu'augmenter la confusion dans les cerveaux de ces
sauvages
Aux esprits travaillés d'impatience et qui réclament des résultats
foudroyants , les Pères d'Afrique répondent que Dieu , à qui l'on ne
refusera pas la toute-puissance, n'a pas dédaigné d'employer six longs
jours à la création du monde, qu'ils construisent un édifice moral,
dont les fondations doivent être cachées en terre, comme celles de tous
les édifices matériels. Les générations qui suivront, la leur bâtiront les
étages en plein jour; pour eux, ils se résignent à être ce quelque chose
qu'on ne voit pas — Malgré que des confessions nombreuses tentent
la conquête de ces cœurs , de ces âmes ouvertes aux premières
— 107 -
impressions , la victoire définitive restera cependant aux plus dignes ,
aux plus désintéressés , aux plus charitables. L'Africain , quelque
enfant . quelque naïf qu'il puisse être , sait bien distinguer l'Européen
de l'Arabe : il saura bien discerner aussi , parmi les rivaux de tant de
confessions religieuses , ceux qui lui veulent sincèrement du bien , de
ceux qui ne prétendent qu'à son ivoire ou à la richesse de son pays.
En dépit des vicissitudes qu'elles traversent, et cette considération est
à l'honneur de l'humanité , la justice et la vérité sont encore les deux
plus grandes choses de ce monde ; elles ont des retours imprévus et
finissent touiours par récompenser les âmes qui savent attendre.
Les Missionnaires , fermement établis dans cette confiance , com-
mencent à entrevoir le succès que Dieu ne refuse jamais à une humble
prière, à des efforts persévérants. Les nègres de Téquateur parlent
déjà notre langue, comme les Pères parlent la leur, les premières
assises d'une société sont fondées, et la jeune Eglise des grands lacs
apparaît dans la première éclosion de sa foi.
Il y a quelques semaines , un jeune explorateur revenu du Congo ,
nous disait , avec une conviction profonde, que. seuls, les missionnaires
peuvent avoir prise sur les peuplades de l'Afrique . parce que . seuls
établis dans ces contrés et non simplement passagers et curieux de
voyages, ils ont le temps, la patience héroïque d'apprendre la langue
indigène et d'en dénouer les difficultés presque inextricables. Les
Pères Blancs ont eu cette patience, ils connaissent la langue des grands
lacs et tous ses dialectes ; ils viennent de composer une grannnaii-e et
de réunir dans un dictionnaire plus de sept mille mots empruntés au
Ruganda. La connaissance de la langue est indispensable à ceux qui
veulent conduh-e les barbares aux sources de la civilisation.
C'est aussi pai* l'intelligence de l'idiome que les missionnaires par-
nennent à jeter, sur ce sol inculte et désolé, les premières bases d'une
société. Près des bords du Tanganyka, il existe un Père Blanc dont le
prestige, l'ascendant est incontesté. Les négus le respectent , le con-
sultent, acceptent tout de lui : le pouvoir, les réprimandes , les correc-
tions, même la déchéance. Ce pauvre missionnaire s'est vu transformé
en vrai suzerain, investi de la toute-puissance dans des royaumes plus
étendus et aussi peuplés que la France. Il n'abuse pas de cette situation
qui nous paraît étrange, bien au contraire. Il rachète des esclaves , de
tout petits enfants que leurs mères allaitent encore ou que ces malheu-
reuses abandojuient à l'état de squelette. Par ses soins, plus de trois
cents de ces enfants sont nourri^; et préservés dans les postes du Tan-
— 108 -
j^anyka. Les adolescents apprennent la langue française et sont initiés
à l'instruction religieuse , mais il n'est pas rare, qu'en pleine leçon de
catéchisme, les jeunes nègres réclament et sollicitent leur récréation
favorite, qui est de danser. Le Père est bien obligé de la leur accorder
de loin en loin, jusqu'à l'infusion d'habitudes nouvelles et plus calmes.
Les hommes sont aussi l'objet de ses préoccupations constantes. 11 leur
aprend la guerre, le maniement des armes, la stratégie et la tactique,
afin qu'ils soient à même de se défendre contre le léopard , qui vient
faire des visites de nuit, et contre le trafiquant arabe qui profite aussi
de la nuit, et même du jour pour organiser sa chasse à l'homme.
N'est-ce pas une œuvre d'humanité et de civilisation , que d'apprendre
à ces peuples impressionnables , prompts à fuir devant le danger , l'art
de résister aux fauves , et particulièrement à ces cavaliers audacieux
qui enlèvent les femmes et les enfants, qu'ils appellent sans pudeur
« le bois d'ébène » ? Nous devons ajouter , pour l'intelligence de cette
éducation belliqueuse , que le suzerain de Tanganyka , si puissant . si
considéré . est un zouave pontifical qui s'est battu au Mans , et qui ,
depuis , selon un mot heureux, s'est fait Africain, pour demeurer plus
Français !
De jeunes églises viennent de naître dans ces vastes royaumes. Les
néophytes qui aspirent à la connaissance de notre foi et au baptême ,
sont soumis aux mêmes épreuves imposées , dès les origines du chris-
tianisme, aux catéchumènes. Ces épreuves ont été soutenues pendant
quatre années , et les néophytes , dont la persévérance ne s'est pas
démentie , ont eu le bonheur d'âtre admis dans la grande famille
catholique. Mais Dieu a voulu sonder la fermeté de leurs dispositions,
et ces nouveaux chrétiens sont en ce moment jetés dans les prisons et
dans les fers.
On nous annonçait des bords du Nyanza,vers la fin de juillet dernier,
qu'une persécution venait d'éclater , que la foi de ces jeunes néophytes
avait été admirable et s'était montrée capable de résister jusqu'àl'efi'u-
sion du sang. Des lettres récentes qui nous parviennent , confirment
ces nouvelles terribles et consolantes en même temps. Ces nègres
chrétiens viennent d'ouvrir leur martyrologe. Un grand nombre — il
monte peut-être à cent , on ne connaît que les noms de vingt - deux
victimes — sont morts sous la bastonnade, ont été brûlés vifs, au milieu
des toui'ments les plus raffinés , mais avec une constance qui frappait
de stupeur les bourreaux eux-mêmes. Mgr Livinhac, le vicaire aposto-
— 109 -
liquo (le rOugaiida , reçoit a celle heure , lît du Souverain Poiilife lui-
même, la mission d'inlbrmei^ sur leur martyre pour la foi.
En attendant que le Père de tous les fidèles décide sur leur cause ,
nous envoyons un salut d'affection fraternelle à ces premières fleurs ,
empourprées de la jeune Eglise de l'Equateur
Celle étude ne peut demeurer incomplète. Elle le serait, si nous
finissions sans off'rir riiommage dn noire respect et de notre reconnais-
sance à celui qui a été le bras d(; Dieu dans toute cette entreprise.
Je sais bien que, de nos jours, deux doctrines se disputent le monde.
L'une, celle de nos pères dans la foi, établit que la Providence suscite,
aux heures de grande détresse , des hommes qui sont à la hauteur des
infortunes, pour les secourir et pour les consoler. L'autre, qui prétend
s'appuyer sur les données positives de la science , déclare , dans un
langage mécanique, que les grands hommes n'existent pas, qu'ils sont
simplement « une force sociale . et la résultante d'un énorme agrégat
de forces qui ont agi ensemble pendant des siècles ! »
Que cette théorie chimique de la notion du grand homme accom-
plisse son évolution , mais qu'il me soit permis de rester fidèle à nos
traditions et de saluer l'homme proTidentiel qui a été, après Dieu,
depuis vingt ans, l'inspirateur, l'âme et le soutien de cette œuvre
immense.
Déjà, lorsque j'ai fait allusion à celui qui se portait le garant et le
défenseur des Pères Blancs contre les détracteurs de cette mission ,
lorsque j'ai raconté la bénédiction des Atlafs, les établissements de
Tunisie, il était visible que nous avions tous présents à l'esprit, l'intré-
pide apôtre que les Arabes se plaisent à nommer le grand général des
Marabouts de France , l'évéque infatigable qu'un colonel rapprochait
lie la Lumière do l'Eglise d'Afrique. « Nous avons vu saint Augustin !
sécriait-il » , le prince de la sainte Eglise romaine , qu'un archevêque
de nos contrées appelait naguère « le plus grand évêque du temps » —
Son Éminence le Cardinal Lavigerie , Archevêque d'Alger et de Car-
thage , Primat d'Afrique. Nous l'avions tous à la pensée ; néanmoins
je persistais à vouloir le réserver pour la fin de cette exposition.
Comme il a la gloire de résumer l'entreprise tout entière, d'en être le
ciment, n'était -il pas juste qu'il fournît la dernière impression sur
laquelle nous devons rester? Son intelligence, sa vertu, son caractère,
son activité, toute sa persoiuie est marquée d'une ineffaçable empreinte
dons la conception de cette œuvre et dans sa rapide expansion.
C'est lui qui recueillait les enfants arabes , victimes de la fanùne et
— 110 -
de la peste ; il avait la première idée de ces orphelinats depuis trans-
formés en écoles , lesquels sont aujourd'hui disséminés en Algérie ,
dans les îles, comme dans la mère-patrie ;
C'est lui qui groupait le premier noyau de prêtres de bonne volonté,
et qui leur enseignait que le nom de Père Blanc est synonyme de
martyr. Bientôt il projetait au lohi raclion de la société naissante à
Jérusalem, à Malte, à Borne , à Tunis , longtemps avant la question du
Protectorat, ces jours derniers, à Kairouan , cette seconde ville du
fanatisme musulman, après la Mecque. En vain, quelques voix discor-
dantes s'élevaient - elles , même de notre patrie, pour contester son
influence : une feuille italienne , la Rifbrma , déclarait , qu'à lui seul ,
l'archevêque d'Alger valait un corps d'armée de cent mille hommes !
C'est lui qui fondait l'hôpital de Ste - Elisabeth , et ne reculait pas
devant le projet hardi d'établir les villages chrétiens de St-Cyprien et
de Ste-Monique. Aujourd'hui, sa plus douce joie est de visiter cette
colonie d'orphelins , dont pas un seul n'a apostasie . d'exhorter les
jeunes ménages , de se complaire au babil des enfants , qui grimpent
sans respect sur ses genoux , et savent déjà , avec un accent de ten-
dresse touchante, bégayer le nom de « grand Papa ». N'est-il pas le
père de la première génération ?
C'est des hauteurs de Noire-Dame d'Afrique, où sont venues s'age-
nouiller tant de nos gloires françaises , qu'il suivait du regard ses tlls
bien-aimés , en partance pour le désert, pour Zanzibar et lej lacs de
l'équateur : c'est là qu'il demeurait eir prières , pour les bénir, et les
accompagner des vœux de son cœur , pour verser des larmes sur leur
mort, pour chanter leur martyre et leur triomphe, consoler les mères
incomparables qui avaient donné de leur vie à la cause de l'Evangile !
Lorsque , par l'autorité de Pie IX et celle de Léon Xlll , il était
successivement promu délégué du Soudan et des régions équatoriales .
lorsque tout récemment , il était revêtu de la poupre cardinalice et
décoré du titre de Primat d'Afrique , il sentit que des honneurs qui
persistaient à venir le chercher , lui imposaient le devoir , à lui qui
s'était déjà tant donné, de se dépenser par-dessus toute mesure. Que
ses fils, les Pères Blancs, portent leur avant-garde dans le Djurjurah,
à Carlhage , aux solitudes du Soudan, qu'ils affrontent les latitudes de
feu de l'Equateur ; qu'ils rendent populaue non seulement la foi qu'Us
enseignent, mais encore la langue dans laquelle ils l'enseignent et la
patrie d'où ils viennent; qu'ils apprennent aux barbai'es la loi de la
fraternité, qu'ils les prépai'ent à la réforme- mère de tous les autres ,
- 111 -
1 amour et le respect de la personne Immaine ; qu'ils dressent enfin
leurs autels sur les ruines des cultes cruels et barbares — lui, leur
Père, malgré son âge. ses épreuves, ses infirmités, prend son bâton de
quêteur, et s'en va, de parle monde, irais surtout dans sa chère
France ; il parle , il écrit , il a des paroles pour convaincre , d'autres
pour persuader ; c'est un voyageur sans halte ni repos , lorsque la
fatigue l'accable, il marche encore. Il a pu dire agréablement de lui-
même qu'il était , sans contredit . l'évêque qui a t'ait le plus de kilo-
mètres
Durant cet hiver, il a voulu se ménager une solitude dans l'oasis de
Biskra. Afin de tromper ses latigues, mais plutôt pour interrompre le
cours habituel de ses occupations, il rédige un ouvrage sur les origines
de l'Eglise d'Afrique. Lorsque ce livre sera terminé , il n'y aura qu'à
tourner le dernier feuillet , pour rattacher à l'histoire du passé , cette
autre histoire du présent , dont le cardinal Lavigerie demeurera le
héros. Il a demandé , sur l'inscription turaulaire déjà préparée dans
l'un des caveaux de l'éghse primatiale de Carlhage , qu'on ne retînt
rien autre chose de lui, sinon qu'il n'était plus que poussière ! Les âges
qui suivront ne pourront cependant jamais oublier qu'il fût un Apôtre
et l'un des plus fidèles enfants de la France.
Pour nous, en présnce des merveilles déjà accomplies , comment ne
pas entourer de nos respects et de nos sympathies généreuses , des
hounnes qui luttent pour la vérité et la justice jusqu'à la mort, jusqu'à
l'effusion du sang, comment ne pas éprouver un vif sentiment de pieuse
admiration pour Celui et ceux qui raniment nos énergies chrétiennes
si ébranlées, et qui viennent de nous démontrer, en leurs personnes ,
qu'il y a encore quelque honneur, quelque gloire à se dire Français !
- 112 —
NOUVELLES ET FAITS GÉOGRAPHIQUES
I. — Géograpliie scientifique. — Explorations et découvertes.
EUROPE.
Fraucc. — Pkix Gay. — Le prix de géographie physique décerné par l'Aca-
démie des sciences en 1886, a été remporté par M. Ph. Hall, ingénieur hydro-
graphe de Ifl marine.
La question proposée était la suivante :
Recherches sur les déformations du niveau de la surface des mers dans le voisi-
nage des continents par l'effet des actions locales dues au relief du sol ; choisir des
exemples qui mettent bien le phénomène en évidence.
La question proposée pour le prix Gay de Tannée 1887 , est : Distribution de la
chaleur à la surface du (/lobe.
ASIE,
IlécouTcrte des sources <lu ^ouiigari eu C'hiue. — Les Mitthei-
lungen de Petennann, annoncent que les voyageurs anglais H. E. M. James, F. E.
Younghusband et H. Fulford auraient réussi à découvrir les sources occidentales du
Soungary. Us ont quitté Moukden en mai 1886 pour se diriger vers l'est, et atteindre,
en suivant la vallée du Ya-Lou , frontière de la Corée , la chaîne de montagnes qui'
sépare la Corée de la Mandchourie. Mais comme cette vallée était absolument
impraticable, ils ont diî se résigner à en suivre une autre vers le nord ; ils ont
franchi la chaîne par un col situé à une hauteur de 900 mètres et suivre le Ha-ho ou
Fleuve Noir , pour atteindre le Soungari , dont ils ont longé le bras occidental
jusqu'à sa source dans le Peistan ou Montagne Blanche. D'après leurs observations,
le point le plus élevé , qu'on estimait jusqu'aujourd'hui à 3 ou 4,000 mètres , a été
fixé à 2,500 mètres. Les glaciers manquent , quoique la neige ne fonde jamais dans
les gorges. Le Yalu et le Touemen , qui sépare la Russie de la Corée , prennent leur
source tout près. Il a été impossible aux voyageurs d'atteindre ce dernier ; aussi se
sont-ils dirigés vers le nord : ils sont arrivés le 12 août à Kirin , capitale de la
Mandchourie. Ils continuent actuellement leurs explorations du côté du Nord.
Voyage de 11. D. C'arey «laus 1-Aslc Ceutrale. — Un fonctionnaire
du service civil de Bomljay, vient d'accomplir un voyage remarquable dans l'Asie
- 113 -
centrale. M. Carey a quitté l'Inde en mai 1885 et a traversé lo Norfl Thibct(Changtan)
jusqu'au lac Maiigtsa , point ou il a tourné au Nord, descendant dans les plaines da
Turkestan, vers Kiria. 11 a parcouru ainsi 300 milles et un pays qui n'avait jamais
été visité par des Européens. Après un séjour à Kiria et à Khotan , il a , dit la
Gazette Géograpliique , suivi la rivière de Khotan jusqu'à sa réunion avec le Tarim ;
puis continué sa route jusqu'à Sharik; et à travers le désert jusqu'à Shah-Yarand
Kuchar. De ce point, il a suivi de nouveau le Tarim jusqu'au lac Lob . après une
exi'ursion aux villes de Kurla et de Karastaber ; il a repris de nouveau le cours du
Tarim , relevant ainsi le parcours entier de cette rivière. Le pays explosé est plat,
sa population pauvre et misérable.
Après le 30 avril 1886 , M. Garey est parti de Chaklik , au pied d'une des plus
grandes hauteurs du versant nord de la chaîne Thibétaine, se dirigeant sur le Thibet,
par une par une passe de l'Altyn-Tagh. Depuis, on est sans nouvelle de lui ; mais on
suppose qu'il a employé l'été et l'automne à explorer les hauteurs et qu'il est revenu
hiverner au Turkestan.
On a reçu récemment par la voie do Pékin, une lettre de M. Garey, datée de Hamy,
16 novembre ; M. Garey, d'après cette lettre, était à la veille de partir pour Yarkand
cil il comptait hiverner, et il avait l'intention de revenir dans l'Inde au mois de mars
par le pays de Karakoroum.
IliCS exploration!!» de im. de Percy et llarx. — Une forte recon-
naissance , conduite par M. le capitaine de Percy et par M. le lieutenant Marx ,
vient de revenir de chez les Mois . après une exploration de trois semaines ,
rapportant des renseignements fort curieux sur cette peuplade mal connue , que M.
le docteur Harmand a jadis traversée. La colonne , li-:ons-nous dans le Temps
composée de trente zouaves, de vingt-cinq chasseurs annamites et de cinq éléphants,
est partie de Quang-Try et s'est avancée à travers d'assez grosses difficultés de
terrain jusqu'à Aï-Lao , point terminus de sa marche, oii elle a séjourné quelques
jours. Un jeune médecin militaire, M. le docteur Simon, toujours curieux de science
et de nouveauté à connaître, avait été adjoint à la colonne, et chargé de recueillir et
de formuler les observations autres que celles d'ordre purement topographique.
Cette fameuse peuplade des Mois, que la légende locale représente comme inacces-
sible et presque sauvage, n'a pas , dit-on justifié sa réputation. Officiers et hommes
d'escorte n'ont trouvé auprès d'elle qu'hospitalité et secours bienveillant. Dans
certains rapides, les habitants venaient coraplaisamment s'atteler à la cordelle et
aider nos sampans à remonter le courant.
Il nous a été donné de voir quelques photogi'aphies prises dans les environs d' Aï-
Lao par la mission. Le type moi est bien plus beau que le type annamite , le teint
plus clair, l'ossature plus vigoureuse. 11 se rapproche un peu du Cambodgien par
l'aspect physique et le costume. Les Mois ne portent pas le kéo si uniformément
malpropre de l'homme du peuple annamite. Ils se drapent dans une immense pièce
d'étoffe bariolée qui s'enroule sur le torse nu , retombe jusqu'aux pieds , et dans
laquelle une sorte d'ouverture , habilement ménagée, sert de manches et permet les
mouvements des bras. Cet accoutrement leur donne dans le port et la démarche une
dignité que l'on chercherait en vain chez nos pauvres Annamites.
Dans quelques coins reculés de cette contrée , l'argent est inconnu en tant que
monnaie. Les tran-sactions se font par voie d'échange. Toujours est-il que dans la
partie visitée par la mission, les habitants semblent avoir rompu tout à fait avec ces
habitudes de patriarcale innocence. A en juger par le prix auquel ils ont vendu aux
voyageurs quelques objets de costume ou de vannerie , on peut croire que l'esprit
- 114 -
mois s'est amplement ouvert à la notion du commerce, et qu'ils connaissent même à
ravir les lois de l'offre et de la demande. Ils parlent un dialecte que nos interprètes
annamites ont peine à comprendre. Les Mois fabriquent fort bien les tissus genre
crêpons, travaillent l'ivoire , — la plupart des éléphants domestiques de l'Annam
viennent de chez eux, — et cultivent en al^ondance la cannelle et la noix d'arec , qui
trouvent si aisément un débouché sur les marchés de Chine ou d'Annam. Les plus
grandes difficultés sont dans les communications à établir avec ces tribus. La route
difficile, étroite, semée d'obstacles, qu'a suivie la mission de Percy, ne peut à aucun
degré èti"e utilisée comme voie de pénétration commerciale II convient d'en chercher
une autre, et ce sera sans doute l'œuvre d'une mission ayant plus de temps elle ,
avec moins d'escorte et de bagages.
Il n'en faut pas moins féliciter très haut les intelligents officiers qui viennent de
diriger cette exploration. Ils ont fait de la bonne et consciencieuse besogne.
liC haut fleuve Koiijs^e et ses afflueuts. — M. A. Gouin , lieutenant
de vaisseau, Résident de France à Sontay , a adressé à la Société de Géographie de
Paris, une notice très détaillée sur la région du haut fleuve Rouge :
« Les indigènes appellent Song-Thao cette importante artère fluviale : les Français
la nomment Song-Coï. Elle reçoit deux affluents, la rivière Claire (Song-Ca) et la
rivière Noire (Song-Bo), qui viennent se jeter dans le fleuve Rouge entre Hung-Hoa
et Sontay. Ces trois cours d'eau, qui sillonnent et desservent tout le haut pays ,
donnent accès en Chine avec des difficultés que la nature a faites grandes et que
l'existence des pirates chinois augmente encore. La navigabilité de ces rivières n'a
pas été jusqu'ici étudiée avec soin , et pendant longtemps l'importance en fut
exagérée, surtout en ce qui concerne le fleuve Rouge , par les promoteurs de l'expé-
dition du Tonkin.
» M. Gouin décrit niinutieuseiîient ces divers cours d'eau ; il indique les reliefs
du sol et ses productions , les industries et le commerce du pays, les ressources que
nous pouvons en attendre et les importations que nous pourrions faire. Les mines
des environs de Lao-Kaï sont , paraît-il , abandonnées depuis longtemps , sauf une
mine d'or de peu d'importance; les forêts présentent de beaux arbres utilisables
pour la charronnerie et l'ébénisterie. A l'aide d'irrigations raisonnées , on créerait
sans trop de peine de vastes prairies naturelles pour l'élevage du mouton, du bœuf
et du cheval,
» Dans tous les points du Tonkin oii il y a à faire un commerce fructueux , s'éta-
blissent de nombreux Chinois ; on les voit aujourd'hui monter en masse sur la
rivière Claire. Nous ferons sagement de suivre l'indication qu'ils donnent de la
sorte. La population devient de plus en plus dense à mesure qu'on approche de Ha-
Giang, ville qui compterait, dit-on, 10,000 habitants. Le produit principal du Tonkin
qui doit alimenter ces régions, est le sel. Depuis le commencement de l'année 188(1,
il est sorti de Tuyen-Quan près de 5,000 piculs de sel , allant , soit dans le Song-
Kam, soit vers la rivière Claire. Le trafic s'est fait par les Chinois.
» Un autre article à importer serait les cotonnades. Un assortiment qu'un
Français avait pris à Hanoi pour un essai , lui a été enlevé en un clin d'œil : mou-
choirs de couleurs, serviettes, étoflés blanches et noires , soieries , crépons, etc., se
vendraient avec une facilité reniarquable. Dans son prochain voyage, ce Français se
propose d'essayer l'ai'ticle quincaillerie, instruments aratoires. A Trinh-Thuong et à
Bac-Quan, ou existent de nombreuses cultures , on pourrait échanger contre nos
outils les insh'uments tout à fait primitifs dont se servent les indigènes. Les habi-
- 115 —
tatioiis de ces g'ens , construites généralement en gros bois , sont tenues par des
fiches en bois ; 1(! travail on ost considérable. Ils manquent absolument do fer. »
lia voie Huviale «le l'OI»-Véiiî*»él.— Dès le mois de septembre 1881 , le
ministère des voies de communications en Russie avait conçu le projet de relier les
deux tleuves Ob et Yéniséi et de créer ainsi une communication fluviale ininterrom-
pue à travers toute la Sibérie, de TOural à Kyakhia. En ce moment, la plus grande
partie des travaux est terihinéo, notamment le canal reliant le lac Bolshoï à la
rivière Maly-Koss, la régularisation du cours de la Yazovaïa et des sources du Maly-
Koss, ainsi que le déblaiement de quelques autres petites rivières.
AFRIQUE.
Une uoiivelle Ntatioii alleitiaiide ilaiif!» TAfrique orientale*
— D'aprè-i la Ao/onù'^ Polltische Korresponden: du 22 mars, la Compagnie alle-
mande de l'Afrique oi-ientale aurait établi un poste dans la région des Massai. On
lui aurait donné le nom de Ma/l et M. Zboril en aurait pris le commandement. La
fondation de cette station est due à M. Braune , chef de la station de Korogwe , qui
écrit à ce propos à l'agence de la Compagnie à Zanzibar : « Mafi est situé . pour
ainsi dire , à la limite extrême de l'Afrique civilisée ; c'est aussi le carrefour où
viennent se croiser les routes qui conduisent à Pengani. au Dchagga et aux grands
lacs. Les district-^ voisins produisent en abondance le maïs, le materna , le mogho et
même un peu de tabac. »
nouvelle!!» «le rexpé(liti«>u «le .Stauley au «lecour^ «l'IOniiu-
Bey. — Annonce de la mort de Stanley. — Le navire Madura. qui a amené de
Zanzibar toute l'expédition, est arrivé à Banana, le 18 mar •; dernier, à 8 heures du
matin. Immédiatement Stanley s"e>t rendu à terre pour s'assurer de tous les moyens
de transport dont il pouvait disposer, en dehors de ceux que l'Etat du Congo avait
mis à sa disposition. 11 eut immédiatement , outre le Héron^ à l'Etat , le Niemann ,
de la maison hollandaise, l'Albicquerque, de la maison anglaise, le Serpa-Pinto, de
la Compagnie [lortugaise, et le Cacongo , une canonnière portugaise, de passage à
Borna, et dont le capitaine offrit gracieusement le concours.
Le 20 mars, Stanley quittait Borna et, le soir même . arrivait à Matadi , d'oii il est
parti le 25 pour arriver à Banza Manteka. Ici l'expédition a commencé sa marche
parterre. Voici, concernant cette partie du voyage, un extrait d'une correspondance
que publie le Mom^ement geofiraphique :
« Le 30 mars , à quelques heures de la Loufou , je rencontrai l'avant-ganie de
l'expédition. Il était 8 heures du matin. Immédiatement après quelques .soldats ,
venait Stanley. 11 était indisposé , dérangé par les eaux corrompues qu'il avait bues.
On le portait en hamac. Il dormait. Près de lui marchait un blanc. Un boys condui-
sait son âne. Devant , derrière les soldat , les porteurs se suivaient le iong du
chemin, k la file indienne.
» Un peu plus loin , je fus croisé par un Arabe à belle barbe qui me salua et me
demanda en kisouhali : « Sommes-nous encore loin de Ntamo ? » C'était Tippo-Tip.
Je ne l'appris qu'un peu plus tard.
» Au pont de la Loufou , la foule était grande. Le petit pont suspendu que le lieu-
— 116 -
tenant Sjocrona y a construit , exige quelques ménagements et les hommes , qui
arrivaient toujours , attendaient leur tour de passage. Toute cette cohue bariolée ,
offrait un coup d'œil intéressant et tout à tait inattendu. »
L'expédition est arrivée !e 20 avril ,à Léopoldville , elle ne pouvait y séjourner ,
parce que la famine qui y régnait rendait difficile le ravitaillement d'une aussi forte
expédition. Elle dut néanmoins y camper pendant neuf jours , qui furent consacrés
à l'organisation de la llottille et du chargement. La flottille se compose , outre les
allèges, de quatre steamers ; ^e Stanley^ appartenant à l'Etat, le Peace , delà
mission baptiste , le Henry Read , de la Livingstone mission , et la Florida , de la
Sanford expédition.
L'expédition s'est embarquée le 29 avril; elle a passé devant Kwamouth, le 6 mai.
Elle a dû arriver aux Stanley -Falls dans les premiers jours de juin , et , à l'heure
présente, elle doit être en route vers le lac Albert.
— Au dernier moment (17 août) nous recevons une dépèche de Zanzibar no»s annon-
çant que Stanley serait mort, abandonné par Tippo et ses compagnons et massacré
par les indigènes On ne sait rien au siège du gouvernement du Congo, ni dans d'autres
sources bien informées. A Bruxelles, on considère la nouvelle comme fausse.
Quelques «létails sur Tippo -Tip. — Nous empruntons à l'ouvrage de
M. J. Becker, La vie en Afrique, quelques détails sur ce fameux traitant :
Hained-ben-Hamed, surnommé Tippo-Tip, à cause du clignement d'yeux qui altère
la sérénité de son imposante physionomie , est fils d'un arabe de Zanzibar et d'une
fenune de la Mriina (territoire de Bagamoyo). Il habite depuis dix ans le Manyéma
entre le Tanganiyka et le Haut-Congo.
11 y jouit d'une popularité immense, non seulement sur tout le territoire soumis h
son autorité, mais encore sur les peuplades limitrophes , qui le savent homme à ne
laisser passer aucun acte de mauvais voisinage.
Par ses immenses plantations , auxquelles sont attachés des milliers d'esclaves ,
fanatiquement dévoués au maître , non moins que par le corniaerce de l'ivoire , dont
il a su monopoliser toutes les sources, ce marchand, doublé de conquérant et d'orga-
nisateur , a su se tailler , au centre de l'Afrique , un véritable empire , oii , bien que
vassal nominal de Saïd Bargash , il règne en maître absolu.
Chez Tippo Tip, en dépit du mélange de sang, le caractère arabe l'emporte et se
traduit par l'exercice, à la fois instinctif et raisonné, de vertus patriarcales.
Son empire sur lui-même, son courage indomptable , son intelligence des affaires ,
la profondeur de ses vues et la rapidité de ses décisions , le succès constant enfin de
ses entreprises, joints à un côté vraiment chevaleresque qui lui sied à mei-veille , en
font , avec Mirambo , une espèce de héros célébré par tous les noirs rapsodes de
l'Afrique Orientale.
Dédaigneux du luxe . Tippo-Tip est modestement logé à Itourou , où son vieux
père et son frère Mohamed Massoudi , enrichis , comme lui , par le conmierce ,
vivent à l'écart de toutes intrigues politiques et marchandes connue de toute vani-
teuse ostentation
Tippo-Tip, âgé d'une quarantaine d'années , grand , souple , robuste et se présen-
tant avec une dignité suprême , unit au teint noir de l'Africain , la régularité et la
noblesse du type arabe. C'est un grand seigneur dans la plus ample acception
du mot.
Son vêtement se composait, lorsque M. Becker le vit , d'un ample djoho jaune ,
brodé d'or fin, et d'une chemise d'une éclatante blancheur. Sa coiffure se bornait au
fez blanc d'étofï'e piquée sur laquelle les hommes libres, qui en ont la spécialité,
- H7 -
excellent à dessiner à l'aiguille des versets entiers du Coran , mêlés à d'élégantes
arabesques. Un djenibia, au manche constellé de pierreries, était passé à sa ceinture.
C'est ce jirand trafiquant d'esclaves, ce roi sans couronne , dans la région qui
s'étend du lac Tanganiyka aux Stanley-Falls , avec lequel Stanley a entamé des
négociations. Entre son hostilité et son amitié, il a opté pour son amitié.
Le principal service que Stanley attend do Tippo-Tip est celui-ci : Emin - Pacha
possède, paraît-il , à Wadelai , environ 75 tonnes d'ivoire représentant une somme
d'un million et demi de francs. En sauvant cet ivoire , on arriverait à rembourser au
Gouvernement égyptien tout ou partie de la subvention qu'il a accordée à l'expédi-
tion de secours. Mais il faut des porteurs pour transporter l'ivoire. C'est là, la
première raison qui a déterminé l'explorateur à pactiser avec Tippo - Tip , qui a
consenti à fournir 600 porteurs.
Tqipo-Tip est donc entré au service de l'Etat du Congo. Stanley l'a nommé chef
de la division des Falls. Il a fallu, on le voit, faire la part du feu.
La convention a été signée à Zanzibar le 24 février. Tippo-Tip aura im traitement
de 30 livres sterling par mois. Il s'oblige à arborer le pavillon de l'État du Congo
sur la station près des Stanley-Falls et à faire respecter l'autorité de l'État sur le
fleuve du Congo et sur tous ses affluents. Tant à sa station qu'en aval jusqu'à la
rivière Arouhouimï , il s'engage à empêcher les Arabes et les tribus qui y sont
établies, à se livrer au commerce d'esclaves. Il recevra auprès de lui un Résident ,
représentant l'État indépendant du Congo , et se servira de son intermédiaire pour
toutes les communications qu'il aurait à faire à l'administration générale.
On se rappelle que les Arabes de Tippo-Tip avaient récemment pris possession de
la station des Falls ; c'était une écluse par laquelle l'invasion arabe pouvait devenir
menaçante, à un moment donné , pour l'État libre. C'est ce qui a amené Stanley h
faire cette alliance avec ce marchand d'esclaves, alliance qui , nous devons le dire , a
été sévèrement jugée par bien des gens ; car si Tippo-Tip s'engage à ne pas faire la
traite en aval des chutes, on semble lui laisser carte blanche en amont,
.\ouvelles «rEniiu-Be y. — Il paraît que vers le mois d'octobj'e, Emin-Pacha,
au secours duquel est parti Stanley, a essayé de s'ouvrir un passage à travers l'Ou-
ganda , mais que le roi Mounga s'est opposé à sa marche.
Une tentative du côté du Karagoué, à l'ouest du Victoria-Nyansa, échoua égale-
ment. Emin dut retourner à Wadelai , laissant dans l'Ounj'oro un détachement de
soldats sous les ordres du capitaine Casati, le dernier de ses compagnons euro-
péens. Cela résulte des renseignements apportés à Zanzibar par un Çomali , nommé
AbduUah.
On sait , d'autre part, par une lettre qu'il a adressée au docteur W. F'elkin ,
d'Edimbourg , qu'Einin-Pacha a pu recevoir des vêtements que le docteur Junlcer lui
a fait parvenir.
Dans cette lettre , il rend compte d'une excursion qu'il a faite à l'Albert Nyan/.a ,
excursion qui lui a permis de faire la carte du lac et de découvrir une nouvelle rivière
qui se jette dans le lac au midi, et qui sort des montagnes de l'Oussongara.
liCs Alleiiiait«l!i> sur la côte orientale. — Voici quelles .seraient à
l'heure actuelle les stations que la Compagnie Allemande de l'Afrique Orientale
possède en Afrique :
r* Zanzibar, dépôt central, créé en décembre 1884 ;
2* Simaberg dans l'Ousagara. Janvier 1885 ;
- 118 —
3* KIora dans l'Ousagara. Juin 1885 ;
4 Haloiih dans le pays Çoniali. Décembre 1885 ;
5" Dunda dans l'Ousaramo sur le Kingani. Mars 1886 ;
6^ Madiniola, dans TOusaramo sur le Kingani. Avril 1886 ;
T Korogwe, dans l'Ousarnbara sur le Pangani. Avril 1886;
8^ Ousaungoula dans TOusaranjo, sur le Kingani. Mai 1886 ;
9^ Petershoehe près de Mbousine dansFOuseganha. Juillet 1886 ;
10" Baganioyo sur la côte dans le territoire appartenant au Zanzibar. Avril 1886;
1 1" Tanganiyka sur le Kilefi dans le Giriyama. Octobre 1886 :
12" Port Hohenzollern, à l'embouchure du Woubouechl, en voie de formation ;
13" Mofî, sur le Pangani, dans l'Ousarnbara. Novembre 1886.
Uéc'oii verte «lu l^okénié par .11.11. les lieuteuauts Tappeu-
bet'k et kuitcl. — Nous lisons dans V Afrique explorée et civilisée : M. le
lieutenant Tappenbeck a fait à la Société de Géographie de Berlin une conférence
sur le Lokénié , découvert par lui et le lieutenant Kund , entre le Kassaï et
le lac Léopold II. Avec les hommes qui les accompagnaient , ils construisirent
cinq grands canots de 14 mètres de longueur, de 0'",55 de largeur et de 0'",45
de profondeur. Les arbres que les indigènes emploient pour la construction de ces
bateaux sont de gigantesques bonibax , qu'ils appellent niafoumo. A l'endroit où ils
commencèrent à descendre le Lokénié . il a de 300 500 mètres de large ; son cour-s
est très sinueux et serpente à travers la forêt vierge ; il est semé de petites îles cou-
vertes d'arbres élevés et entourées de bancs de .sable. Aucun village ne s'élève sur
ses rives silencieuses pendant le jour , mais très animées quand vient le soir. Une
nuit oii l'expédition s'était établie dans une île, des milliers de perroquets gris , qui
avaient élu domicile dans les arbres , se mirent à voltiger autour du campement en
poussant des cris assourdissants. En même temps, des millieis de grandes chauves-
souris roussettes, sorties de la forêt dès le coucher du soleil, rasaient les eaux en se
désaltérant à la façon des hirondelles , sans interi'ompre leur vol. Des nuées de
petites mouettes- et des bandes de canards sauvages sillonnaient également la rivière
en tous sens. Au bout de trois jours de navigation , la rivière s'élargit. Les forêts
s'éloignèrent des rives , faisant place en certains endroits à d'étroites bandes de
roseaux et d'herbes. A partir de ce moment , l'expédition rencontra très fréquem-
ment de petits villages de pêcheurs, établis à peu de distance de la rive gauche , et
des villages plus grands , bâtis à l'intérieur sur le flanc des collines. Les indigènes
sont d'une stature élancée. Ils ont des traits agréables et sont des pêcheurs habiles
et des canotiers de première force. En aval, le Lokénié' continue à s'élargir , formant
une succession de pools, parsemés d'îles. Les rives deviennent de moins en moins
boisées, la savane apparaît.
Au point où elle reçoit les eaux du lac Léopold, la rivière à l'aspect d'un lac. Sur
les rives, parmi les îlots et les bancs de sable , la vie animale est intense : hippopo-
tames en troupes innombrables , bandes de canards s'élevant de partout en sifflant .
hérons de taille et de couleurs variées sortant des roseaux , oies , cigognes , petites
bécasses au vol léger , pélicans aux mouvements disgracieux , flamants , ibis , van-
neaux , fournissent aux chasseurs un gibier abondant. Au-dessous du cojifluent de
l'émissaire du lac Léopold , la rivière est appelée Mfini par les indigènes qui sont
d'une race superbe , grands , forts. Leur corps est peint d'une couleur garance ; ils
portent les cheveux séparés en deux nattes courtes et épaisses , rendues rigides au
moyen d'une pâte huileuse, et recourbées aux deux côtés du front comme les cornes
du buffle. Presque tous sont déjà vêtus de tissus européens qu'ils vont chercher au
— 119 -
Stanley-Pool , où Ton renoontre à chaque instant les Irafiqnants de cette région qui
viennent y échanger leur ivoire contre les marchandises des blancs. Pendant quelque
temps, le< eaux noires du Lokénié continuent à former un courant à part, le long de
la rive droite du Kassaï, comme si elles éprouvaient de la répugnance à se mêler aux
eaux jaunâtres de celui-ci.
IK'tailK iiiô(flit!ii miii* la mort du lioiitoiiaiit l*alat. — A Tune des
dernières séances, de la Société de géographie de Paris, M. Maunoir a donné des
détails inédits sur la mort du jeune lieutenant de cavalerie, Marcel Palat , quia
s^iccombé au commencement de cette année, dans une tentative pour gagner Tim-
bouktou C'est presque au seuil de TAlgérie qu'il a été frappé , pendant la traversée
de la courte partie du Sahara qui sépare notre territoire de l'archipel d'oasis du
Guràra.
Cet espace a toujours été difficile à traverser. En 1859 , M. Duveyrier avait dû
s'arrêter à El-Goléa, et put se considérer comme favorisé d'en être revenu. L'année
suivante, le capitaine Colonieu et le lieutenant Burin s'étant joints à la grande cara-
vane du cercle de Géryville, qui va tous les ans échanger des troupeaux au Gurâra ,
contre des dattes, arrivèrent les premiers au Gurâra, sans obtenir accès dans un seul
village. Ils ne durent certainement la vie qu'à la protection d'un millier de fusils de
leurs administrés. En IST'i . Paul Soleillet , qui vient de mourir à Obok , réussit à
atteindre Aleliàna , village du Tidikelt , peu éloigné d'In-Salah , mais il n'y fut
pas reçu.
Marcel Palat s'était mis en route à la fin de 1885, trop tôt peut-être après la fin de
l'insurrection de Bou-Aniema , chef d'une partie des Oulâd-Sidi-Ech-Clieik. Le pre-
mier jour d'avril le trouvait encore au village d'El-Hàdj-Ghelman , un des premiers
geçours du Gurâra. De là , il informait la Société de géographie qu'il avait déjà pu
faire de remarquables observations. C'est la dernière nouvelle qui nous soit parvenue
directement.
Il résulte des renseignements recueillis auprès des indigènes, que le voyageur
ayant éveillé la méfiance des haliltants par l'achat d'une parcelle de terre, la Djemàa
ou conseil de la tribu, exigea l'annulation du marché et le départ de l'acheteur.
M. Palat semblait , d'ailleurs , menacé d'un autre côté , car le fils de Bou - Amama ,
malgré les ordres de son père , s'était lancé à sa poursuite. Le gouvernement de
l'Algérie avait aussi , mais trop tard , été avisé qu'un complot était tramé contre la
vie de Palat , par des membres influents de la célèbre confrérie de Sidi-es-Senoùsi.
L'officier français, contraint de quitter l'oasis d'El-Hadj-Ghelman, prit directement
la route d'In-Salah, sous la conduite de trois Arabes et de deux Touaregs. Il parvint
ainsi à Badjum , que n'indique aucune carte , mais qui est très probablement situé
dans l'Oued-Aflinas, affluent de l'Oued-Miya, sur le plateau de Tademaït.
A Badjum, l'un de ses guides , proche parent du chef d'In-Salah , lui propose une
chasse aux moufflons dans les rochers, l'éloigné du camp et l'abat d'un coup de feu.
Rien de ce qui lui appartenait n'a pu être sauvé jusqu'ici. Comme celles du colonel
Flatters et de ses compagnons , la dépouille de cette nouvelle victime du fanatisme
musulman e.st restée sans sépulture dans quelque repli du Sahara.
liliiiltes «le la Tunisie et «le la Tripolitaiue. — Dans la même
séance, M. Maunoir a déclaré que la nouvelle annoncée , puis démentie, de la fixa-
tion des limites de la Tunisie et de la Tripolitaine , est exacte. La convention inter-
venue entre la France et la Turquie, fixe cette limite à Ras-Tadjer . cran de la Médi-
— 120 —
terranée situé à l'Est du cap El-Bibiân. Cette convention obligera les cartographes
h reporter Tancienne frontière à 32 kilomètres dans l'Est. Toute la grande baie d'El-
Bibàn (Bahtret-el-Bibân) est maintenant sous le protectorat français.
SjCs flen^'es f^outerraiiiii» de la régiou «les Ckotts. — Tout
réceunnent, M. de Lesseps a fait une conmiunication à l'Académie des sciences sur
les travaux qui se poursuivent sur la côte du golfe de Gabès, à proximité de l'Oued-
Méla. On se rappelle que M. le commandant Landas, ayant constaté des nappes
souterraines dans cette région, a eu l'idée de les mettre a profit pour la fertiliser et
y amener une population qui lui sera d'un grand secours pour creuser le canal
devant alimenter la mer intérieure de la région des Chotts. Ses découvertes ont déjà
donné les meilleurs résultats . mais chaque jour elles se continuent. 11 y a quelques
mois, les ti'availleurs se sont trouvés en présence d'un puits débitant 9,000 litres
d'eau à la minute qui, le 19 décembre, à six heures du soir, a donné lieu à un phéno-
mène des plus inattendus, prouvant que la richesse aquifère de cette parti du littoral
est encore plus considérable qu'on ne l'avait espéré. Un bruit épouvantable se fit
entendre tout à coup, et un jet d'eau aussi puissant qu'une trombe , s'éleva du puits
à une hauteur de quatre mètres au-dessus du sol, accumulant sur les terrains avoisi-
nants des matières arénacées et des blocs de gypse ; en même temps les construc-
tions élevées en cet endroit , étaient pour la plupart renversées. Tout cela avait eu
lieu en moins de trois minutes. L'événement s'est renouvelé depuis , et il en est
résulté un lac instantané de forme elliptique , mesurant 10 mètres de profondeur, 15
de largeur et 20 de longueur.
Depuis, les sondages ont continué et ont donné lieu à la découverte d'un autre
puits débitant 10,000 litres à la minute.
Tous ces curieux phénomènes viennent à Tappui de ce que disait Strabon sur les
fleuves souterrains de cette partie de l'Afrique. M. de Lesseps les signale à l'Aca-
démie comme pouvant intéresser la section de géologie.
lÎMC faétorcrie française daus ITIiaiidji. — La maison française
Daumas et Béraud , établie depuis longtemps dans le bas Congo , a fondé dans
rUbandji une factorerie pour laquelle elle disposera d'un petit vapeur et de deux
grands canots en tôle ; le premier jjrendra la route de l'Alima, les seconds feront le
ervice entre la station et Stanley-Pool.
li'Kspagne dans le ^»ahara ooeiileutal. — La Revista scientificn
militar^ dans ses numéros du 15 janvier au 15 mars dernier, nous a donné un rapport
complet du capitaine du génie, D. Julio Cervera Baviera, sur le voyage d'exploration
accompli récemment par cet officier dans la partie du Sahara occidental comprise à
rOuest du 10" degré de longitude Est et entre les 19° et 27° degré de latitude Nord.
Cette exploration , qui a eu pour point de départ le comptoir déjà fondé par
TEspagne, en 1884 , sur la presqu'île formant la petite baie connue sous le nom de
Rio de Oro, a eu pour résultat l'annexion par cette puissance d'un territoire de plus
de 700,000 kilomètres carrés.
D'après la déclaration même de l'explorateur , c'est pour devancer la France que
cette annexion a été faite. Les Espagnols craignaient de voir celle-ci réunir sa colo-
nie du Sénégal à celle de l'Algérie. On redoutait aussi l'initiative de l'Angleterre
qui avait déjà fait visiter la côte par des agents détachés de son comptoir du cap
— 121 —
Jiibi. Au Maroc même, on avait songé à étendre la domination ilu sultan do ce pays
jusqu'à Tombouctou.
C'est le 12 juillet IBSf) que , se trouvant au puits appelé El-Auiy , le capitaine
Baviera a signé, avec de nombreux chefs de tribus dont il donne les noms, l'acte qui
consacre l'annexion à l'Espagne des territoires appartenant à ces diverses tribus. La
plus puissante d'entre elles est celle d'Yahia-u-Azman ; le sultan d'Adrar-et-Tmarr ,
son chef, a signé , le même jour , en présence des principaux chefs inférieurs dépen-
dant de lui, un autre acte qui place toute sa tribu sous la protection du Gouverne-
ment espagnol. Les limites du territoire ainsi annexé sont : sur l'Océan , le cap
Bojador au Nord , et le cap Blanc au Sud ; dans l'intérieur des lignes assez mal
définies par l'énoncé de quelques points, et des noms des familles qui sont plus ou
moins propriétaires d'un sol sur lequel elles vivent à l'état de nomades. Les jjoints
les plus importants ainsi nommés sont : les puits de Turin au Nord , d'Akssar au
Sud, et de Tixit au Sud-Est. Ce dernier paraît ne pas être à plus de 600 kilomètres
de Tombouctou. Voilà donc l'Espagne maîtresse de la route la plus courte de l'Océan
à la capitale du Soudan, si toutefois le libre parcours de cette route n'exige pas
l'entretien d'une force armée considérable pour résister aux attaques de tribus dont
le capitaine Baviera n'a pas toujours eu à se louer pendant son exploration.
Par la prise de possession du littoral situé entre les caps Bojador et Blanc ,
l'Espagne veut s'assurer le monopole de la pêche dans cette région , monopole que
les habitants des îles Canaries possèdent déjà en fait. La sardine , la morue sont
parmi les poissons qui abondent sur cotte côte. Les étrangers qui voudraient prendre
leur part de cette riche production maritime , seraient obligés de se tenir désormais
en dehors des limites de la mer territoriale et ne pourraient faire aucun établisse-
ment à terre sans subir les conditions des nouveaux maîtres du territoire. L'explora-
teur conseille la création de trois centres de population : l'un au Rio de Oro , l'autre
à l'embouchure du Seguia-el-Hanna , si l'on peut y trouver un bon mouillage ; le
troisième à la Uina , « si l'on veut enfin que la côte de Mar Pequéna devienne
espagnole comme elle doit l'èti'e ».
L'établissement du Rio de Oro sera une factorerie et une pêcherie plutôt qu'une
colonie ; celui d'Hamra participera des deux catégories ; celui de la Uina sera plutôt
une colonie et fournira le fourrage dont le premier établissement aura besoin pour la
nourriture des bestiaux qu'on y achètera, en vue de les transporter en Espagne. Une
troupe, formée d'indigènes du Riflf, assurerait la défense de ces établissements.
Pour ce qui est de l'aridité du sol sur le continent africain, le capitaine Baviera se
flatte d'en triompher par la création d'oasis au moyen de puits artésiens. Il cite , à
ce sujet , l'opinion d'un de ses amis , le directeur des explorations de la Société de
géographie commerciale espagnole : « Nous avons vu, de nos jours, naître et mourir
les oasis. 11 y a deux manières de les créer : la première consiste à creuser le sol ,
sur une plus ou moins grande étendue , quand on sait que l'eau n'est pas loin , et à
faire des plantations , quand on s'en est approché à une distance convenable ; la
seconde consiste à creuser des puits étroits et profonds , et k faire monter l'eau par
des moyens artificiels, quand elle ne jaillit pas spontanément, pour arroser les plan-
tations faites à l'entour. Les habitants du Sahara n'ignorent point ces procédés. 11 y
a chez eux des corporations de Gheias , dont la profession est de creuser des puits
depuis 4 mètres jusqu'à 50 mètres, et plus, de profondeur. Ils reproduisent ainsi le
miracle qui n'a pas cessé de se produire, depuis Moïse, en Arabie et en Afrique. Le
groupe des oasis du Mzab est un exemple des créations les plus récentes, taites par
les indigènes. Quand manqueront les terres fertiles, on sera bien obligé de s'atta-
quer au désert , et l'on réussira dans cette entreprise par le reboisement de ses
niontagnes plus facilement encore que par le creusement des puits artésiens. »
- 122 -
N.B. — Le capitaine Baviera est rauteiir d'une géographie militaire du Maroc ,
dont nous recouuïiandons la lecture aux personnes qui désirent savoir quelles espé-
rances l'Espagne nourrit relativement à la possession de ce riche territoire , dans un
avenir plus ou moins éloigné.
£<es Ks|iag;nols ilausi la mer Rouge. — Les journaux de Madj-ul
viennent enfin de lever un coin du voile qui couvre encore les visées du gouverne-
ment dans la mer rouge.
Le territoire que l'Epagne convoite dans ces parages serait celui de la baie d'Edd,
appelée Idi par les indigènes , située dans le pays de Dankali , et non chez les
Somalis , comme les dépèches l'avaient annoncé inexactement.
La baie est profonde et pourrait abriter de gros navires. Elle est entourée de
terrains boisés et suffisamment pourvus d'eau ; elle se trouve au sud de Massouah ,
à une distance de 24 heures de trajet par mer : d'Edd il faut 12 heures pour se rendre
à Slodeida, dans l'Yénien , sur l'autre rive de la mer Rouge , et environ 37 heures
pour gagner Aden.
Au fond de la baie est un village, dont la population, d"à peu près mille habitants,
est composée de Danakili et d'Arabes , venus en majeure partie de Moka et
d'Hodeda.
De ce village , partent deux routes , qui mènent à la capitale du Tigré , Adoua ,
l'une qui exige cinq jours de marche , se dirige sur Dessor , c'est la plus longue ,
mais aussi la meilleure ; car elle évite une vaste plaine couverte d'efflorescences
salines ; l'autre route, qu'on parcourt en quatre jours seulement, passe par Korkore;
ces deux routes se rejoignent à Saffit , oii aboutissent également les chemins de
Ghoa , au sud , et d'Amphila au nord ; de ce point , on atteint Adoua après six jours
de marche.
Edd a été occupé autrefois par des factoreries françaises ; mais le gouvernement ,
depuis l'occupation d'Obok et de divers autres points, n"a pas jugé opportun d'en
maintenir la possession ; mais entre Edd et Massouah sont situés les deux établisse-
ments français d'Amphila, d'oii l'on peut se rendre à Edd en 12 heures, et de Zoula ,
petit port au fond de la baie d'Adulis, plus au nord et plus voisin de Massouah.
Comme on l'a déjà dit, le gouvernement espagnol n'a pas l'intention d'établir là
une colonie proprement dite, mais un simple dépôt de charbons, un lieu de refuge et
de ravitaillement pour ses navires à destination de ses possessions lointaines de
l'Océan Pacifique.
Quoiqu'il en soit, la prise de possession n'est pas encore consommée ; la Turquie
soulève des objections, dont la principale est la baie d'Edd appartient à l'Egypte, et
fait, par conséquent , partie du territoire de l'Empire ottoman. La Porte a chargé
Turkan bey, son ministre plénipotentiaire à Madrid, de demander des explications
au gouvernement espagnol (1).
i>iiituatiou actuelle de l'État indépeudaut du €'oug;o. — Les
dernières nouvelles reçues du Haut-Congo ont fait connaître l'abaindon de la station
,1 II n'est que temps puurla FraDce de fortifier sa position militaire et commerciale dans le débouché
du canal de Suez par une installation définitive dans la baie d"Adulis. EUe nous appartient en vertu d'un
traité régulier Que les Italiens restent ou non à Massouah , il faut que notre paviUon soit hissé sur
tous les villages de la baie d'Adulis et des îles qui la conmiandent , les îles françaises, comme les appellent
les indigènes.
- 123 -
des Falls, ])Oste avancé créé par Stanley au pied des cataractes qui portent son nom
et situé sur les territoires de l'Etat indépendant du Congo, à 900 milles géogra-
phiques environ des Pool.
La région des Falls est actuellement habitée , ou , pour employer une expression
plus exacte,' ravagée par des bandes nombreuses d'Arabes qui , sous la conduite du
fameux Tipo-Tipo, mettent le pays à feu et à sang et se procurent ainsi par le pillage
les (^claves et l'ivoire dont ils font le commerce.
il paraît que la station des Falls a vécu en assez bonne intelligence avec ses voi-
sins ; on dit même que c'est grâce à l'appui de Tipo-Tipo que plusieurs explorateurs
ont dû de pouvoir continuer leur route vers l'intérieur.
A quelles causes faut-il attribuer le mouvement subit qui vient de se produire ?
Quelle que soit la nature des faits qui ont pu le provoquer, l'abandon des Falls n'en
est pas moins une nouvelle preuve de la situation très aventureuse de l'État indé-
pendant et de l'impossibilité dans laquelle il se trouve, non seulement de se mainte-
nir dans ses positions , mais encore de donner un commencement d'exécution au
programme si pompeusement annoncé.
Devant les prétentions qui ont été émises dans ces derniers temps, il est néces-
saire que l'opinion publique , en France , soit éclairée sur le véritable état d'une
question qui touche de si près à nos intérêts
Dans le principe , le but poursuivi dans l'Afrique équatoriale avait un caractère
exclusivement humanitaire et scientifique. Une telle entreprise ne pouvait que rallier
toutes les sympathies ; elle fut poursuivie en commun ; et non sans succès , par les
différentes sections de l'Association internationale africaine , à la tète de laquelle se
trouvait placée la haute personnalité du roi des Belges.
A peu près à la nième époque, Stanley accomplissait à travers l'Afrique le voyage
qui l'a rendu à jamais célèbre. Le bassin du Congo qui , suivant l'illustre voyageur ,
renfermait d'inuuenses richesses , méritait bien qu'un effort sérieux fût tenté de ce
côté: Sous le nom de Comité d'études , qui devait se confondre bientôt avec celui
d'Association internationale du Congo , une expédition s'organisa à Bruxelles , des
moyens puissants y furent consacrés et le commandent en fut conlié à Stanley.
Le but avoué et proclamé reposait encore sur des considérations d'un ordre élevé :
civilisation , progrès , science , développement du commerce international. Le but
réel avait un caractère essentiellement égoïste , politique et hostile à la France à
qui l'on voulait barrer la route du Congo.
Au fond, cette expédition n'a été qu'un acte d'usurpation et une invasion à main
armée des territoires du Congo. Les premiers efforts eurent pour objet d'imposer
des traités. Ce qu'on ne sait peut-être pas très bien , ou , dans tous les cas , ce qu'il
est bon de rappeler, c'est l'esprit dans lequel ces traités étaient conçus : le Comité
s'appropriait le monopole de tous les genres d'exploitation , à l'exclusion de toute
autre puissance, et prenait l'engagement de joindre ses forces à celle des indigènes
pour repousser les intrus de n'importe quelle couleur.
Les difficultés commencèrent lorsqu'il fut question de fonder des stations et de
s'établir dans le pays.
On n'avait pas de temps à perdre dans des négociations qui pouvaient être très
longues et ne pas aboutir ; il fallait faire acte d'occupation le plus rapidement
possible ; aussi , la force fût-elle employé là oii les tentatives de conciliation ne pro-
duisirent pas d'effet instantané. Des combats acharnés furent livrés un peu partout ;
nombre assez considérable de points purent être occupés le long du Congo , depuis
Vivi jusqu'aux Falls. Des agents avaient été envoyés également sur la côte et dans
la province du Niari-Quillou ; sans aucun respect pour noire pavillon , ils émirent la
- 124 —
prétention d'exercer des droits souverains et de prendre des mesures de police et
d'administration sur des territoires dépendant de la colonie du Gabon.
La mission confiée à Stanley prit fin dans les derniers mois de 1884 ; elle eut pour
couronnement la fondation de l'État indépendant du Congo , qui fut reconnu
successivement par les diverses puissances , au moment de la réunion de le Confé-
rence de Berlin.
La création d'un État au Congo, avec le roi des Belges pour souverain, est i^on-
testablement une grande idée ; mais , si l'on reste dans le domaine de la pratique ,
que de difficultés se présentent pour lesquelles on n'entrevoit guère de solution ! Le
nouvel État ne peut vivre . ni s'organiser . ni se développer , ni accomplir aucun
progrès , sans qu'il en résulte des dépenses considérables ; il n'a , pour le moment ,
d'autres ressources que celles qu'une main toujours généreuse, en dépit des millions
déjà engloutis, continue à lui verser, mais qui sont insuffisantes pour lui permettre
autre chose que de végéter.
La liberté absolue du commerce , dans son sens le plus étendu , qui a été la condi-
tion sine qud non de la reconnaissance du pavillon de l'Association internationale
africaine, élimine une source précieuse de revenus. Quant aux droits à établir sur
les produits exportés, on ne peut forcément appliquer que des tarifs modérés , pour
ne pas arrêter le conanerce et susciter les réclamations des négociants , qui font
remarquer, ajuste titre, que la création d'un Etat au Congo n'a eu d'autre effet
que de rédu-re leurs bénéfices et leur imposer des obligations gênantes.
Tous les effort? tentés jusqu'à présent par les administrateurs de l'État indépen-
dant, pour se procurer , soit en Belgique, soit à l'étranger , les fonds dont ils ont le
plus pressant besoin, sont restés stériles.
Si l'on excepte l'ivoire dont le stock, quelque considérable qu'il puisse être, sera
vite épuisé , on ne possède encore aucune notion exacte sur les ressources de la
contrée. On a bien vu du caoutchouc dans les forêts qui bordent les rivières , trouvé
plusieurs espèces de minerai en différentes régions , mais tout cela a été vu en
passant.
Le palmier existe partout en abondance , les arachides viennent très bien , mais
l'huUe et la noix de palme , de même que les arachides , sont de? produits pauvres-
La terre est, dit-on, d'une fertilité remarquable ; mais lui a-t-on demandé autre
chose jusqu'à présent, que du manioc et des bananes ^
Enfin, il est d'autres questions qui sont autant d'entraves apportées à l'exploita-
tion des ressources naturelles du pays : Tantipathie du noir pour tout genre de
travail , celui de la terre en particulier ; les monopoles établis par les différentes
tribus ; les taxes imposées aux caravanes ; la difficulté des ti-ansports et des moyens
de communication.
La construction d'une voie ferrée , reliant le Pool à la partie navigable du Bas-
Congo est assurément appelée à réaliser un immense progrès. Quoiqu'on n'ait fait
encore aucune étude sérieuse à ce sujet , l'aspect seul du terrain donne la certitude
qu'une pareille entreprise présentera de grandes difficultés et sera excessivement
coûteuse. Les considérations qui précèdent , nous font craindre que , avant de
longues années , les productions ne suffisent pas seulement à couvrir les frais d'en-
tretien et d'exploitation.
Faute d'argent, l'État du Congo se trouve arrêté dans sa tâche ; l'évacuation volon-
taire ou forcée de ses stations , diminue son prestige vis-à-vis des populations indi-
gène qui, réduites par la force, pourraient relever la tête.
Les tentatives faites en France par l'État indépendant, n'auraient peut-être pas
échoué , s'il avait observé à notre égard un peu plus de ménagement ; mais, au fond
- 125 -
de tous ses actes , ou voit percer le parti pris absolu de ne rien céder et de tout
deuiaiiiler.
Nous nous borncrous à signaler la nouvelle interprétation que l'on voudrait donner
à la clause relative au bassin de la Licona-N'kundja et qui tlénature complètement
l'esprit et la lettre du traité.
Pour nos contradicteurs, la Licona seule est enjeu. Cette rivière, disent-ils^ a été
découverte par un Français , et les plénipotentiaires n'ont eu d'autre pensée que
d'attribuer à la France la possession de son bassin. Or, la Licona a été explorée récem-
ment, et l'on a constaté que cette rivière n'était pas l'Oubangui, donc l'Oubangui ne
saurait appartenir à la France.
Nous ferons remarquer d'abord que personne encore n'a exploré ni même retrouvé
la Licona , et ensuite qu'il ne s'agit pas de la Licona , mais bien de la Licona-
N'Kundja.
Ce n'est point par hasard que ces deux noms ont été placés l'un à côté de l'autre.
M. de Brazza n'ayant fait que traverser la Licona, à une très grande distance dans
l'intérieur des terres , et personne ne sachant oii elle portait ses eaux , il ne pouvait
venir à l'esprit des plénipotentiaires de prendre comme base de la détermination de
la frontière une rivière dont le cours était absolument inconnu. Ils ont alors cherché
sur la carte officielle admise par les deux parties , un autre cours d'eau dont le
confluent avec le Congo fût connu, et leur choix s'est arrêté sur une rivière désignée
sous le nom de N'Kundja et situé entre Bonga et l'Equateur ; cette rivière avait été
visitée par les Agents de l'AssociatLon internationale africaine , et à l'époque oii le
traite a été conclu, on ne connaissait pas d'autre affluent du Congo entre l'Alima et
l'Equateur.
La N'Kundja, élément précis, a donc été prise conmie point de départ de la délimi-
tation ; les faits ayant démontré que la N'Kundja et l'Oubangui ne forment qu'une
seule et même rivière, c'est le bassin tout entier qui appartient à la France.
Cela était, du reste, si évident , que les représentants de l'Etat indépendant n'ont
pas hésité à le reconnaître ; ils ont signé une convention aux termes de laquelle
l'Oubangui est identifiée avec la rivière du traité, et la frontière est portée en amont
de l'Oubangui.
Nous ferons remarquer, en dernier lieu, que l'interprétation que nous venons de
réfuter, aurait pour effet, si elle était admise , de porter la frontière française sur le
Congo, en aval du point que nous avons refusé péremptoirement d'admettre au
moment des premières négociations. Ce point a été porté plus tard , d'un commun
accord, au point de rencontre du parallèle S^SO' N. avec la rive droite du Congo, ce
qui laisse largement l'Oubangui dans nos possessions.
On s'étonnera que l'Association internationale africaine cherche à acquérir, à notre
détriment, de nouveaux territoires, lorsque les événements démontrent qu'elle n'est
pas en état de se maintenir sur ceux qui lui ont été reconnus et qui sont pourtant
assez vastes pour rendre sa tâche des plus lourdes et des plus glorieuses en même
temps.
AMERIQUE.
Découverte fie rikplkpuk par 11. Howard. — On savait, lisons-
nous dans le Bulletin de la Société de Géographie de Paris, qu'il existait entre
le fleuve Yukon et l'Océan glacial, un fleuve dont parlaient les indigènes. Ce
y
- l->6 -
fleuve est l'Ikpikpuk que vient de descendre l'enseigne Howard, de la marine des
États-Unis. Il partit avec le matelot F.-S. Price, de Fort-Cosmos, le 12 avril 1886,
avec les ordres du lieutenant Stoney, pour traverser l'Alaska, de la rivière Putman
jusqu'à la pointe Barrow , région oii jamais un blanc n'avait encore pénétré. 11
emmenait avec lui deux traîneaux et seize chiens, pour porter autant de vivres et de
de matériel qu'il fallait pour ce long voyage. Tous les jours, M. Howard détermina
se position par observation astronomique.
11 cherchait à rencontrer des tribus indigènes avec lequelles il voyageait , jusqu'à
ce qu'il fut recommandé à une autre tribu. Il était ainsi escorté de trente à cent indi-
gènes à la fois. Le voyage fut très rude ; le froid très vif; le thermomètre descendit
jqsqu'à 30 degrés au-dessous de zéro ; dans les régions montagneuses , il fallait
déballer les bagages et les porter à dos. Il fut accueilli avec bienveillance par les
indigènes, qui n'avaient pas encore vu d'homme blanc. Cette race ressemble plus
aux Esquimaux qu'aux Indiens de l'Amérique du Nord. Elle est adonnée , saiiS
exception , à l'usage du tabac ; les hommes, les femmes et les enfants, tous, fument.
M. Howard voyagea en traîneau pendant sept jours sur la rivière Gadwell ,
complètement gelée ; ensuite il franclut une chaîne de montagnes et découvrit le
fleuve Ikpikpuk ; du 2."J mai au 3 juin , il campa près de la source. A partir de ce
moment, il eut à lutter contre la faim, les provisions étant entièrement épuisées, et
comme il ne pouvait jjartager avec les indigènes la graisse putréfiée de phoque, il se
contenta de racines.
Quaud la débâcle de l'Ikpikpuk arriva , il partit dans un bateau de peau séché et
cousue, et descendit le fleuve sur une longueur de 200 milles. A son embouchure, il se
forme un grand nombre de lacs et de marécagss, dont quelques-uns ont plus de cinq
milles de large. L'explorateur arriva avec son bateau de peau jusqu'au rivage de
rOcéan arctique , qu'il longea jusqu'à la pointe Barrow ; là , il trouva du secours et
put revenir à San-Francisco. 11 avait ainsi traversé l'Alaska sur une longueur de plus
de 1,000 nulles.
.\oiivcBleN de M. Tlioiiai*. — De la frontière du Ghaco bolivien, M. Thouar
écrit à la date du 15 janvier :
« J'ai franchi la distance de Padilla à Lagunillas avec beaucoup de peine ; de
Violents orages ont relardé ma marche au milieu de sentiers à peine ouverts. En
traversant la Cordillière , notre convoi a souffert ; les hommes sont tombés malades
de la fièvre. Cependant, l'organisation de l'expédition est aujourd'hui presque
complète ; il ne me reste jjIus qu'à procéder à l'incorporation de quelques volon- j
taires. Nous sommes poui-vus de vivres pour trois mois. Notre cavalerie , tant en '
chevaux qu'en mules, se compose de cent trente-cinq animaux. Demain , nous nous
mettons en marche. »
Depuis, l'on a appris (5 février) que l'expédition avait dii s'arrêter à Lagunillas ,
par ordre du Gouvernement Bolivien, à cause du choléra qui est signalé à Curumba
et au Paraguay.
Lagunillas est à la frontière du Chaco Bolivien , par 19° il' latitude Sud et 66" OO'
14" longitude Ouest , Méridien de Paris.
\avig;al>ilité de la baie «l'IliidKou. — Le Compte-rendu de la Société
de géograpliie de Paris (séance du 18 mars 1887) contient l'analyse d'un rapport du
lieutenant Gordon, conunandant le bâtiment V Alerte qui a fait, pendant deux années
- 127 -
successives, dos croisières d'été dans la baie d'Hiidson. Il avait été chargé do ce
service par le goiiverneinont canadien, désireux de savoir do (|iiollo façon on pourrait
organiser des communications régulières, pondant la saison d'été, entre l'Angleterre
et la baie d'Hudson.
« M. Gordon a constaté, dit le compte-rendu , que si l'on veut établir des rapports
commerciaux entre cette partie de l'Amérique du Nord et l'Angleterre, la navigation
ne sera ouverte que pendant deux mois pour les voiliers et pendant trois ou quatre
pour les bâtiments à vapeur, selon l'époque où la débâcle des glaces se produira.
Cette question a une grande inqiortance pour le Canada , parce que , dans un pays
([ui se développe de plus en plus au point de vue de la production des céréales , il
iiLq>orte de trouver un moyen de communication rapide, et le moins onéreux possible,
pour le transport des produits en Europe , et si la baie d'Hudson pouvait être navi-
gable pendant un certain nombre de mois , il est certain que les frais de transport
seraient moins considérable.
» 11 avait été question de construire un chemin de fer partant du Centre du Canada,
de Winnipeg, pour aboutir à la baie d'Hudson ; aussi, lorsque les premiers rapports
du commandant Gordon furent arrivés , et qu'il fut démontré que la navigation
pouvait se faire pendant trois ou quatre mois , une Société se forma et commença
immédiatement les travaux pour le prolongement d'une ligne ferrée jusqu'à la baie
d'Hudson. Cette nouvelle voie aura une très grande importance au point de vue du
trafic du Canada. »
Le journal Paris-Canada, du 7 avril 1887, annonce que les projets d'établissement
d'un service régulier de navigation dans la baie d'Hudson ont été abandonnés :
« Le gouvernement du Canada à décidé de ne pas envoyer cette année de steamer
à la baie d'Hudson. Pendant les trois étés dernier, on a envoyé un steamer dans
cette baie pour déterminer si la baie et les détroits qui y conduisent étaient navi-
gables assez longtemps pendant les mois d'été, tant pour faire des importations au
nord-ouest que pour en tirer des produits de l'exportation en Angleterre.
» Il paraît que sir John Macdonald , premier ministre du Canada , ne regarde pas
ce projet comme réalisable. Pour calmer un peu certains intéressés au nord-ouest ,
qui voulaient avoir quelque autre route que le Pacifique-Canadien pour exporter les
produits du nord-ouest, sir John avait consenti à faire des essais afin de déterminer
la longueur de la saison navigable. Les résultats de ces essais n'ont pas été satisfai-
sants au point de vue de l'entreprise commerciale en projet, et on a abandonné l'idée
de toute autre tentative, que l'on regarde comme inutile. »
- 128 -
II. — Géographie commerciale. — Statistiques
et Faits économiques.
EUROPE.
lia dépopulation du départcnBCut des Rasâtes - Alpes. — Le
département des Basses-Alpes , écrit M. Joseph Mathieu, dans le Bulletin de la
Société de géographie de Marseille , présente un mouvement curieux de dépopu-
lation depuis le commencement de ce siècle. De 1806 à 1836 , c'est-à-dire pendant
une période de trente ans , la population de ce département s'est accrue de 13,93'i ;
mais , de 1836 h 1886 , c'est-à-dire en cinquante ans , elle a diminué de 29,713
habitants.
Voici , d'ailleurs , quelle a été rimportance de la population des Basses- Alpes , à
diverses époques, de 1806 à 1886 :
1806 145.115 habitants.
1821 149.310 »
1826 153.063 »
1831 1.55.896 »
1836 i.59.045 »
1861 146.368 »
1868 143.000 »
1872 139. .3.32 »
1876 136.166 y
1881 1.31.918 »
1886 129.494 »
La décroissance constante qui s'est produite dans la population de ce département
voisin des Bouches-du-Rhône, a eu surtout pour cause réimgration à Marseille d'un
grand nombre de familles des Basses-Alpes. De tout temps, les Bas-Alpins, à quelque
classe qu'ils appartinssent, ont aimé le séjour de notre ville : ils sont innombrables
les industriels, les négociants, les médecins, les avocats, qui ont quitté leur pays de
montagnes pour venir habiter au milieu de nous et s'y faire un situation par leur
travail opiniâtre, leur esprit d'ordre et d'économie. L'un d'eux, un avocat bien connu
pendant la Restauration, a été même appelé , en 1830 , à administrer le département
des Bouches-du-Rhône, en qualité de préfet , et son administration , dans des temps
difficiles, a laissé les meilleurs souvenirs.
De tels exemples , à mesure que notre ville se développait . devaient déterminer
un plus grand nombre de Bas-Alpins à venir s'y établir , et c'est ce qui explique
surtout la décroissance dans la population des Basses-Alpes pendant les cinquante
dernières années.
Nous devons aussi mentionner une autre cause qui a contribué à éloiguer les Bas
- 129 -
Alpins fie leurs montagnes. Nous en devons la communication à notre viol ami Paulin
Guizol, avocat, ancien magistrat.
Depuis près de quarante ans , un certain nombre de Bas-Alpins , habitant notam-
ment l'arrondissement de Bar''eloimette, émigrent dans le Mexique.
Voici, d'ailleurs, ce que nous a écrit à cet égard notre ami Guizol :
« L'arrondissement de Barcelonnette est pauvre par lui-même ; les terrains culti-
vés entrent à peine dans une proportion d'un vinglième , tandis que les montagnes ,
en grande partie déboisées, en forment les dix-neuf vingtièmes et n'occupent presque
point de bras ; l'industrie est nulle. C'est dans ces conditions d'infériorités que
quelques hardis habitants de la vallée de Barcelonnette allèrent chercher fortune au
Mexique. Ils y apportèrent , en fait de capitaux , peu d'argent à la vérité , mais un
grand amour pour le travail , de l'ordre , beaucoup d'économie et une grande persé-
vérance. Ils réussirent, et ce furent les succès des premiers pionniers qui amenèrent
un courant d'émigration qui n'a fait que s'accroître surtout depuis 186'). A l'heure
actuelle , il n'y a pas moins de six mille Français de cette partie des Basses-Alpes ,
répartis moitié à Mexico, et l'autre moitié à Vera-Gruz , Mazatlan , Tampico, Guada-
iajara et dans tout le territoire de la République Mexicaine.
» Des maisons de commerce importantes , presque colossales , ont été fondées et
prospèrent depuis des années.
» Au début, nos compatriotes eurent à lutter contre les Allemands qu'ils trouvèrent
établis dans le pays ; cette lutte n'a pas eu de trêve et , dans vingt-cinq ans , ils ont
fini par les supplanter. Les souvenirs de la funeste expédition du Mexique se sont
bientôt effacés, et l'influence française , qui était grande déjà avant la guerre , n'a
fait qu'augmenter depuis la reprise des relations diplomatiques inaugurées à Mexico
par M. Boissy d'A'nglas , député , envoyé en mission temporaire à Mexico , en 1881.
» Ces résultats importants témoignent de la puissance de la colonie barcelo-
nettoise dans le Mexique , et de son patriotisme. Beaucoup sont revenus dans leurs
chères montagnes oii ils ont fait élever , à la place des chaumières paternelles , des
châteaux ou de somptueuses villas. 11 y a même une commune, celle des Jeantiers ,
où les « Mexicains » sont en gi'and nombre ; quand ils viennent au chef-lieu , le
samedi, jour de marché, on les reconnaît à leur teint basané ; la Recette particulière
des finances et la grande maison de banque Gassier frères , de Barcelonnette ,
connaissent leurs millions. »
Cette émigration méritait d'être connue avec les détails qu'elle comporte , à cause
du caractère aussi curieux que patriotique qu'elle présente , et nous remercions
vivement notre vieil ami , M. Guizol , de nous avoir fourni l'occasion de publier les
renseignements qu'on tient de lui.
ASIE.
■jCS chemius de fer «l« Tonkin. — Un récent arrêté du Ministre des
affaires étrangères a constitué une Conmnssion technique extra-parlementaire char-
gée d'étudier les grandes lignes du programme d'ensemble de l'exécution des
chemins de fer projetés au Tonkin. Cette Commission , composée de spécialistes
distingués et à la tête de laquelle a été placé M. Fuchs, ingénieur en chef des mines,
qui a exploré avec le soin le plus minutieux les terrains carbonifères de l'Annam et
9*
-^ 130 —
du Tonkin, vient de tenir une séance préparatoire. Elle a arrêté le programme de
ses travaux, leur division et les bases sur lesquelles elle compte opérer.
Nous sommes en mesure de donner à cet égard quelques renseignements précis ,
qui permettront de juger de l'importance des matières qu'aura à traiter la
Commission technique.
Avant toute chose , la Commission se fera délivrer tous les documents divers
dressés à ditiérentes époques par les ministères intéressés dans la question du
Tonkin : plans, cartes, rapports, etc. Elle passera ensuite à l'audition des personnes
réputées connaître le mieux le pays, depuis le général Jamont, qui a exécuté de
n:iagnifiques travaux de topographie dans toute la vallée du fleuve Rouge , jusqu'aux
chefs des principales maisons de commerce de Haï-Phong , Hanoï et de l'intérieur.
La Commission , munie de ces 'enseignements, s'occupera alors de dresser un
tracé éventuel des lignes les plus urgentes. Enfin , elle abordera la difficile question
du régime sous lequel vivront les Compagnies concessionnaires. Ce sera la partie la
plus délicate de sa tâche.
^'oici quel est le tracé sur lequel les commissaires semblent d'accord dès
maintenant :
L'ne première ligne partant d'Hanoï descendrait jusqu'au lieu dit les Sept-Pagodes,
sur un parcours de soixante à soixanfe-six kilomètres, en terrain plat ; de là , elle
bifurquerait , soit sur Haï-Phong seulement , soit jusqu'à Quang-Yen , en passant
toujours par HaïPhong. Les gens du métier estimdnt, en effet , que Quang-Yen est
destiné à devenir le grand port marchand du Tonkin , tant par sa situation que par
les avantages qu'il présente au point de vue de la navigation.
Le second tronçon de la bifurcation se dirigerait vers l'Annam , en passant par
Nam-Dinh ou par Nin-Binh. Il mettrait ainsi les deux pays en communication directe.
Cette portion de voie ferrée ne nécessitera pae de grands travaux d'art. Les ponts
en seront les ouvrages principaux.
Plus difficile est la solution de la question des chemins de fer du Nord et de
rOuest. La ligne de Lao-Kaï, la véritable voie économique du Tonkin, passera forcé-
ment par des régions sinon tout à fait inconnues , du moins mal explorées. On n'a
que des données incertaines sur la géologie et la topographie de cette partie de la
colonie, si différente du pays d'alluvions.
Pourtant cette ligne s'impose , si l'on veut amener au bord de la mer les richesses
de toute nature que contient le Yun-Nan et dont l'écoulement assurerait un trafic
fructueux et un fret important à nos bâtiments de commerce.
Enfin, la dernière section du x'éseau éventuel serait la ligne d'Hanoï à Lang-Son ,
ligne purement stratégic[ue. M. Cavalier de Cuverville , capitaine de vaisseau et
membre de la Commission , insiste fortement pour la création de ce railway. Son
opinion est déterminée par des considérations d'ordre militaire. Il est certain que
de ce côté de la frontière chinoise nous n'ouvrirons jamais un grand débouché
commercial.
Telle est la base des travaux futurs de la Conunission. Celle-ci , pénétrée de la
nécessité de trancher promptement , et dans le sens le plus avantageux , la question
des chemins de fer du Tonkin , est résolue à mener sa besogne aussi rapidement
que le comportent les études de toute nature auxquelles elle sera obligée de se livrer.
liCS cbemiujs de fer en Orient. — Les chemins de fer sont devenus les
instruments indispensables de toute conquête tant pacifique que militaire ; c'est
grâce à eux que les Anglais ont conquis l'Hindoustah, parcouru aujourd'hui du nord
au sud avec autant de facilité que les parties les mieux organisées de l'Europe. Les
— 181 —
Russes connue les Anglais mettent tons leurs efforts à faire pénétrer jjIus avant dans
les pays qu'ils convoitent les lignes qui doivent leur en assurer la possession.
L'Afghanistan sépare seul la Russie des colonies anglaises et cette barrière sera
bientôt franchie : les progrès dos deux nations sont constants.
Lignes de l'Afghanistan. — Les Anglais avaient ({"abonl songé à gagner Herat jjar
Pechawar et Kabou., mais soupçonnant l'opposition que leur feraient les Russes si
près de leur territoire, ils ont attaqué l'Afghanistan par le sud. Ils ont déjà traversé
le Béloutchistan et au-delà des passes de Bolan ont poussé leurs lignes jusqu'à
Harnaï et Quettah. Ils s'efforcent pour l'instant d'obtenir de l'émir de Kandahar ,
Abd-ur-Rharnan, la concession de la ligne de Quettah à Kandahar. Ce dernier, sent
combien cette invasion déguisée lui serait funeste et rejette toute proposition ; mais
le Gouvernement des Indes profitant de l'embarras que causent à l'émir les révoltes
constantes des Ghilzaïs et des Sinwaris , attend que son vassal soit réduit à lui
demander des secours pour lui arracher cette concession.
Les Russes, de leur côté , sont arrivés à la frontière nord-ouest à SaracJts ; ils ont
remonté au nord jusqu'à Tchartchaï sur l'Amou-Daria (Oxus) et, en janvier 1888, la
ligne sera ouverte jusqu'à Bohhara. La ligne sera suivie jusqu'à Samai kande d'où,
continuant son circuit, elle rejoindra plus tard les Indes parla route du Pamir.
Lorsque les Anglais iront à Kandahar , et ils y parviendront bientôt , les Russes
s'empareront immédiatement d'Hérat ; 500 kilomètres à peine sépareront alors
l'Angleterre de la Russie , et après une lutte entre les deux nations , au profit bien
probable des Russes, le tronçon européen joindra définitivement le tronçon indien.
Dans cette lutte, les Anglais se laissent entraîner par leur passion de conquête à
agir contre leurs intérêts commerciaux. D'abord , il est téméraire à eux de vouloir
lutter sur terre contre la Russie ; ensuite, au point de vue commercial , leur maiine
n'a rien à gagner à laisser s'établir des moyens de transport par terre. Les Russes ,
au contraire, ne peuvent que profiter d'un trafic qui se fait aujourd'hui uniquement
par mer et qui alors passera par leurs lignes et sur leur territoire.
Les produits des Indes consistent en denrées chères et de peu de volume , pour
lesquelles le transport plus coûteux par voie ferrée, sera un supplément onéreux
sans doute , mais largement compensé par la rapidité et la sécurité du transport. De
Paris , par un service quotidien , on poui-ra atteindre Lahore en quinze jours , et ,
lorsque la ligne d'Orenbourg à Tashkent-Samarkande sera faite, en treize jours;
tandis que, actuellement, il faut vingt jours au minimum par un service hebdoma-
daire pour gagner Bombay.
D'autres lignes sont également projetées , dont la construction n'entraînera pas
des difficultés internationales aussi grandes, mais qui influeront certainement sur la
prépondérance de la Russie en Asie.
Ligne de la Caspienne au golfe Persique. — Telle est, en premier lieu , la ligne
de Bakou à Recht côtoyant la Caspienne, rejoignant Téhéran.^ hpahan, Chiraz et
Bunder-Boucliir ; on prétend que le gouvernement russe s'est déjà entendu avec la
Perse pour la construction de cette ligne. De Bakou à Recht, la ligne traverse des
marécages et nécessitera d'assez grands travaux de ballast ; de Recht à Kasbin
(mi-chemin entre Téhéran et Recht) la route au milieu des gorges du Sefid-Roud
offrira encore quelques difficultés et exigera de nombreux travaux d'art. De Téhéran
à Ispahan, ce sont des déserts plats ; puis en «'avançant vers Chiraz^ les montagnes
du Farsistan présenteront encore quelques difficultés. Ce chemin de fer rendrait de
grands services à la Perse eu permettant l'exportation des produits des régions
fertiles, produits qui se trouvent perdus faute de moyens de transport. Cette route est
- i:^2 —
aussi la plus suivie par les voyageurs qui se rendent d'Europe en Perse. De Tiflis ,
•on passe par Bakou ; de là, on s'embarque pour Enzeli, d'où l'on gagne Recht en six
ou sept heures sur de petites barques ; un fort mauvais chemin de mulet remontant
le Sefid-Roud et le Shah-Roud , conduit ensuite à Kasbin , et un service de voitures
primitif (troïkas russes) vous mène définitivement à Téhéran. Les mauvais temps à
Enzeli empêchent souvent le débarquement en rade du courrier même , et le voya-
geur pressé est quelquefois obligé de revenir avec le vapeur à Bakou pour ne débar-
quer qu'au voyage suivant.
Ligne de Tiflis a Téhéran. — Une autre route mène de Tiflis à Tauris et de
Tauris (T abris) à Téhéran, mais le voyage se fait par caravanes et est fort long. Il
■est bien probable que ce parcours sera un jour suivi par une voie ferrée. Tauris est
un centre important, capitale de l'Azerbeïdjan, région fertile en céréales et que des
travaux d'irrigation intelligemment combinés rendront plus prospère encore, quoique
le système primitif actuel de kanot:i soit fort judicieux. La ligne partant de Tiflis
passerait par Erivan et traverserait l'Arax à Djoulfa ; elle gagnerait Tauris, de là
elle rejoindrait le Kizil-Uzen, en suivrait le cours jusqu'à Mendjil (endroit oii cette
rivière, se réunissant au Sbah-Roud , forme le Sefid-Roud) et là se joindrait elle-
même à la ligne déjà établie de Recht à Téhéran.
Ligne de la vallée du Tigre. — Si les Turcs n'étaient pas aussi hostiles à tout
mouvement de progrès , une ligne existerait déjà dans la vallée du Tigre , facilitant
les communications rapides entre l'Europe et l'Inde.
Par cette ligne, les courriers gagneraient au moins huit jours sur les services
actuels. Toute la vallée du Tigre et de l'Euphrate, malgré la chaleur et la sécheresse,
est fertile. Les habitants des bords du fleuve n'auraient besoin que d'un léger encou-
rao-ement à leurs travaux d'agriculture par l'assurance de l'écoulement de leurs
produits et la sécurité qu'amènerait assurément une voie ferrée dans un pays à
chaque instant dévasté par les nomades du désert à l'ouest, les pillards des mon-
tagnes à l'est.
Partant à''Aleo:andrette, passant par Alep, Orfa, Diarbékir et Mossoul, cette ligne
suivrait le Tigre à partir de cette ville jusqu'à Baghdad et Bassorah. Un service de
vapeurs déjà établi et fonctionnant régulièrement, joint Bassorah^ Koratchi ,
Bombay.
Autres lign'ES. — D'autres lignes d'intérêt secondaire , quoique fort appréciable ,
se construiront certainement de Trébizonde passant par Van , Ourmiah et Tauris.
Au point de commercial , cette voie aurait une grande importance, car c'est la route
la plus suivie par les caravanes transportant les produits persans.
De Scutari enfin , une ligne alant rejoindre Alep , permettra aux voyageurs de
rejoindre l'Asie occidentale sans avoir d'autre traversée que celle du Bosphore. Cette
lio-ne ne manquera pas non plus d'offrir une grande importance commerciale.
Tels sont , en quelques mots , les principaux projets de voies ferrées qui seront
établies en Orient dans un avenir prochain. Outre les bienfaits de civilisation
qu'elles apporteraient aux peuplades de ces régions , l'Europe tirerait , elle aussi ,
grand parti d'un conunerce plus suivi avec des gens difflérents de mœurs et de
coutumes, mais qui témoignent par leur histoire de beaucoup d'intelligence et de
sagesse.
Convention entre la France et le royaume de ^iam. — Le
Sénat vient d'approuver la convention signée à Baukok , le 7 mai 1886 , entre la
- i:ss -
France ot le Siam, dans le but de favoriser le coinniercc entre TAnnain et la province
siamoise de Liiang-Prabang. Cette importante province, qui exporte notamment de
rivoire , de la cire et des peaux et importe du sel , des tissus et de la quincaillerie ,
est habitée par un nombre considérable d'Annamites, dont la protection appartient à
la France en vertu du traité signé à Hué, le 6 juin 1884. Pour assurer cette pro-
tection, le Gouvernement vient même de créer à Luang-Prabang un vice-consulat.
La convention détermine les attributions de notre agent consulaire et règle les
conditions dans lesquelles nos nationaux et protégés pourront faire le commerce. En
voici les dispositions principales :
Les Français et protégés français ont le droit de commercer et de s'établir sur le
territoire de Luang-Pi-abang. Les mêmes droits sont acquis en Annam aux Siamois.
Les Français et protégés français passant de l'Annam sur le territoire de Luang-
Prabang seront tenus de payer les taxes exigibles , conformément aux lois du pays ,
sur toute marchandise, soumise aux droits, qu'ils pourraient introduire. Il est
entendu que ces droits ne pourront être supérieurs à ceux qui sont perçus à Bang-
Kok en vertu du traité du 15 août 1856. Ces droits sont de 3 p. 100 sur la valeur de
toutes les marchandises importéee , et sont j)ayables en nature ou en argent , au
choix de l'importateur.
Les marchandises importées de Luang-Prabang en Annam seront soumises aux
taxes exigibles, conformément aux lois et coutumes de l'Annam.
Les Français et protégés français pourront acheter et vendre des terrains ainsi
que les forêts de teck dans tout le territoire de Luang-Prabang. Ils auront le droit
d'y faire des plantations, et enfin d'y exploiter des mines et d'y établir des usines.
I^es ports <lii Toiig; - King^. — M. J. Renaud, ingénieur hydrographe , a
traité devant la Société de géographie de Paris , le 4 février dernier, la question si
actuelle des ports du Tong-King.
Haïphong est actuellement le seul port du Tong-King ; l'emplacement est aussi
mal choisi que possible cependant. Les deux barres, qui sont à l'entrée de la rivière,
limitent le tirant d'eau des navires qu'il peut recevoir à 4"',50 à toutes les hautes
mer, et 6 mètres aux grandes marées. Il ne peut pas même devenir la tête de ligne
du chemin de fer qui reliera plus tard Hanoï et le haut fleuve Rouge au port de
commerce , à cause des nombreux et larges cours d'eau que la voie ferrée serait
obligée de traverser.
Haïphong ne date que de 1874 ; l'eniplacement de la concession a été choisi alors
que le Tong-King était très peu connu , comme le point le plus rapproché de Hanoï
accessible aux navires. 11 s'est développé d'une uianière factice pendant ces dernièics
années, parce qu'il avait le monopole exclusif d'être immédiatement habitable. 11 a
donc été créé par le traité de 1874, imposé par les circonstances mêmes de l'expédi-
tion militaire ; son développement est factice; les deux bancs de vase et de sable qui
ferment l'entrée du fleuve ne pourront , jamais, dans l'avenir, être améliorés ; il
restera un port de caboteurs.
Quang-Yen, mieux situé au point de vue topographique , a l'irrémédiable incon-
vénient de ne pouvoir recevoir que les seuls bâtiments de mer qui peuvent aller à
Haïphong.
Aussi les grands navires sont-ils tous obligés d'aller njouiller dans la rade de
Halong accessible , par tous les temps et à toute heure de marée . aux navires du
plus fort tonnage.
M. Renaud préconise l'établissement du port à Hong-Gac, situé au fond de la baie
de Halong. Hong-Gac est en communication avec les centimes du delta par des canaux
- 1.34 -
intérieurs praticables aux jonques et sampans du fleuve. Il peut être relié k Hanoi
par une voie ferrée qui n'aura pas à traverser de cours d'eau importants. Au point
de vue militaire, il est le seul pouvant donner abri à des transports, à des croiseurs,
et, en général, à des bâtiments de guerre de fort tonnage qui pourront s'y ravitailler
aisément.
Hong-Gac se développera donc par la force des choses, au détriment de Haiphong,
et deviendra, dans l'avenir, le plus grand port du Tong-King.
AMERIQUE.
I/éinigratîoii clan^ la RépultSiquc Argentine. — D'après les
statistiques relevées, pendant les trente dernières années, de 1857 à 1886, 1,098,220
individus de toutes nationalités sont venus s'établir dans la République Argentine.
Les chiffres de l'émigration ne sont connus qu'à partir de 1871. Dans les seize
dernières années , il est venu s'établir 893,-"69 immigrants et il en est parti 2.59,303 ,
chiffres qui donnent en faveur de la République Argentine un accroissement de
population de 634,266 individus.
Dans les dix-sept dernières années, de 1870 à 1886, il est venu d'Europe 605,533
immigrants, soit 65 "/o i 6t de Montevideo, 328,003, soit 35 "'„.
Les nationalités se divisent ainsi :
Italiens 391.454
Espagnols.... 80.942
Français 60.538
Anglais 16.502
Suisses 13.413
La répartition par âge se décompose ainsi : adultes, 83 */y, enfants, 14,4 "/q. Dans
les adultes, les hommes figurent pour la quantité de 63,6 " „ et les feuujies 19,4 "/q.
Les Italiens représentent 45,5 «°/(, des adultes, les Espagnols 10,7 ° q et les Français
7,4 X.
Les chiffres suivants , publiés par le chef du bureau de statistique , prouvent
l'augmentation constante de l'émigration :
1886 1887
Allemands
41.021
Autrichiens
18.83i
Belges
3.009
Portugais
2.381
Divers
15.439
Janvier . . .
Février . . .
Mars. . . .
9.715
6.828
7.249
13.375
5.129
4.772
Avril
6.832
7.223
Totaux
... 30.624
31.740
Pendant ces quatre premiers mois de 1887, il est donc , malgré l'épidémie de
choléra, entré 875 émigrants de plus que dans le même espace de temps en 1886.
- i:-i5 -
Le commissaire général de rimmigratioii a reçu , du chef du bureau national , le
tableau du mouvement d'immigrants pendant le mois d'avril II résulte de ce tableau
que le bureau a placé 2,056 immigrants répartis de la façon suivante :
Capitale 12'i , province de Buenos-Ayres 90^3 , Entrorios 302 , Gorrientes 8 , Santa-
Fé 3'i3, Cordoba 78, Tucuman46, Santiago 11, Salta 17, Gatamarca 3, Riojal2, San
Luis 8, Mendoza 18, San Juan 9, Ghaco 135, Missioncs 7 et Patagones 12.
Les envois se décomposent en 1,097 immigrants en 48 voj'ages par voie d'eau et
885 par voie ferrée. 11 a été envoyé 300 passagers privilégiés.
liC traité «l'un ion entre le!« Képiiltiiquefii du (entre- Anié-
ric|ue. — Nous possédons le texte d"uu traité iu'éliniinaire d'union politique du
16 février 1887, qui établit virtuellement VUnion Centre-Auiericaine.
Cette convention , intitulée traité de paix , d'amitié et de commerce , a été signée
entre les Républiques de Honduras, Costa-Rica, Guatemala, Nicaragua et Salvador.
L'article premier décide qu'en cas de différend entre deux ou plusieurs Répu-
bliques , l'arbitrage décidera en dernier resc'ort. Les arbitres seront choisis par voie
de tirage au sort [jarmi les puissances suivantes : France , Allemagne , République
Argentine. Belgique, Chili, Espagne, États-Unis, Angleterre, Mexique et Suisse. Le
sort désignera trois des pays indiqués , qui désigneront les arbitres. En cas de refus
du premier aibitre, le second le suppléera, et, s'il y a lieu, le troisième.
En cas de rupture entre deux ou plusieurs des pays contractants, les autres s'en-
gagent à observer la plus stricte neutralité. •
Les pays contractants s'engagent à ne pas intervenir directement ou indirectement
dans leurs affaires intérieures.
En cas de différend avec une nation contractante , les nations contractantes s'en-
gagent à apporter leur médiation pour une entente amiable. Au cas où le refiis
d'entente n'émanerait pas de la République Centre-Américaine indiquée , toutes les
Républiques contractantes feront cause commune et s'allieront pour la défense du
territoire Centre-Américain.
Les Républiques contractantes devant se considérer comme membres séparés
d'un senl corps politique et , en aucun cas , comme des nations étrangères les unes
aux autres, il est stipulé que le natif de l'une ou de l'autre de ces Républiques jouira
de tous les droits politiques dans les autres Républiques . Mais pour cela , et pour
être sujet aux charges et contributions que supportent les natifs , il est nécessaire
que par déclaration faite , par écrit , devant l'autorité locale compétente , ou tacite-
ment, par l'acceptation d'un poste public , l'intéressé manifeste sa volonté d'être
considéré comme naturel. Toutefois , en acceptant la citoyenneté dans quelqu'une
des autres Républiques, il ne perd pas sa nationalité d'origine.
Pour que cette clause soit effective dans tout le Centre-Amérique , les gouverne-
ments s'engagent à réformer leurs constitutions respectives en vue d'accorder aux
natifs des autres Républiques du Centre-Amérique , sans autre formalité que le
consentement exprès ou tacite indiqué plus haut , la jouissance de tous les droits
politiques sans aucune restriction.
Quant aux droits civils, ils sont égaux pour tous les Centre - Américains , sans
réserve ni distinction aucune.
La résidence exigée pour la naturalisation des natifs hispano - américains , sera
réduite à une anné contre trois années exigées des autres étrangers. Les natifs
d'une République résidant dans l'autre et non naturalisés, seront exempts du service
militaire obligatoire forcé et des réquisiti(>ns militaires. Les université , facultés ,
- 136 —
collèges de Tune des républiques <eront ouverts aux natifs des autres. Le commerce
entre les Républiques, par eau ou par terre, sera exempt de tout impôt d'importation
ou d'exportation, douanier ou municipal ou de transit. Cette clause fonctionnera à
partir du 15 septembre 1890 en ce qui a trait aux droits d'exportation. La navigation
intérieure ou extérieure sera également libre de tout droit ou entrave. Les sentences
rendues dans une des Républiques seront exécutoires ; il en sera de même de tous
les documents publics. Les natifs des Républiques contractantes auront la jouissance
égale de la propriété littéraire, industrielle ou artistique.
Les gouvernements des Républiques contractantes ayant encore la peine capitale
pour délits communs ou politiques s'engagent , dans le plus bref délai possible , à
provoquer l'abrogation des lois qui la décrètent.
Un Congrès de plénipotentiaires de toutes les Républiques sera réuni tous les
deux ans et s'occupera des réformes , mesures et affaires d'intérêt général. Sa pre-
mière réunion aura lieu dans le Costa-Rica le 15 septembre 1888.
La politique extérieure sera uniforme autant que possible vi-à-vis de l'extérieur au
moyen d'une représentation commune,
Le traité est perpétuel, sauf pour les clauses ayant trait au commerce et à la
navigation , qui sont convenues pour une durée de quinze années à partir des
ratifications.
Les ratifications seront échangées à Guatemala.
Comme corollaire, les plénipotentiaires ont également signé un traité d'extradition
et une convention consulaire.
Pour les Faits et Nouvelles géographiques non extraits ,
LE SECRÉTAIRE-GÉNÉRAL ,
ALFRED RENOUARD.
- i:-r7
COURS & CONFÉRENCES DU SAMEDI SOIR A R0UBAIX
( m extenso ).
LA GRÈGE
ET SA SITUATION ÉCONOMIQUE
Par M. E de JOANNÈS ,
Ingénieur civil, Membre du conseil et conservateur du musée commercial do la
Société de Géographie commerciale de Paris.
Conféy^ence faite à Roubaix le 5 Mars 1887.
Mesdames , Messieurs ,
Mes amis et collègues de la Société de Géographie commerciale de
Paris, que vous avez accueillis naguère dans cette enceinte avec tant
d'affabilité, MM. Castonnet des Fosses et Moncelon, m'engageaiut
depuis longtemps à me rendre ici, pour vous entretenir dans une cau-
serie familière, d'une de ces questions géographiques et économiques
sur le Levant , qui me sont plus familières en raison du long séjour
que j'ai fait dans ces contrées.
« Allez à Roubaix , me disaient mes amis , vous rencontrerez un
» auditoire d'élite on ne peut plus intelligent et bienveillant qui ne
» pourra qu'écouter avec intérêt un sujet qui touche .sur certains
» points à ce grand problème , objet de préoccupations générales dans
» notre siècle industriel , c'est à dire les conditions de la production à
» l'intérieur et celles des échanges à l'étranger, problème dont la solu-
» tion est aujourd'hui mie question de vie ou de mort pour un peuple
» producteur et commerçant. »
Et comme j'hésitais , prétextant avec raison le peu d'autorité qui
s'attache à mon nom, ces Messieurs ajoutèrent : « Ne craignez rien ,
» les Roubaisiens ont des trésors d'nidulgence en réserve. »
Or, Mesdames et Messieurs, je vais être forcé de faii'e un colossal
10
- 138 —
emprunt à vos richesses de bienveillance, car je vous entretiendrai
d'un pays, en apparence du moins, insignifiant au point de vue commer-
cial, et d'un peuple, contre lequel existe malheureusement des préven-
tions très grandes. J'aurai donc d'abord à vaincre une certaine
méfiance de votre part.
Et si je parle ainsi, c'est qu'un de nos plus éminents concitoyens,
dont vous me permettrez de taire le nom, me disait ce matin même :
« Certes, on vous écoutera ce soir avec la plus grande attention ,
» mais d'avance je vous préviens que vous aurez bien de la peine à
» convaincre vos auditeurs ; les Roubaisiens , aussi positifs que scep-
» tiques, ne croient que ce qu'ils touchent. »
Vous le voyez, on n'est jamais trahi que par les siens ; aussi, contre
mon habitude, je suis forcé de rééditer ici ce vieux cliché, dont les
conférenciers de profession ne manquent jamais de faire usage, c'est-à-
dii-e de commencer par solhciter votre indulgence.
Et pourtant , veuillez prendre note que je ne suis nullement un
conférencier de profession , mais un humble soldat de la science géo-
graphique à qui vous faites ce soir l'insigne honneur d'accorder quel-
ques moments de votre temps si laborieux.
Permettez-moi donc. Monsieur le Président, et vous tous, Mesdames
et Messieurs, de vous remercier avec efi'usion de la bonne fortune qui
m'échoit, et pour ne pas trop abuser j'entrerai immédiatement en
matière en parlant des chemins de fer de la Grèce.
Je voudrais surtout montrer l'influence qu'ils ont exercée sur le
développement des divers facteurs de la richesse nationale, car, à dater
de l'époque toute récente où le réseau étendu de ces voies rapides et
économiques a été décrété, que l'on a vu surgir, comme par enchante-
ment, une foule d'entreprises auxquelles on ne songeait même pas
auparavant, bien qu'elles existassent à l'état latent.
Pour des motifs financiers et pohtiques trop longs à énumérer ici, la
Grèce n'avait pu suivre le mouvement qui s'était produit depuis trente
ans environ dans les autres Etats de l'Europe, dont les territoires se
couvraient de chemins de fer. quand le royaume hellénique ne possé-
dait encore en 1882, que la petite ligne du Pirée à Athènes , longue de
de dix kilomètres à peme. Sa voisine, la Turquie, ordinairement réfrac-
taire à toute innovation, avait à cette époque en exploitation près de
700 kilomètres dp voies ferrées.
Cet état de choses, si préjudiciable au développement des forces pro-
ductives de la Grèce, durait depuis trop longtemps, lorsque le gouver-
— 139 —
nemeut décréta rexécution d'un vaste réseau, dont une partie est
livrée actuellement à l'exploitation, tandis que d'autres lignes sont en
construction ou à l'étude.
En raison de l'intérêt qu'offrent certaines de ces lignes pour le com-
merce de l'Europe occidentale , voici l'énumération détaillée des
chemins de fer de la Grèce, dont M. Tricoupi, l'éminent ministre, a
doté son pays.
A. — CheitiiuK de fei* de l'Attlquc et du Pélopoiièse.
|o pj.>.gg à Athènes 40 kilom
2° Athènes à Kalamaki et à Corinthe passant par
Eleusis, Mégara, Kalamaki (entrée est du canal) et Corin-
the (entrée ouest dudit canal) 74 »
o° Corinthe à Patras 100 »
Par Zevgolati, Kiato, Sykiao, Xilocastro et Œgumi
(Vostitza). Cette ligue est presque parallèle au golfe de
Lépante et elle sera prochainement achevée jusqu'à
Patras, reliant ainsi directemeut la mer Ionienne au golfe
de Salamine.
4" Corinthe à Nauplie par Argos 50 »
b"^ Argos à Myloï 10 »
Cette ligne sera continuée jusqu'à Kalamata dans le
golfe de Koron.
6° Patrms à Caiacolo 100 »
Cette ligne n'est ouverte actuellement que de Pyrgos à
Catacolo , dans les environs des ruines d'Olympie, dont
les fouilles sont opérées par des Allemands. La ligne de
Patras à Catacolo est parallèle au littoral de la Morée
dans la mer Ionienne.
70 Athènes à Ergasteria Laurium 70 »
Par Kephissia, Chalandri, Liopesi, Koroprou, Makro-
poulo, Kalivia, Keratea, Thorico-
8" Embranchement de Kephissia à Pentelicus (ligne
précédente) 10 »
- 140 —
B. — Clieiiilns de fer de la Thessalle.
9" Larisse à Volo dans le golfe de ce nom, par Voles-
tino 62 »
10° Volestino à Tricala et à Catahaka par Carditza et
Pharsale 200 1/2
Ces deux dernières lignes, comme on le verra plus loin,
sont destinées à être reliées au réseau national à partir
d'Athènes, et, d'après les projets à l'étude, à devenir une
voie internationale vers l'Europe centrale.
Le réseau actuel donc, tant en exploitation qu'en cons-
truction, serait déjà de 695 1/2 kil.
Presque tous ces chemins de fer ont été construits par des ingénieurs
français. Le réseau de Thessalie, concédé à M. Mavrocordato, banquier
grec, est considéré comme d'un rapport excellent ; il sert de débouché
pour les céréales qui vont embarquer à Volo , provenant des frontières
de l'Epire, et de ce chef seul, il est assuré d'un trafic de 80 à 100,000
tonnes par année.
Un projet très intéressant pour les relations internationales est
étudié en ce moment ; il s'agit de construire une ligne (ÏAthènes à
Volestino en traversant les terrains desséchés du lac de Copaïs,
reliant ainsi le réseau de Thessalie à ceux de l'Attique et du Pélopo-
nèse. Le but qu'on se propose, est non seulement de souder à ces
derniers les divers chemins de 1er Grecs, mais encore de les raccorder
aux réseaux autrichiens et serbes, soit en s'embranchant sur un point
de la ligne de Saionique à Uskub et Belgrade, soit sur le chemin de
fer qui traversera la Bosnie et la Croatie dans la direction d'Agram et
qui par là, rejoindrait encore les chemins autrichiens.
L'ouverture d'une route ferrée directe du Pirée, à l'un ou l'autre
des points ci-dessus, abrégerait les distances de l'Europe centrale à
la mer Egée et, par suite, à l'Egypte, dans une proportion très sensible,
comparativement à la voie de Brindisi
M. Gotland, ingénieur de la mission française en Grèce, a calculé
que de Calais à Port-Saïd (via Si Gothard, Milan, Venise, Agram,
Bosna-Seraï, Larisse, Athènes, Pirée) on gagnerait 1000 kilomètres, et
de Berlin au canal de Suez, 800 kilomètres environ. Quant au trajet
maritime par la voie internationale grecque, il suffit de jeter un coup
d'œil sur la carte, pour voir que de Saionique à Port-Saïd ou du
— m —
Pirée à Port-Saïd, la distance est de 200 milles marins plus courte en
faveur de cette dernière, ce qui constitue quatorze heures de naviga-
tion de moins en s'embarquant au Pirée au lieu d'aller par Salonique.
On conçoit quel puissant intérêt il y aurait pour la Grèce, de pouvoir
souder ses chemins de fer au réseau autrichien, car alors tout le
transit pour le Levant et Suez se ferait à travers son territoire; reste
à savoir si les visées de l'Autriche sur Salonique ne feront pas échec
à ce beau projet.
De ce qui précède, il résulte que la Grèce est d'ores et déjà, en
possession d'un ensemble de chemins de fer intérieurs très respectable
et qu'elle cherche à se raccorder aux grandes artères de l'Europe
occidentale et centrale.
La Grèce a depuis quatre années seulement ouvert au trafic et mis
en exploitation près de 700 kilomètres de chemins de fer ; elle a donc
regagné le temps perdu et, si l'on tient compte du chiffre restreint de
sa population ainsi que de l'exiguité de son territoire, on reconnaîtra
qu'elle est arrivée, en fait de voies ferrées, presqu'au niveau des
autres pays de l'Europe
11 convient encore d'ajouter, que pendant qu'elle construisait ses
chemins de fer, elle augmentait l'étendue de ses routes carrossables ;
700 kilomètres de routes nouvelles ont été ouvertes depuis 1882 ;
500 kilomètres sont en construction, et un vaste réseau de 3000 kilo-
mètres est à l'étude.
A Athènes circulent des tramways ; d'autres villes vont en établir
également ; partout l'activité la plus grande est déployée pour accroître
les moyens de communication qui ont développé la richesse nationale,
c'est-à-dire : l'agriculture, l'industrie ainsi que l'exploitation des mines
et forêts du pays.
FORCES PRODUCTRICES DE LA GRECE.
L — Agriculture.
On croit généralement que la Grèce, pays montagneux, n'est pas
propre à l'agriculture. C'est une erreur qu'il convient de détruire,
en rappelant que les vallées helléniques possèdent au contraire des
terres d'une grande fertilité et qui n'attendent que la colonisation
pour être mises en valeur, car, s'il est vrai que les Grecs ne sont pas
- 142 -
positivement des agriculteurs dans toute l'accep&ion du mot, il faut
dire aussi que la viabilité du pays était, pendant ces dernières années,
dans un état rudimentaire peu favorable au développement de la
culture.
Ce qui contribue à la fertilité des vallées de la Grèce, ce sont les
nombreux cours d'eau qui descendent des montagnes et qui entraînent
un limon très riche en matières organiques. Aujourd'hui que les voies
de communication sont en bon état, on s'occupe de régulariser le débit
de ces rivières, par des barrages et des réservoirs, de sorte qu'une
partie des terres incultes seront bientôt exploitées avantageusement.
Je parlerai tout à l'heure du lac de Copaïs, en Béotie, qu'une com-
pagnie française est en train d'assécher. Une fois ces travaux terminés.
25,000 hectares d'excellentes terres pourront être mises en rapport.
Le directeur de cette compagnie me disait dernièrement, que beaucoup
d'ouvriers itahens occupés aux travaux de dessèchement du Copaïs,
ont manifesté l'intention formelle de rester dans le pays comme colons,
quand les terrains seront mis à leur disposition.
Nul doute qu'un courant d'immigration ne s'établisse bientôt vers les
provinces de la Grèce, dont les terres sont susceptibles de cultures
rémunératrices.
Les produits agricoles en Grèce sont très nombreux, le climat des
diverses régions se prêtant aux espèces les plus variées. Il serait peut-
être intéressant de passer en revue les productions afférentes à chaque
province en pai'ticulier, mais cela entraînerait trop loin et je me bor-
nerai à en faire une énumération générale.
La garance, le tabac, le maïs, le sésame, toutes les espèces de
céréales et de légumineuses réussissent partout.
Le coton, cultivé en grand sur les rives du lac de Copaïs, lors de la
guerre de sécession américaine, rend jusqu'à 1,900 kilogrammes par
hectare dans les terrains irrigués et 1,200 kilogrammes seulement
dans les terres sèches.
Ce genre de culture n'est pas abandonné le moins du monde actuel-
lement; les filatures du Pirée travaillent exclusivement avec le coton
indigène.
On rencontre le mûrier dans beaucoup de localités; par suite, l'élève
des vers à soie a pris une grande extension depuis dix ans. L'île
d'Andros, notamment, se livre à la sériculture avec profit.
La Grèce possède des variétés d'arbres fruitiers très nombreuses.
L'oranger, le citronnier, le grenadier, le figuier, l'amandier, l'abri-
— 143 —
cotier, etc., etc., croissent dans les îles Ioniennes, dans les provijices
méridionales et dans l'archipel ; ils donnent des récolles qui alimentent
le commerce de ces contrées.
L'olivier est cullivé sur une vaste échelle et l'huile d'olive figure
parmi les produits exportés pour un chiffre considérable. Le jujubier
est aussi cultivé dans les îles Ioniennes.
La vigne donne des résultats superbes dans certaines parties du pays,
et la fabrication du vin y fait des progrès sensibles.
Le malvoisie de l'île de Tinos, le Santorin, ou vino-santo, qui a le
goût du Marsala, méritent d'être cités comme des crûs fort estimés.
La France importe depuis peu des vins grecs, qui sont éminemment
propres aux coupages.
La plaine de Gorinthe et les environs de Patras, produisent en
abondance les raisins sans pépins, bien connus sous le nom de raisins
de Cofnnihe, qui s'exportent pour la France et principalement pour
l'Angleterre, où ils servent à la préparation de l'entremets national,
si léger et si digestif, \e plum-pudding.
La statistique de 1885 accuse, pour la seule exportation fles raisins
de Gorinthe, une valeur de 35 milHons de fr, représentant un tonnage
de 57,440 tonnes. Le port de Patras figure dans cette exportation pour
un chiffre de 18,192,716 fr. Cette culture progresse sans cesse, elle
forme la richesse des contrées qui s'y livrent, comme les oranges et
les citrons constituent celle de Gorfou et des îles de l'Archipel.
Les ratlonêes (1), espèces de glands d'un chêne particulier qui sert
au tannage des cuirs, proviennent de la Thessalie et de l'Arcanie. En
1879, il a été exporté plus de 8,000 tonnes de cette substance astrin-
gente. C'est environ la moyenne annuelle. Peu de nos tanneurs
français connaissent ce gland, qui est préférable au tan de chêne et
est très employé dans le Levant.
Passant à la sylviculture, on constate que la Grèce est une contrée
où les forêts sont nombreuses et les essences de bois excessivement
variées ; sur le Parnasse, dans l'Eubée, sur le Taygète, en Arcanie,
on trouve surtout beaucoup de noyers dont l'exploitation est difficile
encore, à cause de l'état des voies de communications. Cet inconvé-
nient prendra fin bientôt et exonérera la Grèce du tribut qu'elle paie
encore à l'étranger, en important une grande quantité de bois de
(1) Quercus Œgilops.
- -144 —
charpente, et de constructions navales, des douves, etc., alors qu'elle
possède chez elle ces matériaux en abondance.
L'élève du bétail était resté stationnaire, cependant il semble que
l'on se préoccupe de cette situation. La proportion entre la population
et le nombre de bêtes à corne, reste jusqu'ici en dessous de la
moyenne, excepté on Thessalie où existent des troupeaux consi-
dérables.
On sait que la Thessalie n'a été annexée à la Grèce que depuis
huit ans. C'était une province de l'empire Ottoman avant la guerre
turco-russe de 1878. Cette nouvelle acquisition a doté la Grèce d'une
contrée agricole extraordinairement riche. Les terres d'alluvions, qui
recouvrent les immenses vallées dans lesquelles se trouvent les villes
de Trikala, Larisse, Pharsale, etc., offrent aux bestiaux des pâturages
abondants.
Les troupeaux des clans Albanais et Grecs, peuplent tous les contre-
forts des montagnes nommées : Méléo7''es Pindiques : ils se sont telle-
ment multipliés, qu'il n'est pas rare de voir des familles possédant
jusqu'à 40,000 têtes de bétail. Le commerce de la laine et des peaux
forme par conséquent l'une des principales ressources de celte pro-
vince. La qualité de la laine est très bonne, elle est blanche , propre
et d'une assez grande longueur.
Le territoire de la Thessalie produit aussi du coton de bonne qualité.
Un tabac de couleur brune, que les fumeurs de l'Orient préfèrent même
aux tabacs blonds de Samsoun.
Après l'annexion de la Thessalie à la Grèce , la population musul-
mane qui était nombreuse et propriétaire de la majeure partie du sol, a
émigré en Asie-Mineure. Toutes les familles turques ont vendu leurs
propriétés et des fortunes ont été faites par des Grecs, qui les ont ache-
tées à vil prix. Des terres de première qualité se sont vendues
cinquante francs l'hectare et leur valeur a triplé depuis l'ouverture
des chemins de fer de Larisse à Volo et celui de Voleslmo àKalahaca.
L'apiculture a pris aussi un grand développement. En 1852 on comp-
tait en Grèce 250,000 ruches seulement ; en 1860 il en existait 280,000 ;
aujourd'hui le nombre est plus que décuplé. La Grèce est du reste un
pays qui abonde en plantes sauvages , dont les fleurs parfumées
donnent au miel un arôme particulier, qui a rendu célèbre le miel de
VHymète.
Les collines de Garyste en Eubée produisent ce miel blond, transpa-
- 145 -
renl et doré, d'une délicatesse extrême, qui remplit la boiicliç d'un goût
de roses très prononcé.
L'agriculture en Grèce n'est donc pas restée en arrière des autres
branches de la richesse publique, ses progrès sont tangibles ; de ce
côté toujours elle a largement satisfait aux exigences de la civilisation
moderne, si l'on considère surtout que le pays qui représente à peine
un grand département français, peuplé hier encore de 15 habitants seu-
lement par kilomètre carré et privé de toute ressource , représente
aujourd'hui une valeur agricole productive, qui n'est plus évaluée par
milhons, mais bien par quelques milliards.
il. — Productions minières.
La nature semble avoir favorisé le sous sol de la Grèce d'une façon
toute particulière. Ses richesses minérales . connues déjà des anciens,
en font un pays on ne peut plus avantageux pour l'exploitation fruc-
tueuse des nombreux minéraux que renferment ses montagnes.
La houille, ce pain de l'industrie, a été découverte dans diverses par-
ties du pays, notamment dans les provinces de Phtiotide , d'Acarnie,
de Béotie. Le lignite de l'anthracite de Koumi, en Eubée, sont d'une
qualité excellente et sont employés en partie sur les bateaux à vapeur
de la C'^ Hellénique de navigation.
L'anthracite existe aussi près des Thermopyles et à Marcopoulo en
Attique.
On extrait la tourbe près de Thèbes.
En Morée, dans le canton de Calavrysta, on a découvert des argiles
schisteuses qui dénotent probablement l'existence du terrain houiller.
Des sondages feraient peut-être trouver dans ces parages, plusieurs
gissements carbonifères importants.
En attendant, la Grèce importe encore d'Angleterre d'assez fortes
quantités de charbons, pour les besoins chaque jour croissants de son
industrie.
Le soufre est exploité depuis de longues années dans l'île de Milo ; à
Santorin, à Soussaki, dans le golfe de Salonique, en Elide, dans la
vallée de Catacolo, en Kyparassie, à Syria, etc., etc.
Les célèbres marbres statuaires de Paros sont généralement connus ;
une compagnie belge exploite depuis quelques années les anciennes
carrières que les anciens avaient laissées, et qui a fourni le marbre de
- 146 -
la Vénus de Milo. Cette compagnie a établi un apponteraent à Parikhia,
relié aux carrières par un tramway de 6 kilomètres 1/2.
Toutes les îles de l'Archipel , du reste, renferment des marbres
magnifiques ; on a même trouvé dans le Taygète, des marbres rouges
antiques d'une pureté remarquable.
Dans l'île de Naxos, on exploite l'émery et le feldspath, le gouver-
nement perçoit plus de 100,000 drachmes de droits par an de ce chef.
Des pierres lithographiques sont aussi exploitées à Naxos.
A Milo. on rencontre du granit et des pierres à bâtir, des plâtres, de
la pierre ponce, des obsidiennes, des pierres meulières, des silex, etc.
Dans l'île de Skyro, on trouve des paillettes d'or dans le sable d'un
ruisseau. Selon Hérodote, les anciens tiraient l'or de cette île.
La magnésie existe en Eubée.
La pierre à bâtir s'exploite dans une très grande partie de la Grèce ;
à Syra il y a des pierres meulières estimées.
Mais ce qui forme la principale richesse minéralogique de la Grèce,
ce sont les nombreux gisements de plomb argentifère , disséminés
dans plusieurs parties de son territoire.
Avant d'indiquer les localités les plus importantes qui renferment
des minerais de cette nature, dormons la priorité aux mines du Lau-
rium, situées en Attique, parce que ce sont elles qui ont, en quelque
sorte, donné l'éveil sur les résultats qu'on pouvait attendre de l'exploi-
tation rationnelle de ces gisements , connus et travaillés dès la plus
haute antiquité, mais abandonnés pendant des siècles.
Les mines de plomb argentifère duLaurium, sont situées à la pointe
méridionale de l'Attique qui se termine au cap Sunium et a 75 kilomètres
d'Athènes. Quinze siècles avant l'ère chrétienne, elles étaient déjà
exploitées par les anciens et l'histoire apprend qu'elles produisaient des
quantités considérables de plomb et d'argent.
Par suite de l'imperfection des procédés de traitement du minerai à
cette époque, les premiers exploitants se bornaient à extraire une très
faible portion du métal et abandonnaient sur le sol les scories ,
ou résidus encore très riches, qui s'accumulèrent, couvrant des surfaces
de terrains considérables, sans qu'on songeât à en tirer parti.
Une compagnie franco-italienne sollicita et obtint la première du gou-
vernement hellénique la concession des scories et bientôt, dans un
désert jusque là sauvage, un bourg plein de vie et de mouvement
s'éleva, qui prit le nom d' Ergasteria. Des voies ferrées et des routes
- 147 -
furont construites , des hauts fourneaux installés et plus de 1,500
ouvriers y trouvèrent du travail.
En 1865 survint une contestation entre le gouvernement et la com-
pagnie. Le premier soutenait n'avoir concédé à la Sociêti' que les scories
ou eccolades , résidus du travail dos anciens, mais non les rainerais
inexploités dans le périmètre de la concession. La compagnie de son
côté, prétendait s'approprier ces minerais, et l'on n'a pas oublié
les négociations diplomatiques et les procès auxquels ce différend
donna lieu.
Pour trancher ces difficultés, la compagnie franco-italienne du Lau-
rium rétrocéda ses droits à une société grecque, pour la somme de 12
millions de francs, réalisant ainsi uu grand bénéfice, puisque ses éta-
tablissements ne lui avaient coûté que six millions de francs environ
et qu'elle avait, de plus, encaissé sous forme de dividendes, d'impor-
tants profits pendant qu'elle avait traité les scories anciennes.
Il n'en est pas moins vrai que, si les capitaux français engagés pri-
mitivement dans cette entreprise y ont trouvé une large rémunération,
nous avons, par contre, été les promoteurs en Grèce d'une industrie
nouvelle, en. découvrajit des trésors minéralogiques improductifs jus-
qu'alors, qui enrichissent aujourd'hui les successeurs des concession-
naires français.
Une autre sociél;é, la compagnie française du Laurium , se fonda
peu après pour exploiter des gisements voisins, en sorte qu'aujourd'hui,
elles comptent une vingtaine de hauts-fourneaux et de lavoirs pour
traiter leurs minerais. Un chemin de fer industriel a été construit pour
porter les produits à la mer ; le nombre des ouvriers varie de 1,500 à
2,000, leurs machines à vapeur représentent une force de 400 chevaux,
consommant 1,500 à 1,800 tonnes de houille par mois. Des cités
ouvrières ont été édifiées pour loger le personnel des mines, et l'on
peut affirmer que celles-ci i-ivalisent comme agencement, avec les entre-
prises les mieux outillées et les plus intelligemment dirigées de l'Europe.
Ce sont, d'ailleurs, les plus considérables mines de ce genre qui existent
au monde ; le plomb livré au commerce, dépasse la quantité de 10.000
tonnes par année, sans compter la production d'argent, car les scories
rendent encore 8 à 12 7o de leur poids en plomb et près de 0,060s'' en
argent.
La compagnie française du Lauriwn produit aussi une quantité
notable de zinc dont le minerai s'exploite également aux environs.
D'autres concessions de calamine sont la propriété de la compagnie
- i48 —
Grecque minière et de la compagnie Anglaise David Swan et C'«
liimted. On rencontre ordinairement le carbonate de zinc souslaforme
cristallisée; le rendement va jusqu'à 35 %.
Dans l'île de Milo, on a trouvé aussi des minerais de plomb argen-
tifère qui ne sont pas encore exploités sur une échelle bien importante
quoique leur production ait été cependant de 1.000 tonnes environ en
une année.
Dans l'île Zea, les minerais découverts rendent jusqu'à 80 •'/o de plomb
et 0.125 d'argent.
A Zea et Thermia, on trouve aussi des galènes et du carbonate de
cuivre, ainsi qu'à Sikino et à Santorin.
A Serphos, des gisements très riches de fer hématite sont exploités
en grand, ils rendent de 56 à 60 % de fer et s'exportent en Amérique
principalement, où ils sont fort estimés par les aciéries.
Les minerais de fer raanganésiforme de Spiliazeza sont également
reclierchés ; ils sont exceptionnellement exempts de silice et renfer-
ment du calcaire, qui sert de fondant naturel
Les minerais de fer manganésiforme du Suniuin, sont bien supérieurs
comme qualité aux similaires d'Espagne : on en tire jusqu'à 20 7^ de
manganèse.
Dans l'Eubée on exploite du zinc et du plomb, ainsi que de riches
minerais de magnésie et de barytine.
Ces mines avec celles de Serphos, sont la propriété de la compagnie
française dite « des mines de Serphos et d'Euhèe ».
On trouve encore dans certaines autres provinces de la Grèce de
l'ocre, du chrome, un peu d'étain, etc., etc.
Le Titane se rencontre à S}Ta, à Paros et en Eubée.
Le cuivre existe à l'état natif et en couches, dans Tîle de Scopelo, eu
Eurytanie, en Carystie, à Tinos, à Milo, en Olympia.
J'abrège cette longue énumération des productions minérales de la
Grèce, dont la majeure partie n'attend que l'achèvement des voies de
communication, pour modifier complètement la fortune des localités qui
les renferment. J'en ai dit assez, pour fixer la plus sérieuse attention
des géologues et des capitalistes, sur un pays si bien partagé sous le
rapport minéralogique.
N'oublions pas cependant les eux minérales de Termia qui ont une
grande réputation curative.
- 149 -
III. — Industrie.
Avec des éléments de production comme ceux qui dérivent ae l'agri-
culture et de la richesse minière, tels qu'ils viennent d'être exposés,
l'industrie ne pouvait rester longtemps sans prendre son essor et l'on
va voir que ne ce chef, la Grèce commence à marquer en Europe, par
les grands progrès réalisés depuis cinq années surtout.
En efiet, ce petit pays, qui n'eut d'abord qne des relations commer-
ciales insignifiantes avec ses voisins, était arrivé peu à peu à être consi-
déré cependant, comme un débouché ne manquant pas d'une certaine
importance pour les marchandises des pays producteurs de l'Europe.
Tout à coup, la situation économique de la Grèce se modifie : sous
l'impulsion énergique de ses gouvernants, des voies de communication
rapides sont établies et ce peuple, de simple consommateur qu'il était,
devient à son tour producteur et même exportateur, rappelant ainsi,
dans une proportion plus modeste, l'évolution récente qui s'est opérée
dans les Etats-Unis d'Amérique.
Le progrès s'est bien accentué depuis que M. Burnouf publiait, en
1869. dans la Revue des Deux Mondes, une note sur l'état de l'indus-
trie hellénique à cette époque ; il semble que cet exposé date d'un siècle
en comparant la position telle qu'elle est aujourd'hui, avec ce qu'elle
était il y a 17 ans.
Je ne répéterai pas ce qui a été dit relativement aux usines du Lau-
riuni, qui constituent à elles seules un appoint très important pour l'in-
dustrie de la Grèce ; celte entreprise commençait à peine à naître en
1869, lorsque M. Burnouf écrivit l'étude en question ; mais examinons
le chemin accompli dans les difl'érentes autres branches de l'industrie
hellénique depuis 7 ou 8 ans tout au plus.
. Le Pirée, qui n'était qu'un port de passage est devenu en quelques
années, une viUe industrielle de premier ordre, peuplée de 30.000
âmes.
On y compte actuellement 8 filatures avec 36,000 broches, 4 fabri-
ques de tissus avec teintureries, 8 minoteries, plusieurs fabriques de
bougies ; un chantier de constructions navales , des fabriques de
machines agricoles et une foule d'autres usines travaillant à la vapeur,
telles que des fabriques de chaises, qui envoient leurs produits en
Tui'quie et même en Russie ; des corderies importantes, etc., etc.
Le Pirée, il y a cinquante ans, misérable bourgade, avec quelques
— 150 —
huttes de pêcheurs, est aujourd'hui un centre manufacturier florissant,
quel<^s Grecs, avec un légitime orgueil, ont baptisé du nom de ; Man-
chester de la Grèce ; on pourrait aussi comparer «a prospérité actuelle
à celle des villes américaines, qui naissent et grandissent en quelques
années.
A Athènes, à Patras, à Livadia, à .Egion, comme àSyra et au Pirée,
l'industrie s'est développée d'une façon extraordinaire, et telle de ces
villes qui ne comptaient que cinq à six mille âmes, dix ans après les
guerres de l'indépendance, possèdent aujourd'hui 20, 30, 50 et jusqu'à
60,000 habitants.
Les chantiers de constructions navales de Syra. Spetzia, Galaxida et
Hydra sont importants On y compte dix grands chantiers construisant
en moyenne plus de cent navires à voiles de 600 tonneaux par an. Syra
seul a construit en 1885, trente cinq navires.
La sidérurgie occupe en Grèce plus de 20.000 ouvriers, son outillage
peut rivaliser avec celui des meilleures usines métallurgiques d'Angle-
terre et de France.
Plus de 350 grandes fabriques de moindre importance, marchant à
la vapeur, existent en Grèce, en occupant 30,000 ouvriers et jetant sur
le marché environ 170 millions de francs de marchandises par
année.
Outre les filatures, au nombre de quinze ou vingt, avec 80,000 bro-
ches, il existe encore en Grèce quatre manufactures de toiles produi-
sant mille pièces par jour.
La minoterie est représentée par plus de soixante-dix moulins à va-
peur, avec 200 paires de meules, travaillant plus de dix raillions de
boisseaux de blé par année.
Le Pirée, Patras, Syra, Athènes, Volo, Larisse et Coriou possèdent
des distilleries considérables ; ces établissements au nombre de 200
fabriquent par an, en moyenne, avec 3,500 alambics :
13 miUions de litres de hqueur.
35 » » d'alcool.
Les mégisseries d'Athènes, Gorfou et Chalchis, produisent pour une
valeur de 20 millions de francs par an.
Deux grandes fabriques de glace ont été installées depuis cinq ans,
avec les annexes nécessaires pour l'étamage.
Des filatures de soie travaillent dans les centres où l'on se livre à la
sériculture.
La préparation des éponges est concentrée dans les ports deNauphe,
— 151 -
Hydra, Égine, Granidi, Hermione et Trikeri ; plus de 750 bateaux sans
cloche à plongeur et 180 avec des cloches se livrent à cette pêche, les
premiers sur les côtes de la Grèce, les seconds vont jusqu'à Tripoli et
Tunis. En 1883, la valeur des éponges livrées an commerce par la
Grèce, dépassait le chiffre de trois millions de francs. La France en
importait pour une valeur de un demi-million.
Athènes possède des fabriques de/er importantes.
L'industrie des fichus imprimés, womïnèsfakeuls, dont les femmes'
de l'Orient entourent si gracieusement l'estomac, existe depuis cin-
quante ans. Une seule fabrique, celle de Syra, produit plus de 1.000
fichus par jour et travaille par la vapeur avec cent cinquante
ouvriers.
Des rizeries, des fabriques de macaroni, d'amidon et autres pâtes
aUmentaires, se sont installées dans plusieurs villes voisines des centres
agricoles.
Je ne parle que pour mémoire des fabriques de savon, et de parfu-
meries ; des huileries, des tanneries et de tant d'autres établissements
appartenant à ce qu'on nomme la petite industrie ; n'oublions pas cepen-
dant les grandes brasseries de Corfou, qui produisent des bières res-
semblant à Y aie et au porter . rivalisant avec ces produits comme qua-
lité, et encore la fabrication du Kalva eiduLakoum, confiseries natio-
nales d une grande consommation dans tout l'Orient.
Enfin, l'industrie de la carrosserie a été récemment importée en
Grèce ; à Athènes on construit des voitures sur les modèles français
pour les besoins du pays. Par suite, la carrosserie Viennoise a été écar-
tée du marché grec.
En citant plus haut le nombre des moteurs à vapeur existant dans le
royaume,j"avais omis une grande quantité de moteurs hydrauliques;
représentant une force de plusieurs milliers de chevaux.
Après l'exposé qui précède, je n'irai pas jusqu'à prétendre que la
Grèce soit arrivée à l'apogée du progrès industriel, non, maispourtout
observateur impartial, il n'en reste pas moins évident que 1 exemple
de ces dernières années, est de nature à faire augurer un avenu- bril-
lant à l'industrie hellénique, car, elle possède chez elle tous les élé-
ments qui assurent le succès.
IV. — Commerce.
Les statistiques établissant le commerce général de la Grèce, sont
assez anciennes en date, du moins quant aux reignements officiels
— 152 -
émanant des douanes. Les dernières s'arrêtent à l'année 1882, et si je
n'avais pu me convaincre que le mouvement ascensionnel a continu
depuis lors, par certains rapports consulaires étrangères, il serait
difficile de se rendre bien compte des progrès qu'a fait le commerce
hellénique depuis 1882.
En 1859, d'après les Annales du comjnerce ecciérieur, le commerce
général de la Grèce s'élevait à la somme de fr. . . 70.677.600
Exportation fr. 24,431,800
Importation » 46.244,800
En 1882 on trouve : Exportation. . fr. 87,780,100
Importation. . » 160,173.500
Total, commerce général. ...» 247,953,600
C'est-à-dire, qu'après 23 ans, l'augmentation du commerce général
est de 177 millions de francs en chiffres ronds, soit un peu plus de
35 pour cent, répartis entre l'importation et l'exportation par égale
partie environ.
La part de la France dans ce mouvement commercial est ainsi
indiquée :
Nous importions en Grèce :
En 1881 pour une valeur de fr. 14,735,600
et en 1882 » » > 20,416.100
L'augmentation de nos importations dans le royaume
hellénique a été d'une année à l'autre de. .... » 5.680,500
Par contre la Grèce importait en France :
En 1881 pour une valeur de , . . » 12,937,900
et en 1882 » » » 23,323,400
Soit une augmentation de fr. 10,385.500
Cette augmentation provient en partie d'une quantité assez consi-
dérable de minerais et de métaux que nous avons tirés de la Grèce en
1882.
— 153 -
Sur les 160.173.500 francs de marchandises étrangères importées
en Grèce en 1882, la France, on l'a vu plushaul, figure
pour fr. 20,416.100
L'Angleterre, qui tient la tête, pour » 45,231,800
L'Autriche, qui vient en seconde ligne, pour. . » 34,131,700
La Russie, au troisième rang, pour » 24,669.400
La Turquie, quatrième, pour » 22.722.100
La France n'arrive donc qu'au cinquième rang.
Et, chose assez remarquable, pendant cette même année 1882, l'Alle-
magne n'aurait importé en Grèce que pour la somme dérisoire de
30,013 francs !
Cependant il faut bien se garder de prendre ce renseignement pour
exact, car il est certain qu'une partie des marchandises qui figurent
à l'importation en Grèce, comme d'origine Autrichienne, est en rèaUté
de la marchandise Allemande, arrivant par Trieste et par navires
Autrichiens. Ce qui prouve qu'il en est ainsi, c'est que l'Allemagne
a livré à notre connaissance des quantités notables de quincaillerie et
d'objets de même genre, qui, bien que de qualité inférieure aux arti-
cles anglais et français similaires, sont vendus à meilleur marché, ce
qui suffit pour en assurer le débit. C'est l'Angleterre qui a été touchée
le plus directement par cette concurrence.
Au surplus, depuis 1882, l'Allemagne a fourni au gouvernement
Grec plusieurs torpilleurs ; les rails et le matériel roulant des princi-
paux chemins de fer. Une partie de l'artillerie nouvelle a été livrée
par les usines Krupp. Depuis deux ans enfin. l'Allemagne a fait des
etlorts inouïs pour s'emparer du marché hellénique et elle a réussi à
supplanter plusieurs de ses rivaux.
L'Autriche a fourni, en 1885, les fusils pour l'armement des mihces
grecques.
Les uniformes et objets d'équipement ont été tirés de la France.
Quant à l'Angleterre, elle perd du terrain d'année en année. Les
étoffes de coton, considérées il y a chiq ans comme article de grande
importation en Grèce, sont fabriquées aujourd'hui au Pirée, dont les
manufactures, non seulement approvisionnent tout le pays en con-
currence avec les Anglais, mais exportent même leurs produits jus-
qu'en Turquie.
Les principaux articles d'importation en Grèce sont les suivants :
grains et farines, tissus de coton et de laine, sucres, peaux brutes,
métaux bruts et ouvrés, houille, pétrole, riz, café, papiers, quincail-
11
— 154 —
lerie, verres et cristaux, vêtements confectionnés, machines à vapeur,
modes, conserves, vins et spiritueux, librairie, matières tinctoriales,
etc.. etc.
On a vu, plus haut, de quels articles se composent les exportations
de la Grèce. Elle a fourni à la France en 1882, entr'autres :
1" Des raisins et fruits secs pour une valeur de. fr. 8,800,000
2° Des minerais de plomb et du plomb fondu pour » 7,000,000
3' Des vins pour * 1,100.000
4° Des éponges pour » 500,000
Cette même année 1882, la Grèce exportait :
En Angleterre pour une valeur de fr. 39.100.000
EnFrance » 23.323.400
EnAutriche » 7,813,800
En Turquie » 5,040.900
En Amérique (fers magnétiques) » 2,551 ,00(J
En Russie » 1 ,530.400
En Allemagne » 1.408,600
Etc., etc.
En résumé, d'une part les progrès effectués par l'industrie nationale
en Grèce, surtout dans la filature et le tissage, et d'autre part, la con-
currence nouvelle allemande que nous y rencontrons, alors que l'An-
gleterre et nous-mêmes trouvions dans ce pays de bons débouchés,
doivent appeler l'attention toute particulière du commerce français,
s'il ne veut se voir bientôt évincé d'un marché qui n'est certainement
pas à dédaigner et nonobstant les sympathies que nous rencontrons
en Grèce, car les affaires ne se font pas avec du sentiment.
En attendant, ce que j'ai désiré constater c'est que le commerce
général de la Grèce est en progrès sensible chaque année, tandis que
celui de certains autres pays de l'Europe diminue notablement.
V. — Les travaux publics.
C'est avec intention que j'avais traité en première ligne , la question
des chemins de fer dans cette conférence, en la séparant des autres
travaux publics : j'ai eu l'honneur d'en dire la raison. Il me reste main-
tenant à passer en revue les grandes entreprises d'utilité générale
exécutées en Grèce depuis quelques années et presque toutes, au
— 1.S5 —
iiioyeii (les capitaux de nolr<i pays, libèraleiueiil, mis au service de ces
utiles conceptions.
Par droit d'ancienneté, je placerai l'entreprise du percement de
Vïsihmede Corinthe.
Le 20 décembre 1881. mon distingué collègue, M. le général Tiirr.
faisait une communication à la Société de géographie commerciale
de Paris, sur le percement de Tisthme de Corinthe, dont il venait
d'obtenir tout récemment la concession.
L'orateur nous donnait des détails excessivement intéressants sur
l'entreprise qui allait être bientôt entamée ; il nous détaillait le genre
des études faites et les travaux qui avaient été tentés dans l'antiquité,
pour établir une communication entre le golfe de Lépante et la mer
Egée.
Tour à tour Jules César, Caligula, l'emporeur Adrien, Néron, avaient
fait exécuter des travaux dans ce but, et les nombreux vestiges qui se
remarquent encore, témoignent que. bien avant notre ère, on attachait
une grande importance à la jonction des deux mers.
Je m'abstiendrai de rééditer ici les savantes explications historiques
et techniques de M. le général Tiirr, et me bornerai à appeler de
nouveau votre attention sur les avantages que le commerce de la
Méditerranée doit retirer de l'ouverture du canal séparant le Pélopo-
nèse de la Grèce septentrionale.
Pour faire mieux saisir ces avantages, je fais une supposition •:
Si le détroit de Messine n'existait pas et si la Sicile était réunie à
l'Italie, les navires, qui, d(? la Méditerranée occidentale, se rendraient
au Pirée ou aux Dardanelles, seraient forcés de doubler tout le conti-
nent Sicilien ; oi", la situation est la même en ce qui concerne les com-
munications maritimes à partir du détroit de Messine, pour arriver à
Salonique ou à Gonstantinople.
Le cap de Messine est situé par 30" parallèle et, les navires venant
de Marseille et de Barcelone, doivent descendre au sud jusqu'au 36",
en contournant la presqu'île de Morée et en doublant le cap Matapan
— si redouté des navigateurs par les gros temps — pour remonter
ensuite jusqu'au 41°, latitude de Salonique et du canal des Dardanelles.
Lorsque l'isthme de. Corinthe sera percé, la route du détroit de
Messine à l'entrée des Dardanelles, sera presque rectiligne avec le
38", de sorte que les navires partis de Marseille, par exemple, attein-
dront les Cyclades avec une avance de 48 heures au moins, sur la
— 156 —
route actuelle, sans compter que par le canal de Corinthe on traversera
le Golfe de Lépante dont les eaux sont toujours calmes.
Donc, réduction de la prime d'assurance maritime et économie de
temps et de combustible pour les bateaux à vapeur ; ainsi, de Brindisi
au Pirée la traversée actuelle, qui est de cinquante heures, sera
réduite de moitié par le canal de Corinthe.
Pour ceux qui connaissent la quantité du charbon consommé par un
steamer en 24 heures, ainsi que les frais d'équipage , graissage ,
entretien, etc., l'économie sera très grande, tout en acquittant des
droits de passages, qui seront relativement modérés.
En ce moment les travaux sont poussés très activement ; malgré
certains retards indépendants de la compagnie, à la fin de 1887 elle
aura terminé la majeure partie de son entreprise: déjà les jetées que
protègent les deux entrées du canal, sont achevées et servent pour le
débarquement du matériel et des matériaux nécessaires. Le raccor-
dement du chemin de fer et de la route de la nouvelle Corinthe est
aussi terminé, tous les chantiers sont en pleine marche.
'Un travail très hardi, est un pont métallique de 80 mètres de portée
qui a été lancé, et sur lequel passera le chemin de fer Pirée-Pélo-
ponèse, entre Kalamaki et Corinthe.
Ce pont franchi le canal à 47 mètres d'altitude, c'est-à-dire que
les navires pourvus des plus hautes mâtures , y passeront avec
facilité.
Telle est la situation à ce jour d'une entreprise à laquelle on songeait
déjà il y a plus de deux mille ans : certes, elle est plus modeste que
les gigantesques conceptions de Suez et de Panama, puisque le canal
de Corinthe n'est long que de six kilomètres environ, cependant toute
proportion gardée, les résultats n'en seront pas moins grands, bien
que limités aux exigences de la navigation méditerranéenne , dans la
direction de Constantinople et de la mer Noire.
Inutile de dire que la compagnie du canal de Corinthe est essen-
tiellement française, que ce sont nos capitaux et nos ingénieurs qui
sont à l'œuvre actuellement, enfin, que deux de nos plus distingués
collègues, M. le général Tiirr, comme promoteur, et M. Péchoux ,
comme l'un des administrateurs de la compagnie, attacheront leur nom
à cette entreprise, qui dotera la Grèce d'une voie de transit maritime
économisant temps et argent. Elle devra encore ces nouveaux bien-
faits à la France.
- 157 -
IjC dcKMCclicincnt du lac de Copain.
11 y a quelques mois les escadres combinées — celle rie la France
exceptée — venaient de lever le blocus des côtes de la Grèce , après
avoir paralyse nioiuentanément l'essor de son commerce, en vertu de
l'axiome : La force prime le droit.
Presqu'au même moment, un événement d'une grande portée écono-
mique s'accomplissait dans le voisinage du détroit de Négrepont ; on
célébrait par des fêtes, l'achèvement de la première section des
travaux de dessèchement du lac de Copaïs , et, circonstance mémo-
rable, l'escadre française commandée par le contre-amiral de Mar-
quessac, rehaussait par sa présence l'éclat des cérémonies qui avaient
lieu à cette occasion. Nos vaisseaux pavoises des couleurs nationales
et des couleurs grecques , saluaient de leur artillerie une conquête
pacifique accomplie, comme tous les travaux importants exécutés
dans le royaume hellénique, avec les capitaux français et le talent de
nos ingénieurs.
Dans cette province de Béotie où chaque pas évoque , soit les sou-
veuirs historiques de l'antiquité, soit les exploits glorieux des guerres
de l'indépendance, la France était là, fidèle à son rôle, non pour dicter
ses volontés au plus faible et accumuler des ruines autour d'elle, mais
comme le génie de la civilisation et du progrès , elle s'associait à tout
un peuple reconnaissant , qui voyait une province fertile de plus ,
ajoutée à son territoire, et la santé publique succéder à \3.mal'aria.
Le lac de Copaïs , ou Topolias , le plus grand de toute la Grèce, est
situé par 38 1/2" de latitude au nord de la province de Béotie ; il a la
forme d'une baie allongée dont l'extrémité orientale est recourbée.
A vol d'oiseau, le lac de Copaïs n'est qu'à 6 ou 7 kilomètres du détroit
qui sépare la Grèce de l'Eubee, son pourtour est de 90 kilomètres
environ et sa superficie de 25,000 hectares.
Sa plus grande profondeur dans les hautes eaux, d'après M. Vivien
de Saint-Martin, serait de 12 mètres au pied du mont Ataous , tandis
qu'au S.-0.,lesalluvions entraînées par les pentes douces de l'Hélicon,
en ont diminué beaucoup la profondeur et laissé sur les rives, des
terrains cultivés d'une fertilité extraordinaire, mais malheureusement
très insalubres, et, en tout cas, d'une étendue insuffisante pour cons-
tituer un centre important d'agriculture.
Le lac de Copaïs, dont les rives Non! et Est sont encaissées par
de hautes montagnes, reçoit toutes les eaux de la Béotie occidentale
- 158 -
par trois rivières principales : la Céphyse , l'Hercyne , le Mêlas , et
par un grand nombre de sources, provenant du massif perméable du
mont Parnasse ; mais, comme ces eaux n'ont pas d'issue directe vers
la mer, bien que le lac soit à près de 100 mètres d'altitude , elles se
perdent par évaporation et par des katarothra ou cavités qui sont
même obstruées dans certaines saisons , de sorte qu'en hiver le lac
offre l'aspect d'un vaste marécage, couvert de roseaux, dont les rives
sont habitées par des populations chétives . décimées par les fièvres
paludéennes qui sévissent principalement en juillet, août et septembre,
lorsque les grandes chaleurs mettent h découvert des surfaces em-
preignées de détritus végétaux et de matières organiques accumulées
depuis des siècles.
On conçoit quelles ressources pour la richesse nationale, il devait
résulter de la conquête de 25,000 hectares de terres vierges, propres
à toute espèce de culture. Pour n'en citer qu'un exemple, le coton y
fut cultivé sur une vaste échelle pendant la guerre de sécession
américaine et aujourd'hui encore, ce textile continue h donner de très
beaux résultais comme qualité et rendement. Le ma'is acquiert dans
ces terrains, des proportions surprenantes, bref, toute la partie méri-
dionale du lac que côtoie la route rie Thèbes à Livadia, est renommée
pour sa fertilité , au point que les Turcs penrlant l'occupation dy
pays , avalent baptisé la contrée de : Petite Egypte ( Kuischuk
Missifi).
Cette situation particulière n'avait pas échappé aux anciens : Strabon
qui écrivait vers Tan 20 de notre ère, parle des travaux beaucoup
antérieurs, entrepris pour donner un écoulement aux eaux du lac
Copaïs et parer aux inondations.
En 1846, M. Sauvage, ingénieur en chef du corps des mines de
France, avait dressé un projet complet de dessèchement du lac . qui
fut soumis au gouvernement hellénique; ce projet avait le grave
inconvénient d'envoyer à la mer . par le chemin le plus direct , la
presque totalité des eaux: or, les terres asséchées du Copaïs, ne
pouvant être irriguées ensuite , eussent été impropres à la culture et
d'un lac malsain, on n'aurait fait qu'un Sahara.
Il était réservé à un autre de nos compatriotes, M. Pochet. l'un des
ingénieurs les plus distingués du corps des ponts et chaussées, actuel-
lement directeur de la Compagnie française de « dessèchement et
d'exploitation du lac de Copaïs » , de faire de nouvelles études et
d'arrêter un projet définitif. Soumis au contrôle d'une commission
— 159 —
technique, composée de MM. Pascal , inspecteur général des ponts et
chaussées, et Larousse, ingénieur hydrographe de la marine, ce projet
lut adopté, nus à exécution peu de temps après et est terminé en partie
aujourd'hui, avec un succès complet. Le plus grand honneur revient
à l'habile ingénieur qui a conçu le travail et qui le dirige, comme aussi
aux hardis capitalistes fondateurs, parmi lesquels ligurent MM. Remie-
ri , gouverneur de la banque nationale de Grèce, Goronïo , Ellisen , de
Maintenant et Etienne Scouloudi, député au parlement d'Athènes.
Voici, très brièvement, en quoi consistent les divers travaux accom-
plis et ceux restant à terminer. J'omettrai les détails trop techniques ,
qui ne pourraient que fatiguer.
Le problème à résoudre était complexe, il fallait, tout à la fois, assé-
cher la superficie du lac de Copaïs , afin d'utiliser pour la culture ses
25,000 hectares ; eu même temps, emmagasiner dans un réservoir en
aval du lac, une partie des eaux qui serviraient ensuite à irriguer
méthodiquement les terrains conquis ; le trop plein devant seul être
envoyé à la mer.
La première partie de ce programme, — le dessèchement du lac et
la principale de l'entreprise, — a été résolue au moyen de trois canaux
de dérivation et de drainage.
Un grand canal de ceinture, d'une longour de 33 kilomètres, suit les
rives méridionales du lac et recueille les eaux du Céphyse , du Syno-
ron, de l'Hercyne et des autres cours d'eau venant de l'Ouest.
Presque parallèlement à ce premier canal, on a creusé un canal
intérieur, permettant de travailler à sec, dans la partie marécageuse ,
qui traverse le canal de ceinture.
Un troisième canal, de 28 kilomètres 700 mètres, dit : « canal de
Mêlas » , au nord, recueille à leur entrée dans le lac, les eaux de la
rivière Mêlas et par un barrage, une partie des eaux de la Céphyse.
Ces trois canaux font confluent à l'extrémité Est du lac, vers la baie
àuKardUza et, à partir de ce point, commence la ligne des émissaires
et des tunnels, qui conduisent les eaux vers le réservoir dont j'ai parlé
et l'excédant à la mer.
Arrivée à la baie de Karditza, la masse liquide s'écoule d'abord par
une grande tranchée à ciel ouvert, puis s'engage dans le tunnel de
Karditza, long de 672 mètres, à la sortie duquel une autre tranchée
de 2,700 mètres conduit les eaux dans le lac Likery ou Hylicus , puis
vers le déversoir de Morihi, dont le débit est régularisé par des
vannes, à la cote de 84 mètres d'altitude.
- 160 -
C'est, là que se trouve le réservoir destiné à fournir l'eau d'irriga-
tion des terres cultivées du Gopaïs. Une chute de 15 mètres actionnera
de puissantes turbines , capables d'élever dans ce lac cinquante mil-
lions de mètres cubes d'eau par an.
Quand au surplus , elle s'écoulera dans le trosième lac , nommé
Paralimni , en traversant un tunnel dit de Hungara, long de 980 m.
et à l'altitude de 55 mètres au -dessus du niveau de la mer.
Le lac Gopaïs étant à 95 mètres, le lac Lickeri ou Hylicus à 84 m.
et le lac Paralimni à 55 mètres, on se rend compte facilement du
trajet parcouru par l'eau jusqu'à la mer, et des cascades qu'elle forme
sur son parcours.
Voici l'eau arrivée au lac Paralimni , c'est sa dernière étape , car
à l'extrémité orientale, séparé de la mer par un massif rocheux nommé
Anlhedon, on creuse un troisième tunnel de 800 mètres, au débouché
duquel, les eaux arrivant du lac de Gopaïs se précipiteront dans la
mer, en une formidable chute de 55 mètres , calculée pour produire
une force gratuite disponible de 12,000 chevaux-vapeur, Gette force
sera utilisée sur place, car la baie (VAnchedon, dans le détroit de
Négrepont, est disposée naturellement pour donner raissance à une
ville industrielle et maritime ; or, quand on considère qu'on transporte
aujourd'hui , pratiquement et à de grandes distances, la force et la
lumière, on se figure l'avenir réservé tant aux terrains du lac de
Gopaïs livrés à la grande culture , qu'à celui de la future ville d'An-
thedon. En effet , placée comme elle sera, non seulement par sa
situation maritime, mais encore par sa proximité du chemin de fer
international projeté d'Athènes vers l'Autriche , dont le tracé coupera
le lac Gopaïs du sud au nord, elle y rencontrera des éléments de trafic
considérable.
Aujourd'hui, les eaux du Gopaïs se déversent déjà dans le lac
Licke^H et , c'est à l'occasion de l'achèvement des travaux de cette
première et importante section, qu'avaient lieu les fêtes dont je parlais
tout à l'heure.
Outre l'escadre française mouillée dans la baie d'Anthedon, notf»
pays était officiellement représenté par son ministre plénipotentiaire,
M. le comte de Moiiy, qui. aux applaudissements de la foule, annonçait
à M. Pochet, que le gouvernement de la répubhque venait de lui con-
férer la légion d'honneur, à l'occasion du magnifique travail qu'on
inaugurait à cette heure,
Quant à la Grèce, M. le maire d'Akrephaïos s'est fait son interprète
- 161 —
en prononçant les paroles suivantes, le 12 juin dernier, à l'inaugura-
tion du tunnel de Kardiiza :
« La généreuse France — a dit cet honorable magistrat — les mains
unies à celles de toute la Grèce, transforme le stérile Gopaïs en Eden;
le limon en or ; nous rend la vie et la santé. Les trois provinces rive-
raines du lac de Gopaïs deviennent des provinces fécondes. Les
Akhrephnïens, que j'ai l'honneur de représenter ici, expriment leur
reconnaissance à la grande nation française et à la société de dessè-
chement. »
Ces sentiments sont bien ceux de tous les Grecs, et notre pays si
souvent payé d'ingratitude, rencontre là bas une trop rare exception,
pour qu'elle ne soit pas hautement appréciée et proclamée chez nous.
Ne quittons pas le lac de Gopaïs ainsi que la plaine de Delphes et de
Thèbes, sans évoquer une réminiscence de la Fable, puisque nous
sommes ici au milieu d'une contrée qui a le plus excité l'imagination
féconde des romanciers de l'antiquité.
Le fameux Sphinx, qui proposait des énigmes aux Béotiens, tenait
précisément ses assises sur les bords du lac de Gopaïs, et la fable nous
apprend qu'il y précipitait les malheureux assez peu intelligents, pour
ne pas résoudre ses problèmes. G'est aussi dans le lac de Gopaïs, que
le Sphinx, à son tour, rejoignit ses nombreuses victimes, après
qu'Œdipe, roi de Thèbes, eut deviné l'énigme qui lui avait été posée.
Élargissement de la passe d'^ïlgrlpos.
{Détroit de Négrepont).
Un autre projet également dû à l'initiative française, est soumis en
ce moment en Grèce, à l'examen d'une commission technique.
La navigation dans le détroit de Talenti, est considérablement
entravée par l'étroitesse de la passe qui sépare Ghalchis do la côte
Béotienne ; en cet endroit le peu de profondeur ne permet le passage
qu'à des navires de faible tonnage, calant au plus 3"°, 50.
D'autre part, le courant de l'^Egripos oppose un autre obstacle à la
navigation, car c'est dans cet étranglement que se produit le curieux
phénomène du flux et du reflux, qui, avec une vitesse de dix nœuds à
l'heure, se fait sentir tantôt du Nord au Sud, puis, après quelques
minutes d'immobilité, se précipite en sens inverse du Sud au Nord,
avec la même rapidité.
I\
- 162-
Ce changement de courant se produit douze à quatorze fois en
24 heures.
Ce régime extraordinaire a fatigué la science des Grecs et des
Latins ; Strabon, Pomponius, PHne. Sénèque et Tite-Live ont échoué
dans la recherche du problème. La légende prétend qu'Aristode,
désespéré de ne pouvoir rien y comprendre, se jeta dans la mer en
s'écriant : « Que V^gripos méprenne puisque je n'ai pu le tenir!»
La question emprunte un intérêt tout particulier au projet qu'étu-
dient en ce moment M. le général Tiirr et ses ingénieurs. S'il se
réalise, il créera une nouvelle voie commerciale et stratégique, reliant
Pirée à Volo. La grande navigation de Marseille à Constantinople
l'utiliserait peut-être avec avantage.
On a déjà jeté les bases d'une société financière française, à laquelle
le gouvernement hellénique concéderait l'élargissement du détroit
d'^Egripos. Les travaux projetés atténueraient sensiblement les obsta-
clos que le courant oppose à la navigation méditerranéenne.
11 me resterait encore à signaler un grand nombre d'autres travaux
publics exécutés en Grèce par des P^ançais, cela m'entraînerait trop
loin, car notre nom est attaché à toutes les entreprises un peu impor-
tantes dans ces dernières années : je me bornerai à citer : la construc-
tion des docks flottants de la baie de Salamine, entreprise par les
forges et chantiers de la Méditerranée ; le port de Patras : l'enlève-
ment des roches qui obstruaient la rade de Catacolo et la construction
du môle de cette rade, etc., etc., sans compter les entreprise en cours
de négociation, avec des Compagnies françaises, approvisionnement
d'eaux pour Athènes et autres villes ; gaz, etc., etc.
Partout, vous le voyez, la France est intervenue en Grèce, lorsqu'il
s'est agi d'entreprendre, soit des travaux publics, chemin de fer,
canaux, assèchement, ports, docks ; soit l'exploitation des richesses
minières de ce pays, comme au Laurium et dans les Cyclades. Les
Grecs n'oublieront jamais cette participation prise par notre pays,
pour la réalisation des progrès économiques qu'ils ont accomplis,
depuis qu'un bon gouvernement a pris en main la direction du pays.
De notre côté, sachons entretenir ce feu sacré et la gratitude d'un
peuple, en restant des commanditaires et des protecteurs tout à la
fois.
Chacun y trouvera profit et honneur!
- lœ -
NOUVELLES ET FA[TS GÉOGRAPHIQUES
I. — Géographie scientifique. — Explorations et découvertes.
AFRIQUE.
|jCi9 AlIcmanflK dans le Miid-Oiiest de l'Afrique. — D'après le
Caflaïul ^ des travaux de colonisation seraient déjà comiiiencé.s dans le pays de
rOrange , qui sont sous \o protectorat allemand. L'un des premiers pionniers alle-
mands de la rive droite de l'Orange, M. Henri Petersen, aurait acheté pour 550 livres
sterling , environ 300 milles carrés anglais aux indigènes Namaquas , vis-à-vis de
Nabasdrift , et en aurait commencé l'irrigation. M. Petersen donne une description
de cette conti'ée qui , d'après lui , est riche en prairies et excellente pour l'élève du
bétail, et dans laquelle il est facile de créer des terres fertiles par une irrigation
artificielle : dans tous les cas , le pays n'est pas ce désert et cette solitude désolée
que les missionnaires allemands y avaient rencontrés. Pour l'irrigation , les sources
abondent , et on pourrait alimenter d'eau de grands villages. Il y a beaucoup de
gibier, notamment des oies, canards sauvages, gnous, zèbres et hippopotames.
Les possessions italieuncs sur la mer Ofioug;e. Un rapport officiel
du ministère des affaires étrangères (l'Italie relatif à l'extension des possessions
italiennes sur les bords de la mer Rouge vient d'être déposé au Parlement italien. Il
constate que les établissements de la baie d'Assab, reconnus comme colonie par une
loi du 5 juillet 1882, et étendus par la prise de possession de Beiloul et de Gobbi
jusqu'au cap Dermah au nord , sont sous la souveraineté immédiate de l'Italie ; que
la frontière méridionale de PAssab , comprenant le sultanat de Raheita , n'est pas
tout à fait définie ; que le district qui s'étend du cap Dermah au sud, à la presqu'île
Bouri au nord , se trouve sous le protectorat italien : enfin, que les îles Dahlak et
les environs de Massouah , depuis la presqu'île Bouri jusqu'à Emberimi sont sim-
plement occupés et administrés par les Italiens.
lies llaug^anja et les Vao (.% frique orientale).— Les Procedings of
the R. Geogr. Soc. de Londres donnent, d'après une lettre du révérend A. Hetherwick,
d'intéres.sants renseignements sur ces peuplades. Parlant tout d'abord des Mang'anja
ou Maravi,M. A. Hetherwick lesdivise, d'après leurs dialectes, enuncertain nombre de
tribus, et énumère aussi celles dont il connaît la langue: 1" les Mang'anja proprement
dits, au pied des rapides du Shiré, à l'ouest du Shiré ; 2" les Mbewe, sur le Shiré infé-
rieur, près du Rue ; 3" les Shirwa, quelquefoi appelés Ngourou ou Nyanja, dans les
- 164 -
îles du lac Shirwa et dans quelques villages dispersés sur le Mont Zomba ; c'est là
la tribu chez laquelle la première mission de l'Université s'établit, à Magomero ; elle
fut dispersée par la grande invasion des Yao en 1860-67 ; 4'' les Mbo, qui occupaient
autrefois l'ouest des cataractes du Shiré , mais qui en furent chassés par les Man-
goni ; quelques-uns cependant sont restés et ont su maintenir leur indépendance en
se retranchant dans les rochers et en restant continuellement en garde des popu-
lations mangoni ; 5" les Chipeta , qui autrefois vivaient au sud-ouest du Nyassa,
mais qui ont été détruits ou dispersés par les Mangoni ; beaucoup d'entre eux se
trouvent à Blantyre . comme esclaves des Yao , qui les ont achetés aux Mangoni ;
6" les Chewa et les Tumbuka , tous deux à l'ouest du lac ; leur dialecte ressemble
beaucoup à celui des Ghipeta. — D'après le révérend W.-P. Johnson , il y a quatre
dialectes de Yao, à savoir : le masaninga, le machinga , l'amakali et le mwembe. Le
révérend Hetherwick pense qu'il y a lieu d'ajouter le mangoche , ainsi nommé
d'après le mont Mangoche , au sud-est du lac, d'oîi les tribus furent repoussées en
1860 par les Machinga. Beaucoup d'entre eux séjournent maintenant dans le voisi-
nage de Blantyre. Les Machinga occupent maintenant Zomba , Chikata, Mponda et
Mkata sur le mont Mangoche. Les Lomwe semblent être une sous-tribu des Makoua;
les Angourou, sur la rive orientale du lac Shirwa et les Takhwani, sur la route de
Quilimane, sont de la même race queux. Les tribus habitant le delta du Zambèse ,
parlent des langues qui se rapprochent beaucoup de celles des Makoua et des Man-
g'anja.
llisiKioiis belgc^i pour le C'ougo. — Le Bulletin de la Société royale
belge de géographie annonce que le 8 mai dernier le steamer Vlaanderen a quitté
Anvers, emmenant une cinquantaine de Belges formant trois missions en destination
du Congo : l'une pour l'État du Congo : une autre pour la Compagnie du Congo ,
ayant pour but spécial l'étude du tracé d'un chemin de fer ; la troisième pour la
maison De Roubaix d'Anvers , ayant pour but de compléter le personnel de l'éta-
blissement agricole de Matéba.
Parmi les voyageurs au service de l'État se trouvent: MM. Camille Janssen, gouver-
neur général, les comtes Antoine et Philippe de Lalaing , les lieutenants Jacques ,
Bisschofs et Tobbacks ; parmi les agents de la Compagnie du chemin de fer, le capi-
taine Thys, le capitaine Cambier, Alexandre Delcommune , les ingénieurs Liebrecht
et Vauthier et d'autres ingénieurs. Cette brigade compte se diviser en plusieurs
colonnes marchant parallèlement , de Matadi à Léopoldville , pour faire une explo-
ration sommaire de la région à quelque distance au sud du fleuve Congo ; puis ,
avoir réuni à Léopoldville, les notes recueillies dans cette première exploration ,
la brigade reviendrait plus lentement sur ses pas en faisant le levé d'un tracé défi-
nitif. — Au moment de mettre sous presse nous apprenons que le 17 mai, le Vlaan-
deren était à Ténériffe et le 21 à Corée. 11 est arrivé dans de bonnes conditions à
Boma, le 3 juin.
A ce propos, nous apprendrons à nos lecteurs que le 10 juin est aussi parti d'An-
vers pour le Congo, M. Edouard Dupont, directeur du Musée d'histoire naturelle
de Bruxelles. Il va employer un congé de six mois à faire une exploration géologique
de la rivo sud du Congo, de Boma à Léopoldville. Nul doute que le savant géologue
n'en rapporte de précieux renseignements qui augmenteront encore la célébrité
qu'il s'est acquise par ses premières découvertes paléoniologiques.
i%ouvelles aiiuexious alleniaudes dans l'Afrique orientale.
— La DeutscJie Kolonialzeitung de Berlin, rapporte les faits suivants :
« Les vaisseaux de guerre Olga, Caroli et Hyène ont quitté Zanzibar le 9 janvier.
— 165 —
Le commandant de l'expédition, MM. le capitaine Bendeniann,le vice-consul Hunholt
et M. Gustave Denhardt se trouvaient à bord de YOlya. Cette expédition est partie
en droite ligne vers Lamou , et l'a atteint dans la matinée du 11 janvier. Le lende-
main , M. Gustave Denhardt se rendit à Witou pour l'avertir de ce qui allait se
passer, et YOlga se dirigea vers Kipini , avec le vapeur du Saïd Bargash ^lAo/a ,
ayant à son bord le général du sultan de Zanzibar, Matthews. D'une part, une borne
fut érigée sur la plage; à 650 pas de Kipini, mesurés en partant du centre du fort; et
d'autre part, Gustave Denhardt sut obtenir du sultan Achmed une procuration
spéciale , et , le 14 janvier , débarqua avec l'héritier du sultan , Foumou Bakari , et
100 soldats pour prendre possession du pays : l'expédition atteignit Foungasombo ,
le soir du 14, et y passa la nuit, les anciens des villages environnants étaient accou-
rus à leur rencontre pour souhaiter la bienvenue au représentant du sultan de
Souahéli, et ce fut pour eux l'occasion d'une véritable fête populaire. Le 15 janvier,
la troupe atteignit Mkonoumbi, où l'on avait tout préparé pour une réception cor-
diale. Des bœufs et des moutons avaient été tués, du riz avait été cuit en masse , et
les anciens de l'endroit vinrent à la rencontre de Foumou Bakari , pour saluer celui
qu'ils n'avaient plus vu depuis longtemps. A 10 heures du matin , les chaloupes des
navires de guerre amenèrent le capitaine Bendemaim, deux officiers et trente
hommes de l'équipage ; en outre, le général Matthews et dix soldats de Zanzibar.
Alors on érigea, devant la maison du chef de l'endroit , sultan Ben Ali , un màt au
haut duquel on hissa d'abord le pavillon allemand , puis , en dessous , le drapeau du
sultan de Souahéli ; d'un côté du mât se trouvait l'équipage allenjand , de l'autre ,
Matthews avec ses gens ; on salua militairement, les tambours battirent et le capi-
taine Bendemann lut l'avis suivant : « Je fais hisser le drapeau allemand au-dessus
du drapeau de Wihan, en signe de la décision suprême de Sa Majesté l'Empereur
d'Allemagne , notre bien-aimé seigneur , qui a bien voulu prendre ce pays sous sa
protection. Vive Sa Majesté l'Empereur d'Allemagne I » Tous les assistants accla-
mèrent chaleureusement ces paroles , car on voyait dans cette cérémonie la déli-
vrance du joug des Zanzibarites. Le 16 janvier , au matin , Foumou Bakari arriva à
Lamou et se rendit tout d'abord à bord de YOlga, où l'accueil qu'il recul lui fit une
excellente impression. Le 17, les navires se rendirent à l'extrémité septentrionale de
l'île Kiwaihou, vis-à-vis de laquelle un drapeau fut également hissé sur le continent
avec les mêmes cérémonies; le 18, les vaisseaux retournèrent dans la baie de
Manda, et le 19 , le drapeau allemand fut hissé au centre de Mokowe. De là , les
vaisseaux se rendirent à Kismajou pour y faire des recherches au sujet de la mort
du docteur Jùhlke ; l'assassin fut fusillé en public en présence des ministres du sultan
de Zanzibar. »
Retour de rexpéilitlou Leuz. — Les Mittheilungen de la Société de
géographie de Vienne rapportent que le 15 janvier dernier, la Société impériale et
royale de géographie de Vienne recevait un télégramme de Zanzibar , daté du
14 janvier , par lequel le docteur Oscar Lenz annonçait son airivée à Zanzibar. Des
lettres très importantes , datées du lac Tanganyka en septembre , et du Schiré en
décembre 1886 , sont parvenues à la Société de géographie de Vienne, qui , d'après
les indications qu'elles contiennent , résume à peu près comme suit la marche de
l'expédition Lenz et ses résultats : Quoique le véritable but de l'expédition n'ait pas
été atteint, à savoir la détermination de la séparation des eaux du Congo et de
rOuellé, il n'en est pas moins vrai que l'expédition autrichienne a accompli la neu-
vième traversée du continent africain , de l'embouchure du Congo à celle du Zam-
bèse, en touchant aux lacs Tanganyka et Nyassa. C'est surtout les hostilités existant
— 166 —
entre les Arabes et l'État du Congo , les rapports tendus de l'Empire allemand avec
Zanzibar, la mauvaise foi des Arabes et la méfiance qu'elle cause chez les indigènes
envers tous les Européens , enfin les effets pernicieux de la petite vérole qui règne
dans toute l'Afrique centrale , qui ont fait obstacle à la complète réussite du docteur
Lenz.
On sait que le docteur Lenz, accompagné de MM. Baumann et Bohndorf, avait
atteint , le 14 février , la station des Falls. M. Baumann y tomba malade , et si
gravement , qu'il dut renoncer à continuer le voyage. Fin mars, le docteur Lenz f^e
remit en route pour remonter le Congo ; soutenu par Tippo-Tip, il arriva à Nyangwe
le 19 mai, et de là à Kisonge, résidence do Tippo-Tip, le l''"" juin.
L'expédition quitta Kasonge le 30 juin ; la petite vérole y sévissait et en rendait
le séjour dangereux ; elle atteignit même les porteurs de l'expédition et les servi-
teurs personnels de Lenz et de Bohndorf y succombèrent. C'était là déjà une perte
sensible. — Le 11 juillet, on atteignit Kibonde, on ti'aversa un haut plateau couvert
de végétation et puis une chaîne de montagnes. Le 7 aoijt, on aperçut dans le
district de Mtowa la rive occidentale du lac Tanganyka, et Lenz et Bohndorf rencon-
trèrent, à la station de missionnaires anglais de l'île Kavala, le capitaine Hore , qui
y demeure depuis de longues années avec sa famille et qui explore le lac Tanganyka
avec le plus grand soin. Le lac fut traversé et on atteignit Oudjidji, sur la rive orien-
tale, le 15 août. Ici , les circonstances se présentèrent tout autres que le docteur
Lenz n'avait pu les prévoir ; les entreprises guerrières des Arabes , le meurtre de
l'évêque Hannington à Ouganda, rendaient impossible la route vers le nord ; au lieu
de prendre la route suffisamment connue de Tabora , le docteur Lenz se décida à
rejoindre la côte orientale par le lac Nyassa. Pour surcroît de malheur , Bohndorf
devint gravement malade et dut être transporté sur une litière , presque paralysé.
Lenz n'en exécuta pas moins son plan. Il se rendit par eau à la pointe méridionale
du Tanganyka et prit de là la route de terre vers le lac Nyassa , en franchissant la
chaîne qui sépare les versants du Congo et du Zambèse. 11 atteignit le lac Nyassa à
Karouga, le traversa en bateau jusqu'à son extrémité méridionale et se mit alors
à suivre le Schiré pour parvenir à la côte à Quilimané. De là , il se rendit par mer
à Zanzibar,
Peut-être les résultats de cette expédition ne sont-ils pas ceux qu'on en avait
espérés ; à qui la faute ? les Petermanns Mittheilungen en font presqu'un grief au
docteur Lenz, les Mittheilungen de la Société de géographie de Vienne mettent cet
insuccès partiel entièrement sur le compte des circonstances et des obstacles impré-
vus ; le docteur F. Ritter von Le Monier , dans cette dernière revue , fait spéciale-
ment remarquer que l'expédition du docteur Lenz, constitue la neuvième traversée
du continent afi'icain. Les huit autres sont : 1° Livingstone , 1854-56 , de Saint-Paul
de Loanda sur la côte occidentale à Quilimané sur la côte orientale, en un an et huit
mois ; 2" Cameron, 1873-75 , de Bagamoyo sur la côte orientale à Catombela sur la
côte occidentale , en deux ans et huit mois ; 3° Stanley, 1874-77 , de Bagamoyo à
Banana (côte occidentale) , en deux ans et neuf mois ; 4° Serpa-Pinto, 1871-79, de
Bengouela (côte occidentale) à Dourban (côte orientale), en un an et quatre mois;
5P Wissmann, 1881-82, de Saint-Paul de Loanda (côte occidentale) à Sadani (côte
orientale) , en un an et dix mois ; 6" Arnot , 1881-84 , de Dourban à Bengouela , en
trois ans et trois mois ; 7° Brito-Capello et R. Ivens , 1884-85, de Mossamèdés (côte
occidentale) à Quilimané , en un an et deux mois ; 8° Gleerup, 1884-86, de Banana à
Zanzibar, en trois ans.
- 167 —
AMERIQUE.
l'jxploratiou de 11. 17 lia ff au j on claus le llaiit-Orénoque. — Le
Bulletin de la Société de yéographie de Marseille annonce que M. Chauiraujon a
entrepris une exploration du haut Orénoque et des sources du Cassiquiari , monté
dans une petite embarcation (curiara). Son exploration est des plus dangereuses ;
car elle se fait sur le territoire des Guajaribos , sauvages féroces qui attaquent tous
les voyageurs. Heureusement il a avec lui un jeune homme très courageux, AI. Molina,
qui depuis de longues années parcourt cette région. Aussi espère-t-il passer partout,
sans être obligé d'engager des combats.
Le voyage a été surtout pénible de Mapué à Gaïcara. M. Ghaffaujon a dû faire
office de maria et ramer comme les autres. Ajoutez à cela les fièvres et les priva-
tions. La chasse était nulle par suite de l'inondation de toutes les forêts des bords
de rOrénoque et , pendant quatre jours , le voyageur a été obligé de se contenter de
<.< Ghanguango » , sorte de tubercule qui n'a rien de bien agréable.
Malgré ces misères, M. Ghaffaujon continue ses travaux , et par ses observations
astronomiques ainsi que par les déterminations hypsométriques qu'il fait , rectifie
d'une façon définitive le cours de rOrénoque, jusqu'ici mal établi.
M. Ghaffaujon est rentré depuis à Giudad Bolivar , ayant terminé ses recherches.
Les sources de l'Orénoque sont maintenant découvertes et le Gassiquiari ne serait
qu'un bras de ce fleuve, mettant en commuication le bassin de l'Amazone avee celui
de l'Orénoque.
G'est le 13 décembre que M. Ghaffaujon a pu, après de grandes difficultés,
parvenir aux sources de l'Orénoque, qui sont , paraît-il , comme enveloppées d'un
immense amphithéâtre de montagnes. Un des sommets de cet ensenible a reçu le
nom de Pic de Lesseps. On sait que le docteur Grevaux a déjà donné le nom de Rio-
de-Lesseps à un des affluents du moyen Orénoque. Avant de rentrer en France ,
M. Ghafl'aujon va explorer le Sud du bassin de l'Orénoque et reconnaître le pays
depuis le Causa jusqu'aux sources de l'Essequibo.
OGEANIE.
Voyage de M. Johu Douglas daus la ?l[ouvelle-Guiuée.. —
Dans ces derniers temps, M. John Douglas, haut conmiissaire anglais à la Nouvelle-
Guinée, a voulu visiter lui-même la partie Est du Protectoi'at. notamment le South
Gape, le Ghina Straits et le Dinner Islands ou Samaraï ; il est d'avis que les parages,
montagneux et couverts d'une végétation tropicale intense, sont dangereux pour les
Européens qui ne sauraient y vivre. 11 dit qu'à l'île Hayter i^Zareba), les indigènes
ne sont pas trop hostiles : c'est une grande île au sol riche , avec de belles forêts et
de l'eau courante.
- 168 -
II. — Géographie commerciale. — Statistiqiies
et Faits économiques.
ASIE.
i^ituatioii éeouoniique et financière de l'Inde anglaise. —
Est-il encore utile, est-il encore permis d'écrire aujourd'hui sur l'Inde un article de
journal ou même un livre ? C'est la question que se po e M. Wheeler, l'auteur d'un
excellent ouvrage, India Under British Rule, paru récemment à Londres , et renfer-
mant des données économiques qu'il nous paraît intéressant de résumer pour les lec-
teurs du Bulletin de la Société de Géographie de Lille. « Pendant le XIX^ siècle,
dit il, la marche des études s'est détournée de l'Inde, on ne l'a plus connue que comme
une réserve à coton, un champ à spéculation en chemins de fer et en thés et un dé-
bouché pour les cadets dans le service civil. Pendant les années dernières, il y a eu une
certaine amélioration. Le public anglais s'est effrayé de la baisse de l'argent, il s'est
réjoui de l'idée de mettre des sujets anglais sous l'autorité de magistrats hindous et
mahométans. Il s'est ému de la perspective d'une guerre avec la Russie, mais il s'est
tranquillisé à la restitution de la forteresse de Gwalior au Maharaja Sindia. Bien
mieux : on ne confond plus la Birmanie {Burma) avec les Bermudes {Bermuda),..
Cependant il y a encore place pour un supplément de connaissances. » Et après
avoir ainsi répondu à sa question, il a publié, sur les origines, le développement, les
évolutions et les résultats politiques de la domination anglaise dans l'Inde, un livre
court, substantiel, spirituel et d'une lecture facile, dont je vais ici résumer les don-
nées principales avec d'autant plus de satisfaction . qu'il s'agit ici des opinions d'un
auteur anglais sur une colonie anglaise.
Le territoire de l'Inde britannique contient 900,CXX) milles carrés , avec une popu-
lation de 200 millions d'habitants. Le territoire laissé sous la domination des princes
indigènes comprend 600.000 milles carrés, avec une population de 52 millions d'habi-
tants. Population et territoire se rapprochent de ceux de l'Europe, déduction faite de
la Russie. Une si vaste étendue offre naturellement les climats les plus variés à tous
égards. En Angleterre , on a fait à l'Inde une réputatation détestable et contestable
quant à la salubrité. Récemment encore, tandis que dans nos minuscules possessions
de Pondichéry, M. de Gubernatis trouvait, dans son livre Peregrinazioni Luliane, le
climat salubre et les malades relativement rares, un juge de la Cour de Calcutta ,
M. Gunningham, écrivait que la mortalité dans l'Inde anglaise était effroyable et que
les statistiques, tout incomplètes qu'elles fussent, révélaient un chiffre de mortaUté
double de celui de l'Angleterre. Mais en même temps, il en indiquait les causes et
les remèdes. 11 y a , disait-il , dans ce pays-ci (l'Inde) , chaque année, 50 millions de
cas de maladie et 5 millions de morts que l'on pourrait empêcher. 11 n'y aurait qu'à
prendre avec les indigènes, contre leurs habitudes et contre leur gré, certains .soins
de propreté et d'hygiène. A Calcutta , la mortalité moyenne due au choléra était de
4.000 ; on a fait certains travaux de canalisation et d'égouts , et le chiffre est tombé
à 1,100, les cas relevés provenant tous d'endroits où les travaux n'avaient pas encore
— 1()9 —
été exécutés. Do même dans l'armée, grâce à une hygiène ti-ès sévère et très conve-
nable, le chiffre de la mortalité est , parmi les Anglais , tombé à 09 pour mille en
1854, à 29.30 en IBCn, 27./t8en 1870, 18.50 eu 1875, 15.32 en 1870, 12.71 en 1877 , et
n'était plus parmi les Hindous, la même année, que de 13.38 pour mille.
Parmi les conditions qui ont déterminé cette amélioration , il faut placer eu pre-
mière ligne, l'institution des sanatoria. Ce sont des lieux choisis, ordinairement sur
les liauteurs , par une altitude moyenne de 1,500 à 2,000 mètres, oii les soldats
anglais sont installés confortablement, presque luxueusement, et mis là, en réserve,
pour quelque éventualité fâcheuse, tandis que les troupes indoues font la partie la
plus dure du service journalier. Ce système , inauguré d'abord pour les troupes , a
été étendu aux employés civils, qui ont chaque année le droit d'y passer cinq ou six
semaines avec solde entière. Et depuis une vingtaine d'années, depuis lord Lawrence,
l'habitude est prise par le gouverneur général d'émigrer chaque été de Calcutta à
Simla. Chaque année, au début des chaleurs, le gouvernement entier, les ministres,
leurs familles , leurs employés , toute une suite énorme, s'en vont , beaucoup d'entre
eux à contre-cœur, chercher à Simla la fraîcheur et la santé. C'est une habitude très
critiquée, et qui menace un jour ou l'autre d'être abandonnée. On lui aura dû de
faire mieux connaître aux administrateurs du Bengale les provinces septentrionales
de leur gouvernement,
Le gouvernement de l'Inde est confié à un vice-roi , chef suprême de l'administra-
tion, assisté d'un Conseil composé de six membres et en plus du général en chef.
C'est ce Conseil qui tient en main toutes les affaires de l'Inde, réparties entre six
départements différents. De plus, chacune des huit provinces : Bengal, Provinces du
Nord-Ouest, Punjab, Province Centrale, Birmanie, Assam, iNIadras, Bombay, a son
gouvernement spécial, et son Conseil distinct, sous l'autoricé du gouvernement cen-
tral. 11 y a eu là, depuis quelques années , une unification que l'on aura peut-être à
regretter. Autrefois , certaines provinces , le Punjab , les Provinces Centi-ales et la
Birmanie étaient ce que l'on appelait des provinces de « non-gouvernement » {non-
regulation provinces). Elles étaient régies par les anciennes lois locales sous le
contrôle élevé du Foreign Office. Aujourd'hui tout , ou à peu près , est soumis aux
mêmes lois et à la même administration. Il y a cependant — et si l'on regarde sur
la carte, leur situation semble , au premier abord , assez bizarre , — toute une série
de principautés , depuis les royaumes véritables , par exemple Haidaradba , grand
comme l'Italie , jusqu'aux minuscules communautés relevant de chefs inconnus , en
tout plus de 800 États indépendants , dont 200 seulement ont quelque importance ,
disséminés parmi les possessions purement britanniques , disposant tous ensemble ,
de plus de 300,000 soldats et de revenus considérables , et dont l'indépendance
durera jusqu'au jour où l'Angleterre jugera bon de supprimer les chefs indigènes et
de les englober dans ses possessions directes.
La population anglaise de l'Inde, en dehors des troupes, n'est nullement ce qu'on
pourrait croire, étant donnée la facilité avec laquelle les Anglais émigrent. Elle
n'était, il y a quelques années , que de 60,000. Ce chiffre si réduit s'explique par ce
fait que l'Inde est une colonie d'exploitation, où les classes qui alimentent ordinaire-
ment l'émigration, ne peuvent trouver place , à cause de l'extrême bon marché de la
main-d'œuvre dû à la densité de la population. Les Chinois eux-mêmes ne peuvent
rivaliser avec les Hindous ; qu'iraient y faire les ti'availleiu-s européens? Il n'y a donc
d'avenir que pour les capitalistes qui utilisent à leur profit cette main-d'œuvre
excepUonnelle.
On s'étonne souvent de cette proportion misérable de la population anglaise à la
population indigène, et l'on n'est plus disposé à ajouter foi à cette affirmation que la
Grande-Bretagne ne pouvant coloniser et s'assimiler l'Inde , la tient sous sa domi-
12
— 170 —
nation par son armée. C'est là une profonde erreur. L'armée anglaise , aux Indes ,
ne dépa^jse pas 50,000 hommes , auxquels il faut joindre 100 000 indigènes solide-
ment encadrés et 200,000 hommes de police.
Cette armée coûte d'ailleurs assez cher : 13 millions de livres sterling, et en com-
prenant la part contributive de l'Angleterre et la perte au change, près de 20 millions
sterling (500 millions de francs).
Ces effectifs, 150,000 hommes de troupes actives et 200,000 de gendarmerie, sont
peu de chose pour un aussi vaste empire. Aussi , n'est-ce pas en eux seuls que TAi.-
gleteire a mis sa confiance pour maintenir sa supériorité. Elle attend davantage
encore des rivalités des princes indigènes dont aucun ne saurait tolérer l'élévation
des autres, même due à un triomphe sur l'ennemi national, et aussi de l'apaisement
des esprits que doit nécessairement amener tout un ensemble de mesures d'ordre
moral et civilisateur.
La rivalité des princes indigènes est, en effet, un sérieux atout dans son jeu. Mais
je ne puis m'empècher de croire que l'Angleterre se flatte d'un espoir chimérique en
attendant d'aussi grands résultats, parmi une population aussi nouibreuse, sur un
territoire aussi vaste, de moyens , tels que , par exemple, la diffusion de la religion
chrétienne, de l'éducation, de l'économie , etc. Au lendemain de la révolte des
Cipayes, il y eut un appel éloquent et un très vif mouvement d'opinion en faveur de
la propagande religieuse et de l'extension des missions soit protestantes , soit
catholiques. Cela d'abord amena quelques conversions. Mais c'était surtout, comme
j'ai pu l'observer au Tonkin , parmi les pauvres diables , et parmi les parias qui
avaient espéré sortir de leurs castes, et qui , après la conversion, se voyant aussi
résolument repoussés par les vainqueurs chrétiens qu'auparavant par leurs compa-
triotes, retournaient bientôt à leurs anciennes pratiques. Et comme le gouverne-
ment anglais avait proclamé, dès 1858, sa parfaite indifférence en matière de religion,
du moins aux Indes, les conversions se firent chaque jour plus rares.
L'éducation mieux comprise eût pu mieux réussir. C'est en 1854 que fut inauguré
le système de l'instruction par l'État , commençant par l'école primaire , se conti-
nuant par l'école secondaire, pour finir par le véritable collège à l'anglaise, avec des
professeurs et des salles de lecture. L'ensemble du système était d'abord dans
chaque présidence, puis dans chaque province, placé sous le contrôle d'un directeur
de l'instruction publique. Des subventions étaient accordées aux missionnaires et
autres maîtres, suivant les résultats qu'ils obtenaient. Une université fût étalDlie à
Calcutta, une autre à Madras , une troisième à Bombay , pour faire le service des
examens et décerner les grades et les diplômes. En un mot, le vieux système anglais
fut tel quel libéralement transporté dans l'Inde. 11 arriva ce qu'on pouvait prévoir.
Une élite seule en profita ; quelques Hindous prirent leurs degrés et parvinrent à de
très hautes fonctions judiciaii'es ou administratives.
D'autres tentatives du même genre, dans le même ordre d'idées, furent plus heu-
reuses. Les Anglais arrivèrent assez facilement à supprimer le Suttee , l'horrible
coutume de la mort obligatoire , quoique volontaire , des veuves sur le bûcher de
leur mari. De même , ils abolirent effectivement le culte de la déesse Kali. Les
Thugs , Ja terreur de l'Inde , qui offraient à la déesse des sacrifices humains , dont
les Européens faisaient les frais, furent décimés ; 2,000 furent arrêtés, et 1,500
d'entre eux furent emprisonnés ou déportés. Aujourd'hui , leurs enfants et petits-
enfants sont paisiblement occupés , dans le lieu de leur détention , à tisser des tapis
ou à quelque autre besogne utile.
Mais c'est surtout dans l'ordre matériel que les tentatives des Anglais , pour se
concilier les habitants, furent heureuses. Outre que la propriété foncière, concentrée
entre les mains de quelques milliers d'indigènes ou même d'Anglais , propriétaires
— m —
d'immenses territoires , a aussi constitué une aristocratie dont le sort est lié à celui
des conquérants, les progrès matériels, les facilités offertes aux basses classes pour
sortir de leur misérable condition, les mesures bienveillantes prises envers eux , ont
produit sur leur esprit une impression déterminante. Et parmi ces mesures, que je
n'ai pas le loisir d'étudier en détail, aucune ne semble avoir été aussi efficace que la
construction des chemins de fer.
A l'origine, les chemins de fer n'étaient pas très en faveur près des hommes
connaissant l'Inde et ses mœurs. Ils y voyaient , pour les entrepreneurs , un moyen
conunode de s'enrichir . par des garanties d'intérêt ou de trafic, aux dépens, soit de
la Compagnie , soit , plus tard , du gouvernement. Quant aux indigènes , ces mêmes
hommes pensaient qu'ils ne s'en serviraient guère, et que, comme au temps de
Porus et de Mégasthène , ils continueraient à aller à pied , traînant dans des chars
leurs famille -i et leurs biens. En dépit de ces prédictions, la construction en prit un
rapide développement. Au commencement de mars 1884, il y en avait 10,800 milles
(18,000 kilomctre^) ouverts à la circulation, 3,450 étaient en construction ou décidés,
et le capital employé à ces travaux était de 140 millions sterling (3 milliards et demi
de francs). L'influence de ces chemins de fer était déjà considérable. Ce n'est pas
qu'ils eussent transporté un bien grand nombre de voyageurs ou de tonnes. En 1883,
ils avaient servi à 65 millions de voyageurs et à 17 millions de tonnes , alors qu'en
France, la même année, ces chiffres étaient respectivement de 180 millions de voya-
geurs , avec une population six fois moindre, et de 90 millions de tonnes. Mais
surtout depuis 1877, ils avaient une action décisive contre la famine.
La famine est le grand ennemi de l'Inde. La population est extrêmement dense, et
le territoire mis en culture n'atteint pas le tiers de la superficie totale. L'eau fait
souvent défaut, et l'irrigation, longtemps en honneur, a, jusqu'à ces derniers temps,
été négligée. De plus, les moyens de communication sont peu nombreux. Les routes
ont été longtemps négligées et , encore aujourd'hui , ne dépassent pas 1 million
de milles dans un pays qui compte 1,500,000 milles carrés. Quant aux fleuves,
outre qu'ils ne desservent pas certaines régions , ils sont , comme tous ceux
de ces contrées , d'une navigation difficile : torrentueux à la saison des pluies et ,
après cela, parfois asséchés. Qu'une mauvaise récolte survienne et des millions
d'habitants se trouvent sans nourriture. Ces famines sont , pour ainsi dire , pério-
diques. Elles sont , disent les administrateurs , une institution de l'Inde. En 1771 ,
une famine terrible, pendant laquelle les agents de la Compagnie et les fonction-
naires indigènes s'étaient coalisés pour élever le prix du grain, fit périr plus de
5 millions de personnes. Depuis lors, vingt et une grandes famines se sont succédé.
En 1866, le pays d'Orissa perdit le quart de sa population, plus d'un million d'habi-
tants. En 1868, le Punjab en perdit 1,200,000 , et certains pays soumis aux princes
indigènes en perdirent le triple. En 1874, ce fut le tour de la plaine du Gange, et en
1877, du Decan. 4 millions de personnes succombaient pendant que le haut com-
merce expédiait sur l'Europe des grains en quantités considérables. C'est alors
qu'intervint d'une façon effective le gouvernement anglais. De 1874 à 1877 , tant en
céréales distribuées qu'en travaux de secours , routes , canaux , chemins de fer , il
dépensa plus de 400 millions de francs. Après 1877 , la lutte contre la famine prit
une allure régulière. Le gouvernement central , les provinces se mirent à construire
des chemins de fer. Il en fut ouvert en dix ans, pour ce seul but et sans espoir d'un
trafic rémunérateur , 4,200 milles (7.000 kilomètres), 1,400 autres milles étant en
construction. Cette année même , oii le budget sera sans doute en déficit , le gouver-
nement s'est demandé s'il devait suspendre la construction de ces chemins de fer,
« Mais, dit le secrétaire pour l'Inde, arrêter les travaux en cours pour 1886-1887 et
1887-1888, par ce motif que nous ne pensions pas trouver dans les recettes ordinadres
— 172 —
les sommes demandées et qu'il fallait, en conséquence, recourir à l'emprunt, c'aurait
été subordonner notre fin à nos moyens ; et le jour où une nouvelle famine eût
éclaté, cette manière de voir eut déterminé , dans une large mesure , les maux qu'il
s'agissait d'éviter. » En conséquence, il fut décidé qu'en 1886-1887 et en 1887-1888 ,
il serait demandé à l'emprunt , pour continuer ces constructions , 1,049,000 et
1,248,000 liv. st.
En outre, et toujours pour combattre la famine, on donna une grande extension
aux canaux d'irrigation. Dès 1854, on avait complété le canal du Gange. C'est une
œuvre colossale, qui, par sa ligne principale et ses embranchements, comprend 614
milles propres à la navigation, et 3,111 pour l'irrigation. Après celui là , viennent
les canaux dérivés de l'Indus , du Satledj , de la Ravi, de la Sone. Pour les arrose-
ments, il reste encore à utiliser de grandes rivières telles que le Sardjou. le Gaudak,
la Tapti, la Narbadah. Enfin, dans certaines parties du Décan, il n'y a qu'à restau-
rer les travaux qui existent. En tout, on évalue à 12 millions d'hectares , soit à un
territoire grand comme un cinquième de la France, l'ensemble des terres ajoutées
au sol cultivable par les canaux d'irrigation.
L'Inde est essentiellement un pays agricole. Les statistiques , très incomplètes ,
qu'a publiées le gouvernement , montrent que sur 130 millions d'habitants mâles,
plus de 50 étaient des agriculteurs , et seulement 13 employés dans des industries
diverses. La principale culture consiste en céréales. Après elle, vient l'opium qui se
cultive dans la plaine du Gange, autour de Bénarès et de Patna, et sur les hauteurs
de Malva, et qui fournit au gouvernement un bénéfice net de 225 millions par an.
Après l'opium , le coton. Pendant la guerre d'Amérique, le coton donna lieu , dans
l'Inde à des spéculations colossales. En quatre ans , l'exportation en passa de 75 à
925 millions de francs. Après bien des ruines , elle est encore aujourd'hui de 300
millions environ. De plus , l'importation des tissus de coton y a baissé considéra-
blement. Bombay est le centre de cette nouvelle industrie. En 1875, cette province
comptait 15 filatures avec 367,000 broches; en 1886 elle en comptait 70, avec
1,700,003. L'Inde entière en compte 90. Cette industrie ne se contente pas de
chasser de l'Inde les produits de l'Angleterre , elle leur fait concurrence au Japon et
en Chine. En 1877 , elle leur vendait 7 millions de livres contre 12 1/2 que leur
vendait l'Angleterre. Aujourd'hui Bombay en fournit 68 millions et l'Angleterre 20.
Après le coton , viennent le jute , que l'on travaille à Calcutta, l'indigo , le tabac,
le thé , chaque jour plus cultivé , et enfin le café qui représente déjà un commerce
de 150 millions de francs.
Le commerce général de l'Inde s'élève à plus de 3 milliards de francs, sans
compter le commerce qui se fait par terre et qui échappe presque tout entier à la
statistique. Sur ces 3 milliards , l'exportation figure pour 1,800 millions et l'impor-
tation pour 1,200 millions, dont 140 millions pour la France Mais ces chiôres
moyens sont, surtout depuis quelques années , singulièrement altérés par l'effet de
la baisse de l'argent. L'argent est la seule monnaie circulant dans l'Inde. L'or, qui
y est importé chaque année , passe en bijoux , ce qui est, chez l'immense majorité
des Orientaux, la forme ordinaire de l'épargne. La roupie , étalon de la circulation
d'argent, a une valeur nominale de 2 shellings (2 fr. 50) et , malgré la baisse de
l'argent, elle a, à l'intérieur de l'Inde, toujours conservé cette valeur nominale ; son
pouvoir d'achat est resté le même; mais dans les affaires avec l'extérieur, elle ne
vaut plus que 1.5 1/4 (1 fr. 77 12). Cette valeur, si diminuée, exige que, pour acheter
en Europe des quantités constantes , les habitants de l'Inde donnent des quantités
de roupies toujours plus considérables. Et c'est même cette obligation qui leur a
suggéré l'idée de fonder des manufactures de toutes sortes pour fabriquer eux-
mêmes ce qu'ils sont forcés d'acheter si cher à l'étranger. Il n'en subsiste pas moins
- 173 -
qu'ils font encore en Europe des achats considérables et dans les conditions désas-
treuses que j'ai dites. L'Etat lui-même a , par suite de nombreuses opérations, de
gros paiements h faire en Europe ; et le change actuel, tombé à 1.5 1 /i au lieu de 2 ,
lui impose, pour cette seule année, la perte effroyable de 5.2.52,000 liv. st.
C'est là une des causes , c'est même la cause principale du déficit du budget.
L'autre cause est rcxpcditiou de Birmanie. Le budget de l'Inde s'élève, pour 1886-87,
en recettes, à 75 millions sterling , et avec la part contributive de l'Angleterre , les
emprunts, les dépôts <le caisse d'épargne, etc., le capital mis de diverses manières à
la disposition du Trésor et employé par lui , il s'élève à 116 millions sterling. Les
principales sources de revenus sont l'impôt foncier , 22 1/2 millions ; l'opium, 9; le
le sel, 6 ; le timbre, 3 ; l'excise, 4 ; les assessed taxes dont Vincome tax , 1.2 : les
taxes provinciales, 3 ; les douanes, 1 ; les forêts 1 : les tribus des Etats indigènes ,
700,000 livres. Les frais de perception de cette première catégorie de revenus, au
total 52 millions sterling, se montent à 8 millions sterling.
Les impôts de l'Inde sont au total as.sez modérés , moins cependant qu'ils ne le
paraissent. Ils sont d'environ 9 à 10 fr. par tête , et la dette n'est que de 20 h 22 fr.
Mais la production annuelle ne dépasse pas, dit-on, 10 milliards de francs, soit 40 fr.
par tête. Toutefois , je le répète , ces proportions n'ont rien d'inquiétant , parce que
l'Inde a, au point de vue agricole et industriel , devant elle un magnifique avenir.
Les famines, sources d'énormes dépenses dans ces années dernières, doivent aller
toujours en diminuant de fréquence et d'intensité. La guerre de Birmanie et les
insuffisances de recettes dans cette province , n'auront qu'un temps. La baisse de
l'argent et la perte au change , dont on ne peut prévoir le terme et les limites, sont
seules inquiétantes. Mais ici , rien ne vient limiter cette inquiétude. 11 n'est pas
excessif de dire que si elles continuent, elles peuvent occasionner non seulement un
embarras financier, mais, qui sait? peut-être des difficultés politiques. Or, la guerre,
toujours il craindre de ce côté, n'e^t pas faite pour relever les cours. Et il semble
que, au moins en ce qui concerne la tranquillité do l'Angleterre , le mot de sir Grant
Duff n'ait jamais été plus vrai : « Je n'entends, disait-il, jamais parler d'un vaisseau
naviguant à travers le brouillard dans les bancs de Terre-Neuve , au milieu des
montagnes de glace, sans penser à notre gouvernement de l'Iiide. »
liC clieniiu de fer de Quettah. — Si les Russes déploient la plus
grande activité dans la construction du chemin de fer transcaspien , les Anglais en
revanche, dit la Gazette géoyyaphique , ne semblent pas devoir ralentir les travaux
de la ligne de Quettah.
D'après le projet anglais , ce chemin de fer , qui s'embranche sur la grande ligne
de rindus, au Sud de Shikarpur , passe à Jacobabad et, remontant vers le Nord ,
rejoint Sibi, traverse le défilé de Nari, atteint Harnai, puis Mangi, franchit le col de
Tchapar et aboutit à Quettah, d'où part un embranchement sur Candahar et l'Afgha-
nistan. La voie est maintenant achevée jusqu'au pied des monts Khodjak, chaîne
située au Nord-Ouest de Quettah, et qui court parallèlement aux monts Souleiman.
Il y a 240 kilomètres de Quettah à Candahar ; 500 kil. de Candahar à Hérat , et
380 d'Hérat à la station russe de Merw.
AMERIQUE.
Avenir éeoiioniique d'Haïti. — Haïti ne saurait jamais être inditTé-
rente aux Français. Non pas seulement parce que nous y avons dominé pendant
- 174 —
plus d'un siècle , et que nous y avions alors développé un commerce de plus de
200 millions de francs et une prospérité magnifique , preuve de ce que peut faire
la France en matière de colonisation ; mais parce là , comme partout où nous avons
passé, nous avons laissé , malgré tant de désastres , l'empreinte profonde de notre
génie ; que Haïti , comme le Canada et bien d'autres pays , garde de s s anciens
maîtres un souvenir durable et sans amertume ; qu'elle nous a emprunté nos insti-
tutions et notre langue , et qu'aujourd'hui encore , les Français y ont une situation
prépondérante.
L'île d'Haïti est située dans les Indes occidentales , entre le 18^ et le 20" degré de
latitude nord , et s'étend de 68" MO' à 74° 30' de longitude ouest du méridien de
Greenwich. Elle mesure 76,000 kilomètres de superficie , deux fois et demie l'éten-
due de la Belgique, à peu près celle de l'Irlande. La république d'Haïti occupe un
tiers de cette île, à l'ouest ; les deux autres tiers forment, depuis la scission due à la
brutalité des garnisons haïtiennes , la République Domicaine , moins l'iche , moins
peuplée , et dont les habitants (250,000 environ) sont tous ou presque tous d'origine
espagnole. C'est un pays extrêmement montagneux, et dans lequel on retrouve inté-
gralement les dessins de toutes les chaînes parallèles des Andes. Un amiral anglais,
voulant décrire au roi Georges 111 cet amas confus de montagnes , de vallées et de
collines, chiffonnait une feuille de papier : « Voilà , sire , disait-il , l'aspect que pré-
sente Haïti. » Malgré ces montagnes si nombreuses, Haïti renferme en quantité des
plaines fertiles et souriantes, arrosées de nombreux cours d'eau, un peu comme ceux
de l'Algérie, et dont un seul, l'Artibonite, est navigable sur un faible parcours.
Le climat est , en général , celui des tropiques , et la température varie naturelle-
ment selon la position des villes. Par exemple , la ville de Cap-Haïtien , exposée au
nord, est bien plus agréable que celle de Port-au-Prince , située au fond d'un golfe
immense. A Tourjeau, près de cette dernière ville, à 200 mètres au-dessus du niveau
de la mer , la température varie de 33° centigrades en été à 15^5 en hiver , et les
nuits , comme il arrive sous les tropiques , n'y amènent pas de fraîcheur. Mais
d'autres villes ont une température plus basse , notamment Pétionville , où le ther-
momètre est au moins de 6 à 7 degrés centigrades moins élevé , et Furcy où , dans
le milieu même du jour, il n'atteint pas 25". En même temps, la nuit est déhcieuse ,
et le thermomètre , matin et soir , ne marque que 18 degrés. La saison des pluies
commence régulièrement en avril et dure jusqu'en septembre , puis reprend pour
quelque temps vers novembre, aux pluies de la Toussaint. Le climat n'est pas aussi
malsain que le pourraient faire croire les relations effrayantes de certaines expédi-
tions. Au commencement du siècle, un régiment anglais y perdit 400 hommes sur
600 ; un autre , 600 sur 900 ; l'expédition Leclerc eut 1M,0Û0 hommes emportés par la
fièvre jaune ; et récemment, en 1869, des navires français y laissèrent , à cause de la
même fièvre, près de la moitié de leurs hommes. Cependant, en général, cette fièvre
et les autres fièvres tropicales n'apparaissent pas à terre , les natifs ne les prennent
pas, et le choléra n'a jamais visité Port-au-Prince.
La population d'Haïti qui, à la fin du siècle était d'environ 600,000 habitants, dont
45,000 blancs, 55,000 hommes libres noirs ou mulâtres, et 500,000 esclaves, est à peu
près aujourd'hui de 900,000 à 1 million. Mais ces chiffres sont peu sûrs : il se pour-
rait qu'ils fussent d'un tiers au-dessous de la vérité. Le nombre des blancs y a
singulièrement diminué. On les compte non plus par milliers mais par centaines. Il
y a au moins neuf dixièmes de noirs contre un dixième de mulâtres, et le type des
gens de couleurs se rapproche de plus en plus du noir. Cela tiendrait à ce que les
femmes blanches sont excessivement rares , et qu'au contraire , les noires forme-
raient les trois cinquièmes , peut-être même les deux tiers de la population. Cette
population, lors de la conquête, au début du XVI« siècle, était tout entière de ce que
- 175 -
l'on a appelé les Indiens. Il n'en reste pas aujourd'hui un seul représentant. Les
Espagnols ont tout détruit : puis voyant qu'il fallait d'autros qu'eux-mêmes pour
tirer parti du pays, ils y introduisirent des nègres d'Afrique nt des faniilles des îles
voisines. S'il faut on croire M. Spenser Saint-John, qui s'exprime là-dossus, semble-
t-il , avec prudence et modération , dans un ouvrage récent sur l'île , nègres et mu-
lâtres , pris en masse , et sauf quelques glorieuses exceptions , sont incapables de
civilisation. « Gomme homme, dit-il, le nègre ne sait pas se gouverner lui-même , et
coi I mie nation , il n'a pu faire aucun progrès. » Quant aux mulâtres , qu'ils aient
voyagé ou qu'ils soient demeurés dans leur pays, ils ont les défauts des deux races
d'oii ils sont sortis et peu de leurs qualités. Pourtant, ajoute-t-il , ceux qui ont
été élevés en Europe , dès leurs plus jeunes années , sont à peu près exempts de ces
défauts de présomption et d'outrecuidance, qui proviennent surtout des fréquenta-
tions de leur enfance. Malheureusement pour elle, Haiti importe du dehors plus de
coquins que d'honnêtes gens. « 11 y vient , dit M. de Molinari , dans un autre
ouwage paru récemment , de la Jamaïque et des autres Antilles , des États-Unis et
même d'Europe, une société mêlée d'aventuriers , de faiseurs d'affaires véreux , de
banqueroutiers, de faussaires, que la spéculation sur les incendies, le commerce des
« feuilles », les «jobs » de tout genre y 'expliquerai plus loin ces termes techniques)
attirent naturellement comme les ulcères attirent les mouches. »
Le pays est divisé en 5 départements , avec 5 chefs-lieux (Cap-Ha'itien , Port-dc-
Paix, Gonaïves , Port-au-Prince, Les Cayes) , 23 arrondissements et 67 communes.
Port-au-Prince, qui était une belle ville, bien construite et surtout bien dessinée, est
aujtJurd'liui dans im état de délabrement et de saleté déplorable. De loin , cette ville
de 25 à 30,000 âmes, bâtie en damier au pied d'une chaîne de mornes, avec ses mai-
sons aux couleurs vives et ses rues plantées d'arbres , présente un très joli aspect.
A peine débarqué, l'illusion cesse. Tout n'est que ruine. Les révolutions et les incen-
dies n'ont rien laissé debout. Les unes , d'ailleurs , sont à l'ordinaire , la suite des
autres. Contre les incendies si fréquents , on a bien organisé un corps spécial de
pompiers. ]Mais les bandits de toutes espèces, et la population en général, n'y voient
qu'une occasion de pillage, et les troupes y ont été parfois conduites par leurs chefs
qui leur recommandaient seulement de « piller en bon ordre ». Eu même temps , les
victimes de ces incendies en prennent texte pour réclamer au Trésor de fortes
indemnités , si biea que dans la récente constitution, on a introduit un article 192
qui dit :« Nul Haïtien ou étranger ne peut réclamer d'indemnité pour les pertes
subies à la suite de troubles civils. » Article , ai-je besoin de le dire , qui est absolu-
ment lettre morte.
Haïti, découverte par les Espagnols, a été envahie , dès la fin du XVI* siècle , par
les boucaniers français et définitivement conquise au milieu du XVII • siècle. La
domination française dura incontestée jusqu'en 1789. A cette époque , des événe-
ments que tout le monde connaît, amenèrent lentement l'explosion d'une insurrection,
au bout de laquelle , grâce à un chef admirable , le nègre Toussaint , le pays conquit
son indépendance. Entre temps , les Anglais firent quelques efforts pour s'y établir ;
mais sir Spenser Saint-John, dans le livre dont je parlais tout-à-l'heure, reproche à
son pays d'avoir pratiqué la politique des « petits paquets » et d'y avoir perdu, en
efforts successifs et insuffisants, des forces considérables. Le gouvernement installé
par les noirs , ne fut d'ailleurs ni stable ni prospère. 11 y a eu, depuis lors, révolu-
tions sur révolutions ; les divers chef de l'Etat n'ont, à l'oi'dinaire , pas duré et ont
presque tous fini tragiquement. Le premier , Dessalines , a été fusillé ; Christophe
se suicida ; Royer fut exilé ; Hérard-Rivière fut déposé, puis exilé : Pierrot dut
abdiquer ; Soulouque , Giffard furent exilés ; Salnave fusillé ; Domingues et
- 176 -
Boisrond-Canal furent bannis. Deux présidents seulement, Pétion et Nissage-Saget ,
purent atteindre l'époque oii devaient cesser leurs fonctions.
Le président actuel est le général Salomon. Sir Spenser Saint-John en parle à
peine. On voit , toutefois , qu'il n"a pour lui ni amitié ni estime. Forcé , comme tous
les autres, pour se maintenir , d'abattre ses ennemis , le général Salomou a frappé
les amis de l'ancien ministi"e-résident. D'oti une inimitié très justifiée et de sombres
prévisions. M de Molinari , qui Ta vu de près , parle du président en de tous autres
termes. Il a dîné avec lui, avec sa femme, qui est française, et avec ses ministres. 11
a été charmé de leur conversation. « Je m'attendais à une exhibition de la vantar-
dise habituelle des hommes de couleur ; j'entendais, à mon agréable surprise , un
langage plein de bon sens. » « J'ai épousé une blanche , lui disait le général , et l'on
me reproche de ne pas aimer les blancs ; je ne laisserai pas à ma femme 1,000 pias-
tres de revenu, et l'on m'accuse de piller le pays ; j'ai rétabli la sécurité, restauré les
finances ; laissons couler le temps et nous ferons mieux. Je suis obligé d'être oppor-
tuniste ; je ne puis pas tout bouleverser à la fois. »
La forme du gouvernement est républicaine , mais tout le pouvoir est aux mains
du président. Il choisit ses ministres , et ce sojit eux qui font nommer les représen-
tants au Congrès ; et comme ceux-ci touchent 1,500 fr. par mois pendant la durée de
la session, ils tiennent à conserver leurs fonctions et, pour y parvenir , s'efforcent
d'être agréables au ministère. La constitution du 18 décembre 1879 contient , parmi
ses 205 articles, un certain nombre de dispositions au moins bizarres. Telles sont
celles de l'article 6 qui interdisent aux blancs « d'être propriétaires »; de l'article 14
qui déclare qu'un étranger naturalisé, ne peut remplir aucune fonction législative ou
executive ; et de l'article 40 qui place les dettes publiques « sous la sauvegarde de la
loyauté de la nation ». Sir Spenser Saint-John raconte , à ce propos , qu'un général
haïtien étant allé à Paris chez un fameux banquier pour contracter un enqn'unt , le
capitaliste lui demanda quelles garanties il comptait offrir. II lui répondit : « La
Constitution place les dettes publiques sous la sauvegarde de la loyauté de la
nation. » Le banquier le regarda fixement pendant un instant et lui dit froidement ;
^' Mes affaires n\e réclament ailleurs ; bonjour ! »
L'espace me manque pour parler de l'armée avec ses 0,.500 soldats, ses 7,000 offi-
ciers, et 6,500 généraux et chefs d'état-major ; de l'instruction gratuite , laïque et
obligatoire (au moins pour l'instruction primaire), avec ses 4 lycées, 6 écoles supé-
rieures de filles, 5 écoles secondaires , 165 écoles primaires , k!00 écoles rurales, une
école de médecine et une école de musique , réunissant en tout 19,250 élèves , sans
parler des écoles libres oii nos religieux des deux sexes font merveille ; de la police
et de ses agents au terrible coco macaque , ce succédané du nerf de bœuf; de la
justice, avec sa Cour de cassation, ses Tribunaux civils et de commerce, ses juges de
paix, sa procédure toute française et son barreau, de l'éloquence duquel M. de Moli-
nari cite de si admirables exemples. Tout cela, d'ailleurs, ne donne de la civilisation
haïtienne qu'une idée superficielle et même fausse. Toutes ces institutions , ou
n'existent que sur le papier, ou fonctionnent de la façon la plus défectueuse.
Haïti, avec tous les dons de la nature, a, contre soi, deux ennemis : ses habitants
et ses immigrants.
Ses habitants, on sait ce qu'ils sont. Une grande faiblesse morale, une instruction
qui, sauf à quelques hommes d'élite entretenus à Paris , aux frais de l'Etat , leur
donne , sans la science . la présomptio:i des demi-ignorants, une grande indolence ,
due au climat , à l'habitude de la vie de désordre et de guerres civiles , à la polyga-
mie et au travail réservé aux femmes , toutes ces infériorités font désespérer les
vrais amis de l'avenir de Haïti, si elle doit n'attendre son relèvement que de ses seuls
habitants.
- 177 -
Les jeunes gens ont été , depuis quelque temps, envoyés en Kurope se former au
contact de la civilisation européenne. Us sont rev. nus instruits , policés , civilisés ,
donnant les plus belles espérances. Puis, grisés par la flatterie, irrités par le succès
d autrui, ils ont repris les vieilles coutumes du pays , et conspiré contre les pouvoirs
établis, même contre les plus sages. En réalité, les carrières libérales, pour
lesquelles on les avait élevés , sont encombrées. Il y a actuellement à Port-au-Prince
40 avocats, dont 5 ou 6 au plus peuvent honnêtement vivre de leur profession. Que
devenir ? On fait un «.job ». On met en commun 30 ou 40,000 piastres pour fomenter
une insurrection. Si le, ;o& réussit, on s'empare du gouvernement et des places lucra-
tives. S'il échoue, on cherche refuge dans les légations, inviolables aux termes de la
constitution. Le jeu est si simple, (jue le rêve de tout jeune Hailien de bonne famille
est de faire un job. Le général Salomon , pour couper court à ses velléités , fusilla
tout simplement les conspirateurs. Mais après lui ?
■Si telle est l'aristocratie, que doit être le peuple ! Toutes les tentatives de relève-
ment semblent devoir échouer. Les prêtrts catiioliques, qui depuis quelques années
sont extrêmement bien recrutés, ont en vain essayé de répandre les principes d'une
morale supérieure ; les protestants s'en sont mêlés de leur côté ; il paraît même,
contrairement à ce qui se passe partout, que l'antagonisme ordinaire des mission-
naires des deux religions n'a pas eu lieu ; rien n'y a fait, les conversions ne sont que
superficielles ; le catholicisme est pratiqué simultanément avec le culte du Vawlotix
si même il ne recule l'ancienne civilisation. Qu'est , au juste , ce Vaudoux ? La
(|uestion est controversée. On y voit parfois un culte barbare, qui exige des sacrifices
humains ; et parfois un ensemble de règles fondées sur des préjugés ou sur une
hygiène au moins bizarre , et qui , par exemple , interdisaient à certaines races de
goûter de certains aliments. Ce serait quelque chose comme ce dont il est parlé
dans la délicieuse comédie indienne de Sahountala , oii l'on reconnaît le roi - dieu à
ce qu'il a touché, sans danger, une liane particulière. Quoi qu'il en soit, le Vau(hjux
existe, et le clergé trop peu nombreux, mal payé et surmené, en est réduit à consta-
ter l'inanité de ses efforts.
L'autre fléau de Haïti est le recrutement des étrangers qui y émigrent. Non qu'il y
ait lieu de proscrire ou d'écarter les étrangers , comme le fait sottement la contitu-
tion haïtienne, au contraire ; mais il faudrait avoir des immigrants de choix. On n'a,
sauf exception , que le rebut des nations. Les meilleurs d'entre eux ne cherchent
qu'à exploiter l'État. Soit qu'ils lui fassent des fournituies de qualité détestable ,
avec des bénéfices de 5 à 600 OjO , soit qu'ils lui réclament . avec des majorations
excessives, des indemnités illégales qu'Us obtiennent, grâce à la protection de leurs
consuls et de leurs ministres, de toutes façons ils agissent plutôt comme des ennemis
que comme des amis de la République.
Sous l'influence de ces dissolvants, l'État se trouve aujourd'hui dans une situation
excessivement précaire. Les étrangers ne pouvant posséder les terres à titre de pro-
priétaires, n'osent guère y aventurer leurs capitaux ; aussi l'agriculture n'y est-elle
pas prospère. Beaucoup de terres appartiennent à l'État. En 1877, il y avait en loca-
tion 2,105 fermes nationales, contenant environ 93,000 hectares, loués 6 fr. 15 l'hec-
tare. Beaucoup de domaines appartenant à de grands propriétaires sont loués
à moitAé, et peu florissants ; d'autres domaines moindres appartiennent en propre
aux paysans qui y font avec succès de la culture maraîchère. On pourrait . avec des
capitaux, même au prix où est la main-dœuvre (2 à 3 fr. par jour), faire à Haili de la
culture industrielle très profitable. Haïti produit presque sponta»émeul le café, le
coton, la canne à sucre, le cacao. Le café, bien traité, serait excellent, égal ou supé-
rieur au moka. La production en était, sous la domination française , en 1789 , de
de 88 millions de livres ; elle a été successivement en 1818, de 20 millions ; en 1824,
— i78 —
de 56 ; en 18a5, de 48 ; en 1860, de 61 ; en 1863, de 71 : en 1873, de 64 ; en 1875, de
72 ; en 1879, de 47, et en 1880, de 55 millions de livres. Et cela presque sans culture.
La canne à !<ucre , après une période de merveilleuse prospérité , réussit encore
admirablement. C'était , avant l'indépendance , la principale culture En 1789 , on
exporta 54 millions de livres de sucre blanc er 107 de sucre brut. En 1818, Texporta-
tion totale était tombée en tout à 1 million 900,000 livres, et en 1821 à 600,000, pour
disparaître ensuite des mercuriales. Mêmes résultats pour le coton. En 1789, l'expor-
tation en était de 8,400,000 livres; elle était, en 1835, de 1,600,000; en 1842, de
880,000; en 1853; de 560.000; en 1859. de 940,000; en 1860, de 690,000. Pendant la
guerre des Etats-Unis , grâce à des primes payées par l'Etat, ces chiffres remon-
tèrent en 1861, à 1;140,000; en 1862, à 1,475,000. Les primes supprimées en 1865, le
coton fut de nouveau délaissé, et remplacé en partie par la culture maraîchère. Seul,
le cacao a fait des progrès. En 1789, l'exportation en était de 609,000 livres. En 1863,
elle était de 2,200,000 ; et en 1881 , de 2,730.000 livres. Enfin , on trouve en abon-
dance divers fruits, mangue, orange, banane, des bois de teinture, et de l'acajou qui
existe partout dans cette île de la Tortue, récent objet de si vives contestations.
Le commerce a suivi toutes les fluctuations de l'agriculture. Il était , en 1789 , de
200 millions de trancs. En 1863 , après bien des vicissitudes , il était , s'il faut en
croire les statistiques, remonté à 105 millions, dont 44 à l'importation et 61 à l'expor-
tation : en 1864 , il n'était plus que de 98 millions , dont 51 à l'importation et 47 à
l'exportation. Les dernières années, soit à cause de plus d'exactitude dans les statis-
tiques , soit par suite d'une diminution réelle dans les transactions, présentent des
chiffres bien moins forts. L'exercice 1883-85 a donné à l'exportation 7,800,000
gourdes (1) (à 4 fr. 25) , l'importation , 6 millions , total : 13,800,000 , soit .58 millions
de francs : l'exercice 1885-86, à l'importation , 4,900,000 gourdes , et à l'exportation ,
7,550,000, total : 12,500,000, soit 53 millions de francs.
M. de Molinari, qui est un libre-échangiste enragé, exprime l'avis qu'il se ])0urrait
bien — mais ce n'est , a-t-il soin d'ajouter, qu'une conjecture que les statistiques
ne permettent pas de vérifier — que cette diminution du commerce fût due à
l'élévation nouvelle des droits à l'importation et à l'exportation. En octobre 1863 ,
à l'importation , ces droits , furent augmentés de 10 0,0 ; en 1870 , ils le furent
encore de 10 O'O ; plus tard , en août 18';2 , nouvelle surcharge de 25 0/0; puis,
en 1876 , les dettes auxquelles ces augmentations étaient affectées , se trouvant
éteintes, on rappela tous ces droits et on les remplaça par un droit unique de 50 0/0
au bénéfice de la caisse d'amortissement. Enfin, en mars 1883 , un droit additionnel
de 33 0,0 fut établi « pour équilibrer le budget ». A l'exportation , un droit extraor-
dinaire de 20 0,0 fut établi en 1872, et renouvelé en 1876 et et en 1885, pour garantir
l'emprunt dit de 1875 ; et en 1884 un droit supplémentaire de 100/0 fut encore ajouté
sur toutes les exportations. Si bien , qu'a l'importation , un baril de farine , par
exemple , revient au prix de 3 gourdes 88 cents , comme suit : un baril, 2 dollars :
droit de quai , 0,15 , soit 2 d. 15 ; 50 0/0 , soit 1.07 ; 33 1/2 0/0 , 0.66 ; total géiiéral :
3.88, ou 17 fr. 50 c. De même à l'exportation, 100 livres de café coûtent 1 gourde 66 ;
plus 20 0,0, 0.33; 10 00 supplémentaires, 0.17; total général : 2.16 ou 9.3J. En
somme, après le paiement des droits d'importation, le baril de farine au lieu de 9fr.,
doit être acheté 17. .50 ; et les 100 livres de café, après paiement des droits d'exporta-
tion, doivent , au lieu de 7 fr. 50, être vendues 9.30.
(1) Gourdes, dollar;?, piastre.? ."sont .«yuonymes. Cette monnaie vaut de 1 fr. iô s 1 fr. .^0, a moins de
baisse due au papier-moniiaie.
179 -
les
1S85-
Lebudo-et et intimement lié au commerco. Aujourd hui, presque toutes
recettes y^.nent d.. droits à Timportation etàTexportation. L.s recettes pour! ^
8?6 s' ll^e t à ,V.12,956 gourdes ou (a 4 fr. 2.) so.t 27,255,000 francs Elles eta.ent
n 1870-1877 de 20,618,325 fr., et en 1881 , de 20,3i4,775 fr. Sur -^t. somme d
0 4 2,000 gourdes, 89,000 étaient affectées aux «ff^^';«^«^--?«'-<^%,f "'^ ,'i"„'
finan es et au commerce, 1 nùUion 096,000 à la guerre et a la n.aruie 981,000 à 1 n-
Sluapoliee2^^0U'ag.cul.re,œ^^^
irn;:;î:£t;SSié:::tri^5oUg^:u^
• : liment, 460,000 à la Banque d'Haiti , 320,000 en ^0'.- u ..e^^^-^
V, Hl.nt du commerce , 800,000 aux feuilles d'appointements (1), 1,400,000 pour
L^ri:^:ursemenrd:^^ PO- le service des indemnités, et
^^^£^rrr;Zen.nt semble fait, depuis quelques années, d'une façon
nss^ri^oureuse. C'est là bon symptôme qui rend quelque peu courage aux amis
dHalu Si ce pays était débarrassé des révolutions et se n,etta.t couragcusemen ta
exnU ;r es rSsses dont il regorge, il serait bientôt en pleine opulence. « ■ ai ht
M C^er ?aint-John, parcou^ presque tout le globe, et je P-« ^^^^^ ^-1' >-
nulfe part une île aussi belle que Saint-Domigue. Aucun pays ne possède une plus
o-;!nde pu "ance de production : aucun, u,ie plus grande van té de sol, de clunats
5 Inrod uts. » Poui frer parti de tout cela, il ne faudrait qu'un premier et vig^m-
^ux effort de l'étranger. La France, qui a conquis Saint-Donangue, qui a. au s.ec e
NoTre 1 TssLance efficace de ses capitaux et de son industrie , ou ses capitalistes et
ses loéTeu Hront établir à Hait; un réseau de télégraphes et de chenuns de fer
ilt.lCdeTusines à café, exploiter les forêts de bois précieux, sans parler des
.^t s tnine'aleï elle v retrouvera au-delà de ce qu elle a perdu h Saïut-Donnngue
r ^eXt X îera bien^le se hâter. Si les prêtres et les religieux sont en train de
S^" t 0 1 t moiv^^ d'Haïti, les Allemands commencent à en faire la conque e
"o lique ei financière. . . Nous avons sans doute une avance consi^-fj; J-^^
Allemands; nous possédons toutes les sympathies de la POP^I'-^^^O-^ ' "°"^ J^^.'^^^^t
entre nos mains le culte et l'éducation et, en grande partie encore, le culte exteneur
n'a" revenons-nous de la fable du Licure et de la Tortue et ne nous atcardons
pas en chemin. »
l,a ..o«<Iîli«.. l.«.«eo«c .1.. Brésil. - Le Brésil atlire aujourd'hui toiit
pa "u'ient la.t'cnt.ou d„ moude co,™„ercial et ^'^"'^^^^^1
i„„ l'immense développement de ses côtes sur 1 océan Atlantique, la eit.uteae
plùslèrs de set provinces, ses innombrables ricbesses naturelle,, le sucées soudarn
deb„,,«. ,.l.ntpo»rspécl.m«d.,nHe,.«6o„v.r„ »..t s, prac.1^^^^^^^^^^
cepter, comme il accepterait des crocodiles empailles ! » (Moliuan , op. cl., p. M-,
L
- 180 -
et prodigieux de certains de ces produits et la place qu'ils tiennent sur les marchés
du monde entier , le bonheur exceptionnel qu'il a eu de rencontrer une forme de
gouvernement et un prince qui depuis des années lui ont assuré, parmi les révolu-
tions des pays voisins , la sécurité et la prospérité , l'avenir enfin que certains lui
prédisent et les spéculations qu'on bâtit sur cet avenir, toutes ces causes ont excité
la curiosité , mieux que cela , l'intérêt des voyageurs , des économistes et des finan-
ciers, et déterminé dans ce pays de nombreuses et sérieuses investigations sur ses
ressources, sur leur utilité et le meilleur moyen d'en tirer parti. Parmi les voya-
geurs les plus récents et les plus dignes de foi , deux Anglais , deux ingénieurs,
M. James W. Wells , qui vient d'écrire ses impressions dans un livre Three thou-
snnd j)iiles th)-o^(ffh Brazil {2 Yo\. in-8") , qui a fait quelques bruits à Londres , et
M. Hastin^s Charles Dent , autenv de A year in Brazil, édité récemment dans la
même ville, et un Français, bien connu à la Société de Géographie de Lille, M. Gou-
dreau, dans son récent ouvrage^Voyage à travers les Guyanes et l'Aniazonie, nous ont
livré récemment le récit de leurs observations dans différentes provinces du Brésil.
Chez tous trois le but, ou plutôt l'absence de but est identique: ils écrivent sans aucune
préocupation de personnes ou de pays. 11 est même assez curieux de voir chacun
d'eux censurer rigoureusement leurs administrations , leurs agents ou leurs compa-
triotes respectifs. Chez tous trois, il y a le désir de raconter ce qu'ils ont vu, et seu-
lement ce qu'ils ont vu, et la même défiance des généralisations imprudentes ou des
assertions sans preuves ; chez tous trois , enfin , il y a une sincère adniiration de ce
pays , avec , quoique à des degrés inégaux , la confiance en ses destinées. J'ajoute
que tous trois semblent avoir une haute compétence. Peut-être I\I. Wells, à cause de
son séjour plus prolongé, mérite-t-il une confiance particulière, quand il s'agit d'opi-
nions basées sur l'expérience personnelle Mais les trois ouvi'ages sont riches de
faits, de documents puisés aux meilleures sources, et témoignent de vastes connais-
sances techniques. Les appendices des deux auteurs anglais et certains chapitres de
M. Coudreau renferment sur la flore, sur le climat , sur la valeur économique du
Brésil, etc., les renseignements les plus détaillés et les plus intéressants.
Le Brésil est un vaste triangle dont la superficie est de plus de 8 millions de kilo-
mètres carrés, c'est-à-dire seize fois plus considérable que celle de la France. L'océan
Atlantique le baigne à l'Est sur une longueur de plus de 2,000 lieues ; il y découpe
des baies magnifiques comme celle de Rio Janeiro , qu'on dit la plus belle et la plus
pittoresque du monde entier, et , grâce à la facilité des communications , a , sur une
profondeur qui varie de 25 à 100 lieues, développé, en peu d'années, par l'agriculture
et le commerce, presque tout le long des côtes, une véritable richesse. Comme dans
tous les pays équatoriaux, il y a deux saisons : la saison des pluies, d'octobre à mai,
avec les ondées intermittentes d'aviil , et la délicieuse accalmie de mars ; la saison
sèche, de juin à septembre. La température varie nécessairement beaucoup dans un
pays aussi vaste, surtout de forme aussi allongée du Nord au Sud. M. Wells donne
comme température minima à Rio-de-Janeiro, dans les années 1880 à 1884, 50 degrés
Farenheit , 18 centigrades (l^' septembre 1882), et comme maxima 90" 50, 55 centi-
grades (27 janvier 1880) ; dans les villes, le long de la côte, la chaleur est plus forte,
sans devenir jamais excessive ; dans la montagne, on trouve une fraîcheur très
agréable. La moyenne thermométrique de l'empire semble être de 27" centigrades.
Le climat est salubre. La mortalité à Rio-de-Janeiro (ville et environs), qui n'est pas,
tant s'en faut, l'endroit le plus salubre du Brésil , est d'environ 25 pour mille, à peu
près comme à Paris ; et, chose qui n'étonnera pas ceux qui suivent d'un peu près ks
statistiques des causes de décès, ce n'est pas la fièvre jaune tant redoutée qui fait le
plus de victimes. En 1885, sur 10,182 décès , 1,754 étaient dus à la phtisie , 1,624 à
des causes diverses, 1,232 aux maladies de cœur, TO'3 à des accouchements malheu-
- 18i —
peux, 654 à la bronchite, 581 à des maladies des voies digestives, 555 k des maladies
de la iiioelle, 545 aux fièvres pernicieuses diverses, 480 à l'apoplexie, 374 à la fièvre
jaune, etc. La fièvre jaune semble varier d'intensité proportionnellement avec la
chaleur ; toutefois une hygiène meilleure et un traitement plu» efficace semblent
devoir réduire chaque année le nombre des décès qu'elle cause. Elle avait entraîné,
en 1878 , 1,174 décès ; en 1879 , 974; en 1880 , 1433 ; en 1881 , 912 : en 1882 , 95 ; en
18S3, 1336 ; en 1884 , 618 ; en 1885 , 374. Mais la décroissance est encore bien plus
marquée par les statistiques sur l'ensemble des fièvres pernicieuses. Les chiffres des
décès dus à ces fièvres ont été (toujours à Rio-deJanciro) , en 1878 , de 4,562 ; en
1879, de 2,147 ; en 1880, de 2,415 ; en 1881, de 1,871 ; en 1882, de 1,781 ; en 1883, de
3,963 ; en 1884, de 1,440 ; en 1885, de 1,342. Ces décès, ceux surtout provenant de la
fièvre jaune, sont dus le plus souvent à l'imprudence des victimes. Dans l'ensemble
des maladies , les indigènes figuraient , en 1885 , pour 7,000 et les étrangers pour
3,000, soit 10,000 sur 400,000 (Rio , ville et environs) : dans ce nombre , si les statis-
tiques sont dignes de foi , on comptait 9,881 hommes libres et seulement 301
esclaves.
La population du Brésil est d'environ 12 millions d'habitants , peut-être 13 , repré-
sentés par trois races : la race caucasienne, la race noire et les métis, chacune à peu
près pour un tiers ; de plus, il resterait quelques centaines de mille aborigènes. Dans
ces 12 millions, les esclaves figurent pour 1,100,000. La mort et les afl'ranchissements
ont réduit, depuis 1871, de 500,0001e nombre des esclaves, et depuis 1871 également,
une loi déclare libre tout enfant qui naît. Le traitement que les esclaves reçoivent
de leurs maîtres , dit M. Dent , quoi que l'on puisse nous raconter en Europe , est
très humain et même assez souvent familier et amical , et le serait bien davantage
encore sans les socialistes et les épouvantables conseils qu'ils donnent aux esclaves :
assassiner les maîtres, violer leurs filles et détruire leurs biens. D'ailleurs , les trois
races , que réunit la communauté de religion , vivent à l'ordinaire en bonne intelli-
gence et à peu près dans des conditions et avec des chances égales. Les blancs sont
plus civilisés et plus riches ; mais les noirs sont plus prolifiques ; « quant aux métis,
dit M. Dent , ceux que j'ai rencontrés , sont non seulement très intelligents , mais
très instruits, et particulièrement versés dans la connaissance des langues ».
Dans la race blanche, figurent à peu près 300,000 étrangers , immigrants établis à
demeure. Le gouvernement brésilien a , jusqu'ici , non seulement très bien accueilli
ces immigrants, mais il fait , pour les attirer , des dépenses s'élevant à plus de 100
millions de francs , et il leur distribue des terres. Toutefois , MM. Dent et Wells
disent tous deux , l'un , que l'immigration n'est pas établie sur un pied scientifique
et que, sauf des terres, on n'accorde aux immigrants aucun avantage qui puisse leur
faire préférer le Brésil aux États - Unis du Nord , par exemple , et à la République
Argentine ; l'autre , que ces inmiigrants se trouvent répartis seulement le long des
côtes de l'Atlantique , et que le Brésil semble se flatter de l'idée folle que les vastes
espèces de l'intérieur pourront être mis en valeur sans le secours de l'immigration.
Quoi qu'il en soit, cette immigration, sans être en rapport avec l'immensité du pays
à civiliser, est considérable , et jusqu'à ces dernières années , allait toujours en aug-
mentant. L'immigration atteignait . en 1870, le chiffre de 9,123 personnes ; en 1871 ,
de 12,.331 ; en 1872, de 18,441"; en 1873 , de 14,931 ; en 1877 , de 29,027 ; en 1878 , de
22,423 ; en 1882 , de 25,845 ; en 1883 , de 30,000 ; en 1884 , de 10,608. Parmi ces der-
niers, figuraient 8,683 Portugais, 5,933 Italiens , 1,240 Allemands , 598 Autrichiens ,
576 Espagnols, 155 Français. Les contingents respectifs des divers pays d'Europe
varient d'ailleurs notablement : en 1882 , il y avait , sur 25,000 immigrants , 15,500
Italiens, 9,200 Portugais, 3,700 Espagnols, 1,-570 Allemands, 249 Français. L'élément
dominant est l'élément Portugais, puis les Allemands. Il y a au Brésil plus de 150,000
— 182 —
Portugais et peut-être 100,000 Allcniauds. Les Portugais sont répartis un peu par-
tout ; les Allemands sont surtout concentrés dans la province de Rio-Grande-do-Sul,
où, dans la ville de Sao-Leopoldo et les environs , ils sont au nombre de 60,000. Ils
ne semblent pas avoir su , comme aux Etats-Unis , se fondre avec la population
indigène , qui est d'ailleurs très jalouse des étrangers , d'autant plus que ceux-ci ont
plus de succès. A Porto-Alegre , raconte M. Wells, un Allemand ayant gagné à une
loterie un lot de 200,000 milreis (à 2 fr. 84) les indigènes mirent le feu chez lui. La
source de cette irritation vient sans doute de ce que les Allemands ont su s'assurer
les meilleures terres et en tirer bon parti. Mais elle ne saurait durer , et la majorité
de la population brésilienne désii-e voir continuer et même s'accroître l'immigration
d'une race énergique et, en somme, loyale envers le Brésil.
Les Anglais sont peu nombreux , mais ils ont pris une situation prépondérante
dans les chemins de fer comme constructeurs ou exploitants. Les Français sont
surtout en Amazonie. On appelle Amazonie deux des quatre grandes provinces du
Brésil, celle d'Amazone et celle de Para : les deux autres sont celle de Mato Grosso
et celle de Minas Geraes, la plus peuplée des quatre, centre des mines d"or et autres
et qui aujourd'hui en est arrivée à chercher la richesse dans Tagriculture plus que
dans l'exploitation des gisements miniers. L'Amazonie est une vaste , une immense
forêt, qui mesure un peu moins de la moitié de l'empire : des fleuves innombrables
la sillonnent en tous sens : M. Wiener, l'explorateur que nous avons entendu avec
tant de plaisir, il y a quelques années, à Lille et à Roubaix, disait, devant la Société
de géographie de Paris, que le fleuve Amazone compte 1,200 affluents , presque tous
réunis entre eux par des canaux (furos), sortes d'arroyos naturels, et la publication
intitulée ^e Brésil à l'Exposition de Saiitt-Pétersbourr/, dit que l'ensemble de ces
cours d'eau offre 43,000 kilomètres navigables pour les bateaux à vapeur. Avec cette
masse d'eau , l'Amazonie n'en est pas moins un climat très sain, et qui, en dépit des
moustiques et autres insectes , passionne et retient tous ceux qui y sont allés.
L'Amazonie est d'une richesse prodigieuse. Les produits principaux sont la salse-
pareille, le cacao, et surtout le caoutchouc qui est en train de faire de l'Amazonie ce
que l'or a fait de l'Australie. C'est par milliards de francs , dit M. Coudreau , qu'il
faut évaluer les produits spontanés qui se perdent faute de bras. La population de
l'Amazonie était, eu 1871 , d'euvn-on 330,000 habitants : elle est actuellement d'envi-
ron 600,000 (1/5 habitant par kilomètre carré). La navigation du fleuve a été ouverte
en 1867. De 1868 à 1882, l'exportation a augmente de 700 0/0 ; elle est aujourd'hui
d'environ 80 millions de francs. La navigation à vapeur qui a pris un développement
inouï, a amené la création d'une capitale, la ville de Manaos , la merveille du Rio-
Negro et de l'Amazonie. Aujourd'hui , aucune autre ville de l'empire et peut-être de
l'Amérique du Sud , ne possède un plus magnifique réseau de navigation à vapeur.
Elle paie pour cela des subventions. La Compagnie de V Amazone , qui a d'innom-
brables services ; la Compagnie de Manaos ; la Red Cross Line, qui va de Manaos à
Liverpool, vid Para, Lisbonne et le Havre ; la Booth Line, qui va de Manaos à New-
York : la Companhia Brazileira, de Rio à Manaos par Para, touchent ensemble des
subventions de 6 à 700,000 francs ; mais c'est là de l'argent bien placé : de 1878 à
1884 , les revenus tant impériaux que provinciaux , ont passé de 1,031,158 à
2,355,657 milreis.
Cette vaste et admirable région , le gouvernement ne semble pas avoir tenté de
l'ouvrir aux étrangers ; c'est déjà ce que reniarquent M. Dent et ]M. Wells pour l'in-
térieur du pays. « Il est certain , dit M. Coudreau , qu'on ne pourrait pas citer un
seul fait , un seul ordre du gouvernement , tendant à faire affluer l'émigTation vers
les deux provinces du Nord. . . Épris , avec exagération peut-être , de la colonisation
allemande, il s'est désintéressé de l'Amazonie en pensant, ce qui est d'ailleurs exact,
— iS'S —
qu'elle était impropre à la colonisation alleinande. Mais des immigrants de race
latine, Portugais, Français, Italiens et autres, ne pourraient-ils pas s'y acclimater? »
Nos compatriotes ont pris en Amazonie une situation considérable. Notre langue se
parle à Manaos , à Para, tout à fait couramment : elle est enseignée dans les
écoles et réellemcint apprise ; les journaux s'en servent , même parfois le commerce.
Mais ce n'est pas seulement notre langue qui a passé là-bas ; une belle colonie fran-
çaise y est établie « Il est difficile d'en faire un recensement exact, nos compatriotes
répugnent de se fEÙre enregistrer au consulat ; mais, se basant sur des renseigne-
ments pris auprès des principaux conmierçants de la contrée , il semble qu'on puisse
actuellement fixer à 400 le nombre des Français se trouvant dans la province de
l'Amazonie, contre 200 dans celle de Para. Ce chiffre de 600 Français , presque tous
notables, constitue une forte proportion. . . Les autres colonies anglaise, allenjande,
américaine, italienne sont beaucoup moins importantes. » Nos stations sont notam-
ment Solimoens , Jurua , Madura, Purus , Javari , Rio-Negro. Il faut ajouter aux 600
Français 150 à 200 Israélites espagnols et marocains qui parlent tous français et se
réclament de la France. Nos compatriotes ne font pas tous le commerce. Quelques-
uns sont des agTiculteurs, de petits industriels , exploitant le caoutchouc , distillant
la sucre , armant et louant des bateaux à vapeur. Parmi les commerçants , M. Gou-
dreau cite une maison qui fait des affaires considérables par le procédé suivant. Elle
a une vingtaine déjeunes gens choisis , qui voyagent dans l'intérieur , et à qui, sur
la simple garantie de leur solvabilité , elle confie , moyennant commission , 20 ou
30,000 francs de marchandises. Au bout de huit ou neuf mois d'absence , ce.s voya-
geurs reviennent, puis recommencent encore et finissent par s'établir à leur compte.
Au total, dit M. Goudreau, la France a fait, en 1885 , avec l'Amazonie, un commerce
de 50 milUons de francs. Quel progrès en peu d'années !
Au reste, l'empire tout entier a, sous ce rapport , fait de grands progrès. En 1870-
71, l'importation était de 137, et l'exportation de 100, soit au total 30i millions de
milreis (à 2 fr. 84) ; en 1871-72, ces chiffres étaient respectivement 158 et 193, total :
351 ; en 1872-73 , 156 et 215 , total : 372 ; en 1879-80, 172 et 221 , total : 394 ; en 1880-
81, 180 et 233 , total : 414 ; en 1881-82 , 184 et 216 , total : 400 ; en 1882-83 , 185 et
195 , total : 380 ; en 188'3-84 , 194 et 202 , total : 394. Il y a là une légère décroissance
dont les motifs sont l'élévation des droits de douanes , la fermeture des ports brési-
liens par le choléra , et la création à grand renfort de primes, d'industries protégées.
Dans ce commerce , l'Angleterre prenait , en 1882 , 51 0/0 à l'importation et 45 0,0 à
Texportation , soit 48 0,0 en moyenne ; la France 19 0/0 et 13 0,'0, soit 16 0,0 ; les
États-Unis 4.5 et 20 0/0 , soit 12 0,0 ; l'Allemagne et l'Autriche 5.2 et 3.4 0/0 , soit
4.3 0/0 ; le Portugal 5 et 4.7 0/0 , soit 4.87 0,0. Ge sont là, d'ailleurs, des proportions
qui ont dû. , en quelques années , notablement changer. L'Allemagne a pris une
avance énorme dans cette pai'tie du monde comme dans les autres. Le consul d'An-
gleterre à Santos a signalé à maintes reprises l'invasion de son district par les pro-
duits allemands. Ç'avaient n'abord été la poterie et la verrerie ; en 1886, il signale la
coutellerie et les objets en acier. « J'allai, dit-il, un jour, acheter dans un vaste maga-
sin une paire de ciseaux. — Sûrement, fis-je au marchand , voilà des ciseaux qui ne
sont pas de fabrique anglaise ? — Non ! monsieur , ils sont allemands. — Mais j'en
préférerais de fabrique anglaise. — Nous n'en avons pas. — Gonmient ! pas. Mais
ne m'avez-vous pas dit. il y quelque temps , que vous ne vous fournissiez dans ce
genre que de marchandises anglaises , les marchandises étrangères étant très infé-
rieures ? — Cela est vrai , mais depuis peu, nous avons changé d'idée. Lue grande
maison d'importation allemande est venue récemment s'établir à Sao-Paulo, avec un
vaste assortiment de coutellerie allemande qu'elle distribua dans toutes les villes de
l'intérieur. Ces objets allemands ne valent certainement pas comme qualité et comme
- 184 —
fini les similaires anglais ; mais ils coûtent 75 0/0 de moins. Les marchands au
détail n'ont plus vu demander que de ceux-là ; et jjour faire des affaires , nous avons
été forcés de faire de grands achats de coutellerie allemande , à l'exclusion des
produits anglais » M. Coudreau donne les mêmes indications pour certains
produits français. La produit allemand envahit tous les pays à cause de son extrême
bon marché.
Or , par ce temps de protectionnisme . au Brésil comme ailleurs , il n'y a que le
produit bon marché qui puisse passer par dessus les droits élevés dont on le frappe.
Le Brésil , après l'Europe , s'est dit, comme les États-Unis , qu'ayant chez lui tous
les produits naturels, il serait naïf de les acheter, une fois travaillés, aux vieux pays
industriels. Le danger de ce raisonnement est , qu'à leur tour , les pays industriels
peuvent chercher ailleurs les produits naturels. Il est parfaitement admissible qu'un
jour le coton, qui a réussi dans l'Inde , réussisse aussi eu Indo-Chine , en Australie ,
etc., et qu'alors la France, l'Angleterre s'en approvisionnent non plus aux Etats-Unis
ou au Brésil, mais chez elles, dans leurs propres colonies. Mais tout cela est encore
loin ; le Brésil ne s'occupe que du présent , il veut tirer le meilleur parti de ses
ressources, et il faut avouer que de moins grandes richesses peuvent faire tourner
des têtes plus solides.
Le Brésil est, en effet, comblé de tous les produits naturels. Le café, le coton , la
canne à sucre , qui occupent les deux tiers des cultures, y viennent exceptionnelle-
ment bien, ainsi que le blé, le riz, l'ananas , la banane , le cocotier. La moyenne de
rendement par unité qui est de 20 en Europe , serait au Brésil de 30 à 60. Le Brésil
fournit la moitié du café du monde entier : 360 millions de kilos sur 660 millions. Et
sans la dépréciation considérable qui a atteint ce produit , ce serait pour lui une
source inépuisable. La canne à sucre est également très avantageuse. Un homme
peut à lui seul eu exploiter deux hectares, il gagne 3,000 à 4,000 francs par an , en
calculant la vente sur le pied de 19 fr. les 1,000 kilos. .J'ai parlé plus haut des
richesses de l'Ama/.onie : le caoutchouc, la gomme copal, les ré.sines. 30 millions de
têtes de bétail. Outre les produits agricoles , d'autres produits naturels de toute
valeur : des pierres précieuses comme le diamant , le cristal de roche , l'or de Minas
Geraes, le granit et le marbre, la houille, le salpêtre, l'alun, le sel gemme ; des dépôts
de phosphate de chaux aux îles Fernando de Norouha , évalués à 1.300,000 tonnes :
le cuivre, etc., etc.
Jusqu'ici le Brésil s'était contenté de vendre ces produits et il avait fait ainsi des
opérations très lucratives. En 1840 , il exportait du café pour 20 millions de milreis ,
lu sucre pour 10 , du coton brut pour 4 , des cuirs pour 2 , du caoutchouc pour
200,000 milreis , d'autres produits encore pour 2 millions ; en 1881 , en dépit de la
baisse des prix , cette exportation était pour le café de 126 millions de milreis , pour
le sucre de 25 , pour le coton de 5 , pour les cuirs de 8 , pour le caoutchouc de 11 ,
pour les autres produits de 41 ; et en 1885 , elle était encore , malgré une baisse per-
sistante , pour le café de 105 millions de milreis , pour le sucre de 32 , pour le coton
de 8 , pour les cuirs de 8 , pour le caoutchouc de 11 millions. Mais , depuis peu , la
possession de tous ces produits naturels a inspiré au Brésil le désir de les exploiter
lui-même. Il a fondé ou subventionné des fabriques de sucre et de coton et construit
des chemins de fer pour en assurer l'écoulement , etc. Les manufactures de coton ,
au nombre de 60, réussissent fort bien , d'autant mieux qu'elles sont plus loin de la
côte , le coton et la main-d'œuvre y étant moins cher. Il en est autrement des
fabriques de sucre. Dans 14 provinces , il existe plus de 50 usines centrales , repré-
sentant un capital de 120,000,000 de francs , auquel le gouvernement garantit un
intérêt de 6 à 7 0/0, et malheureusement la garantie doit fonctionner , car ces entre-
prises subventionnées ne sont pas heureuses , non plus d'ailleurs que les entreprises
- 185 —
privées. Les chomiiis de fer brésiliens ont été construits ou par l'entreprise privée
(en grande partie par des Anglais) ou par le gouvernemont ; d'autres sont subven-
tionnés parles provinces ; une Conipagnie est française. La longueur en exploitation
était, en 1885 , de 7,000 kilomètres; en const'-uction , de 1.300 kilomètres , et en
projet, de 5,000 kilomètres. Plusieurs de ces lignt s donnent de l)eaux dividendes ;
cependant, d'après un tableau dressé par M. Wells , un certain nombre sont chaque
année en déficit, et ce qui , d'après ce même tableau , semble indiscutable , c'est que
depuis deux ans le longueur de voies en projet a été réduite.
Cela ne saurait nous étonner. Le Bré.sil est sillonné par d'innombrables lleuves.
Ces fleuves se répartissent en trois grands bassins : celui çle l'Amazone , celui des
fleuves qui coulent à l'Est vers l'Atlantique, celui des fleuves qui coulent au Sud.
Ces fleuves sont presque tous navigables pour les bateaux à vapeur , et j'ai donné
l'énorme développement de l'Amazone et de ses affluents qui sont dans ce cas. Les
chemins de fer brésiliens n'ont donc d'autre objet que de réunir ces bassins et de
desservir certains points de la côte. Toutefois , les distances sont telles , que ce
seraient encore là d'énormes longueurs de voies ferrées : l'obstacle véritable à la
construction est l'état des finances brésiliennes. Depuis 1874, pas une seule année le
budget n'a été en équilibre. Les recettes étaient, en 1875, de 113 millions de milreis
et les dépenses de 133 ; en 1876. 109 et 1.33 ; en 1877, 108 et 143 ; en 1878, 120 et 161 :
en 1879, 125 et 190 ; en 1880, 137 et 166 ; en 1881, 145 et 152 ; en 1882, 149 et 156 ;
en 1883 , 145 et 165 ; en 1886 , 134 et 142. Pour faire face à ces dépenses , il a fallu
emprunter. On devait déjà beaucoup à l'étranger ; on emprunta à l'intérieur. La
dette étrangère était, en 1875 , de 177 millions de milreis (à 2 fr. 84) ; elle n'est plus ,
en 1885, que de 163, mais la dette intérieure qui n'était, en 1875, que de 487 millions,
est en 1885 de 690 , titres d'emprunts , papier-monnaie et dépôts de caisse d'épargne
compris.
Cette situation embarrassée inspire à certains amis du Brésil de tristes pensées.
JM. Dent, qui, une fois l'empereur Dom Pedro disparu , voit tout en noir , croit à un
affaissement momentané du crédit brésilien. M. Wells , au contraire , fait remarquer
que le pays est très peu taxé, qu'il n'a engagé jusqu'ici à ses prêteurs ni revenus, ni
propriétés, ni impôts ; qu'il a d'immenses richesses inexplorées ou inexploitées, et il
conclut, comme d'ailleurs MM. Coudreau et Dent, que la colonisation est sa grande
ressource. Il y a, dit-il, telle contrée oii un « immigrant travailleur et économe, avec
un capital médiocre , mettons une dizaine de mille francs , convenablement guidé et
dirigé par des amis expérimentés , aurait bien autrement de chances qu'à suivre le
courant ordinaire de l'immigration aux colonies ou aux Eltats-Unis ». La conclusion
est qu'il faut que le Brésil fasse la chasse à l'inunigrant , et qu'il dispute par de
bonnes lois , à la République Argentine et aux États-Unis les immigrants qui s'y
portent en foule.
Les ressources économiques île IXruguay. — Trois ans après
que Christophe Colomb eut abordé à File de Guanahani , une des îles du groupe
des Lucayes, le pape Alexandre V, par une bulle restée ajuste titre fameuse, parta-
geait entre les couronnes unies de Castille et d'Aragon et la couronne de Portugal
toutes les terres découvertes ou à découvrir par les navigateurs des deux pays ,
allouant aux Espagnols tout ce qui serait à cent lieues à l'ouest des Açores, d'uno
ligne imaginaire tirée d'un pôle à l'autre, et réservant aux Portugais tout ce qui était
à l'est de cette ligne.
Grotius , au XVIP siècle , protestait au nom du droit des gens et au
nom des autres nations maritimes contre cette main-mise sur un domaine qui
ne pouvait pas plus appartenir au Saint-Père qu'aux deux peuples à qui il en
13
— 186 —
faisait cadeau. En fait, la i^rotestation était parfaitement inutile , car ni les compa-
triotes de Grotius , ni les Anglais ou les Français ne s'étaient crus un seul instant
liés par la dévolution d'Alexandre V et , dès 1496 , le roi Henri VIII , d'Angleterre ,
avait muni le Vénitien Jean Cabote ou Cabot, de pouvoirs aussi larges que ceux
donnés par le pape aux navigateurs castillans et portugais. Jean, accompagné de son
fils Sébastien, après avoir débarqué dans l'île de Terre-Neuve, avait reconnu la terre
ferme d'Amérique que Colomb ne vit que l'année suivante , de même qu'il devait ,
deux ans plus tard, suivre la côte des futurs Etats Unis, mais sans y aborder, depuis
le cap Breton jusqu'aux Florides. Six ans plus tard, la France, suivant cet exemple,
prenait pied a son tour sur cette terre, où elle allait pendant un siècle et demi jouer
un rôle si éclatant et laisser, dans sa défaite même, d'impérissables souvenirs , et en
1596, un habitant de Honfleur , du nom de Jean Denys , dressait une carte du golfe
du Saint-Laurent. La donation d'Alexandre V aux couronnes de Castille et de Por-
tugal était donc en lambeaux une dizaine d'années à peine après son octroi , et
d'ailleurs ce n'était pas à titre de souverain temporel que le pape avait lancé sa bulle,
c'était comme le chef suprême de la catholicité. Alexandre V se croyait , en cette
dernière qualité, le droit de disposer des nations plongées dans l'idolâtrie, de païens
auxquels il ne reconnaissait aucun droit à la propriété du sol qu'ils habitaient. Il
chargeait les Espagnols et les Portugais de la mission de les convertir à la foi chré-
tienne — ut fides catholica et religio christiana (ainsi s'exprime la bulle) nostns
prœsertim temporibus exultetur , etc., ac barbarœ nationes deprimantur et ad
fidem ipsam reducantur — et ce n'était que simple justice de rémunérer, par le don
de ces riches pays, les nouveaux croisés.
L'Espagne, cependant, non contente de s'approprier tout le Mexique et l'isthme
central, voyait d'un œil jaloux le Portugal s'installer aux Moluques , dont les
richesses étaient alors l'objet de fabuleux récits, et elle avait l'intention de planter
son drapeau, elle aussi, sur l'archipel malais. C'est dans cette intention qu'elle cher-
chait une comiiumication entre les deux grands océans, et qu'elle chargea de la trou-
ver un des plus habiles marins de son temps, Juan Diaz de Solis, grand pilote de
Castille. Avec deux bâtiments , Solis quitta le port de Lope , le 8 octobre 1513 , et
descendant le littoral sud-américain, il rencontra l'estuaire de la Plata, qu'il remonta
jusqu'à l'île qui reçut de lui le nom de Martin-Garcia , son second. Solis , en débar-
quant sur le rivpge oriental , tomba dans une embuscade de Charruas et y laissa la
vie. Le mauvais résultat de cette expédition parut décourager un instant les Espa-
gnols ; mais , onze ans plus tard , ils confiaient une expédition analogue à Diego
Garcia, qui mit à la voile à la Corogne , vers le milieu d'août 1526 , et quelques
semaines plus tard, pénétra dans le rio de la Plata. II y fit la rencontre de Sébastien
Cabot , qui avait quitté l'Europe presque en même temps que lui , à la recherche
d'une communication entre les deux mers , mais que le manque de vivres et l'insu-
bordination de ses naarins avaient forcé de ralâcher dans l'estuaire de la Plata, où il
avait jeté l'ancre près de l'île San-Gabriel. Une petite troupe armée qu'il avait débar-
quée pour reconnaître les rives du rio Uruguay , avait été massacrée par les indi-
gènes. Cabot prit alors le parti de remonter le rio Parana, il y parvint jusqu'au
confluent du Garoana , où il fonda le fort du Saint-Esprit, le premier établissement
des Européens dans le bassin de la Plata. C'est sur ces entrefaites que parut Diego
Garcia , et suivant les habitudes du temps , des difficultés ne tardèrent point à s'éle-
ver entre les deux commandants , quoique au service de la même cour , et Garcia
rentra bientôt en Espagne. Sébastien Cabot, de son côté, craignant que Garcia ne le
desservît à Madrid , revint dans sa patrie , laissant le fort Saint-Eprit à une petite
garnison avec qui les Indiens vécurent d'abord en parfaite intelligence , mais qu'ils
finirent par massacrer à l'instigation d'un de leurs caciques qui était devenu amou-
reux de la femme d'un officier espagnol.
- 187 -
Go désastre n'empêcha pas le gouvernement espagnol de songer définitivement à
roccupation du bassin de la Plata. Don Pedro de Mendoza prit terre , au coirinience-
ment de 1535 , sur la rive occidentale du fleuve et il y jeta les premiers fondements
d'une ville qu'il nomma Santissima Trinidad, tandis qu'il appelait son port Santa
Maria de Buenos-Ayres ou Sainte-Marie- du-Bon-Air. Tandis que les Espagnols occu-
paient ainsi le littoral , plusieurs expéditions parties du Pérou franchissaient les
Andes, exploraient et peuplaient l'intérieur du pays. C'est ainsi que furent successi-
vement fondées les villes do Santiago del Estero en 1553 , de Tucuman en 1565 , de
Cordoba en 1573, de Salto en 15(12, de la Rioja en 1591 et de Jujuy l'année suivante.
En même temps, des explorateurs venus du Chili fondaient les villes de Mendoza et
de San Luiz. Quelle que fiât l'importance des provinces de la Plata et leur prospé-
rité, elles n'en restèrent pas moins de simples annexes de la vice-royauté du Pérou
jusque vers l'année 1776, année oii elles furent érigées en vice-royauté spéciale avec
Buenos-Ayres pour capitale. Elle comprenait les territoires qui sont devenus depuis
les républiques Argentine , de l'Uruguay et du Paraguay , et son premier vice-roi fut
le vaillant général Zéballos , qui avait enfin forcé les Portugais à dépouiller toute
prétention sur l'intérieur du bassin do la Plata,
Trente-quatre ans plus tard, le 10 mai 1810, on apprenait sur les bords de la Plata
la prise de Cadix et la chute de cette célèbre junte qui avait essayé de fonder en
Espagne la liberté politique , tout en luttant pour l'indépendance nationale près de
succomber sous le plus audacieux et le plus immoral des nombreux attentats de
Napoléon l^\ A Buenos-Ayres , comme au Mexique et dans toutes les colonies de
l'Amérique méridionale, il y avait une lassitude réelle de la détestable administration
de la métropole, et la révolution n'attendait qu'un moment propice pour éclater. Le
22 mai, une assemblée de notables décida d'abolir la vice-royauté, et trois ans après,
un gouvernement provisoire était nommé ; c'est de ce jour que le peuple argentin
date son indépendance, et c'est à cet anniversaire qu'il la commémore encore aujour-
d'hui. Mais en réalité elle resta incertaine jusqu'aux mémorables victoires qui con-
duisirent le général San-Martin à Santiago-du-Chili et à Lima , la capitale du Pérou
(1817-1821). Seulement, les épreuves des provinces émancipées étaient loin d'être
finies ; à peine la guerre de l'indépendance était-elle terminée, que ses anciens géné-
raux se disputaient le pouvoir et que la guerre civile éclatait dans le bassin de la
Plata. L'Uruguay a longtemps vécu dans un état d'anarchie complète et la Répu-
blique Argentine n'y échappait que pour tomber sous la brutale dictature de Rosas.
L'Uruguay occupe une superficie d'environ 171,178 kilomètres carrés et compte une
population de 568,000 habitants, dont un quart environ habite Montevideo, sa capi-
tale. Cette ville a sur Buenos-Ayres l'avantage de posséder une magnifique situation:
elle s'élève sur une petite langue qui s'avance dans la mer entre deux anses , dont
l'une, celle de l'Est , lui fait un port , qui a un pourtour d'environ 10 kilomètres et
qui va se terminer à la colline, haute de 130 mètres, dont la ville tire son nom. C'est
une ville jolie , bien bâtie et assez bien pavée, qui se vante de deux belles places , la
Plaza de la Constitution et celle de la Independancia , ainsi que d'une rue magni-
fique, celle du Dix-Huit-Juillet. Du reste, elle ressemble à toutes les villes de l'Amé-
rique méridionale, avec ses rues étroites, coupées à angles droits , ses maisons aux
toits plats, ses terrasses et ses hauts miradores. Ses édifices publics n'ont rien de
remarquable , mais ses édifices privés montrent de l'élégance , sinon du goiît. Le
niarbre s'étale à profusion dans leurs cours comme dans leurs escaliers , mais à l'in-
térieur les appartements sont décorés simplement et meublés de mémo. C'est, en
somme, le seul bon port de l'estuaire de la Plata. 11 est à la vérité exposé aux vents
du sud, de sorte qu'il n'est ni sûr ni facile d'y attérir par les gros tem[)S ; mais la
profondeur de l'eau y est suffisante , même auprès de la ville , pour permettre la
— 188 —
construction de quais et de jetées qui obvieraient à cet inconvénient , et de Tauti-e
côté de la baie . près du Cerro , on a bâti une digue en granit qui a coûté quelque
chose comme 10 millions de francs. Avec cette amélioration et quelques autres de
même genre, des ingénieurs distingués estiment que Montevideo est destiné à deve-
nir un jour un centre maritime digne de l'immense système hydrographique de la
Plata, d'autant que les provinces de l'intérieur du bassin de ce fleuve et les provinces
méridionales du Brésil n'ont pas d'autre débouché.
Comme il n'y a plus d'Indiens dans l'Uruguay, ses 568,000 habitants se composent
par portions à peu près égales de créoles et d'immigrants européens. Les premiers
— Hijos del pais — représentent les 52 centièmes de la population et les seconds
ses 42 centièmes. Montevideo voit débarquer annuellement une moyenne de 18,000
Européens qui viennent s'établir dans le pays , et les quatre dixièmes de sa popu-
lation, environ 50,000 habitants , sont aujourd'hui d'origine étrangère. Parmi les
émigrants, c'est la nationalité italienne qui domine. Vous vous croiriez transporté
dans une colonie italienne , écrivait il y a quelques années , le célèbre hygiéniste
Paola Mantegazza. « Le marinier qui vous débarque est italien : italien aussi est le
portefaix qui transporte vos bagages ; italien encore qui vous héberge. '^ Sur 100
immigTants , on en compte , en effet , 35 qui sont d'origine italienne ; les autres sont
des Espagnols , des Français , des Basques surtout , des Anglais ; des Brésiliens de
la province de Rio-Grande, qui ont pris l'habitude, depuis longtemps déjà, de
fonder des parcs à bétail dans l'Uruguay méridional. Aussi bien , l'empressenient
des Brésiliens à s'établir dans la Banda oriental ^e\xi-\\ paraître suspect , et ce ne
sont pas là, croyons-nous bien, les immigrants que les Uruguayens voient du
meilleur œil. Bien que son aire soit cinquante fois plus étendue et sa population
trente fois plus considérable , le Brésil convoite cependant ce territoire et il regarde
le Rio de, la Plata comme .sa frontière normale du Sud.
La richesse des deux rives de la Plata est essentiellement agricole et pastorole ,
avec cette différence que dans l'Uruguay la production agricole, proprement dite,
l'emporte sur l'élève du bétail , tandis que c'est tout le contraire dans la République
Argentine. Toutefois , l'Uruguay est un .des pay.s du monde où il s'abat le plus de
bétail et la péninsule de Fray-Bentos , que forment au-dessus de leur confluent le
Rio-Negro et l'Uruguay , n'est qu'un immense abattoir. C'est pour leur peau , leur
graisse, leur suif, leur laine seulement, que ces millions de bœufs, de chevaux et de
moutons sont massacrés. La carne tasajo , c'est-à-dire la viande bœuf que les éle-
veurs découpent eu minces lanières et font sécher au soleil, après l'avoir imprégnée
de sel, est recherchée au Brésil et à Cuba pour l'alimentation des nègres. Mais elle
n'est pas faite pour le marché européen et celui-ci ne s'accommode pas mieux du
cliarque dulce, desséché seulement et non salé d'abord. Depuis quelque temps, on a
bien essayé d'utiliser d'une manière plus avantageuse la chair des animaux abattus,
et il arrive en Europe quelques quantités connues sous le nom d'extraits de viandes
préparés par le procédé Liebig. On a obtenu , dans cette voie , quelques bons résul-
tats , mais forcément limités , et puisque les producteurs argentins et urugayens
semblent avoir conçu l'ambition' de devenir , en fait de viandes conservées , les four-
nisseurs attitrés de l'Europe et surtout de l'Angleterre, qui en ce moment regarde du
côté du Canada et des Etats-Unis pour le futur approvisionnement de ses formidables
boucheries, il n'était que temps pour eux de cherchei- , comme ils l'ont fait , quelque
chose de mieux.
Il est certain, d'ailleurs, que l'Uruguay est loin d'avoir fait usage de toutes ses
resources productives ; pour le prouver , il sufflt de mentionner ce fait que , d'après
la Bescripcion du général Reys, sur 19 millions de terres arables , il n'y en a guère
plus de 14 millions à l'état d'occupation ou d'exploitation. Ce calcul,il est vrai,remonte
— 189 -
à plusieurs années ; mais les derniers états de l'administration des contributions
directes établissent que depuis , la culture- n'a guère conquis plus de 200,000 hec-
tares. On évaluait à 250 millions de francs la valeur des terres labourées et à 652
celle de la propriété bâtie ; mais sur le nombre des propriétaires et la répartition de
la propriété foncière, on manquait de données pour toute l'étendue de la république.
On savait seulement que dans la province de Montevideo on comptait près de 8,000
propriétaires et que , chose singulière, il n'y en avait pas le tiers qui fussent Uru-
guayens ; les autres étaient des Italiens , des Espagnols , des Français , des Argen-
tins, des Anglais, des Allemands, des Brésiliens, des Suisses. La grande propriété,
celle qui représentait une valeur de 500,000 à 2 millions de francs , ne comptait que
pour 0.30 0/0 du total, et la part des propriétés de 200 à 500,000 fr. n'était elle-même
que de 1.15 0/0. La propriété qu'on peut appeler moyenne, celle qui va de 50 à
500,000 fr. , figurait pour les 20 centièmes, tandis qu'un autre centième appartenait
aux propriétaires de biens allant de 20 à 50,000 fr., et 58 centièmes à la petite pro-
priété, celle dont le lot est inférieur à 25,000 fr. Cette distribution est une preuve
qu'à parler d'une façon générale , la propriété terrienne est dans les mains de ces
petits capitalistes et de ces petits commerçants qui sont venus s'installer dans le
pays depuis 1838, et qui ont su s'y créer une existence à la fois aisée et agréable.
Les tableaux suivants expriment le mouvement commercial de l'Uruguay pendant
les deux années 1884 et 1885 :
Liquides en général
Céréales et comestibles
Tabacs et cigares
IMPORTATION.
1884
1885
.\u(jiuentalion
Diminution
Piastres.
3.599.589
4.826.563
529.650
3.002.660
1.36i.723
5.016.965
5.209.924
Piastres.
3.806.856
4.416.865
519.660
3.764.039
1.399.232
6.085.653
5.283.2;i
Piastres.
267.267
»
»
»
34.509
1.068.688
73.307
Piastres.
409.698
10.050
238.621
»
»
»
Denrées
Étoffes et confections . . . .
Matériaux pour l'industrie. .
Articles divers
Totaux
24.550.074
25.275.476
1.383.771
658.369
Animaux sur pied
Conserves, salaisons
Produits agricoles
Autres articles
export;
^TION.
1884
1885
.\iHjmpnlalioii
Diniiniitiiin
Piastres.
624.692
23.336.420
302 537
384.232
ll.OO't
Piastres.
762.255
23.462.518
633.797
313.904
80.562
Piastres.
137.563
J 26. 098
331.260
»
»
Piastres.
»
»
70.328
31.042
Articles pour le ravitaille-
ment des navires
Totaux
24.759.485
a5. 253. 036
594.921
101.370
190
Quant à la part qu'ont prise à ce trafic les divers pays, en voici les détails
IMPORTATION 0/0.
Angleterre 29 »
France 16 »
Espagne 9 »
Allemagne 9 y>
Brésil 8 »
Italie 6 »
Etats-Unis 8 »
Belgique 3 »
République Argentine 2 90
Cuba » 79
Paraguay » 59
Chili » 55
Hollande » 25
Suissej » 15
Portugal » 12
Indes » »
Chine eft Japon » 04
Ile Maurice » 02
Paj's divers 4 02
Danemark et Russie » »
Autriche-Hongrie » 1
Iles Canaries » »
EXPORTATION (0/0).
Angleterre 19
États-Unis 17
Belgique 14
France 13
Brésil 13
République Argentine 5
Itahe 2
Espagne 1
Allemagne 1
Cuba 1
Portugal » 53
Chili » 22
Antilles,Maurice et la Réunion » 08
Cap de Bonne-Espérance > 06
Venezuela » 05
Paraguay » 03
Inde, Chine et Japon » 003
Iles Maldives » 003
Hollande : » 01
Pays divers 7 89
En remontant le Parana , les Conquistadores n'avaient d'autre dessein que de
chercher par terre une route vers le Pérou , qui fût plus courte que la voie du cap
Horn, et dans cette exploration , ils ne songeaient à se servir du cheval que comme
porteur. Mais, trompés dans leur principale recherche et s'étant étabhs sur les bords
de la Plata, l'idée leur vint d'acclimater dans le Nouveau-Monde l'espèce chevaline.
Les chevaux abandonnés par Mendoza sur les lieux même où une cinquantaine
d'années plus tard devaient s'élever les premiers quartiers de Buenos-Ayres, avaient
pullulé et la multiplication des chevaux laissés libres dans la pampa devint si rapide
que bientôt les colons ne surent que faire de ces quadrupèdes. Aujourd'hui encore ,
malgré l'accroissement de la population et des guerres continuelles qui ont fait une
consonmaation incroyable de chevaux , comme par exemple la guerre du Paraguay
ou il en a péri plus de 400,000 ; malgré les abattages incessants destinés autant à en
réduire le trop grand nombre qu'à en utiliser la graisse et la peau, ces animaux sont
en nombre si considérable qu'à peine surveillée et abandonnée à peu près à elle-
même pour la reproduction , la race chevaline suffirait , dans le bassin de la Plata ,
aux besoins d'une population dix fois plus considérable , dùt-elle en abuser comme
autrefois.
Il y a quelques années , on ne connaissait guère sur les deux bassins de la Plata ,
qu'une seule manière de voyager. Habitué au cheval dès son premier âge et à demi
- 191 -
centaure, Vhijo del pais faisait, sans s'en apercevoir, des traites quotidiennes d'une
centaine de lieues, et force était au voyageur étranger, mal fait à ce genre de loco-
motion, de profiter des charrettes qui allaient d'une province à l'autre traînées par des
bœufs, faisant de six à huit lieues par jour, ou des tropas de mulns , plus accélérées
que les charrettes, mais plus fatigantes , pour peu qu'il ne fût pas assez, riche pour
se procurer une voiture particulière ou tout au moins une place dans ces lourds véhi-
cules à la vieille mode castillane , qu'on appelait messcKjeyies , et que l'on voyait de
temps à autre se mouvoir sur les grandes routes , au petit trot de sept chevaux
étiques montés chacun par un postillon. Rien de plus pittoresque , assurément , que
cette voiture européenne au milieu d'un désert du Nouveau-Monde ; mais comme
moyen de locomotion , rien de moins confortable : le voyageur arrivé au gîte , qui
voulait rendre à ses membres endoloris quehiue souplesse, devait de toute nécessité
emporter avec lui ses matelas et ses couvertures. Maintenant la vapeur siffle dans la
pampa et y promène son panache de fumée. Près de 2,000 kilomètres de voies fer-
rées sillonnent les régions au sud du grand lieuve, et il est question d'un chemin de
fer qui, franchissant la colossale barrière des Andes et se prolongeant par le Chili
jusqu'à Valparaiso , joindrait ainsi les deux Océans. L'Uruguay possède pour son
compte quatre voies ferrées qui s'appellent le Central, l'Uruguay du Nord, l'Uruguay
du Nord-Est, l'Uruguay de l'Est. Le premier, partant de Montevideo , aboutit à
Durazno ; le second se dirige de la ville de Salto sur la frontière brésilienne ; le
troisième relie Montevideo à Sainte- Lucie , et le quatrième court de Montevideo
à Pando.
Les Ktats-lJiiijH et riniinig;ration. — Il y a un mois, des tisseurs lyon-
nais, au nombre de vingt-quatre, sont partis pour l'Amérique, ayant en poche un
engagement leur assurant du travail. Ils partaient contents et pleins d'espoir sur les
ressources que leur fournirait l'exercice de leur profession dans le Nouveau-Monde
et ne comptaient pas revenir à Lyon de longtemps. Aussi, la surprise a été grande,
quand trois semaines après, on les a vu reparaître à la Croix-Rousse.
Trouvant peu naturel un retour si précipité et surtout si contraire aux espérances
montrées au départ, nous avons eu la curiosité de nous informer des raisons qui ont
pu le motiver, et voici ce que nous avons appris :
Il existe aux États-Unis , notamment à New-Jersey , Paterson et Westobokin , des
u.sines de tissages créées et dirigées par des Lyonnais. L'un d'eux, M. Ghauffageon,
voulant organiser un centre nouveau a acheté, à une vingtaine de kilomètres de
New- York, dans un endroit appelé Sterling , une étendue considérable de terrain à
bon marché , puis il y a fait construire une usine dans laquelle il a aménagé des
métiers de tissage mécanique. Et , pour que les ouvriers pussent trouver un loge-
ment à proximité du lieu de leur travail , il a fait bâtir en même temps , aux alen-
tours de l'usine , un certain nombre de maisons oii les appartement ont été divisés
de telle sorte, que ceux à qui le travail de l'usine ne convient pas , peuvent installer
un ou deux métiers chez eux. Pour 480 fr. par an , un ménage trouve là un apparte-
ment de quatre pièces, dont une chambre à coucher, une cuisine, une salle à manger
formant salon, et un atelier pouvant recevoir deux métiers à tisser.
Ces constructions faites , M. Ghauffageon , voulant que ce nouveau centre fût sur-
tout un centre français , confia à une maison de commission de Lyon le soin de
rechercher les ouvriers lyonnais qui voudraient consentira aller travailler à Sterling.
Pour faciliter le voyage, il leur faisait l'avance de 2 à 300 fr. remboursables à raison
de 8 0(0 sur leurs salaires. Comme taux des salaires, le tr^ivail se faisant à façon, on
affirmait qu'un ouvrier pouvait gagner de 50 à 60 fr. par semaine, soit plus du double
- J92 -
de ce que l'on gagne à Lyon. Il y avait là de quoi tenter bon nombre de tisseurs , et
malgré leur peu d'amour pour l'éniigration , les engagements ne tardèrent pas à se
multiplier.
Quelques-uns partirent d'abord isolément et arrivèrent sans encombre, puis vint
le groupe dont nous avons parlé plus haiit. Ceux-ci , parvenus à New-York , furent
conduits à Castel-Gardem (bureau d'émigration), oii on les interrogea sur leur
nationalité, les causes qui les conduisaient en Amérique, les engagements qu'ils
avaient contractés et, finalement , on les interna dans les docks sous la surveillance
de six douaniers et soumis à un appel , heure par heure, afin de s'assurer qu'aucun
.ne s'échappait. Ils restèrent ainsi cinq ou six jours , pendant lesquels on leur faisait
espérer qu'une décision , les autorisant à débarquer, intei-viendrait, et qu'ils pour-
raient enfin se rendre à Sterling.
Vaine attente ; malgré que M. Ghauffageon fût venu les réclamer comme étant des
ouvriers embauchés par lui. Au bout de huit jours , ils furent contraints de se rem-
barquer sur le même paquebot qui les avait amenés et reconduits en France.
Ajoutons, pour être complet, qu'au moment de l'embarquement, trois réussirent à
tromper la surveillance des gardiens et à pénétrer dans la ville, où ils resteront pro-
bablement ; un quatrième s'étant déclaré mécanicien et apportant un nouveau
systèuie de métier, fut admis , après quelques formalités , à se i-endre à l'usine pour
laquelle il était embauché.
Toutes ces péripéties proviennent de ce que M. Ghauffageon n'a pas tenu compté
des lois américaines.
Il y a trois ou quatre ans, après une série de grèves provoquéee par l'abaissement
des salaires, abaissement qui était le résultat de la concurrence que faisaient les
émigrés, et principalement les Ghinois , aux ouvriers américains , ceux-ci firent une
campagne formidable contre les étiangers. hes Chevaliers du <rara?'^ , association
ayant une influence considérable par le nombre de ses adhérents (plus d'un million),
se signala dans cette campagne qui aboutit à faire voter par les Ghambres une loi
interdisant l'entrée de l'Amérique « à tout étranger qui ne peut justifier qu'il a des
moyens suffisants pour subvenir à son existence au moins pendant trois ou quatre
mois. »
Jusqu'à ce jour, cette loi n'avait pas été appliquée aux Européens. Actuellement,
on l'applique indistinctement à tous les étrangers , et c'est en vertu de ces dispo-
sitions qu'on a obligé les tisseurs lyonnais à reprendre la route de France.
Pour les Faits et Nouvelles géographiques non extraits :
LE SECRÉTAIRE-GÉNÉRAL ,
ALFRED RENOUARD.
- 193 —
LE SOUDAN FRANÇAIS
UN VAPEUR FRANÇAIS A TOMBOUCTOU
M. le Président de la Société a reçu la lettre suivante que nous nous
empressons de publier :
Paris, le 8 octobre 1887,
A Monsieur Paul GREPY, Président de la Société de Géographie de Lille.
Mon cher Président,
Vous qui prenez un si grand intérêt aux affaires du Sénégal , vous
devez , comme moi , être bien heureux de la bonne nouvelle qui nous
arrive de cette colonie.
Pendant que presque toutes les puissances de l'Europe cherchent à
pénétrer de plus en plus en Afrique , nous apprenons que la France
vient d y obtenir un succès considérable D'après ce que nous annonce
une dépêche du gouverneur du Sénégal, le bateau à vapeur « ^6 iV/^rer»,
parti de Bammakou dans les premiers jours de juillet, a descendu le
fleuve jusqu'à Tombouctou et en est heureusement revenu.
Le 20 septembre, il était à Sausanding, avec tout son équipage
(15 hommes dont 3 blancs) en bonne santé. Ce voyage a permis de
faire le levé du fleuve sur une longueur d'environ 300 lieues , et au
retour, du bras de Diaka.
C'est donc par le Sénégal que la question de pénétration du Soudan
a été résolue.
Dès 1863 , il y a 24 ans , dans un travail intitulé : « L'avenir du
Sahara et du Soudan », et publié dans la Revue maritime et coloniale,
parlant dés projets qu'on commençait à mettre en avant pour établir
des communications commerciales entre l'Algérie et le Soudan (sans
14
— 194 —
qu'il fût toutefois encore question du chemin de fer), je disais : « Dans
» notre opinion , la grande chose à entreprendre relativement à
» l'Afrique centrale , si la France veut tourner de ce côté ses vues et
» son activité , ce n'est pas de rétablir à travers un pays maudit (le
» Sahara) , des voies commerciales impossibles. Il faut , après avoir
» repoussé El Hadj-Dmar du bassin du Sénégal , s'il ose s'y présenter
» de nouveau , aller fonder un établissement vers Bammakou , sur le
•» Haut-Niger, en le rehant à Médine et à Seisoudébou , par une ligne
» de postes distants de 25 à 30 lieues , et dont le premier doit être à
•» Bafoulabé, confluent du Bafing (Haut-Sénégai) et du Bakhoy. »
On devenait ainsi maître de la navigation de tout le Haut-Niger, et
on allait facilement à Tombouctou , en descendant le fleuve sur une
longueur d'environ 300 lieues.
C'est là ce que vient de faire le petit vapeur le Niger.
Mais après l'époque dont nous venons de parler, des personnes ne
croyant de communications possibles avec le Soudan que par le Sa-
hara , eurent la hardiesse de proposer l'établissement d'un chemin de
fer à travers ce désert. Cette idée , d'abord confuse , devint un projet
très sérieux, en 1879 , dans un ouvrage de M. Duponchel , ingénieur
en chef des ponts-et-chaussées , et qui a pour titre : « Le chemin de
fer trans-SahayHen. »
Ce projet fut vivement combattu.
On disait , avec raison , que les produits encombrants du Soudan ne
pourraient jamais supporter les frais d'un transport en chemin de fer
de 600 lieues, car telle est la longueur que lui supposait M. Duponchel.
Le chifi're de la dépense devait monter suivant lui à 400 millions et,
ce qui est la condamnation même de ce projet, il supposait 20 niillions
de dépenses , rien que pour fournir de l'eau sur toute la ligne , service
des machines et personnel des postes.
La vraie voie par laquelle les produits du Soudan doivent arriver à
la côte, c'est celle de ses grands cours d'eau, Niger et Sénégal.
Quant à Tombouctou , c'est en 1375 que cette ville fut signalée à
l'Europe par le Mapa-Mondo Catalan. En 1468 , le roi Soni-Ali du
Ghana, état limitrophe de Tombouctou, par hostilité contre les Musul-
mans , permit aux Portugais sous le roi Jean II , de s'établh^ dans
l'Adrar, groupe d'oasis situé entre la côte et Tombouctou ; mais cet
établissement n'eut aucune durée et les Portugais ne persistèrent pas
dans leurs tentatives vers l'intérieur du Soudan.
En 1828, un Français, René Caillé, pénétra dans Tombouctou, après
— 195 —
avoir fait un long détour dans le Sud. Il était parti du Rio-Nunoz , où
j'ai fait construire en 1865 , à notre poste de Déboké , un monument
pour rappeler la mémoire de ce courageux voyageur. Son voyage n'eut
et ne pouvait avoir aucun résultat politique , quelque intéressant qu'il
soit à tous les autres points de vue.
Il y a 25 ans , ce furent les Anglais qui s'occupèrent sérieusement
des moyens de pénétrer dans l'intérieur du Soudan ; ils y envoyèrent
par Tripoli une mission composée de Richardson , Barth et Owerweg ,
ces deux derniers allemands. Au bout de quelques années , Barth, seul
survivant , parvint à Tombouctou , sous un nom arabe , celui d'Abd el
Kérim. Il y resta environ 6 mois , de septembre 1853 à mars 1854. A
ceux à qui il se confiait , il se disait Anglais , et il ne servait que les
intérêts anglais. Il se lia d'amitié avec le chef religieux de la ville , le
Kountah Ahmed Bekkay. Celui-ci était alors exaspéré contre les Fran-
çais à cause de leur occupation de l'Algérie et surtout à cause de ce
qu'il appelait l'apostasie de Sidi-Hamza , chef de la puissante tribu reli-
gieuse des Ouled-Sidi-Chikh , qui venait de se soumettre à nous et
servait dans nos rangs. Bekkay allait jusqu'à dire que si les Français
envahissaient le Touat, il marcherait contre eux à la této des forces du
Soudan ; simple fanfaronnade d'un vieux marabout.
Bekkay envoya même une ambassade à la reine d'Angleterre , mais
elle ne dépassa pas Tripoli.
Comme on le voit, les circonstances étaient alors très favorables aux
Anglais dans la métropole du Soudan ; mais les choses en restèrent là,
les Anglais s'occupant surtout alors du Haut-Nil et du Bas-Niger.
Plus récemment, en 1880, les Anglais jetèrent de nouveau les yeux
sur le Soudan occidental. Ils fondèrent dos comptoirs au cap Juby, au
sud du Maroc, en prétendant que ce pays ne faisait pas partie des états
du Chérif. En effet il y a toujours eu là des populations qui se pro-
clament indépendantes , ce que n'admet pas le Chéri! qui prétend que
son empire s'étend jusque là et même au-delà.
Les Anglais , MM. Mackensi et Curtis espéraient attirer au cap Juby
les caravanes, qui, annuellement, font le commerce entre le Soudan et
Mogador.
Ils firent tout leur possible pour se mettre en rapport avec Tom-
bouctou, comme cela nous a été assuré par Abd-el-Kader-ben-Bakar,
cet envoyé de Tombouctou qui vint jusqu'à Paris, il y a deux ans.
Mais les choses étaient bien changées à Tombouctou, et leurs
avances furent repoussées. En effet , à la mort d'Ahmed Bekkay, en
— 196 —
1879, son fils aîné , fVbidin , ne s'entendit pas avec la population de la
ville. Il eut des démêlés avec l'assemblée des notables au Djemaa,
composée des principaux commerçants et qui est en quelque sorte
présidée par le kiahia ou émir. Cette dignité se transmet dans la
famille des descendants du général marocain qui s'empara de Tom-
bouctou au XVr siècle.
Abidin quitta la ville avec sa famille et ses partisans et alla s'établir
dans le Permaglia, contrée située à une centaine de lieues dans le sud-
ouest de Tombouctou, sur la rive gauche du Haut-Niger.
11 y a trois ans, les membres de la Djemaa de Tombouctou , encou-
ragés à cela par les chefs des grandes caravanes , qui sont des person-
nages influents, se décidèrent à nous envoyer Abd-el-Kader-ben-Bakar
pour nous encourager à nous mettre en relation avec eux. Ils venaient
d'apprendre d'une part les désastres des Anglais dans les régions du
Haut-Nil, d'autre pan nos progrès au sud de la province d'Oran, notre
conquête de la Tunisie , de la ville sainte de Kairouan , enfin notre
établissement sur le Haut-Niger, à Bammakou , et l'existence , sur ce
point, d'un bateau à vapeur qui pourrait arriver chez eux en quelques
jours.
]Mais dans leur lettre ils avaient bien soin de spécifier qu'ils deman-
daient à ne passer avec nous que des conventions commerciales et que
la terre ne leur appartenait pas , que de fait les Touiu'egs en étaient
maîtres.
Aujourd'hui , nous ne savons pas quelles propositions le Ministère
des Affaires étrangères leur adressait par l'entremise de M. le lieute-
nant de vaisseau Garon , commandant de la canonnière , mais nous
sommes certain que c'est d'un mauvais œil que les Touaregs , qui
dominent à Tombouctou, ont du voir arriver notre bateau.
Quant aux gens de Tombouctou, ce n'est pas la présence d'une petite
chaloupe à vapeur ayant 15 hommes d'équipage , dont \) noirs , qui a
du leur donner la hardiesse de manifester leurs sentiments. Ils ont du
répéter ce qu'ils avaient dit dans leur lettre : le pays n'est pas à nous.
A l'heure, actuelle , la population de Tombouctou est aux abois ; le
commerce du Haut-Niger dont elle a besoin , môme pour se procurer
de quoi vivre est arrêté par les pillages des Poul deTidjani, qui
domine jusqu'à la ville de Sa et en aval , des Touaregs Bousdammès
qui ont pour chef Loo-Jallissi, lequel a succédé à Eg. Fandagoumou,
son frère.
- 197 --
Cet état de désordre ne pourra cesser, comme l'a déclaré Barth, il y
a une vingtaine d'années, que par notre intervention.
En même temps que les Anglais, les Espagnols qui ne cessent d'avoir
les yeux sur l'Afrique, et qui regardent le Maroc comme devant leur
appartenir naturellement un jour ou l'autre , ne pouvaient pas rester
indifférents devant les tentatives pour pénétrer dans l'Afrique occi-
dentale.
Les anciens traités, du reste, leur accordaient des droits sur la côte
depuis le cap Bojador jusqu'au cap Blanc , c'est-à-dire en face des
Canaries, dont les habitants s'y livrent à la pêche.
La Société de géographie commerciale fonda , en 1884 , dans la baie
Rio-de-Oro, une factorerie qu'on appelle Villa- Gisneros.
Le 14 mai 1885, un vapeur espagnol mouillait devant Villa-Cisneros,
et y déposait une mission qui devait pénétrer dans l'intérieur, sous les
ordres du capitaine du génie Cervera.
Ould-Aïda, chef de l'Adrar, à qui on avait écrit, envoya deux de ses
gens pour prendre des renseignements et accompagner la caravane
composée de trois Européens, deux Maures de la compagnie des tirail-
leurs du Rif et de trois Arabes des Ouled-Abou-Sba. Un nommé Sidi
Ahmed-Ould-el-Eide fut encore envoyé par Ould-Aïda pour amener la
mission jusqu'à la frontière de l'Adrar, où le roi devait venir la
trouver.
Arrivé là, le capitaine arbora les couleurs espagnoles dans son camp
et au nom de la Société de géographie commerciale déclara prendre
possession du territoire.
Ould-Aïda vint poser sa tente près de la mission , eut avec elle plu-
sieurs conférences et , d'après le capitaine Cervera , aurait consenti à
accepter le protectorat sur tout le territoire où il commande, par con-
séquent sur l'Adrar. Tout cela n'a pas l'air d'être très sérieux . à tel
point que devant les dispositions hostiles des indigènes , la mission fut
obligée de faire rapidement demi-tour, Ould-Aïda ne voulant pas lui
permettre de mettre le pied dans l'Adrar.
Elle retourna à la côte non sans courir de grands dangers. Le capi-
taine fit un croquis du pays , où il marque la limite du protectorat
espagnol englobant l'Adrar et Tichit.
La France ne saurait accepter cette prise de possession. La limite
sur la côte acceptée entre les Espagnols et les Français est le cap
Blanc. Cette limite doit évidemment rester la même vers l'intérieur.
Or elle laisse au sud, c'est-à-dire de notre côté, les villes de l'Adrar et
- 198 —
Tichit , qui est une des étapes des caravanes qui font actuellement le
commerce entre Torabouctou et le Sénégal.
Les puissances européennes, agissant dans un but politique , ne sont
pas les seules à chercher à pénétrer dans ce continent arriéré d'A-
frique ; les missionnaires tendent au même but avec un zèle remar-
quable , et l'archevêque d'Alger , Mgr Lavigerie , s'est distingué entre
tous dans cette œuvre.
Après la famine de 1867 en Algérie , il se trouva un grand nombre
de petits enfants arabes abandonnés et dispersés ; Mgr Lavigerie les
recueillit , les fit chrétiens , et comptant sur leur concours futur, il
fonda la congrégation des Pères Blancs d'Afrique (1), qui portent le
costume arabe pour ne pas offusquer les populations de l'intérieur, qui
n'ont jamais vu d'Européens. Le but est de convertir les Africains au
catholicisme. Dans sa foi ardente, l'archevêque d'Alger se montre très
entreprenant ; il voulut envoyer des missionnaires chez les Touaregs
et à Tombouctou. En 1875, il fit partir trois Pères avec des prisonniers
touaregs à qui il avait sauvé la vie au moment où on allait les fusiller.
La caravane partit pour Insalah. On apprit bientôt , sans plus de
détails, que les Pères avaient été massacrés.
Non découragés , les Pères Blancs continuèrent à lier des relations
amicales avec les chefs touaregs. Même après le massacre de la mission
Flatters , en 1881 , trois Pères Blancs , sous la direction du Père Ri-
chard, l'un d'eux, partirent de Rhadamès. Us s'avancèrent vers le sud
et dépassèrent Rhat. Au commencement de 1882, on apprit qu'ils avaient
été massacrés.
Après ce nouveau désastre , Mgr Lavigerie comprit qu'il lui fallait
renoncer à l'espoir d'arriver par le Sahara sur le Niger moyen , et il
créa des missions dans l'Afrique orientale , autour des grands lacs du
Haut-Nil.
Nous ne parlerons que pour mémoire de la tentative d'exploration
du Soudan par le colonel Flatters, qui finit misérablement par la faute
de son chef qui donna si naïvement dans une embuscade, et nous répé-
terons que la vraie route du Niger c'est le Sénégal.
Et cependant, depuis plusieurs années, notre entreprise de pénétra-
tion par cette voie est en défaveur auprès du Parlement. La manière
(1) Voir la conférence de M. Vai-iot sur les Pères Blancs d'Afrique , insérée dans
le présent volume.
- 199 -
étrange dont a été menée l'affaire rlu chemin de fer de Médine en est
un peu cause. Mais c'est surtout parce que nous avons en Extrême-
Orient des entreprises qui coûtent excessivement cher, qu'on veut
faire des économies, en refusant au Sénégal quelques millions qui nous
feraient obtenir en Afrique, dans l'avenir, un marché d'une importance
considérable et où nous n'aurions pas de concurrents.
Si cela continue , il en sera au Soudan comme en Asie et en Amé-
rique : les Anglais nous y supplanteront. Au XVIIP siècle , la cour de
Versailles laisse les gouverneurs français : la Bourdonnay.s et Dupleix
sans secours, et l'empire de l'Inde est à jamais perdu pour la France.
En 1754, les Anglais nous disputent le Canada. La Franco n'envoie
pas de secours au gouverneur Montcalm, et nous perdons pour toujours
cette belle contrée.
C'est ainsi que notre inconstance nous empêche, la plupart du temps,
d'arriver à des résultats sérieux.
P. S. — Autre excellente nouvelle. C'est le colonel Galliéni qui va
commander, cette année, les opérations dans le Soudan. Nous sommes
sûr qu'il y fera de bonne besogne.
GÉNÉRAL FAIDHERBE ,
Sénateur du Nord.
- 200 -
COURS ET CONFÉRENCES DE TOURCOING
UN MOT SUR LA NOUVELLE-CALÉDONIE
Par M. L. MONCELON,
Délégué de la Nouvelles-Calédonie au Conseil suisérieur des Colonies.
Conférence faite à Tourcoing le 20 Février 1887.
Mesdames, Messieurs,
Je dois commencer par remercier pour ma part , autant qu'il est en
mon pouvoir de le faire, votre honorable Président, M. Masurel, des
éloges qu'il vient de nous prodiguer (1),
Avant de pénétrer plus particulièrement dans le sujet principal de
ma conférence, je désire vous communiquer, si vous voulez bien me
le permettre, quelques appréciations sur la politique coloniale. Je
vais, croyez-le, le l'aire rapidement, car je désire laisser le plus de
temps possible à mon éminent collègue, M. de Mahy.
En vous donnant ces appréciations, mon intention n'est pas seule-
ment de vous indiquer les raisons pour lesquelles nous ne tii^ons pas,
selon moi, de nos colonies, tout le parti qu'il serait désirable, mon but
n'est pas seulement de vous expliquer pourquoi vous avez tous, ou du
moins quelques-uns d'entre vous, entendu dire et répéter maintes fois
que si notre pays a des colonies, elles rapportent peu, non-seulement
je cherche, ainsi que mon collègue, à vous dire quelles sont, selon
(1) M. François ]\Iasurel père , président de la section de Tourcoing , avait avant
d'ouvrir la séance adressé publiquement cpielques mots d'éloges et de remercîments
à MINI, de Mahy et Monceion qui avaient bien voulu prodiguer leur talent et leur
dévouement dans diverses circonstances à la Société de géographie.
- 201 —
nous, les raisons de cette déplorable situation, mais je veux encore et
surtout indiquer les moyens de remédier à cet étal de choses.
Nous sommes arrivés, Mesdames et Messieurs, à une époque criti-
que de notre histoire ; elle restera caractérisée par la nécessité abso-
hie où nous nous trouvons de transformer noire état social sous peine
de péricliter rapidement et de disparaître de la liste des grandes
nations du monde !
Nous en sommes là assurément, tous les économistes le reconnais-
sent unanimement et jettent un regard inquiet du passé sur l'avenir ;
du passé? hélas, ne nous rappelons-nous pas avec une sorte de terreur
que bien des siècles avant notre ère il fut des nations puissantes qui
n'existent plus aujourd'hui et qui avaient cependant atteint au maxi-
mum de la civihsation et de la grandeur? l'avenir? Eh mais, qui ou
quoi nous garantit du sort de ces peuples auxquels je fais allusion?
Rien de rassurant, en effet, dans notre situation présente et nous
trouvons autour de nous les signes les plus évidents d'une décadence
certaine
La concurrence illimitée et souvent heureuse à nos industries natio-
nales, laquelle nous ferme un à un tous tes débouchés sur lesquels
comptait notre commerce, l'abaissement rapide et continu du chiffre
de notre natalité voilà les facteurs effrayants d'un affaissement
fatal — joignez à cela des préoccupations politiques insensées, l'ab-
sorption de la fortune publique par des armements formidables en vue
de choses barbaies, et si vous ne sentez pas l'émotion vous gagner le
cœur, c'est que vous aurez perdu la notion du vrai, le sentiment du
patriotisme !
Gomme les autres, comme vous tous sans doute, dans la modeste
sphère où il m"est donné de me mouvoir, j'ai recherché les moyens les
plus pratiques de remédier à une situation aussi douloureuse, et je me
suis trouvé d'accord avec tant de bons esprits que je crois être sur la
meilleure piste,
Chez nous, Mesdames et Messieurs, c'est dans l'expansion, c'est
dans la colonisation bien comprise, c'est dans la paix commerciale
qu'est le remède et j'espère bien vous en convaincre tout-à-
l'heure.
Et d'abord, défiez-vous sérieusement des journaux et des liommes
qui vous cornent sur tous les tons que le Français n'est pas colonisa-
teur. . . . Ceux qui le disent, ce sont ceux qui sont intéressés à le dire :
Fecïi cui prodest! C'est V éternel axiome, et ceux qui le disent le
— 202 —
plus fort ce sont naturellement les Anglais, ils le disent d'un air en
apparence si convaincu qu'une masse de nos compatriotes ont fini par
le croire !
Ils n'ont plus songé que les dits Anglais vivent actuellement de l'em-
pire colonial que nous avons fondé, nous Français! Cet empire des
Indes, œuvre de Dupleix, nous nous le sommes laissé voler, c'est vrai,
et cela est une autre affaire ! Ce qui est indubitable, c'est qu'il a été
créé par des colonisateurs français !
Le Canada, cette colonie dont le développement prodigieux étonne
le monde, oîi, en quelques années, 70,000 Français sont devenus
2,500,000, le Canada, anglais aujourd'hui, quoique toujours français
de cœur, est l'œuvre d'une poignée de colonisateurs français !
Qui a conquis, soumis, créé, façonné la plus belle des colonies
actuelles, l'Algérie et ses dépendances ? Des colonisateurs français !
Qui a colonisé le Texas, la Louisiane, des Français !
Qui a donné Madagascar à la France ? Richelieu !
Et les colonies de l'Ouest africain et les Guyanes , et les
Antilles, et l'empire Cochinchinois, et Tahiti, et la Nouvelle-Calédo-
nie.... et tout le reste !
Vous voyez donc bien que nous sommes colonisateurs, puisqu'il
n'est pas un lieu du monde où nous n'ayons colonisé bien plus, le
Français possède au suprême degré les qualités du véritable colonisa-
teur et aucun autre Européen ne reçoit des peuplades étrangères l'ac-
cueil qui lui est exclusivement réservé Le Sauvage lui-même
aime le Français pour l'aménité, la gaieté, la bonté, la franchise de
son caractère, alors que, courbant la tête sous la force, il hait en
silence l'Anglais qui ne lui parle qu'avec le dédain de l'orgueil, et le
riffle à la main !
Voulez-vous que je vous dise ce qui manque au Français? Ce n'est
pas l'intelligence, ce n'est pas la force de caractère, ce n'est pas l'am-
bition ni l'audace des entreprises nous avons donné des preuves
de tout cela ; non, mais nous ne sommes pas adm,imstrateurs, tout
est là.
Et, en effet, si des hommes comme les Dupleix , les Montcalm, les
Cartier, etc , n'ont pas réussi, c'est qu'Us ont été mollement sou-
tenus ou lâchement abandonnées ; pendant qu'ils se sacrifiaient pour
la grandeur de leur pays, les intrigues d'une cour luxeuse et corrom-
pue annihilaient leurs efforts ; ils croyaient pouvoir compter sur l'ad-
ministration et le gouvernement, ces grands français, et l'administra-
- 203 -
tion, elle, considérait leur action comme une source de difficultés
nouvelles, de complications inutiles !
Aujourd'hui, les conditions se sont modifiées, mais les principes de
la routine sont restés les mêmes.
La centralisation à outrance et la force d'inertie, voilà le système
actuel.
Assimilation complète, direction unique par les bureaux, voilà le
rêve du gouvernement qui siège à la rue Rojalo.
. L'initiative des hommes les plus honnêtes, les plus dévoués, les plus
compétents en matière coloniale . est absolument bannie, et cela se
conçoit, d'un centre administratif auquel toutes les colonies sont reliées
par des ficelles à l'impulsion desquelles seule elles doivent obéir !
En Angleterre, on rit ironiquement d'une méthode aussi tristement
burlesque, et l'on trépigne d'aise, car nous faisons ainsi les affaires de
la dévorante Albion !
L'Angleterre ne gouverne pas ses colonies selon le bon plaisir et les
lubies de bureaucrates qui n'y ont jamais mis les pieds, ni sur les rap-
ports d'inspecteurs qui ne voient jamais que ce qu'on veut bien leur
laisser voir, qui ne disent jamais que ce qu'ils savent être agréable à
ceux auxquels ils s'adressent — Non, elle gouverne ses colonies en
se plaçant surtout au point de vue des besoins locaux et, pour que les
erreurs qu'elle constate chez nous ne puissent l'entraver chez elle,
elle laisse aux Colons de chaque Colonie le soin de se gouverneux eux-
mêmes —
Eh bien ! rien que cette idée, si simple et si pratique, fait bondir
nos administrateurs coloniaux sur leurs fauteuils: Comment! pensent-ils
sérieusement, alors que de vieux admiiiistrateurs de profession, rompus
à toutes les diificultés de gouvernement, ont tant de mal à mener le
char colonial, vous prétendriez laisser s'administrer elles-mêmes des
Colonies qui ne savent pas même profiter des conseils de notre longue
expérience ? Et ils sont absolument navrés.
Entendons-nous cependant ; en blâmant radministration générale,
les Colons français ne prétendent point, que je sache, à une autonomie
complète. . . en ce qui me concerne, je crois que l'un et l'autre système
serait, chez nous, défectueux, mais ce que j'affirme, ce que vous saisirez
bien tous, c'est que St-Pierre-Miquelon, par exemple, rocher glacé du
Nord, qui vit exclusivement du commerce de ses morues, ne saurait
en rien s'accommoder des mêmes institutions que le Sénégal, pays brû-
lant, aux populations toutes spéciales, aux produits tcut pai'ticuliers !
- 204 —
La nuance apparaît de suite, n'est-ce pas, et, même sans avoir
parcouru nos colonies, le simple bon sens suffit à laisser entrevoir que
chaque pays doit être doté d'institutions en rapport avec sa situation
géographique, son climat, sa population, ses mœurs, ses productions !
C'est élémentaire !
L'assimilation serait l'idéal assurément, si elle était possible, car elle
simplifierait singulièrement les rouages administratifs mais
essayez d'assimiler la Nouvelle-Calédonie ou Tahiti à la Côte d'Or ou
au département de la Seine et vous me donnerez des nouvelles du
gâchis que vous aurez provoqué — Voilà pourtant ce à quoi l'on vise
et pourquoi nos colonies restent dans le marasme.
Il y a pis encore que tout cela, il y a l'indifférence la plus complète
à l'égard de nos possessions d'Outre Mer ; à l'heure où je vous parle,
il y a presque une majorité au Parlement pour la suppression radicale
de nos colonies, je connais tels de nos ministres du moment qui ne
supportent même pas qu'on leur parle de Colonies, ils s'imaginent que
la métropole doit se concentrer en elle-même, ne vivre que par elle-
même et pour elle-même, comme si une nation maritime de l'impor-
tance de la France, qui a sur trois mers une étendue décotes immense,
peut ne pas posséder des points de relâche et de ravitaillement pour sa
marine marchande, des points stratégiques et des dépôts de charbon
pour sa flotte de guerre, comme si, enfin, à l'image d'une ruche qui
n'essaimerait pas, une grande nation peut vivre et prospérer si, pério-
diquement, elle n'a pas les moyens de se rajeunir par le renouvelle-
ment partiel d'une certaine fraction de sa population.
L'Angleterre émigré dans ses colonies, l'Allemagne qui n'en a pas
émigré par centaine de mille chaque année sur l'extrême Ouest-
Américain, la France, elle, n'émigre pas assez nulle part, et elle voit
le chiffre de sa natalité le plus bas de toutes les nations de l'Europe,
elle se laisse encombrer d'éléments abâtardis par la misère, éléments
qui, transportés sur un sol neuf, sous un ciel nouveau, sortiraient de
leur atrophie et redeviendraient producteurs et prolifiques, tout en
laissant sur le sol de la Mère-Patrie, place plus large pour le dévelop-
pement d'autres catégories de citoyens.
Aujourd'hui, Mesdames et Messieurs, dans la tournée de conférences
que nous avons entreprise mes collègues et moi , et plus particulière-
ment M. de Mahy et moi , nous constatons, avec une grande satisfac-
tion, un mouvement sérieux de la population si éprouvée de certaines
parties de la France en faveur de la colonisation, je suis littéralement
— 205 —
encombré des demandes les plus sérieuses émanant d'hommes rompus
au travail , de chefs do familles entières qui ciierchent à émigrer dans
nos colonies ; la Société Française de Colonisation, dont j'ai l'honneur
d'être membre du Conseil, a enregistré à l'heure actuelle près de
quarante mille de ces demandes.
Hélas ! Elle n'a pu faire droit encore qu'à moins d'une centaine !
Et pourquoi, Mesdames et Messieurs , parce que nos ressources sont
minimes et parce que l'Etat refuse son aide indispensable à cette
œuvre, la plus palriotique de toutes sans contredit ! Le budget d'un
peuple comme la France inscrit au ch& pitre « Emigration » savez-
vous qu'elle somme ? Vous ne pourriez le prévoir : cinquante mille
francs ! Il était de 25,000 l'an passé !
Croyez-vous qu'il soit de bonne politique de ne point profiter de cet
élan, de cette bonne volonté des émigrants français pour peupler rapi-
dement les vasi es territoires si riches, mais déserts, que nous possé-
dons dans certaines colonies et d'y créer ainsi, en y assurant notre
prépondérance morale, des débouchés nouveaux et certains à notre
commerce qui agonise ? Vous entendrez M. de Mahy, tout-k-l'heure.
Sur le sol de la métropole, ces quarante mille Français, anéantis par
la misère, consomment sans produire et sans se reproduire, ils encom-
brent et restent des non-valeurs, commercialement parlant ; tranportez-
les sur un sol vierge où ils trouveront des conditions nouvelles et ils
se métamorphoseront rapidement en éléments actifs, producteurs et
reproducteurs ; de plus, ils consommeront fructueusement pour la
Mère-Patrie dont ils resteront les clients. {Applaudissements.)
Surtout, qu'ils ne soient })oint paralyses là-bas par h^s mille entraves
mesquines des règlements routiniers de cette administration que per-
sonne ne nous envie plus au monde et bientôt nous aurons des colonies
prospères.
Dans les colonies. Mesdames et Messieurs, sous ce soleil puissant,
sur ces terres fécondes, exubérantes de végétation splendide, de fruits
et de productions de tous genres , jamais personne, même le plus fai-
néant des hommes, n'a souffert de la faim.... et je n'hésite pas à déclarer
que je considère comme coupable le gouvernement qui, possédant de
vastes déseris dans ces admirables pays du soleil, no se hâte de les
partager entre les citoyens qu'il n'a pas la faculté de doter sur
le territoire même de la patrie où ils succombent de misère.
Eh bien ! si, Messieurs, je me trompe, l'Etat a des faveurs pour une
certaine catégorie d'individus, il les transporte dans de bonnes condi-
— 206 —
tions et leur partage son domaine colonial mais, pour avoir droit
à sa pitié et à ses largesses, il faut avoir cessé d'être honnête et
voilà pourquoi j'ai pu écrire tout récemment sur la couverture
d'un livre, que vous connaissez peut-être, ces pai^oles épouvantables
mais exactes :
On se demande pourquoi il y a tant de malheureux en France,
lorsqu'il sufiSt de commettre un crime pour gagner les faveurs du
gouvernement . (Applaudissements) .
Cette citation navrante est si vraie pourtant, Mesdames et Messieurs,
que le Parlement a dû élaborer une loi contre les malheureux qui
commettent un crime dans le seul but de se faire transporter en
Nouvelle-Calédonie.
Croyez-vous de bonne foi qu'un Etat comme la France ne prévien-
drait pas, jusqu'à un certain point, le crime et la récidive en tendant la
main au malheureux pendant qu'il lutte encore avec son honnêteté
native, et en facilitant l'exode de la masse de ceux qui souffrent avant
que l'excès de misère les ait forcés au mal ?
Croyez-vous que la France, au point de vue budgétaire, ne trouve-
rait pas un bénéfice énorme à destiner à l'émigration sur ses colonies
quelques millions de francs cJiaque année, si ces trois ou quatre
millions pouvaient lui éviter l'entretien ruineux d'une partie de ses
pénitenciers de tous genres et de son administration pénitentiau*e qui
est une armée ?
Mais non, ces grandes vérités à la propagation desquelles nous tra-
vaillons, mon éminent ami et moi, de toutes nos forces, touchent peu
nos administrateurs.... nous somraies des rêveurs , disent-ils ... Et le
Parlement fabrique des lois insensées sur les récidivistes, comme si
on pouvait détruire le mal sans en détruire préalablement la racine.
Or, la principale source du mal c'est la misère {Applaudissements).
Mesdames et Messieurs, je n'entrerai pas dans d'autres considéra-
tions sur nos colonies, je ne m'arrêterai pas à vous parler de la
Guyane, ni de Tahiti, ni de Madagascar dont M. de Mahy vous entre-
tiendra tout-à -l'heure , je vous parlerai seulement, pour ma part, delà
Nouvelle-Calédonie afin de pouvoir vous décrire ce pays d'une façon
plus détaillée.
La Nouvelle-Calédonie est, à proprement parler, la crête d'une
chaîne de montagne émergeant de l'Océan ; elle peut avoir quatre à
cinq fois la superficie de la Corse, c'est donc un territoire important,
bien qu'excessivement accidenté. Le pays est bien arrosé et d'une salu-
— 207 —
brité remarquable, la mortalité y est de beaucoup inférieure à celle de
la France.
L'île est presque entièrement entourée, à une certaine distance des
côtes, d'une ceinture de récifs vraiment formidables contre lesquels les
grandes lames du large viennent briser leur puissance et qui réserve
entre eux et la terre un lagon relativement calme dans lequel la navi-
gation intérieure, le cabotage desservant le pays, peut s'effectuer rapi-
dement, dans de bonnes conditions de sécurité. Cette chaîne de récifs,
qui s'étend à longues distances au sud et dans le nord de la Galédonie
est formée de murailles coralligènes, véritables forteresses construites
par des infiniment petits, et qui, dans certains parages, atteignent des
profondeurs de plusieurs centaines de mètres !
Le corail, cependant, ne vit pas à ces immenses profondeurs où il a
été entraîné, à des époques difficiles à déterminer, par le mouvement
de bascule du sol qu'a subi très évidemment toute la partie océanienne
de l'hémisphère sud. Le corail a dû s'élever peu à peu sur ses bases
primitives pour répondre aux conditions normales d'existence que lui
a imposées la nature. Ces petits êtres, en effet, ne peuvent guère vivre
à plus de trente et quelques mètres de profondeur pour, de là, venir
s'épanouir au raz des basses marées. Telle a été la formation de ces
gigantesques murailles, à pic sur l'Océan, si commodes, aujourd'hui,
pour la navigation et l'exploitation des côtes de notre colonie.
L'aspect du pays est en même temps grandiose dans sa sauvagerie
et du plus merveilleux pittoresque. Sous ce rapport, rien, en Europe,
ne saurait lui être comparé.
Le pays, qui pourra toujours très certainement pourvoir aux besoins
directs de la consommation locale par les produits de son agriculture,
est cependant doté d'un territoire arable relativement restreint , et je
ne crois pas que l'on puisse jamais compter sur une exportation consi-
dérable des denrées coloniales proprement dites, mais il y a beaucoup
à faire, par contre, au point de vue de l'exploitation de la richesse pro-
digieuse du sol en minerais de toutes sortes. L'exposé de la statistique
suivante peut vous donner une idée de son extrême importance.
Le total des minerais de toute nature , exportés de la colonie de
1872 à 1885, s'élève au chiffre de 110,897 tonnes, c'est une moyenne
de 8,430 tonnes par an.
Le maximum a été atteint en 1884 ; les exportations, cette année ,
ont été de 19,225 tonnes.
La valeur totale des minerais exportés pendant cette période a
- 208 -
été de 36,381,060 francs. En 1872, elle n'était que de 204.288 francs ,
elle s'est élevée à un maximum de 4,814,050 francs en 1884 pour
retomber à 2,233,040 en 1885.
Cette valeur totale se subdivise ainsi, suivant la nature des mine-
rais exportés :
Minerai de nickel : 46,704 tonnes représentant une valeur de
18,814,400 francs ; minerai de cuivre ; 40,466 tonnes représentant
une valeur de 14,345,220 francs ; cobalt : 10,980 tonnes représentant
une valeur de 2,153,425 francs ; clirôme : 12,532 tonnes , représen-
tant une valeur de 1,055,760 francs ; or ; 213 kilog., 485 gr., repré-
sentant une valeur de 641 ,485 francs ; antimoine : 190 tonnes repré-
sentant une valeur de 57,000 francs ; plomb argentifère : 25 tonnes
500, représentant une valeur de 13,770 francs.
La teneur de ces minerais varie : pour le nickel, de 8 à 14 "/o ;
pour le cuivre, de 14 à 25 %; pour le cobalt, de 2 à 5 °/o; pour le
chrome, de 50 à 60 7o ; pour l'antimoine , de 24 à 50 7o ; pour le
plomb argentifère, de 40 à 60 7o de plomb et de 500 à 1,000 gr. d'ar-
gent
La superficie des mines en instance, au 31 décembre 1885, s'élève
à 63,713 hectares 87 ares se répartissant ainsi :
406 mines de nickel, d'une superficie de 37,965 hectares ; 94 mines
de cobalt, d'une superficie de 10,626 hectares ; 73 mines de chrome,
d'une superficie de 4,366 hectares ; 43 mines de cuivre, dune super-
ficie de 4,114 hectares : 15 mines de houille , d'une superficie de
2.817 hectares 12 ares ; 17 mines d'antimoine , d'une superficie de
1,170 hectares; 9 mines d'or, d'une superficie de 370 hectares;
3 mines de plomb argentifère , d'une superficie de 300 hectai^es : 33
mines de fer, de zinc, d'étain, de pyrites aurifères et argentifères ,
de platine, d'opale et de plombagine , le tout d'unes uperficie de
1,985 hectares 75 ares.
Pour avoir la superficie totale des mines demandées , de 1870 au
31 décembre 1885, il faut ajouter aux chiffres précédents :
Les demandes minières abandonnées , formant une superficie de
33,659 hectares 54 ares.
Les concessions provisoires et permis de recherches demandés et
périmés au l^"" janvier 1885, soit 28,597 hectares ;
Enfin, les permis de recherche en instance au 1'''' janvier 1886 ,
soit 12.778 hectares 50 ares.
Il convient d'ajouter à ces chiffres celui des concessions minières
- 209 —
instituées depuis 1879 jusqu'au 31 décembre 1885, soit 10,937 hec-
tares 35 ares 34 centiares.
Soit une superficie totale de 154,952 iiectares 26 ares.
Voici maintenant la répartition des mines définitivement instituées
au 31 décembre 1885.
Nickel : 51 mines représentant 4,874 hectares 51 ares 94 cen-
tiares ;
Cobalt : 14 mines représentant 1,535 hectares 10 ares ;
Chrome : 7 mines représentant 3,306 hectares 68 ares 45 cen-
tiares ;
Cuivre : 29 mines représentant 747 hectares 94 ai*es 29 centiares;
Houille : une mine représentant 5 hectares ;
Antimoine : 10 mines représentant 313 hectares 11 ares 65 cen-
tiares ;
Or : 8 mines représentant 55 hectares ;
Plomb argentifère, manganèse, fer, pyrites aurifères, opale,
argent, zinc, étain, platine et plombagine ;
Une mine instituée (manganèse) d'une superficie de 100 hectares.
Les mines de cette dernière catégorie, en instance, sont au nombre
de 36 et représentent une superficie de 2,285 hectares 75 ares.
Parmi les mines de cuivi e , on peut citer la mine Pilon , qui est
actuellement en exploitation et dont le minerai est d'une teneur
moyenne de 30 °/o. Ce rainerai est le plus riche que l'on ait
encore trouvé en Nouvelle-Calédonie. Si les résultats que font pré-
voir les premiers travaux opérés sur cette mine se réalisent, on
pourra y occuper avant deux ans un effectif de 2,000 travailleurs.
Avec deux exploitations de cette importance, les affaires de la colo-
nie seraient relevées , et cette éventualité n'a rien d'impossible.
Malgré les nombreuses l'echerches et déclarations dont nos terrains
miniers ont été l'objet, le pays est encore loin d'être connu , et plus
il sera exploré, plus les découvertes prendront de l'importance.
Vous voyez que la Nouvelle-Calédonie renferme des mines d'une
très grande valeur. On les a encore peu exploitéesjusqu'ici par rapport
à leur richesse , et cela par défaut d'argent, car les Calédoniens , n'é-
tant pas pour la plupart assez riches, ne peuvent guère songer, comme
en France , à la création de sociétés minières.
Pour l'exploitation des mines de la colonie , nous sommes obligés à
l'heure actuelle , de nous adresser à l'étranger et comme les Anglais
ne sont pas bien loin , c'est à eux tout natui^ellement qu'on confie cette
15
- 210 -
grande entreprise. C'est un véritable malheur que je m'eflForce , dans
mes conférences , de faire ressortir, en engageant mes compatriotes à
se former, eux aussi , en sociétés , afin de pouvoir exploiter eux-
mêmes ces immenses richesses.
La houille de Nouvelle-Calédonie , d'après les analyses de M. Porte,
pharmacien de la marine , possède une puissance de chauffage supé-
rieure à celle de certaines mines australiennes , et les récentes décou-
vertes dénoncent un vaste bassin houiller comprenant à peu près tout
le versant ouest de l'île.
Il y a donc en Nouvelle-Calédonie un bassin houiller de première
importance ; aussi aurons-nous dans ce pays , dès que le percement
du canal de Panama sera un fait accomph, non-seulement une situation
navale excessivement sûre , mais encore un dépôt de charbon de la
plus haute valeur.
Outre le minerai , il y a en Nouvelle-Calédonie du bétail en grande
quantité : c'est , en quelque sorte , la seule de nos colonies oii l'on
puisse élever le bétail dans de boni es conditions.
Elle fournit déjà à la marine et à l'armée une partie des conserves
de viande , et elle pourra , sous très peu de temps , lui en fournir la
presque totalité. C'est , il me semble , assez dire que dans ce pays le
bétail croît bien et est par conséquent de bonne quahté.
La population indigène de la Nouvelle-Calédonie , celle que nous
avons rencontrée quand nous sommes allés nous installer dans ce pays,
doit avoir une origine tout à fait ancienne. Il paraît absolument cer-
tain que cette race est arrivée dans l'île par une succession de nau-
frages. Il y a dans ces parages , comme vous le savez , des courants
marins qui se dirigent de l'est à l'ouest et qui sont puissamment
secondés par des vents alises soufflant de la partie nord et est, et diri-
geant, par conséquent, vers l'ouest tous corps susceptibles de flotter :
Eh bien , le Canaque est navigateur, il construit avec des troncs
d'arbres de solides pirogues doubles , portant plate-forme avec foyer
central , sur lesquelles il s'installe avec sa famille , et va pécher sur les
récifs quelquefois durant plusieurs jours. Quand le temps est beau , un
voyage en mer accompli dans ces conditions n'a rien de dangereux ,
mais quand survient la tempête , et le mauvais temps s'annonce assez
brusquement dans ces contrées , le Canaque , entraîné par la bour-
rasque, perd à jamais de vue son pays natal et ne s'arrête que lors
qu'une île , une terre nouvelle lui barre le passage ; il y descend avec
sa famille et il y reproduit sa race. C'est ce qu'ont dû faire certaines
- 211 -
populations de l'Inde et de la Polynésie pour arriver enfin jusqu'en
Nouvelle-Calédonie.
11 y a dans l'île deux, types d'indigènes : le Canaque au teint jaune ,
qui semble se rapprocher du type polynésien ou tahitien, et le Canaque
au teint presque noir, nuance chocolat , pour ainsi dire. La présence
de cer. deux types différents s'explique tout naturellement par l'exis-
tence des grands courants atmosphériques et marins, et par le système
de naufrages probables dont je vous parlais tout-à-l'heure.
Ces gens-là ont dû se trouver très nombreux, à certaines époques ,
dans la Nouvelle-Calédonie , car on y remarque des traces considé-
rables de cultures : il n'existe dans le pays aucun recoin fertile
paraissant ne point avoir été cultivé jadis. Souvent même , les mon-
tagnes ont leurs flancs couverts de magnifiques plantations , offrant
ainsi , de leur base au sommet un coup-d'œil vraiment remarquable.
L'un des principaux produits de l'agriculture indigène est le Taro ,
que vous connaissez sans doute pour l'avoir vu dans nos squares :
c'est une plante magnifique à feuilles vertes lustrées ayant la forme de
lances , et qui donne un très gros tubercule farineux et très nourris-
sant. On la cultive en beaucoups d'endroits de l'île , et principalement
sur les versants du bord de la mer.
Pour ses cultures , le Canaque remue à fond le sol : il le travaille
avec un simple piquet de bois lourd , durci au feu , mais cet instrument
est puissant entre ces mains ; au fur et à mesure qu'il soulève la terre,
les femmes en triturent les mottes pour en retirer toutes les impu-
retés , tous les détritus étrangers , en un mot , pour la rendre parfai-
tement nette. C'est principalement dans des terres ainsi nettoyées et
préparées , lesquelles produisent excellemment pendant quelques
années , que les Canaques plantent leurs ignames. La présence de ces
nombreuses traces de culture dans toute la Nouvelle-Calédonie établit
suffisamment qu'il a dû exister dans ce pays qui, actuellement ne
compte plus guère que 40 à 50 niille Canaques, des centaines de mille
de ces indigènes. Cette race disparaît donc , comme d'ailleurs celle de
tous ces parages , et l'on peut attribuer cette décroissance énorme à
une foule de causes , et non pas exclusivement au contact des Euro-
péens, car elle remonte certainement à de longues années avant leur
apparition.
Assurément nous avons apporté des vices aux Canaques ; ils boivent
et ils fument , mais ce n'est pas nous qui avons pu provoquer leur
dégénérescence rapide.
y
— 212 —
Nous devons surtout l'attribuer à des causes inhérentes aux mœurs
mêmes de la race : les mères , par exemple , ne prennent pas grand
soin de leurs filles , elles soignent assez bien leurs garçons que sur-
veillent les pères parce que , un jour, ils devront leur succéder et les
aideront de leur travail , mais quant aux filles elles s'en occupent peu
et n'hésitent pas parfois à les faire disparaître . lorsqu'elles les gênent,
par exemple, pour courir les Pilous, sorte de fête locale fort en usage
en Nouvelle-Calédonie ; de plus , les femmes canaques , par paresse
sans doute, allaitent leurs enfants pendant un temps infini, quelquefois
pendant quatre, cinq et même six ans. Je me rappelle avoir vu, un
jour, un petit enfant qui prenait alternativement, le sein et la pipe de
sa mère ; c'était, comme vous pouvez en juger, un spectacle assez
original et fort déplaisani, et si je le rappelle, c'est parce qu'il peut
vous donner une idée de la longue durée de l'allaitement chez les indi-
gènes de la Nouvelle-Calédonie.
11 existe encore une autre cause grave de la dégénérescence de la
race canaque : C'est une coutume assez singulière d'après laquelle les
mariages se préparent dès la naissance même des enfants ; ainsi ,
lorsqu'une fille vient de naître, on donne immédiatement dans son
village une sorte de petite fête à laquelle l'enfant est ordinairement
plongé un instant dans l'eau.
Après cette cérémonie, qui n'a aucun caractère religieux, comme
on pourrait le croire, les parents présents choisissent d'un commun
accord le fiancé qui leur semble convenir le mieux à la petite fille ;
c'est, dans la plupart des cas, une simple question d'argent, un véri-
table marché. Parfois il arrive qu'un petit garçon, né presque en même
temps que la petite fille, dans le même village ou dans un village voisin,
est mis sur les rangs, et, en cas d'acceptation, les cadeaux s'échangent
immédiatement entre les parents des deux nouveau-nés. En général,
ces mariages ne sont pas heureux, car il arrive que les âges des époux
sont disproportionnés et qu'ils n'ont l'un pour l'autre aucune inclina-
tion. Aussi, quand l'âge du mariage est arrivé, le jeune homme quel-
quefois abandonne sa femme et s'enfuit, et réciproquement. Les lois
matrimoniales des Canaques sont donc une des causes principales de
la décroissance rapide de cette race. Il leur naît, du reste, moins de
filles que de garçons.
En Nouvelle-Calédonie, comme d'ailleurs dans presque toutes les
tribus d'indigènes vivant à l'état sauvage, les femmes s'achètent ordi-
nairement comme de véritables esclaves. L'homme ne considère pas
-^ 213 —
sa femme comme uno campagne Adèle avec laquelle il poul, parlagor
SOS sentimonts, mais bien comme une simple bête de somme, et plus
il a de femmes, c'esl-à-dire plus il est riche, plus il est heureux. L'une
va recueillir les coquillages sur le bord de la mer, ce qui est une
besogne pénible, l'autre transporte les pierres pour le foyer, une
troisième fait la provision de bois, etc.
Bref, plus un homme a de femmes, plus il est soigné, plus il vit dans
une douce paresse, plus il jouit d'une grande considération.
En Nouvelle-Calédonie, la femme s'achette ordinairement à celui
dont elle dépend à l'aide de monnaie Calédonienne, enfilade de petits
coquillages fort rares dont un métro vaut environ luiit cent francs ;
la longueur du chapelet est proportionnée aux qualités reconnues chez
l'objet du marché. Aux Nouvelles Hébrides ou le porc est en hcmneur
c'est contre deux ou trois de ces intéressants animaux que la femme
est généralement échangée, et ne croyez pas, Mesdames, que ce pro-
cédé puisse blesser en quoi que ce soit la susceptibilité de ces filles de
la nature ; elles sont fières au contraire de se voir aussi hautement
estimées, car, chez ces peuplades, le porc est l'animal privilégié ; il
a droit au lit et à la table , il circule partout à sa guise et si, par
malheur, une mère vient à mettre au monde plus de petits qu'elle n'en
peut nourrir, les déshérités ne sont pas sacrifiés pour cela, les femmes
du village qui se trouvent en état de le faire leur donnent charitable-
ment le sein.
J'ai dit plus haut que la femme Calédonienne sacrifiait volontiers
l'existence de sa petite fille poui' ne point être entravée dans les courses
à travers les Pilous du voisinage, ces mœurs, heureusement, tendent à
disparaître ; néanmoins je pus constater de visu lafaciUtéaveclaquelle
une Canaque que j'employais sur mes plantations comme travailleuse
fit passer de vie à trépas, en lui enfonçant le crâne d'un coup de pierre,
son pauvre petit nouveau-né.
Cet acte de sauvagerie m'ayant révolté, j'en fis prévenir le chef
voisin, qui alla constater le fait et vint me dire en souriant que c'était
là un fait bien ordinaire et d'une importance d'autant plus mince que
l'enfant, prétendait la mère, était d'un Européen... Et la malheureuse
continua à jouir, dans la contrée, de la réputation qu'elle méritait;
celle d'une excellente bête de somme !
La femme, en vérité souffre moins qu'on pourrait le croire de cet
état d'avilissement qui lui paraît à elle-même si ualurel ; elle se met
sur le dos des poids énormes et considère ce métier de porte-faix
-214 ~
comme le plus naturel du monde pour le sexe auquel elle appartient.
Il y a d'autant moins sujet de s'apitoyer sur leur sort que c'est surtout
lorsqu'elles marchent à vides qu'elles paraissent souffrir.
Un beau jour, sur les confins de ma propriété, je rencontrai une
bonne vieille succombant sous un ballot énorme dont je fus curieux de
vérifier le contenu C'était tout bonnement une masse de cailloux
qu'elle avait rencontrés à plus de quatre kilomètres de chez moi et
qu'elle portait au moins à 6 kilomètres plus loin par la seule raison,
me dit-elle, que ces pierres lui avaient plu pour son foyer, par leur
forme et leur qualité. Lorsqu'une femme n'a pas sa charge ordinaire,
elle paraît s'inquiéter et sonder l'espace autour d'elle comme pour
chercher matière à constituer son fardeau.
L'homme, lui, ne fait rien ou ne fait que ce que la femme ne peut
absolument pas faire. Il ne porte jamais rien que son casse-tête ou sa
sagaie, marchant fièrement le long des sentiers ou du bord de la mer,
lançant sa fronde ou péchant un poisson et lorsque, par hasard, une
femme venant en sens inverse l'aperçoit à temps, elle s'efface immé-
diatement dans la brousse comme un objet indigne de paraître aux
yeux de ce seigneur et maître ; si elle est surprise, aussitôt elle se
courbe jusqu'à terre pendant que l'homme passe, affectant dédaigneu-
sement de jeter les yeux sur la pauvre créature.
La même cérémonie se répète devant un Européen, à moins que ce
ne soit un condamné ou un libéré. La femme indigène a du flair h cet
égard ; elle connaît l'état d'avilissement du blanc en question et ne
craint pas d'entrer immédiatement en pourparlers avec lui Aussi,
pour un peu de rhum, un morceau de tabac, un dix sous, un forçat
peut obtenir bien des choses dans un village, alors qu'un homme libre
devra faire les plus grands eô'orts diplomatiques pour arriver au même
résultat.
Les hommes cultivent la terre, ce qui ne leur prend guère qu'un
mois ou deux par année. Ils se livrent à quelques travaux de sculpture
grossière ; ils font la pêche en commun, à l'aide d'immenses filets qu'ils
savent confectionner dans la perfection ; ils construisent les cases et
façonnent les pirogues à l'aide d'énormes troncs d'arbres qu'ils vont
chercher jusque dans les endroits les plus reculés des forêts. C'est un
spectacle excessivement curieux que celui du transport sur le httoral
de ces géants de la nature qui croissent sur les montagnes abruytes de
l'intérieur de l'île.
- 215 -
Voici ce que je disais à cet égard dans une précédente conférence à
]a Société française de Colonisation :
Rien de curieux comme cette manœuvre de la descente de ces
pièces énormes du centre des forets encore vierges jusqu'à la mer, à
l'aide des moyens primitifs dont disposent .ces sauvages.
Lorsque le conseil des vieillards, toujours plus écouté et redouté
que le chef même, a décidé que la tribu devait construire une grande
pirogue pour le service de tous, on désigne un certain nombre de
Canaques, renommés pour leur connaissance des bois et leur habileté
en sculpture, afin de choisir, dans les forets, l'arbre o les arbres
nécessaires.
La recherche est quelquefois longue ; mais jamais les difficultés que
peut entraîner la situation même de l'arbre n'entrent en considération
dans le choix qui est fait. Si l'arbre convient par sa qualiié et son
énormité cela suffit, serait-il sur une pente de 50 degrés ou dans le
fond le plus effrayant des précipices.
On met quelquefois plus d'un mois à l'abattre — car souvent la base
de ces géants s'appuie sur des contre-forts puissants qui en doublent
le diamètre et couvrent tout un territoire. Jadis c'était par l'entretien
d'un feu constant que les Canaques arrivaient à user ce qu'ils coupent
aujourd'hui à l'aide de la hache américaine qui est parvenue jusqu'à
eux. 11 fallait alors une année peut-être pour arriver au même but.
Pendant ce pénible travail, tous les hommes valides de la tribu sont
occupés à tracer et déblayer à travers l'inextricable végétation de la
forêt le sillon que devra suivre la pièce de bois pour se rendre au
village et à la mer. Il est difficile de se faire, chez nous, idée d'une
besogne pareille à travers les entassements prodigieux d'une forêt
tropicale et les brusques accidents de terrain qui caractérisent les îles
qui nous occupent. La sente déblayée plonge parfois brusquement au
centre de véritables gouffres pour se redresser immédiatement sur des
parois presque à pic.
N'importe, on sape, on coupe , on ouvre malgré tout la voie, du lieu
où gît le bloc jusqu'aux confins de la forêt.
Il ne s'agit plus que de disposer les lianes solides, nécessaires à la
traction, et à se procurer la force suffisante. C'est alors qu'une véri-
table fête commence.
On a invité les amis des tribus voisines à venir donner leur con-
cours, et au jour convenu on peut apercevoir des grappes humaines
- 216 —
noires et mouvantes suspendues aux flancs des montagnes, conver-
geant toutes vers le point indiqué.
Une fois réunis, toutes les forces s'établissent autour du monstre à
entraîner ; le chapelet humain s'allonge en deux files sur les lianes
amarrées de façon à éviter tout frtotemeut sur le sol ; de solides gail-
lards, armés de leviers, escortent les flancs du bloc de façon à lui
faire éviter les obstacles et à le soulever s'il vient à s'accrocher quel-
que part ; puis, tout étant bien disposé, un hourrah formidable éclate
sous les voûtes du bois et le singulier attelage s'élance en bondissant
sur la sente tracée.
On met parfois huit jours et plus pour arriver à la mer; mais il
n'est pas d'exemple qu'on ait jamais abandonné un poteau ou une
pirogue en route. La patience est la force du sauvage ! Il faut les voir,
dans les pentes escarpées, calant le bloc prêt à retomber au fond du
ravin, puis se reprenant en chantant en chœur, le faisant avancer
d'une brasse, le calant à nouveau, pour enfin atteindre le sommet
aigu d'où il faudra encore replonger dans l'abîme.
Mais si la montée est un labeur immense, la descente est une joie
insensée ; la poutre est lancée par la multitude qui l'entraîne de toute
la vitesse de ses jambes d'acier... , le tronc bondit et se précipite,
semblant devoir broyer tous les imprudents qui narguent ses mena-
ces— et, de temps en temps, pendant cette descente vertigineuse,
vous apercevez les plus audacieux s'élancer sur le dos du monstre, y
stationner quelques secondes en poussant des sifflements aigus pour
sauter en riant du côté opposé.
Arrivée au village, la pièce est remisée à l'ombre des cocotiers et
livrée aux principaux artistes de la tribu. Si c'est un poteau de case,
elle est arrondie à sa base et disposée à la partie supérieure pour
recevoir les bois de la toiture. Elle est alors en lioup, essence
incorruptible d'nne grande densité et d'un beau grain jaune-brun. Si
c'est une pirogue que l'on veut établir, la pièce est creusée lentement
à l'aide de hachettes, d'erminettes, de ciseaux de menuisiers , emman-
chés par les ouvriers eux-mêmes et d'une façon toute particulière;
puis elle est façonnée extérieurement, de manière à bien s'asseoir sur
l'eau, sculptée aux deux extrémités , pourvue de balanciers destinés à
la rendre stable lorsqu'elle ne doit pas être accouplée à une autre
pirogue même, et enfin munie d'un mât, d'une voile de nattes trian-
gulaire, d'une ancre, qui n'est autre qu'une pierre lourde et percée
- 217 -
d'un trou qui sert à la rattacher à l'embarcation, et enfin lancée à la
mer.
Les villages canaques, qui sont presque tous situés sur le bord de la
mer, sont généralement disposés avec un certain goût, particulier aux
indigènes. Ceux-ci, dès qu'ils ont l'intention ne créer un village, com-
mencent par planter des cocotiers en ligne droite sur l'emplacement
qui lui est destiné, et ils y ajoutent toute une variété des plus jolies
plantes de la Nouvelle Calédonie ; c'est dans le milieu de cette admi-
rable végétation qu'ils construisent leurs cases. La visite d'un village
est ordinairement très curieuse : les habitants, n'ayant généralement
aucune préoccupation politique ou autre, vivent pour la plupart, je parle
surtout des hommes, dans une sorte d'oisiveté que beaucoup de gens
leur envieraient. L'emplacement d'un village est toujours choisi auprès
d'un cours d'eau et, autant que possible, il est situé non loin de son
embouchure, car les Canaques, qui ne sont pas moins observateurs
que nous, n'ignorent pas que c'est principalement à l'embouchure des
cours d'eau que la pêche est la plus abondante.
Il y a dans chaque village canaque des cases de différentes formes ;
celle du chef occupe généralement l'extrémité d'une allée. Le chef,
cependant, ne l'habite jamais et il ne faut en aucun temps l'y aller
chercher, car, sachant très bien que, naturellement, il a des ennemis
capables d'attenter à ses jours, en homme très prudent, il demeure
tantôt dans un endroit tantôt dans un autre, et presque toujours dans
une case de peu d'appai'ence de sorte qu'il n'est pas toujours facile do
connaître le lieu de sa résidence. Les personnes qui désirent le voir en
font part d'abord à quelqu'un de son entourage, qui, suivant les ordres
mêmes de son maître, indique un endroit favorable à l'entrevue.
Comme je vous le disais tout-à-l'heure, le Canaque mène une vie
bizarre qu'il passe ordinairement à ne rien faire. A part les occupations
que je vous ai indiquées tantôt et celle de la culture du taro ei de
y igname, il fait fort peu de chose ; il n'a pas à se préoccuper de son
vêtement, puisqu'il n'en })oi'te pas ; il n'a pas de préoccupations poli-
tiques, puisqu'il n'a ni Sénat, ni Chambre de Députés; en somme, il est
loin d'être malheureux.
Il n'existe chez les Canaques qu'une seule sorte d'assemblée admi-
nistrative, laquelle assemblée se compose entièrement de vieillards
qu'on écoute toujours avec attention et qui ont une grande influence
sur les affaires communes. Toutes les décisions prises par ces vieillards,
- 218 —
quand bien même elles iraient contre la volonté du chef (j'en ai vu des
exemples) sont religieusement exécutées.
Le Canaque arrive donc paisiblement à l'heure de la mort, après
laquelle on fait dans son village une véritable cérémonie en son hon-
neur. Si le défunt remplissait certaines fonctions honorifiques, on
célèbre pompeusement ses funérailles, on lui chante de véritables
litanies pendant une journée entière, quelquefois même pendant un jour
et une nuit, puis on lui lie les jambes sous le corps, et on l'enmaillote
en quelque sorte pour le déposer sur des nattes, derrière la case qu'il
occupait, jusqu'au lendemain et quelquefoisjusqu'au surlendemain sous
la garde de deux ou trois personnes occupées , pendant ce temps, à
chanter les vertus du mort. Cette cérémonie faite, on transporte le
corps au cimetière, ou plutôt au perc/iO«y de famille, car c'est ainsi que
j'appelle un cimetière canaque, et cela, parce qu'on y dépose les morts
sur des perches disposées, d'une certaine manière, dans les bosses
franches d'un sapin ou d'un banian. Gomme vous pouvez en juger vous-
même, une pareille méthode peut avoir de graves conséquences dans
un pays, aujourd'hui, occupé par bon nombre d'Européens.
Je me rappelle qu'un jour, tandis que je visitais l'un de ces cimetières
en compagnie d'un chef indigène, un corps canaque dégringola tout-à-
coup de son perchoir et tomba dans un ruisseau situé à quelques pas de
nous. Grâce à cet accident tout-à-fait imprévu, j'ai pu, à force de
patience, arriver à faire comprendre à ce chef les inconvénients qui
devaient résulter de cette coutume bizarre d'exposer ainsi les morts,
et, au moment ou j'ai quitté la Nouvelle-Calédonie, je constatais avec
satisfaction qu'on commençait à les enterrer ; c'était pour moi une
véritable victoire.
Les relations actuelles des Européens avec les Canaques sont assez
faciles ; les colons installés en Nouvelle-Calédonie ont d'ailleurs tout
intérêt à ménager la population indigène. Malheureusement, au point
de vue administratif, on ne s'est pas encore occupé suffisamment des
naturels, et, ce qui pis est, nous n'avons pas toujours agi loyalement à
leur égard. En 1878, par exemple, nous leur avons enlevé sans aucune
indemnité une portion des réserves qu'ils occupaient dans certaines
vallées pour en doter le domaine, nous les avons chassés d'une partie
de leurs territoires et de leurs villages où ils laissaient les corps de
leurs ancêtres, où ils étaient nés, et les avons refoulés sans aucune pré-
caution dans les villages voisms. Comme c'était à prévoir, cette retraite
forcée ne leur a pas plu (nous ne serions pas coutents non plus, si l'on
-219 -
venait nous déposséder de la sorte et, il s'en suivit un mouvement
insurrectionnel pendant lequel ils ont tué environ 300 de nos compa-
triotes. Je me trouvais dans le pays à cette époque et je dois constater
que les in<ligèiies de mes parages, loin d'être menaçants à mon égard,
venaient, la nuit, garder l'habilation ou je résidais ainsi que ma famille.
J'avais été assez heureux pour mo concilier l'estime de ces pauvres
diables dont j'avais maintes fois soutenu les intérêts et je dus à cette par-
Ucularité une sécurité complète au milieu de mon isolement absolu, alors
que mes voisins avaient fui à Nouméa, et pendant que mos malheureux
compatriotes étaient assassinés de l'autre côté des montagnes J'ai donc
vécu avec eux dans les meilleurs termes, aussi je vous assure que je les
ai quittés avec un véritable chagrin et, quand je pense parfois à eux, je
ne puis me défendre d'une certaine émotion.
J'ai pu élever deux enfants de race indigène, l'un jeune enfant de 7
ans, qui m'a été amené au moment de ces massacres , il était origniaire
de l'est, mais il avait été entraîné sur la côte ouest par sa famille à
laquelle les indigènes , auxihaires de nos soldats , faisaient alors
la chasse. L'enfant fut capturé par ces auxiliaires au moment où, sui-
vant ses parents, il disparaissait dans les fissures d'une grotte profonde.
Le canaque qui me l'amena racontait qu'il arriva juste k temps pour
■ saisir le petit par sa chevelure crépue et le tu^er du trou où les autres
venaient de disparaître sans qu'il lut possible de les rejomdre car ces
grottes sont immenses et possèdent de nombreuses issues.
J'élevai le jeune canaque comme s'il eût été mon enfant. Il constitue
un beau spécimen de sa race et est devenu le grand garçon de 16 ans
que j'ai présenté tout récemment à la Société d'Anthropologie de Pans.
J'ai amené é-alement avec moi, en France, un jeune métis, fils d un
soldat d'infanterie de marine, et que mon excellente mère eut la bonté
de recueillir, alors que tout petit il errait dans nos plantations.
C'est aujourd'hui un superbe garçon de ma taille bien qu'il n ait que
treize ans k peine, il possède les éléments indispensables de l'aritmne-
tique et écrit k peu près correctement notre langue. La race des métis
calédoniens est fort intéressante et il y aurait certainement quelque
chose k faire k son endroit; de même que les Canaques, elle nous
fournirait certainement de puissants auxiliaires si nous savions nous
concilier leur confiance et leur amitié, ce qui n'est pas possible avec les
procédés de conquérants et d'envahisseurs dont nous avons use
jusqu'ici k leur égard, et contre lesquels ils sont sans défense.
Mesdames et Messieurs, je voudrais m'étendre longuement sur ce
— 220 —
sujet si iiitéressant ; mais le temps passe vite, et je ne puis tarder
davantage à laisser la parole à mou honorable collègue M. de Mahy.
— Permettez-moi, cependant, de vous dire que je me suis occupe
sérieusement de mes chers sauvages depuis mon retour à la métro-
pole ; j'ai demandé â M. le Ministre de la Marine de prendre une
mesure par laquelle nous puissions accorder aux Canaques de la Nou-
velle-Calédonie, comme à nos colons, des titres de propriété. Ces titres
m'ont été réclamés par les Canaques mêmes.
A mon départ de la colonie, alors que le « Destrées », bâtiment de
l'Etat, vînt me prendre au fond de cette baie magnifique où j'avais
passé tant d'années si calmes et si véritablement heureuses, cinq à six
cents canaques viennent me faire leurs adieux sur la plage, à leur tête
était le vieux chef, mon ami. 11 m'ofirit comme souvenir une hache de
pierre d'une grande valeur en me recommandant de revenir bientôt
parmi eux après avoir obtenu de leur grand chef, M, Grévy (le nom
de notre Président ne leur est pas inconnu comme vous le voyez) des
titres de propriété en leur faveur comme en possèdent tous les colons !
Vous pouvez comprendre. Mesdames et Messieurs, que si nous
savions faire acte d'équité en donnant à ces gens les titres de propriété
qu'ils réclament, il est évident que, ayant besoin de notre appui, ils
n'auraient plus de raisons pour se défier de nous, comme ils sont en
droit de le faire encore aujourd'hui, sachant qu'à un moment donné
nous pouvons encore les chasser de leurs territoires ! Cette simple
mesure, que je voudrais voir appliquer le plus tôt possible, nous conci-
lierait certainement leur entière confiance et leur sympathie.
Si le temps me l'avait permis, j'aurais voulu vous dire quelques mots
des Nouvelles-Hébrides mais l'heure s'avance toujours et je ne dois
pas oublier que nous avons à entendre mon honorable ami et collègue
M. de Mahy.
Mesdames et Messieurs, il y a actuellement en Nouvelle-Calédonie
14,000 forçats ou hbérés, chiffre intéressant à tous les points de vue
et surtout au point de vue français, et comme j'ai l'honneur de parler
devant des députés, je désire vous dire le fond de ma pensée à l'égard
de ces condamnés.
L'administration pénitentiaire a à peu près complètement travesti la
magnifique loi humanitaire de 1854, par toute une série de règleme-ls
qui, petit à petil, l'ont modifiée de telle sorte qu'il n'en subsiste, pour
ainsi dire, plus trace. Eh bien! je ne demande qu'une chose, c'est qu'on
la remette en vigueur le plus tôt possible.
- 221 -
Par suite de toute cette série de règlements nouveaux , il arrive
journellement que des forçats en cours de peine, même des conrlamnés
à perpétuité, môme des condamnés à mort et commués, après quatre
années d'un bagne plus qu'anodin , sont mis en concession de terre,
dans des conditions tellement favorables qu'il est impossible à l'État
d'en offrir de pareilles au français honnête et maltieureux. — Je
m'adresse surtout ici aux députés, qui pourront s'occuper de la question
lorsqu'elle se présentera au Parlement et je les prie surtout de ne pas
oublier, dans la discussion qui surgira, que la mise on concession de
terre d'un forçat en cours de peine, alors que pareille faveur ne peut
être faite au citoyen honnête, constitue une prime, un encouragement
au crime et devient un danger menaçant pour notre société
Occupons-nous de préférence delà classe honnête, profitons surtout
de ce moment favorable à l'émigration, que je vous signalais tout-à-
l'heure, favorisons nos compatriotes malheureux qui deviennent en
Nouvelle-Calédonie, aux Nouvelles-Hébrides, de riches éléments de
prospérité pour la métropole, et nous aurons accompli une œuvre
éminemment humanitaire et patriotique ! (Applaudissements pro-
longés).
t
— 222 -
COURS ET CONFÉRENCES DU JEUDI SOiH
A LILLE.
(m exte?iso).
A TRAVERS LES GRISONS
EXCURSION DANS LA SUISSE ORIENTALE
Conférence faite en novembre 1886
devant la Société de géographie de Lille et la Société de géographie de Vahnciennes,
Par M. E. GUILLOT,
Professeur agrégé d'Histoire au Lycée G'narlemagne ,
Membre d'honneur de la Société de géographie de Lille,
Secrétaire de la Société de géographie commerciale de Paris,
Officier d'Académie.
Personne n'ignore combien sont nombreuses et variées les pitto-
resques beautés de la Suisse; mais nulle part, peut-être, elles ne
présentent un caractère de grandeur et d'originalité plus marqué que
dans les vallées supérieures du Rhin et de l'inn , dans les Grisons et
l'Engadine. Aussi , en me proposant de relater une excursion char-
mante que nous avons accomplie, deux de aies amis et moi, dans cette
région au mois d'août 1886 , je n'ai nullement la prétention d'imposer
aux voyageurs à venir un itinéraire k suivre , encore moins d'indiquer
dans ces quelques pages toutes les curiosités qu'il est possible de con-
templer. Nous avons franchi de grandes distances, et vu beaucoup de
choses ; mais nous en avons aussi laissé beaucoup de côté, soit par une
négligence voulue, qu'expliquait suffisamment le temps restreint dont
nous disposions, soit pai' des omissions involontaires. Quoi qu'il en
soit, ce qu'il nous a été donné de voir peut , je crois , founir matière à
une relation non dépourvue de quelqu'intérêt car , si les Français
— 223 -
connaissent Genève et son lac , parcourent l'Oberland et le Valais ,
séjouriiont à Lucerne et accomplissent le traditionnel pèlerinage au
Righi. si quelques-uns même explorent la ligne du Saint-Gotliard et le
Val d'Urseren, un petit nombre s'aventurent jusque dans les Grisons :
nous avons vu durant notre voyage des familles Allemandes, des Italiens,
des Autrichiens, mais peu de Français, et c'est avec un sincère plaisir
que nous avons entendu parler purement notre langue, lorsqu'il nous
a été donné à Silva-Plana et à Pontresina de rencontrer quelques-uns
de nos compatriotes.
I. — De Pari» à Coeschencn.
Deux voies s'offrent au touriste pour pénéter dans les Grisons :
l'une de Paris à Coire par Bâle, Olten, Aarau, Baden, Zurich, Wesen,
Sargans et Ragatz : l'autre, de Paris à Gœschenen à l'entrée du tunnel
du Saint Gothard par Bâle, Olten. Lucerne et le lac des Quatre cantons ;
de Gœschenen, une route des plus pittoresques conduit à Andermatt ,
d'où, en franchissant le col de l'Oberalp, on rejoint le Rhin jusqu'à sa
source pour le descendre jusqu'à Rayatz en pénétrant, par des détours
obligés, dans les vallées latérales, souvent plus curieuses à visiter que
la vallée principale elle-même ; ce second itinéraire avait été, après un
mûr examen, adopté par nous.
Le 3 août , nous prenions à Paris l'express de 7 h. 40 du soir , et le
lendemain de bonne heure . nous étions réveillés à Belfort au milieu
du brouillard qui nous cachait la vue de la ville et de la citadelle.
Quelques instants plus tard, à Alt Munsterol, nous subissions la visite
toujours pénible et désagréable, quand elle est faite par les douaniers
allemands, et, après des arrêts prolongés et non justifiés sur le terri-
toire d'Alsace-Lorraine, nous arrivions à Bâle à sept heures, avec un
tel retard que nous eûmes à peine le temps de prendre d'assaut le train
qui devait nous emporter vers Lucerne. La magnifique traversée du
Jura par la vallée de l'Ergolz, Liestal et le tunnel du Hauhenstein ,
nous consola de cet incident. A 9 heures , nous étions à Lucerne, et à
midi 45 nous prenions , sous une pluie battante , le bateau qui dessert
les deux rives du lac jusqu'à Fluelen. La pluie, hélas ! voilà le principal
désagrément que, peu favorisés , nous eûmes à subir , chemin faisant ,
et qui, apparaissant dès le début de notre voyage, contraria nos excur-
sions à plusieurs reprises, sans jamais nuire à l'accomplissement du
programme que nous nous étions rigoureusement imposé.
— 224 —
Je ne m'arrêterai pas à décrire Luceriie que tant de personnes
connaissent , ni son lac si terriblement pittoresque . ni le Pilate à la
vieille légende , ni le Righi déjà gravi par nous dans un précédent
voyage, et dont le mauvais temps nous eut empêché d'ailleurs de faire
l'ascension.
A Brunnen , où nous avions placé notre premier arrêt , la pluie
tombait toujours ; il pleuvait encore le 5 août , quand nous prenions à
11 h. 1/2 du matin , à la gare de Bi-unuen , le train qui devait nous
conduire à Gœschenen. Tout a été dit sur les beautés de la ligne du
Gothard, sur l'Axenstrasse et ses tunnels, sur la vallée verdoyante que
domine Altorf , sur les ponts audacieusement jetés et sur les tunnels
tournants de Wasen, qui semblent le dernier mot de l'art et de la science
modernes : j'admirais pour la seconde fois toutes ces merveilles , que
nous regardions à juste titre comme le prélude de tant d'autres, et
c'est avec une impatience facile à deviner que nous arrivons vers deux
heures à Gœschenen , où allait vraiment commencer notre intéressant
voyage.
II. — ne C^œscbeueu à Anderiiiatt.
La situation de Gœschenen (1,109'" d'altitude) est des plus remar-
quables. Placé à l'entrée du grand tunnel , le village est comme
suspendu au-dessus du point de jonction de deux torrents, de force
presqu'égale, la Reuss qui vient du Saint-Gothard et celle qui débouche
du Gœschenenthal. Un pont des plus hardis supporte la route qui
réunit les deux parties du village , tandis que le chemin de fer franchit
la rivière sur un pont de fer léger comme une passerelle volante.
Gœschenen présentait une animation extraordinaire au moment des
travaux du tunnel ; elle abrite aujourd'hui beaucoup d'employés et sert
de point de départ à de nombreux touristes.
Six kilomètres séparent Gœschenen d'Andermatt : c'est une courte
promenade que l'on ne saurait trop recommander de faire à pied , en
suivant la route qui offre les sites les plus curieux et les travaux d'art
les plus remarquables. On s'engage dans la gorge sauvage des Schœl-
lenen, bordée des deux côtés de blocs de granit à pic et au milieu de
laquelle bouillonne la Reuss. Plus de ces prairies ou de ces forêts qui
précèdent Gœschenen ; partout le rocher et le rocher dénudé ; à peine
quelques gazons ou des herbes grossières entre les rocs écroulés.
Tout est pierre, tout témoigne de la force et de la fi'équence des ava-
— 225 —
lanches dont les débris amoncelés apparaissent de tous côtés. A son
entrée , près des énormes tuyaux en fonte qui ajjportaient l'eau de la
Reuss aux puissantes turbines de l'ingénieur Favre, la gorge présente
une certaine largeur ; mais elle se resserre à mesure qu'on la remonte ;
et il ne reste plus que le roc nu, dont les deux in-urailles finissent par
se rapprocher en ne laissant entre elles qu'une étroite fissure.
L'ancienne route, dont les traces sont encore fort visibles grâce aux
larges dalles qui la pavaient , et aux ruines des ponts qui lui faisaient
franchir la rivière , s'élevait en lacets multiples des deux côtés de la
Reuss. La route actuelle est moins accidentée ; ses pentes sont plus
douces, ses lacets plus développés et moins nombreux. « En hiver,
» quand il fait froid et sec , et que l'aij' est calme , il règne un silence
» de mort dans la gorge des Schœllenen ; on n'y entend pas même le
» bruit de la Reuss, qui n'est plus qu'un ruisseau obstrué par la neige ;
» tout est immobile sous ce linceul uniforme ; mais aussitôt que souffle
» une bouffée de fœhn , ou que l'air attiédi du printemps commence à
» fondre les neiges , on les voit se mettre en mouvement sur tous les
» points ; les grandes avalanches même ne sont pas rares du tout.
» Dans une excursion faite au mois de janvier, nous avons vu la route
» trois fois devant nous traversée par des avalanches assez puissantes
» pour enlever , comme un fétu , hommes, chevaux et voitures de
» poste. Une quatrième, tombée peu après notre passage, surprit deux
» cantonniers, dont l'un fut emporté jusqu'à la Reuss à deux cents pas
» de l'endroit où il travaillait ; on retrouva son cadavre le lendemain :
;> les deux autres purent être dégagés à temps : l'un d'eux était resté
» plus de trois heures sous la neige (1). »
Les endroits les plus exposés sont protégés par des galeries aux
toits inclinés , comme sur la plupart des routes alpestres ; mais cette
protection ne s'étend que sur quelques points assez rares , et presque
partout subsiste le danger. En été la gorge présente une animation
momentanée ; le silence qui y règne d'habitude est souvent troublé par
le pas des touristes , ou par le bruit des voitures qui conduisent à
-Vndermatt ou à la Furka les voyageurs désireux de pénétrer plus
avant dans les montagnes.
Un des sites les plus curieux de cette magnifique route, est celui où
s'élèvent les ponts du diable au milieu du paysage le plus grandiose.
(1) Eug. Rambert. — I.a ligne du Saint-Goihard.
16
— 22(J —
De ces deux ponts , l'un encore solide malgré la mousse qui le couvre ,
livrait passage à l'ancien chemin; l'autre, construit de nos jours, par
l'ingénieur Muller , et formé d'une seule arche de 8 mètres d'ouver-
ture , sert à la route nouvelle. Un peu au-dessus , la Reuss forme une
belle chute qui envoie de tous côtés une fine poussière et précipite ,
dans un gouffre sauvage , à une grande profondeur , ses eaux parfaite-
ment limpides. La route est dominée , à main droite , par un rocher à
pic où l'on aperçoit , très nettement dessinés en rouge , d'abord cette
réclame d'un journal italien : « Il Secolo , 10 centimes dans toute la
Suisse », puis un diable qui semble là fort à sa place , car les habitants
de la vallée racontent que ces parages sont hantés par un lutin
ennemi des chapeaux ; quelle que soit , en effet , la sérénité du ciel et
le calme de l'atmosphère , il se produit à cet endroit une sorte de cou-
rant d'air et de violents coups de vent auxquels, si l'on n'est point pré-
venu , il est difficile de résister. Sur la route , à quelque distance du
pont, s'élève une petite cabane où l'on peut se procurer du lait, et l'on
trouve aussi des photographies et des minéraux du Saint-Gothard.
La route, après s'être élevée par une grande courbe, arrive au trou
d'Uri (Urnerloch. C'est un tunnel très primitif, un trou rond, sans
aucun revêtement en maçonnerie , et éclairé par des ouvertures laté-
rales à travers lesquelles on aperçoit la Reuss qui mugit au milieu des
rochers Taillé dans le roc , en 1707 , le trou d'Uri ne fut praticable
longtemps qu'aux hommes et aux chevaux ; mais depuis la construction
de la nouvelle route , on l'a rendu assez large pour que deux voitures
puissent y passer de front.
Au sortir de ce tunnel , coup de théâtre : plus de rochers dénudés :
plus de débris accumulés d'avalanches ; plus de chutes bruyantes de la
rivière. L'œil se repose sur de vertes prairies qui s'étendent à perte de
vue et que dominent quelques cimes neigeuses, c'est le val d'Urseren ;
au fond , un groupe pressé de maisons blanches : c'est Andermatt.
Cette brusque transition du sauvage au riant et de l'obscurité à la
pMne lumière produit , sur quiconque la subit , même pour la seconde
ou la troisième fois, une impression des plus vives et des plus agréables
qu'il soit domié d'éprouver.
Le val d'Urseren, loin de faire suite à la vallée d'Uri, qui commence
au lac des quatre Cantons, et s'élève progressivement jusqu a Gœsche-
nen, constitue un petit monde à part. Son étendue , de l'Ouest à l'Est ,
est d'environ six lieues depuis le col de l'Oberalp jusqu'à celui de la
Furka. La Ileuss couvrait autrefois toute la vaUée de ses eaux jusqu'au
227 —
moment où , s'étant péniblement frayé un passage , elle s'échappa en
mugissant à travers l'étroite coupure des Schœllonen. Une longue
chaîne , présentant une succession ininterrompue de pics dentelés,
domine et terme au Sud le val d'Urseren jusqu'à la trouée de l'Urner
loch. Vers le Nord , au contraire , la chaîne , moins régulière , est
découpée par des vallons qu'arrosent dos ruisseaux, tributaires de la
Reuss , et que dominent de hautes cimes dont les plus importantes se
nomment le Baduz, le Pizzo Centrale et le Pic de Lucendro.
Le climat est extrêmement rigoureux dans cette haute vallée
alpestre ; la neige y tombe pendant de longs mois et en abondance.
En novembre , le jour des morts ; le cimetière est ordinairement cou-
vert de neige, et les habitants doivent orner les tombes, non de fleurs ou
de verdure, mais de rubans ou d'objets en verroterie (1). En janvier ,
les maisons sont comme ensevelies au miheu d'une épaisse couche de
neige qui ne commence à fondre qu'au printemps sous le souffle tiède
du foehn. Même en été, la végétation est maigre et rare ; au fond de la
vallée, des prairies le long des rives de la Reuss , que bordent aussi
quelques saules ; çà et là de petits champs de pommes de terre ; c'est à
peu près la seule culture possible à cette altitude (1,450 mètres environ)
et sous ce climat. Sur les pentes des montagnes , des myrtilles . des
hchens ou quelques buissons alpestres. Au-dessus d'Andermatt , une
forêt de sapins , la seule de la vallée , qui protège ce village contre les
avalanches et où il est sévèrement défendu de couper un seul arbre.
Malgré la pauvreté de la végétation , la vallée présente pendant les
quelques mois d'été un aspect riant , et les touristes ont souvent la
bonne fortune, comme cela nous est arrivé, d'apercevoir au-dessus de
leurs têtes un magnifique ciel bleu , tandis que d'épais brouillards
couvrent toute la gorge des Schœllenen et la vallée inférieure de la
Reuss.
La population honnête et robuste, qui habite le val d'Urseren, vivait
jadis de l'élève du bétail et du trafic par les routes du Gothard ; depuis le
percement du tunnel, cette dernière ressource lui manque et le passage
ou le séjour de quelques voyageurs ne compense pas aujourd'hui la
perte du transit régulier et considérable du Gothard.
Trois villages s'élèvent dans la vallée : Andermatt à l'Est ; Hospental
à peu près au centre ; Réalp à son extrémité occidentale. •
(1) Eug. Rambert. — La ligne du Saint-Gothard.
— 228 —
Andermatt , qui compte environ 740 liabitants , est la localité princi-
pale ; les hôtels , auberges et cabarets y sont en nombre comme les
touristes pendant les trois mois qui constituent , ce que les habitants
appellent l'été et ce que des enfants du Midi appelleraient encore
l'hiver. Nous y étions le 5 août , et la température était glaciale. Il me
souvient encore de l'étonnement de notre hôtelier lorsqu'il nous vit
sortir vers huit heures du soir, pour essayer de tromper par une courte
promenade, l'ennui d'une soirée trop longue, car le froid nous obhgea
presqu'aussitôt à regagner nos chambres , et à imiter l'exemple que
nous avaient donné nos commensaux plus prudents et plus expéri-
mentés.
Trois kilomètres sur une route presque di'oite , séparent Andermatt
d'Hospental , petit bourg assez pauvre , qui tire son nom d'un ancien
hospice aujourd'hui supprimé ; une haute tour, reste dit- on, d'un fort
jadis bâti par les Lombards, le domine ; les maisons son presque toutes
construites en bois ; elles ont une apparence misérable , et sur leur
façade s'étagent des espèces d'écaillés enchâssées les unes dans les
autres, et qui de loin présentent un aspect assez pittoresque. Au-dessus
d'Hospenthal, monte en serpentant la route du Saint-Gothard qui, par
des pentes fort bien ménagées, atteint le col de ce nom (2,115'"), passe
auprès de l'Hôtel de la Prosa où se trouve un bureau de poste et télé-
graphe, et descend par d'innombrables sinuosités dans le val Tremola,
redoutable par ses avalanches , pour gagner Airolo (1,179 mètres) oîi
débouche le tunnel du chemin de fer.
» A six kilomètres d'Hospenthal , s'élève le hameau chétif de Réalp
(1 ,542™) , composé seulement de quelques maisons : là , commence à
monter , par des courbes interminables , la merveilleuse route de la
Furka construite dans un but stratégique pour relier la vallée de la
Reuss avec celle du Rhône , le pays d'Uri avec le Valais. Elle n'est
praticable que pendant les mois d'été car , franchissant le col de la
Furka à 2,436 mètres d'altitude, elle doit être placée parmi les routes
les plus élevées de toute la Suisse et c'est certainement une de celles
qui offre les plus belles échappées de vue sur les glaciers et les pics
neigeux des Alpes Bernoises.
Il existe donc au milieu de ces massifs alpestres trois passages bien
nettement marqués et qui permettent de sortir de ce large entonnoir
que l'on appelle le val d'Urseren : le col de la Furka, qui conduit d'An-
dermatt à Brieg sur le Rhône ; celui du Saint-Gothard , bien délaissé
depuis le percement du tunnel , que suit la grande route d'Andermatt
— 229 —
à Airolo ; enfin, celui de l'Oberalp, qu'il faut altoindre pour déboucher
dans la vallée supérieure du Rhin , dans les Grisons : c'est ce dernier
que nous avions formé le projet de franchir.
III. — D'AiicIcrniatt au col «le l'Ohcralp.
Le 6 août de grand matin , après un déjeuner sommaire , nous quit-
tions Andermatt : la pluie , qui nous poursuivait depuis Lucerne , avait
. cessé ; les nuages commençaient à se dissiper et le temps s'annonçait
à souhait pour cette première journée de marche. La route de
l'Oberalp présente absolument le même caractère que les routes du
Saint-Gothard et de la Furka , déjà suivies par moi dans un précédent
voyage : elle s'élève brusquement par neuf grandes courbes au-dessus
d'Aûdermatt ; un ancien chemin permet d'atteindre plus rapidement
le col, mais il offre moins de points de vue que la nouvelle route : c'est
donc celle-ci que l'on nous conseilla do prendre.
Je ne connais pas de fatigue plus grande et plus monotone que celle
qu'on éprouve à gravir lentement les longs détours d'un chemin qui ,
s'élevant par une pente régulière , semble vous ramener toujours au
môme point. Un incident regrettable rendit encore poui' nous cette
ascension plus pénible ; la route avait été tout récemment réparée et
empieirée , et , pendant plusieurs kilomètres , nous fûmes obligés de
marche^ sur les cailloux mal assujettis. A mesure que l'on s'élève, la
vue devient plus étendue et plus variée : tout le val d'Urseren nous
apparaît eu pleine lumière jusqu'à la Furka , avec ses trois villages
formant de légères taches blanches. Au loin , se profilent les premiers
sommets neigeux des Alpes Bernoises , et , plus près de nous , se
détachent les pics élevés qui constituent le massif du Saint-Gothard.
Après une heure et demie de marche, nous atteignons les chalets de
l'Oberalp, où cessent les grandes sinuosités de la roule , qui , s'élevant
toujours , domine la rive droite d'un ruisseau formant une des trois
sources de la Reuss : des deux côtés, des prairies, au milieu desquelles
se remarquent de grandes tourbières : le long du chemin , des pierres
couvertes d'inscriptions illisibles et rappelant probablement des acci-
dents survenus dans ces parages. A 2;02S mètres d'altitude , le lac de
l'Oberalp , long de 1 kilom. 1/2 et dont les eaux se déversent dans la
Reuss , contient beaucoup de truites ; c'est sur ses rives que nous
rejoint la diligence qui porte nos bagages à Disentis , et son passage
trouble un moment l'immense solitude qui nous entoure depuis plu-
— 230 -
sieurs heures. Quelques pas encore , et nous atteignons à 8 h. 1/2 du
matin le col de l'Oberalp (2,052'") la seule brèche par où Ton puisse
pénétrer facilement de la vallée de la Reuss dans celle du Rhin anté-
rieur (Vorder Rhein . Un spectacle merveilleux s'offre à nous ; tandis
que du côté de la Reuss, la vue se trouve bornée par les massifs mon-
tagneux , dont la route que nous venons de suivre longe la base ,
devant nous s'ouvre une sorte de fissure étroite et profonde , où les
eaux du Rhin mugissent sans qu'on les aperçoive ; en face, des glaciers
dominés par les pics Raduz et Ravetsch , aux contreforts couverts de
neige. En mesurant la profondeur où il faut descendre , on éprouve la
même impression qu'au commencement du val Tremola , sinon l'effroi ,
du moins la surprise et l'admiration, et l'on ne peut s'empêcher de
louer le génie de l'homme qui a su établir une voie de communication,
au moins temporaire, dans des régions où tout semble rappeler le chaos.
Après un court repos, consacré à jouir de ce merveilleux panorama,
nous franchissons la borne qui sépare deux cantons suisses : nous
quittons celui d'Uri pour pénétrer dans les Grisons.
TV. — IjCS Cïrisous.
Le canton des Grisons (Graubiinden) , ainsi nommé dune des princi-
pales associations (Hgue Grise) qui , au moyen-âge , se partageaient le
pays , est aujourd'hui un des cantons les plus étendus de toute la
Suisse dont il constitue la partie orientale. 11 comprend la vallée supé-
rieure du Rhin jusqu'au-dessous de May enfeld. avec les vallons latéraux
où coulent les nombreux torrents , affluents du grand fleuve , et la
haute vallée de l'Inn jusqu'à Martinsbruck ; puis dépassant , par ses
limites poUtiques , la muraille des Alpes Rhétiques , qui semblerait
devoir former une frontière naturelle , il embrasse presque toute la
fente qu'arrose le Poschiavino , le vallon supérieur de la Maira , et
atteint les rives des lacs Majeur et de Lugano : par sa superficie de
304 lieues carrés , il forme envù-on la sixième partie de la Confédé-
ration Helvétique.
Le pays se compose d'un réseau immense de montagnes que dominent
des pics aux neiges éternelles , et entre lesquelles se développent de
longues et tortueuses vallées , dont les unes sont remontées par des
routes magnifiques , tandis que les autres , abordables par de simples
sentiers, sont restées plus à l'écart de la civilisation et du commerce.
Une muraille de rochers épaisse et continue, partant du St-Gothard,
— 2.'^1 —
et qui forme à peu près la frontière entre les Grisons d'une part, les
cantons d'Uri et de Glaris de l'autre , contient les sommets du Schins-
tock, du Crispait , de l'Oberalpsiock , les immenses glaciers du Tœdi ,
et se continue jusqu'à la dépression de Sargans par les hauteurs plus
faibles de la Calanda. Des sentiers difficiles conduisent à des cols
élevés et que l'on ne jugerait guère praticables , même à des chèvres ,
quand on les voit du fond de la vallée , permettent de franchir cette
chaîne. Dans les Alpes centrales, qui, du St-Gothardau mont Septimer,
continuent la ligue de partage des eaux de l'Europe , culminent le pic
de Baduz, et les massifs de Rheinwaldhorn et de l'Adula, que couvrent
de vastes glaciers, tandis que les cols du Lukmanier, du Bernardino et
du Splugen livrent passage à des roules modernes qui conduisent aux
lacs Italiens et de là à Milan.
Vers le mont Septimer , à la dépression très remarquable de la
Maloïa , où la nature semble avoir tracé elle-même une route facile
entre les plateaux de l'Engadine et la profonde vallée de la Maira , la
chaîne se divise en deux parties qui enserrent de leurs ramifications
la région élevée et lacustre où roulent lentement les eaux de l'Inn. Au
Nord de cette rivière , les Alpes Grises se continuent vers le Nord-
Est jusqu'aux glaciers de Silvretta : les pics d'Err, Kesh et Linard y
culminent, et si de mauvais chemins s'élèvent péniblement jusqu'aux
cols du Septimer (2,310'") et de la Scaletta (2,620"") , de bonnes routes
permettent d'aller de Coire à Samaden dans l'Engadine par les cols du
Julier (2,287") et de l'Albula (2,01.5""). La muraille du Rhœlicon , do-
minée par le pic de Scesa Plana (2,920'") d'où la vue s'étend sur un
panorama admirable, se prolonge , puissant contrefort , jusqu'au défilé
de Luziensteig, où elle surplombe le Rhin.
Une dernière chaîne, laplus élevée de toutes, commence à la dépression
de la Maloïa, et s'étend en Suisse puis en Autriche jusqu'au pic des Trois -
Seigneurs, Ce sont les Alpes Rhétiques aux pics élevés, et aux immenses
glaciers. L'important massif de la Bernina, avec les pics de Morte-
rash, de Roseg, Bellavista, Gorvalsch et du Capucin, qu'entourent de
longs glaciers, est pour ainsi dire isolé entre deux grandes dépressions
qui permettent de le contourner. Au Nord , une roule magnifique
emprunte la dépression de la Maloïa, conduisant de Samaden sur l'Inn
à Chiavenna sur la Maira, tandis qu'à l'Est le col de la Bernina permet
aux touristes qui ont gravi les sommets et visité les glaciers de l'Enga-
dine, d'aller contempler sous un climat plus chaud et sous un ciel plus
bleu, les riantes vignes de la Valteline. C'est le principal passage de la
— 232 —
chaîne , praticable en voiture , la voie de communication la plus
fréquentée entre la Suisse et l'Italie.
Dans une région aussi étendue, aussi montagneuses que les Grisons,
dans un pays dont les vallées s'ouvrent tantôt vers le Nord-Est, comme
celles du Rhin et de l'Inn, tantôt vers le Sud, comme celles du Poschia-
vino et de la Maira , l'aspect , le climat , les produits , les populations
même doivent , il est facile de le comprendre , présenter une remar-
quable variété. Au-dessous des neiges et des glaces on rencontre, en
effet , parfois des vallées riantes , des campagnes luxuriantes à côté
de déserts sauvages et de rochers arides, des plateaux où l'hiver dure
les trois quarts de l'année à côté de valions dont le ciel et la tempéra-
ture annoncent déjà l'Italie.
Deux grands fleuves, alimentés par de très nombreux affluents, ont
leur source dans les Grisons , le Rhin qui recueille la plus grande
partie des eaux de la Suisse avant de pénétrer dans la région alle-
mande , l'Inn qui , par la longueur de son cours , est la véritable tête
du Danube.
Du lac de Toma, situé sur la pente Nord-Est du pic de Baduz ou Six
Madum , sort le Rhin antérieur (Vorder Rhein) , au milieu de rochers
escarpés et de prairies : après avoir coulé dans le verdoyant val
Tavetsch , il reçoit à Disentis le Rhin du Milieu (Mittel Rhein) , qui
ouvre la route du Luckmanier ; à Ilanz , dans un site magnifique , le
Glenner lui apporte les eaux de la vallée de Lugnetz ; enfin , le Rhin
Postérieur (Hinter Rhein), qui descend du massif de l'Adula, en ouvrant
les routes du Bernardino et du Splugen, roule ses eaux écumantes à
travers les sombres gorges de la Via Mala dont il sort àThusis, reçoit
près de ce village TAlbula, que rejoint à Tiefenkasten la Julia, rivières
suivies toutes deux par des routes conduisant dans l'Engadine, et
refoule impétueusement près du château de Reichenau les eaux plus
calmes du Rhhi , déjà formé , et auquel il vient péniblement mêler les
siennes.
Le fleuve est désormais constitué ; à peine grossi plus loin de quel-
ques torrents, comme la Plessur et la Landquart, il baigne les assises
glissantes de la Calanda. A quelque distance de ses rives , s'élève
Coire (9,000 hab.), la capitale des Grisons où s'arrête le chemin de fer
venant de Zurich , et d'où partent toutes les routes qui traversent le
massif des Alpes Grises. La contrée qu'arrose ensuite le Rhin entre
Coire et Mayenfeld, se distingue par sa fertilité ; à droite du fleuve, est
Landquart, d'où se détache la route du Prœttigau ; à gauche , Ragatz
— 2a3 -
traversée par le torrent de la Tamina , et où arrivent par une conrluitc
de 4 kilomètres les eaux thermales qui s'échappent des merveilleuses
gorges de PfœfFers. Tandis que la route , évitant le fleuve , se détache
de Mayenfeld et traverse entre les derniers contr-oforts du Rhœticon
et le Flœscherberg le défilé fortifié de Saint-Luziensteig , le Rhin
coule plus à l'Ouest. Jadis , il franchissait la dépression de Sargans
pour s'écouler dans les lacs de Wallensladt et de Zurich ; à chacune
de ses crues, il menaco de reprendre son ancien cours, et de percer la
digue de cinq mètres qui le maintient dans son lit actuel ; il s'échappe
alors des montagnes pour se diriger vers le lac de Constance et
recueillh' sur son passage le puissant tribut que lui apporte l'Aar ,
perpétuellement grossi d'innombrables rivières.
L'Inn n'appartient à la Suisse que par son cours supérieur, il sort
d'un beau lac aux oaux bleues, celui de Lunghino, situé un peu au Nord
de la Maloïa. La vallée qu'il arrose jusqu'à Martinsbruck , l'Engadine,
n'a guère plus de 80 kilomètres de long et sa largeur est souvent
réduite à un ou deux kilomètres. C'est un long plateau lacustre orienté
vers le Nord-Est, sans pente appréciable, et par lequel on aboutit pour
ainsi dire de plein pied à la dépression de la Maloïa, d'où l'on descend
brusquement et par des courbes multiples dans la gorge profonde où
bouillonne l'Ordlegna, qui, plus loin, vers Casaccia, va rejoindre l'im-
pétueuse Maira. L'Inn atteint ce plateau en formant , à partir du lac
auquel il sert de déversoir, de nombreuses et pittoresques cascades :
il faudrait aujourd'hui bien peu de travaux pour changer l'œuvre de la
nature, et pour détourner les eaux de l'Inn qui vont affluer au Danube
et se déversent, par conséquent, dans la mer Noire, vers la Maira , le
Pô et la mer Adriatique. La haute Engadine, de la Maloïa à Samaden ,
entourée des deux côtés de hautes montagnes , dont les routes de la
Bernina, du Julier et de l'Albula rompent la muraille presque continue,
est la plus belle partie de cette contrée, celle qui offre les paysages les
plus grandioses ; la basse Engadine , de Samaden à la frontière autri-
chienne , plus monotone peut-être, contient encore cependant des
parties curieuses , dos points de vue attrayants dignes de la visite du
touriste.
Les montagnes qui dominent la vallée sont perpétuellement cou-
vertes de glaciers et de vastes champs de nevé. Sur les flancs, s'élèvent
des forêts de mélèzes ou d'alviés. Ce dernier arbre , que Ton appelle
le cèdre des Alpes, est presque inconnu dans le reste de la Suisse, son
bois léger et blanchâtre exhale une odeur balsamique et sert à coulée-
- 234 —
lioniier des ouvrages d'ébénisterie très estimés. Ses fruits ont un goût
agréable ressemblant à celui de la pomme de pin. L'alvier , qui vient
de la Sibérie, croît jusqu'à 2,500 mètres d'altitude et prospère surtout
sur les pentes des montagnes.
Dans la vallée s'étalent, de distance en distance, de petits lacs que
viennent paresseusement traverser les eaux de l'Inu. Tels sont les lacs
de Sils, de Silva- Plana, de Campfer et de St-Moritz, ce dernier dominé
par le village du même nom , le plus élevé de toute l'Engadine (1,856™
d'altitude) puisqu'il dépasse même l'altitude de la Maloïa (1,811"). Près
du lac, dans la plaine, s'élèvent rétablissement de bains et les somptueux
hôtels qui reçoivent pendant l'été la foule sans cesse croissante et
hétérogène des baigneurs.
Autour des lacs, se développent de vastes prairies , la plupart du
temps dénuées d'arbres et dont l'aspect contraste ainsi singulièrement
avec celui des versants boisés qui les dominent. Les pâturages y sont
très abondants et assez productifs : mais , loin de les exploiter eux-
mêmes , les habitants les afferment ordinairement à des étrangers. La
rigueur du climat empêche toute culture de la terre : le blé n'y pousse
jamais, et c'est à peine si autour des villages de Sils et de Pontresina
on aperçoit quelques misérables jardinets , quelques maigres champs
de pommes de terre ou d'avoine. Un long hiver , un été court , toiles
sont les deux seules saisons de l'Engadine. Nous avons « neuf mois
d'hiver et trois mois de froid » disent les habitants. En janvier ou
février, le thermomètre descend jusqu'à 30° au-dessous de zéro ; le lac
de Sils est fréquemment gelé en mai ; des gelées blanches au mois
d'août ne sont pas rares , et nous avons vu , dans ce mois même , à la
suite d'un violent orage, la neige fraîche couvrir les montagnes et les
pentes qui dominent Silva -Plana. A Pontresina, le 15 août 1886, le
thermomètre marquait 0° ; les fontaines avaient gelé pendant la nuit :
mais le même jour , vers trois heures de l'après-midi, à Tirano , dans
la Valteline, nous subissions une chaleur de plus de 30 degrés. Il ny a
pas dans la haute Engadine d'agglomération méritant le nom de ville ,
mais les villages y sont fréquents , détachant leurs maisons blanches
parmi les vertes prairies qui les entourent et les épaisses forêts qui les
dominent.
Jadis , les voyageurs qui , venant d'Italie , franchissaient en V(nturo
le col de la Malo'ia , n'avaient pour abri que la modeste hôtellerie de la
Maloïa Kulm. Aujourd'hui, un hôtel grandiose développe, à l'entrée
même du col , ses vastes constructions , offrant au voyageur tout le
— 2a's —
confort et le luxe modernes ; des villas s'élèvent sur les inonticulcR
voisins , et une tour , de construction récente , à peine achevée . per-
mettra aux curieux, toujours nombreux dans ces parages, de contempler
le splendide panorama qui se déroule vers la vallé de la Maira.
Plus loin , le long de Tlnn ou des lacs qu'il traverse , Sils divisé en
deux localités. Sils-Baseglia et Sils -Maria se montre dans un site
riant : Silva- Plana . où aboutit la route dujulier, reçoit pendant les
mois d'été les nombreux touristes qui se pressent dans son excellent
hôtel Rivalta. A Campter, la route se dédouble ; un tronçon suit le fond
de la vallée pour aboutir aux bains de Saint Moritz ; l'autre partie se
maintient sur la hauteur pour gagner le village élevé de Saint-Moritz,
d'où elle descend par une longue courbe à travers un bois de mélèzes^
à Celerina et Samaden.
Samaden (760 habitants) situé à 1,728 mètres d'altitude , est la capi-
tal»^ de la Haute Engadine ; trois routes importantes , celles de la
Maloïa, de l'Albula et de la Bernina viennent s'y réunir, mais elle n'est
guère qu'une localité de passage : les touristes préfèrent séjourner à
Pontresina , qui doit sa notoriété à sa proximité de la chaîne du Ber-
nina, aux vastes glaciers qui l'avoisinent et aux pittoresques excursions
que l'on peut faire dans ses environs.
La Basse -Engadine, que nous n'avons pas eu le loisir de visiter,
mrrite certainement de l'être ; mais elle n'ofl're pas , s'il faut en croire
ceux qui l'ont parcourue, des passages aussi pittoresques et aussi gran-
dioses que la Haute. L'Inn coule toujours dans une vallée étroite,
parfois tortueuse , dominée par des montagnes élevées. Sur ses rives ,
se pressent les villages : Ponte , au pied du col de l'Albula : en face .
Gampovasto , où les Français et les Autrichiens , en 1799 , se dispu-
tèrent , pendant six heures , le pont qui permettait de franchir l'Inn :
plus loin. Madulein, dominé par les ruines du chàteau-fort de Guarda-
wall : Zuz, où le blé commence à apparaître ; Zernetz . presqu 'entière-
ment reconstruit depuis le terrible incendie de 1872 et d"où part la
route qui conduit à Munster , sur le Rambach , affluent de l'Adige par
le col d'Ofen (2,155 mètres) : Ardetz , au débouché d'un défilé , formé
d'un chaos de rochers éboulés; Schuls , dont les environs sont riches
en sources minérales : les principales sont celles qui alimentent les
bains salins et ferrugineux de Tarasp , dominés par le château de ce
nom. aujourd'hui en ruine, et ancienne résidence des baillis autrichiens.
On traverse, enfin, la gorge profonde du val Sinestra avant d'atteindre
Martinsbruck , où l'Inn , au milieu d'un paysage grandiose , quitte la
! .
I
- 236 -
Suisse pour entrer dans le Tyrol autrichien ; le pont qui le traverse ,
forme la limite entre les deux pa^'^s.
Depuis le col de la Maloïa jusqu'à la frontière autrichienne, de nom-
breux torrents viennent déverser dans l'Inn , les eaux des glaciers qui
couvrent les montagnes voisines. Il serait trop long de nous attacher à
les décrire ici : mais l'un d'eux ne saurait être passé sous silence , le
Berninabach , important par le nombre des glaciers auxquels il sert
d'émissaire et par la route fréquentée qui remonte sa vallée. Trois lacs
occupent le plateau élevé que forme le col de la Bernina : le lac Blanc,
le plus étendu , s'écoule dans le Poschiavino qui va rejoindre l'Adda;
le lac Noir et le Petit-Lac donnent naissance au Bernina-bach qui, après
avoir formé de belles cascades , reçu les eaux des deux glaciers de
Morterash et de Roseg , et longé les dernières maisons de Pontresina
inférieur, mêle ses eaux torrentueuses à celles de l'Inn au-dessus fie
Samaden.
Pour compléter cette brève hydrographie du pays , remarquons ,
enfin, que les Grisons embrassent , au-delà de la grande ligne de faîte
des Alpes , quelques vaUées orientées vers le Sud , où l'aspect des
villages , le climat et les habitants annoncent déjà l'Italie. La Maira ,
contournant au Sud par une longue courbe l(j col du Septimer , reçoit
à Casaccia l'Ordlegna, à la chute superbe, et tombe de rocher en
rocher à travers le val Bregaglia; sur ses rives, se succèdent Visoco-
prano, la localité principale de la vallée ; Promontogno, dominé par les
ruines du château de Castelmur ; Bondo , avec l'ancien manoir des
comtes de Salis ; Castasegna , qui marque la frontière suisse , et dont
les plantations de châtaigniers sont la ressource principale. Ghiavenna
est ensuite la principale localité italienne au-delà de laquelle la Maira,
traversant une plaine marécageuse , pénètre dans le lac de Gôme à sa
partie septentrionale.
Une étroite vallée, où l'on descend du col de la Bernina par courbes
et des pentes vraiment effrayantes, sert de transition entre l'Engadine
et la Valteline. Le Poschiavino l'arrose : les villages qui se succèdent
le long du torrent jusqu'à la Madona del Tirano , dépendent politique-
ment de la Suisse ; mais on les croirait déjà italiens quand on consi-
dère leur aspect, leur nom, leurs habitants,
A deux heures et demie du relais de poste de la Rosa , s'élève Pos-
chiavo, le chef-lieu du val , petite ville de 2,900 habitants, avec beau-
coup de jolies maisons et de nond)reuses manufactures. Le Prese, situé
sur la rive septentrionale du beau lac de Poschiavo, possède un éta-
— 237 —
blisseinent de bains sulfureux, rcuoiuiné dans toute la Suisse oiientale,
mais où l'excessive cherté de toutes choses ne saurait attirer beaucoup
de baigneurs, La route descend alors par une forte pente dans une
étroite gorge où il y a place à peine pour elle et pour la rivière; qui forme
de pittoresques cascades. Brusio est la dernière localité Helvé-
tique de quelqu'importance. A Campo-Cologno est la douane suisse ; à
la Madona del Tirano, pèlerinage fréquente, la douane italienne. Deux
kilomètres plus loin, on atteint ïirano au milieu de la belle et fertile
vallée de la Valteline.
Le pays qui forme le canton des Grisons a subi au moyen-âge ,
comme la plupart des États de TEurope, la domination de la féodahté.
Vers la fin du grand interrègne (1273) il formait une province de
l'Empire Germanique, mais ne tarda pas à se rendre indépendant. De
nombreux seigneurs laïques ou ecclésiastiques , tels que les barons de
Vatz , de Rhœzuns , l'évêque de Coire , les abbés de Disentis et de
Pfœffers habitaient alors les châteaux dont on retrouve aujourd'hui les
nombreuses ruines, se faisant une guerre sans merci, et ensanglantant
le pays de leurs éternelles rivalités. Ce fut pour les Grisons comme
pour l'Allemagne entière , une époque de troubles , de malheurs et de
violences. Mais comme en Allemagne aussi , les faibles cherchèrent à
lutter contre la tyrannie des forts.
En Germanie, les villes, pour assurer la sécurité des routes, résister
aux chevaliers pillards et protéger le commerce , avaient formé de
vastes associations politiques et commerciales, la hgue Kaoséatique et
la ligue du Rliin , ayant leurs milices , leurs tribunaux , et se garan-
tissant par leurs propres ressources une protection qu'elles ne pou-
vaient plus attendre du gouvernement central désorganisé ou affaibli.
11 en fut de même dans les Grisons ; le peuple accablé par les seigneurs
ou les évêques , s'associa pour triomper des ennemis communs. En
1396 , se forma la ligue de la Maison de Dieu (par abréviation Ca Dé
= Casa Dei} dont le siège fut à Coire ; en 1424 , la hgue Grise , celle
dont le centre fut plus tard Disentis , et qui renouvela l'alliance entre
les villes tous les dix ans jusqu'en 1778 ; enfin , la ligue des Dix Juri-
dictions, qui eut pour capitale Davos. Ces associations furent l'origine
des trois ligues de la Rliétie Supérieure qui se constituèrent en 1741
et dont les deux premières s'allièrent immédiatement à la Confédé-
ration Helvétique, devenue indépendante à la suite de la lutte héroïque
que tout le monde connaît. En 1803 , les Grisons formèrent un canton
de la Suisse , tout en restant divisés jusqu'en 1848 en 26 républiques
— 238 —
ou Juridictions indépendantes. A cette époque , une Constitution nou-
velle les priva de cette existence autonome , et de l'ancienne indépen-
dance locale, il ne reste plus que le souvenir.
Le canton des Grisons, quoique très vaste, ne possède pas une popu-
lation en rapport avec son étendue : elle atteint à peine le chiflre dc^
100,000 habitants : les 2/3 sont de race romane ; 1/3 de race Germa-
nique. L'élément Germanique se trouve principalement dans la vbIIk
du Rhin ; l'Engadine est plus particulièrement la Suisse romane , jadis
ancienne Rhétie qui , suivant toute probabilité , fut autrefois peupléi
par dos colons italiens. Les Suisses seraient pauvres et malheureux
s'ils n'étaient honnêtes et laborieux , capables de chercher dans Tin
dustrie de toute nature, les ressources que, dans plusieurs régions. 1<
terre leur refuse, capables surtout de quitter momentanément le pay;
qui leur est cher et où ils aiment à revenir finir leurs jours, pour aUe:
conquérir à l'étranger l'aisance qui leur manque. Autrefois ils s'expa
triaient en masse : la Suisse était le grand marché de soldats de l'Eu
rope ; pendant plus de deux siècles, les rois de France eurent dan
leur maison militaire des gardes Suisses , et le rôle bien connu qu'il
jouèrent dans la journée du 10 août 1792, a été rappelé par rinscriptioi
gravée près du fameux lion de Lucerne. Aujourd'hui, dans TEngaduje
les habitants sobres , industrieux , économes et travailleurs éaiigrec
en grand nombre pendant leur jeunesse. On les retrouve dans tout
l'Europe comme confiseurs , cafetiers , fabricant,s de chocolat et d
liqueurs, ou dans diverses branches de l'industrie. Après avoir fa:
ainsi péniblement fortune , ils reviennent dans leurs vallées jouir e
paix du fruit de leur travail en habitant ces maisons coquettes,
l'ameublement confortable, que l'on aperçoit dans tout le pays. Nou
avons vu pendant notre séjour à Pontreshia une élégante constructio
qui s'élève dans le village même , le long de la route de la Rerninî
Elle était , nous a t-on dit , destinée à l'un des principaux maître
d'hôtel de la localité, qui, possesseur d'une grande fortune , veut jou
dans cette paisible retraite d'un repos acheté par bien des années d'act
vite et de fatigues. Les voyages, d'ailleurs, en leur procurant l'aisanc*
développent singulièrement les connaissances de ces émigrants,*
presque toujours ils parlent 1 allemand , le français , l'italien, quelqu(
fois même l'anglais , l'espagnol , le portugais et le polonais aussi bie
que leur idiome roman : il faut cependant reconnaître que la langi
allemande, enseignée dans les écoles, fait chaque jour de nouveaux '
sérieux progrès. Une entente parfaite semble, d'ailleurs, régner entil
il
~ 2;-!9 -
los habitants do ces différents villages si doux , si hospitaliers , et qui
paraissent si heureux de vivre. Un vieux proverbe du pays prétend
que « a|)rès le bon Dieu et le soleil, le plus pauvre habitant (^t le pre-
mier magistrat » ; on ne saurait , cependant , contester l'influence
qu'exercent aujourd'hui encore certaines grandes familles , comme
celle des Planta , qui possède d'immenses propriétés , tant dans la
vallée du Rhin que dans TEngadine.
La langue romanche qui est encore communément usitée dans une
bonne partie des Grisons , comprend deux dialectes : le roman parlé
dans la vallée du Rhin et dans les vallons latéraux ; le ladin , parlé
surtout dans i'Engadine : c'est la seule langue dont on se sert dans les
familles. Le romanche est une sorte de patois difficile à comprendre
des Italiens comme des Français.
11 nous a été donné de voir , à plusieurs reprises , quelques-uns des
journaux qui s'éditent à Goire et à Disentis, et nous devons avouer, à
notre honte , qu'il nous a été impossible de les traduire. Dans les cime-
tières de Silva-Plaiia et de Pontresina se trouvent de nombreuses
inscriptions en roman, dont nous rappellerons les trois suivantes déjà
citées dans le guide Bœdeker, et qui, assez compréhensibles, suffiront
pour donner une idée de cet idiome singulier :
1" Quia reposan n(^s chers genitors(Ici reposent nos chers pai'ents) ;
2° Naschieri ils 26 avuost 1831, mort ils 10 scner 1850 (Né le 26 août
1831, mort le 10 janvier 1850) ;
3° Alla memoria da nossa virtuosa ed ameda mamma morta a Zurich
ils 18 avuost 1871 nell' etad d'ans 63 et seguond sia giavusch sepulina
quià il de 19 sequaLiid, inua gia reposaiva sia bun bap. (A la mémoire
de notre mère vertueuse et aimée . morte le 15 août 1871 , à l'âge de
63 ans, et inhumée ici selon ses vœux le 19 suivant , où reposait déjà
son bon père.)
Citons enfin lïtahen qui est parlé dans les vallées méridionales du
canton.
La population des Grisons se compose pour les 3/5 de protestants ;
le reste est catholique ; les dissensions provoquées par ces différences
de cultes et qui jadis ont. dans certaines parties de la Suisse, abouti à
de véritables guerres civiles , semblent aujourd'hui complètement
apaisées.
De belles routes sillonnent les vallées et, remontant le cours des
rivières, 'û'anchissent les principaux cols. Quelques-unes présentent
— 240 —
des points de vue dignes d'admiration et que nous n'aurons garde
d'omettre dans la description de notre voyage. Peu de chemins de fer,
jusqu'à ce jour, sillonnent le pays ; il suffit de mentionner la ligne qui,
partant de Goire et passant à Mayenfield et Ragatz, se divise vers Sar-
gans en deux tronçons , l'un suivant la vallée du Rhin jusqu'au lac de
Constance, l'autre contournant les lacs de Wallenstadt et de Zurich
pour atteindre la ville de ce nom.
Ce court préambule géographique , permettra maintenant à nos
lecteurs, — du moins nous osons l'espérer, — de suivre sans effort et
comme en pleine lumière, le récit de notre rapide mais très inté-
ressante promenade à travers les Grisons.
E. GUILLOT
[A suivre).
k
2/il —
GOMMDNICATIONS AUX ASSEMBLÉES GENERALES
( in extenso ).
LA FORÊT DE MORMAL^^^
Par M. Henri BÉGOURT,
Inspecteur des Forêts au Quesnoy (Nord),
Membre correspondant do la Société de géographie de Lille
et Membre titulaire de la Commission Historique du département du Nord.
(Suite) (2).
III
GÉOGRAPHIE PHYSIQUE. — I. — Climat : situation ; altitude ; exposition ; phénomènes
météorologiques. — H. — 5oZ . division du massif; dépôts géologiques ; sol
végétal ; sources et cours d'eau. — HI. — Flore ligneuse : sa composition ; mo-
nographie des essences principales ; état ancien de la forêt et souvenirs qui s'y
rattachent.
Indépendamment de l'action que l'homme exerce sur leur composi-
tion et leur évolution, les peuplements forestiers sont subordonnés aux
conditions climatériques et géologiques dans lesquelles ils sont placés.
Aussi , avant de décrire les essences qui forinent les peuplements ou
la flore ligneuse de Mormal , nous occuperons-nous du climat et du
sol de cette forêt.
I. — Le climat d'une région, il est à peine besoin de le rappeler,
est déterminé par sa situation en longitude et en altitude; il dépend
aussi de ses diverses expositions, de la configuration orographique des
terrains environnants, de la répartition des pluies et de l'humidité, de
la transition plus ou moins brusque entre la chaleur et le froid, et enfin,
des vents dominants .
Au point de vue de la situation, la forêt occupe une partie de la Ugne
de faîte qui sépare le bassin de la Sambre de celui de l'Escaut ; elle
(1) Au moment de publier la troisième partie de l'étude sur la Forêf de Mormal
que veut bien nous reserver notre savant correspondant, nous recevons^conimunica-
tion d'un vœu renouvelé dans le dernier Contres national de geo^rapme , <i apies
lequel on souhaiterait de voir chaque Société de géographie étudier d unetaçon toute
spéciale la région qu'elle embrasse. Rien ne peut mieux repoudre a ce vœu au.>
l'étude si substantielle de M. H. Recourt, étude que nous apprécions d autant plus
qu'aucune étude n'avait été faite, jusqu'ici, sur la propriété Domaniale de Mormal.
^ '" ^ (^JSole du Secrétariat).
(2j Voir page 206 du lome VI (1886) et pages 178 et 258 Ju tome \U (1887).
17
- 2/.2 —
s'étend sur cette ligne en longueur sur 16 kilomètres du N-E au S-0,
et en profondeur sur 5 à 8 kilomètres, et elle est comprise entre les
longitudesorientales U'''- 47' et le^- 66', et entre les latitudes septentrio-
nales bbs'; IV 50" et 55g^- 85' 60''.
Son point culminant est à 175 mètres au-dessus du niveau de la mer
et le plus bas à 135 mètres (1). En partageant la forêt en trois zones
dans le sens de la hauteur, on trouve qu'elle renferme approximati-
vement 2,900 hectares au-dessus de la côte 160, 5,700 entre les côtes
160 et 140, et 563 au-dessous de la côte 140(2).
De ses deux versants, sensiblement égaux en étendue, l'un est à
l'exposition du N-0, et l'autre à celle du S-0. Sur le premier qui
appartient au bassin de l'Escaut, la pente générale du terrain est de
8'",70 par kilomètre, tandis que sur le second qui est compris dans le
bassin de la Sambre, elle n'est que de 3™, 50. La forêt repose donc sur
une plaine et la régularité de cette plaine n'est rompue que par des
dépressions légères dues à l'action des eaux. Ses environs sont égale-
ment constitués par des plaines ou par de petites collines , de sorte
qu'elle est exposée à tous les vents et notamment à ceux du S-0 qui
sont les plus fréquents (3) et aussi les plus redoutables.
11 résulte d'observations pluviométriques exécutées à Landrecies
depuis 1847 par M. Brocher, ingénieur au service de l'administration
du canal de la Sambre à l'Oise, que la quantité d'eau qui tombe annuel-
lement dans cette localité est en moyenne de 0'"5778 par mètre carré.
D'autre part, les expériences eôèctuées par M. Aug. Mathieu ont dé-
montré que, bien que le couvert des arbres intercepte et restitue à
l'atmosphère un dixième environ des eaux pluviales, le sol des régions
forestières en reçoit plus que celui des régions agricoles (4). Le chiffre
annoncé par M. Brocher doit donc être un peu relevé pour s'appliquer
(1) Parmi les points les plus élevés, se trouvent les carrefours du Pont Routier et
des Grandes Pâtures ; le point le plus bas est à la sortie du massif de la Rhonelle
ou rieu d'Antiau.
(2) S. BouvART, Notice sur la topographie des forêts domaniales de Mormal,
TEvêque, etc., p. 17.
(3) Observations recueillies aux stations météorologiques n" 102 de l'Opéra et
n° 103 du Cheval Blanc (forêt de Mormal), créées en 1880 par l'Administration des
forêts et tenues par des brigadiers.
(4) Aug. Mathieu, ancien sous-directeur de l'École Forestière de Nancy. Rapports
sur les observations udométriques, atmidomëtriqueSy et thermométriques faites
dans les environs de Nancy, pendant les années 1866-1871.
- 243 —
à la forêt. Néanmoins, il n'est pas excessif; mais le ciel qui est souvent
voilé par les nuages et la nature peuhygrosc()pique du solentrelieiinent
dans les vallons et dans les cantons dont les arbres ont le couvert bas,
une humidité qui, en persistant longtemps à la surface, favorise la
production des brouillards et ralentit la végétation.
D'après l'ingénieur précité, la température moyenne annuelle s'élève
à 10''23 à Landrecies ; quant à la moyenne des minima elle est de —
li"l et celle des maxima de -i 30°5, de sorte que les moyennes des
températures extrêmes présentent un écart de 41''6. La température
moyenne de la forêt doit peu différer de celle de Landrecies ; mais il
n'en est pas de même des températures extrêmes. Des observations
faites par M. A. Mathieu il résulte en effet que la température s'élève
toujours moins haut dans un massif et descend généralement moins
bas que dans les champs ; qu'elle y offre plus de constance du matin
au soir, de jour en jour, de mois en mois, en un mot, que sans abaisser
sensiblement la température moyenne de toute l'année, la forêt tend
à adoucir les climats excessifs, «à les rapprocher des climats constants
et littoraux. Bien que l'écart entre la plaine et la forêt ne soit pas bien
considérable, moins de 2° au plus, cet écart tout faible qu'il est, ne
laisse pas que d'être d'un grand intérêt : au printemps, en effet, alors
que les végétaux développent leurs feuilles et leurs fleurs, une tem-
pérature voisijie de 0° peut exercer beaucoup d'influence sur la con-
servation ou la destruction de ces organes , suivant le sens dans lequel
il se produit.
Mais la température n'est pas identique au même moment sur tous
les points de la forêt ; elle présente des différences qui proviennent
moins de l'altitude et de l'exposition que de la configuration du terrain
et de la présence dans le sous-sol d'une plus ou moins grande quantité
d'eau. Dans les vallons, surtout dans ceux qui sont mal peuplés ou
découverts, elle présente entre le jour et la nuit des écarts plus consi-
dérables que sur les plateaux ; les brouillai'ds y régnent fréqueunuent
et les gelées s'y font sentir jusqu'au mois de juin et parfois à une
époque plus avancée de l'été. En raison de cette circonstance les hoù
durs, plus sensibles au froid que les bois tendres, y végètent mal ;
aussi voit-on les vallons occupés depuis un temps immémorial par
l'aune, le tremble et le saule. Cependant on a tenté, il y a vingt ans,
de remplacer ces essences par d'autres plus précieuses , telles que le
chêne et le frêne ; mais les résultats obtenus n'ont pas répondu aux
espérances qu'on avait conçues ; en en détruisant les bourgeons et les
— 244 —
jeunes pousses, la gelée les condamne à l'état rabougri et finalement
à disparaître. Sur les lianes des vallons et sur les plateaux, les bois
durs soufirent aussi du froid dans leur jeunesse, mais le mal qu'il leur
cause se répare au bout de quelques années ; on peut d'ailleurs le pré-
venir assez souvent , en les maintenant sous un abri plus ou moins
complet suivant leur tempéramment et en ne les exposant en pleine
lumière que lorsqu'ils ont de 1 à 2 mètres de hauteur.
II. — Après le climat, le sol. Mais avant d'indiquer de quels élé-
ments il est formé, nous dirons, pour en faciliter la description, quelques
mots sur les divisions et les subdivisions de la forêt.
De tout temps , on y a connu de grandes divisions , comprenant
elles-mêmes des subdivisions. Les premières , dont l'étendue a varié
plusieurs fois , correspondaient à l'origine à l'étendue surveillée par
chacun des sergents ou gardes du massif, étendue appelée melle ou
quartier; elles empruntaient leur nom aux paroisses ou commu-
nautés voisines : ainsi, il y avait le quartier de Locquignol, celui de
Maroilles, celui de Landrecies, etc. Après 1778, époque ou l'on modifia
l'aménagement de la forêt, on créa, tout en maintenant la division par
quartiers, des divisions nouvelles correspondant aux séries d'exploita-
tions entre lesquelles elle était partagée ; elles tiraient leurs dénomi-
nations, soit des localités riveraines, soit de quelque endroit remar-
quable situé dans son enceinte , tel que le Brai-Dieu , la Tombe de
Gargantua, etc. A la suite d'aménagements ultérieurs, plusieurs séries
ont été fondues en une seule, ce qui entraîna la suppression de certains
noms , et d'autres ont eu leurs limites plus ou moins modifiées.
Depuis 1860, elles sont au nombre de dix-huit. Parmi celles dont le
nom ne rappelle pas une localité voisine du massif, se trouvent la
série de Fau-Romarin qui doit le sien à un hêtre exploité il y a quelque
cinquante ans et dont la forme générale était celle d'un romarin ;
la série de Fontaine-Madame, ainsi désignée à cause d'une fontaine
que fréquentaient, croit-on, les comtesses Jeanne et Marguerite, filles
de Bauduin de Constantinople ; les séries de Pierre-Révisoire ou
Rabigeois et de Warfusée, ainsi dénommées, la première en souvenir
d'un simple maçon qui y construisit des aqueducs, la seconde, de
M. de Warfusée , comte de Groesbeke qui signala par des ré-
formes son passage à Mormal au XVIF siècle.
La désignation des subdivisions ou cantons a plus varié encore que
— 245 —
celle des divisions. Cette circonstance, qui ne se produit pas dans les
forêts en montagne, ne doit pas surprendre ici : l'absence de profondes
vallées et d'escarpements prononcés et la grande uniformité des peu-
plements surtout aux époques anciennes devaient conduire à ce résultat.
D'ailleurs les noms attribués aux cantons n'évoquent aucun souvenir
remarquable et c'est en vain que l'on chercherait à découvrir parmi
eux ceux des Regniers, des Bauduins, des princes des maisons de
Bourgogne et d'Autriche qui ont tant de fois parcouru la forêt pour se
livrer aux plaisirs cynégétiques, comme aussi ceux d'anciens baillis
des bois de Hainaut, tels que Simon de Lalaing, Charles do Lannoy, le
comte de Bossu, Jacques deHarchies. ... qui s'illustrèrent dans plus de
vingt combats. En revanche, on y trouve une foule de noms obscurs :
Robot, Gille-Florette, Van der Gott rappellent d'anciens sergents d(3
la forêt ; Martin Tonnant, Malgueulo, Balicq, d'anciens fermiers du
domaine de Locquignol ; Mazingue, Gluyer, des adjudicataires de
coupes de bois. Quelques noms de cantons ont été inspirés par la pré-
sence d'arbres de dimensions exceptionnelles, tels que le Quesne au
leu (1), près duquel ont passé les armées de Louis XIV et de la pre-
mière répubhque ; le chêne Guplet, encore debout au commencement
de ce siècle : le Quesne à l'orière (2), déjà cité dans les premières
chartes de la forêt. Les noms du Camp et de l'Abatis rappellent l'oc-
cupation autrichienne de 1793-1794 ; celui du Fort-Misère (3), un
retranchement de peu d'importance élevé pendant les guerres du
XVP siècle ; celui de Magoniau, une machine de guerre, le mangon-
neau, avec laquelle on lançait des pierres au moyen-âge ; celui de
l'Homme-de-pierre, la découverte à une époque que l'on ne peut pré-
ciser d'une statue de quelque divinité païenne. Les autres cantons
enfin empruntent leurs noms à des ruisseaux, des mares, des fontai-
nes., etc. Nous laisserons de côté les particularités qui s'y rattachent.
(1) Ce chêne se trouve à Tangle N.-E. de la forêt, près de Tancicn hameau de
Guerlontrau, qui a échangé son nom contre celui de Quesne-au-Leu.
(2) C'est sans doute ce chêne , qui était placé à l'orière ou bordure de la forêt du
côté d'Hecq, qui aura valu sa désignation à ce village {Eecke, chêne en teuton).
(3) Le canton du Fort-Misère s'appelait jadis canton Dégobillo. D'après M. Clé-
ment Hemery, ouv. cité , on y lisait sur une pierre, avant les guerres de la première
Révolution, l'inscription suivante :
jEternumque locus Degobille nomen habebit.
— 246 —
parce qu'elles nous en l raineraient trop loin, pour passer à la descrip-
tion géologique de la forêt (1).
Le sol de Mormal, comme celui d'une grande partie du département
du Nord et des régions voisines, est essentiellement formé de dépôts
quaternaires, qui recouvrent presque entièrement les dépôts antérieurs
des époques tertiaire, secondaire et primaire. Ces différents dépôts se
succèdent dans l'ordre suivant en commençant par le haut :
TERRAIN QUATERNAIRE..
ALLUVIONS MODERNES
ALLUVIONS ANCIENNES
TERRAIN TERTIAIRE.
TERRAIN SECONDAIRE
TERRAIN PRIMAIRE.
Limon inférieur ou
ERGERON
EOCENE INFERIEUR
Limon supérieur Terre à briques.
Limon sableux jaune
Limon gris.
Limon jaune.
Limon bleu.
'{^ Limon panaché.
\ DiLUviUM (?) Cailloux roulés.
f Sables d'Ostricourt.
Assise landenienne . ) Marne de la Porqueric
(Argile à silex.
Senonien ,
CRETACE SUPERIEUR . . . . / Turonien.
CARBONIFERE INFERIEUR Cénom.vnien.
Gondrusien ,
Craie à silex, à Micros
ter breviporus.
Marne à Inoceramu
Brognarti etàTere
bratida gracilis.
I Marne à Inoceramu
làbiatus.
Marne glauconifère ;
Pecten asper.
Calcaire à Productu
Cora.
(i) Nous avons profité pour cette partie de notre travail des remarquahlea études
que M. (losselet, professeur à la Faculté des sciences de Lille et membre correspon-
dant de l'Académie des sciences, a publiées dans la Revue de la Société géologique
du Nord ; nous ne pouvions assurément prendre un meilleur guide.
— 247 —
La zone du calcaire carbonifère à Produclus cora, se rencontre le
long du Grand-Riou, dans le canton de la Passe du Fau, où elle pré-
sente une épaisseur assez considérable. Le calcaire de cette zone a un
aspect bleuâtre et dégage une forte odeur d'acide sulfhydrique lors-
qu'on le brise on morceaux. Il ne contient qu'une petite quantité de
quartz lydien ou phtaniite. D'un grain fin, très dur et très résistant, il
est d'un bon emploi pour l'empierrement et l'entretien des routes ;
aussi l'a-t-on exploité, de 1861 à 1872, à la carrière de la Passe du
Fau, pour construire la route du même nom et celle de Tortehaye.
Depuis lors, cette carrière a dû être abandonnée par suite de l'inva-
sion des eaux qui seront toujours un obstacle sérieux à son exploi-
tation.
La marne glauconifère à Pecien asper ou Tourtia de Sassegnies
n'affleure dans le massif que le long du Grand-Rien, où il est le plus
souvent recouvert par la vase ; mais il est très apparent dans la haie
de Mastaing et à la carrière voisine, dite du Pont du I^ois. Dans cette
carrière, le tourtia, dont l'aspect est verdâtre et la consistance poudin-
giforme. présente deux divisions ; à la partie supérieure est la glau-
conie sableuse, à Pecten asper, Janira quinquecostata, Ostrea conica,
0. vesiculosa, 0. phyllidiana ; à la partie inférieure est une marne
grise jaunâtre, argilo-sableuse, contenant avec un peu de limonite et
de glauconie (hydrosilicate de fer et de potasse), distribuée dans la
masse sous forme de grains verts, des galets et une foule de fossiles,
parmi lesquels nous citerons, outre ceux ci-dessus énumérés, Spon-
dylus striatus, Ammonites Mantelli, Trigonia scabra, Cyprina
quadraia, Pecien IciTumosus, Ostrea conica, 0. lateralis, 0. cari-
nata , Terehratula pectita , T. slriata , Cidaris vesiculosa , etc.
La compacité de cette roche et son imperméabilité en font un très
mauvais sol forestier.
La marne à Inoceram,us labialus, vulgairement désignée sous le
nom de Bièves, apparaît à la partie inférieure d'un grand nombre de
ruisseaux du bassin de la Sambre, mais fait complètement défaut sur
le versant de l'Escaut. C'est une craie noduleuse, d'un aspect bleuâ-
tre, renfermant un peu d'argile et dans laquelle on rencontre parfois
des pyrites. Les principaux fossiles qui accompagnent les Dièvres sont :
Inoceramus labialas, Ammonites nodosoïdes, Amm. Lewesiensis,
— 248 —
Cidaris hurido, Rhynconella Cuvieri, Discoïdea minima, Serpula
amphisboema.
La marne à Terehralulina gracilis, connue dans la contrée sous le
nom de Mariette, est généralement superposée aux Dièves, dans le
bassin de la Sambre ; on la trouve également dans le sous-sol d'une
grande partie de celui de l'Escaut. Elle n'affleure que dans les lits des
ruisseaux et est surtout développée au carrefour du Cheval-Blanc, et
près de la maison forestière du Sart-Bara, où elle se présente ?ous
forme de bancs de moellons de 3 à 4 mètres d'épaisseur, à peine
recouverts de 0^,50 à 0"\70 de limon. Légèrement grisâtre, elle est
tout à fait imperméable et donne par suite naissance à une foule de
cours d'eau. C'est avec cette marne que l'on fait, en la mélangeant
avec le menu charbon, des agglomérés de ménage. Parmi les nom-
breux fossiles qu'elle contient, mentionnons : Terehratidina gracili^,
T. striata, Inoceramus Brogniarti, Spondi/lus spinosus, Ostrea sul-
caia, 0. hippopodium, 0. lateralis, Bacuhtes bohemicus, Ptychodus
'inammillaris, etc.
La craie à silex ou craie à cornus, de l'étage sénonien, est peu déve-
loppée dans la forêt. Le principal dépôt qu'elle forme gît à 3 ou 4 m.
de profondeur au carrefour du Cheval Blanc qui est le point le plus
extrême vers l'Est où on la rencontre dans l'arrondissement d'Aves-
nes. Elle y est caractérisée par le Micraster breviporus et YHolaster
plenits.
L'argile de silex, sur l'origine do laquelle tant d'hypothèses ont été
émises, existe dans le sous-sol d'une grande partie de la forêt ; mais
on ne la voit guère affleurer que dans le lit des ruisseaux. Cette assise
est 'formée d'un conglomérat parfois considérable déposé dans les
poches de la couche précédente, conglomérat formé de silex empâtés,
tantôt dans une argile verte ou brune, tantôt dans un sable argileux
glauconifère. Les silex ne sont recouverts d'aucune enveloppe blanche
comme ceux de la craie à silex ; creusés parfois de cavités, ils sont
tantôt entiers, tantôt brisés, mais ils ne sont jamais réduits à l'état de
galets. On y trouve parmi eux quelques Micraster breviporus et M.
cortesiudinarium provenant de la craie à silex. On se sert assez
souvent des sflex de ce dépôt pour l'empierrement des routes de la
contrée ; mais il est peu employé dans la forêt parce qu'il s'écrase trop
- 249 -
laciloment sous lo poids fies voilures lourdeinenl chargées employées
au transport des bois.
Dans la série d'exploitation de Pont, on rencontre, au-dessus de
l'argile à silex, une argile renfermant une petite quantité de calcaire,
dont se servaient autrefois les habitants d'Hargnies, pour faire avec le
menu charbon des agglomérés de ménage ; son épaisseur est de 3 à 4
mètres le long des ruisseaux des Oiselets et Muthiau dans le lit desquels
les eaux l'ont mise à nu. M. Gosselet, qui a reconnu ce dépôt le pre-
mier, lui a donné le nom de Marne de la Porquerie.
L'assise des Sables d'Ostricourt se rencontre dans le sous- sol des
cantons de l'Homme pendu, de la carrière du Vivier et de la Fontaine-
Ic-Gomte. A l'Homme pendu, elle y était représentée par des grès
quartzeux que l'on a terminé d'exploiter, il y a quelques années. Ces
grès gisaient à une profondeur de 1 à 2 mètres et ne formaient qu'un
seul lit s'étendant en largeur depuis le brai Petit-Jean jusqu'au terri-
toire d'Obies sur lequel il se prolonge et en longueur sur 600 mètres à
partir de la chaussée. Les dépôts de la carrière du Vivier n'embras-
saient qu'une petite surface. Quant à ceux de la Fontaine-le-Comte,
ils s'étendaient depuis la route Duhamel jusqu'au périmètre de la forêt
en suivant le ruisseau de la Noue-Gluyer. Prés de la route, les grès
affleuraient à la surface, mais sur les bords du massif ils étaient recou-
verts par 10 à 11 mètres de limon. Formés de blocs de diverses gros-
seurs, applatis, arrondis et tuberculeux, ces grès reposaient sur une
couche de sable de 0.50 à 1 mètre de hauteur, et présentaient des
bancs dont l'ensemble atteignait parfois 3 et 4 mètres d'épaisseur. Les
premières carrières ouvertes au canton de la Fontaine-le-Comte
remontent à une époque ancienne ; de là proviennent en efièt les maté-
riaux employés à la construction des fondations de la villa gallo-ro-
mahie de la route de Fontaine; au XVP siècle, l'abbé de MaroUles
y fit des extractions pendant trois années consécutives pour rebâtir
son monastère qui tombait en ruines (1) ; mais c'est seulement en 1729,
date où l'on entreprit de paver les grandes routes dans le Hainaut ,
qu'on entama sérieusement ces dépôts que l'on peut considérer comme
épuisés.
Il nous reste à passer en revue les divers dépôts qui se sont formés
(1) Compte vingtiesiHS de Jehan de la Croix , conseiller de l'Empereur et son
receveur (jënéral de son pays et comté de Haynnau^ du 1" oct. 1524 au 30 sep. 1525.
— 250 -
pendant l'époque qiiaterniaire ; au point de vue forestier ce sont les
plus importants, car c'est sur eux que sont implantés les végétaux de
n'otre massif.
A leur base , on trouve sur quelques points de la vallée de la
Sambre une couche de cailloux roulés et de sables grossiers ; c'est
le diluvium; il n'a pas été reconnu jusqu'ici à Mormal
Au-dessus du diluvium, vient le limon panaché. Il a été signalé dans
le sous-sol de divers cantons ; à l'Homme-Pendu où il affleure çà et là,
à la Porquerie où il a été traversé lors du forage du puits de la maison
forestière de ce nom. Ici, il offrit cette particularité lorsqu'il fut exposé
à la lumière, de passer en peu de jours de la nuance brun-chocolat à
celles lie-de-vin et violette avant de présenter les marbrures d'aspect
terreux qui lui ont valu son nom ; il était accompagné de sepiuarias
et de nodules manganésifères et surmonté d'une petite couche tour-
beuse qui semble annoncer un ancien sol végétal.
Le limoH bleu est surtout apparent au canton des Rouillies , sur les
bords des ruisseaux. Quant aux trois autres couches du limon inférieur
on les rencontre particulièrement à la carrière du Vivier, où elles
sont superposées et où leur épaisseur atteint 7 m., dont 2 m. 50 pour
le limon jaune, 2 m. 10 pour le limon gris et 2 m. 40 pour le limon
sableux jaune.
Désigné dans la contrée sous le nom de sable boulant, ce dernier limon
affleure dans quelques cantons , notamment dans ceux d'Antiau et aux
Chevaux, et il constitue le sous-sol d'une partie notable de la forêt. Sur
les points où il se rapproche de la surface, il forme, lorsqu'il est saturé
d'eau, une boue liquide dont il est très difficile de se dégager, et il ghsse
lorsque l'on pratique des tranchées dans ce dépôt. La composition des
autres limons sous-jacents est très variable : tantôt ils sont formés do
ânes particules d'un silicate hydraté d'alumine, de petits grains de
quaitz toujours anguleux, imprégnés de sels alcalins et d'éléments
calcaires très divisés ; tantôt, ils sont constitués par un sable gras
passant insensiblement à une argile compacte formant un niveau
d'eau. (1) Ce sont, en tous cas, de très mauvais sols sur lesquels la
(1) Il est d'ailleurs parfois très difficile de séparer les diverses zones du limon
inférieur. Quant à leur origine, elle a donné lieu à une foule d'hypothèses. Tandis
que Ch. Lycllc les considère comme une bouc glacière, pour M. de Rechtoffen , ils
j)roviennent de l'accumulation de particules soulevées par le vent au voisinage d'an-
— 251 —
végétation forestière a peine à s'implanter. Ajoutons que le peroxyde
de fer qui colore ces limons s'y rencontre parfois en assez grande
quantité pour former un minerai exploitable, dit limonite. Aux cantons
du Profond-Brai et de la Minière où il est abondanl, la Société des
Hauts-Fourneaux de Maubeuge, dirigée par M. Hamoir, fut autorisée,
en vertu d'un arrêté préfectoral du 28 novembre 1854, à l'exploiter
pendant dix années consécutives. A l'expiration de cette période,
durant laquelle elle enleva 7,681 mètres cubes de minerai sur une sur-
face de 1 hectare 53 ares, elle ne sollicita pas le renouvellement de sa
concession, à cause des difficultés de l'exploitation qui l'obligeaient à
établir des puits de 7 à 8 mètres do profondeur et à ouvrir des galeries,
à cause aussi de la richesse médiocre du minerai qui ne renfermait que
de 28 à 32 p. 7o de fer et de sa composition très variable qui nécessitait
des doses différentes de fondants, chaux ou silice, dont l'objet est de
former avec les matières étrangères des combinaisons fusibles s'écou-
lant en scories et laissant dégager le métal.
La partie du limon quaternaire désignée sous le nom de limon supé-
rieur est cette couche rubéfiée qui est vulgairement appelée terre à
briques et qui se distingue notamment des autres limons par l'absence
presque complète de tout élément calcaire. C'est une argile sableuse,
fortement colorée par le peroxyde de fer et parfois accompagnée de
silex éclatés, dans laquelle le sable entre dans la proportion de 75 à
85 p. 7«. (1)
ciens fonds de mers ou de lacs desséchés, et pour M. de Lapparent, Traité de
Géologie , p. 1088 , ils ont été occasionnés par un ruissellement maintes fois répété
dû à des précipitations atmosphériques très abondantes s'exerçant sur les roches
voisines. Peut-être ces trois causes ont-elles contribué à la formation de ces dépôts ;
quoi qu'il en soit , on peut rapporter leur âge à l'époque comprise entre lapparition
de YElephas primi</enius, dont on trouve à la base des débris avec d'autres fossiles
du même temps et celle du régime sec et froid qui caractérise l'âge du renne.
(1) Ce limon ne renferme aucune trace de débris organiques contemporains de
l'âge oii il s'est formé ; mais k sa base, on rencontre parfois dans la région du Nord
des silex Moustiériens (silex taillés sur une face), remaniés coimne tant d'autres élé-
ments de cette époque ; d'oii l'on conclut que l'âge de la terre à briques est post-
moustiérien. Gomme celle du limon inférieur, la formation du limon supérieur qui
s'étend sur une grande partie du nord de la France et de la Belgique, a donné heu à
de nombreuses discussions. L'opinion la plus générale est qu'elle est due à un limon
glaciaire. Les faits sur lesquels on se fonde pour lui attribuer cette origine, con-
sistent dans le fendillement et l'éclatement remarquables des silex et autres maté-
riaux solides existant à la base inférieure de ce déi)ôt, lesquels ont dû être provoqués
— 252 —
Les derniers dépôts effectués dans la forêt sont constitués par les
alluvions récentes, qui y occupent une place assez étendue, le fond des
principaux vallons, qu'on désigne sous le nom de hrais. (1)
Formés d'éléments arrachés par les eaux pluviales aux limons supé-
rieur et inféiieur et de détritus organiques, ces dépôts rappellent par
leur composition ceux de la vallée de la Sambre. Leur épaisseur est
variable : dans les braisdes Aulneauxet du Vivier-Grand -Mère comme
dans l'ancien étang d'Ecaillon, elle dépasse souvent 1 mètre.
Le sol végétal ou humus qui couronne tous ces dépôts, est générale-
ment formé par la partie superficielle du limon supérieur et des allu-
vions récentes ; son épaisseur est de 0 m. 40 k 0 m. 50 c. en moyenne.
Au point de vue chimique, il est essentiellement formé par un mélange
intime de grains de sable très fins et d'argile auxquels s'ajoutent des
matières organiques provenant de la décomposition des feuilles mortes
et d'autres débris végétaux. Au point de vue physique, il peut être
classé parmi les terres fortes, car il est compact et tenace ; il absorbe
l'eau difficilement et la retient à la surface, surtout quand il est décou-
vert. Lorsqu'il en est saturé et qu'il supporte le passage de voitures
lourdement chargées, les roues y creusent de profondes ornières dans
lesquelles croissent ensuite des joncs ; il se durcit sous l'action de
la chaleur prolongée et se crevasse, surtout dans les hrais où il est
plus riche en matières organiques que sur les hauteurs. A raison des
propriétés physiques de ce sol, dont l'influence sur la végétation est
par des alternatives de gel et de dégel, dans l'absence de fossiles et dans la structure
même de la roche qui n'est pas stratifiée, mais qui est massive comme une boue qui
serait restée sur place après le délaiernent k diverses altitudes des dépôts superficiels
et notamment des ergerons ou sables gras. Cette interprétation donne la raison ,
tant de l'extinction des grands mammifères des alluvions précédentes que de la
lacune existant entre l'industrie de la pierre taillée en éclats , qui se termine avec
l'âge moustiérien contemporain du dernier ergeron et de l'industrie de la pierre polie
qui n'a paru qu'après la formation de la terre à briques. Quelques géologues,
MM. Butot, Van den Broeck et S.-V. Wood , expliquent cette formation par l'alté-
ration de l'ergeron à sa partie supérieure ; mais cette interprétation, dit M, de
Lapparent, soulève une foule de difficultés qui n'existent pas lorsqu'on admet celle
qui est rapportée ci-dessus.
(i) Le mot &rm , àiicànn^Ài hraitteau , vient du mot ira/a , dont l'origine est cel-
tique, et signifie lieu fangeux. 11 a servi à former un grand nombre de noms de lieux,
tels que Brie, Folembraye, Vibraye, etc. Les plateaux et les hauteurs étaient autre-
fois appelés ternes et terneaux ; ces mots sont encore en usage dans une partie de
la Fagne.
— 253 —
plus considérable que celle qui est «lue à ses propriétés chimiques,
les diverses essences réparties dans la forêt ne développent leurs
racines qu'à la surface ; le chêne lui-même ne pivote pas. Aussi à la
suite des grandes pluies ou de la fonte des neiges , s'il survient une
tempête, les grands arbres situés dans les massifs irréguliers four-
nissent de nombreux chablis. L'excès habituel de l'humidité dans
certaines parties de la forêt nuit à la qualité du bois de plusitîurs
essences, notamment du hêtre, et il n'est pas rare d'en rencontrer qui,
à l'âge de 120 à 130 ans, aient le cœur rouge, indice d'un commen-
cement de décomposition ; après des sécheresses prolongées , la mort
frappe parfois les arbres à racine traçante , surtout ceux qui sont
isolés depuis peu de temps. Ajoutons qu'à raison de sa richesse en
terreau, le sol se couvre immédiatement, après les coupes de taUlis ou
les coupes d'ensemencement claires , d'une quantité prodigieuse de
ronces et de plantes herbacées, graminées, carex, fougères, auxquelles
s'associent l'angélique sauvage, angelica sylvestris, l'épilobe à épi ou
laurier de Saint-Antoine, epilobium spicalum, le séneçon vulgaire, se-
necio vulgaris, qui charment les yeuxpar les tons vifs de leurs corolles ;
mais toutes ces plantes sont un très sérieux obstacle au succès des semis
naturels : les jeunes sujets provenant de ces semis succombent en effet
pour la plupart dans la lutte que leurs racines engagent avec celles des
plantes herbacées ou sous le feutre que forment au-dessus d'eux ces
mêmes plantes lorsque la pluie ou la neige les a couchées sur le sol.
Les herbes exposent , d'ailleurs, au péril des incendies les cantons
qu'elles ont envahis : au printemps, il suffit d'une allumette ou de
cendres mal éteintes imprudemment jetées par un fumeur, d'une flam-
mèche ou d'un charbon incandescent lancé par une locomotive, pour
que, si le vent est violent et si le temps est sec , le feu parcourre de
vastes espaces et compromette l'avenir des peuplements;!). Quoi qu'il
en soit, malgré les défauts qui lui sont inhérents, le sol de Mormal peut
être classé parmi les meilleurs sols forestiçrs.
Avant de passer à la description des essences de cette forêt, nous
ferons connaître les principaux cours d'eau qui la sillonnent. Ce sont.
(1) Un incendie causé en 1883 par une macliine de la Compagnie du chemin de fer
du Nord, sur la ligne de Paris à Cologne, s'étendit sur 29 hectares occupés par un
gaulis de 20 à 25 ans, et y occasionna un dommage évalué à 22,000 francs.
— 254 —
dans le bassin de la Sambre, la Sambrette (1), que grossissent les ruis-
seaux des Oiselets (2), des Rouillies et du Brai des Hommes ; le ruisseau
des Arbreux qui reçoit les eaux des rieux de la Fontaine-Malgueule et
du Grand-Brai ; le Grand-Bieu et le ruisseau du Neuf- Vivier ; dans le
bassin de l'Escaut, le ruisseau du Brai des Officiers, qui se décharge dans
un affluent de l'Hognau, le rieu de Carnoy ou Aunelle , le rieu d'An-
tiau (3) ou Rhonelle dont le rieu aux Chevaux est tributaire, le ruisseau
à Cailloux ou Ecaillon (4) qui prend sa source aux Grandes-Pâtures et
reçoit les eaux des rieux de la Fontaine -Tabar et du Vivier-Grand-
Mère ; le ruisseau du Pont-à-Chiens qui en dehors de la forêt prend le
nom de ruisseau de la Fontaine-St-Georges , enfin celui de la Noue-
Gluyer.
Ils sont alimentés par des fontaines prenant naissance le plus souvent
sur la marne à Terehratula gracilis. parfois sur l'argile à silex. Celles
dont les eaux sont plus particulièrement recherchées par les ouvriei's
de la forêt sont : les fontaines aux Hirchons et Cendrier qui se déver-
sent dans le rieu d'Antiau ; celles du Carne, du Roi-du-Bois et Guyot,
tributaires du rieu aux Chevaux ; les fontaines Madame, Hecquet, du
Butiau et Tabart dont les eaux grossissent l'EcailIon. Sont à signaler :
entre le carrefour du Chêne-la-Guerre et les Etoquies, les fontaines
des Vaisselettes, le Comte et au Marbre ; dans la vallée du Neuf- Vivier,
les fontaines Feuillenne et du Culot-Pavot ; entre Hachette et la Car-
rière, la fontaine de l'Ermitage, comprise dans l'ancien enclos des
Récollets; celles de Guilbert-Mesnil, de Morgnies, Tordeux, à l'Ortie,
Kokeron et Malgueule; enfln, dans la vallée de la Sambrette, la fon-
taine des Aulneaux et celle des Bécasses, autrefois Herbégaghe.
(1) La Sambrette e.st désignée sous le uoin de Santelle , dans une ordonnance de
1601 des archiducs Albert et Isabel, et sous celui de Saute dans le procès-verbal de
délimitation de Mormal de ]G78. Sur la carte de TEtat-Major, elle porte le nom de
ruisseau de l'Hirondelle, et sur celle des Ponts et Chaussées, celui de ruisseau de la
Barque !
(2) Autrefois des Oisillis.
(3) Ce ruisseau est désigné sous le nom de flumen Unctius dans un diplôme de
885, MiROEus, t. II, p. 935; sous ceux d'Untiel , dans une charte de Bauduin IV, de
1163, Cart. de l'abb. cVHautmont , f" ii, r", et diAintiel , dans une charte de 1266 ,
Leboucq, Hist. eccl. de Valenciennes.
(4) Il est appelé Escalius fluvius dans une charte de 1111 ; le nom de ruisseau à
Cailloux lui a été donné à cause des nombreux silex qui se trouvent dans son lit.
- 255 —
A raison do la situalioii rie la forêt sur une ligno de laîte, le débit de
ses ruisseaux ne saurait être considérable ; leur régime même n'est pas
constant à cause du pou d'hygrospicité du sol. Mais si les futaies dispa-
raissaient de Mornial, après les périodes de sécheresse; ils seraient
dépourvus d'eau, tandis qu'à la suite de pluies abondantes ils se trans-
formeraient en torrents. Déjà, la vallée de la Sambre souff're fréquem-
ment du fait des innoudations qui parfois emportent les récoltes et l'on
est obligé, pour assurer le service de la navigation sur cette rivière,
de remonter en été une partie des eaux à l'aide de machines installées
auprès des sas construits entre Landrecies et Berlairaont. Cette
situation ne pourrait évidemment qu'empirer après le défrichement du
massif, car les racines des arbres en facilitant le passage dos eaux de
pluie dans le sous-sol. en jouant le rôle d'un drainage, contribuent à
régulariser le débit des sources et celui des ruisseaux.
La seule particularité qui nous reste à signaler touchant l'hydro-
graphie» de la forêt se rapporte à la dérivation dont l'Écaillon a été
l'objet. Elle a été accomplie au moyen d'un canal d'un kilomètre
environ de longueur sur deux mètres de largeur en bas à travers la
Clayeile, afin de déverser ses eaux dans le ruisseau du Vivier Corbeau
et d'alimenter l'ancien étang dou Noiles , d'Onoilles ou d'Aulnoye.
On a tour à tour attribué l'ouverture de ce canal à Louis XVL à
Louis XIV et à Charles-Quint. En réalité, il remonte à une époque
très ancienne, car le Pont-à- Vaches, sur la chaussée Brunehaut, qui
donne passage à ses eaux est cité dans les plus anciens comptes de la
Recette générale du Hainaut. Il était même déjà ouvert dès le
Xir siècle (1), puisqu'à cette époque on constate l'existence de l'étang
précité que les seules eaux venant du Vivier Corbeau n'auraient pu
remplir. La conjecture la plus vraisemblable est qu'il a été exécuté
par Bauduin l'Edifieur (2) dans l'intérêt de la défense du Quesnoy.
Quoi qu'il en soit, après la conversion en prairie de l'étang d'Ecaillon
en vertu d'un arrêt du 21 juillet 1778, il fallut, pour que les fossés de
cette place continuassent à recevoir les eaux du ruisseau d'Ecaillon,
(1) Curtulaire précité des rentes et cens dus au comte de Hainaut, 1265-1286.
(2) Bauduin IV, surnoiuuié le Bâtisseur ou l'Edifieur, succéda à son père Beau-
dain III en 1120. Ce l'ut un prince batailleur; il augmenta ses états de la chatellenie
de Valenciennes, de la seigneurie d'Ostrevant, dont Bouchain était la capitale et de
la terre d'Ath... 11 refit les murs de Mons et fortifia Le Quesnoy, qui jusqu'alors
n'avait été qu'une simple bourgade. 11 mourut en 1171.
- 256 —
prolonger le canal dans la forêt le long dudit étang, puis jusqu'à la fon-
taine Hecquet d'une part et Blanche-Fontaine d'autre part. Les offi-
ciers de la Maîtrise du Quesnoy furent chargés de l'exécution de
ce travail. Quelques années après , ils firent redresser et approfondir
cette même section du canal . ensuite d'un arrêt en date du 28 sep-
tembre 1784 , attendu , dit cet arrêt « que malgré les précautions
prises pour faire verser dans l'étang d'Aulnoye, situé près la ville du
Quesnoy. les eaux nécessaires aux fossés de cette place, aux moulins
qui y sont établis, à entretenir de l'eau dans ladite ville et la santé tant
de la garnison que de ses habitants, il arrive encore que pendant l'été,
les eaux des trois étangs voisins du Quesnoy baissent beaucoup tant
par l'évaporation de leur grande surface que par la consommation jour-
nalière de la ville et surtout par la diminution et suppression d'une
partie des sources que doivent alimenter ces étangs, lesquels laissent
alors à découvert une grande quantité de vases molles , dont
les vapeurs sont nuisibles à ladite ville... » (1). A la suite du déclasse-
ment du Quesnoy en 1873, le gouvernement décida que l'étang d'Aul-
noye et les francs-bords du canal dans la traversée de la ClayoUe
seraient aliénés ; l'étang, d'une contenance de 18*^ 33^ 95^^ , fut vendu
par petites parcelles pour 103,000 francs et les francs-bords , d'une
contenance de 7^^ 59° 52^ . pour 28,500 francs. Mais après le reclas-
sement de la place, le service du Génie reconnut, que l'intérêt de la
défense exigeait que les eaux pussent être amenées rapidement dans
les fossés , et prit à sa charge les travaux que nécessitait le canal : mais
la surveillance de la section forestière de ce même canal fut abandonnée
au service forestier en vertu d'une décision des ministres de la Guerre
et de l'Agriculture rendue en l'année 1884.
(1) Arch. uat. E. 2618.
— 257
NOUVELLES El FAITS GÉOGRAPHIQUES
I. — Géograpliie scientifiqxie. — Explorations et découvertes.
ASIE.
Au Tliibet. — Un explorateur indien, en mission pour le compte du gouver-
nement anglais, vient, paraît-il, de pénétrer dans les régions peu connues du Thibet
et a obtenu sur le Brahmapoutre , dans les parages situés au Sud de Lassa , des
renseignements inédits.
Il paraît que le grand lac situé au Sud de la ville sainte et désigné sous le nom de
Jamdok-Tso ou le lac Palté , se déverserait dans le fleuve par un canal.
Le voyageur traversant l'Himalaya, aurait gravi un des sommets du massif, jusqu'à
une hauteur de plus de 5,000 mètres.
AFRIQUE.
liîmites «lu C'ongo Français. — Le dernier litige qui avait trait à nos
possessions dans l'ouest de l'Afrique vient enfin de se terminer. Il est aujourd'hui
décidé que les limites du Congo français , sauf quelques points contestés , sont
marquées sur la côte par le Rio Campo , qui le sépare au Nord de la colonie alle-
mande de Cameroun, et par le Tchiloango, qui leur sert de fi-ontière au Sud, du côté
des possessions portugaises de Cabinda. Le cours du Tchiloango et une ligne acci-
dentée qui aboutit à la rive droite du Congo près de Manyanga , forment la limite
méridionale. Du côté de l'Est , le Congo français possède la rive droite du fleuve
entre le point de raccordement près de Manyanga et l'embouchure de l'Oubanghi-
jSkoundja. De ce dernier, la frontière va rejoindre le iV degré de longitude Est de
Greenwich en suivant la ligne de partage des eaux entre l'Oubanghi-Nkoundja et le
Congo, puis elle remonte au Nord suivant ce même méridien , jusqu'à la rencontre
du parallèle sous lequel coule le Rio Campo.
On sait que , du côté de l'Oubanghi , on n'était pas d'accord pour les limites avec
l'État du Congo. Une convention a été signée à ce sujet le 40 avril. D'après cet
accord, la limite sera le thalweg de l'Oubanghi, dont la rive droite appartiendra a la
France, et la rive gauche à l'État libre, y compris le petit poste de N'Koundja, fondé
par M de Brazza,
D'autre part, notre Gouvernement a reconnu que le droit de préemption qui lui a
18
— 258 —
été attribué en 1885 , ne pourrait s'exercer qu'après que la Belgique aurait renoncé
elle-rnème à acquérir cette colonie, au cas oii ses fondateurs voudraient la céder. En
retour, ceux-ci renoncent à user de la permission qui leur avait été accordée d'érnettre
en France une loterie au profit de l'État libre et acquièrent le droit de faire inscrire
à la cote le cours des titres de son emprunt jusqu'à concurrence de 80 millions.
Extcusioik «lu protectorat allcmaucl claus le J^ud-Ouest de
l'Afrique. — D'après la Deutsche Kolonial-Zeitung, les Boers qui se sont établis
à Grootfontein (à 19° 30' de lat. S. et 18° de long. E.) dans le district d'Otowi ont ,
sur leur demande agréée par l'Empereur, été mis sous protectorat allemand. On
trouve sur la nouvelle carte d'Afrique de Perthes, à 19" 40' de lat. S. et environ 17"
20' de long. E. une sorte d'oasis « Otawa », oii doit être situé la ville bâtie par les
Boers et qu'ils ont nommée Grootfontein. Ce n'est autre que la république de
Boers , Upingtonia , dont on a parlé , il y a quelques mois , à l'occasion de l'assas-
sinat de Jordan.
On prévoyait déjà , depuis quelque temps , que les nouvelles colonies de Boers
s'adresseraient au gouvernement allemand pour se soumettre à son protectorat et
obtenir de lui aide et appui contre les agressions dont elles sont l'objet de deux
côtés, d'une part des Ovambos , de l'autre des indigènes de Berg-Damara. Il est de
toute importance de conserver à cette race forte et saine , ses droits acquis et le
moyen de prospérer dans ses entreprises civilisatrices.
Auucxious nuglaiscs. — i" Les territoires de Rode, de la rivière St-John
et du Xesibiland, le Zoidouland et le Swaziland, — A la suite d'un traité conclu
entre le Gouvernement du Cap et les indigènes Pondos , les Anglais ont annexé le
territoire connu sous le nom de Rode. Ces indigènes ont également renoncé à exercer
toute réclamation sur le territoire de la rivière St-Jobn et du Xesibiland , le tout
moyennant une rente payée au chef des Pondos.
D'un autre côté , l'Angleterre a déclaré territoire britannique tout le Zoulouland ,
sauf la partie centrale et occidentale et le Zwaziland qui a été occupé, il y a quelques
années déjà, par des émigrants boërs venus du Transwal, qui se sont constitués en
République indépendante.
Le Zoulouland formera une colonie distincte de Natal , ayant son administration
propre.
2" Côte de Guinée {territoire de Krikor et royaume de Sefwhi). — Les Anglais
ont aussi étendu les limites de leur Protectorat de la Gôte-d'Or. C'est ainsi qu'ils ont
mis sous leur protection le petit territoire de Krikor, d'une longueur de 26 milles
Bur une largeur de 6 milles à l'Est du fleuve Volta entre Awonath et Affoo.
Plus récemment encore, ils ont annexé au Protectorat le Royaume de Sefwhi, sur
la frontière Nord-Ouest, voisin de l'État indépendant de Gamon.
liiinite des possessions française et allemande sur la
Côte des Ksclaves. — Voici la limite des possessions françaises et alle-
mandes sur la côte des Esclaves : On a choisi le méridien qui coupe la pointe occi-
dentale de l'île Bayol (dans la lagune entre Agoué et Petit-Popo, un peu à l'ouest du
village Hilla-Condji) en le prolongeant vers le Nord jusqu'au neuvième degré de
latitude septentrionale.
25*J
AME RIQUE.
K*ul>li<'atioii tVnn atlas de la République Argentlue. — La
Soi'iété de géograiiliic (le l.ille vient de recevoir di; Tlnstitut géograpiiique , asso-
ciation scientifique analogue à nos Sociétés de géographie , la première livraison
d'un atlas de la République, sous les auspices du gouvernement national.
L'atlas, dressé par le docteur Arthur Seelstrang, est publié par les soins d'une
Commission spéciale , présidée par M. Stanislas Zebnllos , président de l'Institut
géographique. 11 est gravé et imprimé avec beaucoup de soins , et sous ce raj^port , il
fait honneur à l'éditeur Kraft, de Buenos-Ayres. La première livraison se compose des
cartes : V. Province de Buenos-Ayres, section sud-est ; VIIL Province d'Entrerios ;
XII. Province de Cordoba , section sud ; XXVI. Gouvernement de Santa -Gruz ; et
XXVII. Gouvernement de la Terre de Feu et îles Malouines. Les cartes sont à
l'échelle de 1/1,000,000 et 1/2,000,000.
IjCS souB'ecs (lu lllji«<issipi. — La Société historique du Minnesota
(Etats-Unis) avait, le 13 décembre 1886, ordonné une enquête au sujet de la préten-
tion du capitaine Willard Glazier d'avoir découvert les sources du Mississipi ; le
rapport de l'honorable James H. Baker, qui résume l'enquête , vient de paraître.
II est tout à rencontre du capitaine Glazier et la Société , après l'avoir adopté,
a voté la résolution suivante :
« Toutes les Sociétés de géographie ou d'histoire, ou toutes autres sociétés savantes
du monde, seront priées de se joindre à nous pour repousser la prétention de Glazier
et d'effacer sur les cartes qui pourraient les porter , les mots « lac Gla/ier » pour les
remplacer par « lac Elk ».
Traversée du liabrador par 11. K. Pcck. — Un missionnaire ,
M. E. 1. Peck, a réussi à traverser le Labrador de l'Ouest à l'Est. II avait échoué
dans cette tâche en 1882 et 1883. Parti le 17 juillet 1884 de la Little Whale River,
il arrivait à fort Giiimo le H août. Son journal a été publié par le Church Mission-
nary intelligencer en 1886. D'après lui , les cartes du Labrador sont erronées. Il est
douteux que la moitié Ouest du Labrador appartienne même à la Grande-Terre : car
il existerait une commimication entre la baie de Mosquito sur la côte Est de la baie
d'Hudson , et la Hop-Advance-Bay dans la baie d'Ungava.
Nouvelle uiis<<iiou «le M. 11. Coudreau. — M. H. Goudreau est
chargé d'une nouvelle mission dans la haute Guyane française.
11 devra visiter le bassin du haut Oyapok, les monts Tumuc-Humac, le bassin supé-
rieur ou moyen du Maroni , au point de vue de la géographie , de l'ethnographie , de
la linguistique et de l'histoire naturelle.
Il est parti le 10 mai.
-260 —
OGEANIE.
Ije«ï sources de la rivière l<'inke eu Australie. — M. Charles
Ghevings vient de publier dans V Adélaïde Observer , la relation de son voyage
d'exploration aux sources de la rivière Finke. Ce cours d'eau est certainement le
plus important de tous ceux de l'Australie centrale ; il arrose tout l'intérieur du pays.
La rivière est très sinueuse et ses rives sont couvertes de bois épais d'arbres à caout-
chouc, tout le long de son cours. Le voyage a été effectué eu 1885 , et la distance
parcourue par l'explorateur a été supérieure à 5,000 milles. Il a constaté que les
vastes étendues de terres situées au centre de l'Australie, sont loin d'être un désert
comme on le croyait; qu'il y a là au contraire des prairies sans fin, richement
fournies et bien arrosées qui seraient d'excellents pâturages.
Les races et laugues «le la llclauésie. — Le journal Science de
New-York, dit que c'est en Océanie qu'on trouve quelques-uns des plus difficiles
problèmes d'ethnographie à résoudre. Ce vaste monde d'îles peut, comme on le
sait, être divisé en cinq districts géographiques : la Malaisie ou archipel Indien ,
qui s'étend du détroit de Malacca à la Nouvelle-Guinée ; la il/e7«>/esi!e, comprenant
la Nouvelle-Guinée et les groupes d'îles à l'Est de celle-ci jusqu'aux îles Fidji ; la
Polynésie, comprenant les îles de la partie méridionale et orientale du Pacifique ,
de la Nouvelle-Zélande aux îles Havaï ; la Microne'sie, formée par les groupes
de petites îles disséminées dans le Nord du Pacifique , à l'Est des Philippines,
et VAustralasie, comprenant l'Australie et la Tasmanie. Les tribus qui habitent
ces différentes régions offrent tous les signes d'une entière différence de race. Les
Malais sont petits , au teint brun clair ; ils ont les cheveux très noirs et les traits
fins. Les Polynésiens sont grands ; ils ont le teint jaune, la chevelure très fournie et
noire, la figure belle et presque européenne. Parmi les Mélanésiens, les uns, comme
les Papous , sont grands avec des traits aquilins et des cheveux bouclés ; d'autres ,
comme les Negritos et les Samangs, sont petits et ont les cheveux laiteux et fiocon-
neux. Les Australiens sont noirs ou d'un brun rougeâtre, avec des traits nègres et
les cheveux bouclés. La question à décider est de savoir si toutes ces populations
appartiennent à la même race ou à plusieurs. Les ethnologistes les plus éminents :
Crawford, Pritchard, Huxley, Wallace, Lesson, von der Gablenz, ont pris part à la
discussion, sans qu'on soit jusqu'à présent arrivé à une solution définitive.
Un des derniers qui aient apporté leur science et le résultat de leurs observations
et peut-être un des plus importants, est le révérend Codrington dans son ouvrage
sur les langues de la Mélanésie. Les matériaux de cet ouvrage ont été réunis pen-
dant de nombreuses années que l'auteur a passées principalement dans l'île de
Norfolk, comme missionnaire.
Le premier résultat de ces travaux est d'élever de beaucoup notre opinion sur la
qualité de ces idiomes et sur l'intelligence de ceux qui les parlent. Ces dialectes sont
d'une richesse remarquable. Il en raconte une preuve intéressante au sujet d'une de
ces langues, celle parlée dans l'île de Mota , dont beaucoup de natifs étaient élèves
de l'école des missionnaires de Norfolk.
« Après quelque douze ans de connaissance de la langue, écrit-il, d'enseignement et
d'études, après avoir acquis, d'une façon plus ou moins exacte, un vocabulaire considé-
- 261 -
i-able de mots mota, je me mis h acheter des mots, qui m'étaient encore inconnus, aux
élèves de l'île de Norfolk , à raison de un shilling par cent. Quand je partis , j'avais
appris de cette façon trois mille mots qui m'étaient inconnus. De plus , il est certain
que les indigènes plus âgés restés à Mota, se servent d'une grande quantité de mots
inconnus à ceux qui ont quitté tout jeunes leur patrie , et que les élèves n'avaient
millement épuisé le vocabulaire de la langue. Je puis compter , par conséquent,
qu'un nombre de mots, égal h peu près à celui do ceux que je connaissais , m'était
encore resté inconnu et que mon vocabulaire aurait certainement pu se monter à six
mille mots. Un grand nombre de ceux-ci sont, il e!--t vrai, composés ou dérivés, mais
ce n'en sont pas moins des mots différents. Et cela dans une petite île , de moins de
mille habitants , qui ne sont en rapport avec des Européens que depuis un temps
relativement court.
Ce n'est pas seulement dans les mots désignant des choses et des actions que se
rencontre cette richesse. Les termes purement abstraits sont communs ; ils sont for-
més selon un système aussi clair et aussi régulier (jue celui du grec ou du sanscrit.
C'est ainsi que de toga (demeurer) on forme «o^ani (maintien) et togava (station;
de nonom (penser) . nonomia (pensée) ; de tape (aimer) , tapeva (amour). Comme le
fait observer le docteur Codriagton , c'est un fait digne de remarque que de rencon-
trer des mots abstraits, comme ceux que nous venons de citer, chez un des peuples
qu'on est convenu de considérer comme incapables d'avoir des idées abstraites.
Un résultat non moins important de cet ouvrage, est la prouve évidente qu'il
apporte que toutes ces langues ont une commune origine et que toutes appartiennent
à la famille malayo-polynésienne. Personne ne peut plus en douter après avoir
examiné l'excellente grammaire comparée et les vocabulaires très détaillés qui
accompagnent l'ouvrage. La question qui , dès lors , se pose , est celle d'expliquer
cette singulière unité de langues chez des pcTiplcs si différents l'un de l'autre au
physique.
Trois hypothèses ont été formulées. Une première suppose que toutes les îles
étaient habitées originairement par une même race d'hommes au teint jaune ou
brun clair et que les différences ne proviennent que du lent effet des climats et
d'autres causes naturelles. Une autre théorie, celle du révérend docteur Codrington,
prétend que tout l'archipel était originairement occupé par une race d'hommes au
teint noir et aux cheveux laineux et crépus , venant d'Asie , et parlant la langue
unique et primitive de laquelle sont dérivés tous les dialectes rnalayo- polynésiens.
Plus tard, une race presque blanche, alliée aux Siamois et autres peuples du sud-est
de l'Asie , se serait , par une migration lente et graduelle , répandue dans les îles ,
aurait pris des femmes parmi les autochtones , adopté leur langue et fini par les
supplanter entièrement dans quelques parages , partiellement dans d'autres : cette
ingénieuse théorie ne tient pourtant pas en présence de quelques faits importants
que l'auteur n'a pas suffisamment considérés. Un de ces faits est l'existence en
Nouvelle-Guinée de plusieurs langues radicalement distinctes de la famille malaise.
Le docteur Codrington iuimème fait observer que trois vocabulaires de la Nouvelle-
Guinée, qu'il a eus sous les yeux , ne contenaient pas de mots qu'il connût , c'est-à-
dire pas de mots malais.
Le professeur F. MûUer , qui a étudié les dialectes de la Nouvelle-Guinée septen-
trionale, y a trouvé un grand nombre de mots dérivés du malais ; mais c'était là des
additions toutes modernes. Le professeur Millier croit que les Mélanésiens qui
parlent le malais sont une race mêlée de Malais jaunes avec les atochtones noirs.
Cette théorie , qui concorde en certains points avec celle du docteur Codrington ,
n'en diffère qu'en supposant que la langue malayo-polynésienne appartenait origi-
nairement non à la race noire, mais à la race jaune.
- 262 —
C'est certainement l'opinion du professeur Mûller qui doit prévaloir, et son hypo-
thèse est la plus exacte , d'après laquelle les Mélanésiens, dont s'occupe le docteur
Codrington , sont une race mêlée , tenant leur langage des peuples malais et leurs
caractères physiques , en partie des mêmes , en partie d'une race négroïde qu'on
retrouve encore presque pure dans certaines parties de la Nouvelle-Guinée.
II. — Géographie commerciale. — Statistiques
et Faits économiques.
ASIE.
Bakou et le basisiiii pétrolifère de la Caspienne. — « Quand
on vient de visiter le désert turkmène , les ruines du vieux Merv , le chemin de fer
transcaspien, il semble que le mieux à faire soit de rentrer tranquillement chez soi ,
sans chercher de nouveaux sujets d'admiration. Mais cependant quel crime ce serait
de passer à Bakou sans s'y arrêter ! Nulle part peut-être, à la surface du globe , la
nature n'a entassé tant de merveilles pour frapper les yeux du vulgaire , tant
d'énigmes pour déconcerter les savants. »
C'est ce qu'a pensé un voyageur français, M. Edgar Boulangier, qui vient tout
récemment de visiter le plateau turkmène et qui a fait halte à Bakou avant de rentrer
en France, halte qui nous a valu, sous le titre de Voyage à Merw (Paris, Hachette),
une relation, grâce à laquelle nous allons pouvoir donner quelques renseignements
intéressants aux ujembres de la Société de géographie de Lille.
Quand on a doublé la pointe d'Apchéron et longé la côte méridionale de la pénin-
sule , on entre dans une vaste rade oii cent navires sont mouillés. Tout au sud, les
montagnes de Lenkoran , d'où l'on extrait le soufre , dressent dans un ciel brumeux
leurs cimes aiguës ; puis on aperçoit les établissements de la marine militaire. La
ville persane aux murailles crénelées : la nouvelle cité russe avec ses maisons grises
parfaitement alignées ; la ville noire et les nuages de fumée qui l'étouffent.
Rien n'est facile comme l'atterrissage à Bakou, Il y a une vingtaine d'aponte-
ments en bois , bâtis sur pilotis . dans le port ; quelques-uns mesurent 200 mètres
de longueur, la plupart appartiennent à des Compagnies particulières. Ils s'éche-
lonnent le long de la courbure du rivage , en partie couvert de quais , sur un
développement d'environ 2 kilomètres. Ces chiffres donnent une idée de Timpor-
tance commerciale de Bakou , aujourd'hui le second port de la Caspienne , demain
peut-être le premier. Sa population a sextuplé depuis vingt ans , elle est montée
— 263 —
à 60,000 âmes de 10,000 qu'ollo était auparavant. De petite ca])itale sous les
Kans, elle est devenue, sous radministration russe, l'un des plus riches centres
manufacturiers du monde. L'exploitation du pétrole , sagement conduite , a jtu
donner ce résultat.
Un des premiers soins do M. Boulangier fut de rendre visite au consul fran-
çais , M. Thyss , qui a ))assê vingt années de sa vie en Russie , et qu'il dépeint
comme un homme des plus aimables , des plus hospitilicrs et des plus compétents
dans sa partie. Trois kilomètres environ séparent la ville blanche de l'agence consu-
laire française. Mais pour les franchir , il faut ti-averser la ville noire. La voiture
roule d'abord avec un infernal bruit de ferraille dans les rues de la cité russe , de
belles rues bien pavées , bien vivantes ; puis elle s'engage dans un petit désert de
sable d'environ 300 à -400 mètres de longueur, oii les chevaux n'avancent qu'à grand'-
peine. Elle pénètre ensuite dans un terrain solide de couleur rougeâtre, circule entre
des mares pleines d'un liquide qui ressemble à l'huile de foie de morue : ce liquide
est le résidu de la distillation du naphte naturel, et la coloration en même temps que
la consistance du sol tiennent à ce qu'il est imprégné de ce résidu. Chose à peine
croyable, les pluies sont si rares dans cette partie du littoral caspien , que l'arrosage
des rues de Bakou ne se fait pas toujours avec de l'eau douce. On y emploie des rési-
dus de pétrole. Il n'est pas rare de voir des trottoirs recouvert avec de l'asphalte
provenant du naphte tellement sensible à l'action du soleil qu'on y enfonce comme
dans de la boue à peine durcie. Cependant , on arrive au milieu de la ville noire :
c'est un ramassis d'usines , grandes et petites , qui fument à qui mieux mieux , sauf
trois ou quatre , les plus importantes et les mieux outillées , qui appartiennent à des
Européens.
M, Thyss ne manqua pas de montrer en détail à son visiteur la fabrique d'acide
sulfurique qu'il dirige. Dans un espace restreint , une production colossale est régu-
lièrement conduite par un tout petit nombre d'ouvriers. Et le prix de revient est
d"autant plus faible que le minerai du Lenkoran ne coûte pas bien cher et que les
résidus du pétrole employés comme combustible ne coûtent rien du tout. Ici, comme
pour les locomotives du Transcaspien ou les fourneaux domestiques installés par
l'ordre du général Annenkoff , c'est le pulvérisateur qui permet d'obtenir un jet de
flamme occupant toute la longueur du foyer. Les foyers de Bakou sont immenses ,
comme ceux de nos grandes usines ou de nos vaisseaux de guerre ; et la vapeur
d'eau , mélangée aux poussières du pétrole , s'y précipite avec un bruit intense pour
former une épaisse gerbe enflammée. Ce spectacle d'un cylindre métallique , codi-
plètement vide de matière combustible, rempli par une flamme que l'on allonge, que
l'on arrondit, que l'on aplatit à volonté en changeant l'embouchure du tuyau dont
elle s'échappe , frapoe d'étonnement. tn jour prochain viendra oti toute la marine
russe sera chauffée par ce système si économique et qui n'offre pas le moindre
danger.
Une promenade dans le vieux Bakou est très intéressante ; elle dispense d'aller en
Perse pour se faire une idée de l'architecture de ce pays. La vieille capitale des
kans garde encore son cachet , grâce à cette circonstance qu'elle n'appartient à la
Russie que depuis une date relativement récente. Ses ruelles sales et étroites , bor-
dées de maisons blanches aux toits plats, dont les portes sont le plus souvent
fermées et les habitants invisibles , n'ont pas changé depuis un siècle ; leur dédale
inextricable couvre toujours le flanc de la même colline escai'pée ; ce sont encore les
mêmes minarets , les mêmes petits dômes surmontant les salles de bains ; tout cela
fait de boue et badigeonné à la chaux. Puis il y a le bazar, remarquable par le silence
qui y règne ; les mercantis persans vous offrent sans vergogne des collections
variées de pierres fausses , de turquoises surtout , la turquoise est originaire de ce
~ 264 —
pays. On trouve également à acheter de beaux tapis de Perse, mais coûtant plus cher
qu'à Askhabad
La Tour de la Jeune-Fille et la citadelle ou palais des kans , sont les seuls monu-
ments remarquables de cette vieille cité en train de disparaître. La Tour de la Jeune-
Fille, haute de 30 mètres au-dessus du niveau de la mer, s'aperçoit si bien du large,
que les Russes l'ont surmontée d'un phare et d'un feu de port. Un kan de Bakou ,
raconte la légende, ayant voulu imposer à sa fille, merveilleusement belle, une union
qui lui répugnait, celle-ci finit par y consentir à la condition que son père ferait bâtir
une tour très élevée ; la construction achevée , elle y monta et se précipita dans le
vide , préférant la mort au malheur et à la honte. La citadelle montre une porte
curieuse et bien conservée. « Etaient-elles assez hautes ces murailles de pierres
garnies d'embrasures de canon , dit M. Boulaugier , car les Persans avaient des
canons; ils en ont mme encore, puisque j'ai eu l'honneur de voyager avec un
ex-colonel autrichien , aujourd'hui général en chef de l'artillerie du sehah, et retour-
nant à Téhéran. Mais quels canons et quels canonniers ! Les cavaliers turkmènes
sabraient tout cela d'importance au siècle dernier , et je vous laisse à penser si les
Russes en ont été pendant longtemps incommodés dans leur siège de Bakou. Leur
seul perte sérieuse fut celle de leur général , assassiné lâchement par un soi-disant
fanatique, au moment de la remise des clés de la citadelle ; un monument a été élevé
à sa mémoire. »
La chaîne du Caucase se termine k ses deux extrémités par des contreforts de
nature volcanique , oii les forces souterraines agissent encore k l'époque actuelle.
C'est à l'orient, vers l'extrémité de la pointe d'Apchéron, que l'activité des réactions
intérieures paraît avoir atteint son maximum. Le sol y est , en plusieurs endroits ,
couvert de cratères de boue en ébuUition ; son l'elief se modifie presque incessam-
ment, des gaz inflammables s'échappent de certaines fissures et il peut suffire d'une
étincelle pour allumer l'incendie. Monte-t-on sur la Tour de la Jeune-FiUe par une
nuit calme et sombre, on a quelque chance de voir la presqu'île couverte de lueurs
phosphorescentes. Si au xix" siècle ces phénomènes attirent l'attention des esprits
les plus sceptiques, on comprend qu'ils aient paru surnaturels aux peuples de l'anti-
quité. Depuis Zoroastre jusqu'à nos jours, les adorateurs du feu ont considéré Bakou
comme un lieu sacré oii ils venaient en pèlerinage du fond de l'Asie centrale. Les
ordonnances de l'empereur Héraclius, qui fit éteindre le feu entretenu par les prêtres
parsis et les précautions des Arabes, conquérants de la Perse, qui voulurent imposer
leur religion aux vaincus , ne purent triompher d'une résistance qui ne recula pas
devant l'expatriation. On se demande naturellement d'oii viennent ces feux qui
triaient depuis des milliers d'années. On doit les attribuer aux vapeurs du pétrole
chassées à la surface du sol par la haute pres.sion des gaz emprisonnés dans les cavi-
tés souterraines Reste la question de savoir d'où le pétrole provient et quel est son
mode de formation. Selon les ans, le naphte naturel , liquide brun foncé , visqueux ,
à peu près opaque et formé de divers hydrocarbures, provient d'une distillation de
la houille, et à l'appui de cette hypothèse ils citent la ressemblance frappante obte-
nue dans les laboratoires par cette distillation. D'après d'autres, beaucoup plus
nombreux, il proviendrait de la décomposition lente de matières végétales , notam-
ment de plantes marines et d'animaux vivant sur les rivages des mers primitives ; la
fermentation de ces matières a produit des gaz que l'on retrouve enfermés dan? les
gîtes avec l'huile minérale , et la présence de l'eau salée dans ces gîtes s'explique
par la supposition qu'elle y a été retenue en même temps que les matières
organiques.
Un train spécial conduit de Bakou aux sources de péti'ole exploitées. Bakou ne
renferme que des distilleries , les puits sont concentrés à 8 milles au nord , sur le
- 265 -
plateau de Balakhani-Sabontchi , élevé de 200 pieds au-dossns du niveau de la rner.
Qu'on s'imagine un cii'que de 3 à 4 kilomètres de diiimètrc , coiiituro de collines
calcaires à faible relief; dans le fond de ce cirque , formé do sables alternant avec
des couclies do marine dure, on a creusé plus de 400 puits qui ont donné presque
tous do bons résultats. Là , sont entassées , pressées les unes contre les autres , des
exploitations qui appartiennent à des Compagnies ou à des particuliers , savoir 48
pour le district de Balakhani et 38 pour Saboutchis. Le trajet dure dix-sept minutes.
A l'arrivée , un spectacle nouveau s'offre aux yeux : 150 à 200 cages en bois noir ,
assez semblables à d'énormes cheminées d'usines , se dressent devant vous ; à une
distance de 8 à 10 kilomètres , vous les prendriez pour de grands arbres sombres ,
formant un oasis au milieu du désert transcaucasien. L'erreur serait d'autant plus
excusable qu'une eau imaginaire se montre fréquemment au pied de ces prétendus
arbres ; en effet, le phénomène du mirage se produit en été dans ces parages brû-
lants et arides qui bordent la Caspienne. Chacune de ces cages on bois, nommées
eu russe vichka ^ recouvre un sondage artésien qui va chercher l'huile minérale à
des profondeurs variables. Le forage s'opère au moyen d'un système américain qui
consiste à substituer une forte corde à la tige de sonde à raccords , employée en
France : à l'extrémité de cette corde , on attache un long et lourd trépan à pointe
d'acier. La corde passe sur une poulie placée au sommet d'un bâti en charpente ,
élevé d'une quinzaine de mètres , et elle est actionnée par une machine à vapeur
qui soulève et laisse retomber le trépan. Un maître mineur lui imprime en même
temps un mouvement de rotation.
Mais le temps est passé oii il suffisait de gratter la terre pour faire jaillir le
pétrole. Aujourd'hui , la sonde doit descendre à 100 mètres et plus pour le rencon-
trer, et Ton ne le trouve pas toujours. Si la profondeur des puits de Pensylvanie
atteint 2,000 pieds , il n'en est pas moins vi-ai que les forages de Balakhani sont
oxtrèment longs et coûteux. On fit voir à M. Boulangier un puits dont le forage a
coiité 30,000 roubles (75,000 francs) , exigé une année de travail et (pii n'avait rien
donné. Une fontaine de pétrole ne dure pas toujours , comme le jet donné par un
puits artésien. M. Boulangier en vit un de 3 à 4 mètres de hauteur , qui huit ans
auparavant en mesurait le double , et l'on s'attendait à la voir tarir d'un moment à
l'autre. Généralement la durée de la gerbe ne dépasse pas deux mois ; passé ce délai,
le flowiny well rentre dans la catégorie des pumping well, et il faut alors employer
la pompe pour amener le pétrole à la surface. Ce genre d'extraction comporte l'em-
ploi d'un tube creux à clapet, long de 2 mètres , large d'environ 25 centimètres et de
30 litres de capacité. Attaché à un câble qu'actionne une petite machine à vapeur , il
est rapidement descendu au fond du puits, oii il se remplit par le jeu automatique du
clapet, puis remonté avec la même vitesse ; un ouvrier le saisit à l'aide d'un crochet,
fait donner un peu de jeu à la corde pour opérer un mouvement de bascule et le tube
vidé est de nouveau introduit dans le sondage. On comprend que la durée de l'opé-
ration dépend de la profondeur du puits ; c'est ainsi que le débit journalier peut
tomber de 64,000 kilogrammes à 48,000. Ce chiffre paraît presque une quantité négli-
geable à côté du rendement fabuleux des grandes fontaines, mais il suffit cependant
pour donner une exploitation rémunératrice.
Souvakhani, un ancien centre d'exploitation, est le terminus du chemin de fer de
Bakou-Balakhani. Aujourd'hui , il ne renferme que quelques puits. Un seul tuyau
suffit à conduire leur pétrole aux raffineries de Bakou. Mais c'est à Souvakhani que
se trouve le temple des adorateurs du feu et c'est ce qui attire les voyageurs dans
cette localité. Un petit édifice carré , surmonté par un dôme percé d'une multitude
de petites cheminées minuscules , décoré de cintres , de festons , de créneaux ,
s'élève au milieu d'une cour entourée d'un mur de style non moins indien. Toutes
— 266 -
ces cheminées donnaient autrefois jjassage aux gaz enflammés, et les fidèles se pros-
ternaient en foule devant le feu éternel. Mais que ce temple a perdu de son antique
splendeur ! Le feu sacré n'est plus entretenu que par deux misérables Parsis ,
auxquels les exploitants du voisinage veulent bien faire l'aumône d'une minime
partie des gaz qu'ils ont captés , et les seuls pèlerins venus depuis quelques années
sont les mécréants occidentaux. Il n'eu est pas qui n'ait pris plaisir à enflammer avec
une allumette les gaz qui se détachent des fissures du sol et n'ait commis à son insu
le sacrilège de les éteindre en soufflant dessus.
11 était impossible de distiller le pétrole sur les lieux mêmes de son extraction.
Aussi, les distilleries sont-elles à Bakou , dans la ville noire ; les plus petites usines
sont installées d'une façon assez primitive : mais les grandes, celles de MM. Nobel ,
de Boulfroy et de Rothschild , ne le cèdent en rien aux meilleures usines améri-
caines. Le pétrole, au sortir des tuyaux qui le déversent continuellement, est conduit
dans plusieurs séries d'alambics , chauffés à difl'érentes températures , oii il perd
successivement ses éléments volatils et d'oii il sort à l'état de résidu. C'est une chose
extraordinaire de voir cette huile si inflammable , courir impunément dans des cor-
nues chauffées d'une façon continue de 15 à 1,400 degrés centigrades. Entre 15 et
180 degrés, les produits obtenus forment les essences de pétrole , éther de pétrole ,
benzine ; de 180 à 250 degrés, on recueille les huiles lampantes dont la densité varie
de 0,800 à 0,820 ; de 2.50 à 400 degrés , on distille la paraffine , et il reste les huiles
lourdes^ qui servent au graissage des machines. Enfin , les derniers alambics ren-
ferment les résidus que les chemins de fer russes et les bateaux à vapeur emploient
comme combustible. Ces mêmes résidus servent également au chauffage des raffi-
neries. Les raffineries de Bakou traitent aujourd'hui 8,000 mètres cubes de pétrole
brut par jour. Leur travail annuel représentant un cube de 1,600,000 mètres cubes ,
ne dure que deux cents jours , le travail chômant pendant les cinq mois d'hiver. Le
pétrole rectifié revient à 1 fr. 20 les 100 kilogrammes , les résidus de la distillation
employés au chauftage , à 45 centimes les 100 kilogrammes , et l'huile de graisse
à 8 fr.
Ce qui ressort de ces chiffres, c'est le bon marché des résidus , qui , en outre , ne
donnent pas de fumée et produisent autant de chaleur qu'un poids de houille trois
plus considérable. Diminuer des deux tiers les chargements de combustible que nos
steamers doivent emporter au loin, rendre disponible un tonnage équivalant pour les
marchandises ou l'armement , serait à coup sûr un progrès considérable. Autrefois ,
le pétrole se transportait par fûts, c'était un procédé barbare. MM. Nobel ont ima-
giné ce qu'on appelle les bateaux-citernes. L'huile pompée dans les usines est ame-
née par des conduites jusqu'à l'extrémité des jetées en bois oii le navire est accosté ,
il mesure 75 mètres de longueur et 8"',50 de largeur. Tout son avant forme un grand
i-éservoir, les chaudières et les machines sont placées au milieu du bâtiment , deux
cuves cylindriques descendues à fond de cale occupent l'arrière. La capacité totale
de ces réservoirs est de 225,000 gallons. Le steamer est chauffé avec des résidus
de pétrole. Sa vitesse est de 10 nœuds, la consomniation de combustible ne dépasse
pas 30 tonnes pour une traversée de 460 milles.
Un transbordement est nécessaire pour les bateaux d'un plus fort tirant d'eau ,
mais du même type. Il s'opère au lieu dit Deciat Fout (Neuf-Pieds). Mais il serait
nécessaire d'entreprendre d'importants travaux pour défendre l'entrée du grand
fleuve russe. La barre formée en avant de son delta par les limons et les sables rend
la navigation difficile et impose au commerce des sujétions coiiteuses. On ne saurait
mettre en doute que le système d'ouvrage adopté par la Commission européenne du
Danube aurait ici, comme à Soulina, un succès complet. Les petits bateaux -citernes
remontent le Volga jusqu'à Tsaritsine. à 36i milles de la mer. Cette ville possède le
— 267 -
déiiot. contrai qui alimente toute la Russie d'Europe. Les réservoirs contiennent
22 millions de litres. Le Volft'a restant gelé pendant quatre mois, la création d'autres
dépôts était indispensable ; ils sont an nombre de trente-six , et leurs rései^voirs qui
se remplissent avant l'hiver ont une capacité totale de 163 millions de litres. Le
pétrole voyage en chemin de fer dans des wagons-citernes identiques à ceux du
Transcaspicn ; la Compagnie Nobel en possède quinze cents. Il faut trois minutes et
demie pour charger un wagon avec une pompe et un tuyau, une heure pour opérer
le chargement d'un train de vingt à vingt- cinq wagons. Soixante trains de pétrole
sillonnent constamment le territoire russe.
Il existe une autre voie d'exportation pour les produits de Bakou : le chemin de
fer trauscaucasi(>n qui relie cette ville à l'oti et à Batoum. Mais ce débouché n'a pas
une importance comparable à celui du Volga. La Compegnie du Transcaucasien ne
possède qu'un nombre de wagons assez restreint, ce qui l'empêche quelquefois de
satisfaire aux demandes d'expéditions dans l'Europe occidentale. Son matériel
actuel ne lui permet pas de transporter annuellement plus de 9fi millions de kilo-
grammes. Les Russes ne semblent pas disposés à favoriser l'exportation d'un produit
naturel qui leur est si utile.
Voici le tableau de l'exploitation du bassin de Bakou :
Puits épuisés
Puits abandonnés
Puits arrêtés
Puits en approfondissement. . . .
Puits en sondages
Puits projetés et en préparation
Puits en exploitation
Fontaines jaillissantes
Production par jour en kilogr. .... 700.000 2. .500. 000
La produelion de tous ces puits , depuis la première découverte, dépasse aujour-
d'hui 10 millions de mètres cubes , qui ont fourni 3 milliards de litres d'huile à brû-
ler, ce quo la France consume en un demi-siècle , et 6 millions de tonnes de résidus
C;)ml)ustibles , l'équivalent de 18 millions de tonnes de houille. Depuis dix ans , la
production a pris une énorme extension ; elle a passé de 242,000 tonnes de naphte
brut k 1,370,000 tonnes en 1885 et à 1,600,000 tonnes en 1886, de sorte que ce petit
bassin, dont la superficie atteint à peine 20 kilomètres carres , donne à lui seul le
quart do la masse de pétrole extraite de la teiTe. En même temps , l'extraction est
tombée de 15 fr. 30 la tonne à 2 fr. 75 en 1880. A cette heure , pas un gallon d'huile
américaine ne franchit la frontière rasse ; loin de là , le marché européen échappe à
l'Amérique de plus en plus. C'est ainsi que les usines achetées récemment à Bakou
par jSI. de Rothschild et complétées par les raffineries de Fiume , cherchent à expul-
ser peu à peu les Américains de l'empire austro-hongrois. Ces cubes énormes sont ,
comme nou.s l'avons déjà dit , presque entièrement consommés en Russie ; il en est
de même des produits secondaires. Outre que le gouvernement ne tient pas à priver
le pays d'un produit supérieur , l'exportation par mer à destination de l'Europe
occidentale sera toujours difficile pondant une parcie de l'année , la navigation des
bateaux-citernes à travers la Méditerranée offrant de sérieux dangers pendant la
saison chaude. En effet, le point d'ébuUition de la vapeur du pétrole est de 28" cen-
Balakhani.
Saboutghi
37
18
49
21
11
6
8
9
74
13
11
8
99
46
4
46
— 268 —
tigrades, et cfuand cette température est atteinte par le milieu ambiant, le navire est
enveloppé d'une atmosphère si inflammable , qu'une étincelle pourrait causer une
combustion générale. « L'été dernier , un vapeur chargé de pétrole a fait , dans ces
conditions , la traversée de Batoum en Angleterre ; après le passage des Darda-
nelles et jusqu'à Gibraltar , le point d'inflammabilité fut dépassé par les thermo-
mètres immergés dans les réservoirs. Ce fut une semaine terrible. On éteignit tous
les feux pour mettre à la voile , on n'alluma même plus les fourneaux de cuisine.
Trois mois plus tard, racontant ses angoisses, le capitaine jurait qu'on ne l'y repren-
drait plus. Si le pétrole est un combustible fort économique , son maniement exige
certaines précautions, surtout dans les pays chauds. Sur le chemin de fer transcau-
casien, il est arrivé plusieurs fois , à l'époque des fortes chaleurs , que des trains de
naphte ont pris feu ; il n'y a pas eu d'accident de personnes , mais tout a flambé sur
place. »
Commerce et finances du Japon. — Les publications du Foreign
Office (ministère des aflJaires étrangères britannique ) ont toujours fait une place à
des exposés de la situation financière des divers pays d'Europe ou d'Amérique.
Cette année , il s'y est ajouté un travail sur le budget du Japon , œuvre de M. Le
Poer Trench , secrétaire de légation à Tokio , dont nous croyons pouvoir extredre
quelques renseignements intéressants pour les membres de la Société de géographie
de Lille. D'ordinaire , les rapports de cette espèce , imposés aux jeunes diplomates
anglais par le règlement , sont de simples compilations de documents officiels ,
faites sans grand discernement et sans esprit critique ; lorsque leurs auteurs essaient
de voler de leurs propres ailes , ils commettent parfois des erreurs. Il y a naturel-
lement des exceptions à cette banalité et celle-ci est du nombre. Quelques réserves
qu'on fasse néanmoins , on trouve en tout cas dans ces publications des données^
statistiques qu'on aurait de la peine à recueillir soi-même. D'après le chef
immédiat de M. Trench , sir F. Plunkett , ministre britannique au Japon , la plupart
des chiffres fournis dans le Rapport se trouvent réunis pour la première fois. Ce qui
ajoute au piquant de la chose , c'est que ce travail soit le premier qui ait paru dans
les Annales du Foreign Office , depuis qu'un grand changement a été effectué dans
la forme du gouvernement japonais , par la constitution du cabinet actuel. Celle-ci a
été un pas de plus , et des plus importants , sur la route de Y européanisation du
Japon.
Un intérêt particulier s'attache au budget de cet État de l'Extrême - Orient , qui
conti'aste par tant décotes avec la Chine , son voisin immédiat. Un emprunt japo-
nais, contracté en 1873 et rapportant 7 0/0 , est coté 118 à Londres. La reprise des
paiements en espèces, la hausse des fonds publics sur le marché indigène , le raffer-
missement du crédit public , l'intention attribuée au gouvernement d'ouvrir le pays
tout entier aux étrangers, ont attiré l'attention sur l'Empire du Soleil levant. Sa
population est d'environ 37 millions d'habitants , son armée sur le pied de guerre de
110,000 hommes armés et exercés à l'européenne , sa marine comprend vingt- cinq
navires dont sept sont des cuirassés. 530 kilomètres de chemins de fer sont en
exploitation ; l'on pousse rapidement la construction du réseau de voies ferrées. Tout
un système de télégraphes, de postes, de caisses d'épargne, de banques, de collèges
et d'universités , de phares , sur le modèle européen ou américain couvre le pays
d'institutions qui doivent en hâter le développement. Certains pessimistes prétendent,
il est vrai, que tous ces progrès, si rapidement effectués, sont restés à la surface, et
qu"il faudra du temps pour qu'ils pénètrent profondément.
— 269 —
Le commerce extérieur total du Japon s'est élevé en 1884 à plus de HOO millions de
francs (61 millions d'yen) (1). Il a été exporté de la soie pour 1:5,281,000 yrn, du thé
pour 5,819,000 , du riz pour 2,170,000 . de la houille pour 1,800,000 , du cuivre pour
1,414,000 yen. Il a été importé 8,200,000 yen d'articles de coton , o,/i40,(XX) de sucre,
8,500,000 (le lainage, 2,054,000 do niétaux, 1,778,000 de pétrole, l,745,0œ de navires,
458,000 (raruies et munitions.
Les cliiftVes que nous trouvons dans le rapport de M. Trench s'appliquent à l'année
1886-87 : ce sont ceux du budget de prévision. La comparaison avec les exercices
antérieurs n'est pas facile, le gouvernement japonais ayant introduit en 1884 une
modification dans la durée de l'année fiscale. Jusque - là , celle - ci allait du l'" juillet
au 80 juin ; elle est comprise aujourd'hui entre le i"" avril et le 31 mars. Le motif de
cette modification n'a pas été seulement le désir d'imiter ce qui se passait en Angle-
terre et en Allemagne. Il y a eu des raisons plus sérieuses. Il existait une très
grande inégalité entre les recettes et les dépenses des deux semestres. Presque
toutes les dépenses se faisaient de juillet à décembre, tandis que les recettes ne ren-
traient que dans la seconde moitié de l'exercice, après la récolte. Celle-ci forme une
considération fort importante dans les contrées orientales, oii l'impôt foncier est la
grande source de revenu, et c'est le cas au Japon. Jusqu'à la restauration du mikado,
l'impôt foncier a constitué presque la seule ressource de l'État ; aujourd'hui encore ,
il forme la moitié des recettes. La seconde source de revenu, c'est la taxe sur le saké
(bière de riz), qui ne peut qu'être estimée qu'à la fin de la récolte , sur la quantité
brassée. Grâce au changement introduit, il y a une corrélation plus exacte entre les
encaissements et les débours du Trésor.
Le revenu de l'Etat pour 1886-1887 était estimé à 12,449,236 liv st., les dépenses à
12,448,169 liv. st.
On attendait de l'impôt foncier 7,191,980 liv. st., de la taxe sur lo saké 2,473,840
liv. st., environ 75 0/0 du budget total, — 486,962 liv. st. des douanes, 202,758 liv. st.
de l'enregistrement , 530,700 liv. st. des postes et télégraphes , 235,000 liv. st. des
industries de l'État, 65,000 liv. st. des forêts , 250,000 liv. st. du tabac , 78.962 liv. st.
de la location et de la vente des domaines de l'État.
Si nous passons aux dépenses, nous voyons que le chapitre du service de la dette
(intérêt et remboursement) est le plus considérable, 3,333,833 liv. st. (plus de 25 0/0),
auquel il faut ajouter 1,166,000 liv. st. pour le retrait du papier-monnaie. Le service
des postes et télégraphes demande 606,000 liv. st., ce qui montre une perte de 70,000
liv. st. sur l'exjjloitation. La liste civile coijte 390,000 liv. st., le cabinet 95,000 , les
légations et consulats 108,000 , le ministère de l'intérieur 831,000 , l'administration
urbaine et les prélectures 999,800 , les finances 240,000 , la perception des impôts
815,000, les douanes 88,000, les secours à l'agriculture 200,000, les pensions et dispo-
nibilités 121,000 , l'armée 1,886,000, la gendarmerie 48,000, le département, de la
guerre 64,000 , la marine 814,000 , la justice et les tribunaux 416,000 , l'instruction
publique 142,000, le commerce et l'agriculture 89,000, le service de garantie aux
(Compagnies de chemins de fer (196 kilomètres) 3,330 et aux Compagnies de navi-
gation 4,667. Le bureau pour administrer les industries de l'Etat exige 416,000 liv.
st., ce qui laisse un déficit de 200,000 liv. st. environ.
M. Trench nous apprend que la publication du budget a déçu les espérances qu'on
avait formées à la suite des promesses d'économie et de réduction dans les dépenses.
1) Le yen vaut nominalement 5 fr. 50 ; d'après le cours de Londi'es, indiqué par M. Neuniaim-Spallart,
il faut déduire 15 à IB 0/0, ce qui donne environ 4 fr. 10. En 1885, le yen valait i ir. 25.
— 270 -
au nom desquelles on a introduit un certain nombre de réformes dans les finance^;
publiques. Si l'on compare le budget de 188f>y7 avec celui de 1884-85 , on s'aperçoit
que les économies ne dépassent pas 250,000 liv. st. ; il y a augmentation dans les
besoins de Tadministration locale. L'armée coûte 160,000 liv. st. de plus. Si la marine
ne présente pas un accroissement, c'est qu'on a fait face par l'émission d'un emprunt
dont il a été émis 800,000 liv. st. aux augmentations nécessitées par l'acquisition de
matériel et par les travaux de défense sur les côtes. L'économie réalisée est due à la
suppression d'un ministère, celui des travaux publics, et au licenciement du person-
nel. Le fardeau des contribuables japonais n'a pas été allégé. Si nous mettons face à
face les recettes de l'exercice 1884 - 1885 et les recettes prévues en 1886- 1887 , nous
constatons une diminution de près de 200,000 liv. st. , malgré l'introduction de nou-
velles taxes. La diminution la plus considérable porte sur la taxe du saké , du tabac
et sur le revenu des industries de l'État.
Arrivons à la dette publique. Celle-ci s'élève à 245,427,329 yen =40,904,555 liv. st.,
dont plus de la moitié est représentée par des titres de pensions héréditaires
(27,500,000 liv. st.). Les emprunts pour travaux publics s'élèvent à 1,793,000 liv. st.,
non compris les obligations du chemin de fer de Nakasendo qui montent à .3,330,000
liv. st. La dette extérieure est de 7,522,000 yen (environ 1,250,000 liv. st ). Le taux
d'intérêt auquel le gouvernement a eniprunté a varié. 11 a en outre accordé des garan-
ties d'intérêt à des Compagnies de cliemin de fer et de navigation. 11 s'est engagé ,
par exemple, à parfaire jusqu'à concurrence de 8 0^0 le dividende des actionnaires du
Nippon Yusen Kaisha [Japan Mail Steamship Company).
En dehors de la dette publique fondée, il y avait en circulation du papier^monnaie
pour 11,441,000 liv. st. D'après les chiffres du budget au l*^^' avril 1886, la circulation
du papier-monnaie s'élevait à 76,984,000 yen, soit une diminution de 1,297,400 contre
l'année précédente ; au l*^" novembre 1886 , la circulation était réduite à 68,619,000
yen. La Trésorerie avait une réserve métallique de 11,300,000 yen en or, de
21,580,000 yen en argen. En 1885 , il a été importé 608,000 yen en or , 6,9.38,000 yen
en argent, exporté 500,000 yen en or, 3,763,000 yen en argent. Au mois de juin 1885,
le gouvernement a notifié qu'à partir du 1'^"' janv'er suivant , il reprendrait les
paiements en espèces. Le papier-monnaie émis par lui est remboursable en monnaie
d'argent.
En 1886, il existait 138 banques nationales avec un capital de 7,409,350 liv. st.
(44 j;2 millions d'yen), ayant émis 34 millions yen de billets ; leur fonds de réseiTe
était de 8 millions yen environ.
Jusqu'en 1870 , la question du papier-monnaie a touché fort peu les intérêts du
commerce étranger. Entre 1870 et 1876, il y avait environ 100,000,000 yen de papier-
monnaie en circulation : durant cette période, il a été coté en moyenne à 2 1/4 0,0 de
prime, celle-ci s'étant élevée au maximum à 9 1/2 0/0, la perte n'a jamais dépassé
15 0/0. En 1876, le gouvernement décréta que l'impôt foncier serait payable en mon-
naie, non plus en nature (riz). Avant cela , le gouvernement vendait le riz contre du
papier-monnaie, ce qui donnait une certaine solidité à celui-ci. En 1877 , éclata la
révolte de Satsuma ; les dépenses militaires nécessitèrent de nouvelles émissions de
papier-monnaie, dont la valeur se déprécia rapidement. Les détenteurs de ri/., voyant
la tendance à la bais.se et l'incertitude de l'étalon fiduciaire, montrèrent peu de dispo-
sition à se défaire de leur stock ; le riz haussa , il en résulta un contre - coup sur le
papier-monnaie. Le change devint contraire ; de plus, le Japon importait plus qu'il
n'exportait. De 1877 à 1881, la dépréciation du papier-monnaie ne fit que s'aggraver;
elle atteignit 82 OjO de la valeur nominale , malgré les efforts du gouvernement pour
la combattre en restreignant la circulation et en jetant de temps à autre des sommes
considérables en métal sur le marché. Si la situation s'est améliorée , si le papier-
I
- 271 -
monnaie est remonté an pair, on lo doit à la politique résolue du gouvernement, qui
a persisté à retirer du papier-monnaie , au rétablissement de la tranquillité et au fait
que le Japon a exporté plus qu'il ri 'a importé dans les dernières années, (^c résultat
n'a pas été obtenu sans de pénibles sacrifices.
La restriction de la circulation, effectuée surtout à l'aide d'émissions d'obligations
de l'État et de chemins de fer, a eu pour effet, dit M. Trench , de faire baisser le
prix des marchandises et de rendre les fluctuations des valevn-s si intenses , que les
capitalistes se sont empressés de placer leur sommes disponibles en fonds de toute
espèce. C'est à cela qu'est dû le succès de rémission des nouveaux 5 0/0. 11 en est
résulté une hausse inconnue jusqu'ici dans le cours des placements mobiliers , qui
•ont absorbé le capital flottant du pays. Au moment où écrivait le secrétaire de la
légation britannique , certains symptômes semblaient indiquer une réaction et le
retour des capitaux vers des entreprises commerciales ou industrielles. Cette réac-
tion serait pins accentuée, si le gouvernement voulait s'adresser davantage au crédit
à l'étranger, mais il fait preuve de sagesse sous ce rapport et ne veut pas recourir à
des emprunts extérieurs , tant qu'il trouve à emijrunter dans le pays à 5 0,0. Il a
raison de le faire, car avec une circulation réceiimieiit consolidée , il court risque
d'en compromettre la solidité, s'il contracte des dettes payables en métal , notam-
ment en or , comme l'exigent les préteurs européens.
Si la fermeté du marché des fonds publics japonais se maintient , le gouvernement
allégera les charges annuelles par une conversion. En juin 1886, on a émis 5 millions
d'yen d'obligations de la marine, rapportant 5 0/0 et qui faisaient en janvier 1887
plus de 3 0/0 de prime. Ces obligations- sont amortissables en 1^0 ans, et peuvent être
achetées par des étrangers. En octobre 1886, le ministre des finances a annoncé
l'intention d'émettre un emprunt de 175 millions d'yen , 5 0/0 , dont le produit est
destiné à racheter des titres anciens rapportant 15, 7 et 6 0/0. Il a émis une première
série de 10 millions d'yen, en titres 5 0/0 qui sont cotés à 2 1/2 0/0 de prime ; le reste
sera émis successivement. Les titres sont à l'abri du remboursement pendant cinq
ans ; après cela, ils sont amortissables par tirage en 50 ans.
Cette opération si raisonnable a rencontré des critiques ; on s'est demandé si ,
avec un retour d'activité commerciale et industrielle , les achats de fonds publics ne
diminueraient pas, les capitaux se tournant vers d'autres placements.
La situation monétaire du Japon ne laisse pas que d'être précaire. Le pays est
soumis à un drainage d'argent monnayé ; en 1886 , les banques étrangères de Yoko-
hama ont exporté 6,250,000 yen en argent et elles y ont certainement trouvé un
bénéfice. L'exportation a eu lieu même pendant la saison de la soie, et au moment
d'une rareté de l'argent. Pour remplir le vide ainsi produit , le Shokin Ginko
(banque métallique) importe du métal , qui est frappé au Japon ; cette opération lui
est facilitée par la dépréciation de l'argent , mais elle ne peut se prolonger indéfini-
ment sans affaiblii' le pays qui la subit. Le yen japonais circule en Chine concur-
remment avec le dollar mexicain. Quelques personnes croient que la banque Shokin
Ginko est aidée par l'Etat.
La première ligne de cheniin de fer construite au Japon par l'Etat , entre ïokio et
Yokohama (1870-1872), a une longTieur de 28 kilomètres. Elle a coûté 2,855,000 yen,
le r evenu net a été de 10.9 0/0 en 1880 , 9 0/0 en 1882 , 12 0,0 en 1884. La ligne de
Kobé à Osaka (1874) , longue de 35 kilomètres , ayant coûté 7,703,000 yen , a vu les
recettes tomber de 10 0,0 en 1881 à 5 0/0 en 1884. La ligne de Tsurnga - Ogaki (102
kilomètres, 3 millions yen) a rapporté 0.2 0/0 en 1881, 1 0/0 en 1883, 0.2 0/0 en 1885.
Il existe une Compagnie privée avec un capital de 20 millions (40i),0<30 actions) ,
sur lesquels le gouvernement garantit 5 0/0. Le capital versé est inférieur à 7 million.s.
En 1882-1883, il a été fait appel à la garantie , mais pas depuis lors. En 1883-18&i ,
— 272 —
les actionnaires ont reçu 10 0/0, 9 1/2 en 1884-1885 , 8 1/4 en 1885-1886. La Oompa-
gnie exploite trois lignes d'une longueur totale de 200 kilomètres environ ; elle
construit 257 kilomètres et projette l'établissement de 380 kilomètres. Dans l'île
d'Yeso, le ministère du commerce exploite une ligne de 90 kilomètres qui a coûté
204,000 liv. st. D'après M. Trench . le tarif sur les lignes japonaises est très élevé ,
prohibitif même pour les marchandises encombrantes de peu de valeur.
A Tokio , dont la population est d'environ 1 million d'habitants , les taxes locales
ont triplé depuis 1879. Elles s'élèvent au total de 936,871 j'en.
La Yokohama Shokin Ginko , la banque dont il a été question plus haut , a un
capital de 3,000,000 yen ; elle a des agences à Kobe, Londres , San-Francisco , New-
York, Lyon. Elle fait aux banques étrangères (succursales de quatre banques
anglaises et d'un établissement financier français) une concurrence qui commence
à être sérieuse. Elle achète les traite d'exportation sur l'Europe et l'Amérique à un
prix supérieur à cc4ui que les banques étrangères peuvent payer. En 1886, elle avait
en portefeuille 9,460,000 yen en traites or ; tout le commerce d'exportation annuel
de Yokohama est de 24 millions. La Shokin Ginko sert de bïuiquier au gouverne-
ment ; c'est elle qui remet les appointements des légations et des consulats et qui
effectue les paiements pour les commandes faites à l'étranger. Un tiers du capital
de la banque est possédé par la maison imjiériale et ne reçoit que 4 0/0. Le gouver-
nement favorise l'établissement par des dépôts considérables , 15 millions d'yen au
30 juin 1886, sur lesquels on lui bonifie un intérêt très modéré.
Culture de la vigne au Japou. — D'après les Oester. Monntschrift
fur den Orient^ la vigne est répandue à peu près par tout le Japon, mais c'est sur-
tout dans la province de Kôfou , qu'on la cultive. A en croire la tradition , la décou-
verte de la vigne' au Japon date d'il y a 700 ans, et c'est en 1185 , sous le gouverne-
ment de l'empereur Gotoba, qu'elle a été faite par deux paysans dans les montagnes
de Kôfou.
Il y a au Japon deux sortes de vignes : la Yitis vinifera et la Yitis labraska ;
cependant on ne cultive que la première, car quoique la seconde sorte réussisse
mieux qu'en Amérique , on l'aime moins ; elle pousse à l'état sauvage au flanc de
toutes les montagnes. On ne cultivait la vigne autrefois que pour en manger les
raisins; aussi, la culture en était-elle très superficielle et laissait-on la plante
presqu'à l'état sauvage. Depuis quelque temps , cependant , on tâche , par des soins
multiples , d'augmenter le rendement des vignes et d'en obtenir des fruits dont on
puisse faire du vin. On a deux manières au Japon pour la reproduction des vignes :
l'une, c'est de planter des boutures ; l'autre méthode, qui est plus sûre et qui donne
de meilleurs résultats, consiste à plier les branches sans les couper , et à en enfouir
un bout sous terre, comme le font les vignerons français. Les Japonais choisissent
de prélérence pour leurs vignobles, des flancs de montagnes pierreux et secs, et pro-
cèdent alors de la façon suivante : ils creusent d'abord un fossé de 1"'20 de profon-
deur et d'environ 2 mètres de largeur , qu'ils relient avec des rigoles d'écoulement
des eaux et qu'ils remplissent ensuite de fumier et de terre. On y plante les vignes
d'ordinaire en automne, sauf dans les districts très froids, conmie Hokkaïdo,où cela
se fait au printemps.
Comme fumier, on emploie la farine d'os, les cosses du riz, des gâteaux d'huile et
le marc des raisins, et "cela non pas indifféremment, mais en vue de résultats
distincts. C'est ainsi que la farine d'os , les cosses du riz et le marc des raisins aug-
mentent la douceur et le volume du fruit ; le fumier animal donne de la force aux
— 27:5 —
pieds et produit une récolte plus nombreuse. Aussi presque toujours on applique
tous ces fumiers à la fois.
Jusqu'en 1875, la plante n'était cultivée que pour les raisins qu'on mangeait ; tout
au plus en préparait-on une sorte de liqueur qui , cependant , n'était pas bue , mais
appliquée extérieurement. C'est en 1875 , qu'un habitant de Kôfou eut l'idée de faire
du vin pour la première fois ; mais comme , ignorant , il avait pris des raisins qui
n'étaient pas mûrs, l'essai réussit mal ; l'année suivante, un nommé Oto Matsougoro
l'essaya à son tour et avec succès. A Hokkaïdo et dans les provinces d'Harima et
d'Ovari , on produit maintenant annuellement quelques milliers d'hectolitres de vin ,
quoique les parcs de vignes ne soient plantés que depuis cinq à six ans. Il est presque
certain que sous peu cette production s'élèvera à 20 ou 30 mille hectolitres. Le vin
qu'on produit aujourd'hui ne vaut pas grand'chose , aussi Temploie-t-on principale-
ment pour en faire, avec les vins européens, un mélange que les marchands japonais
vendent comme bordeaux.
La première vigne européenne plantée au Japon fut celle dont Napoléon 111 fit
cadeau au Schogoûn en 1868. Après cela , on introduisit d'Amérique les espèces
Isabelle et Concorde, d'Autriche le Fi-ankenthaler , ainsi que quelques espèces fran-
çaises. Les vignobles les plus importants se trouvent au contre de Niphon à Harima
et sur l'île de Kiou-Siou. Enfin , on cultive depuis quelques années avec beaucoup
de succès , des raisins de Palestine. Le directeur de l'école botanique de Harima
offrit l'année passée au Ministre des affaires étrangères , une grappe de cette espèce
pesant trois kilos.
Le climat et le terrain sont, au Japon, des plus favorables à la culture de la vigne ;
aussi peut- on espérei' , alors surtout que le gouvernement protège et favorise cette
culture que le Japon deviendra, tôt on tard, un pays de vignobles. Malheureusement,
les maladies de la vigne s'y font aussi sentir. La nielle s'y est montrée dès 1867 , et
n'a jamais totalement disparu. Le phylloxéra a fait son apparition en 1885 , et on
s^'est résolu à brûler entièrement les vignobles où on l'avait constaté. Les Japonais
croient qu'il a été amené par des plantes importées d'Amérique.
La récolte de 1885 n'a pas été très satisfaisante , à part les provinces de Kôfou et
d'Hokkaïdo , oii les résultats ont été meilleurs. La cause en est aux pluies dilu-
viennes et aux inondations survenues juste à l'époque de la floraison.
AFRIQUE.
£.es mines d-or du Transivaal. — La Norddeutsche Allgemeine-
Zeitung du 22 février, publie la communication suivante :
« Un avis qui nous vient de Pretoria , fait de nouveau ressortir la nécessité qui
existe pour nous d'attacher une attention plus grande aux intérêts du commerce
allemand dans le sud-est de l'Afrique , alors surtout que la question du chemin de
fer qui doit relier Pretoria à Delagoa-Bay va enfin recevoir une solution (le capital
de 500 mille livres sterling , nécessaire à cette entreprise , est entièrement souscrit).
Bientôt, il ne sera plus possible de fonder des établissements à des conditions aussi
avantageuses que sur cette baie de Delagoa , qui offre tant de ressources au com-
merce et à l'industrie. Les républiques sud-africaines ont une tendance à s'étendre
vers la mer, pour y trouver des débouchés pour leurs produits. Plus l'exploitation
des gisements d'or augmente, plus cette extension vers les côtes se manifeste. C'est
surtout dans les parties septentrionales et occidentales du Transwaal que l'exploi-
19
— 274 -
tation des mines d'or prend du développement. Les capitaux européens , autres que
les anglais , commencent à se répandre dans le pays. Des entrepreneurs français et
allemands s'associent pour acheter les mines les plus riches , souvent , il est vrai ,
par esprit de spéculation pour empocher l'argent des souscripteurs , plutôt que dans
l'intention de faire exploiter les mines et de payer de bons dividendes eux action-
naires. Aussi, est-ce un devoir que de mettre le public en garde contre l'achat des
actions ou parts des mines d'or du Transwaal et de prévenir les Commissions de
Bourses de ne permettre la vente de ces actions que lorsqu'un examen sérieux aura
prouvé leur valeur. Si ces précautions ne sont pas prises , il est à craindre que les
agioteurs n'en profitent pour exploiter le public en achetant une mine d'or k bas prix
pour en faire une entreprise par actions à un chiffre très élevé.
Quant à la richesse des mines d'or , elle est très grande , mais c'est une raison de
plus pour laisser passer la période de la spéculation et attendre que les fondateurs ,
par suite du manque de souscripteurs , consentent à faire des propositions plus
acceptables. »
OGEANIE.
E%tractiou de l'or eu Australie. — L'extraction de For dans le district
de Victoria s'élève, pour l'année 1886, à 640,872 onces, c'est-à-dire à 142,799 onces de
moins que pour 1885, où elle s'élevait à 783,671 onces. L'année 1886 est celle qui ,
depuis les découvertes des gisements d'or a Victoria, a donné le plus petit chiffre de
production. Elle a donné 78,000 onces de moins que l'année 1879 , qui jusqu'alors
était la plus mauvaise.
Voici le produit net des gisements d'or dans les douze dernières années :
Année 1875 1,058,823 onces.
» 1876 937,260 »
» 1877 792,839 »
» 1878 753,793 »
» 1879 718,208 »
» 1880 812,092 »
» 1881 886,416 »
» 1882 879,481 »
» 1883 740,373 »
» 1884 774,330 »
» 1885 783,671 »
y* 1886 640,872 »
Pour les Faits et Nouvelles géographiques non extraits ■
LE SECRÉTAIRE-GÉNÉRAL ,
ALFRED RENOUARD.
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SOCIETI-: ni; c. i;og raph ii; d i; lili.i;.
- 275 -
COURS & CONFÉRENCES DU SAMEDI SOIR A ROUBAIX
UNE EXCURSION AU ROYAUME-UNI
Par M. LEFEBVRE , professeur à l'Institut Turgot.
Conférence faite à Rouhaiœ le 5 févner 1881
Votre excellent Président , au nom du Comité , m'a demandé une
causerie sur le Royaume-Uni; et comme le Comité connaît vos
goûts, vos intérêts, vos appétits géographiques, en même temps que je
le remercie de m'avoir indiqué ce sujet, je viens répondre à son désir.
L'Angleterre est à 30 kilomètres de nous ; nous l'aimons peu, parce
que son nom est pour nous l'évocation de douloureux souvenirs ; mais
nous ne devons pas oublier que son peuple est de tous les peuples
européens celui qui a le plus travaillé à la conquête et à la civilisation
du monde , celui dont l'empire est le plus universel et le caractère
le plus cosmopolite. Libre à nous cependant de conserver nos rancunes
au fond de nos cœurs tant que les monuments de Londres parleront
de nos désastres , tant que la réhabilitation de Jeanne d'Arc ne sera
publiquement, solennellement, faite de l'autre côté de la Manche.
Le sujet est vasie. L'Angleterre, ce sont ces deux continents
d'Irlande et de Grande-Bretagne à qui leur position insulaire a permis
de développer prodigieusement leur industrie et leur commerce ;
c'est ce bloc de fer et de houille mettant en présence les deux nerfs
de la vie chez les peuples modernes , fouillé par une légion sou-
terraine de 300,000 cyclopes qui rejettent annuellement à la surface
105 millions de tonnes de ce produit ; ce sont ces larges estuaires ,
ces ports naturels où l'indigène aiironte la mer et devient intrépide
marin , ce sont ces vaisseaux innombrables qui sillonnent toutes les
mers , grands comme des léviathans , portant partout le nom et l'in-
fluence anglaises : ce sont ces débouchés , ces colonies , ces postes
stratégiques constituant un immense empire d'Outre-Mer qui enserre
20
— 276 —
toutes les mers et tous les continents ; ce sont , enfin , ces nombreux
essaims qui , à rétroit sur le continent, vont, sur des bords lointains ,
créer une petite patrie à l'image delà grande
Nous avons là un sujet que nous pouvons difficilement embrasser en
80 minutes. Aussi allons-nous faire moins une étude complète du
Royaume-Uni qu'un tour en Angleterre. Je croirai n'avoir pas perdu
mon temps si je puis , dans le court laps de temps qui m'est accordé ,
vous donner une idée assez exacte d'une ville anglaise , du port , de
l'industrie , des mœurs britanniques.
Nous entrons en Angleterre par le vaste estuaire de la Tamise ; à
droite et à gauche sont de petites maisons jolies, proprettes, de grands
arbres isolés ou par massifs, au milieu de larges plaques vertes de gazon.
— Sur la rive méridionale, Gravesend tout d'abord aligne ses maisons
et; devant elles, les vaisseaux passent majestueusement, avec des fiots de
fumée, toutes voiles au vent. Tout témoigne de la proximité d'un grand
port : les docks, les entrepôts, les bassins de construction et de calfa-
tage, les chantiers deviennent de plus en plus nombreux , de plus en
plus considérables — partout s'accumulent les marchandises ; des
carcasses de maisons en fer que l'on ajuste et que dans quelque mois
on bâtira dans l'Inde, des machines achetées par des Américains ou des
Russes : tout cela est énorme , écrasant. A partir de Ch^eenwich , le
fleuve large de plus d'un mille, roule entre deux files de bâtiments
rouge sombre : des vaisseaux sont amarrés au rivage pour le charge-
ment, le déchargement ; tout cela se fait comme par enchantement ; les
grues grincent, les cabestans crient , et le cuivre , le 1er , la houille , la
pierre , emplissent les flancs des navires. — Beaucoup de vaisseaux
remontent vers l'Ouest. — La Tamise est la continuation de la mer :
on arrive à Londres, de Canton, du Cap, de New-York, de Melbourne,
— vaste caravansérail oii tout le monde se rend , vend , achète.
A Greenwich, on a un spectacle magnifique sous les yeux ; l'horizon
est occupé par une vaste toile d'araignée ; de plus près , ce sont les
gréements de centaines de navires. Là , counuence la Babel de
constructions, de vaisseaux, d'hommes et d'afiîaires.
A l'Occident, la forêt de vergues, de mâts s'épaissit. C'est l'immense
cité cyclopéenue de Londres. Ville bizarre , une brume étrange la
recouvre ; elle devient opaque en hiver : tenant un homme par la main,
il est souvent difficile de distinguer sa figure ; une averse l'abat , mais
bientôt elle se reforme ; les rayons du soleil sont rares dans ce pays ;
joignez à cela la monotonie, le sOence, mettez sur les façades la sinistre
- Zll —
teinte de la suie, et Londres vous paraîtra une grande manufacture de
noir animal fermée pour cause de décès. — L'aspect des monuments
surtout est affreux : Somerset -House , British-Museum , Saint -Paul ,
une espèce de Panthéon anglais , ont les creux de leurs ornements
trop nombreux passés à l'encre ; le marbre , la pierre s'encrassent et
sont envahis par une pourriture d'un genre particulier. Et pour les
statues, quel pays ! — Voyez-les à moitié nues, dans de larges drape-
ries, suivant le modèh^ antique , sous le brouillard glacé ; c'est une
profanation pour ceux que l'on veut tirer de l'oubli, que de les livrer à
l'inclémence d'un tel climat. — On ne pense pas au duc de Fer en
voyant Wellington sur son piédestal ; et Nelson sur sa colonne , où
chaque jour le noircit, n'est pas le terrible amiral. — Que diraient les
Grecs en voyant leurs arts ainsi exilés ; ils verraient dans la blanche
Albion l'Enfer d'Homère et dans les bateaux à vapeur qui courent sur
la Tamise, noirs, fumeux, infatigables, les barques du Styx.
Dans cette brume, vivent 3 millions et demi d'habitants ; douze villes
comme Marseille, dix comme Lyon, deux comme Paris en un tas, avec
un accroissement annuel de 60.000 âmes dont les 4/5 sont dus à l'excé-
dent des naissances sur les décès ; avec 530,000 maisons, 23,000 rues,
et qui s'accroît, comme toutes les grandes vUles, vers l'Ouest. — C'est
énorme et en même temps riche , soigné. — La vue de Paris ne peut
donner une idée des squares, des concerts , des maisons , des rues de
Londres, de l'animation qui règne dans certains quartiers ;les cercles,
les hôtels sont des monuments, les rues sont souvent très larges , les
cabs vont deux fois plus vite qu'ailleurs , et comme le « Time is
monney », on avale un renseignement en un mot.
L'immense rivière ardoisée se continue vers l'Ouest et traverse
Hamptoncouri avec sa belle ceinture de villas, de cottages, de maisons
de plaisance, de verdure , d'arbres séculaires, la vigne la plus grande
et la plus productive du monde est dans cette ville. — Là, vivent d'heu-
reux riches , opulents , dépensiers , qui peuvent enfin fuir les tracas de
la capitale et qui évitent de mettre auprès d'eux rien qui puisse leur en
rappeler le souvenir ; la maison est simple, spacieuse, des plantes
grimpent souvent aux murailles : les fenêtres s«nt larges , avec des
fleurs sur les rebords ; pas de persiennes, très peu d'ornements archi-
tecturaux , mais une propreté parfaite. — Charmante demeure , direz-
vous ; oui, mais elle n'est charmante que pour le maître qui aime à se
trouver seul chez lui ; c'est le grand seigneur des temps féodaux , aux
instmcts intempérants, à qui la règle forme un rempart infranchissable.
— 278 —
— L'isolement , sauf quelques rares exceptions ; 6,000 fr. de loyer ,
une demi-douzaine de domestiques , une dépense annuelle d'environ
60,000 fr., tel est le châtelain , tels sont les éléments d'évaluation de
sa fortune , et il y a en Angleterre dix de ces vies contre une en
France.
Si autour de son castel , l'Anglais sème à profusion les richesses
naturelles, c'est qu'il aime la campagne. — On en est convaincu quand
on visite leurs parcs, Saint James-Parck, Regent's-Park. et quand on lit
leur littérature.
Les parcs sont de grandes dimensions : le jardin français , celui de
Louis XIV surtout, est un salon en plein air, peuplé de statues , de
vases , où les pièces d'eau sont régulièrement délimitées ; les Tritons ,
les Nymphes, les divinités, les monstres aquatiques en émergent sous
la pluie des jets d'eau ; — on y converse, on y discute ; oa s'y plaît en
petit comité. — Dans le jardin anglais , les yeux de l'âme font conver-
sation avec les choses naturelles : de vieux arbres, de véritables prai-
ries , des étangs peuplés de canards , de cygnes, d'ane multitude
d'oiseaux nageurs, des vaches, des moutons, broutent l'herbe toujours
fraîche ; là, on se plaît seul. — Nous avons voulu faire le bois de
Boulogne sur ce modèle, mais nous avons commis la grave faute d'y
composer un groupe de rochers et de canards : la main de l'architecte
est trop visible. — L'Anglais ne voit jamais se dresser devant lui l'uni-
forme d'un gardien ; il y est libre ; entre qui veut et , remarquez -le ,
pas de dégât ; même liberté dans les gares ; ils sourient quand ils nous
voient parqués comme des moutons dans nos salles d'attente.
Hyde-Park , d'une surface de 168 hectares , a une rivière , des pe-
louses , des bestiaux , des ombrages , c'est un vaste parc champêtre
au miheu d'une capitale. Vers 2 heures, la grande allée est un manège ;
presque tout le monde est à cheval ; de bons gros papas , des matrones
dignes à larges épaules, des enfants passent sérieux sur leurs poneys ;
les jeunes filles se tiennent crânement sur leur bête ; elles vont au parc
pour prendre l'air et non pour se faire admirer; à les voir , on ne peut
s'empêcher de se dire qu'elles connaissent et remplissent le principal
devoir d'une jeune fille , qui est de se bien porter.
Il y a , dans la promenade à cheval , une question hygiénique , pour
beaucoup une question de luxe. On juge l'homme , dans le Royaume-
Uni , d'après le nombre de ses chevaux , de ses serviteurs et de la
dépense en linge et en toilettes toujours fraîches , sans cesse renouve-
lées. Les habits, une fois fanés, passent aune personne d'une condition
— 279 —
inférieure. L'habit do soirèo d'un élégant se retrouve , cinq ou six mois
plus tard, sur le dos d'un misérable accroupi sur les escaliers delà
Tamise ; ce je ne sais quoi sur la tête d'une vieille qui trie des ordures
a été le chapeau rose d'une charmante lady.
Vers le soir, les toilettes abondent , mais les couleurs sont crues et
les formes disgracieuses , le chapeau est trop paré ou trop nu , les che-
veux trop lustrés : une toilette, c'est souvent un ensemble mal attaché,
mal agencé qui crie et qui jure; elle est trop éclatante quoique venant
de Paris , mais c'est une anglaise qui l'a choisie. Règle générale , on
peut dire , avec le comte Joseph d'Estourmel , que l'Anglaise est un
champ clos où les couleurs ennemies se rencontrent et se livrent ba-
taille.
Ily a, comme vous voyez, beaucoup de sujets de distractions et
d'études et de réflexions dans le parc anglais ; mais ce qu'il y a d'adan-
rable , c'est la verdure , ce sont les arbres , isolés , formant des bos-
quets , penchés sur les eaux tranquilles ; ils sont énormes ; chênes ,
maronniers , tilleuls. A côté , les biches paissent dans la fougère
humide , les daims accourent à la voix. Les plantes exotiques y pous-
sent admirablement , les palmiers hauts comme des chênes , les bana-
niers dont chaque feuille pourrait abriter un enfant. L'Anglais entend
parfaitement cette architecture des arbres , des pelouses , des fleurs.
Nous avons nos jardins anglais, nos voisins d'outre-Manche ont tenté
d'établir quelques parcs à la française, mais la restauration où le goût
anglais a dominé et paraît brutalement ont tout révolutionné ; le jardin
de Hamptoncourt est dans ce cas ; les plantes grimpantes s'enroulent
aux espaliers ; les pièces ont reçu des habitants, les nénuphars étendent
leurs belles feuilles à la surface des eaux. L'esprit national triomphe.
Parmi les mille bonnes choses que l'Angleterre doit à sa position
insulaire, nous ne parlerons que d'une seule : les vieux arbres, conser-
vés religieusement. Chez nous , les guerres, les invasions, les émeutes
populaires les détruisent: là ils peuvent prospérer et s'élever jusqu'au
ciel. Il faut voir dans ce fait un reste de l'ancien amour féodal pour les
choses qui parlent du temps passé. De nombreux promeneurs entrent
et sortent; on fait de petits dîners sur le gazon; des pensions y viennent
jouer ; on ne touche ni aux fleurs , ni aux arbres ; on aime les bètes ,
dont on connaît les noms. Un écriteau, de temps en temps , porte : « On
espère que le public ne détruira pas ce qui est cultivé pour l'agrément
public. » Et chacun se fait son propre constable.
J'ai laissé entendre plus haut que les grandes fortunes sont nombreu-
- 280 -
ses en Angleterre. D'après des relevés officiels de 1841, sur 16 millions
d'habitants, il y aurait 1 million de domestiques. Une leçon de musique,
la visite d'un médecin qui n'est pas célèbre, se paient une guinée ; le
principal du collège d'Eton gagne annuellement 152,000 francs ; celui
d'Harrow, 157,000 fr.; celui de Rugby, 74,000 fr.; beaucoup de pro-
fesseurs de ces établissement, de 30 à 40,000 fr. La feuille d'impres-
sion se paie 200 fr. dans la Revue des Deux-Mondes , 500 fr. dans les
Trimestriels anglais ; certains articles du Times ont été payés 2,500 fr.
Thackeray , le romancier , gagnait 4.000 fr. en 24 heures au moyen
de deux lectures. Avec 8.000 livres sterling par an . on n'est pas riche,
dit l'Anglais , on n'est que très confortable.
L'Anglais travaille et gagne beaucoup . mais il dépense tout , c'est la
règle : il ne pense pas à l'avenir ; c'est l'inverse du Français , moins
travailleur , mais économe.
Mais, cet argent , d'où vient-il? Où va-t-il? Nous pourrions nous
procurer des statistiques : mieux vaut visiter les grands centres manu-
facturiers dont nous parlerons et les docks où sont des arrivages d'é-
pices de Java . de glaces de Norwège ; trente , quarante mille ton-
neaux de vins qu'une grue décharge ; on dirait qu'ils se meuvent
d'eux-mêmes ; les machines les portent jusqu'au fond des celliers ; ici,
un pont qui pèse 100 tonnes et que meut un seul homme et un cric. Des
peaux , des cuirs. Quelques ouvriers , aidés par d'ingénieuses et puis-
santes machines, font la besogne rapidement, sans paroles, sans gestes.
Combiens nous épargnerions quelquefois de temps si nous supprimions
notre bavardage, nos impatiences, nos hésitations . nos tâtonnements.
Chez eux , l'ordre et l'exécution s'engrènent aussi sûrement que deux
rouages.
Nous sommes trop près du ShadweU, le quartier pau\Te, pour n'en
pas parler ; la grandeur de sa misère est proportionnée à l'immensité
et à la richesse de Londres. Les mauvais endroits de Paris , de Mar-
seille , d'Anvers , ne sont rien à côté du Shadwell ; les maisons sont
basses le long des rues étroites qui descendent au fleuve ; les mar-
chands de gin sont nombreux ; par la fenêtre ouverte on voit , autour
des comptoirs , une bande de mendiants, de voleurs , de filles surtout ;
une musique grinçante agit comme un courant électrique sur ces êtres
inertes dont le sourii^e fait peur. De temps en temps, un rassemblement
se forme aux portes ; c'est une rixe ; les bancs se vident, véritable
égoût humain , plaie de la pudique Albion. Quelques-unes de ces misé-
rables créatures ont un reste de propreté, mais souvent ces haillons
- 381 -
sont souillés et disparates. Ou ne peut pas se figurer ce que peut de-
venir un chapeau de dame qui a roulé, pendant deux ou trois ans , de
tête en tête , qui a été bossue aux nuirs , qui a reçu des coups de poing
— car ils en reçoivent — ; c'est peut-être le pays du monde où il y a le
plus d'yeux pochés , de nez bandés , de pommettes saiguantes ; les
figures sont affreuses mais , le trait horrible , c'est la voix fêlée , la
voix de chouette malade
Les strect-boys , mille fois plus repoussants que les voyous de Paris,
pullulent ; tristes victimes du chmat et du gin ; ils font la roue pour
obtenir une pièce de monnaie. Près d'eux, des hommes en loques
étonnantes ; on n'imagine pas , sans les avoir vus , ce qu'un vêtement
peut porter de couches de saleté. Toute cette misère, qui n'a quelque-
fois comme lit qu'un tas de suie, souvent que les escaliers humides de
la Tamise , n'ont qu'un retuge . l'ivresse. «No pas boire, vous disent
ces désespérés , alors mieux vaudrait tout de suite mourir. » Ils sont
lâches , profondément féroces.
Permettez-moi de vous rappeler ici un mot de M. de Talleyrand, en
1834: «■ La canaille anglaise est très lâche; victorieuse, elle serait
cruelle ; mais trente constables , armés de baguettes blanches , suffi-
sent pour la faire reculer. Chez nous , elle est brave et sait se faire
tuer. »
Quand vous entrez dans ces rues . des regards de fauves s'attachent
sur vous. «Prenez garde k vos poches, vous dit unpoliceman, et n'allez
pas plus loin, ce serait téméraire. »
Nous nous arrêterons dans le détail de cette misère qui écœure , la
misère anglaise , la vie dans un taudis où grandit le rough qui tuera
pour gagner sa vie , tandis que sa mère , un brûle-gueule à la bouche ,
ne rêvant que le verre de gin , ira faire le détris des tas d'ordures. Et
peut-on appeler cela une exception : 150,000 mendiants vivent en hiver,
à Londres , de l'assistance publique , et on peut estimer à 180,000 le
nombre des rough ou gens sans aveu. En 1861 , le nombre de pauvres
assistés dans l'Angleterre et le Paj'S de Galles était de 890.-123 ; dix
ans plus tard (1871) , il était de 1,081,926. C'est là un gouffre qui se
creuse.
Au sud de Londres, Epsom est célèbre par ses courses — les affiches
gigantesques les annoncent — c'est le derby, jour de liesse , le Parle-
ment ne siège pas : on ne parle que de chevaux et d'éleveurs.
Le derhu est une grande plaine verte, un peu onduleuse ; — tout
autour des échafauds, des tentes, des centaines de boutiques, des écu-
— 282 —
ries improvisées, des voitures, des chevaux des hommes 2,300.000 têtes
humaines. — Rien d'élégant ; les voitures sont des véhicules ordinaires,
/ les toilettes sont rares ; on vient pour voir; il n'y a d'intéressant que
la masse.
C'est une kermesse et l'on s'y amuse avec grand fracas ; partout des
bohémiennes, des chanteurs, des danseurs, des tirs à l'arc et à l'arbale-
te, des charlatans et une file sans fin de cabs, calèches, roskis, four-
in-hands, avec viandes froides, pâtés, melons, fruits, vin, surtout du
Champagne. Avant de s'amuser, on mange ; la grosse gaîté et le franc-
rire sont l'effet d'un estomac bien rempli. — Le riche jette l'or à pleines
mains, le pauvre promène sa pitoyable personne devant la ripaille toute
prête, dans l'espoir d'en recueillir les miettes. Rebut de la société, il se
nourrit avec les chiens des restes du repas ; il se couvre d'habits rebu-
tés; il n'a plus de dignité, il n'a plus de fierté. Le grand moulin social
broie ici la dernière couche humaine dans son engrenage d'acier.
La cloche sonne ; — la piste se vide grâce aux efiorts muets de 3 ou
400 policemen — la foule sur la prairie forme une immense tache
noire. Dans le lointain, les jockeys en rouge, en bleu, en jaune, en
mauve, font un petit tas à part comme un vol de papillons posés — 30
ou 40 coureurs — 2 faux-départs, puis départ définitif, ils vont par
masse, par petits paquets le long de la piste; — on les voit venir de loin
avec la vitesse d'un train à une demi-lieue. — Ils arrivent ; c'est un
ouragan. — « Chapeaux bas ! — chacun se découvre et se lève , les
figures froides ont pris feu, les gestes saccadés, courts, secouent les
grands corps flegmatiques. — Dans l'enceinte des paris, la secousse est
extraordinaire, comme d'une danse de St-Guy ; les parieurs gesticulent
comme les pièces d'un télégraphe fou. — Et pendant ce temps la foule
se répand dans la piste sur les pas des coureurs : on va peser et
vérifier.
Le moment grandiose est celui où les coureurs, n'étant plus qu'à
deux cents mètres, la vitesse devient tout-à-coup visible et le peloton
de cavahers et de chevaux fond en avant comme un tempête.
Puis les conséquences: des gains d'un million de francs, des pertes
énormes: 20.000 1. st., 50.000 1. st.; l'un perd sa voiture, l'autre ses
chevaux, un 3'^ se trouvant insolvable, se brûle la cervelle. Cequel'eau-
de-vie est pour le palais, les paris le sont pour l'esprit, un excitant
nécessaire à des machines lourdes et rudes; il. faut des impressions
violentes, la sensation d'un risque énorme — Le pari est un duel, le
duel un danger et l'Anglais est par instinct militant et hasardeux-
— 283 —
Les courses finies, on fostine en plein air ; les buffets sont remplis ;
les classes se confondent, le cocher trinque avec h; gentleman, on boit
du porto, du sherry, du stout de l'aie. — Le lendemain chacun reprend
sa place ; le subalterne redevient « distant » comme d'habitude.
Phis tard, les têtes sont en feu ; les Phileas-Fog oublient leur flegme,
se jettent à la tête des os de poulets, se boxent dix contni dix; deux
ou trois en sortent les dents cassées; — ils ont perdu leur attitude
correcte, leur délicatesse; le gentleman n'est plus ; la bêle fait irruption
— au retour les vêtements sont blancs de poussière, ou noirs de boue ;
les ivrognes sont nombreux ; leurs compagnons les soutiennent en riant;
nul n'en est dégoûté; car c'est le jour où tout est permis, c'estun débou-
ché pour une année de contrainte.
Nous ne parlerons pas de Greinorn-Gardens, une sorte de bal Mabille;
le coin est par trop sombre ; on en sort assuré que le mal est plus grand
là qu'en France et que si la société anglaise est un bel édifice, le der-
nier étage est un cloaque.
lutérieur anglais.
Pénétrons chez l'Anglais , l'Anglais riche, bien entendu, — pré-
sentés, nous y serons accueillis avec une politesse parfaite ; les
salons sont princiers, spacieux quelquefois, très souvent exigus, deux
au premier-, d'autres aux étages supérieurs, la fête se divise, et l'on
étouffe dans les serres surchauffées ; les dames cherchant un peu d'au-,
un peu de place, s'assoient sur les degrés des escahers monumentaux ;
elles sont couvertes de gaze, de tulle, les cheveux sont pleins de dia-
mants, sur la main et leur cou, des fanfreluches vertes, des anneaux
d"or ; ornement de reine sauvage ; comme la française qui a au plushaut
point le sentiment des couleurs se récrierait ! les unes sont belles, mais
la laideur anglaise est plus laide que la laideur française ; on pense à
ces cigognes , à ces haridelles habillées au frontispice de quelque
monument humoristique; les nez proéminents, mâchoires de maca-
ques. — Quant aux hommes, ils sont trop machmes, trop automates
trop grands, trop anguleux : les figures si gaies des Français, sont bien
agréables par contraste.
On y chante au piano — on réussit rarement; les Anglais sont encore
moins bien doués que nous pour la musique ; on y écorche une sonate
— 284 —
au milieu du recueillement général. Si les jeunes filles sont peu musi-
ciennes, elles sont simples, attables, parlent ouvertement, cordialement,
naturellement, sans arrière pensée — elles vous mettent à Taise. —
Bien autres sont les humbles Françaises , avec qui la conversation est
un duel, esprit tranchant qui d'un mot vous met en déroute , qui d'un
trait vous coupe en quatre, à l'imagination vive, exigeante, qui veut
des nouvelles, des anecdotes, des bons mots, de l'amusement, des flat-
teries, et qui vous plante-là si vous n'avez pas de bonbons à lui ofFiir.
L'anglaise peint la pensée sans ornement, elle parle de choses graves,
et raisonne comme un homme.
Ces mœurs font que l'Anglais garde dans son âme un coin pour le.<^
sentiments ; il est scandalisé quand il voit un homme à Paris regarder
les femmes sous le nez et ne vouloir pas leur céder le trottoir. — Nos
façons, nos discours à cet endroit leur déplaisent, les blessent et ils
nous trouvent trop commis-voyageurs, fats et polis.^ons.
L'Anglais voit dans la jeune fille une future mère, qui doit être la
première institutrice de ses enfants et qui est par sou éducation prépa-
rée à cet imnortant rôle.
Pourtant elles sont silencieuses ; mais ce n'est nullement inaiserie ;
biches effarouchées qui rougissent quand on leur adresse la parole,
elles reprennent facilement leur aplomb.
On aime à voir l'Anglaise n'avoir que tard l'assurance et les façons
du monde. — La Française est une fleur trop vite ouverte.
Elles n'aiment pas le séjour des villes ; l'été et l"hiver se passent à la
campagne, en promenades, en courses de 2 ou 3 heures par jour, —
de longues heures sont consacrées, au dessin, à la lecture, à différents
travaux, à des visites aux pauvres, à des leçons faites aux enfajits indi-
gents du voisinage. — Elles n"ont pas le temps de s'ennuyer. — Quel-
quefois la famille franchit la Manche ; elles trouvent les françaises
« vej'u agréables » aimables et surtout gaies.
Une chose les choque fortement chez nous : c'est la surveillance
que nous exerçons sur nos filles ; en Angleterre, elles sont plus indé-
pendantes, sortent seules ou avec leur sœur. — Cette liberté a son
excès chez les fast girls que l'on voit considérer les hommes comme
des camarades et parfois fumer avec eux.
Souvent elles sont modestes . pleines de santé , de bon sens , font
de bonnes ménagères , fidèles à leur mari, ont des enfants sans être
malades et ne mènent pas la maison en toilette.
- 285 -
La femme anglaise n'est pas coqnette — elle sait voir fie spUnulirlcs
toilettes sans envie , elle est d'ailleurs muette comme une Cendrilloii.
Des femmes jolies, bien habillées, portent ries lunettes. — Il est cer-
tain que l'Anglaise n'a pas au même degré que la Française le senti-
ment de la tenue de convention ou de la parade. Elles ont en revanche
le naturel moins contraint.
L'Anglaise est franchement belle ; le grand air, les exercices corpo-
rels, les exercices d"équila!ion la font robuste ; elle a un tempérarruMit
calme. Nous pouvons taire cette remarque a propos de tout le peuple
anglais : ce qui nous use . c'est la fréquente variation des sentiments
qui nous animent. — En Crimée, par exemple, nos blessés survivaient
moins souvent à leurs blessures que les Anglais , tout simplement
parce que ceux-ci savaient se résigner.
La condition sine qua non d'une bonne santé pour la femme, c'est
d'accepter sa condition ; l'Anglaise l'accepte , c'est un modèle de sou-
mission. — Mais elle est moins agréable que la Française , ne sait pas
se faire jolie femme, elle est propre quand la Française est attrayante.
— L'Anglaise aupiès de la Française, c'est une très belle pêche rosée,
mèiiiocreraent savoureuse à côté d'une fraise parfumée et pleine de
goût.
La Française tient habilement un salon ; l'Anglaise n'y peut arri-
ver : le tact, la promptitude, la souplesse manquent. — La femme,
chez nous, apprend rapidement le monde : la petiie bourgeoise, mariée
hier, est installée au comptoir, joue , relient les chalands , la grosse
Anglaise de Dieppe , celle de l'anecdote, pendant que son mari s'em-
presse et court avec toutes sortes de politesses autour des tables , se
tient sur son trône , roide et sérieuse et dit d'un ton glacé aux gens
qui se lèvent de table : Havè vo payé, Mosieur? sans se douter que
cette interpellation peut choquer.
Et notre politesse? vient -elle de la sympathie , n'est-ce pas plutôt
un dehors, un décor, un point d'honneur, une preuve de notre savoir-
vivre plutôt que l'efl'et d'une sympathie vraie . d'une bonté naturelle.
— Cn sourire, un coup de chapeau, trois jours après nous avons oublié.
— L'Anglais est plus franchement serviable et cordial. Pour l'étranger,
il se dérange, il fait des courses , le fait montei* dans sa voiture , puis
non seulement il vous invite à dîner , mais vous présente à ses amis ,
vous pilote, vous nourrit, vous loge, vous occupe, vous distrait. — Ce
qui frappe le plus, c'est l'ouverture de cœur, au bout de quelques jours,
il vous dit ses choses intimes, le chiffre de sa fortune . de sa dépense ,
— 286 —
le prix de son loyer , l'histoire de sa fortune , de son mariage. A côté
d'eux, nous sommes des ultra-boutonnés.
Pourquoi l'Anglais est -il hospitalier? 11 y a à cela beaucoup de
causes dont nous ne résumerons que les principales.
La vie à Londres se passe en courant ; la maison de campagne est le
véritable salon ; pendant les huit mois que l'on y passe , les journées
seraient bien longues sans les réceptions, les discussions. — La réserve
y est toujours la même : en temps ordinaire, beaucoup d'enfants, beau-
coup de domestiques ; la présence d'un étranger n'y trouble pas l'inti-
mité comme chez nous , ne force pas les gens à s'écouter parler , à
restreindre leur familiarité et leur laisser-aller — Un fauteuil de plus
est occupé au salon ; il y a un convive de plus à la table , et c'est tout.
— Le service étant organisé parfaitement , un signe suffit et tout est
improvisé pour l'étranger. — II y a là pour l'Anglais une question
d'humanité , de conscience ; il sait par expérience que l'étranger est
mal à l'aise dans le pays nouveau où il débarque, et il l'aide.
Si l'on admet que la femme joue un rôle considérable dans la société,
je crois que montrer quelle éducation la femme reçoit dans un pays ,
c'est là le plus sûr moyeu d'expliquer en partie l'orif^inalité des mœurs
et des institutions.
Éducatlou des fllleis.
L'Anglais voit dans la jeune tille la future mère; il veut, par son
éducation , la mettre à même d'être la première institutrice de ses
enfants ; elle a des bonnes , des gouvernantes étrangères qui lui
apprennent le français , l'allemand, l'italien dès l'enfance ; on mêle à
ses jouets de volumineux dictionnaires , elle commence par étudier
le français, qu'elle parle facilement, souvent sans accent. Elle Ut
Dante , Schiller , Goethe : elle apprent même un peu de latin et lit
Virgile.
Les jeunes Anglaises donnent aussi beaucoup de leur temps à l'étude
des choses naturelles : de la botanique, de l'histoire naturelle , de la
minéralogie , de la géologie ; — dans leurs promenades , dans leurs
voyages , elles réunissent des plantes , des coquillages , des animaux
et en font des collections. — N'est-ce pas s'approvisionner de faits et
se donner des comiaissances solides !
On s'étonne de voir des jeunes filles s'adonner à de telles études. —
— 287 —
L'une des causes, c'est que beaucoup d'entre elles ne se marient pas ;
l'éducalion a été soignée, mais la dot est insuffisante, égale souvent au
revenu du fils aîné — les prétendants ne sont pas très nombreux ; ils
doivent , avant le mariage , garantir h la jeune femm.e une certaine
somme dont elle aura entièrement la disposition , qui sera son argent
de poche.
Ce seulement épouvante bien des partis. — De plus , l'Anglaise ne
comprend que le mariage d'amour, d'inclination ; aussi un très grand
nombre passe à travers le monde sans éprouver cette inclination et
sans l'inspirer.
Celles qui ont manqué ainsi le coche , deviennent des spmsters, et
elles sont nombreuses.
Ne vous les figurez pas inutiles, ennuyées.
Ce sont de bonnes tantes qui élèvent leurs neveux , gouvernent la
lingerie, le fruitier ou la cuisine, collectionnent, peignent, lisent,
écrivent. — Combien parmi ces spinsters sont des savants, des roman-
ciers, des traducteurs. — Miss Bronte , miss Thackeray , M""' Gaskell ,
G. Eliot, Elisabeth Browning — sont des spinsters.
C'est là , je crois , un excellent remède à l'ennui. 11 vaut bien le
serin ou le minet, ou le Médor de nos vieilles demoiselles.
L'anecdote suivante rapportée par Taine, est une épisode de l'histoire
intime de bien des familles .
« Je suis contrarié, disait un père, ma fille Jauea24 ans, ne se marie
pas, s'enferme dans la bibliothèque et commence à lire de gros livres.
» Combien lui donnez-vous de dot? — Deux mille livres sterling.
— Et à vos fils ? — L'aîné aura le domaine , le second une mine qui
rapporte 2,000 livres. — Donnez 5,000 livres à miss Jane. »
Ceci fait penser le père , qui donne les 5.000 livres. Miss Jane se
marie, a un petit enfant ; c'est une excellente mère ; c'eût été réelle-
ment dommage d'en faire une spinster savante, à mine froncée et à
lunettes.
Ce qui doit étonner le plus , c'est le courage de la bonne miss qui ,
se voyant dans une impasse , prend énergiquement son parti et se met
de bon cœur , sans sourciller, à l'étude.
Un mot en passant sur les quelques feuilles imprimées qui s'appellent
le Journal des Modes , il est partout chez nous — des gravures enlu-
minées, la dernière forme des chapeaux , un point de broderie ; quel-
ques bons mots , des acrostiches , des rébus — pitance terrible à
digérer, car c'est la platitude d'un bout à l'autre. L'Anglaise n'est pas
de cet avis et ne prend pas de telles fadaises — il vaut mieux pour elle
avoir une robe mal faite qu'une tête vide. — Vous ne trouvez chez
elle aucun journal de modes , la place est occupée par la Revue des
Femmes Anglaises , feuille sérieuse qui parle de l'émigration en
Australie, de l'instruction publique en France : des possibilités de
commercer, d'établir de nouvelles cultures dans ielles ou telles régions.
lie mariage
L'Anglaise entend par le mariage l'abandon de tout son être et pour
toujours ; jeune fille , elle a son roman de cœur où elle reste éminem-
ment anglaise, c'est-à-dire pratique. Elle ne rêve pas les promenades
sentimentales, la main dans la main, au clair de la lune ; elle veut être
une épouse , une auxiliaire , une associée de son mari dans la bonne
comme dans la mauvaise fortune. Voyez M"* Livingstone qui traverse
l'Afrique , lady Samuel Baker qui va aux sources du iNil. On rencontre
à Londres des femmes revenant des îles de la Sonde : elles ont tra^tersé
des peuplades antropophages ; les nôtres oublient quelquefois de rire
du loup-garou — bagatelle là-bas qu'un voyage de six , dix ans. —
Voilà l'épouse anglaise.
Une des ombres du tableau , c'est la chasse aux maris ; le gibier
devient chasseur ; le jeune homme noble, riche, élégant, est poursuivi,
flatté, tenté, provoqué, il devient soupçonneux à Textrème. Ce qui
n'arrive pas chez nous oii les jeunes filles sont trop maintenues pour y
prendre cette initiative.
A l'inverse du Français , qui ordinairement considère le mariage
comme un pis-aller, l'Anglais ne désii^e qu'une chose , c'est un home
avec la femme aimée , des enfants , un petit horizon restreint , à lui
seul ; cadet , il doit souvent attendre ; il n'est pas riche ; il s'embarque
et va en Australie, dans les Indes, travaille et revient se marier. Quand
l'Anglais est amoureux, il est capable de tout. Combien déjeunes gens
anglais , passionnément amoureux et incompris , courent le monde , à
moitié fous, pour se distraire — on les rencontre en Chine, en Australie,
seuls, pensifs, maudissant la vie.
Les jeunes gens se fréquentent librement, peuvent se juger, se
connaître ; ils montent à cheval et causent ensemble. Quand le jeune
homme est décidé à se marier , il s'adresse d'abord à la jeune fille ; la
— 289 —
permission des parents ne vient qu'en second lieu. En France , nos
mœurs veulent tout le contraire , et ce serait indélicatesse de dire un
mot net ou vague à la jeune fille avant d'avoir averti les parents. Sur
ce point, les Anglais raillent nos mariages brusqués devant notaire*
Nous pouvons leur répondre que leurs niaraiges d'incliualioii finissent
plus d'une fois par la discorde et nos mariages de convejiance parle
bon accord.
La dot de la femme , déposée entre les mains d'un fidéicommissaire
responsable, rapporte chaque année un certain revenu qui est l'argent
de poche de la femme : elle doit servir à son habillement et à l'entre-
tien de ses enfants — cette dot constitue un vérilable bien paraphernal
soustrait aux accidents qui peuvent arriver aux maris. La précaution
est bonne, car la loi engloutit tous les biens de la femme dans ceux du
mari ; sans cette clause , elle entrerait dépouillée en ménage. Il faut
savoir que la femme anglaise est sujette, de par la loi, la religion, les
mœurs — le mari ne lui doit rien de ses affaires, achète , vend , bâtit,
cela ne la regarde pas : elle est une intendante, ne doit s'occuper que
de son ménage et de ses enfants ; elle se résigne à ce rôle. — Cette
inégalité a des inconvénients : si le mari meurt , la femme jusqu'alors
ignorante et dépendante , ne peut débrouiller les affaires , gouverner
les enfants, en un mot remplacer le chef de la famille.
Le mariage est respecté; dans les journaux, dans les romans, où
chez nous s'étale tant de licence, ils flétrissent l'adultère comme un
crime; on redoute les accrocs dont l'opinion publique s'empare et
qu'elle jette a la publicité par la voie des journaux; ils trouvent nos
façons, lestes, débraillées, choquantes ; le livre de Balzac, la Physio-
logie du Mariage ferait scandale, serait poursuivi par la Société pour
la répression du vice et ne trouverait pas d'éditeurs. — Leur jugement
sur nos romans : Morale de boursicotiers et de lorettes. — Ils oublient
que nous mettons à jour ce qu'ils dissimulent avec le plus grand soin.
Nous sommes quelque peu fanfarons de vice ; les désordres des par-
venus élégants laissent calme la bonne bourgeoisie qui a des traditions
de famille. — 11 ne faut pas non plus méconnaître le rôle du commé-
rage, terrible gendarme, universellement redouté.
Dans la classe bien élevée, la femme anglaise est tidèle, sauf de
rares exceptions ; libre dès l'enfance elle sait marcher seule dans la
vie où un faux pas est si vite fait ; — son bon sens, l'étude des lan-
gues, des sciences, les voyages, les conversations, les discussions sur
les choses les plus graves, ont développé les habitudes de réflexion .
- 290 -
et la lecture de romans sains, les visites aux pauvres, l'organisation
de sociétés de bienfaisance, l'a initiée à la vie réelle ; — elle passe les
3/4 de l'année à la campagne à l'abri de toute tentation, a beaucoup
d'enfants, un cortège de bonnes, de gouvernantes ; c'est une activité
de tous les instants , une surveillance continue ; — elle lit , fait
des herbiers ; en un mot s'occupe si bien que l'esprit est employé, le
temps rempli, ce qui ferme l'entrée aux idées malsaines.
Relation»» de famille.
Il y a beaucoup de roideur dans les relations entre proches. — Le
fils appelle familièrement son père : mon gouverneur ; gouverneur,
en efiét de son castel et de la garnison qui y loge. — 11 peut deshériter
son fils. — Tout le monde a entendu parler de ce jeune Anglais qui
revenant malade de Nice, s'arrêta à Boulogne, n'osant retourner au
logis paternel sans y être mvité. — Sa mère n'eut osé prendre l'ini-
tiative. — Quand il reçut une lettre, il se mit en route. — L'enfant
prodigue fut mieux reçu et les mamans françaises ne pensent à de
telles choses.
Cet état de choses est encore aggravé par l'inégalité dans la famille ;
l'aîné riche ; le cadet n'ayant qu'un léger revenu ; par l'indépendance
des enfants qui peuvent se marier sans l'autorisation et usent souvent
de ce droit.
Je vois d'ici l'étonnement des parents français entendant dire à des
enfants : vous prenez ce droit, prenez-en les charges ; mariez-vous
comme vous pouvez. — Quel contraste ! chez nous l'affection, l'inti-
mité, les parents se donnant tout entier pour leurs enfants , poursui-
vant la veine pour les rendre heureux ; l'égalité parfaite, en un mot le
régime absolu de la sympathie la plus profonde.
L'anglais s'étonne ; il ne comprend pas que deux, trois ménages
puissent vivre sous le même toit, ce qui se fait quelquefois en France ;
en Angleterre, ce serait quasi un jirodige. — L'anglais s'isole, se can-
tonne ; dans son enclos chacun est un intrus, son père, sou frère ; il y
a même rarement une place pour l'épouse. — Chaque entrée est une
violation de domicile. — Pas d'expansion. — Demandez à une mère
anglaise ce qu'elle sait des sentiments de sa fille ou des amusements
de son fils ; elle ne vous comprendra pas. — En France elle est con-
— -^91 —
fidente, presqiu3 camarade et est heunniso qu'on lui fasse des
aveux; elle gronde un peu et, levant le doigt, renvoie le mauvais
sujet en lui disant de prendre garde.
liCW Domestiques.
Nous avons les nôtres, mais nous ne connaissons nullement les
domestiques anglais ; de l'autre côté de la Manche sont des serviteurs
nombreux, aux fonctions nettement définies ; porter le charbon, allumer
les feux, balayer, cirer, sont autant de départements séparés, dans les
limites desquels les titulaires se tiennent rigoureusement.. — Ils sont
tous soumis à un « butler » qui seul à des relations avec le maître de
la maison ; — un groom a-t-il un habit tâché, le seigneur et maître
réprimande le butler qui cite le délinquant à comparaître devant le
Tribunal de ses Pairs, cuisiniers, balayeurs ou autres.
Un domestique se présente. L'acceptera-t-on ? Le Conseil général
des serviteurs s'assemble ; le postulant développe ses mérites et après
examen et renseignements ils l'acceptent ou le repoussent par accla-
mation.
Le domestique anglais est exact , régulier ; c'est un mécanisme bien
monté, qui a des heures fixes pour les choses les plus futiles. — Il
obéit à une consigne, il a le sensé ofduty, le sentiment du devoir et
réclame en revanche une certaine liberté.
Ii'Aug;lais.
Il marche droit , d'un mouvement géométrique , sans regarder à
droite, à gauche, sans distraction, tout entier à son affaire, comme
un automate dont on a pressé le ressort. — Ajoutez-y le physique et
vous aurez un type pour qui l'agrément et l'élégance ne sont rien,
uniquement préoccupé d'expédier vite et bien beaucoup de besogne.
Les Anglais forment des associations, des clubs quelquefois tumul-
tueux où ils agitent les questions les plus graves ; ils s'entendent pour
ne pas servir plus de deux ans le même maître qui pourrait prendre
trop de prise. — Ils ont leurs repas à part, une bibliothèque, où les
21
— 292 —
orateurs vont puiser; et sur les rayons inférieurs, des jeux de dames,
d'échecs.
lia Tie aiigflaiRe et ses causes.
Spécimen de la vie anglaise : Etre confié de bonne heure à soi-
même, épouser une femme sans fortune, avoir une nombreuse famille,
dépenser le plus possible, travailler énormément, mettre ses entants
dans la nécessité de travailler de même, s'approvisionner de faits et
de connaissances positives, se distraire d'un travail par un labeur plus
fatigant, produire et acquérir.
Il 3^ a des causes à cela, — le droit d'aînesse, le climat, le besoin
d'exercice rude.
Le droit d'aînesse met chacun dans la nécessité de s'aider lui-même ;
tout petit, l'Anglais sait qu'il doit être l'artisan de sa fortune. — Le
grand nombre d'enfants nous fait supposer chez les parents d'Outre -
Manche plus de courage et moins de sensibiUté que chez nous. — Plus
de courage, car ils ne craignent pas les embarras d'une nombreuse
famiUe, moins de sensibilité car ils ne s'émeuvent nullement à cette
idée que leurs enfants, garçons et filles, devront peiner, lutter et les
quitteront peut être pour toujours. — Nous n'avons pas de plus grand
souci que d'éviter à nos enfants les misères que nous avons subies, —
On ne considère pas comme un idéal d'avoir une demi-douzaine de
filles gouvernantes ou de s'en défaire par l'exportation.
Le climat a une grande puissance. — La tristesse et la sévérité du
pays coupe par la racine toute conception voluptueuse. Il faut s'ac-
commoder à l'inclémence de son milieu ; c'est la terre du travail sous
cloche, dans un logis bien sec, au milieu d'une famille très bien por-
tante, devant un feu riant. — Il y a loin de là à l'idéal du Napolitain, le
flâneur à l'ombre, sur une terrasse, en plein air, au miheu des fleurs,
des statues, des ornements. — Lui se nourrit de raisins exquis, de fruits
dignes de la table des Dieux ; il a gratis les plus belles et les meilleures
choses, tandis que le palais anglais ne connaît rien au-delà d'un mor-
ceau de viande, d'un verre (ïale ou de gin. — Le mendiant italien est
un heureux comparé au besogneux anglais qui à chaque heure doit
penser à se couper le cou. — Les fameux rasoirs de Mapping qui ne
coûtent qu'un shilling, semblent n'être faits que pour cela.
— 29S —
L'Anglais a des instincts militants, le désir de vaincre et de se
persuader qu'il accomplit une lâche ilifficile. — Témoin les marches
des jeunes filles, l'habitude du cheval, les courses, la chasse. — Ce
besoin d'activité, uni h leur tempérament flegmatique les rend émi-
nemment pi'opres aux métiers et aux professions : ils travaillent aussi
bien la dixième heure que la première. — Ils n'ont pas d'aversion pour
la monotonie du labeur insipide : il y a en eux l'étoffe de puissants et
patients ouvriers.
lia ville iiiauufacturlcre.
Manchester ! dans le pays du fer et de la houille. — De loin, un
immense entassement au-dessus duquel se hérissent des centaines de
cheminées hautes comme des obélisques, dans le nuage étrange, som-
bre qui pèse sur la ville. — Les hauts-fouriieaux flamboyent derrière
les colHnes qui sont les débris de minerai; — le sol est excavé à une
profondeur considérable — Tout témoigne d'une vie industrielle des
plus actives.
Vue (le près, Manchester est lugubre. = Les ramifications, hautes,
profondes, aux murailles noircies par la suie, aux façades nues s'ali-
gnent à perte de vue. — Pas un ornement, pas une brique inutile ; de
la solidité et c'est suffisant : on pense à des prisons économiques ;
les maisons ont l'aspect de grande caserne à bon marché , de i(;o?'^-
house pour des milliers de personnes. — Ces bâtisses sont des
rectangles à six, sept étages quelquefois, chacun de quarante fenêtres.
— Si nous y pénétrons, dans un bruit infernal, des milliers d'ouvriers
immobiles presque toujours, alignés, du matin au soir et chaque jour
surveillent la machine.
Vers six heures, la manufacture dégorge dans la rue une foule
bruyante et agitée ; il y a des femmes, des enfants, des vieillards. —
Les figures sont pâles, mornes ; beaucoup d'enfants sont pieds-nus. —
Les uns se précipitent chez le marchand de gin. ; les autres regagnent
leurs tanières dans des rues étroites. — Triste maison; la fenêtre
entrouverte laisse pénétrer l'air de la rue. moins mauvais que celui
de la chambre ; les enfants blancs, charnus, malpropres se roulent
sur un reste de tapis ; un linge suspendu sèche, c'est l'enveloppe du
— 294 —
dernier né, plein de vie, qui sourit à ses aînés en attendant la terrible
attente qui tue ses frères.
Dans les faubourgs, les maisons sont plus espacées ; c'est la zone des
heureux ; ils voient un coin du ciel bleu ; le brouillard est moins
impur; mais cela seulement pendant les beaux jours; en hiver, le
nuage s'épaissit , engloutit tout de sa brume opaque et écrase
l'homme
Hors de la ville, fuyant le climat inhumain, les maisons des riches
s'alignent comme des dames sur un damier. — Architecture où tous
les styles se heurtent ; parcs verdoyants avec des nappes d'eau, des
arbres énormes, des troupeaux de daims ; mille belles choses coûtant
fort cher, mais où manque un peu de goût. — Pour éviter les équivo-
ques, les contrastes trop frappants , on pourrait s'attifer moins et se
parer davantage.
A quoi bon le goût ; n'ont-ils pas la puissance ? — Des manufactures,
des capitaux, de l'ambition, des représentants aux quatre coins du
monde, des vaisseaux en mer? — Ils connaissent, au jour le jour, l'état
et les ressources des difiérents pays ; ils gouvernent des milliers d'ou-
vriers, ils surveillent le travail humain ; leurs entreprises se chifîrent
par raillions ; ils envoient un délégué au Japon, en Chine, en Australie,
en Egypte ; ils achètent des terres en Amérique, au Cap, en Océanie,
on y élèvera des moutons, on y cultivera le coton, le thé. — Voilà
l'activité britannique.
Les magasins sont babylonniens : plus de 100 mètres de façades ;
partout des rails ; la machine à vapeur traîne les fardeaux, monte les
ballots, fait tout le travail brutal.
D'après les relevés authentiques du coton brut qui entre et du coton
manufacturé, le district de Manchester a gagné en deux ans 500 mil-
lions de francs par mois pour redescendre à un bénéfice encore énorme
de 250 millions.
On s'étonne peu de ces résultats quand on a sous les yeux des
ateliers où l'on voit travailler de 23,000 à 35,000 broches par semaine, où
travaillent 4,800 ouvriers, où l'on fait pour 30 millions d'affaires par
an ; des hangars où 20 forges flamboient, où une fourmilière d'ouvriers
s'agite ; où l'on fait cent locomotives par an, chacune de 75,000 francs.
— Les piliers en fonte sont gros comme des troncs d'arbres, les
machines à entaille, à forer, font sauter des copeaux de fer, ou percent
des plaques de fer épaisses comme la main. — Et ces formidables
marteaux pilons de 500 kil. dont le jeu est si précis qu'ils cassent une
— -^95 —
noisette sans entamer l'amande ! 11 faut une année d'hommes pour
préparer Ja besogne à ces puissants travailleurs ; mais l'acier fait tout,
frappe, coupe, lime, sans se précipiter, sans se fatiguer; à côté,
riiouime, riusecte surveille et commande à la machine géante.
Jetons les yeux sur la carte qui met une teinte noire sur la région
de Manchester : houille, fer — et par-dessus l'argilo des briques ; à
côté un estuaire, un port naturel, un débouché, TJrerpool. — Joignez
a cela les grands capitaux, la victoire est amx gros bataillons, la
bonne organisation, i'applicalion, le savoir-lane de l'ouvrier qui donne
juste ce qui est demandé, l'assiduité du contre-maître, l'exactitude des
machines, la régularité, la discipline et la solidité du personjiel indus-
triel qui est un véritable rouage, bien monté et bien huilé et l'on com-
prendra la prospérité de cette région.
J'ai nommé Liverpool qui prospère sur l'emplacement d'un ancien
étang, les pieds dans l'eau ; le ciel plein de brouillards , véritable pavs
de sarcelles : une petite Hollande , avec une verdure plus rare. Rien
de beau ni d'élégant ; c'est une ville monstre comme Manchester, où
se meut une population d'un demi-million d'âmes autour de la Mersey,
large comme un bras de mer.
Au centre . doux bâtiments se regardant étonnés de leur voisinage .
l'un grec, un café-concert, l'autre une belle bibliothèque. Puis jusqu'à
l'horizon , dans toutes les directions , des rues le long desquelles s'ali-
gnent des comptoirs , des magasins , des manufactures , hauts, massifs
comme des monuments cyclopéens. Près des docks , les magasins de
coton sont le réceptacle de presque tout le coton du monde , mais les
docks surtout sont énormes ; la rivière , large , profonde , se ramifie
en une multitude de canaux , de bassins que l'on agrandit et multiplie
chaque jour parce qu'ils sont toujours insuffisants; les vaisseaux se
suivent à la file , se présentant par groupes , attendant leur tour ; les
navires à voiles entre lesquels se faufilent les noirs bateaux à vapeur ;
des vaisseaux de guerre qui s'avancent majestueusement au milieu de
l'humble foule qui s'écarte pour leur livrer passage.
C'est un spectacle unique au monde : un navire jauge 3,000 à 4,000
tonneaux ; un steamer a iOO mètres de long. Un navire dont la coque
a 50 pieds de haut va porter 1,500 é migrants en Tasmanie , les flancs
sont recouverts de cuivre et contiennent tout un monde.
11 y a des ateliers pour la construction de navires en fer ; il en sort
de chacun de 25 à 30 par an. 1,000 à 1,500 (Tuvriers , des forges , des
outils monstrueux , des chantiers munis de canaux où l'eau arrive. On
— 296 —
voit des carcasses de 350 pieds ; terminé . le navire coûtera 80 à
100,000 livres sterlings : le carré qui doit contenir les chaudières est
composé de poutres de fer grosses comme le corps d'un homme.
Toujours l'impression de Fénormité , et cette plaie de la ville indus-
trielle , l'imprévoyance , le travail intime , rapide , qui ne suffit pas à
rendre l'homme heureux; il va détendre ses nerfs à la campagne ou
se réfugie dans l'ivresse. Liverpool est une ville terrible pour l'i-
vresse. Quand on voj^age en chemin de fer . on est exposé à trouver
en 1*"" classe un gentleman ivre . en seconde classe , deux ou trois
hommes qui chantent et jurent. Les femmes les accompagnent , ne
s'étonnent point : ils sont , suivant elles . seulement « gris » comme
tous les soirs.
Aux environs de Leeds-street , le quartier de la misère , où les mai-
sons sont des caves malsaines . triste population où s'étalent toutes les
laideurs , on sort des boutiques de gin pour jouer sur le trottoir avec
des cartes noires, ou pour s'asphyxier dans le taudis infect. Les traits
paraissent avoir été corrodés par le vitriol.
11 y a pai' an 50,000 arrestations , 1 % de la population.
La misère est encore plus grande au quartier des Irlandais , qui sont
au moins cent mille et qui y affluent chaque jours ; et il y a pis et plus
bas en Irlande , où , au sortir des manufactures , la débauche grossit
de quelques pences le salaire de la journée.
Parmi les ouvriers , il y a deux types bien saillants ; l'athlétique , le
géant de six pieds qui pousse et retourne les grosses pièces de fer
dans la forge ; les plus beaux sont ceux du Yorkshii'e ; le flegmatique ,
surtout dans les fabriques de coton : teint pâle , œil terne , regard froid
et fixe , mouvements exacts , ménagés ; dépense du minimum d'efforts.
Ce sont des travailleurs excellents : rien de tel qu'une machine pour
conduire une machme,
Dans les manufactures de fer , les ouvriers gagnent de 10 à 45 fr.
pai' semaine , dans les manufaciures de coton , de 20 à 35 fr. C'est
suffisant ; les receltes et les dépenses s'équilibrent : mais , viennent le
chômage , la maladie , la misère est extrême. D'une façon générale ,
cinq causes de malheur pèsent sur l'ouvrier :
1° Le mauvais climat ; il faut beaucoup riépenser en houille, lumière,
spiritueux , viande , blanchissage fréquent , quatre repas par j(mr. A
Manchester , ils accaparent les primeurs.
2° La concurrence oblige chacun à travailler jusqu'à l'extrémité de
— 297 —
sa forco ; la moindre défaillance est une chute et les bas-fonds sont
horribles.
3" Ils ont des troupeaux d'enfants , 15 et 18 quelquefois : la famille
grandit et le père n'a toujours que ses deux bras.
4" Les chômages sont inévitables ; les grèves surviennent; en 1862
(octobre) , 210,000 personnes furent sans aucun ouvrage.
5° Ils sont dépensiers et enclins à l'ivrognerie ; c'est un fléau ; le
climat y pousse , le gin réjouit.
Toutes ces causes de ruine font que , sur 100 ouvriers , 5 arrivent à
l'aisance ; les autres vont mourir dans les tristes quartiers dont nous
venons de parler : car ils ne veulent pas toujours profiler des institu-
tions qui veulent diminuer Vhnpy^èvoijance, le grand vice de l'ouvrier
ajiglais. Les work-house lui offrent du travail facile , un abri et du
pain ; il refuse ; on a oublié le petit verre et l'on pourrait laisser quel-
que argent ; l'cmvrier ne redoute qu'une chose : laisser de quoi payer
son enterrement.
De Manchester , allons à Glascow ; nous traversons le paysage an-
glais où la terre est contrainte à produire par l'industrie de l'homme.
Glascow est , comme Manchestf^r , sur un sol de fer et de houille ;
partout de hautes cheminées , des hauts-fourneaux sur les rives de la
Clyde qui s'élargit pour former un port naturel. C'est toujours la
grande ruche à l'aspeci navrant : les enfants grouillent pieds nus dans
la boue, des femmes en hailhjns allaitent assises au coin d'une rue,
etc Le climat est pire qu'à Manchester.
La côte a ses rondeurs couvertes de villas blanches au-dessus de
l'eau peuplée de navh*es. C'est le rivage écossais aux promontoirs
hardiment coupés. Prenons la mer et suivons le canal calédonien; le
Ben-Nevis nous apparaît marbré de neige ; le golfe se resserre , la
grande eau enfermée entre des montagnes stériles prend un aspect
tragique. Sur cette terre indomptable et sauvage , l'homme est mal
venu. Tout se flétrit et se rabougrit. On oublie de reboiser ; l'arbre
refait le sol , abrite la culture , le bétail et l'homme.
Le canal aboutit à une enfilade de lacs dont l'eau est brunie par la
tourbe ; la solitude devient moins sévère , les montagnes se boisent à
demi . les vallées s'élargissent, se couvrent de moissons et tout à. coup
apparaît Inverness. jolie ville moderne et vivante au sein des Highlands;
la rivière est claire et vive : beaucoup de bâtiments sont neufs, partout
la propreté , le soin , l'attention active ; les vitres sont luisantes , les
— 298 —
boutons de porte sont en cuivre ; il y a des fleurs aux fenêtres ; les
plus pauvres maisons sont reblanchies à neuf. C'est une ville à phy-
sionomie française, à population affable, on y est chez soi et, pour cette
raison , nous terminerons là notre excursion en Angleterre.
Nous pouvons regarder derrière nous et résumer nos impressions
dans la visite de ces Babels de l'industrie. Ce qui doit attacher , c'est
la grandeur de la richesse acquise jointe à la faculté plus grande de
produire et d'acquérir. Toute l'œuvre utile exécutée depuis des siècles
s'est transmise et accumulée sans perte , ce pays n'ayant pas subi d'in-
vasion depuis 800 ans, ni de guerre civile depuis 200 ans. Son capital
est plusieurs fois plus grand que le nôtre. L'Anglais sait souvent mieux
que nous conduire ses affaires . féconder son sol, améliorer son bétail,
diriger une manufacture , coloniser et exploiter les pays lointains , il
sait mieux se cultiver lui-même. Il faut vivre avec lui et tremper notre
généreux cai'actère par le contact avec le bon sens britannique. Ce^a
ne nous enlèvera pas notre beau climat , notre belle répartition de la
richesse et l'agrément de notre vie de famille. Nous serons des Fran-
çais mieux préparés pour les luttes de la vie.
Nous donnerons à la machine le travail brutal qui excède les forces
de l'homme ; car il ne suffit pas pour honorer nos savants de leur élever
des statuts , il faut encore leur permettre d'être des bienfaiteurs de
l'humanité.
Lorsqu'on pourra espérer trouver dans nos ports un fret de retour ,
les navires viendront directement nous apporter les matières pre-
mières.
Nous avons de grandes industries nationales. Nous n'avons pas sous
les pieds un bloc de fer et de houille , est-il impossible de les mettre
en présence? N'avons-nous pas des chemins de fer, des vaisseaux, des
canaux? Et n'est-ce pas un Français qui a dit que les obstacles avaient
été inventés pour être surmontés ?
Nous n'avons pas l'ouvrier machine anglais , mais nous avons l'ou-
vrier français qui est sans rival ; il a, seul au monde, l'instinct du beau ;
c'est un perfectionneur.
Il faut que nous soyons là pour nous faire connaître , et , quand
nous serons connus , pour dire à ceux qui médiront de nous : vous
mentez !
Et cette langue si claire , de l'aveu de tous les peuples , pourquoi ne
l'emploierions-nous pas à défendre nos intérêts sur tous les marchés
du monde ? Il nous faut des représentants instruits , éclairés . actifs ,
- 299 -
pour défendre nos intérêts industriels et commerciaux. En un mot,
nous pouvons réaliser des progrès immenses , développer de plus en
plus notre ijidusirie , surtout en nous dotant d'un outillage national. Et
nous aurons par-dessus tout, connue plus beau fleuron de notre cou-
ronne , la noblesse de nos sentiments qui nous mettent à la tête des
nations civilisées.
C'est sur cette pensée tlatteuso , pour ceux surtout qui ont en mains
les destinées de l'industrie fiançaise , que je m'arrête, en vous remer-
ciant de votre bienveillante attention.
Quelques-uns se recrieront , prétendront que notre suprématie
morale, notre pouvoir intellectuel doit nous suffire : c'est une erreur.
Il faut que nous soyions les premiers du monde par l'industrie ; ce souci
des choses matérielles nous permet de mieux jouer notre rôle de
Français ; c'est-à-dire d'apporter du désintéressement el de la géné-
rctsité.
Je termine , Mesdames et Messieurs , en vous traduisant la pensée
de tous ceux qui ont en mains les destinées de l'industrie française.
Nous serions des industriels , mais non des industriels français si , au-
delà de l'industrie et de ses profits , nous ne voyions la civilisation.
— 300 -
NOUVELLES ET FAITS GÉOGRAPHIQUES
I. — Géographie scieiitifiq[ue. — Explorations et découvertes.
ASIE.
Retour de IHII. Bonvalot , Capiis et Pépiu. — On se rappelle
que ces exploiateurs dont nous avons entendu il y a quelques années une confé-
rence à la Société de Géographie de Lille, étaient repartis à nouveau pour l'Asie
centrale. Nous avons relaté de temps en temps leurs nouvelles dans nos divers
Bulletins. Aujourd'hui , nous pouvons annoncor qu'ils sont rentrés en France par
Marseille en septembre dernier.
Ils ont vainement, au cours de leur voyage, essayé de pénétrer dans l'Afgha-
nistan. Depuis leur départ de Mesched en mai 1886, ils ont fait quatre tentatives,
mais chaque fois ils ont été prisonniers des Afghans, qui les ont expulsés. Leur
dernier effort a eu lieu de Samarkand par Hissar et la Kabadie ; leur retour s'est
fait par les vallées du Sourkhane et du Kafirnagane en passant au-dessus des
monts du Baïsoun. Dans leur voyage vers le sud , les explorateurs ont eu à
franchir les cols de Takta Karatcha (5,500 pieds) et d'Aucha ( 15,585 pieds) ; la
descente de ces deux cols vers le sud a été des plus difficiles, les sentiers étant
escarpés et pierreux. Au-dessous du second de ces cols, coule, d'après eux, le
Sangalak, un affluent du Sourkhane, un torrent dont lés eaux sont teintes d'un rouge
foncé par les calcaires et l'argile qu'elles traversent.
Ils ont reconnu la structure géologique des montagnes comme étant la même que
celle des monts Koungour au nord de Kashi et des montagnes de Derbend , de Kilef
et de Schirabad. Géographiqueuient , ils ont pu constater que la vallée de Kafirna-
gane s'étend de Hissai- jusqu'au confluent de Kaiirnagane avec l'Amou ; sa largeur
moyenne est de 2 1/2 à 3 milles et elle est côtoyée à l'est et à l'ouest par des
chaînes de montagnes d'élévation moyenne coupées de nombreux torrents aujour-
d'hui desséchés. Le sol de toute la vallée semble largement imprégné de matières
salines et la flore est composée essentiellement comme celle que produisent les sols
salins. Les montagnes sont presque sans végétation Quoique les voyageurs n'aient
pu accomplir le véritable but de leur expédition à cause de l'opposition jalouse des
Afghans , ils ont cependant réuni uu bon nombre d'observations scientifiques qu ils
feront eounaître ultérieurement.
Ils sont retournés par le Pamir et l'Indoustan , en partant du lac Goulcha et en
passant par Karakoul, le col de Toujouk, la rivière Amalgane et le petit Khanat de
Koundjou d'où ils sont entrés dans l'Inde.
- 30) -
l':ii|>l«»ratioii par SB. le ooloiicl SiirtecN «le la terre «le lia-
(lian. — M. le colonel Surtees, accompagné d'un géologue aiigl;iis, M. Wiiehouso,
visite actuellement les terrains de Madian oii les Bédouins prétendent avoir décou-
vert des gisements de pétrole. Cette terre de Madian, qui forme la zone frontière
entre l'Egypte et l'Arabie, a été explorée en partie eri 1877 par M. le capitaine
Burton, qui espérait y trouver des mines d'or.
Dt'part de 11. Itoliyz pour la région «lew ni«»utiii Saïa^vwky.
— Sous la diicction du ccilonel Hobyz , et sur l'initiative du comte Iguatiew,
gouverneur de la Sibérie orientale , une expédition s'organise pour explorer cette
partie de l'Asie ou les monts Saïawsky servent de frontière entre la Sibérie et la
Mongolie. C'est là que se trouvent les mines de graj)hite d'Alibert. L'expédition
poussera une reconnaissance jusqu'à l'endroit oii commence le fleuve Ienisseï, c'est-
à-dire jusqu'au lac Kossogoul, dans la Mongolie septentrionale.
AFRIQUE.
Kxpl<>ration «le II. K.-D. Bro^iie «laiis l'Afrique niéri-
«liouale. Le Gold Fields Times rapporte que M. li.-D. Browne a fait une
tournée d'inspection dans le territoire portugais situé entre Lorenzo-Marquez
et Inhambané. 11 a constaté que le ciiemin de fer de la baie de Delagoa avance
régulièrement ; il est achevé sur un parcours d'une vingtaine de kilomètres com-
prenant les sections les plus difficiles à travers les marais. Les ingénieurs ont eu
l'excellente idée de planter des eucalyptus le long de la voie ferrée , ainsi que dans
les marécages qui s'étendent derrière Lorenzo-Marquez. Du charbou a été découvert
à quelques kilomètres du point de la niarée haute , et. l'on a entrepris de sonder le
filon. La houille paraît être de bonne qualité, non bitumineuse, mais de la nature de
l'anthracite , ce qui serait d'un grand avantage au point de vue commercial , les
houilles de Natal et de la colonie du Cap étant surtout bitumineuses. On a aussi
découvert du platiae dans un dépôt d'alluvion. M. Browne est monté à Barbeton ,
d'oii il comptait aller à Sofala, à treize jours de marche environ de l'ancienne rési-
dence d'Oumzila , pour vérifier un renseignenient qu'il avait reçu relativement à
l'existence de riches gisements aurifères dans cette région.
E!«^ploration du Kouaugo par 91. €2. Gireufeli. — Avant son retour
en Europe, le missionnaire G. Grenfell a encore résolu un problème important du
Congo, à savoir le tracé du cours inférieur du Kouango. A 10 kilomètres seulement
de son embouchure dans le Kwa , il reçoit un grand affluent, le Djouma , venant du
sud-est et qui probablement est formé par les trois rivières Wambou, Saie et
Kouilou, que les lieutenants Kund et Tappenbeck ont franchi vers le mdieu de leur
cours. Grenfell remonta le Kouango jusqu'au point le plus éloigné , atteint eu 1880
par le major Mechow, la barrière de Kikounschi à 5" 8' de latitude S. Ce barrage,
ou chute d'eau, quoiqu'il n'eût qu'une hauteur d'un mètre, ne permit pas au vapeur
de continuer sa route. Le Kouango suit sa direction S.-N. jusqu'à 4"^ 30' S., puis il
se détourne vers l'est, pour rejoindre dans la direction N.-N.-E. le cours du Kassaï
ou SankouUou. On attend avec impatience la publication de la carte de Grenfell : ou
— 302 —
saura alors , si réellement , comme le fait croire le tracé du docteur Bùttner , le
Kouango fait un grand circuit vers l'ouest.
il. le docteur llans ^icbinz dans la république l'pinstonia.
— M. le docteur Hans Sehinz , de Zurich, qui depuis 1884 a exploré le Sud de
l'Afrique , a fourni aux Mittheilungen de Gotha des renseignements précieux sur
l'extension du Protectorat Allemand à la république Upingtonia par 19" latitude Sud
et 18' longitude tlst. Nous les résuiuons d'après Y Afrique civilisée et explorée.
Cette république , qui tire son nom du premier ministre de la colonie du Cap ,
est située au Nord du Damaraland , dans le pays d'Ovambo, et a été fondée sur
des terrains achetés aux indigènes par un Boër nommé Jordan. Ce pays, riche en
sources abondantes intarissables , est propre à l'élève du bétail ; il est habité par
des Damaras des montagnes , et des Bushmen nomades , dont la seule occupa-
tion consiste à chercher du miel , à extraire des racines et à s'attaquer aux bœufs
des Boërs.
M. Sehinz, qui a exploré la région du lac Ngami, écrit que ce lac n'est point dessé-
ché, comme on l'a dit quelquefois , mais qu'il qu'il diminue. L'Okavango forme au
Nord-Ouest du lac une vaste nappe marécageuse , et pendant la saison sèche, le lac
ne reçoit qu'une faible partie de ses eaux. Il en est tout autrement à l'époque des
pluies : les petites rivières se réunissent en un large cours d'eau qui se déverse
directement dans le lac. Le Tamalankan , qui se détache de l'Okavango , sous le
18° 40', se jette dans le Botletlé et non dans le Zambèze.
,li'Anibas-Bai aux Allemands. — Les Mittheilungen de Petemiann
annoncent qu'à la fin de mars 1887, l'Ambas-Bai et l'établissement des mission-
naires baptistes, Victoria, ont solennellement été remis aux mains des autorités
allemandes à Cameroun. L'extension du protectorat allemand à l'Ambas Bai avait
déjà été prévue dans la convention anglo-allemande du 7 n)ai 1885 et devait s'accom-
plir sitôt que la société des missionnaires baptistes et le gouvernement allemand
seraient tombés d'accord. Cette condition est remplie par le fait de la cession de
l'établissement aux missionnaires de Bâle.
Exploration de l'Ouban^i par M. le capitaine Tan Gèle.
— Le Mouvement Géographique annonce qu'au mois d'octobre 1886 , à bord du
Henry Reed , M. le capitaine Van Gèle a exploré l'Oubangi dans sa partie infé-
rieure et a reconnu ses affluents. Il a passé tout d'abord devant le petit poste
français établi sur la rive gauche par O^SO' de latitude Sud et 17"^35'' de longitude
Est. Là, l'Oubangi mesure 2,500 mètres de largeur, 11 mètres de profondeur au
thalweg et une vitesse d'un mètre à la seconde , soit un volume d'eau de 15,000
mètres cubes à la seconde.
A hauteur du 4™^ degré, en aval des rapides, il a encore 1,200 mètres de largeur ,
7'" ,50 de profondeur et 1"',30 de vitesse à la seconde.
Entre ces deux points, la largeur de l'Oubangi varie continuellement sans dépasser
4,000 mètres. Ses eaux ont une couleur brun clair. Son aspect général est à peu de
choses près celui du Congo : des îles et des rives boisées. La rive droite présente
beaucoup de parties marécageuses. La rive gauche est souvent élevée et bordée de
collines.
Sur la rive droite, peu peuplée du reste, habitent les Baloï, vrais pirates , qui sont
la terreur des peuples voisins. Sur la rive gauche est une des populations des plus
— :^H —
denses. C'est une succession non interrompue de villages ; aussi l'animation sur le
fleuve est parfois extraordinaire. On rencontre souvent deux à trois cents canots
sillonnant les eaux.
La race est belle, de haute stature. Le cannibalisme existe partout sur la plus
grande échelle. Les peuples riverains font des expéditions les uns chez les autres ,
dans le seul but de se procurer des viandes de boucherie.
Dans cette partie de son cours, l'Oubangi ne reçoit aucun affluent important : les
seuls notables sont trois petites rivières ; le Nghiri à gauche , Vlbenga et le Lobay
à droite.
Le Nghiri débouche dans l'Oubangi par 30' au Nord de l'Equateur et draine d'une
façon assez inattendue, dans son cours extrêmement sinueux , la longue presqu'île
que forment en cet endroit l'Oubangi et le Congo.
A son confluent , le Nghiri a 100 mètres de largeur, 5 à 6 mètres de profondeur.
On la remonte jusqu'à 1" 20 de latitude Nord. 11 a, là encore, 3 mètres de profondeur.
Sur ces rives habite une population excessivement nombreuse. Il est probable qu'à
l'époque des crues , le Nghiri communique avec le Congo dans le voisinage de la
station des Bengala.
Quant à l'affluent de droite , l'Ibenga , il se jette dans l'Oubangi un peu au Nord
du deuxième parallèle. 11 n'a que 90 mètres de largeur , 4'" ,50 de profondeur. Ses
eaux noires viennent du Nord-Ouest. Sur ses rives basses vivent de nombreux
éléphants.
Le Lobay est plus considérable , il débouche par 3" 40' de latitude Nord et a plus
de 200 mètres de largeur, 4"',50 de profondeur. Ses rives boisées s'élèvent par places
jusqu'à 10 mètres.
Sous le quatrième parallèle Nord , l'Oubangi est obstrué par des rapides formés
par un massif montagneux que le fleuve , venant du Nord-Est , a dû percer pour
rejoindre le Congo. Ces rapides , le Henry Reed n'a pu les franchir. 11 paraîtrait
qu'en amont les eaux sont encore plus mauvaises.
AMÉRIQUE.
La déliniitatiou «les froutières Véuézuelo- Brésilicunes. —
La frontière entre le Venezuela et le Brésil a été délimitée dans les années 1880 à
1883. Cette délimitation a démontré que l'Orénoque et le Rio-Negro ne sont pas
reliés l'un à l'autre par le Cassiquiari seulement, mais qu'il existe une foule de bifur-
cations formant une grande île , qu'on a nommée « Ilha Pedro II ».
Projet «le eaual iuteroeéauique au i\lc*arag;ua. — Suivant le
Report of the W. «S. Nicaragua Surveying Party 1885, par A.-G. ]MenocaI, le canal
projeté commencerait à Puerto et suivrait d'abord la vallée du Rio-Grande, puis celle
du Rio-Lajas jusqu'au lac Nicaragua. Le canal traverserait le lac depuis l'ancienne
embouchure du Rio-Lajas jusqu'à celle du San-Juan , qu'il suivrait alors jusqu'à la
vallée arrosée dans sa partie inférieure par le petit Rio-San-Francisco. Les eaux
du San-Juan seraient contenues par un grand barrage à Oehoa, à l'Est de l'embou-
chure du Rio-San-Carlos. Le San-Francisco serait séparé du San-Juan par une autre
digue ; on formerait ainsi un vaste lac artificiel au même niveau que le Nicaragua.
Il y aurait à creuser un petit canal pour relier le San-Juan au San-Francisco. De
là , le canal traverserait les montagnes en longues courbes , au sortir desquelles
il se dirigerait en droite ligne sur Greytown. Dans cette partie , il faudrait con
struire trois écluses et quatre autres dans la vallée du Rio-Grande. La longueur
totale du canal serait de 169,8 milles , dont 40,3 devront être creusés. Le coût total
est estimé à 64,036,197 dollars ou liv. sterl. 12,807,240. Le fond du canal aurait
une largeur de 80 à 120 pieds , sa surface de 80 à 3(iO pieds ; il aurait 28 pieds de
profondeur.
Alaska. — Explorations nouvelles. — Le rapport officiel du lieutenant
F. Schwatka , au ministère de la guerre , sur sa mémorable expédition au fleuve
Youkou, en 1883, vient enfin d'être publiée. Si Ton songe que la plus grande partie
du voyage sur le fleuve a été faite sur un radeau et que presque partout le courant
du fleuve a la rapidité d'un torrent , il faut admirer et le courage et la persévérance
de l'explorateur et surtout l'exactitude des plans et des cartes. Le fleuve fut mesuré
de Lindeinan-Sea a l'embouchure de l'Aphoon, soit 3,290 kilomètres. Le rapport est
accompagné de nombreuses photographies de paysages , stations commerciales ,
indigènes , tombeaux, etc.
L'exploration des régions situées aux confins de l'Amérique anglaise et de l'Alaska,
qui a une grande importance à raison des gisements d'or très riches qu'on y a
découverts, promet d'être activement poussée cette année ; c'est le Canada seul qui
s'en occupera, vu que le Congrès des Etats-Unis n'a pas alloué les sommes néces-
saires. Le géologue G. -M. Dawson , bien coimu par ses travaux dans la British-
Golumbia et dans les îles de la Reine Charlotte , entreprendra une expédition dans
les régions du Youkon supérieur ; une partie de l'expédition , sous sa conduite per-
sonnelle , suivra la vallée du Stakeen qui débouche dans le grand Océan , franchira
les monts Rocheux et se dirigera vers l'Est le long du fleuve Liard ; de là , on fran-
chira la séparation des eaux du Mackenzie et du Youkon et l'on atteindra ce fleuve
près du Fort Selkirk en suivant le Pelly. Au Fort Selkirk , Dawson se réunira avec
la deuxième division de l'expédition qui, sous la direction de W. Ogilvy, aura suivi
en général la route de Schwatka ; ils feront alors des excursions étendues le long
des différents affluents du Youkon. Dawson retournera en automne et Ogilvy hiver-
nera au Fort Selkirk pour continuer, l'été suivant, ses explorations. (Peferman.
Mitt.)
Résultats de la Missiou II. C. lloyauo. — M. Carlos Moyano ,
lieutenant de vaisseau , Gouverneur du territoire de Santa-Cruz, a adressé au gou-
vernement Argentin son rapport sur son exploration jusqu'aux sources du Rio
Gallegos et du Rio Santa-Gruz.
Cette mission a parcouru une zone s'élevant de la mer jusqu'à la Gordillière des
Andes du 50" au 52° de latitude dans la Patagonie australe.
Le voyage de M. Moyano a duré deux mois et demi.
M. Moyano a constaté que les eaux du Pacifique forment des ports excellents sur
les côtes, que tous les lacs de la Patagonie australe communiquent entre eux, et que
la zone andine , couverte de forêts , se prête très bien à l'élevage ; enfin , il a signalé
de nombreuses mines de charbon et de fer. Malheureusement , leur éloignement de
toute voie de communication, en rend l'exploitation imparfaite.
305 —
OGEANIE.
Kxploratloiis en I%ouTclle*<«iiiiiée. — Le révérend W.-G. Lawes, dans
une lettre de Port-Morcsby du 20 janvier, annonce dans une lettre publiée jiar les
Proceedings de la Société de géographie de Londres qu'une expédition s'organise
sous la direction de M. Vogan , conservateur du musée d'Auckland, dans le but
d'essayer, aussitôt après la saison des pluies , de traverser la Nouvelle-Guinée flans
sa partie sud-est de Freshwater-Bay au golfe Huon. Au mois d'août de l'année
passée, le docteur Glarkson et M. G. Hunter avaient fait un voyage dans l'inté-
rieur : ils sont partis de Kapakapa et ont suivi la dépression entre les hauteurs
d'Astrolabe et de Macgillivray. Ils ont traversé la rivière Kemp-Welch, sans pourtant
que cette expédition ait eu des résultats bien intéressants.
Les États-Unis dans le Pacifique. — Le Sénat de Washington a rati-
fié le traité de commerce signé avec les îles Havvai et dont une des clauses porte la
cession au gouvernement des Etats-Unis de Pearl-River.
Les Etats-Unis s'apprêtent à créer une station navale dans l'archipel de Tonga
(île des Aaiis) qui se trouve sur la route de l'Australie et qui est destiné, par consé-
quent, à acquérir une certaine importance lorsque l'isthme de Panama sera percé.
II. — Géographie commerciale. — Statistiques
et Faits économiques.
EUROPE.
ISituation économique de la Bosnie et de I-nerzégovine.
— De toutes les provinces que renferme la péninsule balkanique , la plus pitto-
resque et la plus belle est assurément la Bosnie.
C'est un pays de montagnes , de vallées et de forêts II n'y a guère de plaines que
dans la Pozavina, le long de la Save , du côté de la Serbie. Partout ailleurs s'étend
une suite de vallées oii coulent des ruisseaux et des rivières et que couronnent des
hauteurs boisées. La superficie de la Bosnie est de 5,410,200 hectares, sur lesquels il
y en a 871,700 couverts de rochers stériles, tels que le Karst ; 1,811,300 occupes par
des terres labourables et 2,727,200 par les forêts. Faute de routes pour y accéder ,
— 306 -
beaucoup de ces forêts sont encore absolument vierges. Les plantes grimpantes qui
s'enlacent autour des chênes et des hêtres y forment des fourrés impénétrables , oii
l'on ne peut s'avancer que la hache à la main comme au Brésil. Les habitants ont
coupé pour leur usage les bois qui sont à leur portée , et les Turcs , afin d'éviter les
surprises, ont systématiquement détruit et brûlé toutes les forêts autour des villes
et des bourgs, de sorte que les forêts manquent aux alentours des lieux habités. De
magnifiques massifs de résineux s'étendent dans les hautes montagnes , derrière
Sarajewo jusqu'à Ibar et Mitravitza. C'est de là que , pendant plusieurs siècles , la
République vénitienne a tiré tout le bois nécessaire à la construction de ses flottes.
On a calculé que, sur les J, 667,500 hectares de bois feuillus et sur les 1,059,700 hec-
tares de résineux, il y avait environ 138,971,000 mètres cubes , dont 24,946,000 de
bois de construction et 114,02-5,000 de bois à brûler. Voilà des éléments d'une
richesse énorme, mais, il faut bien le reconnaître , d'une réalisation difficile. Pour le
moment , d'ailleurs , l'exploitation de ces bois ne serait financièrement qu'une
opération désastreuse, le stère de sapin se vendant de 2 à 5 francs et celui de chêne
de 3 à 7.
L'aspect de l'Herzégovine est tout à fait différent. De grands blocs de calcaire
blanchâtre, jetés çà et là, recouvrent le sol. L'eau manque presque partout; pas de
sources : les rivières sont toutes formées de grottes , elles donnent naissance en
hiver à des lacs dans des vallées sans issues, puis disparaissent sous terre. C'est ce
que les Allemands désignent très bien sous le nom de Hohlen Flicsse , les rivières
des cavernes. Les maisons , construites en bois , dans la Bosnie , le sont ici avec de
grosses pierres d'un aspect vraiment sauvage. On ne voit presque point d'arbres. Le
climat est le même que celui de la Dalmatie, et comme il fait partie du bassin médi-
terranéen, le pays subit l'influence du siroco et des longues sécheresses estivales.
La vigne et le tabac y prospèrent et donnent d'excellents produits. Vers les bouches
de la Naranta , l'olivier et l'oranger même apparaissent. Aux environs de Ljubuskr ,
dans la vallée marécageuse de la Trébisatch, le riz se cultive. Au contraire, dans la
Bosnie, région montagneuse orientée vers le nord, le climat est rude ; il gèle fort et
longtemps à Sarajewo, et la neige y persiste pendant six semaines ou deux mois.
L'éminent écrivain à qui nous empruntons les principaux ti'aits de cette descrip-
tion (1) pour les lecteurs du Bulletin de la Société de géographie de Lille,
ne fait pas de l'agriculture bosniaque une peinture brillante. « Cette agriculture,
dit M. Emile de Laveleye , est une des plus primitives de toute l'Europe.
EUe n'applique que par exception l'assolement triennal , connu cependant des
Germains au temps de Gharlernagne , et même , dit-on , à l'époque romaine. Généra-
lement , la terre restée en friche est retournée , ou plutôt déchirée par une charrue
informe. Sur les sillons frais, on jette la senience de mais, qu'on enterre légèrement
au moyen d'une claie de branchages servant de herse. Les champs sont binés une
ou deux fois entre les plants. Après la récolte , on met un second ou un troisième
maïs, parfois du blé ou de l'avoine jusqu'à l'entier épuisement du sol. On l'aban-
donne alors, et il se couvre de fougères et de plantes sauvages , où paît le bétail . en
attendant que la charrue revienne , après un repos de cinq à dix ans. L'engrais
est inconnu, car les animaux domestiques n'ont très souvent aucun abri : ils vaguent
dans les friches ou dans les cours des maisons. Aussi la production agricole est-elle
relativement minime : 100 millions de kilogrammes de maïs , 49 millions de kilo-
grammes de froment, 38 millions de kilogrammes d'orge, 40 millions de kilogrammes
(1) La Péninsule des Balkans, lomc ^«^ chapitres iv, v et vi (Paris, Alcan, 1886/.
- 307 -
d'avoine, 1(J imlliuiis de kilogrammes de fèves. La fève constitue un article imfior-
tant de l'alimentalion : on en mange effectivement tous les jours de jeùno ot de
carême, et il y en a 180 pour les Grecs et 105 pour les catholiques. On récolte é;rale-
ment du seij>le. du millet, de Tépeautre , du sarrazin, des haricots, du sor;^ho , des
poiiiines de terre, des navets, du colza. Le produit des divers grains s'élève à 500
millions de kilogrammes. •'
Quelques faits donneront une idée encore plus précise de ce déplorable état de
choses. Ce pays natureliement si favorable à la culture do l'avoine , ne peut en four-
nir assez pour les besoins de la cavalerie ; on est forcé d'en aller chercher en
Hongrie, et elle se paye à Sarajcwo le prix excessif de 20 à 21 francs les 100 kilo-
grammes. Le bétail est la principale richesse du pays. La statistique officielle de
1879 fournit les nombres suivants pour les animaux domestiques en Bosnie-Herzé-
govine : 158,034 chevaux , 3.134 mulets , 762,077 bêtes à cornes , 839,988 moutons ,
430,354 porcs. A compter 10 moutons et 4 porcs pour une tète de gros bétail , on
obtient un total de 1,114,796, ce qui, pour une population de 1,158,453 habitants, fait
presque par 100 habitants 100 têtes de bétail. Proportion extrêmement élevée,
puisqu'on France le chiffre correspondant n'est que de 49 ; dans la Grande-Bretagne,
45 ; en Belgique, 36 : en Hongrie, 68 ; en Russie, 64. En Australie et aux États-Unis,
ou pour mieux du-e dans tous les pays ou la population a une faible densité , les
espaces inoccupés entretiennent beaucoup d'animaux domestiques , et par consé-
quent, les hommes peuvent se procurer facilement de la viande. Quoique la Bosnie
exporte des bêtes de boucherie en Dalmatie pour les villes du littoral , le Bosniaque
mange beaucoup plus de viande que le cultivateur belge ou français. Considère-t-on
maintenant le chiffre du bétail relativement à l'étendue du pays, on obtient, au con-
traire, une proportion moins favorable : 22 têtes de bétail par 100 hectares en Bosnie,
40 en France, 51 en Angleteri-e, 61 en Belgique. La production totale que livre le sol
dans la Bosnie-Herzégovine est très minime, car elle n'entretient que 22 habitants
par 100 hectares, alors qu'ily en a en Belgique 187, en Angleterre 111, en France 70.
C'est seulement en Russie que l'on trouve 15 habitants sur la même superficie , et
l'on sait que la Russie septentrionale a un climat ainsi qu'un sol détestables. Quant
aux salaires des journaliers, ils peuvent se résumer ainsi : de 70 centimes à 2 francs
à la campagne , suivant la saison et la situation ; de 1 fr. 10 à 2 fr. 10 dans les villes.
Les vaches sont très petites et ne donnent presque pas de lait. Les moutons sont
nombreux : c'est la viande que préfère le musulman ; mais leur laine est très
grossière ; elle sei't à confectionner les étoffes et les tapis que les femmes tissent au
sein de chaque famille. Dans les bois de chêne , les porcs vivent presque à l'état
sauvage. Avec leurs hautes jambes et leur aspect de sangliers, ils galopent comme
des lévriers. Chaque paysan possède des chèvres. Les bergers quittant les plaines
pour tout lété et emmenant les troupeaux sur les hauteurs , dans les pâturages et
dans les bois des montagnes , elles sont le fléau des montagnes. Les chevaux sont
mal faits et de petite taille ; on les emploie uniquement comme bêtes de somme, car
ils sont trop faibles pour tirer la charrue, et la charrette n'est pas usitée ; mais, très
agiles, ils gravissent et descendent les sentiers des montagnes avec une rapidité et
une sûreté de pied peu communes. Ils sont très mal nourris et réduits pour la plupart
du temps à chercher eux-mêmes leur subsistance dans les forêts, les pâturages ou
le long du chemin. Quelques begs turcs possèdent des bêtes d'une belle allure , des
chevaux arabes introduits dans le pays par la conquête ottomane. Tous les trans-
ports s'effectuant sur leur dos, le nombre des chevaux est considérable et chaque
exploitation rurale en possède au moins une couple. Si l'on améliorait la race , la
Bosnie pourrait fournir d'excellents chevaux à Tltalie et à tout le littoral de l'Adria-
tique. Aussi bien , le gouvernement autrichien commence-t-il à s'occuper de ce per-
22
— 308 —
fectionneineiit : en 1884 , il envoya à Mostar cinq étalons de la race de Lipitça et
détail caractéristique . toute la population fut les recevoir drapeau et musique en
tête. La municipalité fournit les écuries ; d'autres localités , telles que Nevesinje et
Konjica, offrirent d'en faire autant, et l'année dernière , des haras ont été établis sur
divers points du pays dans le dessein de grandir la taille des chevaux indigènes.
Sous la domination turque, la condition des paysans était devenue tout à fait into-
lérable. Après la conquête ottomane , le territoire fut , comme c'est l'habitude en
pays turc , divisé en trois parts : la première pour le sultan ; la seconde pour le
clergé ; la troisième pour les propriétaires musulmans. Ces propriétaires étaient les
nobles bosniaques , les chrétiens convertis à risiamisme et les spahis à qui il n'était
pas rare de voir le sultan donner des terres en fiefs. Les laboureurs devinrent sous
le nom de kmets (colons) ou rayas (bétail) des espèces de serfs. Tout d'abord et jus-
qu'au milieu du dernier siècle , les kmets n'eurent à livrer aux grands propriétaires
(hegs) ou aux petits propriétaires {agas) qu'un dixième des produits sur place , sans
avoir à les transporter au domicile de leurs maîtres, plus un autre dixième à l'Etat
pour l'impôt. Les spahis et begs vivaient en grande partie des razzias qu'ils opéraient
dans les pays voisins, et l'État, ne faisant rien pour la communauté, avait peu besoin
d'argent. Mais, peu à peu , les musulmans élevèrent leurs exigences : ils en vinrent
jusqu'à exiger le tiei's ou la moitié de tous les produits du sol, livrables à leur jioini-
cile, plus deux ou trois jours de corvée par semaine. 11 ne resta bientôt plus aux
kmets que ce qui leur était strictement nécessaire pour subsister. Dans les hivers
qui suivaient une mauvaise récolte, ils mouraient littéralement de faim. Aussi,
réduits au désespoir , se réfugiaient-ils par milliers sur le territoire autrichien , oii le
gouvernement leur donnait des terres , et , en attendant , les nourrissait. En 1840 ,
l'Autriche commença à s'émouvoir .de cet état de choses : elle fit entendre des récla-
mations à la Porte, et celle-ci, à diverses reprises, donna des instructions à ses gou-
verneurs pour qu'ils intervinssent en faveur des paysans bosniaques.
En 1850, lorsque Omer Pacha eut maîtrisé l'insurrection des begs et brisé leur
puissance, un nouveau règlement fut rendu : il sert encore de base au régime agraire
actuellement en vigueur. La corvée est abolie d'une façon absolue. La prestation du
kmet est fixée au maximum à la moitié du produit si le propriétaire fournit le bétail,
les bâtiments et les instruments aratoires ; au tiers, si le capital d'exploitation appar-
tient au cultivaieur. Celui-ci doit, en tout cas, livrer la moitié du foin au domicile du
maître. Mais, d'autre part, celui-ci doit supporter le tiers de l'impôt sur les maisons.
La dîme qui revient à l'Etat est d'abord déduite. Dans les districts peu fertiles , le
raya paye seulement le quart , le cinquième ou le sixième du produit. Ce règlement
établissait , en somme , un système analogue au métayage en vigueur dans le midi
de la France, dans une grande partie de l'Espagne et de l'Italie , sur les biens ecclé-
siastiques en Croatie sous le nom àe polovina^ et il semble , dès lors , qu'il aurait dû
terminer les souffrances des tenanciers. Il n'en fut rien toutefois , et leur sort ne fit
qu'empirer. Exaspérés des garanties accordées aux chrétiens, et qui leur paraissaient
autant d'atteintes à leurs droits séculaires , les begs maltraitèrent et dépouillèrent
plus que jamais leurs pay.sans ; ceux-ci n'avaient aucun recours possible auprès des
juges et des fonctionnaires musulmans. Les rayas bosniaques cherchèrent de nouveau
leur salut dans l'émigration. Cet exode eut lieu en 1873-74 et l'Europe se rappelle
encore les lamentables scènes qui le marquèrent. Plus énergiques , et soutenus par
leurs voisins du Monténégro , les Herzégoviniens se soulevèrent ; c'est ainsi que
commença la mémorable insurrection , origine des grands événements qui ont si
profondément modifié la situation de la péninsule.
Quelle est aujourd'hui la situation économique des cultivateurs ? Pour nous édifier
à cet endroit, entrons sur les pas de M. de Laveleye dans la chambre de l'un d'entre
- m^ -
eux : « L'habitation est une hutte en clayoïinage rocouvei-te de bardeaux de chêne :
elle est éclairée par deux lucarnes à volets sans carreaux de vitre. P^lle est divisée en
deux petites cliauibrcttes. La première est celle où l'on fait la cuisine ; dans la
seconde couche la famille. La première pièce est entièrement noircie par la fumée
qui, faute de cheminée, envahit tout jusqu'à ce qu'elle s'échappe à travers les inter-
stices du toit. La charpente en est visible ; il n'y a point de plafond. A la crémaillère
est suspendue une marmite où cuit la bouillie de maïs qui est la nourriture du
paysan. Trois escabeaux en bois , deux vases en cuivre , quelques instruments ara-
toires, voilà tout le mobilier : ni table , ni vaisselle : on se croirait dans une caverne
des temps préhistoriques. Dans la chambre à coucher, ni chaises ni lit : deux coffres
pour tout mobilier. ... Le kmet ouvre l'un des coffres et nous montre avec fierté ses
habits de fête et ceux de sa femme. Il a récemment acheté pour celle-ci une veste en
velours bleu toute brodée d'or , qui lui a coiité IGO francs , et pour lui un dolman
garni de fourrures. « Depuis l'occupation , dit-il , il a pu faire des économies , parce
» que les prix ont beaucoup augmenté, et il ose mettre ses beaux habits le dimanche
» parce qu'il ne craint pas d'être rançonné par le fisc et les begs. » L'autre coffre
est tout rempli de belles chemises brodées en laines de couleur. Elles sont faite.s par
sa femme qui les a apportées en dot. Voilà bien les peuples enfants : ils songent au
luxe avant de soigner le confort. -Ni table , ni lit : mais du velours , des broderies et
des soutaches d'or. Cette ab.sence de mobilier et d'ustensiles explique comment les
Bosniaques se déplacent, émigrent et reviennent si facilement. »
M. de Laveleye fit la connaissance d'un capitaine dalmate, M. Domitchi, qui s'est
beaucoup occupé de la géologie et de la minéralogie du pays. Il exploite , au pied du
mont luatch, une concession où l'on rencontre , chose très rare , du mercure à l'état
liquide. M. Domitchi assure que le pays est très riche en minéraux de toutes sortes.
Près de Tuzla, des salines appartenant au fisc, livrent une paitie du sel qu'on con-
somme dans le pays. En 1883 , elles ont donné une augmentation de bénéfice de
.S00,000 florins, ce qui, pour le dire en passant, est l'indice d'une plus grande prospé-
rité. Non loin de Varès , on produit du fer excellent. Des bassins de lignite de très
bonne qualité existent près de Zeniteha , de Banjaluka, de Travnich , de Ronzieta et
Mostar ; on a recueilli également des minerais très riches de chrome, de cuivre , de
manganèse , de plomb argentifère et d'antimoine. Une collection des minerais de la
Bosnie figurait à la dernière Exposition universelle de Paris. L'État s'est réservé la
propriété de toutes les mines, mais Une Compagnie, la Bosnia, a obtenu des conces-
sions importantes et en a commencé l'exploitation.
Tant que la Bosnie appartenait à la Turquie, elle est restée une vraie terre incon-
nue. Aujourd'hui , veut-on se renseigner sur son orograj^hie , sa géologie , sa consti-
tution, la répartition de la propriété , son régime agraire , sa population , .ses races ,
ses cultes , ses occupations , il n'y a qu'à feuilleter la publication officielle appelée
Ortschafts und Decolkerungs Statistik von Bosiiien und der ITerzegovina, et l'on
connaît ce pays mieux que le sien propre. On y trouve les chiffres suivants. En 1879,
les 1,158,453 habitants vivaient dans 43 villes, 31 localités où se tiennent des mar-
chés , 5.054 villages et 190,062 maisons. On voit que la population rurale est disper-
sée dans un nombre considérable de hameaux , n'ayant en moyenne que 231
habitants. Six personnes par maison est un chiffre assez élevé qui s'explique par le
nombre assez grand des familles patriarcales. Le sexe ma.sculin est de beaucoup plus
nombreux que le sexe féminin : 615,312 d'une part et seulement 543,121 de l'autre ;
proportion peu favorable à la polygamie, qui n'existe, au surplus, que chez les fonc-
tionnaires turcs et point du tout chez les musulmans indigènes. Voici un aperçu des
professions : 95,400 capitalistes et propriétaires - fonciers , dont un grand nombre
cultivent eux-mêmes ; 84,942 cultivateurs-fermiers ; 54,775 manœuvres et ouvriers de
— 310 —
toute espèce ; 10,929 marchands , boutiquiers, industriels; 1,082 ecclésiastiques;
678 employés : 259 instituteurs et professeurs , et 94 médecins. « Ce qui peint au vif
la situation du pays, c'est l'effectif si réduit de l'état-major des fonctions libérales.
Malgré de récents progrès, combien peu il se fait pour les besoins intellectuels et
moraux ! Un seul maître enseignant pour 4,506 personnes ! Evidemment , pas un
médecin dans les villages et même dans les bourgs. Le musulman se résigne, le raya
est pauvre, et tous demandent des remèdes aux exoirismes , aux plantes et à des
recettes de sorcière. »
L'élément Israélite joue en Bosnie un rôle fort importoni : les Juifs qui Thabiteiit,
viennent les uns de l'Autriche ou de la Hongrie , et les autres sont des indigènes
établis depuis fort longtemps dans le pays. Ces derniers descendent des malheureux
réfugiés qui avaient fui l'Espagne pour échapper à la mort, au XV et au XV'I siècle.
Ils parlent encore l'espagnol et l'écrivent avec des caractères hébraïques. Ils sont au
nombre de 3,420 , dont 2,079 fixés à Saraje^vo. Ce nombre est petit, mais la place
qu'ils ont su se faire dans le mouvement des affaires est énorme. C'est par leur inter-
médiaire que se font presque exclusivement les importations et les exportations. Ils
vivent d'ailleurs très simplement et ne semblent pas désireux d'attirer l'attention.
Ces Juifs ont complètement adopté le costume des musulmans et leur façon de vivre.
Pour ce uiotif , et peut-être aussi à cause de la ressemblance des deux cultes , ils ont
été moins maltraités que les chrétiens. Tous accomplissent les prescriptions de leur
culte avec la plus rigoureuse ponctualité. Ils ne le cèdent pas aux musulmans sous
ce rapport. Le samedi personne ne manque à la synagogue , et même la plupart s'y
rendent le matin, quand la voix du muezzin appelle les enfants de Mahomet à la
prière.
Il existe encore en Bosnie une autre race très intéressante et qui est disséminée
dans toute la péninsule. Ce sont les Tsintsares , gens aussi actifs , aussi économes ,
aussi entreprenants que les Juifs eux-mêmes, et plus disposés en même temps à faire
œuvre directe de leurs bras. Ils habitent dans toutes les villes et y fout le commerce ;
dans les campagnes, ils tiennent des auberges tout comme les Juifs en Galicie et en
Pologne. Ce sont d'excellents maçons , et avant l'arrivée dos nruratori italiens , ils
étaient les seuls dans le pays. Ils sont également charpentiers et exécutent avec une
grande habileté les travaux de menuiserie. On leur attribue la construction de tous
les bâtiments importants de la péninsule : églises, ponts, maisons en pierres. Enfin,
on vante leur goût dans la conlection des objets de filigrane et d'orfèvrerie. Quel-
ques-uns d'entre eux sont riches et font de grandes affaires ; le fondateur de la
fameuse maison de banque Sina, à Vienne, était un Tsintsare. Les Tsintsares sont
entre eux d'une probité proverbiale ; ils adoptent le costume et la langue du pays
qu'ils habitent , mais ne se mélangent pas avec les autres races. « Ils conservent un
type à part , très reconnaissable. D'oii viennent ces aptitudes spéciales , qui les
distinguent si nettement des Bosniaques musulmans et chrétiens au milieu desquels
ils séjournent? Ce sont évidemment des habitudes acquises et transmises hérédi-
tairement. On ne peut les attribuer ni à la race , ni au culte , car leurs frères de la
Roumanie , de même sang et de même religion , ne les possèdent nullement jusqu'à
présent. Quel dommage qu'il n'y ait que quelques milliers de Tsintsares en
Bosnie ! »
E.e canal de la nier «lu .\ord à la mer Baltique. — Ce travail ,
dii à l'iuitiative de M. de Bismarck . qui fit voter l'année dernière les crédits néces-
saires à l'exécution des travaux, a été inauguré le 3 juin dernier par l'empereur
Guillaume.
- Mi -
Voici , en qudques mots , le plan , les proportions, le coût des travaux , ainsi que
le trafic éventuel du canal dcïs doux mers allemand :
Le tracé adopté est celui qui a été élaboré par ringénieur Leutre , en s'inspirant,
paraît-il , dos conseils d'un grand négociant de Hambourg.
Ce canal j)artira à trois kilomètres on amont de Burnsbuttel, près de Tomljouchure
de l'Elbe , pour aboutir dans la baie de Kiel, près de Holtonau II atteindra l'Eider à
Wittelsbergeu et en suivra le cours en passant par Rendsbourg jusqu'à Steinrad ,
oti il prendra la direction suivie par le canal actuel de r?]ider , mais en supprimant
les courbes.
Le canal aura 60 mètres de lai'geur au niveau de l'eau , 26 mètres au fond et une
profondeur de 8"',50. Les observations techniques faites sur les pluies et sur l'éva-
poration dans le Holstein, ont prouvé que l'eau nécessaire à ralimontation des biefs
du canal et au service des écluses ne fera pas défaut. Il y a un inconvénient . cepen-
dant : c'est l'interruption forcée qu'éprouvera la navigation sur le canal pendant la
saison des froids ; il sera gelé pendant trois mois au moins.
Les frais do construction se mon.teront à la somme de 156 millions de marks,
dont 50 seront à la charge de la Prusse et le reste à répartir entre les autres Etats
allemands. Ces sommes sont couvertes au moyen d'un emprunt contracté par
l'empire.
Les frais annuels d'entretien sont évalués à 1,900,000 marks. On estime qu'ils
seront couverts par les droits perçus au passage des navires qui paieront 75 pfen-
nings par tonne. En 1883 , le détroit du Sund a été franchi par .35,000 navires , tant
voiliei's que vapeurs, jaugeant ensemble 13,975,000 tonnes. On .i)euse que 18,000
navu'es environ suivro-.it la nouvelle route : c'est de 637 milles marins au moins que
la nouvelle voie abrégera la navigation qui se fait actuellement par le cap Skagen.
Les voiliers gagneront trois jours et les vapeurs vingt-deux heures , en comptant
pour ceux-ci une vitesse de 6,25 nœuds en mer et 5,3 nœuds dans le canal.
Les difficultés et le-^ dangers de la navigation maritime par le Sund se chiffrent
chaque année par des pertes considérables. De 1877 à 1881 , on a compté 92 navires
allemands jaugeant ensemble 20,000 tonnes et représentant une valeur de 3 à 4
millions de marks, qui ont péri autour du cap Skagen, dans le Sund , dans les deux
Belt , dans le Kattegat , dans la partie septentrionale de la mer du Nord et aux
bouches de l'Elbe II y a eu d'autres pertes évidemment dont on a jamais nen
appris. On estime enfin qu'il se perd chaque année 200 navires de toute nationalité
dans ces parages.
Ces dangers et ces pertes étant écartés à l'avenir, le nouveau canal présente encore
d'autres avantages considérables au point de vue conimercial et militaire.
Avantages commerciaux. — Les ports allemands de Lubeck , de Weimar, de
Stettin, de Dantzig, de Kœnigsberg , de PiUau , tous sur la Baltique , se trouveront
sensiblement rapprochés des ports de la mer du Nord. Le trajet do la Baltique à
Hambourg se trouvera abrcdé de 44 heures; il le sera de 32 pour Bremerhafen , de
22 heures pour Amsterdam, Rotterdam, Anvers, Duukerque et Londres. Le port de
Lubeck est le centre d'un trafic important. Il a des chantiers , des usines métallur-
giques, des manufactures. Les bassins sont remplis de voiliers et de vapeurs venus
de Suède et de Norwège.
Rostok , le porc le plus animé du Mecklembourg , exporte en abondance des
céréales que lui expédient les villes de l'intérieur. Plus loin, c'esi, Stettin , le grand
port de la Basse-Oder, la ville maritime la plus considérable de la Prusse propre-
ment dite.
Stettin est le port de Berlin sur la Baltique et, comme cité industrielle, elle
— 312 —
occupe un des premiers rangs en Allemagne. Là, viennent s"entasser les produits du
bassin industriel houiller , métallurgique et agricole de Silésie. C'est le marché
naturel de Breslau , l'un des plus grands entrepôts de céréales du continent et le
centi'e du commerce des laines en Allemagne.
Dantzig, le port du bassin de la Vistule allemande a perdu beaucoup de son
ancienne importance. En retour , Kœnigsberg a beaucoup gagné. Enfin , Memel , le
dernier port allemand, sur la frontière russe , est un grand entrepôt de céréales , de
bois , de lin et de chanvre.
Voilà pour la région de la Baltique. Du côté de la mer du Nord , il faut noter tout
d'abord que TP^lbe, à l'embouchure de laquelle le canal a son point de départ, est le
cours d'eau de l'Allemagne le plus favorable à la navigation. Les droits de naviga-
tion qui pesaient autrefois sur le trafic eu différents endroits , ont été supprimés
depuis 1870 , et les embarcations descendent librement de Dresde à Hambourg sans
rencontrer de douanes intérieures. L'Elbe a sur son cours , Magdebourg , le grand
entrepôt de céréales , de betteraves et d'antres denrées agricoles que produisent les
riches campagnes de la Bœrde , le centre d'une activité considérable. Enfin , l'Elbe
est en communication directe avec la mer. Son estuaire oti la marée remonte juscpi'à
165 kilomètres de l'embouchure , est constamment agité par le flot.
Hambourg est la deuxième ville de l'Allemagne par sa population et par l'impor-
tance de son commerce qui a quadruplé de valeur depuis le milieu du siècle. Quoique
situé à 110 kilomètres de la mer , elle est en libre communication d'échanges mari-
times avec tous les pays du monde par le chenal de l'Elbe. Des services réguliers
de vapeurs rattachent Hambourg aux ports de la Russie , aux villes du littoral Scan-
dinave, aux cités maritimes de l'occident et au continent américain. Son avant-port,
Guxhaven, lui est très utile en hiver quand l'Elbe est couverte de glaces en aval.
Avantages militaires. — Les avantages commerciaux , considérables ainsi qu'on
vient de le voir par ces aperçus, ne le cèdent en rien aux avantages militaires qu'en
tirera la marine de guerre allemande.
Le point de vue stratégique tient un(? large place dans le tracé et dans les travaux
à exécuter. Si l'on a choisi Kiel pour point de départ, c'est que c'est le premier port
militaire allemand. Dorénavant , il sera relié directement au second port militaire .
Wilhemshafen. Les fortifications des écluses tiennent une place importante parmi
les travaux prévus. Des forts seront élevés aux entrées. Si le canal n'était construit
que pour la marine marchande , et si on faisait abstraction de toutes les considéra-
tions stratégiques, il coûterait 50 millions en moins , — le tiers !
Les navires de guerre allemands sont exempts du droit de passage.
Lorsqu'une première fois, en 1873, il fut question du canal devant la Chambre des
Seigneurs , le maréchal de Moltke ne voulut pas en entendre parler. Il préférait une
augmentation de la marine , qui a eu lieu . en effet , et c'est lui maintenant qui a
suggéré au chancelier de reprendre le projet. Il craint , en effet , que , lors d'une
guerre , la flotte allemande pourrait bien se voir réduite à l'inaction par une flotte
ennemie qui viendrait s'embosser à l'entrée de la Baltique et barrer toutes les
passes au moyen de torpilles , étant d'accord avec le Uaneniark.
Lorsque le canal sera construit , les navires de guerre allemands pourront aisé-
ment circuler d'une mer à l'autre , refuser le combat s'ils ne sont pas en force , cher-
cher ou attendre des secours pour accabler l'ennemi.
La flotte de la Baltique pourra se réfugier facilement dans l'embouchure de l'Elbe
ou du Weser oii des dispositions et des travaux spéciaux ont été exécutés pour créer
un abri sûr. Grâce aux vingt-deux heures gagnées par le canal, ces navires de guerre
allemands, partis par exemple en même temps qu'une flotte ennemie des hauteurs de
- 313 -
Héligoland, arriveraient iTicore quelques heures avant celle-ci à l'entrée du Grand-
Belt pour lui barrer l'entrée de la Baltique.
ASIE.
liC transport île l'or en Sîhérie. — On sait que dos caravanes font
quatre ou cinq fois par an le clieinin des niinr>s de la Sibérie orientale à Saint-
Pétersbourg pour le transport de l'or. A ce sujet, d'après des journaux russes, la
Deutsche Welltpost rapporte les intéressants détails suivants sur une de ce-< cara-
vanes qui arriva à Saint-Pétersbourg dans les premiers mois de 1885, chargée d'envi-
ron 346 pouds (1 poud = 154 kilos) -d'or pur, d'une valeur de 7 millions de roubles.
Les lingots d'or sont de grandeurs variées (depuis quelques grammes jusqu'à 10
livres); on les emballe d'abord dans de petites caisses, qui elles-mème sont réunies
dans une grande caisse contenant 25 pouds, et fermée au moyen de lattes de fer
clouées autour ; chacune de ces caisses est soudée à un chariot. Ces chariots sont
fabriqués de telle façon qu'on peut les transformer en traîneaux. Ils sont chacun
attelés d'une tro'ique de chevaux de postes, ou de chevaux livrés par les particuliers
selon les régions que l'on parcourt. En répartissant 25 pouds d'or sur chaque chariot,
il a fallu 14 troiques pour le transport des 346 pouds. Le commandant de la circons-
cription militaire de la Sibérie orientale nomme ordinairement pour accompagner ces
caravanes un de ces meilleurs officiers . qui s'entoure d'une compagnie d'hommes
pris parmi les cosaques de Sibérie. La caravane dont il est question ici , était com-
mandée par le capitaine d'état-major Kermal, chef du convoi de Scheragel (gouver-
nement d'irkoutsk), qui ne quitta pas un instant la caravane et mit de la sorte un
mois et dix jours au trajet d'Irkoutsk à Saint-Pétersbourg, sans jamais pouvoir se
l'eposer suffisamment pour rétablir ses forces. Pour prix de leurs efforts, les hommes,
qui ont conduit la caravane d'or de Sibérie à Saint-Pétersbourg , reçoivent , outre
leur salaire et leurs frais de route pour l'aller et !e retour, un double salaire. L'or
transporté sert à frapper des ducats et des demi-impériaux ; il appartient au domaine
de la Cour et provient des mines d'or de Nertschinsk et de Kari, qui font partie de
ce domaine ; aussi est-il mis à la disposition absolue du ministère de la Cour
impériale.
I.ie c«>ninicrec de rAiiuain et du Tosikiu en 1S86. — Les ren-
seigneuionts suivants ont été puisés dans le premier rapport annuel sur les opéra-
tions des douanes de l'Annam et du Tonkin pendant l'année 1886:
IMPOHT.\TI0NS. EXPORTATIONS.
1885 21 .679.878 f. 51 7.8(50 296 f. 94
1886 28 . 808 . 505 95 '.1.112. 433 82
Le total des importations et des exportations a donc été de 29,5^10,175 fr. 45 o. en
1885, et de 37,920,939 fr. 77 c. en 1886.
L'excédent en faveur de 1886 , soit 8,380,764 fr. 32 c. , est dû non seulement à
— 314 —
l'accroissement du commerce , mais encore au plus grand soin apporté dans le ser-
vice de la vérification. Sur le chiffre total de rimpoitation en 1886 , il n'y a que
4,013,111 fr. de produits importés de France ou des colonies françaises ; le reste ,
22,775,394 fr. vient de l'étranger ; sur près de fi millions , rinjportation française n'a
été que de 5,000 fr. Les deux tiers des tissus de coton sont fournis par l'étranger.
L'importation française a été très faible pour les médecines diverses , nulle pour
les tissus de soie , l'opium et la toile. Au contraire , le vin , les liqueurs sont venus
exclusivement de France ou des colonies irançaises.
Enfin, pour la quincaillerie, le tabac et les cigai'es , l'importation française a égalé
l'importation étrangère.
En résumé, les importations françaises ne comprennent , pour des chiffres d'une
certaine importance, que la bimbeloterie, les conserves alimentaires , les épices , les
huiles, les liqueurs, la quincaillerie, le tabac et les vins.
Les principaux articles, tels que les cotons filés, les cotonnades, les matériaux de
construction , le? lainages , etc. , viennent de l'étranger. Les cotons filés et les
cotonnades représentent à peu près le quart de la valeur des importations du Tonkin
et de l'Annam.
Les produits exportés en 1886 l'ont été , pour la plus grande partie , à l'étranger ;
on n'a exporté en France ou dans les colonies françaises que pour 1,968,611 fr.,
tandis qu'on a exporté à l'étranger pour 7,143,821 fr.
Les produits exportés en France sont principalement les tissus de soie, 647,727 fr.,
et la bourre de soie, 186,900 fi-.
L'excédent de 1,2.52,136 fr. en faveur de l'année dernière , aurait été plus considé-
rable si plusieurs causes n'avaient nui au développenient du commerce : les récoltes
du riz ont manqué dans les provinces de Qui-N'hon , de Bin-Ding et du Than-Hoa ;
la rébellion et la piraterie ont nui aux transactions et ruiné les habitants.
Signalons comme produits appelés à prendre un grand développement : la
cannelle , qui est exportée en Chine ; le coton , dont la production est favorisée par
un climat exceptionnellement bon et peut devenir un jour la base d'un grand
commerce.
La soie grège est également appelée à prendre une grande place dans le commerce
d'exportation. 11 n'est pas douteux que cette industrie , dont le déveloj<pement est
certain, pourra nous donner avant longtemps plusieurs milliers de balles Je soie de
qualité supérieure. Nous approvisionnerons alors en partie nos fabriques de Lyon ,
qui ont été jusqu'à présent, tributaires de la Chine.
En résumé, malgré la plus-value de 1,252,136 fr., l'année 1886 doit être considérée
comme médiocre pour le commerce d'exportation. Quand le calme sera rétabli en
Annam, certains articles, tels que les arachides , les huiles d'arachides , la cannelle ,
la soie grège , les tissus de soie el le sucre , pourront atteindre en 1887 , en Annam
seulement , un chiffre aussi élevé que celui de toutes les exportations réunies
en 1886.
Quant au mouvement de la navigation, nous voyons qu'il est entré en 1886 , dans
les trois ports de l'Annam et du Tonkin : Haï-Phong, Tourane , Qui-N'hon, 924 na-
vires et jonques jaugeant ensemble 252..597 tonneaux contre 413 navires jaugeant
192,079 tonneaux en 1885.
A part les jonques , les côtes sont régulièrement visitées par des navires fi-ançais ,
anglais, allemands et danois. Parmi les pi'eniiers , les paquebots des messageries
maritimes sont les plus nombreux : ainsi , sur 180 navires français entrés dans les
trois grands ports de l'Annam et du Tonkin en 1886, la Compagnie des Messageries
maritimes seule figure pour 130 entrées.
Les navires allemands viennent en seconde ligne pour le nombre , mais doivent
- :-îl5 -
être classés les premiers pour la valeur des chargements. 11 est fMitré , sous pavillon
allGinaiid , 124 bateaux jaugeant G'^'iO'i tonmaux , en 1880, contre 100 navires
jaugeant 5.'^,387 tonneaux, en J88").
Il est entré 54 bâtiments danois , en 1886 , dans les ports du protectorat ; 11 seule-
ment étaient entrés en 1885.
Les navires anglais sont nioin-; nombreux : 05 entrés en 1885 et 48 seulement
en 1880.
« Un des obstacles les plus graves au commerce , nous écrit h ce propos, l'un
de nos correspondants , c'est le change de la piastre. Le Trésor rend toute tran-
saction avec la France impossible, en faisant payer de 3 à 0 1/2 pour cent les simples
mandats-poste. Gomme il suffit avec Hongkong d'envoyer des caisses de piastres
qui ne paient presque rien, le résultat est que les marchands sont dans l'impossibilité
de vendre des marchandises françaises.
» .Joignez à cela que les fournisseurs français veulent être payés comptant ou à
trente jours.
» Or, 1" les marchandises françaises sont toutes plus chères que les marchandises
allemandes et anglaises , et il n'est pas prouvé du tout qu'elles soient toujours de
qualité supérieure.
» 2" Il faut payer un fret énorme. Ainsi, c'est aussi cher pour faire venir les caisses
de Saigon à Tourane que de Marseille à Saigon
» Enfin, la douane crée mille difficultés. Par exemple, une marchandise est destinée
à Hué, je suppose. Elle entrerait en rivière à Thuan-an ; mais il n'y a pas d(? douane
à Thuan-an. Il faut donc qu'elle aille d'abord à Tourane. Là , elle reste sur le quai
jusqu'à ce que le destinataire ait envoyé à la douane le détail des marchandises et
leur prix. 11 faut trois jours et souvent quatre pour qu'une lettre aille de Tourane à
Hué. Cela fait huit jours pour l'aller et le retour.
» Les marchandises en venant de France paient 2 fr. 50 pour cent de la valeur.
Celles d'Angleterre et d'Allemagne paient 5 pour cent. Les marchandises françaises
devraient être beaucoup moins frappées , et au contraire ou devrait frapper davan-
tage les marchandises étrangères.
» Enfin , ainsi que je vous l'ai dit , les négociants sont trop improvisés. Ils se
bornent à tenir des espèces de bazars-épiceries , à l'usage exclusif des fonctionnaires
civils et militaires. Tous, à mon avis, seront obligés d'y renoncer. Leur clientèle est
trop restreinte.
» Personne ici ne s'est occupé de vendre aux Annamites. Les marchands me
répondent : toute cotonnade ou étoffe à très bas prix coûtera en France toujours
plus cher que la marchandise similaire anglaise. — Alors, que venons-nous faire en
Annam ? Puis, il faudrait courir le pays , se donner beaucoup de mal. Or , c'est ce
qu'on n'aime pas.
» L'Annam est inondé de produits anglais , étoffes , fil , aiguilles , médicaments ,
marchandises de toute nature. Le plus curieux , est que presque tout a échappé à la
douane par l'audace des capitaines de navires qui débarquent tout en contrebande.
» II y a ici beaucoup à faire. Mais il faut des marchandises à bas prix.
» Ainsi donc , jusqu'ici , il n'y a pas une seule maison de commerce qui ait réelle-
ment enti-epris de commercer avec les Annamites et les Chinois , c'est-à-dire avec
l'intérieur de l'Annam et du Tonkin. Et on ne peut pas alléguer le manque de sécu-
rité, car les trois quarts du pays sont absolument sûrs et pacifiés.
» 3° T aurait-il un commerçant sérieux voulant faire des affaires avec l'Annam ou
le Tonkin proprement dits, qu'il en serait empêché :
- 316 -
» A. Par le change de la piastre qui était à 3 fr 85 , il y a six mois , qui a été à
4 fr. 20 ensuite, et qui varie ainsi chaque mois.
» B. Par le prix da papier, un mandat-poste se payant de 2 1/2 à 7 pour cent ; cela
varie aussi chaque mois.
» G. Gomme on ne peut prendre que 500 fr. par jour de mandats, et que c'est très
rigoureusement surveillé ici , il faut qu'un négociant de Thuan-an , par exemple ,
fasse le voyage de Hué , qui prend vingt-quatre heures chaque fois et coûte une
piastre et demie chaque fois, autant de fois qu'il a .500 fr. à envoyer en France. Pour
10,000 fr., cela ferait donc vingt voyages à 30 piastres, et vingt fois vingt- quatre
heures perdues.
» 4" La facilité , au contraire , de se procurer tout à Hongkong à meilleur mai'ché
qu'en France , sans avoir de fiet à payer, ou peu s'en faut , sans avoir de traites à
acheter, et avec peu ou pas de risques à courir, fait qu'il est presque impossible que
le marchand vende de la marchandise française.
>•> S** Les maisons étrangères font crédit. Les maisons françaises s'y refusent.
» 6" Il paraît que les maisons françaises ne peuvent pas^ vendre au prix auquel
vendent les maisons étrangères.
» 7" Puisque Hué est le plus grand centre de population de l'Annam , il devrait y
avoir une douane à l'entrée de la rivière. Gela éviterait aux navires destinés à Hué
de perdre un jour pour aller à Tourane et un jour pour revenir à Thuan-an , sans
compter les ennuis de toutes sortes.
» Enfin , il me semble qu'on ne devrait frapper aucun droit sur les marchandises
françaises, puisque la seule raison sérieuse que nous ayons de venir ici . est d'ouvrir
des débouchés au commerce français. Or, les premières mesures que l'on prend, ont
pour résultat de fermer l'Annam au commerce français. Ge n'est pourtant pas pour
donner des sijiécures à des fonctionnaires , que nous sommes ici. »
AFRIOUE.
l*ort!« algéricMS. — Plusieurs Sociétés financières sont actuellement en
instances pour obtenir l'autorisation de construire quelques-uns des ports de la côte
algérienne, dans les conditions qui avaient été proposées oar le Gonseil supérieur.
La Gompagnie de l'Est-Algérieu offre de construire le port de Bougie , auquel
accède la ligne des Beni-Mansour , en faisant l'avance du capital nécessaire à cette
entreprise , dont elle se rembourserait par la perception , pendant une période à
déterminer, de taxes de quai et autres que devraient acquitter les navires.
Une Gompagnie financière , qui demande la concession de la construction d'un
chemin de fer de Tlemcen à Raschgoun , propose de créer un port dans les mêmes
conditions que le précédent , de façon à mettre la région extrême du département
d'Oran, sur la frontière marocaine, en communication avec la mer par la route la
plus courte, ainsi que le demandent instamment les populations.
Le port d'Arzeu peut être construit dans des conditions identiques, car des propo-
sitions de même nature avaient été faites à ce sujet il y a deux ans. Sa situation de
tète de ligne du cliemin de fer de Saïda et prolongement rend probable une solution
prochame à laquelle la Gompagnie Franco-Algérienne est très intéressée.
— 317 -
Le poi"t, de Mostaganem va être créé au moyen de l'emprunt que réalise en ce
moment la municipalité de cette ville.
Celui de Ténès se teimiuo avec les subventions allouées par l'Ktat ; par consé-
quent , le chemin de fer d"Orléansville h la mei- , que réclament avec instances les
populations de l'arrondissement , aura sa tête de ligne créée quand il sera lui-même
concédé et construit.
Des améliorations, nécessaires pour assurer la sécurité d'entrée des navires et la
tranquillité de la nappe d'eau, sont en voie d'exécution au ])Ort d'Alger , et , d'autre
part, des études complètes d'un projet de création d"un arrière-port, dans la baie de
Mustapha , ont été soumises à l'ajjprobation du Ministre des Travaux publics et , en
conséquence, aux enquêtes réglcnicntaires , terminées aujourd'hui au premier et au
second degré.
Pour Dollys, le projet de construction d'un chemin di- 1er départemental desser-
vant la Kabylie et se dirigeant sur Bogliar , avec prolongements ultérieurs, a déjà
provoqué des propositions de construction d'un port dans des conditions beaucouji
plus complètes que celui auquel on travaillait depuis six ans. Au projet en cours
d'exécution , dont la dépense s'élevait à G;J5,000 fr , va venir s'ajouter un nouveau
projet complètement étudié, dont la dépense s'élèverait à 2,500,000 fr, et qu'une
Compagnie financière demande à construire dans les mêmes conditions que les
précédentes.
Le port de Djidjelli pourra s'exécuter d'une façon identique , surtout si l'on ct»ns-
truit la ligne projetée de Djidjelli à Setif , qui a chance d'être substituée à celle de
Bougie-Sétif qui semble abandonnée.
Le port de Philippeville est terminé, ou à peu près , à l'aide des subventions anté-
rieures de l'Etat et des avances d(^ la Chambre de Commerce , les dons et avances
de la municipalité.
Le Gouvernement paraît plein de bonne volonté pour construire également celui
de la Calle
On peut donc considérer l'achèvement ou la construction des ports de la côte
algérienne comme assurés , sans avoir recours aux subventions allouées annuelle-
ment par l'Etat qui n'aurait plus que des garanties d'intérêt k payer pour quel-
ques-uns.
lie eoniniercc ile l'État libre du Tou^o et de la c«»loiiie du
Gahou eiî f >*8C — L'exportation de l'Etat libre du Congo pendant l'année
1886 a été évaluée h la somme de 2,017,942 fr. provenant des marchandises
suivantes :
573.468 kilog. café 659.488 fr.
118.366 — caoutchouc .5-..^0.8I0
381.070 — huile de palme 171.488
22.205 — ivoire 444.100
Le reste provient de différents articles , comme de la cire, des peaux , de l'huile
de poisson, de la graine de sésame. En fournissant cette statistique , le Gouverne-
ment du Congo fait remarquer que l'exportation de 1887 donne déjà des chiffres
beaucoup plus importants.
Nous avons une colonie voisine , celle du Gabon . qui concurrence l'Etat libre du
— 318 —
Conpo. Nous n'avons que Tétat de ses exportations en 1885 ; il s'élève à plus de
2 millions ; quatre articles représentent presque seuls ce total, ce sont :
456.555 kilog. caoutchouc 1 .187.644 fi*.
30.014 — ivoire 898.753
840.572 — ébène 126.084
3.877.968 — santal 75.560
Ce qui est regrettable, c'est que, sur ces chiffres, 14,.578 fr. seulement, c'est-à-dire
moins de 1 "/(, , représentent le commerce d'exportation sur la France. C'est à l'étran
ger que vont les produits de notre colonie , et cependant ils sont assez riches pour
tenter notre commerce.
11 est vrai que la France a négligé cette colonie et y a laissé les Allemands et les
Anglais y fonder des comptoirs florissants. Nul doute qu'avec l'appui que donne
maintenant l'Administration coloniale à nos nationaux, des maisons françaises pour-
raient facilement reprendre le terrain perdu.
Mais une autre mesure s'y impose, c'est la création d'une ligne française reliant la
mère-patrie à nos colonies de la côte occidentale d'Afrique. Déjà les Anglais , les
Belges, les Portugais subventionnent des Compagnies de navigation desservant
toutes les colonies de la côte , y apportant et en exportant à leur profit toutes les
marchandises possibles. On annonce que les Italiens, qui n'ont pourtant pas de
colonies à eux dans ces parages , vont faire créer par la Société Florio-Rubattino un
service au départ de Gènes. Seule, la France qui, cependant, a les intérêts les plus
importants entre le Congo et le Maroc, n'a pas de service à elle. Il serait temps d'y
songer.
IjC «îonimcpt'e <l*inB{»orfatioii avec Maclagasear. — Nous donnons
ci-de.ssous la nomenclature des articles d'importation les plus importants :
1" Spiritueux. — Tandis qu'un grand nombre de peuples de la côte orientale de
l'Afrique préparent les boissons fermentées , les Malgaches, chose curieuse, ne
connaissent pas cet art et tirent leurs boissons alcooliques du dehors. Le rhum de
Maurice et de Bourbon est presque exclusivement écoulé à Madagascar ; Tamatave
et les ports avoisinants importent annuellement pour près de 800,000 fr.de rhum.
Ce produit a déjà causé de grands ravages parmi les tribus noires de la côte
orientale.
2" Faïence , verrerie , etc. — Les Malgaches aisés ont une grande prédilection
pour ces objets , qui constituent souvent une grande partie de leur avoir. C'est la
France qui, par l'intermédiaire de Marseille, en fournit Madagascar.
3'* Instruments de musique. — Le Malgache a un goût prononcé pour la musique ;
on trouve l'accordéon dans chaque village et autrefois les horloges à carillon du can-
ton de Berne, étaient fort répandues sur la côte occidentale.
4" Etoffes de laine. — Elles sont spécialement destinées aux contrées habitées
par les Hovas.
ô" Tissus de coton américains. — Ces tissus , non temts , sont très demandés ,
tant sur la côte orientale que sur l'autre. Les Hovas les utilisent comme vêtements
de dessus, tandis que les Sakalaves s'en ceignent les reins ou les emploient comme
tenture de leurs chambres d'habitation. L'importation de cet article est de 8 millions
lie francs environ pour les deux ports de Tamatave et de Majunga.
-.3VJ —
6" Tissus de coton tissés , teints et imprimés. — Avec l'article précédent , ces
tissus constituent la plus importante catcgoi-ie des marchandises importées , dont
TAiigieterre a réussi à s'emparer ces derniers temps. Los indiennes avec df>s C()ul(;nrs
mates, sont désirées sur les deux côtes de l'île.
Le conmierce se fait l'n partie par voie d'échanges, en partie contre le paiement
en espèces. La monnaie la plus courante esr, la pièce de 5 fr. appelée piastre;. Pour
obtenir des monnaies divisionnaires, les indigènes ont coutume de couper les pièces
en morceaux.
La plupart des maisons européennes sont établies à la côte ; à l'intérieur, le com-
merce est entre les mains des llovas. Les maisons principales ont leur siège en
Europe (Marseille, Hambourg. Londres), de là, elles pourvoient régulièrem-wit leurs
succursales et factoreries des marchandises nécessaires.
Les peu[)les suivants [)articipent au commerce de Madagascar :
I. — Les Hovas développent beaucoup d'habileté comme conrunerçants et soignent,
au moyen de porteurs, les transports de marchandises de et pour la côto. Gomme les
fonctionnaires hovas dominent complètement le conmierce dans leur district, il ne
sera pas aisé aux Européens de les écarter.
II. — Les Anglais ont leurs principales maisons à Tamatave et Tananarive ; ils
importent des tissus , des meubles , des boissons , des tôles. La plus importante de
ces maisons qui, eu même temps, a joué un grand rôle dans la politique des llovas ,
est celle de Proctor Brothers, à Tamatave et à Tananarive. 11 faut encore ajouter les
importations directes de soieries, dentelhjs , droguerie , etc. , faites par des mission •
naires anglais.
III. — Les Américains ne travaillent que dans les tissus de coton écru , et cela
sur les places de Tamatave et de Majunga.
IV. — Les Français importent surtout des vins , de l'absinthe , du rhum , de la
verrerie, des faïences et du sel : ils exportent du caoutchouc, du copal, des peaux et
du bétail.
V. — Les Allemands ont à Madagascar une influence commerciale qui grandit
chaque jour. La maison Oswald, à Hambourg, a fondé une succursale à Tamatave et
une autre à Nossi-Bé ; son importation annuelle est maintenant de 3 millions de
francs en draperie, cotonnade, faïence, verrerie, vin, bière, etc.
VI. — Les Hindous sont généralement adonnés au petit commerce, la plupart sont
actifs et très économes ; on les rencontre dans toutes les localités des côtes orientale
et occidentale. Ils tirent leurs marchandises de Zanzibar ou de Bombay. Les moins
riches des Hindous habitant sur la côte orientale, sont en relation avec des maisons
créoles de Maurice. Les grossistes européens leur vendent fréquemment des
marchandises à crédit , et , selon la solidité du client , 3 , 4 , ou même six mois
de terme.
VU. — Les Arabes jouissaient précédemment d'une grande influence dans l'île ;
ils la conservent encore sur la côte sud-ouest en excitant continuellement les indi-
gènes contre les Européens. Leur négoce n'est plus très important dans le nord-
ouest de l'île.
AMERIQUE.
Ressources et état économique du llex.ique. — Nous
avons sous les yeux deux ouvrages sur la république mexicaine : l'un est de
— 320 -
M. Antuiùo Garcia Cubas ; il a pour I itrc : Cundra geogniphico, estadistico e histonco
de los Ëstados Unidos Me ricanos (1) ; l'autre porte la signature de M. Jules Leclercq,
président de la Société géographique de Bruxelles, un infatigable voyageur dont le
nom est bien connu des géographes (2). Ces deux livres ne se ressemblent pas ;
l'un est purement économique et didactique , l'autre n'est qu'une relation de
voj'age ; mais chacun d'eux est , dans son genre , d'une lecture fort attachante et
instructive.
M. Antonio Garcii Cubas n'a pas donné à son livre un titre menteur ; il s'agit bien
d'une description géographique , statistique et historique de la République mexi-
caine , comme l'indique ce titre. Après avoir lu le yoluii,e , on connaît mieux le
Mexique et ses immenses ressources naturelles ; mais on connaît aussi les maux
dont ce pays a souffert et souffre encore. M. Cubas est sans doute un ardent
patriote; mais il n'aime pas sa patrie jusque dans ses vices, comme Cicéron le
faisait de Rome. Il ne cache point la vérité aux lecteurs. Il constate et déplore en
même temps les longues agitations et les vicieux errements politiques dont le
Mexique a été la victime depuis son émancipation , espérant d'ailleurs qu'avec le
temps et la cessation de l'anarchie , ce beau pays ne tardera pas à voir surgir une
ère de prospérité véritable.
Baigné à l'Est par l'Atlantique et à l'Ouest par le Pacifique , s'étendant sur une
superficie de 200 millions d'hectares , du 15" an 20'' parallèle Nord et du 86" au 117"
longitude occidentale , le territoire mexicain occupe une position privilégiée. Son
littoral sablonneux et aride en certains endroits, entrecoupé de lagunes , de marais ,
de forêts épaisses, appartient à la zone intertropicale. Cette zone, partant de l'Océan,
se prolor;ge jusqu'à une hauteur de 3,000 et 4,000 pieds , et comprend ce que l'on
appelle les terres chaudes — Tierras caJAentes — extrêmement fertiles , mais sou-
mi.ses aux miasmes pernicieux de la côte. La deuxième , celle des terres tempérées,
— Tierras tempUidas — constitue dans son ensemble un immense plateau situé sur
le versant de l'Atlantique et sur celui du Pacifique : on y range tous les territoires
atteignant de 4,000 à 8,000 pieds d'altitude , c'est-à-dire la plus grande partie des
. États mexicains Au - dessus de ces plateaux , s'étage la troisième zone, celle des
/.^^^ terres froides, — Tierras fhuUkfS ^ — laquelle embrasse la dernière assise des
/ Andes et monte jusqu'à la région des neiges éternelles. On conçoit qu'avec une
pareille disposition topographique, le Mexique présente tous les climats et une
réunion de productions des diverses zones. Pour mieux dire, on y passe en quelques
heures d'une température à une autre et de la fiore intertropicale à la flore euro-
péenne. Ainsi, à Toluca , à quelque 2,600 mètres au-dessus des eaux du golfe , on
cultive l'agave ou l'aloès américain, tandis qu'à Tenoehitlan, plus bas de 326 mètres,
on récolte des blés superbes, comparables aux meilleures variétés européennes.
A Actopan, à 1,926 mètres d'altitude, on rencontre des champs de coton en plein
rapport, et à Jotla, à 981 mètres au-dessus de la mer, on cultive la canne à sucre qui
y vient à merveille.
Le Mexique renferme environ 10 millions 1,2 d'habitants, dont 1,900,000 européens
et créoles, 3,970,000 indiens, 4,492,000 métis. Les grandes occupations sont l'agricul-
ture et l'extraction minière. L'agriculture mexicaine est loin d'ailleurs de tirer tout
le parti possible des immenses ressources naturelles dont elle dispose. Un premier
obstacle au développement de cette industrie est l'immense étendue des domaines ;
(IJ Mexico, imprimerie du ministère des finance.s , 188-J.
(2) Voyage au Mexique, de y'ew-Yurk à VeraCruz par terre ; uu voIum'û in-18 (Paris, Hachette, ISSTj).
- 321 -
mais ce n'est pas le seul. Il y a encore le chiffre de la population , qui y est si pou
dense, eu égard au développement du territoire qu'elle habite. L'argent ne fait pas
défaut aux grands propriétaires assurément, et les fortunes colossales ne sont rien
moins que rares iiarmi eux. Mais ils n'ont pas le goîit des améliorations et des nou-
veautés : descendant des anciens conquistadores et très fiers de cette origine , ils
vivent les yeux tournés vers le passé, pour eux plein de si grands souvenirs, et s'ils
pratiquent avec grandeur et simplicité tout ensemble l'hospitalité de leurs ancêtres,
s'ils sont loyaux et fidèles, ils se soucient fort peu de l'agricMltnre et de ses mille
tracasjournaliers. Quant aux ranciieros, ils disposent de iicu de ressources pécu-
niaires, et chez eux le sentiment du progrès ne pénètre qu'avec une extrême len-
teur. Aussi est-ce à peine si l'on connaît au Mexique les machines agricoles les plus
usuelles aux Etals-Unis et en Europe. Le système de rotation des récoltes n'est
guère appliqué et l'irrigation est rare. Quelques étrangers, parmi lesquels figurent
un petit nombre de Français et de Belges , ont cherché , il est vrai , à introduire au
Mexique les métho les perfectionnées de l'agriculture européenne ; mais jusqu'ici
leur exemple n'a pas été suivi et n'a exercé qu'une influence médiocre sur la culture
indigène : la routine a continué d'être la plus forte.
Alexandre de llumboldt a calculé que , durant toute la durée de la domination
espagnole, les mines d'argent du Mexique n'avaient pas livré moins de 4,500 tonnes
du précieux métal, .soilren monnaie quelque chose comme 12 milliards de francs, et
l'on n'est pas tenté de trouver ce calcul exagéré lorsqu'on songe qu'un seul gîte ,
celui de Valenciana, près de la ville de Guanaxato , produisit de 1768 à 1816, c'est-à-
dire pendant quarante-deux ans , plus de 7 millions de francs bon au mal an , et fit
du seigneur Obregon , son heureux propriétaire , à la fois un duc de Valenciana et
l'homme le plus liclie de la terre. Les Indiens connaissaient, eux aussi, ces richesses,
et l'on sait que Fernand Gortez ravit à Montézuma les lingots que le prince indien
avait amassés.
Voici, d autre part, les chiffres exprimés en dollars, que donne M. Cubas sur la
frappe de l'or et de l'argent dans les hôtels des monnaies du Mexique. Pendant lu
périotle 1537 à 1881 : argeiit,3. 021 .758,854 ; or, 118,636,975. Qu'on ajoute la frappe
des années 1882 et 1883, on arrive à un total de 3,195,851,018 dollars, soit
15,791,255,000 fr., pour les monnaies d'or, d'argent et de cuivre. Aussi bien , les
Espagnols ne s'inquiétaient-ils que des métaux précieux et ne ne s'occupaient-ils
que de ceux-ci. Ainsi, dans l'Etat de Du rango , ils creusèrent de nombreux gîtes
argentifères ; mais ils négligèrent tout à fait, quoique situé à une faible distance de
la capitale de l'Etat , le Cerro de Moncado, colossale masse de fer d'une homogé-
néité telle, que Humboldt la prit pour un immense aérolithe, et qui, mise en œuvre ,
pourrait, assure-t-on, livrer annuellement 15,000,000 de tonnes de minerai. Eh bien !
elle gît toujours a sa place et les Espagnols n'en ont rien tiré , pas plus que des
deux mines de houille de Colima, ou de ses dépôts de fer magnétique.
L'industrie manufacturière proprement dite est encore à l'étant d'enfance au
Mexique. On s'y livre toutefois à la fabrication des tissus de laine et de coton peint ;
on file la soie et l'on fait même quelques soieries. L'industrie de la poterie , de la
faïence et de la porcelaine ne laisse pas que de montrer quelque activité , airisi que
celle du papier et des substances chimiques. On raffine le sucre et l'on produit des
mélasses. On tire de la canne et des fruits du manguey, des eaux-de-vie , parmi
lesquelles le mezcal, le tequila, le pidqiie sont le plus connues. On fait d'excellents
vins dans les districts de Paras , de Paso-del-Norte et Aguas-Calientes. Il y a encore
des brasseries, des tanneries, des ateliers d'ébénisterie , des manufactures de
tabac, etc., etc.
Le Mexique commerce avec l'Angleterre , l'Espagne , les États - Unis , la France ,
— 322 —
rAllernagiie, et dans une faible mesure avec la Belgique, l'Italie et quelques répu-
bliques de rAinérique centrale et de l'Amérique du Sud. Les seules données dignes
de confiance que l'on ait sur ces importations , dit M. Culias , remontent à l'année
1874. A cette époque, elles représentaient une somme d'environ 36 millions de
piastres, soit 80 millions de francs. Quant aux exportations, le ministère des
finances a l'habitude, depuis quelques années déjà, d'en tenir une statistique exacte.
Leur chiffre, pour l'année 1883, s'est élevé à environ 42 millions de piastres (210
millions de francs) , sur lesquels la part de l'Angleterre e.st de 17,258,000 piastres ,
celle des États-Unis de 3,916,739 piastres, et la part de la France de 4,205,000 fr.
seulement.
Les exportations de l'Allemagne , de la Grande-Bretagne et des États-Unis , à
destination du Mexique et de l'Amérique espagnole en général , sont en progrès
constant. La vraie cause de la prospérité relative du commerce de ces trois pays
avec les contrées du Nouveau-Monde , est d'abord le bon marché auquel ils vendent
leurs produits , et ensuite le système de propagande qu'ils ont adopté et suivent
depuis de longues années. A cet endroit, aucune illusion n'est possible. En présence
de l'excès de production qui frappe tous les yeux, les industriels étrangers ont
compris que l'heure de la demande était passée , que celle de ïoffre était venue : de
toutes les Villes manufacturières d'Europe et des États-Unis sont partis des essaims
de commis-voyageurs, munis de catalogues et de nombreux échantillons, ayant
pour mandat non seulement d'offrir aux importateuis les produits des -diverses
fabriques , mais en même temps d'étudier sur place les besoins , les goûts , les cou-
tumes , les ressources , les règlements et les taris de douanes de tous les centres de
consommation qu'ils seraient appelés à parcourir; de créer à leurs commettants une
nouvelle clientèle, de visiter celle des autres, de tout faire pour la séduire et pour la
conquérir ; de faire tous les efforts possibles pour obtenir les renseignements les
plus complets et les plus précis sur les produits similaires des autres pays , leur
prix, leur mode d'emballage, le nom des industriels qui les ont créés.
Voilà ce qu'ont fait et font encore les Américains , les Anglais , les Belges , et
surtout les Allemands ; c'est par là qu'ils sont parvenus à élargir, dans les deux
mondes et principalement en Amérique , le cercle de leurs affaires commerciales , et
c'est là ce qui explique le développement si notable de leurs exportations. 11 faut
ajouter que les fabricants étrangers , mais surtout les fabricants d'Allemagne , s'em-
parent de nos modèles, les copient, les reproduisent et lancent sur tous les marchés
du monde des marchandises de qualité inférieure. Il nous importe de réagir contre
les effets de la concurrence que nous font nos rivaux, et le plus sûr moyen de com-
battre cette concurrence avec succès , c'est d'aller l'attaquer là où elle se fait sentir ;
et pour cela, nous n'avons qu'à suivre l'exemple que nous ont donné les industriels
des autres pays. Si les fabricants français veulent développer leurs exportations et
se créer des relations productives avec les importateurs, soit de la république mexi-
caine, soit des autres régions du nouveau continent , il faut qu'ils exploitent résolu-
ment et dans une pins large mesure le système fécond de la propagande, et expédient
sur tous les marchés des représentants habiles et actifs , chargés de faire connaître
et prévaloir les produits de leur fabrication. La qualité de ces produits étant , de
l'avis de tous ceux qui les consomment , supérieure à celle des produits similaires
d'une autre provenance, il ne saurait être difficile, pourvu que les prix ne soient pas
trop élevés , de les faire adopter de préférence par les importateurs. 11 convient de
ne pas oublier que l'article courant est celui qui donne lieu aux plus importantes
opérations dans les pays d'Amérique , et que le bon marché est une des premières
conditions de la vente.
Tels sont les conseils que donne au commerce français , dans la Gazette gèogra-
- :^23 -
Ijhigue , M. Edouard Sanipé, consul de France à Mexico. « Aujourd'liui comme
avant , ajoute-t il , l'industrie française tient le sceptre en co qui concerne la durée
du produit , la pureté du goût , la distincion artistique de la forme et la finesse du
travail ; comme toujouis elle excelle et domine dans IVxquis , mais l'exquis ne cons-
titue par un article de consonuiiation pour la masse. C'est dans la fabrication des
articles courants, c'est-k-dire de ceux que consomme tout le monde, que notre indus-
trie s'est laissé distancer par ses rivales , et c'est à mieux réussir sous ce rapport
que doivent tendre toutes nos facultés. Il est possible que chez le consommateur
désabusé se produise tôt ou tard une réaction de défaveur à l'égard de ces marchan-
dises, dont l'apparence trompeuse séduit la vue , et qui ne se vendent bon marché
que parce qu'elles sont de qualité médiocre ou de mauvais aloi. N'importe, le
but que poursuit notre industrie fi-ançaise est de vulgai-iser , dans une large me-
sure, la consommation de ses prduits. Eh ! bien, il faut, à notre avis, ([u'elle s'efforce
de réduire le coût de sa production, afin de diminuer ses prix de vente , et qu'elle
abandonne ses habitudes casanières contractées dans la paisible jouissance d'une
suprématie dont , pendant une longue période , aucun péril grave n'a menacé l'exis-
tence. Les temps et les circonstanees ont changé. Partout le vent souffle à l'action
et à la lutte ; il fîiu', coûte que coûte, passer les monts et les mers, et ne pas oublier
que l'avenir sei'a au plus actif. »
Le revenu public du Mexique s'élève à 33,166,000 piastres , et ses dépenses à
32,721.000. Le ministère des finances absorbe à lui seul le tiers environ de cette
somme et 5 millions et demi sont dévolus au ministère des travaux publics. C'est un
chiffre relativement très considérable ; mais il s'explique par l'impulsion donnée
dans ces dernières années aux chemins de fer et aux lignes télégraphiques ; ces
chemins, en 1884, se répartissaient en vingt-huit lignes, grandes ou petites. La plus
importante de ces lignes est le Fei'ro Carril Central, qui se développe sur une lon-
gueur d'environ 1,00J kilomètres , de Mexico à Paso-del-Norte , oii il se rattache au
Santa-Fc Atkinsoa 2'opeka Railroad. Une ligne non interrompue do rails , courant
sur une longueur de 4,488 kilomètres, relie déjà Mexico à New-York, la grande cité
mexicaine et le grand emporium du commerce américain. C'est là un fait d'une
grande portée pour l'avenir commercial du Mexique et pour ses destinées politiques
elles-mêmes.
Pour M. Jules Leclercq également , l'inauguration du Central Mexican est un
événement économique d'une portée incalculable, et marque le point de départ d'une
ère nouvelle pour l'ancien empire de Montézuma. « Longtemps isolée du monde ,
cette riche contrée, demeurée jusqu'ici en friche , va attirer, comme autrefois l'Aus-
tralie et la Californie, des bras et des capitaux, et de rapides et gigantesques trans-
formations en modifieront la face. Le Mexique semble tout naturellement appelé à
devenir l'Inde des États-Unis, et qui peut prévoir l'essor d'un peuple ayant l'Inde à
sa porte ? La nature a placé les deux peuples dans une sorte de dépendance réci-
proque ; et cependant , par une étrange ironie , il y a entre les deux pays une anti-
pathie profonde qui frappe l'étranger le moins observateur. Il ne faut pas longtemps
pour s'apercevoir que Mexicains et Américains se haïssent du fond de l'àme en
dépit de leurs mutuelles protestations d'amitié. Comment le Mexicain , dont la poli-
tesse et l'exquise urbanité égalent presque celles du Japonais, pourrait-il sympathiser
avec le Yankee, dont la rudesse va souvent jusqu'à la grossièreté ? II y a entre les
deux races une incompatibilité qui dérive de la différence de mœurs , de caractère ,
de langue, de religion. A cette antipathie naturelle, s'ajoutent le ressentiment et la
méfiance qu'éprouve la nation mexicaine pour celle qui lui a ravi la moitié de son
territoire. Elle songe avec amertume que deux des plus riches portions de l'Union ,
23
— 3-^A —
le Texas et la Californie, étaient autrefois des provinces mexicaines, e les Etats-Unis
les conquirent par les armes en 1847. »
Les Mexicains se rappellent aussi qu'à cette époque la nouvelle de la découverte
des mines d'or attira en Californie desl millions d'aventuriers , et que devant ce Ilot
d'immigration faisant soudain éruption, la population mexicaine fut éliminée du sol
californien ; si bien qu'aujourd'hui San-Fiancisco et les autres anciens établisse-
ments n'ont d'espagnol que le nom. La même chose a eu lieu au Texas, où la langue
anglaise s'est substituée à la langue castillane. Actuellement , le même flux anglo-
saxon qui a déjà inondé une moitié de l'immense territoire mexicain , menace d'en-
vahir l'autre moitié , et ce n'est pas sans appréhension que certains patriotes mexi-
cains considèrent la carte du futur réseau de voies ferrées dont les Américains du
Nord ont résolu de couvrir le territoire s'étendant du Rio-Grande à l'isthme de
Panama. Mais la poussée est énorme et l'impossibilité d'y résister inspire à quelques
journaux mexicains un sentiment qui tient à la fois de la rage et du désespoir . et
qu'ils expriment par les articles les plus acerbes. Ils invoquent le Timeo Danaos ,
que traduit d'une façon assez pittoresque ce vieux dicton : « Si vous soupez avec le
diable, servez-vous d'une longue cuillère. » Ainsi il paraît à Mexico un journal dont
le nom est l'Aiiti-AiJiericano. Cet organe combat de toutes ses forces l'invasion
norte-americana ; il réclame du gouvernement des mesures propres à enrayer les
aoissements des Anglo-Saxons et à favoriser l'immigration des races latines. Juarez,
que les Mexicains comparent volontiers à Washington, et qu'ils considèrent comme
leur plus grand patriote, nourrissait une haine profonde contre les Etats-Unis ; il ne
voulut jamais entendre parler d'entreprises américaines.
C'est en 1876, lors de l'avènement à la pi-ésidence du général Porphirio Diaz, que
le gouvernement mexicain a accordé aux Américains les premières concessions de
chemins de fer. Le général Porphirio Diaz, un des hommes les plus éclairés de son
pays, n'a pas voulu perpétuer l'existence d'une muraille de Chine entre les deux
États que l'on désigne depuis quelque temps sous le nom de Républiques Sœurs.
Depuis l'échec de Maxirnihen contre le Mexique , ce pays n'a plus , d'ailleurs , les
mêmes raisons d'entretenir des défiances contre les Etats-Unis. Le Président a
compris que le Mexique, qui n'a jamais possédé de routes, ne peut perdre son temps
à en construire ; que le seul genre de voies de communications dont on puisse doter
un pays qui n'en a pas , ce sont les voies ferrées, et que les seuls hommes pouvant
aider les Mexicains à construire les chemins de fer, sont les Américains, leurs plus
proches voisins, disposant de tous les moyens et de toute l'énergie nécessaires pour
mener à bien une pareille entreprise. « Aussi longtemps, disait le Président en 1880,
par l'organe de son ministre Romero (1), qu'il y aura au Mexique des villes éloi-
gnées des chemins de fer , des terres privées de l'outillage agricole moderne , des
mines non pourvues de machines d'invention récente , des populations mal vêtues ,
des maisons sans confort, il est clair que ce pays offrira un vaste champ, où pourra
s'exercer l'activité des Américains.
» La situation du pays, dans le voisinage immédiat des États-Unis, sa richesse en
productions tropicales et en matières premières demandées par la consommation
américaine, la possibilité pour les Mexicains de consommer les produits manufactu-
rés par leurs voisins du Nord, tout semble favoriser l'établissement entre le Mexique
et les États-Unis de relations commerciales d'une grande étendue. »
Voici , au sujet des prétendus projets d'invasion du Mexique par les Etats-Unis ,
(1) Report o[ tfie secretary o[ finance of the l'nited States of Mexico, on the actual condition of Mexieo
and the increase of commerce wit/i the United Sates (New- York, 18S0).
- 325 -
1 «|iie M. Julç/î Li cleijfcq eut , en 1883 ,
ige de Long-lfâlrflik : «^Nc j>ensez pas ,
Graiit, dans soa petit cottage de Long-lWïwik: «^Nc j>ensez pas , lui dit l'illustre
soldat, que le gouveruenient de Washington nourrisse à l'égard du Mexique le-;
mauvais desseins que beaucoup do gens lui prêtent. Une extension de territoire est
inutile au maintien des institutions de l'Union et on trouverait à peine un Aruéri-
cain sur ee'.it qui no s'indignât a l'idée d'acquérir des provinces rhez une nation
amie. L'Union n'a que faire d'un pays dont la population se compose presque
entièrement d'Indiens qui ne consonmient ni ne produisent ; elle se soucie d'ailleurs
assez peu, de s annexer un peuple qui abhorre toute domination étrangère et qui
serait dans un état de révolte perpétuelle contre ceux qui lui raviraient son autono-
mie. Le territoire de l'Union , qui compte 50 millions d'âmes , est assez gi-and pour
en recevoir 2UU millions; l'Union n'a donc besoin de s'agrandir ni du côté du
Mexique, ni du côté du Canada , et le Mexique doit rester aux Mexicains »
« Depuis quelques années de paix , dit M. Jules Ledercq en terminant son livre,
votre pays a prospéré au-delà de toutes les prévisions. Vous marchez à pas de géant ;
il y a en vous de grandes ressources, de grandes intelligences, de grandes passions,
au premier rang desquelles je place votre fierté , votre superbe orgueil national.
Sachez vous servir de toutes ces nobles qualités. Les États-Unis ont l'œil sur vous ,
ils épient vos mouvements. Prenez-y garde. Si après qu'ils auront engagé chez vous
d'immenses capitaux, vous deviez rouvrir l'ère des révolutions , des discordes intes-
tines , ou si , pour votre plus grand malheur , la paix religieuse devait être troublée
par la propagande étrangère , c'en serait fait de votre autorité, vous seriez mûrs
alors pour la tutelle hunaliante de l'oncle Sam. Les peuples , comme les individus ,
ont les destinées qu'ils méritent. L'avenir de votre beau pays , que j'aime parce que
j'y ai passé des jours si heureux , dépend beaucoup de votre patriotisme et de la
sagesse de vos hommes d'État. »
OCEANIE.
Sitiiatiou écouoniiqiie des îles llarquises et «le Taïti. —
« Peu d'année.-; après la découverte de Guanahani par Christophe Colomb, les
Espagnols fondèrent les empires du Mexique et du Pérou. Mais l'Espagne qui, dès
cette époque, avait le droit d'inscrire au fronton de l'arsenal de Cadix : Tu regere
imperio ftuctûs, Hispane , mémento , ne pouvait arrêter là ses investigations, d'au-
tant plus que son objectif, arriver par l'ouest aux îles aux Épices, n'était pas atteint,
et que ces colonies nouvelles, jetées sur les côtes des deux mers, allaient servir de
point de départ aux voyages ultérieur.s. Du littoral américain et eu particulier du
Pérou , d'intrépides navigateurs , lancés dans l'immensité de cet océan qui couvre le
tiers du globe, ne tardèrent pas à ajouter de nouvelles découvertes au domaine géo-
graphique , déjà si .singulièrement étendu. En 1.59-3, l'un d'eus, Mindanao, reconnut
à quinze cents lieues de la côte péruvienne un groupe d'îles , qu'il nomma archipel
des ISIarquises, en l'honneur du marquis de Canète, gouverneur du Pérou » (1).
M. Alfred Davin, lieutenant de vaisseau, à qui nous empiuntons ces lignes, ajoute
qu'après Mindanao, un grand nombre de navigateurs visitèrent l'archipel. Les
baleiniers occupés à poursuivre les cétacés . nombreux alors dans la mer australe ,
(1) Voir lu livre d<i M. .Ubert Diiviii : Cinquante mille milles dans lOcéan Pacifique {V»TÏ<,Vlou,lf^'< .
)
'inf^T^^
- 326 —
adoptèrent l'île de Noukahiva comme lieu de rendez-vous. Mais ces hommes , q\ii
étaient de vrais écumeurs de mer, s'attirèrent par leur cruauté et leurs excès de tout
genre , la haine des indigènes. L'archipel était habité par des peuplades de races
j^y^^^ rouges qu'on appela Kanaks, mot dérivé, dit-on, du sandwichien kanaka — autoch-
, ■ -, tone. C'étaient des colosses tatoués des pieds à la tête, parlant un langage rude ,
I^/v^ft/'Ct I «4;.'/ guttural , hérissé de consonnes , et qui, d'un commerce facile avec les étrangers , se
vfjjtÀ livraient entre eux a des guerres atroces, terminées par d'horribles festins. Placés
sous le joug de chefs sauvages et sanguinaires, ils obéissaient servilement à leur
direction, et les guerres de tribu à tribu , donnaient lieu à des massacres et à des
vendette innombrables. Leurs prêtres — taouas , — investis de fonctions multiples ,
exploitaient le fanatisme et la crédulité des insulaires, en soignant les malades , en
jugeant les crimes et en servant les dieux. Cette dernière fonction ne manquait pas
d'importance : l'Olympe des anciens Marquisiens étant fort peuplé, s'il faut en croire
du moins les dires des vieillanls ; car on chercherait vainement chez ces peuples un
livre, une pierre ou un monument susceptible de jeter quelque jour sur leur téné-
breux passé. On pense toutefois qu'ils avaient une vague croyance à la migration
des âmes vers un monde mystérieux, séjour de félicité, que les taouas avaient proba-
blement accommodé au génie de ce peuple enfant. Les guerriers morts dans les
combats , en acquérant au milieu de ces rixes sanglantes le plus grand nombre de
chevelures , devaient vraisemblablement posséder une place d'honneur dans cet
empyrée.
Au fond, toute la regliion des Kanaks parait avoir consisté en sacrifices humains
et en scènes de cannibalisme. Le principal théâtre de ces scènes était la vallée
d'Oata , que M. Alfred Davin a visitée. C'est un lieu très pittoresque , mais que
rendent sinistre les souvenirs qui s'y rattachent. Au fond de la vallée, une cascade
blanche d'écume, bondit de rocher en rocher jusqu'à la mer. Si l'on suit les sentiers
kanaks, il est aisé de franchir quelques centaines de mètres , bien que la vallée soit
entièrement en friche et abandonnée aux animaux errants. Un peu plus loin , des
massifs inextricables s'opposent à la marche : force est de lutter corps à corps avec
les bambous et les goyaviers. Çà et là, l'œil découvre une multitude de cases aban-
données ; la mort dépeuple la campagne et les survivant se rapprochent du littoral.
M. Davin allait renoncer à l'ascension , quand après avoir franchi un épais fourré ,
il découvrit une clairière étendue. Autour de cet espace vide, une série de plates-
formes en ruine , et au milieu un temple — paé-paé . — plus élevé que les autres :
c'était l'emplacement de ces hoïka.s ou fêtes anciennes, toujours terminées par des
sacrifices humains. « Quand les guerriers, au retour d'une expédition contre une île
voisine, échouaient leurs pirogues chargées de prisonniers sur la plage de Nouka-
hiva, le ronflement des conques marines , ébranlant les échos des vallées . annonçait
la victoire aux tribus d'alentour : grands et petits . hommes et femmes , tous accou-
raient comme des fauves, pour prendre part à la curée. Les prisonniers , traînés
parmi les rochers et les broussailles , poussaient des hurlements de douleur ; mais
une fois garrottés sur l'autel central , ils attendaient sans sourciller l'instant du
sacrifice : pour eux , la mort n'était que le passage de cette vie dans une autre , le
départ pour des contrées mystérieuses , départ auquel ils songeaient sans crainte
comme sans joie. »
L'archipel porte les marques les plus évidentes d'une origine plutonienne ; il est
probablement formé par les sommets épars d'un continent submergé et comprend
sept îles, dont la plus importante est Noukahiva. laquelle possède l'excellente baie
de Taïo-haé, entourée de hautes montagnes. La ville de Taïo-haé , la capitale de
Noukahiva et de tout l'archipel, est déjà, part rapport aux autres villages éparpillés
dans ces îles, un centre de civilisation. C'est le point d'oii partent plusieurs routes ;
- 327 -
ses maisonnettes, groupées autour de la baie, commencent à subir la loi do l'aligne-
ment; quelques réverbères s'allument chaque soir pendant une heure au moins , et
l'eau potable, amenée des sommets, se répand dans les habitations. Kn 1K55 , on
comptait à Noukahiva 2,700 iiabitants et ll,y(X) dans tout l'arcliipel. Kn 1872 , ces
chiffres se réduisaient respectivement h 1,600 et 6.000. La population a donc dimi-
nué de moitié en dix-sept ans , et la progression dé("roissante continue : le recense-
ment de 1883 n'attribue plus que 099 iiabitants à File de Noukahiva. Diverses causes
contribuent à produire ce résultat effi-ayant : l'alcoolisme, la lèpre, les guerres et les
meurtres. Les guerres de tribu à tribu sont anjourd'liui pres([ue éteintes ; mais les
assassinats continuent , et pendant la seule année 1879 , dans un district habité par
600 individus, on a compté jusqu'à trente honmies tués Aussi bien, sait-on , par
l'exemple des Etats-Unis comme par celui des archipels polynésiens , que les races
indigènes fondent pour ainsi dire au contact des Blancs. On est ici en face d'une loi
certaine, quoique les anthropologistes et les physiologistes soient assez embarrassés
pour en assigner la cause véritable.
Tri)is grands obstacles se dressent devant les progrès de Tagriculturc : le manque
de bras , les animaux errants , les sécheresses. Le nombre des animaux errants est
considérable , et s'accroît d'une manière inquiétante ; les taureaux , les chèvres , les
porcs et les moutons errent à l'aventure dans les taillis. Avec de pareils hôtes , la
culture est difficile et la circulation dangereuse. Ces animaux commettent des mé-
faits sans nombre : ils dévastent les plantations en broutant les jeunes pousses des
cotonniers et en dévorant les écorces d'aibres. En troisième lieu , Noukahiva est
parfois soumise à des séehei'esses prolongées. Vers 1874, il n'est pas tombé de pluie
durant quatorze mois ; une autre période de sécheresse a duré quatre ans. Aussi .
l'archipel est-il à peu près resté , pour l'agriculture , ce qu'il était au moment de sa
découverte. L'industrie n'est guère plus prospère. L'unique industrie indigène ,
celle de la tapa, tuée par les importations d'étoffes européennes, consiste à frapper
l'écorce de certains arbres avec un marteau de bois. On obtenait ainsi une matière
blanchâtre, à peu près homogène, qui servait de vêtement aux femmes.
Quant au commerce, les exportations , en 1883 , n'ont atteint que 400.000 IV. pour
tout l'archipel et ne portent ([ue sur quatre articles : ce sont le coton , le coprah
(cocos secs), le fungus et le bétail. Le coprah s'expédie aux fabriques de savon de
la Californie, et le bétail , capturé dans les montagnes , s'envoie aux archipels voi-
sins. Le fungus , sorte de champignon . pousse sur les vieux arbres ; il passe pour
être un des mets favoris des Chinois à l'égal des nids de salanganes et des filets de
caïman. Ce produit, entre aussi , pai-aît-il, dans la composition de la laque. Depuis
1870, les goélettes américaines qui font le service mensuel des dépèches entre Taiti
et San-Francisco , l'elàchent à Taïo-haé. Quelques rares bâtiments de commerce y
viennent mouiller de loin en loin ; presque tout le fret, peu considéiablts d'ailleurs,
est absorbé par la Société commerciale de l'Océanie , laquelle a son siège à Ham-
bourg et des succursales dans tous les archipels. « On a assuré, on a même imprimé
que Taïo-haé est sur la route de Panama à l'Australie. Il n'en est rien : l'arc de
grand cercle ou route orthodromique (ainsi que les navigateurs l'appellent), toujours
suivie par les bâtiments à vapeur comme étant la plus courte, passe à 600 milles
plus bas, à l'île de Râpa, point déjà choisi vers 1867 comme lieu de relâche et dépôt
de charbon par les paquebots anglais transpacifiques, les premiers qui relièrent les
deux nouveaux mondes. Donc, l'ouv rture du canal interocéanique ne saurait avoir
aucune influence sur le développement ultérieur de l'archipel des Marquises. Notre
colonie restera à l'écart . improductive et peut-être coûteuse , à moins que les com-
munications à vapeur entre Taïti et San-Francisco, si jamais elles existent, ne
viennent stimuler la production en lui ouvrant un débouché, »
- 328 - j
L'île de Taïti ou d'Otahiti , que Rougaiiiville iiommait la Nouvelle Cythére , et
Dumont d'Urville la perle et le diamant du cinquième monde, Taïti fait partie des
îles de la Société , ainsi nommées , dit-on , par Gook , en l'honneur de la Société
royale de Londres. Bien que l'on doive au capitaine anglais Wallis les premières
notions sur Taïti (1767) , les Français la visitèrent de bonne heure , et dès 1842 . sa
sa reine , impuissante à apaiser les querelles intestines et à mettre fin aux diffi-
cultés sans cesse renaissantes dans ses États, sollicita de l'amiral du Petit-Thouars
la protection de la France. Cette requête fut agréée par l'amii'al qui , Tannée sui-
vante, crut devoir prendre définitivement possession du pays. Mais le gouvei-nement
français dé.savoua l'amiral ; il opina pour le maintien pui* et simple du statu quo
et les choses marchèrent ainsi jusqu'en 1880 , époque à laquelle cette terre devint
colonie française.
Taïti est entourée de récifs de tous côtés. Elle comprend deux masses volca- -. ^Êk
niques , Taïti proprement dit et Taïarabu , que réunit l'isthme étroit de Tararavr^fi-'^^^^B
Elle surgit du sein de l'Océan comme une imposante pyramide dont le sommet
monte à l'altitude de plus de 2,000 mètres. L'intérieur est absolument désert. Sa
capitale, Papéiti,est une bourgade de 2,500 âmes. Son nom lui vient d'un ruisseau
qui prend sa source derrière l'habitation du roi, et dans lequel les naturels allaient
jadis puiser de l'eau avec des calebasses {pape eau , cte corbeille ; d'autres disent
pape, eau, iti, peu). Ses maisons éparpillées, se ptessent autour d'une baie, fermée
du côté de la mer par l'île en miniature de Motu-uta , que couronnent des bosquets
de palmiers et de cocotiers aux vertes aigrettes. Cet îlot eut ses heures de célé-
brité : le roi Pomaré II , presque exilé , y traduisit la Bible en langue indigène ; la
fameuse Pomaré elle-même la visita souvent et le drapeau protecteur y llotta pour
la preniière fois.
Papéiti ne possède aucun monument. On ne saurait, en effet, qualifier de ce titre
ni l'église , bâtie en planches , ni l'hôtel du gouverneur , ni le palais bâti pour la
descendance de la reine Pomaré. Sa population composée d'Européens , de Kanaks
et de Chinois est administrée par un gouverneur , assisté lui-même d'un Conseil
colonial. Ici l'administration civile a beaucoup plus d'initiative que partout ailleurs ,
à cause du manque de télégraphes et d'autres moyens de ("ommunications rapides ;
par suite , un certain nombre de questions intéressant la colonie ne sauraient être I
tranchées instantanément du fond d'un cabinet situé rue Royale ou place Beauveau.
Papéiti n'est, en effet, relié au monde civilisé que par de petits bâtiments à voiles
faisant régulièrement le service de San- Francisco. Dans le temps , il fut question
d'établir un service postal par bâtiments à vapeur ; mais la métropole n'ayant oflèrt
qu'une subvention insuffisante, ce projet n'eut pas de suite. 1
Physiquement , les Taïtiens appartiennent à un mélange de la race jaune , de la
race noire et de la race blanche. Ils ont le nez épaté, et jadis on écrasait aux
enfants le cartilage de cet organe, suivant une mode pratiquée de temps immémorial
à Timor. Leurs cheveux .sont plats , leurs pommettes saillantes , leurs lèvres
épaisses, leur teint couleur de bronze. Signalons , en passant , un fait curieux : les
métis issus d'Européens et de Kanaks naissent blonds et roses. Dès la première
génération , le type indigène disparaît donc presque complètement pour faire place
au nôtre, tandis que chez les races africaines, les enfants, malgré tous les mélanges,
portent des traces indélébiles de leur origine jusqu'à la dixième génération. Au point
de vue moral, les Taïtions sont doux , serviables , humains , et l'on ne ee douterait
jamais, que ce sont les descendants, en les voyant tels , de ces anthropophages qui,
lors de la visite de Wallis , sacrifiaient encore des victimes humaines Dans le
district de Pari , domaine héréditaire de Pomaré , se trouvait jadis un temple élevé |
à Oro, le Jupiter taïtien. Au milieu d'une vallée profonde , étaient dressés plusieurs
.- :^29 -
autels; un grand iiomlirc do crânes répandus alentour, ne laissaient aucun doulc siir
le culte rendu à la divinité qu'on y honorait. Mais si lesTa'itiens ne sont plus canni-
bales, ils sont l'estés profondément apathiques et paresseux. M. Mœrenhout , entre
autres, en eut la preuve significative en 1835. Il s'agissait d'une culture de cannes à
sucre Papara ; les défrichements commençaient à s'étendre, les récoltes se faisaient
dans de bonnes conditions ; mais les naturels remplirent si mal leurs engagements
que ce projet dut être abandonné.
« Quand ces indigènes , se demande un auteur américain , deviendront-ils indus-
trieux? » Kt il se hâte d'ajouter : « Dites-moi quand l'océan leur refusera son triljut
de poissons, quand la terre bienfaisante ne produira plus de fruits, et je vous répon
drai. » Cet Américain connaissait le pays. - I.,es heureux Kanaks , dit à son tour
M. Alfred, ne sont soumis à aucune obligation militaire ou autre ; couchés sur un lit
de feuilles sèches, ils n'ont qu'à étendi-e la main pour pourvoir à leur subsistance ;
l'arbre à pain, — maloré. — leur donne d'énormes fruits , pleins d'une pulpe fari-
neuse ; l'eau pure et limpide de sources nombreuses étanche leur soif, sans préju-
dice des grappes de cocos pendues aux arbres comme de gigantesques raisins. Le
comble est mis à leur joie quand ih peuvent ajouter à ce menu frugal du poisson
cru et du fëii. sorte de banane qu'ils font cuire au four. En une heure de pèche au
flambeau, les Kanaks prennent assez de poisson pour vivre huit jours ; quant au fëii
qui pousse à l'état sauvage à l'intérieur de l'île, les gens du pays n'ont que la peine
de l'aller cueillir. N'oublions pas qu'une foule de végétaux utiles croissent ici spon-
tanément. Lej)andanus, pour n'en citer qu'un, s'élève sur tous les rivages : ses feuilles
tiennent lieu de tabac ; son écorce sert à confectionner des chapeaux, des vêtements
et même des cordages. »
M. Stewart , agent de la maison Suarez de Londres , avait fait venir à Taïti des
habitants du Céleste-Empire, afin d'exploiter le coton dans le district de Papara.
Deux mille cinq cents travailleurs, dont mille Chinois , furent réunis sur un terrain
de 3,800 hectares, dont 1,800 ne tardèrent pas à être défrichés ; les cotonniers et la
canne à sucre donnaient de belles récoltes , la plantation allait être cédée pour le
prix de 5 millions à une Compagnie française, quand la guerre de 1870 éclata. Peu
après. M. Stewart, mal soutenu par la maison de Londres, tomba malade ; il mourut
et son domaine fut dépecé. La plupart des travailleurs d'Antimaona sont venus
s'établir à Papéiti ; ils y liabitent un quartier bâti en planches, que les Européens
appellent la Petite Pologne. Là, les Chinois se livrent aux transactions les plus
diverses : les uns font venir d'Amérique des pacotilles qu'ils débitent : d'autres
vendent des légumes d'Europe pour la culture desquels ils ont, comme partout, une
aptitude' spéciale. Entassés dans leurs petites boutiques, le corps nu jusqu'à la cein-
ture , ils forment des cercles ou devisent en agitant des éventails ; ou bien encore ,
accroupis à terre , ils se livrent à la manœuvre des bâtonnets , essayant de faire
entrer dans une ouverture trop petite une masse de riz considérable. Ils ont natu-
rellement impoité à Taïti leurs vices , dont le moindre est celui de fumer l'opium.
Cette funeste passion s'est étendue à la façon des taches d'huile : les naturels
adoptent peu à peu l'usage de l'extrait de pavot , et la ferme d'opium , adjugée
naguère à 15,000 fr., l'est aujourd'hui à 60,000 fr.
Ra'iatéa est, après Taïti , la plus grande terre du groupe de la Société. L'an-
nexion de tout l'archipel n'étant qu'une question de temps , on commencera proba-
blement par Raïatéa. Dès à présent, pour préparer la réussite de ces projets, on
emploie des voies persuasives , on salue de vingt et un coups de canon la reine de
rîle, on donne aux indigènes de grands festins ou amou-ramas, pour employer le
terme consacré. Les invités emportent quelquefois les fourchettes , mais à titre de
simple souvenir, ne considérant ces insti'uments que comme des objets de coUec-
- 3S0 —
tion ; la femme d'un chef avise , à la fin d'un repas , un flacon de liqueur aux flancs
rebondis. « Ceci , dit-elle , doit être bon pour le mal aux dents, je l'emporte. » Au
point de vue des mœurs kanaques , ces procèdes n'ont rien d'extraordinaire. Entre
eux, les indigènes ne se comportent pas d'une manière différente ; un invité enlève
toujours et très gravement les restes d'un festin donné en son honneur : c'est là une
règle immuable. Quand l'amphitryon sait vivre . il fournit même à ses invités les
paniers destinés à enlever les reliefs. D'autre part , quand un chef de l'île invite un
Européen , il est d'usage que celui-ci se fasse suivre de quelques paniers de vin ;
les lois du pays interdisent aux insulaires l'usage des boissons fermentées ; mais
ils se livrent, tranquillement et sans aucun remord-^, à des libations sans fin quand
ils peuvent le faire sans encourir le risque d'une amende. Ces lois offrent un curieux
mélange des coutumes du pays et des prohibitions apportées par les missionnaires
méthodistes. Inutile d'ajouter que ces missionnaires se font une large part dans
l'administration du teiritoire. Le code indigène , repris et augmenté par eux , punit
de la pgine capitale le blasphème et l'idolâtrie; il abandonne aux missionnaires le
droit d'annuler le contrat de mariage et celui de donner leur consentement ou d'inter-
poser leur veto quand il s'agit de porter des marchandises à bord d'un navire. Ils
ont, en outre , introduit un article en vertu duquel la trahison est punie selon les
lois anglaises, ce qui implique l'obligation de les consulter, puisque eux seuls peuvent
appliquer ces lois en connaissance de cause.
« Quel est l'avenir réservé à cette petite île perdue au sein de l'Océan Pacifique ,
presque aux antipodes ? Elle offre peu d'intérêt au point de vue commercial, et nous
ne croyons pas que son importance puisse augmenter , même après le percement de
l"isthme de Panama. Malgré la fertilité du sol, la côte seule est habitée ; les bras
font défaut, et d'ailleurs les indigènes ne se décideront point à travailler quoi qu'il
arrive. Ainsi, d'un côté un pays peu étendu, de l'autre une population insuffisante :
il n'y a place entre ces deux facteurs ni à une importation, ni à une exportation
sérieuses. Il ne faut considérer Taïti, que comme un poste militaire et un point de
ravitaillement, surtout si l'on se décide à améliorer Port-Phaéton. » C'est sur ces
lignes que nous voulons prendre congé de M. Alfred Davin et de son livre, d'une
lecture à la fois si instructive et si attachante. Non cuivis homhii contingit adiré
Corinthum; il n'est pas donné à tout le monde de parcourir 50,000 milles sur
rOcéan Pacifique et de visiter Taïti et les Marquises ; mais les lecteurs du Bul-
letin de la Société de géographie do Lille , grâce à la relation de M. Davin, ont pu
refaire ce voyage , avec les yeux de l'esprit du moins, et cela sans quitter leur
fauteuil et le coin de leur feu, qui ont tant de charmes par le temps inclément qui
règne. ,. '
Four les Faits et Nouvelles géographiques non extraits
LE SECRÉTAIRE-GÉNÉRAL ,
ALFRED RENOUARD
■A3i -
COMPTE-RENDU DE QUELQUES EXCURSIONS
ORGANISÉES PAR LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE DE LILLE
EN 1887.
Ex.cursitou aux iniiiew de liCns. — Cette excursion a eu lieu le jeudi
21 avril 1887 ; nous fûmes ce jour lii 52 sociétaires, lillois, roubaisiens, tourquennois
et armentiérois, inscrits pour y prendre part. Aux yeux de beaucoup d'entre nous, ce
voyage d'unjour avait un double attrait : il nous permettait tout d'abord de visiter
dans tous ses détails, tant pour l'agencement intérieur que pour les constiuctions
extérieures, un établissement minier dont la réputation n'est plus à faire ; il nous
permettait encore de jouir à peu de frais et avec tout le confortable possible, d'une
récréation de quelques heures , que voulait bien généreusement nous offrir
M. Léonard Danel , président du Conseil d'administration des mines et depuis de
longues années bienfaiteur de la Société.
M. Crépin, président du Comité d'excursion, fait l'appel au départ dans la salle
des Pas-Perdus de la gare, et nous voici bientôt sur le quai oii M. Léon Danel offre
à chacun d'entre nous une carte de la concession de Lens , jointe au programme de
l'excur.sion de la journée. On monte en wagon, on part, et les conversations
bruyantes vont si bon train qu'il nous semble , qu'à peine installés , nous sommes
arrivés à Lens.
Reçus avec la plus grande cordialité par M. BoUaert , agent général des mines ,
nous mettons gaiement pied à terre, traversant rapidement la gare de la ville encom-
brée de wagons de houille, et gagnant le train spécial, mis à notre disposition, pour
nous conduire à Liévin, oii se trouve l'une des principales fosses en pleine exploi-
tation , celle dite de Saint-Arné , portant le n° 3.
Le trajet s'effectue si rapidement, que nous avons à peine le temps d'examiner les
splendides wagons de la Compagnie ; nous descendons bientôt pour nous rendre à
travers le village au puits qui attend notre visite.
Liévin, oii nous nous trouvons maintenant, n'existait pas il y a vingt-cinq ans :
c'est aujourd'hui une jolie bourgade oii la Compagnie de Lens a fait contruire
sept cents maisons pour le logement de ses ouvriers . une église d'un caractère tout
particulier et fort original, deux splendides écoles de filles et de garçons, oii l'ins-
truction primaire est donnée à 600 enfants des deux sexes et une école d'adultes.
Deux rangées de corons aux toits rouges, bordent la rue principale, mieux entretenue
que les chaussées de nos villes. Toutes les maisons sont pareilles et, par les portes
ouvertes, on aperçoit des intérieurs propres et coquets qui invitent à entrer : chaque
maison comprend, au rez-de-chaussée, une pièce assez vaste, dallée de carreaux
céramiques, et une cuisine ; à l'étage unique, deux chambres ; puis, sous les combles,
un grenier. Le sous-sol est excavé, et, derrière la maison, le mineur a la jouissance
24
— 332 —
d'un carré de terre de deux cents mètres qui fournit des légumes pour toute la
famille. La Compagnie loue ces maisons à raison de 5 francs par mois, somme qui
représente un peu plus que les travaux d'entretien. La plus grande propreté règne
partout ; une surveillance active est d'ailleurs exercée sur les corons de la Compagnie
par des gendarmes retraités, gardiens vigilants et sûrs.
Nous arrivons ainsi sur la place du village oii nous voyons installé un jeu de
paume à la disposition des mineurs, et oii se trouve l'église Saint-Amé que nous visi-
tons rapidement. Puis nous pénétrons dans les bâtiments en briques qui rccouv ent
la bouche du puits. L'architecture en est simple et élégante. La recette au charbon
est à six mètres au-dessus des voies de l'embranchement qui dessert la Fosse ; c'est
ce qui fait que le bâtiment comprend un rez-de-chaussée haut de 6 mètres et un étage
qui a environ 15 mètres sous le faîte. Dans le rez-de chaussée se trouve une vaste
salle pour les mineurs ave<:' de nombreuses armoires (une à la disposition de chaque
brigade d'ouvriers) , deux bureaux pour les porions, un autre bureau pour les sur-
veillants et employés de la place, une lampisterie, un magasin renfermant tous les
objets nécessaires à la consommation moyenne d'un mois et des ateliers pour les
petites réparations ; sans parler de la recette inférieure au niveau du sol pour la
descente des bois et l'épuisement des eaux par caisses guidées. A l'étage , sont le
chevalement et la machine. Le chevalement est en bois très souple et fort solide, il
porte l'axe des molettes à 11 mètres au-dessus du sol et la recette au charbon.
La machine est verticale, à cylindres enterrés ; les pistons ont 0'",65 de diamètre et
2™ de course ; les glissières sont portées par le couvercle du cylindre, ce qui ne se
fait plus ; la distribution, par tiroir sans détente spéciale, n'a rien de particulier.
A leur arrivée, les cinquante-deux voyageurs se partagent en deux groupes : un
prcuuer groupe, limité à trente personnes, a le droit de descendre dans les «entrailles»
de la terre ; un second groupe visitera en détail les installations superficielles. Puis
la caravane se retrouvera à l'orifice de sortie de la fosse n" 4.
Suivons maintenant le premier groupe , celui dit des privilégiés, et mêlons-nous à
ces heureux excursionnistes que les vingt-deux autres voient partir d'un œil d'envie.
A la hâte, nous revêtons le costume de l'ouvrier du fond : à savoir la chemise de
cretonne imprimée, blanchie par des lavages journaliers, la culotte et la veste de toile
bleue, le béguin blanc serré autour de la tète par des cordons, et la lourde barrette de
cuir bouilli qui doit protéger nos crânes puissants des chocs contre le bois des gale-
l'ies. On nous donne à tous une lampe de sîireté : et pour conserver à nos descendants
le souvenir du 21 avril 1887 , nous nous formons en groupe et permettons qu'on
braque sur nous un appareil photographique. Nous gagnons ensuite la bouche du
puits ; la descente va commencer.
La salle de recette où nous nous trouvons est dallée de grands carreaux de fonte sur
lesquels glissent avec fracas les berlines lourdement chargées de houille. Au fond, la
machine met en mouvement deux immenses bobines de dix mètres de diamètre sur
les moyeux desquelles s'enroulent en sens contraire deux solides câbles d'aloès. Ces
câbles qui soutiennent les cages d'extraction , vont passer au-dessus du puits sur les
molettes soutenues par de fortes charpentes en fer.
Après deux coups de cloche, voici que les câbles se mettent tout à coup en mouve-
ment, l'un monte, l'autre descend dans le gouffre noir dont l'ouverture béante semble
vouloir tout engloutir. Puis bientôt ils sont au bout de leur course : pendant qu'une
cage est descendue au fond de l'abîme , une autre est remontée, supportant sur cha-
cun de ses deux planchers superposés quatre berlines de charbon. Des taqueurs
sortant rapidement les petits wagonnets, les déversent dans les bâtiments de
criblage et les remplacent sur les planchers de la cage par des berlines où ont pris
place les excur.sionnistes lillois
— 333 -
Le charbon extrait, par jour dépasse 50U toimes, nous dil-oii, uiais lors do la grande
poussée de 1872, on est arrivé au chiffre très considérable de 1,022 tonnes. La
Compagnie de Lens est de toutes les Sociétés houillières du Nord et du Pas-de-Calais,
celle dont le développement a été le plus rapide et le plus considérable : en 1840, ses
6,939 hectares de concession (Lens et Douviin réunis) était absolument vierges de
tout travail, mémo d'cxi)loration; l'extraction n'y a été commencée que fui 1853, et
l'on y extrait actuellement plus de 1,300,000 tonnes. En fait, depuis 1872, par sa
production, la Compagnie de Lens s'est placée immédiatement après la Compagnie
d'Anzin, qui est hors de comparaison avec toutes les autres, détrônant la Compagnie
d'Aniche du second rang qu'elle avait conquis en 1852 et toujours gardé depuis.
Mais, attention 1 le départ va sonner. Nous sommes deux dans chaque berline,
seize en tout dans la cage. Le moment est solennel et une certaine émotion nous
gagne. Deux coups de cloche au milieu des râles et des souffles puissants des
machines ; puis , après un léger sursaut, la cage s'enfonce éperdument dans la pro-
fondeur du puits. En un instant, tout a disparu : les charpentes et les constructions
de la recette ont fui , et , à travers la nuit épaisse et noire , on essaye en vain de
distinguer les parois du puits. Descend-on ? Monte-t-on ? Par moments , on se croit
immobile, puis, des oscillations se produisent et, après quelques minutes de cette
descente , la cage s'arrête à l'accrochage , à près de huit cents pieds au-dessous
du sol.
Aussitôt des mineurs tirent hors de la cage les berlines qui contiennent les excur-
sionnistes, et la promenade souterraine commence par la visite de l'écurie, voisine
de l'accrochage. Un froid intense règne dans la galerie de foiul, qui reçoit tout l'air
de la mine. L'écurie qui se trouve sur le côté de la galerie, est taillée dans le roc et
voûtée en briques : quelques chevaux, d'une extrême tranquillité, très hauts et très
gras s'y trouvent. Les autres, laissant leurs stalles inoccupées, traînent des trains
de berlines des tailles à l'accrochage.
Après un rapide passage à travers l'écurie obscure, éclairée par une seule lampe,
on reprend la galerie de fond dont on suit longtemps les méandres pour arriver à uno
veine en exploitation. La galerie est fort belle : d'abord voûtée en maçonnerie par
suite du peu de résistance du sol, puis taillée en plein roc et entièrement blanchie à
la chaux pour donner plus d'intensité à la lumière falote des lampes de sûreté.
On marche, on marche toujours. Par instants, on rencontre un train de berlines
traîné par un cheval géant, ouvrant de grands yeux , inutiles au milieu de cette éter-
nelle nuit. A droite et à gauche, des galeries secondaires ouvrent de grands trous
noirs au fond desquels pointent les petites flammes des lampes.
La promenade souterraine continue, et bientôt la galerie de fond change complète-
ment d'aspect : la voûte, taillée dans le grès, fait place à une galerie étayée de troncs
de bouleaux ; un canard, large tuyau de conduite d'air, passe sous le toit, et au froid
qui incommodait au début les voyageurs, a succédé une température suffocante
A travers les bois de soutènement, on aperçoit entre le mur de la galerie (rocher infé-
rieur) et le toit, une couche de houille d'au moins 0'",70 d'épaisseur, que la galerie
suit sur toute sa longueur. On arrive ainsi à la veine Ai-ago, dont on visite une des
tailles : la veine fait les zigzags les plus singuliers ; à un endroit, elle descend brus-
quement et un mineur, couché sur le côté, abat le charbon à l'aide d'une pique. La
houille tombe en fragments brillants qu'un gamin ramasse et dont il emplit les
berlines.
Plus loin, un plan incliné monte à travers les couches successives et dessert de
nombreuses tailles secondaires. A grand renfort de genoux et de coudes, et non sans
quelques périlleuses glissades , on gravit le plan incliné et on assiste sur son passage
au travail des mineurs, arrachant périlleusement le charbon des souterrains, ou il
- 334 -
est déposé , il y a des milliers de siècles , dans la seconde période de la vie du
globe, au moment oii s'épanouissaient dans leur merveilleuse exubérance les végé-
taux singuliers de la flore secondaire.
La veine Arago, oii se promènent les excursionnistes, est grisouteuse ; le terrible
ennemi des mineurs s'y dégage lentement des blocs de houille qui l'emprisonnent,
et sans les multiples précautions prises par le personnel, sans la sévérité des règle-
ments, des catastrophes seraient inévitables.
Pour reconnaître et doser le grisou, les porions se sei-vent d'une lampe spéciale :
c'est une lampe Davy dans laquelle l'huile a été remplacée par de l'alcool, dont la
flamme est beaucoup plus sensible. Si on promène cette lampe le long de la veine
grisouteuse, on voit la flamme pâlir et s'allonger ; et dans la cheminée de toile
métallique qui surmonte la lampe , le grisou brûle avec une flamme bleue caractéris-
tique. A l'aide d'une graduation que porte la lampe , les surveillants déterminent
aisément la quantité de gaz dangereux contenue dans l'air de la galerie.
Cette expérience, renouvelée plusieurs fois, intéresse vivement les voyageurs
souterrains ; puis la promenade à travers les galeries continue et on gagne ainsi la
fosse n** 9, en construction et dont les installations extérieures ne sont pas terminées
encore : on creuse de nouvelles galeries à travers un grès d'une dureté extrême qui
néces.site l'emploi de puissantes perforatrices à air comprimé Mais, l'heure avance,
la course souterraine a aiguisé les appétits, les estomacs crient famine ; les jambes
sont lasses et d'aucuns manifestent le désir de revoir la lumière du jour.
On se remet donc en marche silencieusement et on traverse une voie de fond qui
ramène tout le monde à l'accrochage de la fosse n" 4. Les voyageurs montent en
berline, on charge les cages et une première bande d'excursionnistes quitte le fond.
La cage monte, monte à travers l'obscurité du puits ; on approche de la surface,
on perçoit le bruit des machines, on entend les cris joyeux des excursionnistes de la
surface, revenus en chemin de fer à la fosse n° 4 ; puis, c'est tout à coup un ébloiiis-
sement général : la cage est arrivée au jour, les taqueurs tirent les berlines et les
voyageurs mettant pied à terre racontent leurs impressions à ceux qui n'ont pu,
comme eux, admirer les merveilles de l'exploitation des mines.
La cage vide redescend pour chercher une seconde bande de promeneurs souter-
rains : bientôt tout le monde est réuni dans la grande cour du n" 4, et pour que
chacun conserve le souvenir de cette belle excursion, M. Gayez, photographe, prend
pour la .seconde fois, une vue du groupe formé par les excursionnistes du jour et du
fond réunis. Les derniers se hâtent alors d'aller échanger leurs vêtements de toile
noircis par le charbon contre leur costume de voyage ; puis tout le monde se rend à
l'hôtel de la Compagnie de Lens, oii M. Léonard Danel offre aux excursionnistes
lillois un dîner plantureux
Ce dernier a été un vrai banquet dont le confortable venait bien à point après une
matinée réellement très chargée : 11 était servi dans une immense salle dont les murs
étaient ornés avec goût d'un grand nombre de trophées. M. Léonard Danel, président
du Conseil d'administration ; M. Bollaert, agent général des mines de Lens, et tous les
ingénieurs de la Compagnie y assistaient. Le Champagne versé, plusieurs toasts ont
été portés, par M. Paul Crépy a la Société des mines de Lens et à son président ,
par M. Léonard Danel à la Société de géographie de Lille, par M. Alfred Renouard à
MM, les ingénieurs et au Conseil d'administration de la Compagnie , enfin par
M. Eeckman à M. Bollaert.
Puis, de rechef, l'on s'est mis en route pour visiter les installations extérieures de
la fosse n"^ 7, dite Saint-Léonard. Les trois quarts d'heui'e passés autour des ateliers
de criblage et de nettoyage des charbons ont paru vraiment trop courts aux excur-
sioimistes que l'ordre du jour appelait dans une autre direction.
- :m -
Nous remontons en wagons, et quelques minutes après nous mettons pied à terre
au rivage de Pont-à-Vendin, établi par la Compagnie sur le bord d'un bassin creusé
parallèlement au canal de la Haute-Deûle. Ce bassin a :I8 mètres de largeur à ligne
d'eau, 3'".'10 de profondeur, et une longueur considérable de 275 mètres qui permet
le chargement en bateaux de 5,000 tonnes de houille par jour.
Après un examen rapide de l'installation, un train complet est arrivé pour le
déchargement sur un chemin de fer parallèle au rivage, placé sur un remblai de
7 mètres au dessus de l'oau dans le bassin, et les excursioimistes ont pu jouir à leur
aise du spectacle vraiment pittoresque de l'opération du versement dans les bateaux.
Le train, en effet, venant des Fosses au Rivage, s'est arrêté en face de trémies cou-
chées sur un talus correspondant chacune à des glissières en tAle sous lesquelles sont
les bateaux à charger rangés bout à bout. La locotive est décrochée et vient, par
laiguiliage terminal sur une voie paiallèle, se placer à côté du premier wagon : alors
un homme accioche l'élévateur à la première caisse qui est lestement vensée; de cette
caisse on passe à la seconvie en faisant reculer la locomotive d'un tour de roue et
ainsi de suite jusqu'au bout du train. Le train, complètement déchargé de la tête à la
queue, la machine vient, par l'aiguillage initial, se placer en queue, c'est-à-dire en
tète du côté des Fosses, et le signal du départ est donné. C'est un émei-veillernent
que de voir cette manœuvre originale et cette célérité d'exécution qui permet de
chaiger un bateau de 270 tonnes en moins de trois quarts d heuie. avec un personnel
léduit à tiois horames, l'un à la locomotive , l'autre à l'accrochage de la grue et aux
loquets, le troisième aux glis-sières. C'est avec regret que l'assistance s'est éloignée
d'un aussi eu Jeux spectacle.
Nous remontons une fois encore dans les wagons de la Compagnie, et nous diri-
geons vers la fosse de Douvrin qui . d'après l'ordre du jour, est le point terminus de
notre excursion.
Sous la direction de M. Reuraaux, ingénieur en chef de la Compagnie, nous visi-
tons bientôt cette magnifique installation, à la direction de laquelle est spécialement
attaché M. l'ingénieur Renié, auquel ou est redevable du beau travail de serrement
qui en a permis le fonctionnement.
Mais il est six heures, le moment du départ approche, il faut terminer quand même
cette promenade intéressante. Nous remontons dans le petit train de la Compagnie
qui redouble de vitesse pour nous conduire à la gare de Lens.
Avant notre retour pour Lille , réunis au cercle des ingénieurs , nous sommes
heureux de remercier encore une fois MM. Danel, Bollaert, Reumaux et les ingé-
nieurs de la mine , du charmant accueil qu'ils ont bien voulu réserver aux membres
de la Société et nous les assurons de nouveau que tous nous conserverons de la
première excusion de 1887 un souvenir ineffaçable.
A 6 h. 37, nous quittons Lens: en wagon, les conversations ne roulent plus que sur
un seul sujet, l'excursion delà journée que nous essayons de nous remémorer par
le détail comme pour en jouir encore , et tous nous sommes d'avis que depuis
longtemps , pareil émerveillement n'a été offert aux géographes de Lille. Comme
Titus, aucun de nous n'avait perdu sa journée. Alfred Renou.\rd.
Excursion à C'af^sel. — (12 juin 1887).— Partis de Lille à 7 heures 15. sous
la direction de MM. Fernaux et Merchier, les excursionnistes aperçoivent d'abord
Cassel un peu avant d'arriver à Hazebrouck, puis après avoir dépassé cette gare ,
ils distinguent progressivement les détails du panorama de la ville qui s'étale sur
— 336 -
le sommet du mont. A 8 heures 55 , enfants , dames, tous , jeunes et vieux, sautent
les marches du train d'un même élan joyeux, le soleil aussi était de la fête. La ville
de Cassel, que nous allons visiter, est située à 50" 48' de latitude N. et à 0" 9' de
longitude E.; elle est à 50 kil. de Lille, à 20 kil. de St Oiner, à 30 kil. de la mer,
à Dunkerque , et environ 10 kil. de la frontière belge k Calcane; elle est à 3 kil.
de la station de Bavinchove, village que nous voyons à peu de distance. Voici la route
de St-Omer , par laquelle trois fois, en six siècles, arrivèrent les Français pour com-
battre les Flamands. En véritables touristes , nous dédaignons l'omnibus et nous
commençons à gravir la célèbre colline , point culminant de toute la Flandre ; l'un
de nous lui fait l'honneur d'un véritable alpen-stock.
Les riches moissons des champs , les vallons fleuris , les surfaces accidentées et
pittoresques nous séduisent, et bientôt, regardant en arrière, nous sommes étonnés
de dominer déjà la gare que nous venons de quitter et les clochers qui nous envi-
onnent. Un instant après , nous passons devant le château original , construit par
général Vandamme enfant de Cassel , dont Napoléon I*^' appréciait l'ardeur belli-
queuse. Nous sommes là à l'entrée de la ville , nous la trouvons toute pavoisée de
drapeaux et d'oriflammes, et décorée de guirlandes de verdure et de fleurs. C'est la
Kermesse, et en même temps la procession annuelle de la Fête Dieu ; nous admi-
rons, sur les places, deux superbes reposoirs, devant lesquels sont des tapis artiste-
ment dessinés en fleurs naturelles , dont les couleurs ménagées avec goiît , font un
effet superbe qui soulève notre admiration. Nous regardons passer devant nous , la
longue suite d'enfants et déjeunes filles, portant de nombreuses bannières , des
statuettes et des reliquaires, puis vient le petit agneau traditionnel, etc. Une foule
nombreuse et recueillie , qui donne une idée du caractère des habitants du pays ,
regarde ou accompagne la procession. Pour nous, profitant de ce que l'église est vide,
nous allons la visiter. Nous y voyons un beau Rubens : la Vierge qui offre l'Enfant
Jésus à St-François d'Assise pour V embrasser {ï)- — puis un Christ crucifié, supposé
de Van Dyck. Au maitre-autel est la copie d'une belle AssomptiGit d'après Raphaël,
l'autel est en marbre de couleur et le rétable à colonnes corinthiennes. Sous le
clocher, sont peints à fresque, sur les piliers, les Pères de l'Eglise. L'orgue à double
buffet est bien installé, on y voit le roi David et sainte Cécile, en pied ; un chrono-
gramme nous dit qu'il date de 1821. 11 n'y a rien de très remarquable dans l'archi-
tecture de cette église qui fut souvent brûlée et reconsti-uite par parties ; il reste
des vestiges de celle de 1290, bâtie en grés du pays. L'horloge et le carillon de la
tour viennent , dit-on , de Thérouanne , mais plutôt de l'abbaye de Clairmarais qui
dépendait de la châtellenie. L'église Notre- Dame fut longtemps collégiale à douze
chanoines ; nous remarquons le porche en forme de lourd péristyle à trois entrées et
à côté , un grand Calvaire. Près de là , nous voyons l'ancien collège des Jésuites ,
bâti en 1687, et occupé par les Récollets de 1770 à 1789 : détruit en 1793 , ce qui en
reste est la chapelle monumentale dont on a fait l'école des frères. Puis nous passons
devant l'hospice des vieillards , fondé en 1255 ; à côté, est l'école des sœurs Augus-
tines et leur chapelle, fondée par Robert-le-Frison ; son corps y reposa de 1131 à
1281. Arrivés à une place ornée d'une fontaine, nous montons par une antique ruelle
sur la butte du château , on y pénètre par une ancienne porte flanquée de tours
crénelées. Cette terrasse est le point légendaire qui fut fortifié de toute antiquité
parles Morins, les Menapiens et les Romains avant de devenir le château-fort histo-
rique du moyen-âge. Là aussi exista , jusqu'en 1789, la collégiale de Saint-Pierre ,
(1) Lo Musée de Lille possède de Rubens le même sujet, mais plus srraml
- 337 —
fondée on 1072 par Robei*t-Io-Frison. Aujounl'hui , nous- n'y voyons qu'un jardin
agréable et bien dessiné , dans lequ'l s'élèvent : vers l'Ouest , le Moulin , dit de
Gassel , aperçu et connu de bien des lieues à la ronde ; et vers l'Kst,, quelques habi-
tations pai ticulières. Mais si la puissance a disparu , si les curieux rnonum«;nts ont
été détruits, il r.iste toujours, la beauté moins fugitive du silo et la splendeur de la
nature. Si Jules-César et plusieurs de ses Lieutenants ont foulé jadis ce sol et com-
nieiicé sa célébrité en y fondant l'un des points stratégiquf-s de la Belgique, bien des
hommes illusti-es ont suivi leurs traces , car outre plusieurs comtes et comtesses de
Flandre ([ui l'ont affectionné , et de^; rois que la guerre y a amenés , ce lieu a été
visité avec intérêt et cu'-iosité par une foule de savants et d'hommes distingués;
Charles-Quint , et le 17 messidor an II , Napoléon , premier Consul , lui firent aussi
cet honneur. Quant à nous, déjà émerveillés par les magnifiques points de vue qui
sont ménagés pour les promeneurs, nous avons la bonne fortune de pouvoir monter
sur le toit en plate-forme de la maison la plus élevée de la butte. De là , nous
jouissons de ce spectacle splendide que Malte-Hrun appelle le plus beau panorama
du monde. La campagne, à nos pieds, avec ses maisons, ses habitants, ses animaux
microscopiques, nous rappelle Swift ; ce pavé, que nous croyons voir égaré dans une
mousse arboi'escente , c'est une grosse tour séculaire , perdue avec l'église qu'elle
domine au milieu d'un bouquet d'arbres du même âge : et l'une de nos fillettes, vou-
drait avoir comme jouet cette maisonnette aux toits rouges qui est un vieux manoir
des temps féodaux. Nous voyons rayonner autour du mont, quia plus de 165 mètres
d'altitude , une foule de grandes routes parmi lesquelles les plus droites sont d'an-
ciennes voies l'omaines qui sont au nombre de sept. Au loin , nos lunettes nous
montrent Dunkerque, la mer et même les falaises de Douvres ; puis la haute tour de
Bruges sur les confins de la Hollande, tandis que vers l'ouest nous apercevons les
collines de l'Artois d'où sortent l'Aa, la Lys et la Scarpo. L'un de nous possède la
carte de l'immense hori/.on circulaire que nous découvrons de ce point presqu'aérien
à 180 mètres au-dessus de la mer , et cette circonférence de plus de 150 lieues que
nous embrassons, permet de distinguer, par un tem])S clair, plus de 40 villes et 100
bourgs. C'est de là , pendant que nous contemplons, émus, le théâtre de près de
vingt siècles de faits historiques , que le savant professeur d'histoire du Lycée de
Lille , M. Merchier , nous fait le récit intéressant des batailles de 1071 , de 1328 et
de 1677 (1), nous indiquant successivement et sur le vif les localités qu'il cite.
(1) Il nous montre Robert-Ie-Frison, deuxième fils de Bauduin V de Lille . appelé
par le peuple flamand, fatigué de l'oppression et des cruautés de Richilde, veuve du
comte Bauduin VI, son frère, et qui avait pris la tutelle de ses fils Arnould et
Bauduin. Nous le voyons, au levant, descendre du \Vonhenberg(Mont des Vautours,
aujourd'hui des Récollets) et mettre en fuite les troupes wallonnes; puis ensuite
s'élancer à l'ouest du Mont Cassel vers Bavinchove , et repousser les mêmes
troupes jointes à celles du jeune roi Philippe 1''', venu au secours de son cousin
Arnould, Richilde est faite prisonnière pendant la bataille, puis échangée contre
Robert, pris lui-même , s'étant laissé emporter par son ardeur au milieu des enne-
mis Enfin , le roi de France , revenant de Saint-Omer avec des renforts , ayant été
tué , son oncle , Robert-le-Frison , est reconnu comte de Flandre ; plus tard , le roi
ayant épousé Berthe de Hollande, .sa belle-fille , la couronne de Flandre est assurée
à la branche cadette des descendants de Bauduin de Lille.
— Les Cassellois furent moins heureux en 1328; les flamands , soulevés contre
- 338 -
Captivés par sa parole autant que par le décors , nous remercions vivement le
maître , prodigue de sa science, dans cette conférence d'un genre si rare. C'est à
regret que nous quittons notre belvédère pour visiter au milieu de la pelouse de la
butte, d'abord : la crypte de l'ancienne collégiale oii existe le tombeau de Robert-le-
Frison , dont nous voyons encore une partie qui reste dei'uis qu'il fut violé sous la
Terreur; puis la pyramide commémorative que le D' De Smyttère a généreusement
fait édifier pour rappeler les exploits de ce comte et d'autres faits historiques. Au
pied de ce monument , l'un de nos collègues a la bonne idée de photographier notre
groupe et d'offrir à chacun de nous ce souvenir de notre agréable excursion.
Nous descendons ensuite vers l'ancienne porte de Bergues oii existe une belle
chapelle octogonale avec dôme, toute ornée de fresques à l'intéiieur; nous y rele-
pons cette inscription: 0n2e lieve vroiiw van bermhertiffheid , bidvoor ons, écueil
de prononciation pour les français. Nous passons devant la Poste, le Télégraphe, le
Collège, l'Orphelinat ; enfin, sur la grande Place, encombrée de saltimbanques, nous
voyons une fontaine adossée à une assise monumentale en grés. A côté , se trouve
l'Hôtel-de-Ville qui est classé au nombre des monuments historiques ; c'est une
élégante construction espagnole bâtie en 1634 après un incendie accidentel; une
petite tour à clocher renferme la cloche d'alarme. Jadis siégeait là le haut justicier ;
leur comte , Louis de Grecy petit -fils et successeur de Robert de Béthune , virent
arriver, du côté de Saint-Omer, le nouveau roi de France, Philippe de Valois, pour
secourir son cousin. 11 s'installa vers le nord du Mont Cassel et ravagea le pays.
Les Flamands déployèrent , par bravade , une bannière oii était peint un grand coq
avec cette inscription :
« Quand ce coq ici chantera ,
« Le roi Cassel conquestera. »
Un jour, un tisserand , Zanneken , se fit fort de surprendre les français pendant
leur sieste du jour et d'enlever le roi et son oriflamme. Il conduisit, en effet, les
milices par des chemins couverts du côté d'Hardifort jusqu'à la tente du roi qui fut
surpris, comme Philippe-le-Bel , à Mons-en-Pévèle ; il croyait au succès quand , par
une coïncidence malheureuse , arriva Robert de Cassel. Revenant d'une expédition
vers Dunkerque , il prit à dos les troupes flamandes qui résistèrent avec valeur ,
Zanneken et les siens se firent tous tuer sans reculer. Le roi, furieux . brûla Cassel
et massacra tous ses habitants. La Flandre, effrayée, se soumit.
— En 1667 , les Flamands ne jouèrent pas un rôle actif dans la bataille , mais la
Flandre devait être le prix de la victoire dans la guerre de Hollande. Louis XIV
assiégeait Cambrai et le duc d'Orléans, son frère, St-Omer. Guillaume 111 de Nassau,
prince d'Orange et depuis roi d'Angleterre . accourut pour secourir cette dernière
ville. 11 arriva par Sainte-Marie-Cappelle au sud du Mont Cassel. gagna Bavinchove
et la rivière la Peene , derrière laquelle se trouvait le duc, venu à sa rencontre. Le
11 avril 1677 , les Hollandais jetèrent des ponts sur ce ruisseau et le traversèrent ,
mais ils furei.t étonnés d'en trouver un second qui les séparait des Français; pendant
leur indécision , par des manœuvres habiles , les Français les mirent en déroute et
ils s'enfuirent jusqu'à Ypres , abandonnant canons et drapeaux. St-Omer se rendit
alors, et la paix de Nimègue (1668) confirma la P'iandre à la France. Depuis 1865,
un monument, rappelant cette victoire , a été élevé au confluent des deux rivières au
sud du village de Noordpeene. Il existe aux Invalides un tableau représentant cette
bataille et la vue de Cassel.
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à cette jiiridiction suprême a succédé une humble justice de paix , dont nous voyons
le prétoire orné d'un jugement de Salomon. Mn l'iDô, Robert duc de Har et seigneur
de Cassel, autorisa un combat singulier en cette ville. Nous visitons la salle du
musée piesqu'entièrcment consacrée à des antiquités du pays, monnaies, scels, bla-
sons, pierres et coquilles fossiles , etc. Dans une autre salle , nous apercevons des
mannequins et des décors du cai'naval, cette fête qui est légendaire dans les flandres,
oii partout on promène des (Jéants ou Reuss. se célèbre avec autant d'enthousiasme
qu'à Rome. Des peintres l'ont illustrée jadis, comme les tableaux de Téniers nous ont
transmis la gaîté des kermesses flamandes du XVIl^' siècle. En descendant le perron
de l'Hôtel-de-Ville orné de deux colonnes en pierre soutenant le balcon oii se lisaient
les arrêts de justice, nous avons devant nous la Mairie T'Londs huys , construction
de la fin du XVI siècle , grand bâtiment sans architecture, dont le toit est garni de
vingt fenêtres de différentes grandeurs en trois rangées ; c'est là que siégea la noble
Cour de Cassel, dont la juridiction s'étendait sur toute la châtellenie : de St-Omer à
Poperinghe et de Watten à Estaires et Strazeelc. Maintenant c'est là que sont les
archives, le secrétariat et la salle du Conseil,
Mais toutes ces choses intéressantes n'empêchent pas l'estomac de crier famine ;
heureusement, nous voici arrivés à VHôtel du Saiivaye oii un repas plantureux nous
attend dans un salon d'oii nous pouvons contempler en même temps : Hazebrouck ,
Aire et St-Omer, tout en dégustant le potage. Au dessert , après les toasts d'usage ,
un piano nous permet de savourer complètement les plaisirs des sens , embaumés
que nous sommes par de somptueux bouquets. 11 faut pourtant s'arracher à ces
délices, et à 3 h. 1/2 nous descendons par la rue de Lille vers le mont des Récollets.
Après la Gendarmerie et le couvent des Dames de Saint-Maur , dont la chapelle
monumentale vient d'être élevée sur le dernier contrefort à l'Est du mont , nous
côtoyons le Ginictière oii nous remarquons une tombe ornée d'une pierre du pays :
énorme monolithe rectangle en poudingue ferrugineux à silex, curieux par sa hau-
teur d'environ trois mètres. Nous admirons de nouvelles perspectives pleines de
charmes et bientôt nous arrivons au pied du mont des Récollets (1), dont le sommet
qui est à 146 mètres d'altitude n'est qu'à 1,000 mètres de celui du mont Cassel.
(1) C'est un monticule de sable qui est recouvert d'une légère couche d'argile
sableuse et qui repose sur une assise d'argile de Flandre d'une épaisseur considé-
rable. Ce mont, comme tous ceux de Flandre, est de l'âge tertiaire, la grande quan-
tité de nunin;ulites que Ton trouve dans les sables, indique qu'ils sont de la période
éocène. Les couches sont fort nombreuses et de sables très différents ; elles con-
tiennent quelquefois assez de glauconie pour en paraître noires, ou as.sez de coquilles
fossiles et de nummulites pour former des bancs pierreux calcaro-sableux. Ces
coquilles sont très variées, on en a relevé près de cent espèces (MM. Ortlieb et
Chelloneix) dont quelques-unes sont de grande dimension , telles : les natiles et les
cerithes ; on y trouve aussi beaucoup de dents de squale et d'autres débris. Tous ces
dépôts furent formés pendant l'époque tertiaire, oii la mer recouvrant toute b
Flandre, la Belgique, etc, avait pour rivages les hauteur du Pas-de-Calais, jusqu'à
Lille, Mous et les Ardennes , à part le golfe d'Orchies , qui s'enfonçait assez avant
dans les terres, pour rejoindre vers Laon le bassin parisien. Aujourd'hui, le Mont
Cassel est environné de sablières , mais les sables du Mont des Récollets sont gran-
dement exploités , ils offrent des coupes magnifiques et de grandes facilités pour
étudier ces terrains tertiaires.
J'ajouterai que de nombreux ruisseaux ou bèkes, prennent leur source au pied de
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D'un côté, est exploitée une vaste sablière oii nous ramassons des fossiles, le reste
est couvert d'un fourré de 3 à 4 mètres de hauteur. Chacun s'élance à sa guise vers
le sommet , car il n'y a guère de sentiers, et la gaîté française s'en donne à cœur
joie. Arrivés en haut, les bras pleins d'aubépine, de genêts et de bruyères en fleurs,
nous constatons sur une terrasse de 4 à 5 mètres de diamètre , que deux bornes de
pierre restent seules à la place du couvent des Récollets, fondé en 1610 par les
archiducs Albert et Isabelle. Après avoir un peu regardé au loin le mont des Cats et
le panorama septentrional de Cassel, nous redescendons à l'aventure vers le rendez-
vous : un cabaret sur la route de Lille. Bientôt tous réunis, nous gagnons par un
agréable chemin champêtre, la route d'Aire avec ses beaux châteaux, scs parcs, ses
étangs aux carpes séculaires et le village d'Oxelaere dont la vieille église romane
nous est cachée par des arbres touffus. Je ne saurais décrire ici le charme infini de
cette promenade, dont le coup d'œil et les perspectives changent k chaque instant.
C'est presque trop tôt que nous apercevons la gare oii nous retrouvons quelques
dames fatiguées que notre collègue , le D"" Isaïe Reumaux , de Staples , toujours si
dévoué, y a conduites dans sa voiture. Alors, joyeux et satisfaits de notre journée,
nous trinquons une dernière fois en l'honneur du pays que nous quittons.
11 est 6 h. 16, la cloche tinte , la vapeur siffle , joyeux Cassel achève sans nous ta
bruyante kermesse ! Au revoir , Lille nous attend !
E. Cantine AU.
E'KCursIou à Anvers. — Le dimanche 29 juin, au nombre de vingt-cinq
nous avons pris le chemin de fer avec l'intention de nous rendre à Anvers ; mais,
pour ne pas suivre les chemins battus et généralement suivis, et pouvoir faire une
partie de la route en bateau à vapeur, nous demandâmes nos billets pour Hamme-
lès-Termonde. Le voyage, jusque-là. n'offre rien de bien remarquable ; après avoir
jeté un coup d'œil sur les environs charmants de la gare de Gand et aperçu rapi-
dement les défenses de la petite ville de Termonde, placée au confluent de la
Dendre et de l'Escaut, nous arrivons k Hamme oii nous sommes reçus en descendant
du train par un ami dévoué. M. 0. VanHaver, qui a bien voulu se charger
d'assurer, par ses démarches, la réussite complète de notre petit voyage. Qu'il
reçoive ici nos plus sincères remerciements, ainsi que ]\L Isidore Vandamme ,
l'un des grands industriels du pays, dont la musique particulière de ses établisse-
ments a contribué gracieusement à l'accueil cordial et tout spontané qui nous a
été fait.
Nous visitâmes, avant do déjeuner . les digues . promenades superbes . plantées de
noyers bordant la Durme. affluent de l'Escaut, qui passe k Hamme. Sur les bords
ce mont et de celui de Cassel ; tous se jettent dans l'Yser , rivière qui s'écoule
directement k la mer k Nieuport (Belgique).
Parmi ces nombreuses sources , il y en a de ferrugineuses ; un docteur de Cassel
en a essayé avec succès les propriétés curatives ; il a fait un rapport de ses expé-
riences en 1863, mais son initiative est restée sans écho, quoique les analyses
sérieuses, faites k Lille et k Paris, aient constaté de 6 k 12 centigrammes de 1er
carbonate en dissolution par litre d'eau.
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de cette belle rivière, deux de nos jeunes excursionnistes qui n'avaient pas hésité,
par amour de l'art, à se charger d'un appareil portatif, nous offrirent de
photographier notye groupe, ce que nous acceptâmes avec empressement : souvenir
charmant qui met devant nos yeux les amis avec lesquels nous avons vécu d'une vie
commune pendant 48 heures et qui nous rappellera sans cesse l'amabilité de ses
auteurs.
Nous montâmes sur le bateau à vapeur à 1 heure 1.2 , après avoir déjeuné, et nous
commençâmes les 28 kilomètres qui nous séparaient encore d'Anvers.
Ce voyage en bateau est certainement un des plus jolis que Ion puisse faire. La
Durme, déjà large de 100 mètres, coule entre des rives pittoresques ; l'une, la gauche,
plate et un peu ondulée, l'autre, formée de ces digues que nous avions parcourues le
matin ; elle se jette dans l'Rscaut aux environs de Thielrode. A partir de cet endroit,
l'Escaut est parsemé de petites villes et de villages ; c'est , à chaque coude du fleuve ,
un paysage nouveau. C'est Tamise avec son pont superbe de 400 mètres . servant à
la ligne de Malines à Terncuze et son port pittoresque et curieux. Puis Steendorp
avec ses nombreuses briqueteries , et Ruppclmonde , petite ville au confluent du
Ruppel. Là , l'Escaut se resserre légèrement (250'") et nous apercevons l'ancienne
abbaye de Saint-Bernard avec son toit pointu, et Hemixem avec ses briqueteries
mécaniques ; puis le château de Brakegem , d'Hcmsdael , de Gerlocht et le fort n" 8
de la défense d'Anvers se laisse apercevoir, bientôt suivi de Hoboken, oii se trouvent
les chantiers maritimes de la Société Cockerill de Seraing. Nous côtoyons un beau
navire dont on termine la construction au milieu de l'Escaut, qui a retrouvé ses 450™
de largeur, et de nombreux navires à vapeur et à voiles nous croisent constamment.
L'approche de la grande cité commerciale belge se fait sentir. Enfin , le profil de la
cathédrale d'Anvers se fait voir à l'horizon , bientôt suivi de ceux des autres monu-
ments, puis les premiers quais apparaissent à nos j^eux. Nous sommes encore en
admiration devant ce panorama splendide, lorsque notre bateau accoste. Nous
mettons le pied sur le sol d'Anvers, cette grande et belle cité dont l'origine remonte,
dit-on. au VP siècle, époque à laquelle une colonie saxonne s'établit sur les ruines
d'une fortification romaine et prit le nom d'Anwarpers(à la jetée). Mentionnons, pour
mémoire , la légende qui veut qu'un géant , habitant les environs , exigeait un impôt
des bateliers qui remontaient ou descendaient le fleuve ; ceux de ces derniers qui
refusaient de se soumettre , avaient la main coupée et jetée dans le fleuve ; d'où le
nom d'Hand-Wcrpen (main jetée); de là aussi, l'origine des mains coupées qui ornent
les armes de la ville.
La colonie prospéra et , au IX* siècle , les Normands s'emparèrent d'Anvers et la
fortifièrent. Le Steen, vieux bâtiment que l'on restaure en ce moment, est ce qui
reste, dit-on. de cette enceinte. Après les Normands, Anvers appartint au duché de
Brabant . et prit une telle extension , qu'en 1560 , elle possédait 125 mille habitants
Elle était alors une des plus flori.ssantes cités de la chrétienté. Mais vini-ent les
troubles religieux » et cette prospérité disparut. Les lois contre les hérétiques firent
émigrer des milliers de bourgeois qui transportèrent leurs industries à l'étranger e*
principalement en Angleterre.
Puis vinrent les émeutes des troupes espagnoles eu 1576. Celles-ci saccagèrent
Anvers et la ruinèrent. Ce fait est connu dans l'histoire sous le nom de furie espagnole.
En 1582, le duc d'Alençon , frère du roi de France, fut élu duc de Brabant et voulut
ilevenir maître absolu des grandes villes. 11 s'empara d'Anvers, ses troupes se ruèrent:
dans la ville et tuèrent tous ceux qui leur résistaient; mais les Anver.sois reprirent
l'offensive et rejetèrent les Français hors d'Anvers. Cet attentat s'appelle la furie
française ; un monument élevé en face du théâtre flamand rappelle cet événement.
r*uis vint le sièsc de 1585. nii le bourgmestre. Mariiix de Saiute-Aldegonde, fut
— 342 -
contraint de rendre la ville aux Espgnols sous les ordres d'Alexandre Farnèse. Les
expatriations et l'occupation des bouches de l'Escaut par les Hollandais firent que le
commerce s'éloigna de plus en plus d'Anvers. L'art- alors remplaça le commerce et fit
briller Anvers du plus vif éclat avec Rubens, Jordaens, Téniers et bien d'autres
grands artistes.
La paix de Westphalic, en 1648, consomma la ruine d'Anvers en fermant complète-
ment l'E.scaut, de .sorte que sa population descendit à 40 mille habitants en 1790. Ce
fut l'armée française , en prenant possession de la ville en 1794 . qui proclama la
liberté de l'Escaut. Napoléon voulut développer cette cité et lui rendre son ancienne
splendeur, mais les circonstances ne le lui permirent pas. Après avoir été défendue
en 1814 par Carnot, elle fut annexée au royaume nouveau des Pays-Bas.
Sa prospérité s'accrut de nouveau alors , ju.squ'en 1830 , oii de nouveaux troubles
lui portèrent préjudice. Le traité de Londres, 1.5 novembre 1831, obligeait la Hollande
à évacuer la Belgique, ce qui ne fut exécuté qu'après la prise de la citadelle d'Anvers
par une armée française sous les ordres du maréchal Gérard (décembre 1832). Cette
ville alors fit partie du royaume de Belgique. En 18("3 , eut lieu le rachat de la taxe
imposée à la navigation sur l'Escaut ; de cette époque datent sa prospérité et sa for-
tune nouvelles. Elle compte maintenant 200,000 habitants avec les faubourgs.
L'agrandissement et l'embellissement datent de 1863-72. Elle est agrandie de six fois
son étendue primitive. Les forts nouvellement con.struits ainsi que l'enceinte font
d'Anvers une des plus importantes forteresses modernes. Les nouvelles installations
maritmies et la construction des quais de l'Escaut font aussi d'Anvers un des princi-
paux ports du continent et la tète de ligne des chemins de fer pour le Nord de la
France, l'Allemagne du Sud, la Suisse et l'Italie depuis le percement du St-Gothard.
Une simple promenade faite par nous dans ce dédale de quais et de bassins, au four-
millement des navires de tous les pays du monde, nous donna vine idée générale
de l'importance d'Anvers au poiïit de vue commercial.
La fin de la première journée fut employée à visiter le .Jardin Zoologiquc, fondé en
1843. et qui est certainement le plus remarquable établis.sement de ce genre.
Le lendemain , nous visitâmes les Musées , les monuments si nombreux dans
Anvers. Nous n'oubliâmes point le rarissime Mu.sée Plantin, ancienne habitation du
célèbre imprimeur Christophe Plantin, né près de Tours en 1514. Il s'installa en 1579
dans cette maison , laquelle passa aux mains de son gendre Moretus , et resta en son
état primitif jusqu'à nos jours. La ville l'acheta en 1872 avec tous ses meubles, ses
tapis, ses tableaux (parmi ceux-ci quatorze Rubens et deux Van Dyck) et ses
collections.
Un dernier repas nous réunit tous et nous nous rendîmes à la gare pour retourner
vers notre vieille cité lilloise . heureux et contents de notre excursion qu'un beau
soleil accompagna sans cesse, lequel contribua beaucoup à son succès.
Fern.\ux.
E^Kciirsloii à la Nabllère d'Oiiitrieourt et à ll<»us-cii-l*évèlc. —
(24 juillet 1887). — Quelques mmutes avant 9 heures, nous débarquons à la station
de Libercourt-Garvin sur la lisière des bois dépendant du château d'Oignies. Nous
sommes une trentaine, y compris quelques enfants qui courent aussitôt prendre leurs
ébats sous la feuillée. Chez les Français, la gaîté de même que la valeur, n'attend pas
le nombre des années. Mais il faut modérer une si belle ardeur, un garde tout galonné
- M4;s -
vient (le surgir d'un fourre'; comme d'une boîte à surprise, son fusil en bandouillère
barre la route et nous croyons entendre: quand vous seriez le petit caporal, on ne
passe pas. . . . sans permission. Il vérifie la nôtre de la première à la dernière lettre et
nous autorise à suivre le chemin sur lequel non.s voyons nombre de lapins et de
faisans, plus heureux que nous, tracer des perpendiculaires. Nous débouclions enfin
dans la plaine couverte de moissons dont les épis dorés ondulent gracieusement
sous le zéphyr qui tempère l'ardeur d'un soleil splendide. Nous gagnons le bois
d'Ostricourt oii nous rencontrons une tolérance bien plus large, nous nous déployons
librement h gauche et à droite d(! la route, heureux de nous enfoncer dans la verdure
et de savourer les parfums sylvestres : jouis.sance qui fait si totalement défaut aux
cita(Uns affairés. On s'en donne à cœur joie à travers les arbustes et les buissons,
les oiseaux interrompant leurs concerts mélodieux pour écouter nos refrains ; les
marguerites, le chèvre-feuille et les fougères se transformant, entre les mains des
dames, en bouquets élégants et parfumés, peut être même découvre-t-on parfois une
fraise exquise qui a attendu notre passage pour mûrir. Après avoir ainsi cheminé
quelque temps à travers bois et clairières, nous arrivons à la Sablière; belle exploi-
tation qui suit les ondulations les plus superficielles du banc de sable que nous
voyons presqu'affleurer. 11 est très pur, sans fossiles, ni agglomérats pierreux ,
quartzeux mêlé à des grains noirs de glauconie, il est verdàtre à l'extraction pour
devenir g-isàtre en séchant, c'est le même qu'on rencontre partout autour du bassin
tertiaire d'Orchics.
Après ces observations, nous rentrons dans le bois, nous traversons un marais oii
l'un de nous roule en voulant cueillir des roseaux magnifiques, nous l'en retirons
tout couvert de poussière. Heureux effet de la phénoménale sécheresse. Nous
nous arrêtons un instant dans un cabaret tout coquet et plein de charme pour des
voyageurs altérés, aussi nous reprenons, plus alertes, le chemin sous bois et nos
gais propos. Tout à-coup nous atteignons la lisière et, devant nous, sur la colline, à
3 kil. environ, nous apercevons, fier sur sa cime, le clocher de Monsen-Pévèle. Les
dames profitent d'un char-à-bancs qui les attend pour gravir le mont, tandis que
nous prenons un chemin de traverse au milieu de champs d'une fertilité incontes-
table. En arrivant à l'entrée du village que nous trouvons tout en fête et pavoisé,
nous remarquons un arc de triomphe portant l'inscription : Honneur aux étrangers;
agréable présage de l'accueil sympathique qu'on nous réserve. La réputation des
habitants est faite, du reste, depuis longtemps, et c'est toujours avec plaisir qu'on
est reçu dans ce pays hospitalier oii le travail entretient l'aisance. Aujourd'hui, les
rues sont remplies d'une foule de musiciens et de curieux ; c'est qu'à l'occasion de
la kermesse, la municipalité intelligente et active a organisé un festival auquel ont
répondu 21 Sociétés de localités voisines dont les noms nous sont signalés d'une
manière flatteuse par de nombreux arcs de triomphe. Outre les drapeaux, les fleurs
et la verdure, nous voyons des guirlandes de lanternes disposées avec goût ; le
village sera donc ce soir éclairé à giorno , de manière à éclipser les pâles rayons de
la lune qui fait le service ordinaire. C'est avec difficulté, que nous mêlant à cette
foule joyeu.se et bruyante de campagnards tout endimanchés mais plus ou moins
mélomanes, nous parcourons tout le village aussi bien les abords' de l'église encom-
brés de jeux forains, que la Place oii s'élèvent deux élégants kiosques destinés au
concert. Nous descendons ensuite vers l'Est , à la fontaine Saint-Jean, située au
milieu de riants pâturages : la légende lui attribue des propriétés curatives non
contestées, mais ce que nous constatons, c'est que le gracieux berceau de verdure qui
la recouvre , cadre fort bien avec le site agréable et pittoresque dont l'horizon est
borné par le mont de la Trinité et sa flèche hardie. Tout donne envie de faire une
cure à cette fontaine oii comme Tytire, mollement étendus sous l'ombrage , nous
- 344 -
poumons cliauter les beautés agrestes de la nature. Mais nous avons quelque
chose de plus pressant à guérir , c'est le vide dont notre estomac , comme
toute la nature , a une profonde horreur. Nous regagnons le restaurant oii Ton a
dressé notre couvert sous la tente d'une façon toute rustique. En vrais touristes,
nous faisons largement honneur au repas égayé par les bruyantes fanfares des 600
musiciens qui parcourent le village ; nous n'oublions cependant pas de porter des
toasts pour exprimer notre gratitude aux organisateurs si dévoués de cette excur-
sion, puis nous terminons en buvant à la santé de notre cher Président et à la pros-
périté de la Société. Au café, quelques convives charment l'auditoire par de joyeuses
chansons dont l'une, d'un comique achevé, obtient un succès de fou rire.
Mais il est 3 heures , nous nous remettons en route ; nous visitons l'endroit appelé
le Pas Roland, dépression circulaire sur le flanc sud de la colline, elle a environ
50 mètres de diamètre et ceux qui aiment les légendes fantasques , l'attribuent à la
place d'une motte de terre , qui s'attachant au pied du cheval du héros de l'Arioste.
fut transportée d'un seul pas assez loin pour former le mont de la Trinité. La surface
est fournie de gazon , et des arbres plantés symétriquement , permettent d'y établir à
l'ombre des jeux et des courses. C'est un cirque naturel formé par une très ancienne
extraction de sable qui s'est régularisée par des éboulernents. La tradition qui
l'appelle le Parolan, dit que c'est là que tinrent conseil les chefs des armées pour
discuter de la paix , le jour de la bataille de 1304. La science pourrait n'y voir que le
souvenir de l'époque oii les parois , non éboulées , étaient par hasard taillées de façon
à répercuter les bruits un peu éloignés et répéter , en fidèle écho , les paroles dites à
un endroit déterminé. Du haut de ce versant où se trouve la place du village , on
découvre la plaine qui fut le champ de bataille ; c'est de là, qu'un professeur d'iiistoire
du Lycée, M. Epinay, qui a bien voulu accompagner l'excursion et nous communi-
quer sa science, nous initie aux intrigues et aux péripéties de la guerre de Flandre
entre le roi Philippe-le-Bel et le comte Gui qui en fut victime ; elle se termina par la
bataille de Mons-en-Pévèle et la paix d'Athies-sur-Orge.
Mons en-Pévèle {Mans in pabulis^ colline dans les pâturages) fut longtemps appelé
Mons-en-Puelie, probablement par la suppression de la première syllabe dans le lan-
gage usuel; tandis qu'aujourd'hui, par une habitude inverse, les gens du pays disent
Mons-en-Péve , en supprimant la seconde syllabe.
Le Pévèle fut un des quartiers de la châtellenie de Lille , dès sa création , vers l'an
1000, mais Mons en-Pévèle qui en faisait partie, quant aux charges et aux impôts,
resta du ressort judiciaire de l'Abbaye de Sc-Vaast-d"Arras qui y possédait la ferme
dite de l'Abbaye, située au pied de l'église et sur les terres de laquelle le roi de
France fit enterrer ses morts. Cette commune , quia plus de 2,000 habitants, dépend
du canton de Pont-à-Marcq (jadis Marcq-en-Pévèle) et se trouve à 21 kilom. de Lille;
elle n'est pas sur le sommet du mont, mais sur une ondulation du versant sud; le
sommet de la colline est à 107 mètres d'altitude ; en 1792 , les Français y avaient
établi un camp fortifié d'observation, lia population , toute agricole, avait jadis une
certaine renommée pour la fabrication des fromages, dont on fait encore quelque
peu. Jean Buzelin , vers 1600 , parlant du village , le dit : insiyni pur/nâ et copia
caseortim. Le célèbre chansonnier lillois, Brûle-Maison, vers 1700, dans son voyage
de Lille à Douai par la barque, chante ;
« 'V^ois-tu là-bas sous ces buissons;
« C'est le pays de Mons-en-Pève
« Oti les fromages sont si bons. »
Le village possède de belles routes, dont l'une rejoint celle de Lille à Douai à la
ferme dite du blocus, parce que là, paraît-il. se trouvèrent en 1304 les retranchements
— 345 —
dos Flamands l'ontro Wmnèe de Pliilippe IV. Le soinrnoi du monl se compose (1)
d'une zone de sable fin, très doux, d'une épaisseur d'environ 30 mètres. On y trouve
en certaines couches des amas de coquilles fossiles très petites {numuiuUtes plauu-
/ato) qui, parfois , sont agglomérées en plaques de 1 mètre sur 15 à 30 centimètres
d'épaisseur, on en fait dans le pays des bordures de trottoirs ou du hallage ; c'est
l'assise la plus élevée de l'escène inférieur de nos éontrées. Au-dessous , se trouve
une deuxième zone d'environ 30 mètres d'argile grise ou bleuâtre , devenant brune
jiar altération et contenant des cristaux de gypse : c'est de l'argile de Flandre dite do
Wahagnios , parce qu'on le retrouve à ce village au pied du mont. Une troisième
couche est formée de sable quartzeux sans fossiles, mêlé de glauconie (2), les mêmes
qu'à Ostricourt. elle a 17 mètres. Une quatrième couche de 30 mètres se comi)Ose
d'argile et de Tuttcau qui affleure dans certains fossés du bois de Carvin; enfin , 5**
au-dessous se trouve la craie.
Abordons maintenant la partie historique dans ses faits les plus saillants, d'après
les auteurs et chroniqueurs français et flamands, Meyer, d'Oudegherst, Buzclin, Van
der Heer, Moreri, etc. . . .
Le comte de Flandre était Gui de Dampierrc, second fils de Guillaume de Bourbon
Archambault, seigneur de Dampierrc , époux de Marguerite , comtesse de Flandre et
de Hainaut, qui était la seconde fille du comte Bauduin IX, empereur de Constanti-
nople. Cette princesse est bien connue par son mariage illicite avec Bouchard
d'Avesnes ; les descendants de cette union occupèrent les rois et plusieurs papes au
sujet de leur légitimité et créèrent par leurs prétentions bien des embarras au comte
de Flandre, leur frère utérin. Gui de Dampierre succéda à sa mère le 12 mai 1279,
son frère aîné ayant été traîtreusement tué dans un tournoi en Hainaut , en 1251 ,
peut-être à l'instigation de Jean d'Avesnes, il ne laissait pas d'héritiers. Les diffé-
rends entre Gui et Philippe-Ie-Bel datent de la guerre de Guyenne en 1292 ; le roi ,
qui retint prisonnière sa filleule , la fille du comte , de crainte qu'elle n'épousât
Edouard d'Angleterre, sut bientôt par la ruse prendre pied dans la riche Flandre,
toujours convoitée. Heureux aussi par les armes , il vainquit les Flamands en 1297 à
la bataille de Furnes, puis en 1299 il fit prisonnier et emmena en France le comte
Gui , Robert de Béthune , son fils aîné, et Guillaume son second fils. En mai 1301 ,
Philippe IV et la reine Jeanne de Navarre ayant fait un voyage dans la Flandre sou-
mise , furent éblouis de la richesse du pays et voulurent en profiter ; Jacques de
Ghâtillon l'oncle de la reine, fut nommé gouverneur, mais bientôt ses exactions
soulevèrent les populations. Les derniers fils du comte Gui ; Jean de Namur, son
frère Gui et leur neveu Guillaume de Juliers, chanoine de Maestricht, encouragèrent
à la révolte les chefs du peuple, Jean Breydel, doyen de la corporation des bouchers
et Pierre De Goninck , doyen des tisserands , tous deux de noble condition : ce sont
les deux courageux citoyens auxquels Bruges vient , après six siècles , d'élever une
statue. Ils furent faits chevalier, à la mémorable bataille des éperons, que les
Flamands gagnèrent près de Courtrai le 10 juillet 1302, contre le comte d'Artois, qui
y périt avec 63 princes, ducs et comtes de son armée.
Le roi, brûlant de venger cette défaite, envoya une armée qui ne dépassa guère
Arras et rebroussa chemin avant d'arriver en Flandre. Mais en 1304, Philippe-Ie-Bel,
ayant pressuré son peuple et même le clergé, put réunir une flotte commandée par
l'amiral génois Grimaldi,et une armée importante contenant des troupes allemandes,
(1) Ortlieb et Chelloueix : Éludes géologiques des collines du départoineut du Nord.
(2; Silicate de 1er et de potasse vert-noir devenaut jaune par altération.
- 346 —
italiennes et espagnoles. Jacques Mayer dit : qu'on s'étonnait de la réunion de si
grandes forces contre un si petit peuple. 11 ne put cependant prendre Douai et , plus
loin, il n'osa traverser les marais de Pont-à-Vendin, derrière lesquels les Flamands
étaient prêts à le repousser. Harcelé sur ses flancs, il se dirigea sur Tournai, où il se
reposa, tandis que les Flamands campaient dans la plaine de Bouvines. Il entra
bientôt en Flandre par Orchies, puis trouvant la route de Lille barrée, il vint camper
à Mons-en-Pévèle. Apprenant là que sa flotte était victorieuse à Ziérycksée, il descen-
dit dans la plaine vers Faumont, pour attirer les Flamands , qui, en effet, occupèrent
Mons-en-Pévèle. Il leur offrit alors une paix onéreuse, qu'ils refusèrent, et le 18 août
au matin, ils descendirent à mi-côte, tous rangés sur une seule ligne ; les milices de
Lille, d'Ypres et de Gourtrai étaient au centre avec Robert de Gassel et le bouillant
Guillaume de Juliers. Le roi ne répondit pas à cette avance et le temps se passa en
escarmouches; tout fut mis en œuvre : ruses, diversions surpiises, propositions de
paix fallacieuses et pis encore, disent les chroniques. Enfin, après des combats
partiels jusque dans le camp des Flamands, ceux-ci voulurent en finir et, vers le soir,
ils se jetèrent à l'improviste sur les Français. Surpris par une si furieuse attaque à
laquelle ils ne s'attendaient pas ce jour-là, ils reculèrent, et les Flamands pénétran
jusqu'à la tente du roi , le blessèrent et faillirent le tuer. L'oriflamme fut mise en
pièces et le souper royal, déjà servi, fut mangé par des roturiers flamands. Cepen-
dant l'armée française était nombreuse et il fallut reculer; déjà, sur la gauche, Jean
de Namur et ses Gantois avaient été repoussés. On se rallia au clair de la lune sur la
colline et l'air retentit des fanfares des milices flamandes se retirant sur Lille Les
pertes étaient grandes des deux côtés et les résultats nuls ; les Français s'attri-
buèrent la victoire: pourquoi n'en profitèrent-ils pas? Quelque temps après,assiégeant
Lille, Philippe-le-Bel oti'rit même la paix aux Flamands qui venaient secourir la ville.
Mais plus rusé que bon général, il sut se faire remettre Lille et Douai par son astuce
dans les négociations. Alors il devint exigeant vis-à-vis du comte Robert de Béthune,
successeur de son père , mort en captivité , et lui fit signer à Athies-sur-Orges , en
1305, un traité très différent des promesses antérieures. Le peuple flamand ne le rati-
fia pas avant d'avoir obtenu une modération, ce qui n'arriva qu'en 1309. On voit qu'à
Mons-en-Pévèle les adversaires étaient dignes l'un de l'autre, et si l'un garda le
champ de bataille, il était trop atteint pour en profiter et poursuivre l'autre. Du reste,
Bouvines avait été vengé à Gourtrai, et les Flamands, devenus Français, étaient bien
dignes de porter ce nom. Jadis, les comtes de Flandre ont plus d'une fois versé leur
sang pour le roi et la France, et aujourd'hui si nous pouvons encore nous émouvoir
aux récits des glorieuses actions de nos ancêtres, nous savons qu'à l'heure du danger,
on ne trouverait en France que des Français.
Revenons maintenant à notre excursion : En quittant le Parolan et le champ de
batailles, nous nous dii-igeons vers l'église qui est sous le vocable de Saint-Jean ; elle
a trois nefs, elle est assez vaste mais n'a rien de remarquable, à gauche est un tableau,
d'un dessin original , qui représente Saint Michel. Sous le porche, nous découvrons
la porte du clocher, qui est tout neuf, il date de 1882, d'après une inscription rimée ,
toute à la louange de M. Desmoutiers, seigneur du Blocus , conseiller général , en
reconnaissance de sa libéralité envers la commune. Nous gravissons escaliers et
échelles, environ 190 marches ou 35 mètres jusqu'à la naissance de la flèche ; là ,
nous sommes largement récompensés de nos efforts par le panorama splendide qui
s'oflre à nos regards. Vers le N.-O., nous apercevons dans le lointain , à 60 kil. en
ligne droite, le mont Gassel et son voisin le mont des Récollets qui ont 165 mètres et
140 mètres d'altitude (nous sommes aussi à 140 mètres environ), vers la droite, suivent
les collines des environs de Bailleul. Lille s'aperçoit à peine derrière les hauteurs de
Fâches à 15 kil. Vers l'Est, nous voyons le mont St-Aubertou de la Trinité (à 35 kil.)
- -.Vil —
suniioiité de Sun éuliso ; allilude liO moires. En ^ajinaiiL vers le S.-K., on voit éinor-
ger de bois sombres l'ancienne tour de St-Aniand et, k côté, les nombreux clochers de
Valenciennes (à 35 kil.) adossés anx hauteurs de la vallée de la Sambre qui dessinent-
l'horizon vers Maubeugc à 170 mètres, et vers Fourmies à 235 mètres. Directement
au sud, nous apercevons un groupe varié do dAines, de tours et de clochers , c'est
Douai à 15 kil.; — enfin, au couchant au-delà do Vimy, sont les ondulations du Pas-
de-Calais, où la Scarpe et, plus loin, la Lys , avec leurs affluents, prennent leurs
sources. En avant, sont les bois qui avoisinent Phalempin et Garvin, dont on voit les
importants clochers , et , plus près de nous , contre l'église où nous sommes, nous
apercevons l'ancienne ferme de l'abbaye de St-Waast, citée plus haut, puis vers le
levant , le cimetière de Mons-en-Pévèle avec un beau monument élevé à la mémoire
de M. Desmoutiers dontj'ai parlé ; partout autour de nous, nos regards planent .sur
un pay.sage ravissant dont nos yeux ne peuvent se détacher. Nous étions absorbés
dans la contemplation de ce majestueux tableau , éclairé des mille feux d'un soleil
resplendis.sant ; quelques-uns -songeaient peut-être à nos valeureux ancêtres qui, il
y a près de six siècles, se battaient ici corps à corps , comme des lions, dont la ban-
nière des comtes portait l'image, quand, tout-à-coup, le bruit du canon nous fait
tous tressaillir et nous rappelle à la réalité. Ce sont des cris d'allégresse que la
poudre couvre de sa voix puissante, c'est le départ du cortège qu'elle annonce. Nous
assistons, de notre estrade, un peu élevée peut-être, au défilé des Sociétés de musique
-dont les instruments, aussi brillants que bruyants , étincellent au soleil. Nous enten-
dons les marches entraînantes par lesquelles les exécutants se mettent en haleine
avant d'aborder les grands morceaux réservés pour les concerts.
Il faut cependant quitter notre gigantesque belvédère, nous jetons un dernier coup
d'œil sur la foule qui grouille autour des installations foraines et sur tout le paysage
qui nous enchante , puis nous retournons nous mêler aux êtres minuscules que nous
voyons festoyer plus bas. Bientôt , nous songeons au départ, que nous effectuons
après un hourrah énergique en l'honneur de la belle et sympathique comnmne de
Mons-en-Pévèle. Un vaste char-à-bancs recueille les plus fatigués et les transporte
jusqu'au bois de Phalempin, tandis que les intrépides arpentent pédestrement le
chemin. Sur la route, nous voyons Thumeries, nous traversons le ruisseau qui devient
la Marque, dont la source se trouve à l'ancienne sucrerie Coget, que nous laissons à
gauche, tandis qu'à droite nous V(jyons les deux châteaux voisins de M. Pierre
Legrand (mort en 1859) et de M'"'' Vanderstraeten. Au petit village de la Neuville .
nous passons devant un vieux château du XVIT siècle à fenêtres ogivales garnies de
petits carreaux , tourelles pointues et pignons à degrés , il appartient à M. Dillies-
Vallois. Arrivés à la forêt, nous tournons à gauche pour gagner, à travers bois,
Phalempin, l'antique baronnie oii Saswalon , le premier châtelain de Lille , fonda en
1039 l'abbaye oii il fut enterré. Nous suivons une longue avenue en charmille qui
passe devant VErmituge, jolie construction entourée d'eau, bâtie il y a un siècle
(1789) par l'administration forestière comme demeure du conservateur et occupée
aujourd'hui par le brigadier. Derrière la grille , une joyeuse société a l'air de priser
fort peu les mérites de la vie ascétique. L'heure nous force à brûler le Gros-Chêne et
le Plouick, ce vieux château qu'habita Henri IV avec la belle Gabrielle ; ce roi possé-
dait la châtellenie de Lille dès 1562 (1), il l'apporta en 1589 à la couronne, qui la con-
serva deux siècles. Peut-être reste-t-il encore dans le bois , quelques effluves
attractives du génie familier de ce roi galant-homme, car ou y vient de bien loin
(1) 11 la tenait des dvics de Vendôme qui l'avaipiit liéritéc par alliance de la maison de Luxembourg
25
— 348 —
folâtrer dans la verture. Tout-à-coup, les sons plus bruyants que mélodieux de Torii-ue
de Barbarie frappent de nouveau nos oreilles ; c'est Phalempin qui fête aussi sa
ducasse avec entrain. Nous traversons ce village bien connu, nous nous comptons en
dégustant un dernier rafraîchissement, pas un traînard n'est resté dans la forêt ;
bientôt la vapeur siffle et nous emporte. A 7 heures 50 nous sommes à Lille, échan-
geant tous de cordiales poignées de mains et nous dispersant, contents de notre
journée, nous pouvions répéter avec Horace et Voltaire :
« Omne tulit punctum,qui miscuit utile duki. »
« Heureux, qui sait mêler l'utile à l'agréable. >■>
E. Gantineau.
Il
E!K.eursIou à Furnes (31 juillet). — Quarante-trois excursionnistes s'étaient
fait inscrire au bureau de la Société pour se rendre en groupe à Fumes le 31 juillet
et assister au défilé de la célèbre procession séculaire. Partis le matm par le pre-
mier train de Dunkerque sous la direction de MM. Altred Renouard et Houzé , ils
arrivaient bientôt dans ce port oii ils trouvaient le temps de se livrer au plaisir du
bain et de se trouver réunis vers midi autour d'une table bien servie. Quelques
heures après , ils prenaient le train à la station des Dunes qui les débarquait
bientôt à la ville de Furnes.
La procession était le but unique de leur voyage , nous allons en dire quelques
mots :
Une fois par an , le dernier dimanche de juillet , Furnes quitte sa torpide attitude
de ville belge momifiée et organise ce cortège.
Dès le matin , les rues de la cité , la veille encore muettes et mornes , retentissent
des sons prolongés des cornes et de l'aigre grincement des crécelles : les unes et les
autres devant servir dans la journée aux soldats chargés de prodiguer l'ironie et
l'outrage sur le chemin du Calvaire.
Puis à mesure que l'heure avance, des groupes de cavaliers romains . casqués de
fer-blanc et drapés de manteaux éclatants , des Pharisiens aux longues robes traî-
nantes , des apôtres ceints de peaux de bêtes et affublés de perruques chevelues,
commencent à' circuler ; les cabarets s'emplissent d'hommes représentant des per-
sonnages sacrés et s'affermissant par des libations de bière dans la gravité de leurs
robes , et derrière les prêtres , on voit les dames de la ville se parer de sombres
voiles flottants pour figurer dans le cortège des saintes femmes.
En quelques heures , la vie moderne s'est effacée sous la poussée d'une sorte de
résurrection de la vie d'autrefois comme la comprenaient les chrétiens du moyen
â"-e qui , dans l'ardeur de leur foi , ne craignaient pas de mêler le sacré au profane
et de faire concourir les hommes et les choses à la glorification et au souvenir des
mystères de la religion.
Les mitres et les dalmatiques s'emmêlent aux étendarts et aux boucliers ; les
crèches qui vont servir à figurer la Nativité avec la paille et les bœufs croisent les
seigneurs de la cour d'Hérode en collants gris-perle et en toques de velours; des
ano-es à tuniques blanches se heurtent à de grands prophètes barbus ; puis toute
cette foule bigarrée va s'aligner aux portes de l'église Sainte-Walburge , tandis qu'à
— :m —
rintéi'ieur de l'cdifice se coiisoiuiueiit les appivLs du drame iiiUine et de la l'assion
même du Sauveur. Là, des mains griment et habillent les fii^urants qui devront
représenter le Christ aux différentes époques de sa vie de gloire et de douleur, les
Madeleines pleurant sur leurs molles chevelures éeroulées , les saintes viergea che-
vauchant sur des ânes en souvenir de la l'uite en Egypte.
Au coup do quatre heures , le porche s'ouvre sur cette apparition. Dans la rue ,
un monde de docteurs, de lévites , de ceinturions, de confrères de la Passion en
brunes cagoules et de pénitentes en bure grossière s'est joint aux groupes déjà
formés; puis le chars se n;etteiit en mouvement; l'énorme file s'ébranle, et la pro-
cession commence à se dérouler et à circuler dans les carrefours ainsi qu'un lleuve
de pourpre et d'or. Coiiune la procession coïncide avec la foire, les théâtres forains
étoutiént le mugissement de leurs cuivres , les ballerines passent à la hâte un vête-
ment sur leurs maillots, les petits immobilisent des yeux sérieux sous le pied de
blanc qui leur enfariné la trogne. Et partout une foule énorme s'incline au passage
du cortège.
On voit d'abord apparaître les prophètes , suivis de masques horribles simulant
la Peste , la Guerre et la Famine; puis l'étable de Bethléem traînée par des péni-
tents , avec Marie et Joseph caressant des yeux l'Enfant dans la crèche , puis les
quatre bergers et les trois mages , Siméon portant Jésus au temple , Marie et Joseph
fuyant en Egypte , la cour d'Hérode , Jésus et les docteurs , les apôtres, sur deux
rangs, accompagnent Jésus sur son âne , le jardin des oliviers , Judas méditant sa
trahison , le christ prisonnier , puis encore le chiist flagellé , le couronnement
d'épines , Pilate et ses assesseurs , Longri à cheval, le saint sépulcre , Jésus ressus-
cité ; et toute cette gigantesque mise en scène qui s'avance au ronflement des cornes
et un crécellement des moulins et par moments s'arrête pour permettre au christ de
s'abiiiier sous le bois du supplice dans la poussière du chemin , avec des sueurs de
lassitude qui imitent les eaux do l'agonie , s'achève en une troupe compacte
d'hommes et de femmes habillés de longs suaires et fléchissant sous les croix que
chacun porte à l'épaule.
Une telle réalité préside à tous ces simulacres que par moments le spectateur se
sent pris d'un frisson et croit assister aux horreurs d'un drame véritable. Gomme
pour rendre l'illusion plus saisissante , les apôtres discutent entre eux (non en
hébreu , mais en flamand , Hérode parle aux seigneurs de son entourage , le christ
s'entretient avec ses disciples , les soldats romains poussent des huées , et des
musiques sépulcrales qui semblent sortir de dessous terre font entendre la joie
abominable des esprits infernaux.
Enfin, derrière le char de la Résurrection, le clergé, dans la magnificence de
ses chasubles , ayant à sa tète Mgr l'archevêque de Bruges , promène sous un dais
d'or le saint sacrement comme le vivant soleil et l'éternel témoignage de la présence
divine.
Lentement la procession fait le tour de la ville , entre des rangs pressés de popu-
lation prosternée sur lesquels se projette la clarté vacillante des cierges braséant à
toutes les fenêtres. Aussi , quand après d'infimes stations , pour ajouter à la solen-
nité de la mort , elle s'écoule sous les arceaux de l'église, on demeure sous le coup
d'une émotion que rien ne peut rendre.
Rien , en effet , dans les données modernes de nos fêtes religieuses uu civiles
n'offre une idée de la procession à laquelle il nous a été donné d'assister. l]n voyant
ce défilé si nouveau pour nous, il nous semblait être transporté en plein moyen
âge et vivre pour un instant de la vie de cette époque si absolument diflérente de
la nôtre, poétique, imagée, profondément religieuse et croyante, bercée d .
légendes dorées, pleines de pittoresque dans les manifestations extérieures , où
— 350
riniagination exubérante donnait à tout une acuité dévie extraordinaire , oii s'édi-
fiaient nos vieilles cathédrales.
Où nos vieilles romances.
Ouvraient leurs ailes d'or vers un ujonde enchanté
La ville de Furnes est bien le cadre qui convient à ce tableau : ses églises inache-
vées et oii il semble que demain on va reprendre l'œuvre interrompue, ses antiques
maisons aux toits pointus à pinacles et à pignons , sa grande place à logia, une des
plus archaïques et des plus pittoresques du pays, courourent à compléter l'illusion
et à donner à ce spectacle une note et une couleur qu'on chen-herait vainement
ailleurs.
La procession de Furnes remonte au XI IT siècle . elle fut instituée en l'honneur
de la Vraie Croix dont Robert de Flandre avait rapporté une parcelle qu'il offrit à
l'église de sainte Walburge à son retour de la croisade. Cette procession se célé-
brait au mois de mai et retraçait la légende miraculeuse de Robert sa . vé d'un
naufrage. Modifiée et complétée au commencement du XV" siècle par l'adjonction
des sociétés de rhétorique , elle comporta à partir de 1422 la représentation dialo-
guée du Mystère de la Passion, dont les excursionnistes lillois ont pu voir les prin-
cipales scènes ; c'est de cette époque également que date l'introduction de la
musique dans le cortège et notamment des troupes dont l'effet est si étrangement
funèbre. Puis, la fantaisie s'en mêlant, les géants, les cybilles, les grotesques,
avaient pris place dans la procession, lorsque la période troublée de la Révolution
vint brusquement la suspendre pendant un demi-siècle. Enfin, en 1637 , quand
l'apaisement fut complet , on voulut renouer la tradition , mais l'antique cortège
n'excitait plus le même intérêt , la Réforme avait refroidi les enthousiasmes et un
peu ébranlé la foi, lorsqu'en 1650 un horrible sacrilège fut commis dans la ville de
Furnes et causa une profonde émotion dans toute la région.
Un soldat de la garnison nonuué Mannart , cédant aux mauvais conseils d'un de
ses camarades Mathurin Lejeune , s'approche de la sainte table, mais au lieu d'avaler
l'hostie, il la cracha dans son mouchoir et la brûla , croyant au moyen de cendres
pouvoir ouvrir toutes les portes et se rendre invulnérable. Les coupables furent
appréhendés et punis de mort. La ville , théâtre de ce forfait , voulut le réparer en
restituant à l'ancienne procession sa primitive splendeur et en lui donnant en
quelques points la forme d'une procession de pénitence.
Cette procession subsista jusqu'en 1793 oii elle fut momentanément supprimée;
reprise en 1814, elle s'est perpétuée depuis lors sans altération notable. Elle porte
encore aujourd'hui le caractère de ces trois évolutions.
Plus de trente mille visiteurs étaient accourus le 31 juillet à Furnes pour assister
à la cérémonie; on s'écrasait dans les rues , et cette foule compacte , serrée , grouil-
lante , en rappelant à sa façon les beaux jours de la procession qui , au moyen âge ,
attirait des millions de pèlerins, ajoutait à la vigueur du tableau.
Le soir, reprenant le train pour Dunkerque et après s'être restaurés un instant
dans cette ville, les géographes revenaient à Lille, heureux d'avoir pu assistera ces
splendeurs que jusque-là la seule renommée leur avait permis de connaître.
Alfred RENOUARD.
- 351 -
PROCÈS - VERBAUX DES ASSEMliLÉES GÉNÉRALES.
.%N«cnibléc ;;;«'uérnle «lu 9H oct4»l»rc IM87.
Présidence de M. Paul GREPY.
La séance est ouverte à 8 h. 1/4. MM. Paul Crepy, président ; Alfred Renoiiard ,
secrétaire-général ; Alex. Eecknian, secrétaire-général-adjoint; Van Hende, biblio-
thécaire ; Qnarré-Reybourbon , archiviste; Grépin , Diiflos , Leburque-Gomerre ,
Delessert, Warin , membres dn Gomité , prennent place au bureau.
Membres nouveaux. — M. le secrétaire-général donne» les noms do 67 sociétaires
nouveaux admis depuis la dernière as.semblée générale.
Agent de la Société. — Pour assurer le service intérieur de la Société, qui devient
de plus en plus assujettis.sant, le Comité s'est préoccupé du choix d'un titulaire
spécial, qui pourrait décharger MM. le.s secrétaires-généraux d'une partie de la
besogne matérielle qui leur incombe encore actuellement. Divers candidats lui ont
été présentés ; M. Jusniau, cartographe diplômé, a été définitivement proclamé
« Agent de la Société ». MM. les sociétaires qui voudraient obtenir les renseigne-
ments dont ils ont besoin, le trouveront dorénavant à leur disposition chaque jour
delà semaine, dans la salle des cours, à des heures qui seront ultérieurement
déterminées.
Concours. — Les résultats du concours sont aujourd'hui connus : ils ont été publiés
par tous les journaux de l'arrondissement. Au nom de la Société, M. le président
remercie MM. Mamet, Merchier, Épinay et Jacquin qui ont bien voulu accepter la
mission de corriger et classer les copies des 223 élèves de Lille, Roubaix et Tour-
coing qui y ont pris part.
Congrès géographique du. Havre. — M. le président a représenté la Société au
Gongrès annuel des sociétés françaises de géographie qui s'est tenu cette année au
Havre, du 16 au 20 août. Ge congrès a réuni, outre les représentants de 18 sociétés
de géographie proprement dites, ceux des sociétés des études coloniales et maritimes,
académique indo-chinoise et de topographie, ainsi que les délégués officiels de
presque tous les ministères. De plus, les députés du Havre ont manifesté, par leur
présence, l'intérêt qu'ils portaient à cette assemblée, aux séances de laquelle assis-
taient régulièrement des membres de la Ghambre de commerce de la ville. L'incon-
testable supériorité de son président, M. Levasseur, que nous avons entendu comme
conférencier il y a deux ans à Lille, et le choix des questions posées au programme,
n'ont pas peu contribué à rendre cette réunion utile à la science géographique.
Parmi les principaux problèmes débattus dans les séances nos membres pourront
trouver la discussion iu-extenso dans le volume qui sera, comme d'habitude, publié
k cette occasion, il y a lieu de citer : la question de l'outillage des ports français,
— 352 —
comparé à ceux des ports étrangers, celle du travail aux colonies, celle de l'adminis-
tration coloniale, et diverses autres se rapportant à la pédagogie.
Comme d'ordinaire, tous les représentants des sociétés de géographie ont lu, par
ordre d'ancienneté de création, un compte-rendu des travaux ou de la situation des
associations qu'ils représentaient. Lorsqu'est venu le tour de parole du délégué de
la Société de Lille, M. le président a donné lecture du rapport suivant :
« La Société de géographie do Lille se composait , au ol décembre 1886, de :
1,318 membres, dont 1,013 inscrits à Lille:
137 » à la section de Roubaix ;
168 » à celle de Tourcoing
(fondée en septembre dernier).
De plus , elle sert ses Bulletins à chacun des
268 membres de la Société de géographie de Valenciennes.
1,586.
Ces Bulletins, tirés chaque mois, — même pendant les vacances, — à 1.650 exem-
plaires, contiennent ensemble 832 pages de texte grand in -8°, avec de nombreuses
cartes, planches et figures à l'appui, sans compter des milliers de cartes volantes
(éditées parla Réunion des Explorateurs et Conférenciers) distribuées aux sociétaires
les jours de conférences.
En 1886, la Société a oi-ganisé :
26 conférences à Lille :
10 » à Roubaix ;
3 >> à Tourcoing.
39 , presque toutes accompagnées do projections
lumineuses à l'appareil Molteni.
Elle a dirigé 11 excursions en France, en Belgique, en Angleterre : nous croyons ,
en effet, que ce moyen de répandre le goût de la géographie est l'un des plus efficaces
auxquels nous puissions avoir recours.
Le Concours annuel a réuni 223 concurrents des doux sexes divisés en douze
catégories, depuis les jeunes gens de 9 ans jusqu'aux candidats à St-Cyr. — A cette
occasion, elle a distribué des récompenses dont le total s'est élevé à fr. 1,400 ; cette
somme avait été entièrement offerte par quelques-uns de ses membres.
La Société reçoit une seule subvention : fr. 300 de la Chambre de Commerce.
Un cartographe, un sténographe et un photographe lui sont attachés.
Je viens devons exposer très succinctement. Messieurs, la situation et les travaux
de notre Société, en 1886. Je suis heureux d'ajouter que sa marche en avant ne se
ralentit pas en 1887, et qu'elle se fait de plus en plus une \Aace enviée parmi les
nombreuses Sociétés savantes dont s'honore la ville de Lille. »
Excursions. — M. le président annonce que les excursions d'été sont terminées,
et que le programme élaboré par la Commission spéciale , sous la présidence de
M Crépin, a été scrupuleusement rempli : Le nombre moyen des excursionnistes a
été chaque fois de 15 à 25 , il a dépassé deux fois 40 et a atteint 52 pour la visite
aux mines de Lens. M. le président remercie, au nom de la Société, ceux qui ont bien
voulu chaque fois se dévouer pour diriger ces courts mais instructifs voyages, et
notamment MM. les professeurs Merchier et Epinay qui, lors des excursions de
Gassel et de Mons-en-Pévèle , ont rappelé, dans une improvisation des plus goûtées,
le souvenir des grandes batailles et des hauts faits qu'évoquait la Wsite à ces lieux
— .Ti:; —
célèbres. Un comptc-rcudu des principales excursions «le 1887 sera inséré à hrel'délai
dans le Bulletin.
Conférences. Sons peu, nos conférences de la saison d'hiver seront reprises
comme do coutume, et le bureau s'est pi'éoccupé du soin de les organiser. M. Lefebvre,
professeur de mathématiques spéciales au Lycée de Lille, a accepté de les inaugurer
en décrivant, à l'aide de projections, un « voyage dans l'espace » ; M. Guillot , notre
ancien secrétaire-généaal, actuellement {)rofesseur d'histoire au Lycée Charlemagne,
a promis de parler sur le « massif du Cantal » ; nous avons aussi la certitude d'avoir
M. Lourdelet, président de la Chambre syndicale des négociants-commissionnaires
et vice-président de la Société de géographie commerciale de Paris, qui décrira, avec
projections, « un voyage commercial au pays des Yankees »; M. Perret, directeur
de l'Ecole normale supérienre, parlera sur la Mésopotamie à la séance solennelle de
la distribution des récompenses en janvier 1888 ; enfin, nous avons les promesses de
MM. Labonne, sur l'Islande; Broussali, sur l'Arménie, etc. On le voit donc , une
bonne partie de notre organisation d'hiver est assurée , et il est à croire que notre
Société, comme les années précédentes, traversera avec succès cette période d'un
nouvel exercice.
Cours hebdomadaires. — Notre collègue , M. Merchier , professeur agrégé
d'histoire au Lycée de Lille et membre du Comité d'études , a accepté de faire, tous
les mardis, dans la salle ordinaire des cours de la Société , une série de conférences
hebdomadaires sur la Russie, l'Allemagne et l'Autriche. Le talent bien connu de
M. Merchier nous est un sûr garant du succès que ne peuvent manquer d'obtenir ces
conférences. M. le président le remercie de son intelligente initiative et de son
dévouement à la Société.
Nécrologie. — La Société de géographie de Lisl)oune nous a informé le 10 septembre
dernier, de la perte qu'elle venait de faire en la personne de son président. M. le
Conseiller Antonio Augusto d'Aguiar,' ancien ministre d'Etat, pair du rovaume de
Portugal, et professeur à l'Ecole Polytechnique et à l'Institut industriel de Lisbonne.
Au nom de la Société de géographie de Lille, notre président, membre correspon-
dant de la Société de Lisbonne a envoyé à cette dernière l'expression de ses regrets
et de ses sincères condoléances.
La tféographie au Congrès des Sociétés savantes en 1888. — La Société a reçu
du Ministre de l'Instruction publique, le programme des questions mises k l'ordre du
jour du Congrès des Sociétés savantes pour 1888. M. le président donne lecture aux
membres présents des questions concernant la section de géographie historique et
descriptive, afin que les délégués que la Société enverra comme d'habitude, à Paris,
puissent les étudier et, au besoin, les traiter avec avantage. Ces questions sont les
suivantes :
« 1' Anciennes démarcations des diocèses et des cités de la Gaule conservées
jusqu'aux temps modernes ;
2° Exposer les découvertes archéologiques qui ont servi à déterminer le site de
villes de l'antiquité ou du moyen-âge, soit en Europe, soit en Asie, soit dans le nord
de l'Afrique, soit en Amérique :
3' Signaler les documents géographiques curieux (textes et cartes manuscrits) qui
peuvent exister dans les bibliothèques publiques et les archives des départements et
des communes. — Inventorier les cartes locales manuscrites et imprimées ;
4° Biographie des anciens voyageurs et géographes français ;
5" De l'habitat en France, c'est-à-dire du mode de répartition dans chaque contrée
des iialntations formant les bourgs, les villages et les hameaux. — Dispositions parti-
- 354 -
culières des locaux d'habitation, des fermes, des granges, etc. Origine et raison
d'être de ces dispositions. — Altitude maximum des centres habités ;
6*^ Tracer sur une carte les limites des différents pays (Brie, Beaucc, Morvan,
Sologne, etc.), d'après les coutumes, le langage et l'opinion traditionnelle des habi-
tants. — Indiquer les causes de ces divisions (nature du sol, ligne de partage des
eaux, etc.) ;
7" Compléter la nomenclature des noms de lieux, en relevant les noms donnés par
les habitants d'une contrée aux divers accidents du sol (montagnes, cols, vallées, etc.)
et qui ne figurent pas sur nos cartes ;
8" Chercher le sens et l'origine de certaines appellations communes à des accidents
du sol de même nature (cours d'eau, pics, sommets, cols, etc.) ;
9" Étudier les modifications anciennes et actuelles du littoral de la France ;
10" Chercher les preuves du mouvement du sol, à l'intérieur du continent, depuis
l'époque historique ; traditions locales ou observations directes ;
11° Signaler les changements survenus dans Iz topographie d'une contrée depuis
une époque relativement récente ou ne remontant pas au-delà de la période histo-
rique, tels que : déplacement des cours d'eau, brusques ou lents ; apports ou creuse-
ment dus aux cours d'eau ; modifications des versants, recul des crêtes, abaissement
des sommets sous l'influence des agents atmosphéiûques ; changements dans le
régime des sources, etc ;
12" Forêts, marais, cultures et faunes disparus. »
Don de cartes — M. Eeckman offre à la Société, de la part de M. le capitaine do
frégate Charles Rouvier, chef de la mission française de délimitation du Congo finan-
çais en 1885-86, dix-huit cartes à grande échelle de notre nouvelle colonie. Ces cartes,
qui sont exposées dans la salle des séances et seront insérées nominativement dans
le catalogue de la bibliothèque, constituent la première œuvre géographique et
hydrographique de l'Afrique équatoriale.
A ce propos, M. Eeckman fait une description sommaire de la colonie du Congo,
et fait remarquer que, des trois membres qui composaient cette mission, MM. Rou-
vier, Ballay et Pleigneur, les deux premiers sont encore vivants. Le dernier, capi-
taine d'infanterie de marine, a péri sur la rivière Niari, victime de son dévouement à
la science ; sur l'une des cartes exposées ont été jointes sa photographie et sa
biographie. On sait que le commandant Rouvier a reçu récemment, pour son oeuvre
remarquable, une grande médaille d'or de la Société de géographie de Paris ; notre
président a pu, le jour de la séance solennelle oii cette récompense a été décernée au
vaillant explorateur , lui exprimer les félicitations de la Société de géographie
de Lille.
Communication. — La séance est terminée par une communication de M. Quarré-
Reybourbon, archiviste de la Société, sur la vie et les travaux du géograplic lillois
Gosscllin. Cette étude intéressante sera prochainement reproduite in extenso dans
nos Bulletins
La séance est levée à dix heures et demie.
Le Secrétaire- (renérol,
Ai.FRKD RRNOUARD.
— ii"» -
COMMUNICATIONS AUX ASSEMBLÉES GÉNÉRALES
(m extenso).
LEÇON D OUVERTURE DU COURS
DE GÉOLOGIE APPLIQUÉE A LA GÉOGRAPHIE ''
Professé a i.a Faculté des Sciences de Lille
Par M. J. GOSSELET,
Correspondant de riiistitul , Professeur à la P^aculté des Sciences de Lille ,
Membre du Comité d'études de la Société.
Leçon du 1" Déceîubre 18S7.
Un homme dont vous avez longtemps applaudi la parole, M. Abel
Desjardins, le regretté doyen de la Faculté des Lettres, disait souvent,
après un examen de baccalauréat, que les Français se reconnaissent
(1) Voici le programme approximatif de ce cours :
Origine première du relief.
Continents et mers. — Falaises, plages, dunes, polders, deltas.
Lacs salés, carpiennes.
Origine des vallées. — Vallées de plaine, rivières de Lépoque quaternaire, Escaut.
Lys, Somme, Seine. — \^Tllces îles i)ays de montagne, Meuse, Seinoy, Moselle, Rhin.
Glaciers. — Lacs. — Cataractes et cagnous.
Origine des montagnes. — Ridement du sol.
Relief du sol j)rimaire du nord de la France et de l'Europe. — Ardennc, Pays de
Galles, Harr, ?»Ionts Hercyniens. — Chaîne du Nord. — Bretagne, ^'osg•es, Plateau
central.
Relief de la grande jilaiue du Nord, iîassin de Paris, Glis de la craie. Pays de
Rray, Boulonnais.
Relief de la chaîne moditoiranéeime. — Alpes. Pyrénées, Espagne, Italie, Médi-
terranée et îles de la Méditerranée.
Région des déserts. — Sahara, Egypte, Arabie.
Océan atlantique. — Ses îles. — Cap de Bonne-Espérance.
Grand Océan, lies océaniques, Atlas. Formations des arandos profondeurs.
— 356 —
à leur esprit, à leur politesse et à leur ignorance en géographie.
Possèdent-ils encore ce dernier caractère ? J'espère que non. En tous
cas, on doit constater que, si on ne sait pas la géographie en France et
particulièrement à Lille, les moyens de l'apprendre ne manquent pas.
La Société de géographie de Lille, dont la direction active et éclairée
fait Tadmiration de tous ceux qui connaissent les difficultés d'une
pareille tâche, a donné dans notre pays une puissante impulsion aux
études géographiques Outre la publication régulière de son intéres-
sant bulletin, outre ses concours, outre ses conférences où elle fait
entendre les plus illustres explorateurs, elle a organisé des cours régu-
liers, qui cette année sont confiés à Téminent professeur du Lycée.
M. Merchier. Ces cours devaient avoir lieu le jeudi, comme les
années précédentes. Avec une bienveillance qui m'honore, la Société a
mis son cours au mardi pour permettre à ses auditeurs d'assister à
nos leçons. Je les remercie et remercie mon collègue M. Merchier de
leur courtoise attention.
A côté de ces cours dûs à l'initiative privée, il y a les cours muni-
paux et ceux du Haut -Enseignement. Depuis de longues années.
M. Mamet fait un cours annexé à la Faculté des Sciences. L'arrivée de
la Faculté des lettres à Lille va permettre à mon savant collègue,
M. Cons, d'inaugurer un nouveau cours public de géographie, indé-
pendamment des leçons et des conférences, qui s'adressent spéciale-
ment aux élèves de la Faculté des lettres.
11 peut donc sembler étonnant que j'annonce aussi un cours de géo-
graphie et que j'y consacre un temps que je parais enlever à mon
enseignement naturel : je vais vous en exposer les motifs.
Je crois que l'enseignement supérieur ne doit pas se borner aux
limites étroites d'une salle de conférence. A côté des élèves, il y a le
grand public, auquel s'adressent uniquement les professeurs de faculté,
avant que l'institution des bourses de licence leur eut fait une clientèle
spéciale. Par le cours public, le professeur agit sur la partie active et
éclairée de la Société ; il y fait pénétrer d'emblée des idées scientifi-
ques qui mettraient toute une génération pour y arriver, en passant
par l'intermédiaire des élèves et de l'enseignement secondaire. Aussi
j'ai tenu à maintenir à la Faculté des Sciences de Lille, la tradition des
cours publics qui y avaient été longtemps si prospères. Tous les ans,
je développe dans cet amphithéâtre un point quelconque de la science
et j'appelle la société lilloise à venir s'asseoir sur ces bancs à côté des
élèves. Ceux-ci n'y perdent rien. S'ils trouvent dans ces leçons publi-
- 357 —
ques moins rie faits de détail, moins de précision didactique, moins de
préparation à l'examen, ils y rencontrent les idées générales plus déve-
loppées, les théories plus lai-genient exposées, l<',s problèmes de la
science soulevés en plus grand nombre. Certes l'enseignement supé-
rieur borné à ce cours public serait incomplet, mais, à coté il y a le
cours de licence, les conférences et le livre, le livre qui dans bien des
cas peut remplacer le ))rofesseur J'avoue que je ne crois pas devoir
vous forcer à venir entendre près de cette chaire ce que vous pouvez
aller lire à quelques pas d'ici, dans un ouvrage bien écrit; je ne me sens
pas le courage devons mâcher la besogne, de m'assurer si vous savez
votre cours, si vous pourrez me le réciter dans quelques mois à l'exa-
men. Ce n'est pas pour cela que j'ai passé ma vie h travailler et à
réfléchir. J'ai une plus hante idée de mon rôle et du vôtre Dirigez
vous-mêmes vos études d'après vos goûts et votre caractère, si vous
voulez du secours, je vous en donnerai ; si vous voulez des conseils,
je serai toujours h votre disposition. Je veux bien vous frayer la voie,
mais je ne veux pas que vous emboîtiez le pas : Ayez de la spontanéité
dans le travail, comme dans les idées.
Puisque j'étais décid('^ à coatiimer le cours public, il fallait en choisir
le sujet. J'ai pensé que je devais profiter de la réunion des Facultés
pour inaugiu^er un cours qui pût s'adresser aux élèves des deux Facultés>.
Je donnerai ainsi la preuve matérielle de l'utilité d'une concenti'ation
qui ne fait de donnes que pour ceux qui ne comprennent pas ce que doit
être l'enseignement supérieur universitaire. J ai donc choisi les appb-
cations de la Géologie à la Géographie.
La Géologie et la Géographie sont deux sciences qui traitent du
même sujet : de la terre. La Géologie, c'est l'histoire de la terre et des
élres qui ont vécu â sa surface, la Géographie traite, non seulement de
la surface actuelle de la terre, mais encore delà distribution des êtres
vivants qui la peujjlentet en particulier des diverses Sociétés humaines,
de ia situation des centres intellecluels, industriels et comuiei'ciaux.
des ressources naturelles que le sol offre à l'activité humaine, etc. On
pouri-ait donc définir les deux sciences d'une manière plus générale en
(lisant que la Géologie, c'est l'étude de la terre en elle-même et la
Géographie, l'étude de la terre dans ses rapports avec l'humanité.
On compiend quelle est Tunioii intime des deux sciences : le géologue
doit être géographe, car, pour jiarler de la terre, pour faire son histoire,
il faut connaître son état présent et pouvoir désigner les différents
lieux par les noms que les géographes leur ont a.ssignés. Ceux d'(>ntre
- 358 -
vous qui ont déjà suivi nos travaux savent quelle importance j'attache
à la géographie ; j'écrirai volontiers au-dessus de mon laboratoire :
I^ul n entre ici, s'il ne sait la géographie.
D'un autre côté, le géographe doit connaître la géologie. La nature
du sol joue un rôle prépondérant sur les diverses manifestations de
l'activité humaine. Que l'on compare, comme l'a faitElie de Beaumont,
l'habitant de l'Ile de France avec celui de l'Auvergne. Quelle diflFé-
rence au point de vue physique comme au point de vue intellectuel!
Quelles richesses le Parisien n'a-t-il pas trouvées dans son sol : Pierres
de taille pour construh'e ses maisons, plâtre pour les orner, argile à
tuile pour les couvrir, meulière pour ses égoûts et ses caves, grès pour
ses routes, etc. La terre dont la nature est très variée se prête à toutes
les cultures : les sommets des collines sablonneuses sont couverts de
bois et de forêts ;les pentes exposées au soleil laissent mûrir le raisin,
les pêches, les figues ; les plaines revêtues de limon alluvial consti-
tuent d'immenses potagers: les plateaux de la Benuce se couvrent de
moissons sans égales. Et le sol, doucement incliné de tous côtés vers
la capitale, semble disposé pour y laisser couler naturellement par
toutes les routes qui y convergent tous les matériaux nécessaires au
développement de la civilisation. C'est bien le pôle attractif de la France.
suivant l'énergique expression d'Elie de Beaumont.
Le pôle répulsif, c'est le Plateau central avec son sol granitique où
le châtaignier seul prospère . avec sa forme de coupole d'où l'eau s'é-
chappe en divergeant et où l'homme civiUsé semble ne pouvoir vivre
que par une sorte d'équilibre instable.
Ne disons cependant pas trop de mal du Plateau central. Outre qu"il
peut y avoir dans cet auditoire des Auvergnats à qui je serai désolé de
faire de la peine, il faut se rappeler que le Plateau central est le noyau
autour duquel s'est formée la France.
Du reste, nous n'avons pas besoin d'aller chercher si loin nos exem-
ples. Il nous suffit de .comparer les deux extrémités du département
du Nord.
Voyez dans nos rues le lourd chariot que traine lentement un seul
cheval, attelé d'un seul côté du timon et que conduit un homme impas-
sible gravement assis sur le devant de sa voiture. Comparez à cela la
charrette légère des environs d'Avesnes. emportée par un trotteur
ardennais que le conducteur debout sur sa voiture exhorte par des
claquements de fouet continuels. N'est-ce pas sous la môme latitude
avec la même langue et le même gouvernement . deux peuples bien
— .!.■)'.) —
différents, le peuple de l'argile et le peuple du sclii.ste. Auquel faut-il
doiiLier la préférence? je ne sais. Laquelle des doux voitures a fait le
plus de chemin an bout de la journée? Peut-être pas celle que l'on
croit. Le lourd chariot roulant sur les routes unies de la Flanflre n'a
aucune raison pour sarrêlei-, tandis que la chaietle avesnoise s'ai rèle
au bout de la cote escarpée, pour se reposer et souvent aussi en bas.
l)onr se donner le coui-age d'en gravir une nouvelle.
II est inutile d'insister sur l'influence minéralogique du .sol. Cetttî
inHuence est d'autant plus grande qu'elle s'exerce sur les vt'gétaux ,
sur les animaux, sur l'air, sur l'eau, sur le climat et qu'elle se réper-
cute ainsi sur l'homme de tous les points du milieu dans lequel il vit.
L'année passée quand je vous ai parlé des nappes aquifères, j'ai placé
sous vos yeux deux cartes , l'une des environs d'Hazebrouck , l'autre
des environs de Cambrai. Dans la première, vous avez vu tout le pays
couvert d'habitations disséminées et isolées : dans la seconde, les plaines
nues et les maisons ramassées en gros villages. De quoi cela dépend-
il? du sol. rien que du sol. Dans la Flandre où le sol est argileux, il y
a de l'eau partout. Indépendamment des sources et des ruisseaux, le
moindre trou en fournit. Dans la pleine crayeuse du Cainbrésis. il n'y
a pas de ruisseaux, les rivières y sont rares ; tout aussi rares sont les
sources ; les nappes aquifères n'existent qu'à une grande profondeur;
l'homme n"a donc pu y construire ses demeures que dans des endroits
privilégiés.
Ainsi le géographe, quand il vent décrire un pays, doit tenir grand
compte de la nature du sol. C'est ce que font tous les géographes
éminents. Mais s'ils sont étrangers à la science géologique, ils s'expo-
sent à commettre de graves erreurs. Ils diront que le cap Gris -Nez est
formé de rochers granitiques , ou ils parleront de convulsions volca-
niques en face du mont Cassel.
Voici donc un premier terrain commun aux géolcgues et aux géo-
graphes, la géologie géographique qui renseigne sur la nature du sol
d'un pays, qui en fait connaître la caite géologique
La nature minéralogique du sol n'est pas le seul facteur de son
influence sur ses habitants ; le relief de la surface terrestre a plus
d'importance encore.
Qui ne connaît les différences entre les pays de plaines et les pays
de montagnes ? Elles se manifestent dans tout : végétation spontanée et
culture , animaux sauvages et races domestiques, taille, physionomie,
habitudes, industrie, caractère. Rien de ce qui intéresse l'humanité
— 360 —
n'est iiulépeudant du relief du sol. Or Tétude du relief ne consiste ])as
uniquement dans la géodésie, c'est-k-dire dans la constatation brute des
altitudes. Les montagnes voisines ont entre elles des rapports plus ou
moins intimes: les vallées sont dans la dépendance des montagnes.
Il y a des lois qui les relient les unes aux autres Celte partie du
savoir humain désignée sous le nom d'Orologie ou d'Orographie se
rapporte tout autant à la géographie qu'à la géologie Toute descrip-
tion géographique d'un pays commence par son orogr?)phi(\ Tout
traité de géologie se termine par des considérations orographiques.
L'orographie est donc un second trait d'union entre les deux
sciences et la place qu'elle occupe au commencement de l'une et à la
fin de l'autre m'amène à vous soumettre un troisième ordre de con-
sidéralions.
Si nous examinons la marche d'une des branches quelconque des
sciences de la nature . et la géographie en est une au premier chef,
nous constatons que l'on ne s'est pas contenté longtemps de réunir
les faits, ni même de les grouper et de les coordonner; on a voulu
en connaître les causes. Félix qui po^tuit reriim cognosceve causai
s'est écrié le poëte philosophe. C'est aussi le cri^de tout savant. Nous
voulons connaître les causes ; vouloni^expliquer les faits . nous vou-
lons des théories. Or, le moyen d'expliquer les faits dans les sciences
d'observation et en dehors de l'expérience, un illustre botaniste du
commencement de ce siècle, Turpin , nous l'a enseigné en disant :
Il faut voir venir les choses.
Les naturalistes de l'école de Lin née n'étudiaient les êtres vivants
que sous leur forme la plus parfaite. Ils prenaient la plante en fleur et
ne considéraient les fleurs qu'en leur plein épanouissement. S'ils
décrivaient un oiseau . ils le décrivaient en plumage de noce. Plus
tard, on a compris que la connaissance d'un état particulier n'est pas
la connaissance complète de l'être ; on a remonté dans son jeune âge
jusqu'au moment où il devient un individu distinct; puis le microscope
étant venu centupler nos moyens d'observation, on s'est livré avec
passion à l'étude des embryons. On a été si loin dans cette voie, que
pour quelques naturalistes, l'embryogénie a fait négliger la connais-
sance de l'être achevé.
Quoiqu'il en soit, la géographie ne peut pas échapper à cette marche
de l'esprit humain. Pour elle aussi la connaissance de l'état actuel des
continents, des mers, des vallées et des montagnes, des fleuves et des
lacs n'est pas une science complète ; pour elle aussi, il y a le rerum
- 301 -
cngno>iCcrr causas., il y a une eiubryogéiiie ^l rembrvogênio de la
géographie, c'est la géologie.
Je viens de parler aux naturalistes; je m'adresse uiainlenant aux
historiens. Je leur dirai : vous admettez que l'état actuel d'un peuple esl
la conséquence de son passé, qui! faut aller chercher dans les siècles
l'origine de ses institutions. Peut-il en èti-e autrement de notre vieille
terre? u'a-t-elle pas acquis sa constitution actuelle peu à peu et telle
que nous la voyons, n'est-t-elle pas le résultat des phénomènes qui se
sont succédés pendant un laps de temps immense ? Si vous voulez la
connaître, étudiez donc les formes qu'elle a successivement acquises et
voyez la venir.
Je n'ai pas la prétention de faire de vous tous des géologues , ni
même d'apprendre la géologie aux futurs géographes; mais je vou-
drais qu'ils fussent bien convaincus de la nécessité d'être au courant
des idées géologiques , de pouvoir consulter les ouvrages et les cartes
géologiques , de pouvoir même dans des cas spéciaux appliquer les
principes de la science
La géologie peut rendre de très grands services à la partie de la
géographie que l'on appelle géographie historique. N'avez vous pas vu
écrit partout, même dans les livres des maîtres de la science , qu'à
l'époque de Jules César, la mer couvrait tout le nord de notre déparle-
ment. On donne la forme des côtes ; on cite les golfes . y compris le
Sinus Itius ; on tlécri! les rivières, les ports. Tout cela passait pour
authentique lors qu'un géologue (1) s'avisa d'étudier le pays. Il reconnut
que toute la plaine maritime est bien constituée par un épais dépôt
mai'in prouvant qu'elle a réellement été submergée ; mais que ce sable
marin recouvrait les tourbières dans lesquelles on trouve des poteries
gallo romaines remontant au quatrième siècle de l'ère chrétienne.
Ainsi sous la domination romaine et à plus forte raison à l'arrivée de
César , le nord de notre département n'était p?,s encore recouvert par
la mer. C'était un sol tourbeux, sur lequel vivaient de nombreuses
populations. Tout ce que les géographes avaient écrit sur cet ancien
littoral à l'époque romaine était un fruit de leur imagination.
J'ai encore à citer un autre service que la géologie a rendu à la
géographie. Elle lui a fourni son personnel habitué aux voyages et à
l'observation. Parmi les grands géographes du siècle, ne voit-on pas
(1) M. Debray.
— H62 —
citer Huuiboldt, Abicli, Darwin, von Reichloffen, tous géologues. Les
vrais créateurs de la géographie de la France ce sont des géologues :
Monnet, d'Omalius d'Halloy. Elie de Beaumont , Boblaye , Leymerie
pour ne citer que les morts. Il y avait 40 ans que la carte d'Etat-Major
était presqu'entièreinent publiée , que l'explication de la Carte géolo-
gique de France avait paru et la géographie de cabinet, la géographie
d'enseignement en était encore aux cartes que vous avez pu voir dans
cet amphithéâtre . oii l'on mettait une chaîne de montagnes dans la
partie la plus basse de l'Orléanais et où l'on faisait courir l'Ardenne
du nord au sud, tandis qu'elle est dirigée de l'est à l'ouest.
On comprend donc pourquoi, lorsqu'on voulut Ibnderà la Sorbonne
un enseignement de géographie physique, on le confia à un géologue
qui s'était fait connaître par ses études sur le terrain et par ses explora-
tions géologiques dans les pays les plus lointains.
J"espère aussi trouver dans ces considérations une excuse pour
avoir introduit le mot de géographie dans le programme de mon cours.
Parmi toutes les applications de la géologie à la géographie . vous
devez prévoir, par ce que je vous ai dit tout à l'heure, que je choisirai
celle qui présente les aperçus les plus généraux. Laissant de côté, au
moins pour le moment, les descriptions locales, j'examinerai avec
vous la formation 'lu relief. Votre contrée se prête peu à des études
de ce genre ; il faudra souvent que nous allions chercher nos exemples
plus loin. Néanmoins dans beaucoup de cas . nous nous contentei'ons
des observations faites dans le pays. Il nous suffira de les projeter par
l'imagination sur un cadre plus grandiose, pour arriver à une concep-
tion exacte des phénomènes.
- -Mi -
NOUVELLES ET FAITS GÉOGHAPHIQUES
I. — Géographie scientifique. — Explorations et découvertes.
EUROPE
l^ess lies Faroë. — Le Bulletin de la Société royale belge de géographie
contient une notice intéressante sur ces îles. Des trente-trois îles et îlots qui com-
posent les possessions danoises connues sous le nom de Farôerae, dit-il , Stromoe
est la plus grande, sa superficie étant de vingt-cinq milles de long- sur sept de large ;
la ville de Thorshavn en est la capitale. Les îles Faroë ont une population d'environ
ILOOO habitants et la capitale Thoishavn en compte environ un millier. Cette ville
est originale, mais n'est pas belle. Ses maisons sont construites en bois, et en guise
de toitures elles sont couvertes d'écorces de bouleau, sur lesquelles est déposée une
couche de tourbe et de gazon. En été, l'occupant d'une de ces maisons peut cueillir
un bouquet de fleurs à la fenêtre de sa chambre à coucher. Les rues de la ville sont
très rudes et pierreuses ; elles sont fort sales, et l'odeur de poisson sec et à sécher et
d'huile de poisson sont d'une nature à donner des nausées aux touristes. Des tranches
de baleines et des myriades de jeunes morues et de sardines sont suspendues aux
gouttières. Malgré l'air humide de ce chmat quasi arctique, oii des brouillards conti-
nuels sont formés par le courant chaud du Gulf-Stream se rencontrant dans ces lati-
tudes avec le courant froid arctique, il est vraiment remarquable de voir que ces
carcasses de baleines et de poissons soient aussi rapidement desséchées.
Un visiteur accidentel n'est guère favorablenient impressionné par ce qu'il aura vu
à Thorshavn ; mais le voyageur qui ose s'exiler pour quelques semaines aux Faroë ,
s''aperçoit bientôt qu'il se trouve parmi des gens dont les' vertus patriarcales sont
aussi anciennes que leurs us et coutumes.
Il n'y a pas d'arbres aux îles Faroë. Le bois de construction est importé de la
Morwège. Le principal commerce est le produit de la pèche. La laine aussi forme une
branche importante de l'exportation, les habitants ayant ici plus d'attention aux pro-
duits en lame qu'à la qualité de la viande des moutons. Les photographies repro-
duites dans le numéro du Graphie de Londres (19 févrii r 1887) ont été pnses par
Herr Millier, l'honorable « Sysschmand » de Thorshavn, qui représente les îles
Faroë dans la Chambre haute du Parlement danois; mai« il est impossible de repro-
duire correctement les nombreuses et grandioses « scènes » de ces îles.
Le voyageur qui , par exemple , se trouve vers le milieu de la tète de Myling ,
l'extrême pointe nord de l'île de Stromoe , qui plonge perpendiculairement et d'une
26
- 364 —
hauteur de plus de 2,000 pieds dans la mer , n'oubliera pas aisément les sensations
qu'il a éprouvées en cet endroit.
Les fameux rochers le Géant et les rochers des Femmes sont près de Myling.
D'a])rès la légende, ces pétrifications étaient des géants qui enjambèrent la distance
de l'Islande aux Faroè. Les jambes de l'homme rocher le distinguent des roches des
femmes,
Kirkebo est l'un des plus anciens villages de cet archipel. 11 y a des siècles , il y
avait déjà là un évèché et une école ecclésiastique ; mais les anciens pirates des mers
du Nord causèrent toujours beaucoup de tourments à cetévêché , le ravageant et le
pillant suivant leur caprice. Les rt'ines de cet évêché existent encore aujourd'hui à
Kirkebo.
La baleine est aux habitants de Faroë ce que le hareng est à certains ports de la
Hollande. Quand un troupeau de « gruid », nom indigène donné à la baleine, est en
vue, un enthousiasme surgit parmi les habitants de l'archipel. Le plus grand nombre
possible d'embarcations prennent la mer et les équipages tâchent de cerner les
baleines et de les forcer à se réfugier dans une « voe » ou baie à baleine , oii ils
pourront, sans trop de difficultés, capturer ces cétacés. Trois à quatre cents baleines
viennent, bon an mal an, se faire prendre aux îles Faroë , et comme le produit d'une
baleine est évalué à environ cent francs, ces cétacés sont toujours considérés comme
des visiteurs bien venus.
AFRIQUE.
i^ou'i'cllcs de ^tauley. — Nous avons relaté dans Tuii de nos derniers
Bulletins la prétendue mort de Stanley et nous exprimions des doutes sur ce fait
que rien ne venait confirmer. Depuis ce temps , divers journaux ont donné des nou-
velles du célèbre explorateur.
En premier lieu , le Times a {)ublié une lettre de lui , datée du 23 juin , de Yam-
bounga sur la rivière Arouwimi. Stanley y fait savoir que le major barthelot, qui
avait escorté Tippo-Tip jusqu'aux Falls , était de retour la veille à Yambounga ; il
disait que Tippo-Tip avait annoncé sa nomination de gouverneur du district , mais
demandait, pour être soutenu dans sa mission et faire prévaloir son autorité , l'aide
de deux officiers européens et d'une troupe de soldats.
En septembre, l'Agence Reuter a publié une dépèce de Saint-Paul de Loanda , du
major Barthelot laissé au camp d'Yambounga , au pied des rapides de l'Arouwimi ,
avec une garaison de cent hommes , et transmise par LéopoldviUe. Le major disait
avoir reçu le 12 juillet des nouvelles de Stanley qui venait d'accomplir alors une
dizaine de journées de marche vers l'intérieur à partir de Yambounga : Stanley, alors
en bonne santé, longeait le cours de l'Arouwimi qu'il trouvait navigable à une cer-
taine distance au-dessus des rapides et sur lequel il avait lancé la baleinière d'acier
qu'il avait emportée ; il espérait arriver le 22 juillet au centre du ^&ys, des Mabodès
et à Wadelaï dans le milieu du n:ois d'août.
Enfin, en date du 4 novembre , l'Agence Reuter publie la dépêche suivante de
Saint-Paul de Loanda :
« Nous avons reçu quelques nouvelles fraîches de l'expédition de Stanley. Elles
sont datées du 8 août environ.
» A cette époque, Stanley avait quitté le camp de repos quU avait établi à 8 jour-
nées de marche environ du territoiie des Mabodés et s'avançait directement vers la
côte occidentale du lac Albert-Nyanza.
— im —
» Il avait éprouvé d'assez grandes difficultés par suite de la fati^,'ue de ses
hommes , ce qui avait amené un éparpillcmcnt de sa troupe sur une distance de
plusieurs kilomètres.
» D'autre part, il avait dîi négocier avec quelques-uns des chefs les plus impor-
tants de ces contrées pour obtenir des vivres frais, la consommation de ceux de
l'expédition étant très grande.
» Les indigènes s'étaient prêtés de bonne grâce à ces exigences.
» 11 avait séjourné trois ou cjuatro jours au camp qu'il avait établi , pour remettre
tout en état et laisser reposer ses honunes, puis il était reparti , en laissant la garde
du camp à une trentaine d'hommes.
» Son intention était , en arrivant à la côte occidentale du lac Alburt , de s'établir
sur los montagnes très fertiles qui , d'après les renseignements- recueillis , bordent
cette partie du lac, et d'envoyer vers Wadelaï, par le lac, une petite avant-gard(! sur
la baleinière en partie démontée.
» Cette mission sera probablement confiée au lieutenant Stairs, toujours à l'avant-
garde et en bonne santé.
» Cet itinéraire peut être modifié si Stanley recevait avant, comme il le croit, des
nouvelles d'Emin.
» Jusqu'à présent , et par suite de la grande sensation produite dans toute la
contrée par l'an-ivée de l'expédition , Stanley a déjà pu apprendre , sans avoir des
nouvelles directes , qu'Emin était en bonne santé et qu'un apaisement avait eu lieu
au sud du lac Albert.
» Stanley avait également écrit au camp d'Yambounga , par le même courrier qui
a apporté les présentes nouvelles , qu'il serait très utile de lui faire des envois de
nouveaux vivres, car il pourrait ainsi mieux ravitailler le camp d'Émin.
» On est très embarrassé au camp d'Yambounga pour donner suite à cette
demande, étant donnée l'agitation qui règne dans le pays et le souvenir de ce qui
s'est passé aux Falls. Il serait très difficile de se procurer des porteurs désireux de
s'enfoncer dans des régions inconnues quand Stanley ne les accompagne pas.
» On espère que la caravane , annoncée par Tippo-Tip conmie ayant été envoyée
par lui par le Mbourou, rejoindra Stanley à temps pour lui être utile.
» Stanley croyait être en relations avec Emin vers le 15 août.
» Stanley a envoyé aussi à Yambounga des renseignements curieux sur les pays
inexplorés qu'il a parcourus. La population est très hospitalièi*e.
» Stanley a dû abandonner le camp du cours de l'Arouwinii, qui se dirige vers le
sud à partir d'un endroit situé au rommencement du pays des Mabodés et oii il
redevient navigable.
» Stanley a rencontré dans sa marche , après avoir quitté l'Arouwimi , des cours
d'eau qui, d'après des renseignements incomplets parvenus ici , doivent être consi-
dérés comme des affluents de l'Ouellé.
» Tippo-Tip a adressé de nouvelles informations au gouverneur de Borna, concer-
nant la situation des Falls.
» Cette situation s'est améliorée et Tippo-Tip assure de rétablir toute sou ancienne
autorité, quand il aura reçu les renions demandés.
» 11 a fait plusieurs excursions importantes dans l'intérieur, et elles ont produit le
meilleur effet sur les Arabes. Ces derniers se persuadent qu'il ne s'agit pas de nuire
à leur commerce. »
Lew froutières des coluuics fk*auçaises et allcuiaiicles daus
l'Afrique occidentale. — La Demtche Rundschau annonce ijue les études
— 366 -
faites par les commissaires allemaiirls et français en février dernier , viennent
enfin d'aboutir, et qu'on a pris comme frontière des colonies des deux pays le méri-
dien qui part de la côte des Esclaves , touche la pointe ouest de la petite île Bayol
(dans la lagune entre Agué et Petit-Popo, à Touest du village Hillakondschi) ,
jusqu'au neuvième degré do latitude N. Cette délimitation a été acceptée par les
.deux puissances.
f 'oucc siou «lu lac Asn»! par 11. Cbefueiiii.. — M. Chefneux ,
moyennant une redevance annuelle de 60,000 francs, vient d'obtenir la concession
de l'exploitation de cet énorme réservoir de sel qu'on appelle le lac Assal et qui
se trouve à 18 ou 20 kilomètres derrière Obock, sur la route d'Aoussa et du
Choa. Un petit chemin de fer amènera le sel à Obock.
I^e payf^ «les Betjouauas. — La Zeitschrift fiïr Schulilgeogr. donne d'in-
téressants renseignements sur cette contrée peu connue, à laquelle le gouvernement
colonial anglais du Gap vient d'imposer son protectorat, et qu'il dépeint , contraire-
ment à l'opinion admise qui en faisait un Sahara inhabitable pour les Européens ,
comme un pays pourvu d'eau et propre à la culture. Elle cite, à ce propos, une lettre
insérée dans le Lape Times , dans laquelle un Anglais qui habite le Betjouanaland
depuis dix ans, donne les détails suivants sur ce pays : « J'avais sur cette contrée les
idées de tout le monde, je le croyais stérile etimpiopre à toute culture, mais depuis
le séjour que j'y ai fait , mon opinion s'est modifiée en bien des points. La plus
grande partie du Betjouanaland se compose de prairies ; l'herbe qui y pousse est
substantielle et nourrissante et peut fort bien supporter la sécheresse. 11 y pousse
en outre deux sortes d'arbustes totalement inconnus au Gap ; c'est le « vaalbosch »
et le « razynkiebosch » , tous deux donnant une excellente nourriture pour le bétail,
ce qui augmente considérablement la valeur du pays comme pâturage Le vaalbosch
surtout est une véritable richesse pour le pays, c'est un arbuste toujours vert , qui
constitue donc une ressource précieuse tant en hiver que dans les époques de séche-
resse. Le razynkiebosch se dépouille de ses feuilles en hiver, mais au printemps et
en été il constitue une nourriture abondante et saine pour les bêtes à cornes , les
brebis et les chèvre.s. qui s'en montrent très friandes ; il porte de plus comme fruit
des baies douces qui servent de nourriture aux indigènes, et dont les Boers font une
sorte de sirop, qui leur sert de sucre. Mais le grand avantage que possède le Betjoua-
naland sur la colonie du Gap , c'est sa richesse en eaux souterraines. La raison de
ce fait tant contesté, mais actuellement établi, est simple : le Betjouanaland est un
haut plateau sans cours d'eau , au terrain sablonneux; par suite, toute l'eau pro-
venant des pluies est absorbée et se réunit dans des réservoirs souterrains , au lieu
de s'écouler vers la mer en entraînant le sol végétal , comme c'est le cas dans la
colonie. Les pluies diluviennes des mois d'été alimentent ces réservoirs et on peut
conclure que tout le pays est sillonné sous teiTe de cours d'eau très nombreux ; il
suffira de creuser un puits à une profondeur de 3 à 6 mètres ordinairement , ponr
trouver de l'eau en abondance. On ne trouve que peu de sources a la surface du sol.
On rencontre dans le Transvaal et dans quelques autres districts des lacs d'eau
limpide et d'une profondeur insondable ; les sources très abondantes en eau, qui se
montrent dans le Betjouanaland à de rares intervalles, s'écoulent et se perdent dans
le sable. L'existence des cours d'eau souterrains n'est pas une simple hypothèse.
A 5 heures de Vryburg , dans la ferme d'un M. Brezuidenhout, se trouve un trou
assez large pour permettre à un homme de s'y glisser ; à une profondeur de 4 mètres
on voit couler un fleuve d'eau claire. On a essayé de sonder l'eau , mais on n'a pas
— :r)7 -
pu attoiiidi'c le tbiiil. On a mciiio un jour desccMidu un homme en le tenant par des
cordes ; il a rapporté que Tintérieur du trou ressemblait à une coupole et qu'aussi
loin que portait la vue on ne voyait qu'une même nappe d'eau. Cet endroit n'a été
découvert par les indij;ènes que par hasard , parce que le sol se défonça un jour
qu'une vache y passait et que les indigènes essayèrent en vain de boucher l'orifice
béant pour éviter les accidents. »
B/bEc «8c Tristan «rAeoiiiilia. — On sait que dans les eaux antarctiques
la pèche de la baleine a diminué sensiblement : cette situation , paraît-il, menace
l'existence des habitants de l'île solitaire Tristan d'Acounha ; ces habitants sont en
grande partie les descendants de la garnison entretenue ici lors de la captivité de
Napoléon à Sainte-Hélène : des naufragés se sont aussi fixés dans l'île. Par suite
des passages toujours plus rare>; de baleinières , les habitants ont perdu l'une de
leurs sources do richesses des plus importantes, à savoir la vente de viande fraîche
et de pommes de terre ; de plus, une épave a amené dans l'île, des rats qui s'y sont
multipliés de telle façon , qu'ils détruisent presque entièrement les moissons et les
pommes de terre. En 1885, un malheur sérieux a frappe la petite colonie, en lu'
enlevant 15 hommes qui |)érirent en mer par accident. p]n août 1886 , l'île fut visitée
par deux vaisseaux de guerre anglais, qui remirent aux habitants des secours en blé,
tàrine, etc. La misère n'a pas encore fait son apparition , mais elle est imminente ;
aussi le pasteur E.-N. Dodgson , qui y réside , exhorte-t-il fort les habitants à émi-
grer vers le Cnp ou vers Sainte-Hélène. Cependant, on ne peut espérer le succès
d'un pareil plan, si l'on se rappelle que les habitants des îles Pitcairn transportés à
Norfolk, il y a trente ans , n'hésitèrent pas à préféi'or leur île solitaire et à y retour-
ner bientôt. F.n août 1886, l'île comptait 97 habitants, dont 30 enfants au-dessous
de 14 ans, 'i4 filles et femmes et seulement 23 hommes.
AMERIQUE.
Vallées sous -marines de la côte «ïu a»afîlîquc. — Le premier
numéro dn Kosinos, no\)velle revue, organe delà Société géographique du Pacifique,
publie la relation des explorations du professeur Georges Davidson sur les vallées
sous-marines des côtes du Pacifique. Le professeur Davidson indique trois de ces
vallées. La première partant de Shelter Cove, à 30 milles au sud du cap Mendocino,
à 100 brasses de profondeui- à 1 1/4 mille de la côte et 25 brasses sous les rochers ;
mais à l'endroit où elle traverse le plateau marginal , sa profou'^eur atteint 400
brasses. Les lianes de la vallée sont très abrupts. A mi-chemin entre cette vallée et
le point Gorda, il y en a une autre d'une profondeur variant de 150 à 300 bras.ses et
immédiatement au N. du point Gorda une vallée très profonde vient de rO.-S.-O. et
aboutit à la côte même. A 1 1,2 mille au large , elle a 100 brasses de profondeur et
les riancs en sont très raidos. Là oii elle traverse le plateau , sa profondeur
est de 520.
Une troisième vallée existe un peu plus près du cap Mendocino ; elle vient de
l'ouest. Elle a 450 brasses de profondeur à ô'I 2 milles au sud-ouest du cap Mendo-
cino. Le fond est composé de mousses vertes.
- 368 -
La connaissance de ces vallées est intéressante , parce que des vaisseaux de cabo-
tage qui se rendent a Huraboldt-Bay , sont souvent surpris par les brouillards à
Shelter-Cove et doivent chercher des mouillages le long de la côte.
REGIONS POLAIRES.
Ex^ploratious antarctiques. — Les Proceedings de la Société royale de
géographie de Londres annoncent qu'on s'occupe actrvemcnt en Australie de former
une expédition pour explorer les régions antarctiques. 11 s'est formé un comité
antarctique appuyé par la Société royale de Victoria et la Société royale de géogra-
phie d'Austi-alie. Une somii:e de 10,000 liv. st. a été consacrée à l'équipement d'une
expédition. On cherche à obtenir des offres de la part des grands armateurs pour la
fourniture de deux vaisseaux cuirassés de 175 tonnes chacun et de la force de 60 che-
vaux. Chaque vaisseau devra contenir des cabines pour deux explorateui-s qui
s'occuperont des constatations scientifiques : ces cabines devront être intallées de
telle façon qu'elles pourront servir de laboratoires et de salles d'expériences. Le ;
vaisseaux auront droit à une prime spéciale de 800 à 1,00) liv. st. pour les premières
100 tonnes d'huile qu'ils amèneront à l'entrepôt d'au-delà 60" au sud. Les buts
spéciaux qu'on se propose d'atteindre sont : dresser un plan général de toutes les
côtes se trouvant dans le cercle antarctique et qui ne sont pas encore mentionnées
sur les cartes de l'Amirauté ; la découverte de nouvelles routes vers le pôle sud , de
ports pouvant servir de quartier d'hiver et de nouveaux produits commerciaux. De
plus, on espère recueillir des observations précieuses en matière de météorologie,
d'océanographie, de magnéti.sme terrestre, d'histoire naturelle et de géologie. Voilà
un résumé des projets du comité antarctique, qui espère encore obtenir des subsides
du gouvernement. Puisque nous parlons de voyages antarctiques , nous pouvons
assurer que le bruit d'un voyage de M. Nordenskiôld dans ces régions est dénué de
tout fondement.
La température probable «lu Pôle. — Les plus grands efforts ont
été tentés pour atteindre le pôle ; la légitime curiosité de l'inconnu a provoqué ,
depuis cinquante ans, vingt-cinq ou trente expéditions, grandes ou petites, qui n'ont
pas répondu au but proposé , ni même donné des résultats scientifiques en rapport
avec les frais qu'elles ont entraînés. ISanankè de l'inconnu persiste toujours.
Devant cette impossibilité, on a pensé qu'on pouvait du moins faire le siège scien-
tifique du pôle en organisant tout autour, sur un certain nombre de points accessibles,
une série d'observations oii , pendant une année consécutive , on procéderait à une
série d'études simultanées ; en les concentrant, on pourrait déduire par comparaison,
les principaux phénomènes physiques des régions circumpolaires.
L'honneur de cette généreuse initiative revient à M. Wayprecht , le compagnon
de M. Payer, l'explorateur hardi qui dirigea rexpédition du Tegetthoff' en 1872; il
fut le découvreur de la terre François-Joseph au 79" 51' de latitude. Largement
secondé dans les détails assez délicats de l'organisation de l'entreprise par M. le
comte Wilczek , il réussit , à la suite de nombreux préliminaires diplomatiques ,
à rallier la plupart des nations européennes au projet présenté et à obtenir les sub-
- 369 -
ventiôns nécessaires. Les délôgués de chacune d'elles se réunirent successivement à
Hambourg, à Berne , h Saint-Potersbourg , dans des conférences où fut discuté le
choix des points les plus propres à rinstallation des obsi^vatoires circumpolaires.
Chacune des nations représentées s'engagea alors à entretenir à ses frais , pendant
au moins une année (août 1882 à août 18813), une mission scientifique sur un des
points convenus, obligée à se conformer à un programme arrêté d'avance. C'est ainsi
que fut résolue l'organisation des stations suivantes :
1" Etats-Unis. — Station d'Uglaamie , à 5 milles à l'ouest de la pointe Barrow
(côte nord de l'Alaska) , sous les ordres du lieutenant Ray; lat., 71" 18'; long.,
158" 44' 0. ;
2" P]tats-Ums. — Station de la ba,ie Lady Franklin (côte est de la terre de Grinnel),
sous les ordres du lieutenant Greely. Cette expédition aboutit à un désastre complet;
la plupart des membres périrent;
3" Angleterre. — Station de Fort-Raë (grand lac des Esclaves, Canada) , sous les
ordres du capitaine Dawson ; lat., 62" 30' ; long., 118' 00' 0. ;
4" Allemagne. — Station de Kingua Fiord (golfe de Guuiberland) , sous les ordres
du D"" W. Geise ; avec stations annexes sur la côte du Labrador ;
5" Danemark. — Station à Godthaab (côte ouest du Groenland) , sous les ordres
de M. Paulsen ; lat., 6i" 10' ; long., 54" 05' 0. ;
(')" Autriche. — Station à l'île Jan Mayen (entre la Norwège et le Groenland), sous
les ordres du lieutenant Von W'ohlgemuth ; lat., 70" 58'; long., 10" 55' 0. ;
7° Suède. — Station à la baie Mossel (Spitzberg) ; sous les ordres de M. Nils
Ekholm ; lat. 79" 53 ; long. 13° 40' E. ;
8" Norwège. — Station à Bossekop (Laponie) , sous les ordres de M. Akel Stecn ;
lat., 69" 56 ; long., 20" 40' E. :
9" Hollande. — Station à Dicksonshaven (embouchure du Yenissei) . sous les
ordres de M. Snellen ; lat. , 73" 20' ; long. , 79« 40' E. ; l'expédition a été prise dans
les glaces ;
10" Russie. — Station à Ssagstyr ^bouches de la Lena) ; sous les ordres de
M. Yurghens ; lat., 67" 24' ; long., 24" 16' E. ;
11" Russie. — Station à Sodankylà (Finlande) ; lat., 67" 24' ; long., 24" 16' E. ; '
12" Russie, — Station à la baie Karmakuli (côte nord de la Nouvelle-Zemble) ,
sous les ordres de M. Andrieff; lat., 72° 30' ; long., 50" 40' E.
Les autres stations , situées dans l'océan Antarctique , ont été distribuées à la
France, à l'Allemagne, à l'Italie et k la République Argentine. Elles complétaient
pour les deux pôles la série des observations possibles.
Les travaux de toutes ces stations ont été publiés ; les observations ont été faites
d'heure en heure pendant douze mois consécutifs et uniformément d'après un pro-
gramme identique. Ils fournissent ainsi des documents de haute importance.
En ajoutant à cette série d'observations régulières , un certain nombre de docu-
ments fournis par les expéditions polaires indépendantes qui ont atteint des hautes
latitudes, sur des points éloignés des stations internationales , on comble certaines
lacunes. 11 faut aussi tenir compte des stations météorologiques permanentes et
réo-ulières de l'extrême nord de l'Europe, en Russie, vn Sibérie, en Norwège. ainsi
que c<llcs de l'Amérique du Nord.
Parmi les expéditions indépendantes qui ont hiverné dans les parages les plus
voisins du pôle , on peut citer : celle de Th. Von Heuglin , commandant le navire
allemand Gennania (1873) qui a fait une croisière au nord du Spitzberg; celle du
- 370 -
capitaine Koldewey, qui atteignit l'île Sabine (1869-1870) ; le voyage de circumnavi-
gation de M. A. E Nordenskjôld (1879), pendant lequel il a hiverné sur la côte nord
de la Sibérie, chez les Tschoukotches ; l'expédition de MM. Payer et Weyprecht, de
la marine autrichienne (1872-1874) qui ont découvert la terre François-Joseph ; celle
des capitaines Nares et Thompson, commandants VAlert et le Discovery (1875-1876),
enfermés pendant un hiver dans les glaces près de la terre Grinnel ; et enfin l'expé-
tion dramatique de la Jeannette , commandée par le capitaine De Long , qui s'est
avancée jusqu'au nord des îles de la Nouvelle-Sibérie.
En réunissant les indications fournies sur la température par ces différentes séries
d'explorateurs, qui ont attaqué le pôle de tous les côtés, on forme un ensemble
approximatif servant de base à un essai sur les climats circumpolaires.
Le tableau suivant fournit les documents nécessaires pour tracer les principaux
isothermes : ceux qui représentent les deux extrêmes : janvier et juillet ; ce tracé
indique seulement l'expression des caractères généraux de la température :
Janvier. — La température la plus basse normalement constatée a été — 57" rele-
vée par l'expédition de VAlert et le Discovery, pendant l'hivernage à la terre de
Grinnel. On en a cité qui sont encore inférieures ; mais, comme l'a fait observer
M. A. Pinart , voyageur dans l'Alaska , au-delà de — 40" l'alcool du thermomètre
« se transforme tellement , qu'il est difficile d'accepter ses indications ». En partant
du détroit de Behring vers l'est, on peut constater que l'isotherme — 40" débute à
l'embouchure du Mackensie ; à Fort-Yukon et à Fort-Good-Hope , situés à peu près
sous la même latitude ; il redescendrait ensuite vers le sud jusqu'à la baie Ghester-
field , oii Schwatka a observé — 40" à Camp Daly ; sa trace se perd ensuite jusqu'à
la terre de Grinnel ou cap Golombia.
L'isotherme — 30" est indéterminable dans l'Est de l'Amérique du Nord à cause
du manque de documents ; il semble passer par la baie d'Hudson , la station inter-
nationale allemande de Kingua Fiord et remonter jusqu'au cap York , d'après une
observation de Hayes. On retrouve ce même isotherme dans le nord de la Sibérie ,
oii il est rigoureusenient déterminé d'après les stations permanentes de l'empire
russe. Il s'infléchit jusqu'à la mer d'Okhotsk pour remonter au nord à l'embouchure
de la Kolynia.
L'isotherme — 20° prend naissance à la pointe Barrow ; descend au sud jusqu'au
lac Winnipeg et remonte ensuite jusqu'à la côte du Labrador , près de la station
internationale d'Okok ; très indéterminé sur toute la côte orientale du Groenland, il
réapparaît au Spitzberg, à la terre François-Joseph, à l'île Bennett, au nord des îles
de la Nouvelle-Sibérie , d'oii il rejoindrait la pointe Barrow, contournant ainsi le
bassin polaire dans la moitié de son trajet et pénétrant profondément dans le conti-
nent américain.
Les isothermes représentant des températures plus élevées sont déterminés, pour
la plupart, au moyen des renseignements fournis par des observatoires météorolo-
giques réguliers.
11 résulte de ce tracé que le froid paraît se répartir avec intensité sur deux centres
principaux : le premier, déterminé par des observations méthodiques, se trouve dans
le nord de la Sibérie , aux environs des bouches de la Lena , près Verkhoyansk ,
d'après H. Wild ; le second centre , indiqué par des observations moins certaines ,
mais ayant une réelle concordance entre elles , serait au nord de la baie d'Hudson .
près de la Boothia. 11 est à remarquer que ces deux centres de froid se produisent au
nord des deux continents.
Juillet. — La répartition de la température estivale présente plus d'uniformité
que celle de l'hiver. Au mois de juillet débute l'été, avec une rapidité inconnue dans
~ 371 -
nos climats; le soleil restant perpétuellement à l'horizon, ses rayons obliques
donnent une chaleur peu élevée , mais ininterrompue : leur action est telle , que la
température s'élève du côté éclairé à -^ 12" et même -+- 15", tandis qu'à l'ombre. (\\i
côté opposé , elle s'abaisse au-dessous de 0. Une atmosphère à peine tiède s'étend
tout autour du pôle.
La moyenne la plus bas^e se trouve h la terre Frnnçois-.loscph , sans avoir d'autre
point d'attachi' pour le tracé de l'isotherme. Les documents fournis par : Nares, à la
terre de Grinnel ; Payer et Weyprecht , à la terre François-Joseph ; Smith et Ulves ,
au Spit/.berg; Nordensjold , sur les glaciers du Groenland . la station internationale
de Kingua Fiord . celle de Pointe -Barrow , stat'ons les plus rapprochées du pôle,
donnent jiour la moyenne de juillet -+- !>". Le trac, de l'isotherme -t- 5" passe; par les
points suivants, pour chacun desquels il a été étab'i une moyenne mensuelle : Fort-
Yukon , Fort Good-Hope , Rivière Sullivan . Godthaab , le sud du Spitzberg, le sud
de la Nouvelle-Zemble , Dicksonshaveii , la péninsule de Taimour. Le tracé se main-
tient entre le 08'' et le 76 degré de latitude. Au nord de Terre-Neuve, l'influence des
vents marins ne permet aucune détermination régulière : elle s'accentue encore plus
sur la côte orientale du Groenland, d'oii les courants tièdes s'épanouissent vers le
nord d'un côté, à l'ouest du Spitzberg et de l'autre dans la mer de Raffin.
Il paraît résulter de l'ensemble des renseignements comi)arés sur la température ,
que les isothermes de froid se concentrent autour de deux centres , situés tous deux
à la partie la plus septentrionale des deux continents du globe. On sait , du reste ,
([lie les climats extrêmes concordent presque toujours avec les grandes surfaces
continentales et que les climats sont plus équilibrés dans le voisinage des mers. Si
l'on pouvait prolonger le tracé figurant les isothermes concentriques, aux deux
centres fro'ds , on obtiendrait au pôle même des températures moins basses qu'en
Sibérie et dans l'Amérique du Nord. L'intensité du froid ne concorde donc , pas plus
que le pôle magnétique, avec le pôle terres
Cette absence des basses températures au centre du bassin polaire indiquerait la
prédominance des eaux sur les terres ; il existerait des terres détachées ou des
groupes d'îles, analogues k la terre François-Joseph et non pas un continent que les
géographes ont considéré pendant longtemps comme étant la prolongation du
Groenland.
La répartition de la température de l'été est moins nettement indiquée. Elle a des
rapports encore inconnus avec les mouvements des eaux et des effets des niarées ,
qui provoquent la débâcle des glaces. La chaleur des mois de juillet et d'août contri-
bue à diminuer les glaces dans des proportions considérables, tandis que les cou-
rants transportent dan^ des régions plus chaudes, celles que la température d'été ne
parvient pas à fondre sur place.
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373 -
II. — Géographie commerciale. — Statistiques
et Faits économiques.
EUROPE.
Kes)«oiiree(ii iiaturcliew et Kituatiou économique «le la
Serbie. — 11 y a bioiilôt vingl ans qu'un ('iiiinent jjuhlicisto Itclge , qui est en
même temps un infatigable voj'ageur, visitait les Jugo-Slaves du Danube et la pénin-
sule du Balkan. M. E. de Laveleye, pour l'appeler de son nom . a voulu revoir ces
pays, constater les changements de toutes sortes qui s'y .sont opérés depuis 1807 et
se rendre compte de leur situation économique et politique , dont il avait déjà parlé
dans son livre intitulé : lo Prusse et l'Autriche depuis Sadowa. Le moment était
opportun et il fallait le saisir, dit-il ,« car toutes ces populations se transforment
rapidement. Sous l'influcn'-c des chemins de fer, de leurs constitutions nouvelles et
des rapports plus intimes avec l'Europe occidentale , elles ne tarderont pas à aban-
donner leurs coutumes locales et leurs institutions primitives, pour adopter la légis
lation et la manière de vivre que nous appelons la civilisation moderne. Elles renon-
ceront à leurs costumes pittoresques et à leurs usages séculaires, pour s'habiller,
penser , parlementariser . se quereller et se moraliser à la façon de Paris ou de
Londres », M. dé Laveleye s'est donc remis en route, et après avoir séjourné quelque
temps à Vienne et parcouru la Bosnie , il montait à Vukovar sur un steamer à deux
ponts, pour se rendre h Belgrade , capitale de la Serbie , et pénétrer ensuite dans la
Bulgarie, la Roumélie, la Macédoine et la Roumanie (l).
Le Danube qu'il descendait, laissa à M. de Laveleye l'idée d'un grand et même un
très grand fleuve. Mais quel contraste avec le Rhin! s'écrie-t-il. Tandis que le
cours d'eau qui baigne Manheim , M aj'ence , Cologne, réalise bien , avec ses deux
voies ferrées latérales et ses innombrables bateaux de toute forme, l'idée du « chemin
qui marche », selon le mot de Pascal, transportant d'innombrables masses de voya-
geurs et de marchandises, le magnifique Danube traverse des solitudes et ne semble
destiné qu'à faire tourner les roues des moulins flottants à farine , que portent ses
eaux. La cause de ce contraste est bien simple. Le Rhin coule vers l'Occident et
aboutit aux marchés de la Hollande et de l'Angletenv ; le Danube , lui , porte ses
eaux à la mer Noire, c'est-à-dire vers les contrées nagèrc encore frappées do la malé-
diction turque, pour se se: vir du terme même de notre voyageur.
A Pt'terwarden, M. de Laveleye admira les merveilles de l'industrie moderne. Le
chemin de fer direct de Pesth à Belgrade, qui aboutira à Constantinople, franchit le
Danube sur un pont de deux arches , construit par la Société de Fivos - Lille , puis
passe par un tunnel sous la vieille forteresse reconstruite par le prince Eugène. Le
Danube, après avoir rec^-u la Tisza, s'élargit beaucoup ; il prend l'aspect du Mississipi.
(1, Yinv InPéiuHSule ile\ Hulkùns, rie. aW. [i'^Wn Aliiiu, l'aris. IHSG,
- 374 -
et à Belgrade, sa largeur est tout à fait imposante. Depuis 1867 , la ville s'est trans-
formée. Une grande rue occupe l'arête de la colline entre la Save et le Danulie , et
aboutit à la citadelle, dominant le fleuve du haut de promontoire escarpé sur lequel
se dressent ses formidables bastions. Cette rue est maintenant garnie des deux côtés
de hautes maisons à deux ou trois étages, avec des boutiques dont les vitrines
montrent de la quincaillerie, des étoffes de toute espèce, des chapeaux , des antiqui-
tés, des habits tout faits, des chaussures, des photographies, des livres et du papier,
tout comme dans nos grandes villes. Sur les deux versants de la colline centrale,
vers le Danube et vers la Save, des rues nouvelles ont été bâties. Elles se composent
de villas fort élégante^, mais n'ayant qu'un rez-de-chaussée. Toutes les construc-
tions, vieilles et nouvelles, sont fraîchement badigeonnées, et Belgrade continue
ainsi de mériter son nom turc — Beo-gratl — qui signifie blanche ville. « De la
domination musulmane, il ne reste presque plus de traces : quelques fontaines avec
des inscriptions arabes et une mosquée qui tombe en ruines,voilà tout.Il y avait jadis
un grand nombre de mosquées, et le traité d'évacuation stipulait qu'elles seraient
respectées; mais comme nul ne le.s répare, le temps fait son œuvre : elles s'écroulent;
bientôt il n'en restera plus une seule. C'est dommage. I,e gouvernement serbe
devrait en conserver une comme souvenir d'un passé dramatique et comme ornement
architectural. Voyez avec quelle rapidité recule la domination ottomane. Récemment
encoie, elle s'étendait sur toute la rive droite du Danube et de la Save, et nomina-
lement jusqu'en Roumanie, en plein cœur de l'Europe ; maintenant elle est rejetée
au-delà des Balkans, où elle n'exerce même plus qu'une autorité rominale. »
Nul pays, mieux que la Serbie, ne mérite le nom de démocratie. Il n'y a ni aristo-
cratie, ni grands propriétaires ; les beys turcs ayant été chassés ou tués pendant les
longues guerres de l'indépendance , les paysans serbes sont devenus les maîtres
absolus du sol. Dans les campagnes on ne trouve guère d'ouvriers et , semblable en
cela au Yankee, aucun Serbe ne consent à être domestique ; même les cuisinières et
les servantes viennent de la Croatie , de la Hongrie et de l'Autriche; Un cultivateur
ne peut-il, avec l'aide de sa famille, suffire à couper ses foins et ses blés, il s'adresse
à ses voisins qui viennent lui donner un coup de main , sauf à lui demander, le cas
échéant, le même service. Cela s'appelle le moba. Par malheur, les Serbes, qui aupa-
ravant marchaient toujou.-s armés , sont de très médiocres cultivateurs. Leur
grossière charrue toute en bois, avec un petit bout de soc en fer, traînée par quatre
bœufs , déchire le sol , mais ne le retourne pas. Au maïs succède le froment ou le
seigle, puis une jachère de plusieurs années suit. C'est à peine si le tiers de la sur-
face du sol est en culture. Néanmoins , la population étant peu dense, — 1,800,000
habitants sur 4,900,000 hectares, ou 2 hectares et demi par tête, — il en résulte que
les vivres ne manquent pas et qu'on peut même en exporter. En effet , la statistique
nous apprend qu'en moyenne la Serbie vend à l'étranger pour 30 millions de francs
de bétail et de produits animaux et pour 8 à 10 millions de fruits , graines et vins.
Les chiffres suivants indiquent l'emploi de la superficie et la richesse agricole du
pays. Des montagnes et des forêts occu|)ent 2,400,000 hectares , soit la moitié du
pays ; les terres cultivées 800,000 , les prairies 430,000. Le surplus se compose de
terrains vagues. Sur les terres labourables, le mais prend 470,000 hectai'es ; le seigle,
le froment et les autres céréales 300,000 ; le reste est consacré h la culture de la
vigne, de la ponane de terre, du tabac, du chanvre, etc. En Serbie, comme dans
tout l'Orient, le mais est d'ailleurs le produit principal. On estime qu'en moyenne la
récolte donne pour le maïs 438,327 tonnes , 250,000 pour le froment , 32,000 pour
l'avoine et 80,000 pour les autres céréales. La proportion sur 100 attribuée à chaque
céréale est la suivante : maïs, 52,35 ; froment, 27,20 ; orge, 6,30 ; avoine, 6,60; seigle.
3.90 ; é])eautre, 3 ; millet, 0,65.
— :-i7r, _
Les héros de rinsurrection des Pays-Bas , les Gueux de mer , qui au XVI^ siècle
ont dispersé les flottes de Philippe 11 , étaient des pêcheurs de harengs ; en Serbie ,
Milosch et ses compagnons étaient des éleveurs et des marchands de porcs. D'innom-
brables troupeaux de ces animaux , presque à l'état sauvage , s'engraissaient de
glands dans les vastes forêts de la région centrale, la Schoutjiadia. On les amenait
par grandes bandes vers la Save et le Danube et on les vendait à l'Autriche et à la
Hongrie. Maintenant ces forêts sont dévastées , et le porc américain a pénétré par-
tout. Pendant 1881, on transportait encore 325,000 porcs gras ou maigres. Certaines
zones de la Serbie sont roiiommécs pour leurs animaux domestiques : les plaines de
la Koloubara et la basse Morava pour leurs chevaux : Resavska pour ses bœufs :
Krivoviv, Visotehka, Piror et Labska pour leurs moutons. En somiue, la richesse en
bétail est représentée i)ar les chiffres suivants : 82(5,.550 bêtes à cornes, 122,500 che-
vaux, 3 millions 620,750 moutons et 1,067,940 porcs; mais cette richesse ne suit pas
le mouvement de la population elle-même. Considère-t-on les anciennes provinces
serbes, sans compter les districts annexés par le traité de Berlin, qui ont 280,000
habitants, on trouve que la population s'élevait à 1 million 1859, à 1,215,576 en 1866
et à 1,516,660 en 1882. L'accroissement annuel est donc d'environ 9,2 0/0, ce qui
donne une période de doublement de cinquante ans , comme en Angleterre et en
Prusse. En même temps , de 1859 à 1882, le nombre des bêtes à cornes tombait
de 801,296 à 709,000, celui des chevaux de 139,000 à 118,.500 , celui des porcs de
1,752,011 à 958,440. 11 n'y a que le chiffre des moutons qui augmente un peu : il a
monté de 2,385,458 k 2,832,500. Toutefois , le rapport entre le chiffre du bétail et
celui de la population est beaucoup plus satisfaisant ici que dans les pays occiden-
taux , car en réduisant le nombre des animaux domestiques en tètes de gros
bétail , on arrive au total de 1,400,000 pour 1,516,650 habitants, ce qui fait presque
une tête par habitant. C'est la même proportion que dans la Bosnie- Herzégovine ,
qui avec 2 millions d'hectares de plus, n'a que 1,158,458 habitants au lieu de
1,820,000. Il faut aller dans les pays récemment occupés , comme l'Australie et les
Etats-Unis, pour trouver une proportion aussi favorable. De là, on peut conclure que
les Serbes maiigont généralement de la viande à l'un de leurs repas , quand ils ne
sont pas obligés par leurs pratiques religieuses de faire maigre , ce qui leur arrive
plus de cinquante jours par an. Alors ils se contentent de maïs et de fèves.
Les hommes d'État serbes se montrent très préoccupés d'importer chez eux l'in-
dustrie manufacturière , et à cet effet , ils ont fait voter en 1873 une loi spéciale per-
mettant au gouvernement d'accorder aux entreprises industrielles qui s'établiront
en Serbie un monopole exclusif, dont la durée peut être de quinze ans , et en outre
des faveurs de diverses sortes : des terres, des bois, des exemptions de droits d'im-
portation sur les machines. Quelques concessions de monopole ont été demandées ,
mais ces entreprises n'ont guère réussi. La seule qui fasse exception est une grande
fabrique de draps, établie à Paratchine par une maison morave. Mais l'Etat lui prend
tous les draps nécessaires à l'armée, et il les paie 10 0/0 de plus que le prix le plus
bas soumissionné par d'autres fournisseurs. Gela constitue une lourde charge pour
les contribuables, et sans profit pour personne, pas mênie pour les ouvriers, le.squels
reçoivent un salaire minime variant de 0 fr. 40 à 1 franc pour les femmes ; de 1 fr. 50
à 2 francs pour les hommes.
M. de Laveleye proteste en termes très vifs contre de pareils errements ; il déclare
qu'à son sens les hommes d'État serbes poursuivent une chimère dangereuse en
voulant acclimater chez eux . dès à présent , la grande industrie. « Dans un pays ,
dit-il , oii chacun est propriétaire et cultive sa propre terre , l'heure de l'industrie
manufacturière n'est pas venue : il manque le prolétariat pour lui fournir la main-
d'œuvre à bon marché par la concurrence des bras. Au lieu de se féliciter d'une
— 376 —
situation économique si heureuse, qui permet à tous de mener la vie saine de. la cam-
pagne et de se procurer par le travail agricole un bien-être suffisant, le gouvernement
serbe s'eflforce , au moyen de primes , de protection et de privilèges , de créer une
industrie factice, contre nature, plus exposée encore que la nôtre aux cruelles crises
dont nous souffrons périodiquement. Quelle aberration ! Elle est dictée par cette idée
qu'un pays oii manque la grande industrie est arriéré , barbare. Même erreur en
Italie. Voit-on s'élever des cheminées de fabrique , on s'en réjouit : c'est l'image de
la civilisation occidentale. Qui profitera de la création de ce-; établissements? Ni
l'État qui leur accorde des faveurs de toute espèce , ni le public rançonné par les
monopoleurs , ni surtout les travailleurs enlevés aux champs et entassés dans les
ateliers. Quelques spéculateurs étrangers s'enrichiront peut-être aux dépens de la
Serbie, et iront dépenser ailleurs le produit net de leurs prélèvements privilégiés. »
Comme nous l'avons dit déjà, le sol , source principale de la richesse serbe, est
dans les mains de ceux qui le font valoir. Il n"y a point de rentiers et d'oisifs et les
villes les plus grandes ne sont que faiblement peuplées. Belgrade n'a que 36,000
habitants et Niseh 25,000. Ensemble , toute la population urbaine ne dépasse pas
200,000 âmes. 11 n'y a point du tout d'aristocratie et peu de bourgeoisie : celle-ci se
compose de négociants, de boutiquiers et de propriétaires de maisons. Les habitants
de la campagne forment les neuf dixièmes de la population , et à. peu près tout ce
dont ils ont besoin — vêtements, meubles, ustensiles, instruments aratoires — ils le
confectionnent eux-mêmes sur place. On ne voit pas bien l'urgence de remplacer les
bonnes et solides étoffes de laine du pays et les solides chemises de lin brodées ,
appropriées au climat et si pittoresques , que les Serbes fabriquent eux-mêmes, par
des cotonnades à boa marché, imitées de celles de l'Autriche et de rAUemagiie. Tout
manque donc ici jusqu'à présent pour favoriser le développement de l'industrie
manufacturière : les marchés urbains , les consommateurs et le personnel ouvrier.
Ce développement , d'ailleurs , se heurterait à un autre obstacle. Effectivement,
l'Autriche s'est fait accorder des avantages exceptionnels par le récent traité de
commerce de 1881. Afin de faciliter les échanges des populations habitant des deux
côtés de la frontière dans une certaine zone , l'Autriche a adopté de commun accord
et sans condition de réciprocité , avec quelques Etals limitrophes , un tarif de faveur
a'ppelé Grenz Verhehr Tarif. Le tarif différentiel arrêté avec la Serbie réduit pour
certaines marchandises les droit de douane à la moitié de ceux payés par la nation la
plus favorisée ; mais au lieu de limiter la zone à laquelle doivent être réservées ces
facilités, le traité austro-serbe de 1881 les accorde au produits qui sont directement
importés du territoire douanier de la monarchie austro-hongi-oise, par les frontières
communes. Les droits de douane , généralement faibles déjà , se trouvent ainsi très
réduits, et les fabriques serbes rencontrent une concurrence qui leur devient bientôt
fatale. Les patriotes serbes s'indignent de ce qu'ils appellent un asservissement
commercial à l'Autriche. Les autres nations, fait remarquer à ce propos M. de
Laveleye, ont le droit de se plaindre de cette prime exorbitante accordée à un État
que favorise déjà sa proximité même ; car sur lé total du commerce extérieur de la
Serbie, s'élevant en 1879, pour les importations et les exportations, à 8(5 millions de
francs, les échanges avec l'Autriche montaient à 65 millions. Quant à lui, il trouve à
cet arrangement un grand avantage pour les Serbes : « 11 les préserve d'être enfer-
més — ce sont ses propres termes — dans des ateliers insalubres et exploités par
des manufacturiers privilégiés. »
Aussi bien, un rapport récent du consul d'Autriche-Hongrie à Belgrade, fait-il
ressortir , sans y mettre de façon , cette sorte de vassalité commerciale de la Serbie
vis-à-vis de sa puissante voisine. « La Serbie, dit M. de Wysocki , est , par sa situa-
tion, attribuée presque entièrement à l'Au triche-Hongrie, et elle le sera encore long-
- :n7 -
temps. Le long de sa frontière septentrionale , la Serbie a trois grands moyens de
communication : le Danube, la Save et In Staatsbahn, qui lui imposent impérieuse-
ment rAutriche-lIongrio comme débouché et couinie source d'importations. » Cette
affirmation est confninée par les chiffres qui ex|)nment, le commerce international de •
la Serbie en 1880 : importation , 59,090,26;^ francs ; exportation , 31 ,685,."^);^ francs ;
transit, 1,504,877 francs : total, 90,826,693 francs. Importation d'Autriche - Hongrie :
38,151,904 francs; exportation en Autriche- Hongrie, 24,376,208 francs; total,
62,528,112. francs. Reste donc pour tous les autres pays 27,758,581 francs. En 1882,
l'exportation a représenté 13,990,000 francs pour les poi-cs , 14,246,270 francs pour
les pruneaux, 6,083,600 francs pour le froment, 2,584,660 francs pour les vins,
8,101,770 francs pour la laine , soit un total de 45 millions environ. M. de Lavcleye
ne donne point riiidication de l'importation : rnnis il fournit sur la i)r()gression du
mouvement commercial en Serbie des renseignements qui ne manquent pas d'inté-
rêt : 13 millions de francs en 1842; 22 millions en 1852 ; 28 millions en 1862;
67 millions en 1867 et 90 millions en 1880.
Le centre industriel le plus important de la Serbie ne lui appartient ]jas depuis
longtemps : c'est Pirot , chef- lieu de la seconde province attribuée à la Si rbie par le
traité de Berlin. Située dans une plaine , entourée de collines cultivées , mais très
nues , Pirot s'étend sur les rives d'une rivière bordée de saules. Elle a encore tout
l'aspect d'une ville turque : ses rues sont formées d'échoppes basses et complètement
ouvertes ; dans les unes on voit travailler les artisans , dans les autres le marchand
est assis , les jambes croisées , au milieu de ses objets a vendre. Presque tous les
Turcs ont émigré. Aussi les mosquées et le bain — hammam — tombent-ils en
ruines. L'église principal du rite oriental est très intéressante ; elle est ancienne et
contient des bois sculptés , des icônes et quelques tableaux qui semblent dater du
moyen-âge. Elle n"a rien d'ailleurs qui l'annonce à la vue, pas de clocher ; un grand
mur sans fenêtres la cache entièrement aux passants. Le préfet de Pirot, qui accom-
pagnait M. de Laveleye , lui fit remarquer avec orgueil qu'on n'avait pas perdu de
temps dans cette ville pour s'occqper de l'instruction publique, si dédaignée, pour ne
pas dire nulle , pendant la domination turque. Us visitèrent tous les deux l'école
primaire installée dans une ravissante maison turque à vérandah et à plafond en bois
sculpté. Les murs étaient couverts de cartes géographiques, de tableaux d'histoire
naturelle, voire même d'anatomie humaine. Plus loin, se trouve le gymnase, subven-
tionné à la fois par la ville et le département. Le.s l)ons élèves obtiennent une bourse
de 24 francs par mois et des livres. Pour une population de 14,000 habitants , le
nombre total des élèves s'élève à 700.
Les habitants de Pirot conlectionnent des tapis d'un genre tout spécial , et qui
portent le nom de leur localité. Ils sont de basse lisse , sans poils redressés , assez
minces par conséquent, mais semblables des deux côtés et inusables. Leurs dessins,
oii dominent le rouge , le blanc et le bleu , sont d'un goiit admirable. Ces couleurs ,
autrefois , étaient pour ainsi dire indestructibles ; malheureusement, les fabricants
commencent à employer l'aniline , et elles s'altèrent plus ou moins promptement.
Les femmes, presque dans chaque famille , font de ces tapis entièrement à la main ,
sans même employer la navette. La chaîne est tendue perpendiculairement et l'ou-
vrière , accroupie , y fait passer le fil de la trame , sans modèle et pour ainsi dire
d'inspiration. Leur gain est des plus modiques : il ne s'élève qu'à 30 ou 40 centimes,
pour douze heures de travail. II est vrai qu'à Pirot, éloignée de tout débouché
commercial , le coiît de l'existence est extrêmement bas ; ainsi un poulet ne coûte
queOfr. 50;un dindon 1 fr. 50 ; les œufs 18 centimes la douzaine. Les tapis de
Pirot, eu égard à leur bonne qualité , sont extrêmement ion marché : 10 à 12 francs
le mètre carré. On en fait sur commande de toute grandeur ; ils sont très recherchés
- ^8 -
en Bulgarie et eu Turquie ; mais la Bulgarie, pour favoriser la fabrication de ce tapis
chez elle et peut-être aussi pour se venger de ce qu'on lui a enlevé un district qu'elle
prétendait bulgare, a frappé l'importation de ces tapis d'un droit très élevé, accom-
' pagné, dit-on, de vexations de toutes sortes.
«. Si j'essaie de résumer , dit M. de Laveleye , l'impression que me laissent mon
séjour en Serbie et l'étude des documents qui m'ont été fournis, j'arrive à cette conclu-
sion que la nation serbe est une des plus heureuses de notre continent , et qu'elle
possède tous les éléments d'un brillant avenir. Elle réunit les conditions de la vraie
civilisation, de celle qui apporte à tous moralité , liberté , lumières et bien-être. Ici
ont survécu des autoaomies locales et des libertés communales rattachées au passé»
tandis que dans notre Occident , nous devons les reconstituer et leur donner une vie
nouvelle. La production de la richesse est encore limitée , mais toutes les familles
vivent sur une terre qui leur appartient. Un certain bien-être est le lot de chacun, et
l'on ne rencontre point ce poignant contraste, très fréquent chez nous, entre l'extrême
opulence et l'extrême dénûment. » Bref, M. de Laveleye augure très bien de l'avenir
du peuple serbe ; seulement, il discerne sur l'horizon politique deux points noii'S : la
convoitise des places officielles et des fonctions publiques, qui n'est pas moindre en
Serbie qu'en France , ainsi que le développement toujours croissant de la dette
publique. 11 redoute encore, et non sans raison, comme en témoigne et trop éloquem-
ment la guerre déclarée par la Serbie à la Bulgarie , sans rime ni raison , c'est bien
le cas de le dire, les visées trop ambitieuses de certains hommes d'Ktat serbes, et les
aspirations d'une partie de la nation elle-même.
Il y a effectivement à Belgrade des patriotes exaltés qui rêvent la renaissance ,
dans un avenir plus ou moins prochain, de l'empire de Douchan. D'autres espèrent
qu'un État serbo-croate réunira un jour sous sa domination toutes les populations
parlant la même langue : les Croates , les Serbes, les Slovènes , les Dalmates et les
Monténégrins. Ce sont là, selon toute probabilité, pour longtemps encore, pour tou-
jours peut-être de pures illusions. Les patriotes plus rassis et plus pratiques envi-
sagent un résultat plus vraisemblable et plus prochain. C'est l'annexion de la Vieille-
Serbie, cette pointe septentrionale de la Macédoine, au sud de Vrania, qui comprend
le théâtre de la grandeur et de la chute de l'ancien royaume serbe : Ipek, la résidence
des anciens patriarches ; Skopia, oii Douchan plaça sur sa têie la couronne impériale
de toute la Roumanie ; Detchani , le tombeau de la dynastie des Némanides , et
Kossovo, le champ de bataille épique, oii le croissant triompha définitivement. Une
partie de la Vieille-Serbie a été déjà conquise en 1879 ; elle compose aujourd'hui les
trois départements de Nisch , de Vrania et de Prekopljé , mais le reste appartient
encore à la Turquie et demeure sous la domination de ces Arnautes , dont un voya-
geur anglais, M. Arthur Evans, qui connaît bien cette partie de la péninsule balka-
nique , presque inaccessible aux Européens, trace un fort vilain portrait. « Le.>
Arnautes de la Vieille-Serbie sont sans contredit les plus fanatiques et les plus
turbulents des musulmans. Toujours les armes à la main , ils portent sur eux un
véritable arsenal, car dans leurs larges ceintures en cuir, ils ont généralement deux
pistolets, un et quelquefois deux kandjiars. A cette ceinture, les Arnautes accrochent
trois cartouchières ou boîtes en métal ciselé de dimensions différentes , et dans
lesquelles ils mettent les balles, la poudre et les amorces. Une baguette en fer ,
terminée par un aimeau en cuivre ouvragé et qui sert à bourrer leurs pistolets ,
complète leur attirail guerrier. Lorsqu'ils sont en expédition ou qu'Us voyagent,
les Arnautes portent toujours un immense fusil à crosse de cuivre plein. »
— ;j7*,t
ASIE.
Un reeensenicnt cil Trauscaucawic. — I^'aniiée dernière, les autorités
russes ont entrepris un recensement de la population du Caucase dans le but de
déterminer le nombre déjeunes gens, âgés de vingt ans, soumis au service militaire.
La population chrétienne fournit seule le contingent, la population musulmane paye
une taxe d'exemption , conformément à la loi dernièrement votée. Les Cosaques ,
dans les provinces de Terek et de Kouban , n'ont pas été soumis à ce recensement ,
leur prestation militaire se faisant sur d'autres bases , ni la population civile de
Stavropol , qui a déjà été soumise au service militaire obligatoire en vertu de lois
antérieures. Bien que toutes les données ne soient pas encore connues, il est
possible de déduire des comparaisons curieuses entre le nombre de la population
recensée cette fois, et celle obtenue lors du dernier recensement fait, il y a
treize ans.
Par l'examen des registres tenus dans les églises paroissiales et les mosquées du
gouvernement de Tiflis , il a été possible d'arriver à cette conclusion , que pour la
période de cinq années (1875-1880) l'augmentation moyenne naturelle de la popu-
lation entière de toutes les nationalités , dans cette province, est égale à 1 : 5 p. c.
par an ; ce qui porte à croire que pendant les treize années écoulées , depuis le der-
nier recensement, la population du Caucase s'est accrue d'environ 20 p. c. En effet,
comme le démontrent les chiffres obtenus au dernier recensement, le taux d'augmen-
tation est considérablement supérieur à celui des gouvernements de Tiflis et de
Kutaïs. Le taux actuel d'augmentation dans la population pour les treize dernières
années est comme il suit : Pour le gouvernement de Kutais, 17 p. c. : dans celui de
Tiflis, 19 p. c. (ces gouvernements ayant la plus dense population, la raison du taux
d'accroissement , relativement lent , est suffisamment visible) ; dans celui de Baku .
24 p. c. ; dans celui d'Erivan. 26 p. c. ; et dans celui d'Elizabetopol , 33 p. c. d'aug-
mentation moyenne des cinq gouvernements transcaucasiens est de 23 p. c. pour les
treize années , ou 1,77 p. c. par an , résultat que l'on doit considérer comme très
satisfaisant. Une chose qui mérite une attention spéciale et que l'on doit considérer
comme un fait très satisfaisant , c'est que cette augmentation considérable dans la
population tombe , pour la plus plus grande partie , sur les districts habités par les
Tartares , dont la nationalité disparaît rapidement dans l'Empire turc. Un examen
plus détaillé des facteurs particuliers de la population montre que , même dans cer-
taines places, comme, par exemple, dans le gouvernement d'Erivan , l'augmentation
de la population tartare est plus forte que l'augmentation correspondante de la popu-
lation chrétienne. Le taux d'augmentation pendant les treize années parmi ces deux
parties différentes de la population , était le suivant : Dans le district de Nakhitchi-
van, les chrétiens (Arméniens) se sont accrus de 19 p. c. ; les Tartares de 26 p. c. ;
dans le district de Novobagazid , les chrétiens (Arméniens et Russes) se sont accrus
de 35 p. c. et les Tartares de 42 p. c. ; dans le district de Alexandropol, les premiers
(Arméniens et Grecs), 27 p. c, et les derniers (Tartares et Kurdes), 32 p. c.
Le dernier l'ecensement peut être considéré comme satisfaisant quant aux résul-
tats obtenus tant au point de vue de l'exactitude que de la supputation. C'était la
première fois qu'une distinction exacte avait été établie entre les différentes sectes
de mahométans. Le nombre supputé de la population dans la Transcaucasie , si l'on
admet une augmentation de 3 p. c. durant les treize dernières années , doit être
quelque chose comme 4,515,155; y compris les provinces de Kars et de Batoum.
27
— :m) —
AMERIQUE
Groëulaufl. — Population. — Le Dagblad de Copenhague , donne comme
chiffre de la population au Groenland, fin 1885, 9,914 habitants , dont 4,676 hommes
et 5,328 femmes. Il y a 4,414 habitants (dont 2,U9 hommes et 2,295 femmes) dans
la partie septentrionale, et 5,500 (dont 2,557 houmies et 2,943 femmes) dans la partie
méridionale. Dans le cours de Tannée 1885, la population s'est augmentée de 86 indi-
vidus dans le nord et de 31 dans le sud du pays.
Un c-bemin de fer trauMeontiucutal. — D'après le Deutsche Kolo-
nialzeitung, le Paraguay ne tardera pas à être relié à l'Océan par un chemin de fer.
Le général Osborne, bien connu par sa valeureuse conduite pendant la guerre de
sécession , est en pourparlers définitifs pour la constitution d'une Société anonyme
pour la construction d'un chemin de fer ; il s'agit de traverser le continent sud-amé-
ricain du sud-est au nord-ouest , de telle sorte qu'à l'embouchure de Rio-Urug-uay ,
près de Gualeguaychu, on construirait un port d'où le chemin de fer serait mené sur
la rive gauche de l'Uruguay jusqu'au Mout-Gacero ; on pourrait utiliser sur cette
ligne des chemins de fer déjà établis ; du Mont-Gacero la ligne croiserait l'isthme
eati e Uruguay et Paraila , franchirait le Parana près de Posadas . traverserait le
Paraguay pour franchir le Rio-Para^uay dans les environs de Villa-Hayes , et irait
ainsi relier le Gran-Ghaco d'un côté avec la Bolivie , de l'autre avec le Paraguay et
la République Argentine Mais Sucre, la capital de la Bolivie, n'est que le point final
'provisoire de ce chemin de fer, qui aura ainsi une longueur de 1,800 kilomètres ; on
le continuera de là soit vers le Pérou, soit vers Panama. Le capital de 100 millions
de dollars est dès à présent souscrit. On s'est assuré le concours de Hobart, le
constructeur du chemin de fer du Pacifique, qui a déjà établi plus de 9,000 kilomètrss
de chemins de fer dans les États-Unis.
Ge chemin de fer ouvre un nouveau champ à la colonisation. Les journaux
allemands ne se font pas faute d'insister sur ce point et d'indiquer à leurs compa-
triotes ce nouvel exutoire.
Pour les Faits et Nouvelles géographiques non extraits ;
LE SECRÉTAIRE-GÉNÉRAL ,
ALFRED RENOUARD.
— 381 —
TABLE DES MATIÈRES
DU SECOND SEMESTRE DE 1887.
I — Iflciii lires de la Société.
PAOBS.
Sociétaires nouveaux admis dans le courant dé juillet :1887 5
II. — Cours et conférences de Lille.
CoLAKDEAU. — La navigation aérienne 28
Abbé Variot. — Les Pères blancs d'Afrique .* 77
E. GuiLLOT. — A travers les Grisons. — Excursion dans la Suisse orientale. . . 222
GossELET. — Leçon d'ouverture du Cours de Géologie appliquée à la Géographie
professé à la Faculté des Sciences de Lille 355
III. — !§ection de Ronbaim
De Joannés. — La (Trèce et sa situation économique 137
Lefebvre. — Une excursion au Rovaume-Uni 275
1%'. — Section de Tourcoius.
ViBERT. — L'Algérie 6
L. MoNCELON. — Un mot sur la Nouvelle-Calédonie 200
— 382 -
%. — Communications aux assemblées g;énérales.
PAGES.
Faidheebe (général). — Le Soudan français 195
BÉCOURT. — La forêt de Mormal (suite) (avec carte) 240
VI. — Kxeursions.
A. Renouard. — Excursion aux mines de I>ens 331
Gantineau. — Excursion à Cassel 335
Fernaux. — Excursion à Anvers 340
Gantineau. — Exclusion à la sablière d'Ostricourt et à Mons-en-Pévèle 342
A. Renouard. — Excursion à Furnes 348
VII. — Procès-verltaiiiK «les Assemblées générales.
Procès-verbal de rassemblée générale du 28 octobre 1887 351
VIII. — I\ouvelles et faits géographiques.
§ I. — Géographie scientifique. — Explorations et découvertes.
Europe.
France. — Prix Gay 112
Les îles Faroë 363
Asu:
Résultats scientifiques du voyage de M. J. Martin dans la Sibérie orientale ... 44
Merw 47
Progrès des explorations russes dans l'Asie septentrionale 47
Ethnographie de TAssam (Hindoustan) 49
— 3H3 —
PAORS.
Découverte des sources du Soungari en Chine 112
Voyage de M. Carey dans l'Asie centrale H2
Les explorations de M de Percy et Marx ll-^
Le Haut Fleuve Rouge et ses affluents î 1^
La voie fluviale de l'Ob-Yéniséi 1 15
Au Thibet 257
Retour de MM. Bonvalot , Capus et Pépin '^)
Exploration de M. le colonel Surtecs sur la Terre de Madian 301
Départ de M. Bobyz pour la région dos monts Saïawsky 301
Afrique .
Nouvelh^s de l'expédition Stanley au secours d'Emin-Bey 49
p:i-(;oléah 52
Obock 52
I âbéria 53
Le futur port de Gabès 54
M. Serpa-Pinto 55
Les D" Junker et Schnit/Jer dans l'Afrique centrale 55
Afrique équatoriale. — Missions catholiques 56
Une nouvelle station allemande dans l'Afrique orientale 115
Nouvelles de l'expédition de Stanley au secours d'Emin-Bey. — Annonce de la
mort de Stanley 115
Quelques détails sur Tippo-Tip 116
Nouvelles d'Émin-Bey IH
Les Allemands sur la côte orientale 117
Découverte du Lokémé par MM. les lieutenants Tappenbeck et Kund 118
Détails inédits sur la mort du lieutenant Palat lit'
Limites de la Tuuisio et de la Tripolitaine 119
Les fleuves souterrains de la région des Ghotts 120
Une factorerie française dans l'Ubandji 120
L'Espagne dans le Sahara occidental 120
Les Espagnols dans la mer Rouge 122
Situation actuelle de l'Etat indéjiendant du Congo 122
Les Allemands dans le sud-ouest de l'Afrique 163
Les possessions italiennes sur la mer Rouge 163
Les Mang'anja et les Yao (Afrique orientale) 163
Missions belges.pour le Congo 164
Nouvelles annexions allemandes dans l'Afrique orientale 164
Retour de l'expédition Len/ 165
Limites du Congo français 257
Extension du protectorat allemand dans le sud-ouest de l'Afrique 258
Annexions anglaises 258
Limite des possessions française et allemande sur la côte des Esclaves 258
Exploration de ISl. R.-D. Brow ne dans l'Afrique méridionale 301
Exploration du Kouango par M. G. Grenfell 301
M. le D" Hans Schinz dans la République Upingtonia 302
L'Ambas-Bai aux Allemands 302
Exploration de lOubangi par M. le capitaine Van Gelé 30:i
— 384 —
PAGES.
Nouvelles de Stanley 364
Les frontières des colonies françaises et allemandes dans l'Afrique occidentale. 365
Concession du lac Assal à M. Ghefneux 366
Le pays des Betjouanas 366
L'île de Tristan d'Acounha 367
Amérique.
Les frontières du Paraguay et de la République Argentine 57
La colonisation allemande dans l'Amérique méridionale 58
Accroissement de température dans les mines du Lac Supérieur 58
Découverte de l'Ikpikpuk par M. Howard ■125
Nouvelles de M. Thouar 126
Navigabilité de la baie d'Hndson 126
Exploration de M. Cliaffaujon dans le Haut-Orénoque 167
Publication d'un atlas de la République Argentine ... 259
Les sources du Mississipi 259
Traversée du Labrador par M. E. Peck 259
Nouvelle mission de M. H. Goudreau 259
La délimitation des frontières Venezuelo-Brésiliennes 303
Projet de canal interocéanique au Nicaragua 303
Alaska. -- Explorations nouvelles 304
Résultats de la luission M. C Moyano 304
Vallées sous-marines de la côte du Pacifique 367
OcÉANŒ .
Voyage de M. John Douglas dans la Nouvelle-Guinée 167
Les sources de la rivière Finke en Australie 260
Les races et langues de la Mélanésie 260
Explorations en Nouvelle-duinée 305
Les Etats-Unis dans le Pacifique 305
RÉGIONS POLAIRES.
Explorations antarctiques 368
La température probable du Pôle 368
§ IL — Géographie commerciale . — Statistiques et Faits économiques.
Europe.
La préparation de l'eau de fleurs d'orangers dans le midi de la France 59
Li^s industrie? textiles en Italie 60
_ ;«5 —
PAOIiS*
L'industrie de la paille en Italie. 66
L'émail en Allemagne 66
L'immigration étrangère en Angleterre 67
La dépopulation du département des Basses-Alpes 128
Situation économique de la Bosnie et de l'Herzégovine 305
Le canal de la mer du Nord à la mer Baltique 310
Ressources naturelles et situation économique de la Serbie 373
Asie.
Les chemins de fer du Japon 68
Chemins de fer en Perse 68
La houille du Tonkin 68
La production du sagou .... 68
Le pétrole du Caucase 72
Les chemins de fer du Tonkin 129
Les chemins de fer en Orient 130
Convention entre la France et le royaume de Siam 132
Les ports du Tong-King 133
Situation économique et financière de l'Inde anglaise 168
Le chemin de fer de Quettah 173
Bakou et le bassin pétrolifère de la Caspienne 262
Commerce et finances du Japon 268
Culture de la vigne au Japon 272
Le transport de l'or en Sibérie 313
Le commerce de l'Annam et du Tonkin en 1886 313
Un recensement en Transcaucasie 379
Afrique.
Ce qu'ont coûté nos colonies d'Afrique 73
Commerce avec le Gabon ; 74
Les mines d'or du Transwaal 73
Ports algériens • • • • 316
Commerce de l'État libre du Congo et de la colonie du Gabon en 1886 317
Le commerce d'importation avec Madagascar 318
Amériqtje.
L'exportation des locomotives des État-Unis 7G
L'émigration dans la République Argentine 134
Le trsdté d'union entre les Républiques du centre Amérique 135
Avenir économique d'Haïti 173
La condition présente du Brésil 17 J
— 386 —
P\OBS
Les ressources économiques de TUrugay 185
Les Etats-Unis et Timmigration 191
Ressources et état économique du Mexique 319
Groenland. — Population 380
Un chemin de fer transcontinental 380
OCÉANIE.
Extraction de l'or en Australie 274
Situation économique des îles Marquises et de Taïti 325
Lille Imp.LDaiMi.
vinuliNU :dl_ . I . JUL 1 4. wwf
G Société de géographie
11 de Lille
S56 Bulletin
t. 7-8
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