Skip to main content

Full text of "Bulletin"

See other formats


HANDBOUND 
AT  THE 


UMVERSITY  OF 
TORONTO  PRESS 


Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2009  with  funding  from 

University  of  Ottawa 


http://www.archive.org/details/bulletingeo07sociuoft 


10  j 


BULLETIN 


/  / 


80C1ETE  DE  GEOGRAPHIE 

DE   LILLE 


(bulletin  ) 


DE  LA 


r  r 


SOCIETE  DE  GEOGRAPHIE 


E   LILLE 


PREMIER  SEMESTRE  DE  1887 


Huitième  Année.  —  Tome  Septième. 


LILLE 

IMPRIMKRIE     L.      DANEL 


1887. 


II 

ôSG 
t.  7-ê 

621-735 


PRÉSIDENT   D'HONNEUR. 

M.   le  Général    Fâidherbe,    G.    C.    5fe,   I.    Q, 

Ancien  Gouverneur  du  S(^négal  et  Gén(^ral  en  chef  de  Tarniée  dn  Nord,  S(:'nateur  du 
Nord,   Grand  chancelier   de   la    L(''gion  d'Honneur,  Jlembre  de  l'inslilut. 


MEMBRES    D'HONNEUR. 

MM.  I{\Y0L  (docteur) ,  A.  %}.  4«.,  lieutenant  gouverneur  du  Sénégal. 

Brock  (docteur),  G.-C.  Hhi  ï-  il-  0.  î%»  ancien  ministre  de  la  marine  et  des  postes 

de  Norwège. 
Dupiiis,  ^,  explorateur  du  Tong-Kin. 
Debidour,  :^,  professeur  à  la  Faculté  des  lettres  de  Naucy,  président  de  la  société 

de  géographie  de  l'Est. 
De  LÊsskps  (F),  G.  C.  î(!^  4*  •!*»  membre  de  l'Académie  française. 
FoNciN,  ^.  I.  ij.,  inspecteur  général  do  l'enseignement  secondaire,  fondateur  et 

ancien  président  de  l'Union  Géographique  du  Nord. 
GtiiLLOT  E..  A.iy,  professeur  agrégé  d'histoire  au  lycée  Charlemagne,  ancien  secré- 
taire-général de  la  Société,  secrétaire  de  la  Société  de  Géographie  commerciale 
de  Paris.  .  , 

H\RM\ND  (docteur),  3^.  4-.,  vice-président  de  la  Société  de  Géographie  commerciale 

de  Paris,  consul  général  de  France  à  Calcutta. 
Levasseib,  0.  ^,  G.  >^>^,  membre  de  l'Institut,  professeur  au  Collège  de  France  et 

au  Conservatoire  des  Arts  et  Métiers. 
S\voRGN\N  DE  Brazza  1*. ,  0.  ►f«,  ^,  lieutenant  de  vaisseau,  chef  de  mission  au 

Congo 
SuÉRUS,  professeur  agrégé  d  histoire   au  lycée  Jeanson  de  Sailly,  ancien  secrétaire- 
général  de  la  Société. 
Wiener,  ^,  consul  de  France  à  Santiago  du  Chili. 


MEMBRES  CORRESPONDANTS 

MM.  Barbier,  %}  I.,  secrétaire-général  de  la  société  de  géographie  de  l'Est. 
BÉcouRT,  ^,  inspecteur  des  forets  au  Quesnoy. 
BoNvARLET,  ►f",  président  du  Comité  flamand  de  France,  consul  de  Danemarck  à 

Dunkerque. 
CossERAT,  censeur  des  études  au  Lycée  de  Lons-le-Saulnier. 
Delamare,  0.  ^,  Q  1.  C.  >^,  lieutenant-colonel  au  82"  de  ligne,  à  Montargis. 
Des  Chenais  ,  René  (labbé) ,  »^  G.  0  ,    professeur    à   l'Institut   des  missions 

africaines    à  Vérone  (Italie). 
DuRAFFouR,  capitaine  au  80"  de  ligne,  à  Tulle. 
Gal'Thiot,  a.  y,  ►J"  ^,  secrétaire  général  de  la  Société  de  géographie  commerciale 

de  Paris. 
Haciiisika  (le  marquis),  0.  ^  ►f»  Hh^  niinistre  plénipotentiaire  du  Japon  à  Paris. 
L.\LLEMAND  (Frauçois),  1^  0.,  imprimeur  de  la  Cour,  à  Lisbonne. 
Leblond  (Adrien),  professeur  au  lycée  de  Montréal  ^Canada). 
MiLLOï  ,  ^,  explorateur  du  Tong-Kin. 
MoNNER  Sans,  'i*  0.,  consul  général  de  Hawai,  à  Barcelone. 
MoNTEiL,  A.  Q,  capitaine  d'infanterie  de  marine,  à  Paris. 

OuKAWA,  ^,  ancien  chargé  d'affaires  et  secrétaire  de  la  légalioii  du  .lajion  à  Paris. 
Thouar  (A.)  A.  y:,  e.xplorateur  du  Gran-Chaco,  à  St-Martin  de  Ré- 


—  6  - 

BUREAU  DE  LA  SOCIÉTÉ. 

MM. 

Président Crepy-Danel  (Paul),  ^,  Hh  ^'  i  ^  -^•'  négociant,  vice-consul 

(le  Portugal,  administrateur  de  la  Banque  de  France. 
Vice -Présidents Bossut  (Henri),  négociant,  président  du  Tribunal  de  Com- 
merce de  Roubaix. 
Brunel,   5^:,  i)  I.,  ^  inspecteur  d'académie,  direcleur  de 

l'enseignement  primaire. 
DÉJARDIN,  avocat,  ancien  administrateur  des  hospices,  député. 
F.vrcHER ,  ^,  A  Q,  ingénieur  en  chef  des    poudres  et   sal- 
pêtres, lauréat  de  l'Institut. 
M  vsuREL  (père),  prés,  du  Tribunal  de  commerce  de  Tourcoing. 

Secrétaire  Général RE>"OUARD(Alfred),  ingénieur  civil,  manufacturier,  vice-consul 

dTtalie,  secrétaire-général  de  la  société  industrielle  du  Nord. 
Secret,  (jénérai  adjoint  ..  Eeckmvn    (Alex.),   négociant,  membre  de   la  commission  du 
musée  industriel  et  colonial  et  correspondant  de  la  So- 
ciété de  géographie  de  l'Est. 

Secrétaires Crépin  (H.),  inspecteur  des  Postes  et  Télégraphes. 

DuFLOs-DE  Mallortie,  homme  de  lettres. 

Trésorier I-romont,  (Auguste),  homme  de  Ici  très 

Bibliothécaire  Van  He.noe,  Q  I.,  vice-président  de  la  Comnnssion  historique 

du  département  et  de  la  commission  des  musées  de  la  ville. 
Archiviste Ol  arré-Reybourbon,  Q  A,  propriétaire,  membre  de  la  Com- 
mission historique  du  Nord. 
Conservateur  des  appareils  Damie.n,  A,  Q,  professeur  adjoint  à  la  l-aculté  des  Sciences, 
scicnUfiques  de  la  Société      secrétaire  de  la  Société  des  sciences  et  arts  de  Lille. 

Comité  d'études   Bère,  ingénieur  de  la  manufacture  des  Tabacs 

Deh\isnes    (le  chan.j,    ^J.  I.,  archiviste  départ'  honoraire. 

président  de  la  Commission  historique  du  Nord. 
Delessert-De  Mollins,   homme  de  lettres,  à  Croix. 
Uescamps  (Ange),  manufacturier  à  Lille. 
liuBURCQ  (Victor),  manufacturier,  à  Roubaix. 
Epinay,  Q  a.,  professeur  d'histoire  au  lycée  de  Lille. 
Faiduerbe  (Aristide^,    1.    '4|,    conseiller  d'arrondissement , 

adjoint  au  maire,  à  Roubaix. 
GossELET,  i^,  I.  i},  professeur  à  la  FaciiKé  des  Sciences.,  cor- 
respondant de  l'Institut. 
Hedde,  vice-président  du  Tribunal  civil. 
JACQn.N,  inspecteur  de  l'exploitation  au  Ch.  de  fer  du  Nord. 
Junker,  tilateur  de  soie  à  Roubaix. 

Li;burque-Comerre(Oscvr),  négociant  en  lissus  ,  a  Roubaix. 
.MvMET,  l.  %),  |)rofesseur  agrégé  d'histoire,  ancien  élève  de 

l'école  d'Athènes. 
-Merchier,  |)rofesseur  agrège  d'histoire  au  lycée  de  Lille. 
Millier  (Albert),  négociant  en  lins  à  Lille. 
Nicolle-Vkrstraete,  ^,  ancien  lieutenant  de  vaisseau,  ma- 
nufacturier à  Lille. 

ScRivE-LovEii,  *i*  C  ,  (Jules),  manufacturier,  membre  de  la 

Chambre  de  Commerce  à  Lille. 
Tu-MANT,  A.  Q  dirccteurde  l'école  primaire  supérieure  de  Lille 
Verlv,!],  ^,  publicisle,  membre  de  la  Commission  historique 
Warin.  propriétaire,  vice-président  de  la  Commission  admi- 
nistrative des  Hospices. 


DÉLÉGUÉS  DES  SECTIONS 

Faisant    partie   de    droit    du    bureau. 

Arnieiilieres  :   M.   Victor  Poiciiain,  industriel,  maire. 

Baillcul  :  M.  Ignace  de  Cousskmackkr,  propriclaire,  adjoint  au  maire. 

Tourcoing  :  M.  François  Masurel,  président  du  Tnl)urial  de  commerce  de  Tourcoing. 

1(1.  M.  Paillard-Lf.long,  in-sorier  de  la  Caisse  d'('|)argnc. 

Valemicnnes  :   M.  Doitiuai;x,  avocal,  ancien  bâtonnier  de  l'oidre,  juge  suppléant 
au  tribunal  civil. 
Id.  iM.  Foucart,  Paul,  avocat. 


COMMISSIONS. 

Le  président  de  la  Société,  le  secrétaire-général  et  le  se:retaire-general-adjoint 
font  de  droit  partie  de  toutes  les  commissions. 


I'   COMMISSION    DU    BULLETIN  ET  NOUVELLES  GEOGRAPHIQUES. 


-MM.  Renouard,  (Alfred),  président. 

Quarré-Reybourbon,  a.  y!,  rap- 
porteur. 

Delessert. 

DuBURCQ  (Victor). 

DCFLOS  DE  MVLLORTIK. 


MM.  Foucart,  Paul. 

Leburqle-Commere. 
Mamet,  I.  Q. 
Les  Conférenciers. 
Les  délégués  aux  Congrès 


2"  COMMISSION    DES    PRIX  ET  RECOMPENSES 


MM.  Brunel  ,  ^,  1.  il,  §,  président. 
Jacquin,  rapporteur. 

BÉRE. 
BOSSUT. 

Damien,  a.  %}. 

ÉPINAY,  A.  y. 

Faidhebbe,  Aristide,  I.  '^■ 


MM.  F.ucuER. 

JUNKER. 

Leburque. 
Mamet,  I.  %). 
Qlarrk-Reybourbon. 

TlLMAiNT,  A.   %}. 

Van  Hende,  I.  i}. 


3*"  COMMISSION  DE  L'EXAMEN  DES  OUVRAGES,  CARTES  ET  APPAREILS 


MM.  Faucher,  ^. 
BÈRE,  rapporteur. 
Damien,  A.  Q. 
Dehais.nes. 


MM.  QuARRÉ  Reybourbon,  a.  Q. 
BoiviN,  adjoint. 
Helluv. 
Trouhet. 


-  8  — 


iT  COMMISSION  DES  FINANCES 


MM.  Descamps  (Ange),  présideut. 
Warin,  rapporteur. 
Uedde, 


MM.  (Albert)  Mullier. 
Verspieren,  adjoint. 


5"  COMMISSION  DES  EXCURSIONS    ET   VOYAGES 


MM.  Crépin,  président. 
.lACQLiN,  rapporteur. 
gosselet,  5%. 
Leburque  Comerue. 
ntcolle-verstraetk,  ^. 
AcHERAY,        adjoint. 
BÉGUIN  (A),         id. 
Cado  fils,  id. 

\V  Castelain  ,    id. 


MM.  Delahodde,  adjoint. 

DrCOUROlTBLE,    id. 

Facq,  Paul.        Id 
Fauchille-Stiévenart,  id. 


Fernaux-Defrance, 

id 

UOUZÉ, 

id 

Lessens, 

id 

T ACQUET,  (G.), 

id 

Werquin  fils, 

id 

6°  COMMISSION  SPÉCIALE  POUR  ROUBAIX 

Giiargéc  de  l'organisaliou  des  cours  et  conféreaces   dans  cette   ville. 


.MM.  BossuT,  (Henri),  i)ri'Si(lent. 
Duburcq  (Victor),  secrétaire. 
Faidherbe,  I.  i}. 
JuNKER,  Charles 


MM.  Lebl'rque-Comerre. 
Ferué,  Cyrille,  adjoint. 
poutignac  de  villars. 
Verspieren. 


r  COMMISSION  SPÉCIALE  POUR  TOURCOING. 
Chargée  de  l'organisation  des  cours  et  conférences  dans  celte  ville. 


MM.  Masurel  ,  François  père ,  pré- 
sident. 
Desurmont,  Jules,  vice-presidenl. 
Pmi.lard  Lelong,  secr«laiie. 


Delmazure,  Ernest 
Destombes,  Emile. 
itiQUEsNOY,  Paul. 
loNGLEZ,  Ch.nrlos. 


—  9 


MEMBRES    FONDATEURS. 

{Ayant  acquitté  une  cotisation  de  200  fr.) 

MM.  Baratte,  officier  d'ailmiiiistration  du  (.roisouiie  Hcnard.    (décédé  à  bord). 
BossuT,  (Henri),  négociant  en  tissus,  vice-pn'sideiit  de  la  Sociélé,  à  Roubaix. 
Crepv  (Paul),  5J^,  ►J«,  A.  il,  négociant,  président  de  la  Société,  à  Lille. 
D\ssonvili.e-Lei»oux,  négociant  en  laines,  a  Tourcoing,  (décède). 
d'Audiffuet  (marquis)  '^ ,  Irésorier-payeur-général  du  Nord,  a  Lille,  (décédé). 
Debruvn,  notaire  honoraire,  rue  Nationale,  -1  i.2,  Lille. 
DELAriRE-I'ARNOT  (C),  propriétaire,  boulevard  Sébastopol,  29,  à  Lille. 
Eeckman,  (Alex.),  négociant,  rue  de  Tournai,  73,  à  Lille. 
Lorent-Lescornez,  lilatcur  de  lin,  rue  Inkermann,  à  Lille 
Mabieu  (Auguste)  ^,  filateur  de  lin,  conseiller  général,  Armentières. 
Renouard  (Alfred),  lilaleur  de  lin,  Secrétaire-général  de  la  Société,  à  Lille. 
ScnivE-LoYER  (Jules),  ►J*,  inànufacluricr,  rue  Léon  Gand)et(a,  à  Lille. 


LISTE  GÉNÉRALE  DES  MEMBRES. 

NOS  d'ins-  MM. 

criptioD. 

Ainieus  (Somme). 

355.     Savary.  pharmacien. 

Auuœiillin. 

1051      Dupas,  instituteur. 

Auziu. 

1058.     Chavatte,  (Eug.),  Ingénieur  des  mines. 

Ai'iiicntièrc»». 

J82.  Bailliez  ,  principal  du  collège  ,  rue  des  Jésuites,  2y. 

1238.  Becquart  (Henri),  fabricant  de  toiles. 

965  Breuvvrt,  brasseur,  rue  de  Flandres,  io. 

912.  Cado  (Edmond),  imprimeur  libraire,  GrandTlace,  2. 

186.  Citas,  négociant  en  toiles,  rue  de  la  Gare,  I. 

943.  CLAnissE-YEiiLEY,   (Célestin),  fabricant  de  linges  damassés,  rue   de    l.illo,  47 

639.  Cardon-Masson,  filateur  de  lin,  rue  Bayart,  7. 

1046.  Debosque  (Emile),  ^,  fabricant  de  toiles,  rue  des  Glatignies,  4 

M  84.  Decaudain  (Victor),  négociant  en  vins,  rue  de  Dunkerque,  83 

1114.  Demanne  (Paul),  commis-négociant,  hôtel  du  Comte  d'Egmonl 

525.  Dervaux,  médecin- vétérinaire,  rue  Nationale,  38. 

189.  Dansette  (Jules),  étudiant  en  médecine,  rue  des  Jésuites,  7. 

187.  Fremaux  (L),  négociant  en  toiles,  rue  de  l'École,  9. 
9fi0.  Grenier,  fabricant  de  toiles,  rue  de  Liile,  60. 

I  UiG.     Lâcherez  (ils,  fabricant  de  toiles,  rue  des  Jésuiies,  IS. 
941 .     l.VMBERT  (Léopold),  fabricant  de  toiles,  rue  de  Lille,  70. 


-  10  - 

N'«dlns-  MM. 

rriplion 

1057.  Lepers  (J.-H.),  fabricant  de  toiles,  rue  des  Glalignies,  10. 

825.  Lescornez  (l'aul~),  brasseur,  rue  de  Flandre,  25. 

1021 .  Lei  RiDVN-Borcin-:,  fabricant  de  toiles,  rue  de  la  Gare,  2. 

184.  M\HiEii-rERi\v  (Aiig.)  ^,  fdateur  de  lin,  conseiller  général,  rue  des  ,lt\suites  7 

9i2  MiELLEz,  fabricant  de  toiles,  rue  de  Strasbourg. 

297.  PoLciiAiN  (Victor),  fabricant  de  toiles,  maire,  faubourg  de  Lille,  14 

983.  OiENNEi.LE,  fabricant  de  toiles,  rue  Bayart,  17. 

940.  ViLLVRD,  ^.,  fabricant  de  toiles,  me  de  Strasbourg,  2. 

As>c(|. 

I26><.     Droui.ers-D'Halluin,  distillateur. 

DfiallIcuB. 

of>2.     De  Coussemakeb,  adjoint  au  maire  ,  propri(Haire. 
919.     HiÉ-l)ELE.\iEu,  maire,  fabricant  de  loilcs 

Bavai 

2'J'i      Crémont,  pharmacien. 

Bci'UC  (Suisse), 

482    Sever    (  le  commandiint  du  génie) ,  0  H^  ,  A.  ij,   «i* ,    attaclié   militaire  a 
l'ambassade  française. 

lié  t  II  II  lie- 
ns     Sv  (Albert),  greffier  au  tribunal. 

BcuTry-lcz'Orchies . 

1169    Laude-Dobignies,  représentant. 

Bofiitou  (États-Unis) . 
032.     Heli.inger,  Commission  Merchant,  82,  l'evonshire-Streel,  Boom,  34. 

Boiilogue-siii'-llcr. 

987    HiîFFiN  (A"* ,  pharmac'en  de  1"^"  classe,  rue  de  la  Tour-d'Ordre  ,  80 

BrcMt  [Finistère 

820.  I.EPOUTRE  fils,  aspirant  (le  marine. 
309.  Lacroix,  chirurgien  de  la  marine. 
(WO.     CviLi.EiiET  ;Henri),  directeur  de  lÉrole  de  télégraphie 

Brciie<|  (Le) 
799.     Moullé-Lamsre,  teinturier  en  ti.ssus. 

Brii^elIcK  [Belgique). 
840.     r\R!MKiNTiER,  avocat,  rédacteur  en  chef  du  Touriste,  boulevard  Anspacli,  10'.'. 


-  H  - 
€alais-Sa!nt  Pierre. 

N"'  d  lus  MM, 

(TiptiOD 

1U9.     BuETON  (Ludovic),  ingénieur-directeur  du  tunnel  sous-marin,  17,  rueSt-Miclu'l. 

Cafiifiiel. 

817      GuiSELiN(Antonin),  négociant  en  vins 

Condc-ïiiir-l'Escaut. 

1239.     Beaumont-Cousin  (Louis),  entrepreneur  de  travaux  publies. 

Croi:&. 

1205.  Cromber  (Henri),  gérant  de  la  Soeiété  anonyme  des  produits  chimiques. 

218.  Pelessert  (Eug),  propriétaire,  iionune  de  lelti es,  membre  du  comité. 

167.  De  Mollins  (S),  arciiitecle  et  entrepreneur. 

314.  Gabrkl,  attaché  à  la  maison  I.  Holden. 

362.  GoFFiN  (Joseph) ,  entrepreneur 

1303.  MoLiN  (L.),  peintre  décorateur. 

250.  Mathieu,  instituteur. 

1022.  Staes-Brame  (V  ),  médecin. 

9o.  TiLMVN  (Lucien),  instituteur  au  l'ont-du-Breucq. 

Uou 

89.     SoioTSMANS  (Paul',  minotier  et  négociant  en  farine.-*. 
1272.     !>i;bruvn  (Fernand),  propriétaire. 

noulicu-Ustaires. 

599.     Derensv,  instituteur. 

ft}r«|uiiiglieiik  li^!». 
"tU'ô.    Jules  Marti.n,  négociant  en  toiles. 

Estalrcs. 

64.     Ga.melin  (Auguste),  tilateur  et  fabricant  de  toiles. 

Foiirinieiit. 

372.     Azambre,  notaire 

l<'oiirnci!>. 

404.    Go.mbert,  chef  d'insUtution. 

Freliu^liieu 

945.    Delecaille  (Pierre),  lllatcur  de  lin 

Frctiu 

798.     Descarpentries  (Eug),  instituteur. 

liauliouriliu. 

77.     BoNZEL  (Arthur),  distillateur. 

Colo.mbier  (Georges),  lilaleur  de  lin. 
1225      Defretin,  architeete. 


-  12  - 

N"  «J'ins-  MM. 

rription. 

686.  D'IiESPEL  (le  comte  Edmond),  propriétaire,  maire. 

705.  Lefkbvue,  professeur  à  l'école  i)rimaire  supi'iieure. 

470.  Lo.HiD.VN  (Victor),  directeur  de  l'école  supérieure. 

726.  NicoLi:,  architecte,  bibliothécaire  du  Comice  agricole  de  Lille. 

738.  SvNDER  (Ad),  blanchisseur  de  fils  et  tissus. 

948.  Verley,  (.Iides),  manufacturier. 

949.  Verlev  (André),  manufaclurier 
7H.  Waymel  (Camille),  distillateur. 

Hazcbroiick . 

634.    JoppÉ,  0.  4-,  A.  'i),  président  du  tribunal  de  première  instance. 
723.     VVNDE  Walle  (Henri),  propriétaire. 
1156 .     Bricolt,  contrôleur  i^e^  contributions  directes. 

Hellemnics. 

041 .    Keromnès,  ingénieur  des  ateliers  de  la  Traction  au  chemin  de  fer  du  Noid. 
958.    Decoirchelle  (Jules),  filateur  de  lin. 

Hem. 

I17< .     Brasme  (Oscar,  brasseur. 

1120.    Mll.\ton-Leborgxe  (Jean),  teinturier  en  tissus. 

Ilénin-lilétard  [Pas-de-Calais). 

234.     Desmars  (Alfred),  ingénieur-chimiste. 
H93.     Caillet  (Edouard),  négociant. 
4202.     Thelliez  (Julien),  étudiant. 

Herrin-lez-Scclin . 

671 .    Wartelle-Boniface,  5!i^,  blanchisseur  de  flls  et  tissus. 

liSi  .lladclelue-lcz-Lille. 

811.  Cuepelle-Fontaine,  chaudronnier-constructeur,  maire,  rue  de  Lille,  lo2 

1250.  Desse  (fils\  horlicultour,  rue  do  Lille. 

87.  Di  BOIS,  répétiteur,  rue  du  Romarin,  7. 

1002.  KvsENBouT  (Edmnnd\  changeur,  rue  Dassonville. 

1023.  Lagmeai-,  pharmacien. 

741 .  Trambli.n  (M'ii),  directrice  de  l'école  communale,  rue  du  Chaafom . 

636.  Vanverts  ,  pharmacien,  rue  de  Lille. 


Ijauuor 


506.  BoiiTEMT  (Jules) ,  filateur  de  lin. 

505.  BouTEMY  (Louis) ,  filateur  de  lin. 

978.  MurxE(Paur,  brasseur. 

816.  Parent  (fils),  fabricant  de  tissus. 

7.  Valendlcq,  (Jean),  notaire. 


—  13  — 

M»  (lins-       MM. 
criptioo. 

59.  BouKi-ET  5!^,   (A.),   ^.    0,  «i-,  préfet  du  Finistère. 

liC  Catcau  {Nord). 

94  Dubois  (Henri),  professeur  au  collège. 

liens  [Pas-de-Calaif]. 

660.  BoLLAERT  ^,  agent  général  des  mines  de  Lens, 

236.  Stiévenart  (Arthur),  fabricant  de  cables. 

lilIiliE. 

317.  Abrey  (Miss) ,  professeur  de  langue  anglaise,  rue  Jean-sans  Peur,  2. 

1018.  AcnERVV  (Aciiille),  leprésentant,  rue  Saint-Gabriel,  89. 

338.  Adler  (Éniilej,  négociant,  rue  Nationale  ,  83. 

3(V  Agacue  (Alfred),  propriétaire ,  square  de  Jussieu  ,  13. 

48.  Agvciie  (Edouard),  5%,  filaleur  de  lin,  boulevard  de  la  Liberté,  V)!. 

635.  Alwoine  (M"»-"  Berthej ,  mstitutric  ',  rue  du  Marché  ,  58  bi.s. 

1014.  Alvvoine,  commis  principal  des  po.ste.s ,  boulevard  de  ia  Liberté. 

25Î  Allvrd  (Georges) ,  ancien  magistrat ,  rue  Royale  ,  104. 

823.  Allègre  (Léonce)  Notaire,  rue  Jacquemars-Giélée  ,  11. 

1134.  Allemes  (A.),  directeur  d  assurances,  rue  Nationale,  14. 

1266.  Amat  (Maurice)  direcleur  d'assurances,  rue  de  Paris,  39. 

1097.  Angelo  (Thomas),  éludiant,  rue  Patou,  25. 

50.  Albert,  ^,  I.  y.  inspecteur  primaire  ,  rue  Colbert ,  95,  Lille. 

Bacquet-Chevallay,  négociant,  rue  Nationale. 

839.  Bacquet-Ducourolble  (Ernest),  négociant  en  tissus,  rue  Grande-Chaussée,  38. 

1033.  BviLLEU.v  (Edmond),  lilateur  de  lin,  Boulevard  Montebello,  4. 

1138.  B.ALET,  conseiller  de  prélecture,  rue  Solferino,  160. 

637.  Barbry-Galliez,  négociant  entoiles,  rue  de  Roubaix  17,. 

784.  Baruois  (Henri),  propriétaire,  rue  du  Faubourg-de-Roubaix,   79. 

21 .  Barrois  (Charles) ,  A.  Q.  ►J*.,  docteur  ès-sciences,  rue  Solférino  ,  220. 

57.  Barrois  (Edouard),  propriétaire  ,  rue  des  Guinguettes  .  18. 

326.  Barrois  (Théodore,  (ils),  licencié  es-sciences,  rue  de  Lannoy,  37. 

507.  Barrois  (Théodore),  ^,  lilateur  de  coton,  rue  de  Lannoy,  37. 

542.  Bastid  ,  substitut  du  procureur  de  la  République ,  rue  Royale  ,  118  bis. 

1228.  B.\TAiLLE,  gérant  de  la  succursale  de  la  Belle-Jardinière,  boni,  de  la  Liberté,  177. 

1080.  Batteur,  directeur  d'assurances,  rue  Stappaert,  7. 

463.  BAunRY,  docteur  eu  médecine  ,  Jacquemars  Giclée,  14. 

526.  Bazin  (M"e),  économe  de  1  institut  Fénelon,  rue  de  l'Hôpital-Militaire. 
980.     BÉcHAMP,  ^.,  doyen  de  la  Faculté  libre  de  médecine. 
476.     Becquart  (Henri),  fondé  de  pouvoir  ,  rue  des  Postes,  60. 
592.    Becquart,  négociant  en  charbons,  25,  quai  de  la  Basse-Deùle. 
339.    Bedel  ,  lieutenant-trésorier  au  16*^  bataillon  de  Chasseurs  à  pied. 

1008.  BÉGiiiM.  ancien  notaire,  propriétaire,  rue  des  Stations,  50. 
1012.    Béguin  (Auguste),  négociant,  rue  Mercier,  14. 
1104.     Bkre  (Frédéric),  iugénieur  des  tabacs,  rue  Nationale,  171. 
1227.     Bériot  (Camille)   fabricant  de  chicorée,  rue  de  Douai,  69. 
607.     Bernvrd-Wall  VERT  (Maurice),  ►J-,  négociant  in  cotons,  boul.  de  la  Liberté,66. 

615.     Bernard  (Henri),  4*,  rafflneur,  près.  hou.  delach.  decomnierce,  r.  deCourlrai,20. 


-  14  - 

N^d'lns-  MM. 

cri|itluii. 

513  I5ERLEM0NT,  A.  Q,  pi'ofesseur  au  Lycée. 

1072.  Heunard  (.Feanl,  rue  de  Coiirtrai,  20. 

1107-  Beunari),  employé  des  postes,  boulevard  dt-  la  Liberté. 

1060.  Hernhardt.  négociant,  rue  de  ia  Gare.  28. 

6J4.  Berthera.nd  (M""'  V^t) ,  propriétaire ,  boulevard  de  la  Liberté,  4. 

625.  Berthkra.nd  (M'ic  Octavie) ,  boulevard  de  la  Liberté,  4-. 

81 .  Bertoix,  négociant  en  graines,  rue  Mercier,  8. 

248.  Bertrand  (Charles),  professseur  à  la  Faculté  des  Sciences. 

,o44.  BÉTHtNE-DrRiEUX  (M""'  yve),  propriétaire  rue  Saint-JbC(|ues  ,  25. 

1 121 .  BiD\RT,  avocat,  ancien  magistrat,  rue  Aiexandre-Leleux,  -18. 

27.  BiGO-DANELiÉmile),A  ^ •!<, imprimeur,  boulevard  de  la  Liberté,  95. 

520.  BiGO  (Louis),  représentant  des  Mines  de  Len.':,  boulevard  Vauban,  13.3. 

V62.  Bloch  (Armand),  négociant  en  toiles,  rue  Jacquemars-Giélèe.  52. 

804.  Blonoeau  (.Iules) ,  propriétaire,   rue  d'Angleterre,   42. 

260.  Blondeau  (E.),  avocat,  rue  d'Angleterre,  5. 
1220.  Blondin,  îi^,  juge  honoraire,  rue  Saint-André,  12- 

9o7.  Blu.\i  (Pierre),  gérant,  rue  Solférino,  237. 

502.  BocQUET  fC.) ,  négociant  en  drogueries,  rue  de  Thionville,  7. 

H55.  Boivi.N,  >^,  architecte,  rue  Nationale,  284. 

261.  BoM-MART  (Emile) ,  percepteur,  place  du   Concert  .  1  ter. 
734.  Bo.MPARn,  négociant  en   métaux,  rue  Nationale,  218. 

992.  BoNAFFÉ  (Pierre),  sous-licutenant  au  43*  d'infanterie  de  ligne. 

341 .  Boniface  (M""^  V^e)  négociante  en  toiles,  rue  de  Paris,  10<. 

770.  BoMFACE,  négociant  en  charbons  ,  rue  des  Meuniers,  24. 

578.  Bonté  Auguste),  négociant  en  huiles,  rue  de  l'Uôpilal-Mililaire,  99. 

553.  BoREL  (M™*)  propriétaire,  boulevard  de  la  Liberté,  121. 

90.  BoTTiALX,  négociant  en  lins,  rue  du  .Molinel,  57. 

982.  BoiRGEOis  (Louis),  négociant,  rue  .lacquemars-Giélée  ,  52 

1 159.  Bouchez  (Henri),  étudiant,  rue  Patou,  6. 

013.  BouDRY,  jugc-de-paix  ,  façade  de  l'Esplanade,  \2bis. 

721 .  BoccHAERT  (l'abbé),  professeur  au  collège  Saint-Joseph,  rue  Solférino,  92. 

1300.  BofDEN  (Siméon),  courtier  en  graines,  rue  Basse,  25. 

209  BiLLVRD,  5^,  directeur  des  contributions  directes,  rue  du  Pont-Neuf,  28. 

087.  BoiLENGER, ,  A  i},  professeur  de  piano,  rue  Jacqueniars-Giélée,  19. 

549.  BoLRBOTTE  (Henri) ,  négociant ,  boulevard  de  la  Liberté,  167. 

1109.  Bourgeois  (Emile),  représentant,  rue  Henri-Kolb,  7. 

074.  BoLTiioRS ,  l""  commis  des  contributions  indirectes ,  2  ,  rue  de  la  Halle. 

531 .  BoiT.MV,  receveur  des  télégraphes,  chef  du  bureau  de  dépôt,  rue  d'Inkermann  i . 

1222.  BoLTRV,  docteur  en  médecine,  rue  de  Douai,  79. 

85.  BouvART  Gustave),  l.  ij,  professeur  au  lycée,  rue  Nationale  ,  322. 

000.  BoYAVAL  Louis),  négociant  eu  mercerie,  rue  Nationale,  40. 

1 107.  BRvctERS-D'Hi'GO,  négociant,  rue  .lacquemars-Giélée,  8. 

069.  Brunel,  I  f^  5^,  ►t«.  inspecteur  d'académie  ,  place  Philippc-de-Girard,   19 

253.  Brabant  (Paul),  fabricant  de  céruse,  boulevard  Louis  XIY,  4. 

419.  Brongniart  (M"<^^) ,  institutrice  ,  itlace  Philippe-le-Bon 

080.  Brugema.n,  pianiste,  nie  Nationale,  82. 

.'jO.j.  Brumme  ,  sous-lieulenant  au  43*  de  ligne. 

440.  Brineal',  pharmacien,  rue  Nationale  ,  71. 

22.  Bri:yerre,  propriétaire,   rue  de  Béthune  ,  27. 

548.  Buisîne-Clais  ,  sculpteur,  rue  des  Canonniers ,  5. 

628.  Bi'REAu  (Ernest) ,  négociant  en  fils ,  rue  Solférino,  248. 


—  15  — 

cription . 

1263.  (Iakn  (l';ii}j;eiie),  iiiaimfacUiriei'  a  Croix,  nio  Solfôn'iio,  2i.7. 

G2) .  Cambon  (Jules),  I.  %},  0.  ^,  <^,  G.  «^  du  Nichaiii.  l'réfel  du  Khoiic. 

867.  CvNNLSsiÉ (Emile),  banquier,  boulevard  de  la  Liberté,  93. 
543.  Canonne-I'hlivost,  fabricant  de  papiers  ,  pia.e  Hichebé  ,  9. 

1071 .  CVivri.NVU-CoinyL,  propriétaire,  rue  Colbert,  76. 

Il  33.  GviiLiER  (l*aul),  pliotogri|)he,  rue  Grande-Chaussée,  36. 

781 .  Caron,  docteur  en  médecine,  rue  Saint-Gabriel. 
1173.  Caron,  négociani,  rue JacqueniarsGiélée,  15. 

t)90.  Casse  (.Adolphe)  ^,  fabricant  de  linge  de  table,  rue  de  Bouvines,  6  bis 

•ilO.  Gastklain  (F.) ,  A.  y,  docteur  en  médecine ,  place  de.s  Reinneaux  ,  21. 

37.  Catei.-Béghin  ^,  propriétaire,  ancien  Maire,  boulevard  de  la  Liberté,  21. 

38.  Catel  (Charles),  fiiateur  de  lin,  ,  rue  d'iéna,  2. 
411.  Catoiuk,  rentier,  rue  Nationale;  280. 

407.  CAiiCH[E-BECQL'ART  ,   directeur   d'assurances,  boulevard  de  la  Liberté,  SG. 
1077.  C\iLLiEz  (Henri),  négociant  en  laines,  rue  du  Molinel,  55,  consul  de  La  IMata. 

107.  Cavro  ,  directeur  de  l'école  primaire  ,  rue  Fombelle,  32. 

M4  Cazeneuve  (Albert;,  »^,  homme  de  lettres,  rue  des  Ponts-de-Comines ,  26 

522.  Cazier  ,  commis-négociant ,  rue  Manuel ,  102. 

Ghalant  (Armand),  propriétaire,  Parc  Monceau. 

1019.  Chaillaux  (Charles),  négociant,  rue  Nationale,  95. 

782.  CiiARBONNEZ  (Paul),  propriétaire,  rue  de  Bourgogne,  14. 

956.  Chivoret  (Alphonse),  commis  négociant,  rue  du  Faubourg-de-Tournai,  72. 

1098.  Ghombart  (Pierre),  avocat  rue  des  Fos.sé.s-Neufs,  53. 

530  Cho.mel,  instituteur,  rue  Colbert,  80. 

966.  Chotin  (L.),  docteur  en  médecine,  rue  d'Amiens,  30. 

217.  Christiaens  ,  A.  %},  directeur  de  l'école  communale  ,  rue  du  Long  Pol ,  55 

1206.  Cleenewerck  ,  commis  des  postes  et  télégraphes. 

868.  Clochez  (.Iules),  rue  du  Sabot,  2. 

1013.  Cochez,  docteur  en  médecine,  rue  de  Tournai. 

287 .  Colas  (Pierre) ,  étudiant ,  rue  des  Fos.sés-Neufs  ,  62. 
539.  Colle,  courtier,  rue  du  Curé-Saint  Etienne ,  9 

140.  CoMÈRE  (L.),  fabricant  de  plâtre,  rue  de  la  Halle,  9. 

993.  Comte,  G.  ^,4* 4*,  général  de  division,  place  aux  Bleuets. 

656.  Co.nstandt-Becquet,  propriétaire,  rue  Boileux,  5. 

1244.  GoNVAiN  (Henri,  fils),  étudiant,  rue  Léon  Gambctta,  104 

1248.  CoppiÉTERS  (Séraphin),  boulevard  Victor  Hugo,  75 

288.  CoQLELLE  (Edmond),  négociant  en  toiles,  lue  de  Puébla  ,  10. 

408.  GoQLELLE  (Léopold),  fondé  de  pouvoir,  rue  de  l'Hôpital-Militaire,  5. 
546.  Cordonnier  (L) ,  architecte,  rue  Négrier,  22  bis. 

792.  CoRDo.NNiER  (Léou),  sous-lieutenant  au  43''  de  Ligne, 
833.  Cordonmer-Pollet,  négociant,  rue  Patou,  M, 

282.  CoRMAN  (Narcisse),  brasseur,  rue  du  Faubourg-dc-Tournai,  39. 

82.  CoRNUT,0.  ^,   ingénieur  en  chef  des  appareils  à  vapeur,  rue  de  Puébla  ,  22. 
CossET,  négociant,  rue  de  la  Digue,  3. 

793.  CouRMONT  (Léon),  négociant  en  draps,  rue  Solférino,  292. 
1040.  Cox-Cappelle  (E),  négociant,  rue  Solférino,  526. 

.U4.  Crémo.nt,  distillateur,  bouhvard  de  la  Liberté,  219. 

715.  Geépin  (H),  sous-inspecteur  des  postes,  rue  .Nationale. 

1301 .  Crépin  tFlorimond-Henri),  rue  Colbert,  120. 

701.  Crepy  Alfred),  propriétaire,  boulevard  Vauban,  124. 

280.  Grepv  (Adolphe),  fiiateur  de  lin,  rue  du  Bois-St-Sauveur,  6. 


—  If.  — 

xN"  (l'iD8-  MM. 

criptiOD. 

293.  Ckepv  ^Eugènej.  ttlaleur  de  colon,  boulevard  Vauban,  92. 

263.  CuEHV  (Kriie.<t\  filatour  de  lin,  rue  deTurenne.  2. 

264.  CuKPY  (Léonj,  filaleur  de  colon ,  rue  de  Boulogne,  7. 

56.  Crepv  (Paul)  ^  A.  Q  >i*,  négociant  en  huiles,  rue  des  Jardins,  28. 

474.  Crepy  (.M""''  Paul) ,  propriétaire ,  rue  des  Jardins  ,  28 

196  Crespki.-Tii.lov,  0.  ^.  propriétaire,  ancien  maire,  rue  Royale,  103. 

266.  Crespei,  (Albert)  îi^,  fabricant  de  fils  retors,  rue  des  Jardins,  18. 

670.  Crespel  (R),  négociant  en  cires,  rue  Gambetta,  56. 

M41 .  CussoN,  fabricant  de  loiies,  rue  Solférino,  294. 

ii.  D.\MiEN  A.  Qt  professeur-adjoint  à  la  Faculté  des  Sciences. 

493.  D.\NCHiN  (Fernand) ,  avocat ,  rue  du  Priez,  18. 

26.  D.\.NEL  (Léonard),  0.  ^,  C.  ►J«,  imprimeur,  rue  Royale,  85. 

427.  D.ViNEL  (Léon),  >i;  imprimeur,  rue  Nationale,  192. 

626.  Danel  (Louis),  imprimeur,  rue  Jacquemars-Gielée,  23. 

975.  DvNiEL,  professeur  à  Tceolo  supérieure,  rue  du  Lombard,  2. 

1229.  U.\NSET  (.Narcisse),  fabricant  de  toiles,  rue  des  Auguslins,  7  bis. 
223.  D.VRcuEz,  A.  ^,  professeur  au  lycée  ,  rue  Alexandre-Leleux  ,  3» . 

1034.  Dauchez  (René),  commis  des  postes,  boulevard  de  la  Liberté. 

1230.  Debaisielx,  propriétaire,  rue  Belle  Vue,  70. 

320.  Debvyser  ^E^.ouard),  courtier,  rue  Saint-André,  2o. 

704.  Debievre  (E.),  bibliotbécaire  de  la  ville,  rue  Solférino,  258. 

438.  Debièvre  (A.) ,  négociant ,  boulevard  Vauban  ,  135. 

835.  Deblo.n  (J.),  teinturier,  rue  du  Faubourg-de-Tournai,  162. 

006.  De  Bolbeks  (G.),  négociant  en  huiles,  place  du  Concert,  10. 

1078.  De  Bruy.v  (W.),  vice-consul  des  Pays-Bas,  rue  de  l'Hôpital-Militaire,  101, 

H  77.  Debriy.n,  notaire  honoraire,  rue  Nationale. 

5i8.  Deblchy  (Fr.; ,  fabricant  de  tissus,  rue  Ba.sse  ,  36. 

739.  l!E  Cagny  (Edm.),  courtier,  rue  de  la  PiqueriCj  8. 

282.  Decroix  (Jules  ,  père) ,  banquier,  rue  Royale,  42. 

360.  De  FÉLiCE,  ancien  professeur,  rue  Mcolas-Leblanc,  22. 

893.  De  France  (général),  0.  ^.  chef  d'élal-major-général  du  l"  corps  d'armée. 
345.  Defk.\nce-Dubrelcq  ,  négociant ,  rue  des  Sept-Agache.>i 

406.  De  Franciosi,  A.  y,  ►i',  homme  de  lettres,  rue  Nationale,  93- 

237.  Defren.ne,  propriétaire,  rue  Nationale,  296. 

68.  De  Grlmbuy,  propriétaire,  rue  Royale,  107. 

"33.  Degelser  (René),  courtier  en  sucres,  rue  Nationale,  163. 

66.  DegiiUvAGE  (M"»],  A.  Q,  directrice  de  l'école  primaire  supérieure,  membre  du 
(Conseil  déparlemenlal  de  rinslruelion  publique. 

a41 .  Deuaisne  (le  chanoine;,  1.  Q,  secrétaire  général  des  Facultés  libres,  boulevard 

Vauban,  56. 

556.  De  Hactecloque,  lieutenant  au  16*^  chasseurs,  rue  de  la  Barre,  15. 

55.  Déjvrdln-Verki.nder ,  Député,  boulevard  Vauban,  17. 

938.  Delacolrt,  receveur-rédacteur  de  lEnregistrement  et  des  Domaines. 

233.  Deladerriere-Loiset  ,  négociant  en  cuirs,  rue  Jacqueniars-Giélée,  61. 

644.  Delahouoe  (Viclor),  négociant  en  céréales,  rue  Gauthier-de-Chàtillon,  19. 

892.  Delattre  (Georges),  négociant,  ruedlnkermann,  41. 

971 .  Dei.attre  Par.not,  propriétaire,  boulevard  Sebastopol,  29. 

1 136.  Delatiue-Duriez  (Louis),  fllateur  de  lin,  287,  rue  Gambella. 

894.  Delan.vov,  commis  principal  des  postes  et  télégraphes. 

114.  Delécaille  ,  négociant  en  toiles,  ancien  adjoint  au  maire,  ruePatou,  I. 

1113.  Delécaille  (Léon),  négociant  en  toiles,  boulevard  de  la  Liberté,  î . 


-  n  - 

N»«  d'ins-  MM.  ■  , 

nriptiOD. 

487.  Deledicque  (Paul) ,  noiaire  ,  boulevard  de  la  Liberté  ,  101. 

1207.  Delefils  (Eugène),  agent  d'assurances,  rue  Patou,  4. 

619.  Delemeu  (H.),  négociant  en  vins,  rue  Nicolas-Leblanc,  19. 

787.  Deleiiue  (Arlliur),  tilat(Mir  de  lin,  rue  du  Faubnurg-de-Toiirnai,  196. 

916.  Delerue,  grefgier  au  Tribunal  de  Commerce,  rue  de  la  Gare,  16. 

51.0.  Delesvlle  (M""*  Alfred),  rue  de  Tliionville. 

1151 .  Delesvlle-V\n  de  Weghe  (Louis),  filaleur  de  lin,  rue  d'inkermann,  33. 

lOoo.  Delestré  (Henri),  fils),  fabricant  de  toiles,  rue  du  Palais,  4. 

1297.  Delestué  (Albert),  fabricant  de  toiles,  rue  du  Palais,  4. 

220.  Deleithé  (Henri),  négociant  en  lin  ,  rue  de  Gaiid  ,  33. 

1299.  Delevau  (Emile) ,  négociant,  rue  Barthélemy-Uelespaul,  5. 

G3o.  Delahaye  (Aug  ),  propriétaire,  rue  Gambetla,  13. 

219.  Dei.gutte  (Benjamin) ,  entrepreneur  de  transports,  gare  Saint-Sauveur. 

427.  Delhvyk  (.Mlle) ,  institutrice ,  rue  de  l'Hôpital-Militaire ,  33. 

1  'i3.  Delh.we  ,  sous-lieutenant  au  43''  de  ligne. 

ij89.  Deligne,  homme  de  lettres,  rue  de  la  Barre,  38. 

753.  Delsaut,  in,speclcur  primaire. 

61.  Demeunynck  (Auguste),  homme  de  lettres  ,  rue  des  Chats-Bossus,  6. 

376.  De  Montigny  (Alfred),  directeur  d'assurances,  rue  de  Béthuoe,  .'i9. 

576.  De  Montigny  (Philippe),  agent  d'assurance,  place  du  Concert,  1  bis. 

856.  De  Myttenaere,  négociant,  rue  Neuve,  4. 

743.  Deneck  (Gustave),  négociant  en  huiles,  rue  Brûle-Maison,  120. 

1274.  Denouille,  inspecteur  général  d'assurances,  rue  Patou,  17. 

352.  De  Pacutere.  propriétaire,  homme  de  lettres,  rue  Négrier,  .56. 

590.  Deplécuin  (Eugène) ,  sculpteur,  rue  de  Douai,  96. 

238.  Dequoy  (J.),  ^  Hlateur  de  lin,  boulevard  Vallon,  79. 

434.  Deracue  (Ch.),  >3*»  rue  Molière,  3. 

830.  De  Hic'juaut  d'Hérouville,  C.  ^,  C.  ^,»|-,  colonel  commandant  le  43*^  de  ligne. 

267.  Dekode,  ^,  ancien  président  du  Tribunal  de  Commerce,  rue  de Tbionville,  5. 

1146.  Derode-Corman  (Edouard),  propriétaire,  rue  du  Longpot,  32. 

902.  Deroeux  (Eugène),  9,  rue  Notre-Dame-de-Fives. 

44.  l»Ë  Saint-Amou  i(M"e  Constance),  boulevard  de  la  Liberté.  115.. 

122.  Descamps  (Anatole),  fabricant  de  (ils  retors,  boulevard  de  la  Liberté    36. 

8-42.  Descamps  (llippolyle),  corroyeur,  parvis  St-Maurice,  7. 

198.  Descamps  (Ange),  filaleur  de  lin,  rue  Royale,  49. 

491 .  Descamps-Crespel  ,  fabricant  de  fils  retors,  rue  Royale ,  77. 

490.  Descamps  i^Jules),  consul  du  Brésil,  rue  des  Fleurs,  14. 

1128.  Descamps  (Edouard),  filaleur  de  lin,  boulevard  Vauban,  15. 

663.  Desmedt  (Aug.),  fdateur  de  lin,  rue  Tenremonde,  12. 

538.  Deschin  (Edouard) ,  mécanicien-constructeur,  rue  du  Bourdeau  ,  14. 

994.  Deschins  (Léon),  négociant,  rue  d'inkermann,  49. 

316.  Desrousseaux  (Gustave) ,  négociant,  rue  St-André,  31, 

837.  Desrousseaux  (Gustave),  étudiant,  rue  de  Roubaix,  34. 

838.  Desrousseaux  (André),  étudiant,  rue  de  Roubaix,  34 
824.  Desplats  ,  docteur  e»  médecine,  boulevard  Vauban  ,  52 

1103.  Desmazières,  propriétaire,  boulevard  delà  Liberté,  165. 

828.  Desmoutiers,  chef  du  bureau,  rue  de  la  Barre,  41. 

596.  Desreumaux  ,  restaurateur,  rue  Marais,  17. 

1230.  Desroussk.aux,  secrétaire-adjoint  de  la  Société  Industrielle  du  Nord. 

379.  Desurmont  (Ch.) ,  brasseur,  rue  du  Quai .  22. 

1269.  De  Surmont,  industriel,  rue  d'isly,  62. 


-  18  - 

S"'  d-iM-  MM. 

cripllon. 

616.  Db  Swarte  (Romain) ,  ingénieur  civil,  rue  de  Fleurus,  43. 

623.  De  Swarte  (Edouard),  brasseur,  quai  de  Wault,  12. 

683.  De  Valroger.  propriétaire,  rue  Royale. 

1093.  Devilder  (Henri),  banquier,  rue<le  l'Hôpital-Militaire,  5. 

8lO.  Dew'attines  (Félix),  relieur,  rue  Nationale,  88. 

1186.  Dkworst.    (F.),  négociaut  en  lingeries,  rue  de  Roubaix,  40. 

1199.  Uhainvut  (J.),  employé  des  postes  et  télégraphe,  quai  Vaubaii,  25. 
485.  Dhaliain,  entrepreneur,  rue  SI  André,  44. 

1200.  DoBY  (H.),  employé  des  postes  et  télégraphes,  rue  Manuel,  80. 
1273.  DoLEz  (.lulcs),  avocat,  rue  Palou. 

310.  UoRNEMv.NN  (G.-W),  fabricant  de  bleu  d'outremer,  rue  Nationale,  190. 

1061 .  Doumer,  docteur  en  médecine,  professeur,  rue  de  Puébla,  28. 

736.  Drieux  (Victi.r),  lllateurde  lin,  rue  de  Fontenoy.  31. 

H 23.  Druon  (D.),  docteur  en  médecine,  rue  d'Ksquermes,  6. 

392.  UuBVR   (Gustave)  ^,  directeur  de  VEcho  du  Nord,  rue  de  l'as  ,  7. 

1137.  DuBAR  (Léon),  propriétaire,  rue  des  Tours,  6. 

1 127."  DtBAR  (Edouard),  employé  des  postes  et  télégraphes,  rue  de  Loos,  32. 

1130.  Dubois,  propriétaire,  lue  Colbert,  97. 

1224.  Dubois,  docteur  er.  médecine,  rue  Bourjembois. 

766.  Du  Bousquet,  ^  ,  ingénieur  en  chef  de  la  traction  du  chemin  de  fer  du  Nord, 

rue  de  Bavai. 

397.  Dubreucq  (Horace)  •  fabricant  (l'a:nidon,  rue  du  Faubourg-de-Tournai ,   198. 

1157.  Dubueucq,  directeur  de  tissage,  rue  de  Rivoli,  8. 

104.  DuBUS,  instituteur,  rue  du  .Marché  ,  49. 

340.  Ducastel  (M""'),  prupriélaire,  rue  Soiférino,  249. 

857.  Ducoin-Beharel.  propriétaire,  rue  de  la  Barre,  34. 

904.  DucouRuuBLE  (Juics,,  propriétaire,  rue  dliikermann,  25. 

1218.  DuKLO,  A.  Q  ,  chimiste,  rue  de  Bourgogne,  34. 

308.  DuFLOs-DE  Mallorïie,  homme  de  lettres,  rue  du  Gros-Gérard  ,   4. 
436.     DuGVRDiN  (M"e  Bcrthc) ,  institutrice ,  rue  Masséna,  66. 

988.  DuHEM-PoissoNNiER  (Antoine),  propriétaire,  rue  de  Puebla,  37 

1212.  DuuEM  (Arthur),  propriétaire,  rue  Stappaert. 
517.     DujABDLN  (Armand),  piopriétaire,  boulevard  Vauban,  27- 
GG2.     DujARDi.N  (Victor) ,  notaire  ,  boulevard  de  la  Liberté,  165. 
813.     DuMEZ  (MiiL),  institutrice,  rue  de  Fives,  48. 
400.     DuPLAY,  négociant  en  fils,  rue  de  Bourgogne,  18. 
103.     Dupont,  directeur  de  l'école  primaire  ,  rue  d'Artois,  200. 
697.     Dupont  (M'ie),  institutiice),  rue  Colbert,  45. 
1279.     Dupont  (Fernand),  boulevard  de  la  Liberté,  130. 
1232.     Dupo.nt  (Georges),  boulevard  de  la  Liberté,  1-30. 
213.     Dupret  (A.j,  instituteur  primaire,  au  lycée. 
809.     DCPRÉ  fils  (Edouard),  letordeur,  rue  des  Pénitentes,  1 . 
106.     Duriez  ,  directeur  de  l'école  communale  de  la  rue  Boilly. 
423.     Duriez  (M"'^),  institutrice,  rue  Rolland,  6. 
101 .     DuRiEux,  directeur  de  l'école  prin)aire,  rue  des  Poissonceaux,  19. 
874.     DussouRT  ^,  receveur  principr.l   des  postes  et  télégraphes. 
836.     DuToiT  (M""^),  institutrice,  rue  Stappaert,  14. 
1 1 10.     DuTHOJT,  banquier,  rue  l'atou,  35. 
666.     Dltuilleul,  propriétaire,  square  Ju,><siou. 

Duv\i,-L\i,ou\,  iieinlre,  bnulevard  do  la  Liberté,  123. 


-  19  - 

N»»  din8-  MM. 

cription. 

291 .  Eeckman,  négociant,  secrétaire-géaéral-adjoint,  73,  rue  de  Tournai. 

;il  I .  Epinay,  a.  Q,  professeur  d'histoire  au  lycée,  28,  rue  Malus. 

10IG.  EsGVii.LVS  (Ferdinand),  commis  dos  postes,  boulevard  de  la  Liberté. 

1087.  Étiennk  5^,  ingénieur   des  ponts  et  chaussées  ,  rue  de  Bruxelles,  4. 

1032  EusTACHE  (Gonzague),  professeur  à  la  Faculté  libre  de  médecine. 

228.  F\CQ,  iiej<ociant  en  bronzes  ,  rue  Esquerraoise,  J15. 

94.  Faucher,    5^,  ingénieur  en  chef  des  poudres  et  salpêtres. 

448.  FAiiciituR  (Edmond) ,  président  du  Comité  linier,  square  Rameau,  13. 

946.  F.vuoHEUR,  (Félix,  (ils),  lîlateur  de  lin,  rue  Nationale,  304. 

947.  Faucheur  (Albert),  (îlaleur  de  lin,  rue  Nationale,  299. 
500.  Fvuchille-Prévost  (M"'^),  propriétaire,  rue  Basse. 

1223.  Fauchille-Stiévenart,  fabricant  de  fils  a  coudre,  rue  Jacquemars-Giélée. 

559.  Fauchille  (Edouard),  propriétaire,  rue  Jacquemars-Giélée. 

588.  Fauchille  (René),  étudiant,  rue  de  Tournai ,  88  bis. 

1048.  Faucon  (Victor),  docteur  en  médecine,  rue  de  PHôpilal-Militaire. 

719.  Faire  (Henri),  fabricant  de  céruse,  rue  des  Postes,  88. 

1081  Fauviixe,  docteur  en  médecine,  rue  Patou,  16. 

252.  Fernaux-Defrance  ,  négociant,  rue  Grande-Chaussée,  44. 

1144.  FiÉVET  (Auguste),  négociant  en  fers,  rue  Solférino,  280. 

401 .  Flament  (M"e) ,  institutrice  ,  rue  de  Lens,  69. 

978.  Flament  (Gustave),  rue  Bonle-PoUet,  10. 

H89.  Floris,  professeur,  boulevard  de  la  Liberté,  38. 

713.  Florin-Deffrennes,  (Achille),  propriétaire,  rue  d'Anjou. 

418.  FocKEu  (Mii«j.  institutrice  ,  rue  de  l'Arbrisseau. 

124.  FocKEu ,  directeur  de  l'école  de  la  rue  de  Juliers,  73. 

598.  Follet.  A.  y^,  docteur  en  médecine,  boulevard  de  la  Liberté,  76. 

953.  Fontaine  (César),  propriétaire,  square  de  Jussieu,  19. 

1253.  Fontaine  (Georges),  négociant  eu  drogueries,  rue  de  Thionville. 

2'i3.  Fontaine-Flament,  filateur  de  coton,  rue  des  Sarrazins,  98. 

1234.  François  (Paul),  équipements  militaires,  rue  Nationale,  247. 

1235.  Fremaux  (Henri),  propriétaire,  rue  Négrier,  23. 

658.  Froelich  ,  chargé  de  cours  d'enseignement  spécial  au  Lycée. 

324.  Froment  (MI'k)  ,  professeur,  rue  Nationale,  53. 

60.  Fromont  (Aug.),  propriétaire,  homme  de  lettres ,  rue  de  l'Hôpital-Militalre,  7*7 

Il 78  Galland,  négociant,  rue  du  Moliuel,  11 . 

361 .  Gaillard,  économe  au  Lycée. 

1068.  Gaillet  (Paul),  ingénieur  civil,  rue  Solférino,  278. 

'31 .  Gauche  (Léon),  A.  Q,  négociant  en  cotons,  rue  de  Paris  ,  153. 

976.  Gaulard.  maître  agrégé  de  conférences  à  la  Faculté  de  médecine. 

1217.  Geeraert,  propriétaire,  rue  Grande  Allée. 

691 .  Gvnnevoise,  ancien  notaire,  rueGanobetta.  35. 

1165.  Gknnevoise  (Félix),  fabricant  de  céruse,  rue  Solférino,  296. 

M87  Genoux-Roux  (Adolphe),  directeur  du  Crédit  du  Nord,  boulev.  de  la  Liberté,  31 . 

492.  GiRAUD  (Abel),  négociant  en  vins,  rue  de  la  Italie,  35. 

8y7.  Gobert,  pharmacien,  rue  Esquermoise,  26. 

1017.  GoDRoN  (Emile),  avoué,  boulevard  de  la  Liberté ,  91. 

834.  Goguel  (P),  professeur  de  filature,  rue  des  Sept  Sauts. 

8.  GossELET,  ^,  I  Q,  profe.sseur  à  la  Faculté  des  Sciences,  rue  d'Antin,  18. 

97.  GossiN,  ^,i.  i),  agrégé  de  l'Université  ,  proviseur  du  lycéij  de  Lille. 


-  20  - 

N*«d'in8-  MM. 

cripliOQ . 

618.  GRiNDEL  (Julien) .  représentant  de  commerce,  nie  André,  33. 
1126.     Gr.vtrt  (Jules),  manufacturier,  rue  de  Pas,  11. 

870.  Gréterin,  ^,  directeur  des  postes  et  télégraphes  du  Nord,  rue  de  RoDbaix,  30. 
571 .  Gronier  (jeune) ,  négociant  en  métaux ,  rue  de  Cambrai ,  30. 

850.     Gros  (Julien),  chef  lampiste  au  Chemin  de  fer  du  Nord,  rue  des  Arts,  44 
405.    GuuGKO.N  (Georges) ,  voyageur  de  commerce,  place  de  i'Arbonnoise  .  3. 
651 .    GuicHARi)  (Albert),  avocat ,  rue  André,  34. 

676.    Hache,  professeur  de  langues,  rue  Jacquemars  Giélée ,  40. 
191.    Hallez,  A.  ^.  docteur  en  médecine,  rue  des  Jardins,  16. 

299.  H4LUER  ,  0.  ^,  général  du  génie. 

710.  Hance  (llippolyte),  propriétaire,  rue  de  la  Barre,  22,  au  1". 

44t.  Hannoti.n  (M""") ,  propriétaire,  rue  Jacquemars-Giélée,  39. 

742  Hayem  (Jules),  propriétaire,  cour  des  Innocents,  5. 
985.     IlECBT,  professeur  à  l'école  supérieure,  rue  du  Lombard,  2. 

256.  Hedde  ,  vice-président  du  tribunal  civil,  rue  Solférino,  197. 

899.  Heindryckx  (Paul),  filaleur  de  lin,  rue  des  Processions,  67 

93.  Hei.luv,  professeur  à  l'école  supérieure  .  rue  Malus ,  2. 

871 .  IIÉNON  :  inspecteur  des  postes  et  télégraphes  ,  rue  Dujardin  ,  8. 
1004.  HEiNRioT,  employé  au  chemin  de  fer,  place  des  Reignaux  ,  18 

84.  Henry  docteur  en  médecine  ,  rue  de  IHôpital  Militaire ,  38  bis. 

455.  Henry,  fabricant  de  bleu  d'outremer,  rue  Denis-Godefroi ,  3. 

464.  Heulvnd,  commis-négociant,  rue  des  Fossés,  39. 

92.  Herlkmont.  instituteur  à  l'école  supérieure,  rue  du  Lombard. 

802.  Herlin,  notaire,  ancien  président  de  la  Chambre  des  Notaires,  square  Jussieu,  19 

918.  Heuckelbouï  (L.j,  négociant  en  grains,  rue  d'inkermann,  39 

3(;4.  HiLST,  négociant  en  toiles,  rue  du  Dragon,  5. 

lOol .  HiRTZ  (Liicien).  négociant  en  toiles,  rue  de  Tournai,  39  bis. 

1 1 12.  HiRTZ  (Georges),  négociant  en  toiles,  rue  de  Tournai,  39  bis. 

822.  HocHSTETrER  (Paul),  docteur  en  médecine,  rue  de  Fives,    44. 

HocQUET,  pharmacien,  rue  Léon  Gambetta,  04. 

896.  HoLBECQ  (Hrnest),  pharmacien,  rue  Saint-Gabriel,  73. 

1148.  HouBRON  (Kdmond),  négociant  en  vins,  place  du  Théâtre,  34. 

380.  HouzÉDE  l'Aulnoit,  a.  ^.  C.  «^,  avocat,  rue  Royale  ,  61. 

381 .  HouzÉ  DE   l'Aulnoit  ^  ,  ancien  lit'utenanl  de  vaisseau,  rue  de  Turenne,  25. 
453.  HouzÉ  (Victor) ,  avoué  ,  square  Jussieu  ,11. 

845.  UuET  (Charles)  ►J<,  ancien  juge  au  Tribunal  de  Commerce,  rue  des  Arts,  3t. 

226.  Ulmbeuï  (Emile) ,  propriétaire ,  boulevard  de  la  Liberté  ,  50. 

7'J5.  HussENoT,  lieutenant  au  16^  bataillon  de  chasseurs  à  pied,  rue  de  Bourgogne,  28 

61 2.  iMBERT  (Eugène) ,  directeur  général  du  cadastre ,  rue  Colbert ,  150. 

478.  Jacquemarcq  (J)  chemisier,  rue  Nationale,  67. 

569.  Jacquin,  inspecf  de  l'exploit,  au  chemin  de  fer  du  Nord,  rue  du  Gd-Balcon. 

Ii2i-.  JvNSENS  (Victor),  négociant  en  vins,  rue  Wicar,  40. 

460.  JoNCKÈERE  ,  négociant  en  produits  chimiques,  rue  Bapliste-Monnoyer,  4. 

1143.  Joseph  (Paul),  ingénieur  civil,  boulevard  de  la  Liberté,  55. 

1352.  Kerckove  (Gustave),  négociant  en  huiles,  rue  Ganlois,  11. 

301 .  LvBBE,  propriétaire,  ancien  président  du  tribunal  de  commerce,  rue  du  Metz,  6. 

1188.  Ladoire,  ^,  docteur  en  médecine,  rue  Colbert,  188. 

102.  L^DRiEEE ,  directeur  de  l'école  du  square  Jussieu ,  24. 


-  21  - 

N«»  d'in»  MM . 

cription. 

273.  LvouRBAiiCM'""),  propriclaire,  nie  Bontc-Pollet,  2. 
63.  LvFONT,  professeur  au  Lycée,  rue  Colbert ,  <64. 

425.  L\GR\NGE  (M™^),  institutrice,  rue  de  Bailleul,  25. 

852.  Laigle  (Alfnîd),  réprésentant  de  commtrce,  rue  de  Courtrai,  23. 

884.  Lalisse,  commis  de  direction  du  service  technique  des  ti'légraphes. 

413.  Lamford  (M"''  Emma),  .square  Ramfau,  7. 

07.  LvMBRET  (Mlle),  A.  %^,  directrice  de  l'institut  Fénelon,  rue  Jean-Sans-Peur,  2. 

700.  Lammens  (Edouard),  propriétaire,  rue  Nationale,  194. 

24<.  Lammkns  (G),  propriétaire,  ruo  d'Angleterre,  K. 

840.  Lancien,  juge-de-paix  du  canton  sud-ouest ,  rue  des  Pyramides,  3'J. 

208.  Laroche  (Jules)  ,   négociant  en  papiers,  place  du  Théâtre,  64. 
Laurand  {M'"°),  boulevard  de  la  Liberté,  20. 

365.  L\urent;  (Adolphe),  négociant  en  lins  ,  rue  de  la  Louvière,  72. 
711 .  Laurent  (Julien),  négociant  en  rouennerles,  rue  à  Fiens,  i . 

1043.  Lavaux,  négociant,  place  du  Lion-d'Or,  14 

981 .  Lebrin,  professeur  à  l'école  supérieure,  rue  du  Lombard,  2. 

855.  Lecat  (Léon),  conducteur  des  ponts  et  chaussées,  rue  l'atou,  33. 

498  Lechat,  (Eugène),  négociant  en  draps,  rue  Desraazières. 

274.  Le  Blan,  (Paul),  (ilateur  de  lin  ,  rue  Gauthier-de-Ghatillon  ,  24. 
560.  Le  BLAN,(Julien),  ^,  fllateur  de  colon,  rue  Sollerino,  US. 

646.  Leclair-Duflos,  propriétaire,  rue  de  Puébla,  17. 

89.  Lecoco,  agent-conseil  d'assurances,  rue  du  Nouveau-Siècle  ,  7. 

1201 .  Lecocq  (Alfred),  négociant,  rue  Jacquemars-Giélée,  60. 

1245.  Lecocq  (Alphonse),  négociant  en  charbons,  quai  Vauban,  3. 

888  Lecroart  (Isidore),  propriétaire,  ruePalou,10. 

311 .  Leclercq  (Frédéric),  receveur  municipal,  rue  Inkermann,  8. 

901 .  Leclercq  (Gustave),  négociai) l  en  lils,  rue  Jeaii-sans-peur.  45. 

8li9.  Lefebvre  (Désiré) ,  courtier,  rue  du  l'aubourg-de-lloubaix  ,  137. 

120.  Lefebvre,  professeur  de  mathématiques  au  Lycée,  place  aux  Bleuets,  20. 

997.  Lefebvre,  professeur  à  l'école  supérieure,  rue  du  Lombard,  2. 

537.  Lefebvbe-Lelong  ,  représentant  de  commerce,  rue  de  Bourgogne,  52. 

597.  Le  Fort  (Hector)  ^,  médecin,  rue  Colbert,  44. 

041 .  Le  Gavrian  (Paul),  propriétaire,  député,  boulevard  de  la  Liberté,  133. 

390.  Légereau,  instituteur,  rue  de  Rivoli,  50. 

647  Legougeux  flls,  négociant  en  lins,  boulevard  de  la  Liberté,  107. 

366.  Legrand,  (Géry)  ^,  k.tj,  homme  de  lettres,  maire  de  Lille,  r.  Nicolas-Leblanc, 34. 
47.  Lemaitre  (Gustave),  i)ropriétaire,  boulevard  de  la  Liberté,  215. 

100.  Lemaire,  directeur  de  l'école  piimaire,  rue  Léon  Gambetta,  97  bis. 

683.  LemoNxN[er  (Raymond),  propriétaire,  quai  de  la  Basse-Deùle,  72. 

1247.  Leneveu,  place  Saint-Marlin  ,  14. 

337.  Lequenne  ,  propriétaire,  rue  Solférino,  232. 

664.  Leroy-Deles  VLLE  (Paul),  négociant  en  lins,  boulevard  de  la  Liberté,  139. 

384.  Le  Roy  (Félix)  ^,  député,  ancien  président  du  tribunal  civil,  rue  Royale,  105. 

702.  Le  Roy,  inspecteur  commercial  au  chemin  de  fer  du  Nord,  rue  de  Tournai,  47. 

851 .  Le  Roy,  négociant  en  rubans,  Grand'place,  11 

914.  Lerouge-Dumouijn,  professeur,  rue  Bernos,  7. 

1353.  Lesay  (Charles),  représentant,  rue  du  Barbier-Masse,  22. 

33.  Lesert,  géomètre,  rue  Koyale,  15. 

832.  Lesnes  (Aimé),  instituteur,  école  publique  de  filles,  rue  Watleau. 

597.  Lessens  (Eugène),  distillateur,  rue  Saint-André  ,  83. 

16.  Lesur,  directeur  de  l'école  primaire,  rue  des  Stations,  52. 


—  22  — 

NO'd'ins-  MM. 

cription. 

1211.  Lkzies,  néfiociant  en  tapis,  rue  (les  Chats-Bossus. 

558.  Lewe,  instituteur,  rue  Lydi'ric,  2. 

955.  Lhotte  (Gustave),  A   Q,  dirocleur  du  Pelil  Nord. 

887.  Lheuueix,  contrôleur  du  service  techiiiciue  des  télégraphes. 

11%.  Lignier    Octave)  préparateur  de  botanique  à  la  Faculté  des  sciences,  Vieux- 

Marché-aux-l*oulets,  20. 

1192.  LiNGRvND  (Charles),  négociant,  boulevard  de  la  liberté,  10. 

896.  LoBERT  (Emile  ,  pharmacien,  rue  du  Priez,  30. 

374  Loncke,  (Eugène),  directeur  d'assurances,  boulevard  de  la  Liberté,   i3. 

330.  LONGUAYE,  (Edouard),  propriétaire,  boulevard  de  la  Liberté,  l'îl 

1210.  LoNGREZ,  propriétaire,  rue  des  Postes,  18. 

15.  LooTEN,  docteur  en  médecine,  rue  des  Molfonds,  I. 

477.  LoRENT,  (L.,)  propriétaire,  boulevard  de  la  Liberté,  120. 

454.  Lorent-Lkscornez,  filateur  de  lin,  rue  d'Inkeimann. 

692.  Lo.hthioir  (Auguste),  imprimeur,  rue  Golbert,  118. 

693.  LoRTHioiR  (Léon),  comptable,  rue  de  La  Marmora,  21. 

\  185.  LoTVR,  I.  Q,  professeur  à  la  Faculté  de  médecine,  rue  Solferino,  201. 

382.  Lover  (Ernest),  filateur  de  coton,  place  de  Tourcoing. 

843.  Mac  Lvciii.vn  (Georges),  commis  négociant,  rue  de  Thionville,  15. 

581 .  MAHiF.r  (Mlle),  institutrice,  rue  Léon  Gambetta,  210. 

812.  Maillard  (Mlle),  institutrice,  rue  de  Fives,  48 

1090.  Mallet  (D),  conducteur  des  ponts  et  chausi^ées. 

28.  Mamet,  L  Q.,  professeur  agrégé  d'histoire,  rue  des  Pyramides 

240.  Maquet  (Ernest),  négociant  on  lins,  rue  des  Ruisses,  15. 
Maquet  (M'""  Alfred),  propriétaire,  boulevard  Vauban,  31. 

1153.  Maracci  (Madame),  propriétaire,  rue  des  Fleurs,  M . 

484.  Marette,  négociant  en  co'ons,  rue  du  Vieux  Faui)oiirg,  29. 

682.  Maroquin,  négociant  en  charbons  quai  de  la  Bisse-Deùle.  46 

1298.  Martin  (Edouard),  étudiant  en  droit,  rue  du   Palais.  9. 

527.  MvRTiN,  (Mlle  Marguerite),  institutrice  à  l'Institut  Fénelon. 

197.  Masse-Mel'rice,  brasseur,  rue  de  la  Barre,  114. 

1007.  Masson  (Arthur),  peintre,  rue  d'Antin,  31. 

;i99.  Masquelier  (Auguste) ,  ^  négociant  en  cotons  ,  rue  de  Courtrai,  5. 

514  Mas  (Charles),  négociant  en  toiles,  rue  du  Molinel,  Président  du  Tribunal  de 

commerce. 

1219.  Mathelin,  îJS:,  ingénieur,  rue  de  Douai,  95. 

841 .  Mathieu,  pro[)riétaire,  rue  Gauthier-de-Chàtillon  ,  14. 

990.  Mathis  adjoint  de  1"  classe  du  génie,  au  fort  Sainl-Sauvcur. 

984.  Mathon  (Ferdinand),  professeur,  rue  d'Angleterre,  7t. 

1270.  Merciiier,  professeur  d'histoire  au  lycée,  rue  Colbert,  80. 

1099.  Mertian  de  Muller,  avocat,  rue  Boucher-de-Perthes,  74. 

1063.  Mertz  (Nicolas),  commis-négociant,  rue  de  Paris,  222. 

925.  Méplomb  (A  ),  propriétaire,  rue  Soiférino,  39. 

962.  Melon  (Edouard),  gérant  de  la  Compagnie  du  Gaz  de  Wazemmes.^ 

<34.  Meurice  (Paul),  négociant  en  bois,  rue  Soiférino,  20 1. 

1 115.  Mky.net  (Albert),  négociant  en  toiles,  rue  des  Tanneurs,  49. 

1142.  MiG.NOT  (Heini),  avocat,  rue  .lacquemars-Giélée,  26. 

195.  Mili.ot,  a.  y.,  professeur  au  lycée.,  rue  du  Vieux-Marché  aux  Poulets,  18. 

970.  Monier  (Louis),  négociant  en  toiles,  rue  de  Paris,  99. 
1005.    MoNTAiGNE-BÉRioT  (Alphonse),  banquiei ,  boulevard  de  la  Liberté,  295. 
1243.     Morel  (Alfred),  tapissier,  rue  Royalo,  4*> 


—  23  — 

NO'd'ins-  MM. 

cripllon 

655.  MoREAu  (C) ,  nnniifactuiier  ,  32  .  rue  des  Ponts-de-Comines. 

99.  MouRcou,  architecte,  rue  Manuel,  103. 

986.  MoiiRMVNT  (Julien),  nt'gociant  en  drogueries,  rue  des  Prùtres,  26. 

37-1.  MuLLER,  professeur  au  lycée,  rue  d'Antiii,  27. 

204.  MuLLiER  (Albert),  négociant  en  lins,  rue  d'Angleterre,  'i-8. 

415.  M"'^  MuLLiER-MANiiiz,  rue  de  l'Ecole,  22,  à  Fives. 

44 .  MuoT,  propriétaire,  rue  du  Faubourg-de-Roubaix,  29. 

534.  Neut  (Emile),  négociant  en  lins  ,  rue  de  la  Grande  Chaussée. 

466.  NicoDEME,  négociant  en  fers,  nie  de  Paris,  212. 

.'jO.  NicoLLE  ^,  fllateiir  de  lin,  rue  Jacqueraars-Giélée,  r)9. 

254.  NoQUET,  docteur  en  médecine ,  rue  de  Puébla  ,  33. 

1037  NuYTTEN  (Gustave),  négociant  en  toiles,  rue  d'Angleterre,  60. 

377.  Obin  (Jules),  teinturier,  rue  des  Stations  ,  101. 

192.  Oluer,  A.  %},  pasteur  protestant,  rue  Jeanne-d'Arc. 

333.  Ollivier  ,  docteur  en  médecine  ,  rue  Solférino  ,  314. 

319.  OviGNEtiR  (Emile),  5^,  avocat,  rue  de  Tenremonde,  2. 

1209.  OzENFAM  (Auguste),  propriétaire,  rue  des  Jardins. 

1271.  P.VNNiER  (Paul),  propriétaire,  rue  de  l'Hôpital-Mililaire,  15. 

0Î5.  P.ARENT  (Edmond),  commis  négociant,  rue  Nationale,  136. 

714.  Parsy  (Achille),  étudiant,  rue  Jean-saiis-Peur,  28. 

1038.  P.VTOiR,  docteur  en  médecine,  rue  de  Thionville,  16. 

1054.  P.AULi,  sous-directeur  du  gaz  de  Lille  ,  lue  Saint-Sébastien  .  17. 

617.  Pauris.  négociant,  rue  Henri-Kolb,  67. 

1000.  P.UOT  (E.),  commissaire-priseur,  rue  Patou,  20. 

1203.  PÉROCHE  (J.),  ^,  directeur  des  contributions  indirectes  du  Nord. 

330.  Perot  (Gaston),  brasseur,  rueColbrant,  12. 

1140.  Perrault,  notaire,  rue  de  l'Hôpital-Mililaire,  77. 

1226.  PÉRUS  (Henri),  propriétaire,  rue  de  Bourgogne,  47. 

20  Pesmn,  ingéneur  de  la  navigation ,  place  Philippe-de-Girard  ,  "8. 

1 108.  l'ÉTiN (Léonce),  garde-magasin  à  ta  manufaclure  des  tabacs. 

310.  Petit  (Pierre),  inspecteur  des  douanes,  ruedes  Jardins,  11. 

469.  PETrr  (Delphiiij  A.  jyi,  propriétaire,  boulevard  Vauban  ,  76. 

605.  Petit  (Jules) ,  rédacteur  en  chef  du  Courrier  populaire,  rue  Basse. 

350.  Philippe  (Louis),  avocat ,  boulevard  de  la  Liberté  ,  30. 

1231 .  Picard  (Armand),  capitaine  d'artillerie  de  forteres.se,  place  de  la  République  ^ 
439.  Pic \VET  (Léon),  filateur  de  lin,  boulevard  Louis  XIV,  3. 

769.  PicAVET  (Louis),  lilaleur  de  lin,  rue  de  Fives,  43. 

703.  PiERRON,  ?^,  ingénieur  en  chef  des  ponts  et  chaussées,  rue  de  Bourgogne,  27 

1103.  PiLATE  (Auguste),  chef  d'institution,  rue  ùe  Béthune,  49. 

385.^  Platel  (Albert),  négociant  en  bois ,  rue  de  la  Préfecture  ,  2. 

731 .  Plisson  (Eugèn  ),  négociant  en  fils,  rue  de  laLouvière  7. 

524 .  Plumecoeq  ,  chef  de  bureau  à  la  préfecture  du  Nord . 

1)48.  Plumcoecq  (M"e  ainée),  chez  son  père,  à  la  Préfocture. 

C49.  Plumcoecq  (M"e  cadette) ,  chez  son  père,  à  la  Préfecture. 

561 .  Pollet  (J),  vétérinair.'  départemental ,  rue  Jeanne  Mail  lotte,  20. 

1232.  Potier  (G.),  sons-lieutenant  au  43°  de  ligne,  rue  de  Roubaix.  52. 
20 i .  PoTiÉ  (Jules) ,  caissier,  rue   Marais,   16. 

432.  PoiîiLLE  (Emile),  caissier,  rue  de  la  Louvière,  54. 

996  Poulet  (Jules),  négociant,  rue  Jean-sans-Pcur ,  52. 


—  24  - 

NO'd'lns-  MM. 

criplion. 

698.  Prévost  (François),  employer  do  Commerce,  ruo  Bnilc-Maison,  114. 

224.  l'RiEiRE  (Madame  la.)  du  couvent  des  Bernardines  d'Esquermes. 

1254.  Prignkt-Dkspréaux,  chef  de  bataillon  au  iS*^  de  li^ne. 

1152.  Plgnièrk  (Cliarles),  contrôleur  des  Contributions  directes,  place  St-Murliii,  2. 

.■}B4.  QrvRRÉ-REVBorRBON,  (A),  ^,propri('laire,  membre  de  la  Commission  historique. 

727  QuarréRkyboubbon  (Mme),  propriétaire,  boulevard  de  la  Liberté.  70. 

735.  OiiARBÉ-PRÉvosTfL.l,  Libraiie.  GraïKi'l'lace.  64. 

442.  QuEF .  propriétaire  ,  boulevard  Louis  XIV  ,  2 

1-221 .  Qlénet  (Edmond),  commis-négociant,  rue  Notre-Dame  de  Fives. 

358.  UvJAT,  chez  M  Bouleiliier,  pharmacien,  rue  des  Suaires,  2, 

881 .  Rvnx  (Emile),  négociant  en  charbons ,  place  de  la  République,  ."?. 

86.  Raqukt  (Désiré, ,  commis-négociant ,  rue  Nationale.,  52. 

568.  Regnabi)  ,  chef  de  gare  ,  à  Lille. 

678.  Re.my  (Emile),  négociant  en  fer-s  rue  des  Arts.  16. 

585 .  Rénaux  (Georges  ,  négociant  en  grains,  rue  d'Inkermann ,  21 . 

681 .  Renocabd  (Kmile),  filateur  el  fabricjnt  de  toiles,  rue  de  J'ilopital-Militaire,  66 

96.  RENOUMtDiAlfreil),  filateur  et  fabricant  de  toiles,  rue  Alexandre  Leleux,  46 

292.  Reuflet 'Frédéric),  avocat ,  rue  Nationale,  104. 

216.  Richard,  directeur  de  l'école  primaire,  rue  de  la  IMaine,  51 . 

1111 .  Richard,  représentant,  rue  de  la  Quennette,  8. 

169.  RicHEZ  ,  directeur  de  lÉcole  communale ,  rue  Saint-Sébastien . 

1093.  RiciiMOND  (Julien),  représentant,  rue  Canraartin,  62. 

72.  RiGVUX,  l.  Q,  archiviste  de  la  ville,  Mairie  de  Lille. 

88.  RiGAUT,  ^,  A.  Q,  filateur,  adjoint  au  Maire,  rue  de  Valmy,  15. 

435.  RiGAUT  (Ernest),  fabricant  de  fils  retors,  rue  Saint-Gabriel  ,  91 

765  RiGOT,  négociant  en  vins,  place  aux  Bleueis  13. 

443.  Roger-Deplv.nck  ,  négociant  en  lins,  rue  de  Tournai  ,2  t. 
1176  RoGEz  (Louis),  fabricant  de  fils  à  coudre,  rue  de  la  .Justice. 

126.  RoGEz,   represeniant  de  charbonnages,  39,  rue  Blanche 

1 179  RoGiE,  tanneur,  rue  de  Bourgogne,  60. 

603.  RoLLEz  (Arthur),  directeur  d'assurances,  rue  Jacquemars  Giélée,  123. 

121.  Ros-MAN,  A  i},  professeur  de  littérature  au  lycée,  rue  Esqnermoise,  55  ter  . 

883.  RosooR  (Edmond),  représentant,  rue  de  la  Gare,  17. 

696.  KossEL  (Edouard  fils),  t3inturier,  rue  du  Chaufour,  19. 

284.  Rousse  \u  \Meiie),  institutrice,  ruedel.ens,  11. 

203.  RousELLE  (Théodore), agent  général  d'assurances,  boulevard  de  la  Liberlé,1i5 

1134.  lloTHÉ,  commandant  du  génie,  au  fort  Saint-Sauveur. 

1047.  RouRE  (Ernest),  négociant,  rue  Mercier. 

1132.  RoussELLE  (Victor),  capitaine  en  retraite,  rue  Léon  Gambelta,  17. 

720.  RouzÉ  (Lucien) ,  propriétaire  ,  rue  dei  Jardins,  o. 

43.  RouzÉ  (Henri),  propriétaire,  boulevard  de  la  Liberté,  220. 

1233.  RouzÉ  (Emile),  étudiant,  rue  des  Augustius,  7  bis. 

239.  RouzÉ  fÉmile).  entrepreneur,  juge  au  Tribunal  de  commerce,  r.  Joséphine,  20. 

653.  RouzÉ  (Léon) ,  brasseur  ,  boulevard  de  Montebello  ,48. 

665.  RvcKEWAERT ,  fabricant  de  sacs  en  papier  ,  rue  d'Arras,  84. 

Saisset-Schneideu,  ^.  A.  Q,  l'réfel  du  Nord. 

1180.  Salomon  (Félix),  fabricant  de  voitures,  rue  de  la  Digue,  17. 

1139.  Sano-Binault,  propriétaire,  rue  Jeanne-d'Arc,  11. 

72i.  Sapin  (Gustave),  filateur  de  coton,  quai  de  l'Ouest,  36. 


-  25  - 

N"«  d-ins-  MM. 

cription. 

763.  Scalbkkt-Bkbnaiu),  banquier,  jiise  au  Tribunal  de  Tommcrco,  rue  de  Courtral 

96i.  ScHEiBi  (Frédéric),  négociant,  rue  des  Caiioiiniers,  10. 

<3.  SciiOTSMVNS  lÉmilc),  fabricanf  dt'  sucre,  distillateur,  boulev!<A()  Vauban,  y. 

45G.  ScHOUTTETEN  (Jules  ,  lilateur  de  coton,  façade  di;  l'Esplanade  ,  i)Z. 

iM .  SciiuBART,  négociant  en  lins,  rue  Sl-Gonois. 

40.  ScRivK-WALLAEnT,  G.  C.  4^  Q,  propriétaire,   rue  Royale.  ^30. 

201 .  SoRivE-BiGo  ^, ancien  membre  de  la  chambre  de  coniracrcc,  rue  du  Lombard,  I  • 

229.  ScRivE  (Gaston),  négociant  en  lins,  rue  de  Jemmapes. 

356.  ScRiVE-LoTER,  0.»J«, membre  de  la  Chambre  de  commerce, rue  Notre-Dame ^292. 

364.  ScRivE  (Gustave),  rue  du  Lombard. 

610.  ScRivE  (Albert) ,  fabricant  de  cardes,  rue  des  Buisscs  ,  13. 

587  ScRivE  (Georges) ,  fabricant  do  cardes  ,  rue  de  Koubaix  ,  28. 

135.  SÉE  (Edmond) ,  ingénieur  ,  rue  d'Amiens. 

■1066.  SÉGARi)  (Emile),  propriétaire,  boulevard  de  la  Liberté,  6o. 

409i.  Senoutzen,  gérant  de  la  maison  Verstraele,  rue  Esquermoise,  48. 

580.  Servtski  ,  professeur  de  dessin  au  lycée,  rue  Nationale,  332. 

232.  Sigebert  (le  frère),  directeur  du  pensionnat  des  Maristes,  rue  des  Stations. 

52.  Société  Industrielle  du  Nord  (La),  rue  des  Jardins,  29. 

426.  SoMAiN  (Mme)^  institutrice,  rue  de  la  Deùle,  i . 

631.  SouiLLART  (Léon,,  étudiant  en  droit,  rue  Fontaine-del-Saulx,  20. 

214.  Speoer,  directeur  de  l'école  de  la  rue  du  Chemin  de  fer,  13,  à  Fixes. 

1257.  Si'HiET  (Alphonse),  fabricant  de  toiles,  rue  Léon  Gamhetta. 

967.  Stalars  (Karl),  teinturier,  rue  Jacquernars  Giélée,  100. 

707.  Steverlvnck  (Gustave),  négociant  en  savons,  rue  d'E.'^quermes,  10. 

1302.  Stiévenart  (Henri),  fabricant  de  couvertures,  rue  du  Pont-à-Kaisnie.s,  i. 

231 .  SwYNGHEDAuw  (M^e),  directrice  de  l'école  communale  de  la  rue  Gombert. 

712.  Tacquet  (Henri),  iiercepteur,  boulevard  de  la  Liberté,  1t. 

1255.  Tacqiet  (Georges),  étudiant,  boulevard  de  la  Liberté,  14. 
1191.  Tailliez  (Paul),  publiciste,  rue  Nationale,  90. 

997.  Tanguy  (J  -B.),  commis-négociant,  rue  Saint-Jacques,  16. 

4iJ4.  Tellier  (M"*'),  institutrice  ,  rue  de  Tournai,  49  bis 

872.  Terlet,  commis  principal  des  postas  et  télégraphes,  r.  du  l'aub.-de  Roubaix,  99. 

98.  Testelln,  (Achille),  sénateur,  .square  Dulilleul,  23. 

521 .  Testelin  (Alexandre),  avocat,  rue  Jean-Sans-Peur,  14. 

283.  Thellier  (Paul),  avocat,   rue  d'Angleterre,  41  bis. 

1059.  Théodore  (Alphonse,  fils),  négociant  rue  des  Prêtres. 

1256.  Théry  (Paul),  avocat,  square  Dutilleul,  33. 

954.  Thieffry  (Maurice),  fabricant  de  toiles,  boulevard  de  la  Liberté,  207. 

127.  Thiriez  (Alfred),  filateur  de  coton,  membre  du  Conseil  sup'  du  Commerce, 

rue  Nationale,  308. 

1150.  Thiriez  (Julien),  manufacturier,  rue  du  Faubourg-de-Béthune,  56. 

999.  Thiroloix  (Paul),  ingénieur  civil,  rue  André  ,31. 

575.  Tilloy-Delaune,  administrateur  des  mines  de  Lcns,  boulevard  de  la  Liberté,  5 

90.  TiLMVN,  1.  tj:,  directeur  de  l'école  primaire  supérieure,  rue  Malus. 

113.  ToFFART,  1.  'ij,  0.  >^,  secrétaire-général  de  la  Mairie,  à  l'Hôlel-de-Ville. 

9.  Toussaint,  1.  Q,  inspecteur  primaire,  rue  Gautier  de  Chatillon,  11. 

409.  Toussix  (Georges) ,  (ilateur  de  coton  ,  rue  Royale. 

ToussiN  (M""'  Gustave),  rue  Royale,  83 

1102.  Trisbourg  (Ernest),  négociant  en  coton,  place  aux  Bleuets,  19. 

286.  Trouhet  (J.-B  ),  professeur  de  télégraphie,  place  de  Bélhune,  3. 
202.     Tys  (Alphonse),  fondé  de  pouvoirs  de  la  maison  Crépy,  rue  de  Courlrai 


-  26  - 

N-'M'ing-  MM. 

cription. 

1082.  Vaillant  (Eugène),  étudiant,  rue  Colt)ranl,  8. 
387.  Vaillk  (M"'") ,  institutrice  ,  rue  des  Tours ,  14. 

494.  Valdelirvue  (.Mfred) ,  fondeur  en  cuivre,  rue  des  Tanneurs,  34. 

.   60!.  Vallet  (Aipfionse) ,  publiciste,  ruedii  Molinel ,  i8. 

1242.  VANDER6imut;GHK  (Désire),  rue  Saint-Nicolas,  o. 

708.  Va.n  Butseele,  courtier,  rue  Nicolas-Leblanc,  7. 

1088.  Vandame  (Emile),  bras-cur,  rue  de  Douai,  6o. 

1089.  Vandame  (Georges),  brasseur,  rue  de  la  Vignette,  65. 

412.  Van  den  Heede  ,  tiorticulteur,  rue  du  Faubourg-de  Roubaix  ,  55. 

1)82.  Van  den  Heede  (Charles),  négociant   en   vins,     rue  Masséna,24. 

1006.  Vandenh^nde  (Jiiles\  épicier,  rue  des  Guinguettes,  ol. 

783.  Vandeweghe  (All)ert),  filateiir  de  lin,  boulevard  lie  la  Liberté,  163. 

73.  Van  Bende,  I.  %},  présid'-nt  du  musée  de  numismatique  ,  rue  Masséna  ,  50. 

740.  V\N  Troostenberghe,  courtier  en  îîls,  rue  Nationale,  74. 

1085.  VvNVERTS,  pharmacien,  rue  de  Paris,  199. 

r)47.  Vasselr,  instituteur,  Grande-Place,  42. 

1083.  Venot  ^,  4*,  vice-consul  d'Espagne,  boulevard  de  la  Liberté,  39. 

277.  Vennln  ,  négociant  en  métaux,  rue  du  Pont  Neuf,  4 

562.  Veblev   (Charles),   banquier,  ancien  président   du  Tribunal  de  Coraiiierce, 

rue  d'Angleterre,  41. 

t14o.  Verley-Bollaert,  banquier,  boulevard  de  la  Liberté,  48. 

880.  Veirley  (Edmond)  ,  négociant  en  sucres  ,  rue  St-lMerre  ,  7. 

15.  Verly,  ^,  directeur  de  VÉcho  du  Nord,  rue  Solférino,  7. 
737 .  Vermesch,  représentant,  place  du  Théâtre,  46. 

436.  Verstaen.  avocat,  rue  de  Tenremonde,  7. 

358.  Villerval  ,  instituteur,  place  Catinal. 

804.  ViLLETTE  (Paul),  chaudronnier-constructeur,  rue  de  W^azemmes,  37. 

4()2.  Vincent  (Georges) ,  agent  d'assurances  ,  rue  Desmazières 

847.  ViOLLETTE  (Ch)  ^,  I.  Q,  doyen  de  la  Faculté  des  sciences,  rue  Patou,  43. 

595.  ViRNOT  (t  rbain) ,  négociant  en  produits  chimiques  ,  rue  de  Gand  ,  2. 

785.  Virnot(V),  négoeiant,  rue  de  Gand,  2. 

786.  ViRNOT  (A),  négociant,  rue  de  (iand,  2. 

645.  Vcylsteke  (Em),  négociant  en  huiles,  rue  Colson,  10. 

767.  VuiLLAUME  (Em),  négociant  en  lins,  parvis  Sainl-Michel,  9. 

1 172.  Wackernie-Tesse  (Edgard),  négociant,  rue  Colbert,  29. 

69.J.  W\NDiiCQ  (Alphonse),  représentant,  rue  Nationale,  37. 

467.  Wallaert  (M™''  Emile) ,  propriétaire  ,  boulevard  de  la  Liberté  ,  66 

12.  Wallvert  (Auguste),  filaleur  de  coton,  boulevard  de  la  Liberté,  23. 

969.  Wall\ert-Barrois  (.Maurice),  manufacturier,  boulevard  de  la  Liberté,  44 

1 174.  Wallez,  contrôleur  des  contributions,  rue  Ratisbonne,  15. 

488'  Wanin,  pr()|):iétaire. 

16.  W.VNNEBROucQ,  ^  A   l.  Q,  doyeu  de  la  Faculté  de  médecine 
567.  Wannebroicq  (P.) ,  représentant,  rue  de  lArc  ,  7. 

1074.  Wannebroucq-Dutilleul  fM'""  v"  ,  propriétaire,  rue  de  Puébla,  3'>. 

278.  Wargny,  fondeur  en  cuivre,  juge  au  Tribunal  de  Commerce,  rue  de  Vaimy.  I 
1 123.  WvREiN  Prévost,  constructeur,  boulevard  .Monlebello,  54. 

70.  Warin  (Mlle  Emilie),  propriélaire  .  boulevard  de  la  Liberié  .  197. 

69.  Warin,  propriélaire,  administrateur  dvs  hospices,  boulevard  de  la  Liberté,  197 

508.  Wartel  ,  docteur  en  médecine  ,  rue  du  Faubourg-de-Tournai,  99. 

420.  Watteau  (M"') ,  directrice  de  l'école  communale,  rue  Saint-Gabriel ,  83. 


—  2,1  — 

N"' d'ins-  mm. 

rriplion. 

1 13;).  Wattkblkd,  fabricant  de  pain  d'i^pices,  rue  Ksqnermoiso,  118  bis. 

I2i.  WiîiiKn,  I )ro fosse ur  d'allemand  au  Lycée,  rue  du  Gros-Gérard  .  il  bis. 

o7i .  Wkbek,  ►!-«,  directeur  à  I'lnii)iintcrie  Kauei,  rue  des  Fossés  Neufs,  5'J. 

;S27.  VVekqiin  lils,  etudianl,  rue  des  Fossés,  8.  -   ,  % 

848.  WiGAUT-HLiriN,  négociant  en  toiles,  rue  de  Paris,  214. 

VIO.     Ybkrt-Descat,  brasseur,  rue  .lacqueinars-Giélee,  126. 

liiUM'lICSi. 

1040.     Hennion  (Jean),  niateur  de  lin. 

Loin  iiic-lcz-Li  Ile. 

307.  Vkrsth.vete  (Eugène),  propriétaire. 

<0()9.  FouKNiER  (G.),  pharmacien,  membre  du  Coniîeil  d'hygiène. 

1251 .  JoLivET  (G.),  |)ropriétairc. 

I07o.  P.\YEN,  propriétaire,  rue  de  Lille. 

Lioow . 

259.  BiLLON,  ^,  docteur  en  médecine,  Main;,  Conseiller  général. 

545.  DiPBEY  (Alfred),  négociant  en  vins. 

1129.  GuiLLEMAUD  (Philipiie),  filateur  de  lin. 

862.  LviNÉ,  distillateur. 

497.  ToussiN  (M""'  Gustave)  propriétaire,  château  de  Longcliamp. 

14.  Wacqiiez-Lalo ,  I,  %},  géographe,  conseiller  municipal. 

lijoii  {Rhône).  * 

244.     LiicAS-GiRARDviLLE,  ceuseur  au  lycée. 

llacou,  par  Vieux-Condé  (Nurd) 
117.     PoLLET  yustin),  ingénieur  des  mines. 

ilarcf|-cu-Bar«Bul . 

003.     Depaius,  instituteur. 
1184 .     Vasseur,  recette  des  postes  et  télégraphes. 

Madrid 

58.     Cambon  (l'aul),  C.  i^  ,  I.  C|,  G.  C.  »i;  Ambassadeur  de  France. 

Marquette. 

440.     Larivjèke,  directeur  du  lissage  Jules  Scrive  et  fils. 
1024.     Lagaciie,  instituteur. 

1351.     Laurent  (Charles),  directeur  général  technique  des  Manufactures  de  produits 
chimiques  du  Nord. 

Mariiuillie». 

481 .     Brame  (Max) ,  fabricant  de  sucre. 

Meiiiu  [Seine-et-Marne) . 

972.     De  Svvarte  (Victor),  i^,  A.  Q,  Trésorier-payeur  général  de  Seine-et-Marne. 


-  28  - 
Mouscu-Baroeiil . 

.N"'' cl'ins-  MM. 

cription. 

002.     Desoblaiin  ,  piopriélairo  ,  rue  Neuve  . 

408.     IlEGQUET  {G.),  employé  des  postes  et  télégraphes 

.VIoavcauiL. 

1282.  Masurel  (Edouard),  filateur. 

Mcullly-sur-Seiue. 

777.    Simon,  propriétaire,  avenue  du  Roule,  36. 

Mleppe. 

M58.     Mvertens-Mesdvgiit,  propriétaire. 
H6.3.    TniNELLE  (Alfred),  négociant  en  grains. 

PariN. 

290.  A.NCHiER  (Maurice-,  gérant  de  la  maison  Moutli ,  rue  de  Sèze,  5 

694.  Cabt,  industriel,  rue  de  Flandre   99. 

844.  C.vsTEi,,  0  îfSî,  ►J",  colonel  du  génie  en  retraite,  22,  rue  de  Dunkerque. 

499.  Cavbez  (Jules) .  médecin  ,  place  Voltaire ,  2. 

6.  De  Guerne,  A.  Q ,  naturaliste,  ancien  président  d'honneur,  rue  Monge,  2. 

1194.  De  Portugal  de  Faria  (Antonio),  chancelier  du  Consulat  général  de  Portugal 

à  Cadix. 

1  lOo.  De  Portugal  de  F.vria  (Gnilherme-Frédéric),  avenue  des  Champs-Elysées,  4  22. 

227.  Descamps  (.l.j,  agent-général  des  carrières  de  Ouenast ,  rue  de  l'Aqueduc  ,  o. 

1086.  Desrumaux  (Emile),  négociant,  rue  de  Flandre,  123. 

51.  Evrard  (Alfred    ^,  ingénieur,  boulevard  des  Italiens,  19 

2H  .  (iRUEL  (l'ahbe),  professeur  à  l'Institut  dos  Missions  étrangères. 

2.  GuiLLOT  (E),  A.  i},  professeur  au  Lycée  Cnarlemagne,  80,  Itoul.  St-Germaiu. 

939.  Kr\fft  (Hugues),  A.  Q,  explorateur,  boulevard  Malesherbes,  44. 

315.  Lardeur,  C  ^,  ►i*,  général  de  division. 

959.  Leseur  (Félix),  étudiant  on  médecine,  rue  Madame,  01. 

o3.  MvTHivs  ^,  ingénieur  en  chef  de  la  Traction,  rue  de  Maubcuge,  81. 

913.  OuKAWA  ^,  attaché  à  la  légation  .laponaise,  avenue  Marceau,  75. 

1 .  SuÉRUs,  professeur  au  Lycée  Janson  de  Sailly,  I  II,  avenue  Victor  Hugo. 

657.  Théodore  (Paul),  étudiant,  rue  du  Rocher,  25. 

1182.  Vkrstr,vkt  (Louis),  ingénieur,  rue  Friant,  9. 

Poix. 

950.    WiLLioT  (Zulmar),  propriétaire. 

l*ont-à-Mai*cci. 

1027.  DELESCLiiSE  (Louis),  propriétaire,  conseiller  général. 

Qiilévy. 

1028.  Moine  (Éloi),  instituteur. 

liouohlu. 

483.    Grolez  (Henri) ,  pépiniériste. 

533.    Grolez  (Louis),  pépiniériste. 

1092.    Grolez  (Jules),   pépiniériste. 


-  29  - 
Roubaix. 

K"'  (l'ins-  MM. 

cription. 

801 .  Barbotin  (Félix),  négociant  en  tissus,  rue  Nain,  15. 

891 .  BvYVRT  (Alexandre),  coinmis-nogocianl,  nie  de  rindiislrie  15 

429.  BoRAiis  (M"i'),  institutrice,  rue  des  Anjies. 

775  Bayaut  (Ciiarles),  fabricant  de  tissus,  rue  Fossc-aux Chênes,  52 

752.  Bkcquvrt  (Louis),  nét^ociant  en  laines,  rue  du  Pays,  4. 

1216.  Bkrnvrd,  docteur  en  médecine,  route  de  Tourcoing. 

865.  Bo.nnel-Florin  (Jules),  fabricant,  rue  de  Laiinoy. 

1117.  Bonnet  (Jean),  fabricant  de  tissus,  rue  du  Grand  Chemin.  36 

394.  Bossut  (Emile) ,  négociant,  Grande-Rue  ,  5. 

158.  Bossut  (Henri),  président  du  Tribunal  de  commerce,  Grande-Bue,  5. 

342.  Bossut-Plichon  ,  négociant ,  Grande  Bue ,  3. 

773.  BouLKNGER  (E  ),  négociant  en  tissus,  rue  du  Chemin  de  fer,  7. 

789.  BoYAVAL  (Emile),  pharmacien,  rue  de  Launoy,  106 
761.  BuisiNE  (H),  négociant  en  tissus,  rue  St-Georges,  25. 
155.  Bllteau-Grimonprez,  négociant  en  laines,  rue  Pellart,  31. 
878.  Carissimo  (Alphonse) ,  fabricant ,  rue  Fosse-aux-Chônes  ,11. 
772.  Carissimo  (Henri),  négociant,  rue  du  Grand-Chemin,  68. 
431 .  Chuistivens  (M"") ,  institutrice  ,  rue  Olivier  de  Serres. 

615.  Cordonnier  (Anatole),  fabricant  de  tissus,  rue  des  Lignes,  7. 

902.  Cordonnier  (Eugène),  fabricant  au  Petit-Beaumont. 

166.  CouLBAUx  (Allie) ,  directrice  de  l'Institut  Sévigiié  ,  rue  du  Grand-Chemin. 

807.  Crei'klle  (Jean),  négociant  en  laines,  rue  des  Champs,  15. 

790.  CuiGNiEi'  (Gustave),  propriétaire,  boulevard  de  Paris,  61. 
148.  Daudet,  négociant  en  tissus,  rue  du  Grand  Chemin,  I5, 

866.  Dechenvux  (Edouard),  courtier,  rue  de  Lille,  64. 

747.  Deuesdin  (Ch.),  fabricant  de  tissus,  rue  Nain.  4/. 
1149.  Kelattre  (Emile),  fabricant,  rue  Nain. 

<54.  Deleporte-Bavart,  propriétaire,  rue  Colbert,  49. 

800.  Delesvli.e  (Gh),  agent  d'assurances,  Grande-Bue,  89 

910.  Dëspuès  (Léon),  proiiriétaire,  rue  des  Arts,  65. 

748.  Desrousse vux  (Richard),  négociant  en  tissus,  rue  du  Grand-Chemin,  16. 

430.  Detille  (M'ie) ,  institutrice  ,  hameau  du  Pille 

627.  De  Villars  (Alphonse) ,  négociant,  rue  du  Grand-Chemin. 

554.  Dewitte  ^A.),  négociant-commissionnaire,  rueBlanchemaille,  19. 

882.  Dhalluin-Lepers,  (Jules),  fabricant,  rue  Fosse-aux-Chônes,  .32. 

751 .  Diligent  (Ém.),  professeur,  rue  Inkermann,  57. 

591.  DroulersPuouvost  (Ch.),  distillateur,  Grande-Rue,  i 08. 

863.  Dubar  (Paul),  fabricant ,  place  Notre-Dame. 

749.  Dubreuil(V.),  ingénieur,  rue  Neuve,  41. 

295.  Duburcq  (V.),  publiciste,  rue  des  Longues-Haies,  16. 

4101 .  Duhamel  (Louis),  négociant,  rue  du  Pays,  10. 

347.  Duburcq  (Alf.),  assureur,  rue  du  Vieil-Abreuvoir,  6. 

348.  DuPiRE  (Ed.),  architecte,  rue  du  Curoir,  24. 

911.  Dupuis  (Eugène),  négociant,  rue  du  Collège,  2. 

890.  Durand  (Clément),  négociant  en  tissus,  rue  de  la  Gare. 

652.  Duthoit  (Ed .)  notaire,  rue  du  Pays,  21 . 

1H6.  Eeckman  (Henri),  agent  général  d'assurances,  rue  Pellart,  32. 

154.  Ernoult  (François),  apprêteur,  rue  du  Grand-Chemin,  77. 

<63.  Faidherbe  (Alexandre)  Q  I.  Conseiller  d'arrondissement,  rue  deSoubize,  23. 


—  30  - 

N"'d'ins-^         MM. 
criptioij. 

164.  F viDfiERBE (Aristide),  in=tituteap,  rue  Brézin. 

tiao.  Fauvarque  (Jules),  fabricant  rue  Nain. 

139.  FKimrER  (Edouard),  filateur  de  laine,  rue  du  Curoir,  59. 

349 .  Ferlie  (Cyrille  ,  fils) ,  négociant ,  rue  de  Li lie ,  II. 

339.  Ferlié  (M""'  Cyrille;,  rue  de  Lille  .  ^i. 

H6<.  Fiorin-Chopvrt,  propriétaire,  boulevard  de  Pans. 

1204.  Florin  (l.éupold),  ancien  fabricant,  place  de  la  Liberté. 

861 .  Fort  fJ)  négociant  en  tissus,  rue  .Neuve,  44. 

H 18.  Gadenne  I  Paul),  fabricant  de  tis?n.s,  rue  de  r.Uma. 

779.  GÉNIE  (Edouard),  négociant,  rue  St-Pierre,  19. 

213.  Geunez  ,  directeur  de  l'institut  Turgot ,  rue  de  Soubi.sse,  33. 

908.  Glaise  (H.),  instituteur,  rue  du  Bois,  39. 

393.  Heinokyckx  (Georges),  négociant,  au  Kaverdy. 

393.  Heindrvckx  (Albert),  négociant,  boulevard  de  Paris,  33. 

1119.  IzART  (Jules),  négociant  en  li.ssu8,  rue  d'Isly. 

161 .  JuNKtR  (CI».),  (ilateur  de  soie,  rue  de  Waltrelos. 

877.  Lamblin  (Jules) ,  fabricant,  rue  Fosse-aux-Chénes ,  11. 

917.  Leblan,  Jules,  5^.  filateur,  rue  du  Grand-Chemin,  35. 

450.  Lebrat.  pasteur,  rue  des  Arts,  39. 

640.  Leburql'e-Comerre ,  négociant  en  tissus,  rue  du  Pays,  37. 

1030.  Leclercq  (Louis,  fils),  fabricant,  rue  Saint-Georges. 

797.  Leconte-Scrépel  (Km  ),  négociant,  rue  du  Grand-Chemin,  111. 

1217.  Lefebvre,  professeur  à  l'Institut  Turgot. 

149.  Leloir,  ,A.),  rentier,  rue  du  Collège,  169. 

819.  LiiPOLTRE-PoLLEr,  fabricant,  rue  Fosse-aux-Chêiies,  21. 

170.  Lerat,  directeur  d'école  communale,  rue  de  l'Aima. 

171 .  Lerov,  directeur  d'école  communale,  rue  Pierre  de  Roubaix 
760.  LiouviLLE  (Georges),  négociant,  rue  Neuve,  5. 

849.  .Manciioijl\s  (Félix),  négociant,  rue  Pauvrée,  42. 

774.  Masson (Armand),  fabricant,  rue  du  Pays,  24. 

3S1 .  Masurel,  (Paul),  négociant,  rue  de  Tourcoing,  85. 

722.  Masurel  (Albert),  fabricant,  rue  du  Pdy.s,  27. 

1.3G.  Mvsurel-Wattine  (J.),  négociant,  rue  du  Chemin  de  For,  4? 

738.  Maslrel  (Charles) ,  négociant ,  rue  Fosses-aux-Chénes. 

860.  Meillasous,  teinturier,  rue  Saint-Jean,  30. 

370.  Motte-Descamps,  filateur,  quai  de  Leers,  4. 

369.  Motte,  (Georges),  filateur,  quai  de  Leers,  4. 

327.  .MoTrE-VERNiER,  négociant,  quai  de  Leers,   4. 

451 .  Motte,  (Alfred),  #;   manufacturier,  rue  de  Wattrelos. 
805.  Parenthou  (Henri),  négociant,  rue  Fossc-aux-Chêiies,  47 
879.  Pennel  (Loui.'<) ,  rue  de  Lille  ,  14. 

J029.  Pfanmater  (M'"*j,  institutrice,  rue  de  Lhomnielet. 

759.  PoTTiER  (Georges),  négociant,  rue  du  général  Chanzy  42. 

1042.  Prouvost  (Amédéo,  fils),  peigiieur  de  laines. 

157.  Reboi;x,  (Alfred)  ►Ji,  rédacteur  en  chef  du  Journal  de  Roubaix,  rue  Neuve,  1' 

133.  Richard  (Paulin),  fabricant,   rue  de  l'Hospice,  31. 

333.  RoGiER  (Moïse) ,  entrepreneur,  rue  de  Lorraine,  io. 

608.  Roussel  (Emile),  teinluriei,  rue  de  l'Épcule. 

746.  Roussix  (François),  industriel,  rue  du  Grand-Chemin,  49. 

889.  Rousseau  (Achille),  négociant  en  laines,  Grande-Rue. 

<62.  Screpel-Roussel,  fabricant,  rue  du  Pays,  5. 


-  31  - 

NO'd'ins-  MM 

oription. 

116.  SEBERT(Émile\  rentier,  rue Çharles-Quint,  24. 

163.  Skène,  mécanicien,  rue  Neuve,  39. 

762.  Stuvt  (Jules),  négociant  ea  tissus,  rue  du  Pays,  7. 

909.  Sturmkels  (VValter;,  conimis-nt^gociant,  rue  de  l'Industrie,  G. 

788.  Ternvnck  (Henri),  (ilateur  et  fabricant,  rue  Fos.ses-aux-Chênes.  iTt. 

991 .  Thomvs-Les.vy,  négociant,  Grande-Rue. 

•I213.  Thover,  directeur  de  la  succursale  de  la  banque  de  France. 

160.  Vvss.VRT  (l'abbé),  professeur  des  cours  publics  municipaux,  rue  du  Curoir,  42. 

723.  Versi'IERkis  (A  ),  assureur,  boulevard  de  Paris,  45. 

771.  ViNCHON  (A.),  peigneur  de  laines,  rue  Traversière,  42. 

951 .  Vorelx  (Léon),  négeciant-comraissionnaire,  boulevard  de  Paris. 

1215.  WATTKLLE-B\Y.\nT,  fabricant,  rue  Fosse-aux-Cbénes. 

630.  W,vrriNE-HovELVCQLE  ,  propriétaire,  boulevard  de  Paris,  43. 

745.  W.XTTiiNE  (Paul),  membre  au  Tril)unal  de  (^lommerce,  Grande  Hue.  <42. 

332.  Wattine  (Gustave),  membre  de  la  Chambre  de  Commerce,  rue  du  Ctiàlcau,  10. 

806.  Wibvux-Florin,  fllateur,  rue  Fosse-aox-Chênes,  47. 

Saint- Amaiid-lez-EauiL 

979.    LoBBÉ,  receveur  des  postes  et  télégraphes. 

ISaint  Aiidré-Icz-Liillc. 

557.     Clinqi^t,  instituteur. 

l^aint-UeiiiM. 

146.     Dei.ebecoi;e.  :^,  agent-général  du  contrôle  des   receltes  au  chemin  de  fer  du 

Nord  ,  rue  des  Ursulines. 
1026      Zegbe  (Ainould\  Inspecteur  au  Chemin  de  fer  du  Nord,  ir.,  rue  des  Ursulines. 

^aiut-liouiiiit  «lu  iliéiiégal. 

1164.     Descemet.  ^,  président  du  Conseil  général. 

Saiii(-||iiciitiii  (Aisne). 
1044.     Mathieu.  G.  ^,  général  commandant  la  subdivision. 
1050.     De  Franciosi  (Ch.),  lieutenant  au  87^ 

Secliu. 

225.  Cattelotte,  instituteur. 

1010.  Collette  (Charles),  notaire. 

699.  Collette  (Pierre),  licencié  en  droit. 

1031 .  Couvreur  (Achille,  flls),  étudiant  en  médecine, 

738.  Desurmont  (Achille) ,  (ilaîeur  de  lin. 

1009.  Desur.\iont  (Edouard),  adjoint  au  maire. 

403.  GuiLLEMAUD  (Claude),  fllateur  de  lin 

Staple. 

614.     Reumaux  (Isaïe),  médecin,  vice-président  de  la  Société  des  Sauveteurs  du  Nord. 

Steenwerck.. 

1147    Hubert,  percepteur  des  contributions  directes. 

Teinpleuve. 
1208.  Baratte  (Eugène),  propriétaire. 

Tuiircuiug-. 

1359.     Ballois  (Henri),  commis-négociant,  rue  de  la  Malcence,  15. 

1329.     Barrois-Lepers  (Emile),  négociant,  rue  de  la  Station,  9. 

1286.     Basuvau,  receveur  de  l'enrogistrement,  rue  Winoc-Choctiueel,  18. 


-  32  - 

N»»  d'iDJ-         MM. 
cription. 

1270.  Bevucvhne  (Jean),  comptable,  rue  de  Wailly,  23. 

1360.  Bernahd-Flipo  (Louis),  fliateur,  Grande-Place,  2. 

1279.  Berteloot,  directeur  des  postes  et  télégraphes  rue  de  THôtel-de- Ville. 

1347.  Bellque  (l'aul),  représentant,  rue  de  la  Malsence,  2.3. 

1240.  BiGo  (Auguste),  notaire,  56,  rue  de  Guines. 

1261.  BocH,  négociant,  rue  du   Pouilly. 

1364.  Bocqi;et  (Lucien),  fliateur,  rue  Motte,  36. 

132i.  Bourgois-Lemvire,  commis-négociant,  rue  du  Prince,  69. 

l.io6.  Bllté  (tloi),  receveur  municipal,  rue  d'Havre,  23. 

■1342.  CvnEN  (A.),  tailleur,  rue  Saint-Jacques,  10. 

<287.  Cvtrice-Lemvhieu  (Henri),   négociant,  rue  de  Lille,  59. 

920.  Cvclliez-Leurent  vMaurice),  industriel,  rue  de  Lille,  89. 

1343.  Deboncnies  (Alptionse),  négociant  rue  de  Guines,  90. 

1315.  1)EG\ESTEKER  (Camille),  négociant,  rue  des  Carliers,  22. 

1290.  Deherripon  (Hippolyte),  gérant  de  banque,  rue  de  Roubaix,  43. 

<259.  Delemvsure  (Eniest),  fabricant,  rue  Neuve-de-Roubaix,  190. 

1295.  Delemvsube-Fi-vyelle  (François),  bourreUer,  rue  de  Tournai,  59. 

1294.  Dëlem\sure-Choul,  fabricant,  rue  Denteux,  41. 

-1319.  Deletombe-Lemvn  (A.),  mécanicien,  rue  Motte. 

936.  Desurmont  (Félix^  fliateur  de  laines,  rue  de  Lille,  79. 

1289.  Desurmont-Joire  (PauH.  négociant,  rue  de  Gand,  23.  • 

934.  Desi  RMONT  (J.-B.),  négociant  en  laines,  rue  Saiiit-lacqnes,  G7. 

933.  Desurmont  i Jules),  négociant  en  laines,  rue  Saint-Jacques,  37. 

1258.  Destombes  (Emile),  courtier  juré,  rue  Motte,  24. 

1002.  Uemolon,  instituteur,  rue  de  Gand,  12. 

604.  Diss\.HD,  percepteur  des  contributions  directes;  rue  de  l'Abattoir.    (5. 

•1332.  Dumobtier  (J.-B.),  négociant,  rue  Notre-Uame-des-Anges,  27. 

■1281.  DucouLOMBiER  (Jules),  commis-négociant,  rue  Martine, -18. 

1338.  Dubois  (Auguste),  pharmacien,  rue  du  Tilleul,  50. 

■1309.  Dujvroin-Lvpersonne,  négociant,  rue  Neuve-de-Roubaix,  H4. 

1318.  Dlpre/.-Lei'ers  (Louis),  fliateur,  rue  des  Piats,  74. 

4296.  Ucqiesnoy-Dewwbin,  négociant,  rue  de  Gand,  ^8. 

■1275.  Ulquesnoy  (Paul),  banquier,  rue  de  Tournai,  il. 

296.  DuviLLiER  (Joseph),  fliateur  de  laines,  rue  du  Tilleul,  02. 

1308.  Uuvillier-Lvbbe  (Emile),  avocat,  rue  Saint-Jacques,  43. 

■1.335.  F.vcon-Lepers.  négociant,  rue  du  Sentier,  29. 

1367.  FiCHXUX,  docteur  en  médecine,  rue  de  Lille,  54. 

931 .  Fupo-YVN  OosT(P.),  négociant  en  laines,  rue  du  Sentier,  29. 

1337.  Fourré  Renée),  entrepreneur  de  roulage,  rue  de  Guines,  63. 

1288.  Fouan-Lemv.n  (V),  peigneur  de  laines,  rue  Neuve-de-Roubaix,  65. 

■1326.  Florin-Rvsson  (Jules),  négociant,  rue  Neuve-de  Roubaix,  41. 

1327.  Florin  (Jules),  commis-riégociant,  rue  Notre-ltame-des-Anges,  33. 

1368.  Frere-Glorieux  (Emile),  libraire,  rue  de  Lille,  18. 

1287.  Girvroel  (Félix),  commis-négociant,  rue  de  l'abattoir,  26. 

1 160.  Grvu  (Augustin),  négociant  en  laines,  rue  Leverrier,  20 

1334.  Grxu-Devkmv,  courtier  juré,  rue  Neuve-de-Roubaix,  15. 

916.  H.\ssEBROucQ(V.),  î^,  maire,  propriétaire,  rue  de  Lille,  83. 

1341 .  IsRVEL-DupoNT  (A.),  négociant,  rue  de  la  Station,  12. 

922.  J.\cqu\rt-Van  Eslvnde  (P.),  fliateur  de  coton,  rue  du  Sentier,  23. 

254 .  Jean,  instituteur,  rue  des  Cinq- Voies. 

927.  Jonglez  (Charles),  propriétaire,  rue  des  Aages. 

928.  Jo.nglez-Bloi  (P.),  fliateur  de  laines,  rue  des  Ursulines. 


—  33  - 

No-'d'ins-  >(M. 

ciiption. 

1336.     JovENivux  (I'.),  îïLM'ant  de  filature,  rue  de  Midi.  39. 

<246.    L \MBiN-MoNiEz,  rue  du  Château 

1310.     LvPEKsoNNE  (Ferdinand),  courtier  juré),  rue  du  Dragon,  100. 

929.  LoRTHioiR-iMoTTE  (Bl.),  négociant  en  laines,  rue  des  L'rsulines. 
<241.     LvHorssE-BiGO,  négociant. 

930.  Lvmourette-Delvnnoy  (Pii.),  filateur  de  laines,  rue  Blanche-Porte,  58. 

1313.  Lkclehco  (Gustave),  entrepreneur,  rue  de  la  Boule  d'Or,  21. 
1362.     Lehembre-Pruvost  (Louis),  négociant,  rue  de  Roubaix,  49. 
1366.     Legros  (Jules),  commis-négociant,  rue  de  Guines,  51 . 
1277.     I.EHOtiCQ  (Emile),  négociant,  rue  du  Tilleul,  47. 

1325.     Lehoucq  (Jules  fils,)  fabricant,  rue  des  Orphelins,  33. 

176.     Leloir  (Jules),  négociant,  i)Iace  des  Nonnes. 

701 .     Lemaire  (Jules),  filateur  de  laines,  rue  d'Anvers. 
1348.     Lemvire  (Henri),  libraire,  Grand'  Place,  28. 
1316.     Lepers-Dalle  (Henri),  filateur,  rue  de  la  Station,  5. 

1327.  Leprlnce  (Ernest),  comptable,  rue  Neuve-de-Roubaix,  110. 

334.  Leroux-Lamourette  (Louis),  tilatcur,  rue  lilanche-Porlc,  35. 
1320.     Leroux  Den.mel,  négociant,  rue  du  Bocquet,  14. 

1354.     Leroux- BÉRioT,  agent  d'assurances,  rue  de  Lille,  95. 
973.     Leroux-Lamourette  (Ed.),  filateur,  rue  de  Dunkcrque. 

335.  Leroux-Brame,  (Ch.),  négociant  en  laines,  rue  de  Gand,  55. 
1312      Leurent  (Désiré),  (ilateur,  rue  de  Roubaix,  45. 

1361 .     Leurent  (Jean),  filateur,  rue  Chanzy,  22. 

1303.    Leurent-Ferrier  (Henri),  filateur,  rue  de  Roubaix. 

1314.  Lombard  (Georges),  négociant,  rue  de  Tournai,  113. 
1323.     Lombard  (Henri),  négociant,  rue  Neuve-de-Roubaix,  116 
1350.     LoRTHioiR  (Albert),  filateur,  rue  du  Tilleul,  34. 

1340.  Mahieu,  docteur  en  médecine,  rue  Nationale,  66. 

1291.  Mailliard  (Etienne),  rue  St-Jacqvies,  65. 
1264.  Ma^nvut  (Léon),   négociant,  rue   Ste-Barbe,  23. 
1 330 .  M  VQUET,  gérant  de  banque,  rue  de  Tournai,  1 09. 

1328.  aiVRESCAux  (Edouard),  gérant  de  banque,  rue  du  CoUecleur,  19. 
1280.  Mvrescaux-Leroux  (Floris),  filateur,  rue  Ste-Barbe,  30. 

1292.  Masquilier  (Augustin),  entrepreneur,  me  de  Gand,  32. 
963.  Masurel-Jonglez,  filateur  de  laines,  rue  de  Wailly. 
325.  Masurel,  (François),  propriétaire,  rue  de  Wailly,  25 

768.  Masire  V\n  Elslvnde  (Eugène),  fabricant  de  tapis,  rue  de  Gand.  42. 

1284.  Masure-Six  (François),  fabricant,  rue  de  la  Malcense,  47. 

1343.  Monnier  (Léon),  fabricant,  rue  Winoc-Chocqueel,  43. 

923.  Motte-Jacquart  (A  ),  filateur  de  laines,  rne  du  Pouilly,  18. 

1293.  Motte  (Pierre),  clerc  de  notaire,  GrandTlace,  32. 
1307.  MuLLiEz  (Jules),  commis-négociant,  rue  du  Sentier,  34. 

13o.'>.  Olivier  (Hilaire),  commis-négociant,  rue  des  Archers,  couv.  d'Halluin. 

1260.  Pailliard-Lelong,  secrétaire  de  la  section,  rue  Ste-Barbe,  34. 

I3i4.  PoLLET-I.EMAN  (Alphonse),  fabricant,  rue  Delobel,  26. 

1346.  Pollet-Caulliez  (Charles),  négociant,  rue  de  Lille,  50. 

1317.  Plwoust  Leplvt  (Georges),  commis-négociant,  rue  de  Verrier,  29. 

932.  Rasso.n-W.attine  (E),  négociant  en  laines,  rue  Chanzy,  30. 

1070.  Robbe  (Henri),  filateur,  rue  de  la  MalcensLV 

177.  RoGE.iu,  docteur  en  médecine,  petite  Place,  5. 

1333.  Roussel  (Antoine),  courtier  juré,  rue  Nationale,  07 

3 


—  :^  — 

NO'd'ins-  MM. 

piiplion . 

4262.  SvLLES  (Arthur),  commis-négociant,  rue  du  Pouilly. 

4331 .  Sasselvnge  (Edouard),  ^,  négociant,  rue  Wiiioc-Chocqueel,  42. 

1267.  Senkl\b-Montag.ne  (François),  propriétaire,  rue  Winoc-Ctiocqueel,  53 

1357.  SiMOE.NS-l'iLLE  (Léon).  comniis-né?ociant,  rue  du  Ciiâteau,  20. 

1339.  Six-1{oil\N(;eh  (Alplionse),  négociant,  place  Thier.s,  32. 

921 .  Six  (Auguste),  filateur  de  laines,  rue  du  Château,  62. 

937.  Six  (Edouard),  négociant  en  laines,  place  Thiers. 

43()6.  SToiuiw  Jean),  directeur  de  la  condition  publique,  rue  de  Roubaix,  ni. 

1322.  Si:iN  ;l'hilippej,  boucher,  rue  Saint-Jacques,  o5. 

91o.  Taffin-Binauld,  brasseur,  rue  du  Tilleul,  30 

1349.  Tibeugiiie.vVanden  Berghe,  fabricant,  rue  de  l'Aima,  31. 

(3.38.  Tihemts-Cvilliez  (Charles),  représentant,  rue  Verte-Feuille,  10 

\:ii\ .  ToN.NEL  (Kugèiie).  commis-négociant,  rue  de  Meniu,  30. 

1306.  TiuNoY  (Paul),  directeur  d'assurances,  rue  du  Conditionnement,  9. 

86.  Vanneufvu.le,  pharmacien  ,  rue  Saint-Jacques,  6. 

1311 .  V\N  KLSiANDE,  (Joseph),  négociant,  rue  du  Haze,  27. 

1278.  Veiismée,  directeur  de  la  voirie,  rue  de  la  cloche,  68. 

1283  W.VELES  ^Désiré),  marchand-tailleur,  rue  St-Jacques,  30. 

1336 .  Werbrolcq-Beseme  i  Victor),  représentant,  Grand'l'lace. 

Tuuis. 

13.    BoMP.\uD  0  4*.  chancelier  du  ministre  de  France. 
Valeucieunes. 

1170.    Weil,  négociant  en  houblons,  rue  de  Famars. 


SOCIÉTÉ  DE  VALENCiENNES 


BUREAU  : 
MM. 

Président DoiTRivrx  (A.),  avocat,  ancien  bâtonnier,  Valenciennes 

Vice-Présidents Uelvme,  Président  de  la  Chambre  de  Commerce,  Valenciennes. 

N 

SiROT  (Jules),  maître  de  forges,  Conseiller  général,  St-Amand. 
W.XGRET,  nialtre  de  verreries,  Conseiller  d'arrondissement, 
Escautpont. 

Secrétaire-Général Foucart  (Paul),  avocat,  Valenciennes. 

Secrétaires Damien  (F.), Directeur  de  l'école  municipale  (rue  des  Chartreux), 

Valenciennes. 
GiARD  (Pierre),    libraire,  faisant  fonctions   ùq  bibliothécaire- 
archiviste,  Valenciennes. 

Trésorier Blnet  (Adolphe) ,   expert- comptable ,    Conseiller  municipal, 

Valenciennes, 

Conseillers Bouchez,  notaire,  Bouchain. 

BuLTOT,  notaire.  Maire,  Valenciennes. 
Deladerrière,  avocat,  Valenciennes. 
Uelsarte,  Idrecteur  de  l'école  municipale,  rue  Capron,  Valea- 

cieiuies. 
Fraciie,  industriel,  Conseiller  municipal,  Valenciennes. 
Lemoine  ,  greffier  du  Tribunal  de  simple  police,  Valenciennes. 
Sal'tte.\u,  avocat,  adjoint  au  Maire,  Valenciennes. 


—  a5  — 
MEMBRES  ORDINAIRES. 

MM.  Ab\die,  pharmacien,  Valenoiennes. 

Allvvènk,  altaché  à  la  Biinque  de  France,  Valenciennes. 

Am;ui(l  (Victor),  propriétaire,  Coiidé-sur-l'Escaut. 

Anikt  (le  docteur),  |)li;irnia(:len,  Valenciennes. 

Ardouin,  sous-lieutenant  au  127"  de  ligne,  Valenciennes. 

Armand,  avocat,  Valenciennes. 

L'AssoGi.\TioN  Valengiennoise  pour  l'enseignement  populaire,  Valenciennei; 

BvGHELU,  contrôleur  des  Contributions  directes,  Valenciennes. 

Bacuy-Nonclercq,  clief  d'institution,  Valenciennes. 

Bar\  (Charles),  docteur  en  médecine,  Valenciennes. 

B.VR\,  instituteur.  Le  Rosult. 

B\RBET,  ancien  instituteur,  Anzin. 

BvssEz,  à°  Saint-Amand. 

Bassez  (Alfred),  d"  Thun. 

Bassez,  d"  Petite-Forêt. 

Batigny  (Anatole),  entrepreneur  de  peinture,  à  Valenciennes. 

Bauchaurd,  ancien  instituteur,  Escautpont. 

Beaupère  (Henri),  notaire,  Valenciennes. 

Béghin,  instituteur,  Bellaing. 

BÉRARD  (Georges),  juge  d'instruction,  Valenciennes. 

Bernard,  directeur  de  l'Agence  de  la  Société  Générale,  Valenciennes. 

BERïAu(E(tgard),  propriétaire,  à  Valenciennes. 

Berteaux,  instituteur,  Aubry. 

Beryrand  (Fernand),  propriétaire.  Le  Quesnoy. 

BiLLER  (Josepli),  notaire,  Saint-Auiand. 

Billet  (François),  distillateur,   Marly. 

Bineï  (Adolphe),  expert-comptable.  Conseiller  municipal,  Valenciennes. 

Blanchard,  instituteur,  Raismes. 

Blvry,  d°  Saint  Saulve. 

Blin,  percepteur,  Valenciennes, 

Boneill  (Emile),  comptable,  Valenciennes. 

Boquillon,  instituteur,  Famars. 

Boucher  (Edmond),  brasseur.  Conseiller  municipal ,  Valenciennes. 

Boucher,  instituteur,  Wallers. 

Bouchez,  notaire,  Bouchain. 

Bouillaux,  ancien  commissaire-priseur,  Saint-Amand. 

BouLAN  (Paul),  négociant,  à  Valenciennes. 

Boulanger  (Eniond),  rentier,  Raismes. 

Boulanger  (Léon),  fabricant  de  meubles,  Valenciennes. 

Boulet  (Sabin),  pharmacien,  d" 

Boutoey  (  M™"  v^«  ),  propriétaire,  d" 

BouTRY,  licencié-avoué,  d° 

Bradant  (Alfred),  fabricant  de  sucre,  Onnaing. 

Brepsant.  principal  du  collège ,  Le  Quesnoy. 

Broudehoux,  constructeur,  Anzin. 

Bruneau-Floub,  maire,  Saint-Amand. 

Bruneel,  ancien  instituteur,  Valenciennes. 

Bultot  (Amédée),  maire,  d" 

BuLTOT  (Edouard),  avocat,  d* 


-  36  - 

MM.  Caille  (Louis-Alexandre),  secrétaire  de  la  mairie,  Condé. 
Cailliau  (Auguste),  banquier,  à  Valenciennes. 
Canonne,  notaire,  Bouchain. 
Canonne,  juge-de-paix,  Bouchain. 
Canu,  arcliitecle,  Valenciennes. 
Canu  (Jules),  avocat,  à  Valenciennes. 
Carlier,  instituteur,  Thivencelles. 
Carlier  (iabbé),  curé-doyen,  Saint-Araand. 
CvKPENTiER,  commissaire-priseur,  à  Valenciennes. 
Castiau,  docteur  en  médecine,  Vieux-Condé. 
Castiai:,  maire,  Condé. 
Castiau  (Fernand),  notaire,  Condé. 
Cellier  (Eugène),  étudiant,  Valenciennes. 
Chabert  (baron),  receveur  des  finances,  Valei'.ciennes. 
Chadenier,  sous-préfel  de  l'arrondissemenl,  à  Valenciennes. 
Chapheau  (Jules),  comptable  ,  Raismes. 
Chaussez,  huissier,  Valenciennes. 

Chavatte  (Emile),  ingénieur,  directeur  des  mines  de  Crespin  ,  Quiévrechain 
Chéré  (Louis),  sous-lieutenant  au  28'^  de  ligne  de  Rouen,  Valenciennes. 
Cloart,  directeur  de  l'école  communale,  faubourg  de  Paris,  Valenciennes. 
Clouet,  instituteur,  Leceiles. 
CocHETEUx,  docteur  en  médecine,  à  Valenciennes. 
Collart  (Léon),  brasseur,  Saint-Saulve. 
CopiN  (Léon),  professeur  de  piano,  Valenciennes. 
Cordonnier,  directeur  de  l'école  communale,  Saint-Amand. 
CouLON  (Hector),  huissier,  Valenciennes. 

CoiRTiN  (Edouard),  juge-suppléant  au  Tribunal  civil,  Valenciennes. 
CoviLLON,  sous-lieutenant  au  8*^  dragons,  à  Condé-sur-l'Escaut. 
Gromback  (Pierre),  ancien  principal  du  collège,  Beuvrages. 

Damien  (François),  directeur  de  l'école  communale  des  garçons  (rue  des  Chartreux) 

Valenciennes. 
Danniaux,  ancien  magistrat,  à  Valenciennes. 
Dassonville,  fabricant  de  sucre,  maire,  Préseau. 
Debiève  (Jules),  négociant,  Conseiller  municipal ,  Valenciennes. 
Kebosse  (Edouard),  marchand  de  cuirs,  d" 

DÈCLE  (Julien)  Conseiller  d'arrondissement,  d" 

Defresnes  (Charles),  directeur  de  messageries,  d" 

Deladerrière  (Emile),  avocat,  d" 

Delvme,  président  de  la  Chan)bre  de  commerce,  d" 

Delannoy  (M""*  v'p  Jules),  propriétaire,  d" 

Delbauve  (Liévin),  négociant  en  cuirs,  d"' 

Delcoirt  (Th.),  notaire,  d" 

Deleau  instituteur,  Vicq. 
Deliuye  (Jules),  avoué,  Valenciennes. 
Delhaye  (Jules),  conseiller  municipal,  Valenciennes. 
Deliège,  instituteur,  Maing. 
Delmotte  (Ernest),  négociant,  Valenciennes. 
Delquignies,  instituteur,  Mortagne. 

Dels\rte  directeur  de  l'école  communale  (rue  Capron),  Valenciennes 
Demanest,  notaire,  Saint-Arnaud. 


-  37  - 

MM.  Depflle  (Arsène),  propriétaire,  Gomraegnies 

Depret  (Joseph),  ingénieur,  Anzin. 

Dervaux  (Ernest),  industriel,  Conseiller  général,  Condé. 

Dëscamps,  instituteur,  Thiant. 

Descamps,  docteur  en  médecine,  Kaismes. 

Descarpentries,  instituteur,  Neuville-sur-Escaot. 

Deschamps,  d°         Denain. 

Deschanvres  (Achille),  distillateur,  Denain. 

DÉsoRBvix  (Victor),  avocat,  Valenciennes. 
•      Devillers  (Charles),  avoué,        d° 

D'HoNDT,  instituteur,  Abscon. 

Dombre,  directeur  des  mines  de  Douchy,  Lourches. 

DouTRiAux,  avocat,  Valenciennes. 

Drevfos  (Léon),  négociant,  Valenciennes. 

Dreyfus  (Salomon),  négociant,  Valenciennes. 

Dreypi;ss  (Louis),  liuissier,  Valenciennes. 

Droulers  (Edmond),  industriel,  Fourmies. 

Druesne,  instituteur,  Hérin. 

Duriez  (Jules),  avocat ,  Valenciennes. 

Dubois  Risbourg,  construcleur,  Anzin. 

DuGARDiN  (Fcrnand),  pharmacien,  Valenciennes. 

Dupas-Brvsme,  négociant,  d" 

DupÉRÉ  (Albéric),  employé  à  la  Compagnie  d'Anzin,  Denain. 

Dupont,  instituteur,  Trith-St-Léger. 

Dupont  (Paul,  fils),  banquier,  à  Valenciennes. 

DussARi ,  architecte.  Valenciennes. 


EwBANCK  (Georges),  avocat,  Valenciennes. 


Fally  (Emile),  brasseur,  Condé. 
Frappart,  maire,  Aulnoy. 


Fontëllaye,  négociant.  Conseiller  municipal,  Valenciennes. 

FoRicHON,  capitaine  de  cavalerie  en  retraite,  receveur  des  hospices,  Valenciennes 

Portier,  entrepreneur,  Valenciennes. 

Foucart  (Jean-Baptiste),  avocat,  Valenciennes. 

FoucART  (PauPi,  avocat,  Valenciennes. 

Frache  (Léon),  tanneur,  Conseiller  municipal,  Valenciennes. 

François,  instituteur,  Saultain. 


GiARD  (Georges),  libraire,  Valenciennes. 
GiARD  (Pierre),         d"  d" 

GiARD  (Léon),  courtier  de  commerce ,  Valenciennes. 
Gidoin,  chefdu  contentieux  à  la  Compagnie  des  mines,  Anzin. 
Gillet  (Arthur),  expert-comptable  ,  à  Valenciennes. 
Girard  (Paul),  avocat,  Valenciennes. 

Givert  (M">î  Maria),  directrice  de  l'école  communale  de  filles  (rue  Capron),  Valen- 
ciennnes. 


—  38  — 

MM.  GoroEMVND  (Léon),  avocat,  Valenciennes. 
Grimonprez  (Eugène),  ingénieur  civil. 
GcARY,  directeur  général  de  la  Compaguie  des  mines ,  Anzin. 
GuiLLEMABT,  jugc  au  Tribunal  civil,  Valenciennes. 

Hacart,  instiluleur,  Eslreux. 

llVRiMGNiES  père,  membre  de  la  Chambre  de  commerce,  Famars. 

llARPiGNiK.s  (ils,  commissionnaire  on  sucre,  d° 

IlArBOLRDiN,  brasseur,  Vieux-Condé. 

Henrv,  rédacteur  en  chef  du  Courrier  du  Nord,  à  Valenciennes. 

Herbert,  ancien  notaire.  Saint-Amand. 

Herbert,  mercier  en  gros.  Valenciennes. 

HiEN,  instituteur,  Ghàteau-L'Abbaye. 

HoiJTABD  (Eugène),  maitrede  verrerie,  Denain. 

HuGOO,  instituteur.  Nivelles. 

HuGi'ET,  contrôleur  de  charbonnages,  Valenciennes. 

HuNET,  agriculteur,  maire,  Estreux. 

HuYGHE,  instituteur,  Ouiévrechain. 


Jacob  (Adolphe),  négociant,  Valenciennes. 
JAGER.  percepteur,  à  Condé-sur-l'Escaut. 
Jénart,  ancien  maire,  Anzin. 

Lajoie,  ingénieur,  Anzin. 

Lapchin  (Charles),  négociant,  d° 

Lartisien,  docteur  en  médecine,  Denain. 

Lebacqz  (Albert),  avocat,  Saint-Amand. 

Lecat  (Julien),  président  du  Tribunal  de  con)racrce,  Valenciennes.    , 

Lecerf,  docteur  en  médecine,  d** 

LÉCUYER,  1"  commis  a  la  direction  des  douanes,  d" 

LEmEU  (Adliémar),  propriétaire,  d° 

Leduc,  juge  au  Tribunal  de  commerce,  d" 

Lefervre  (Auguste),  notaire,  d" 

Lefebvre  (Emile),  propriétaire,  d" 

Lefrancq-Claisse,  négociant,  d° 

Lejevl  (Uippolyte),  avocat,      ^  d" 

Lemvire,  médecin-vétérinaire,  Saint-Amand. 

Lemaire  (M"p),  directrice  de  l'école  communale  de  tilles  (rue  des  Chartreux), 

Valenciennes. 
Lemoine  (Emile),  greffier  du  Tribunal  de  simple  police,  Valenciennes. 
Lepez  (F.),  rédacteur  en  chef  de  ï'Imiiarlial,  d" 

Lerouge,  instituteur,  Hélesmes. 

Leroy  (Edmond),  greffier  du  Tribunal  de  commerce  de  Valenciennes 
Lestoili.e  (Edmond),  avoué,  d" 

Leslr,  instituteur,  Quarouble. 
Lobert  (Albert),  négociant,  Valenciennes. 
Longcourty,  instituteur,  Bruille-Saint-Amand. 
Ll'sardy  (Georges),  notaire,  Jeulain. 
Lussiez,  instituteur,  Kœulx. 
Lcwez  (Emile)  étudiant,  Valenciennes. 


-  39  - 

MM.  Machdix,  Instituteur,  Anzin  (Bleuse-Borne). 
MviLLiET,  constructeur,  Anzin. 
M\iziERUE  (Auguste),  adjoint  au  maire.  Quarouble. 
MvLicoRNE,  grefticr  en  ctief  du  Tribunal  civil,  Valenciennes. 
Mamss\hï-T\z\,  ingénieur  des  arts  et  manufactures,  Anzin. 
M.VGNiEz(Ciiaries),  agriculteur,  Rouvignies. 
MvRCH\ND,  huissier,  Condé. 
MvRGKRiN,  docteur  en  médecine,  à  Valenciennes. 
MvRivGE  (l^,douard),  négociant  en  vins,  Valenciennes 
MvRivGE  (Jean-Baptiste),  maire,  Ttiiant. 
Mahlière  (Cliarles),  négociant,  Valenciennes. 
Mascvrt,  ancien  instituteur,  Quarouble. 
Mascmjx,  notaire,  Mortagne. 
Massingie,  négociant,  Mortagne. 
Mathieu  (Amédée),  propriétaire,  Anzin. 
Mestreit,  directeur  de  la  Compagnie  des  Tramways,  à  Anzin. 
Melbs,  avoué ,  Valenciennes. 
Michel,  instituteur,  Marly. 
Mo.nfroy,        d"         Fresues. 
Moreaux-Sturbois,  maire,  à  La  Sentinelle. 
MoREL,  instituteur,  Rombies. 
Motte  (31"l'  Pauline),  rue  des  Hospices,  Valenciennes. 
MOTTEZ  (Paul),  fabricant  de  sucre,  Saii.t-Amand. 
Muguet  (Gustave),  agent  d'assurances,  Valenciennes. 
MuLLER,  percepteur,  d" 

MusEUR  (Alfred),  constructeur,  Blanc-Misserou. 


Namur,  notaire,  à  Valenciennes. 

NicoLLE  (François),  juge  au  Tribunal  de  Commerce,  à  Valenciennes 

Pagmen  (Léon),  professeur  de  piano  ,  Valenciennes 

Patoir-Lionne,  négociant,  Conseiller  d'arrondissement,  Wallers 

Pernelet,  directeur  des  douanes,  Valenciennes 

Pillez,  mgénieur,  directeur  des  mines  de  Vicoigne,  Uaismes. 

PiLLio.N  Clément,  cultivateur,  Hérin. 

Podevin  (César),  ancien  avoué,  Valenciennes. 

PoDEviN  (M"*^  Blanche),  institutrice,  Valenciennes. 

Pouget,  instituteur,  Anzin. 

Poutre,         d"     en  retraite ,  Flines-lez-Morlagne. 

Preux  (de)  (Gustave),  au  château  de  la  Villette,  Saultain. 

Baux,  instituteur,  Lille. 
Richard,       d"       Denaiu. 
RiNGOT,         d°       Mastaing. 


Saint-Quentin  (Fénelon),  avocat,  Valenciennes. 
Sautteau  (Paul),  avocat,  adjoint  au  maire,  Valenciennes. 
Sërbat,  industriel,  Saint-Saulve. 


-  40  - 


MM.  Serment,  directeur  des  forges,  Anzin. 

SiROT  (Jules),  industriel,  Conseiller  général,  Saint-Amand. 
SizuRE,  instituteur,  Mout-des-Bruyères,  Satnt-Amand. 
L.\  Société  d'Agriculture,  Sciences  et  Arts,  Valenciennes. 
Stiévenard  (François),  marchaud-<^picier,  d° 


Tassin,  maire,  Crespin. 

TvucHON,  docteur  en  médecine,  Saint-Yaast-là-Haut,  Valencieunes. 

Thellier  (François),  |)ropriétaire,  Hérin. 

Tison,  instituteur,  Anzin. 

TouRTOis,    d"        Wasnes-au-Bac. 

Trampont.  géomètre,  Valenciennes. 

Trinquet  (Alfred),  marchand-brasseur.  Conseiller  municipal,  Valencienues. 

Trinquet  (Numa),  brasseur,  Valenciennes. 

Turbot,  industriel,  Anzin. 

Vandeville  (Jean-Baptiste),  fabricant  de  sucre,  Maing. 
VÉREZ,  notaire,  Saint-Amand. 
ViLLERVAL,  instituteur,  Onnaing. 
Villerval,        d"  Escaudain. 

VuiOT,  d"  Marquette. 

Wagret  (Adolphe),  maître  de  verreries.  Conseiller  d'arrondissement,  Escautpnnt. 
Wallerand  (M"'),  directrice  de  l'école  municipale  de  filles,  Denain. 
Watevu,  vice-président  du  Bureau  de  bienfaisance.  Conseiller  municipal,  Valen- 
ciennes. 
Wattecamps,  sous-bibliothécaire ,  Valenciennes. 
Wattiau  (Myrtyl),  constructeur  de  bateaux,  Condé. 
Weil  (Emile),  industriel,  maire,  Marly. 
Weil  (Hector),  négociant,  Marly. 
WiNs  (Léon),  directeur  de  la  sucrerie,  Escaudain. 

ZiMMERMANN,  Chef  de  gare,  Valenciennes. 

Harmigniks,  fabricant  de  cordages,  Anzin. 

Delvttre,  instituteur,  MiUonfo.sse. 

Le  Coste  (Georges),  percepteur,  Valenciennes. 


-  41 


imÈS  -  VERBAUX  DES  ASSEMBLÉES  (lÉNÉKALES. 


Assemblée  g^énérale  du  98  Octobre  i88G 


Présidence  de  M.  Paul  Crepy. 

La  séance  est  ouverte  à  8  heures  1/2. 

MM.  Paul  Crepy  ,  président ,  Alfred  Renouard  ,  secrétaire-général , 
Van  Hende,  bibliothécaire,  Quarré-Reybourbon,  archiviste,  Delessort, 
Duburcq  ,  Mulliez  ,  membres  du  comité  d'études  ,  prennent  place  au 
bureau. 

MM.  Bossut .  Faucher,  Eeckman  et  Leburque-Comerre  ,  s'excusent 
par  lettre  de  ne  pouvoir  assister  à  la  séance. 

Divers  dons  sont  faits  à  la  bibliothèque  : 

1°  Par  M.  Tilmant ,  d'une  collection  de  tableaux  cosmographiques, 
exécutés  par  les  élèves  de  l'école  supérieure  de  garçons  ; 

2"  Par  M.  Henri  Gaulier,  consul  de  la  République  Argentine  à  Lille, 
d'un  exemplaire  du  dernier  message  du  président  de  ladite  République  ; 

3"  Par  M.  Jules  Leclercq,  ancien  président  de  la  Société  royale  belge 
de  géographie,  de  deux  brochures  :  «  Antiquilès  mexicaines  »  et  «  les 
Geysers  de  la  Terre  des  Merveilles  »  ; 

4"  Par  M.  le  D""  Rouire ,  membre  de  la  mission  de  l'exploration 
scientifique  de  Tunisie ,  d'une  brochure  :  «  Exposition  du  système 
hydrographique  et  orographique  de  la  province  d'Afrique,  d'après 
Ptolémée,  et  concordance  des  données  Ploléméennes  avec. les  indi- 
cations fournies  par  la  topographie  de  la  Tunisie  actuelle.  » 

Des  remerciements  seront  adressés  à  ces  généreux  donateurs. 

M.  Coudreau  informe  par  lettre  la  Société  que  l'ouvrage  qu'il 
prépare  sur  l'Amazonie  va  paraître  sous  peu  ,  et  demande  si  quelques 
membres  ne  voudraient  pas  s'inscrire  au  nombre  des  souscripteurs. 
Cinq  adhésions  sont  données  séance  tenante. 

M.  le  président  expose  que  le  concours  annuel  a  eu  lieu  le  28  juillet 
dans  les  conditions  habituelles  ;  les  journaux  en  ont  fait  connaître  le 
résultat,  et  la  distribution  des  récompenses  sera  faite  ,  comme  d'ordi- 
naire ,  à  la  séance  solennelle  de  janvier.  11  remercie  MM.  Brunel , 
Mamet ,  Epinay  ,  Faucher  ,  Jacquiu  ,  Junker ,  Van  Hende  ,  Leburque- 
Comerre  ,  Duburcq  et  Alfred  Renouard  qui  ont  bien  voulu  corriger  les 
copies  des  concurrents  et  en  faire  le  classement.  A  ce  propos ,  il  est 


—  42  — 

heureux  de  pouvoir  annoncer  que  M.  le  Ministre  de  l'Instruction 
publique  ,  sur  la  demande  du  bureau ,  a  bien  voulu  accorder  un  pris 
d'honneur  p(jur  la  meilleure  copie. 

Dans  ses  dernières  séances  ,  le  comité  d'études  a  désigné  un  certahi 
nombre  de  nouveaux  membres  correspondants  :  MM.  Delamare , 
Gauthiot .  S.  Oukawa  ,  Bonvarlet ,  Bécourt  et  Monteil.  M.  le  président 
demande  à  l'assemblée  de  vouloir  bien  ratifier  ces  nomii^ations. 
A  l'unanimité  ,  celles-ci  sont  aussitôt  acceptées. 

Plusieurs  conférences  sont  annoncées.  M.  le  président  nomme 
successivement  M.  Guillot,  qui  parlera  des  Grisons;  M.  Westmarck  , 
suédois,  qui  nous  entretiendra  du  Congo;  etMM.  deMahy  etMoncehm, 
qui  trait,eront,  Tun  de  Madagascar ,  l'autre  de  la  Nouvelle-Calédonie, 
et  tous  deux  de  la  question  coloniale.  Les  causeries  des  membres  de  la 
Société  varieront  agréablement  ces  conférences  ;  MM.  Trouhet, 
Jacquin  ,  Colardeau,  Junker,  Lefebvre,  etc.,  ont  bien  voulu  promettre 
leur  concours. 

Le  diplôme  de  la  Société  ,  que  M.  Van  Driesten  avait  bien  voulu  se 
charger  de  dessiner,  est  terminé  :  comme  il  est  exposé  dans  la  salle  des 
cours,  les  membres  présents  ont  pu  juger  combien  celui  qui  l'avait 
entrepris  avait  apporté  de  soin  et  de  perfection  dans  son  œuvre.  Aussi 
le  comité  a-t-il  jugé  qu'il  était  du  devoir  de  la  Société  d'en  remercier 
l'auteur  d'une  façon  eflective,  et  il  a  proposé  de  décerner  à  notre 
excellent  héraldiste  une  médaille  d'honneur  dans  la  séance  solennelle 
de  janvier.  M.  le  président  demande  à  l'assemblée  de  vouloir  bien 
approuver  cette  décision.  A  l'unanimité,  les  membres  présents  ratifient 
la  proposition  du  comité. 

M.  le  président  ajoute  que,  moyennant  une  cotisation  supplémentaire 
de  cinq  francs  ,  tous  les  membres  de  la  Société  ,  qui  en  exprimeront  le 
désir,  recevroiit  le  diplôme  revêtu  de  leurs  noms  et  titres. 

Deux  comuuinications  d'un  grand  intérêt  termhient  cette  séance  : 
l'une  de  M.  Péroche ,  sur  La  iner  Polaire;  l'autre  de  M.  Quarré- 
Reybourbon  ,  sur  Blankenberghe  et  ses  environs. 

La  réunion  se  sépare  à  10  heures. 

Assemblée  jcénérale  du  18  Décembre  1886. 


Présidence  de  M.  Paul  Crepy 
La  séance  est  ouverte  à  8  heures  1/2. 
MM.  Paul  Crepy  ,    président ,    Faucher ,  vice  -  président ,    Alfred 


-43- 

Renouard  ,  secrétaire  -  général ,  Alex.  Eeckmau,  secrétaire  -  général- 
adjoint.  Quarré-Reyboiirbon,  archiviste,  Delessert  et  Warin,  membres 
du  comité,  prennent  place  au  bureau. 

M.  le  président  fait  part  du  décès  de  M.  Alp.  Gees ,  président  de  la 
Société  de  géographie  du  Havre.  11  a  transmis  à  cette  Association  tous  les 
regrets  de  notre  Société  pour  la  perte  sensible  qu'elle  vient  de  faire. 

Une  section  de  la  Société  vient  de  se  former  à  Tourcoing  par  les 
soins  de  M.  François  Masurel  père,  délégué  du  comité  pour  cette  ville. 
Le  secrétaire  est  M.  Paillard-Lelong ;  M.  Desurmont  a  bien  voulu 
accepter  les  fonctions  de  vice-président.  Déjà  deux  conférences  ont 
eu  lieu  ,  l'une  de  M.  Potél ,  sur  la  République  Argentine ,  l'autre  de 
M.  le  baron  Michel  ,  sur  l'Australie  ,  et  plusieurs  sont  annoncées  pour 
le  courant  de  la  saison.  La  section  de  Tourcoing  ne  peut  manquer,  dès 
lors,  de  devenir  prospère  ,  et  il  y  a  lieu  de  féliciter  de  ce  résultat  ceux 
qui  ont  bien  voulu  se  charger  de  son  organisation. 

M.  le  président  annonce  que  le  conférencier  qui  se  fera  entendre  à 
la  séance  solennelle  de  janvier  de  la  Société  de  Lille  ,  sera  M.  Gh. 
Letort,  conservateur  de  la  bibliothèque  de  l'Arsenal,  qui  prendra  comme 
sujet  :  Vingt  jours  au  Canada.  Comme  on  pourra  en  juger,  M.  Lecort 
est  un  conférencier  de  talent  qui  ne  peut  manquer  de  plaire  à  notre 
auditoire  habituel,  et  il  y  a  lieu  dépenser  qu'avec  son  concours  la  séance 
de  janvier  ne  sera  ni  moins  substantielle  ni  moins  attrayante  que  celles 
qui  l'ont  précédée. 

Aux  termes  des  statuts,  les  membres  du  bureau  doivent  être  renou- 
velés par  tiers  :  ceux  que  le  sort  désigne  comme  devant  sortir  cette 
année,  mais  cependant  rééligibles,  sont  MM.  Bossut ,  Brunel ,  Grépin , 
Déjardin ,  Delessert ,  Faucher ,  Hedde  ,  Leburque  et  Renouard  ;  de 
plus  ,  M.  le  lieutenant-colonel  Delamaie ,  actuellement  correspondant 
de  la  Société  à  Montargis,  doit  être  remplacé. 

Au  scruthi  secret  qui  a  lieu  immédiatement ,  les  mêmes  membres 
sont  réélus  ,  à  ruuanimité.  M.  Merchier ,  professeur  agrégé  d'histoire 
au  lycée  de  Lille,  est  désigné  pour  remplacer  M.  Delamare. 

Deux  communications  terminent  cette  séance  :  l'une  de  M.  Froment, 
chef  de  station  de  première  classe  au  Gongo  français  ,  «  sur  les 
Régions  de  VAlima  ,  de  la  Licona  et  la  Sanga  »  ;  l'autre  de 
M.  Delessert,  sur  quelques  phénomènes  accidentels  qui  se  sont  pro- 
duits dans  diverses  montagnes  de  la  Suisse  et  notamment  à  Elm , 
en  1881. 

La  séance  est  levée  à  9  heures  3/4. 


-  44  - 


Séance  solennelle  annuelle  de  la  Distribution  des  Récompenses 

DE  LA  SOCIÉTÉ  DE  GÉOGRAPHIE  DE  LILLE. 


La  séance  solennelle  de  la  distribution  des  récompenses  a  eu  lieu 
le  Dimanche  0  Janvier,  dans  la  grande  salle  des  fêtes  de  la  Société. 
La  réunion  était  considérable  et  les  principales  notabilités  de  la  ville 
y  figuraient  aux  premiers  rangs.  Sur  l'estrade,  M.  Paul  Crépy,  prési- 
dait la  séance,  ayant  à  ses  côtés  les  membres  du  bureau,  ainsi  que  les 
représentants  des  Sociétés  de  Roubaix,  Tourcoing,  etc.  L'excellente 
musique  des  «  Amis  Réunis  de  Marcq  »  prêtait  son  concours  à  cette 
solennité. 

Allocution  du  Président, 

A  l'ouverture  de  la  séance,  M.  Paul  Crépy,  président,  a  pris  la  parole 
en  ces  termes  : 

Mesdames,  Messieurs, 

«  Je  parcourais,  il  y  a  quelques  jours,  la  liste  déjà  très  longue  des 
Conférences  organisées  par  notre  Société,  depuis  sa  fondation,  et, 
malgré  la  diversité  des  sujets  traités,  je  constatais  qu'ils  se  rappor- 
taient pour  la  plupart,  à  l'Asie  et  à  l'Afrique. 

Sans  doute,  le  mouvement  Colonial,  si  actif  depuis  quelques  années, 
mais  dont  le  développement  semble  aujourd'hui  légèrement  paralysé 
par  les  difficultés  éprouvées  ou  les  insuccès  subis,  avait  surtout  pour 
objet  ces  deux  parties  du  Monde,  et  les  plaidoyers  si  patriotiques  de 
MM.  Harmand,  Millot,  Bayol,  de  Brazza  et  de  Mahy  avaient  pour  but 
principal  de  vous  faire  connaître  les  pays  sur  lesquels  la  France, 
revendiquait  ou  revendique  encore  ses  droits  légitimes.  Mais,  à  côté 
de  ces  régions,  à  peine  ouvertes  à  notre  commerce,  et  chez  lesquelles 
notre  industrie  doit  chercher  les  débouchés  qui  lui  manquent,  en 
europe,  il  existe  une  contrée  où  se  trouvent  des  Etats  déjà  formés, 
civilisés,  avec  lesquels  les  relations  commerciales  tendent  de  plus  en 
plus  à  augmenter,  je  veux  parler  du  Nouveau  Monde. 


-  45  - 

L'Amérique  a  eu  ses  explorateurs,  comme  l'Asie,  comme  l'Afrique; 
comme  ces  deux  parties  du  Monde,  elle  possède  ses  marchés,  ses 
routes  de  commerce.  Déjà,  à  plusieurs  reprises,  les  questions  qui  l'in- 
téressent, et  qui  nous  préoccupent  aussi,  ont  été  développées  devant 
vous.  Vous  n'avez  pas  oublié  la  très  éloquente  conférence  dans  laquelle 
M.  le  Consul  Wiener  vous  exposa  ses  voyages  de  Guyaquil  à  l'Ama- 
zone, et  vous  dénionlra  quelle  extension,  notre  commerce,  en  s'avan- 
çant  jusqu'à  Manâos,  pourrait  trouver  dans  cette  partie  du  Nouveau 
Continent  ;  M.  Thouar  vous  a  relaté  les  péripéties  de  son  expédition  à 
la  recherche  de  la  Mission  Crevaux,  si  malheureusement  massacrée 
dans  le  Grand  Chaco,  au  moment  où  eile  cherchait  à  relier,  par  une 
voie  commerciale,  le  Paraguay  aux  affluents  de  l'Amazone  ;  les  civili- 
sations jadis  si  brillantes  du  Mexique,  ont  revécu  pour  vous,  grâce  aux 
agréables  causeries  de  M.  Désiré  Charnay,  le  doyen  des  explorateurs 
français,  à  qui  M.  de  Lesseps,  au  nom  de  la  Société  de  Géographie 
de  France,  attribuait,  le  mois  dernier,  la  dotation  du  legs  Poirier. 
Un  de  nos  plus  jeunes  explorateurs,  M.  Coudreau,  vous  a  développé 
la  question  du  «  Territoire  Contesté  »  entre  la  France  et  le  Brésil, 
vers  la  région  des  Guyanes,  provoquant  ainsi  dos  tentatives  de  solution 
d'une  question  discutée  depuis  deux  siècles  et  demi  !  M.  le  Lieutenant 
de  Vaisseau  Courcelle-Seneuil  vous  a  décrit  la  mission  de  la  «  Ro- 
manche »  au  Cap  Horn  ,  dont  il  était  le  commandant  à  terre,  mission 
tout  à  fait  scientifique,  qui  nous  à  fait  connaître  le  pays  si  triste  et 
si  peu  exploré  des  Fuégiens.  Enfin  nos  sections  .de  Roubaix  et  de 
Tourcoing,  ont  eu  la  boinie  fortune  d'entendre  M.  Potel,  parler- avec 
la  compétence  qui  lui  est  reconnue,  du  Paraguay  et  de  la  République 
Argentine,  ces  Etats-Unis  de  l'Amérique  du  Sud 

Si  je  rappelle  devant  vous  ces  souvenirs,  c'est  parce  que,  à  côté  des 
noms  si  estimés  de  tous  ces  explorateurs,  je  puis  joindre  celui  de 
M.  Charles  Letort,  qui  veut  bien  venir  nous  raconter  son  récent  voyage 
dans  une  autre  contrée  de  l'Amérique,  vers  laquelle  bien  souvent  se 
tournent  nos  regards.  Le  Canada,  qu'il  vient  de  visiter,  dans  des  con- 
ditions tout  à  fait  exceptionnelles,  fut  longtemps  une  de  nos  meilleures 
colonies  ;  il  fut  français  aux  XVIP  et  XVlir  siècles  ;  il  l'est  encore 
aujourd'hui  de  cœur,  même  après  sa  conquête  par  l'Angleterre  !  C'est 
donc  une  question  à  la  fois  intéressante  et  patriotique  qui  va  vous  être 
exposée. 

Mais  auparavant,  je  tiens  à  remercier  notre  Conférencier  d'avoir  si 
gracieusement  répondu  à  notre  appel,  et  à  offrir  l'expression  de  notre 


-  46  - 

vive  reconnaissance  à  M.  Lourdelet,  vice-président  de  la  Société  de 
Géographie  Commerciale  de  Paris.  —  C'est,  en  effet,  à  ses  bons  offices 
que  nous  devons  d'accueiilir,  en  ce  moment,  M.  Letort.  Sa  présence 
parmi  nous  contribuera  certainement  à  resserrer  encore  les  liens  de 
sympathie  réciproque  qui  unissent  notre  Compagnie  à  la  Société  de 
Géographie  Commerciale  —  dont  beaucoup  de  nos  membres  font  partie 
—  dont  notre  collègue  et  ami  M.  Guillot  est  actuellement  secrétaire  — 
dont  plusieurs  Conférenciers  sont  déjà  venus  jusqu'à  nous,  tandis  que 
de  son  côté  ,  M.  Renouard  est  allé  faire  cette  année  devant  elle  une 
conférence  sur  les  Textiles  de  l'Inde  —  dont  enfin,  M.  Gauthiot.  le 
dévoué  créateur  et  l'âme,  ne  laisse  échapper  aucune  occasion  de  dire 
du  bien  de  nous,  et  de  faire  connaître  nos  efforts  et  nos  travaux  dans 
la  grande  Cité  Parisienne.  » 

Conférence  de  il.  Lietort. 

Après  cotte  allocution,  vivement  applaudie  ,  M.  le  président  a  donné 
la  parole  à  M.  Ch.  Letort,  conservateur  de  la  bibliothèque  de  l'Arsenal, 
à  Paris,  qui  sous  le  titre  «  Vingt  jours  au  Canada,  »  a  fait  à  la  Société 
l'une  des  plus  intéressantes  conférences  qu'il  lui  ait  été  donné  d'en- 
tendre. Cinquante  projections  à  la  lumière  oxhydrique  ont  agrémenté 
de  la  façon  la  plus  heureuse  les  descriptions  pittoresques  et  patrio- 
tiques du  conférencier,  dont  nous  publierons  ultérieurement  in- 
ecclenso  les  paroles  ,  recueillies  par  l'un  des  sténographes  ordinaires 
de  la  Société. 

Rapport  sur  les  travaux  de  1$$6. 

M.  Alfred  Renouard,  secrétaire  général,  a  pris  ensuite  la  parole  eu 
ces  termes  : 

Mesdames,  Messieurs, 

«  On  dit  que  de  nos  jours  les  jeunes  gens  voyagent  beaucoup  plus 
qu'autrefois.  Rendons  grâce  aux  chemins  de  fer  qui  leur  facilitent  les 
plaisirs  de  la  route,  mais  soyons  aussi  reconnaissants  envers  les 
sociétés  de  géographie  qui  leur  en  inspirent  le  goût. 

Dans  le  cours  de  l'année  en  effet,  nous  offrons  à  nos  membres  trois 


-  47  - 

genres  de  voyages  très  souvent  iiK^Hits.  A  ceux  qui  craignent  la  fatigue 
nous  apprenons  à  voyager. . .  au  coin  du  feu  ,  nous  leur  mettons  sous 
les  yeux  notre  bulletin  périodique,  et  pour  peu  que  nos  lecteurs  aient 
l'imagination  féconde,  nous  les  transportons  au-delà  des  mers  en  les 
attachant  aux  récits  de  nos  explorateurs. 

Aux  plus  intrépides  —  côté  du  plus  grand  nombre  —  nous  offrons 
des  conférences  ou  des  causeries  de  voyageurs,  et  nous  avons  la  salis- 
faction  de  constater  ici  que  le  sexe  faible  répond  à  notre  appel  avec  la 
plus  grande  bienveillance  et  vient  à  chaque  fois  émailler  de  ses  fraîches 
toilettes  le  noir  sombre  de  nos  habits. 

Enfin  il  est  aussi  chez  nous  des  voyageurs  pour  de  bon  —  souvent 
aussi  des  voyageuses  —  qui  participent  à  nos  excursions  d'été  et 
forment  de  charmantes  caravanes  dont  les  villégiatures  semblent  tou- 
jours trop  courtes. 

On  n'a  donc  pas  le  temps  de  s'ennuyer  dans  notre  monde  géogra- 
phique, où  l'utile  et  l'agréable  se  coudoient  journellement  et  semblent 
avoir  contracté  un  pacte  indélébile  ;  aussi  l'année  nous  semble-t-elle 
bien  courte,  et  pour  mon  compte  je  suis  toujours  étonné  de  devoir  aussi 
rapidement  vous  souhaiter  la  bienvenue. 

Mais  nous  le  faisons  volontiers.  Quand  je  dis  «  nous  »,  j'entends  une 
collectivité  qui  comprend,  outre  le  groupe  de  Lille  ,  ceux  que  repré- 
sentent Valenciennes,  Roubaix  et  Tourcoing,  auxquels  nous  envoyons 
notre  bulletin  mensuel.  Là  aussi  l'activité  est  grande  parce  que  la  di- 
rection ne  sommeille  pas,  et  je  suis  heureux  de  pouvoir  saluer  les  ho- 
norables présidents  de  chacune  de  ces  sections  ici  présents  :  M.  Dou- 
triaux  qui  a  su  dwiner  à  la  société  de  Valenciennes  une  impulsion  et 
un  entrain  enviable  ;  M.  Bossut,  qui  excelle  à  imprimer  à  la  section  de 
Roubaix  une  vitalité  et  un  élan  que  nous  admirons  toujours;  et  M.  Fran- 
çois Masui'el,  qui  a  créé  cette  année  à  Tourcoing  une  section  dont  les 
prémices  nous  promettent  pour  l'avenir  les  meilleurs  espérances. 

Passons  en  revue  rapidement  les  travaux  de  chacun  de  nos  voisins. 

A  Valenciennes  tout  d'abord,  nous  relevons  sept  conférences  ,  dont 
le  compte-rendu  trimestriel  a  été  fait  excellemment  pour  nos  annales 
par  le  dévoué  secrétaire-général  de  cette  association,  M.  PaulFoucart. 
Notre  ami  M.  Guillot,  qui  ne  recule  jamais  quand  il  s'agit  du  bien  de 
notre  Société,  a  bien  voulu  venir  à  deux  reprises  différentes  dans  la 
patrie  des  Garpeaux  et  des  Hiolle,  et  à  chaque  fois  il  a  enthousiasmé  son 
auditoire,  soit  qu'il  lui  parlât  des  voyages  de  M.  de  Brazza,  soit  qu'il 
entretint  son  public  des  sites  si  pittoresques  et  si  gracieux  du  pays  des 


-  48  - 

Grisons.  M.  Faucher,  notre  excellent  vice-président,  s'est  rendu  à  son 
tour  à  Valenciennes,  pour  y  parler  de  l'exploitation  des  nitrates  et  de 
la  récente  guerre  du  Chili,  du  Pérou  et  de  la  Bolivie  ;  il  a  montré  que, 
si  nous  étions  assez  riches  pour  prêter  à  nos  voisins,  nous  savions  aussi 
leur  offru'  des  morceaux  de  choix  et  des  conférenciers  de  talent.  Je 
nommerai  encore  parmi  ceux  qui  ont  entendu  les  Valenciennois  ; 
■M.  Oukawa,  sur  le  Japon  ;  M.  Valcke,  sur  l'état  libre  du  Congo  ; 
M.  Alglave,  sur  la  réforme  de  l'impôt  des  alcools  :  et  enfin  M.  Marins 
Vachon,  sur  la  crise  industrielle  et  artistique  en  France  et  en  Europe  ;  — 
ce  qui  vous  prouve,  Messieurs,  comme  je  le  disais  tout  à  l'heure,  qu'on 
ne  sait  pas  perdre  son  temps  sur  les  rives  de  l'Escaut  et  que  toujours 
on  y  maintient  les  bonnes  traditions  dont  nous  sommes  si  fiers  à  Lille. 
Au  chapitre  «excursions  »  ,  je  note  une  première  aux  sources  de  l'Es- 
caut, une  seconde  à  Anzin  et  Saint-Amand,  puis  le  voyage  au  Congrès 
scientifique  de  Nantes  de  MM.  Doutriaux  et  Foucart  qui  y  ont  repré- 
senté leur  société,  tout  cela  sans  compter  les  petites  excursions  com- 
munes avec  leurs  voisins  de  Lille,  dont  je  vous  entretiendrai  tout  à 
l'heure.  Bref,  entrain  sur  toute  la  ligne  :  tel  est  le  mot  de  ralliement 
que  semblent  s'être  donné  les  membres  de  la  Société  de  Valenciennes 
depuis  le  pacte  d'union  qu'ils  ont  contracté  avec  nous.  D'aucuns  trou- 
veront que  le  bien  est  contagieux  ;  je  dirai  à  mon  tour,  qu'il  ne  deman- 
derait qu'à  se  manifester. 

Si  de  là  je  passe  à  Roubaix,  j'ai  le  plaisir  d'y  constater  une  ai\ieur 
non  moins  grande  et  des  résultats  tout  aussi  significatifs.  Le  Comité 
spécial  de  cette  ville  foisonne  d'ailleurs  en  hommes  de  dévouement 
qui  apportent  à  M.  Henri  Bossut  leur  utile  écot  et  leur  concours  efl'ec- 
til  :  j'ai  nommé  M.  Leburque-Comerre,  un  passionné  géographe  et  un 
organisateur  de  mérite  ;  M.  Duburcq,  un  secrétah'e  modèle  ;  M.  Junker, 
le  dévouement  fait  homme ,  et  bien  d'autres  qui  me  pardonneront  de 
ne  pas  les  nonnner  tous,  mais  dont  unanimement  nous  remai'quons  ici 
l'ardeur  au  bien  et  l'obligeance  sans  égales. 

A  l'inauguration  des  conférences  de  Roubaix,  je  vois  encore  ici 
M.  Guillot,  qui  commence  la  série  par  une  magistrale  étude  de  la  ques- 
tion d'Orient  dans  l'Asie  centrale  ;  il  est  suivi  bientôt  de  M.  Coudreau, 
qui  nous  entretient  de  son  thème  favori  «  le  territoire  contesté  entre  la 
France  et  le  Brésil»,  de  M.  Lefèvre.  un  enfant  de  Gascogne,  qui  sait 
intéresser  ses  auditeurs  en  leur  parlant  de  Bordeaux  et  du  bassin  de  la 
Gironde  ;  de  votre  secrétaire-général,  qui  prend  comme  texte  «  l'in- 
dustrie cotonnière  dans  les  Indes  »  ;   de  M.  Castonnet  des  Fosses  qui 


—  i«  — 

nous  fait  parcourir  l'E.spagne  eu  artiste  et  eu  homme  d'affaires;  de 
M.  Oukawa  enfin,  dont  la  verve  originale  n'est  jamais  en  défaut  quand 
il  s'agit  de  la  Société  de  Lille,  et  qui  veut  bien  nous  exposer  comme  il 
l'a  fait  à  Valenciennes,  les  us  et  coutumes  de  son  pays  natal.  Puis  à 
bref  délai  voici  que  commence  une  nouvelle  série  :  M.  Fabre  le  pre- 
mier, dans  un  langage  énergique  et  pittoresque,  nous  fait  connaître  les 
mœurs  et  l'histoii'e  toute  française  des  habitants  du  Canada  ;  M,  Fau- 
cher, toujours  obligeant,  nous  initie  de  nouveau  aux  péripéties  si  émou- 
vantes de  la  guerre  péruvio-chilienne  ;  M.  Potel  nous  lait  voyager  en 
son  agréable  compagnie  au  travers  des  républiques  de  la  Plata; 
M.  Gastonnet  des  Fosses  enfin  discute  avec  nous  les  intérêts  français 
dans  l'île  de  Madagascar  et  sait  trouver  à  ce  propos  un  langage  patrio- 
tique qui  fait  vibrer  notre  cœur  de  français.  Honneur  aux  Roubaisiens 
qui,  avecleur  seul  concours,  ont  su  réunir  chez  eux  cette  phalange  de 
conférenciers  !  honneur  surtout  au  président  de  la  section  et  aux 
hommes  dévoués  du  Comité  qui  ont  mené  à  bonne  fin  la  tâche  ai'due 
qu'ils  avaient  entreprise. 

Enfin  la  section  de  Tourcoing  ,  qui  pour  être  jeune  n'est  pas  moins 
vaillante,  a  eu  deux  conférences  depuis  un  mois  à  peine  que  date  sa 
création  :  l'une  de  M.  Potel,  que  déjà  nous  connaissons,  sur  les  Répu- 
bliques de  la  Plata  ;  l'autre  de  M.  le  baron  Michel  qui,  de  retour  d'Aus- 
tralie, a  vivement  intéressé  ses  auditeurs  en  leur  décrivant  ce  pays 
avec  lequel  ils  ont  des  relations  commerciales  extrêmement  suivies. 
La  section  doit  ce  brillant  début ,  tout  autant  à  l'activité  dont  a  fait 
preuve  son  excellent  président  M.  François  Masurel,  ainsi  que  je  le 
disais  tout  à  l'heure,  qu'à  l'ardeur  juvénile  de  son  secrétaire,  M.  Pail- 
lard-Lelong,  la  cheville  ouvrière  et  l'âme  du  Comité  local. 

Après  vous  avoir  entretenu  des  autres  ,  vous  tolérerez  ,  Messieurs  , 
que  je  vous  parle  de  nous-mêmes,  et  que  je  rappelle  ce  qu'à  fait  notre 
groupe  de  Lille,  sous  l'impulsion  habile  et  énergique  de  son  excellent 
président.  Nous  aussi,  mes  chers  collègues,  je  suis  fier  de  le  dire,  nous 
n'avons  pas  sommeillé  ;  et  que  je  me  reporte  aux  conférences  ou  aux 
excursions,  aux  loisirs  de  l'hiver  comme  aux  plaisii's  de  l'été,  j'y  cons- 
tate d'un  côté  comme  de  l'autre  une  ardente  vitalité  et  une  louable 
ardeur. 

Le  conférencier  premier  en  date  est  notre  excellent  collègue  M.  Fau- 
cher, qui  a  consenti  à  surmonter  la  fatigue  et  l'ennui  d'une  troisième 
conférence  sur  un  môme  sujet  pour  nous  entretenir,  sous  une  forme 


-  50  - 

t(jiite  nouvelle,  du  thème  qui  avait  intéressé  à  un  aussi  haut  degré  nos 
voisins  de  Valenciennes  et  de  Roubaix. 

Après  lui  le  capitaine  Monteil ,  de  retour  du  Sénégal,  nous  a  narré 
ses  voyages  dans  les  régions  inexplorées  de  cette  contrée  française  , 
dont  il  a  le  premier  dressé  la  carte  exacte.  Puis  M.  le  lieutenant  Valcke 
nous  a  exposé,  dans  un  langage  sobre  et  clair,  les  difficultés  que  le 
gouvernement  belge  a  eu  à  surmonter  pour  arrivera  étabUr l'état  libre 
du  Congo  sous  les  auspices  de  l'Association  internationale  Africaine.  11 
ne  semble  pas  toutefois  que  l'allure  sauvage  de  ces  contrées  ait  déplu 
à  notre  conférencier,  puisqu'il  comptait  alors  y  amener  sa  jeune  femme 
et  que  depuis  il  s'est  embarqué  avec  elle  pour  ces  régions  abruptes, 
absolument  comme  un  bourgeois  de  Bruxelles  à  destination  de  Londres. 

Vous  voyez,  Messieurs,  quel  bouquet  d'orateurs  nous  avons  eu  pour 
les  débuts  du  dernier  exercice  :  j'ose  dire  que  la  suite  a  répondu  à  ces 
prémices. 

Après  eux,  en  efiet,  nous  entendons  bientôt  M.  de  Guerne  qui, 
chargé  de  diverses  missions  dans  l'Océan  glacial  et  la  mer  Baltique  , 
sait  brillamment  arrondir  les  angles  du  langage  scientifique  ,  en  nous 
parlant  de  «  la  faune  et  la  flore  sous -marines  à  l'Observatoire  de 
Kiel  «. 

Puis  ce  sont  nos  membres  qui,  pendant  quelque  temps,  veulent  bien 
consentir  à  faire  nos  causeries  hebdomadaires  du  jeudi.  M.  de  Franciosi, 
le  premier,  nous  procure  une  excellente  soirée  quand,  dans  un  langage 
séduisant  et  poétique  ,  il  nous  décrit  la  capitale  de  l'Espagne  et  ses 
habitants  ,  avec  une  pointe  d'humour  qui  nous  permet ,  deux  heures 
durant,  de  nous  croire  de  parfaits  madrilènes.  M  le  professeur  Épinay 
le  remplace  et  nous  donne  sur  les  Indes  Néerlandaises  une  attrayante 
causerie  qui  maïquera  dans  nos  annales  ;  puis  M  Lefebvre,  de  Roubaix, 
nous  parle  avec  amour  du  bassin  de  la  Gironde,  si  bien  chanté  par  son 
compatriote  Nadaud  ;  le  regretté  colonel  Delamare ,  dont  la  parole 
sonne  comme  un  clairon  et  dont  le  cœur  est  toujours  si  français  ,  fait 
ensuite  salle  comble  en  nous  parlant  des  «  tribus  indépendantes  du 
Sahara  tunisien  »  ;  enfin,  M.  Guillot  sait  encore  trouver  assez  de 
temps  pour  nous  revenir  un  jeudi  soir  de  Paris  et ,  dans  le  langage 
sémillant  et  plein  de  verve  dont  il  est  accoutumé  ,  nous  entretient  de 
cette  question  des  colonies  allemandes  si  brûlante  aujourd'hui  et  d'une 
importance  si  grande  pour  l'avenir. 

Bientôt  après ,  M.  Richard  vient  nous  parler  de  Madagascar,  cette 
île  grande  comme  la  France  ,  que  convoitent  si  bien  les  Anglais ,  mais 


—  51  — 

que  tiennent  bien  encore  les  Français.  Entre  temps ,  M.  Melon  nous 
fait  une  excellente  causerie  sur  «  les  côtes  de  la  France  »  avec  ce 
langage  précis  de  géologue  qui  a  étudié ,  et  de  l'observateur  qui  a 
beaucoup  retenu  :  et  c'est  M.  Delessert  qui  termine  la  première  série 
de  nos  conférences,  en  nous  initiant ,  à  l'une  de  nos  assemblées  géné- 
rales ,  aux  beautés  de  la  langue  volapiik  ,  dont  on  tente  de  faire  une 
langue  commerciale  universelle  ,  en  dépit  de  nombre  de  commerçants 
qui  prétendent  encore  s'en  tenir  à  leur  langue  maternelle. 

Avec  M.  Westmarck  ,  nous  reprenons ,  en  hiver ,  nos  conférences 
interrompues  pendant  la  belle  saison,  et  nous  retournons  en  Afrique  , 
où  cette  fois  ,  nous  séjournons  deux  heures  agréablement ,  au  miheu 
des  cannibales  Bangallas. 

MM.  de  Mahy  et  Moncelon  nous  font  revenir  à  la  France  en  lui 
parlant  de  deux  de  ses  plus  importantes  colonies ,  et  vous  avez  tous 
présents  à  la  mémoire  ,  mes  chers  collègues ,  la  double  conférence 
étincelante  de  vérité  et  de  patriotisme  que  nous  a  faite  le  premier  sur 
Madagascar,  le  second  sur  la  Nouvelle-Calédonie. 

La  pensée  de  tous  était  alors  si  près  de  l'Europe ,  que  nous  avons 
prié  l'excellent  M.  Guillot  de  nous  y  ramener  tout  doucement,  et  notre 
ancien  secrétaire  -  général ,  avec  une  bonne  grâce  charmante,  est 
venu,  sur  notre  demande,  nous  entretenir  du  canton  des  Grisons  qu'il 
avait  visité  durant  ses  dernières  vacances,  et  dont  il  nous  a  donné  une 
description  si  pittoresque  que  nous  ne  saurions  faire  autrement  de 
nous  y  rendre  l'été  prochain.  Et  comme  ,  sur  notre  route ,  nous  avions 
rencontré  pas  mal  de  poteaux  télégraphiques  et  autres  appareils  dans 
lesquels  l'électricité  joue  un  rôle  utile,  nous  avons  prié  M.  Trouhet, 
professeur  à  l'École  de  télégraphie,  de  nous  initier  aux  mystères  de 
cette  branche  féconde  de  la  physique  :  notre  collègue  s'y  est  prêté  de 
bonne  grâce  un  jeudi  soir ,  et  nous  ne  saurions  trop  le  féliciter  de 
l'intérêt  qu'il  a  su  donner  à  celte  causerie  toute  technique. 

Des  comnmuications  diverses  ont  agrémenté  ,  entre  temps  ,  l'aridité 
de  nos  assemblées  générales  ;  j'ai  à  en  signaler  quatre  :  l'une  de 
M.  Péroche  ,  sur  la  mer  polaire  ,  l'autre  de  notre  excellent  archiviste  , 
M,  Quarré-Reybourbon ,  sur  la  plage  de  Blankenberghe  et  ses  envi- 
rons ,  une  troisième  de  M.  Froment ,  sur  les  régions  de  l'AIima  ,  de  la 
Licona  et  de  la  Sangha ,  une  quatrième  ,  enfin ,  de  notre  infatigable 
collègue  ,  M.  Delessert ,  sur  les  glaciers  de  la  Suisse  et  les  accidents 
terribles  auxquels  ont  donné  lieu  de  récents  éboulemeuts  de  montagnes 
dans  la  partie  Nord  de  ce  pays  accidenté. 


—  52  — 

J'arrive  aux  excursions  ,  dans  l'organisation  desquelles  une  grande 
part  revient  à  M.  Crépin  ,  le  dévoué  secrétaire  du  Comité  des  études 
et  président  de  la  Commission  spéciale.  M.  Crépin  s'est  chargé  lui-même 
de  donner  l'élan ,  en  conduisant  nos  membres  au  commencement  de 
l'été,  à  la  verrerie  d'Escaupont,  qui  appartient  à  M.  Wagret,  vice-prési- 
dent de  la  Société  de  Valenciennes.  Ce  patronage  vous  dit  assez, 
Messieurs,  quelle  fête  a  été  pour  nos  excursionnistes  cette  visite  indus- 
trielle, que  M"*^  Wagret,  avec  une  bonne  grâce  charmante,  a  transformé 
en  une  réception  dont  nos  touristes  garderont  le  meilleur  souvenir,  et 
qui  s'est  terminée,  sous  un  gai  soleil  de  mai,  par  un  agréable  retour  au 
travers  la  forêt  de  Bon-Secours. 

Mais  ce  n'a  été  que  le  prélude  :  je  cite  à  la  hâte  les  excursions 
au  château  de  Renescure ,  à  l'abbaye  de  Wœstyne  et  la  vallée  de 
Clairmarais ,  sous  l'habile  direction  de  jNIM.  Fernaux  et  Eeckman  ; 
celle  aux  grottes  de  Han ,  que  MM.  Houzé  et  Fanchille  ont  bien 
voulu  guider  ;  celle  à  la  forêt  de  Mcrmal ,  sous  la  conduite  de 
MM.  Rosman  et  Eeckman  ;  celle  au  château  de  Bel-Œil  et  au  mont  de 
la  Trinité,  dont  M.  Senoutzen  ,  aidé  de  votre  secrétaire-général ,  a  été 
le  chef  dévoué  ;  celle  enfin  à  Londres  et  ses  environs,  que  MM.  Facq, 
Eeckman  et  Acheray,  qui  l'ont  organisée  avec  le  concours  de  M.  Lubin, 
ont  su  rendre  assourdissante  d'entrain  et  de  gaîté.  M.  Acheray,  d'ail- 
leurs, en  a  écrit  pour  ses  annales  ,  un  compte -rendu  plein  d'humour, 
qui  a  dû  engendrer  bien  des  regrets  chez  ceux  de  nos  membres  que 
leurs  afl'aires  ou  leurs  études  ont  éloigné  forcément  de  cette  partie  de 
plaisir. 

J'allais  oublier  l'excursion  de  nos  lauréats  et  l'alléchant  voyage  que 
M.  Léonard  Danel  leur  offre  généreusement  chaque  année.  Sous  la 
direction  de  MM.  Jacquin  et  Eeckman,  nos  candidats  ont  dirigé  leurs 
pas  du  côté  du  mont  de  Cassel  et  de  Dunkerque  ,  et  c'est  avec  enthou- 
siasme que  chacun  d'eux,  au  banquet  final,  a  choqué  son  verre  au  toast 
chaleureux  et  plein  de  cœur  que  notre  collègue,  M.  Jacquin,  a  porté 
au  bienfaiteur  annuel  de  la  Société. 

Chez  nous  donc,  comme  vous  le  voyez ,  Messieurs,  le  titre  de  socié- 
taire procure  des  satisfactions  de  plus  d'une  sorte.  Mais  il  manquait 
encore  quelque  chose  à  vos  membres  ,  il  manquait  un  souvenir  de  la 
participation  de  chacun  à  l'œuvre  que  nous  édifions  depuis  tantôt  sept 
ans.  Pour  y  suppléer,  nous  avons  fait  appel  au  talent  d'un  artiste  lillois 
bien  connu,  M.  VanDriesten.  Aujourd'hui  que  le  diplôme  de  la  Société 
de  géographie  de  liille  est  terminé,  je  puis  proclamer  qu'il  constitue  une 


-  53  - 

œuvre  d'art  réussie  au-delà  de  nos  espérances,  notre  compatriote  s'est 
surpassé  cette  fois  ,  et  nous  le  prions  d'accepter  ici ,  connue  un  témoi- 
gnage de  nos  remerciements,  la  médaille  d'honneur  que  nous  lui  offri- 
rons tout  à  l'heure,  au  nom  de  nos  membres  reconnaissants. 

Puisque  je  suis  ici  sur  le  chapitre  artistique,  je  profite,  en  passant,  de 
l'occasion  qtû  m'est  offerte  de  remercier  une  fois  de  plus  de  l'utile 
concours  qu'elle  nous  prête  ,  la  musique  des  Amis  réunis  ,  de  Marcq  , 
qui  chaque  année,  nous  fait  entendre  les  meilleurs  morceaux  de  son 
répertoire ,  sous  l'habile  direction  de  son  chef  dévoué ,  M.  Philippe 
Delecroix. 

Je  suis  toujours  heureux  de  rappeler,  lorsque  que  je  rends  compte  de 
nos  travaux  annuels,  que  nous  avons  toujours  jusqu'ici  vécu  avec  nos 
seules  ressources  et,,  pour  ainsi  dire  ,  avec  les  seules  cotisations  de  ros 
membres.  Nous  n'avons  sollicité  qu'un  seul  concours,  celui  de  la 
Chambre  de  commerce  de  Lille  f  et  je  me  hâte  de  dire  que  ce  corps 
d'élite  a  répondu  généreusement  à  notre  demande  et  qu'il  veut  bien 
nous  accorder  annuellement  une  subvention  de  100  francs  :  la  Chambre 
montre  ainsi  qu'elle  est  toujours  à  l'avant-garde  du  progrès  et  qu'elle 
sait  encourager  l'étude  des  sciences  commerciales  sous  ses  formes  les 
plus  multiples. 

Mais,  chaque  année  aussi,  de  bienfaisants  donateurs  viennent  grossir 
notre  maigre  pécule  et  nous  permettre  de  nous  montrer  envers  les 
lauréats  de  nos  concours,  aussi  généreux  qu'ils  le  sont  ;  que  MM.  Paul 
Grepy  ,  Léonard  Danel  et  Henri  Bossut  veulent  bien  recevoir  ici  nos 
plus  sincères  reraercîments  :  nous  souhaitons  que  leur  exemple  soit  le 
plus  contagieux  possible.  Il  l'a  été  ,  d'ailleurs  ,  pour  la  première  fois  , 
dans  le  monde  officiel ,  car  nous  avons  reçu  récemment  des  encoura- 
gements de  haut  lieu  :  MM.  les  Ministres  de  la  Marine  et  de  l'Instruction 
pubhque  ont  bien  voulu  nous  envoyer  pour  les  lauréats  de  l'enseigjie- 
ment  secondaire,  le  premier  une  lorgnette  de  prix,  le  second  unm.agni- 
fique  volume  de  géographie  :  au  nom  de  la  Société,  je  prie  les  pouvoirs 
publics  de  recevoir  ici  l'expression  la  plus  sincère  de  notre  gratitude 
pour  leur  bienveillante  générosité. 

Je  n'ai  pas  besoin  de  dire.  Messieurs,  qu'avec  de  semblables  prix,  les 
concurrents  nous  sont  arrivés  cette  année  plus  nombreux  que  de 
coutume.  Malheureusement ,  malgré  toute  la  meilleure  volonté  du 
monde  ,  il  y  a  chez  nous  ,  comme  partout ,  beaucoup  d'appelés  et  peu 
d'élus  ;  je  suis  heureux  de  pouvoir  donner  à  ces  derniers  les  félicitations 
qu'ils  méritent ,  en  attendant  que  tout  à  l'heure  le  public  d'élite  qui 


-  S4  - 

remplit  cette  salle ,  leur  témoigne  à  son  tour,  par  ses  applaudis- 
sements, sa  juste  satisfaction. 

Le  prix  d'Audiffret ,  de  600  fr.,  destiné  au  meilleur  travail  sur  les 
débouchés  à  trouver  pour  les  productions  industrielles  dans  la  région 
du  Nord,  et  que  depuis  tantôt  deux  ans,  nous  offrons  en  vain  de  concours 
en  concours,  sans  rencontrer  le  candidat  téméraire  qui  osât  affronter 
la  lutte,  a  eu  cette  année  un  concurrent  sérieux  Le  mémoire  qui  nous 
a  été  présenté ,  suffisamment  bon  pour  remporter  le  tiers  du  prix . 
renferme  des  lacunes  qui  le  rendent  incomplet ,  et  no  peut  être  consi- 
déré que  comme  une  préface  à  ce  que  nous  demandons.  Nous  sommes 
heureux ,  toutefois ,  de  pouvoir  proclamer  que  notre  collègue , 
M.  Cantineau  ,  qui  a  mérité  d'être  récompensé,  a  bien  ouvert  la  voie  et 
frayé  le  chemin  à  ceux  qui  voudraient  maintenant  entrer  dans  le  vif 
de  la  question. 

Youspouvez  juger ,  Messieurs,  par  l'ensemble  des  travaux  que  je 
viens  de  résumer,  combien  nous  avons  en  estime  le  rôle  prépondérant 
dés  sciences  géographiques  et  comme  nous  aimons  à  cultiver  le  vaste 
champ  qu'elles  nous  offrent  :  rôle  assez  noble  pour  satisfaire  dans  leurs 
aspirations  les  intelligences  les  plus  délicates  ,  champ  assez  vaste  pour 
offrir  des  récoltes  à  tous  les  ouvriers. 

Parmi  ceux-ci,  les  uns  y  abattent  de  riches  moissons,  d'autres  se 
contentent  d'y  glaner  ,  'mais  de  ce  que  chacun  ramasse  ou  découvre, 
tous  en  jouissent,  car  entre  géographes  les  biens  sont  communs,  et  le 
flambeau  allumé  par  le  génie,  ne  s'éteint  pas,  même  quand  il  a  commu- 
niqué de  proche  en  proche,  sa  flamme  féconde  au  monde  entier. 

Aujourd'hui  tous  nos  efforts  tendent  à  profiter  des  travaux  de  nos 
devanciers,  à  en  créer  de  nouveaux  à  notre  tour,  puis  à  déduire  de 
tout  cela  des  applications  fécondes,  pour  en  faire  autre  chose  qu'une 
richesse  factice. 

Nous  avons  toujours  en  vue  cet  apologue  chinois  que  nous  rappelait 
naguère  le  regretté  J.-B.  Dumas,  et  qui  est  aujourd'hui  plus  que  jamais 
de  circonstance.  Certain  voyageur  rencontre  près  d'un  puits  un  enfant 
tout  en  larmes  et  criant  la  soif  ;  surpris  de  voir  entre  ses  mains  une 
cruche  vide  munie  d'une  corde  :  pourquoi  ne  cherches-tu  pas  à  rem- 
plir la  cruche,  lui  dit-il?  le  puits  serait-il  à  sec.  —  H  y  a  de  l'eau  dans 
le  puits,  mais  il  est  trop  profond,  répond  l'enfant.  —  C'est  ta  corde  qui 
est  trop  courte,  reprend  le  voyageur,  cherche-en  une  plus  longue  et 
tu  boiras  à  ton  gré. 

Jamais  pour  vous.  Messieurs,  le  puits  de  la  science  géographique  ne 


-  55  - 

doit  sembler  trop  profond  ;  c'est  pourquoi ,  lorsque  la  corde  est  trop 
courte,  nous  nous  employons  de  toutes  parts  à  l'allonger  d'une  façon 
fructueuse.  Alors  seulement,  toutes  ces  cruches,  qui  autrefois  étaient 
vides,  se  remplissent  d'une  eau  pure  et  saine,  alors  seulement  nous 
pouvons  puiser  amplement  aux  sources  mêmes  de  la  vérité. 

Jadis  on  ignorait  d'où  venaient  les  ondes  aériennes  apportant  le 
chaud  ou  le  froid,  le  soc  ou  l'humide.  Aujourd'hui  le  télégraphe  signale 
plusieurs  jours  h  l'avance  «  devant  qu'ils  soient  èclos  »  les  orages  et 
les  tempêtes.  La  corde  destinée  à  sonder  le  puits  de  la  science  des 
météores  dépassait  à  peine  autrefois  l'étendue  d'uu  département,  elle 
atteint  aujourd'hui  le  contour  entier  de  la  terre. 

Il  n'y  a  pas  longtemps  que  l'Afrique  intérieure  existe  pour  la  science, 
il  a  fallu  pour  cela  les  etïbrts  de  savants  et  d'explorateurs  de  talent 
qui  n'ont  pas  craint  de  sacrifier  leur  vie  et  leur  fortune,  et  depuis  lors 
que  de  découvertes  multiples  sont  issues  de  ces  commencements  labo- 
rieux, depuis  que  la  science  a  mis  entre  les  mains  des  Français,  une 
corde  assez  solide  pour  descendre  au  puits  où  la  vérité  était  cachée  ! 
Les  travaux  d'Alfred  Marche  et  du  marquis  de  Compiègne,  précurseur 
de  De  Brazza,  ceux  de  Mage  et  Quintin  ,  de  Zweifel  et  Moustier,  de 
Sùleillet,  des  missions  Galiéni  et  Borgnis  Desbordes,  comme  ceux  de 
ces  martyrs  qui  ont  nom  Flatters  et  Palat,  nous  ont  amené  à  mieux 
connaître  ce  continent  mystérieux  de  V Afrique  fermé  presque  entiè- 
rement jusque-là  à  nous  autres  Européens,  mais  qui,  grâce  à  ces 
géographes,  s'ouvre  peu  à  peu  à  la  civilisation. 

Que  dirais-je  si  je  voulais  citer  les  découvertes  de  Benoit  Méchin, 
Cotteau,  Bonvalot,  Capus,  Ch.  Martin,  l'abbé  Desgodins  pour  rj.s?ô  ; 
celles  de  Thouar,  Courcelle-Seneuil,  l'abbé  Brasseur,  Charnay,  et 
Crevaux  pour  ï  Amérique ,  celles  de  La  Pérouse,  Dumont-Durville 
et  du  commandant  de  Freycinet  pour  le  monde  océanique. 

Voilà  tous  savants  dont  la  France  s'honore,  qui  ne  se  sont  jamais 
plaint  des  difficultés  d'un  problème,  et  qui  à  chaque  obstacle  ont  tou- 
jours fait  appel  au  génie  de  la  science, trouvant  toujours  et  quand  même 
que  la  corde  était  trop  courte.  Les  exemples  que  je  viens  de  citer  res- 
teront toujours  parmi  nous,  Messieurs,  comme  un  perpétuel  souvenir 
de  ce  que  peut  la  volonté  intelligente  unie  à  l'énergie  et  à  la  persévé- 
rance ;  c'est  en  les  ayant  sous  les  3'eux  que  nos  enfants  apprendront  à 
cultiver  les  sciences  géographiques  et  tenteront  d'en  retirer  des  fruits 
aussi  féconds  que  leurs  éminents  devanciers.  » 


-  56  - 


INCIDENT. 


Après  la  lecture  de  ce  rapport,  M.  Paul  Crepy,  président,  prend  de 
nouveau  la  parole  : 

«  Tout  en  rapportant  les  actes  de  notre  Société,  notre  Secrétaire-gé- 
néral a  dit  un  mot  aimable  pour  chacun,  il  n'a  oublié  personne  —  sauf 
lui-même.  C'est  trop  de  modestie  ! 

Je  viens  combler  cette  lacune  en  proclamant  que  notre  Comité 
d'Etudes  a  décidé  qu'une  médaille  d'honneur,  grand  module,  serait 
décernée  au  digne  successeur  de  Messieurs  Suérus  et  Guillot,  M.  Alfred 
Renouard. 

En  vous  la  remettant,  mon  cher  collègue,  j'éprouve  un  sentiment  de 
satisfaction  réelle,  car  mieux  que  tout  autre,  j'ai  pu  apprécier  avec  quel 
zélé,  quelle  intelligence,  vous  avez  constamment  travaillé  à  la  prospérité 
de  notre  chère  Société. 

Tout  éloge  serait  superflu,  puisque  ici,  comme  dans  maintes  autres 
Sociétés  5  vous  vous  êtes  fait  connaître  par  vos  œuvres,  et  si  vos  amis 
de  Roubaix,  Tourcoing,  Valenciennes,  si  tous,  nous  regrettons  qu'une 
distinction  honorifique  ne  soit  pas  encore  venue  d'ailleurs  récompenser 
votre  dévouement,  recevez  en  attendant,  ce  souvenir  que  je  suis  fier 
de  vous  offrir.  »  [Applaudissements). 


DISTRIBUTION  DES  RÉCOMPENSES. 


M.  Alex.  Eeckman,  Secrétaire-général-adjoint,  donne  ensuite  lecture 
du  palmarès  : 

Médaille  d'honneur  :  M.  Van  Driesten  ,  peintre  héraldiste  à  Lille ,  pour  le  diplôme 

de  la  Société  dont  il  est  l'auteur  ; 
Prix  d'Audiffret  :  M.  Cantineau-Gortyl,  propriétaire  à  Lille,  pour  son  mémoire  sur 
les  débouchés  à  ouvrir  à  notre  commerce  local. 

Euscignenient  secondaire.  —  Jeunes  filles. 

r  Au-dessus  de  16  ans  : 
Aucune  récoiiipense  n'a  été  décernée. 


-  57  - 

2*  Au-dessous  de  16  ans  : 

!*'■  Prix  :  {offert par  M.  le  Ministre  de  V Instruction  publique)^  M""  Louise  Vaillant, 

élève  du  Collège  Fe'nelon,  à  Lille,  avec  médaille  d'argent. 
2"     —      M'ips  Berthe  Michel,  du  même  collège,  avec  médaille  de  bnnize. 
3°     —  Frida  Schéibi  (reçoit  l'éducation  dans  sa  famille)  à  Lille. 

4°     —  Elvire  Courtecuisse,  du  Collège  lénelon,  à  Lille. 

En^cigncnicut  primaire  supérieur.  —  Jeunks  filles. 

1"   Au-dessus  de  15  ans  : 
1"  Prix  :  M>'es  Léonie  Cousu  ,  de  V Institut  Sévigné ,  à  Roubaix  ,  avec  médaille 

d'argent. 
2°     —  Marie  Vandame,  de  la  même  institution. 

3°     —  Angèle  Bourguoignon,  de  Y  Ecole  supérieure  déjeunes  filles,  a  Lille. 

2°  Au-dessous  de  15  ans  : 
1"  Prix  :  Mlles  Louise  Larière,  de  Y  Ecole  supérieure  déjeunes  filles,  à  Lille,  avec 

médaille  d'argent. 
2^     —  Flore  Crombet,  de  la  même  école. 

3°     —  Eugénie  Terlet,  de  la  même  école. 

Enscignemeut  primaire  élémentaire.  —  Jeunes  filles. 
1°  De  11  à  14  ans  : 
l"  Prix  :  Mlles  Henriette  Nicole  (reçoit  l'instruction  dans  sa  famille),  à  Lille,  avec 

médaille  de  bronze. 
2°     —  Stéphanie  Odou,  de  Y  Ecole  primaire  élémentaire  de  la  rue  Racine, 

à  Lille. 

2"  De  9  à  11  ans  : 

i"  Prix  :  MUes  Noémie  Lévi,  de  Y  Institut  Sévigné,  à  Roubaix. 
2*     —  Louise  Missi,  de  YEcole  primaire  élémentaire  de  la  rue  Racine, 

à  Lille. 

Enseiguement  secondaire.  —  Jeunes  gens. 

1°  Au-dessus  de  16  ans.  —  Cours  de  St-Cyr. 

1°'  Prix  {offert  par  M.  le  Ministre  de  la  Marine)  :  M.  Camille  Delezenne ,  du 

collège  d'Armentières,  avec  médaille  d'argent. 
2^     —      MM.  Maxime  Sauvage,  du  lycée  de  Lille,  avec  médaille  d'argent. 
3°     —  Charles  David,  du  même  lycée. 

i"     —  Jean  Grimard,  du  même  lycée. 

2"  Au  -  dessous  de  16  ans  : 

1"  Prix  ;  MM.  Albert  Boone,  du  lycée  de  Lille,  avec  médaille  d'argent. 

2°     —  Jules  Robert,  du  même  lycée. 

3°     —  Théodore  Borissow,  du  même  lycée. 

4"     —  Ildefonse  Dalbertanson,  du  même  lycée. 

M.  Pierre  Molinari,  de  YEcole  supérieure  de  Fourncs,  ayant  concouru  par  erreur 
avec  les  élèves  de  l'enseignement  secondaire,  aurait  été  classé  le  4'  si  sa  composition 
avait  pu  être  admise. 


-  58  - 

Knseisnemeut  primaire  supérieur.  —  Jeunes  gens. 
1°   Au-dessus  de  15  ans  : 

l'"''  Prix  :  MM.  Jules  Lecocq,  de  l'Ecole  jirimaire  supérieure  d'Haubourdiii,  avec 

médaille  d'argent. 
2*     —  Gustave  Ammeloot,  de  la  même  école. 

3'     —  Louis  Delobel  de  la  même  école. 

4'     —  Louis  Vautrin,  de  VÉcole  primaire  supérieure  de  Lille. 

h''     —  Ernest  Dupuis.  de  VEcole  primaire  supérieure  d'Haubourdiii. 

fi"     —  Adolphe  Dellj^s,  de  la  même  école. 

7*     —  Constant  Lecomte.  de  la  même  école. 

2"  Au-dessous  de  15  ans  : 

r'' Prix  :  MM.  Jules  Soenen  ,  de  VEcole  primaire  supérieure  de  Fournes ,  avec 

médaille  d'argent. 
2*     —  Jules  Lepilet,  de  la  même  école  avec  médaille  de  bron/.e. 

•T     —  Georges  Morel,  àe  VÉcole  primaire  st<j)erieMre  d'Haubourdin. 

4°     —  Désiré  Rigaumont,  de  VEcole  primaire  supérieure  de  Fournes. 

o*"     —  Auguste  Logez,  de  la  même  école. 

&     —  Charles  Delalin,  àe  VEcole  primaire  supérieure  A&hiVie. 

7°     —  Henri  Loubry,  de  VEcole  supérieure  d'Haubourdin. 

8"     —  Oscar  Tourlet ,  de  VEcole  des  Frères  de  la  rue  du  Tilleul ,  à 

Roubaix. 
9*     —  Julien  Deschamps,  de  l'iîc-oZejj/nînatre  supérieure  d'Haubourdin. 

Eiiselguemeut  primaire  élémentaire.  —  Jeunes  gens. 
1"  De  11  à  14  ans  . 

V  Prix:  MM.  Jules  Crespel,  de  VEcole  primaire  élémentaire  de  Fournes,  avec 

médaille  d'argent. 
2"     —  Emile  Cornaille,  de  la  même  école. 

3*     —  Charles  Bauvais,  de  la  même  école. 

4"     —  Georges  Delerue,  de  la  même  école. 

5*"     —  Oscar  Fournil,   de  VEcole  primaire  élémentaire  d'Haubourdin, 

6"     —  Adolphe  Louvel,  de  la  même  école. 

2"    De  9  à  11  ans  : 

1'"'  Prix  •.  MM.  Alphonse  Caudoux  ,  de  VEcole  primaire  élémentaire  de  Fournes  . 

avec  médaille  d'argent. 
2"     —  Gilbert  Leblond,  de  la  même  école. 

3"     —  Alphonse  Drucsnes,  de  la  même  école. 

4'     —  Henri  Monnet,  de  VEcole  primaire  élémentaire  de  Fiers. 

5"     —  AMrùà  hagSiQhe^  àe  VEcole  primaire  élémentaire  àe  Fournes. 

6°     —  Henri  Stiévez,  de  la  même  école. 

"7"      —  Louis  Dutoit,  de  la  même  école. 


59 


COMMUNICATIONS  AUX  ASSEMBLÉES  GÉNÉRALES 

(in  extenso.) 


LE    VOLAPUK, 

LANGUE    COMMERCIALE    UNIVERSELLE, 

Par  M.  DELESSERT,  Membre  du  Comité  d'études. 


Personne  n'ignore  que  de  nombreux  et  inutiles  essais  ont  été  jadis 
entrepris  pour  créer  une  forme  de  langage  ,  qui  pût  servir  indistincte- 
ment à  tous  les  peuples.  —  Je  n'examinerai  pas  ici  en  quoi  ont  consisté 
ces  diverses  tentatives,  dont  le  résultat  est  toujours  resté  infructueux, 
et  neveux  pas  rechercher  les  noms  de  tous  ceux  qui  se  sont  occupés  de 
cette  intéressante  question,  depuis  Descartes  et  Leibnitz  jusqu'à  Letel- 
lier  et  autres  savants  contemporains. 

Je  rappellerai  aujourd'hui  que  cette  idée  est  de  nouveau  mise  en 
avant  et  qu'il  se  publie  en  ce  moment  des  ouvrages  spéciaux,  auxquels 
je  ne  puis  que  souhaiter  un  heureux  succès. 

J'espère  que  cet  ingénieux  système .  simple  et  logique  à  la  fois , 
n'échouera  pas  comme  ceux  qui  l'ont  précédé,  bien  que  bon  nombre  de 
personnes  manifestent  leurs  craintes  à  cet  égard.  Mais  ces  appréhen- 
sions ne  tarderont  pas  à  disparaître  entièrement,  quand  ces  nouvelles 
notions  auront  reçu  toute  la  publicité  possible  et  qu'on  aura  connais- 
sance de  tout  ce  qui  a  été  écrit  sur  cette  question  pleine  d'intérêt. 
Au  reste,  il  serait  difficile  de  ne  pas  se  rendre  à  l'évidence,  en  cons- 
tatant les  immenses  progrès  déjà  obtenus  depuis  si  peu  de  temps. 

—  Imaginée  par  un  linguiste  allemand,  M.  Schleyer  (1) ,  cette  langue 
commerciale  universelle  qu'il  désigne  sous  le  nom  de  volapiik,  c'est-à- 
dire  langue  de  l'univer^s,  (pûk,  langue  ;  vola ,  génitif  de  vol,  univers), 
et  à  la  création  de  laquelle  il  a  consacré  vingt  ans  de  recherches 
et  de  labeurs  incessants,  est  non  seulement  d'une  grande  simplicité, 
au  point  de  vue  grammatical  ;  mais  elle  possède  en  outre  ,  quant  à  la 
constitution  des  mots  .  des  procédés  de  formation  et  de  dérivation  . 

(1)  Abbé  au  couvent  de  Mainau,  près  de  Constance  et  sur  le  lac  de  ce  nom. 


-  6<)  - 

faciles  à  saisir  ,  et  dont  le  principe  fondamental  repose  sur  la  théorie 
des  préfixes  et  des  suffixes. 

Il  en  résulte  une  connaissance  relativement  très  prompte  des  mots 
du  dictionnaire,  qui  sont  presque  tous  empruntés  aux  langues  romanes 
et  germaniques ,  surtout  à  l'anglais  et  au  français.  Il  suffira  donc 
d'apprendre  les  substantifs  de  cette  nouvelle  langue  ,  c'est-à-dire  les 
mois  radicaux,  pour  s'approprier  facilement  tous  les  autres  mots 
{dérivés  ou  composés)  qui  en  dépendent. 

Pour  ce  qui  concerne  la  syntaxe,  les  règles  en  sont  des  moins 
compliquées  ;  la  construction  est  empruntée  à  la  langue  française. 

En  un  mot,  de  tous  les  systèmes  imaginés  jusqu'à  ce  jour ,  c'est  le 
seul  qui  puisse  prétendre  à  une  valeur  vraiment  pratique. 

Avant  d'esquisser  en  traits  rapides  le  mécanisme  de  cette  langue  ,  il 
n'est  pas  inutile  de  rappeler  ici  quelques  détails  empruntés  à  la  bro- 
chure de  M.  Aug.  Kerckhofis,  extraite  de  la  Revue-Gazette  maritime 
et  comraerciale.  —  Ce  journal  a  reproduit  en  juin  1885  la  leçon  du 
cours  libre  de  volapiJk  ,  que  l'érudit  professeur  a  donné  l'année 
dernière,  à  Paris,  à  l'École  des  hautes  études  commerciales,  et 
dont  les  premiers  essais  ont  été  couronnés  de  succès. 

Ainsi  que  le  dit  fort  bien  M.  Kerckhoffs ,  il  ne  s'agit  nullement  de 
faire  adopter  un  nouvel  idiome,  qui  devienne  un  jour  l'organe  univer- 
sel des  lettres  et  des  sciences,  comme  l'a  été  la  langue  latine  au 
moyen-âge ,  ni  de  remplacer  par  le  volapiik  aucune  de  nos  langues 
modernes,  aussi  peu  l'anglais  ou  l'allemand  que  le  français,  dans  les 
relations  des  peuples  entre  eux. 

Si  la  langue  française  est  devenue,  depuis  le  dix -septième  siècle, 
l'organe  officiel  et  universel  dont  se  servent  les  diplomates  de  tous  les 
pays  pour  leurs  rapports  internationaux ,  il  est  tout  aussi  naturel  et 
môme  indispensable  que  les  industriels  et  les  commerçants  des 
diverses  contrées  du  globe  puissent  correspondre  facilement  et 
directement  entre  pux,  par  le  moyen  d'un  langage  commun  artificiel. 

L'emploi  de  cet  idiome  international  a,  du  reste  ,  sa  place  toute  mar- 
quée dans  ce  siècle  de  lumière  et  de  progrès  ,  à  côté  des  nombreuses 
découvertes  et  inventions,  qui  ont  déjà  tant  fait  pour  le  rapprochement 
des  nations  et  la  diff'usion  des  idées. 

Les  relations  commerciales  avec  l'étranger  sont  d'autant  plus  faciles, 
que  l'entente,  au  moyen  d'une  langue  commune  aux  deux  parties 
contractantes,  peut  s'établir  d'une  façon  plus  nette  et  plus  précise.  — 
Mais,  sur  plus  de  huit  cents  langues  qui  sont  parlées  sur  notre  planète, 


—  fil- 
on devrait  en  connaître  au  moins  quarante  ou  cinquante  ,  pour  être  à 
même  de  comprendre  les  principaux  peuples   civilisés  et  entrer  en 
relations  avec  eux. 

Or,  il  n'est  pas  donné  à  chacun  de  pouvoir  passer  quelques  années 
à  l'étude  de  trois  ou  quatre  langues  romanes  ou  germaniques  (parmi 
les  plus  usitées),. et  môme  il  est  très  difficile,  pour  ne  pas  dire 
impossible ,  pour  beaucoup  de  personnes ,  d'entreprendre  celle  d'un 
seul  dialecte  sémitique  ou  d'un  idiome  monosyllabique,  tel  que  le 
chinois  ou  l'annamite  ;  et  cependant  les  peuples ,  qui  parlent  ces 
dialectes  ,  comprennent  plus  du  tiers  de  la  population  du  globe. 

Le  volapiik,  au  contraire,  exige  un  temps  relativement  court  ;  aussi 
n'est-il  pas  étonnant  de  constater  avec  quelle  rapidité  la  langue  de 
M.  Schleyer  a  été  adoptée  presque  partout. 

Bien  que  les  premières  publications  de  ce  savant  polyglotte  remontent 
à  peine  à  quatre  ou  cinq  ans ,  ses  disciples  se  comptent  par  milliers 
dans  plusieurs  Etats,  en  Allemagne,  en  Autriche,  en  Alsace,  en 
Belgique  ,  en  Hollande  ,  en  Espagne  ,  en  Suède ,  en  Suisse,  en  Angle- 
terre, aux  États-Unis,  et  même  en  Syrie  et  en  Afrique  :  plus  de  soixante 
Sociétés  existent  maintenant  en  Europe,  en  vue  de  l'extension  de  cette 
langue. 

Une  Association  française  pour  la  propagation  du  Volapiik  s'est  aussi 
constituée  à  Paris  (174,  boulevard  Saint-Germain)  et  compte  déjà  de 
nombreux  adhérents.  Elle  est  administrée  par  un  Comité  central , 
composé  d'une  vingtaine  de  membres ,  au  nombre  desquels  nous  pou- 
vons citer  :  le  président ,  M.  Lourdelet ,  président  de  la  Chambre 
syndicale  des  négociants -commissionnaires;  le  secrétaire  -  général , 
M.  Kerckhoffs,  professeur  à  l'Ecole  des  hautes  études  commerciales  ; 
M.  Francisque  Sarcey,  publiciste,  etc.,  etc. 

Un  grand  nombre  d'ouvrages  ont  paru  dès  lors  pour  faciliter  l'étude 
de  cette  langue  universelle  ;  la  grammaire  et  le  dictionnaire  volapiik- 
allemand  (13,000  mots  environ)  en  sont  à  leur  4"  édition  ;  l'édition 
française  est  sous  presse  actuellement. 

M.  Kerckhoffs  a  fait  paraître,  à  l'usage  des  Français,  un  cours 
complet  de  volapiik,  suivi  d'un  vocabulaire  de  2,500  mots. 

De  petits  abrégés  pour  l'étude  du  volapiik  ont  été  publiés  non  seule- 
ment en  latin  et  dans  toutes  les  langues  de  l'Europe ,  mais  encore  en 
chinois  et  dans  le  dialecte  nama  des  Hottentots. 

Plusieurs  poètes ,  allemands  et  hollandais ,  ont  transcrit  en  vers 
volapiiks  les  chants  nationaux  de  leur  pays.  Mentionnons ,  en  passant, 


-  62  - 

le  président  de  la  Société  des  volapiikistes  de  Scheminerberg  (Wiirtein- 
berg),  M.  Kniele  ,  qui  a  envoyé  pour  Jes  élèves  de  M.  Kerckhoffs.  une 
traduction  en  vers  de  la  Marseillaise. 

Il  se  publie  trois  journaux  rédigés  en  volapiik  :  celui  de  M.  Schleyer, 
le  Volapûkabled,àe  Constance  {avec  \a.\r3i(\uc[ion  du  texte),  les  Vola- 
pùkaklubs ,  de  Breslau  ,  et  le  Volapûkabled  ,  de  Rotterdam.  — 
Pai'is  doit  avoir  aussi  le  sien,  qui  paraîtra  prochainement. 

De  nombreux  volapiikistes  (plus  de  trois  cents]  de  tous  les  pays  se 
sont  réunis  en  1884,  à  Friedrichshafen ,  sur  le  lac  de  Constance  ,  dans 
le  but  d'adopter  définitivement  la  grammaire  de  M.  Schleyer ,  et  de 
rechercher  les  meilleurs  moyens  pour  la  vulgarisation  du  volapiik. 

Un  second  Congrès  aura  lieu  à  Niiremberg  l'année  prochaùie. 

Ajoutons  enfin,  qu'à  l'occasion  de  l'Exposition  universelle,  un  grand 
Congrès  international  de  volapiikistes  se  tiendra  à  Paris,  en  1889. 


Voici  un  aperçu  du  nouvel  idiome  de  M.  Schleyer  et  des  procédés 
grammaticaux  qu'il  emploie  : 

Prononciation  et  orthographe. 

L'alphabet  se  compose  de  huit  voyelles  et  de  dix-neuf  consonnes 
[q  et  w  n'étant  admises  que  dans  l'orthographe  des  noms  propres)  ; 
chaque  lettre  n'a  qu'un  seul  et  même  son. 

Les  voyelles  sont  toujours  longues  et  se  prononcent  comme  suit  : 


a 

comme 

â 

dans 

pâte  : 

bal,  un,    se 

prononce 

bâle; 

a 

» 

è 

» 

mais  : 

mal,  six, 

» 

mail  ; 

e 

» 

é 

» 

bonté  : 

tel,  deux, 

» 

télé  ; 

i 

» 

î 

» 

gîte  : 

kil,  t7^ois. 

» 

kîle  ; 

o 

» 

ô 

» 

côte  : 

fol,  quatre, 

•» 

fôle  ; 

o 

» 

eu 

» 

bleu  : 

jol,  huit. 

» 

cheule  ; 

u 

» 

ou 

» 

fou  : 

lui,  cinq. 

» 

loule  ; 

ii 

» 

u 

» 

nature  : 

zUl,  neuf. 

» 

tsùle. 

Le  volapiik  n'a  pas  de  diphthongues  ;  on  prononce  séparément 
chaque  syllabe  ou  voyelle  :  lein.  lion,  pron.  lé-ine  ;  laud.  alouette, 
pron.  la-oude. 


—  6:-}  — 

Les  consonnes  se  prononcent  connue  en  français,  sanf  quatre,  à 
savoir  : 

c,  comme  j  anglais  :  cil,  enfant,  se  prononce  djile  ; 

g,        »      gic  français  :  glok,  pendule,       »         glauque  ; 

j,         »      c/i  français  :  ]eY al,  cheval,         »  cheval; 

z,         »      2  allemand  :  zif,  ville,  »  isife. 

La  lettre  h  est  toujours  fortement  aspirée. 

Quanta  l'accentuation,  elle  est  la  même  qu'en  français;  l'accent  se 
trouve  donc  toujours  sur  la  dernière  syllabe  :  dunele,  à  l'auteur,  se 
prononce  dounélé. 

Les  no7ns  propices  ne  se  traduisent  pas  ;  on  les  prononce  et  on  les 
écrit  avec  l'orthographe  propre  au  pays  auquel  ils  appartiennent. 

Seuls,  les  noms  géographiques  des  grands  Etats,  ont  une  dénomina- 
tion spéciale:  Fient,  la  France;  Nelij.  C Angletey^re  :  Deut  [déout), 
l'Allemagne. 


SUBSTANTIF. 

Tous  les  noms  sont  du  genre  masculin,  excepté  ceux  qui  désignent 
particulièrement  des  êtres  féminins.  Dans  ce  cas.  on  ajoute  le  préfixe 
ofau  nom  masculin,  ou  le  préfixe  jï,  lorsqu'on  veut  préciser  le  genre 
naturel  ;  cette  variante  n'est  pas  adoptée  par  tous  les  volapiikistes.  Ex  : 

Pul,  le  garçon  ;  of-pul,  la  fille. 

'Blod,  le  frère  ;  oî-hlod,  la  sœur. 

Tideli  l'instituteur  ;  oî-tidel,  l'institutrice. 
Kat,  le  chat  ;  ji-kat,  la  chatte. 

Suivant  quelques-uns,  on  pourrait  donc  exprimer  une  différence,  en 
disant  :  ji-tidel,  pour  désigner  la  femme  d'un  instituteur,  et  ji-blod 
pour  la  sa'wr,  réservant  of-blod  pour  indiquer  une  religieuse.  — De 
même,  ji-leson  signifierait  une  prmcesse  mariée,  taiidis  que  of-leson 
se  traduh^ait  plutôt  ^3iV  princesse  non  mariée. 

L'article  défini  et  l'article  partitif  n'existent  pas  on  volapiik.  Il  n'y 
a  qu'une  seule  déclinaison  .  qui  est  la  même  pour  les  autres  parties 


-  ft4  - 


déclinables   du  discours.    Le  pluriel  se  forme    en  ajoutant  un  s  au 
singulier  : 

Singulier.  Pluriel. 


N.  Man,        (un)  Vhomme. 

G.  Mana,     (d'un)  deV homme. 

D.  Mane,      a  un)  àVhotmne. 

A.  Mani,        un)  Vhomme. 

V.  O  Man,      —  ô  homme  ! 


Mans,         (des) 
Manas,       (de) 
Mânes,     (à  des) 
Manis,       (des) 
O  Mans,      — 


les  hommes, 
des  hommes, 
aux  hommes, 
les  hommes, 
ô  hommes! 


Pour  les  noms  propres,  le  génitif  et  le  datif  se  rendent  parles  pré- 
positions de  et  al  (ou  len).  —  On  peut  leur  appliquer  la  marque  du 
pluriel  ('s),  s'il  y  a  lieu.  —  Ex  :  de  Schleyer,  de  Schleyer  ;  al  [len) 
Schleyer,  à  Schleyer. 

ADJECTIF. 

L'adjectif  est  ordinairement  formé  du  substantif,  auquel  on  ajoute 
la  terminaison  ik:  tien,  ami;  flenik,  amical;  gud,  bonté;  gudik, 
bon  ;  bad,  7nal  ;  badik,  mauvais  ;  fluk,  fruit  :  flukik,  fertile. 

Il  reste  invariable  et  se  place  toujours  après  le  substantif  auquel  il 
se  rapporte.  Ex  :  tab  boadik ,  une  table  de  bois  ;  buks  gudik,  de 
bons  limbes. 

Mais  s'il  est  pris  substantivement  ,  l'adjectif  doit  être  décliné. 
Ex  :  liegiks  e  pofiks  ,  les  riches  et  les  pauvres. 

Remarques.  —  1"  En  ajoutant  la  désinence  os  (neutre  de  om)  à 
l'adjectif,  on  en  forme  un  substantif  neutre.  Ex:  gudik,  bon; 
gudikos ,  le  bien. 

2°  Les  adverbes  qualificatifs  se  forment  des  adjectifs  par  l'addition 
d'un  o.  Ex  :  gudiko,  bien;  gudikumo.  mieux. 

3"  Quant  aux  degrés  de  comparaison  ,  on  ajoute  au  positif  la  termi- 
naison um  pour  le  comparatif,  et  tin  pour  le  superlatif.  Ex  :  gletik, 
grand  ;  gletikum,  p/tts  grand;  gletikiin,  le  plus  grand. 

Ajoutons  que  les  conjonctions  aussi  Qi  que  se  rendent  par  so  et  ka. 
Ex  :  binob  so  yujiik  ka  om ,  je  suis  aussi  jeune  que  lui. 

Adjectifs  numéraux. 
Les  nombres  cardinaux,  ainsi  que  les  ordinaux,  se  placent  après  le 


-  65  - 


substantif  qu'ils  déterminent  et  restent  invariables.  La  conjonction  e 
sert  à  réunir  les  unités  aux  dizaines,  que  l'on  écrit  en  un  seul  mot  : 


1.  Bal, 

2.  Tel, 

3.  Kil, 

4.  Fol, 

5.  Lui, 

6.  Mal, 

7.  Vel, 

8.  Jol, 

9.  Ztil, 

00.  Tuin(i;, 

01.  Tumbal, 


10.  Bals,  11.  Balsebal,                        21.  Telsebal. 

20.  Tels,  12.  Balsetel,                         32.  Kilsetel 

30.  Kils.  13.  Balsekil,                         43.  Folsekil. 

40.  Fols,  14.  Balsefol,                         54.  Lulsefol. 

50.   Luis.  15.  Balselul,                        65.  Malselul. 

60.  Mais,  16.  Balsemâl,                       76.  Velsemal. 

70.  Vels,  17.  Balsevel,                       87.  Jolsevel. 

80.  Jols.  18.  Balsejol,                         98.  Zulsejol. 

90.  Ziils,  19.  Balsezul,                       99.  Ztilsezul. 

900.  Zultum,  1000.  Mil,  10000.  Balsemil. 

109.  Tumztil,  1900.   Balmil  zliltuni,    19000.    Balsezulmil 


Un  mil'ion,  balion  ;  un  milliard,  baliad  ;  un  billion,  telion  ;  etc. 

Les  ordinaux  et  leurs  corrélatifs  se  forment  par  l'addition  des  dési- 
nences id  et  ik  : 

Balid, premzer;  balik,  simple.  —  Teliô., second;  telik,  double. — 
Kilid,  troisième;  kilik,  triple.  —  Tumid,  centièîtie ;  tumik  , 
centuple ,  etc. 

En  ajoutant  à  ceux-ci  les  terminaisons  o  ,  na ,  no ,  nik  ,  nalik,  on 
obtiendra  les  locutions  adverbiales  correspondantes,  ainsi  que  d'autres 
adjectifs  numéraux  indiquant  la  répétition,  etc.  Ex  : 

Balido  ,  premièrement  ;       telido  ,  secondem,ent  ; 
Baliko  ,  simplement  ;  teliko ,  doublement  ; 

Balna ,  une  fois  ;  telna ,  deux  fois  ; 

Balidna,  la  première  fois  ;  telidna,  la  deuxième  fois  ; 
Balidno  ,  pour  —        —      telidno  ,  pour    —        — 
Balnik ,  d'une  espèce  ;         telnik ,  de  deux  espèces; 
Baliialik,  qui  se  répète  une  telnalik ,  qui  a  lieu  deux  fois, 
fois. 

Chaque  nombre  cardinal  peut  devenir  substantif,  en  ajoutant  el. 

Ex  :  Kilel,  un  trois  ;  telel ,  un  deux  ou  une  paire  ;  kilsel ,  une 
trentaine;  balsetelel,  une  douzaine;  tumel,  une   centaine;  etc. 


(1)  Du  mot  yel,  Vannée.,  on  formera  yeltum,  le  siècle. 


66  - 


L'addition  du  mol  dil ,  partie,  sert  à  former  les  nombres  fraction- 
naires. Ex  : 

Teldil(l),   un  demi;  kildil ,   un  tiers;  foldil,  un  quart;  etc. 
Telsdil,  la  vingtième  partie  ;  tumdil,  la  centième  partie  ;  etc. 

Le  même  principe  est  appliqué  dans  la  nomenclature  des  jours  de  la 
semaine ,  qu'on  peut  exprimer  sous  deux  formes  ;  il  en  est  de  même 
pour  les  noms  des  mois.  En  voici  la  liste  : 


Baldel  ou  soldel,  dimanche  ; 
Teldel   »   mundel,  lundi; 
Kildel   »   tusdel,  mardi; 


Foldel  ou  vesdel,  mercredi; 
Luldel    »   dodel,  jeudi; 
Mâldel  »   flidel,  vendredi; 


Veldel  ou  zâdel,  samedi. 


Balul  ou  yanul,  Janvier  ; 
Telul    A    febul,  février; 
Kilul    »    mâzul,  mars; 
Folul   »    apui,  avril; 
Lulul  >■    mayul,  mai; 
Mâlul  >    yunul,  Juin; 


Velul  ou  yulul,  Juillet  ; 

Jolul  »   gustul,  aoiit; 

Ziilul  »    setul,  septembre; 

Balsul         »  otul,  octobre; 
Balsebalul  >^   novul,  novembre  ; 
Balsetelul  »  dekul,  décembre. 


L'indication  du  temps  peut  se  rattacher  à  ce  chapitre. 

On  indique  le  temps  k  l'aide  des  mots  glok  ou  dtip  'heure  ,  et  en  se 
servant  des  nombres  ordinaux. —  On  mentionne  d'abord  les  heures, 
puis  le  quart  ou  la  demi-heure,  ensuite  les  minutes  et  les  secondes. 

Ex  :  Binos  diip  mâlid  e  lafik.  il  est  six  heures  et  demie  ; 
Diip  telid  e  foldils  kil,  deux  heures  et  trois  quarts  ; 
ou  diip  telid  e  miirnts  folselul ,  2  heures  et  45  minutes. 

On  procède  de  même  pour  la  date  :  l'an,  le  mois,  le  jour  et  l'heure. 

Ex  :  Lille,  ba] mil  joltum  jolselul,  velul  balsid,  diip  ziilid 
godela, 

Lille,,  le  i(i  Juillet  1885,  à  neuf  heures  du  m.atin. 


(1)  On  dit  aussi  lafik,  demi,  de  laf,  moitié  (pour  l'indication  des  heures). 


—  67  - 

PRONOM. 

I.  —  Oiitro  les  quatre  ^vonoms personnels,  ob,  ol,  om,  of  (je  ,  lu, 
il.  elle)  el  obs,  ois,  oms,  ofs  (nous,  vous,  ils,  elles),  qui  se  déclinent 
comme  les  substantifs  : 

S.  N.  Ob,  je  ;  PI.  N.  Obs.  nous  ; 
G.  Oba,  de  moi;  G.  Obas,  de  nous  ; 

D.  Obe,  à  moi:  D.  Obes,  à  nous; 

A.  Obi,  me  ;  A.  Obis,  nous  ; 

il  y  en  a  quatre  autres  qui  sont  :  ons,  le  vous  de  la  conservation 
(au  plur.  onss,  pron.  once);  os,  le  neutre  de  om,  il,  (le,  ce);  on , 
l'indéfini  on;  et  ok,  le  réfléchi  se. 

II.  —  Les  pronoms  et  adjectifs  possessifs  dérivent  des  pronoms  per- 
sonnels ,  terminés  par  ik  :  obik,  mon,  le  mien  ;  obsik,  noire,  le 
nôlre  ,  etc.  que  l'on  peut  remplacer  par  le  génitif  des  pronoms  oba , 
obas,  etc.,  s'il  y  a  trop  de  désinences  ik  dans  la  phrase.  Ex  : 

Mot  g-udik  obsik  ou  obas,  notre  bonne  mère. 

Ajoutons  encore  onsik,  onssik,  vôtre,  le  vôtre;  et  onik,  le  sien, 
ce  qui  appartient  à  quelqu'un.  —  Les  adjectifs  possessifs  se  placent 
après  le  substantif  qu'ils  déterminent  et  restent  invariables  ;  mais, 
employés  comme  pronoms,  ils  se  déclinent  et  s'accordent  avec  le  mot 
auquel  ils  se  rapportent. 

III.  —  Il  en  est  de  même  pour  les  adjectifs  démonstratifs,  lorsqu'ils 
sont  employés  pronominalement.  On  les  traduit  par  at  {celui-ci, 
ce. . . .  ci)  et  par  et  [celui-là,  ce —  là)  ;  mais  comme  pronoms  ,  ils 
peuvent  être  rendus  par  atof,  etof  pour  le  féminin,  et  par  atos,  etos 
pour  le  neutre  (ceci,  cela),  surtout  s'il  s'agit  d'éviter  toute  équivoque 
dans  la  phrase.  Ex  : 

Man  at  e  vom  et,  cet  homme-ci  et  cette  feTnme-là. 

At  binom  dutik  et  no  binom,  celui-ci  est  appliqué ,  celui-là 
ne  l'est  pas . 

On  emploie  ut,  uts,  utof  pour  désigner  celui,  ceux,  celle. 

Ex  :  Dom  at  binom  ut  kôsena  olik  ,  cette  maison  est  celle  de 
ton  cousin.  Ces  pronoms  se  déclinent  comme  les  précédents  ;  les 
terminaisons  sont  identiques  :  at,  ata,ate,  ati;  ats,  atas,  ates,  atis. 


Ex  :  Sagob  osi  ate  :  lemolod  obse  atosi,./e  le  dis  à  celui-ci: 
achète-nous  ceci. 

IV.  — Les  pronoms  interrogatifs  se  rendent  par  kim,  qui^.  (masc.) 
kif,  qui'i.  (fémin)  et  kis,  quoi,  que,  qu  est-ce  que'?  et  sont  déclinables. 

Comme  adjectifs,  ils  deviennent  kiom,  queH  kiof,  quelle'? 'klos, 
queH  (n.)  Pour  mieux  préciser,  on  dit  kimik  [quelle  sorte  de)  pour 
les  deux  genres. 

De  ces  formes  principales  dérivent  encore  d'autres  adjectifs  et 
adverbes  interrogatifs  que  nous  ne  pouvons  tous  énumérorici.  tels  que 
kimid,  le  quantième'?  kikod  pourquoi'!  kiiip,  quand'?  kiop,  où"? 
etc.. 

V.  —  Les  pronoms  relatifs  se  traduisent  par  kel  (qui.  que,  lequel) 
pour  les  deux  genres,  etkelos  (ce  qui,  ce  que)  pour  le  neutre.  En  cas 
d'équivoque,  le  féminin  se  rend  par  kelof.  Ex  : 

Mans  kelis   elogob,    les  hommes  que  f  ai  vus. 

Nolob  kelosi  vilom,  je  sais  ce  qu'il  veut. 

Mot  sola  at,  kelofi  elogol,  la  mère  de  ce  monsieur  que  tu  as  vue. 

On  rend  quiconque  et  quoi  que  pour  aikel,  aikelos,  déclinables 
aussi 

Ex  :  Aikel  binom  badik  binom  nelabik .  quiconque  est 
m-échant  est  malheureux. 

Ai  kelosi  sagom.  ogolob  bifo,  quoi  qu'il  dise,  j'irai  en  avant. 

VI.  —  Parmi  les  pronoms  et  adjectifs  indéfinis,  nous  ne  citerons 
que  ot  [le  même) ,  qui  devient  it  ou  sago  ,  suivant  qu'il  est  adjectif  , 
pronom  ou  adverbe,  comme  dans  l'exemple  suivant  : 

Del  ot,  le  mém,e  jour  ;  del  it,  le  jour  même;  delsago,  même  le 
jour.  11  y  a  aussi  diverses  manières  d'exprimer  en  et  y,  suivantlesens. 

VERBE. 

Pour  former  un  verbe  à  l'infinitif,  il  suffit  d'ajouter  on  au  substantif, 
qui  n'est  autre  que  le  radical  même  du  verbe.  Ex  :  plik,  la  langue; 
piikon,  jOftWer.  —  Tik,  la  pensée;  iikon,  penser.  —  Les  verbes 
n'ont  qu'ujie  seule  conjugaison,  avec  forme  active,  îorme passive  et 
forme  réfléchie. 


-  69  - 

1.  —  Verbe  actif. 

En  faisant  suivre  lo  substantif  des  pronoms  personnels,  on  obtient  le 
présent  de  Vindicatif.  Ex  : 

Ti^db,  je  pense;  tikobs,  nous  pensons; 

Tikol,  tu  penses;  tikols,  vous  pensez; 

Tikona,  il  pense;  tikoms,  ils  pensent; 

Tikof,  elle  pense;  tikofs,  elles  pensent. 
Tikon,  on  pense; 

On  forme  les  autres  temps  du  mode  indicatif,  en  plaçant  devant  le 
radical  les  augments  a,  e.  i.  o,  u  ;  les  temps  dérivés  sont  alors  carac- 
térisés par  certaines  désinences,  qu'on  ajoute  aux  temps  primitifs. 

A.  —  Temps  prirnitifs. 

1.  Indicatif  présent  (sans  préfixe)  :  ii^oh.,  je  pense  ; 

2.  Imparfait,  avec       »        :  a ,  je  pensais; 

3.  Passé  indéfini,  »  »        :  e .,  j'ai  pense; 

4.  Plusqueparfait,          >>  »        :  i  — ,  f  avais  pensé  ; 

5.  Futur,  »  »        :  o ^  je  penserai; 

6.  Futur  antérieur,        »  »        ;  u ,  j'aurai  pensé. 

B.  —  Temps  dérivés. 

i.  Le  conditionnel  se  forme  en  ajoutant  ov  à  l'imparfait  et  au  plus- 
queparfait de  l'indicatif:  Sitik.oh6v ,  je  penserais  ;  itik.oh'6^r ,  j'aurais 
pensé. 

2.  L'impératif  se  tire  des  divers  temps  de  l'indicatif,  auxquels  on. 
ajoute  le  suffixe  od  ;  cette  terminaison  se  remplace  par  la  désinence 
os,  s'il  s'agit  d'un  souhait  plutôt  que  d'un  ordre.  Ex  : 

Fient  lifomos  !  Vive  la  France! 

S.  On  obtient  le  subjonctif,  en  ajoutant  le  suffixe  la  aux  temps  cor- 
respondants de  l'indicatif;  mais  ce  mode  est  rarement  employé  en  vola- 
pùk,  les  deux  formes  de  l'impératif  pouvant  y  suppléer.  Cette  désinenc»'. 
[la],  qu'on  relie  au  verbe  par  un  trait  d'union,  n'a  jamais  l'accent 
(tikob-la),  de  même  que  li  interrogatif.  Ex  : 

Etikob-la,  que  j'aie  pense;  itikob-la,  que  j'eusse  pense;  etc. 


-  70  - 

Remarque:  On  l'ond  l'interrogation  k  l'aide  du  préfixe  li  .  suivi  du 
trait  d'union  ;  mais  cette  particule  devient  inutile,  quand  la  phrase 
commence  par  un  adverbe  ou  un  pronom  interrogatif.  Ex  : 

Li  nolol  nuni  ?  sais-tu  la  nouvelle  ? 

Kiop  ogolom?  li-al  Lisbonne?  OU  ira-i-il?  A  Lisbonne"^. 

C.  —  Temps  invariables. 

1.  Infinitifs.  —  Ainsi  que  nous  l'avons  dit  en  tête  de  ce  chapitre, 
l'infinitif  se  termine  toujours  parle  suffixe  on.  —  Pour  distinguer  le 
passé  et  le  futur  du  présent,  il  suffit  d'ajouter  à  celui-ci  l'augment  e 
pour  le  premier  et  o  pour  le  deuxième.  Ex  : 

Pelon,  payer;  epelon,  avoir  payé;  opelon;  devoir  payer. 

2.  Participes.  —  Pour  former  le  participe,  on  fait  suivre  le  radical 
du  suffixe  ol.  Ex  :  plikol,  parlant  ;  eptikol,  ayant  parlé:  optikol, 
derant  ou  allant  parler .  Les  participes  peuvent  être  pris  substantive- 
ment et  se  décliner  comme  tels. 

II.  —  Verbe  passif. 

La  lettre  p  est  la  marque  distinctive  du  passif;  elle  précède  les 
temps  de  l'actif:  pour  le  présent,  qui  commence  toujours  par  une  con- 
sonne,on  lui  intercale  un  a.  Pa,  pâ  pe,  pi,  po,  pu,  sont  par  conséquent 
les  syllabes  préfixes  des  temps  de  tout  verbe  employé  au  passif.  Ex  : 

Palofob,  je  suis  aimé  (on  m'aime)  ;  povokom,  il  sera  appelé  (on 
l'appellera)  ;  etc. 

III.  —  Verbe  réfléchi. 

En  volapiik,  les  verbes  actifs  seuls  prennent  la  forme  réfléchie,  qui 
se  rend,  soit  en  ajoniant  le  pronom  réfléchi  okaux  diverses  personnes 
du  verbe,  soit  en  répétant  le  pronom  personnel  à  l'accusatif.  Ex  : 

Lofobsok,  ou  lofobs  obis,  nous  nous  aimons;  etc. 

S'appliquer,  .^'enfuir,  olc.  se  traduisent  donc  simplement  par  duton, 
mogonon,  etc. 


-  71  — 

IV.  —  Verbe  impersonnel. 

Les  verbes  impersonnels  sont  formés  par  le  suffixe  os.  Ex 
Lomib  (pluie),  lomibos,  il  pleut:  tôt  (tonnerre),  etôtos ,  il  a 
tonne  ;  nif  (neige),  onifos,  il  va  neiger  ;  etc. 

Cette  désinence  s'ajoute  aussi  à  d'autres  verbes  accidentellement 
impersonnels,  c'est-à-dire  chaque  fois  que  le  pronom  (il,  on^  ce)  repré- 
sente quelque  chose  de  vague,  dont  on  retrouve  l'expression  dans 
l'attribut  apparent  ou  dans  le  complément  direct  apparent.  Ex  ; 

Jinos  das  binos  valik  ,  il  paraît  que  c'est  tout  ; 

Pasagos  das  no  binos  lefulik ,  on  dit  que  ce  nest  pas  par/ail. 

Remarques. 

1"  Quant  aux-  verbes  auxiliaires,  ils  n'existent  pas  en  volapiik  , 
puisqu'ils  sont  remplacés  par  les  augments  ou  préfixes  e ,  i ,  u  pour  le 
verbe  avoir,  et  par  les  préfixes  pa,  pu,  pe,  pi,  po  ,  pu  pour  le  verbe 
être.  Mais,  employés  dans  leur  sens  propre,  on  les  traduit  par  labon 
(avoir)  et  par  binon  (être).  Ex.: 

Labobs  bukis ,  nous  avons  des  livres  ;  binom  namel ,  il  est 
artisan;  elaboms  seki,  ils  ont  eu  du  succès. 

2°  Il  est  aussi  convenu  que,  dans  certains  cas  douteux,  on  peut 
traduire  par  binon  le  verbe  être  qui  accompagne  les  verbes  actifs , 
employés  passivement.  Ex  : 

Palofob  ,  Je  suis  aimé,  soit  binob  palofol  ou  pelofol  ; 
Pilofom  ,  il  avait  été  aiTné,  soit  ibinom        »        » 

Les  derniers  chapitres  ,  relatifs  aux  autres  parties  du  discours ,  ne 
renfermant  au  fond  que  des  listes  de  petits  mots,  d'ailleurs  fort  inté- 
ressantes à  étudier,  nous  nous  permettrons  de  les  passer  sous  silence 
et  de  donner  ici  un  exemple  de  dérivation  : 

Rad.  Piik ,  la  langue. 

i°  AVEC  suffixes: 

Piik,  langue;  ptikik  ,  qui  a  rapport  à  la  langue  ;  plikatidel,  pro- 
fesseur de  langue  ;  plikapok  ,  faute  de  langue  ;  ptikon , 
parler  ;  piikônamod ,  façon  de  parler  ;  motapiik  ,  langue 
maternelle  ;  volapiik,  langue  universelle. 


-  72  - 

Piikat ,  discours  ;  pukatil ,  petit  discours  ;  ptikaton  ,  prononcer 

un  discours  /^telaplikat,  dialogue. 
Piikav,  philologie  ;  ptikavik ,  philologique. 
Ptiked ,  sentence  ;  piikedik  ,  sentencieux  ;  piikedavod ,  proverbe  ; 

pùkedavodik,  proverbial  ;  valaptiked,  devise. 
Ptikel ,  orateur  ;  piikelik ,  oratoire  ;  ptiketil ,  petit  babillard  > 

mopiikel ,  polyglotte. 
Piikof,  éloquence;   ptikofik ,  éloquent;   ptikofav ,  rhétorique; 

piikofavik ,  qui  a  rapport  à  la  rhétorique,  à  l'art  oratoire. 
Piikot,  causerie,  entretien;  ptikotik  ,  loquace,  affable; -pii]s.oi6f , 

faconde,  affabilité;  okopiikot ,  monologue. 
Ptiklib ,  phraséologie. 

2°  AVEC  PRÉFIXES  : 

Biplik ,  préface. 

Deptik,  contestation;  deplikon,  contester. 

Geptik,  réponse;  geptikon  ,  répondre. 

Leptik  ,  affirmation;  leptikôn,  affirmer;  lepiiked,  maxime. 

Lenptik  ,  harangue  ;  lenpukon ,  haranguer. 

Libopiik,  acquittement;  liboptikôn,  acquitter. 

Luptik ,  babil  ;  luplikel ,  babillard ,  bavard  ;  luplikon ,  bahiller , 

bavarder;   luptiken,    commérage;  lupiikot,    hâblerie; 

luptiklam  ,  bégaiement  ;  lupiiklel ,  bègue  ;  luptiklon , 

bégayer. 
Mipiik ,  lapsus  linguœ  ;  miplikon ,  se  tromper  en  parlant. 
Neptik ,  silence  ;  neplikik ,  silencieux  ;  neplikon ,  se  taire. 
Sepiik,  prononciation;  septikik,  exprimable  ;  sepùkad,  prononce 

d'un  jugement  ;    seplikam  ,     articulation  ;     sepukon  , 

exprim,er. 
raplik,  contradiction  ;  tapiikâl,  esprit  de  contradiction;  taptikon, 

contredire. 

CONSTRUCTION. 

Nous  avons  déjà  dit  que  le  volapùk  emprunte  au  français  sa  cons- 
truction ,  recounue  pour  être  la  plus  nette  et  la  moins  compliquée  de 
toutes  les  langues  de  l'Europe.  —  Terminons,  en  rappelant  ce  principe 
général  que  le  déterminé  doit  toujours  précéder  le  déterminant,  ei 
que,  par  conséquent,  dans  une  série  de  phrases  composées,  ce  sera 


—  78  — 

toujours  la  proposition  déterminante  qui  suivra  la  proposition  déter- 
minée. —  On  peut  en  excepter  un  ."eul  cas,  lorsqu'il  s'agit  de  propo- 
sitions secondaires ,  reliées  par  des  conjonctions  de  subordination 
autres  que  das  (que). 

Ajoutons  enfin  les  quatre  règles  principales  de  construction,  que 
M.  Kercklioffs  a  résumées  connue  suit  : 

1°  L'aHjectif,  soit  déterininatif,  soit  qualificatit,  suil  le  subslantif  : 
Flen  obik  vemo  lofik,  mon  très  cher  ami. 

Remarque  :  Les  adverbes  de  quantité ,  étant  considérés  comme 
préfixes,  précèdent  l'adjectif  qu'ils  déterminent  [vemo  lôf'ih,  très  cher). 

2"  Le  sujet  se  place  avant  le  verbe  ,  quelle  que  soit  la  nature  de  la 
phrase  : 
Flens  olsik  li-komoms  ?  Vos  amis  viennent-ils  ? 

3"  Le  complément  et  l'attribut  suivent  le  verbe  : 
Logob  oim,Je  le  vois  ;  ptikon  gudiko  ,  l)ien  parler. 

Remarque  :  La  négation ,  ainsi  que  les  pronoms ,  adjectifs  et 
adverbes  d'niterrogation  ,  peuvent  seuls  précéder  le  verbe  : 

Moni  LLmodik  labols  ?  Coînbien  d'argent  avez-vous  ? 
Kikod  no  ptikoms  ?  Pourquoi  ne  parlent-ils  pas  ? 

4"  Les  difiérents  compléments  se  suivent  dans  l'ordre  de  leur  impor- 
tance dans  la  phrase.  C'est  ainsi  que  le  complément  direct  précède  le 
complément  indirect ,  et  que  les  compléments  adverbiaux  de  temps 
suivent  innnédiatement  le  verbe  : 

Sedom  ofen  moni  blode  omik  ,  il  envoie  souvent  de  l'argent  à 
son  frère. 

Il  y  aurait  encore  a  traiter  des  idiotismes  et  de  la  formation  des 
mots,  mais  le  temps  et  l'espace  nous  manquant,  nous  ne  pouvons  que 
renvoyer  nos  lecteurs  aux  divers  ouvrages  publiés  sur  cette  question, 
et  spécialement  au  Cours  complet  de  Volapûk,  par  M.  Aug.  Kerckhoffs, 
professeur  à  l'École  des  hautes  études  commerciales  et  secrétaire- 
général  de  l'Association  française  pour  la  propagation  du  volapiik , 
Paris,  1886,  librairie  H.  Le  Soudier, 

E.  Delessert. 


-»74- 


NOUVELLES  ET  FAITS  GÉOGRAPHIOUES 


I.  —  Géographie  scientifique.  —  Explorations  et  découvertes. 


ASIE. 


Frontière  Rasso  -  Afghane.  —  Un  nouvel  incident  s'est  produit  entre 
les  membres  ançrlai?;  et  russes  de  la  Commission  de  délimitation  de  la  frontière 
Afghane.  11  s'asic  de  la  ville  de  Khodjali-Saleh  ,  sur  l'Aniou  Daria  ,  que  les  Russes 
voudraient  attribuer  au  territoire  de  Merw,  tandis  qu'elle  appartient  depuis  trente- 
cinq  ans,  d'après  les  Anglais,  à  l'Afghaiu-^ tan.  La  perte  de  cette  localité,  qui  est 
entourée  des  deux  cotés  de  déserts  et  qu'une  bande  étroite  de  terrain  fertile  relie  à 
Balkh,  aurait  pour  résultat  de  diminuer  considérablement  la  longueur  de  la  rive 
Afghane  de  l'Amou-Daria. 

Ce  différend  n'a  pas  encore  été  tranché. 

Voyage  (le  lllI.Capuset  Bonvalot  dans  l'Asie  centrale.  — 

C'est  de  Batoum,  ville  récente  qui  appartient  aux  Russes  depuis  1878  et  qui,  depuis, 
est  en  pleine  prospérité,  que  MM.  Capus  et  Bonvalot  sont  partis.  Ils  ont  pris  d'abord 
la  ligne  de  chemin  de  fer  qui  gagne  Bakou  sur  la  Caspienne  par  Tiflis  et  qui  esc  ali- 
mentée principalement  par  le  pétrole  transporté  dans  des  wagons-réservoirs.  Puis , 
désireux  d'éviter  les  sentiers  battus,  ils  ont  quitte  la  voie  ferrée  à  la  station  d'Had- 
ji  Kaboul.  La  poste  russe  les  a  menés  par  Salian  à  travers  une  immense  plaine  de 
boue  argileuse  jusqu'à  Lejikoràn;  petit  port  ouvert  aux  vents  du  large,  où  mouillent 
les  steamers  qui  font  le  service  de  la  Perse. 

De  là,  à  cheval  et  par  des  chemins  fort  difficiles,  nos  voyageurs  ont  suivi  la  corniche 
du  Talych  en  passajit  par  Astara,  En/eli,  les  forêts  de  Ghilaii  et  Recht.  Les  habitants 
de  Talych  sont  d'origine  turque  et  sont  d'une  paresse  à  toute  épreuve,  habitant 
souvent  de  misérables  paillotes  en  roseau  pendant  que  le  bois  est  à  portée  de  leur 
hache.  A  peine  vêtus,  ils  supportent  les  rigueurs  du  climat  avec  facilité  ;  l'agriculture 
est  dans  l'enfance. 

D'Enzeli  les  voyageurs  ont  atteint  Téhéran  par  Kasbine.  Ils  se  proposaient  de 
gagner  le  Turkestan  et  la  Bactriane  pai'  Meched,  Sarachs  et  Merw. 

Aux  dernières  nouvelles  ,  nous  apprenons  l'arrivée  de  la  mission  à  Tscliardschui 
sur  l'Amou-Daria.  Les  explorateurs  ont  eu  beaucoup  à  soufl'rir  de  la  chaleur,  44"  en 
moyenne  à  l'ombre.  En  traversant  le  désert  qui  s'étend  entre  Merw  et  l'Amou-Daria, 
ils  ont  fait  la  triste  découverte  de  six  voyageurs  indigènes  morts  de  soif.  Un  accident 
avait  ci'evé  les  outres  qui  contenaient  leurs  provisions  d'eau. 

Explorations  de  M.  le  colonel  liockhart  et  de  Al.  le  colonel 
Woodtliorpe  dans  le  Uadakclian.   —  Une  mission  anglaise,  d'abord 


—  75  — 

sous  les  ordres  do  M.  le  colonel  Lockhart,  pui>  de  M.  le  colonel  Woodihorpe,  par- 
court en  ce  moment  un  des  pays  les  moins  connus  de  l'Asie  centrale,  le  Badakchan. 

Go  hardi  voyage,  dans  un  pays  limitrophe  de  la  Roukharie  et  occupant  environ  sur 
la  longueur  d'un  degré  les  deux  rives  de  TAmou-Dai-ia,  a  cause  en  Russie  de  vives 
inquiétudes.  On  a  vu  là  une  tentative  de  l'Angleterre  de  s'établir  solidenient  sur  le 
fleuve  principal  de  l'Asie  centrale  et  de  contrecai-rer  ainsi  un  des  projets  favoris  de 
la  Russie  :  la  création  d'un  service  de  navigation  à  vapeur  depuis  la  mer  d'Aral 
jusqu'à  la  Boukharie  et  à  la  frontière  de  l'Afghanistan. 

Mais  il  paraîtrait  que  l'expédition  anglaise  n'a  pas  de  si  hautes  visées.  Il  s'agirait 
seulement  de  ramener  à  ses  devoirs  envers  l'Afghanistan  l'émir  du  Badakchan,  qui 
se  sent  entraîner  vers  le  Tsar  blanc. 

l.es  Auglaii^  eu  Birmanie.  —  Une  entente  est  intervenue  entre  l'Angle- 
terre et  la  Chine  au  sujet  de  la  Birmanie. 

L'Angleterre  reconnaît  la  suzeraineté  de  la  Chine  sur  la  Birmanie  et  admet  que  la 
mission  décennale  envoyée  par  ce  pays  à  la  Cour  de  Pékin,  depuis  le  XI»  siècle, 
avait  pour  but  de  payer  tribut.  L'Angleterre  s'engage  ,  pour  l'avenir,  à  faire  partir 
cette  mission  dans  les  délais  prescrits. 

D'autre  part,  le  Gouvernement  britannique  consent  à  rappeler  la  mission  commer- 
ciale sous  le  commandement  de  M.  Colman  INIacaulay,  qui,  du  consentement  de  la 
Chine,  devait  parcourir  le  Thibet  et  était  prête  à  se  mettre  en  route,  à  Darjeeling.  La 
Chine  revient  ainsi  sur  son  autorisation,  en  alléguant  la  condition  des  affaires  au 
Thibet  qui  est  telle  que  l'apparition  d'une  mission  anglaise  serait  de  nature  à  provo- 
quer des  troubles.  En  retour  de  ces  deux  concessions,  la  Chine  promet  :  délaisser 
l'Angleterre  administrer  comme  elle  l'entend  la  Birmanie  ;  de  faire  en  sorte  de  faci- 
liter le  commerce  entre  cette  colonie  et  le  Yunnam,  de  conclure  à  cet  effet  une 
convention  commerciale  ;  de  désigner  une  Commission  pour  déterminer  le  frontière 
birmano-chinoise  ;  d'encourager  enfin  le  commerce  entre  la  Chine  et  le  Thibet. 

Tout  cela  ne  constitue  qu'une  série  de  promesses  vagues,  tandis  que  la  suzeraineté 
de  la  Chine  sur  la  Birmanie  est  positivement  reconnue. 

L'Angleterre,  on  le  voit,  n'a  pu  obtenir  la  possession  de  Bhamo  qui,  on  le  sait,  est 
le  principal  entrepôt  du  commerce  de  la  Birmanie  avec  la  Chine. 

Port-LiazarefF  à  la  Russie.  —  Comme  compensation  de  l'occupation  de 
Port-Hamiltonpar  l'Angleterre,  la  Russie  vient  de  prendre  possession  de  Port-Lazareff. 

Port-Lazareif,  appelé  ainsi  du  nom  du  général  qui  s'est  illustré  à  la  prise  de  Kars, 
est  situé  sur  la  côte  Est  de  la  Corée  ,  dans  la  baie  de  Broughton,  c'est-à-dire  dans  la 
belle  échancrure  de  la  côte  qui  tient  les  meilleurs  ports  et  les  plus  beaux  mouillages 
du  Royaume. 

Port-Lazareff  est  en  face  de  Gensan,  port  ouvert  au  commerce  depuis  1880,  à  l'Est 
de  la  ville  de  Yon-Fun  et  près  de  l'embouchure  de  la  rivière  Dungon. 

La  Russie  le  convoitait  depuis  longtemps,  parce  qu'il  est  accessible  en  toutes 
saisons;il  remplacera  avantageusement  Wladivostock,  qui  est  obstrué  par  les  glaces 
chaque  année  pendant  de  longs  mois.  Port-Lazareff  est,  de  plus,  situé  dans  l'une  des 
provinces  les  plus  riches  et  les  plus  peuplées  delà  Corée. 

Port  Lazareff  est  une  rade  de  huit  milles  cari'ées,  à  laquelle  on  arrive  pai-  un  chenal 
large  de  deux  milles  ;  cette  position  est  donc  facile  à  défendre  du  côté  de  la  mer,  et 
une  rangée  de  montagnes  l'entoure  vers  la  terre. 

Port-Lazareff  est  à  390  milles  du  Sud  de  Wladivostock,  à  900  milles  de  Shanghaï  et 
à  1200  de  Yokohama. 


—  76  — 


AFRIQUE. 

LiCS  Auglais  sur  le  ]\'l^er  et  le  Renoué.  —  Depuis  que  la  Confé- 
rence de  Berlin  a  abandonné  à  l'Angleterre  le  bassin  du  Niger  et  du  Bénoiié,  les 
Anglais  n'ont  pas  perdu  leur  temps  pour  s'assurer  des  avantages  qui  leur  étaient 
concédés. 

Après  avoir  acquis  les  droits  de  la  Compagnie  française  qui  s'était  établie  sur  les 
rives  de  ces  deux  cours  d'eau,  la  National  african  Company,  Usons-nous  dans  la 
Gazette  géographiqne,  a  confié  à  M.  G.  Thom.son  le  soin  de  conclure  avec  tous  les 
chefs  dont  l'autorité  s'exerçait  sur  le  Niger  et  le  Bénoué,  des  traités  lui  assurant  le 
monopole  du  couunerce.  Elle  vient,  en  outre,  d'obtenir  une  charte  d'incorporation 
qui  confirme  ses  droits  souverains  sur  50  kilomètres  de  territoire  le  long  du  Niger  et 
du  Bénoué.  lui  donne  de  pleins  pouvoirs  d'administration  ,  l'autorise  à  percevoir  des 
impôts  pour  couvrir  les  frais  de  cette  administration  et  lui  accorde  la  faculté  de  se 
faire  concéder  de  nouveaux  territoires. 

C'est  donc  une  nouvelle  colonie  anglaise  créée  au  centre  de  l'Afrique  ;  c'est  la 
prise  de  possession  de  la  plus  grande  artère  fluviale  de  ce  continent  après  le  Congo. 

Ijes  expEorateua's  de  la  rég;iou  du  Cameroun.  —  On  sait  que 
l'Allemagne  occupe  la  région  du  Cameroun  et  que  ses  possessions  s'étendent  de  la 
rive  gauche  du  Rio  del  Rey  jusqu'à  la  rive  droite  du  Rio  Campo,  en  pays  Batanga, 
sauf  la  petite  enclave  de  Victoria,  qui  demeure  possession  anglaise. 

Depuis  que  l'Allemagne  a  planté  son  pavillon  au  Cameroun,  de  nombreux  voya- 
geurs l'ont  exploré  en  tous  sens  :  le  docteur  Flegel,  Pauli,  Langhans,  Hugo  ZoUer, 
enfin,  tout  dernièrement,  le  docteur  Bernard  Schwarz,  qui,  en  quatre  mois  et  demi,  a 
fait  tout  le  tour  du  massif. 

Le  Cameroun  vient  d'être  également  visité  par  deux  Suédois,  MM.  G.  Valdau  et 
K.  Knutson,  qui  ont  publié  une  relation  de  leur  intéressant  voyage  dans  les  Deutsche 
Geograpliische  Blattcr,  de  Brème.  Leur  itinéraire,  plus  ou  moins  parallèle  à  celui 
du  docteur  Bernard  Schwarz,  les  a  conduits,  par  le  lac  Richard  jusqu'au  lac  Balombi- 
ba-mbou,  à  l'ouest  de  la  route  de  Schwarz  JDe  ce  point  terminus  septentrional  de 
leur  voyage,  ils  se  sont  dirigés  vers  l'Ouest  en  suivant  le  parallèle  du  k^ôiY  lat.  Nord, 
de  Bakoundouba-boa  jusqu'à  Baloundou,  par  9"2'  long.  E.,  en  traversant  la  région 
des  sources  de  plusieurs  rivières  appartenant  au  bassin  du  vieux  Calabar.  De  là, 
franchissant  le  Même,  cours  moyen  du  Rio  del  Rey,  ils  ont  regagné  la  côte,  à  Betikka, 
en  longeant  le  pied  occidental  du  Cameroun. 

Elit  délimitation  du  Qabeu  et  dia  Congo  français.  — Le  ministre 
de  la  marine,  au  moment  du  départ  de  MM.  de  Brazza  et  Ballay  pour  leurs  postes 
respectifs,  a  délimité  les  territoires  du  Gabon  et  du  Congo  fi-ançais  par  une  ligne 
qui,  de  Njolé  sur  l'Ogôoué,  se  dirige  sur  Kabamoucka  (Baudoinville),  poste  de 
Quillou,  etqui  de  Kabamoucka  va  rejoindre  les  frontières  des  possessions  portu- 
gaises et  de  l'Ktat  libre  du  Congo. 

La  Mission  l<'raiic*aise  de  délimitation.  —  Nous  avons,  grâce  au 
journal  le  Temps,  des  détails  précis  sur  l'œuvre  de  MM.  Rouvier  et  Ballay,  délégués 
du  Gouvernement  de  la  République  pour  la  délimitation  de  nos  nouveaux  établisse- 
ments du  Congo. 


-  77  - 

Partie  de  Bordeaux  le  20  juin  1885,  la  délégation,  h  laquelle  on  avait  adjoint  M.  le 
capitaine  Pleigneur  pour  les  levés  topographiques,  touchait  d'abord  à  Dakar.  Elle  y 
engageait  des  laptots  pour  l'escorte  et  y  achetait  une  douzaine  d'ânes,  pour  faire  au 
Congo  un  e^isai  d'acclimatation  de  ces  animaux,  essai  qui  a  entièrenjent  réussi  ;  car 
ils  ont  parfaitement  résisté  au  climat  et  rendu  les  plus  grands  services  à  la  mission. 

Par  Libreville,  ou  arriva  à  Loango  où  le  docteur  Pallay  organisa  la  caravane  pour 
l'intérieur,  tandis  que  le  conuuandant  Rouvier  se  rendait  à  Vivi,  quartier  général  de 
l'État  libre,  auprès  de  l'administrateur  général  sir  F.  de  Winton.  On  sait  que  le 
créateur  de  Vivi  n'a  pas  été  heureux  sur  le  choix  de  cette  station  qu'il  a  fallu  d'abord 
déplacer,  ensuite  transporter  sur  la  rive  opposée  à  Matali,  qui  est  d'un  abord  plus 
aisé. 

Le  départ  de  Loango  eut  lieu  le  2  septembre.  La  caravane,  qui  comptait  deux 
cents  porteurs,  arriva  en  suivant  la  plage  jusqu'au  Quillou  qu'elle  remonta  par  eau, 
en  pirogue,  jusqu'au  poste  français  de  N'Gotou. 

Là,  à  cause  des  rapides,  on  abandonna  la  voie  fluviale  et  on  se  dirigea  par  la  route 
de  terre  sur  Macabana  et  F'hilippeville  en  passant  par  les  postes  de  Scanley-Niadi  et 
de  Stéphaniéville.  Enfin  de  là,  à  travers  une  région  très  accidentée,  difficile  au 
dernier  point  et  au  milieu  de  populations  hostiles ,  on  arriva  cependant  sans 
encombre  à  Manyanga  sur  les  bords  du  Congo. 

C'est  laque  fut  signé  avec  les  délégués  de  l'Etat  libre,  le  procès-verbal  fixant  la 
limite  sur  le  Bas-Congo  des  possessions  des  deux  États. 

Cette  première  tâche  terminée,  le  24  novembre,  la  mission  se  remettait  en  marche, 
en  suivant  la  rive  droite  du  fleuve,  par  un  route  très  accidentée,  très  difficile,  s'arrê- 
tait vingt-quatre  heures  sur  le  Stanley-Pool  à  Linzolo,  à  la  mission  dirigée  par  le 
père  Augouai'd,  et  le  1"''  décembre  arrivait;  enfin  à  Brazzaville,  qui  est  devenu  le 
centre  d'un  marché  d'ivoire  des  plus  importants. 

Là,  la  délégation  s'embarqua  sur  la  chaloupe  à  vapeur  le  Ballay,  et  remonta  le 
Congo,  en  s'arrètant  d'abord  à  Ny  antchou,  poste  français  voisin  de  la  résidence  du 
roi  Makoko.  On  remonta  le  fleuve  en  fouillant  la  rive  droite  afin  de  reconnaître  les 
divers  affluents,  le  Lefini  exploré  par  M.  de  Brazza,  le  N'Keni,  dont  on  ne  connaît 
que  le  cours  inférieur,  la  N'Kémé,  petite  rivière  inexplorée,  l'Alima,  la  Likuala,  le 
Sangha  et  enfin  l'Oubanghi.  On  constata  qu'il  n'y  a  pas  d'affluent  direct  du  Congo 
qui  porte  le  nom  de  Licona,  à  moins  quq,ce  ne  soit  la  Likuala. 

Le  9  janvier,  les  délégués  arrivaient  à  Noundja,  poste  français  créé  par  M.  Dolisie 
sur  la  rive  gauche  de  l'Oubanghi.  Ce  fleuve  n'aurait  pas  l'importance  qu'on  lui  a 
assignée.  11  n'est  pas  même  navigable  pour  un  canot  à  vapeur.  M.  Rouvier  l'a 
remonté  jusqu'à  environ  22.3  kilomètres  de  son  confluent.  11  se  dirige  à  peu  près 
au  Nord. 

Le  26  janvier,  on  fixa  par  0' 6' 20'  de  latitude  Sud  le  point  frontière  des  deux 
puissances.  Les  travaux  des  délégués  on  établi  en  outre  que  la  Licona  Nkoudja  des 
cartes  et  du  traité  n'est  autre  chose  que  l'Oubanghi. 

Le  retour  a  eu  lieu  par  l'Alima  ;  pour  atteindre  cette  rivière,  AL  Rouvier  suivit 
cette  fois  la  rive  gauche  du  Congo,  en  s'arrètant  à  N'Gombé  et  à  Loukoiela,  stations 
de  l'Etat  libre,  aujourd'hui  abandonnées  Puis,  la  mission  s'engagea  dans  l'Alima 
jusqu'à  Lékéti,  et  pi'it  la  route  de  Brazza  jusqu'à  l'embouchure  de  l'Ogoôue  d'où  elle 
gagna  le  Gabon. 

La  mission,  en  dehors  de  son  rôle  politique,  a  fait  d'importants  travaux  géogra- 
phiques. Elle  a  dressé  une  carte  de  nos  possessions  et  déterminé  astronomiquement 
de  nombreuses  longitudes. 

Faisons  remarquer  que  la  frontière  a  été   amorcée  en  deux  points    seulement  et 


-  78  — 

que  son  tracé  ne  pourra  être  établi  à  l'Est  et  au  Sud  qu'après  une  longue  et  minu- 
tieuse exploration  des  régions  entièrement  inconnues  qui  s'étendent  au  nord  du 
fleuve,  c'est-à-dire,  à  notre  frontière  orientale,  et  de  la  région  presqu'inexplorée  du 
Congo  maritime,  oii  se  trouve  une  des  frontières  des  deux  États. 

Aiigra  Pequeua.  —  M.  Gœring,  Commissaire  impérial,  vient  d'envoyer  au 
Conseil  fédéral  un  exposé  de  la  situation  géographique,  cliuiatologique,  géologique 
et  agricole  d'Angra-Pequena. 

Il  résulte  de  ce  document  que  le  grand  pays  des  Namaquas,  s'étendant  sur  une 
largeur  de  125  kilomètres  entre  l'Océan  Atlantique  et  l'intérieur,  est  dépourvu  d'eau. 
On  n'a  que  la  ressource  d'imiter  ce  que  font  les  Boers,  de  construire  des  digues 
pour  arrêter  les  eaux  des  rivières  pendant  l'hiver. 

Le  sol  de  certaines  vallées  est  fertile  ;  cependant  le  pays  ne  se  prête  pas  à  l'agri- 
culture, mais  fort  bien,  au  contraire  ,  k  l'élève  des  chevaux  et  des  bestiaux,  comme 
le  prouvent  les  nombreux  troupeaux  que  possèdent  les  indigènes.  La  situation  se 
présente,  dit-on,  un  peu  mieux  dans  le  pays  des  Damaras. 

Le  commerce  d'exportation  pour  les  conserves  de  viande  salée  ne  poura  toutefois 
soutenir  la  concurrence  de  l'Australie. 

La  vente  des  plumes  d'autruche  et  des  peaux  de  bœuf  pourra  être  avantageuse. 
Quant  aux  mines  de  cuivre  à  exploiter,  il  ne  faut  pas  y  songer.  Finalement , 
M.  Gpering  propose  d'établir  près  de  Saudwich-HarbouT  une  fabrique  de  guano  de 
poisson  et  un  abattoir. 

Mais  ce  qui  donne  une  valeur  capitale  à  Angra-Pequena,  c'est  son  port  excellent 
qui  en  fait  une  porte  ouverte  sur  l'intérieur  de  l'Afrique. 

Voyag;e  de  M.  («leerup  à  travers  l'Afrique.  —  Pour  la  huitième 
fois,  un  Européen  vient  de  traverser,  d'une  côte  à  l'autre,  la  partie  centrale  de 
l'Afrique.  C'est  M.  Gleerup. 

On  sait  que  M.  le  lieutenant  Gleerup,  agent  de  l'État  indépendant  du  Congo,  a 
passé  plus  de  trois  ans  en  Afrique,  qu'il  a  fait,  avec  le  capitaine  Hanssens,  l'explo- 
ration du  haut  Congo  et  qu'en  dernier  lieu,  il  était  commandant  en  second  de  la 
station  des  Chutes  de  Stanley,  d'oii  il  est  parti  le  28  décembre  1885  pour  Zanzibar, 
avec  une  caravane  arabe  que  T ipo-Tipo  envoyait  à  la  côte  orientale. 

Il  a  remonté  le  Congo  en  pirogue  jusqu'à  Kassongo,  franchissant  d'abord  les  sept 
chutes  de  Stanley  qui,  à  proprement  parler,  ne  sont  que  des  rapides. 

M.  Gleerup  les  remonta  sans  peine,  mais  par  terre,  en  longeant  le  fleuve,  tandis 
que  les  Arabes  balaient  leurs  pirogues  le  long  de  la  rive.  11  séjourna  quelques  jours 
dans  un  établissement  que  Tipo-Tipo  a  fondé  sur  la  rive  droite  du  Congo  et  qu'il 
nomme  Kibongo.  De  magnifiques  plantations  de  riz,  de  bananiers,  d'arbres  fruitiers, 
entourent  l'établissement.  Dans  ces  pays  oii  Stanley  trouva  tant  de  difficultés  en 
1877,  M.  Gleerup  a  voyagé  avec  la  plus  grande  facilité. 

Cette  sécurité  n'est  due  qu'à  l'épouvante  qu'inspirent  les  Arabes  qui  exploitent 
le  pays. 

Sur  la  rive  droite  du  fleuve,  le  voyageur  a  constaté  l'existence  d'un  puissant 
affluent,  la  Lowa,  qui,  à  son  embouchure,  ne  mesure  pas  moins  de  900  mètres.  La 
Lowa  doit  drainer  toute  la  région  inconnue  qui  s'étend  entre  le  Congo  et  le  lac 
Mouta-Nzigé  ;  elle  descend  une  succession  de  terrasses  et  n'est  pas  navigable. 

En  amont  du  confluent  de  la  Lowa,  deux  groupes  de  rapides  barrent  encore  la 
route  de  Nyangoué,  les  chutes  d'Onkassa,  que  Stanley  a  reconnues  et  près  desquelles 
est  mort,  le  i"  décembre  1884,  M.  Louis  Amelot,  qui,  un  an  avant  M.  Gleerup,  avait 


—  79  - 

voulu  tenter,  lui  aussi,  le  retour  par  la  côte  orientale,  et  des  rapides  que  M.  Gleerup 
appelle  les  Wester-Falls,  en  l'honneur  d'un  agent  de  l'État  libre. 

Le  25  janvier,  l'expédition  arrivait  à  Nyangoué,  qui  depuis  1856  est  l'établisse- 
ment central  des  Arabes  dans  cette  région.  Le  lieutenant  ne  resta  que  quelques 
jour-;  dans  cette  ville  et  se  hâta  de  remonter  à  Kassongo,  oii  il  trouva  chez  les  fils* 
de  Tipo-Tipo  une  hospitalité  cordiale.    * 

Le  11  février,  il  quitta  Kassongo  et  mit  un  mois  k  traverser  le  Manyema,  dont  il 
vante  la  fertilité.  Il  atteignit  ainsi  les  rives  du  Tanganiyka  oii  il  reçut  l'hospitalité 
du  révéï'end  M.  Hore,  qui  travaille  à  monter  sur  le  lac  le  steamer  la  Bonne-Nouvelle. 

Trente-«trois  heures  de  navigation  amenèrent  M.  Gleerup  à  Oudjîji. 

On  quitta  le  Tanganiyka  le  29  mars,  en  suivant  l'itinéraire  de  Stanley.  A  Ourambo, 
M.  Gleerup  rendit  visite  au  successeur  du  fameux  Mirambo  ;  à  Taborah,  il  trouva  la 
mission  des  Pères  français  d'Alger  dans  une  situation  des  plus  prospères;  à  Mpou- 
pouà,  il  rencontra  M.  Révoil  qui,  accablé  par  la  fièvre,  se  trouvait  dans  l'impossibilité 
de  continuer  son  exploration.  Il  a  été  heureux  de  pouvoir  lui  prodiguer  ses  .soins  et 
l'a  ramené  k  la  côte  assez  facilement ,  grâce  k  l'hospitalité  des  stations  allemandes 
et  des  missions  françaises  et  anglaises. 

Le  25  juin  1886,  M.  Gleerup  avec  M.  Révoil,  toujours  souffrant  et  porté  en  hamac, 
arrivait  enfin  k  Bagamoyo  et  s'embarquait  pour  Zanzibar  si  bien  portant,  qu'un  de 
nos  correspondants  nous  écrit,  qu'on  eût  dit  qu'il  avait  traversé  l'Afrique  dans  un 
écrin  de  velours. 

C'est  au  Mouvement  Géographique  de  Bruxelles,  que  nous  empruntons  les  détails 
qui  précèdent. 

Ajoutons  que  M.  Pierre-Edouard  Gleerup  est  né  k  Chicago,  de  parents  suédois,  en 
1860,  et  qu'il  n'a  pai'  conséquent  que  26  ans. 

Voyage  de  .11.  €reorgc»i  Révoil  au  lac  Tanganiyka.  -M.  Georges 
Révoil,  comme  nous  le  disons  ci  dessus,  est  revenu  k  la  côte,  et  par  Zanzibar  il  a 
gagné  Saint-Denis  (Réunion),  d'oii,  par  le  Yarra,  il  est  arrivé  k  Marseille.  C'est  une 
inflammation  de  l'iris  contractée  sur  les  bords  du  lac  Tanganiyka,  qui  ne  lui  a  pas 
permis  de  pousser  son  exploration  aussi  loin  qu'il  l'avait  projeté. 

M.  Georges  Révoil  était  parti  l'année  dernière  de  notre  ville  pour  Zanzibar,  oii  il 
arriva  le  P'  novembre.  Après  avoir  assez  promptement  organisé  sa  caravane,  il  partit 
le  22  novembre  pour  l'intérieur  du  continent  africain,  accompagné  d'un  interprète 
militaire  et  d'un  ingénieur,  M.  Angclvy,  le  même  qui  explora  la  Rovouma.  Le  11 
décembre,  la  petite  expédition  se  mettait  en  route  pour  Taborah.  Sur  les  bords  du 
lac  Tanganiyka,  M.  Georges  Révoil  a  pu  enrichir  sa  collection  de  plantes  et  d'in- 
sectes. Comme  son  collègue,  l'explorateur  Giraud,  M.  Révoil  n'a  pas  eu  k  subir  la 
révolte  et  la  défection  de  ses  pagazis,  mais  il  a  enduré  de  rudes  fatigues.  Il  a  vu  le 
supérieur  de  la  mission  de  Kipalapola,  près  de  Taborah,  et  a  reçu  l'hospitalité  k  la 
station  fondée  sur  les  bords  du  lac  Tanganiyka  par  la  Société  internationale  africaine. 
Il  est  ensuite  revenu  k  la  côte  parla  route  du  Nyassa ,  souffrant  beaucoup  de 
l'inflammation  de  l'iris. 

E.es  Allemands  en  Afrique.  —  MM.  Rabenhorst,  de  Hambourg,  ancien 
capitaine  de  vaisseau,  qui  a  été  pendant  longtemps  directeur  des  comptoirs  créés  par 
M.  Woerman  dans  l'Afrique  occidentale,  le  lieutenant  Schmidt,  plénipotentiaire  du 
groupe  de  la  Société  de  colonisation  qui  a  acheté  le  territoire  dcWitou  et  les  frères 
Denhardt,  sont  partis  pour  l'Afrique,  afin  de  prendre  possession  de  ce  pays  au  nom 
de  leurs  mandants.  Le  lieutenant  Schmidt  avait  été  envoyé  l'année  dernière  dans 


-  80  - 

rAfriquc  orientale,  par  la  Société  de  ce  nom  et  avait  acquis,  pour  le  compte  de  cette 
dernière,  pendant  les  mois  d'août  et  de  septembre  1885,  le  territoire  d'Usapamo,  au 
sud-ouest  de  Zanzibar,  au  moyen  d'une  série  de  traités  conclus  avec  les  chefs 
indigènes. 


AMERIQUE. 


Départ  de  AI.  Fréd.  $$chi;«'afka  pour  l'Alaska.  —  M.  Fréd. 
Schwalka,  coimu  par  ses  voyages  dans  les  régions  arctiques,  va  entreprendre  un 
vovaoe  d'exploration  dans  les  montagnes  de  Saint-Elie,  dans  l'Alaska.  Il  se  bornera 
au  côté  de  cette  chaîne  qui  regarde  la  mer.  L'expédition  aura  lieu  sous  le  patronage 
du  New-York  Times. 

M.  Seh\vatka  est  accompagné  du  professeur  W.  Libbey.  11  s'est  embarqué  le  14 
juin  à  San-Francisco. 

Ai^ceusiou  du  mont  T^vekk^va^'  par  H.  H.  ^Vbitely.  —  M.  H. 

Whitely,  le  naturaliste  voyageur  qui  a  exploré  l'intérieur  de  la  Guyane  anglaise 
et  atteint  en  dernier  lieu  le  pic  du  mont  Roraima  ,  a  depuis  fait  l'ascension  du  mont 
Twekkway,  situé  à  environ  50  milles  N.-N.-O.  de  Roraima,  sur  la  rive  méridionale 
de  la  rivière  Garimang,  au-dessous  du  confluent  de  l'Arouima. 

Le  mont  Twekkway  n'est  pas  aussi  élevé  que  le  Roraima,  mais  il  est  de  forme 
presque  semblable,  couronné  par  un  sommet  plat,  et  présentant  des  versants  verti- 
caux et  un  long  talus  en  pente,  allant  du  pied  des  versants  à  la  Savanne  qui  couvre 
la  contrée  subjacente.  Il  diffère  du  Roraima,  en  ce  que  le  sommet  en  est  boisé  et  que 
la  pente  qui  se  trouve  au  pied  offre  dans  une  partie  un  accès  relativement  aisé  pour 
atteindre  la  cîme.  L'écoulement  des  eaux  présente  aussi  une  différence  remarquable  ; 
sur  le  Roraima  l'eau  tombe  par-dessus  le  bord  du  plateau  en  formant  de  magnifiques 
cascades,  pendant  la  saison  des  pluies  ;  sur  le  Twekkway,  il  n'y  a  pas  de  chutes 
d'eau,  et  l'eau  s'écoule  par  une  cavité  d'une  grande  profondeur  située  au  milieu  du 
plateau, 

M.  Whitely  a  mis  douze  mois  à  explorer  la  montagne  et  le  pays  environnant. 

Uéliniitation  de»»  froutières  de  la  République  Argentine 
et  du  Brésil.  —  Une  Connnission  vient  d'être  organisée  pour  la  délimitation  des 
frontières,  entre  la  République  Argentine  et  le  Brésil,  sur  le  territoire  des  Missions. 

On  sait  que  les  provinces  méridionales  du  Brésil,  entre  le  Paraguay  et  l'Uruguay, 
sont  profondément  entaillécr:  par  l'Etat  argentin  de  Corrientcs  qui  menace  ainsi  les 
communications  entre  le  Rio-Grande  du  Sud  et  la  métropole.  L'extrémité  septen- 
trionale du  territoire  argentin  a  été  civilisée  par  des  missionnaires  jésuites  de  langue 
espagnole,  qui  l'ont  défendue  avec  bonheur  contre  les  paulistes  portugais.  Par  les 
traités  de  1750  et  de  1777,  la  frontière,  dans  cette  région,  a  été  arrêtée  aux  fleuves 
San-Antonio  et  Pepiri  Guassu  ;  mais ,  il  y  a  deux  ans ,  l'explorateur  Gustave 
Niederlin,  parcourut  ces  frontières  pour  le  compte  du  Gouvernement  argentin,  et  en 
revint  avec  un  rapport  d'après  lequel  leur  tracé  aurait  été  mal  défini,  les  fleuves 
San-Antonio  et  Pepiri  Guassu,  coulant  beaucoup  plus  à  l'Est,  de  façon  que  le  Brésil 
ne  conserverait  entre  la  mer  et  le  territoire  argentin,  qu'un  isthme  d'environ  50 
lieues.  C'est  cette  difficulté  qu'il  s'agit  de  trancher. 


—  81  - 

D'un  autre  rôté,  une  Gonuni.ssion  a  été  également  chargée  de  faire  une  minutieuse 
étude  de  la  région  Andine,  située  entre  les  sources  du  Rio  Santa-Gruz  et  la  côte  du 
détroit  de  Magellan. 

Le  but  de  cotte  expédition  sera  de  tracer  sur  le  terrain,  la  ligne  internationale  de 
frontières  entre  la  République  Argcniine  et  le  Chili. 


OGEANIE. 


Départ  «le  M.  le  docteur  ^clirader  et  de  M.  Hugo  Koller.  — 

Les  Allemands  s'occupent  activement  d'explorer  leurs  nouvelles  possessions  dans  la 
Nouvelle-Guinée.  Une  expédition  dirigée  par  M.  le  docteur  Sclirader  est  partie  le 
8  février  1886,  de  Londres,  pour  Batavia  et  Cooktown  (Nouvelle-Guinée).  Une 
dépèche  a  annoncé  depuis  lors  son  heureuse  arrivée.  Elle  a  pour  objet  d'explorer  le 
littoral,  en  cherchant  à  pénétrer,  si  possible,  a  l'intérieur. 

On  parle  aussi  d'une  expédition  qu'entreprendrait  en  Nouvelle-Guinée,  l'automne 
prochain,  M.  Hugo  ZoUer,  le  correspondant  de  la  Gazette  de  Cologne,  déjà  bien 
connu  par  ses  voyages  aux  Gamerouns  et  à  la  côte  de  Guinée. 


I%ouvelles  aunexions  Auj^laises  dan««  l'Océauie.  —  Le  Gouver- 
nement anglais  a  pris  possession  le  l'''  août  d'un  nouvel  archipel  dans  la  partie 
méridionale  de  l'Ucéan  Pacifique,  les  îles  Kermadec. 

Ges  îles  forment  un  groupe  nombreux,  situé  par  le  31*  degré  de  latitude  Sud  et  par 
le  178'^'  degré  de  longitude  Ouest,  à  l'Est  de  l'île  Norfolk  et  au  Nord-Ouest  de  la 
Nouvelle-Zélande. 

La  principale  se  nomme  l'île  de  Raoul  ou  du  Dimanche.  EUe  a  environ  12  milles  de 
circonférence  ;  les  bords  en  sont  hérissés  de  rochers  escarpés  ;  on  n'y  trouve  point 
d'endroit  propre  à  jeter  l'ancre.  On  la  dit  couverte  de  bois.  Elle  est  presque  inhabi- 
tée ;  on  n'y  rencontre  que  quelques  blancs,  sans  doute  des  matelots  échappés  à  des 
naufrages,  des  déserteurs,  etc. 

Les  autres  îles  du  groupe,  sont  :  Macaulay,  le  Havre,  l'Espérance  et  les  Gurtis. 

Elles  ont  été  découvertes  en  1793,  par  une  expédition  française,  placée  sous  les 
ordres  du  contre-amiral  d'Entrecasteaux.  Elles  sont  nonmaées  d'après  le  capitaine 
d'un  des  navires  de  son  escadre,  Huon  de  Kermadec. 

L'île  Raoul  est  dominée  pai'  un  volcan  haut  de  1600  pieds  ;  les  îles  Gurtis  et  Macau- 
lay sont  des  rochers  plats  qui  surmontent  la  mer  de  800  pieds  Une  famille  d'améri- 
cains était  venue  s'établir,  U  y  a  une  dizaine  d'années  sur  l'île  Raoul,  et  culrivant 
un  coin  de  terre  sur  ce  roc,  vendait  aux  navires  de  passage  des  légumes  et  des  fruits  ; 
mais  le  volcan  étant  rentré  en  activité,  l'île  fut  secouée  de  tremfblements  de  terre 
continuels  et  cette  famille  fut  obligée  de  quitter  ces  parages  désolés. 


lies  Alleuiauds  en  Océauie.  —  Non  seulement  l'Allemagne  a  occupé 
l'archipel  Marshall,  mais  elle  a  également  pris  possession  des  îles  Brown  et  des  îles 
de  la  Providence. 


—  82  — 


REGIONS    POLAIRES. 


Départ  de  M.  1%'.-I¥.  Gilder.  —  M.  W.-N.  Gilder,  qui  a  déjà  prie  part  à 
plusieurs  expéditions  polaires,  organise  une  nouvelle  exploration. 

Il  recrutera  un  groupe  d'indigènes  et  formera  des  équipages  de  chiens  dans  le 
détroit  de  Cumberland  ou  dans  la  baie  d'Hudson.  Il  s'embarquera  ensuite,  avec  tout 
son  monde,  sur  un  baleinier  écossais,  et  s'avancera  vers  le  Nord  aussi  loin  qu'il  le 
pourra,  probablement  entre  le  cap  Isabelle  et  le  cap  Sabin.  Là,  il  passera  l'hiver  i 
puis,  au  printemps,  il  ira  au  Fort-Gonger,  où  il  espère  trouver  ce  qui  doit  rester  des 
provisions  du  lieutenant  Greely  et  une  grande  quantité  dv?  gibier. 

S'il  ne  peut  se  rendre  directement  au  Nord  par  le  canal  de  Kennedy,  il  traversera 
la  terre  do  Schley  et  explorei-a  les  contrées  adjacentes,  qui  sont  encore  inconnues. 
Mais  s'il  réussit  à  arriver  au  Fort-Gonger,  il  suivra  l'itinéraire  qu'avait  trace  le 
lieutenant  Lockwood  et  tâchera  de  gagner  la  pointe  la  plus  septentrionale  du 
Groëndland,  et,  si  c'est  possible,  de  pousser  jusqu'au  pôle. 

Départ  de  H.  Pcrry  pour  le  Groëulaud.  —  M.  l'Ingénieur  Perry,  do 
la  marine  des  Etats-Unis,  est  parti  pour  la  Baie  de  Disco.  Son  intention  est  de  tra- 
verser le  Groëndland  dans  la  direction  de  la  Terre  de  François-Joseph. 

Explorations  de  llll.  Ryder  et  Bloch  sur  les  côtes  du 
Groenland.— Deux  lieutenants  de  la  marine  danoise  MM.  G.-H.  Ryder  et  P.-G.-D. 
Bloch,  avec  le  géologue  Ussing,  ont  visité,  cet  été,  les  côtes  du  Groenland,  presque 
complètement  inconnues,  qui  s'étendent  d'Upernavik  à  la  baie  de  Melville. 


II.  —  Géographie  commerciale.  —  Statistiques. 


EUROPE. 


Une  nouvelle  industrie  en  Suisse.  —  Dans  une  réunion  ,  tenue 
dernièrement  à  Saint-Gall,  il  a  été  décidé  de  favoriser  l'établissement ,  en  Suisse, 
d'une  fabrique  de  lainages  légers.  Une  adresse  votée  dans  ce  sens  au  Conseil  fédéral 
prie  celui-ci  d'accorder  à  cette  nouvelle  fabrique  une  subvention  destinée  aux  frais 
d'instruction  technique  et  de  premier  établissement. 

Le  Manchester  Guardian,  auquel  nous  empruntons  ce  renseignement,  donne  les 


—  83  — 

chiffres  ci-après  rolat.if^:  aux  importations  de  lainages  et  de  laines  brutes  cii  Sui.ssc 
eu  1885  ;  les  chiffres  sont  relevés,  par  le  journal  auglais,  en  livres  sterling  : 


Allemagne 

IMPORTATIONS 

en  Suisse. 

EXPORTATIONS 

de  Suisse. 

liv.  st. 

l.:«3.237 

527.602 
410.038 
105.377 

liv.  si. 

286.958 

56.687 

16.143 

2.137 

France 

Angleterre 

Belgique 

La  valeur  des  importations  des  mêmes  marchandises  d'Italie,  d'Autriche,  de 
Hollande  et  des  États-Unis  s'élève  environ,  ensemble,  à  40,000  livres  sterling. 

Un  musée  commercial  IVançals  à  Siaint- Sébastien.  —  On 

annonce  la  fondation,  dans  cette  ville,  d'un  musée  commercial.  Un  syndicat  vient  de 
se  former,  à  cet  effet,  entre  les  piùncipaux  négociants  fi'ançais  qui  y  sont  établis. 

Le  musée  en  question,  autorisé  pai'  le  gouvernement  espagnol,  contiendra  des 
échantillons  des  produits  des  deux  pays,  France  et  Espagne.  Les  spécimens  de  ces 
diverses  productions  seront  groupés,  classés  et  étiquetés  suivant  leurs  espèces  ,  de 
façon  à  ce  que  le  nom  et  la  résidence  du  fabricant,  ainsi  que  le  coût  du  transport,  les 
droits  de  douane,  etc.,  soient  très  nettement  indiqués  pour  chaque  article. 


IjC  commerce  de  l'Allemagne  avec  l'Italie.  —  Il  résulte  du  rapport 
du  consul  allemand  à  Milan,  sur  le  commerce  extérieur  de  l'Italie  en  1885,  que  les 
importations  d'Allemagne  en  Italie  et  les  exportations  de  ce  pays  sur  rAUemagne  se 
sont  accrues  dans  les  proportions  suivantes,  de  1880  à  1885  : 


1880 

1881 

1882 

IMPORTATIONS 

EXPORTATIONS, 

lires. 

54.964.000 

66.497.000 

84.514.000 

113.910.000 

110.730.000 

120.420.000 

liri\s. 

78.380 
67.985 
73.058 
88.550 
109.251 
105.250 

1883 

1884 

1885 

Un  dépôt  d'articles  Français  à  Salouique.  —  On  amiouce  la  iuu- 


—  84  — 

dation,  dans  cette  ville,  de  produits  frani^-ais  dans  un  établissement  qui  prendra  le 
nom  de  Magasins  parisiens  de  Magédoine. 

Patronné  par  un  syndicat  de  marchands  français  de  France  et  de  Macédoine,  cet 
établissement  qui  aura  pour  siège  social  la  demeure  du  consul  de  France  à  Salonique, 
port  d'attache  de  nos  grandes  lignes  méditerranéennes  et  devant  être  prochainement 
relié  au  réseau  général  des  chemins  de  fer  européens,  paraît  destiné  à  un  avenir  des 
plus  sérieux. 

Création  d'une  nouvelle  f  haïubre  de  commerce  à  Paris.  — 

11  vient  d'être  créé  à  Paris  une  Chambre  de  commerce  italienne.  Le  but  de  cette 
Chambre  étrangère  est  de  concourir  à  développer  le  mouvement  des  échanges  entre 
la  France  et  l'Italie.  Elle  se  tient  à  la  disposition  des  négociants  français  pour  leur 
fournir  les  renseignements  désirables  sur  le  marché  italien.  Un  musée  d'échantillons 
des  produits  qui  alimentent  principalement  le  commerce  international  franco-calien , 
a  été  annexé  à  cette  nouvelle  Chambre  de  commerce  et  est  tenu  à  la  disposition  des 
intéressés. 

lie  traité  avec  la  Grèce.  —  Le  traité  de  commerce  conclu  par  la  Grèce 
avec  la  France  est  basé  sur  le  systèm.e  de  la  nation  la  plus  favorisée.  La  France  s'en- 
gage à  réduire  les  droits  d'entrée  sur  les  vins,  de  4  fr.  50  à  2  francs  ;  sur  les  huiles  , 
de  4  fr.  50  à  3  francs  ;  et  de  laisser  les  figues  entrer  en  franchise.  La  Grèce  ,  de  son 
côté,  r  éduit  de  50  °/o  les  droits  sur  les  vins,  les  soies  et  la  parfumerie. 


ASIE. 


L'industrie  cotonnière  dans  l'Inde.  —  D'après  des  documents  statis- 
tiques publiés  dernièrement  par  l'Association  des  filateurs  de  Bombay,  durant  les 
douze  dernières  années,  le  nombre  des  filatures,  dans  l'Inde,  s'est  élevé  de  47  en 
1876,  à  95  en  1886,  le  nombre  des  broches  de  1,106,112  en  1876  à  2,261  561  en  1886, 
enfin,  celui  des  métiers,  de  9,389  à  17,455  pour  la  même  période.  Le  nombre  moyen 
des  ouvriers  employés  journellement  est  de  71,!^3  et  la  consommation  moyenne 
approximative  est  de  2,251,214  quintaux  anglais  représentant  643,294  balles 
livres  anglaises  l'une. 

Commentant  ces  chiffres,  le  Times  of  India  estime  que  le  capital  employé  dans  les 
filatures  de  l'Inde  représente  environ  1100  lakhs  de  roupies,  ce  qui,  au  change  de 
1  schelling  6  deniers,  donne  8  millions  1,4  de  livres  sterling,  soit  206  millions  250 
mille  francs. 

I<e  commerce  français  en  Chine.  —  Suivant  les  journaux  anglais, 
grâce  à  l'initiative  de  M.  Kraetzer,  précédemment  consul  français  à  Sanghai,  actuelle- 
ment chargé  d'aftaires  de  France  à  Pékin  ,  une  chambre  consultative  pour  favoriser 
le  dévelt^pement  des  intérêts  commerciaux  français  et  des  résidents  français  de 
Sanghaï  vient  de  se  créer.  Elle  se  propose  d'entrer  en  communication  avec  les  négo- 
ciants et  les  institutions  commerciales  de  la  mère  patrie,  les  colonies  françaises  et 
les  territoires  placés  iious  la  protection  de  la  France,  et  ce,  au  point  de  vue  des 
relations  commerciales  avec  la  Chine. 

Elle  correspondra  chrectement  avec  les  diflerents  ministères  et ,  spécialement. 


ceux  du  coininorcc  et  des  afTaires  étranp;èreR,  de  même  avec  les  agents  diploma- 
tiques et  consulaires  français  ainsi  qu'avec  les  Chambres  de  commerce  et  les  autorités 
similaires  dans  les  pays  placés  sous  le  protectorat  de  la  France. 

Ses  principaux  objectifs  seront  de  s'occuper  des  changements  désirables  dans  la 
législation  commerciale,  de  surveiller  les  concessions  possibles  de  travaux  publics  , 
et  l'organisation  des  service-;  publics  en  ce  qui  concerne  le  commerce  et  l'industrie, 
tels  que  les  transports  par  eau  et  chemins  de  fer,  les  conventions  postales  et  télégra- 
phiques, les  subventions  à  accorder  aux  lignes  de  steamers,  etc.  Elle  se  propose  égale- 
ment d'encourager  la  fondation  d'écoles  et  d'associations  destinées  à  la  propagation 
de  notre  langue.  Des  rapports  sur  les  procédés  de  ventes  et  d'achats  dans  les  pays 
de  l'Extrême-Orient  seront  aussi  publiés  paj'  ses  soins,  et  ce,  dans  des  publications 
périodiques  ou  des  correspondances,  de  même  que  des  renseignements  sur  les  fraudes 
pouvant  être  préjudiciables  aux  intérêts  français. 

Le  comité  exécutif  se  compose  de  six  membres  élus  pai'  l'assemblée  générale  de 
l'association. 


AMERIQUE. 


lia  culture  du  coton  au  Mexique.  —  On  mande  de  Mexico  que  ,  par 
suite  des  succès  obtenus  dans  la  culture  du  coton  à  Monterey,  il  a  été  décidé  d'établir 
dans  le  voisinage  de  cette  localité  une  Société  pour  la  plantation  et  la  culture  de 
cette  plante.  La  récolte  sera  naturellement  destinée  à  la  consommation  locale. 

I^e  commerce  à  lle^&ico.  —  Le  consul  belge  résidant  au  Mexique  écrit  à  la 
date  du  1"'' janvier  1887  à  son  gouvernement  : 

«  On  distingue  trois  grandes  catégories  de  maisons  de  commerce  à  Mexico. 

1°  Les  maisons  de  «  Ropa  »  qui  ont  pour  spécialité  les  tissus  de  tous  genres  ; 

2"  Les  maisons  de  «  Ferreteria  »  qui  vendent  tout  ce  qui  se  rattache  à  la  métallur- 
gie et  quelquefois  la  verrerie  et  les  armes  ; 

3'  Les  maisons  d'  «  Abarrotes  »  qui  s'occupent  de  la  vente  des  vins  .  liqueurs  , 
conserves,  denrées,  bougies  ,  etc.  On  pourrait  y  ajouter  les  drogueries  et  quelques 
maisons  faisant  spécialement  le  commerce  des  verres,  des  cristaux  et  des  armes. 

Les  maisons  de  «  Ropa  »,  qui  étaient  autrefois  au  pouvoir  des  Allemands,  ont  été 
presque  complètement  accaparées  par  les  Français,  en  particulier  par  ceux  de  Barce- 
lonnette  (Basses-Alpes),  qui  ont  supplanté  les  Allemands,  grâce  à  un  travail  infati- 
gable et  à  la  bonne  renommée  dont  ils  jouissent  sur  la  place  de  Paris,  oii  on  leur 
accorde  facilement  un  crédit  de  400,000  fr.  et  500,000  fr.  Il  est  à  remarquer  qu'une 
de  leurs  principales  forces  consiste  dans  l'appui  mutuel  qu'ils  se  prêtent  dans  les 
atlaires,  appui  qui  ne  se  manifeste  qu'entre  ceux  qui  sont  d'origine  barcelonnette. 

Les  Ferreterias  sont  généralement  entre  les  mains  des  Allemands,  qui,  sous  le 
point  de  vue  des  conditions  de  vente,  ont  su  acquérir  la  même  supériorité  que  les 
Barcelonnettes  pour  la  Ropa. 

Enfin  ,  les  Espagnols  constituent  en  majorité  les  propriétaires  des  magasins 
d'«  Abarrotes  ».  S'ils  ont  réussi  dans  cette  branche  d'affaires,  c'est  également  grâce 
aux  nombreux  sacrifices  de  tous  gem-es  qu'ils  s'imposent  dès  leur  jeunesse.  Ils 
débarquent  généralement  dans  le  pays  à  l'âge  de  8  ou  10  ans,  deviennent  successi- 


—  86  — 

vement  apprenti,  garçon  de  magasin,  employé  de  comptoir  ou  commis,  pour  être,  a'.i 
bout  de  leur  rude  stage,  admis  en  association.  » 

liasltiiatiou  l»iidg;étairc  dem  Étati^  de  l'Amérique  du  $iud. 

—  Voici ,  d'après  un  journal   allemand  ,  l'état  actuel  des  finances   des  Etats   de 
l'Amérique  du  Sud,  en  millions  de  francs  : 


Brésil 

République  Argentine. . . 
Chili 

REVENUS. 

DÉPENSES. 

EXCÉDENT. 



DÉFICIT. 

232 

206 

201 

165 

58 

26 

25 

23 

20 

17 

15 

12 

7 

7 

3 

292 

195 

200 

240 

57 

27 

53 

27 

28 

24 

18 

,14 

8 

8 

4 

» 
11 
1 
» 
1 
» 
» 
» 
» 
» 
» 
» 
» 

» 
» 

75 
» 

28 
4 
8 
» 
7 
3 
2 
1 
1 
1 

Mexique 

Uruffuav 

Venezuela 

Colombie 

Salvador 

Guatemala 

Bolivie 

Equateur 

Honduras 

Costa-Rica 

Nicaragua 

Paraffuav  

Totaux 

1.017  mill. 

1.195  mill. 

13  mill. 

191  mill. 

Voici  maintenant,  d'après  les  chiffres  précédents,  le  dé'i'eloppement  des  quatre  plus 
importants  de  ces  États  : 


■ 

Brésil 

République  Argentine. . . . 
Chili 

REVENUS 

1880 

EN   MILLIO 
1885 

NS  DE   FRANCS. 
AUGMENTATION. 

224 
101 
175 

40 

2,31 

206 

201 

58 

3  1,2  % 

105    » 
15     » 

45   » 

Uruguay 

-  87  - 


TiB  production  de  l'or  et  de  l'ar^çent  aux  ÉtatM-Uni».  —  Vnir-i 

d'après  la  direction  du  Bureau  des  statistiques  des  États-Unis,  la  production  de  l'oi 
ot  de  l'argent  eu  livres  sterling  pour  chaque  État  durant  l'année  finissant  ;n 
1^''  octobre  dernier  : 


ÉTATS   OU   TERRITOIRES. 

Or. 

Argent. 

Alaska 

Liv. 

80.000 

80.000 

2.4fX).000 

420  000 

480.000 

240.000 

680.000 

300.000 

100. OUO 

100.000 

100.000 

40.000 

Liv. 

» 

740.000 

360.000 

1.660.000 

40.000 

400.000 

1.840.000 

1.400.000 

600.000 

» 

1.340.000 

40.000 

Arizona 

Californie 

Colorado 

Dakotah 

Idalio 

Montana 

Nevada 

Nouveau-Mexique 

Orégon  

Utah 

Autres  Etats  ou  territoires 

Valeur  monétaire  totale 

5.020.000 
5.020.000 

8.480.000 
6.360.000 

Valeur  totale  sur  le  marché 

Voici,  maintenant,  les  chiffres  de  la  production  similaire  durant  chacune  des  dix 
dernières  années  : 


1887. 

1878 

1879. 

1880 

1881. 

1882. 

1883. 

1884. 

1885. 

1886. 


Or. 


8.900.000 
7.500.000 
6.000.000 
6.480.000 
6.040.000 
5.800.000 
4.880.œ0 
4.520.000 
5.240.000 
5.020.000 


Argent. 


Liv. 

7.600 
7.100. 
7.000, 
7.000 
8.030 
9.200, 
8.600 
8.480 
8.560 
8.480 


000 
000 
000 
000 
006 
000 
000 
000 
000 
000 


Dans  les  chiffi'es  ci-dessus,  l'argent  est  pris  à  sa  valeui'  nominale  en  or. 


OGEANIE. 


l.es  blés  iudiciis  eu  Australie.  —  En  voici  bien  une  autre  !  Les  cultiva- 
teurs de  blé  en  Australie,  sont  dans  un  grand  état  de  surexcitation,  par  suite  de 
l'arrivée,  chez  eux,  de  plusieurs  cargaisons  de  blés  de  Tlnde.  Le  Queeiislander, 
journal  du  pays,  redoute  que  le  succès  de  ces  importations  n'amène  la  destruction 
de  la  culture  du  blé  dans  le  Sud  de  l'Australie  au  moment  même  oii  cette  culture 
était  appelée  à  prendre  un  grand  développement.  Les  producteurs  de  grains  de 
Victoria  souffrent  également  du  fait  de  ces  importations  ainsi  que  la  Nouvelle-Galles 
du  Sud  et  le  Queensland. 

Le  Manchester  Guardian,  commentant  le  fait,  ne  trouve  d'autre  moyen  de  lutte 
efficace  que  la  culture  intensive  et  les  nouveaux  procédés  d'irrigation.  Mais  nous 
croyons,  qu'étant  données  les  tendances  protectionnistes  de  l'Australie,  le  gouverne- 
ment de  ce  pays  aura  certainement  recours  à  des  moyens  plus  immédiats  comme 
efficacité.  Quoi  qu'il  advienne,  il  nous  a  paru  intéressant  de  signaler  la  chose  comme 
typique  :  les  colonies  anglaises  obligées  de  se  défendre  contre  des  envahissements 
mutuels  de  blés  !  N'est-ce  pas  un  comble  économique  susceptible  de  dérouter  les 
ji'us  vieux  liiiucrs  du  \\\>ie  échange  ? 


SOCIETE  DE  GEOGRAPHIE 

DE     LILLE. 


SOCIÉTAIRES  NOUVEAUX  ADMIS  DANS  LE  COURANT  DE  FÉVRIER  1887. 


MEMBRES  ORDINAIRES. 

L.11IC. 

cription. 

1388.  CoQUELiN,  juge  au  Tribunal,  rue  Négrier,  13. 

1389.  De  Parades,  négociant,  rue  Jeaii-Saus-Ptur,  46. 

1390.  ChvlviNï  (Armand),  propriétaire,  parc  Monceau. 

1304.     Waomek  (le  docteur^,  niédecin  spéciaiisle,  rue  d'Inkeimanu,  13. 

1391 .  Saisset-Schneider,  préfel  du  Nord,  place  de  la  République. 

Roubaix. 

1392.  BuTRUiLLE  (le  docteur),  rue  du  Château,  43. 

Tourcoing^. 

1358.  Degryse,  électricien,  rue  Saint-Jacques,  58. 

1  i69.  LiAGRE  (Louis),  négociant  en  épiceries,  rue  de  Lille,  35. 

1370.  Vouve  Lepoutre  (Félix),  propriétaire,  rue  Winoc-Cliocqueel,  36. 

1371 .  Honnier  (Alphonse),  cominis-iiégncianl,  rue  de  la  Maicense. 

1372.  Gloriegx-Flajient  (Alphonse),  fabricant,  rue  des  Orphelins,  18. 

1373.  Tack  (Julien),  représentant,  rue  de  Guines,  58. 

1374.  Tibeal^ts-Caulliez  (Alexandre),  rei)résentant,  rue  des  Nonnes,  25. 

1375.  Berton  (Félix),  représentant,  rue  du  Calvaire,  14. 

1376.  Veuve  Vandeputte-Mullié  (Emile),  négociant,  rue  Dervaux,  28. 

1377.  Voreux-Deschev\ux  (Etienne),  négociant,  rue  de  Tournai,  17. 

1378.  Dupont  (E.),  conimis-négociaut,  rue  de  la  Cloche,  78. 

1379.  Destombes  (Gustave),  représentant,  rue  Motte,  22. 

1380.  D.vntoing  (Charles),  commis-nétiociant,  rue  du  Casino,  15. 

1381 .  Claeys  (Jules),  pharmacien,  place  Notre-Dame. 

1382.  Gailliez  (Sébastien),  négdcianf,  rue  de  Lille,  210. 

1383.  Honoré  (Albéric),  coramis-ncgocianl,  rue  du  Nord,  31. 
1384..  Glorieux  (Charles),  propriétaire,  rue  Notre-Dame,  15. 
l38o.  Fallot  (Robert),  fllaleur,  rue  Winoc-Chocqueel,  139. 

1386.  Jourdain  (Eugène),  fabricant,  rue  de  la  Station,  17. 

1387.  Lefebvre-Glorieux,  négociant,  rue  Nationale,  84. 


90  — 


COURS  ET  CONFÉRENCES  DE  TOURCOING 


L'AUSTRALIE  TELLE  QU'ELLE  EST 


par  M.  le  baron  MICHEL. 
Ancien    Officier    de    marine. 


Conférence   faite    à    Tourcoing    le    14    décembre    1886. 


Mesdames  ,  Messieurs  , 

Le  but  que  nous  voulons  atteindro  ,  c'est  l'étude  des  colonies ,  tout 
autant  des  colonies  de  l'étranger  que  de  celles  de  la  France.  Malheu- 
reusement, jusque  dans  ces  dernières  années,  nous  ne  nous  étions  que 
trop  concentrés  sur  nous-mêmes ,  et  lorsque  nous  avons  enfin  voulu 
sortir  de  notre  sphère ,  nous  avons  trouvé  partout  la  place  occupée 
par  deux  nations  rivales ,   l'Angleterre  et  l'Allemagne. 

Connaître  les  pays  étrangers  ,  savoir  les  ressources  qu'on  y  peut 
trouver ,  ainsi  que  les  déboucliés  qu'on  peut  y  créer ,  me  semble  une 
étude  faite  pour  attirer  l'attention  de  celui  qui  aime  son  pays  et  veut 
rendre  à  la  France  une  situation  digne  d'elle.  En  prenant  pour  titre  de 
la  conférence  de  ce  soir  :  L Australie,  telle  quelle  est,  je  tiens  à  vous 
dire  ,  Mesdames  et  Messieurs  .  que  je  vous  raconterai  ce  que  j'ai  vu  et 
que  je  vous  donnerai  ensuite  les  conclusions  que  j'en  ai  tirées,  conclu- 
sions qui,  je  crois ,  auront  leur  valeur.  Je  vous  présenterai  l'Australie, 
si  je  pouvais  m'exprimer  ainsi ,  absolument  photographiée.  L'Australie 
est  peu  connue  en  France,  nous  pouvons  bien  l'avouer,  car  même  beau- 
coup d'Anglais  ne  la  connaissent  pas. 

Lorsque  je  suis  parti ,  il  y  a  quatre  ans ,  chargé  d'une  mission  du 
Gouvernement ,  je  croyais  connaître  l'Australie  :  j'en  avais  étudié  la 
géographie ,  les  ressources  ,  le  climat ,  tout  ce  qui  la  concerne  ;  je  ne 
connaissais  absolument  rien ,  et  lorsqu'après  un  séjour  de  plusieurs 
mois  dans  ce  pays,  je  vis  ce  qu'il  était  réellement,  je  dus  changer. 


-  Ul  - 

d'opinion  ,  je  ne  dirai  pas  sur  tous  les  points  .  mais  sur  presque  tous. 
Je  vais  très  rapidement  vous  indiquer  la  situation  géographique ,  la 
nature  môme  de  ce  pays  ,  pour  arriver  plus  tard  à  en  tirer  des  consé- 
quences qui  pourront  vous  intéresser  plus  particulièrement ,  vous  qui 
êtes  dans  un  pays  de  travail ,  de  probité  commerciale  ,  d'honneur,  et, 
ce  qui  est  surtout  bien  rare  en  France ,  à  notre  époque ,  d'initiative 
privée. 

Je  dois  d'abord  faire  une  distinction  entre  deux  termes  géographiques 
qui  peuvent  donner  lieu  à  confusion  :  Australie  et  Auslralasie.  L'Aus- 
tralie est  le  continent  très  grand  dont  je  vous  donnerai  quelques 
dimensions  tout-à-l'heure  ,  mais  elle  n'est  que  le  continent.  L'Austra- 
lasie  se  compose,  au  contraire,  de  la  Nouvelle-Guinée,  de  laTasmanie, 
de  la  Nouvelle-Zélande  et  des  îles  Fidji,  ainsi  que  de  la  Nouvelle-Calé- 
donie qui  nous  appartient  et  à  laquelle  se  joindront  un  jour,  je  l'espère, 
les  Nouvelles  •  Hébrides.  J'appellerai  donc  le  conlm^ni  :  Australie 
proprement  dite,  et  les  autres  colonies,  colonies  australasiennes. 

Mais  passons  rapidement  sur  ces  indications  géographiques  :je  ne 
veux  pas  avoir  l'air  de  faire  ici  un  cours  ,  car  évidennnent  vous  êles 
plus  forts  que  je  ne  puis  l'être  de  ce  côté,  vous  qui  avez  de  nombreuses 
relations  avec  ce  pays.  L'Australie  est  située  entre  le  110"  et  le  152"  de 
longitude  Est.  Au  Sud  de  ce  continent,  se  trou  vêla  Tasmanie,  ou  terre 
de  Van-Diemen,  qui  en  est  séparée  parle  détroit  de  Bass.ll  y  a  ensuite 
à  FEst  la  Nouvelle-Zélande ,  qui  se  compose  de  trois  îles  ;  elle  descend 
jusqu'au  48"  de  latitude  Sud  et  s'étend  jusqu'au  176°  de  longitude  Est. 
C'est  à  200  lieues  dans  le  sud-est  de  la  Nouvelle-Zélande  que  se 
trouvent  les  antipodes  de  Paris.  Ce  territoire  est  donc  situé,  comme 
vous  le  voyez,  à  une  assez  grande  distance  de  notre  pays  ,  mais  grâce 
à  la  vapeur  et  à  l'électricité  ,  cela  n'est  plus  à  présent,  ce  qu'on  peut 
appeler  un  obstacle,  et  les  personnes  de  Tourcoing  qui  ont  visité 
l'Australie,  pourront  vous  certifier  que  les  principales  villes  de  ce  pays 
ne  sont  plus  éloignées  de  nous.  La  superficie  de  l'Australie  est  de 
800  raillions  d'hectares.  Je  sais  que  tous  ces  chiffres  pourront  faci- 
lement se  confondre  dans  la  mémoire ,  mais  enfin  je  les  cite  quand 
même ,  voulant  vous  donner  une  idée  très  exacte  de  l'importance  de 
ce  pays.  L'Australie  est  donc  quinze  fois  plus  grande  que  la  France , 
le  continent  seul  :  il  est  un  sixième  moins  grand  que  l'Europe.  Son 
point  le  plus  rapproché  de  nous,  est  à  18  mille  kilomètres.  Mon 
ami  et  collègue  ,  M.  Bayle ,  a  eu  une  excellente  idée  en  faisant  graver 
sur  les  cartes  d'invitation  à  cette  conférence ,   une  petite  carte  de 


—  92  — 

l'Australie,  qui  vous  permettra  de  vous  rendre  mieux  compte  de  la 
topographie  de  ce  pays  ;  c'est  une  ingénieuse  idée  dont  je  le  félicite. 
—  Comme  divisions  politiques ,  l'Australie  est  divisée  en  trois 
bandes  allant  du  Nord  au  Sud  :  la  bande  orientale  comprend  trois 
colonies,  le  Queensland  ,  la  Nouvelle -Galles  du  Sud  et  Victoria  ;  la 
bande  centrale  appartient  à  l'Australie  du  Sud  qui  est  séparée  de  son 
annexe  par  un  immense  désert  ;  la  bande  de  l'Ouest  appartient  tout 
entière  à  la  colonie  de  l'Australie  occidentale.  La  Nouvelle  -  Galles  du 
Sud  ,  qui  elle-même  ne  date  pas  de  bien  longtemps  encore  (1778) ,  est 
la  plus  ancienne  des  colonies  australiennes,  Cook  lui  a  donné  ce  nom 
de  Nouvelles-Galles  du  Sud  à  cause  de  sa  ressemblance  avec  le  pays 
do  Galles.  En  1840 ,  la  Nfmvelle-Zélando  se  sépara  la  première;  en 
1851 ,  Victoria  se  sépara  à  son  tour  ,  et  en  1854  ,  cinq  colonies  étaient 
déjà  constituées.  On  peut  prévoir  que  d'ici  à  très  peu  de  temps  il  se 
formera  encore  une  sixième  colonie  composée  des  territoires  du  Nord. 
11  y  a,  d'ailleurs,  encore  sur  le  continent,  bon  nombre  d'endroits  inha- 
bités qui  se  peupleront  peu  à  peu ,  mais  avant  de  fonder  de  nouvelles 
colonies  ,  les  australiens  ,  qui  sont  des  gens  très  pratiques  ,  attendent 
que  leurs  ressources  fiscales  leur  permettent  de  payer  leurs  employés, 
car  on  ne  fait  pas  comme  chez  nous  dans  ce  pays-là  ,  on  attend  qu'on 
ait  les  ressources  nécessaires  pour  payer  ses  fonctionnaires,  ce  dont  je 
le  félicite.  (Applaudissements.) 

L'intérieur  de  l'Australie  est  relativement  peu  connu  ;  cependant , 
(et  je  ne  puis  me  dispenser  de  rappeler  ici  à  vos  souvenirs  les  noms 
de  Burke,  Willis  et  des  autres  courageux  explorateurs  qui  sont  morts 
dans  ces  parages  à  la  peine,  martyrs  de  la  science,  et  qui  ont  laissé  parmi 
leurs  compatriotes  des  noms  d'honnnes  qui  savent  se  sacrifier  pour  leur 
pays),  cependant,  dis-je,  les  courageux  explorateurs  qui  ont  parcouru 
les  immenses  territoires  de  TAustralie  ,  en  ont  tiré  cette  conclusion  , 
que  bien  des  parties  de  ce  vaste  sol  sont  absolument  favorables  à  la 
culture  et  à  l'élevage.  Il  existe,  toutefois,  un  défaut  dans  ce  pays,  c'est 
la  sécheresse  qui  parfois  est  des  plus  intenses.  Je  me  rappelle  qu'en 
l'ainiée  1884,  au  mois  de  janvier,  époque  à  laquelle  c'est  dans  ces  pays 
l'été  ,  comme  vous  le  savez  .  la  sécheresse  fut  telle  que  de  braves 
australiens,  en  compagnie  desquels  je  parcourais  l'intérieur  du  pays  en 
explorateur,  désirant  ne  pas  pénétrer  plus  avant  dans  le  désert,  entre- 
prirent à  mon  insu,  afin  qu'il  nous  fût  tout-à-fait  impossible  de  continuer 
la  route,  do  faire  disparaître  complètement  les  chevaux  qui  servaient 
à  nous  transporter. 


-  93  - 

'D'après  l'évaluation  qui  m'en  a  été  faite  par  un  de  mes  amis,  il  y  eut 
celte  année-là  ,  250.000  moutons  qui  périrent  victimes  de  ce  terrible 
fléau.  Mais  les  efiéts  de  celte  sécheresse  diminuent  rapidement ,  grâce 
à  l'énergique  intervention  des  gouvernements.  Ainsi,  dans  des  endroits 
absolument  déserts  il  y  a  dix  ans,  j'ai  vu  des  machines  élévatoires  qui 
versaient  d'énormes  quantités  d'eau  dans  de  vastes  auges ,  dans 
lesquelles  200,000  moutons  pouvaient  s'abreuver  en  même  temps.  Je 
vous  donne  ces  chiffres',  pour  que  vous  sachiez  ce  que  peut  un  pouph; 
laborieux  et  intelligent,  stimulé  par  l'amour  de  la  liberté  et  de  la  patrie. 
(Applaudissements.) 

La  structure  générale  du  pays ,  pour  en  finir ,  (et  il  faut  toujours 
donner  des  images  qui  frappent  l'imagination),  le  continent  australien, 
dis-je,  ressemble  en  quelque  sorte  à  une  assiette  de  forme  irrégulière 
dont  les  bords  seraient  formés  de  nombreuses  échancrures.  La  partie 
la  plus  riche  de  ce  continent  est  celle  qui  se  trouve  sur  la  carie  à 
l'Orient  et  dans  le  Sud,  et  qui  est  formée  i)ar  la  chaîne  des  montagnes 
Bleues,  les  Pyrénées  et  les  Alpes  australiennes.  11  existe  dans  l'inté- 
rieur du  pays  une  sorte  de  gravier  qui  se  transforme  peu  à  peu  en 
poussière  et  constitue  un  sable  particulier  qui  n'a  aucun  rapport  avec 
le  sable  du  bord  de  la  mer  ;  mais  dans  cette  espèce  de  déserts ,  on 
trouve  en  beaucoup  d'endroits  de  l'eau  qui  a  été  constatée  en  quantité 
supérieure  à  celle  des  rivières  et  qui ,  en  outre  .  est  d'une  excellente 
qualité.  Il  serait,  par  conséquent,  inexact  de  croire ,  avec  certaines 
gens,  que  dans  peu  de  temps  toute  la  partie  riche  de  l'Australie  sera 
complètement  épuisée  ;  ce  serait,  assurément  là,  une  très  grave  erreur. 

L'Australie,  ce  vaste  pays,  aurait ,  d'après  les  archives  de  la  ville  de 
Lisbonne  ,  été  aperçue  par  les  Portugais  au  milieu  du  XVP  siècle.  Je 
veux  bien  laisser  aux  Portugais  ce  petit  amour-propre,  mais  comme  il 
n'existe  aucune  preuve  suffisante  de  la  véracité  de  cette  assertion ,  je 
descends  quelques  années  plus  bas  dans  les  annales  historiques ,  et 
j'arrive  à  la  découverte  certaine  du  continent  australien  en  1606 ,  par 
les  Hollandais  qui  y  firent  de  nombreuses  explorations.  Les  Anglais 
n'y  ont  mis  le  pied  pour  In  première  fois  qu'en  1699 ,  mais  là  où  les 
Anglais  qui ,  comme  vous  le  savez  ,  sont  tenaces  ,  ont  posé  le  premier 
pied-,  ils  y  ont  bientôt  mis  le  second,  et  quand  ils  iiy  rencontrent 
aucune  opposition  sérieuse,  le  pays  tout  entier  leur  est  vile  acquis. 
L'Australie  est  donc  devenue  complètement  anglaise  et  son  nom  primitif 
de  Nouvelle-Hollande,  le  titre  de  gloire  de  ses  premiers  explorateurs, 
fut  même  supprimé.  Le  pays  est  anglais,  les  noms  dus  villes  anglais  , 


-  94  - 

les  noms  géographiques  anglais ,  et  cependant  les  noms  de  Freycinet 
et  de  quelques  autres  de  nos  illustres  compatriotes  sont  restés  sur  les 
cartes  anciennes,  et  les  habitants  de  l'Australie  ont  conservé  pour  nos 
grands  hommes  iiiie  profonde  vénération. 

Pendant  que  j'étais  à  Sydney,  j'ai  assisté  un  jour  à  une  manifestation 
bien  touchante  qui  a  eu  lieu  en  faveur  d'un  de  nos  illustres  capitaines  , 
sur  un  navire  sur  lequel  j'avais  fait  une  expédition  aux  Nouvelles 
Hébrides;  je  veux  parler  de  notre  compatriote,  le  malheureux 
Lapeyrouse  qui ,  comme  vous  le  savez  .  périt  en  1788  avec  V Astrolabe 
sur  l'un  des  récifs  qui  entourent  Tîle  Vanikoro.  Eh  bien  !  les  Austra- 
liens ont  élevé  à  Lapeyrouse  un  monument  qu'ils  honorent  avec  le  plus 
grand  soin  ;  c'est  bien  là,  véritablement,  une  des  marques  indéniables 
de  l'admiration  et  de  la  sympathie  qu'ils  nous  témoignent,  et  nous  leur 
devons  également  des  remerciements  pour  les  bons  égards  qu'ils  ne 
cessent  jamais  de  nous  accorder.  (Applaudissements.) 

Par  qui  l'Australie  a-t-elle  été  colonisée  ?  Les  personnes  qui  ont 
l'habitude  de  lire  les  journaux ,  ont  pu  voir  qu'une  discussion  s'est 
engagée  autrefois  sur  ce  sujet  à  la  Chambre,  Les  uns  ont  soutenu  que 
l'Australie  avait  été  colonisée  par  les  convicts  ;  c'étaient  ceux  qu^ 
veulent  que  la  Nouvelle-Calédonie  appartienne  à  cette  race  peu  inté- 
ressante de  la  société  ;  d'autres  ont  prétendu  ,  au  contraire  ,  qu(3  les 
convicts  n'ont  été  pour  rien  dans  la  colonisation  de  l'Australie.  Ceux-là 
ont  tort  également  ;  la  vérité  est  celle  -  ci ,  je  suis  heureux  de  pouvoir 

dévoiler  à  mes  compatriotes  : 

En  mai  1787  ,  le  capitaine  Philipp  débarqua  à  Botany-  Bay  ,  dans  la 
Nouvelle  -  Galles  du  Sud  ,  avec  776  convicts  ,  environ  200  soldats  de 
marine  et  un  certain  nombre  de  fonctionnaires  d'administration  ;  ils 
étaient  au  total  1 ,030  personnes  et  ils  prirent  possession  du  pays  au  nom 
de  l'Angleterre,  sans  qu'il  leur  fût  fait  aucune  opposition,  ils  fondèrent 
en  1788,  dans  l'admirable  baie  de  Port-Jackson  ,  la  ville  de  Sydney  qui 
devint  le  centre  de  la  colonie.  Les  premiers  travaux  de  l'Australie  ont 
donc  été  exécutés  par  les  convicts.  Pendant  un  certain  temps,  l'Angle- 
terre y  déporta  des  criminels  et  y  fonda  des  établissements  péniten- 
tiaires. J'ai  vu  à  Port-Arthur  des  travaux  exécutés  par  ces  criminels, 
et  je  vous  déclare  qu'ils  m'ont  véritablement  jeté  dans  l'admiration. 

La  population  libre  s'accrut  peu  à  peti,  par  suite  de  nouvelles  immigra- 
tions, et  les  colons  devenant  de  plus  en  plus  nombreux,  plus  riches  et 
plus  puissants,   finirent  par  imposer  au   gouvernement  britannique 


-  95  - 

l'obligation  de  ne  plus  déporter  personne  dans  le  pays.  La  colonisation 
a  donc  été  faite  par  des  hommes  libres,  mais  le  pionnier,  c'est-à-dire 
l'ouvrier  qui  prépare  le  travail ,  cet  ouvrier  était  condamné  ,  et  voilà 
par  quel  moyen  l'autorité  anglaise  prit  du  développement  en  Australie. 
Cependant  ce  souvenir  de  déportation  a  pesé  longtemps  après  sur  le 
pays.  Aussi,  les  Australiens  n'aiment  pas  qu'on  les  appelle  «  colonial  », 
ils  veulent  être  «  anglais  »  ;  pourquoi  ?  parce  qu'ils  ne  veulent  pas 
passer  pour  fils  ou  petits-fils  de  convicts.  Eh  bien  !  je  déclare  que  j'ai  vu 
des  fils  et  des  petits-fils  de  convicts  qui  étaient  des  hommes  parfaite- 
ment honorables,  et  d'ailleurs  ne  sommes-nous  pas  tous  un  peu  fils  ou 
petits-fils  de  convicts  par  Adam  et  Eve ,  nos  premiers  parents,  qui 
furent  condamnés  au  bannissement  perpétuel  ?  (Rires.) 

La  population  coloniale  de  l'Australie,  qui  était,  en  1787,  de  1,030 
personnes,  s'élève  aujourd'hui  à  3  millions  d'âmes.  Dans  un  pays 
comme  Tourcoing,  où  le  sentiment  de  la  vie  de  famille  est  très  déve- 
loppé ,  je  n'apporterai  aucun  argument  nouveau  à  votre  manière  de 
voir,  mais  enfin  (peut-être  mes  paroles  dépasseront-elles  l'enceinte  de 
cette  cité)  je  ne  serais  pas  fâché  d'apprendre  à  mes  compatriotes  dans 
quelles  proportions  les  naissances  et  les  décès  ont  lieu  en  Australie. 
Les  naissances  sont  de  3,5  7o  •  J6  ne  crois  pas  que  cette  proportion  soit 
égalée  en  France.  Quant  aux  décès,  ils  ne  sont  que  de  l,37o  c'est  bien  là 
la  meilleure  démonstration  qu'on  puisse  faire  en  faveur  de  la  salubrité 
du  pays.  Vous  voyez  donc  que  l'Australie  prend  de  grands  développe- 
ments, et  si  les  habitants  de  ce  pays  veulent  bien  ne  pas  faire  trop  de 
politique,  ils  seront  bientôt  le  peuple  le  plus  heureux  du  monde.  Cette 
population  se  compose  surtout  d'Anglais ,   d'Irlandais ,  de   quelques 
Allemands  et  de  très  peu  de  Français.  Du  reste  ,  sauf  la  Plata,  qu'a 
décrite  dernièrement  dans  cette  même  salle  ,  mon  honorable  collègue 
et  ami,  M.  Potel ,  sauf  aussi  Barcelone  ,  qui  se  trouve  à  très  peu  de 
distance  de  la  France,  il  y  a  bien  peu  d'endroits  au  monde,  où  j'aie  ren- 
contré beaucoup  de  Français.  Vous  ,  habitants  du  Nord  ,  vous  êtes  un 
peuple  heureux  ,  vous  êtes  travailleurs  ,  vous  êtes  des  gens  ayant  le 
sentiment  de  la  vie  de  famille  ,  mais  dans  beaucoup  d'autres  parties  de 
la  France ,  on  ne  trouve  pas  toujours  les  mêmes  qualités  et  on  ren- 
contre souvent  des  hommes  qui  se  plaignent.   Mais  si  on  leur  dit  : 
«  Vous  n'avez  qu'à  traverser  la  mer,  et  vous  rencontrerez  un  pays  où 
vous  trouverez  par  le  travail  l'aisance,   la  fortune  même ,  bien  peu 
d'entre  eux  sauront  se  résoudre  à  suivre  ce  bon  conseil,  surtout  le 
parisien  qui  ne  demande  que  ses  boulevards  et  les  Folies -Bergères. 


-  96  — 

(Rires.)  Eh  bien  !  ils  n'ont  plus  maintenant  le  droit  de  se  plaindre  d'un 
mal,  quand  on  leur  en  offre  le  remède  et  qu'ils  le  refusent. 

Il  existe  encore  sur  le  sol  australien  quelques  aborigènes  dont  vous 
verrez  tout-à-l'heure  la  photographie,  mais  cette  race  disparaît  de  plus 
en  plus  ;  elle  ne  prend ,  d'ailleurs ,  de  la  civilisation ,  que  tous  ses 
défauts ,  aucune  de  ses  qualités,  les  hommes  surtout.  En  Tasmanie ,  la 
race  primitive  a  disparu  ;  en  Nouvelle-Zélande  ,  il  existe  une  race 
particulière  ,  la  race  des  Maoris,  dont  l'origine  est  la  môme  que  celle 
de  nos  indigènes  Canaques  de  Taïti.  Ces  Maoris  tendent  davantage 
à  se  maintenir  et  ils  ont  conservé  une  certaine  forme  de  gouvernement 
particulier.  Toutes  ces  races  sont  d'ailleurs  appelées  à  disparaître  un 
iour ,  car  je  ne  crois  pas  qu'elles  soient  complètement  assimilables  y 
notre  civilisation ,  sauf  celle  des  métis ,  qu'on  rencontre  en  assez 
grand  nombre  en  Nouvelle-Zélande. 

On  trouve  en  Australie  toutes  sortes  de  métaux,  même  et  surtout  le 
nickel  et  l'or.  Les  Nouvelles  -  Hébrides  et  la  Nouvelle  -  Calédonie  sont 
assurément  des  pays  très  riches  en  minerais,  mais  l'Australie  est  encore 
plus  riche.  Elle  a  déjà  exporté  en  Europe  pour  7  milliards  d'or,  et  il 
existe  encore  actuellement  de  ce  métal ,  des  mines  extraordinaires , 
ainsi  que  de  l'argent,  du  cuivre,  du  cobalt  dans  la  Nouvelle -Galles 
du  Sud,  etc — 

J'ai  dit  précédemment  que  la  population  de  l'Australie  était  de  trois 
millions  d'âmes.  D'après  le  dernier  recensement ,  qui  date  de  1884,  (et 
il  ne  doit  pas  y  avoir  grand  changement  depuis  cette  époque) ,  il  y  a 
dans  ce  pays  1,500,000  chevaux,  8,600,000  bêtes  à  cornes  et  86  millions 
de  moutons.  Tous  ces  animaux  ont  été  importés  ;  les  premiers  moutons, 
provenant  des  races  pures  des  béliers  anglais,  sont  venus  en  Australie 
avec  le  capitaine  Mac  Arthur.  Eh  bien  !  le  sol  australien  est  tellement 
favorable  à  l'élevage  des  moutons,  que  25  à  30  ans  plus  tard,  le- 
Anglais  eux-mêmes  eurent  peine  à  reconnaître  l'origine  de  ces 
animaux.  L'Australie  est  donc  un  pays  absolument  favorable  à  l'éle- 
vage ,  et  à  chaque  pas  que  je  ferai  dans  le  récit  rapide  que  j'ai 
entrepris ,  je  chercherai  à  vous  attirer  vers  ce  pays ,  car  un  jour 
l'isthme  de  Panama  sera  percé  ,  je  ne  sais  pas  par  qui  (et  je  ne  veux 
pas  entrer  ici  dans  la  discussion  qui  a  été  soulevée  à  ce  sujet  à  l'égard 
de  M.  de  Lesseps)  mais  enfin  il  sera  percé  .  et  ce  jour-là  ,  l'Australie 
en  particulier ,  ainsi  que  cette  riche  partie  de  l'Océanie ,  qui  l'envi- 
ronne, deviendra  le  rendez-vous  du  monde  entier,  et  si  vous,  Français, 
vous  tardez  trop  .  il  arrivera  pour  vous  ce  qui  nécessairement  a  lieu 


dans  une  salle  trop  pleine  ;  quand  on  y  arrive  trop  tard,  on  n'y  trouve 
plus  de  place.  (Rires.) 

Il  y  a,  paraît-il,  en  Australie  ,  151  espèces  de  kanguroos  ;  c'est  un 
quadrupède  absolument  particulier  à  ce  pays  ;  il  vit  en  très  mauvaise 
intelligence  avec  les  troupeaux  ;  aussi  s'efforce-t-on  à  en  détruire  la 
race  le  plus  vite  possible  ,  et  en  attendant  la  complète  extermination 
de  ces  animaux,  les  Australiens  vendent  très  bien  leur  peau  et  se  nour- 
rissent même  de  leur  chair.  Il  est  probable  qu'on  nen  verra  plus 
beaucoup  sous  peu  de  temps.  Quant  aux  oiseaux  ,  la  race  spéciale  au 
pays  est  l'autruche ,  qui  disparaît  également.  Ce  ne  seront  donc  un 
jour  que  tous  les  animaux  importés  qui  primeront  dans  ce  pays-là. 
Seulement ,  parmi  ces  importations  ,  il  en  est  une  qiu  a  pris  un  trop 
grand  développement,  c'est  celle  des  lapins.  La  race  de  ces  animaux 
s'est  tellement  accrue  dans  le  pays,  qu'en  ce  moment-ci ,  les  gouver- 
nements se  voient  obligés  de  s'en  débarrasser  à  grands  frais  ;  en  atten- 
dant, c'est  une  bonne  fortune  pour  les  colons ,  surtout  en  Nouvelle- 
Zélande  ,  d'où  on  a  exporté  ,  en  1884  ,  10  millions  de  peaux  de  lapins. 
Voyez  combien  les  marchands  de  peaux  de  lapins  peuvent  faire  de 
bonnes  affaires  dans  ces  pays-là  !  (Rires.) 

Quant  aux  arbres,  le  plus  répandu  est  l'Eucalyptus,  dont  (>n  compte 
jusqu'à  200  et  quelques  espèces.  Malheureusement ,  cette  espèce 
d'arbre  spéciale  au  pays,  tend  aujourd'hui,  comme  les  animaux,  à  dispa- 
raître de  plus  en  plus  à  cause  des  incendies  qui  surviennent  fréquem- 
ment dans  les  forêts.  1 /incendie  est,  du  reste,  le  moyen  employé  le 
plus  généralement  par  les  Australiens  pour  le  délncheraent  ;  c'est  très 
regrettable  ,  car  la  salubrité  du  pays  est  due  en  partie  à  cet  arbre ,  de 
même  que  la  Nouvelle-Calédonie  doit  sa  salubrité  à  un  autre  arbre,  le 
Niaouli.  J'espère  donc  que  les  autorités ,  ainsi  que  les  particu- 
liers, (et  il  faut  reconnaître  qu'en  Australie  ,  il  est  permis  plus  facile- 
ment qu'en  France  de  s'adresser  pour  ces  choses-là,  aux  autorités,  ce 
qui  est  un  bien),  j'espère  donc,  dis-je  ,  que  les  autorités  comprendront 
qu'il  y  a  là  un  travail  qu'il  ne  faut  pas  pousser  à  sa  dernière  limite. 
Les  arbres  à  fruits  croissent  admirablement  dans  le  Sud  ;  on  cultive  la 
canne  à  sucie  et  la  vigne  dans  le  Nord  et  un  peu  partout.  Mais  je  ne 
veux  pas  m'étendre  davantage  sur  ce  point,  car  l'heure  marche, 
malheureusement ,  et  je  veux  appuyer  de  préférence  sur  les  questions 
qui  peuvent  vous  concerner  plus  spécialement. 

Eh  bien  !  voyez  ce  pays,  il  y  a  encore  bien  des  personnes  en  France 
qui  ne  cessent  de  l'appeler  un  pays   de  sauvages.  «  Comment ,  me 


—  98  - 

disaient  certaines  personnes  au  moment  où  je  leur  annonçais  mon 
départ ,  comment  vous  allez  passer  deux  années  dans  ce  pays  de 
nègres  !  «>  Or  !  Mesdames  et  Messieurs  ,  remarquez  bien  qu'il  n'y  a 
pas  de  nègres  en  Australie .  et  que  ce  pays  de  sauvages ,  puisque 
c'est  ainsi  qu'on  ne  craint  pas  de  l'appeler ,  a  10,000  kilomètres  de 
lignes  de  chemins  de  fer.  et  en  possède  une ,  entr'autres  ,  qui  est  vrai- 
ment merveilleuse  ,  et  dont  j'aurai  l'honneur  de  vous  faire  voir  tout-à- 
l'heure  la  photographie.  Je  veux  parler  du  grand  Zig-Zag  ,  ce  chemin 
de  fer  qui  traverse  les  montagnes  Bleues  et  qui  est  une  œuvre  ,  je  ne 
crains  pas  de  le  dire ,  vraiment  digne  de  l'étonnement  et  de  l'admi- 
ration de  nos  ingénieurs  des  ponts  et  chaussées.  Ce  pays  sauvage  a 
150  mille  kilomètres  de  lignes  télégraphiques  connnuniquant  avec  les 
lignes  indiennes.  Les  Australiens  connaissent  quelquefois,  avant  même 
cerlaines  de  nos  villes  de  France,  les  nouvelles  importantes  de  l'Europe. 
Vous  me  permettrez  de  rappeler  ici  un  souvenir  personnel  qui  servira 
à  vous  donner  une  idée  de  la  facilité  de  communication  télégraphique 
qui  existe  entre  l'Australie  et  la  France  :  lorsque  mon  ami,  M.  Rouvier, 
fut  nommé  ministre  du  commerce  ,  ce  dont  j'avais  été  informé  par  le 
télégraphe,  je  lui  ai  adressé  aussitôt  un  télégramme  de  félicitations. 
Eh  bien!  M.  Rouvier  ,  que  j'ai  revu  depuis  cette  époque  ,  m'a  affirmé 
que  mon  télégramme  lui  est  parvenu  un  des  premiers ,  et  i^ourtant 
vous  savez  que  lorsqu'on  arrive  au  pouvoir  .  on  trouve  généralement 
des  gens  très  empressés  à  vous  féliciter.  (Rires.) 

Je  ne  vous  dirai  jamais  assez  combien  les  journaux  australiens  sont 
admirablement  bien  renseignés.  En  France,  il  n'y  a  pas  le  moindre 
petit  endroit  qui  n'ait  son  journal,  et  cependant  (je  ne  voudrais  pas 
déplaire  aux  journalistes  ,  j'ai  eu  l'honneur  moi-même  d'être  journa- 
liste, et  je  fais  quelquefois  encore  du  journahsme  scientifique)  et  cepen- 
dant, dis  je,  je  ne  crois  pas  que,  parmi  ces  nombreux  journaux  ,  il  en 
est  un  qui  puisse  être  comparé  au  «  Morning-Herald  de  Sydney  »  , 
pas  même  «  Le  Temps  »  qui  est ,  selon  moi ,  celui  de  nos  journaux 
le  mieux  informé. 

Il  n'y  a  pas  en  Austj-alie  de'rehgion  d  Etat  :  cependant,  par  suite  des 
actes  constitutionnels  .  certains  membres  du  clergé  anglican  reçoivent 
des  traitements  en  rapport  avec  la  haute  situation  qu'ils  occupent;  le 
primat  de  Syihiey  a  50,000  francs  et  celui  de  Melbourne  33,000  francs. 
11  existe  en  tout  18  évêchés  anghcans.  Après  l'Eglise  anglicane,  c'est 
l'Eglise  catholique  qui  eompte  le  plus  grand  nombre  d'adhérents  ;  elle 
a  deux  archevêques  et  15  évêques.  En  dehors  de  ces  deux  grandes 


—  m  — 

religions,  on  en  pratique  une  foule  rie  petites  dans  les  détails  desquelles 
je  n'entrerai  pas.  Je  no  voudrais  rien  dire  qui  pût  froisser  les  senti- 
ments religieux  de  qui  que  ce  soit,  car  je  crois  qu'il  faut  à  toat.homrae 
un  idéal ,  mais  je  puis  cependant ,  dans  ma  liberté  de  critique  ,  recon- 
naître que,  dans  la  pratique,  certaines  de  ces  religions  font  venir  natu- 
rellement le  sourire  sur  les  lèvres  des  étrangers. Le  pays  est  tellement 
religieux,  que  dès  qu'un  coin  est  libre  dans  une  ville,  on  y  construit 
immédiatement  une  église,  qui  ne  tarde  pas  bien  souvent,  s'il  s'y  trouve 
un  emplacement  convenable,  à  voir  se  dresser  devant  elle  une  église 
d'une  autre  secte.  Je  me  rappelle  même  avoir  lu  un  jour  sur  le  fron- 
tispice de  l'une  d'elles  celte  sorte  de  réclame  :  «  Eglise  indépendante», 
et  en  consultant  mes  notes  à  cet  égard,  avant  de  commencer  cette 
conférence,  j'ai  remarqué  avoir  écrit  en  regard  de  cette  enseigne 
ecclésiastique  ;  «  Architecture  idem.  »  11  y  a  là  une  concurrence  que 
je  ne  ti-ouve  pas  digne  dans  une  question  religieuse  ;  c'est  là,  vérita- 
blement ,  ce  qu'on  peut  appeler  un  excès.  Le  peuple  australien  est 
donc  religieux  au  plus  haut  degré  ,  et  l'idée  de  religion  chez  lui,  ne 
s'écarte  jamais  de  son  profond  amour  pour  la  liberté  et  l'indépen- 
dance. Un  de  mes  amis,  pasteur  presbytérien,  ayant  prononcé  un  jour  à 
Melbourne,  des  sermons  qui  n'étaient  pas  tout-à-fait  orthodoxes,  fut 
remercié  pour  ce  fait  par  le  consistoire  :  immédiatement ,  une  sous- 
cription fut  organisée  en  sa  faveur  ,  et  j'ai  assisté  à  ia  remise  qui  lui  a 
été  faite  d'un  chèque  de  75,000  francs.  Il  se  trouva  peu  de  personnes 
dans  la  ville  qui  ne  prirent  pas  part  à  cette  forme  de  protestation , 
même  parmi  celles  qui  n'avaient  pas  approuvé  son  hérésie.  Il  y  avait 
là  un  sentiment  admirable ,  le  sentiment  du  respect  de  la  liberté 
poussé  au  plus  haut  degré. 

L'instruction  publique  est  très  développée  en  Australie  ;  elle  est 
obligatoire  et  presque  gratuite  ;  les  écoles  sont  libres,  mais  le  gouver- 
nement conserve  à  leur  égard  le  droit  de  contrôle.  L'instruction  secon- 
daire y  est  également  très  répandue.  Il  y  a  au  total ,  pour  3  millions 
d'habitants,  6,0l)0  écoles  et  cinq  universités,  celles  de  Sydney,  Mel- 
bourne, Victoria.  Adélaïde  et  Nouvelle-Zélande ,  qui  délivrent  des 
diplômes.  Quant  aux  sociétés  savantes ,  aux  classes  et  entretiens 
du  soir,  le  nombre  en  est  également  très  grand.  Ce  qui  est  surtout 
bien  touchant,  c'est  de  voir  des  hommes,  après  une  journée  passée 
dans  un  travail  pénible ,  venir  écouter  le  soir  l'enseignement  des 
sciences  ,  de  la  géographie,  de  l'histoire,  etc. . .  Cet  enseignement  se 
fait  en  anglais,  les  maîtres  sont  anglais ,  les  études  anglaises,  mais  les 


—  100  - 

australiens  n'en  conservent  pas  moins  un  profond  amour  pour  la  mère- 
patrie.  Malheureusement ,  il  y  a  à  côté  de  ces  nobles  qualités ,  une 
ombre  au  tableau  :  les  australiens  connaissent  trop  le  gin  .  le  whisky 
et  d'autres  boissons  anglaises.  Dans  presque  chaque  coin  de  rue , 
il  y  a  ce  qu'on  appelle  un  «  Bar  »  ;  c'est .  comme  vous  le  savez  ,  un 
endroit  écarté  où  l'on  se  tient  debout  et  où  Ton  boit  en  silence,  ce  qui 
permet  d'absorber  davantage.  Il  n'y  a  pas  en  Australie  ,  comme  en 
France,  des  cafés  où  chacun  peut  s'asseoir  au  graud  jour,  où  la  con- 
sommation n'est  qu'un  prétexte  à  causerie  ou  repos  ;  là  on  boit  pour 
le  seul  plaisir  de  boire  ,  et  l'anglais  qui,  avec  toutes  ses  qualités  ,  a  le 
défaut  de  l'hypocrisie ,  aime  à  se  cacher.  Je  me  rappelle  qu'il  y  avait  à 
la  Bourse  de  Sydney ,  un  étroit  couloir  fermé  à  l'entrée  par  une 
petite  porte  au-dessus  de  laquelle  on  lisait  ce  mot  :  «  Secrétariat  »,  et 
que  dans  les  premiers  temps  de  mon  séjour  en  cette  ville  j'étais  assez 
intrigué  de  voir  entrer  journellement  par  cette  petite  porte  de  nom- 
breuses personnes.  Cet  étroit  couloir  ,  comme  je  l'ai  appris  plus  tard, 
conduisait  tout  simplement  à  un  Bar. 

La  législation  australienne  est,  à  peu  de  chose  près,  celle  de  l'Angle- 
terre. Le  h\i\Y,  comme  vous  le  savez  ,  y  joue  un  grand  rôle.  Le  Jury 
et  le  Self govermnent  sontles  bases  de  l'administration  et  de  la  justice. 
Cependant,  j'ai  pu  constater  que  les  Australiens  ont  apporté  à  la  légis- 
lation anglaise  des  améliorations  considérables  et  des  modifications 
très  heureuses.  La  législature  est  indépendante  et  libérale  ;le  premier 
juge  de  Sydney  touche  82,500  francs  d'appointements  par  an  ,  et  celui 
de  Melbourne  82,000  francs.  Quant  aux  autres  des  magistrats,  leurs 
appointements  varient  de  15  à  20.000  francs  par  an.  La  justice 
est  donc  largement  payée  en  Australie  ;  aussi  se  compose-t-elle 
d'hommes  éminemment  compétents  et  dont  la  plupart  ne  seraient  pas 
indignes  du  rôle  le  plus  élevé  de  la  magistrature  française.  Sauf  dans 
l'Australie  occidentale  ,  qui  est  restée  entièrement  au  pouvoir  de  la 
Couronne,  c'est  partout  le  gouvernement  anglais  qu'on  trouve  établi  en 
petit  ;  le  gouverneur  a  les  mêmes  pouvoirs  que  la  reine,  sauf  à  en  réfé- 
rer à  cette  dernière ,  et  les  ministrcc;  sont  responsables  devant  les 
Chambres.  Je  ne  sais  pas  si  le  régime  parlementaire  gagne  à  être 
exporté ,  mais  je  ne  crois  pas  qu'on  renverse  en  Australie  des  mi- 
nistres des  Travaux  publics  et  de  la  Justice  ,  uniquement  pour  savoir 
si  on  mettra  un  sous-directeur  dans  un  district  ou  si  on  n'en  mettra 
pas.  (Rires). 

Les  améliorations  et  modifications  qui  ont  été  apportées  à  la  consti- 


—  ItM  — 

tution  anglaise  sont  duos  aux  Chartistes.  Vous  savez  sans  doute  que 
ces  hommes,  fidèles  à  leurs  principes,  ont  soulevé  à  ce  sujet  en  Angle- 
terre dans  la  première  moitié  de  ce  siècle ,  un  grand  mouvement  qui 
a  été  réprimé  par  le  gouvernement  anglais  avec  une  très  grande  sévé- 
rité. Et  cependant,  je  le  répète,  à  part  quelques-unes  ayant  trait, à  des 
questions  de  détail  dont  on  peut  iiégliger  de  tenir  compte,  les  modifi- 
cations qui  sont  dues  à  leur  inspiration ,  ojit  été  généralement  irès 
heureuses. 

Depuis  mon  retour  en  Europe,  je  pousse,  quelquefois  peut-être  avec 
trop  d'ardeur,  je  pousse  sans  cesse  notre  jeunesse  à  aller  au  loin  ,  non 
pas  à  s'expatrier  sans  esprit  de  retour,  non  ,  le  sentiment  de  la  patrie 
reste  toujours  là  et  fait,  en  cette  circonstance,  mentir  le  proverbe  pour 
le  remplacer  par  cette  nouvelle  formule  :  «  Loin  des  yeux ,  près  du 
cœur  » ,  mais  je  pousse  les  jeunes  gens  à  profiter  de  toutes  les  occa- 
sions qui  leur  sont  présentées  pour  aller  au  loin,  non  pas  uniquement 
pour  se  déplacer,  mais  afin  surtout  d'y  étudier,  d'y  observer  et  de  se 
rendre  compte  des  situations,  des  nécessités  de  toute  sorte  ,  pour  que  , 
plus  tard ,  revenus  dans  leur  pays,  ils  sachent  profiter  des  nouvelles 
connaissances  qu'ils  y  apporteront.  Lorsque  vous  aurez  été  au  loin , 
jeunes  gens ,  lorsque  vous  aurez  vu  certains  de  ces  peuples  qui  sont 
signalés  comme  barbares  ,  lorsque  vous  verrez  enfin  ce  que  j'ai  vu  , 
vous  direz  :  «  Je  veux  pousser  mon  pays  à  imiter  ce  qu'il  y  a  là  ;  je 
veux  surtout  imiter  cet  amour  véritable  qui  consiste  à  aimer  son  pays 
en  se  disant  :  Toutes  les  fois  que  je  pourrai  lui  être  utile  ,  même  de  la 
façon  la  plus  eff"acêe,  je  le  ferai.  »  (Applaudissements.) 

L'Australie  ne  compte  pas  encore  un  très  grand  nombre  de  villes  ; 
ceci  s'explique  facilement  par  le  nombre  des  habitants  qu'elle  contient. 
Cependant ,  il  s'en  trouve  deux  qui  priment  toutes  les  autres  :  Sydney 
et  Melbourne.  Sydney,  qui  est  la  plus  ancienne  ,  a  220,000  habitants  , 
et  Melbourne  280,000.  Ce  sont  deux  villes  très  curieuses  à  étudier 
séparément  et  à  comparer.  Sydney  se  trouve  situé  dans  cette  admi- 
rable baie  de  Port-Jackson,  dont  on  ne  peut  pas  se  faire  une  idée 
par  la  photographie.  Cette  ville  est  de  construction  plus  ancienne  que 
Melbourne  ,  et  est  restée,  si  je  puis  m'exprimer  ainsi,  plus  anglaise. 
Ses  habitudes  sont  anglaises  ;  à  cinq  heures  du  soir  ses  l'ues  sont 
désertes  ;  tout  le  monde  se  rend  aux  faubourgs. 

La  ville  de  Melbourne,  au  contraire,  est  de  construction  américaine, 
c'est-à-dire  qu'elle  est  bâtie  à  angles  droits  ;  elle  est  animée  beaucoup 
plus  tard  dans  la  soirée  que  Sydne}' ,  et  l'esprit  de  ses  habitants  est 


—  102  - 

également  opposé,  à  certains  points  de  vue,  à  celui  des  habitants  de 
cette  dernière  ville  ,  et  puisque  j'ai  l'honneur  de  parler  dans  un  centre 
commercial  des  plus  importants  ,  je  dirai  que  Sydney  est  plus  calme, 
plus  froid  dans  les  affaires,  et  que  Melbourne  est  plus  américain, 
c'est-à-dire  plus  hasardeux  et  quelquefois  plus  imprudent.  Je  crois  que 
ces  quelques  renseignements' sur  ces  deux  grandes  villes,  loin  d'être 
nuisibles  ,  auront  pour  quelques-uns  d'entre  vous  .  du  moins ,  leur 
utilité. 

L'Australie  ,  qui  marche  vite  dans  la  civilisation  .  a  également  son 
Trouville  :  Hobarttown  ,  qui  est  la  capitale  de  la  Tasmanie ,  est  une 
ville  charmante,  d'un  très  joli  style,  j'allais  dire  qu'ily  a  de  très  jolies 
femmes,  mais  quand  on  a  vu  les  femmes  françaises,  on  ne  se  rappelle 
plus  avoir  vu  en  Australie  de  très  jolies  femmes  (Rires.)  Les  toilettes 
australiennes  se  composent  de  couleurs  un  peu  trop  brillantes  peut-être. 
Je  me  rappelle  avoir  rencontré  un  jour  dans  une  rue  de  Sydney  une 
jeune  australienne  qui  portait  un  crêpe  noir  sur  une  robe  fond  rose. 
(A  ce  propos,  je  dois  vous  dire  qu'en  Australie  comme  en  Angleterre, 
on  porte  souvent  le  deuil  au  moyen  d'un  simple  crêpe  noir.  )Vous  voyez 
par  là ,  combien  le  sentiment  des  couleurs  est  développé  chez  les 
australiens.  On  porte  dans  les  grande^^  villes  de  très  riches  toilettes. 
Pour  ne  vous  en  donner  qu'un  exemple,  je  vous  dirai  que  j'ai  vu  une 
fois  à  Melbourne  une  toilette  qui  avait  coûté,  disait-on  .  25,000  û'ancs. 
Inutile  de  vous  dire,  Mesdames  et  Messieurs,  que  je  n'ai  jamais  acheté 
pour  ma  part,  des  toilettes  de  ce  prix-là.  (Rires.) 

Encore  une  petite  critique  que  j'adresse  à  Sydney  surtout  :  il  doit 
y  avoir  des  pianistes  parmi  vous ,  Mesdames  ;  eh  bien,  je  vous  dirai 
que  j'adore  le  piano  quand  il  est  bien  joué ,  que  je  l'aime  moins  quand 
il  est  mal  joué,  et  encore  moins  quand  deux  pianos  jouent  ensemble  et 
mal.  Eh  bien  !  les  pianos  sont  très  importés  en  Australie;  je  ne  dirai 
pas  qu'ily  a  un  piano  à  chaque  étage,  attendu  que  les  maisons  n'ont 
généralement  qu'un  seul  étage,  mais  dans  chaque  maison  certainement 
il  y  a  au  moins  un  piano.  Les  jeunes  fiUes  australiennes  sont  char- 
mantes, mais  elles  n'ont  pas  le  moindre  sentiment  de  l'art  ;  il  est  vrai 
aussi  que  les  pianos  importés  en  Australie  ont  généralement  une  sono- 
rité qui  mo  semble  exagérée  et  dont  il  est  juste  que  nous  tenions 
compte.  Les  pianos  sont  donc  excessivement  répandus  à  Sydney.  Nous 
ne  sommes  d'ailleurs  pas  seuls  à  en  faire  la  remarque,  car  les  austra- 
liens eux-mêmes  ne  ménagent  pas  leurs  critiques  à  cet  égard  ;  j'ai  vu 


—  loa 


en  effet ,  derjiièreineiit .  dans  le  Journal  de  Sydney ,  que  la  ville 
devrait  prendre  le  nom  de  «  Pianopolis  ». 

J'aborde  maintenant  la  question  de  nos  relations  avec  l'Australie, 
d'abord  au  point  de  vue  politique.  Je  suis  obligé  de  mettre  ici  dans  mes 
phrases  une  très  grande  réserve,  car  je  vais  critiquer  la  représentation 
officielle  delà  France  dans  ce  pays.  Je  commence  par  déclarer  que  ceux 
qui  me  connaissent  particulièrement  pourraient  supposer  que  je  parle  à 
ce  sujet  par  suite  d'un  mécontentement  personnel  :  j'étais  en  effet  dans 
les  plus  mauvaises  relations  avec  le  consul  de  Sydney  ;  j'ai  probable- 
ment eu  tort,  mais  enfin  nous  étions  nombreux  dans  ce  cas-là,  et  par 
conséquent  beaucoup  avaient  tort.  Mais  ce  que  je  vais  dire  ne.  touche 
pas  la  personne  même  des  consuls  ,  il  touche  uniquement  notre  orga- 
nisation consulaire.  Si  nous  voulons  q;;o  la  France  tienne  dignement 
son  rang  en  Australie  il  est  de  toute  nécessité  qu'elle  y  soit  repré- 
sentée d'une  façon  digne  d'elle. 

Les  Etats-Unis  d'Amérique,  l'Allemagne,  le  Chili  même  y  ont  des 
consuls  généraux.  Nous  avons  bien,  nous,  à  Sydney  et  à  Melbourne,  un 
consul  français,  mais  dans  les  autres  villes,  ce  sont  des  négociants  anglais 
qui  nous  représentent  :  or,  il  ne  faut  pas  demander  à  un  homme  plus 
qu'il  ne  peut  donner  et  il  est  bien  cei-tain  que  si  quelqu'un  d'entre  vous 
s'adressait  à  un  négociant  anglais  de  la  Nouvelle-Zélande,  par  exemple, 
pour  en  obtenir  des  renseignements  sur  le  commerce  de  ce  pays,  il 
est  bien  certain,  dis-je  ,  qu'il  n'en  recevrait  pas  une  réponse  qui  le  sa- 
tisfît. 11  faut  donc  que  le  gouvernement  français  envoie  dans  ces  divers 
pays  des  consuls  qui  soient  français  et  travaillent  pour  les  Français. 
M.  deFreycinet,  je  dois  lui  rendre  cette  justice,  avait  pai^faitement  com- 
pris la  situation  à  cet  égard,  et  je  suis  persuadé  que,  s'il  avait  pu 
trouver  dans  son  organisationbudgétaire,  les  ressources  suffisantes  pour 
le  faire,  il  aurait  résolu  cette  importante  question.  Laissera-t-on  à  son 
successeur  le  temps  de  s'en  occuper?  le  temps,  c'est  peut-être  beau- 
coup, mais  enfin  j'espère  qu'il  le  trouvera  ,  car  la  chose  mérite  certai- 
nement d'être  prise  en  sérieuse  coiisidération  et  en  voici  la  raison  : 
j'ai  connu  à  Sydney  le  docteur  Krauel  (les  personnes  qui  coimaissent 
assez  bien  l'Allemagne  n'ignorent  pas  sans  doute  que  le  titre  de  doc- 
teur y  est  donné  à  bien  d'autres  lauréats  que  ceux  de  la  faculté  de 
médecine  ;  le  docteur  Krauel  est  docteur  en  droit  de  chancellerie),  il 
est  consul  général  d'Allemagne  ;  c'est  l'homme  le  plus  aimable  du 
monde,  et,  ce  qui  est  encore  mieux,  il  s'occupe  admirablement  des 
intérêts  de  ses  nationaux.  Le  docteur  Krauel  a  créé  à  Sydney,  un  cer- 


—  104  - 

cle  qu'il  dirige  avec  le  plus  grand  soin.  Tout  AJIemand  qui  arrive  en 
Australie,  muni  des  bons  certificats  d'honnêteté  dont  on  peut  lui  deman- 
der l'exhibition,  est  sûr  d'y  trouver  des  compatriotes  qui  l'aideront  et 
iudiqueront  les  endroits  où  il  faut  aller.  C'est  grâce  à  ses  soins  dévoués 
que  le  docteur  Krauel  est  parvenu  à  attirer  en  Australie,  un  très  grand 
nombre  d'Allemands  qui  y  ont  fondé  une  colonie  qui  prospère.  C'est 
grâce  à  lui  qu'un  allemand  qui  arrive  dans  ce  pays,  quand  bien  même 
il  n'aurait  jamais  quitté  la  mère-patrie,  retrouve-là  une  nouvelle  famille 
qui  le  soutient  et  l'encouiage.  Voilà  ce  que  doit  faire  un  représentant 
qui  aime  son  pays.  Or,  quel  est  celui  de  nous  qui,  en  voyageant ,  en  a 
trouvé  un  pareil  ?  Moi-même,  lorsque  je  me  suis  adressé  au  consul  français 
de  Sydney,  lors  de  mon  arrivée  en  Australie,  pour  tâcher  d'en  obtenir 
une  liste  des  Français  résidant  dans  la  ville  :  «  Gomment  voulez-vous, 
me  répondit-il,  que  je  vous  renseigne  sur  une  chose  qui  m'est  à  moi- 
même  inconnue?  Il  n'y  a  personne  à  voir.  »  —  Croyez-vous  qu'un 
pays  puisse  prospérer  à  l'étranger  quand  il  y  est  représenté  de  cette 
façon-là  ?  Non,  la  représentation  consulaire  de  la  France  demande  une 
meilleure  organisation  et  il  est  indispensable  pour  notre  prospérité 
coloniale  que  nous  confiions  nos  intérêts  à  des  personnes  vraiment 
dignes  de  représenter  la  France. 

Il  est  à  remarquer  cependant  que,  malgré  les  progrès  accomplis  par 
les  Allemands  en  Australie ,  grâce  à  lenr  excellente  représentation 
consulaire ,  ceux-ci  sont  moins  sympathiques  aux  Australiens  que 
nous,  Français.  Pour  vous  en  donner  une  preuve  entre  mille,  je  vous 
demande  la  permission  de  lire  devant  vous  quelques  lignes  qui  ont  été 
prononcées  par  le  Ministre-Trésorier  Colonial  de  la  Nouvelle-Galles 
du  Sud  :  «  Dans  l'intérêt  de  la  liberté  et  des  progrès  de  Thumanité  ,  il 
»  n'y  a  aucun  peuple  avec  lequel  il  importe  plus  que  nous  soyons  dans 
»  des  termes  de  parfaite  amitié  que  le  peuple  français.  Tous  deux  nous 
»  avons  simé  la  justice  ,  haï  l'oppression  ,  défendu  les  faibles  et  com- 
r>  battu  côte  à  côte  pour  l'indépendance.  Unis,  nous  ne  craindrons  pas 
»  les  ennemis  de  la  liberté  et  de  la  civilisation,  quelque  nombreux 
»  qu'ils  puissent  être.  » 

Eh  bien  !  sachons  profiter  de  cette  sympathie  que  les  Australiens  nous 
témoignent.  Vous  surtout,  jeunes  geu s,  qui  voulez  voyager  et  aller  dans 
ce  pays,  rappelez  vous  bien,  quand  vous  vous  trouverez  en  présence 
des  Australiens,  rappelez-vous  bien  que  c'est  un  peuple  qui  a  beaucoup 
fait  et  auquel  vous  devez  surtout  de  l'admiration  pour  son  énergie  et 
sa  persévérance.  Vous  ne  devez  pas  arriver  au  milieu  d'eux  en  criti- 


—  iOn  — 

quant  tout  ce  que  vous  y  voyez,  en  disant  :  «  Il  manque  ceci  ou  cela  », 
mais  au  contraire  en  louant  ce  qui  est  louable ,  et  en  les  encourageant 
ainsi,  vous  ferez  au  moins  preuve  de  tact.  J'ai  toujours  été  dans  les 
relations  les  plus  cordiales  avec  les  autorités  coloniales  et  les  gouver- 
nements de  ce  pays,  pourquoi  ?  parce  que  j'ai  toujours  admiré  ce  qui  était 
admirable  :  j'ai  bien  quelquefois  critiqué  ce  qui  était  critiquable,  mais 
enfin,  je  suis  toujours  resté  dans  la  vérité.  Eh  bien  !  Messieurs,  si  vous 
allez  dans  ce  pays,  inspirez-vous  bien  de  cette  pensée  ;  admirez  l'éner- 
gie et  la  persévérance  des  Australiens  et  soyez  de  véritables  français, 
des  hommes  aimables  ne  critiquant  pas  tout  ce  qu'ils  voient,  surtout 
ce  qui  ne  mérite  que  l'éloge. 

Mesdames  et  Messieurs,  j'ai  cherché  à  vous  donner  succinctement  une 
idée  de  l'Australie  ;  je  vais  maintenant,  avant  de  passer  à  la  conclusion 
de  ma  conférence,  vous  demander  la  permission  de  vous  montrer  par 
quelques  vues  photographiques,  le  pays,  ses  habitants,  les  monuments 
et  les  travaux  d'art  des  Australiens. 

{A  l'aide  de  projections  à  la  lumière  oxhydrique,  M.  le  baron  Michel 
fait  alors  défiler  devant  les  yeux  des  spectateurs  :  un  type  de  Naturel, 
(Australie  du  Sud);  deux  jeunes  Australiennes;  une  femme  australienne 
en  tenue  da  campagne  ;  une  reine  Australienne  (Queensland)  ;  un  guer- 
rier Australien  (Queensland)  ;  un  roi  et  une  reine  des  Mia-Mia  ;  une  vue 
de  Fernshaw  (province  de  Victoria)  ;  des  troncs  d'Eucalyptus  ;  une 
route  dans  les  Montagnes  bleues  ;  une  route  dans  le  Bush  ;  des  Fou- 
gères d'Australie  ;  la  rue  du  Roi  et  la  rue  Glenell  à  Adélaïde  ;  la  rue 
Swanson  à  Melbourne  ;  l'hôtel  des  Postes,  l'hô tel-de-ville,  le  muséum 
d'histoire  naturelle,  une  école  publique  de  Melbourne  ;  Saint-Kilda, 
faubourg  de  Melbourne  ;  le  débarcadère  de  Sanridge  près  Melbourne  ; 
une  vue  de  la  baie  de  Sydney  ;  le  palais  du  gouverneur  à  Sydney  ;  le 
palais  de  l'Exposition  (brûlé  en  1882}  à  Sydney  ;  le  chemin  de  fer  dit 
Grand  Zig-Zag  dans  les  montagnes  bleues;  enfin  un  type  de  bélier 
australien  primé.  —  Puis  l'orateur  continue:) 

Il  pourrait  se  faire,  Mesdames  et  Messieurs,  que  ces  quelques  photo- 
graphies eussent  encore  mieux  gravé  dans  votre  mémoire  que  mes 
paroles,  les  pays  que  j'ai  cherché  à  vous  décrire.  Mais  j'arrive  mainte- 
nant au  côté  pratique.  Je  rends  hommage  aux  personnes  qui ,  à  Tour- 
coing, poussent  leurs  concitoyens  à  porter  leur  savoir  au  dehors.  Il  y 
a  en  Australie  un  champ  très  vaste  pour  votre  activité  et  vos  qualités 
spéciales.  Je  ne  m'étendrai  pas  sur  la  laine  ;  c'est  d'ailleurs  par  les  re- 
lations que  vous  avez  déjà  avec  ce  pays  que  vous  pourrez  compléter 


—  l'J6  — 

VOS  renseignements  sur  les  points  que  je  n'aurais  pas  suffisamment 
éclaircis  ;  mais  je  vous  dirai  qu'avec  les  Australiens  il  y  a  autre  chose 
,à  faire  que  d'acheter  leurs  laines.  11  y  a  eu  France  bien  souvent  des 
gens  qui  disent  :  «  Nous  ne  pouvons  pas  lutter  avec  les  Allemands , 
les  Anglais,  surtout  dans  un  pays  anglais.  »  Eh  bien  !  les  produits  an- 
glais, en  dehors  de  l'habitude  qu'on  peut  avoir  de  s'en  servir,  ne  sont 
nullement  favorisés  au  point  de  vue  de  la  douane.  Les  ciouanes  en 
Australie  frappent  aussi  bien  les  produits  anglais  que  les  produits  fran- 
çais et  allemands.  Il  y  a  dans  la  province  de  Victoria  des  droits  qui 
vont  jusqu'à  25  "/o-  Cette  province  est  protectionniste,  tandis  que  la 
Nouvelle-Galles  du  Sud  est  libre-échangiste.  Je  crois  que  si  Victoria 
est  protectionniste,  c'est  par  jalousie,  car  ces  deux  colonies  sont  arri- 
vées à  un  tel  point  de  jalousie  que  l'on  est  obligé  de  changer  de  che 
min  de  fer  pour  aller  de  l'une  à  l'autre,  la  largeur  de  la  voie  ferrée 
n'étant  pas  la  même  dans  les  deux  provinces.  Je  ne  ferai  pas  de  con- 
clusion en  matière  de  protection  et  de  libre-échange,  cependant  je  vous 
demanderai  la  permission  de  citer  un  fait  dont  les  personnes  compé- 
tentes pourront  tirer  elles-mêmes  la  conclusion.  La  Nouvelle-Galles  du 
Sud,  ai- je  dit,  est  libre-échangiste,  tandis  que  Victoria  est  protection- 
niste et  impose  des  droits  qui  vont  dans  certains  cas  jusqu'à  25  "/(,. 

Lorsque  j'étais  à  Melbourne,  je  rencontrai  un  jour  un  de  mes  amis 
qui  me  dit  •  «  Nous  sommes  en  train  de  faire  une  enquête  très  sérieuse 
sur  létat  de  notre  industrie  et  vous  verrez  combien  le  système  protec- 
tionniste nous  a  été  favorable.  »  Je  repassai  peu  après  et  lui  demandai 
«  Eh  bien  !  et  votre  enquête  ?»  «  Ah  !  me  répondit-il,  elle  n'est  pas 
terminée^).  Cette  réponse  me  fut  faite  d'une  manière  si  vague  que  je 
compris  tout  de  suite,  non  seulement  que  l'enquête  était  terminée, 
mais  que  les  résultats  qu'elle  avait  donnés  n'avaient  pas  répondu  à  son 
attente,  et  je  n'ai  pas  voulu  le  contrarier  en  continuant  à  le  question- 
ner sur  ce  sujet.  Eh  bien  !  il  y  a  au  point  de  vue  de  l'instruction,  car, 
mai,  je  me  place  à  ce  point  de  vue  personnel,  un  renseignement  qu'il 
ne  faut  pas  négliger.  De  deux  pays  ayant  le  même  sol,  la  même  origine, 
la  même  nationahté ,  les  mêmes  goûts  et  le  même  climat ,  l'un  est 
presque  libre-échangiste  et  l'autre  très  protectionniste.  L'industrie  du 
premier  est  la  plus  prospère  ;  tirez-en  les  conclusions  pratiques. 

J'arrive  à  la  question  de  la  vente  des  produits  français  en  Australie 
où,  comme  je  vous  l'ai  dit  précédemment,  les  Anglais  et  les  Allemands 
ne  sont  pas  plus  protégés  que  nous  au  point  de  vue  de  la. douane.  Voilà 
déjà  un  terrain  sur  lequel  nous  sonnnes  tous  égaux.  Pouvez-vous  fal)ri- 


—  107  - 

quer  à  des  prix  égaux,  et,  au  besoin,  inierieurs  à  ceux  des  Anglais  et  des 
Allemands?  C'est  là  une  question  que  je  me  borne  à  vous  poser,  sans 
essayer  de  la  résoudre,  puisque  je  suis  dans  un  centre  industriel  très 
développé,  grâce  à  votre  activité,  à  votre  intelligence,  et  à  votre  bonne 
entente  des  affaires.  Si,  comme  je  l'espère,  vous  pouvez  affronter  la  lutte, 
allez  dans  ce  pays  offrir  vos  articles  en  concurrence  avec  ceux  des  Alle- 
mands, et  même  je  le  repète  avec  ceux  des  Anglais,  mais  n'oubliez  pas 
que  pour  la  soutenir,  il  existe  certaines  conditions  essentielles  ([ue  vous 
devez  remplir  :  il  ne  faut  pas  que  vous  arriviez  chez  les  Australiens  en 
leur  disant  :  «  J'ai  tel  objet,  j'ai  telle  étoffe,  j'ai  tel  dessin  qui  me  con- 
vient, à  moi  ».  Non,  il  ne  faut  pas  vouloir  imposer  vos  goûts  aux  peu- 
ples avec  lesquels  vous  voulez  commercer.  C'est  une  recommandation 
que  je  me  permets  de  vous  faire,  ce  que  voas  voudrez  bien  me  pardon- 
ner, je  l'espère.  Consultez  donc  les  goûts  particuliers  des  Australiens 
et  suivez-les  d'une  façon  régulière,  quelque  critiquables,  quelques  ridi- 
cules qu'ils  vous  paraissent  !  Autre  conseil  à  suivre  :  lorsque  vous  serez 
parvenus  à  leur  fournir  vos  produits,  ayez  bien  soin  qu'ils  soient  tou- 
joTirs  conformes  aux  premiers  fournis.  Des  négociants  et  industriels 
français  se  sont  vus  supplanter  dans  certains  pays,  uniquement  parce 
qu'ils  avaient  cru  bien  faire' de  modifier  leurs  types.  Prenez-donc  bien 
note  de  cette  recommandation,  et  maintenant  si  vous  voulez  commer- 
cer avec  les  Australiens,  ne  vous  laissez  pas  rebuter  par  les  difficultés 
du  début.  Des  maisons  anglaises,  que  je  connais  ,  sont  arrivées  ,  grâce 
à  leur  persévérance  ,  à  des  résultats  extraordinaires.  Employez  leurs 
moyens.  Les  Anglais  qui  voyagent  beaucoup,  envoient  souvent  leurs 
fils  pour  commecrer  avec  ces  contrées.  Envoyez  y  aussi  vos  jeunes 
gens  avec  une  certaine  quantité  de  vos  marchandises ,  que  vous 
pourrez  toujours  produire  dans  les  même  conditions.  Arrivés-là,  qu'ils 
cherchent  à  les  vendre,  et  si  au  bout  de  30  jours,  ils  n'y  sont  pas  par- 
venus, qu'ils  les  mettent  aux  enchères  publiques.  Vous  pourrez  leur 
faire  de  nouveaux  envois,  qui  seront  placés  de  la  même  manière,  et 
c'est  ainsi  que  vous  arriverez  peu  à  peu  à  obtenir  des  Australiens  de 
fortes  commandes  Si  vous  employez  au  contraire  un  autre  moyen  que 
celui  qne  je  vous  indique,  vous  parviendrez  difficilement  à  atteindre 
ce  but.  Rappelez  vous  aussi  qu'en  Australie  vous  ne  devez  jamais,  com- 
me cela  se  fait  en  France,  engager  la  conversation  avec  la  personne  à 
laquelle  vous  présentez  un  article  ;  ce  serait  lui  faire  perdre  un  temps 
dont  vous  ne  profiteriez  guère  :  l'objet  que  vous  lui  présentez  est  exa- 
miné et  alors  il  convient  où  ne  convient  pas  :  s'il  ne  convient  pas,  reti- 


—  108  — 

rez-vous,  car  il  n'y  a  rien  à  faire.  Vous  connaissez  donc  maintenant  les 
moyens  réellement  pratiques  d'arriver  à  faire  des  affaires  avec  l'Aus- 
tralie. On  dit  qu'il  faut  imiter,  pour  cela,  les  Allemands  :  soit,  les  Alle- 
mands sont  sur  beaucoup  de  points  dignes  d'être  imités.  Je  n'admets 
pas  cependant  que  des  Français  puissent  les  imiter  au  point  de  descen- 
dre jusqu'à  leurs  bassesses  :  j'ai  vu  des  produits  allemands  importés 
en  Australie  avec  des  étiquettes  françaises  et  je  vous  assure  qu'il  fal- 
lait avoir  de  fort  bons  yeux  pour  apercevoir,  en  certain  cas  ,  dans  un 
des  coins  de  ces  fausses  étiquettes  le  mot  :  «  Francfort  ».  Non,  jamais 
je  ne  conseillerai  à  des  Français  de  pareils  moyens.  Je  vous  recom- 
mande plutôt  la  persévérance  des  Anglais  qui  sont, comme  vous  le  savez 
des  gens  très  pratiques.  Envoyez  vos  jeunes  gens  en  Australie  pour 
s'y  renseigner  ;  expédiez  leur  là-bas  vos  articles  et  vous  finirez  par 
aboutir  à  des  transactions  fructueuses. 

Vous,  jeunes  gens,  à  qui  l'avenir  appartient,  vous  qui  pourrez,  non 
pas  hériter  de  nos  fautes,  mais  qui  pourrez  profiter  de  nos  malheurs, 
je  vous  engage  à  aller  en  Austrahe  où  vous  admirerez  les  prodiges  du 
commerce,  l'initiative  individuelle,  enfin  toutes  les  nobles  qualités  des 
Australiens  dont  la  base  a  toujours  été  l'amour  de  sa  liberté  et  le  res- 
pect absolue  de  la  loi.  (Salve  d'applaudissements). 


-109- 


SOCIÉTÉ  DE  GÉOGRAPHIE  DE  VALENCIENNES. 


I^a  Société  de  g;éog;raplile    de   Valenclennes 

Pendant  le  quatrième  trimestre  de  1886. 

Par  M.  Paul  FOUGART,  avocat,  secrétaire-général  de  la  Société  de  Valenciennes. 


Pour  terminer  l'année  1886  ,  la  Société  de  Géographie  de  Valen- 
ciennes a  patronné ,  avec  la  Chambre  de  Commerce  ,  une  conférence 
donnée  par  M.  Marins  Vachon  sur  les  Industries  d'Art  à  l'étranger,  et 
a  ensuite  distribué  les  prix  du  concours  qu'elle  avait  précédemment 
organisé  entre  les  élèves  de  l'Instruction  primaire. 

I. 

La  conférence  de  M.  Vachon  a  eu  lieu  le  23  octobre  ,  et  le  Courrier 
du  Nord  en  a  rendu  compte  en  ces  termes  : 

«  M.  Marius  Vachon  qui ,  samedi  soir ,  a  donné  une  conférence  à 
Valenciennes  devant  un  public  très  nombreux,  a  fait  en  ces  dernières 
années  deux  voyages  successifs  à  travers  l'Europe  ,  en  s'attachant  à 
une  étude  spéciale.  Il  avait  reçu  du  gouvernement ,  en  raison  de  la 
création  projetée  d'un  musée  et  d'écoles  d'art  industriels  ,  la  mission 
d'aller  examiner  les  institutions  similaires  établies  déjà  à  l'étranger. 
M.  Vachon  a  ainsi  visité  ,  en  1881  et  en  1885,  l'Allemagne,  l'Autriche, 
la  Hongrie ,  la  Russie  et  l'Italie.  Or ,  il  a  observé  dans  ces  divers  pays 
un  mouvement  singulièrement  énergique  tendant  au  développement  et 
à  la  rénovation  des  industries  d'art  ;  son  second  voyage  lui  a  permis 
de  constater  les  progrès  rapides  accomplis  en  quatre  ans.  Et,  selon 
lui ,  il  est  nécessaire  que  la  France  accentue  vivement  ses  efforts  vers 
le  même  but,  si  elle  veut  maintenir  sa  situation  industrielle.  C'est  pour 
répandre  ces  conseils  que  M.  Marius  Vachon  a  entrepris  une  série  de 
conférences . 

»  Il  faut  convenir  qu'il  nous  a  ,  samedi ,  cité  des  faits  qui  ne  man- 
quent pas  d'éloquence. 


-  140  - 

»  Dans  un  des  plus  petits  Etats  de  l'Europe,  par  exemple  en  Suisse, 
on  ne  compte  pas  moins  d'une  centaine  d'écoles  d'enseignement  pro- 
fessionnel et  de  neuf  musées  d'art  et  d'industrie  à  l'heure  présente  : 
cela  ,  outre  des  écoles  ouvrières  et  des  écoles  primaires  où  l'enseigne- 
ment du  dessin  est  obligatoire. 

»  En  Italie,  il  y  a  aujourd'hui  soixante-quatre  écoles  d'art  indus- 
triel,  sans  compter  un  certain  nombre  d'écoles  spéciales  et  d'établis- 
sements destinés  à  l'enseignement  professionnel  des  femmes. 

»  En  Russie  ,  qu'on  regarde  à  tort  chez  nous  comme  un  pays  pres- 
que sauvage ,  il  a  été  fondé  des  écoles  consacrées  à  l'application 
industrielle  de  l'art,  jusqu'au  fond  des  provinces  caucasiennes.  A  Saint- 
Pétersbourg  ,  on  trouve ,  pour  l'enseignement  artistique  spécial  à 
l'industrie  ,  deux  écoles  et  deux  musées  ;  à  Moscou  ,  deux  écoles  et  un 
musée. 

»  Mais  c'est  en  Allemagne  surtout  que  M.  Marins  Vachon  dit  avoir 
trouvé  une  situation  exceptionnelle,  au  point  de  vue  où  nous  nous 
plaçons. 

*  On  prétend  quelquefois  que  la  concurrence  très  préjudiciable  que 
l'Allemagne  nous  a  faite  en  ces  dernières  années  sur  tous  les  marchés 
du  monde  n'aura  qu'un  temps  ,  que  l'on  commence  à  se  fatiguer  des 
produits  de  l'industrie  allemande ,  d'un  prix  peu  élevé  mais  d'une 
qualité  inférieure,  et  à  levenir  aux  objets  français,  plus  soignés  et  plus 
élégants.  M.  Marins  Vachon  dit  qu'il  ne  faut  pas  trop  caresser  cet 
espoir,  et  cela  précisément  parce  que  l'industrie  allemande  se  trans- 
forme en  ce  moment. 

»  Les  Allemands  ,  il  est  vrai ,  nous  ont  tout  d'abord  combattu  sur  le 
terrain  commercial  en  créant  une  production  mtensive  et  plus  ou  moins 
grossière  ,  ce  qui  leur  a  permis  de  livrer  des  marchandises  à  très  bas 
prix. 

»  Mais  eux-mêmes  se  sont  aperçus  des  vices  de  ce  système.  A 
l'usage  .  on  a  découvert  la  médiocrité  de  leurs  produits  et  on  s'en  est 
plaint.  Ils  ont  reconnu  aussi  qu'à  notre  époque  ,  où  les  moyens  de 
communication  sont  devenus  si  faciles  et  où  l'outillage  mécanique  est 
partout  usité  .  tout  objet  banal ,  œuvre  de  la  machine  seule  ,  peut  être 
aisément  fabriqué  en  grandes  quantités  et  d'une  façon  similaire  sur  tous 
les  points  du  monde  ;  de  sorte  qu'un  industriel ,  dans  ces  conditions  , 
n'est  jamais  assuré  de  n'être  pas  subitement  supplanté  auprès  de  ses 
clients,  nationaux  ou  exotiques  ,  par  un  concurrent  arrivé  à  vendre  un 
peu  moins  cher  la  même  marchandise. 


—  m  — 

»  Qu'ont  fait  alors  les  Allemands  ,  gens  pratiques  et  entreprenants  ? 
Us  se  sont  déîibérêment  mis  à  l'œuvre  pour  régénérer  et  relever  par 
l'art  leur  production  :  ils  ne  négligent  rien  pour  arriver  à  donner  à 
tous  les  objets  sortis  de  leurs  ateliers  un  certain  caractère  d'agrément 
et  d'originalité,  qui  leur  assure  la  préférence  des  acheteurs. 

»  Pour  mener  à  bien  leur  projet,  les  Allemands  ,  du  reste  ,  se  sont 
beaucoup  servis  du  concours  involontaire  de  leurs  voisins  et  notamment 
de  la  France.  En  1878  ,  ils  n'ont  eu  garde  de  montrer  leurs  produits  à 
l'Exposition  universelle  de  Paris ,  mais  ils  sont  venus  étudier  avec 
grand  soin  les  nôtres.  Ils  ont  eu  des  sortes  d'espions  industriels  qui 
ont  intimement  analysé  l'outillage  de  nos  fabriques  les  plus  renom- 
mées, et  se  sont  tenus  au  courant  des  progrès  et  des  perfectionne- 
ments de  nos  manufactures  artistiques.  A  l'occasion,  ils  n'hésitent  pas 
à  emprunter ,  pour  nous  servir  d'un  terme  poli ,  ceux  de  nos  modèles 
qui  leur  conviennent. 

»  Quant  à  l'activité  ,  à  l'habileté ,  à  l'unanime  persévérance  avec 
lesquelles  ont  été  mis  en  œuvre  en  Allemagne .  pour  atteindre  le  but 
poursuivi ,  les  éléments  de  succès  recueillis  dans  les  pays  voisins  ou 
trouvés  dans  les  dispositions  et  les  souvenirs  du  peuple  allemand 
même ,  M.  Marins  Vachon  nous  a  donné  à  cet  égard  des  renseigne- 
ments fort  curieux  et  fort  instructifs. 

»  De  tous  côtés  ont  été  fondées  des  écoles  d'enseignement  profes- 
sionnel destinées  à  former  soit  des  patrons  et  des  directeurs  de  fabri- 
ques ,  soit  des  contre- maîtres  et  des  ouvriers  habiles.  Les  écoles  de  la 
première  classe  sont  au  nombre  de  trente-six.  Ce  sont,  en  général, 
des  écoles  spéciales,  c'est-à-dire  créées  chacune  pour  un  genre  d'in- 
dustrie déterminé  ;  c'est  ainsi  qu'il  y  a  des  écoles  de  tissage,  des  écoles 
de  métallurgie ,  etc.  Quant  aux  écoles  industrielles  inférieures ,  qui 
doivent  fournir  de  bons  ouvriers  aux  manufactures  de  produits  d'art , 
on  en  compte  125,  instruisant  14,000  élèves,  dans  le  seul  pays  rhénan, 
pour  6  millions  d'habitants. 

»  Les  Allemands  ont  créé  aussi  des  musées  d'art  industriel ,  dont  le 
rôle  est  de  procurer  aux  chefs  d'atelier,  aux  artisans  ,  de  beaux  mo- 
dèles de  meubles  ,  d'étoffes ,  d'ustensiles  divers  ,  des  motifs  de  déco- 
ration pour  les  bâtiments ,  etc.  Ces  musées  sont  organisés  de  façon  à 
pouvoir  être  utilisés  aussi  largement  que  possible.  On  les  bâtit  de  pré- 
férence dans  les  quartiers  ouvriers  et  industriels.  On  n'hésite  pas  à  en 
laisser  sortir  des  objets  ou.  des  collections  quand  on  y  voit  un  avan- 
tage. C'est  ainsi  que  le  nmsée  industriel  de  Berlin  ,  administré  par  le 


—  112  — 

gouvernement ,  envoie  fréquemment  dans  les  villes  de  province  des 
groupes  d'objets  correspondant  aux  principales  industries  de  ces  villes. 

»  Ajoutons  que  le  dessin  est  aujourd'hui  très  exactement  enseigné 
dans  toutes  les  écoles  allemandes  ,  à  l'effet  de  répandre  le  goût  des 
belles  formes  et  de  l'art. 

»  L'initiative  privée  réalise  aussi  en  Allemagne  des  innovations  sin- 
gulièrement pratiques.  L'exemple  le  plus  frappant  en  est  fourni  par  le 
Musée  industriel  de  Dusseldorf.  Créé  et  largement  doté  par  des  parti- 
culiers, ce  musée  est  principalement  affecté  à  l'usage  d'une  association 
ouvrière  annexe,  fondée  en  1883 ,  et  qui  est  des  plus  curieuses. 
Moyennant  trois  francs  par  an,  tout  artisan,  tout  ouvrier  habitant  dans 
un  rayon  asssez  étendu  .  peut  entrer  dans  cette  association:  et  dès  lors 
il  a  le  droit  de  se  faire  adresser  gratuitement  et  de  conserver  pendant 
un  certain  temps  chez  lui  tout  modèle  du  musée,  tout  livre  de  la  biblio- 
thèque. 11  écrit ,  par  exemple ,  à  la  direction  :  «  On  me  demande  un 
meuble  de  telles  dimensions  et  de  tel  style;  envoyez-moi  des  modèles.» 
Et  aussitôt,  soit  des  objets  en  nature  ,  soit  des  reproductions  photo- 
graphiques ou  autres,  lui  sont  envoyés.  Bien  plus  ,  quand,  à  l'aide  de 
ces  modèles  ,  l'associé  a  fait  le  dessin  du  meuble  qu'il  compte  exécuter, 
il  a  le  droit  d'envoyer  au  musée  industriel  ce  dessin,  qui  y  est  corrigé, 
gratuitement  toujours,  par  des  artistes  attachés  à  l'établissement. 

»  On  comprend  les  avantages  de  cette  organisation  :  aussi  l'associa- 
tion ouvrière  dont  nous  parlons  comprend  aujourd'hui  7,000  adhérents 
dans  le  pays  rhénan. 

»  Les  administrateurs  du  musée  industriel  de  Dusseldorf  ne  bornent 
pas,  du  reste,  leur  action  au  rôle  que  nous  venons  d'indiquer.  Ils  se 
font  véritalDlement  les  missionnaires  de  l'art  industriel.  Chaque  fois 
qu'il  y  a  une  fête  dans  un  village  de  la  province,  ils  y  organisent  une 
conférence  et  une  exposition  d'objets  provenant  du  musée.  Ces  objets 
sont  choisis  parmi  ceux  dont  les  paysans  visités  peuvent  avoir 
l'usage  :  ce  sont  des  ustensiles,  des  meubles  servant  à  la  vie  domesti- 
que, mais  relevés  par  quelques  détail  décoratif,  offrant  une  certaine 
élégance  de  forme,  —  et,  bien  entendu,  de  fabrication  nationale. 

y  L'activité  déployée  par  les  associations  de  ce  genre  est  étonnante, 
dit  M.  Marins  Vachon.  Peut-être  l'intérêt  privé  de  l'industrie  ne  suffi- 
rait-il pas  à  l'expliquer  :  derrière  ce  mobile,  il  y  en  a  un  autre  encore, 
le  désire  de  battre  et  de  ruiner  commercialement  la  France,  désir 
habilement  entretenu  par  le  gouvernement  allemand  dans  toutes  les 
classes  de  la  société. 


—  113  - 

»  Mais  c'est  le  sort  et  la  prospérité  de  l'industrie  allemande  que 
tendent  à  assurer  ainsi  les  institutions  et  les  efforts  dirigés  par  une 
pensée  habile.  Tous  les  sacrifices  faits  pour  développer  et  vulgariser 
en  quelque  sorte  l'art  industriel  ne  sont  pas  destinés  seulement  à  favo- 
riser la  vente  des  produits  allemands  à  l'étranger  :  ils  tendent  à  leur 
réserver  une  clientèle  certaine  à  l'intérieur  du  pays.  Ils  forment  en 
effet  non  seulement  le  goût  des  producteurs  allemands,  mais  celui  des 
consommateurs,  et  ils  le  forment  identiquement.  Il  s'établit  ainsi  un 
idéal  artistique  national  qui  empêchera  les  acheteurs,  en  Allemagne, 
d'abandonner  les  produits  nationaux  pour  prendre  ceux  de  l'étranger. 

»  Il  y  a  lieu  de  remarquer  en  effet,  dit  M.  Marins  Vachon,  que  la 
renaissance  artistique  observée  dans  plusieurs  pays  d'Europe,  se  base 
sur  les  traditions  nationales.  C'est  ainsi  qu'elle  s"inspire  en  Russie  de 
l'art  oriental,  en  Italie  de  l'art  du  XV  siècle. 

»  Il  faut  de  même  en  France,  a  conclu  le  conférencier,  nous  mettre 
résolument  à  l'œuvre  pour  créer  et  développer  un  art  franchement 
national  :  non  seulement  afin  de  donner  à  nos  produits  un  caractère 
qui  leur  permette  de  lutter  avec  avantage  à  l'étranger  contre  les  pro- 
duits allemands,  mais  aussi  afin  d'empêcher  ceux-ci  d'envahir  notre 
propre  marché.  Le  goût  français  n'est  pas  tout  à  fait  le  goût  allemand, 
et  il  rejettera  les  objets  portant  la  marque  de  ce  dernier  ;  mais  à  la 
condition  que  le  goût  français  ne  soit  pas  l'apanage  de  quelques  privi- 
légiés et  qu'il  soit  inspiré  à  tous  nos  nationaux. 

»  A  cet  eflet,  M.  Marins  Vachon  demande  qu'on  suive  l'exemple 
donné  par  les  autres  peuples  ;  il  conseille  la  créaMon  d'associations 
telles  que  celles  décrites  plus  haut,  l'établissement  de  musées  d'art 
industriel  dans  toutes  les  villes  quelque  peu  importantes.  A  Valen- 
ciennes,  il  nous  a  félicités  de  l'institution,  aux  Académies,  de  plusieurs 
cours  destinés  aux  applications  de  l'art  à  l'industrie,  et  nous  a  engagés 
à  pousser  aussi  avant  que  possible  dans  cette  voie.  Il  recommande 
l'expansion  de  l'enseignement  du  dessin,  des  écoles  professionnelles, 
etc. 

»  En  somme,  la  pensée  de  M.  Marins  Vachon  sur  la  situation  ac- 
tuelle des  nations  européennes  et  les  conditions  de  leur  prospérité 
paraît  se  résumer  dans  les  lignes  suivantes,  détachées  du  rapport  qu'il 
a  présenté  à  la  suite  de  son  dernier  voyage  d'études  à  M.  le  sous- 
secrétaire  d'Etat  des  beaux-arts  : 

»  Dans  tous  les  pays  d'Europe,  il  se  produit  en  ce  moment  une 
grande  et  profonde  agitation  artistique  :  on  crée  des  écoles,    des  mu- 


—  114  — 

sées,  on  développe  l'enseignement  du  dessin  et  le  goût  pour  les  œuvres 
d'art.  Toutes  les  nations  deviennent  concurrentes  les  unes  des  autres 
pour  l'industrie  et  le  commerce.  Comme,  en  raison  des  facilités  de 
communication  et  de  relations  introduites  dans  le  mouvement  général 
par  les  chemins  de  fer.  les  })ercements  de  montagnes  et  d'isthmes,  les 
différents  peuples  ont  adapté  à  leurs  mœurs,  à  leurs  besoins  sociaux, 
une  certaine  civilisation  uniforme  et  collective  :  que.  d'autre  part,  pour 
ces  mêmes  raisons,  il  s'établit  une  sorte  de  moyenne  économique  qui 
égalise  à  peu  près  les  conditions  de  consommation,  la  nécessité  s'est 
fatalement  imposée  aux  uns  et  aux  autres  de  chercher  à  conquérir  une 
supériorité  incontestable  par  l'originalité  et  par  la  valeur  artistique  de 
leurs  produits.  C'est  ainsi  qu'on  peut  expliquer  rationnellement  ce 
phénomène,  qui  se  manifeste  partout  avec  une  intensité  extraordinaire, 
d'une  renaissance  artistique  nationale.  Chaque  nation,  Antée  moderne, 
semble  vouloir  reprendre  des  forces,  se  revivifier  en  touchant  son  sol, 
en  revenant  à  ses  traditions  et  à  son  passé...  Et  à  la  fin  de  ce  XIX* 
siècle  où,  d'après  les  idéologues  et  les  économistes,  il  devait  s'opérer 
une  fusion  entre  tous  les  peuples,  où  toutes  les  barrières  élevées  par 
les  conventions  politiques,  par  les  mœurs  variées  devaient  s'abaisser, 
on  voit  poindre  partout  le  particularisme  le  plus  absolu,  le  nationalisme 
le  plus  vivace,  qui  se  manifeste  par  l'art,  cette  émanation  de  Tesprit 
humain  qui  semblait  devoir  être  le  rayonnement  éclatant  de  cette  unité 
intellectuelle  si  ardemment  rêvée. 

»  Les  peuples  sentent  instinctivement  que  l'heure  est  venue  où,  par 
suite  de  la  diffusion  générale  des  sciences  industrielles  et  commerciales, 
on  ne  pourra  plus  se  défendre  contre  l'invasion  des  voisins  qu'en  créant 
entre  tous  les  membres  d'une  race,  d'une  nation,  une  solidarité  étroite 
de  besoins,  de  désirs  et  de  satisfactions,  basés  sur  une  harmonie  par- 
faite de  traditions,  de  goût  et  d'imagination...  » 

Telle  a  été  dans  ses  grandes  lignes,  la  conférence  de  M.  Marius 
Vachon.  Nous  devons  toutefois  remarquer  que,  selon  l'usage,  elle  n'a 
pas  satisfait  tout  le  monde.  Avant  de  mourir,  lejoui-nal  la  Réforme 
du  Nord  a.  en  effet,  émis  à  son  sujet  des  réflexions  un  peu  sévères  : 

»  M.  Vachon,  «  a-t-il  dit  »  a  insisté  trop  longuement  sur  la  nécessité 
de  l'enseignement  du  dessin.  Ne  savait-il  pas  qu'il  est  donné  très  libé- 
ralement et  très  complètement  dans  tout  notre  arrondissement  ? 

»  Les  grandes  causes  de  la  prépondérance  allemande  sont  l'accrois- 
sement de  la  population  ;  les  races  latines  devenues  malthusiennes , 


-  115  — 

l'étude  des  langues  vivantes,  le  bon  marché  des  salaires,  la  protection 
directe  et  indirecte  donnée  par  l'Etat  aux  industries  nationales,  la  sta- 
bilité des  ministères  spéciaux,  les  tarifs  de  chemins  de  fer  :  tous  ces 
facteurs  ont  été  à  peine  indiqués  par  le  conférencier. . . 

»  M.  Vachon  aurait  dû  parler  surtout  de  nos  industries  sucrières, 
minières,  métallurgiques,  si  menacées  par  l'Allemagne  ;  son  terrain 
était  trop  étroit  et  sa  conférence  trop  longue.  Les  auditeurs  se  fati- 
guaient d'entendre  répéter  la  même  idée  sous  des  formes  différentes. 

»  M.  Vachon  connaît  bien  rAlIemagne  rhénane,  la  seule  dont  il  nous 
ait  parlé,  négligeant  la  Saxe,  la  Bavière,  pays  qui  nous  inondent  pour- 
tant de  produits  artistiques.  11  paraît  moins  ferré  sur  les  ressources  de 
la  France.  11  nous  accuse  de  manquer  d'écoles  pour  les  ingénieurs.  Ce 
sont,  hélas  !  les  places,  qui  font  défaut.  Il  a  oublié  les  écoles  de  Paris, 
St-Etienne  pour  les  mines  et  la  métallurgie,  l'Institut  de  Lille,  les  écoles 
spéciales  de  Rouen,  Roubaix,  Lyon,  Paris,  Gluny,  etc.,  etc.  Il  compte 
une  école  des  Arts  et  Métiers,  il  y  en  a  trois  ;  et  il  a  omis  de  nous  parler 
des  sommes  prodigieuses  dépensées  par  nos  vainqueurs  en  grands 
travaux  publics  :  canaux,  chemins  de  fer,  etc.  C'est  une  revanche  à 
prendre.  » 

Les  réflexions  que  nous  venons  de  reproduire  sont-elles  bienjustes  ? 
Nous  n'en  sommes  pas  convaincu.  M.  Vachon  avait  pour  sujet  :  Des 
Industries  d'Art  à  l'étranger,  et  non  point  :  Des  causes  de  la  supé- 
riorité industrielle  de  rAlIemagne.  Et  il  nous  semble  avoir  rempli 
d'une  manière  très  suffisante  le  cadre  qu'il  s'était  tracé  ? 


IL 

Avant  de  parler  des  résultats  du  concours  organisé  en  1886  par  la 
Société  de  Géographie  de  Valenciennes  entre  les  élèves  de  l'instruction 
primaire,  il  peut  n'être  pas  inutile  de  jeter  un  coup  d'oeil  sur  ceux  des 
années  antérieures,  afin  de  voir  le  chemin  parcouru  depuis  le  point  de 
départ  de  l'institution. 

§  1.  —  Concours  de  1884. 

C'est  en  1884  qu'à  l'exemple  de  plusieurs  de  ses  sœurs  et  de  ses 
rivales,  la  Société  de  Géographie  de  Valenciennes  ïonda  ce  concours. 
Les  prix  en  furent  distribués  dans  une  séance  solennelle  tenue  le 


116  — 


13  Novembre  ,  séance  où  M.  Treille  ,  député  de  Constantine ,  et 
M.  Edgai'  La  Selve,  firent  chacun  une  conférence  sur  \ Afrique  du 
Nord.  —  Les  résultats  de  cette  première  tentative  furent  consignés 
dans  le  rapport  suivant  du  Secrétaire  général. 


«  Mesdames,  Messieurs  , 

»  Vous  savez  que ,  dés  le  début  de  cette  année,  la  Société  de 
Géographie  de  Valenciennes  avait  annoncé  que,  dans  le  courant  de 
juillet,  elle  ouvrirait  entre  les  jeunes  gens  des  deux  sexes  âgés  de 
moins  de  14  ans  au  i'"'  janvier  1884.  un  concours  comprenant  une 
double  épreuve  :  la  carte  et  la  description  de  l'une  des  parties  de  la 
France. 

»  Dès  l'annonce  de  ce  projet,  une  vive  émulation  régna  dans  toutes 
les  écoles  de  notre  région,  et  ce  lut  sans  étonnement,  mais  non  sans 
plaisir,  que  nous  vîmes  les  inscriptions  ne  pas  s'élever  à  moins  de  142 
pour  les  garçons  et  de  69  pour  les  jeunes  filles. 

»  Notre  premier  soin  avait  été  d'assurer,  par  de  minutieuses  précau- 
tions, l'égalité  entre  les  concurrents,  et  d'éviter  avant  tout  que  l'on 
pût  soupçonner  le  sujet  d'avoir  été  divulgué  à  l'avance  au  profit  de 
quelques-uns.  Ce  sujet  fut  choisi  par  l'homme  le  plus  compétent  en 
ces  matières,  l'honorable  M.  Lambert,  inspecteur  de  l'instruction  pri- 
maire et  l'un  de  nos  vice-présidents,  —  qu'un  deuil  de  famille  éloigne 
aujourd'hui,  ce  qui  me  permet  de  lui  adresser  un  éloge  que  m'inter- 
dirait sa  modestie  s'il  était  présent  au  milieu  de  nous.  M.  Lambert 
nous  le  remit  sous  plis  cachetés  et  ces  plis  ne  furent  ouverts  que  le 
24  Juillet,  à  dix  heures  du  matin,  en  présence  des  candidats  réunis  à 
Valenciennes,  à  Saint-Amand,  à  Bouchain  et  à  Gondé,  pour  prendre 
part  au  concours. 

»  Ces  candidats  n'eurent  à  leur  disposition  ni  livres,  ni  cartes. 
L'emploi  même  de  tout  papier  autre  que  celui  distribué  par  les  prési- 
dents du  concours  leur  fut  interdit  et  vous  savez  tous  que  la  feuille  où 
devait  être  recopiée  la  composition  portait,  en  l'un  de  ses  coins,  une 
enveloppe  gommée,  à  l'intérieur  de  laquelle  chaque  candidat  inscrivit 
son  nom,  afin  que  les  examinateurs  ne  pussent  être  soupçonnés  de 
s'être  laissé  influencer  par  aucune  considération  étrangère,  et  qu'ils 
ne  connussent  eux-mêmes  les  noms  des  vainqueurs  que  lorsque  ces 
noms  seraient  devenus  irrévocables. 


-   117  — 

»  L'examen  des  compositions  —  œuvre  longu(^  et  minutieuse  — 
nous  fit  voir  combicMi  tend  à  s'élever  dans  notra  arrondissement  le 
niveau  des  connaissances  primaires  ;  il  nous  montre  les  progrès 
accomplis,  depuis  quatorze  ans  surtout,  dans  l'étude  de  la  géographie, 
et  nous  prouva  une  fois  de  plus  que  les  immenses  sacrifices  pécuniaires 
consentis  avec  une  si  utile  prodigalité  par  les  communes  et  par  l'Etat 
pour  améliorer  l'instruction  du  peuple  ne  sont  pas  demeurés  stériles. 

»  Le  sujet  choisi  comportait  la  description  et  la  carte  du  versant 
français  de  la  mer  du  Nord  et  de  la  Manche.  Bon  nombre  de  concur- 
currents  ont  conçu  la  question  dans  toute  son  ampleur  ;  mais  d'autres 
ne  se  sont  pas  rendu  compte  que  ce  versant  s'étend  au-delà  du  bassin 
de  la  Seine  ;  d'où  supériorité  des  compositions  qui,  à  ce  bassin,  ont 
ajouté  ceux  de  l'Escaut,  de  la  Meuse  et  de  la  Moselle. 

»  Plusieurs  cartes  sont  très  soignées  et  l'une  d'elles,  presque  par- 
faite, annonce  chez  son  auteur  de  remarquables  dispositions  pour  l'art 
où  se  sont  illustrés  jadis  les  d'Anville  et  de  nos  jours  les  Vivien  de 
Saint-Martin.  Mais ,  surtout  chez  les  jeunes  filles,  d'autres  cartes 
laissent  à  df^sirer  et  elles  sont,  en  général,  inférieures  aux  com- 
positions. 

»  Celles-ci  révèlent  une  instruction  étendue  et  abondante  ;  elles 
sont  riches  en  détails  et  même  souvent  trop  riches,  parce  que  leur 
accumulation  fait  parfois  oublier  les  caractères  généraux  de  chaque 
région.  Toute  proportion  gardée  quant  au  mérite,  plus  d'une  ressemble 
à  ces  peintures  des  écoles  primitives  où  le  brin  d'herbe  du  troisième 
plan  est  traité  avec  autant  de  précision  que  le  personnage  du  premier. 
Rien  n'étant  sacrifié,  rien  ne  ressort,  et  l'œil  égaré  confond  l'accessoire 
avec  le  principal.! 

»  Telle  est  l'impression  que  laisse  l'ensemble  du  concours,  impres- 
sion des  plus  satisfaisantes,  malgré  les  réserves  que  nous  venons  de 
formuler  avec  une  cordiale  franchise,  et  bien  meilleure  assurément 
que  nous  n'avions  osé  l'espérer.  Que,  sous  la  direction  des  maîtres  et 
des  maîtresses  aussi  habiles  que  dévoués  qui  les  dirigent,  les  jeunes 
gens  de  notre  arrondissement  prennent  confiance  eu  eux-mêmes  ; 
qu'ils  se  fient  moins  à  la  mémoire  et  donnent  davantage  à  la  réflexion  ; 
qu'ils  accordent  aux  détails  les  mêmes  soins  que  par  le  passé,  mais 
qu'ils  apprennent  à  les  grouper  par  grandes  masses  saisissantes,  et  à 
ne  pas  confondre  une  énumération  avec  une  description  ;  qu'ils  s'ap- 
pliquent avec  plus  de  sollicitude  encore  au  tracé  des  cartes  ;  que,  par 
la  lecture  raisonnée  et  fréquente  de  ces  livi-es  de  géographie  concrète 


-  118  — 

dont  Elysée  Reclus  nous  fournit  en  ce  moment  un  admirable  modèle, 
ils  s'ingénient  à  bien  saisir  l'aspect  particulier  des  contrées  diverses  et 
à  le  rendre  d'une  façon  pittoresque  ;  et  ils  verroiit  combien  une  étude 
qui  leur  semblait  d'abord  triste  et  froide  deviendra  gaie  et  riante  à 
leurs  yeux  ;  et  ils  verront  quels  immenses  progrès  récompenseront 
leurs  efibrts.  Ils  ont  fait  bien  cette  année-ci  :  qu'ils  suivent  nos 
conseils  et,  l'année  prochaine,  ils  feront  encore  beaucoup  mieux.  » 


§  2.  —  Concours  de  1885. 
Le  concours  de  1885  donna  lieu  au  rapport  suivant  : 

Mesdames  ,  Messieurs  , 

«  Les  concours  ouverts  cette  année  par  la  Société  de  Géographie 
de  Valenciennes  ont  attiré  un  nombre  délèves  légèrement  inférieur 
à  celui  de  l'an  dernier  :  au  lieu  de  221  candidats,  dont  142  garçons 
et  69  jeunes  filles,  nous  n'avons  plus  eu  à  en  inscrire  que  161,  dont 
104  d'un  sexe  et  57  de  l'autre.  Mais  nous  dev;  ns  nous  hâter  de  dire 
que  cette  infériorité  de  nombre  a  été  compensée  par  la  supériorité  de 
mérite  et  que  la  force  moyenne  des  compositions  a  même  dépassé  nos 
espérances. 

p  Lors  de  notre  première  tentative,  nous  avions  réuni  dans  un  seul 
concours  tous  les  jeunes  gens  âgés,  au  début  de  janvier,  de  moins  de 
14  ans.  On  nous  a  fait  observer  que  cette  combinaison  ne  laissait  de 
chances  qu'aux  élèves  qui  approchaient  de  la  limite  d'âge,  les  enfants 
de  dix  ou  onze  ans  ne  pouvant  guère,  toutes  choses  égales  d'ailleurs, 
sérieusement  rivaliser  avec  ceux  de  plus  de  treize  ans.  Auss^  dans  le 
but  d'éviter  cet  inconvénient  et  de  permettre  à  tous  d'aspirer  à  la 
victoire,  avons-nous  pris  le  parti  de  créer  deux  divisions  :  l'une  ren  ■ 
fermant  les  élèves  âgés  de  moins  de  onze  ans  le  l'"""  janvier  1885, 
l'autre  ceux  âgés,  à  cette  date,  de  plus  de  onze  ans  et  de  moins  de 
quatorze  ans. 

»  Identiques  pour  les  deux  sexes,  les  sujets  à  traiter  ont  dû  néces- 
sairement être  proportionnés  à  la  force  présumée  des  élèves. 

»  Vous  savez  que  les  plus  jeunes  ont  eu  à  définir  les  divers  genres 
de  canaux,  à  indiquer  l'ensemble  de  la  canalisation  de  la  France,  et  à 
en  reproduire  la  carte. 


—  119  — 

»  Tout  simple  qu'il  est,  ce  sujet  ne  laissait  pas  de  présenter  certaines 
difficultés.  Il  ne  se  trouve  pas  traité  en  bloc  dans  les  livres  élémen- 
taires et  les  enfants  devaient,  pour  s'en  tirer,  faire  appel  à  autre 
chose  qu'à  la  mémoire.  Le  résultat  a  été  néanmoins  très  digne  d'éloge. 

»  Dans  les  travaux  émanant  des  garçons,  la  partie  descriptive  de 
cette  composition  s'est  fait  remarquer  par  la  richesse  et  la  précision 
de  ses  détails.  Le  bief,  le  sas,  l'écluse  et  tous  les  autres  éléments  dont 
se  compose  un  canal  creusé  à  mains  d'hommes  ont  été  presque  par- 
tout soigneusement  analysés  quant  à  leur  construction  et  à  leur  but. 
On  trouve  là  l'écho  des  promenades  scolaires  et  des  leçons  que  donne 
l'instituteur  en  présence  des  choses  elles-mêmos  ,  promenades  et 
leçons  qu'on  ne  saurait  trop  multiplier  et  qui  gravent  à  jamais  dans 
l'esprit  de  l'élève  des  notions  acquises  tout  en  se  jouant.  D'un  autre 
côté,  aussi  bien  dans  les  travaux  des  garçons  que  dans  ceux  Jes  filles, 
la  nomenclature  des  canaux  de  la  France  a  été  faite  avec  une  singulière 
exactitude  et  non  sans  une  certaine  méthode  qui  marque  un  bon 
enseignement. 

»  Quant  à  la  carte,  le  tracé  des  canaux  est  généralement  plus 
complet  chez  les  garçons  que  chez  les  filles,  mais  on  constate  que  tous 
ont,  dans  les  yeux  et  dans  la  main,  les  contours  de  la  France;  que 
l'image  de  notre  patrie  -  apparaît  clairement  à  leur  esprit  et  qu'en  la 
reportant  sur  le  papier,  ils  savent  lui  conserver  sa  physionomie  propre. 

»  Tandis  que  les  concurrents  de  la  seconde  division  traitaient  des 
canaux,  ceux  de  la  première  avaient  à  nous  donner  la  description  et  la 
carte  de  l'Algérie. 

»  Ils  se  sont  brillamment  acquittés  de  leur  tache. 

»  L'an  dernier,  nous  avions  constaté  une  assez  grande  inégalité 
entre  les  travaux  des  garçons  et  ceux  des  filles  ;  et,  quoiqu'il  en  coûte 
à  notre  galanterie,  nous  devons  déclarer  que  ces  dernières  étaient 
restées  notablement  inférieures  à  leurs  rivaux.  Cette  année  l'égahté 
s'est  rétablie  et  plusieurs  compositions  féminimes  joignent  à  des  cartes 
fort  convenables  des  textes  d'une  rare  élégance. 

»  De  leur  côté,  les  garçons  se  sont  distingués  par  tant  de  compositions 
dépassant  la  moyenne,  que  si  nous  avions  eu  à  notre  disposition  un 
plus  grand  nombre  de  récompenses  et  si,  à  un  autre  point  de  vue,  nous 
n'avions  craint  d'en  abaisser  la  valeur  en  les  prodiguant,  la  quaran- 
tième même  par  ordre  de  mérite  aurait  été  digne  de  quelque  mention. 
L'an  dernier,  nous  avions  blâmé  l'abus  de  l'énumération  et  l'absence 
de  plan  dans  les  descriptions.   Le   concours  actuel   marque,  sous  ce 


—  120  — 

rapport  un  grand  progrès.  Les  élèves  se  sont  accoutumés  à  mettre 
chaque  chose  à  sa  place,  a  distinguer  l'accessoire  du  principal,  à 
répandre  sur  celui-ci  la  pleine  lumière  et  à  laisser  le  reste  dans  l'ombre 
ou  la  demi-teinte.  Où  nous  n'avions  encore  vu  que  des  écoliers,  nous 
commençons  à  apercevoir  des  artistes  et  ils  ont  droit,  pour  leur  effort, 
à  toutes  nos  félicitations. 

;>  D'où  vient  un  si  prompt  changement?  De  deux  causes  selon  nous: 
d'abord  de  ce  que  l'enseignement  des  maîtres  s'est,  ujieux  que  par  le 
passé,  appliqué  à  faire  saisir  les  ensembles  ;  puis  surtout  de  ce  que  les 
élèves  se  sont  passionnés  pour  la  géographie  et,  par  des  lectures  abon- 
dantes et  variées,  ont  pris  plaisir,  au  sortir  des  classes,  à  étendre 
leurs  connaissances.  Ils  sont  ainsi  entrés  dans  la  bonne  voie,  clans  celle 
du  travail  p*ersonnel  qui  seul  conduit  à  la  vraie  science,  et  en  dehors 
des  prix  que  nous  nous  ferons  un  plaisir  de  leur  offrir,  ils  en  recueil- 
leront pour  récompense  de  se  sentir  chaque  jour  plus  éclairés  et  meil- 
leurs. Cette  heureuse  émulation  est  un  fruit  de  nos  concours  et  elle 
est  de  bon  augure  pour  l'avenir  des  études  géographiques.  » 

La  lecture  de  ce  rapport  a  été  suivie  de  la  distribution  des  prix,  et 
d'une  conférence  de  M.  Emile  Bouant,  professeur  de  physique  au 
Lycée  Charlemagne ,  sur  la  Terre  et  VEau .  conférence  qui ,  plus 
tard ,  a  été  intégralement  publiée  daus  le  Bulletin  de  la  Société  de 
Géographie  de  Lille. 

§  3.  —  Concours  de  1886. 

Quant  au  concours  suivant,  la  distribution  de  ses  prix  a  eu  lieu  le 
28  novembre  1886,  au  théâtre  de  Valenciennes,  dans  une  cérémonie 
dont  le  Courrier  du  Nord  a  rendu  compte  en  ces  termes  : 

«  Les  jeunes  concurrents,  leurs  familles  et  leurs  maîtres,  joints  au 
public  ordinaire  des  conférences  géographiques,  formaient  dans  la  salle 
une  nombreuse  assistance. 

»  Sur  la  scène  ont  pris  place  M.  Doutriaux.  président  de  la  Société 
de  Géographie  de  Valenciennes,  MM.  Paul  Crépy,  Alù-ed  Renouard 
et  Eckmann,  président  et  secrétaires  de  la  Société  de  Lille,  M.  Paul 
Sautteau,  adjoint  au  maire  de  Valenciennes ,  M.  Euiile  Pesier,  vice- 
président  de  la  Société  d'agriculture ,  sciences  et  arts ,  et  difiérents 
membres  de  la  Société  géographique,  valenciennois  et  condéens. 

»  M.  Doutriaux,  en  ouvrant  la  séance,  a.  dans  une  cordiale  allocu- 


—  12i  — 

tion,  déclaré  que  la  Société  de  géographie  trouve  une  de  ses  plus  vires 
satisfaction  à  distribuer  les  prix  du  concours  qu'elle  a  fondé  il  y  a 
trois  ans.  En  prenant  cette  initiative,  la  Société  de  Géographie  de 
Valenciennes  s'est  proposée  de  développer  dans  notre  arrondissement 
le  goût  des  études  géographiques  ;  M.  Doulriaux  s'est  félicité  de  l'aide 
quide  toutes  parts  lui  a  été  prêtée  à  cet  effet.  La  ville  de  Valenciennes, 
la  Chambre  de  commerce,  la  Société  d'agriculture,  sciences  et  arts, 
ont  bien  voulu  accorder  chaque  année  des  médailles  aux  lauréats  du 
concours.  Chez  les  enfants  appelés  à  se  disputer  ces  récompenses,  la 
Société  a  rencontré  beaucoup  de  bonne  volonté  et  d'émulation  ;  en 
leurs  maîtres,  elle  a  trouvé  des  auxiliaires  tout  dévoués.  A  tous, 
M.  Doutriaux  a  exprimé  ses  remerciments. 

»  11  a  dit,  en  terminant,  que  la  Société  de  Géographie  de  Valen- 
ciennes a  été  représentée  récemment  au  Congrès  géographique  de 
Nantes  par  son  président  et  son  secrétaire-général,  et  qu'elle  a  obtenu 
les  applaudissements  des  Sociétés  les  plus  importantes  de  France,  en 
exposant  l'organisation  et  le  résultat  de  ces  concours  institués  pour  les 
élèves  de  l'enseignement  primaire. 

»  Enfin  M.  Doutriaux  a  rendu  hommage  à  la  complaisance  avec 
laquelle  M.  Guillot  avait  bien  voulu  se  mettre  à  la  disposition  de  la 
Société  de  géographie  de  Valenciennes  pour  relever  encore,  par  une 
de  ses  intéressantes  conférences,  l'attrait  de  la  solennité. 

Dès  que  les  applaudissements  soulevés  par  ces  paroles  ont  été  calmés, 
M.  PaulFoucart,  secrétaire-général  de  la  Société  de  géographie,  a 
exposé  dans  le  rapport  suivant  les  observations  suscitées  par  le  con- 
cours de  1886  ; 

*  Mesdames,  Messieurs, 

»  Après  les  conférences  solides  ou  brillantes  par  lesquelles 
MM.  Oukawa.  Guillot.  Walke  et  Faucher  nous  ont  successivement 
transportés  du  Japon  dans  l'Afrique  centrale,  et  des  bords  du  Congo 
dans  la  Bolivie  et  le  Pérou  ;  après  d'autres  conférences  non  moins 
curieuses,  bien  que  moins  intimement  liées  à  la  géographie,  par  les- 
quelles MM.  Alglave  et  Vachon  nous  ont  instruits,  l'un  de  son  projet 
de  monopole  facultatif  des  alcools,  l'autre  de  l'état  actuel  des  indus- 
tries d'art  au  delà  du  Rhin  ;  après  diverses  excursions  pai^mi  nos  en- 
tours  et  les  voyages  de  certains  de  nos  sociétaires  en  Angleterre  ou  à 


—  122  — 

Nantes,  la  Société  de  géographie  de  Valeiiciennes  en  revient  aujour- 
d'hui à  la  partie  la  plus  utile  et  la  plus  fructueuse  peut-être  de  sa  tâche, 
c'est-à-dire  au  concours  qu'elle  a  établi  entre  les  élèves  de  l'instruc- 
tion primaire. 

»  Ce  concours,  dont  nous  allons  nous  faire  un  plaisir  de  distribuer 
les  prix,  a  eu  lieu,  comme  vous  le  savez,  le  22  juillet  1886.  Calqué  sur 
celui  de  l'an  dernier,  il  avait  attiré  153  concurrents,  comprenant  107 
garçons  et  46  jeunes  filles,  âgés  au  plus  de  14  ans  au  1^'  janvier  1886, 
et  qui  furent  partagés  en  deux  groupes,  suivant  qu'à  la  même  époque 
ils  avaient  ou  non  dépassé  onze  ans. 

»  Les  plus  jeunes  eurent  à  tracer  le  plan  et  à  faire  la  description  de 
l'arrondissement  de  Valenciennes. 

»  En  leur  donnant  ce  sujet,  la  Société  de  géographie  comptait  leur 
offrir  un  thème  facile,  capable  de  mettre  en  jeu  leurs  observations 
personnelles,  et  de  produire  des  compositions  variées, 

»  Son  espoir  a  été  quelque  peu  déçu,  et  loin  d'exciter  la  verve  des 
élèves,  ce  programme  si  simple  paraît  les  avoir  embarrassés  forte- 
ment. 

»  Quant  à  la  carte,  les  uns  se  sont  amusés  à  tracer  avec  soin  celle  de 
la  France  entière,  à  une  échelle  si  minime  que  notre  arrondissement 
y  disparaît  presque  tout  entier  ;  les  autres,  mieux  inspirés,  en  ont  des- 
siné une  image  plus  distincte,  mais  très  inférieure  encore  aux  plans 
que  des  élèves  du  même  âge  nous  ont  donnés  dans  d'autres  cas. 

»  Les  compositions  offrent,  en  général,  des  insuffisances  du  même 
genre.  L'un  des  concurrents  ne  donne  à  notre  arrondissement  que 
60,000  habitants.  Un  autre  lui  en  octroie  400,000,  et  une  jeune  fille 
plus  généreuse  encore,  lui  en  accorde  600,000  !  En  traitant  des  indus- 
tries principales,  presque  tous  ne  manquent,  point  de  parler,  comme 
existant  encore,  de  la  dentelle,  disparue  depuis  longtemps  pai'ce  qu'elle 
ne  pourrait  plus  faire  vivre  les  ouvrières  qui  la  fabriqueraient  ;  mais 
en  traitant  des  voies  de  communication,  ils  se  gardent  bien  de  parler 
des  tramways,  qu'ils  voient  manœuvrer  quotidiennement,  et  que  la 
plupart  avaient  pris  le  matin  pour  se  rendre  au  concours.  Le  motif, 
c'est  que  leurs  livres  de  classe  ne  citant  que  la  dentelle,  qui  est  ancienne, 
et  pas  les  tramways,  qui  sont  neufs,  ils  se  souviennent  de  ces  livres, 
au  lieu  d'essayer  de  traduire  eux-mêmes  sur  le  papier  les  faits  qu'ils 
ont  sous  les  yeux. 

>  Ces  remarques  indiquent  qu'U  faut  plus  que  jamais  s'attacher  aux 
leçons  de  choses,  aux  promenades  scolaires,  à  tout  ce  qui  peut  exciter 


-  123  - 

et  tenir  en  éveil  l'énergie  propre  des  élèves.  Moins  de  vagues  réminis- 
cences, plus  d'observation  et  de  réflexion,  voila  ce  que  nous  deman- 
dons pour  l'avenir. 

»  Ceci  dit,  nous  devons  ajouter  qu'afin  do  maintenir  le  zèle,  nous 
avons  plutôt  accru  que  diminué  le  nombre  des  récompenses  qui,  peut- 
être,  avaient  été  précédemment  renfermées  dans  des  limites  trop 
stricte.s.  Notre  jeune  clientèle  y  verra  tout  à  la  fois  une  marque  de 
bienveillance  et  un.  encouragement  pour  de  nouveaux  efforts. 

»  La  première  division,  celle  des  élèves  âgés  de  plus  de  onze  ans, 
eut,  de  son  côté,  pour  sujet  de  concours,  la  carte  et  la  description  du 
versant  français  de  l'Océan  Atlantique.  En  outre,  pour  montrer  qu'ils 
avaient  une  idée  nette  du  relief  du  sol,  les  concurrents  étaient  invités  à 
tracer  une  coupe  du  terrain  suivant  une  ligne  allant  de  Brest  à  la 
source  de  la  Loire .  Cette  partie  de  la  composition  n'était  pas  obligatoire , 
mais  il  devait  en  être  tenu  compte  pour  le  classement. 

»  Ici  nous  sommes  contraints  d'avouer  que,  par  suite  d'un  manque 
de  galanterie  qui  leur  sera  facilement  pardonné,  les  garçons  l'ont 
emporté  sur  leurs  rivales.  Tandis  que,  parmi  celles-ci,  les  quatre  pre- 
mières seules  ont  dépassé  la  majorité  absolue  des  points,  le  dixième 
des  garçons  se  trouve  encore  dans  le  môme  cas.  Il  y  a  là,  pour  les 
jeunes  filles,  une  revanche  que  nous  les  convions  à  prendre  l'année 
prochaine. 

»  Les  compositions  sont,  en  général,  fort  bonnes.  Sauf  dans  des  cas 
exceptionnels,  le  talent  du  dessin  marche  de  pair  avec  la  science  des 
faits,  et  la  seule  inspection  de  la  carte  permet  de  deviner  le  mérite  du 
texte.  Quelques-unes  de  ces  cartes  sont  belles  et  dénotent  de  rares 
aptitudes.  Toutefois,  bon  nombre  de  concurrents  ont  mal  indiqué  les 
positions  des  villes,  et  n'ont  pas  indiqué  du  tout  la  nature  des  côtes 
françaises  sur  l'Océan  atlantique.  Ce  sont  là  des  erreurs  et  des  lacunes 
que  nous  avons  le  devoir  de  signaler. 

»  Dans  le  texte,  on  trouve  d'ordinaire  des  renseignements  exacts  sur 
l'aspect  et  les  productions  du  massif  central  de  la  France,  mais  rare- 
ment une  appréciation  suffisante  du  rôle  de  ce  massif  quant  à  la  nais- 
sance et  à  la  direction  des  cours  d'eau.  On  y  désirerait  aussi  un  peu 
plus  de  liaison  entre  les  faits,  plus  d'idées  générales  montrant  que 
l'élève  est  en  pleine  possession  de  son  sujet  et  domine  sa  matière  au  lieu 
de  se  laisser  dominer  par  elle, 

»  Malgré  les  réserves  qu'une  exacte  justice  nous  a  contraints  à  for- 
muler, l'ensemble  du  concours  est  de  nature   à  nous  satisfaire  et  à 


—  124  — 

faire  persévérer  notre  Société  de  géographie  dans  une  initiative  où  elle 
a  eu  le  bonheur  d'être  généreusement  encouragée  par  la  ville  de 
Valenciennes,  la  Chambre  de  Commerce  et  la  Société  d'agriculture. 
Ce  concours  annuel  entre  de  plus  en  plus  dans  nos  mœurs  scolaires;  les 
élèves  s'y  préparent  avec  autant  d'entrain  que  de  persévérance,  et  se 
livrent,  en  vue  d'y  réussir,  à  des  lectures  personnelles  dont  ils  n'avaient 
auparavant  aucune  idée.  Ils  sont  soutenus  parle  désii*  d'être  publique- 
ment récompensés  dans  une  cérémonie  telle  que  celle-ci,  pai'  l'espoir 
de  se  surpasser  eux  mômes  s'ils  ont  obteim  déjà  quelque  prix  et  plus 
encore  par  le  plaisir  qu'ils  trouvent  finalement  dans  un  genre  d'étude 
d'abord  considéré  comme  aride.  Nous  ne  négligerons  rien  pour  entre- 
tenir et  enflammer  davantage  encore  cette  généreuse  ardeur.  » 

L'appel  des  lauréats  a  été  fait  ensuite.  Chacun  d'eux  est  venu  cher- 
cher la  médaille  qui  lui  était  destinée  et  à  laquelle  la  Société  de  géo- 
graphie avait  joint  de  fort  beau  livres.  Les  applaudissements  de  l'assis- 
tance n'ont  pas  fait  défaut:  ils  ont  souligné  notamment  le  nom  de 
l'école  de  filles  d'Escaudain,  dont  les  élèves  ont  remporté  une  bonne 
partie  des  récompenses. 

Une  section  delà  Musique  municipale  aniiiiait  la  cérémonie  en  l'entre- 
coupant de  ses  accords. 

Voici  la  liste  des  jeunes  gens  récompensés  : 

PREMIERE    DIVISION. 
Garcous. 


1.  Médaille  de  vermeil  offerte  par  la  ville  de  Valenciennes,  Adonis  Tichoux  , 
élève  de  VEcole  communale  de  !Suint-Amand,  dirigée  par  M.  Cordonnier. 

'l.  Médaille  de  vermeil  offerte  par  la  Société  d'agriculture  ,  sciences  et  arts  de 
Valenciennes,  Alphonse-Antoine-Jean  Perron,  Ecole  de  Saint-Auiand,  directeur 
M.  Cordonnier. 

3.  Médaille  d'argent  offerte  par  la  ville  de  Valenciennes,  Alexandre  Stéphan  , 
Ecole  de  Valenciennes,  directeur  M.  Damien. 

4.  Médaille  d'argent  offerte  par  la  Chambre  de  commerce  de  Valenciennes , 
Arthur  Gênez,  Ecole  de  Bruay,  directeur  M.  Badard. 

5.  Médaille  d'argent ,  Émile-Désiré  Quinet,  Ecole  de  Saint-Amand,  directeur 
M.  Cordonnier. 

6.  Médaille  d'argent ,  Emile  Dropsy,  École  de  Valenciennes,  directeur  M.  Da- 
mien. 

7.  Médaille  d'argent,  Gustave  AW&rt ,  Ecole  de  Notre-Dame-au-Bois ,  directeur 
M.  Lecat. 


-  125  — 

8.  Médaille  d'argent,  Achille  Dclsaut,  École  de  Thiant,  directeur  M.  Descamps. 
9"  Médaille  de   bronze ,  Adolphe    Bource ,  École  de   Bruay-TIiiers ,   directeur 

M.  Marchand. 

10.  Médaille  de  bronze,  Charles  Lebon,  Ecole  de  Bruay-TJiiers,  directeur  M.  Mar- 
chand. 

Mentions  honorables. 

1.  Paul  Carrez  ,  École  de  Bruay-Thiers,  directeur  M.  Marcliand. 

2.  Henri  Dhap,  École  de  Valenciennes,  directeur  M.  Damien. 

2.  Alfred-Jean-Baptiste  Berteau,  École  de  Curgies,  directeur  M.  Dufour. 

4.  Alfred  Delzant.  École  d'Anzin,  directeur  M.  Tison. 

5.  Henri  Fariueaux,  École  de  Sebourç,  directeur  M.  CarouUe. 

6.  Edmond-Jules  Delhaye.  École  de  Maing,  directeur  M.  Deliège. 

7.  Jean-Baptiste  Rigaux,  École  de  Denain,  directeur  M.  Deschamps. 
S.  Henri  Renard,  École  de  Vieux-Condé,  directeur  M.  Vermesch. 

9.  Alexandre  Rigaux,  École  de  Maing,  directeur  M.  Deliège. 

10.  Henri  Hémez,  École  d'Hasnon,  directeur  M.  Donné. 

11.  Julien  Cacheux,  École  de  Valenciennes,  directeur  M.  Delsart. 

12.  Gharles-.loseph  Delbart,  Ecole  de  Yieux-Condé,  directeur,  M.  Vermesch. 

Filles. 


1.  Médaille   de  vermeil  offerte  par  la  Chambre  do  commerce  de   Valenciennes, 
Laure-Marie-Louise  Quinet,  élève  de  YÉcole  communale  d'Escaudain,  dingee  par 

M""*  Deltour.  ..-nu         t^    1 

2.  Médaille  d'argent  offerte  par  la  ville  de  Valenciennes,  Leome  Gorbisez,  hcole 
de  Valenciennes,  directrice  M™"  Wallerand. 

3.  Médaille   d'argent  offerte  par  la  Chambre   de  commerce  de  Valenciennes , 
Euc^énie  Boutelier,  École  de  Vicux-Condé,  directrice  M""  Démarez 

4.  Médaille  d'argent,  Héloïse  Dhecq,  École  de  Vieux-Condé,  directrice  M""  De- 

rriâ.r6Z 

5.  Médaille   d'argent,   Emma-Louise    Bochu ,    Ecole    d'Escoudain,    directrice 

M"""  Deltour.  .  . 

6    Médaille  d'argent,  Jeanne  Mallez,  Ecole  de  Préseau,  directnce  M     Lussiez. 
7.'  Médaille  de  bronze ,  Adolphine   Thiéry,   École   de  Vieutc-Condé ,   directrice 

sœur  Boulogne.  . 

8.  Médaille  de  bronze,  Odile  Dudoignon,  Ecole  dHasnon,  directnce  M      Bracq. 

Mentions  honorables. 

1.  Marie  Fiévet,  École  d'Escaudain,  directrice  M""'  Deltour. 

2.  Marie  Pissot,  École  de  Bouchain. 

3.  Marie-Duvivier,  Ecole  de  Bouchain. 

4.  Henriette  Fiévet,  École  d'Escaudain,  directrice  M'"'  Deltour. 

5.  Claire  Derquenne,  École  de  Sebourg,  directrice  M™'  Maizierres. 

6.  Élodie  Sénéchal,  École  d'Escaudain,  directrice  M'""  Deltour. 

7.  Marie-Félicie  Dhénain,  École  d'Escaudain,  directrice  M"''  Deltour. 

8.  Anna  Héloir,  École  ae  Valenciennes,  directrice  M'"'  Givert. 

9.  Aimée  Serrez  ,  École  de  Valenciennes,  directrice  M'"*'  Wallerand. 
10.   Octavie  Tricart,  École  de  Valenciennes,  directrice  M''  '  Givert. 


-  126  — 

SECONDE    DIVISION. 
Grarcons. 


1.  Médaille  d'argent,  Alphonse  Legrand,  élève  de  VÉcole  communale  de  Saint- 
Ayhert,  directeur  M.  Caby. 

2.  Médaille  d'argent ,    Auguste    Classe,  École   rie   Chdteau-V Abbaye,  directeur 
M.  Hien. 

3.  Médaille  d'argent,  Paul  Labarrière,  École  de  Saultain,  directeur  M.  François 
4    Médaille    de  bronze,    Clovis-Joseph    Houzé ,    École    de   Sebourr/,    directeur 

M.  Caroulle. 

5.  Médaille  de  bronze,  Charles  Louis  Tissier,  Ecole  de  Valenciennes,  directeur 
M.  Lesur. 

6.  Médaille  de  bronze,  Gustave  Lemaire,  Ecole  de  Maing,  directeur  M.  Deliège. 

Mentions  honorarles. 

1.  Arthur  Moreau,  Ecole  de  Bruay,  directeur  M.  Badard. 

2.  Alphonse  Dervaux,  Ecole  de  Valenciennes,  directeur  M.  Damien. 

3.  Paul  Bracq,  École  de  Saint-Amand,  directeur  M.  Cordonnier. 

4.  Léon  Boulanger,  École  de  Saint-Vaast,  directeur  M.  Detammaker. 

5.  Henri  Bernard,  École  de  Saint-Vaast,  directeur  M.  Detammaker 

6.  Odon  Michaux,  École  de  VieuxConde,  directeur  M.  Vermesch. 

7.  Gabriel  Chienne,  École  de  Bouchain,  directeur  M.  Tellier. 

8.  Alcide  Lœuil,  École  de  Thiant,  directeur  M.  Deschamps. 

9.  Léon  Bonté,  Ecole  de  Valenciennes,  directeur  M.  Damien. 
10.  Octave  Goffart.  École  de  Préseau,  directeur  M.  Lussiez. 

Filles. 

PRIX. 

1.  Médaille  d'argent,  Marie-Octavie-Adèle  Quinet,  élève  de  VEcole  communale 
d'Escai'.dain,  directrice  M""  Deltour. 

2.  Médaille  d'argent  offerte  par  la  Société  d'Agriculture ,  sciences  et  arts  de 
Valenciennes,  Jeanne  Mariaee,  École  d'Onnainfj.  directrice  M"""  Lenne. 

3.  Médaille  de  bronze  offerte  par  la  Société  d'Agriculture  ,  sciences  et  arts  de 
Valenciennes,  Célestine    Hennequet,   Ecole  d'Escaudain,  directrice  M""   Deltour. 

Mentions    honorables. 

1.  Victorine  Dautel,  École  de  Thiant,  directrice  M"""  Hutin. 

2.  Héloïse  Hoste,  École  de  Thiant,  directrice  M""*  Hutin. 

3.  Mathilde  Moriaux,  élève  de  M'""  Jottaye. 

4.  Jeanne  DelofFre,  École   de  Valenciennes,  directrice  M'"'  Givert. 

Conférence  de  M.  Guillot. 

La  seconde  partie  de  la  séance ,  et  non  la  moins  attrayante  ,  a 
été  occupée ,  comme  il  avait  été  annoncé ,  par  une  conférence  de 
M.  Guillot. 


—  127  — 

M.  Guillot ,  qui  nous  avait  entretenus  dans  ses  précédentes  visites 
à  Valenciennes  des  diverses  parties  colonisées  de  l'Afrique  ,  nous  a 
conduits  moins  loin  cette  fois  ,  sans  que  le  voyage  accompli  en  imagi- 
nation sous  sa  conduite  fut  moins  agréable. 

M.  Guillot  a  visité  pendant  les  dernières  vacances  de  l'Université  la 
Suisse  orientale  ,  et  notamment  le  canton  des  Grisons.  Cette  partie  de 
la  confération  helvétique  est  beaucoup  moins  connue  des  Français  que 
les  cantons  plus  rapprochés  de  nos  frontières.  A  cette  circonstance 
même  ,  elle  doit  d'avoir  gardé  un  caractère  moins  cosmopolite  que  la 
Suisse  occidentale.  Elle  ne  le  cède  du  reste  en  rien  à  celle-ci ,  quant  à 
la  variété  et  à  l'intérêt  des  sites  qui  s'offrent  aux  yeux  des  touristes. 

Le  conférencier  a  commencé  à  nous  raconter  en  détail  son  voyage 
à  partir  du  moment  où  il  quitta  Lucerne  :  de  cette  ville  il  a  gagné  le 
Saint-Gothard  en  côtoyant  le  lac  des  quatre  Cantons  et  la  Reuss.  Dans 
le  canton  des  Grisons  ,  il  a  parcouru  toute  la  vallée  du  Rhin  et  celle  de 
rinn. 

Peu  d'excursions ,  semble-t-il ,  doivent  fournir  une  matière  aussi 
riche  et  aussi  variée  au  récit  du  voyageur.  La  nature  y  présente  des 
aspects  les  plus  divers  :  ici  ce  sont  d'abrupts  et  grandioses  entas- 
sements de  rochers  ,  là  de  sauvages  forêts  ou  de  riants  pâturages  sur 
les  pentes  des  montagnes  ,  ici  des  lacs  pittoresques ,  là  des  sommets 
dénudés  et  des  glaciers  mornes.  Et ,  chemin  faisant ,  les  miracles 
opérés  par  l'ingéniosité  et  le  travail  humains,  les  pontsjetés  au-dessus 
des  abîmes,  les  tunnels  creusés  à  travers  les  monts  ,  sollicitent  l'admi- 
ration à  côté  des  magnifiques  tableaux  disposés  par  les  bouleverse- 
ments terrestres. 

Si  nous  ajoutons  que  ni  les  souvenirs  historiques  ,  ni  les  légendes 
ne  sont  rares  dans  cette  partie  de  la  Suisse ,  on  comprendra  tout  le 
parti  qu'a  pu  tirer  de  ce  voyage  un  homme  tel  que  M.  Guillot ,  intelli- 
gent observateur,  narrateur  méthodique  et  précis  ,  orateur  facile  et 
élégant. 

Des  projections  à  la  lumière  oxhydrique  ont  fait  passer  sous  les 
yeux  des  assistants  les  points  de  vue  les  plus  curieux  de  la  contrée 
visitée  par  le  conférencier. 


-  128  - 


COURS  ET  CONFÉRENCES  DU  JEUDI  SOIR 

» 

A  LILLE. 

(m  exteîiso). 


LA  QUP:STI0N  du  SENEGAL 

ET  LES  VOYAGES  DU  DOCTEUR  BAYOL 

Par  M.  E.  GUILLOT , 

Professeur  agrégé  d'histoire  au  lycée  Charlemagne  , 

Membre  d'honneur  de  la  Société  de  Géographie  de  Lille , 

Secrétaire  de   la  Société  de   Géographie  commerciale  de   Paris. 


Il  est  peu  de  sciences,  qui  depuis  le  commeucement  du  siècle  aient 
subi  des  transformations  plus  profondes,  accompli  des  progrès  plus 
merveilleux  et  plus  rapides  que  la  géographie.  Longtemps  mal  apprise 
et  mal  enseignée,  réduite  le  plus  souvent  à  des  nomenclatures  avides 
et  superflues  que  ne  tempérait  aucune  description  générale  et  précise, 
elle  aenfiB-  acquis  sa  vraie  méthode  et  s'est  perfectionnée  en  s'enrichis- 
sant.  Les  grandes  découvertes  de  notre  époque  la  rectifient  et  l'éclai- 
rent.  La  colonisation,  dont  le  développement  toujours  croissant  semble 
résumer  toute  l'histoii'e  des  nations  Eui^opéennes,  durant  les  vingt  der- 
nières années  lui  apporte  des  éléments  nouveaux  et  féconds.  Aujour- 
d'hui que  la  souffrance  des  industries  nationales,  conséquence  inévi- 
table du  progrès  industriel  des  paj's  voisins,  entraîne  le  ralentissemet 
du  commerce,  il  faut  de  nouveaux  débouchés.  Les  grandes  puissances 
les  recherchent  avec  une  activité  continue  et  jalouse:  il  n'est  pas 
jusqu'aux  nations  secondaires  qui .  soit  pour  satisfaire  une  ambition 
parfois  légitime,  soit  pour  obéir  à  l'esprit  d'imitation  qui  les  tour- 
mente ne  se  croient  obligées  d'entrer  en  scène  et  d'accomplir  ça  et  là 
quelques  annexions  bruyantes. 

L'Angleterre,  il  faut  le  reconnaître,  à  la  première  donné  aux  autres 


-  129  - 

peuples,  l'exemple  de  cette  politique  avide  et  insatiable  que  chacun  s'est 
ensuite  et'tbrcé  de  pratiquer,  Maîtresse  de  son  immense  et  prospère 
colonie  des  Indes,  que  les  efforts  du  Dupleix  et  de  Lally  Tollendal  n'ont 
pu  nous  conserver,  elle  a  achevé  en  soumettant  les  Mahraltes  et  les 
Seykhs  la  conquête  de  ce  vaste  territoire  ;  depuis  1857,  elle  a  mis  à  pro- 
fit la  révolte  des  cipayes  pour  rattacher  l'Inde  à  la  couronne  par  des 
liens  plus  étroits,  mais  que  la  puissance  Moscovite  parviendra  peut-être 
un  jour  à  briser.  Les  cotes  de  l'Inde-Chine  lui  sont  en  grande  partie 
soumises  du  Brahmapoutre  à  Singapour  :  tout  récemment  encore  eUe 
annexait  la  Birmanie,  mais  c'est  en  vain  que  depuis  1866  les  expédi- 
tions anglaises  ont  tenté  en  remontant  le  Brahmapoutre.  l'Iraouddy. 
le  Salouen,  de  pénétrer  en  Chine,  et  d'attirer  vers  les  possessions  bri- 
tanniques, les  riches  produits  des  provinces  Méridionales  du  Céleste 
Empire.  L'intention  de  TAngleterre  a  d'aUleurs  depuis  quelque  temps 
été  détournée  vers  l'Asie  Centrale  par  les  progrès  menaçants  des 
Russes,  et  c'est  là  vers  les  Steppes  du  Turkestan.  vers  les  passes  de 
l'Hindou-Kouch  ou  le  pays  accidenté  de  Hérat.  que  se  décidera  un  jour 
par  les  armes  l'importante  question  de  la  conservation  ou  de  l'abandon 
de  l'Inde. 

En  Afrique,  prévenue  p^ir  nous  dans  la  vaUée  du  Haut  Niger,  l'An- 
gleterre essaie  de  commander  le  cours  inférieur  du  fleuve  par  ses  nom- 
breux établissements  delà  cote  do  Guinée. 

Le  Cap  et  ses  annexes  lui  assurent  une  situation  propondérante  dans 
l'extrême  Sud  de  l'Afrique,  mais  l'extension  de  cette  colonne  anglaise, 
semble  déjà  à  tout  jamais,  condamné,  par  l'hostilité  des  Boërs  et  les 
nouveaux  établissements  de  l'Allemagne  à  Angra  Pequena.  Chacun 
sait  quel  coup  terrible  ont  porté  à  l'orgueil  et  à  la  domination  britanni 
ques.  la  triste  fin  de  Gordon  et  l'abandon  forcé  du  Soudan  Egyptien. 

Mais  repoussée  d'un  côté  l'Angleterre ,  se  relève  toujours  d'un 
autre,  elle  n'hésite  jamais  à  maintenir  son  prestige  et  à  réparer  ses 
échecs. 

L'Australie  est  devenue  entre  ses  mains,  en  moins  d'un  siècle  une 
colonie  prospère  ;  l'annexion  des  iles  Fidji .  des  anciens  Comptoirs 
Hollandais  de  la  Nouvelle  Guinée,  les  progrès  de  la  Nouvelle  Zélande 
ont  assuré  àl'influence  Britannique,  une  extension  jugée  cependant 
insuffisante  par  les  colonies  Australiennes,  puisque,  dans  leur  avidité 
vraiment  choquante,  elles  auraient  voulu  la  voir  étendre,  à  tous  les 
archipels  Océaniens  inoccupés  jusqu'à  ce  jour.  Si  l'on  joint  à  ces  im- 
menses conquêtes  l'incorporation  dans  le  Dominion  of  Canada  de  toutes 


—  iso- 
les Colonies  Britanniques  de  rAmérique  Septentrionale,  il  est  facile  de 
voir  combien   l'influence  anglaise,   déjà  attaquée  mais  non  anéantie 
prédomine  encore  sur  les  différents  rivages  des  di\  erses  parties  du 
monde. 

Tout  autre  a  été  la  politique  moscovite:  Loin  de  s'établir  un  peu  par- 
tout à  la  surface  du  globe,  la  Russie,  poussée  par  robligation  fatale  de 
substituer  aux  contrées  glacées  qu'elle  occupe  des  pays  plus  favorisés 
au  point  de  vue  du  climat  et  des  productions,  fidèle  d'ailleurs  aux  prin- 
cipes de  Pierre  Le  Grand  qui  inspirent  encore  ses  agrandissements 
de  chaque  jour,  la  Russie  cherche  à  grouper  autour  de  ses  possessions 
Européennes  des  parcelles  destinées  à  former  un  jour  un  vaste  empire 
Asiatique.  Dans  ce  siècle,  elle  a  franchi  le  Caucase,  occupé  les  vallées 
du  Kour  et  de  l'Aras,  reprimé  le  révolte  de  Schamyl  dans  la  Caucase, 
démembré  l'Arménie  dont  elle  réclame  encore  quelque  lambeau.  Aux 
villes  maritimes  de  la  Sibérie  Orientale  que  les  glaces  bloquent  six  à 
huit  mois  de  l'année,  elle  a  joint  le  fertile  territoire  de  l'Amour  et  les 
ports  déjà  meilleurs  de  Nicolaiewsk  et  de  Vladivostok,  enfin  depuis  un 
demi  siècle,  dans  le  Turkestan,  sa  marche  est  foudroyante.  La  prise  de 
Tachkend,  de  Khokand,  de  Samarcand,  de  Khiva,  de  Géoktépé,  de 
Merv,  marquent  les  étapes.  Hier  les  Russes  occupaient  Merv  :  aujour- 
d'hui ils  veulent  Saraks  et  Pendjeh  ;  demain  ils  réclameront  Hérat  la  clef 
de  l'Afghanistan,  puis  l'Afghanistan  le  boulevard  de  l'Inde. 

En  présence  de  cette  extension  continue  et  menaçante  de  deux 
grandes  nations,  la  Russie  et  l'Angleterre,  des  puissances  même  secon- 
daires n'ont  pas  cru  devoir  se  désintéresser  de  ce  grand  mouvement 
d'expansion  coloniale,  dont  l'activité  redouble  chaque  jour. 

L'Espagne,  malgré  ses  pertes  du  commencement  du  siècle  non  encore 
oubliées,  réduite  aujourd'hui  à  quelques  débris  de  son  ancienne  domi- 
nation maritime,  surveille  avec  une  avidité  jalouse,  le  Maroc  sur 
lequel  elle  suppose,  grâce  à  ces  possessions  des  Présides,  avoir  acquis 
des  droits  que  lui  contestera  peut-être  l'Allemagne.  Le  Portugal, 
réduit  lui  aussi,  dans  ses  possessions  extérieures,  s'est  effo'^cé  de  faire 
revivre  d'anciens  droits  sur  le  cours  inférieur  du  Congo,  tandis  que  la 
Hollande  se  contente  du  fructueux  commerce  de  ses  colonies  de 
Malaisie. 

Frustrés  de  la  Tunisie  et  n'osan<:  encore  s'établir  à  Tripoli,  les  Ita- 
liens occupent  à  grand  bruit  Assab,  Massaouah,  et  engagent  avec  le 
royaume  de  Choa  des  négociations  peu  désintéressées,  mais  peu  fruc- 
tueuses jusqu'à  ce  jour. 


-  131  - 

Enfin  l'Allemagne  elle-même,  qui  semblait  jusqu'à  pr<'^sent,  se  tenir 
pour  ainsi  dire  à  l'écart,  a  voulu  en  s'associant  à  celte  politique  colo- 
niale, ouvrir  un  champ  immense  à  ses  éraigrants.  Chaque  occupation 
qu'elle  accomplit  semble  d'ailleurs  destinée  à  gêner  ses  voisins.  Par 
Porto-Seguro  elle  a  pris  pied  sur  la  côte  de  Guinée  à  côté  de  l'Angle- 
terre. D'Angra-Pequena  elle  surveille  la  colonie  du  Cap.  Camerouns 
lui  permettra  de  pénétrer  dans  les  régions  encore  peu  connues  de 
l'Afrique  centrale  ;  les  événements  de  l'avenir  nous  montreront  quel 
doit  être  son  rôle  au  Congo  où  elle  occupe  Noki  ;  elle  s'est  établie  sur 
la  côte  orientale  d'Afrique  malgré  le  sultan  de  Zanzibar  dont  elle 
semble  convoiter  la  riche  succession,  et  à  fondé  des  établissements  en 
Nouvelle-Guinée. 

Ce  mouvement  de  conquêtes  pacifiques,  d'expansion  à  l'extérieur  a 
eu  naturellement  son  écho  en  France  et  il  a  rencontré  dans  notre 
pays  beaucoup  d'adversaires,  bien  des  sceptiques  et  quelques  partisans. 
Les  uns  se  desintéressant  absolument  de  ce  qui  se  passe  à  l'étran- 
ger, estiment  que  l'idée  de  la  revanche  doit  empêcher  toute  inter- 
vention active  au  dehors  :  les  luttes  politiques  et  les  questions 
intérieures  leur  semblent  d'ailleurs  moins  dangereuses  que  des 
agrandissements  jugés  par  eux  ou  inutiles  ou  funestes.  D'autres,  sans 
condamner  en  principe  des  acquisitions  dont  le  but  est  de  modérer 
l'influence  des  nations  voisines  et  de  relever  notre  commerce ,  ne 
croient  point  au  succès  de  cette  politique  :  les  événements,  il  faut  bien 
l'avouer  semblent  parfois  leur  donner  raison,  lorsqu'ils  allèguent  la 
lenteur  de  la  colonisation  dans  l'Algérie  à  peine  pacifiée,  les  erreurs 
de  l'expédition  Tunisienne  ,  les  dépenses  faites  pour  le  Sénégal,  les 
difficultés  que  nécessitent  la  sauvegarde  de  nos  droits  à  Madagascar, 
le  protectorat  de  l'Annam  et  l'occupation  du  Ton-Kin.  Sans  doute  des 
fautes  ont  été  commises,  et  Thistoire  de  ces  conquêtes,  qui  est  encore  à 
faire,  attribuera  un  jour  à  chacun  sa  juste  part  de  responsabilité.  Mais 
la  France  ne  doit  pas  rester  stationnaire  sous  peine  de  déchoir  au 
moment  surtout  où  se  révèle  l'activité  de  tous  les  peuples  civihsés. 
Sans  poursuivre  de  parti  pris  des  annexions  stériles  ou  exagérées, 
sans  même  acquérir  des  droits  nouveaux  elle  doit  pour  son  honneur, 
pour  son  industrie,  pour  son  commerce  soutenir  au  moins  ceux  qu'elle 
possède,  et  par  une  politique  prudente,  modérée  mais  ferme  et  résolue 
quand  les  circonstances  l'exigent,  assurer  le  développement  pacifique 
de  son  influence  extérieure. 

Telle  est  l'opinion  de  quelques-uns  qui,  mieux  inspirés  selon  nous, 


^132- 

et  guidés  par  une  appréciation  plus  judicieuse  de  nos  intérêts  natio- 
naux, sans  préconiser  de  parti  pris  les  annexions  lointaines,  veulent 
du  moins  que  la  France  conserve  son  rang  parmi  les  nations,  qu'elle 
renonce  à  cette  politique  d'hésitations  et  d'attermoiements  dont  les 
tristes  résultats  nous  sont  aujourd'hui  connus,  et  qu'elle  arrête  enfin, 
par  une  diplomatie  habile,  par  des  occupations  sagement  prémédi- 
tées ,  énergiquement  accomplies  quand  elles  auront  été  reconnues 
nécessaires,  les  progrès  singulièrement  envahissants  de  l'Angleterre 
dans  le  passé  et  le  présent,  de  l'Allemagne  dans  l'avenir. 

Les  différents  gouvernement  qui  se  sont  succédé  depuis  1815  dans 
noire  pays  se  sont  associés,  plus  souvent  par  nécessité  politique  que 
par  ambition  personnelle  au  grand  mouvement  colonial  qni  est  devenu 
un  des  faits  généraux  les  plus  importants  de  notre  siècle.  La  restaura- 
tion avait  par  la  prise  d'Alger  connnencé  l'acquisition  d'une  colonie 
nouvelle  :  la  monarchie  de  Juillet  a  continué  et  étendu  cette  conquête  . 
grâce  à  elle  aussi  le  protectorat  Français  a  été  imposé  à  plusieurs 
Archipels  océaniens.  Le  second  Empire  malgré  ses  sxpéditions  stériles 
ou  funestes  nous  a  donné  la  Cochinchine,  région  malsaine  mais  posi- 
tion d'une  importance  capitale  autour  de  laquelle  se  forme  aujourd'hui 
le  vaste  empire  colonial  que  Dupleix  avait  jadis  rêvé  d'établir  dans 
l'Inde.  Nos  possessions  du  Sénégal  ont  commencé  à  se  développer  sous 
l'intelligente  administration  du  colonel  Faidherbe.  Enfin  la  Nouvelle- 
Calédonie  occupée  a  remplacé  la  Guyane  comme  colonie  péniten- 
tiaire. 

Mais  c'est  surtout  depuis  quinze  ans  que  les  entreprises  coloniales 
ont  passé  pour  ainsi  dire  à  l'ordre  du  jour  ;  des  questions  nouvelles 
sont  nées,  quelques-unes  résolues  aujourd'hui  à  la  satisfaction  de  la 
-France,  d'autres  attendant  une  solution  qui  s'impose  et  que  l'on 
s'efforce  vainement  d'éviter  en  la  retardant. 

Le  Tonkin.  déjà  pris  en  1873,  et  si  misérablement  évacué  à  cette 
époque,  vient  d'être  reconquis,  à  quel  prix  il  est  vrai  !  mais  d'une  façon 
définitive  :  le  Cambodge  annexé  ;  l'Annam  a  subi  notre  protectorat  : 
la  Chine  elle-même  longtemps  hostile,  à  dû  reconnaître  l'établissement 
de  notre  influence  dans  ces  régions.  L'occupation  de  la  Tunisie  a  donné 
à  l'Algérie  son  annexe  naturelle  :  les  intérêts  français  ont  été  sauve- 
gardés au  Maroc,  Notre  colonie  de  Gabon  grâce  aux  entreprises  paci- 
fiques de  M.  de  Brazza  s'est  étendue  jusqu'à  l'Ogooué  et  au  Congo  et 
nous  assure  une  position  importante  dans  l'Ouest  Africain.  Au  débou- 
ché de  la  Mer-Rouge,  Obock  situé  sur  la  route  des  Indes,  peut,  si  nous 


—  133  — 

le  voulons,  devenir  un  port  rival  d'Aden.  A  Madagascar  où,  le  drapeau 
français  a  été  planté  pour  la  première  fois  il  y  a  deux  siècles  et  demi, 
la  France  a  constamment  hésité.  Elle  a  sans  cesse  foud<)  sur  ses  côtes 
des  comptoirs  évacués  ensuite  puis  réoccupés  pour  être  abandonnés 
encore.  Le  traité  qui  a  été  récemment  conclu  entre  les  Howas,  sans 
être  exempt  de  reproches,  peut  si  le  gouvernement  en  poursuit  sin- 
cèrement et  fermement  l'application,  nous  donner  les  avantages  que 
nous  sommes  en  droit  d'attendre.  A  toutes  ces  questions  du  Tonkin,  de 
la  Tunisie,  du  Congo,  de  Madagascar  est  venue  s'en  ajouter  une 
autre,  celle  du  Sénégal  ou  pour  mieux  dire,  du  Soudan,  à  laquelle  se 
rapportent  tant  d'expéditions  et  de  voyages  remarquables.  Dans  cette 
partie  de  l'Afrique  nous  avons  prévenu  l'Angleterre  qui,  par  ses 
missions  envoyées  de  Sierra-Leone,  a  vainement  essayé  de  dominer 
dans  la  vallée  du  Haut-Niger.  Notre  pavillon  flotte  aujourd'hui  à 
Bamakou  et  une  canonnière  française  descend  le  fleuve.  Mais  avant 
d'obtenir  ce  résultat,  que  d'hésitations,  que  de  fautes  commises  !  que 
de  découragement  succédant  à  des  espérances  brillantes  1  Et  finale- 
ment que  d'efforts  à  accomplir  encore  pour  arriver  au  but  et  pour  faire 
de  notre  Colonie  ce  qu'elle  doit  être,  le  débouché  naturel  des  pro- 
duits du  Soudan! 

C'est  à  Colbert  que  remonte  l'origine  de  notre  colonie  du  Sénégal, 
mais  il  n'est  pas  de  comptoirs  qui  aient  été  plus  délaissés  et  traités 
avec  plus  d'indifférence.  Longtemps  la  domination  française  ne  .s'est 
étendue  qu'à  quelques  stations  maritimes  telles  que  Saint-Louis  et 
Gorée.  Perdu  en  partie  au  désastreux  traité  de  Paris  (1763)  le  Sénégal 
nous  fut  rendu  à  celui  de  Versailles  (1783)  ;  repris  par  l'Angleterre 
pendant  les  guerres  de  la  République  il  nous  fut  restitué  en  1814,  mais 
pour  être  plus  négligé  encore  qu'auparavant.  En  vain  de  hardis  voya- 
geurs pénétrant  dans  l'intérieur  exploraient  les  régions  qu'arrosent  la 
Gambie,  la  Falémé  et  le  Niger;  Mungo  Park  atteignait  Ségou  et  des- 
cendait le  grand  fleuve  Soudanien  où  il  devait  rencontrer  une  fin  si 
déplorable;  Caillié,  parti  du  rlio-Nunez  s'avançait  jusqu'à  Tombouctou 
et,  traversant  le  grand  désert,  atteignait  le  Maroc  après  un  long  et 
pénible  trajet. 

Ces  voyages  n'attirèrent  point  l'attention  du  Gouvernement  sur  le 
Sénégal  et  jusqu'en  185i  aucun  efibrt  sérieux  ne  fut  fait  pour  déve- 
lopper cette  colonie.  Aussi  sa  situation  était-elle  déplorable.  Depuis 
1818  dix-sept  gouverneurs  et  quinze  intérimaires  s'étaient  succédé , 
trop  rapidement  à  coup  sûr,  pour  pouvoir  exécuter  une  entreprise 


-  134  - 

durable  ou  former  un  projet  sérieux  :  les  rares  colons  menaient  une 
existence  précaire  et  troublée  par  des  transes  perpétuelles  ;  les  Maures 
cantonnés  au  nord  du  Sénégal  franchissaient  fréquemment  le  fleuve  et 
pillaient  sans  cesse  nos  comptoirs.  Aucune  sûreté  autour  des  villages  : 
l'anarchie  était  à  son  comble.  Les  chefs  indigènes,  profitant  de  la  ter- 
rem*  qu'ils  inspiraient,  prélevaient  des  impôts  humiliants,  dont  les  moins 
vexatoires  n'étaient  certainement  pas  les  tonneaux  d'eau-de-vie  qu'ils 
demandaient  pour  eux  et  leur  famille.  Enfin  ,  danger  plus  terrible  ,  un 
immense  effort  était  fait  parle  marabout  Sénégalais  El-Hadj-Omar  pour 
détruire  avec  toutes  les  forces  fanatisées  de  l'Islam,  les  Etats  nègres 
encore  idolâtres  et  jeter  à  la  mer  les  Européens  des  côtes. 

Un  homme  énergique  en  même  temps  qu'un  patriote  convaincu,  —  il 
devait  le  prouver  plus  d'une  fois  dans  sa  carrière,  —  Faidherbe  entre- 
prit de  mettre  fin  à  une  situation  devenue  intolérable ,  d'arrêter  les 
invasions  menaçantes  et  loin  de  céder  du  terrain,  d'étendre  nos  comp- 
toirs sur  les  côtes  et  dans  le  Haut-Fleuve,  vers  le  Niger ,  but  de  nos 
efforts,  où  flotte  enfin  aujourd'hui  le  pavillon  de  la  France.  Par  sa  lutte 
contre  les  Maures  et  les  Toucouleurs  .  par  les  fondations  et  les 
annexions  accomplies,  par  la  conduite  qu'il  a  tracée  à  ses  successeurs 
Faidherbe  est  et  doit  être  considéré  comme  le  véritable  fondateur  de 
notre  colonie  du  Sénégal. 

Bakel  était  en  1854  notre  dernier  poste  sur  le  Haut-Fleuve  et  son 
état  ne  permettait  guère  d'envisager  avec  confiance  l'éventualité  d'un 
siège  :  une  enceinte  dégradée  autour  du  fort  ;  une  garnison  indigène 
peu  sûre  ;  les  aff"ûts  hors  de  service  ;  des  approvisionnements  insuffi- 
sants ;  pas  de  chirurgien  ;  la  population  du  village  était  en  proie  à 
l'épouvante  car  El-Hadj-Omar  venait  de  massacrer  les  habitants  d'une 
bourgade  voisine  :  les  corps  sans  tête  étaient  charriés  par  les  eaux  du 
fleuve  devant  Bakel  et  les  bandes  ennemies  apparaissaient  à  une  petite 
distance,  le  fusil  sur  l'épaule,  psalmodiant  les  versets  du  coran  d'une 
voix  sinistre.  On  sait  quel  courage  montra ,  on  cette  difficile  circons- 
tance, le  capitaine  Faidherbe.  L'eau  du  fleuve  baissait  rapidement  et  le 
commandant  du  bateau  «  le  Basilic  »  était  obligé  de  redescendre  à 
«  St-Louis.  «  Partir  d'ici  en  un  pareil  moment  serait  pour  moi  quitter 
«  un  champ  de  bataille  lorsque  la  lutte  va  s'engager  ;  nous  ne  serons 
«  pas  partis  de  vingt-quatre  heures  que  le  poste  seia  enlevé  et  notre 
«  domination  fortement  compromise  Je  vais  vous  donner  une  lettre  pour 
«  le  Gouverneur  et  je  reste.  Si  vous  pouvez  remonter  le  fleuve  et  amener 


-  135  - 

«  les  renforts  que  je  demande  ,  je  redescendrai  avec  vous  à  St-Louis  ; 
«  sinon  je  partagerai  le  sort  de  la  garnison  (1).  » 

Faidherbe  mît  le  [)oste  en  état  de  défense  et  par  sa  fière  attitude 
rassurant  la  garnison  il  empêcha  El-Hadj-Omar  d'attaquer  Bakel 
jusqu'à  l'arrivée  des  renforts. 

Devenu  Gouverneur  du  Sénégal,  Faidherbe  résolût  l'année  suivante, 
(1855)  pour  étendre  la  domination  française  d'établir  un  poste  fortifié  à 
Médine  à  260  lieues  de  la  côte.  Le  fort  était  à  peine  achevé  et  armé,  que 
El-Hadj-Omar  exalté  par  ses  succès  vint  l'assiéger  avec  25,000 
hommes  aguerris.  On  connaît  les  émouvantes  péripéties  de  ce  siège 
mémorable  qui  dura  97  jours,  et  qu'a  peut-être  égalé  sans  le  dépasser 
le  siège  récent  de  Thuan  Quan.  Les  ennemis  firent  des  brèches 
énormes  qui  furent  bouchées  par  leurs  propres  cadavres  ;  le  18  juillet 
1856  les  défenseurs  de  Médine  n'avaient  plus  guère  qu'un  coup  de  fusil 
à  tirer  chacun,  et  une  vingtaine  de  gargousses  ;  les  vivres  étaient  com- 
plètement épuisés,  le  commandant  du  fort,  Paul  Holl,  un  vieux  traitant 
mulâtre  énergique  et  mteUigent,  avait  tout  préparé  pour  faire  sauter  le 
fort  avec  les  gargousses  qui  restaient. 

Tout  à  coup  des  détonations  retentirent  vers  l'ouest.  C'était  le  Gou- 
verneur du  Sénégal,  lui-même,  qui  profitant  de  la  première  crue  du 
fleuve,  avec  un  bateau  d'un  faible  tirant  d'eau  n'ayant  que  dix  centi- 
mètres d'eau  sous  la  quille,  mais  chauffé  à  toute  vapeur  bravait  tous  les 
obstacles  pour  atteindre  le  poste  qu'il  avait  créé  et  dont  il  était  sans 
nouvelles  depuis  plusieurs  mois.  Médine  était  sauvé  ;  El-Hadj-Omar 
vaincu  dans  un  sanglant  combat  se  retira  vers  le  Bambouk  et  renonça 
bientôt  à  la  lutte  contre  nous. 

Délivré  de  cet  adversaire,  le  colonel  Faidherbe  fit  aux  Maures  une 
rude  guerre  et  les  cantonna  sur  la  rive  droite  du  fleuve.  Il  fit  construire 
les  postes  de  Matam,  Rufisque  ,  Portudal,  Joal,  le  magnifique  port  de 
Dakkar  avec  les  trois  phares  qui  en  éclairent  les  approches.  Il 
soumît  le  royaume  de  Cayor  pour  assurer  les  communications  entre 
St-Louis  etGorée,  et  mît  en  bon  état  nos  comptoirs  des  rivières  du  sud. 
Des  améliorations  nécessaires  :  routes,  ponts,  phares,  lignes  télégra- 
phiques, communications  régulières  avec  l'Europe  furent  établies  dans 
la  colonie.  On  fit  des  plantations  d'arbres,  des  jardins  d'essai  et  la 


(1)  Faidherbe  —  Le  Soudan  Français  —  V  partie.  —   Bulletin  de  la  Société  de 
Géographie  de  Lille. 


—  136  — 

production  de  l'arachide  commença  à  se  développer.  Enfin,  Faidherbe 
inaugurait  l'exécution  du  projet  qu'il  avait  formé  de  relier  le  Sénégal 
au  Niger  par  des  postes  dont  il  indiquait  l'oniplacemeut.  Le  lieutenant 
de  vaisseau  Mage  et  le  D*"  Quintin,  envoyés  en  mission  à  Ségou  sur  le 
Niger,  furent  bien  accueillis  par  le  fils  et  successeur  d'El-Hadj-Omar, 
le  sultan  Ahmadou. 

La  situation  était  donc  bien  changée  lorsqu'on  1864  Faidherbe. 
ayant  reçu  un  avancement  mérité,  dut  revenir  en  France.  Ses  deux 
premiers  successeurs  maintinrent  la  colonie  dans  le  statu  quo  se  bor- 
nant à  réprimer  quelques  révoltes  dans  le  Cayor  et  les  rivières  du  sud. 

En  1876,  le  colonel  d'infanterie  de  marine  Brière  de  l'Isle  fut  nommé 
Gouverneur  du  Sénégal,  et  secondé  par  l'amiralJauréguiberry,  ministre 
de  la  marhie,  prit  à  cœur  l'importante  mission  qu'on  lui  confiait.  C'est 
le  moment  où  l'ingénieur  Duponchel  et  l'explorateur  Soleillet  venaient 
de  former  le  projet  hardi,  mais  chimérique  et  certainement  prématuré, 
de  réunir  par  une  voie  ferrée  l'Algérie  au  Niger  et  au  Sénégal. 

Tandis  que  des  expéditions  partaient  d'Algérie  et  n'aboutissaient, 
après  bien  des  efforts,  qu'au  désastre  douloureux  de  la  mission  Flatters, 
M.  Legros,  inspecteur  général  des  travaux  maritimes,  était  chargé 
d'étudier  les  moyens  d'étendre  notre  domination  jusqu'au  Niger  et  des 
expéditions  s'organisaient  pour  rechercher  les  itinéraires  les  plus  favo- 
rables à  l'établissement  d'une  voie  ferrée  dans  les  contrées  du  Haut- 
Sénégal.  Nous  touchons  ici  au  rôle  actif  et  brillant  que  joua  le  D""  Bayol 
dans  les  missions  qui  furent  alors  formées.  11  convient  donc  de  dire 
quelques  mots  de  l'éminent  explorateur  dont  les  voyages  font  le  sujet 
de  cette  brève  étude  et  qui  a  consacré  son  activité,  ses  efforts,  son  exis 
solution  de  cette  question  du  Sénégal  et  du  Soudan. 

Jean-Marie  Bayol  est  né  le  24  décembre  1849,  à  Eyguières  (Bouches- 
du-Rhône).  Il  fit  toutes  ses  études  au  lycée  de  Nîmes,  où,  quoique  bien 
jeune  encore,  il  sentit  se  révéler  ses  goûts  pour*  la  Géographie  et  les 
voyages.  Il  eut  d'ailleurs  la  bonne  fortune  de  suivre  les  leçons  d  un 
excellent  maître  qui  a  formé  depuis  d'excellentsi  élèves,  M.  Brunel, 
aujourd'hui  inspecteur  d'académie  en  résidence  à  LiDe.  Devenu  élève 
de  la  faculté  de  Montpellier  il  suivit  les  cours  de  médecine  et  obtint  le 
le  grade  de  docteur. 

En  1869,  il  était  nommé  médecin  de  la  marine  et  c'est  en  cette 
qualité  qu'il  fit  de  1875  à  1877  à  bord  de  «  la  Vénus  »  une  campagne 
sur  la  côte  occidentale  d'Afrique.  Il  visita  le  Sénégal,  les  comptoirs 
de  la  Guinée  septentrionale,  le  Gabon,  le  Congo  et  la  Guinée  Por 


:-  i.-n  - 

tugaise.  Après  avoir  exploré  le  cours  du  Corao  et  du  Romboé  qui 
se  déversent  dans  l'estuaire  du  Gabon,  il  remonta,  presque  jusqu'à  sa 
source,  la  rivière  O'Bélo,  et,  animé  déjà  de  ces  sentiments  humanitaires 
et  pacifiques  qu'il  a  toujours  montrés,  il  sauva  sur  ses  bords  une  jeune 
fille  accusée  do  sortilège  que  l'on  allait  exécuter.  Arrivé  au  Sénégal 
en  mars  1879,  il  fut  bientôt  nommé  résident  à  l'amakou  sur  le  Niger 
et  parlit  en  1880,  avec  la  mission  Gallieni,  pour  occuper  son  poste.  Le 
combat  de  Dio  modifia  les  plans  primitivement  adoptés.  Bayol  dut 
revenir  à  St-Louis  apprendre  au  Gouverneur  le  guet-apens  dont  l'ex- 
pédition avait  failli  être  victime.  11  explora,  en  1881,  le  Fouta  Djallon 
et.  après  de  longs  palabres,  il  fit  accepter  par  l'Alraamy  à  Timbo  un 
traité  de  protectorat.  En  1883,  il  reçut  la  mission  de  traiter  avec  les 
différents  chefs  du  Grand  Bélédougou,  mission  délicate  et  dangereuse 
car  elle  inaugurait  un  revirement  de  politique.  On  renonçait  désor- 
mais à  l'alliance  des  Toucouleurs  qui  nous  avaient  Joués  pour  acquérir 
celle  des  Bambarras  qui  nous  avaient  combattus.  Le  D*"  Dayol  s'ac- 
quitta de  sa  tâche  avec  un  entier  succès.  Il  s'avança  jusqu'à  Mourdia  et 
parvint,  non  sans  difficulté,  à  faire  accepter  aux  chefs  Bambarras  le 
protectorat  de  la  France.  En  récompense  de  ces  brillants  services, 
il  fut  nommé  (1884)  lieutenant-gouverneur  du  Sénégal  avec  la  haute 
surveillance  sur  toutes  les  rivières  du  sud.  Tel  est,  dans  sa  plus  grande 
simplicité,  le  résumé  de  cette  carrière  si  courte  et  déjà  si  bien 
remplie . 

Au  physique,  le  D""  Bayol  est  de  petite  taille,  très  brun,  comme  un 
vrai  méridional  ;  l'œil  est  vif  et  cependant  très  doux  :  la  physionomie 
exprime  à  la  fois  la  bienveillance  et  l'énergie.  Affable  avec  tous  ceux 
qui  l'approchent,  il  ne  cherche  qu'à  leur  être  utile.  A  Lille,  où  j'ai  eu 
l'honneur  de  le  connaître,  et  où  des  rapports  d'afî'ectueuse  sympathie 
l'unissent  au  digne  Président  de  la  Société  de  Géographie  ,  M.  Paul 
Crépy  et  à  sa  famille,  le  D'  Bayol  ne  compte  que  des  admirateurs  et 
des  amis.  Causeur  agréable  et  spirituel,  il  a  cette  finesse  et  ce 
naturel  qui  dissimulent  le  vrai  talent  sous  une  simplicité  aimable  et 
sous  une  franche  gaîté.  Par  dessus  tout  il  a  le  culte  de  la  famille  ;  c'est 
d'ailleurs,  il  faut  le  dire,  une  quahté  qui  se  retrouve  chez  tous  les 
éminents  explorateurs.  Quand  eu  1882  M.  de  Brazza  vint  dans  le  nord 
de  la  France  réclamer  l'appui  de  l'opinion  publique  pour  la  mission 
qu'il  brûlait  d'accomplir,  il  répondait  aux  féhcitations  méritées  qui  lui 
étaient  adressées  de  toutes  parts  eu  reportant  tout  l'honneur  de  son 
succès  sur  sa  mère  vénérée  qui  l'avait  soutenu  de  sa  fortune  et  de  ses 

10 


-  138  — 

encouragements,  et,  après  sa  conférence,  il  nous  priait  de  lui  faire 
connaître,  sans  retard,  l'accueil  enthousiaste  qui  avait  été  fait  à  son 
fils  dans  la  grande  cité  du  Nord.  Chez  le  Docteur  Bayol  nous  retrou- 
vons la  même  sensibilité  familiale,  la  même  affection  pour  les  siens, 
sentiment  si  louable  d'ailleurs  et  qui  vient  tempérer  d'une  façon  si 
heureuse  l'énergie  de  l'explorateur.  11  semble  que  tous  les  grands 
voyageurs,  exilés  au  loin,  exposés  aux  privations  et  à  des  dangers  sans 
nombre  soient  amenés  à  se  reporter,  par  un  retour  nécessaire  et  cons- 
tant, de  la  pensée  vers  tous  ceux  qui  leur  sunt  chers,  et  à  trouver  dans 
ce  souvenir  délicieux  comme  un  allégement  à  leurs  fatigues  et  un 
encouragement  pour  leurs  travaux. 

Vers  la  lin  de  1879  la  construction  de  lignes  ferrées  au  Sénégal  était 
chose  résolue,  de  nombreuses  missions  furent  immédiatement  orga- 
nisées pour  étudier  leur  futur  tracé. 

On  s'occupa  d'abord  de  la  section  de  St-Louis  à  Dakkar,  de  beaucoup 
la  plus  nécessaire.  Le  Sénégal  est  obstrué  à  son  embouchure  par  une 
barre  dangereuse  qui ,  en  se  déplaçant ,  forcé  les  navires  à  attendre 
souvent  plusieurs  semaines  avant  de  pouvoir  remonter  à  St-Louis  ou 
descendre  de  ce  port  jusqu'à  la  mer.  A  Dakkar,  la  rade  est  au  contraire 
magnifique  et  sûre  :  c'est  là  que  s'arrêtent  les  paquebots  de  France.  La 
ligne  qui  doit  joindre  ces  deux  points  a  été  reconnue  d'une  exécution 
facile.  Un  traité  signé  le  10  septembre  1879  avec  le  damel  du  Cayor 
a  autorisé  sa  construction  que  n'ont  guère  interrompue  les  troubles 
survenus  il  y  a  peu  de  temps  dans  la  contrée.  Les  travaux  poussés 
avec  activité  ont  permis  d'inaugurer,  toute  cette  voie  si  importante 
et  depuis  si  longtemps  désirée. 

Trois  missions  furent  chargées  d'étudier  le  tracé  de  Saint-Louis  à 
Médine  le  long  du  fleuve  et  dans  Tintérieur  du  pays.  M.  Piétri  explora 
un  pays  plat,  d'un  accès  facile  et  dont  la  population  très  clairsemée  se 
montrait  favorable  à  nos  projets. 

Le  Plateau  du  Ferlo  fut  visité  par  M.  Monteil  et  ie  projet  de 
construction  d'une  voie  ferrée  à  travers  cette  contrée  pauvre,  cou- 
verte de  mares  et  dépourvue  de  bois  de  construction,  futvîte  écarté. 
M.  Jacquemart  traversa  en  longeant  le  Sénégal  une  plaine  inondée 
périodiquement  par  les  eaux  du  fleuve  et  d'une  fertilité  extrême  :  le 
bois  ne  manque  pas  ;  les  habitants  du  Toro  sont  favorables  ;  leur  chef 
qui  a  visité  l'exposition  de  1878  professe  pour  nous  une  sincère 
amitié  !  mais  l'hostilité  se  manifeste  à  mesui'e  qu'on  avance  vers 
Médine  ;  chez  les  Toucouleurs  c'est  de  la  haine  ;  un  chef  osa  déclarer 


-  139  - 

à  la   mission  que  tous  les  habitants  émigreraieiit  si  l'on   songeait  à 
construire  un  chemin  de  fer  ou  un  télégraphe. 

Ces  difficultés,  déjà  sensibles,  devaient  devenir  plus  grandes  encore 
pour  les  expédi lions  qui  ont  sillonné  le  pays  entre  Mèdine  et  le  Niger. 
A  la  fin  de  1879,  le  capitaine  Gallieni,  accompagné  du  lieutenant 
ValL'ère  remontait  le  Sénégal  et  un  peu  plus  tard  des  ouvriers  amenés 
de  Saint-Louis  commençaient  le  fort  de  Bafoulabé  au  confluent  du 
Bafing  et  du  Bakoy  ;  une  j'oute  fut  même  entreprise  afin  de  le  relier  à 
Médine.  Pour  la  première  fois  depuis  Faidherbe  la  domination  Fran- 
çaise faisait  un  pas  nouveau;  on  résolut  de  pénétrer  jusqu'au  Soudan, 
de  passer  des  traités  avec  les  différents  chefs  indigènes  depuis  Médine 
jusqu'au  Niger,  et  surtout  avec  le  roi  du  Ségou ,  Ahmadou  dont 
l'influence  avait  été  jusqu'alors  prépondérante. 

M.  le  capitaine  d'infanterie  de  marine  Gallieni  fut  placé  pai*  M  le 
gouverneur  Brière  de  l'Isle  à  la  tête  de  l'expédition.  Il  avait  avec  lui 
MM.  Pietri  et  Vallière  déjà  connus  par  d'utiles  explorations  dans  le 
Haut-Sénégal  ;  M.  le  docteur  Tautain,  aide-médecin  de  la  marine  ; 
M.  le  docteur  Bayol,  médecin  de  1'^  classe  de  la  marine  accompagnait 
l'expédition  en  qualité  de  médecin-major ,  et ,  arrivé  à  Bamakou, 
devait  y  résider  comme  représentant  du  gouvernement  français.] 

La  mission  partit  le  30  janvier  1880  de  Saint-Louis  et  se  compléta  à 
Bakel  :  elle  comprenait  132  hommes  dont  5  officiers.  Elle  passa  à 
Médine,  Bafoulabé,  fut  bien  reçu  dans  le  pays  de  Kita  ou  un  traité  fut 
signé  après  de  longues  négociations  avec  le  chef  principal  de  la  con- 
trée. Tout  semblait  donc  présager  une  marche  heureuse  et  rapide, 
lorsque  le  11  mai,  vers  le  village  fortifié  de  Dio,  à  45  kilomètres  envi- 
ron du  Niger,  se  produisit  la  désastreuse  attaque  qui  faillit  compro- 
mettre singuUèrement  le  sort  de  la  mission.  Les  Bambarras  qui  habi- 
tent le  Bélédougou  faisaient  depuis  longtemps  une  guerre  acharnée 
aux  Toucouleurs.  Quand  ils  surent  qu'un  convoi  considérable  de  plus 
de  200  bêtes  de  somme  traversait  leur  pays  chargé  de  présents  pour 
Ahmadou  leur  ennemi  mortel,  ils  ne  purent  résister  au  désir  de  l'en- 
lever. Tous  les  membres  de  la  mission  firent  courageusement  leur 
devoh'.  Le  capitaine  Gallieni  après  avoir  vu  tomber  la  moitié  de  ses 
hommes  armés,  malgré  les  pertes  terribles  que  nos  fusils  perfectionnés 
infligeaient  aux  assaillants,  prit  le  parti  de  leur  abandonner  son  convoi 
ei  de  se  retirer  vers  le  Niger  en  combattant.  La  poursuite  des  Bam- 
barras dura  sept  heures  à  travers  un  pîxys  accidenté  et  mal  connu. 
Au  passage  d'une  rivière  le  docteur  Bayol  faillit  périr  et  fut  sauvé  par 


-  liO  — 

son  domestique  nègre.  Enfin  après  une  marche  des  plus  pénibles  on 
atteignit  le  12  mai  à  2  heures  de  l'après-midi  les  bords  du  Niger  :  on 
n'avait  pas  mangé  depuis  trente  heures. 

Le  capitaine  Gallieni  croyait  trouver  bon  accueil  à  Bamakou  ;  mais 
la  partie  guerrière  de  la  population  s'était  laissé  entraîner  dans  la 
prise  d'armes  pour  l'enlèvement  du  convoi  ;  on  ne  rencontra  donc 
dans  ce  village  qu'hostilité  et  malveillance.  Le  docteur  Bayol  fut 
chargé  de  regagner  Saint-Louis  le  plus  rapidement  possible  et  d'ap- 
prendre au  gouverneur  l'attaque  de  Dio  et  le  départ  de  la  mission 
pour  Ségou.  Le  15  mai,  accompagné  de  6  hommes,  il  se^dirigeait  vers  le 
Sud-Ouest,  dans  les  montagnes,  traversait  le  Manding,  leBirgo,  visitait 
sa  capitale  Moiirgonla,  et  le  30  mai  il  parvenait  à  Bafoulabé  ou  la 
réception,  cordiale  de  M.  Marchi  et  de  ses  officiers  lui  fit  oublier  les 
fatigues  du  dangereux  voyage  qu'il  venait  d'accomplir. 

Pendant  que  le  docteur  Bayol  descendait  le  Sénégal  et  rentrait  à 
Saint-Louis,  le  capitaine  GtJlieni  traversait  le  Niger,  et  après  une 
marche  de  cinq  jours  le  long  de  la  rive  droite  du  fleuve  se  dirigeait 
vers  Ségou-Sikoro.  Ahmadou  le  voyant  arriver  les  mains  vides  ne 
reçut  pas  immédiatement  la  mission  et  lui  assigna  une  résidence  près 
du  Niger  dans  les  environs  de  sa  capitale.  Après  de  longs  pourparlers 
il  consentit  à  signer  un  traité  qui  approuvait  nos  actes  et  nous  accor- 
dait l'autorisation,  à  l'exclusion  des  autres  nations,  de  faire  le  com- 
merce sur  le  Haut-Niger.  Ce  traité  est  resté  lettre  morte,  et  l'on  s'est 
aperçu  plus  tard  que  par  une  mauvaise  foi  familière  à  ces  peuples  per- 
fides ,  les  articles  du  traité  lédigé  en  langue  arabe  ne  correspon- 
daient en  aucune  façon  aux  conditions  rédigées  en  langue  française, 
et  que  dans  ses  concessions  apparentes  Ahmadou  nous  montrait  ainsi 
sa  malveillance  et  la  duplicité. 

Entre  le  Haut-Sénégal  où  la  France  domine  aujourd'hui  et  les  pos- 
sessions anglaises  de  Sierra-Leone  sur  un  espace  de  plus  de  900  kilomè- 
tres s'étendent  des  contrées  très  populeuses  et  qui  ont  été  peu  par- 
courues telles  que  le  Bambouk  et  le  Fouta-Djallon.  Le  ministre  délai 
marine  ne  pouvait  se  désintéresser  de  l'étude  de  ces  pays  et  le  12marsj 
1881  il  chargea  M.  le  docteur  Bayol  de  pénétrer  dans  ces  régions  eti 
de  négocier  avec  les  chefs  qui  les  gouvernent  des  traités  les  plaçant 
sous  le  protectorat  de  la  France.  , 

La  mission  commença  à  s'organiser  à  Paris.  En  firent  partie,  un  de  mes! 
excellents  camarades  de  collège,  M.  Billet,  le  même  qui  plus  tard  devait 
périr  si  malheureusement  avec  la  mission  Crevaux,  un  jeune  dessina- 


—  lil  — 

teur,  M.  Noirot,  et  M.  Moustier,  qui  avait  déjà  en  1879  accompli  avec 
M.  Zweifel  un  voyage  aux  sources  du  Niger.  Le  docteur  Bayol  s'arrêta 
à  Dakkar  ou  pour  compléter  le  personnel  de  son  expédition  il  dut  faii'e 
appel  à  tous  les  mauvais  sujets  de  l'endroit  ;  le  10  mai  il  atteignait 
Boké  sur  le  Rio-Nunez  ;  c'est  là  que  commença  le  voyage  d'explo- 
ration. 

Le  17  mai  la  mission  quittait  Boké  et  pénétrait  dans  les  montagnes 
du  Fouta-Djallon ,  cette  Suisse  africaine,  comme  l'appelle  le  docteur 
Bayol  :  la  pluie  tombait  sans  interruption  et  les  accidents  devenaient 
de  plus  en  plus  nombreux. 

Bayol  traversa  la  région  déserte  qui  précède  Bambaya,  atteignit  le 
pays  pittoresque  et  ravissant  de  Bourleré,  puis  après  avoir  franchi  le 
Téssé  affluent  du  Bafing,  il  entra  dans  Fougoumba,  la  ville  Sainte  des 
Peuhls  où  il  eut  le  plaisir  de  rencontrer  un  compatriote  M.  Gaboriau 
qui  se  rendait  à  Timbo  pour  faire  une  convention  commerciale  avec 
l'Almaray. 

A  partir  de  Fougoumba  le  pays  devient  de  plus  en  plus  peuplé  et 
riche.  Le  Baflng  fut  franchi  et  le  1"  juillet  la  mission  entrait  à  Donhol- 
Fella  grand  village  appartenant  à  l'Alraaray  Ibrahima- Sory  qui  venait 
de  quitter  le  pouvoir.  Celui-ci  après  de  longs  palabres  consentit  avec 
une  entière  bonne  foi  à  placer  son  pays  sous  notre  protectorat.  Bayol 
se  rendit  ensuite  à  Timbo  où,  bien  reçu  par  l'Almamy  Haraadou,  qui 
était  alors  au  pouvoir,  il  fut  heureux  d'obtenir  la  ratification  complète 
de  ce  traité  le  jour  même  où  en  France  on  célébrait  la  fête  nationale 
(14  Juillet  1881). 

L'Almamy  lui  confia  plusieurs  de  ses  parents  et  quelques  notables 
qui  devaient  suivre  la  mission  en  France,  cette  politique  inaugurée  par 
Bayol.  et  que,  sur  un  autre  théâtre,  pratique  en  ce  moment  un.  de  nos 
consuls,  devrait  être  suivie  par  tous  les  explorateurs,  qui  pénètrent 
dans  les  contrées  inconnues.  Les  indigènes  transportés  pour  quelque 
temps  dans  un  pays  étranger,  comprennent  peu  à  peu  la  supériorité  de 
notre  civihsation.  l'utilité  de  nos  inventions  de  toute  nature  :  ils  appren- 
nent ainsi  à  aimer  et  à  respecter  la  nation  qui  les  accueille,  et,  revenus 
chez  eux  ils  sont  presque  toujours  les  pai-tisans  les  plus  dévoués  decette 
influence  étrangère  qu'ils  ignoraient  et  dont  ils  ont  apprécié  les  avan- 
tages. 

Bayol  revint  à  Doiiliol  Délia,  séjourna  à  Tourtouroux  d'où  M.  Noirot 
alla  explorer  les  sources  de  la  Gambie  et  du  Rio  Grande,  et  pénétra 
dans  la  région  aurifère  du  Bambouk.  Il  y  découvrit  un  placer,  qui 


-  142  - 

donne  0k.640  d'or  et  Ok.  040  d'argent  à  la  tonne  de  minerai,  ce  qui 
fait  de  ce  pays  une  contrée  bien  supérieure  auBouré.  Des  traités  d'ami- 
tié et  de  protectorat  furent  signés  avec  tous  les  chefs  qui  gouvernent 
entre  la  Gambie  et  le  Sénégal  ;  ainsi  se  trouve  ouverte  au  commerce 
du  Haut  Fleuve  une  route  nouvelle  vers  le  Fouta  Djallon. 

Le  17  noveuibre  la  mission  arrivait  à  Médine  ou  l'accueil  cordial  du 
capitaine  Combes,  du  D'  Colin  et  de  M.  Cartier  dédommagea  le  D' 
Bayol  des  privations  supportées  pendant  un  parcours  de  1.300  kilomè- 
tres, accompli  pendant  la  saison  des  pluies  la  plus  désastreuse  pour  les 
Européens. 

L'attaque  de  la  mission  Gallieni  à  Dio  et  les  études  du  chemin  de  fer 
projeté  vers  le  Niger,  avaient  fait  comprendre  combien  il  était  néces- 
saire de  nous  établir  solidement  dans  la  vallée  du  Haut  Sénégal  et  de 
fonder  ces  postes,  jadis  réclamés  par  Faidherbe,  et  dont  le  premier  il 
avait  indiqué  l'emplacement.  Aussi  dès  1880,  en  même  temps  que  Gal- 
lieni se  dirigeait  sur  Ségou,  une  expédition  composée  de  six  compa- 
gnies de  tirailleurs  Sénégalais  et  d'une  compagnie  auxiliaire  d'ouvriers 
d'artillerie,  sous  les  ordres  du  lieutenant-colonel  Borgnis-Desbordes 
devait  aller  créer  de  nouveaux  postes  au-delà  de  Bafoulabé  ;  en  même 
temps  des  officiers  d'état-major,  sous  la  direction  du  commandant  Der- 
rien  accompagnaient  le  colonel  pour  dresser  la  carte  du  pays,  et  faire 
les  études  du  tracé  du  chemin  de  fer. 

Dans  sa  première  campagne,  le  colonel  Borgnis-Desbordes  s'établit 
solidement  à  Kita,  où  un  fort  fut  élevé  et  il  détruisait  le  village  deGou- 
banko,  peuplé  de  Peuhls  hostiles,  qui  se  livraient  au  brigandage  et  pil- 
laient les  caravanes  :  dans  le  combat  le  lieutenant  d'artillerie  Pol,  de 
Douai,  qui  avait  sauvé  la  vie  au  D""  Bayol  près  de  Médine,  périt  en  fai- 
sant courageusement  son  devoir. 

L'année  suivante,  malgré  la  terrible  épidémie  de  fièvre  jaune,  à 
laquelle  succomba  le  nouveau  gouverneur  du  Sénégal,  M.  delxnneau, 
et  qui  retarda  les  préparatifs  de  l'expédition,  le  Colonel  remonta  le 
Sénégal,  ravitailla  notre  fort  de  Kita  (janvier  1882)  et  se  dirigea  vers  le 
Niger  où  un  nouveau  prophète  Samory,  avait  surgi,  étendant  chaque 
jour  son  influence  par  ses  massacres  et  entraînant  à  la  suite  une  armée 
de  musulmans  fanatisés.  La  petite  troupe  passa  à  Mourgoula,  traversa 
le  Niger  et  se  porta  aux  secours  de  Keniéra  :  mais  elle  arriva  trop 
tard.  Samory  avait  depuis  cinq  jours  pris  cette  place  et  l'avait  entiè- 
rement détruite.  Le  colonel  brûla  plusieurs  camps  de  Samory  et  rentra 


-  143  — 

à  Kitale  11  mars  ;  les  travaux  du  fort  furent  achevés  et  en  mai,  la  colonne 
redescendait  versSt-Louis. 

Dans  la  3*  campagne  le  colonel  Desbordes  avait  à  remplir  des  instruc- 
tions précises  :  il  devait  s'établir  sur  le  Niger  vers  Bamakou,  village 
le  plus  rapproché  de  Kita;  et  dominant  le  cours  supérieur  du  Niger,  à 
l'endroit  ou  ce  grand  fleuve  commence  à  être  navigable  même  aux  plus 
basses  eaux. 

Le  21  novembre  1882.  la  colonne  atl  oignait  Kita  :  elle  comprenait 
515  combattants,  dont  35  officiers  et  possédait  quatre  pièces  de  canons. 
Elle  se  dirigea  vers  Mourgoula,  dont  le  chef  s'était  déclaré  pour  Samory  : 
le  Colonel  le  força  à  émigrer  vers  le  Kaarta  avec  toute  la  population 
du  village;  puis  s'engageant  dans  le  Petit  Bélédougou,  il  détruisit  Daba 
où  le  chef  qui  avait  été  le  principal  instigateur  de  l'attaque  de  Dio, 
opposa  aux  fi'ançais  une  résistance  désespérée.  Enfin,  après  avoir  exigé 
des  chefs  les  plus  compromis  des  amendes  et  reçu  leur  soumission,  la 
colonne  expéditionnaire  débouchait  dans  la  vallée  du  Niger  et  le  7 
février  1883  était  posée  solennellement  la  première  pierre  du  fort  de 
Bamakou.  Samory  ayant  essayé  d'en  troubler  les  travaux,  le  Colonel 
lui  livra  dans  les  premiers  jours  d'avril,  trois  rudes  combats  fit  brûler 
Nafadié  et  après  une  poursuite  des  plus  vives  le  rejeta  dans  le  Sud. 

Pendant  que  l'expédition  principale,  partie  de  Kita,  atteignait  ainsi  les 
bords  du  Niger,  des  missions  importantes  avaient  été  organisées  par  le 
colonel  Desbordes,  pour  étudier  et  pacifier  les  pays  placés  à  droite  et 
à  gauche  de  la  route  qu'il  avait  suivie.  C'est  ainsi  que  M.  le  capitaine 
de  Lamieau  visita  le  Birgo  et  le  Gadongou  ;  les  capitaines  Bomiier  et 
Brisse  explorèrent  le  Petit  Bélédougou  et  le  pays  de  Bamakou.  Enfin 
M.  le  D""  Bayol,  chargé  d'abord  d'une  mission  dans  le  Kaarta  que  les 
circonstances  ne  permirent  pas  d'accomplir,  devait  pénétrer  dans  le 
Petit  Bélédougou  et  s'avancer  jusqu'à  Mourdia  et  Ségala. 

Les  instructions  données  par  le  colonel  Desbordes  marquaient  un 
revirement  de  la  politique  française  dans  ces  régions. 

Ahmadou  et  les  Toucouleurs  nous  avaient  trahis  malgré  leurs  pro- 
messes :  il  fallait  maintenant  se  concilier  les  Bambarras,  les  frères  de 
ceux  qui  en  1880  nous  avaient  attaqués  à  Dio,  et  qui  en  1883  avaient 
défendu  héroïquement  Daba. 

M.  le  lieutenant  Quiquandon  fut  adjoint  à  la  mission  Bayol  et  chargé 
plus  spécialement  de  dresser  la  carte  du  pays. 

Le  Docteur  avait  auprès  de  lui,  Tchati,  fils  du  chef  de  Koumi  et 
Sirki,  frère  du  chef  de  Mourdia  ;  un  interprête  médiocre  et  quelques 


-  i44  — 

musulmans  venus  de  St-Louis  complétaient  le  personnel  de  la 
mission. 

Parti  de  Bamakou  le  16  avril,  le  D''  Bajol  passa  à  Nossombougou, 
Koumi,  Manta,  Bore,  Dampa  et  arriva  le  4  mai  à  Mourdia  ;  dans  tous 
ces  viQages,  il  fit  accepter  aux  chefs,  quelquefois  après  une  courte 
entrevue,  souvent  après  de  longs  et  pénibles  palabres  des  traités  qui  les 
plaçaient  sous  le  protectorat  de  la  France.  Puis  U  étudia  avec  soin  l'état 
politique  de  ces  pays,  les  ressources  militaires  qu'ils  pouvaient  nous 
fournir  un  jour  pour  combattre  Ahmadou  ou  Samory  ;  il  recueillit  enfin 
les  renseignements  géographiques  et  statistiques  sur  toutes  ces  contrées 
visitées  pour  la  première  fois  par  des  Européens. 

Bayai  aurait  voulu  pénétrer  dans  le  Dionkoloni  et  le  canton  de  Ségala  ; 
mais  des  troubles  venaient  d'éclater  dans  le  premier  de  ces  deux  pays, 
le  chef  de  Mourdia  avait  rappelé  son  frère,  qui  avait  jusque  la  conduit 
la  mission  et  les  autres  gruides  refusaient  d'aller  plus  loin.  Il  fallut 
donc  s'arrêter  à  Douabougou  et  prendre  le  chemin  du  retour.  Bayol 
visita  quelques  villages  qu'il  avait  laissés  sur  ses  flancs,  et  le  27  mai  il 
était  de  retour  à  Bamakou. 

La  mission  avait  obtenu  des  résultats  pi'écieux  dans  de  voyage  de  41 
jours.  EUe  avait  relevé  313  kilomètres  d'une  région  implorée  et  réussi 
à  faire  accepter  les  traités  auxquels  le  colonel  Desbordes  attachait  une 
importance  considérable  pour  le  rôle  futur  de  la  France  dans  le  Soudan 
Occidental. 

C'est  par  ces  expéditions  multipliées,  par  les  tentatives  laborieuses 
et  patientes  que  nous  a  été  ouvert  peu  h  peu  l'accès  du  Haut  Niger. 
Aujourd'hui  notre  paviQon  flotte  à  Bamakou  et  le  fort  construit  par 
le  colonel  Desbordes  atteste  notre  ferme  intention  de  nous  installer 
définitivement  sur  le  grand  Fleuve,  dont  la  navigation  peut  nous  appar- 
tenir. Comme  l'a  prouvé  l'expédition  du  commandant  Boilève  en  1884, 
le  ravitaillement  de  nos  postes  les  plus  récents  et  les  plus  avancés  vers 
l'Est,  peut  désormais  s'accomplir  sans  difficulté  sérieuse .  Une  camion- 
nière  française  flotte  sur  le  Niger .  Le  sultan  de  Tomboucton  a  envoyé  en 
France  une  ambassade  qui  atteste  soii  vif  désir  de  nous  accueUlir  favo- 
rablement et  d'engager  avec  les  Européens  des  relations  commerciales 
empreintes  de  la  plus  sincère  amitié. 

Il  ne  nous  appartient  pas  ici  d'exposer  les  nombreux  avantages  que  la 
France  est  appelée  à  recueillir  des  grands  sacrifices  qu'elle  a  faits  et 
auquel  elle  doit  consentir  encore  pendant  quelques  années. 

Dans  l'histoire   de  tout   peuple,    les  colonies  exigent  de  sérieuses 


—  Un  — 

dépenses  avant  de  produire  le  plus  mince  revenu.  Les  documents 
publiés  par  le  général  Faidherbe,  les  considérations  si  précises  pré- 
sentées par  le  D"  Bayol  dans  le  récit  de  ses  différents  voyages,  enfin, 
r<imotion  si  vive  provoquée  à  Freetown  chez  nos  voisins,  les  Anglais  de 
Sierra-Leone  par  notre  présence  dans  la  Haute  vallée  du  Niger,  suffisent 
h  démontrer  que  nous  accomplissons  une  œuvre  utile  pour  le  présent, 
fructueuse  pour  l'avenir. 

Ce  sera  l'honneur  de  Faidherbe,  de  Desbordes,  de  Bayol  d'y  avoir 
contribué  et  d'avoir  revêlé  l'impoi  tance  du  Sénégal  et  du  Soudan,  à 
tous  ceux  que  peuvent  préoccuper  l'afferiiussement  de  notre  puissance 
extérieure  et  les  intérêts  de  notre  commerce  sur  les  différents  points 
du  globe  (1). 

E.    GUILLOT. 


(1)  Dans  la  campagne  1885-86,  nos  postes  du  Haut  Sénégal  ont  été  ravitaillés  par 
le  colonel  Frey;  Samory  mis  en  déroute  près  de  Farki  DJingo  le  17  janvier  1886, 
semble  être  disposé  à  traiter;  l'attaque  du  fort  de  Bakel  pari  révolte  Mahmadou 
Lahmine  a  été  victorieusement  repoussée.  En  188G,  Sainory  semble  avoir  manifesté 
le  désir  de  se  rapprocher  de  nous  et  son  fils  le  prince  Karamoko  n'oubliera  certaine- 
ment pas  de  longtemps  l'accueil  qui  lui  a  été  fait  en  France. 


—  146  - 


NOUVELLES  ET  FAITS  GÉOGRAPHIQUES 


I.  —  Géographie  scientifique.  —  Explorations  et  découvertes. 


EUROPE 

Grèce.  —  Tremblement  de  terre.  —  Le  27  août  dernier,  il  y  a  eu  un  grand 
tremblement  de  terre  en  Grèce.  La  sphère  de  ce  phénomène  avait  son  point  central 
près  de  Philiatra,  sur  la  côte  de  Messénie  ,  au  sud  d'Arkadia ,  et  s'étendait  de  la 
péninsule  de  Morée  sur  l'Egypte,  la  Sicile,  l'Italie  du  Sud,  la  moitié  occidentale  des 
Balkans,  les  Alpes  dinariques ,  les  côtes  d'istrie  et  de  Dalmatie  jusqu'au  canton  du 
Valais  et  l'Oberland  bernois  :  elle  avait  par  conséquent  un  rayon  d'une  longueur 
d'environ  1,600  kilomètres.  D'après  les  avis  des  préfets  grecs  ,  6.000  maisons  ont  été 
détruites  en  Messénie.  A  Philiatra,  qui  est  complètement  en  ruines,  le  nombre  des 
morts  est  évalué  à  300.  Presque  toutes  les  maisons  sont  endommagées  à  Zante  ainsi 
qu'à  Katakolo  et  Pyrgos  où  la  cathédrale  est  en  ruines.  Patras  et  toutes  les  îles 
Ioniennes,  surtout  Corfou,  ont  beaucoup  souffert  de  la  catastrophe.  Mais  au-delà  de 
cette  sphère  d'action,  même  déjà  à  Otrante  et  dans  d'autres  villes  de  l'Italie  du  Sud, 
ou  a  éprouvé  de  fortes  secousses  sans  autres  conséquences.  On  annonce  d'Alexandrie 
qu'on  ne  se  souvient  pas  avoir  jamais  ressenti  un  tremblement  de  terre  aussi  violent, 
sauf  que  les  dégâts  occasionnés  y  étaient  aussi  peu  importants  qu'à  Syracuse ,  à 
Catane,  Reggio,  surl'île  d'ischia,  à  Bari,  Avellino,  Lecce  etPotenza. 

Le  capitaine  du  na  vire  la  Valette  a  adressé  un  rapport  à  l'intendant  en  chef  des 
ports,  à  Malte  ,  donnant  certains  détails  sur  ce  tremblement  de  terre. 

«  Le  27  août,  dit-il,  à  11  h.  30  m.  du  soir,  à  la  latitude  de  36'  18'  N.  et  à  21"  32'  de 
longitude  E.,  ou  à  une  distance  de  50  milles  ouest  1,2  S.  du  cap  Matapan,  je  ressentis 
subitement  un  choc  très  violent  qui  fit  trembler  le  vaisseau ,  principalement  les 
machines,  pendant  une  durée  d'environ  11  secondes.  Le  vaisseau  avançait  à  raison 
de  10  nœuds  à  l'heure  et  ce  mouvement  violent  arrêti  sa  marche.  Le  machiniste 
croyait  à  un  accident.  Après  le  choc,  tout  se  trouva  de  nouveau  dans  son  état  normal. 
A  minuit,  dans  la  direction  ouest-nord-ouest,  à  la  latitude  de  36"  17'  N.  et  à  21"  27'  de 
longitude  Est,  je  remarquai  sur  notre  droite  quelque  chose  comme  une  masse 
d'épaisse  fumée  noire  qui  s'élevait,  sous  la  forme  d'un  cône,  perpendiculairement  à 
l'horizon  et  changeaiTC  par  intervalles  en  une  couleur  rougeàtre.  Entretemps ,  il 
régnait  un  calme  parfait,  avec  une  mer  pénible  d'ouest  par  intervalles.  Le  28  ,  à  4  h. 
du  matin  ,  lorsque  le  vaisseau  était  à  la  latitude  de  36'  12'  N.  et  à  20"  43'  de  longitude 
Est,  le  vent  commença  à  souffler  du  nord-ouest,  ce  qui  rendit  l'horizon  plus  clair. 
A  10  h.  du  matin  ,  le  second  du  vaisseau  ,  qui  était  en  observation  sur  le  pont ,  me  fit 
part  qu'il  avait  observé  dans  la  mer  ,  sur  une  longueur  d'un  quart  de  mille  ,  dans  la 
direction  du  nord  au  sud,  plusieurs  raies  d'une  couleur  noire  jaunâtre.  La  mer  conti- 
nuait toujours  à  être  lourde  du  côté  de  l'ouest  avec  fort  peu  de  vent.  Comme  le 
vaisseau  avait  une  cargaison  de  bétail ,  qui  souffrait  beaucoup  de  la  chaleur  ,  je  ne 
pouvais  perdre  de  temps  à  mesurer  la  profondeur  des  raies  dont  il  vient  d'être 
question  ;  ce  qui  fit  que  je  m'efforçai  de  les  éviter.  » 


-  147  - 

ASIE. 

Turkestau.  —  Unk  nouvelle  oasis.  —  La  Russie  a  construit  avec  une  rapidité 
étonnante  le  chemin  de  fer  transcaspien,  partant  de  Michailow,  sur  la  mer  Caspienne, 
par  Askabad,  jusqu'à  l'oasis  de  Merw  :  cotte  ligne  a  été  livrée  déjà  cet  été  à  l'exploi- 
tation jusqu'à  Tschardschin,  sur  une  longueur  totale  de  1,041  kilomètres. 

La  revue  de  Vienne  ,  Deutsche  Rundschau  ,  annonce  qu'on  s'occupe  maintenant  en 
Russie  de  la  création  d'une  nouvelle  oasis  près  de  Tschardschin.  Le  plan  consiste  à 
percer  près  de  cette  localité  la  rive  de  l'Amou-Daria  et  à  mener  une  partie  de  l'eau 
de  ce  fleuve  dans  les  canaux  situés  dans  les  déserts,  et  dont  l'existence  remonte  aux 
temps  anciens,  mais  que  l'on  a  négligés  depuis  longtemps.  Les  travaux  de  nivelle- 
ment ont  fait  constater  que  l'eau  s'écoulera  d'elle-même  sur  une  distance  90  à  100 
kilomètres.  On  n'aurait  donc  rien  à  faire  qu'à  entreprendre  le  percement  et  à  nettoyer 
les  plus  grands  canaux  ,  ce  qui  ne  donnerait  lieu  qu'à  une  dépense  totale  de  quatre 
millions  de  francs  seulement.  Tous  les  autres  travaux  peuvent  être  confiés  aux  indi- 
gènes qui  sont  très  habiles  dans  l'établissement  de  canaux  d'irrigation  et  qui  ratta- 
cheront aux  principaux  canaux  tout  un  réseau  de  rigoles  pour  l'irrigation.  Ainsi  une 
région  argileuse  ,  privée  jusqu'ici  de  toute  végétation  ,  serait  transformée  en  une 
oasis  de  verdure  qui  serait  en  état  de  nourrir  un  quart  de  million  de  personnes.  En 
même  temps,  on  espère  agrandir  également  l'oasis  de  Merw  parla  construction  d'une 
digue  qui  permettrait  de  mieux  utiliser  l'eau  du  Murghab.  On  gagnerait  ainsi  à  peu 
près  400,000  acres  à  la  culture  ,  chiffre  que  l'on  espère  porter  au  quadruple  par  des 
défrichements  ultérieurs. 

Voyage  de  II.  G.  Radde  daus  l'Asie  centrale.  —  Après  diverses  ex- 
cursions faites  à  la  fin  de  mai  d'Askhabad  dans  les  monts  Kopet-Dagh  et  à  la  nouvelle 
frontière  russo-persane,  M  G.  Radde  a  continué  son  exploration  vers  l'Est.  A  la  Pente- 
côle,  il  se  trouvait  à  Karybend,  sur  le  Tedjen,  d'oii  il  est  parti  pour  Merw.  Pendant  le 
voyage,  son  compagnon,  le  docteur  Wal ter,  a  eu  le  malheur  de  se  casser  la  jambe  droite. 

A  Merw,  un  ingénieur  ,  M.  Kontchine  ,  qui  venait  de  l'Amou-Daria,  a  rejoint  le 
docteur  Radde  et  l'on  a  entrepris  le  voyage  à  la  vallée  du  Pendjdé  ,  en  remontant  la 
rive  gauce  du  Mourgha  . 

Les  voyageurs  ont  beaucoup  souffert  de  la  chaleur.  11  y  avait  de  58  à  59  degrés 
centigrades,  et  cela  par  un  veut  du  Nord  qui ,  partant  des  sables  bridants  du  Kara- 
koum,  dévore  tout  sur  son  passage.  Après  avoir  passé  la  luiit  du  21  juin  sur  le  champ 
de  bataille  du  Kousehk  ,  il  a  fallu  ,  pour  rejoindre  le  Tedjen  ,  traverser  une  contrée 
des  plus  désertes  ,  et  cela  par  une  chaleur  torride.  C'est  avec  la  plus  grande  peine 
que  le  docteur  Radde  ,  miné  par  la  fièvre,  a  pu  se  traîner  jusqu'à  Sérakhs  d'oii ,  par 
Karybend,  il  a  regagné,  le  26  juillet,  Askhabad. 

MM.  les  docteurs  Radde  et  Walter  sont  rentrés  à  Tiflis  le  28  août.  En  revenant  de 
Mesched,  MM.  Radde  et  Kontchine  ont  traversé  cinq  chaînes  parallèles  du  Kapet- 
Dagh ,  et  sont  rentrés  sur  le  territoire  russe  ,  à  Louftabad.  Après  les  préparatifs 
nécessaires  pour  le  retour  à  Tiflis,  les  voyageurs  se  sont  dirigés  sur  Kisil-Arvah  et 
Kasantchik,  pour  faire  une  plus  ample  connaissance  avec  les  plantations  des  jardins 
de  ces  localités.  Ils  ont  étudié  ensuite  ,  avec  la  plus  grande  attention  ,  la  végétation 
des  lagunes  et  des  sables  de  Mollah-Kara. 

Ils  apportent  à  Tiflis  de  riches  collections. 

Voyage  de  H.  Groubtcbe^sky  dans  la  province  de  Kaschgar. 
—  Le  lieutenant  Gronbtchevsky  vient  d'explorer  la  partie  occidentale  de  la  province 
de  Kaschgar,  de  la  ville  de  Kaschgar  jusqu'à  Yarkend  et  Khotan. 

Au  point  de  vue  géodésique,  M.  Gronbtchevsky  a  relié,  pour  ainsi  dire,  les  travaux 
opérés  en  1867  par  le  capitaine  Kouropatkine  avec  ceux  effectués  l'année  dernière 


—  148  — 

dans  le  midi  du  Kaschgar,  du  lac  Lob-noor  jusqu'à  Khotan  et  Aksou,  par  le  général 
Prjevalsky,  le  célèbre  explorateur  russe.  Le  relevé  exécuté  par  M.  Gronbtchevsky  a 
non  seulement  complété  et  corrigé  celui  de  M.  Forsyth  ,  dit  de  la  mission  anglaise  , 
qui  date  de  1873-74  :  mais  il  a  embrassé  encore  l'espace  qui  sépare  Ireschtaman  (le 
fort  frontière  du  Ferghana)  de  Kaschgai*  et  cette  ville  du  défilé  de  Souïok. 

Outre  ces  travaux  géodésiques  ,  le  jeune  voyageur  a  fourni  un  grand  nombre  de 
données  authentiques  sur  l'organisation  intérieure  et  la  situation  économique  de  la 
contrée,  et  cela,  quoiqu'il  ait  opéré  son  voyage  dans  des  conditions  difficiles,  provenant 
tant  du  mauvais  vouloir  des  autorités  chinoises  que  des  intempéries  d'un  automne 
avancé. 

On  sait  que  ,  depuis  la  mort  de  Yacoub  -  Khan  ,  en  1877  .  les  Chinois  occupent  le 
Kaschgar. 

M.  Gronbtchevsky  a  été  le  premier  Européen  à  visiter  le  Kounjout,  au  sud  du 
Pamir,  au-delà  de  la  chaîne  des  monts  ]Moustag.  Ce  Khajiat  est  baigné  par  le  cours 
supérieur  de  l'un  des  affluents  de  l'indus  supérieur,  le  Kounjout,  qui  lui  a  donné  son 
nom.  Ce  pays ,  bien  qu'agricole ,  est  extrêmement  pauvre.  On  n'y  compte  que 
vingt-huit  villages,  et  la  capitale  Baltit  n'a  que  cinq  cents  foyers.  La  population  du 
Khanat  n'est  que  d'une  vingtaine  de  milliers  d'habitauts.  Les  villages  disposés  à 
terrasses  sur  le  versant  des  rochers  ,  sont  fortifiés  contre  les  incursions  des  Nogars  , 
qui  sont  aussi  belliqueux  et  enclins  au  brigandage  que  leurs  voisins. 

Le  commerce  est  bien  médiocre  ;  la  monnaie  y  est  inconnue  ;  les  échanges  se  font 
avec  du  sable  d'or  ou  des  esclaves.  L'élève  du  bétail  est  nulle.  Quelques  yaks  et 
brebis,  sans  compter  deux  cents  chevaux  ,  voilà  tout  ce  qu'on  y  trouve.  Et  le  climat 
est  cependant  magnifique.  On  y  voit  l'arbre  à  thé  .  ainsi  que  le  riz  ,  le  raisin  ,  les 
grenades  ,  les  pèches  et  les  abricots.  Ce  sont  les  femmes  qui  cultivent  la  terre. 

Ce  petit  Khanat ,  tributaire  des  Chinois  jusqu'en  1885,  est  soumis  depuis  lors  à 
l'Impératrice  des  Indes. 

Coutinuation  de  la  niiiisiou  de  1111.  Bonvalot  et  Capus.  — 

MM.  Bonvalot  et  Capus  ,  chargés  d'une  mission  dans  l'Asie  centrale,  ayant  trouvé 
l'accès  de  l'Afghanistan  fermé  du  côté  de  Méroutchak,  ontvouluy  pénétrer  par  le  Nord, 
en  partant  de  Samarcande  et  suivant  le  cours  de  l'Amou-Daria.  Ils  sont  arrivés  à 
Tchardjoui,  ont  traversé  le  fleuve,  gagné  Karakoul  et  Sarmacande,  où  ils  sont  arrivés 
le  12  août.  Aux  dernières  nouvelles,  ils  étaient  sur  le  point  de  quitter  cette  ville,  se 
dirigeant  vers  l'Afghanistan  par  le  Hissar  et  la  vallée  du  Sourldiane  ou  du  Kafirnagan. 
On  a  su  depuis  que  les  deux  voyageurs  ont  été  arrêtés  aux  environs  de  Balclc  par  les 
Afghans  dont  ils  voulaient  traverser  le  pays  pour  aller  s'embarquer  à  Bombay.  L'un 
des  hommes  les  plus  savants  et  les  mieux  renseignés  sur  les  affaires  de  l'Asie  Cen- 
trale, le  général  sir  Henry  Rawlinson  ,  croit  que  la  vie  de  nos  deux  entreprenants 
explorateurs  ne  court  point  de  danger  ,  et  que  le  pis  qui  puisse  leur  arriver,  c'est  que 
les  autorités  afghanes  les  fassent  reconduire  à  la  frontière.  Ce  n'est  pas  la  première 
fois  que  MM.  Bonvalot  et  Capus  explorent  l'Asie  Centrale.  Nos  lecteurs  se  rappellent 
les  avoir  entendus  à  la  Société  de  géographie  de  Lille.  En  1881  et  1882,  ils  ont  visité 
le  Turkestan  Russe  et  nous  possédons  dans  notre  bibliothèque  la  relation  de  cet  im- 
portant voyage,  publié  par  l'éditeur  Pion  ,  en  deux  volumes  ayant  pour  titre  :  De 
Moscou  en  Bactriane  et  Du  Gohistan  à  la  Caspienne . 

On  nous  communique  au  dernier  moment  une  lettre  datée  de  Sarmacande , 
5  novembre  ,  adressée  à  M.  Capus  père  par  son  fils  ,  et  qui  annonce  que  MM.  Capus 
et  Bonvalot  ont  été  remis  en  liberté  par  les  Afghans  ,  après  une  captivité  de  trois 
semaines,  et  que  les  hardis  voyageurs  se  disposent  à  revenir  en  France  par  les  voies 
les  plus  rapides. 


—  149  — 

Dans  le  haut  llékonjs^.  —  Le  lit  du  Mékong,  navigable  en  toute  saison 

jusqu'à  Saniboc,  se  compose,  eu  amont  de  ce  point,  d'une  série  de  bassins  parsemés 
d'îles  et  communiquant  entre  eux  par  de  seuils  rocheux. 

Ce  sont  ces  rapides  qui  ont  été  passés  par  le  torpilleur  44  ,  monté  par  M.  le  capi- 
taine de  vaisseau  Reveillère,  le  9  septembre  1885.  Depuis  ,  ils  ont  été  remontés  par 
des  chaloupes  à  vapeur  qui  ont  pu  parvenir  jusqu'à  mi -chemin  de  la  distance  qui 
sépare  Stung-Trcng  des  cataractes  de  Kong. 

Il  résulte  de  ce  voyage  ,  que  le  Mékong  sera  ouvert ,  des  qu'on  voudra ,  à  la  navi- 
gation à  vapeur  jusqu'aux  chutes  de  Kong,  à  condition  d'employer  à  ce  service  des 
navires  convenablement  approprisé,  dont  la  vitesse  de  route  devra  être  de  dix  noîuds 
au  minimum,  et  qui  devront  pouvoir  compter,  d'une  façon  absolue,  sur  leur  machine 
et  leur  gouvernail. 

Le  passage  pourra  être  singulièrement  amélioré  par  le  balisage  convenable  et 
aussi  par  la  création  d'un  corps  de  pilotes  qu'on  trouvera  à  recruter  parmi  les 
riverains. 

llijssion  de  11.  Kiii^ht  en  Chine.  —  La  China  Merchant  Steam  Navi- 
gation Cy,  la  puissante  Compagnie  de  navigation  chinoise  créée  par  Li-Hung-Chang, 
vient  de  charger  M.  Knight,  un  de  ses  meilleurs  officiers,  d'étudier  le  cours  supérieur 
du  Yang-Tze-Kiang ,  entre  Ichang  et  Chung-King ,  le  plus  grand  centre  commercial 
de  la  province  du  Szechuen.  Cette  exploration  a  été  faite  déjà  ,  il  y  a  treize  ans  ,  par 
Francis  Garnier.  Si  le  rapport  de  M.  Knight  est  favorable,  la  Compagnie  fera 
construire  des  steamers  spéciaux  pouvant  franchir  les  rapides,  et  Chung-King  sera 
déclaré  port  ouvert. 

liCfS  stations  Russes  eu  Extrême  -  Orient.  —  Une  canonnière  alle- 
mande vient  de  visiter  les  stations  russes  de  l'Extrême-Orient.  Nous  empruntons  au 
journal  de  bord  les  renseignements  suivants  : 

Vladivostock  ,  que  ne  visitaient  autrefois  que  quelques  pêcheurs  mandchous  ,  est 
devenu  un  port  de  guerre  important.  La  baie  est  profonde  et  parfaitement  accessible  : 
elle  est  défendue  par  des  redoutes  armées  de  gros  canons  ainsi  que  par  des  mines 
sous-marines  et  des  torpilles.  La  garnison  ,  installée  dans  des  bâtiments  solides  et 
commodes,  s'élève  à  1,500  hommes  d'infanterie  de  terre  .  d'artillerie  et  de  génie.  Le 
nouvel  arsenal  permet  de  mettre  à  sec  les  plus  forts  navires  et  de  faire  toutes  les 
réparations  désirables.  La  population  est  de  6,000  habitants  dont  3,000  Mandchous. 
Le  commerce  ,  qui  atteint  4  millions  de  roubles  ,  est  entre  les  mains  des  Allemands. 

Korsakaowsk,  la  principale  localité  dans  le  sud  de  l'île  Sakhaline  ,  renferme  1,400 
déportés,  dont  400  seulement  sont  internés,  les  autres  ayant  la  faculté  d'habiter  où 
ils  veulent.  L'île  est  divisée  en  trois  districts  relevant  du  Gouverneur  général ,  qui 
réside  à  Alexandrowsk.  Le  seul  commerce  consiste  dans  l'exportation  d'une  espèce 
de  saumon,  que  pèchent  les  Japonais  et  dont  ils  expédient  3,000  tonnes  environ. 

Pétropalo%vsk ,  n'a  guère  que  500  habitants.  Elle  renfernte  89  cabanes  en  bois , 
;}  églises  ,  l'école  et  les  magasins  dans  lesquels  le  gouvernement  et  les  particuliers 
entreposent  leurs  marchandises.  Le  gouvernement  vend  à  prix  fixe,  sans  exclure  la 
concurrence  ,  de  la  farine,  du  plomb  ,  de  la  poudre  ,  du  sel ,  etc.  Les  peaux  d'ours 
marin  sont  le  seul  article  d'exportation  avec  celles  de  zibeline,  de  loup,  de  renard  et 
de  loutre. 

AFRIQUE. 

La  frontière  maritime  entre  Ea  Tunisie  et  la  TripoIiCaine. 

—  Depuis  roccupation  française  en  Tunisie,  la  question  de  h»  fixation  des  fi'ontières 
entre  la  Régence  et  la  Tripolitaine  avait  été  laissée  dans  l'ombre. 


—  150  — 

Cependant,  outre  l'intérêt  qu'il  y  avait  au  point  de  vue  politique  de  bien  délimiter 
aux  tribus  turbulentes  de  cette  région  l'étendue  de  leur  territoire,  une  autre  considé- 
ration plus  importante  peut-être  s'imposait  au  point  de  vue  des  eaux  territoriales. 

La  région  maritime  en  litige,  qui  s'étend  à  l'Est  des  Bibans  est,  en  effet,  un  vaste 
banc  fertile  en  éponges,  que  les  pêcheurs  tripolitains  de  l'oasis  de  Zouara  voudraient 
bien  accaparer  à  leur  profit,  et  cela  au  détriment  de  notre  tribu  tunisienne  des  Accara 
de  Zaris,  également  pêcheurs  d'épongés. 

Or,  c'est  cette  frontière  qui  vient  d'être  définitivement  fixée  pai-  l'Ingénieur  hydro- 
graphe, M.  Héraud,  et  le  Gonuaandant  du  Linois,  M.  de  Magniac  ;  on  a  fixé  la  limite 
de  la  Régence  au  cap  Tadjir,  à  20  kilomètres  des  Bibans.  A  quand  la  fixation  de  la 
frontière  de  terre  ? 

11.  le  capitaine  Cernera  dans  la  région  de  l'Hadrar.  —  Le 

21  août,  est  arrivé  à  Las  Palmas  (îles  Canaries)  la  Commision  que  la  Société  de  Géogra- 
phie de  Madrid  avait  envoyée  en  Afrique  sous  la  direction  du  capitaine  Julio  Cervera. 

Cette  expédition  était  partie  le  16  juin  de  la  factorerie  de  Rio  de  Oro,  où  elle  était 
de  retour  le  24  juillet,  venant  du  Sahara  occidental ,  sans  vivres  ,  sans  vêtements  et 
dans  un  état  déplorable.  Elle  avait  eu  à  endurer  de  grandes  souffrances  dans  le  désert 
avec  les  Arabes  qui  l'accompagnaient  ;  elle  avait  été  à  diverses  reprises  menacée  de 
mort  par  les  indigènes  ,  et  avait  eu  à  supporter  la  faim  et  la  soif ,  par  une  chaleur  de 
57°  à  l'ombre  et  de  65"  au  soleil. 

Un  instant  même,  les  membi-es  de  l'expédition  ont  été  séquestrés  six  jours  dans  un 
douar,  et  ils  ne  sont  sortis  de  ce  mauvais  pas  qu'en  payant  une  forte  rançon. 

Des  données  recueillies  sur  les  lieux,  il  résulte  que  la  région  de  l'Hadrar ,  qu'on 
supposait  si  riche  et  si  peuplée,  n'est  ni  plus  ni  moins  que  le  prolongement  du  désert 
sans  végétation  ,  sans  rivières  ,  n'ayant  d'autres  habitants  que  des  tribus  nomades 
vivant  dans  la  plus  grande  pauvreté. 

il.  le  colonel  Qalliéni  au  Sénés^al.  —  C'est  le  colonel  Galliéni ,  l'ex- 
plorateur du  haut  Niger  (1883)  qui  est  chargé  cette  année  de  ravitailler  les  postes  qui 
relient  le  Sénégal  au  haut  Niger. 

11  est  accompagné  du  capitaine  Valière  ,  fils  du  général,  ancien  Gouverneur  du 
Sénégal ,  qui  a  pris  part  à  tous  les  travaux  de  la  brigade  topographique  du  haut 
Fleuve,  dirigée  par  M.  Derrieux. 

I^aniory  et  le  Foutah-Djallon.  —  De  graves  nouvelles  nous  parviennent 
de  la  côte  occidentale  d'Afrique.  Le  puissant  chef  Samory  {alias  Samodou),  dont  on 
connaît  les  démêlés  avec  les  autorités  fronçaises  du  haut  .Sénégal,  ne  se  contente  pas 
de  s'être  taillé  un  vaste  empire  dans  le  territoire  baigné  par  le  haut  Niger  et  ses 
affluents.  11  rêve  d'étendre  sa  souveraineté  sur  tous  les  pays  qui  le  séparent  de  la 
côte  d'oii  il  tire  ses  approvisionnements  de  toute  nature. 

Poursuivant  ce  but  depuis  plusieurs  années  et  aidé  dans  ses  projets  par  quelques 
lieutenants  dévoués,  il  a  conquis  à  main  armée  ou  soumis  la  plupart  des  petits  Etats 
indépendants  qui  se  trouvaient  entre  le  haut  Niger  d'une  part,  la  colonie  de  Sierra- 
Lesne  et  nos  rivières  françaises  du  Sud,  d'autre  part.  Les  populations  qui  ont  osé 
résister  à  l'envahisseur  ont  été  décimées  et  réduites  à  l'esclavage  ;  celles  qui  se  sont 
soumises  ont  an  embrasser  l'islamisme.  De  proche  en  proche,  l'armée  de  Samory  est 
parvenue  à  peu  de  distance  de  la  côte,  et  l'un  de  ses  lieutenants  campe  à  proximité  de 
notre  poste  militaire  de  Benty  Mellacorée. 

Mais  t<jus  ces  succès  ne  suffisent  pas  à  l'ambition  de  Samory  :  on  lui  attribue  le 
projet  d'attaquer  et  de  soumettre  à  sa  domination  le  Foutah-Djallon  ,  grand  et  popu- 


—  151  - 

leux  pays  ,  qui  non  seulement  a  toujours  vécu  en  paix  avec  la  France  ,  mais  qui , 
depuis  cinq  ans  ,  à  la  suite  de  la  mission  de  notre  compatriote  Rayol ,  s'est  placé 
volontairement  sous  le  protectorat  français. 

Les  Foutahs  habitant  le  Foutah-Djallon  sont  gens  pacifiques,  adonnés  à  l'agricul- 
ture et  au  commerce  ;  ils  appartiennent  à  la  religion  musulmane  et  sont  arrivés  à  un 
degré  de  culture  bien  supérieur  à  celui  que  possèdent  les  hordes  à  demi -barbares 
contre  lesquelles  Samory  a  combattu  jusqu'ici. 

Samory  n'a  donc  pas  même  le  prétexte  ordinaire  de  la  propagande  religieuse  pour 
envahir  et  ruiner  le  Foutah-Djallon  ;  mais  ,  de  plus  ,  en  donnant  suite  à  ses  projets 
belliqueux,  à  son  goût  de  rapines  et  de  destruction  ,  il  viole  manifestement  ses  enga- 
gements vis-à-vis  de  la  France  ,  engagements  d'après  lesquels  il  s'est  formellement 
interdit  toute  attaque  contre  les  possessions  françaises  et  les  pays  protégés  par  la 
France. 

Nous  aimons  à  croire  que  le  Gouvernement  français,  qui  doit  être  au  courant  des 
agissements  de  Samory  ,  rappellera  ce  chef  turbulent  à  l'exécution  de  ses  engage- 
ments et  saura  protéger,  contre  la  rapacité  et  la  cruauté  de  ses  guerriers,  qui  ont  été 
et  sojit  encore  nos  ennemis,  ce  pays  si  iiitéressant  et  relativement  civilisé  du  Foutah- 
Djallon,  avec  lequel  nous  avons  toujours  eu  d'excellentes  relations  commerciales  et 
politiques  ,  et  qui ,  comme  nous  l'avons  dit  déjà,  a  accepté  le  Protectora  français. 

Nous  nous  plaisons  à  citer  ,  à  ce  sujet ,  l'article  1*""  du  traité  signé,  en  juillet  1881  , 
par  les  Almamys  du  Foutah-Djallon  : 

«  Le  Foutah- Djallon  déclare  être  l'allié  intime  des  Français  auxquels  l'unit  déjà 
»  une  vieille  et  loyale  amitié.  Les  Almamys,  chefs  du  pays,  placent  le  Foutah-Djallon 
»  sous  le  Protectorat  de  la  France.  » 

Nous  rappellerons  que  ,  dans  ces  dernières  années  ,  ce  pays  a  été  fréquemment 
visité  par  plusieurs  de  nos  compatriotes  ;  nous  citerons  notamment  le  docteur  Bayol, 
MAI.  Olivier  de  Sanderval,  Gaboriau  et  Ansaldi.  Ils  y  ont  été  tous  bien  reçus  et  sont 
unanimes  à  reconnaître  que  le  Foutah-Djallon  est  un  pays  d'avenir,  dont  la  France  a 
le  plus  grand  intérêt  à  protéger  l'existence  et  à  favoriser  le  développement. 

Retour  de  11.  H.  Johustoii  de  son  expédition  au  Kilimand- 
jaro. —  M.  H.  Johnston,  qui,  à  son  retour  de  son  expédition  au  mont  Kilimandjaro, 
a  été  nommé  vice-Gonsul  aux  Gameroons,  a  envoyé  à  la  Gazette  Géographique  une 
relation  de  son  voyage  en  amont  de  la  rivière  de  ce  nom,  au  mois  de  juin  dernier. 

Parti  de  Bell-Town,  après  avoir  passé  le  long  des  points  accessibles  ,  situés  plus 
bas,  et  bien  connus  des  Européens ,  il  est  arrivé  à  un  endroit  un  peu  au-delà  de 
Ngale-Nyamsi,  à  la  distance  d'environ  60  milles.  On  cesse  de  rencontrer  les  Man- 
graves  à  environ  24  milles  de  la  côte  ;  ensuite  le  pandamus  ou  pin  en  vrille  devient 
l'arbre  dominant  des  rives  de  la  rivière  ,  dont  le  sol  marécageux  est  bordé  comme 
d'une  frange  d'Orchidées  Lissochilus  de  six  pieds  qui  donnent  de  nombreux  bouquets 
de  fleurs  couleur  mauve. 

A  mesure  que  les  rives  deviennent  plus  élevées  et  le  sol  plus  ferme  ,  \e  pandamus 
fait  place  à  son  tour  ,  à  une  grande  variété  d'arbres  forestiers  ,  parmi  lesquels  on 
remarque  des  acacias,  des  sterculias  et  des  ériodendrons,  mêlés  de  palmiers  raphia 
aux  gigantesques  panaches,  et  de  bosquets  de  palmiers  à  huile. 

Un  peu  plus  loin  ,  M.  Johnston  a  pénétré  dans  la  contrée  des  Ouauris,  oii  il  a  été 
frappé  de  l'aspect  de  prospérité  qui  y  régnait  ;  sur  les  bords  de  la  rivière  est  échelon- 
née une  série  continue  de  villages  et  de  plantations  indigènes  ;  les  forêts  des  premiers 
âges  ne  se  trouvent  plus  que  dans  l'intérieur. 

A  quelques  milles  au-delà  de  Ngale-Nyamsi ,  village  du  chef  de  Boudiman.  il  a  pu, 
en  gravissant  une  hauteur  d'environ  500  pieds  au-dessus  de  la  rivière ,  apercevoir  , 


—  152  — 

par  un  jour  clair ,  très  iietteinent  une  chaîne  de  montagnes  aux  pics  fantastiques, 
situées  au  Nord  à  une  distance  de  50  à  60  milles  de  la  rivière.  Il  en  a  calculé  l'altitude 
entre  10,000  et  12,000  pieds. 

I>alleniag;uc   et   l'Angleterre  sur  le  golfe  de  Guinée.  —  Le 

Reichsanzeiyer  de  Berlin,  publie  le  texte  du  traité  qui  a  été  passé  entre  l'Angleterre 
et  l'Allemagne  ,  relativement  aux  possessions  des  deux  pays  en  Afrique  occidentale , 
sur  le  golfe  de  Guinée,  et  la  délimitation  exacte  des  territoires.  La  ligne  de  frontière 
suit  à  l'intérieur  la  rive  droite  du  Rio  del  Rey  depuis  l'embouchure  de  ce  fleuve 
jusqu'à  sa  source,  prend  de  là  en  ligne  droite  la  direction  de  la  rive  gauche  du  vieux 
Kalabar  ou  fleuve  Cross  ,  dépasse  ce  fleuve  et  se  termine  à  peu  près  au  9"  8'  longi- 
tude Est  de  Greenwich  ,  au  point  désigné  sous  le  nom  de  Rapids  sur  la  carte  de 
l'amirauté  anglaise. 

Le  gouvernement  allemand  a  proposé  de  prolonger  la  ligne  frontière  vers  l'inté- 
rieur, proposition  acceptée  par  le  gouvernement  anglais.  La  ligne  nouvelle  partirait 
des  Rapids  et  continuerait  dans  la  direction  diagonale  vers  la  rive  droite  du  Bënué,  à 
l'Est  de  Yola,  jusqu'à  un  point  à  déterminer  ultérieurement. 

Le  clieniin  «le  fer  du  Congo.  —  Le  Syndicat  anglais  qui  s'était  consti- 
tué à  Londres  pour  la  construction  d'un  chemin  de  fer  au  Congo,  s'est  dissout.  Il  n'a 
pu  s'entendre  avec  le  Roi  des  Belges  sur  la  rédaction  définitive  d'une  charte  contenant 
les  relations  du  Syndicat  avec  le  Gouvernement  du  Congo. 

Les  exigences  du  Syndicat  auraient  fini  par  changer  l'État  du  Congo  en  Colonie 
anglaise. 

Depuis  ,  un  Consortium  belge  ,  La  Compagnie  du  Congo  pour  le  commerce  et 
l'industrie^  a  été  formé  en  vue  de  la  création  du  chemin  de  fer  entre  le  haut  et  le  bas 
Congo. 

Une  expédition  composée  d'ingénieurs  et  de  spécialistes  va  étudier  sur  le  terrain  le 
tracé  et  les  frais  d'établissement  de  la  ligne.  On  pense  que  cette  expédition  aura 
terminé  ses  travaux  en  dix-huit  mois. 

Jusqu'à  présent,  deux  projets  ont  été  préconisés.  Le  premier  ,  celui  de  Stanley,  a 
Vivi  pour  tête  de  ligne  et  comprend  deux  tronçons  reliés  entre  eux  par  un  bief  navi- 
gable de  175  kilomètres.  Les  deux  tronçons  auraient  une  longueur  totale  de  192 
kilomètres. 

Le  second  part  de  Mahadi ,  sur  la  rive  opposée,  et  va  jusqu'à  Léopoldville  ,  sans 
transbordement.  La  ligne  aurait  280  kilomètres. 

Afrique  australe.  —  Les  Bushmens.  —  Les  Bushmens  (d'après  un  article 
publié  dans  le  Journal  de  la  Société  royale  asiatique,  et  résumé  dans  The  Scottisch 
geographical  Magazine^  d'avril  1886)  forment  maintenant  à  peine  une  race  ,  encore 
moins  une  nation.  Ils  sont  divisés  en  une  foule  de  petites  tribus  isolées  et  répandues 
dans  l'Afrique  australe  ;  ils  se  sont  réfugiés  dans  les  déserts  ou  dans  les  montagnes 
arides,  afin  d'échapper  à  la  persécution,  à  l'esclavage  ou  à  l'extermination.  Par  leurs 
relations  générales  et  leurs-  mariages  d'occasion  avec  d'autres  populations ,  avec 
lesquelles  ils  ont  été  inévitablement  plus  ou  moins  en  contact,  ils  ont  modifié  en  partie 
leur  caractère  particulier  et  acquis  celui  de  leurs  voisins.  Les  voyageurs  donnent  à 
leur  sujet  des  récits  quelque  peu  contradictoires,  parce  qu'ils  ont  vu  des  tribus  diffé- 
rentes dont  chacune  avait  acquis,  par  son  isolement  et  son  commerce  avec  des  races 
étrangères,  de  nouveaux  traits  distinctifs.  Deux  faits  caractérisent  d'une  manière 
frappante  cet  isolement  :  1"  des  tribus  qui  se  composent  à  peine  de  cinquante  indi- 
vidus ont  acquis  des  pai'ticularités  de  dialecte  telles  qu'ils  ne  peuvent  être  compris  par 


-  153  - 

les  tribus  voisines  ,  bien  qu'il  n'y  ait  que  quelques  milles  de  distance  entre  elles  ; 
2°  ils  n'ont  pas  de  nom  commun  ou  national ,  et  ne  nous  sont  connus  que  sous  les 
sobriquets  qui  leur  sont  donnés  par  leurs  voisins  ou  sous  des  noms  de  localités.  Les 
Boers  leur  ont  donné  le  nom  de  Bojesman,  en  anglais  Bushman  ,  les  Hottentots  les 
appellent  Saan,  les  Bechuana,  Ba-roo  ,  les  Cafres  ,  Abaliva  ,  etc.  Le  seul  nom  qui 
pourrait  être  considéré,  avec  doute,  comme  national  est  Khuai,  appliqué  à  une  tribu 
spéciale.  Quoi  qu'il  en  soit,  malgré  toutes  ces  différentes  appellations,  on  peut  affir- 
mer positivement  qu'il  y  a  une  race  Khuai  ou  homme  des  bois.  A  part  la  question  de 
langage,  l'homme  des  bois  représente  au  point  de  vue  anthropologique  une  branche 
distincte  parmi  ces  races  africaines  :  il  est  distinct  du  nègre  et  du  Bantu  ainsi  que  du 
Hottentot  avec  lequel  il  a  quelques  traits  caractéristiques  communs  et  avec  lequel , 
par  conséquent,  il  a  été  confondu  pendant  longtemps  ;  néanmoins  la  distinction  est  si 
évidente  que  tous  les  voyageurs  l'ont  sentie. 

Les  caractères  permanents  de  la  race  sont  spécifiés  comme  suit  :  la  peau  est  légère- 
ment brune,  couleur  cuivre,  ou  même  légèrement  jaune,  et  jamais  blanche  ,  à  moins 
que  ce  ne  soit  par  un  fort  mélange  évident  avec  le  Bantu  ;  en  outre  ,  un  homme  des 
bois  nouveau-né  n'est  pas  blanc  ,  comme  un  Bantu  nouveau-né  ,  mais  rouge  ;  les 
cheveux  sont  développés  en  touffes  ,  comm  ceux  du  Tasmanien  et  ont  une  coupée 
ovale  transversale  :  à  peine  y  a-t-il  un  poil  sur  la  figure  ou  sur  le  corps.  Le  crâne  est 
bien  défini,  il  est  rond  et  étroit  ;  les  tempes  sont  larges,  les  yeux  fort  éloignés  l'un  de 
''autre  et  légèrement  obliques,  les  os  de  la  face  proéminents  ;  le  nez  varie  beaucoup  , 
mais  est  généralement  grand  et  plat.  Le  corps  en  général  est  bien  proportionné  ,  les 
épaules  sont  larges,  les  bras  et  les  jambes  bien  développés,  avec  les  mains  et  les 
pieds  remarquablement  petits.  L'énsrme  développement  des  hanches  qui  donne  aux 
Hottentots  leur  apparence  ridicule,  se  trouve  parmi  les  hommes  des  bois  ,  mais  ne 
semble  pas  être  un  caractère  de  race  ;  il  ne  se  présente  probablement  que  lorsque  les 
hommes  des  bois  sont  croisés  avec  les  Hottentots.  La  formation  particulière  appelée 
en  français  le  tablier  égyptien^se  retrouve  parmi  les  femmes  des  Bushnians  et-senible 
être  de  race.  Leur  denture  les  place  dans  une  classe  spéciale  ;  les  dents  ne  sont  pas 
conmie  de  l'ivoire  mal  coupé  ,  comme  chez  le  Bantu  ;  mais  elles  sont  régulières  et 
d'apparence  nacre  et  perle.  Toutes  choses  considérées,  les  Bushmans  semblent  être, 
quand  ils  ne  sont  pas  mêlés  avec  les  Bantus  ou  les  Hottentots  ,  de  petite  stature  et 
brachycéphalique ,  mais  bien  proportionnés.  Le  prognathisme  ,  qui  est  le  caractère 
essentiel  du  vrai  sauvage,  n'est  jamais  très  marqué,  soit  dans  le  Bushman,  soit  dans 
le  Hottentot  ou  le  Bantu. 

Quant  au  moral,  le  Bushman  est  beaucoup  meilleur  que  ne  nous  l'ont  fait  connaître 
les  premiers  voyageurs  et  les  tribus  voisines.  11  a  un  grand  amour  de  la  liberté  ;  il  ne 
connaît  pas  de  maîtres  et  n'a  pas  d'esclaves.  C'est  pourquoi  il  préfère  la  vie  errante 
du  chasseur  à  celle  de  l'agriculteur  ou  du  berger  paisible.  Ses  besoins  sont  excessi- 
vement modestes  ;  il  construit  rarement  une  hutte,  préférant  les  cavernes  naturelles 
qu'il  trouve  dans  les  rochers  ;  ailleurs  il  forme  une  sorte  de  nid  dans  le  bois  ,  d'oii 
dérive  son  nom  d'homme  des  bois  (Bushman;  ;  ou  bien  il  creuse  un  trou  en  terre. 
Son  vêtement  est  simplement  une  petite  peau,  ses  armes  la  lance  ,  la  flèche  et  l'arc 
dans  leur  forme  la  plus  rudimentaire.  Les  flèches  et  les  têtes  de  lance  sont  toujours 
empoisonnées.  11  a  un  outil  de  la  plus  simple  construction  avec  lequel  il  bêche  quel- 
ques racines  mangeables  qui  croissent  à  l'état  sauvage.  Pour  faire  du  feu  ,  il  se  sert 
encore  du  système  primitif ,  qui  consiste  à  frotter  deux  pièces  de  bois  l'une  contre 
l'autre.  Le  Bushman  n'a  pas  de  religion  et  pas  même  une  idée  d'une  divinité,  mais  il 
est  très  superstitieux.  Nonobstant ,  il  est  moralement  de  beaucoup  supérieur  au 
Bantu  ou  Hottentot,  car  il  n'est  jamais  cruel  sans  nécessité  et  est  bon  et  serviable 
envers  les  hommes  de  sa  tribu  ;  il  est  vrai  qu'il  vole  du  bétail ,  mais  k  ses  yeux  le  vol 

11 


-  154  - 

de  bétail  est  une  manière  de  chasser.  Il  possède  un  grand  talent  d'imitation  comme 
le  démontrent  les  peintures  et  les  sculptures  laissées  par  les  Bushmens  sur  les  murs 
de  leurs  cavernes  et  sur  les  rochers  ;  ces  dessins  sont  exécutés^avec  des  terres  glaises 
de  différentes  couleurs,  les  sculptures  sont  faites  avec  des  ciseaux  en  silex.  Dans 
leurs  représentations,  il  y  a  toujours  une  ressemblance  frappante  et  réaliste. 

Le  Bushman  possède  un  instrument  de  musique  ,  rudimentaire  ,  il  est  vrai ,  mais 
qui  sert  encore  à  démontrer  cet  étrange  mélange  de  la  vie  sauvage  avec  le  goût 
artistique. 

La  langue  des  Bushmens  se  compose  de  dialectes  innombrables  ,  possédant  une 
grande  abondance  de  gutturales  et  de  voyelles  nasales  et  incertaines. 

Cette  race  a  dû  habiter  autrefois  une  aire  beaucoup  plus  étendue  qu'aujourd'hui  ; 
mais  on  ne  possède  pas  les  moyens  de  la  retrouver.  On  ne  peut ,  sous  ce  rapport , 
que  rappeler  leurs  analogies  avec  la  race  égyptienne  la  plus  ancienne ,  en  tirer  la 
supposition  qu'elle  pourrait  être  de  la  même  souche  primitive  que  celle-ci. 

Retour  de  II.  le  capitaine  Bove  de  sou  Toyagc  dans  le 
Haut-Congo.  —  M.  le  capitaine  Bove  est  de  retour  en  Italie  de  son  voyage 
dans  le  Haut-Congo. 

Arrivé  à  Stanley  Falls  le  18  août,  U  n'y  est  resté  que  quatre  jours.  Dès  le  10 
septembre,  il  était  de  retour  à  Léopoldville. 

Les  impressions  qu'il  rapporte  du  Congo  sont  loin  d'être  satisfantes  ,  et  U  répète 
qu'il  n'a  pas  la  moindre  confiance  dans  l'avenir  de  cette  contrée. 

Sur  le  i'ongo  ISupérieur.  —  La  station  de  Steuiley-FaUs  a  été  attaquée 
par  une  tribu  d'Arabes,  on  ne  sait  dans  quelles  circonstances,  et  a  dû  être  aban- 
donnée par  les  agents  de  l'État  du  Congo. 

L'évacuation  de  cette  importante  station  remet  en  question  l'occupation  du  Haut- 
Congo,  et  il  est  à  craindre  que  les  Arabes  ne  reprennent  leur  système  de  razzias  sur 
les  rives  de  ce  fleuve  que  l'Etat  libi'e  cherchait  à  protéger  contre  les  exactions  des 
marchands  d'esclaves. 

l,e  lac  i%ganii.  —  On  lit  dans  la  Gazette  Géographique  : 

«  Un  commerçant  allemand,  qui  de  1885  à  1886  a  fait  le  tour  du  pays  des  Kalaha- 

ris  en  partant  de  Wynburg  (dans  l'État  libre  d"Oraiige),  puis  passant  du  Bechua- 

naland  anglais  au  lac  de  Ngami,  et  enfin  gagnant  au  Sud  Upington,  pour  revenir  à 

Wynburg.  a  rapporté  des  curieux  détails,  sur  la  situation  actuelle  du  lac  et  de  ses 

'  alentours. 

»  Le  voyageur  allemand  a  atteint  le  lac  le  17  septembre  1885  ;  il  est  demeuré  sur 
ses  bords  pendant  près  de  trois  mois  ,  et  alors  il  a  visité  la  nouvelle  capitale  de 
Moremi  sur  le  Tunke  ou  Tioge. 

»  Les  Tuanas  (Batuanas),  dont  Moremi  est  le  chef,  par  suite  des  récentes  excur- 
sions des  Matubelis ,  se  sont  retirés  dans  la  région  marécageuse  au  nord  du  lac. 
C'est  une  race  physiquement  et  moralement  dégénérée  ;  ils  ne  sont  plus  au  nombre 
de  plus  de  500  en  tout.  Les  plus  riches  d'entre  eux  ont  des  chevaux  et  sont  armés  de 
fusils.  Les  Bakubas  et  les  «  Bushmen  »  (hommes  des  buissons)  sont  leurs  esclaves. 

»  Le  voyageur  est  d'avis  que  le  pays  de  Kalahari  conviendrait  parfaitement  à 
l'élève  du  bétail  ;  et  il  fait  observer  que  le  lac  Ngami  est  plus  accessible  par  la  baie 
de  Walefish  que  par  le  Cap  ou  par  Natal.  Selon  lui,  le  lac  Ngami  est  beaucoup  moins 
étendu  qu'on  ne  l'avait  représenté ,  confirmant  ainsi  ce  qu'avaient  dit  d'autres 
explorateurs  depuis  la  première  découverte  du  lac  en  1849  par  Oswell ,  Murray  et 
Livingstone. 

M.  Selcus,  lors  de  son  dernier  voyage  en  Angleterre,  a  fourni  des  renseignements 


-  155  - 

qu'il  tenait  du  docteur  Aurel  Schulze  sur  les  rivières  au  Nord  du  lac.  D'après  cet 
explorateur,  le  Tuuke  (Tioge  ou  bas  Okavanga)  ne  va  plus  directement  se  déverser 
dans  le  lac,  mais  il  forme  d'immenses  marécages  au  Nord.  Un  bras  de  cette  rivière 
rejoint  le  Chobc,  un  autre,  connu  sous  les  noms  de  Dzo  et  de  Mashabe,  se  perd  dans 
le  lac  Mabube  ;  tandis  qu'un  autre  de  ses  bras  (le  Tamatu  Katia)  va  au  Sud  se  jeter 
dans  le  Botletle  qui  coule  dans  la  direction  du  Su-Ouest  pour  se  déverser  dans  le  lac 
Ngami,  et  dans  la  direction  du  Sud-Est  pour  tomber  dans  le  lac  Rumadan. 

»  Le  négociant  allemand  a  tracé  un  plan  détaillé  de  son  itinéraire,  en  indiquant  les 
distances,  mais  comme  les  renseignements  sont  sans  preuves  à  l'appui,  ils  ne  peuvent 
être  que  d'une  utilité  relative.  » 

Au  Zoulouland.  —  On  sait  qu'après  l'expédition  conduite  contre  le  roi  Cet- 
tiwayo  dans  le  Zoulouland,  l'Angleterre  a  évacué  ce  pays  fertUe  et  tempéré,  sans 
mènie  le  prendre  sous  son  Protectorat.  Cette  attitude  a  laissé  le  champ  libre  aux  Boërs 
qui ,  poussés  par  le  besoin  de  trouver  de  nouveaux  pâturages  pour  leurs  troupeaux , 
se  sont  établis  peu  à  peu  dans  le  pays  et  ont  finalement  pris  possession  d'une  partie 
du  territoire  Zulu.  Les  indigènes  ont  réclamé  alors  la  protection  de  l'Angleterre  et  la 
colonie  du  Natal  a  demandé  l'annexion  du  Zoulouland. 

On  a  consenti  à  une  transaction  qui  règle  provisoirement  la  question. 

Le  Zoulouland  va  être  divisé  en  deux  parties  :  la  partie  orientale  jusqu'à  la  mer 
sera  réservée  aux  Zoulous  et  placée  sous  le  Protectorat  de  l'Angleterre  :  la  partie 
partie  occidentale  sera  cédée  en  toute  souveraineté  aux  Boërs  avec  le  district 
d'Ungojona. 

Travaux  de  11.  A.  d'OIlTcira  sur  l'Afrique  portugaise.   — 

M.  A.  d'Oliveira  vient  de  publier  à  Lisbonne ,  une  carte  de  l'Afrique  méridionale 
portugaise  au  1/600000  ,  d'après  laquelle  on  peut  se  rendre  compte  des  prétentions 
du  Portugal  sur  les  territoires  de  l'Afrique  équatoriale.  D'après  ce  document , 
l'Afrique  portugaise  dépasserait  de  beaucoup  les  limites  que  ,  jusqu'à  présent,  les 
cartes  étrangères  au  Portugal  lui  attribuaient  et  s'étendrait  d'un  océaa  à  l'autre.  Elle 
comprendrait  tout  le  bassin  du  Zambèze  ,  à  l'exception  de  la  partie  du  bassin  du  lac 
Nyassa,  située  au  Nord  du  11°  30'  lat.  Sud.  Au  sud  du  fleuve,  tout  le  pays  des  Ma- 
Tébélé  serait  portugais,  quoiqu'aucun  voyageur  portugais  ne  l'ait  traversé.  La  carte 
indique  les  itinéraires  des  explorateurs  portugais  ,  jusqu'à  la  travesée  de  l'Afrique 
par  Capello  et  Ivens  en  1884-1885. 

I%os  niissionuaircs  dans  l'Afrique  Orientale.  —  Dans  l'Ouganda, 
la  situation  n'est  plus  tenable  pour  nos  missionnaires.  Le  roi  Mwanga  ,  prévenu  par 
les  Arabes,  ne  cesse  de  leur  créer  des  difficultés  et  des  dangers.  S.  E.  le  cardinal  de 
Lavigerie  s'est  ému  d'une  pareille  situation  ,  et  est  intervenu  officieusement  auprès 
des  diverses  puissances  représentées  à  Zanzibar  ,  les  priant  d'agir  auprès  de  Saïd- 
Bargasch  qui,  seul,  peut  exercer  quelque  influence  efficace  sur  les  Arabes  répandus 
entre  les  grands  lacs  et  la  mer. 

Ii*>s  Allemands  à  la  côte  orientale.  —  Une  dépêche  de  Zanzibar,  en 
date  du  .30  octobre  ,  annonce  que  M.  Juhlke  a  acheté  pour  le  compte  de  la  Société 
africaine,  le  territoire  de  Mackdichou. 

Ce  territoire  s'étend  au  Sud  jusqu'au  pays  de  Witou  et  comprend  l'excellent  port 
de'Duruford,  situé  à  l'embouchure  du  Woubouche,  ainsi  que  l'embouchure  du  Djoub, 
qui  donne  accès  dans  les  montagnes  des  Gallas. 

M.  Juhlke  a  établi  une  station  à  Durnford. 

L'acquisition  du  Makdichou  empêchera  que  le  pays  de  Witou  ne  soit  séparé,  au 


—  15G  — 

Nord,  des  autres  possessions  allemandes  par  un  territoire  appartenant  à  une  puissance 
étrangère. 

On  sait  que  le  pays  de  Witou  a  été  vendu  à  la  Compagnie  par  M.  Clément  Denhart, 
et  que  la  ligne  des  côtes  de  ce  territoire  est  de 60  kilomètres. 

Au  dernier  moment ,  nous  recevons  une  dépêche  de  Zanzibar  (7  décembre),  qui 
annonce  que  le  docteur  Juhlke  ,  représentant  de  la  Société  allemande  de  l'Afrique 
orientale,  a  été  massacré  par  les  Çomalis  à  Kismayoo ,  près  de  l'embouchure  du 
Djoub. 

Ses  procédés  arbitraires  auraient  indisposé  les  populations. 

Socotora  aux  Anglais.  —  Des  avis  d'Aden  portent  que  le  Résident  politique 
anglais  à  Aden  a  annexé,  le  30  octobre,  aux  possessions  britanniques,  l'île  de  Socotora. 

Cette  île  est  située  dans  l'Océan  Indien,  à  l'Est  du  golfe  d'Aden  et  à  371  kilomètres 
du  cap  de  Guardafui.  Elle  a  une  superficie  de  1,600  kilomètres  carrés  et  une  popu- 
lation de  4,000  âmes  environ.  Ses  habitants  sont  d'origine  arabe  et  professent 
l'islamisme. 

Jusqu'au  milieu  du  seizième  siècle  l'île  Socotora  faisait  partie  des  possessions  portu- 
gaises. Le  Gouvernement  portugais  l'ayant  abandonnée ,  les  Anglais  essayèrent  à 
leur  tour  d'y  établir  une  station  navale  ,  mais  finirent  par  y  renoncer  à  cause  de  la 
stérilité  de  l'île.  Depuis  lors,  l'île  de  Socotora  était  tributaire  du  Sultan  deMascate. 

Décret  relatif*  à  OI>ock.  —  Non  seulement  les  condamnés  aux  travaux 
forcés  ,  d'origine  arabe  seront  dirigés  sur  Obock  ,  mais  encore  les  Africains  et  les 
Indiens  condamnés  par  les  tribunaux  de  la  Réunion  et  de  nos  Etablissements  de 
l'Océan  Indien,  C'est  ce  qui  vient  d'être  établi  par  un  décret  récent. 

AMÉRIQUE. 

États-Uniïi.  —  Tremblement  de  terre  du  31  août  1886.  —  L'excellente  revue 
Science  ,  de  New-York  (du  10  septembre  1886)  publie  une  carte  et  un  article  ayant 
pour  but  de  déterminer  l'origine  et  l'aire  du  tremblement  de  terre  du  31  août. 

Une  ligne  de  faiblesse  dans  la  croûte  terrestre  s'étend  de  Troy,  N.  Y.,  vers  le  sud- 
ouest,  passant  au-dessus  de  Baltimore,  Washington  et  Richmond  pour  se  perdre  au 
sud  de  Raleigh.  La  secousse  sérieuse  paraît  avoir  eu  son  origine  le  long  de  cette 
ligne  dans  la  Caroline  du  Nord  et  dans  l'Est  de  la  Caroline  du  Sud,  le  31  août  à 
9  h.  49  du  soir  (75"  temps  du  méridien).  Elle  ne  s'est  pas  produite  sans  avertissement 
préalable.  Pendant  longtemps  de  légers  chocs  avaient  été  ressentis  de  temps  à  autre 
dans  la  Caroline  du  Nord,  et  quelques  jours  avant  la  catastrophe  des  secousses  assez 
faibles  avaient  été  ressenties  à  Charlestown.  De  la  Caroline,  le  tremblement  rayonna 
avec  une  grande  rapidité  (de  20  à  60  milles  par  minute)  à  travers  la  grande  aire  limi- 
tée au  Sud  par  le  golfe  du  Mexique,  au  Nord  par  le  Michigan,  la  province  d'Ontario  , 
New-York  et  le  sud  de  la  Nouvelle-Angleterre,  à  l'Est  par  l'océan  atlantique,  où  on 
la  ressentit  probablement  à  une  distance  de  près  de  500  milles  dans  la  mer,  et  à 
l'ouest,  par  le  centre  de  la  vallée  du  Missipi.  On  ne  l'a  pas  ressenti  aux  îles  Bermudes. 

11  serait  hautement  désirable  de  vérifier  les  limites  de  la  secousse  ainsi  que  le 
temps  exact  pendant  lequel  le  choc  a  été  primitivement  ressenti  à  tous  les  points 
compris  dans  l'aire  troublée.  11  arrive  souvent  qu'il  se  trouve  des  endroits  dans  l'aire 
d'un  tremblement  de  terre  où  le  choc  n'est  pas  perceptible,  probablement  à  cause  de 
certaines  particularités  locales  dans  la  formation  géologique,  tandis  qu'il  est  bien 
marqué  à  des  points  non  loin  de  là.  Des  points  de  ce  genre  sont  déjà  signalés  dans  la 


-  157  - 

Floride,  l'Indiaiia  et  le  Coniiccticiit ,  par  exemple  ;  ces  informations  sont  des  plus 
intéressantes. 

L'hypothèse  avancée  par  Perroy,  est  que  les  tremblenients  de  terre  sont  connexes 
avec  des  marées  souterraines  ,  dues  à  l'influence  coml)inée  du  soleil  et  de  la  lune  , 
et  analogues  h  celle  de  l'Océan.  A  un  point  donné  les  couches  de  la  terre  se  trouvent 
sous  une  tension  accumulée  pendant  des  siècles  ;  cette  pression  s'accroît  lentement , 
mais  graduellement  jusqu'à  ce  qu'elle  arrive  à  un  point  où  la  rupture  est  imminente. 
Deux  fois  par  jour  les  grosses  vagues  du  flux  de  l'Océan  viennent  battre  la  côte  ,  et 
il  est  possible  que  les  changements  prodigieux  de  pression  dus  à  ces  vagues  ,  sont 
augmentés  encore  par  des  mouvements  analogues  à  l'intérieur  de  la  croûte.  Ainsi 
arrive  le  moment  critique  oii  elles  ajoutent  «  la  dernière  paille  »  qui  doit  déterminer 
la  rupture.  Dans  cet  ordre  d'idées,  il  est  très  intéressant  de  remarquer  qu'au  moment 
oii  se  produisit  le  grand  choc  à  Charlestown  ,  cette  influence  de  la  marée  était  à  son 
maximum.  Le  29  août ,  la  lune  était  à  son  périgée  à  2  h.  du  matin  ;  le  même  jour  , 
nouvelle  lune  à  8  h.  du  matin ,  agissant  en  ligne  directe  avec  le  soleil  (l'èclipse  du 
.soleil  avait  lieu  à  5  h.  du  matin  le  29  août)  ;  c'est  pourquoi  on  a  eu  des  marées 
excessivement  hautes  pendant  i)lusieurs  jours  de  suite.  Le  passage  supérieur  de  la 
lune  avait  lieu  à  Charlestown  à  2  h.  22  du  soir  le  31  aoiàt.  La  haute  marée  qui  suivit 
(la  plus  haute  des  deux  marées  du  jour)  avait  lieu  à  9  h.  35  du  soir,  juste  vingt 
minutes  avant  que  le  choc  ne  se  produisit.  Cette  coïncidence  est  naturellement  très 
intéressante. 

Ce  qui  semble  remarquable  aussi,  c'est  qu'aucune  vague  de  mer  ne  suivit  le  choc  : 
et  c'est  un  fait  providentiel  qu'elle  n'ait  pas  eu  lieu,  sinon  les  résultats  de  destruction 
et  de  morts  d'hommes  auraient  été  cent  fois  plus  grands.  Une  vague  de  mer  (appelée 
souvent. très  incorrectement  une  vague  de  marée),  de  dimension  plus  ou  moins 
grande ,  est  l'accompagnement  presque  invariable  d'une  grande  secousse  qui  se 
pi'oduit  près  de  la  côte  de  la  mer. 

11  n'est  pas  nécessaire  d'entrer  maintenant  dans  de  plus  grands  développements 
sur  les  effets  généraux  de  ce  sérieux  tremblement  de  terre,  ni  de  faire  des  théories 
sur  les  causes  des  ti-emblements  de  ten-e  en  général  ou  de  celui-ci  en  particulier , 
plus  que  nous  l'avons  fait  déjà.  Pour  faire  une  étude  qui  ait  quelque  valeur  ,  il  faut 
attendre  la  compilation  et  l'élaboration  d'un  grand  nombre  de  matériaux  et  les 
rapports  des  géologues  qui  sont  actuellement  à  l'œuvre  dans  la  région  oii  la  catas- 
trophe a  fait  ses  plus  grands  ravages. 

Voyage  de  II.  le  docteur  Ilaveiï  à  l'Alaska.  —  M.  le  D'  Haven  a 
visité  ,  lui  aussi ,  l'Alaska  et  parcouru  la  région  du  grand  glacier  de  INIuir  qui  a  été 
découvert  en  1797  par  Vancouver  et  qni  a  plus  d'étendue  que  tous  les  glaciers  de 
l'Europe  réunis. 

Le  docteur  Haven  ne  croit  pas  que  l'Alaska  de\ienne  jamais  un  pays  agricole.  11  y 
fait  trop  froid  :  mais  sous  le  rapport  de  la  magnificence  et  du  caractère  pittoresque 
de  l'aspect  de  la  nature,  cette  région  est  sans  rivale  dans  le  monde. 

La  profoudetir  «le  la  rivière  IViagara.  —  Depuis  qu'un  certain 
M.  Graham  a  réussi,  enfermé  dans  un  tonneau  ,  à  sauter  les  chutes  du  Niagara,  des 
ingénieurs  américains  ont  voulu  avoir  des  renseignements  sur  la  profoudeui*  de  l'eau 
au-dessous  de  ces  chutes. 

Ce  n'est  que  très  difficilement  que  leur  bateau,  une  chadoupe  à  vapeur ,  a  pu 
s'approcher  du  pied  de  la  chute  :  car  de  grandes  et  fortes  vagues ,  sillonnant  la 
rivière ,  le  repoussaient  avec  force  ,  et  tel  était  le  fracas  ,  que  l'on  n'ai'rivait  pas  à 
s'entendre.  Ils  réussii'ent  toutefois  à  parvenir  aux  points  voulus  et  mesui'èrent  75 
pieds  de  profondeur  près  du  bord,  un  peu  plus  loin  90  pieds,  près  du  chemin  de  fer. 


-  158  — 

174  pieds.  Là  où  le  Niagara  se  rétrécit  presque  sabitement  entre  des  hautes 
murailles  presque  verticales  ,  il  coule  avec  une  telle  vitesse  qu'on  ne  peut  sonder  ; 
mais  où  commencent  les  tourbillons,  la  profondeur  de  l'eau  dépasse  195  pieds. 

Equateur.  —  Les  savants  français  qui ,  au  siècle  dernier ,  mesurèrent  par  la 
triangulation  un  arc  du  méridien  sous  Téquateur,  fixèrent  par  des  pyramides  les 
points  les  plus  importants  :  Oyambaro  ,  Caraburo  et  Tarqui.  Quelque  temps  après, 
le  Gouvernement  espagnol,  en  guerre  avec  la  France,  fit  détruire  ces  pyramides. 
M.  Roquafuerte,  Président  de  la  République  de  l'Equateur  ,  en  fit  reconstruire  deux. 

Aujourd'hui,  le  Gouvernement  équatorien  vient  de  voter  des  foads  pour  la  recons- 
truction de  la  troisième  pyramide  à  Tarqui,  extrémité  Sud  de  l'arc  mesuré  par  les 
savants  français. 

Voyage  de  M.  Ten  Kate  dans  l'Amérique  du  $$ud.  —  M.  Ten  Kate 
a  quitté  le  15  décembre  1885  ,  Parainaribo  pour  aller  visiter  les  nègres  des  bois  sur 
le  Haut-Surinam  ;  puis  il  a  parcouru  les  deux  rives  du  Maroni,  depuis  GalLbi,  à  son 
embouchure  ,  jusqu'au  saut  d"x\rmina ,  près  duquel  habite  Apatou ,  le  brave  et 
dévoué  compagnon  de  Crevaux.  Là ,  se  trouvent  des  établissements  pénitentiaires 
peuplés  de  déportés  arabes  et  annamites  et  des  placers  d'or  encore  inexploités. 

Pai"  George-Town,  dans  la  Guyane  anglaise,  M.  Ten  Kate  arriva  à  l'île  de  la  Trinité 
et  de  là,  gagna  Giudad  Bolivar  dans  le  Venezuela,  oii  il  arriva  le  7  mars.  Visitant  les 
pays  parcourus  par  Humboltd,  il  atteignit  Cumana  lo  1*'  avi'il. 

De  là,  par  La  Guayra  ,  il  s'est  rendu  à  New-Yorli  d'où  il  est  revenu  en  Hollande 
après  une  absence  de  quatorze  mois  (juin). 

lies  communications  entre  le  Brésil  et  la  Bolivie.  —  D'après 
le  Commercio  do  Amazonas,  il  résulte  d'un  voyage  d'exploration  dans  le  haut  Purus, 
de  laquelle  ont  fait  partie  plusieurs  commerçants  ,  que  la  navigation  y  est  moins 
difficile  que  dans  la  Madeira,  et  que  la  communication  avec  la  République  de  Bolivie, 
par  le  Purus,  serait  moins  coûteuse,  moins  longue,  et  dans  tous  les  cas  plus  facile 
que  pai"  le  fleuve  Madeira.  Les  explorateurs  ont  rencontré  une  tribu  d'Indiens  qui 
parlaient  l'espagnol  comme  on  n'avait  jamais  entendu  parler  dans  la  vallée  de 
Purus  ;  ils  se  sont  mis  en  rapport  avec  ces  Indiens  et  ont  échangé  des  produits  de 
l'industrie  amazonnienne  pour  des  arcs ,  des  flèches ,  des  plumes  et  des  pannes , 
fabriqués  par  les  Indiens. 

Traversée  de  l'Amérique  du  Sud  par  11.  Fouaiilet.—  M.  Fouail- 
let,  ancien  ingénieur,  employé  aux  travaux  du  percement  de  l'isthme  do  Panama, 
vient  de  visiter  en  détail  l'Amérique  méridionale. 

Il  a  parcouru  d'abord  la  côte  du  Pacifique  à  partir  d'Antofagasta ,  exploré  la 
Cordillère  occidentale  jusqu'au  lac  Titicaca,  et  visité,  sur  son  parcours,  Puno  dans  le 
Pérou,  et  Chititaya  dans  la  Bolivie. 

Arrivé  aux  sources  du  Pilcomayo ,  il  côtoya  cette  rivière  jusqu'au  Gachimayo  , 
dans  la  province  de  Ghuquisaca  ,  et  pénétra  dans  le  centre  de  la  Bolivie. 

Dans  ce  pénible  voyage,  il  avait  pour  compagnon  M.  F.  Ligée  et  deux  Indiens. 

Il  descendit  le  Rio  Pilcomayo  dans  une  espèce  de  cauiot  fait  de  troncs  d'arbres  et 
arriva  à  Port-Pacheco. 

Il  fut  assez  heureux  de  pouvoir  recueillir  de  la  bouche  de  quelques  Indiens  Tobas 
des  particularités  sur  la  mort  tragique  de  Crevaux,  et  il  sut  où  était  enterré  notre 
infortuné  compatriote. 

M.  Fouaiilet  continua  à  explorer  le  Rio-Pilcomayo  jusqu'à  Bupai-Uarmi,  à  environ 
40  lieues  de  son  embouchure.  Étant  obligé  de  revenir  sur  ses  pas,  il  atteignit  Santa- 
Luccie,  et  parcourut  à  cheval  les  plaines  qui  séparent  ce  village  de  Santa -Fé. 


—  159  — 

M.  Fouaillet  se  propose  -de  remonter  le  Pilcomayo  et  de  rechercher  les  restes  de 
Crtvaux,  qui  doivent  s(>  trouver  à  Ipah  ,  dans  les  environs  de  Avenirarcha  ,  sur  la 
rive  droite  du  fleuve  et  à  71  lieues  de  son  confluent. 

1%'onvellcs  de  II.  Tliouar.  —  Les  nouvelles  reçues  de  M.  Thouar  ne  sont  pas 
satisfaisantes.  L'explorateur,  après  avoir  remonté  le  Pilcomayo  sur  un  long  parcours, 
a  été  tellement  fatigué  par  son  voyagi>,  qu'il  est  tombé  malade  et  qu'il  attend  d'être 
un  peu  remis  pour  continuer  son  voyage  jusqu'à  Sucre,  la  capitale  de  la  Bolivie. 

Depuis  son  départ,  il  a  exécuté  cent  cinquante  croquis,  types  et  paysages ,  un 
itinéraire  de  Buenos-Ayros  à  Tucuman  ,  de  Tucuman  à  Salta  ,  de  Salta  à  Jujuy  ,  de 
Jujuy  à  Tarija,  de  Tarija  à  Aguairenda,  de  Caisa  à  Macharetti.  A  San-Francisco,  il  a 
vu  h'S  Tobas  et  recueilli  un  rt'Volver  de  la  mission  Crevaux. 

Départ  de  .11.  Fernandcz  pour  l'exploration  de  l'Araguay- 
Guazu.  —  Au  mois  de  septembre  ,  un  capitaine  de  la  marine  argentine,  M.  Fer- 
nandcz ,  est  parti  d(3  Buenos-Ayres  pour  explorer  la  rivière  Araguay-Guazu  et 
compléter  les  recherches  faites  par  le  commandant  Fontana  en  1882.  C'est  sous  le 
patronage  de  l'Ipstitut  géographique  argentin  qu'a  lieu  cette  exploration  qui  a  pour 
but  également  de  trouver  un  débouché  à  la  Bolivie  intérieure. 

I%ouvelIe  expédition  II.  de  Brettes  dans  le  Gran-Cbaco.  — 

M.  de  Brettes  va  étudier  la  ban<li'  de  territoire  comprise  entre  le  Rio  Pilcomayo  et 
11'  Rio  Bermejo.  11  est  accompagné  de  M.  de  Boisvie  ,  ingénieur,  et  Robin,  ex-sous- 
officier  d'artillerie. 

Le  Gouvernement  argentin  lui  a  fourni  une  escorte. 

M.  de  Boisvie  a  déjà  habité  le  Paraguay  et  l'Uruguay.  11  est  tout  particulièrement 
chargé  de  l'hydrographie  de  l'expédition. 

M.  de  Brettes  entrera  dans  le  Ghaco  en  remontant  le  cours  du  petit  Rio  Monte- 
Lindo ,  jusqu'au  point  où  ce  cours  d'eau  s'infléchit  vers  le  Sud-Ouest ,  à  environ 
quinze  lieues  de  son  embouchure  dans  le  Rio  Paraguay.  Une  partie  du  Monte-Lindo 
a  été  explorée  en  1881  par  le  commandant  Sola. 

Du  point  où  il  quittera  le  Montn-Lindo,  M.  de  Brettes  suivra  une  ligne  aussi  droite 
que  possible,  parallèle  aux  rios  Bermejos  et  Pilcomayo,  dans  la  direction  de  Tarija. 
11  coupera  ainsi  à  angle  droit  le  parcours  suivi  par  le  colonel  Ibazetta,  qui  a  fait  le 
trajet  d'un  rio  à  l'autre.  11  tentera  de  s'aboucher  avec  les  tribus  des  Tobas  qui  ont 
massacré  l'expédition  Crevaux  et  de  recueillir  des  données  plus  sérieuses  que  celles 
qui  ont  été  mises  en  avant  jusqu'à  ce  jour. 

Départ  de  II.  le  lieutenant  -  colonel  Fontana  pour  la  Pata- 
g^oiiie.  —  C'est  encore  la  Patagonie  que  le  colonel  Fontana  va  explorer.  11  visitera 
cette  fois  la  zone  comprise  entre  les  rivières  de  Chubut  et  de  Senguel,  ainsi  que  les 
points  situés  au  Nord  jusqu'au  42''  degré  de  latitude  et  jusqu'au  46'  degré  au  Sud. 

Découverte  de  gisements  aurifères  à  la  Terre-doFeu.  —  De 

Buenos-Ayres,  M.  Ch.  Rouvier,  ministre  de  France,  écrit  à  la  date  du  26  septembre 
qu'on  vient  de  constater  l'existence  de  gisements  aurifères  dans  la  Terre-de-Feu.  Les 
terrains  qui  avoisineiit  la  baie  de  Saint-Sébastien  contiendraient  de  l'or  en  abondance, 
sous  forme  de  lamelles  ou  de  petits  œufs  (pépites).  En  dépit  de  sa  température 
glacile,  le  pays  est  habité  par  une  belle  race  d'hommes,  les  Onas,  qui  semblent  être 
les  derniers  vestiges  des  Patagons.  Grands,  bien  faits,  de  mœurs  douces  et  hospita- 
lières, les  Onas  n'apporteront  aucun  obstacle  aux  travaux  d'exploration  auxquels  on 
va  se  livrer.  D'autre  part ,  la  colonisation  européenne  commence  à  se  porter  en 
Patagonie  ;  plus  de  cinquante  familles  s'y  sont  étjiblies  dans  ces  derniers  temps. 


-  160  - 

OCÉANIE. 

Expédition  de   11.  O.  Forbes  dans  la  ItouTClie  -  Guinée. — 

L'expédition  de  l'explorateur  anglais  H.-O.  Forbes  vers  la  chaîne  de  montagnes  de 
Owen-Stanley  ,  a  échoué  à  cause  du  manque  de  ressources.  Par  suite  de  retards 
imprévus  que  son  départ  avait  subis,  il  était  arrivé  seulement  à  la  fin  d'août  1885  au 
port  de  Moresby ,  trop  tard  pour  entreprendre  encore,  avant  la  saison  des  pluies  , 
l'expédition  vers  le  centre  de  la  chaîne  de  montagnes  :  cela  l'obligt^a  à  établir  une 
station  au  village  de  Sogeri,  à  deux  journées  de  marche  dans  l'intérieur  des  terres. 
Durant  son  séjour  forcé  à  Sogeri,  il  employa  tous  ses  loisirs  à  recueillir  des  obser- 
vations météorologiques  et  à  faire  la  triangulation  du  district  en  rapport  avec  les 
levés  anglais  des  côtes.  Il  explora  le  district  dans  tous  les  sens  et  il  est  parvenu  à 
recueillir  près  de  4,000  espèces  de  plantes  dont  il  a  fait  l'envoi  au  British  Muséum, 
indépendamment  d'un  grand  nombre  d'oiseaux.  Il  a  ainsi  noué  dos  relations  amicales 
avec  les  tribus  de  l'intérieur  et  engagé  ses  aides  d'Amboyne  à  apprendre  leur  langue. 
Enfin,  vers  le  milieu  du  mois  d'avril,  il  est  parti ,  accompagné  du  Révérend  J.  Ghal- 
mers,  pour  le  mont  Owen  Stanley  ;  malheureusement,  il  était  insuffisamment  pourvu 
pour  un  long  séjour,  à  cause  de  l'épuisement  de  ses  provisions  et  de  ses  moyens 
pécuniaires.  Arrivée  dans  le  territoire  des  tribus  d'Ehe  et  de  Bereka,  son  expédition 
se  trouva  au  pied  des  falaises  escarpées  qui  forment  la  base  de  la  chaîne  de  mon- 
tagnes. On  ne  pouvait  persuader  les  naturels,  à  cause  de  leur  crainte  superstitieusr 
de  la  montagne,  à  accompagner  son  expédition  et  au-delà  de  ce  point  il  n'y  avait  })lus 
d'habitants  ni  de  chances  d'obtenir  de  la  nourriture.  Le  pays  était  d'une  âpreté 
extrême,  présentant  une  succession  d'abîmes  et  d'élévations  escarpées  couverts  d'une 
végétation  dense  et  chétive,  sans  sentiers  et  sans  moyens  de  transport.  La  boussole 
était  dérangée  par  une  force  magnétique  qui  la  rendait  impropre  au  service.  M.  Forbes 
croit  qu'il  aurait  atteint  le  sommet  avec  vingt  hommes  qu'U  avait  avec  lui,  s'il  avait 
eu  les  moyens  de  les  payer  pour  un  terme  de  service  plus  long  ,  leur  terme  actuel 
expirant  le  l*''  du  mois  de  mai.  Mais  comme  il  avait  épuisé  ses  moyens  ,  il  fut  forcé  , 
bien  à  contre-cœur,  de  retourner  sur  ses  pas.  11  arriva  au  port  Moresby  au  commen- 
cement de  mai  et  après  avoir  licencié  ses  hommes,  il  se  mit  en  route  pour  Cooktown 
dans  le  Queensland  ,  pour  se  rendre  de  là  à  Sydney  et  y  engager  les  autorités  colo- 
niales à  lui  fournir  les  moyens  de  renouveler  son  essai.  Mais  il  a  accepté  depuis  le 
poste  de  commissaire  pour  le  Sud-Est  de  la  Nouvelle-Guinée  avec  résidence  à  l'île 
de  Dinner. 

De  i'étyniolojiçte  de»  noms  en  llalaisic.  —  Un  obligeant  correspon- 
dant qui  a  visité  les  Indes  néerlandaises  .  nous  envoie  une  note  sur  l'étymologie  des 
noms  de  Bornéo  et  de  Célèbes. 

Le  nom  de  Bornéo,  —  Le  numéro  du  1"  septembre  1886  du  journal  Bataviaasch 
Nieuwsblad  explique  comme  suit  l'origine  de  ce  nom. 

Chacun  sait  bien  certainement  que  les  indigènes  ne  connaissent  pas  le  nom  de 
Bornéo  que  les  Européens  donnent  à  la  plus  grande  des  îles  de  l'archipel  malais. 
Parlez-leur  de  Bandjermasin,  de  Pontianak,  Sambas  ou  Soekadana(i),  ils  vous  répon- 
dront au  sujet  de  ces  diverses  localités  ,  suivant  qu'ils  les  ont  visitées  ,  qu'ils  y  ont 
des  liens  de  famille  ou  des  relations  de  commerce  ;  mais  demandez  à  ces  mêmes 
gens  s'ils  ont  déjà  été  à  Bornéo,  ils  vous  répondront  :  néant. 

Pourtant  le  nom  de  Bornéo  doit  être  indigène,  mais  combien  il  doit  être  abâtardi  ! 


(1)  La  diphtongfue  oe  en  mahis  se  prononce  comme  ou  en  françai-^ 


-  Ifil  - 

car  ce  n'est  pas  le  nom  d'une  personnalité  européenne  ni  celui  d'une  région 
européenne. 

Broenei  ou  plutôt  Beroenei ,  comme  il  faut  écrire  ce  mot,  est  formé  de  oenei  avec 
le  préfixe  ber  et ,  précédé  du  mot  Tanah ,  il  signifie  Terre  à  Benjoin  ;  de  plus , 
cette  appellation  est  stnilement  donnée  à  cette  partie  de  l'île  qui  est  située  au  nord 
des  possessions  néerlandaises  de  Bornéo  ,  entre  les  2°  et  4'^  degrés  de  latitude  nord  , 
et  non  pas  à  l'île  tout  entière. 

J'ai  trouvé  dernièrement,  dans  quelques  vieux  papiers,  l'explication  du  nom  de 
Bornéo  étendu  à  cette  île,  explication  qui  me  paraît  très  admissible  et  que,  pour  cette 
raison,  je  donne  ci-après  : 

Le  capitaine  d'un  navire  de  la  Compagnie  des  Indes  orientales  qui  était  venu  pour 
la  première  fois  à  Soekadana  devait,  entre  autres  choses  ,  y  prendre  un  chargement 
de  noix  de  coco. 

A  la  vue  des  nombreux  cocotiers  qui  étaient  plantés  le  long  de  la  plage .  il  fit 
remarquer  au  Djoeroe  batoe  (pilote)  indigène,  qu'il  pourrait  certainement  obtenir  là 
les  noix  de  coco.  Le  Bjoeroe  batoe  répondit  :  Boleh  ,  Toean  ,  kerna  ini  tanah  bern- 
jioer.  iyous  le  pouvez,  seigneur,  c'est  ici  une  terre  à  noix  de  coco.) 

Le  capitaine  qui  ne  savait  pas  que  le  mot  anglais  njioer  (1)  signifiait  noix  de  coco, 
crut  que  bernjioer  était  le  nom  du  pays  devant  lequel  il  se  trouvait  à  l'ancre  et 
l'inscrivit  sur  son  journal  de  bord  comme  bernioer. 

Que  ce  mot  soit  devenu  très  rapidement  dans  la  bouche  des  Européens  bernjioer, 
bernioer  :  Bornéo,  cela  se  peut  très  bien  concevoir.  Combien  de  noms  abâtardis  de 
localités  indigènes  sont  encore  maintenant  eu  usage  !  Un  exemple  entre  un  grand 
nombre  ,  Prinseneiland  (île  du  Prince)  que  nous  nommons  opiniâtrement  Poeloe 
Pandita,  tandis  que  le  nom  indigène  est  réellement  Poeloe  Penggeitan. 

Le  nom  de  Célèbes.  —  J'ai  souvent  eu  l'occasion  de  remarquer  que  le  nom  de  la 
grande  île  Selebes  était  écrit  de  deux  manières  différentes  :  Selebes  ou  Celebes  sur 
les  cartes  publiées  de  l'ai'chipel  malais,  ainsi  que  dans  les  livres  de  voyages  et  de 
géographie 

Me  trouvant  un  jour  chez  ]\I.  van  Hëvell  (2) ,  assistant-résident  à  Païnan  ,  qui , 
antérieurement ,  avait  séjourné  pendant  plusieurs  années  dans  les  Moluques  et  qui 
connaît  les  différents  dialectes  qui  y  sont  parlés,  je  lui  demandai  comment,  selon  lui, 
le  nom  de  l'île  devait  être  orthographié.  D'après  les  renseignemen.ts  qu'il  a  bien 
voulu  me  communiquer  ,  il  résulterait  que  Selebes  ou  Celebes  est  un  nom  imposé  à 
l'île  par  les  navigateurs  européens  ,  que  celle-ci  a  été  très  probablement  la  première 
des  îles  Moluques  qui  ait  été  visitée  par  eux  et  que  sans  doute  elle  a  reçu  alors  le 
nom  de  Soeloe  besi  pour  la  distinguer  des  autres  îles  Sooloe  situées  plus  au  nord.  Le 
mot  malais  besi  veut  dire  fer  et,  en  effet,  la  côte  ouest  de  l'île  est  riche  en  minerais 
de  fer.  Par  dégénérescence  ou  abâteœdissement ,  le  nom  Soeloe  besi  est  très  proba- 
blement devenu  Selebesi  et  enfin  Selebes  ou  Celebes. 

Il  conviendrait  donc  d'écrire  plutôt  le  nom  avec  un  S  :  Selebes. 


(1)  Le  mot  malais  ordinairement  employé  pour  noix  de  coco  est  :  kalapa  ;  le  mot  njioer 
est  sans  doute  spécialement  en  usage  chez  les  Malais  de  cette  partie  de  Bornéo. 

{Note  du  traducteur.) 

(2)  M.  van  Hoëvell  est  retourné  depuis  peu  dans  les  Moluques  où  il  occupe  actuellement 
le  poste  d'assistant-résident  à  Gorontalo,  dans  la  presqu'île  nord  de  Selebes.  Il  est  l'auteur 
d  un  ouvrage  très  estimé  intitulé  ;  Ambon  en  moor  hepanldelijk  de  Oeliasers  (in  8°  avec 
carte),  door  G.-W.-W.-C.  baron  van  Hoëvell.  Dordrecht,  Blussé  ea  van  Braam;  18"75. 


-  162  - 

Les  indigènes  ne  désignent  pas  l'île  par  un  nom  général,  mais  ils  donnent  des 
noms  spéciaux  aux  différentes  parties  des  côtes  :  Tanah,  Manghasar  (1),  Tanah 
Wadjo,  Menado^  etc.,  etc. 

|ja  questiou  de  la  côte  llaclay.  —  M.  Michluho  Maclay,  lisons-nous 
dans  le  journal  d(  s  Débats^  ist  un  Pttit-Russien  né  en  1857  qui,  dès  vingt  ans,  partit 
pour  les  universités  allemandes  et  se  livra  avec  ardeur  à  des  études  d'anthropologie, 
d'anatomie  comparée,  d'ethnographit;  sous  Virchow.  notamment,  et  Charles-Ernest 
de  Boer.  Ce  derni(  r,  insiste  dans  sa  Crdnioloffie  sur  les  importants  problèmes  de 
mélange  et  de  diffusion  des  races  négroïdes  que  l'on  pourrait  résoudre  par  l'étude  des 
peuplades  inconnues  qui  habitent  la  Nouvelle-Guinée.  Ce  fut  là  le  point  de  départ  pro- 
bablement de  la  vocation  de  jNI.  Maclay,  et  en  1871,  à  peine  âgé  de  vingt-quatre  ans,  il 
s'embarqua  sur  le  navire  de  guerre  russe  Vitias^  et  malgré  tous  les  conseils  et  toutes 
les  supplications  des  personnes  qui  connaissaient  la  cruauté  des  habitants  de  la  grande 
île  Papoua,  il  se  fit  débarquer  avec  deux  serviteurs  sur  le  littoral  Nord-Ouest  de  la 
Nouvelle-Guinée,  entre  le  Cap  Croisilles  et  le  Cap  King  William,  sur  une  côte  qui 
a  reçu  depuis  le  nom  de  côte  Maclay.  On  porta  ses  instruments  et  ses  bagages  à 
terre  ;  les  chai-pentiers  du  navire  lui  bâtirent  une  hutte  à  laquelle  il  ne  voulut  même 
pas  que  l'on  mit  des  verrous  ,  puis  le  navire  leva  l'ancre  et  disparut  le  laissant  seul 
sur  une  terre  inhospitalière  dont  les  habitants  sont  adonnés  à  l'antliropophagie  et  se 
ti-ouvent  au  plus  bas  d^■g•ré  de  la  civilisation.  Pendant  plus  d'un  an,  jusqu'en  décembre 
1872,  il  vécut  avec  des  honmies  qui ,  selon  sa  propre  expression,  en  étaient  encore  à 
l'âge  de  pierre. 

Les  commencements  furent  difficiles.  L'un' des  serviteurs  de  M.  Maclay  tomba 
malade  et  mourut  ;  l'autre,  effrayé  par  l'attitude  peu  rassurante  des  sauvages,  n'osait 
abandonner  la  hutte.  M.  Maclay  était  seul  à  s'aventurer  au  loin.  Il  ne  connaissait  ni 
la  langue  ni  les  coutumes  des  aborigènes  ;  il  était  sans  armes  ,  n'ayant  pas  voulu 
conserver  des  moyens  de  défense  auxquels  il  aurait  tôt  ou  tard  commis  l'imprudence 
d'avoir  recours  ;  muni  seulement  de  son  ombrelle  ,  de  son  calepin  et  de  son  crayon  , 
il  allait  au  loin  étudier  la  botanique  et  la  faune  de  l'île.  Les  sauvages  ne  savaient  que 
penser  de  ce  petit  homme  mince,  blanc  et  blond  qui  semblait  ne  pas  s'apercevoir  de 
leur  présence.  Ils  le  suivaient  à  distance  en  l'entourant,  essayaient  de  le  mettre  à 
l'épreuve  en  le  visant  avec  leurs  arcs  ou  en  faisant  semblant  de  le  frapper  avec  leurs 
lances.  Mais  quand  ils  virent  que  cet  homme  étrange  restait  inoffensif  et  souriant,  et 
que,  loin  de  leur  nuire,  il  leur  rendait  service  en  pansant  leurs  blessures,  en  leur 
donnant  des  morceaux  de  fer,  ils  prirent  confiance  et  peu  à  peu  des  relations  amicales 
s'établirent  entre  l'explorateur  et  les  Papouas. 

M.  Maclay  parle  de  ces  sauvages  avec  estime.  Ils  mangent  leurs  prisonniers  de 
guerre,  mais  ils  traitent  Ijien  leurs  femmes  ;  ils  ont,  comme  tous  les  vrais  sauvages, 
le  respect  absolu  de  la  vérité  et  de  la  parole  donnée  ;  ils  connaissent  la  propriété  , 
mais  ils  n'ont  aucune  religion  et  pas  de  caste  sacerdotale.  M.  Maclay  leur  en  imposa 
surtout  par  sa  véracité  minutieuse  et  par  son  habitude  de  tenir  eonstammimt  ses 
promesses. 

Il  resta  ainsi  à  la  côte  Maclay  jusqu'en  décembre  1872,  quand  un  navire  russe  le 
rendit  à  la  vie  civilisée  en  le  conduisant  à  Batavia.  Il  publia  alors  des  recherclies  sur 
la  cràniologie  des  Mélanési(>ns ,  puis  parcourut  les  îles  Malaises  jusqu'en  1875.  En 
1876,  il  entreprit  un  long  voyage  dans  les  Archipels  de  la  Micronésie  occidentale  , 
puis  en  1877,  il  revint  s'établir  à  la  côte  Maclay  et  pour  apprendre  à  connaître  mieux 


(1)  Le  nom  est  généralement  écrit  d'une  manière  incorrecte  :  Mccassar. 


-  163  - 

los  aborigènes,  il  élut  doniicilc  sur  l'îlo  Bili-Rili  oii  les  habitants  fabriquent  dos  poto- 
ries  qui  attirent  ch(>z  eux,  de  temps  en  temps,  des  membres  des  tribus  de  l'intérieur. 
Il  était  en  excellentes  relations  avec  les  indigènes  ;  il  était  assez  estimé  et  connu 
d'eux  pour  qu'un  mot  de  passe  donné  par  lui  pût  servir  de  sauf-conduit  dans  toute 
l'île.  Dans  les  voyages  qu'il  venait  de  faire  en  Océanie  ,  il  avait  été  témoin  de  la 
destruction  et  de  la  misère  des  races  noires  par  suite  du  contact  de  la  civili- 
sation, par  l'abus  des  spiritueux  ,  les  maladies  contagieuses,  les  massacres,  et  cette 
chasse  aux  esclaves  à  peine  déguisées  qui  Sc>  pratique  dans  toute  l'Océanie  sous  le 
nom  d'engag(Mnents  libres  ,  pour  procurer  des  bras  à  l'Australie.  Il  voulut  épargner 
ees  maux  aux  habitants  de  la  côte  qu'il  avait  visitée  et,  ayant  obtenu  leur  assenti- 
ment, il  s'adressa  le  23  janvier  1879  à  sir  Arthur  Gordon  ,  haut  Commissaire  anglais 
pour  le  Pacifique  Occidental  et  l'un  des  fonctionnaires  anglais  les  plus  liumains  et 
les  plus  éclairés  qui  aient  rempli  ce  poste.  M.  Maclay  demandait  le  Protectorat  de 
l'Angleterri)  pour  les  15,000  à  20,000  Papouas  qui  habitent  la  côte  Maclay  et  en 
possèdent  les  terres.  Une  invasion  de  blancs  qui  s'emparerait  des  champs  de  cette, 
tribu  la  forcerait  à  se  retirer  vers  l'intérieur,  et  à  y  chercher  de  nouvelles  terres.  Ils 
seraient  repoussés  par  les  habitants  des  montagnes  ;  de  là  des  guerres  sans  fin. 
M.  Maclay  voulait  que  l'Angleterre  reconnût  leur  droit  de  propriété ,  comme  elle 
l'avait  fait  pour  la  Nouvelle-Zélandi',  et  qu'elle  interdît  l'importation  de  l'eau-de-vie  , 
des  armes  et  de  la  poudre. 

A  cette  époque,  l'Angleterre  n'avait  pas  encore  de  rivaux  dans  cette  partir'  du 
monde  ;  la  politique  coloniale  de  l'Allemagne  n'était  pas  inaugurée  ;  l'appel  de 
M.  Maclay  ne  fut  pas  entendu,  et  la  Nouvelle-Guinée  resta  un  pays  sauvage,  n'appar- 
tenant en  fait  à  personne.  Il  y  a  deux  ans,  quand  M.  de  Bismarck  prétendit  à  la  posses- 
sion d'une  partie  de  la  côte  de  l'île,  l'Angleterre  se  rappela  trop  tard  cette  lettre  de 
M.  Maclay.  Elle  cita  sa  demande  dans  une  note  du  19  septembre  1884.  Le  Ghaancelier 
répondit,  le  14  janvier  1885,  que  cette  demande  n'avait  pas  été  suivie  d'effet  et  qu'elle 
ne  donnait  à  l'Angleterre  aucun  droit  sur  la  côte  dont  elle  avait  négligé  d'assurer  le 
Protectorat.  L'Allemagne  passa  outre  et  s'enipai'a  de  la  côte  de  Maelay  sans  prendre 
à  l'égard  des  indigènes  aucune  des  mesures  de  protection  que  réclamait  son 
explorateur. 

M.  Maclay  résolut  alors  d'affirmer  ses  droits  personnels  à  la  côte  qu'il  avait  habi- 
tée si  longtemps  et  s'adressa  au  Gouvernement  russe  pour  demander  protection.  11 
poursuit  cette  campagne  depuis  Sydney  où  il  s'est  établi  il  y  a  doux  ans ,  et  une 
partie  de  la  presse  russe  soutient  ses  demandes.  Sans  qu'il  soit  permis  de  croire  que 
la  question  de  la  côte  Maclay  doive  susciter  de  bien  grosses  difficultés  enti-e  la  Russie 
et  l'Allemagne,  il  est  curieux  de  constater  que  cette  puissance  rencontre  sans  cesse 
des  Slaves  sur  le  chemin  de  ses  entreprises  coloniales.  Ce  fut  M.  Ragozinski  aux 
Caniérouns  ;  c'est  aujourd'liui  M.  Michluho  Maclay  à  la  Nouvelle-Guinée. 

L'Alleniajsne  en  Océanie.  —  L'Allemagne  a  définitivement  renoncé  à  la 
station  et  au  dépôt  de  charbon  que  le  protocole  de  Rome  lui  avait  accordés  dans  l'une 
des  îles  Garolines  ou  des  îles  Palaos. 

L'Allemagne  a  acquis,  dans  les  îles  Marshall,  des  ports  qui  valent  mieux  que  les 
stations  auxquelles  elle  renonce. 

D'un  autre  côté ,  la  Compagnie  allemande  de  la  Nouvelle-Guinée  ,  a  établi  une 
seconde  station  à  Port-Hatzf(>ldt  par  145°  9'  longitude  Est  et  4"  24'  latitude  Sud  ,  et 
une  troisième  à  Port-Constantine,  par  145"  45'  longitude  Est  et  5»  30'  latitud(>  Sud. 

U.  le  capitaine  Dailiuaun  sur  la   rivière  Augusla.  —  M.  le 

capitaine   Dalmann    a   parcouru  au  mois   d'avril   dernier ,    avec    un  petit  vapeur , 


—  164  - 

l'importante  rivière  découverte  par  le  docteur  Finsch  et  à  laquelle  on  a  donné  le 
nom  de  l'impératrice  Augusta,  sur  la  côte  Nord  de  la  Nouvelle-Guinée. 

li'ilc  Uréparapara  (Nouvelles-Hébrides).  —  Pendant  son  exploration  dans 
l'archipd  des  Nouvclles-Hébi'ides  ,  la  Dives  a  découvert ,  le  30  mars  ,  un  excellent 
mouillage  dans  l'île  Ui'éparapara,  oii  aucun  navire  n'avait  jamais  pénétré. 

L'Etat-Major  de  ce  bâtiment  a  levé  le  plan  de  cette  baie  et  en  a  relevé  les  sondages, 
pour  doter  nos  cartes  marines  de  cet  abri  précieux  qui,  en  l'honneur  du  navire  et  de 
son  équipage  ,  port;  ra  le  nom  de  baie  de  la  Dives. 

Une  île  nouvelle.  —  Une  île  nouvelle  a  été  découverte  au  Nord  de  l'Océan 
Pacifique  par  un  vapeur  anglais  se  rendant  de  Sydney  à  Shanghaï. 

L'île  d'Allison  (C'est  le  nom  qu'on  lui  a  donné,  d'après  celui  du  capitaine  qui  com- 
njandait  le  navire)  est  située  entre  l'île  Durour  et  le  groupe  de  l'Echiquier,  par  1°  25' 
de  latitude  Sud  et  143"  26'  de  longitude  Est.  Elle  a  environ  2  à  3  milles  de  long,  est  à 
une  altitude  de  100  à  150  pieds,  et  est  bien  boisée. 


REGIONS     POLAIRES. 


Départ  de  il.  le  colonel  Gllser  pour  le  pôle  ]l'ord.  —  Le  colonel 

Gilser  est  parti  d(^  Winipc  g,  h'  9  septembre,  à  la  tête   d'une  expédition  pour  les 
régions  arctiques,  dont  le  but  serait  d'atteindre  au  pôle  Nord. 

I.'e'xpédition  danoise  an  Groenland.  —  En  1886 ,  le  Fylla,  à  bord 
duquel  se  trouvait  le  prince  Waldemar  et  le  naturaliste  M.  Th.  Holm,  a  visité  la  côte 
occidentale  du  Groenland. 

Après  un  séjour  de  trois  semaines  dans  les  glaces  à  Gothaab,  (17  juin-9  juillet),  le 
F^ZZa  atteignit  Upernivik  le  17  juillet.  Pendant  un  mois,  les  naturalistes  ont  pu  fah'o 
leurs  recherches  sur  cette  côte  inhospitalière.  Le  Fylla  est  revenu  le  4  septembre  à 
Copenhague. 

11.  le  docteur  H.  Lalionne  eu  Islande.  —  M.  le  docteur  H.  Labonne, 
chargé  d'une  mission  en  Islande,  a  traversé  l'île  entière,  du  Nord  au  Sud,  sans  tente 
ni  provisions,  il  a  fait  l'ascension  de  l'Hékla,  dont  le  plus  haut  sommet  a  été  trouvé 
de  1,533  mètres  au-dessus  du  niveau  de  la  mer  ;  à  cette  altitude,  le  thermomètre 
marquait  14"  au-dessus  de  zéro,  tandis  que  dans  la  plaine  la  température  était  à 
8"  au-dessous  de  zéro.  M.  Labonne  a  visité  le  grand  geyser  ;  le  17  juillet  dernier,  il 
fut  témoin  d'une  éruption  qui  s'éleva  jusqu'à  33  mètres.  Il  a  recueilli  une  grande 
dalle  rejetée  par  un  geyser  et  située  à  5  mètres  de  profondeur ,  remplie  de  tiges 
euillées  qui  de  prime  abord  attestent,  en  dépit  des  traditions  des  Sagas  ,  que  l'an- 
cienne végétation  de  l'île  ne  dépassait  pas  la  proportion  des  arbrisseaux  actuels. 


-  165  - 


II.  —  Géographie  commerciale.  —  Statistiques. 


EUROPE. 


Ohanibrc  de  cominerce  espag;nole  à  Paris.  —  Se  conformant  aux 
récentes  instructions  reçues  de  son  gouvernement,  le  consul  d'Espagne  avait  adressé 
le  mois  dernier  un  avis  aux  deux  cent  cinquante  principaux  commerçants  espagnols 
résidant  k  Paris,  pour  les  inviter  à  se  réunir  à  l'ambassade  d'Espagne  ,  rue  Saint- 
Dominique  ,  dans  le  but  de  créer  une  Chambre  de  commerce  espagnole.  Cinquante 
personnes  environ  ont  repondu  à  cet  appel.  Elles  ont  nommé  une  Commission  qui 
s'est  mise  aussitôt  en  rapport  avec  le  consul.  A  la  suite  d'une  séance  qui  a  duré 
jusqu'à  quati'e  heures ,  la  nouvelle  Chambre  de  commerce  a  été  composée  de 
douze  membres.  Ce  sont  :  MM.  don  Salvador  Lopez,  président  ;  don  Moreno,  don 
Jore  Pellijevo  Juan  Minnuesa,  Adolfo  Calzado,  Dani(  1  Antola,  Abaroa,  Mariano  Urra- 
vietta,  Daniel  Espelata,  Arturo  Melida,  Enrique  Roose,  Ordonner. 


Le  coninicrce  extérieur  de  l'Autriclic.  —  En  Autriche,  les  expor- 
tations sont  toujours  en  augmentation  sur  les  importations  ,  on  peut  en  juger  par 
ce  fait  que  les  premières  dépassaient  les  secondes  : 

En    1885 de    114,000,000  florins. 

1884 79,000,000      - 

1883 125,000,000      — 

1882 128,000,000      - 

1881 90,000,000      — 

1880 63,000,000      — 


Ije  dév(^lo|tpeineat  de  l'iudustrie  allciiiaiidc.  —  Un  rapport  des 
Chambres  commerciales  allemandes  donne  les  résultats  suivants  du  développement 
de  l'industrie  allemande  durant  les  dernières  vingt -cinq  années.  Les  étonnants 
progrès  de  sa  production  ,  de  ses  importations  et  exportations  peuvent  être  relevés 
par  le  tableau  que  voici  Pour  faciliter  la  comparaison,  le  nombre  100  indique  le  point 
de  départ  : 

Population en  1860  100 

»        en  1885  124,1 

Extraction  de  charbon en  1861  100 

»  »        en  1885  412,5 

»    de  fer en  1861  100 

>     »   en  1885  717,1 


—  166  — 

Sucre eu  1871  100 

»      eu  1884  602,3 

Longueur  des  chemins  de  fer en  1868  100 

»  »  »     en  1882  214,3 

Capitaux  investis en  1868  100 

»  en  1882  274,4 

Consommation  de  fer en  1864  100 

»  »      en  1883  341,3 

»  de  charbon en  1872  100 

»  »        en  1883  155,6 

»      de  coton  en  1865  100 

»  »    en  1884  343,6 

»     de  jute en  1866  100 

»       »   eu  1884  3276,7 

Importations  totales en  1872  100 

»  en  1884  133,2 

Exportations  totales en  1872  100 

»  en  1884  190,7 


Les  progrès  matériels  de  l'Espagne.  —  Eu  1799 ,  la  population  de 
l'Espagne  était  de  10  millions  à  peine  ;  le  31  décembre  1882,  elle  était  de  18  millions. 
Eu  quatre-vingt-cinq  ans,  elle  a  augmenté  de  72  °/^ ,  ou  de  8,40  pour  1,000  tous  les 
ans.  11  y  a  quatre-vingt-cinq  ans  ,  la  population  agricole  était  de  3,615,006:  aujour- 
d'hui ,  elle  est  de  9,3^8,000.  La  superficie  du  sol  est  montée,  pondant  la  même 
période  ,  de  21,250,000  jusqu'à  77  millions  et  demi  d'hectares.  Il  y  avait  eu  1799  un 
peu  plus  de  19  millions  de  têtes  de  bétail  eu  Espagne  ;  il  y  eu  a  aujourd'hui  plus 
de  38  millions.  La  population  qui  s'adonne  au  commerce  et  à  l'industrie  était  alors 
de  1,033,000  âmes  ;  elle  est  présentement  de  3,038,000,  et  le  nombre  des  fabriques 
s'est  élevé  de  883  à  13,941. 

Pendant  ces  vingt-cinq  dernières  années  ,  les  échanges  de  l'Espagne  ont  suivi  une 
progression  ascendante  remarquable.  En  1860,  les  importations  et  les  exportations 
réunies  n'étaient  que  de  643  millions  de  francs  ;  elles  se  sont  élevées  à  ^21  millions 
en  1870,  à  1,361  millions  en  1880,  et,  enfin,  à  1,398  millions  en  1884.  L'augmentation 
annuelle  a  été  de  47  °/o. 

Dans  toutes  les  branches  de  production,  ou  signale  le  même  réveil.  L'Espagne  , 
aujourd'hui, produit  plus  de  20  millions  et  demi  d'hectolitres  de  vin  ;  elle  eu  consomme 
plus  de  13  millions  et  demi,  et  en  exporte  7  millions.  Comme  pays  viuicole,  elle  vient 
tout  de  suite  après  l'Italie  et  la  France. 

Eu  même  temps  ,  son  réseau  de  voies  ferrées  se  complète  activement.  En  1880 , 
elle  n'avait  que  4,180  milles  de  chemins  de  fer  ;  en  1884,  elle  en  avait  déjà  5,180,  soit 
une  augmentation  de  1,000  milles. 


Le  commerce  extérieur  de  la  Suisse.  —  Encore  un  pays  expiant 

cruellement  son  zèle  libre-échangiste  ! 

Le  rapport  publié,  pour  1885,  par  l'Association  suisse  du  commerce  et  de  l'indus- 
trie, nous  fournit  les  chiffres  suivants  qui  ne  sont  guère  en  faveur  de  la  balance 
commerciale  de  ce  pays. 

Pour  l'année  1865,  les  importations  sont  de  1  milliard  050,989,201  francs  ,  contre 


-  167  — 


seulement  954,561,285  francs  pour  les  exportations.  Dans  le  détail  concernant  les 
pi-incipaux  pays,  nous  relevons  les  chiffres  ci-après  : 


Allemagne 

Autriche  -  Hongrie . 

France 

Italie 

Belgique 

Hollande 

Russie 

Egypte 


IMPORTATIONS. 

Francs. 


315.870.922 

97.455.871 

235.216.156 

219.807.533 

37.397.792 

9.901.558 

24.588.681 

17.818.474 


EXPORTASIONS. 

Francs. 


274.498.383 

55.229.075 

191.536.988 

120.122.084 

21.337.872 

6.271.669 

15.239.768 

2  403.215 


VEconomist  apprécie  ce  rapport  de  la  façon  la  plus  sombre  : 

«  Le  rapport,  dit-il,  réprouve  toute  politique  de  représailles ,  toute  pratique  de 
droits  protecteurs,  de  primes  ou  de  drawbacks  et  insiste  sur  la  nécessité  de  rester 
fidèle  aux  règles  traditionnelles  du  libre-échange.  » 

Mais  il  ne  peut  s'empêcher  de  relever  l'opinion  émise  ironiquement  par  un  journal 
faisant  observer,  à  ce  sujet,  «  qu'autant  vaudrait  recommander  à  un  homme  en  train 
de  se  noyer  avec  les  mains  liées,  de  se  sauver  par  lui-même.  »  Et.  il  ajoute  qu'il  est 
à  craindre  que,  poussé  par  le  mouvement  d'opinion  existant  actuellement  en  Suisse, 
le  gouvernement  fédéral  ne  finisse  par  se  laisser  enfin  aller  à  des  mesures  légèrement 
protectionnistes. 

La  na^igatiou  daus  les  ports  ottomans.  —  Une  statistique  publiée 
par  la  douane,  établit  conmie  suit  le  mouvement  de  la  navigation  dans  les  ports 
ottomans,  du  T""  mars  1882  au  l^'  mars  1883.  L'époque  est  déjà  lointaine,  dira-t-on  ; 
mais  qui  connaît  la  Turquie  estimera  que  cette  statistique  réalise  un  grand  progrès. 

Angleterre 5.832.024  tonnes. 

Autriche-Hongrie •. . . .  3.787.740      — 

France 2.461.660      — 

Russie 1.926.517      — 

Turquie J. 306. 218      - 

Italie 1.089.878      — 

Grèce 1.516. 938      — 

Allemagne 138.358      — 

Belgique 97.364      — 

Suède  et  Norwège 92.324  tonnes. 

Danemark 57.954      — 

Hollande 29.555      - 


ASIE. 

Renseignements  statistiques  sur  l'Inde  angaise.  —  1.  Villes 
DE  l'Inde.  —  La  population  de  l'Inde  est  essentiellement  rurale  :  sur  1,000  personne  ; 


—  168 


909  vivent  dans  les  villages  et  91  seulement  dans  les  villes  ;  ou  ,  en  s'exprimant  en 
chiffres  absolus  :  de  253,577,619  personnes,  229,939,894  personnes  appartiennent  à  la 
population  des  campagnes  et  23,037,447  à  la  population  des  villes.  Aussi  n'y  a-t-il 
pas  moins  de  39,040  villages  qui  comptent  de  1.000  à  2,000  habitants  et  8,931  villages 
de  2,000  à  5,000  habitants. 

Si  Ton  admet  le  chiffre  de  5,000  comme  minimum  du  nombre  d'habitants  pour  une 
ville,  on  trouve  qu'il  y  a  1,902  villes  aux  Indes  ,  dont  66  de  plus  de  50,000  habitants. 
Il  est  à  remarquer  que  le  plus  grand  nombre  de  grandes  villes  se  trouvent  dans  le 
nord  de  l'Inde. 

Voici  les  villes  qui  ont  plus  de  100,000  habitants  : 


VILLES. 


Bombay 

Calcutta 

»       (faubourgs) 

Nord  suburbain 

Sud  suburbain 

Madras 

Hyderabad  avec  Secunderabad 

Lucknow 

Benares 

Dehli 

Patna 

Agra 

Bangalore 

Amritsar 

Gawnpore 

Lahore 

AUahabad , 

Jeypore 

Rangoon 

Poona 

Amedabad 

Bareilly 

Suret 

Howrah 

Baroda 


PROVINCES 
ou  ÉTATS. 


Bombay 

Bengale 

»        

»         

»        

Madras 

Hyderabad; 

Provinces  nord-ouest, 
»  » 

Punjab 

Bengale 

Provinces  nord-ouest 

Mysore 

Penjab 

Provinces  nord-ouest, 

Punjab 

Provinces  nord-ouest, 

Jeypore, 

Birma  britannique . . . 
Bombay 

»         

Provinces  nord-ouest, 

Bombay 

Bengale 

Baroda 


POPULATION. 


773.196 
433.219 
251.439 
29.982 
51.658 
405.848 
.354.902 
201.308 
199  700 
173.393 
170.654 
160.203 
155.857 
151.896 
151.444 
149.369 
148.547 
142.578 
134.176 
129.751 
1-27.621 
113.417 
109.844 
105.200 
101.818 


11.  Religions.  —  Les  règles  appliquées  lors  du  recensement  établissaient  la 
distinction  entre  huit  confcs.-5ions  religieuses.  Ce  sont  :  les  religions  des  Hindous  , 
des  mahométans,  des  aborigènes,  des  boudhistes,  des  chrétiens  ,  des  Sikh,  des  jain, 
des  Sasnami,  des  Kabipanthi,  des  adorateurs  de  la  nature,  des  Parsis,  des  juifs,  des 
Brahmo  et  des  Kunibhipathia.  Après  déduction  des  59,985  individus  dont  on  ne 


-  169 


connai^^sait  pas  la  religion  ,  la  population  restante  des  253,821 ,83f)  têtes  se  répartit 
niiniériquenieiit  dans  les  14  divisions  suivantes  : 


Nombre  absolu. 

Par  10,000 
de  population. 

Hindous 

187,937.4.50 

50.121.585 

5.426.511 

3.418.884 

1.862.634 

1.853.426 

1.221,896 

398.409 

347.994 

143.581 

85.397 

12.009 

1.147 

913 

7.402 

1.974 

2.53 

135 

73 

73 

48 

16 

14 

6 

5 

3 

Mahoniétans 

Aborigènes 

Boudhistes 

Chrétiens  

Sikh 

Jain 

Satnami 

Kabu'panthi 

Adorateurs  de  la  nature 

Parsis 

Juifs 

Brahmo 

Kumbhipathia 

Ce  tableau  emprunté  au  rapport  sur  le  recensement  de  l'Inde  britaïuiique.  vol.  I, 
diffère  par  plusieurs  détails  d'un  tableau  analogue  publié  par  le  Calendrier  de  Gotha 
pour  1886,  pp.  750,  qui  doit  avoir  été  pris  dans  le  recensement  de  l'empire  de  1881 , 
vol.  II  (statistique  de  la  population). 

Les  chiffres  ci-dessus  montrent  que  les  Hindous  forment  les  trois  quarts  de  la 
population  totale  de  l'Inde  britannique  ,  les  mahométans  représentent  les  8/10  du 
quart  restant ,  les  aborigènes  1/10  et  les  boudhistes  1/20.  Les  Hindous  se  trouvent 
dans  toutes  les  provinces  de  l'Inde  ;  seulement  dans  la  partie  britannique  du  Punjab 
et  du  Birma  britannique  ,  ils  forment  moins  que  la  moitié  de  la  popidation  ;  dans  le 
Mysore,  Madras,  Coorg,  Berar  et  Hyderabad  leur  nombre  dépasse  90  p.  c. 

Les  mahométans  sont  proportionnellement  les  plus  forts  dans  le  Punjab,  ensuite 
dans  le  Bengale  qui  dépasse  toutes  les  autres  provinces  par  ses  chiffres  absolus  , 
puis  suivent  Assam  et  les  provinces  nord-ouest.  Mysore  et  l'Inde  centrale  sont  les 
provinces  les  moins  mahométanes  des  Etats  indigènes,  et  les  provinces  centrales 
britamiiques  ont  l'élément  mahométan  le  plus  faible,  125  p.  1,000  seulement. 

Les  aborigènes  se  composent  d'une  foule  de  tribus  qui  habitent  les  régions  les 
plus  éloignées  et  dont  les  idées  religieuses  sont  de  la  nature  la  plus  grossière.  Ils 
adorent  toutes  sortes  de  forces  naturelles  ,  de  bons  et  de  mauvais  dieux  ,  et  ne  se 
distinguent  dans  leur  culte  que  par  certaines  particularités  de  tribus  :  des  6,426,511 
aborigènes  ,  2,055,822  se  trouvent  dans  le  Bengale  ;  1,533,599  dans  les  provinces 
australes  ;  et  891,424  dans  l'Inde  centrale. 

Les  boudhistes  appartiennent ,  pour  la  plus  grande  partie,  au  Birma  britannique 
(3,251,584  des  3,418,884),  pxovinces  en  dehors  de  laquelle  il  n'y  en  a  plus  que  200,000 
répandus  dans  le  reste  du  pays,  ce  qui  est  d'autant  plus  étonnant  que  l'Inde  a  été  le 
berceau  de  la  doctrine  de  Boudha. 

La  religion  chrétienne  est  une  des  plus  anciennes  de  l'Inde ,  comme  nous  le 

12 


—  170  - 

démontrent  les  traditions  et  les  inscriptions  en  langue  pehlvi,  sur  le  mont  Saint- 
Thomas  et  dans  d'autres  lieux.  Mais  malgré  le  zèle  dont  sont  animés  les  mission- 
naires qui  sont  venus  chercher  ici  un  champ  d'activité  à  leur  propagande  ,  il 
est  à  constater  qu'ils  n'ont  gagné  que  peu  de  terrain.  La  religion  chrétienne,  quoique 
prêchée  de  tous  côtés  depuis  assez  longtemps  ,  ne  compte  ,  d'après  le  recensement , 
que  1,862,634  âmes.  Ce  qui  accuse  toujours  une  progression  assez  importante  depuis 
les  derniers  recensements.  La  plupart  des  chrétiens  se  trouvent  dans  le  Sud  (Madras 
et  Travancore)  et  ensuite  dans  le  Bengale. 

Les  autres  confessions  ne  sont  pas  assez  importantes  pour  en  dresser ,  en  un 
tableau  spécial,  la  répartition  par  province. 

111.  Langues.  —  Robert  Cut  a  démontré  dans  son  ouvrage  faisant  époque  :  Esquisse 
des  langues  modernes  de  l'Inde  orientale  ,  Londres  ,  1878  ,  que  les  250  millions,  qu^ 
formaient  la  population  d'alors  de  la  presqu'île  du  Gange,  parlaient  97  langues  diffé- 
rentes et  234  dialectes,  parmi  lesquels  on  ne  comprenait  pas  les  langues  et  dialectes 
des  étrangers  immigrés  dans  le  pays  (Européens,  Américains,  Africains,  Asiatiques, 
etc.).  11  ramenait  ces  97  langues  à  cinq  grands  groupes  principaux  :  les  langues  indo- 
européennes (branche  hindoue),  les  langues  dravidienne,  kolarianienne  ,  tibétaine  et 
la  langue  khassi. 

De  ces  familles  de  langues  les  deux  premières  sont  les  plus  importantes  ;  tandis 
que  les  langues  indo-européennes  sont  répandues  dans  tout  le  nord  de  l'Inde  et  une 
partie  du  plateau  central ,  les  langues  dravidiennes  sont  parlées  dans  tout  le  sud. 
Celles  des  Koch  ,  Manda  ou  Vindhya,  est  en  usage  parmi  les  tribus  montagneuses 
non  cultivées  des  contrées  élevées  de  Chosa-Nagpur ,  au  sud-est  de  Calcutta  ;  les 
langues  tibétaines  ont  leur  domaine  dans  les  vallées  de  l'Himalaya  et  les  pays  mon-, 
tagneux  de  l'Inde  orientale  ,  la  langue  khassique  est  limitée  à  un  petit  territoire  au 
nord  de  l'Assam,  entre  les  monts  Garo  et  le  pays  des  Gachari. 

Les  instructions  données  aux  employés  chargés  du  service  du  recensement , 
n'avaient  pas  prévu  cette  classification  ;  elles  n'exigeaient  que  la  désignation  de 
toutes  les  langues  parlées  aux  Indes  britanniques  ,  à  l'exclusion  des  dialectes  ;  mais, 
à  cause  probablement  de  l'inaptitude  des  employés  à  distinguer,  dans  chaque  cas 
donné,  entre  les  langues  et  les  dialectes  ,  ces  derniers  ont  été  admis  souvent  comme 
langues  de  sorte  que  le  rapport  du  recensement  donne  une  liste  de  162  langues 
différentes,  dont  106  appartiennent  aux  Indes,  17  à  l'Asie  en  dehors  de  l'Inde  ,  28  à 
l'Europe  et  une  à  l'Afrique.  Ce  qui  diminue  considérablement  la  valt  ur  de  ce  relevé, 
c'est  le  manque  d'une  indication  quelconque  pour  non  moins  de  22,626,485  individuc. 
On  peut  distinguer  par  la  classification  des  langues  entre  celles  qui  sont  répandues 
sur  une  grande  aire  de  l'Inde  et  celles  qui  sont  limitées  à  des  territoires  déterminés. 
Pour  les  premières,  on  a  établi  les  groupes  suivants  : 

Hindoustani 82,497,168 

BengaUen 38,965,428 

Telugu 17,000,358 

Marathi 16,966,665 

Punjabi 14,246,844 

Tandl : 13,068,279 

Guzrati : 9,620,688 

Canarien 8,366,008 

Ooriya 6,816.415 

Malahien 4,847,681 

Bnrmesi 2,248,479 

Sindi 2,101,767 

Pashtu 915,714 


-  171  - 

Les  autros  langues  sont  parlées  par  un  trop  petit  nombro  d'individus  pour  en  faire 
une  énumération  ici. 

Il  peut  y  avoir  un  certain  iniérêt  à  consigner  les  langues  étrangères  parlées  aux 
Indes  ;  voici  les  principales  : 

Anglais 202,920 

Beluchi 177,273 

Kaschmiri 49,828 

Arabe 21,188 

Perse 15,722 

Chinois 14,466 

Portugais 10,523 

Français 1,510 

Allemand 1,471 

Arménien 1,308 

Hébreu , 901 

Italien 804 

Turc 560 

WaUisch 205 

Grec 193 

Hollandais ; 114 

IV.  Les  provinces  britanniques.  —  Les  possessions  totales  de  l'Angleterre  aux 
Indes  comprennent  une  aire  de  1,465,541  milles  carrés  anglais  ou  3,795,595  kilo- 
mètres carrés  ,  avec  une  populatioji  de  255,758,851  habitants  (1881)  ;  de  ce  nombre  , 
876,143  milles  carrés  anglais  reviennent  aux  possessions  immédiates  ,  ou  2,269,117 
kilomètres  carrés  ,  avec  une  population  de  198,761,067  habitants,  tandis  que  les 
Etats  tributaires  occupent  une  superficie  de  589,398  milles  carrés  ,  ou  1,526,478  kilo- 
mètres carrés,  avec  une  population  de  56,997,784  habitants. 

Jusque  dans  ces  derniers  temps,  on  avait  admis  pour  les  Indes  l'ancienne  division 
historique  en  trois  présidences  :  Bengale,  Madras  et  Bombay.  Aujourd'hui,  les  deux 
dernières  ont  seules  conserve  ce  titre.  Chacune  de  ces  divisions  est  administrée  par 
un  gouverneur  qui  est  sous  les  ordres  directs  du  secrétaire  d'État  pour  les  Indes  à 
Londres ,  et  est  complètement  indépendante  du  gouverneur  général ,  pour  autant 
qu'un  acte  du  Parlement  n'en  dispose  pas  autrement.  Madras  et  Bombay  ont  à  leur 
tour  dans  leur  administration  certaines  particulai'ités  qui  les  distinguent  essentielle- 
ment l'une  de  l'autre  comme  du  reste  des  Irides.  Cliacune  de  ces  trois  grandes  divi- 
sions territoriales  a  son  armée  propre  et  une  administration  civile  particulière , 
seulement  celle  du  Bengale  n'est  pas  limitée  au  district  administratit  de  ce  nom  ,  car 
la  présidence  de  Bengale  a  cessé  d'exister  ;  son  aire  est  répartie  entre  une  demi- 
douzaine  de  différentes  provinces  dont  l'une  continue  à  porter  l'ancien  nom.  C'est 
pour  cette  raison  que  ce  que  l'on  appelle  Bengale  ne  comprend  plus  l'ancienne  prési- 
dence de  Bengale,  mais  plutôt  la  province  actuelle  du  Bengale  inférieur,  sur  le  coiu's 
inférieur  et  dans  le  territoire  de  l'embouchure  du  Gange. 

Sous  le  rapport  administratif ,  les  différentes  pai'ties  de  l'empire  anglo-indien  se 
trouvent  ou  immédiatement  sous  le  gouverneur  général,  comme  Ajmere,  Bérar,  Coorg 
avec  Bangalore  et  les  îles  Andaman,  ou  indirectement  comme  les  fragments  de  l'an- 
cienne présidence  de  Bengale  :  Bengale  propre  ,  Assam,  les  provinces  nord-ouest  et 
Audh,  le  Punjab,  les  provinces  centrales,  le  Birma  britannique.  Nous  avoHS  indiqué 
ci-dessus  la  position  des  présidences  de  Madras  et  de  Bombay  auxquelles  sont  encore 
soumis  Sind  et  Aden. 


-  172  - 

Les  cheaiiiuis  (le  fer  au  Japon.  —  En  1885,  a  eu  lieu  Touverture  du 
railway  de  Omijaà  Utsunouiiya  de  la  ligne  de  Tokio-Takasaki,  sur  une  section  d'une 
ongueurde  75  kilomètres,  dont  la  propriété  appartient  à  la  Société  privée  des  voies 
ferrées  de  Nippon-Tedsudo.  Ainsi  s'approche  de  plus  en  plus  le  moment  de  la  réali- 
sation du  plan  qui  consiste  à  relier  les  deux  principales  villes  de  l'empire,  Tokio  et 
Kioto.  Aussi  la  construction  du  chemin  de  fer  qui  se  dirige  de  Kioto  dans  les  pro- 
vinces à  l'Est  de  Biwaese,  notamment  dans  celles  de  Mino,  Omi  et  Owari,  est  poussée 
avec  une  grande  activité.  La  ligne  de  Osaka-Sakai,  construite  par  la  Société  privée  de 
Hankai-Tedsudo  Kaislia  ,  sur  une  longueur  de  5  kilomètres,  a  dû  être  également 
livi'ée  à  l'exploitation  à  la  fin  de  1885.  Ainsi ,  actuellement,  les  lignes  de  chemins  de 
fer  de  l'État  en  exploitation,  ont  une  longueur  de  365  kilomètres,  et  les  lignes  privées 
193,5  kilomètres,  soit  en  tout  558,5  kilomètres  :  en  outre,  l'Etat  a  en  construction  HO 
kilomètres  et  les  Sociétés  67  kilomètres,  en  tout  177  kilomètres. 

lia  population  française  au  Tonkin.  —  La  population  française  au 

Tonkin  au  30  mai  de  l'année  courante  ,  était  de  657  individus.  Sur  ce  nombre  ,  nn 
comptait  530  hommes,  70  femmes  ,  et  57  enfants  ,  dont  33  du  sexe  féminin.  La  popu- 
lation française  d'Hanoï  est  la  plus  nombreuse ,  334  :  Haïphong  vient  en  seconde 
ligne  avec  182  français  ;  Sontay  en  a  41  ;  Bacninh  ,  31  :  Quang-yen,  19  ;  Nandin,  16  ; 
Haiduong,  10  :  Nin-binh,  9  ;  Laokay,  5  ;  Lang-Son,  5  ;  Hung-yen,  3,  et  Thainguyen  1. 

AFRIQUE. 

La  population  de  l'Algérie.  —  Voici  le  résultats  complets  du  recense- 
ment de  la  pooulation  algérienne  en  1886  : 
Français,  219,627  ;  augmentation  sur  1881,  24,209. 
Israélites  natui"alisés,  52,595  ;  augmentation  sur  1881,  6,932. 
Musulmans,  4,284,762  :  augmentation  sur  1881,  442,265. 
Étrangers,  206,212;  augmentation  sur  1881,  23,838. 

AMÉRIQUE. 

Les  produits  français  au  Canada.  —  La  Chambre  de  commerce  de 
Montréal  vient  d'appeler  l'attention  du  ministère  du  commerce  sur  la  diminution  , 
depuis  quinze  ans  ,  de  l'importation  des  produits  français  au  Canada.  Les  vins  seuls 
font  exception,  mais  n'occupent  pas  la  place  que  mériterait  l'importation  croissante 
du  Dominion.  La  Chambre  émet  l'opinion  qu'il  conviendrait  d'établir  des  conuiiuni- 
cations  directes  entre  la  France  et  le  Canada,  à  l'exemple  de  la  ligne  allemande 
d'Avers  à  Montréal. 

Les  progrès    agricoles  et  contnterclaux   des   États-Unis.  — 

Sous  le  titre  «  La  force  et  la  kau^lesse  relatives  des  nations  ».  une  revue  améri- 
caine, ^le  Century,  vient  de  publier  un  article  remai'quable  ,  surtout  par  les  chilïrcs 
qu'il  pi'oduit  relativement  aux  progrès  agricoles  et  conunerciaux  de  l'Union. 

Cette  étude,  consacrée  par  son  auteur,  M.  E.  Atkinson  ,  de  Boston,  à  établir  un 
parallèle  entre  la  situation  de  son  pays  et  celle  des  grandes  puissances  européennes  , 
conclut  à  un  état  d'infériorité  considérable  de  ces  dernières  au  vis-à-vis  des  États- 
Unis.  11  en  donne  naturellement  pour  cause  plusieurs  raisons  dont ,  en  premier  lieu  , 
les  armées  permanentes.  N'ayant  pas  à  le  suivre  sur  ce  terrain  politique,  nous  nous 
en  tiendrons  simplement  à  ses  constatations  économiques. 


—  173  - 

A  cfi  point  de  vue,  il  a  choisi  comiii(>  é|)oquc  d'obsorvation  les  20  aiinéos  qui  se  sont 
écoulées  de  1865  à  1885. 

Ou  sait,  qu'eu  1865  ,  au  lendemain  de  la  grande  guerre  de  sécession  dans  laquelle 
avait  failli  sombrer  la  République  américaine  ,  ses  hommes  d'Etat  arborèrent  carré- 
mint  le  drapeau  de  la  protection.  11  s'agissait  non  seulement  d'éteindre  une  dette 
Ibrmidalile  contractée  en  quelques  années,  mais  encore  de  travailler  au  relèvcMiient 
industriel,  agricole  et  commercial  de  ce  grand  pays.  Voyons  ,  d'après  M.  Atkinson  , 
comment  ils  y  sont  parvenus,  grâce  à  leur  intelligente  initiative  protectionniste. 

Durant  cette  période  de  vingt  années  ,  écoulées  de  1865  à  1885  ,  la  population  île 
l'Union  ne  s'est  accrue  que  de  69  "j;„  ce  qui  est,  du  reste,  déjà  un  chiffre  considérable. 
Par  contre,  la  récolte  eu  grain  s'est  élevée  de  256  "  „.  celh>  du  coton,  de  194  "/„.  et  celle 
des  foins  d(^  106  "/„.  Le  réseau  des  eheu^ins  de  fer  s'y  est  augmenté  d(3  280  "'„ ,  et  la 
production  de  la  fonte  de  386  "/„  !  En  outre  ,  les  États-Unis  exportent  en  articles 
manufacturés  oii  produits  alimentaires,  de  75  à  80  ",'o  de  leur  production  annuelle. 
Enfin,  la  dette  est  plus  qu'à  moitié  éteinte  ! 

Ces  chiffres  ont  une  éloquence  qui  dispense  de  tout  conunentaire.  Et  si,  comme  le 
fait  remarquer  l'auteur  de  l'article  ,  on  tient  compte  de  l'augmentation  relativement 
minime  du  chiffre  de  la  population  ,  on  arrive  naturellement  à  constater  l'énorme 
accroissement  de  bien-être  ajiporté  à  la  collectivité  par  un  tel  développement. 

Chicago.  —  La  population  de  Chicago  s'élève  au  chiffre  de  605,000  dont  226,000 
Allemands,  154,000  Américains,  120,000  Irlandais,  55,900  Slaves,  33,000  Scandinaves, 
30,000  Anglais  ,  16,000  de  races  latines,  8,000  noirs  ,  4,000  Canadiens  et  9,000  de 
diverses  autres  origines. 

Gomme  le  fait  remarquer  la  Gazette  Géor/raphique  ,  les  Allemands  sont  plus 
nombreux  que  les  Américains .  lesquels  nv  surpassent  que  de  peu  le  nombre  des 
Irlandais. 

Chicago  est  plus  Irlandais  qu'aucune  ville  de  Tlrlande,  excepté  Dublin  et  Belfast , 
et  plus  allemand  que  Munich,  Dresde  ou  Cologne. 

Moins  d'un  quart  de  la  population  natale  est  d'origine  américaine. 

OGÉANIE. 

Sitiiatiwii   ccouoinif|tie   «le  l'Australie    nK'ridioualc.  —  La 

Deutsche  Rundschau,  de  Vienne,  public  l'article  suivant  sur  la  situation  économique 
de  l'Australie  méridionale. 

La  colonie  sud-australienne  ,  fondée  le  28  décembre  1836,  fête  cette  année  le  cin- 
quantenaire de  son  existence  et  tiendra  l'année  prochaine  dans  la  capitale  Adélaïde  , 
une  exposition  internationale  d'industrie  dont  l'ouverture  est  fixée  au  20  juin,  jour  de 
l'avènement  au  trônt^  de  la  reine  Mctoria.  Le  Parlement  a  voté  pour  cet  objet  32,000 
livres  sterling  et  de  riches  pai'ticuliers  ont  souscrit  une  sonune  de  17,250  livres.  La 
construction  du  bâtiment  de  l'exposition  a  été  adjugée  par  contrat  pour  la  sonune  de 
20,500  livres  sterling.  La  colonie,  considérée  dans  sa  limite  étroite  jusqu'à  26' de 
latitude  sud,  c'est-à-dire  la  partie  colonisée  proprement  dite,  comprend  17,862  milles 
carrés  allemands,  et  le  territoire  du  nord  qui  en  dépend  depuis  1863,  24,626  milles 
cai'rés  allemands,  ensemble  42,488.  La  population  s'élevait ,  à  la  fin  de  l'année  1885  , 
à  349,769  personnes  ,  dont  6,346  indigènes  ,  ou  3,478  du  genre  masculin  et  2,8tî8  du 
genre  féminin,  313,423  blancs  ou  163,641  du  genre  masculin  et  149,782  du  genre  fémi- 
nin et  4,150  Chinois.  Adélaïde  ,  ville  capitale  ,  compte  43,969  et  avec  ses  faubourgs  , 
127.000  âmes. 

En  1885,  il  y  a  eu  1,016  naissances  ,  contre  3,987  ilécès.  L'inmiigration  a  été  de 


-  174  - 

12,185  personnes  et  l'émigration  de  18,876.  Cette  forte  émigration  ,  la  plupart  pour 
Victoria  ,  semble  devoir  s'élever  considérablement  dans  le  courant  de  cette  année  ; 
dans  les  trois  premiers  mois  de  1886 ,  rémigration  a  dépassé  l'immigration  de  3,955. 
C'est  la  conséquence  des  conditions  déplorables  de  la  colonie  ,  produites  par  les  prix 
minimes  des  produits  d'entrepôt ,  par  les  mauvaises  récoltes ,  par  l'abondance  du 
marché  des  travailleurs  ,  etc..  Déjà  en  1842 ,  1852  et  1867  jusqu'en  1868  ,  la  colonie  a 
eu  à  traverser  de  fortes  crises.  —  La  libre  immigration  d'Europe  aux  frais  de  l'Etat  a 
été  suspendue  en  1884.  Dans  la  période  décennale  de  1875  à  la  fin  de  l'année  1884  ,  il 
est  arrivé  dans  l'Australie  du  Sud  30,042  émigrants  (dont  16,470  du  genre  masculin 
et  13,572  du  genre  féminin)  dont  le  transport  a  coûté  à  FEtat  557,400  £. 

L'année  financière  a  été  clôturée,  au  30  juin  1885,  avec  un  déficit  (de  784,121  £  ou 
75,000  £  PU  plus  que  l'année  précédente  et  l'année  suivante  laissera  derrière  elle  une 
situation  beaucoup  plus  sombre  encore).  —  La  dette  publique  montait  à  17,052,200  £ 
et  elle  a  été  .portée  ,  à  la  fin  d'avi'il  1886 ,  par  un  nouvel  emprunt  de  1,332,400  £  ,  à 
18,384,600  £.,  dont  l'intérêt  annuel  se  chiffre  par  761,522  £.  Ce  qui  donne  57  £  14 
schilling  par  tête  de  la  population  actuelle. 

L'importation  de  l'année  1885  a  été  calculée  à  5,289.014  £  (— 460,338  £  contre 
l'année  précédente)  et  de  ce  chiffre  on  a  réexporté  un  total  de  1,031,546£.  L'exporta- 
tion, par  contre,  avait  une  valeur  de  5,417,145  £  ( —  1,206,-559  £),  dont  4,385,599  £ 
( —  906,623  £)  de  produits  de  la  colonie.  Parmi  les  produits  d'exportation  les  plus 
importants  ,  les  blés  et  les  farines  comptaient  pour  2,162,513  £  ( —  329,383  £) ,  la 
laine  pour  1,417,245  £  (  —  263,898  £  )  et  le  cuivie  pour  323,530  £  (  —  51,795  £  ). 
L'importation  de  l'Allemagne  ne  se  chiffrait  qu'à  38,966  c+J  (  —  22,821  £  )  et  l'expor- 
tation pour  ce  pays  à  580  £  (  —  1,700  £). 

De  l'aire  totale  de  la  colonie,  les  particuliers  ne  possèdent  que  10,159,015  acres  ou 
4,111,938  hectares  et  de  ce  chiffre  1,950,000  ou  789,106  hectares  sont  livrés  à  la 
culture  du  blé.  L'année  1885-86  a  fourni  de  nouveau  une  mauvaise  récolte.  Plus  d'un 
quart  des  champs  ensemencés  de  blés  n'a  produit  aucune  récolte  et  le  reste  n'a  donné 
que  8  bottes  (36  à  35  litres)  par  hectare. 

Il  y  avait  en  exploitation  1,063  milles  ou  1,711  kilomètres  de  chemins  de  fer  et 
628  1/4  milles  ou  1,011  kilomètres  de  lignes  en  construction.  La  recette  de  l'année  a 
été  de  631,182  £  (  -h  24,643  £  que  l'année  précédente).  Le  l"^^'  mai  1886,  le  chemin  de 
fer  de  l'Est  partant  de  la  ville  d'Adélaïde ,  sera  livré  à  l'exploitation  sur  toute  sa  lon- 
gueur jusqu'à  la  limite  de  la  colonie  Victoria  ,  soit  182  3/4  milles  ou  294  kilomètres. 
Comme  raccordement  à  cette  ligne  ,  la  dernièi-e  section  du  chemin  de  fer  de  l'Ouest 
partant  de  Melbourne,  sera  également  livrée  à  l'exploitation  à  la  fin  de  1886.  Les  villes 
d'Adélaïde,  de  Melbourne  et  de  Sydney  seront  alors  raccordées  par  chemin  de  fer. 
Jusqu'à  la  fin  de  juin  1885,  on  avait  dépensé  7,607,991  £  pour  la  construction  de 
chemins  de  fer. 

La  chute  de  pluie  en  1885  ne  s'est  élevée  .  d'après  les  observations  enregistrées  à 
l'Observatoire  d'Adélaïde  ,  qu'à  15,88  pouces  anglais  ou  393  millimètres.  La  grande 
sécheresse  de  l'année  est  la  cause  de  grandes  pertes  en  bétail. 

Gi^ienieuts  d'or  danfs  l'AustraHc  occidentale.  —  Nous  avons 
déjà  annoncé  dans  notre  numéro  de  juillet  1886  .  page  59  ,  que  des  gisements  d'or 
avEÙent  été  découverts  dans  le  nord  de  l'Australie  septentrionale  ,  entre  la  baie  King 
et  le  golfe  de  Cambridge.  Cette  région  avait  été  explorée  d'abord  en  1879 ,  par 
M.  Forrest .  qui  l'avait  reconnue  propre  à  l'industrie  pastorale  et  favorable  à  la  colo- 
nisation. Une  colonie  vient  de  s'établir  à  Wyndham  ,  à  la  pointe  du  bras  occidental 
du  golfe  de  Cambridge  ,  avec  un  port ,  l'un  des  meilleurs  de  l'Austrahe.  Les  champs 
d'or  sont  situés  dans  l'intérieur  ,  entre  16"  et  19"  30^  lat.  S.,  126°  et  129°  longit.  E., 


-  175  - 

à  220  milles  dv  Wyiulhani  et  à  320  nulles  de  Derby  qui  est  situé  sur  la  baie  Kiiig. 
On  trouve  lu  métal  en  lingots  dont  le  plus  grand  trouvé  est  do  19  onces  ;  le  métal  est 
actu(>llemont  à  la  surface  ou  à  peu  près,  et  près  de  la  rivière  Ord,  affluent  du  golfe  de 
Cambridge. 

Population  «le  la  ;\ouvelle-Xélan«le.  —  La  publication  'ITie  Colomce 
and  India  donne  l 'S  résultats  généraux  du  dernier  recensement ,  dont  les  détails 
n'ont  pas  encore  été  publiés.  Le  fait  principal  di;  ce  recensement  est  le  grand  accrois- 
sement qui  s'est  produit  dans  la  population  de  l'île  du  nord.  Dans  Tile  du  sud ,  il  y  a 
326,076  Européens  et  dans  l'île  du  nord  247,404,  donnant  un  total  de  573,480  pour  la 
colonie.  En  outre  ,  il  y  a  encore  dans  l'île  du  nord  environ  20,000  Maoris.  Il  y  a  eu 
une  augmentation  dans  l'île  du  sud  de  10  p.  c,  tandis  que  l'accroissement  dans  l'île 
du  noi'd  s'est  élevé  à  28  p.  c.  La  population  d'Auckland  a  augmenté  dans  une  propor- 
tion bien  plus  rapide  que  dans  aucune  autre  ville  de  la  Nouvelle-Zélande.  La  popu- 
lation totale  de  la  ville  en  1881  (lors  du  dernier  recensement)  était  de  25,670  ;  le 
recensement  actuel  la  porte  à  37,205.  La  population  des  districts  suburbains  s'est 
accrue  de  17,922  à  23,120.  Ce  qui  donne  un  total  de  66,325  pour  la  ville  et  les  fau- 
bourgs, faisant  d'Auchland  de  beaucoup  la  plus  grande  des  villes  de  la  Nouvelli^- 
Zélande,  et  inférieure  seulement  à  Melbourne  et  à  Sydney  parmi  les  villes  de 
l'Australasie. 

La  POPULATION  MAORI  DE  LA  Nouvelle-Zélande.  —  Le  Bulletin  delà  Société  de 
géographie  de  Berlin  consacre  aux  Maoris  un  long  article  dont  nous  extrayons  les 
détails  suivants  : 

D'après  le  recensement  fait  au  4  avril  1881  ,  la  colonie  de  la  Nouvelle-Zélande 
compte  encore  en  tout  44,097  individus  connus  sous  le  nom  de  Maoris,  dont  24,368 
du  genre  masculin  et  19,729  du  genre  féminin,  ainsi  répartis  : 

22,872  masculins ,  18,729  féminins  dans  l'île  du  Nord  : 
1,121  »  940  »  »  Sud; 

65  »  60  »        dans  les  îles  Ghatham  ; 

ensemble  43,787,  plus  310  Maoris  faits  prisonniers  dans  la  dernière  guerre  contre  les 
colons. 

D'après  ces  relevés  ,  le  noyau  de  la  population  maori  vit  dans  l'île  du  Nord  oii 
s'est  conservé  également  le  groupement  d'après  les  races.  On  y  a  constaté  vingt 
tribus,  dont  douze  ont  chacune  plus  de  mille  individus.  Les  principales  tribus  sont 
les  Ngapuhis  avec  5,564  personnes ,  les  Woikatos  avec  5,233  et  les  Ngatika  avec 
4,730.  Les  autres  sont  de  moindre  importance. 

Le  recensement  fournit  aussi  quelques  doiuiées  sur  l'âge  des  Maoris.  On  les  a  divi- 
sés en  deux  classes,  ceux  qui  ont  plus  de  quinze  ans  et  ceux  au-dessous  de  cet  âge. 
Pour  les  Maoris  du  Nord  ,  il  n'a  pas  été  possible  d'établir  le  chiffre  de  leur  âge  pour 
4,250  personnes.  Quant  aux  autres,  au  nombre  de  37,351,  il  y  en  avait  ; 

Au-dessous  de  15  ans,  6,882  masculins,  soit  33,49  p.  c.  de  la  population  masculine, 
5,738  féminins ,  soit  34,15  p.  c.  de  la  population  féminine  ;  au-dessus  de  15  ans  , 
13,665  masculins  ,  11,066  féminins. 

Pour  la  population  blanche,  le  rapport  du  nombre  des  individus  au-dessous  de 
15  ans  est  de  39,74  p.  c.  pour  la  population  masculine  ,  et  de  46,85  p.  c.  pour  la 
population  féminine. 

Ces  chiffres  ne  sont  pas  sans  importance,  puisqu'ils  permettent  detii-er  des  conclu- 
sions sur  l'augmentation  ou  la  dimiimtion  des  races. 

Ce  qui  frappe  surtout,  c'est  le  faible  chiffre  pour  cent  de  la  population  féminine  des 
Maoris,  qui  laisse  peu  d'espoir  que  leur  nombre  s'augmentera  à  l'avenir. 


-  176  - 

D'ailleurs  ,  d'après  tous  les  indices  actuels  ,  on  peut  prédire  la  disparition  petit  à 
petit  de  leur  race.  Les  motifs  qui  militent  en  faveur  de  cette  thè.sc  sont  les  mêmes 
que  Ton  a  déjà  fait  valoir  pour  les  autres  territoires  oii  l'élément  anglo  -  saxon  se 
trouve  en  lutte  avecles  indigènes  non  civilisés,  lutte  qui  a  toujours  fini  par  la  dispa- 
rition de  ces  derniers.  Le  sous-secrétaire  d'Etat  aux  affaires  étrangères,  sir  Charles 
Dilkc,  appelle  ses  compatriotes,  dans  son  livre  «  Grande-Bretagne  y> .  une  «  race  de 
destructeurs  »  ,  en  ce  sens  qu'ils  s'entendent  à  préparer  une  prompte  fin  aux  races 
avec  lesquelles  ils  se  trouvent  en  contact  ;  tel  a  été  le  cas  pour  la  plupart  des  tribus 
américaines  de  l'Asie  occidentale  et  de  l'Afrique  ,  non  pas  qu'ils  atteignent  leur  but 
par  la  guerre  ou  le  massacre  des  masses  ,  mais  par  le  simple  fait  de  leur  présence  , 
sans  recourir  à  aucun  moyen  de  coercition.  Pendant  que  les  Hollandais,  les  F'rançais 
les  Espagnols,  les  Portugais  (pour  l'Allemagne  aucune  expérience  n'a  encore  été 
faite)  s'entendent  à  mélanger  avec  les  races  extra-européennes  et  préparent  ainsi 
l'existence  d'une  race  mixte  ,  les  Anglais  n'ont  jamais  entendu  observer  ce  procédé. 
Ils  ne  supportent  pas  d'élément  étrajjger  à  côté  d'eux  et  ne  se  mêlent  jamais  au  sang 
étranger.  Ils  détruisent  la  race  la  plus  faible  ou  se  posent  vis-à-vis  d'elle  comme  une 
race  supérieure  lorsque,  comme  aux  Indes,  leur  œuvre  de  destruction  se  brise  contre 
des  forces  numériques  supérieures. 

La  colonisation  de  l'Australie  présente  un  enseignement  des  plus  instructifs  pour 
cette  propriété  caractéristique  des  Anglo-Saxons  que  beaucoup  d'entre  eux  consi- 
dèrent comme  une  loi  de  la  nature.  Les  nègres  australiens  ,  qui  avaient  acquis  un 
certain  degré  de  civilisation,  ont  été  réduits  à  un  petit  nombre  dans  le  cours  de  quel- 
ques périodes  décennales,  et,  sans  crainte  de  se  tromper,  on  peut  affirmer  qu'à  la  fin 
de  ce  siècle  l'élément  envahisseur  anglais  aura  fait  disparaître  complètement  les  indi- 
gènes de  Victoria  et  de  la  Nouvelle-Galles  du  Sud,  comme  c'est  déjà  le  cas  aujourd'hui 
pour  la  Tasmanie.  Dans  les  autres  colonies,  le  procédé  d'extirpation  est  un  peu  plus 
lent,  parce  que  le  petit  nombre  de  colons  blancs  ne  peut  coloniser  que  petit  à  petit  les 
immenses  régions  du  pays. 

Dans  la  Nouvelle-Zélande  ,  les  premiers  colons  ont  trouvé  une  race  douée  d'une 
certaine  culture,  probablement  d'origine  malaise  ;  elle  n'a  pas  renoncé  volontairement 
à  son  autonomie  ,  qu'elle  n'a  perdue  qu'à  la  suite  de  plusieurs  guerre  s.  Les  dc^rniers 
combats  sérieux  ,  qui  ont  décimé  naturellement  le  nombre  des  Maoris  ,  eurent  lieu 
avec  l'appui  des  troupes  anglaises  de  1861  à  1865 ,  et  eurent  pour  conséquence  la 
confiscation  d'une  grande  partie  du  pays  qui  leur  était  resté.  Actuellement ,  des 
67  1(2  millions  d'acres  qui  forment  l'aire  de  la  Nouvelle-Zélande,  il  y  a  environ  quinze 
ndllions  en  possession  nominale  des  indigènes  ou  des  Européens  qui  en  ont  acquis 
des  indigènes  ;  cette  région  du  pays,  réservée  aux  propriétaires  primordiaux ,  se 
trouve  exclusivement  dans  l'île  du  Nord,  oii  vivent,  connue  nous  l'avons  vu,  des  races 
de  Maoris  encore  existantes  ,  abstraction  faite  des  restes  éparpillés  dans  les  autres 
parties  de  la  Nouvelle-Zélande. 

Les  Maoris  que  l'on  rencontre  aujourd'hui  en  Nouvelle-Zélande,  ne  répondent  plus 
aux  descriptions  que  nous  en  ont  faites  les  voyageurs  qui  ont  visité  précédemment 
cette  île.  Ils  font  en  général  l'impression  d'une  race  en  décadence,  qui  est  vouée  à  la 
disparition.  Parmi  les  gens  d'âge  ,  on  trouve  encore  des  statures  fortes  ,  bien  condi- 
tionnées pour  la  guerre,  tandis  que  la  jeune  génération  est  de  constitution  faible  et 
disgracieuse,  sans  dignité  ni  force  de  volonté. 

Four  les  Faits  et  Nouvelles  géographiques  non  extraits  : 

LE   SECRÉTAIRE-GÉNÉR.VL  , 

ALFRED  RENOUARD. 


SOCIETE  DE  GEOGRAPHIE 

DE     LILLE. 


SOCIÉTAIRES  NOUVEAUX  ADMIS  DANS  LE  COURANT  DE  MARS  1887. 


N"  d'ins-  MM 

cription 


MEMBRES   ORDINAIRES. 

IJlle. 

1417.    Savary  (Gustave),  négociant,  rue  Léon-Gambetta,  176. 

llont-à-lieuii. 

I40'i-.    DupoKTAiL  (Jean-Bapliste),  boulanger. 

Roubalx. 

U10.  PoLLET  (César),  fabricant,  rue  Nain. 

1411 .  Leplat  (François),  fabricant,  rue  du  Grand-Chemin. 

1412.  Barenne-Lvgneai;  (Alfred),  commis-négociant,  boulevard  de  Strasbourg. 
1413  Desciiamps  (Henri),  représentant,  rue  du  Pays. 

14U.     Carré-Palatte  (Henri),  négociant,  Graiid'l'lace. 

1415.     Rolleald-Passagez  (Henri),  rédacteur  en  clief  de  la  Vie  Roubaisienne,  rue  des 
Arts,  45. 

Tourcoiug;. 

1393.  Grimonprez-Fretin  (veuve),  bouchère,  rue  du  Haze,  29. 

1394.  Le.maire-Cal;lliez  (Joseph)  iilateur,  rue  de  la  Cloche,  41. 

1395.  Motte  frères,  filateurs,  rue  de  la  Station,  13. 

1396.  Flipo-Prouvost  (Charles),  filaleur,  rue  du  Château,  62. 

1397.  Delobel  (Victor),  négociant,  rue  du  Tilleul,  10. 

1398.  Glorieux  (Gustave),  représentant,  rue  du  Midi,  3. 

1399.  AssEMAiiNE  fils  (Auguste),  commis-négociant,  rue  des  Anges,  21. 

1400.  Leurent  (Paul),  fabricant,  rue  de  Roubaix.  30. 

liOl .  Desurmont-Jonglez  (Théodore),  (ilateur,  rue  de  Lille,  67. 

1402.  Dervaux-Leclercq  (veuve  .Iule.>^),  propriétaire,  rue  du  Sentier,  39. 

1403.  Tbéry  (Raymond),  propriétaire,  rue  Desurmont,  5. 
1405.  W^ttinne  lils  (Charles),  représentant,  rue  de  Gand,  2. 
1400.  GuiBÉ,  proviseur  du  lycée,  boulevard  Gambelta,  100. 

1407.  Pollet-Hassebroucq  (Louis),  tilateur,  place  Charles-Roussel,  11. 

1408.  Destombes  (Georges),  commis-négociant,  rue  Neuve-ile-Roubaix,  99. 

1409.  DECoNiNCK-DnaoRTiER  (Louis),  représentant,  rue  de  la  Latte,  51. 


13 


—  178  - 


COMMUNICATIONS  AUX  ASSEMBLÉES  GÉNÉRALES 

(in  extenso.) 


LA  FORET  DE  MORMAL 

Par  M.  Henri  BÉGOURT. 
Inspecteur  des  Forêts  au  Quesnoy  (Nord). 

(Suite)  (1). 


II. 

Pertes  éprouvées  par  la  forêt  depuis  le  xi"^  sièle.  —  Causes  qui  les  ont  provo- 
quées et  efforts  tentés  pour  en  atténuer  les  effets.  —  Etablissement  de  domaines 
agricoles  et  de  viviers.  —  Admission  des  bestiaux  au  paisnage  et  à  la  paisson.  — 
Invasions  dont  elle  a  été  le  théâtre  et  dévastations  qui  en  ont  été  la  consé- 
quence. —  Usurpations  commises  par  les  riverains.  —  Abandon  de  terrains  en 
faveur  d'établissements  religieux.  —  Concessions  à  titre  d'engagement  et  en 
majorât.  —  Aliénations.  —  Retour  au  massif  de  plusieurs  enclaves.  —  Sa 
contenance  à  diverses  époques. 

Les  Chartres  et  les  documents  du  moyen-âge  nous  apprennent  que 
la  destruction  ou  l'amoindrissement  d'un  grand  nombre  de  nos  forêts 
a  été  intimement  lié  à  la  concession  par  les  seigneurs  à  leurs  sujets 
de  divers  droits  d'usage,  et,  en  particulier,  de  celui  de  prendre  le  bois 
nécessaire  tant  au  chauffage  qu'à  la  construction  et  à  l'entretien  des 
maisons  (2).  «  De  grande  ancienneté,  dit  Guy  Coquille,  les  seigneurs, 
voyant  leurs  territoires  déserts  ou  inhabités,  concédèrent  des  usages 
à  ceux  qui  voudraient  les  habiter,  moyennant  quelques  légères 
prestations,  plutôt  en  reconnaissance  de  supériorité  qu'en  vue  de 
profits  pécuniaires  (3).  »  Mais  avec  le  temps,  ces  concessions  dégéné- 
rèrent presque  partout  en  une  insupportable  licence  et  eurent  pour 


(1)  Voir  page  206  du  tome  précédent,  1886. 

(2)  Championnière.  De  la  propriété  des  eaux  cowra»  ies,  p.  341. 

(3)  Coutume  du  Nivernois,  question  303.  Voyez  aussi  Léopold  Delisle  ,  Études 
ur  la  condition  de  la  classe  agricole  et  l'état  de  l'agriculture  en  Normandie,  p.  374. 


—  179  — 

les  forêts  des  conséquences  désastreuses  :  ce  ne  fut  plus  alors  la  soli- 
tude des  bois  qu'on  eut  à  déplorer,  mais  leur  rapide  diminution. 

Par  un  privilège  assez  rare  dans  les  annales  des  forêts  ,  Mormal  fut 
exempt  de  ces  délivrances  usagères  (1)  ;  les  comtes  de  Hainaut  y 
octroyèrent  seulement  le  droit,  encore  exercé  de  nosjours,  de  ramas- 
ser gratuitement  le  menu  bois  mort,  et  celui  d'abattre  avec  un  crochet 
les  branches  sèches  des  arbres,  sous  la  condition  d'emporter  ces  pro- 
duits à  dos  d'homme  (2).  Mais  il  était  dans  la  destinée  de  la  forêt  d'être 
éprouvée  par  d'autres  causes  de  destruction  dont  quelques-unes,  véri- 
tables fléaux,  faillirent  en  amener  le  démantèlement. 

Nous  allons  les  passer  en  revue  et  nous  indiquerons  en  même  temps 
les  mesures  protectrices  qui  furent  prises  afin  d'arrêter  l'extension 
des  sarts  et  clairières  auxquels  elles  donnèrent  naissance. 

En  raison  de  l'étendue  considérable  de  leurs  domaines  boisés  ,  dont 
les  produits  ligneux  excédaient  les  besoins  ,  les  premiers  comtes  sou- 


(1)  Disons  toutefois  que  la  comtesse  Marguerite,  fille  de  Bauduiu  VI,  de  Gonstan- 
tinople,  pour  récompenser  les  bourgeois  d'Avesnes  qui  l'avaient  servie  fidèlement, 
leur  accorda ,  entre  autres  droits  ,  celui  de  prendre  à  Mormal ,  tous  les  bois  néces- 
saires à  leurs  besoins  ;  mais,  ils  ne  paraissent  pas  avoir  joui  longtemps  de  ce  privilège, 
soit,  qu'à  raison  de  leur  éloignement  du  massif,  ils  n'aient  pas  trouvé  d'avantages  à 
en  user,  soit  qu'il  ait  été  racheté.  Voici ,  d'ailleurs ,  la  charte  de  concession  ;  «  Nos 
Margareta  Flandriœ  et  Hannonife  Goraitissa  ,  notumfacimus  quod  honiinibus  villes 
de  Avesnes  legem  dimus  et  libertatem  burgentiam  de  Valencena ,  et  quod  eruut 
liberi  in  bonis  et  corpore  per  totam  nostram  terram  ,  porunt  piscari  hamo  et  rete , 
venari  pilo  et  pluma  et  aiMuatura  et  fune,  habebunt  ligna  ad  Mormal  ad  focum  et 
batimentum,  quia  sunt  domestici  et  fidèles  Gomitiss^e.  Actum  in  Peteghem  Kalendis 
Martii,  anno  Domini  1247.  Dumées  ,  Jurisprudence  du  droit  fratiçais  ,  p.  81  ,  d'oii 
nous  avons  extrait  cette  charte  ,  rapporte  que  le  privilège  concernant  la  pêche  et  la 
chasse,  fut  confirmé  par 'Louis  XIV  ,  en  1664  ,  sur  le  cahier  que  le  mayeur  et  les 
echevins  lui  présentèrent ,  et  par  le  duc  d'Orléans,  seigneur  de  la  terre  et  paierie 
d'Avesnes,  en  1717,  après  vérification  du  titre. 

(2)  Ce  droit  d'usage  est  consigné  dans  la  charte  délivrée  à  la  commune  du 
Quesnoy,  en  1390,  par  Aubert  de  Bavière  ,  comte  de  Hainaut  et  confirmée,  en  1435, 
par  Philippe-le-Bon.  On  y  lit ,  en  effet  :  «  Tout  chil  de  le  ville  et  des  fourbous  qui 
ont  harnas,  cariaus  au  bos,  doivent  cascun  akaruer  au  Noël,  cescun  an  ,  ou  castiel , 
une  karetée  de  laigne  et  se  le  doient  prendre  en  Mourmail  dou  bos  de  Monseigneur. 
Et  se  li  kai'tons  ny  va ,  il  est  à  deux  sols  blancs.  Et  se  peult  cueillir  li  kartons  en 
Mourniail  trois  verghes  de  nesplier  pour  karruer  sans  meffait.  —  Ei  se  doit  li  bour- 
geois avoir  pour  son  feuwage,  chou  de  sec  bos  menut  qu'il  trouveroit  à  terre  et  qu'il 
peut  abattre  de  terre  au  havet  pour  aporter  à  sen  col  par  lui  ou  par  sen  serviteur 
sans  me/J'ait.  —  Et  otel  franchise  doit  avoir  li  hospitaulx,  la  maladrie  et  li  hostel- 
lerie.  »  Arch.  départ,  du  Nord.  Gh.  des  Gomptes,  à  Lille.  Inventaire  Godefroy, 
N"  11980. 


—  180  — 

verains  du  Hainaut  élevèrent  à  Mormal  des  vaches  et  des  porcs,  afin 
d'accroître  leurs  revenus ,  et  comme  l'élevage  des  animaux  entraîne 
nécessairement  la  construction  d'étables  pour  leur  donner  un  abri  et 
de  bâtiments  pour  y  loger  les  gardiens,  ils  firent  successivement  bâtir 
au  Quesnoy,  à  Hache ,  aux  Etoquies ,  à  Locquignol  (1) ,  à  Guilbert 
'Maisnil  (2),  à  la  Glayelle  (3),  etc.,  des  édifices  appelés  d'abord  manses 
ou  metz  et  plus  tard  censés.  Autour  de  ces  édifices,  dont  quelques-uns 
furent  l'origine  des  villages  ou  de  hameaux,  on  défricha  quelques 
bonniers  de  bois  qui  furent ,  les  uns  affectés  à  la  culture  des  céréales 
et  du  houblon,  les  autres  convertis  en  prairies,  de  manière  à  pourvoir  à 
l'alimentation  du  bétail  pendant  l'hiver,  ainsi  qu'à  la  nourriture  du 
personnel  proposé  à  sa  surveillance  ;  en  outre  ,  on  créa  sur  les  princi- 
paux cours  d'eaux  des  étangs  qui  furent  peuplés  de  poissons  ,  dont  on 
faisait  une  bien  plus  grande  consommation  au  moyen-âge  qu'aujour- 
d'hui, et  qui  étaient  destinés  à  la  table  des  comtes ,  quand  ils  venaient 
en  villégiature  au  Quesnoy  et  dans  la  forêt,  ou  qui  étaient  distribués  à 
leurs  serviteurs. 

Dans  le  principe  ,  les  comtes  administraient  leurs  domaines  ruraux 
de  la  même  manière  que  les  anciens  rois  francs  :  ils  les  faisaient 
cultiver  par  des  serfs  ou  des  colons  placés  sous  l'autorité  de  maî- 
tres ,  et  comme  ceux-ci  n'avaient  aucun  avantage  à  les  étendre  aux 
dépends  de  la  forêt,  elle  ne  fit  alors  que  des  pertes  peu  sensibles.  11 
n'en  fut  plus  de  même  lorsque  ces  domaines  furent  baillés  à  cens  à 
des  hommes  hbres  ;  les  censitaires  ou  tenanciers  firent  tous  leurs  efforts 
pour  augmenter  leur  tenure  :  lorsque  les  incendies  ,  qui  ont  toujours 
été  fréquents  dans  le  massif,  les  abroutissements  ou  des  faits  de  guerre 
engendraient  des  vides  et  des  clairières,  ils  en  demandaient  la  con- 
cession et  cette  concession  leur  était  généralement  accordée,  parce  qu'en 
cédant  à  leurs  sollicitations,  on  se  procurait  immédiatement  un  revenu 


(1)  Cartulaire  (déjà  cité)  des  Cens  et  rentes  dus  au  comte  de  Hainaut,  1265-1286. 

(2)  Lettre  de  l'année  1346  ,  par  laquelle  Marguerite  ,  impératrice  des  Romains  , 
comtesse  de  Hainaut,  etc.,  assigne  à  sa  sœur  Isabelle  les  revenus  de  Braine-le- 
Comte,  Quenaast,  Étrœungt ,  trente  wit  journés  et  demi  de  prêt  a  environ  ,  gisans 
vers  Renautfolie,  estans  en  deus  pièces  »,  etc.  Trésorerie  des  chartes  du  Hainaut. 
Arch.  de  l'État  à  Mons. 

(3)  Compte  VIF  de  Philippe  de  Beaumont ,  receveur-général  du  Haitiaut ,  du. 
1"  octobre  1649  au  30  septembre  1650.  Arch.  départ,  du  Nord.  Ch,  des  Comptes  à 
Lille. 


-  181  - 

qui  n'aurait  pu  être  recueilli  qu'à  une  époque  lointaine,  si  ces  vides  et 
ces  clairières  avaient  étô  rétablis  en  nature  de  bois,  et  qu'on  s'épar- 
gnait le  soin  de  procéder  à  des  reboisements  toujours  coiiteux  et 
même  incertains .  à  cause  de  la  liberté  donnée  aux  tenanciers  et  à 
d'autres  permissionnaires  de  faire  parcourir  à  leur  bétail  toutes  les 
parties  de  la  forêt.  Il  convient,  en  effet,  de  remarquer  qu'en  se  nour- 
rissant d'herbe,  les  bêtes  à  cornes  détruisent  une  grande  quantité  de 
plantes,  soit  en  les  broutant  en  même  temps  que  l'herbe,  soit  en  les 
écrasant  sous  leurs  pieds.  «  Les  sols  des  massifs  forestiers  bien  com- 
plets ,  dit  M.  Bouquet  de  la  Grye  (1),  étant  généralement  dépourvus 
d'herbe,  le  bétail  se  rejette  dans  les  cantons  mal  plantés  et  dans  les 
clairières  où  les  herbages  sont  abondants  ;  là  ,  il  broute  tous  les  plants 
qui  auraient  pu  garnir  les  vides  et  il  contribue  ainsi  à  maintenir  en 

l'aggravant  le  mauvais  état  de  ces  cantons Le  porc  ne  fait  pas 

autant  de  mal  aux  forêts  que  les  autres  animaux  domestiques,  si  d'ail- 
leurs on  a  le  soin  de  ne  pas  laisser  séjourner  le  troupeau  trop  long- 
temps sur  le  même  point  et  fouiller  trop  profondément  ;  son  passage 
loin  de  laisser  des  traces  fâcheuses,  produira  de  bons  résultats  ,  parce 
qu'il  aura  pour  effet  d"araeublir  le  sol  et  de  le  purger  d'une  grande  quan- 
tité d'insectes  et  de  petits  rongeurs.  » 

Cependant,  si  le  paisnage  et  la  paisson  (2)  n'avaient  été  exercés  que 
par  les  censitaires ,  le  dommage  causé  par  leur  bétail  aurait  été  très 
limité  et  l'intégrité  du  massif  n'aurait  subi  que  peu  d'atteintes.  Mais 
les  personnes  autorisées  à  profiter  des  herbes,  des  glands  et  des  faînes, 
étaient  nombreuses  :  c'étaient  outre  les  tenanciers,  les  comtesses  douai- 
rières de  Hainaut  qui  élevaient  dans  la  forêt 500  bêtes  à  cornes  ou  che- 
valines et  200  porcs  (1)  ;  le  Grand  Bailli  des  bois,  le  Receveur  Général, 
le  Grand  Veneur  du  Hainaut ,  et  le  personnel  sous  les  ordres  de  ces 
officiers  qui  jouissaient,  ainsi  que  nous  le  verrons  dans  la  suite,  de 
droits  très  étendus  sous  ce  rapport  ;  puis  venaient  certains  privi- 
légiés et  enfin  tous  les  riverains. 

Ces  derniers  fournissaient  à  la  forêt  le  contingent  le  plus  élevé  en 


(1)  Guide  du  forestier.  S"  éd.  p.  211  et  suiv. 

(2)  Ces  expressions  ont  des  sens  très  différents  suivant  les  provinces  ;  dans  le 
Hainaut,  paisnage  ,  painage  ou  peinage  est  synonyme  de  pâturage  des  herbes  ;  la 
paisson  est  la  nourriture  des  porcs,  qui  comprend  les  glands,  les  faînes,  etc. 

(3)  La  dernière  comtesse  douairière  de  Hainaut  fut  Marguerite  de  Bourgogne, 
épouse  de  Guillaume  IV  et  mère  de  Jacqueline. 


—  182  — 

bestiaux.  En  1399,  les  villes  de  «  Potielles,  Villeriel,  Mecquignies-ou- 
Moiit,  Mecquignies-ou-Val,  Bavisiel.  Obies,  Louvignies-da-leis-Bavay, 
Buvignies,  Audignies,  Bavay,  Biermeries ^  Frasnoit,  Gommignies , 
Pont-s-Sarabre,  Beiiaimont,  Sassegnies,  Landrecies  ,  Preux-au-Bos  , 
Robiersart ,  Englefontaine  ,  Pois  ,  Ghisegiiies  ,  Louvigiiies-du-leis- 
Caisnoit,  Roucourt,  Lostignot  et  la  ville  dou-Caisnoit,  »  etc,  ne  met- 
taient encore  au  pâturage  que  1072  vaches  et  189  veaux  ,  soit  en  tout 
1261  bêtes  à  cornes  (1)  ;  mais,  dans  la  suite,  cette  quantité  fut  bien 
dépassée  :  elle  s'éleva  à  2000,  puis  à  3000  têtes  [2).  En  temps  d'in- 
vasion, elle  était  plus  considérable  encore,  car  à  l'approche  des  ennemis, 
les  habitants  des  campagnes  affluaient  de  plusieurs  lieues  à  la  ronde 
dans  le  massif  avec  leurs  bestiaux,  dans  l'espoir  trop  souvent  déçu  d'y 
trouver  un  refuge  inviolable  et  d'écbapper  à  leurs  réquisitions. 

La  quantité  des  porcs  introduits  dans  la  forêt  suivit  également  une 
progression  croissante  ;  si  en  1425,  on  eii  voit  1462  admis  à  la  pais^ 
son  et  624  au  recours  ou  arrière  paisson  (3) ,  on  en  compte  plus 
tard  2000 ,  et  parfois  davantage,  quand,  la  fructification  des  chênes  (;t 
des  hêtres  ayant  réussi,  la  glandée  et  la  faînée  sont  abondantes  (4). 

Une  telle  accumulation  d'animaux,  jointe  à  la  liberté  laissée  à  chacun 
de  les  porter  à  sa  convenance  sur  tous  les  points  du  massif,  devait, 
comme  nous  l'avons  dit  plus  haut,  amener  la  ruine  de  nombreux  peu- 
plements :  c'est  en  effet  ce  qui  se  produisit.  Certains  cantons  de  l'inté- 
rieur prirent  l'aspect  de  prés-bois,  tandis  que  ceux  voisins  des  orières 
ou  bordures  passèrent  généralement  du  régime  de  la  futaie  à  celui  du 


(1)  Compte  partiel  de  Jehans  Vrediatils ,  recepveurs  de  Haynnau  ,  i399-1400 
Arch.  dép.  du  Nord.  Gh.  des  Comptes  à  Lille. 

(2)  Compte  IV^  de  Charles  de  Martigny ,  conseiller  dv  Roy  et  receveur-général, 
de  Haynnau,  du  i"^  octobre  1574  au  30  sept.  1575.  Mêmes  archives. 

(3)  Compte  de  Williaume  Estievenart,  dit  du  Cambje,  recepveres  de  Haynnau^ 
du  l'^''  sept.  1425  au  i"  sept.  1426.  Mêmes  archives. 

(4)  II  est  à  remarquer  que  ,  parmi  les  étrangers  ,  les  manants  seuls  profitaient  du 
paisnage  ,  tandis  que  toutes  les  classes  de  la  société  participaient  au  bénéfice  de  la 
paisson.  Ainsi,  dans  l'année  1425,  que  nous  prenons  pour  exemple  ,  nous  voyons 
figurer  parmi  les  permissionnaires  ,  outre  les  petits  propriétaires  des  environs  : 
Williaume,  seigneur  de  Preux  ,  avec  15  porcs  ;  le  Bailli  do  Hainaut ,  avec  100  ;  le 
châtelain  de  Sassogne,  avec  18  ;  Jacques  de  Floyon,  avec  40;  Monseigneur  de  Ville, 
avec  16  ;  Adrien  de  Mastaing,  avec  20  ;  Ernould  d'Escaubiecque  ,  maître  boucher  à 
Mons,  avec  433  ;  le  boucher  de  Pont ,  avec  153.  —  Compte  de  Williaumes  Estié- 
venart ,  dit  du  Cambge  .  recepveres  de  Haynnau ,  1425-1426. 


-  183  - 

taillis  simple  ou  composé,  transformation  qui  était  une  première  étape 
dans  la  voie  du  défrichement. 

En  1535,  le  mal  était  devenu  si  intense,  qu'une  réaction  devenait 
inévitable.  Sur  les  représentations  des  officiers  de  a  forêt  et  de  ceu 
de  la  Chambre  des  Comptes  de  Lille,  Charles-Quint  décida  que  désor- 
mais «  les  vaches  n'yroient  plus  au  boys,  »  et  il  interdit  «  de  prendre  ou 
lever  aucun  droit  de  peinage  »  (1).  De  plus,  pour  prévenir  les  délits  de 
pâturage,  il  éleva  la  pénalité.  D'après  les  anciennes  Chartes,  il  en 
coûtait  V  sols  blancs  de  loi  seulement  à  ceux  qui  introduisaient  fraudu- 
leusement une  bête  aumaille  dans  le  massif  (2)  ;  l'amende  fut  portée  à 
Lx  sols.  On  continua  à  tolérer  la  paisson ,  comme  étant  moins  domma- 
geable que  le  paisnage,  mais  seulement  jusqu'à  la  Chandeleur,  à  peine 
pour  les  officiers  de  la  privation  de  leurs  offices,  s'ils  venaient  à  «  la 
bailler  à  recours  plus  longtemps,  »  et  pour  les  propriétaires  des  cochons, 
d'une  amende  de  xx  sols  par  tête  de  ce  bétail,  pour  un  premier  délit, 
d'une  amende  double  en  cas  de  récidive  et  de  la  confiscation  de  ces 
animaux,  si  la  même  infraction  se  renouvelait  (3). 

Ces  sages  mesures  paraissent  avoir  été  sérieusement  appliquées 
pendant  plusieurs  années  ;  mais  à  la  suite  de  la  seconde  incursion 
de  François  P  dans  le  Hainaut,  qui  apporta  la  ruine  parmi  les  popula- 
tions aux  alentours  de  la  forêt,  Marie,  reine  douairière  de  Hongrie, 
qui  gouvernait  alors  les  Pays-Bas  ,  leur  octroya  (4)  la  faculté  de  faire 
paître  3000  bêtes  à  cornes  et  chevalines  (5).  Non-seulement  les  localités 
voisines  du  massif  lui  fournirent  leur  contingent,  mais  il  en  vint 
aussi  de  villages  éloignés,  tels  que  Monceau,  Happegarbe,  Bettrechies, 
Bâchant,  etc.  Aussi  on  ne  tarda  pas  à  voir  reparaître  les  anciens  abus  : 
les  abroutissements  ,  en  effet,  se  manifestèrent  de  tous  côtés,  bientôt 
suivis  de  vides  et  de  défrichements. 


(1)  Ordonnance  de  1635,  Art.  lv.  Arch.  dép.  du  Nord.  Gh.  des  Comptes ,  à  Lille. 
Fonds  de  la  forêt  de  Mormal. 

(2)  Franc?dses  et  aucthoritez  du  forrest  de  Mourmal.  Art.  xxxiiii  à  xxxvii.  Arch. 
de  l'État  à  Mons,  Grand  Baillage  des  Bois  du  Hainaut. 

(3)  Ord.  de  1535,  précitée,  art.  ui. 

(4)  Ordonnance  du  16  février  1549,  citée  dans  le  Compte  vii  de  Philippe  du 
Jardin,  receveur-général  du  Hainaut,  du  1"  oct.  1550  au  30  sept.  1551.  Arch.  dép.  du 
Nord.  Gh.  des  Comptes,  à  Lille. 

(5)  Ce  nombre  était  toujours  dépassé ,  car  on  comptait  pour  une  seule  tète  deux 
veaux  (hawes ,  halles  ou  hallins)  ,  âgés  de  moins  de  deux  ans  et  demi. 


—  184  - 

Cependant  les  officiers  de  la  forêt  et  ceux  de  la  Chambre  des 
Comptes  de  Lille  tout  en  déplorant  les  maux  que  causait  le  pâturage, 
ne  négligèrent  pas  de  faire  entendre  leurs  doléances  au  souverain  ; 
ils  lui  exposèrent  qu'il  y  avait  nécessité  «  de  défendre  que  les  bestes  à 
cornes,  si  comme  vaches  et  hallins,  n'ayenf  plus  à  entrer  au  bois,  affin 
de  laisser  croistre  les  foyaulx  et  jeusnes  gectz...  et  ce,  pendant 
l'espace  de  sept  ou  huit  ans  seulement Mais,  comme  la  dicte  dé- 
fense, ajoutent-ils,  serait  fort  odieuse  au  povre  peuple,  vivant  de  leur 
bestial  alentour  de  la  dicte  forêt,  signamment  en  ce  temps  tant  misé- 
rable pour  ne  les  priver  en  ung  coup  du  bénéfice  des  pastures  et  nour- 
ritures qu'ilz  sont  accoustumés  y  prendre  et  obvier  à  une  infinité 
d'exclamaces  ,   aussy  pour  ne  tant  préjudicier  sa  dicte  Majesté  en  son 

droict  et  prouffit  des  herbaiges, l'on  pourroit  ceste  fois  faire  la 

dicte  deffense  pour  la  moictié  de  la  dicte  forrest  seullement, . . .  per- 
mectant  néanraoings  que  les  bestes  chevalins  y  puissent  entrer  et 
continuer  leurs  pastures  pour  n'estre  tant  inclinés  au  broussement  que 
les  aultres,  en  payant  trente  ou  quarante  pattars  pour  chacune  beste, 
au  lieu  de  xv  pattars,  et  quinze  ou  vingt  pattars  de  chacun  poullain  au 

lieu  de  yii  pattars  deniers  que  l'on  paye  présentement Quant  aux 

pourcheaux,  l'on  les  pourra  permectre  aller  audict  bois  quand  il  y 
aura  paisson  comme  du  passé ...  à  condition  touttesfois  de  l'ester 
endeans  le  premier  janvier  par  chacun  an,  parce  que  quant  il  n'y  en 
a  plus  de  fruict,  ilz  viennent  aussi  à  brousser  et  retourner  la  terre  et 
ainsi  faire  dommaige  aux  foyaus  ou  jeusnes  gectz  y  estans  »  1  .  Mais 
ces  vœux  restèrent  en  partie  stériles  ,  car  les  événements  militaires 
dont  le  Hainaut  ne  cessa  d'être  le  théâtre  jusqu'à  la  fin  du  XVP  siècle, 
ne  permirent  de  remédier  qu'imparfaitement  au  mal. 

C'esf  en  1601  seulement  que  les  archiducs  Albert  et  Isabel  édictèrent 
des  mesures  sérieuses  pour  y  mettre  un  terme.  Us  prescrivirent  la 
mise  en  défends  des  jeunes  tailles  «jusqu'à  l'eage  de  quinze  ou  seize 
ans  »,  de  manière  à  les  mettre  «  hors  du  danger  du  mors  des  bestes  qui 
les  pourroient  endommager  »  (2)  ;  ils  décidèrent  aussi,  pour  faciliter 


(1)  Articles  et  moyens  conceuz  et  advisés  pour  le  restdblissement  du  bois  de 
Mourmal,  par  Messeigneurs  les  président  et  gens  des  comptes  à  Lille  ,  oys  aulcuns 
officiers  dadit  bois.  Arch.  dép.  du  Nord.  Chambre  des  Comptes  de  Lille.  M.  57. 
Forêt  de  Mormal, 

(2)  Ordonnance  de  1601,  Art.  xii.  Arch.  dép.  du  Nord.  Ch.  des  Comptes,  à  Lille. 
M.  57.  Forêt  de  Mormal. 


—  185  — 

la  tâche  des  sergents,  que  désormais  les  vaches  porteraient  «  au  col, 
une,  par  raison,  grande  clochette  sonnante,  sans  le  son  d'icelle  pouvoir 
empêcher»  (1)  ;  ils  interdirent  en  outre  aux  moutons  l'entrée  du 
massif  (2)  ;  quant  aux  pourceaux,  ils  les  y  admirent,  mais  seulement 
dans  les  cantons  défensablos  et  à  la  condition  qu'eux  aussi  porteraient, 
un  sur  dix,  une  clochette  sonnante  (3)  ;  enfin  pour  assurer  la  répression 
des  délits,  leurs  Altesses  ordonnèrent  que  les  bestiaux  trouvés  en 
dehors  des  cantons  qui  leur  seraient  assignés,  seraient  appréhendés, 
confisqués  et  vendus  par  les  sergents  callengeùrs,  et  que  ceux-ci.  dont 
le  zèle  avait  sans  doute  besoin  d'être  stimulé,  recevraient  4  pattars,  à 
titre  de  gratification,  pour  tout  cheval,  vache  ou  porc  saisi  et  le  dixième 
denier  pour  une  bête  ovine  (4).  Cette  pénalité  peut  paraître  draco- 
nienne et  il  semble  qu'elle  aurait  dû  prémunir  les  jeunes  coupes  contre 
l'envahissement  du  bétail  :  il  n'en  fut  rien  malheureusement.  Gomme  les 
animaux  confisqués  étaient  toujours  vendus  dans  la  contrée,  les  délin- 
quants les  faisaient  racheter  à  vil  prix  par  des  tiers,  et  se  livraient  à 
de  nouveaux  abus. 

Préoccupée  de  leur  persistance,  la  Cour  des  Comptes  chargea  en 
1606,  le  commis  des  finances  d'Ennetières,  de  visiter  la  forêt,  et  de  faire 
le  nécessaire  pour  en  empêcher  le  renouvellement.  Après  avoir 
constaté  qu'elle  était  «  à  demi  vuydée  »  et  qu'on  l'avait  excessivement 
«  chargée  de  bêtes  à  paisnage ,  surpassant  le  nombre  désigné  par 
l'acte  du  16  février  1549  »  (5),  cet  officier  prit  le  parti  de  défendre 
immédiatement  de  pratiquer  «  le  dit  paisnage  jusqu'à  rappel  de  son 
Alteze  Sérénissime  et  des  Seigneurs  des  finances  ».  Les  archiducs 
approuvèrent  cette  mesure,  mais  leurs  bonnes  intentions  furent  bientôt 
paralysées.  En  présence  de  la  misère  générale  engendrée  par  les 
guerres  civiles  et  étrangères,  ils  revinrent  en  1616  sur  leur  détermi- 
nation, et  ils  autorisèrent  encore  une  fois  le  parcours  du  massif  par 
les  bêtes  à  cornes  et  chevalines,  sous  la  réserve  que  leur  nombre 
ne  dépasserait  pas  3000  et  que  chaque  permissionnaire  payerait  3  flo- 


(1)  Même  ordonnance.  Art.  xiv. 

(2)  Idem.  Art.  xviii. 

(3)  Idem.  Art.  xix. 

(4)  Idem.  Art.  xiv  à  xix. 

(5)  Extraict  du  procès-verbal  de  la  visite  du  domaine  de  Haynault,  faite  en  l'an 
mille  siy  cens  six.  Arch.  départ,  du  Nord,  Ch.  des  Comptes,  à  Lille,  M.  57.  Forêt  de 
Mormal. 


-  186  — 

rins  par  tête  de  bétail.  Cette  situation  se  prolongeajusqu'à  la  Conquête 
fançaise,  avec  cette  aggra-\ation  que  durant  roccupation  du  Hainaut 
par  les  armées  de  Louis  XIII  et  de  Louis  XIV,  les  jeunes  tailles,  qu'une 
ordonnance  de  1626  (1)  avait  de  nouveau  mises  en  défends,  ne  furent 
aucunement  respectées  et  subirent  des  dommages  incalculables  (2). 

Lorsque  le  démembrement  du  Hainaut  fut  accompli  et  que  la  forêt 
fut  réunie  au  domaine  royal,  le  nouveau  gouvernement,  qui  avait 
intérêt  à  se  concilier  la  sympathie  des  populations,  toléra  le  pâturage, 
mais  l'exercice  en  fut  réglementé.  Toutefois,  si  l'on  parvint  à  arrêter 
le  développement  des  clairières,  on  eut  encore  à  compter  avec  les 
abroutissements  dans  les  jeunes  ventes.  Le  Grand  Maître  des  eaux  et 
forêts,  Raulin  d'Essarts ,  dans  son  procès-verbal  de  visite  générale 
de  1750-1751,  rapporte  en  effet,  «  qu'elles  seraient  partout  bien 
venantes  et  peuplées,  vu  la  bonté  du  fond  de  la  forêt,  si  les  bestiaux  de 
Locquignol  et  des  villages  riverains,  ayant  occasion  d'entrer  de  tous 
côtés  dans  la  forêt  pour  le  pâturage  sous  la  futaye.  n'en  détruisaient 
les  jeunes  recrus,  soit  dans  leur  passage,  soit  dans  leur  déborde- 
ment,... qu'aussy  il  serait  de  la  dernière  conséquence  de  ne  plus 
affermer  le  dit  pâturage ,  afin  que  les  jeunes  ventes  pussent  se 
regarnir»  (3). 

Reproduite  presque  tous  les  ans,  cette  demande  fut  enfin  prise  en 
considération  :  un  arrêt  du  Conseil,  du  12  mai  1778,  abolit  en  effet 
l'exercice  du  pâturage,  et  un  autre,  du  29  juillet  1785,  le  supprima 
définitivement ,  malgré  les  plaintes  des  mayeurs  des  paroisses  voisines 
qui  étaient  parvenus  à  faire  révoquer  le  précédent  (4). 

A  l'époque  de  la  première  révolution,  on  put  craindre  que  le  gouver- 
nement reviendrait  sur  sa  détermination,  car  au  moment  de  la  rédaction 
des  cahiers  des  doléances,  la  prévôté  de  Bavay  réclama  instamment  le 
retour  à  l'ancien  état  de  choses  (5)  ;  mais  les  événements  qui  survinrent 

(1)  Art.  73.  Arch.  de  rinspection  des  Forêts  du  Quesnoy. 

(2)  Procès-verbal  de  Jean  Le  Feron,  escuyer,  conseiller  rfu  Roy^  commissaire 
député  par  Sa  Majesté  pour  la  reformation  générale  des  Eaues  et  Forests  de  France 
et  des  conques  tes  de  Sa  Majesté  dans  les  provinces  de  Flandres,  pânsim.  Arch.  de 
l'Inspection  des  forêts  du  Quesnoy. 

(3)  Archives  nationales. 

(4)  Arrêt  qui  limite  au  15  août  1785,  la  permission  portée  par  celui  du  17  mai 
précédent,  de  conduire  et  faire  pâturer  les  bestiaux  dans  les  bois  du  Roy,  etc. 
Archives  nationales.  E.  2ôi3. 

(5)  Louis  Legrand  ,  Sénac  de  Meilhan  et  V Intendance  du  Hainaut  et  du 
Cambrcsis,  p.  401. 


—  187  - 

pou  d'années  après,  détournèrent  l'attention  de  la  question,  en  sorte 
qu'il  ne  fut  donné  aucune  suite  à  sa  demande  (1).  Quant  à  la  paisson, 
elle  cessa  d'être  pratiquée  dans  la  première  partie  de  ce  siècle,  le 
changement  de  régime  introduit  dans  la  forêt  en  1778,  en  ayant  rendu 
l'exercice  de  moins  en  moins  avantageux  pour  les  éleveurs. 

Dans  les  lignes  qui  précèdent,  nous  avons  fait  connaître  incidemment 
que  l'on  doit  rapporter  aux  invasions  dont  la  forêt  a  été  le  théâtre 
depuis  la  fin  du  moyen  âge,  une  partie  des  pertes  qu'elle  a  éprouvées. 
Afin  de  justifier  cette  assertion,  nous  ferons  l'historique  de  ces  inva- 
sions et  nous  signalerons  également,  pour  ne  pas  revenir  sur  ce  sujet, 
les  faits  militaires  antérieurs  auxquels  elle  a  été  mêlée. 

Le  premier  en  date  remonte  à  l'époque  romaine  et  nous  est  révélé 
par  l'historien  do  la  conquête  des  Gaules.  Après  avoir  franchi  les  mar- 
ches qui  séparaient  le  pays  des  Ambiens  de  la  Nervie,  César  vint 
asseoir  son  camp  sur  la  rive  droite  de  la  Sambre,  près  d'Haut  mont,  et 
trouva  devant  lui ,  de  l'autre  côté  de  la  rivière ,  les  Nerviens  massés 
dans  la  forêt  (2),  sous  les  ordres  de  Boduognat.  Dans  la  lutte  qui  s'en- 
gagea, si  César  finit  par  l'emporter,  il  le  dût  moins  à  la  valeur  qu'à  la 
discipline  et  à  l'armement  de  ses  légions,  car  ses  adversaires,  com- 
battant avec  le  courage  du  désespoir,  furent  réduits  de  60000  guerriers 
à  5000  et  de  leurs  60  chefs,  il  n'en  survécut  que  3  (3). 

Après  avoir  pacifié  la  Nervie ,  Rome  y  apporta  la  civilisation,  et 
Agrippa  ,   gendre  d'Auguste  ,  commença  ces  larges   chaussées  qui 


(1)  Ajoutons  cependant  qu'en  1870  ,  des  ctialeurs  excessives  ayant  détruit  llierbe 
dans  les  campagnes  ,  les  moutons  ,  les  clievaux  et  les  vaclies  eurent  accès  dans  la 
forêt.  En  quelques  jours,  elle  fut  envahie  par  dix  mille  de  ces  animaux,  qui  y  eurent 
bientôt  brouté  toutes  les  plantes  herbacées;  déjà  ils  attaquaient  les  jeunes  pousses 
des  végétaux  ligneux,  quand  la  maladie  se  déclara  parmi  eux  et  obligea  leurs 
propriétaires,  en  présence  de^  nombreuses  victimes  qu'elle  fit,  à  les  retirer  précipi- 
tamment. 

(2)  Lebeau.  Not.  hist.  sur  i'Arr.  d'Avesnes ,  p.  322.  Napoléon  ^^  dans  ses 
remarques  sur  les  commentaires  de  César,  dit  également  que  la  bataille  de  la  Sambre 
eut  lieu  non  loin  de  Maubeuge  et  M.  Z.  Piérart,  dans  ses  Exe.  hist.  etarch.,  p. 229, 
place  sur  le  plateau  de  Wargnories  le  camp  romain.  Les  opinions  sont  d'ailleurs  très 
partagées  sur  le  théâtre  de  l'action  ;  ainsi  M.  Lcglay  soutient  qu'il  faut  le  placer  à 
Vinci ,  près  de  Cambrai  ;  Lelong,  dans  son  histoire  du  diocèse  de  Laon  ,  entre  Lan- 
drecies  et  Preux-au-Bois,  et  la  plupart  des  historiens  belges  à  Prestes,  entre  Namur 
et  Charleroi. 

(3)  CÉSAR.  De  bello  gallico,  lib.  n,  cap.  It)-i8. 


-  i88  — 

rayonnent  de  Bavay  dans  toutes  les  directions  (1)  et  auprès  desquelles 
des  colons  vinrent  se  fixer.  Deux  siècles  plus  tard,  il  fallut  pour  pro- 
téger les  environs  de  cette  ville  contre  les  insultes  de  pirates  avant- 
coureurs  des  Normands,  qui  remontaient  la  Sambre  jusqu'à  h  forêt  sur 
de  frêles  embarcations  recouvertes  de  peaux ,  construire  à  Quartes 
une  flottille  ,  à  la  tête  de  laquelle  fût  placé  un  chef,  ayant  le  titre  de 
Prœfeclus  Sambricœ  classis,  in  loco  Quartensi  sïve  Hornensi  (2). 

Nous  avons  indiqué  précédemment  (3j  quelles  furent  pour  Mormal 
les  conséquences  de  l'invasion  de  407  ;  disons  rapideaient  que  dans  la 
période  suivante,  la  forêt  fut  parcourue  par  les  bandes  de  Clodion  et 
d'a'itres  chefs  francs,  puis  par  les  Neustriens  et  les  Austrasiens ,  pen- 
dant les  luttes  entre  ces  deux  fractions  d'un  même  peuple.  Après  les 
Francs,  apparurent  les  Normands,  qui  commencèrent  leurs  incursions 
dans  la  contrée  en  881  et  mirent  tout  à  feu  et  à  sang,  sans  épargner  les 
monastères  d'Hautmont  et  de  Maroilles,  dont  les  moines  cherchèrent 
en  vain  un  refuge  dans  les  bois.  Les  seuls  souvenirs  que  ces  barbares 
aient  laissés  de  leur  passage  dans  le  massif,  consistent  en  deux 
tombes.  La  première,  dorigine  franque,  gisait  au  canton  de  Chêne 
Cuplet,  où  elle  a  été  découverte  en  1850  ;  mais  elle  paraît  avoir  été 
visitée  antérieurement,  car  on  n'y  a  rencontré  ni  squelette,  ni  armes, 
ni  colliers  ;  depuis  lors  ,  les  larges  dalles  en  calcaire  carbonifère  qui 
formaient  les  parois  de  cette  tombe,  ont  été  transportées  à  Englefon- 
taine  et  utilisées  pour  la  construction  d'un  puits.  La  seconde,  connue 
sous  le  nom  de  tombe  de  Gargantua,  se  trouve  à  l'angle  formé  par  la 
route  départementale  d'Avesnes  au  Quesnoy  et  par  la  laie  du  Cerf  ; 
c'est  une  calotte  sphérique  en  terre,  de  huit  mètres  de  diamètre,  avec 
trois  mètres  de  flèche.  Pour  quel  chef  Normand  a-t-on  élevé  ce 
tumulus?  C'est  une  question  à  laquelle  il  est  impossible  de  répondre, 
car  les  fouilles  qui  y  ont  été  exécutées  au  moment  de  sa  restauration 
en  1882  ,  n'ont  amené  la  découverte  ni  de  vestiges  humains ,  ni  de 
débris  d'armes  et  d'un  autre  côté,  aucun  document  ancien  n'en  fait 
mention  (4). 


(1)  On  les  désigne  généralement  de  nos  jours  sous  le  nom  de  chaussées  Brunehaut; 
on  prétend,  d'ailleurs,  que  cette  reine  les  fit  réparer. 

(2)  Notitia  dignatum  imperii  rouiani, 

(3)  Voir  le  chapitre  1. 

(4)  Le  souvenir  de  cette  figure  étrange  et  fantastique,  dont  la  légende  s'est  empa- 
rée et  qui  a  inuuortalisé  Rabelais,  s'est  perpétué  sur  plusieurs  points  de  la  P>ancc, 


—  189  — 

L'histoire  ne  nous  fournit  aucun  renseignement  sur  les  événements 
militaires  qui  ont  dû  se  passer  à  Mormal  au  moment  de  l'établissement 
de  la  féodalité  et  pendant  Tinvasion  des  Hongrois  qui,  sous  la  conduite 
des  Conrad,  renouvelèrent  les  atrocités  commises  par  les  Normands 
dans  la  contrée.  11  nous  faut  descendre  jusqu'à  l'année  1184,  pour 
trouver  un  fait  de  quelque  importance  ayant  eu  ce  massif  pour  théâtre. 
La  guerre  régnait  alors  entre  Bauduin  V,  comte  de  Hainaut  et 
Philippe  d'Alsace ,  comte  de  Flandre ,  soutenu  par  l'archevêque  de 
Cologne  et  le  duc  de  Louvain.  Vivement  pressé  par  ses  ennemis  et 
reconnaissant  l'impossibilité  de  les  vaincre  en  bataille  rangée,  Bauduin 
incendia  Le  Quesnoj  et  les  habitations  aux  alentours  ;  toutefois,  il 
laissa  une  forte  garnison  avec  des  vivres  dans  le  château  de  cette  ville. 
Philippe  vint  y  mettre  le  siège  et  ne  put  s'en  emparer  ;  mais  avant  de 
se  retirer,  il  détruisit  dans  la  haie  du  Ghard  ,  dépendance  de  la  forêt, 
la  plus  grande  partie  des  daims,  des  cerfs  et  des  bubales  dont  elle  était 
peuplée.  L'année  suivante ,  pour  se  venger  de  son  vassal ,  Jacques 
d'Avesnes,  qui  avait  pris  parti  pour  ses  ennemis  ,  Bauduin  brûla  un 
grand  nombre  de  villages  de  sa  seigneurie,  y  compris  Landrecies  (1), 
dont  les  habitants  furent  pour  la  plupart  massacrés  dans  Mormal,  où  ils 
avaient  cherché  un  asile  (2). 

Après  ces  événements,  le  massif  semble  être  resté  paisible  pendant 
150  ans.  L'alliance  contractée  par  Guillaume  II,  comte  de  Hainaut, 
avec  les  Anglais  ,  y  attira  en  1340  un  corps  français  commandé  par 
Jean,  duc  de  Normandie  ,  âls  de  Philippe  IV,  qui  ne  quitta  la  contrée 
qu'après  avoir  incendié  le  château  de  Potelle  (3),  les  deux  Wargnies, 


où  Ton  montre  encore  la  chaussée  de  Gargantua ,  le  col  de  Gargantua,  l'antre  de 
Gargantua,  le  palais  de  Gargantua  D'après  M.  Bourquelot,  Revue  des  cours  litté- 
raires, l''"  année,  p.  32,  l'origine  de  ce  héros  remonterait  à  la  religion  gauloise,  et 
suivant  Wattaux,  cité  par  M""*  Clément  Hemery,  la  tombe  de  la  forêt  ne  serait  autre 
que  celle  d'Ursus  ,  mort  à  la  bataille  du  Brai-Moulcon.  Quoi  qu'il  en  soit ,  il  est 
évident  que,  de  même  que  pour  Hercule,  on  a  mis  au  compte  d'un  seul,  des  événements 
se  rapportant  à  plusieurs  héros. 

(1)  Landrecies  fut  entouré  de  fortifications  en  1096,  par  Gossin,  seigneur  d'Avesnes 
et  l'un  de  ses  petits-fils,  Nicolas,  les  releva  en  1140. 

(2)  GisLEBERT,  p.  139-149;  Jacques  de  Guise,  xii,  p.  312-316;  Delewarde  ,  m, 
p.  122-130. 

(3)  Bâti  en  1298,  par  Gille  de  Mortagne,  ce  château  fut  plusieurs  fois  saccagé  ou 
démoli,  puis  reconstruit  sur  ses  anciennes  fondations  ;  c'est  la  seule  demeure  féodale 
qui  soit  restée  debout  dans  les  environs  de  Mormal. 


-  190  - 

Frasnoy,  Gommegnies  etHerbignies,  où  fût  tué  le  sire  de  Gommegnies 
qui,  avec  six  écuyers  seulement,  essaya  de  tenir  tête  à  350  assaillants. 

Cette  invasion  terminée,  le  pays  recouvra  sa  tranquillité  jusqu'au 
moment  où  l'ambition  de  Philippe-le-Bon,  duc  de  Bourgogne  et  comte 
de  Flandre  ,  qui  convoitait  l'héritage  de  Jacqueline  de  Bavière  ,  com- 
tesse de  Hainau(,  y  attira  tous  les  malheurs  de  la  guerre.  En  1422,  les 
troupes  bourguignones  s'avancèrent  de  Guise  sur  Pont-sur-Sambre, 
où  elles  séjournèrent  plusieurs  mois  ;  l'année  suivante ,  un  déta- 
chement de  ces  troupes  s'établit  au  canton  du  Quesne-au-leu,  d'où  il 
se  jeta  sur  Mecquignies,  dont  le  château  fût  saccagé,  ainsi  que  sur  les 
villages  voisins.  «  Il  n'y  eut  alors  ,  dit  W.  Estiévenart ,  aucunes 
biestes  à  cornes  allant  en  paisnage  que  tant  seulement  celles  appar- 
tenons as  drois  ,  des  offiscyers  pour  tant  que  es  marches  et  villaiges 
d'entour  le  ditte  forest,  les  dittes  biestes  sont  grandement  admeuries 
et  perdues  par  les  gherres  et  tant  paul  qu'il  en  demora  ont  trouvé  celli 
année  asses  pastures  pour  nient  anal  les  camps  et  en  leurs  pastures 
sans  aller  en  le  ditte  forest.  »  (1)  A  la  suite  des  Bourguignons ,  paru- 
rent les  Armagnacs,  qui  s'étaient  misa  leur  poursuite  ;  à  leur  approche, 
nombre  de  riverains  gagnèrent  Mormal  ;  mais  ces  nouveaux  ennemis 
no  les  y  inquiétèrent  pas  et  rebroussèrent  chemin  après  avoir  pillé 
le  château  de  Sassogne  (2), 

Cependant  après  une  héroïque  résistance,  Jacqueline,  que  presque 
tous  ses  partisans  avaient  abandonnée,  s'était  vu  forcée  de  se  dépouiller 
de  ses  états  en  faveur  de  Philippe-le-Bon  (1426).  Mais  si  la  guerre  était 
terminée  ,  les  désordres  qui  l'avaient  accompagnée  ,  ne  cessèrent  pas 
immédiatement.  Une  bande  de  pillards,  connue  sous  le  nom  de  bande 
d'Orchimont,  du  lieu  où  elle  s'était  consliluée,  vint  s'établir  à  Mormal,  à 
proximité  de  la  paroisse  d'Hargnies ,  dont  les  habitants  firent  cause 
commune  avec  elle,  et  de  là,  elle  se  répandit  dans  les  villages  voisins 
qu'elle  frappa  de  contributions.  A  la  nouvelle  de  ses  brigandages ,  les 


(1)  Compte  de  Willaumes  Estiévenart ,  dit  du  Canibge  ,  recepveres  du  Haynau , 
du  l*""  septembre  1425  au  l""  septembre  1426.  Arch.  dép.  du  Nord.  Gh.  des  Comptes , 
à  Lille. 

(2)  Ce  château  qui  était  situé  au  sud  de  la  forêt,  sur  le  territoire  actuel  de  Noyelle, 
lut  bâti  au  XIP  siècle,  par  Nicolas,  seigneur  d'Avesnes.  Il  eut  beaucoup  à  souffrir  au 
temps  de  Henri  II  et  de  Louis  XIII  et  subsista  dans  un  état  de  délabrement  jusqu'en 
1734,  époque  oii  l'on  a  commencé  à  le  démolir  ;  avec  ses  débris,  on  a  construit  une 
ferme  dans  le  voisinage. 


-  191  - 

prévôts  (le  Bavay  et  du  Quesnoy  se  mirent  à  la  tête  de  troupes  que 
renforcèrent  des  gens  de  Berlaimont,  et  finirent  par  en  débarrasser  le 
massif  et  ses  environs.  Mais  ce  fut  pour  peu  de  temps  :  quelques  mois 
après  en  eôet,  cette  bande  se  reforma  sur  un  grand  pied  et  reprit  sa 
première  position  dans  la  forêt ,  comptant  surprendre  les  voyageurs 
qu'atlirait  à  Bavay  la  foire  du  Béhourdy  (1''^  décembre  1430).  Ayant 
appris  que  ces  partisans  avaient  tué  un  de  ses  sergents  ,  le  prévôt  de 
cette  ville,  après  s'être  concerté  avec  le  bailli  deSt-Ghislain,  rassembla 
une  troupe  de  gens  à  pied  et  à  cheval  et  les  repoussa  jusqu'à  Sivry, 
où  ils  furent  rejoints  par  le  bâtard  d'Orléans  qui  en  prit  le  comman- 
dement et  alla  avec  eux  ravager  la  Lorraine.  (1). 

On  était  alors  à  la  tin  de  la  guerre  de  Cent  ans  et  les  routiers  qui 
avaient  combattu  les  Anglais,  se  trouvant  licenciés,  se  répandirent  sur 
toute  la  France.  Une  de  leurs  bandes,  commandée  par  Chabannes  et 
d'autres  chefs,  s'abattit  en  1436  sur  le  Hainaut ,  où  elle  justifia  le 
surnom  d'Ecorcheurs  ,  donné  à  ceux  qui  en  faisaient  partie.  Mormal 
servit  encore  une  fois  d'asile  aux  habitants  de  la  région  ;  mais  celte 
fois  encore,  ils  n'y  furent  pas  inquiétés  ,  bien  que  le  corps  que  Jean  de 
Cro}^  avait  rassemblé  au  Quesnoy  pour  résister  à  l'invasion  et  qui  était 
commandé  par  CoUart  de  Sennières ,  bailli  de  Lessines,  eut  été  battu 
par  ces  Ecorcheurs  ;  ceux-ci,  en  effet,  se  retirèrent  en  Champagne, 
à  la  suite  de  leur  victoire. 

Après  la  mort  de  Charles  le  Téméraire  et  le  mariage  de  sa  fille  avec 
Maximilien  d'Autriche,  les  Pays-Bas,  que  Marie  de  Bourgogne  appor- 
tait en  dot  à  son  époux,  furent  pour  les  Maisons  de  France  et  d'Autriche 
le  théâtre  des  luttes  qui  devaient  durer  trois  cents  ans,  et  la  forêt, 
par  suite  de  sa  position  sur  la  frontière  ,  y  joua  un  rôle  considérable. 

En  1477,  les  troupes  de  Louis  XI  parurent  devant  Landrecies  qui, 
mal  fortifié  alors,  ne  se  défendit  pas.  Douze  cents  cavaliers  français 
commandés  par  le  prévôt  de  Paris  et  le  maire  de  Bayonne  prirent  pos- 
session de  la  ville,  dont  les  habitants  s'étaient  enfuis  dans  Mormal  ; 
mais  peu  de  temps  après  ils  furent  attaqués  et  surpris  par  Ilacquenet 
de  Vaux,  de  la  compagnie  des  archers  du  comte  de  Chimay,  à  la  tête 
de  soldats  auxquels  s'étaient  joints  des  habitants   d'Englefontaine  et 


(1)  Compte  précité  de  Willaumes  Estiévenart,  passim.  M.  L.  Delhaye,  Bavay  et  la 
contrée  qui  V environne,  p.  397. 


—  192  — 

d'ailleurs.  Pour  se  venger,  les  Français  mirent  le  feu  à  la  ville  et  bien- 
tôt Louis  XI  vint  en  personne  assiéger  Le  Quesnoy  dont  il  s'empara 
après  avoir  perdu  500  des  siens  dans  un  assaut.  Pendant  toute  l'année 
1477  ,  ses  troupes  se  répandirent  dans  la  forêt  que  le  Bailli  des  bois 
avait  vainement  essayé  de  protéger,  en  faisant  rompre  les  ponts  sur  la 
Sambre,  et  elles  y  détruisirent,  avec  les  viviers,  toutes  les  censés  et  les 
maisons  du  domaine  de  Locquignol.  Le  Receveur  du  Hainaut ,  qui  ne 
peut  faire  de  recettes  durant  cette  campagne,  rapporte  qu'après  le  départ 
des  ennemis,  «les  censiers  nesy  vouloient  rebouter,  se  on  ne  refaisoit 

les  buis,  parois  et  fenêtres Sy  est  aussi  que  durant  ceste  année, 

la  gherre  a  esté  entièrement  ouverte  par  entre  le  Roy  et  Monseigneur 
et  se  sont  tenus  grant  plente  de  Francbois  au  Quesnoy,  par  coy  il  a 
esté  forcé  audit  Jehan  Manescbe  (censier  de  Hache) ,  de  luy,  sa  femme, 
et  son  maisnaige  rendu  fugitif  et  s'en  aller  demeurer  en  lieu  sceur , 
pourcoy  il  n'a  fait  en  Tété  de  l'an  LXXVII  quelque  proffit  de  la  dite 
censé.  »  Il  relate  aussi  que  «  de  Noël  Pesquereau,  pour  la  maison , 
gardin  et  pasture  des  Etoquies...  or  est  ainsi  que  pour  la  gherre,  Lf 
n'a  pu  joyr  de  ceste  censé  ;...  de  Gollart  Gouvreau,  Gillart  Druet  et 
Guillaume  Wauthier,  pour  la  pasture  du  Fer-à-Gheval,  gisans  derrière 
Gilbert-Maisnil, ...  or  est  ainssi  que  ceste  présente  année  ,  il  n'a  pu 
joyr  d'icelle  censé,  à  cause  delà  gherre;  du  censier  de  la  maison  de 
la  Motte,  que  l'on  dist  au  Lossignot...,  or  est  ainsi  que  on  lui  a  quitté 
ceste  année  et  l'année  ensuyaut...  de  tant  qu'il  n'en  a  peu  joyr  par  les 
Franchois.  »  Il  constate  ensuite  que  Pierot  Becquet,  demeurant  aux 
Etoquies,  n'a  pu  pêcher  dans  la  rivière  de  Sambre  qu'il  avait  affermée, 
et  que  «  quant  au  fruit  de  la  forest  et  paisson  du  dit  Mourmal,  pour 
l'année  de  ce  compte  ,  la  dicte  paisson  était  assez  bien  adreschié  de 
fowines  tant  seulement,  mais  par  la  gherre  et  que  les  Franchois  se 
tenoient  lors  au  Quesnoy  en  grant  puissance,  quelque  vente  ne  proffit 
n'en  a  esté  fait  ceste  ditte  année,  car  il  n'a  esté  personne  qui  n'ait  osé 
aller  et  venir  en  ladite  forest  ».  Il  ajoute  encoi*e  que  Jehan  Gontart  et 
la  veuve  Simon  de  Rogeries  ,  fermiers  du  vivier  d'Ecaillon  ,  n'ont  pu 
profiter  de  la  pêche  et  que  Jehan  Jouveneau  et  la  dite  veuve,  fermiers 
des  étangs  Gorbeau  et  d'Ecaudemetz  sont  dans  la  même  situation  ; 
«  or  est  ainsi  que  dudit  vivier  audit  compte  quelque  proffit  n'a  este  fait, 
car  les  Franchois  durant  la  gherre  les  ont  pesquiet  et  colpez  les  dic- 
quez  en  y  faisant  du  bien  grand  dommaige.  »  Enfin  ,  il  termine  assez 
plaisamment  en  disant  que  les  digues  des  viviers  à  Truites  et  de  la 
Gressonniere  ont  été  également  coupées  «  par  les  dits  Franchois  pour 


—  193  - 

les  povoir  pesquier,  à  cause  qu'ils  n'avaieut  loisir  de  les  laisser  courir 
par  la  buse,  doubtans  que  on  ne  venist  coulre  subs  »  (1). 

Le  Sire  de  Damuiartin ,  que  Louis  XI  avait  laisîsé  pour  délendre 
Le  Quesnoy,  quitta  cette  place  en  1478,  et  la  paix  d'Arras,  signée  en 
1482,  mit  fin  à  cette  guerre  qui  avait  été  désastreuse  pour  le  Hainaut. 
Aux  environs  de  la  forêt  notauiraont,  la  plupart  des  villages  avaient  été 
livrés  aux  flammes,  et  il  fallut  délivrer  aux  habitants  des  hêtres  et  des 
chênes  «  affin  qu'ils  eussent  aucune  provision  de  bois  pour  euls 
chauffer  en  l'ivier  ensuiwant  et  aussi  aucune  quantité  pour  eulx  com- 
mencher  à  reraaisonner  »(2). 

Le  pays  jouit  ensuite  d'une  tranquillité  relative  qui  cessa  dès  l'éléva- 
tion au  trône  impérial  de  Charles  F'',  d'Espagne ,  dont  la  puissance 
démesurée  constituait  un  danger  pour  l'indépendance  de  la  France.  Les 
Impériaux  s'étant  avancésjusqu'enPicardië,  François  P'' les  en  ât  déloger 
et  les  poursuivit  jusque  dans  le  Hainaut,  où  il  s'empara  de  Bouchain, 
puis  de  Landrecies  que  les  bourgeois  lui  abandonnèrent  au  bout  de  qua- 
rante jours  de  siège,  après  l'avoir  incendié,  pour  se  retirer  dans  la  forêt, 
et  en  outre  du  château  de  Potelle  (1523).  A  la  nouvelle  des  succès 
remportés  par  son  adversaire,  Charles-Quint  qui  se  trouvait  devant 
Mézières,  défendu  par  Bayard  et  Montmorency ,  abandonna  le  siège 
de  cette  ville,  et  vint  investir  Landrecies  ;  mais  les  Français  quittèrent 
la  place  après  en  avoir  rasé  les  fortifications.  Pendant  toute  cette  cam- 
pagne, le  massif  eut  beaucoup  à  souffrir  des  armées  des  deux  nations 
et  le  Receveur  général  rapporte  «  que  les  troupes  impériales  mangèrent 
tout  ce  que  les  manans  et  habitants  es  tilles  du  Quesnoy,  de  Landrecies 
Maroilles,  Englofontaines,  Lossignol,  Berlemont...  avoient  et  bruslè- 
rent  tout  les  bois  qu'ils  avoient  achetés  et  fut  ordonné  à  Messeigneurs 
les  Président  et  autres  Seigneurs  de  la  Chambre  des  Comptes  à  Lille 
de  les  tenir  dotant  en  soutiVance, . ..  »  et  il  ajoute:  «  quant  aux  ven- 
daige  des  bois  de  muyaiges,  aussy  des  esnoes,  braix,  braitteaux,  ternes 
et  terneaux  que  l'on  a  ci-devant  accoustumé  vendre  sur  la  forest  de 
Mourmail,  obstant  la  guerre  et  la  difficulté  du  temps,  ne  s'en  sont 
aucuns  fois  vendus.»  Il  consigne  aussi  ce  fait  que  des  bandes  de  parti- 


(1)  Compte  de  Jehan  du  Terne,  conseiller  de  mon  très  redoubté  et  souverain 
seigneur.  Monseigneur  le  Bue  de  Bourgoingne  ,  etc..  Comte  de  Haynau,  Hollande 
et  Zellande,  du  1"  octobre  1477  au  30  septembre  1478.  Arch.  dép.  du  Nord.  Gh.  des 
Comptes,  à  Lille. 

(2)  Même  compte. 

14 


—  194  ■— 

sans  parcourant  le  massif  en  tous  sens,  il  fut  alloué  une  somme  de 
ii"^  VIII  liv.  XII  s.  t.  aux  Lieutenant  de  la  forrest  de  Mourmal,  Receveur- 
général,  clers,  officiers,  sergens,  raarchans  avec  leurs ghides,  porteurs 
de  marteau,  leurs  serviteurs  et  clievaulx,  et  plusieurs  gens  de  guerre, 
tant  (le  cheval  que  de  pied  de  la  garnison  du  Quesnoy,...  pour  la 
seureté  de  leurs  personnes,  et  que  les  dits  marchans  fussent  plus 
hardis  de  suyr  le  dit  marteau  pour  cause  de  la  gherre  et  des  feuiwars 
que  l'on  craindoit  estre  en  la  dite  forrest.  »  (1). 

François  I"  reparut  de  nouveau  dans  le  Hainaut,  en  1543,  avec  une 
armée  de  40,000  hommes  ;  il  mit  le  siège  devant  Landrecies  qui  ne  se 
défendit  pas  et  dont  il  releva  les  remparts.  Durant  son  séjour  à 
Maroilles,  oii  il  avait  établi  son  quartier  général,  ses  troupes  firent  des 
abatis  dans  la  forêt  et  y  incendièrent  les  censés  des  Etoquies,  de  la 
Thourie  et  de  Guilbert-Mesnil  (2j  ;  pendant  ce  temps,  le  Dauphin  ,  qui 
s'était  installé  à  Renaut-Folie,  s'emparait  successivement  des  châteaux 
d'Aymeries  (3)  et  de  Berlaimont  (4),  ainsi  que  de  Maubeuge.  L'année 
suivante,  Charles-Quint  voulut  reprendre  Landrecies  ;  mais  la  place 
était  défendue  par  le  capitaine  Lalande  qui  avait  sous  ses  ordres  3000 
hommes  à  pied  et  200  cavaliers,  et  Frédéric  de  Gonzague  qui  comman- 
dait ses  forces,  ne  put  s'en  emparer  après  six  mois  de  siège.  Elle  ne 
lui  fut  rendue  qu'à  la  paix  de  Grépy,  en  1544  (5). 

A  peine  monté  sur  le  trône  ,  Henri  II  s'allia  aux  protestants  d'Alle- 
magne  contre  Charles-Quint  et  ouvrit  les  hostilités  en  s'emparant 


(1)  Compte  vingtysme  {(le)  Jehan  de  la  Croix  ,  conseiller  de  V Empereur  et  son 
receveur-général  de  son  pays  et  Comté  de  Eaynau,  du  i"  oct.  1524  au  30  sept.  1525. 
Arch.  (iép.  du  Nord.  Gh.  des  Comptes,  à  Lille. 

(2)  Compte  sixième  de  Philippes  du  Jardin,  conseiller  de  l'Empereur  nostre  sire, 
et  receveur-général  de  son  pays  et  Comté  de  Haynau,  du  1'^' oct.  1549  au  38  sept. 
1550.  Arch.  dép.  du  Nord.  Gh.  des  Comptes,  à  Lille. 

(3)  Assis  près  de  la  Sambre  et  dans  le  voisinage  de  la  forêt,  ce  château  qui  remon- 
tait au  XIP  siècle,  appartenait  en  1544,  à  Georges  de  Rollin.  Ruiné  en  1643,  il  n'en 
reste  que  les  fondations,  lesquelles  témoignent  de  son  ancienne  importance. 

(4)  Le  château  de  Berlaimont,  aux  seigneurs  de  ce  nom,  était  situé  sur  la  rive 
droite  de  la  Sambre.  sur  le  territoire  d'Àulnoye.  Il  fut  détruit,  comme  le  précédent, 
en  1643,  par  le  duc  d'Enghien  ;  il  n'en  subsiste  que  quelques  débris. 

(5)  Landrecies  appartenait  à  cette  époque  à  Philippe  III  de  Croy,  prince  de  Chimai. 
En  con>;idération  de  son  importance  pour  la  défense  du  Hainaut,  Charles-Quint  en  fit 
rechange  avec  Philippe,  contre  la  seigneurie  de  BlaLon,  en  1545,  et  lit  relever  ses 
fortifications. 


-  195  - 

de  Metz,  Toul  et  Verdun  (1552).  L'empereur  s'efforça  en  vain  de 
reprendre  la  première  de  ces  villes,  avec  une  armée  qui  montait  à 
60000  hommes  ;- le  duc  de  Guise  qui  la  défendait,  lui  tua  la  moitié  de 
son  monde,  mit  le  reste  en  déroute  et  s'illustra  par  son  humanité  à 
l'égard  des  fuyards.  Tout  autre  fut  la  conduite  des  Impériaux  en 
Picardie,  où  la  gouvernante  des  Pays-Bas  briila  sept  cents  villages, 
et  en  Artois  où  Gharles-Quint  détruisit  Thérouaneet  Hesdm.  A  la  nou- 
velle de  ces  désastres,  Henri  II,  que  le  mariage  de  Philippe  avec  Marie 
Tudor  avait  justement  alarmé,  marcha  avec  25.000  hommes  sur  les 
Ardennes,  où  il  prit  Marienbourg,  menaça  Bruxelles  et  se  rabattit  sur 
le  Hainaut,  sans  que  le  duc  de  Parme  qui  lui  était  opposé,  osât  lui 
résister;  il  mit  tout  à  dévastation,  et  livra  aux  flammes,  autour  de  la 
forêt,  Maubeuge,  Pont-sur-Sarabre  et  Bavay  ;  mais  il  échoua  devant 
Landrecies  et  Le  Quesnoy.  Quelques  temps  après  ces  événements , 
Charles  Quint  que  les  maladies  et  le  chagrin  minaient ,  se  retirait  au 
couvent  de  St-Just,  après  avoir  abdiqué  la  couronne  impériale  en  faveur 
de  son  frère  et  laissé  à  son  fils  Philippe  II  l'Espagne,  les  Pays-Bas  et 
ses  possessions  en  Amérique. 

C'est  sous  le  règne  de  ce  dernier,  que  commencèrent  les  guerres  de 
religion  qui  devaient  porter  un  coup  si  funeste  à  la  prospérité  des 
Pays-Bas  et  auxquelles  participèreni  des  bandes  indisciphnées  recru- 
tées parmi  les  Allemands,  les  Hollandais,  les  Flamands,  les  Wallons, 
les  Italiens  et  les  Espagnols.  Pendant  leur  durée,  la  forêt  fut,  comme 
aux  époques  précédentes,  le  refuge  ordinaire  des  habitants  du  pays  et 
nombre  de  soldats  d'armées  en  déroute  la  parcoururent  en  tous  sens. 
Elle  regorgea  de  ces  derniers,  notamment  en  1568,  après  la'  victoire 
remportée  par  le  duc  d'Albe  auprès  du  Quesnoy  sur  le  prince  d'Orange; 
en  1571  et  en  1572,  après  les  défaites  de  Louis  de  Nassau  et  du  baron 
de  Genlis  sous  les  murs  de  Mons  ;  en  1578,  après  la  reprise  de  Binche, 
de  Maubeuge  et  de  Berlaimont  par  les  Espagnols  : 

«  Plusieurs  qui  d'en  estoient  sauvez,  dit  l'historien  Jean  Petit,  cité  par  Z.  Piéràrt  (1), 
n'eurent  aucun  moyen  de  sortir  hors  du  pays,  crainte  d'estre  renconstrez  en  chemin 
sur  leur  retraite  par  les  prévosts  des  maréchaux,  qui  les  chassoyent  à  tout  aller  et 
avoyent  charge  d'en  faire  mourir  autant  qu'ils  en  poun-oient  attraper  :  ils  se  mirent 
par  troupes  à  tenir  les  bois  et  forests  ,  comme  à  Niepes  en  Flandre,  Richebourg  . 
Olham  et  Verdrez  en  Arthois ,  Mourmal  et  autres  en  Hénaut ,  et  se  couvrant  du 


(1)  Excursions  hist.  et  arch.,  etc.,  p.  205  et  206. 


-  196  - 

manteau  et  nom  du  prince  d'Orange,  firent  en  leur  particulier  la  guerre  aux  prestres 
et  aux  officiers  de  justice,  qu'ils  disoyent  estre  leurs  ennemis  ,  les  tuant ,  pillant  et 
rançonnant,  sans  néanmoins  faire  tort  aux  paysans  et  raestayers  qui  de  nuict  leur 
fourni&soient  à  manger.  On  les  appeloit  bosquets  ou  bosquillons  pour  ce  qu'ils  se 
tenoyent  aux  bois  et  forests.  lis  gardoyent  une  certaine  discipline  entre  eux,  comme 
de  ne  faire  nul  tort  aux  marchans  ni  autres  passants ,  s'ils  n'estoyent  gens  de 
justice,  lesquels  ils  faisoyent  mourir.  Quant  aux  gens  d'église  qu'ils  trouvoyent 
dedans  les  bois ,  ils  les  detenoyent  auprès  d'eux  à  la  pluye  et  au  vent .  tant  que 
l'argent  de  la  rançon  fust  venu.  S'ils  savoyent  qu'il  y  eust  esdits  bois  quelques 
voleurs  qui  détroussassent  les  passans  ,  ils  les  poursuivoyent  tant  que  les  ayant 
attrapez,  ils  les  livroyent  aux  gens  des  prévosts  des  maréchaux  à  l'entrée  du  bois , 
sans  les  laisser  approcher  plus  près  qu'à  la  portée  de  leurs  harquebuses.  Aussi  les 
autres  n'eussent  osé  l'entreprendre.  Ils  avoyent  pour  arme-;  la  harquebuse  pendue 
en  escharpe,  un  poignard  à  la  ceinture  et  une  longue  demi  picque  sur  l'espaule,  avec 
laquelle  ils  sautoyent  tous  fossés  ,  fussent-ils  de  vingt  pieds  de  large ,  gens  tous 
dispos ,  résolus  et  en  grand  nombre.  Quand  les  prévosts  en  pouvoyent  attraper 
quelques-uns,  ils  les  brusloyent  ou  rôtissoyent  à  petit  feu.  » 

C'est  pour  résister  à  ces  aventuriers,  que  l'on  appelait  aussi  Gueux 
de  bois  (1),  que  fut  fortifiée  la  censé  de  la  Motte,  qui  jusqu'alors  n'avait 
eu  pour  toute  défense  que  les  larges  fossés  pleins  d'eau  qui  l'entou- 
raient. Les  ouvrages  qui  y  furent  exécutés  ,  lui  valurent  depuis  ce  mo- 
ment le  nom  de  château  ;  en  voici  le  détail  : 


Auhre  despence  pour  plusieurs  ouvraiges  de  terre  faictspour  le  raprofondissement 
des  fossetz  de  la  maison  de  Locquignol  en  la  franche  forrcst  de  Mormal  ensemble 
pour  y  avoir  faict  cincq  petitz  baulvercques  et  gourtines  tout  allenthour  d'icelle 
avecq  des  parapetes  pour  éviter  aux  invasions  de  plusieurs  vacabundes  et  des 
f'ranchois  estans  à  Maubeuge,  Bavay  et  uultres  lieux  aux  environs  et  depuis  de 
ceulx  tenans  la  partie  dn  prince  d'Oranges  et  ce  aussy  que  le  pdssaige  des 
villes  du  Quesnoy,  Avesnes  et  Landrechies  ne  fuist  serez  et  que  les  marchans 
puissent  seurement  despouiller  et  ameublir  les  marchandises  qu'ils  avoient 
acheté  en  la  dicte  forrest,  le  tout  faict  par  Vadvis  de  Monseigneur  le  conte  de 
Lalaing  lieutenant  gouverneur  capitaine  général  et  grant  bailly  de  Haynnau, 
lesquelz  ouvraiges  ont  estez  faictz  durant  le  terme  d'un  an  commenchant  au 
premier  d'octobre  XV<:  soixante  dyx  sept  et  finissant  le  dernier  septembre 
XVe  LXXXVIII,  comme  s'enssuit  : 

A  Paul  du  Ghastel,  Hubert  Prévost  et  Jacques  Floret  pour  par  eulx  avoir  taillié 
dyx  mil  wazons  au  pris  de  xx  s.  tournois  le  mil  dyx  livres  tournois,  iceulx  employez 
à  faire  un  baulvercque  auprès  de  la  brasserie  du  dict  Locquignol  de  cincquante  sept 


(l;  C'est  le  comte  de  Berlaimont,  seigneur  de  Hercies,  Perwez,  Bcaurain,  etc.,  qui 
donna  naissance  à  la  célèbre  dénomination  de  Gueux,  laquelle  fut  d'abord  appliquée 
aux  400  gentilshommes  qui  apportèrent  leurs  réclamations,  en  1562,  à  Marguerite  de 
Parme,  et  passa  ensuite  aux  hérétiques  des  Pays-Bas, 


—  197  — 


piods  de  loing  et  de  quarante  pied/  d'espez  avecq  ung  parapetc  assis  dessus  le  baul- 
vei-cque  de  cincq  pied/,  d'espez  et  de  xxn  piedz  de  haultprins  au  boult  du  dict  parapetc 
jusques  Teaue.  Item  à  Gilles  de  Montevillo  pour  avoir  chariez  les  dicts  dyx  mil 
wazons  priiis  à  Tenviron  du  dict  Locquignol  à  l'advenant  de  lx  sols  parisis  le  millier, 

trente  livres  tournois  ensemble xl  liv.  t. 

Audict  de  Monteville  pour  deux  benneaux  et  deux  chevaux  qu'il 
at  livret  l'espasce  de  douze  joui's  chacun  pour  charier  les  terres 
qu'il  al  convenu  avoir  pour  remparer  derrière  les  dicts  wasons  au 

pris  de  xxiui  sols  tournois  chacun  beneau  par  jour xxvui  1.  vi  s.  t. 

A  luy  pour  la  voiture  de  deux  charées  de  fassines  qu'il  at  amené 
de  la  forrest  de  Mormal  es  lieux  moings  domaiguables  au  pris  de 

XX  s.  la  charrée xl  s.  t. 

A  Jehan  Gharin  ,  Nicaise  Mouche  ,  Philippe  Jehineau  ,  Vinchant 
Boels,  Franchois  Goppin,  Antoine  Dutrieu  Pierre  Porrette ,  Loys 
Bourgeois,  Antoine  Pépin,  Jehan  de  Reumont ,  Gilles  Carlier 
Grart ,  Jehan  Gillart ,  Rolland  Reumont ,  Antoine  Frémault  et 
Anthoine  Ricquoy  en  nombre  de  quinze  fessiers  pour  par  eulx  avoir 
employez  quatorze  jours  chacun  à  bastir  le  dict  bolvercq  et  parapetz 

au  pris  de  x  solz  chascun  ouvrier  par  jour cv  1.  tourn. 

Auxdis  Paul  Du  Ghastel,  Hubert  Prévost  et  Jacques  Floret,  pour 
par  eulx  avoir  taillié  sys  mil  wasons  employés  à  bastir ,  construire 
et  ériger  la  gourdine  et  parapete  faict  tenant  le  devant  dict  Bolverc- 
que  de  vixxxn  piedz  de  loing  et  ung  parapete  de  cincq  piedz  d'espés 
assis  dessus  de  vingt   piedz  de   haulteure  au  pris  de  vingt  sols 

tournois  le  millier  porte vi  1.  xs. 

Audevant  dict  Gilles  de  Monteville  pour  avoir  fait  charier  les 

dis  vi""  de  wasons  au  phs  de  soixante  solz  tournois  le  millier xviii  1.  t. 

Audict  Jehan  Gharin ,  Nicaise  Mouche ,  Philippe  Jehineau  et 
consors  en  nombre  de  quinze  pour  chacun  douze  journées  par  eulx 
employées  à  faire  la  dicte  gourdine  et  parapete  à  l'advenant  de  dix 

solz  tournois  chacun  par  jour iiu^x  x  liv. 

Audict  de  Monteville  pour  deux  beneaux  avecq  deux  chevaulx 
qu'il  a  livret  l'espace  de  dyx  jours  chacun  ,  pour  charier  les  terres 
qu'il  at  convenu  avoir  pour  remparer  la  dicte  courtine  et  parapete 

an  pris  de  xxiiii  s.  t.  chacun  beneau  par  jour xxim  1.  t. 

Aux  prénommez  du  Ghastel ,  Prévost  et  Floret  pour  avoir  taillié 
syx  myl  wasons  employez  à  construire ,  bastir  et  ériger  le  baul- 
verque  au  derrière  de  la  maison  de  censé  audict  Locquignol  en 
haulteur  de  xl  piedz  et  xxx  piedz  d'espez  avecq  un  parapete  de 
cincq  piedz  assis  dessus  en  haulteur  de  vingt  piedz  audict  pris 

de  XX  s VI 1. 1. 

Audict  de  Monteville  pour  le  chariaige  des  dis  syx  milliers  de 

vsrasons  audict  pris xvui  1.  t. 

A  luy  pour  deux  beneaux  et  deux  chevaulx  qu'il  at  livret  pour 
charier  les  terres  qu'il  at  convenu  avoir  pour  ériger  les  dicts  baul- 
vercques  et  parapete  durant  l'espace  de  chacun  huict  jours  au  pris 

de  xxiîii  sols  tournois  chacun  beneau  par  jour  à  ceste  payez xix  1.  un  s. 

Au  dict  Jehan  Gharin  ,  Philippe  Jehineau  et  consors  au  nombre 
de  quinze  pour  chacun  huict  journées  par  eulx  employées  à  ériger 
ledict  Baulvercque  à  l'advenant  de  x  s.  tournois  par  jour lx  1. 1. 


—  198  — 


A'idict  de  Monteville  pour  avoir  charié  deux  charées  de  fassines 
audict  pris  de  xx  s.  tournois  pour  chacune xl  s. 

A  Paul  du  Ghastel  et  ses  confrères  pour  syx  milliers  de  wasons 
qu'ils  ont  tallliés  pour  faire  ung  rampart  au  dehors  de  la  maison 
dudict  Locquignol  de  cent  piedz  de  loing  et  en  largeur  de  xl  piedz 
et  ung  parapete  assis  dessus  de  cincq  piedz  d'espés,  le  tout  en 
haulteur  de  vingt  piedz,  a  esté  payé  à  l'advenant  de  xx  solz  de 

chacun  millier xi  1.  t. 

.   Audict  de  Monteville  pour  le  chariaige  desdits  vi  mil  de  wasons 

au  pris  de  lx  sols  le  millier xviii  1.  t. 

Pour  par  luy  avoir  livret  deux  chevaux  et  deux  beneaux  l'espace 
de  VI  jours  à  xxiiii  sols  tournois  le  beneau xiiii  1.  vm  s. 

A  Jehan  Gharin.  Franchois  Coppin,  Philippe  Jehineau  et  consors 
en  nombre  de  quinze  pour  par  eulx  avoir  employez  chacun  vingt 
jours  à  faire  et  construire  le  dict  rampart  à  l'advenant  de  x  sols 
chacun  par  jour cl  liv.  t. 

A  Philippe  Jehineau ,  Franchois  Coppin  et  consors  pour  avoir 
taillié  sept  mil  wasons  à  l'advenant  de  xx  s.  lo  millier  vu  1.  t. 
lesquelz  ont  esté  employez  à  faire  ung  aultre  baulvercque  de  xlv 
piedz  de  long  et  en  largeure  de  soixante  piedz  et  ung  parapete  assis 
dessus,  celui  de  cincq  piedz  d'espez  ,  le  tout  en  haulteur  de  vingt 
piedz.  Item  au  dict  de  Monteville  pour  avoir  chariez  les  dits  wasons 
a  lx  sols  le  millier  xxi  livres,  pour  deux  beneaux  et  deux  chevaux 
qu'il  a  livret  l'espace  de  huict  jours  chacun  pour  remplir  le  dict 
baulwercq  à  l'advenant  de  xxiiii  sols  tournois  pour  chacun  beneau 
XIX  liv.  un  s.  Item  pour  quatres  charées  de  fassines  qu'il  at  faict 
charier  pour  ériger  le  dict  baulvercq  à  xx  sols  chacune  charrée 
un  liv.  tournois  et  ausdicts  ouvriers  en  nombre  de  quinze  pour 
chacun  seize  journées  par  eulx  employez  à  faire  le  dict  baulvercq 
à  l'advenant  de  x  s.  tournois  chacun  ouvrier  par  jour  porte  cent  et 
vingt  livres  tournois  onsembles clxxi  li.  iiii  s. 

Ausdis  Paul  du  Ghastel,  Hubert  Prévost  et  Jacques  Floriet,  pour 
par  eulx  avoir  taillié  quatre  mil  wasons  employez  à  construire  et 
ériger  une  courtine  allant  auprès  l'abruvoir  des  chevaulx  jusques 
à  la  porte  de  derrière,  en  longheure  de  soixante  dyx  piedz  à  demy 
ronde,  en  largeure  de  cincq  piedz  d'espés  et  douze  piedz  de  hault , 
au  pris  de  xx  solz  le  millier,  a  esté  payé  un  livres.  Item  au  dict  de 
Monteville  pour  avoir  charié  les  dits  wasons  au  mesnie  pris  des 
précédentes  xii  livi"es  tournois  ;  pour  deux  beneaux  avecq  deux 
chevaulx  qu'il  a  livré  l'espace  de  quatre  jours  chacun  à  xxnii  sols  le 
beneau  par  jour  ix  liv.  xu  solz,  et  à  treize  ouvriers  pour  douze  jour- 
nées chacun,  par  eulx  employez  à  faire  la  dicte  courtine  au  pris  de 
X  solz  tournois  par  jour  Lxxvni  liv.  ensamble cm  liv  xii  s. 

Ausdis  du  Ghastel,  Floriet  et  Prévost  pour  vra™  de  wasons 
employez  à  faire  ung  ravelin  derrière  la  grange  audict  Locquignol , 
rencontrant  le  baulwercq  boutant  hors  jusques  au  vivier  dudict 
Locquignol  de  cent  piedz  de  loncq  avecq  une  parapete  assis  dessus 
de  cincq  piedz  d'espés  et  de  vingt  piedz  de  largeure  et  en  haulteur 
de  quinze  piedz  au  pris  de  xx  sols  le  millier  vm  livres  tournois. 


-  199  - 


Item  ,  nudict  de  Monteville  pour  avoir  charié  les  dits  viii  mil  de 
wasoiis  au  pris  avant  dit  xxiiii  livres.  Item  ,  pour  deux  bcneaux  et 
deux  chevaux  qu'il  a  livret  l'espace  de  trois  jours  chacun  à  l'adve- 
nant  dexxini  sols  tournois  le  beneau  par  jour  vii  1.  un  s.  tournois. 
Item ,  pour  deux  charées  de  fassinos  audit  pris  xl  sols  et  aux  dits 
ouvriers  en  nombre  de  dyx  pour  chacun  xv  journées  employées  à 
faire  ledict  ravelin  à  l'advenant  de  x  sols  tournois  par  jour  chacun 

ouvrier  lxxv  livres  tournois  ensamble cxvi  liv.  iiii  s  t. 

A  Jehan  Pecqueur ,  Philippe  Jehineau  et  Antoine  Ricquoy  pour 
VI  mil  de  wasons  audict  pris  de  xx  sols  porte  vi  livres  tournois, 
iceulx  employez  à  faii'e  une  courtine  de  clxvi  piedz  de  loing  et 
xviii  piedz  de  large  en  haulteur  de  xvin  piedz  allant  jusques  l'estable 
des  vaches  au  loing  et  jusques  au  rain  des  pourceaux  etungpara- 
pete  de  lxxv  piedz  de  loing  et  v  piedz  de  large  et  xviii  piedz  par 
bas  d'épesseur  de  wasons.  Item  ,  audict  de  Monteville  pour  avoir 
charié  les  dits  vi™  wasons  au  pris  accoustumé  port  xvin  livres  et 
ausdits  ouvi'iers  en  nombre  de  douze  pour  chacun  unze  journées  à 
l'advenant  de  x  sols  par  jour  employez  à  ériger  et  construire  la 
dicte  gourdine  et  parapete  port  liiii  livres  tournois  revenant 
ensamble  la  somme  de   lxxviii  1.  t. 

A  Philippe  Jehineau,  Paul  du  Chastel  ot  Hubert  Prévost  pour 
avoir  taillié  nœuf  mil  wasons  au  pris  de  xx  sols  tournois  le  mil,  port 
IX  liv.  tournois.  Item  ,  à  quatorze  ouvriers  ayans  employez  chacun 
XXI  jours  à  X  sols  par  jour  chacun  à  bastir  et  ériger  desdits  ix"" 
wasons  ung  baulvercq  au  derrière  des  estables  des  chevaulx  de  uni 
piedz  de  loing  et  xl  piedz  de  large  et  ung  parapete  assise  dessus  le 
dict  baulvercq  tout  allenthour  de  nii^x  piedz  de  long  et  cincq  piedz 
de  large,  et  en  haulteur  de  xvin  piedz  a  esté  payé  cxlvii  livres.  Item, 
à  Gilles  de  Monteville  p'our  avoir  chaiié  les  dits  ix™  wasons  à  lx  s. 
du  millier  port  xxvii  livres  et  pour  avoir  livret  deux  chevaulx  et 
deux  beneaux  le  terme  de  dyx  jours  chacun  au  pris  de  vingt-quatre 
solz  tournois  le  beneau  par  jour  port  vingt-quatre  livres  tournois 
ensamble ii®  vu  1.  t 

A  Nicaise  Mouche  ,  Anthoine  Ricquoy ,  Jehan  Garin  et  leurs 
compaignons  ouvriers  en  nombre  de  quatorze  pour  chacun  douze 
jours  par  eulx  employez  d'avoir  fosset  et  ruet  la  teire  sur  le  ram- 
part  estant  en  bas  au  long  d'icelluy  depuis  le  grant  baulvercq 
derrière  l'estable  des  chevaulx  jusques  et  du  loing  la  grande  porte 
et  pond  leurs  portant  vi^^x  xii  piedz  de  loing  dyx  piedz  de  profond 
et  vingt  piedz  de  large,  meisme  d'avoir  brutez  les  terres  et  ramparez 
d'icelles  le  dict  baulvercq  au  pris  de  x  s.  tourn.  par  jour  port 
iiiixx  ini  livres  tourn.  Item  ,  à  Paul  du  Chastel ,  Hubert  Prévost  et 
Jacques  Floret  pour  avoir  taillié  ix""  wasons  au  piis  de  xx  s.  tourn. 
chacun  millier  ix  liv.  lesquelz  ont  esté  employez  à  rechaucher  les 
parapetes  et  partie  dudit  grant  baulvercq  et  aultres  courtines  et 
Gilles  de  Monteville  pour  avoir  charié  les  dits  wasons  à  lx  sols 
tournois  du  milier  xxvii  livres  tournois  ensamble cxx  liv.  tourn 

A  Antoine  Crequoy  ,  Nicaise  Mouche ,  Jehan  Garin ,  Philippe 
Jehineau  et  consors  pour  avoir  nettoyez  les  vieulx  fossez  d'enthour 
ledict  Locquignol,  contenant  deux  cens  vingt  verges  par  marchié 


—  200  - 

faict  avecq  eulx  au  pris  de  x  sols  tournois  la  verge  leur  a  esté  payé 

la  somme  de ex  1.  lourn. 

A  eulx  pour  avoir  faict  ung  fosset  nouveau  de  cent  piedz  de  loing, 
seize  piedz  de  large  et  dyx  piedz  de  profund,  oii  ilz  ont  employé* 
eulx  nœuf  ouvriers  chacun  huict  jours  à  x  sols  tournois  par  jour  , 
icelluy  fosset  estant  depuis  la  brasserie  jusques  le  petit  baulvercq, 
icy XXXVI 1.  tourn. 

A  eulx  en  nombre  de  treize  pour  chacun  unze  jours  par  eulx 
employez  au  pris  que  dessus  à  faire  les  fossets  tout  près  du  baul- 
vercq derrière  la  grange  que  derrière  la  maison  de  Locquignol 
contenans  deux  cens  piedz  de  loing  dyx  piedz  de  profund  et  xx  piedz 
de  large  a  esté  payé lxxiI.  xs.tourn. 

A  Richard  de  Hestrud,  maistre  fessier  sermenté  du  pays  de 
Haynnau,  pour  dyx  huict  journées  par  luy  employez  à  visiter  les 
ouvraiges  et  réparacions  de  fosseries  cy  devant  reprinses  et  conte- 
nuz  en  certain  quoyer  pour  ce  faict ,  joinct  la  certification  dudict 
maistre  fosseur  en  date  le  xiiii"  mars  xvc  soixante  dyx  nœuf  au  pris 
de  XV  solz  tournois  par  jour  luy  a  esté  payé  la  somme  de xiu  1.  x  s.  tourn. 

Somme  toute  xvic  xxxiii  livres  xviii  sols  tournois  (1). 


Grâce  à  ces  ouvrages,  la  censé  de  la  Motte  put  servir  de  lieu  de  refuge 
à  ceux  qui  fréquentaient  la  forêt  et  aux  habitants  de  Locquignol.  Ils 
furent  d'ailleurs,  plus  d'une  fois  dans  la  nécessité  d'en  profiter,  car  dit 
le  P.  Delwarde,  *  après  la  mort  du  prince  de  Parme,  les  provinces  sou- 
mises au  roy  d'Espagne,  ne  virent  plus  que  des  misères,  des  prises  de 
villes  et  de  châteaux  par  les  Hollandais  à  qui  tout  réussissait  (2)  ». 
D'autre  part,  les  Italiens  et  les  Wallons  se  mutinèrent  et  se  fortifiè- 
rent dans  le  village  de  Pont-sur-Sambre,  d'où  ils  firent  des  excursions 
dans  les  lieux  voisins,  qu'ils  avaient  taxés  à  900  florins  par  jour  ;  «  où 
ils  passent,  dit  Strada,  ils  font  pire  que  les  ennemys  x  (3).  On  parvint, 
non  sans  peine  à  les  apaiser,  mais  ils  restèrent  longtemps  encore  la 
terreur  du  plat  pays.  Ajoutons  qu'à  cette  époque,  Balagni  de  Montluc, 
tout-puissant  à  Cambrai,  butinait  l'Artois  et  le  Hainaut  avec  un  ramas- 
sis de  vagabonds  et  de  mécontents  (4),  et  que  Henri  IV  fit  ravager  la 


(1)  Compte  huictyesme  (dé)  Charles  de  Martigny,  conseiller  du  Roy  et  receveur 
général  du  Haynnau  ,  du  l'''  oct.  1578  au  30  septembre  1579,  fol"  242  et  suiv.  Arch. 
dép.  du  Nord.  Ch.  des  Comptes,  à  Lille, 

(2)  Hist.  gén.  du  Hainaut,  t.  VI,  p.  602. 

3)  Guerres  de  Flandres,  t.  III,  p.  260. 

(4)  Ces  aventuriers  avaient  été  dotés  du  nom  bien  caractéristique  de  «  culs  tout 
nuds  »,  Hommes  et  choses  du  Nord  de  la  France,  année  1829,  p.  207. 


—  201  - 

contrée  depuis  la  Sambre  jusqu'à  Anor.  Le  résultat  de  toutes  ces 
guerres  fut  l'appauvrissement  et  même  l'anéantissement  d'une  grande 
partie  des  bois  du  Hainaut.  D'Ennetières  constate,  en  effet,  que  la 
forêt  de  Mormal  était  alors  «  fort  diminuée  et  à  moitié  vuydée  »,  que 
la  haie  d'Avesnes  et  le  grand  bois  de  Ghimai  étaient  «  fort  ruynez  », 
que  «  la  forest  de  Brocqueroye  était  extii'pée  pour  les  trois  quartz , 
comme  aussi  les  bois  de  Leurs  Altèzes  (Albert  et  Isabel)  aux  environs 
de  Mons,  des  dames  de  Saint e-Vauldrud  et  autres  prélats  »  (1). 

Pendant  la  période  française  de  la  Guerre  de  Trente-ans  (1635-1643), 
la  forêt  de  Mormal  eut  à  subir  les  mêmes  calamités  qu'à  l'époque  de  la 
guerre  des  Gueux.  Au  début  des  hostilités,  on  s'empressa  de  remettre 
en  bon  état  les  fortifications  du  château  de  la  Motte  et  de  le  garnir  de 
palissades,  «  par  la  conduite  et  relivrance  d'Adrien  Benoist,  contre- 
roUeur  des  ouvraiges  et  fortifications  de  la  ville  du  Quesnoy  et  Nicolas 
du  Ghaleau,  maistre  masson  sermenté  de  Sa  Majesté  au  pays  et  comté 
de  Haynnau  »  (2).  Mais  ces  ouvrages  n'étaient  pas  assez  forts  pour 
arrêter  des  assaillants  pourvus  d'artillerie  ;  aussi  le  château  de  la 
Motte  fut-il  occupé  en  1637,  par  les  troupes  du  Cardinal  La  Valette, 
après  la  prise  de  Landrecies  et  de  Maubeuge.  Il  le  fut  de  nouveau 
en  1643,  par  le  duc  d'Enghien,  qui  n'abandonna  le  pays  qu'après 
avoir  incendié  et  détruit  ceux  deSassogne,  deBerlaimontetde  Potelle. 
Plusieurs  corps  français  continuèrent  toutefois  à  occuper  la  région  ; 
mais  la  mésintelligence  s'étant  mise  entre  les  maréchaux  de  Rantzau 
et  de  Gassion,  l'archiduc  Léopold  profita  de  cette  circonstance  pour 
leur  reprendre  Landrecies,  défendu  par  M.  d'Eudicourt,  et  pour  les 
chasser  du  territoire. 

Gependant  l'Espagne  n'avait  pas  voulu  déposer  les  armes  au  traité 
de  Westphalie  ;  la  guerre  continua  donc  entre  ce  royaume  et  la 
France,  et  elle  fut  surtout  désastreuse  pour  la  partie  de  Hainaut,  qui 
environne  la  forêt.  Celle-ci  ayant  été  successivement  occupée ,  en 
1649,  par  le  duc  d'Harcourt,  et,  en  1650,  par  le  maréchal  Du  Plessis, 


(1)  Extrait  du  verbal  de  la  visite  du  domaine  de  Haynault,  faicte  en  Van  mille 
six  cens  six,  par  le  commis  d'Ennetières,  etc.  Arch.  dép.  du  Nord.  Gh.  des  Comptes, 
à  Lille.  M.  57.  Forêt  de  Mormal. 

(2)  Compte  dix  noefviesme  d^Ange  Boes ,  receveur-général  du  Hainaut ,  du 
1"  oct.  16-n  au  30  sep.  1638,  fol"  294.  Arch.  dép.  du  Nord.  Ch.  des  Comptes,  à  LiUe. 
La  dépense,  d'après  ce  compte  ,  s'éleva  à  1339  liv.  15  sols  tournois. 


—  202  — 

le  Receveur  général ,  Philippe  de  Beauraont ,  constate  tristement 
dans  son  compte  de  1649-1650,  que  tous  les  domaines  qui  en  dépen- 
daient, y  compris  celui  de  la  Clavelle ,  ont  été .  dévastés  et  que 
depuis  plusieurs  années,  il  n'a  pu  faire  aucune  recette,  «  à  cause  des 
misères,  désolation  et  calamité,  que  la  continuation  des  dites  odieuses 
gherres  apporte  et  augmente  de  jour  en  jour  dans  le  quartier  du  dit 
Mourmal  et  villages  en  despendans  :  principalement  depuis  quattre  à 
cinq  ans  en  ça,  la  violence  a  esté  si  extraordinaire,  ajoute-t-il,  que  le 
peuple  est  réduit  à  présent,  à  des  extrémités  insupportables  en  ceste 
province  de  Haynault  quy,  depuis  la  reprinse  de  Landrechies  at  due 
soustenir  les  armées,  tant  de  Sa  Majesté  que  celle  des  ennemys  pres- 
que pendant  toutes  les  campagnes,  et  durant  celles  de  l'année  1650  : 
que  lors  des  dits  marchans  et  fermiers  pensoient  faire  proffict  de  leurs 
marchandises  et  des  partyes  des  fermes  ;  le  contraire  at  bien  paru  à 
l'augmentation  de  leurs  misères,  par  le  siège  de  Binch,  qui  obligeoit 
les  soldatz  et  chariots  de  bagages  et  de  munition  de  passer  parla  ditte 
forrest,  Landrechies,  Quesnoy  et  villages  voisins,  de  façon  qu'ils 
auraient  été  contrainct  de  fuir  et  de  tout  habandonner  après  avoir 
perdu  la  meilleure  partye  de  leurs  bestes  tant  à  cornes  que  chevalines, 
sans  pouvoir  faire  aucune  commerce  toutte  Testée,  leurs  marchandises 
estans  restée  dans  la  dite  forest,  sauffcequi  a  esté  emporté  par  les 
chartiers  de  munition  et  vivandiers  et  le  bois  qui  fut  du  depuis  bruslé 
par  les  paysans  des  villages  voisins,  s'estans  réfugiés  dans  icelle  forest 
à  cause  de  la  gendarmerie,  lors  des  sièges  de  La  Chapelle  et  Chastelet, 
n'ayans  encore  moins  fait  proffict  de  leurs  pastures  et  terres  laboura- 
bles, dont  les  dépouilles  et  herbages  furent  lors  enlevées  et  fouragées 
par  les  chevaux  de  la  dite  gendarmerie  et  ce  qui  a  accreu  ces  disgrâ- 
ces a  esté  la  saison  pluviale  et  extraordinaire  survenue  pendant  la 
dite  année. . .  »  (1). 

Malgré  l'appui  que  leur  prêta  le  princîe  de  Gondé,  passé  dans  leurs 
rangs  à  la  suite  des  troubles  de  la  Fronde,  les  Espagnols  ne  purent 
tenir  devant  Turenne  qu'Anne  d'Autriche  leur  opposa.  Celui-ci,  après 
avoir  pris  Le  Quesnoy  et  détruit  le  château  de  Potelle  (1654),  les 
repoussa  jusqu'à  Mons  ;  en  l'année  1655,  il  vint  camper  entre  Berlai- 


(1)  Compte  septiesme  de  Philippe  de  Beaumont,  escuyer,  seigneur  de  Campaif/ne, 
etc. ,  conseiller  de  Sa  Majesté,  et  receveur-général  du  pays  et  Comté  de  Haynault , 
du  1"'  oct.  1649  au  30  sept.  1650.  Arch.  du  dcj».  du  Nord.  Chi.  des  Comptes,  à  Lille. 


-  203  - 

mont  et  Pont-sur-Satnbre  et  s'empara  successivement  de  Maubeuge  et 
de  Gondé  ;  enfin,  grâce  aux  23  régiments  que  lui  amena  François  de 
Lorraine  et  qui  entrèrent  dans  la  forêt  par  Obies,  pour  en  sortir  entre 
Aymeries  et  Maroilles,  il  prit  Landrecies  à  la  vue  du  prince  de  Gondé 
qui  avait  essayé  de  lui  en  faire  lever  le  siège.  Pendant  ces  deux  années 
et  les  suivantes,  la  forêt  et  les  domaines  qu'elle  renfermait,  furent 
soumis  à  des  calamités  de  toutes  sortes  :  les  fermiers,  succombant  sous 
le  poids  des  réquisitions,  désertèrent  leurs  censés  pour  la  plupart  et  il 
ne  se  fit  d'autres  exploitations  dans  le  massif  que  celles  qui  étaient 
nécessaires  à  l'entretien  des  garnisons  françaises  des  villes  voisines  et 
à  l'armement  des  places  fortes.  Le  traité  de  Pyrénées  (1659)  vint  enfin 
mettre  un  terme  à  cette  situation  lamentable. 

Cependant  la  période  Ja  plus  critique  que  Mormal  ait  encore  traver- 
sée, allait  seulement  s'ouvrir  :  elle  comprend  les  années  qui  s'écoulent 
entre  le  commencement  de  la  guerre  de  dévolution  et  la  fin  de  celle  de 
Hollande.  La  forêt  était  alors  disputée  par  la  France  et  l'Espagne,  et  des 
commissaires  de  ces  deux  puissances  s'en  attribuaient  réciproquement 
l'administration.  Dans  cette  situation,  le  commissaire  de  guerre  Damore- 
zan  et  l'intendant  Talon,  que  Louis  XIV  avait  désignés  pour  veiller  à  la 
conservation  du  massif ,  rivalisèrent  avec  les  officiers  du  roi  d'Espagne, 
à  qui  ferait  les  exploitations  les  plus  ruineuses.  Les  garnisons  françaises 
du  Quesnoy  et  de  Landrecies  s'y  trouvaient  d'ailleurs  journellement  aux 
prises  avec  des  détachements  espagnols  sortis  de  Mons  (1),  «  aussi  ne 
s'enlevait-il  alors,  dit  le  procureur  Delgove,  aucun  bois  de  la  forêt, 
qu'à  force  d'escortes  de  gens  de  guerre,  ce  qui  l'a  beaucoup  dégradée 
par  cantons  »  (2).  Le  Féron  qui,  après  la  paix  de  Nimègue,  procéda  à 
la  reconnaissance  du  massif,  en  qualité  de  Commissaire  réformateur, 
fait  un  tableau  navrant  des  dégâts  qui  avaient  été  commis.  Décrivant 
l'état  dans  lequel  se  trouvait  la  garde  ou  quartier  d'Euglefontaine, 
«  l'on  n'y  veut  marcher,  dit-il,  sans  y  voir  de  toutes  parts,  une  infinité 
des  plus  gros  arbres  coiippés,  aussi  bien  que  dans  toutes  les  autres 
gardes,  et  particulièrement  sur  les  reins  delà  forêt  et  aux  environs  de 
la  Chaussée  Brunehaut  et  des  grands  chemins,  qui  sont  ruinés,  dégra- 


(1)  Préambule  d'un  arrêt  du  Conseil  d'État,  du  26  mars  1689.  Arch.  nat. 

(2)  Mémoire  de  Delgove,  procureur  du  Roy  auprès  de  la  maîtrise  des  eaux  et  forêts 
du  Quesnoy.  Arch.  nat.  Qi,  835. 


—  204  — 

dés  et  plains  des  places  vuides,  à  cause  du  pâturage  des  bestiaux.  » 
Dans  la  garde  de  Fontaine,  canton  de  l'Haynault  à  part,  il  constate 
que  «  400  arpents  sont  entièrement  ruinés  et  dégradés  ny  restant  par 
place  que  quelques  chênes  et  loyaux  ététéset  ébranchés,  avec  quelques 
jeunes  revenus  estant  dessous,  la  plupart  abroutis,  les  quelles  coupes, 
ajoute-t-il,  le  dit  sergent  (Martin  Corduant)  nous  a  dit  avoir  été  faites 
depuis  1637  jusqu'à  présent  par  les  délivrances  et  couppes  qui  se  sont 
faites  pour  la  ditte  ville  de  Laudrecy,  qui  auroient  causé  la  ruine  du 
dit  canton.  »  Dans  la  garde  du  Sart-Bara,  il  signale  également,  qu'on 
y  a  abattu  «  de  touttes  parts,  par  placeaux  choisis,  une  infinité  des  plus 
beaux  chênes  et  faiaux  de  la  ditte  garde,  qui  l'avoient  percé  et  fusté 
en  plusieurs  endroits,  tant  pour  les  fortifflcationset  chauffage  de  lad. 
ville  du  Quesnoy  que  ventes  ordinaires  par  monstres,  suivant  la  cous- 
turae  de  la  ditte  forest  »  (1)  Tous  les  autres  quartiers  présentaient  des 
traces  de  semblables  dégradations  ;  elles  portaient  sur  plus  de  2380 
arpents  qui  furent  immédiatement  récépés  (2)  «  pour  être  remis  en 
bonne  nature  de  bois  »  (2). 

A  la  fin  de  la  guerre  de  la  succession  d'Espagne,  les  feux  des  bivouacs 
illuminèrent  de  nouveau  le  massif.  Le  prince  Eugène  vint  y  établu'ses 
campements  et  y  pratiquer  des  exploitations,  tant  en  vue  des  sièges  du 
Quesnoy  et  de  Landrecies,  que  pour  approvisionner  ses  troupes  en  bois 
de  chauffage.  La  première  de  ces  places  venait  de  succomber,  malgré 
la  belle  défense  de  M.  de  la  Badie  et  la  seconde  était  vivement  battue  en 
brèche,  quand  Villars  profitant  de  la  faute  qu'avait  commise  son  adver- 
saire, en  étendant  ses  forces  depuis  la  Sambre  jusqu'à  Marchiennes, 
où  il  avait  ses  magasins,  tomba  sur  son  aile  droite  à  Denain  et  l'écrasa 
complètement.  A  la  nouvelle  de  ce  désastre,  les  soldats  devant  Lan- 
drecies, sous  les  ordres  du  prince  d'Anhalt,  furent  saisis  d'une  terreur 
panique  et  reprirent  le  chemin  de  leur  pays,  en  détruisant  sur  leur 


(1)  Procès-verbal  de  Jean  Le  Féron,  escuyer,  conseiller  du  Roy,  commissaire 
député  par  Sa  Majesté  pour  la  réformation  des  Eaûes  et  Forests  de  France  et  des 
conquestes  de  Sa  Majesté  dans  les  provinces  de  Flandres.  Ach.  de  l'Inspection  des 
forêts  du  Quesnoy. 

(2)  Arrêt  du  Conseil  d'État  du  2  septembre  1779.  Mêmes  archives. 

(3)  A  la  fin  du  XVF  siècle ,  la  seigneurie  de  Preux  appartenait  à  Gliislain  de 
Boufflers.  Ayant  pris  partie  pour  la  cause  que  soutenaient  les  comtes  de  Horn  et 
d'Egmont,  il  fut  proscrit  et  privé  de  ses  biens.  Philippe  II  vendit  la  terre  de  Preux 
à  Charles  de  Martigny,  Receveur  général  du  Hainaut ,  moyennant  8000  livres  de 


-  205  - 

passage  le  château  He  Preux  (3),  en  incendiant  la  brasserie  du  château 
de  la  Motte  et  en  pillant  toutes  les  maisons  du  domaine  de  Locquignol. 

Sous  Louis  XV,  Mormal  jouit  d'une  tranquillité  ([ui  fut  à  peine 
troublée,  au  début  de  la  guerre  de  la  succession  d'Autriche,  par  quelques 
détachements  des  troupes  de  Marie-Thérèse,  que  le  Maréchal  de 
Noailles,  qui  concentrait  ses  forces  a  Aymeries,  refoula  sans  peine 
(1744).  Mais  en  1793,  commence  pour  la  forêt  une  nouvelle  période  de 
calamités,  dont  les  traces  ne  sont  pas  encore  complètement  effacées. 

Après  la  défaite  de  Nerwinden,  l'abandon  de  la  Belgique  et  la  défec- 
tion de  Dumouriez,  l'armée  française  sous  les  ordres  de  Dainpierre, 
s'était  retirée  sous  les  murs  de  Valenciennes.  Le  prince  de  Cobourg  à 
la  tête  d'une  armée  de  100000  hommes,  parmi  lesquels  25000  Anglais 
et  Hollandais  commandés  par  le  duc  d'York  et  le  prince  d'Orange , 
l'atteignit,  la  battit  et  s'empara  de  cette  place,  malgré  la  belle  défense 
du  général  Férant.  Les  alliés  marchèrent  ensuite  sur  Bouchain ,  où 
ils  se  divisèrent  :  les  Anglais  et  les  Hollandais ,  pour  se  porter  sur 
Dunkerque,  et  le  prince  de  Cobourg,  pour  se  rabattre  sur  le  Quesnoy 
et  sur  la  forêt,  dans  laquelle  le  général  Hillers  s'était  retranché  d'une 
manière  formidable.  Le  camp  français  était  établi  à  Hecq ,  près  du 
Quesne  à  l'Orière  et  protégé  par  deux  abatis  considérables  :  le  premier 
s'étendait  depuis  la  maison  forestière  d'Herbignies  jusqu'à  la  haie  de 
Mastaing,  et  le  second,  depuis  la  rue  Coulon  jusqu'à  la  tombe  de  Gar- 
gantua où  il  rejoignait  le  précédent;  de  plus  des  redoutes  avaient  été 
construites  à  côté  de  la  maison  précitée,  au  Rond-Quesne,  à  la  rue 
Coulon  et  à  l'Opéra ,  sur  la  chaussée  ;  d'autres  encore,  avaient  été 
élevées  le  long  des  abatis.  «  Cet  état  des  choses,  dit  un  mémoire  du 
temps  (1),  laissait  tout  le  monde  en  sécurité;  l'on  ne  croyait  pas  que 
l'ennemi  put  facilement  surmonter  cette  barrière  qui  offrait  tant  de 
moyens  de  défense.  »  Mais  le  général  Hillers  ne  disposait  que  de 
5000  hommes,  pour  occuper  un  front  aussi  étendu  ;  aussi  ne  put-il 
résister  à  la  première  attaque  dirigée  contre  lui.  Le  17  août  1793,  les 


40  gros,  monnaie  de  Flandre,  le  2  août  1590,  avec  justice  haute,  moyenne  et  basse. 
Ses  descendants  la  possédaient  encore  à  la  fin  du  siècle  suivant ,  oii  elle  passa  au 
sieur  de  Sucre ,  gentilhomme  brabançon.  Le  château  de  Preux  fut  démoli  vers  le 
milieu  du  siècle  dernier. 

(1)  Mémoire  de  la  commune  du  Quesnoy,  adressé  à  la  Convention  nationale  après 
la  capitulation  de  la  place. 


-  206  ~ 

bataillons  des  Chasseurs  des  Ardennes  et  de  Rowergue-infanterie  qui 
occupaient  Potelle ,  furent  obligés  de  se  replier  sur  Le  Quesnoy  et 
ceux  qui  défendaient  les  redoutes  de  la  chaussée  et  des  abatis,  de  se 
retirer  précipitamment ,  par  Locquignol  et  Hachette ,  de  l'autre  côté 
de  là  Sambre  ;  enfin  le  général  Hillers  ,  avec  le  surplus  de  ses  forces  , 
dut  venir  se  placer  sous  le  canon  de  Landrecies  ,  pour  ne  pas  être 
pris  entre  deux  feux.  En  définitive,  il  n'avait  fallu  que  quelques  heures 
au  prince  de  Hohenloe  qui  conduisait  l'attaque  ,  pour  se  rendre  maître 
de  toute  la  forêt. 

Les  Autrichiens  se  hâtèrent  de  s'y  retrancher  et  le  général  de  Cler- 
fayt  vint  faire  le  siège  du  Quesnoy,  défendu  par  Goulus  et  s'en  em- 
para le  11  septembre,  malgré  un  retour  offensif  du  général  Hillers, 
qui,  après  avoir  emporté  quelques  redoutes  occupées  par  l'ennemi 
dans  la  forêt,  dût  encore  une  fois  battre  en  retraite  sur  Landrecies. 

La  victoire  de  Wattignies,  gagnée  par  Jourdan  et  Carnot  (16  octo- 
bre 1793),  ne  suffit  pas  pour  délivrer  Mormal  de  la  présence  des 
Autrichiens.  Après  avoir  rallié  les  forces  du  duc  d'York,  le  prince  de 
Cobourg  y  éleva  de  nouveaux  retranchements,  «  comptant  faire  de 
cette  position  la  base  inexpugnable  de  sa  marche  sur  Paris  (1)  ». 
A  cet  effet,  il  fit  un  premier  abatis ,  commençant  au  Pont-à-vaches 
et  passant  par  le  carrefour  de  Roucourt  et  l'enclave  du  Magoniau, 
pour  aboutir  au  Pont  du  bois  ;  puis  il  en.  établit  deux  autres,  l'un  dans 
le  massif  de  Landrecies,  l'autre  dans  celui  de  Pierre-Révisoire  ;  cin- 
quante-deux redoutes  en  défendaient  les  approches.  Pou  après,  il 
bloqua  Landrecies,  que  les  Français  cherchèrent  à  dégager  ;  mais 
leurs  attaques  décousues  échouèrent  et  l'empereur  François  II,  qui 
était  venu  se  mettre  à  la  tête  de  son  armée,  y  entra  le  26  avril  1794, 
après  trois  assauts  qui  lui  coûtèrent  6000  hommes. 

Les  troupes  impériales  qui,  depuis  neuf  mois  occupaient  Mormal, 
s'y  maintinrent  encore  pendant  soixante  jours  ;  elles  ne  Tévacuèrent 
que  le  9  messidor,  an  H,  à  la  suite  de  la  bataille  de  Fleurus  ,  bientôt 
suivie  de  la  reprise  de  L:indrecies  et  du  Quesnoy  par  Jacob  et  Schérer. 
Après  leur  départ,  on  reconnut  que  les  abatis  qu'elles  avaient  faits, 
embrassaient  une  surface  de  767  arpents  et  que  ceux  des  Français 


(1)  Mémoire  historique  des  événements  qui  ont  précédé^  accompagné  et  suivi  le 
siège  de  Landrecy,  par  les  tyrans  coalisés,  p.  5. 


-  207  - 

occupaient  120  arpents.  Mais  les  dégâts  commis  dans  la  forêt  ne  se 
bornaient  pas  à  ces  abatis  (1).  Pour  armer  les  places  fortes  du  Nord, 
le  service  foreslier  avait  dû  raser  une  partie  des  cantons  de  la  Queue 
d'Oisy,  du  Vivier  Muthiau,  du  Chêne  Cuplet,  du  Quesneàl'Orière,  des 
Etoquies,  etc.  Les  Maîtres  des  forêts  qui  accompagnaient  les  troupes 
impériales ,  firent  plus  :  non  contents  d'exploiter  des  bois  pour 
remettre  en  état  de  défense  les  places  dont  elles  s'étaient  emparées, 
ils  abattirent  et  dirigèrent  vers  le  Pays-Bas  les  plus  beaux  chênes 
des  Réserves  et  des  cantons  voisins  d'Obies  et  de  Mecquignies  ;  ils 
procédèrent  même  au  martelage  des  deux  coupes,  avec  l'espoir  de 
les  vendre  aux  marchands  de  bois  du  pays  ;  mais  personne  parmi  ces 
derniers  ne  se  présenta  pour  les  acheter.  Ajoutons,  pour  compléter  le 
tableau  des  misères  que  la  forêt  eut  alors  à  subir,  que  les  feux  des 
bivouacs  qui  furent  allumés  sur  une  foule  de  points,  produisirent  le 
dépérissement  ou  la  mort  d'un  grand  nombre  d'arbres  sur  pied  (2),  et 
qu'avant  de  se  retirer, l'arrière-gardo  des  ennemis  incendia  les  maisons 
forestières  de  Fontaine,  de  Landrecies,  des  Etoquies,  du  Fort  Misère 
et  du  Pont  d'Hachette  et  détruisit  les  arbres  fruitiers  croissant  sur  les 
terrains  cultivés  par  les  gardes. 

Pendant  la  campagne  de  France,  les  alliés  ne  firent  que  traverser 
la  forêt  qui  n'eut  à  soulfrir  que  des  habitants  du  pays.  Après  les  Cent 
jours,  ils  y  parurent  de  nouveau  ;  le  prince  Auguste  de  Prusse  vhit 
camper  aux  Etoquies,  d'où  il  bombarda  Landrecies  qui  capitula  le  23 
juillet  1815  ;  les  Anglais  bivouaquèrent  deux  jours  au  B rai-Pierrette, 
où  ils  se  signalèrent  par  une  énorme  consommation  de  bois  ;  puis 
vinrent  les  Hollandais  et  les  Russes.  Tous  les  bois  exploités;  par  les 
adjudicataires  des  coupes  furent  mis  en  réquisition  ;  mais  plus  heureux 
que  les  habitants  de  Locquignol  et  des  villages  voisins  à  qui  on  prît 
les  bestiaux,  les  chevaux  avec  les  attelages,  ces  adjudicataires  furent 
dans  la  suite  dédommagés  de  leurs  pertes  par  l'Etat. 


(1)  Les  deux  abatis  traversant  la  forêt  de  part  en  part  avaient  de  80  à  100  mètres 
de  largeur  ;  ceux  exécutés  dans  les  massifs  de  Pierre  Révisoire  et  de  Landrecies , 
s'étendaient  en  profondeur  sur  300  à  400  mètres  de  chaque  côté  de  la  route  de 
Landrecies,  et  ailleurs  sur  100  à  250  mètres. 

(2)  Le  procédé  employé  par  les  détachements  ennemis  disséminés  dans  la  forêt 
pour  résister  au  froid  de  l'hiver  de  1793-1794,  mérite  d'être  signalé  :  ils  disposaient 
des  amas  de  bois  sur  le  pourtour  d'un  cercle  de  20  à  25  mètres  de  rayon  ,  au  milieu 
duquel  ils  se  plaçaient  ;  puis  ils  y  mettaient  le  feu.  De  cette  façon  ,  ils  recevaient  de 
tous  les  côtés  à  la  fois  les  bienfaits  de  la  chaleur. 


—  208  - 

La  guerre  de  1870-1871  devait  amener  encore  une  fois  les  ennemis  à 
Mormal.  Quelques  jours  avant  le  bombardement  de  Landrecies,  par  un 
corps  de  l'armée  du  générai  de  Gœben,  un  escadron  de  uhlands 
poussa  une  reconnaissance  jusqu'à  Hecq  et  se  présenta  devant  la  forêt. 
Les  gardes,  qui  auraient  pu  leur  en  interdire  l'entrée,  avaient  été  mal- 
heureusement dirigés  sur  Paris,  avec  leur  chef,  à  la  nouvelle  de  nos 
premiers  désastres.  Mais  il  s'était  formé  dans  la  région,  pour  défendre 
le  massif,  une  compagnie  franche,  sur  laquelle  on  avait  fondé  de 
grandes  espérances  :  elle  ne  les  réalisa  pas.  Mal  composée,  mal  com- 
mandée ,  elle  ne  fit  rien  pour  s'opposer  à  la  marche  des  cavaliers 
prussiens ,  qui  purent  battre  la  forêt  et  traverser  Locquignol  et 
Hachette  sans  subir  aucune  perte.  L'ennemi,  d'ailleurs,  ne  s'était  pro- 
posé que  d'enlever  Landrecies  par  surprise  ;  ce  plan  n'ayant  pas  réussi, 
il  ise  retira  dans  ses  cantonnements  (1),  et  la  forêt  ne  se  ressentit  de  l'in- 
vasion qu'à  cause  des  coupes  extraordinaires  qu'on  y  fit,  en  vue  du 
paiement  de  la  rançon  qui  nous  fut  imposée  par  le  traité  de  Francfort. 

Nous  ne  terminerons  pas  l'historique  des  événements  qui  se  sont 
passés  dans  Mormal,  sans  indiquer  qu'indépendamment  de  squelettes,  on 
y  a  rencontré  çà  et  là  divers  objets  se  rapportant  à  ces  événements  :  ce 
sont  des  armes,  des  projectiles,  des  monnaies  de  diverses  époques  (2), 
etc.  Malheureusement,  ces  objets  ont  été  détruits  par  ceux  qui  les 
avaient  trouvés  et  il  y  a  lieu  de  déplorer  tout  particulièrement  la 
perte  d'écussons  en  métal ,  aux  armes  de  Thomas  de  Savoie ,  époux 
de  la  comtesse  Jeanne,  découverts  en  1826,  non  loin  de  l'Ermitage  [S). 
Il  est  inutile  ,  du  reste  ,  d'y  rechercher  les  traces  du  camp  que  Fran- 
çois 1"  aurait  établi  à  Mormal,  dans  une  de  ses  expéditions  en  Hainaut  ; 
les  retranchements  qu'on  lui  a  attribués,  ne  sont  autre  chose  que 
les  fossés  d'enceinte  d'une  pépinière  de  22  hectares,  créée  en  1806  au 
canton  du  Fort-Mizère,  en  vue  de  cicatriser  les  plaies  causées  au 
massif  par  l'invasion  de  1793-1794.  Mais  on  peut  voir  encore,  aux 
cantons  du  Croisil  et  du  Magoniau,  deux  des  nombreuses  redoutes  qui 
ont  été  construites  alors  ;   quant  aux  autres,  elles  ont  été  rasées  en 


(1)  A.  Deloffre,  FILS.  Relation  du  bombardement  de  la  ville  de  Landrecies,  p.  18. 

(2)  Nous  ne  possédons  dans  notre  collection,  qu'une  seule  de  ces  monnaies  ;  elle 
est  à  l'effigie  du  cardinal  de  Bourbon,  reconnu  roi  de  France  par  les  Ligueurs,  sous  le 
nom  de  Charles  X. 

(3)  M""'  Clément  Hemery.  Exc.  dans  l'arrond.  d'Avesnes,  p.  263. 


J^JifsmaifX  de/ 


-  209  - 

l'an  XIII,  par  ordre  du  ministre  de  la  guerre  (3).  Disons  enfin,  que  la 
consistance  de  certains  peuplements  témoigne  enc(>re  des  ravages 
commis  pendant  la  première  révolution,  et  que  les  futaies  régulières 
et  d'âge  moyen  qu'on  remarque  aux  cantons  du  Quesne-au-Leu,  du 
Bon-Wez,  du  Bi-ai-Robot,  du  Chêne  Cuplet,  du  Quesne-à-l'Orière, 
du  Mont-Carmel,  de  l'Abatis,  des  Etoquies,  etc.,  occupent  l'empla- 
cement de  vieilles  futaies  qui  ont  été  exploitées  à  cette  époque  agitée. 

[A  suivre.) 


(1)  Lettres  du  26  vendémiaire  et  du  4  prairial,  an  XIII.  Arch.  de  l'insp.  des  forêts 
du  Quesnoy. 


15 


—  210  — 


LA    MER    POLAIRE 

Par  M.  J.  PÉROGHE, 
Directeur  général  des  contributions  indirectes,  Membre  de  la  Société. 


L'opinion  a  quelquefois  été  émise  qu'une  mer  libre  doit  exister  au 
pôle.  De  hardis  explorateurs  ont  même  cru  Fentrevoii'.  Le  fait  n'aurait 
rien  d'inexplicable.  Peut-être  même  faudrait-il  s'étonner  qu'il  n'en  fût 
pas  ainsi. 

Assurément,  ce  n'est  pas  dans  la  saison  d'hiver  que  la  mer  polaire,  si 
le  pôle  a  une  mer,  serait  débarrassé  de  ses  glaces.  Les  froids,  à  cette 
épt)que  de  l'année,  ne  peuvent  être  là  que  plus  rigoureux  qu'ailleurs.  La 
longue  nuit  qui  y  règne  n'en  donne  que  trop  la  certitude.  Mais  la  saison 
d'été  y  a  naturellement  une  toute  autre  influence.  Dès  l'équinoxe  du 
printemps,  le  soleil,  absent  depuis  six  mois,  y  fait  sa  réapparition,  et 
il  y  revient  alors,  pour  ne  plus  dispai^aître,  jusqu'à  l'équinoxe  de 
l'automne.  Sans  doute,  tout  d'abord  il  ne  fait  que  se  montrer  à  l'hori- 
zon, dont  il  suit  le  contour  sans  s'en  détacher;  mais  peu  à  peu  il 
monte,  et,  lors  du  solstice,  il  atteint  jusqu'à  la  hauteur  angulaire  de 
23°  28'.  On  sait  que  nos  soleils  de  la  fin  de  janvier,  qui,  au  méridien, 
après  être  descendus  plus  bas,  sont  revenus  à  une  élévation  à  peu  près 
égale,  sont  loin  d'être  inactifs,  lorsque  les  nuages  ou  les  brunes  ne  les 
obscurcissent  pas.  Dans  le  milieu  du  jour,  ils  peuvent  liquéfier,  quelque- 
fois même  assez  abondamment,  les  neiges  et  les  glaces  exposées  à  leurs 
rayons.  Combien  plus  de  puissance  ne  doit  pas  avoir  le  soleil  de  l'été, 
au  pôle,  avec  sa  permanence  que  rien  n'interrompt  !  Il  est  vrai  que  nos 
soleils  de  janvier  exercent  leur  action  dans  des  conditions  de  milieu  qui 
sont  loin  d'être  celles  dans  lesquelles  agit,  au  pôle,  le  soleil  de  Tété. 
Mais  ce  n'est  que  pendant  peu  de  temps,  chaque  jour,  qu'ils  acquièrent 
la  plénitude  de  leur  force,  et,  durant  près  de  15  heures  sur  24,  ils 
délaissent  complètement  notre  ciel.  Le  soleil  de  l'été,  au  pôle,  est  non 
seulement  toujours  présent,  il  reste  de  plus,  pendant  près  de  six  semai- 
nes, en  quelque  sorte  à  son  maximum  de  hauteur.  Dans  l'ensemble,  la 
somme  de  calories  qu'il  y  verse  en  juin  et  en  juillet  est  donc  bien  supé- 
rieure à  celle  que  nos  latitudes  reçoivent,  je  ne  dirai  pas  en  janvier  et 
février,  mais  enfévrier  et  mars  et  peut-être  même  en  mars  et  avril. 


I 


—  211  — 

Si  le  pôle  n'était  pas  envahi  par  les  immenses  congélations  que  les 
hivers  y  accumulent,  l'action  solaire  ne  pourrait  s'y  marquer,  l'été, 
que  beaucoup  plus  profondement  que  cela  n'a  lieu.  Mais  les  rayons 
caloriques  de  l'astre  sont  en  grande  partie  absorbés  par  les  froids  qui 
se  dégagent  des  anioncellomenls  de  glace,  et  le  réchauffement  n'est  pas 
et  ne  saurait  être,  à  beaucoup  près,  ce  qu'il  deviendrait  sans  cela. 
Souvent  aussi  ils  doivent  être  interceptés  par  les  amas  de  vapeurs 
condensées  dont  le  soleil  lui-même  provoque  la  formation.  Il  n'y  a  pas 
moins  à  penser  qu'il  ne  puisse  arriver  à  dissoudre,  surtout  dans  les 
années  favorables,  tout  ou  partie  de  la  croûte  épaisse  qui  recouvre  les 
eaux.  Rien  d'étonnant  du  reste  que,  sous  des  latitudes  moins  extrêmes, 
vers  le  80  parallèle  par  exemple,  les  mêmes  effets  ne  se  produisent  pas. 
Le  soleil  s"y  élève  bien,  chaque  joiu",  dix  degrés  plus  haut  qu'au  pôle  ; 
mais,  chaque  jour  aussi,  il  s'y  abaisse  dix  degrés  plus  bas,  et  cet  abais- 
sement ne  saurait  que  leur  faire  perdre  les  avantages  reçus  dans  l'autre 
sens.  Ces  sortes  de  demi-nuits  des  régions  polaires  n'ont  certainement 
pas  l'influence  des  nuits  réelles,  c'est-à-dire  entièrement  privées  de 
soleil.  Elles  n'en  permettent  pas  moins  au  froid  des  retours  quotidiens 
que  le  pôlen'éprouve  pas.  Il  ne  faut  pas  oublier  non  plus  que  le  80''  paral- 
lèle ne  jouit  pas,  comme  le  pôle,  pendant  six  mois  consécutifs,  ou  plus 
exactement  pendant  186  jours,  de  la  présence  constante  du  soleil, 
mais  seulement  pendant  134  jours,  soit  pendant  52  jours  en  moins,  et 
c'est  là  une  autre  cause  d'infériorité. 

L'état  supposé  de  la  mer  polaire  est  surtout  attribué  aux  courants 
marins  venus  de  l'équateur.  11  est  certain  que ,  même  à  leur  entrée 
dans  la  mer  glaciale ,  ces  courants  conservent  encore  une  portion 
notable  de  leur  chaleur.  Admettre  qu'ils  puissent  réchauffer  les  pôles  à 
ce  point,  serait  toutefois  reconnaître  un  pouvoir  qu'ils  ne  sauraient 
posséder.  Au-delà  d'une  certaine  limite  ,  leur  passage  cesse  ,  en  effet , 
de  se  marquer  très  nettement.  Réunis  vers  le  centre  où  ils  convergent, 
ils  ne  sauraient ,  en  tous  cas  ,  qu'aider  à  l'accomplissement  de  l'autre 
action  ;  mais  celle-là  n'en  resterait  pas  moins  la  principale. 

Outre  les  courants  océaniques  ,  il  y  a  ceux  qui  naissent  des  grands 
mouvements  de  l'atmosphère.  Ces  derniers  aussi  pourraient  avoir 
leur  part  dans  l'adoucissement  des  températures  du  pôle  ,  où ,  comme 
les  autres,  ils  doivent  tendre  à  se  rencontrer.  Leur  intervention  ,  on  le 
comprend,  ne  saurait  être  que  plus  secondaire  encore. 

On  a  dit  des  pôles  que  la  température  qui  y  règne  ne  saurait  être 
qu'au  minimum.  C'est  possible,  malgré  la  double  influence  dont  il  vient 


—  212  - 

d'être  question,  si  on  la  prend  dans  son  ensemble  annuel.  A  ne  l'envi- 
sager qu'au  seul  point  de  vue  de  l'été  ,  il  n'en  est  sûrement  pas  ainsi. 
Sans  doute,  les  rayons  du  soleil,  au  méridien,  plus  obliques  là  que  sous 
n'importe  quelle  latitude ,  n'y  arrivent  qu'en  traversant  une  plus 
grande  épaisseur  de  couches  atmosphériques  ;  mais,  à  l'opposé  et  pour 
chaque  lieu  au-dessous,  l'obliquité  devient,  à  son  tour,  plus  forte  et  les 
couches  de  l'atmosphère  s'interposent  là  dans  une  proportion  qui  est 
même  beaucoup  plus  considérable.  Le  gain  ,  dans  un  sens  ,  se  trouve 
donc  plus  qu'absorbé  dans  l'autre.  11  l'est  d'autant  plus  que  le  froid , 
qui  résulte  de  cet  abaissement  quotidien  du  soleil,  doit  reprendre,  sous 
l'influence  du  milieu  une  intensité  plus  accusée. 

Dans  ce  qui  vient  d'être  dit  des  variations  diurnes  de  la  température 
aux  abords  du  pôle,  il  ne  faudrait  pas,  cela  va  de  soi,  tirer  cette  conclu- 
sion que  plus  on  s'éloignerait  du  pôle,  plus  les  nuits,  s'aliongeant,  l'été, 
devraient  être  froides.  La  température  de  la  nuit  se  ressent  forcément 
de  celle  du  jour ,  et  là  où  elle  monte  beaucoup  le  jour ,  le  sol  et  l'air  , 
qui  s'en  sont  pénétrés,  sont  loin  de  tout  perdre,  la  nuit,  par  le  rayonne- 
ment. C'est  ce  qu'Us  en  conservent,  qui  fait  des  nuits  ce  qu'elles  sont 
dans  les  zones  tempérées  ou  chaudes.  Sous  le  70^  parallèle  ,  malgré  le 
voisinage  des  glaces,  l'influence  du  jouracquiert  déjà,  l'été,  une  réelle 
prépondérance,  et  cette  prépondérance  se  prononce  d'autant  plus 
qu'au-dessous ,  dans  certaines  régions  particulièrement ,  les  vents  du 
sud  et  les  courants  équatoriaux  qui  ont  moins  perdu  de  leur  chaleur, 
ne  peuvent  qu'y  ajouter  davantage. 

Y  a-t-il  à  penser  que  les  conditions  de  température  de  notre  pôle  se 
retrouveraient  exactement  au  pôle  austral?  L'inégal  développement 
des  deux  calottes  de  glace  qui  les  entourent  suffit  pour  répondre  à 
cette  question.  On  sait,  en  efî"et,  que  celle  du  pôle  antarctique  descend 
beaucoup  plus  bas  que  l'autre.  La  situation  précessionnelle,  plus  favo- 
rable à  notre  hémisphère,  explique  d'ailleurs  le  fait.  A  l'époque  actuelle, 
nos  étés  sont  plus  longs  de  8  jours  que  ceux  de  l'autre  partie  du 
globe ,  et ,  comme  conséquence ,  nos  hivers  sont  plus  courts  de  ce 
même  laps  de  temps.  Il  est  vrai  que  si  les  étés  de  l'hémisphère  du  sud 
ont  une  moindre  durée  que  les  nôtres,  ils  se  produisent,  par  contre  , 
à  une  moindre  distance  du  soleil  et  qu'il  s'établit  ainsi ,  à  leur  égard , 
une  sorte  de  compensation.  Seulement ,  il  n'en  est  pas  de  même  relati- 
vement aux  hivers  qui,  plus  prolongés  dans  l'hémisphère  austral,  y 
surviennent  en  outre  alors  que  le  globe  occupe  la  partie  de  son  orbite 
la  plus  éloignée  du  foyer  central.  Les  congélations  de  l'hiver  y  sont 


-  213  - 

donc  plus  considérables  et  l'on  comprend  que  le  soleil,  l'été,  criait 
plus  difficilement  raison.  Si  les  glaces  des  pôles  disparaissent,  l'été, 
en  plus  ou  moins  grande  partie ,  c'est  donc  bien  plutôt  du  côté  du  nord 
que  du  côté  du  sud  que  le  fait  doit  se  produire ,  et  c  est  bien  de  ce  côté 
aussi  que  les  efforts  pour  le  constater  doivent  tendre  de  préférence  et 
se  porter. 

J'ai  déjà  eu  ailleurs  à  établir,  par  des  chiffres,  ce  que  doivent  être 
les  températures  comparatives  des  deux  hémisphères  terrestres. 
Quelques-uns  de  ces  chiffres  appliqués  plus  spécialement  aux  pôles , 
vont  nous  montrer  dans  quelle  mesure  les  différences  doivent  s'y 
produire.  Le  pôle  austral  reçoit  l'été ,  à  durée  égale,  0,034  de  chaleur 
de  plus  que  le  pôle  boréal  ;  mais  ce  dernier  reçoit  la  sienne  pendant 
une  différence  de  temps  qui  équivaut  à  0,045  en  excédent.  La  balance, 
même  dans  ce  cas,  reste  donc  à  son  avantage.  Elle  lui  devient  bien 
autrement  favorable  par  rapport  à  l'hiver.  Le  pôle  austral,  l'hiver ,  ne 
reçoit  pas  seulement  0,034  de  chaleur  de  moins  que  le  nôtre,  il  les 
reçoit  de  plus  pendant  une  durée  qui  est  de  0,045  plus  longue.  L'écart 
total  s'élève  ainsi  à  0,080.  Il  devient  d'autant  plus  évident  que  si  des 
chances  de  succès  existent  pour  parvenir  aux  pôles  ,  c'est  bien  moins 
encore  au  sud  qu'au  nord  qu'on  doit  les  rencontrer. 

Parviendra-t-on  jamais  jusqu'à  l'un  ou  l'aulrede  ces  points  extrêmes 
et  sera-t-on  ainsi  amené  à  constater  ce  que  l'été  y  fait  véritablement 
de  la  mer  qui  peut  y  exister  ?  Il  semble  qu'il  y  aurait  d'aulaut  moins  à 
en  désespérer  qu'on  s'en  approcherait  davantage ,  par  cette  raison  que 
les  obstacles,  vers  la  fin  de  juillet,  alors  que  le  soleil  de  l'été  a  accompli 
son  œuvre,  devraient  plutôt  s'amoindrir  que  s'aggraver  au-delà  d'une 
zone  qui  pourrait  être  délimitée  par  le  85^  parallèle. 

J.  PÉROCHE. 


-  214  - 


BÉJA  ET  SES  ENVIRONS 

Par  M.  V.  DURAFFOURG,  capitaine  au  80""=  de  ligne  à  Tulle  (1). 
Membre  correspondant  de  la  Société. 


I.  —  BEJA. 


Ré$«unic  bijiiforiquc. 

Les  Romains  divisaient  le  Nord  de  l'Afrique  ,  de  l'Ouest  à  l'Est ,  en 
Mauritanie  ,  Numidie  et  l'Afrique. 

L'Afrique  proprement  dite  (Afrique  proconsulaire  Ifrikia,  correspon- 
dait à  la  Tunisie  actuelle  et  à  la  Tripolitaine  ;  c'était  un  des  greniers  de 
Rome  -  Ferax  Africa)  dont  le  nom  est  conservé  par  une  partie  de  la 
vallée  de  la  Medjerda,  appelée  encore  Frijia. 

Après  la  ruine  de  Carihage  (145  ans  avant  J.-C),  lorsque  les 
Romains  colonisèrent  le  Nord  de  l'Afrique  ,  ils  l'abordèrent  principa- 
lement par  les  rivages  de  l'Est ,  c'est-à-dire  par  la  façade  tournée  vers 
l'Orient,  du  cap  Bon  au  golfe  de  Gabès.  Ils  vinrent  ensuite  s'installer 
sur  les  terres  des  anciennes  colonies  phéniciennes  et  fondèrent 
successivement  de  grandes  cités ,  dont  les  ruines  numenses  nous 
frappent  d'étonnement.  L'amphithéâtre  d'El-Djem  est,  après  celui  de 
Rome ,  le  plus  vaste  que  Ton  connaisse. 

En  430 ,  vinrent  ensuite  les  invasions  barbares  de  l'Ouest  par  les 
rivages  d'Espagne. 

Plus  tard ,  les  Bysantins  reprirent  possession  du  pays  pendant  un 


(1)  Dans  cette  communication,  M.  Duraffourg  résume  les  travaux  qu'il  a  accomplis 
dans  la  région  de  Béja  eu  1^83. 


—  215  — 

siècle  environ  ,  c'est-à-dire  de  553  h  620,  de  sorte  qu'en  résumé,  ce 
furent  les  parties  orientales  du  Nord  de  la  Tunisie  qui  subirent  le  plus 
profondément  et  conservèrent  le  mieux  l'empreinte  de  la  culture 
romaine. 

Les  populations  Berbères  ,  qui  depuis  des  siècles  avaient  plié  sous  le 
joug  des  Romains  et  des  Bysantins  ,  toutefois  sans  pei'dre  leur  indivi- 
dualisme ,  virent  d'abord  en  eux  des  libérateurs  ,  leur  prêtèrent  leur 
appui  et ,  fort  indifférentes  en  matière  religieuse  ,  comme  elles  le  sont 
encore  aujourd'hui  dans  cette  contrée,  elles  acceptèrent  facilement 
l'Islamisme.  Cependant ,  les  Berbères  s'aperçurent  bientôt  que  la 
tyrannie  religieuse  musulmane  était  aussi  lourde  que  la  tyrannie  des 
exarques  Bysantins  ;  elles  s'allièrent  de  nouveau  à  ceux-ci  et  repous- 
sèrent les  Arabes. 

En  688 ,  de  nouvelles  bandes  Arabes  armées ,  accoururent  de 
l'Orient ,  balayèrent  les  Berbères  ,  les  refoulèrent  dans  les  montagnes 
et  traversèrent  rapidement  le  Nord  de  l'Afrique.  Vingt  ans  après, 
en  711,  elles  étaient  passées  en  Espagne,  avaient  écrasé  les  Visigoths 
à  la  bataille  du  Guadolite  et  planté  l'étendard  du  Coran  sur  la  terre 
Européenne. 

Ces  Arabes  .  qui  laissèrent  de  si  magnifiques  traces  de  leur  indus- 
trie ,  de  leur  science  agricole  et  même  de  leur  génie  littéraire  et 
artistique,  qu'avaient-ils  de  commun  avec  les  tribus  errantes  de  nos 
jours  ? 

Celles-ci  nous  présentent  l'image  exacte  des  sociétés  pastorales  des 
temps  bibliques ,  elles  sont  depuis  l'origine  de  l'histoire  ,  immobihsées 
dans  une  existence  appropriée  au  pays  qu'elles  parcourent  ;  elles  ne 
pourraient  la  modifier ,  et  n'ont  jamais  su  planter  un  arbre  ,  comme  on 
le  verra  plus  tard ,  ni  tailler  une  pierre ,  aussi  leurs  villes  ne  sont  que 
des  agglomérations  de  ruines  qu'elles  ne  songent  même  pas  à  réparer. 
Entre  leurs  mains  ,  qu'est  devenue  Kairouan ,  la  plus  grande  métro- 
pole religieuse  et  littéraire  ?  Qu'est  devenue  Béja  qui ,  au  XV  siècle  , 
passait  pour  l'une  des  plus  commerçantes  de  toute  la  Tunisie.  C'est  ce 
qu'on  verra  plus  tard. 

Cette  race  s'est  donc  éteinte  après  avoir  traversé  l'Occident  comme 
un  météore  brillant ,  ou  bien  le  souffle  stérilisant  de  l'Islamisme  en 
a-t-il  desséché  la  sève  ?  C'étaient  des  Orientaux  que  l'idée  religieuse 
avait  momentanément  galvanisés  et  qui ,  portés  par  un  prodigieux 
élan  jusqu'aux  limites  connues  ,  venaient  étonner  les  Bai'bares  autant 
par  l'élégance  de  leurs  mœurs  et  la  délicatesse  de  leur  esprit ,  que  par 


—  216  — 

l'enthousiasme  de  leur  foi  religieuse  ;  mais  ce  n'étaient  point  des 
Arabes ,  ce  n'étaient  point  du  moins  les  frères  de  sang  des  tribus 
auxquelles  de  nos  jours  on  applique  ce  nom. 

L'Arabe  actuel  est  incapable  de  créer,  de  prévoir,  il  n'a  jamais  été 
qu'un  destructeur.  Son  royaume  n'est  pas  de  ce  monde.  En  fait,  il  ne 
connaît  et  ne  désire  rien  en  dehors  de  la  vie  traditionnelle  de  la  tente 
et  du  soin  des  troupeaux  ,  se  contentant,  lorsqu'une  région  est  épuisée, 
de  lever  leurs  campements  et  de  porter  la  dévastation  plus  loin  ;  de 
sorte  que  le  pays  est  épuisé ,  ruiné  et  que  la  production  n'est  même 
plus  suffisante  pour  leur  nourriture  ,  tandis  qu'autrefois  la  même  terre 
nourrissait  une  population  décuple. 

Béjà  est  la  même  ville  qui ,  dans  quelques  éditions  de  Salluste ,  est 
mentionnée  sous  le  nom  de  Vacca;  d'autres  éditions,  en  efifet,  portent 
Vaga,  dénomination  conforme  à  l'une  des  inscriptions  ci-après. 

C'était,  à  l'époque  de  Jugurtha  ,  une  cité  riche  et  commerçante ,  que 
visitaient  et  même  habitaient  beaucoup  de  marchands  Italiens ,  car 
voici  comment  s'exprime  Salluste  : 

«  Erat ,  hanc  abeo  itinere  qua  Metellus  pergebat,  oppidum  Numida- 
»  rum ,  nomine  Vacca  (Vil  Vaga)  forum  rerum  venalium  totius  regni 
»  maximum  celebratum ,  ubi  et  incolare  et  meriari  consueverant  italii 
»  generis  multi  mortales.  » 

Cette  ville  se  soumit  d'abord  volontairement  aux  Romains  ;  mais 
ensuite ,  ayant,  à  l'instigation  de  Jugurtha ,  massacrée  par  surprise , 
pendant  une  fête  publique ,  la  garnison  qu'elle  avait  reçue  dans  ses  ■ 
murs  ,  Metellus  lui  fit  expier  cruellement  cette  défection  et  la  livra  en 
proie  à  ses  soldats. 

Plutarque ,  dans  la  vie  de  Marius,  nous  transmet  à  ce  sujet  les 
mêmes  détails  que  l'historien  latin.  Il  est  à  remarquer  qu'il  écrit  le 
nom  de  Baya,  dénomination  à  peu  près  identique,  sauf  une  légère 
différence  de  prononciation ,  à  celle  que  la  ville  porte  encore  aujour- 
d'hui. On  n'ignore  pas  que  dans  la  langue  grec  le  B  était  ordinaire- 
ment prononcé  comme  fe  V  des  Latins. 

Pline  la  cite  sous  le  nom  d'Oppidwn  Vagence.  A  l'époque  chré- 
tienne, elle  était  la  i-ésidence  d'un  évêque,  sous  Justinien,  comme  nous 
le  savons  par  Procope ,  qui  écrit  Biya  à  l'exemple  de  Plutarque ,  ce 
qui  ne  doit  pas  nous  étonner,  puisqu'il  écrivait  également  en  grec.  Les 
murs  d'enceinte  qui  entouraient  jadis  cette  place ,  furent  relevés  ,  et 
elle  fut  elle-même  appelée  Theodirias ,  en  l'honneur  de  l'Impératrice. 


-  217  - 

C'est  donc  à  cet  Empereur ,  très  probablement ,  qu'il  faut  attribuer 
l'enceinte  actuelle ,  enceinte  qui ,  par  la  nature  et  quelquefois  par 
Tagencemeut  irrégulier  do  ses  blocs,  accuse,  comme  je  l'ai  dit,  une 
reconstruction  du  Bas-Einpire  ,  exécutée  à  la  hâte  avec  des  matériaux 
plus  anciens. 

A  l'époque  d'El-Bekri,  c'est-à-dire  dans  la  dernière  partie  du  onzième 
siècle  de  notre  ère  ,  Béja  jouissait  encore  d'une  grande  prospérité. 

«  Baja ,  dit  cet  écrivain  arabe ,  renferme  cinq  bains ,  dont  l'eau 
provient  des  sources  dont  nous  parlerons  plus  tard  ;  elle  possède  aussi 
un  grand  nombre  de  caravansérails ,  et  trois  places  ouvertes  où  se 
tient  le  marché  des  comestibles.  Les  environs  de  Béja  sont  couverts  de 
magnifiques  jardins  ,  arrosés  par  des  eaux  courantes.  Le  sol  est  moins 
friable  et  convient  à  toutes  les  espèces  de  grains.  On  voit  rarement 
des  fèves  et  des  pois  chiches  qui  soient  comparables  à  ceux  de  Baja , 
ville  qui ,  au  reste  ,  est  surnommée  le  grenier  de  l'Ifrikia.  En  effet ,  le 
territoii^e  est  si  fertile ,  les  céréales  sont  si  belles  et  les  récoltes  si 
abondantes  ,  que  toutes  les  denrées  y  sont  à  très  bon  m.arché  ,  et  cela 
lorsque  les  autres  pays  se  trouvent ,  soit  dans  la  disette ,  soit  dans 
l'abondance.  Quand  le  prix  des  céréales  baisse  à  Kairouan,  le  froment 
a  si  peu  de  valeur  à  Baja,  que  l'on  peut  acheter  la  charge  d'un  chameau 
pour  deux  dirhems  (environ  un  franc).  Tous  les  jours  ,  il  arrive  plus  de 
mille  chameaux  et  d'autres  bêtes  de  somme  destinés  à  transporter 
ailleurs  des  approvisionnements  de  grains  ;  mais  cela  n'a  aucune 
influence  sur  le  prix  des  vivres  tant  ils  sont  abondants.  » 

Aujourd'hui,  Béja  est  bien  déchue  d'une  pareille  richesse.  La  popu- 
lation dépasse  à  peine  mille  à  quinze  cents  habitants.  Néanmoins ,  ses 
envu'onsisont  si  fertiles,  principalement  en  céréales,  qu'elle  est  toujours 
demeurée  l'un  des  plus  importants  marchés ,  pour  le  commerce  des 
grains,  de  toute  la  contrée  ,  que  les  Arabes  désignent  par  l'expression 
générique  de  Frikia  ou  IFRIKIA,  c'est-à-dire  Afrique  proprement 
dite ,  expression  dans  laquelle  ils  comprennent  la  plus  grande  partie 
du  Nord  de  la  Tunisie ,  et  notamment  tout  le  bassin  de  la  Medjerda. 
(Remarquons ,  en  passant ,  que  cette  dénomination  est  un  souvenir  de 
\d,provincia  Africa  des  Romains.) 

En  1883  ,  la  disette  se  faisait  sentir  dans  le  Sud  de  la  Tunisie  d'une 
manière  à  peu  près  générale,  fort  heureusement  pour  les  habitants  du 
Sud  ,  qu'il  n'en  était  pas  ainsi  dans  le  Nord.  Pour  parer  à  l'insuffisance 
de  la  récolte,  les  Ai-abes  du  Sud  vinrent  avec  des  milliers  de  chameaux 


—  218  — 


chercher  du  blé  à  Béjà-ville  et  se  répandirent  ensuite  dans  les  envi- 
rons, après  avoir,  pour  ainsi  dire,  épuisé  les  réserves  de  grains  qui  se 
trouvaient  dans  l'intérieur  de  cette  ville. 


Description   phy^ïicguc  de  la  ^'llle  de  Itéja. 

La  ville  de  Béjà ,  ancienne  Vacca  ou  Végua ,  est  située  à  l'Ouest- 
Sud  de  Tunis ,  à  une  distance  de  95  ou  100  kilom.  et  au  Sud  du  cap 
Serrât.  La  distance  qui  sépare  Béja-ville  de  Béja-gare  est  de  12  kilom. 
environ.  La  ville  est  bâtie  en  amphithéâtre  sur  la  penchant  d'une  haute 
colline.  Un  mur  d'enceinte  l'environne  de  toute  part  ;  celui-ci  est  flan- 
qué de  distance  en  distance  de  tours  carrées.  Une  casbah  assez  mal 
entretenue  occupe  le  point  culmitiant  du  pentagone  ii^régulier  qu'elle 
l'orme.  Dans  l'intérieur  de  la  casbah  ,  se  trouve  la  fontaine  Aïn-Bou- 
taha ,  dont  l'eau  est  de  très  bonne  qualité  ,  elle  est  bien  meilleure  que 
celle  de  la  fontaine  principale  qui  se  trouve  dans  l'intérieur  de  la  ville 
et  que  les  habitants  désignent  sous  le  nom  à'Aïn-BaJa.  On  descend  à 
celle-ci  par  un  escalier  de  plusieurs  marches  qui  conduit  à  une  grande 
cour,  dont  les  murs  latéraux  sont  construits  en  pierre  de  taille. 
A  l'extrémité  de  cette  cour,  l'eau  sort  d'un  canal  antique  ,  aujourd'hui 
très  mal  entretenu. 

L'ensemble  de  la  ville ,  sauf  quelques  parties ,  date  très  probable- 
ment d'une  époque  antérieure  à  l'invasion  Arabe.  Sans  être  antique , 
à  proprement  parler  ,  elle  est  bâtie  avec  des  anciens  matériaux  qui , 
sans  aucun  doute  ,  proviennent  d'une  création  plus  ancienne  ,  et  offre 
tous  les  caractères  d'une  reconstruction  bysantine  accomplie  à  la  hâte 
avec  des  éléments  divers.  On  remarque  sur  plusieurs  points  une  double 
enceinte ,  les  matériaux  employés  diSerent  complètement ,  ce  qui 
semblerait  indiquer  ou  démontrer  que  cette  ville  a  été  construite  sous 
divers  régimes  et  à  diff'érentes  époques. 

La  mosquée  principale,  consacrée  à  Sidna-Aïssa,  qui  se  trouve 
dans  l'intérieur  de  la  ville  ,  passe  pour  la  plus  ancienne  de  la  Tunisie. 
Au  dire  du  Cadi  et  du  Kalife ,  Sidi-Mohamed-Ben-Jousseph  ,  que  j'ai 
questionné  à  ce  sujet ,  elle  aurait  été  primitivement  une  église  chré- 
tienne. Suivant  eux,  ce  sanctuaire  aurait  même  été  honoré  de  la 
présence  de  Sidna-Aïssa (N.  S.  Jésusj ,  que  les  musulmans  vénèrent, 
sinon  comme  le  fils  de  Dieu  ,  du  moins  comme  le  plus  saint  et  le  plus 
auguste  de  ses  envoyés. 


-  219  — 

Depuis  fort  longtemps  ,  je  cherchais  l'occasion  de  visiter  l'intérieur 
de  l'ancienne  basilique  chrétienne ,  transformée  en  mosquée  par  les 
Arabes.  La  chose  était  fort  difficile  ;  n'étant  pas  musulman ,  il  m'était 
défendu  de  pénétrer  dans  la  mosquée.  Au  dire  de  l'interprète  qui  était 
avec  moi  ce  jour-là  (et  qui  lui-même  était  musulman)  le  Cadi  ou  le 
Kalife  seuls  avaient  qualité  pour  m'accorder  cette  faveur  ;  il  fallait  en 
passer  par  là ,  je  ne  voulais  pas  m'adresser  au  Cadi  une  deuxième  fois, 
puisqu'il  m'avait  répondu  qu'il  ne  voulait  pas  me  l'accorder,  que  c'était 
défendu.  Je  fus  obligé  de  m'adresser  au  Kalife  que  je  connaissais  beau- 
coup ,  et  avec  lequel  j'étais  très  lié,  pour  le  prier  de  vouloir  bien  nous 
accompagner  et  me  permettre  de  visiter  la  grande  mosquée  intérieure- 
ment et  extérieurement.  Je  dois  dire  que  j'insistai  beaucoup  auprès  du 
Kalife  pour  l'obtenir ,  il  me  répondait ,  à  différentes  reprises ,  qu'il 
n'accordait  jamais  cette  faveur  aux  (Roumis-Européens)  français  ;  mais 
puisque  tu  es  mon  ami ,  je  vais  t'accompagner. 

Après  les  salamaleks  d'usage,  j'entrais  dans  la  mosquée  ;  après  avoir 
examiné  sérieusement  l'intérieur,  je  lui  demande  de  me  montrer  les 
inscriptions  Romaines  qui  s'y  trouvaient ,  il  me  répondit  qu'il  serait 
fort  difficile  de  les  voir ,  qu'elles  étaient  cachées  ou  recouvertes  de 
chaux.  Après  avoir  sérieusement  insisté,  il  me  conduisit  à  l'extérieur 
de  la  mosquée  et ,  muni  d'une  échelle  et  de  plusieurs  morceaux  de  fer 
destinés  à  faire  disparaître  la  chaux  qui  recouvrait  la  plupart  des  carac- 
tères qui  se  trouvaient  gravés  sur  une  pierre  assez  large,  je  pus  lire 
dans  deux  endroits  diff'érents  les  inscriptions  suivantes  : 

1°  MANIGI-SARMA 

TRB.  POTEST.  XVI 
ANl.  PARH-  DIVI-NE 
SEPTIMIA.  VAG.  AN. 


2°  NN.  VALE 

I      DECMIVS  HILARIANVS    HIL.  VS.  VC.  PRO 
ETIONVMBAILICAM        CVIVSS 

DES  I  DERABAT.  ORN AFViNDA 

.  GAQ.  RFVIiNO....  ISSIMO-  LEGATO'  SVO. 

D'ailleurs ,  il  était  très  difficile  de  copier  exactement  la  foi-me  des. 


—  220  — 

lettres,  le  temps  me  faisait  défaut.  J'ai  mesuré  les  caractères ,  ils  ont 
environ  8  ou  8,5  en  moyenne  de  hauteur. 

A  la  dernière  ligne  de  la  première  inscription  de  ce  fragment  épigra- 
fique,  on  peut  lire  les  mots  Septimia  Vag ,  nom  antique  de  la  ville  de 
Béja  ;  ce  nom,  à  l'époque  oii  fut  gravée  cette  inscription ,  était  colonia 
septimia  Vaga.  Dès  que  je  fus  possesseur  de  ces  inscriptions,  je  m'em- 
pressai de  remercier  le  Kalife  et  de  diriger  mes  pas  dans  la  direction 
de  la  demeure  de  M.  Jeancolas  ,  Agent  consulaire  Français  ,  malheu- 
reusement il  était  absent  ce  jour-là  ,  je  fus  obligé  de  faire  demi-tour  et 
de  continuer  mes  recherches  dans  l'intérieur  de  la  ville,  en  parcourant 
toutes  les  rues  sans  pouvoir  rien  découvrir.  Arrivé  dans  le  faubourg 
appelé  Rebat-Aïn  ceh-chems  (faubourg  de  la  Source  du  Soleil),  à  cause 
d'une  fontaine  connue  sous  cette  désignation  ,  je  fus  obligé  d'ajourner 
mes  recherches  et  je  rentrai  au  camp. 

Pour  pénétrer  dans  l'intérieur  de  Béja  par  l'une  des  quatre  portes 
principales  dont  ses  murailles  sont  percées  ,  on  se  perd  au  milieu  d'un 
labyrinthe  de  rues  et  de  ruelles  irrégulièrement  tracées.  Deux  quar- 
tiers sont  presque  en  ruines  et  à  peine  peuplés  ,  ce  qui  fait  que  cette 
ville  renferme  moitié  moins  d'habitants  qu'on  le  suppose  à  pre- 
mière vue. 

La  population  totale  est  de  1,565  à  1,600  individus  ainsi  répartis  : 

Arabes de  1200  à  1300 

Juifs de      80  à    100 

Maltais de      80  à      90 

Italiens de      60  à      70 

Français de      45  y  compris  les  agents 

du  télégraphe  et  autres.  Le  télégraphe  récemment  établi  par  les  Fran- 
çais nous  rend  de  très  grands  services,  puisqu'il  nous  permet  de 
communiquer  avec  Tunis  directement  en  passant  par  la  gare  de  Béja. 
Les  fils  relient  aussi  la  Régence  à  l'Algérie. 

La  porte  Sud  est  l'une  des  plus  fréquentées  à  cause  de  la  situation 
qu'elle  occupe  par  rapport  à  la  route  qui  conduit  à  la  gare  de  Béja, 
A  l'entrée  de  la  porte,  figurent  MM.  Jeancolas,  agent  consulaire 
français ,  et  Pister ,  adjoint  du  génie ,  accompagnés  de  Sidi-Hassem , 
interprète  auxiliaire  du  bureau  des  renseignements  du  cercle  de  Béja  , 
à  côté  divers  personnages  arabes. 


-  221  — 


Camp  «le  Itéja. 


Le  camp  de  Béja  ,  situé  à  1,400  mètres  environ  ,  au  Nord  do  la  ville 
de  ce  nom  ,  est  établi  sur  la  naissance  d'une  croupe  dont  le  sommet  se 
trouve  à  TOuest.  L'altitude  do  ce  point  est  de  mètres  ;  il  est 

dominé  au  Nord  par  le  Djbel-Meskino.  A  la  côte  460  (voir  le  croquis 
des  environs  de  Béjà),  un  poste  d'observation  y  avait  été  placé  par 
ordre  du  commandant  supérieur  du  cercle  de  Béjà  ;  il  avait  pour 
mission  de  veiller  à  la  sécurité  de  la  troupe  et  de  survoilier  les  abords 
du  camp.  Une  petite  baraque  en  planches  servait  d'abri  aux  hommes 
de  garde.  La  position  avait  été  fort  bien  choisie.  De  ce  point ,  la  senti- 
nelle pouvait  très  facilement  observer  :  Béja  au  Sud  ;  la  plaine  et  une 
bonne  partie  de  la  vallée  à  l'Est  ;  le  chemin  de  Mohamed-ben-Ali  au 
Nord. 

Pendant  le  séjour  du  57"  et  du  142^  de  ligne  au  camp  de  Béjà , 
MM.  les  officiers  avaient  pris  l'initiative  (comme  le  92"  à  Zaghouan) 
de  faire  construire  pour  eux  et  pour  la  troupe  des  baraques  en  pierre 
ou  torchis  ;  ces  baraques  étaient  destinées  à  remplacer  avantageuse- 
ment les  grandes  tentes  qui  leur  servaient  d'abri.  Plus  tard  ,  le  génie 
prit  la  direction  des  travaux  commencés,  fit  construire  pour  la  troupe 
des  baraques  en  planches  recouvertes  en  toile  ,  des  écuries  pour  les 
chevaux  et  mulets  ,  une  ambulance  -  hôpital ,  et ,  en  dernier  lieu ,  un 
logement  pour  le  médecin  en  chef.  Ce  dernier  a  été  solidement 
construit  et  fort  bien  aménagé. 

Par  suite  de  la  rentrée  en  France  des  bataillons  désignés  ci-dessus , 
le  10  octobre  1882 ,  le  2"  bataillon  du  92*^  de  ligne  quittait  Zaghouan 
pour  se  rendre  à  Béja ,  en  passant  par  Bou-Amida ,  Gueblat ,  Medjez- 
El-Bab  ,  Oued-Zuergua  et  Béja. 

En  1883 ,  le  cercle  des  officiers ,  qui  avait  été  commencé  par  nos 
prédécesseurs  ,  fût  achevé  par  le  92® ,  sous  la  direction  de  M.  le  capi- 
taine Marsan  ,  qui ,  du  reste  ,  s'est  fort  bien  acquitté  de  cette  mission. 
Ce  corps  de  bâtiment  était  divisé  en  trois  parties  :  1**  Bibliothèque , 
2"  Salle  de  jeux  ;  3"  Logement  pour  les  employés  du  cercle  ,  etc. 

La  bibliothèque  était  fort  bien  aménagée  et  suffisamment  pourvue  de 
plusieurs  belles  collections  de  livres  scientifiques  et  militaires.  Grâce 
au  bon  concours  du  Ministre  de  la  Guerre  (M.  le  général  BiUot) ,  cette 


-  222  — 

installation  ,  bien  qu'incomplète,  procurait  néanmoins  à  MM.  les  offi- 
ciers les  éléments  nécessaires ,  pour  pouvoir  travailler  d'une  façon 
plus  sérieuse  et  plus  assidue.  En  dehors  des  heures  de  travail,  ils 
pouvaient  aussi  prendre  quelques  récréations  en  commun;  c'était,  du 
reste ,  bien  permis  dans  un  pays  aussi  désert ,  et  où  il  n'y  avait  en 
dehors,  aucune  distraction,  si  ce  n'est  la  chasse. 


Ohjet*;  trouvé!^  dauiii  l'Iuférleur  «les  toiiibeaiix  par  Ick  ofB- 
ciersii  «lu  9^'^  «le  ligue .  à  la  suite  «les  fouilles  qui  out  été 
faites  au  eainp  «le  Béja  (Tunisie). 

Tous  les  vases  ou  objets  dessinés  dans  ce  petit  travail ,  ont  été 
recueillis  dans  une  nécropole  mise  à  jour  dans  le  camp  de  Béja. 

Chaque  tombeau  se  compose  d'une  chambre  à  peu  près  de  forme 
carrée ,  et  dans  laquelle  on  ne  peut  entrer  qu'en  se  baissant.  On  y 
descend  en  pénétrant  par  un  trou  vertical ,  large  de  0.60  cent.,  et  long 
de  1  mètre.  Le  tout  est  creusé  dans  le  roc  à  la  façon  des  tombeaux  de 
l'époque  phénicienne.  L'ouverture  est  comblée  de  grosses  pierres 
enchevêtrées. 

Chaque  tombeau  est  une  espèce  de  caveau  de  famille  et  contient 
au  moins  quatre  squelettes.  Un  seul  de  ces  tombeaux  contenait  des 
urnes  cinéraires  et  un  sarcophage  en  pierre. 


rVécropole  «le  Béja. 

Le  hasard  nous  fait  souvent  découvrir  les  choses  les  plus  cachées , 
le  fait  suivant  va  nous  le  prouver  encore  une  fois  de  plus. 

Le  4  février  1883,  le  capitaine  Vincent ,  chef  des  bureaux  des  rensei- 
gnements à  Béja  ,  voulait  assainir  son  logement  en  cherchant  à  empê- 
cher l'humidité  de  pénétrer  par  le  soubassement.  Pour  arriver  à  ce 
résultat,  il  avait  résolu  de  faire  enlever  la  terre  qui  se  trouvait  à  proxi- 
mité de  sa  maison  (lisez  baraque).  Une  dizaine  de  prisonniers  arabes 
avaient  été  employés  à  ce  genre  de  travail.  Après  av^oir  fait  enlever 
une  couche  de  terre  d'environ  0'"50  cent,  environ,  la  nature  du  sol,  de 
friable  qu'elle  était,  devint  tout  à  coup  dure  comme  de  la  pierre.  Pour 
vaincre  cette  résistance,  le  capitaine  Vincent  fut  obligé  d'avoir  recours 


rs; 


(2J 


'^-'' 


(1)  Tombeau  en  piene  contenant  ces  ossements iiun.aïus  calcines  (.1). 

(2)  Urne  en  terre  cuite  contenant  des  cendres  et  débris  d'ossements  humains 
A  côté  de  ces  trois  objets  Irouvc.^  (};in,s  !o  .uuiiiti  lombeau,  gisaient  d'autres  squelette-? 
qui  n'avaient  pas  subi  l'incinération  et  qui  font  croire  que  ces  urnes  cor)tenaie;it  lov 
cendres  de  certains  membres  de  la  famille  morts  dans  un  pays  oii  l'incinéracion  ct-hi 
pratiquée,  et  dont  les  restes  avaient  été  rapportés  à  Béjà ,  pour  y  être  déposé?  dan- 
le  tombeau  qui  servait  de  caveau  de  famille 


?LV 


jf^:;:::;z"\:::'j:;r.^^^^^^^^^ 


y./ 


/,/  //.,///.' 


.i<inr/ic  une  /«"V/" 


PL. IV 


11 


(j  '  Amwaaen/'ronz.i'   trouve  d/ins  un  foui  beau  PlLe/ucJfu  (cuny  dc'cja 
('Z)  £pUKfU'  ilrsùrctc  en  bronze  .      .  ^  d"  -  -    <      - 

(3)  Aulr-e  epiiKjle  i-n  breu/.e  •' '  '^ , 

(4-)  Jalonnai e   eu  brnize-  ^  <' ' 


PL.lIi 


J.uù-cs  Vùc-ay  i>  i'iuw  d^'-is  /l's  '/l'/u/u-a/iji-  un    atin^ii  (ù-  Ijc/u 


PLU 


I  2  )  Urne  fnci/nKilo/rt- 


I 


PL.I 


"l-  »;e  vase  conte'^âu  U^rb  (•a's^ci^'.îii^i  ac  poiii^îy, 

(^)  Ce  plat  a  été  trouvé  cassé,  corome  l'indique  !a  figupfi,  et  les  trous  qu  il  p-..r'>,ait. 
ui.iiquent;  une  réparation  faite  â  l'aide  de  crarapons  métalliques  ,  ainsi  que  cela  s«; 
pratique  encore  aujoiu'd'hui  (Ij. 


'  '  Vo..v  le«  ditférentes  planches. 


-  223  - 

à  la  pioche,  à  la  pince,  etc.,  etc.,  et  à  la  suite  d'un  travail  assez  labo- 
rieux, il  eût  la  bonne  chance  de  découvrir  une  chambre  sépulcrale, 
(ou  tombeau  phénicien),  dans  laquelle  il  fit  une  trouvaille  qui  consistait 
en  différents  objets,  tels  que  :  médailles,  bracelets,  broches,  anneaux, 
monnaies,  lampes,  amphores  et  lacrymatoires,  ce  dernier  objet  ainsi 
dénommé  parce  que  les  antiquaires  supposaient  que  ces  vases  avaient 
servi  à  recueillir  les  larmes  des  parents  ou  des  pleureuses  gagées  qui 
assistaient  aux  funérailles.  Mais  il  est  constant  aujourd'hui  que  ces 
prétendus  lacrymatoires  étaient  simplement  destinés  à  contenir  les 
baumes  et  les  parfums  dont  on  arrosait  les  bûchers  et  les  cendres 
des  morts. 

Sur  l'une  de  ces  médailles,  se  trouvait  l'effigie  d'Astarté,  génie  des 
Carthaginois ,  assise  sur  un  lion  et  courant  le  long  d'une  source  qui 
découle  d'un  rocher.  Ces  différents  objets  étaient  assez  bien  conservés. 

Cette  première  découverte  devait  non  seulement  encourager  le 
capitaine  Vincent  à  poursuivre  ses  recherches ,  mais  encore  attirer 
l'attention  de  MM.  les  officiers  du  92"  (2*^  bataillon)  qui  se  trouvaient 
campés  sur  cette  nécropole.  En  effet ,  les  officiers  de  ce  bataillon , 
commencèrent  par  sonder  le  terrain  qui  se  trouvait  à  proximité  du 
bureau  des  renseignements,  et,  après  une  demi-journée  de  travail ,  le 
capitaine  Desblancs  retirait  d'une  chambre  sépulcrale,  une  amphore  de 
1"',20  de  hauteur,  et  0,85  centim.  de  circontérence  (à  la  partie  cen- 
trale), fermée  à  sa  partie  supérieure  avec  un  enduit  de  plâtre.  Plus 
tard,  M.  le  lieutenant  de  Lespin,à  la  suite  des  touilles  qu'il  avait  laites, 
découvrait  divers  objets,  tels  que  :  lacrymatoires ,  amphores ,  lampes  , 
monnaies  ,  coupes  et  un  sarcophage  d'enfant  ayant  environ  O^^SO  cent. 
de  longueur  et  0,50  cent,  de  largeur. 

A  l'intérieur  et  au  fond  de  l'une  de  ces  coupes  (en  terre  cuite),  un 
corps  de  femme  dessiné  en  relief ,  jusqu'au-dessous  des  seins  ,  tenant 
dans  la  main  gauche  une  tête  (voir  la  planche  V).  Cette  coupe  était  fort 
bien  conservée,  d'une  beauté  artistique  tout  à  fait  remarquable  pour 
l'époque.  M.  le  lieutenant  Louis ,  de  ce  bataillon ,  est  l'heureux 
possesseur  de  cet  objet  d'art. 

Ne  voulant  pas  laisser  le  soin  à  mes  camarades  d'emporter  tout  ce 
qu'ils  avaient  trouvé,  et  désireux  de  posséder  quelques-uns  de  ces 
objets  comme  souvenir  de  la  nécropole  de  Béjà,j'ai  demandé  et  obtenu 
deux  lacrymatoires  et  une  amphore  que  je  conserve  précieusement. 

Quant  à  l'amphore  trouvée  par  M.  le  capitaine  Desblanc,  elle  a  été 
envoyée  à  M.  Cambon,  Ministre-Résident  à  Tunis,  pour  faire  partie  du 


—  224  — 

musée  de  la  ville  de  Tunis  ,  ce  musée  est  destiné  à  recevoir  les  objets 
d'art ,  les  statues ,  les  inscriptions  ,  les  mosaïques  que  l'on  rencontre  à 
chaque  pas  sur  le  sol  de  la  Régence.  Cette  collection  ,  d'un  prix  inesti- 
mable au  point  de  vue  historique  surtout ,  offrira  aux  numismates  ,  aux 
archéologues  ,  à  tous  les  hommes  d'étude  enfin  ,  un  intérêt  de  premier 
ordre.  La  Tunisie  n'est -elle  pas  la  terre  classique  des  grandes  luttes? 
Les  noms  d'Annibal,  de  Scipion,  de  Régulus  et  de  Massinissa  résument 
à  eux  seuls  une  des  époques  les  plus  retentissantes  de  l'histoire  de 
l'antiquité.  C'est  ce  que  le  gouvernement  français  et  le  g(mvernement 
bcylical  ont  parfaitement  compris  en  prenant  récemment  des  mesures 
pour  préserver  de  la  destruction  les  objets  d'art  et  les  monuments 
anciens  de  la  Tunisie. 

Bien  que  les  mesures  qui  viennent  d'être  prises  soient  un  peu 
tardives,  elles  n'en  produiront  pas  moins  un  excellent  résultat.  Elles 
auront  au  moins  l'avantage  d'empêcher  : 

1°  Aux  étrangers  de  s'emparer  de  toutes  ces  antiquités  ; 

2°  Aux  habitants  des  différentes  localités  de  la  Régence,  de  détruire 
inutilement  ce  qui,  au  point  de  vue  de  la  science,  devrait  être  conservé 
et  respecté.  Malheureusement ,  il  n'en  a  pas  toujours  été  ainsi ,  chacun 
a  pris  ce  qui  lui  pai-aissait  bon  d'emporter  et  souvent  même  détruisait 
ce  qu'il  était  obligé  d'abandonner,  soit  volontairement  ou  involon- 
tairement. 

Quant  aux  fouilles  qui  ont  été  faites  dans  la  plupart  des  localités  de 
la  Régence,  elles  ont  été  faites  d'une  façon  inconsciente  et  peu  métho- 
dique. On  aurait  dû  ,  dès  le  début ,  charger  quelqu'un  de  compétent 
pour  diriger  ces  travaux  ,  classer  les  différents  objets  recueillis  et  en 
dessiner  les  contours. 


OliftiervatlouM  g;éuéralcs  coucernaut  la  disposition 
des   toiiilieaux   Phéuicicns  (ou    chambres  sépulcrales). 

D'après  l'ensemble  des  observations  faites  par  l'auteur ,  il  résulte 
que  tout  le  terrain  sur  lequel  est  établi  le  camp  de  Béja  actuellement , 
a  dû  être  utilisé  anciennement  par  les  Phéniciens  ou  les  Carthaginois 
pour  la  construction  d'une  quanti  lé  considérable  de  chambres  sépul- 
crales. La  nécropole  semble  offrir  la  trace  des  rues  et  d'alignements 
véritables.  Tous  les  tombeaux  ont  la  même  orientation ,  toussent  du 


-  ias  - 

même  modèle.  Le  caraclère  en  est  fort  simple  ,  partout  l'art  Carthagi- 
nois a  répété  ses  lignes  noires  avec  cette  monotonie  qui  est  l'un  des 
traits  du  génie  oriental.  Chaque  tomheau  est  orienté  de  l'Est  à  l'Ouest  ; 
il  se  compose  généralement  d'une  chambre  à  peu  près  de  forme  carrée 
et  dans  laquelle  on  ne  peut  entrer  qu'en  se  baissant.  On  y  descend  en 
pénétrant  par  un  trou  vertical,  large  de  O^jôO  cent,  et  long  de  1  mètre. 
Le  tout  est  creusé  dans  uji  calcaire  vif,  jouissant  de  propriétés  émi- 
nemment sarcophagiques.  Il  y  a  des  caveaux  à  deux  ou  trois  niches. 
Ce  sont  des  espèces  de  caveaux  de  famille.  L'intérieur  est  fort  bien 
conservé.  Les  cendres  et  autres  objets  qui  s'y  trouvaient,  devaient 
être  à  l'abri  des  intempéries. 


Bardo  (ancien  palalfii  du  Bey). 

Le  Bardo,  situé  à  l'Est  du  camp,  faisait  autrefois  partie  des  maisons 
de  plaisance  de  Hussein ,  né  en  1778 ,  mort  en  188.5.  Actuellement , 
cette  résidence  est  complètement  tombée  en  ruines.  Une  partie  des 
matériaux  a  été  employée  pour  la  construction  d'un  cercle  pour  MM.  les 
officiers  du  92'' 

Le  Bardo  est ,  sans  contredit ,  le  coin  de  terre  le  plus  charmant ,  le 
plus  agréable  de  toute  cette  contrée.  Il  est  entouré  de  frais  et  délicieux 
vergers  ,  où  des  arbres  fruitiers  de  toute  espèce  sont  cultivés  par  nos 
soldats.  De  tous  côtés,  circule  une  eau  vivitiante  qui  ne  tarit  jamais  et 
qui  dérive,  par  de  nombreuses  rigoles,  d'un  ruisseau  qui  prend  nais- 
sance à  la  source  de  Neptune.  (Un  bassin  y  avait  été  construit  par  les 
soins  du  57**  de  ligne.)  Ce  ruisseau  répandant  sur  son  passage  la  fécon- 
dité, l'abondance,  arrose  notre  immense  jardin  potager  (lequel  a  énor- 
mément contribué  à  améliorer  la  nourriture  de  nos  soldats  et  même 
des  officiers).  J'erre  avec  bonheur  et  ravissement,  dans  cet  immense 
jardin,  sous  les  épais  ombrages,  que  je  rencontre  partout.  De  superbes 
oliviers ,  de  vieux  noyers  épars  au  milieu  de  bosquets  odorants ,  de 
citronniers ,  d'orangers  et  de  grenadiers,  de  cognassiers,  de  superbes 
treilles  me  rappellent  la  France  au  sein  môme  de  l'Afrique  ,  en  même 
temps  que  les  gémissements  de  la  brise  qui  se  joue  dans  la  cîme  des 
arbres,  le  gazouillement  des  oiseaux  qui  voltigent  dans  leurs  branches 
et  l'éternel  murmure  de  l'eau  qui  court  et  serpente  en  sens  divers  sur 
le  sol  qu'elle  fertilise ,  forment  autour  de  moi  un  suave  et  mystérieux 

16 


-  228  — 

concert ,  qui  me  semble  la  voix  de  la  iialiu-e  elle-même  cliantaut  sou 
Créateur. 

Aujourd'hui ,  je  m'aperçois  que  je  suis  moins  sensible  à  ces  charmes 
de  la  nature.  Quand  on  est  jeune,  la  nature  parle  beaucoup,  mais  dans 
un  âge  plus  avancé ,  lorsque  la  perspective  que  nous  avions  devant 
nous ,  passe  derrière ,  que  nous  sommes  détrompés  sur  une  foule 
d'illusions  ,  alors  la  nature  devient  plus  froide. 

Pour  que  cette  nature  nous  intéresse  encore  ,  il  faut  qu'il  s'y  attache 
des  souvenirs  de  Ja  société  ,  nous  nous  suffisons  moins  à  nous-mêmes  ; 
la  solitude  absolue  nous  pèse,  nous  éprouvons  le  besoin  de  ces  conver- 
sations qui  se  font  le  soir  à  voix  basse  entre  parents  ou  amis.  Aussi , 
combien  de  fois  ai-je  reporté  mes  pensées  et  mes  regards  vers  la 
France  ? 


IJiic  céréiuoiiie  dew  Aïssaoïia  clan»  la  inoMCiiiée 
de  ^»i(liia-AÏK«!ta  à  Béja. 

Le  17  décembre  1883,  MM.  les  officiers  du  92''  de  ligne,  le  personnel 
de  l'infirmerie -hôpital,  les  officiers  des  bureaux  des  renseignements 
avaient  été  invités  par  le  Gadi  à  assister  à  une  représentation  des 
disciples  de  Ben-Aïssa,  qui  devait  avoir  lieu  à- 8  heures  du  soir,  dans  la 
mosquée  de  Sidna-Aïssa,  dont  il  a  été  déjà  question  au  début  de  cette 
notice. 

Avant  d'entrer  dans  les  détails ,  il  est  nécessaire  de  savoir  que  les 
disciples  de  ISen-Aïssa,  ou  les  Aïssaoua,  forment  une  secte  bizarre,  qui 
se  livre  dans  les  villes  et  dans  les  tribus  Tunisiennes  et  Algériennes  à 
des  exercices  surprenants,  mais  aussi  profondément  écœurants. 

Quand  on  les  a  vus  une  fois  ,  on  éprouve  un  certain  dégoût  pour  les 
adeptes  de  Sidi- Aïssa  et  on  se  garde  bien  d'assister  encore  à  leur  céré- 
monie monstrueuse  et  charlatanesque.  Cependant ,  l'auteur  de  ce  récit 
a  eu  la  curiosité  d'assister  à  cette  dernière  représentation,  à  seule  nu 
de  bien  s'en  rendre  compte  ;  il  a  vu  les  Aïssaoua  opérer  la  première 
fois  à  Bône  en  1867,  et  pour  la  deuxième  fois  en  1808,  et  bien,  malgré 
cela,  c'est  presque  toujours  la  même  mise  en  scène  et  les  mômes  exer- 
cices. Le  marabout  Moliammed-Ben  Aïssa  est  le  fondateur  de  cette 
confrérie.  Ses  adeptes  prétendent  que  le  saint  marabout  Ben-Aïssa 
-leur  a  donné  le  pouvoir  de  supporter  les  plus  affreuses  tortures  corpo- 


—  227  —  ^ 

relies,  de  braver  les  inorsures  de  tous  les  reptiles ,  d'avaler  des  clous  , 
de  manger  des  caccus  recouverts  de  leurs  épines,  d'être  insensibles  aux 
tranchants  des  sabres  ,  au  contact  du  1er  rougi ,  en  un  mot ,  d'être 
invulnérable. 

Doit-on  y  ajouter  foi?  je  ne  le  crois  ;  car  il  est  impossible  qu'il  en 
soit  ainsi.  Ces  tours  sont  exécutés  avec  une  certaine  adresse,  néan- 
moins nous  avons  eu  .  avons  encore  en  France  des  prestidigitateurs 
qui  leur  sont  bien  supérieurs  en  tout,  pour  ne  citer  queRobert-Houdin, 
et  cependant  son  renom  de  sainteté  est  encore  loin  d'être  établi. 

En  entrant  dans  la  mosquée  où  devait  avoir  lieu  la  cérémonie,  un 
arabe  se  trouvait  à  la  porte  et  nous  dit  de  quitter  notre  chaussure, 
conformément  aux  us  et  coutumes  des  indigènes,  nous  fûmes  obligés 
de  nous  exécuter.  Du  reste,  ce  n'était  que  le  commencement  de  l'entrée 
en  scène.  En  entrant  dans  la  mosquée,  un  cherik  nous  attendait  à  la 
porte  intérieure,  après  les  salamaleks  d'usage,  il  nous  conduisit  à  l'en- 
droit qui  nous  était  réservé.  Là  se  trouvaient  des  chaises  apportées 
exprès  pour  nous  ,  car  les  Arabes  ne  s'en  servent  presque  jamais  chez 
eux  ;  puis  ,  une  fois  assis  ,  un  cavoidje  (cafetier)  nous  servait  le  café 
maure  dans  des  espèces  de  tasses  à  peu  près  semblables  à  celles  que 
nous  avons  en  France.  Tout  près  de  nous  brûlaient  des  parfums  conte- 
nus dans  des  récipients  ayant  une  forme  assez  bizarre.  C'est  une 
marque  de  respect  en  usage  chez  les  orientaux,  lorsqu'ils  vous  traitent 
en  maître  et  qu'ils  veulent  vous  rendre  les  honneurs.  Dès  que  tous  les 
préparatifs  furent  terminés,  la  séance  commença  de  la  façon  suivante  : 

L'orchestre  du  Caïde  débuta  par  une  sérénade  ;  l'instrument  dont  les 
musiciens  se  servaient  était  une  espèce  de  hautbois  avec  une  anche 
plate  et  cerclée  d'une  rondelle  de  bois  où  s'appuyaient  les  lèvres  det^ 
musiciens  ;  immobiles,  les  yeux  baissés,  ne  faisant  d'autres  mouvements 
que  ceux  indispensables  pour  le  placement  des  doigts  sur  les  trous  ;  ils 
nous  jouèrent  une  tonalité  très  élevée,  une  cantilène  qui  rappelait 
beaucoup  la  danse  des  aimées. 

La  cour  dans  laquelle  la  cérémonie  allait  commencer ,  était  assez 
vaste ,  entourée  par  des  bâtiments  à  toits  plats  et  crépis  à  la  chaux  ; 
elle  s'éclairait  bizarrement  par  des  bougies  et  des  lampes  placées  à 
terre  auprès  des  groupes. 

Les  femmes  de  la  ville  s'étaient  rangées  sur  les  terrasses  pour  jouir 
à  leur  aise  de  l'horrible  spectacle  qui  allait  avoir  lieu. 

Les  Aïssaoua  s'étaient  groupés  au  nombre  d'une  trentaine  environ , 
autour  du  Mokaddem  ou  officiant ,  qui  commença  d'une  voix  lente  et 


—  228  — 

monotone ,  à  réciter  une  prière  que  les  adeptes  accompagnaient  de 
grognements  sourds.  De  temps  à  autre ,  un  faible  coup  de  darhouka 
rythmait  et  coupait  ce  murmure.,  qui  allait  s'enflant  peu  à  peu  et  se 
grossissant  comme  une  vague  avec  un  bruit  de  tonnerre  lointain. 

Tout  à  coup ,  un  cri  aigu  ,  prolongé ,  chevroté ,  un  piaulement  de 
chouette  ,  un  sanglot  d'enfant  égorgé  ,  un  rire  de  goule  dans  un  cime- 
tière partit  à  travers  la  nuit  comme  une  fusée  stridente.  Cette  note , 
d'une  tonalité  surnaturelle ,  cette  note  aiguë ,  frôle  et  tremblée 
poussée  comme  un  soupir  de  hyène  ,  méchante  comme  un  ricanement 
de  crocodile ,  éveilla  dans  le  lointain  un  redoublement  d'applau- 
dissements. 

Ce  miaulement  infernal  était  poussé  par  les  femmes,  qui  soutiennent 
ce  cri  en  frappant  leur  bouche  avec  le  plat  de  la  main  pour  faire  vibrer 
le  son.  On  ne  saurait  imaginer  rien  de  plus  sinistre ,  rien  de  plus 
affreux.  Les  grincements  des  roues  des  chars  à  bœufs  qui ,  pendant  la 
nuit ,  dans  les  montagnes  de  l'Aragon,  font  fuir  les  loups  d'épouvante  , 
ne  sont ,  à  côté  de  cela  ,  que  de  l'harmonie  rossinienne. 

Cet  épouvantable  applaudissement  parut  exciter  les  Aïssaoua  ;  ils 
chantèrent  d'une  voix  plus  forte  et  plus  accentuée ,  les  joueurs  de 
darbouka  frappent  leur  peau  d'onagre  avec  une  vigueur  et  une  activité 
toujours  croissantes. 

Les  têtes  des  assistants  marquaient  la  mesure  par  un  petit  hoche- 
ment nerveux ,  et  les  femmes  scandaient  l'interminable  litanie  des 
miracles  de  Sidi -Mohammed- Ben -Aïssa  de  glapissements  déplus  en 
plus  rapprochés. 

La  ferveur  de  la  prière  augmentait  ;  les  adeptes  commençaient  à  se 
décomposer  ;  ils  remuaient  la  tête  comme  des  poussah  ,  ou  la  faisaient 
rouler  d'une  épaule  à  l'autre  ,  la  mousse  leur  venait  aux  lèvres  ,  leurs 
yeux  s'irjectaient,  leurs  prunelles  renversées  fuyaient  sous  la  paupière, 
et  ne  laissaient  voir  que  la  cornée  ;  tout  en  continuant  leur  balance- 
ment d'ours  en  cage  ,  ils  criaient  :  «  Allah  !  Allah  !  Allah  !  »  avec  une 
énergie  si  furibonde ,  un  emportement  de  dévotion  si  féroce ,  d'une 
voix  si  sauvagement  rauque ,  si  caverneusement  profonde ,  que  l'on 
aurait  plutôt  dit  des  rugissements  de  lions  affamés,  que  des  articula- 
tions de  voix  humaines.  Je  ne  conçois  pas  comme  leurs  poitrines 
n'étaient  brisées  par  ces  gromellements  formidables  à  rendre  jaloux 
les  fauves  habitants  de  l'Atlas. 

Le  rythme  des  tambours  devenait  de  plus  en  plus  impérieux  ;  les 
Aïssaoua  s'agitaient  avec  une  frénésie  enragée  j  le  balancement  de  la 


~  229  — 

tête,  qui  n'avait  été  exécuté  d'abord  que  par  quelques-uns  ,  était  main- 
tenant général ,  seulement  les  oscillations  prenaient  une  telle  violence, 
que  l'occiput  allait  frapper  les  épaules,  et  que  le  front  battait  la  poitrine 
en  brèche  ,  cela  bientôt  ne  suffit  plus.  Le  balancement  avait  lieu  de  la 
ceinture  en  haut,  et  le  corps  décrivait  un  demi-cercle  effrayant  ;  c'étaient 
les  convulsions  de  l'épilepsie ,  de  la  danse  de  Saint -Guy,  comme  au 
moyen-âge. 

De  temps  en  temps,  quelque  frère  épuisé  de  fatigue  ,  roulait  à  terre , 
haletant ,  couvert  de  sueur  et  d'écume ,  presque  sans  connaissance , 
mais  poursuivi  par  le  tonnerre  implacable  des  darboukas,  il  tressaillait 
et  se  soulevait  par  secousses  galvaniques  comme  une  grenouille  morte 
au  choc  de  la  pile  de  Volta.  A  cette  vue,  les  spectateurs  enthousias- 
més ,  secouaient  leurs  burnous  sur  les  bords  des  terrasses  et  faisaient 
grincer ,  avec  un  bruit  plus  sec  et  plus  rauque ,  la  crécelle  de  leur 
voix.  On  remettait  le  chaviré  sur  son  séant ,  et  il  recommençait  de 
plus  belle. 

Un  Aïssoua  ,  considérable  dans  la  secte  ,  et  qu'on  semblait  regarder 
avec  une  sorte  de  terreur  respectueuse,  se  tordait  dans  des  crispations 
de  démoniaque  ,  ses  narines  tremblaient ,  ses  lèvres  étaient  bleues  ; 
les  yeux  lui  sortaient  de  la  tête ,  les  muscles  se  tendaient  sur  son  cou 
maigre  comme  des  cordes  de  violon  sur  le  chevalet  ;  des  trépidations 
nerveuses  agitaient  son  corps  du  haut  en  bas  ;  ses  bras  se  démenaient 
comme  les  ressorts  d'une  machine  détraquée ,  avec  des  mouvements 
qui  ne  partaient  plus  d'un  centre  connnun,  et  auxquels  la  volonté 
n'avait  pris  part  ;  on  le  mettait  debout  en  le  tenant  sous  les  aisselles  , 
mais  il  se  projetait  si  violemment  en  avant  et  en  arrière ,  comme  ces 
personnages  ridicules  qui  font  des  saints  grotesques  dans  les  panto- 
mimes ,  qu'il  entraînait  avec  lui  ses  deux  assesseurs ,  et  retombait 
bientôt  à  terre  en  se  tortillant  connue  un  serpent  coupé ,  et  en  rau- 
quant  le  nom  d'Allah  avec  râle  si  guttural  et  si  strident ,  quoique  bas  , 
qu'il  dominait  le  cri  des  adeptes ,  les  piaulements  des  femmes ,  et  le 
trépignement  des  convulsionnaires. 

Le  désordre  était  au  comble  ,  l'exaltation  touchait  à  son  paroxysme. 
Par  la  persistance  du  chant ,  du  tambour  et  de  l'oscillation ,  les  Aïssa- 
oua  avaient  atteint  le  degré  d'organisme  nécessaire  à  la  célébration 
de  leurs  rites;  le  délire,  la  catalepsie,  l'extase  magnétique,  la  con- 
gestion cérébrale ,  tous  les  désordres  nerveux  traduits  en  sanglots , 
en  cantorsions ,  en  raideurs  tétaniques ,  convulsaient  ces  membres 
disloqués  et  ces  physionomies  qui  n'avaient  plus  rien  d'humain. 


-  230  - 

Tout  cela  grouillait ,  fourmillait,  trépidait,  sautillait ,  hurlait  dans 
un  pêle-mêle  hideux.  Les  mouvements  do  l'homme  avaient  fait  place  à 
des  allures  bestiales.  Les  têtes  retombaient  vers  le  sol  comme  des 
mufles  d'animaux ,  et  une  fauve  odeur  de  ménagerie  se  dégageait  de 
ces  corps  en  sueur. 

Nous  frissonnions  d'horreur  dans  notre  coin .  mais  ce  que  nous 
venions  de  voir  n'était  que  le  prologue  du  drame. 

Se  traînant  sur  les  genoux  ou  les  coudes ,  ou  se  soulevant  à  demi , 
les  Aïssaouas  tendaient  leurs  mains  terreuses  au  Mokaddem,  tournaient 
vers  lui  leurs  faces  hâves  ,  livides ,  plombées ,  luisantes  de  sueur , 
éclatées  par  des  yeux  étincelants  d'une  ardeur  fiévreuse  et  lui  deman- 
dant à  manger  avec  des  pleurnichements  et  des  câliaeries  de  petits 
enfants. 

«  Si  vous  avez  faim  ,  mangez  du  poison  »  ,  leur  répondit  le  Mokad- 
dem ,  comme  le  fit  Sidi-Mohammed-Ben-Aïssa  à  ses  disciples ,  qui  s'en 
trouvèrent  si  bien,  d'après  la  légende,  dont  cette  cérémonie  est 
destinée  à  perpétuer  la  mémoire. 

Ce  qui  se  passa,  après  que  le  Mokaddem  eût  fait  signe  d'apporter  la 
nourriture,  est  si  étrange,  que  je  prie  mes  lecteurs  de  croire  littéra- 
lement ce  que  je  vais  leur  dire.  Des  serpents  de  différentes  espèces, 
furent  tirés  de  petits  sacs  et  dévorés  vivants  parles  Aïssaoua,  avec 
des  marques  d'indicible  plaisir  ;  ceux-ci  léchaient  des  pelles  ou  des 
bêches  rougies  au  feu  ;  ceux-là  mâchaient  des  charbons  ardents  ; 
d'autres  puisaient  dans  des  terrines  et  avalaient  des  clous ,  ou  mor- 
daient des  feuilles  de  cactus  dont  les  épines  leur  traversaient  les  joues. 
J'ai  gardé  assez  longtemps  plusieurs  de  ces  feuilles  épaisses  et  dures 
qui  portaient  l'empreinte  des  dents  de  ces  étranges  gastronomes. 

Chacun ,  en  dévorant  sa  dégoûtante  pâture ,  imitait  le  cri  d'un 
animal,  qui,  le  rugissement  du  lion,  qui,  le  sifflement  de  la  vipère,  qui, 
le  renâclement  du  chameau  ,  ou  poussait  des  cris  inarticulés ,  spasme 
de  l'extase,  échappements  de  l'hallucination  ,  appels  aux  visions  incon- 
nues ,  perceptibles  pour  les  croyants  seuls. 


—  m  — 


II.  —  LES  ENVIRONS  DE  BEJA. 


Aspect  js;;éuéi*al.  —  <^roji;;ra|>liic. 

Le  pays  que  nous  avons  parcouru  a  pour  limites  ,  vers  le  Nord  ,  les 
chemins  des  Ouchtetas  jusqu'à  la  source  de  rOued-Beja;  celui  des 
Mogoa  jusqu'à  Sidi-Mohammed-Ben-Ali .  Vers  l'Est,  la  source  d'Aïn- 
Chaallou.  A  l'Est-Sud,  la  station  de  l'Oued-Zergua.  An  Sud,  la  Medjerda. 
A  rOuest,  Souk-El-Tnin  (route  d'Aïn-Draham)  jusqu'à  la  naissance  de 
rOued-Kessob. 

L'aspect  du  système  montagneux  de  la  région  reconnue,  ressemble 
beaucoup  à  celui  de  l'Algérie  ;  le  terrain  est  généralement  déchiqueté 
par  des  ravins  formés  par  des  ruisseaux  à  sec  qui,  à  la  première  pluie 
un  peu  abondante,  se  transforment  en  torrents.  On  y  rencontre  de 
larges  assises  de  calcaires,  de  grès,  bouleversées,  redressées,  décou- 
pées par  de  profondes  déchirures  qui,  par  la  variété  et  la  hardiesse  de 
leur  silhouette ,  donnent  à  cette  partie  un  relief  tout  particulier  qui 
peut  se  comparer  à  celui  de  la  Kabylie.  Toutes  ces  élévations  de  terre 
portent  l'empreinte  de  révolutions  violentes.  Les  assises  de  grès  qui 
les  composent,  de  la  base  au  sommet,  sont  parfois  relevées  presque 
verticalement.  D'autres  fois,  par  suite  de  pressions  latérales,  ces 
masses  se  sont  infléchies  et  se  montrent  alors  contournées  à  la  manière 
de  voûtes  presque  régulières.  Ce  qui  donne  à  ces  accidents  de  terrain 
une  forme  de  dômes  arrondis.  Ces  différentes  élévations  de  terrain  se 
relient  entre  elles  et  s'alignent  suivant  une  dh'ection  déterminée  par 
des  chaînes  sensiblement  parallèles  à  la  côte.  Ces  chaînes  de  mon- 
tagnes sont  séparées  par  des  vallées  étroites  et  profondes  au  fond 
desquelles  coule  une  petite  rivière. 

L'intérieur  du  pays  est  très  montueux  et  des  plus  accidenté.  Les 
sommets  de  deux  à  trois  cents  mètres  sont  très  nombreux. 

Le  pays  renferme  une  assez  grande  quantité  de  sources.  11  est  aussi 
sillonné  par  des  cours  d'eau.  Les  vallées  qu'ils  arrosent  sont  séparées 
par  des  plateaux  rocheux  })eu  productifs,  quelques-uns  sont  recouverts 
de  pâturages  pour  la  nourriture  des  troupeaux. 

Au  Nord  de  la  Medjerda  s'étend  une  vaste  région  montagneuse  dont 


—  232  - 

les  points  culminants  sont  :  le  Djebel-Arar,  leDjebel-Guesna,  le  Djebel- 
Tehenot  et  le  Djebel-Smadah  et  Monchar.  Ces  massifs  montagneux 
sont  sensiblement  parallèles  à  la  ligne  du  chemin  de  fer  de  Bône  à 
Tunis,  enserrant  par  leurs  contreforts  des  plaines  étroites,  formées  de 
petits  bassins,  ils  viennent  se  jeter  pour  la  partie  méridionale  dans  la 
Medjerda  qui  va  à  la  mer  par  l'Oued-Zergua,  Medjez-el-Bab,  Tébourba- 
Djedeida  et  Rhar-el-Melah  où  elle  se  jette  dans  la  mer. 


Hydrographie. 

Le  régime  des  eaux  de  cette  contrée  a  beaucoup  d'analogie  avec 
celui  de  l'Algérie. 

Dans  la  région  parcourue,  il  n'y  a  pas,  à  proprement  parler,  de  cours 
d'eau  méritant  la  dénomination  de  fleuve,  à  l'exception  de  la  Medjerda, 
dont  l'étude  ne  nous  incombe  pas  entièrement.  Nous  décrivons  tout 
d'abord  ses  affluents  de  gauche  : 

1°  L'Oued-Béja ,  qui  prend  naissance  à  la  chaîne  de  montagnes  du 
Djebel-Ed-Dharghougri  au  Nord  de  Béja ,  coule  du  Nord  au  Sud  ,  du 
Sud  à  l'Est,  puis  de  l'Est  au  Sud;  il  va  se  jeter  dans  la  Medjerda,  tout 
près  de  la  gare  de  Béja.  Son  bassin  est  formé  paf  les  pentes  Nord,  Est 
et  Ouest  des  montagnes  environnantes. 

Il  reçoit  sur  sa  gauche  une  multitude  de  petits  affluents  dont  le  nom 
nous  est  inconnu,  ayant  toutes  les  formes  de  crevasses  assez  pro- 
fondes, aux  pentes  presque  à  pic  et  une  longueur  qui  varie  entre  cinq  et 
dix  kilomètres.  Plusieurs  d'entre  eux  donnent  peu  d'eau  pendant  l'été, 
et  sont,  au  contraire,  très  abondants  ,  pendant  la  saison  des  pluies. 

Le  débit  de  l'Oued-Béja  est  en  moyenne  de  30  à  iO  litres  par  seconde, 
il  est  presque  guéable  sur  tout  son  parcours  et  son  fond  est  tantô.^ 
sablonneux  ou  rocheux.  Sa  longueur  est  de  25  à  28  kilom.  Arrivé  au 
chemin  de  Medjez-el-Bab,  il  s'élargit  et  coule  presque  en  plaine 
jusqu'à  la  Medjerda  où  il  se  jette. 

L'Oued-Kessob  (rivière  des  roseaux  ;  voir  le  croquis  de  l'itinéraire 
de  Béja  à  Souk-el-Tnin)  prend  sa  naissance  par  plusieurs  têtes  de 
ravins  d'abord,  et  porte  le  nom  de  Oued-Bou-Hail ,  dans  le  massif  de 
Souk-el-Tnin  ,  puis  ensuite  il  est  grossi  par  un  affluent  de  droite ,  qui 
prend  sa  source  près  du  douar  Sidi-Saïd  ,  arrivé  à  ce  point,  il  prend 
le  nom  d'Oued-Kessob ,  puis  de  nouveaux  affluents  des  sources  Aïn- 
Omeiran  grossissent  son  cours  à  hauteur  du  Khanguel-el-Feama. 


-  233  - 

Affîuents  de  gauche,  —  Les  affluents  de  gauche  sont  au  nombre  de 
trois  :  1°  le  Khanguet ,  qui  prend  naissance  dans  le  massif  du  Khan- 
guet  et  des  Ouled-Berhim  ,  et  suit  une  direction  Nord  -Sud  ,  se  jette 
dans  rOued-Kessob  ; 

2°  Le  ruisseau  d'El-Fehama ,  qui  coule  du  Nord  au  Sud  et  se  jette 
dans  rOued-Kessob  ; 

3"  Le  ruisseau  El-Gueriah  ,  qui  prend  naissance  au  massif  du  Khan- 
guet, coule  du  Nord  au  Sud  et  se  jette  dans  l'Oued-Kessob ,  après  un 
parcours  de  10  à  12  kilom.  environ.  Arrivé  à  la  hauteur  d'El-Guériah, 
'Oued-Kessob  coule  du  Nord  au  Sud  ,  traverse  le  chemin  de  fer  à  12 
kilom.  environ  de  Souk-el-Kremis  et  va  se  jeter  dans  la  Medjerda. 
Son  cours  est  d'environ  38  kilom.  Son  fond  est  rocailleux.  Les  berges 
dans  la  partie  supérieure ,  sont  parfois  à  talus  assez  raides ,  et  il  est 
souvent  impossible  de  le  traverser  à  gué  à  l'entrée  du  défilé  du  Khan- 
guet. 11  est  arrivé  plusieurs  fois  que  des  convois  ou  des  détachements 
venant  d' Aïn  -  Draham  ,  ont  été  obligés  d'attendre  pendant  plusieurs 
jours  que  les  eaux  aient  diminué,  pour  pouvoir  le  traverser.  Cette 
rivière  est  très  poissonneuse,  comme  on  va  le  voir. 

Pendant  les  mois  de  mai  et  de  juin  1883 ,  la  compagnie  avait  été 
chargée  de  rendre  le  chemin  (lisez  sentier)  de  Béja  à  Souk-el-Tnin , 
accessible  aux  voitures.  Ce  travail  était  assez  difficile  dans  un  pays 
aussi  accidenté  et  surtout  avec  les  moyens  dont  disposait  le  détache- 
ment. Néanmoins,  les  hommes  se  livraient  assez  volontiers  à  ce  genre 
d'exercice.  En  dehors  de  leurs  occupations  journalières,  quelques-uns 
d'entre  eux  se  livraient  à  la  pêche  avec  succès,  ils  apportaient  au  camp 
du  détachement  une  quantité  assez  considérable  de  poissons  (de  20  à 
30  kilog.),  d'une  qualité  inférieure,  il  es  vrai  ,  néanmoins  ,  c'était  pour 
eux  une  amélioration  apportée  à  leur  nourriture  journalière  habituelle. 

C'est  aussi  un  pays  très  très  giboyeux  ,  l'auteur  se  livrait  assez  faci- 
lement au  plaisir  de  la  chasse ,  il  était  aussi  facile  de  rapporter  des 
perdreaux  ou  colombes  que  du  poisson.  Une  heure  et  même  une  demi- 
heure  ,  suffisait  pour  tuer  six  ou  huit  perdreaux ,  et  même  sans  se 
déranger  de  table,  l'auteur  a  tué  deux  perdreaux  et  quatre  tourterelles. 
Il  y  a  lieu  de  remarquer  que  nous  nous  trouvions  campés  en  plein  air, 
à  proximité  de  broussailles  et  de  haies  de  cactus. 

Le  pays  renferme  une  assez  grande  quantité  de  belles  sources.  Il  est 
aussi  sillonné  par.  des  cours  d'eau.  Les  vallées  qu'ils  arrosent ,  sont 
séparées  par  des  plateaux  recouverts  en  partie  de  pâturages  pour  la 
nourriture  des  troupeaux. 


-  234  - 


Végétatiou.  —  Es!>;euceM  crarbrci^  .   bol»  et  foret». 

Les  essences  feuillues  sont  bien  moins  abondantes  dans  cette  région 
que  dans  la  région  de  Zaghouan.  La  végétation  dépend  .  en  grande 
partie.,  de  la  nature  du  sol  et  de  l'abondance  de  l'eau. 

Le  long  du  cours  de  l'Oued-Kessob,  on  trouve  sur  les  rives  des  lau- 
riers (roses)  en  abondance .  ils  sont  si  épais  dans  certains  parages 
qu'il  est  impossible  d'y  circuler  à  cbeval.  Les  autres  arbustes,  tels  que 
le  mélèze,  le  caroubier  ,  l'olivier  sauvage  .  le  thuya  ,  le  lentisque  ,  sont 
excessivement  rares. 

Il  n'y  a,  à  proprement  parler,  pas  de  forêts  ni  de  bois. 

Il  en  est  de  même  le  long  de  l'Oued-Béja  ,  à  moins  de  donner  l'une 
de  ces  appellations  aux  broussailles  qui  couvrent  les  flancs  des  mon- 
tagnes. Dans  les  environs  de  Béja,  il  y  a  quatre  bosquets  d'oliviers  qui 
servent  pour  ainsi  dire  à  indiquer  les  quatre  points  cardinaux. 


Climat. 

Le  climat  de  la  région  parcourue  est  généralement  insalubre,  mais 
aussi  la  température  est  très  mobile  ;  le  thermomètre  varie  à  peu  près 
de  ()  degrés  en  hiver  à  -i-  42  et  même  14  degrés  à  l'ombi-e  en  été 
(journées  du  11  et  12  juin.  àBéja-camp  et  au  camp  de  l'Oued -Kessob.) 

Les  pluies  ne  sont  pas  réparties  entre  les  diverses  saisons  :  des 
pluies  diluviennes,  des  vents  d'une  très  grande  violence  régnent  pen- 
l'hiver  et  même  une  partie  de  l'été.  Il  est  arrivé  (en  1882  et  1883^ 
plusieurs  fois  ,  au  camp  de  Béja,  que  des  ouragans  terribles,  renver- 
saient tout  sur  leur  passage.  Des  toitures  entières  .  recouvrant  les 
baraques  de  la  troupe  ou  celles  des  officiers ,  ont  été  enlevées.  Pour 
remédier  à  cet  état  de  chose  v  des  mesures  de  précaution  avaient  été 
prises  à  ce  sujet.  Des  pierres,  d'un  certain  poids  ,  avaient  été  placées 
sur  le  faîte  et  le  bas-côté  des  baraques.  Des  espèces  de  câbles  en  fil  de 
fer  reliaient  la  toiture  au  sol ,  à  seule  fin  d'en  augmenter  la  solidité. 

Certaines  années,  il  tombe  même  de  la  neige  sur  les  massifs  monta- 
gneux des  environs,  voire  même  à  Béja ,  le  18  avril  1883.  Il  est  vrai 
que  c'était  une  année  exceptionnelle ,  au  dire  des  Arabes ,  car  ils 


-  235  — 

prétendaient  que  ,  de  mémoire  d'homme  ,  ils  n'avaient  eu  de  la  neige 
à  Béja. 

La  transition  entre  l'hiver  et  l'été  est  à  peine  sensible  ;  quant,  à  l'au- 
tomne ,  il  s'annonce  souvent  par  des  pluies  torrentielles  qui  permettent 
aux  Arabes  de  commencer  à  labourer.  Les  labours  souffrent  du  relard 
dans  les  pluies ,  et  la  croissance  de  l'herbe  dos  pâturages  est  alors 
lente.  La  question  des  pluies  est  donc  capitale  pour  la  prospérité  de  ce 
pays  ,  la  richesse  de  ses  habitants  résidant  surtout  dans  la  culture  et 
l'élevage  des  troupeaux. 


!^ource!<t  et  puit^.  —  Eau^  putalilcs. 

Toute  la  région  qui  s'étend  au  Nord  de  Béja  .  possède  des  eaux  bien 
meilleures  et  plus  abondantes  que  la  contrée  Sud  de  ce  point.  Dans  la 
région  Nord,  on  trouve  une  quantité  de  sources  d'eau  excellente,  four- 
nissant un  rendement  suffisant  pour  approvisionner  les  habitants  et  les 
caravanes  ,  mais  en  revanche  on  y  rencontre  moins  de  culture  ,  parce 
que  l'eau  n'est  pas  utilisée  à  l'irrigation  des  terres.  Il  est  vrai  de  dire 
que  l'on  pourrait  aisément  améliorer  sensiblement,  sous  tous  les 
rapports  ,  le  rendement  des  sources,  rien  qu'en  les  aménageant  et  en 
les  captant. 

La  partie  Sud  de  Béja ,  comprise  entre  l'Oued-Zergua  à  l'Est ,  la 
Medjerda  au  Sud  et  l'Oued-Kessob  à  l'Ouest,  est  loin  d'être  aussi  favo- 
risée sous  le  rapport  de  l'eau  potable.  11  est  arrivé  en  1881,  au  moment 
de  l'expédition  de  Tunisie,  que  la  plupart  des  troupes  qui  se  trouvaient 
de  passage  ou  campées  sur  la  ligne  de  Bône-  Guelma  ,  étaient  privées 
d'eau  potable.  Pour  remédier  à  cet  inconvénient ,  l'autorité  avait  été 
obligée  de  donner  des  ordres  pour  faire  transporter  à  Béja  et  autres 
lieux,  l'eau  nécessaire  au  ravitaillement  de  la  troupe.  L'eau  était  prise  à 
Tunis,  puis  transportée  dans  des  wagons-réservoirs  jusqu'à  destina- 
tion, puis  déposée  dans  une  citerne  de  la  gare  de  Béjà.  De  là  ,  elle  était 
distribuée  à  la  troupe,  mais  pas  en  quantité  suffisante.  On  éprouvait  de 
grandes  difficultés  pour  s'en  procurer  à  volonté. 

Dans  la  région  du  Sud,  l'eau  contient  généralement  du  sel,  exemple  : 
l'eau  de  la  Medjerda  ,  d'autres  rivières  ou  ruisseaux  contiennent  de  la 
magnésie.  Cependant ,  il  est  à  remarquer  qu'aucun  des  puits  de  cette 
région  ne  contient  d'eau  amère  ,  que  ,  par  suite  ,  tous  les  puits  situés 


—  236  — 

dans  la  région  Sud  ,  peuvent  servir  à  abreuver  le  bétail ,  et  que  les 
cliameaux  et  même  les  chevaux  boivent  volontiers  l'eau  de  ces  puits 
ainsi  que  l'eau  de  la  Medjerda. 
Voici  quelques  échantillons  d'eaux  analysées  par  M.  Moissonier  : 

Bèja.  —  Eau  du  puits  du  Bardo.  Limpide ,  aéré.  Saveur  agréable , 
oileur  nulle; — l'analyse  chimique  décèle  11  centigrammes  de  résidu 
par  litre  ,  ce  qui  est  une  excellente  proportion.  Ce  résidu  se  compose 
surtout  de  bicarbonate  de  chaux  ,  dont  la  présence  rend  l'eau  disges- 
tible  et  agréable.  11  n'y  a  que  des  traces  de  sulfate  de  cliaux  et  de 
matière  organique.  C'est  là  une  eau  excellente  sous  tous  les  rapports. 

Souk-Ahras.  —  Saveur  désagréable.  —  Résidu  par  litre  :  95  centi- 
grammes (cette  proportion  est  beaucoup  trop  forte.  Elle  ne  dépasse  pas 
30  centigrammes  par  litre  dans  les  eaux  de  bonne  qualité).  —  Matières 
organiques  environ  25  centigrammes  par  litre.  Cette  proportion  est 
considérable.  —  Cette  eau  est  très  mauvaise  et  doit  occasionner  des 
accidents. 

Fernana.  —  (  Camp  Carthaginois  ) ,  odeur  désagréable.  —  Résidu 
par  litre  :  20  centigrammes.  —  Matières  organiques  en  décomposition  ; 
quantité  très  appréciable.  La  présence  de  ces  matières  organiques  et 
l'odeur  désagréable  lorsqu'elles  sont  en  putréfaction,  rendent  cette  eau 
très  suspecte.  On  constate  parmi  les  hommes  du  7"  chasseurs  et  du  83® 
qui  en  font  usage,  de  nombreux  cas  de  dian*hée  ;  immédiatement ,  sur 
le  rapport  du  médecin  du  7^  chasseurs .  le  commandant  supérieur  en 
interdit  l'usage. 

S'il  n'y  avait  pas  eu  moyen  de  s'en  procurer  d'autre  ,  on  n'aurait  pu 
l'améliorer  que  par  l'ébullition  et  le  filtrage  avec  charbon ,  après 
refroidissement. 


Population. 

La  pcqnilalion  du  territoire  que  nous  avons  parcouru .  est  peu 
dense  :  le  pays  est  en  pleine  décadence  depuis  la  domination  turque, 
et  la  mauvaise  administration  des  derniers  beys  est  une  des  causes 
sérieuses  de  la  dépopulation. 

La  population  est  incontestablement  bien  inférieure  à  ce  que  l'on 


-  2:s7  — 

rapporte  des  temps  passés  ;  plusieurs  causes  ont  contribué  à  cette 
décadence  ,  et  voici  les  principales  :  1"  les  exactions  administratives  de 
toutes  espèces;  2"  les  maladies  épidémiques  ;  3"  climat  malsain.  L'émi- 
gration qui  s'est  produite  au  début  de  l'expédition  en  1881.  Les 
renseignements  fournis  au  gouvernement  beylical  par  les  chefs  indi- 
gènes sont  loin  d'être  vrais.  Il  s'en  suit  donc  qu'il  est  fort  difficile  de 
pouvoir ,  même  approximativement ,  donner  le  chiffre  de  la  population, 
de  l'ensemble  des  douars  faisant  partie  du  cercle  de  Béja.  Du  reste  ,  il 
n'est  pas  nécessaire  de  posséder  ce  renseignement ,  qui ,  à  mon  avis  , 
est  sans  importance.  Il  suffira  au  lecteur  de  savoir  que  la  population 
générale  de  la  Tunisie  s'élève  à  1,200,000  habitants,  d'après  les  ren- 
seignements qui  m'ont  été  fournis  par  la  Résidence ,  il  y  a  environ 
quatre  ou  cinq  mois. 

Quant  à  la  population  de  la  ville  de  Béja  ,  il  est  beaucoup  plus  facile 
de  s'en  rendre  compte  à  peu  près  exactement.  Voici  la  décomposition 
par  catégorie  d'individus  et  le  nombre  de  chaque  nationalité  : 

Population  totale 1 .585 

I   Arabes 1.300 

Juifs 90 

Dont.....;  Maltais 80 

Italiens 70 

Français 45 

A  part  la  ville  ou  plutôt  le  village  de  Déjà  ,  il  n'y  a  aucune  agglo- 
mération méritant  l'attention.  La  partie  du  territoire  traversé ,  ne 
comprend  guère  que  deux  tribus  :  les  Amdun  et  les  Ouchtetas. 


Production  du  sol. 

Le  sol  produit  toutes  les  espèces  de  céréales.  Les  vergers ,  trop 
rares  malheureusement ,  renferment  à  peu  près  tous  nos  arbres  frui- 
tiers :  amandiers,  abricotiers,  pêchers,  poiriers,  pommiers,  pruniers, 
cerisiers,  cognassiers,  et  ceux  du  pays,  tels  que  grenadiers,  jujubiers, 
citronniers,  orangers,  figuiers.  Tous  ces  arbres  sont  de  belle  venue  , 
principalement  les  figuiers  ,  ils  produisent ,  selon  l'espèce ,  des  figues 
blanches  ou  noires.  Enfin ,  il  faut  citer  les  figuiers  de  Bai^baiùe  ou 


—  238  — 

cactus,  que  l'on  trouve  disposés  soit  en  ligne  parallèles  ,  soit  en  haies  : 
le  fruit ,  liérissè  et  piquant ,  fait  la  nourriture  d'un  grand  nombre  de 
familles  pendant  l'été. 

Les  vergers  produisent  encore  des  melons ,  pastèques  ,  tomates , 
piments  ,  etc. ,  etc. 

Les  quelques  vergers  que  nous  avons  rencontrés  ,  sont  placés  près 
d'eau  courante,  qui  en  permet  l'irrigation  laquelle,  à  son  défaut,  se  fait 
au  moyen  de  norias  assez  primitifs. 

L'olivier  n'abonde  pas  dans  cette  contrée  ,  pas  plus  que  les  autres 
essences  d'arbres.  Il  est  assez  difficile  de  se  procurer  du  bois  de 
chauffage,  car  il  n'en  existe  pas  à  proximité  du  camp. 

En  1882  et  1883,  le  fournisseur  de  la  troupe  était  obligé  d'aller 
jusqu'à  rOued-Zergua  chercher  du  bois  de  chauffage ,  de  le  faire 
transporter  par  le  chemin  de  fer  jusqu'à  la  gare  de  Béja.  De  la  gare  , 
il  était  ensuite  transporté  au  camp  au  moyen  de  voitures  à  deux  roues 
ou  arabas,  conduits  par  des  arabes  ou  des  maltais. 

Les  essences  feuillues  font  à  peu  près  complètement  défaut  dans  les 
environs  qui  se  trouvent  à  proximité  de  Béja.  Presque  partout 
en  est  dépourvu. 


Agriculture.  —  Induiiitrle.  —  ComiMerce. 

Le  sol  est  loin  d'avoir  la  fécondité  de  l'ancienne  Afrique  romaine,  et 
ceci  pour  plusieurs  raisons  :  1**  les  Arabes  livrés  à  eux-mêmes,  non  seule- 
ment ils  n'ont  fait  aucun  progrès  ,  mais  ils  ont  perdu  les  traditions  des 
procédéis  de  culture  des  temps  passés.  L'administration  imprévoyante 
des  gouvernements  qui  se  sont  succédé  depuis  l'invasion  musulmane , 
n'a  pas  su  conserver  ou  développer  des  systèmes  d'irrigation  capables 
de  donner  sur  certains  ponits  une  grande  fertilité  ;  —  2"  aucun  procédé 
moderne,  actuellement  en  usage  en  France  et  à  l'Etranger ,  n'a  été 
mis  en  pratique  par  les  Arabes  ou  Tunisiens;  —  Us  se  contentent  de 
gratter  le  sol  tant  bien  que  mal,  puis  ils  répandent  le  grain  sur  la  terre 
ainsi  labourée,  sans  se  préoccuper  du  reste.  Je  n'ai  jamais  vu  un  arabe 
cultiver  la  terre  avec  goût  ;  quoiqu'il  en  soit ,  le  sol  produit  toutes  les 
céréales. 

Les  travaux  agricoles  commencent  à  l'époque  des  pluies,  vers  la  mi- 
octobre  ,  par  le  fromejit  et  les  fèves  ,  ils  continuent  en  novembre  par 


—  239  — 

l'orge  elles  poi.s  duchés.  La  récolte  se  fait  en  juin  pour  l'orge,  et  fin 
juillet  pour  le  ironienl  ;  on  cultive  surtout  le  blé  dur.  Le  grain  rend  , 
en  moyenne,  de  8  à  il,  dans  les  meilleures  récoltes,  ou  dans  les  terres 
les  mieux  cultivées.*  la  moyenne  s'élève  jusqu'à  14  et  même  17. 

Les  Tunisiens  ne  battent  pas  le  grain  :  ils  le  foulent  sous  les  pieds 
des  chevaux  ou  des  mulets  sur  des  aires  battues  et  recouvertes  de  terre 
glaise  ou  de  fiente  de  vache. 

La  paille  en  sort  brisée  et  constitue  le  teben  ;  elle  est  entassée  sur 
Taire  même  et  couverte  pour  les  besoins  de  l'hiver.  Ils  vannent  le 
grain  en  le  jetant  en  l'air  à  la  pelle,  à  l'opposé  du  vent,  et  ils  le  con- 
servent dans  des  silos  qui  leur  tiennent  lieu  de  grenier. 

La  culture  des  terres  et  la  répartition  des  récoltes  se  font  de  la 
manière  suivante  : 

On  appelle  zouidja ,  l'espace  de  terre  que  peut  labourer  une  paire 
de  bœufs.  Les  propriétaires  emploient  des  khammès  :  ils  leur  four- 
nissent le  cheptel  et  la  semence,  les  khameafont  les  travaux  et  gardent 
pour  leur  salaire  le  cinquième  de  la  récolte.  Leur  nom  de  khannnès, 
vient  du  mot  «  khamsa  »  qui  veut  dire  cinq. 


Industrie. 


L'industrie  peut  être  considérée  comme  nulle  à  peu  près. 

Il  y  a  cependant  dans  l'intérieur  de  la  ville  de  Béja  quelques  rares 
ateliers  et  des  plus  primitifs  .  où  l'on  fabrique  des  epèces  de  sabots 
sculptés.  Ils  sont  en  bois  d'olivier  ou  de  caroubier  ;  une  espèce  de 
bride  en  cuir  garnie  de  laine  sert  à  fixer  le  pied  sur  le  corps  du  sabot. 
Cette  espèce  de  chaussure  assez  coquette,  est  portée  par  les  femmes 
des  arabes  qui  ont  une  certaine  fortune.  Le  prix  d'achat  est  de  trois  à 
cinq  francs  la  paire  et  connue  à  Tunis  sous  le  nom  de  «  babouches  d'El- 
Baja  >.  Les  ouvriers  peuvent  gagner  1  fr.  50  par  jour  pour  ce  travail. 
Quant  aux  femmes  ,  il  y  en  a  quelques-unes  qui  se  livrent  à  la  confec- 
tion de  burnous  ou  de  fiidjs  (tentes)  pour  *les  besoins  de  leur  famille. 

A  part  la  vente  des  grains,  qui  est  assez  considérable  ,  le  commerce 
est  à  peu  près  nul. 

Le  bétail  est  généralement  d'une  qualité  médiocre,  le  bœuf  surtout  ; 
on  emploie  celui-ci  comme  bête  de  L>bour.  En  revanche,  il  y  a  de  forts 
beaux  uîoutoiis  ;  ils  sont  très  rencjmmés  comme  qualité  de  viande. 


_  iAO  — 

Le  mouton  appartient  à  la  race  à  queue  large  et  graisseuse.  Le  prix 
d'achat  n'est  réellement  pas  élevé.  L'auteur  a  acheté  de  superbes 
moutons,  pesant  de  20  à  28  kilog.,  pour  la  somme  de  6  à  7  francs.  Ces 
moutons  étaient  destinés  à  l'ordinaire  de  la  compagnie. 

Les  volailles  sont  de  petite  venue  et  assez  médiocres,  il  est  vrai  que 
le  prix  d'achat  est  bien  moins  élevé  qu'en  France.  En  1882  et  1883 , 
pour  la  somme  de  1.50  à  2  francs,  on  se  procurait  d'assez  bonne  volaille 
à  raison  de  0.75  à  1  franc  la  pièce. 


Chemlii  de  fer.  —  Voles  de  couiiuunlcatlon. 

Le  cercle  de  Béja  est  traversé  par  le  chemin  de  fer  de  Bône  à  Tunis, 
ayant  un  développement  total  de  354  kilom.  En  partant  de  Bône  à 
5  heures  du  matin,  on  arrive  à  Tunis-ville  à  8  heures  du  soir  et  réci- 
proquement. Le  trajet  s'opère  en  passant  par  les  principaux  points , 
tels  que  Bône  ,  Duvivier,  Souk-Ahras  ,  Ghardimaou,  Souk-el-Arba  et 
Tunis.  Prix  des  places  :  1"',  39  fr.  65  ;  2«,  30  fi-.  10  et  3^  21  fr.  25. 

Les  voies  de  communications  ne  sont  pas  nombreuses.  Avant  l'arri- 
vée.des  Français  en  Tunisie,  il  n'en  existait  aucune  dans  cette  région. 
En  1882  et  1883.  certaines  modifications  ont  été  apportées.  Les  troupes 
ont  été  employées  à  la  construction  des  routes  du  campàBéja-ville.  De 
Béja-ville  à  la  gare,  un  tracé  avait  été  fait  par  les  soins  du  génie,  mais 
ce  travail  n'a  jamais  été  achevé  depuis.  En  1883 ,  le  92"  avait  été 
chargé  de  construire  un  chemin  de  Béja -camp  à  Souk-el-Tnin  (voir 
l'itinéraire). 

L'entretien  des  routes  et  des  chemins  est  complètement  nul  dans  la 
partie  du  territoire  que  nous  avons  eu  à  parcourir ,  et  nous  croyons 
qu'il  en  est  de  même  partout  ou  à  peu  près  dans  toute  la  Régence , 
excepté  dans  les  environs  de  Tunis  et  de  Aïn-Draham  où  des  routes 
ont  été  construites  par  le  corps  d'occupation. 

V.  DURAFFOURG. 


SOUK-  EL     TNfN, 

'-  FehâmaL. 


/ 


C9 


K.R  R 


che. 


EJA 


des  Environs  de  BEJA 
^j.leCê.piUine    DuRAFFOURC 

LÉGENDB: 

Chef  heù.  deDivision. 
m  fosh  occupé  mihUirement 
q   Cite  d'étape 

limilidii  cerdfde  Beja  j 


,^^^'^'-'''' 


Bizerte 


. .  Chemins fimcipam  ^ 

Chemin  iJer  ^'-, 


baiBecltii 


des  Environs  dé 
ir  ]e  CcipiUine   D^erte 

LÈGENL 
Chef-he,  d.4^^^^ 

^  Fûsle  occupé  m. 
p    Cite  d'étape 

-  Roules  c3  iras  sali 

limite  da  cercle  de 

■ — --S  Chemins pnncip. 

_  Télégraphe 
'"   ■■"        °  .,      ïnBJilè. 

EiiiBoisB''Broii5saiIles  X'^ 

Chemin  dJei-         JOnrouba 

esch 


tl-Meldk 


ITINERAIRE    DE     BEJA     A     SOUK    EL  -TN/N. 

par  It  Khan^net-el-  Fehama.. 


RR  Ruines  romaines 
"■«  Limites. 

Echelle  âu         ^ 

100,000 


EJA 


—  Mi  — 


NOUVELLES  ET  FAITS  GEOGRAPHIQUES 


I.  —  Géographie  scientifique.  —  Explorations  et  découvertes. 


EUROPE. 


Fraace.  —  Commission  centrale  des  services  géographiques.  —  Le  ministre 
de  rinstructiou  i^ubliquo  ,  sur  le  vœu  émis  par  le  Congrès  des  Sociétés  françaises  de 
géographie ,  vient  de  créer  une  Commission  centrale  des  services  géographiques , 
dans  laquelle  entreront  des  représentants  de  tous  les  ministères  et  des  principales 
Sociétés  de  géographie. 

Enseignement  de  la  géographie  scientifique.  —  Le  20  novembre  a  eu  lieu  à  la 
Sorbonne  l'inauguration  de  la  chaire  de  géographie,  physique  ,  récemment  créée.  Le 
titulaire  est  M.  Vélain,  maître  de  conférences  de  géologie  à  la  Faculté  des  sciences 
de  Paris,  qui  a  fait  partie  de  plusieurs  missions  scientifiques. 

Nouvelle  Société  de  Géographie.  —  Une  Société  de  géographie  vient  de  se 
constituer  à  Toulon,  sous  la  présidence  d'honneur  de  M.  l'amiral  Krantz ,  préfet 
maritime ,  et  la  vice-présidence  d'honneur ,  de  M.  le  Maire  de  Toulon.  Voici  la 
composition  du  Bureau  : 

Président  :  M.  Wendeling,  colonel  d'infanterie  de  marine  en  retraite  ; 

Secrétaire-général  :  M.  GensoUen,  avocat  ; 

Secrétaire-adjoint  :  M.  Guillebert,  avocat  ; 

Archiviste- trésorier  :  M.  Chabaud,  négociant. 


liCs  ucg;oclatious  pour  le  percement  des  Pyrénées  orien- 
tales. —  M.  Georges  de  Frézals  écrit  à  ce  propos  à  la  Société  de  géographie 
commerciale  de  Paris  : 

«  L'influence  des  voies  internationales  est  grande  sur  le  développement  des 
relations  commerciales  et  sur  l'affermissement  des  liens  de  solidarité  et  d'amitié. 

Jusqu'à  ce  jour,  nous  ne  communiquons  avec  l'Espagne  que  par  deux  voies,  et 
deux  voies  ferrées ,  qui  bordent  l'une  l'Océan,  l'autre  la  Méditerranée.  Elles  sont 
placées  aux  deux  extrémités  de  la  grande  muraille  des  Pyrénées  ;  mais  cette  muraille 
n'est  pas  encore  percée. 

Dès  1864,  dans  des  conférences  techniques  internationales,  MM.  Eusebio  Page, 
ingénieur  espagnol,  et  Decomble,  ingénieur  français,  reconnaissaient  mutuellement 
l'utilité  de  chemins  de  fer  destinés  à  unir,  le  plus  et  le  mieux  possible  :  d'une  part, 
Paris  et  le  Midi  de  la  France  à  Madrid  et  au  Nord  de  l'Espagne  ,  et  d'autre  part, 

17 


—  242  — 

Paris  et  la  France  à  Oran  et  à  l'Algérie.  Dès  1865,  le  ministre  des  Travaux  publics 
de  France  instituait  un  service  d'étude  de  toutes  les  grandes  vallées  pyrénéennes 
qui  aboutissent  k  la  frontière  espagnole.  Une  quinzaine  de  tracés  ont  été  proposés 
parmi  lesquels  je  ne  citerai  que  celui  des  Aldudes,  de  Bayonne  à  Pampelune,  trop  à 
rOuest  pour  avoir  pu  être  pris  en  sérieuse  considération. 

Depuis  1871 ,  dans  nos  départements  du  Midi,  les  populations ,  la  presse ,  des 
Sociétés,  des  municipalités,  des  Chambres  de  commerce ,  des  Conseils  généraux  — 
celui  de  la  Haute- Garonne  ,  notamment  —  et  le  Congrès  national  des  Sociétés  fran- 
çaises de  géographie,  tenu  à  Bordeaux,  en  1882,  s'en  sont  préoccupés.  Des  rivalités 
locales  s'élevaient,  violentes  des  deux  côtés  des  monts. 

Pour  y  mettre  fin  ,  les  deux  gouvernements  ont  nommé  en  1884,  une  Commission 
internationale  dont  les  membres  étaieiit  : 

Pour  V Espagne  : 

MM.  Julio  de  Arellano,  premier  secrétaire  d'ambasade  ; 
Juan  de  Velasco  y  Fernandez  de  la  Cuesta  ; 
Le  général  marquis  de  Villa  Antonia; 
José  Alvarez  y  Nunez,  inspecteur  général  des  ponts  et  chaussées; 

Pour  la  France  : 

MM.  de  Montholon,  conseiller  d'ambassade; 
Le  général  Paucellier  ; 
Croizette-Dunoyer ,  inspecteur  général  des  ponts  et  chaussées. 

C'est  ce  dernier  qui  a  été  élu  président  de  la  Commission. 
Cinq  tracés  ont  été  étudiés  : 

A  l'Est  :  un  tracé  passant  par  les  vallées  du  Salât  et  du  Noguera  Pallaresa. 
Un  tracé  passant   par  les  vallées   de   la   Garonne  supérieure   et   du    Noguera 
Pallaresa. 

A  l'Ouest  :  un  tracé  par  les  vallées  de  la  Neste,  d'Aure  et  du  Cinca. 

Un  tracé  par  les  vallées  d'Aspe  et  du  rio  Aragon. 

Un  tracé  par  les  vallées  du  Saison  et  du  Roncal. 

A  la  suite  de  ces  études,  les  commissaires  que  je  vous  ai  cités  ont  signé  à  Madrid, 
le  13  février  1885,  une  convention  provisoire  par  laquelle  deux  tracés  ont  été  et  sont 
adoptés  : 

A  l'Est,  celui  du  Salât  et  du  Noguera  Pallaresa  ;  appelons-le  désormais  plus 
simplement  :  le  Noguera-Pallaresa. 

A  VOuest ,  celui  dAspe  et  du  rio  Aragon  ;  appelons-le  ici  comme  en  Espagne  :  le 
Canfranc. 

Les  deux  grandes  lignes  internationales  à  exécuter  sont  donc  : 

Celle  de  Saint-Girons  à  Lérida,  par  le  Noguera-Pallaresa. 

Celle  d'Oloron  à  Huesca,  par  Canfranc. 

11  y  avait,  Messieurs,  une  ligne,  celle  du  Roncal,  qui  nous  était  plus  avantageuse 
que  celle  de  Canfranc. 

La  distance  totale  de  Paris  à  Madrid  par  Hendaye  étant  actuellement  de  1,452 
kilomètres ,  elle  sera  par  Canfranc  de  1,434  kilomètres,  et  elle  aurait  été  parle 
Roncal  de  1,288  kilomètres. 

Le  tunnel  de  faîte  sera  pour  le  Canfranc  de  8  kilomètres  ,  avec  des  altitudes  de 
1,070  et  1,262  mètres  ,  et  il  aurait  été  pour  le  Roncal  de  4  kilomètres  200,  avec  des 
altitudes  de  890  et  946  mètres. 


—  •Î4::5  - 

Les  dépenses  de  la  France  pour  le  CanlVanc  seront  d'environ  56  millions  et  elles 
auraient  été  pour  le  Roncal  d'environ  38  millions  ,  —  18  millions  de  moins. 

Les  n^cettes  immédiates  prévues  en  France  pour  le  Canfranc  sont  de  16,000  francs 
par  kilomètre ,  et  elles  étaient  pour  le  Roncal  de  29,000  francs. 

Les  recettes  à  venir  prévues  en  France  sont  pour  le  Canfranc  de  22,000  francs 
par  kilomètre,  et  elles  étaient  pour  le  Roncal  de  40,000  francs. 

Le  génie  militaire  espagnol  s'étant  formellement  opposé  au  Roncal,  la  France,  afin 
d'obtenir  la  ligne  de  Paris  à  Carthagène  par  Toulouse  ,  Saint-  Girons  et  Lérida  ,  a 
accepté  celle  de  Madrid  à  Paris  par  Saragosse,  Huesca  et  Oloron. 

La  convention  internationale  stipule  que  ces  deux  lignes  seront  exécutées  simul- 
tanément dans  les  deux  pays  et  qu'elles  seront  achevées  dans  un  délai  de  dix 
années  à  dater  de  l'approbation  de  la  Convention  internationale  par  les  Certes  et 
par  nos  Chambres. 

Chez  nous,  les  deux  lignes  doivent  être  exécutées  par  l'État.  Elles  sont  comprises 
dans  les  conventions  de  1883.  L'Etat  est  donc  chargé  de  construire  17  kilomètres 
de  voie  de  Saint-Girons  à  Seix,  et  25  kilomètres  d'Oloron  à  Bedoux  ,  et  en  outre  les 
voies  de  raccordement  aux  tètes  de  tunnel. 

La  ligne  de  Toulouse  à  Lérida  par  Saint-Girons  et  Seix  constituera  le  tronçon  de 
raccordement  d'une  ligne  directe  de  Paris  à  Carthagène,  la  plus  rapide.  Messieurs, 
pour  atteindre  l'Algérie.  Carthagène  n'est  qu'à  six  heures  d'Oran ,  et  c'est  une 
traversée  presque  toujours  excellente. 

La  dépense  totale  des  deux  lignes,  en  y  comprenant  le  prix  des  ouvrages  défensifs 
exigés  par  notre  génie  militaire  ,  peut  être  évaluée  pour  la  France  à  plus  de  100 
millions.  N'oublions  pas ,  Messieurs ,  que ,  d'après  la  Convention  internationale , 
l'exécution  de  ces  deux  lignes  doit  être  simultanée. 

Avant  la  Convention  internationale,  l'Espagne  avait  concédé  une  ligne  de  Canfranc 
qui  n'a  pas  été  étrangère  à  la  solution  définitive,  et  cette  ligne  avait  été  inaugurée 
par  le  roi  Alphonse  XII,  alors  que  M.  Albareda  ,  actuellement  ambassadeur  à  Paris  , 
était  ministre  de  l'Instruction  et  des  Travaux  publics. 

Depuis  la  Convention  internationale,  nous  ignorons  si  l'Espagne  à  terminé  l'étude 
de  la  ligne  du  Noguera  Pallaresa  ,  qui  nécessiterait  le  vote  par  les  Certes  d'une  loi  à 
la  suite  de  laquelle  la  ligne  devrait  être  concédée  à  une  Compagnie. 

Mais  ce  que  nous  savons,  c'est  que  la  grande  muraille  qui  nous  sépare  de  l'Espagne, 
avec  laquelle  nous  devrions  avoir  vingt  fois  plus  de  rapports  commerciaux,  n'est  pas 
encore  percée  ;  c'est  que  la  Commission  internationale  négocie  encore  —  notre 
gouvernement  vient  d'y  nommer  M.  Ceccaldi  —  et  c'est  qu'il  faut  que  les  négocia- 
tions aboutissent  à  un  résultat  pratique.  Personne,  dans  cette  salle,  n'est-il  pas  vrai, 
n'est  partisan  du  statu  quo.  Quoi  !  les  Alpes  ont  été  percées  et  les  Pyrénées  ne  le 
seraient  pas  !  Et  nous  serions  voués  à  passer  aussi  longtemps  les  Pyrénées  à  mulei, 
que  la  Manche  en  bateau  ! 

Or,  il  ne  suffit  pas  pour  percer  les  montagnes  de  dire  :  Lo  que  ha  de  ser  no  puede 
faltar.  Ce  qui  doit  être  ne  peut  manquer.  La  Société  de  géographie  commerciale 
devait  agir  et  s'agiter.  Elle  agit  et  elle  s'agite  ,  et  pour  l'action  et  pour  l'agitation  » 
rien  ne  vaut  mieux  que  la  synthèse  et  l'analyse  de  la  question  même  par  un  esprit 
des  i^lus  élevés. 

Cet  esprit  des  plus  élevés,  ai-je  besoin  de  vous  le  présenter,  Messieurs.  Tous  vous 
connaissez  depuis  longtemps  le  nom  de  Castelar,  et  votre  accueil  toujours  bienveillant 
envers  les  étrangers,  le  sera  particulièrement  envers  cet  ami  de  la  France. 

Ce  n'est  ici  ni  le  romancier  ,  ni  le  philosophe  ,  ni  l'historien  ,  ni  l'académicien  ,  ni 
l'ancien  Président  d'une  République  ,  c'est  le  député  de  Huesca  qui  va  nous  entre- 


—  244  — 

tenir  des  chemins  de  fer  des  Pyrénées  centrales.   Quel  sacrifice  ,  Messieurs  ,  pour 
l'orateur  illustre,  que  celui  de  s'exprimer  dans  une  langue  qui  n'est  pas  la  sienne  !  » 

Projet  de  jouctiou  du  Volga  et  du  Don.  —  M.  Léon  Dru  a  entretenu 
de  cette  question  la  Société  de  géographie  commerciale  de  Paris  : 

«  En  1885,  le 20  juin  ,  je  reçus  l'autorisation  officielle  de  faire  l'étude  du  projet  du 
canal  de  jonction  du  Volga  au  Don.  La  mission  que  j'organisai  à  Paris  fut  composée 
de  MM.  Lanet,  ingénieur,  Gombelles  frères  ,  pour  les  opérations  de  tachéométrie  et 
de  M.  Baugé  ,  chef  sondeur.  Rendu  à  Tzaritzin  le  l*'  août,  elle  s'adjoignait  un  ingé- 
nieur russe,  M.  Dovstanskyx,  détaché  par  le  ministère  des  voies  et  communications, 
et  un  secrétaire-interprète,  M.  Popoff. 

Les  résultats  démontrent  que  l'on  peut  franchir  la  ligne  de  faîte  de  cette  sorte 
d'isthme  qui  sépare  le  Don  du  Volga  :  on  aura  des  écluses  sur  le  versant  du  Volga  et 
sur  celui  du  Don. 

Le  Volga  est  à  la  cote  0,00  ,  le  Don  à  —  39  ,  les  cotes  rapportées  au  niveau  de  la 
mer  Noire. 

Le  tracé  adopté  développe  86  kilomètres  et  permet  de  créer  un  port  intérieur  à 
Krivaû-Mouzgie,  pour  se  raccorder  à  la  ligne  ferrée  de  Griazi.  Cela  est  très  impor- 
tant pour  le  trafic  de  l'intérieur  de  la  Russie. 

Les  écluses  sont  faites  pour  laisser  passer  les  barques  du  Volga  :  ce  sont  des 
bateaux  de  grande  dimension 

Le  canal  sera  alimenté  par  des  réserves  établies  le  long  de  son  parcours,  et  réunis- 
sant de  45  à  50  millions  de  mètres  cubes  ,  puis  par  des  machines  disposées  sur  le 
Volga,  mais  cela  n'est  pas  absolument  indispensable. 

On  prévoit,  en  peu  de  temps,  un  trafic  de  900,000  tonnes.  Il  en  passe  actuellement 
près  de  500,000.  Des  routes  de  terre  font  avec  le  chemin  de  fer  les  transbordements 
de  marchandises  d'un  fleuve  à  l'autre. 

En  1096  ,  Pierre  le  Grand  chercha  à  joindre  les  deux  fleuves  Volga  et  Don.  On  a 
retrouvé  les  tranchées,  commencées  par  ses  ordres,  à  15  kilomètres  de  Kamichinka  ; 
elles  sont  en  parfait  état  de  conservation. 

Avant  lui ,  Sélim  11  ,  fils  de  Soliman  le  Magnifique ,  avait  tenté  cette  opération 
lorsqu'il  fit  le  siège  d'Astrakan  vers  1563.  Depuis,  des  ingénieurs  russes  ont  produit 
quelques  projets  auxquels  il  ne  fut  pas  donné  suite. 

Ce  projet  de  Canal  est  une  oeuvre  nationale  ;  il  est  reconnu  comme  difficile,  mais  il 
aura  de  grandes  conséquences  pour  le  pays.  Ce  sera  la  réunion  de  la  mer  Baltique  et 
de  la  mer  Blanche  à  la  mer  Noire  ;  puis  celle  de  la  Caspienne  à  la  mer  Noire  égale- 
ment et  au  bassin  méditerranéen.  Ce  sera  aussi  la  réalisation  de  l'idée  de  Pierre  le 
Grand,  qui  consistait  à  faire  rentrer  le  Don  dans  le  système  général  de  navigation 
des  fleuves  de  l'empire. 

Le  trafic  de  l'Asie  viendra  par  cette  voie  nouvelle  ,  qui  permettra  à  la  marine  mili- 
taire de  l'empire  d'envoyer  son  matériel  de  Sébastopol  dans  la  Caspienne  ,  pour  ses 
opérations  sur  le  Turkestan  comme  aussi  de  concentrer  ou  d'échanger  ses  flottilles 
légères  de  torpilleurs ,  etc.,  de  la  Baltique  à  la  mer  Noire  ,  la  mer  Baltique  et  la  mer 
Blanche  étant  déjà  réunies  par  des  canaux  au  Volga.   > 


IjC  poiut  le  plus  6levé  du  Daueniark.  —  On  avait  cru  jusqu'ici , 
lisons -nous  dans  les  Procecdings  of  the  R.  G.  S.,  de  Londres,  que  la  colline 
la  plus  élevée  du  Danemark  était  l'Himmelbjorg,  dans  l'intérieur  du  Jutland.  Des 
mesures  précises  exécutées  l'été  dernier ,  ont  fait  découvrir  deux  montagnes  qui 


—  245  — 

dépassont  cette  colline  célèbre  dans  l'histoire  :  ce  sont  le  Bavnehoï ,  près  de  Skan- 
derborg-,  qui  mesure  550  pieds  et  le  Skovhoï ,  près  d'Iding,  de  540  pieds  ,  tandis  que 
rHinim(>lbjerg-  n'a  que  517  pieds.  Le  distingué  géographe  danois,  professeur  Erslcv, 
parle  avec  enthousiasme  de  la  vue  magnifique  qu(!  l'on  a  au  sonmiet  du  Bavnehoï. 

Iles  liOlToïleu.  —  Dans  le  cours  de  l'été  dernier,  l'amirauté  nonvégienne  a 
effectué  une  série  de  sondages  au  large  des  îles  Rost  et  Varo,  à  l'extrémité  des  îles 
Loffoden.  Le  résultat  a  été  la  découverte  d'un  banc  à  l'Ouest  de  l'île  Rost,  s'étendant 
sur  une  longueur  de  près  de  90  milles  géographiques  dans  le  Nord-Atlantique.  La 
profondeur  en  cet  endroit  est  de  150  brass(;s  ,  et  elle  s'accroît  soudainement  jusqu'à 
300  brasses.  La  largeur  du  banc  n'a  pas  encore  été  mesurée  complètement ,  mais  on 
a  constaté  qu'il  s'étend  à  une  distance  assez  considérable  à  l'Est  des  îles  Loffoden. 
On  espère  que  cette  découverte  sera  avantageuse  aux  pêcheries  de  harengs  de  la 
côte  occidentale. 

C'aiiease.  —  MM.  Dent  et  Donkin  ,  deux  des  membres  les  plus  actifs  du  Club 
alpin  anglais,  ont  passé  leurs  vacances  de  l'été  dernier  à  explorer  avec  des  guides 
des  Alpes  le  groupe  central  du  Caucase  ,  les  pics  et  les  glaciers  qui  entourent  le 
Koshiantau  (5,210  mètres).  En  dépit  du  mauvais  temps  dont  ils  eurent  à  souffrir 
presque  continuellement ,  ils  réussirent  à  faire  l'ascension  du  Tau  Tetnuld  ,  la 
Jungfrau  du  Caucase,  dont  ils  estimèrent  l'altitude  à  16,500  pieds  (5,030  mètres).  Ils 
firent  d'autres  courses  de  glaciers  ,  qui  nécessiteront  de  nombreuses  et  importantes 
corrections  sur  les  cartes  du  district.  Les  voyageurs  alpestres  ont  été  frappés  de 
l'aspect  merveilleux  des  montagnes  caucasiennes  :  la  chaîne  du  Koshtantau  leur  a 
offert  la  vue  la  plus  grandiose  qu'ils  aient  jamais  contemplée.  M.  Donkin  a  rapporte 
un  certain  nombre  de  photographies  représentant  les  sites  et  les  habitants. 


ASIE. 


Forniose.  —  Dans  la  réorganisation  de  Formose  comme  province  séparée  ,  le 
gouvernement  chinois  propose  d'introduire  certaines  modifications  administratives. 
Une  nouvelle  ville  serait  bâtie  à  un  endroit  appelé  Hu  lu-Tun,  oii  se  trouve  actuelle- 
ment un  joli  village.  Cette  nouvelle  ville  serait  la  résidence  du  gouverneur  et  du 
trésorier  provincial  et  deviendra  la  capitale  de  la  province. 

Dcssccboiuent  «lu  lac  Balkliash.  —  On  sait  tout  l'intérêt  qui  s'attache 
à  la  question  du  dessèchement  des  lacs  de  l'Asie  centrale.  M.  Venukoff  continue 
à  entretenir  l'Académie  des  sciences  de  cette  question. 

D'après  les  observations  d'un  explorateur  russe  ,  ^I.  Nicolsky,  le  dessèchement  du 
lac  Balkhash,  c'est-à-dire  l'abaissement  continuel  de  son  niveau,  se  fait  à  radson  d'un 
mètre  tous  les  14  ou  15  ans.  Comme  ce  lac  a  plus  de  19,000  kilomètres  carrés  de 
superficie,  l'évaporation  annuelle,  s'il  n'y  a  pas  de  perte  souterraine,  atteint  l'énorme 
chiffre  de  1,300,000,000  de  mètres  cubes.  En  supposant ,  dit  M.  Venukoff,  cette  eau 
versée  sur  la  ville  de  Paris  ,  dans  les  limites  des  fortifications  ,  nous  aurions  une 
couche  de  17  mètres  d'épaisseur  ;  c'est  cette  masse  d'eau  qui  disparaît  annuellement 
de  la  superficie  d'un  seul  des  lacs  de  l'Asie  centrale  pour  n'y  retourner  jamais.  Or  , 
ces  lacs  sont  encore  nombreux  et  leur  étendue  commune  (y  compris  la  mer  Caspienne), 


-  246  - 

dépasse  au  moins  17  fois  la  superficie  du  Balkhash  ;  on  voit  quelle  est  la  perte  en 
eau  qu'éprouve  annuellement  l'atmosphère  des  steppes  où  ces  lacs  forment  la  source 
unique  de  l'humidité.  Il  est  à  ajouter  que  la  partie  méridionale  du  Balkhash  ,  connue 
sous  le  nom  d'Ala-Kul ,  sous  l'influence  de  l'évaporation  rapide  ,  se  transforme'peu  à 
peu  en  un  dépôt  de  sel,  précisément  de  la  même  manière  que  le  Kara-Bugaz,  qui  fait 
partie  de  la  mer  Caspienne. 


ÏJne  ville  d'cauiL  au  Japon.  —  Les  Parisiens  qui  rentrent  de  Vichy  ou 
de  Carlsbad ,  apprendront  probablement  avec  quelque  étonnement  qu'il  existe  des 
villes  d'eaux  fréquentées  par  des  valétudinaires  dans  ce  gai  pays  du  Japon  où  nos 
amateurs  de  bibelots  ne  s'attendent  guère  à  découvrir  ni  des  malades  cacochymes  ni 
des  stations  thermales.  Il  y  a  cependant  des  uns  et  des  autres,  et  le  journaliste 
anglais  qui  nous  initie  aux  charmes  agrestes  et  sociaux  du  petit  village  d'Ikao  ,  le 
Spa  japonais  ,  nous  présente  là  l'image  curieusement  diversifiée  ,  orientalisée  ,  d'un 
de  nos  propres  lieux  de  cure  à  l'usage  des  fashionables  ,  avec  tout  son  mélange  de 
villégiature,  de  laisser-aller,  de  soins  sanitaires  et  de  haute  vie. 

Ikao  est  un  petit  village  des  montagnes  de  la  province  de  Josehin,  à  70  milles  de  la 
capitale  Tokio.  On  y  a  découvert,  il  y  a  quelques  années,  des  sources  chaudes  à  50", 
contenant  du  fer  et  du  sulfate  de  soude  ,  bonnes  par  conséquent  contre  les  maladies 
d'estomac,  la  débilité  générale  ,  et  appréciées  par-dessus  tout  par  les  Japonais  pour 
les  bains  presque  bouillants  qu'elles  permettent  de  prendre.  On  sait  le  rôle  que  les 
bains  chauds  jouent  dans  l'existence  du  peuple  le  plus  propre  de  l'Orient. 

La  transformation  des  mœurs  ,  l'existence  à  l'européenne  qui  s'est  introduite  au 
Japon,  a  eu  pour  conséquence,  comme  chez  nous,  un  grand  accroissement  de  l'acti- 
vité sociale  ,  une  surexcitation  de  la  concurrence  ,  un  surmenage  intellectuel ,  qui 
nécessitent  les  vacances  et  la  villégiature.  Aussi ,  en  été  ,  fonctionnaires  ,  commer- 
çants ,  hommes  d'État ,  princes  du  sang  fuient  les  villes  et  vont  se  réfugier  dans  des 
stations  thermales  comme  Ikao.  Ce  village  est  formé  d'hôtels  ,  non  pas  de  grandes 
casernes  en  pierre  comme  les  nôtres ,  mais  d'anciennes  auberges  à  la  japonaise  , 
gracieuses  maisons  en  bois,  avec  des  murs  eu  papier  huilé  et  ayant  pour  mobilier 
des  nattes.  Ces  maisons  sont  disposées  des  deux  côtés  d'un  sentier  pi'esque  à  pic, 
si  bien  que  les  toits  des  unes  sont  au  niveau  du  rez-de-chaussée  des  autres  ;  le  sen- 
tier, la  principale  rue  du  village,  est  bordé  des  boutiques  de  gâteaux,  des  maisons  de 
thé,  des  bains  publics  que  l'on  rencontre  habituellement  au  Japon  ;  il  conduit  par  un 
petit  bois  à  un  temple  schintorite  où  la  source  thermale  sort  de  terre.  Cette  source 
est  assez  abondante  pour  former  un  véritable  torrent  qui  roule  avec  fracas  dans  un 
ravin  près  du  village  ;  chaque  maison  en  reçoit  un  filet  qui  sert  à  alimenter  les  bains 
publics  ou  privés,  et  c'est  toute  la  journée  un  bruit  d'eau,  de  légères  fumées,  les  cris 
et  les  rires  des  hommes  et  des  femmes  se  baignant  soit  ensemble,  soit  séparément , 
dans  de  grandes  cuves  de  bois  profondes  de  trois  ou  quatre  pieds. 

Ces  bains,  les  ablutions  à  l'eau  froide,  les  frictions,  les  frottages  à  la  pierre  ponce 
sont  continuels  ,  et  toute  l'existence  des  hôtes  de  cette  ville  aquatique  se  passe  en 
peignoir,  en  yucata  ,  robe  de  coton  de  toute  couleur  que  portent  les  deux  sexes  en 
la  ceignant  d'une  cordelette  de  soie ,  d'une  bande  de  satin  ou  de  crêpe.  En  ce 
costume  ,  on  joue  au  «70  ou  aux  échecs  ,  on  boit  d'innombrables  et  minuscules  tasses 
de  thé  ou  de  raki,  on  fume  tout  le  jour  de  petites  pipes  de  trois  ou  quatre  bouffées 
d'un  tabac  très  doux  ,  on  s'entretient  en  famille  ,  entre  amis  ,  ou  l'on  organise  des 
intermèdes  de  musiciennes,  de  danseurs,  de  bateleurs. 

Le  Japonais,  à  l'encontre  de  tous  les  Orientaux  ,  est  marcheur  et  prend  le  plus  vif 
plaisir  aux  beautés  des  paysages.  Aussi   peut-on  voir  tous  les  après-midis  ,  depuis 


-  247  — 

les  vérandas  des  hôtels,  des  groupes  de  trois  ou  quatre  personnes,  hommes,  jeunes 
femmes  et  enfants  qui,  vêtus  d'étoffes  éclatantes  et  hottantes,  protégés  par  de  magni- 
fiques parasols  en  papier  orange,  grimpent  le  long  des  sentes  herbeuses  et  couvertes 
de  lis  de  la  montagne  ,  pour  s'enfoncer  plus  haut  dans  les  bois  de  cryptomerias  et 
gagner  quelque  site  ou  quelque  point  de  vue  ou  on  rencontre  infailliblement  une 
auberge  rustique  ou  une  maison  de  thé  pleine  de  gracieuses  jeunes  filles. 

A  la  tombée  de  la  nuit,  toute  l'agitation  se  concentre  dans  Tunique  rue  du  village  ; 
des  conteurs  publics,  des  saltimbanques,  des  jongleurs,  des  musiciens  et  des  charla- 
tans se  mêlent  à  la  foule  ;  les  maisons  de  thé  regorgent  d'hôtes  et  sont  pleines  de 
bruits  et  de  rires  ;  à  chaque  coin  de  ruelle  des  marchands  de  pâte  sucrée ,  qu'ils 
débitent  chaude  et  malléable  ,  en  fabriquent,  sous  les  yeux  émerveillés  des  enfants  , 
des  tortues  ,  des  corbeilles  ,  des  dragons  et  mémo  des  symboles  peu  honnêtes.  Les 
baigneurs  se  dirigent  vers  la  source  ;  ce  sont  de  simples  marchands  ,  des  nobles 
portant  leurs  armes  tissées  dans  le  dos  et  sur  l'une  des  manches  de  leurs  robes  ; 
des  prêtres  boudhistes  ayant  toute  la  tête  rasée  ,  vêtus  de  soie  jaune  et  s'évcntant 
sans  cesse  comme  le  leur  recommande  leur  religion  ;  des  dandies  ,  étranges  parmi 
cette  population  au  costume  national ,  habillés  d'un  complet  européen,  le  col  droit , 
chaussés  et  gantés  à  l'anglaise  ;  des  groupes  enfin  de  jeunes  femmes  et  de  jeunes 
filles  drapées  dans  de  magnifiques  robes  de  soie  aux  couleurs  éclatantes  et  fondues , 
leurs  magnifiques  cheveux  noirs  coiffés  haut,  roses  et  rieuses,  qui  ressemblent  dans 
la  réalité  et  sur  nos  albums  à  de  véritables  et  énormes  fleurs.  On  bavarde  autour  de 
la  source,  on  boit  chacun  à  la  même  tasse  eu  bambou,  on  s'assied  un  instant  sur  les 
bancs  qui  sont  autour  ;  on  rentre  se  coucher  sur  de  fraîches  notes  ,  et  une  journée 
de  l'heureuse  vie  que  l'on  mène  à  licao  est  terminée. 


AFRIQUE. 


Hue  graniniairc  cougo  «Su  XVISI"  siècle.  —  La  parfaite  connais- 
sance du  Congo  par  nos  pères,  révélée  par  le  Globe  do  Lyon  ,  vient  de  recevoir  une 
nouvelle  preuve  dans  les  découvertes  de  grande  valeur  faites  au  musée  de  la  Propa- 
gande par  le  P.  Duparquot.  11  s'agit  du  manuscrit  d'un  missionnaire  à  Saint-Antoine- 
de-Sogno  (Congo),  et  des  archives  do  l'ancienne  mission  de  Loango  (aujourd'hui 
Congo  français),  reliées  en  un  fort  volume  et  renfermant  les  trois  manuscrits  qui 
suivent  : 

1°  Essay  d'une  grammaire  congo  suivant  l'accent  kakongo  ou  malamba , 
48  p.  in-4"  ; 

2°  Dictionnaire  congo-français.  Il  est  complet  et  contient  17  cahiers  ,  de  la  lettre 
A  à  la  lettre  Z  ; 

3"  Le  registre  dos  baptêmes ,  mariages  et  décès  pendant  les  années  1774 
et  1775. 

Le  registre  des  baptêmes  n'a  plus  aujourd'hui  qu'une  importance  relative  ;  mais 
il  n'en  est  pas  de  même  de  la  grammaire  et  du  dictionnaire.  Ces  deux  ouvrages  ,  en 
effet,  pourront  être  d'un  grand  secours  aux  missionnaires  ,  aux  explorateurs  et  aux 
résidents  actuellement  au  Congo.  Au  point  de  vue  de  l'histoire  de  la  géographie  , 
CCS  documents  ont  une  valeur  sur  laquelle  il  est  inutile  d'insister. 


—  248  — 


AMÉRIQUE. 

EiCS  sources  du  II îssîssîpî.  —  Récemment  le  capitaine  Willard  Glazier 
a  émis  la  prétention  d'avoir  découvert  les  sources  du  fameux  fleuve  américain  sur 
un  point  situé  au-delà  du  lac  Itasca  de  Schoolcraft.  Or,  M.  Roussel  Hinman ,  dans 
un  article  publié  dans  le  journal  américain  Science ,  déclare  que  la  prétention  du 
capitaine  Glazier  n'est  point  fondée.  L'auteur  montre ,  en  citant  des  documents 
officiels  ,  que  l'existence  du  petit  lac  situé  sur  le  trajet  des  cinq  affluents  du  lac 
Itasca  fut  connue  de  Schoolcraft  en  1832  et  de  Nicollet  en  1843.  Ni  l'un  ni 
l'autre  de  ces  deux  explorateurs  ne  donna  un  nom  au  petit  lac,  n:iais  cette  omission 
fut  réparée  par  la  carte  du  Land  Office  de  1879 ,  oii  il  est  nommé  «  lac  de  l'Élan  ». 
et  ce  nom  a  la  priorité  sur  celui  de  «  lac  Glazier  »  qui  lui  a  été  donné  par  le  capi- 
taine Glazier  en  1881. 


États-Unis.  —  La  pluie  dans  la  région  du  Pacifique.  —  Nous  trouvons  dans 
Science  {t.  VIII,  p.  307),  un  intéressant  résumé  d'un  travail  du  lieutenant  Glassford 
sur  la  distribution  des  pluies  dans  la  région  des  États-Unis  voisine  du  Pacifique. 

La  hauteur  de  pluie  maximum  s'observe  à  Neah-Bay  (territoire  de  Washington), 
oii  l'on  recueille  annuellement  2,797  millimètres  (moyenne  de  9  années  d'observa- 
tions). Plusieurs  autres  stations  dans  le  Nord  indiquent  de  1,200  à  1,500  millimètres. 
Dans  le  Sud,  oii  la  -sécheresse  est  en  certains  points  remarquable  .  le  minimum  est 
donné  par  la  station  de  Bishop  Crrek  (Californie) ,  oii  la  tranche  annuelle  d'eau 
tombée  ne  dépasse  pas  33  millimètres  (d'après  3  années  d'observations  ;  à  Yuma 
(Arizona),  on  constate  65  millimètres  (11  années  d'observations).  On  sait  depuis 
longtemps  que  toute  la  partie  des  États-Unis  comprenant  le  Nord-Ouest  du  Texas , 
le  Nouveau-Mexique  et  l' Arizona  est  une  région  extrêmemeiit  sèche .  l'une  des  plus 
sèches  du  globe.  En  juillet  et  en  août,  il  n'y  pleut  jamais  ,  ou  s'il  y  tombe  parfois 
quelques  gouttes  d'eau,  elles  ne  laissent  pas  de  ti'ace  au  pluviomètre. 


OGEANIE. 

■%ouvelle-Zclandc.  —  La  récente  éruption  volcanique.  —  En  attendant  le 
rapport  d'un  géologue  expert,  dit  M.  Arch.  Geikie  dans  la  revue  «  Nature  »,  de 
Londres  (du  5  août  1886),  nous  devons  nous  contenter  des  récits  ,  souvent  contra- 
dictoires, des  correspondants  arrivés  en  hâte  sur  la  scène  de  la  grande  catastrophe 
qui  a  dévasté  récemment  la  terre  des  merveilles  de  la  Nouvelle-Zélande,  et  que  nous 
avons  signalé  l'an  dernier  aux  lecteurs  de  la  Société  de  géographie  de  Lille).  Toutefois, 
il  est  possible,  d'après  le>  diff'érents  récits,  de  tracer  les  traits  principaux  de  l'éruption 
et  de  noter  leur  ressemblance  avec  ceux  d'autres  éruptions  volcaniques  antérieures.  Il 
est  impossible  de  ne  pas  être  frappé  de  l'analogie  entre  les  phénomènes  qui  se  sont 
produits  en  juin  dernier  à  la  Nouvelle-Zélande  et  ceux  qui  accompagnèrent  la  grande 
éruption  du  Vésuve  aux  premiers  siècles  de  notre  ère.  Dansles  deux  cas,  une  montagne 
qui  n'avait  jamais  été  connue  pour  être  un  volcan  actif,  a  fait  subitement  explosion, 
avec  une  violence  terrible  ,  remplissant  l'air  de  cendres  et  de  pierres.  Dans  ces  deux 
régions,  des  tremblements  de  terre  précurseurs  ont  annoncé  la  catastrophe  :  un 


—  249  - 

épais  manteau  noir  de  nuage  volcanique  suspendu  sur  la  montagne,  une  pluie  de 
poussière,  de  sable  et  de  pierres  chaudes,  une  décharge  de  boue,  sans  écoulement  de 
lave,  pour  autant  qu'on  a  pu  s'en  assurer,  et  l'ensevelissement  d'un  district  sous 
une  épaisse  couche  de  débris  volcaniques. 

Dans  une  région  aussi  sujette  aux  secousses  et  tremblements  de  ten'e  que  le  centre 
de  l'île  du  Nord  de  la  Nouvelle -Zétando,  dans  la  direction  Nord-Est-Sud-Ouest,  il 
était  naturel  qu'on  n'eût  pas  prêté  une  attention  spéciale  à  la  fréquence  plus  ou 
moins  grande  on  à  la  violence  Les  secousses  avant  la  date  de  l'éruption  volcanique 
actuelle.  Mais,  sans  doute,  des  faits  relatifs  k  ce  sujet  ont  dû  être  remarqués  par  des 
observateurs  locaux.  En  effet,  d'après  les  récits  desjournaux,il  semblerait  qu'il  y  ait 
eu  différents  signes  précurseurs  qui,  rapprochés  des  événements  postérieurs,  peuvent 
ne  pas  avoir  été  sans  importance.  On  dit,  par  exemple,  que  le  volcan  éteint  Ruapehu. 
le  plus  haut  pic  de  l'île  du  Nofd,  que  l'on  n'a  jamais  vu  manifester  quelque  activité 
depuis  la  découverte  de  la  Nouvelle-Zélande  ,  commença  à  jeter  de  la  vapeur  par  le 
sommet,  environ  trois  semaines  avant  l'éruption.  Quinze  jours  avant  la  catastrophe, 
une  vague  de  trois  pieds  de  haut  s'éleva  subitement  sur  le  lac  Tarawera,  situé  au 
pied  de  la  montagne  du  même  nom.  Sans  aucun  doute,  il  y  a  eu  d'autres  symptômes 
précurseurs,  en  dehors  de  l'activité  du  tremblement  de  terre,  de  l'approche  de  cet 
événement,  bien  que  quelques  jours  avant  leur  destruction,  les  fameuses  White  and 
Pink  Terraces  furent  visités  par  un  groupe  de  touristes  qui  n'observèrent  aucune 
vigueur  insolite  dans  les  sources  chaudes,  ni  ailcune  indication  quelconque  qui 
devait  faire  prévoir  que  ces  dépôts  de  fées  devraient  être  bientôt  le  théâtre  d'une 
violente  action  volcanique. 

Le  10 juin,  vers  minuit  et  demi ,  les  secousses  de  tremblement  de  terre,  qui  sont 
familières  aux  habitants  du  district  du  lac,  ont  pris  une  vigueur  et  une  fréquence 
tout  à  fait  inusitées.  A  la  colonie  du  Wairoa,  qui  est  à  cinq  milles  environ  du  lac 
chaud  et  des  terrasses  de  tuf  du  Rotomahana  ,  le  sol  fut  secoué  violemment  pendant 
une  heure  ou  plus,  les  chocs  plus  puissants  se  suivant  à  ces  intervalles  d'environ  dix 
minutes.  Les  habitants  tirés  de  leur  sonuneil,  sortirent  en  courant  de  leurs  maisons. 
Enfin,  quelques  minutes  après  deux  heures  du  matin,  un  choc  d'une  violence 
exceptionnelle  fut  suivi  d'un  grondement  assourdissant ,  et  aussitôt  on  vit  s'élever 
une  colonne  de  feu  du  sommet  de  la  chaîne  de  montagnes  à  cinq  ou  six  milles  à 
l'Est,  du  côté  opposé  au  lac  Tarawera.  La  cîme  du  mont  Tarawera  (environ  2,000 
pieds  de  haut)  avait  sauté  en  l'air,  laissant  une  énorme  fissure  sur  le  flanc  de  la  mon- 
tagne. L'incandescence  des  laves  chauffées  à  blanc,  de  l'intérieur  rougissait  le  ciel  à 
plusieurs  milles  aux  environs.  Des  milliers  de  blocs  de  laves  incandescen.tes  furent 
lancés  dans  l'air.  La  voûte  de  cendres  noires,  qui  s'étaient  accumulées  au-dessus  de 
la  montagne  et  s'étaient  répandus  à  plusieux's  milles  à  l'entour,  devint  le  théâtre 
d'une  violente  tempête  électrique.  Elle  semblait  être  déchirée  par  des  éclairs  inces- 
sants et  le  fracas  continuel  du  tonnerre  ,  se  mêlant  aux  grondements  du  volcan  , 
augmentaient  la  terreur  de  la  nuit. 

Les  géologues  ne  croyaient  pas  comme  une  probabilité  future  qu'une  éruption  dût 
jamais  se  produire  des  trois  énormes  cônes  tronqués  qui  dominent  le  lac  Tarawera.  Ils 
étaient  éteints  depuis  les  temps,  suivant  la  ti'adition,  dss  anciens  INIaoris.  Les  natu- 
rels s'étaient  habitués,  pendant  des  siècles  probablement,  à  porter  les  morts  à  leurs 
sommets  solitaires  et  mystérieux.  Les  ossements  de  plusieurs  générations  successives 
gisent  en  blanchissant  sur  ce  haut  plateau  isolé  ;  celui-ci  était  arrivé  ainsi  à  gagner 
une  sainteté  particulière  aux  yeux  des  Maoris,  qui  n'auraient  pas  permis  à  un  blanc 
de  s'en  approcher.  Non  seulement  ces  grands  cônes  étaient  éteints  selon  toute  appa- 
rence, mais  l'action  volcanique  de  tout  le  distinct  était  d'une  énergie  décroissante 
que  les  géologues  ont  appelée  la  période  «  solfatare  ».  De  nouveaux  geysers  pou- 


—  250  — 

vaieiit  surgir,  rivalisant  avec  ceux  déjà  en  activité  dans  le  district,  ou  les  surpassant 
même,  et  les  orifices  de  l'éruption  pouvaient  changer  de  place  ,  amenant  par  leur 
déplacement  des  troubles  locaux  considérables  ,  mais  personne  ne  s'attendait  à  une 
grande  éruption  comme  celle  qui  vient  d'avoir  lieu  daus  ce  district  et  sembable  à  la 
plus  gigantesque  explosion  du  Vésuve. 

La  grandeur  de  l'explosion  peut  être  déduite  de  plusieurs  faits  cités  dans  les 
rapports  des  joui-naux.  Un  observateur  de  New-Plymoulh,  sur  le  côté  occidental  de 
l'île,  à  150  milles  de  la  scène  du  désastre ,  vit  s'élever  la  colonne  de  cendres  loin 
dans  l'air,  et  a  calculé  que  sa  hauteur  ne  pouvait  être  moindre  que  22,000  pieds. 
On  prétend  avoir  entendu  le  bruit  de  l'explosion  à  Ghrist-Church,  à  une  distance  do 
300  milles.  Les  cendres  tombèrent  sur  une  vaste  aire  de  terre  et  de  mer  au  Nord  et 
à  l'Est  de  l'ouverture  de  décharge .  Les  vaisseaux  naviguant  même  à  130  milles  , 
trouvèrent  l'air  chargé  d'une  fine  poussière  qui  se  déposait  sur  le  pont.  Des  explo- 
rateurs aventureux  cherchant  à  porter  secours  aux  pauvres  Maoris,  ont  trouvé  que 
la  hauteur  des  cendres  encore  toutes  chaudes,  accumulées  près  de  la  scène  de 
l'explosion ,  ne  devait  pas  être  inférieure  à  20  pieds.  A  une  distance  de  30  ou  40 
milles,  le  dépôt  avait  encore  plusieurs  pouces  d'épaisseur,  ce  qui  doit  donner  une 
idée  de  l'énorme  quantité  de  rochers  mis  en  poudre  par  la  grande  explosion  du 
Tarawera 

Les  malériaux  éjaculés  de  cette  montagne  semblent  consister  piincipalement  en 
fragments  libres  de  laves,  d'escarbilles,  de.  cendres  et  de  fine  poussière  avec  de 
grandes  quantités  de  vapeur,  et  probablement  aussi-d'eau  chaude  et  de  boue  sorties 
des  flancs  du  volcan. 

Pour  autant  qu'on  a  pu  juger  d'après  les  récits,  il  n'y  a  pas  eu  d'émission  de  lave, 
quoique,  d'après  les  «  flammes  »  et  les  «  balles  de  feu  »  dont  il  a  été  généralement 
question  ,  on  peut  trouver  éventuellement  que  la  lave  fondue  a  coulé  quelque  part 
sur  les  côtés  de  la  montagne. 

Non  loin  de  la  base  du  cône  volcanique  du  Tarawera ,  se  trouvent  le  lac  d'eau 
chaude  et  les  terrasses  de  tuf  de  Rotomahana.  On  a  souvent  remarqué  la  nature 
perfide  de  ce  district,  ses  décharges  de  vapeur,  ses  étangs  en  ébullition,  son  sol 
chaud  exhalant  des  vapeurs  et  ses  geysers  éruptifs,  ne  restant  pas  toujours  aux 
mêmes  endroits,  mais  prêts  à  se  déclarer  à  de  nouveaux  points  sans  avertissement 
préalable.  Cette  localité  a  été  comprise  dans  les  troubles  volcaniques  de  la  région. 
Les  fameuses  terrasses  ont  sauté  en  l'air,  les  fragments  de  tuf  ont  été  ramassés 
parmi  la  poussière  et  les  cendres  de  la  contrée  environnante  ,  et  le  lac  sur  les  bords 
duquel  ils  se  trouvaient  a  été  englouti.  Sur  leur  emplacement,  une  vingtaine  de 
cônes  de  boue  vomissent  des  pierres  et  de  la  vase,  et  lancent  des  nuages  de  vapeur. 
De  nouvelles  ouvertures  pour  l'échappement  de  la  vapeur  et  l'écoulement  de  la  vase 
vase  volcanique ,  se  sont  ouvertes  surtout  le  pays ,  et  l'aspect  du  paysage  a  été 
entièrement  changé.  Une  désolation  indescriptible  s'est  substituée  à  une  scène 
d'une  beauté  féerique.  Même  en  admettant  que  l'activité  volcanique  se  calme  et 
que  les  sources  de  tuf  peuvent  recommencer  leur  ecuvre  de  dépôt,  il  faudra  plusieurs 
générations  avant  qu'elles  puissent  édifier  à  nouveau  des  terrasses  comme  celles 
qui  ont  été  détruites.  Le  nouvel  aspect  du  pays  ne  manquera  pas  d'attirer  les 
touristes,  mais  les  merveilleux  escaliers  du  Te  Tarata  ne  sont  plus  qu'un  rêve 
du  passé. 

Un  des  traits  caractéristiques  de  l'éruption,  c'est  la  formation  de  la  vase  qui  a 
englouti  la  colonie  de  AVaiora.  D'après  les  récits  des  survivants,  les  maisons  furent 
anéanties  par  la  chute  de  la  vase  mêlée  de  cendres  et  de  pierres.  La  pluie  tomba 
pendant  la  nuit,  mais  c'est  à  peine  si  la  vase  a  pu  être  formée  par  le  mélange  de  la 
pluie  et  des  cendres  sèches.  11  semble  qu'elle  est  tombée  en  boue  liquide ,  et  il  est 


-  251  - 

très  probable  qu'elle  a  été  éjaculée  ainsi  par  quelque  fissure  environnante.  L'orifico 
de  l'éruption  n'a  probablement  pas  été  seulement  le  grand  cône  de  Tarawera;  il  est 
plus  probable  qu'il  y  avait  plusieurs  ouvertures  non  seulement  à  Rotomahana,  mais 
plus  près  de  Waiora,  par  lesquelles  s'est  élancée  une  grande  quantité  de  boue  sur 
le  disti'ict  environnant. 

Une  autre  question  qui  mérite  attention,  ce  sont  les  mouvements  de  l'air  pendant 
le  temps  de  l'éruption.  Les  observations  barométriques  à  Rotorua  et  dans  d'autres 
lieux  sur  les  côtés  opposés  de  l'île,  seraient  d'un  grand  intérêt.  D'après  les  récits 
des  journaux,  il  est  certain  que  de  grands  troubles  atmosphériques  ont  accompagné 
l'éruption.  Une  heure  environ  après  la  grande  explosion,  le  vent  s'éleva  subitement 
dans  le  district  de  Rotorua  et  de  Wairoa,  et  souffla  avec  une  force  capable  de  déra- 
ciner et  renverser  un  grand  nombre  d'arbres  et  d'enlever  les  feuilles  et  les  branches 
de  ceux  qui  étaient  restés  debout.  A  Rotorua,  la  direction  de  l'ouragan  était  du  côté 
de  la  scène  de  l'activité  volcanique,  comme  si  l'air  était  entraîné  dans  le  tourbillon 
causé  par  l'explosion.  Quelques  heures  plus  tard,  le  vent  cessa  subitement  et  alors 
les  cendres  commencèrnnt  à  tomber ,  emportées  vers  le  Nord  par  quelque  courant 
supérieur  de  Tair.  Reste  à  savoir  jusqu'à  quel  point  ces  mouvements  atmosphériques 
étaient  dépendants  ou  indépendants  de  l'éruption. 

Une  nouvelle  île.  —  Aujourd'hui  que  le  globe  est  sillonné  en  tous  sens  ,  la 
découverte  d'une  île  inconnue  est  un  fait  assez  rare  pour  qu'on  le  signale ,  même 
lorsque  ses  dimensions  ne  lui  donnent  pas  une  grande  importance. 

Le  navire  Fei-Limtj  avait  annoncé  qu'en  faisant  route  de  Sydney  à  Sanghai ,  il 
avait  rencontré  au  nord  de  la  NouveUo-Guinée,  une  île  non  portée  sur  les  cartes.  Le 
commandant  Moore  fut  envoyé  avec  le  Rambler  ,  navire  attaché  au  service  hydro- 
graphique, pour  contrôler  le  rapport  du  capitaine  Allison  du  Fei-Lung.  Il  a  retrouvé 
l'île  en  question  :  elle  est  située  entre  l'archipel  de  l'Échiquier ,  découvert  par 
Bougainvillée  en  1768,  et  l'île  Durour.  Sa  position  géographique  est  d'environ  r25' 
de  latitude  Sud  et  143''26'  de  longitude  Est  G.  Elle  a  de  2à  3  kilomètres  de  longueur 
et  s'élève  de  30  à  50  mètres  au-dessus  de  la  mer  ;  elle  est  complètement  boisée. 
Quoique  ces  parages  soient  couverts  d'îles  dont  les  positions  ne  sont  rien  moins  que 
bien  déterminées  ,  il  ne  semble  pas  douteux  que  la  nouvelle  île  n'a  jamais  été  portée 
sur  une  carte. 


RÉGIONS    POLAIRES. 

Groenland.  —  C'est  de  Godhavn  qu'on  a  reçu  les  dernières  nouvelles  de 
M.  R.  E.  Peary,  de  la  marine  des  États-Unis,  qui  au  commencement  de  cette  année 
a  quitté  l'Amérique  en  destination  du  Groenland  ;  il  s'est  enfoncé  dans  les  glaces  de 
l'intérieur  du  continent ,  dans  le  but  d'atteindre  un  point  d'où  il  pourrait  découvrir 
le  sommet  du  Mont  Petermann,  près  de  la  naissance  du  fjord  François-Joseph. 

La  canonnière  danoise  Fylla ,  expédiée  au  Groëenland  en  mai  dernier ,  sous  le 
commandement  du  prince  Valdemar  de  Danemarck,  vient  de  rentrer  à  Copenhague. 
Le  navire  a  atteint  assez  facilement  Upernivik  ,  station  la  plus  septentrionale  de  la 
côte  occidentale.  Mais  dans  le  milieu  de  juin,  l'expédition  fut  bloquée  par  les  glaces 
pendant  quelques  semaines  à  Godthaab.  Les  naturalistes  de  l'expédition  se  sont 
livrés  dans  le  cours  du  voyage  à  des  recherches  hydrographiques,  botaniques  et 
zoologiques,  et  ont  recueilli  d'importantes  collections  et  observations  scientifiques. 


—  252 


II.  —  Géographie  commerciale.  —  Statistiques 
et  Faits  économiques. 


EUROPE 


IjC  commerce  des  lîl«  et  tissus  en  Allemagne.  —  Les  statistiques 
officielles  relatives  aux  importations  et  exportations  des  filés  et  des  tissus  durant 
Tannée  1886  viennent  de  paraître. 

Voici  d'abord  un  tableau  donnant  les  importations  des  filés,  en  100  kilos  ,  compa- 
rativement à  celles  des  trois  années  précédentes  : 


Filés  de  coton 

1886 

1885 

1884 

! 
1883     j 

221.827 

133.404 

202.578 

39.136 

208.108 

159.550 

193.181 

33.710 

211.409 

150.053 

189.979 

37.733 

219.472 
151.^2 
166.973    1 
33.726 

Filés  de  lin 

Filés  de  laine 

Soies 

Totaux  

596.945 

594.949 

599.204 

572.093 

Voici  maintenant ,  les  chiffres  relatifs  aux  exportation  de   filés  pour  ces  quatre 
mêmes  années,  toujours  par  100  kilos  : 


Filés  de  coton 

1886 

1885 

1884 

1883 

72.923 
34.420 
54.005 
11.899 

71.698 
36.050 
56.7.37 
11./j81 

71.843 
20.913 
51  843 
10.423 

81  771  ; 

20.853 

48.136 

9.942 

Filés  de  lin 

Files  de  laine 

Filés  de  soie 

TuT.\ux 

183.247 

175.966 

155.022 

100.712 

i 

Ainsi,  depuis  1883,  les  exportations  de  ce  genre  ont  environ  doublé  1 


•^53  — 


Enfin  les  chiffres  des  exportations  de  tissus  fabriqués  en  tous  genres,  pour  1886  , 
sont,  en'lOO  kilos,  de  694,084,  contre  607,096  seulement  eu  1883. 

I.a  légalisatiou  des  factures  cwi-opécnnes  aux  consulats 
aiiiéricaius.  —  Les  bureaux  de  la  douane  américaine  vieiuicnt  d  inventer  de 
nouvelles  tracasseries  pour  les  exportateurs  européens.  En  vertu  d'une  circulaire  en 
date  du  16  décembre  dernier,  les  agents  consulaires  d'Europe  ont  ete  invites  à 
exiger  des  exportateurs  que  les  indications  suivantes  soient  portées  sur  les  factures 
présentées  à  leur  législation  : 

!'•  La  valeur  marchande  de  chaque  article  sur  les  principaux  marchés  du  pays 
d'expédition  ,  à  raison  de  sa  qualité  et  de  son  unité  particulière  de  poids  et  mesure  ; 

2"  Le  prix  du  transport  jusqu'au  port  d'embarquement  ; 

3°  Le  prix  du  transport  par  mer  ; 

4°  Les  frais  d'emballage,  y  compris  la  mise  on  caisse,  les  cartons,  etc.  ; 

5°  Le  montant  des  assurances  ,  des  commissions  ,  des  légalisations  ,  des  rabais  et 
des  escomptes,  enfin  la  nomenclature  détaillée  de  tous  les  frais  ,  quels  qu  ils  soient , 
qu'aura  entraînés  la  préparation  des  marchandises  pour  les  marchés  des  Ltats-Ums. 

1  réatiou  à  Atlièues  d'une  Cliaml.re  consultative  française 
de  commerce.  -  Sur  rmitiativo  de  M.  Wattbled  ,  consul  de  France  au  Piree  , 
les  colonies  françaises  d'Athènes  et  du  Piréc,  réunies  sous  la  présidence  du  comte  de 
Montholon,  ont  constitué  une  Chambre  consultative  de  commerce. 

M.  Stephanopoli,  directeur  du  Messager  d'Athènes,  en  a  été  nommé  président. 


AFRIQUE. 


I.a  consommation  des  tissus  en  Tunisie.  -  Nous  extrayons  d'une 
communication  adressée  à  la  Chambre  de  commerce  de  Lyon  ,  par  M.  Massicault , 
résident  général  à  Tunis,  les  renseignements  suivants  : 

«  Pour  les  tissus  de  coton  qui  sont  ceux  que  la  Tunisie  consomme  en  plus  grande 
quantité  ,  le  pays  est  absolument  tributaire  de  l'Angleterre  et  de  l'Allemagne  ;  quant 
aux  tissus  de  fil ,  qui  sont  d'une  consommation  très  limitée ,  parce  qu'ils  ne  sont 
employés  que  par  la  population  européenne,  ils  proviennent  de  France,  mais  surtout 
de  Belgique  et  d'Italie. 

»  Restent  les  soieries  qui  sont  d'un  écoulement  assez  important  dans  la  Régence 
pour  les  qualités  ordinaires  et  de  bas  prix. 

»  Les  articles  de  plus  grand  débit  de  ce  genre  sont  : 

1°  Les  tissus  unis,  tels  que  lustrine,  mai-celine,  etc.; 

2°  Les  mouchoirs  et  rubans  ; 

3*^  Les  damas  mi-coton  (ou  déchets  de  soie)  et  soie.  » 

M.  Massicault  ajoute  que  «  l'article  de  fabrication  française,  quoique  très  apprécié 
à  Tunis  comme  qualité,  est  délaissé,  en  général,  à  raison  de  la  cherté  qui  ne  le  met 
pas  à  la  portée  de  la  majorité  de  la  clientèle  de  ce  pays  »  ;  aussi  estime-t-U  que  les 
maisons  françaises  auraient  intérêt  à  se  rendre  compte  par  elles-mêmes,  en  visitant 


—  254 


la  Tunisie,  des  modifications  qu'il  conviendrait  d'apporter  dans  la  fabrication  des 
tissus  pour  lutter  contre  la  concurrence  étrangère. 


AMERIQUE. 

Ije  commerce  et  l-aj^riculture  aux  États-Unis  en  1$S6.  —  Le 

chiffre  total  des  importations  poui:  Tannée  écoulée ,  est  de  663,417,009  dollars, 
donnant  sur  1885  une  augmentation  de  près  de  13  7o-  Quant  aux  exportations  ,  elles 
se  chiffrent  par  713,289,000  dollars  ,  en  augmentation  de  3  1/2  7o  sur  l'année  1885. 
Voici,  par  période  des  quatre  ti'imestres,  les  chiffres  relevés  exprimés  en  dollars  : 

Importations  et  Exportations. 


Premier  trimestre 
Deuxième      — 
Troisième      — 
Quatrième     — 

Totaux . . . 


Importations. 
1886  1885 


$ 
161.140.000 
164.450.000 
169.665.000 
165.162.000 


663.417.000 


137.225.000 
143.797.000 
150.225.000 
156.622.000 


585.869.000 


Exportations. 
1886  1885 


163.586.000 
164.025.000 
158.050.000 
227.628.000 


713.289.000 


185.871.000 
150.465.000 
137  863.000 
214.051.000 


688.250.000 


La  valeur  totale  des  exportations  de  coton  a  été ,  en  1886,  de  43,041,000  livres 
sterling  contre  36,877,000  sterling  en  1885 ,  soit  un  bénéfice  de  6,164,000  livres , 
représentant  16  1/2  °/o' 

L'une  des  industries  qui  s'est  le  plus  développée  est  l'industrie  métallurgique. 
Voici,  en  effet,  les  chiffres  de  production  ,  en  fer  et  en  acier,  pour  les  trois  dernières 
années  : 

Production  de  fer  et  d'acier. 


1884  

Fonte 
Tonnes  de  2000  liv. 

Bessemer 

Lingots  d'acier 

Tonnes  de  2000  liv. 

Bessemer 

Rails  d'acier 

Tonnes  de  2000  liv. 

4.589.613 
4.529.869 
6.272.000 

1.540.595 
1.701.757 
2.240.000 

1.116.621 
1.074.607 
1.680.000 

1885 

1886 

-  255  — 

En  ce  qui  concerne  l'agriculture,  voici,  pour  la  i)ériodo  des  vingt  dernières  années, 
'S  chiffres  de  production  et  les  étendues  en  blé  et  en  maïs  : 


1866. 
1886. 


Acres  en  culture        Boisseaux 


15.424.U0U 
37.000.0U0 


151.990.000 
457.000.000 


MAIS 

Acres  en  culture       Boisseaux 


34.303.000 
75.300.000 


867.840.000 
1.665.000.000 


Ce  qu'il  y  a  de  plus  frappant  dans  ces  chiffres  ,  c'est  certainement  ceux  relatifs  à 
la  production  du  blé  ,  qui  a  quadruplé  depuis  vingt  ans  En  outre  ,  son  prix  s'est 
abaissé  l'année  dernière  d'une  façon  considérable.  Le  prix  moyen  du  blé  rouge  n"  2 
était,  en  1886,  à  New-York  ,  de  88  cents  3  4  le  boisseau  contre  1  dollar  27  cents  3/4 
en  1882.  Celui  du  maïs  est  tombé  ,  la  même  année,  à  48  cents  2/3  contre  80  cents  3/4 
en  1882. 

Au  moment  oii  la  discussion  sur  les  droits  à  établir  pour  l'entrée  des  céréales  chez 
nous  vient  à  peine  d'être  terminée  à  la  Chambre ,  ces  chiffres  ont  une  actualité 
saisissante. 


Rcpulïliqiie  fie  Colombie.  —  Mines  d'or  et  d'argent.  —  D'après  une 
circulaire  du  ministre  des  affaires  étrangères  de  la  République  de  Colombie,  ce  pays 
est  riche  en  produits  du  règne  minéral .  Le  fer ,  le  cuivre  ,  le  plomb  ,  l'antimoine  ,  le 
zinc,  l'arsenic,  la  houille  ,  le  sel  gemme,  le  soufre  ,  les  émeraudes  ,  etc.,  s'y  trouvent 
en  très  grande  abondance  ;  mais  l'or  constitue  la  richesse  principale  du  sol.  La  pro- 
duction totale  de  la  Colombie  en  métaux  précieux  depuis  la  conquête,  au  XVP  siècle, 
peut  être  estimée  à  653,000,000  de  piastres  (3,265,000,000  francs).  Considérant  le 
pays  divisé  en  deux  grandes  zones  coupées  par  la  Magdalena ,  633,000,000  de 
piastres  correspondent  à  la  partie  occidentale  du  fleuve  et  20,000,000  à  la  partie 
orientale. 

La  production  de  chacun  de  ces  métaux  augmente  graduellement.  Ainsi ,  celle  de 
Tor,  qui  arriva  à  son  point  culminant  au  commencement  de  ce  siècle  ,  à  S  3,100,000 
par  an,  descendit  jusqu'à  2,000,000  (en  1861),  à  cause  de  la  guerre  de  l'indépendance, 
de  la  liberté  des  esclaves  (1851)  et  des  guerres  intestines  ;  mais  elle  est  remontée  ,  en 
ces  dernières  années,  à  S  2.955,000. 

Pendant  le  premier  quart  de  ce  siècle  ,  il  n'y  eut  pas  une  seule  mine  d'argent  en 
exploitation  dans  la  Colombie.  Depuis  1873 ,  la  production  du  métal  a  augmenté 
rapidement  :  elle  a  atteint  le  chiffre  de  1  million  de  piastres  en  1883  et  de  1,250,000 
on  1884. 

On  trouve  à  peu  près  partout  et  à  différentes  hauteurs  des  alluvions  aurifères  , 
mais  surtout  dans  les  vallées  ,  suivant  la  direction  des  cours  d'eau  ;  il  est  donc 
possible  de  faire  arriver  de  lourdes  machines  à  plusieurs  des  plus  riches  placers  , 
situés  sur  les  bords  des  fleuves  ,  la  Magdalena,  l'Atrato  ,  le  San-Juan  ,  le  Cauca,  etc. 

Les  filons  d'or  et  d'argent  sont  situés  sur  les  montagnes ,  en  général  dans  des 
endroits  sains  soumis  à  une  température  moyenne  et  même  froide.   On  peut  dire  , 


—  m-\  — 

d'ailleurs,  que  le  plus  grand  nombre  de  régions  métallifères  jouissent  d'un  climat 
salubre  et  se  trouvent  dans  de  bonnes  conditions  pour  l'approvisionnement  des 
vivres.  La  principale  exception  à  cette  règle  est  le  Ghoco,  dont  le  climat  ardent , 
pluvieux  et  humide,  expose  à  des  fièvres  paludéennes. 

Les  éti-angcrs  peuvent  acquérir  des  mines  aux  mêmes  conditions  que  les  naturels  , 
et  suivant  le  code  de  chaque  département.  Comme  d'après  la  Constitution  récemment 
sanctionnée,  les  mines  appartiennent  à  la  nation ,  la  législation  sera  ,  à  l'avenir , 
uniforme  pour  toute  la  République. 

Pour  les  Faits  et  Nouvelles  géographiques  non  extraits  : 

LE   SECRÉTAIRE-GÉNÉRAL , 

ALFRED  RENOUARD. 


SOCIÉTÉ  DE  GEOGRAPHIE 

DE     LILLE. 


SOCIÉTAIRES  NOUVEAUX  ADMIS  DANS  LE  COURANT  D'AVRIL  1887. 


MEMBRES   ORDINAIRES 
APPARTENANT   A    LA   SOCIÉTÉ    DE  VALENCIENNES. 


M°"  Thiky,  maîtresse  de  pension,  à  Valenciennes. 
MM.  Dehon  et  Seulin,  imprimturs,  à  Valenciennes. 

S.\BÈs  (Albert),  étudiant,  à  Valenciennes. 

BiLLiET  (Edouard),  négociant,  à  Valenciennes. 

SiMMRE,  pharmacien  militaire,  à  Valenciennes. 

MvsrON  (François),  propriétaire,  à  Marly. 

Raverdy  (Eugène),  propriétaire,  à  roadé-sur-l'Escaul. 

MABiLLE  (Henii),  banquier,  à  Valenciennes. 

BocA  (Charles),  avocat,  à  Valenciennes. 

L\MBOLR  (fils),  inspecteur  au  chemin  de  fer  du  Nord,  à  Anzin. 

Lesens,  avocat,  à  Valenciennes. 

TYRonE,  directeur  de  la  C'e  de  Thivencelles  et  Fresnes-Midi,  à  Fresnes. 

Grimom'rez,  propriétaire,  à  Valenciennes. 

Devémy  (Edmond),  brasseur,  à  Valenciennes. 

Thomas  (i  éon),  procureur  de  la  République,  à  Valenciennes. 

Poulle,  sub>lilut,  à  Valenciennes. 

DÉFOSSEZ  (le  docteur),  à  Abscon. 

Lamutte  (André),  avocat,  à  Valenciennes. 

Vasseir  (Uyppulile),  diiecleur  d'assurances,  à  Valenciennes. 

BoLcoART  (René),  négociant,  à  Saiul-Amand-les-Eaux. 

Vernus  (Emile),  président  du  conseil  des  prudhomraes,  à  Valenciennes. 

Ayasse,  imprimeur,  a  Valenciennes. 

Caffiai  x  (fils),  négociant,  à  Valenciennes. 

Thellier  de  P0NCHEV1I.LE  (Charles),  avocat,  député  du  Nord,  à  Valenciennes. 

BoiviN,  diiecleur  de  la  succursale  de  la  Banque  de  France,  à  Valenciennes. 

Veiliian,  infzénieur  des  ponts  et  chaussées,  à  Valenciennes. 

Renvrd  (Léon),  maître  de  verreries,  député  du  Nord,  à  Fresnes. 

Delcourt  (Eugène),  avocat,  à  Valenciennes. 


1» 


—  -i58  —      • 

COMMUNICATIONS  AUX  ASSEMBLÉES  GÉNÉRALES 

(in  extenso.) 

LA  FORÊT  DE  MORMAL 

Par  M.  Henri  BÉGOURT. 
Inspecteur  des  Forêts  au  Quesnby  (Nord). 

(Suite)  (1). 


Les  guerres  longues  et  malheureuses  n'apportent  pas  seulement  la 
misère  et  la  désolation  parmi  les  populations  dont  le  territoire  est 
envahi  ;  en  les  poussant  au  désespoir,  ellos  les  excitent  aussi  h  com- 
mettre des  désordres  que  l'autorité,  au  milieu  des  préoccupations  de 
toutes  sortes  dont  elle  est  assiégée  ,  est  généralement  impuissante  à 
réprimer.  Mormal  n'en  fût  pas  à  l'abri  pendant  cette  longue  période  do 
troubles  qui  commence  sous  le  gouvernement  de  Marguerite  de  Parme 
(1559-1567),  et  se  poursuit  sous  le  duc  d'Albe  (1567-1573),  Don  Luis  de 
Requesens  (1573-1576),  Don  Juan  d'Autriche  (1576-1578),  pour  se  termi- 
ner sous  Alexandre  Farnèse  (1579-1592),  par  la  séparation  des  Pays-Bas 
catholiques  des  Pays-Bas  protestants.  Mais  non  contents  de  piller  cette 
forêt,  ceux  qui  vivaient  à  son  ombrage,  commirent  sur  elle  des  antici- 
pations que  facilitaient  singulièrement  d'ailleurs  l'absence  de  limites 
précises  et  la  participation  des  Baillis  des  bois  du  Hainaut  à  tous  les  événe- 
ments militaires  qui  signalèrent  cette  époque  néfaste.  On  pourra  juger 
de  leur  importance  par  le  passage  suivant  d'un  mémoire  où  nous  avons 
déjà  puisé,  et  qui,  à  côté  du  mal  qu'il  constate,  indique  le  remède  à 
lui  appliquer  :  «  Il  est  bien  requis,  dit  l'auteur  de  ce  document,  de 
faire  abourner  toutte  laditte  forrest,  adfin  que  les  héritiers  voisins  ny 
puissent  doresenavant  riens  en  prendre  et  empescher  de  n'augmenter 
leurs  héritaiges  comme  ilz  ont  toujours  faictjusques  à  présent  ;  et  pour 
ravoir   et    rettirer   ce   qu'ilz   peulvent    avoir   prins,   seroit  besoing 


(1)  Voir  page  206  du  lome  précédent  (1886)  et  page  178  de  ce  voluiae  (1887). 


CABTE 

de     la.    Forêt     de 

IWnMAL 


{Bb 


ava 


'3 


pour  /^    CA/npâ£r?p  de  /  \V 

77^3 -ÇjJ  Berir,cv>et   °  /  ^  \ 


c^lfr   ^aaue 


fî 


.TojTim^pmes 


\ 


V^^ 


^v*^- 


'iBanh?^ 


\        •^P.telle         ^^^g^g'"''-^  \<1 


■pr^ 


sn^l 


"■•i;"::*'*-. 


';i-. 


'o'frtitxi 


i>iifi.;e>r^?f        j^f'^^^^""^      ^^r,^^h(li^iiir^r   -^ 


Pont 


^ymerie^ 


-c/à. 


Û 


"£,4 


"^Lmàrtat^ 


ES^    AÂt///j  des  7?^7zçd!<( 


» 


—  259  — 

faire  mesurer  en  la  présence  d'aulcuns  commis  et  députez  par 
Sa  Majesté  touttes  les  terres  et  heritaiges  y  contiguës  et  joinriantes, 
commandant  aux  héritiers  exhiber  leurs  tiltres  et  lettraiges  pour, suivant 
iceulx,  les  garder  en  droictz  et  asseoir  les  formes  ;  par  ce  moyen,  on 
remettroit  au  proftict  de  Sa  dicte  Majesté  ce  qu'il  se  Irouveroit  avoir  esté 
perdu  et  aliéné  quy  seroit  sans  auculne  doubte  grand  nombre  de  terres 
à  présent  perdues  par  Sa  dicte  Majesté...  Item  serait  besoing  faire  tout 
allenthour  de  ladicte  forrest  de  larges  et  profondz  fossetz  avecq  une 
haye  vive  par  de  dens,  pour  éviter  que  personnes,  ne  nuls  chariotz,  ny 
bestiaulx  ny  entrassent  que  par  lesdits  chemins  au  boult  des  quelz  y 
faudroit  construire  bonnes  barrières  pour  les  fermer  quand  besoing 
seroit  et  de  trois  ans  à  aultres  faire  relever  lesdictz  fossetz  aux  fraiz, 
assavoir  la  moictié  de  Sa  Majesté  et  l'autre  moictié  des  héritiers 
voisins.  »  (1) 

11  était  réservé  aux  Archiducs  Albert  et  Isabel,  dont  la  sollicitude 
éclairée  s'étendait  à  toutes  les  branches  de  l'Administration,  de 
s'opposer  à  ces  anticipations.  Ils  prescrivirent  à  cet  effet  le  terrier- 
menaige  ou  cercle-rtianeige  (2)  de  la  forêt.  Cette  opération  fut  très 
laborieuse,  car,  commencée  vers  l'an  1600  (3),  elle  souleva  un  si  grand 
nombre  de  difficultés,  qu'en  1626,  elle  n'était  pas  encore  entièrement 
terminée.  On  négligea  d'ailleurs  de  placer  des  bornes  (4)  à  tous  les 
angles  du  périmètre  ou  d'ouvrir  des  fossés  de  clôture  continus  ,  de 
sorte  que  le  but  que  l'on  avait  en  vue  ne  fut  pas  complètement 
atteint. 

Mais  il  ne  suffisait  pas  de  faire  rentrer  dans  leurs  limites  les  héri- 
tiers voisins  :  il  fallait  aussi  expulser  du  massif  tous  ceux  qui  étaient 
venus  s'y  implanter.  Leur  nombre  devait  être  assez  grand,  car  dans 
l'impuissance  où  ils.  s'étaient  trouvés  de  mettre  leurs  vassaux  à  l'abri 
des  excès  des  armées  amies  ou  ennemies,  les  seigneurs  de  la  région 
les  avaient  poussés  à  venir  y  chercher  un  asile.  Sur  la  proposition  des 
seigneurs  de  Pérenchies,  Grand  BaiUi  des  bois  duHainaut  et  Guillaume 
Chamart,  Conseiller  et  Avocat  fiscal  de  la  cour  de  Mous,  les  Infants 


(1)  Inventions  et  moyens  de  grandetnent  augmenter  la  forrest  de  Mormal ,  mé- 
moire précité. 

(2)  Ces  mots  sont  synonymes  de  déli  nitation  générale  et  bornage. 
I            (3)  Ordonn.  de  1601 ,  précitée  ,  art.  xxv. 

(4)  Les  insignes  de  la  Toison-d'Or  étaient  gravés  sur  ces  bornes. 


—  im  — 


ordonnent  que  commandement  leur  soit  fait  d'abattre  leurs  maison- 
nettes, et,  dans  le  but  de  s'en  débarrasser  plus  rapidement,  ils  accor- 
dent «  de  grâce  »  à  chacun  d'eux,  pour  qu'ils  puissent  se  pourvoir 
ailleurs  d'autres  habitations,  «  quinze  florins  une  fois,  à  peine  s'ilz  ne 
le  font  pas,  mesmes  d'estre  cella  faict  par  voye  de  justice  et  de  perdre 
leur  dict  don  gratuit.  »  En  même  temps  ils  interdisent  aux  seigneurs 
d'envoyer  à  l'avenir  leurs  vassaux  dans  la  forêt,  «  à  peine  de  fourfaic- 
ture  et  acquisition  de  leur  justice...  et  aultres  peines  qui  seront  trou- 
vées convenables  à  leurs  connivences  et  dissimulations.»  (1)  L'expulsion 
de  la  forêt  de  ces  individus  ne  coûta  pas  moins  de  peine  que  la  reprise 
d'une  partie  des  terrains  usurpés  le  long  des  bordures  ;  il  fallut,  pour 
en  finir  avec  eux,  que  Philippe  IV  envoyât  sur  les  lieux  un  «  avocat 
d'office  »  avec  mission  de  faire  comparaître  devant  les  Jurés  de  Mormal 
tous  ceux  qui  y  possédaient  des  maisons,  huttes  ou  cabanes  «  afin 
d'exiber  et  vérifier  leurs  titres,  et  en  ce  cas  qu'il  y  a  aucuns  mal  fondés 
il  les  (fasse)  par  voye  de  justice,  et  après  qu'ils  seront  deument  ouïs  en 
leurs  deffences,  déposséder  ou  oster  leurs  dittes  huttes  ou  cabanes.  » 
De  plus,  interdiction  fut  faito  aux  riverains  d'élever  de  nouvelles  cons- 
tructions, sous  peine  «  d'estre  fustigés  de  verges  et  bannis  à  perpé- 
tuité de  la  forêt.  »  (2) 

Les  guerres  qui  précédèrent  le  démembrement  du  Hainaut,  occa- 
sionnèrent de  nouvelles  usurpations  et  le  rétablissement  dans  le  massif 
de  maisons  de  perches  (•^).  Le  premier  soin  des  officiers  de  la  Maîtrise 
des  Eaux  et  Forêts  du  Quesnoy,  après  la  conquête,  fut  d'expulser  les 
envahisseurs.  Parmi  ces  dei-niers,  se  trouvait  un  certain  Martin  Gant, 
natif  d'Hachetle,  qui  s'était  soliiement  établi  au  quartier  de  Maroilles. 
J.-B.  Le  Féron,  qu'un  arrêt  du  Conseil,  du  19  avril  1677,  avait  commis  à 
la  délimitation  générale  et  au  bornage  de  la  forêt,  constata,  en  effet, 
que  «  icelle  maison,  lieu  et  pourpris  (était)  entourée  d'une  baye 
d'espines  vive  avec  de  grands  fossés,  et  d'autant,  ajoute-t-il,  que  ledit 
Gant  a  enclos  un  canton  de  la  .  dite  forest  avec  une  barrière  pour  s'y 


(1)  Ordonnance  de  J016,  art.  ix  et  x.  Arch.  ilu  Jép.  du  Nord.  Ch.  des  Comptes  à 
Lille.  M.  57.  Forêt  de  Mormal. 

(2)  Ord.  de  iôW,  art.  70  et  71.  Arch.  de  rinspection  des  forêts  du  Quesnoy. 

(3)  On  retrouve  encore  çà  et  là  dans  la  forêt ,  les  emplacements  des  hûtes  qui  ont 
abrite  en  temps  d'invasion  une  partie  des  habitants  qui  étaient  venus  y  chercher  un 
refuge  ;  ils  sont  signalés  par  ditiérents  vestiges  et  particulièrement  par  des  carreaux 
rouges  qu'on  a  parfois  fait  remonter  à  l'époque  romaine. 


-  261  — 

retirer  pendant  la  guerre  avec  les  païsans  d'allenthour,  nous  ordon- 
nons que  le  fossé  sera  ravallé,  rabattu  et  deffense  audit  Martin  Gant 
d'en  faire  de  pareils,  à  peine  de  mil  florins  d'amende.  »  Le  procès- 
verbal  de  délimitation,  dressé  par  Le  Féron,  relate  que  nombre  de 
riverains  ont  outrepassé  leurs  limites.  Cet  officier  leur  fit  restituer 
leurs  emprises  et  condanma  les  plus  aurlacieux  à  des  amendes  dont 
quelques  unes  s'élevèrent  à  115  florins;  après  quoi,  on  remplaça  les 
bornes  qui  avaient  disparu,  et  l'on  rafraîchit  sur  certains  points  les 
fossés  de  périmètre.  (1) 

Pendant  le  siècle  suivant,  on  procéda  à  trois  vérifications  des  limites: 
la  première  fut  effectuée,  en  1741,  par  Jean-Antoine  Garion,  maître 
arpenteur  juré  en  la  Maîtrise  du  Quesnoy  ;  la  seconde,  en  1749,  par 
Jean-Baptiste  Lhussier,  et  la  dernière,  en  1778,  sous  le  Maître  parti- 
culier Aupépin.  A  la  suite  de  ces  opérations,  les  bornes  brisées  ou 
disparues  furent  remplacées  et  les  fossés  curés  à  vieux  fonds,  vieux 
bords. 

Quand  survint  la  première  révolution,  la  plupart  des  bornes,  dont  le 
nombre  s'élevait  à  408,  furent  renversées  par  les  riverains,  qui  profi- 
tèrent du  désordre  qui  régnait  dans  le  pays,  et  du  peu  d'autorité  des 
officiers  forestiers,  pour  commettre  de  nouvelles  usurpations.  L'un 
d'eux  vint  se  fixer  au  canton  du  Brai  Gochin,  près  de  la  chaussée,  où 
il  se  construisit  une  masure  encore  existante  ;  les  autres  se  conten- 
tèrent de  faire  reculer,  autant  qu'ils  purent,  les  haies  sinueuses  qui 
séparaient  leurs  héritages  delà  forêt.  On  aura  une  idée  approximative 
de  l'importance  du  terrain  qu'elle  a  dû  perdre  de  la  sorte,  si  l'on  se 
représente  le  développement  de  son  périmètre  qui,  encore  aujourd'hui, 
n'a  pas  moins  de  80,000  mètres. 

Ge  n'est  qu'en  1827,  qu'on  procéda  à  un  nouveau  bornage.  L'opéra- 
tion fut  exécutée  par  MM.  Delattre,  Inspecteur  des  Forêts  au  Quesnoy 
et  Lemoyne,  Sous-Inspecteur  des  Forêts  à  Landrecies,  qui  durent 
presque  partout  accepter  les  faits  accomplis.  Le  procès-verbal  qu'ils 
dressèrent  à  cette  occasion,  était,  comme  tous  ceux   de  leurs  devan- 


(1)  Procès-verbal  du  bornage  de  la,  forest  de  Monnal,  exécuté  en  168.5,  par  J.-B. 
Le  Féron ,  escuyer,  Seigneur  du  Plessis  ,  Conseiller  du  Roy  en  ses  conseils  ,  Maître 
ordinaire  en  sa  chambre  des  comptes  ,  Commissaire  nommé  par  Sa  Majesté  pour  la 
réformation  générale  de  ses  forêts  et  à  la  charge  de  Grand-Maître  des  eaux  et  forests 
au  département  de  Flandre ,  Artois ,  Haynaut ,  pays  d'entre  Sambre-et-Meuse  et 
d'Outre-Meuse.  —  Arch.  de  l'Inspection  des  forêts  du  Quesnoy. 


—  362  - 

ciers,  tout-à-fait  incomplet,  en  ce  qu'il  se  bornait  à  relater  les  distances 
qui  séparaient  chaque  borne  de  la  suivante,  sans  donner  aucune  indi- 
cation sur  la  valeur  des  angles  que  formaient  les  sinuosités  du  péri- 
mètre; de  plus,  on  y  trouvait  souvent  des  énonciations  aussi  vagues 
que  l'est  celle-ci  :  «  De  cette  borne,  la  ligne  périraétrale  se  dirige  au 
Sud  sur  une  longueur  de  164"°, 4*^,  en  suivant  une  ligne  sinueuse  tenant 
aux  propriétés  du  sieur  Meurant,  jusqu'à  la  borne  283.  »  Il  eut  donc 
été  impossible  de  s'appuyer  en  justice  sur  ce  procès-verbal  pour  faire 
vider  les  contestations  qui  auraient  pu  surgir.  Un  fait  en  vint  bientôt 
démontrer  l'insuffisance  :  quoique  les  haies  de  périmètre  fissent  partie 
de  la  forêt,  il  paraît  certain  que  le  service  forestier  local  souffrit  que 
les  riverains  se  chargeassent  de  les  reslouper  (1)  et  profitassent  du 
produit  de  la  tonte  ;  ce  fut  assez  pour  que  la  plupart  d'entre  eux 
élevassent  des  prétentions  sur  la  propriété  de  ces  haies.  Bien  que 
l'Administration  eut  cité  des  arrêts  du  Conseil  de  1684  et  de  1687  qui 
ordonnaient  la  vente  des  bois  dépérissants  implantés  dans  ces  haies  , 
et  produit  un  procès-verbal  du  20  janvier  1688  constatant  le  mar- 
telage de  1150  arbres  dans  lesdites  haies  ;  bien  qu'elle  eut  rappelé 
que  dans  les  balivages  exécutés  postérieurement  à  ces  dates,  les  nou- 
veaux arbres  dépérissants  qu'on  y  avait  rencontrés,  avaient  toujours 
été  frappés  du  marteau  de  l'Etat  et  vendus  à  son  profit;  enfin  qu'elle 
eut  fait  remarquer  que  ces  mêmes  haies  étaient  établies  sur  les  crêtes 
d'un  fossé  dont  les  terres  étaient  rejetées  du  côté  de  la  forêt ,  elle 
succomba  dans  plusieurs  instances ,  à  la  suite  desquelles  le  Ministre 
des  Finances  prescrivit  d'abandonner  toutes  les  autres.  (2) 

Dans  cette  situation,  la  commission  qui  fut  chargée,  en  vertu  d'un 
arrêté  du  30  avril  1859  du  Directeur  Général  des  Forêts,  de  procéder 
à  la  révision  de  l'aménagement  de  Mormal,  demanda  à  l'Administra- 
tion l'autorisation  de  procéder  de  concert  avec  les  riverains,  à  la 
reconnaissance  amiable  des  limites  de  cette  forêt,  de  faire  abattre  les 
haies  de  clôture,  non  seulement  sur  tous  les  points  où  ces  haies  appar- 
tenaient à  l'État  ou  étaient  mitoyennes,  mais  encore  sur  ceux  ou  les 
riverains  reconnus  propriétaires  y  donnaient  leur  adhésion,  puis  de 


(1)  Mot  wallon  qui  signifie  entretenir. 

(2)  Lettre  du  27  septembre  1848,  approuvant  deux  arrêtés  du  Préfet  du  Nord  conte- 
nant propositions  d'abandonner  l'instance  Guffroy.  Arch.  de  l'Inspection  des  forêts 
du  Quesnoy. 


—  2r>3  — 

faire  ouvrir  entièrement  sur  le  sol  forestier,  à  0"'50  de  la  ligne  de 
limite,  un  fossé  de  clôture  do  2  mètres  de  largeur.  Celle  proposition 
^ant  été  agréée,  on  fit  disparaître  successivement  la  plus  grande  partie 
des  vieilles  haies  et  on  ouvrit  un  fossé  continu,  qui,  indépendemment 
de  l'avantage  de  mettre  désormais  le  massif  à  l'abri  d'usurpations 
nouvelles,  aura  celui  de  prévenir  bien  des  contestations  et  même  des 
procès  entre  l'Administration  et  les  propriétaires  riverains  (1). 

Parmi  les  autres  causes  qui  ont  concouru  à  réduire  la  contenance 
de  la  forêt,  nous  mentionnerons  à  présent  les  aliénations  et  les  con- 
cessions accordées  à  des  établissements  religieux. 

Motivées,  soit  par  des  embarras  financiers  du  gouvernement,  soit 
par  des  doctrines  économiques  heureusement  répudiées  aujourd'hui, 
les  aliénations  ont  porté  sur  les  cantons  détachés  de  Mormal  :  la  haie 
Hourdeau,  située  sur  le  territoire  de  Landrecies,  la  haie  de  Quelipont, 
(partie  domaniale  (2)  située  sur  celui  de  Preux-au-Sart,  et  les  haies  le 
Comte  et  des  Lombards,  situées,  l'une  sur  Landrecies,  l'autre  sur  Loc- 
quignol.  La  haie  Hourdeau  (188  arpents)  fut  vendue,  en  vertu  d'une 
loi  du  28  ventôse  an  II,  en.  thermidor  an  IV.  pour  la  somme  de  48574 
livres  ,  à  M.  Joseph  Bâillon,  gérant  des  fortifications  du  Quesnoy,  et 
plus  tard  maire  de  cette  ville  et  député  au  Corps  législatif.  Madame 
Scolastique  Robillard,  veuve  en  premières  noces  de  M.  Desfontaines, 
seigneur  deFrasnoy,  et  en  secondes  noces  du  vicomte  de  Bouno-Lesdi- 
gnières,  se  rendit  acquéreur  à  la  même  époque  de  la  haie  de  Quelipont 
(i6arp.  15  p.)  au  prix  de  3297  liv.  La  haie  le  Comte  (68  h.  II  a.)  fut 
aliénée  en  vertu  d'une  loi  du  25  mars  1831  et  échut  à  un  spéculateur 
pour  la  somme  de 203000  francs.  Quant  à  la  haie  des  Lombards  (21  h. 
76  a.),  elle  fut  vendue  en  suite  d'une  loi  du  4  nov.  1862,  pour  81,000 
francs,  à  M.  d'Albert .  duc  de  Luynes  et  de  Chevreuse. 

Les  religieux  dotés  aux  dépens  du  massif  sont  les  Bénédictins  de 
Maroilles  et  les  Récolets  de  Mormal. 
Les  premiers  possédaient  une  censé  avec  66  rasières  s'étendant  sur 


(1)  Projet  d'aménagement  du  5  fev.  1864  ,  par  MM.  Dupuy  de  Glinchanip  et 
Charles  ;  p.  5  à  7.  Arch.  de  rinspection  des  forêts  du  Quesnoy. 

(2)  Le  domaine   ne  possédait  qu'un  tiers  de  ce  bois,  le  surplus,  soit  environ 
H2  arpents  ,  appartenant  au  seigneur  de  Frasnoy. 


-  264  — 

la  rive  gauche  delà  Sambre,  près  du  chemin  de  Locquignol  à  Maroilles. 
On  ne  connaît  pas  la  date  à  laquelle  ce  domaine  leur  fut  accordé,  et  les 
religieux  ne  pouvaient  produire  eux-mêmes  d'autres  titres  qu'une 
longue  possession  (1).  Ils  jouissaient  en  outre,  en  regard  de  leur  censé, 
d'un  droit  de  pêche  dans  la  Sambre  qui  leur  fut  concédé  par  Bauduin- 
le  Vieil  et  qui  leur  fut  confirmé  par  Jeanne  et  Ferrand,  en  1231,  puis 
par  Louis  XVI,  en  1785  (2).  La  comtesse  Jeanne  leur  accorda  aussi 
un  chemin  de  30  pieds  de  largeur,  tendant  de  leur  terre  d'Hachette  à 
la  Sambre,  mais  en  se  réservant  la  justice  sur  ce  chemin  et  sous  la 
condition  de  pouvoir  établir  un  pont  sur  cette  rivière  en  face  du 
domaine  de  Renaut-folie  qui  leur  appartenait  également.  A  la  première 
révolution,  la  censé  d'Hachette  et  ses  dépendances  furent  réunies  au 
domaine  national,  puis  vendues  pour  une  somme  de  15,900  fr.  en  prin- 
cipal, à  Jean  Huvelle  de  Locquignol  (3), 

La  concession  accordée  aux  Réoolets  occupait  une  petite  vallée 
pittoresque  située  à  peu  de  distance  d'Hachette.  On  ignore  également 
l'époque  où  elle  leur  fut  faite  ;  on  peut  affirmer  toutefois  qu'elle  n'est 
ni  antérieure  au  XIP  siècle,  puisque  c'est  seulement  après  la  troisième 
croisade  que  ces  religieux  firent  leur  apparition  dans  le  Hainaut,  ni 
postérieure  à  la  fin  du  XIV**  siècle,  car  il  en  est  question  dans  un 
compte  de  la  recette  générale  de  1393-1394  (4).  La  conjecture  la  plus 
vraisemblable  est  qu'ils  furent  autorisés  à  se  fixer  dans  la  forêt  par  la 
comtesse  Jeanne  qui,  d'après  nos  anciens  chroniqueurs,  se  distinguait 
par  une  vive  piété  et  dota  un  grand  nombre  de  communautés  tant  en 
Hainaut  qu'en  Flandre  (5).  Quoi  qu'il  en  soit,  le  terrain  occupé  par  eux 


(1)  St-Génois.  Droits  prhnitifs  des  ancientics  terres  et  seigneuries  du  pays  et 
comté  de  Haynaut ,  etc.,  p.  3J8. 

(2)  Arrêt  du  Conseil  d'État ,  du  26  mai  1785. 

(3)  Quant  à  l'abbaye  de  Maroilles  ,  pillée  en  1789  par  des  habitants  de  Taisnièri  s  , 
ayant  à  leur  tête  Jean  Fiévet ,  elle  partagea  le  même  sort  et  fut  en  grande  partie 
démolie  en  1794.  Gossart.  Précis  de  T histoire  des  principaux  établissements  reli- 
gieux qui  existaient  autrefois  dans  l'arrondissement  d'Avesnes. 

(4)  «  Pour  le  fachon  de  im  livres  de  candeilles  de  chire  tant  pour  l'iermitaige 
comme  pour  leditte  maison  de  Haches....  ii  solz.  »  Compte  de  Colart  Haignet , 
receveur  de  la  recette  générale  du  Hainaut,  pour  139;j-lo'J4  ,  fol"  46  .  v".  Arch.  du 
départ,  du  Nord.  Ch.  des  Comptes  à  Lille. 

(5)  Elle  succéda  en  1304  ,  à  son  père  Bauduin  VI  de  Hainaut  et  épousa  ,  en  pre- 
mières noces  ,  Ferrand  de  Portugal  que  Philippe-Auguste  fit  prisonnier  à  Bouvines  , 
et ,  en  secondes  noces  ,  Thomas  de  Savoie  qui  lui  survécut  Elle  mourut  sans  posté- 
rité, en  1244,  laissant  à  sa  sœur  Marguerite  les  comtés  de  Flandre  et  de  Hainaut. 


—  2(v)  — 

n'avait  qu'une  médiocre  étendue ,  car,  au  moment  de  sa  plus  grande 
extension,  il  embrassait  à  peine  une  surface  de  deux  bonniers. 

Le  bâtiment  qui  leur  servait  d'asile,  s'appelait  l'ermitage  ;  c'est  qu'à 
l'origine ,  il  n'était  habile  que  par  un  seul  religieux  et  par  son  clerc 
qui  l'aidait  «  à  dire  messe  (1)».  Il  était  alors  très  modeste  ,  quoique 
désigné  parfois  sous  le  nom  de  moûtier  (2)  :  il  ne  se  composait  en  effet 
que  d'un  rez-de-chaussée,  comprenant  deux  chambres  et  une  chapelle 
dédiée  à  St-Roch.  Dans  la  suite,  plusieurs  cénobites  vinrent  s'y  fixer, 
et  tout  en  conservant  son  nom,  il  fut  l'objet  d'agrandissements,  mais  en 
définitive  de  peu  d'importance. 

Les  comtes  de  Hainaut  prenaient  à  leur  charge  les  réparations  que 
nécessitait  l'ermitage  de  Mormal  (3)  ;  ils  distribuaient  ainsi  à  ses 
habitants  quelques  aumônes  (4)  et  les  autorisaient  à  prendre  dans  la 


(1)  «  A  Messire  Jehan  et  frère  Baude,  hiermittes  el  yermitage  de  Mourmail,  a  estet 
délivret  à  plusieurs  fois  ou  terme  de  ce  compte  en  pain  cuit,  el  ayde  leur  gouver- 

nanche i  mui  ii  rasières.  »  Compte  de  Colart  Haiynet ,  receveur  du  Hainaut , 

du  !•"■  sept.  1398  au  l*'"  sept.  1399,  foP  91.  Arch.  du  dép.  du  Nord.  Ch.  des  Comptes, 
à  Lille. 

(2)  Compte  de  Jean  Rasoirs  ,  receveur  du  Hainaut,  du  1"  sept.  1427  au  T' sept. 
1428  ,  fol"  42.  Mêmes  archives. 

(3)  On  lit  en  effet  dans  le  Compte  de  Wuillaumes  de  Sommaing ,  bailli  des  bois 
du  Hainaut,  pour  1399-1400.  à  l'art,  intitulé  Ouvraiges  et  aultres  parties  :  «  à  Jehan 
Estrée,  carpentiers  demeurans  à  Maroilles,  pour  m  jours  avoir  ouvré  à  rhiermitaige 
de  Mourmal,  au  mois  d'octobre  un'"'  xix  (1399) ,  au  remettre  en  estât  les  allans  dudit 
lieu  ,  ou  mestier  estoit  et  les  pafïix  recouverts  d'arselles  ou  besoing  estoit ,  à  un  solz 
le  jour  et  ses  dépends,  sont xii  solz    » 

Voir  également  un  Compte  de  Jacques  de  tloion  ,  bailli  des  bois  pour  1404-1405  , 
fol"  36  ,  et  ceux  de  Jean  Rasoirs  et  de  Charles  de  Martigny,  receveurs  du  Hainaut , 
le  premier  pour  Tannée  1427-1428  ,  foP  42 ,  et  le  second  ,  pour  l'année  1594-1595  , 
folo2;:^6. 

(4)  En  voici  des  exemples  : 

1°  A  III  povres  frères  hermites  liquel  ont  esteit  en  Termitaige  de  leditte  foriestpar 
VI  mois  ou  terme  de  ce  compte  ,  a  esteit  delivreit  en  aumosne  ou  lieu  qu'il  soloient 
avoir  pain ,  compenaige  et  laitais  es  dictes  maisons  de  Renaufollie  et  Haces  à  cascun 
nu  solz  ,  Ti  deniers  le  mois  par  iiii  leur  candeilles  mi  libvres  xii  deniers  ,  et  à  frère 
Hue  Roussiel ,  hermite  et  wardaig  doudit  lieu  par  otel  par  le  terme  de  vi  mois  de 
lui  seul  à  ce  pris  xxti  solz,  sont cviii  solz . 

«  Pour  demi  vaissiel  de  sel  accatté  et  delivreit  as  dis  hermites 
IX  solz ,  item  pour  une  rasière  de  pois  xiin  solz  et  pour  une 
couppe  de  fèves  ii  solz,  vi  deniers,  sont xxv  solz  \t  den.  » 

Compte  de  Gérard  Engherans  ,  receveur  du  Hainaut ,  pour  1413-1414  ,  fol.  45 
Arch.  du  dép.  du  Nord.  Cli.  des  Comptes,  à  Lille. 

2"  «  A  Messire  Jehan  Liermitte  .  ])riestre  demorant  à  l'ermittaige  de  Mourmaul , 


—  266  — 

forêt,  pour  leur  chauffage ,  des  arbres  morts  ou  renversés  par  le  vent. 
Après  la  conquête  française  ,  le  roi  pourvut,  comme  les  anciens  sou- 
verains du  pays,  a  l'entretien  de  leur  édifice  ;  mais  le  droit  dont  ils 
jouissaient  de  se  procurer  les  chablis  et  les  arbres  secs  nécessaires  à 
leurs  besoins  leur  fut  supprimé ,  en  1751 ,  par  le  Grand  Maître  des 
Eaux  et  Forêts,  Raulin  d'Essart,  comme  ne  reposant  sur  aucun  titre. 
Sur  leur  réclamation  ,  intervint  un  arrêt  confirmant  la  décision  de  cet 
officier  :  nous  le  rapporterons  intégralement  à  raison  de  l'intérêt  qu'il 
présente  : 

«.<  Sur  la  requête  présentée  au  Roy,  en  son  conseil ,  par  les  religieux  Récolets 
du  couvent  de  Mormal ,  contenant  qu'ils  sont  établis  dans  le  milieu  de  la  forêt  de 
Mormal ,  pour  y  rendre  service  aux  sujets  de  Sa  Majesté  ,  spécialement  aux  officiers 
de  la  ]Maîtri?e  particulière  du  Quesnoy  et  aux  gardes  de  ladite  fores t ,  et  encore  à 
2000  ouvriers  au  moins  qui  travaillent  et  se  logent  dans  des  cahanes  qui  se  bâtissent 
dans  cette  forest ,  qui  est  de  i  lieues  de  diamètre  ;  que  ces  ouvriers  n'ont  d'autres 
secours  spirituels,  tant  pour  la  messe,  que  pour  les  autres  sacrements  ,  que  des  sup- 
plians,  qui  y  sont  autorisez  par  les  curez  des  villages  circonvoisins  ;  que  depuis  leur 
fondation,  on  leur  a  toujours  accordé  pour  leur  chaulî'age,  le  bois  qui  leur  est  néces- 
saire chaque  année  ;  qu'il  y  a  100  ans  environ  ,  qu'on  leur  désigne  un  certain  endroit 
à  ladite  forest  pour  y  prendre  ,  à  force  de  bras  ,  les  bois  tendres  et  abattus  par  les 
vents,  et  ce,  sous  les  yeux  des  gardes,  après  ,  néanmoins,  qu'ils  ont  été  marquez  du 
marteau  du  Roy  ;  que  cette  manière  de  les  aider  ne  porte  aucun  préjudice  aux  inté- 
rêts de  Sa  Majesté,  attendu  que  lesdits  bois  tendres  ne  se  vendent  jamais,  par 
l'impossibilité  d'y  introduire  les  voitures  dans  les  coupes  de  ladite  forest,  oii  il  se 
trouve  quantité  de  ces  bois  qui  tombent  à  mesure  que  les  bois  durs  qui ,  seuls  , 
forment  ladite  forest,  croissent  et  s'élèvent  ;  que  c'est  ce  qui  oblige  les  officiers  de 
la  dite  Maîtrise  de  laisser  pourrir  les  dits  bois  tendres  dans  l'endroit  oii  ils  tombent; 
que  par  une  nouveauté  des  plus  singulières,  le  S' Raulin  d"Essart,  Grand-Maître  des 
eaux  et  forests  du  département  de  Haynault ,  leur  refuse  ce  secours  ordinaire ,  sous 
prétexte  qu'ils  ne  sont  pas  compris  dans  l'Etat  des  coupes  et  ventes  de  bois  ,  chauf- 
fages et  autres  droits  d'usage  concernant  la  dite  forest  de  Mormal ,  arrêté  au  conseil 
le  1"  septembre  1674  ,  en  exécution  de  l'ordonnance  des  Eaux  et  Forests  du  mois 
d'aoust  1669  ;  qu'ils  ont  lieu  d'espérer  de  l'équité  naturelle  de  Sa  Majesté  ,  qu'elle 
voudra  bien  leur  continuer  les  bienfaits  que  les  Hoys  ses  prédécesseurs  leur  ont 


pour  ses  gaiges  d'argent  que  on  lui  donne  cascun  an  en  ayde  de  sen  vivre  ,  pour  lui 
et  son  clercq  qui  lui  aide  à  dire  messe  ,  a  estct  pour  le  terme  de  xii  mois  acomplis 
à  le  fin  de  ce  compte  ,  par  ledit  recepveur  payet,  à  ix  solz  le  mois  ,  cvm  solz  ;  item 
pour  xii  rasières  de  bleid  à  lui  délivret  audit  terme  pour  leur  gouverne  à  xvii  solz  le 
rasière,  x  libvres  un  solz  ;  item  pour  xii  libvres  de  candeilles  à  xxvii  deniers  le  libvre 
XVII  solz  :  item  pour  ii  quartiers  seel  délivret  à  lui  en  ce  terme,  xv  solz  ;  item  ,  pour 
une  rasière  de  poix  xviii  solz  et  pour  x  libvres  d'oille  xv  solz.  Sont  ces  parties  ensi 

délivrées  que  dit  est xix  libvres  vu  solz.  •» 

Co»q)tf  (le  Guillaume  Estièvenard .  dit  rlu  Canibi/e  ,  receveur  du  ITainaut  ,  pour 
li2n-l  126  .  fol"  i7.  Mèines'arch. 


-  267  ~ 

accordés  jusqu'à  présent;  que  cette  aumône  leur  est,  d'autant  plus  nécessaire,  qu'ils 
ne  possèdent  aucuns  biens,  et  que  se  trouvant  isolés  au  milieu  de  cette  vaste  forest, 
ils  ne  peuvent  y  subsister  qu'au  moyen  de  cette  grâce  et  que  c'est  dans  ces  circons- 
tances qu'ils  ont  été  conseillez  de  se  pourvoir.  A  ces  causes  requéroient  les  suplians 
qu'il  plût  à  Sa  Majesté  leur  continuer  ,  à  titre  d'aumône  ,  le  droit  qui  leur  a  été  cy 
devant  accordé  par  les  Roys  ,  prédécesseurs  de  Sa  Majesté  ,  de  prendre  annuelle- 
ment, dans  ladite  forêt  de  Mormal  ,  les  bois  chablis  et  rompus  j)ar  les  vents  ,  dont 
ils  auront  besoin  pour  leur  ciiauflTage,  et  ce,  suivant  la  marque  et  délivrance  qui  leur 
en  sera  faite  par  celui  des  officiers  de  ladite  Maîtrise  que  ledit  sieur  Grand-Maître 
jugera  à  propos  de  commettre  à  cet  ertet.  Veu  la  dite  requête  et  les  pièces  y  jointes, 
ensemble  l'Etat  arrêté  au  conseil  le  l"'  septembre  1674  ,  cy  dessus  mentionné,  dans 
lequel  les  suplians  ne  sont  compris  pour  aucun  droit  de  chauffage  ,  de  quelqu'espèce 
que  ce  soit  dans  ladite  forest  de  Mormal ,  et  l'avis  du  dit  Grand-Maître  du  26  dé- 
cembre 1751.  OuY  le  rapport. 

Le  Roy  en  son  conseil  ,  sans  avoir  égard  à  la  requête  ny  aux  demandes  ,  fins  et 
conclusions  des  suplians  ,  dont  Sa  Majesté  les  a  débouté  et  déboute  ,  a  ordonné  et 
ordonne  que  l'Etat  des  coupes  et  ventes  de  bois  ,  chauffages  et  autres  droits  d'usage 
de  la  forest  de  Mormal ,  arrêté  au  Conseil  le  1"  septembre  mil  six  cent  soixante- 
quatorze  ,  sera  exécuté  selon  sa  forme  et  teneur. 

De  Lamoignon.  Machaut. 

«  A  Fontainebleau  ,  le  24  du  mois  d'octobre  1752.  »  (1). 

Ce  serait  sortir  de  notre  cadre  que  de  nous  étendre  sur  les  Récolets 
do  Mormal  dont  on  s'est  d'ailleurs  fort  peu  occupé  jusqu'à  ce  jour. 
Nous  ajouterons  seulement  qu'indépendamment  des  besoins  spirituels 
des  habitants  d'Hachette  auxquels  ils  pourvoyaient  en  vertu  d'une 
autorisation  épiscopale  (2),  ces  religieux  se  consacraient  à  l'éducation 
des  enfants  de  ce  hameau  et  de  ceux  du  village  de  Locquignol,  et  que 
plusieurs  d'entre  eux  se  répandaient  dans  la  contrée  en  qualité  de 
confesseurs  ou  de  prédicateurs.  Un  état  des  religieux  profès  de  leur 
établissement,  dressé  en  vertu  d'un  décret  de  l'Assemblée  constituante 
du  26  mars  1790,  nous  indique  qu'à  cette  époque  ils  étaient  au  nombre 
de  quatorze,  dont  sept  pères  et  autant  de  frères  ;  ils  déclarèrent  à  la 


(1)  Archives  nationales.  E  ,  1283. 

(2)  «  Au  thuillier  dou  Lostignot ,  siergeans  de  le  foriest  de  Mourmail ,  liquels  au 
command  de  monseigneur  le  baillieu  des  bos  fu  à  Gambray  pour  ii  jours  ou  mois 
d'apvril  l'an  Illlc  pour  les  lettres  de  le  capielle  dou  Lostignot  et  del  hiermitaige  de 
Mourmail  avoir  renouvelées  de  la  grasce  de  monseigneur  de  Gambray  paiiet  pour  les 
despens  de  lui  et  de  sen  cheval  ledit  terme.  Et  avoecq  pour  le  escripture  et  le  saiicl 

des  lettres xxxii  solz.  »  Compte  de  Piersant  d'Audref/nies ,  bailli  des 

bois  du  Hainaut  depuis  le  1"  mars  1400  jusqu'au  1"' sept,  1400,  fol"  20.  Arch.  du 
dép.  du  Nord.  Gh.  des  Comptes  à  Lille.  Voir  aux  mêm(?fe  arch.  sur  le  même  objet,  un 
Compte  de  Thierij  de  Mersen  ,  bailli  des  bois  ,  pour  1408-1409  ,  fol"  21» ,  v". 


—  2R8  — 

« 

Commission  municipale  du  Quesnoy,  qui  avait  été  chargée  de  faire  une 
enquêle  sur  leur  couvent,  que  leur  intention  était  d'y  rester,  d'y  vivre 
et  d'y  mourir  en  conformité  de  leurs  vœux  (1].  Quelques  années  après, 
ils  furent,  comme  tant  d'autres  religieux,  expulsés  de  leur  retraite  (2), 
et  aprôs  leur  départ,  l'ermitage,  que  la  municipalité  centrale  du  canton 
de  Berlaimont  avait  confié  à  la  garde  du  citoyen  Lécoyez  (3),  tomba 
sous  les  coups  des  démolisseurs  Leur  cimetière,  dans  lequel  une  place 
était  réservée  pour  les  habitants  d'Hachette,  ne  fut  même  pas  respecté: 
les  tombes  qu'il  renfermait  furent  enlevées  par  quelques  individus  de 
ce  hameau  qui  les  employèrent  au  pavage  de  leurs  étables  à  porcs,  où 
on  les  retrouve  encore.  Quelques  pierres  à  demi  cachées  sous  les 
ronces  où  gisant  au  fond  de  ruisseaux ,  un  tertre  sur  lequel  s'élevait 
une  croix,  tels  sont,  avec  d'anciens  fossés  de  clôture,  les  seuls  vestiges 
qui  signalent  aujourd'hui  l'emplacement  de  l'antique  ermitage  des 
Récolets  de  Mormal. 

Il  ne  nous  reste  plus  à  mentionner,  parmi  les  causes  qui  ont  diminué 
l'étendue  de  cette  forêt,  que  les  décisions  ayant  eu  pour  objet  l'abandon 
des  terrains  nécessaires  à  l'établissement  de  voies  publiques  dans  ce 
massif.  Disons  d'abord  qu'avant  1839  il  n'existait  pas  de  chemins  de 
cette  nature  à  Mormal ,  car  ceux  qu'on  y  trouvait  faisaient  partie  du 
sol  forestier  ;  pendant  longtemps  même,  ces  chemins  servirent  exclusi- 
vement à  l'exploitation  des  coupes  ou  à  la  desserte  du  domaine  de  Loc- 
quignol ,  et  il  était  interdit  aux  habitants  du  dehors  de  les  fréquenter 


(1)  Archives  municipales  du  Quesnoy. 

(2)  C'étaient  les  pères  François  Motte,  39  ans,  gardien  ;  Léopold  Emaque,  47  ans, 
prêtre  vicaire  ;  Ange  Fiévet ,  52  ans  ,  stationnaire  de  Landrecies  ;  Antoine  Hégo  , 
55  ans,  prêtre  terminairo  ;  Michel  Leplat,  40  ans,  prêtre  prédicateur  ;  Antoine-Joseph 
Leplat,  40  ans,  missionnaire  ;  Sylvis,  André,  39  ans,  prédicateur  et  confesseur  à  Ma- 
roilles; les  frères  Norbert  Martin  ,  63  ans  ,  brasseur  de  la  maison  :  Célestin  Rappe  , 
40  ans  ,  quêteur  de  Landrecies  ;  Prosper  Laforge  ,  36  ans  ,  jardinier  ;  lldefonse  Le- 
maire  ,  36  ans  ,  cuisinier,  et  Valengin  ,  tailleur  d'habits. 

(.3)  Liberté.  Egalité. 

L'an  4  de  la  République  française  une  et  indivisible ,  le  vingt-deux  pluviôse , 
Jacquo-Joseph  Applencourt ,  sergent-garde  en  la  forests  de  Mormal  au  quartiers  de 
Maroilles  ,  fait  raport  que  la  municipalité  central  du  canton  de  Berlaimont  a  nomé 
et  instalé  le  citoyen  Louis  Lécoyez  d'Acheté,  conservateur  de  l'hermitage  et  lui  a 
accordé  pour  indemnité  la  jouissance  du  térain  qui  l'environne,  pourquoy  j'ay  fait  le 
présent  par  d'avant  les  citoyons  administrateurs  de  l'administration  forestière  établie 
au  Quesnoy,  pour  servir  et  valoir  ce  que  de  raison  ;  en  foi  de  quoi ,  j'ay  signé  : 
Applencourt .   Arch.  do  l'insp  ction  d.  s  forêts  du  Quesnoy. 


—   V?()'.l    — 

avec  chevaux  et  voitures  pour  communiquer  entre  eux  (Ij.  Lorsque  le 
commerce  et  l'industrie  eurent  pris  une  certaine  extension  dans  la  con- 
trée, qui  resta  purement  agricole  et  forestière  pendant  très  longtemps, 
cette  situation  devint  intolérable  pour  une  partie  de  la  population;  aussi 
les  archiducs  Albert  et  Isabel  se  trouvèrent  amenés  à  accorder  «  pour 
la  commodité  de  leurs  sujets  »  mais  seulement  à  titre  de  tolérance, 
l'autorisation  de  circuler  sur  un  certain  nombre  de  chevaachoires, 
notamment  sur  les  sections  des  deux  chaussées  qui  longent  la  forêt  sur 
une  partie  de  son  périmètre  et  qui  y  étaient  rattachées,  sur  la  carrière 
de  Berlaimout  à  Herbignies,  sur  le  chemin  de  Landrecies  à  l'Homme- 
Pendu,  sur  ceux  des  Etoquiesau  Sart-Bara  et  de  Jolimetz  à  Hachette. 
Mais  ,  d'un  autre  côté  ,  ils  disposèrent  que  quiconque  s'écarterait  de 
ceschevauchoires,  serait  passible  d'une  amende  de  c  sols-blancs,  pour 
la  première  fois,  de  ce  pour  la  seconde  fois  et  que  tout  individu  qui 
serait  repris  une  troisième  fuis  ou  aurait  dételé  ses  bêtes  pour  les 
faire  paître,  serait  puni  de  la  confiscation  de  son  attelage  (2). 

C'est  seulement  en  1839  qu'apparaissent  les  premiers  chemins  publics 
dans  la  forêt.  A  cette  époque,  la  commune  de  Locquignol  fit  classer  en 
vicinalité,  en  vertu  de  la  loi  du  21  mai  1836,  les  sections  des  deux  chaus- 
sées qui  longent  une  partie  de  son  territoire  ainsi  que  la  Grande  Carrière 
et  le  grand  chemin  de  Jolimetz  à  Hachette.  Depuis,  l'Etat  lui  a  aban- 
donné le  chemin  Triolin  tendant  d'Hachette  à  Sassegnios  et  ceux  du 
Veri-Donjon  et  des  Grandes-Pâtures.  En  1842,  l'administration  des  ponts 
et  chaussées  ayant  décidé  l'établissement  dune  roule  départementale  du 
Quesnoy  à  Avesnes  qui  evait  empurnter  une  partie  du  chemin  de  Joli- 
metz à  Hachette,  l'Etat  céda  au  département  le  terrain  nécessaire  pour 
relier  Locquignol  au  hameau  de  la  Noire-Tête,  dépendance  de  Berlai- 
mont.  Enfin,  la  Compagnie  du  chemin  de  fer  du  Nord  acquit,  en  1853 
et  en  1872,  les  terrains  occupés  dans  la  traversée  du  massif  par  les 


(1)  C'est  en  eftet ,  ce  qui  résulte  du  compte  de  1399-1400 ,  de  WUlaume  de  Som- 
maing^  bailli  du  bois  de  Hainaut,  où  on  trouve  les  condamnations  ci-après  : 

«  De  Hanin  Nadoul ,  demorans  à  Berlaimont ,  lequels  fu  trouvés  en  le  forest  de 
Mourmail  par  Reinier,  escuyer,  sicrgeant  menant  sel  sur  sou  car  sans  en  avoir 
grasce,  celui  venant  de  Valenchiennes,  rechuypt  pour  les  lois x  sols. 

»  De  Bataille,  demorans  à  Engkffontainne,  le  quels  fu  par  ledit  Reinier 
trouvés  cariant  sur  l'escluse  du  Vivier  de  l'Escaillon,  rechuypt  les  lois  de.     x  sols.  » 

(2)  Ordonnnce  de  1607,  art.  98  à  100.  Arch.  départem.  du  Nord.  Chambre  des 
Comptes  à  Lille.  M.  57.  Forêt  de  Mormal. 


~  270  - 

lignes  de  Paris  à  Cologne  et  de  Valenciennes  à  A.ulnoye  (1).  Nous  ne 
nous  étendrons  pas  davantage  ici  sur  ces  voies  de  communication  qui 
embrassent  ensemble  une  superficie  de  90  hectares,  nous  réservant 
de  revenir  ultérieurement  sur  ce  sujet. 

On  a  vu  ci-dessus  à  combien  se  chifirent  les  pertes  éprouvées  par  la 
forêt  par  le  fait  des  aliénations,  des  abandons  de  parcelles  à  des  établis- 
sements religieux  et  des  cessions  de  terrain  pour  la  voierie.  Mais  nous 
avons  négligé  de  donner  la  même  indication  en  passant  en  revue  les 
autres  causes  qui  l'ont  affaiblie  :  nous  allons  combler  cette  lacune. 

Un  cartulaire  des  rentes  et  cens  dus  au  comte  de  Hainaut  de  1265  à 
1286,  nous  fournit  les  premières  indications  à  cet  égard  ;  on  y  lit  ce 
qui  suit  : 

«  Si  a  li  Guens  au  Caisnoit  sen  castel  et  se  basse-court,  et  ses  viviers  :  le  vivier 
d'eutor  le  castel ,  le  vivier  d'OnoilIes  (2) ,  le  vivier  de  le  Glaièle  ,  le  petit  vivier  de- 

seure  (3),  le  vivier  dou  Wéz  de  le  Pière,  les  ii  viviers  de  Mortruel, le  petit  vivier 

deseure  Morteruel  (4) ,  le  vivier  d'Escaillon  ,  le  vivier  à  Truites  ,  le  vivier  de  le  Cres- 
sonnière ,  le  vivier  d'entor  le  naaison  dou  Louskegnot ,  le  viveret  de  Savoie  et  le 
vivret  dou  Gart  (5). 

»  Et  si  vaut  li  kewe  dou  vivier  d'Onoiles,  por  pasturage  de  bestes  xl  s.  par  an. . . 

»  Et  si  a  se  maison  au  Loskegnot  et  le  maison  de  Savoie  et  de  le  Gressonnière. 

»  Et  si  a  ses  titres  ahannables  et  ses  près  ki  furent  mesurés  par  Bauduin  d'Es- 
truem  et  Jakemon  d'Erchin,  el  quarosm  l'an  LXVI. 

»  En  le  grande  pièce  derrière  le  maison  i'ahanier  a  xni  muy  v  witeux  et  demi  à  le 
corde  don  bos.  Tenant  au  cortil  Waregni,  sans  celui  cortil,  ii  witeus.  Entre  Fescluse 
dou  grant  vivier  et  le  maison  de  le  Gressonnière,  xn  witeus  et  demi.  D'autre  part,  le 
Gressonnière  xn  witeus  et  ui  verges.  Et  en  l'autre  grande  pièce,  xi  muy  lxxv  verges. 

»  Summe  de  ces  tières (6),  valent  par  an (7). 

»  Si  a  li  Guens  de  ses  prés  ou  bos  de  Mormail  el  liu  qu'on  dist  à  haies  de  Haces 
dusques  as  Estokis,  entor  xxx  boniers  ki  ont  iadis  esté  censi. 

»  Des  prés  qu'on  dist  as  Estokis  xxx  boniers. 

»  En  kewes  de  ces  prés  entrans  en  Mormail,  entor  i  bonnier. 

»  Et  si  est  li  ries  Balleton,  ko  li  comtesse  Marguerite  fist  ahanner  :  si  en  portèrent 
les  gens  le  conte  de  Blois  l'avaine  à  larrechin  et  puis  le  ramenèrent-ils  par  force  de 
di-oit  en  la  pièce  de  tière. 


(1)  La  première  de  ces  lignes  nécessita  une  emprise  de  10  h.  oO  a.  50  c  ,  et  la 
seconde  une  emprise  de  13  h.  2:^  a.  66  c.  pour  lesquelles  l'État  reçut  de  la  Gompagnie 
des  indemnités  de  61830  fr.  tt  de  65445  fr. 

(2)  Ges  deux  viviers  étaient  situés  entre  Le  Quesnoy  et  la  Glayelle. 

(3)  et  (4)  Il  s'agit  peut-être  ici  de  la  Flaque  à  grues  et  du  vivier  Gorbeau. 

(5)  Ces  cinq  derniers  viviers  étaient  proches  de  la  censé  de  la  Motte,  à  Locquignol. 

(6)  et  (7)  Passages  laissés  en  blanc. 


»  Et  eu  le  présciicf  des  gens  le  conte  de  Blois  ,  les  gens  Medaine  le  lisent  kierker 
sur  voitures  et  firent  mener  là  u  il  lor  pl(>ut  de  par  Medarne. 

»  Et  si  a  I  fosset  ki  Yi(Mit  devers  Landrcchies  tout  selonc  le  bos  de  Morniail  et  va 
parmi  le  Sart  de  Ilaoes,  valt  par  an  eutor  nu  lib. 

»  Et  si  a  le  Cuens,  al  issue  de  Morniail,  al  lés  devers  Preus,  si  qu'on  venroit  devers 
Landrechies ,  xx  witeus  de  tiere  ke  Mahius  li  Vénères  de  Preus  tint  lonc  tans  ,  tant 
k'il  vesqui,  et  revinrent  à  Medame  kicrkiés  de  blet  en  l'aoust  l'an  LXVII ,  (1)  valent 
entor  c  s.  par  an. 

»  Et  si  a  encor  witel  et  demi  de  prêt  ke  Mahius  tint ,  ki  valt  par  an  entor  x  s. 
Segist  selonc  Morniail. 

»  Et  si  a  I  prêt  ki  gist  à  Grawetie,  ki  Ifu  maistre  Felippon  de  Louvegnies  grant 
tans.  Valt  par  an  entor  xxxv  s.  et  tant  en  redi  Gerars  de  le  Carnoie  par  an 

De  128G  à  1500,  les  domaines  en  culture  s'augmentent  au  détriment 
de  la  forêt  de  ceux  dits  de  Guilbert-Mesnil  et  du  Fer-à-Gheval,  près  de 
Sassegnies  ;  du  Sarty  et  de  l'esnoe  Francart,  touchant  à  la  censé  d'Ha- 
chette ;  des  esuoës  Alexandre  et  de  Ramousy  près  des  Etoquies,  dj  la 
pâture  le  Royiine  du  Bos,  aujourd'hui  du  Roi  du  bois,  déjà  desrodée  en 
1399,  et  du  Sart  de  Maubeuge,  sur  lequel  on  a  construit  depuis  la 
maison  forestière  de  Locquignol  ;  puis  du  pré  Hardret,  appelé  dans  la 
suite  Muthiau.  D'autre  part,  le  nombre  des  viviers  s'accroît  de  celui  de 
la  Jouquière,  voisin  du  territoire  de  Mecquignies  et  de  ceux  d'Ecau- 
demetz  et  Gorbault,  proches  de  Jolimetz.  A  la  fin  du  XV  siècle  le 
domaine  de  Hache  comprend  28  bonniers,  ceux  du  Fer-à-Gheval  et  du 
Sarty,  18  et  48  bonniers  et  celui  des  Etoquies,  40  (2), 

Entre  les  années  1500  et  1525,  on  voit  apparaître  le  Sart  de  la 
Tourie,  près  d'Hachette,  le  Vivier  aux  Vaches,  près  d'Englefontaine, 
le  Neuf-Vivier  et  le  Petit-Vivier,  sur  un  affluent  de  la  Sambre;  en 
même  temps  l'enclave  de  Locquignol  reçoit  quelques  accroisse- 
ments (3). 

Pendant  le  quart  de  siècle  suivant,  la  haie  du  Ghard  (282  mencaudées) 
fut  complètement  défrichée.  Le  canton  de  la  Glayelle  (51  bonniers,  46 
verges)  subit  le  même  sort  :  le  bois  y  fut  «  du  tout  colpé  et  vendu  par 
ordonnance  de  la  reine  de  l'an  xv°  trente  sept  pour  la  garde  de  la  ville 


(1)  Année  1269. 

(2)  Compte  dixyème  de  Nicolas  Dassonleville ,  receveur  général  de  Hainaut  du 
1"''  octobre  1499  au  30  septembre  1500.  Arch.  départ,  du  Nord.  Chambre  des  Comptes 
à  Lille. 

(H)  Compte  vingtysme  de  Jehan  de  la  Croix ,  receveur  général  de  Hainaut  du 
V'  octobre  1524  au  MO  septembre  1525.  Mêmes  archives. 


27-2  — 


du  Quesnoy,  à  cause  des  guerres  lors  régnantes  »  et  le  terrain  l'ut 
ensuite  loué  à  des  fermiers,  «  à  condition  que  lesdits  fermiers. . . .  seraient 
tenus  le  tout  avoir  hauwé  entre  deux  terres  tous  les  estocqs  et  rachines 
estans  en  laditte  Clayelle,  et  tellement  faire  que  lafaulch  puisse  courir 
partout.  »  On  défricha  également  dans  le  voisinage  de  la  fontaine  Herbé- 
gaghe,  aujourd'hui  des  Bécasses,  l'esnoe  Bourlart,  appelée  plus  tard 
pâture  Fiévet  (1). 

Les  pertes  subies  par  la  forêt  de  1550  à  1575  sont  encore  considéra- 
bles. Ce  sont  :  la  haie  le  Borgne  ou  Libourne  (13  bonniers,  2  journels) 
qui  avait  été  saccagée  pendant  la  deuxième  campagne  de  François  1" 
dans  le  Hainaut  ;  «  certain  lieu  et  plaiche  non  abosquié,  inhabitable  et 

plain  de  croihsches vulgairement  appelée  le  Bray  du  Charloton  » 

(15  mencaudées,  2  journels)  ;  «  certaine  place  vaghe ,  communément 
appelée  Hannebray  et  dans  la  suite  Brai  Balicq  (4  mencaudées,  7  ver- 
ges) ;   «   certaine  plaice    et  lieu  vague communément    appelé 

l'annauwe  Bernard  » ,  connue  à  présent  sous  le  nom  de  pâture  de  la 

Chapelle  (10  mencaudées)  ;  «  certain  lieu  et  plaice  vague joindant 

la  cauchie  Brunehault ,  au  quartier  de  Jolimetz,  communément  appelé 

l'annauwe  Hacquin  »  (10  mencaudées)  ;  «  certain  lieu  et  plaiche 

non  estocquis,  inhabitable,  vulgairement  appelé  le  Groisilz  »  (7  bon- 
niers, un  journel)  ;  etc (2), 

De  1575  à  1600,  les  dégâts  commis  par  plusieurs  corps  d'armée  ou 
par  les  bestiaux  provoquent  le  défrichement  de  «  certain  lieu  séant  en 
Mourmail,  tenans  de  tous  côtés  à  la  ditte  forest  et  au  passage  Quévy- 
le-Bèghe,  communément  appelé  la  Tapperie  »  ;  du  Bien  du  Quesne 
(1  bonnier  et  3  journels) ,  de  la  Flaque  à  Grues  (3  journels,  12  verges), 
près  de  Jolimetz  ;  du  Magoniau  (13  bonniers,  4  verges).  En  outre,  on 
mit  en  culture,  entre  Hecq  et  Landrecies  :  un  bonnier  un  quart  à 
Facibis  ;  12  bonniers,  au  Quesne  à  l'Orière  ;  4  bonniers  un  quart  de 
journel,  au  Culot  Primot  ;  25  à  26  bonniers  à  la  Toubiette  ;  9  bonniers 
et  un  demi  journel,  à  la  Haute  Cornée  ;  6  bonniers  un  journel  et  demi, 
aux  Aulneaux  ;  13  à  14  bonniers  près  des  Etoquies,  et  8  bonniers  au 


(1)  Compte  septième  de  Philippes  du  Jardin,  conseiller  de  l'Empereur  et  receveur 
général  de  son  pays  et  comte  de  Haynnau,  du  l*""  octobre  1850  au  bO  septembre  1851 . 
Arch.  dép.  du  ISord.  Chambre  des  Comptes  à  Lille. 

(2)  Compte  quattriesme  de  Charles  de  Martigtiy  ,  conseiller  du  Roy  notre  sire  et 
son  receveur  général  de  Haynnau,  du  1'^'  octobre  1574  au  30  septembre  1575. 


—  273  — 

Trou  Huron ,  près  de  la  Noire-Tête  (1)  ;  enfin ,  on  défricha  au 
centre  de  la  Forêt  le  terrain  dénommé  depuis  lors  les  Grandes- 
Pâtures  «  gisantes  entre  autres  lieux  qu'on  dist  la  Planque  à  eauwe  et 
la  cocque  Broncquart,  comprendant  d'estendue  16  bonniers,  1  journel 
et  60  verges,  appliquées  à  la  censé  de  Locquignol,  pour  accomoder  le 
censier  de  pâturage.  »  (2). 

Mais  les  défrichements  ne  devaient  pas  s'arrêter  là.  Par  une  ordon- 
nance de  1601,  les  archiducs  Albert  et  Isabel,  prescrivirent  de  faire 
desroder  tous  les  cantons  que  les  dernières  guerres  et  de  récents 
abus  de  pâturage  avaient  ruinés.  Les  défrichements  portèrent  sur  un 
grand  nombre  de  parcelles  disséminées  principalement  sur  les  rives  de 
la  forêt  et  donnèrent  naissance  aux  pâtures  Jean-le  Thor,  du  Plain  des 
Carhers,  Jean  Pasquier,  du  Brai  Jean  Deghaye,  du  Brai  Petit  Jehan, 
du  Brai-Robot,  de  la  Fontaine-Glaré,  Lange,  de  la  vallée  des  Rohans, 
Gille  Florette,  Pierre  Baudez,  du  Brai-Dieu,  du  Plain  du  Sart-Bara, 
du  Chêne  desrodé,  Triohn,  Tortehaye,  du  Fort-Mizère,  des  Houïes  de 
la  Rouillette,  du  Culot  la  derrière,  de  l'Eclusette  du  Plessy  dit  d'An- 
glefontaine,  du  Vivreuil,  Mézières,  Nocent,  du  Renard  au  Vert- 
Douzon,  de  l'annowe  Bouton  et  de  la  Pâture  Malgueule. 

Cependant  une  ordonnance  de  1607  vint  enfin  mettre  un  terme  à  ces 
défrichements  qui  compromettaient  l'existence  de  la  forêt.  «  Recognais- 
sant,  y  est-il  dit,  le  grand  et  irrécupérable  dommaige  que  souffrons  par 

le  desrodement  de  plusieurs  portions  et  coingz  de  nostre  forest 

que  Ton  a  réduitz  en  terres  labourables,  pretz  et  pastures veuil- 

lans  pourvoir  à  l'advenir  que  tel  dommaige  ne  nous  advienne,  avons 
interdit  et  deffendu,  interdisons  et  deffendons  à  tous  nos  officiers,  de 

l'advenir  permettre  semblables  desroderaents Et  si  par  importu- 

nité  ou  aultrement  en  ordonnons  aulcuns,  de  n'accomplir  nos  comman- 
demens  sans  empréalable  nous  en  advertir  et  de  l'intérêt  qu'en  aurions 
à  peine  de  nostre  indignation.  »  [3]  Cette  interdiction  fut  renouvelée 
en  1627,  par  une  autre  ordonnance  où  on  lit  ce  qui  suit  :  «  Avons  def 
fendu  et  deffendons  bien  expressément  que  nulles  parties  de  nostre 
ditte  forest,  grande  ou  petite,  ne   soient  à  l'advenir  desrodées  pour 


(1)  Compte  premier  d'Adam  d'Odrimont,  receveur  général  du  Hainaut,  du  1"  oc- 
tobre 1599  au  30  septembre  1600. 

(2)  Compte  xxi*  de  Charles  de  Martigmj,  receveur  général  du  Hainaut ,  du  1^'  oc- 
tobre 1592  au  30  septembre  1593,  p.  xi,  v". 

(3)  Ord.  de  1607,  art.  96 

19 


—  274  — 

être  vendues  ou  données  à  ferme,  voulant  que  les  parties  vagues 
soient  rencloses  de  hayes,  semées  de  glands  et  semencées  de  faux  et 
gardées  comme  les  jeunes  tailles.  »  (1).  Ces  prescriptions  furent  exé- 
cutées et,  dès  ce  moment,  le  massif  n'eut  plus  à  redouter  que  les 
entreprises  des  riverains  pour  augmenter  leurs  héritages. 

Nous  n'entrerons  ici  dans  aucun  développement  sur  le  mode  d'ex- 
ploitation des  parcelles  qui  ont  constitué  le  domaine  de  Locquignol  ; 
mais  nous  indiquerons  de  suite  les  circonstances  qui  ont  amené  la 
dispersion  de  la  plupart  d'entre  elles  et  le  rattachement  du  surplus  à 
la  forêt. 

Eu  1465,  on  accorde  à  Jehan  Mustiau  «  le  pré  Hardret  (2  bonniers 
environ)  à  rente  perpétuelle,  pour  le  prix  de  xl  sols  blancs  par  an  à 
la  St-Remy,  »  et ,  en  1490,  la  terre  de  Ramousy  à  Willaume  le 
Mayeur,  par  un  acte  d'arrentement  (2),  moyennant  xx  sols  blancs  de 
rente  par  an.  En  1549,  le  Bon-Wez  passe  dans  les  mêmes  conditions 
dans  les  mains  du  Baron  d'Hertaing,  et  les  brais  de  la  Jonquière  et  du 
Culot  de  Lannoy  dans  celles  de  Monseigneur  de  Bellignies  et  de 
Claude  de  Hennin,  seigneur  d'Anfroipret,  Obies  et  Bavisiau,  qui  y 
établirent  des  viviers.  D'autres  actes  d'arrentement  rédigés  vers  le 
même  temps  attribuèrent  à  des  habitants  de  Preux  et  d'Hecq  le  Vivier 
aux  Vaches  (33  mencaudées  8  verges),  et  à  des  individus  de  Locquignol 
plusieurs  maisons  voisines  du  château,  ainsi  que  le  jardin  Grumeau, 
un  autre  jardin  situé  derrière  l'étable  des  chevaux  sauvages,  un  terrain 
près  du  Vert-Donjon,  l'annowe  Francart  et  quelques  autres  parcelles 
de  peu  d'importance.  Enfin,  en  vertu  de  lettres  patentes  du  15  octobre 
1563  (3),  la  censé  de  Guilbert-Mesnil  (78  rasières)  et  les  pâtures  du 
Fer  à  Cheval  (40  rasières)  furent  accordées  en  arrentement  perpétuel 
à  Gille  de  Berlairaont,  Baron  d'Hierges,  moyennant  une  redevance 
annuelle  de  360  hvres,  monnaie  de  Hainaut  (4). 


(1)  Ordonnance  de  1626,  art.  cxi. 

(2)  L' arrentement  était  un  acte  par  lequel  on  livrait ,  généralement  pour  prix  de 
services  rendus  ,  un  héritage  pour  une  longue  durée  ou  une  durée  indéfinie  ,  moyen- 
nant une  redevance  très  minime. 

(.S)  Par  ces  mêmes  lettres ,  Gille  de  Berlaimont  reçut  encore  en  arrentement  la 
terme  du  Hambut,  située  sur  le  territoire  de  Pont-sur-Sambre  et  attenante  à  la  forêt. 

(4)  Comptes  divers  de  la  recette  générale  du  Hainaut ,  notamment  celui  de  1574- 
1575,  à  l'article  intitulé  :  Aultre  recepte,  venant  des  maisons  de  Eaiches  et  Sartis  , 


-  275  - 

Telles  sont  les  seules  parcelles  qui'  paraissent  avoir  été  séparées  du 
domaine  de  Locquigiiol,  avant  le  dénieuibrement  du  Ilainaut.  Sous 
Louis  XIV,  on  en  aliéna  de  vastes  surfaces,  en  vertu  d'édits  de  mars 
1695  et  d'avril  1702,  moins  peut-être  pour  subvenir  aux  besoins  du 
Trésor  qui  étaient  considérables  que  pour  s'attacher  la  population 
locale  qui  regrettait  ses  anciens  maîtres,  et  pour  introduire  dans  la 
contrée  des  sujets  d'autres  provinces  du  royaume. 

Par  contrat  du  12  avril  1696,  l'Intendant  Voisin  céda,  pour 
14,405  liv.  5  s.  en  principal,  à  Amand  François,  seigneur  d'Orchival, 
tout  ce  que  le  Domaine  possédait  sur  Jolimetz.  savoir  :  la  censé  de  la 
Clayelle  (1)  comprenant  un  corps  de  ferme  avec  51  bonniers  de  pâtures 
et  terres  labourables,  le  pré  Pajot  (8  mencaudées).  le  pré  Mortreux, 
provenant  de  l'ancienne  Silva  Morteruel  (14  mencaudées)  (2).  Tous 
ces  biens  furent  exemptés  par  le  contrat  d'acquisition  de  charges  de 
dixième  ou  de  vingtième,  comme  aussi  des  charges  locales  assignées 
sur  les  domaines  de  Morma  et  du  Quesnoy.  L'acquéreur  fut,  en  outre, 
doté  des  droits  de  seigneurie  et  de  haute,  basse  et  moyenne  justice, 
sur  tout  le  territoire  de  Jolimetz,  ainsi  que  de  celui  d'y  élever  un  mou- 


Estoquis,  du  Locquignol,  Guillebert-Maisnil,  du  Fer-à-Cheval ,  ensemble  d'autres 
pretz  et  parties  de  pretz  et  aultres  parties  dépendans  et  gisans  en  la  forrest  de 
Mourmal. 

(1)  II  ne  faut  pas  confondre  cette  censé  de  la  Clayelle  avec  une  autre  du  même 
nom  ,  séant  autrefois  sur  le  jugement  de  Louvignies  et  comprise  entre  la  chaussée 
Brunehaut  et  la  censé  d'Onoilles  d'une  part,  et  le  rieu  et  le  canal  de  l'Ecaillon  d'autre 
part  ;  cette  doraièro  (260  mencaudées  environ)  fut  incorporée  en  vertu  de  lettres  pa- 
tentes données  à  Gand  par  Charles-Quint ,  le  8  août  1527,  au  gros  du  fief  de  la  terre 
et  seigneurie  de  Potelle ,  appartenant  à  Charles  de  Carondelet ,  seigneur  du  lieu. 
Arch.  du  château  de  Potelle. 

(2)  Ancienne  dépendance  de  Faurœulx  jadis  paroisse  et  à  présent  faubourg  du 
Quesnoy,  Jolimetz,  qu'on  voit  figurer  dans  un  Compte  de  Jehan  Vrédiaul ,  receveur 
du  Hainaut ,  pour  1399-1400 ,  doit  sa  désignation  à  une  ferme  de  belle  apparence 
construite  sur  la  terre  de  Moirausart  (  dont  le  nom  se  retrouve  dans  celui  de  la  rue 
Mariensart).  Cette  terre  fut  donnée  en  fief,  d'après  un  cartulaire  de  1420,  à  Christians 
Mailles,  écuyer,  par  le  comte  Guillaume  IV  de  Hainaut.  Elle  appartenait  dans  la 
deuxième  moitié  du  XVIP  siècle  au  s""  François,  originaire  d'Artois,  entrepreneur  de 
bâtiments  et  juré  de  Mormal,  et  échut  après  lui  h  son  fils  Amand  François,  seigneur 
d'Orchival,  mayeur  du  Quesnoy  de  1570  à  1586 ,  entrepreneur  des  fortifications  de 
cette  ville  et  subdélégué  de  l'Intendant,  qui  fit  reconstruire  la  ferme  précitée  et  bâtir 
à  côté  le  château  dit  d'Arthois,  encore  existant.  En  1774,  la  terre  dont  il  s'agit  passa, 
avec  la  censé  de  la  Clayelle  ,  à  la  famille  de  Nedonchel ,  par  suite  du  mariage  du 
baron  de  Nedonchel  avec  l'unique  héritière  des  François 


—  276  — 

lin  à  vent  ;  mais  ses  héritiers  durent  payer,  en  1713,  pour  confirma- 
tion, 2,700  livres,  en  1723,  pour  droit  de  joyeux  avènement,  2,800  livres, 
et,  en  vertu  d'un  arrêt  du  15  octobre  1782,  pour  être  maintenus  en 
possession,  une  rente  d'accensement  de  400  livres. 

Le  domaine  du  Ghard,  qu'on  commençait  à. appeler  Béart  (283  men- 
caudées),  fut  vendu,  en  1698,  à  Nicolas  Let'ebvre  de  Belleperche,  rece- 
veur des  consignations  du  Bailliage  royal  du  Quesuoy,  qui  en  céda  la 
même  année  110  mencaudées  au  sieur  Destbul aines ,  seigneur  de 
F/'asnoy.  Leurs  héritiers  eurent  également  à  verser,  en  1708  et  en 
1723,  des  suppléments  de  finance,  et,  de  plus,  furent  tenus,  en  vertu 
d'un  arrêt  du  12  novembre  1782,  de  payer  une  rente  d'accensement 
de  1,800  livres. 

Les  autres  domames  aliénés  pendant  la  même  période  sont  les  sui- 
vants :  l'Annowe  Hacquin  (10  arpents  63  perches),  pour  1,875  liv.  ;  les 
pâtures  du  Quesneà  l'Orière  (29  arp.),  pour  2,147  Uv.  10  sols  ;  celles 
du  Vivreuil  (3  arp.  71  p.),  du  Chêne  Guplet  (5  arp.  60  p.)  et  de  l'Eclu- 
sette  (2  arp.  57  p.),  pour  984  liv.  7  s.  6  d.  ;  la  haie  de  la  Bouillette 
(61  arp.  13  p.;,  pour  2,500  liv.;  la  censé  des  Aulneaux  (57  arp.),  pour 
2,700  liv.  ;  la  pâture  Louis  Duez  (1  arp.  45  p.),  pour  468  liv.  15  d.  ;  le 
Culot  Ladrière  aux  Bloques  (8  arp.  83  p.),  pour  le  même  prix  ;  quatre 
parcelles  à  Hache,  dont  l'une  de  13  quartiers  et  demi,  pour  360  liv.  ; 
la  seconde  de  18  -mencaudées,  pour  1,900  liv.  ;  la  troisième  de  14  arp. 
33  p.,  pour  2,275  liv.,  et  la  dernière  de  28  arp.  74  p.  pour  2,500  liv.  : 
la  censé  Thoury,  le  Petit-Vivier  et  le  Neuf-Vivier  (14' arpents  17  p.) , 
pour  2,296  liv.;  la  pâture  du  Sarty  à  Hachette  (4  arp.  59  p.),  pour 
1,375  liv.  ;  enfin,  la  pâture  Baudry,  près  de  Guilbert-Mesnil,  13  arp. 
14  p.,  pour  2,500  liv.,  au  comte  d'Egmont.  Indépendamment  des  prix 
de  vente  précités,  les  acquéreurs  durent  verser  immédiatement  après 
l'adjudication  2  sols  par  livre,  et  ils  furent  astreints,  par  un  édit  de 
1708,  de  payer  un  supplément  de  finance  du  quart  du  prix  d'acquisition 
et,  par  un  autre  du  27  septembre  1723,  de  verser  encore  un  dixième  de 
ce  prix,  pour  droit  de  confirmation.  Ces  biens,  au  surplus,  étaient  alié- 
nés pour  en  jouir  en  roture,  à  titre  d'inféodalionet  de  propriété  incom- 
mutable. 

Mais  on  sait  que,  sous  l'ancienne  monarchie,  les  terres  du  domaine 
royal  n'étaient  jamais  aliénées  qu'à  la  condition  que  le  rachat  pourrait 
en  être  faitlorsqu'on  le  jugerait  à  propos,  et  que,  si  cette  clause  n'était 
pas  insérée  dans  l'acte  d'ahénation,  elle  était  toujours  censée  y  être. 
Le  Grand  Maître  des  Eaux  et  Forêts,  de  Saint-Laurent,  se  prévalut  de 


-  277  — 

cette  disposition,  sur  laquelle  un  de  ses  prédécesseurs  avait  déjà  appelé 
l'attention  du  Conseil  d'Etat  (1),  pour  réclaiVier  la  réunion  à  la  forêt 
d'un  certain  nombre  des  parcelles  sus-désigiiées,  en  faisant  valoir 
qu'elles  avaient  été  engagées  pour  un  prix  dérisoire.  Conformément  à 
sa  proposition  fut  rendu  un  arrêt,  en  date  du  17  novembre  1780.  qui 
prescrivit  le  rachat  de  ces  parcelles  (2),  dont  quatre  enclavées  dans 
Mormal,  le  Vivreuil,  l'Eclusette,  le  Petit-Vivier  et  le  Neuf- Vivier,  et 
les  autres  situées  sur  les  reins  du  massif,  le  Chêne-Cuplet,  le  Quesne- 
à-rOrière,  la  haie  de  la  Rouille'te,  le  bois  Libourne,  la  censé  des 
Aulneaux  on  Haute-Cornée,  la  censé  Louis  Duez,  une  partie  de  Hache 
et  la  pâture  Baudry,  le  tout  d'une  contenance  de  254  arpents  envi- 
ron (3).  Après  rachat,  ces  biens  furent  mis  en  location  et  affermés, 
pour  une  durée  de  24  ans,  aux  anciens  détenteurs  qu'on  voulait  ména- 
ger et  qui  n'avaient,  d'ailleurs,  pas  de  concurrents,  moyennant  un 
fermage  annuel  de  4,523  francs,  à  charge  par  eux  d'entretenir  les 
habitations  existantes. 

Cependant,  malgré  les  avantages  qu'on  leur  avait  accordés,  ces 
fermiers  ne  se  résignaient  pas  à  leur  nouvelle  condition  ;  ils  protes- 
tèrent, par  des  agites  extra-judiciaires  en  date  des  30  avril  1786  et 
décembre  1790  (4).  contre  l'arrêt  de  1780  qui  les  avaient  dépouillés  de 


(1)  Mémoire  pour  M.  de  Laverdy,  controUeur  fjénèral  des  Finances ,  par 
M.  Raulin  d'Essart.  Arch.  nat.  Qi,  835. 

(2)  On  y  lit  ce  qui  suit  :  «  Sur  ce  qui  a  été  représenté  au  Roi  étant  en  son  conseil 
qu'il  y  avait  dans  la  province  de  Haynaut  des  domaines  aliénés  par  les  Rois  d'Es- 
pagne ,  anciens  souverains  de  cette  province  et  par  les  prédécesseurs  de  Sa  Majesté, 
moyennant  des  sommes  très  modiques  et  sous  la  faculté  de  rachat  perpétuel,  en  rem- 
boursant les  engagistes  des  sommes  par  eux  payées  pour  ces  aliénations  ;  que  Sa 
Majesté  étant  aux  droits  des  anciens  souverains  par  le  traité  de  Nimègue  ,  1678 ,  et 
en  vertu  de  la  clause  de  rachat  perpétuel  stipulé  dans  les  contrats,  avait  sans  aucune 

contradiction  le  droit  de  rentrer  dans  ces  domames, Le  Roi  étant  en  son  conseil 

a  ordonné  et  ordonne que  dans  un  mois  pour  tout  délai,  les  engagistes  des  dites 

portions  de  terrein  seront  tenus  de  remettre  au  conseil  leurs  contrats  d'engagements, 
quittances  ,  finance  ,  titres  et  pièces  qu'ils  peuvent  avoir  concernant  l'engagement 
des  dits  terreins  pour  être  procédé  à  la  liquidation  des  finances  qui  pourroient  leur 
être  dues  et  pourvu  à  leur  remboursement  ainsi  qu'il  appartiendra.  »  Arch.  de 
rinsp.  des  forêts  du  Quesnoy. 

(3)  Procès-verbal  de  n'site  des  do)»aines  réunis  ,par  Joseph  de  St-Laurent .  che- 
valier ,  conseiller  du  Roi  en  ses  conseils  ,  grand-maître  enquêteur  et  général  réfor- 
mateur des  eaux  et  forêts  de  France,  au  département  de  Hainault  et  Cambrésis,  pays 
d'Entre-Sambre-et-Meuse  et  d'Outre-Meuse,  du  3  nov.  1781.  Mêmes  archives. 

(4)  Voyez  Mémoire  de  Mtre  Dumont ,  avocat ,  chez  Porthraan  ,  imprimeur  de  Son 
Altesse  impériale  et  royale,  rue  Neuve  des  Petits-Champs. 


-  278  - 

biens  dont  ils  se  croyaient  propriétaires.  A  la  faveur  des  événements 
qui  survinrent  quelque  temps  après,  leurs  efforts  furent  momentané- 
ment couronnés  de  succès  :  en  effet,  deux  arrêtés  pris  par  l'adminis- 
tration centrale  du  département  du  Nord,  le  30  frimaire  et  le  18  ger- 
minal, an  V,  confirmés  par  un  autre  du  Conseil  de  préfecture  du 
24  fructidor  an  X,  décidèrent  que  les  exposants  seraient  mis  provisoi- 
rement en  jouissance  des  domaines  qu'ils  cultivaient  sans  payer  de 
fermage.  Mais  l'administration  départementale,  on  statuant  de  la  sorte, 
avait  commis  un  excès  de  pouvoir,  et,  d'ailleurs,  les  arrêtés  précités 
étaient  contraires  à  la  loi  du  1"  décembre  1790,  qui  stipulait,  d'une 
part,  que  toutes  les  aliénations  effectuées  postérieurement  à  l'ordon- 
nance de  Charles  IX,  du  mois  de  février  1556,  dite  ordonnance  de 
Moulins,  étaient  réputées  simples  engagements,  et,  d'autre  part, 
qu'étaient  réputées  seules  irrévocables  les  aliénations  des  terres  vagues 
ou  vaines,  autres  que  celles  situées  dans  les  forêts  ou  à  cent  perches 
d'icelles.  En  vain  les  demandeui's  soutinrenl-ils,  ce  qui  était  contraire 
à  la  vérité,  que  les  biens  en  litige  étaient  des  terres  vagues  et  qu'elles 
étaient  à  plus  de  cent  perches  de  la  forêt  ;  ils  furent  déboutés  de  leurs 
demandes  et  conclusions  par  un  décret  de  Napoléon  F^  rendu  à  Munich 
le  ITjanvier  1806,  lequel  disposait,  en  outre,  qu'il  serait  incessamment 
procédé,  en  la  forme  ordinaire,  à  un  nouveau  bail  desdits  biens,  à 
charge,  par  les  fermiers,  de  les  mettre  en  nature  de  bois  avant  l'expi- 
ration du  bail.  Mais  cette  condition  détourna  les  amateurs  et  comme  ils 
renonçaient  à  y  souscrire,  on  la  supprima  pour  ne  pas  aboutir  à  un 
insuccès.  Moyennant  l'abandon  de  cette  clause,  on  put  relouer  aux 
anciens  fermiers  les  terrains  dont  il  s'agit  au  même  prix  que  précé- 
demment. 

Ces  derniers  toutefois  ne  désespéraient  pas  de  rentrer  en  possession  ; 
loin  d'être  abattus ,  ils  renouvelèrent  leurs  protestations.  De  son 
côté,  le  service  forestier  exposa  que  63  h.  87  a,  des  dits  biens  étaient 
convertis  en  pâture  et  renfermaient  823  arbres  fruitiers  ;  que  5  h.  87  a. 
étaient  cultivés  en  houblon  et55  h.  68  a.,  en  céréales  ;  qu'on  y  trouvait 
quatorze  maisons  dont  trois,  il  est  vrai,  avaient  été  ruinées  pendant 
l'occupation  autrichienne  ;  de  plus  que  ces  terrains  étaient  l'unique  res- 
source de  90  familles,  possédant  ensemble  300  têtes  de  bétail;  enfin, 
que  le  gouvernement  ferait  une  mauvaise  opération  en  les  reboisant  (1). 


(1)  Rapport  de  M  Blanc-Lanaute,  inspecteur  des  forêts  au  Quesnoy,  du  20  juillet 
1807.  Arch.  de  l'Inspection  des  forêts  du  Quesnoy. 


—  279 


Ces  considérations  hâtèrent  la  solution  du  débat:  le  21  mai  1808, parut 
un  décret  qui  accorda  aux  réclamants ,  à  l'exception  toutefois  des 
détenteurs  des  enclaves  du  Petit-Vivier,  du  Grand-Vivier,  de  l'Eclusette 
et  du  Vivreuil,  la  propriété  des  domaines  qu'ils  occupaient,  sous  la 
réserve  du  paiement  du  quart  de  leur  valeur,  conformément  aux 
dispositions  de  la  loi  du  14  ventôse  an  VII.  Tous  profitèrent  du  bénéfice 
de  ce  décret,  sauf  le  comte  d'Egmont,  qui  avait  émigré. 

Quant  aux  autres  domaines  engagés,  les  uns  comme  le  Ghard  ou 
Béart,  la  Clayelle  avec  son  annexe  Mortreux,  Guilbert-Mesnil  et  le 
Fer-à-Cheval,  furent  réunis  au  domaine  national  au  début  de  la  pre- 
mière Révolution,  et  aliénés  peu  de  temps  après  ;  les  autres  furent 
abandonnés  à  ceux  qui  les  occupaient,  soit  gratuitement  comme  le 
Vivier-Muthiau,  à  cause  de  leur  faible  étendue,  soit  moyennant  le  paie- 
ment du  quart  de  leui' valeur,  comme  l'annoweRacquin,  leur  superficie 
dépassant  5  hectares  (1). 

La  réunion  à  la  forêt  des  enclaves  du  Petit-Vivier,  dn  Neuf- Vivier, 
de  l'Eclusette  et  du  Vivreuil  avait  été  précédée  de  celle  d'une  partie 
de  la  pâture  Fiévet  (8  h.  40  a.  38  c),  des  pâtures  de  la  Fontaine-Claré 
(2  h,  41  a.  14  c),  du  Brai-Petit-Jean,  du  Brai-Pierrette  (2  h.  70  a.  8  c), 
de  la  Flaque  et  du  Pré  Mézière  (1  h.  48  a.  21  c.) ,  des  petits  viviers 
du  Chêne  et  de  la  Tenure  (65  a.  47  c),  de  la  pâture  Malgueule  (4  h. 
43  a.  60  c).  de  l'étang  d'Ecaudemetz  et  du  terrain  de  l'Ermitage.  Les 
gardes  ,  à  qui  ces  enclaves  furent  concédées  pour  une  période  de  six 
années,  les  repeuplèrent  à  la  fin  de  la  troisième  année  de  jouissance  , 
avec  1,000  plants  de  haute  tige  à  l'hectare,  essence  chêne  et  7,000  de 
basse  tige,  essences  hêtre,  charme,  etc. 

Le  service  forestier  se  disposait  à  proposer  le  rattachement  au 
massif  d'autres  enclaves  ,  lorsqu'à  la  date  du  25  août  1811 ,  parut  un 
décret  ordonnant  la  cession  au  Domaine  extraordinaire  de  ce  qui  res- 
tait à  l'Etat  de  l'ancien  domaine  de  Locquignol,  à  l'exception  de  89  ares 
attenant  à  chacune  des  maisons  de  garde.  Après  l'exécution  de  cette 
mesure,  Napoléon  F*"  qui  cherchait  à  s'entourer  d'une  nouvelle  noblesse 
dévouée  à  sa  dynastie,  décréta  le  l"""  janvier  1812  l'abandon  du  domaine 


(1)  11  est  à  remarquer  que  les  propriétaires  actuels  du  Vivier-aux- Vaches  ,  arrenté 
sous  Charles-Quint ,  moyennant  le  payement  annuel  de  16  florins  6  deniers  ,  payent 
encore  cette  rente. 


-  280  - 

de  Locquignol  à  trois  de  ses  membres  :  le  comte  Jacques  Defermon, 
Président  de  la  section  des  finances  au  Conseil  d'Etat  et  Intendant 
général  du  Domaine  extraordinaire,  le  comte  Pierre-Antoine-Bruno 
Daru,  Ministre  secrétaire  d'Etat  et  le  comte  Jacques-Nicolas  Duchâtel, 
Directeur  général  de  Tadministration  de  l'enregistrement  et  des 
domaines.  Il  était  stipulé  dans  l'art.  4  du  décret  que,  dans  le  cas  d'ex- 
tinction de  la  descendance  masculine  et  légitime  des  donataires,  leurs 
biens  seraient  réversibles  au  Domaine  extraordinaire. 

La  dotation  du  comte  Defermon  se  composait  de  l'enclave  de  Locqui- 
gnol avec  le  château  de  la  Motte ,  moins  quelques  parcelles  aliénées 
avant  Louis  XIV  et  3  arpents  situés  près  de  la  ruelle  Salé,  dont  avait 
joui  le  prince  de  Croy,  comme  Grand  Veneur  de  Hainaut,  et  qui  avaient 
été  vendus  le  22  brumaire  an  111,  des  pâtures  du  Vert-Donjon,  du 
Croisil,  du  Magoniau,  du  Brai-Dieu,  du  Sart-Bara,  de  Gilles  Flurette, 
de  la  pâture  Fiévet,  du  Brai  Balicq,  de  la  Chapelle,  Mézière,  du  Roi  du 
Bois,  etc.,  s'étendant  sur  180  h.  86  a.  37  c.;  le  majorât  du  comte 
Duchâtel,  comprenait  des  prairies  aux  Etoquies,  à  Hache,  etc.,  d'une 
surface  de  92  h.  83  a.  37  c;  enfin,  le  comte  Daru  fut  mis  en  possession 
des  Grandes  pâtures,  de  l'ancien  étang  de  l'Ecaillon,  de  la  Flaque  à 
Grues,  de  la  pâture  Baudry,  etc.,  comprenant  84  h.  39  a. 

Les  comtes  Daru  et  Duchâtel  ne  conservèrent  que  quelques  années 
les  biens  faisant  partie  de  leur  dotation;  sur  leurs  demandes,  ils  furent 
vendus  en  1834,  sous  la  réserve  que  l'Etat  leur  verserait  l'intérêt  des 
sommes  perçues  par  le  Trésor.  Quant  au  majorât  du  comte  Defermon, 
il  fit  retour  au  Domaine  en  1884,  à  la  mort  du  dernier  héritier  mâle  du 
donataire.  Parmi  les  parcelles  dépendant  de  ce  majorât,  il  s'en  trou- 
vait plusieurs  à  l'état  d'enclaves  ou  de  quasi-enclaves,  qu'il  était  de 
l'intérêt  de  l'Administration  de  rattacher  au  sol  forestier,  savoii'  :  les 
pâtures  des  Aulneaux  ou  Fiévet,  du  Brai-Balicq,  Gilles  Florette,  de  la 
Cressonnière,  du  Vert-Donjon,  Mézière,  du  Magoniau,  du  Brai-Dieu  et 
du  Bois-Pierre  ,  d'une  contenance  ensemble  de  37  h.  22  a.  Par  déci- 
sion du -31  mai  1885,  le  Ministre  des  Finances  autorisa  le  service  des 
Domaines  à  en  faire  la  remise  à  celui  des  Forêts,  au  fur  et  à  mesure  de 
l'expiration  des  baux  courants. 

Après  avoir  signalé  les  pertes  éprouvées  par  la  forêt,  nous  avons  à 
indiquera  présent  l'étendue  qu'on  lui  reconnaissaità  diverses  époques. 

Le  titre  le  plus  ancien  où  il  est  fait  mention  de  sa  contenance  est  le 
cartulaire  du  XIIP  siècle  que  nous  avons  cité  précédemment  et  dans 


-  281  — 

lequel  on  lit  ce  qui  suit  :  «  Et  si  a  le  Cuenssen  bos  de  Mormail  là  ù  il  a 
par  mesure  m"  ix'=  muis  m  witeus  à  le  corde  dou  bos.»  Mais  cette 
indication,  en  admettant  qu'elle  soit  exacte,  ce  qui  paraît  bien  douteux, 
car  nos  anciens  géomètres  n'employaient  que  des  procédés  fort  impar- 
faits pour  arpenter  des  terrains  de  grande  étendue,  ne  nous  apprend 
rien,  parce  qu'on  ignore  à  quelle  unité  plus  récente  correspond  le  mui, 
la  plus  ancienne  mesure  usitée  dans  la  forêt  ;  en  tout  cas ,  il  faut 
observer  que  dans  ce  mesurage  ainsi  que  dans  ceux  effectués  posté- 
rieurement, les  cantons  détachés  du  massif  et  les  haies  situées  au-delà 
de  la  chaussée  de  Bavay  à  St-Quentin  n'y  ont  pas  été  compris. 

D'après  une  note  reposant  aux  archives  du  département  du  Nord(1] 
et  paraissant  datée  du  XVP  siècle,  la  forêt,  «  suivant  les  escripts  et 
cartulaires,  s'étendait  autrefois  sur  vii*'cxix  bonniers  ini"vi  verges  », 
soit  sur  10098  hectares  environ ,  chiffre  qui  vraisemblablement  com- 
prenait les  surfaces  occupées  par  le  domaine  de  Locquignol,  mais  non 
les  haies  précitées. 

A  la  fin  du  XVP  siècle ,  elle  passait  pour  renfermer  «  six  mil  trois 
cens  bonniers  et  cinq  cens  quatre  vingt  dix  bonniers  de  pretz^  pastu- 
raiges,  aulneaux,  viviers,  estocquies  et  aultres  plaches  wides,  où  ne 
voit  bos.  »  Mais  l'exactitude  de  ces  chiffres  parut  vraisemblablement 
douteuse;  car,  on  voit  les  Archiducs  Albert  et  Isabel  prescrire  en 
1601  «  de  faire  remesurer  au  juste  la  forest  et  en  faire  dresser  la  carte 
figurative,  avec  spéciffication  des  terres,  villes,  villaiges  et  hameaulx 
y  abbritans,  chemins  et  piécentes  la  traversans,  les  ruisseaulx  y  fluans, 
les  prés ,  les  pastures  et  viviers  qui  se  trouveront  dedans  icelle  , 
ensemble  les  lieux  et  places  les  plus  renommées  ».  Le  mesurage  pra- 
tiqué en  vertu  de  cette  ordonnance ,  accusa  une  contenance  de 
«  vi"viii<=iiii"  I  bonniers  xxx  verges  demie  »  (o).  La  forêt  était  «  ainsy 


(1)  M.  57.  Forêt  de  iMormal. 

(2)  Ordon.  de  1601,  précitée,  art.  xxvi. 

(3)  L'opération  fut  exécutée  par  maître  Michel  Hosselet ,  mesureur  du  Hainaut  et 
donna  lieu  à  la  dépense  ci-après  : 

»  A  Michel  Hosselet ,  mesureur  sermenté  du  pays  de  Haynnau  ,  résidant  à  Binch  « 
pour  avoir  fait  le  mesuraiche  de  la  franche  forest  de  Mourmal  à  ses  frais,  et  lui-même 
saillairé  les  ouvriers  qui  ont  fait  les  yoyes  pour  jecter  sa  mesure ,  a  esté 
payé iii<^  1.  ts« 

»  A  Baudry  de  Monteville  ,  Wallentin  du  Trieu  ,  Jaspart  du  Vivier, 
Jehan  Moreau  et  Adrien  Riégnault ,  sergeants  de  la  franche  forrest  de 
Mourmail,  pour  leur  sallaire  d'avoir  yacqué  à  conduire  maistre  Michel 
Hosselet,  en  faisant  le  mesuraige  de  la  ditte  forrest,  etc xxii  1.  x  s.  t. 


—  282  - 

courtresse  de  deux  cens  trente  huit  bonniers  ,  cinquante-cinq  verges 
demie  qui  a  esté  vendu,  sarté  ou  empiété  »  (1). 

Il  résulte  d'un  autre  mesurage  fait  en  l'an  1628 ,  qu'alors  Mormal 
«contient  seulement  vi"  v°  iiu"  xiii  bonniers  ,  deux  journaux  onze 
verges ,  chacun  bonnier  contenant  quatre  journelz  ou  quatre  cens 
verges  de  vingt  piedz  quarrez  chacun  »  soit  9297  hectares  ;  que  «  les 
pretz ,  pastures  et  terre  à  labeur  enclavées  en  la  ditte  forrest  con- 
tiennent 11'=  XXXI  bonniers  et  demi,  deux  verges  moins»,  soit  326  hec- 
tares; et  que  la  dite  forrest  de  tour  a  ix"  cl  verges  »  (2). 

Après  la  conquête ,  un  arrêt  du  Conseil  d'Etat  du  29  avril  1679, 
prescrivit  à  Faultrier,  Intendant  du  Hainaut  et  à  Le  Féron  de  faire 
procéder,  en  même  temps  qu'à  la  délimitation,  au  mesurage  de  la  forêt. 
Les  arpenteurs  royaux  Claude  et  Louis  Chandellier  constatèrent 
qu'elle  ne  renfermait  plus  que  «  seize  mille  sept  cens  vingt  deux 
arpents,  cinquante  verges,  mesure  du  bois,  revenant  à  la  mesure  du 
pays  et  de  laditte  forest  a  six  mille  vingt  bonniers,  chaque  bonnier 
composé  de  4  journels,  lejournel  de  100  verges,  à  raison  de  vingt 
pieds  10  pouces,  vallant  onze  de  France  pour  chacune  verge,  y  compris 
trois  cent  quatre  vingt  quinze  arpents  ,  soixante  une  verges  pour  les 
terres,  prez  et  héritages  de  Locquignol  et  de  l'Ermitage  »  (3).  Mais  de 
graves  erreurs  avaient  été  commises  par  les  sieurs  Chandellier  ;  leur 
travail  fut  refait  en  1689  par  Maximilien  Le  Clercq,  qui  trouva  que  la 
forêt,  sans  les  domaines  enclavés,  renfermait  17563  arpents  97  verges. 

Dans  le  siècle  suivant,  on  procéda  à  quatre  mesurages  successifs,  en 
1716,  en  1725,  en  1775  et  en  1777,  qui  accusèrent  des  différences 
considérables  :  en  effet,  le  premier,  exécuté  par  les  sieurs  Noisette  et 
DelvaUée,  attribuait  au  massif  17473  arp.  47  v.  11  p.  c;  le  second, 
16753  arp.  97  v.  c;  le  troisième,  dû  aux  sieurs  Lhussiez  père  et  fils. 


»  A  Adrien  de  Montigny,  organise  du  Quesnoy,  pour  avoii"  thiré  et 
painct  la  carte  figurarive  de  la  forrest  de  Mourmal  et  à  TOrdonnance 

de  Monsieur  de  iMérode,  esté  payet  huit  livres  de  xl  gros  qui  font xvi  1.  ts. 

.    Extrait  du  Compte  d'Adrien  d'Odrimont  (  1599-1600) ,  receveur  général  du  Hai- 
naut. Arch.  dép.  du  Nord.  Gh.  des  Comptes  ,  à  Lille. 

(1)  Procès-verbal  précité  de  la  visite  du  domaine  de  Haynnault,  par  d'Ennetières. 

(2)  Pièce  commençant  par  ces  mots  :  «  Pour  accomplir  le  IIP  et  dernier  membre 
de  l'ordonnance  de  Messeigneurs  des  finances. ...»  M.  57.  Forêt  de  Mormal.  Arch. 
du  dép.  du  Nord.  Gh.  des  Gomptes  de  Lille. 

(3)  Procès-verbal  de  réformation  de  la  forest  de  Mormal^  précité. 


i 


AriaLc-foixi 


ÇfeV 


;noy 


r  e/ J^o/'è^j 


^  .an 

„Ur,uJi/je<-!r<"'l  fptceniu.n^rdcux  a^ 

ÇaïC  (klojdininaue^'cL  b^L'^tctu^t-^^^ 
K/Tfrt///  (ou-ieilteiiulu  J/àuren  ^fCcon 

et  JintJU  (irjidiie^'',  n  rien  C  m/^i-^hy 
dn)cUfleutàtc  (fa/ut  ù,//t(rtdu^P 


«■"•*♦> 


'     ,  «  "  *  «  J        Gnmiaru, 

l       t  ,-  - 


f'J<"l"- 


Par  Caron  orp'ord.  du  Roy 


,/  ErcAinn/i  du 


LA  FORET  DE    MORÎIAL   jrajtf  :fiho   if'jyim  l'û/lgim/   consrrtr    aujr     JjrAtnv     efnr  jS.iiiJr  e/ fo/èfj 


y ^/ujiiaiix  Jil. 


—  283  - 

19227  arp.  97  v.  7  p.  c.  (1)  et  le  dernier  16948  arp.  47  p.  c.  (2).  De  la 
comparaison  de  ces  chiffres,  il  semblerait  que  la  forêt  eût  tantôt  gagné, 
tantôt  perdu  du  terrain  ;  en  réalilê  ,  elle  n'avait  pendant  toute  cette 
période,  ni  reçu  d'accroissements,  ni  éprouvé  de  pertes  ;  les  arpen- 
tages seuls  laissaient  beaucoup  à  désirer.  La  première  opération  bien 
faite  ne  date  que  de  1826  ;  le  sieur  Watteaux,  qui  l'exécuta  reconnut 
que  la  forêt  conieiiait  9199  hectares,  chiffre  reconnu  exact  dans  la  suite 
et  très  peu  différent  de  celui  qu'on  aurait  dû  trouver  au  siècle  pré- 
cédent. 

L'aliénation  de  la  haie  des  Lombards,  l'abandon  de  terrains  pour 
l'établissement  de  voies  publiques,  la  rectification  du  périmètre  sur  une 
partie  de  son  développement,  ainsi  que  la  révision  de  l'aménagement, 
déterminèrent  l'Administration,  en  1859,  à  faire  procéder  à  une  trian- 
gulation générale  du  massif,  afin  d'en  connaître  positivement  la  surface. 
M.  H.  Lambert,  Garde  général  du  service  des  Travaux  d'art,  qui  fut 
chargé  de  cette  opération,  constata  qu'il  renfermait  9131  h.  54  a. 
Depuis  lors,  sa  contenance  a  été  de  nouveau  altérée  par  suite  des 
cessions  nouvelles  de  terrains,  faites  dans  l'intérêt  de  la  vicinalité  et 
de  l'incorporation  d'une  partie  des  biens  provenant  du  majorât  du 
comte  Defermon  ;  elle  s'élève  aujourd'hui  à  9163  h.  11  a. 

En  résumé,  depuis  huit  cents  ans,  la  forêt  a  perdu  environ  2000 
hectares.  Si  cette  perte  n'a  pas  été  plus  considérable,  c'est  que  les 
divers  possesseurs  de  ce  riche  domaine  ont  généralement  veillé  avec 
soin  à  sa  conservation  ;  c'est  que,  peuplée  d'essences  dures,  sa  masse 
principale  était  traitée  en  futaie  pleine,  régime  qui  offrait  une  résis- 
tance plus  grande  aux  causes  de  destruction  que  celui  du  taillis  (3) , 
ajoutons  que  la  richesse  de  son  sol  et  la  vigueur  de  la  végétation  lui 
permirent  de  réparer  dans  une  certaine  mesure  les  dommages  que  la 
main  de  l'homme  et  la  dent  du  bétail  lui  faisaient  fréquemment  éprou- 
ver, et  que ,  sur  une  partie  importante  de  son  périmètre ,  la  forêt 
était  et  est  encore  limitée,  ou  par  d'anciennes  voies  romaines  ,  ou  par 


(1)  Mémoire  de  Delgove  ,  procureur  du  Roi ,  auprès  de  la  Maîtrise  des  eaux  et 
forêts  du  Quesnoy,  à  Monseigneur  de  Beauinout.  Arch.  nat.  Qi  835. 

(2)  Arrêt  du  12  mai  1778,  ordonnant  un  nouvel  aménagement.  Arch.  nat.  E.  1549. 

(3)  On  constate  en  effet  que  les  défrichements  ont  principalement  porté  le  long 
des  cours  d'eau  où  ne  croissaient  guère  que  des  aunes  et  autres  bois  tendres. 


-  284  - 

la  Sambre,  ou  par  des  bois  particuliers  qui  lui  servent  de  boulevard. 
Disons  enfin  que  ce  qui  l'a  surtout  préservée  du  sort  qui  a  atteint 
tant  d'autres  massifs  qui  ne  sont  plus  qu'à  l'état  de  souvenir,  ou  dont  le 
nom  même  a  disparu,  c'est  sa  vaste  étendue  qui  ne  permettait  pas  de 
l'aliéner  facilement. 

Heureusement ,  le  temps  n'est  plus  où  les  administrateurs  des 
deniers  publics,  sur  la  foi  de  théories  dont  l'expérience  a  fait  justice, 
représentaient  les  forêts  comme  un  reste  des  temps  barbares  et  récla- 
maient à  grands  cris  l'anéantissement,  sinon  de  tous  les  massifs  doma- 
niaux, du  moins  de  ceux  situés  en  plaine.  Mieux  éclairés  à  présent, 
nos  hommes  d"Etat  savent  qu'une  opération  de  cette  nature  serait  pré- 
judiciable au  pays,  désastreuse  pour  le  Trésor,  et  qu'elle  ne  profiterait 
qu'à  quelques  capitalistes  dont  le  seul  souci  est  de  s'enrichir  (1)  ;  nous 
avons  rapporté  d'autre  part  que.  loin  de  songera  restreindre  l'étendue 
de  Mormal,  le  gouvernement  actuel  lui  avait  rattaché  un  certain  nom- 
bre d'enclaves  perdues  pour  elle  depuis  plusieurs  siècles  :  il  est  donc 
permis  d'envisager  l'avenir  avec  confiance.  Au  surplus,  nous  avons 
le  désir  de  prouver  que  le  défrichement  de  cette  forêt  aurait  les  plus 
graves  conséquences  pour  les  nombreuses  industries  qu'elle  dessert 
dans  la  région,  et  que  sa  conservation  intéresse  le  régime  des  eaux  et 
est  intimement  liée  à  la  défense  du  territoire  sur  laquelle  on  ne  saurait 
veiller  avec  trop  de  sollicitude. 

[A  suivre.) 


(1)  «  La  vente  des  nombreuses  forêts  de  l'État  réalisée  depuis  le  commencement 
de  ce  siècle  fournit  à  ce  sujet  des  renseignements  probants.  On  a  fait  le  compte  de 
toutes  les  sommes  encaissées  par  le  Trésor  public  à  la  suite  de  ces  aliénations,  et  on 
a  d'autre  part  évalué  la  perte  de  revenu  qui  en  résultait  pour  le  budget  de  l'Etat.  Le 
rapprochement  de  ces  deux  comptes  ,  capital  et  intérêts  ,  a  permis  d'établir  que  les 
forêts  aliénées  représentaient  un  revenu  net  (c'est-à-dire  déduction  faite  des  impôts, 
frais  de  garde  ,  de  gestion  et  d'entretien)  dépassant  4  p.  100.  C'est  là  un  placement 
très  avantageux  ,  et  l'Etat  a  eu  grand  tort  d'aliéner  des  bois  d'une  valeur  aussi  pro- 
ductive; ces  bois,  vendus  avec  faculté  de  défricher,  ont  généralement  disparu.  Mieux 
aurait  valu,  pour  l'Etat,  recourir  à  l'emprunt  pour  se  procurer  les  ressources  extraor- 
dinaires dont  il  avait  besoin  ,  et  que  le  budget  normal  et  ordinaire  ne  pouvait  lui 
fournir.  »  A,  Noël.  Essai  sur  les  repeuplements  artificiels^  etc.  Introd.,  p.  x. 


-  285  - 


BLANKENBERGHE  &  SES  ENVIRONS 


Par  L.  QUARRE-REYBOURBON , 

Officier    d'académie  ,     Archiviste     de    la    Société , 
Membre  de  la  Commission  historique  du  Nord. 


L'habitant  d'une  grande  ville ,  interrompant  une  vie  occupée  ,  pour 
venir  se  reposer  à  Blankenberghe,  se  demande  à  quoi  il  passera  le 
temps,  après  les  quelques  instants  consacrés  à  son  bain,  à  la  lecture 
des  journaux  au  Casino  et  aux  promenades  sur  la  digue.  Plusieurs 
goûtent  le  plaisir  de  rester  longtemps  en  contemplation  de  l'Océan , 
assis  sur  un  banc  ou  sur  une  des  nombreuses  chaises  qui  invitent 
au  repos  et  qui  sont  disséminées  sur  une  belle  digue,  si  agréable, 
où  les  voitures  n'ont  pas  accès.  Certainement  le  spectacle  de  la  mer , 
des  nombreux  bateaux  à  voiles  et  à  vapeur  qui  apparaissent  à  l'horizon, 
et  celui  des  joyeux  ébats  des  baigneurs  et  des  baigneuses,  leur  offrent 
des  diversions  qui  peuvent  abréger  de  beaucoup  le  temps. 

Mais  il  n'en  est  pas  de  même  des  personnes  qui  aiment  le  mouvement 
et  les  distractions  variées.  Pour  ces  dernières,  il  y  a  une  ressource  bien 
grande  :  Les  Excursions.  Beaucoup  répondront  :  mais  il  n'y  a  rien  de 
curieux  dans  les  environs,  sinon  Ostendeet  Bruges,  que  nous  connais- 
sons. Pardon,  vous  avez  à  voir  une  quantité  de  villages  qui  offrent  par 
leur  situation,  leurs  restes  de  monuments,  leur  riche  végétation,  les 
moyens  de  passer  votre  temps  d'une  manière  utile  et  agréable. 

Le  pays  environnant  Blankenberghe  était  très  peuplé  et  très  commer- 
çant avant  de  subir  les  cataclysmes  qui  l'ont  réduit  à  l'état  où  nous  le 
trouvons.  Maintenant,  il  cherche  à  se  réveiller  par  l'attrait  de  ses 
plages  heureuses ,  bien  situées  et  offrant  toute  sécurité  aux  bai- 
gneurs. 

Ayant  dix  jours  à  passer  à  Blankenberghe,  j'ai  choisi  comme  motif 
de  distractions,  celui  des  excursions. 

Je  n'ai  pas  l'intention  de  répéter,  au  sujet  des  villes,  les  indications 
décrites  dans  les  guides,  je  n'en  dirai  qu'un  mot  ;  car  je  veux  simplement 


—  286  — 

parler  des  localités  qui  n'y  sont  qu'indiquées  et  qui,  pour  la.  plu- 
part   ont  une  histoire  et  des   légendes.  Je  ne  décrirai  que  la  partie 
Nord-Est,  située  entre  Blankenberghe,  Heyst  et  Bruges,  jusqu'à  la 
Hollande. 

Il  m'a  été  donné  de  visiter  les  plages  de  la  Belgique  et  de  la  France, 
depuis  Heyst  jusqu'à  Arcachon,  Biarritz  et  même  St-Sébastien.  C'est  à 
Blankenberghe  que  j'ai  trouvé  le  plus  de  sécurité  pour  les  baigneurs. 
La  pente  qui  conduit  à  la  mer  est  douce.  Le  fond  ,  en  sable  fin .  peu 
parsemé  de  coquillages ,  produit  aux  pieds  l'effet  d'un  moelleux 
tapis  d'Aubusson.  Ajoutez  à  cela  une  surveillance  très  intelligente, 
pour  éviter  les  accidents  :  des  barques  de  sauvetage  sont  montées 
par  d'habiles  nageurs  prêts  à  porter  secours  en  cas  de  danger,  et,  sur 
la  rive,  d'autres  surveillants  rappellent,  par  un  son  de  trompe,  l'im- 
prudent qui  s'aventure  trop.  Aussi  pas  ou  peu  d'accidents  sont  signalés 
dans  cette  station  balnéaire. 

Le  coup  d'œil  de  la  digue  est  magnifique  à  la  saison  des  bains  :  la 
plage  avec  ses  nombreuses  cabines  (1)  et  ses  tentes  de  toutes  cou- 
leurs, dont  les  drapeaux  flottent  au  vent,  avec  ses  baigneuses  aux 
longs  cheveux  épars  qu'elles  demandent  à  la  brise  de  sécher,  et  avec 
les  nombreux  enfants  qui  font  des  fortins  dans  le  sable  ou  jouent  au 
Groket,  offre  un  spectacle  animé  et  varié. 

En  face  de  la  mer,  la  digue ,  large  et  commode ,  est  bordée  d'élé- 
gantes villas  et  d'hôtels  dont  l'architecture  et  les  plans  tranchent  sur 
le  fond  par  leur  variété.  Quelques-uns  portent  des  noms  agréables. 
J'ai  relevé  172  numéros  sur  toute  la  longueur. 

L'existence  de  Blankenberghe  a  été  fort  tourmentée  par  les  inon- 
dations et  les  guerres.  Jadis  cet  endroit  portait  le  nom  de  Scharpehout 
et  fut  englouti  par  la  tempête  de  lo34.  Il  s'y  trouvait  une  église  dédiée 
à  Notre-Dame,  mais  elle  a  été  ruinée. 

Les  inondations  revenaient  presque  périodiquement.  Celle  de  1404, 
fut  la  plus  désastreuse  :  elle  s'étendit  à  plus  de  trois  lieues  dans  l'in- 
térieur du  pays.  On  conçut  alors  le  projet  d'opposer  une  barrière  aux 
envahissements  de  la  mer,  par  la  construction  d'une  digue  s'étendant 
de  Gravelines  jusqu'à  Anvers.  Ce  plan  grandiose ,  surtout  pour 
l'époque,  fut  mis  à  exécution  par  les  Seigneurs  propriétah*es  des  terrains 
limitrophes,  d'après  les  ordres  du  Comte  de  Flandre,  Jean-sans-Peur, 


(1)  On  comptait  en  août  1886  :  475  cabines. 


—  287  — 

d'où  lui  vient  ce  nom  qu'elle  porte  encore  aujourd'hui  :  Digue  du 
Comte  Jean.  En  trois  ans  la  digue  fut  construite.  Malgré  cette 
barrière ,  la  mer  fit  encore,  parfois,  irruption  dans  les  campagnes, 
qu'elle  stérilisait  ainsi  pour  de  longues  années.  Après  la  désastreuse 
marée  de  1808 ,  un  ingénieur  brugeois,  s'opposant  à  l'avis  de  ses  col- 
lègues français,  qui  voulaient  laisser  du  terrain  à  la  mer,  fit  cons- 
truire le  système  de  brise-lames  qui  existe  encore.  La  vague,  venant 
se  briser  contre  les  jetées,  n'entame  plus  les  dunes,  que  le  sable,  eu 
s'accumulant ,  soutient  et  fortifie.  La  science  d'un  ingénieur  avait 
sauvé  l'humble  bourgade  qui,  mise  en  sécurité,  put  atteindre  le  degré 
de  prospérité  où  elle  s'est  élevée  comme  ville  de  bains.  11  n'a  pas  fallu 
longtemps  poui'  que  cette  ville  arrivât  à  l'état  où  eUe  se  trouve  ;  une 
vingtaine  d'années  suffirent  pour  rendre  un  nid  de  pêcheurs,  la  rivale 
d'Ostende. 

Il  est  question  des  bains  à  Blankenberghe  depuis  un  temps  éloigné. 
M.  Van  den  Bussche  qui  en  a  fait  l'historique  (1) ,  nous  dit  que  les 
habitants  de  l'endroit  se  sont  toujours  baignés,  mais  que  leur  costume 
de  bains  laissant  tout  à  désirer,  les  magistrats  durent,  au  mois  d'août 
1410,  faire  publier  une  ordonnance  portant  qu'il  était  défendu 
de  se  baigner  le  dimanche  et  les  jours  de  fête ,  sous  peine  ,  pour 
le  délinquant,  d'être  frappé  d'amende  et  de  voir  confisquer  ses  vête- 
ments, sauf  le  plus  indispensable  ;  mais  cette  ordonnance  donna  lieu  à 
un  autre  scandale,  les  baigneurs  dont  on  avait  saisi  les  vêtements  s'en 
retournaient  chez  eux  non  vêtus.  Cette  confiscation  fut  abolie  en  1416. 

L'interdiction  de  se  baigner  le  dimanche  fut  levée  en  1514 ,  et  voici 
comment  :  les  archers  de  St-Sébastien  de  Bruges ,  étant  allés  à  un 
grand  tir  qui  avait  lieu  à  Blankenberghe,  voulurent  se  baigner,  mais 
on  les  empêcha  en  leur  exhibant  l'édit  qui  défendait  l'accès  de  la  mer 
le  dimanche.  Les  archers  n'entendirent  point  de  cette  oreille  et  vou- 
lurent passer  outre  ;  les  choses  tournaient  à  mal  quand  les  échevins, 
pour  éviter  un  conflit,  retirèrent  l'ordonnance. 

Celui  qui  eut  la  bonne  idée  d'élever  un  pavillon  en  planches  sur  la 
dune ,  fonda  la  prospérité  de  la  bourgade.  Bientôt  les  baigneurs 
fatigués  d'Ostende  y  arrivèrent.  Le  pavillon  appela  la  digue  et  l'es- 
calier. La  digue  se  garnit  de  maisons  et  du  Kursaal.  Enfin  le  chemin 


(1)  Dans  :  La  Flandre,  revue  qui  se  publiait  à  Bruges. 


-  288  — 

de  fer  acheva  de  donner  à  cette  localité  une  vogue  qui  va  croissant 
chaque  année.  En  1855  la  liste  de  la  saison  renseignait  1400  étrangers  ; 
celle  du   28  août  1886  en   accusait  16,692. 

Le  Kursaal,  devenu  un  hôtel  de  premier  ordre,  est  remplacé  par  un 
Casino  magnifique,  dont  l'organisation  sera  bientôt  entièrement  ter- 
minée. L'orchestre  y  est  bon,  les  consommations  y  sont  de  premier 
choix.  De  beUes  peintures  ornent  la  grande  salle  de  concert,  la  salle 
de  bal  est  spacieuse,  d'excellents  billards  permettent  aux  joueurs  de 
montrer  et  d'exercer  leur  adi'esse.  Dans  une  des  salles  contenant  deux 
billards  se  trouve  un  magnifique  panneau  peint  par  François  Musin, 
1886,  représentant  la  bataille  de  l'Ecluse,  avec  cette  inscription  au  bas 
en  français  et  en  flamand  :  «  Le  22,  Juin  1340  la  flotte  du  roi 
Edouard  III  d'Angleterre  arriva  devant  Blankenherghe,  le  lende- 
main eut  lieu  la  bataille  de  l'Ecluse,  célèbre  combat  naval.  La  flotte 
française  alliée  aux  Génois  fut  en  partie  dçt^^uite.  » 

Le  même  sujet  est  représenté  sur  un  plat  de  porcelaine.  G  est  la  vue 
de  ces  objets  qui  m'a  engagé  à  faire  le  voyage  de  l'Ecluse. 

La  digue  de  mer  de  Blankenbergue  a  plus  de  deux  kilomètres  de 
longueur  et  l'estacade  en  mer  a  405  mètres  ;  c'est  sur  cette  dernière 
que  les  amateurs  aiment  à  se  promener  et  à  pêcher.  Cet  endroit  sert 
de  débarcadère  à  Tarrivée  des  barques  de  pêcheurs.  Il  est  curieux  de 
voir  leur  rentrée  :  leurs  femmes  et  leurs  filles  viennent  les  attendre. 
Quelle  activité  !  le  poisson  est  trié  :  les  espèces  fines  sont  traitées  avec 
toutes  sortes  d'égards.  Celte  aristocratie  se  compose  des  turbots,  des 
barbues,  des  maquereaux,  des  grandes  soles.  Le  poisson  déchargé  est 
ensuite  vendu  dans  la  rue,  parterre,  à  la  criée,  après  que  chaque  patron 
a  mis  de  côté  la  part  gratuite  des  pêcheurs  vieux  et  pauvres. 

L'administration  municipale  a  le  projet  de  faire  construire  un 
minck ,  un  marché  aux  poissons  ;  nécessité  impérieuse  ,  car  la  seule 
industrie  de  Blankenherghe  a  bien  le  droit  d'être  installée  convenable- 
ment. Le  poisson  s'étale  de  temps  immémorial  sur  le  pavé ,  et  ce 
marché,  plus  que  primitif,  n'est  pas  de  nature  à  répandre  de  délicats 
parfums  dans  la  ville. 

Une  seule  construction  s'éleva  d'abord  au  milieu  des  montagnes  de 
sable  :  c'était  le  vieux  fortin  qui  servait  de  phare.  Il  représentait  là  le 
passé  et  subit  d'étranges  destinées.  En  1591,  il  fut  pris  par  le  gouver- 
neur d'Ostende  ;  une  partie  de  la  garnison  fut  égorgée  et  la  ville, 
pillée.  Les  Espagnols  le  reconstruisirent  et  en  firent  une  vigie.  Plus 


—  -^9  — 

tard,  rÉgli^^e  lui  saccagée  elle  lortiu  servit  à  la  célébration  des  offices. 
Il  a  été  démoli  il  y  a  peu  d'années.  C'est  sur  son  emplacement  que 
s'élève  le  Casino. 

I-ilankenberghe,  à  cause  de  ces  péripéties,  ne  possède  pas  de  monu- 
ments anciens.  Après  l'inondation  de  loo4,  qui  détruisit,  comme  nous 
l'avons  vu,  l'Église  de  Notre  Dame  de  Scharpehout,  on  en  fit  une  autre 
à  une  distance  plus  grande  de  la  mer.  consacrée  en  1358  et  dédiée  à 
St-Antoine.  Incendiée  par  les  Anglais  en  1405,  par  ceux  de  Flessingue 
en  1508  et  de  nouveau  par  les  Anglais  en  1591,  celle-ci  fut  rebâtie  et 
bénie  le  24  avril  1613.  Elle  consiste  aujourd'hui  en  trois  nefs  terminées 
à  lEsfc  par  des  absides  à  trois  pans.  La  tour  se  trouve  en  tête  du  bas 
côté  Nord  ;  une  chapelle  à  deux  baies,  au  bas  côté  Sud,  sert  de  sacristie. 
Le  maître-autel  et  les  chapelles  sont  du  style  de  la  fin  du  XVIP siècle; 
les  voûtes  des  bas  côtés  ont  été  faites  vers  la  fin  du  XVIir  (1768).  Cet 
édifice,  insuffisant  pour  le  culte,  surtout  pendant  la  saison  des  bains, 
ofi're  un  aspect  triste  et  négligé. 

Une  nouvelle  église  est  en  construction  dans  un  autre  quartier  de  la 
ville,  du  côté  d'Heyst.  C'est  l'administration  communale  qi/i  en  a 
entrepris  l'érection.  Malheureusement  la  bâtisse  reste  en  suspens,  on 
prétend  que  la  partie  actuellement  construite  ne  pourra  pas  supporter 
le  poids  de  l'édifice.  L'entrepreneur  dit  avoir  suivi  le  plan  et  les  ins- 
tructions do  l'architecte  ;  de  là,  procès  avec  toutes  les  lenteurs  ordi- 
naires. Le  bâtiment  est  abandonné  depuis  un  an  :  on  attend  la  décision 
suprême  de  la  cour  de  Bruxelles. 

L'hôtel-de-ville  n'a  rien  de  monumental  ;  dans  la  grande  salle  qui 
ressemble  à  une  ancienne  chapelle  ,  surmontée  d'un  petit  clocher  avec 
cadran  et  girouette ,  on  a  installé  un  petit  théâtre  où  des  artistes 
bruxellois  jouent,  pendant  la  saison,  la  comédie  et  l'opérette. 

J'ai  lu,  dans  un  petit  journal  de  Bruxelles,  la  description  suivante 
de  cet  hôtel-de-ville  et  l'annonce  du  projet  conçu  par  la  Municipalité 
(l'en  faire  construire  un  nouveau  :  «  La  Maison  communale  actuelle  est 
«  une  bicoque.  Elle  est  trop  exiguë  ;  elle  ne  tient  sur  ses  fondations 
«  que  par  habitude  ;  elle  est  voisine  d'une  métairie  vieille  comme  le 
«  monde,  qui  n'est  là  pas  plus  à  sa  place  qu'un  furoncle  sur  la  joue  d'une 
«  jolie  femme.  » 

Dans  cet  hôtel-de-ville ,  d'un  intérieur  si  peu  attrayant ,  on  voit  deux 
beaux  portraits,  ceux  de  Marie-Thérèse  et  de  son  mari  Maximilien. 
Les  pêcheurs  ne  donnent  pas  un  regard  à  ce  dernier  portrait,  mais  ils 
s'arrêtent  dans  une  admiration  silencieuse  devant  celui  de  l'Impératrice, 

■20 


—  -.^I)  — 

qu'ils  adorent  à  l'égal  de  la  mer  et  qui  est  restée  leur  seule  souveraine. 
Une  charte  de  1770,  revêtue  du  sceau  de  cette  princesse,  sert  encore 
de  règlement  aux  pêcheurs.  Le  doyen  de  la  corporation  en  possède 
l'original  écrit  sur  parchemin.  Elle  est  déposée  dans  un  grand  coffre 
où  est  serré  un  petit  coffret.  Selon  la  tradition,  1  Impératrice  préoccupée 
du  sort  des  pêcheurs,  leur  aurait  remis  ce  coffret  avec  la  recomman- 
dation de  ne  l'ouvrir  qu'en  cas  de  force  majeure.  Nul  ne  sait  ce  qu'il 
conti(?nt.  11  y  a  quelque  chose  de  touchant  dans  cet  attachement  à  la 
souveraine  qui  leur  trace  leurs  droits  et  leurs  devoirs. 

On  connaît  le  pittoresque  et  immuable  costume  des  pêcheurs ,  dont 
le  luxe  consiste  dans  deux  boutons  formés  de  deux  pièces  d'argent , 
des  couronnes  à  l'effigie  de  Marie-Thérèse. 

Chose  singulière,  Napoléon  I",  dont  les  pêcheurs  ne  se  soucient 
guère,  protégeait  aussi  ceux  de  Blankenberghe.  Il  leur  avait  accordé 
le  privilège  de  fournir  sa  table  de  marée. 

Les  pêcheurs  de  Blankenberghe  jouissaient  encore  d'un  autre  pri- 
vilège, avec  ceux  de  Heyst  et  de  La  Panne  :  celui  d'emporter  avec  eux, 
en  mer,  un  jeu  de  cartes.  — Un  seul  —  faveur  qui  était  refusée  à  leurs 
confrères  d'Oslende  et  de  Nieuport  (1). 

Ces  pêcheurs  forment  une  population  à  part  qui  n'a  rien  de  commun 
avec  celle  qui  vit  des  bains.  Esclaves  de  la  routine,  ils  ont  vu  d'un  mau- 
vais œil,  le  port  qui  a  été  creusé  à  leur  intention,  il  y  a  quelques  années, 
et,  aussitôt  la  saison  des  bains  finie,  au  lieu  de  profiter  d'un  débarcadère 
toujours  abordable  ,  pour  décharger  à  sec  le  produit  de  leur  pêche  ,  ils 
préfèrent  en  revenir  à  leurs  anciennes  habitudes  et  laisser  leur  barque 
sur  la  plage  où  la  marée  haute  la  reprend. 

Le  phénomène  de  la  phosphorescence  s'observe  certains  jours  sur  la 
mer  du  Nord.  Il  se  remarque  surtout  pendant  les  nuits  obscures.  Dès 
le  coucher  du  soleil,  la  surface  de  la  mer  s'illumine  :  à  la  crête 
de  chaque  vague  surgissent  comme  des  feux  follets  qui  dansent  et  s'en- 
trecroisent. Plus  le  flot  s'approche  du  rivage,  plus  les  flammes  bleues 
se  multiplient,  jusqu'à  ce  que  les  lames  se  rejoignent  et  se  brisent  à 
grand  bruit  sur  le  sable,  en  formant  des  volutes  de  feu  de  quinze  à  vingt 
mètres  de  long. 


(1)  La  Belgique  illustrée,  publiée  sous  la  direotion  de  M.  Eug.  Van  Bemmel, 
2  vol.  in-4«,  fig.  Bruxelles  1885-1886. 


—  -iw  — 

Le  comte  de  Flandre  vient  chaque  année  passer  quelque  temps  à 
Blankenbergho,  avant  d'allor  à  Heyst  habiter  sa  villa.  A  ce  sujet,  cette 
année,  la  Vigie  de  la  Côte,  qui  donne  la  liste  des  étrangers  de  Blan- 
kenberghe  et  de  Heyst,  annonçait  que  les  prhic(»s  Baudouin  et  Albert 
avaient  fait  une  promenade  en  mer  sur  le  Lèopold  II.  Le  steamer 
était  dirigé  par  le  capitaine  Ecrevisse,  heureux  nom  pour  un  capitaine 
de  bateau  à  vapeur. 

Je  me  suis  bien  étendu  sur  Blankenberghe  ,  je  n'ai  cependant  aucun 
intérêt  pour  que  cette  station  de  bains  de  mer  soit  plus  fréquentée 
qu'une  autre.  Loin  de  moi  également  la  pensée  de  nuire  à  la  vente  des 
guides  de  voyage,  si  utiles  par  leurs  indications  précises.  Je  terminerai 
par  l'énoncé  des  projets  que  la  municipalité  compte  faire  exécuter.  J'ai 
dit  qu'une  nouvelle  église  est  en  construction,  que  l'on  projette  un 
nouvel  hôtel-de-ville  et  un  marché  aux  poissons. 

Il  s'agirait  également  d'un  égout  collecteur  nécessaire  pour  l'écoule- 
ment des  eaux  et  l'hygiène  de  la  ville.  Les  plans  sont  faits,  adoptés  et 
les  fonds  sont  prêts.  11  ne  reste  à  trancher  que  certaines  difficultés 
d'intérêts  personnels,  pour  déterminer  l'endroit  où  ces  eaux  se  déver- 
seront dans  la  mer. 

Il  est  aussi  question  de  créer  tout  un  quartier  nouveau  en  allongeant 
la  digue  du  côté  de  l'est,  vers  Heyst.  On  construirait  une  sorte  de  pro- 
montoire-promenoir dont  les  assises  seraient  toujours  battues  par  les 
vagues. 

L'idée  est  certainement  excellente  et  ne  pourrait  manquer  d'obtenir 
du  succès.  Les  plans  ont  été  exposés  à  Bruxelles  et  les  fonds  sont  trou- 
vés. On  mettra  peut-être  la  main  à  l'œuvre  plus  tôt  qu'on  ne  pense, 
l'affluence  des  baigneurs  augmentant  chaque  année  dans  des  proportions 
considérables. 

Toutes  ces  intentions  de  l'administration  municipale  sont  bonnes. 
Il  est  désirable  qu'elles  se  réalisent  dans  l'intérêt  de  Blankenberghe. 
La  petite  ville  ingénue  fait  peau  neuve.  Elle  met  en  action  le  pro- 
verbe :  «  Pour  ne  point  dégénérer  il  faut  progresser  !  » 


Bruges  est  certainement  de  beaucoup  l'excursion  la  plus  agréable, 
ainsi  que  la  plus  intéressante  et  instructive  que  l'on  puisse  faire  , 
d'autant  mieux  que   de  Blankenberghe ,  le   trajet ,    par  chemm   de 


—  29^!  - 

fer  ,  se  fait  en  26  minutes  et  que  les  trains,  aller  et  retour,  sont  nom- 
breux pendant  la  journée. 

Je  n'ai  pas  à  donner  la  description  de  cette  ville  magnifique,  si 
pleine  de  souvenirs  de  tous  genres  et  dont  il  existe  de  nombreuses 
monographies  (1). 

On  a  souvent  comparé  Bruges  à  la  Belle  au  bois  dormant.  Il  y  a 
du  vrai  aussi  :  la  cité  endormie,  avec  sa  double  ceinture  d'eau  et  de 
verdure  qui  entoure  sa  taille  bien  prise  ,  prête  admirablement  à  cette 
comparaison. 

Cette  ville  n'a  plus  d'espoir,  dit-on,  que  dans  le  projet  de  faire  revenir 
les  eaux  de  la  mer  dans  son  port.  Projet  dont  tous  les  plans  sont  prêts 
et  qui  a  fait  l'objet  d'un  mémoire  sérieux. 

Bruges  reprendrait  son  activité  d'autrefois  et  viendrait  rendre  de 
grands  services  au  commerce,  surtout  en  cas  de  blocus  de  la  ville 
d'Anvers  qui,  par  sa  position  géographique,  se  trouve  à  la  merci  de  la 
Hollande,  maîtresse  des  bouches  de  l'Escaut,  dont  une  simple  escadre 
peut  interdire  lentrée.  Bruges  n'a  qu'à  attendre  ,  le  jour  viendra  où  la 
nécessité  de  lui  rendre  son  imporlance  sera  reconnue.  Il  y  a  déjà 
beaucoup  de  chemin  de  fait  en  ce  sens. 

Bruges  est  un  véritable  musée  d'antiquités  que  le  savant  et  l'artiste 


(1)  Histoire  de  Bruges  et  les  événements  dont  cette  ville  a  été  le  théâtre  jusqu'à 
la  Révolution  française,  in-8°,  fig.  Bruges,  1850  (l'auteur  est  un  Lillois,  M.  A.  Couvez). 

Monuments  et  Yues  de  Bruges,  dessinés  par  F.  Stroobant,  accompagnés  d'une 
description  historique,  in-8',  figures.  Bruges,  J.  Bufta,  S.  D. 

Bruges  en  trois  jours .  Promenades  dans  la  Venise  du  Nord,  par  Ad.  Duclos,  avec 
5  cartes  et  plusieurs  gravures,  in-18.  Bruges,  1883. 

Bruges  et  ses  environs,  par  M.  H.  James  Weale,  in-18,  fig.  Bruges,  Desclee,  etc. 
1884. 

Description  de  tous  les  Pays-Bas,  etc.,  par  Messire  Lojis  Guicciardin,  gentilhomme 
florentin,  in-fol.,  figures.  Anvers,  1582.  (11  y  a  eu  plusieurs  éditions  de  cet  ouvrage). 

Les  Délices  des  Pays-Bas  ou  description  géographique  et  historique  des  XVII 
provinces  Belgiques,  etc.,  5  vol.  in-12  ornés  de  nombreux  plans  et  gravures.  Liège, 
1769.  (Également  cet  ouvrage  a  eu  plusieurs  éditions). 

Le  Délices  de  la  Belgique  ou  description  historique,  pittoresque  et  monumen- 
tale de  ce  roy cnme,  par  A.  Wauters,  archiviste  de  la  ville  de  Bruxelles,  gr.  in-S" 
orné  d'une  carte  et  de  100  planches.  Bruxelles,  1844. 

La  Belgique  illustrée,  ses  monuments,  ses  paysages,  ses  œuvres  d'art,  publié 
sous  la  direction  de  M.  Eug.  Van  Bemmel,  2  vol.  in-4'',  nombreuses  figures. 
Bruxelles,  1886. 

Les  Guides  des  voyageurs  en  Belgique.  Badeker,  Gonty,  Joanne,  etc.,  etc. 


-  293  - 

doivent  connaître.  Ce  qui  distingue  l'architecture  de  la  plupart  de  ses 
•'édifices,  c'est  l'alliance  du  j^oût  >hi  luxe  5  celui  du  beau. 

Je  ne  ni'arrêierai  dans  cette  ville  que  pour  nie  procurer  les  moyens 
d'aller  à  Danime,  puis  à  l'Écluse. 

La  route  de  Bruges  à  Damme  est  une  des  plus  belles  de  la  Flandre 
elle  est  bordée  de  grands  arbres  qui  forment  berceau,  côtoyant  le 
magnifique  canal  qui  conduit  à  L'Ecluse,  mais  dont  les  eaux  sont  mal- 
heureusement gâtées  par  le  rouissage  du  lin. 

L'aspect  de  Damme  est  celui  d'une  ville  morte;  sa  population, 
réduite  à  L200  habitants,  était  de  25,000  il  y  a  (juelques  siècles. 
Quelques  monuments  et  les  façades  de  plusieurs  maisons  rappellent  sa 
splendeur  et  attestent  que  c'était  autrefois  une  grande  ville. 

Me  trouvant  en  pays  exclusivement  flamand,  j'ai  eu  recours  a 
M.  le  Curé,  vieillard  très  agréable  et  érudit,  qui  s'est  mis  à  ma  dispo- 
sition pour  me  renseigner  sur  tout  ce  qui  pouvait  m'intéresser.  En 
moins  de  vingt  minutes,  ce  vénérable  pasteur  m'avait  montré  son 
église,  raconté  l'histoire  de  la  ville  et  de  ses  monuments,  sans  omettre 
les  légendes. 

Damme  s'appelait  naguère  Honds  Dam.  La  digue  du  Chien.  (Un 
chien  figure  dans  ses  armes). 

Voici  l'origine  de  cet  emblème.  En  1168,  les  invasions  de  la  mer 
donnant  de  l'inquiétude,  on  construisit  une  forte  digue  se  dirigeant  de 
Bruges  sur  Cadsand  ;  de  nombreux  ouvriers  y  étaient  occupés.  Mais 
la  besogne  n'avançait  pas.  Chaque  nuit  défaisait  ce  que  l'on  avait  fait 
pendant  la  journée.  A  cette  époque,  on  aimait  à  assigner  des  causes 
mystérieuses  aux  faits  les  plus  simples.  Les  ouvriers  avaient  remarqué 
qu'un  chien  noir  sans  maître  les  accompagnait  sans  cesse  et  se  trouvait 
à  son  poste  chaque  matin  ;  il  les  regardait  travailler  toute  la  journée, 
et,  le  soir,  il  ne  quittait  pas  la  digue  en  même  temps  qu'eux.  Ce  chien 
devint  suspect.  Un  matin,  après  une  nuit  orageuse,  les  ouvriers  ayant 
vu  de  nouveau  leur  besogne  de  la  veille  détruite,  s'emparèrent  du  chien 
noir,  le  jetèrent  dans  la  brèche  et  l'ensevelirent  sous  une  montage 
de  terre.  A  dater  de  ce  moment,  la  digue  tint  bon,  et  les  ouvriers,  qui 
s'étaient  bâti  près  de  là  des  maisons ,  donnèrent  à  cette  aggloméra- 
tion le  nom  de  Honds  Dam  (la  digue  du  Chien). 

C'est  ainsi  que  la  ville  de  Damme  doit  sa  fondation  à  quelques 
ouvriers  zélandais  et  hollandais  qui  travaillaient  à  la  construction  de 
la  digue  érigée  pour  préserver  la  ville  de  Bruges  et  son  territoire  des 
invasions  de  la  mer. 


-  294  — 

Aux  quelques  maisons  élevées  par  les  ouvriers ,  des  personnes 
vinrent  en  ajouter  de  nouvelles  et  s'y  fixer  pour  faire  le  commerce  ; 
les  marchands  y  affluèrent;  en  moins  de  trois  ans,  les  constructions 
en  firent  une  ville  assez  importante,  et  un  port  de  mer.  Vers  l'an  1180, 
Philippe  d'Alsace  y  fonda  un  tribunal,  avec  deux  bourgmestres  et  des 
échevins . 

La  mer,  en  poussant  une  pointe  à  Tintérieur  des  terres  en  1187, 
agrandit  tellement  le  port  que  le  roi  de  France,  Philippe-Auguste,  y 
fit  entrer,  en  1213,  une  flotte  de  1700  navires,  qui  lut  en  grande 
partie  détruite  par  les  Flamands  et  les  Anglais.  Les  Français  pillèrent 
la  ville,  oîi  ils  trouvèrent  un  riche  butin  :  les  soies  de  la  Chine  et  de  la 
Syrie,  les  pelleteries  de  la  Hongrie,  les  draps  les  plus  précieux  de  la 
Flandre,  les  vins  de  Gascogne,  le  plomb  et  1  etain  de  l'Angleterre,  le 
cuivre  rouge  de  la  Pologne  et  des  masses  d'argent  non  travaillé.  Les 
trésors  dont  ils  venaient  de  s'emparer,  leur  firent  oublier  le  danger  qui 
les  menaçait.  La  flotte  anglaise,  sous  le  commandement  du  comte  de 
Salisbury,  étant  venue  fermer  le  port,  les  Français  furent  obligés  de 
brûler  les  vaisseaux  cernés  qui  avaient  échappé  une  première  fois  aux 
Anglais  et  mirent  en  même  temps  le  feu  à  la  ville.  Ils  ne  surent 
enlever  cependant  ni  le  port  ni  les  canaux  et,  dès  que  leur  armée  se 
fut  retirée,  les  vaisseaux  étrangers  reparurent  et  la  ville,  rebâtie, 
entourée  de  murs  et  d'un  rempart,  eut  de  nouveau  l'Europe  pour 
tributaii^e . 

Les  éphéméridos  de  Damme  sont  curieuses  et  méritent  d'être  ana- 
lysées (1). 


(1)  En  1240,  les  villes  Hanséatiques  y  établirent  un  comptoir  et,  bientôt  après,  les 
Lombards  y  fixèrent  un  dépôt  pour  leurs  marchandises.  —  En  1241,  Jeanne  de 
Constantinople  conféra  à  Damme  de  nouveaux  privilèges.  —  Après  1251,  les  Gantois 
creusèrent  un  canal  de  leur  ville  à  Damme,  passant  par  Wondelghem,  Maldeghem 
et  Moerkerke  et  lui  donnèrent  le  nom  de  «  Lièvre,  »  la  chère,  la  mignonne.  C'est  sous 
ce  canal  que  fut  construit  en  Flandre  le  premier  siphon,  en  1388,  à  l'eadroit  nommé 
Bonhoucke  {*}. 

En  1270,  les  fortifications  furent  renouvelées  et  agrandies.  —  En  1297,  Damme  fut 
assiégée  et  prise  par  les  Flamands  et  les  Anglais,  qui  ensuite  se  querellèrent  pour  le 
partage  du  butin,  et  Edouard  ayant  conclu  une  trêve  avec  Philippe-le-Bel,  se  retira 
avec  son  armée  à  Gand.  —  En  13(30,  la  ville  fut  surprise  par  les  Français,  et,  le 
14  juillet  1384  par  les  Gantois,  sous  la  conduite  de  François  Ackerman  ,   qui ,  plus 

(*)  Bruges  et  ses  environs,  par  W.-H.  James  Wealo,  in-1?.  Biufre."!,  188i. 


—  295  — 


L'hôtel-de- ville  était  jadis  le  bâtiment  des  Halles,  fondées  en  1242, 
et  rebâties  de  1464  à  1468.  Cet  édifice  est  remarquable  et  de  bon 
style  (1). 


tard  ,  à  la  tèle  de  1,500  hommes  d'élite,  la  défendit  pendant  21  jours  contre 
Charles  VI  et  une  armée  de  90,000  hommes;  lorsqu'il  ne  put  plus  tenir  par  suite  du 
manque  d'eau  ,  il  fit  sa  retraite  et  arriva  en  sûreté  à  Gand  pendant  la  nuit.  —  En 
1404,  la  ville  faillit  être  submergée  par  un  ouragan  terrible;  une  large  brèche  s'ouvrit 
sous  la  porte  dite  de  la  Grue,  et  la  marée  resta  vingt-quatre  heures. 

Damme  devait  servir  à  l'accomplissement  d'un  grand  fait  de  l'histoire  de  la  fin  du 
règne  des  Ducs  de  Bourgogne.  Dans  le  réfectoire  de  la  maison  du  Bailli  de  cette  ville 
fut  célébré,  le  3  juillet  1468,  entre 5  et  6  heures  du  matin,  par  l'évêque  de  Salisbury, 
le  manage  de  Charles  le  Téméraire  avec  Marguerite  d'York,  qui ,  accompagnée  de 
son  frère,  Edouard  W,  avait  fait  voile  à  Margate  le  l"'  juillet.  Ils  déijarquerent  à 
l'Écluse,  oii  le  duc  leur  rendit  en  secret  une  visite,  et  oii  les  fiançailles  eurent  lieu. 
Le  2 juillet,  Marguerite  arriva  à  Damme,  d'oii  les  nouveaux  mariés  firent  leur 
joyeuse  entrée  à  Bruges.  —  Ce  fut  de  Damme  qu'Edouard  IV  s'embarqua,  le  19 
février  1471,  pour  retourner  en  Angleterre,  et  c'est  là  que  fut  signé,  le  29  novembre 
1490,  le  traité  de  Damme,  pardonnant  les  méfaits  des  Brugeois  contre  Maximilien. 

La  splendeur  de  Damme  ne  dura  que  deux  siècles  environ.  La  mer,  en  se  retirant, 
lui  reprit  la  prospérité  qu'elle  lui  avait  donnée. 

Guicciai'din  (*)  en  parle  en  ces  termes  au  XVr  siècle  : 

«  Mais  despuys  les  Normans  la  ruinant  par  plusieurs  foys,  et  elle 

»  estant  non-seulement  affligée  par  les  estrangers,  ains  encore  presque  anéantie  par 
»  ses  voisins  plus  proches  :  asçavoir  les  Brugeois  ;  elle  est  réduite  en  si  pouvre 
»  estât,  qu'elle  est  presque  du  tout  exposée  à  la  discrétion  et  volonté  de  ceux  de 
»  Bruges.  » 

Comme  nous  l'avons  dit,  la  cause  principale  de  la  décadence  de  Damme  fut  l'éloi- 
gnement  graduel  de  la  mer,  qui  commença  au  XlIT  siècle  ;  elle  s'était  déjà  retirée 
si  loin  en  1410  que  la  navigation,  même  jusqu'à  lEcluse,  était  difficile  :  en  1470,  les 
gTands  navires  ne  pouvaient  plus  y  arriver  ;  en  1475  le  port  avait  presque  disparu 
sous  le  sable.  Une  autre  cause  fut  la  dissolution  de  la  grande  ligue  Hanséatique  au 
XVI"  siècle  L'entrepôt  de  vins,  fixé  à  Damme  pai-  Louis  de  Nevers  en  1331,  y  resta 
jusqu'en  1565. 

En  1617,  Albert  et  Isabelle  firent  fortifier  de  nouveau  la  ville  de  Damme.  —  En 
1633,  elle  fut  occupée  par  les  Hollandais,  et  en  1706.  prise  par  le  duc  de  Marlborough. 
En  1716,  les  remparts  furent  nivelés  selon  les  conditions  du  traité  d'Anvers  de  1715. 
L'ancien  port  est  aujourd'hui  une  praiàe,  et  la  ville,  autrefois  si  peuplée  et  si  opulente 
n'est  plus  qu'un  village. 

(1)  Le  porche  est  plein  d'élégance  et  de  simplicité,  on  y  arrive  par  un  double 
escalier  très  élevé.  Trois  grandes  salles  occupent  toute  la  longueur  de  l'édifice. 
L'une  d'elles  sert  de  cabaret.  La  chambre  du  conseil  est  intéressante:  voûtée  à  pleins 
cintres,  elle  possède  de  larges  sommiers  en  bois  qui  traversent  la  salle,  ayant  des 
aiguilles  sculptées   avec  soin  et  dont  le  travail  en  relief  révèle  un  artiste  habile. 

')  Description  de  tous  les  Vays  Bas.  etc.,  par  M<>ssire  Louis  Guicciardin,  «"te,  in-r',  plaoches.    Anvers,  lo8î 


296  - 

Devant  l'hôtel-de-ville  se  trouve  la  statue  du  père  de  la  poésie  fla- 
mande: Jacques  de  Coster  Van  Mariant,  inaugurée  le  9  septembre 
1860  (1).  Quelques  maisons  des  XI V^  et  XV''  siècles  encadrent  bien  la 
grande  place  et  lui  donnent  un  style  d'un  autre  âge. 

Damme  possédait  trois  paroisses ,  il  ne  reste  que  l'église  Notre- 
Dame,  autrefois  collégiale.  Ce  monument  qui  remonte  à  l'année  1180 
a  été  en  partie  détruit.  11  n'y  reste  que  le  chœur  et  les  chapelles  laté- 
rales qui  servent  au  culte.  Le  clocher  est  relié  avec  cette  partie  par 
des  murs  sans  voûtes.  Cet  édifice  a  un  aspect  dont  on  chercherait 
vainement  l'équivalent  (2). 

Il  nous  reste  à  dire  un  mot  sur  l'hôpital  StJean  ,  fondé  en  1249  par 


Dans  une  autre  salle  qui  sert  de  débarrassoir,  les  moulures  qui  ornent  des  niches 
représentent  des  sujets  tirés  d'Uylewspiegel. 

Dans  la  salle  du  Conseil  se  trouvent  des  pincettes  en  fer  battu,  qui  ont  1  mèti-e 
72  centimètres  de  longueur  ;  elles  servaient  à  placer  des  troncs  d'arbres  sur  de  gigan 
tesques  chenets  également  en  fer  battu,  hauts  de  90  centimètres,  placés  dans  une 
immense  cheminée  aux  armes  de  Damme  et  portant  la  date  de  1609. 

L'édifice  est  couronné  par  une  tourelle  à  jour  qui  contient  deux  cloches  du 
XIV  siècle,  l'une  portant  la  date  de  1391  et  l'autre  celle  de  1398.  On  remarque,  à  cet 
antique  monument,  deux  pierres  suspendues  à  la  façade.  Selon  la  tradition ,  les 
femmes  qui  s'étaient  mal  conduites  devaient  traverser  la  ville  avec  une  de  ces  pierres 
dans  chaque  main.  Cet  usage  est  consacré  par  un  proverbe  flamand  :  «<  11  a  porté  sa 
pierre.  »  dit-on  d'une  personne  qui  a  commis  une  action  honteuse. 

Il  faut  nécessairement  mentionner  les  souterrains  qui  se  trouvent  presqu'au  niveau 
du  sol.  Ils  sont  très  beaux.  Sur  les  clefs  de  leurs  voûtes  h  belles  nervures,  sont 
sculptés  des  écussons  et  des  figures  oii  se  rencontre  le  briquet  de  Bourgogne.  Ces 
beaux  souterrains  sont  loués  pour  magasins,  dépôt  de  fumiers  et  étable  à  porcs. 

(1)  Jacques  de  Coster,  né  à  Mariant  en  1235,  mourut  en  1300  à  Damme,  dont  il 
était  le  greffier.  11  a  laissé,  en  langue  flamande,  de  nombreux  ouvrages,  qui  étaient 
en  grande  vogue  au  moyen-àge.  —  Enterré  dans  l'église  Notre-Dame,  il  avait  sur  sa 
tombe  une  pierre  tumulaire  sur  laquelle  étaient  gravés  un  hibou  et  un  personnage 
représenté  assis,  portant  des  besicles  et  lisant. 

(2)  •  L'église  de  Damme  offre  beaucoup  d'intérêt  à  l'archéologue  ;  les  murs  sont  en 
partie  construits  en  appareil  irrégulier;  au  XIV  siècle,  on  a  ajouté  considérable- 
ment, du  côté  Est,  au  chœur  et  à  ses  chapelles  latérales.  La  partie  antérieure  fut 
brûlée,  en  1578,  par  les  soldats  du  prince  d'Orange  ;  en  1725.  le  transept  et  les  bas 
côtés  de  la  nef  ont  été  démolis.  Les  murs  de  la  nef  et  la  tour  massive  carrée  qui  la 
précédait,  existent  à  l'état  de  ruines  bien  conservées  ;  ils  sont  de  la  transition. 

La  vue  de  ce  monument  est  très  curieuse,  la  partie  dépourvue  de  toiture  et  de 
vitraux  lui  donne  un  aspect  unique. 

L'intérieur  de  ce  qui  reste  de  l'église  est  bien  orné  d'objets  de  différents  styles. 
M,  le  curé  m'en  a  expliqué,  en  connaisseur,  les  causes  des  diverses  transformations. 


-  297  - 

Marguerite  de  Coiistantir.op.e,  Ce  bâtiment,  qui  a  conservé  son  archi- 
tecture primitive  doit  probablement  à  sa  destination  de  n'avoir  pas  été 
abîmé.  Il  possède  quelques  belles  antiquités. 

Des  six  portes  qui  jadis  donnaient  entrée  à  la  ville  ,  il  ne  reste  que 
les  ruines  de  celle  de  Sainte-Catherine.  Quant  aux  deux  églises  qui 
desservaient  la  ville  avec  la  Collégiale,  on  n'en  voit  plus  traces. 

L'excursion  à  la  ville  de  Damme  est  une  des  plus  intéressantes  que 
l'on  puisse  faire  en  Flandre-,  comme  souvenir,  ruines  et  points  de  vue 
animés  par  une  végétation  vigoureuse. 

En  poursuivant  vers  l'Ecluse,  on  arrive  par  une  route  agréable  à 
Oostebecke ,  village  éminemment  agricole ,  de  800  âmes  environ. 
Les  maisons  soigneusement  blanchies  annoncent  la  propreté  et  l'aisance. 
L'église,  entourée  de  beaux  arbres  ,  se  fait  remarquer  par  une  grosse 
tour  carrée  en  briques,  dépourvue  de  flèche. 

Plus  loin  se  trouve  Weestecappel ,  riche  village  de  1,400  habitants. 
Comme  à  Oostebeke,  tout  y  est  riant  et  les  maisons  sont  plus  belles. 
La  culture  du  blé,  du  lin  et  des  betteraves  y  amène  le  bien  être. 

L'église,  du  XP  ou  XIP  siècle  ,  bâtie  en  briques  avec  clocher  octo- 
gone, a  été  réduite  de  moitié  et  forme  un  carré  par  suite  de  l'ad- 
jonction de  deux  chapelles  latérales.  L'intérieur  de  l'édifice  est  riche  ; 
on  y  trouve  des  ornements  *de  différentes  époques.  Comme  l'église 
possède  des  revenus  relativement  importants  ,  chaque  curé  ajoute  des 
embellissements  qui  ne  sont  pas  toujours  faits  avec  esprit  de  suite. 

Il  existe  près  des  murs  de  l'église  des  pierres  tombales,  dont  plusieurs 
sont  remarquables. 

Une  belle  route  conduit  aux  frontières  de  la  Hollande.  On  ne  trouve 
aucun  changement,  la  campagne  est  toujours  aussi  verdoyante  et  les 
maisons  aussi  bien  tenues  extérieurement. 

Deux  poteaux  de  forme  élégante,  ornés  des  armes  du  peuple  qui  a 
pris  pour  devise  :  Dieu  et  rtion  droit ,  indiquent  l'entrée  dans  un  nou- 
veau royaume. 

Le  premier  village  à  traverser  est  Sainte-Anne,  petite  commune 
habitée  par  des  cultivateurs  et  comptant  6  à  700  habitants. 

Une  grosse  tour  carrée .  rappelant  celle  de  Watten,  l'escarpement 
supprimé,  sert  d'église  protestante  ;  on  y  a  adossé  un  petit  bâtiment 
com.posé  de  deux  fenêtres,  pour  servir  de  sacristie.  Les  catholiques  ne 
possédant  pas  d'église  ,  vont  à  la  messe  à  l'Ecluse,  qui  se  trouve  à  peu 
de  distance. 

Une  magnifique  allée  d'arbres  conduit  à  l'Écluse,  belle  petite  ville 


—  298  — 

de  2,500  habitants.  Cette  cité,  qui  se  trouve  dans  le  même  état  de 
décadence  que  Damme,  a  cependant  un  aspect  frais  et  coquet,  qui 
lui  donne  une  analogie  relative  avec  Cassel,  sauf  la  montagne.  Une 
certaine  activité  paraît  y  régner.  Les  maisons  sont  tenues  avec  un 
soin  remarquable;  les  rideaux  des 'fenêtres,  d'une  blancheur  imma- 
culée, annoncent  la  bonne  ménagère.  A  l'entour  de  la  ville  quelques 
hauteurs  rappellent  les  fortifications.  On  ne  retrouve  plus  de  traces  de 
l'ancien  port.  Comme  nous  le  verrons  plus  loin,  la  séparation  de  la 
Belgique  avec  la  Hollande  a  donné  le  dernier  coup  à  la  navigation  de 
l'Écluse. 

Cette  ville  a  eu  une  grande  importance.  Dans  son  sav;mt  ouvrage 
sur  l'histoire  de  l'art,  page  99,  M.  le  Chanoine  Dehaisnes,  dit  que  : 
«  Cent  vaisseaux  et  même  davantage  entraient  quelquefois  dans  le 
port  de  l'Ecluse  ,  depuis  le  lever  du  soleil  jusqu'à  la  nuit  tombante. 
Anderson  nous  apprend  qu'on  y  vit  arriver  150  vaisseaux  le  même 
jour,  en  1486.  »  (1) 

Les  éphémérides  de  l'Ecluse  comme  celles  de  Damme,  sont  d'un 
grand  intérêt  et  demandent  une  anah'se  (2). 


(1)  Histoire  de  fart  dans  la  Flandre,  l'Artois  et  le  Hainaut  avant  le  XV-  siècle, 
par  M.  le  chanoine  Dehaisnes,  archiviste  honoraire  du  département  du  Nord,  etc., 

vol.  in-4''  avec  15  héliogravures.  Lille,  1886. 

(2)  Guicciardin  (*)  dans  son  chapitre  :  Les  quatre  Ports  principaux  de  Flandre, 
s'exprime  en  ces  termes  au  sujet  de  cette  ville  :  «  L'Ecluse  est  ville  maritime  à  trois 
»  lieues  de  Bruges  et  cinq  de  Middelbourg  de  Zélande  :  jadis  elle  fut  bonne  et  riche  ; 
»  mais  les  discordes  qu'elle  a  eu  avec  Bruges  luy  ont  rav}'  et  les  richesses  et  la 
»  force  ;  de  sorte  qu'enfin  elle  a  esté  assujettie  aux  Brugeois,  qui  l'ont  acheptée  du 
»  Prince  :  et  la  restaurent  et  favorisent  maintenant  à  cause  qu'elle  a  un  des  beaux 
»  et  asseurez  ports  qui  soyent  en  l'Europe,  et  auquel  peuvent  estre  reduitz  à  l'abry, 
»  et  commodément  plus  de  cinq  cents  navires  :  la  ville  ayant  double  fossé  ,  et  on 
»  pourroit  en  faire  une  place  très  forte,  et  imprenable  ;  ayant  un  château  séparé 
»  d'icelle,  quoique  jadis  plusieurs  édifices  posez  entre  le  fort  et  la  ville  les  joignissent 
»  ensemble  ;  mais  estant  mis  par  terre,  le  château  est  demeuré  seul,  servant  de  fort, 
»  et  lequel  apartenant  au  Roy.  il  y  tenoit  un  capitaine  avec  des  soldatz  en  garnison. 
»  Et  ce  fut  là  qu'on  détint  prisonnier  le  duc  de  Bouillon,  pris  au  siège  de  Hesdin  : 
»  et  depuis  le  seig.  de  Chatillon.  admirai  de  France,  piis  lors  que  Saint-Quentin  fut 
»  forcé  par  l'armée  du  Roy  d'Espaigne.  » 

Cette  description  est  accompagnée  d'un  joli  plan  indiquant  l'importance  de  la  ville 
et  de  son  port. 
L'Ecluse,  dont  le  nom  hollandais  est  Sluys  (**)  fut  le  partage  du  comte  de  Nevers, 

(*)  Description  de  touts  les  Pays  Bas,  etc.,  par  Mcssire  Louis  Guicciardin,  etc.,  in-f,  flg.lin'vers,  1.58 
(•*)  tes  B(?/icM  des  Pays  Bas,  uu  description  géograpliique  et  historique  des   XVII   proTinces  Belgiques.r.,  et 
TOl.  in-12  ornés  de  nombreux  plans  et  gravures-  Liège,  1760. 


299  — 


Le  commerce  de  l'Écluse  est  celui  du  lin  ,  de  la  betterave  et  des 
graines,  toutes  les  transactions  se  font  avec  la  Belgique.  Ou  retrouve 
sur  les  enseignes  des  commerçants,  les  mêmes  noms  qu'à  Bruges,  tels 
que  Beyaert,  De  Poostère,  etc.,  etc. 

L'ancienne  église  avec  un  beau  clocher,  sert  maintenant  d'Hôtel-de- 
Ville.  Au-dessus  de  la  porte  qui  servait  jadis  de  grand  portail,  se 
trouve  la  date  de  MGGCXCII.   Avant  d'arriver  aux  bureaux,  c'est-à- 


descendu  de  Guy  de  Dampierre,  comte  de  Flandre ,  mort  en  1305.  —  Le  31  juin 
1340  eut  lieu  devant  son  port  le  fameux  combat  naval  entre  les  flottes  Françaises  et 
Anglaises,  connu  sous  le  nom  de:  Bataille  de  l'Ecluse;  les  Français  furent 
vaincus.  —  En  1385,  Philippe-le-Hardi ,  duc  de  Bourgogne ,  la  fit  entourer  de 
murailles,  après  l'avoir  achetée  de  Guillaume,  comte  de  Namur,  auquel  il  donna 
Béthune  en  échange.  —  En  1386.  Charles  VI,  roi  de  France,  fit  à  l'Écluse  un  grand 
armement  de  mer  contre  les  Anglais  ;  il  consistait  n  900  vaisseaux,  et  un  nombre 
infini  de  machines.  La  tempête  en  écarta  une  partie  et  les  Anglais  prirent  les"débris. 
—En  1493,  Philippe  de  Clèves,  seigneur  de  Ravestein,s'étant  révolté  contre  Philippe- 
le-Bel,  son  souverain,  se  retira  à  l'Ecluse,  qui  fut  assiégée  par  Albert,  duc  de  Savoie  ; 
après  quatre  mois  d'attaque,  la  ville  se  rendit. 

Ensuite  s'étant  rendue  aux  révoltés  ,  elle  fut  assiégée  par  le  prince  de  Parme  l'an 
1587  ;  il  y  avait  alors  une  garnison  anglaise. 

Le  gouverneur  Arnould  Groenevelt  soutint  jusqu'à  sept  assauts;  mais  les  provi- 
sions venant  à  manquer,  il  fit  une  composition  honorable.  —  Le  roi  d'Espagne  y 
demeura  maître  jusqu'en  1604,  époque  oii  le  prince  de  Nassau,  contraignit  la  ville  de 
se  rendre  par  la  famine,  après  un  siège  de  trois  mois,  pendant  que  les  Espagnols 
attaquaient  Ostende.  Il  s'en  suivit  une  trêve. 

La  trêve  entre  l'archiduc  et  les  États-Généraux  étant  expirée  le  9  avril  1621 ,  la 
guerre  recommença  par  le  siège  que  Dom  Inigo  de  Borgia,  gouverneur  d'Anvers,  mit 
devant  la  ville  ;  mais  il  fut  obligé  de  le  lever  faute  de  vivres. 

Le  gouverneur  et  l'état-major  de  la  ville  étaient  nommés  par  les  États-Généraux  ; 
mais  le  gouvernement  civil  appartenait  au  bailli  et  au  Magistrat,  composé  de  deux 
bourgmestres  et  de  sept  échevins.  Quand  la  ville  était  sous  la  domination  d'un  pays 
cathohque,  il  y  avait  deux  églises  paroissiales,  l'une  dédiée  à  la  sainte  Vierge,  l'autre 
à  saint  Jean,  outre  les  couvents  des  Récollets  et  des  Récollettes,  avec  un  hôpital. 
Sous  le  régime  protestant,  après  bien  des  difficultés  ,  M.  Van  Susteren  ,  évêque  de 
Bruges,  obtint  des  État-Généraux  d'y  laisser  un  prêtre,  pour  avoir  soin  des  bourgeois 
et  des  soldats  catholiques. 

Cette  importante  forteresse,  après  avoir  été  103  ans  au  pouvoir  des  Hollandais, 
fut  investie  le  17  avril  17 'i7  par  le  général  comte  de  Lowendal ,  qui  commandait  un 
corps  détaché  de  25,000  Français.  Le  19,  ils  se  rendirent  maîtres  du  fort  de  Saint- 
Donat,  et  avant  qu'on  eût  tire  un  seul  coup  de  canon  contre  l'Écluse,  le  colonel  Lam- 
berechts  se  rendit  prisonnier  de  guerre,  avec  sa  garnison  de  trois  bataillons.  Les 
Français  y  trouvèrent  cent  pièces  de  canon,  avec  toute  sorte  de  provisions.  Le  comte 
de  Montmorin  fut  établi  commandant.  11  remit  la  place  aux  troupes  hollandaises , 
l'an  1749,  après  la  paix  d'Aix-la-Chapelle.  Les  fortifications  furent  rasées  confor- 
mément aux  stipulations  du  traité. 


—  300  — 

dire  sous  remplacement  des  orgues,  on  trouve  plusieurs  pierres  tom- 
bales et  autres,  bien  conservées,  de  difiFérentes  époques.  La  plus 
récente  est  un  cul  de  lampe  à  écailles  d'une  très  belle  exécution  et 
portant  la  date  de  MDCCLVI. 

Les  églises  catholiques  et  protestantes  sont  des  constructions  mo- 
dernes, ordre  ionique,  n'offrant  aucun  intérêt  architecluraL 

Il  existe  une  histoire  de  l'Ecluse  en  hollandais,  publiée  à  Midder- 
burg  en  1871  (i). 

Cette  excursion  excessivement  intéressante,  peut  se  faire  en  peu  de 
temps  avec  le  secours  d'une  voiture  particulière  prise  à  Bruges.  Parti 
de  Biankenberghc  à  6  heures  04  m.  du  matin,  j'y  étais  de  retour  à 
3  heures  27  m.  du  soir. 


Non  loin  de  la  gare  de  Blankenberghe ,  un  clocher  se  dessine 
agréablement  dans  les.  airs;  c'est  celui  de  Uitkerke,  beau  et  riche 
village  de  1,500  âmes,  situé  à  un  quart  de  lieue,  sur  la  route  de  Bruges. 
Son  heureuse  situation  et  sa  proximité  de  la  ville  d'eau  en  font  un  but 
de  promenade,  surtout  pour  les  personnes  qui'  aiment  à  faire  une 
course  à  âne. 

Ce  village,  comme  ses  voisins,  possédait  une  église  du  XI"  ou  XIP 
siècle,  qui  a  été  détruite  et  remplacée  par  une  autre  bâtie  au  XVIL' 
siècle.  Au-dessus  du  portail  se  trouve  la  date  de  1645.  La  flèche  du 
clocher  a  été  élevée  au  commencement  de  ce  siècle. 

Cette  église  de  forme  entièrement  carrée  et  dédiée  à  St-Amand, 
dépendait  avant  la  Révolutirtn  du  doyenné  de  St-Donat,  de  Bruges, 
dont  on  voit  les  armes  à  plusieurs  endroits.  Jouissant  de  revenus  assez 
considérables,  la  fabrique  peut  contribuer  largement  à  son  ornement 
tation,  qui  rappelle  plusieurs  époques  et  différents  styles.  La  chaire  de 
vérité  en  bois  sculpté  du  XVIP  siècle  est  fort  remarquable.  Parmi  les 
tableaux .  on  distingue  une  Madone  de  l'Ecole  Espagnole  ;  on  y 
remarque  également  un  Porte-Paix  en  argent,  donné  à  l'église  en 
1635,  par  Jean  de  Windt. 


(1)  Son  titre  :  Een  blik  of  de  Vorming  der  stad  Sluis  en  op  den  a  anler  harer 
verstinguoerkcn  van  1382  tôt  1587,  door  J.-H.  Van  Date,  archivaris  Van  Sluis, 
223  pages  in-8%  plan.  Te  Middelburg,  1871. 


>H)i  — 


Quelques  pierres  tombales  ornent,  le  pavé  de  l'église,  et  le  cimetière 
possède  celles  qui  ont  été  nyelées  lorsque  celle-ci  a  été  repavée. 

L'aspect  de  Uitkerke  est  coquet,  les  maisons  sont  belles  et  bien 
bàlies.  Ce  village  a  eu  son  historien  en  la  personne  de  M.  Tanghe , 
chanoine  de  Bruges  (1).  Je  dois  à  la  bienveillance  de  M.  le  Curé  de  pos- 
séder un  exemplaire  de  l'œuvre  du  chanoine. 


Les  personnes  qui  aiment  les  promenades  peuvent  se  rendre  à  pied 
à  Lisseweghe,  qui  est  la  première  station  sur  la  route  de  Bruges.  La 
voie  ferrée  y  conduit  en  quelques  minutes. 

Le  village,  situéà  25  minutes  de  la  station,  se  devine  dans  un  magni- 
fique bouquet  d'arbres  d'où  émerge  une  grosse  tour  quadrangulaire  , 
annonçant  une  église  remarquable. 

Lisseweghe  ,  qui  compte  aujourd'hui  2,000  habitants,  était  naguère 
une  localité  importante,  très  riche  et  très  populeuse.  L'industrie  dra- 
pière  y  occupait,  disent  les  anciens  titres,  20,000  bras.  L'ensablement 
du  Zwyn  en  amena  la  décadence.  Ce  vUlage  est  bien  bâti  et  annonce 
l'aisance  des  habitants.  On  peut  dire  que  la  nature,  si  bonne  et  si  géné- 
reuse, a  mis  un  manteau  de  fleurs  ,  de  feuUlage,  d'herbe  verte  et  d'épis 
raiirs  sur  les  ruines  de  l'industrie.  Où,  jadis,  battaient  des  métiers  de 
tisserands,  bêlent  maintenant  de  joyeux  troupeaux. 

Avant  d'arriver  à  l'église,  on  passe  devant  la  porte  d'une  belle  ferme, 
qui  se  trouve  près  d'une  petite  chapelle  ombragée  par  deux  tilleuls. 
C'est  ce  qui  reste  de  l'opulente  abbaye  Van  der  Does  ,  plus  tard  Ter 
Dost  (2),  fondée  au  XIF  siècle  par  Lambert  de  Lisseweghe.  Ses  descen- 
dants, signalés  à  plusieurs  reprises  dans  les  annales,  avaient  un 
manoir  dans  le  village  dont  ils  portaient  le  nom. 

Les  richesses  de  cette  abbaye  étaient  1res  grandes  surtout  en  terrains 
d'alluvion.  bons  à  la  culture.  Vers  le  milieu  du  XIIP  siècle  ,  les  moines 
firent  bâtir  une  splendide  basilique. 

Cette  magnifique  abbaye,  de  l'ordre  de  Cîteaux ,  fut  détruite ,  en 
1571,  par  les  gueux  de  mer.  Il  n'en  reste  plus  qu'une  grange  monu- 


(1)  Paracliiehock  van  Uitkerke,  op  gesteld,  door  G. -F.  Tanghe^  kanonik,  136  p. 
in-18.  Bruges,  i870.  A  la  suite  se  trouve  l'histoire  de  Saint-Arnaud,  sous  le  titre  : 
Levé  II  van  den  IL  Amandus,  bisschop  ))ii:>sionaris,  apostel  vanVlaenderen  in  patroon 
Van  Uytkerke,  86  pages  in-18. 

(2)  Tous  saints  ou  Toussaints. 


—  ;{()-^  — 

mentale,  et  ceux  qui  la  montrent  ne  manquent  pas  de  dire  que  la 
récolte  de  toute  une  année  du  village  entier  pourrait  y  être  en- 
grangée (1). 

Près  de  la  porte  d'entrée  de  la  ferme ,  on  remarque  une  dalle  tumu- 
laire  autrefois  incrustée  d'une  crosse  en  laiton  ;  on  y  voit  les  traces 
d'une  légende  portant  la  date  de  1426. 

L'église  de  Lisseweghe  est  de  beaucoup  la  plus  belle  de  toutes  celles 
des  environs  de  Bruges  (2).  D'après  M.  le  Curé  ,  cette  église,  qui  est 
classée  parmi  les  monuments  historiques  de  la  Belgique  ,  ne  tai'derait 
pas  à  être  remise  dans  son  état  de  construction  et  d'ameublement  pri- 
mitifs. 

Le  peu  d'objets  remarquables  qu'elle  renferme  sont  quelques  restes 
de  vitraux  peints,  1598-1629  ;  quelques  dalles  tumulaires  ;  la  Visitation, 
]}3ir  Jacques  Van  Oosi  le  Vieux-;  et  un  Christ  en  croix  par  Louis  de 
Deysier. 

Dans  la  sacristie ,  on  conserve  quelques  objets  curieux  ;  je  citerai  un 
bassin  d'oflértoire allemand,  portant  le  nom  du  fabricant,  M.  Luther. 
C'est  ce  nom  qui  m'engage  à  le  signaler. 

La  tour  est  surtout  d'un  effet  majestueux  ,  sa  hauteur  est  de  50™. 

Le  voyage  à  Lisseweghe  est  fort  agréable  et  on  retourne  volontiers 
dans  une  localité  aussi  riante. 


(1)  Cette  magnifique  abbaye  de  l'ordre  de  Cîteaux  fut  détruite  en  1571  par  les 
gueux  de  mer.  A  la  place  de  la  belle  église  du  XIII*  siècle,  se  trouve  maintenant  un 
étang  muré.  11  n'a  été  sauvé,  de  cette  destruction,  qu'une  grange  monumentale 
construite  en  1280,  qui  mesure  58  mètres  50  cent,  de  longueur  sur  24  mètres  -de  lar- 
geur et  dont  le  pignon  a  31  mètres  d'élévation.  Cet  intéressant  édifice  est  divisé  en 
trois  nefs  par  deux  rangs  de  piliers  en  bois  de  chêne  posés  sur  des  bases  en  pieiTC 
qui  soutiennent  une  magnifique  toiture.  Dans  les  murs  latéraux,  à  l'intérieur,  se 
trouvent  plusieurs  niches  géminées  "à  sommet  triangulaire.  Les  murs  sont  sou- 
tenus, à  chaque  extrémité,  par  trois  contreforts  et  percés  par  six  fenêtres,  composées 
chacune  de  deux  lancettes.  Cette  construction  est  étonnante  et  gigantesque. 

(2)  Elle  fut  bâtie  au  commencement  du  XllP  siècle,  avec  les  aumônes  offertes  à 
une  image  miraculeuse  de  la  Sainte  Vierge,  encore  vénérée  de  nos  jours. 

Selon  James  Waele  (*),  elle  est  peut-être  du  même  architecte  que  la  partie  orien- 
tale de  Saint-Martin  d'Ypres.  C'est  une  vraie  cathédrale  ,  en  style  ogival  primaire 
cruciforme  à  trois  nefs,  construite  avec  un  grand  luxe.  Elle  fut  détruite  en  partie  en 
1586.  En  1680,  on  reconstruisit  les  voûtes  du  chœur  et  du  transept.  Dans  le 
XVIir  siècle,  la  nef  et  les  bas  côtés  furent  plafonnés  et  beaucoup  de  parties  de 
l'église  subirent  le  même  sort.  Il  y  a  peu  d'années,  ce  monument  a  été  restauré  ;  les 
travaux  de  l'architecte  ont  été  l'objet  de  critiques. 

(*]  Bruges  et  tes  environs,  par  W.  H.  James  Waele,  in-18,  flg 


—  :5o;!  — 

Le  village  de  Wenduyue  offre  aussi  une  excursion  bien  curieuse. 
Les  baigneurs  de  Blankeuberghe  ne  peuvent  manquer  d'aller  voir  un 
petit  village  distant  d'une  lieue  et  qui  semble  couché  nonchalamment 
dans  un  pli  des  dunes,  ayant  pour  habitants  des  pêcheurs  et  des  culti- 
vateurs ,  qui  possèdent  tous  leurs  maisons  et  un  lopin  de  terre,  dans 
lequel  ils  récoltent  ce  qui  leur  est  nécessaire  en  blé,  en  légumes  et 
surtout  en  pommes  de  terre.  Il  ne  compte  pas  de  pauvres. 

Wenduyne  est  la  prera.ère  station  de  la  ligne  du  tramway  qui  relie 
Blankeuberghe  à  Ostende.  Jadis  on  y  allait  en  suivant  la  plage  ;  main- 
tenant qu'elle  est  coupée  par  le  port  de  Blankenberghe ,  il  faut  con- 
tourner celui-ci  du  côté  de  la  terre  et  prendre  la  digue  du  Comte  Jean 
pour  s'y  rendre.  Quand  vous  y  allez  par  la  route  pavée,  vous  ne  voyez 
autour  de  vous  que  des  pâturages  où  paissent  mélancoliquement  de 
grands  bœufs  qui,  étonnés  de  voir  dans  cette  solitude  d'autres  êtres 
qu'eux,  viennent  le  long  du  chemin  vous  regarder  en  levant  leur  muifle 
baveux.  Pas  un  arbre,  pas  une  maison,  et  toujours  devant  vous  le  clo- 
cher et  une  montagne  de  sable  qui  semblent  fuir  à  mesure  que  vous 
avancez. 

Wenduyne,  dont  il  est  fait  mention  sous  le  forestier  Lydéric  ,  après 
avoir  été  un  bourg  important  se  trouve  réduit  à  3  ou  400  habitants.  Un 
petit  nombre  de  maisons  disséminées  au  pied  de  trois  ou  quatre  dunes 
immenses  qui  leur  servent  de  rideau,  voilà  cet  étrange  village 

Qui  dort  dans  le  repos 

Entre  un  double  océan  de  sables  et  de  flots.  (1) 

C'est  peu  de  chose ,  mais  c'est  tout  charmant  de  pittoresque,  de 
silence  et  de  poésie.  Une  des  dunes  est  si  élevée,  qu'elle  peut  rivaliser 
avec  le  Hooge-Blekker ,  la  plus  haute  des  dunes  du  littoral.  A  son  som- 
met, on  a  construit  une  cabine  de  douaniers.  On  dirait  vraiment  en  la 
voyant  juchée  si  près  des  nuages,  que  le  fisc  a  adopté  la  devise  de 
Fouquet  :  «Où  ne  monterai-je  pas?»  De  ce  point  culminant,  on 
découvre,  d'un  côté  Flessingue  ;  de  l'autre  le  port  d'Ostende  ;  on  a 
derrière  soi  les  pâturages  où  paît  un  nombreux  bétail,  et  les  tours  de 
Bruges  ;  devant  soi,  l'immensité  de  la  mer  où  passent  des  voiles  blan- 
ches ou  les  panaches  de  fumée  des  bateaux  à  vapeur. 


(1)  La  Belgique  illustrée,  etc.,  publiée  par  Eug.  Van  Bemniel,  2  v.  in-4'',  1885-1886. 


-  304  - 

L'église,  dédiée  à  la  Sainte-Croix,  est  remarquable.  Elle  fut  érigée 
en  église  paroissiale  en  1150.  Elle  a  eu  beaucoup  à  souffrir  des 
guerres  et  des  éléments,  l'eau  et  le  feu  :  La  bataille  de  L'Ecluse  au 
XIV®  siècle;  une  inondation  au  XV;  le  vandalisme  au  -XVF  y 
ont  tour  à  tour  exercé  leurs  dévastations.  Néanmoins  ,  l'intérieur  en 
est  coquettement  tenu.  La  chaire  de  vérité,  le  tabernacle,  un  ostensoir 
aux  armes  de  saint  Donat  de  Bruges,  quelques  pierres  tombales  dont 
plusieurs  représentent  des  femmes  portant  un  costume  de  religieuses, 
méritent  l'attention  des  visiteurs  On  peut  signaler  une  petite  cha- 
loupe de  pêche  munie  de  ses  agrès,  en  panne  au  pied  d'une  croix 
en  chêne.  C'est  un  ex  voto  dont  la  légende  rappelle  une  tempête 
du  XV^  siècle  (1). 

Le  curé  de  la  paroisse  est  un  vénérable  vieillard  qui  reçoit  agréa- 
blement les  visiteurs,  leur  donnant,' avec  une  extrême  complaisance, 
les  renseignements  qu'on  désire  obtenir  de  lui  et  montrant  avec 
plaisir  une  belle  armoire  sculptée,  provenant  de  l'église  et  qui  orne 
depuis  longtemps  son   presbytère. 

Wenduyne  possède  un  établissement  d'hydrothérapie  marin  pour  les 
enfants  rachitiques,  fondé  par  M.  le  docteur  Van  den  Abeele,  direc- 
teur de  l'asile  des  aliénés  de  Bruges.  Cette  maison  soigne  environ 
70  enfants  pauvres.  Une  aile  du  bâtiment  est  destinée  aux  enfants 
riches  qui  reçoivent  des  soins  particuliers.  L'établissement  est  dirigé 
par  les  religieuses  du  même  ordre  que  celles  qui  desservent  l'hôpital 
Saint-Jean,  de  Bruges,  Les  religieuses  prennent  également  des  pen- 
sionnaires qui  désirent  faire  une  saison,  d'une  manière  paisible,  aux 
bords  de  la  mer.  Les  enfants  et  les  pensionnaires  prennent  les  bains 
avec  le  secours  des  cabines  appartenant  à  l'établissement  médical. 

M.  le  docteur  Van  den  Abeele  vient  plusieurs  fois  par  semaine 
visiter  son  œuvre,  qui  possède  une  chapelle  et  un  aumônier.  L'aspect  de 
cet  établissement  est  riant  et  confortable. 

La  municipalité  de  Wenduyne  a  fait  construire  une  petite  digue  de 
mer,   abritée  par  les  brise-lames  qui  protègent  également  celle  de 


(1)  Lors  de  la  tempête  qui  abîma  Blankenberghe  et  toute  une  partie  du  littoral, 
l'église  et  le  village  de  Wenduyne  ne  furent  pas  épargnés.  A  quelque  temps  de  là  , 
des  pêcheurs  étant  en  mer  virent  flotter  sur  les  vagues  quelque  chose  qu'ils  prirent 
pour  un  débris  de  navire.  Ils  s'en  approchèrent  et  reconnurent  la  croix  de  leur  église. 
Ils  en  opérèrent  le  sauvetage  et  la  rapportèrent  pieusement  à  Wenduyne,  on  elle  est 
restée  en  grande  vénération. 


—  305  - 

Blankeiiberghe.  Elle  a  fait  la  dépense  de  quatre  cabines  pour  baigneurs. 
Deux  auberges  ou  petits  hôtels  se  sont  établis  sur  la  plage. 

Wendujne  est  une  future  station  de  bains  de  mer.  Les  dunes  se 
prêtent  à  des  constructions,  qui,  par  leur  situation  pittoresque,  rappel- 
leraient Arcachon  ou  mieux  Rosendaël  près  Dunkorque,  à  cause  de 
la  similitude  des  sables. 


Rien  n'est  plus  facile  que  l'excursion  à  Heysl .  On  s'y  rend  par  le 
chemin  de  fer  établi  sur  la  digue  du  Comte  Jean,  vieille  de  près 
de  cinq  siècles  C'est  sur  cette  partie  du  littoral,  que  la  mer  menace 
le  plus  la  campagne;  il  est  certains  points  où  les  dunes  n'ont  que 
50  mètres  de  largeur  et  9  de  hauteur.  Cette  barrière  serait  insuffi- 
sante si  la  mer  se  fâchait,  comme  elle  fit  tant  de  fois  pendant  les  siècles 
écoulés  et,  dans  le  nôtre,  en  1808. 

La  route  est  charmante  ;  pendant  dix  minutes  le  regard  est  distrait 
par  une  échappée  des  dunes  qui  montre  le  vaste  horizon  de  la  mer, 
bientôt  cachée  derrière  un  rideau  de  sable. 

Non  lohi  de  Heyst,  on  traverse  les  écluses  jumelles,  qui  déversent 
dans  la  mer,  l'une  le  canal  de  Selzante,  dont  les  eaux  autrefois  stéri- 
Hsaient  les  plus  fertiles  terrains  des  deux  Flandres  et  donnaient  la 
fièvre  à  leurs  habitants  ;  l'autre,  le  canal  de  Schipdonck,  où  coulent 
les  eaux  de  la  Lys  corrompues  par  le  rouissage  du  lin.  Deux  hardis 
ponts  de  fer  jetés  sur  ces  canaux  livrent  passage  au  chemin  de  fer 
qui  conduit  à  destination. 

Heyst  est  aujourd'hui  ce  que  Blankenberghe  était  avant  d'être 
envahi  par  le  monde  élégant. 

Cette  nouvelle  station  balnéaire,  encore  inconnue  il  y  a  quelques 
années,  a  maintenant  une  digue  assise  dans  le  genre  de  celle  de 
Blankenberghe,  très  longue  et  garnie  d'un  Kursaal,  de  bons  hôtels 
et  de  joUes  villas,  dont  la  plus  remarquable  est  celle  du  comte  de 
Flandre,  la  dernière  du  côté  de  la  Hollande. 

Le  pittoresque  domine  encore  à  Heyst,  ainsi  qu'un  certain  sans 
gêne  dans  la  toilette.  On  peut  y  vivre  à  bon  marché.  J'ai  relevé  dans 
la  vigie  de  la  cote  une  annonce  qui  offre  la  pension  par  jour  pour  la 
modique  somme  de  3  fr.,  et  cela  par  un  établissement  situé  sur  la 
digue  de  mer.  Une  personne  m'a  assuré  être  très  bien  traitée,  dans  un 

21 


-  3(16  - 

établissement  convenable,  pour  5  fr.  par  jour,  avec  logement  dans 
une  chambre  agréable. 

Le  nombre  des  baigneurs  va  crescendo  à  Heyst.  Je  relève  sur  la 
vigie  de  la  côte  le  nombre  de  5457,  le  28  août  1886. 

L'église  est  moderne,  très  grande,  bâtie  en  briques,  style  roman. 
Elle  remplace  une  église  du  XP  siècle  avec  clocher  octogone,. dont 
M.   le  curé  conserve  le  dessin  au  presbytère. 

Heyst  a  une  population  de  1500  à  2000  habitants,  mais  la  démar- 
cation est  bien  tranchée  entre  les  pêcheurs  et  les  habitants  qui  vivent 
des  bains  ;  ceux-ci  habitent,  à  gauche  de  la  gare,  la  nouvelle  ville  :  les 
premiers,  l'ancien  village  dont  l'aspect  n'a  pas  beaucoup  changé  au 
contact  de  plusieurs  milliers  d'étrangers  qui  le  visitent  à  chaque 
saison. 

La  pêche  occupe  à  Heyst  une  trentaine  de  chaloupes  non  pontées 
qui  se  laissent  échouer  sur  le  sable. 

La  vue  de  la  digue  du  côté  de  la  mer  est  magnifique  ;  par  un  temps 
clair,  on  voit  l'île  de  Walcheren  et  le  panorama  qui  se  déroule  à  l'em- 
bouchure de  l'Escaut. 

Les  promenades  du  côté  de  la  terre  sont  admirables  ;  surtout  celles 
qui  longent  les  deux  canaux  sur  un  trajet  d'au  moins  deux  lieues , 
qu'ombragent  huit  allées  d'arbres. 

Comme  station  de  bains  de  mer,  Heyst  ne  prendra  probablement  pas 
l'essor  qui  fait  la  fortune  de  Blankenberghe ,  à  cause  des  mauvaises 
odeurs  qui  s'exhalent  des  canaux  et  viennent  gêner  considérablement 
les  habitants  quand  le  vent  souffle  de  l'Ouest.  Mais  de  grandes  et 
hautes  destinées  lui  sont  réservées  ,  si  le  projet  qui  est  à  l'étude  se 
réalise.  On  en  ferait  l'embouchure  du  port  de  Bruges  avec  lequel  il 
communiquerait  par  un  vaste  chenal.  Heyst  remplacerait  la  ville  de 
Damme  d'autrefois. 

A  une  lieue  de  Heyst,  se  trouve  Knoke,  qui  est  certainement  une 
station  balnéaire  de  l'avenir.  Le  chemin  qui  y  conduit  est  excessivement 
agréable  et  original.  Le  village  même ,  propre  comme  tous  les 
villages  flamands,  n'a  de  remarquable  qu'une  tour  du  commencement 
du  XI V^  siècle,  placée  en  tête  de  la  nef  de  l'église  qui  possède  trois 
tableaux  peints  par  Erasme-Quellin  le  jeune,  en  166(3,  et  un  banc 
de  communion  en  chêne  sculpté,  (ies  quelques  objets  montrent  qu'au- 
trefois Knoke  avait  une  certaine  importance. 

Knoke  n'a  encore  ni  chemin  de  fer,  ni  cabines  de  bains,  et  le  village 


-  307  — 

étant  environ  à  deux  kilomètres  de  la  plag(\  on  n'a  pas  la  ressourc 
des  anciens  baignours  de  Blankenberghe  qui  endossaient  à  leur  hôtel 
leur  léger  costume  de  baigneur,  et,  le  bain  pris,  revenaient  ruisselants. 

Les  dunes  de  Knoke  ont  une  largeur  qui  varie  de  800 à  1600 mètres 
et  une  hauteur  qui  va  de  15  à  25  mètres.  Elles  sont  d'un  aspect  parti- 
culier ;  elles  forment  des  cirques,  des  gorgés ,  etc.  et  ressemblent  à 
une  chaîne  de  montagnes  en  miniature.  Des  essais  de  culture  y  ont 
été  tentés.  Aussi,  entre  les  mamelons  de  sable ,  voit-on  parfois  des 
buissons  verts  où  la  vue  aime  à  se  reposer.  Le  lézard  s'y  chauffe  au 
soleil;  de  gros  coléoptères  s'y  promènent  gravement. 

Les  peintres  amateurs  de  beaux  sites  ,  viennent  y  chercher  le  repos 
après  les  travaux  de  l'atelier  et  y  prendre  des  motifs  de  tableaux  pour 
les  prochaines  expositions. 

Des  projets  sont  sur  le  tapis  au  sujet  de  ce  village  aujourd'hui  peu 
connu.  Oiï  prépare  toute  une  transformation.  C'est  une  petite  ville 
qu'on  bâtira  ;  des  maisons  isolées  entourées  de  jardins  ,  une  digue  de 
mer  avec  son  phare,  un  casino,  etc.,  etc.  Enfin  tout  ce  qu'il 
faut  pour  vivre  agréablement.  Les  plans  sont  de  M.  l'architecte  Baes, 
qui  en  a  exposé  l'ensemble  à  la  dernière  exposition  du  Cercle  artistique 
de  Bruxelles. 

Avant  de  quitter  Knoke,  allez  jeter  un  coup  d'œil  sur  ce  qui  reste  du 
Zwyn,  à  une  distance  de  deux  kilomètres. 

Le  Zwyn  était  un  ancien  bras  de  mer  qui  fut  formé  par  une  déchi- 
rure des  dunes ,  à  une  époque  Ibrt  reculée.  De  fréquentes  inondations 
l'augmentèrent  tellement,  qu'il  s'étendit  bientôt  à  quatre  lieues  dans 
les  terres.  C'est  ainsi  que  ,  grâce  à  ces  empiétements,  les  localités 
situées  à  l'intérieur,  comme  l'Écluse,  Lapscheure,  Darame,  devinrent 
des  ports  de  mer,  et  que  Bruges,  dont  cette  dernière  ville  était  l'avant- 
port,  devint  le  centre  d'un  commerce  important.  Mais  ce  qu'un  caprice 
de  l'Océan  avait  donné  à  ces  villes  leur  fut  repris  par  un  autre  caprice. 
Le  Zwyn  s'ensabla  peu  à  peu,  et  dès  1480  la  navigation  y  devint 
difficile  ;  bientôt  elle  y  fut  impraticable  jusqu'à  Damme. 

Toutefois,  le  port  de  l'Écluse  avait  été  épargné.  Mais  quand  en 
1830,  la  Belgique  se  sépara  de  la  Hollande,  celle-ci,  furieuse,  ferma 
ses  écluses  pour  punir  le  pays  en  l'inondant.  Le  mal  qu'elle  comptait 
faire  tourna  contre  eJle.  Les  eaux  belges,  en  s'écoulant  par  le  port  de 
l'Ecluse,  y  entretenaient  une  certaine  profondeur  qui  le  rendait  navi- 
gable. Les  chasses  supprimées,  le  port  s'ensabla. 


—  308  — 


L'endiguement  de  ce  qui  restait  du  Zwyii  demanda  de  longs  et 
pénibles  travaux,  qui  furent  terminés  en  1872.  Le  Zwyn  est  mort ,  la 
mer  domptée  et  six  cent  cinquante  hectares  de  terres  fertiles,  compo- 
sées d'alluvions,  sont  livrées  à  l'activité  des  cultivateurs. 


Bien  d'autres  excursions  sont  encore  à  faire,  je  citerai  Ostende,  qui 
se  trouve  en  communication  avec  Blankenberghe  par  Ja  ligne  de  la 
Société  des  chemins  de  fer  vicinaux.  Le  trajet  se  fait  en  une  heure 
quinze  minutes,  par  une  route  agréable  longeant  la  mer,  les  dunes  et 
la  campagne  ;  cinq  arrêts  coupent  la  monotonie  du  voyage  (1). 

D'Ostendevous  pouvez  aller  à  Nieuport  avec  le  secours  de  la  même 
ligne  de  chemin  de  fer  en  parcourant  une  route  intéressante  coupée 
par  neuf  arrêts  [2). 

Le  chemin  de  1er  de  FEtat  permet  d'élargir  le  cercle  et  de 
visiter  Gourtrai,  Roulers,  Thielt,  ïhourout,  Ypres,  etc.,  sans  oublier 
le  beau  château  de  Wynendale,  bâti  au  Xr  siècle  par  Robert  le  Frison 
et  si  heureusement  restauré  par  les  soins  de  M.  Mathieu. 

L'important  est  de  pas  métamorphoser  en  course  au  clocher,  un 
séjour  qui  doit  être  un  temps  de  repos,  pendant  lequel  «  on  doit  se 
laisser  vivre»  suivant  l'avis  des  princes  de  la  science. 


(1)  Blankeabergue  (Digue),  —  Weaduyne.  —  Den  Haen,  —  Glemskerke,  — 
Slykem,  —  Ostende. 

(2)  Petit-Paris,  —  Hippodrome,  —  Albertus.  —  Mariakerke,  —  Leffingue,  — 
Middelkei'ke,  —  Crocodile.  —  Weestende.  —  Lombartzijde,  —  Palingsbruggen.  — 
Nieuport-Ville. 


—  :so9  - 


COURS  &  CONFÉRENCES  DU  SAMEDI  SOIR  A  RODRAIX 

(  in  extenso  ). 


LE  NORD  DE  LA  FRANGE 


SES  INDUSTRIES,  SON  COIVIIVIERCE,  SES  PORTS  VIS-A-VIS  LA  CONCURRENCE 

ÉTRANGÈRE, 

Par  M.  Jules  PETIT,  Memhre  de  la  Chambre  de  commerce  de  Boulogne-sur-Mer. 


Conférence  faite  à  Rouhaix  le  26  février  1887. 


Mesdames  et  Messieurs  , 

L'observateur  tant  soit  peu  au  courant  des  questions  commerciales, 
qui  examine,  sur  une  mappemonde,  la  situation  géographique  de  la 
France,  est  tout  d'abord  frappé  par  les  immenses  avantages  qu'elle 
présente,  au  point  de  vue  des  relations  internationales. 

Placée  sur  l'Océan  Atlantique,  en  face  des  deux  Amériques,  direc- 
tement soudée  à  l'Espagne,  à  l'Italie,  à  la  Suisse,  à  l'Allemagne,  à  la 
Belgique,  ses  côtes  se  développent  sur  les  mers  les  plus  commerçantes 
du  monde,  c'est-à-dire  la  mer  du  Nord,  la  Manche  et  la  Méditerranée. 

A  l'intérieur,  elle  est  arrosée  par  des  fleuves  admirablement  orientés, 
traversant  des  vallées  d'une  richesse  excessive,  dont  les  populations 
se  distinguent  par  leur  activité  laborieuse,  leur  esprit  d'ordre  et  leur 
économie. 

Grâce  à  cette  position  exceptionnelle,  notre  pays  semblait  tout  dési- 
gné pour  devenir  l'entrepôt  général  de  l'Europe. 

Cette  conviction  ne  fait  que  s'accroître  quand,  limitant  la  portée  de 
notre  examen,  nous  nous  plaçons  spécialement  au  point  de  vue  de  la 


—  310  — 

région  du  Nord,  dont  Roubaix,  où  j"ai  en  ce  moment  l'honneur  de 
prendre  la  parole,  est  un  des  principaux  centres  industriels. 

Je  ne  crois  rien  exagérer  en  disant  que  la  natiu'e  et  l'intelligence 
humaine  ont  tout  fait  pour  doter  exceptionnellement  vos  belles  et  fer- 
tiles contrées,  dont  le  rapport  est  si  considérable  qu'il  suffit  seul,  vous 
le  savez  mieux  que  moi,  à  payer  le  tiers  des  impôts  de  la  France. 

Pom*  constater  la  place  prépondérante  qu'occupe  le  Nord  par  ses 
richesses  minières,  industrielles  et  agricoles,  il  suffit  d'ouvrir  V Album 
officiel  de  Statistique  graphique,  publié  par  la  direction  des  cartes, 
plans  et  archives  de  l'État. 

Nous  y  trouvons,  dans  la  dernière  édition,  ceUe  de  1882,  les  chif- 
res  suivants,  représentant  le  tonnage  moyen  des  canaux  et  voies 
ferrées,  tonnage  ramené,  pour  ces  dernières,  à  la  longueur  de  chaque 
réseau. 

Chemins  de  fer. 

TONNAGE  MOYEN  RAMENÉ  A  LA  LONGUEUR  DE  CHAQUE  RÉSEAU. 

Nord 877.912  tonnes. 

Est 503.878  — 

Ouest 318.850  — 

Orléans 407.444  — 

P.  L.  M 595.796  ■ 

Midi .369.528  — 

État 90.941  — 

Secondaires 108.980  — 

Canaux. 

TONNAGE  DES  VOIES  NAVIGABLES  DE  LA  RÉGION  DU  NORD  ET  DU  NORD-EST. 

Aa ~22.6'i2  tonneaux. 

Aire  à  La  Bassée  (canal  d') 1 .068. 497  — 

Aisne 558.802  — 

Aisne  (canal  latéral  à  F)   438.858  — 

Aisne  à  la  Marne  (canal  de  T)   518.219  — 

Ardennes  (canal  des)  ligne  principale 155.307 

Ardennes  (canal  des)  embranchement  de  Vouziers  41.685  — 

Bergucs  (canal  de) 65 . 223  — 

Bourbourg  (canal  de) 7 37 .672  — 

Calais  (canal  de) 184.120  — 

Colme  (canal  de  la) 67.587  — 

A  reporter 4.558  612  tonneaux. 


—  :m  - 

Report 4 .  558 .  612  tonneaux . 

Saint-Denis  (canal) 1.250.850  — 

Dcûlo  (canal  de  a)    934.602  — 

E.scaut  (Haut)  de  Gondé  à  Cambrai 1.370.963  — 

Escaut  (Has)  de  Condé  à  la  frontière  Belge 218.152  — 

E.st  (canal  de  V)  branche  Nord 109.617  — 

Est  (canal  de  T)  Sud  et  embranchements 37.945  — 

Fiirnes  (canal  de) 59.649  — 

llazebrouck  (canaux  d') 13.637  — 

Lawe 20.399  — 

Lys 162.023  — 

Marne  (de  Dizy  à  la  Seine) 205.591  — 

Marne  (canal  latéral  à  la) 510.306  — 

Marne  au  Rhin  (canal  de  la)     618.310  — 

Saint-Martin  (canal) 530.106  — 

Meurthe 4.137  — 

Mons  à  Condé  (canal  de) 741 .  157  — 

Morin  (Grand) 952  — 

Moselle 45.209  — 

Neuffosse  (canal  d') 1 .002.415  — 

Oise 1.560.615  — 

Oise  (canal  latéral  à  Y)  et  canal  ch-  Manicamp. .  1.996.417  — 

Ourcq  (canal  de  1') 186.786  — 

Saint-Quentin  (canal  de). 2.012.190  — 

Roubaix  (canal  de) 126.216  — 

Sambre 452.2.59  — 

Sambre  à  l'Oise  (canal  de  la) 122.676  — 

Scarpe 294.990  — 

Seine,  de  Corbeil  à  Paris 1 .835.664  — 

Seine,  traversée  de  Paris 1 .719.2-51  — 

Seine,  de  Paris  (aval)  à  la  Briche    1 .459.957  — 

Seine,  de  la  Briche  au  confluent  de  l'Oise 2.1-52.979  — 

Seine,  du  confluent  de  l'Oise  à  Rouen 741 .143  — 

Seine,  de  Rouen  au  Havre 128.668  — 

Sensée  (canal  de  la) 1.437.583  —     « 

Somme  (canal  de  la) 87.740  — 


ToT.vL 29.009.766  tonneaux. 


TONNAGE  DES  VOIES  NAVIGABLES  DE  LA  RÉGION  DU  CENTRE  ET  DE  L'EST. 

Arles  à  Bône  (canal  d") 81 .562  tonneaux. 

Aube 5.891        — 

Baïse 68.381        — 

Beaucaire  et  la  Radelle  (canaux  de) 203.476        — 

Berry  (canal  du),  ligne  principale 605.967        — 

Berry  (canal  du),  embranchement  de  Noyers ....  1-52.841        — 

A  reporter 1 .918.018  tonneaux. 


—  312  — 

Report 1.118.018  tonneaux. 

Bourgogne  (canal  de) 181 . 1.39  — 

Briare  (canal  de) 376.357  — 

Centre  (canal  du),  ligne  principale 426.360  — 

Centre  (canal  du),  rigole  de  l'Arroux 46.183  — 

Cher  canalisé 13.121  — 

Dordogne,  de  la  limite  du  département  du  Lot  à 

Libourne 15.371  — 

Dordogne,  de  Libourne  au  confluent  de  la  Garonne  100.161  — 

Est  (canal  de  T),  branche  Sud  (et  embranchem.i  37.945  — 

Étangs  (canal  des) 194.393  — 

Garonne,  de  Roquefort  à  Toulouse 3.120  — 

Garonne,  de  Toulouse  à  Castets 18.473  — 

Garonne,  de  Castets  à  Bordeaux 235.881  — 

Garonne,  de  Bordeaux  au  confluent  de  la  Dor- 
dogne   105.164  — 

Garonne  (canal  latéral  à  la)  et  embranchement 

de  Montauban 109.381  — 

lole - 32.264  — 

Loing  (canal  du) 435. 114  — 

Leg 7.176  — 

Loire,  de  Briare  à  l'embouchure  de  la  Seine 6.406  — 

Loire  (canal  latéral  à  la) 446.831  — 

Marne  (canal  latéral  à  la) 510.306  — 

Marne  (canal  de  la  Haute-) 164. .538  — 

Marne  au  Rhin  (canal  de  la) 618  310  — 

Midi  (canal  du),  ligne  principale 74 .049  — 

Nivernais  (canal  du) 97. .581  — 

Midi  (canal  du),  robine  de  Narbonne 18. 105  — 

Orléans  (canal  d') 40.429  — 

Pont-de-Vaux  (canal  de) 5.659  — 

Roanne  à  Digoin  (canal  de) 171 ,  .591  — 

Rhône  au  Rhin  (canal  du) 1-58.391  — 

Rhône,  du  Parc  à  Lyon 60.798  — 

Rhône,  de  Lyon  à  Arles 218.308  — 

Rhône,  d'Arles  à  la  Méditerranée 208.734  — 

Saône,  du  Port-sur-Saônc  à  Saint-Jean-de-Loone  45.162  — 

Saône,  de  Saint-Jean-de-Loone  à  Lyon 287.006  — 

Sauldre  (canal  de  la) 18. 155  — 

Seine,  de  Marcilly  à  Montereau 24.618  — 

Seine,  de  Montereau  k  Corboil 960.011  — 

Seine,  de  Corbeil  à  Paris 1 .8.3.5.661  - 

Seine  (canal  de  la  Haute-) 8.976  — 

Than  (Pitang  de) 96.093  — 

Yonne,  d'Auxerrc  à  la  Roche 169.858  — 

Yonne,  de  la  Roche  à  Montereau 383 .969  — 

Total 10.0a5.569  — 


Différence  en  faveur  des  canaux  du  Nord-Est 18.924 .  197  tonneaux. 


I 


-  313  - 

Dans  ces  conditions,  n"est-onpas  en  droit,  de  se  demander,  comme  je 
le  faisais  en  débutant,  par  suite  de  quelles  circonstances  un  paj-s  aussi 
heureusement  doué  n'est  pas,  depuis  longtemps,  devenu  l'un  des  prin- 
cipaux entrepôts  de  l'Europe?  Gomment  nos  industries  du  Nord  sont 
encore  en  grande  partie  tributaires  de  l'étranger  pour  leurs  matières 
premières?  Comment  nos  ports  de  l'Atlantique,  de  la  Manche,  de  la 
mer  du  Nord  ne  peuvent  soutenir  le  parallèle  avec  ceux  de  Londres, 
Liverpool,  Glasgow  et  surtout  Anvers?  Gomment  enfin  le  Havre  môme, 
débouché  des  splendides  vallées  de  la  Seine  et  de  ses  affluents,  n'oc- 
cupe qu'une  position  bien  secondaire  et  bien  inférieure  aux  ports  étran- 
gers dont  je  viens  de  citer  les  noms  ? 

La  réponse  à  ces  questions  ne  sera  ni  longue,  ni  difficile. 

Nous  nous  trouvons  sur  un  pied  d'infériorité  notoire  avec  nos  con- 
currents parce  que  nous  ne  possédons  pas  de  ports  réunissant,  au  môme 
titre  que  ceux  de  l'Angleterre,  de  l'Allemagne,  de  la  Belgique,  de  la 
Hollande,  les  conditions  propres  au  développement  de  la  navigation. 

Pour  l'industrie,  le  commerce,  la  navigation,  comme  pour  la  guerre, 
il  existe  des  points  stratégiques  qu'il  faut  occuper  car  ils  réunissent  les 
conditions  essentielles  pour  gagner  les  batailles  ;  ces  points  le  Nord 
les  possède,  mais  ils  ne  sont  pas  organisés,  ils  manquent  de  moyens 
de  communication  rapides  et  économiques  avec  les  principaux  marchés 
du  monde. 

Gela  est  triste  à  constater  —  mais  ce  n'est  pas  en  dissimulant  ses 
faiblesses  qu'on  peut  y  porter  remède  —  de  Dunkerque  à  Bayonne, 
nous  n'avons  pas  un  port  contamment  accessible  à  la  grande  naviga- 
tion commerciale. 

Quelle  difi'érence,  si  nous  prenons  pour  objectif  ce  qui  se  passe  chez 
nos  voisins  !  Examinons  donc  rapidement  les  causes  de  leiu*  fortune 
et  de  leur  merveilleux  développement. 

En  Angleterre,  on  le  sait,  l'Etat  laisse  à  l'initiative  des  citoyens  la 
charge  de  créer  des  ports  là  où  le  besoin  s'en  fait  sentir.  Les  Gompa- 
gnies  qui  s'organisent  dans  ce  but  n'ayant  pas  à  souffrir  des  mille 
entraves  apportées  chez  nous  à  l'action  particuhère ,  arrivent,  dans 
des  conditions  de  rapidité  surprenantes,  à  opérer  de  véritables  mira- 
cles. 

Le  port  de  Liverpool  ofire  un  exemple  tout  spécial  du  maintien 
constant  de  la  profondeur  d'eau  ;  la  nature  avait,  incontestablement, 
lait  beaucoup  pour  atteindre  ce  résuhat  si  enviable,  mais  il  faut 
reconnaître  que  les  travaux  de  l'homme  l'ont  puissamment  développé. 


-  314  — 

Les  docks  qui  complètent  ce  port  ont .  en  effet,  été  établis  sur  des 
parties  de  la  rivière  que  la  mer  baignait  autrefois,  et  ont  ainsi  réduit 
encore  la  largeur  du  chenal,  dont  la  profondeur  a  été,  par  suite,  aug- 
mentée sous  l'action  des  chasses  dues  au  jeu  de  la  marée. 

Liverpool  est  le  second  port  de  l'Angleterre,  au  point  de  vue  du 
tonnage  général  ;  et,  cependant,  ce  n'est  que  depuis  1825  qu'on  a  atta- 
ché de  l'importance  à  l'amélioration  de  la  navigation  de  la  Mersey.  Le 
premier  plan  exact  et  complet  de  la  rivière  remonte  à  1821  seulement. 

Pour  obtenir  les  huit  mètres  d'eau  indispensables  à  la  grande  navi- 
gation, on  a  creusé  la  Clyde  jusqu'à  Glasgow,  afin  que  ce  district, 
essentiellement  manufacturier  et  houiller,  ait  un  port  et  des  bassins 
qui  lui  soient  propres. 

Il  y  a  un  siècle  à  peine,  la  rivière  la  Clyde  était  guéable  à  12  milles 
(19  kilomètre)  au-dessous  de  Glasgow,  qui  comptait  alors  35,000  habi- 
tants :  en  1872,  les  navires  tirant  22  pieds  (6  mètres  60)  d'eau  quittent 
ce  port  2  ou  3  heures  avant  le  plein  ,  et  gagnent  la  mer  en  une 
marée. 

Des  travaux  semblables  ont  été  faits  à  Tembouchure  de  la  Tyne. 

En  Allemagne,  Hambourg  offre  encore  un  très  remarquable  exem- 
ple de  ce  que  peut  le  génie  humain  aux  prises  avec  les  difficultés  d'une 
entreprise  gigantesque. 

La  Hollande  mérite  aussi  d'attirer  notre  attention  pai'  les  travaux 
identiques  qu'elle  a  su  exécuter  à  Nieuwe-Diep. 

Le  port  de  Nieuwe-Diep  est  situé  sur  le  Zuiderze,  à  l'est  de  la  pointe 
de  Helder.  Le  courant  de  jusant  avait  creusé,  en  ce  point,  un  chenal 
de  4  ou  5  pieds  de  profondeur,  praticable  pour  les  petits  bateaux  seu- 
lement 

En  1873.  on  avait  déjà  obtenu  5  à  6  mètres  de  profondeur  dajis  le 
port  ;  aujourd'hui  le  point  le  moins  profond  a  encore  8  mètres  d'eau 
au-dessous  du  niveau  de  la  basse  mer  et  la  profondeur  moyenne  est  de 
9"'40  à  basse  mer. 

De  très  remarquables  travaux  ont  également  été  accomplis  dans  le 
port  créé  sur  la  mer  du  Nord  à  l'entrée  du  nouveau  canal  d'Amster- 
dam et  à  l'embouchure  du  bras  de  la  Meuse,  nommé  le  Shew,  qui 
conduit  directement  à  Rotterdam. 

Le  temps  me  manquant  pour  entrer  dans  une  étude  même  sommaire 
de  ces  ports  artificiels,  je  me  contenterai  de  renvoyer  mes  auditeurs 
au  mémoire  récent  et  très  complet  de  M.  l'Inspecteur  général  Croizette 
Desnovers. 


—  815  - 

J'ai  hâte  de  terminer  cbtte  excursion  chez  nos  voisins  et,  Irop  heu- 
reux concurrents,  en  disant  quelques  mots  des  phis  redoutables  de  tous, 
en  l'état  actuel  des  choses,  c'est-à-dire  de  ceux  établis  à  Anvers. 

Pour  donner  une  idée  de  l'accroissement  de  ce  j)orl ,  depuis  cinquante 
années,  j'aurai  recours  à  la  statistique. 

Son  mouvement  qui,  en  1830  n'était  que  de  730  navires,  jaugeant 
120,000  tonneaux,  s'est  élevé ,  en  1871 .  à  5442  navires  jaugeant 
1,824,744  tonnes. 

En  1880,  son  trafic  a  atteint  le  chiffre  formidable  de  3,876,000 
tonnes. 

Cet  accroissement  est  dû  surtout  à  l'approfondissement  de  l'Escaut, 
aux  travaux  dont  le  port  d'Anvers  a  été  le  théâtre  dans  ces  dernières 
années,  à  son  outillage  sans  cesse  perfectionné,  au  grand  nombre  de 
voies  ferrées  et  de  canaux  qui  le  desservent  ;  enfin,  il  faut  le  dire,  aux 
tai'ifs  réduits  des  compagnies  de  chemins  de  fer  belges  et  allemandes. 

Il  résulte  d'une  circulaire  dont  j'ai  l'original  entre  les  mains  qu'An- 
vers possède,  dans  un  seul  mois,  122  services  réguhers  directs  vers  les 
divers  points  du  globe  et  68  avec  transbordement  en  Angleterre,  en 
France,  à  Brème,  etc.  Pour  arriver  à  réunir  sans  perte  de  temps  des 
services  de  cette  importance,les  quais  ont  été  outillés  de  façon  à  pouvoir 
servir  d'accostage  à  80  transatlantiques. 

Ainsi  que  le  fait  judicieusement  remarquer  M.  A.  Marteau,  dans  son 
intéressante  et  patriotique  brochure  sur  le  port  d'Anvers  (Le  Havre, 
octobre  1873)  : 

«  Si,  en  quelques  années,  ce  mouvement  maritime  et  commercial 
s'est  développé  avec  une  rapidité  si  formidable,  il  faut  bien  dire  aussi 
que  la  ville  d'Anvers,  d'une  part,  et,  de  l'autre,  le  Gouvernement,  y 
ont  prêté  la  main,  avec  une  ardeur  extrême.  Ni  l'un  ni  l'autre  n'a  calculé 
sachant  très  bien  que  calculer,  en  ces  matières,  c'est  sacrifier  l'avenir, 
et  que  l'argent  dépensé,  en  travaux  de  cette  nature,  produit  mille  pour 
un  et  assure  la  richesse  et  la  puissance  du  pays  qui  a  su  créer  et  qui 
sait  '  agrandir  encore  les  établissements  où  le  commerce  maritime 
est  nécessairement  appelé  par  les  facilités  et  le  bon  marché  qu'il  y 
trouve.  » 

Les  avantages  acquis  jusqu'à  ce  jour,  moyennant  un  sacrifice  de  plus 
de  cent  miUlions,  ne  paraissent,  toutefois  pas  suffisants  à  nos  rivaux 
qui,  dans  le  Rapport  du  mouvement cotnmerciaL  industriel  eimari- 
time  pour  l'exercice  1887.  s'exprimaient  ainsi  : 

«  En  tenant  compte  de  la  richesse,  de  la  population  et  de  la  puis- 


-  316  — 

sance  industrielle  de  notre  rayon  commercial,  on  comprendra  que  nous 
devions  concentrer  dans  notre  port  la  plus  grande  partie  du  commerce 
de  l'Europe  centrale.  Notre  place  est  plus  rapprochée  que  le  Ha^Te  du 
Nord  de  la  France,  de  l'Alsace-Lorraine,  de  l'Allemagne  et  de  cer- 
taines parties  de  la  Suisse  ;  mais  la  concurrence  existe  avec  Le  Havre, 
dans  l'Est  de  la  France  et  dans  une  partie  de  la  Suisse.  » 

Ce  que  j'ai  dit  plus  haut  de  l'organisation  du  port  d'Anvers  et  de  ses 
conditions  de  succès  suffit  à  faire  toucher  du  doigt  le  rôle  prépondérant 
du  Transatlantique  dans  la  grande  jiavigation.  Ces  véritables  cités  flot- 
tantes, d'un  tonnage  moyen  de  4,500  tonneaux,  transportant,  avec  une 
rapidité  précédemment  inconnue  (1).  des  centaines  de  voyageurs  et  des 
quantités  immenses  de  marchandises,  permettent  aux  ports  qu'elles 
desservent  de  réaliser  des  bénéfices  considérables  sur  ceux  qui  ne  sont 
pas  organisés  pour  les  recevoir. 

Telle  est  la  raison  des  sacrifices  que  se  sont  imposés  nos  concurrents 
étrangers,  certains,  comme  le  fait  remarquer  M.  A.  Marteau,  de 
les  récupérer  au  centuple  dans  un  laps  de  temps  plus  ou  moins 
court. 

En  France  nous  semblons  ou  méconnaître  cette  loi  économique  ou 
manquer  de  Tinitiative  nécessaire  pour  la  mettre  en  application. 

Il  n'entre  pas  dans  mon  programme  de  m'appesantir  sur  notre  littoral 
de  l'Atlantique.  J'ai  dit, en  débutant,  qu'un  port,  pour  progresser,  devait 
desservir  d'importants  districts  manufacturiers  et  se  trouver  à  proximité 
des  grands  centres  de  production  houillère  ,  qui  ont  permis  leur  for- 
mation économique. 

Cette  dernière  condition  manque  à  nos  ports  de  l'Atlantique.  Même 
s'il  possédait  la  profondeur  voulue  ,  le  Havre,  pour  cette  raison  ,  ne 
pourrait  lutter  avantageusement  avec  les  porls  que  je  viens  de  citer. 

Evidemment,  lorsqu'on  est  le  port  d'une  ville  comme  Paris,  et  d'une 
vallée  comme  ceUe  de  la  Seine,  on  a  une  grande  importance  et  on  ne 
doit  marchander  aucune  amélioration,  mais  ,  il  faut  le  reconnaître,  — 
malgré  ses  richesses   agricoles ,  malgré  ses  industries,  maigre  Paris, 


(1)  Service  de  Liverpool  à  New- York  (Note  de  la  C'e  Inmann)  : 

Voyage  d'aller 10  jours. 

Séjour  pour  déchargement  et  rechargement. . .        6    — 
Voyage  de  retour 10  jours. 

Ensemble 26  jours. 


—  317  - 

—  cette  région  ,  n'est  pas  la  région  industrielle  par  excelloiice  de  la 
France,  attendu  que  la  houille  l'ail  défaut  à  ses  splcndides  vallées. 

Elle  est ,  sous  ce  rapport,  tributaire  de  l'étranger,  c'est  de  l'Angle- 
terre que  Rouen  tire  ses  charbons,  et  jamais  ,  à  moins  de  trouver  une 
force  motrice  économique ,  l'industrie  rouennaise  ne  pourra  lutter 
avec  celle  de  Manchester. 

En  outre  de  ces  conditions  d'infériorité,  le  port  du  Havre  n'est  pas 
accessible  à  toute  heure  par  les  Transatlantiques  ;  quand  ils  s'y  pré- 
sentent à  marée  basse,  ils  doivent  attendre  8  ou  10  heures.  Résultat  : 
perte  de  temps  pour  les  voyageurs  et  les  marchandises  ;  perte  d'argent 
si  évidente,  pour  les  Compagnies,  que  le  Gouvernement  est  obligé  de 
subventionner  les  grandes  lignes  qu'elles  desservent. 

J'aiTive  à  nos  ports  du  Nord. 

Ceux-ci,  comme  je  l'ai  établi  tout  d'abord,  présentent  bien  l'immense 
avantage  d'appartenir  à  des  régions  industrielles  et  minières  ,  mais  ils 
ne  sont  pas  en  eau  profonde,  ce  qui  les  oblige  à  renoncer  au  service 
régulier,  et  par  là  économique,  des  Transatlantiques. 

Un  tel  état  de  choses  peut-il  sa  perpétuer  indéfiniment? 

Est-il  admissible  que  nos  centres  producteui's  du  Nord,  restent 
tributaires  des  ports  étrangers  ? 

Allons  nous  continuer  à  voir  le  plus  grand  courant  commercial  du 
monde  passer  devant  nos  yeux ,  pour  aller  vivifier  et  enrichir-  les 
entrepôts  de  Londres,  de  Liverpool,  d'Anvers,  de  Rotterdam,  d'Ams- 
terdam, de  Hambourg,  abandonnant  ainsi,  faute  d'une  rade,  la  France, 
à  laquelle  sa  position  géographique  aurait  cependant  dû  assurer  un 
sort  tout  différent  ? 

A  toutes  ces  questions  on  ne  saurait  répondre  que  par  la  négative. 
Voyons  donc ,  en  nous  détachant  de  toute  préoccupation  locale  et  en 
invoquant  les  dernières  études  hydrographiques  de  nos  ingénieurs  les 
plus  compétents  ,  quel  est ,  sur  le  littoral ,  le  point  stratégique  indique 
pour  devenir  le  port  naturel  de  notre  région  du  Nord. 

Le  Nord  possède  3  ports  ,  Dunkerque ,  sur  la  mer  du  Nord  ,  Calais, 
sur  le  détroit,  Boulogne,  sur  la  Manche. 

Pour  l'observateur  qui  étudie  les  phénomènes  géologiques  dont 
cette  partie  de  nos  côtes  est  le  théâtre ,  il  ressort  clairement  que  les 
ports  situés  au-delà  du  cap  Gris-Nez  sont  dans  des  conditions 
défavorables  pour  la  grande  navigation ,  par  suite  de  leur  continuel 
ensablement. 

Pour  établir  la  justesse  de  cette  assertion  ,   il    suffit  d'examiner  la 


-  31X  _ 

manière  dont  se  forment  les  courants  dans  le  détroit  du  Pas-de-Calais 
et  la  mer  du  Nord, 

Celui  du  flux,  dont  l'excessive  puissance  est  augmentée  d'une  bran- 
che du  Gulf-Stream  ,  s'avance  par  la  Manche,  entraînant  avec  lui,  les 
débris  arrachés  du  fond  de  l'Atlantique  et  des  côtes,  et  il  agit  avec  une 
force  d'érosion  d'autant  plus  grande  que  la  Manche  se  trouve  de  plus 
en  plus  resserrée  entre  la  France  et  l'Angleterre  jusqu'au  détroit  du 
Pas-de-Calais. 

Mais,  dès  que  le  flux  débouche  dans  la  mer  du  Nord,  il  se  subdivise  en 
deux  courants,  formant  comme  les  branches  d'un  gigantesque  éven- 
tail, qui  déposent ,  le  long  des  côtes  françaises  et  anglaises,  les  amas 
considérables  de  sable  et  de  gravier  qu'ils  entraînent. 

A  l'endroit  précis  où  le  courant ,  allant  du  Sud  au  Nord,  rencontre 
celui  qui  descend  en  sens  contraire,  il  se  produit  un  remous  violent, 
sous  l'empire  duquel  les  alluvions  transportées  tombent  dans  des 
zones  médiales  oh.  ils  forment  par  leur  amoncellement  les  véritables 
terres  sous-marines,  qu'on  appelle  des  bancs.  Tels  sont,  à  travers  le 
détroit,  dans  le  sens  longitudinal,  ceux  de  Varne  et  de  Colbart. 

L'action  des  apports  de  sables  commence  à  se  faire  sentir  auprès  du 
cap  Gris-Nez  à  Sangate  {Sand-gate,  porte  des  sables),  dont  la  désigna- 
tion est  suffisamment  caractéristique. 

C'est  également  par  l'efî^et  de  ces  courants  que  s'est  graduellement 
comblé  le  golfe  de  St-Omer  ;  que  ce  sont  formés  les  Pays-Bas  et 
constitués  ces  bancs  considérables,  tels  que  le  Dogger-Bauk,  les  South 
et  Nooth  Goodvin.  dont  la  présence  fait  courir  les  risques  les  plus 
graves  à  la  navigation,  malgré  les  balises  et  autres  avertissements  qui 
les  signalent. 

Pour  cette  raison  .  les  ports  de  Calais  et  Dunkerque,  situés  sur  un 
pays  plat  et  dont  les  plages  s'étendent  au  loin  dans  la  mer,  ne  possé- 
deront jamais  la  profondeur  nécessaire  à  l'entrée  immédiate,  à  mer 
basse,  des  Transatlantiques. 

Malgré  le  travail  incessant  des  dragues,  on  arrivera  tout  au  plus  à 
obtenir,  à  l'entrée  de  ces  ports,  au  moment  de  la  basse  mer,  2  mètres  40 
dans  le  second ,  et  4  mètres  dans  le  premier,  profondeur  suffisante 
pour  un  service  régulier  avec  l'Angleterre,  mais  ne  présentant  pas  les 
conditions  requises  par  les  Transatlantiques  qui ,  je  l'ai  déjà  dit .  ne 
peuvent  attendre  la  marée  et  doivent  arriver  à  toute  heure  à  leur  quai 
d'accostage. 

Le  port  d'Anvers  échappe  en  partie  à  ces  ensablements  ;  l'Escaut, 


—  319  - 

fleuve  d'une  grande  puissance,  habilement  endigué .  d('gage  son  par- 
cours et  opère  de  fortes  chasses  à  sou  embouchure  ;  toutefois,  malgré 
cet  avantage,  les  bancs  de  sable  qui  se  forment  à  l'entrée  du  port  pré- 
sentent un  danger  constant  pour  la  navigation,  et  exigent  l'emploi  de 
deux  pilotes,  l'un  pour  la  pleine  mer  et  l'autre  à  partir  de  Flessingue 
pour  la  navigation  fluviale ,  circonstance  qui  entraîne  des  pei'tes  de 
temps  et  des  augmentations  de  frais  généraux. 

Toute  autre  est  la  situation  du  port  de  Boulogne.  Comme  le  font 
remarquer  MM.  les  Ingénieurs  Stœklin  et  Laroche,  dans  leur  intéres- 
sant travail  sur  Les  ports  7naritimes  considérés  au  point  de  vue  de  leur 
établissement  et  de  l'entretien  de  leur  profondeur  : 

«  Au  lieu  de  présenter  des  tendances  à  l'ensablement ,  le  promon- 
toire du  Boulonnnais  a  été  et  continue  à  être  corrodé,  mais  comme  il 
formé  de  couches  trè^  diflérentes,  il  se  corrode  irrégulièrement  ;  les 
roches  résistent  plus  ou  moins  suivant  leur  dureté,  et  forment  des 
caps,  tandis  que  les  couches  de  tuf  et  d'argile  se  rongent  plus  facile- 
ment ;  c'est  ce  qui  donne  à  la  côte  du  cap  d'Alpreck  au  Gris-Nez , 
l'aspect  d'une  dentelure  formée  d'une  série  de  pohites  avec  des  ren- 
trants intermédiaires. 


Sur  l'estran  les  courants  se  font  également  sentir  ;  mais  leur  action 
est  modifiée  par  l'action  des  lames  qui  prend  ici  la  prépondérance. 
L'action  des  lames  a  pour  efiet  de  corroder  les  couches  d'argile  et  de 
tuf,  et  de  niveler  ensuite  avec  du  sable  les  creux  qui  se  produisent 
entre  les  bancs  déroche.  Mais,  malgré  la  présence  de  ce  sable,  la 
plage  de  Boulogne  est  loin  d'être  ce  qu'on  appelle  une  plage  de  sable  ; 
quand  on  la  suit  entre  la  pointe  de  l'Heurt  et  celle  de  la  Crèche ,  on 
rencontre  à  chaque  pas  des  arêtes  de  roche  ou  de  tuf .  et  les  forages 
exécutés  par  M.  Legros,  en  1872,  autorisent  à  penser  que  la  chemise  de 
sable  n'a  nulle  part  une  épaisseur  supérieure  à  2  mètres.  Si  on  pouvait 
enlever  cette  chemise,  on  retrouverait  partout  la  falaise  ,  se  compor- 
tant sous  l'eau  comme  elle  se  montre  au  dessus ,  et  produisant  par 
suite  des  couches  très  différentes  dont  elle  est  formée ,  les  plateaux 
signalés  par  M.  Ploix  .  et  les  iiTégularités  que  l'on  rencontre  dans  les 
fonds,  et  qu'il  serait  absolument  impossible  d'expliquer  avec  une  plage 
de  sable.  » 

Par  suite  de  cette  disposition  de  la  côte ,  le  port  de  Boulogne  se 
trouve  situé  dans  une  vaste  baie  ,  abritée  des  vents,  qui  soufflent  du 
Nord  au  Sud  :  à  l'Est  par  les  falaises  et  l'important  massif  de  collines 


—  3'^  - 

qui  les  dominent  :  au  Nord-Ouest  et  au  Sud-Ouest  par  le  développe- 
ment des  digues  du  grand  port. 

Etant  donnée  la  facilite  d'obtenir,  dans  ce  port,  une  profondeur  de  10 
mètres  (à  basse  mer) ,  on  conçoit  que  les  négociants  d'Anvers  voient 
de  ce  côté  une  menace  des  plus  sérieuses  pour  leur  prépondérance  et 
que,  lors  d'un  récent  v^oyage  ,  le  roi  Léopold  se  soit  tout  pai'ticulière- 
ment  intéressé  aux  travaux  en  cours  d'exécution. 

Tout  concourt  à  établir  qu'avec  les  facilités  qu'il  offrira  aux  Tran- 
satlantiques, le  port  de  Boulogne  ne  tardera  pas  à  retenir  une  grande 
partie  du  courant  commercial  qui .  faute  d'une  rade  plus  au  sud.  a  dû 
jusqu'ici  franchir  le  Gris-Nez  pour  aller  chercher,  fut-ce  au  prix  de 
constants  dangers,  la  profondeur  d'eau  suffisante. 

Cet  avantage  du  port  de  Boulogne  sur  celui  d'Anvers,  comme  rapi- 
dité et  économie,  ressort  très  nettement  d'une  note  que  je  dois  à  l'obli- 
geance de  deux  officiers,  de  notre  marine  militaire,  des  plus  distingués 
et  très  au  fait  de  la  navigation  dans  la  mer  du  Nord. 

Comme  on  va  le  voir,  elle  complète  très  utilement  les  précédentes 
explications.  Je  la  cite  textuellement  : 

«  Un  navire  étant  vis-à-vis  de  Boulogne,  la  distance  jusqu'à  l'em- 
bouchure de  l'Escaut  (devant  Flessingue)  est  de  100  milles.  —  La 
distance  de  Flessingue  à  Anvers  est  de  45  milles  marins  (de  1,832 
mètres).  '"^^^ 

Un  navire  allant  de  Boulogne  à  l'Escaut,  rencontre  au  milieu  du 
Pas-de-Calais  : 

Les  bancs  du  Varne  et  du  Colbart  : 

1"  Au-delà  du  Gris-Nez  sur  tribord,  les  bancs  de  Calais,  de  Dun- 
kerque,  de  Nieuport  et  d'Ostende,  c'est-à-dire  une  série  de  bancs 
s'étendant  devant  Nieuport  jusqu'à  treize  milles  au  large; 

2°  Par  bâbord,  on  a  les  bancs  de  Goodwin,  les  South-Falls,  le  San- 
dettie,  les  Fairy-Bank,  West-Hinder,  etc.,  bancs  qui  deviennent  de 
plus  en  plus  rapprochés  les  uns  des  autres  en  approchant  de  l'Escaut. 

Le  grand  chenal  entre  ces  deux  séries  de  bancs  est  praticable  pour 
les  navires  a  vapeur  et  les  navires  à  voiles  qui  ont  vent  arrière,  par 
beau  temps,  avec  de  la  vue,  grâce  au  balisage. 

On  est  obligé,  en  tout  cas,  d'aller  relever  le  feu  de  West-Hinder  et 
de  là,  de  courir,  au  milieu  des  bancs,  sur  le  feu  de  Ribzand,  placé 
encore  en  tête  des  bancs  qui  forment  comme  une  barre  de  l'Escaut, 
mais  par  mauvais  temps,  par  temps  sombre,  cela  devient  fort  difficile, 
même  veut  arrière. 


—  H21  — 

En  tout  cas,  cela  est  impraticable,  même  de  beau  temps,  pour  les 
navires  à  voile  d"uu  certain  tonnage;  quand  le  vent  esf  contraire. 

Les  courants  qui  changent  avec  la  marée  et  portent  tantôt  sur  un 
baiîc,  tantôt  sur  un  autre,  augmentent  le  danger. 

Les  navires  ont  un  abri  dans  ces  parages,  la  rade  des  dunes  ;  mais 
une  relâche  augmente  les  frais  et  occasionne  du  retard. 

La  distance  des  dunes  à  l'entrée  de  l'Escaut  est  encore  de  80  milles, 
et  on  rencontre  sur  la  route  les  bancs  de  South-Falls,  Sandettie,  Fairy- 
Bank,  et  on  retrouve  alors  le  West-Hinder. 

Un  navire  à  vapeur,  filant  dix  nœuds  à  l'heure,  mettra  donc  dix 
heures  en  moyenne  de  la  hauteur  de  Boulogne  à  Flessingue,  et  encore 
cinq  heures  de  Flessingue  à  Anvers  (indépendamment  des  difficultés 
particulières  de  la  rivière). 

Un  navire  à  voiles,  vent  arrière,  ayant  une  vitesse  de  S  nœuds, 
mettra  13  heures  pour  atteindre  Flessingue,  et  ne  pourra  pas  arriver 
sans  remorqueur  jusqu'à  Anvers,  à  cause  des  coudes  de  la  rivière,  à 
moins  de  mettre  plusieurs  jours  à  remonter  au  milieu  de  difficultés 
innombrables. 

Mais  quand  un  navire  h  voiles  a  vent  debout,  il  faut  d'abord  qu'il 
double  le  Pas-de-Calais  ;  quand  il  a  réussi,  il  ne  peut  pas  louvoyer  au 
milieu  des  nombreux  bancs  cités  plus  haut  ;  il  lui  faut  donc,  surtout 
s"il  vente  fort,  chercher  un  abri  en  rade  des  dunes  et  y  attendre  un 
vent  favorable- 
Pendant  ce  temps,  le  navire  qui  aura  relâché  à  Boulogne  pourra 
décharger,  recharger,  et  profiter  du  même  veut  qei  retarde  son  con- 
current, pour  repartir  vers  l'Ouest.  » 

De  la  note  publiée  page  316,  il  résulte  qu'un  Transatlantique  faisant 
d'Anvers  à  New-York  dix  voyages  annuels,  en  ferait  11  1/2  de  Bou- 
logne à  New-York,  puisqu'il  gagnerait  15  heures  à  l'aller  et  autant  au 
retour,  soit  30  heures  au  total.  Chaque  voyage  coûtant  200,000  francs, 
ce  serait  donc  une  économie  annuelle  de  300,000  francs  qu'il  réali- 
serait. 

En  supposant  deuxTransatlantiques  naviguant  de  concerve  avec  voya- 
geurs et  marchandises,  l'un  à  destination  de  Boulogne,  l'autre  à  desti- 
nation d'Anvers,  les  passagers  du  premier  seraient  arrivés  à  Cologne, 
Dusseldorf  ou  Bâle  au  moment  où  le  second  accosterait  au  grand  quai 
de  l'Escaut. 

22 


—  322  — 

En  résumé,  le  port  en  eau  profonde  de  Boulogne,  quand  il  sera  ter- 
miné, offrira  à  la  grande  navigation  les  avantages  suivants  : 

Rade  d'accès  facile  pendant  les  grandes  tempêtes  d'ouest  et  de  sud- 
ouest,  dont  il  n'était  pas  précédemment  abrité,  mais  contre  lesquelles 
le  protégeront  désormais  les  digues,  où,  grâce  à  l'orientation  de  leurs 
entrées,  les  navires  seront  poussés  vent  arrière  ; 

Profondeur  constante  de  10  mètres  sans  dragages  à  basse  mer; 

Transport  rapide  et  économique  des  matières  premières  au  profit  de 
la  zone  manufacturière  du  Nord. 

A  toutes  ces  considérations,  il  me  faut  ajouter  que  les  ingénieurs 
ayant  une  rade  située  comme  nous  venons  de  le  voir,  pourront  y  établii* 
des  bassins  ou  darses  disposés  de  façon  à  présenter  un  quai  en  com- 
munication directe  avec  le  chemin  de  fer  et  le  canal.  Il  sera  donc 
facile  d'éviter  les  pertes  de  temps  et  de  restreindre  à  leur  plus  juste 
limite  les  frais  généraux. 

•  Nous  suivrons  ainsi  l'exemple  d'Anvers,  qui,  afin  de  gagner  quatre 
heures  sur  le  passage  des  écluses  donnant  précédemment  accès  dans 
des  bassins  fort  mal  orientés,  a  dépensé  cent  vingt  milli(His  pourcons- 
truu'e  sur  l'Escaut  le  fameux  quai,  dont  j'ai  parlé  au  début  de  celte 
conférence,  et  auquel  les  transatlantiques  accostent  aussitôt  arrivés. 

Pour  ces  immenses  steamers,  en  effet,  le  temps  est  tout  ;  ce  qu'ils 
gagnent  en  rapidité  par  la  puissance  de  leurs  machines  ,  ils  ne  faut  pas 
qu'ils  le  perdent  par  des  difficultés  ou  risques  de  navigation,  des 
arrêts  ou  des  transbordements  en  rade  et  des  accostages  difficiles. 

Je  viens  dédire  que  les  ingénieurs  pourront,  parle  moyen  de  darses, 
mettre  le  port  en  eau  profonde  de  Boulogne,  en  communication  directe 
avec  le  chemin  de  fer  et  le  canal.  Ici,  on  pourrait  m'arrêter  en  m'ob- 
jectant  que  Boulogne  ne  figure  pas  sur  la  carte  des  voies  navigables 
françaises. 

Cela  est  vrai,  mais  je  parle  ici  au  futur.  Or,  comme  complément 
indispensable  de  la  création  de  son  port  en  eau  profonde,  Boulogne 
devra  être  soudé  aux  canaux  de  la  région  du  Nord,  par  la  ville  de 
St-Omer.  Si,  en  effet,  on  veut  bien  se  rendre  compte  de  la  situation 
géographique  que  j'ai  précédemment  exposée  et  de  la  nécessité  pour 
un  port  d'être  rehé  à  un  centre  industriel  ethouiller  ,  on  comprendra 
que  cette  ligne  est  toute  indiquée  pour  nous  rendre  plus  facile  encore 
cette  concurrence  à  Anvers,  dont  les  Belges  ont  une  si  grande  crainte. 
L'épaisseur  seule  de  quelques  collines  sépare  le  bassin  du  bas  boulon- 
nais du  bassin   de  l'Escaut  ;  supposons  que,  par  l'efiét  d'une  révolution 


—  32:^  — 

géologique,  les  eaux  du  fleuve  se  soient  ouvert  une  brèche  à  travers 
ces  collines  et  que  l'Escaut,  suivant  un  cours  etun  niveau  qui  n'auraient 
rien  que  de  naturel,  ait  traversé  le  bas  boulonnais  et  soit  venu  débou- 
cher au  port  de  Boulogne,  quel  serait  de  ce  dernier  ou  de  celui  d'An- 
vers le  plus  propre  au  développement  commercial  ? 

Or,  ce  que  la  nature  n'a  [)as  fait  peut  être  entrepris  par  la  main  de 
l'homme  ;  quand  on  a  vu  percer  le  canal  de  Suez  et  qu'on  connaît  les 
travaux  de  l'isthme  de  Panama,  que  peut  être  le  creusement  des  50 
kilomètres  de  canal  vers  St-Omer,  qui  relieraient  toute  notre  indus- 
trie du  Nord  au  seul  port  réellement  en  eau  profonde  que  puisse  pos- 
séder la  région. 

La  nécessité  de  développer  nos  voies  navigables  et  de  les  appro- 
prier à  tous  les  besoins  du  commerce,  de  l'industrie  et  de  l'agriculture 
s'impose  d'une  façon  d'autant  plus  impérieuse  que  les  tarifs  de  nos 
Compagnies  de  chemin  de  fer  nous  mettent,  au  point  de  vue  de  la 
rapidité  et  de  l'économie  des  transports  intérieurs,  sur  un  pied  d'in- 
fériorité choquante  vis-à-vis  de  l'étranger. 

Cette  question  a  fait,  en  ces  derniers  temps,  l'objet  de  trop  de  mé- 
moires, rapports  et  brochures,  pour  que  je  puisse  songer  à  l'aborder  à 
la  fin  de  cette  conférence,  déjà  longue;  je  me  contenterai,  parmi  les 
nombreux  documents  dont  il  me  serait  facile  d'appuyer  mon  argumen- 
tation, d'emprunter  quelques  chiffres  aux  Recueil-Chaix  P.  V.  et  G.V. 
du  ^^  trimestre  1886. 

Ils  suffiront  à  donner  une  idée  exacte  des  dispositions  de  nos  Com- 
pagnies, en  permettant  de  comparer  les  conditions  de  transport  faits 
aux  producteurs  français,  avec  les  réductions  dont  jouissent  leurs 
concurrents  étrangers.  Qu'on  en  juge: 

PRIX  eOlIPARÉS 

U après  les  recueils  Chaix  P.  V-  et  G.  V.  du  4"  trimestre  1886. 


TRANSPORT  DES  TISSUS  DE  LAINE  ET  DE  COTON  (petite  vitesse). 

De                                Distances.            Prix.  Tarifs. 

Lille  St-Sauveur . . .  J               l    245  kilom .  32  fr.  par  1000  kilos .  Tarif  spécial  n"  20 

Roubaix (  x  p    • ,  )    ^53      —  32           —  — 

T'  /     â    XT  tins    \        Lxr't'*  *^i-k 

ourcoing i                ]    25b      —  .>2            —  — 

Boulogne .........]               [    252      —  21  fr.  25  —  — 

Différence  en  faveur  des  tissus  Anglais. ...  10  fr.  75 


—  324  - 

TRANSPORT  DES  TISSUS  DE  LAINE  ET  DE  COTON  (grande  vitesse). 

DifTérences  en  favenr 
De  farif  général.  Tarif  direct  n^  2.      des  tissus  Anglais. 

Lille J  (    110  fr.  40  De         92  fr.  50  17  fr.  90 

Roubaix à  Paris  )    113        95     Boulogne    92        50  21        45 

Tourcoing \  /    114        80       à  Paris      92        50  22        30 


TRANSPORT  DES  FILS  DE  LIN  ,  DE  CHANVRE  OU  DE  COTON  (petite  vitesse). 

Fils  blancbis  ou  teints 
De  Distances.     Fils  écrus  pour  tissage.  pour  tissage. 

Lille  St-Sauveur. ..  ^  I    245kilom.  26 fr.  par  1000  kilos.  32 fr.  par  1000 kilos 

Roubaix /  \    253      —  26  —  .32  — 

Tourcoing là  Paris  ^256      —  26  —  32  — 

Boulogne i  i    252      —  21  fr.  25    —       27  et  21,25(1)  Tarifs,  dir. 

Calais )  (    295      —  21  fr.  25    —        27et21,25(l)       — 

Différences  en  faveur  des  produits  anglais  :  Fils  écrus 4  fr.  75 

Fils  blanchis  ou  teints,. . .    5  fr.  et  10  fr.  75 


Me  voici ,  Messieurs  ,  arrivé  au  terme  des  observations  que  je  dési- 
rais vous  soumettre,  et  il  faut  me  résumer. 

Comme  j'ai  essayé  de  l'établir,  en  m'autorisant  de  ce  qui  se  passe 
chez  nos  concurrents  étrangers  ,  pour  qu'un  centre  industriel  se  déve- 
loppe et  progresse  ,  il  faut  d'abord  qu'il  se  trouve  à  proximité  d'exploi- 
tations houillères  ,  ensuite  qu'il  ait ,  pour  écouler  ses  produits 
manufacturés  et  se  procurer  les  matières  premières  ,  un  port  desservi 
dans  les  meilleures  conditions  de  rapidité  et  d'économie. 
'  La  région  du  Nord,  qui  possède  le  premier  de  ces  avantages,  manque 
encore  du  second  ,  si  bien  que  ,  pour  maintenir  ses  relations  avec  les 
grands  marchés  internationaux ,  il  lui  faut  rester  tributaire  de 
l'étranger. 

Un  semblable  état  de  choses  peut-il  se  perpétuer  indéfiniment  ?  Je 
ue  le  crois  pas  et  c'est  pourquoi  j'ai  cru  devoir,  utilisant,  à  défaut  de 
connaissances  spéciales,  l'expérience  que  m'a  donnée  une  longue  pra- 


(1)  27  francs  pour  expéditions  inférieures  à  1,000  kilos. 
21  fr.  25  pour  expéditions  de  1,000  kilos  au  moins. 


—  325  — 

tique  des  affaires,  vous  intéresser  à  un  problème  vous  touchant  de  près 
et  dont  la  solution  s'impose. 

Cette  solution,  nous  venons  de  la  chercher  ensemble  et  je  vous  ai 
donné,  avec  une  enlière  franchise  ,  mon  avis,  dégagé  de  toute  préoc- 
cupation locale  et  appuyé  sur  d'importants  travaux  rédigés ,  Ipour  le 
compte  de  l'État ,  par  des  ingénieurs  tout  à  fait  compétents  en  la  ma- 
tière. Ce  que  je  cherche  ,  c'est  uniquement  la  vérité  et ,  comme  je  n'ai 
aucune  prétention  à  Tinfaillibilité  ,  je  ne  demande  pas  d'ériger  ma 
manière  de  voir  en  article  de  foi  mais  bien  de  provoquer  une  utile  et 
féconde  agitation,  d'où  sortira  la  lumière. 

Je  le  répète,  en  terminant ,  les  intérêts  de  la  région  du  Nord  sont 
gravement  compromis  par  l'immense  lacune  que  je  viens  d'indiquer.  A 
une  contrée  commerçante  ,  industrielle  et  agricole  comme  la  vôtre ,  il 
faut  un  port  pouvant  recevoir  les  navires  marchands  du  plus  fort  ton- 
nage et  permettant  ainsi  d'obtenir  des  conditions  de  transport  comme 
seuls  les  transatlantiques  peuvent  en  offrir  au  commerce. 

Quel  est  ce  point  stratégique  désigné  pour  devenir  l'Anvers  du  nord 
de  la  France  ?  A  vous  ,  Messieurs  ,  de  décider  si ,  comme  moi ,  vous 
estimez  que  Boulogne  offre  ,  à  cet  égard  ,  les  garanties  nécessaires 
pour  justifier  les  sacrifices  qu'impose  une  création  d'aussi  haute  im- 
portance. 

En  tout  cas  et  quelque  soit  votre  sentiment ,  il  vous  appartient  d'é- 
lever la  voix  et  de  la  faire  entendre  dans  les  sphères  gouvernementales. 
Votre  cause  est  juste  et  patriotique  ,  il  faudra  bien  qu'elle  finisse  par 
triompher  des  obstacles  et  des  objections  contre  lesquels  elle  pourra 
se  heurter.  Personnellement ,  je  m'estimerai  très  heureux  si  ma 
modeste  intervention  de  ce  soir  obtient  le  seul  résultat  que  j'en  ambi- 
tionne :  Hâter  le  grand  mouvement  d'opinion  qui ,  sous  peine  de 
déchéance,  s'impose  au  district  manufacturier  du  Nord. 

La  favorable  attention  avec  laquelle  vous  avez  bien  voulu  m'é- 
couter,  me  permet  d'espérer  beaucoup  à  cet  égard  :  je  vous  exprime 
ma  profonde  gratitude  ainsi  qu'au  sympathique  Président  et  à  ses 
dévoués  Collègues  de  la  Section  de  Roubaix,  à  l'amabilité  desquels 
je  dois  la  véritable  bonne  fortune  d'être  venu  me  mettre  en  rapports 
avec  UE  public  dont  l'approbation  m'est  aussi  précieuse  que  la  vôtre. 


—  :326  — 


SOCIÉTÉ  DE  GÉOGRAPHIE  DE  VALENCIENNES. 


lia  Société  de   géographie    de   Talenclennes 

Pendant  le  premier  trimestre  de  1887 . 
Par  M.  Paul  FOUCART,  avocat,  secrétaire-général  de  la  Société  de  Valenciennes. 


I. 

L'année  1887  a ,  pour  la  Société  de  géographie  de  Valenciennes , 
commencé  par  un  malheur  :  Le  29  janvier  est  mort  l'un  des  membres 
les  plus  dévoués  de  son  comité  ,  Emile  Deladerrière ,  emporté  par  une 
maladie  de  poitrine  à  l'âge  d'environ  40  ans. 

Emile  Deladerrière  avait  fait  au  Collège  de  Valenciennes  de  sérieuses 
études,  et  dès  16  ans  1/2,  il  était  bachelier  es -lettres  et  bachelier 
ès-sciences.  Un  goût  très  vif  l'emportait  vers  la  médecine.  Mais ,  dans 
la  crainte  de  compromettre  sa  santé  ,  qui  était  très  faible ,  sa  famille  le 
dirigea  de  préférence  vers  le  barreau  qu'elle  considérait ,  bien  à  tort , 
comme  exigeant  moins  de  fatigues.  Tout  en  suivant  avec  assiduité  les 
cours  de  la  Sorbonne  et  du  Collège  de  France ,  il  fit  donc  son  droit  à 
Paris,  où  la  Faculté  lui  décerna  un  prix  au  concours  général  et  le  reçut 
ensuite  docteur,  lorsqu'il  avait  à  peine  21  ans.  Il  revint  ensuite  s'installer 
à  Valenciennes,  où  il  ne  tarda  pas  à  se  créer  une  belle  clientèle. 

Bien  que  privé  de  toutes  les  qualités  extérieures  de  l'orateur, 
Deladerrière ,  ainsi  que  l'a  justement  dit  sur  sa  tombe  M.  Eugène 
Delcour ,  bâtonnier  de  l'ordre  des  avocats ,  «  exposait  ses  aflaires 
»  d'une  façon  lumineuse  ,  ne  négligeant  aucun  moyeu  ni  aucun  détail , 
»  comme  s'il  eut  expliqué  un  problème  scientifique  dans  lequel  les 
»  plus  petites  fractions  ne  peuvent  pas  être  négligées.  Personne  n'avait 
»  plus  que  lui  le  goût  de  l'ordre  ,  du  calcul  et  de  la  méthode.  Il  pour- 
»  suivait  le  succès  avec  une  indomptable  énergie,  et  bien  souvent  nous 
»  nous  demandions  comment ,  avec  une  santé  si  débile ,  il  pouvait 
»  vsupporter  la  fatigue  de  plaidoiries  aussi  étudiées  et  aussi  complètes.  » 

En  dehors  de  ses  devoirs  judiciaires  ,  Deladerrière  donnait  tous  ses 
loisirs  à  l'étude  des  sciences  naturellles,  pour  lesquelles  il  avait  conservé 
une  vraie  passion.  Ses  vacances  étaient  consacrées  à  des  promenades  à 
pied,  à  des  herborisations  et  à  des  recherches  géologiques  qui  lui  firent 


-  3i7  - 

parcourir  une  grande  partie  du  littoral  océanique  de  la  France.  11  s'était 
intimement  lié  avec  presque  tous  les  professeurs  de  la  Faculté  des 
Sciences  de  Lille,  et  c'est  en  leur  compagnie  que,  bien  souvent,  surtout 
à  l'époque  des  grandes  marées  ,  il  allait  poursuivre  ses  investigations 
au  laboratoire  de  Vimereux. 

Un  compte-rendu  d'une  excursion  géologique  faite  l'an  dernier ,  par 
M.  Gosselet,  à  travers  une  partie  de  l'arrondissement  de  Valenciennes, 
a  été  son  dernier  travail.  11  a  paru  dans  le  numéro  du  Bulletin  de  la 
Société  de  géographie  de  Lille  du  l*""  novembre  1886.  Mais,  fidèle  à  ses 
habitudes  de  modestie,  Deladerrière  n'a  pas  voulu  le  signer  ,  et  l'a 
simplement  fait  suivre  de  ces  mots  :  Un  naturaliste  Valenciennois. 

Avant  de  mourir ,  il  a  légué  à  sa  ville  natale  toutes  ses  collections 
d'histoire  naturelle,  ainsi  que  sa  bibliothèque  scientifique.  Ce  legs  a  été 
accepté  par  le  Conseil  municipal  dans  sa  séance  du  8  février  1887  ,  et 
les  objets  qui  en  dépendent  seront  prochainement  installés  aux  Ecoles 
académiques. 

IL 

Le  6  mars ,  M.  de  Mahy  ,  député  de  l'île  de  la  Réunion  et  ancien 
ministre  de  l'Agriculture ,  a  fait ,  au  théâtre  de  Valenciennes ,  une' 
intéressante  conférence  sur  la  question  coloniale  de  Madagascar. 

Dans  le  Courrier  du  Nord,  M.  Victor  Henry  eu  a  rendu  compte  en 
ces  termes  : 

«  Pour  résumer  de  suite  l'impression  générale  laissée  par  cette 
séance,  disons  que  jamais  nulle  conférence  n'a  paru  plus  courte  ,  tant 
M.  de  Mahy  a  su  captiver  et  retenir  l'attenlion  de  ses  auditeurs.  Ce 
résultat ,  ce  n'est  pas  à  de  brillants  mais  factices  procédés  oratoires 
qu'il  est  dû.  La  parole  de  M.  de  Mahy  est,  au  contraire,  empreinte  de 
la  plus  complète  simplicité  ;  rien  d'étudié  ,  rien  d'apprêté  dans  le  lan- 
gage ;  on  sent  le  causeur  habitué  à  parler  d'abondance.  Mais  cette 
parole  toute  simple  reflète  la  clarté,  la  netteté  des  idées  qu'elle  traduit, 
elle  est  animée  par  le  souffle  de  la  sincérité  même ,  et  s'échauff'e 
fréquemment  sous  l'ardeur  d'une  conviction  profonde  et  d'un  vibrant 
patriotisme.  L'éloquence  qui  tire  ainsi  ses  quahtés  sa  force  du  sentiment 
intime,  est  la  véritable  éloquence,  celle  qui  s'impose  le  pins. 

»  M.  de  Mahy  a  commencé  par  protester  contre  une  opinion  trop 
répandue  et  suivant  laquelle  les  Français  seraient  complètement  privés 
du  génie  de  la  colonisation.  Toute  notre  histoire  ,  a-t-il  dit ,  est  là  pour 
réfuter  ce  préjugé.  Dès  l'antiquité,  nos  ancêtres  ,  les  Gaulois  fondaient 


-  328  - 

des  colonies  florissantes  en  Italie  et  jusque  dans  l'Asie-Mineure.  Sous 
l'ancien  régime,  pour  montrer  que  les  aptitudes  colonisatrices  des 
Français  n'avaient  disparu,  il  suffit  de  rappeler  la  conquête  du  Canada, 
et  aux  Tndes  la  tentative  de  Dupleix,  dont  les  projets  ont  échoué  par  la 
seule  faute  de  l'imprévoyant  gouvernement  de  Louis  XV. 

»  Il  est  donc  contraire  à  la  vérité  de  prétendre  que  la  politique  colo- 
niale ait  été  inventée  par  les  hommes  d'Etat  de  la  troisième  République. 
Ceux-ci  n'ont  fait  que  reprendre  une  tradition  nationale,  et  cela  sous 
l'influence  de  préoccupations  bien  fondées,  selon  M.  de  Mahy. 

»  Il  est  indéniable  que  depuis  ces  dernières  années,  toutes  les  nations 
européennes  tendent  à  fei  mer  leurs  marchés  aux  produits  des  autres 
peuples  par  l'établissement  de  droits  d'entrée  prohibitifs.  En  Amérique, 
les  Etats-Unis  ont  écarté  par  le  même  système  les  marchandises  étran- 
gères, et,  chose  grave,  ils  cherchent  en  ce  moment  à  conclure  avec  les 
États  de  l'Amérique  du  Sud  une  union  douanière  qui  ruinerait  aussi 
dans  ces  contrées  notre  commerce  d'exportation.  Alors  que  la  France 
est  menace  de  voir  enlever  à  son  industrie  presque  tous  ses  anciens 
débouchés,  n'était-il  pas  politique,  conclut  M.  de  Mahy,  de  chercher  à 
lui  procurer  dans  les  pays  neufs  une  clientèle  nouvelle  ?  De  là  l'expé- 
dition du  Tonkin ,  où  les  circonstances  nous  avaient  engagés  depuis 
longtemps  déjà  :  de  là  aussi  les  efforts  faits  pour  affermir  notre 
situation  à  Madagascar. 

»  S'étendant  particulièrement  sur  ce  dernier  point ,  M.  de  Mahy  a 
déclaré  que  s'il  y  a  un  reproche  à  adresser  au  gouvernement  républi- 
cain, ce  n'est  pas  d'avoir  maintenu  nos  droits  sur  l'île  de  Madagascar . 
c'est  de  ne  pas  les  avoir  maintenus  toujours  avec  assez  de  fermeté. 

»  Ces  droits  ,  ils  sont  incontestables.  Ils  ont  été  reconnus  et  défen- 
dus sous  Louis  XIV ,  par  lequel  l'île  fut  déclarée  dépendance  de  la 
couronne ,  sous  Louis  XV  et  Louis  XVI ,  sous  la  Convention ,  qui 
décréta  que  Madagascar  faisait  partie  intégrante  du  territoire  national. 
Napoléon  F'"  seul ,  donnant  toute  son  attention  à  sa  fatale  politique 
européenne ,  les  laissa  péricliter.  Mais  ,  après  les  traités  de  1815 , 
l'Angleterre  même  reconnut  la  légitimité  de  nos  droits  sur  cette  grande 
île,  et  nul  de  nos  gouvernements  ne  les  a  depuis  abandonnés. 

»  Comment  se  fait-il  donc  que  notre  influence  à  Madagascar  se  soit 
trouvée  en  ces  derniers  temps  compromise,  qu'il  ait  fallu  travailler  à 
la  rétablir,  et  que  la  France  n'y  travaille  pas ,  malheureusement ,  sans 
une  certaine  hésitation  ? 

»  C'est ,  répond  M.  de  Mahy ,  qu'il  s'est  établi  à  Madagascar  une 


—  32(4  — 

Société  religieuse  anglaise  ,  la  Société  biblique  britannique  et  étran- 
gh-e,  compagnie  riche,  puissante,  intrigante,  qui  s'efforce  de  mettre  la 
politique  an  service  de  ses  vues  évangélistes.  Sous  prétexte  que  la 
domination  française  à  Madagascar  tend  à  y  introduire  le  catholicisme 
au  lieu  du  méthodisme  protestant ,  elle  n'épargne  rien  pour  nous 
chasser  du  pays  et  y  appeler  les  Anglais  à  notre  place.  Et,  comme 
cette  Société  biblique  a  des  ressources  considérables ,  comme  elle 
étend  ses  ramifications  parlout,  comme  elle  a  dans  les  diverses  parties 
de  la  France  des  adeptes  et  des  correspondants,  et  qu'elle  possède  des 
intelligences  jusque  dans  nos  bureaux  ministériels  ,  elle  est  parvenue  , 
non  seulement  à  nous  susciter  des  difficultés  dans  la  colonie,  mais  à 
exercer ,  dans  notre  pays  même ,  une  certaine  action  sur  l'opinion 
publique  et  à  inspirer  à  notre  gouvernement  des  tergiversations  et  des 
ménagements  funestes,  en  semant  adroitement  l'opinion  que  Mada- 
gascar ne  vaut  pas  pour  nous  les  sacrifices  que  nous  y  pourrions  faire. 

»  Des  réunions  franco -anglaises  ont  eu  lieu  en  ce  sens  au  Grand- 
Hôtel  de  Paris  ,  et  pour  propager  les  résolutions  qui  y  ont  été  prises  , 
la  Société  Biblique  de  Londres  a  divisé  la  France  en  sept  provinces 
dont  chacune  a  ses  chefs  et  ses  moyens  d'action.  La  Province  du 
Nord  comprend ,  d'après  la  carte  dont  M.  de  Mahy  a  donné  connais- 
sance au  public,  les  départements  de  la  Seine-Inférieure,  de  la  Somme, 
du  Pas-de-Calais,  du  Nord,  des  Ardennes  et  de  l'Aisne.  A  nous,  désor- 
mais prévenus ,  de  ne  plus  nous  laisser  prendre  aux  pièges  qui  nous 
ont  été  si  habilement  tendus. 

5>  M.  de  Mahy  ,  quia  longuement  visité  Madagascar,  s'élève  vive- 
ment contre  l'affirmation  que  nous  n'en  pourrons  rien  faire. 

»  L'île  de  Madagascar  est  plus  grande  que  notre  France.  Elle  ren- 
ferme une  population  de  deux  millions  et  demi  à  trois  millions  d'habi- 
tants, ce  qui  donne  un  joli  chiffre  de  consommateurs  déjà. 

»  Les  produits  que  nous  y  écoulons  sont  les  conserves  alimentaires, 
les  vins,  les  eaux-de-vie,  des  bières  spéciales  qu'on  fabrique  à  Bordeaux 
et  au  Havre,  et  qu'on  pourrait  fabriquer  dans  le  Nord,  la  quincaillerie, 
les  meubles  communs,  les  articles  de  Paris,  etc. 

»  Ces  marchandises  ,  les  indigènes  nous  les  paient  non  eri  monnaie  , 
mais  en  productions  du  pays  ,  et  ces  productions  sont  aussi  précieuses 
que  peu  coûteuses  sur  place,  ce  qui  permet  les  échanges  les  plus  avan- 
tageux. C'est  ainsi  qu'un  vieux  fusil ,  estimé  6  fr.  50  en  France  ,  se 
vend  là  bas  de  25  à  30  fr..  ou  s'échange  contre  un  ou  deux  bœufs. 
•  >  On  trouve  à  Madagascar  des  bois  de  charpente  et  d'ébénisterie , 


^  330  — 

de  la  cire,  de  la  gomme  ,  du  caoutchouc ,  de  la  gutta-percha ,  produits 
dont  l'exploitatiou  ne  peut  faire  concurrence  à  nos  industries  métro- 
politaines. 

»  Les  bestiaux  se  multiplient  aussi  dans  cette  île  d'une  manière 
prodigieuse.  Rien  à  craindre  non  plus  pour  nos  éleveurs  français , 
pourtant,  de  ce  côté  :  le  voyage  est  trop  long  pour  pemettre  d'amener 
à  bon  compte  ces  animaux  en  Europe.  Mais  ils  pourraient  faire  l'objet 
d'un  commerce  important  si  on  en  organisait  l'exportation  vers  les  îles 
de  la  mer  des  Indes,  Nossi  -  Bé ,  les  îles  de  France  ,  de  la  Réunion  ,  de 
Rodriguez,  des  Seychelles,  etc. 

»  Enfin,  le  climat  et  la  fertilité  de  Madagascar  se  prêtent  à  l'intro- 
duction de  cultures  nouvelles  ,  par  exemple  celle  du  coton,  qu'il  serait 
si  important  pour  la  France  de  pouvoir  se  procurer  dans  une  de  ses 
possessions  ,  au  lieu  d'être  à  cet  égard  tributaire  de  l'étranger. 

»  Tel  est  le  pays  sur  lequel ,  proclame  M.  de  Mahy  ,  il  faut  rétablii^ 
complètement  notre  domination  et  notre  influence ,  compromises  par 
le  traité  fort  critiquable  signé  avec  la  reine  de  la  peuplade  des  Hovas. 
Ce  gouvernement  hova  est  une  oligarchie  tout  à  la  dévotion  de  la 
Société  biblique.  Nous  lui  avons  reconnu  un  pouvoir  de  souveraineté 
qui  ne  lui  appartenait  nullement.  Nous  lui  avons  abandonné  sans 
défense  les  indigènes  que  nous  avions  eus  pour  alliés  dans  nos  diffé- 
rends belliqueux  avec  les  Hovas,  et  ceux-ci  en  profitent  pour  martyri- 
ser leurs  anciens  adversaires  de  façon  à  révolter  le  sentiment 
d'honneur  de  tout  Français. 

»  Heureusement,  ce  regrettable  traité  conclu  avec  les  Hovas  a 
réservé  les  droits  antérieurs  de  la  France.  Grâce  à  cette  précaution  , 
M.  de  Mahy  croit  que  nous  pouvons  parfaitement  rétablir  notre 
ancienne  situation  à  Madegascar  et  mettre  les  Hovas  à  la  raison  ,  en 
y  employant  l'énergie  et  l'esprit  de  suite  nécessaires.  Ajoutons  que , 
suivant  l'orateur,  on  a  toute  chance  d'arriver  au  but  voulu  sans  être 
obligé  de  recourir  aux  moyens  miUtaires,  et  en  se  bornant  à  une  action 
diplomatique  très  ferme. 

»  Des  applaudissements  fréquents  et  souvent  très  vifs,  ont  été 
donnés  à  M.  de  Mahy  par  ses  nombreux  auditeurs.  Et  l'on  peut  ajouter 
sans  trop  s'avancer,  croyons-nous,  que  le  sympathique  député  a  rendu 
beaucoup  d'entre  eux  favorables  à  son  opinion  ,  c'est-à-dire  qu'il  n'a 
pas  perdu  sa  journée.  ^> 


-  331 


NOUVELLES  ET  FAITS  GÉOGRAPHIQUES 


I.  —  Géographie  scientifique.  —  Explorations  et  découvertes. 


EUROPE. 

Percement  du  tunnel  de  l'Apennin.  —  On  sait  que  depuis  long- 
temps les  Italiens  travaillaient  au  percement  du  tunnel  de  l'Apennin,  près  de  Ronco. 
Le  23  avril  1887 ,  ce  grand  travail  a  été  terminé.  C'est  surtout  au  commerce  de 
Gênes  que  profitera  la  nouvelle  voie  :  les  Génois  ,  en  effet ,  se  plaignaient  beaucoup 
depuis  le  percement  du  Seiint-Gothard ,  de  l'insuffisance  des  communations  avec  le 
Nord;  de  plus  ,  le  mauvais  état  du  tunnel  de  Giovi  les  exposait  toujours  au  danger 
d'une  interruption  complète  des  communications  directes  avec  Alexandrie.  Il  est  à 
croire  qu'aujourd'hui  les  voies  ferrées  existantes  suffiront  au  transport  des  marchan- 
dises italiennes. 

ASIE. 

l*Pojet  d'eiKpIoration  du  Sânjs^-lla.  —  M.  Gauroy,  lieutenant  d'infan- 
terie de  marine,  a  fait  part  à  la  Société  de  géographie  de  Paris,  d'un  plan  d'explo- 
ration du  Sông-Ma,  le  principal  cours  d'eau  de  la  province  de  Thanh-Hoa  (Annam). 
Cet  officier  se  propose  de  remonter  le  fleuve ,  en  compagnie  de  deux  de  ses  cama- 
rades et  d'un  ingénieur  civil ,  aussi  loin  que  possible  ,  pour  revenir  ensuite  ,  dans  le 
sud  ,  traverser  la  ligne  de  partage  des  eaux  vers  le  2V  degré  latitude  N.,  pour  aller 
sur  Luang-Prabang  par  la  vallée  de  la  rivière  Kaun.  Le  retour  s'effectuerait  soit  par 
le  Cambodge  et  la  Cochinchine  ,  soit  par  l'Annam  ;Tràn-Ninh).  Le  but  de  l'explo- 
ration serait  :  1°  de  reconnaître  la  valeur  commerciale  du  Sông-Ma  comme  voie  de 
communication  avec  le  Yun-Nan  ;  2"  de  trouver  ou  d'établir  une  voie  commerciale 
entre  le  Tonkin  et  Luang-Prabang  ;  3"  de  rallier  les  diverses  tribus  de  ces  pays  à 
l'influence  française. 

Les  régions  qu'aura  à  traverser  M.  Gauroy  sont  encore  inconnues,  excepté  dans  la 
partie  qui  avoisine  le  Tonkin  et  oîi  se  trouve  ,  en  première  ligne  ,  le  «  Lac  Tho  ». 
A  la  fin  de  1878,  un  prêtre  français,  des  Missions  étrangères,  M.  Fiot ,  a  remonté  le 
Sông-Ma,  avec  une  douzaine  d'indigènes  ,  dans  de  petites  barques.  Après  une  navi- 
gation de  dix-huit  jours  ,  à  partir  de  la  dernière  chrétienté  que  l'on  rencontre  avant 
de  s'enfoncer  dans  les  montagnes,  M.  Fiot  arriva  sans  accident  à  Luc-Ganh  ,  en  plein 
Laos  ;  il  avait  dû  franchir  de  nombreux  rapides.  L'accueil  qui  lui  fut  fait  par  les 
habitants  fut  rien  moins  que  bienveillant ,  et  la  fièvre  des  bois  s'empara  bientôt  du 
missionnaire  et  de  ses  compagnons.  Au  mois  de  juillet  1879,  ISI.  Fiot  quitta  le  village 
inhospitalier  de  Luc-Ganh  et  le  pays  des  Ghâu,  tributaire  de  l'Annam,  pour  se  rendre 
dans  la  petite  tribu  indépendante  de  Na-Ham  ,  éloignée  d'une  journée  et  demie  de 
marche  et  où  il  fut  bien  accueilli.  A  la  fin  du  mois  d'août,  voulant  profiter  de  la  saison 


—  3:32  - 

des  hautes  eaux  pour  redescendre  au  Tonkin,  M.  Fiot  s'embarqua  sur  un  radeau  de 
bambous,  fit  naufrage  au  passage  d'un  rapide  et,  épuisé,  vint  mourir  à  Hâo-Nho,  le 
13  septembre,  à  trois  lieues  seulement  du  colllège  latin  du  Phu-Nhac. 

On  doit  à  ce  courageux  explorateur  de  précieux  renseignements  sur  la  langue  des 
Mois  et,  particulièrement ,  un  dictionnaire  ;  nous  aimons  à  espérer  qu'un  sort  plus 
heureux  est  réservé  à  la  mission  de  M.  Gauroy,  sans  oser  pourtant  trop  nous  attendre 
au  succès  de  ses  deux  premiers  desiderata. 

Résultats  du  voyage   en   Chine  du  général  Pr.jéT«'alski.  — 

La  Deutsche  Rundschau  de  Vienne  ,  donne  une  nouvelle  qui  ne  pourra  manquer  de 
causer  quelque  émoi  dans  le  monde  géographique  :  elle  a  trait  à  un  voyage  d'explo- 
ration que  vient  de  terminer  Prjévvalski  dans  la  Chine  et  le  Thibet,  dont  ce  voyageur 
s'occupe  actuellement  de  publier  la  relation  et  de  dresser  la  carte.  Il  y  aurait  eu 
là  une  concurrence  assez  étrange  entre  les  Russes  et  les  Anglais  ,  car  l'explorateur 
russe  patronné  par  la  Société  impériale  de  géographie  de  Russie  aurait  été,  lors  de 
son  voyage  et  alors  qu'il  n'était  encore  que  colonel,  sui\-i  pas  à  pas  par  une  expédition 
anglaise  sous  la  direction  de  M.  Garey,  à  tel  point  que  dans  la  direction  de  Khotan  à 
Akon  ,  les  deux  voyageurs  n'auraient  été  séparés  que  de  quelques  jours  de  marche. 
L'expédition  de  M.  Garey  n'aurait  eu  d'autre  but  que  de  relever  les  erreurs  de 
Prjéwalski  et  de  prouver  notamment  que  les  localités  auxquelles  le  général  aurait 
donné  de  nouveaux  noms  étaient  déjà  connues  des  géographes.  La  Deutsche 
Rundschau  annonce  qu'aussitôt  l'ouvrage  du  voyageur  russe  paru ,  un  ouvrage 
anglais  sera  publié  dans  le  but  bien  avoué  de  mettre  en  lumière  les  exactitudes,  qu'on 
dit  d'ailleurs  réelles,  de  Prjévvalski. 


AFRIQUE. 

Eniin>Bey.  —  On  n'a  oublié  ni  les  tentatives  infructueuses  de  l'Angleterre 

pour  maintenir  son  autorité  et  son  prestige  dans  la  Haute-Egypte,  ni  l'héroïsme 
déployé  par  Gordon -Pacha  à  Khartoum  ;  ce  qu'on  sait  moins,  ce  sont  les  efforts 
tentés  par  le  lieutenant  de  Gordon,  Emin-Bey,  pour  se  maintenir  dans  les  régions 
•  du  Haut-Nil ,  dans  la  province  du  Soudan  équatorial. 

Ge  n'est  donc  pas  sans  intérêt  qu'on  lira  les  quelques  détails  qui  suivent  et  que 
nous  résumons,  sur  Emin-Bey,  d'après  la  Gazette  universelle  de  Munich. 

Emin-Bey  n'est  pas  ,  comme  on  serait  porté  à  le  croire ,  d'origine  égyptienne  ;  il 
est  né  dans  la  Silésie  autrichienne  et  s'appelle  Schnitzler.  D'abord  médecin  dans 
l'armée  turque  ,  il  fut ,  en  1874  ,  nommé  médecin  en  chef  des  troupes  égyptiennes. 
Appelé  par  Gordon  à  prendre  part  à  l'administration  des  provinces  du  Haut-Nil ,  il 
fut  chargé,  en  1578,  de  la  direction  supérieure  de  la  province  du  Soudan  équatorial. 
11  a  déployé  dans  ce  poste  un  véritable  talent  d'administrateur  et  surtout  d'organi- 
sateur ;  il  a  su  gagner  la  confiance  des  nègres  ,  et ,  chose  rare  ,  il  les  a  séduits  au 
point  qu'ils  lui  prêtent  la  plus  entière  obéissance. 

Les  explorateurs  qui  ont  vu  de  près  son  administration  ,  rendent  unanimement 
hommage  à  son  activité  bienfaisante,  à  son  intégrité,  à  son  désintéressement.  Placé 
depuis  huit  ans  à  la  tête  d'une  province  fort  riche,  Emin-Bey  est  aussi  pauvre 
aujourd'hui  que  le  plus  indigent  de  ses  sujets  et  toutes  les  ressources  dont  il  dispose, 
il  les  fait  concourir  à  l'accomplissement  de  l'œuvre  civilisatrice  qu'il  a  entreprise 
et  qu'il  poursuit  sans  relâche,  malgré  les  obstacles  de  toute  nature  qui  se  présentent 
en  foule. 

Homme  de  science  en  même  temps  que  de  gouvernement ,  il  consacre  les  loisirs 


—  333  — 

bien  rares  que  lui  laisse  son  autorité,  à  rédiger  des  mémoires  sur  des  questions  de 
géographie,  d'ethnographie,  de  météorologie,  de  physique,  et  les  envoie  h  des  revues 
allemandes.  11  fait  ses  observations  en  voyage  ,  et  ses  voyages  sont  fréquents.  C'est 
ainsi  que  depuis  1876,  il  a  exploré  toute  la  région  qui  s'étend  des  lacs  Ukéréwé  et 
Albert  jusqu'aux  limites  nord  de  son  gouvernement,  et  cela  au  milieu  des  plus 
grandes  difficultés  et  malgré  les  soucis  que  devaient  lui  causer  l'insurrection  du 
Madhi. 

En  1878,  au  moment  oii  l'administration  du  Soudan  équatorial  passa  des  mains  de 
Gordon  dans  celles  d'Emin  -  Bey ,  la  paix  ne  régnait  que  sur  une  étroite  bande  de 
territoire ,  tout  le  long  du  Nil ,  au  bord  du  lac  Albert  et  dans  une  partie  du  pays  de 
Schuli.  Partout  ailleurs  ,  mécontentement  et  soulèvement.  Les  marchands  d'esclaves 
nubiens  tirèrent  parti  de  ces  désordres  et,  usant  du  droit  du  plus  fort,  s'emparèrent 
d'un  nombre  formidable  de  nègres  que  personne  ne  protégeait  plus ,  puisqu'ils 
n'appartenaient  plus  à  aucun  État.  En  1880,  l'ordre  était  rétabli ,  et  Emin-Bey  ,  qui 
avait  relevé  et  armé  toutes  les  stations  brûlées  ou  tombées  en  ruine  pendant  la 
période  des  agitations,  tirait  du  pays  pacifié  un  revenu  net  de  200,000  francs  ,  alors 
qu'avant  son  avènement  il  y  avait  un  déficit  annuel  atteignant  parfois  un  million. 
Il  construisit  des  routes ,  organisa  un  service  hebdomadaire  des  postes ,  leva  et 
instruisit  une  petite  armée  et  inaugura  des  relations  commerciales  avec  les  voisins. 
L'insurrection  de  1883  menaça  de  détruire  ces  germes  de  civilisation.  Les  hordes  du 
Madhi  se  ruèrent  d'abord  sur  la  province  de  Barh-el-Ghazal.  Emin-Bey  feignit  de  se 
soumettre  ,  les  Nubiens  se  retirèrent  vers  le  Kordofan  ,  laissant  ainsi  à  leur  adver- 
saire le  temps  nécessaire  pour  leur  opposer  des  troupes  et  des  fortifications. 
Lorsqu'ils  revinrent  à  la  cliarge ,  ils  vinrent  se  heurter  contre  la  station  fortifiée 
d'Amadi.  La  place  ne  se  rendit  que  sous  le  coup  de  la  famine,  et  la  garnison,  compo- 
sée uniquement  de  nègres  dont  Emin  avait  su  exalter  le  courage  ,  se  retira  dans  la 
direction  de  Makraka  ,  battit  l'ennemi  qui  la  poursuivait,  près  de  Rimo  ,  et  marcha 
ensuite  sans  inquiétude  sur  Lado.  En  même  temps ,  Emin-Bey  fut  avisé  de  la  prise 
de  Khartoum  et  de  la  mort  de  Gordon.  Bien  loin  de  se  décourager ,  il  s'enfonça 
encore  dans  le  sud  avec  les  deux  vapeurs  qu'il  avait  encore  sur  le  Nil ,  afin  d'aller 
aux  renseignements  près  des  missionnaires  de  l'Ouganda  ,  mais  surtout  pour  aller 
chercher  des  vêtements  en  drap  pour  ses  gens  qui  en  étaient  réduits  à  se  couvrir 
de  peaux  de  bètes. 

Il  passa  la  dernière  journée  de  1885  à  Wadelaï,  agitant  le  projet  de  renvoyer  chez 
eux  les  officiers  et  les  fonctionnaires  égyptiens ,  dans  le  cas  où  il  ne  recevrait 
d'Egypte  ni  secours,  ni  nouvelles  ,  et  de  ne  retenir  auprès  de  lui  que  les  officiers  et 
les  soldats  du  Soudan.  Tous  lui  demeurèrent  fidèles,  résolus,  comme  ils  le  lui  dirent, 
à  tenir  avec  lui  et  à  partager  son  sort  quel  qu'il  pût  être. 

Séparé  du  reste  du  monde,  Emin-Bey  a  §ncore  trouvé  moyen  de  faire  accomplir  à 
sa  troupe  des  travaux  pacifiques  et  civilisateurs. 

Il  écrivait  de  Wadelaï ,  à  la  date  du  7  juillet  1886 ,  que  toutes  les  stations  étaient 
occupées  à  la  culture  du  coton  et  qu'on  espérait  ainsi  se  procurer  le  moyen  de  couvrir 
sa  nudité.  Il  avait  lui-même  formé  des  cordonniers,  fait  fabriquer  du  savon  et  culti- 
ver le  blé  et  le  tabac.  Depuis  deux  mois  il  n'avait  vu  certains  articles  de  luxe  tels  que 
le  sucre  ;  mais  il  ne  ressentait  aucune  privation  ,  si  ce  n'est  celle  des  livres  et  des 
objets  nécessaires  à  la  formation  de  collections  zoologiques.  Il  ressort  des  lettres  de 
Junker,  qui  était  resté  sous  la  protection  d'Emin-Bey,  à  Lado,  jusqu'à  la  fin  de  1885, 
qu'à  cette  époque  Emin  s'était  retiré  lentement  vers  l'Est  en  bataillant  h  chaque  pas 
avec  les  nègres  et  les  Arabes,  qu'il  concentrait  ses  troupes  de  plus  en  plus  sur  le  Nil 
supérieur,  sa  ligne  naturelle  de  retraite  et  qu'il  avait  ainsi  réussi  à  maintenir  et  à 
défendre  les  districts  du  sud  et  du  centre  de  l'ancienne  province  de  l'Equateur.  A-t-il 


-  3:i4  — 

réussi  à  s'y  maintenir  jusqu'ici  ?  Il  y  était  encore  l'été  dernier,  et  il  croyait  conserver 
ce  territoire  à  l'Egypte  qui,  en  réalité,  y  a  renoncé. 

L'explorateur  Schweinfurth  croit  que  Emin-Bey  occupe  encore  les  stations  de  Lado, 
Redjaf,  Bedden,  Keri ,  Labor ,  Dufileh,  Fatiko  et  Wadelaï  et  qu'ayant  été  empêché 
depuis  1883  de  transporter  en  Egypte  les  produits  de  sa  province ,  il  doit  être  en 
possession  de  grandes  quantités  d'ivoire  qui  suffiraient  à  elles  seules  pour  couvrir 
les  frais  d'une  expédition  destinée  à  le  débloquer.  M.  Schweinfurth  estime  que  dans 
cette  situation,  Emin-Bey  doit  avoir  d'autant  moins  envie  de  quitter  la  province  de 
l'Equateur,  qu'il  a  encore  2,000  officiers  et  soldats  sous  ses  ordres  et  que  cette  troupe, 
même  si  elle  consentait  à  être  transportée  à  Zanzibar  ,  ne  trouverait  pas  facilement 
les  vivi-es  nécessaires  en  route.  Si  le  gouverneur  tient  encore  ses  hommes  dans  la 
main,  il  doit,  en  effet,  aimer  mieux  dominer  sa  province,  sous  quelque  forme  que  ce 
soit,  que  de  se  retirer  à  travers  mille  obstacles  vers  l'Est. 

Mais  il  est  possible  que  le  plan  d'Emin-Bey  ait  été  modifié  par  des  événements  qui 
se  sont  récemment  produits  dans  le  sud  du  territoire  occupé  par  lui.  Il  a  quitté  Lado 
avec  2,500  hommes  se  dirigeant  vers  Ungoro  et  Uganda.  La  première  difficulté  qu'il 
a  rencontrée  provenait  de  l'hostilité  qui  avait  éclaté  entre  Kabrega  et  Mwanga,  rois 
d'Ungoro  et  d'Uganda.  Kabrega  défendit  à  Emin  -  Bey  de  passer  par  Ungoro. 
A  Uganda  on  avait  compté  recevoir  des  mains  d'Emin  quantité  d'armes  à  feu  ,  et  il 
était  dans  l'intérêt  de  Kabrega  d'empêcher  cela.  Emin-Bey  tenta  alors  d'arriver  à 
Uganda  en  passant  par  Usoga  ;  mais  il  fut  arrêté  par  la  tribu  des  Badeki.  Il  réussit  à 
la  repousser  et  il  éleva  sur  son  territoire  le  retranchement  mentionné  par  M.  Fischer, 
l'explorateur  récemment  décédé  et  qui  s'était  porté  au  secours  d'Emin.  Le  consul 
général  anglais  John  Kirck  annonçait  qu'à  la  date  du  3  juillet  dernier ,  Emin-Bey  se 
trouvait  à  Ungoro  avec  400  hommes.  Quoi  qu'il  en  soit ,  il  est  certain  que  Mwanga , 
roi  d'Uganda  et  successeur  de  Mtesa,  est  hostile  aux  blancs  et  qu'il  intercepte  toutes 
les  lettres  adressées  à  Emin-Bey ,  et  celles  qu'il  écrivit  aux  missionnaires  ne 
parvinrent  pas  davantage  à  leur  adresse. 

L'ami  d'Emin-Bey,  M.  le  D'  Junker,  explorateur  russe,  a  tenté,  en  dernier  lieu, 
de  vaincre  toutes  les  difficultés,  et  de  délivrer  Emin.  Il  s'est  avancé  ,  l'été  dernier  , 
jusqu'à  Rubaga ,  pour  y  acheter  des  étoffes  destinées  à  Emin-Bey.  Mais  il  a  dû 
quitter  Rubaga  sans  pouvoir  surveiller  l'emploi  de  ces  étoffes  ,  dont  l'acquisition,  au 
surplus  ,  lui  avait  été  rendue  difficile  par  le  roi  Mwanga.  Une  lettre  écrite  par 
M.  Junker  indique  que  sa  confiance  dans  l'honnêteté  du  roi  n'est  pas  entière.  11  croit 
que  le  meilleur  moyen  au  secours  d'Emin-Bey  et  de  lui  ouvrir  le  chemin  de  la  côte 
orientale  serait  de  se  défaire  du  roi.  «  Une  corde  pour  Mwanga  et  sa  bande  !  s'écrie-t-il 
dans  une  lettre  à  M.  Schweinfurt ,  délivrance  d'Uganda  !  secours  à  Emin  -  Bey  et 
occupation  nouvelle  de  ces  provinces  !  » 

M.  Junker  est  arrivé  récemment  à  Zanzibar  et  est  maintenant  en  route  pour  le 
Caire.  Il  apportera  de  nouveaux  renseignements  sur  la  situation  d'Emin-Bey  ,  que 
le  gouvernement  égyptien  vient  d'élever  à  la  dignité  de  Pacha. 

M.  Junker  a  télégraphié  de  Zanzibar  qu'il  a  reconnu  près  de  500  nouveaux  kilo- 
mètres de  rOuellé  que  ,  dans  ces  dernières  années  ,  il  avait  déjà  descendu  jusqu'au 
24°  de  longitude  Est  de  Paris. 

Le  Mouvement  géographique  croit  qu'il  est  de  plus  en  plus  probable  que 
rOuellé  est  un  affluent  du  Congo  et  que  ce  cours  d'eau  est  la  pai'tie  supérieure  de 
l'Oubaudgi. 

Détails  »iui*  Oran.  —  Départ  de  H.  ^Vestmark  d'Oran  pour 
le  pay$i  des  Touaregs.  —  L'explorateur  suédois  Westmark  qui,  dernièrement, 
est  venu  faire  à  Lille  une  conférence  sur  ses  excursions  dans  le  pays  des  Rengalas 


—  -.m  — 

(que  nous  publierons  sous  pju)  nous  a  quittés  avec  l'iatentioii  d'avancer  à  bref 
délai  vers  le  Sud  de  l'Algérie  ,  du  côté  des  régions  habitées  par  les  Touaregs.  La 
Société  de  géographie  de  Lille  n'a  pas  voulu  laisser  s'éloigner  son  hôte  sans  contri- 
buer pour  une  faible  part  (un  don  de  100  fr.)  aux  fi'ais  de  ce  voyage  géographique. 
En  la  remerciant  de  ce  souvenir ,  M.  Westmark  lui  a  adressé  d'Oran  la  lettre 
suivante  : 

«  En  quittant  Marseille  ,  je  me  suis  dirigé  d'abord  à  Oran ,  d'oii  je  pense  pénétrer 
plus  dans  l'intérieur.  Oran  m'a  été  désigné  comme  l'endroit  le  plus  commercial  de 
votre  splcndide  colonie  française.  Et,  en  effet,  on  n'y  voit,  depuis  le  matin  jusqu'au 
soir  ,  que  des  commerçants  courir  les  rues,  des  vaisseaux  charger  ou  décharger  au 
port,  ou  encore  des  mules  passer  avec  leurs  chargements  de  toutes  espèces. 

»  Le  commerce  actuel  se  compose  d'alfa ,  de  blé ,  de  vin  rouge  (exporté  d'ici  à 
Bordeaux,  d'oii  il  est  vendu  comme  véritable  vin  de  Bordeaux),  et  de  bétail,  comme 
articles  d'exportation  ,  et  de  tabac  articles  de  luxe  ,  café,  sucre  et  sel ,  du  charbon 
do  terre  et  bois  du  nord,  comme  articles  d'importation. 

»  Le  commerce  de  ces  articles  donne  au  port  une  grande  activité  ;  je  remarque 
qu'en  1885  on  a  exporté  plus  de  88,000  tonnes  d'alfa,  136,000  tonnes  de  gi-ains,  (dont 
69,000  pour  la  France),  112,000  tonnes  de  vin  (dont  109,000  pour  Bordeaux),  246,000 
moutons  et  3,800  bœufs. 

»  Outre  ces  produits,  on  exporte  aussi  un  peu  d'huile  d'olive,  mais  comme  la 
consommation  en  est  très  grande  sur  place  ,  l'on  se  contente  de  cultiver  l'olivier 
presque  seulement  pour  l'endroit.  Les  primeurs  des  légumes  sont  également  exportés 
de  l'Algérie. 

»  Le  commerce  actuel  se  fait  pour  le  moment  presque  exclusivement  avec  la 
France ,  quoique  la  ville  exporte  des  chargements  considérables  pour  l'Espagne , 
l'Angleterre,  l'Italie  et  la  Grèce. 

»  La  population  travaillante  arrive  de  l'Espagne.  C'est  ainsi  qu'Oran,  qui  renferme 
70,000  âmes  compte  plus  de  50,000  Espagnols  ,  tandis  que  la  France  n'y  est  repré- 
sentée que  pour  12,000  âmes. 

»  La  langue  officielle  est  naturellement  le  français  ,  mais  si  l'on  ne  connaît  pas  un 
peu  d'espagnol ,  on  a  certainement  des  difficultés  pour  se  faire  comprendre. 

»  Gomme  monnaie,  le  franc  français  est  le  plus  répandu  ;  mais  ,  chose  particulière 
dans  ce  pays  ,  la  monnaie  espagnole  est  tellement  en  usage  dans  la  contrée  ,  qu'on 
a  quelquefois  la  plus  grande  difficulté  à  se  procurer  de  la  monnaie  française  pour 
payer  la  poste,  le  chemin  de  fer  ,  etc.  Dans  certains  endroits  ,  il  faut  donner  jusqu'à 
cinq  pour  cent  pour  se  procurer  de  l'argent  français. 

»  11  est  inutile  d'ajouter  qu'il  y  a  une  quantité  de  juifs  qui  savent  faire  fructifier 
cette  splendide  industrie. 

»  Le  pays,  dans  l'intérieur  ,  est  presque  exclusivement  habité  par  des  Espagnols 
qui,  cependant,  après  un  séjour  de  trois  années,  se  naturalisent  de  manière  à  pouvoir 
se  procurer  une  propriété  de  25  hectares  ,  que  le  gouvernement  donne  gratuitement 
à  chaque  citoyen  français  marié.  Ces  propriétés  sont  ensuite  cultivées  et  rendent 
souvent  riches  ces  heureux  propriétaires.  Ils  y  installent ,  surtout  dans  les  endroits 
de  la  côte ,  des  grandes  plantations  de  vignes  qui ,  ici ,  paraissent  produire  des 
récoltes  splendides.  Cependant  ces  récoltes  ont  dernièrement  eu  à  souffrir  par  la 
négligence  ou  par  l'imprudence  d'un  jeune  cultivateur  qui ,  empressé  de  se  procurer 
des  vignes  de  la  France  ,  en  avait ,  malgré  la  défense  sévère  ,  apporté  une  certaine 
quantité  à  Oran.  Malheureusement,  ces  plantes  étaient  remplies  de  phylloxéra,  et  cet 
insecte  après  peu  de  temps,  commençait  à  se  répandre  dans  le  pays. 

»  Outre  le  pyhlloxéra  ,  les  planteurs  ont  eu  des  ennemies  terribles  dans  les  saute- 
relles dont  on  a  trouvé  le  moyen  de  se  garder.  A  peine  avait-on  pu  s'en  débarrasser. 


—  83fi  — 

que  Ton  a  eu  à  lutter  contre  de  grandes  souris  qui,  en  nombre  considérable,  sont 
arrivées  dans  les  champs  oii  elles  ont  mangé  les  raisins.  Un  marchand  de  vin  a  eu , 
cette  année-là  ,  une  récolte  de  deux  cent  vingt  (220)  hectolitres  de  vin  en  moins  que 
les  années  précédentes.  Ces  souris  n'étaient  pas  disparues  quon  a  trouvé  un  dernier 
ennemi  contre  les  vignes,  les  altises,  qui  mangent  les  feuilles.  11  a  fallu  alors  envoyer 
une  foule  d'hommes  sur  le  champ  pour  recueillir  ces  petits  et  détestables  ennemis. 
Ce  n'a  pas  été  bien  facile  dans  un  endroit  oia  la  main-d'œuvre  coûte  si  chère. 

»  Gomme  travailleurs  ,  on  engage  de  préférence  des  indigènes  du  Maroc  qui  sont 
moins  paresseux  que  les  indigènes  du  pays  et  moins  coûteux. 

»  L'Arabe  est ,  en  général ,  ici  comme  partout ,  paresseux  et  rebelle  à  tous  les 
travaux  fatigants.  11  est  aussi  voleur  menteur  et  canaille.  Lorsqu'il  voit  un  Européen, 
il  essaye  de  lui  enlever  quelque  chose,  et  si  le  blanc  apporte  quelque  objet  de  valeur, 
il  peut  être  persuadé  de  ti'ouver  un  fusil  dirigé  sur  lui  derrière  un  arbre  ou  derrière 
une  pierre,  aussi  est-ce  avec  les  plus  grandes  précautions  que  les  Européens 
voyagent  dans  ce  pays.  Souvent  l'homme  blanc  a  été  assassiné  dans  ces  parages  par 
ces  musulmans  ,  sans  qu'on  eût  pu  rien  découvrir  ;  mais  heureusement  ces  assassi- 
nats ont  beaucoup  diminué  depuis  que  le  gouvernement  français  s'est  décidé  à  agir 
d'après  les  lois  musulmanes. 

»  Il  arrive  quelquefois  ici  que  les  prêtres  indigènes  indiquent  aux  autres  les 
victimes  qu'ils  désirent  expédier.  Ces  fanatiques  qui,  dans  plusieurs  cas  ont  commis 
des  crimes,  obtiennent  ainsi  la  permission  d'entrer  chez  le  prophète,  et  sont  même 
si  heureux  de  cette  promesse  ,  qu'ils  s'exposent  volontiers  à  n'importe  quel  crime  , 
pour  l'obtenir. 

»  Le  gouvernement  français  a  toujours  ,  dans  le  cas  où  l'assassin  a  été  découvert , 
guillotiné  le  bandit,  mais  immédiatement  après  l'exécution  ,  on  rendait  autrefois  la 
tète  et  le  corps  à  la  famille.  Les  femmes  du  défunt  cousaient  alors  la  tète  au  corps 
afin  de  pern^ettre  au  Mahomet  de  venir  chercher  l'exécuté  par  les  cheveux  et 
l'amener  au  ciel. 

»  Jadis  quand  le  gouvernement  rendait  la  tête,  les  Arabes  n'avaient  pas  peur  de 
commettre  un  méfait ,  mais  aujourd'hui  paraît-il ,  on  refuse  à  rendre  la  tète  ,  et  les 
indigènes,  sachant  que  sans  la  dite  tête  ils  ne  peuvent  pas  profiter  du  paradis  ,  ont 
maintenant  une  terreur  visible  de  s'exposer  à  ces  crimes  qui ,  heureusement ,  ont 
ainsi  considérablement  diminué. 

»  Ce  n'est  pas  seulement  contre  ces  brigands  que  les  français  ont  eu  à  lutter  dans 
ce  pays,  mais  aussi  contre  toutes  les  hordes  du  Sud  et  de  l'Est  qui ,  de  temps  en 
temps  font  des  visites  sur  le  territoire  algérien.  Sans  ces  révoltes,  la  France  aurait 
certainement  en  Algérie  un  vrai  paradis  oii  les  colonisateurs  français  trouveraient 
assurément  une  récompense  de  leurs  fatigues.  » 


Délimitation  dc««  possessions  portugaises  et  allemandes 
clans  TAfrique  centrale.— Aux  termes  d'une  convention  signée  à  Li.sbonne, 
le  31  décembre  dernier  entre  le  Portugal  et  l'Allemagne  ,  les  limites  suivantes  ont 
été  assignées  aux  possessions  portugaises  : 

Au  sud  de  l'Angola,  le  cours  du  Cunène  depuis  son  embouchure  jusqu'aux 
deuxièmes  cataractes  ;  la  montagne  Ghella  ou  Cunna  jusqu'au  Cubango,  le  cours  de 
ce  fleuve  vers  le  sud  et  l'est  jusqu'à  Andara ,  et  d'Andara  jusqu'au  Zambèse  en  cou- 
pant ce  fleuve  à  la  hauteur  des  rapides  de  Getime  ;  au  nord  du  Mozambique ,  le 
cours  du  Rovuma  jusqu'à  son  confluent  avec  le  Msisye ,  et  de  là  aux  rives  du 
Nyassa. 

L'Allemagne  s'engage  à  n'acquérir  aucune  domination  sur  les  territoires  compris 


-  3S7  — 

dans  ces  limites,  à  n'accepter  aucun  protectorat  et  à  ne  contrarier  en  rien  l'influence 
portugaise  dans  toute  la  région  située  entre  l'Angola  et  le  Mozambique. 

Elle  reconnaît  au  Portugal  le  droit  d'exercer  dans  cette  région  son  action  civili- 
satrice, en  tenant  compte  des  droits  acquis  par  d'autres  puissances. 

nélimitatloii  dcH  pofiiscssioiiiii  anglaises  et  alleinaiitles 
dans  l'Afrique  orientale.  —  La  Revue  de  géographie  ,  de  L.  Drapeyron, 
nous  donne  le  texte  adopté  le  29  octobre  dernier,  relativement  à  la  sphère  d'action 
de  l'Angleterre  et  de  l'Allemagne  à  la  côte  orientale  : 

Le  gouvernement  de  Sa  Majesté  Impériale  et  le  gouvernement  royal  de  la  Grande- 
Bretagne  s'étant  entendus  pour  régler ,  par  la  voie  d'une  entente  à  l'amiable  ,  diffé- 
rentes questions  relatives  au  sultanat  de  Zanzibar  et  au  continent  de  l'Afrique 
orientale  situé  en  face  de  ce  sultanat,  des  négociations  verbales  ont  eu  lieu  à  ce 
sujet  et  elles  ont  abouti  à  un  accord  comportant  les  articles  suivants  : 

1°  L'Allemagne  et  l'Angleterre  reconnaissent  la  souveraineté  du  sultan  de 
Zanzibar  sur  les  îles  de  Zanzibar  et  Pemba,  ainsi  que  sur  les  petites  îles  qui 
entourent  les  deux  premières  dans  un  l'ayon  de  douze  milles  marins  ,  et ,  enfin ,  sur 
les  îles  Lannu  et  Mafia; 

2°  Ces  puissances  reconnaissent  aussi  comme  possession  du  sultan  sur  le  conti- 
nent africain,  le  littoral  qui  s'étend  sans  interruption  de  l'embouchure  du  fleuve 
Miningani  dans  la  baie  Tunaki  jusqu'à  Kipini.  Ce  littoral  commence  au  sud  du 
fleuve  Miningani,  suit  le  cours  de  ce  fleuve  sur  une  distance  de  cinq  milles  marins  et 
se  prolonge  ensuite  en  largeur  parallèle  jusqu'au  point  oii  il  atteint  la  rive  droite  du 
fleuve  Rovouma  ;  après  avoir  coupé  ce  fleuve ,  il  suit  sa  rive  gauche.  A  partir  du 
littoral  susdit,  la  limite  s'enfonce  dans  l'intérieur  du  pays  sur  une  étendue  de  dix 
milles  maritimes  ,  en  prenant  pour  base  de  cette  mesure  une  ligne  droite  tracée  de 
la  rive  prise  au  moment  de  la  marée  la  plus  élevée.  La  frontière  nord  englobe  la 
localité  Kau.  Au  nord  de  Kipini ,  les  deux  gouvernements  reconnaissent  comme 
appartenant  au  sultan  les  stations  de  Kismadjou,  Barowa,  Merko,  Mahdiskou,  ^vec 
un  circuit  dans  l'intérieur  de  dix  milles  marins  environ  et  Warsheik  avec  un  circuit 
de  cinq  milles  mainns. 

La  Grande-Bretagne  s'engage  à  appuyer  les  négociations  de  l'Allemagne  avec  le 
sultan,  ayant  pour  but  d'affirmer  à  la  Société  allemande  de  l'Afrique  orientale  les 
recettes  douanières  dans  les  ports  de  Dar-es-Salaam  et  Vangani  contre  une  rede- 
vance annuelle  que  payerait  la  Société  au  sultan  ; 

3°  Les  deux  puissances  sont  d'accord  pour  entreprendre  une  délimitation  de  leurs 
sphères  d'intérêts  respectifs  dans  cette  partie  du  continent  de  l'Afrique  orientale , 
ainsi  que  cela  a  été  fait  précédemment  dans  les  parages  du  golfe  de  Guinée. 

Le  territoire  oîi  cette  entente  doit  recevoir  son  application ,  sera  limité  au  sud  par 
le  fleuve  Rovouma  et  au  nord  par  une  ligne  allant  de  l'embouchure  du  fleuve  Jana , 
tout  le  long  du  cours  de  ce  fleuve  et  de  ses  affluents ,  jusqu'à  l'intersection  de 
l'équateur  avec  le  38°  de  long.  0.  ;  et  ensuite  en  ligne  droite  jusqu'à  l'intersection 
du  P  de  latitude  N.  avec  le  37"  de  long.  0.  oii  la  ligne  prend  fin. 

La  ligne  de  démarcation  commencera  à  l'embouchure  du  fleuve  Wanga  ou  Umbe  , 
ira  en  ligne  directe  vers  le  lac  Jipe,  suivra  ensuite  la  rive  ouest  pour  traverser,  après 
avoir  passé  sur  la  rive  nord  du  fleuve  Lumi ,  couvera  en  deux  les  localités  Javeta  et 
Dschagga  et  suivra  ensuite  le  long  du  versant  nord  de  la  chaîne  des  montagnes 
Kilimandjaro,  en  ligne  droite  jusqu'au  point  situé  sur  la  rive  ouest  du  lac  Victoria 
Nyanza  où  passe  le  1"  de  latitude. 

L'Allemagne  prend  l'engagement  de  ne  faire  aucune  acquisition  de  territoire  au 
nord  de  cette  ligne ,   de  n'y  accepter  aucun  protectorat  et  de  ne  faire  aucune  oppo- 

23 


—  338  — 

sition  au  développement  de  Tinfluence  anglaise  au  nord  de  cette  ligne  ;  la  Grande- 
Bretagne  prend  de  son  côté  le  même  engagement  pour  ce  qui  concerne  les  territoires 
situés  au  sud  ; 

4°  La  Grande-Bretagne  usera  de  son  influence  pour  hâter  le  règlement  par  une 
entente  à  l'amiable  des  prétentions  contradictoires  qu'élèvent  le  sultan  de  Zanzibar, 
d'une  part ,  et  la  Société  allemande  africaine ,  de  l'autre ,  sur  le  territoire  de 
Kilimandjaro  ; 

5°  Les  deux  puissances  reconnaissent  comme  appartenant  au  territoire  de  Witu  la 
partie  de  la  côte  qui  commence  au  nord  de  Kipini  et  s'étend  jusqu'à  la  sortie  nord 
de  la  baie  de  Monda  ; 

6"  L'Allemagne  et  la  Grande-Bretagne  agiront  de  concert  pour  amener  le  sultan 
de  Zanzibar  à  adhérer  à  l'acte  général  de  la  Conférence  de  Berlin,  sous  réserve  des 
droits  existants  du  sultan ,  conformément  aux  stipulations  de  l'article  1"  de 
cet  acte  ; 

1°  L'Allemagne  prend  l'engagement  d'adhérer  à  la  déclaration  signée  le  10  mars 
1862  par  la  Grande-Bretagne  et  la  France ,  relativement  à  la  reconnaissance  de 
l'indépendance  de  l'Etat  de  Zanzibar. 

En  résumé,  d'après  cette  convention ,  le  sultan  de  Zanzibar  voit  son  autorité  limi- 
tée à  une  distance  de  dix  milles  géographiques  de  la  côte.  11  conserve  au  nord  de 
Kipini  quelques  points  où  depuis  longtemps  il  tient  garnison  et  lève  tribut.  Parmi 
ces  places  se  trouve  Kismadjou  ,  oii  le  docteur  Juhlke  a  été  assassiné  d'une  façon 
assez  mystérieuse.  Le  sultan  de  Vitu ,  qui  se  trouve  actuellement  sous  la  protection 
de  l'Allemagne ,  reçoit  une  partie  de  côtes  longtemps  désirée  et  dans  laquelle  se 
trouve  Manda-Bay,  bien  approprié  pour  en  faire  un  port.  Enfin,  l'Allemagne  reçoit 
définitivement  l'immense  territoire  entre  la  côte  et  le  Kilimandjaro  inclusivement. 
Elle  reçoit  en  outre  l'administration  des  douanes,  de  manière  à  préserver  dans 
l'avenir  le  commerce  allemand  des  chicanes  des  employés  du  sultan  de  Zanzibar. 

Par  cette  convention ,  un  vaste  champ  d'entreprises  commerciales  et  coloniales  est 
ouvert  à  l'Allemagne  ;  mais  si  le  commerce  peut  s'y  développer  immédiatement ,  il 
faudra  longtemps  avant  que  le  courant  de  l'émigration  se  dirige  de  ce  côté. 


AMÉRIQUE. 


liC  territoire  contesté  entre  la  Guyane  française  et  le 
Brésil.  —  M.  Guignes  ,  explorateur  ,  annonce  l'établissement  d'un  gouvernement 
républicain  à  Gounani ,  dans  le  territoire  contesté  ,  entre  la  Guyane  française  et  le 
Brésil.  Le  pays  de  Gounani,  serait  au  moins  aussi  grand  que  la  France  ,  d'après 
M.  Guignes,  et  les  habitants  auraient  appelé  à  la  présidence  à  vie  de  la  nouvelle 
République ,  Jules  INI.  Gros ,  ancien  rédacteur  de  VExplcrateur  et  l'un  des  fon- 
dateurs de  la  Société  de  géographie  commerciale  de  Paris.  Mais  que  va  dire 
M.  Coudreau  ? 


Situation  de  quelques  points  au  Sle^Klque.  —  Le  Bulletin  de  la 
Société  royale  belge  de  géographie ,  publie  d'après  les  observations  récentes  de 
M.  Angel  Anguiano,  directeur  de  l'Observatoire  de  Tacubaya ,  la  situation  exacte  de 
quelques  endroit  du  Mexique  : 


-339- 


NOMS  DES  VILLES. 


LATIT.  NORD. 


Guauajuato  (collège  de  l'État) 

Gachupines 

Lagos  (tour  orientale  de  la  paroisse) 

Guadalajara  (vieux  séminaire) 

Léon  (collège  de  l'État) 

Encarnacien  de  Diaz  (sanctuaire)  . . . 
Aguascalieates  (collège  de  l'État). . . 
Celaya 


21"  0' 58,1" 
21  45  54,8 
21  21  19,4 

20  40  45.6 

21  7  23,8 
31  31  19,6 
21  53  7,1 
20  31  24,2 


LONGITUDE  OUEST. 


de  Greenwich. 


de  Tracuhaya. 

H.    M.    S. 

0     8   14,9 

0    9  27,8 

0  10  56,8 

0  16  35,3 

0    9  56,2 

0  12    9,2 

0  12  26,4 

0    6  26,3 

H.    M.    S. 

6  45  1,4 
6  45  14,3 
6  47  43,3 
6  53  21,8 
6  46  42,7 
6  48  55,7 
6  49  12,9 
6  43  12,8 


OGEANIE. 


Un  nouveau  protectorat  aug;lai!i.  —  On  annonce  que  le  gouvernement 
anglais  aurait  proclamé  son  protectorat  sur  les  îles  Ellice,  situées  au  nord  des  Fedji 
et  au  Nord-Ouest  des  Samoa,  par  8**  30'  lat.  Sud  et  170"  long.  Est,  mais  la  nouvelle 
est  très  contestée. 


lia  question  des  Carolines.  —  Aux  termes  d'un  protocole  signé  le 
8  janvier  dernier,  la  Grande-Bretagne  reconnaît  la  souveraineté  de  l'Espagne  sur  les 
îles  Carolines  et  les  Palaos,  dans  les  condittons  admises  par  l'Allemagne. 


lies  lies  l§>alonion  à  l'Allemagne.  —  Le  Bulletin  de  la  Société  royale 
belge  de  géographie  annonce  que  celles  des  îles  Salomon  qui ,  par  suite  du  traité  du 
6  avril  1885,  pour  la  délimitation  des  souverainetés  allemande  et  anglaise  sont 
échues  à  l'Allemagne,  c'est-à-dire  les  îles  Bougainville,  Ghoiseul  et  Isabelle,  ont  été, 
par  décret  impérial  du  13  décembre  1886,  soumises  au  protectorat  de  la  Compagnie 
de  la  Nouvelle-Guinée.  Outre  ces  trois  grandes  îles  ,  il  y  a  encore  Shortland,  Saint- 
Georges,  Ramos,  Gower  ,  Carteret ,  Marqueen  ,  Tasman  et  Ongton-Java.  Le  district 
soumis  à  la  Compagnie  de  la  Nouvelle-  Guinée  ,  s'augmente  par  là  d'environ  22,000 
kilomètres  carrés  avec  80,000  habitants,  pour  autant  qu'on  peut  l'établir  d'après  les 
connaissances  fort  vagues  que  nous  possédons  sur  les  îles  Salomon.  Voilà  un  nou- 
veau champ  d'exploration  pour  les  pionniers  de  la  science  ;  les  îles  Salomon  sont , 
en  effet,  les  moins  connues  ,  même  dans  leurs  contours,  de  toutes  les  îles  de  l'océan 
Pacifique.  Le  principal  avantage  de  cette  acquisition  est  pour  le  moment  de  pouvoir 
servir  comme  champ  de  recrutement  d'ouvriers  pour  les  plantations  de  la  Société  ; 
on  n'a  pu  encore  établir  que  très  peu  de  stations.  —  C'est  à  tort  que  récemment 
on  a  soutenu  que  l'orthographe  exacte  était  Solomon.  Le  groupe  d'îles  décou- 
vert une  première  fois  en  1567 ,  par  l'Espagnol  Mendana  et  retrouvé  en  1768  par 
Bougainville,  a  reçu  le  nom  d'îles  Salomon,  dès  le  xvi®  siècle,  à  cause  de  la  richesse 
des  mines  aurifères  qu'on  croyait  devoir  s'y  trouver  et  en  souvenir  des  expéditions 


—  340 


de  Salomon  à  Ophir.  Il  est  vrai  qu'en  anglais ,  le  nom  de  ce  roi  s'écrit  Solomon , 
mais  ce  n'est  pas  une  raison  suffisante  pour  adopter  cette  orthographe,  alor.s  surtout 
qu'il  s'agit  de  régions  qui  ne  sont  plus  sous  la  domination  anglaise ,  et  qu'il  est  d'un 
usage  constant  dans  la  littérature  géographique  tant  allemande  que  française, 
d'écrire  :  l'archipel  Salomon. 


II.  —  Géographie  commerciale.  —  Statistiques 
et  Faits  économiques. 


EUROPE. 


Ije  commerce  d'exportation  des  principales  contrées 
d'Europe.  —  Le  Statistical  Abstract ,  publié  par  le  ministère  du  commerce 
anglais,  nous  fournit  à  ce  sujet  des  renseignements  fort  intéressants.  Voici  d'abord 
un  tableau  donnant  le  chiffre  des  exportations  des  pays  d'Europe  pour  la  période  de 
1876  à  1885  (en  livres  sterling)  : 


Autriche -Hongrie 

Belgique 

1885 

1876 

£ 

56.007.000 

48.000.000 

8.333.000 

123.524.000 

143.015.000 

74.106.000 

37.833.000 

5.431.000 

5.619.000 

27.529.000 

13.255.000 

53.365.000 

213.045.000 

£ 

49.602.000 

42.551.000 

8.888.000 

143.024.000 

127.385.000 

44.100.000 

48.340.000 

6.425.000 

5.102.000 

17.543.000 

12  374.000 

52.794.000 

200.639.100 

Danemark 

France 

Allemagne 

Hollande 

Italie 

Norvège 

Portugal..     

Espagne 

Suède  

Russie 

Royaume-Uni 

Ainsi ,  la  France  a  perdu  ,  durant  cette  période  ,  20,009,000  livres  sterling ,  soit 
£00,125,000  francs  contre  un  bénéfice  pour  l'Allemagne  de  16,630,000  livres  sterling, 
soit  415,750,000  francs. 


-  341  - 


En  ce  qui  concerne  seulement  les  filés  de  laine  ,  nous  relevons  pour  la  période  de 
1880  à  1885,  au  compte  de  la  France  et  de  l'Allemagne  ,  les  chiilres  suivants  : 


EXPORTATION    DE    FILES  DE   LAINE 


Allemagne 

1880  s 

1885 

£ 

1.812.000 
1.424.000 

£ 

1.617.000 
1.972.000 

France 

C'est  donc  une  diminution  de  548,000  livres  sterling,  soit  13,700,000  francs ,  pour 
la  France ,  contre  une  augmentation  de  175,000  livres  sterling,  soit  4,385,000  francs , 
au  bénéfice  de  l'Allemagne. 

Pour  la  même  période  ,  1880-85  ,  l'Angleterre  se  trouve  fortement  atteinte  par  la 
concurrence  allemande ,  dans  l'industrie  cotonnière.  Ses  exportations  s'y  chiffrent 
pai'  66,976,000  livres  sterling  ,  pour  1885  ,  contre  76,563,000  en  1880 ,  soit  une  dimi- 
nution de  8,587,000  livres  sterling. 

L'élevage  du  bétail  et  la  culture  des  blés  dans  les  princi- 
pales contrées  d'Europe.  —  h'Economist ,  rendant  compte  d'une  confé- 
rence faite  dernièrement  devant  la  Société  de  statistique  de  Londres  à  ce  sujet,  nous 
fournit  les  deux  tableaux  suivants. 

Le  premier,  ci-après,  a  trait  à  l'élevage  du  bétail  : 


Royaume-Uni 
Angleterre . . . 

Galles 

Ecosse 

Irlande 

Autriche 

Hongrie 

France 

Allemagne .   . 

Hollande 

Belgique 

Suède  

Italie 


POPULATION 


35.004.000 

24.614.000 

1.361.000 

3.736.000 

5.175.000 

22.144.000 

15.739.000 

37.672.000 

45.234.000 

4.013.000 

5.520.000 

3.643.000 

28.460.000 


Habitants 
par  mille 

cai'ré  * 


288.5^ 

483.4  4 
184.0  « 
122.6  1) 
150.0  t' 
191. 7;^- 

126.5  it 
184.0  % 
216.8  i 
315.0  3 
487.0  ) 

27.2  )■» 
257.3  € 


Vaches 

par  mille 

carré 


32.8  i> 
36.0  P 
38.3  If 
13.614 
43.6:  c 
35.7  o 
13.9^ 
31.4; 

43. 6 '3 

77.3  1 

70.0  -. 

8.5-1\ 

16.9  <3 


Autres 
bestiaux 
par  mille 

carré 


56.8  ^ 
57.6  3 
59.0^ 
24.2  it 
85.01 
38.4  o 

22.9  ]i 
32.8  X 
3^.1  i 
37.27 
51.6:7 

4.9  1' 
21.8  !i 


Moutons 

par  mille 

carré 


238.7:- 
322.1-^ 
340.0  1 
220.0  k 
103.0  a 
32.21) 
74.4  J 
110.8^5 

92.0  ^ 
56.3 -iijî 

32.1  I 
8.3  il 

11.1 


'  Le  mille  carré  ane 


lais  équivaut  à  6  mètres  carrés  45. 


-/.^l 

i(>^ 


•L'nJlSix  OMjio^    Wf  otL    ;'»ifc    -irvu-lX 


ù^ 


—  342  - 

Le  second  tableau  donne  la  statistique  détaillée  de  la  production  du  blé  dans  les 
diverses  contrées  européennes.  Le  voici  : 


Royaume-Uni 

Angleterre 

Galles 

Ecosse 

Irlande 

Autriche  

Hongrie 

France 

Allemagne . . . 

Hollande 

Belgique 

Suède  

Italie 


boisseaux  y 

2.0  '  '" 
2.8'r 
1.2  1- 
0.5  !• 


1.7  > 
4.5  2. 
7.7  \ 
2.3  u 
1.3^, 
3.5  h 
-2.0  1 
4.9  A 


L'acre  représente 


0  i»«ui 


RECOLTE   DE   BLE   PAR  ACRE 


S    .2  g 


28.2  1 

22.0  ^ 

15.0  'o 

13.0  ; 

16  5  '■: 
» 

23.8  3 

26.7  l 


O    -S 
p.   " 


boisse 

28, 
28. 
21. 
32. 
» 
15. 
11. 
15. 
18. 
21. 
25. 


,8^ 
9^ 
5f 
9  j 

bM 
3 


4  é 

9  H 


11.9  \i) 


8  41  et  le  boisseau  36  litres  34. 


U    co 


28.0 
» 
» 

» 
16.0 
13.1 


16.0  S 

» 

23.4  7, 

22.7  2 

19.8  t, 
12.3  1 


boisseaux 

35.2  -^ 


» 

» 

» 
15.5  •< 
11.70 
16.1ÎC, 

18.7  5" 
22.7^ 

23.8  î 

19.9  V 
12.0  3 


Convention  entre  la  France  et  la  Suisse  pour  la  protection 
mutuelle  fies  ntarques  de  faitrique.  —  Le  président  de  la  Confédé- 
ration suisse,  M.  Droz  ,  et  M.  Emmanuel  Arago  ,  ministre  de  France  à  Berne ,  ont 
signé,  le  27  janvier  dernier,  l'acte  ratifiant  l'article  additionnel  à  la  convention  de 
1882,  et  dont  le  but  est  de  protéger  ,  pendant  quinze  ans  ,  les  marques  de  fabrique 
des  deux  pays,  à  partir  du  jour  du  dépôt,  sans  imposer  l'obligation  d'une  nouvelle 
inscription  : 

Voici  le  texte  de  cet  arrangement  additionnel  : 

«  Le  Conseil  fédéral  suisse  et  le  gouvernement  de  la  République  française  ayant 
reconnu  nécessaire  de  déterminer  exactement  la  portée  de  la  convention  du  22 
février  1882  pour  la  protection  réciproque  des  marques  de  fabrique  et  de  commerce 
en  ce  qui  concerne  les  dépôts  de  marques  effectués  sous  l'empire  de  la  convention 
du  30  juin  1864,  les  soussignés,  à  ce  dûment  autorisés  ,  ont  échangé  la  déclaration 
suivante  : 

»  Il  est  entendu  que  les  marques  déposées  dans  l'un  et  l'autre  pays  en  vertu  de  la 
convention  du  30  juin  1884  jouiront,  jusqu'à  l'expiration  d'un  terme  de  quinze 
années ,  à  partir  du  dépôt  effectué ,  de  la  protection  que  la  législation  du  pays 
respectif  accorde  ou  accordera  par  la  suite  aux  marques  indigènes  ,  sans  qu'il  y  ait 
obligation  de  faire  un  nouveau  dépôt.  » 


-343  - 

l%o«  exportation»  en  Bulg^arle.  —  La  Chambre  de  commerce  française 
de  Galatz  constate,  dans  son  dernier  Bulletin  mensuel,  que  le  commerce  français  en 
Bulgarie  est  encore  très  restreint.  Tous  les  articles  que  l'on  voit  exposés  dans  les 
magasins  sont  de  provenance  allemande  ou  autrichienne,  bien  que  les  étiquettes 
soient  en  français  ou  en  aient  du  moins  la  prétention.  Les  fers  et  articles  de  cette 
catégorio  viennent  pour  la  plupart  d'Angleterre. 

Le  commerce  de  la  France  pourrait  devenir  très  florissant,  en  Bulgarie  si  les  pro- 
ducteurs et  négociants  français  voulaient  suivi'e  le  système  de  leurs  concurrents 
étrangers.  Ceux-ci,  au  lieu  de  se  contenter  d'envoyer  des  voyageurs  ou  de  remettre 
leurs  échantillons  à  des  commissionnaires,  installent  maintenant  des  dépôts  de  leurs 
produits,  ce  qui  est  un  immense  avantage. 

C'est  ainsi  qu'une  maison  de  Cronstadt  a  mis  à  Roustchouk,  en  dépôt,  différents 
produits  de  l'industrie  austro  -  hongroise ,  parmi  lesquels  se  trouvent  en  première 
ligne  les  chaussures  communes  ,  les  cuirs  ,  les  peaux  ,  les  chaises  en  bois  recourbé  , 
les  outil=;,  les  tissus  et  confections  en  laine  commune,  etc. 

Cette  maison,  qui ,  jusqu'à  présent,  n'avait  pu  faire  en  Bulgarie  que  des  affaires 
insignifiantes,  a  pu  les  porter,  en  quelques  mois  à  un  chiffre  considérable.  Mais  elle 
veut  vendre  la  marchandise  à  un  mois  de  date  de  la  livraison  ,  ce  qui  représente  le 
triple  du  crédit  moyen  accordé  par  les  commerçants  français. 

11  est  certain  que  l'article  français  plaît  beaucoup,  mais  il  est  inconnu,  c'est-à-dire 
que  le  client  a  été  si  souvent  ti'ompé ,  qu'il  n'a  plus  foi  en  l'étiquette.  Quand  les 
vraies  marques  seront  connues  et  la  supériorité  des  produits  constatée ,  les 
commandes  se  prendront  facilement. 


La  production  des  céréales  en  Russie.  —  Un  agriculteur  russe , 
M.  Jos.  Randich,  vient  de  publier  sur  cette  question  une  étude  intéressante  que  nous 
résumons  pour  les  lecteurs  du  Bulletin  de  la  Société  de  géographie  de  Lille. 

M.  Randich  commence  par  établir,  au  moyen  de  tableaux  statistiques  ,  trop  longs 
pour  être  reproduits  : 

1"  Que  depuis  plusieurs  années  la  production  des  céréales  a  constamment  augmenté 
dans  la  Russie  méridionale  ,  malgré  la  concurrence  américaine  et  les  prix  extraordi- 
nairement  bas  du  blé  sur  les  marchés  européens  ; 

2"  Que  malgré  ces  bas  prix,  l'exportation  des  céréales  russes  par  les  ports  du  Sud 
a  été  de  plus  en  plus  active,  et  s'est  chiffrée  par  : 

15,060,528  tchetverts  en  1883  (le  tchetvert  =  2  hect.  097), 
15.224,813         —  1884 , 

16,837,152         —  1885 , 

sans  compter  les  quantités  fournies  à  l'exportation  par  les  ports  de  la  Crimée  et  du 
Caucase,  quantités  que  l'on  peut  évaluer  en  moyenne  à  500,000  tchetverts  de  blé  , 
maïs  et  graines  de  lin  pour  les  ports  de  Théodosie  ,  de  Sébastopol  et  d'Eupatoria  , 
et  à  500,000  tchetverts  environ  de  maïs  ,  orge  et  blé  dur  pour  les  ports  de  Poti  et  de 
Batoum. 

Les  causes  auxquelles  il  faut  attribuer  l'accroissement  que  l'on  constate  dans  la 
production  des  céréales,  sont  d'abord  la  construction  de  nouvelles  lignes  de  chemins 
de  fer  et  l'abaissement  des  tarifs  pour  les  expéditions  destinées  aux  ports  du  Sud. 
Ces  deux  premières  causes  ont  eu  pour  effet  la  mise  en  culture  de  terres  demeurées 
incultes  ,  ou  laissées  en  pâturages  ,  jusqu'à  ce  que  les  facilités  de  transport  eussent 
permis  à  leurs  récoltes  de  participer  à  l'exportation.  Le  rayon  de  culture  du  blé  s'est 


—  344  - 

élargi  en  même  temps  que  s'étendait  le  réseau  des  voies  ferrées ,  qu'augmentait  le 
matériel  de  transport  et  que  diminuaient  les  frais  de  convoyage  jusqu'au  littoral  de 
la  mer.  D'un  autre  côté,  si  les  prix  ont  baissé  sur  les  marchés  consommateurs  de 
l'Europe,  cette  baisse  ne  s'est  pas  fait  sentir  en  Russie  dans  une  proportion  équiva- 
lente à  son  importance,  parce  que  la  valeur  du  rouble  a  baissé  simultanément.  En 
réalité,  les  prix  des  céréales  sur  le  marché  russe  ont  été  plus  élevés,  pendant  cette 
dernière  période  décennale  ,  qu'avant  la  guerre  de  Turquie  de  1877  ;  le  change  ,  qui 
a  porté  la  valeur  de  la  livre  sterling  de  8  roubles  à  10  roubles ,  a  fait  bénéficier 
l'agriculteur  russe  de  20  p.  c.  de  hausse  sur  ses  blés ,  et  c'est  ainsi  qu'il  n'a  pas 
connu,  lors  de  la  forte  baisse  survenue  en  1884,  de  prix  inférieur  à  1  rouble  le  pound 
pour  les  bonnes  qualités.  Or ,  comme  le  dit  fort  bien  M.  Randich ,  le  producteur 
russe  s'inquiète  peu  de  savoir  quelle  est  la  valeur  intrinsèque  du  rouble  ;  la  chose 
principale  pour  lui ,  «  c'est  de  récolter  plus  de  roubles  qu'il  n'en  a  semés,  car,  en 
fait,  il  ne  lui  faut  pas  autre  chose  pour  vivre  ». 

Quoi  qu'il  en  soit ,  si  ces  prix  permettaient  à  l'agriculteur  de  vivre ,  ils  ne  lui 
laissaient  pas  de  bénéfice,  et  l'on  s'expliquerait  difficilement  qu'il  n'abandonnât  pas 
la  culture  des  céréales  pour  toute  autre  plus  rémunératrice,  si  l'on  ne  savait  qu'il  ne 
lui  est  pas  possible  de  faire  autrement.  C'est  qu'en  effet,  avec  son  système  d'assole- 
ment triennal,  à  jachère  non  cultivée,  la  Russie  méridionale  est  obligée  de  s'en  tenir 
à  la  culture  des  céréales ,  qui  est  la  moins  coûteuse  ,  et  qui ,  d'ailleurs  ,  ne  pourrait 
pas  pas  être  changée  sans  grands  sacrifices  pécuniaires.  Il  y  a  bien  quelques  riches 
propriétaires  qui  ont  adopté  un  autre  assolement,  qui  cultivent  le  blé  et  la  betterave, 
engraissent  du  bétail  et  fument  leurs  terres  ,  mais  comment  veut-on  que  la  grande 
masse  des  cultivateurs ,  composée  de  paysans  dépourvus  de  capitaux ,  puisse  les 
imiter  ?  En  somme  ,  dit  M.  Randich,  on  ne  doit  pas  s'attendre  à  voir  cultiver  le  sol 
russe  autrement  qu'on  ne  l'a  fait  jusqu'ici,  mal  mais  à  bon  marché. 

Donc,  la  production  céréale  n'a  pas  diminué ,  et  il  est  d'autant  moins  probable 
qu'elle  diminuera  dans  l'avenir ,  que  pour  aider  l'agriculture ,  le  Gouvernement  a 
créé  en  1885  la  Banque  foncière  des  paj'sans  et  la  Banque  foncière  de  la  noblesse. 
Ces  deux  institutions  de  crédit  ont  commencé  leurs  opérations  il  y  a  quelques  mois 
seulement,  de  sorte  qu'on  ne  peut  pas  encore  juger  de  l'efficacité  de  la  mesure  par 
les  résultats  obtenus  jusqu'à  présent.  Tout  en  constatant  que  la  création  de  ces 
banques  a  pour  but  de  soutenir  le  producteur  dans  la  crise  agricole  qui  sévit  en 
Europe,  et  notamment  de  lui  fournir  une  compensation  aux  droits  sur  les  blés  à 
l'entrée  en  France  et  en  Allemagne,  M.  Randich  pense  que  cette  création  sera  salu- 
taire seulement  si  le  producteur,  noble  ou  paysan ,  tire  de  sa  terre  un  revenu  suffi- 
sant pour  payer  les  intérêts  de  ses  emprunts,  les  frais  de  main-d'œuvre  et  ceux  de 
transport.  Or,  ajoute-t-il ,  «  il  y  aurait  beaucoup  à  dire  sous  ce  rapport,  la  terre 
n'aimant  pas  à  payer  de  gros  intérêts  ;  mais  l'agriculteur  russe  a  été  si  souvent  et  si 
longtemps  exploité  parles  usuriers  juifs,  que  l'établissement  d'une  banque  agricole 
dans  ce  pays  doit  être  considéré  comme  un  bienfait  ».  Au  surplus  ,  le  paysan  culti- 
vateur, quand  il  est  économe  ,  n'a  pas  ,  en  général ,  besoin  d'emprunts  ;  la  banque 
agraire  des  paysans  aura  donc  surtout  pour  effet  de  permettre  à  ceux-ci  d'acheter 
des  terres,  —  ces  terres  dont  ils  ont  besoin,  —  car  leur  nombre  a  considérablement 
augmenté  ,  principalement  en  Bessarabie  et  en  Podolie  ,  depuis  l'affranchissement 
des  serfs  en  1861.  Il  y  a  là  une  nouvelle  cause  d'augmentation  probable  de  la  pro- 
duction céréale. 

Enfin  ,  il  ne  faut  pas  perdre  de  vue  que  les  qualités  spéciales  du  blé  russe  ne  se 
rencontrant  pas  dans  les  blés  d'Amérique,  rendent  la  concurrence  de  ceux-ci  beau- 
coup moins  redoutable  qu'on  ne  serait  tenté  de  le  supposer.  Le  blé  russe  trouvera 
toujours  acquéreur.  «  Le  blé  produit  par  la  Russie  méridionale,  dit  M.  Randich,  est 


—  345  - 

de  plusieurs  qualités  distinctes,  et  celles-ci  diffèrent  entre  elles  autant  que  diffèrent 
les  métaux  ;  ainsi,  le  blé  d'été  connu  sous  le  nom  de  Ghirca  a  un  emploi  tellement 
différent  de  celui  du  blé  américain  Red  Winter,  que  l'un  n'a  rien  à  craindre  de  la 
concurrence  de  l'autre,  à  moins  d'un  trop  grand  écart  dans  les  prix.  » 

Les  blés  russes  peuvent  être  classés  en  six  catégories,  savoir  : 

1°  Les  blés  tendres ,  comprenant  le  blé  de  Pologne  ,  l'Azima  de  Nicolaïeff  et  celui 
de  l'Azoff  ; 

2°  Les  blés  de  force,  comprenant  le  blé  de  Bessarabie  glacé ,  les  blés  d'Eupatoria 
et  de  Théodosie  ; 
•  3°  Le  blé  d'été  dit  Ghirca  tendre  de  Nicopol,  de  Marioupol,  de  Berdiansk  ; 

4^  Le  blé  d'été  dit  Ghirca  d'Odessa,  plus  glacé  que  le  précédent; 

5"  Le  blé  blanc  dit  Sandomirca  ; 

6"  Le  blé  dur  dit  Arnaoutka  et  Koubanka. 

Chacune  de  ces  qualités  spéciales  a  une  clientèle  spéciale  ,  et  l'Amérique  ne  peut 
pas  compter  l'enlever  à  la  Russie  ,  aussi  longtemps  que  le  rapport  des  prix  restera 
ce  qu'il  a  été  dans  ces  dernières  années. 

C'est  à  cette  circonstance  et  à  la  baisse  du  fret  qu'il  faut  attribuer  l'accroissement 
de  l'exportation  qui  a  été  signalé  ci-dessus.  Depuis  plusieurs  années ,  l'offre  de 
vapeurs  anglais  a  été  excessive  et  le  tonnage  de  ces  navires  a  augmenté  dans  des 
proportions  considérables.  11  en  est  résulté  que  le  taux  du  fret  est  tombé ,  pour  les 
navires  de  première  classe,  de  45  et  35  shillings  qu'il  était  en  1874,  à  9  shillings  par 
tonne  de  suif  en  1885-1886.  Le  taux  moyen  du  fret  pour  la  période  1883-1886  a  été 
de  20  shillings  inférieur  à  ce  qu'il  était  il  y  a  dix  ans.  Or,  une  baisse  de  20  shillings 
sur  le  fret ,  équivaut  à  10  p.  c.  de  la  valeur  du  blé  au  port  d'exportation ,  et  ces  10 
p.  c.  ajoutés  aux  20  p.  c.  fournis  par  le  change,  font  ressortir  à  30  p.  c.  la  majoration 
de  prix  que  l'exportateur  russe  a  pu  payer  au  producteur  russe.  Cela  suffit  à  expli- 
quer conmient  l'exportation  des  céréales  russes  a  pu  suivre  le  mouvement  ascen- 
sionnel de  la  production ,  au  moment  même  oii  les  prix  du  blé  en  Amérique  ,  en 
Angleterre  et  dans  toute  l'Europe  septentrionale  et  centrale  atteignaient  un  niveau 
jusqu'auquel  ils  n'étaient  pas  encore  descendus. 

En  résumé ,  on  peut  conclure  de  ce  qui  précède ,  qu'à  moins  de  circonstances 
exceptionnelles  provoquant,  en  même  temps,  la  hausse  du  fret  et  celle  du  change ,  le 
commerce  et  la  production  des  céréales  continueront  à  se  développer  dans  la  Russie 
méridionale. 

ASIE. 

Le  commerce  avec  la  Turquie  d'Asie.  —  Nous  lisons  dans  une 
correspondance  de  Smyrne  qui  nous  est  adressée  : 

«  Il  est  fâcheux  que  les  fabricants  français  ne  veuillent  pas  se  décider  à  imiter 
leurs  concurrents  anglais ,  allemands  et  autrichiens.  Ceux-ci  savent  que  la  popu- 
lation ne  demande  que  des  articles  bon  marché,  qui  aient  de  l'apparence  ;  la  solidité 
de  la  marchandise  n'est  qu'un  détail  secondaire. 

»  Sans  doute,  les  acheteurs  aisés  reconnaissent  sans  difficulté  la  supériorité  des 
soieries  de  Lyon,  des  rubans  de  Saint-Étienne ,  des  étoffes  de  Reiras  ou  de  Rouen  ; 
mais  ces  acheteurs  sont  en  minorité  ,  et  la  grande  masse  se  porte  sur  les  envois  de 
Grefeld,  de  Chemnitz,  de  Manchester  ou  de  Vienne. 

»  En  outre  ,  nos  industriels  ont  le  tort  de  ne  vouloir  pas  traiter  directement  avec 


-  346- 

le  vendeur.  Ici,  comme  partout,  on  cherche  à  se  passer  de  l'intermédiaire  du 
commissionnaire  ,  et  il  n'est  pas  sans  intérêt  de  se  rendre  compte  qu'un  article  qui 
est  passé  par  plusieurs  mains  arrive ,  sur  le  marché ,  grevé  de  fi'ais  souvent  considé- 
rîibles,  et  devient  invendable.  » 


liC  commerce  avec  l'Egypte.  —  Voici  ce  que  le  consul  de  Belgique  à 
Alexandrie  conseille  à  ses  compatriotes  ,  en  vue  de  développer  leur  commerce  avec 
l'Egypte  et  de  lutter  contre  l'Angleterre  et  la  France: 

«  1°  Fondation  de  comptoirs  belges;  à  défaut  de  succursales  ,  avoir  à  Alexandrie 
des  représentants  sérieux  ; 

»  2°  Création  d'un  syndicat  formé  par  des  fabricants  d'industries  différentes, 
lequel  enven-ait ,  à  frais  communs  ,  un  agent  choisi  en  Belgique  et  au  courant  des 
produits  belges.  Cet  agent ,  qui  devrait  fixer  sa  résidence  à  Alexandrie  ,  aurait  une 
mission  temporaire  qui  consisterait  à  faire  connaître  les  produits  des  diverses 
maisons  qu'il  représenterait  et  de  procurer  à  ces  maisons  des  relations  directes  avec 
les  principaux  importateurs  établis  dans  les  auti'es  centres  égyptiens.  Cet  agent 
pourrait  aussi  avoir  un  magasin  qui  renfermerait  une  exposition  permanente  des 
articles  à  faire  connaître  ; 

»  3°  Octroi  de  facilités  et  de  crédit  aux  maisons  d'Egypte  ,  parmi  lesquelles  il  y 
en  a  de  très  bonnes.  Avec  les  paiements  à  terme  (de  trois  à  six  mois)  accordés  à 
bon  escient ,  et  qu'il  faut  refuser  à  la  presque  totalité  des  négociants  arabes ,  les 
transactions  prendraient  certainement  un  grand  développement  ; 

»  4°  Création  d'une  banque  de  crédit  pour  l'exportation.  » 


AFRIQUE. 


Importation  Ach  tissus  à  Zanzibar  et  renseignements 
commcrcîauiL  sur  l'ile.  —  Nous  avons  pu  nous  procurer  les  renseigne" 
ments  inédits  suivants  sur  les  articles  qui  se  rapportent  à  l'industrie  textile  et 
qui  font  l'objet  du  commerce  d'importation  à  Zanzibar: 

Tissus  de  coton.  —  Les  cotons  constituent  la  branche  la  plus  importante  du  com- 
merce d'importation  de  Zanzibar  .  Its  représentent  plus  de  la  moitié  de  la  valeur  de 
ce  commerce. 

Un  seul  genre  est  produit  par  l'industrie  indigène  :  ce  sont  les  cotonnades  unies , 
dont  une  seule  pièce  constitue  un  vêtement.  Ces  pièces  sont  d'une  longueur  de  10  à 
14  coudées  et  larges  de  1  à  1/4  et  se  vendent  de  1/4  à  3  piastres,  suivant  leur  finesse. 
Elles  sont  garnies  à  leurs  extrémités  d'une  bande  à  rayures  rouges,  jaunes  et  noires 
et  de  franges. 

Les  plus  grossières  se  vendent  au  «  courdja  »  ,  c'est-à-dire  par  20  pièces. 

Les  cotons  importés  comprennent  une  infinité  d'articles  ayant  chacun  un  usage 
particulier  et  un  nom  différent  selon  la  provenance. 

Les  cotonnades  en  pièces  sont  presque  exclusivement  de  fabrication  américaine  , 
anglaise  ou  indienne  et  comprennent  : 

1°  Les  cotons  écrus  et  unis  de  diverses  qualités.  —  La  plus  importante  est  celle 


-347  - 

connue  sous  le  nom  de  hami,  dont  la  consommation  est  si  répandue  dans  les  pays 
avabes.  Parmi  les  marques  les  plus  importantes,  il  faut  citer  : 

Pour  TAmérique  :  le  pegasse ,  du  Massachussets  shirtings  ;  le  lion  debout ,  du 
Belvédère  long  staple,  et  le  coq,  du  Drilling  manufactured  at  Boat  Gotton  mills. 

Ces  cotons  sont  connus  sous  le  nom  d'américains. 

Pour  l'Angleterre  :  le  chameau  n"  1  et  n"  2  et  le  torian  topan ,  de  la  maison 
William  Birch  J""  de  Manchester. 

Pour  l'Allemagne  :  le  chameau,  de  la  maison  Oswald  et  C'e  ,  de  Hambourg. 

Et  enfin  pour  l'Inde  :  le  taureau^  de  Shirtings  Kaiser-i-Hind,  de  Bombay. 

Ces  divers  cotons,  dont  la  longueur  des  pièces  est  de  30  à  40  yards  ,  et  la  largeur 
de  36  à  50  pouces  anglais,  se  vendent  en  gros  au  poids.  Le  prix  varie  entre  $  0.30  et 
0.36  la  livre. 

Les  tissus  de  provenance  américaine  sont  expédiés  en  ballot  de  30  à  40  pièces 
suivant  la  qualité. 

Les  hamis  européens  et  indous  sont  en  balles  cerclés  de  fer  contenant  50  pièces. 

Le  chiffre  d'importation  de  cet  article  en  1884-1885  a  été  d'environ  %  2,300,000. 

2°  Les  cotons  teints.  —  Le  goût  des  tissus  teints  tend  à  diminuer  pour  faire  place 
aux  tissus  imprimés.  Parmi  ceux  qui  sont  en  usage,  il  faut  citer  les  kanakis,  connus 
en  Europe  sous  le  nom  de  guinées ,  et  les  hamis  teints  en  rouge. 

Les  kanakis  des  Indes  sont  de  cinq  qualités  différentes  ;  ceux  d'Angleterre  et  de  la 
Suisse  de  deux.  Ils  se  vendent  par  courdja  (20  pièces). 

Les  prix  en  sont  très  variables. 

Les  hamis  rouges  ou  bendera  viennent  de  Leyde  (Hollande)  et  de  Bombay. 

On  a  importé  de  ces  tissus,  en  1884-1885,  pour  une  valeur  d'environ  %  150,000. 

3"  Les  cotons  imprimés.  —  L'importance  de  cet  article  est  considérable.  Il  sert 
pour  literie,  rideaux,  vêtements  de  femmes  de  toutes  conditions,  etc. 

Ces  tissus  imprimés  sont  de  provenance  américaine  et  anglaise  ,  plutôt  de  cette 
dernière. 

Les  dessins  en  sont  extrêmement  variés  ,  les  couleurs  vives  sont  les  plus  appré- 
ciées. Parmi  les  genres  les  plus  importants  ,  nous  mentionnerons  en  première  ligne  : 

1"  Les  lessos  ou  mouchoirs  de  poche  qui  servent  uniquement  comme  vêtement 
pour  les  femmes.  Les  dessins  d'une  même  douzaine  ne  sont  et  ne  peuvent  être 
différents. 

Les  dimensions  d'un  mouchoir  sont  de  27/25, 30/28,  40/36  pouces  anglais. 

La  douzaine  coûte  de  $  0.80  à  2.50  ; 

2"  Le  khomgas  (koulabiou),  en  anglais  «  scarves».  Les  pièces  ont  ordinairement 
24  yards  de  longueur  sur  28  pouces  de  largeur  et  se  vendent  de  $  12  à  45  le  courdja  ; 

3"  Les  kikois,  dont  se  servent  généralement  les  Arabes  et  les  nègres  ,  ont  de  25  à 
40  yards  de  longueur  et  se  vendent  de  $  3  à  5  la  pièce. 

En  1884  - 1885 ,  on  a  importé  pour  une  somme  d'environ  $  300,000  de  tissus 
imprimés. 

Draps.  —  Les  Arabes  se  servent  de  draps  noirs ,  bleu  foncé  et  quelquefois  rouge  , 
pour  la  confection  de  leurs  grands  manteaux. 

Ces  draps  sont  minces,  ont  une  largeur  de  52  à  60  pouces  anglais  et  coûtent  $  1.50 
à  2.25  le  yard,  suivant  la  qualité.  C'est  principalement  l'Allemagne  qui  les  fournit. 
Elle  en  a  importé  en  1884-1885,  pour  une  somme  d'environ  §  9,000. 

Fils  a  coudre  ,  mercerie.  —  On  fait  peu  usage  de  flls  à  coudre  ,  de  soie  ,  de  coton 
ou  de  lin,  ainsi  que  des  articles  de  mercerie,  la  mode  n'exigeant  aucun  ornement  sur 


-  348  - 

les  vêtements.  Les  costumes  des  riches  araLes  et  indous  sont  ornés  de  galons  et  de 
broderies  d'or  et  d'argent  provenant  de  Mascate  et  de  Bombay. 

L'Angleterre  et  l'Allemagne  ont  importé,  en  1884-1885,  pour  §  5,000  de  fils  à  coudre 
et  de  merceries. 

Fils  a  tisser.  —  Les  tisserands  zanzibarites  ne  font  usage  pour  la  fabrication  des 
hamis  que  des  fils  de  coton  venant  de  l'Inde.  Ce  pays  en  a  expédié  ,  en  1884-1885 , 
pour  environ  $  10,000. 

Gilets  de  coton.  —  L'usage  des  gilets  de  coton  se  généralise  d'autant  plus  rapi- 
dement que  le  nègre  ne  paie  un  gilet  que  §  0.25.  La  douzaine  se  vend  en  gros  $  2.80 
L'Angleterre  et  l'Allemagne  en  ont  importé,  en  1884-1885,  pour  environ  $  2,700. 

Maisons  de  commerce.  —  Nos  industriels  ne  sauraient  être  assez  prudents  dans 
le  choix  des  maisons  avec  lesquelles  ils  désireraient  établir  des  relations  d'affaires. 
«  On  ne  saurait  trop  leur  recommander,  écrit  a  ce  propos  l'un  de  nos  amis  qui  habite 
le  pays,  de  n'expédier  des  marchandises  qu'après  s'être,  au  préalable,  mis  d'accord 
sur  toutes  les  conditions  de  ventes  ,  de  frais  divers  et  de  recouvrements.  C'est  pour 
n'avoir  pas  pris  ces  précautions  que  certains  de  nos  fabricants  ont  eu  à  subir  souvent 
des  pertes  considérables.  » 

La  plupart  des  établissements  importants  qui  existent  à  Zanzibar  font  l'impor- 
tation e(  l'exportation  de  tous  les  articles,  mais  presque  tous  ne  sont  que  des  succur- 
sales des  grandes  maisons  d'Europe  ou  d'Amérique  ,  dont  ils  reçoivent  directement 
les  marchandises.  Telles  sont  les  maisons  :  Hansing  et  C'e  ,  de  Hambourg  ;  W. 
O'Swald  et  C'e  ,  de  Hambourg  ;  Ropes  and  C",  de  New- York. 

Celles  qui  ont  leur  siège  à  Za  zibar  sont  :  Widmer  frères  (de  Zurich) ,  possédant 
une  succursale  à  Delago-Bay  ;  Smith  Mackenzie  and  C",  agents  de  la  «  British  India 
Steam  navigation  Company  »;  Fleury  and  C;  Greffulhe,  agent  de  la  Compagnie  des 
messageries  maritimes  de  Marseille. 

Il  existe  à  Zanzibar  une  centaine  de  négociants  indous,  arabes  et  goannais  ,  ayant 
un  nom  connu  et  un  certain  crédit  sur  la  place. 

En  ce  qui  concerne  les  Indous,  on  cite  comme  les  plus  considérables,  les  Banians  : 
Djeram  Scoudji ,  Ebdji  Scoudji ,  Damouda  Djeram  ,  Wadi  -  Bima  ,  Coudji  -  Ghamsi , 
Mamla-Mourdji,  Werdji-Candji,  Ravedji-Caissi,  etc. 

Les  Khojas  :  Tharian-Thopan  ,  Silinan-Davoud,  Peera-Dewedje  ,  Nossov-Lilani , 
Sova-Hadji ,  Fadil-Issa,  Wali-Nadrali  ,  IMassor-Nour-Mohamed. 

Les  Boorahs  :  Perra-Bay  ,  Ibrahim-Waldji ,  Ibrahim-bin-Diafar,  Moula-Adamji, 
Loukmandji-Djane-Mohamed  et  enfin  le  Parsée,  Shopoorji-Pestonji-Talati. 

Parmi  ces  Indous,  il  y  en  a  qui  jouissent  d'une  fortune  considérable. 

Parmi  les  Goannais  (Indiens  portugais)  qui  n'ont  à  Zanzibar  que  des  maisons  de 
détail ,  nous  mentionnerons  :  C.-R.  de  Souza  and  C°,  J.-P.  de  Souza,  D.-B.  Perèira, 
Cosme  J.  de  Souza,  E.-F.  de  Souza  junior,  C.  Rodrigues ,  F.-B.  Mascarenhos, 
C.  de  Silva  ,  etc. 

Parmi  les  Arabes,  il  faut  citer  en  première  ligne  le  Sultan  lui-même,  puis  viennent: 
Aly  bin  Issa ,  Salem  bin  Abdallah ,  Hachil  bin  Sneloum ,  Soifou  bin  Amand , 
Mohammed  bin  Soleman  Almandri ,  Mohammed  bin  Abdallah  Chaksy,  et  Abdallah 
bin  Sollam. 

Les  négociants  banians,  qui  sont  actifs,  industrieux,  sobres  et  économes,  tiennent 
pour  la  plupart  à  de  grandes  maisons  de  Bombay  et  du  Cutch  ;  ils  ont,  en  outre,  des 
correspondants  dans  les  principaux  ports  de  la  côte  d'Afrique. 

Beaucoup  d'entre  eux  reçoivent  leurs  marchandises  directement  d'Europe.  Il  y  en 
a  aussi  qui  font  le  commerce  de  détail  pour  des  maisons  européennes. 


-  349  — 

Les  firmes  Hansinget  Widmer  relèvent  du  consulat  général  allemand. 
Celle  d'Oswald,  du  consulat  d' Autriche-Hongrie. 

MM.  Smith  ,  Mackenzie  and  G",  ainsi  que  les  Indous  ,  relèvent  du  consul  général 
d'Angleterre. 
MM.  Fleury  et  C'c  et  Greffulhe,  du  consul  de  France. 

Les  Goannais,  du  consulat  de  Portugal,  et  Ropes  and  G°,  du  consul  des  États-Unis. 
Les  maisons  arabes  relèvent  du  Sultan  de  Zanzibar. 

Lignes  de  navigation.  —  Il  n'existe  qu'une  ligne  régulière  d'Europe  vers  Zanzi- 
bar, c'est  celle  de  la  «  British  Indian  Steam  Navigation  Company  »  de  Londres.  11  y 
a  un  départ  pour  Aden  chaque  semaine  ;  dans  ce  dernier  port,  les  marchandises  en 
destination  de  Lamoo,  Mombassa  ,  Zanzibar  ,  Kiloa,  Lindi,  Ibo  et  Mozambique  sont 
transbordées  à  bord  d'un  steamer  de  la  même  Compagnie,  qui  quitte  Aden  tous  les 
vingt-huit  jours  pour  les  ports  ci-dessus  indiqués  ,  emportant  aussi  la  poste  que  les 
navires  de  la  «  Peninsular  and  Oriental  »  y  déposent  chaque  semaine. 

La  «  British  India  »  expédie  des  colis  ordinaires  de  Londres  à  Zanzibar ,  à  raison 
de  50  shillings,  plus  10  p.  c.  de  primage  par  40  pieds  cubes  ou  par  tonne  de  1,015 
kilogrammes. 

Les  courtiers  de  cette  Compagnie  sont  MM.  Hankey-Gellashy-Sewell  et  Ci«  , 
Leadenhall  street,  n"  109,  à  Londres. 

La  durée  du  trajet  est  d'environ  six  semaines. 

La  maison  J.-P.  Best,  qui  représente  à  Anvers  la  «  Peninsular  and  Oriental  Navi- 
gation Company  » ,  peut  expédier  par  les  steamers  de  cette  ligne,  avec  connaisse- 
ment direct,  des  marchandises  pour  Zanzibar  ,  à  raison  de  65  shillings  ,  plus  10  p.  c. 
de  primage  par  40  pieds  cubes,  ou  par  tonne  de  1,015  kilogrammes. 

Mais  par  suite  d'un  contrat  existant  entre  Saïd  Bargash  et  cette  dernière  Compa- 
gnie, les  marchandises  sont  débarquées  à  Bombay  et  apportées  à  Zanzibar  par  les 
steamers  du  Sultan. 

La  durée  totale  de  ce  trajet  est  d'environ  trois  mois. 

La  maison-  W.  0'  Swald  et  C'e  ,  de  Hambourg  ,  possède  un  steamer  qui  fait  le 
service  entre  cette  ville  et  Zanzibar  sans  transbordement.  Les  départs  sont  très 
irréguliers  et  le  fret  est  de  50  shillings  par  40  pieds  cubes. 

Les  messageries  maritimes  de  Marseille  ont  établi ,  à  partir  du  mois  de  janvier 
1887,  une  ligne  directe  entre  cette  ville  et  Zanzibar.J^Le  prix  du  fret  ne  nous  est 
connu  ,  mais  il  est ,  paraît-il ,  inférieur  à  celui  de  la  <  British  India  ».  La  durée  du 
trajet  entre  Marseille  et  Zanzibar  est  d'environ  vingt  jours. 


AMERIQUE. 

ËjCS  tissas  européens  au  Mexique.  —  Voici  quelques  renseignements 
utiles  que  nous  avons  pu  recueillir  sur  ce  sujet  : 

Coton.  —  Les  cotonnades  à  bon  marché  sont  celles  qui  conviennent  spécialement 
à  la  région  des  terres  chaudes  du  Mexique  et  principalement  pour  les  places  de 
l'intérieur  oii  l'on  donne  aux  tissus  de  coton  les  différentes  applications  réservées  en 
France  aux  toiles  de  chanvre. 

Les  quatre  principaux  tissus  de  consommation  (les  greycottons  ,  les  madapolams  , 
les  indiennes  et  les  coutils)  viennent  d'Angleterre,  des  États-Unis  et  en  très  petite 
quantité  de  France. 

L'écoulement  facile  des  cotonnades ,  joint  aux  droits  d'importation  ti'ès  élevés 


-  350  - 

qui  frappent  ces  tissus ,  en  ont  fait  un  article  rémunérateur  pour  la  contrebande 
considérable  qui  se  fait  sur  la  ligne  frontière  formée  par  le  Rio  Grande ,  au  nord 
du  Mexique. 

Indiennes  ,  madapolams  et  coutils.  —  Les  producteurs  français  pourraient 
entrer  en  concurrence  sur  ces  articles  avec  les  producteurs  anglais  et  américains, 
s'ils  étudiaient  davantage  les  goûts  et  les  besoins  de  ce  peuple. 

Au  Mexique  ,  la  marchandise  vaut  plus  par  Vapparence  que  par  la  qualité  réelle. 
Aussi  les  Anglais  et  les  Américains  s'efforcent-ils  de  confectionner  des  tissus 
légers  contenant  peu  de  matière  première ,  tout  en  offrant  l'aspect  des  qualités 
supérieures. 

Ils  obtiennent  ce  résultat  par  le  fini  qu'ils  donnent  à  la  fabrication  et  qui  ne  se 
trouve  pas  dans  les  produits  français  de  qualité  inférieure.  Telle  est  la  raison  pour 
laquelle  les  indiennes  ,  les  madapolams  et  les  coutils  français  ne  supportent  pas  la 
comparaison  avec  les  produits  anglais  et  américains. 

L'attention  de  nos  fabricants  devrait  se  porter  sur  les  articles  de  coton ,  dont 
l'importation  atteint  un  chiffre  considérable.  En  faisant  des  produits  conformes 
aux  besoins  d'un  consommateur  pauvre ,  ils  pourraient  expédier  concurremment 
avec  l'Angleterre  et  les  États-Unis  ;  ils  trouveraient  au  Mexique  un  débouché 
important. 

Nous  ajouterons  que  les  indiennes  et  un  tissu  de  coton  grossier,  connu  dans  le  pays 
souslenomdemanfa^W^rwena,  sont  l'objet  de  l'industrie  nationale.  Des  fabriques  instal- 
lées près  de  Puebla,  livrent  à  la  consommation  certaines  quantités  de  cette  marchan- 
dise. Toutefois ,  l'écoulement  de  ces  fabriques  n'a  pas  l'importance  qu'il  pourrait 
avoir,  et  cela  pour  deux  causes  : 

1°  Les  fabricants  ,  malgré  l'exemption  de  droits  dont  ils  bénéficient ,  ne  peuvent 
livrer  leurs  produits  à  meilleur  marché  que  ceux  provenant  de  l'étranger  ; 

2°  Les  indiennes  sont  légèrement  inférieures,  parce  que  l'impression,  au  lieu  d'être 
sur  tissus  de  coton  blanc,  est  sur  tissus  de  coton  écru. 

Bonneterie.  —  Il  en  est  importé  quelque  peu  de  France ,  mais  la  plus  grande 
partie  vient  d'Allemagne.  L'emballage  en  carton  des  Allemands  en  facilite  beaucoup 
la  vente.  On  ne  peut  obtenir  en  France  le  même  emballage  qu'en  payant  un  extra  sur 
le  prix,  ce  qui  rend  la  marchandise  encore  plus  chère. 

Lm.  —  L'Angleterre  et  la  France  pourvoient  ce  marché  de  tissus  de  lin. 
Les  mouchoirs,  le  fil  à  coudre,  les  serviettes,  les  coutils  pour  pantalons,  les  tissus 
fins  pour  chemises,  etc.,  sont  anglais. 
Les  toiles  françaises  sont  fort  appréciées  pour  draps  de  lit,  etc. 

Laine.  —  Sur  toutes  les  qualités  supérieures ,  la  France  prime  l'Angleterre  et 
l'Allemagne. 

Les  bons  draps  noirs  viennent  de  France  ;  on  en  reçoit  quelques  imitations 
d'Allemagne  et  d'Angleterre. 

Les  casimirs  pour  vêtements  d'hommes  sont  également  français. 

Les  cachemires  et  châles-cachemires  proviennent  tous  de  France.  Les  Allemands , 
paraît -il ,  n'ont  pu  réussir  ,  jusqu'à  présent ,  à  imiter  ce  genre  ,  malgré  tous  leurs 
efforts. 

Les  flanelles  anglaises  sont  préférées  à  cause  de  leurs  dessins  qui  plaisent  à 
ce  public. 

Tapis.  —  Les  tapis  sont  importés  d'Angleterre.  La  vente  en  est  très  restreinte. 


-  351 


Soierie.  —  L'importation  des  articles  de  soie  a  beaucoup  diminué  en  raison  des 
droits  élevés  prélevés  sur  ce  produit. 

La  soierie  noire  est  l'article  courant  ;  elle  venait  autrefois  de  France  ,  mais  elle 
rencontre  aujourd'hui  de  la  concurrence. 

Pour  les  soieries  comme  pour  les  autres  marchandises,  le  consommateur  demande 
de  ïapparence,  et  le  vendeur  des  tissus  légers  n'ayant  pas  à  acquitter  dos  droits  qui 
chargent  trop  la  vente. 

Aussi  a-t-on  introduit  sur  ce  marché,  depuis  quelques  années,  les  taffetas  de 
Florence  et  les  foulards  suisses.  Us  sont  évidemment  d'une  qualité  inférieure  aux 
articles  de  Lyon  ,  mais  ils  ont  la  même  apparence  et  procurent  à  l'importateur  une 
économie  de  4  à  5  p.  100  sur  le  prix  de  revient, 

La  rubanerie  française  est  en  concurrence  avec  les  rubaneries  allemandes  et 
suisses. 

Le  tableau  ci-dessous  fait  connaître  les  prix  auxquels  sont  vendus  au  détail  les 
principaux  tissus  que  je  viens  de  citer  : 


DESIGNATION 

DES  ARTICLES. 


Tissus 
de  coton 

Calicot. . . 


impnmes 


Madapolam 


anglais  chiné, 
coton 


.  américain  chi- 
Goutils.<       né,  coton.. 

français  coton 

de  lin 

Cotons  imprimés 

Popeline,  soie  et  coton. 
(ParlOOkilogr.net)... 

Mousseline 


DROITS 
d'importa- 
tion 

par  mètre  carré. 


Cachemire  laine. 

Casimir    en    laine    pour 
vêtements  d'hommes . . 

Drap  noir  pour  vêtements       ,  ^^      ^ 

d'hommes f    3  p.  75  c 

le  kil.  net 


piastr.  ceutavos. 

0  15 

0  11 
0  11 

0  11 

0  15 

0  15 
0  15 
0  35 
0  15 

5  00à7  50 
0  11  àO  15 

Selon 
le  poids, 

par 

mètre  carré  ' 

de  1  p.  05 

jusau'à 


imprimés    1  sur  calicot . . 

pour        > 
meubles    \  sur  cretonne. 


0  15 
0  17 


LARGEUR 

en 

CENTI- 
MÈTRES. 


55  à  62 

75  à  91 

60  à  91 

70  à  95 


60 

62 

70 
70 
70 

55 

60  à  75 

80  à  180 
170  à  180 
1170  à  180 

62  à  75 
62  à  75 


PRIX 

PAR  YARA 

'8.3  centimètres': 


pia.str.  centavos 

0  12  à  0  15: 

0  17  à  0  22 
0  12  à  0  18 

0  18  à  0  31 

0  20  à  0  25 

0  33  à  0  34 
0  38  à  0  60 
0  75  à  1  00 
0  25  à  0  31 

0  38  à  1  50 
0  16  à  0  20 

0  47  à  1  75 

3  50  à  5  00 

4  00  à  7  00 

0  16  à  0  50 
0  16  à  0  50 


PAYS 

DE   PROVENANCE. 


Angleterre , 

États-Unis. 

Idem. 

Idem. 

Angleterre , 

Ét'-Unis,  France 

Angleterre, 

États-Unis. 
France. 
Angleterre. 
France. 

Angleterre. 
Idem. 

France. 

Idem. 

Idem. 

Angleterre , 

États-Unis. 

Idem. 


p 


-  352  - 

Habitudes  commercules.  —  Les  importateurs  de  ce  pays  s'approvisionnent ,  en 
général ,  par  l'intermédiaire  de  commissionnaires  résidant  à  Paris  et  ne  s'adressent 
presque  jamais  aux  fabricants.  Le  commissionnaire  leur  ouvre  un  crédit  proportionné 
à  leurs  capitaux  et  se  charge  de  leurs  achats  moyennant  une  commission  de  2  1/2  à 
5  p.  100. 

Ces  achats  sont  payables  à  quatre-vingt-dix  jours. 

Les  payements  sont  effectués  par  traites  ou  par  l'envoi  de  produits  du  pays  cpii  :, 

sont  vendus  par  l'entremise  d'un  tiers.  ■ 

Les  ventes  en  gros  se  font  habituellement  à  six  et  huit  mois  de  terme ,  ou  au 
comptant ,  avec  6  à  8  p.  100  d'escompte. 


Pour  les  Faits  et  Nouvelles  géographiques  non  extraits . 

LE   SECRÉTAIRE-GÉNÉEAL  , 

ALFRED  RENOUARD. 


SOCIETE  DE  GEOGRAPHIE 

DE     LILLE. 


SOCIÉTAIRES  NOUVEAUX  ADMIS  DANS  LE  COURANT  DE  MAI  1887. 


MEMBRES   ORDINAIRES 

1.111e. 

cription.  ' 

1417.  Frossvru.  capitaine  de  génie,  place  Sébaslopol,  6. 

1418.  Herli.n  (Georges),  notaire,  square  de  Jussieu,  17. 

Iil9.     Pauknt  (Henri),  l'abricant  de  brosses,  rue  Nationale,  161 . 

1420.  Raboisson  (A.)  fabricant  de  confiseries,  rue  du  Vieux-Faubourg,  48. 

1427.  Ulîjaudin  (Albert),  inécanicien-coiistructeur,  rue  Boucher-de-Pertbes,  15. 

1428.  DuQUESNAY  (Emile),  négociant  en  vins,  rue  Nicolas-Leblanc,  17. 

1429.  Picard  (Arsène),  ^,  trésorier-payeur-général,  rue  d'Anjou,  2. 

1434.  CwEz,  photographe,  rue  de  Bélhune,  77. 

1436.  Yennin,  brasseur,  quai  de  la  llaute-Deùle. 

Paris. 

1435.  Lemokjne,  libraire,  rue  Bonaparte.  12. 

Roubalx. 

1421 .  Del,\outre-Flipo  (A.),  propriétaire,  Grande-Rue,  33. 

1422.  Del.\outre-C VULLIEZ  (A.),  propriétaire,  Grande-Rue,  138. 

1423.  Druon-Voreux  (A.),  négociant,  boulevard  de  Paris,  41 . 
142Î'.  Eloy-Duvillier,  fabricant,  buulevard  de  Paris,  65.. 

1425.  Garissimo  (Florent),  fabricant,  rue  Nain,  19. 

1426.  Wattel  (Antoine),  rue  de  l'Espérance,  62. 

1437.  Pollet-Motte  (Joseph),  fabricant,  rue  Neuve,  29. 

1438.  Clerc  (Léon),  négociant  en  cotons,  rue  Fosse-aux-Chêne.s,  23 

Tourcolug;. 

H30.  Vannostal  (Victor),  gérant  de  banque,  rue  des  Orphelins,  31 .        • 

1431.  DujARDiN  (Prosper),  commis-négociant,  rue  Verte,  64. 

1432.  Dëvillers  (E.),  huissier,  rue  d'Havre,  7. 

1433.  Uonoré-Lantoin,  fabricant  de  fuseaux,  rue  des  Pials,  26. 


34 


-354  - 


PROCÈS -VERBAUX  DES  ASSEMBLÉES  GÉNÉRALES. 


Assemblée  générale  du   9  Mai  1887. 


Présidence  de  M.  Paul  Crepy. 


La  séance  est  ouverte  à  8  h.  1/2.  MM.  Paul  Crépj,  président  ;  Alfred 
Renouard  ,  secrétaire-général  ;  Alex.  Eeckrnan,  secrétaire-général  adjoint  ; 
Van  Heede,  bibiothécaire  ;  Quarré-Rejb(>urbon,  archiviste  ;  Grépin,  secré- 
taire du  Comité  d'études  ;  Leburque-Comerre  et  Delessert,  membres  du 
Comité,  prennent  place  au  bureau. 

Nouveaux  sociétaires.  —  Le  secrétaire -général  donne  lecture  d'une  liste  de 
présentation  de  197  membres  nouveaux.  L'admission  de  ces  sociétaires  est  pro- 
noncée à  l'unanimité. 

Commission  des  finances.  —  M.  Warin  ,  président  de  la  Commission  des 
finances,  s'excuse  par  lettre  de  ne  pouvoir  assistera  la  séance.  Mais,  M.  le 
président  fait  connaître  quelle  est  la  situation  actuelle  de  la  Société.  Ea  1886, 
les  recettes  se  sont  élevées  à  19,173  fr.  25  c. ,  et  les  dépenses  à  18,223  fr.  40  c, 
d'où  résulte  un  excédent  de  939  fr.  15  c.  ;  toutefois  il  reste  encore  à 
solder  une  note  d'impression  qui  au  31  décembre  188G  n'étant  pas  encore 
parvenue  au  trésorier.  Comme  nous  avons  affaire  au  plus  patient  des  impri- 
meurs et  que  les  recettes  de  la  Société  s'accroissent  avec  le  nombre  de  socié- 
taires, les  comptes  n'ont  n'en  pas  moins  été  arrêtés  à  la  fin  du  dernier  exercice, 
et  le  reliquat  reporté  sur  l'année  1887  oiî  l'on  soldera  facilement  tout  ce  qui 
pourra  se  présentei. 

Commission  des  prix  et  récompenses.  —  La  Commission  des  prix  et  récom- 
penses s'est  réunie  sous  la  présidence  de  M.  Brunel.  Elle  a  décidé  que  le  con- 
cours de  1887  aurait  lieu  entre  les  élèves  domiciliés  dans  l'arrondissement  de 
Lille,  (enseignement  public  ou  libre)  et  appartenant  aux  catégories  désignées 
ci-après  : 

Pour  les  jeunes  gens  : 

1"  Enseignement  secondaire. —  Au-dessus  de  16  ans:  Programme  du  Cours 
de  Saint-Cjr.  Au-dessous  de  16  ans  ;  Géographie  de  l'Europe. 

2"  Enseignement  primaire  supérieur.  —  Au-dessus  de  15  ans  :  Les  cinq 
parties  du  monde.  Au-dessous  de  15  ans  :  Géographie  physique  et  politique 
du  département  du  Nord,  de  la  France  et  de  l'Europe. 


-  355  — 

3°  Enseignement  primaire  élémentaire.  — Agés  de  9  à  11  ans  :  Sujets  tirés 
de  la  France  et  du  département  du  Nord.  Agés  de  11  à  14  ans  :  Géographie 
générale  de  l'Europe,  à  l'exceptioa  de  la  France. 

Pour  les  jeunes  filles  : 

1°  Enseignement  secondaire.  —  Au-dessus  de  16  ans  :  Géographie  écono- 
mique des  cinq  parties  du  monde.  Au-dessous  de  16  ans  :  La  France. 

2"  Enseignement  primaire  supérieur.  —  Au-dessus  de  15  ans  :  Les  cinq 
parties  du  monde  Au-dessous  de  15  ans  :  Géographie  physique  et  politique 
du  département  du  Nord,  de  la  France  et  de  l'Europe. 

3°  Enseignement  primaire  élémentaire. —  Agées  de  9  à  11  ans  :  Sujets  tirés 
de  la  France  et  du  département  du  Nord.  Agées  de  11  à  14  ans  :  Géographie 
générale  de  l'Europe,  à  l'exception  de  la  France. 

La  date  du  Concours  a  été  fixée  au  Jeudi  16  juin,  à  8  heures  du  matin,  sauf 
pour  les  élèves  de  l'enseignement  secondaire,  pour  lesquels  il  est  reporté  au 
jeudi  30  juin.  Ce  Concours  aura  lieu  simultanément  à  Lille,  au  siège  de  la 
Société  de  Géographie,  29  rue  des  Jardins  ;  à  Roubaix  et  à  Tourcoing,  dans  les 
salles  de  l'Hôlel-de- Ville.  Les  copies  seront  fournies  par  la  Société. 

Les  Elèves  désirant  prendre  part  au  Concours  devront  se  faire  inscrire, 
avant  le  7  Juiû,  à  Lille,  chez  M.  Paul  Crépy,  Président  de  la  Société  de  Géo- 
graphie, place  aux  Bleuets,  10  et  12,  ou  chez  M.  Alfred  Renouard,  Secrétaire- 
Général  de  la  Société,  46,  rue  Alexandre-Leleux  ;  à  B.oubaix,  chez  M.  Henrv 
Bossut,  Vice-Président,  Grande-Rue,  5,  ou  chez  M.  Leburque-Comerre, 
membre  du  Comité,  rue  du  Pavs  ;  à  Tourcoing,  chez  M.  François  Masurel 
Père. 

La  demande  d'inscription  devra  mentionner  ;  1°  Les  nom,  prénoms,  et  l'âge 
de  l'élève;  2"  L'indication  de  l'établissement  dont  il  suit  les  cours,  et,  pour  les 
élèves  recevant  l'instruction  dans  leur  famille,  l'adresse  de  leurs  parents.  ; 
3"  La  catégorie,  et,  s'il  j  a  heu,  la  série  de  catégorie  dans  laquelle  l'élève 
désire  concourir.  Toute  demande  d'inscription,  qui  ne  renfermerait  pas  ces  ren- 
seignements, sera  considérée  comme  nulle  et  non-avenue  Les  impétrants  qui, 
par  suite  de  déclarations  fausses  ou  incomplètes,  seraient  éliminés  du  concours, 
recevront  avis  de  la  décision  prise  à  leur  égard  par  le  Comité  d'Etudes. 

On  peut  s'inscrire  par  demande  affranchie. 

Enfin,  la  Commission  a  décidé  que  les  lauréats  des  Concours  précédents  qui, 
se  présentant  dans  la  même  catégorie,  auraient  mérité  mi  nouveau  prix,  rece- 
vraient un  diplôme  remplaçant  et  mentionnant  le  prix  qui  leur  aurait  été 
accordé  dans  ce  dernier  concours. 

Quant  aux  Prix  et  Récompenses,  ils  consisteront  en  Volumes,  Atlas, 
Médailles,  Bourses  de  vojage.  Diplômes,   etc.;  en  voici  la    liste  pour    1887  : 


—  356  — 

1"  Prix  offert  par  M.  Paul  Crépj 300  fr. 

2"  —  M.  Henrj  Bossut 150 

3°  —  M.  François  Masurel  père. 200 

4°  — -  M.  Léonard  Danel,  à  plusieurs  jeunes  gens  Lauréats 

consistant  en  un  vojage  dans  une  des  villes  ou 

l'un  des  ports  de  la  région  du  Nord 200 

5"  —  Les  Membres  du  Comité  d'Etudes  de  la  Société... 

(Médailles  et  Diplômes  d'Honneur) . 
6°  —  une  somme  de  400  francs  est  offerte  par  la  Société 
de  Géographie  de  Lille,  au  nom  de  feu  M.  le 
Marquis  d'Audiffret,  à  l'auteur  du  meilleur 
mémoire  traitant  des  débouchés  à  ouvrir  ou  à 
développer  pour  les  productions  industrielles 
du  département  du  Nord 400 

Les  mémoires  pour  ce  prix  devront  être  remis  avant  le  1"'  Novembre  1887, 
au  nom  de  M.  le  Président  de  la  Société  de  Géographie,  29,  rue  des  Jardins, 
à  Lille. 

M.  le  président  exprime  l'espoir  que  cette  année  comme  les  précédentes,  un 
très  grand  nombre  de  candidats  voudront  se  faire  inscrire  pour  participer  à 
ces  concours. 

Don  à  M.  Weslmarck.  —  On  a  pu  voir  aux  nouvelles  géographiques  du 
dernier  bulletin  que  M.  Westmarck  s'était  dirigé  d'Oran  vers  l'intérieur  de 
l'Afrique  et  que  sur  sa  demande,  nous  avions  paiticipé  pour  une  somme 
de  100  fr.  aux  frais  de  son  vovage.  M.  le  président  rappelle  qu'en  agis- 
sant ainsi ,  le  Comité  a  voulu  montrer  toute  la  sympathie  et  la  bienveillance 
de  la  Société  pour  le  jeune  explorateur  suédois,  il  exprime  le  regret  que  nos 
modestes  ressources  ne  nous  aient  pas  permis  d'envojer  une  somme  plus 
importante. 

Souscription  au  monument  Soleillet.  —  Un  Comité  s'est  formé  récemment  à 
Paris  pour  élever  un  monument  à  l'explorateur  Soleillet,  que  nous  avons 
entendu  à  Lille  à  diverses  reprises  et  auquel  la  Société  a  décerné,  en  1885, 
une  médaille  d'honneur  comme  marque  d'estime  et  de  considération  pour  ses 
travaux  et  explorations.  M.  le  président  rappelle  qu'il  a  considéré  comme  un 
honneur  d'accepter  de  faire  partie  de  ce  Comité,  il  engage  nos  sociétaires  à 
participer  à  la  souscription  qui  est  organisée.  Il  annonce  en  même  temps  que 
le  Comité  d'études ,  au  nom  de  la  Société  dans  son  ensemble,  s'est  mscrit 
parmi  les  souscripteurs. 

Félicitations  à  M.  Dehaisnes.  —  Un  membre  du  Comité  d'études  ,  M.  le 
chanoine  Dehames  ,  vient  d'être  nommé  membre  correspondant  du  ministère 
de  l'Instruction  pubUque.   M.  le  président   dit  que  la  Société  est  heureuse  de 


II 


—  357  - 

cetle  distinction  accordée  au  savant  auteur  de  «  l'Art  Flamand  »,  il  pense  que 
les  membres  présents  voudront  bien  joindre  leurs  félicitations  à  celles  qui 
déjà  ont  été  adressées  à  M.  Deliaisnes. 

Erection  d'une  statue  au  général  Fatdherbe.  —  A.u  moment  où  récemment 
la  statue  du  général  Faidherbe,  président  d'honneur  de  la  Société,  était  inau- 
g-iirée  à  Saint-Louis  du  Sénégal,  M.  le  président  dit  qu'il  a  été  l'interprète  du 
Comité  d'études,  en  adressant  à  M.  Descemet,  président  du  Conseil  génénil  de 
Saint-Louis  et  membre  de  la  Société  de  géographie  de  Lille  ,  la  dépêche 
suivante  :  «  Société  géographie  Lille  assiste  «le  cœur  inauguration  statue 
Faidherbe  son  président  d'honneur.  »  M.  Descemet  ti  répondu  aussitôt  : 
«  Colonie  remercie  Société  géographie  Lille.  »  M.  Paul  Crépj,  dépose  sur 
le  bureau  divers  journaux  du  Sénégal,  rendant  compte  de  la  cérémonie  d'inau- 
guration et  oii  se  trouve  mentionnée  l'arrivée  de  notre  dépêche. 

Cartes  —  M.  Alex.  Eeckman  dit  que  les  plus  grands  efforts  sont  faits  pour 
augmenter  dans  notre  bulletin  l'insertion  de  cartes  accompagnant  les  textes.  Il 
fait  remarquer  que  le  dernier  fascicule  d'avril  en  contenait  trois,  et  que, 
malgré  les  exigences  budgétaires,  nous  comptons  pouvoir  en  insérer  une  dans 
chaque  bulletin  mensuel.  Sous  peu  paraîtra  une  carte  générale  de  l'Afrique 
équatoriale  et  australe  complétée  jusqu'à  ce  jour  :  nous  n'attendons  plus  pour 
la  terminer  que  les  résultats  officiels  de  la  mission  toute  récente  de  M.  le 
capitaine  Rouvier  et  de  M.  le  docteur  Ballay  ;  les  membres  de  la  société  auront 
ainsi  en  mams  un  document  renfermant  d'une  manière  complète  toutes  les 
découvertes  importantes  faites  en  Afrique  depuis  trente  ans. 

Diplômes.  —  Un  grand  nombre  de  sociétaires  se  sont  fait  inscrire  pour 
obtenir  au  prix  de  5  fr.  le  diplôme  composé  par  M.  Van  Driesten  pour  la 
Société  de  Géographie  de  Lille.  Ces  diplômes  sont  presque  tous  terminés  et 
distribués.  M.  le  Président  dit  qu'il  n'en  reste  plus  qu'un  nombre  restreint 
d'exempliiires  en  blanc,  il  engage  ceux  des  sociétaires  qui  en  désireraient  un 
exemplaire  de  vouloir  bien  donner  leurs  noms  au  plus  tôt  au  Secrétariat,  afin 
qu'on  puisse  être  certain  de  satisfaire  toutes  les  demandes  qui  se  présenteront. 

Nouveau  membre  correspondant.  —  M.  le  Président  dit  que  M.  Froment, 
membre  de  la  société,  qui  récemment  a  fait  à  Lille  une  conférence  que  publie- 
ront prochainement  nos  bulletins,  est  reparti  pour  le  Congo.  Il  demande  à 
l'assemblée,  sur  la  proposition  du  Comité  d'études,  de  nommer  M.  Froment 
membre  correspondant.  Les  membres  présents  décident  à  l'unanimité  que  le 
nom  de  cet  explorateur  du  Nord  sera  inscrit  parmi  les  correspondants  de  la 
société. 

Bibliothèque.  —  M.  Van  Hende,  bibliothécaire,  annonce  que  prochainement 
le  catalogue  complet  de,  la   bibliothèque  de  la  société  sera  arrêté  et  imprimé. 


-  358  — 

Il  constate  que,  depuis  le  mois  de  janvier  1887,  il  lui  a  été  envoyé  près  de 
150  volumes,  brochures  et  atlas,  représentant  111  ouvrages  différents,  et 
donne  la  liste  des  donateurs,  par  ordre  d'inscription  sur  le  catalogue,  au  fur  et 
à  mesure  des  envois.  Ce  sont  : 

MM.  Tilmant  :  5  ouvrages  de  géographie  et  astronomie. 

Général  Faidiierbe  :  2  ouvrages  de  linguistique  et  explorations. 

De  Grimbrj  :  8  ouvrages  divers. 

Auguste  Crépj  :  la  carte  d'un  chemin  de  fer  américain. 

Louis  Danel,  son  ouvrage  :  «  Les  presses  d'imprimerie.  » 

Van  Hende  :  8  ouvrages  variés. 

Damien  :  3  brochures  de  météorologie  dont  il  est  l'auteur. 

A.imé  Houzé  de  l'Aulnove  :  7  ouvrages  dont  il  est  l'auteur  et  30  brochures 

de  son  regretté  frère,  le  docteur  Alfred  Houzé,  membre  de  la  Société. 
Louis  Quarré  :  un  bel  atlas  et  3  ouvrages  historiques. 
Duflos  :  un  dictionnaire  géographique  et  4  ouvrages  variés. 
Alf.  Renouard  :  14  volumes  et  brochures  sur  l'industrie  textile  dont  il 

l'auteur  et  un  programme  d'enseignement. 
J.   Scrive-Lojer  :  l'histoire   de  Pafendorf  en   8    volumes  reliés  et  une 

notice  sur  le  lin  dont  il  est  l'auteur. 
Cantineau  :  le  voyage  autour  du  monde  du  capitaine  Woodes-Rogers. 
Merchier  :  une  brochure  dont  il  est  l'auteur  et  7  brochures  de  M.  Desdevises 

du  Désert. 
De  Guerne  :  3  brochures  de  vojages  dont  il  est  l'auteur. 
Alph.  Herlin  :  2  atlas  des  XVIF  et  VXIIF  siècle. 
Bertheloot  ^de  Tourcoing)  :  10  volumes  sur  l'histoire  des  établissements 

du  commerce  européen  dans  les  Indes. 
G.  Leclercq  :  3  ouvrages  en  20  volumes,  histoire  moderne  et  littéraire. 
Edm.  Van  Butsele  :   2  volumes,  vojages  et  découvertes  au  cœur  de 

l'Afrique. 

Des  remercîments  seront  adressés  à  ces  généreux  donateurs. 

Commission  des  excursions.  —  M.  le  Président  rappelle  que  la  Commission 
des  excursions  pour  1887  s'est  réunie  plusieurs  fois  sous  la  présidence  de 
M.  H.  Crépin  ;  le  programme  en  a  été  arrêté  récemment. 

Une  première  excursion  a  déjà  eu  lieu  le  jeudi  21  avril  à  Lens,  et  nos 
sociétaires  conserveront  le  souvenir  de  la  magnifique  réception  qui  leur  a  été 
faite  par  la  Société  des  Mines  et  le  Président  du  Conseil  d'administration,  ainsi 
que  de  l'intéressant  voyage  souterrain  qu'ils  ont  entrepris  dans  la  fosse  N"  3 
(Liévin)  jusque  la  fosse  N"  4  (Lens).  Voici  quelles  sont  les  autres  excursions 
projetées  : 


—  350- 


DATES. 

BUT  OU  ITINÉRAIRE. 

ORGANISATEURS. 

Jeudi  Ifî  mai. 

Saint  Amand-les-Eaux    et     ses 

MM.    Leburque-Gomère 

environs. 

et  Léon  HouzÉ. 

Dimanche  et  Lundi 

Anvers  et  vallée  de  l'Escaut. 

MM.    Leburque-Gomère 

29  et  30  mai. 

et  Fernaux. 

Dimanche  12  juin. 

Gasèel  (Mont  de)  et  ses  envi- 

MM. Merchier  et   Fer- 

rons. 

naux. 

Samedi  et  Diman- 

Ruines de  l'abbaye  de  Liessies. 

MM.  H.  Crépin  et  Albert 

che  25  et  26  juin. 

—  Forêt  de  Trélon  et  Lac  de 
la  Folie(Excursion  des  dames) 

Mullier. 

Dimanche  lOjuill. 

Lumbres  et  la  vallée  de  l'Aa. 

MM.  Alex.  Eeckman  et 
H.  Grépin. 

Dimanche  24  juill. 

Bois  de  Phalempin.  — Mons-en- 

MM .  Epinat,  Léon  HouzÉ 

Pévèle. 

et  Fernaux. 

Dimanche  31  juill. 

Procession  de  Fumes. 

MM.  Alfred  Renouard  et 
Léon  HouzÉ. 

Dimanche  et  Lundi 

Grottes  de  Han.  —  Vallée  de  la 

MM.  H.  Grépin  et  Tac- 

14  et  15  août. 

Meuse. 

QUET 

En  outre,  M.  le  professeur  Gosselet  a  bien  voulu  accepter  la  direction 
d'une  excursion  scientifique  dans  l'Ardenne  ou  en  Bel^que  :  la  date  en  sera 
ultérieurement  fixée. 

Enfin  ,  MM.  Acheray  et  Paul  Fagq  qui  ont  dirigé,  avec  tant  de  succès, 
l'excursion  de  Londres  ,  ont  été  priés  par  le  Comité  d'organiser  la  grande 
excursion  annuelle.  Le  but,  l'itinéraire  et  les  conditions  de  cette  excursion,  qui 
aura  lieu  en  août,  seront  annoncés  en  temps  utile. 

Il  j  a  lieu  de  noter  encore  que,  pour  faire  suite  au  vojage  de  Calais  à  Rouen 
dont  la  relation  a  été  publiée  dans  les  bulletins  de  la  Société,  M.  A.  Guiselin, 
de  Cassel,  se  propose  d'efi'ectuer  à  pied  le  trajet  du  Havre  Trouville)  à  Rennes. 
Ce  voyage  d'une  durée  de  26  jours  comprendrait  21  étapes.  Les  excursionnistes 
se  rendraient  directement  au  Havre  par  les  voies  rapides,  feraient  la  courte 
traversée  du  Havre  à  Trouville  et  de  là  exécuteraient  à  pied  l'itinéraire  ci- 
après  : 

1  de  Trouville  à  Dives 20  kilomètres. 

2  de  Dives  à  Caen 32  » 

3  de  Caen  à  Ba jeux 31  » 

4  de  Bajeux  à  St-Lô 35  » 

5  de  St-Lô  à  Carentan 27  » 


-  360  — 

6  de  Garentan  à  Valognes 32  kilomètres. 

7  de  Valognes  à  Barfleur 31  » 

8  de  Barfleur  à  Cherbourg    34  » 

9  de  Cherbourg  à  Beaumont 38  » 

10  de  Beaumont  aux  Pieux 24  » 

1 1  des  Pieux  à  la  Haie  du  Puits 38  » 

12  de  la  Haie  du  Puits  à  Coutances 30  » 

13  de  Coutances  à  Granville    33  » 

14  de  Granville  à  Avranches.   30  » 

15  d' Avranches  à  Pontorson 25  » 

16  de  Pontorson  au  Mont  St-Michel  [et  retov/r) 20  » 

17  de  Pontorson  à  Dol 25  » 

18  de  Dol  à  Saint-Malo 38  ;> 

19  de  Saint-Malo  à  Dinan 28  » 

20  de  Dinan  à  Combourg ...   30  » 

21  de  Combourg  à  Rennes 41  » 

Le  voyage  comporterait  4  arrêts  d'une  journée  chacun  ;  les  séjours  seraient 
choisis  et  fixés  parles  excursionnistes.  Il  aurait  lieu  en  juin  prochain,  époque 
des  plus  longs  jours.  On  se  mettrait  en  route  chaque  matin  à  quatre  heures, 
de  façon  à  arriver  à  l'étape  avant  la  grande  chaleur.  Chaque  voyageur  devrait 
se  munir  d'un  sac  à  porter  sur  le  dos,  pouvant  contenir  les  vêtements,  linge  et 
objets  de  toilette  nécessaires. 

Les  frais  du  voyage  sont  évalués  de  300  à  350  fr.  y  compris  les  frais  de 
chemin  de  fer  en  3^  classe  et  à  400  fr.  environ  eu  2''  classe  (de  Lille  au  Havre 
à  l'aller  et  de  Rennes  à  Lille  par  Paris  au  retour). 

Les  membres  de  la  Société  que  ce  voyage  intéresse  et  qui  désirent  y 
prendre  part  sont  priés  de  s'adresser  avant  le  15  juin  prochain  à  M.  A.  Gui- 
selin,  à  Cassel,  qui  se  met  complètement  à  leur  disposition  et  qui  s'empressera 
de  leur  fournir  tous  les  renseignements  dunt  ils  pourraient  avoir  besoin. 

M.  le  Président  ajoute  que  le  Comité  se  réserve  le  droit  de  modifier,  an 
besoin  ,  la  date  et  l'itinéradre  des  excursions  projetées. 

Il  annonce  aussi  que  M.  Cayez,  photographe,  membre  de  la  Société,  se 
mettra  à  la  disposition  des  excursionnistes  lorsque  la  demande  lui  en  sera  faite 
par  la  commission  d'organisation. 

Le  programme  de  chaque  excursion  sera  mis  à  la  disposition  des  sociétaires, 
29,  rue  des  Jardins,  à  Lille,  il  indiquera  l'itinéraire  définitivement  adopté  et 
le  chifiFre  des  arrhes  à  consigner  entre  les  mains  de  l'appariteur  David,  La  liste 
des  adhéiiona  sera  close  huit  jours  avant  les  dates  fixées  :  passé  ce  délai, 
toute  soi^fcription  sera  rigoureusement  refusée. 

Congrès  des  sociétés  savantes.  —  On  sait  que  cette  année,  le  Congrès  des 
sociétés  savantes  a  lieu  pendant  les  fêtes  de  la  Pentecôte.  Plusieurs  membres 


-  3fii  - 

de  la  société  se  sont  inscrits  pour  j  prendre  part,  ce  sont  MM.  Isaïe  Reumaux, 
Alex.  Eeckman,  Albert  Mulliez,  Leburque-Comerre  et  Paul  Grépj. 

Congrès  national  de  géographie  de  1887.  — Le  Gongrr-s  annuel  de  géogra- 
phie se  tiendra  cette  année  au  Havre.  Le  programme  suivant  nous  en  est 
communiqué  par  la  Société  de  géographie  commerciale  du  Havre  : 

Géographie  commerciale.  —  Situation  géographique  des  ports  français  — 
Leur  outillage.  —  Facilités  d'entrée  et  de  sortie  des  bâtiments.  —  Pilotage. 
—  Mouvement  commercial.  —  Étude  du  rôle  des  chemins  de  fer  et  des 
canaux  pour  le  service  des  ports  français.  (Rapport  présenté  par  la  Société 
Bretonne  de  Géographie). 

Colonisation.  —  1"  Réglementation  de  l'immigration  chinoise  et  réorgani- 
sation du  régime  du  travail  aux  colonies.  (Vœu  du  Congrès  de  1886.  —  Rap- 
port présenté  par  la  Société  Bretonne  de  Géographie). 

2"  Du  travail  pénal  dans  ses  rapports  avec  la  colonisation.  —  (Rapport 
présenté  par  M.  le  Conseiller  Hardouin). 

3"  Situation  industrielle,  commerciale  et  politique  de  nos  colonies.  — 
Avantages  qu'offre  le  protectorat  dans  les  régions  où  le  blancs  ne  peut  vivre 
et  peupler  aussi  facilement  que  dans  la  métropole.  (Rapport  présenté  par  la 
Société  Bretonne  de  Géographie). 

4°  De  la  Colonisation  dans  la  France  continentale.  (Rapport  présenté  par  la 
Société  de  Géographie  de  Tours). 

Enseignement  et  cartographie.  —  l"Etude  comparative  de  l'enseignement 
géographique  en  France  et  à  l'Etranger. 

2**  De  la  nécessité  d'étudier  dans  leur  entier  développement  les  bassins 
communs  à  la  France  et  aux  pajs  limitrophes. 

3°  Des  moyens  à  employer  par  les  Sociétés  de  Géographie  pour  contribuer  à 
relever  le  niveau  des  production  cartographiques.  (Des  rapports  seront  présen- 
tés sur  ces  trois  questions  par  la  Société  de  Géographie  Commerciale  du  Havre). 

Questions  d'organisation.  —  1°  Récompense  honorifique  à  décerner  pério- 
diquement par  les  Congrès  nationaux  des  Sociétés  françaises  de  Géographie  à 
l'auteur  de  Tœuvre  française  qui  ;;ura  fait  accomplir  le  plus  de  progrès  à  la 
science  géographique.  (Rapport  présenté  par  la  Société  de  Géographie  de  Ljon  . 

2**  Nomination  d'une  commission  de  permanence  chargée  de  poursuivre  la 
réalisation  des  vœux  émis  par  le  Congrès.  (Rapport  présenté  par  lu  Société 
de  Géographie  Commerciale  du  Havre). 

3"  Des  movens  à  employer  par  les  Sociétés  françaises  de  Géographie  pour 
étendre  leur  influence  et  rendre  leur  action  plus  efficace.  (Rapport  présenté  par 
la  Société  de  Géographie  de  Tours). 

Rappel  de  vœux.  —  Certains  des  vœux  émis  dans  les  Congrès   précédents 


-  S02  - 

sont  restés  sans  effet.  La  Société  de  Géographie  de  l'Est  se  propose  de  pré- 
senter au  Congrès  un  rapport  sur  ceux  qui  lui  paraissent  devoir  être  renou- 
velés. 

Conférence  he  M.  Trouhet  sur  la  téléphonie  a  grande  bistangk.  — 
La  séance  se  termine  par  une  intéressante  conférence  de  M.  Trouhet,  profes- 
seur à  l'école  de  télégraphie,  sur  la  Téléphonie  à  grande  dislance. 

Le  conférencier  s'excuse  d'abord  d'être  obligé  d'entrer  dans  quelques  détails 
techniques  qu:  s'écartent  peut-être  du  domaine  de  la  Géographie,  cependant 
le  fonctionnement  du  téléphone  et  son  mode  d'exploitation  ne  peuvent  être 
ignorés  aujourd'hai,  car  le  téléphone  est  entré  dans  nos  mœurs  et  quoique  né 
depuis  dix  ans  à  peine  il  a  fait  depuis  longtemps  le  tour  du  monde. 

M.  Trouhet  montre  par  quelques  chiffres  l'extension  rapide  des  réseaux 
téléphoniques  dans  les  divers  pays. 

Le  conférencier  est  heureux  de  faire  remarquer  que  la  première  notion  du 
téléphone  est  due  à  un  français,  M.  Bourseul,  fonctionnaire  de  l'adminis- 
tration des  télégraphes,  qui  dès  1854  dans  un  remarquable  exposé  publié  dans 
les  <<■  annales  télégraphiques  »  a  donné  une  description  à  peu  près  complète  du 
système  tel  que  nous  le  vojous  aujourd'hui  avec  sa  plaque  vibrante  reprodui- 
pant  la  parole  articulée.  Le  défaut  d'encouragements  et  l'état  de  la  science 
électrique  à  cette  époque  ne  permirent  pas  à  M.  Bourseul  de  donner  suite  à 
son  idée. 

En  1876,  à  l'exposition  de  Philadelphie,  le  téléphone  de  Bel  leut  un  énorme 
succès  de  curiosité,  et  depuis  cette  époque  des  perfectionnements  incessants 
vinrent  augmenter  l'intensité  et  la  portée  de  sa  faible  voix. 

Après  avoir  exposé  le  phénomène  des  transformations  successives  qui 
s'opèrent  aux  points  de  vue  mécanique,  magnétique  et  électrique  dans  la 
reproduction  de  la  parole  à  distance,  M.  Trouhet  montre  l'avantage  du  per- 
fectionnement apporté  au  système  par  l'adjonction  du  microphone  à  charbon 
employé  comme  organe  de  transmission,  le  téléphone  proprement  dit  restant 
dans  son  rôle  de  simple   récepteur  de  la  parole  à  Tarrivée. 

Le  conférencier  s'attache  ensuite  à  démontrer  la  nature  des  difficultés  ren- 
contrés au  début  de  la  mise  en  service  de  ce  précieux  appareil  :  sa  grande  sen- 
sibilité est  une  cause  de  gêne  car  il  est  influencé  par  les  perturbations  prove- 
nant des  courants  électriques  en  circulation  sur  les  fils  voisins. 

Le  problème  de  la  téléphonie  à  grande  distance  consiste  donc  à  appliquer 
les  trois  remèdes  suivants  : 

1"  Soustraire  le  circuit  téléphonique  aux  influences  inductives  ; 

2°  Augmenter  l'énergie  de  la  voie  téléphonique  jusqu'à  lui  faire  dominer 
les  bruits  nuisibles  ; 

3°  Diminuer  la  sensibilité  du  téléphone  récepteur,  le  rendre  indifférent  aux 
bruits  étrangers  tout  en  le  laissant  impressionné  par  les  courants  utiles. 


—  363- 

M.  Trouhet  donne  ensuite  la  description  du  sjslème  de  M.  Van  Ryssel- 
bcrghe  qui  non  seulement  atténue  les  bruits  perturbateurs,  mais  encore  fuit  de 
la  téléphonie  et  de  télégraphie  simultanées  à  grande  distance  sur  le  même   fil. 

11  examine  ensuite  le  sjstème  plus  simple  employé  pour  la  première  fois 
sur  la  ligne  internationale  de  Paris  à  Bruxelles  avec  fil  de  retour  et  circuit 
complet  en  bronze  silicieux. 

La  ligne  étant  débarrassée  des  bruits  nuisibles  il  suffit  d'augmenter  sa 
conductibilité  par  un  fil  de  gros  diamètre  ou  meilleur  conducteur  que  le  fer 
pour  obtenir  un  bon  rendement  à  de  très  longues  distunces. 

Le  conférencier  termine  eu  indiquant  quelles  sont  les  villes  qui  possèdent  le 
plus  d'abonnés  au  téléphone:  New-York,  15,000;  Paris,  6,000;  Berlin, 
4,300;  Londres,  4,193;  Stockholm,  3,825;  Rome,  2,054;  Hambourg, 
1,'.)51;  Manchester,  1,171  ;  Liverpool,  1,169;  Copenhague,  1,336;  Anvers, 
1,020;  Amsterdam,  1,195;  Saint-Pétersbourg,  1,100.  Dans  le  Nord  nous 
avons  :  Roubaix-Tourcoing,  412  ;  Lille,  264  et  Dunkerque,  193.  La  plus 
importante  des  villes  à  ce  point  de  vue  est  Stockholm  qui  pour  une  population 
de  173,433  habitants  a  3,825  abonnés,  ce  qui  donne  45  habitants  par  abonné. 

M.  le  Président  remercie  M.  Trouhet  de  son  intéressante  conférence.  — 
La  séance  est  levée  à  10  heures  1/2. 

Le  Secrétaire-général , 

Alfred  RENOUARD. 


-  364 


COMMUNICATIONS  AUX  ASSEMBLÉES  GÉNÉRALES 
LE  SOUDAN  FRANÇAIS 


PÉNÉTRATION    AU   NIGER 


A  Monsifur  Paui,  GREPY,  Président  de  la  Société  de  Géographie  de  Lille. 

Paris,  13  avril  1887. 

Mon  cher  Président  , 

Puisque  les  lecteurs  du  Bulletin  de  la  Société  de  Géographie  de  Lille  veulent 
bien  s'intéresser  aux  affaires  du  Sénégal,  je  désire  les  tenir,  cette  année,  comme 
les  années  précédentes^  au  courant  des  événements  qui  se  passent  dans  ce  pays. 
Mais,  le  temps  me  manquant  pour  faire  la  chose  moi-même,  je  laisse  ce  soin  à  mon 
gendre,  M.  le  Capitaine  BROSSELARD  ,  qui ,  comme  vous  le  savez ,  est  parfai- 
tement compétent  en  tout  ce  qui  concerne  l'Afrique ,  où  il  a  pénétré  déjà  par 
plusieurs  côtés ,  et  sur  laquelle  il  a  fait  paraître  des  travaux  considérables. 

L.  FAIDHERBE. 


CINQUIEME    PARTIE 

Par  M.  BROSSELARD-FAIDHERBE,   Capitaine  d'infanterie, 

attaché  à  l'état-inajor  général  du  Ministère  de  la  Marine  et  des  Colonies , 

Membre  correspondant  do  la  Société  de  Géographie  de  LiLe. 


Sommaire  :  Samory.  — Mission  du  capitaine  Tournier.— Insurrection  de  Mahmadou- 
Lamine.  — Mort  de  Boubakar  Saadà.  —  Mahmadou-Lamiae,  son  passé,  ses 
premiers  actes  d'hostilité.  —  Invasion  du  Bondou.  —  Combat  de  Kounguel.  — 
Attaque  de  Bakel.  —  Opérations  du  lieutenant-colonel  Frey  contre  le  Marabout. 
—  La  situation  dans  le  Fouta.  —  Retour  offensif  de  Mahmadou-Lamine.  — 
Campagne  1886-1887,  le  lieutenant-colonel  Galliéni,  commandant  supérieur  du 
Soudan  Français.  —  Événements  dans  le  Cayor,  mort  de  Samba  Laobé  ,  mort  de 
Lat  Dior.  —  Assassinat  du  roi  des  Trarzas,  Ely,  Amar  Saloum  lui  succède. 


Deux  événements  dune  grande  importance,  le  traité  de  paix  conclu 
avec  Samory.  et  l'insurrection  de  Mahmadou-Lamine,  rendent  l'histoire 
du  Haut-Fleuve  particulièrement  intéressante  pendant  l'année  1886. 

Vers  la  fin  de  décembre  1885,  le  lieutenant-colonel  Frey  était  à 
Khayes,  et  son  attention  était  attirée  par  les  agissements  du  Marabout 
Malimadou- Lamine  qui  avait  établi  sa  résidence  à  Goundiourou.  Malgré 


-  365  - 

toutes  ses  protestations  d'amitié  à  notre  égard,  ce  personnage  s'em- 
ployait activement  à  se  faire  reconnaître  comme  le  chef  des  populations 
Sarakholé  He  cette  région,  et  à  fomenter  quelque  soulèvement,  dont 
il  pût  prendre  la  direction  pour  asseoir  définitivement  son  autorité. 

Le  colonel  qui  le  surveillait,  se  disposait  à  faire  cesser  cette  situation, 
et  achevait  d'organiser  la  colonne  de  ravitaillement  des  postes  de 
l'intérieur.  Lorsqu'il  apprit  que  Niagossola  était  étroitement  bloqué  par 
Malinkamory,  lieutenant  de  Samory,  et  que  Samory  avait  passé  de  sa 
personne  sur  la  rive  gauche  du  Niger  avec  des  forces  considérables 
pour  s'opposer  au  ravitaillement  de  ce  poste,"  il  dût  songer  au  ]>lus 
urgent  et  marcher  sans  retard  contre  ce  dernier. 

On  se  rappelle  que  pendant  la  ampagne  1884-1 885,une  petite  colonne 
surprise  et  assiégée  pendant  huit  jours  à  Nafadié,fut  dégagée  à  grand' 
peine  par  le  commandant  Combes  qui  dut  livrer  ensuite,  pour  rallier 
le  fort  de  Niagassola,  un  combat  meurtrier  à  Kokoro.  L'armée  noire, 
commandée  par  Malinkamory,  brûla  le  village  de  Niagassola,  sous  le 
canon  même  de  ce  fort,  et  en  présence  de  la  colonne.  Puis  elle  s'avança 
jusque  dans  le  Gangaran,  et  hiverna  à  Gale  en  face  de  notre  fort  de 
Kita.  Notre  ligne  de  postes  se  trouva  ainsi  menacée  sur  une  longueur 
de  près  de  300  kil.  et  la  situation  sembla  très  mauvaise  à  la  fin  de 
l'année  1885. 

Partie  le  20  décembre  1885  de  Khayes.  !a  colonne  dirigée  par  le 
colonel  Frey  arriva  à  Kita  dans  la  première  quinzaine  de  janvier  1886. 
Elle  dût  aussitôt  attaquer  Gale,  où  Malinkamory  était  retranché. 

Nous  ne  reviendrons  pas  sur  les  opérations  du  colonel  Frey  contre 
Malinkamory  :  rappelons  seulement  qu'après  la  destruction  de  son 
armée  au  Marigot  de  Farako  Djingo,  la  panique  gagna  Samory  dans 
Sanankoro,  sa  capitale,  où  il  crut  que  nous  allions  venir  l'attaquer.  Ce 
chef  noir  dépêcha  donc  un  de  ses  conseillers  Oumar  Diah.  pour 
obtenir  la  paix  à  tout  prix.  Nous  lui  imposâmes  pour  condition  qu'ii 
se  contenterait  de  la  rive  droite  du  Niger,  et  nous  laisserait  posses- 
seurs de  la  rive  gauche 

Samory  demanda  comme  une  faveur  qu'un  de  nos  officiers  vint 
signer  le  traité  sur  son  territoire. 

Le  capitaine  Tournier,  accompagné  du  capitaine  Mahmadou-Racine, 
des  lieutenants  Péroz  et  Durand,  de  l'interprète  Alassanc,  fut  chargé 
de  cette  mission.  Il  était  suivi  d'une  escorte  de  spahis  et  de  tirailleurs 
sénégalais. 

Ces  officiers  arrivèrent  le  20  mars  à  Mansalah.   En  cet  endroit  la 


—  366  - 

mission  trouva  Mody-Fodé,  gendre  de  Samory,  envoyé  par  l'Almaray 
avec  20  cavaliers  et  200  fantassins  pour  la  conduire  à  Kéniéba-Koura. 
sa  résidence.  Le  21,  on  se  mit  en  route  ;  le  même  soir  la  mission  cou- 
chait à  Bouroubougoula  ;  le  lendemain  à  la  rivière  Koba  :  et  le  surlen- 
demain, à  Domka. 

Dans  ce  dernier  village,  eut  lieu  le  partage  du  bœuf  traditionnel. 
cérémonie  qui  enchaîne  par  les  liens  de  l'hospitalité  ceux  qui  y  pren- 
nent part.  Selon  la  coutume  du  pays,  l'arrivée  d'hôtes  de  marque  doit 
être  saluée  par  l'envoi  d'nn  bœuf,  lequel  est  tué  sur  l'heure,  rôti  par 
quartiers  et  mangé  séance  tenante.  Dans  les  circonstances  où  l'on 
était,  ce  repas  en  commun  devenait  pour  les  indigènes  un  grand 
é'"^nement.  Aussi  dès  que  les  membres  de  la  mission  se  furent  con- 
formés à  cet  usage,  le  camp  retentit  des  cris  d'allégresse  des  malinké  ; 
le  tam-tam  ne  cessa  de  résonner  ;  et  dès  ce  moment  des  courriers 
partirent  d'heure  en  heure  pour  Kéniéba,  afin  de  renseigner  l'Alraamy 
sur  les  faits  et  gestes,  même  les  plus  insignifiants,  de  l'ambassade  que 
la  France  lui  envoyait. 

Le  lendemain  à  huit  heures  ,  on  lève  le  camp,  et  après  avoir  tra- 
versé deux  grands  villages,  Siguirri  et  Tiguibirri,  abandonnés  depuis 
la  guerre,  on  passe  le  Bafing,  que  nous  appelons  Tankisso,  à  500  mètres 
de  son  confluent  avec  le  Niger.  En  ce  peint,  le  Bafing  de  Tiguibirri 
est  un  splendide  cours  d'eau  de  quelques  centaines  de  mètres  de  large, 
avec  des  fonds  de  2  m.  50  à  3  m.  (en  cette  saison)  et  dont  les  rives 
sont  couvertes  de  hautes  futaies,  de  figuiers  et  de  caïlcédrats.  Le 
passage  se  fait  en  moins  d'une  demi-heure,  grâce  aux  nombreuses 
pirogues  que  Samory  y  a  envoyées  ;  et  on  va  s'établir  à  un  village 
de  marabouts,  Togué,  où  des  logements  ont  été  préparés  pour  la 
mission.  Pendant  que  le  capitaine  Tournier  s'occupe  de  l'installa- 
tion, le  heutenant  Péroz,  escorté  par  les  spahis,  part  pour  Kéiiieba- 
Koura,  afin  de  saluer  l'AImamy  au  nom  du  colonel  Frey  et  du  capitaine 
Tournier.  A  mi-chemin  Malinkamory,  à  la  tête  d'une  centaine  de 
cavaliers  et  de  deux  cents  fantassins,  arrive  à  sa  rencontre  au  milieu 
d'un  tourbillon  de  poussière  ;  et,  après  les  salutations  d'usage,  il  le 
conduit  auprès  de  son  frère. 

Samory  attendait  l'envoyé  Français  sur  une  sorte  de  divan  élevé, 
couvert  de  tapis  multicolores.  Fort  simplement  vêtu  de  vêtements 
noirs  et  blancs,  le  visage  encadré  par  un  tui-ban  dont  les  extrémités  se 
rejoignent  sous  le  menton,   les  traits  fort  réguhers,  l'AImamy  parait 


—  367  - 

avoir  une  quarantaine  d'années.  Sa  physionomie  est  agréable,  tout  en 
lui  dénote  une  grande  intelligence. 

A  ses  côtés ,  deux  hommes  coiffés  de  hautes  mitres  de  peau  de 
panthère  portent  la  hache  et  la  masse  d'armes  d'argent  ciselé,  qui 
sont  les  insignes  de  la  royauté.  Ses  intimes  et  ses  conseillers  ont  pris 
rang  autour  de  lui,  couverts  de  vêtements  aux  couleurs  chatoyantes, 
et  derrière  le  divan,  se  tiennent  ses  neuf  femmes  préférées,  non- 
chalamment étendues  et  connue  affaissées'  sous  le  poids  de  leurs  orne- 
ments en  or  massif. 

En  arrière ,  sous  l'immense  gourbi  construit  pour  la  réception, 
s'étagent  en  demi-cercle,  par  rang  de  taille  et  assis  à  la  turque,  le  fusil 
haut,  500  jeunes  gens,  sortes  de  gardes  ou  de  pages  qui  ne  quittent 
jamais  le  Sultan. 

Des  deux  côtés  du  gourbi,  sont  rangées  en  cercle  des  masses  pro- 
fondes de  guerriers  immobiles  et  le  fusil  haut.  Malinkamory  à  cheval. 
le  bâton  de  commandement  au  poing,  sur  la  tête  un  casque  lamé 
d'argent,  la  hache  de  même  métal  à  l'arçon  de  sa  selle,  a  pris  place 
sur  l'un  des  flancs  du  gourbi.  Il  a  derrière  lui  un  escadron  de  deux 
cents  cavaliers  aux  uniformes  éclatants  :  et  plus  loin  en  arrière  sont 
massées  cinq  compagnies  de  deux  cents  hommes. 

Sur  l'autre  flanc,  un  peu  pêle-mêle,  mais  en  groupes  distincts,  sont 
rangés  les  guerriers  appelés  des  régions  voisines  pour  assister  à  cette 
imposante  cérémonie.  Les  chefs  de  l'armée  de  Samory  sont  à  cheval, 
ceux  des  alliés  sont  à  pied,  devant  leurs  troupes  leurs  chevaux  tenus 
en  main  en  arrière  des  guerriers. 

Sur  la  quatrième  face,  une  ligne  épaisse  de  spectateurs,  au  milieu 
desquels  on  voit  un  groupe  nombreux  de  griots  musiciens,  aux  ins- 
truments les  plus  variés  et  les  plus  bizarres,  dont  ils  tirent  avec  un 
grand  ensemble,  des  sons  suffisamment  rythmés 

L'aire  gigantesque  que  limite  cette  multitude  est  sablée  d'un  fin 
cailloutis  apporté  du  Niger  et  soigneusement  nivelé. 

Evidemment  Samory  a  voulu  étonner  les  blancs  par  le  spectacle 
grandiose  qui  les  attendait.  L'entrevue  est  très  cordiale  ;  après  un 
échange  réciproque  de  paroles  obligeantes,  le  Sultan  fixe  au  lendemain 
à  la  même  heure,  la  réception  de  la  mission.  A  cet  effet,  il  fait  pré- 
parer un  campement  à  cinq  cents  mètres  du  sien. 

Le  lendemain  25  mars,  la  mission  quittait  Togué  pour  se  rendre  à 
Kéniéba-Koura.    Gomme  la  veille,  Malinkamory  vient  à  mi-chemin 


-  368  - 

pour  l'escorter  auprès  de  l'Almamy  ;  celui-ci  la  reçoit  avec  le  même 
apparat  qu'il  avait  déployé  pour  recevoir  le  lieutenant  Péroz. 

Pour  faire  honneur  à  ses  hôtes.  l'Almamy  monte  à  cheval  et  passe 
la  revue  de  ses  troupes,  puis  Malinkamory  fait  manœuvrer  cavaliers 
et  fantassins. 

Enfin,  pendant  le  mois  qu'ils  séjournèrent  à  Kéniéba-Koura,  les 
membres  de  la  mission  lurent  entourés  des  plus  grands  égards  et  des 
plus  grands  honneurs.  Ce  n'était  pas  sans  raison  que  Samory  agissait 
ainsi  :  par  la  présence  prolongée  des  officiers  français  sur  son  terri- 
toire, et  par  ces  négociations  auxquelles  il  donnait  tant  d'apparat,  il 
voulait  prouver  à  ses  populations  que  les  blancs  le  recoimaissaient,  lui 
nouveau  venu,  comme  l'Almamy  des  pays  de  la  rive  droite  du  Niger. 
C'était  la  consécration  de  l'empire  nouveau  qu'il  venait  de  fonder. 

Et  en  eflét,  jusqu'en  1881,  nous  ne  connaissions  dans  le  Soudan  qu'un 
chet  dont  la  puissance  fût  inquiétante  pour  nous;  c'était  Ahmadou,  le 
sultan  de  Ségou.  successeur  bien  diminué  du  reste,  du  grand  conqué- 
rant El-Hadj-Omar.  Quand  MM.  Zweifel  et  Moustiers  allèi-eut  aux 
sources  du  Niger  en  1879.  ils  entendirent  parler  d'une  grande  armée 
composée  de  trente  mille  fantassins  et  de  cinq  mille  cavaliers  qui  opérait 
dans  le  bassin  supérieur  du  fleuve.  Mais  ils  ne  surent  point  le  nom  du 
chef  qui  la  commandait.  A  la  fin  de  1881  des  indigènes  qui  vinrent 
demander  secours  au  colonel  Borgnis- Desbordes  le  lui  apprirent  : 
Cette  grande  armée  était  celle  de  Samory. 

Le  Soudan  occidental  est  dans  une  période  de  développement  his- 
torique :  un  homme  plus  entreprenant  que  les  autres,  réunit  une  bande 
et  se  met  en  campagne  :  s'il  est  heureux,  sa  troupe  grossit  ;  s'il  a  soin 
de  se  faire  musulman  il  a  immédiatement  l'appui  des  noirs  convertis  à 
l'islamisme  ;  les  jeunes  gens  qui  préfèrent  la  vie  guerrière  à  la  vie 
a'^ricole  ou  pastorale  s'enrôlent  eu  foule  sous  son  conunandement  (1)  ; 
avec  les  années ,  il  peut  arriver  comme  El-Hadj-Omai-  et  comme 
Samory.  à  fonder  un  grand  empire.  Mais  ces  empires  ne  survivent 
point  h  leur  fondateur,  parce  que  ceux-ci  ne  savent  leur  donner  aucune 
or"'anisation.  Ils  ne  connaissent  pas  d'autre  moyen  de  gouvernement 
que  la  terreur  :  la  guerre  et  le  pillage  sont  de  première  nécessité  pour 


(1)  Les  jeunes  gens  de  20  à  25  ans  n'ont  pour  tout  bien  que  leur  fusil  ;  quand  ils 
reviennent  d'une  expédition  heureuse  ,  ils  possèdent  une  demi-douzaine  d'esclaves 
des  deux  sexes  ,  quelques  bœufs  ,  un  cheval ,  c'est-à-dire  tous  les  biens  qui  consti- 
tuent la  richesse  pour  un  noir. 


-369  — 

eux.  Toute  leur  force  résidant  dans  leur  armée  ils  lui  sacrifient 
tout. 

Quand  cette  armée  a  épuisé  le  pays  dans  lequel  elle  s'est  établie,  il 
faut  lui  en  livrer  un  autre.  On  va  un  peu  plus  loin  attaquer  une  région 
voisine  ;  on  massacre  tous  les  hommes  en  état  de  porter  les  armes  ;  on 
réduit  les  femmes  à  l'esclavage  ;  et  on  enlève  les  petits  garçons  pour  en 
faire  des  soldats  qui  grossiront  les  rangs.  Les  ressources  de  cette  nou- 
velle région  épuisées  à  leur  tour,  ou  pousse  plus  loin  encore.  Quand 
le  conquérant  meurt,  ses  lieutenants  essayent  de  se  rendre  indépen- 
dants. Les  populations  si  horriblement  traitées  profitent  de  ces  dissen- 
sions pour  se  soulever  :  et  l'empire  éphémère  disparaît,  laissant  les 
régions  sur  lesquelles  il  a  pesé,  ruinées  et  dépeuplées. 

Pour  le  moment  Samory  est  en  pleine  grandeur. 

Il  est  métis  de  Poul  et  de  Sarakholé  (1)  et  a  commencé  par  être  simple 
caravanier.  Ou  suppose  que  les  Sarakholé  sont  les  plus  anciens  domi- 
nateurs du  Soudan  occidental  :  ils  ont  été  dépossédés  par  des  invasions 
successives,  mais  ils  sont  restés  groupés  par  îlots  dans  tout  le  Soudan. 
Ils  sont  comme  nous  l'avons  déjà  dit  plus  haut  très  intelligents  et  très 
vaniteux  :  ils  conservent  soigneusement  leurs  mœurs,  et  ne  se  mêlent 
généralement  point  aux  autres  noirs.  Ils  aiment  beaucoup  les  voyages,  et 
presque  toutes  les  caravanes  qui  conduisent  les  esclaves  et  les  marchan- 
dises sur  les  sentiers  de  cette  partie  de  l'Afrique,  sont  formées  par  eux. 
Leur  éparpillement  même,  leurfacihte  cette  profession,  car  en  quelque 
endroit  qu'ils  aillent,  ils  sont  presque  assurés  de  trouver  des  gens  de 
leur  race  qui  les  logent  et  les  renseignent. 

Samory  est  né  à  Bissau-Douyou  (2)  dans  la  province  de  Konia,  rive 
droite  du  Niger,  du  nommé  Lakaufia  et  de  Sokouna-Kamara.  Son 
père  qui  vit  encore  et  réside  auprès  de  son  fils,  était  un  Dioula,  c'est- 
à-dire  un  caravanier.  Il  subvenait  à  grand'peine  aux  besoins  de  sa 
famille  en  colportant  des  étoffes  et  en  faisant  le  commerce  de  captifs 
sur  les  divers  marchés  du  Ouassoulou.  Samory  embrassa  l'état  de  son 
père,  et,  à  l'âge  de  seize  ans,  commença  à  voyager. 

Un  jour  qu'il  revenait  de  l'une  de  ses  tournées  et  rentrait  dans  son 
pays  natal,  Samory  trouva  son  village  dévasté  par  le  roi  Sory-Ibrahima 
qui  avait  emmené  sa  mère  en  captivité.  Ces  événements  datent  d'une 


(1  et  2)  Ces  renseignements  sont  diiférents  de  ceux  qui  ont  déjà  été  donnés  ,  mais 
plusieurs  versions  ayant  cours,  je  crois  devoir  citer  celle-ci  qui  est  une  des  plus 
récentes. 

25 


—  370  — 

vingtaine  d'années.  Il  so  rendit  auprès  de  Sory  et  s'ofirit  à  le  servir 
comme  soldat  s'il  voulait  rendre  la  liberté  à  sa  m«'?re.  Sory  les  garrla 
tous  deux  et  les  traita  bien.  Samory  s'acquit  une  telle  réputation  de 
bravoure  que  lorsqu'il  revint  dans  son  pays,  les  jeunes  gens  lui  offrirent 
de  le  mettre  à  leur  tête.  C'est  ainsi  qu'il  commença  à  faire  des  con- 
quêtes pour  son  propre  compte.  En  peu  d'années  il  s'empara  de  tous 
les  états  du  haut  Niger  et  d'une  partie  du  Ouassoulou.  Au  moment  du 
voyage  de  MM.  Zweifel  et  Moustier,  il  était  occupé  à  détrôner  Sory, 
son  ancien  maître.  Celui-ci,  un  aventurier  comme  lui,  qui  avait  comme 
lui  commencé  par  être  marchand,  l'avait  appelé  à  son  aide  pour  atta- 
quer le  Sangara.  Le  Sangara  pris,  Samory  s'y  trouva  bien,  car  par 
ce  pays,  plus  voisin  de  la  côte  que  tous  ceux  qu'il  avait  conquis  jusque 
là,  il  pouvait  se  procurer  aisément  des  fusils,  de  la  poudre  et  du  sel. 
Au  lieu  de  retirer  ses  troupes,  il  attaqua  Sory,  le  battit  et  le  jeta  en 
prison,  en  lui  donnant  pour  occupation  de  prier  Dieu  et  son  prophète 
pour  le  succès  des  armes  de  son  geôlier. 

Aujourd'hui  on  évalue  à  cent  cinquante-sept,  les  petits  états  dont 
Samory  s'est  successivement  emparé.  On  dit  que  son  empire  s'étend 
sur  l'espace  compris  entre  Sierra-Leone  et  Ségou  ainsi  que  sur  le  cours 
du  haut  Niger  et  de  ses  affluents  (1). 

Le  commandant  de  notre  poste  de  Benty  sur  la  Mellacorée,  est  en 
communication  avec  un  de  ses  lieutenants.  Le  nombre  de  ses  soldats 
armés  de  fusils  serait  de  soixante  mille  ;  et  il  aurait  en  outre  cinq  mille 
cavaliers  qu'il  monte  à  grands  frais  avec  des  chevaux  tirés  du"  Bélé- 
dougou  et  du  Macina.  Il  s'en  faut  que  cette  armée  puisse  être  mise  en 
entier  en  ligne,  car  il  est  obligé  d'entretenir  des  garnisons  de  tous 
côtés  pour  contenir  les  populations  La  fraction  de  ses  troupes  qui  est 
mobile,  est  partagée  en  cinq  corps,  commandés  chacun  par  un  de  ses 
frères  et  sans  cesse  occupés  aux  frontières  à  pousser  plus  loin  les 
conquêtes. 

Samory  est  musulman,  sans  être  un  croyant  bien  fervent.  Il  tient  à 
l'écart  les  grands  marabouts  dont  il  redoute  les  intrigues  et  l'influence. 


(1)  Le  23  mars  1887,  le  lieutenant  t'éroz,  envoyé  de  nouveau  auprès  de  Samory, 
a  signé  avec  celui-ci  un  traité  sur  les  bases  suivantes  : 

1"  Le  Niger  jusqu'à  Tiguibéri,  et  le  Tankisso  jusqu'à  ses  sources  servent  de  fron- 
tières entre  les  possessions  Françaises  et  les  états  de  Samory  ; 

2"  Tous  les  états  de  l'Almamy  sont  placés  sous  le  protectorat  de  la  France  ; 

3"  Le  coiiimerce  français  est  libre  dans  les  états  de  l'Almamv. 


-  371  — 

Cepenriaiit  il  fait  construire  des  mosquées  dans  tous  les  grands  villages 
et  il  proscrit  rigoureusement  l'usage  des  boissons  fermentêes,  pour  la 
raison,  dit-il,  que  l'homme  ivre  ne  craint  plus  ni  Dieu  ni  diable  et  se 
montre  prompt  h  la  révolte. 

On  a  vu  l'été  dernier  à  Paris  un  des  fils  de  Samory,  le  prince 
Diaoula-Karamoko,  que  son  pore  avait  autorisé  à  accompagner  la 
mission  du  capitaine  Tournier  à  son  retour  en  France. 

Actuellement  enfin.  Samory  est  parvenu  à  fonder  un  empire  Malinké, 
dans  lequel  se  trouvent  englobés  un  grand  nombre  d'états  ou  de  popu- 
lations disséminées  d'origine  Poul.  Il  y  a  donc  en  ce  moment  au 
Sénégal  trois  races  qui  semblent  vouloir  se  grouper.  Les  Toncouleurs, 
les  Malinkés  et  les  Sarakholé.  La  première  reconnaît  comme  chel' 
Ahmadou  ;  la  seconde  subit  en  ce  moment  l'ascendant  de  Samory  (1) 
et  la  troisième  est  celle  que  le  Marabout  Mahmadou-Lamine  rêvait  de 
grouper  autour  de  lui. 


Dès  qu'il  avait  vu  le  lieutenant-colonel  Frey  se  diriger  vers  le  Niger, 
contre  Samory,  le  Marabout  Mahmadou-Lamine  avait  réuni  ses  con- 
tingents et  s'était  mis  à  parcourir  les  régions  voisines  de  Bakel. 

Un  événement  d'une  haute  gravité  qui  passa  trop  inaperçu  favori- 
sait singulièrement  les  projets  du  Marabout.  Le  roi  du  Bondou,  Bou- 
bakar  Saada,  venait  de  mourir.  Cette  mort  marque  l'origine  de  l'agita- 
tion du  marabout  dans  le  pays, 

A  ce  sujet  nous  devons  donner  quelques  détails  rétrospectifs  sur  ce 
pays  du  Bondou  II  a  toujours  été  soumis  à  deux  influences  contraires  : 
celle  du  Fouta  état  fanatique  musulman,  et  celle  du  Kaarta,  hostile  à 
l'islamisme.  Il  cédait  alternativement  à  l'une  ou  à  l'autre. 

En  octobre  1855,  au  moment  où  la  colonne  qui  venait  de  construire 
Médine,  allait  s'embarquer  pour  retourner  à  Saint-Louis,  un  indigène 
se  présenta  au  gouverneur  et  lui  tint  ce  langage  :  «  Je  suis  le  fils  de 
l'Almamy  Saada  du  Bondou,  qui  vous  a  cédé  le  terrain  du  fort  de 
Sénoudébou.  Lors  de  l'invasion  de  notre  pays  par  El-Hadj-Omar,  notre 


(1)  D'après  les  dernières  nouvelles,  Samory  serait  à  Bissandougou,  ii  procéderait 
à  Vorganisation  religieuse  de  son  royaume.  11  se  ferait  appeler  émir  el  Mouménin  et 
donnerait  à  certains  de  ses  villages  les  noms  de  Médine  et  de  la  Mecque.  11  interdit 
aux  villages  de  la  rive  droite  du  Niger  de  vendre  des  provisions  aux  Français  et 
presserait  ceux  de  la  rive  gauche  de  passer  sur  la  rive  droite. 


—  372  — 

famille  s'est  divisée  :  Les  uns  par  fanatisme  ont  pris  parti  pour  El-Hadj- 
Omar  ;  quant  à  moi ,  marié  avec  une  princesse  dé  la  famille  ré- 
gnante du  Kaarta,  j'ai  pris  parti  pour  les  Bambara  ;  je  me  suis  joint  à 
leur  armée,  et  j'ai  pris  part  à  toutes  les  batailles  qu'ils  ont  livrées  au 
prophète. 

Vaincus  partout,  nous  sommes  aujourd'hui  dispersés  et  fugitifs,  mais 
ma  haine  contre  nos  ennemis  n'a  fait  qu'augmenter,  et  je  viens  me 
mettre  à  votre  service  pour  continuer  à  les  combattre.  Vous  pouvez 
compter  sur  moi  jusqu'à  la  mort.  » 

Le  Gouverneur  accueillit  la  proposition  du  jeune  chef,  le  nomma 
Almamy  du  Bondou,  et  chargea  le  commandant  de  Bakel  dé  l'aider  de 
tout  son  pouvoir  à  conquérir  son  royaume . 

A  partir  de  ce  moment,  Boubakar  déploya  une  grande  activité  dans 
l'accomplissement  ds  sa  tâche,  notamment  à  la  prise  de  Débou,  en  Mars 
1856;  à  la  prise  de  Naé,  en  Avril;  à  la  défense  de  Sénoudébou,  en 
mai  de  la  même  année  ;  à  la  prise  d'Amadié  en  mars  1857  ,  et  enfin  à 
Somsomtata  en  août  1857. 

En  récompense  des  services  qu'il  rendait  à  notre  cause,  le  gouver- 
neur Faidherbe  le  fit  nommer  chevalier  de  la  Légion  d'honneur,  le  21 
décembre  1857. 

Boubakar  nous  resta  toujours  fidèle  :  et  rassurcîs  de  ce  côté,  nous 
évacuâmes  le  fort  de  Sénoudébou  en  le  mettant  à  sa  disposition. 

Après  trente  ans  de  règne,  il  est  mort  à  la  fin  de  1885  et  c'est  certai- 
nement cet  événement  qu'attendait  le  marabout  de  Gondiourou  pour 
entrer  en  campagne. 

Boubakar  avait  eu  un  fils  nommé  Mahmadi,  que  le  Gouvernement 
avait  fait  élever  avec  le  plus  grand  soin  à  l'école  des  otages  en  même 
temps  que  Demba,  fils  de  Sambala  de  Médine,  pour  assurer  l'avenir 
dans  le  Bondou.  Malheureusement  Mahmadi  mourut  jeune,  et  Boubakar 
ne  laissa  que  deux  frères  :  Omar-Penda,  âgé  d'environ  cinquante  ans, 
qui  a  toujours  combattu  auprès  de  son  frère,  mais  qui  n'a  pas  pour 
nous  beaucoup  de  sympathie,  et  un  autre  frère  nommé  Ahmadi-Soma, 
un  peu  plus  jeune,  et  qui  a  les  mêmes  dispositions  à  notre  égard. 

Les  événements  qui  suivirent  la  mort  de  Boubakar-Saada  montrent 
combien  le  dévouement  de  ce  personnage  nous  a  été  utile  pendant 
trente  ans. 

En  1885,  il  y  avait  dans  le  Bondou  un  parti  hostile  à  Boubakar- 
Saada. 


—  373  - 

Le  Marabout  le  savait  et  avait  conçu  le  projet  d'attirer  à  lui  les 
mécontents. 

Aussi,  quand  il  apprit  que  la  colonne  avait  quitté  Khayes,  se  mit-il 
à  parcourir  le  Guidimaka,  le  Guoye,  pour  sonder  les  esprits  et  se  rendre 
compte,  au  cas  où  il  aurait  besoin  de  ses  compatriotes,  du  concours 
qu'il  pourrait  en  attendre.  Toute  la  population  des  provinces  des  deux 
rives  du  Sénégal,  des  environs  de  Bakel  à  Khayes.  c'est-à-dire  sur  un 
parcours  de  plus  de  deux  cents  kilomètres,  est  d'origine  Sarakholé.  Cette 
race  ne  se  mêle  pas  aux  autres ,  à  cause  de  l'intelligence  et  de  la 
supériorité  qu'elle  s'accorde  sur  elles.  Les  vieillards  qui  se  rappelaient 
avec  quelle  vigueur,  il  y  a  une  trentaine  d'années,  le  général  Faidherbe, 
alors  gouverneur,  avait  repoussé  l'invasion  religieuse  d'El-Hadj-Omar, 
malgré  leur  grande  sympathie  pour  le  prophète,  n'auguraient  rien  de 
bon  d'une  levée  d'armes  contre  les  Français.  Mais  le  Marabout  comprit 
que  si  les  chefs  de  vUlage  et  les  vieillards  appréciant  à  sa  valeur  l'exis- 
tence paisible  due  à  notre  protection,  ne  pouvaient  pas  accueillir  avec 
enthousiasme  l'idée  d'un  soulèvement,  il  n'en  était  pas  de  même  de  la 
partie  jeune  de  la  population.  Celle-ci,  intelligente,  mais  légère  et  vaine, 
était  exaltée  par  des  croyances  religieuses  qu'entretenaient  les  prédica- 
tions des  nombreux  marabouts  du  Guidimaka  et  du  Guoye  :  Elle  ne 
rêvait  que  guerre  contre  les  infidèles  dans  l'espoir  d'y  trouver  quel- 
qu'occasion  de  pillage  et  de  butin. 

Une  autre  partie  de  la  population,  évaluée  à  douze  ou  quinze  cents 
hommes,  et  provenant  des  manœuvres,  laptots.  chauffeurs,  capitaines 
de  rivière  retraités  ou  licenciés,  devait  également  fournir  à  Lamine  un 
concours  précieux. 

Ces  anciens  serviteurs,  loin  de  rapporter  de  leur  séjour  parmi  nous 
des  sentiments  de  reconnaissance,  étaient  animés  à  notre  égard  d'un 
très  mauvais  esprit. 

Redevenus  dans  leur  village  musulmans  fanatiques,  ils  faisaient  à 
tout  propos  sonner  très  haut  leur  indépendance,  et  dans  les  conflits  qui 
quelquefois  éclataient  entre  les  indigènes  et  les  blancs,  ils  se  mon- 
traient souvent  mal  disposés. 

Il  y  avait,  dis-je,  dans  les  environs  de  Bakel,  douze  ou  quinze  cents 
de  ces  anciens  serviteurs  :  ils  se  rallièrent  aussitôt  à  Mahmadou- 
Lamine . 

Dès  1880  j'avais  déjà  eu  l'occasion  de  constater  les  mauvaises  dispo- 
sitions des  gens  du  Guidimaka, lorsque  nous  traversâmes  leur  pays  avec 
la  première  colonne  du  colonel  Borgnis-Desbordes . 


-  374  - 

Toutefois,  notre  tolérance  fut  excessive,  désireux  queuous  étions  de 
ne  pas  créer  d'ennemis  sur  notre  base  d'opérations. 

Notre  façon  d'agir  fut  considérée  et  exploitée  comme  une  marque  de 
faiblesse  et  d'impuissance,  et  rendit  extrême  dans  ces  dernières  années, 
l'arrogance  des  chefs  de  village.  Ils  en  étaient  arrivés  à  refuser  formel- 
lement de  nous  fournir  même,  quelques  indigènes  nécessaires  pour  le 
transport  des  correspondances  postales  ;  aussi,  quand  le  marabout  se 
présenta  dans  le  Khasso.  le  Natiaga  et  le  Logo,  il  put  réunir  sans  diffi- 
culté le  contingent  de  guerriers  qu'il  demandait. 

Assuré  de  l'appui  des  populations,  le  marabout  Mahmadou-Lamine 
conçut  le  projet  de  s'emparer  du  Bondou. 

Un  prétexte  fut  bientôt  trouvé  :  il  annonça  publiquement  son  inten- 
tion d'aller  combattre  le  Tenda  qu'il  représentait  comme  peuplé  d'infi- 
dèles et  d'ennemis  du  Coran.  —  Lamine  savait  parfaitement  que  con- 
formément à  nos  ordres,  les  chefs  du  Bondou  s'opposeraient  à  son  pas- 
sage sur  leur  territoire  ;  il  n'ignorait  pas  non  plus  la  profonde  impopu- 
larité dans  laquelle  était  tombé  la  famille  régnante  par  l'oppression  et 
les  lourds  impôts  dont  elle  avait  accablé  les  populations,  et  il  comptait 
sur  les  dissensions  qui  existaient  entre  Omar-Penda.  frère  de  Boubakar- 
Saada  et  son  héritier  légitime,  et  Ahmadi-Soma,  compétiteur  au  trône. 

Aussi,  dès  que  son  appel  à  la  guerre  sainte  lui  eut  donné  une  armée 
de  fanatiques  et  de  pillards,  commença-t-il  par  ravager  le  Bondou. 

Le  marabout  Ma-Lamine  Demba-Debassi.  de  son  vrai  nom,  n'est 
pas  un  noir  ordinaire,  c'est  un  ambitieux  intelligent,  devenu  rusé  et 
habile,  grâce  au  contact  prolongé  des  chefs  religieux  qu'il  a  fréquentés 
pendant  de  longues  années. 

Sarakholé.  né  sur  les  bords  du  Sénégal  aux  environs  de  Khayes  , 
Lamine,  après  avoir  étudié  l'arabe  à  Bakel,  partit  à  l'âge  de  20  ans 
pour  entreprendre  un  voyage  à  la  Mecque.  Il  resta  absent  pendant  une 
trentaine  d'années,  courut  le  monde  musulman,  et  se  vanta  à  son 
retour  d'avoir  passé  plusieurs  aimées  à  Constaytinople. 

En  passant  par  Ségou,  il  eut  rimprudence  d'y  annoncer  son  inten- 
tion de  fonder  un  empire  Sarakholé  aux  dépens  de  celui  d'Ahmadou. 
Celui-ci  le  fit  arrêter  et  le  retint  six  ans  prisonnier. 

Il  Qe  reparut  dans  le  haut  Sénégal  qu'en  1885. 

Il  était  bien  doué  pour  le  rôle  qu'il  s'était  choisi  ;  il  est  de  haut»' 
taille,  il  a  la  physionomie  d'un  homme  fnit  pour  commander.  11  parle 
bien,  il  est  instruit  pour  un  noir,  et  il  s'est  montré  aussi  rusé  dans  sa 
propagande  qu'audacieux  dans  l'action. 


Le  prompt  succès  de  sa  teutative  prouve  du  reste  suffisamment 
CDiiibieii  sont  remarquables  les  ressources  de  son  esprit. 

En  six  mois  il  s'est  fait  une  assez  grande  réputation  pour  pouvoir 
réunir  une  armée. 

Sa  qualité  de  pèlerin  de  la  Mecque  lui  donna  dès  son  retour  un  cer- 
tain prestige.  Il  racontait  aux  noirs  crédules  qu'il  avait  couché  auprès 
du  corps  de  Mahomet  et  que  le  prophète  n'était  à  peine  plus  grand  que 
lui  de  deux  doigts.  Il  cherchait  à  leur  insinuer  par  là  que  son  rôle 
serait  presque  aussi  grand  que  celui  du  fondateur  de  l'Islam.  Comme 
tout  bon  prophète  se  reconnaît  aux  rairaclcvs  qu'il  a  le  don  de  faire, 
en  faisait. 

Dans  les  derniers  jours  de  novembre  1885,  le  colonel  Frey  avait  fait 
venir  à  Khayes  le  marabout  Lamine  pour  obtenir  des  explications  au 
sujet  du  projet  que  lui  attribuait  l'opinion  publique  ;  levée  d'une  armée 
pour  aller  combattre  les  infidèles  du  Tenda  puis  Ahmadou. 

Mahmadou-Lamine  ne  fit  aucune  difficulté  pour  se  rendre  auprès  du 
commandant  supérieur,  il  protesta  vivement  de  son  dévouement  aux 
Français,  qu'il^aimait,  disait-il,  de  longue  date.  <iont  il  connaissait  la 
puissance  et  contre  lesquels  il  n'entrerait  jamais  en  lutte.  Il  nia  tout 
projet  vis-à-vis  du  Tenda  et  avoua  que  son  seul  désir  était  de  nous  voir 
déclarer  la  guerre  à  Ahmadou,  ce  qui  lui  permettrait  de  se  mettre  à  la 
tête  des  Sarakholè  et  de  combattre  à  nos  côtés,  Sambala  roi  de  Médine, 
présent  à  ces  entretiens,  se  porta  garant  du  dévouement  du  Marabout 
et  conseilla  vivement  de  ne  pas  prendre  de  mesures  contre  lui. 

Le  colonel  accéda  à  cet  avis  et  pensa  même  pouvoir  autoriser  Lamine 
à  se  rendre  à  Tuabo  village  situé  à  une  douzaine  de  kilomètres  en  aval 
de  Bakel  avec  une  escorte  de  cinquante  hommes  choisie  parmi  ses 
disciples,  à  la  condition  toutefois  que  ces  hommes  ne  devaient  point 
porter  d'armes.  Lorsque  Lamine  passa  à  Bakel,  le  commandant  du 
poste  remarqua  que  son  escorte  était  armée,  s'en  étonna,  et  demanda 
des  ordres  par  télégraphe.  ]Mahmadou  n'attendit  pas  que  l'on  fut  dis- 
posé à  s'emparer  de  sa  persoinie  et  se  dirigea  sur  Balou  .  village 
soumis,  situé  à  l'embouchure  de  la  Falémé.  11  s'arrêta  pour  demander 
à  Omar-Penda  l'autorisation  de  traverser  le  Bondou,  voulant  aller 
attaquer  Gamou.  grand  village  fortifié  du  Tenda,  entre  la  Gambie  et 
les  frontières  sud  du  Bondou.  Il  alléguait  que  les  gens  de  Gamou 
avaient  jadis  insulté  sa  mère  et  qu'il  se  proposait  d'en  tirer  vengeance. 
Ce  prétexte  était  très  bien  choisi,  car  Gamou  est  un  vieil  ennemi  du 
Bondou.   Boubakar  l'a  assièué   deux  fois  sans  succès  et  v  a  laissé  ses 


—  376  — 

meilleurs  soldats.  Mahmadou  comptait  donc  sur  cette  communauté  de 
haine  pour  s'ouvrir  l'entrée  du  Bondou  Mais  Omar-Penda  se  méfia 
et  lui  répondit  par  un  refus  formel. 

Le  Marabout  était  toujours  à  Balou  et  ses  forces  s'étaient  considéra- 
blement accrues.  Le  commandant  de  Bakel,  escorté  de  quelques  trai- 
tants, alla  tenter  auprès  de  lui  une  démarche  toute  pacifique.  11  lui 
représenta  que  c'était  faire  acte  de  rébellion  que  de  vouloir  traverser 
un  pays  allié  à  la  France,  malgré  l'opposition  du  chef  de  ce  pays;  et 
ajouta  que  sa  présence  dans  un  village  soumis  avec  des  forces  considé- 
rables, pouvait  être  considérée  par  nous  comme  un  acte  d'Iiostilité. 

A  ce  moment  le  Marabout  se  sentait  fort  d'environ  deux  mille  hommes 
qui  s'étaient  johits  à  lui  :  aussi  répondit-ii  qu'il  ne  comprenait  pas  la 
défiance  de  la  France  et  du  Bondou  à  son  égard  ;  que  s'il  était  quelque 
chose  il  le  devait  à  la  protection  française  :  qu'il  cherchait  seulement  a 
aller  à  Gamou  chez  des  infidèles,  venger  une  vieille  injure  et  que  l'on 
ne  pouvait  s'opposer  à  un  désir  aussi  légitime. 

Le  Commandant  ne  put  obtenir'  satisfaction  et  Mahmadou-Lamine 
commença  à  piller  méthodiquement  le  Bondou  sous  prétexte  de 
nourrir  ses  troupes  pendant  leur  marche  vers  Gamou.  A  la  pre- 
mière nouvelle  de  sa  mise  en  route ,  Omar-Penda  avait  immédia- 
tement abandonné  Sénoudébou  en  donnant  pour  raison  qu"il  voulait 
aller  mettre  sa  ville  à  lui  Boulébanè,  en  état  de  défense.  Mahmadou- 
Lamine  entra  donc  à  Sénoudébou  sans  tirer  un  coup  de  fusiL 

Lorsqu'il  y  fut  bien  mstallé,  il  s'achemina  vers  Boulébanè.  Omar- 
Penda,  estimant  sans  doute  que  la  défense  n'était  pas  suffisamment 
assurée,  n'essaya  pas  de  résister,  et  s'enfuit  dans  loDamga,  province  du 
Fouta,  pour  demander  aide  et  assistance  à  Mahmadou  Abdoul  fUs 
d'Abdoul  Boubakar,  chef  dans  le  Fouta. 

Dès  la  nouvelle  de  la  prise  de  Sénoudébou.  le  Colonel  envoya  les 
premiers  ordres  pour  préparer  un  retour  offensif  qui  aurait  lieu 
aussitôt  que  le  ravitaillement  des  postes  serait  achevé. 

La  deuxième  compagnie  de  tu-ailleurs,  les  troupes  d'infanterie  de 
marine  et  les  discipUnaires  furent  échelonnés  entre  Badumbé  et  Kita. 
Le  15  février,  apprenant  le  pillage  des  villages  du  Bondou  et  des  envi- 
rons de  Bakel,  le  commandant  du  Haut-Fleuve  envoya  aux  troupes 
l'ordre  de  se  diriger  sur  Khayes. 

La  deuxième  compagnie  devait,  dès  son  arrivée  à  Khayes,  être  portée 
à  150  hommes  et  être  dirigée  sur  Bakel.  De  là  les  deux  compagnies, 
formant  un  effectif  de  250  hommes  environ,  avaient  l'ordre  d'opérer 


—  3T7  — 

réunies,  dans  les  environs  du  poste  ;  de  visiter  les  villages  dos  pays 
annexés  ;  de  ramener  l'ordre  dans  les  populations  ;  en  un  mot  d'exer- 
cer un  rôle  de  surveillance  et  de  protection. 

Le  Marabout  cherchait  alors  à  entraîner  quelques  populati(<ns  encore 
indécises:  il  se  disait  notre  api  et  donnait  comme  prouve  de  son 
entente  avec  nous,  la  tranquillité  dans  laquelle  vivait  sa  famille  à 
Goundiourou. 

Pour  mettre  fin  h  ces  agissements,  ordre  fut  donné  d'enlever  et  de 
conduire  à  Médine  les  femmes  et  les  captifs  qu'il  avait  laissés  dans  son 
village. 

L'opération,  habilement  conduite  par  le  commandant  de  la  deuxième 
compagnie  (capitaine  Ferat),  eut  un  plein  succès. 

Toutefois  elle  décida  le  Marabout  à  abandonner  ses  projets  à  l'égard 
du  Tenda.  à  se  déclarer  ouvertement  contre  nous,  et  à  concentrer  ses 
bandes  à  Kounguel.  à  six  kilomètres  de  Bakel.  Aussi  le  13  mars  ordre 
était-il  envoyé  à  la  première  compagnie  de  tirailleurs  de  la  garnison 
de  Bakel  de  disperser  ces  contingents. 

Le  14  eut  lieu  le  combat  de  Kounguel.  L'ennemi  prévenu  par  l'inter- 
prète Alpha-Sega,  s'était  embusqué  dans  un  marigot  situé  environ  à 
mi-chemin  de  Kounguel,  cette  partie  de  la  route  était  couverte  et 
constituait  un  passage  difficile.  Le  commandant  de  la  compagnie,  trahi 
par  rinterprète,  doima  dans  une  embuscade  habilement  préparée,  et 
fut  forcé  de  battre  en  retraite  sur  Bakel,  en  laissant  aux  mains  de 
l'ennemi  une  pièce  de  canon  qui  n'avait  pu  tirer  un  seul  coup. 

Nos  pertes  furent  de  dix  tués  et  de  vingt-cinq  blessés  dont  deux 
officiers.  L'ennemi  eut  cent  cinquante  hommes  tués  et  autant  de 
blessés. 

Ce  succès  donna  au  Prophète  un  prestige  immense  et  lui  attira  de 
nouveaux  contingents.  Bientôt  il  se  sentit  en  état  de  prendre  l'ofiensive 
contre  nous.  Le  3  avril  une  première  attaque  était  exécutée  par  ses 
bandes  contre  le  village  de  Bakel.  La  plus  grande  partie  de  la  popu- 
lation sarakholé,  secrètement  dévouée  à  sa  cause,  se  tournait  contre 
nous,  lui  livrait  et  incendiait  elle-même  le  village  de  Mody  M' Paie  (partie 
ouest  de  Bakel).  Malgré  cette  trahison  il  rencontrait  une  résistance 
énergique  du  reste  de  la  population.  Les  traitants,  quelques  sarakliolé, 
des  bambaras  et  des  yolofs  habitants  du  village  de  Guidi  M'  Paie 
(partie  est  de  Bakel)  ainsi  que  quelques  Toucouleurs,  secondés  par  le 
feu  du  fort,  soutinrent  pendant  plusieurs  heures  dans  les  rues  du  \il- 
lage  un  combat  acharné.     L'attaque  fut  repoussée  et    éprouva  des 


_  378  - 

pertes  considérables.  De  notre  côté  nous  avions  trois  traitants  tués  et 
environ  cinquante  blessés  dont  un  seul  appartenait  à  la  garnison  du 
fort. 

Le  lendemain,  une  seconde  attaque  dirigée  par  le  Marabout  en  per- 
sonne n'avait  pas  plus  de  succès. 

L'interprète  Alpha-Sega  qui  avait  déjà  trahi  le  14  mars  à  l'affaire  de 
Koungual  devait  mettre  ^e  feu  à  la  poudrière,  et.  à  lafaveur  du  désor- 
dre qui  en  résulterait,  ouvrir  à  l'ennemi.  Surpris  dans  l'accomplisse- 
ment de  son  crime,  il  fut  immédiatement  fusillé.  La  principale  attaque 
dirigée  par  le  Marabout  sur  la  porte  du  fort  qui  devait  lui  être  ouverte, 
échoua  complètement.  L'ennemi  subit  encore  des  pertes  considérables. 

A  ce  moment,  le  capitaine  Férat  arrivait  à  Diakandapé  avec  une 
colonne  qui  comprenait  la  deuxième  compagnie  de  tirailleurs,  un  déta- 
chement d'infanterie  et  une  pièce  de  canon.  C'était  l'avant-garde  de  la 
colonne  du  colonel  Frey. 

Parti  le  13  février  de  Bamniakou,  le  colonel  était  arrivé  le  2  avril  à 
Khayes  et  hâtait  la  rentrée  dos  dernières  troupes  échelonnées  sur  la 
ligne  de  ravitaillement,  pour  achever  l'organisation  du  corps  expédi- 
tionnaire qui  devait  débloquer  Bakel. 

Le  10  avril  l'effectif  dont  disposait  le  colonel  Frey  se  i-éi>artissait  do 
la  façon  suivante  : 

Européens  150  : 

Tirailleurs  et  spahis  noirs  450  ; 

Total....  600  combattants. 

La  force  et  la  composition  du  corps  expéditionnaire  permettaient 
une  action  énergique  et  rapide.  Toutefois,  cette  action  ne  pouvait  être 
entreprise  qu'autant  que  Khayes  où  se  trouvaient  toutes  les  ressources 
en  approvisionnements  serait  mis  à  l'abri  d'un  coup  de  main.  Malheu- 
reusement ce  nouveau  point  d'appui  était  entièrement  dépourvu  d'ou- 
vrages défensifs,  et  il  était  difficile  à  la  colonne  de  rien  entrcprendro 
avant  d'}'  avoir  pourvu. 

Les  circonstances  permirent  d'adopter  un  plan  d'opération  atténuant 
dans  une  large  mesure  les  désavantages  de  la  situation. 

Les  villages  du  Guidimaka  après  avoir  fourni  au  Marabout  des  con- 
tingents considérables  avaient,  à  la  suite  du  combat  de  Kounguel, 
recueilli  un  grand  nombre  de  blessés  et  doinié  asile  à  ceux  dont  l'en- 
thousiasme était  devenu  hésitant.  Comme  le  sultan  Ahmadou  avait  la 
prétention  d'exercei-  des  droits  sur  le  Guidimaka.  le  colonel  l'informa 
des  faits  accomplis,  et  l'invita  h  châtier  les  coupable.'s.  Ahmadou  n'en  fit 


-  :m9  — 

rien.  Il  nous  appart(Miail  alors  de  prendre  uous-iuèmes  liiiitiative  do  la 
répression.  Une  expédition  immédiate  dans  le  Gadiaka  fui  donc  décidée. 
Elle  avait  pour  avantage  de  ne  pas  éloigner  préniatui-ément  la  coloiuie 
de  Khayes  ;  en  outre,  l'attaque  des  villages  devait  produire  de  nom- 
breuses désertions  dans  l'armée  du  marabout,  forte  alors  de  15,000 
hommes,  en  obligeant  ceux  des  habitants  qui  s'étaient  joints  à  lui  à 
revenir  chez  eux  défendre  leurs  femmes  et  leurs  enfants. 

Le  12  avril  commença  pour  la  colonne  expéditionnaire,  une  seconde 
campagne  de  six  semaines  qui  offre  un  grand  intérêt, 

^larches  forcées,  marches  de  nuit,  surprises  de  nuit,  tout  ce  qu'un 
chef  ingénieux  et  hardi  peut  demander  à  une  troupe  aguerrie,  dévouée 
et  admirablement  entraînée,  fut  essayé  et  presque  toujours  obtint 
plein  succès. 

On  est  étonné  des  preuves  de  vigueur  que  sut  encoie  donner  celte 
vaillante  troupe,  quand  on  considère  que  deux  mois  avant  elle  com- 
battait sur  le  Niger  à  plus  de  800  kilomètres  de  ce  nouveau  théâtre 
d'opérations.  '^ 

Vne  série  de  villages,  bâtis  le  long  du  fleuve,  furent  pris  les  uns 
après  les  autres  et  incendiés  :  les  habitants  s'étaient  réfugiés  à  Bokhoro. 
grand  village  de  l'intérieur,  avec  leur  bétail  et  leurs  richesses. 
Bokhoro  fut  surpris  par  une  marche  bien  dissimulée,  et  pris  après 
deux  combats  de  nuit  et  une  résistance  désespérée  de  la  part  de  l'ennemi, 
qui   nous  blessa  dix  tirailleurs  et  tua  une  vingtaine  d'auxiliaires. 

Les  noirs,  habitués  à  nous  voir  ne  jamais  nous  éloigner  des  bords 
du  fleuve,  furent  consterm-s  de  la  chute  de  Bokhoro.  Un  entendait  la 
nuit  les  femmes  gémir  et  crier.  Lamine  !  Lamine  !  viens  à  notre  aide. 

Le  lendemain  de  Bokhoro.  eut  lieu  un  nouveau  combat  suivi  de  la 
prise  des  deux  grands  villages  de  Guémou  et  de  Bambella  où  Ton 
trouva  un  riche  butin. 

Le  Marabout  avait  dé) à  à  la  suite  de  ses  deux  échecs  renoncé  à 
s'emparer  du  village  et  du  fort  de  Bakel;  mais  toutefois  il  avait  conti- 
luié  à  les  faire  étroitement  bloquer  par  une  partie  de  ses  forces,  pen- 
dant qu'il  se  portait  avec  le  reste  à  la  rencontre  du  colonel.  Voyant 
ses  bandes  ébranlées  et  portées  à  la  désertion  à  mesure  qu'elles  appre- 
naient la  marcbe  de  la  colonne  contre  leurs  villages,  il  fut  obligé 
d'interrompre  le  blocus  de  Bakel  pour  aller  au  devant  des  Français. 
Il  emmena  alors  avec  lui  six  à  sept  mille  hommes.  La  rencontre 
eut  lieu  le  19  avril,  à  Tamboukhané.  dans  une  position  qu'avait  choisie 
ot  fortifiée  d'avance  le  colonel  Frev.  Le  combat    fut  très  résolument 


-  380  - 

engagé  par  les  noirs.  Le  drapeau  blanc  du  prophète  ^int  tomber  à 
vingt  mètres  de  nos  lignes.  Son  armée  n'en  fut  pas  moins  dispersée 
Les  contingents,  découragés,  ne  cherchèrent  point  à  se  rallier  et  son- 
gèrent à  rentrer  chez  eux.  Lamine,   se  voyant  abandonné,  se   sauva 
vers  le  Bondou.  La  colonne  se  mit  aussitôt  à  sa  poursuite. 

Si  on  jette  un  regard  sur  la  carte,  on  voit  que  le  Sénégal  Qi  son 
affluent  la  Falêmé  forment  un  angle  presque  droit.  Makhana  se  trouve 
sur  ]o  Sénégal  à  quarante  cinq  kilomètres  environ  du  confluent,  et 
Senoudébou,  sur  la  Falémé  à  peu  près  à  la  même  distance  de  ce  même 
confluent. 

Le  territoire  compris  dans  l'angle  est  un  désert  sans  eau.  La  route 
ordinaire  longe  les  deux  rivières  et  décrit  par  conséquent  le  même 
angle  qu'elles. 

Le  commandant  Combes  eut  mission  de  poursuivre  le  Marabout 
pendant  que  le  colonel  Frey  se  dirigeait  sur  Senoudébou  à  travers  le 
désert,  avec  une  colonne  légère.  Ce  dernier  marcha  quatorze  neures, 
de  cinq  heures  du  soir  à  sept  heures  du  matin.  Cette  marche  fut  si 
pénible  que  des  auxiliaires  (1)  périrent  de  soif. 

(3n  arriva  à  temps  pour  barrer  la  route  au  Marabout ,  et .  sans  la 
maladresse  d'un  guide,  on  l'aurait  certainement  capturé.  11  se  reposait 
au  village  de  Kydira,  où  il  venait  d'arriver  depuis  une  heure  à  peine 
et  se  croyait  dans  la  plus  grande  sécurité.  L'on  entendait  son  tamtam 
invitant  les  populations  des  environs  à  venir  saluer  le  grand  prophète. 

Un  détachement  fut  envoyé  pour  garder  le  gué  de  Maé.  au-dessus 
du  village,  pendant  que  la  colonne,  très  allongée  par  la  rapidité  de  la 
marche  se  reformait.  Le  détachement  ne  devait  se  montrer  qu'au 
moment  où  la  colonne  serait  en  état  de  passer  le  gué ,  de  s'établir 
en  travers  de  la  route  et  de  cerner  le  village.  Au  lieu  de  conduire  ce 
détachement  à  Maé,  le  guide  le  mena  à  Kydira. 

Nos  hommes,  apercevant  sur  la  place  une  troupe  de  cavahers  et  de 
fantassins,  firent  feu. 

Mahmadou-Lamine  se  trouvait  dans  le  tata  du  village .  sorte 
de  réduit  de  la  défense.   N'ayant  pas   été  inquiété  jusque  là  dans  sa 


(1)  On  appelle  auxiliaires  au  Sénégal,  des  volontaires  qui  s'adjoignent  à  nos 
expéditions  plus  souvent  dans  l'intention  de  prendre  part  au  butin  que  pour  eom- 
baitre.  lis  nous  gènont  plus  qu'ils  ne  nous  servent  dans  les  routes  et  les  rencontres, 
mais  ils  deviennent  utiles  après  le  combat  pour  poursuivre  l'ennemi  en  déroute  et 
razzier . 


-  38i  — 

fuite,  il  était  loin  do  soupçonner  la  présence  des  Français.  Il  pensa 
d'abord  que  ces  coups  de  feux  étaient  le  fait  de  quelques  indigènes 
de  la  région  que  son  retour  mécontentait  et  qui  s'attaquaient  aux 
siens.  Il  se  contenta  de  hausser  les  épaules  avec  mépris.  Un  feu 
de  salve  le  détrompa  «  mais  ce  sont  les  Français  »  cria-l-il.  Et  fou 
de  terreur,  il  se  précipita  hors  du  tala,  sans  même  prendre  le  temps 
d'emporter  les  objets  de  valeur  qu'il  avait  avec  lui,  et  parmi  lesquels 
on  trouva  son  cachet  et  les  bijoux  de  ses  fennues.  11  sauta  à  cheval  et 
se  sauva  à  toutes  brides  sur  Sénoudébou.  Le  tata,  défendu  par  une 
poignée  de  fidèles,  fut  enlevé  d'assaut  et  les  défenseurs  tués  à  coups 
de  crosse  de  fusil,  les  tirailleurs  répugnant  à  se  servir  de  la  baïon- 
nette. Six  cents  femmes  qu'il  emmenait  à  sa  suite,  un  grand  troupeau 
et  tous  les  bagages  tombèrent  entre  nos  mains  à  Kydira.  Dans  ces 
bagages  se  trouvaient  plus  de  trois  cents  corans  dont  quelques-uns 
étaient  richement  reliés  et  qui  jusqu'à  ce  jour  avaient  été  portés  par 
dix  porteurs  indigènes  marchant  pompeusement  derrière  lui  (1). 

Mahmadou-Lamine  ne  nous  attendit  point  à  Sénoudébou,  où  la 
colonne  se  rendit  aussitôt  :  il  se  réfugia  dans  le  Diaka  sur  la  limite 
de  la  Gambie  anglaise. 

A  la  nouvelle  de  sa  déroute,  les  contingents  auxquels  il  avait 
donné  la  mission  de  bloquer  Bakel ,  traversèrent  le  fleuve  et  se 
concentrèrent  sur  la  rive  droite,  devant  le  village  de  Manahel.  Ils 
étaient  environ  7  à  8,000  individus,  parmi  lesquels  beaucoup  de  femmes 
et  beaucoup  d'enfants,  que  la  crainte  de  nos  représailles  avait  fait 
fuir  de  leurs  villages.  Le  colonel  Frey  alla  les  y  attaquer  et  après  un 
engagement  qui  dura  trois  heures,  les  dispersa  et  leur  fit  de  nombreux 
prisonniers. 

Enfin  une  dernière  leçon  fut  donnée  aux  gens  de  Guidimaka  :  il 
s'agissait  de  'châtier  les  villages  de  Guémou  et  de  Kémaudao  dans 
lesquels  s'étaient  réunis  les  transfuges  de  Bakel  et  les  populations 
de  plus  de  vingt  villages  qui  n'avaient  pas  encore  fait  leui'  sou- 
mission. 

Guémou  est  le  même  village  dont  la  prise  en  1857,  sous  le  gouver- 
nement du  général  Faidherbe,  nous  coûta  six  officiers  tués  ou  blesses  ; 


(1)  (Mahmadou-Lamine  s'enorgueillissait  beaucoup  de  cette  bibliothèque  ambu- 
lante. Il  prétendait  que  chacun  des  livres  qui  la  composaient  était  le  présent  d'un 
monarque  ou  d'un  grand  chef  de  croyants  et  qu'il  l'avait  reunie  dans  le  cours  de  ses 
trente  années  de  voyages  et  d'études  religieuses) . 


—  :W2  — 

le  chef  de  bataillon  Faron,  devenu  général  inspecteur  de  l'infanterie 
de  marine  était  parmi  ces  derniers  (1). 

En  marchant  vers  ce  point,  la  colonne  fut  attaquée  en  pleine  nuit 
par  un  groupe  de  cinq  à  six  cents  hommes  résolus,  qui  tentèrent  de 
lui  barrer  la  route.  Le  Marabout-Lamine  n'étant  plus  là  pour  enlever 
aux  balles  françaises  leur  efficacité,  ainsi  qu'il  en  avait  fait  la  pro- 
messe à  ces  populations  crédules,  les  guerriers  avaient  eu  recours  à 
leurs  vieilles  pratiques  fétichistes  ;  ils  avaient  immolé  des  moutons 
sur  le  sentier  que  devait  suivre  la  colonne  et  à  proximité  du  point 
choisi  pour  leur  embuscade.  Il  paraît  qu'un  sentier  ainsi  ensorcelé  doit 
devenir  infranchissable  à  l'ennemi.  Le  sacrificateur  fut  tué  par  un 
éclaireur  sur  le  corps  même  de  l'un  de  ces  moutons,  au  moment  où  il 
prononçait  les  paroles  sacramentelles.  Toutefois  il  S(mible  que  leur 
foi  dans  ces  sortilèges  soit  limitée. puisqu'ils  n'attendirent  pas  la  colonne 
qui  trouva  le  village  de  Guémou  abandonné. 

En  allant  de  Guémou  à  Kémandao,  la  colonne  hvra  un  combat  très 
rude  à  plusieurs  milhers  d'hommes.  Ce  fut  le  dernier  rassemblement 
important  qu'elle  ait  eu  à  disperser.  Elle  termina  ses  opérations  en 
enlevant  d'assaut  un  marigot  dans  lequel  quatre  cents  hommes  s'étaient 
fortement  retranchés  :  l'eimemi  laissa  soixante  morts  dans  ce 
ruisseau. 

Tous  les  villages  soulevés  par  Mahmadou-Lamine  contre  nous  se 
trouvèrent  ainsi  châtiés  les  uns  après  les  autres  :  ses  bandes  étaient 
anéanties  ou  dissoutes  :  les  survivants  demandèrent  la  permission  de 
rentrer  dans  leurs  foyers,  et  à  la  fin  du  mois  de  mai  la  paix  se  trouva 
rétablie  dans  le  haut  Sénégal.  On  estime  à  trois  mille  le  nombre  des 
hommes  qui  ont  })éri  sous  nos  balles  ,  ou  par  la  soif  et  la  faim  dans  la 
brousse,  pendant  ces  six  semaines.  Peu  de  campagnes  ont  été  aussi 
meurtrières  au  Sénégal. 

La  nouvelle  de  l'attaque  de  Bakel  causa  une  certaine  émotion  à 
Saint-Louis  et  le  contre-coup  s'en  fit  sentir  en  France.  L'interruption 
des  communications  télégraphiques  augmenta  l'émotion  en  laissant 
libre  cours  aux  bruits  les  plus  étranges  et  les  plus  exagérés. 

En  présence  de  la  surexcitation  qui  régnait  à  Saint-Louis,  le  comité 
de  défense  dut  se  réunir  et  prendre  les  mesures  nécessaires  pour  cal- 


Ci)  Le  lieutenant  de  \  aisseau  Aube,  aujuurd'hui  ministre  delà  marine,  comman- 
dait en  second  la  colonne  Faron  et  prit  le  conuuandement  lorsque  cet  officier  eut  été 
mis  à  peu  près  liors  de  combat. 


-  3«;;  - 

\i\ov  rirntatioii  îles  ouolofs  contre  les  sarakholè  qui  habitaient  la  villr. 
Oii  dut  interdire  la  vente  dos  armes  et  de  la  poudre  Dans  les  premiers 
jours  d'avril,  les  noirs  de  Saint-Louis  se  présentèrent  en  masse  à 
l'hôtel  du  Gouvernement  et  demandèrent  à  partir  pour  Bakel  ;  malheu- 
reusement, à  cette  époque  de  l'année  des  renforts  ne  pouvaient  remon- 
ter le  fleuve.  On  croyait  encore  le  colonel  Frey  avec  sa  petite  colonne 
à  800  kil.  à  Test  du  théâtre  de  ces  événements,  et  Ton  était  d'accord 
sur  ce  point  que,  si  le  Marabout  à  la  suite  d'un  coup  de  main  hardi, 
parvenait  à  détruire  les  maga'-ins  de  Khayes,  alors  sans  défenses,  la 
situation  de  la  petite  colonne  serait  fortement  compromise. 

Le  bruit  d'un  concours  promis  à  Lamine  par  les  chefs  du  Fouta  com- 
mençait à  circuler.  Une  prise  d'armes  chez  les  Toncouleurs.  c'eut  été 
l'insurrection  jusqu'aux  portes  de  Podor. 

Comme  il  fallait  déjà  prévoir  le  cas  où  l'envoi  d'une  colonne  de 
secours  deviendrait  nécessaire ,  un  bataillon  d'infanterie  de  marine  fut 
expédié  de  France  en  toute  hâte  à  Saint- Louis. 

Dans  l'hypothèse  d'un  envoi  de  troupes  de  renfort  pour  le  haut 
fleuve,  une  difficulté  se  présentait;  le  fleuve,  cette  route  naturelle,  la 
seule  suivie  jusqu'à  ce  jour  pour  remonter  à  Bakel.  était  rendu  impra- 
ticable par  la  baisse  des  eaux. 

D'ailleurs ,  on  ne  pouvait  organiser  une  colonne  de  secours  sans 
être  auparavant  l'enseigné  sur  la  situation,  et  les  nouvelles  positives  ne 
parvenaient  plus.  En  prévision  des  mesures  à  prendre  dans  le  cas  pos- 
sible de  complications  ultérieures  .  il  devenait  urgent  de  recueillir  à 
l'avance  des  renseignements  exacts  sur  la  situation  et  de  rechercher 
les  moyens  d'y  remédier. 

Inspiré  par  les  considérations  que  je  viens  d'é^noncer,  le  Ministre  de 
la  Marine  me  donna  l'ordre  de  partir  par  le  courrier  du  20  avril  1886, 
et  je  reçus  les  instructions  qui  devaient  me  guider  dans  l'accomplis- 
sement de  la  mission  qui  m'était  confiée. 

Le  !'■'  mai ,  j'étais  rendu  à  Dakar  et  le  2  à  Saint-Louis. 

Un  court  séjour  me  permit  d'y  recueillir  quelques  renseignements 
ainsi  que  quelques  nouvelles  plus  ou  moins  incertaines,  et  je  pris, 
après  avoir  vu  le  gouverneur  et  les  autorités  de  la  colonie,  les  dispo- 
sitions nécssaires  pour  me  rendre  dans  le  haut  Fleuve. 

Le  iô  mai ,  je  partis  de  Saint-Louis  sur  le  remorqueur  le  Bakel.  et 
le  18,  je  fus  débarqué  dans  l'île  à  Morphil,  près  de  Mafou,  à  400  kil. 
du  théâtre  de  l'insurrection, 

Mafou  est .  pendant  la  saison  des  basses  eaux,  le  point  terminus  de 


—  384  - 

la  navigation  des  steamers.  Je  dois  constater  que  la  colonie  n'est  pas 
munie.,  comme  il  conviendrait,  de  vapeurs  de  faible  tirant  d'eau.  A.vec 
des  canonnières  de  0^,50  de  tirant  d'eau,  on  naviguerait  en  tout  temps, 
excepté  peut-être ,  en  avril  et  mai ,  sur  le  Sénégal  (1). 

J'étais  parti  de  Saint-Louis  avec  quatre  spahis,  deux  conducteurs  et 
un  interprète  ,  tous  indigènes. 

Je  me  proposais  en  allant  à  Bakel  de  rechercher  un  chemin  très 
direct,  d'apprécier  la  possibilité  de  le  faire  suivre,  le  cas  échéant,  par 
une  colonne  composée  des  différentes  armes,  et  de  me  rendre  compte 
des  ressources  du  pays.  Il  me  paraissait  également  de  Quelque  utilité 
de  prendre  contact  avec  les  populations  et  de  voir  dans  quelles  dispo- 
sitions étaient  leurs  chefs. 

Suivant  mes  prévisions,  j'arrivai  le  30  mai  à  Bakel  où  je  trouvai  la 
colonne  du  colonel  Frey  réunie  et  cantonnée. 

Pendant  ce  voyage  de  douze  jours,  j'avais  franchi  la  distance  de 
Mafou  à  Bakel,  soit  350  kil.  à  vol  d'oiseau,  450  environ  par  les  chemins 
que  j'avais  suivis  à  travers  les  régions  les  plus  peuplées  du  Fouta 

Malgré  la  chaleur  torride  du  mois  de  mai,  mes  bêtes  avaient  sup- 
porté vaillamment  cette  marche  pénible  ;  mes  noirs  furent  quelque- 
fois indisposés  ;  l'un  d'eux,  malade,  ne  put  me  suivre  au  delà  de 
Matam. 

Les  entrevues  qu'il  me  fut  possible  d'avoir  avec  les  divers  potentats  de 
cette  grande  confédération  me  procurèrent  des  renseignements  utiles 
sur  la  situation  politique  de  ce  pays. 

J'ai  pu  constater  que  lïnfiuence  d'Abdoul  Boubakar  était  très  res- 
treinte dans  le  Bosséa  et  qu'elle  n'existait  réellement  que  dans  la 
région  comprise  entre  Odégui  et  Matam. 

Dans  le  Damga  entre  Matam  et  Dembakané,  les  populations  sou- 
mises depuis  1863  à  notre  domination,  subissent  actuellement  le  joug 
de  l'électeur  Abdoul  Boubakar.  Ce  personnage  m'a  déclaré  qu'il  avait 
obtenu  l'abandon  de  nos  droits  en  sa  faveur  sur  cette  région,  lors 
d'une  entrevue  qu'il  avait  eu  avec  le  Gouverneur  quelques  mois  aupa- 
ravant. Les  notabilités  qui  accompagnaient  le  Gouverneur  affirment 
qu'aucune  promesse  n'a  été  faite  au  chef  du  Foula  :  celui-ci  ment  donc 
sciemment. 


(1)  Les  Anglais  ont  aujourd'hui,  sur  le  Nil,  des  bateaux  à  vapeur  qui  ne  calent  que 
30  à  40  centimètres,  il  est  donc  possible  d'en  avoir  de  semblables  sur  le  Sénégal. 


—  :«5  — 

Le  prestige  d'Abdoul  Bou  Bakar  repose  sur  la  confiance  qu'il  a  su 
depuis  longtemps  inspirer  à  tous  les  aventuriers  avides  de  butin. 
Ceux-ci  s'empressent  d'accourir  au  moindre  de  ses  appels ,  certains 
d'avance  d'être  conduits  au  pillage. 

Si  Abdoul  est  un  maître  brigand,  malheureusement ,  c'est  aussi  un 
politique  rusé.  Remuant  et  entreprenant,  il  est  susceptible  de  nous 
créer  des  embarras.  Toutefois  .  il  est  avancé  en  âge  ;  son  autorité  s'en 
ressent:  et  il  serait  désireux  de  jouir  de  la  situation  qu'il  s'est  créée 
par  tant  d'efforts  et  de  luttes.  Il  redoute  d'autre  part  une  reprise  d'hos- 
tillités  dont  le  dénouement  pourrait  lui  être  fatal.  Il  sait  qu'il  a  plus 
obtenu  par  son  habileté  et  sa  souplesse  d'esprit  que  par  tout  autre 
moyen ,  et  il  comprend  que  nous  ne  pourrions  tolérer  sur  notre  ligne 
de  ravitaillement  du  haut  fleuve  un  chef  qui  fut  vis-à-vis  de  nous  hostile 
ou  menaçant.  Aussi  devons-nous  agir  avec  fermeté  vis-à-vis  de  lui , 
et  ne  pas  hésiter  à  lui  refuser  toutes  les  concessions  qu'il  nous  deman- 
dera de  lui  accorder. 

Non  content  du  Daraga  où  il  règne  en  despote  cruel  et  pillard, 
Abdoul  semble  rêver  encore  d'obtenir  la  cession  du  Toro.  Il  ne  lui 
resterait  plus  alors  qu'à  reconstituer  l'ancien  Fouta  démembré  en  1863. 

Le  fils  aine  d' Abdoul  qui  dans  l'état  actuel  des  choses,  n'hériterait  à 
la  mort  de  son  père  ni  du  litre  d'électeur  ni  de  l'influence  que  celui-ci 
s'est  acquise,  considère  dès  maintement  le  Damga  comme  un  fief  héré- 
ditaire qui  doit  lui  revenir  à  la  mort  de  son  père. 

En  admettant  l'hypothèse  que  le  Gouvernement  français  reconnaisse 
à  Abdoul  les  droits  qu'il  prétend  avoir  à  la  possession  du  Damga  ,  son 
frère  Ali  Bakar  issu  de  même  père  et  de  même  mère  se  croirait  en 
droit  suivant  les  coutumes  locales,  de  lui  succéder  et  de  s'approprier 
son  héritage.  Il  se  trouverait  alors  en  présence  du  fils  de  l'électeur 
qui  semble  déjà  marcher  sur  les  traces  du  père  et  qui  le  lui  disputerait 
vigoureusement. 

Il  est  fâcheux  qu'on  ait  permis  depuis  un  an  l'immixtion  d' Abdoul 
dans  les  affaires  d'une  province  soumise  à  notre  autorité. 

En  admettant,  comme  il  faut  l'espérer  qu'il  renonce  bientôt  à  ses 
prétentions,  l'œuvre  d'organisation  qu'il  poursuit  et  qu'il  a  déjà  eu 
partie  accomplie  pour  assurer  sa  domination,  en  ruinant  nos  partisans 
au  profit  des  siens ,  laissera  subsister  longtemps  dans  le  pays  une 
impression  fâcheuse  ;  d'autant  plus  que  la  tolérance  dont  nous  faisons 
preuve  en  laissant  commettre  au  chef  Toucouleur  ses  déprédations , 
est  pour  nos  partisans  les  plus  dévoués  un  aveu  certain  d'impuissance. 

2e 


—  386  — 

Dans  le  cas  d'un  conflit  entre  le  gouvernement  français  et  un  chef 
Toucouleur,  fût-ce  même  Abdoul  bon  Bakar.  la  plupart  des  villages 
du  Fouta  hésiteraient  à  s'insurger  ouvertement. 

Mais  ce  qui  paraît  évident ,  c'est  que  la  plupart  des  guerriers 
quitteraient  leurs  demeures  pour  répondre  à  l'appel  de  celui  qui  nous 
ferait  ouvertement  la  guerre.  Il  est  également  vrai  que  tous  les  gens 
ayant  une  situation  dans  le  Fouta  verraient  sans  regret  la  ruine 
d'Abdoul  :  toutefois  ils  se  refuseraient  à  nous  aider  de  leur  concours 
dans  une  lutte  contre  lui. 

Les  Toucouleurs  reçoivent  le  mot  d'ordre  religieux  et  politique  du 
Sultan  de  Ségou,  et  j'ai  pu  personnellement  constater  la  présence  des 
émissaires  d'Ahmadou  dans  les  principaux  villages.  Musulmans 
d'autant  plus  fanatiques  qu'ils  sont  superstitieux  et  ignorants,  les  Tou- 
couleurs nous  feraient  la  guerre  si  nous  avions  des  démêlés  avec 
Ahmadou.  Ces  populations  du  Fouta,  riveraines  du  fleuve,  sont  maî- 
tresses de  la  navigation  pendant  les  basses  eaux,  et  capables  d'inter- 
cepter toutes  nos  communications. 

Cette  situation  intolérable  ne  saurait  se  modifier,  tant  que  les  chefs 
du  Fouta  auront  la  moindre  indépendance,  et  tant  que  notre  action  sur 
les  populations  ne  sera  pas  devenue  telle  que  nous  puissions  mettre 
fin  à  notre  gré  aux  influences  hostiles.  Actuellement  ces  influences 
agissent  en  toute  liberté  sans  qu'il  nous  soit  possible  d'y  mettre  le 
moindre  empêchement  et  les  gens  du  Fouta  les  accueillent  d'autant 
plus  volontiers  qu'ils  sont  plus  isolés  des  européens  qu'ils  ne  connais- 
sent pas.  Aussi  nous  considèrent- ils  comme  les  pires  ennemis  de 
leurs  institutions  et  de  leur  race  ;  sont-ils  disposés  à  favoriser  ceux 
qui  nous  font  la  guerre  ;  et  à  opposer  une  résistance  perpétuelle  à  tous 
nos  efforts. 

Le  colonel  Frey  eut  le  2  mai  une  entrevue  avec  Abdoul  bou  Bakar 
dans  ce  même  village  de  Dembakané,  où  le  29  mai  je  rendis  égale- 
ment visite  au  chef  du  Fouta. 

L'impression  du  colonel  Frey  est  la  suivante  : 

«  Il  n'y  a  aucune  confiance  à  avoir  dans  les  bonnes  dispositions 
apparentes  d'Abdoul  bou  Bakar. 

»  La  réserve  qu'il  a  montrée  dans  ces  derniers  temps  lui  était 
imposée  par  le  voisinage  de  la  colonne  et  par  la  connaissance  de  nos 
succès. 

»  La  question  du  Damga  vient  de  prouver  la  mauvaise  foi  de  ce 
chef.  » 


—  :-!87  — 

Nous  avons  laissé  le  marabout  Mahmadou-Lamine  fuyant  devant  le 
colonel  Frey  qui  le  poursuivait.  Après  s'être  réfugié  dans  la  région 
comprise  entre  la  Falémé  et  la  Gambie,  l'agitateur  parvint  à  réunir  une 
poignée  d'aventuriers,  tandis  que  la  colonne  était  rentrée  à  Bakel. 

Au  mois  de  juillet  1886,  avant  de  revenir  à  St-Louis,  le  colonel  Frey 
avait  dû  faire  réoccuper  le  poste  de  Senoudebou,  afin  de  maintenir  à 
distance  les  nouvelles  bandes  du  Marabout  et  de  protéger  les  habitants 
du  Bondou. 

Le  poste  était  en  très  mauvais  état  ;  Mahmadou-Lamine  en  s'enfuyant 
devant  nos  colonnes  l'avait  incendié.  Mais  l'enceinte  quoique  nécessi- 
tant quelques  réparations  était  encore  défendable. 

La  garnison  laissée  à  Senoudebou  comprenait  :  70  tirailleurs  sous  le 
commandement  de  M.  le  sous-lieutenant  Laty,  assisté  du  sous-lieute- 
nant Yoro-Coumba,  et  une  pièce  de  canon  commandée  par  l'adjudant 
d'artillerie  Fougas,  servie  par  8  tirailleurs  auxiliaires  de  la  batterie 

Dans  le  courant  du  mois  d'août,  les  bandes  de  Mahmadou-Lamine, 
qui  de  sa  personne  s'était  retiré  à  Diama,  dans  le  Diaka,  faisaient  de 
nouveau  leur  apparition  dans  le  Bondou.  L'une  d'elles  surprenait  dans 
le  village  de  Picha,  situé  à  40  kilomètres  dans  l'ouest  de  Senoudebou, 
Oumar-Penda,  le  frère  et  le  successeur  de.  Boubakar-Saada,  et  le 
tuait. 

Saada  Amady,  frère  d'Oumar  Penda,  lui  succédait  alors  comme 
Almamy  du  Bondou,  Plus  énergique  et  mieux  avisé  que  son  prédé- 
cesseur, il  réunissait  ses  sujets  armés  et  venait  s'établir  aux  abords 
du  poste  de  Senoudebou. 

Dans  le  courant  de  septembre  des  bruits  vagues  circulaient  au  sujet 
de  Mahmadou-Lamine  qui  allait,  disait-on,  quitter  Diaka,  et  tenter  une 
opération  dont  on  ignorait  l'objectif.  En  effet .  le  22  septembre  une 
bande  du  Marabout  attaquait  le  petit  village  de  Sambakola  situé  à  une 
vingtaine  de  kilomètres  à  l'ouest  de  Senoudebou. 

Immédiatement  le  sous-lieutenant  Yoro-Goumba.  devenu  comman- 
dant du  poste  par  suite  du  départ  de  M.  Laty,  départ  nécessité  par 
l'état  de  santé  de  cet  officier,  prenait  toutes  les  dispositions  nécessaires 
pour  résister  à  une  attaque  qu'il  jugeait  imminente.  Il  fit  ensuite  placer 
les  hommes  de  Saada  Amady  en  embuscade  en  avant  du  poste,  dans  la 
direction  où  il  présumait  que  se  présenterait  l'ennemi.  Les  femmes  et 
les  enfants  étaient  parqués  à  l'abri  du  poste ,  qui  conservait  sa  gar- 
nison entière. 

Le  23  septembre  l'attaque  eut  heu.  Dix-huit  cents  hommes  de  Mah- 


—  3S«  — 

madou-Lamine  s'avancèrent  contre  les  gens  de  SaadaAmady,  qui, 
sous  le  nombre,  lâchèrent  bientôt  pied  et  se  replièrent  sur  le  poste. 
Déjà  les  soldats  de  Malimadou  pénétraient  dans  le  village  ,  les  femmes 
et  les  enfants  s'enfuyaient  dans  toutes  les  directions,  quand  le  sous- 
lieutenant  Yoro-Goumba  prenant  avec  lui  trente  tirailleurs,  sortit  du 
poste,  tomba  sur  les  assaillants,  leur  tua  un  grand  nombre  d'hommes 
et  les  chassa  du  village  et  des  abords.  Il  eut  la  sagesse  de  borner  là 
son  action,  et  laissa  les  hommes  de  Saada  Amàdy,  qui  s'étaient  ralliés 
et  que  le  combat  avait  électrisés ,  s'élancer  à  la  poursuite  des 
fuyards. 

L'ennemi  perdit  170  hommes  dont  82  prisonniers  qui  furent  passés 
par  les  armes.  On  ramassa  300  fusils  sur  le  champ  de  bataille.  De  notre 
côté  nous  avions  eu  3  tirailleurs  tués  et  un  blessé,  et  les  gens  du  village 
comptaient  4  tués  et  15  blessés.  Quatre  jours  après  arrivait  un 
renfort  inutile  de  70  hommes  envoyé  de  Bakel  par  le  commandant 
Combes. 

Le  poste  de  Sénoudébou  créé  pour  empêcher  les  Dioula  d'aller  en 
Gambie,  a  eu  sa  raison  d'être,  il  y  a  trente  ans.  Aujourd'hui  il  paraî- 
trait préférable  de  créer  un  établissement  dans  la  Falemé  moyenne. 
D'ailleurs,  on  ne  peut  plus  tirer  parti  des  ruines  du  poste  de  Sénoudébou. 
Un  nouvel  établissement  construit  dans  la  région  voisine  de  Farabana 
c'est-à-dire  à  180  kilomètres  du  confluent  de  la  rivière,  bénéficierait 
d'une  partie  du  commerce  du  Bambouck ,  qui  va  aujourd'hui  en 
Gambie,  c'est-à-dire  chez  les  anglais.  Le  comptoir  installé  dans  la 
Falemé  moyenne  aurait  cet  immense  avantage  d'épargner  aux  cara- 
vanes au  moins  quinze  jours  de  route,  les  droits  de  passage  dans 
plusieurs  pays  entre  la  Falemé  et  la  côte,  et  la  crainte  d'être  pillés 
pendant  le  trajet.  Le  commerçant  qui  apporterait  du  sel,  des  indiennes, 
du  cahcot,  des  alcools,  de  la  poudre  et  des  armes ,  serait  assuré  de 
pouvoir  acheter  tout  l'or  extrait  dans  la  région.  L'or  qui  ne  va  pas  à  la 
côte  est  acheté  sur  place  par  des  caravanes  de  Dioula  qui  donnent 
8  kilos  de  sel  pour  15  fr.  d'or.  Ces  commerçants  n'ont  qu'un  seul 
moyen  de  transport  pour  le  sel  :  les  ânes.  Par  suite,  ils  en  apportent 
relativement  fort  peu  et  leurs  frais  sont  très  grands  ;  le  transport  par* 
eau  diminuerait  considérabbiuient  leurs  frais  ,  et  leur  permettrait  de 
vendre  leur  sel  à  un  prix  bien  inférieur  à  celui  des  caravanes  de 
Dioula. 

Le  lieutenant-colonel  Galliéni  a  été  nommé  commandant  supérieur 


—  :î89  — 

du  haut  fleuve  pour  la  compagne  1886-1887.  Tout  le  monde  n  lu 
rèmouvaiit  récit  du  voyage  do  cet  officier  eu  1880,  alors  qu'êlant 
capitaine,  il  fut  chargé  de  porter  des  présents  à  Ahmadou.  MM.  Val- 
lière  et  Tautain,  ses  glorieux  compagnons  se  sont  fait  un  honneur  de 
seconder  de  nouveau  leur  ancien  chef  de  mission. 

Le  colonel  Galliéni  est  arrivé  le  15  novembre  1886  à  Bakel ,  et  a 
assuré  immédiatement  l'exécution  des  réparations  nécessaires  au  poste 
et  aux  ouvrages  environnants. 

11  s'est  rendu  ensuite  à  Aroundou  au  confluent  de  la  Falemé,  pour 
faire  élever,  sur  un  vaste  plateau  d'une  salubrité  parfaite  .  les  instal- 
latiims  nécessaires  h  la  première  colonne  qui  devait  venir  s'y  con- 
centrer. 

L'indulgence  complète  fut  accordée  au  Guoy  et  au  Kaméra ,  sous 
condition  de  ne  plus  seconder  Mahmadou  Lamine  en  l'étoile  duquel 
les  habitants  semblent  encore  avoir  confiance  (1). 

Le  Guidimaka  .  cette  province  qui  borde  la  rive  droite  du  Sénégal 
entre  Bakel  et  Médine  réclame  notre  protectorat.  Ce  malheureux  pays 
est  réquisitionné  sans  mesurt;  ni  pitié  par  les  cavaliers  d'Ahmadou  , 
qui  forcent  également  les  guerriers  à  rejoindre  leur  chef  vers  Ko- 
niakary.  On  voyait  dernièrement  jusqu'en  face  de  Khayes  de  longues 
bandes  d'hommes  armés  qui  allaient  vers  l'est. 

Au  mois  de  janvier,  Ahmadou  avait  auprès  de  lui  une  armée  d'une 
douzaine  de  mille  hommes  ;  tous  ses  talibés  de  Nioro  l'avaient  suivi,  et 
de  [)lus ,  les  contingents  du  Kaarta ,  du  Diombokho,  du  Guidimaka 
étaient  auprès  de  lui.  Il  avait  établi  son  (piartier  g<'iiéral  à  Konia- 
kary  distant  de  3  ou  4  journées  de  marche  de  Khayes  ,  et  se  disposait 
à  marcher  sur  Gouri,  ou  s'était  réfugié  le  fils  deMahmadou-Lamine(2;. 

Les  nombreux  émissaires  dont  j'avais  constaté  la  présence  dans  le 
Foula,  ont  déjà   réussi  à   faire   émigrer  plusieurs  tribus  de  Poul  et 


(1)  Le  colonel  (ialliéni  a  créé  à  Bakel  une  école  d'otages.  Trois  enfants  de  chaque 
village  des  pays  Sarakolé  et  du  Bondou  y  sont  réunis  ;  quelques  sujets  sont  Di.êmc 
originaires  des  répions  du  Niger.  On  sait  que  le  général  Faidherbe  avait  créé  autre- 
fois à  St-Louis  une  école  d'otages, abandonnée  depuis  malgré  les  excellents  résultats 
obtenus. 

Des  écoles  viennent  d'être  fondées  un  peu  partout,  grâce  au  dévouement  de 
M.  Hubner,  directeur  du  service  des  postes  et  des  télégraphes  dans  la  colonie. 
M.  Hubner  est  le  délégué  de  la  Société  l'Alliance  française  pour  la  propagaiion  de  la 
connaissance  de  la  langue.  Les  résultats  déjà  obtenus  sont  fort  appréciables. 

(2)  D'après  do  récentes  nouvelles  ,  Ahmadou  serait  reparti  pour  Nioro. 


—  390  — 

avec  elles  le  chef  Samba- Goiima.  Il  y  a  toujours  lieu  de  se  préoccuper 
de  l'attitude  douteuse  de  notre  voisin.  Aussi  est-il  bon  de  savoir 
que  les  postes  qui,  échelonnés  sur  la  route  du  Niger,  entre  Bakel  et 
Baramako,  couvrent  une  région  égale  en  superficie  au  tiers  de  la 
France,  sont,  grâce  à  la  solidité  de  leur  construction  et  à  leurs  appro- 
visionnements, à  l'abri  de  toute  insulte,  de  la  part  de  nos  ennemis 
mal  armés  et  ignorants. 

Le  Colonel  se  proposant  d'aller  dans  la  région  voisine  de  la  Gambie 
poursuivre  Mahmadou-Lamine  dans  ses  derniers  retranchements, 
crut  nécessaire  d'assurer  par  tous  les  moyens  la  sécurité  de  la  ligne 
de  postes. 

Dès  son  arrivée,  le  Colonel  donna  une  nouvelle  impulsion  à  la  cons- 
truction de  la  ligne  ferrée  du  haut  fleuve.  Actuellement  le  point  ter- 
minus est  au  kil.  63,  pendant  cette  campagne  le  kil.  94  pourra  être 
atteint,  ce  qui  permettra  de  transporter  un  matériel  de  pont  considé- 
rable qui  se  détériore  actuellement  à  Khayes  et  qui  est  destiné  au 
passage  du  Marigot  de  Galougo,  large  de  60'". 

Du  Galougo  au  Moumania  (kil.  104)  autre  Marigot,  on  posera  un 
Decauville  dont  le  matériel  est  déjà  dans  le  haut  fleuve.  Ce  Decaiiville 
permettra  de  transporter  le  matériel  de  pont  du  Moumania  (i). 

Enfin,  les  disciplinaires  achèvent  une  route  carossable  qui  permettra 
d'établir  plus  tard  un  Decauville  jusqu'à  Toukoto,  distant  de  Khayes  de 
270  kil.  Cette  route  est  large  deô"*  avec  fossés,  ponts,  accotements,  etc. 
■  Après  avoir  assuré  l'exécution  de  ces  importants  travaux,  le  Colonel 
se  rendit  à  Diamou  et  organisa  la  2*^  colonne  placée  sous  les  ordres  du 
commandant  Vallière.  Les  deux  colonnes  allaient  opérer  contre 
Mahmadou-Lamine. 

Ce  persomiage,  d'une  audace  et  d'une  ténacité  extraordinaires,  con- 
tinuait à  organiser  la  résistance  après  son  échec  de  Sénoudébou.  11 
envoyait  des  émissaires  nombreux  dans  tous  les  pays  enviromiants  et 
poussait  même  jusqu'au  Fouta-Djallon.  A  Diana,  gros  village  fortifié, 
il  parvint  à  réunir  plus  de  3,000  guerriers  bien  approvisionnés  en 
armes  et  en  munitions,  grâce  au  voisinage  des  comptoirs  anglais  de  la 


(1)  Dans  quelques  mois,  les  communications  seront  assurées  dans  les  meilleures 
conditions  entre  Khayes  et  Bafoulabé.  Ce  dernier  point  prend  déjà  une  importance 
commerciale  considérable,  et  plusieurs  maisons  de  commerce  viennent  d'y  installer 
des  comptoirs. 


-  391  - 

Gambie.  Prêchant  la  guerre  sainte,  Lamine  commençait  à  se  créer  un 
empire  musulman,  comme  naguère  Ahmadou  et  Samory  (1). 

La  nécessité  de  marcher  immédiatement  contre  Mahmadou-Lamine 
était  bien  évidente,  le  Colonel  organisa  donc  ses  deux  colonnes  dans 
des  conditions  telles,  qu'il  lui  fût  possible  d'aller  surprendre  par  une 
marche  rapide,  le  village  de  Diana.  Les  fantassins  furent  montés  sur 
des  mulets,  les  canonniers  sur  de  petits  chevaux.  Le  fantassin  monté 
présente  un  grand  avantage  dans  les  expéditions  soudaniennes,  il  rend 
la  colonne  mobile  et  capable  de  faire  des  étapes  de  30  kil.;  en  outre, 
l'homme  emporte  six  jours  de  vivres  pour  lui  et  son  animal  et  diminue 
par  suite  le  convoi. 

Le  11  décembre,  le  Colonel  lançait  l'ordre  du  départ  :  les  deux 
colonnes  devaient  partir  l'une  de  Sénoudébou  et  l'autre  de  Diamou 
(ces  deux  points  sont  distants  de  200  kil.)  et  calculer  leur  marche 
respective  de  manière  à  se  trouver  le  24  dans  deux  villages  voisins 
l'un  de  l'autre  et  situés  chacun  à  à  8  kil.  environ  de  Diana. 

La  première  colonne  devait  barrer  la  route  de  l'est,  la  deuxième  la 
route  du  sud,  tandis  que  la  cavalerie  et  les  auxiliaires  surveilleraient 
les  routes  du  nord  et  de  l'ouest.  Les  deux  premières  routes  mènent 
vers  la  Gambie  et  le  Ferlo  et  paraissaient  être  les  seules  que  le  Mara- 
bout dût  chercher  à  prendre  pour  s'enfuir. 

La  première  colonne,  après  une  petite  escarmouche  à   Sintouta, 


(1)  11  est  à  peu  près  certain  que  Mahmadou-Lamine  est  affilié  à  la  confrérie  reli- 
gieuse des  Senoussyah  ;  peut-être  a-t-il  été  à  la  Zaouïa  de  Djarghboub.  Le  grand 
chef  de  Senoussyah  qui  y  réside,  subit  Tinfluence  d'un  certain  Mohammed  Etteni, 
originaire  de  Toasis  de  Ghadamès.  Ce  personnage  fanatique  dangereux ,  a  organisé 
le  massacre  des  pères  blancs  et  celui  de  la  mission  Flatters.  11  est  l'instigateur  d'un 
vaste  projet  de  conquête  et  de  propagande  religieuse  que  le  chef  des  Senoussyah 
serait  à  la  veille  de  mettre  à  exécution.  L'ermite  de  Djarghboub  se  disposerait  à 
parcourir  les  territoires  occupés  par  les  Touaregs ,  afin  d'acquérir  une  grande 
influence  religieuse  sur  ces  populations,  dont  il  voudrait  se  faire  des  auxiliaires  dans 
l'intérieur  de  l'Afrique ,  contre  l'élément  chrétien  en  général ,  et  les  Turcs  en 
particulier. 

Ce  plan  de  conquête  comprend  dans  le  Soudan  ,  Tombouctou  ,  les  rives  du  Niger 
et  celles  du  Sénégal.  Dans  le  nord  de  l'Afrique ,  ce  vaste  programme  a  déjà  reçu 
dernièrement  un  commencement  d'exécution.  Grâce  en  effet  au  concours  du  chérif 
Moulai  Ahmed  qui  prêche  dans  la  Tripolitaine  la  révolte  contre  les  Turcs  et  la  guerre 
sainte  contre  les  Chrétiens,  les  Touaregs  viennent  de  prendre  Ghàt,  dont  la  garnison 
turque  a  été  massacrée, 

Malimadou  Lamine  ne  serait-il  point  l'exécuteur  de  la  propagande  Senoussyah 
dans  la  région  du  Sénégal  ? 


-  392  - 

trouvait  tous  les  villages  évacués  sur  sa  route,  bien  que  remplis  de 
grains  de  toute  sorte,  mil,  riz,  arachides,  etc.  :  les  habitants  et  les 
troupeaux  étaient  cachés  dans  la  brousse. 

Les  deux  colonnes  arrivèrent  au  jour  et  aux  points  indiqués.  Elles 
avaient  dû  faire  des  marches  très  pénibles,  à  travers  un  pays  boisé  et 
riche  en  gommiers  et  en  arbres  à  caoutchouc.  Leur  arrivée  simultanée 
jeta  le  désarroi  dans  la  région. 

Le  25  décembre,  le  Colonel  se  présentait  devant  Diana.  11  ne  trouvait 
que  quelques  hommes  isolés  qui  avaient  pris  position  dans  un  marigot, 
et  qui  furent  facilement  cernés  par  Tavant-garde.  Diana  venait  d'être 
évacué,  malgré  les  fortifications  sérieuses  qui  l'entouraient. 

Une  colonne  volante  se  lança  sur  les  traces  de  l'ennemi  el  atteignit 
le  Marabout  sur  la  frontière  du  Ouli.  Le  capitaine  Robert  s'engagea 
résolument,  tua  une  cinquantaine  d'hommes,  mais  ne  put  s'emparer  de 
Lamine  qui  profila  du  combat  pour  se  dérober  par  une  fuite  rapide.  Les 
chevaux  étaient  fourbus  et,  en  outre,  la  ligne  d'opérations  s'étendait 
d'une  façon  démesurée  :  l'on  était,  en  efiét,  à  300  kil.  de  Bakel.  Enfin, 
les  dépendances  du  poste  de  Mac-Carthy  étaient  voisines  ;  la  poursuite 
n'était  plus  possible,  il  fallait  s'arrêter. 

Le  chef  du  Ouli  auquel  le  colonel  avait  écrit  qu'il  traiterait  en  enne- 
mis les  pays  qui  recevraient  le  Marabout,  se  jeta  sur  les  traces  de 
notre  adversaire  et  lui  infligea  une  nouvelle  défaite.  Celui-ci  fut  obligé 
à  se  retirer  en  fugitif  dans  le  Niani  où  quelques  villages  sarakliolé 
pouvaient  être  disposés  à  le  recevoir.  Laissant  les  auxiliaires  du  Bondou 
dans  la  région,  le  colonel  regagna  Séaoudébou,  après  avoir  détruit  les 
fortifications  de  Diana  et  épargné  les  villages  environnants  dont  les 
chefs  avaient  fait  soumission. 

Comme  conséquence  de  la  campagne  du  colonel  Galliéni  contre 
Mahmadou-Lamine,  l'Ahnamy  du  Bondou  Saady  Amady  a  renouvelé 
le  traité  conclu  avec  nous  par  Boubakar  Saada.  Entre  autres  engage- 
ments, il  a  pris  ceux  de  ne  plus  recevoir  de  traitement  des  Anglais  ; 
d'acheminer  les  produits  de  son  pays  vers  le  Sénégal  ;  et  de  ne  plus 
empêcher  les  caravanes  de  Dioula  de  se  rendre  rlu  Fouta-Djalon  à  Bakel. 

Le  Ferlo,  le  Diakha,  le  Tiali,  le  Mériko  et  le  Ouli  ont  passé  des  traités 
avec  nous  :  ces  derniers  s'engageant  à  marcher  contre  Mahmadou- 
Lamine  s'il  reparaissait  chez  eux.  L'agitateur  s'est  réi'ugié  à  Tebe- 
kouta,  dans  le  Niani.  Ll  a  encore  autour  de  lui  quelques  partisans 
recrutés  dans  le  Ouli.  Mais  il  y  a  lieu  de  croire  qu'il  ne  lui  sera  pas 


~  :m  - 

pt^'iiiis  de  se  refornior  pour  l'offensive,  car  une  l'orle  colonne  (1)  partie 
(le  Saint-Louis  le  10  avril  1887,  se  trouve  actuclleuient  dans  la  rivière 
Saloum. 

La  région  où  opèrent  nos  troupes  est  située  sur  un  territoire  voisiu 
de  celui  où  s'est  réfugié  Lamine. 

Celui-ci  ne  peut  d'ailleurs  remonter  vers  l'ouest  dans  le  Ouli,  ni  vers 
le  noril  dans  le  Ferlo,  ces  pays  ayant  reconnu  le  protectorat  Français, 
et  so  montrant  disi)osés  à  faire  un  mauvais  parti  au  Marabout.  Il  ne 
saurait  davantage  songer  à  fuir  vers  le  sud  dans  les  dépendances 
anglaises  de  Mac-Carty.  Aussi  se  trouvant  bloqué  dansleNiani.  il  serait 
sans  doute  obligé  d'attendre  le  choc  de  la  colonne  du  Saloum,  si 
celle-ci  poussait  une  pointe  vers  Tébékouta. 

Nos  troupes  il  est  vrai,  ont  une  autre  mission  à  remplir,  car  elles 
donnent  appui  à  notre  allié  Guédel,  roi  du  Saloum,  contre  son  ennemi 
Saer-Maty,  chef  du  Ripp.  Ce  dernier,  marabout  fanatique  et  guerrier, 
était  excité  par  les  intrigues  do  Mahmadou-Lamine,  réfugié  dans  le 
voisinage  de  ses  propres  états.  Il  avait  d'ailleurs  l'appui  du  (dief  des 
Poul.  Ali  Boury,  et  du  roi  du  Sine  Nioko-Baye. 

Le  colonel  Coronnat  a  franchi  le  23  avril  la  rivière  Salouni,  avec 
mie  colonne  portée  à  600  hommes ,  et  les  auxiliaires  de  notre  allié. 
L'ennemi ,  qui  gardait  le  gué  de  Saor,  a  été  refoulé  sur  le  village  de 
Goumbof.  Battu  en  brèche,  celui-ci  fut  pris  d'assaut  malgré  une 
vigoureuse  résistance,  et  plusieurs  retours  offensifs  de  rennemi,  qui 
avait  incendié  toute  la  région  environnante.  Nos  pertes  s'élevèrent 
dans  cette  première  journée,  à  2  tués  tirailleurs  indigènes" ,  et  10  blessés 
parmi  lesquels  le  commandant  Caron.  D'après  une  nouvelle  de  pro- 
venance anglaise,  à  la  date  du  5  mai,  Saer-^laty,  complètement  bat.tu, 
aurait  cherché  un  refuge  dans  le  voisinage  des  comptoirs  anglais  de  la 
Gambie. 


<  >n   ne  saurait   passer  sous   silence   d'importants   événements  ([ui 


(1)  L'effectif  de  cette  colonne  était  de  230  hommes  d'infanterie  et  d'artillerie,  un 
renfort  de  200  hommes  est  venu  la  rejoindre. 

La  colonne  est  précédée  par  l'escadron  des  spahis,  et  a  avec  elle  quatre  pièces  de 
caiion. 

V Aréthuse  et  V Ardent  ont  fait  voile  pour  la  rivière  Saloum  et  opèrent  do  concert 
avec  les  troupes. 


-  394  - 

eurent,  pendant  l'année  1886,  pour  théâtre,  une  région  voisine  de 
Saint-Louis ,  le  Gayor. 

Une  querelle  de  famille  s'était  élevée  entre  le  Damel  du  Gayor, 
Samba  Laobé  fal  et  le  Bour  du  Djolof ,  Ali  Bouri  N'  Diaye,  à  la  suite 
de  la  répudiation,  par  ce  dernier,  de  sa  femme,  princesse  du  Gayor 
et  proche  parente  du  Damel.  La  fierté  royale  et  l'intérêt .  car  le 
Bourba  Djolof  n'avait  point ,  selon  l'usage  ,  restitué  la  dot  de  la  prin- 
cesse répudiée,  envenimèrent  cette  querelle  au  point  qu'il  fallut  du 
sang  pour  répai*er  l'honneur  de  la  famille. 

Les  armées  se  rencontrèrent  dans  le  Djolof  et  les  deux  chefs  com- 
battirent ,  dit-on ,  corps  à  corps.  La  victoire  resta  à  Ali-Bouri. 

Après  la  défaite  de  Samba-Laobé .  la  poursuite  victorieuse  d'Ali- 
Bouri  fut  arrêtée  par  l'intervention  du  gouverneur. 

Une  amende  de  20,000  +V.  fut  imposée  à  Samba  Laobé  au  profit 
d'Ali  Bouri. 

Pour  payer  cette  amende  considérable .  Samba  Laobé  fit  d'abord 
appel  à  ses  administrés.  Ne  pouvant  rien  retirer  de  ces  pauvres  popu- 
lations agricoles  .  surtout  avant  la  récolte  ,  le  Damel  s'adressa  à  des 
colons  installés  sur  son  territoire  :  il  leur  réclama  ce  que  les  traités 
l'autorisaient  à  prélever,  une  redevance  sur  le  conmierce  qui  s'efièc- 
tue  sur  son  domaine. 

Il  fit  donc  percevoir  une  patente  à  Tiwawane,  sur  des  commerçants 
français.  Quelques-uns  la  lui  payèrent  ;  d'autres,  en  plus  grand  nombre, 
la  lui  refusèrent ,  prétextant ,  connue  c'était  vrai ,  que  déjà  ils  en 
payaient  une  au  Gouvernement  français. 

D'autres  faits  ,  tels  que  celui  d'un  troupeau  de  bœufs  écrasé  par  un 
train  ,  rendirent  les  rapports  plus  tendus. 

Le  Damel  molesta  nos  traitants  ,  leur  contesta  le  droit  de  s'établir 
dans  le  rayon  de  cinq  cents  mètres  fixé  comme  limite  de  leurs  établis- 
sements autour  de  Tiwawane,  grand  marché  d'arachides  et  l'une  dtis 
stations  du  chemin  de  fer  de  Dakar  à  Saint-Louis. 

Les  colons  réclamèrent  protection  au  gouverneur. 

Le  6  octobre  1886,  le  capitaine  Spitzer.  aide-de-camp  du  gouver- 
neur, partit  avec  mission  de  faire  des  représentations  au  Damel  et  de 
tâcher  de  l'amener,  par  la  conciliation  ,  à  changer  d'attitude. 

Le  capitaine  Spitzer  prit  le  chemin  de  fer,  et  ralliant  à  la  station  de 
N'dand  un  peloton  de  25  spahis,  commandé  par  le  sous-lieutenant 
Chauvet,  vint  débarquer  à  Tiwawane,  vers  trois  heures  de  l'après-midi. 


-  395  - 

A  150  mètres  de  la  gare  se  tenait  le  Darael  avec  150  hommes  dont 
une  partie  armés 

Le  capilaiue  SpUzer  fait  arrêter  le  peloton  rangé  en  bataille,  puis 
s'avance  à  cheval,  accompagné  d'un  spahis  indigène,  qui  lui  sert 
d'interprète. 

Le  Damel  l'accueille  avec  hauteur  et  refuse  toute  discussion.  «  Si  le 
gouverneur  est  maître  à  Saint-Louis .  je  suis  le  roi  de  tout  le  Cayor, 
dit-il.  Tiwawane  et  la  voie  ferrée  m'appartiennent  et  je  n'ai  que  faire 
de  vos  représentations.  » 

M.  Spitzer.  voyant  son  insistance  inutile,  s'éloigne,  mais  il  envoie 
successivement  au  Damel,  pour  tenter  de  renouer  le  palabre ,  deux 
spahis  et  un  maréchal-des-logis.  Ce  dernier  aui'ait  alors  essayé  d'en- 
traîner le  Darael  vers  le  peloton,  en  prenant  le  cheval  par  la  bride.  Le 
Damel  tire  sur  le  maréchal-des-logis  et  le  manque.  Deui:  autres  coups 
sont  tirés  :  un  spahis  indigène  est  atteint.  Le  capitaine  Spitzer  fait 
mettre  à  ses  spahis  le  sabre  en  mains  et  les  fait  charger.  Ceux-ci  se 
précipitent  sur  le  Damel  et  ses  guerriers.  Devant  l'impétuosité  de  l'at- 
taque, les  noirs  fuient  et  se  dispersent  de  tous  les  côtés.  Le  lieutenant 
Chauvet.  suivi  de  deux  hommes,  se  jette  sur  les  traces  du  Damel. 
Malgré  le  danger  d'une  embuscade  dans  les  rues  étroites  et  tortueuses 
d'un  village  noir,  il  traverse  Ndoukoumane.  où  il  essuie  un  premier 
coup  de  feu  presque  à  bout  portant  qui  ne  l'atteint  pas  ;  au  delà, 
il  se  trouve  seul  pendant  quelques  instants  :  l'un  des  spahis  s'est 
écarté;  l'autre  est  resté  en  arrière.  Malgré  les  difficultés  que  pré- 
sente un  terrain  coupé  par  des  cultures  et  des  haies  formées  avec 
des  fagots  d'épines,  son  cheval ,  bien  enlevé ,  triomphe  de  tous  les 
obstacles  et  continue  à  mener  grand  train.  Les  distances  se 
rapprochent;  à  deux  kilomètres  du  village,  la  bête  que  montait  le 
Damel  est  absolument  fourbue. 

«  Pendant  ce  galop  de  deux  kilomètres ,  dit  le  lieutenant  dans  son 
rapport ,  le  maréchal-des-logis  Bégny  tua  un  cavalier  du  Damel , 
Boubakar  Mahmadou  un  second,  et  moi  deux  autres  qui  suivaient  leur 
chef  de  près.  » 

Le  lieutenant  Chauvet  arrive  ainsi  jusqu'à  dix  mètres  du  Damel. 
Le  spabis  Aly-Touré  seul  avait  pu  le  suivre  ;  les  autres  étaient 
à  50  mètres  en  arrière.  «  A  ce  moment ,  dit  le  lieutenant,  le  spahis 
Aly-Touré  me  dépassa  et  piqua  droit  au  Damel  pour  le  sabrer. 
Celui-ci  lui  déchargea  un  coup  de  feu  à  bout  portant  dans  la  pai'tie 


—  396  - 

supérieure  de  la  poitrine;  Aly  Touré  essaya  de  revenir  sur  son  ennemi, 
.Je le  vis  tomber  de  cheval.  Il  était  mort.  * 

Le  Damel  fit  feu  sur  moi  de  son  second  coup  et  me  manqua ,  je 
l'atteignis  aussitôt,  il  dégaina  et  nous  luttâmes  assez  longtemps  à  coups 
de  sabre  (1).  Je  lui  portai  un  coup  de  revers  sur  la  figure,  lui  coupai 
plusieurs  doigts  de  la  main  droite  dans  une  parade  et  enfin  lui  portai 
sur  l'épaule  un  coup  qui  le  fit  chanceler.  Lui,  de  son  côté,  me  porta  un 
coup  de  sabre  qui.  paré  à  temps,  ne  fit  que  couper  ma  vareuse. 

Il  fit  deux  blessures  assez  profondes  a  l'encolure  de  mon  cheval  ; 
enfin  il  ui'atteignit  d'un  coup  de  plat  de  sabre  à  la  cuisse.  Je  ripostai 
pai-  un  nouveau  coup  de  pointe  »  Damel  descendit  de  cheval. 

«  Le  spahis  Oumar-X'-Diaye  survint  et  lui  envoya  une  balle  dans 
le  flanc. 

Samba-Laobé  tomba  sur  les  genoux,  essaya  de  prendre  un  deuxième 
fusil  chargé  à  un  coup  :  je  me  précipitai  sur  lui  et  lui  portai  deux  coups 
de  pointe  en  pleine  poitrine  qui  retendirent  raide  mort.  »  (2) 

Une  heure  après  ,  le  peloton  de  spahis  était  réuni  à  la  gare  où  l'on 
apportait  le  corps  du  Damel.  Vingt  de  ses  gens  avaient  été  tués.  De 
notre  côté,  outre  le  spahis  tué,  nous  avions  deux  cavaliers  grièvement 
blessés. 

Dès  la  mort  de  Samba-Laobé  ,  son  oncle  et  compétiteur  Lat-Dior, 
ancien  Damel  du  Cayor.  se  mit  en  mouvement  afin  de  rentrer  dans 
cette  province  où  il  espérait  reprendre  .le  pouvoir.  C'eut  été  une  grave 
faute  d'entrer  en  composition  avec  ce  personnage  qui  se  vante  de  haïr 
tout  ce  qui  porte  Je  nom  Français  et  tient  à  la  France. 

Le  Gouverneur  avait,  du  reste ,  pris  ses  précautions  :  après  une 
entrevue  avec  les  chefs  des  captifs  de  la  couronne,  captifs  eux-mêmes, 
qui  avaient  remis  leur  pays  entre  ses  mains  ,  il  avait  fait  afficher  dans 
tous  les  villages  du  Cayor  une  proclamation  avisant  les  habitants  que 
le  royaume  était  divisé  en  six  provinces.  Dans  la  même  proclamation 
il  reconnaissait  Samba-Laobé-Boury  comme  chef  des  Poul  ;  il  enjoignait 
à  Lat-Dior  de  sortir  immédiatement  du  Cayor,  et  aux  chefs  de  pro- 
vince de  procéder  militairement,  s'il  en  était  besoin,  à  celte  expulsion. 


(1)  II  était  armé  de  trois  fusils  dont  deux  en  bandoulièn^  ;  celui  qu'il  avait  en  main 
était  un  Lefauchenx  à  deux  coups. 

(2)  Le  combat  entre  le  lieutenant  à  cheval  et  le  Damel  à  pied  aurait  duré  12  minutes. 
—  Le  Damel  était  u/i  homme  très  vigoureux  ;  .sa  taille  dépassait  deux  mètres. 


i 


—  :-i97  - 

Lat-Dior  s'était  avancé  jusqu'au  village  de  Soguer,  ii  cinq  heures  do 
marche  de  N'Dando,  station  de  la  ligne  du  chemin  de  fer:  là,  à  la 
tète  de  150  hommes ,  il  feignait  d'attendre  sa  numinalion  comme 
Damel. 

Les  guerriers  du  Cayor  se  mirent  en  marche  le  2G  octobre,  appuyés 
par  45  spahis  sous  le  commandement  du  capitaine  Vallois. 

Tout  d'abord  Lat  Diui- sembla  obéir  aux  ordres  du  Gouverneur,  il  ne 
conserva  auprès  de  lui  que  quelques  cavahers  et  se  retira  vers  l'Est. 

En  même  temps  ses  émissaires  faisaient  courir  le  bruit  qu'il  avait 
coupé  la  ligne  du  chemin  de  fer,  et  brûlé  plusieurs  villages. 

Le  26,  le  capitaine  Vallois  arrivait  à  Diadié.  Là,  on  apprenait  que 
Lat-Dior  s'était  dirigé  sur  Dekkelé  sa  résidence  habituelle.  Le  len- 
demain,*à  2  heures  du  matin,  ia  division  se  remettait  en  route  vers  ce 
point,  mais  arrivée  à  Tchilmaka ,  ses  éclaireurs  l'avisaient  que 
Lat-Dior  avait  levé  son  camp  et  s'était  porté  vers  l'Est ,  se  plaçant 
ainsi  entre  nos  gens  et  la  voie  ferrée  de  St-Louis  à  Dakar. 

On  continua  néanmoins  sur  le  puits  de  Dekkelé ,  où  il  était  urgent 
de  s'arrêter  pour  faire  boire  les  chevaux,  qui  souffraient  beaucoup  de 
ia  soif.  Les  abords  du  puits,  sur  un  rayon  de  30  mètres,  sont  sablon- 
neux et  complètement  dénudés  ;  au-delà,  aussi  loin  qu'on  peut  voir,  ce 
sont  des  broussailles  et  des  hautes  herbes  qui  dépassent  de  beaucoup 
la  tête  d'un  cavaher  à  cheval.  L'endroit  était  mal  choisi  pour  un 
campement  :  mais  on  n'avait  pas  le  choix  ;  les  chevaux  n'avaient  rien 
bu  depuis  la  veille. 

A  onze  heures  trente,  les  six  premiers  chevaux  buvaient;  tout-à-coup 
une  fusillade  éclate  sur  la  droite  ;  trois  chevaux  sont  tués,  six 
hommes  mis  hors  de  combat.  Presqu'au  même  moment,  un  feu  violent 
arrive  sur  notre  front.  Le  capitaine  Vallois  rallie  à  droite  la  moitié 
des  spahis,  le  lieutenant  Chauvet  se  porte  sur  le  front  avec  l'autre 
moitié. 

On  répond  à  l'ennemi  avec  un  admirable  entrain. 

Lat-Dior  avec  trois  cents  hommes  environ,  s'était  avancé  dans  les 
herbes,  et  grâce  à  leur  grande  hauteur,  il  avait  pu  gagner  le  bord  du 
puits  sans  être  aperçu  et  ouvrir  le  feu  à  petite  distance. 

k  onze  heures  quaiante  cinq,  le  capitaine  Vallois  était  maître  de  la 
situation  ;  il  fit  montera  cheval  vingt  spahis  et  se  porta  en  avant. 
L'ennemi,  déjà  ébranlé,  se  débanda  et  prit  la  fuite. 

Lat-Dior,  ses  deux  fils  et  soixante-dix-huit  de  ses  guerriers,  avaient 
été  tués. 


—  398  — 

De  notre  côté,  les  pertes  étaient  sérieuses,  un  tiers  de  l'effectif  des 
spahis,  hommes  et  chevaux,  était  hors  de  combat. 

Depuis  vingt-cinq  ans,  Lat-Dior  nous  avait  toujours  combattus,  soit 
par  les  armes,  soit  par  ses  agissements.  Il  nous  infligea  autrefois  un 
désastre  sanglant  à  N'Golgol,  où  cent  trois  de  nos  soldats  sur  cent 
quarante  restèrent  sur  le  terrain  ;  en  1869,  ses  cavaliers  détruisirent 
presque  entièrement  à  Mekhey  l'escadron  de  spahis  sénégalais  : 
ses  menées   ont  toujours   mis  en  danger  la  tranquilUté  du  Cayor. 

Le  système  des  Damel  a  fait  son  temps.  Il  ne  peut  être  cependant 
question  d'annexer  le  Cayor  ,  où  l'application  immédiate  de  notre 
administration  serait  impossible. 

Dans  cette  région ,  les  villages  sont  naturellement  groupés  en 
Toundè  (le  Toundé  est  une  sorte  de  canton)  il  semble  nécessaire  de 
respecter  ces  divisions  naturelles,  et  de  consacrer  par  notre  auto- 
rité ,  dans  chacun  de  ces  cantons  ,  le  pouvoir  d'un  chef  nommé 
par  la  population.  Nous  éviterons  ainsi  de  troubler  l'état  social  de  ces 
peuples  et  l'application  de  notre  administration  s'imposera  natu- 
rellement peu  à  peu. 


Chez  les  maures  Trarza.  Ely  Ould  Mohammed  el  Habib,  le  roi  de 
cette  tribu  était  assez  fidèle  observateur  des  conventions  avec  la 
France.  Toutefois,  il  nourrissait  toujours  le  secret  espoir  de  dominer 
le  Oualo,  pays  de  sa  mère  Djimbot  ;  on  lui  reprochait  aussi  les  mauvais 
traitements  qu'il  faisait  parfois  subir  aux  traitants.  A  la  fin  de  septembre 
1886  son  neveu  Ahmed  Fall  l'assassina.  Celui-ci  s'emparant  aussitôt  du 
pouvoir,  jeta  la  perturbation  parmi  le.s  partisans  d'Ely.  faillit  atteindre 
son  autre  oncle,  frère  de  la  victime,  Amar  Saloum,  et  s'empara  de 
tout  ce  qui  appartenait  à  ses  deux  oncles.  Amar  se  réfugia  chez  Cheick 
Sidia,  le  graud  marabout  desBrakna;  tandis  que  le  tils  d'Ely,  jeune 
garçon  de  douze  ans,  gagnait  Saint-Louis. 

Ahmed  Fall .  le  meurtrier  d'Ely,  put  alors  se  faire  nommer  roi  des 
Trarza  par  les  Ouled  Ahmed  ben  Daliman.  A  la  suite  de  ces  événe- 
ments .  les  Azouna  et  les  autres  partisans  d'Ely  se  réfugièrent 
dans  le  voisinage  de  Saint-Louis. 

Ce  ne  fut  parmi  les  maures  que  compétitions ,  batailles  .  et 
tueries.  Le  gouvernement  désirait  vivement  voir  reprendre  les 
transactions  commerciales.  Jl  ne  pouvait  cependant  s'entendre  avec 


—  399  - 

l'assassin  d'Ely,  notre  ancien  allié,  et  répudier  son  trère  Araar  Saloutn 
ou  son  jeune  fils  Ahmerl  Saloum. 

On  laissa  donc  ces  voisins  de  la  rive  droite  régler  entre  eux 
leurs  affaires,  tout  en  faisant  respecter  énergiquement  la  live  gauche 
du  fleuve  bordant  le  Oualo  et  le  Diinar. 

Cependant  les  Trarza  n'ignoraient  pas  que  les  i)références  des 
Français  étaient  acquises  au  frère  d'Ely,  successeur  natui-el  Aussi,  les 
défections  ne  tardèrent  pas  à  se  produire  dans  l'entourage  de  l'assassin 
Ahmed-Fall. 

Bientôt,  assuré  du  concours  de  la  majorité  des  Iribus,  Amar  Saloum 
quitta  Saint  Louis  avec  une  soixantaine  d'hommes  déterminés  pour 
encadrer  les  anciens  partisans  d'Ely  devenus  les  siens.  Il  infligea  peu 
après  à  Ahmed-Fall  une  défaite  sanglante  k  la  suite  de  laquelle  il  ne 
tarda  pas  à  devenir  maître  absolu  du  pays  et  réussit  le  17  mars  à 
atteindre  Ahmed-Fall ,  son  neveu,  qu'il  tua.  Amar  Saloum  n'ayant  plus 
de  compétiteur  sérieux  s'est  aussitôt  fait  reconnaître  roi,  et  les  autres 
princes,  ainsi  que  les  notables,  sont  venus  lui  faire  leur  soumission.  Le 
nouveau  roi  est  un  ami  de  la  France  ;  il  doit,  dit-on,  venir  à 
Saint-Louis  pour  })rotester,  auprès  du  gouverneur,  de  son  dévoue- 
ment à  la  France.  Quoiqu'il  en  soit,  la  paix  est  désormais  assurée  dans 
cette  partie  du  fleuve  et  le  commerce  possède  maintenant  la  sécurité 
qui  lui  est  nécessaire. 

Pour  apprécier  la  partie  des  événements  qui  se  déroulèrent  chez  les 
maures  Trarza,  il  est  bon  de  jeter  un  rapide  coup  d'œil  sur  l'histoire 
de  leur  famille  royale. 

En  1828  Mohammed  El  Habib  fut  nommé  roi  des  Trarza.  Quel- 
ques années  après  son  avènement  il  fit  tuer  son  frère  ,  Ould  el 
Eygat,  dont  il  craignait  les  intrigues. 

Mohammed  el  Habib  eut  d'une  princesse  Trarza,  sa  femme,  trois  fils 
dont  l'aîné  s'appelait  Seidi  ;  de  Djimbot,  reine  de  Walo,  un  fils,  Ely  ;  et 
d'une  femme  trarza  nommée  Saloum  delà  tribu  des  Ouled-Dahman,  sept 
fils.  Mohannned  el  Habib  fut  assassiné  en  18G0  par  ses  neveux,  mécon- 
tents du  traité  qu'il  venait  de  passer  avec  le  gouverneur  Faidherbe. 

Son  fils  Seidi,  après  avoir  tué  ses -cousins,  les  assassins,  succéda  à 
son  père.  Eu  1871.  Séidi  et  ses  deux  frères  du  même  lit  furent  assas- 
sinés par  les  sept  frères  Saloum,  leurs  frères  consanguins. 

Ely  vengea  sou  frère  Séidi  en  tuant  plusieurs  des  assassins  et  fut 
nommé  roi.  C'est  ce  roi  qui,  à  son  tour,  fut  tué  au  mois  d'Octobre 
1886  par  ses  neveux  Ahmed  FaU  et  Ahmed  Dey,  fils  de  Séidi.  Ces  deux 
deux  derniers  furent  tués  à  leur  tour. 


—   iOO  — 

Ely  avait  d'une  de  ses  cousines  Sal'oum  deux  fils  :  Ahmed  Saloum, 
âgé  de  douze  lus  et  un  autre  de  trois  ans  qui  fut  tué  par  les  assassins. 

Lo  dénouement  heureux  des  événements  survenus  en  1886  et  1887, 
montre  combien  notre  puissance  est  solidement  assise  dans  le  Soudan 
Français. 

La  campagne  de  ravitaillement  des  postes  est  terminée  et  la  situation 
est  partout  excellente. 

Le  colonel  Galliéni  a  quitté  Bammakou  le  G  avril.  Il  est  revenu  par 
la  route  du  Bakhoy  sur  Kita. 

Une  compagnie  indigène  tient  garnison  sur  le  Niger. 

Avant  de  prendre  ses  dispositions  de  retour,  le  Commandant  supé- 
rieur du  Soudan  Français  a  préparé  le  voyage  que  la  canonnière  va 
faire  à  Tombouctou,  et  poussé  l'achèvement  du  vapeur  en  construction 
à  Bammakou. 

En  consultant  la  carte  ci-jointe,  on  peut  remarquer  que  l'empire 
d'Ahmadou  très  amoindri,  n'a  plus  aucun  point  de  contact  avec  le  Niger. 

Les  populations  riveraines  du  grand  fleuve  soudanien  sont  disposées 
à  faire  bon  accueil  au  pavillon  français. 

ïidiani,  chef  de  Macina,  est  en  excellentes  relations  avec  nous,  et 
son  concours  nous  est  assuré. 

A  Tombouctou,  les  notables  sont  impatients  de  nous  recevoir. 

La  route  est  donc  ouverte  et  dans  quelques  semaines,  dans  quelques 
jours  peut-être,  le  vapeur  Le  Niger  jettera  l'ancre  devant  la  cité  si 
longtemps  mystérieuse  du  Soudan. 

Ainsi,  après  sept  ans  d'efibrts  et  de  persévérance,  le  programme 
légué  autrefois  par  le  gouverneur  Faidherbe  se  trouve  accompli. 

Bientôt  la  flottille  de  Bammakou  promènera  librement  les  couleurs 
nationales  à  travers  ces  pays  à  peine  connus  que  traverse  le  grand 
fleuve  soudanien  sur  un  parcours  déplus  de  2,000  kilomètres  jusqu'aux 
chutes  de  Boussa. 

Dans  un  généreux  élan  d'enthousiasme,  les  habitants  du  Sénégal 
viennent  de  décerner  un  hommage  suprême  à  celui  qu'ils  appellent  le 
père  de  la  colonie,  en  dressant  sur  la  place  du  Gouvernement,  à 
Saint-Louis,  la  statue  du  général  Faidherbe  (1). 

Paris,  10  Mai  1887.  Capitaine  H.  BROSSELABD. 

(1)  Une  dépêclic  de  Saint-Louis  que  nous  recevons  à  l'instant  nous  apjtrend  que 
«  le  colonel  Galliéni  vient  de  passer  un  traité  avec  Ahniadou  et  que  ce  dernier  place 
son  empiré  sous  notre  protectorat.  » 


—  401 


COURS  ET  COx\FÉUE\GES  DU  JEUDI  SOIR 

A  LILLE. 


DES  CLIMATS  FROIDS  AU  POINT  DE  VUE  DE  LA  VIE  HUMAINE 

Par  le  docteur  L.  WAGNIER  , 
Officier  d'Académie,  membre  de  la  Société  de  Géographie  de  Lille. 


Conférence  faite  à  Lille  le  24  Février  1887. 


Mesdames  ,  Messieurs  , 

Il  y  a  quelques  semaines  nous  entendions  ,  avec  un  grand  intérêt ,  la 
conférence  qu'a  faite  M.  Letort,  à  la  Société  de  Géographie ,  sur  le 
Canada  (1).  Nous  avons  fait  ainsi,  à  sa  suite,  par  la  pensée  ,  un  voyage 
des  plus  intéressants  ;  nous  avons  recueilli ,  avec  un  vif  et  patriotique 
plaisii',  les  mille  preuves  qu'il  nous  donnait  des  sentiments  d'attache- 
ment que  les  Français  du  Canada,  arrachés  à  la  mère-patrie,  ont 
conservés  pour  elle.  Et  lorsqu'il  nous  montrait  les  immenses  i-es- 
sources,  malheureusement  méconnues  lors  de  la  cession  de  cette 
magnifique  colonie  ,  que  Voltaire  lui-même  appelait  dédaigneusement 
«quelques  arpents  de  neige»  ,  nous  avons  ressenti  toute  l'étendue  de 
la  perte  que  la  France  a  éprouvée  alors. 

Je  me  rappelais  ,  en  écoutant ,  les  conditions  chmatériques  de  ce 
pays  ,  qui ,  placé  cependant  sous  la  même  latitude  que  la  France  ,  en 
diffère  tellement  par  le  climat  qu'il  se  trouve  environ  sur  la  même 
ligne  isothermique  que  Stockholm  et  Christiania  ;  et ,  d'ailleurs ,  la 
description  que  faisait  l'orateur  du  rigoureux  hiver  de  cette  contrée 
nous  rendait  plus  sensible  cette  donnée  scientifique. 

C'est  à  ce  moment  que  j'eus  la  pensée  qu'une  étude  sur  les  climats 
au  point  de  vue  de  la  résistance  humaine  pourrait  avoir  de  l'intérêt 
pour  notre  Société  ;  mais  je  m'aperçus  bientôt  que  la  question  des 
chmats,  de  racclimatcmeut  et  de  la  colonisation  en  générai,  même  en 
la  restreignant  dans  les  limites  les  plus  étroites ,  dépasserait  beaucoup 
le  cercle  d'une  conférence ,  et  je  me  bornerai  à  l'étude  des  climats 
froids  et  de  la  manière  dont  l'homme  les  supporte. 


(1)  La  conférence  de  M.  Leturt  a  été  stéuograpliiée  et  sera  prochaineuient  rep;o- 
duite  in-extenso  dans  nos  Bulletins. 


27 


—  ^02  - 

Je  laisserai  de  côté  toute  énumération  géographique  quant  à  la 
fixation  des  limites  conventionnelles  des  climats  tempérés,  froids  et 
polaires ,  et  je  ne  considérerai  que  le  côté  médical  et  hygiénique  de  la 
question.  Après  avoir  étudié  rapidement  l'action  du  froid  en  général  sur 
l'organisme  humain  et  indiqué  avec  quelle  énergie  les  forces  vitales 
résistent  à  cette  influence  ,  je  dirai  les  conditions  qui  font  varier  cette 
résistance ,  je  parlerai  des  maladies  dans  les  climats  froids  ,  de  l'accli- 
matement à  ce  point  de  vue  ,  et  de  la  colonisation  des  pays  situés  sous 
une  latitude  plus  élevée  que  la  métropole  en  la  comparant  dans  ses 
grandes  lignes  avec  la  colonisation  des  pays  chauds. 


I. 

La  chaleur  vitale  ,  vous  le  savez  .  est  le  résultat  des  oxydations  qui 
se  produisent  au  sein  de  l'organisme.  Elle  est  si  admirablement  équi- 
librée que  l'homme  conserve  ,  à  peu  de  ch(3se  près  ,  la  même  tempéra- 
ture propre  .  intérieure ,  sous  tous  les  chmats. 

La  chaleur  que  l'honmie  produit  à  chaque  instant  tend  à  se  perdre 
quand  le  miheu  où  il  se  trouve  est  à  une  température  plus  basse  que  la 
sienne ,  en  vertu  des  lois  qui  président  à  l'équihbre  général  de  la  tem- 
pérature des  corps  .  par  rayonnement  et  par  conductiblUté. 

L'action  du  rayonnement  est  surtout  remarquable  quand  l'organisme 
prend  part  à  la  radiation  calorique  terrestre  si  sensible  dans  certaines 
circonstances,  lorsque,  par  exem})le ,  par  une  belle  nuit,  les  astres 
brillent  d'un  vif  éclat  dans  l'espace  pur  de  tout  nuage ,  et  que  rier 
n'arrête  la  déperdition  de  la  chaleur  terrestre.  Le  refroidissement  est 
alors  considérable  et  il  a  été  noté  dans  des  circonstances  mémorables. 
Dans  son  récit  de  la  campagne  de  1812 ,  Larrey  déclare  que  c'était  au 
bivouac ,  lorsque  le  rayonnement  était  à  son  maximum ,  que  survenait 
la  plus  grande  mortalité  ,  aussi  bien  parmi  les  hommes  que  parmi  les 
animaux.  Le  capitaine  Ross  ,  qui  s'est  illustré  par  ses  expéditions  vers 
le  pôle  Nord  et  dont  les  récits  sont  si  intéressants  et  si  utiles  au  point  de 
vue  de  la  question  de  la  résistance  au  froid ,  signale  aussi  le  danger 
considérable  qui  peut  résulter  de  ce  rayonnement. 

A  côté  de  l'influence  du  rayonnement ,  il  faut  placer  celle  de  la  tem- 
pérature du  milieu  ambiant.  Jusqu'à  quel  degré  a  pu  descendre  cette 
température  de  l'air  sans  cependant  dépasser  les  limites  de  la  résistance 
des  forces  vitales,  luttant  activement  et  puissamment  aidées  par  les 


—  4(i:;  — 

rossourcos  dout  rindustrioliuiiiaine  dispose?  Je  ne  citerai  que  quelques 
chiffres  eiripruiitôs  aux  récits  des  voyages  de  John  Franklin ,  Ross , 
Parry,  Back.  On  a  observé  par  66°,  11  de  latitude  Nord  —  39^  par  64" 
de  latitude  —  49^  par  69°  de  latitude  —  SO^S,  on  a  constaté  par  66"  — 
56".  En  1834,  on  a  noté  au  Fort-Reliance  ,  dans  l' Amérique  anglaise  — 
56"7. 

L'organisme  humain  oppose  à  ces  froids  excessifs  les  ressources 
passives  qu"il  emprunte  aux  abris  et  aux  vêtements  dont  je  vais  dire 
quelques  mots  :  il  leur  résiste  aussi  par  les  forces  actives  qu'il  trouve 
en  lui-môme  ,  dont  je  parlerai  ensuite. 

Pour  ce  qui  est  des  abris  ,.  les  cabanes  de  glace  où  hivernèrent  la 
plupart  des  expéditions  vers  le  pôle  et  qui  furent  construites  sur  le 
modèle  de  celles  qui  servent  aux  Esquimaux  ,  sont  l'exemple  le  plus 
frappant  qu'on  puisse  citer  de  leur  influence. 

Ce  sont  des  huttes  en  forme  de  dômes  dont  la  hauteur  intérieure 
n'atteint  pas  i"\bO  ;  elles  sont  faites  de  morceaux  de  glace  disposés 
par  assises  et  solidement  cimentés  avec  de  l'eau  ,  On  y  pénètre  en  ram- 
pant par  uue  entrée  longue  et  étroite  ;  une  lumière  douce  règne  dans 
Tiutérieur ,  elle  est  fournie  par  un  morceau  de  glace  peu  épais  qui , 
enchâssé  dans  la  paroi,  sort  de  vitre,  ou  par  une  lampe  alimentée  d'huile 
de  })hoque  contenue  dans  des  os  de  baleine  et  dont  la  mèche  est  faite 
avec  de  la  mousse.  Cette  même  lampe  sert  aussi  à  cuire  les  aliments. 

C'est  sur  un  banc  de  glace  recouvert  de  peaux  de  phoques  que  Ton 
s'assied  ,  là  aussi  que  Ton  dort  ;  c'est  presque  le  seul  meuble. 

Ce  furent  des  cabanes  semblables  qu'habitèrent  les  matelots  du 
capitaine  Ross  et  lui-même  pendant  les  quatre  hivers  qu'ils  passèrent 
dans  les  régions  polaires.  Ils  y  dormaient ,  dit  cet  explorateur ,  chaude- 
ment et  à  Taise,  la  température  intérieure  de  la  cabane  étant  souvent 
au-dessous  de  —  ^O".  Ce  bien-être  relatif  était  dû  à  la  suppression  du 
rayonnement  par  l'abri  qui  s'opposait  aussi  à  l'influence  réfrigérante 
si  puissante  des  mouvements  de  l'air. 

Au  cours  de  ces  quatre  années ,  Ross  ne  perdit  que  3  de  ses  23 
compagnons  ,  en  quatre  années  également ,  Kotzebue  ,  qui  en  avait  27, 
n'en  perdit  aucun.  Je  rappellerai  ces  chifl'res  tout  à  l'heure  parce  qu'ils 
n'ont  rien  d'exceptionnel  et  qu'en  général  la  mortalité  de  ces  expédi- 
tions ,  lorsqu'elles  ont  été  préparées  et  conduites  avec  intelligence ,  a 
été  très  faible  en  dehors  des  causes  accidentelles. 

Le  choix  des  vêtements  est  très  important  dans  ces  circonstances.  Il 
y  aurait  bien  des   choses  intéressantes   à  dire  sur  cette  question  des 


—  4(J4  — 

vêtements.  Comment  agissent-ils?  En  s'opposant  aux  mouvements  de 
l'air  qui  est  en  contact  avec  le  corps  ? 

Lorsque  l'oiseau  couvert  de  plumes,  qui  sont  pourtant  si  peu  conduc- 
trices ,  se  trouve  exposé  à  un  froid  excessif,  nous  le  voyons  se  mettre 
en  boule  ;  dans  les  mêmes  conditions ,  le  poil  des  mammifères  se 
hérisse  et  la  quantité  d'air  enfermée  dans  les  téguments  se  trouve  aug- 
mentée par  cet  acte  instinctif. 

Les  vêtements  produisent  les  mêmes  eôéts  sur  l'homme,  et,  à  poids 
égal,  plus  un  tissu  peut  enfermer  daii*  dans  ses  mailles,  mieux  ii 
l'emprisonne,  mieux  il  maintient  à  la  surface  du  corps  la  couche  d'air 
qui  s'y  est  échauffée,  mieux  aussi  il  nous  protège  du  froid. 

L'action  protectrice  des  vêtements  est  considérablement  diminuée 
sous  l'influence  des  mouvements  de  l'air.  Ce  fait,  d'observation  cou- 
rante, trouve  des  exemples  frappants  dans  les  récits  des  explorateurs  : 
l'un  d'eux  rapporte  que,  par  un  temps  calme,  dans  une  atmosphère 
presque  immobile,  les  hommes  de  son  équipage  vaquaient  au-dehors 
à  leurs  occupations  alors  que  le  thermomètre  marquait — 41°;  avec — 29", 
s'U  survenait  une  légère  brise,  ils  étaient  obligés  de  se  tenir  renfermés, 
tant  les  échanges  d'air  que  produisait  dans  les  vêtements  qui  les 
couvraient,  le  moindre  mouvement  atmosphérique,  leur  rendait  plus 
sensible  l'action  du  froid. 

En  dehors  de  ces  résistances  passives  que  nous  lui  opposons,  nous 
luttons  aussi  contre  le  refroidissement  par  l'activité  musculaire. 

«  La  meilleure  manière  de  se  chauflér  avec  du  bois,  disait  le  profes- 
seur Bouchardat,  c'est  de  le  scier.  » 

L'activité  des  nmscles  augmente,  en  eflét,  d'une  façon  assez  notable 
la  quantité  de  chaleur  que  l'organisme  produit,  et,  de  plus,  elle  diffuse 
cette  chaleur  dans  toute  les  parties  du  corps  et  en  paiHicuher  aux 
extrémités  où  le  refroidissement  est  de  beaucoup  le  plus  rapide. 

Lorsqu'on  est  exposé  à  un  froid  excessif,  il  faut  se  rappeler  combien 
l'immobilité  est  funeste,  il  faut  faire  appel  à  toute  son  énergie,  lutter 
pai'  le  mouvement  contre  la  tendance  au  sommeil  et  à  l'engourdisse- 
ment, qui,  dans  ces  circonstances,  est  le  prélude  de  la  mort. 

Dans  les  désastres  causés  par  le  froid  sur  des  armées  en  marche 
et  qui  ne  sont  pas  rares  dans  l'histoire  des  guerres,  on  a  vu  souvent 
l'énergie  du  commandement,  la  vigilance  des  officiers,  le  dévouement 
des  vieux  soldats,  sauver  de  la  mort  .un  grand  nombre  d'hommes,  en 
les  empêchant  de  s'écarler,  de  s'arrêter,  en  leur  rappelant  à  chaque 
instant  que  leur  salut  dépendait  de  leur  activité  et  de  leur  courage. 


-  i05  — 

Quand  Jacques  Balraat  fit,  le  premier,  en  1786,  l'ascension  rlu  Mont- 
Blanc,  il  dut,  lui  aussi,  à  son  énergie  de  sortir  sain  et  sauf  de  cette 
iéraéraire  entreprise  :  arrivé  au  grand  plateau,  à  H. 930  mètres,  il  fut 
surpris  par  la  nuit,  redescendre  était  impossible,  il  [)rit  vaillamment 
son  parti  et  se  promena  de  long  en  large  dans  la  neige  jusqu'à  ce  que 
le  jour  parut. 

Rien  n'est  plus  propre  à  montrer  l'heureuse  inilucnce  de  raclivifc 
musculaire  dans  la  lutte  contre  le  froid  que  ce  que  rapporle  Spallan- 
zani  d'un  hivernage  de  Hollandais  au  Spitzberg  :  ceux,  dit-il.  qui 
s'enfermèrent  dans  les  cabanes  en  bois  qu'ils  av;iieiit  construitt-s. 
moururent  de  froid  l'un  après  l'autre  auprès  du  feu.  ceux  au  contraire 
qui  vivaient  à  l'air  libre,  s'occupant  à  chasser,  à  chai'rier  du  bois  ou  à 
d'autres  travaux,  conservèrent  leur  santé. 

Non  seulement  le  travail  du  corps,  mais  aussi  l'activité  intellectuelle 
augmente  la  chaleur  vitale,  cette  influence  peut  être  telle  qu'elle  se 
manifeste  d'une  manière  sensible  sur  tout  le  corps  quand  la  tension 
de  l'esprit  est  très  prononcée,  mais,  plus  souvent  encore,  il  s'établit  un 
contraste  frappant  entre  la  température  de  la  tête  et  celle  des  extré- 
mités :  si,  dans  ces  conditions,  l'homme  veut  se  livrer  au  sommeil  il 
n'y  parvient  que  difficilement,  l'équilibre  organique  rompu  produit  un 
malaise  qui  cause  l'insomnie. 

Les  influences  morales,  les  passions,  influent  sifr  la  production  de 
chaleur,  quelques-unes  l'augmentent,  ce  sont  les  passions  expansives 
et  excitantes  :  l'espérance,  la  joie,  la  colère  :  les  influences  morales 
dépressives  :  la  crainte,  la  tristesse,  le  découragement,  la  diminuent. 
Un  heureux  caractère,  jovial,  ardent  et  courageux  est  donc  une 
excellente  condition  lorsqu'il  s'agit  d'affronter  les  perds  d'un  voyage 
dans  les  climats  polaires. 

Dans  cette  question  de  la  résistance  au  froid,  où  nous  avons  à 
examiner  des  points  de  vues  nombreux,  nous  devons  dire  quelques 
mots  du  rôle  si  important  de  l'alimentation.  Si,  comme  l'enseigne  la 
physiologie,  nous  brûlons  à  chaque  instant  notre  propre  substance,  et 
si  cette  combustion  est  d'autant  plus  énergique  que  le  milieu  qui  nous 
entoure  tend  davantage  à  nous  refroidir,  c'est  au  moyen  des  aliments 
que  nous  réparons  les  pertes  continuelles  qu'engendre  la  combustion 
respiratoire  et  l'activité  musculaire. 

Après  le  repas,  sous  l'influence  du  commencement  de  la  digestion. 
nous  éprouvons  une  sensation  de  frisson,  mais  le  résultat  définitif  de 
l'ingestion  des  ahments  est  la  production  de  chaleur. 


_  'm  — 

L'activité  des  fonctions  digestives  est  doue  une  condition  de  pre- 
mier ordre  daus  la  question  qui  nous  occupe,  d'ailleurs  cette  activité 
s'accroît  beaucoup  lorsque  l'organisme  doit  lutter  contre  le  refroidis- 
sement, et  si.  dans  nos  climats,  sous  la  seule  influence  saisonnière, 
nous  notons  de  grandes  différences  dans  notre  appétence  pour  les 
aliments  et  dans  l'énergie  de  notre  estomac,  cette  différence  est  bien 
plus  prononcée  quand  on  compare,  au  point  de  vue  de  la  quantité 
comme  à  celui  de  la  qualité,  le  régime  des  peuples  du  nord  à  celui  des 
habitants  des  pays  chauds. 

Le  docteur  Hayes.  qui  a  étudié  et  décrit  avec  soin  les  mœurs  des 
Esquimaux,  attribue  à  leur  genre  d'alimentation  la  résistance  que  ces 
peuples  opposent  à  leur  terrible  climat. 

Vivants,  dit-il.  presque  sans  feu.  misérablement  vêtus,  ils  n'en  cons- 
tituent pas  moins  une  race  vigoureuse,  susceptible  d'une  grande  résis- 
tance à  la  fatigue  et  pou  accessible  aux  maladies. 

Le  morse,  le  veau  marin,  le  narval,  l'ours,  sont  les  éléments  de 
leur  nourriture  ordina're.  Ils  mangent  la  chair  crue,  habituellement 
6  à  8  kilogr.  par  jour  dont  un  bon  tiers  de  graisse  :  des  morceaux 
d'huile  de  baleine  gelée  constituent  pour  ces  peuplades  un  sorbet 
délicieux. 

Les  marins  qui  firent  partie  des  expéditions  au  Pôle-Nord  durent 
s'habituer  peu  à  peu  à  un  régime  analogue  et  le  docteur  Hayes  raconte 
que,  le  besoin  aidant,  ce  régime  finit  par  être  du  goût  des  équipages. 

C'est  donc  avec  raison  que  dans  le  choix  des  hommes  qui  devaient 
faire  partie  de  ces  expéditions,  on  tenait  grand  compte  de  la  vigueur 
stomacale. 

On  exigeait  aussi  la  sobriété  h  l'égard  des  boissons  alcooliques,  non 
seulement  à  cause  de  l'abus  qu'on  en  peut  faire,  mais  parce  qu'on  a 
reconnu  que  l'alcool  était  funeste  même  à  dose  assez  modérée  et  qu'à 
Vexcitation  passagère  qu'il  produit  succède  un  état  de  dépression  qui 
prive  l'homme  d'une  grande  partie  de  sa  ré.sistancc  au  refroidissement. 

Je  terminerai  ce  rapide  exposé  de  la  question  des  climats  froids  au 
point  de  vue  physiologique  par  quelques  mots  sur  l'influence  de  l'âge 
et  sur  celle  du  sexe. 

La  force  de  résistance  au  froid  est  à  son  maximum  chez  l'adulte  , 
beaucoup  moindre  chez  l'enfant,  elle  est  très  faible  chez  le  nouveau - 
né  ;  à  mesure  que  l'enfant  grandit  et  surtout  dès  qu'il  peut  courir,  la 
résistance  augmente,  mais  l'enfant  reste  toujours  plus  accessible  au 
froid  que  les  grandes  personnes,  particulièrement   dans   l'immobilité. 


—   107  — 

C'est  nue  vérité  qu'on  n'a  guère  besoin  de  rappeler  aux  mères  qui 
n'ont  que  trop  de  tendance  à  surcharger  leurs  enfants  de  vêtements 
chauds  ;  si  cette  conduite  est  admissible  pour  l'enfant  très  jeune,  elle 
cesse  de  l'être  lorsque  l'enfant  peut  trouver  dans  l'activité  musculaire 
sous  toutes  ses  formes  une  source  de  résistance  au  froid  bien  plus 
énergique  et  bien  plus  salutaire. 

Chez  le  vieillard,  les  fonctions  calorifiques  décroissent  à  mesure  que 
toutes  les  actions  organiques  s'élanguissent.  et  l'iniluence  d'un  milieu 
où  la  température  est  basse  devient  funeste  bien  plus  rapidement  que 
chez  l'adulte. 

Au  point  de  vue  du  sexe,  on  peut  dire,  quoique  le  fait  ne  soit  j)as 
démontré  expérimentalement ,  qu'il  semble  que  la  femme  supporte 
mieux  que  l'homme  l'influence  du  froid. 

Le  fait  est  surtout  remarquable  dans  les  classes  pauvres  de  la 
société  où  les  femmes  sont  incomparablement  moins  vêtues  que  les 
hommes  et  ne  paraissent  pas  souffrir  davantage  des  abaissements  de 
température. 

Dans  la  classe  riche  ,  les  lourds  manteaux ,  les  épaisses  fourrures 
répondent  plutôt  pour  elles  aux  goûts  de  luxe  qu'à  une  nécessité  réelle, 
leurs  épaules  découvertes, par  des  températures  parfois  assez  basses, le 
prouvent.  Cest  d'ailleurs  une  remarque  qui  a  été  faite  aux  bains  de 
mer,  les  femmes  redoutent  moins  que  les  hommes  la  fraicheur  de  l'eau 
et  elles  se  décident  les  dernières  à  partir  quand  commence  à  s'annon- 
cer le  retour  de  la  saison  rigoureuse. 

Il  faut  sans  doute  accordei*  ici  une  grande  part  dinfluence  à  l'ac- 
tivité nerveuse. 


Il 


Lorsque  la  limite  de  la  résistance  est  franchie,  que  l'action  des 
forces  vitales  est  vaincue,  les  extrémités  du  corps  et  les  pai'ties  expo- 
sées à  l'air  extérieur  sont  les  premières  atteintes.  Le  refroidissement 
local  peut  être  poussé  très  loin  sans  que  la  partie  atteinte  soit  frappée 
de  mort.  Le  danger  consiste  surtout  dans  le  réchauffement  hiusque. 
Après  un  faible  degré  de  refroidissement,  le  réchauffement  brusque 
donne  lieu  à  ce  phénomène  désagréable  bien  connu  sous  le  nom  de 
l'onglée  ;  s'il  succède  à  un  refroidissement  plus  prononcé,  à  la  congé 
lalion,  il  produit  la  mort  locale,  la  gangrène. 


~  i08  - 

Des  soins  bien  entendus  pourraient  souvent  l'éviter  :  le  capitaine 
Ross  rapporte  que  dans  une  excursion,  il  eut  une  joue  frappée  de  con- 
gélation ,  cette  partie  avait  blanchi  sans  qu'il  éprouvât  aucune  sen- 
sation ,  le  marin  qui  marchait  à  côté  de  lui  s'en  aperçut  et  se  mit  à 
frotter  avec  de  la  neige  la  joue  du  capitaine  jusqu'à  ce  que  le  retour 
de  la  coloration  normale  eut  indiqué  que  le  danger  avait  disparu. 

Le  réchauffement  brusque  peut  d'ailleurs  être  le  fait  des  seules  con- 
ditions météorologiques.  A  la  compagne  d'Eylau,  malgré  un  froid 
intense  et  une  neige  abondante ,  les  soldats  étaient  en  assez  bonne 
santé,  quand,  du  9  au  10  février  le  thermomètre  monta  brusquement 
de — 19°  à -1-6",  aussitôt  un  grand  nombre  d'hommes  furent  frappés  de 
congélation  à  divers  degrés,  les  cas  de  gangrène  furent  nombreux  et 
les  plus  maltraités,  dit  Larrey.  furent  ceux  qui  se  chauffèrent. 

C'est  probablement  à  la  rapide  transition  de  température  qu'il  faut 
attribuer  les  nombreux  cas  de  congélation  qu'on  a  constatés  en 
Algérie  ;  pour  ne  citer  que  le  plus  récent,  ou  1879,  au  Tléta  des  Douars 
une  colonne  de  troupes  fut  assailHe  par  un  ouragan  de  pluie  et  de  neige 
en  se  rendant  d'Aumale  à  Laghouat,  19  hommes  périrent. 

11  faut  tenir  compte  aussi ,  dans  ces  cas  .  de  l'influence  de  la  neige 
fondante,  cause  puissante  de  refroidissement,  et  de  la  pluie  demi  glacée 
qui  pénètre  la  chaussure  et  les  vêtements. 

La  mort  par  congélation  est  souvent  précédée  d'engourdissement . 
les  mouvements  deviennent  plus  lents,  la  vue  s'affaiblit,  la  parole  s'em- 
barrasse, il  se  manifeste  une  tendance  invincible  au  sommeil.  C'est 
probablement  ainsi  que  moururent,  pendant  la  campagne  de  Russie,  ces 
senthieUes  qu'on  trouvait  roides  gelées  à  leur  poste  et  qui  ont  inspiré 
à  V.  Hugo  ces  vers  célèbres  et  cette  effrayante  image  : 

On  voyait  les  clairons  à  leur  poste  gelés, 

Restés  debout  en  selle,  et,  muets,  blancs  de  givre. 

Collant  leur  bouche  en  pierre  aux  trompettes  de  cuivre. 

Cependant  il  n'en  est  pas  toujours  ainsi,  souvent  les  cadavre.s  de.'> 
individus  gelés  révèlent  par  l'attitude  des  membres  convulsivement 
tordus  les  désordres  cérébaux  qui  se  sont  profluits,  et  le  rude  combat 
qui  s'est  livré  contre  la  mort.  Ces  phénomènes  cérébraux  sont  surtout 
remarquables  quand  le  passage  du  froid  au  chaud  a  été  brusque.  Pen- 
dant cette  même  retraite  de  Russie,  le  pharmacien  en  chef  Sureau 
arriva  à  Kowno  après  avoir  été  exposé  pendant  de  longues  heures  à 
un  Iroid  excessif:  il  eut  hâte  de  .'^e  réchauffer,  de  se  reposer,  et  dan.'^ 


_  409  — 

la  chambre  chaiiffée  où  il  s'enferma,  il  mourut  -subitement  sans  avoir 
prononcé  une  paroioet  comme  frappé  d'apoplexie,  [.arrey  qui  rapporte 
le  fait  dit  aussi  qu'on  vit  souvent,  à  la  même  époque, des  soldats  tomber 
roides  morts  en  s'approchant  du  feu  ,  et  que  d'autres,  pris  d'un  délire 
furieux,  so  précipitaient  au  milieu  des  flammes. 

Cepetidant  la  mort  par  congélation  peut  n'être  qu'apparente.  Pen- 
dant l'hiver  de  1802  .  20  soldats  autrichiens  qui  s'étaient  égarés  dans 
les  neiges  du  Mont  Cenis  furent  retrouvés  engourdis  et  no  donnant 
plus  signe  de  vie.  On  les  plaça  dans  des  lits  froids,  on  les  frictionna 
d'abord  avec  de  la  neige,  puis  avec  de  l'eau  froide,  enfin  avec  de  l'eau 
tiède  et  ils  se  rétablirent  promptement. 

On  pourrait  multiplier  les  exemples,  mais  j'espère  en  avoir  dit  assez 
sur  la  question  du  froid  au  point  de  vue  physiologique. 

Examinons  rapidement  quelles  sont  les  susceptibilit('s  morbides  et 
les  immunités  que  crée  h  l'homme  des  climats  tempérés  sa  migration 
vers  les  pays  froids. 


m. 


Il  semble,  au  premier  abord,  que  les  maladies  qu'on  attribue  dans  nos 
cHmats  à  l'aclion  du  froid  doivent  avoir  dans  les  pays  où  le  froid  est 
très  rigoureux  un  développement  très  grand,  il  n'en  est  rien  cependant, 
si  le  froid  excessif  tue  parfois,  ses  effets  lents  sont  moins  redoutables 
que  ceux  du  froid  modéré,  le  rhumatisme,  par  exemple,  est,  au  témoi- 
gnage des  observateurs,  infiniment  moins  fréquent  dans  ces  cUmat s  que 
dans  le  nôtre. 

Pour  la  phthisie,  malgr(''  quelques  divergences  des  auteurs,  il  semble 
qu'il  en  est  de  même.  Elle  est  plus  rare  parmi  les  troupes  anglaises  en 
garnison  au  Canada  que  parmi  celles  qui  restent  en  Angleterre;  les 
populations  blanches  du  haut  Canada  en  sont  presque  indemmes.  Nom- 
breux sont  les  faits  qui  justifient  hi  conduite  des  médecins  américains 
qui  envoient  volontiers  les  malades  de  cette  catégorie  dans  des  jtays 
extrêmement  froids  mais  à  température  peu  variable.  C'est  ainsi  que  la 
ville  de  Saint-Paul,  dans  le  Minnesota,  où  règne  un  froid  excessif 
uiais  réguher,  est  peuplée  de  phthisiques  qui  y  jouissent  d'une  santé 
relativement  bonne.  Cependant  il  y  a,  sous  ce  rapport,  bien  des  consi- 
dérations à  peser,  bien  des  distinctions  à  établir. 

Le   scorbut  est   fréquent    sous  les  hatites  latitudes  ainsi   que  les 


-  410  - 

affections  intestinales,  elles  sont  souvent  dues  aux  alternatives  de 
pénurie  et  d'abondance,  d'abstinence  et  d'alimentation  excessive  et 
grossière  et  aux  boissons  irritantes. 

Il  faut  noter  aussi  l'ophtlialmio  des  neiges,  maladie  de  la  rétine  occa- 
sionnée par  l'éblouissante  blancheur  des  plaines  glacées. 

Par  contre,  les  grandes  endémies  des  pays  torrides  et  des  climats 
tempérés,  les  fièvres  palustres,  entre  autres,  y  sont  à  peu  près  incon- 
nues, et  il  est  certain  que  le  tableau  des  maladies  propres  aux  climats 
froids  et  bien  moins  chargé  et  aussi  bien  moins  effrayant  que  le  cadre 
pathologique  des  climats  chauds. 


IV 


J'arrive  à  la  question  de  l'acclimatement  dans  les  pays  froids. 

J'ai  dit  tout  à  l'heure  combien  avait  été  faible  la  mortalité  d'un  grand 
nombre  d'expéditions  dans  les  mers  polaires.  En  dehors  des  causes 
accidentelles  comme  celles  qui  ont  amené  le  désastre  de  la  Jeannette 
et  de  son  vaillant  équipage,  les  hardis  explorateurs  dont  nous  avons 
parlé  et  qui  sont  arrivés  à  des  degrés  de  latitude  où  les  Esquimaux 
eux-mêmes  ne  se  sont  ja.iiais  montrés,  n'ont,  en  général,  éprouvé  que 
des  pertes  minimes. 

Ce  fait  qui  prouve  que  les  hommes  des  climats  tempérés  supportent 
bien  les  climats  froids,  est  corroboré  par  une  foule  d'autres  faits 
d'expérience. 

Une  chose  plus  digne  de  remarque,  c'est  qu'il  semble  que  les  habi- 
tants des  pays  méridionaux  supportent  mieux  que  ceux  du  Nord  uu 
froid  excessif. 

Dans  l'armée  qui  fit  la  campagne  de  1812,  et  oîi  tous  les  pays  de 
l'Europe  étaient  représentés,  ce  furent,  dit  Larrey,  les  Italiens,  les 
Espagnols,  les  Portugais,  les  Français  du  Midi  qui  résistèrent  le  mieux 
au  froid  pendant  la  retraite,  les  Allemands,  les  Hollandais  succom- 
bèrent dans  une  proportion  beaucoup  plus  grande. 

Les  tirailleurs  Algériens  ont  donné  lieu  à  la  même  remarque,  non- 
seulement  devant  Sébastopol.  mais  aussi  lors  des  désastres  par  congé- 
lation qui,  comme  je  l'ai  rappelé,  se  sont  montrés  assez  fréquemment 
en  Algérie  sur  des  corps  de  troupes  en  marche. 

Le  fait  a  été  noté  également  qu'après  un  acclimatement  dans  les  pays 
chauds,  un  homme  bien  portant  qui  rentre  dans  son  pays  pendant  la 


—  Mi   - 

saison  rigourouso,  est  moins  impressionné  par  le  froid  que  ceux  qui 
n'ont  pas  quitté  le  pays.  J'ai  observé  le  fait  sur  moi-même. 

Ce  qui  a  pu  être  constaté  dans  une  toule  de  cas  isolés,  de  faits  parti- 
culiers, au  sujet  de  la  résistance  aux  climats  froids  des  peuples  méri- 
dionaux, emprunte  à  l'iiistoire  de  la  colonisation  du  monde  une 
démonstration  bien  plus  convaincante. 

Quel  admirable  développement  n'a  pas  eu  la  colonisation  Romaine, 
lorsqu'elle  s'est  exercée  au  nord  de  la  métropole,  en  Gaule,  en  Breta- 
gne, en  Germanie  et  sur  les  bords  du  Danube.  Et,  à  une  époque  plus 
récente,  ne  peut-on  pas  citer  l'exemple  du  Canada  où  les  Français 
émigrés  au  nombre  de  10.000,  sont  arrivés  aujourd'hui  à  1,000.000, 
malgré  les  désastres  de  la  guerre  et  une  incessante  émigration  aux 
États-Unis. 

L'Acadie  ou  Nouvelle-Ecosse  fut  colonisée  en  1671  par  47  familles 
françaises  qui  se  sont  développi'es  dans  de  telles  proportions  que  les 
français  d'Acadie  sont  actuellement  plus  de  100,000  malgré  les  persé- 
cutions de  l'Angleterre. 

11  y  a  cependant  ujie  limite  au-delà  de  laquelle  l'acclimatement 
complet  de  la  race  aryenne  émigrant  vers  le  nord  n'est  plus  possible. 

On  sait  que  la  mortalité  infantile  est  un  élément  de  première  impor- 
tance dans  la  question  de  l'accliinatenient.  Cette  mortalité  est  grande 
à  Saint-Pétersbourg  et  il  semble  qu'on  approche  de  cette  limite  de 
l'acclimatement  possible,  limite  que  la  vigueur  de  la  race  dans  cette 
région  semble,  à  la  vérité,  reléguer  beaucoup  plus  haut  vers  le  Nord. 

Le  fait  est  plus  remarquable  encore  pour  l'Islande  dont  la  population 
diminue  de  jour  en  jour 

Les  résultats  de  l'émigration  ont-ils  été  aussi  brillants  lorsqu'elle 
s'est  faite  vers  les  climats  chauds  que  lorsqu'elle  a  eu  lieu  vers  les 
pays  septentrionaux. 

Je  notais  lout-à- l'heure  l'immense  succès  de  la  colonisation  romaine 
au  Noi'd  :  ne  peut-on  pas  placer  en  regard  de  la  magnifique  expan- 
sion qu'elle  a  prise  dans  cette  direction ,  sa  disparition  complète  de 
la  terre  d'Afrique  où  elle  s'est  pourtant  exercé  pendant  sept  siècles. 
Quelqu'ait  été  l'importance  du  rôle  qu'a  eu  la  conquête  arabe  sur  le 
sol  africain,  a-t-elle  été  suffisante  pour  expliquer  cette  disparition  .  et 
le  climat  n'a-t  il  pas  eu  la  part  la  plus  grande  dans  cette  ruine  ? 

Un  siècle  suffit  pour  faire  disparaître  les  vandales  d'Afrique  et  les 
Goths  d'Italie. 

L'histoire  de  l'Egyte  oii  tant  de  conquêtes  ont  passé  montre  mieux 


-  412  - 

que  toute  autre  rinfluence  primordiale  du  climat  :  ni  les  Hébreux,  ni  les 
Perses,  ni  les  Romains,  ni  les  Arabes,  niles  Français,  ni  les  Anglais,  ni 
les  Turcs  qui  ont  successivement  occupé  l'Egypte  n'ont  pu  y  prendre 
racine,  et.  à  travers  toutes  ces  révolutions  .  toutes  ces  dominations,  la 
race  primitive  seule  a  persisté.  Aujourd'hui  même,  les  enfants  des 
Européens  et  des  Turcs  y  subissent  une  mortalité  eftrayante  ,  ils  par- 
viennent rarement  à  franchir  les  limites  de  la  première  enfance, 
pourtant  si  ces  nouveaux- nés  sont  euToyés  en  Europe  on  les  y  élève 
facilement. 

Les  Allemands  réussissent  fort  mal  en  Afrique,  et  même  pour  les 
Français  on  Algérie  la  question  n'es',  pas  encore  tranchée.  11  est  évident 
que  les  résultats  de  la  colonisation  française  s'y  sont  beaucoup  amé- 
lioré'^,  mais  les  hygiénistes  qui,  lors  de  la  conquête,  ont  combattu  la 
colonisation  algérienne  comme  impraticable  ne  seraient  pas  encore  de 
nos  jours  dépourvus  d'arguments. 

Pour  l'Inde  anglaise,  la  situation  est  moins  belle  encore  au  point  de 
vue  del'acclimaiement.  Dans  la  riche  province  du  Bengale,  la  mortalité 
des  troupes  anglaises  est ,  dit  le  docteur  Twinning,  trois  à  quatre  fois 
plus  élevée  que  dans  le  Royaume  Uni.  Dans  la  presqu'île  du  Gange,  la 
troisième  génération  de  race  anglaise  n'existe  pas. 

Que  dire  du  Sénégal  où  la  mortalité  est  si  considérable  parmi  les 
troupes  en  station. 

Je  ne  parlerai  pas  du  Tonkin  dont  l'occupation  est  trop  récente  pour 
qu'on  puisse  s'en  faire  une  opinion  exacte  au  point  de  vue  de  l'accli- 
matement possible  de  la  race  française  et  aussi  parce  que  cette 
question  touche  à  des  discussions  trop  récemment  et  trop  vivement 
agitées  pour  être  traitées  dans  cette  pacifique  enceinte. 

11  est  donc  certain,  et  quoique  cette  règle  comporte  de  nombreuses 
exceptions  dont  l'exposé  et  la  discussion  nous  entraîneraient  beaucoup 
trop  loin,  il  est  certain,  dis-je  ,  que  les  colonisations  qui  se  sont  faites 
sous  la  même  latitude  ou  en  remontant  vers  le  Nord  ont  eu,  en  généra!, 
des  destinées  beaucoup  plus  heureuses  que  celles  qui  se  sont  faites 
vers  des  climats  plus  chauds . 

Cette  question  de  l'acclimatement,  des  plus  attachantes,  demanderait 
de  grands  développements,  elle  exigerait  surtout  un  exposé  préalable 
des  climats  chauds  dans  leur  influence  sur  l'homme  de  façon  à  pouvoir 
établir  un  parallèle  complet ,  je  me  bornerai  donc  à  cette  légère 
esquisse.  J'espère  cependant  en  avoir  dit  assez  pour  indiquer  de  quel 
socours  peut  être  l'hygiène  dans  la  question  de  la  colonisation. 


—  ii:^  — 

Il  est  de  la  plus  haute  importance  de  déterminer  pour  chaque  race 
et  pour  chaque  contrée ,  pour  chaque  localité  donnée  jusqu'à  quel 
point  r'acclimatement  y  est  possible,  les  conditions  nécessaires  de 
cet  acchmatemenl,  et  d'en  déduire  le  genre  de  colonisation  applicable. 

C'est  là  le  rôle  de  l'hygiène  générale;  elle  doit  diriger,  contenii-  s'il 
le  faut,  ou,  au  contraire,  encourager  l'esprit  d'entreprise  dans  cet  ordre 
d'idées,  elle  est  donc  un  puissant  auxiliaire  de  la  géographie.  C'est  ce 
que  cette  conférence  avait  surtout  pour  objet  d'indiquer. 

Et ,  à  ce  sujet .  permettez-moi ,  Mesdames  et  Messieurs  ,  de  vous 
féliciter,  en  terminant,  sur  la  manière  élevée  dont  votre  société  com- 
prend l'étude  de  la  géographie,  c'est-à-dire  en  reléguant  au  second 
plan  la  stérile  nomenclature  des  localités,  et  en  recherchant,  au 
contraii'e,  les  données  générales  et  les  lois  qui  président  au  dévelop- 
pement de  l'activité  humaine  à  la  surface  du  globe. 

L'hygiène  n'est  pas  non  plus  restée  en  arrière  dans  cette  voie  :  eJle 
ne  poursuit  pas  seulement  l'extension  du  bien  être  de  l'individu,  elle 
détermine  les  lois  qui  règlent  la  marche  des  nations  ,  les  migrations 
des  peuples,  l'avenir  des  races. 

Ces  deux  sciences  se  rattachent  donc  entre  elles  par  une  foule  de 
liens  étroits,  elles  poursuivent  d'ailleurs  toutes  deux  les  mêmes  buts  : 
le  bonheur  de  l'humanité,  la  gloire  de  la  patrie. 

D""  L.  Waqniek. 


41'.  — 


NOUVELLES  ET  FAITS  GÉOGRAPHIQUES 


I.  —  Géographie  scientifique.  —  Explorations  et  découvertes. 


ASIE. 


Sibérie.  —  Em.ploratIous  de  11.  J.  llartiu.  —  Nous  apprenons  qu'un 
voyageur  français,  parti  de  France  en  1882,  et  sur  lequel  on  n'avait  plus  aucun 
détail  depuis  longtemps,  M.  Joseph  Martin,  vient  de  rentrer  à  Paris. 

Pendant  cette  longue  absence  de  plus  de  quatre  ans ,  M.  Joseph  Martin  a  fait 
plusieurs  voyages  importants  ,  et ,  entre  autres  ,  une  expédition  à  travers  les  monts 
Stanovoï,  de  la  Lena  au  fleuve  Amour.  M.  Martin  a  parcouru  pour  la  seconde  fois  la 
Sibérie  orientale  ,  et  il  en  rapporte  un  matériel  scientifique  considérable.  La  région 
des  monts  Stauovoi  qu'il  vient  d'explorer  est  si  peu  connue,  que  son  voyage  constitue 
un  fait  important  dans  les  annales  de  la  science  géographique. 

Il  faut  une  santé  de  fer  et  une  énergie  hors  ligne  pour  supporter  les  fatigues  d'une 
telle  marche.  Pour  franchir  la  chaîne  des  monts  Stanovoï ,  M.  Martin  a  dû  parcourir 
une  distance  de  2,000  kilomètres,  la  hache  à  la  main,  se  frayant  un  passage  à  travers 
des  forêts  vierges,  sans  autre  guide  que  la  boussole ,  construisant  à  chaque  pas  des 
radeaux  et  des  ponts  provisoires  pour  traver.-^er  des  cours  d'eau  ,  des  torrents  et  des 
bancs  de  glace.  Le  voyageur  a  perdu  en  route  quarante  rennes,  tous  ses  chevaux  et 
tous  ses  chiens.  Deux  des  indigènes  qui  l'accompagnaient  sont  morts  de  fatigue  et 
un  troisième  est  devenu  fou. 

L'explorateur  français,  qui  a  poussé  des  pointes  avancées  jusqu'en  Mongolie  .  en 
Mandchonrie  et  même  en  Corée  ,  revient  chargé  de  documents  et  de  collections  pré- 
cieuses qu'il  se  propose  d'offrir  à  l'Etat.  Le  gouvernement  français  a  mis  à  sa  disposi- 
tion une  salle  du  Musée  du  Trocadéro  pour  y  exposer  ses  collections.  Les  principaux 
itinéraires  ont  été  dressés  à  la  section  militaire  topographique  de  l'état-major  géné- 
ral de  Saint-Pétersbourg.  i\L  ISIartin  a  reçu,  en  reconnaissance  de  ses  travaux 
géographiques  et  géologiques,  la  croix  de  Sainte-Anne  de  Russie,  la  médaille  delà 
Société  des  naturalistes  de  Moscou  et  la  médaille  d'or  de  la  Société  de  géographie 
de  Paris. 

AFRIQUE. 

Expédidou  de  M.  le  »  Wolf.  —  >L  le  docteur  Wolf ,  l'un  des  membres 
de  l'expédition  Wissmann  ,  qui  fonda  la  station  de  Loulouabourg  et  découvrit  le 
Kassaï,  fur  chargé,  après  le  déparc  de  MM.  Wissman  et  Muller,  de  rapatrier  les 
indigènes  Boulaba  qui  avaient  suivi  l'expédition.  C'est  après  avoir  rempli  cette 
mission  et  avoir  créé  une  nouvelle  station  au  confluent  du  Louéba ,  en  avant  des 
rapides  de  la  Loloua  ,  que  le  docteur  Wolf  se  lança  dans  l'exploration  qui  vient  de 
le  conduire  à  la  découverte  d"une  nouvelle  route  navigable  dans  le  bassin  du  Congo. 
Étant  entré  dans  le  Kassai ,  qu'il  a  pu  remonter  sans  rencontrer  d'obstacle  ,  il  est 
passé  dans  le  Sankourou  ,  se  dirigeant  toujours  vers  l'Est,  puis  dans  le  Lomami , 
qui  l'a  conduit  à  huit  jours  seulement  de  Nyangoué. 

Le  Kassaï,  est  comme  on   sait,  une  large  rivière  sans  cataractes ,  qui  vient  du 


-  'lia  - 

Sud-Est  et  se  jette  dans  le  Congo,  au  nord  de  Stanleypool  ;  le  Saiikouiou  se  jeifo 
dans  le  Kassaï  par  un  delta  dont  les  deux  bras  mesurent  respectivement  2i0  et  3(X) 
mètres  de  largeur.  Immédiatement  en  amont  de  son  confluent,  la  rivière  vient  de 
l'Est,  avec  une  légère  courbe  vers  le  Nord. 

M.  Wolf  a  dû  rebrousser  chemin  avant  d'avoir  achevé  son  exploration  ,  unique- 
ment à  cause  d'un  accident  de  machine  survenu  à  son  vapeur  VEn  -avant  ;  mais  il 
n'en  demeure  pas  moins  établi ,  pour  lui ,  que  les  produits  européens  ,  pour  arriver 
aux  environs  Nyangoué,  d'abord  ,  puis ,  par  voie  d'eau,  aux  environs  du  lac  Tanga- 
uika,  n'auraient  pas  à  remonter  le  Congo  ,  coupé  vers  la  moitié  de  son  cours  par 
les  Stanley-Falls  ;  ils  prendront  la  route  du  Kassaï,  du  Sankourou  et  du  Lomami. 

Un  rapport  du  lieutenant  Von  Nimptsch  vient  confirmer  ces  indications,  au  moins 
quant  à  ce  qui  regarde  le  Kassaï. 

Kxpédition  de  Stauley  au  siecours  d'Uniiu-llcj.  —  On  a  lu  dans 
notre  dernier  Bulletin  les  détails  que  nous  avons  donnés  sur  Emin-Bey.  La  situation 
du  courageux  lieutenant  de  Gordon  a  ému  quelques  explorateurs,  et  Stanley  ,  entre 
autres,  s'est  offert  au  gouvernement  anglais  pour  aller  le  délivrer.  L'Angleterre  a 
accepté. 

Stanley  s'est  donc  mis  en  route  au  commencement  de  cette  année.  Le  15  janvier , 
il  passait  à  Bruxelles  et  avait  une  conférence  avec  le  roi  des  Belges  ;  le  28  du  même 
mois  il  arrivait  au  Caire  et  n'en  partait  que  le  6  février  pour  Aden  ,  après  avoir  vu  le 
khédive  ainsi  que  les  explorateurs  Junker  et  Schweinfurt.  11  espérait  être  à  Zanzibar 
vers  le  10  février. 

D'avance  Stanley  avait  envoyé  au  Soudan  le  major  Barthelot,  l'un  des  officiers 
les  plus  appréciés  de  la  dernière  expédition  anglaise  au  Soudan,  dans  le  but  d'y  enrô- 
ler une  centaine  de  Somalis  en  l'attendant.  Le  consul  anglais  a  reçu  toutes  les 
instructions  nécessaires  pour  que  les  honmies  soient  enrôlés  et  prêts  à  partir  lors  de 
l'arrivée  de  Stanley  à  Zanzibar.  L'expédition  sera  aussitôt  transportée  en  dix-huit 
ou  vingt  jours  à  Barnana  par  le  Cap  ,  et  il  est  probable  que  le  10  mars  Stanley  sera 
arrivé  à  Bai'iiana. 

11  partira  de  là  sur  Matadi,  oii  devront  l'attendre  et  l'aider  dans  le  transport  des 
charges  par  la  route  terrestre  jusque  Léopoldville ,  deux  adjoints  de  l'expédition 
Stanley,  MM.  Rose  Traup  et  Ingham,  tous  deux  anciens  agents  de  l'État  du  Congo, 
qui  ont  quitté  Liverpool  par  le  dernier  steamer  ,  avec  mission  spéciale  de  recruter 
400  à  500  porteurs  indigènes  pour  aider  l'expédition. 

A  Léopoldville ,  des  ordres  sont  donnés  pour  que  le  navire  le  Stanley  et  les 
baleinières  avec  leur  équipage  soient  libres  et  attendent  l'expédition.  Celle-ci ,  si 
rien  n'entrave  sa  marche,  s'y  embarquera  au  commencement  d'avril. 

Ce  navire  peut  prendre  à  bord  250  passagers  et  dix  tonnes  de  marchandises.  En 
même  temps,  il  peut  remorquer  les  deux  baleinières  en  acier  qui  marchent  à  la  rame 
et  à  la  voile  ,  et  qui  peuvent  chacune  transporter  trente  personnes.  Le  steamer  a 
déjà  prouvé  qu'ainsi  chargé  il  pouvait  marcher,  en  remontant  le  fleuve  ,  à  raison  de 
30  milles  marins  ou  40  kilomètres  par  jour.  Il  lui  faudrait  moins  d'un  mois  pour  arri- 
ver à  la  rivière  Arouhimi,  d'où  l'expédition  aura  à  traverser  des  pays  inconnus  pour 
arriver  à  Wadclaï  oii  se  trouve  Emin-Bej'. 

Aux  dernières  nouvelles,  que  publie  le  Mouvement  géographique,  on  annonce  que 
Stanley  et  le  major  Berthelot  sont  arrivés  à  Zanzibar  le  22  février.  La  veille  ,  était 
arrivé  dans  ce  port ,  venant  de  Bombay  ,  le  steamer  Madura  de  la  British  India  C, 
mis  à  la  disposition  de  l'expédition  par  le  généreux  directeur  do  la  Compagnie , 
M.  Mackinnon.  A  Zanzibar,  Stanley  a  eu  une  entrevue  avec  Tippo-Tip,  le  chef  arabe 
des  Stanley-Falls,  qui  a  protesté  de  sa  soumission  à  l'État  du  Congo  et  exprimé  ses 


—  w<  — 

regrets  de  ce  qvii  s'étsiic  passé  aux  Falls  en  sou  absence.  Sa  participation  à  Texpé- 
dition  de  secours,  dirigée  par  Stanley,  est  acquise. 

Le  24  février ,  Stanley  et  ses  adjoints,  avec  Tippo-Tip  et  les  soldats  égyptiens, 
somalis  et  zanzibarites  ,  se  sont  embarqués  à  bord  du  Madura ,  en  destination  de 
Banana.  L'expédition  arrivera  à  l'embouchure  du  Congo  vers  le  12  ou  le  15  mars. 

Ainsi ,  cette  importante  expédition  prend  décidément  la  route  du  Congo.  A  son 
arrivée  au  Caire  ,  Stanley  avait  eu  à  discuter  contre  les  autorités  les  plus  compé- 
tentes, les  avantages  de  cette  route  sur  celle  du  Karagoué  ou  celle  du  Massai ,  de 
Zanzibar  au  lac  Victoria.  D'après  les  évaluations  de  Stanley  ,  la  route  du  Congo,  par 
terre,  est  de  595  milles  anglais,  dont  235  de  Matadi  au  Stanley-Pool,  et  360  des 
Stanley-Falls  au  lac  Albert,  tandis  que  la  route  de  Karagoué  est  de  950  milles  et 
celles  du  Massai  de  925  milles  ;  en  faisant  6  milles  par  jour  de  marche  par  terre  ,  la 
route  du  Karagoué  demandera  un  total  de  156  jours  ;  celle  du  Massai ,  154  jours  ; 
celle  du  Congo,  157  jours,  dont,  par  terre,  99  jours,  et  par  vapeur  20  jours  de  Zanzi- 
bar au  Congo,  3  sur  le  Bas  -  Congo  et  35  sur  le  Haut  -  Congo.  Si  ces  prévisions  se 
réalisent,  l'expédition  arrivera  sur  le  Haut-Nil  vers  le  l*'  août ,  après  avoir  traversé, 
probablement,  la  région  encore  inconnue  des  Européens  entre  les  Stanley-Falls  et  le 
lac  Albert. 

Socotora  aux  Anglais»  —  En  vertu  du  droit  de  préemption  qui  lui  a  été 
accordé  par  la  convention  conclue  en  1876  avec  le  sultan  de  Kaschin  ,  dans  l'Arabie 
méridionale  ,  le  ministre  anglais  résidant  à  Aden  a  pris  possession  de  l'île  de  Soco- 
tora  et  l'a  fait  occuper  le  30  octobre  1886.  Les  Anglais  ont  là  un  terrain  de  3,600 
kilomètres  carrés  environ  de  superficie.  En  1834  ,  Wellsted  donnait  à  l'île  à  peu 
près  4,000  habitants  ;'  ce  nombre ,  en  1881 ,  est  évalué  au  moins  à  12,000  par  le 
D*^  Schweinfurth. 

lie  lac  ^'olcauique  de  Chala  sur  le  IÂ.iIniautljaro.  —  Les  Proce- 
dinys  de  la  Société  Royale  de  géographie  de  Londres  ,  publient  une  lettre  écrite  de 
Sagalla  par  M.  J.-A.  Wray,  le  19  novembre  1886,  de  laquelle  il  résulte  que  cet  explo- 
rateur a  fini  par  atteindre  le  lac  de  Chala,  décrit  d'une  façon  si  enthousiaste  par  le 
voyageur  Thomson.  D'après  cette  lettre  ,  le  lac  aurait  trois  milles  de  long  environ 
sur  un  mille  de  large,  et  les  bords  en  seraient  si  escarpés  que,  le  côté  ouest  excepté, 
on  ne  peut  que  difficilement  parvenir  à  l'eau.  Cette  eau  est  claire,  froide  et  douce , 
bien  que  le  lac  ne  semble  avoir  aucune  issue  ;  on  y  trouve  des  poissons  ,  le  gibier 
d'eau  y  est  d'une  abondance  extrême  et  ses  battements  d'ailes  produisent  dans  cette 
sorte  de  puits  le  même  bruit  qu'un  train  éloigné. 

Les  bords,  qui  montent  à  environ  mille  pieds  ,  sont  richement  boisés  et  couverts 
de  végétation  jusqu'au  niveau  de  l'eau.  Il  n'y  a  aucune  ap[.)arence  que  l'eau  ait 
jamais  monté  plus  haut ,  et  il  est  probable  qu'elle  garde  toujours  le  même  niveau. 
Les  cris  des  oiseaux  ont  un  son  particulier ,  et  M.  Wray  est  persuadé  que  c'est  là  ce 
qui  a  donné  naissance  à  cette  légende  qu'antérieurement  un  village  de  Massai  se 
trouvait  là  et  qu'il  a  été  englouti  sous  les  eaux  du  lac;  les  gens  de  Taveta  croient 
entendre  des  voix,  le  bêlement  du  bétail  et  autres  sons  de  ce  genre. 

AMÉRIQUE. 

Les  familles  cauadieuues  françaises.  —  On  achève  en  ce  moment 
au  Canada,  l'impression  du  Dictionnaire  tfé nêaloyique  des  familles  canadiennes, 
par  M.  l'abbé  Cypnen  Tanguay. 

C'est  une  œuvre  unique  en  son  genre,  dont  le  premier  volume  a  paru  en  1871. 

Inutile  de  parler  ici  des  difficultés  sans  nombre  que  l'auteur  a  dû  vaincre  pour 


-  417  - 

conduire  l'ouvrage  à  bonne  fin.  Vingt-cinq  années  ont  été  employées  à  examiner  les 
documents  originaux  au  Canada  et  à  l'étranger,  à  feuilleter  patiemment  tous  les 
registres  des  paroisses  canadiennes  et  des  grelies  de  chaque  district,  à  classer 
ensuite  dans  un  ordre  méthodique  toutes  les  notes  précieuses  recueillies  et  à  réunir 
enfin  en  un  seul  corps  les  membres  épars  d'une  même  famille  Environ  5(X).00(J  actes 
de  naissance,  de  mariage  et  de  sépulture  ont  été  consultés,  et  tous  ces  renseigne- 
ments, puisés  aux  sources  authentiques,  se  complétant  et  se  vérifiant  l'un  par 
l'autre,  ont  été  discutés  à  fond. 

Le  preuiier  volume  conqtrenait  les  commencements  de  la  Nouvelle-France,  de  1G08 
à  1700  ;  les  matériaux  réunis  aujourd'hui  compléteront  l'époque  de  la  domination 
française. 

Mais  tandis  qu'un  seul  volume  a  sutîi  pour  l'histoire  généalogique  de  toutes  les 
familles  françaises  établies  en  ce  pays  avant  17<X),  trois  volumes  suffiront  à  peine 
pour  rendre  compte  de  l'accroissement  naturel  de  ces  familles,  sans  parler  de  nou- 
velles recrues  faites  pendant  les  soixante  dernières  années  de  la  période  fran- 
çaise 

On  comprend  assez  qu'une  famille  qui  a  joué  un  rôle  important  dans  l'histoire 
ait  sa  généalogie  et  puisse  remonter  de  génération  sn  génération  plusieurs  siècles 
en  arrière,  pour  établir  sou  origine  et  se  greffer  à  un  chef  de  famille  illustre  ;  mais 
qu'un  peuple  de  2,000,'X)0  d'hommes  ait  sa  généalogie  complète  de  deux  siècles,  que 
400.000  familles  françaises  habitant  aujourd'hui  le  Canada  et  les  Etats-Unis,  puissent 
remonter  jusqu'à  l'origine  de  la  Nouvelle-France  et  retrouver  non-seulement  le  nom 
du  premier  colon  qui  a  fait  souche  pour  chacune  d'elle,  mais  encore  la  province,  le 
diocèse,  la  paroisse  de  France,  d'oii  il  tire  son  origine,  cela  paraît  impossible, 
incroyable,  et  cependant  cela  existe,  cela  est  consigné  dans  le  Dictionnaire  génëa- 
loc/ique. 

Aussi  lorsque  les  volumes  de  la  seconde  période  du  Dictionnaire  auront  été  mis 
en  circulation,  c'est-à-dire  dans  un  an,  le  plus  humble  des  2,000,000  des  descendants 
des  premiers  colons  de  la  Nouvelle  France,  aura  son  histoire  généalogique  complète. 
11  aura  sous  les  yeux  toute  la  lignée  de  ses  ancêtres. 

N'est-ce  pas  merveilleux  ? 

La  province  de  Québec  ne  sera  pas  la  seule  à  profiter  de  cet  ouvrage.  Toutes  les 
provinces  de  la  Confédération  ont  été  françaises  à  l'origine  et  renferment  des  des- 
cendants des  premiers  occupants  du  sol. 

Les  territoires  de  l'Ouest  ont  été  parcourus  en  tous  sens  par  des  Canadiens- 
Français,  pionniers  infatigables  qui  partout  ont  laissé  des  traces  de  leur  passage  et 
souvent  des  établissements  florissants. 

La  province  d'Ontario  est  dans  le  même  cas  et  renferme  en  outre  plusieurs  noyaux 
importants  de  Canadiens-Français. 

Le  Nouveau-Brunswick,  la  Nouvelle-Ecosse  et  l'île  du  Prince-Edouard  ont  été 
colonisés  par  cette  race  énergique  et  vivace  des  Acadiens  français  qui  a  survécu  aux 
secousses  les  plus  terribles  que  puisse  éprouver  une  nation. 

Les  Etats-Unis  eux-mêmes  sont  grandement  intéressés  dans  cette  histoire  généa- 
logique des  familles  canadiennes.  Notons  d'abord  que  le  pays  appelé  Nouvelle- 
France  comprenait,  outre  le  Canada  actuel,  tous  les  pays  qui  avoisment  les  Grands- 
Lacs,  toutes  les  vallées  arrosées  par  le  Mississipi,  le  Missouri  et  leurs  affluents,  et 
que  la  Louisiane  était  une  province  toute  française.  Or,  les  noms  des  premiers 
habitants  français  de  ces  vastes  territoires,  se  trouvent  dans  le  Dictionnaire  généa- 
logique. Les  documents  consultés  à  ce  sujet,  sont  surtout  deux  recensements  inédits 
de  la  Louisiane,  faits  en  1606  et  il2i,  Tpuis  les  registres  tenus  parles  anciens  mis- 
sionnaires envoyés  par  l'évêque  de  Quékec,  lesquels  remontent  jusqu'à  1695. 

28 


-  us  - 

Les  descendants  de  ces  premiers  colons  aimeront  sans  doute  à  connaître  leurs 
ancêtres  ;  les  enfants  des  Acadiens  dispersés  aux  FJtats-Unis  et  surtout  dans  la 
Nouvelle-Angleterre,  en  1754,  pourront  refaire  la  touchante  histoire  de  leurs  ancêtres; 
et  les  Canadiens  domiciliés  dans  la  grande  République,  au  nombre  de  plus  de 
500,000,  n'oublieront  pas  que  dans  le  Dictionnaire  généalogique  se  trouvent  leur 
oiigine  et  le  berceau  de  leur  famille  au  Canada. 

Au  point  de  vue  historique,  l'ouvrage  qui  nous  occupe,  aura  donc  une  grande 
valeur,  même  pour  les  Etats-Unis.  Les  deux  races,  française  et  anglaise  ,  se  sont 
coudoyées  si  longtemps  sur  les  champs  de  bataille  et  dans  le  défrichement  des 
terres  qu'elles  se  sont  trouvées  mêlées  par  des  alliances  et  par  les  accidents  de  la 
guerre.  Il  s'ensuit  que  des  Français  ont  été  faits  prisonniers  et  sont  demeurés  de 
l'autre  côté  des  frontières  ;  d'autres  sont  allés  chez  nos  voisins  de  plein  gré,  et  vice 
versa  ;  la  population  de  la  Nouvelle-Angleterre  s'est  trouvée  un  peu  déversée  sur  la 
Nouvelle-France.  L'histoire  de  la  Nouvelle-Angleterre  se  trouve  ainsi  intimement 
liée  à  celle  des  territoires  français  limitrophes. 

En  1690,  pendant  la  guerre  entre  la  Nouvelle-France  et  la  Nouvelle-Angleterre, 
les  Abénakis  firent  beaucoup  de  prisonniers,  surtout  parmi  les  enfants,  qui  furent 
élevés  dans  la  Nouvelle-France  :  les  Gill,  les  Raiseune,  les  Dicker  ;  de  même  des 
Français  faits  prisonniers  par  les  Anglais  furent  élevés  et  restèrent  dans  la  Nou- 
velle-Angleterre. 

On  trouvera  donc  dans  le  Dictionnaire  beaucoup  de  noms  d'origine  anglaise  ou 
irlandaise,  tels  que  Willis,  devenu  Oiiellet,  Donaldson,  devenu  d'Alançon,  Davis, 
devenu  d'Hévé,  Sullivan,  devenu  Silvain. 

L'ouvrage  entrepris  par  l'abbé  Tanguay,  est  vraiment  colossal.  Il  donne  la  généa- 
logie de  toutes  les  familles  canadiennes,  depuis  l'établissement  de  la  colonie  jusqu'à 
nos  jours,  ce  sera  notre  Lùn'e  d'or,  avec  cette  difierence  qu'à  Venise  on  ne  tenait 
compte  que  des  familles  nobles  ;  mais  dans  ce  Dictionnaire,  la  famille  la  plus  hum- 
ble figurera  comme  les  plus  illustres. 

L'exécution  d'un  pareil  ouvrage  offrait  sans  doute  certaines  facilités  relatives. 
Nous  sommes  assez  près  des  origines  puisqu'aucune  de  nos  familles  ne  renionte  au 
delà  de  1608.  Plus  tard  nous  aurions  été  dans  les  conditions  des  autres  peuples. 

Chez  les  anciens,  les  Juifs  avaient  des  tablettes  généalogiques  très  anciennes.  Ils 
les  conservaient  avec  un  soin  jaloux.  Dans  les  guerres,  les  persécutions,  la  captivité, 
ils  cachaient  ces  tablettes  avec  le  même  empressement  qu'ils  mettaient  à  soustraire 
les  vases  sacrés  à  la  profanation  des  païens. 

Dans  les  temps  modernes,  l'Islande,  cachée  dans  les  brumes  du  Nord,  peut  se 
vanter  de  posséder,  seule  croyons  nous,  des  généalogies  de  ses  principales  familles, 
mais  non  de  toutes.  L'origine  sans  doute  en  remonte  assez  haut.  Il  y  a  un  orgueil 
bien  légitime  à  établir  authentiquement  sa  généalogie  à  travers  dix  siècles  et  plus, 
comme  Torswalden,  une  des  gloires  de  la  statuaire,  lequel  prétendait  descendre  des 
premiers  découvreurs  de  l'Amérique.  Mais  les  Islandais,  emprisonnés  dans  leur  île, 
naissant  et  mourant  dans  la  même  hutte,  peuvent  assez  facilement  recueilUr  les 
noms  de  ceux  qui  l'ont  fondée. 

En  Canada,  principalement  aux  origines  de  la  colonie,  que  de  vicissitudes  et  de 
migrations  dans  la  vie  d'un  homme  !  Né  à  l'extrémité  orientale  du  Cap  Breton,  il  se 
mariait  en  passant  à  Québec,  et  s'en  allait  mourir  au  Détroit  ou  à  la  Nouvelle- 
Orléans.  M.  Tanguay  a  voulu  suivre,  autant  que  possible,  chaque  individu  a  travers 
ses  pérégrinations,  et  indiquer  le  théâtre  oii  s'est  accompli  chacun  des  actes  solen- 
nels qui  marquent  l'existence  de  tout  homme. 

Les  registres  de  Tétat-civil  au  Canada,  dit  à  son  tour  l'abbé   Tanguay  lui-même. 


~   '.19  — 

sont  de  précieux  documents  que  nous  devons  aux  soins  intelligents  des  premiers 
apôtres  qui  se  dévouèrent  au  service  de  cette  nouvelle  contrée. 

Aucune  loi  civile  n'imposait,  à  l'époque  de  la  fondation  du  Canada,  l'obligation  de 
tenir  les  actes  des  naissances,  mariages  et  décès  ;  car  l'ordonnance  qui  règle  en 
France  la  manière  de  tenir  les  registres  ne  remonte  qu'à  l'année  10G7,  et  elle  ne  fut 
publiée  au  Canada,  qu'en  1678. 

Los  premiers  missionnaires  n'en  furent  cependant  pas  moins  fidèles  à  enregistrer 
le  mouvement  de  population  de  la  colonie  naissante  ;  et  c'est  aux  précieuses  et 
uniques  sources  des  registres  qu'il  faut  recourir,  pour  connaître  le  berceau  de  notre 
patrie. 

Dès  lors,  pourrait-on  dire,  aucune  recherche  ne  semble  plus  facile  que  celle  qui  a 
pour  but  l'origine  des  familles  canadiennes, . . 

«  11  n'y  a  qu'à  consulter  les  i*egistres. . .  » 

Maisici  vont  surgir  les  obstacles.  11  faudra  d'abord  recourir  à  un  nombre  de  regis- 
tres considérable  pour  suivre  la  généalogie  d'une  seule  famille,  et  si  les  actes  qui 
en  forment  les  différents  chaînons  ont  été  enregistrés  dans  les  localités  distinctes, 
comme  il  arrive  par  la  migration  fréquente  des  famillec,  il  faudra  de  plus  recourir  aux 
registres  de  toutes  ces  localités  ,  lesquelles  pour  la  plupart ,  sont  tout  à  fait 
inconnues. 

De  plus,  ayant  en  main  tous  les  documents  à  consulter,  des  difficultés  plus  grandes 
encore  vont  se  présenter,  difficultés  qui  naissent  des  variations  dans  l'orthographe 
des  noms  de  famille.  Des  variations  proviennent  de  la  consonnance  des  noms,  de  la 
mauvaise  prononciation,  où  de  la  traduction  des  noms  d'une  langue  étrangère. 

Beaucoup  de  noms  de  familles  canadiennes  ont  conservé  leur  orthographe  prmii- 
tive  ;  d'autres  au  contraire,  ont  subi  de  telles  variations  qu'il  est  naturellement  diffi- 
cile d'en  reconnaître  l'identité  ;  ainsi  : 

Belhoste,  Belotte,  Blo,  Blau,  Belleau. 

Fribaut,  Flibot,  Philibot.  » 

Du  Semmetienne,  devenu  du  Cimetière. 

Banlia,  —  Bainlast,  —  Baillac,  —  Bayac,  —  Bayard,  -  Baillard. 

Buisson,  —  Bisson. 

Chambrelan,  —  Chamberlan, 

Arnaud,  —  Renaud. 

Garnier,  —  Grenier. 

Périllard,  —  Périgard. 

Gormelin,  —  Gourmelin,  —  Gromelin,  et  Gromelon. 

De  Fogas,  —  Phocas  et  Phocasse. 

Donaldson,  —  D'Alançon. 

Davis,  —  D'hèvé,  —  Dévé. 

Willis,  —  Houlet,  —  Ouellet. 

Vauxelle,  —  Vocelle,  —  Boheur,  —  Boïl. 

Lanouille,  —  Enouille. 

Bereau,  —  Brault,  —  Bro,  etc. 

Pasquier,  —  Pasqet,  —  Pacquet,  —  Paquet. 

-|-  Guyon,  —  Guillon,  Yon,  —  Dion. 

Guiguère,  Dier,  —  Guilloiinet,  Dionet. 

Guniàre,  —  Guillonnière,  —  Dunière. 

Brechevin,  —  Brugevin,  —  Bergevin. 

Beaujoux,  —  Bugeault. 

Quesnel,  —  Tiennel. 

Quenet,  —  Gueiiet. 


-  'i2(t  — 

Ces  variations  sont  encore  à  Tortlre  du  jour.  • 

Le  Leader  de  Toronto,  dans  son  numéro  du  2-4  janvier  1865.  rapportant  le  partage 
des  voix  sur  l'adresse  en  réponse  au  discours  du  trône,  donne  un  très  bel  échantillon 
de  l'orthographe  anglaise  des  noms  canadiens-français. 

Le  voici  textuellement  : 

<i.  Liste  des  Députés  qui  ont  voté  pour  la  négative  : 

«  MM.  Bourasco,  pour  Bourassa. 

Gapron,  —    Caroii. 

Goopall,  —    Coupai. 

Duckept,  —    Duckett. 

Fortice,  —    Portier. 

Graffirion,  —     Geort'rion. 

Halrichbe  Vigor,      —     Labrèche  Yiger. 
Lafroinbouse,  —     Laframboise. 

Lagire,  —    Lajoie. 

Louliot,  —     Pouliot. 

Thibadeau,  —     Thibodeau.  > 

Puis,  dans  un  grand  nombre  de  noms  de  faniilles  les  mots  Le  et  De,  etc,  sont  tantôt 
ajoutés  et  tantôt  retranchés,  et  l'on  a  écrit  également  : 
Le  Tardif,  —  Tardiff,  —  Le  Mercier,  —  Mercier. 
Le  Roy,  — Roy,  —  Le  Normand,  —  Normand. 
Arrivé,  —  Larrivé,  —  Avisse,  —  Lavisse. 
Gotty,  —  Le  Gouty,  —  Pomier,  —  Le  Paulmier. 
Gréquy,  —  De  Gréquy. 
Mai'ets,  —  Des  Marets. 
Richer,  —  Leriché. 
Lognon,  —  Aloignon. 
De  Béhik,  —  Béïque. 

Puis  encore  un  ancien  usage  dans  les  familles  canadiennes  désigne  les  enfants  par 
le  nom  de  baptême  du  père,  et  ce  nom  finit  par  se  confondre  avec  le  nom  propre  de 
la  famille  :  ainsi  les  enfants  de  Tugal  Gottin,  seront  appelés  les  petits  Tuyal,  puis 
DugaL  plus  tard,  Gottin  dit  Dugal,  et  les  descendants  ne  seront  plus  désignés  que 
sous  le  nom  de  Buyal. 

Les  enfants  de  Raymond  de  Fogas,  deviendront  Phocasse  dit  Raymond,  puis 
Raymond. 

Arnoul  Lavergne  ne  pourrait  reconnaître  ses  descendants  que  sous  les  noms  de 
Lavergne  dit  Renaud,  puis  Renaud. 

Tèc  Gernelius  Aubrenan  trouverait  dans  ses  descendants,  des  Tecaubry,  des  Gor- 
neli'js,  des  Tècle  et  enfin  des  Aubry. 

Enfin,  les  actes  des  registres  présentent  plusieurs  exemples  de  noms  formés  par 
la  fusion  des  noms  de  baptême  et  de  famille. 

Ainsi  Dugrousse,  pour  Hugues  Rousse. 

Tecaubry  —    Tèc  Aubry. 

Montoléant,  —     Hamond  Plehan. 

Paulus,  —     Paul  Hus. 

Les  priuclpaux.  lacfs  de  l'Amérique  septcutrionale.  —  Voici 
des  niesurages  rapportés  par  le  journal  anglais  Science ,  dans  son  numéro  de 
décembre  dernier  : 


i?l 


LACS   D  EAU   DOUCE. 


Elévation  au-fli>ssns 

du 
niveau  dp  lu  iiior. 


Profondonr 
plus  prando. 


Temiscouata 
Supérieur. . . 
Michigan  . . . 

Huron 

Éi-io 

Ontario 

Tahre 

Crater 


Mètres. 

121,9 
185,6 
177,4 
177,4 
174,6 
75,3 
1,904,1 


Mètres. 

152,4 
307,8 
263,3 
214,9 

98,7 
22-4,9 
501,4 
608,4 


Le  lac  Baïkal ,  en  A.sie  ,a  une  altitude  de  414  mètres  et  une  profondeur  maximum 
de  3,766  mètres. 

OGÉANIE. 

liCS  lies  du  détroît  «le  Torrès.  —  Nous  trouvons  sur  ce  sujet  dans  le 
Scottish  çeof/raphicfll  Mar/azinc  une  notice  intéressante  de  M.  John  Douglas, 
commissaire  de  la  Grande-Bretagne  dans  la  Nouvelle-Guinée  anglaise  : 

Le  bateau-phare  de  Proudfoot-Shoal  est  l'avant-garde  de  la  côte  australienne  pour 
les  navires  qui  viennent  de  la  mer  d'Arafura.  Souvent  ce  bateau  reste  pendant  trois 
mois  sans  comnmnication  avec  la  côte.  A  environ  dix-huit  milles  de  Proudfoot-Shoal 
se  trouve  Booby  -  Island  ,'  l'ancien  bureau  de  poste  du  Détroit.  Puis  vient  le  groupe 
des  îles  du  Prince  de  Galles,  dont  l'une,  Good-Island  ,  munie  de  signaux ,  commande 
le  chenal  que  .suivent  les  vaisseaux  d'un  fort  tonnage  pour  tourner  l'extrémité  nord- 
est  de  l'Australie.  Sir  John  Coode  estime  que  Bertie  -  Bay  ,  dans  Good  -  Island  ,  sera 
un  jour  une  station  navale  des  plus  importantes,  mais  il  faudra  construire  un  puissant 
brise-lames  ,  pour  arrêter  les  marées  pendant  la  période  des  vents  du  nord -ouest. 
Port-Kennedy,  dans  l'île  Thursday  ,  est  déjà  actuellement  un  des  meilleurs  ports  de 
Queensland.  L'île  du  Prince  de  Galles  est  une  île  d'une  certaine  importance,  d'envi- 
ron 12  milles  carrés.  Elle  contient  de  l'eau  douce  en  suffisance,  et  quoique  une  partie 
de  l'île  soit  pierreuse  ,  elle  renferme  cependant  aussi  de  riches  prairies  capables  de 
nourrir  1,-500  ou  2,000  têtes  de  bétail.  De  l'ancienne  population  de  500  indigènes  ,  il 
reste  environ  100  personnes.  Les  îles  Mulgrave  et  Banks  sont  pittoresques  ,  mais  le 
capitaine  Douglas  n'avait  pas  le  temps  de  s'y  arrêter.  Il  séjourna  deux  jours  dans 
l'île  de  Jervis  ou  de  Maubiaz,  comme  l'appellent  les  indigènes.  Cette  île  contient  une 
station  de  missionnaires  qui  se  compose  d'une  église  ,  d'une  école  et  de  quelques 
maisons  habitées  par  des  instituteurs  indigènes.  Le  dimanche,  environ  300  indigènes 
se  trouvaient  à  l'église,  tous  proprement  vêtus  et  d'une  tenue  très  décente. 

M.  Douglas  se  plut  à  constater  l'influence  produite  par  la  civilisation  sur  ces 
honmies  originairement  sauvages  et  brutes.  Dans  l'île  Sabine,  située  tout  près  de  la 
côte  de  la  Nouvelle-Guinée  ,  les  habitants  étaient  à  un  niveau  intellectuel  de  beau- 
coup inférieur  ;  la  plupart  étaient  complètement  nus.  Darnley  est  la  plus  importante 
des  îles  du  détroit  ;  il  y  a  là  beaucoup  de  bons  terrains  et  de  l'eau  en  abondance  ; 
sur  les  300  habitants,  .50  des  insulaires  de  la  mer  du  Sud,  quatre  ou  cinq  sont  Euro- 
péens, les  autres  Bingi;  c'est-à-dire  Australiens  autochtones.  Murray  est  une  très 
jolie  petite  île,  volcanique  et  fertile  ,  mais  malheureusement  entourée  de  récifs  qui 
en  rendent  l'approche  dangereuse.  Au  pied  des  montagnes,  le  long  du  rivage,  s'étend 


-  422  - 

le  village  ;  un  peu  plus  haut,  à  cent  pieds  environ  au-dessus  ,  se  trouvent  le  maisons 
des  missionnaires.  Derrière  l'établissement  des  missionnaires ,  les  montagnes 
s'élèvent  brusquement  en  une  pente  abrupte  ,  à  800  pieds  au-dessus  du  niveau  de 
la  mer. 

IVonvclle-Guinée.  —  liC  fleuve  Impératrice  Augiista.  —  Le  plus 
grand  et  le  plus  important  des  fleuves  de  la  Nouvelle-Guinée  allemande  est  l'Impé- 
ratrice Augusta,  découvert  par  l'explorateur  docteur  Otto  Finsch  et  dénommé  par  lui, 
qui  se  jette  dans  la  mer  près  du  cap  délia  Torre,  à  3"  52'  latitude  S.,  et  144"  32'  long. 
E.  de  Gr.;  seul  de  tous  les  fleuves  de  ces  parages,  son  embouchure  est  libre  et  n'est 
pas  encombrée  de  récifs.  Le  gouverneur  du  pays,  baron  de  Schleinitz,  entreprit  vers 
la  fin  de  juillet  1886,  un  voyage  d'exploration  en  remontant  ce  fleuve  sur  le  vapeur 
Ottilie,  en  compagnie  du  vice-consul  docleur  Knappe  ,  du  docteur  Schrader  et  du 
docteur  Hollrung  (ces  deux  derniers  font  partie  de  l'expédition  scientifique  envoyée 
en  Nouvelle-Guinée).  Ils  remontèrent  avec  le  vapeur,  .qui  avait  un  tirant  d'eau  de  3, 
4  mètres,  deux  cents  milles  marins  sans  aucune  difficulté.  A  cet  endroit ,  le  fleuve 
s'élargit  pour  former  un  lac  ,  qui  n'a  plus  que  3  mètres  de  profondeur.  Au  moyen  de 
la  chaloupe  à  vapeur  ,  on  put  encore  remonter  cent  milles  ;  et  l'on  aurait ,  à  en  juger 
par  le  courant,  encore  pu  continuer  la  même  distance,  si  les  provisions  n'avaient 
menacé  de  faire  défaut.  Le  point  le  plus  éloigné  qu'on  atteignit ,  était  à  4°  16'  lat. 
Sud  et  141"  .50'  long.  Est  de  G.,  à  156  milles  de  l'embouchure  du  fleuve  en  ligne 
droite,  à  74  milles  de  la  côte  septentrionale,  et  à  60  milles  des  frontières  anglaise  et 
hollandaise.  Jusqu'à  son  élargissement ,  le  fleuve  s'étend  dans  la  plaine  ;  les  rives 
sont  couvertes  tantôt  de  bois,  tantôt  de  roseaux  qui  atteignent  une  hauteur  de 
6  mètres  ;  puis  il  traverse  une  couche  de  gneiss,  d'ardoise  et  de  quartz,  pour  reprendre 
après  son  premier  aspect.  Pendant  la  saison  des  pluies  ,  il  doit  se  produire  des  inon- 
dations, la  ligne  des  eaux  le  faisait  supposer.  Les  bois  sagou  alternent  avec  les 
cannes  à  sucre.  Dans  les  environs  des  nombreux  villages  d'indigènes,  se  trouvent 
d'ordinaire  des  bois  de  coco.  Les  indigènes  ,  qui  voyaient  pour  la  première  fois  des 
blancs,  se  montraient  réservés  et  pacifique^,  quelques-uns  s'étaient  teints  de  diffé- 
rentes couleurs.  Leurs  maisons  sont  protégées  contre  l'inondation  par  de  hautes 
substru étions.  Les  hommes  sont  nus  ,  les  femmes  portent  une  ceinture  autoui*  des 
reins. 


II.  —  Géographie  commerciale.  —  Statistiques 
et  Faits  économiques. 


EUROPE. 


France.  —  Création  de  deux  Chambres  de  commerce  dans  le  Nord.  —  Par 
décret  en  date  du  30  mars  1887 ,  deux  Chambres  de  commerce  ont  été  créées  à 
Avesnes  et  à  Armentières  (Nord),  en  remplacement  des  Chambres  consultatives 
des  arts  et  manufactures. 

Ces  deux  nouvelles  Chambres  de  conmierce  sont  composées  chacune  de  douze 
membres.  Cela  porte  à  neuf  le  nombre  des  Chambres  de  commen'e  que  comprend 
actuellement  le  département  du  Nord. 

Importation  et  exportation  des  papiers.  —  Nous  extrayons  de  l'étude  publiée 
par  le  Bulletin  de  statistique  et  de  législation  cotnpnrce  sur  l'impôt  sur  le  papier,  le 
tableau  suivant  qui  donne  le  mouvement  des  importations  et  des  exportations  de 
1870  à  1885  : 


-  423  - 


ANNÉES. 

EXPORTATIONS. 

IMPORTATIONS. 

1 

1871     

kilogr. 
12.386.037 
19.281.512 
2-4.010.803 
23.&56.998 
23.943.953 
23.638.623 
22.083.102 
21.014.267 
21.682.154 
24.370.571 
23.792.752 
2:^.149.383 
23.678.664 
21.696  313 
21.027.197 

kilo^T. 

2.902.6.36 

4.711.475 

3.180.904 

3.320.940 

3,. 587. 149 

4.033.945 

4  939.292 

4  710.936 

9.974.279 

9.047.489 

11.115.100 

13. 891.^58 

12.666.570 

12.776.26. 

12.168.169 

1872 

1873 

1874 

1875 

1876 

1877 

1878 

1879 

1880 

1881 

1882     

18a3 

1884  

1885 

IBollaudc.  —  Chambre  de  commerce  française.  —  Une  Chambre  de  commer -o 
iVaii(,'aise  a  été  constituée  à  La  Haye ,  par  les  soins  de  'SI.  Louis  Legrand,  ministre 
lie  France. 

Cette  Chambre  a  été  divisée  en  trois  comités ,  qui  siègent  à  Amsterdam , 
Rotterdam  et  La  Haye. 

Allemagne  —  Le  commerce  extérieur.  —  Nous  trouvons  ,  à  ce  sujet,  dans 
le  dernier  numéro  de  VEcorwmist  les  renseignements  ci-après  qui  lui  sont 
adre.ssés  de  Berlin  sous  la  date  du  4  avril  courant  : 

<.<  Je  vous  ai  envoyé,  disait  cette  correspondance ,  le  mois  dernier ,  une  revue  du 
commerce  allemand  a  Timportation  et  à  Texportation  pour  1886  ;  mais  cotte  revue  ne 
fournissait  qu'un  aspect  relatif  de  la  question  pour  la  raison  que  les  rapports 
commerciaux  sont  toujours,  en  Allemagne,  publiés  tard.  » 

La  balance  complète  officielle  vient  enfin  de  paraître  et  la  voici,  d'après  le  corres- 
pondant de  VEconomist  : 


ANNÉES. 

IMPORT 

Quantité 

\TI0NS. 

Valeur 

1886 

1885 

kilos. 

16.940.488.000 
17. 867.. 330. 000 

marks. 

2  955. 928.0001 
2.989.969.000! 

1886 

—  926.842.000 

—  34. 041.000' 

ANNÉES. 

EXPORT. 

Quantité 

ETIONS. 

Valeur 

1886 

kilos. 

18.924.283.000 
48.814.023.000 

marks. 

3.111.928.000^ 
2.915.257.000' 

1885 

1886 

-+-  110.260.000 

-4-  196.671.000 

424  - 


C'est  ainsi  que,  comme  valeur  et  quantité  ,  les  exportations  ont  augmenté  ,  taudis 
que  les  importations  ont  diminué,  et  ce,  dans  des  proportions  fort  sensibles. 

D'après  ces  documents  officiels  ,  c'eset  surtout  dans  les  textiles  que  l'augmentation 
est  considérable  dans  l'exportation.  Pour  les  tissus  de  soie  ,  on  relève  le  chiffre  de 
163,630,000  marks  pour  1886  ,  contre  seulement  133,490,000  marks  en  1885  ;  et ,  en 
lainaiges,  172,520,000  marks  en  1886,  contre  159,010,000  marks  en  1885. 

Lee  chiffres  officiels  pour  les  deux  premiers  mois  de  1887  ont  également  été 
publiés  et  fournissent  encore  de  fortes  augmentations  sur  ceux  de  la  période  corres- 
pondante de  1886.  C'est  surtout  l'industrie  métallurgique  qui  bénéficie.  Durant  les 
mois  de  janvier  et  de  février,  les  exportations  de  rails  ont  été  de  290,913  doubles 
centners,  contre  seulement  181,012  pour  janvier  et  février  de  l'année  dernière.  Celles 
de  fer  en  barres  s'élèvent  à  345.48.5  doubles  centners,  contre  205,514  doubles  centners 
en  1886.  Enfin  ,  les  exportations  de  fer  et  d'acier  manufacturés  ,  pour  les  deux  pre- 
miers mois  de  1887,  représentent  1,630,054  doubles  centners,  contre  1.310,982 
doubles  centners  en  1886. 

Le  développement  du  commerce  de  Fr.\nxeort.  —  Depuis  la  canalisation  du 
Mein,  le  port  de  Francfort  voit  s'accroître  chaque  jour  son  commerce  d'une  façon 
des  plus  sensibles.  L'ouverture  d'un  immense  entrepôt  de  transit ,  qui  doit  avoir 
lieu  ce  mois-ci,  augmentera  encore  considérablement  les  affaires  de  cette  localité, 
vers  laquelle  affluent  non  seulement  des  masses  de  matières  premières  ,  mais 
encore  des  produits  manufacturés  de  toutes  sortes.  Ainsi ,  les  chargements  se 
font  directement  de  Singapoore  sur  Francfort  de  la  façon  suivante  :  des  cargaisons 
transportées  par  les  steamers  du  North  German  Lloyd  depuis  Singapoore,  sont 
transbordées  à  Anvers  ,  d'où  elles  arrivent  directement  par  bateau  à  Francfort.  11  en 
est  de  même  pour  les  importations  de  Londres.  Comme  on  peut  en  juger  ,  c'est  toute 
une  révolution  d'avenir  dans  les  transactions  commerciales  de  cette  ville  :  elle  peut, 
certainement,  se  trouver  bientôt  en  rapports  quasi-directs  avec  les  principaux  centres 
commerciaux  du  globe. 

Une  exposition  coloniale  allem.vnde.  —  On  mandait  de  Berlin ,  sous  la  date 
du  6  de  ce  mois,  l'information  suivante  : 

«  Le  Conseil  de  la  Ligue  générale  allemande  pour  la  représentation  des  intérêts 
nationaux  allemands,  a  voté  aujourd'hui  une  résolution  en  faveur  de  l'organisation 
de  la  première  exposition  coloniale  allemande  pour  l'automne  de  1889.  » 

Influence  de  la  ligne  du  Saint- Goth.\rd  sur  le  commerce  de  l'Allemagne 
AVEC  l'Italie.  —  11  résulte  d'un  rapport  récent  du  consul  d'Italie  à  Râle,  qu'avant 
l'ouverture  de  cette  ligne  ,  le  charbon  allemand  se  vendait ,  à  Milan,  45  fr.  la  tonne  ; 
actuellement,  il  ne  se  vend  plus  que  30  fr.  Voici ,  pour  les  quatre  années  ci-dessous, 
les  chiffres  d'importation  du  fer  et  du  charbon  allemands  en  Italie  : 


Charbon 

W  A  G  0  n  s. 

! 

1883 

1883 

1884 

1885 

2.102 
2.222 

7.808 
10.169 

9  561 
8.823 

1 
9.864      : 
8.327 

Fer 

Aujçlctcrrc.  —    L'industrie  métallurgique  en  1886. 
à  VEconomist  les  renseignements  ci-après  : 


Nous  empruntons 


425  - 


11  résulte  des  rapports  do  l'Association  métallurgique  bntanniqno  ,  qu'en  1^86,  la 
production  du  fer  en  barre  puddlé  dans  le  Royaume-Uni ,  se  chiffre  par  1,616,701 
tonnes  :  c'est  une  diminution  de  294,424  tonnes  sur  la  précédente  annéi". 

La  plus  grande  diminution  s'est  produite  dans  le  South  Staffordshire  oii  elle  rr  pré- 
sente 110,602  tonnes  de  moins  qu'en  1885.  Vient  après  le  Nord  de  l'Andeterre  avec 
64,647  tonnes  de  moins  et  les  Galles  du  Sud  avec  49,419  tonnes  en  moins.  Dans  le 
West  et  le  South  Yorhshire  seulement ,  on  relève  une  faible  augmentation  de  2,908 
tonnes. 

Le  tableau  ci-dessous  fournit  les  chiffres  de  cette  production  du  fer  en  barre 
puddlé  depuis  1883  jusqu'en  1886  : 


ANNÉES. 

PRODUCTION. 

1 

DIMINUTION. 

1886 

1885 

Tonnes. 

1.611.70 
1,911.125 
2.327.535 
2.730.504 

Tonnes. 

294.424          j 
.326.410 
492.969          ! 
111.030 

1884 

1883 

Quant  au  nombre  des  iburncaux  de  ce  genre  eu  feu  ou  non  en  feu  ,  il  est  donné 
par  le  tableau  suivant  : 


ANNÉES. 

Fourneaux 
en  feu. 

Fourneaux 
non  en  feu. 

1 

TOT.\I,. 

1886 

2.908 
3.316 

1.338 
1.516 

4.246 
4.902 

1885 

C'est  donc,  pour  Tanné?  dernière,  une  différence  considérable  sur  les  fourneaux  en 
feu,  de  656. 

Autriche.  —  Le  commerce  extérieur.  —  Il  résulte  des  rapports  officiels  qui 
viennent  d'être  publiés  dans  ce  pays  ,  les  chiffres  suivants  : 

Pour  l'année  1886  comparée  à  l'année  1885,  les  exportations  sont  en  augmentation 
et  les  importations  en  diminution.  Les  premières  se  sont  élevée-;  de  672  millions  de 
florins  en  1885  à  722  millions  du  florins  en  1886  ;  quant  aux  secondes,  les  importa- 
tions, elles  restent,  en  1886,  à  547  millions  de  florins  contre  557,9  en  1885.  Le  tableau 
ci-dessous  donne  les  fluctuations  depuis  1882  : 


ANNÉES. 

IMPORTATIONS. 

EXPORT.XTIONS. 

1882 

Millions  de  florins. 

654.2 
624.9 
612.6 
557.9 
547.2 

Millions  de  florins. 

781.9 

799.9           ' 
691.0 

672.1            ; 
722.9           1 

1883 

1884 

1885 

1886 

-  426  — 

Espagne.  —  Lee  Anglais,  les  Allemands  et  les  Belges.  —  D'après  un 
rapport  consulaire  anglais  de  Barcelone,  les  résultats  du  traité  hispano-anglais  ne 
seraient  guère  profitables  à  l'Angleterre. 

«  Malgré,  dit  ce  rapport,  l'admission  des  marchandises  anglaises  sur  le  pied  do  la 
nation  la  plus  favorisée  dans  tous  les  traités  passés  entre  l'Espagne  et  les  nations 
européennes ,  la  concurrence  est  toujours  des  plus  rudes.  Aussi ,  l'Angleterre 
doit-elle  ,  pour  réussir  ,  produire  des  marchandises  aussi  bonnes  ,  mais  à  meilleur 
marché  que  celles  fournies  actuellement.  » 

La  concurrence  vient  principalement  des  Belges  et  des  Allemands.  «  Ainsi,  conclut 
le  rapport  en  question,  l'acheteur  catalan  préfère  donner  5  schellings  (6  fr.  25)  pour 
deux  couteaux  allemands  de  fabrication  inférieure,  que  le  même  prix  pour  un  couteau 
anglais  supérieur  comme  matière  et  fini ,  mais  ,  en  apparence  ,  complètement  pareil  ; 
il  a  ainsi,  en  effet ,  deux  couteaux  pour  un.  On  raconte  même  fréquemment  que  des 
nouveautés  manufacturées  à  Barcelone  sont  actuellement  exportées  sur  l'Angleterre, 
d'oii  elles  sont  réimportées  avec  des  marques  et  de=;  étiquettes  anglaises.  » 


Serbie.  —  L'Industrie  anglaise.  —  On  annonce  que  les  Anglais  vont 
établir  des  agences  commerciales  pour  le  dépôt  des  produits  anglais  dans  les  villes 
situées  sur  la  nouvelle  voie  ferrée  de  Belgrade  à  Salonique,  par  Vranja.  A  Salonique 
se  trouvera  un  dépôt  colossal  renfermant  tous  les  produits  de  l'industrie  anglaise. 


Roumanie.  —  Le  traité  de  commerce  franco-roumanien.—  La  Chambre  des 
députés  roumaine  a  émis  les  votes  suivants  sur  les  conventions  commerciales  : 

«  1"  Le  gouvernement  est  autorisé  à  prolonyer  jusqu'au  31  décembre  1887 
l'arrangement  commercial  provisoire  avec  la  France  ; 

»  2"  Le  gouvernement  est  autorisé  à  conclure  des  conventions  provisoires  jusqu'à 
la  même  date  avec  d'autres  États,  en  prenant  pour  base  le  système  économique 
inauguré  par  les  nouvelles  conventions  commerciales  et  en  assurant  Texportatton 
des  bestiaux  et  des  céréales.  » 

Le  ministre  des  affaires  étrangères,  M.  Phérékyde,  a  défendu  devant  la  Chambre 
le  projet  des  conventions  commerciales. 

11  a  dit  que  le  pays  tout  entier  sentait  la  nécessité  de  rassurer  les  intérêts  écono- 
miques, et  qu'il  estimait  urgent  de  mettre  un  terme  au  conflit  douanier  avec  la 
France.  Le  gouvernement  ne  peut  que  s'associer  à  un  tel  ordre  d'idées. 

Si  les  nouvelles  taxes  sur  les  céréales  votées  par  les  Chambres  françaises,  a  dit  le 
ministre,  frappent  d'une  façon  onéreuse  les  produits  roumains,  nos  céréales  peuvent 
encore  cependant  trouver  un  débouché  partiel  en  France,  parce  que  les  consomma- 
teurs français  supportent  les  taxes  ;  il  est  d'ailleurs  d'autres  produits ,  tels  que  le 
maïs,  le  colza  et  les  haricots  ,  qui  s'exportent  en  France  dans  les  conditions  ordi- 
naires. Nous  avons  en  conséquence  un  très  grand  intérêt  à  ce  que  l'état  do  conflit 
prenne  fin  dans  nos  relations  avec  la  France.  Ce  sentiment  est  unanime  dans  la 
Chambre. 

Le  Sénat  roumain  a  ratifié  la  décision  de  la  Chambre  de  ce  pays. 


l>a  production  «lu  sucre  de  betterave  en  ICurope  en   ISSfi- 

ISSÎ.  —  On  peut  évaluer  la  production  totale  du  sucre  ,  pour  Tannée  1886-1887  ,  à 
2,580,0CX)  tonnes,  contre  2,146,171  tonnes  pour  1885-1886. 

Le  tîibleau  ci-dessous  donne  les  chiffres  détaillés  comparatifs  pour  : 


427  - 


Allemagne 

1884-85 

1885-86 

1 
1886-87 

Tonnes. 

950.000 
525.000 
500.000 
475.000 
80.000 
.50.000 

Tonnes. 

8i5.080 
377.031 
298.407 
560.312 
48.421 
37.. 500 

Touillas.         1 

1.154.8i7 

557.766  1 

308.410  ' 

387.433  ! 

88.463  î 

50.000  1 

Autriche 

France. 

Ru.ssie 

Belf^iquc 

Autres  pays 

Totaux 

2.580  000 

2  146.751 

1 
2.546.889  . 

1 
1 

Depuis  1880,  pour  chaque  année,  la  production  totale  pouvait  être  estimée  comme 
suit  : 

1883-84 

1882-83 

1881-82  . , 

1880-81  

1879-80 


2.460.314  tonnes. 
2.146.534      id. 
1.868.974      id. 
1.774.545      id. 
1.403.929      id. 


La  cousoininatiou    ilc    la   laiue.  —  Nous  lison.s,  à  ce  sujet,  dans  le 

Manchester  Guardian  : 

«  Le  tableau  ci-après,  donnant  en  millions  de  livres,  la  quantité  moyenne  de  laine 
mise  à  la  disposition  de  manufacturiers  d'Europe  et  de  l'Amérique  du  Nord  ,  a  été 
dressé  par  MM.  Hclmuth  Schwartze  et  G°  : 


ANNÉES. 

LAINE 
Eu 

BRUTE                 LAINE    LAVEE 

rope  et  .Amérique  d\\  Nopl  . 

LAINE  NETTOTOE 

pîir  tèti>  d'hahitnnt. 

Livres  anglaises. 

Total. 

Production. 

Importât. 

Total. 

1850 

790 
955 

1.05;) 

1.293 
1.414 
1  .nA2 
1.743 
1.911 

459 

497 

502 
534 
.525 
.5:50 
.560 
504 

55 
113 

152 
132 
29- 

:135 

392 
477 

514 
610 

654 

766 
822 
865 
9.52 
1.041 

1.93 
2.03 

2  13 
2.38 
2  44 
2.42 
2.52 
2.66 

1860 

Moyenne  : 
!     1861-65 

i     1866-70 

!     1871-75    

1876-80 

1881-85 

I     1886 

On  doit  remarquer  que  ce  tableau  donne  les  chiffres  pour  les  productions  euro- 
péenne et  américaine  avec  les  importations  d'autres  provenances. 

Il  est  également  à  remarquer  que  la  production  moyenne  de  laine  nettoyée  après 
lavage,  a  grandement  diminué  ;  elle  est  tombée  de  65,1  "/„  à  54,5  °lç,  de  la  quantité  de 
laine  brute.  La  chose  est  due  à  l'état  stationnaire  de  la  production  européenne  ,  esti- 
mée en  laine  de  toison  lavée,  et  à  la  grande  augmentation  de  laine  en  suint  à  l'actif 


-  428  — 

de  la  production  des  États-Unis  ,  de  l'Australie  et  de  la  Plata.  En  1869  ,  30  •/„  seule- 
ment de  la  tonte  australienne  était  pratiqué  en  suint ,  alors  que  l'année  dernière  ,  la 
]iroportion  était  de  70  "',j-  Les  importations  qui  ,  en  1850,  représentaient  seulement 
11  7o  f^G  la  consommation  totale,  s'élevaient  en  1860  à  18  7o  pour  atteindre  actuelle- 
ment 46  7o  <Î6  cette  même  consommation  totale. 

ASIE. 

Les  mines  «l'étaiu  de  Pérak.  —  Le  Calaèi»,  mot  dérivé  de  l'hindous- 
tani  Calai  «  étain  »,  paraît  avoir,  de  temps  immémoriaux,  fait  la  fortune  de  TEtatde 
Pérak.  Les  voyageurs  de  Linschott ,  de  Érédia  et  Tavernier  ,  parlent  avec  emphase 
de  ce  méisX  précieux^  et  ils  ne  manquent  jamais  d'accoupler  son  nom  à  celui  de  l'or. 
Vers  1675,  la  monnaie  de  Pérak  en  était  faite  ,  et  sa  valeur  ne  semble  pas  avoir  été 
sensiblement  différente  à  cette  époque,  de  ce  qu'elle  est  de  nos  jours. 

Plus  tard,  vers  1780  ,  l'êtain  devint  l'article  le  plus  important  des  exportations  de 
Malaeca,  Sélangor  s'étant  décidé  à  exploiter,  à  l'exemple  de  son  voisin,  les  richesses 
naturelles  de  son  sol.  Depuis  lors,  la  richesse  de  ce  métal  n'a  cessé  de  soutenir  des 
milliers  de  bras  à  la  solde  d'industriels  malais  ou  chinois ,  qu'ont  imités ,  ces 
dernières  années,  des  Européens  dans  des  conditions  qui  doivent  leur  assurer  une 
réussite  complète. 

Borné  au  Nord  par  la  province  anglaise  de  Welhsley  et  le  territoire  de  Kédah  . 
tributaire  de  Siam  ,  l'État  de  Pérak  est  limité  à  l'Est  par  le  Kélantan  et  Pahang,  el 
au  Sud  par  la  rivière  de  Bernam  qui  le  sépare  de  l'État  de  Sélangor.  Sa  superficie 
est  d'environ  12,000  kilomètres  carrés. 

Le  pays  est  divisé  en  trois  plaines  allongées ,  par  trois  chaînes  de  montagnes 
qui  descendent  parallèlement  à  la  côte  et  atteignent  une  altitude  moyenne  de 
2,000  mètres. 

Le  mot  pérak ,  qui  signifie  en  malais  argent.,  était ,  dès  l'origine  ,  le  nom  de  la 
rivière  qui  arrose  le  territoire  ;  il  est  devenu  celui  de  l'État  d'après  l'usage  local  qui 
veut  que  le  cours  d'eau,  qui  tient  lieii  de  route  au  milieu  d'une  nature  sauvage  aux 
jungles  impénétrables,  serve  à  désigner  tout  son  bassin. 

Ce  n'est  qu'en  1875  que  Pérak  a  été  mis  sous  le  protectorat  de  l'Angleterre  ; 
auparavant  c'était  un  État  indépendant,  gouverné  par  un  sultan  malais  et  quelques 
chefs  indigènes  ,  dont  l'un  ,  connu  sous  le  nom  de  Mountri  et  siégeant  à  Larout , 
avait  pour  attributions  spéciales  la  police  des  districts  miniers  et  la  perception  des 
impôts. 

Jamais  le  Malais  indolent  ne  con^îentit  à  se  livrer  d'une  façon  suivie  au  travail  des 
muies  ;  aussi  les  autorités  du  pays  favorisèrent-elles  de  tout  leur  pouvoir  rimmi- 
gration  chinoise,  qui  fournit  la  majeure  partie  des  mineurs.  Toutefois,  ce  n'était  pas 
chose  facile  que  de  recruter  une  forte  armée  de  travailleurs,  et  la  composition  de  la 
colonie  ouvrière  laissa  fort  à  désirer.  Les  premiers  arrivants  ,  furent  pour  la  plupart 
des  réfugiés  fuyant  la  Chine  ,  oii  ils  avaient  pris  part  à  l'insurrection  des  Thaïpeng , 
ils  donnèrent  ce  dernier  nom  à  la  capitale  commerciale  de  l'État  de  Pérak.  Les 
mineurs  chinois  ne  tardèrent  pas  à  se  diviser  et  à  entamer  des  luttes  sauiilantes  qui 
bouleversèrent,  en  1872  ,  les  districts  miniers.  Puis  ce  fut  l'ouvrier  malais  qui  leur 
succéda  dans  cette  voie  ,  et ,  en  1875  ,  à  la  suite  de  l'assassinat  du  résident  britan- 
nique, les  Anglais  imposèrent  à  Pérak  leur  protectorat,  et  ils  installèrent  sur  le  trône 
l'héritier  présomptif  Mouda  Yousouf,  avec  le  titre  de  régent. 

L'accès  de  l'intérieur  de  la  presqu'île  de  ^Nlalacca  est  difficile  :  les  rivières  seules 
y  servent  de  routes,  et  la  végétation  serrée  qui  recouvre  le  sol  à  toutes  h  s  altitudes, 
contribue  à  rendre  laborieuse  l'étude  géologique  du  pays.  Cependant  les  quelques 
voyageurs  compétents  qui  ont  visité  la  Péninsule ,  s'accordent  à  y  reconnaître  la 


—  '£29  - 


prédominance  des  terrains  granitiques.  C'est  dans  les  terrains  d'ailuvion,  provenant 
de  la  décomposition  des  terrains  primitifs  et  des  terrains  de  sédiment,  que  Ton 
exploite  le  mineiai  d'étain. 

«  Le  minerai  d'étain  de  Pérak ,  écrivait  en  1881  M.  Errington  de  la  Croix,  est 
l'oxyde  connu  en  minéralogie  sous  le  nom  de  cassitérite.  Sa  couleur  est  généralement 
le  brun  foncé  ;  mais  dans  quelques  districts  de  Kinta  on  rencontre  une  variété  assez 
rare,  d'un  blanc  sale  ,  gris  ou  rosé,  à  l'aspect  gras  et  légèrement  translucide.  Cette 
variété  est  plus  pure  que  l'oxyde  brun  ordinaire. 

»  Les  nombreux  filons  de  quartz  qui  traversent  les  terrains  éruptifs  sont  les  gise- 
ments oii  le  minerai  d'étain  se  trouve  associé  à  l'oxyde  de  fer  et  quelquefois  à  de 
l'or...  Ces  filons  de  quartz  doivent  avoir ,  dans  certaines  régions  ,  une  puissance 
assez  considérable  ,  àenjugei'  par  les  énormes  blocs  qui  recouvrent  le  fond  des 
alluvions,  et  aussi  par  les  échsntillons  de  minerai  massif  trouvés  parfois  au  pied  des 
montagnes.  Ces  échantillons  sont  très  volumineux  dans  le  district  de  Chanderiong  , 
où  l'on  a  découvert  presque  à  la  surface  du  sol  des  blocs  d'oxyde  d'étain  pur  pesant 
plus  de  60  Icilogrammes. 

Aussi  l'armée  ouvi'ière  qui  exploite  ces  richesses  naturelles  est-elle  considérable 
et  augmente-t-elle  considérablement  chaque  année. 

Au  mois  de  mars  1881,  les  districts  miniers  de  l'État  de  Pérak  comptaient  environ 
20,000  ouvriers  chinois  ;  deux  ans  plus  tard  ,  ils  en  avaient  48,000 ,  répartis  comme 
l'indique  le  tableau  suivant  : 


REGIONS. 


Sélama  . . . 


DISTRICTS. 


Sélama  et  Kréan 
Trong: 


POPULATION. 

1881.  1884. 


Haut-Pérak 


Côte /  Faroum-Mass   

;  Tingi 

!   Ville  de  Thaipeng 

)  Topai 

^^^^^^ )  Assam-Koumbang 

Kamouting 

Salak 

Kinering 

/    Oulou-Kinta. 

Raya 

Pappau 

Kinta <(    Trap 

Tedja 

Kampar 

Chanderiong 

Chemor 

V  Batang-Padang.  l    Fanka 

1                                (     Klian-Barou. 
;  Bidor , . 


Bas-Pérak 


Bernam , 


Slim . 


Totaux . 


-  430  - 

Lorsqu'on  vient  à  Pcrak  dans  le  but  d'obtenir  une  concession  minière,  il  faut  tout 
d'abord  se  faire  enregistrer  moyennant  un  droit  de  1  dollar;  puis  on  achète,  au  prix 
de  2  dollars,  un  permis  de  recherches  valable  pour  un  an.  On  peut  ensuite  faire  au 
radjah  Mouda  une  demande  de  concession  de  terrain  par  l'intermédiaire  des  admi- 
nistrateurs des  districts.  Les  concessions  s'obtiennent  pour  vingt  et  un  ans  et  à  titre 
gratuit.  Les  impôts  auxquels  elles  sont  soumises  ,  une  fois  en  cours  d'exploitation , 
consistent  en  un  droit  fixe  de  2  dollars  par  barrait  (187  kilogrammes)  d'étain  métal- 
lique, et  en  une  taxe  de  10  dollars  à  Larout,  et  de  8  dollars  à  Kinta  ,  sur  la  valeur 
des  exportations. 

L'exploitation  de  la  concession  comprend  quatre  opérations  :  le  débroussaillement, 
qui  s'obtient  des  charbonniers  indigènes  au  prix  de  l'abandon  du  bois  enlevé  ; 
l'enlèvement  du  terrain  stérile  recouvrant  le  dépôt  stannifère  ;  l'abatage  du  minerai 
et  son  extraction,  qui  sont  faits  par  les  ouvriers  ndneurs,  à  l'aide  de  l'instrument  à 
long  manche  appelé  chanhol,  qui  sert  à  la  fois  de  pelle  et  de  pioche. 

Les  procédés  primitifs  des  industriels  indigènes  ont  été  remplacés ,  sur  les 
concessions  européennes  ,  par  des  moyens  d'action  plus  en  rapport  avec  les  progrès 
scientifiques  de  l'Occident  :  la  Société  des  mines  détain  de  Pérah ,  Compagnie 
française  au  capital  de  3  millions  de  francs,  possède  un  matériel  important,  composé 
de  machines  des  derniers  modèles  connus. 

Les  avantages  de  cette  installation  perfectionnée  se  font  surtout  sentir  dans 
l'épuisage  des  mines ,  qu'envahissent  constamment  les  eaux  de  sources  et  celles 
des  pluies. 

Une  fois  l'extraction  faite ,  un  triage  sommaire  de  minerai  et  un  simple  lavage 
séparent  l'étain  des  matières  étrangères  qui  l'accompagnent  ;  on  le  soumet  alors  à 
un  traitement  métallurgique  qui  consiste  à  le  faire  fondre  au  four,  et  à  le  couler  en 
saumons  du  poids  de  65  à  70  cattijs  (43  kilogr.  750).  Transporté  ensuite  à  Pinang  , 
il  y  est  affiné  par  une  refonte  soigneuse  ,  et  il  ne  contient  plus  ,  après  cela,  que  de 
légères  traces  de  fer,  en  fait  d'impuretés.  L'étain  de  Pinang  est  très  apprécié  sur  les 
marchés  d"Europe. 

Japou.  —  L'exportation  génér.\le  el'ropéenne.  —  Comme  pays  d'exportation, 
le  Japon  attire  de  plus  en  plus  l'attention  de  l'Europe  Le  trafic  est ,  pour  le  moment, 
soumis  à  certains  soubresauts  auxquels  il  faut  s'habituer  jusqu'à  ce  qu'il  ait  acquis 
un  cours  normal  et  régulier. 

D'après  une  statistique  donnée  par  la  Chambre  de  commerce  de  Yokohama  et 
corroborée  par  les  tableaux  établis  parallèlement  par  plusieurs  consuls  de  la  loca- 
lité ,  l'importation  s'est  élevée  ,  en  1885 ,  à  28,847,385  yens  (le  yen  équivaut  à  la 
piastre  mexicaine). 

Les  chiffres  accusent  une  augmentation  constante.  Jusqu'à  présent ,  il  n'y  a  eu 
d'ouvert  au  commerce  étranger  que  les  ports  de  Yokohama ,  Hiogo  ,  Nagasaki , 
Hakodacé,  Nigata.  Il  est  à  espérer  que  lorsque  le  nouveau  traité  sera  conclu,  toutes 
les  côtes  du  Japon  seront  accessibles  aux  vaisseaux  européens. 

Ce  sont  les  étoffes  qui  occupent  le  premier  rang  dans  cette  importation, 
12,562,173  yens. 

L'importance   de  Timportation    pour     chaque    nation   européenne ,    se   répartit 

comme  suit  : 

Angleterrre 12.415.421  yens. 

Chine 5.763.053     — 

Inde 3.596.964     — 

États-Unis 2.726.184     — 


—  4:-ii  — 

Allemague 1.695.652  - 

France I.:i2y.866  - 

Belgique 317.682  — 

Suisse 309.254  — 

Mais  il  est  à  remarquer  que  la  part  de  l'Angleterre  diminue  de  plus  en  plus 
(4  millions  de  yens  depuis  1881).  La  proportion  de  la  France  est  encore  plus  dcia- 
vorablo.  Son  chiffre  actuel  esta  peine  la  moitié  de  ce  qu'il  était  en  1881. 

Seule  l'Allemagne  est  favorisée.  Depuis  cette  même  année  1881  ,  son  importation 
a  augmenté  de  800,000  yens.  L'Allemagne  doit  ce  résultat  à  l'inlluence  prépondé- 
rante dont  ses  nationaux  jouissent  au  Japon  et  aussi  de  ce  fait  que  les  principales 
maisons  d'importation  des  ports  ouverts  sont  allemandes. 

11  n'est  que  temps  pour  le  commerce  français  de  faire  preuve  d'énergie  de  ce  côté 
pour  éviter  d'être  supplanté  totalement  par  les  Allemands. 

La  France  commerciale  au  Japon.  —  Le  consul  de  France  à  Yokohama  écrit 
que  les  grandes  maisons  de  commerce  et  d'industrie  qui  ont  un  courant  régulier 
d'affaires  au  Japon  ,  sont  en  général  également  représentées  à  Yokohama  et  à 
Kobé.  Au  premier  rang  ,  il  faut  citer  les  Messageries  maritimes.  11  mentionne  aussi 
les  maisons  de  Vigan,  Oppenlieimer  et  Bing,  qui  ont  des  agents  dans  les  deux,  villes, 
et  qui  font  toutes  sortes  d'opérations  commerciales. 

Le  «  Bon  Marché  »  entretient  au  Japon  ,  depuis  bien  des  années  ,  un  acheteur 
permanent. 

De  grands  établissements  industriels  tentent ,  avec  plus  ou  moins  de  succès ,  de  se 
créer  des  affaires  au  Japon  ;  ce  sont  d'abord  les  Forges  et  chantiers  de  la  Méditeri 
ranée  ,  puis  les  établissements  Cail ,  Fives-Lille  ,  Commentry  et  FourchambauU  , 
etc.  Mais  connue  ccs  établissements  cherchent  à  obtenir  des  commandes  plutôt  du 
gouvernement  que  des  particuliers  ,  ils  ne  sont  représentés  qu'à  Yokohama  et  géné- 
ralement d'une  manière  temporaire.  Plusieurs  d'entre  eux  se  sont  constitués  en 
syndicats ,  en  vue  du  développement  des  débouchés  de  l'industrie  française  en 
Extrême-Orient  ;  ces  syndicats  ont ,  à  ce  titre  ,  des  agents  à  demeure. 

Les  Français  qui  sont  venus  créer  au  Japon,  pour  leur  propre  compte,  des  établisse- 
ments plus  ou  moins  importants  ,  sont  une  trentaine  à  Yokohama  ,  sept  ou  huit  à 
Kobé  ,  quatre  ou  cinq  à  Nagasaki.  L'ensemble  de  leurs  affaires  ne  représente  pas  un 
très  gros  chiffre  ,  mais  ils  sont ,  en  général ,  dans  une  situation  honorable  et  aisée. 
Les  cas  d'indigence  sont  très  rares  dans  notre  colonie. 

A  cette  catégorie  de  Français,  on  doit  rattacher  les  inspecteurs  de  soies  qui  sont 
employés  tantôt  par  des  maisons  de  notre  nationalité,  tantôt  par  des  maisons  étran- 
gères. L'inspection  des  soies  est  un  art  tout  français. 


AFRIQUE. 

Tuniïiie.  —  Commerce  général.  —  Les  importations  dans  les  différents 
ports  delà  Tunisie  se  sont  élevées,  en  1885,  à  44,752,546  piastres,  ou  1 ,200,000  francs 
de  moins  que  l'année  précédente.  L'année  a  été  mauvaise.  Mais  si  l'on  envisage 
toute  la  période  de  l'occupation  française,  le  commerce  de  la  Tunisie  a  gagné  consi- 
dérablement. De  1875  à  1880 ,  le  mouvement  général  (importations  et  exportations) 
ne  montait  en  moyenne  qu'à  54,600,000  francs  par  an  ,  contre  118,200,000  francs  de 
1880  à  1885. 


—  A'32  — 

Parmi  les  articles  d'importation  qui  nous  intéressent ,  figurent  les  fils  et  tissus  de 
coton  pour  9,076,043  piastres,  des  étoffes  de  laine  pour  1,357,181  et  de  soie  pour 
l,9i!0,Ui6.  L'7\ng-leterre  y  a  importé  des  tissus  de  coton  pour  environ  8  à  10  millions 
de  francs.  Vient  ensuite  la  France  avec  6  à  7  millions  de  francs,  consistant  en  étoffes 
de  soie,  de  coton,  conserves,  papier,  etc.  L'Italie  y  a  envoyé  du  marbre,  des  meubles, 
de  la  soie  brute  et  des  vins  pour  2  à  3  millions  de  francs.  Immédiatement  après  ,  se 
range  rAllemagne  avec  des  bijouteries,  des  tissus  de  laine,  des  draps  et  bonneteries 
pour  la  valeur  d'environ  2  millions  de  francs.  La  Belgique  est  représentée  dans 
l'importation  par  les  fontes,  les  instruments  de  fer,  les  rails,  les  verreries,  quelques 
articles  de  lin  et  de  calicot  rouge.  Enfin,  la  Suisse  vend  aux  Tunisiens  des  broderies, 
des  tulles,  des  fils  de  coton  rouges,  des  calicots  teints  aux  goûts  des  Orientaux,  des 
soieries  et  du  fromage. 

Les  articles  d'exportation ,  consistant  en  huiles  ,  céréales  et  bétail ,  se  dirigent 
principalement  sur  la  Sicile,  et  l'esparto  (alfa),  pour  la  fabrication  du  papier ,  est 
presque  totalement  pris  par  l'Angleterre. 

EiC  Cap.  —  Importation  de  machines.  —  Le  consul  de  France  au  Cap 
fait  remarquer  que  l'envoi  des  machines  destinées  à  l'extraction  de  l'or ,  et  qui 
sont,  aux  termes  du  nouveau  tarif,  admises  en  franchise  dans  la  colonie,  prend 
une  importance  chaque  jour  plus  considérable.  «  J'appelle  de  nouveau ,  écrit  -  il , 
l'attention  de  nos  établissements  métallurgiques  sur  les  bénéfices  que  réalisent 
actuellement  leurs  rivaux  d'Angleterre  dans  cette  branche  d'industrie  ,  car  je  suis 
fermement  convaincu  qu'à  l'époque  des  pluies,  les  transports  par  la  voie  de  Delagoa- 
Bay,  à  destination  de  Barbeton  et  de  Witwatersrand,  seront  assez  faciles  pour  qu'ils 
puissent  leui*  disputer  ce  monopole.  Un  agent  devrait  être  envoyé ,  toute  affaire 
cessante,  par  un  syndicat,  à  l'effet  d'étudier  la  question  sur  place.  » 

Egypte.  —  Le  commerce  allemand.  —  La  Gazette  de  Coloyne  signale  à 
ses  compatriotes  une  occasion  offerte  à  l'industrie  métallurgique  allemande  pour 
prendre  enfin  pied  en  Egypte. 

Il  résulte,  en  effet,  des  rapports  consulaires  belges  que  le  commerce  des  fers  et  des 
aciers  belges  souffre  beaucoup  par  les  fraudes  pratiquées  par  les  intermédiaires. 
Par  suite ,  les  acheteurs  d'Egypte ,  se  trouvant  dans  l'impossibilité  d'obtenir  des 
livraisons  .satisfaisantes,  renoncent  progressivement  à  l'emploi  des  fers  et  des  aciers 
belges.  La  feuille  allemande  conclut  de  là  à  la  grande  facilité  pour  les  fabricants 
métallurgiques  de  son  pays ,  d'introduire  leurs  marchandises  dans  les  meilleures 
conditions,  et  elle  leur  conseille  la  création,  à  Alexandrie,  d'un  dépôt  d'échantillons. 


Pour  les  Faits  et  Nouvelles  géographiques  non  extraits , 

LE   secrétaire-général  , 

ALFRED  RENOUARD. 


r  r 


SOCIETE  DE  GEOGRAPHIE 

DE     LILLE. 


SOCIETAIRES  NOUVEAUX  ADMIS  DANS  LE  COURANT  DE  JUIN  1887. 


MEMBRES  ORDINAIRES 

Lille. 

N»'d'ms-  MM. 

cription. 

U39.  D.VNJOU  (Léon),  négociant,  rue  Soiférino,  310. 

U40.  Geic.er-Gisclon,  fabricant  de  busettes,  rue  d'Arras,  72. 

4444 .  Prolvost  (Léon),  agent  d'assurances,  square  de  Jussieu,  1 . 

U42.  C\LLENS,  négociant,  passage  de  La  Fontaine. 

U45.  Desreumaux  fils,  négociant,  rue  Malus. 

U40.  LiÉNAHT-M.\Ri\GE,  propriétaire,  rue  d'Inkermann,  19  hïs. 

U47.  SxNTENAiRE  (Paul),  représentant,  rue  du  Vieux-Faubourg,  42. 


Tourcoing. 

1443.    Debuchy  (Victor),  fllateur,  rue  Neuve-de-Roubaix,  58. 
U44.    Honoré  (Albert),  fabricant  de  lapis,  rue  de  la  Latte,  24 


29 


-  434  — 


COMPTE-RENDU  DES  CONFERENCES 
DE  LA  SECTION  DE  ROUBAIX. 


Comme  les  années  précédentes ,  le  Comité  de  Roubaix ,  sous  la 
direction  intelligente  de  M.  Henry  Bossut ,  a  organisé  en  1887,  une 
série  de  conférences  dans  la  grande  salle  de  la  Bourse ,  mise  obli- 
geamment à  sa  disposition  par  la  Chambre  de  Commerce  de  cette  ville 
qui  en  a  la  propriété.  Ces  conférences  ont  eu  lieu  le  samedi ,  à  huit 
heures  du  soir,  et.  ont  été  très  régulièrement  suivies  par  un  public  de 
300  à  100  personnes  ,  désireuses  de  s'instruire  et  d'affirmer  par  leur 
présence  le  succès  constant  et  la  puissante  vitalité  de  la  section. 
MM.  Victor  Duburcq,  secrétaire  ;  Leburque-Comerre  ,  trésorier  ;  Juu- 
ker,  Cyrille  Ferlié,  etc.,  qui  composent  le  Comité,  ont  apporté  à 
l'organisation  de  ces  conférences ,  accompagnées  presque  toutes  de 
projections  à  la  lumière  oxliydrique ,  le  concours  le  plus  actif  :  nous 
sommes  ici  l'interprète  de  tous  les  Roubaisiens  ,  en  rendant  un 
hommage  mérité  à  leur  dévouement  constant. 

1''®  Conférence.  —  Madagascar  et  la  question  coloniale,  par  M.  de 
Mahy,  député  de  la  Réunion.  —  La  Nouvelle  Calèdonie,  par  M.  Léon 
Moncelon  ,   délégué  de  la  colonie  au  Conseil  supérieur  des  colonies. 

Par  exception ,  la  double  conférence  de  MM.  de  Mahy  et  Moncelon, 
a  eu  lieu  le  dimanche  16  janvier  1887,  à  quatre  heures  ,  dans  le  grand 
salon  de  l'hôtel-de-ville  de  Roubaix.  Huit  cents  personnes  environ 
s'étaient  rendues  à  l'appel  du  Comité  :  les  dames  formaient  plus  d'un 
tiers  du  Comité  ;  elles  n'ont  pas  ménagé  les  applaudissements  aux 
conférenciers  ,  montrant  ainsi  combien  elles  comprenaient  l'utilité  des 
études  géographiques  et  remerciant  de  celte  façon  le  Comité  qui  savait 
les  entourer  d'un  intérêt  aussi  captivant. 

A  l'heure  convenue  ,  M.  Henry  Bossut,  vice-président  de  la  Société 
et  président  de  la  section  ,  a  fait  son  entrée  dans  la  salle  ,  accompagné 
des  deux  conférenciers  ,  et  de  MM.  François  Masurel  père ,  président 


—  /i35  - 

(le  la  section  (lo  Tourcoing  :  Alfred  Reiiouoivl,  secrétaire -général  de 
la  Société  ;  Eeckman  ,  secrétaire-général-adjoint  ;  Van  llende  ,  biblio- 
thécaire ,  et  de  MM.  V.  Duburcq ,  Leburque-Comerre  ,  Gh.  Juiiker, 
Delessert  et  Verspieren,  membres  du  comité  de  Roubaix 

Avant  de  donner  la  parole  au  premier  conférencier,   M.  Henry 
BossuT  a  pronoacé  le  discours  suivant  : 


«  Mesdames  et  Messieurs, 

»  Quand  on  a  l'honneur,  qui  m'arrive  aujourd'hui,  déporter  la  parole 
au  nom  de  la  Géographie,  devant  un  auditoire  avide  de  connaître 
toutes  les  parties  du  monde,  il  me  semble  qu'il  est  permis,  lorsqu'on 
est  embarrassé  comme  je  l'étais,  d'aller  chercher  le  sujet  de  son  dis- 
cours partout  où  il  pourra  se  trouver,  fut-il  chez  nos  antipodes  ?  Voilà 
pourquoi,  Mesdames  et  Messieurs,  j'ai  feuilleté  et  parcouru  avec  soin 
un  livre  de  proverbes  chinois  recueilli  par  le  R.  P.  Perny,  provicaire 
apostolique  d'une  des  grandes  provinces  de  la  Chine,  auteur  d'un  dic- 
tionnaire des  langues  française  et  chinoise,  savant  missionnaire  que 
nous  avons  écouté,  ici  même,  il  y  a  deux  ans,  avec  un  intérêt  bien 
justifié.  Or,  j'ai  lu  dans  ce  recueil  que  : 

Le  plaisir  de  bien  faire  est  le  seul  qui  ne  s'use  jamais. 

»  Voilà  un  proverbe,  me  suis-je  dit,  qui  fait  bien  mon  affaire  et  que 
nous  trouverons  d'autant  plus  vrai  et  plus  juste  que  nous  en  ferons  de 
suite  l'application  : 

»  N'est-ce  pas  en  effet  pour  le  plaisir  de  bien  faire  que  M.  de  Mahy, 
député  delà  Réunion,  ancien  ministre,  que  M.  Léon  Moncelon,  délégué 
de  la  Nouvelle-Calédonie  au  conseil  supérieur  des  colonies ,  vont 
tantôt  à  Lyon  et  à  Bordeaux  ,  viennent  à  Saint-Quentin,  à  Lille  et  à 
Roubaix,  dans  le  seul  but  d'être  utile,  répandre  leur  parole  avec  leurs 
enseignements  ? 

»  Et  si  j'osais  parler  ici  du  désir  de  bien  faire  qui  anime  et  qui  dirige 
notre  Société  de  Géograpliie,  n'auriez-vous  pas  l'explication  de  ce 
plaisir  qui  ne  s'use  jamais  et  qui  nous  poussera  vers  la  continuation  de 
notre  œuvre  sans  rechercher  d'autre  récompense  que  cette  satisfaction 
intime  ? 


—  436  — 
»  J'ai  lu  encore  dans  ce  petit  livre,  qui  contient  tant  de  choses,  que  : 
Rien  ne  s'apprend  nulle  part  sans  un  maître. 

»  Vous  me  direz  certainement,  Mesdames  et  Messieurs,  que  cette 
vérité  est  un  peu  banale  ;  mais  est-elle  tant  connue  et  tant  appréciée 
en  France  et  u'est-il  pas  à  propos  que  les  Chinois  nous  la  rappellent  ? 
Ce  sont  des  maîtres  pour  nous  ,  ces  hardis  explorateurs,  ces  savants 
conférenciers  et  ces  orateurs  qui,  après  avoir  parcouru  le  monde , 
étudié  les  contrées  et  les  peuples,  après  avoir,  au  prix  des  plus  rudes 
fatigues  et  souvent  des  plus  grands  dangers,  acquis  un  fonds  de 
connaissances  étendues  et  solides,  viennent  nous  apporter  leur  géné- 
reux concours  et  nous  faire  profiter  du  fruit  de  leurs  travaux. 

»  Et  puisque  nous  sommes  allés  jusqu'en  Chine ,  voulez-vous  me 
permettre ,  Mesdames  et  Messieurs ,  de  ne  pas  en  revenir  sans  en 
rapporter  un  grand  enseignement  ! 

»  A  quelle  cause,  nous  disait  le  R.  P.  Perny,  attribuez-vous  la  durée 
exceptionnelle,  unique  de  la  civihsation  chinoise  qui  a  vu  disparaître 
toutes  les  autres  depuis  plus  de  quatre  mille  ans  qu'existe  le  Céleste- 
Empire?  J'aurais  dû  le  savoir,  mais  aucun  maître  ne  me  l'avait  appris 
et  je  n'ai  su  que  répondre  :  alors  ,  mon  éminent  interlocuteur  de  me 
dire  :  «  à  l'obéissance  et  au  respect  de  la  famille,  dans  l'école  et  dans 
»  l'état  :  respect  à  l'autorité  du  père  ,  du  professeur  et  du  chef  de 
»  l'État,  respect  enfin  à  toute  autorité  supérieure,  humaine  et  divine.  » 

»  Si  nous  pouvions,  Mesdames  et  Messieurs,  semer  en  France  un 
peu  de  cette  graine  d'obéissance  et  de  respect  qui  entretient  et 
conserve  la  vie  des  nations,  ne  serions-nous  pas  heureux  d'avoir 
appris  où  elle  se  trouve  et  nous  n'aurions  pas  encore  à  remercier  le 
missionnaire  excellent  qui  aurait  rendu  un  pareil  service  à  notre  chère 

Patrie  ? 

»  Vous  pourriez  croire.  Mesdames  et  Messieurs .  en  écoutant  ces 
paroles  qui  reconnaissent  et  admirent  en  Chine  des  qualités  dont  nous 
pourrions  faire  notre  profit,  que  j'éprouve  le  regret  de  ne  pas  être 
Chinois.  —  Rassurez  vous.  J'aime,  comme  tous  les  Français,  mon  pays 
avant  tout, —  et,  je  me  garderai  bien  de  méconnaître  ses  quahtés 
généreuses  ;  mais  c'est  parce  que  je  l'aime  que  je  voudrais  voir  assurer 
sa  grandeur  et  sa  durée.  Voilà  pourquoi  je  suis  allé  si  loin  chercher 
quelques  sages  conseils.  Vous  voudrez  bien  excuser  la  longueur  du 
voyage  en  tenant  compte  de  notre  bonne  intention. 


-  437  — 

»  Oui ,  Mesdames  et  Messieurs,  uotre  Société  de  Géographie  sait 
eut  ce  qu'elle  doit  de  reme'rcîinents  aux  hommes  de  courage  et  do 
science  qui  aident  nos  efforts  et  qui  sont  les  auteurs  de  ses  dévelop- 
pements. Ce  sont  des  maîtres  auxquels  il  est  juste  et  nous  est  doux 
d'offrir  l'expression  de  notre  reconnaissance  au  début  de  la  quatrième 
soirée  de  nos  réunions  hebdomadaires.  Le  succès  nous  demeurera 
assuré,  Mesdames  et  Messieurs,  si,  par  votre  présence  toujours  aussi 
nombreuse  et  aussi  bienveillante  et  par  de  nouvelles  adhésions,  vous 
pouviez  encourager  de  plus  en  plus  nos  bonnes  volontés.  » 

A  la  suite  de  ce  discours,  unanimement  applaudi,  M.  Moncelon  a  pris 
le  premier  la  parole. 

Avec  une  franchise  dont  on  doit  lui  savoir  gré ,  M.  Moncelon  a 
déclaré  nettement  que  l'objet  de  sa  dissertation  était  moins  une  confé- 
rence qu'une  campagne  colonisatrice.  «  Nous  ne  sommes  pas  coloni- 
sateurs. »  Cette  déclaration  a  été  faite  si  souvent,  et  si  légèrement,  dit 
le  conférencier,  que  nous  en  sommes  arrivés  à  la  prendre  à  la  lettre 
et  à  affirmer  ,  sans  autre  examen  ,  que  la  France  n'est  réellement  pas 
colonisatrice.  C'est  cette  erreur  que  M.  Moncelon  a  combattue  avec 
beaucoup  de  science  et  non  moins  de  succès. 

M.  Moncelon  est  un  causeur  très  attachant  ;  indépendamment  des 
arguments  de  sérieuse  valeur  qu'il  a  donnés  en  faveur  de  sa  thèse,  il  a 
charmé  l'auditoire  par  certaines  descriptions  pleines  de  poésie  ;  l'itiné- 
raire descriptif  de  France  à  la  Nouvelle  -  Calédonie  a  été  particulière- 
ment goûté.  Il  ne  nous  est  malheureusement  pas  possible  de  suivre 
l'orateur  dans  ses  justes  critiques  sur  l'organisation  de  la  colonisation 
pénale,  ainsi  dans  ses  aperçus  sur  un  régime  colonial  ayant  pour  base 
une  économie  sage  ,  une  justice  moins  draconienne  et  une  répartition 
territoriale  équitable  entre  les  indigènes  que  nous  allons  ,  en  somme , 
dépouiller  avec  assez  de  brutalité. 

Les  exigences  de  ceux  que  nous  allons  civiliser  sont  généralement 
modestes  ;  néanmoins  ,  on  a  le  tort  grave  de  les  traiter  durement ,  en 
vaincus.  Il  en  résulte  des  révoltes  assez  fréquentes  et  l'impossibilité 
absolue  de  nous  faire  accepter  pour  autre  chose  que  des  ennemis. 
Avant  d'imposer  des  devoirs  à  des  peuplades  qui  ne  connaissent  que 
l'indépendance  ,  il  faudrait  au  moins  ,  après  la  conquête  ,  leur  octroyer 
des  droits  qui  compenseraient  les  charges. 

Un  indigène  disait  à  M.  Moncelon ,  au  moment  de  son  départ  pour  la 
France  :  «  Nous  te  prions  d'aller  voir  le  grand  chef  (M.  Grévy)  et  de 


—  438  - 

le  prier  de  nous  donner  des  litres  de  propriété  semblables  aux  vôtres.  » 
C'est  tout  ce  que  ces  gens  demandent  :  au  lieu  de  cela ,  on  les  initie 
aux  douceurs  de  l'impôt  de  capitation,  on  les  administre  à  l'européenne. 
M.  Moncelon  a  terminé  sa  remarquable  conférence  par  un  appel  au 
patriotisme  de  chaque  citoyen  qui  peut ,  dans  la  limite  de  ses  forces  et 
de  ses  moyens,  participer  au  grand  mouvement  qui  se  produit  en  France 
en  faveur  de  la  colonisation. 

Après  M.  Moncelon,  M.  de  Mahy  a  pris  la  parole. 
M.  de  Mahy  a  employé  le  même  procédé  que  son  prédécesseur  à  la 
tribune ,  il  a  joué  cartes  sur  table ,  et  s'est  immédiatement  déclaré 
partisan  convaincu  de  la  politique  coloniale. 

«  Nous  nous  sommes  réunis  aujourd'hui ,  a  dit  l'honorable  député  , 
»  dans  une  pensée  commune,  dans  une  pensée  de  patriotisme.  Partisan 
»  ou  non  de  la  politique  coloniale,  il  faut  que  chacun  étudie  la  question. 
»  En  avant  !  voilà  le  mot  d'ordre  auquel  nous  devons  obéir .  voilà  le 
»  moyen  de  continuer  la  prospérité  acquise  par  le  travail  du  passé.  » 

Madagascar  nous  appartient  depuis  plus  de  deux  cents  ans  ;  c'est  à 
la  lutte  contre  l'influence  de  nos  bons  voisins  les  Anglais  qu'il  laut 
attribuer  nos  insuccès  dans  cette  île  ,  dont  la  possession  paisible  nous 
serait  d'une  si  grande  utilité. 

Les  Anglais  ,  et  plus  particulièrement  les  missionnaires  anglicans , 
ont ,  de  tout  temps  ,  combattu  notre  influence  dans  ce  pays ,  contesté 
nos  droits  et  intrigué  bassement  contre  nous  Ces  raisons  ne  sont  pas 
les  seules  ,  cependant  ;  il  faut  y  ajouter  Tinsouciance  de  nos  gouver- 
nants et  l'incurie  administrative  qui  a  toujours  choisi  les  points  les 
plus  insalubres  ou  les  plus  infertiles  pour  ses  tentatives  de  colonisation. 

D'après  les  affirmations  de  M.  de  Mahy ,  Madagascar  nous  offre  des 
ressources  immenses  et  variées  ;  le  climat  au  nord  et  au  centre  de  l'île 
est  aussi  sain  qu'en  France  :  les  naturels  du  pays  qui  subissent  le  joug 
des  Hovas  depuis  de  longues  années  ,  verraient  avec  plaisir  le  drapeau 
français  flotter  en  maître  dans  cette  île  merveilleuse  qui  possède  une 
rade,  la  rade  de  Diégo-Suarez  ,  capable  d'abriter  toute  notre  flotte  en 
cas  de  défection  navale. 

Comme  M.  Moncelon ,  M.  de  Mahy  s'est  adressé  au  patriotisme  de 
ses  concitoyens  pour  agir  moralement  en  vue  de  la  conquête  définitive 
de  cette  colonie ,  dont  les  avantages  pour  la  métropole  paraissent  si 
évidents. 

Les  deux  conférences  de  MM.  de  Mahy  et  Moncelon  seront  repro- 


-  439  — 
duites  in  extenso  dans  nos  bulletins. 

2"  Conférence.  —  L'Arménie  et  les  Arméniens,  par  M.  Jean 
Broiissali.  —  Voici  l'analyse  de  cette  conférence  qui  a  été  faite  à 
Roubaix  le  22  janvier  1887  (1)  : 

Le  conférencier  indique  tout  d'abord  quelle  est  la  situation  géogra- 
phique de  l'Arménie ,  contrée  de  l'Asie  occidentale  ,  limitée  par  la 
chaîne  du  Caucause  au  Nord ,  la  mer  Caspienne  à  l'Est,  la  Mésopota- 
mie au  Sud  et  l'Euphrate  à  l'Ouest ,  et  traversée  par  des  hautes  mon- 
tagnes parmi  lesquelles  le  grand  et  le  petit  Ararat ,  le  Taurus ,  les 
Gortoouk  et  les  monts  ,  appelés  par  les  Turcs  ,  Bingneul.  Comme  ces 
derniers  donnent  naissance  à  l'Euphrate,  au  Tigre,  à  l'Aras  (Gehon)  et 
au  Djarakh  (Phison) ,  l'opinion  publique  place  en  Arménie  le  siège  de 
l'Eden  ou  Paradis  terrestre.  Il  faut  signaler  dans  ce  pays  de  beaux 
lacs ,  tels  que  le  lac  Salé ,  le  lac  de  Van ,  le  lac  d'Ornou  et  le  lac 
Sévanger. 

Le  chmat  est  généralement  froid  ;  cependant ,  dans  les  vallées  et 
dans  les  plaines,  l'air  est  plus  tempéré  et  le  sol  très  fertile.  On  récolte 
en  abondance  toute  espèce  de  grains  ,  vins  ,  fruits  ,  tabac  ,  cotons.  Les 
montagnes  recèlent  des  mines  d'or  ,  d'argent ,  de  cuivre  ,  de  fer ,  de 
plomb  et  de  magnifiques  carrières  de  marbre  et  de  jaspe.  On  y  trouve 
aussi  du  sel  gemme  ,  des  sources  de  naphte  ,  de  l'arsenic  sufuré  jaune , 
etc.  Les  races  chevalines  passent  pour  les  meilleures  de  l'Asie  occi- 
dentale. La  cochenille  la  plus  estimée  se  trouve  en  grande  partie  aux 
pieds  de  l'Ararat.  La  flore  de  l'Arménie  est  relativement  l'une  aes  plus 
riches  du  monde. 

Au  point  de  vue  politique  ,  l'Arménie  ,  qu'on  a  justement  appelé  une 
seconde  Pologne ,  se  trouve  partagée  en  trois  tronçons  que  se  sont 
adjugées  la  Turquie  ,  la  Russie  et  la  Perse.  Elle  est  sans  contredit  1? 
plus  asservie  parmi  les  nations  subjuguées  par  les  Ottomans.  Les  Turcs 
n'ont  appliqué  à  ce  malheureux  pays  ni  la.  charte  de  Gulkhané  de  1839, 
ni  le  Hatti-Houmayoun  de  1856.  Après  des  siècles  ,  la  situation  est  la 
même  qu'aux  premiers  jours  de  la  lutte.  En  droit  comme  en  fait,  il  y  a 


(1)  Nous  donnons  l'analyse  détaillée  des  conférences  qui  ne  sont  pas  reproduites 
in  extenso  d2uis  nos  Bulletins. 


-  /i40  — 

deux  poids  et  deux  mesures  suivant  qu'on  est  de  la  race  d(;s  vainqueurs 
ou  de  celle  des  vaincus  ;  on  promit  soleunellement ,  au  traité  de  Berlin 
de  1878  ,  de  réformer  cet  état  de  choses  ,  mais  ces  promesses  ont  été 
violées  ,  et  c'est  en  vain  que  les  Arméniens  ont  adressé  des  protesta- 
tions aux  chancelleries  européennes. 

En  dehors  des  indigènes  ,  l'Arménie  est  peuplée  de  Turcs  .  Kurdes 
et  Turcomans  ,  reste  des  peuplades  qui  ont  fait  irruption  dans  le  pays. 
Les  Arméniens  se  distinguent  par  leur  caractère  grave ,  laborieux , 
intelKgent ,  hospitalier,  calculateur.  Ils  sont  attachés  aux  traditions  de 
leurs  ancêtres  et  à  leur  gouvernement  ;  ils  sympathisent  beaucoup 
avec  les  Européens  dont  ils  apprennent  les  langues  et  les  manières 
avec  facilité. 

L'histoire  de  la  nation  arménienne  remonte  jusqu'au  déluge  et  à  la 
Tour  de  Babel.  D'après  un  monument  historique  ,  en  partie  conservé 
par  Moïse  de  Kerène  ,  auteur  arménien  du  V*  siècle ,  le  premier  chef 
de  l'Arménie  fut  Haïg ,  fils  de  Thorgom ,  petit -fils  de  Noë.  Haïg  était 
soumis  à  Bel  ou  Bélus  ,  mais  il  se  révolta  contre  lui ,  le  tua  dans  un 
combat ,  régna  péniblement  dans  les  environs  du  lac  Van  ,  et  nomma 
ses  sujets  Haïks  et  le  pays  Haïstane.  Actuellement,  cette  dénomination 
est  encore  conservée  par  les  indigènes  et  le  nom  d'Arménien  ne  leur 
est  donné  que  par  les  étrangers  ;  ce  nom  tire  son  origine  d'Aram,  l'un 
des  fils  de  Haïg.  Le  dernier  roi  de  la  dynastie  a  été  Vahë  ,  à  la  mort 
duquel  l'Arménie  tomba  au  pouvoir  d'Alexandre,  qui  fit  administrer  le 
pays  par  un  simple  gouverneur.  Elle  redevint  plus  tard  un  beau 
royaume  :  Léon  VI  de  Lusignanen  a  été  le  dernier  roi,  c'est  en  France 
qu'il  est  venu  se  réfugier  après  avoir  été  vaincu  par  les  Musulmans , 
et  c'est  au  palais  des  Tournelles  qu'il  est  mort  en  1393  ;  son  corps 
repose  aujourd'hui  dans  la  sépulture  royale  de  Saint-Denis. 

Depuis  ce  temps,  l'Arménie  a  passé  tour  à  tour  sous  les  dominations 
égyptienne,  turcomane  et  turque.  Elle  a  été  bien  longtemps  le  théâtre 
et  la  victime  des  sanglantes  rivalités  de  la  Turquie  et  de  la  Perse  qui 
se  disputaient  sa  possession.  C'est  en  1829  que  la  Russie  est  intervenue, 
s'appropriant  la  meilleure  partie  de  son  territoire.  A  partir  de  cette 
époque,  ce  malheureux  pays  a  été  traité  de  la  façon  la  plus  inique  :  à 
l'heure  actuelle  ,  qu'on  accumule  tout  ce  que  la  tyrannie  la  plus  éhon- 
tée  peut  imaginer  pour  opprimer  une  population  laborieuse  et  avide  de 
paix,  et  l'on  aura  le  tableau  du  régime  ottoman  en  Arménie  ;  massacres, 
dénis  de  justice ,  lapines  des  employés,   oppression  exercée  par  les 


-  441  - 

fonctionnaires ,  faveurs  pour  les  bourreaux  et  châtiments  pour  les 
victimes,  partout  la  désolation  existe. 

Le  conférencier  donne  ensuite  les  détails  suivants  sur  la  langue  et  la 
religion  du  pays  : 

La  langue  arménienne  est  une  des  plus  anciennes  du  globe  ;  elle  appar- 
tient à  la  famille  des  langues  aryiennes ,  dans  lesquelle  doivent  être 
compris  le  zend  et  le  sanscrit,  mais  elle  ne  dérive  ni  de  l'un  ni  de  l'autre. 
Elle  comprend  ,  comme  lo  grec  ,  une  langue  ancienne  et  une  langue 
moderne.  La  langue  moderne  ou  vulgaire  n'a  pas  de  règles  lixos  :  elle 
se  subdivise  en  plusieurs  dialectes  dont  quelques-uns  sont  très  difficiles 
à  comprendre.  Mais  la  langue  ancienne  ou  littérale  a  un  système 
grammatical  bien  établi ,  et  c'est  dans  cette  langue  que  sont  écrits  le? 
meilleurs  ouvrages  anciens  et  modernes. 

L'alphabet  arménien  a  été  inventé  au  commencement  du  V*  siècle  et 
se  compose  de  trente-six  lettres  :  toutes  ces  lettres  se  trouvent  de 
gauche  à  droite,  et  leur  orthographe  est  en  harmonie  complète  avec  la 
prononciation.  La  fréquence  des  aspirées,  des  sifflantes  et  des  nasales, 
plus  encore  que  l'abondance  des  consonnes  de  toutes  nuances,  rendent 
la  langue  arménienne  peu  agréable  aux  Européens  ;  cependant,  pronon- 
cée par  les  indigènes ,  elle  ne  manque  pas  d'une  certaine  harmonie 
sonore  et  variée. 

La  religion  primitive  des  habitants  de  l'Arménie  était  celle  des 
anciens  patriarches;  dans  la  suite,  le  sabéisme,le  magisme  et  plus  tard 
le  polythéisme  grec  y  introduisirent  leurs  croyances.  Ce  furent  les 
habitants  d'Edesse  qui,  les  premiers,  se  convertirent  au  cliristianisme  : 
l'apôtre  Thadée ,  l'un  des  soixante -douze  disciples,  convertit  le  roi 
Abgar  et  la  plupart  des  habitants  de  la  capitale.  Mais  la  religion  chré- 
tienne ne  devint  celle  du  pays  qu'au  commencement  du  IV  siècle,  alors 
qu'il  fut  évangélisé  par  saint  Grégoire,  qui  subit  le  martyre  sur  l'ordre 
du  roi  Tiridate.  Actuellement ,  la  nation  arménienne,  par  rapport  à  la 
religion,  se  trouve  divisée  en  trois  catégories:  catholique  romaine, 
grégorienne  et  proiestonte(évangéhste  américaine).  Les  protestants  ne 
datent  que  de  quelques  années ,  et  ont  tout  récemment  obtenu  de  la 
Porte  d'avoir  un  chef  particulier  et  d'exercer  librement  leur  culte. 

M.  Broussali  dit  ensuite  quelques  mots  de  la  situation  économique 
du  pays  : 

Le  solde  l'Arménie  est  très  fertile  et  peut  être  cultivé  deux  ou  trois 
fois  par  an  ;  le  commerce  des  bestiaux  y  est  très  nuportant  :  les  Armé- 
niens conduisent  leurs  troupeaux  à  Gonstantmople,  ils  mettent  six  mois 


-  442  - 

environ  à  faire  ce  voyage.  Les  chevaux  arméniens  peuvent  être  compa- 
rés aux  chevaux  arabes. 

Le  commerce  comprend  les  cuirs ,  les  cotons  et  les  laines.  (A  ce 
propos .  M.  Jean  Brousali  fait  circuler  dans  l'auditoire  divers  échan- 
tillons de  tissus  de  laine  de  fabrication  arménienne).  On  y  vend  aussi 
de  la  garance ,  de  l'opium ,  de  la  soie  (qui  s'exporte  en  Russie ,  au 
Caucause  et  en  Perse  ) ,  des  vins  (  dont  le  plus  estimé  est  celui  de 
Mousch),  etc. 

Le  conférencier  termine  par  quelques  mots  sur  le  caractère  des 
Arméniens  : 

Très  aptes  au  commerce,  ils  sont  d'une  sincère  probité.  La  cohabita- 
tion sous  le  même  toit  est  un  des  caractères  distinctifs  de  la  raco. 
Lord  Byron,  dans  ses  voyages  en  Orient,  a  vu  de  près  les  Arméniens  ; 
voici  ce  qu'il  en  dit  :  «  Il  serait  peut-être  difficile  de  trouver  dans  les 
annales  d'une  nation  moins  de  crimes  que  dans  celles  du  peuple  armé- 
nien ,  dont  les  vertus  sont  celles  de  la  paix  et  dont  les  vices  ne  sont 
que  le  résultat  de  l'oppression  qu'ils  ont  subie.  » 

La  conférence  s'est  terminée  par  quelques  projections  (vues  de  Jéru- 
salem, Gonstantinople,  Alexandrie  ;  tombeau  des  Mamelouks  au  Caire, 
tombeau  des  rois  à  Jérusalem  ,  quelques  types  Arméniens  et  plusieurs 
autres  sujets  tirés  de  l'Orient.] 

M.  Henry  Bossut  a  remercié  le  conférencier. 

M.  Broussali  répondu  que  son  but  principal .  en  faisant  des  confé- 
rences géographiques  ,  était  d'attirer  l'atlention  sur  la  malheureuse 
situation  dans  laquelle  se  trouvait  sa  patrie. 

3"  Conférence.  —  L'Australie  telle  quelle  est,  par  le  baron  Michel, 
ancien  officier  de  marine.  —  Cette  conférence  a  eu  lieu  le  29  janvier 
1887.  Elle  a  été  sténographiée  lorsqu'elle  a  été  faite  à  Tourcoing ,  et  a 
été  publiée  dans  ce  volume  (page  90) . 

4"  Conférence.  —  Le  Royaume-Uni ,  par  M.  Lefebvre ,  professeur 
à  l'Institut  Tiirgot.  —  Cette  conférence  a  été  faite  le  5  février  1887. 
Elle  sera  prochainement  publiée  in  extenso  dans  nos  bulletins. 

5"  Conférence.  —  L'Islande,  par  M.  le  D' Labonne.  —  Cette  confé- 
rence a  été  faite  le  12  février  1887.  Elle  sera  à  bref  délai  publiée 
in  extenso  dans  nos  bulletins. 


-  443  ~ 

6''  Conférence.  —  Les  Consulats,  les  Chambrps  de  commerce  à 
V  étrange?^  et  les  Musées  comme/'Ciaux. ,  par  M.  Grousseau  ,  avocat, 
professeur  à  la  Faculté  libre  de  Lille.  —  Cette  conférence  a  été  faite  le 
19  février  1887. 

Le  sujet  traité  par  M.  Grousseau  n'était  peut-être  pas  très  attrayant 
pour  les  dames  ,  mais  son  importance  était  considérable  ,  et  il  serait  à 
désirer  que  des  conférences  semblables  fussent  faites  dans  toutes  les 
villes  industrielles ,  afin  d'appeler  l'attention  des  intéressés  sur  les 
réformes  proposées  par  le  savant  conférencier. 

M.  Grousseau  a  parlé  de  l'utilité  et  du  fonctionnement  des  consulats, 
des  Chambres  de  commerce  en  France  et  à  l'étranger ,  et  des  musées 
commerciaux. 

La  question  la  plus  importante  est  incontestablement  celle  qui  est 
relative  aux  consulats. 

Il  ne  suffit  pas  de  connaître  la  situation  géographique  d'un  pays,  a 
dit  M.  Grousseau  en  commençant,  il  est  indispensable  de  connaître  ses 
institutions. 

Avant  toute  chose  ,  il  faut  avoir  des  renseignements  très  érécis  sur 
les  pays  avec  lesquels  nous  avons  des  relations  commerciales.  Pour 
obtenir  ces  renseignements,  à  qui  les  industriels  doivent-ils  s'adresser? 

Aux  consuls  évidemment. 

Cela  paraît  aussi  simple  que  naturel,  et  cependant  si  notre  commerce 
d'exportation  n'avait  d'autres  auxiliaires  que  les  consuls,  sa  prospérité 
serait  fort  compromise. 

D'où  vient  donc  cette  infériorité  de  nos  agents  consulaires,  alors  que 
ceux  de  l'Angleterre,  de  l'Allemagne  et  de  la  Belgique  envoient  à  leurs 
gouvernements  des  rapports  si  complets,  si  précis,  si  utiles  ? 

L'infériorité  de  nos  agents  vient  uniquement  de  ce  qu'ils  n'ont  ni  les 
goûts,  ni  les  aptitudes  de  leurs  fonctions  ,  et,  ajoute  M.  Grousseau  ,  ils 
ne  sont  pas  trop  blâmables. 

Si  en  France,  le  consulat  n'est  pas  un  poste  diplomatique,  il  a  trop 
d'intimité  avec  cette  carrière  pour  se  désintéresser  de  la  politique. 

Les  agents  consulaires  et  les  diplomates  passent  par  la  même  porte  ; 
le  premier  poste  n'est  qu'un  stage  préparatoire  à  des  fonctions  plus 
élevées,  plus  brillantes  et,  par  conséquent,  plus  recherchées.  Pour 
embrasser  la  carrière  diplomatique  ,  il  suffit  d'être  licencié  en  droit , 
mais  il  faut  subir  le  consulat  et  les  quelques  années  que  nos  futurs 


—  444  — 

ambassadeurs  perdent  dans  cette  carrière  ne  sont  pas  un  stimulant 
capable  de  les  pousser  dans  la  voie  des  études  économiques. 

Voilà  où  est  le  mal,  et  il  n'est  pas  nécessaire  de  le  chercher  ailleurs. 

Pendant  que  les  jeunes  gens  lancés  dans  la  diplomatie  parcourent 
assez  allègrement  les  étapes  de  la  carrière  sous  le  nom  de  secrétaire 
d'ambassade,  attaché  d'ambassade  ,  ministre  plénipotentiaire  ,  ambassa- 
deur, ceux  qui  voudraient  rester  dans  le  consulat  voient  leur  position 
limitée  à  celle  de  consul  général ,  poste  qui  n'est  pas  comparable ,  ni 
comme  considération  ,  ni  comme  profit ,  à  un  poste  de  moindre  impor- 
tance dans  la  carrière  diplomatique.  Il  y  a  donc  nécessité  absolue  de 
séparer  ces  deux  carrières  et  de  donner  des  avantages  plus  sérieux  à 
nos  consuls.  Alors  seulement  nous  aurons  des  agents  capables ,  qui 
rendront  à  notre  industrie  d'immenses  services.  On  éloignera  ainsi  du 
consulat  les  licenciés  en  droit  qui  acceptent  les  fonctions  de  consul 
avec  dégoût,  mais  on  y  appellera  tous  les  jeunes  gens  dont  les  connais- 
sances et  les  aptitudes  commerciales  trouveront  là  leur  meilleur  emploi, 
pour  le  plus  grand  bien  de  l'industrie  nationale, 

M.  Grousseau  parle  ensuite  des  musées  commerciaux  et  des  exposi- 
tions flottantes.  Les  premiers  peuvent  produire  un  excellent  résultat , 
malheureusement ,  ils  sont  depuis  des  années  déjà ,  soumis  à  l'examen 
d'une  Commission  spéciale  dont  l'arrêt — comme  les  arrêts  de  toutes  les 
Commissions  —  se  fait  toujours  attendre. 

Quant  aux  expositions  flottantes  ,  M.  Grousseau  ,  sans  avoir  une  bien 
bonne  opinion  de  cette  innovation  ,  y  trouve  une  idée  dont  on  pourra 
peut-être  tirer  parti. 

C'est  surtout  au  redoublement  de  l'initiative  privée  qu'il  faut 
s'adresser  pour  améliorer  notre  commerce  d'exportation,  mais  cela 
sera  toujours  difficile  au  commerce  français  qui  a  trop  de  nonchalance 
et  uj]e  dignité  mal  comprise  qui  l'empêche  d'aller  au  chaland.  Cette 
nonchalance  de  nos  commerçants  est  prouvée  par  un  fait  observé  à 
l'exposition  d'Amsterdam.  Certains  prospectus  de  maisons  françaises 
étaient  distribués  à  profusion  à  tous  les  visiteurs  ;  nos  produits  étaient 
vantés  ,  leurs  qualités  mises  à  jour  et  leur  supériorité  dûment  établie 
au  moyen  des  tarifs  accompagnant  les  prospectus.  Malheureusement, 
ces  prospectus  étaient  Imprimés  en  français,  ce  qui  rendait  inutile .  au 
moins  pour  les  neuf  dixièmes,  cette  abondante  distribution,  et  la  valeur 
des  marchandises  exposées  était  imprimée  en  francs,  ce  qui,  dans  le 
pays  des  florins ,  doublait  en  apparence  le  prix  de  nos  produits. 

M.  Grousseau  termine  sa  conférence  eu  adressant  une  juste  critique 


-  445  — 

à  notre  législation  relativement  au  service  militaire.  L'Allemagne  ,  par 
exemple  ,  dispense  absolument  le  sujet  qui  part  à  dix-sept  ans  ,  et  qui 
est  absent  pendant  quinze  ans  .  Elle  estime  que  celui  qui  s'emploie  au 
succès  de  l'industrie  nationale,  est  aussi  le  serviteur  de  la  patrie. 

7^  Conférence.  —  Le  Nord  de  la  France  ,  ses  industries ,  son 
commerce ,  ses  ports  en  présence  de  la  concurrence  étrangère ,  par 
M.  J.  Petit,  membre  de  la  Chambre  de  commerce  de  Boulogne-sur-Mer, 
conseiller  d'arrondissement.  —  Cette  conférence  qui  a  été  faite  à 
Roubaix  le  26  février,  a  été  publiée  dans  ce  volume  (page  309). 

8®  Conférence.  —  La  Grèce  moderne  et  sa  situation  écono7nique, 
par  M  de  Joannès.  Cette  conférence  a  été  faite  le  5  mars  1887  et  sera 
publiée  prochainement  in  extenso  dans  nos  bulletins. 

9^  Conférence.  —  L'Italie  septentrionale,  par  M.  Castonnet  des 
Fosses .  vice  -  président  de  la  Société  de  géographie  commerciale  de 
Paris.  —  Cette  conférence  a  été  faite  le  12  mars  1887  ,  en  voici  le 
résumé  succinct  : 

L'Italie  se  divise  en  deux  parties  :  l'Italie  du  Nord  et  l'Italie  du  Sud. 

La  première  comprend  le  Piémont ,  la  Lombardie  ,  la  Vénétie  et  la 
Toscane. 

Sa  race  diffère  de  celle  du  Midi  par  son  origine ,  son  caractère  ,  ses 
mœurs  et  son  langage. 

Dans  l'Italie  du  Nord  ,  l'on  assiste  à  un  réveil  commercial  et  indus- 
triel. Les  habitants  de  l'Italie  méridionale  aiment  l'oisiveté  et  les 
plaisirs. 

Le  Piémont  a  30,000  kilomètres  carrés  et  3  millions  d'habitants.  On 
y  distingue  des  terres  basses  où  on  cultive  le  riz  et  le  maïs  ,  des  terres 
accidentées  qui  produisent  le  vin ,  les  céréales ,  et  qui  possèdent  des 
plantations  de  mûriers  ;  enfin  des  régions  montagneuses  avec  de  vastes 
forêts  et  d'excellents  pâturages. 

La  race  Piémon taise  est  très  énergique ,  travailleuse  et  économe. 
Le  Piémontais  émigré  et  le  chemin  de  fer  de  Saint-Louis  a  été  construit 
en  grande  partie  par  lui, 

M.  Castonnet  des  Fosses  donne  un  historique  et  une  description  de 
la  ville  de  Turin.  Il  parle  des  villes  de  Chieri  et  d'Asti ,  cités  commer- 
çantes au  XIV  siècle ,  qui  entretenaient  de  grandes  relations  avec  les 
villes  flamandes.  Le  vin  d'Asti,  si  renommé  ,  était  principalement  con- 
sommé par  des  bourgeois  de  la  Flandre. 


-446  - 

La  Lombai'die  comprend  spécialement ,  mais  d'une  manière  un  peu 
vague  et  sans  limites  bien  précises,  cette  vaste  plaine  qui  forme  l'Italie 
du  Nord  et  qu'arrosent  le  Pô  et  l'Adige. 

Au  Nord ,  les  Alpes  entourent  l'Italie  comme  d'une  ceinture  demi- 
circulaire  depuis  Savone  jusqu'aux  Alpes  Juliennes  ;  mais  elles  la 
défendent  mal .  car  leur  pente  la  moins  rapide  est  au  nord ,  par  où 
viennent  les  invasions.  Aussi  les  plaines  fertiles  de  l'Italie  septentrio- 
nale ont-elles  été  ,  depuis  les  temps  historiques  ,  le  champ  de  bataille 
des  nations  européennes. 

La  différence  des  deux  parties  de  l'Italie  est  marquée  dans  leur 
climat.  La  péninsule ,  principalement  dans  sa  partie  méridionale , 
ressemble  plus  à  l'Afrique  qu'à  l'Europe  ;  elle  a  de  l'Afrique  le  climat 
sec  et  brûlant  et  le  redoutable  sirocco  qui  souffle  sur  les  côtes.  Dans 
la  partie  continentale,  le  voisinage  des  Alpes,  l'abondance  des  fleuves, 
la  direction  de  la  vallée  qui  s'ouvre  sur  l'Adriatique  ,  entretiennent  le 
plus  délicieux  climat.  Aussi ,  les  plaines  de  la  Lombardie  et  de  la 
Vénétie  sont-elles  d'une  inépuisable  fertilité,  grâce  au  limon  des  nom- 
breuses rivières  qui  les  féconde. 

On  y  cultive  en  abondance  le  riz  ,  le  blé  ,  la  vigne  ,  l'olivier  ;  on  y 
récolte  le  coton  et  la  soie. 

Mais  les  deux  priacipales  productions  de  l'Italie  septentrionale  sont 
le  riz  et  la  soie. 

Donnons  un.  aperçu  de  quelques  villes  ;  M  Castonnet  des  Fosses  a 
traité  cette  partie  de  la  conférence  de  la  façon  la  plus  beureuse  :  Sa 
parole  imagée ,  son  style  précis ,  ont  doimé  à  l'auditoire  une  idée 
frappante  de  ces  cités  légendaires  qui  furent  le  berceau  de  tant  de 
grands  hommes  et  le  théâtre  de  tant  d'événements  historiques. 

Milan  est  une  ville  dont  l'industrie  et  le  commerce  gagnent  de  jour 
en  jour  :  la  noblesse  milanaise  ne  dédaigne  pas  de  se  mettre  à  la  tête 
de  l'industrie  :  elle  a  compris  que  c'était  là  le  plus  sûr  et  le  seul  moyen 
pour  un  peuple  comme  pour  une  ville  ,  de  prospérer  et  de  grandir. 
Milan  est  la  résidence  des  grandes  autorités  du  pays  ;  il  y  a  une  Cour 
de  cassation,  des  lycées,  des  gymnases,  des  collèges,  des  musées,  des 
jardins  .  de  nombreuses  fabriques  de  soieries  ,  velours  ,  rubans  .  den- 
telles ,  instruments  d'optique  et  de  mathématiques  ,  carrosserie  ,  etc. . 

Vérone  a  ,  comme  Milan ,  ses  monuments  et  ses  institutions  :  elle 
renferme  des  antiquités  archéologiques  de  grande  valeur  ;  son  industrie 
est  celle  de  la  soie. 

Venise  est  formée  d'uu  groupe  de  70  îles  reliées  les  unes  aux  autres 


—  447  — 

par  470  ponts.  Elles  laissent  entre  elles  149  canaux  qui  sont  comme  les 
rues  principales  delà  ville,  et  sont  sillonnés  par  plus  de  9,000  gon- 
doles noires.  Venise  a  un  aspect  original  et  pittoresque,  mais  en  même 
temps  bien  triste,  surtout  quand  on  songe  à  son  ancienne  splendeur  , 
à  son  industrie  jadis  florissante ,  aujourd'hui  bien  déchue  ,  à  son  com- 
merce qui  la  mettait  au  nombre  des  premières  puissances  d'Europe  et 
qui  lui  permettait  de  s'appeler  elle-même  la  dominante  Venise. 

Florence  contient  de  nombreux  et  somptueux  édifices  ;  ses  places 
sont  couvertes  de  fontaines  et  de  statues  ;  peu  de  villes  offrent  autant 
de  chefs-d'œuvre  des  arts  qu'il  serait  trop  long  d'énumérer. 

L'industrie  de  Florence  est  déchue  :  le  travail  de  la  laine  ,  autrefois 
très  florissant ,  a  maintenant  cessé.  La  fabrication  des  soieries  occupe 
cependant  encore  un  certain  nombre  d'ouvriers. 

Au  point  de  vue  historique  ,  Florence  ,  par  sa  grandeur  littéraire  et 
artistique  comme  par  ses  agitations  et  sa  démocratie  ,  a  été  l'une  des 
villes  les  plus  célèbres  de  l'Europe.  Elle  a  donné  à  la  poésie  Dante , 
Pétrarque  ;  l'histoire  et  la  politique  lui  doivent  Villani,  Machiavel, 
Guichardin  ;  elle  a  fourni  avec  Améric  Vespuce  sa  belle  part  à  la  nom- 
breuse phalange  des  grands  navigateujs  ;  Michel  Ange ,  Andréa  del 
Sarto  ,  Benvenuto  Cellini  et  Léonard  de  Vinci  ,  avec  toute  l'École 
Florentine ,  au  XVP  siècle  ,  y  représentent  les  arts  du  dessin.  La 
musique  y  a  trouvé  LuUi  et  les  sciences,  Galilée. 

Après  quelques  mots  sur  Pise  et  Sienne,  le  conférencier  parle  de 
Livourne  qui  est  une  ville  morte.  Le  port  est  désert.  Tout  le  mouve- 
ment maritime  de  cette  côte  d'Italie  s'est  concentré  à  Gênes. 

Le  mouvement  commercial  de  Gênes  atteint  500  millions  de  francs, 
dont  350  pour  les  exportations  ,  et  150  pour  les  importations.  Cette 
ville  se  développe  chaque  jour  ;  elle  est  pour  Marseille  une  rivale 
redoutable. 

De  tout  temps,  les  Génois  se  sont  fait  remarquer  pour  leur  esprit 
mercantile  ;  pour  le  prouver,  il  suffit  de  citer  la  fameuse  Banque  de 
Saint-Georges,  qui  remonte  au  moyen-âge. 

Disons  quelques  mots  de  la  puissance  commerciale  et  industrielle  de 
l'Italie  en  1884,  Son  mouvement  commercial  atteignait  2  milliards  et 
demi,  dont  400  millions  pour  les  importations  et  1,100  miUions  pour  les 
exportations.  La  marine  marchande  a  un  tonnage  de  onze  cent  mille 
tonneaux. 

Il  y  a  là  un  danger  pour  le  commerce  et  l'industrie  de  la  France. 


-  448  - 

La  véritable  lutte  existe  maintenant  sur  le  terrain  économique.  Au 
siècle  dernier,  Dupleix  l'avait  prédit  :  il  faut  agir. 

M.  Castonnet  des  Fosses  termine  en  disant  que  les  négociants  de 
Roubaix,  qui  font  preuve  de  tant  d'énergie  et  de  persévérance,  se 
montrent  les  vrais  compatriotes  de  Dupleix. 

La  ville  de  Roubaix  donne  l'exemple  :  à  elle  de  réveiller  les  pro- 
vinces qui,  en  France,  vivent  dans  la  torpeur  et  au  jour  le  jour. 
Roubaix  a  conscience  de  sa  force  et  ne  manquera  jamais  à  sa  mission. 

Le  conférencier  adresse  des  remerciements  à  l'auditoire  pour  sa 
bienveillante  attention,  et  termine  par  un  éloge  délicat  de  Roubaix. 

Les  projections  représentaient  des  vues  des  villes  principales  de 
r  talie  du  Nord,  et  de  leurs  monuments. 

10*  Conférence.  —  La  navigation  el  la  mamne  dans  les  temps 
anciens,  par  M.  Jacquin  ,  Inspecteur  de  l'Exploitation  au  chemin  de 
fer  du  Nord.  Cette  conférence  sera  publiée  in-extenso. 

Tous  les  ans  ,  à  l'occasion  de  l'ouverture  et  de  la  clôture  des  confé- 
rences géographiques  ,  le  président  de  la  section  de  Roubaix,  l'hono- 
rable M.  Henry  Bossut.  prononce  un  discours  rappelant  les  travaux 
de  la  Société  pendant  l'année  écoulée ,  passant  en  revue  les  conféren- 
ciers venus  à  Roubaix  et  analysant  leurs  causeries. 

En  raison  de  son  importance  et  de  sa  valeur ,  nous  publions  le 
discours  de  clôture  in  extenso ,  convaincu  qu'il  intéressera  tous  nos 
lecteurs. 

«  Mesdames  et  Messieurs, 

»  Tout  d'abord ,  Mesdames  et  Messieurs ,  notre  comité ,  qui  a  vu 
deux  des  conférenciers  sur  qui  il  comptait ,  lui  manquer  pour  cause 
d'indisposition  bien  justifiée  assurément ,  tient  à  vous  exprimer  ses 
regrets  et  à  s'excuser  devant  vous  de  l'interruption  que  nos  réunions 
ont  éprouvées  samedi  dernier.  Permettez-moi  ensuite  et  avant  de  com- 
mencer le  compte -rendu  habituel  de  nos  conférences,  de  rendre 
hommage  à  l'obligeance  de  M.  Jacquin ,  inspecteur  de  l'exploitation 
du  chemm  de  fer  du  Nord  ,  que  nous  n'avons  plus  à  vous  présenter , 
car  tous  nous  avons  conservé  le  meilleur  souvenir  de  sa  conférence 
sur  les  chemins  de  fer.  Nous  lui  avons  demandé  ces  jours  derniers  un 
concours  nécessaire  ;  il  a  bien  voulu,  pour  la  clôture  de  cette  cinquième 
série  de  nos*  conférences ,  nous  promettre  pour  ce  soir  et  nous  appor- 


-  449  - 

ter  sa  parole  instructive  et  sûre ,  dans  une  étude  «  de  la  navigation  et 
de  la  marine  depuis  les  temps  les  plu.s  reculés  ».  Je  vais  m'efibrcer  de 
retarder  le  moins  possible  le  plaisir  que  nous  aurons  tous  de  l'écouter. 
»  Il  y  a  un  peu  plus  de  deux  mois ,  M.  de  Mahy ,  député ,  ancien 
ministre  du  commerce,  et  M    Léon  Moncelon,  délégué  de  la  Nouvelle- 
Calédonie,  inauguraient  avec  un  éclat,  doiit  nous  nous  sommes  trouvés 
justement  fiers,  la  reprise  de  nos   conférences   annuelles.  M.  Léon 
Moncelon,   dans  un  langage   sobre  et  ferme,   nous  entretenait  de  la 
question  de  l'expansion  coloniale  ;  il  nous  affirmait  que  les  Français  , 
contrairement  à  une  opinion  que  rien  nejustifle,  ont  l'esprit  d'initiative 
vers  la  colonisation  ;  il  veut  les  pousser  en  avant  et  leur  inspirer  la 
confiance  qu'il  a  lui-même  dans  notre  succès.  C'est  ainsi  qu'il  engage 
ceux  de  nos  ouvriers  ,  qui  ne  trouvent  pas  en  France  leurs  moyens 
d'existence  ,  à  émigrer  dans  nos  colonies  .  et  il  leur  recommande  les 
Nouvelles  -  Hébrides ,  comme  des  îles  d'une  fertilité  extraordinaire, 
d'une  richesse  de  végétation  incomparable  ;  on  ne  pouvait  douter ,  en 
l'écoutant,   qu'il  avait   fait  lui-même  la  preuve   de  la  sûreté  de  ses 
conseils  et  de  ses  affirmations.  Des  projections  lumineuses  de  vues  de 
la  Nouvelle-Calédonie  ont  ajouté  à  l'intérêt  de  son  récit  tout  rempli  de 
faits  et  d'observations  qui   distinguent  l'homme  d'action  et  de  sens 
pratique.  Son  livre  ,  qu'il  a  intitulé  le  «  Bagne  » ,  dont  il  a  fait  hom- 
mage à  notre  Société,  traite  avec  un  remaiT|uable  talent  la  question  de 
colonisation  pénale  aujourd'hui  en  usage.  Il  la  critique  avec  une  sévé- 
rité, hélas  !  trop  justifiée  par  les  preuves  de  son  insuccès  à  tous  les 
points  de  vue  et  surtout  au  point  de  vue  moral,  le  criminel  étant  inuti- 
lisé et  traité  à  l'égal  d'un  travaileur. 

»  C'est  aussi  pour  l'expansion  coloniale  que  M.  dii  Mahy  fait  entendre 
son  éloquente  parole  :  c'est  dans  une  pensée  patriotique  qu'il  appuie  de 
l'autorité  de  son  beau  caractère  et  du  charme  de  son  talent  d'orateur , 
les  arguments  si  bien  présentés  par  son  jeune  ami,  M.  Léon  Moncelon, 
en  faveur  de  la  colonisation.  Écoutez  avec  quel  soin  il  nous  fait 
connaître  Madagascar,  et  comment  il  sait  nous  apprendre  l'importance 
de  cette  grande  île  que  la  France  possède  depuis  deux  cents  ans  et  qui 
est  non  seulement  un  point  stratégique  redoutable,  mais  encore  un  lieu 
de  ravitaillement  sans  pareil  où  la  vie  est  à  si  bon  marché ,  qu'un  bœuf 
y  coûte  7  francs  .  où  tout  abonde  ,  le  coton ,  le  fer ,  le  nickel ,  l'anti- 
mohie,  le  plomb  argentifère,  l'or  enfin  ;  où  le  charbon  se  trouve 
presqu'au  niveau  du  sol,  de  quaUté  supérieure,  dans  un  bassin  houiller 
plus  considérable  que  tous  les  bassins  réunis  de  la  France  :  où  tant  de 


-  450  - 

richesses  appellent  et  attendent  l'activité  intelligente  de  nos  compa- 
triotes, 

»  Pour  que  notre  puissance  y  soit  assurée ,  nous  dit-il,  ce  n'est  pas 
la  guerre  qui  est  nécessaire,  c'est  notre  travail  qu'il  faut  y  porter  avec 
un  peu  de  notre  capital ,  si  abondant  et  si  disponible.  M.  de  Mahy  est 
un  charmeur  ;  il  a  parlé  longtemps,  sans  fatigue  pour  lui,  sans  recherche 
de  l'expression  et  avec  une  facilité  si  agréable  que  nous  l'écouterions 
enf^ore  s'il  l'avait  voulu  et  si  les  meilleures  choses  n'avaient  aussi  et 
surtout  leur  fin. 

»  Aucun  de  vous  ,  Mesdames  et  Messieurs  ,  n'a  pu  voir  et  entendre 
sans  émotion  M.  Jean  Broussali,  ce  jeune  homme  de  22  ans,  élève  des 
écoles  chrétiennes  d'Ezeroum,  qui,  venu  en  France  avec  sa  mère  pour 
étudier  le  droit  et  devenir  docteur  ,  consacre  sa  jeune  ardeur  à  inté- 
resser l'opinion  publique  au  relèvement  de  l'Arménie  turque ,  sa 
malheureuse  patrie  ;  c'est  dans  ce  noble  but  qu'il  a  essayé  devant 
vous  ,  pour  la  première  fois  ,  sa  parole  toute  empreinte  de  timidité  et 
de  conviction.  C'est  ici  même  qu'il  a  fait  ses  débuts,  et  c'est  devant  la 
Société  de  Géographie  de  Paris  qu'il  a  parlé  la  seconde  fois,  pour  mon- 
trer l'état  abandonné  de  l'Arménie  et  pour  invoquer  en  sa  faveur 
l'exécution  de  rarticle  61  du  traité  de  Berlin. 

»  A  Paris  comme  à  Roubaix ,  son  succès  a  été  mérité  par  sa  per- 
sonne sympathique,  par  son  amour  pour  sa  patrie  dont  il  nous  a  rappelé 
l'alliance  avec  la  vieille  Flandre ,  au  temps  des  Croisades  ;  il  nous  a 
redit  les  siècles  de  grandeur  et  de  prospérité  de  sa  nation  dont  il  vante 
les  vertus  patriarcales,  l'esprit  commercial  et  la  proverbiale  honnêteté. 
Il  ne  pouvait  manquer  de  nous  raconter  que  pendant  le  mois  de  juillet, 
dans  une  période  de  dix  ou  douze  jours,  il  y  a,  dans  son  pays,  un  pèle- 
rinage jusqu'aux  Neiges  du  Moiit-Ararat ,  où  s'est  arrêté  l'arche  de 
Noé  après  le  déluge  ,  où  s'est  conservé  dans  les  glaces  ,  pour  l'admi- 
ration des  fidèles,  un  de  ses  mâts  abandonné. 

»  Il  affirme  que  Noé  a  planté  la  première  vigne  au  pied  du  Mont- 
Ararat  ;  nous  l'avons  cru  sur  parole  et  aussi  sur  le  vin  qu'il  nous  a  fait 
goûter ,  sans  nous  le  faire  apprécier  beaucoup.  Enfin  ,  nous  avons 
applaudi  le  charmant  conférencier  en  saluant  le  drapeau  arménien 
qu'il  a  planté  au-dessus  des  produits  de  son  pays,  étofi'es ,  essences 
d'arbres,  minerais,  dont  il  nous  a  laissé  des  spécimens. 

»  Le  baron  Michel  est  Thabile  orateur  de  l'heure  présente  ;  il  est 
l'avocat  de  l'avenir  ;  s'il  rappelle  le  passé,  c'est  par  respect  de  l'histoire 


-   /i51  - 

el  presqiK'  malgré  lui  ;  car  il  no  voit  volontiers  qu'cMi  avant  ;  il  clianlo 
le  Go  ahead  des  Yankees. 

»  Aussi,  est-ce  en  Australie  qu'ils  nous  transporte,  chez  ce  nouveau 
peuple  ,  composé  d'Anglais  ,  d'Allemands  ,  de  peu  de  Français  ,  hélas! 
Avec  quelle  verve  il  nous  dépeint  cette  île  quinze  fois  grande  comme  la 
France,  habitée  par  trois  millions  trois  cent  mille  européens  .  où  il  ne 
reste  que  trente-cinq  mille  indigènes  ;  les  Anglais  en  ont  l'ail  une  terre 
anglaise  ,  après  la  perte  de  leurs  colonies  américaines  ;  les  Hollandais 
l'avaient  découverte,  nos  voisins  d'Outre-Manche  l'onl  accaparée  et  s'y 
sont  enrichis  au  début  par  les  mines  d'or,  ensuite  par  l'élevage  des 
moutons,  dont  le  nombre  est  évalué  à  88  millions.  La  laine  d'Australie 
est  une  richesse  qui  ne  s'épuise  pas  ;  sa  qualité  est  trop  connue  et 
appréciée  dans  nos  centres  manufacturiers  pour  en  faire  l'éloge.  Cette 
conférence,  enlevé  avec  une  rare  élégance  de  parole  et  un  entrain  fort 
remarquable,  s'est  terminée  par  de  nombreuses  et  intéressantes  vues 
lumineuses  de  Melbourne  et  de  Sydney. 

»  Nous  avons  eu  l'an  dernier  le  plaisir  d'entendre  M.  Lefebvre , 
professeur  à  l'Institut  Turgot ,  qui  faisait  aussi  et  ici  même  ses  débuts 
avec  un  véritable  succès  ;  notre  Comité  s'est  empressé  de  lui  deman- 
der cette  année  une  conférence  sur  le  Royaume-Uni.  Le  jeune  et 
savant  professeur,  tout  en  nous  donnant  une  idée  générale  des  grandes 
villes,  des  ports  ,  de  la  marine  marchande  ,  des  mines  ,  de  la  richesse 
industrielle  et  commerciale  de  l'Angleterre,  de  la  fortune  colossale  de 
ses  habitants  ,  de  la  puissance  de  l'Empire  Britannique  qui  commande 
et  protège  300  millions  de  sujets  répartis  dans  le  monde  entier ,  a 
surtout  dirigé  son  étude  sur  le  caractère  et  les  mœurs,  sur  les  qualités 
et  les  défauts  de  ce  peuple  froid  ,  méthodique  et  sensé  :  c'est  dans  ses 
rapports  intimes  aussi  bien  que  dans  ses  relations  avec  l'étranger  qu'il 
a  cherché  à  nous  faire  connaître  cette  nation  si  homogène ,  si  redou- 
table comme  ennemie  et  comme  concurrente  ,  plus  avancée  que  nous 
dans  le  selt  governement ,  mais  plus  exposée  que  nous  ,  par  sa  consti- 
tution civile  et  la  distribution  par  trop  inégale  de  sa  fortune  mobilière 
et  immobilière,  aux  crises  sociales  qui  troublent  notre  époque. 

»  Dans  un  langage  châtié  et  toujours  facile ,  M.  Lefebvre  nous  a 
raconté,  par  le  détail,  les  curieuses  habitudes  de  la  vie  anglaise  compa- 
rée à  la  nôtre  .  et  il  va  sans  dire  que  sans  contester  le  confortable  de 
nos  voisins  et  le  mérite  des  misses  et  des  ladies  ,  il  a  conclu  en  faveur 
de  la  vie  française  et  surtout  des  femmes  françaises  ,  préférence  qui 


—  452  - 

s'explique  et  que  nous  pouvons  nous  pardonner,  sans  oublier  toutefois, 
que  nul  n'est  bon  juge  dans  sa  propre  cause. 

»  Si  vous  voulez  bien,  Mesdames  et  Messieurs,  vous  rappeler  l'intelli- 
gente physionomie  du  docteur  Labonne ,  vous  vous  le  représenterez 
monté  sur  un  de  ces  petits  chevaux  islandais,  sobres,  autant  que  vigou- 
reux et  énergique  ,  traversant  d'immenses  étendues  de  terres  arides  , 
de  neiges  et  de  glaces  ;  l'agréable  conteur  nous  a  fait  le  récit  de  son 
voyage  en  l  accompagnant  de  projections  lumineuses  qui  nous  tenaient 
attentifs  à  la  fois  des  yeux  et  des  oreilles  ;  nous  l'avons  suivi .  parcou- 
rant cette  île  volcanique  qui  ne  possède  qu'un  seul  arbre  ,  un  sorbier, 
qui  a  une  capitale  d'un  nom  impossible  à  prononcer  ,  Reykjavik  ,  avec 
3,000  habitants ,  qui  renferme  quelques  bourgades  ,  qui  contient  des 
mines  de  soufre  et  dont  le  commerce  peut  se  résumer  dans  l'exporta- 
tion des  plumes  de  l'Eider  et  des  poneys  ,  que  le  sphituel  conférencier 
nous  conseille  de  nous  procurer  comme  d'incomparables  petits  servi- 
tours  et  dont,  pour  ma  part,  j'ai  grande  envie  de  profiter. 

»  Nous  avions  espéré  que  le  docteur  Labonne  aurait  pu  nous  faire 
coimaître  le  Groenland,  il  nous  l'avait  promis,  mais  sa  vivante  parole  a 
tant  d'attraits,  qu'il  est  appelé  par  40  villes ,  ahisi  qu'il  nous  l'écrit.  11 
n'a  plus  sa  liberté,  c'est  un  regret  que  vous  partagerez  avec  nous. 

»  Votre  comité ,  dont  le  devoir  est  de  mêler  l'utile  à  l'agréable ,  a 
prié  M.  Grousseau ,  professeur  éloquent ,  avocat  distingué ,  de  nous 
instruire  sur  l'organisation  «  des  Consulats,  des  Chambres  de  Com- 
merce à  l'étranger  et  des  Musées  commerciaux  ».  Ce  sujet ,  si  intéres- 
sant pourRoubaix,  est  peu  connu  ;  nous  ne  savions  pas  que  le  consulat 
n'est  qu'un  passage  pour  monter  dans  la  diplomatie  ;  M.  Grousseau 
nous  a  ainsi  expUqué  le  peu  de  services  que  nous  rendent  nos  consuls, 
pendant  qu'en  Belgique  et  en  Angleterre  le  consulat  offre  une  carrière 
dans  laquelle  le  jeune  homme  ,  préparé  par  des  études  spéciiiles  ,  sait 
qu'il  peut  monter  sur  place  en  grade  et  en  appointements  et  s'efforce  , 
par  son  activité,  par  les  renseignements  qu'il  donne  à  la  mère-Patrie  , 
de  gagner  son  avancement ,  pour  son  profit  et  pour  celui  de  ses 
nationaux. 

»  Il  y  a  là  une  réforme  et  une  amélioration  à  faire.  Les  Musées  com- 
merciaux, que  l'Aliemagne  développe  de  jour  en  jour,  ainsi  que  nous 
le  démontrera  ici  même  après-demain .  M.  Marins  Yachon  ,  sous  le 
palronage  de  notre  Chambre  de  commerce ,  appellent  toute  la  soUici- 
tude  du  gouvernement  français  qui,  par  les  Consulats  et  les  Chambres 
de  commerce  à  l'étraiiger ,  réunirait  facilement  dans  nos  villes  indus- 


-  453  - 

triolles  los  éléments  nécessaires  à  leur  constitution  et  à  Inur  organi- 
sation. On  ne  saurait  mieux  dire  que  M.  Grousseau  et  Ions  nos 
remerciements  lui  sont  adressés. 

•»  C'est  une  question  très  considérable  et  d'un  intérêt  presque  vital 
pour  notre  commerce  que  colle  de  l'approfondissement  des  ports  du 
Nord  de  la  France.  Un  hf)mmo  énergique  et  dévoué,  M.  Jules  Petit , 
président  de  la  Société  de  géographie  de  Boulogne ,  membre  île  la 
Chambre  de  commerce ,  présidont  du  Conseil  d'arrondissement  du 
Pas-de-Calais  ,  s'est  fait  conférencier  sans  être  orateur ,  comme  il  l'a 
dit  modestement .  pour  propager  l'idée  que  Boulogne  aura  bientôt 
réalisée.  Créer  des  ports  on  eau  profonde  ,  afin  d'y  assurer  à  toute 
heure  l'accès  au  navire  du  plus  fort  tonnage  .  arrêter  chez  nous  leur 
course  vers  Anvers  ,  retenir  au  passage  une  partie  dos  grands  tran- 
satlantiques qui  peuvent  être  reçus  au  nombre  de  plus  de  quatre-vingts 
dans  le  port  florissant  de  cette  grande  cité  d'un  monde  cosmopolite . 
tel  est  le  but  de  M.  Jules  Petit .  que  nous  avons  chaudement  applaudi , 
en  remerciant  en  môme  temps  M.  Luteau,  l'aimable  sous -préfet  de 
Boulogne  .  qui  l'avait  accompagné. 

»  Il  ne  nous  avait  pas  été  donné  encore,  Mesdames  et  Messieurs,  de 
connaître  la  Grèce  moderne  au  point  de  vue  économique.  Chacun  de 
nous,  dans  ses  études  classiques ,  a  appris  l'histoire  de  ce  petit  pays 
qui  a  produit  tant  de  grands  hommes  ,  qui  a  créé  de  si  belles  œuvres 
en  sculpture  et  en  architecture  et  qui ,  des  défilés  des  Thermopyles 
jusqu'aux  remparts  de  Missolonghi ,  porte  la  gloire  des  actions  guer- 
rières les  plus  hautes ,  mais  nous  ignorions  tous  ou  presque  tous ,  le 
rôle  que  joua  à  notre  époque  ce  peuple  rajeuni  par  le  travail  dans 
l'agriculture,  l'industrie  et  le  commerce.  Les  détails  que  M.  de  Joaunès 
nous  a  donnés  ont  été  des  révélations.  Par  ses  nombreux  voyages  , 
par  ses  résidences  dans  le  Levant,  par  ses  études  comme  ingénieur 
dans  les  raines,  dans  les  carrières  de  marbre,  dans  les  chemins  de  fer, 
le  savant  conférencier ,  qui  est  presqu'un  compatriote  ,  a  su  nous  faire 
assister  au  réveil  de  la  Grèce,  et  a  pu  lui  prédire  un  nouvel  et  brillant 
avenir ,  en  nous  montrant  presqu'achevé  le  percement  de  l'isthme  de 
Gorinthe. 

»  M.  Castonnet  des  Fosses  ,  à  qui  notre  comité  ne  doit  plus  que  des 
remerciements  pour  son  concours  personnel  et  ses  recommandations 
aaprès  de  ses  amis,  nous  a  promenés  comme  habile  cicérone  à  travers 
les  villes  et  les  campagnes  de  l'Italie  septentrionale  ,  il  nous  a  montré 
en  paroles  simples  et  agréables  et  en  projections  lumineuses  bien  choi- 


—  454  — 

sies  ,  Turin  ,  Milan  ,  Vérone  ,  Venise  ,  Florence  ,  Livournc  et  Gênes  ; 
c'est  surtout  au  point  de  vue  industriel  et  commercial  que  s'est  placé 
M.  Castoiinet  des  Fosses  pour  nous  signaler  les  progrès  réalisés  en 
Piémont  et  en  Lombardie,  où  se  sont  développées,  pour  nous  faire  une 
concurrence  déjà  redoutable,  de  nombreuses  et  grandes  manufactures 
de  draperies  et  d'étoffes  diverses.  Il  est  bon,  nousa-t-il  dit,  de  connaître 
ceux  qui  grandissent  autour  de  nous  ,  car  il  faut  que  nous  grandissions 
nous-mêmes  pour  lutter  avec  succès  sur  le  terrain  ,  ouvert  à  tous ,  des 
intérêts  économiques.  M.  Castonnet  des  Fosses  sait  beaucoup  et  ne  dit 
que  ce  qu'il  sait  bien.  Ses  études  constantes  de  toutes  les  questions  qui 
intéressent  la  France  sur  le  continent  ou  aux  colonies.  Pont  mis  à  même 
de  publier  des  ouvrages  qu'il  a  bien  voulu  offrir  à  notre  Société.  Nous 
sommes  heureux  d'avoir  ici  l'occasion  de  l'en  féliciter  et  de  l'en  remer- 
cier. Un  jour  viendra  oii  nos  ressources  et  votre  concours ,  nous 
permettront  de  commencer  l'installation  d'une  bibliothèque  dans  un 
public  pour  la  lecture  des  livres  et  des  cartes  géogi'aphiques  que  Lille 
tient  à  notre  disposition  pour  s'ajouter  à  ce  que  nous  possédons  déjà. 
Ce  sera  la  seconde  partie  de  notre  œuvre. 

»  En  terminant  cet  exposé  ,  trop  long ,  je  le  sais  bien  ,  Mesdames  et 
Messieurs  ,  mais  que  je  n'ai  pas  eu  le  temps  ni  le  talent  de  rendre  plus 
court  et  plus  intéressant,  je  dois  vous  annoncer,  au  nom  de  notre 
comité,  que  le  concours  de  géographie  aura  heu  le  jeudi  16  juin 
prochain.  Des  programmes  seront  adressés  aux  écoles  en  temps  utile. 

»  Nous  manquerions  à  notre  devoir,  si,  à  propos  du  dernier  concours, 
nous  ne  rendions  pas  ici  publiquement  hommage  à  l'Institut  Sévigné  , 
qui  a  soutenu  brillamment  la  lutte  et  a  fait  applaudir  dans  la  salle  des 
récompenses  de  Lille,  au  mois  de  janvier,  les  noms  de  Mlles  Léonie 
Cousu  ,  Marie  Vandamme  et  Noémie  Lévi.'  Notre  Comité  leur  adresse 
aujourd'hui  toutes  ses  félicitations. 

»  Et  maintenant ,  Mesdames  et  Messieurs,  je  prie  M.  Jacquin  de 
vouloir  bien  prendre  la  parole.  » 

Le  discoui's  de  M.  Henry  Bossut  a  été  accueilli  par  une  double  salve 
d'applaudissements . 


-  455 


COMPTE-RENDU  DES  CONFÉRENCES 
DE  LA  SECTION  DE  TOURCOING. 


A  l'exemple  de  Roubaix  ,  une  section  spéciale  de  Géographie  a  été 
créée  cette  année  à  Tourcoing .  grâce  à  l'initiative  de  M.  François 
Masurel  père  ,  Vice-Président  de  la  Société .  qui  y  a  apporté  un 
dévouement  dont  nous  ne  saurions  trop  faire  l'éloge.  Un  Comité  a 
été  organisé  par  ses  soms  ,  avec  M.  Desurmont ,  juge  au  tribunal  de 
commerce,  comme  vice-président ,  et  M.  Paillard-Lelong ,  trésorier  de 
de  la  Caisse  d'épargne  de  la  ville  ,  comme  secrétaire  ,  avec  le  concours 
de  MM.  Ernest  Delmasure ,  Emile  Destombes ,  Paul  Duquesnoy  et 
Charles  Jonglez  fils  ,  comme  membres  du  bureau. 

A  bref  délai ,  une  série  de  conférences  a  été  organisée.  M.  François 
Masurel  a  offert  à  la  Section  un  appareil  Molteni  et  un  écran  pour  les 
projections  ,  et  un  sténographe  de  talent ,  M.  Dujardin-Rouzé  .  négo- 
ciant de  la  ville ,  a  bien  voulu  sténographier  chaque  fois  les  paroles 
des  conférenciers. 

Toutes  les  réunions  publiques  organisées  par  le  Comité  ont  eu  lieu 
dans  l'une  des  salles  de  l'hôtel-de-ville  de  Tourcoing ,  mise  obligeam- 
ment à  la  disposition  de  la  Section  par  la  municipalité  ;  à  chaque  fois 
l'assistance  s'est  trouvée  nombreuse  et  choisie ,  témoignant  par  son 
attention  de  l'intérêt  que  lui  présentaient  les  sujets  traités  et  soulignant 
par  ses  applaudissements  le  talent  des  orateurs. 

r"  Conférence.  —  Les  Républiques  de  la  Plata ,  par  M.  Potel , 
ingénieur  civil ,  membre  de  la  Société  de  géographie  commerciale  de 
Paris. 

Cette  conférence  a  eu  lieu  le  9  décembre  1886.  La  séance  a  été 
présidée  par  M.  François  Masurel  père,  président  de  la  Section  ,  ayant 
à  ses  côtés ,  outre  les  membres  du  bureau  de  Tourcoing ,  MM.  Paul 
Crepy,  président  de  la  Société,  etAlû-edRenouard,  secrétaire-général. 


-  456  - 
M.  le  président  a  prononcé  le  discours  suivant  : 

Mesdames  et  Messieurs, 

»  Mes  collègues  et  moi  sommes  heureux  de  l'empressement  avec 
lequel  vous  vous  êtes  rendus  à  cette  conférence ,  la  première  qui 
marquf)  la  fondation  de  la  section  de  géographie  de  Tourcoing  ,  vous 
savez  ainsi  témoigner  de  l'inlérêt  que  vous  portez  à  notre  œuvre,  et  je 
vous  en  remercie. 

»  En  fondant  ici  une  annexe  de  la  Société  de  géographie  de  Lille  , 
nous  adoptons  le  programme  de  cette  Société  qui  se  résume  dans  la 
diffusion  des  coimaissanc<3s  géograpliiques  et  l'accroissement  de  nos 
relations  commerciales  ou  autres  avec  les  pays  étrangers.  Par  les 
conféi-ences  que  nous  ferons  cet  hiver ,  par  les  bulletins  que  chaque 
mois  nous  vous  enverrons ,  nons  voulons  donner  à  nos  membres  les 
notions  les  plus  exactes  sur  le  climat,  le  sol  elles  produits  des  diverses 
contrées  du  globe,  nous  voulons  en  faire  connaître  la  législation  ,  le 
commerce  .  l'industrie  ,  le  régime  économique  qui  leur  est  propre. 

»  On.a  souvent  dit  que  nous  ne  connaissions  yas  suffisamment  les 
conlrées  autres  que  la  nôtre  et  surtout  que  nous  ne  les  visitions  pas 
assez.  Nous  espérons  encore  donner  le  goût  des  voyages  à  ceux  d'entre 
nous  qui  ne  se  sentiraient  pas  encore  portés  vers  ce  genre  de  distraction, 
ou  plus  ,  faire  naître  même,  j'ose  le  dire,  des  idées  d'émigration  ,  mais 
d'une  émigration  raisonnée  .  utile ,  qui  fait  la  fortune  de  ceux  qui 
partent  et  aide  à  la  prospérité  de  ceux  qui  restent.  Les  Français  qui  se 
rendent  ainsi  à  l'étranger  feront  toujours  ,  j'en  suis  sur  ,  honneur  à  la 
France. 

»  C'est  aux  commerçants  surtout  que  je  m'adresse.  Le  monde  entier 
est  devenu  ,  de  nos  jours ,  client  du  commerce  ,  c'est  une  nécessité  de 
le  visiter  pour  cannaître  ses  besoins.  L'entreprise,  du  reste,  est  facile, 
car  aujourd'hui  du  pays  le  plus  éloigné  ,  la  vapeur  sait  faire  un  pays 
voisin . 

»  La  section  de  géographie  de  Tourcoing  vous  demande  votre  appui 
pour  l'œuvre  qu'elle  poursuit ,  œuvre  avant  tout  patriotique  et  qui  n'a 
en  vue  que  l'utile.  Nous  l'avons  commencée  aujourd'hui  en  appelant 
parmi  nous  un  conférencier  de  mérite ,  M.  Potel ,  qui  va  vous  entre- 
tenir d'une  région  ,  la  République  Argentine  ,  avec  laquelle  la  ville  de 
Tourcoing  engage  journellement  des  transactions  considérables.  Nous 
sommes  persuadés  que  tous  nous  retirerons  un  grand  et  réel  profit  de 


-  457  — 

la  soiréo  qu'il  vient  nous  offrir  aujourd'hui.  Je  le  prie  de  prendre  la 
parole.  » 

Après  ce  discours ,  vivement  applaudi,  M.  Potel  a  traité  d'une  façon 
des  plus  intéressanles  le  sujet  qu'il  s'était  donné.  Sa  parole  facile  ,  sa 
narration  attrayante,  les  nombreux  et  utiles  renseignements  dont  il  a 
su  éuiailler  son  récit ,  enfin  ,  les  magnifiques  projections  qui  ont ,  à 
certains  intervalles  ,  coupé  intelligemment  son  exposé  ,  tout ,  enfin,  a 
contribué  à  faire  de  cette  première  conférence  .  que  nous  avons  déjà 
insérée  dans  nos  bulletins  ,  un  véritable  et  réel  succès. 

2"  Conférence.  —  L'Australie  telle  est ,  par  M.  le  baron  Michel , 
ancien  officier  de  marine. 

Cette  excellente  conférence  ,  qui  a  eu  lieu  le  20  janvier  1886,  a  été 
publiée  in  extenso,  page  90,  du  présent  volume. 

3®  Conférence.  —  Madagascar  ,  par  M.  Jolivet ,  docteur  en  droit. 
Cette  conférence  a  eu  Heu  le  20  janvier  1887.  M.  Jolivet  remplaçait 
au  dernier  moment  M.  Richard,  indisposé. 

4"  Conférence.  —  L'Algérie,  par  M-  Vibert,  membre  de  la  Société 
des  explorateurs. 

L'un  de  nos  prochains  bulletins  reproduira  in  extenso  cette  confé- 
rence, qui  a  eu  lieu  le  27  janvier  1887. 

5"  Conférence.  —  Vingt  jours  au  Canada,  par  M.  Leiort,  profes- 
seur à  l'Ecole  des  Hautes  études  commerciales. 

Cette  conférence  sera  de  même  publiée  in  extenso  dans  nos  bulletins. 
Elle  a  eu  lieu  le  9  février  1887. 

6"  Conférence.  —  Madagascar  et  la  question  coloniale,  par  M.  de 
Mahy,  député  de  la  Réunion.  —  La  Nouvelle-Calédonie,  par  M.  Léon 
Moncelon,  délégué  de  la  colonie  au  Conseil  supérieur  des  colonies. 

Cette  double  conférence  a  eu  lieu  le  20  février  1887.  Elle  sera 
reproduite  in  extenso  dans  nos  bulletins. 

T  Conférence.  —  L'Expansion  coloniale  chez  tous  les  peuples, 
par  M.  le  baron  Michel. 

Cette  coiiférence,  qui  a  eu  lieu  le  23  mars  1887 ,  a  brillamment  clos 
la  série  donnée  à  ses  membres  par  le  bureau  do  la  section  de  Tour- 
coing. Comme  les  précédentes  ,  nous  la  reproduirons  m  extenso 
prochainement. 


—  458  - 


COMMUNICATIONS  AUX  ASSEMBLÉES  GÉNÉRALES 


TROIS  AFFLUENTS  FRANÇAIS  DU  CONGO 

RIVIÈRES   ALIMA,  LIKOUALA,    SANGA 

Par  M.  E.  FROMENT,  Chef  de  Station  au  Congo  Français, 
Membre    correspondant    de   la    Société    de    Géogi-aphie    de    Lille. 


Messieurs  , 

Ce  n'est  pas  une  conférence  que  j'ai  la  prétention  de  vous  faire , 
c'est  une  simple  causerie ,  non  sur  le  Congo  français  en  général ,  ce 
qui  pourrait  nous  entraîner  trop  loin ,  mais  sur  trois  de  ses  affluents 
que  j'ai  pu  étudier  plus  particulièrement  durant  un  séjour  de  près  de 
dix-huit  mois.  Notre  estimé  Président ,  M.  Crepy  ,  m'a  prié  hier  seule- 
ment de  dire  quelques  mots  sur  cette  contrée  qui  éveille  à  un  si  haut 
degré  la  curiosité  de  tous  ceux  qui  s'occupent  de  géographie  ;  je  n'ai 
donc  pu  me  préparer  d'une  façon  suffisante  et  vous  me  permettrez  de 
faire  de  larges  emprunts  à  deux  rapports  adressés  par  moi  au 
Ministre  du  Commmerce  en  novembre  1885. 

Je  suppose  que  vous  savez  tous  que  notre  voie  de  pénétration  dans 
l'intérieur ,  est  actuellement  l'Ogôoué ,  un  cours  d'eau  qui  ressemble 
davantage  à  un  gigantesque  torrent  qu'à  un  fleuve.  Le  long  de  son 
cours,  la  Mission  de  Brazza  a  établi  une  chaîne  ie  stations  dont  le  rôle 
est  de  faire  rayonner  tout  autour  d'elles  notre  influence  ,  de  protéger 
nos  convois  de  ravitaillement ,  d'amener  les  indigènes  ,  graduellement 
et  pacifiquement,  à  se  constituer  nos  pagayeurs,  nos  travailleurs  et 
même  nos  soldats  auxiliaires.  De  Franceville  ,  point  où  l'Ogôoué  et  la 
Passa,  son  affluent,  cessent  tout-à-fait  d'être  praticables  aux  pirogues, 
à  Dielé,  station  fondée  au  point  où  l'Alima  ,  affluent  du  Congo  .  com- 
mence à  être  navigable,  il  a  fallu  créer  une  route  de  150  kilomètres,  à 
travers  les  plateaux  qui  séparent  les  deux  bassins.  Un  service  de  por- 
teurs ,  recrutés  parmi  les  tribus  Dalékés ,  permet  de  donner  la  main 


—  459  — 

aux  convois  de  pirogues  d'Ogôoué  et  d'amener  sur  l'Alima  nos  inar- 
chaudises  d'échange  et  notre  matériel. 

Cela  dit .  nous  allons ,  si  vous  le  voulez ,  descendre  ensemble  cet 
Alima  qui  va  nous  ccuiduire  directement  au  Congo. 

L'Alima  est  d'abord  formé  de  deux  cours  d'eau,  le  Diélé  et  la  Lèkila, 
qui  prennent  leurs  sources ,  l'un  au  plateau  des  Tscicouyas ,  l'autre 
dans  le  plateau  de  Datéké.  C'est  à  leur  fonction  que  la  station  de  Diélé 
a  été  établie.  L'Alima  ne  reçoit  ensuite  que  deux  affluents  ;  ce  sont  : 
rive  gauche,  le  N'Gampo  ,  difficilement  navigable  sur  une  faible  partie 
de  son  cours,  et  rive  droite,  le  Lêkéti,  que  M.  J.  de  Brazzaapu  remon- 
ter en  pirogue  jusque  chez  les  Tscicouyas.  Pendant  les  quelques  quatre 
cents  kilomètres  qu'elle  parcourt  ensuite ,  l'Alima  ne  reçoit  plus 
d'autres  tributaires  que  des  riviérettes  sans  importance,  dont  l'embou- 
chure reste  inaperçue  au  milieu  des  marécages  et  des  bambous. 

Très  rapide  —  3  à  4  nœuds  en  moyenne  —  le  courant  de  la  rivière 
n'est  cependant  dangereux  qu'à  cause  des  troncs  d'arbres  qui  l'obs- 
truent et  par  les  coudes  brusques  qu'il  décrit,  souvent  à  angle  droit. 
Les  sinuosités  de  son  cours  sont  telles  qu'en  beaucoup  d'endroits  ,  elle 
se  replie  littéralement  sur  elle-même .  et  qu'après  avoir  marché  quel- 
ques minutes  vers  l'Est,  par  exemple,  on  suit  tout  aussitôt  une  direction 
diamétralement  opposée  ;  on  ne  voit  jamais  à  plus  de  deux  cents 
mètres  devant  soi  :  toujours  quelque  coude  barre  l'horizon.  Il  s'ensuit 
naturellement  que  les  bancs  de  sable  sont  nombreux  :  ils  encombrent 
souvent  le  lit  de  la  rivière  et  ne  laissent  qu'un  étroit  chenal  le  long  de 
l'une  des  rives.  Pour  une  pirogue  ,  cela  n'a  pas  d'importance  ;  au  con- 
traire, cela  facilite  la  montée  en  ce  qu'on  peut  se  servir  de  perches  sur 
ces  bancs  qu'un  mètre  d'eau  à  peine  recouvre  ;  mais  on  de\ine  les 
inconvénients  d'un  pareil  état  de  choses  pour  une  chaloupe  à  vapeur  , 
même  d'un  faible  tirant  d'eau.  Si  elle  gouverne  trop  près  des  bancs  , 
elle  risque  de  s'échouer,  si  au  contraire,  elle  frôle  de  trop  près  la  rive 
apposée ,  elle  court  le  danger  d'être  poussée  par  le  courant  dans  la 
brousse  ou  de  se  heurter  contre  quelque  tronc  d'arbre  immergé.  Aussi 
l'Alima  ne  sera-t-elle  jamais  navigable  à  des  steamboats  de  dimensions 
tant  soit  peu  importantes. 

Lers  rives,  couvertes  d'une  brousse  inextricable,  où  domine  le  bam- 
bou ,  sont  basses  et  marécageuses.  Rarement  une  falaise  herbeuse , 
dernière  ramification  des  collines  batékées,  vient  rompre  la  monotonie 
de  ces  murailles  de  verdure  sombre  et  impénétrable.  A  mesure  qu'on 
se  rapproche  du  Congo,  le  terrain  s'abaisse  graduellement  ;  les  endroits 


-  460  - 

OÙ  Ton  puisse  prendre  pied  deviennent  de  moins  en  moins  fréquents  , 
et  si  l'on  traversait  la  brousse  inondée  qui  partout  borde  la  rivière,  on 
s'apercevrait  qu'aux  collines  pittoresques  du  pays  Batiké  ont  succédé 
les  plaines  basses  et  giboyeuses  des  M'Boschis.  Partout  les  bois  de 
construction  foisonnent  ;  de  beaux  arbres  ,  au  tronc  droit  et  élancé  , 
dominent  le  fouillis  des  palmiers -bambous.  Malheureusement,  ces 
abres,  poussant  dans  un  sol  inondé,  sont  durs  ,  difficiles  à  travailler  et 
coulent  à  pic  dans  l'eau. 

La  descente,  depuis  Diélé  jusqu'au  Congo ,  demande  ordinairement 
six  jours  ;  la  montée  est  d'une  lenteur  fastidieuse  :  il  ne  faut  pas  moins 
de  quinze  jours  à  une  pirogue  bien  armée  pour  l'effectuer.  En  fait  de 
pagayeurs,  on  en  est  réduit  au  personnel  des  postes  ou  aux  piroguiers 
engagés  dans  l'Ogôoué  pour  ce  service  spécial. 

Trois  races  distinctes  habitent  le  bassin  de  l'Alima,  mais  les  rives 
mêmes  de  la  rivière  sont  occupées  exclusivement  par  les  Tpfourous , 
qui  seuls,  naviguent  et  pèchent  dans  ses  eaux.  LeHaut-Alima  est 
peuplé  de  Batékés ,  tandis  que  le  Bas  appartient  aux  M'Bochis.  Ces 
deux  peuplades  sont  essentiellement  agricoles  ;  leurs  villages  ne  sont 
jamais  situés  sur  le  même  cours  de  la  rivière.  On  peut  supposer  au 
moins  pour  les  M'Bochis,  qu'ils  ont  été  refoulés  dans  les  terres  par  les 
Tpfourous ,  au  moment  où  ceux-ci .  débouchant  de  l'Oubangui  et  du 
Haut -Congo  ,  ont  remonté  l'Alima  et  s'y  sont  établis  en  conquérants. 

Quant  aux  Batékés,  c'est  un  fait  partout  observé,  aussi  bien  sur  les 
bords  du  N'Coui,  du  N'Gampo  et  du  Diélé  que  dans  le  voisinage  de 
l'Alima,  qu'ils  évitent  toujours  de  s'établir  à  proximité  immédiate  d'un 
cours  d'eau.  Ils  recherchent  les  hauteurs,  le  sommet  des  plateaux  ou 
des  collines,  là  où  règne  la  brise  et  où  l'on  est  à  l'abri  des  moustiques 
et  des  miasmes  paludéens. 

Les  Tpfourous  sont  une  branche  de  la  nombreuse  et  puissante  race 
qui  a  su  monopoliser  le  commerce  et  la  navigation  du  Congo  et  de  ses 
affluents  depuis  le  Pooljusquau-delk  de  l'Equateur ,  et  qui  se  nomme  , 
suivant  les  lieux  ,  Oubanguie ,  Babanguie ,  Banyannzie  ou  Abanko. 
Emigrés  probablement  de  l'Oubangui  ou  du  Haut-Congo  à  une  époque 
déjà  reculée,  ils  se  sont  établis  d'abord  dans  les  marais  qui  s'étendent 
au  Nord  du  delta  de  l'Ahma  ;  puis  ,  ne  pouvant  tirer  leur  subsistance 
de  ce  territoire  inondé ,  ils  ont  dû  remonter  la  rivière  sur  les  deux 
rives  de  laquelle  ils  se  sont  répandus  jusqu'en  amont  du  N'Gampo. 
Aujourd'hui  on  compte  dans  l'Alima  plus  de  soixante  élabhssements  où 
ils  se  livrent  exclusivement  au  commerce  et  à  la  manipulation  du 


—  461  — 

manioc,  qu'ils  achètent  on  grande  quantité  et  à  des  prix  dérisoires  aux 
Datékés  et  M'Boschis  de  l'iatôrieur  des  terres.  Une  vingtaine  de  ces 
établissements  méritent  le  nom  de  villages;  les  autres  ne  sont  que  des 
groupes  comptant  de  trois  à  quinze  cases ,  bâties  le  plus  souvent  sur 
des  terrains  peu  élevés  au-dessus  de  la  rivière  et  entouré  de  maré- 
cages, comme  de  véritables  îlots. 

Pendant  la  saison  sèche,  c'est-à-dire  d'avril  ou  mai  à  septembre,  les 
villages  présentent  l'aspect  affairé  de  ruches  d'abeilles  ;  les  fennnes 
pétrissent  le  manioc,  les  hommes  l'entassent  et  l'emballent  dans  des 
paniers  en  liane  tressés  à  ceteilet  par  les  enfants  et  les  vieux.  Rien  ne 
donne  mieux  une  idée  des  aptitudes  commerciales  des  Tpfourous,  que 
de  voir  sur  la  rive  ces  longues  rangées  de  paniers ,  symétriquement 
alignés,  et  si  bien  ficelés  ,  si  proprement  amarrés  ,  qu'ils  ne  seraient 
nullement  désavoués  par  des  emballeurs  d'Europe  Durant  les  mois 
d'avril  à  septembre,  on  peut  évaluer,  sans  crainte  d'exagération,  à  une 
quarantaine  de  tonnes  la  quantité  de  manioc  qui  descend  journellement 
la  rivière,  à  destination  de  Licouba. 

C'est  un  curieux  spectacle  que  de  voir  ces  convois  de  dix  ,  quinze  , 
vingt  pirogues  ,  chargées  à  tel  point  que  leur  flottaison  se  trouve  à 
peine  à  deux  ou  trois  centimètres  du  bordage,  descendre  le  fil  de  l'eau 
se  laissant  aller  au  courant,  doucement,  sans  secousses  et  sans  à-coups, 
dirigées  seulement  par  un  homme  et  un  enfant,  assis  l'un  à  Tapant, 
l'autre  à  l'arrière ,  dont  le  rôle  se  borne  à  gouverner  pour  éviter  les 
chocs.  Il  suffirait  de  bien  peu  de  chose  pour  emplir  et  faire  couler  ces 
pirogues  vieilles ,  pourries  et  grossièrement  raconnnodées  pour  la 
plupart,  et  cependant  il  est  bien  rare  qu'un  accident  de  ce  genre  leur 
arrive. 

Pendant  la  saison  des  pluies,  la  production  du  manioc  diminue  beau- 
coup ;  de  plus ,  les  risques  que  font  courir  à  des  embarcations  aussi 
lourdement  chargées ,  les  orages  subits  et  les  pluies  torrentielles , 
deviennent  si  grands,  que  le  transit  se  ralentit  considérablement.  Les 
villages  se  dépeuplent;  la  majeure  partie  de  la  population  émigré  à 
Licouba  ,  le  véritable  pays  Tpfourpu,  leur  métropole.  Il  ne  reste  à  la 
garde  des  établissements  que  les  esclaves  et  les  malades. 

Licouba  est  un  vaste  ensemble  de  criques,  do  lagons  et  de  lagunes  , 
silloiuiant  dans  tous  les  sens  la  contrée  qui  s'étend  entre  l'Alima ,  le 
Congo  et  la  rivière  Likouala,  contrée  marécageuse  ,  couverte  de  prai- 
ries tremblantes  et  de  broussailles  inondées.  Les  eaux  brunâtres  du 
Congo  y  donnent  rendez-vous  aux  ondes  limpides  de  l'Alima  ;  mais 


—  462  — 

dans  beaucoup  d'endroits ,  l'absence  de  toute  déclivité  rend  les  eaux 
stagnantes  et  infectes .  Les  convois  de  manioc  s'engagent  tous  par 
l'étroit  et  tortueux  canal  qui  quitte  l'Alima  à  une  trentaine  de  kilo- 
mètres de  son  confluent  avec  le  Congo;  les  Apfourous ,  piroguiers 
consommés,  évoluent  avec  facilité  dans  toutes  ces  lagunes  ,  mais  nos 
pirogues,  armées  avec  des  équipages  peu  familiers  avec  cette  sorte  de 
navigation ,  y  manoeuvrent  difficilement.  Parfois  l'eau  manque ,  et  il 
faut  traîner  la  pirogue  à  travers  les  hautes  herbes  aquatiques  :  ailleurs 
le  chenal  passe  sous  des  voûtes  de  broussailles  dont  les  racines  immer- 
gées dans  une  eau  profonde ,  gênent  tous  les  mouvements  ;  il  lait  si 
sombre  dans  ces  dédales,  dont  la  longueur  dépasse  quelquefois  plu- 
sieurs kilomètres ,  et  l'eau  y  est  si  noire  qu'on  se  croirait  dans  les 
égouts  de  Paris.  A  côté  de  cela ,  il  y  a  de  belles  nappes  d'eau  ,  surtout 
à  mesure  qu'on  se  rapproche  du  Congo.  Je  citerai  le  lac  Boumbi,  long 
de  trois  à  quatre  kilomètres  et  lai'ge  de  deux,  les  lagons  du  Bêndja,  où 
des  troupes  nombreuses  d'hippopotames  régnent  on  maîtres  incon- 
testés. Toutes  ces  eaux  sont  très  poissonneuses  et  fournissent  aux 
Apfourous  un  important  élément  d'alimentation. 

Les  villages,  ou  plutôt  les  villes,  car  ce  sont  de  véritables  fourmi- 
lières humaines,  sont  bâtis  sur  des  bancs  d'argile,  exhaussés  en  talus 
par  le  travail  des  hommes  de  façon  à  défier  les  inondations  de  la 
saison  des  pluies.  Ces  talus  sont  divisés  en  nombre  infini  par  des 
rigoles  profondes  où  des  pirogues  circulent,  et  qui  forment  ainsi  le 
réseau  des  rues  de  ces  Venises  africaines.  —  Une  multitude  de  petites 
pirogues  sillonnent  incessamment  les  alentours  des  villages  et  contri- 
buent à  donner  une  grande  animation  au  tableau.  L'agglomération  la 
plus  importante  en  Licouba,  sur  le  lagon  Molondo  ;  sa  population 
dépasse  quatre  mille  âmes.  D'autres  centres  secondaires  s'élèvent  dans 
les  lagunes  ou  sur  la  rive  même  du  Congo. 

Les  principaux  sont  Bônoja  (2  à  3000  hab.),  Tkita  (1500  habitants), 
N'Counda  (3000  hab.)  Licouba  et  Benojà  sont  en  quelques  sortes  des 
localités  industrielles  ;  on  y  fabrique  en  grande  quantité  des  nattes 
très  prisées  sur  le  Congo  et  l'AUma,  des  poteries  de  toutes  formes  et 
de  toutes  dimensions  (marmites,  plats,  assiettes,   touques  à  l'huile  et  à 

vin  de  palme,  fourneaux  pour  conserver  le  feu  en  pirogue,  etc ) 

des  pagayes,  des  filets,  des  harpons  et  divers  engins  de  pêche,  tous 
produits  qui  sont  ensuite  exportés  dans  l'Alima,  la  Likoualp,  la  Sanga 
et  jusque  chez  les  Banyannzis  de  Bolobo.  D'autres  villages  s'occupent 
plus  particulièrement  de  la  fabrication  de  l'huile  et  du  vin  de  bambou. 


-  463  — 

Los  campements  qu'ils  conshruisent  dans  ce  but  sur  les  rives  de 
l'Alima,  où  abondent  les  palmiers  bambous  en  livrent  à  la  consomma- 
tion  d'assez  grandes  quantités.  Les  deux  principaux  débouchés  de 
l'huile  sont  la  rivière  Sanga  et  Dolobo  ;  quand  au  vin  il  ne  donne  lieu 
qu'à  un  commerce  tout  local  attendu  qu'il  n'est  plus  buvable  au-delà 
de  vingt-quatre  heures.  Les  Apfourous  sont  grands  buveurs  de  vin  de 
palme  ;  à  l'occasion  des  funérailles,  qui  durent  chaque  fois  plusieurs 
jours,  il  s'en  consomme  sur  une  grande  échelle,  chacun  devant 
manifester  son  deuil  par  une  ivresse  aussi  complète  que  possible. 

L'huUe  de  bambou,  plus  clair  et  d'un  gris  moins  désagréable  que 
l'huile  de  palme  fournis  par  YElœis  Guïneensis,  pourra  rendre  de 
grands  services  quand  des  steamers  nombreux  auront  été  lancés  sur 
le  grand  fleuve.  Déjà  les  chaloupes  de  l'Association  Internationale 
viennent  sur  les  lieux  s'approvisionner  de  cet  ingrédien  indispensable 
à  leurs  machines.  Purifiée,  elle  peut,  à  défaut  de  graisse,  servira  la 
cuisine  ;  il  est  vrai  que  tous  les  estomacs  ne  peuvent  s'accomoder  du 
léger  goût  qu'elle  donne  aux  aliments. 

Une  grande  vigueur  physique  jointe  à  un  courage  incontestable  font 
des  Apfourous  un  peuple  redouté  des  aborigènes.  Mais  jamais  ils  n'a- 
busent de  cette  situation,  ils  comprennent  trop  bien  l'intérêt  qu'ils  ont 
à  vivre  en  bonne  intelligence  avec  les  Batékés  et  les  M'Boschis,  leurs 
nourriciers.  Ils  ne  cherchent  jamais  à  dénouer  leurs  démêlés  avec  eux 
autrement  que  d'une  façon  toute  pacifique.  Du  reste  ils  trouvent  des 
moyens  plus  persuasifs  de  les  tromper  et  de  les  voler.  L'Apfourou  est 
doué  de  toutes  les  qualités  qui  font  un  bon  trafiquant  ;  il  est  hâbleur 
et  rusé  en  diable  ;  intarissable  pour  vanter  les  qualités  de  ce  qu'il  veut 
vendre  ou  viprécier  ce  qu'il  veut  acheter.  Des  Européens  peut  au  cou- 
rant s'y  laissent  prendre  tout  comme  de  vulgaires  Batékés.  Il  faut 
toujours  se  faire  une  règle,  quand  on  a  affaire  à  un  Apfourou  d'offrir 
à  peu  près  le  quart  du  prix  qu'il  propose  de  vendre  et  ce  faisant,  on  a 
encore  des  chances  de  payer  plus  que  la  valeur  de  l'objet  marchandé. 
J'ai  vu  acheté  des  pirogues  deux  cents...  barrettes  de  cuivre  alors  que 
le  vendeur  en  avait  d'abord  demandé  quinze  cents. 

Les  articles  qui  ont  le  plus  de  valeur  dans  leurs  échanges  avec  les 
Batékés  sont  le  sel,  la  poudre,  les  étofi"es  très  légères,  et  de  bas  prix, 
la  poterie  et  les  nattes  de  Licouba,  etc Ils  se  procurent  les  pre- 
miers de  ces  articles  à  N'Counda,  au  confluent  de  i'Alima,  ou  à  Dolobo, 
deux  localités  ou  se  tiennent  des  marchés  d'ivoire. 


-  464  - 

Les  mœurs  et  usages  des  Apfourous  sont  identiques  à  ceux  des 
Babanguis  de  la  Rivière  Sanga  dont  je  vais  parler  tout  à  l'heure. 

Nos  relations  avec  eux  sont  toujours  amicales,  ils  paraissent  avoir 
oublié  le  combat  qu'ils  ont  livré  à  M.  de  Brazza  en  1878.  Ne  voient-ils 
pas  d'ailleurs  que  loin  de  mettre  entrave  à  leur  commerce  et  à  leur 
monopole,  nous  sommes  devenus  pour  eux  une  source  nouvelle  de 
bénéfices  ?  nos  pirogues  qui  descendent  ou  remontent  la  rivière 
s'arrêtent  dans  leurs  villages,  y  achètent  des  vivres  ou  des  produits  de 
leur  industrie,  et  jamais  le  plus  léger  incident  n'est  venu  éveiller  leur 
défiances. 

Gomme  toutes  les  peuplades  conquérentés,  les  Apfourous  sont  très 
prolifiques.  Leur  intelligence,  leur  activité,  leur  courage  les  désignent 
comme  les  futurs  auxiliaires  du  négoce  européen  :  ils  seront  à  l'Alima 
et  au  Congo  ce  que  les  Pahouins  deviendront,  dans  un  avenir  prochain 
à  rOgôoué. 

Malheureusement,  il  existe  chez  eux,  et  développée  d'une  façon 
effrayante,  une  hideuse  maladie,  lèpre  ou  syphilis  qui  fait  des  ravages 
terribles.  On  ne  peut  accoster  dans  aucun  village,  si  petit  soit-il,  sans 
apercevoir  de  nombreux  hommes,  femmes  ou  enfants  atteints  de  cette 
affec'ion  qui  leur  ronge  le  nez,  la  figure,  les  bras,  les  jambes,  le  corps 
entier  et,  en  fait  de  tristes  êtres,  objets  de  pitié  et  de  dégoût  pour  leurs 
compatriotes  et  leurs  parents  eux-mêmes.  C'est  une  chose  profondé- 
ment triste  de  voir  une  race  si  forte  et  si  vigoureuse,  décimée  par  un 
mal  impitoyable,  devoir  ces  malheureux  enfants  traîner  une  existence 
douleureuse,  trop  souvent  close  par  le  couteau  du  féticheur  à  des  fu- 
nérailles quelconques.  C'est  surtout  dans  l'Alima  que  le  nombre  de  ces 
malheureux  est  grand  :  il  semble  que  les  chefs  des  pays-  do  Licouba, 
désireux  de  s'épargner  une  vue  aussi  dégoûtante,  les  aient  relégués  là 
pour  s'en  débarrasser. 

En  débouchant  par  l'Alima  dans  le  Congo,  si  on  remonte  ensuite 
vers  le  nord,  on  se  trouve,  au  bout  d'une  grande  journée  de  Pirogue, 
en  présence  des  confluents  de  la  Likouala  et  de  la  Sanga,  distants  l'un 
de  l'autre  d'un  kilomètre  à  peine. 

La  Likouala  a  un  débit  aussi  considérable  que  l'Alima  ;  son  courant 
est  beaucoup  moins  rapide,  mais  sa  largeur  est  double  ;  ses  rives  sont 
basses,  marécageuses  et  découvertes,  au  moins  dans  son  cours  infé- 
rieur, et  c'est  ce  qui  fait  que  les  eaux  sont  infectées  par  les  crocodiles 
et  les  hippopotames.  Les  indigènes  établies  à  son  embouchure  la  con- 
naissent peu  ;  les  Balanguis  n'y  sont  établis  que  fort  peu  avant  en 


—  465  - 

amont  et  disent  ne  pas  pouvoir  la  remontera  cause  du  caractère  féroce 
et  guerrier  des  peuplades  riveraines.  La  Likouala  vient  d'abord  du 
N.  N.  W.  mais  si  on  le  remonte  sur  un  certain  parcours,  elle  sincline 
tout  à  fait  ensuite  à  l'W. 

Le  récent  voyage  de  MM.  .1.  do  Brazza  et  Pécile  ne  permet  plus  de 
douter  que  Likouala  ft  la  Licoua  entrevue  en  1879  par  M.  P.  S.  de 
Brazza  ne  font  qu'une  seule  et  même  rivière.  Retraçons  en  quelques 
lignes  cette  exploration  qui  a  eu  de  si  important  résultats  au  point  de 
vue  hydrographique. 

MM.  J.  de  Brazza  et  Pécile  partirent  de  Lastoursville,  station  de 
rOgôoué  ,  en  juillet  1885.  M.  de  Lastours  devait  partir  avec  eux  et 
commander  l'expédition,  mais  la  mort  était  venu  le  surprendre  au 
moment  où  il  faisait  ses  derniers  préparatifs.  Une  dizaine  d'hommes 
(l'escorte,  laptots  et  algériens,  et  une  vingtaine  de  porteurs  compo- 
saient tout  le  personnel  de  cette  mission.  Son  but  était  de  chercher  à 
reconnaître  l'Ivindo  et  le  Sébé,  deux  affluents  de  l'Ogôoué,  et  de  se 
diriger  ensuite  vers  la  côte  occidentale  pour  aboutir  soit  à  Gameroons, 
soit  au  Gabon.  Mais  des  circonstances  imprévues  forcèrent  MM.  de 
Brazza  et  Pécile  à  changer  leur  itinéraire. 

Les  mauvaises  dispositions  des  tribus  habitant  la  vallée  de  l'Ivindo' 
les  obhgèrent  à  se  rejeter  vers  l'Est. 

Traversant  la  Sébé,  ils  gagnèrent  le  Lébaï  Ocoua,  (rivière  de  sel) 
puis  le  Likouala,  qu'ils  descendirent  en  radeau,  et  débouchèrent  enfin 
sur  le  Congo  en  décembre  1885.  Leur  voyage  avait  duré  six  mois. 

Le  cours  supérieure  de  la  Likouala  est  bordé  de  rives  élevées  et 
déboisées  ;  le  pays  a  tout  le  pittoresque  et  tout  l'accidenté  des  plateaux 
du  Haut  Alima.  Quant  aux  populations,  la  rapidité  avec  laquelle  s'est 
effectuée  leur  descente  n'a  pas  permis  aux  deux  explorateurs  d'en  faire 
même  une  étude  superficielle.  MM.  J.  de  Brazza  et  Pécile  supposent 
que  la  Sanga  n'est  qu'un  bras  dérivé  de  la  Likouala.  Il  est  permis  en  se 
fondant  sur  l'exploration  qui  en  a  été  faite,  sur  les  renseignements 
pris  auprès  des  indigènes,  de  révoquer  en  double  cette  hypothèse. 

La  rivière  Sanga  a  été  longtemps  confondue  avec  le  Congo,  en  raison 
de  sa  largeur,  du  volume  d'eau  qu'elle  roule,  des  îles  qui  encombrent 
son  cours  et  surtout  des  nombreux  canaux  qui  la  mettent  en  commu- 
nication avec  le  fleuve  jusqu'à  une  journée  en  amont  de  son  principal 
confluent. 

Ce  n'est  qu'après  l'avoir,  à  deux  reprises  difl'érentes,  remontée  pen- 
dant une  dizaine  de  jours,  que  M.  Dolisie  s'est  aperçu  qu'au  lieu  d'être 

31 


dans  un  bras  du  Congo,  il  se  trouvait  en  réalité  dans  une  rivière 
distincte,  constituant  un  des  principaux  affluents  du  grand  fleuve. 

Les  Balanguis,  qui  habitent  ces  deux  rives  jusque  très  avant  dans 
l'intérieur,  disent  que  sa  direction  est  constamment  N.  N.  E.  ou  N.  E., 
qu'on  peut  la  remonter  durant  de  longs  mois  avant  d'arriver  à  sa 
source,  que  très  loin  en  amoiil,  elle  communique  avec  l'Oubangui,  dont 
la  direction  connue  est  parallèle,  ei  qu'enfin  son  cours  supérieur  est 
barré  de  rapides,  bordés  de  rives  élevées  et  rocheuses.  Les  populations 
riveraines  se  construisent  des  habitations  aussi  hautes  que  nos  maisons 
à  l'européenne  ;  elles  sont  armées  de  fusils  très  longs,  obtiennent  le 
sel  par  l'évaporation  de  l'eau  et  se  servent  de  cauris  comme  monnaies 
dans  leurs  transactions.  On  y  rencontrerait  aussi  beaucoup  d'hommes 
blancs. 

Il  est  à  remarquer  que  ces  renseignements  obtenus  de  divers  indi- 
vidus et  dans  des  localités  diS'érentes,  sont  toujours  concordé  entre 
eux,  sauf  quelques  légères  variantes. 

En  tenant  compte  du  merveilleux  qu'ont  toujours  pour  les  noirs  les 
contrées  inconnues  et  de  l'exagération  à  laquelle  ils  sont  inclins,  ne 
peut-on  présumer,  d'après  ces  informations,  que  les  sources  de  la 
Sanga  sont  situées  dans  les  régions  avoisinant  le  Soudan,  peut-être 
même  sur  un  des  versants  du  plateau  d'où  sortent  maints  affluents  du 
Nil.  c'est-à-dire  au  pays  des  Niams-Niams,  et  que  son  cours  supérieur 
est  habité  par  des  populations  ou  musulmans,  ou  tout  au  moins  en 
rapport  avec  les  Arabes  de  la  côte  orientale  ?  L'affirmation  qui  fait  de 
la  Sanga  un  bras  dérivé  de  l'Oulangui,  est  peut-être  plus  douteuse, 
quoique  n'ayant  rien  de  bien  impossible.  Des  explorations  de  M.  Grein- 
fell,  de  la  «  Daptist  Missionary  Society,  »  de  M.  Dolisii  et  du  capitaine 
Hanssens,  û  résulte  que  si  l'Oulangui  et  la  Sanga  ne  sont  point  deux 
bras  de  la  même  rivière,  elles  suivent  cependant  deux  directions 
parallèles  :  toutes  deux  elles  nous  viennent  du  N.N.E. 

Les  rives  de  la  Sanga  comme  celles  de  la  Likouala,  comme  celles 
du  Congo  lui-même,  sont  tantôt  boisées,  tantôt  découvertes,  toujours 
basses,  marécageuses  et  en  grandes  parties  inondées  à  la  saison  des 
pluies. 

Les  deux  rives  du  grand  fleuve,  d'ailleurs,  depuis  la  rivière  N'Kéni 
(Mpaka  de  Stanley)  jusqu'au  pays  des  Bangalas  et  même  au-delà,  pré- 
sentent une  vaste  dépression  s'avançant  très  avant  dans  les  terres.  On  ne 
peut  mieux  comparer  le  système  fluvial  du  Congo  à  un  immenSe  enton- 
noir, occupant  tout  le  centre  de  l'Afrique  Equatoriale,  et  dont  le  goulot 


^  467- 

est  figuré  par  le  lit  étroit  et  tourmenté  que  cette  gigantesque  masse 
d'eau,  pour  arriver  à  l'Atlantique,  a  dû  se  frayer  à  travers  la  rè^^ion 
montagneuse  depuis  N'tamo  jusqu'aux  chutes  d'Yellala. 

La  flore  de  la  région  n'est  pas  riche  en  essences  forestières.  D'énor- 
mes baobabs,  des  fromagers,  des  palétuviers  d'eau  douce,  voilà  ce 
qu'on  voit  le  plus  fréquemment  ;  pas  de  ces  beaux  arbres  bien  droits 
qu'on  trouve  en  si  grande  abondance  dans  l'Alima,  mais  des  troncs 
rugueux,  tordus,  durs  comme  le  fer,  impropres  à  la  construction. 
C'est  une  des  grandes  difficultés  que  j'ai  rencontrées  quand  il  m'a 
fallu  fonder  le  poste  de  Bonga.  Les  bambous  qui  partout  ailleurs  rem- 
placent les  planches  dans  la  confection  des  parois  de  nos  habitations, 
font  absolument  défaut  :  il  faut  aller  les  chercher  dans  le  Likouala. 
En  revanche,  les  palmiers,  Elœis  Guineensis  et  Borassus  abondent  ; 
partout  on  voit  leur  taille  élancée  et  leur  panache  gracieux. 

La  faune  est  plus  riche  :  les  hippopotames  et  les  crocodiles  pullulent 
le  long  des  îles  et  des  bancs  de  sable  ;  à  terre  on  trouve  l'éléphant, 
l'antiJope  des  mariés  et  surtout  les  buffles.  Ceux-ci  sont  si  abondants 
et  si  peu  sauvages  que  pendant  les  quatre  mois  de  mon  séjour  à 
Donga,  nous  en  avons  abattu  plus  de  cinquante.  Leur  viande  et  celle 
des  hippopotames  m'ont  même  souvent  permis  de  faire  aux  chefs  des 
largesses  qui  compensaient  avantageusement  celles  que  ma  pauvreté 
en  marchandises  m'interdisait.  Les  singes  de  toutes  tailles,  les  pinta- 
des, les  perroquets,  les  tourterelles,  pullulent  dans  les  bois  où  dévas- 
tent les  plantations  des  natifs  ;  enfin  les  marabouts,  les  pélicans,  les 
canards,  les  corbeaux  peuplent  les  marécages  et  les  lagunes. 

Donga,  situé  sur  la  rive  droite  de  la  rivière,  à  une  demi-journée  en 
amont  de  son  confluent,  est  l'agglomération  la  plus  importante  de  la 
Sanga.  Sa  population,  composée  d'éléments  hétérogènes ,  est  turbu- 
lente et  a  souvent  des  démêlés  avec  les  villages  d'amont.  Elle  s'élève 
au  moins  à  quatre  ou  cinq  mille  âmes.  Jadis  Donga  et  toutes  les  loca- 
lités situées  sur  le  cours  inférieur  de  la  Sanga,  obéissaient  à  un  seul 
chef,  le  puissant  M'Pakama,  qut  fut  paraît-il,  un  guerrier  redoutable. 
Mais  lors  de  sa  mort,  ce  fut  un  de  ses  esclaves,  N'dombi,  le  chef  actuel 
de  Donga,  qui  lui  succéda,  au  détriment  de  son  propre  fils,  trop  jeune 
pour  prendre  sa  place.  Les  chefs  des  autres  villages,  n'étant  plus 
tenus  en  respect  par  la  crainte  que  leur  inspirait  le  terrible  M'Pakama, 
se  proclamèrent  indépendants  et  N'dombi  fut  réduit  au  seul  connuan- 
dement  de  Donga,  où  il  n'exerce  même  plus  la  souveraineté  que  nomi- 
nalement. Son  caractère  mesquin   avare,   son  manque  de  dignité   lui 


—  4()8  — 

ont  fait  perdre  tout  son  prestige  et  jusque  dans  son  village,  des  chefs 
secondaires  bravent  son  autorité  et  le  tiennent  en  échec. 

L'agriculture  est  peu  en  honneur  à  Donga  ;  le  peu  de  terres  culti- 
vables que  ses  habitants  peuvent  disputer  h  l'inondation,  une  quinzaine 
d'hectares  environ,  sont  plantées  en  manioc,  patates  et  arachides. 
Toutes  les  plantations  sont  entourées  de  clôtures,  et  la  nuit  des  fem- 
mes veilles  pour  chasser  les  bufti(,^s  qui  viennent  les  dévaster. 

Le  village,  comme  tous  les  villages  Dabanguis  des  rives  du  Congo 
ou  de  ses  affluents,  ressemble  à  une  véritable  foret  :  les  palmiers,  les 
fromagers,  les  baobabs,  et  les  bananiers  répandent  partout  la  verdure, 
l'ombre  et  la  fraîcheur. 

On  y  recueille  beaucoup  de  vin  de  palme  ;  aucun  palabre,  aucune 
transaction  commerciale  ne  se  traitent  sans  la  calebasse  tradilionnelle. 
Pour  donner  au  liquide  des  propriétés  plus  enivrantes,  les  indigènes  y 
mettent  une  racine  appelée  «  liboga  »  connue  des  M'Pongouies  pour 
ses  qualités  aphrodisiaques. 

Pendant  la  saison  sèche,  les  Dabanguis  se  livrent  activement  à 
une  pêche  que  la  baisse  considérable  du  tleuve  rend  fructueuse. 

L'industrie  se  borne  à  la  fabrication  de  poteries  avec  l'argile  spéciale 
du  lieu,  layuelle  pourrait  faire  des  briques  ,  tout  comme  celle  de  Braz- 
zaville. Quelques  forges  primitives,  identiques  à  celles  dont  se  servent 
les  Pahouins  et  toutes  les  peuplades  de  1  Ogoûé,  ti-availlent  les  fers  de 
pagayes,  les  couteaux,  les  bracelets  de  fer  et  de  cuivre,  les  colliers  en 
cuivre  massif,  etc. 

Mais  l'importance  de  Donga  réside  surtout  dans  son  monopole  com- 
mercial qui  s'exerce  sur  tout  le  transit  de  la  rivière  :  les  pirogues  qui 
arrivent  d'amont  avec  de  l'ivoire  et  des  esélaves  ne  peuvent  comnmni- 
quer  librement  avec  celles  qui  arrivent  d'aval  pour  acheter.  Un  inter- 
médiaire est  nécessaire  et  il  prélève  une  double  commission  sur 
l'acheteur  et  le  vendeur.  De  là  une  source  de  richesses  pour  la  loca- 
lité. Outre  l'ivoire  et  les  esclaves,  il  se  fait  aussi  dans  le  Sanga,  comme 
sur  le  Congo,  un  commerce  important  de  bois  rouge  de  teinture,  pro- 
venant de  rOubangui.  Ce  bois  rouge  .  coupé  en  petites  bûches  irrégu- 
lières de  dix  centimètres  sur  trois  ou  quatre,  se  vend  dans  l'Oubangui 
au  prix  de  cinq  bûches  pour  une  barrette  de  cuivre.  Plus  il  descend 
en  aval  sur  le  Congo,  plus  il  est  cher.  A  Banga,  il  vaut  une  barrette 
pour  trois  bûches,  à  N'Gantchou  et  Bolobo,  une  barrette  pour  deux 
bûches,  au  Pool  enfin,  une  bûche  pour  une  barrette. 

Il  en  est  de  même  pour  l'ivoire  qui,  vendu  très  cher  au  Pool,  est 


-  'i(i9  - 

acheté  pour  un  morceau  de  pain  dans  la  Saiiga  supérieure.  Ce  sont  les 
monopoles  qui  accaparent  la  plus  claire  partie  du  bénéfice  ,  et  il  est 
certain  que  le  commerce  européen,  s'il  peut,  sans  effusion  de  sang,  les 
supprimer,  réalisera,  au  moins  dans  les  premières  années,  des  avan- 
tages énormes. 

Honga  s'approvisionne  de  manioc,  d'huile  de  bambou  et  de  nattes 
aux  gens  do  Licouba  qui  viemient  journellement  trafiquer  dans  la 
Sanga. 

La  baneltc  de  cuivre  « ///////«■•(;  ^>  des  indigènes  est  la  monnaie  du 
Congo  et  de  tous  les  affluents  depuis  le  Pool  jusqu'aux  Stanley-Falls. 
Valeur  intrinsèque  et  prix  de  transport  compris,  la  barrette  revient  à 
environ  0,25  centimes.  Une  poule  vaut  deux  barrettes,  un  régime  de 
cinquante  bananes  en  vaut  trois  ;  une  natte  de  Licouba  ou  un  panier 
de  manioc  de  1  Almia  se  donnent  aussi  pour  deux  barrettes.  Un  esclave 
mâle  se  tarife  à  quatre  ou  cinq  cents,  une  femme  de  trois  à  quatre 
cents. 

Si  d"un  coté  Tivoii-e  et  tous  les  produits  du  pays  sont  meilleur 
marché  qu  a  Stanley-Pool.  de  lautre,  les  étoffes  et  tous  les  objets  de 
fabrication  européenne  ont  dans  la  Sanga  une  valeur  double  de  celle 
qu'elles  ont  à  N'couna.  On  recherche  surtout  les  tissus  bon  marché  et 
de  mauvaise  qualité;  il  ne  faut  pas  d'une  étoff3  qui  ne  puii^se  se  vendre 
au-dessous  de  huit  ou  dix  barrettes  la  brasse,  ce  qui  fait  environ  1  fr. 
25  k  1  fr.  90  le  mètre.  Une  étofte  grossière,  faite  de  bourre  de  laine 
rouge  ou  bleu  s'y  vend  très  bien  au  prix  de  vingt-cinq  barrettes  la 
brapse  de  1"'80.  Chaque  Babangui  porte  une  large  ceinture  de  cette 
bourre  qui  est  un  long  préservatif  contre  les  refroidissements  du 
ventre,  partant  de  la  dyssenterie,  si  fréquente  au  Congo. 

Les  bouteilles  vides  s'arrachent  littéralement  à  six  barrettes  pièce, 
soit  1  fr.  50  ;  les  étuis  de  cartouch(3s  Gras  se  vendent  bien  au  prix  de 
cinq  pour  une  barrette  :  les  indigènes  s'en  font  soit  des  pendants 
d'oreille,  soit  des  breloques  à  leur  ceinture,  soit  encore  des  ferrures 
pour  le  bois  de  leurs  lances.  Les  cauris.  les  tombas  (grosses  perles  de 
verre)  les  congolos  (petites  perles  de  verre),  sont  très  prisés  des 
dames  balanguies  qui  s"en  font  des  ceintures  et  des  colliers.  Quant 
aux  sonnettes,  couteaux,  glaces,  ressorts,  chaînes  de  cuivre,  fusils, 
poudre,  sel,  on  n'en  vend  pas.  Tous  ces  articles  sont  jetés  en  grande 
quantité  sur  le  congo  parles  caravanes  des  traitants  noirs  de  la  côte 
et  cela  à  des  prix  inabordables  pour  nous. 

Les  mœurs  des   Babanguis,   des  Banyannzis,    des   Oiibanguis,    des 


—  470  — 

Abanhos  et  des  Apfourous  offrent  entre  elles  une  analogie  complète. 
Décrire  une  de  ces  tribus,  c'est  décrire  toutes  les  autres. 

L'autorité  des  chefs  n'est  effective  que  sur  leurs  femmes  et  leurs 
esclaves  ;  tout  homme  libre  est  complètement  indépendant  dans  ses 
actes;  il  ne  doit  à  son  suzerain  que  son  concours  en  temps  de  guerre. 
L'influence  et  le  rang  d'un  homme  libre  ou  d'un  chef  sont  en  raison 
de  sa  fortune,  et  celle-ci  est  en  raison  du  nombre  d'esclaves  et  de 
femmes  qu  il  possède  et  sui^  lesquels  il  a  un  droit  de  vie  et  de  mort. 

Les  femmes,  surtout  la  plus  âgée,  d'un  chef  ou  d'un  homme  Ubre 
jouissent  dune  certaine  considération  ;  elles  assistent  aux  délibéra- 
lions  de  leurs  maris,  et  sont  traitées  sur  un  pied  plus  égalitaire  que 
cela  ne  se  voit  généralement  chez  les  noirs.  Les  gros  travaux  de 
plantations  sont  laissés  aux  esclaves  des  deux  sexes  qui  forment  les 
deux  tiers  de  la  population.  L'adultère  et  le  vol  sont  punis  de  la 
décapitation  sur  les  esclaves  ,  d'une  forte  amende  sur  l'homme 
libre. 

Les  honneurs  de  la  sépulture  ne  sont  accordés  qu'aux  chefs  et  aux 
hommes  libres  :  les  cadavres  des  esclaves  sont  jetés  à  la  rivière.  Dès 
qu'une  médecine  fort  rudimentaire  s'est  déclarée  impuissante  à  guérir 
un  esclave,  celui-ci  est  emmené  au  milieu  du  fleuve  pieds  et  poings 
liés,  quelquefois  simplement  amarré  dans  une  natte,  puis  jeté  à  l'eau. 

Les  afl'ections  les  plus  communes  chez  les  Dabanguis  sont  la  lèpre  , 
moins  développée  cependant  que  dansl'Ahma,  la  pneumonie,  due  aune 
température  et  à  un  sol  humides  ,  la  dyssenterie  ,  et  cette  maladie  du 
sommeil ,  sorte  de  léthargie  mortelle,  à  laquelle  la  consommation  exa- 
gérée du  liamba  (sorte  de  chanvre  fumé  par  les  natifs)  n'est  peut-être 
pas  étrangère.  La  mortalité  est  assez  considérable  ,  mais  comme  cette 
race  est  très  prolifique  et  qu'en  outre  les  vides  sont  immédiatement 
par  des  achats  d'esclaves  ,  le  chiô're  de  la  populations  ne  s'en  ressent 
guère . 

Les  hommes  se  coiffent  de  façon  à  imiter  ,  avec  des  tresses  de  che- 
veux tombant  sur  le  nez  ou  sur  les  tempes  ,  des  cornes  de  rhinocéros 
ou  des  trompes  d'éléphants.  Ils  sont  bien  bâtis  et  solidement  musclés  ; 
ils  se  couvrent  davantage  que  les  femmes,  chose  qu'on  observe  du  reste 
chez  toutes  les  tribus  africaines  ;  jamais  on  ne  les  voit  sans  un  fusil , 
des  sagayes  ou  un  couteau  à  la  main  ,  et  connue  ils  sont  assez  irri- 
tables et  peu  portés  à  se  laisser  intimider  ,  cette  habitude  de  toujours 
être  armés  a  souvent  des  résultats  funestes.  La  moindre  querelle  dégé- 
nère vile  en  rixe  sanglante. 


—  471  — 

Les  femmes  participent  de  la  nature  vigoureuse  de  leurs  maris  ;  elles 
sont  généralement  massives ,  énormes ,  trop  corpulentes  en  un  mot 
pour  avoir  quelque  élégance  dans  les  formes.  Elles  s'oignent  tout  le 
corps  d'huile  de  bambou  et  de  peinture  rouge  les  jours  de  grand  gala  ; 
leurs  onctueuses  personnes  ne  sont  alors  rien  moins  qu'appétissantes. 

Les  dames  du  high-life  portent  autour  du  cou  un  énorme  collier  de 
cuivre  massif,  dont  le  poids  atteint  une  quinzaine  de  livres.  Cet  orne- 
ment, pour  le  moins  gênant,  est  très  recherché  et  attire  toujours  à 
celle  qui  le  porte  respect  et  considération. 

En  fait  de  religion  ,  les  Babanguis  croient  à  une  sorte  de  métemp- 
sycose. J'ignore  quelles  sont  au  juste  les  divinités  qu'ils  se  sont  forgées; 
toutes  mes  investigations  à  ce  sujet  sont  demeurées  sans  résultat  :  les 
indigènes  n'aiment  pas  à  être  interrogés  là-dessus ,  ils  semblent 
craindre  quelque  sortilège  ou  quelque  mauvaise  intention  chez  l'homme 
blanc.  Mais,  ce  que  je  puis  affirmer ,  c'est  leur  croyance  à  l'immor- 
talité de  l'âme.  Un  chef  de  Bonga  me  demandait  un  jour  si  je  n'étais 
pas  quelque  chef  du  pays  défunt  et  désireux  de  revenir  vi^re  sur  les 
lieux  de  sa  première  existence  :  un  autre  jour  il  s'informa  ,  avec  raille 
précautions  ,  si  les  blancs  ,  qui  en  sont  à  leur  deuxième  vie  ,  avaient 
encore  quelque  chose  à  craindre  de  la  mort.  Mes  hommes  m'ont  aussi 
rapporté  plus  d'une  fois  les  questions  qui  leur  étaient  faites  par  les  indi- 
gènes au  sujet  du  pays  d'où  nous  venions  ,  cherchant  à  savoir  si  nous 
n'y  avions  point  vu  quelqu'un  de  leurs  parents  ou  de  leurs  amis  tré- 
passés. 

Dans  la  suite  ,  un  frottement  journalier  avec  nos  hommes,  et  surtout 
un  jour  ,  la  vue  d'un  Européen  blessé  gi'ièvement  les  ont  sans  doute 
convaincus  que  nous  sommes  des  êtres  comme  les  autres  ,  sujets  aux 
mêmes  infirmités  et  ne  nous  nourrissant  nullement  de  <".liair  humaine. 
Néanmoins  ,  l'homme  à  peau  blanche  reste  pour  eux  un  mystère  et  un 
problème  ,  sinon  un  immortel. 

Chez  ces  peuplades  na'ïves,  de  l'incomiu  au  merveilleux  il  n'y  a  qu'un 
pas. 

Je  ne  crois  pas  d'ailleurs  que  cela  les  empêchât  de  nous  faire  la 
guerre ,  si  nous  leur  en  fournissions  les  motifs  :  nous  croiraient-ils 
immortels  ,  ils  nous  combattraient  quand  même ,  ne  serait-ce  que  pour 
s'assurer  de  notre  invulnérabilité. 

Cette  croyance  à  l'immortalité  de  l'âme  est  cau<!e  d'une  des  plus 
horribles  coutumes  qu'on  puisse  constater  chez  des  tribus  barbares  : 
je  veux  parler  des  scènes  sanglantes  qui  accompagnent  les  funérailles 


-  47-i  — 

de  tout  chef  et  de  tout  homme  libre.  On  clioisit ,  parmi  les  femmes  et 
les  esclaves  du  défunt ,  un  nombre  de  victimes  proportionné  au  rang 
qu'il  occupait  :  au  milieu  des  orgies  nocturnes  qui  suivent  le  décès , 
on  les  amène  .  solidement  ligottés  ,  près  du  cadavre  ;  là  ,  on  les  fait 
s'agenouiller ,  on  assujettit  une  tresse  de  leurs  cheveux  à  l'extrémité 
d'une  branche  plantée  en  terre  et  courbée  avec  force  ;  puis  le  bourreau, 
après  avoir  fait  mille  simagrées  .  rempUt  son  office,  et  les  branches  se 
redressent  brusquement ,  l'une  après  l'autre  .  secouant  leur  hideux 
fardeau  de  têtes  sanglantes ,  aux  hurlements  d'une  foule  surexcitée 
par  les  danses  et  le  vin  de  palme... 

Quand  il  s'agit  d'un  grand  chef,  les  immolations  prennent  les  propor- 
tions de  véritables  hécatombes  ;  c'est  ainsi  qu'à  la  mort  de  M'Fakama. 
une  vingtaine  d'esclaves  furent  égorgés.  Quelquefois  le  supplice  varie. 
M.  Dohsii  a  vu  ,  dans  la  Sanga  ,  deux  enfants  enterrés  vivants,  et  cela 
sans  pouvoirs'}'  opposer. 

Les  cadavres ,  une  fois  décapités  .  sont  abandonnés  à  la  rivière  ; 
quant  aux  têtes  ,  on  les  garde  pour  en  orner  la  tombe  du  défunt  en 
honneur  duquel  on  les  a  fait  tomber. 

Il  sera  difficile  de  faire  disparaître  ces  terribles  usages  ;  à  Bonga,  on 
avait  fini  par  y  procéder  la  nuit ,  de  crainte  de  voir  les  blancs  s'y  op- 
poser ,  mais  je  savais  toujours  d'une  façon  certaine  le  nombre  des 
victimes  sacrifiées.  Cinq  femmes  s'enfuirent  successivement  des  villa- 
ges et  vinrent  demander  protection  au  pavillon  français. 

Un  chef  Babangui ,  à  qui  on  demandait  de  renoncer  à  cette  orUeuse 
coutume  ,  répondit  :  «.  Comment  veux-tu  que  mes  pères  me  reçoivent , 
si  je  ne  suis  accompagné  de  mes  femmes  et  de  mes  esclaves,  ainsi  qu'il 
convient  à  mon  rang  ?  Ils  me  repousseraient  comme  un  esclave  et 
refuseraient  de  m'admettre  parmi  eux.  » 

Les  funérailles  durent  plusieurs  jours  et  donnent  lieu  à  des  céré- 
monies fort  curieuses.  Le  cadavre ,  oint  d'huile  et  tatoué  de  lignes 
blanches,  jaunes,  oranges,  dessinées  avec  symétrie  ,  est  dissimulé 
jusqu'aux  épaules  sous  une  sorte  de  catafalque  drapé  d'étoiles  aux 
couleurs  vives  ;  sur  le  catafalque  et  tout  autour,  on  arrange  les  armes, 
la  pipe  et  les  différents  objets  dont  se  servait  le  défunt .  sa  vaisselle , 
ses  perles  et  toutes  les  marchandises  qu'il  possédait ,  jointes  à  celles 
ofi"ertes  par  ses  parents  et  ses  amis.  L'art  et  le  goût  qui  règnejit  dans 
la  disposition  de  tout  cet  appareil  est  remarquable.  Les  cases  environ- 
nantes sont  décorées  de  morceaux  d'étofies  voyantes  se  balançant  au 
bout  de  longs  bâtons  ,  en  guise  de  pavillons. 


—  473  - 

La  danse  des  guerriers  est  (l"uiio  sauvagerie  indescriptible.  Ivres  de 
vin  do  palme ,  la  tête  ornée  de  plumes ,  le  corps  peint  eu  deuil ,  ils 
fondent  les  uns  sur  les  autres,  brandissant  boucliers  et  sagayes  ;  on 
croirait  qu'ils  vont  s'entre-tuer  .  mais  non  ,  ils  s'arrêtent  à  temps,  avec 
une  précision  admirable  ,  baissent  leurs  lances  vers  le  sol  en  les  entre- 
choquant ,  puis  s'en  vont  reprendre  leur  élan. 

Les  femmes  ,  en  grand  deuil ,  c'est-h  dire  avec  une  ceinture  de 
feuilles  de  bananier  pour  tout  vêtement ,  chantent  les  vertus  du  m(n't 
en  des  mélopées  traînantes,  d'une  mélancolie  touchante,  qu'elles 
rliythment  en  frappant  dans  leurs  mains.  Tour  à  tour ,  une  d'elles  se 
détache  du  cercle  qu'elles  forment.,  s'avance  en  dansant  au  centre  et 
■  entonne  une  nouvelle  strophe  qu*^  tout  le  groupe  répète  ensuite  en 
chœur. 

Les  hurlements  des  guerriers  .  les  chants  des  femmes  ,  le  claque- 
ment régulier  des  mains ,  le  bruit  des  pieds  qui  frappent  le  sol ,  le 
cliquetis  des  armes  ,  tout  cela  forme  un  vacarme  .  un  tumulte  que  do- 
minent à  peine  la  sourde  cadence  d'une  demi-douzahie  de  grands  tams- 
tams  et  le  crépitement  contiiui  de  la  mousqueterie. 

Une  fois  les  cérémonies  terminées,  le  cadavre  est  mis  en  terre  avec 
ses  marchandises  ,  ses  armes  et  tous  les  objets  exposés  sur  le  cata- 
falque .  de  façon  à  ce  qu'il  fasse  son  entrée  dans  l'autre  monde  d'une 
manière  digne  de  son  rang. 

Un  court  historique  de  notre  établissement  à  Bonga .  dans  la  rivière 
Sanga ,  terminera  cette  esquisse. 

En  décembre  1884 .  M.  Dolisii .  accompagné  de  MM.  Pécile  et  J.  de 
Brazza ,  remontait  une  première  fois  le  Sanga;  il  conclut  partout,  des 
traités  de  protectorat  avec  les  chefs  de  tous  les  villages  .  et  il  eut  le 
bonheur,  dans  ce  travail,  de  devancer  les  agents  de  l'Association 
Internationale,  qui  arrivèrent,  en  chaloupe  à  vapeur  derrière  lui,  mais 
trop  lard.  Un  de  ces  traités  ,  passé  avec  les  chefs  de  Bonga  .  stipulait 
la  cession  d'un  terrain  à  la  France  ,  qui  se  réservait  d'y  établir  un 
poste.  Ce  terrain,  qui  n"a  ,  comme  tout  le  pays  environnant,  qu'une 
élévation  de  un  mètre  cinquante  au-dessus  du  nivcau  ordinaire  des 
eaux ,  n'est  inondé  ,  au  dire  des  indigènes,  que  dans  les  années  de 
crues  exceptionnelles  ;  même  alors  il  n'est  guère  recouvert  que  de 
trente  à  cinquante  centimètres  d'eau.  Des  travaux  de  terrassements 
assez  considérables  pourraient  donc  le  préserver  de  cei,  inconvénient , 
d'autant  plus  que  le  sol  est  formé  d'une  argile  fort  imperméable. 


-  474  — 

Les  villages  indigènes  ,  qui  sont  bâtis  sur  un  terrain  de  même  hau- 
teur, n'ont  pris  d'autre  précaution  contre  l'invasion  des  eaux,  qu'un 
simple  remblai  de  cinquante  centimètres  à  l'intérieur  des  cases. 

Je  reçus,  en  février,  au  bas-Climat,  l'ordre  d'aller  porter  un 
cadeau  aux  chefs  de  Bonga  ,  et  de  m'entendre  avec  eux  à  l'effet  d'oc- 
cuper le  terrain  concédé.  Je  fus  bien  reçu  par  les  chefs  du  pays  qui  me 
demandèrent  même  de  hâter  mon  établissement  parmi  eux.  Le  6  mai 
1885 ,  je  vins  définitivement  m'installer  et  commencer  les  travaux 
préparatoires  de  construction  avec  un  caporal  sénégalais  et  six  anciens 
esclaves  gallois  libérés.  Le  défrichement  était  terminé  et  une  grande 
maison  d'habitation  commencée ,  lorsqu'un  accident  de  chasse  m'o- 
bligea ,  le  3  juin  ,  de  descendre  à  Brazzaville.  Le  27  juillet ,  j'étais  de 
retour  avec  M.  de  Chavannes  ;  l'arrivée  de  M.  de  Brazza  vint,  en  août, 
interrompre  la  continuation  des  travaux.  Jugeant  la  situation  de  Bonga 
trop  malsaine  ,  et  ne  disposant  d'ailleurs  que  d'un  personnel  trop 
restreint ,  M.  de  Brazza  sacrifia  ce  poste  à  celui  plus  important ,  au 
point  de  vue  politique  ,  de  N'Koundja.  J'ai  donc  dû  évacuer  Bonga  le 
5  septembre  1885.  Toutefois,  l'utilité  d'une  station  quelconque  à  proxi- 
mité du  confluent  de  l'Alima  est  reconnue  ;  deux  routes  se  bifurquent 
là  :  celle  de  Brazzaville  et  celle  de  l'Oubanqui.  Or,  le  point  le  plus 
favorable  de  toute  la  région  est,  sans  contredit ,  Bonga  ,  qui ,  outre  son 
importance  commerciale,  est  le  seul  point  où  l'on  puisse  trouver  des 
vivres  en  abondance.  Il  est  donc  probable  que  le  poste  sera  réoccupé. 

La  population,  quoique  très  mélangée,  nous  a  toujours  été  favorable; 
elle  comprenait  tous  les  avantages  qu'elle  retirait  de  notre  voisinage  : 
et  c'est  avec  surprise  qu'elle  nous  a  vus  partir. 

Avec  un  sénégalais  et  six  hommes  armés  de  fusils  à  silex,  je  n'ai 
jamais  été  inquiété  d'aucune  façon ,  et  je  suis  certain  que  si  notre 
pavillon  y  est  de  nouveau  arboré ,  il  sera  salué  par  les  sympathies  des 
chef  et  de  toute  la  population. 


i/et^T^ifsSf^^ 


ICa.tjrt(tt« 


m 


es 
Ligldises 


^  Jusnutix.  del. 


0  UES'T 


KKnimf;. 


\t^ 


CARTE  DU 

CÛim  SlfTERIEUB  DUCOMO 
ET  DE  SES  AFTl/M'NTS 

DûpiPj  /es  fjûrjiix  c/c/aMissio/i  //n/i^^isr 
ei  CfitfX  f/u  Cà/Ji/'/féiftsseiti  etftf,i  oZ/yrim  ht/m-j 

PAR    EJ-HOMEMT 

%  Suhon.  4  Sirriji.<.u,. 

o  iralions  âbanitoimeti      +    Mission»  reli^nrsci 


'À 


Â.£t<fajiâit  .é^r 


-  475 


NOUVELLES  ET  FAITS  GÉOGRAPHIQUES 


I.  —  Géographie  scientifiqpie.  —  Explorations  et  découvertes. 


AFRIQUE. 

I^es  poiHsessiipiis  allemandes  en  Afrique.  —  Le  Bulletin  de  la 
Société  de  géograpfiie  de  Marseille  annonce  que  MM.  Rabenhorst,  de  Hambourg, 
ancien  capitaine  de  vaisseau,  qui  a  été  pendant  longtemps  directeur  des  comptoirs 
créés  par  M.  Woerman,  dans  l'Afrique  occidentale,  le  lieutenant  Schmidt ,  plénipo- 
tentiaire du  groupe  de  la  Société  de  colonisation,  qui  a  acheté  le  territoire  de  Witou, 
et  les  frères  Denhardt ,  sont  partis  pour  l'Afrique ,  afin  de  prendre  possession  de 
ce  pays  au  nom  de  leurs  mandats.  Le  lieutenant  Schmidt  avait  été  envoyé  Tannée 
dernière  dans  l'Afrique  orientale  par  la  Société  de  ce  nom  et  avait  acquis,  pour  le 
compte  de  cette  dernière  ,  pendant  les  mois  d'août  et  de  septembre  1885,  le  territoire 
d'Usaramo,  au  sud-ouest  de  Zanzibar,  au  moyen  d'une  série  de  traités  conclus  avec 
les  chefs  indigènes. 

lie  D'  Zint^rafl'au  Kanieroun. —  Le  Gouvernement  allemand  a  dési- 
gné le  D'  Zintgratt  ,  qui  a  visité  l'Afrique  Occidentale  il  y  a  quelques  années ,  pour 
explorer  le  système  des  rivières  des  districts  du  Kaineroun  sur  le  petit  steamer 
«  Natchigal  ».  11  a  l'intention  de  visiter  les  monts  Kameroun.  Gomme  il  paraît 
qu'on  peut  s'y  procurer  de  grandes  quantités  de  caoutchouc,  il  sera  accompagné  par 
un  spécialiste. 

Les  e^KpIoratlonjti  de  M.  Jacques  de  Brazza.  —  M.  Jacques  de 
Brazza,  frère  cadet  de  l'éminent  explorateur ,  Savorgnan  de  Brazza ,  vient ,  avec 
M.  Pecile  ,  d'explorer  un  grand  affluent  du  Congo  nommé  Séholi ,  qui  vient  débou- 
cher à  la  rive  droite,  entre  les  confluents  de  l'Oubanghi  et  de  la  Licona,  sous  le  nom 
de  Shanga.  (Voir  la  Conférence  de  M.  Fromont,  insérée  dans  le  présent  Bulletin, 
page  458.) 

L'expédition  est  partie  le  10  juillet  1886  de  Madiville,  sur  l'Ogôoué  ,  dans  le  pays 
des  Adoumas .  Elle  avait  pour  mission  d'explorer  le  pays  situé  au  Nord  de  cette 
rivière  ,  pour  gagner  ,  si  possible  ,  le  Bassin  de  la  Bénoué  ,  en  se  maintenant  sur  la 
crête  qui  sépare  le  bassin  du  Congo  des  autres  bassins  côtiers  du  Nord, 

On  traversa  d'abord  dans  la  direction  générale  Nord-Nord-Est,  un  pays  couvert  de 
forêts  immenses.  Cette  région,  habitée  par  les  Oumbétés  et  les  Ossétés,  fractions  de 
la  grande  famille  des  Obambas  ,  est  fertile  et  très  peuplée. 

Après  avoir  voyagé  pendant  un  inois  en  forêt,  l'expédition  arriva  dans  les  grandes 
prairies  des  Mbokos.  Le  3  septembre  ,  elle  atteignit  les  bords  d'une  rivière  que  les 
indigènes  appelaient  .S'<?Ào/t ,  et  qui  coulait  vers  l'Est.  Les  observations  astrono- 
miques donnèrent  comme  latitude  environ  1"  30'  Nord. 


—  47fi  - 

D'après  les  rapports  des  indigènes  ,  le  Sekoli  (pai  prend  naissance  sur  le  versant 
oriental  de  la  chaîne  côtière  à  environ  100  kilomètres ,  en  amont  de  l'endroit  oii 
l'expédition  le  découvrit,  se  dirige  droit  vers  l'Est. 

Cette  rivière  sépare  le  pays  des  Mbokos  de  celui  des  Okotas.  Ces  derniers  occupent 
une  zone  de  forêts  qui  s'étend  ,  sur  une  longueur  de  près  de  deux  degrés  .  parallèle- 
ment à  rivindo.  Ils  ont  pour  voisins  les  Ossiébas  à  l'Ouest,  les  Obambas,  les  Mbétés 
ou  Oumbétés  et  les  Ossétés  ,  ainsi  que  les  Mbokos  k  l'Est.  C'est  un  peuple  commer- 
çant et  guerrier,  qui  habite  dans  de  grands  villages  formés  de  deux  lignes  de  cases  , 
s'étendant  sur  deux  à  trois  kilomètres  de  longueur.  Ils  sont  de  petite  taille  .  de  cou- 
leur sombre,  et  très  amateurs  d'ornements.  On  rencontre  parmi  eux  quelques  Baka- 
lais,  anciens  occupants  du  pays,  aujourd'hui  émigrés  vers  les  centres  conmierciaux 
de  la  côte.  Ce  sont  les  meilleurs  interprètes  ,  car  ils  savent  se  faire  comprendre  de 
toutes  les  tribus  de  l'Ogôoué  et  du  Congo  ,  comme  si  les 'dialectes  que  parlent  ces 
tril)us  étaient  tous  dérivés  d'une  languerinère  bakalai.  L'expédition  entra  ensuite 
dans  le  territoire  des  Giambis,  dont  on  avait  parlé  avec  terreur.  Ce  ne  fut  que  grâce 
à  un  chef  bakalai,  marié  à  une  femme  giambi,  que  les  membres  de  l'expédition,  exté- 
nués de  fatigue  et  tremblants  de  fièvre  ,  purent  parvenir  au  village  de  Uokou  ,  par 
2"  30  de  latitude  Nord.  Après  y  avoir  passé  un  mois  à  souffrir  de  faim  et  sans  pouvoir 
obtenir  de  guides  pour  continuer  leur  route  vers  le  Nord,  les  voyageurs  se  décidèrent 
d'opérer  leur  retraite  plutôt  que  de  répandre  le  sang  pour  se  frayer  une  voie.  Au 
Nord  des  Giambis,  se  trouvent  les  Abanhas  et  au  Nord-Est  les  Poupous.  Ces  peujiles, 
qui  cependant  voyagent  beaucoup  pour  leur  commerce,  n'ont  pas  connaissance  d'un 
pays  situé  plus  au  Nord  oii  cesserait  la  forêt ,  pas  plus  qu'ils  ne  connaissent  de 
rivières  ou  de  lacs.  Dans  cette  direction,  le  nom  de  Niam-Niam  leur  est  entièrement 
inconnu. 

A  son  retour ,  l'expédition  traversa  encore  une  fois  le  Sékoli  avec  l'intention  de 
descendre  cette  rivière  jusqu'à  son  confluent  avec  le  Congo.  Sur  le  refus  des  indi- 
gènes, de  lui  fournir  des  pirogues,  elle  en  construisit,  et  pendant  six  semaines,  d'une 
navigation  des  plus  pénibles  ,  elle  descendit  le  cours  du  Sékoli.  Cette  rivière  ,  pen- 
dant la  première  partie  du  trajet,  continue  à  couler  dans  une  direction  générale 
Ouest-Est  ;  puis  elle  s'infléchit  doucement  vers  le  Sud,  arrêtée  dans  sa  marche  vers 
l'Orient  par  la  ligne  de  faîtes  qui  longe  ,  à  quelque  distance  ,  la  rive  droite  de 
rOubanghi. 

Dans  son  cours,  elle  change  plusieurs  fois  de  nom,  et  reçoit  sur  la  rive  droite,  un 
affluent,  YAmbili^  cpii  est  vraisemblablement  la  rivière  Lebaï-Ocoua,  découverte  en 
1878  par  M.  Savorgnan  de  Brazza,  et  sur  les  bords  de  laquelle  le  voyageur  fut  forcé 
d'abandonner  son  exploration  et  de  revenir  à  l'Alima. 

Attiré  par  le  sel  qu'on  recueille  sur  les  rives  désertes,  les  bœufs  sauvages,  les  anti- 
lopes ,  les  éléphants  ,  les  hippopotames  pullulent  dans  cette  région  ,  dont  le  paysage 
revêt  ainsi  un  cachet  préhistorique. 

Au-delà  de  l'équatcur  ,  la  rivière  a  une  largeur  qui  varie  entre  5UU  et  800  mètres  . 
suivant  le  plus  ou  moins  grand  nombre  d'îles  qu'elle  renferme. 

Ce  n'est  qu'après  les  plus  rudes  épreuves  que  ,  dans  les  premiers  jours  de  janvier 
1886,  l'expédition  atteignit  le  Congo  oii  la  rivière  débouche  en  fa':e  de  l'ancienne 
station  de  Loukoléla. 

Là,  elle  rencontra  fort  heureusement  la  Commission  française  de  délimitation, 
composée  de  MM.  Rouvier,  Ballaz  et  Plcigneur. 

Du  confluent  du  Sékolé-Shanga,  qu'on  doit  identifier  avec  la  Bouanga  explorée  par 
MM.  Grenfell  et  Von  François,  l'expédition  gagna  l'Alima,  qu'elle  remonta  pour 
arriver  au  Gabon  par  la  route  de  l'Ogôoué. 

L'expédition  avait  iluré  six   mois.  Sans  parvenir  au  but  qu'elle  s'était  proposé 


-  477  - 

d'atteindre,  le  bassin  de  la  Benoué ,  elle  n'a  pas  été  moins  fort  utile ,  en  ce  sens 
qu'elle  a  fait  connaître  d'une  manière  définitive  l'existence  d'une  nouvelle  grande 
rivière  navigable,  coulant  dans  une  direction  à  peu  près  parallèle  à  celle  de  la  Licona 
entre  celle-ci  et  l'Ouhang-hi. 

C'est  au  Mouve77ient  Ge'or/rnpfnque  de  Bruxelles  et  à  la  Revue  Géographique  que 
publient  chaque  semestre  dans  le  Tour  du  Monde^  MM.  Maunoir  et  Duveyrior,  (pie 
nous  empruntons  ces  détails. 

Ajoutons  que  M.  Jacques  de  Brazza  a  rapporté  de  son  voyage  do  nombreux 
objets  de  toute  sorte  qui  ont  été  exposés  dans  la  grande  Orangerie  du  .lardin  «les 
Plantes. 

On  a  pu  ainsi  se  confiruier  dans  cette  idée  que  le  Congo  franc^ais  est  une  terre 
particulièrement  intéressante  à  tous  égards,  et  qui  remboursera  un  jour  au  centuple 
les  faibles  dépenses  que  son  organisation  impose  en  ce  moment  à  notre  pays. 

Cervera  Baviera  dans  l'Adrar.  —  Récemment  est  revenu  en  Espagne 
M.  Julio  Gervera  Baviera,  chargé  par  la  Société  géographique  de  Madrid  d'explorer 
la  partie  du  Sahara  occidental  qui  confine  aux  possessions  espagnoles  situées  entre 
le  Cap  Blanc  et  le  Gap  Bojador.  11  était  accompagné  du  professeur  Don  Francisco 
Quiroga,  qui  devait  se  consacrer  à  l'étude  de  la  météorologie,  de  la  flore  et  de  la 
faune,  et  de  Din  Felipe  Rizzo,  interprète  arabe .  L'expédition  est  allée  jusqu'à 
l'Adrar,  effectuant  un  parcours  total  de  900  kilomètres,  à  travers  des  districts  demeu- 
rés jusqu'ici  à  peu  près  inexplorés.  Les  plus  hautes  altitudes  franchies  ont  été  de  500 
mètres  au  maximum  au-dessus  du  niveau  de  la  mer.  On  a  conclu  deux  traités  avec 
des  chefs  Arabes,  en  vertu  desquels  l'Espagne  acquiert  une  grande  extension  de 
territoire. 

Observations  de  11.  le  D' I^ouis  l%oIf  sur  le  cours  de  Kan- 
kourou.  -T-  Nous  avons  relaté  dans  notre  dernier  Bulletin  les  observations  de 
M.  le  D""  Wolf  sur  la  rivière  le  Kassai  et  sur  la  découverte  qu'il  a  faite  d"une  voie 
courte  pour  pénétrer  dans  le  Congo  supérieur.  Depuis  ce  temps  ,  cet  explorateur  est 
rentré  en  Europe  et  des  détails  plus  précis  nous  sont  donnés  sur  ses  découvertes.  En 
réalité,  il  a  reconnu  le  cours  de  Sankourou  ,  importante  rivière  dont  le  nom  avait 
été  prononcé  par  Livingstone ,  Gameron  et  Stanley ,  et  que  personne  n'avait 
encore  vue. 

Il  résulte  des  observations  de  M.  le  D'"  Wolf ,  que  cette  rivière  magnifique ,  est 
pour  le  Congo  ce  que  le  Cher  est  pour  la  Loire.  C'est  la  corde  du  grand  arc  que  le 
Congo  décrit  sous  l'Equateur  .  Par  conséquent ,  comme  nous  venons  de  le  dire  ,  le 
Sankourou  est  appelé  à  être  la  grande  voie  de  pénétration  vers  le  Congo  supérieur, 
vers  Nyangoué  ,  par  exemple ,  dont  il  n'est  éloigné  que  de  dix  jours  de  marche. 

Le  Sankourou,  qui  vient  de  l'Est ,  se  jette  dans  le  Kassaï  par  un  delta  dont  les 
deux  bras  mesurent  respectivement  250  et  300  mètres  de  largeur.  Le  D'  ^^'olf  l'a 
remonté  pendant  800  kilomètres  jusque  sous  5"  30'  de  latitude  Sud,  reliant  ainsi  le 
confluent  à  la  partie  découverte  en  1882  .  par  Wissmann  et  Pogge  ,  et  qui  porte  le 
nom  de  Loubilach. 

On  sait  que  tout  ce  pays,  habité  parla  tribu  des  Bassongès ,  est  extrêmement 
peuplé.  La  découverte  de  la  navigabilité  du  Sankourou,  dont  le  cours  a  au  moins 
1,400  kilomètres  ds  longueur,  met  ces  populations  à  portée  de  Léopoldville. 

Poursuivant  son  exploration  vers  l'Est,  le  D"^  Wolf  quitta  le  Sankourou  pour  péné- 
trer dans  un  affluent  qui,  par  4"  20'  de  latitude  Sud,  présentait,  sur  la  rive  droite,  un 
delta  formé  par  deux  bras.  En  amont,  sa  direction  est  d'abord  Nord,  puis,  immédia- 


-418- 

lement  après,  et  d'une  façon  très  brusque,  il  prend  celle  du  Sud-Est.  Wolf  le  remonta 
pendant  140  kilomètres.  11  se  disposait  k  pousser  plus  avant  sa  reconnaissance , 
lorsque,  comme  nous  Tavons  dit  dans  le  dernier  Bulletin  (p.  415),  un  accident  arrivé 
à  la  machine  de  VEn-avant  l'cmpècha  d'aller  plus  loin  (5"  20'  de  latitude).  11  est 
convaincu  que  le  tributaire  sur  lequel  il  se  trouvait ,  n'était  autre  que  le  Lomani , 
dont  Livingstone  nous  fit  connaître  le  premier  le  nom,  que  Gameron  côtoya  quelques 
années  plus  tard,  et  que  Wissmann  et  Pogge  traversèrent  en  1882  ;  le  Lomani  aurait 
près  de  900  kilomètres  de  longueur. 

On  comprend  quelle  est  l'importance  de  la  découverte  du  D'  Wolf.  11  a  trouvé  la 
route  la  plus  courte  pour  pénétrer  dans  le  Congo  supérieur,  que  tous  les  explorateurs 
signalent  connue  une  terre  promise. 

M.  Wauters,  si  compétent  pour  toutes  les  questions  qui  concernent  l'hydrographie 
de  l'Afrique  équatoriale,  se  demande  si  le  Kassaï  est  un  affluent  du  Sankourou,  ou  si 
c'est  le  Sankourou  qui  est  un  affluent  du  Kassaï.  11  penche  pour  la  première  solution 
et  donne  la  primauté  au  cours  d'eau  dont  le  cours  inférieur  a  été  découvert  par 
MM.  Wissmann  ,  Von  François  et  Mùeller  ,  le  cours  moyen  par  le  D'  Wolf,  et  les 
sources  par  Gameron. 

Le  Sankourou  aurait  1750  kilomètres  ;  sa  navigabilité  a  été  constatée  pendant 
1,300  kilomètres.  Ses  principaux  affluents  seraient:  adroite,  le  Mfini-Ikata  et  le 
Lomani  ;  à  gauche  ,  le  Koango  ,  le  Wambo,  le  Saïa  ,  le  Kouilou  ,  le  Loangé,  le  Kassï 
et  le  Loubi. 


lia  haie  de  Diego  Suarcz.  —  La  baie  de  Diego  Suarèz,  lisons-nous  dans 
V  Illustration  ,  a  été  relevée  hydrographiquement  par  l'état -major  de  la  corvette  la 
Nièvre  ,  en  188J  ,  époque  à  laquelle  le  Gouvernement  français  avait  déjà  l'intention 
d'y  fonder  un  sérieux  établissement  colonial. 

11  résulte  du  rapport  officiel  que  cette  baie  n'a  sa  pareille  ,  ni  pour  l'étendue  ,  ni 
pour  l'ancrage,  qu'elle  est  salubre,  abondanunent  fourni  de  sources  et  de  rivières,  et 
que  le  territoire  qui  l'avoisine  est  propre  à  la  culture. 

Découverte  par  Diego  Suarèz,  navigateur  portugais  qui  se  rendait  aux  Indes,  cette 
immense  baie  seuible  avoir  été  découpée  connue  à  plaisir  par  la  nature  dans  l'inté- 
rieur des  terres. 

Ses  contours  capricieux  forment  cinq  grantles  rades  :  celle  du  Toitnerre  ,  celle  des 
Cailloux  blancs,  celle  de  l'île  du  Sépulcre,  enfin  la  Baie  des  Français  et  le  port  de 
la  Nièvre. 

Ces  baies  se  subdivisent  à  leur  tour  en  havres  ,  criques  ou  anses  dont  plusieurs 
sont  accessibles  aux  bateaux  même  d'un  très  fort  tonnage. 

Nne  presqu'île  resserrée  entre  la  baie  de  l'île  du  Sépulcre  et  le  cul-de-sac  Gallois  , 
s'avance  au  milieu  de  la  baie  de  Diégo-Suarez. 

Un  large  et  fertile  plateau  s'élève  sur  cette  presqu'île  ,  où  le  Gouvernement  a  déjà 
conunencé  des  installations  :  ponts  ,  débarcadère  ,  dépôts  de  charbon  ,  magasins , 
chantiers  de  constructions  ,  casernes  ,  hôpitaux ,  etc.  Plus  tard  ,  bassins  de  carénage 
et  arsenaux  divers  seront ,  dans  cette  position  admirablement  choisie ,  à  l'abri  de 
toute  agression  de  la  part  des  Hovas. 

Un  fortin  ,  construit  sur  le  monticule  i)ar  lequel  se  termine  le  plateau  de  la  pénin- 
sule ,  domine  la  rade  et  protège  les  premiers  établissements. 

On  peut  très  facilement  rendre  imprenable  l'importante  position  de  Diégo-Suarèz. 

La  nature  a  déjà  presque  tout  fait  dans  ce  but.  L'entrée  de  la  baie  est  un  goulet  de 
trois  kilomètres  de  longueur  environ,  sur  deux  de  largeur,  resserré  entre  les  promon- 
toires de  la  côte  au  Sud  et  au  Nord. 


-  479  — 

En  outre,  pi"es(]iie  au  milieu  du  chenal  qui  reste  libre,  surj^it  un  îlot  basaltique  très 
pittoresque,  appelé  Nossi-Volane,  ou  île  de  la  Lune. 

Des  batteries  installées  sur  les  deux  rives  du  chenal  et  croisant  leurs  feux  avec 
ceux  des  batteries  qui  seraient  également  édifiées  sur  Nossi  -  Volane ,  rendraient 
inq)Ossiblc  l'accès  de  la  baie  à  tout  navire  ennemi.  D'ailleurs  ,  eùt-il  forcé  la  passe  , 
malgré  tout,  ce  navire  se  trouverait  encore  en  face  <le  Nossi- Lanr/our,  qui  se  dresse 
comme  un  bastion  au  milieu  de  la  baie  ,  et  dont  les  batteries  achèvevaient  de  le 
couler  à  pic. 

Des  craintes  au  sujet  de  la  sécurité  de  notre  colonie  de  Diégo-Suarèz ,  à  cause  du 
voisinage  de  l'établissement  des  Hovas  à  Ambohemarina,  ont  été  manifestées  et 
pourraient  être  justifiées  ,  si  le  Gouvernement  permettait  aux  Hovas  de  faire  ,  sur  le 
plateau  qu'ils  occupent,  de  nouveaux  travaux  de  fortifications. 

Le  fond  de  la  baie  de  Diégo-Suarez  n'est  séparé  de  la  baie  du  Courrier,  au  Sud- 
Ouest  de  la  presqu'île  d'Ambre  ,  que  par  un  isthme  très  étroit ,  qu'il  est  facile  de 
traverser  en  une  heure  de  marche  à  \ned. 


DéliinitatlouM  défluitlves  lie  l'État  indcpeudaut  du  Coug;o. 

—  Le  texte  de  la  convention  de  délimitation  du  Congo  a  été  définitivement  arrêté 
à  Bruxelles  ,  vendredi  22  avril ,  après  acquiescement  de  l'Etat  et  du  gouvernement 
français.  Les  ratifications  ont  dû  être  échangées  le  26  ou  le  27  avril. 

Pour  la  délimitation  ,  l'État  accepte  la  transaction  proposée  par  M.  de  Freycinet. 
La  limite  sera  le  thalweg  de  l'Oubanghi.  Le  petit  poste  de  N'Koundja ,  fondé  par 
M.  de  Brazza  ,  et  qui  se  trouve  sur  la  rive  gauche  ,  est  cédé  à  l'État  libre  ,  la  rive 
droite  seule  appartenant  à  la  France. 

La  clause  de  préemption  stipulée  en  1885,  ne  sera  pas  opposable  à  l'Etat,  s'il  vou- 
lait céder  partie  ou  totalité  de  ses  territoires  à  la  Belgique. 

L'État  renonce  à  la  loterie  de  29  millions  ,  dont  l'émission  en  France  aurait  pu 
avoir  lieu  ,  suivant  un  engagement  pris  par  M.  Jules  Ferry  ,  mais  le  gouvernement 
français  consent  à  admettre  à  la  cote  les  titres  de  l'emprunt  du  Congo  jusqu'à  concur- 
rence de  80  millions. 

Les  journaux  de  Bruxelles  ont  publié  les  documents  dont  la  teneur  suit  :«  Henri 
Morton  Stanley ,  agissant  au  nom  de  Sa  Majesté  le  roi  des  Belges  ,  souverain  de 
l'État  libre  du  Congo,  élève  Hamed-Bin-Mohamed  Tippo-Tib,  à  la  dignité  de  vali  du 
district  des  Stanley-Falls  ,  avec  un  traitement  de  trente  livres  sterlings  par  mois  ,  et 
aux  conditions  suivantes  : 

1°  Tippo-Tib  s'oblige  à  arborer  le  pavillon  de  l'État  du  Congo  sur  la  station  voisine 
des  Stanley-Falls,  et  à  faire  respecter  l'autorité  de  l'État  tant  sur  la  rivière  du  Congo 
et  tous  ses  affluents  qu'à  cette  station  et  en  aval  de  la  rivière  jusqu'à  la  rivière 
Arumni.  11  s'engage  à  empêcher  les  Arabes  et  les  tribus  établis  dans  l'étendue  de  ce 
territoire  à  faire  le  commerce  des  esclaves  ; 

2"  Tippo-Tib  recevra  un  résident  représentant  l'Etat  libre  du  Congo  et  l'emploiera 
comme  intermédiaire  pour  toutes  les  communications  qu'il  pourra  avoir  à  faire  à 
l'administration  générale  ; 

3"  Tippo-Tib  aura  pleine  liberté  de  faire  le  commerce  dans  toutes  les  directions  et 
dans  tous  les  endroits  qui  pourront  lui  convenir  ; 

4°  Tippo  -  Tib  nommera  un  substitut  pour  l'intérim  en  cas  d'absence ,  auquel  il 
déléguera  ses  pouvoirs,  et  qui  lui  succédera  en  cas  de  décès.  Sa  Majesté  le  roi  des 
Belges  se  réserve  le  droit  de  désapprouver  le  choix  de  Tippo-Tib  si  elle  y  trouve  une 
objection  sérieuse  ; 


-  m)  — 

5°  Le  présent  traité  aura  ses  pleins  effets  aussi  longtemps  que  Tippo-Tib  ou  son 
substitut  pour  rintériia,  rempliront  les  conditions  énumérées  ci-dessus. 

DélEniitatiou  des  poiiises.sion»»  françai?«cs  et  alleiuancleK 
sur  la  côte  «les  esclaves.  —  Gunfoniiénient  à  la  convention  du  24  décembre 
1885 ,  les  commissaires  français  et  allemands  ont  déterminé  la  limite  des  posses- 
sions françaises  et  allemandes  ,  sur  la  côte  des  Esclaves.  On  a  choisi  le  méridien 
qui  coupe  la  pointe  occidentale  de  Tîle  Bayol  (dans  la  lagune  entre  Agoué  et  Petit- 
Popo,  un  peu  à  l'ouest  du  village  Hillacondji)  en  le  prolongeant  vers  le  Nord  jusqu'au 
neuvième  degré  de  latitude  septentrionale.  Cet  accord  a  été  sanctionné  par  les  deux 
gouvernements. 

li'euseiguemeiit  frauçal^  au  Sénég;al.  —  D'après  un  correspondant 
de  la  Gironde  ,  des  écoles  françaises  fonctionnent  à  Bakel,  Kayes,  Médine,  Bafou- 
labé,  Kita  et  Badoumbé  ;  chaque  école  comprend  deux  sections  :  la  première ,  avec 
les  fils  des  chefs  des  villages  environnants  ,  sorte  d'école  d'otages ,  soumises  à 
l'internat  ;  les  enfants  sont  nourris  et  habillés  par  les  soins  de  l'administration  ; 
—  la  seconde  ,  destinée  à  recevoir  les  enfants  des  tirailleurs  indigènes.  Chaque  soir, 
un  cours  est  professé  aux  ouvriers  et  habitants  de  Saint-Louis. 

L'école  d'otages  de  Kayes  compte  trente  élèves  ,  enfants  venus  du  fond  du  Bam- 
bouck  ou  fils  des  chefs  du  Kaméra  ;  celle  de  Bakel  en  compte  autant ,  fils  des  chefs 
du  Guoy.  Parmi  les  élèves  de  l'école  de  Médine,  se  trouve  le  fils  du  fameux  marabout 
Mamadou-Lamine-Dramé.  Le  colonel  Gallieni  est  très  satisfait  des  résultats  obtenus 
jusqu'à  ce  jour;  il  s'efforce  d'organiser  de  mieux  en  mieux  le  service  de  l'enseigne- 
ment qu'il  considère  comme  le  plus  puissant  moyen  d'étendre  l'influence  française. 

Ij'Espagiie  dans  la  nier  Roug^e.  —  L'Espagne  était  désireuse  depuis 
fore  longtemps  d'occuper  sur  le  littoral  de  la  mer  Rouge  un  point  lui  permettant 
d'installer  un  dépôt  de  charbon,  dépôt  indispensable  aux  bâtiments  de  sa  marine  qui 
empruntent  la  voie  du  canal  de  Suez  pour  desservir  les  îles  Philippines. 

Un  officier  de  sa  marine  fut  envoyé  dans  ce  but,  il  y  a  environ  un  an,  pour  s'abou- 
cher avec  les  tribus  de  la  côte ,  et  nous  sommes  heureux  d'apprendre  que  ses 
démarches  viennent  d'aljoutir,  il  y  a  deux  mois.  Cet  officier.  M.  Pastorin ,  s'est,  en 
effet,  entendu  avec  les  indigènes  Somalis  et  Dankalis  pour  l'acquisition  d'une  petite 
baie  libre  jusqu'à  ce  jour  d'occupation  par  une  nation  civilisée,  et  qui  permettra  à 
nos  voisins  de  se  créer  l'établissement  que  réclamait  impérieusement  la  sûreté  de 
leurs  communications  avec  l'Extrême-Orient. 

J*iondag;es  et  forages  en  Algérie.  —  Notre  colonisation  en  Afrique,  soit 
dans  la  région  algérienne,  soit  dans  la  région  tunisienne,  soit  au  Congo,  est  consi- 
dérablement facilitée  par  les  forages  de  puits  artésiens  qui  s'y  exécutent. 

L'histoire  des  Puits  artésiens  remonte,  pour  l'Algérie,  aux  époques  les  plus  recu- 
lées. Les  sondeurs  arabes  qui  ont  creusé  les  nombreux  puits  indigènes  qui  existent 
dans  le  désert ,  notamment  dans  le  sud  de  la  province  de  Constantine ,  formaient 
jadis  une  corporation  très  estimée  et  même  vénérée  des  Arabes. 

Le  R'tas,  ainsi  se  nomme  le  sondeur  indigène,  a,  de  tout  temps,  joui  de  grands 
privilèges,  parmi  les  populations  sédentaires  ou  nomades  du  sud  de  l'Algérie.  Son 
métier  très  dangereux,  et  les  avantages  immenses  que  les  Arabes  retiraient  de  ses 
travaux,  en  faisaient  un  être  à  part.  L'explication  du  fonçage  d'un  puits  artésien  par 


—  m  - 

le  R'tas  nous  amènerait  trèf^  loin,  mais  pour  ju!j:or  du  dan;ier  (|ue  présente  son  tra- 
vail, il  faut  se  figurer  un  puits  carré  de  0'",70  de  côté  et  de  60  à  80  mètres  de  profon- 
deur environ,  blindé  en  bois  de  tronc  de  palmier  (le  seul  arbre  qui  existe  dans  la 
région  des  puits).  Le  R'tas  descend  ,  s'enfonce  petit  à  petit  dans  ce  puits  percé  tout 
entier  dans  l'argile  et  arrive  sur  la  couche  de  poudingue  rouge  qui  recouvre  la  partie 
artésienne.  Cette  couche  est  percée  à  l'aide  d'une  pioche,  et  l'eau  qu'elle  retient 
prisonnière,  jaillit  à  ce  moment  avec  une  telle  force,  qu'il  arrive  assez  souvent  que 
le  malheureux  sondeur  est  brusquement  rejeté ,  aplati  contre  les  parois  du  puits, 
l'eau  remonte  en  peu  de  temps  à  la  partie  supérieure  sur  le  sol  et  rejette  inanimé  le 
corps  du  R'tas. 

L'arrivée  des  ateliers  de  sondage  français  ,  en  1856,  a  presque  fait  disparaître  le 
sondeur  indigène.  Nous  avons  pu,  malgré  cela  ,  en  rencontrer  quelques-uns  dans  le 
cours  d'un  voyage  que  nous  avons  fait  en  1882  dans  la  province  de  Constant! ne. 

Aujourd'hui  leurs  travaux  sont  complètement  arrêtés ,  c'est  un  métier  qui  a 
disparu,  et  les  colons  français  avec  leurs  ateliers  de  sondage  les  font  de  plus  en  plus 
oublier. 

Les  ateliers  français  appartenant  à  l'Etat,  ont  chaque  année  foré  un  grand  nombre 
de  puits,  et  ont  été  conduits  par  M.  Jus,  ingénieur,  ancien  élève  d'Arts  et  Métiers 
d'Angers,  auquel  revient  une  grande  part  de  la  prospérité  dont  certaines  régions 
d'Algérie  ont  bén^éficié  depuis.  Malgré  que  M.  Jus  fut  aidé  dans  ses  travaux  par  des 
soldats  des  bataillons  d'Afrique,  ce  n'est  pas  sans  difficulté  qu'il  a  pu  procédera  ses 
premiers  travaux  ;  à  plusieurs  reprises  sa  vie  a  été  en  danger.  Les  Arabes  voyaient 
d'un  mauvais  œil  un  Français  qui  représentait  encore  pour  eux  l'ennemi  envahisseur, 
détrôner  le  pouvoir  indiscuté  du  R'tas  ;  c'était  une  défaite  dont  leur  amour-  propre 
souffrait  beaucoup.  Mais  devant  les  avantages  qu'il  tirèrent  des  travaux  de  M.  Jus  , 
ils  en  vinrent  à  le  vénérer  autant  qu'ils  le  détestaient  au  début,  et  aujourd'hui  encore 
ce  dernier  jouit  d'une  considération  entourée  de  respect  que  beaucoup  de  marabouts 
lui  envieraient. 

Le  premier  atelier  de  sondage  appartenant  aux  colons  fut  installé  par  MM.  Fau  , 
Foureau  et  C'e  qui  ont  fondé  depuis  la  Compagnie  de  l'Oued  Rirh,  dont  le  siège  est 
Biskra.  Le  premier  sondage  artésien  exécuté  par  cet  atelier ,  a  jailli  au  mois  de 
décembre  1881,  et  a  donné  dans  l'oasis  de  Tarnerna  Djidda  ,  à  une  profondeur  de  56 
mètres,  un  débit  de  4,000  litres  par  minute.  Cet  atelier  était  alors  dirigé  par 
M.  Boutain,  ce  fut  le  dernier  poste  français  que  rencontra  le  colonel  Flatters,  lors  de 
sa  malheureuse  excursion  chez  les  Touaregs. 

11  a  fonctionné  jusqu'au  mois  de  mai  1882  et  a  foré  cinq  puits  artésiens  dans 
l'Oued  Rihr.  Les  profondeurs  de  ces  différents  puits  ont  varié  de  50  à  80  mètres,  et 
leur  débit  moyen  de  2,000  à  4,000  litres  par  minute.  L'arrêt  du  travail  a  eu  lieu  en 
1882  à  cause  de  l'élévation  de  la  température  ;  l'atelier  était  alors  dans  l'oasis  de 
Touggourt.  Depuis  cette  époque,  la  Compagnie  de  l'Oued  Rirh  a  continué  ses  tra- 
vaux, tant  en  forages  qu'en  plantations  de  palmiers  ,  et  son  avenir  est  complètement 
assuré,  grâce  à  l'énergie  de  ses  directeurs  ,  qui  n'ont  pas  craint  de  faire  pour  leurs 
besoins  personnels  les  sacrifices  qui  avaient  été  jusque-là  supportés  difficilement 
par  l'État. 

L'histoire  militaire  de  notre  colonie  d'Afrique  est,  par  maints  endroits,  liée  à  celle 
des  puits  artésiens,  et  la  facilité  avec  laquelle  les  Français,  avec  leur  outillage  per- 
fectionné, faisaient  jaillir  l'eau  du  désert,  en  imposait  aux  Arabes  comme  Christophe 
Colomb  annonçant  l'éclipsé  du  soleil  aux  sauvages  de  Saint-Domingue. 

En  Tunisie ,  les  forages  artésiens  suivent  également  une  marche  régulière ,  et  le 
temps  n'est  pas  éloigné  où  le  nombre  des  oasis  sera  doublé  ,  grâce  au  procédé  de 
forage  français.  Pour  cette  région,  les  études  préliminaires  pour  la  réalisation  du 

32 


—  482  — 

projet  connu  sous  le  nom  de  Mer  intérieure  du  ccmmandant  Roudaire^  ont  consi- 
dérablement avancé  la  reconnaissance  du  régime  artésien.  C'est  en  faisant  les  son- 
d'études  pour  le  canal  devant  faire  communiquer  les  chotts  avec  la  Méditerranée  que 
nos  ingénieurs  ont  reconnu  la  présence  du  régime  artésien  de  la  Tunisie,  lequel  est 
le  même  que  celui  de  l'Oued-Rihr. 


Résultats  des  e^&plorateurs  Greiifell  et  Junker.  —  M.  Wauters 
a  prétendu  établir  que  /Quelle  est  un  tributaire  du  Kongo  ,  qu'il  ne  coule  point  vers 
le  lac  Tchad,  mais  qu'il  rejoint  le  Kongo  par  le  Mobandji,  cours  d'eau  nouvellement 
exploré  par  M.  Grenfell,  M.  Wauters  invoque,  à  cet  égard,  l'autorité  de  Schweinfurth, 
de  Stanley ,  de  Grenfell  et  de  Lenz.  Les  géographes  français  ,  entre  autres  MM.  de 
Brazzaet  Duveyrier,  sont  d'un  avis  différent,  et,  à  l'arrivée  du  D' Junker  à  Zanzibar, 
le  vice-Consul  français  a  fait  savoir  que  Junker  n'avait  à  présent  aucun  doute  sur 
l'écoulement  de  l'Ouellé  dans  le  lac  Tchad.  Junker  venait  précisément  d'explorer 
l'Ouellé  et  avait  atteint  un  endroit  beaucoup  plus  avancé  vers  l'Ouest  qu'on  ne  l'avait 
fait  auparavant.  La  question  des  limites  du  bassin  du  Kongo  et  de  l'Etat  libre  du 
Kongo  n'est  pas  d'une  petite  importance  pour  l'établissement  ultérieur  de  la  fron- 
tière des  possessions  françaises  entre  le  Gabon  et  le  Kongo.  Toutefois,  une  nouvelle 
lettre  de  Schweinfurth,  adressée  du  Caire,  semble  encore  une  fois  changer  la  question 
de  face. 

A  l'arrivée  de  Junker  au  Caire  ,  Schweinfurth  s'est  aperçu  que  ,  quand  il  était  à 
Zanzibar,  Junker  ne  savait  rien  du  Mobandji,  de  Grenfell  ni  d'aucun  des  tributaires 
septentrionaux  du  Kongo,  à  l'exception  de  l'Arou-Ouimi.  Dès  que  les  faits  lui  eurent 
été  exposés,  en  ce  qui  concerne  les  affluents  du  Nord,  Junker  a  reconnu  la  probabi- 
lité de  la  théorie  de  l'Ouellé-Mobandj-Kongo,  et  s'avoua  absolument  convaincu. 

Junker  a  suivi  l'Ouellé  (appelé  en  cet  endroit  le  Makoua)  jusqu'au  village  de 
Bassanga  ,  par  22O4T40"  E.  Long,  et  3"  13'l(y'  N.  de  Lat.,  à  un  degré  seulement  au 
nord  du  Kongo.  Or  ,  comme  Grenfell  a  suivi  le  cours  du  Mobandji  jusqu'à  4"  40'  de 
Lat.  N.,  il  en  résulte  que  l'OuelIé-Makoua  fait  une  grande  courbe  vers  le  N.-O.,  avant 
de  tourner  au  Sud  pour  se  confondre  avec  le  Mobandji  jusqu'à  son  confluent  avec  le 
Kongo ,  ou  bien  que  le  chenal  exploré  par  Grenfell  est  une  autre  branche  du 
Mobandji. 

En  conséquence,  le  Mobandji  serait  constitué  par  l'Ouellé-Makoua,  venant  de  l'Est 
avec  un  cours  à  peu  près  parallèle  au  Kongo,  et  une  autre  rivière,  probablement  d'une 
longueur  et  d'un  volume  moindres,  le  Genko-Kouta  (branche  de  Grenfell),  venant 
du  nord.  Grenfell  a  trouvé  le  cours  du  Mobandji  très  encombré  d'îles,  et  on  suppose 
qu'il  se  pourrait  que  le  confluent  de  l'Ouellé-Makoua  avec  le  Genko-Kouta,  dont  il  a 
remonté  le  cours  jusqu'à  4"  3(/ N.,  lui  eût  échappé.  Pour  résoudre  le  problème,  il 
faudrait  que  quelqu'un  descendit  l'Ouellé-Makoua  à  partir  de  Bassanga  et  au-dessous, 
de  manière  à  passer  dans  le  Mobandji  inférieur,  ou  bien  qu'il  fit  voile  du  Kongo  vers 
Bassanga  en  remontant.  Le  D''  Junker  rapporte  que,  sur  la  partie  de  l'Ouellé  qu'il  a 
explorée,  il  n'y  a  aucun  obstacle  à  la  navigation  jusqu'aux  chutes  de  Kissinga,  visi- 
tées par  Schweinfurth,  dans  la  partie  supérieure  du  cours  de  la  rivière.  11  regarde 
l'Ouellé-Kongo  comme  la  voie  d'eau  la  plus  directe  et  la  plus  parfaite  pour  pénétrer 
dans  le  Soudan  égyptien,  et  s'attend  à  ce  que,  si  Stanley  s'élance  par  le  Kongo  au 
secours  d'Emin-Bcy  il  trouve  par  l'Ouellé-Makoua  sa  meilleure  route. 


—  483  — 


AMÉRIQUE. 

Chez  l'ancien  Président  de  la  République  Arg^entine.  —  Le 

général  Juho  Rocca  ,  qui  pendant  six  années  ,  de  18H0  à  1886  ,  occupa  le  poste  de 
Président  de  la  République  Argentine,  dont  il  fut  le  principal  organisateur,  est  arrivé 
à  Paris  le  mois  dernier.  Il  est  accompagné  de  toute  sa  famille ,  ainsi  que  de  son 
ancien  officier  d'ordonnance,  M.  Gramajo,  et  de  son  secrétaire  particulier,  le  docteur 
Enrique  Garcia  Miron. 

Notre  secrétaire-général,  de  passage  à  Paris,  grâce  à  l'influence  d'un  ami,  a  pu  se 
présenter  chez  le  général  Julio  Rocca,  qui  s'est  installé  avec  toute  sa  suite  à  l'Hôtel- 
Gontinental,  pour  la  durée  de  son  séjour  à  Paris.  L'ancien  Président  de  la  République 
Argentine  lui  a  fait  le  plus  bienveillant  accueil ,  malgré  une  légère  indisposition  qui 
l'oblige  à  garder  la  chambre. 

Le  général  Julio  Rocca  est  âgé  de  quarante-quatre  ans.  Il  est  de  haute  taille,  svelte 
et  d'apparence  très  vigoureuse. 

Par  une  exception  bien  rare  chez  les  Américains  du  Sud  ,  ses  cheveux  et  sa  barbe 
sont  d'un  blond  très  clair.  Dès  le  premier  aspect ,  on  devine  un  homme  d'une  vive 
intelligence  et  d'une  rare  énergie. 

Son  front  est  large  et  découvert,  ses  traits  sont  fortement  accusés  et  pourtant  son 
œil  a  une  expression  d'une  grande  douceur.  Rarement  il  nous  a  été  donné  de  voir 
une  physionomie  aussi  ouverte  et  aussi  sympathique. 

Notre  secrétaire-général  ayant  demandé  au  général  Julio  Rocca  de  vouloir  bien 
lui  donner  quelques  renseignements  sur  l'organisation  de  la  République  Argentine  , 
sur  son  développement ,  son  avenir  et  ses  relations  commerciales  ,  il  pria  son  secré- 
taire ,  qui  connaît  fort  bien  la  langue  française,  de  transmettre  ses  réponses.  Voici 
les  renseignements  que  nous  avons  pu  ainsi  obtenir  tant  sur  le  paj'S  lui-même  que 
sur  son  ancien  Président  : 

Le  général  Julio  Rocca  est  né  à  Tucuman  ,  au  mois  de  juillet  1843.  Son  père  ,  le 
colonel  Rocca,  fut  le  plus  intrépide  champion  de  l'indépendance. 

Le  jeune  Rocca  se  fit  remarquer  de  bonne  heure  par  son  intelligence  et  son  appli- 
cation au  travail.  Il  choisit  la  carrière  des  armes. 

A  l'âge  de  dix-huit  ans,  il  avait  déjà  assisté  à  plusieurs  batailles  et  conquis  le  grade 
de  capitaine. 

Durant  la  guerre  du  Paraguay ,  la  plus  audacieuse  de  toutes  les  guerres  améri- 
caines ,  il  se  distingua  par  son  intrépidité  et  ses  rares  qualités  de  tacticien.  Son 
bataillon  ,  le  6"  de  ligne  ,  entraîné  par  son  exemple  ,  fit  des  prouesses  de  valeur  et 
mérita  le  surnom  d'invincible. 

En  récompense  de  ses  services ,  le  capitaine  Rocca  fut  nommé  commandant  et 
bientôt  lieutenant-colonel.  Quand  la  République  fut  troublée  par  de  nouvelles  insur- 
rections, ce  fut  le  lieutenant-colonel  Rocca  qui  rétablit  le  calme  en  remportant  sur 
les  insurgés  les  victoires  de  Lomas  Blancas  et  de  las  Playas.  Au  mois  de  novembre 
1869,  il  reçut  le  commandement  en  chef  de  la  frontière  d'Oran.  Il  repoussa  l'invasion 
dirigée  par  Lopez  Jordan.  Il  le  battit  à  la  bataille  de  Neambe,  ce  qui  lui  valut  le  grade 
de  colonel,  qu'il  reçut  sur  le  champ  de  bataille  mémo. 

En  1874,  les  plus  dangereuses  attaques  furent  dirigées  contre  la  constitution  de  la 
République  par  les  généraux  Don  Rartolome,  Mitre  et  le  général  Rivas,  appuyés  par 
le  mouvement  du  général  Arredondo  ,  qui  opérait  sur  la  frontière.  Le  général 
Arredondo  était  un  soldat  très  expérimenté  et  il  disposait  de  forces  importantes.  Le 
colonel  Rocca  fut  chargé  de  leur  tenir  tète.  L'anxiété  du  pays  était  portée  à  son 


—  484  - 

comble.  De  la  victoire  de  l'un  ou  l'autre  de  ces  généraux  dépendait  le  sort  de  la 
nation.  Le  colonel  Roeca  déjoua  les  plus  habiles  combinaisons  de  son  adversaire  et 
remporta  sur  lui  la  victoire  de  Santa-Rosa. 

La  nation  accueillit  la  nouvelle  de  cette  victoire  avec  des  transports  de  joie  et  le 
colonel  Rocca  fut  nommé  général. 

Dès  lors  ,  il  consacra  tous  ses  efforts  à  l'organisation  d'un  service  de  défense  sur 
les  frontières ,  afin  de  garantir  le  pays  des  incursions  des  pillards.  Il  fit  plusieurs 
campagnes  dans  l'intérieur  des  Pampas ,  captura  un  grand  nombre  d'Indiens  et 
augmenta  le  territoire  de  la  République  de  plus  de  quinze  mille  lieues. 

C'est  aussi  au  général  Rocca,  qui  ne  tarda  pas  à  devenir  ministre  de  la  guerre  et 
de  la  marine,  que  la  République  Argentine  doit  l'organisation  actuelle  de  son  armée 
et  de  sa  marine.  L'armée  ,  dont  l'effectif  sur  le  pied  de  paix  ne  dépasse  pas  8,000 
hommes,  peut,  en  cas  de  guerre,  s'élever  au  chiffre  de  120,000  hommes  bien  équipés 
et  avec  des  armes  perfectionnées.  Une  école  navale  a  été  fondée  sous  la  direction 
d'un  officier  de  la  marine  française,  M.  Bœuf.  Cette  école  compte  133  élèves. 

La  ffotte  se  compose  de  plusieurs  cuirassés,  de  canonnières,  de  torpilleurs  et  d'un 
grand  nombre  de  navires  de  moindre  importance  qui  mettent  le  pays  à  l'abri  de  toute 
tentative  d'ogression. 

Tant  de  services  rendus  à  la  République,  tant  de  batailles  gagnées  avaient  fait  du 
général  Rocca,  un  héros  fort  populaire.  Aussi,  quand  le  docteur  Nicolas  Avellaneda, 
Président  de  la  République  depuis  1874,  fut  arrivé  au  terme  de  son  mandat,  l'opinion 
publique  le  désigna-t-elle  pour  lui  succéder.  Pourtant ,  le  général  Rocca  avait  un 
concurrent  à  la  présidence,  le  général  Bartolome  Mitre,  qui  disposait  de  forces  mili- 
taires assez  importantes. 

Avec  l'aide  de  Tejedor  ,  gouverneur  de  la  province  de  Buenos-Ayres  ,  ce  général 
tenta  un  soulèvement  qui  se  termina  rapidement  par  la  défaite  des  rebelles ,  dans 
une  bataille  livrée  sous  les  murs  même  de  Buenos-Ayres.  Après  cette  bataille  ,  tout 
rentra  dans  l'ordre,  chacun  quitta  les  armes  pour  retourner  à  ses  affaires,  si  rapide- 
ment que  trois  jours  plus  tard,  la  tranquillité  la  plus  complète  régnait  dans  la  ville. 
Le  général  Rocca  pardonna  généreusement  à  tous  ses  ennemis,  nulle  poursuite  ne 
fut  exercée  contre  eux. 

Seuls  ,  quelques  officiers  furent  mis  en  retrait  d'emploi ,  mais  pour  peu  de  temps. 
Cette  générosité  lui  donna  les  meilleurs  résultats. 

Ses  ennemis  les  plus  acharnés  devinrent  ses  plus  chauds  partisans. 

Dès  qu'il  fut  maître  paisible  du  pouvoir,  le  général  Rocca  consacra  toute  son 
activité  à  l'organisation  de  la  République  et  à  son  développement  commercial.  11  fit 
construire  les  lignes  de  chemins  de  fer  considérables  qui  relient  Buenos-Ayres  à 
Tucuman  et  à  Santiago,  en  traversant  la  Gordillière  des  Andes.  Une  autre  ligne  très 
importante  est  en  construction  ;  elle  sera  continuée  jusqu'au  détroit  de  Magellan. 

C'est  à  lui  aussi  que  la  République  Argentine  doit  la  pacification  des  Pampas  et 
la  destruction  des  bandes  d'Indiens  pillards  ,  qui ,  par  leurs  incursions  fréquentes  , 
enlevaient  toute  sécurité  aux  éleveurs. 

Le  général  Rocca  ,  pendant  les  six  années  qu'il  resta  au  pouvoir  ,  sut  s'entourer 
d'hommes  intelligents  et  actifs ,  qui  le  secondèrent  habilement.  Ce  furent  surtout 
Irigoyen,  avocat,  ministre  des  affaires  étrangères  ;  Victorino  de  la  Plaza ,  ministre 
des  finances  ;  Eduardo  Wilde  ,  ministre  de  l'instruction  publique ,  et  Benjamin 
Victorica  ,  à  la  guerre. 

Son  mandat  terminé  ,  le  général  RocQa  fut  remplacé  par  son  beau-frère ,  Juarez 
Gelan  ,  qui  est  le  Président  actuel.  Nul  doute  que  dans  une  nouvelle  période  de  six 
ans,  le  général  Rocca  ne  revienne  au  pouvoir.  La  Constitution  défend  la  réélection 
immédiate  d'un  Président  de  la  République. 


-  485  - 

Après  avoir  entendu  tous  les  intéressants  détails  qu'on  vient  de  lire  ,  notre  secré- 
taire-général demanda  quelle  était  l'importance  des  relations  commerciales  entre  la 
République  Argentine  et  la  France  ? 

La  France,  nous  dit-on  ,  jouit  d'un  prestige  très  grand  dans  toute  la  République 
Argentine. 

Tous  les  produits  français  y  sont  consommés  de  préférence  aux  autres,  surtout  les 
articles  de  Paris.  Nous  suivons  les  mœurs  et  les  habitudes  françaises.  Buenos-Ayres 
possède  de  nombreuses  maisons  de  confection  de  la  plus  grande  importance. 

Dans  le  tableau  de  notre  commerce,  la  première  place  pour  le  chiffre  des  affaires  , 
est  certainement  occupée  par  la  Franco  ,  surtout  pour  l'imijortation.  L'Angleterre 
vient  ensuite,  puis  l'Allemagne  et  la  Belgique.  L'anné  dernière,  le  connnerce  d'im- 
portation avec  la  France  a  augmenté  de  9  millions  et  demi  de  francs  sur  celui  de 
1880,  et  près  de  5  millions  sur  celui  de  1879. 

Gomme  nous  demandions  si  l'émigration  des  Européens  dans  la  République  Argen- 
tine était  considérable  :  le  courant  d'émigration,  nous  répondit-on,  augmente  de  jour 
en  jour.  En  1880,  21,274  Euroi)éens  ont  émigré  dans  la  République  Argentine;  en 
1801.  ce  chiffre  s'élève  à  35,817. 

Que  deviennent  ces  émigrants  à  leur  arrivée  ?  continuâmes-nous. 

Ils  reçoivent  l'hospitalité,  durant  huit  et  même  quinze  jours  ,  à  l'hôtel  national  de 
"Émigration.  Le  bureau  national  du  travail,  trouve  de  l'occupation  à  ceux  qui  n'ont 
pas  de  capitaux  et  qui  ne  trouvent  pas  directement  du  travail. 

L'émigration  doit-elle  être  encouragée  ?  Ne  doit-on  pas  craindre  l'encombrement? 

Ici  la  réponse  est  typique  :  L'émigration  des  agriculteurs  et  de  tous  ceux  qui 
possèdent  des  métiers  manuels  doit  être  encouragée  par  tous  les  moyens.  Ces  gens 
trouvent  rapidement  des  emplois  bien  rémunérés. 

L'exploitation  du  sol  dans  la  République  Argentine  a  subi  une  grande  modification. 
L'élevage  a  considérablement  diminué  et  on  s'occupe  beaucoup  de  la  culture  des 
terres  qui  donne  d'excellents  résultats.  Nous  avons  encore  d'immenses  étendues  de 
territoire  entièrement  incultes  et  sans  habitants.  Les  agriculteurs  actifs  sont  donc 
assurés  d'arriver  vite  a  de  beaux  résultats. 

En  terminant  cette  longue  conversation,  le  secrétaire  du  généralJulo  Rocca  nous 
fit  remarquer  qu'autant  on  devait  encourager  l'émigration  des  hommes  possédant  les 
métiers  dont  il  vient  d'être  question,  autant  on  devait  en  dissuader  les  jeunes  gens 
se  destinant  aux  carrières  libérales.  Les  médecins  français  ,  par  exemple  ,  jouissent 
d'une  grande  réputation,  mais  leur  nombre  est  grand  déjà. 

Le  service  des  autres  carrières  est  suffisamment  assuré  par  les  jeunes  gens  du 
pays. 

€onte!«tation  sur  la  délimitation  de  leurs  froutières  entre 
les  Itépuliliques  de  I%icara^ua  et  Costa -Uica.  —  L'attention 
publique  est  attirée  en  ce  moment  dans  l'Amérique  Centrale  sur  la  question  des 
limites  qui  existent  entre  les  deux  Républiques  de  Nicaragua  et  Costa-Rica.  11  s'agit 
de  savoir  si  Juanacaste  appartient  à  l'un  ou  à  l'autre  pays. 

Voici  ce  qui  se  dit  du  côté  de  Costa-Rica  : 

La  Constitution  de  la  République  ,  en  date  du  21  janvier  1825,  a  bien  déclaré  que 
le  Rio-Salto  constituait  la  frontière  du  côté  du  Pacifique,  ce  qui  équivalait,  en  réalité, 
à  une  déclaration  que  Juanacaste  était  bien  reconnue  comme  appartenant  au  Nicara 
gua,  mais  il  faut  aujourd'hui  revenir  sur  cette  déclaration,  en  raison  du  traité  Jerez 
Ganas,  dans  lequel  la  séparation  de  Juanacaste  du  Nicaragua  a  été  acceptée. 

Le  Nicaragua  répond  : 


Des  faits  et  documents  cités  par  le  D'  Thomas  Avon  ,  historien  réputé  du  pays, 
prouvent  que  la  province  de  Nicoya  a  appartenu  au  Nicaragua  à  l'époque  coloniale 
oii  ses  limites  étaient  déterminées  par  le  cours  du  Rio-Salta.  11  est  aussi  prouvé  que 
la  République  possédait  le  rio  et  la  baie  de  San-Juan  del  Norte ,  découverts  après 
l'arrivée  des  premiers  colons  dans  la  province  de  Gosta-Rica,  alors  pauvre  et  impuis- 
sante à  établir  ses  droits  sur  le  dit  rio  et  soumise  aux  déprédations  des  Indiens 
Mosquitos  auxquels  le  gouverneur  payait  cependant  un  tribut  annuel  pour  préserver 
les  colons  de  leurs  dommages.  Quant  au  traité  Jerez-Ganas  ,  il  est  nul  et  non  avenu  , 
quoiqu'il  ait  reçu  la  sanction  de  l'Assemblée  du  Nicaragua  :  cette  sanction,  en  effet, 
est  contraire  à  la  Gonstitution  du  Nicaragua  de  1838,  qui  était  alors  en  vigueur,  et 
est  faite  la  déclaration  de  la  possession  de  Juanacaste.  Enfin  ,  la  République  de 
Gosta-Rica  ,  après  la  guerre  contre  Walker  et  les  flibustiers  ,  a  demandé  autrefois  à 
la  République  de  Nicaragua  de  lui  céder  Juanacaste  en  récompense  des  services 
rendus  :  eût -elle  agi  ainsi  au  cas  oii  elle  eût  été  certaine  que  Juanacaste  fît  partie 
intégrante  de  son  territoire  ? 

De  tout  ceci ,  il  semble  résulter  que  ,  dans  cette  question  de  limites  ,  le  droit  se 
trouve  du  côté  de  la  République  de  Nicaragua.  On  devine  ,  d'ailleurs  ,  que  les  espé- 
rances actuelles  de  Gosta-Rica  sont ,  avant  tout ,  un  peu  fondées  sur  les  espérances 
du  succès  que  lui  fait  entrevoir  la  condition  actuelle  du  Nicaragua  ,  affaibli  par  des 
dissensions  intérieures. 


Départ  de  II.  Désiré  Charnay.  —  M.  Désiré  Gharnay  ,  que  nous  avons 
entendu  il  y  a  deux  ans  à  la  Société  de  géographie  de  LiUe,  qui  a  exploré  avec  tant  de 
succès  le  Mexique  et  la  presqu'île  du  Yucatan  ,  et  a  enrichi  le  musée  du  Trocadéro 
de  curieux  spécimens  de  l'art  et  de  l'architecture  des  anciens  habitants  de  ces 
contrées,  est  reparti  de  Paris  pour  continuer  ses  recherches.  Dans  le  voyage  qu'il  a 
fait  l'année  dernière,  il  a  pu,  malgré  l'état  troublé  du  pays,  faire  de  nouvelles  décou- 
vertes ,  entre  autres  les  ruines  d'une  cité  inconnue,  que  les  gens  du  pays  appellent 
Ek  Balam,  nom  qui  signifie  «  la  ville  du  tigre  noir  ». 


M.  G.  Oodio  dans  la  République  Argentine.  —  M.  G.  Godio 
parcourt  en  ce  moment  les  Missions  de  la  République  Argentine.  En  vapeur ,  il 
a  gagné  d'abord  Gorrientes ,  puis  Ituzaingo  ,  puis  les  rapides  d'Apopé  ,  mais  son 
vapeur  s'étant  brisé  contre  un  écueil ,  il  a  dû  ,  pour  atteindre  la  capitale  du  terri- 
toire des  Missions,  l'ancienne  Itapua,  aujourd'hui  Posadas,  recourir  à  la  «  galera  », 
espèce  de  véhicule  impossible ,  traîné  par  six  ou  huit  chevaux,  à  travers  les  fon- 
drières. 

M.  Godio  a  été  attaqué  par  les  Indiens  ;  mais  les  Remingtons  ont  eu  raison  des 
assaillants. 

Il  se  propose  de  faire  une  étude  consciencieuse  des  pays  qui  séparent  le  Brésil  de 
la  République  Argentine. 


Lies  deux  plus  grands  QeuTes  du  globe.  —  Le  Major  général 
A.  Von  Tillo,  de  l'état-major  russe ,  classe  ainsi  les  huit  plus  longues  rivières 
du  globe  : 


—  487  — 

Missouri-Mississipi 6.971  kilom. 

Nil 6.681  - 

Yang-tze-Kiang 5.248  — 

Amazone 5.091  — 

Yennesseï-Selinga 4.903  — 

Amour 4.853  — 

Kongo 4.791  — 

Mackenzie 4 .767  — 


OGEANIE. 


IiCS  lies  fl'^alllfs  à  la  France.  —  Un  télégramme  de  Sydney  confirme  la 
prise  de  protectorat,  au  nom  de  la  France,  du  groupe  des  îles  Wallis. 

L'archipel  des  îles  Wallis  ,  avec  les  indigènes  duquel  nous  avions  un  traité  de 
commerce  depuis  1842 ,  est  situé  dans  la  Polynésie ,  au  nord  -  ouest  de  l'archipel 
Bougainville,  par  le  13°  18'  latitude  sud  et  179°  longitude  ouest. 

Elles  ont  été  découvertes  en  1767  par  le  navigateur  anglais  Wallis,  dont  elles 
portent  le  nom,  et  se  composent  de  douze  petites  îles  dont  les  plus  importantes  sont 
Ourea  et  Nakouatea.  Ourea,  la  plus  grande,  est  de  formation  volcanique  :  elle  mesure 
2,500  hectares  environ  et  contient  trois  chaînes  de  collines  dont  la  hauteur  n'excède 
pas  200  mètres,  et  deux  grands  lacs  servant  de  déversoir  à  des  eaux  jaillissantes  qui 
assurent  la  fertilité  du  sol.  Ce  dernier  convient  parfaitement  à  la  plantation  du  café, 
du  cacao  ,  de  la  canne  à  sucre  ,  du  coton  et  des  cultures  tropicales  en  général.  La 
population  d'Ourea  est  catholique  ;  elle  compte  environ  3,500  hahitants. 

C'est  M.  Ghauvot  qui  va  occuper  le  poste  de  premier  résident  de  France  aux  îles 
Wallis. 


REGIONS    POLAIRES. 

Mordensklôld  au  pôle  Sud.  —  On  annonce  comme  très  prochain  le 
départ  d'une  nouvelle  expédition  que  commanderait  Nordenskiold  et  qui  doit  se 
rendre  dans  les  régions  polaires  australes. 


II.  —  Géographie  commerciale.  —  Statistiques 
et  Faits  économiques. 


EUROPE. 


La  population  de  Rome.  —  L'anniversaire  récent  de  la  fondation  de 
Rome  a  rappelé  l'attention  sur  le  nombre  des  habitants  que  cette  ville  a  eus  aux 
différentes  époques  de  son  existence. 


—  488  - 

C'est  sous  l'empereur  Auguste  que  la  population  de  Rome  a  atteint  son  maximum  ; 
elle  fut  de  1,336,680  habitants. 

A  partir  de  cette  époque,  elle  commença  à  décroître,  à  tel  point  qu'en  Tan  525 
après  Jésus-Chrit,  elle  n'était  plus  que  de  300,000  habitants.  En  1375 ,  à  l'époque  du 
retour  du  Saint-Siège  d'Avignon,  la  population  était  réduite  à  17,000  habitants.  Elle 
conunença  à  croître  de  nouveau  ,  mais  d'une  façon  très  lente;  à  cette  époque,  vrai- 
ment splendide  pour  Rome,  c'est-à-dire  sous  le  pontificat  de  Léon  X,  le  chiffre  de  la 
population  n'était  que  de  50,000.  Au  commencement  du  siècle,  il  était  de  165,000. 
Le  31  décembre  1871  .  époque  du  premier  recensement,  la  population  s'élevait  à 
248,208  habitants  ;  en  1872  ,  elle  était  de  250,620  ;  en  1874  .  de  257,000  ;  en  1875 , 
268,130  ;  en  1876,  272,560  :  en  1877,  282,214  ;  en  1878,  289,321  ;  en  1879,  298,060  ;  en 
1880,  305,459;  en  1881, 300,467  ;  en  1883,  316,205  ;  en  1884,  ^4,649  ;  en  1885,341036. 
Enfin,  aujourd'hui,  la  population  de  Rome  et  356,000  habitants. 


ASIE. 


Lia  production  du  poivre.  —  On  sait  à  quelles  atroces  falsifications 
donne  lieu  le  poivre  broyé  dont  nous  nous  servons  usuellement.  Nous  avons  pu  nous 
procurer  au  sujet  de  la  production  actuelle  de  ce  produit  quelques  renseignements 
inédits,  que  nous  sommes  heureux  de  pouvoir  communiquer  aux  lecteurs  du  Bulletin 
de  la  Société  de  géographie  de  Lille  : 

Les  diverses  qualités  de  poivres  qui  se  traitent  dans  le  commerce  sont  celles  de 
Pinang,  de  Singagore,  de  Tellichery,  de  Sumatra,  du  Malabar,  de  Trang  et  de  Siam. 

La  presqu'île  deMalacca,qui  en  produisait  autrefois  4  millions  de  livres  (1,800,000 
kilogranmies),  n'en  donne  presque  plus. 

La  culture  de  ce  produit,  au  point  de  vue  de  la  quantité,  s'est  presque  entièrement 
circonscrite  aux  côtes  de  Sumatra,  et  encore  a-t-elle  diminué  considérablement. 
Autrefois  ,  la  production  y  atteignait  40  millions  de  livres  (18  millions  de  kilo- 
granunes)  ;  en  1872  ,  142,000  piculs  furent  exportés  à  Pinang  ;  en  1873  ,  il  n'y  en  eut 
que  105,000 ,  et  96,000  seulement  (6  millions  de  kilogrammes)  en  1874.  En  outre , 
2  millions  de  livres  (900,000  kilogrammes)  prenaient  annuellement  la  route  directe 
des  ports  de  la  Méditerranée.  Réduite  ,  dès  1877,  à  22  millions  de  livres  (10  millions 
de  kilogrammes)  par  la  guerre  qui  désole  le  pays ,  la  production  de  Sumatra  est 
tombée,  en  1885,  à  131,131  piculs,  soit  8  millions  de  kilogrammes. 

Le  marché  de  Batavia  reçoit  du  poivre  des  îles  Lampong ,  situées  sur  la  côte  de 
Sumatra,  qui  en  donnent  environ  23,000  piculs  (1,450,000  kilogrammes)  par  an.  La 
cueillette  se  fait  à  partir  de  septembre  jusqu'à  la  fin  de  janvier  et  fournit  2,0000 
piculs  par  mois  à  Batavia  ;  de  février  à  août  il  n'en  arrive  que  500  piculs  mensuel- 
lement. 

Siam  exportait  tout  son  poivre  en  Chine  ,  il  y  a  quinze  ans.  En  1870,  25,544  piculs, 
représentant  la  somme  de  174,881  dollars,  prirent  directement  ce  chemin.  En  1884  , 
les  Détroits  en  ont  reçu  6,227  piculs  valant  110,675  dollars. 

Le  poivrier  {Piper  nigruni)  est  originaire  des  forêts  du  Malabar  et  du  Travancore. 
Depuis  des  siècles,  le  poivre  a  été  un  important  article  d'exportation  de  la  côte  occi- 
dentale de  l'Inde  en  Europe  ;  celui  du  Malabar  est  considéré  comme  le  meilleur.  Sa 
culture  est  très  siuiple.  On  plante  des  boutures  au  mois  de  juin ,  à  l'époque  oii 
commencent  les  pluies  ,  dans  un  sol  riche  et  assez  humide  ;  au  bout  de  trois  ans  , 
elles  commencent  à  produire  à  raison  d'à  peu  près  2  livres  (environ  1  kilogramme) 


-  489  - 

(In  poivre  par  an  ,  en  moyenne,  et  cela  jusqu'à  l'âge  de  vingt  ans,  époque  à  laquelle 
elles  déclinent.  La  récolte  se  fait  en  mars  ou  avril  :  on  cueille  le  fruit  un  peu  avant 
sa  maturité,  et  on  le  laisse  sécher  en  plein  air. 

Sur  la  côte  du  Malabar ,  on  sème  souvent  le  poivre  ;  les  gens  du  métier  préfèrent 
ce  genre  de  reproduction  qui  assure  un  rendement  de  plus  longue  durée  que  la  repro- 
duction par  boutures,  toutefois  cette  dernière  donne  de  plus  fortes  récoltes  et  un 
fruit  plus  gros  et  de  meilleure  qualité.  On  a  généralement  soin  de  planter  les  poivriers 
au  pied  d'arbres  à  écorce  rude  qui  leur  servent  de  supports  :  ce  sont  principalement 
le  jaquier,  le  manguier  et  le  cachou  que  l'on  recherche  à  cet  effet;  le  poivrier  s'y 
attache  et  grimpe  jusqu'à  10  mètres  de  hauteur,  si  on  n'a  pas  soin  de  le  ramener  vers 
le  sol  pour  faciliter  la  cueillette. 

Dans  l'île  de  Singapore  ,  on  cultive  le  poivre  dans  les  jungles,  à  côté  du  gambier  ; 
ce  voisinage  présente  certains  avantages  :  les  détritus  du  gambier  constituent  un 
excellent  engrais  pour  le  poivrier  ,  et  le  cultivateur  peut  consacrer  à  ce  dernier  les 
loisirs  que  lui  laisse  cette  même  plante  entre  les  récoltes.  Le  terrain  ayant  été  défri- 
ché et  labouré  préalablement,  les  boutures  se  plantent  à  5  pieds  de  distance  les  unes 
des  autres,  appuyées  chacune  par  un  jeune  plant  d'arbre  à  croissance  rapide  qui  leur 
donnera  bientôt  soutien  et  ombrage.  Au  bout  d'un  an  ou  dix-huit  mois,  lorsque  le 
poivrier  a  atteint  une  longueur  de  3  ou  4  pieds,  on  le  recourbe  vers  le  sol  et  on  l'y 
enterre  à  quelques  pouces  de  profondeur  ,  laissant  seulement  à  découvert  un  arc  de 
la  tige,  qui  en  peu  de  temps  jette  déjeunes  pousses  qui  devront  produire  le  fruit  à 
l'abri  de  leurs  tuteurs.  Cette  façon  de  procéder,  a  pour  résultat  de  multiplier  le 
nombre  des  jeunes  poivriers  en  même  temps  que  de  leur  donner  une  vigueur  plus 
grande  par  le  développement  des  racines. 

Gomme  apparence  et  comme  manière  de  croître,  le  poivrier  tient  de  la  vigne  et  du 
groseille  ,  mais  ses  feuilles  sont  de  couleur  plus  foncée.  Les  fruits ,  en  forme  de 
grains  ,  se  groupent  en  grappes  de  vingt  à  trente  ,  assez  peu  serrés  ;  ils  sont  tout 
d'abord  verts,  puis  deviennent  successivement  rouges  et  jaunes  en  mûrissant. 

Pour  obtenir  du  poivre  noir ,  on  cueille  les  grains  pendant  qu'ils  sont  verts  ,  un 
mois  avant  la  maturité  ;  on  les  expose  au  soleil  jusqu'à  ce  que  l'enveloppe  extérieure 
ait  pris  l'aspect  ridé  qu'elle  a  une  fois  l'article  livré  au  commerce  ;  mis  ensuite  sous 
un  hangar  sur  des  tamis  exposés  à  la  chaleur  d'un  feu  couvert,  ils  y  acquièrent  leur 
couleur  noire. 

Si  l'on  veut  avoir  du  poivre  blanc,  on  laisse  mûrrir  jusqu'à  ce  qu'il  soit  d'un  beau 
rouge  brillant  :  son  écorce  est  alors  tendre  et  d'un  goût  douceâtre.  Une  fois  cueilli , 
on  le  met  dans  des  sacs  grossiers  à  tremper  dans  de  l'eau  chaude  ou  froide  pendant 
un  jour  ou  deux,  ce  qui  relâche  l'écorce  au  point  qu'après  avoir  séché  au  soleil,  une 
simple  friction  manuelle  suffit  à  la  détacher.  Le  poivre  blanc  est  alors  vanné  et  livré 
au  commerce. 

Le  poivrier  donne  deux  récoltes  dans  l'année  ;  les  fleurs  de  la  récolte  principale 
apparaissent  en  septembre  avec  les  premières  pluies  de  la  mousson  ;  à  la  fin  de 
décembre,  le  fruit  commence  à  mûrir ,  et  on  le  cueille  en  janvier.  Les  plus  beaux 
grains  servent  à  faire  du  poivre  blanc.  La  floraison  de  la  seconde  récolte  se  déclare 
en  mars  et  avril,  avec  les  pluies  de  la  petite  mousson  ;  le  fruit  se  cueille  en  juillet  et 
août  ;  on  paraît  attribuer  l'infériorité  de  cette  récolte  au  manque  d'humidité  qui 
marque  l'apparition  du  fruit. 

La  culture  du  poivre  est  si  aisée ,  qu'elle  est  à  la  portée  de  tous  ;  l'importance 
croissante  de  ce  ce  produit  semblerait  devoir  justifier  des  essais  de  plantation  dans 
tous  les  pays  où  le  sol  et  les  conditicftis  climatérique  sont  analogues  à  ceux  des  points 
actuellement  exploités.  Un  sol  plat ,  le  long  d'une  rivière ,  est  généralement  très 
favorable  à  cette  culture  ;  il  faut  cependant  éviter  qu'il  soit  sujet  à  être  inondé.  On 


—  490  — 

doit  éviter  les  terrains  inclinés  qui  peuvent  être  ravinés  par  des  pluies  ;  quant  aux 
plaines,  qu'elles  soient  nues  ou  contraire  couvertes  de  végétation  ,  elles  ne  répon- 
dront à  cet  usage  qu'à  la  condition  d'être  soigneusement  labourées  et  fumées.  Le 
poivre  veut  avant  tout  un  cliniat  humide. 

Les  planteurs  aussi  bien  que  les  ouvriers  qui  cultivent  le  gambier  et  le  poivre  dans 
l'île  de  Singapore  ,  sont  tous  Chinois  :  il  en  est  de  même  à  Pinang.  Il  semble  que 
cette  partie  de  la  population  soit  seule  douée  de  cette  froide  et  imperturbable  persé- 
vérance qui  accepte  pour  prix  de  ses  travaux  une  récompense  à  long  terme.  Pour  se 
faire  attendre  plusieurs  années,  cette  rémunération  n'en  est  pas  moins  sûre  en  même 
temps  que  hautement  satisfaisante.  Aussi  voyons-nous  avec  regret  le  Chinois  béné- 
ficier seul ,  pour  le  moment ,  des  profits  d'une  industrie  que  l'Européen  pourrait 
rapidement  accroître  à  l'aide  des  ressources  actuelles  de  l'agriculture  scientifique. 


AFRIQUE. 


I^es  cbemins  de  fer  alg^ériens  et  tunisiens.  —  De  grandes  fêtes 
ont  eu  lieu  à  Alger  pour  l'inauguration  du  chemin  de  fer  d'Alger  à  Gonstantine,  dont 
la  dernière  section  d'Aomar-Dra-El-Mizan  à  El-Adjiba  vient  d'être  livrée  à  la  circu- 
lation. Désormais  on  peut  toujours  en  chemin  de  for  d'Oran  à  Alger ,  d'Alger  à 
Constantine  ,  de  Gonstantine  à  Philippeville,  de  Gonstantine  à  Guelma  ,  à  Bône  et 
à  Tunis. 

Le  réseau  des  chemins  de  fer  algériens  et  tunisiens  appartiennent  à  sept  compa- 
gnies différentes,  savoir  : 

1"  La  Compagnie  de  Paris  à  Lyon  et  à  la  Méditerranée,  qui  exploite  deux  lignes  ; 
1.  Celle  d'Alger  à  Oran  (421  kilomètres).  Principales  stations  :  Alger,  Maison-Carrée, 
Bouffarik,  Bhdah,  La  Ghiffa,  El-Affroun,  Bou-Medfa,  Affreville  (station  de  Milianah, 
buffet),  Orléan.sville,  Relizane  (buffet),  Perregaux,  Saint-Denis-du-Sig,  Sainte-Barbe- 
du-Telat  et  Oran.  —  2.  Celle  de  Philippeville  à  Constantine  (87  kilomètres).  Ces 
deux  lignes  sont  les  plus  anciennes  et  la  première  section  livrée  à  la  circulation  a 
été  celle  d'Alger  à  Blidah  (52  kilomètres)  ; 

2°  La  Compagnie  Franco-Algérienne  eyploite  la  ligne  à  voie  étroite  d'Arzew  à 
Saïda  et  Mécheria  (352  kilomètres),  construite  pour  transporter  l'alfa  au  port  d'Arzew. 
Principales  stations  :  Arzew,  Perregaux  (intersection  avec  la  grande  ligne  d'Alger  à 
Oran),  Tizi  (station  de  Mascara),  Saïda,  Kralfallah,  El  Kreider  et  Mécheria.  ; 

3°  La  Compagnie  de  l'Ouest  algérien  exploite  deux  lignes:!.  Celle  de  Sainte- 
Barbe-du-Tlelat  à  Razelma  (153  kilomètres).  Principales  stations  :  Sainte-Barbe-du- 
Tlelat,  Sidi-Bel-Abbès,  Ghanzy,  Magenta  ,  Titen-Yaya  et  Razelma.  2.  Oran  à  Tlem- 
cen.  Cette  dernière  n'est  encore  exploitée  que  sur  une  longueur  de  76  kilomètres 
jusqu'à  Aïn-Temeuchent.  Principales  stations  :  Oran,  Misserghin,  Lourmel,  Rio- 
Salado  et  Aîn-Temouchent  ; 

4°  La  Compagnie  de  l'Est  algérien  vient  de  livrer  à  la  circulation  la  dernière 
section  d'Aomar-Dra-El-Mizan  à  El-Adjiba,  de  la  grande  ligne  d'Alger  à  Constantine 
(464  kilomètres).  Principales  stations  :  Alger,  Maison-Carrée,  l'Aima,  Ménerville, 
Palestro,  Aomar-Dra-El-Mizan  ,  Bordj-Bouïra  ,*  El-Adjiba,  Sidi-Brahim,  El-Achir, 
Sétif,  El-Guerrah  ,  Kroubs  et  Constantine  ,  avec  embranchements  :  1.  Ménerville  à 
Haussonvilliers  (17  kilomètres).  —  2.  El-Guerrah  à  Biskra,  ouverte  à  l'heure  qu'il 


—  491  - 

est  jusqu'à  El-Kantara  (146  kilomètres).  Principales  stations  :  El-Guerrah,  Batna, 
Aïn-Touta,  El-Kantara  ; 

5°  La  Compagnie  de  Bône-Guelma,  qui  exploite  trois  lignes  :  1.  Colle  de  Kroubs- 
Tunis  (447  kilomètres).  Elle  commence  à  Kroubs,  à  16  kilomètres  de  Constantine  et 
a  pour  principales  stations  :  Kroubs,  Hamiuan-Meskoutine ,  Guelma  ,  Duvivier, 
Souk-Arras,  Ghardimaou  (frontière  de  Tunisie),  Souk-El-Arba,  Beja,  Mcdicz-El-Bab, 
Tébourba,  Manouba  et  Tunis.  —  2.  Celle  de  Duvivier  à  Bône  (55  kilomètres.  — 
3.  Celle  de  Tunis  à  Hamman-El-Lif  (17  kilomètres)  ; 

6"  La  Compagnie  du  chemin  de  fer  de  Mokta-El-Hadid,  qui  exploite  le  petit  chemin 
de  fer  de  Bône  à  Ain-Mokra  (33  kilomètres),  destiné  à  transporter  des  minerais  de 
fer  à  Bône  ; 

7"  La  Compagnie  italienne  du  chemin  de  fer  de  Tunis  à  La  Goulette(10  kilomètres), 
de  Tunis  à  La  Marsa  (10  kilomètres),  de  La  Marsa  à  La  Goulette  et  de  Tunis 
au  Bardo. 

Indépendamment  de  ces  grandes  lignes,  il  existe  un  chemin  de  fer  fer  Decauville, 
de  Sousse  à  Kairouan  (60  kilomètres). 


L'immigration  italleune  en  Tunisie.  —  Il  est  d'une  grande  impor- 
tance pour  la  France  de  suivre  le  mouvement  de  l'immigration  italienne  sur  le 
territoire  du  Protectorat.  A  ce  titre ,  les  renseignements  suivants  présentent  un 
certain  intérêt. 

En  voici  le  tableau  d'après  les  statistiques  de  l'éraigration  italienne  : 

1876 278 

1877 282 

1878 585 

1879 467 

1880 260 

1881 265 


Total  :  1876  à  1881 2.137 

Moyenne 236 


Avant  l'expédition  française  ,  la  colonie  italienne  ne  se  grossissait  annuellement 
que  de  quelques  centaines  d'individus. 

Depuis  l'établissement  du  Protectorat,  les  progrès  économiques  de  la  régence  ont 
attiré  un  plus  grand  nombre  d'immigrants. 

Pendant  l'année  1882 ,  il  entrait  en  Tunisie  plus  d'Italiens  que  pendant  les  six 
années  précédentes.  Le  mouvement  s'est  ensuite  un  peu  ralenti ,  comme  le  montre 
l'état  suivant  : 

1882 2. -235 

1883 1 .867 

1884 637 

1885 818 


Total  :  1882  à  1885 5.557 

Moyenne 1 .  389 

Depuis  que  notre  domination  est  bien  assise  en  Tunisie,  le  pays  offre  du  travail  à 


-  492  - 

quatre  fois  plus  d'ouvriers  italiens.  Nos  voisins  n'ont  pas  lieu  de  s'en  plaindre.  Mais 
c'est  un  devoir  pour  nos  hommes  d'Etat  d'observer  avec  attention  le  développement 
de  l'élément  italien, 

A  la  fin  de  l'année  1881,  le  consulat  italien  dénombrait  10,228  sujets  italiens  et  28 
protégés  ,  soit  10,249  ressortissants.  L'immigration  a  fourni  un  contingent  de  5,587 
individus.  S.  M.  le  roi  d'Italie  a  donc  15,836  sujets  établis  en  Tunisie,  à  la  fin  de 
l'année  1885 ,  en  supposant  que  l'émigration  ait  été  compensée  par  l'excédent  des 
naissances  sur  les  décès  (environ  150  par  an),  et  environ  16  à  17,000  actuellement. 

La  présence  de  ces  étrangers  est  un  fait  d'autant  plus  important  que  le  nombre  des 
résidents  français  d'origine  européenne  doit  être  beaucoup  moins  considérable. 


AMERIQUE. 


Le  commerce  de  l'Europe  et  des  États-Unis  avec  le  Mexique. 

—  Un  rapport  consulaire  nous  apjjrend  que  dans  le  tableau  des  importations  de  1885 
par  le  port  de  Tampico,  classées  au  point  de  vue  de  la  provenance  et  comparées  à 
celles  de  1884,  la  part  la  plus  grande  revient  aux  Etats-Unis  :  elle  est  de  37  "/q  de  la 
.somme  totale  pour  188.5,  soit  une  augmentation  de  113,487  fr.  sur  1884. 

Il  y  a  lieu  de  noter  que  les  États-Unis  réalisent  les  plus  grands  progrès  dans  leurs 
relations  commerciales  avec  le  Mexique.  En  1880  ,  ils  n'occupaient  que  le  troisième 
rang  dans  les  importations  commerciales  avec  le  Mexique.  En  1880,  ils  n'occupaient 
que  le  troisième  rang  dans  les  importations.  Grâce  aux  voies  ferrées  et  maritimes 
qui  les  mettent  en  contact  journalier  avec  le  Mexique,  ils  sont  parfaitement  ren- 
seignés sur  les  goûts  et  les  besoins  de  ce  pays  par  de  nombreux  agents  qui  le  par- 
courent en  tous  sens,  en  vendant  sur  échantillons.  Il  ea  résulte  que  leur  concurrence 
se  développe  et  s'affirme  chaque  jour  davantage. 

Nous  ne  saurions  trop  attirer  l'attention  de  nos  hommes  d'Etat,  de  nos  diplomates, 
de  nos  économistes  et  de  nos  praticiens  sur  le  danger  croissant  de  cet  envahisse- 
ment des  Yankees  qui  menacent  de  faire  la  tache  d'huile  sur  le  continent  tout  entier. 

Leur  but,  peu  dissimulé,  est  d'accaparer  tout  le  commerce  des  deux  Amériques  , 
en  vertu  de  cet  adage  :  l'Amérique  aux  Américains ^  de  créer  un  vaste  Zollverein 
douanier  qui  s'étendra  du  cap  Horn  au  canal  de  Panama,  et  des  Antilles  au  Labrador, 
de  manière  à  fermer  complètement  l'accès  de  l'Amérique  au  commerce  européen. 

Ceci  est  pour  la  Fiance  surtout,  pour  laquelle  l'Amérique  espagnole  a  toujours  et 
traditionnellement  été  le  plus  sûr  et  le  plus  fructueux  des  débouchés,  d'un  intérêt 
capital. 

Au  Mexique,  la  France  occupe  encore  le  second  rang,  avec  une  augmentation  de 
203,376  francs,  qui  porte  sur  la  mercerie,  les  porcelaines,  les  faïences  et  verreries,  la 
confection  ,  les  produits  pharmaceutiques  ,  la  parfumerie  ,  la  chaussure  ,  les  chemins 
de  fer  portatifs,  la  papeterie,  l'eau-de-vie,  les  vins  et  liqueurs. 

L'Angleterre,  qui  était,  en  1884  ,  placée  avant  la  France,  est  descendue  d'un  rang, 
en  subissant  une  notable  diminution  de  377,326  francs.  Les  articles  qui  offrent  les 
plus  fortes  différences  en  moins  sont  :  les  cotons  tissés  et  filés  ,  les  tissus  de  lin,  la 
bière,  la  quincaillerie  ,  les  métaux  en  feuilles  et  en  barres,  les  produits  chimiques. 

Après  l'Angleterre,  vient  l'Allemagne,  avec  un  abaissement  de  86,945  francs, 
portant  sur  la  bière,  l'eau-de-vie,  les  conserves  alimentaires,  la  stéarine  et  les  bougies 
stéariques,  la  quincaillerie,  la  mercerie,  les  tissus  de  coton,  les  liqueurs. 

L'Espagne  tient  le  cinquième  rang,  avec  une  légère  augmentation. 


-  493  - 

On  voit  que  le  commerce  français  est  encore  en  une  bonne  «  posture  »,  qu'il  faut 
prendre  garde  de  compromettre  par  le  moindre  relâchement  ou  la  moindre  impru- 
dence. 


OGEANIE. 


Création  d'iaii  service  régulier  entre  la  IVoavellc-Caiédoiile 
et  Tahiti.  —  Le  Conseil  général  a  voté  une  subvention  de  1^,000  fr.  j)ar  voyage, 
aux  vapeurs  qui  exécuteront  un  service  régulier  entre  la  Nouvelle-Calédonie  et  Tahiti, 
subvention  égale  à  celle  allouée  aux  services  entre  Tahiti  et  San-Francisco. 

Par  contre,  il  a  refusé  une  subvention  de  25,000  fr.  pour  un  service  postal  à  vapeur 
régulier  à  établir  entre  Tahiti  et  la  Nouvelle-Zélande. 

11  a  rejeté  les  propositions  de  l'administration  pour  l'établissement  d'un  tarif 
d'octroi  de  mer. 

Eie  gax  à  la  1%'ouvelle-Calédoiiie. —  Le  gaz  a  été  inauguré  à  Nouméa 
dans  une  soirée  du  12  mars  de  cette  année.  Un  grand  bai  a  été  offert  à  la  population  par 
le  propriétaire  de  l'usine  ,  un  Anglais,  M.  Trower,  qui  a,  paraît-il,  l'intention  de  pro- 
poser au  Conseil  municipal  d'acheter  cette  entreprise.  Les  choses  ont  été  grandiose- 
ment  faites  ;  rien  ne  manquait  à  la  fête  d'inauguration.  Nouméa  est  maintenant,  de  ce 
côté,  en  avance  sur  la  Martinique,  la  Guadeloupe  ,  la  Réunion  ,  dont  les  capitale 
sont  encore  éclairées  aux  huiles  végétales  ou  minérales. 

11  se  manifeste  une  recrudescence  marquée  dans  l'exportation  des  minerais 
de  cobalt. 


Pour  les  Faits  et  Nouvelles  géographiques  non  extraits , 

LE   SECRÉTAIRE-GÉNÉRAL , 

ALFRED  RENOUARD. 


—  494  — 


TABLE    DES    MATIÈRES 

DU  PREMIER  SEMESTRE  DE  1887. 


I.    —    llcnibres    de    la    Société. 

PAOBS. 

Membres  d'honneur 5 

Membres  correspondants 5 

Bureau  de  la  Société 6 

Commissions 7 

Membres  fondateurs 9 

Membres  ordinaires 9 

Bureau  et  Membres  de  la  Société  de  Valenciennes 34 

Sociétaires  nouveaux  admis  dans  le  courant  de  février  1887 89 

Id.                           id.                      mai's  1887 175 

Id.                           id.                      d'avril  1887 257 

Id.                           id.                      mai  1887 353 

Id.                           id.                      juin  1887 433 


n.  —  Société  de  Valenciennes. 

Paul  Fougart.  —  La  Société  de  Valenciennes  pendant  le  quatrième  trimestre 
de  1886  (compte-rendu  des  conférences  de  MM.  Marius  Vacher  et  Guillot, 
séance  solennelle  de  la  distribution  des  récompenses  et  coup-d'œil  rétros- 
pectif sur  les  précédents  concours  de  la  Société  de  Valenciennes) 109 

Paul  Foucart.  —  La  Société  de  Valenciennes  pendemt  le  premier  trimestre 

de  1887 326 


III.  —  Section  de  Roubaix  (Cours  et  Conférences  du  samedi  soir). 

Jules  Petit.  —  Le  nord  de  la  France,  ses  industries,  son  commerce,  ses  ports, 

vis-à-vis  la  concurrence  étrangère 309 

Compte-rendu  des  cours  et  conférences  de  la  section  de  Roubaix  et  Discours 

de  M.  Henry  Bossut 435 


IV.  —  Section  de  Tourcoing;  (Caurs  et  Conférences). 

Baron  Michel.  —  L'Australie  telle  qu'elle  est 90 

Compte-rendu  des  cours  et  conférences  de  la  section  de  Tourcoing  et  Discours 

de  M.  François  Masurel 456 


V.    —  Séance  solennelle  de  la   dlistribntion 
des  récompenses. 

Paul  Crehy.  —  Allocution  du  président 44 

Conférence  de  M.  Letort  (Analyse) 46 


—  495  - 

PAOBS. 

Alfred  Renouard.  —  Rapport  sur  les  travaux  de  1886 46 

Incident 56 

Distribution  des  récompenses 56 

in,  —  Cours  et  conférences  de  Lille. 

E.  GuiLLOT.  —  La  question  du  Sénégal  et  les  voyages  du  D'  Bayol 128 

D'  Wagnier.  —  Des  climats  froids  au  point  de  vue  de  la  vie  humaine   401 

VII.  —  Communications  aux  assemblées  générales. 

Dei.essert.  —  Le  Volapûk,  langue  commerciale  universelle 59 

BÉcouRT.  —  La  forêt  de  Mormal  (suite)  (avec  cartes) 78 

Id.                       id.                    [suite)  (avec  carte) 258 

PÉROCHE .  —  La  mer  polaire 210 

Duraffourg.  —  Béja  et  ses  environs  (avec  cartes  et  lithographies) 214 

Quarré-Reybourbon.  -■  Blankenberghe  et  ses  environs  (avec  carte) 285 

Brosselard-Faid herbe.  —  Le  Soudan  français  (avec  carte) 364 

VIII.  —  Assemblées  générales.  —  Procès- ver  baux. 

Assemblée  générale  du  28  octobre  1886 41 

Assemblée  générale  du  18  décembre  1886 42 

Assemblée  générale  du  7  mai  1887 354 


IX.  —  Wouvelles  et  faits  géographiques. 

§  1.  —  Géographie  scientifique.  —  Explorations  et  découvertes. 

Europe. 

Grèce.  —  Tremblement  de  Terre 146 

France.  —  Commission  centrale  des  services  géographiques 241 

Enseignement  de  la  géographie  scientifique 241 

Nouvelle  Société  de  géographie 241 

Les  négociations  pour  le  percement  des  Pyrénées-Orientales 241 

Projet  de  jonction  du  Volga  et  du  Don 244 

Le  point  le  plus  élevé  du  Danemark 244 

Iles  Loflfoden 245 

Caucase 245 

Percement  du  tunnel  de  l'Apennin 331 

Asie. 

Frontière  russo-afghane 74 

Voyage  de  MM.  Capus  et  Bonvalot  dans  l'Asie  centrale 74 

Explorations  da  M.  le  colonel  Lokhart  et  de  M.  le  colonel  Woodthorpe  dans  le 

Badakchan 74 


—  496  — 

PAOBS. 

Les  Anglais  en  Birmanie 75 

Port-Lazareff  à  la  Russie • 75 

Turkestan.  —  Une  nouvelle  oasis 147 

Voyage  de  M.  G.  Radde  dans  l'Asie  centrale 147 

Voyage  de  M.  Groubtchevsky  dans  1&  province  de  Kaschgar 147 

Continuation  de  la  mission  de  MM.  BonveJot  et  Gapus 148 

Dans  le  Haut-Mékong 149 

Mission  de  M.  Knight  en  Chide l49 

Les  stations  russes  en  Extrême-Orient 149 

Forniose  245 

Dessèchement  du  lac  Balkhash 245 

Une  ville  d'eaux  au  Japon 246 

Projet  d'exploration  du  Song-Ma 331 

Résultats  du  voyage  en  Chine  du  général  Frjéwalski 332 

Sibérie.  —  Explorations  de  M.  J.  Martin 414 

Afrique. 

Les  Anglais  sur  le  Niger  et  le  Bénoaé 76 

Les  explorateurs  de  la  région  du  Cameroun 76 

La  délimitation  du  Gabon  et  du  Congo  français 76 

La  mission  française  de  délimitation  de  nos  nouveaux  établissements  du  Congo.  76 

Angra  Pequena 78 

Voyage  de  M.  Gleerup  à  travers  l'Afrique 78 

Voyage  de  M.  Georges  Revoil  au  lac  Tanganiyka 79 

Les  Allemands  en  Afrique 79 

La  frontière  maritime  entre  la  Tunisie  et  la  Tripolitaine 149 

M.  le  capitaine  Cervera  dans  la  région  de  l'Hadrar 150 

M.  le  colonel  Galliéni  au  Sénégal 150 

Samory  et  le  Fouta-Djallon 150 

Retour  de  M.  H.  Johnston  de  son  expédition  au  Kilimandjaro 151 

L'Allemagne  et  l'Angleterre  sur  le  golfe  de  Guinée 152 

Le  chemin  de  fer  du  Congo 152 

Afrique  australe.  —  Les  Bushmens 152 

Retour  de  M.  le  capitaine  Bove  de  son  voyage  dans  le  Haut-Congo 154 

Sur  le  Congo  supérieur 154 

Le  lac  Ngami 154 

Au  Zoulouland •. 155 

Travaux  de  M.  A.  d'Oliveira  sur  l'Afrique  portugaise 155 

Nos  missionnaires  dans  l'Afrique  orientale 155 

Les  Allemands  à  la  côte  orientale 155 

Socotora  aux  Anglais 156 

Décret  relatif  à  ûbock 156 

Une  grammaire  congo  du  XVllP  siècle 247 

Emin-Bey 332 

Détails  sur  Oran.   —   Départ  de   M.   Westmark   d'Oran  pour  le  pays   des 

Touaregs 334 

Délimitation  des  possessions  portugaises  et  anglaises  dans  l'Afrique  centrale..  336 

Délimitation  des  possessions  anglaises  et  allemandes  dans  l'Afrique  orientale. .  337 

Expédition  de  M.  le  D'  Wolf 414 


—  /i97  — 

PAOBS. 

Expédition  de  Stanley  au  secours  d'Emin-Bey 415 

Le  lac  volcanique  de  Chala  sur  le  Kilimandjaro 410 

Les  possessions  allemandes  en  Afrique 475 

Le  D'  Zintgraft"  au  Kameroun 475 

Les  explorations  de  M.  Jacques  de  Rrazza 475 

Cervera  Baviera  dans  l'Hadrar 477 

Observations  de  M.  le  D"  Wolf  sur  le  cours  du  Sankourou ....    477 

La  baie  de  Diego  Suàre/ 478 

Délimitation  définitive  de  l'État  indéi)endant  du  Congo 479 

Délimitation  des  possessions  françaises  et  allemandes  sur  la  côte  des  Esclaves.  480 

L'enseignement  français  au  Sénégal 480 

L'Espagne  dans  la  mer  Rouge 480 

Sondages  et  forages 480 

Résultat  des  explorations  Grennfell  et  Janker  482 

Amérique. 

Départ  de  M.  Fred-Schwatka  pour  l'Alaska 80 

Ascension  du  mont  Twekkway  par  M.  H.  Whitely 80 

Délimitation  des  frontières  de  la  République  Argentine  et  du  Brésil 80 

Etats-Unis.  —  Tremblement  de  terre  du  31  août  1886 156 

\'oyage  de  M.  le  D'  Haven  à  l'Alaska 157 

La  profondeur  de  la  rivière  Niagara 157 

Equateur 158 

N'oyage  de  M.  Ten-Kate  dans  l'Amérique  du  Sud 158 

Les  communications  entre  le  Brésil  et  la  Bolivie 158 

Traversée  de  l'Amérique  du  Sud  par  M.  Fouaillet 158 

Nouvelles  de  M.  Tliouar 159 

Départ  de  M.  Fernandez  pour  l'exploration  de  l'Araguay-Guaza 159 

Nouvelle  expédition  de  M.  de  Brettes  dans  le  Gran-Ghaco 159 

Départ  de  M.  le  lieutenant-colonel  Fontana  pour  la  Patagonie 159 

Découverte  de  gisements  aurifères  à  la  Terre-de-Feu 159 

Les  sources  du  Mississipi 248 

États-Unis.  —  La  pluie  dans  la  région  du  Pacifique 248 

Les  familles  canadiennes  françaises 416 

Les  principaux  lacs  de  TAmérique  septentiionale 420 

Le  territoire  contesté  entre  la  Guyage  française  et  le  Brésil 338 

Situation  de  quelques  points  au  Mexique 338 

Chez  l'ancien  président  de  la  République  Argentine 483 

Contestation   sur   la  délimitation  de  leurs  frontières  entre  les  républiques  de 

Nicaragua  et  Costa-Rica 485 

Départ  de  Î\I.  Désiré  Charnay 486 

M.  G.  Godio  dans  la  République  Argentine 486 

Les  deux  plus  grands  fleuves  du  monde 486 

OCÉANIE. 

Départ  de  M.  le  D'  Schrader  et  de  M.  Hugo  ZoUer 81 

Nouvelles  annexions  anglaises  dans  l'Océanie 81 

Les  Allemands  en  Océanie 81 

33 


—  498  — 

1"AGBS 

Expédition  de  M.  0.  Forbes  dans  la  Nouvelle-Guinée 160 

De  rétymoloisie  des  noms  en  Malaisie 152 

La  question  de  la  côte  Maclay IfëS 

L'Allemagne  en  Océanie Iffi 

M.  le  capitaine  Dalimann  sur  la  rivière  Augusta 16'i 

L'île  Uréparapara  (Nouvelles-Hébrides) 164 

LTne  île  nouvelle 248 

Nouvelle-Zélande.  —  La  récente  éruption  volcanique 251 

Un  nouveau  protectorat  anglais .'^9 

La  question  des  Garolines 339 

Les  îles  Ralomon  à  l'Allemagne 339 

Les  îles  du  détroit  de  Torrès 421 

Nouvelle-Guinée.  —  Le  fleuve  Impératrice  Augusta 422 

Les  îles  Wallis  à  la  France 487 


RÉGIONS     POLAIRES. 

Départ  de  M.  W.-N.  Gilder 82 

Départ  de  M.  Ferry  pour  le  Groenland 82 

Explorations  de  MM.  Ryder  et  Bloch  sur  les  côtes  du  Groenland 82 

Départ  de  M.  le  colonel  Gilser  pour  le  j)ôle  Nord   164 

L'expédition  danoise  au  Groenland 164 

M.  le  D'  H .  Labonne  en  Islande 164 

Groenland 251 

Nordenskiold  au  pôle  Nord 487 


§  11.  —  Géographie  comme rcinle.  —  StatistÀgues. 


EUROPK. 

Une  nouvelle  industrie  en  Suisse 82 

Un  musée  commercial  français  à  Saint-Sébastien 83 

Le  commerce  de  rAllemagne  avec  Fltalie 83 

Un  dépôt  d'articles  français  à  Salonique 83 

Chambre  de  commerce  italienne  à  Paris 8'i 

Le  traité  avec  la  Grèce  '. . . .  84 

Chambre  de  commerce  espagnole  à  Paris 165 

Le  commerce  extérieur  de  TAutriche 165 

Le  dévelup})ement  de  l'industrie  allemande 165 

Les  ))rogrês  matériels  do  l'Espagne 166 

Le  commerce  extérieur  de  la  Suisse 166 

La  navigation  dans  les  ports  ottomans 167 

Le  commerce  des  fils  et  tissus  en  Allemagne       252 

La  législation  des  factures  européennes  aux  consulats  américains 253 

Création  à  Athènes  d'une  chambre  consultative  française  de  commerce 253 

Le  commerce  d'exportation  des  principales  contrées  d'Europe 340 

L'élevage  <lu  bétail  et  la  culture  du  blé  dans  les  principales  contrées  d'Europe  .  341 


—  W.)  — 

PAr)KS. 

(joiiveiuioH  entn-  hi  Fiaiiic  et  la  Suisse  pour  la  protection  tnuiuelle  des  inarques 

(le  fabrique -{42 

Nos  exportations  en  Bulgarie •{■43 

I,a  production  des  céréales  en  Russie 'M3 

Krance.  —  Création  de  deux  chambres  de  couimerce  dans  le  Nord 1122 

Importations  et  exportations  des  paj)iers 42Ii 

Hollande.  —  Chambre  de  conuucrce  française i23 

/Mlemagne.  —  Le  commerce  extérieur 423 

Le  développement  du  commerce  de  Francfort 'i24 

Une  exposition  coloniale  allemande 424 

.Influence  de  la  ligne  du  Saint-Gothard  sur  le  counuerce  de  l'Al- 
lemagne avec  l'Italie. i24 

Angleterre.  —  L'industrie  métallurgique  en  1886 424 

Autriche.  —  Le  commerce  extérieur 425 

Espagne.  —  Les  Anglais,  les  Allemands  et  les  Belges  en  Espagne 426 

Sci'bie.  —  L'industrie  anglaise 426 

Roumanie.  —  Le  traité  de  commerce  franco-roumanien 426 

La  production  du  sucre  de  betterave  en  Europe  en  1886-87 426 

l^i  consommation  de  la  laine 435 

]^  ])opulation  de  Rome 487 


Asie. 

L'industrie  cotonmére  dans  l'Inde 84 

Le  commerce  français  en  Chine 84 

Renseignements  statistiques  sur  l'Inde  anglaise.  —   Villes 167 

—  —                                  Religions 168 

—  —                                  Langues 170 

—  —                                 Provinces  britanniques. . .  171 

Les  chemins  de  fer  au  Japon 172 

Ui  population  française  au  Tonkin 172 

Le  conuiierce  avec  la  Turquie  d'Asie    345 

Le  coumierce  avec  l'Egypte 346 

Les  mines  d'étain  de  Pérak 428 

.lapon.  —  L'exportation  générale  européenne i30 

I^  Fran(-'e  commerciale  au  Japon 431 

La  production  du  poivre 488 


Afrique. 

1^1  population  de  l'Algérie 172 

l..a  consommation  des  tissus  en  Tunisie 253 

Importation  des  tissus  à  Zanzibar  et  renseignements  commerciaux  sur  l'île. .  . .  346 

Tunisie.  —  Commerce  général 431 

Le  Cap.  —  Imjiortation  de  machines 4lfô 

Egypte.  —  Le  commerce  allemand 4!^ 

Les  chemins  de  fer  algériens  et  tunisiens 49() 

L'immigration  italienne  en  Tunisie 491 


500 


Amérique. 

PAliKS. 

La  culture  du  coton  au  Mexique 85 

Le  commerce  à  Mexico 85 

La  situation  budgétaire  des  Etats  de  l'Amérique  du  Sud 86 

La  production  de  l'or  et  de  l'argent  aux  Etats-Unis 87 

Les  produi  ts  français  au  Canada 172 

Les  progrès  agricoles  et  commerciaux  des  Etats-Unis 172 

Chicago 173 

Le  commerce  et  l'agriculture  aux  États-Unis  en  1886 254 

République  de  Colombie.  —  Mines  d'or  et  d'argent 255 

Les  tissus  européens  au  Mexique 349 

fee  commerce  de  l'Europe  et  des  États-Unis  avec  le  Mexique 492 

OCÉANŒ. 

Les  blés  indiens  en  Australie 88 

Situation  économique  de  l'Austi'alie  méridionale 173 

Gisements  d'or  dans  l'Australie  occidentale 174 

Population  de  la  Nouvelle-Zélande 175 

Création  d'un  service  régulier  entre  la  Nouvelle-Calédonie  et  Tahiti 493 

Le  eaz  à  la  Nouvelle-Calédonie 493 


Ulleifli|i.L.Oaiit). 


BULLETIN 


/      / 


SOCIETE  DE  GEOGRAPHIE 

DE   LILLE 


BULLETIN 


DE  LA 


r  r 


SOCIETE  DE  GEOGRAPHIE 

DE   LILLE 


DEUXIÈME  SEMESTRE  DE  1887 


Tome  Huitième.  —  Huitième  Année. 


LILLE 

IMPRIMERIE     L.     DANEL. 

1887. 


r  r 


SOCIETE  DE  GEOGRAPHIE 

DE    LILLE. 


SOCIÉTAIRES  NOUVEAUX  ADMIS  DANS  LE  COURANT  DE  JUILLET  1887. 


NO'd'ins-  MM. 

cription. 


MEMBRES  ORDINAIRES 

La  Madelelne-Iez-Iillle. 

1452.  Genr\u,  conducteur  des  Ponts-et-Chaussées,  rue  de  Lille,  7  bis. 

E.llle. 

1453.  Crouan  (Alexandre),  agent  de  change,  rue  d'Angleterre,  56. 
■1454.     Ddprez  (Emile),  négociant,  rue  Soiférino,  289. 

USo.  Dubois  (Etienne),  industriel,  rue  du  Metz,  20. 

-1456.  BAiLLiABD-BorRGiNE,  négociant,  rue  du  Chevalier-Français,  76. 

1457.  Laurence  (Marcel),  entrepreneur,  rue  d'Angleterre,  77. 

■1458.  Glorie  (Ange),  étudiant,  boulevard  de  la  Liberté,  40. 

■1459.  Lesage  (Gustave),  négociant  en  flis,  rue  de  la  Gare,  \\. 

Roubatx. 

U48.  Vandebeulque  (Hector),  commis-négociant,  rue  de  l'Industrie,  <2 

U49.  Scbive-Réqoillabt  (P.),  propriétaire,  à  Barbieux. 

i450.  Réquillart-Duthoit  (P.),  propriétaire,  boulevard  de  Paris,  32. 

1451 .  RÉQUiLLART  (Emost),  propriétaire,  rue  du  Pays,  22. 


—  6  — 


COURS  ET  COlNFÉRENGES  DE  TOURCOING 


L'ALGERIE 

Par  M.  Paul  VIBERT ,  Membre  de  la  Société  auiicale  des  Explorateurs. 


Conférence  faite  à  Tourcoing  le  27  janvier  I88^t 


Mesdames,  Messieurs, 

En  venant  vous  parler  de  l'Algérie,  de  son  présent  et  de  son  avenir, 
particulièrement  et  surtout  au  point  de  vue  de  l'agriculture  et  du  com- 
merce, je  n'ai  pas  l'intention  de  refaire  toute  l'histoire  de  notre  grande 
et  belle  colonie  ;  je  veux  simplement  vous  exposer  un  des  points  les 
plus  intéressants  de  la  politique  coloniale,  telle  que  je  l'entends,  c'est- 
à-dire  de  celle  qui  consiste,  non  pas  à  opérer  des  conquêtes  parla  voie 
des  armes  ,  mais  à  faire  de  la  France  une  nation  toujours  grande  et 
forte  au  point  de  vue  des  affaires,  sur  le  terrain  de  l'exportation,  sur  le 
terrain  commercial,  en  un  mot,  de  celle  qui  doit  en  faire  une  puissance 
à  même  de  lutter  avec  avantage  contre  la  concurrence  étrangère, 
contre  l'Angleterre  et  contre  l'Allemagne. 

La  plupart  des  questions  coloniales  sont  malheureusement  très  mal 
connues  en  France,  et,  le  plus  souvent,  elles  sont  encore  entravées 
dans  leur  développement  par  ces  autres  et  délicates  questions  de  poli- 
tique et  de  religion,  que  nous  ne  devrions  jamais  y  faire  entre^  si  nous 
désirons  vraiment  faire  un  jour  de  la  bonne  el  rapide  colonisation. 

En  1830,  31  et  33,  c'est-à-dire  au  lendemain  de  notre  conquête, 
M.  Déjobert  prétendait  que  l'Algérie  ne  produiraitjamais  que  de  l'opium 
et  qu'elle  ne  ferait  que  nous  expédier  des  fûts  vides.  Or.  on  saitaujour- 
d'hui  dans  quelles  proportions  énormes  cette  terre   nous  rapporte   et 


—  7  — 

l'on  pourrait  dire  avec  une  très  grande  justesse  que,  si  l'Algérie  était 
appelée  dans  l'antiquité  le  grenier  de  Rome,  elle  tend  à  devenir  la  cave 
de  la  France,  comme  je  vais  avoir  l'honneur,  Mesdames  et  Messieurs, 
de  vous  le  prouver. 

Aux  époques  citées  plus  haut,  c'est-à-dire  en  1831-32  et  33,  le  chiffre 
des  affaires  qui  ont  été  traitées  entre  la  métropole  et  la  colonie  a  été 
évaluée  à  7.000,000  de  francs.  Aujourd'hui  ce  n'est  plus  à  sept  mil- 
lions, mais  à  600.000.000  de  francs  que  s'élève  le  chiffre  do  nos  affaires 
avec  l'Algérie,  et  ce  chiffre  sera  doublé  et  même  peut-être  triplé  dans 
quelques  années. 

Il  y  a  50  ans  à  peine,  un  autre  grand  homme,  un  grand  journaliste, 
un  des  personnages  les  plus  marquants  de  la  presse  parisienne,  M.  Emile 
de  Girardin  considérait  encore  l'Algérie  comme  un  gros  boulet  éter- 
nellement attaché  aux  pieds  de  la  France.  Aujourd'hui  nous  pouvons 
heureusement  constater  que  ces  prédictions  étaient  erronées.  Il  est  juste 
d'ajouter  cependant  qu'il  y  a  20  ans,  c'est  à-dire  en  1866-67,  un  autre 
grand  Français,  Prévost- Paradol.  a  prononcé  sur  l'Algérie  des  paroles 
absolument  prophétiques  dans  lesquelles  il  a  fait  ressortir  les  bienfaits 
que  la  France  aurait  retirés  de  cette  colonie.  Et  moi-même,  plus  modes- 
tement, je  m'efforce  aujourd'hui  de  bien  faire  comprendre  l'importance 
des  ressources  qu'elle  nous  offre  pour  l'avenir,  et  je  dis  que,  étant  don- 
né la  situation  géographique  de  la  France,  étant  donné  sa  petite  étendue 
territoriale,  étant  donné  le  petit  nombre  de  ses  habitants  et  la  trop 
faible  croissance  de  sa  population,  enlace  des  Anglais  répandus  partout, 
des  60  milhons  d'Allemands  et  des  90  millions  de  Russes,  en  face  de 
tous  ces  peuples  puissants  qui  couvrent  la  surface  du  globe,  étant  donné 
d'un  autre  côté,  que  nous  avons  devant  nous  les  Etats-Unis,  la  Répu- 
blique Argentine,  l'Australie,  pays  encore  peu  habités,  à  part  les 
Etats-Unis  qui,  pour  mettre  en  valeur  leur  territoire,  ont  usé  de 
moyens  vraiment  merveilleux ,  étant  donné  tout  cela  et  la  rapidité 
étonnante  avec  laquelle  ces  pays  se  peuplent,  il  est  certain  que  nous 
Français  ,  renfermés  dans  les  limites  étroites  de  notre  territoire , 
vis-à-vis  du  monde  entier .  nous  nous  trouvons  en  face  du  problème 
le  plus  redoutable  et  c'est  ce  problème  que  je  veux  vous  faire  toucher 
du  doigt. 

L'Algérie  n'a  pas  échappé  à  l'invasion  de  ces  étrangers  contre  les- 
quels il  nous  faut  lutter  sur  le  terrain  des  affaires  commerciales,  terrain 
sur  lequel  il  faut  absolument  qne  nous  les  vainquions  dans  ce  pays. 
C'est  le  côté  des  affaires  commerciales,  c'est  ce  point  des  plus  impor- 


-  8  — 

tants  qu'il  nous  faut  suivre  de  près,  à  l'instar  des  Etats-Unis  et  du  reste 
du  globe,  si  nous  désirons  enfin  que  la  France  ne  soit  englobée  à  tout 
jamais  et  ne  disparaisse  pas  en  tant  que  civilisation,  en  tant  que 
race. 

Ce  grand  Français,  dont  je  vous  ai  parlé  tout-à-l'beure,  disait  encore 
qu'il  est  absolument  nécessaire  que  nous  ayons  sur  la  Méditerranée 
une  puissance  solide  et  que  nous  la  tenions  sans  cesse  et  toujours.  Ces 
paroles  se  sont  encore  réalisées,  comme  vous  le  savez,  car  nous  avons 
aujourd'hui  un  solide  appui  du  côté  de  la  Tunisie.  Non-seulement  la 
Tunisie  est  une  contrée  merveilleuse,  non-seulement  ses  ressources 
s'accroissent  tous  les  jours,  non-seulement  elle  produit  absolument 
comme  l'Algérie,  mais  purement  au  point  de  vue  de  notre  puissance, 
nous  avons  un  intérêt  capital  à  la  posséder,  car,  en  cas  de  guerre 
européenne,  je  ne  dis  pas  que  l'Italie  ait  des  convoitises  sur  nos  colo 
nies,  mais  en/ln,  si  elle  en  avait,  100.000  hommes  seraient  nécessaires 
pour  la  protéger,  si  nous  ne  possédions  pas  la  Tunisie,  qui  serait  certai- 
nement tombée  entre  ses  mains  si  nous  avions  seulement  tardé  de  15 
jours  à  trois  semaines  à  la  conquérir. 

Vous  voyez  donc  qu'à  côté  de  certaines  paroles  décourageantes  pro- 
noncées il  y  a  50  ans,  d'autres  hommes  compétents  ont  pressenti  d'une 
façon  précise  ce  que  l'Algérie  deviendrait  pour  nous.  Je  vous  demande 
pardon,  Mesdames  et  Messieurs,  si  j'entre  dans  des  détails  plus  ou 
moins  arides,  ils  sont,  à  mon  avis,  nécessaires,  car  je  veux  vous  faire 
bien  comprendre  tout  ce  que  nous  pouvons  retirer  de  l'Algérie. 

Ce  pays  est  essentiellement  agricole  et  il  y  a  des  chances  nombreuses 
pour  qu'il  ne  devienne  industriel  que  dans  de  faibles  proportions  (je 
veux  dire  «  industriel  »  dans  le  sens  complet  du  mot,  comme  on  le 
comprend  à  Tourcoing),  et  cela  pour  cette  bonne  raison  que,  sauf  dans 
les  provinces  lointaines  et  dans  le  Maroc,  il  contient  insuffisamment 
d'eau  et  de  mines  de  houille.  L'Algérie  restera  donc  avant  tout  agri- 
cole et  vinicole,  puisque  sur  ce  terrain  le  rapport  est  absolument 
merveilleux  dans  toutes  ses  parties. 

L'Algérie  renferme  des  mines  de  fer,  de  plomb,  de  zinc,  de  cuivre, 
d'antimoine,  etc..  On  y  trouve  des  carrières  de  marbre,  d'onyx,  de 
plâtre  et  de  pierres,  et  tout  ce  qu'il  faut  entiu  pour  subvenir  à  la  cons- 
truction et  pour  exploiter  le  minerai. 

Le  sous-sol  de  l'Algérie  est  d'une  excellente  qualité.  On  se  figure 
généralement  que  ce  pays  est  aride,  du  moins  pendant  la  sécheresse  et 
qu'on  ne  p(3ut  rien  y  récolter,  que  tout  est  brûlé  par  le  soleil.  Eh  bien! 


-9  - 

ceux  qui  pensent  ainsi  se  trompent  étrangement,  car  on  est  arrivé 
aujourd'hui  à  démontrer  d'une  manière  certaine  (ce  qu'avait  déjà 
prouvé  le  maréchal  Bugeaud  que  l'on  appelait,  comme  vous  le  savez, 
le  Père  de  l'Algérie,  le  Père  du  Soldat),  que,  aride  parfois  à  sa  surface, 
la  terre  algérienne  ne  l'est  pas  du  tout  dans  le  sous-sol,  et  d'un  autre 
côté  lorsqu'on  arrive  dans  la  région  des  hauts  plateaux  et  des  monta- 
gnes, lorsqu'on  arrive  dans  le  Sahara,  on  rencontre  des  lacs  plus 
petits,  il  est  vrai,  que  dans  la  région  septentrionale,  mais  enfin  considé- 
rables, car  il  faut  que  ces  immenses  plateaux  donnent  naturellement 
naissance  à  des  cours  d'eau. 

L'algérie  contient  donc  énormément  d'eau,  et  il  est  aujourd'hui  cer- 
tain que,  pour  en  obtenir,  il  suffit  de  percer  des  puits  artésiens.  Le 
jour  où  la  colonisation  avancera  dans  le  désert,  on  pourra  former  par 
intervalles  de  nombreux  oasis  et  rendre  ainsi  tout  le  pays  fertile,  y 
compris  l'immense  désert  du  Sahara. 

Il  est  bien  entendu  qu'il  existe  un  autre  moyen  de  faire  pénétrer  la 
colonisation  dans  l'Afrique  centrale,  c'est  de  tracer  jusqu'au  Sénégal, 
ce  qui  nécessiterait  de  grandes  dépenses,  le  grand  chemin  de  fer  trans- 
saharien, dont  il  a  souvent  déjà  été  question,  mais  je  ne  parle  ici  qu'au 
point  de  vue  de  la  culture  et  je  dis  que,  grâce  à  ces  hauts  plateaux  et 
à  ces  rlifférents  versants  sahariens,  grâce  à  ces  différentes  altitudes  et 
à  ces  ditierentes  températures  qui  en  sont  la  conséquence,  nous  pou- 
vons entreprendre  en  Afrique  une  infinité  de  cultures  des  plus  diffé- 
rentes. 

Eh  bien  !  c'est  précisément  en  quoi  consistent  les  grandes  ressour- 
ces de  l'Algérie,  et  si  jamais  la  science  de  la  culture  a  été  nécessaire, 
si  jamais  la  culture  scientifique  a  dû  être  enseignée,  c'est  en  Algérie 
surtout  qu'il  faut  qu'elle  s'impose,  et  si  en  France  on  est  enfin  arrivé 
a  faire  comprendre  à  la  plupart  des  paysans  les  avantages  de  la  culture 
pratiquée  avec  l'aide  des  engrais  chimiques,  en  Algérie,  il  ne  s'agit  pas 
de  ne  pas  comprendre,  il  faut  absolument  pratiquer  cette  nouvelle  cul- 
ture, et  l'initiative  doit  en  être  prise  non  pas  par  les  colons  même,  mais 
par  le  gouvernement,  par  le  gouverneur,  par  les  hommes  enfin  qui  se 
tiemient  à  la  tête  de  l'Algérie. 

C'est  en  entrant  résolument  dans  cette  voie  de  la  culture  scientifique 
que  l'on  parviendra  à  faire  de  l'Algérie  un  des  pays  les  plus  fertiles  du 
monde,  surtout,  et  c'est  indispensable,  si  l'on  tient  bien  compte  des 
variétés  de  terrain,  et  si  on  les  cultive  comme  il  convient,  ceci  princi- 
palement au  point  de  vue  des  engrais,  car  il  y  a  des  engrais  artificiels 


-  10  — 

qui  sont  bons  dans  les  terres  chaudes  et  mauvais  dans  les  terres  froides, 
et  réciproquement.  Enfin  ,  il  faut  absolument ,  sous  toutes  les  formes , 
créer  la  culture  scientifique. 

Il  y  a  encore  un  autre  point  qui  demande  à  être  amélioré,  c'est  la 
mise  en  valeur  des  eaux  qui  existent  à  la  surface  de  l'Algérie,  ce  qui 
ne  se  fait  pas  sur  une  étendue  suffisante.  De  ces  hauts  plateaux  dont  je 
vous  parlais  toul-à-l'heure  descendent  des  ruisseaux,  des  torrents  qui 
dévastent  tout,  des  lacs,  et  avec  ces  cours  d'eau  sagement  distribués 
au  moj^en  d'endiguements  et  de  canaux  d'irrigation,  on  peut  arriver  à 
des  résultats  vraiment  merveilleux.  C'est  d'ailleurs  ce  qu'ont  dû  faire 
déjà  les  Romains,  dans  l'antiquité,  car  l'on  retrouve  encore  en  Algérie 
des  vestiges  qui  nous  le  démontrent.  Je  pourrais  encore  vous  citer 
comme  modèles  :  la  Perse  et  le  Japon  qui  arrivent  à  créer  de  brillantes 
cultures  de  cette  façon.  Il  faut  que  nous  agissions  de  même  en 
Algérie. 

On  cultive  sur  le  sol  algérien  (je  passe  rapidement  en  vue  les  prin- 
cipales cultures)  le  maïs,  dont  la  production  se  fait  sur  une  vaste 
échelle,  l'orge,  l'avoine,  le  froment,  et  en  général  toutes  nos  céréales. 

La  pomme  de  terre  est  malheureusement  encore  mal  cultivée,  et  on 
en  importe  de  France  environ  600,000  kilog.  par  an.  On  pourrait  égale- 
ment la  produire  sur  une  grande  échelle  ;  mais  les  Algériens  préfèrent 
revenir  au  maïs,  dont  la  production  donne  des  résultats  vraiment  admi- 
rables. Vous  savez  que  les  trois  quai'ts  des  Arabes  s'en  nourrissent 
absolument  comme  nous  nous  servons  du  pain,  et  qu'ils  l'emploient  à 
faire  des  galettes  ,  ce  qu'Us  appellent  le  cous  -  coussou ,  qui  est  leur 
principal  aliment. 

On  plante  ordinairement  le  maïs  de  1°\20  àl'",25  d'écartement,  et  on 
le  récolte  ainsi.  Dans  ces  dernières  années  cependant .  à  la  ferme  de 
Moudjebem .  un  riche  propriétaire ,  qui  fait  la  culture  en  grand  ,  est 
arrivé  à  cultiver  le  maïs  sous  une  autre  forme ,  c'est-à-dire  qu'il  le 
sème  absolument  dru  et  le  coupe  lorsqu'il  est  encore  vert.  11  paraît 
qu'il  s'en  trouve  très  bien,  pour  la  nourritiu'e  du  bétail. 

Vous  savez  que  la  plupart  des  moutons  viennent  des  hauts  plateaux 
et  nous  sont  fournis  par  les  Arabes  .  particulièrement  les  moutons  de 
belle  laine  appelés  mérinos. 

Il  y  a  en  Algérie  des  chevaux  extrêmement  remarquables  et  très 
renommés,  mais  le  gros  bétail  y  est  peu  répandu,  et  ceci  est  une  consé- 
quence de  la  mauvaise  distribution  des  coui's  d'eau.  Maintenant  que 
l'on  sait  que  le  sous-sol  algérien  contient  de  l'eau  à  volonté,  cette  diffi- 


-  11  — 

cvilté  pourra  s'aplanir  petit  à  petit,  au  fur  et  à  mesure  quo  la  coloni- 
sation fera  des  progrès  ;  c'est  un  travail  lent ,  c'est  vrai ,  car  on  ne  fait 
pas  de  la  colonisation  du  jour  au  lendemain,  mais  enfin  il  ne  peut  tôt 
ou  tard  que  s'effectuer. 

Une  autre  difficulté  que  rencontraient  les  éleveurs  de  gros  bétail 
consistait,  pendant  la  sécheresse  ,  à  ne  pas  le  laisser  mourir  de  faim. 
Par  la  conservation  du  maïs  qui  compose  une  nourriture  saine  et  des 
plus  nutritives,  on  est  arrivé  à  résoudre  la  question  et  d'une  façon 
extrêmement  simple.  Cette  conservation  se  fait  par  un  moyen  peu 
connu  en  France,  mais  qu'on  y  emploie  cependant  pour  les  betteraves, 
et  qui  consiste  à  creuser  des  silos  dans  lesquels  on  renferme  le  maïs. 
On  en  conserve  ainsi  en  pai'fait  état  avec  un  poids  de  mille  kilos  par 
mètre  de  superficie ,  pendant  la  sécheresse ,  pour  empêcher  la  trop 
grande  fermentation. 

La  culture  maraîchère,  dont  la  plus  grande  partie  est  entre  les  mains 
des  Espagnols,  est  également  très  développée  et  produit  d'excellents 
résultats. 

Les  orangeries  rapportent  de  600  à  800  francs  l'hectare  ,  ce  qui  n'est 
pas  à  dédaigner.  D'un  autre  côté ,  les  mandarineries  rapportent  de 
1,500  à  2,000  francs  l'hectare  et  valent  couramment  15,000  francs 
l'hectare.  —  Eh  bien  !  Mesdames  et  Messieurs ,  (je  vous  demande 
pardon  d'entrer  dans  des  détails  aussi  précis,  mais  je  désire  toujours 
faire  toucher  du  doigt  ce  qui  le  mérite) ,  nous  avons  malheureusement 
à  constater  dans  la  consommation  de  ces  deux  produits  .  algériens  par 
excellence ,  une  lacune  vraiment  déplorable  et  que  nous  devrions 
absolument  combler  : 

Nous  consommons  en  France ,  par  an  ,  plus  de  60.000.000  de  kilog. 
d'oranges  et  de  mandarines  ,  c'est-à-dire  presque  deux  kilos  par  tête  , 
ce  qui  est  énorme.  Ces  60  millions  de  kilos  peuvent ,  mieux  qu'en 
nulle  autre  contrée  du  monde  ,  être  produits  entièrement  par  l'Algérie 
et  par  conséquent  enrichir  les  colons.  Eh  bien!  savez-vous  combien, 
nous  autres  Français,  nous  qui  habitons  le  pays  de  France,  savez-vous 
combien  nous  allons  acheter  d'oranges  en  Espagne?- 50  millions  de 
kilos  par  an  sur  les  60  millions  de  kilos  que  nous  consommons  !  C'est 
là  un  véritable  malheur  auquel  il  est  absolument  nécessaire  que  nous 
remédiions,  d'autant  plus  qu'il  nous  est  extrêmement  facile  de  le  faire. 
La  France  est  d'ailleurs  .  dans  toute  question  industrielle  ou  commer- 
ciale, presque  toujours  assez  riche  pour  se  passer  presque  exclusive- 
ment des  étrangers  si  elle  le  voulait.  —  'Applaudissements.)  C'est 


-  12  - 

principalement  à  Gonstantine ,  à  Blidah ,  etc.,  c{ue  se  centralise  le 
commerce  des  oranges ,  qui  promet  beaucoup  de  se  développer. 

Après  les  orangers  viennent  les  oliviers  dont  on  trouve  en  Algérie 
de  nombreuses  forêts  à  Tétat  sauvage.  Nous  allons  malheureusement 
encore  en  chercher  la  plus  grande  partie  en  Italie  et  en  Sicile ,  tandis 
que  nous  devrions,  plutôt  que  de  nous  approvisionner  toujours  à 
l'étranger  et  absolument  à  l'étranger,  nous  attacher  surtout  à  mettre 
en  valeur  nos  colonies  africaines  en  y  cultivant  ces  fruits  sur  une 
beaucoup  plus  grande  échelle. 

Le  tabac  se  cultive  aussi  admirablement  en  Algérie  ;  la  production 
en  est  de  1,500  kilos  par  hectare  ;  elle  est  achetée  en  très  grande 
partie  aux  colons  par  l'Administration  ,  et  l'on  peut  dire  que  le  com- 
merce actuel  du  tabac  est  de  3  millions  de  kilos  achetés  presque  en 
totalité  par  le  gouvernement,  à  raison  de  80  à  150  francs  les  cent  kilos. 

La  culture  du  tabac  peut  être  confiée  aux  colons  avec  contrôle ,  et 
dans  ce  pays  plus  grand  que  la  France  ,  on  pourra  rapidement  fournil- 
tout  le  tabac  dont  nous  avons  besoin,  sans  aUer  en  demander  aux 
espagnols,  par  exemple. 

Le  coton  a  été  cultivé  en  Algérie  dès  le  début  de  la  colonisation  ,  il 
y  a  50  ans,  mais  on  y  a  renoncé  d'une  façon  presque  absolue  ,  car  en 
face  de  la  concurrence  de  la  Louisiane  et  des  Etats-Unis  qui  obtiennent 
la  main-d'œuvre  du  nègre  à  très  bon  marché  ,  connue  vous  le  savez , 
les  colons  n'ont  pas  pu  lutter  avec  ces  pays  sur  ce  terrain. 

On  y  cultive  encore  le  lin  ,  ainsi  que  la  ramie  qu'on  commence  à 
produire  sur  une  assez  grande  échelle.  La  ramie  pourra  être  plus  tai'd 
la  source  de  très  grands  profits  pour  la  colonie.  Malheureusement ,  ce 
ne  sont  encore  que  les  Anglais  qui  l'achètent  par  quantités  assez  fortes 
et,  d'un  autre  côté  ,  il  y  a  certains  endroits  ,  près  de  Gonstantine  ,  par 
exemple,  où  on  ne  cultive  la  ramie  qu'avec  une  certaine  difficulté.  Elle 
se  teint  très  bien  ,  mais  comme  c'est  une  matière  assez  délicate  ,  il  y  a 
des  soins  particuliers  et  coûteux  à  prendre  pour  qu'elle  ne  soit  pas 
brûlée  par  la  teinture  ;  on  ne  récolte  donc  pas  la  ramie  d'une  manière 
suffisante. 

On  cultive  aussi  l'alfa  sur  une  très  vaste  échelle,  mais  sur  ce  produit 
que  cultive  également  l'Espagne,  mais  dans  de  plus  faibles  proportions 
qu'en  Algérie  (car  c'est  un  produit  essentiellement  algérien) ,  nous 
avons  encore  à  déplorer  la  concurrence  ;  cet  alfa  s'en  va  en  grande 
partie  en  Angleterre.  Evidemment,  c'est  un  bénéfice  pour  les  Algériens, 
mais  celui  des  Anglais  est  bien  préférable  et  voici  pourquoi  :  cet 


-  13  - 

alfa,  acheté  par  les  Anglais,  est  transformé  pai*  eux  en  pâte  à  papier  et 
nous  allons,  nous  Parisiens  ,  qui  publions  400  journaux  par  jour  .  leur 
payer  tous  les  frais  de  manipulation.  Cet  alfa  vient  cependant  de 
l'Algérie  ,  et  nous  sommes ,  ce  me  semble  ,  assez  intelligents  pour  le 
transformer  nous  -  mêmes  en  pâte  à  papier  et  ne  pas  rester  ainsi  plus 
longtemps  tributaires  des  Anglais.  [Applaudissements.) 

Une  autre  culture  qui  a  pris  un  grand  développement  dans  ces  der- 
nières années,  particulièrement  dans  les  environs  de  Staovèli,  c'est  la 
culture  des  plantes  aromatiques  :  le  géranium,  l'héliotrope,  la  verveine, 

le  rosier,  etc Vous  tons  qui  êtes  habitués  à  voir  des   géraniums. 

des  héliotropes,  des  fleurs  de  toute  sorte,  vous  ne  pensez  pas  peut- 
être  qu'on  en  voit  en  Algérie  des  champs  immenses  et  que  ces  champs 
arrivent  à  produire  assez  pour  rapporter  aux  colons  un  bénéfice  de 
600  fr.  par  an  à  l'hectare. 

La  culture  du  Bambou  est  également  très  développée  ;  on  en  fait  des 
instruments  de  ménage  et  tout  ce  qu'on  peut  imaginer. 

On  commence,  grâce  aux  puits  artésiens,  à  faire  des  prairies  artifi- 
cielles, ce  qui  permettra  de  donner  un  très  grand  développement  à 
l'élevage  des  moutons  que  les  arabes,  à  qui  ce  soin  a  été  spécialement 
confié  jusqu'ici,  pourraient  abandonner  petit  à  petit,  eu  égard  au  peu 
de  bénéfice  qu'ils  en  retirent.  C'est  donc  encore,  dans  cette  circons- 
tance, le  côté  scientifique  de  la  question  que  nous  ne  devons  pas 
perdre  de  vue,  si  nous  voulons  conserver  et  multiplier  la  belle  race 
ovine  de  l'Algérie. 

Les  forêts,  qui  couvrent  2.300.000  hectares,  (vous  savez  qu'elles 
sont  encore  assez  considérables  en  Algérie)  produisent  une  infinité 
d'arbres,  notamment  le  Tuja,  qui  est  très  répandu,  l'Eucalyptus  et 
surtout  le  chêne-liège,  dontl'écorce  sert  à  faire  des  bouchons,  et  qu'on 
peut  classer  parmi  les  grands  arbres  nationaux  de  l'Algérie.  On  en  a 
tiré  de  plus  une  industrie  curieuse  autant  que  nouvelle,  et  voici  com- 
ment :  lorsque  la  fabrication  des  bouchons  est  terminée,  il  reste  natu- 
rellement une  quantité  énorme  de  sciure  et  de  détritus,  et  cette  pous- 
sière no  faisait  qu'un  très  mauvais  fumier  ;  aujourd'hui  les  colons  la 
vendent  très  cher  dans  toute  l'Europe,  et  l'on  s'en  sert  pour  emballer 
les  beaux  fruits,  principalement  ces  merveilleux  raisins  et  ces  excel- 
lentes pêches  que  vous  voyez  à  Argenteuil,  à  Fontamebleau  et  à 
Montreuil,  parce  qu'on  a  reconnu  que  cette  sciure  est  absolument 
imperméable  et  conserve  bien.  On  en  exporte  de  l'Algérie  depuis  10 
jusqu'à  15  mille  quintaux,  dans  certaines  exploitations.  C'est  toujours, 


-  14  - 

comme  vous  pouvez  en  juger,  une  très  bonne  fortune  pour  les  algé- 
riens. 

La  colonisation,  en  Algérie,  avait  mal  marché  pendant  50  ans,  et 
cela  parce  qu'il  fallait  s'y  établir,  mais  maintenant  (je  demande  à  le 
constater  hautement),  maintenant  que  nous  n'avons  plus  rien  à  craindre 
de  la  part  des  indigènes,  c'est-à-dire  des  trois  millions  d'arabes  qui 
habitent  le  sol  algérien,  nous  avançons  à  pas  de  géants. 

On  a  dit  souvent  que  la  plaine  de  la  Milidjà  était  un  foyer  de  fièvre  : 
assurément  on  exagérait.  Quelques  soldats  français  et  même  des  colons 
y  ont  en  effet  péri  de  cette  maladie,  mais  à  l'heure  actuelle  on  peut 
assurer  que  la  fièvre  a  complètement  disparu  de  toute  l'Algérie,  et 
cela  grâce  à  des  travaux  d'assainissement  qui  y  ont  été  exécutés  et 
surtout  aux  nombreuses  plantations  d'Eucalyptus,  cet  arbre  de  dimen- 
sions colossales  qui  nous  vient  de  l'Australie  et  dont  on  connaît  les 
propriétés  merveilleuses  de  salubrité.  Il  y  a  quinze  ans  encore,  la 
fièvre  était  à  craindre  dans  le  voisinage  des  mines  de  cuivre  à  Mokia 
el  HacUa  et  à  un  tel  point  que  les  ouvriers  mineurs  étaient  obligés  de 
passer  la  nuit  à  deux  lieues  de  là,  pour  se  prémunir  contre  ses  attein- 
tes. Eh  bien  !  depuis  qu'on  a  planté  autour  de  la  mime  des  Eucalyptus, 
la  fièvre  n'est  heureusement  plus  à  craindre  dans  ces  parages,  et 
aujourd'hui  l'Algérie  possède  un  climat  absolument  salubre. 

L'élevage  du  bétail  algérien  qui,  comme  je  vous  le  disais  tantôt,  est 
confié  presque  exclusivement  aux  arabes,  se  fait  surtout  dans  les 
hauts  plateaux  d'où  ceux-ci  descendent  par  tribus  pour  le  vendre  au 
colon  et  à  l'européen  ;  ils  fournissent  à  ces  derniers  environ  600,000 
têtes  par  an,  dont  la  majeure  partie  est  composée  de  ces  beaux  mou- 
tons mérinos,  dont  je  vous  ai  parlé  tout  à  l'heure,  et  dont  la  toison 
remarquable  est  très  estimée  dans  tous  les  pays  du  monde. 

Pour  ce  qui  concerne  le  défrichement  des  terrains,  il  est  extrêmement 
facile,  grâce  au  prix  de  la  main  d'œuvre  qui,  en  Algérie,  est  beaucoup 
moins  coûteuse  qu'on  pourrait  se  le  figurer.  Les  travaux  de  défriche- 
ment sont  faits,  d'abord,  par  les  Espagnols  et  les  Siciliens,  qui  y  sont 
généralement  plus  accoutumés  que  nous  ;  ils  exigent  de  3  fr.  50  à 
4  fr.  50  par  jour.  Le  Kabyle  et  le  Marocain,  qui  descendent  en  masse 
des  montagnes  au  moment  de  la  moisson  et  de  la  vendange,  ne  deman- 
dent que  2  à  3  fr.  par  jour,  et  enfin,  en  Tunisie,  ce  pays  merveilleux, 
comme  je  le  disais  tout  à  l'heure,  et  oii  nous  sommes  depuis  peu  de 
temps  encore,  comme  vous  le  savez,  la  main-d'œuvre  est  encore  beau- 
coup moins  coûteuse  ;  elle  n'est  que  de  1  fr.  50  à  2  fr.  par  jour.  Les 


-  15  - 

arabes  de  la  Tunisie  sont  très  doux  et  très  maniables  ;  on  fait  avec  eux 
tout  ce  que  l'on  veut,  et  il  est  à  remarquer  que,  pour  1  fr.  50  à  2  fr. 
par  jour,  ils  nous  donnent  un  travail  tout  à  fait  irréprochable.  En 
somme,  les  cultivateurs  algériens  peuvent  s'en  tirer  parfaitement, 
quant  à  la  main-d'œuvre. 

Pour  ce  qui  concerne  le  prix  des  terrains,  je  les  trouve  relatés  dans 
un  tableau  que  j'ai  sous  les  yeux,  mais  je  ne  sais  pas  si  je  dois  le  lire, 
car  c'est  assez  long.  La  valeur  des  terrains  varie  de  60  à  120  fr.  l'hec- 
tare, principalement  autour  de  Tunis. 

Le  défrichement  n'est  pas  très  difficile,  puisqu'on  peut  le  faire  faire 
à  bon  compte  par  des  Siciliens,  comme  je  vous  l'ai  dit. 

Lorsqu'on  s'embai^que  pour  l'Algérie  avec  un  petit  capital,  il  est  peut 
être  plus  simple  d'acheter  un  terrain  déjà  cultivé  qui,  au  bout  de  quel- 
ques années,  vous  aura  été  d'un  rapport  immense,  que  de  s'attacher 
au  défrichement  d'une  terre  encore  inculte.  J'ai  connu  des  cultivateurs 
français  qui  ont  opéré  de  cette  façon  et  qui  s'en  trouvent  très  satisfaits. 
Il  est  donc  plus  sage,  en  général,  pour  qui  possède  déjà  un  petit 
pécule,  de  faire  l'acquisition  d'une  propriété  qu'il  mettra  promptement 
en  valeur. 

Quand  à  celui  qui  ne  possède  pas  de  capital,  il  n'a  qu'une  seule 
chose  à  faire,  c'est  de  demander  au  gouvernement,  pour  les  cultiver, 
des  terrains  non  encore  défrichés.  J'ai  connu  des  personnes  qui  ont 
opéré  de  cette  façon  et  qui  s'en  trouvent  très  bien. 

Il  y  a  une  chose,  toutefois,  qu'il  faut  éviter  à  tout  prix,  quand  on 
arrive  en  Algérie,  c'est,  pour  pouvoir  se  passer  du  gouvernement  ou 
des  différentes  sociétés  de  colonisation,  de  tomber  entre  les  mains  de 
ces  gens  qu'on  appelle  «  prêteurs  »  et  qui  sont  pour  la  plupart  juifs  et 
voleurs,  car  si  vous  avez  le  malheur  de  vous  adresser  à  eux,  soit  à 
Constantine,  soit  à  Alger  ou  ailleurs,  vous  êtes  en  grand  danger  de 
perdre  tout  votre  argent  jusqu'au  dernier  sou.  Il  ne  faut  donc  jamais 
s'adresser  à  cette  sorte  de  gens. 

L'un  des  meilleurs  moyens  est  encore  de  chercher  à  vous  associer 
avec  un  colon,  déjà  propriétaire  d'une  petite  ferme,  ou  d'acheter  de 
commun  accord  avec  lui  des  terres  déjà  cultivées.  11  est  presque 
certain  que  ce  colon  ne  manquera  pas  d'accepter  vos  propositions,  si 
vous  avez  quelque  argent  à  apporter  dans  l'entreprise.  Il  y  a  là  une 
affaire  d'association  souvent  agréable  sous  tous  les  rapports  pour  celui 
qui  sait  s'en  servir  d'une  façon  pratique. 

Au  point  de  vue  de  la  culture,  demandez  d'ailleurs  et  faites  ce  que 


-  16  — 

l'on  l'ait  dans  la  République  Argentine,  dans  cotte  belle  contrée  de 
rA.mérique  du  Sud.  dont  il  n'y  a  pas  très  longtemps,  je  crois,  un  de 
mes  collègues  a  dû  vous  parler,  car  les  gens  de  ce  pays-là  sont  infini- 
ment plus  pratiques  que  nous.  Lorsque,  en  France,  une  personne  qui 
désire  émigrer  s'adresse  à  un  ministère  quelconque  en  vue  d'obtenir 
des  terres  soit  en  Algérie,  soit  en  Nouvelle-Calédonie  ou  ailleurs,  on 
commence  par  s'informer  si  cette  personne  a  de  la  fortune,  si  elle  est 
honorable  et  si  elle  jouit  d'une  santé  parfaite,  et  si,  après  avoir  ter- 
miné ces  différentes  enquêtes,  on  satisfait  par  hasard  à  sa  demande, 
il  est  rare  qu'une  fois  arrivée  dans  l'une  ou  l'autre  de  ces  colonies, 
elle  n'y  rencontre  pas  des  difficultés,  de  la  part  soit  des  fonctionnaires, 
soit  du  gouverneur  de  la  colonie,  qui,  en  fin  de  compte,  ne  lui  donnent 
point  de  terre,  comme  cela  arrive  Ja  plupart  du  temps.  C'est  ainsi  que 
l'on  condamne  parfois  à  mourir  de  faim  de  malheureux  ouvriers,  pau- 
vres représentants  de  cette  classe  si  intéressante  de  la  société  labo- 
rieuse, et  qui  ne  demandaient  pas  mieux  que  de  gagner  honorablement 
leur  vie  par  le  travail.  —  Il  est  donc  absolument  nécessaire  que,  nous 
tous,  colons  et  Français,  nous  fassions  nous-mêmes  nos  affaires  en 
Algérie,  en  dehors  de  toute  espèce  d'intervention  gouvernementale, 
que  nous  y  fassions,  dis-je,  nos  affaires  nous-mêmes,  par  les  seuls 
soins  de  l'initiative  privée. 

Imitons  sur  ce  point  la  République  Argentine  qui  inonde  le  monde 
de  ses  cartes  et  de  ses  prospectus,  et  use  enfin  tous  les  moyens  possi- 
bles pour  attirer  vers  elle  les  Européens.  EUe  a  des  agences  répan- 
dues partout,  non-seulement  à  Paris,  au  Havre,  à  Londres,  en  Alle- 
magne, mais  dans  presque  toutes  les  principales  villes  de  l'Europe, 
de  telle  façon  que  si  vous  voulez  obtenir  des  renseignements  quelcon- 
ques sur  Buenos-Ayres  ou  toute  autre  ville  de  la  République,  vous  ne 
manquerez  pas  de  les  trouver  dans  n'importe  quel  coin  de  l'Europe, 
tandis  que  vous  rencontrerez  maintes  difficultés  avant  de  pouvoir  en 
obtenir  sur  la  terre  algérienne  ,  cependant  si  proche  de  la  France.  Il 
est  donc  de  toute  nécessité  que  nous  établissions,  pour  remédier  à  cet 
état  de  choses,  de  grandes  sociétés,  telles  que  le  Crédit  Foncier,  pai* 
exemple,  qui,  absolument  indépendantes  de  l'Etat,  se  chargeraient  de 
piloter  les  Français  en  Algérie,  et  de  leur  procurer  une  position  dans 
cette  belle  contrée. 

C'est  de  cette  façon  pratique,  et  absolument  indépendante  de  toute 
intervention  gouvernementale,  que  nous  arriverons,  selon  moi,  à  faire 
de  la  culture  en  Algérie  sur  une  vaste  échelle. 


~  17  — 

J'arrive  à  la  question  la  plus  intéressante  de  la  transformation 
agricole  qui  s'est  opérée  dans  la  colonie,  question  qu'il  m'est  impos- 
sible de  passer  sous  silence  : 

La  vigne  a  commencé  à  y  être  importée  vers  Tannée  1857,  mais  à 
cette  époque  on  ne  savait  absolument  pas  ce  qu'elle  pouvait  y  produire 
et  on  ne  se  doutait  nullement  qu'elle  eût  pris  plus  tard  une  grande 
extension. 

En  1870,  on  comptait  dans  toute  l'Algérie  environ  800  hectares 
exployés  à  la  culture  de  la  vigne,  et  en  1876  on  passait  de  ce  chiffre 
assez  médiocre  à  celui  beaucoup  plus  élevé  de  17,000  hectares  d'un 
rapport  très  satisfaisant,  dont  6,000  à  Alger,  3,000  à  Gonstantine,  et 
le  reste  à  Oran ,  Staouéli,  Gherchell,  Mostaganem  et  dans  le  Sahel; 
Actuellement,  savez-vous  combien  les  vignobles  couvrent  d'hectares 
dans  tout  le  pays  :  80,000  !  Voilà  ce  qui  a  été  fait  depuis  quinze  ans  : 
du  chitTre  peu  important  de  800  hectares,  on  est  arrivé  avec  une  rapi- 
dité étonnante  à  celui  de  80,000  hectares  qui  ont  produit  pour  l'expor- 
tation, en  1884,  un  million  d'hectolitres  de  vin  et  un  million  et  demi 
en  1885,  soit  un  tiers  de  plus  que  l'année  précédente. 

La  culture  de  la  vigne  est  donc  une  bonne  fortune  qui  transforme 
complètement  l'Algérie  ,  et  elle  est  appelée  à  une  extension  beaucoup 
plus  grande  encore,  si  surtout  on  ne  perd  pas  de  vue  la  culture  scien- 
tifique et  si  on  se  rend  un  compte  très  exact  des  difiérentes  altitudes 
des  terrains.  Grâce  à  ces  altitudes  diverses  ,  l'Algérie  est  un  pays  de 
ressources  merveilleuses  pour  l'industrie  vinicole  :  telle  terre  d'une 
essence  grasse  produira  mieux  telle  espèce  de  raisins  que  telle  autre 
terre  sèche ,  et  réciproquement.  G'est  ainsi  que ,  dans  la  partie  de 
l'Algérie  appelée  Kabylie  ,  où  il  y  a  parfois  ,  le  matin  ,  4  à  5  degrés  de 
froid  ,  en  obtient  des  vins  rouges  qui  sont  excellents.  Gette  diversité 
d'altitudes  ,  et  par  conséquent  de  cUmats  ,  peut  amener  pour  la  mère- 
patrie  des  résultats  d'une  fécondité  extrême ,  si  nous  avons  l'intelli- 
gence de  nous  en  servir.  Ge  n'est  pas  sans  peine  qu'on  est  arrivé  aux 
résultats  actuels  :  on  a  obtenu  d'abord  des  vins  qui  ont  tourné ,  ce  qui 
a  fait  dire  à  beaucoup  de  personnes  que  les  vins  de  l'Algérie  ne  vau- 
draient jamais  rien  ;  cependant,  au  bout  d'un  certain  temps  ,  grâce  à 
certaines  combinaisons  ,  les  vins  algériens  tournaient  un  peu  moins,  et 
un  peu  plus  tard  ,  dès  qu'on  fut  arrivé  à  construire  des  celliers  pour 
les  conserver ,  ce  grave  inconvénient  avait  disparu.  Pour  vous  prouver 
qu'en  Algérie  il  faut  absolument  avoir  recours  aux  études  et  à  Texpé- 
rience  dans  la  culture  de  la  vigne  ,  je  vous  dh-ai  que ,  dans  le  début 

2 


-  18  - 

de  notre  établissement  dans  ce  pays  ,  plusieurs  colons  essayèrent  d'y 
planter  une  sorte  de  raisins  qui  venait  de  la  Champagne  et  qui  est  très 
connue  en  France  sous  le  nom  de  Pineau.  lis  le  cultivèrent,  et  taillè- 
rent les  vignes  qui  en  provinrent ,  de  la  même  manière  qu'en  France  et 
avec  tous  les  soins  possibles  ,  à  taille  courte.  Mais  ces  vignes  ne  pro- 
duisirent absolument  rien  ,  ce  qui  désappointa  les  importateurs  ,  qui  les 
arrachèrent.  Quelques-uns  d'entre  eux ,  toutefois  ,  ne  se  découragè- 
rent pas  et  bien  leur  en  prit  ;  ils  plantèrent  la  même  sorte  de  vigne 
taillée  longue  et ,  après  divers  tâtonnements  et  expériences  ,  ils  obtin- 
rent ,  au  bout  de  deux  à  trois  ans  ,  un  vin  ,  non  pas  équivalent ,  mais 
bien  supérieur  aux  vins  français.  Quant  aux  vins  médiocres ,  précé- 
demment récoltés  ,  dont  la  valeur  a  été  estimée  de  2  à  300,000  francs^ 
ils  n'ont  pas  été  perdus  car  on  est  parvenu  ,  en  les  faisant  bouillir  ,  à 
les  transformer  en  eaux-de-vie. 

Un  de  mes  amis  ,  M.  B.  Gaillardon  ,  qui  a  publié  l'année  dernière  un 
ouvrage  remarquable  sur  la  viticulture  ,  prouve ,  par  de  nombreux 
exemples  ,  que  plus  la  culture  de  la  vigne  fait  des  progrès  en  Algérie, 
plus  les  résultats  qu'on  en  obtient  deviennent  excellents.  D'ici  à  peu  de 
temps ,  sans  doute  ,  l'Algérie  pourra  exporter  dans  la  métropole  plu- 
sieurs millions  d'hectolitres  de  vin  par  an.  Actuellement ,  nous  en 
sommes  encore  ,  malheureusement ,  à  acheter  à  l'étranger  ,  et  parti- 
culièrement en  Espagne ,  la  plus  grande  partie  des  vins  que  nous 
consommons  ;  c'est  ainsi  qu'en  1886 ,  neuf  aiillions  d'hectolitres  de 
vin ,  venant  en  grande  partie  de  l'Espagne ,  ont  été  importés  en 
France.  Quand  donc  cesserons- nous  enfin  d'enrichir  continuellement 
les  Espagnols  au  détriment  de  nos  colonies  !  Quand  serons-nous  donc 
enfin  décidés  à  ne  plus  boire  leurs  vins  dont  la  plupart .  nous  en  avons 
maintenant  la  preuve  ,  sont  uniquement  fabriqués  avec  des  eaux-de- 
vie  allemandes  ,  des  eaux-de-vie  prussiennes  ,  les  eaux-de-vie  de  M.  de 
Bismarck  et  de  ses  compatriotes ,  ces  empoisonneurs  patentes.  Savez- 
vous  bien  que  M.  de  Bismarck  et  les  Allemands  fabriquent  leurs  eaux- 
de- vie  avec  de  vieilles  pommes  de  terre  et  des  détritus  de  toute  sorte, 
au  moyen  de  distillations  qui  ne  font  que  les  translormer  en  une 
véritable  boisson  pernicieuse  qui  débilite  l'homme  et  le  tue!  Il  n'y  a 
guère  longtemps  encore,  un  député  allemand  a  porté  la  parole  sur  ce 
sujet  à  la  tribune  du  Reichstagpour  démontrer  publiquement  le  danger 
qui  résulte  de  la  consommation  de  pareilles  boissons.  M.  de  Bismarck 
lui  a  répondu  :  «  Je  sais  très  bien  que  nous  fabriquons  des  eaux-de-vie 
qui  empoisonnent ,  mais  soyez  sans  crainte  à  cet  égard  :  ce  n'est  pas 


-  19  — 

par  le  peuple  allemand  qu'elles  sont  absorbées  .  elles  sont  presque 
exclusivement  exportées  dans  les  coloiiies  fi'ançaises.  »  Jugez  par  ces 
paroles  jusqu'où  va  l'impudence  chez  le  peuple  allemand.  Ces  eaux-de- 
vie  ,  fabriquées  de  l'autre  côté  du  Rhin  ,  et  que  l'on  devrait  avec  plus 
de  justesse  appeler  «eaux-de-mort  »,  sont  expédiées  en  très  grande 
partie  en  Espagne,  où  on  les  dénature  pour  en  faire  du  vin  qui  traverse 
bientôt  les  Pyrénées  et  se  vend  en  France.  Vou?-  voyez  que  nous  avons 
un  intérêt  considérable  à  donner  une  grande  impulsion  à  la  culture  de 
la  vigne  en  Algérie,  afin  que  nous  ne  soyons  plus  de  ce  côté  les  tribu- 
taires des  Espagnols  et ,  à  plus  forte  raison ,  de  nos  plus  mortels 
ennemis  :  les  Allemands.  (Applaudissements). 

Mesdames  et  Messieurs  ,  je  vous  demande  maintenant  la  permission 
de  vous  exposer  quelques  idées  générales  après  ces  idées  rapidement 
esquissées  sui'  ce  que  peut  fournir  l'Algérie  et  sur  les  ressources 
qu'elle  nous  procure  11  est  évident  que  si  nous  allons  nous  pourvoir 
en  Algérie  de  ce  dont  nous  avons  besoin  ,  il  doit  y  avoir  à  cela  une 
contre-partie.  Il  est  évident  qu'un  pays  qui  avance  de  jour  en  jour  dans 
la  voie  du  progrès  et  qui  est  absolument  finançais  de  cœur ,  il  est  évi- 
dent ,  dis-je ,  que  ce  pays  viendra ,  de  son  côté ,  chercher  dans  la 
métropole  tous  les  objets  manufacturés  dont  il  aura  besoin  ,  car  c'est 
toujours  là  le  but  principal  de  la  colonisation ,  l'écoulement  des  pro- 
duits du  pays  colonisateur  ;  il  faut  que ,  si  une  colonie  procure  des 
ressources  à  la  métropole  ,  elle  y  vienne  ,  à  titre  de  réciprocité  ,  s'ap- 
provisionner de  ce  qui  lui  est  nécessaire ,  et ,  pour  que  ces  deux 
conditions  soient  également  bien  remplies,  il  faut  que  nous  allions 
lutter  contre  les  étrangers  dans  cette  colonie  sur  le  terrain  des  affaires 
commerciales.  C'est  là  le  but  principal  de  la  politique  coloniale  ;  cette 
politique  est  celle  qui  consiste  à  lutter  sur  le  terrain  des  affaires  contre 
la  concurrence  étrangère ,  et  pas  autre  chose.  Oui .  mais  vous  m'ob- 
jecterez peut-être  qu'il  n'y  a  en  Algérie  que  225  à  230,000  Français , 
130.000  Espagnols  et  étrangers  ,  et  plus  de  trois  millions  d'Arabes  qui 
sont  nos  ennemis.  Détrompez-vous,  les  Arabes  ne  sont  pas  du  tout  nos 
ennemis  .  et  c'est  là  un  phénomène  extrêmement  curieux.  Après  une 
lutte  acharnée  ,  je  ne  dirai  pas  de  cinquante  années,  mais  de  vingt  ans 
au  moins ,  après  la  conquête  de  l'Algérie ,  entre  les  Français  et  les 
Arabes  ,  après  de  nombreuses  batailles  ,  presque  quotidiennes  ,  enga- 
gées entre  eux  et  dans  lesquelles  ils  se  juraient  une  guerre  à  mort ,  se 
battaient  côte  à  côte  avec  achai'nement  et  se  tuaient  à  coups  de  fusils  , 
il  n'y  a  plus  aujourd'hui  de  haine  véritable  entre  les  Français  et  les 


-  20  - 

Arabes.  Nos  rapports  d'afifaires  avec  ces  derniers  sont  très  agréables 
et  toujours  ils  nous  paient  avec  loyauté.  Il  n'y  a  pas,  à  beaucoup  près  , 
tant  de  haine  aujourd'hui  entre  l'Arabe  et  le  Français  qu'entre  le 
Français  et  l'Allemand  ,  taciturne  et  jaloux.  C'est  que  l'.Arabe  est  à  la 
fois  brave  et  loyal  et  que  ,  lorsqu'il  a  donné  sa  pai^ole  ,  vous  pouvez 
compter  sur  lui.  Nous  devons  nous  assimiler  les  Arabes  avec  fermeté, 
intelligence  et  modération,  mais  non  pas  d'une  façon  brutale  comme 
on  l'a  voulu  faire  déjà ,  c'est-à-dire  en  prenant  leurs  biens  et  jusqu'à 
leurs  femmes.  Nous  devons  les  considérer  comme  nos  égaux  et  non 
pas  comme  des  ennemis ,  en  un  mot ,  nous  devons  faire  de  l'Arabe 
un  bon  citoyen.  Mais  ,  je  le  répète ,  les  Arabes  ont  des  mœurs  et  une 
religion  qui  sont  en  contradiction  continuelle  avec  les  nôtres  et  que 
nous  devons  pourtant  respecter.  Si  nous  voulons  leur  imposer  nos 
coutumes  et  nos  moeurs  d'une  façon  brutale  .  en  les  faisant  enterrer, 
par  exemple  ,  à  la  mode  française  ,  non-seulement  ils  n'en  voudront 
rien  entendre,  mais  ils  se  révolteront  et,  ma  foi,  ils  auront  raison.  Le 
meilleur  moyen  de  faire  de  l'Arabe  un  ami  du  Français  ,  c'est  de  faire 
en  Algérie  ce  que  les  Hollandais  ont  fait  dans  leur  immense  possession 
de  Bornéo  ,  par  exemple  :  c'est  de  leur  ouvrir  des  écoles.  Nous  pour- 
rons de  cette  façon  lui  enseigner  le  français  et  lui  montrer  nos  goûts , 
nos  aptitudes,  notre  civilisation  d'une  manière  vraiment  pacifique. 
Enfin ,  ce  n'est  pas  en  le  traitant  en  ennemi  et  en  voulant  le  dominer 
par  la  force  militaire  et  l'autorité  que  nous  sympathiserons  parfaitemeut 
avec  lui.. Laissons  de  côté  nos  instincts  guerriers  et  faisons  abstraction 
de  nos  haines  religieuses  ,  en  un  mot ,  mettons  l'intérêt  de  la  patrie 
au-dessus  de  nos  intérêts  personnels.  Le  jour  où  nous  traiterons 
l'Arabe  on  frère  ,  le  jour  où  nous  lui  achèterons  honnêtement  ses  vins 
et  ses  chevaux,  par  exemple ,  le  jour  où  nous  lui  aurons  fait  com- 
prendre que  nous  voulons  nous  allier  avec  lui  sur  le  terrain  du  travail 
et  du  commerce  ,  ce  jour-là  l'Arabe  oubliera  toute  espèce  de  rancune 
religieuse  ou  autre ,  et  il  viendra  à  nous ,  parce  que  ce  sera  dans 
son  intérêt.  C'est  une  théorie  comme  une  autre,  c'est  vrai,  mais  elle 
a  au  moins  le  mérite  d'être  praticable  ,  et  je  crois  ,  quant  à  moi,  qu'il 
n'y  a  pas  de  meilleur  moyen  de  dominer  un  peuple  que  par  le  travail. 
(Appla  udisseinerUs) . 

Malheureusement  toutes  ces  idées  sont  précisément  mal  connues  chez 
nous. 

Je  voudrais,  à  Paris,  par  exemple,  voir  organiser  tous  les  ans  des 
caravanes  scolan-es  pour  l'Algérie.  Yous  savez  que,  chaque  a/niée,  le 


-  21  — 

conseil  municipal  de  Paris,  qui  est  assez  riche,  paraît-il,  organise  pour 
la  jeunesse  parisienne  des  promenades  municipales  pendant  les  vacan- 
ces. Eh  bien  !  il  serait  beaucoup  plus  utile,  à  mon  avis,  d'envoyer  de 
temps  en  temps  des  caravanes  scolaires  en  Algérie,  afin  de  faire  voir 
de  près  à  notre  jeunesse  ce  qu'est  ce  pays. 

Enfin,  un  autre  moyen  qui  me  paraît  beaucoup  plus  pratique  est 
celui  qui  consisterait  à  envoyer  en  Algérie,  pour  y  conquérir  une 
position,  ces  enfants  qu'on  appelle  «moralement  abandonnés»  et  qui 
traînent  à  Paris  une  vie  misérable.  Je  ne  puis  m'empêcher  de  vous  le 
signaler,  d'autant  moins  que  j'ai  eu  parfois  l'occasion  de  discuter  sur 
ce  sujet  avec  quelques-uns  de  ces  conseillers  municipaux  de  Paris  qui 
s'appellent  les  «  possibilistes  »,  c'est-à-dire  MM.  Vaillant,  Ghabert  et 
JojBFrin. 

Ces  hommes-là,  aveuglés  par  je  ne  sais  quelle  passion,  prétendent 
qu'envoyer  ces  enfants  en  Algérie,  c'est  les  envoyer  dans  un  lieu  de 
déportation,  c'est  les  mettre  sous  le  joug  de  l'autorité  et  principalement 
de  l'autorité  militaire.  On  a  beau  leur  objecter  qu'il  y  a  quinze  ans  que 
le  régime  du  sabre  a  été  aboli  et  que,  par  conséquent,  leur  raison  n'a 
pas  de  fondement  :  ces  messieurs  n'en  veulent  rien  entendre.  Et  cepen- 
dant, il  existe  en  France,  disséminés  un  peu  partout,  sans  compter 
ceux  qui  ont  trouvé  un  refuge  dans  des  établissements  de  correction, 
de  nombreux  enfants  moralement  abandonnés,  qui,  pour  une  raison 
ou  pour  une  autre,  sont  malheureux  et  déclassés  et  qu'on  pourrait  dès 
leur  enfance,  dresser  et  conduire  dans  le  droit  chemin.  On  en  fait,  il 
est  vrai,  ce  que  Ton  veut  jusqu'à  un  certain  âge  et  on  leur  donne  quelque 
éducation  pour  tâcher  d'en  faire  de  bons  citoyens,  mais  à  l'âge  de  18, 
20  ans,  on  les  rejette  sur  le  pavé  sans  aucun  capital,  sans  famiUe  ni 
amis,  et  avec  la  honte  et  l'opprobre  de  leur  origine.  Ces  enfants,  n'ayant 
plus  de  quoi  se  nourrir,  se  dispersent  dans  la  métropole,  et  alors  les 
jeunes  filles  se  perdent  et  les  hommes  deviennent  des  voleurs,  des 
assassins,  des  déclassés.  Eh  bien!  ces  enfants  malheureux,  ne  pourrait- 
on  pas  les  arracher  au  mal  en  leur  donnant  des  terres  en  Algérie  où 
ils  pourraient  devenir  des  cultivateurs  honorables.  Il  y  a  actuellement 
à  Paris  plus  de  130.000  de  ces  malheureux,  qui  se  lèvent  le  matin  sans 
savoir  où  et  cominenl  ils  pourront  se  coucher  le  soir  Ces  filles  qui  se 
perdent,  ces  hommes  qui  deviennent  des  V(deurs  et  des  assassins,  sont- 
ils  réellement  coupables  dans  le  sens  complet  du  mot,  lorsqu'ils  sont 
poussés  par  la  faim  ou  par  toute  autre  nécessité  de  la  vie,  et  ne  })our- 


--^  22  — 

rait-onpas,  avant  qu'ils  soient  gangrenés  par  le  mal,  s'en  faire  des 
instruments  merveilleux  de  la  colonisation?  [Applaudissements). 

Il  y  a  d'ailleurs  pour  le  colon,  eu  Algérie,  des  avantages  que  nous 
ne  connaissons  pas  suffisamment,  particulièrement  au  point  de  vue  du 
service  militaii^e  :  tout  fils  de  colon  établi  en  Algérie  ne  reste  qu'un  au 
sous  les  drapeaux  ;  tout  Français  qui  arrive  en  Algérie  et  promet  d'}'^ 
rester  10  ans,  profite  de  la  même  prérogative.  Les  Allemands,  il  est 
vrai,  ont  poussé  la  libéralité  plus  loin  en  pareille  circonstance  (et  pour- 
tant, les  Allemands  sont  dans  tout  autre  cas  beaucoup  plus  rigoureux, 
comme  vous  le  savez,  sur  ce  qui  concerne  la  question  militaire)  :  tout 
Allemand  qui  liabite  l'étranger  pendant  un  certain  temps  voulu  est 
dispensé  totalement  du  service  militaire.  On  devrait  agir  de  même  en 
France  à  l'égard  des  jeunes  gens  qui  se  rendent  dans  les  colonies,  mais 
enfin  la  prérogative  actuelle  est  déjà  pour  eux,  ce  me  semble,  un  grand 
avantage. 

Il  n'y  a  pas  en  outre  comme  vous  le  savez  de  droits  de  mutation  en 
Algérie,  ce  qui  est  encore  un  grand  avantage,  et  enfin  on  peut  se  pas- 
ser dans  ce  pays  de  tout  fonctionnaire  pour  l'achat  et  la  vente  des 
propriétés,  ce  qui  est  surtout  un  progrès  énorme  :  on  peut,  en  Algérie, 
comme  en  Australie,  acheter  ou  vendre  des  propriétés  de  gré  à  gré, 
sans  qu'il  faille  passer  par  l'intermédiaire  de  ces  vers  rongeurs  qui 
coûtent  600  millions  de  francs  à  la  France  et  qui  ont  noms  :  notaires, 
avoués,  huissiers,  etc..  {Applaudissements). 

Il  y  a  donc  des  avantages  énormes  à  aller  habiter  l'Algérie.  Je  vous 
demande  pardon,  Mesdames  et  Messieurs,  de  vous  parler  avec  une 
extrême  franchise,  mais  j'ai  l'haljitude  de  toujours  dire  ce  que  je  pense 
et  si  parfois  je  vais  trop  loin,  je  suis  sûr  d'avance  que  vous  me  pardon- 
nerez. 

Les  domaines  commencent  à  venir  considérables  en  Algérie,  il  y  eu 
a  depuis  300  jusqu'à  500  hectares.  Je  vais,  par  un  exposé  rapide,  vous 
donner  la  situation  de  l'un  d'eux  ;  c'est  le  domaine  de  Zouaïa,  situé  à 
quatre  kilomètres  d'Alger  ;  il  se  compose  de  60  hectares  de  vignobles, 
15  de  tabac,  15  de  plantes  diverses  et  d'oliviers,  75  de  fourrages  et 
luzernes,  20  d'orangers,  et  enfin  120  de  céréales  et  une  partie  en  forêts  ; 
on  y  fait,  comme  vous  le  voyez,  des  cultures  variées,  et  toutes  ces 
cultures  sont  d'un  excellent  rapport 

Prenons  maintenant  la  ferme  de  Mondovi,  près  de  Gonstantine,  dont 
la  valeur  est  de  800.000  francs,  et  sur  la  situation  de  laquelle  il  serait 
également  intéressant  d'avoir  quelques  renseignements  :   elle  se  com- 


-  23  - 

pose  do  2000  hectares,  dont  600  de  vignobles,  600  de  céréales,  600  de 
I)lantes  diverses,  30  de  prairies,  20  de  jardins  potagers,  et  150  de  cons- 
Iruclions.  C'est  comme  vous  le  voyez  un  des  domaines  les  plus  impor- 
tants :  il  est  estimé  à  l'heure  actuelle  o  millions  de  francs  et  rapporte 
environ  8(X),000  Irancs. 

Deux  jeunes  frères,  qui  cependant  n'étaient  pas  accoutumés  aux 
travaux  de  l'agricuUure,  ont  entrepris  récemment  l'exploitation  d'un 
domaine  en  Algérie  ;  ils  se  sont  mis  résolument  à  l'œuvre  (car  en  Algé- 
rie pas  moins  qu'en  nul  autre  pays,  c'est  par  le  travail  qu'on  parvient 
à  la  fortune)  et  les  résultats  de  leur  entreprise  sont  on  ne  peut  plus 
satisfaisants. 

Le  prix  des  terrains  est  de  1000  francs  l'hectare  sur  le  littoral.  Les 
terrains  du  Tell  coûtent  400  francs  l'hectare  et  600  francs  lorsqu'ils 
sont  déjà  défrichés.  Du  côté  de  la  plaine  de  la  Miiidja.  ils  ne  valent 
que  de  200  à  250  francs,  ce  qui  constitue  une  différence  énorme.  A  Sétif, 
on  a  de  la  terre  à  25  francs,  50  et  100  francs  l'hectare  et  en  Kabyhe, 
pour  150  francs  une  terre  assez  bonne  qui  promet  de  faire  vite  fortune. 
Il  y  a  encore  une  quantité  d'autres  endroits  où  les  colons  sont  peu 
répandus  et  où  l'on  ferait  à  coup  sûr  fortune,  mais  toujours,  bien  entendu, 
à  la  condition  que  l'on  travaille  et  qu'on  soit  entièrement  à  ses  affaires. 
A  cette  conditioji,  on  peut  arriver  à  retirer  des  bénéfices  représentant 
le  tiers  du  capital  engagé. 

Il  me  reste  à  vous  parler  maintenant ,  Mesdames  et  Messieurs  ,  d'un 
point  d'une  très  grave  importance ,  qui  va  me  forcer  d'aborder ,  bien 
malgré  moi ,  la  question  militaire  que  j'aurais  voulu  pouvoir  éviter. 
D'un  côté  ,  comme  je  vous  l'ai  dit  tout-à-l'heure ,  le  meilleur  moyen 
d'arriver  à  une  prompte  et  parfaite  colonisation  de  l'Algérie ,  est  de 
diminuer  autant  que  possible  les  forces  militaires,  d'un  autre  côté, 
jious  ne  devons  pas  nous  exposer  à  des  insurrections.  Il  faut  donc 
absolument  étudier  la  question  d'une  manière  résolue. 

Les  Algériens,  je  veux  dire  les  Arabes,  qui  habitent  l'Algérie  depuis 
le  littoral  jusqu'au  Sahara,  sont  bien  calmes  à  l'heure  actuelle  et 
paraissent  soumis  d'uiie  façon  absolue.  Il  n'en  est  pas  de  même  dans  la 
région  située  au-delà  des  hauts  plateaux  qai  se  trouvent  autour  de 
l'Algérie  et  sont  habités  par  les  Touaregs,  ainsi  que  du  côté  du  Maroc, 
ce  malheureux  empire  ,  en  état  de  décomposition  politique  ,  et  dont  la 
population  se  compose  d'éléments  hétérogènes  :  Anglais  ,  Allemands  , 
Espagnols  ,  veulent  y  faille  prédominer  leur  influence.  —  Les  Ai'abes 
du  Sahai'a,  de  même  que  les  Touaregs  ,  forment  une  race  musulmane 


-  24  - 

fanatique  et  très  turbulente  qui,  avec  les  Marocains,  environne  l'Algé- 
rie de  tous  côtés.  Heureusement,  comme  ils  sont  nomades,  c'est-à-dii^e 
toujours  à  cheval  par  tribus  à  travers  les  sables  du  désert,  ils  sont  loin 
d'être  dangereux ,  d'autant  moins  qu'ils  sont  mal  armés  ,  mais  il  n'en 
est  pas  moins  vrai  qu'ils  pourraient  amener  un  jour  une  insurrection  , 
bien  que  cependant  ce  soit  peu  probable,  si  l'on  considère  que  le  pays  est 
composé  d'éléments  ai'abes  absolument  disparates  qui  ne  parviendraient 
que  difficilement  à  s'entendre  du  jour  au  lendemain  pour  une  action 
commune.  11  pourrait  néanmoins  survenir  soit  une  guerre  européenne 
dans  laquelle  l'Angleterre  ou  l'Allemagne  seraient  engagées ,  soit 
encore  ,  et  c'est  plus  probable  ,  un  excès  de  fanatisme  religieux  chez 
les  Touaregs,  et  alors  nous  serions  bien  forcés  de  .défendre  la  colonie. 
Eh  bien!  le  meilleur  moyen  de  défense  est  trouvé  et  je  suis  convaincu 
qu'il  est  excellent.  J'ai  apporté  avec  moi  un  volume  qui  traite  ce  sujet, 
mais  dont  l'heure,  qui  est  déjà  assez  avancée,  ne  me  permet  pas  de  vous 
lire  des  extraits  (1).  Voici  en  substance  ce  que  j'y  ai  lu  :  Si  nous  con- 
sultons la  plupart  des  officiers  -  généraux  français  ,  dont  quelques  -  uns 
sont  devenus  les  amis  intimes  ,  et  dévoués  jusqu'à  la  mort ,  de  grands 
chefs  arabes,  tels  quAb-del-Kader,  par  exemple,  si  nous  consultons  ces 
hommes  qui,  par  conséquent,  doivent  connaître  absolument  bien  le 
caractère  arabe,  i^s  nous  diront  tout  d'abord  qu'en  cas  de  guerre  euro 
péeime  ou  d'insurrection  ,  étant  donné  la  superficie  de  l'Algérie  ,  qui 
est  de  25,000  lieues  carrées,  dans  lesquelles  se  trouvent  50  postes  mili- 
taires, soit  un  poste  par  500  lieues,  étant  donné  d'un  autre  côté  qu'un 
petit  nombre  restreint  de  colons  s'avancent  et  se  disséminent  de  plus 
en  plus  dans  l'intérieur  des  terres  et  qu'il  faut  les  protéger ,  étant 
donné  l'étendue  de  la  côte  qui  est  de  400  lieues  et  que  nous  avons  une 
ligne  de  chemins  de  fer  (à  peu  près  parallèle  à  la  côte)  passant  par 
Oran,  Alger,  Gonstantine  et  Tunis,  étant  donné  les  100  lieues  qu'il  y  a 
à  parcourir  pour  pénétrer  jusqu'au  Sahara  ,  il  en  résulte  qu'U  faudrait 
le  chiffre  énorme  de  70,000  hommes  pour  défendre  l'Algérie ,  car 
aujourd'hui  encore,  s'il  était  nécessaire  de  transporter  des  troupes  de 
la  côte  algérienne  jusqu'au  Sahara,  le  temps  nécessaire  pour  le  faire 
serait  de  10  et  peut-être  même  de  15  jours,  puisque  les  2,000  kilomètres 
de  chemin  de  fer  et  les  500  kilomètres ,  au  moins  ,  d'autres  lignes  qui 


(1;  Niox. 


-  25  — 

sont  actuellemeiiL  ou  construction,  se  dirigent  de  l'Est  à  l'Ouest ,  et 
rattachent  Tunis  à  Gonstantiue  ,  Alger  et  Oran.  Il  y  a  un  autre  moyen 
qui  s'impose,  et  ce  moyen ,  le  voici  :  avec  des  colonnes  volantes  de 
i.500  hommes,  on  pourrait,  non  pas  réprimer  des  insurrections  ,  mais 
toujours  les  éviter,  et ,  pour  y  arriver ,  il  suffirait  de  tracer  des  voies 
de  pénétration  jusqu'au  désert,  c'est-à-dire  des  lignes  de  chemin  de  fer 
viMiant  aboutir  dans  le  Sahara.  Du  jour  où  ces  voies  ferrées  seraient 
établies ,  non  seulement  elles  nous  seraient  d'un  puissant  appui  au 
point  de  vue  de  nos  affaires  avec  les  Kabyles  qui  habitent  les  hauts- 
plateaux,  et  à  celui  du  développement  de  notre  commerce  et  de  la 
forlune  de  la  colonie,  partant,  de  la  métropole,  mais  encore  et  surtout 
elle  rendrait  l'Algérie  absolument  imprenable  et  maîtresse  absolue 
d'elle-même.  Il  est  évident  que  le  meilleur  moyen  est  encore  de  créer 
une  mer  intérieure  ,  mais  c'est  là  un  projet  qui  entre  dans  le  domaine 
de  ces  questions  vitales  qu'on  n'ose  trop  réclamer ,  parce  qu'on  ne  sait 
pas  quand  ce  rêve  national  pourrait  être  réalisé.  Il  est  plus  pratique  , 
pai' conséquent,  d'établir,  comme  je  viens  de  le  dire,  deux  ou  trois 
lignes  de  chemin  de  fer  partant  de  la  Méditerranée  et  aboutissant  dans 
le  Sahara 

Mesdames  et  Messieurs,  je  ne  voudrais  pas  abuser  plus  longtemps 
de  votre  bienveillante  attention  ;  il  me  reste  encore  un  point,  un  dernier 
lioint,  à  vous  exposer,  et  je  vais  le  faire  dans  le  but  de  vous  démontrer 
qu"au  point  de  vue  de  la  concurrence  étrangère  ,  le  meilleur  moyen  de 
consolider  les  liens  qui  unissent  une  colonie  à  la  Métropole,  et  récipro- 
quement, est  au  premier  chef  une  mesure  coloniale. 

Eh  bien  !  aujourdhui  on  commence  à  comprendre  d'une  façon  très 
nette  que.  à  côté  du  chemin  de  fer  qu'on  a  considéré  pendant  50  ans 
comme  le  dernier  moyen  de  progrès,  à  côté  de  ce  moyen  de  transport 
rapide  mais  coûteux ,  le  moyen  de  transport  par  eau  ne  doit  pas  ,  tant 
s'en  faut,  être  négligé,  et  ceci  est  d'autant  plus  vrai  qu'il  est  compris  à 
la  fois  par  tous  les  grands  peuples.  C'est  ainsi  qu'à  l'heure  actuelle  ,  il 
est  question  de  faire  de  Cologne,  de  Rome  et  de  Manchester  autant  de 
ports  de  mer.  C'est  ainsi  que  le  port  d'Anvers  a  été  créé.  A  ce 
propos ,  je  me  souviens  qu'au  lendemain  de  l'Exposition  internationale 
qui  a  eu  lieu  ,  il  y  a  deux  ans ,  dans  cette  dernière  ville ,  les  indus- 
triels français,  et  particulièrement  les  Parisiens,  en  sont  revenus  avec 
la  presque  totalité  des  médailles  d'or  et  récompenses ,  et  qu'à  cette 
occasion  quelqu'un  me  disait  :  «  Vous  voyez  bien  que  la  France  n'a  pas 
trop  à  craindre  la  concurrence  des  Allemands  et  des  Anglais,  et  (ju'elle 


—  26  — 

est  toujours  la  première  nation  du  monde  au  point  de  vue  industriel.  » 
Eh  bien  !  cola  n'était  que  de  la  pure  fantasmagorie  :  si  nous  avons 
remporté  à  Anvers  la  plupart  des  médailles  et  des  récompenses  ,  et  si 
nous  3'  avons  battu  les  Allemands  qui ,  le  plus  souvent ,  i  e  fabriquent 
que  de  la  camelotte,  cela  n'aurait  pas  dû  nous  empêcher  de  voir  que  la 
création  du  port  d'Auvers  avait  été  absolument  imposée  par  la  volonté 
de  M.  de  Bismarck,  et  qu'une  ligne  de  chemin  de  fer  devait  relier 
cette  ville  à  Cologne  ,  Mayence  et  Francfort ,  c'est-à-dire  aux  grandes 
lignes  allemandes,  pour  nous  enlever  à  tout  jamais  le  transit  do  l'Angle- 
terre et  de  la  plupart  des  autres  pays.  —  Vous  voyez  donc  qu'il  est 
d'une  absolue  nécessité  que  les  communications  par  eau  soient 
employées  autant  que  possible  ,  surtout .  à  mon  point  de  vue  ,  comme 
un  moyen  pratique  de  colonisation,  et  j'ajouterai  que  ,  si  nous  voulons 
absolument  que  notre  protectorat  au  Tonkin  et  au  Cambodge ,  par 
exemple,  soit  à  jamais  établi  dans  ces  contrées  lointaines ,  c'est  à  la 
condition  que  nous  n'y  soyons  pas  vaincus  sur  le  terrain  commercial 
par  les  Allemands  et  les  Anglais  ,  par  suite  de  l'insuffisance  de  notre 
marine  marchande,  et,  par  conséquent,  à  cause  de  la  cherté  excessive 
du  transport  de  nos  marchaii' lises.  On  peut  évaluer ,  d'après  les  statis- 
tiques, à  13,500  le  nombre  des  navires  marchands  anglais  qui  ont 
parcouru  les  mers  de  Chine  pendant  l'année  1886  ,  et  à  46  seulement 
celui  des  Français.  Il  s'ensuit  que  nous  devons  ,  la  plupart  du  temps  , 
passer  par  l'intermédiaire  des  Anglais  pour  l'expédition  de  nos  mar- 
chandises ,  et  que  ,  lorsque  celles-ci  arrivent  à  Hanoï .  la  capitale  du 
Tonkin,  nous  leur  avons  payé  30  à  50  7o  de  leur  valeur  pour  frais  de 
transport,  surtaxes  de  pavillon  ,  commissions,  etc. 

A  cause  de  l'insuffisance  de  notre  flotte  marchande ,  nous  enrichis- 
sons à  notre  détriment  le  commerce  de  l'Angleterre.  Quelques  riches 
maisons  de  Marseille  ont  été  frappées  de  cette  vérité ,  et ,  pourvues 
d'une  marine  marchande  qui  leur  appartient ,  elles  ont  conservé  inté- 
gralement le  monopole  de  notre  commerce  au  Sénégal.  La  voie  est 
ouverte  aux  imitateurs  et  je  souhaite  qu'ils  soient  très  nombreux.  — 
A  cette  question  de  la  plus  haute  importance,  se  joint  une  autre 
question  qui  ne  l'est  pas  moins  :  c'est  la  création  du  Canal  des  Beux- 
Mers  ,  de  l'Atlantique  à  la  Méditerranée ,  et  le  canal  maritime  de  la 
mer  à  la  capitale,  qui  doit  faire  de  Paris  un  vaste  port  de  mer.  Du  jour 
où  ce  rêve  national  sera  réalisé ,  nos  relations  comuîerciales  avec 
l'Algérie  seront  définitivement  et  solidement  établies  :  non  seulement 
elle  pourra  nous  expédier  avec  une  extrême  facilité  ses  vins ,  ses 


-  27  — 


oranges  et  une  foule  d'autres  produits  de  son  agriculture  ,  mais  encore 
de  notre  côté,  nous  trouverons  dans  la  colonie  récoulem(;nt  i-aiiide  do 
tous  nos  objets  manufacturés  ,  car  les  frais  de  transport  par  eau  étant 
beaucoup  moins  coûteux  que  par  chemin  de  fer,  nous  pourrons  alors 
lutter  victorieusement  contre  l'étranger.  Et  enfin  !  Mesdames  et 
Messieurs  .  lorsqu'on  se  trouvera  devant  ce  magnifique  port  d'Alger 
et  qu'on  admirera  par  une  belle  matinée  d'été,  au  soleil  levant ,  ces 
maisons  étagées  sur  le  bord  de  la  mer  et  semblant  se  détaciier  du 
ciel ,  lorsqu'on  se  trouvera  devant  ces  montagnes  de  l'Algérie  qui 
paraissent ,  à  l'aurore  surtout ,  recouvertes  d'une  poussière  d'or  ,  et 
à  la  vue  desquelles  l'homme  le  moins  sensible  se  sent ,  malgré  lui , 
rêveur  et  i)oète,  on  se  retournera  vers  la  terre  française,  et  on  recon- 
naîtra qu'on  se  trouve  dans  une  seconde  France,  la  France  africaine  ! 
{Applaudisse menis  prolongés.  ) 


—  28  — 


COURS  ET  CONFERENCES  DU  JEUDI  SOIR 

A  LILLE. 

(m  extenso). 


LA  NAVIGATION  AERIENNE 

Par  M.  P.  GOLARDEAU,  professeur  de  physique  au  lycée  de  Lille. 


Conférence  faite  à  la  Société  de  Géographie  de  Lille ,   le  10  Mars  1885. 


Mesdames  .  Messieurs  , 

Lorsqu'on  veut  se  rendre  d'un  pays  à  un  autre  ,  on  peut,  conlraire- 
ment  à  un  dicton  populaire  «  y  aller  par  quatre  chemins  ».  Un  premier 
moyen,  eu  effet,  le  plus  naturel  et  le  plus  démocratique,  c'est  de  s'y 
rendre  à  pied  :  un  second,  déjà  plus  restreint,  serait  de  prendre  le 
chemin  de  fer  :  un  troisième,  de  s'embarquer  sur  un  navire  en  par- 
tance :  un  quatrième  enfin,  serait  de  prendre  un  ballon,  et  à  l'instar  de  la 
fille  de  M""^  Angot,  s'élever  dans  les  airs.  Quoique  ce  procédé  soit,  à  n'eu 
pas  douter,  le  moins  commode  ,  et  le  plus  sujet  à  accidents  ,  c'est . 
cependant  de  ce  mode  de  locomotion,  que  je  voudrais  vous  entretenir 
aujourd'hui ,  vous  faire  voir  :  d'une  part,  ses  débuts,  d'autre  part ,  les 
résultats  auxquels  on  est  arrivé  récemment 

Eœpérience  des  Monlgol/ier  —  Personne  n'ignore  que  l'invention 
des  ballons,  d'origine  toute  française,  est  due  à  deux  frères,  Joseph 
et  Etienne  Montgolfier,  fils  d'un  riche  fabricant  de  papiers  de  Vidallon- 
lez-Annonay.  Joseph,  l'aîné,  d'un  caractère  fort  indépendant,  s'é- 
chappait à  treize  ans  du  collège  de  Tournon,  pour  aller  vivre  de  coquil- 
lages au  bord  de  la  mer.  Réintégré  dans  sa  pension,  il  ne  put  se 
plier  davantage  aux  exigences  de  l'enseignement  classique  :  il  s'enfuit 
donc  une  seconde  fois,  et  se  mit  à  fabriquer  du  blou  de  Prusse,  et 
diverses  drogues  qu'il  vendait  lui-même.  Inutile  d'ajouter,  qu'après 
ces  deux  tentatives,  on  renonça  à  faire  de  lui  un  bachelier  !  Etienne, 


-  29  — 

son  fVère,  beaucoup  plus  jeune,  d'un  caractère  plus  calme,  était  plutôt 
un  homme  du  monde.  «  Il  était  poli,  allait  à  la  cour  de  Louis  XIV, 
portait  galamment  son  épée,  faisant  des  compliments  aux  dames 
coquettes  et  aux  grands  seigneurs.  » 

C'est  Joseph  l'aîné  ,  qui  eut  le  premier  l'idée  des  ballons  ;  comment 
cette  idée  lui  vint-elle  ?  Ici  les  avis  sojit  partagés  :  les  uns  racontent 
que  c'est  en  voyant  monter  au  plafond  le  jupon  de  M""'  Montgolfier,  sa 
mère,  jupon  que  l'on  faisait  sécher  pendant  l'hiver  sur  un  mannequin 
d'osier.  Suivant  d'autres,  étant  à  Avignon,  il  cherchait  au  coin  du  feu, 
le  moyen  de  pénétrer  dans  Gibraltar  alors  assiégé  par  les  Anglais, 
lorsqu'il  vil  une  feuille  de  papier,  échaufi'ée  par  le  foyer,  monter  dans 
la  cheminée  avec  la  fumée.  Mais  il  faut,  Messieurs,  oublier  ces  lé- 
gendes :  la  simple  vérité,  c'est  que  Joseph  Montgolfier  qui  avait  étudié 
la  dilatation  des  gaz,  savait  que  l'air  suffisamment  échauffé,  devient 
deux  fois  plus  léger,  et  peut  s'élever  en  emportant  son  enveloppe.  Un 
ballon,  en  effet,  n'est  autre  chose  qu'une  enveloppe  remplie  de  gaz,  et 
dont  le  poids  total,  est  moindre  que  le  poids  de  l'air  qu'elle  déplace.  Je 
n'ai  nullement  l'intention  de  développer  ici  la  théorie  scientifique  des 
ballons,  l'explication  aurait,  je  crois,  peu  de  charmes  :  je  veux  seule- 
ment essayer  de  vous  la  donner  par  un  exemple.  Lorsqu'on  enfonce 
dans  l'eau,  un  objet  moins  dense  que  l'eau,  un  bouchon  de  liège,  par 
exemple,  l'eau ,  vous  le  savez,  réagit  et  tend  à  faire  remonter  le  corps 
à  la  surface.  De  même  placez  dans  l'air,  un  corps  moins  dense  que  l'air, 
il  éprouvera  lui  aussi  une  poussée  de  bas  en  haut  de  la  part  de  cet  air  ; 
et  si  on  abandonne  cet  objet  à  lui-même,  il  s'élèvera  naturellement. 
(Expérience  du  Ludionj. 

Les  deux  frères  Montgolfier  s'appliquèrent  donc  à  construire  un 
appareil  de  grandes  dimensions,  fait  de  toile  d'emballage  doublée  de 
papier  de  soie  ;  et  ils  firent  en  grand  ,  l'expérience  que  nous  allons 
répéter  ici  même.  Un  réchaud  fut  allumé  à  la  partie  inférieure,  sur 
lequel  on  brûla  dix  livres  de  laine  mouillée  et  de  paille  hachée  :  aussi- 
tôt la  machine  remplie  d'air  chaud  se  souleva,  et  bientôt  elle  s'éleva 
aux  acclamations  de  la  foule.  En  dix  minutes,  elle  parvint  à  500  mètres 
de  hauteur,  mais  comme  elle  perdait  la  plus  grande  partie  du  gaz 
qu'elle  contenait,  par  suite  de  la  perméabilité  de  l'enveloppe,  on  la 
vit  bientôt  redescendre  vers  la  terre.  Ce  spectacle  se  passait  le  4  juin 
1783.  Un  procès-verbal  de  cette  belle  expérience  fut  aussitôt  adressé 
à  messieurs  les  membres  de  l'Académie  des  sciences.  L'Académie 
nomma  alors  une  commission  poui'  examiner  ces  faits  ;  cette  commis- 


-  30  — 

sion  après  avoir,  comme  toujours,  nommé  iinesous-coininissioii,  manda 
à  Paris,  Etienne  Montgolfier  en  le  prévenant  que  son  expérience 
serait  prochainement  répétée  aux  frais  de  l'Académie. 

Cependant  l'expérience  d'Annoiiay  avait  fait  grand  bruit,  et  les 
Parisiens  n'étaient  pas  satisfaits  de  voir  Paris,  centre  des  lumières, 
devancé  dans  une  pareille  voie,  par  une  ville,  dont  le  nom  était,  la 
veille  encore,  inconnu  à  la  plupart  d'entre  eux  :  d'autre  part,  ils  ne 
pouvaient  s'accommoder  des  lenteurs  de  la  Commission  académique, 
il  leur  fallait  à  tout  prix  le  même  spectacle. 

Expériences  du  physicien  Charles.  —  11  y  avait  alors  à  Paris,  un 
jeune  professeur  plein  de  zèle  ,  le  physicien  Charles,  qui  se  chargea  de 
subvenir  aux  frais  de  l'entreprise  :  il  eut  l'idée  ,  toute  naturelle  d'ail- 
leurs ,  de  faire  payer  le  spectacle  à  ceux  qui  viendraient  le  voir.  Il 
ouvrit  donc  une  souscription  ,  et  plus  de  10,000  francs  furent  recueillis 
en  quelques  jours.  Charles  fabriqua  donc  un  ballon  de  soie,  bien 
cousu,  bien  solide,  et  il  se  mit  en  devoir  de  le  gonfler,  place  des 
Victoires  à  Paris  ;  niais  il  rencontra  dans  cette  opération  des  difficultés 
inattendues.  En  effet,  pour  gonfler  ce  ballon,  il  fit  usage  d'un  gaz, 
nouvellement  découvert,  l'hydrogène,  dont  je  vais  vous  indiquer 
quelques  propriétés  remarquables.  D'abord  ce  gaz  est  quatorze  fois 
et  demie  plus  léger  que  l'air  :  voici,  en  effet,  une  bulle  de  savon  gon- 
flée de  gaz  hydrogène,  et  vous  voyez  avec  quelle  rapidité  elle  s'élève 
dans  l'air. 

Ce  gaz  traverse  très  facilement  les  membranes  de  papier  :  pour  le 
montrer,  je  prends  un  verre  rempli  d'hydrogène  ;  je  le  ferme  avec  un 
morceau  de  papier,  et  au-dessus  j'approche  une  allumette  enflammée 
et  voilà  l'hydrogène  qui  a  passé  à  travers  le  papier  qui  s'enflamme 
lui-même,  communique  le  feu  au  papier,  et  au  gaz  qui  remplit  le  flacon 

Enfln  l'hydrogène,  combustible  comme  vous  venez  de  le  voir,  forme 
avec  l'air  un  mélange  détonant.  Nous  avons  ici  un  petit  ballon  de 
collodion,  rempli  avec  un  mélange  d'air  et  d'hydrogène,  je  l'enflamme, 
vous  entendez  la  détonation  produite  et  voici  maintenant  les  fragments 
de  collodion  qui  retombent  et  vous  pouvez  constater,  que  l'ébranle- 
ment de  l'air,  produit  par  cette  détonation,  vient  d'éteindre  cette 
bougie. 

Quoiqu'il  en  soit,  c'est  du  gaz  hydrogène,  que  fit  usage  le  physicien 
Charles  :  le  remplissage  du  ballon  commencé  le  23  août,  n'était  pas 
terminé  le  25  :  chaque  joai'uée  se  passait  à  introduire   des  torrents 


—  31  — 

(i'uii  gaz  qui  disparaissait  chaque  nuit.  Enfin  le  25  août,  on  (ransporta 
l'aérostat  de  la  place  des  Victoires  au  Champ  de  Mars  :  ce  qui  se  fit 
à  minuit  pour  éviter  l'encombrement  :  il  était  étendu  sur  une  char- 
rette, précédé  et  suivi  par  des  i^ens  du  guet  qui  ])ortaient  des  torches  ; 
et  telle  était  la  superstitieuse  terreur  qu'inspirait  la  vue  de  ce  ballon,  que 
des  hommes  du  peuple  se  rendant  à  leur  travail  se  découvraient  sur 
le  passage  du  cortège  Enfin,  le  26  août,  à  trois  heures  flu  soir,  un 
coup  de  canon  annonça  aux  300.000  spectateurs  qui  se  trouvaient  là, 
que  l'expérience  allait  commencer  :  le  ballon  s'enleva,  en  effet,  rapi- 
dement, entra  dans  un  nuage,  ce  qui  fut  salué  par  une  clameur 
immense  ;  on  le  vit  de  nouveau  percer  la  nue  A  ce  moment,  l'émotion 
était  à  son  comble  :  beaucoup  de  personnes  fondirent  en  larmes, 
d'autres  s'embrassaient,  comme  en  délire  :  les  yeux  fixés  sur  un  point 
du  ciel,  ils  recevaient  sans  songera  s'en  garantir,  une  pluie  abondante 
qui  ne  cessait  de  tomber  [i]. 

«  Cependant,  au  bout  d'un  peu  moins  d'une  heure,  le  ballon,  gonflé 
outre  mesure,  éclatait  sous  la  pression  du  gaz,  et  était  précipité  du 
haut  des  airs  sur  le  soi  :  il  tomba  à  Gonesse.  à  trois  heues  do  Paris ,  à 
demi-dégonflé,  et  parvenu  à  ten-e,  il  semblait  s'agiter,  sous  le  souffle 
du  vent,  connue  un  monstre  colossal  en  proie  aux  dernières  convul- 
sions de  l'agonie.  Ce  qu'éprouvèrent  à  cette  apparition  les  braves 
habitants  de  Gonesse,  paisiblement  occupés  aux  travaux  des  champs, 
on  peut  le  deviner  aisément.  Sans  perdre  une  minute  en  vaines  ré- 
flexions, ils  se  sauvèrent  à  toutes  jambes,  tel  fut  leur  premier  mouve- 
ment: le  second  fut  de  donner  une  direction  à  peu  près  raisonnable  à  leur 
course  folle  :  ils  se  rendirent  en  conséquence  au  presbytère  de  leur 
village,  et  racontèrent  au  curé  ce  qu'ils  avaient  vu.  Le  curé,  qui  savait 
ses  paroissiens  sujets  a  caution  sous  le  rapport  de  l'intelligence,  ne 
voulut  pas  ajouter  foi  à  leur  récit  :  mais  d'après  les  rapports  unanimes 
qu'il  recevait  de  vingt  bouches  différentes  lui  affirmant  qu'on  pouvait 
encore  voir  le  monstre  tombé  du  ciel,  se  démener  furieusement  sur 
le  sol,  il  résolut  de  lui  courir  sus  ;  et  bravement  il  se  mit  à  la  tête 
d'une  formidable  procession  de  gens  armés  de  fléaux,  de  bâtons,  de 
fourches,  voire  même  de  fusils.  Mais  l'enthousiasme  diminuait,  au  fur 
et  a  mesure  que  l'on  s'approchait  :  il  y  eut  même  dans  les  rangs  des 
assaihants,  quelques  désertions,  qui  faillirent  amener  une  déroute 
complète.  La  colonne  hostile  finit  par  investir  l'aérostat  :  elle  se  mit 

(1)  Jamin.  —  Les  Ballons. 


-  32  — 

à  hurler,  gesticuler,  à  faire  le  plus  de  tapage  qu'elle  put.  espérant  par 
là  l'effrayer,  et  le  forcer  à  reprendre  son  vol,  mais  le  monstre  ne 
bougea  pas. 

»  Alors  un  paysan  plus  courageux  que  les  autres  (quelque  ancien 
troupier  sans  doute)  ajusta  le  monstre  avec  le  fusil  qu'il  s'était  contenté 
jusque-là  de  brandir  en  poussant  des  cris,  et  lâcha  le  coup.  Dans 
l'appréhension  des  conséquences  d'une  action  aussi  téméraire,  tout  le 
monde  s'enfuit  :  mais  comme  ils  n'entendaient  derrière  eux  rien  d'in- 
solite, les  fuyards  revinrent  sur  leurs  pas,  et  constatèrent  avec  une 
joie,  facile  à  imaguier,  que  le  monstre  s'était  pour  ainsi  dire  évanoui 
en  fumée. 

»  La  balle  du  fusil,  en  effet,  avait  fait  merveille,  en  élargissant  la  dé- 
chichure  de  l'aérostat,  elle  avait  ouvert  une  large  issue  au  gaz  restant, 
et  bientôt  l'enveloppe  dégonflée,  était  retombée  complètement  immo- 
bile. Ce  résultat  inespéré  fit  renaître  le  courage,  même  chez  les  plus 
timorés  ;  tous  se  précipitèrent  sur  cet  ennemi  vaincu,  et  déchargèrent 
sur  lui  des  coups  terribles  de  leurs  armes  variées  :  en  un  instant,  ce 
ballon  qui  avait  coûté  tant  de  soins  fut  en  pièces  :  les  paysans  triom 
phants  poussèrent  la  cruauté  des  représailles,  jusqu'à  en  attacher  les 
débris  informes  à  la  queue  d'un  cheval  qu'ils  promenèrent  ensuite  à 
travers  le  village  et  les  environs  (1).  » 

Cet  événement  fit  assez  de  bruit  pour  que  le  gouvernement  crut 
nécessaire  de  publier  un  «  avis  au  peuple  »  touchant  le  passage  et  la 
chute  des  machines  aérostatiques.  Cette  pièce  naïve  disait  que  l'on  se 
proposait  de  renouveler  l'expérience  des  ballons  avec  des  globes  beau- 
coup plus  gros  :  «  Avis  donc  était  donné  à  ceux  qui  découvriraient 
dans  le  ciel  de  pareils  globes,  semblables  à  la  lune  obscurcie,  que  ce 
n'était  qu'une  machine  composée  de  taffetas,  et  de  toile  légère  qui  ne 
pouvait  causer  aucun  mal,  et  dont  il  était  à  présumer  que  l'on  ferait 
un  jour  des  applications  utiles  à  la  société.  » 

Lu  et  approuvé  ,  ce  3  septembre  178o. 

Expérience  de  Monigolfier  à  Vet^sailles.  —  Ce  premier  essai,  loin 
de  ralentir  l'enthousiasme  populaire,  ne  fit  au  contraire  que  l'exalter  ; 
le  roi,  lui-même,  voulut  être  témoin  d'une  ascension.  On  prépai'a  donc 
pour  lui,  sous  la  directien  de  Montgolfier,  dans  la  cour  de  Versailles, 
une  Montgolfière  à  son  chiffre,  avec  tous  les  attributs  de  la  mytho- 

(1)  La  Science  populaire.  1879. 


—  33  - 

logie.  Malgré  ses  grandes  dimensions  (elle  avait  57  pieds  de  haut),  elle 
se  gonfla  rapidement,  et  s'éleva  pompeusement  dans  les  airs  aux  accla- 
mations de  la  multitude,  pour  aller  tomber  huit  minutes  après,  dans 
les  bois  de  Vaucresson,  à  une  lieue  de  Versailles.  C'est  le  premier 
appareil  qui  ait  enlevé  des  êtres  vivants ,  un  mouton,  un  coq  et  un 
canard.  Ces  animaux  sortirent  sains  et  saufs  de  cette  épreuve  : 
j'ajouterai,  cependant,  qu'ils  paraissaient  inconscients  du  voyage  qu'ils 
venaient  d'exécuter,  et  tout  k  fait  insensibles  à  l'honneur  de  l'avoir 
accompli  les  premiers. 

Quelques  aspects  comiques  de  la  question.  —  A  partir  de  ce  mo- 
ment, les  ascensions  aériennes  se  multiplièrent;  les  unes  avec  succès, 
les  autres,  au  contraire,  avec  un  insuccès  éclatant,  aussi,  nous  ne 
nous  étonnerons  pas,  si,  de  toutes  parts,  et  au  milieu  de  l'enthou- 
siasme général,  s'élevèrent  des  satires  et  des  caricatures  contre  ces 
amateurs  inexpérimentés.  Les  orgues  de  Barbarie  du  temps  jouaient 
sur  des  airs  variés  le  quatrain  suivant  : 

Les  Anglais  ,  nation  trop  fière  , 
S'arrogent  le  droit  des  mers; 
Les  Français  ,  nation  légère  , 
S'emparent  de  celui  de  l'air. 

Une  caricature  représentait  un  jeune  homme  qui  glisse  sur  des 
patins  !  Deux  petits  ballons  attachés  à  sa  cravate  facilitent  sa  course. 

Sur  une  autre  estampe,  inspirée  par  le  manque  de  réussite  de  cer- 
tains amateurs  inexpérimentés,  qui,  après  avoir  organisé  une  sous- 
cription publique,  ne  parviennent  à  gonfler  leur  malencontreux  appa- 
reil, on  indique  «  un  moyen  infaillible  d'enlever  les  ballons.  Ce  moyen 
infaillible  consiste  en  leviers  et  en  cordes  !!!  (1) 

En  même  temps,  on  voyait  à  l'étalage  des  librah*es,  de  violents  pam- 
phlets, contre  l'idée  nouvelle  des  ballons  :  ces  pamphlets  déclaraient  la 
découverte  des  ballons  immorale,  Qi  cela  pour  plusieurs  raisons: 
«  r  Parce  que  Dieu  n'ayant  pas  donné  d'aîles  à  l'homme,  il  était  impie 
de  prétendre  faire  mieux  que  lui  et  d'empiéter  sur  ses  droits  ;  2"  Parce 
que  l'honneur  et  la  vertu  sont  en  danger  permanent,  s'il  est  permis  à 
des  aérostats  de  descendre  à  toute  heure  de  la  nuit  dans  les  jardins  et 
vers  les  fenêtres.  »  Ce  sont  là,  vous  le  voyez,  des  raisons  concluantes 


(1)  jMarion.  —  Les  Ballons. 


-  34  - 

cependant,  je  ne  sache  pas  que.  pour  des  enlèvements  volontaires  . 
force  serait  de  recourir  à  l'emploi  embarrassant  d'un  aérostat  :  «  il  est, 
je  crois,  avec  le  ciel  d'autres  accommodements.  » 

Seconde  expérience  de  Montgolfter.  Voyage  de  Pilaire  des 
Roziers.  —  Les  Parisiens  ne  se  lai-^sèrent  pas  toutefois  influencer  par 
ces  diatribes  ;  ils  s'étaient,  au  contraire  ,  partagés  en  deux  camps  :  les 
uns,  partisans  de  Montgolfier,  se  prononçaient  pour  les  ballons  à  air 
chaud  ,  les  autres,  partisans  du  physicien  Charles,  ne  juraient  que  par 
le  ballon  à  gaz  hydrogène.  De  nouvelles  expériences  étaient  donc 
nécessaires  pour  décider  entre  eux.  Cependant  la  Commission  de 
l'Académie  des  Sciences  avait  mené  à  bonne  fin  son  travail  :  elle  avait 
fait  construire,  à  ses  frais,  la  plus  grande  mongolfière  que  l'on  eût 
jaraai.s  vue  ;  elle  avait  70  pieds  de  haut,  et  jaugeait  6,000  pieds  cubes. 
Tous  les  jours,  en  présence  de  l'Académie  et  d'un  public  nombreux,  on 
la  gonflait  et  on  pesait  sa  force  d'ascension,  c'est  à  dire  le  poids  qu'elle 
serait  capable  d'enlever,  tout  en  la  retenant  captive  à  l'aide  de  cordes. 
Cette  manœuvre  était  dirgée  par  E.  Montgolfier,  qui  se  faisait  aider 
par  un  jeune  homme  nommé  Pilatie  des  Roziers.  Tous  les  jours  ,  il 
montait  dans  une  galerie  qui  entourait  le  bas  du  ballon  et  se  laissait 
enlever,  dabord  limidement  à  une  faible  hauteur,  puis  il  augmentait 
l'alitude  de  l'excursion,  en  présence  du  pubhc  qui  applaudissait  cette 
grande  adresse,  et  sans  doute  aussi  cette  témérité  peu  connnune. 
11  finit  par  atteindre  une  hauteur  de  324  pieds  ;  de  là,  il  dominait  Mont- 
martre, embrassait  tout  l'horizon ,  et  ne  cessait  de  répéter  que  ces 
voyages  étaient  absolument  sans  danger.  Tout  était  donc  mûr  pour 
essayer  dans  l'atmosphère  un  premier  voyage  en  ballon  libre. 

Le  Dauphin  offrit  alors  à  Mongolfier  le  jardin  de  son  château  de  la 
Muette  au  bois  de  Boulogne,  et  le  17  octobre  1783,  c'est  à  dire  moins 
de  trois  mois  apj'ès  la  découverte  des  aérostats,  l'expérience  était  pré- 
parée. Mais  au  moment  du  départ,  le  préfet  de  police  du  temps  survint 
pour  en  empêcher  l'exécution.  En  effet,  lancer  en  l'air  deux  personnes, 
dans  une  galerie  de  bois,  avec  une  provision  considérable  de  paille , 
près  d'un  ardent  foyer  qui  pouvait  à  chaque  instent  y  mettre  le  feu  , 
paraissait  d'une  témérité  peu  commune.  Le  roi  ne  consentait  à  ce 
départ  qu'à  la  condition  de  remplacer  les  deux  aéronautes  par  deux 
condamnés  à  mort  de  bonne  volonté  que  l'on  gracierait  ensuite.  A  cette 
nouvelle,  Pilâtre  des  Roziers  s'indigne,  il  déclare  qu'il  ne  cédera  à  per- 
sonne, ni  l'honneur  du  danger,  ni  la  gloire  du  succès.   Le  marquis 


—  :«  — 

d'Arlandes,  seigneur  du  temps,  tranquillisa  les  consciences  par  ses 
récits,  et  leva  toutes  les  difticultés  on  se  proposant  pour  être  le  com- 
pagnon de  l'aéronaute.  Tout  alla  bien,  les  voyageurs  atteignirent  3,000 
pieds,  traversèrent  Paris  et  descendirent  à  quelque  distance.  La  mont- 
golfière 5vait  donc  suffi  à  les  porter  ;  mais  si  elle  s'échauffait  vîle,  elle 
se  refroidissait  rapidement ,  on  ne  pouvait  la  maintenir  en  lair  qu'à  la 
condition  de  forcer  le  feu  et  d'épuiser  la  provision  de  combustible. 

Second  voyage  du  physicien  Charles.  —  La  réponse  de  Charles 
à  ce  défi  de  Pilàtre  des  Rosiers  ne  se  fit  pas  attendre.  Peu  de  jours 
après,  il  ouvrait  une  nouvelle  souscription  de  10,000  fr  «pour  un  globe 
de  soie  devant  porter  doux  voyageurs,  lesquels  s'élèveraient  à  ballon 
perdu,  et  tenteraient  en  l'air  des  observations  et  des  expériences  de 
physique.  »  Préparée  avec  maturité ,  calculée  avec  une  rare  intelli- 
gence, cette  ascension  révéla  tous  les  services  que  peut  rendre  en 
pareil  cas  le  secours  des  connaissances  scientifiques,  car  le  physicien 
Charles  avait  perfectionné  son  appareil  ;  il  avait  imaginé  la  soupape, 
qui  donnant  issue  au  gaz,  permet  une  descente  lente  et  graduelle  de 
l'aérostat  ;  la  nacelle,  où  s'embarquent  les  voyageurs  ;  le  filet  qui  sou- 
tient la  nacelle  ;  le  lest  qui  règle  l'ascension  et  modère  la  chute.  On 
peut  dire  qu'on  n'a  presque  rien  ajouté  depuis  cette  époque  aux  dispo- 
sitions que  j'indique.  Charles  partit  donc  des  Tuileries  avec  le  même 
concours  de  spectateurs,  les  mêmes  coups  de  canon,  le  même  enthou- 
siasme du  public.  Ce  fut-là  une  remarquable  ascension  :  en  moins  de 
dix  minutes,  l'aérostat  parvint  à  une  hauteur  de  4,000  mètres,  et  une 
demi-heure  après,  le  ballon  redescendait  doucement  à  deux  lieues  de 
son  point  de  départ. 

Dès  que  les  détails  de  ce  voyage  furent  connus  à  Paris,  ils  y  provo- 
quèrent un  enthousiasme  extraordinaire  ;  une  foule  considérable  se 
rassembla,  dès  le  lendemain,  devant  la  demeure  du  physicien  Charles 
et  lui  fit  une  véritable  ovation. 

«  A  partir  de  ce  moment,  la  supériorité  du  ballon  à  hydrogène  sur  la 
montgolfière  ne  fut  plus  contestée.  Rien  désormais  ne  devait  être  im- 
possible à  l'homme  qui  venait  de  conquérir  l'atmosphère  ;  telle  était 
l'idée  qui  à  cette  époque  se  reproduisait  sans  cesse,  elle  était  la  passion 
dominante  de  la  jeunesse.  La  vieillesse  en  faisait  le  texte  de  mille 
regrets  amers.  Témoin  la  maréchale  deVilleroi  :  octogénaire  et  mala-Ie, 
on  la  conduit  presque  de  force  aux  Tuileries,  car  elle  ne  croit  pas  aux 
ballons.  Le  ballon  toutefois  se  détache  de  ses  amarres,  le  physicien 


-  36  - 

Charles,  assis  dans  sa  nacelle,  salue  gaiement  le  public  et  s'élance 
ensuite  majestueusement  dans  les  airs.  Alors,  sans  transition,  passant 
de  la  plus  complète  incrédulité  à  une  confiance  sans  bornes  dans  la 
puissance  de  l'esprit  humain,  la  vieille  maréchale  tombe  à  genoux  ,  et, 
les  yeux  baignés  de  larmes,  laisse  échapper  ces  tristes  paroles  :  «  Oui, 
c'est  décidé,  maintenant,  c'est  certain,  ils  trouveront  le  secret  de  ne 
plus  mourir  et  c'est  quand  je  serai  morte  !  (1)  » 

Les  hommes  qui  avaient  fondé  en  France  la  science  de  l' aérostation 
eurent  des  sorts  très  différents  :  les  deux  Monigolfier  furent  comblés 
des  faveurs  du  roi,  le  physicien  Charles  devint  un  des  professeurs  les 
plus  adroits  et  les  plus  célèbres  de  son  temps.  Quant  au  plus  audacieux 
des  trois,  à  Pilâtre  des  Roziers,  qui,  le  premier,  «  se  confia  au  chemin 
de  l'air  »,  il  périt  malheureusement  à  l'âge  de  29  ans,  dans  une  ascen- 
sion qu'il  entreprit.  Pour  ne  rendre  de  Boulogne  à  Londres,  il  eut  la 
malencontreuse  idée  de  combiner  en  un  seul  la  montgolfière  et  le 
ballon  à  hydrogène  :  «  C'était  mettre  le  feu  à  côté  de  la  poudre,  disait 
Charles  à  Pilâtre,  mais  celui-ci  n'écoutait  rien  que  son  intrépidité  et 
l'incroyable  exaltation  scientifique  dont  il  avait  déjà  donné  tant  de 
preuves.  En  effet,  au  bout  de  quelques  minutes,  lorsque  le  ballon  était 
déjà  dans  les  airs,  une  flamme  violette  apparaissait  au  sommet  de  l'ap- 
pareil, puis  tout  fut  précipité  à  terre,  et  lorsque  les  secours  arrivèrent, 
Pilâtre  des  Roziers  venait  d'expirer  ;  il  avait  alors  28  ans  et  demi. 

Ballon  de  Napoléon  r\  —  Je  n'ai  pas ,  Messieurs,  le  dessein  de 
suivre  en  détail  l'hitoire  des  nombreuses  ascensions  que  tout  le  monde 
voulut  dès  lors  exécuter ,  je  parlerai  seulement  des  plus  saillantes. 
Pendant  longtemps,  et  actuellement  encore,  les  expériences  des  bal- 
lons servirent  dans  les  fêtes  publiques.  L'une  des  ascensions  les  plus 
célèbres  à  cet  égard  est  celle  qui  eut  lieu  à  l'époque  du  couronnement 
de  Napoléon  Y'.  Le  16  décembre  1804,  un  ballon  garni  de  3,000  verres 
de  couleur  s'éleva  de  la  place  Notre-Dame  et  disparut  rapidement  aux 
applaudissements  de  la  population  parisienne.  Le  lendemain, à  la  pointe 
du  jour,  quelques  habitants  de  Rome  apercevaient  au-dessus  de  la 
coupole  du  Vatican  un  point  brillant ,  c'était  le  ballon  lancé  la  veille 
du  parvis  Notre-Dame,  et  que,  par  le  plus  extraordinaire  des  hasards, 
le  vent  avait  porté  à  Rome  en  quelques  heures.  Ce  qui  ajouta  au  mer- 
veilleux de  l'événement,  c'est  qu'en  touchant  la  terre  dans  la  cam- 


(1)  Marion.  —  Les  Ballons. 


-   37  - 

pagne  de  Rome,  le  ballon  s'était  accroché  aux  restes  d'un  monument 
antique,  le  tombeau  de  Néron.  Pendant  quelques  minutes,  on  put 
croire  qu'il  avait  terminé  sa  course  ,  mais  bientôt  poussé  par  le  vent , 
il  avait  continué  sa  route,  laissant  toutefois  à  l'angle  du  monument 
uue  partie  de  sa  couronne.  Les  journaux  italiens,  qui  n'étaient  pas  sou- 
mis à  une  censure  aussi  rigoureuse  que  les  feuilles  françaises,  racon- 
tèrent innocemment  la  chose;  certains  y  ajoutèrent  toutefois  des 
réflexions  malicieuses  ,  désobligeantes  pour  l'empereur.  Enfin  ,  cela 
vint  aux  oreilles  du  maître,  on  alla  jusqu'à  en  parler  un  jour  devant 
lui,  à  un  de  ses  levers.  Napoléon  témoigna  liautement  son  méconten- 
tement et  demanda  avec  humeur  qu'il  ne  fut  plus  question  de  celui  qui 
avait  lancé  le  ballon,  et  qui  se  nommait  Garnerin, 

L'aéronaute  dont  il  s'agit  avait  fait,  cependant ,  une  invention  assez 
audacieuse  :  je  veux  parler  du  parachute  .  C'est ,  vous  le  savez  ,  une 
sorte  de  parapluie,  muni  à  sa  partie  inférieure  d'une  nacelle  dans 
laquelle  se  place  le  voyageur.  Lorsque  le  ballon  est  dans  les  airs, 
l'aéronaute  placé  dans  cette  nacelle  coupe  la  corde  qui  le  relient  à 
l'aérostat;  le  parachute  s'étale,  offre  à  l'air  une  grande  résistance,  ce 
qui  ralentit  considérablement,  la  descente.  Garnerin  fut  donc  le  pre- 
mier qui,  à  la  ijauleurde  300  mètres,  osa  se  précipiter  ainsi  à  terre  : 
«  Je  laisse,  dit-il,  aux  témoins  de  cette  scène,  le  soin  de  décrire  l'im- 
pression que  fit  sur  les  spectateurs  le  moment  de  ma  descente  en  para- 
chute. Il  faut  croire  que  l'intérêt  fut  bien  vif,  car  on  m'a  rapporté  que 
des  larmes  coulaient  de  tous  les  yeux,  et  que  des  dames ,  aussi  inté- 
ressantes par  leurs  charmes  que  par  leur  sensibilité ,  étaient  tombées 
évanouies.  » 

Voyages  scieniifiqueR.  Gay-Lussac.  —  Bien  que  les  ballons 
fussent  connus  depuis  longtemps,  les  sciences  n'en  tirèrent  d'abord 
aucun  profit.  C'est  en  1804  seulement  que  s'accomplit  le  premier 
voyage  scientifique.  L'Académie  confia  cette  délicate  et  dangereuse 
mission  à  deux  physiciens  encore  jeunes,  mais  déjà  célèbres  parleurs 
remarquables  travaux,  à  Gay-Lussac  et  à  Biot.  Parti ,  le  14  septembre 
1804.  des  jardins  du  Conservatoire  des  Arts  et  Métiers,  Gay-Lussac 
s'éleva  jusqu'à  la  hauteur  de  7,000  mètres.  Il  fit  avec  un  calme  admi- 
rairable  toutes  ses  observations  ,  et  lorsqu'elles  furent  terminées  ,  il 
redescendit  heureusement  entre  Dieppe  et  Rouen, 

Arago  rapporte  à  cette  occasion  une  anecdote  assez  curieuse  qu'il 
tenait  de  Gay-Lussac  lui-même.  «  Parvenu  à  la  hauteur  de  7,000  met. 


-38  — 

«  Gay-Lussac  voulut  essayer  d'aller  plus  haut,  et  à  l'effet  d'alléger  le 
»  ballon,  il  se  débarrassa  de  tous  les  objets  dont  il  pouvait  rigoureu 
»  sèment  se  passer  Au  nombre  de  ces  objets  figurait  une  chaise 
»  en  bois-blanc  que  le  hasard  fit  tomber  sur  un  buisson  près  d'une 
»  jeune  fille  qui  gardait  des  troupeaux.  Très  grand  étonnement  de  la 
»  bergère,  car  le  ciel  était  pur,  le  ballon  invisible  !  Que  penser  de  la 
»  chaise,  si  ce  n'est  qu'elle  provenait  du  paradis?  A  cette  conjecture 
»  on  ne  pouvait  opposer  que  la  grossièreté  du  travail  :  les  ouvriers  , 
■»  disaient  les  incrédules  ,  ne  pouvaient  être  là-haut  si  inhabiles  !  La 
»  dispute  en  était  là,  lorsque  les  journaux  en  publiant  les  particularités 
»  du  voyage  de  Gay-Lussac,  y  mirent  fin,  en  rangeant  parmi  les  effets 
»  naturels  ce  qui  jusqu'alors  avait  paru  un  prodige.  » 

Catastrophe  du  15  Avril  1875.  —  Depuis  cette  époque,  les  ascen- 
sions entreprises  dans  un  but  scientifique  se  multiplièrent  de  plus  en 
plus  ;  on  doit  citer  les  noms  de  Flammarion,  des  frères  Tissandier, 
mais  toutes  ne  furent  pas  également  heureuses.  En  effet ,  lorsqu'on 
s'élève  ainsi  dans  latmosphère à  des  hauteurs  de  7  ou  8000""  on  ne 
tarde  pas  à  ressentir  des  effets  physiologiques  souvent  très  graves, 
connus  sous  le  nom  de  «  mal  des  montagnes  ».  La  respiration  devient 
de  plus  en  plus  pénible  ;  les  pulsations  du  cœur  plus  fréquentes, 
comme  si  cet  organe  s'efforçait  de  suppléer  au  manque  d'oxygène  par 
la  rapidité  de  ses  fonctions  :  les  tissus  se  gonflent  sous  l'action  d'une 
pression  intérieure  devenue  prédominante  ,  la  face  paraît  plus  grosse, 
les  lèvres  épaisses  et  noires  :  puis  la  paralysie  survient  :  elle  se  prend 
aux  jambes,  aux  bras,  aux  muscles  du  cou:  la  tête  tombe,  on  est  dans 
l'impossibilité  matérielle  d'agir,  de  soulever  même  le  doigt  pour  éviter 
la  mort. 

Telles  étaient  les  dangereuses  observations  recueillies  par  les  aéro- 
nautes  qui  s'étaient  élevés  à  la  hauteur  moyenne  de  8000'".  Des  expé- 
riences de  M.  Bert,  avaient  permis  de  reculer  cette  limite,  il  avait  fait 
construire,  à  cet  effet,  une  enceinte  assez  vaste  pour  qu'on  put  y 
enfermer  plusieurs  personnes  :  on  les  introduisait  par  une  porte  qui  se 
fermait  hermétiquement,  et  on  les  observait  par  des  fenêtres,  à  travers 
lesquelles,  ils  pouvaient  à  leur  tour,  communiquer  par  écrit  avec  l'ex- 
térieur. En  raréfiant  l'air,  comme  cela  arrive  dans  les  ascensions, 
M.  P.  Bert  voyait  naître  et  se  développer  les  phénomènes  que  nous 
venons  de  décrire,  mais  en  introduisant  dans  cette  enceinte,  ce  gaz 
qui,  dans  lair,  entretient  la  respiration  et  qu'on  appelle  l'oxygène,   et 


-39- 

en  diminuant  progressivement  la  proportion  de  ce  gaz  inutile  et  sans 
action,  qu'on  appelle  l'azote,  M.  P.  Bert,  reconnut  avec  satisfaction  que 
les  animaux  continuaient  à  vivre.  M.  P.  Bert  se  soumit  lui-même  à 
l'expérience,  et  il  déclare  n'avoir  rien  ressenti  d'insolite  dans  un  air 
aussi  rarifié  ;  il  aurait  même  poussé  plus  loin  l'expérience,  si  les  prépa- 
rateurs effrayés  de  la  responsabilité  ne  s'étaient  décidés,  en  le  trom- 
pant, à  laisser  rentrer  l'air,  et  à  lui  ouvrir  sa  prison. 

Voyage  de  Sivel  et  Crocé-Spinelli.  —  Encouragés  par  ces  résul- 
tats, et  voulant  encore  reculer  la  limite  des  ascensions,  trois  hommes 
courageux,  Sivel,  Crocé-Spinelli  et  Gaston  Tissandier  s'élevèrent  à 
une  grande  hauteur,  environ  7,500™,  emportant  avec  eux  150  litres 
d'oxygène,  gaz  qu'ils  devaient  respirer,  dès  qu'ils  ressentiraient  les 
premières  atteintes  du  «  mal  des  Montagnes  ».  Mais  cette  quantité 
d'oxygène  était  insuffisante,  et  c'est  là  ce  qui  causa  leur  perte;  car, 
résolus  à  braver  tous  les  dangers,  ils  avaient  décidé  de  n'employer 
l'oxygène,  que  dans  le  cas  de  nécessité  absolue,  et  lorsqu'ils  voulurent 
recourir  au  remède,  il  n'était  plus  temps;  leurs  bras  étaient  paralysés. 

Vous  savez  ce  qui  arriva.  M.  Tissandier  se  rappelle,  au  bout  d'une 
heure  de  sommeil  léthargique,  avoir  vu  ses  deux  amis  évanouis,  au 
fond  de  la  nacelle  ;  quelques  temps  après,  Crocé,  qui  s'était  réveillé, 
jette  par  dessus  bord,  les  instruments,  les  couvertures,  sans  qu'on  ait 
pu  savoir  à  quelle  ivresse  il  obéissait.  Le  ballon  s'éleva  une  à  hauteur 
inconnue,  et  quand  enfin,  il  redescendit,  et  que  Tissandier  fut  revenu 
de  son  évanouissement,  ses  deux  amis  étaient  sans  vie  ;  Sivel  et  Crocé 
avaient  la  figure  noircie,  les  yeux  ternes,  la  bouche  ouverte  et  remplie 
de  sang. 

Un  tel  malheur  suscita  la  compassion  publique,  et  une  souscription 
qui  dépassa  100,000  fr.  permit  d'élever  un  monument  digne  de  leur 
courage,  à  ces  deux  martyrs  delà  science;  à  ces  deux  hommes,  qui, 
selon  l'expression  du  Président  de  l'Académie  des  Sciences  *  étaient 
tombés  au  champ  d'honneur  !  » 

Tentatives  anciennes  pour  diriger  les  hâtions.  —  J'arrive  mainte- 
nant. Messieurs,  aux  tentatives  faites  pour  se  diriger  dans  les  airs,  idée 
qui  est  pour  ainsi  dire  aussi  ancienne  que  le  monde.  La  mythologie,  en 
effet,  est  remplie  de  légendes  à  ce  sujet.  Vous  connaissez  l'histoire  de 
Dédale,  fuyant  la  colère  de  Minos,  et  se  sauvant  avec  son  fils  Icare, 
à  l'aide  d'ailes  de  sa  construction,  qui  lui  permirent  de  traverser  les 
airs. 


-  40  — 

Les  ailes  étaient,  paraît-il,  soudées  à  la  cire:  l'imprudent  Icare 
s'étant  élevé  trop  haut,  fut  atteint  par  un  rayon  de  soleil  qui  fondit 
cette  cire ,  et  le  précipita  dans  la  mer,  auprès  d'une  petite  île,  qui 
depuis  se  nomma  Icarie. 

Je  citerai  seulement  au  IV  siècle,  l'histoire  d'un  contemporain  de 
Platon,  Archytas  de  Tarante,  qui  avait  fabriqué,  dit-on  «  une  colombe 
de  bois  qui  volait  ;  mais,  ajoute  naïvement  le  chroniqueur,  qui  ne  se 
relevait  plus  quand  elle  venait  à  tomber.  » 

Sans  nous  attarder  dans  ces  légendes  ,  nous  arriverons  donc  rapi- 
dement à  l'époque  de  Montgolfier.  A  peine  inventés,  les  ballons  furent 
rais  en  usage  dans  les  guerres  de  la  révolution.  Vous  savez,  eu  effet, 
qu'un  ballon  captif,  s'élevant  au-dessus  des  hauteurs  de  Fleurus, 
malgré  les  balles  ennemis,  fit  connaître  aux  Français  les  mouvements 
des  Autrichiens,  et  fut,  pour  nous,  d'un  grand  secours  dans  le  succès 
de  cette  belle  journée. 

Ballons  du  siège  de  Paris.  —  Depuis,  ces  tentatives  ne  firent  que 
se  multiplier,  jusqu'à  la  guerre  de  1870.  On  comprit  pour  la  première 
fois  pendant  le  siège  de  Paris,  l'importance  des  ballons  libres.  Un  grand 
nombre  de  messagers,  risquant  leur  vie,  allèrent  au-delà  des  lignes 
prussiennes,  porter  en  province  des  nouvelles  de  Paris.  Mais  toutes 
ces  expériences  n'étaient  pas  sans  danger  :  sans  parler  des  inconvé- 
nients qui  pouvaient  résulter  des  projectiles  ennemis,  il  fallait,  dans 
les  hautes  régions,  où  l'on  devait  se  tenir,  résister  au  froid  :  on  ne 
pouvait  emporter  de  feu,  à  cause  de  Tinflammabilité  du  gaz  d'éclai- 
rage ;  pour  chauffer  leurs  aliments,  les  aéronautes  avaient  recours  à 
la  chaux  vive,  qu'ils  humectaient  d'eau,  ce  qui,  vous  allez  voir,  produit 
une  quantité  de  chaleur,  suffisante  pour  porter  l'eau  à  l'ébullition.  Il 
fallait  aussi  tenir  compte  des  courants  d'air,  qui  entraînaient  les  aéros- 
tats ;  plusieurs  furent  entraînés  du  côté  de  l'Océan,  où  il  fut  impos- 
sible de  leur  porter  secours  ;  d'autres  allèrent  attérir  soit  en  Allema- 
gne, soit  en  Suède  on  en  Norwège. 

Voyage  de  M.  Rolier  en  Norwège.  —  Parmi  ces  nombreux  voyages 
du  siège  de  Paris,  l'un  des  plus  remarquables  est  celui  de  M.  Rolier. 
—  «  Le  24  novembre  1870.  M.  Roher,  accompagné  d'un  franc-tireur 
s'éleva  de  la  gare  du  Nord  à  minuit,  par  un  vent  violent  et  par  un  ciel 
sombre  :  les  voyageurs  allaient  être  entraînés,  sans  s'en  douter,  à  une 
altitude  de  2,000""  par  un  courant  aérien  d'une  vitesse  peu   commune. 


-  44  - 

Leur  ballon  allait,  en  effet,  en  15  heures,  traverser  le  Nord  de  la 
France,  la  Belgique,  la  Hollande,  la  mer  du  Nord,  et  une  partie  de  la 
Norwège  pour  aller  échouer  au  mont  Lidd,  à  300  k.  au  Nord  de  Chris- 
tiania. 

»  Après  avoir  passé  la  nuit  au  milieu  des  ténèbres,  les  voyageurs 
virent  les  vapeurs  atmosphériques,  qui  les  enveloppaient,  se  dissiper 
au  lever  du  soleil.  Mais  leur  stupéfaction  fut  immense,  quand  ils 
s'aperçurent  que  le  vent  les  avaient  poussés  à  la  surface  de  la  mer.  En 
effet,  ils  n'avaient  pu  se  rendre  compte  ni  de  la  vitesse  de  leur  marche 
ni  de  la  direction  suivie  :  tout  ce  qu'ils  savent,  c'est  que  sous  leur 
nacelle,  c'est  l'Océan ,  et  qu'ils  marchent  sans  doute  vers  le  plus 
effroyable  des  naufrages.  Pendant  7  heures  consécutives,  ils  planent 
ainsi  au  dessus  des  vagues  ;  quelquefois,  ils  aperçoivent  des  navires, 
qui  leur  apparaissent  comme  l'espoir  du  salut:  mais  leur  espérance  est 
bientôt  déçue  ;  car,  ces  vaisseaux  ne  sauraient,  en  aucune  façon,  venir 
en  aide  au  navire  aérien,  qu'entraînent  toujours  les  courants  atmo- 
sphériques. 

»  Après  plusieurs  heures  de  voyage,  M.  Relier  a  sacrifié  tout  le  lest 
qui  lui  reste  ;  le  ballon  descend  toujours  :  son  compagnon  et  lui  se 
préparent  à  affronter  la  plus  cruelle  et  la  plus  glorieuse  des  morts. 
Tout  à  coup  le  ballon  s'échappe  du  massif  de  vapeurs  où  il  était  enfermé 
mais,  ce  n'est  plus  la  mer  qui  s'offre  aux  regards  des  voyageurs,  c'est 
une  montagne  couverte  de  neige,  autour  de  laquelle  s'élève  une  forêt 
de  pins. 

»  L'aérostat  est  jeté  violemment  dans  un  champ  de  neige  :  les  deux 
Français  sautent  en  même  temps  hors  de  la  nacelle,  et,  le  ballon, 
allégé  de  leur  poids,  disparaît  aussitôt  dans  les  airs:  on  le  re- 
trouva plus  tard,  avec  toutes  les  ^dépêches  de  Paris,  à  40  lieues  du 
Mont  Lidd. 

»  Voici  donc,  nos  deux  aéronautes,  sans  vivres,  sans  couvertures,  dans 
un  pays  inconnu  :  ils  regardent  autour  d'eux  ;  nuls  vestiges  d'habita- 
tions humaines  ne  s'ofirent  à  leurs  regards  ;  cependant,  descendant  la 
montagne  escarpée,  ils  traversent  la  forêt  qui  les  environne,  et  ren- 
contrent une  cabane  abandonnée  où  ils  passent  la  nuit.  Le  lendemain  , 
après  de  nouveaux  voyages,  ils  arrivent  enfin  dans  un  village,  où  un 
paysan,  leur  explique,  non  sans  peine,  le  mot  de  l'énigme  :  ils  appren- 
nent enfin  ou  le  vent  les  a  jetés.  » 

Les  Norwègiens  firent  aux  voyageurs  du  siège  de  Paris,  un  magni- 
fique et  touchant  accueil.  Quand  les  aéronautes  arrivèrent  à  Christiania 


-42- 

la ville  entière  fut  soulevée  par  l'enthousiasme!  c'étaient  des  diners, 
des  fêtes,  des  ovations  sans  cesse  renouvelées  :  le  soir,  quand  ils  ren- 
traient chez  eux  ,  les  deux  Français  voyaient  défiler  sous  leurs  fenê- 
tres des  étudiants  qui  chantaient  des  airs  nationaux.  Un  jour,  des 
femmes  du  peuple  se  présentèrent  devant  eux,  tenant  leurs  enfantspar 
la  main  :  «  Bénissez  ces  enfants,  disaient-elles,  afin  que  plus  tard,  ils 
soient  braves  comme  vous.  (1)  » 

Partout  oii  passaient  les  aéronautes,  la  foule  les  acclamait  aux  cris 
de  «  Vive  la  France  ». 

«  11  est  impossible,  raconte  M.  Rolier,  qui  a  donné  tous  ces  détails, 
»  de  se  figurer  l'impression  que  produisait  sur  nous  le  cri  de  «  Vive  la 
»  France  »  lancé  au-delà  des  mers,  par  des  populations  sympathiques 
»  à  nos  malheurs.  Dans  notre  isolement,  c'était  une  consolation  de 
»  senlir  qu'il  y  avait  encore  quelques  coins  dans  le  monde,  où  l'on 
»  pouvait  compter  sur  des  vœux  sympathiques  et  désintéressés.  » 

Mais  s'il  était  relativement  facile  de  sortir  de  Paris,  en  ballon,  U 
était  beaucoup  plus  difficile  d'y  rentrer  ;  car  il  est  matériellement  im- 
possible de  partir  d'un  point  éloigné,  avec  la  certitude  de  passer  au- 
dessus  de  Paris,  et  d'y  attérir  au  miheu  des  rues.  Force  était  donc  de 
se  résigner  à  l'emploi  de  pigeons  voyageurs,  porteurs  de  correspon- 
dances microscopiques,  que  l'on  amplifiait  ensuite  par  des  procédés 
spéciaux. 

C'est  alors  qu'un  savant  ingénieur.  M.  Dupuy  de  Lôme,  se  mit  à 
l'œuvre:  il  fit  un  ballon,  allongé  en  forme  de  cigare,  pour  diminuer  la 
résistance  de  l'air.  Ce  ballon  était  muni  d'une  héhce,  dont  le  mouve- 
ment communiquait  à  l'appareil  un  déplacement  perpendiculaire  à  celui 
du  courant  qui  l'entraînait  :  le  ballon  prenait  dès  lors  une  direction 
intermédiaire.  Malheureusement,  quelque  diligence  qu'on  ait  faite,  la 
machine  n'était  pas  terminée  avant  la  capitulation,  et  l'essai  fut  fait 
seulement  le  2  février  1872. 

Ballons  dirigeables.  —  Expériences  du  mois  d'août  1884.  —  Cette 
expérience  fit  voir  que  la  solution  du  problème  se  réduisait  à  armer  la 
machine  de  Dupuy  de  Lôme ,  d'un  moteur  léger  et  puissant.  Une  l*"* 
expérience  fut  tentée  avec  succès  au  mois  d'octobre  1883,  par  les  deux 
frères  Tissandier,  qui  avaient  armé  leur  ballon  d'un  gouvernail  et  d'une 


(1)  G.  Tissandier. 


-  43  _ 

hélice,  mue  par  un  moteur  électrique,  analogue  à  celui  que  nous 
avons  ici. 

La  question  venait  ainsi  de  faire  un  nouveau  pas  :  aussi  au  mois 
d'août  dernier,  M.  Hervé  Mangon,  de  l'Institut,  faisait  savoir  à  l'Aca- 
démie des  Sciences  ,  qu'un  ballon  véritablement  dirigeable  s'était 
élevé  dans  les  airs  à  Meudon,  qu'il  avait  suivi  un  itinéraire  fixé  d'avance 
et  qu'il  était  revenu  prendre  terre,  au  point  même  d'où  il  était  parti. 

«  Cent  ans  après  la  découverte  des  frères  Montgolfier,  disait 
M.  Hervé  Mangon,  deux  officiers  français,  MM.  Renard  et  Krebs,  ont 
eu  l'honneur  de  réaliser  les  premiers  un  aérostat  dirigeable,  et  d'assu- 
rer à  notre  pays  la  gloire  de  la  solution  d'un  problème,  regardé  si 
longtemps  comme  insoluble.  » 

Conclusion.  —  En  présence  de  tous  ces  résultats ,  on  peut  se 
demander,  Messieurs,  quel  avenir  est  réservé  aux  ballons.  Certaines 
personnes  n'ont  voulu  voir  en  eux  que  des  instruments  de  carnage  : 
«  Se  figure-t-on,  disent-elles,  le  sort  des  habitants  d'une  ville  assiégée, 
sur  laquelle  un  ballon  viendrait  chaque  jour,  verser  une  pluie  de  dy- 
namite!! »  D'autres,  beaucoup  plus  pacifiques,  voient  dans  les  ballons 
un  mode  de  transport  et  de  voyage,  et  pensent  ainsi  réaliser  la  fiction 
ingénieuse  du  livre  intitulé  «  Cinq  semaines  en  ballon.  » 

Sans  se  prononcer  pour  l'une  ou  l'autre  de  ces  deux  alternatives, 
peut-être  vaut-il  mieux  conclure  par  ce  proverbe,  vrai  surtout,  quant  il 
s'agit  de  découvertes  scientifiques  : 

«  Il  ne  faut  jurer  de  rien.  » 

C'est,  d'ailleurs,  et  sans  une  autre  forme,  la  conclusion  exprimée 
jadis  par  Franklin,  lorsqu'il  assistait  au  départ  du  premier  ballon, 
conclusion  qui  sera  celle  de  cette  causerie  :  «  A  quoi  peuvent  servir 
les  ballons,  lui  demandait  un  de  ses  voisins  ?  »  Et  le  philosophe  Améri- 
cain de  répondre  :  «  A  quoi  peut  servir  l'enfant  qui  vient  de  naître  ?  » 

LUle.le20Mail881. 


-  44 


NOUVELLES  ET  FAITS  GÉOGRAPHIQUES 


I.  —  Géographie  scientifique.  —  Explorations  et  découvertes. 


ASIE. 


Résultatfs  srientiflque^i  du  Toyage  <lc  11.  J.  llartin  daus  la 
Sibérie  orientale.  —  Une  très  intéress^aiite  exposition  des  collections  qu'a 
rapportées  ,  de  son  nouveau  voyage  dans  la  Sibérie  orientale,  M.  Joseph  Martin  , 
dont  nous  avons  dernièrement  annoncé  le  retour  en  France,  vient  d'être  ouverte  au 
palais  du  Trocadéro. 

Envoyé  pour  la  seconde  fois  sur  les  rives  de  la  Lena  ,  afin  d'y  étudier  les  nom- 
breuses mines  en  exploitation ,  M.  Martin  entreprit,  comme  nous  l'avons  dit ,  de 
parcourir  cette  fois  la  vaste  contrée  inexplorée  comprise  entre  cette  rivière  et  le 
fleuve  Amour. 

Le  voyage  de  notre  compatriote  ,  qui  a  duré  cinq  ans  ,  a  donné  des  résultats  très 
importants  :  ses  relevés  topographiques  permetti'ont  dorénavant  de  rectifier  les 
cartes  antérieures  de  la  Sibérie  orientale,  toutes  fautives  ,  de  préciser  l'orographie 
des  bassins  de  l'Oleckma,  de  la  Zéa  et  de  l'Amour ,  et  font  connaître  la  configxi- 
ration  exacte  d'une  partie  de  la  chaîne  des  monts  Stanovoï.  Les  collections  de  bota- 
nique, zoologie,  géologie,  minéralogie,  d'ethnographie  et  d'échantillons  commerciaux 
qu'il  a  apportées  ,  enrichiront  nos  musées  de  pièces  rares  et  d'espèces  nouvelles. 

Plusieurs  peuples  se  partagent  la  Sibérie  orientale  ,  ce  sont  les  Tschouktchis ,  les 
Yakoutes  ,  les  Toungouzes  .  les  Mandchous  et  les  Ghilaks.  Les  régions  de  la  Lena 
et  des  monts  Stanovoï,  visitée:^  par  M.  Martin,  sont  peuplées  presque  exclusivement 
par  des  Yakoutes  et  des  hordes  Toungouzes  ,  et  c'est  auprès  d'eux  qu'il  a  recueilli 
les  pièces  les  plus  importantes  de  la  collection  ethnographique. 

Pendant  son  séjour  parmi  les  Toungouzes  ,  et  au  cours  de  sa  longue  exploration 
en  compagnie  de  plusieurs  familles  indigènes  ,  M.  Martii  a  eu  l'occasion  d'assister 
plusieurs  fois  à  des  cérémonies  religieuses  de  ces  peuples  encore  adonnés  au  chama- 
disme  ,  —  culte  qui  disparaît  rapidement  depuis  que  les  Russes  proscrivent  et  pour- 
suivent à  outrance  ceux  qui  s'y  adonnent ,  —  et  a  pu  ainsi  se  procurer  un  costume 
complet  de  sorcier  ou  Ghamane  Toungouze  qui  figure  dans  l'exposition.  C'est  le 
premier  que  l'on  ait  rapporté  en  Europe ,  et  le  musée  de  Moscou  lui-même  n'en 
possède  pas  ;  il  est  destiné  à  enrichir  le  musée  d'ethnographie  du  Trocadéro. 

Rien  n'est  plus  étrange  que  cet  accoutrement  à  la  fois  misérable  et  prétentieux  , 
composé  de  pièces  disparates  associées  les  unes  aux  autres.  11  se  compose  d'une 
grande  robe  en  peau  de  renne  tannée  et  d'une  tunique  semblable  soutachée  d'ara- 
besques en  peau  teinte  et  bordée  d'une  frange  de  lanières  de  cuir  ;  partout 
pendent  de  longues  bandes  d'étoffes  différentes  ou  de  peau  ,  auxquelles  sont  fixées 
quelques  queues  et  dépouilles  d'animaux  et  un  grand  nombre  de  figurines  gros- 
sièrement découpées  dans  des  plaques  de  fer  poli  et  travaillé  à  la  forge  ,  qui 
représentent  des  rennes,  des  poissons  et  des  animaux  de  toutes  sortes  auxquelles 
ils  attachent  un  caractère  sacré,  des  plaquettes  de  cuivre,  des  grelots  et  autres  bibe- 


—  45  — 

lots  qu'ils  ont  pu  se  procurer  sur  les  frontières  mongoles.  Sur  la  poitrine,  tombe  un 
plastron  en  cuir  recouvert ,  comme  le  reste  du  costume,  de  ces  amulettes.  Gomme 
chaussure ,  des  bottes  en  peau.  La  tète  est  abritée  sous  une  calotte  en  drap  de 
diverses  couleurs  ,  soutenue  par  une  carcasse  en  lames  de  fer  qui  supporte  une  pièce 
de  fer  représentant  des  cornes  de  renne  ;  des  morceaux  de  peau  de  cet  animal  sont 
enchevêtrés  dans  les  branches.  Cette  coiffure  maintient ,  en  l'appuyant  sur  le  front , 
un  masque  grossier  en  cuivre  rouge  battu  et  qui  complète  bien  l'ensemble  de  ce 
costume  sauvage  et  grotesque. 

Le  principal  instrument  de  culte  des  Chamanes  est  le  tambour  magique  ,  qui  leur 
sert  à  s'accompagner  dans  leurs  chants  et  leurs  danses  et  à  étonner  les  esprits  ,  en 
complétant  par  un  bruit  sourd  et  sonore  l'horrible  cliquetis  de  toute  la  ferraille  qui 
recouvre  leurs  vêtements.  La  forme  de  cet  instrument  caractéristique  n'est  pas  iden- 
tique chez,  tous  les  peuples  adonnés  au  chamanisme  ;  celui  rapporté  par  M.  Martin 
est  formé  d'une  peau  tendue  sur  une  membrane  de  bois,  de  forme  ovoïde  ,  au  moyen 
de  sortes  de  chaînes  en  fer  forgé.  Il  est  orné  de  peintures  rouges  et  bleues  formant 
bordures ,  représentant  des  l'ennes  et  divers  sujets ,  et  on  le  fait  vibrer  avec  un 
battoir  courbe  en  os  ,  recouvert  d'un  côte  de  peau  avec  son  poil  et  dont  le  manche 
figure  une  tète  de  renne.  11  diffère  sensiblement  des  objets  analogues  provenant 
d'autres  peuples  chamaniques  qui  existent  déjà  dans  les  collections  du  musée 
d'ethnographie  du  Trocadéro, 

Celui  des  Lapons  ,  de  dimensions  un  peu  moindres  ,  orné  de  figures  plus  compli- 
quées, et  qui  représentent,  outre  des  rennes,  des  profils  de  tentes,  de  croix  ou  swas- 
tikas  ,  etc.  ,  est  constitué  ,  tantôt  par  un  bloc  de  bois  creusé  avec  une  traverse  de 
même  substance  ,  tantôt  par  un  cercle  de  bois  mince  avec  des  tendeurs  en  cordes  de 
boyaux.  Le  battoir  est  un  petit  marteau  en  os  de  la  forme  d'un  T,  auquel  sont  suspen- 
dues des  pendeloques  de  métal.  Le  prêtre  ,  lorsqu'il  veut  tirer  un  horoscope  ,  finit 
par  le  laisser  tomber  sur  le  tambour  ,  prétendant  lire  dans  les  signes  touchés  pai"  la 
pendeloque  ou  le  marteau  ,  la  réponse  aux  questions  qui  lui  sont  posées  .  et  qui , 
presque  toujours  ,  sont  relatives  aux  rennes  malades  ou  égarés.  Enfin  ,  le  tambour 
des  Tschouktchis  se  réduit  à  un  petit  cercle  de  bois  emmanché  ,  couvert  d'une  peau 
d'intestins  de  poisson  et  muni,  en  guise  de  baguette,  d'un  éclat  de  fanon  de  baleine. 

Les  cérémonies  du  culte  des  Touiigouzes  sont  jusqu'ici  restées  à  peu  près  incon- 
nues ,  aucun  voyageur  ne  les  ayant  étudiées  spécialement.  La  publication  par  la 
maison  Hachette  du  grand  ouvrage  de  M.  Martin  sur  son  voyage  ,  dont  l'apparition 
est  attendue  avec  impatience  par  les  ethnographes  ,  jettera  certainement  beaucoup 
de  lumière  sur  cette  question.  Les  seuls  renseignements  que  nous  ayons  à  ce  sujet 
sont  fournis  pai"  un  article,  publié  en  russe,  à  propos  des  recherches  du  même  voya- 
geur, dans  un  journal  illustré  de  Pétersbourg. 

Un  des  hommes  de  l'escorte  étant  mort ,  le  plus  ancien  Toungouze  ,  raconte  notre 
confrère,  revêtit  les  insignes  religieux  pour  célébrer  les  obsèques.  Le  corps  du  défunt 
fut  placé  près  d'un  grand  feu  autour  duquel  tout  le  monde  se  tenait  debout ,  faisant 
entendre  des  chants  qui  se  terminèrent  par  des  plaintes,  des  pleurs  et  des  cris ,  tan- 
dis que  le  prêtre,  frappant  sur  son  tambour,  appelait  les  bons  génies,  et  conjurait  les 
démons.  Le  Chamane  s'adresse  avec  une  éloquence  véhémente  aux  divinités  des 
eaux  et  des  airs,  à  la  petite  rivière  ,  à  la  grand'mère  montagne  ,  objurgue  tous  les 
animaux,  la  lune ,  le  soleil  et  les  étoiles.  Il  invoque  aussi  le  chef  des  méchants 
hénies  :  «  Et  toi ,  Chandaï ,  Satana  des  Satana  ,  vieux  comme  les  pierres  et  dur 
comme  elles  ,  ne  maltraite  pas  notre  frère  »  ;  puis  il  jette  en  l'air  du  beurre  et  de 
l'alcool ,  en  arrose  le  feu  ,  répand  du  lait  de  rennes  ,  pour  remercier  les  dieux  et 
apaiser  les  démons.  Alors  commence  l'ensevelissement.  On  place  le  corps  dans  un 
tronc  d'ai'bre  et,  à  ses  côtés,  tous  les  instruments  de  chasse  et  les  idoles  qui  lui  ont 


—  46  — 

appai'tenu  de  son  vivant.  Le  cercueil  est  juché  sur  une  cliarpeute  à  quelque^;  mètres 
du  .sol,  et  en  s'éloignant,  chaque  Toungouze  marque  avec  sa  hache  ,  en  passant ,  un 
signe  sur  le  tronc  qui  le  soutient. 

Ce  n'est  pas  seulement  lorsqu'un  des  leurs  meurt,  mais  à  l'occasion  de  tous  les 
actes  de  la  vie,  que  ces  peuplades  recommencent  les  mêmes  invocations.  Les  nais- 
sances, les  maladies  ,  le  retour  des  saisons  ,  la  mort  d'un  animal  sacré ,  tel  qu'un 
ours  ,  le  départ  pour  uu  voyage,  le  passage  d'un  torrent ,  tout  pour  eux  est  un  motif 
de  conjuration.  Ils  poussent  la  superstition  si  loin,  que  les  guides  toungouzes  s'oppo- 
saient absolument ,  non  seulement  à  ce  que  M.  Martin  emportât  les  crânes  humains 
trouvés  dans  les  tombes  anciennes,  mais  même  à  ce  qu'il  prît  les  têtes  et  les  pattes 
des  animaux  tués  à  la  cha'  se.  prétendant  qu'il  fallait  absolument  attacher  ces  osse- 
ments, enfermés  dans  un  morceau  de  peau  ,  aux  branches  élevées  d'un  arbre  ,  et  les 
y  abandonner,  sous  peine  d'attirer  sur  la  caravane  les  plus  grands  malheurs.  On 
peut  juger  par  ce  seul  fait  des  difficultés  auxquelles  se  heurte  un  voyageur  lorsqu'il 
veut  former  des  collections  zoologiques  dans  un  pareil  pays. 

Malgré  ces  obstacles  ,  M.  Martin  est  parvenu  à  réunir  une  série  très  importante 
d'idoles  ,  grossières  statuettes  de  bois  noirci  par  le  temps  ,  munies  d'yeux  de  verre  , 
habillées  de  fragments  de  peau ,  ornées  de  mâchoires  de  rennes  sauvages.  L'une 
d'elles  est  une  divinité  phallique.  D'autres  ,  plus  informes  encore ,  sont  de  simples 
morceaux' de  bois  surmontés  de  deux  pointes  ,  qui  ont  l'intention  de  symbolyser  les 
bêtes  à  cornes,  et  servent  à  la  fois  de  fétiches  et  de  jouets  d'enfants. 

La  collection  de  M.  Martin  comprend  également  un  certain  nombre  de  vêtements  , 
objets  divers  et  idoles  yacoutes. 

Les  Yacoutes  ,  qui  habitent  à  l'ouest  des  Toungouzes  ,  sont  en  générad  plus  civi- 
lisés que  leurs  voisins,  et  l'influence  russe  a  changé  plus  profondément  leurs  mœurs. 
Certai.ies  tribus  ,  habitant  des  districts  éloignés  ,  n'en  sont  pas  moins  encore  très 
fanatiques ,  et  ont  conservé  leur  ancien  culte  et  leurs  dieux.  Elles  ont ,  raconte 
Billings,  tout  un  panthéon  de  divinités  :  Aar-Toyon,  l'auteur  de  la  création  ;  Koubey- 
Khatoum  ,  sa  femme  ;  Ouchyst ,  qui ,  disent-ils  ,  a  souvent  paru  parmi  eux  ,  tantôt 
sous  la  forme  d'un  cheval  blanc,  tantôt  sous  celle  d'un  oiseau  ;  Ghessougoï-Toyon  , 
leur  protecteur  spécial  ;  puis  des  esprits  malfaisants  ,  infiniment  nombreux ,  divisés 
en  trente-cinq  tribus ,  auxquelles  ils  offt'ent  incessanmient  des  sacrifices  et  des 
prières.  Convaincus  qu'ils  sont  d'être  en  état  de  démonocratie ,  c'est-à-dire  sous 
l'influence  immédiate  des  esprits  malfaisants  ,  c'est  à  ceux-ci  surtout  que  s'adresse 
leur  culte,  exercé  ,  comme  chez  les  Toungouzes  ,  par  l'intermédiaire  de  Ghamane  et 
sous  une  forme  similaire. 

En  outre  du  soin  de  leurs  troupeaux  de  rennes  et  de  chevaux  ,  leurs  principales 
sont  la  chasse  et  la  pèche  qui  leur  procurent  la  noui'riture  ,  des  vêtements  et  des 
peaux  dont  ils  font  un  important  commerce  avec  les  colons  russes.  Ils  ne  craignent 
pas  d'attaquer  l'ours  avec  un  épieu  à  gros  manche,  armé  d'une  lame  aiguë  très  lai'ge 
et  épaisse.  Pour  s'emparer  des  petits  animaux  à  fourrure,  martres  ,  zibelines  ,  etc., 
ils  ont  des  pièges  très  ingénieux.  M.  Martin  en  a  rapporté  plusieurs  spécimens. 

Leur  instinct  nomade  est  poussé  à  un  tel  point ,  qu'ils  ne  veulent  pas  rester  plus 
de  six  jours  à  un  même  endroit ,  et  qu'ils  transportent  malgré  tout  leurs  tentes  ,  ne 
fût  -  ce  qu'à  une  trentaine  de  mètres  ,  prétendant  que  leurs  yourtes  ,  au  bout  de  ce 
temps,  prennent  une  odeur  malsaine  et  désagréable.  M.  Martin  a  eu  souvent  occa- 
sion de  rencontrer  des  métis  de  Toungouzes  et  Yacoutes  et  de  Toungouzes  et 
Tschouktchis.  Dans  certaines  localités,  les  mélanges  de  sang  ont  été  tels,  qu'aujour- 
d'hui les  résidents  russes  eux  -  mêmes  ne  peuvent  plus  discerner ,  d'après  les  traits 
d'un  indigène  ,  à  quelle  race  il  appartient. 

L'exposition  de  M.  Martin  comprend,  comme  nous  l'avons  déjà  dit,  une  très  belle 


-  47  - 

collection  do  uiinéralogif!  formée  d'environ  treize  cents  échantillons  des  rochers  ut 
des  minerais  appartenant  aux  terrains  qu'il  a  traversés  et  étudiés.  Déjà,  à  son  pre- 
mier voyage ,  il  avait  rapporté  une  série  importante  de  minéraux  des  rives  de  la 
Lena  et  de  la  Transbaïkalie  ,  qui  a  fourni  à  M.  Vélain  ,  directeur  du  laboratoire  des 
hautes  études  de  géologie  à  la  Sorbonne ,  les  matériaux  d'un  ménioin;  de  la  plus 
grande  importance  qui  a  éclairci  bien  des  points  obscurs  de  la  géolojiie  de  i-es 
contrées  et  fait  connaître  plusieurs  espèces  absolument  nouvelles.  M.  Vélain  va 
pouvoir  continuer  et  compléter  ses  recherches. 

Il  n'a  guère  été  plus  aisé  de  former  cette  collection  de  géologie  que  celles  d'ethno- 
graphie ou  d'histoire  naturelle.  M.  Martin  a  eu  ,  en  effet,  h  lutter  contre  le  mauvais 
vouloir  de  ses  porteurs,  qui  jetaient  en  cachette  les  pierres  qu'il  ramassait,  et 
lorsqu'il  s'en  aperçut,  lui  répondirent  qu'il  trouverait  sur  les  bords  de  l'Amour  autant 
de  cailloux  qu'il  le  voudrait,  sans  leur  donner  la  peine  de  les  porter  si  loin! 

L'étude  des  documents  variés  apportés  par  ce  voyageur ,  offre  un  vif  intérêt 
d'actualité,  en  ce  moment  où  l'attention  de  l'Europe  est  attirée  sur  les  possessions 
russes  d'Asie.  Elle  nous  fait  mieux  connaître  ,  en  effet ,  l'importance  commerciale  et 
politique  d'une  contrée  appelée  sans  doute  à  jouer  un  grand  rôle  par  suite  de  sa 
proximité  avec  la  Chine ,  qu'elle  limite  sur  une  grande  étendue  ,  et  de  ses  ports 
mmenses  et  sûrs  ,  libres  de  glace  la  plus  grande  partie  de  l'année,  qui  sont  les  seuls 
que  l'enipire  russe  possède  sur  l'Océan. 

ller^V.  —  D'après  un  article  du  Journal  de  Saint-Pétersbourg,  la  nouvelle  ville 
de  Merv ,  fondée  récemment  par  les  Russes  .  comprend  actuellement  2,000  à 
3,000  haliitants,  dont  la  plus  grande  partie  se  compose  d'employés  et  d'ouvriers 
attachés  au  chemin  de  fer,  et  la  plus  petite  d'une  foule  disparate  de  colporteurs 
(Arméniens  ,  Persans  ,  Buchares ,  etc.) ,  parmi  lesquels  on  rencontre  des  figures 
étranges,  des  gens  d'aspect  bizarre  venus  de  tous  les  coins  du  monde.  La  ville,  qui 
est  en  voie  de  formation  ,  se  trouve  sur  la  rive  gauche  du  Murghab,  la  forteresse  est 
élevée  sur  la  rive  droite.  Les  deux  rives  sont  réunies  par  le  pont  du  chemin  de  fer, 
qui  sert  également  de  passage  aux  chariots  et  aux  piétons.  Une  fois  par  semaine, 
il  se  tient  un  marché  en  pleins  champs  devant  le  fort.  Cependant,  on  ne  peut  espérer 
un  avenir  brillant  pour  la  nouvelle  ville ,  car  le  climat  est  des  plus  malsains  pour 
les  pjuropéens  ,  si  bien  que  dans  tout  le  pays  ,  à  l'exception  de  Pendsch-Deh  ,  on  ne 
trouve  autant  de  malades  qu'à  Mervv. 

l*rogrès  des  explorations  russes  claus  l'Asie septeutriouale. 

MM.  Potanine  .  Skassy  et  Bérésofsky  sont  de  retour  de  leur  expédition  en  Chine  et 
on  Mongolie;  ils  en  ont  rapporté  d'immenses  collections  anthropologiques,  zoologiques 
et  botaniques  ,  et  des  cartes  détaillées  des  contrées  qu'ils  ont  parcourues  pendant 
leur  voyage  de  trois  ans.  M.  Tchersky,  un  ancien  exilé  de  Sibérie,  vient  de  publier  à 
Saint-Pétersbourg  sa  carte  géologique  des  bords  du  lac  Baïkal,  avec  une  brochure 
explicative.  C'est  un  excellent  ouvrage ,  qui  ajoute  beaucoup  à  nos  connaissances 
géographiques  sur  ce  vaste  bassin  ,  ajourd'hui  le  mieux  connu  de  tous  les  lacs  de 
l'Asie,  grâce  à  ces  travaux  ,  à  ceux  des  prédécesseurs  de  MM.  Tchersky  ,  Dybowski 
et  Godlefsky,  et  à  ceux  de  l'éminent  naturaliste  ,  le  docteur  Radde.  —  M.  Krasnof , 
l'éminent  botaniste  et  géographe  ,  à  son  retour  de  Saint-Pétersbourg  de  son  voyage 
dans  le  Thian-Shan  et  le  Turkestan  chinois,  a  fait  une  lecture  des  plus  intéressantes 
sur  le  bassin  du  Balkash  et  la  géographie  physique  de  l'Asie  centrale.  —  La  Société 
de  géographie  russe  continue  à  s'occuper  du  dessèchement  des  lacs  de  la  Sibérie. 
M.  Tadrintzoff  a  exposé  à  la  Société  la  nécessité  de  faii-e  à  ce  sujet  de  nouvelles 


—  48  - 

recherches.  Un  coiuité  a  été  nommé  pour  s'occuper  de  la  question,  et  il  est  probable 
qu'une  expédition  sera  envoyée  pour  l'étudier  sur  les  lieux. 

Les  Mittheilungen  de  Gotha  résument  comme  suit  les  résultats  des  explorations 
de  M.  Potanine  : 

Le  11/23  octobre  1886  ,  M.  Potanine  est  revenu  à  Kiachta,  de  l'expédition  (ju'il 
avait  entreprise  avec  le  topographe  Skassy  et  le  naturaliste  Beressowski  dans  la 
Mongolie  méridionale  ;  Beressowski  seul  prolonge  encore  son  séjour ,  pour  complé- 
ter pendant  l'été  ses  collections.  Potanine  avait  quitté  le  13/25  juin  la  ville  de  Gastai, 
au  N.  du  Koukou-nor,  et  avait  croisé  l'Obi  ,  du  sud  au  nord  ,  par  une  route  encore 
inconnue  ;  il  put  se  rendre  compte  ainsi  que  la  continuation  S.-E.  de  l'Altaï,  se  com- 
pose de  quatre  chaînes  parallèles  ,  dont  une  seule  avait  été  explorée  en  1878/79  par 
Pewzow.  Potanine  a  fait  à  la  Société  impériale  russe  de  géographie  une  relation 
détaillée  de  ses  dernières  excursions  dans  les  régions  du  Koukou-nor.  Le  22  avril , 
les  voyageurs  étaient  arrivés  à  Koukou-nor  ;  ils  remontèrent  le  fleuve  Ghargi  et 
croisèrent  aux  environs  de  sa  source  la  route  que  Prjevalsky  avait  faite  en  1872.  En 
traversant  la  région  montagneuse  qui  sépare  le  bassin  du  fleuve  Jaune  des  plaines 
de  la  Mongolie  méridionale ,  ils  constatèrent  que  le  système  du  Nan-chan  y  était 
plus  compliqué  que  la  partie  située  du  côté  de  Ljantcheu.  Cette  dernière  partie  ne  se 
compose  que  de  deux  chaînes  ,  entre  lesquelles  s'étend  la  vallé  du  Daitoung-tche  , 
tandis  que  l'autre  est  formée  par  trois  chaînes  séparées  par  deux  vallées.  Dans  l'une 
de  ces  vallées,  le  Daitoung-tche  coule  vers  l'est,  dans  l'autre,  le  Jedsin,  vers  l'ouest, 
et  le  Bardoun  vers  l'est  ;  toutes  deux  se  réunissent  au  pied  du  couvent  de  Pabor- 
tassy,  situé  à  la  hauteur  de  Hantcheu.  Les  cols  de  ces  trois  chaînes  sont  tous  situés 
à  la  même  hauteur  de  plus  de  3,900  mètre  ;  les  vallées  sont  aussi  toutes  deux  à  3,000 
mètres,  et  ce  n'est  qu'à  deux  endroits  qu'on  les  trouva  à  un  niveau  moindre.  De  la 
vallée  du  Daitung-tche,  habitée  par  les  Tangoutes  de  la  race  des  Arig ,  la  route  con- 
duit au  col  Rdoussoug,  le  plus  haut  des  trois,  et  de  là  en  redescendant  vers  les 
sources  du  petit  Rdoussoug,  un  affluent  de  gauche  du  Jedsin.  Le  cours  supérieur  de 
ce  dernier  est  bordé,  sur  les  deux  rives  ,  de  hauts  plateaux  formant  un  vaste  steppe 
borné  au  nord  par  les  monts  Pabaoschan.  C'est  au  petit  couvent  de  Pabor-tassy  , 
situé  à  une  hauteur  de  2,400  mètres  sur  le  Jedsin,  que  finit  le  pays  des  Arig,  et  c'est 
un  peu  plus  à  l'ouest  que  commence  celui  des  Schira-jegoures.  Deux  routes  mènent 
de  Pabor-tassy  à  Hantscheu  ;  la  première  franchit  la  montagne  vers  le  N.-E.  et 
passe  par  la  petite  ville  de  Nangotscheu  ,  l'autre  remonte  simplement  le  Bardoun. 
C'est  cette  dernière  que  choisit  l'expédition ,  mais  l'épuisement  des  chameaux  la 
força  à  se  diriger  vers  le  col  de  Caldsin-dabau  ,  quoique  la  vallée  du  Bardoun  s'élar- 
gît et  devint  plus  praticable  au-dessus  du  confluent  de  la  Schouktscha  qui  vient  du 
sud.  On  atteignit  le  Galdsin-dabau  le  22  mai.  En  descendant  le  Tachity ,  on  atteint 
une  plaine  et  de  là,  en  amont  du  Lagi,  le  col  de  Dagen-dabau,  sur  le  côté  nord  duquel 
se  trouvent  les  sources  du  Charar-gol.  Autour  du  Gharar-gol  supérieur  s'étend  un 
vaste  plateau  dans  lequel  les  torrents  qui  se  jettent  dans  le  Doussyr,  notamment 
l'Irgylyn,  le  Rgam,  le  Gsdym,  ont  creusé  de  profondes  vallées.  Au  sortir  de  la  région 
montagneuse,  le  Doussyr  se  jette  dans  le  Jedsin.  On  atteint  le  Doussyr  en  suivant 
la  vallée  desséchée  du  Bajan-gol  qui  rejoint  le  Doussyr  à  9  kilomètres  en  amont  de 
la  ville  de  Li-juan-in  ,  encore  située  dans  la  région  montagneuse  à  22  kilomètres 
environ  du  village  de  Schachi.  Schachi  est  situé  dans  la  plaine  ,  sur  la  grande  route 
de  Hantcheu  à  Ssutcheu.  Les  Jegoures  sont  un  peuple  que  M.  Potanine,  le  premier, 
fait  connaître  à  l'Europe.  Ils  habitent  le  versant  septentrional  de  la  chaîne  de  mon- 
tagnes qui  suit  la  rive  gauche  du  Bardoun.  Leurs  pâturages  s'étendent  depuis  la 
rive  gauche  du  Jedsin,  en  dessous  de  Pabor-tassy,  jusqu'à  la  ville  de  Kaerne,  située 
au  sud  de  Ssutcheu.  Tout  l'itinéraire  des  voyageui's  a  été  établi  par  des  mesurages 


-  49  - 

exacts.  Sept  points  ont  été  fixés  au  moyen  d'observations  astronomiques:  Goum- 
boum,  Ssinin,  l'embouchure  du  Artclia  ten-gol  dans  le  Koukou-nor,  Nagatcher  dans 
la  vallée  du  Bardoun ,  Li-juan-in  et  deux  points  sur  les  fleuves  Daitoung-che  et 
Rdoussoug-tchjou. 

l<:thnograpliic  «Se  l'A^Nain  (Hindonsfan).  —  Le  major  C.  R.  Mac- 
gregor  a  lu  à  une  des  dernières  séances  de  la  Société  royale  de  géographie  de 
Londres ,  un(>  intéressante  relation  du  voyage  qu'il  a  fait  avec  le  colonel  R.  G. 
"Woodthorpe  dans  l'Assam  supérieur,  au  source  de  l'Iraouadi.  Nous  en  extrayons 
les  détails  suivants  sur  l'ethnographie  de  ces  régions  : 

Quatre  peuplades  principales  habitent  les  parties  de  l'Assam  situées  entre  Sadiya, 
sur  le  Brahmapoutre,  et  l'Iraouadi  supérieur  ;  c'est  d'abord  les  Kamptis  ,  originaires 
de  la  Chine  ;  ils  sont  boudhistes,  mais  leurs  relations  constantes  avec  leurs  voisins 
qui  sont  adorateurs  de  l'esprit ,  ont  légèrement  modifié  leur  religion.  Ils  ont  beau- 
coup d'affinité  avec  les  Siamois,  tant  dans  le  langage  que  dans  la  religion,  les  usages 
et  l'habillemeut. 

Les  Sinphos  ou  Kakhyens  appartiennent  à  la  race  tibétaine.  Ils  conservent  une 
tradition  sur  le  déluge  qui  n'atirait  épargné  qu'une  seule  famille  ,  protégée  par  un 
esprit,  au  sommet  d'une  montagne.  Cette  famille  ,  les  Singphos  ,  aurait  repeuplé  la 
terre.  Leur  langue  est  des  plus  difficiles  à  prononcer  pour  les  Européens  ,  à  cause 
des  combinaisons  de  consonnes.  Le  genre  des  noms  de  choses  ou  d'animaux  est 
marqué  d'une  façon  singulière  ;  la  première  syllaLe  du  mot  est  retranchée  et  l'on 
ajoute  Zà  pour  le  masculin  ,  ri  pour  le  féminin.  Ainsi  s/iirown^ ,  un  tigre  sans  dis- 
tinction de  genre  ;  roicglà^  un  tigre  mâle  ;  rougvi  une  tigresse. 

Los  'Mishinis  sont  un  peuple  actif ,  entreprenant ,  sale,  d'un  type  liiongol ,  nez 
écrasé,  yeux  obliques.  Leurs  cheveux  sont  tournés  en  l'air  et  noués  au  sommet  de 
la  tête.  Tant  les  hommes  que  les  femmes  s'élargissent  les  oreilles  au  moyen 
d'anneaux  en  argent. 

Les  Nagas  habitent  quelques  misérables  villages  sur  le  versant  nord-ouest  du 
Patkoi.  Ils  sont  mal  habillés ,  souvent  nus ,  se  tatouent  la  face ,  les  jambes  et 
les  bras. 

Toute  la  région  est  peu  peuplée,  le  climat  assez  malsain  à  cause  des  pluies  presque 
continuelles.;  le  terrain  est  en  général  boisé.  Les  seules  routes  sont  les  sentiers 
tracés  par  les  troupes  d'éléphants  et  les  rhinocéros. 


AFRIQUE. 


\oiiTellcs  de  l'c^ikpéditSou  Stauley  au  secours  <!'E']uiiii-!SSey. 

—  Le  Times  a  reçu  de  M.  Stanley  une  lettre  datée  du  9  mars  et  écrite  à  bord  du 
steamer  Maclura  ,  en  route  pour  le  Congo,  A  côté  d'un  certain  nombre  de  remarques 
aussi  malveillantes  qu'oiseuses  sur  ses  rivaux  en  exploration  africaine,  l'érninent 
voyageur  y  donne  d'intéressants  détails  sur  ses  préparatifs  et  ses  projets.  Pour- 
quoi faut-il  qu'il  affecte  toujours  de  considérer  le  continent  noir  comme  son  domaine 
propre  et  qu'il  ne  sache  pas  rendre  justice  aux  efforts  des  pionniers  qui  marchent 
à  sa  conquête  par  d'autres  routes  et  d'autres  moj"ens  ?  Ce  n'est  pas  seulement  sur 
le  bassin  du  Congo  que  M.  Stanley  paraît  se  croire  investi  d'une  sorte  de  droit 
divin  ;  c'est  sur  l'Afrique  entière,  y  compris  les  îles  voisines.  Exemple,  ce  qu'il  dit  sur 
Zanzibar  : 


—  50  — 

«  J'y  suis  arrivé  le  22  février  ,  écrit-il,  et  j'y  ai  trouvé  à  l'ancre  une  escadre  alle- 
mande de  six  navires,  sous  le  commandement  de  l'amiral  Knorr.  Cette  escadre  est  là 
depuis  assez  longtemps  et  compte  y  rester  encore.  Naguère  ,  on  voyait  rarement  les 
couleurs  allemandes  dans  les  eaux  de  Zanzibar.  Les  croiseurs  anglais  y  régnaient 
sans  partage.  On  était  sûr  d'y  trouver  en  permanence  quelque  grand  navire  de  com- 
merce sorti  de  la  Tamise,  et  entouré  d'une  flottille  de  corvettes  ,  de  canonnières,  de 
chaloupes  à  vapeur ,  d'eaibarcations  de  tout  genre.  Le  consul  général  d'Angleterre 
surveillait  activement  les  intérêts  britanniques,  et  tout  annonçait  le  développement 
croissant  de  notre  commerce.  Huit  ans  se  sont  écoulés  ,  et  en  revenant  à  Zanzibar, 
c'est  une  escadre  allemande  que  je  trouve  à  la  place  de  l'escadre  anglaise,  et  des 
marchands  allemands  à  la  place  des  marchands  anglais.  Rien  de  significatif  comme 
le  ton  et  les  allures  de  ces  nouveaux  venus.  C'est  l'envahissement  érigé  en  système. 
Hautains  et  impérieux  dans  toutes  leurs  manières  ,  ils  semblent  porter  écrit  au  front 
le  mot  :  Il  faut.  Les  indigènes  les  considèrent  avec  stupéfaction,  le  prince  avec 
inquiétude,  et  c'est  vainement  que  les  anglais  affectent  une  superbe  indifférence. 
Que  signifie  tout  cela,  je  le  demande  ? 

»  J'ai  été  si  occupé  depuis  quelques  années  de  ce  qui  touche  à  l'Afrique  orientale, 
ipje  j'avais  fini  par  perdre  de  vue  l'Afrique  occidentale,  et  ce  changement  me  stupéfie. 
Les  Français,  avec  leur  audace  habituelle,  se  sont  déjà  frénétiquement  hâtés  de 
pousser  leur  pointe  vers  l'Est,  par  la  côte  occidentale,  pour  en  chasser  le  commerce 
britannique.  Les  Portugais  se  sont  bruyamment  jetés  vers  le  Nord  ,  pour  affi'anchir 
l'Afrique  des  ladrones  anglais  ;  et  voici  qu'à  la  côte  orientale,  je  trouve  une  dispo- 
sition visible  des  Anglo-Saxons  à  s'effacer  devant  les  Teutons  !...  Tout  cela  m'ébahit. 
N'ayant  pas  entendu  dire  que  la  Grande-Bretagne  ait  récemment  subi  soit  une  guerre 
désastreuse,  soit  une  calamité  nationale  ,  je  ne  m'explique  pas  cette  tendance  cons- 
tante à  céder  devant  les  clameurs,  les  vantardises  et  les  héroïsmes  de  carton  (noise  , 
bleter  and  mok  heroics).  Le  fruit  était  mûr  à  Zanzibar.  11  n'y  avait  qu'à  allonger  la 
main  pour  le  saisir.  Nous  y  avons  dépensé,  depuis  quarante  ans,  cinq  ou  six  millions 
par  an  ;  nous  y  avons  supprimé  le  commerce  des  esclaves  et  porté  le  chiffre  de  nos 
affaires  à  une  cinquantaine  de  millions.  Tout  cela  pour  nous  laisser  déborder  par  les 
Allemands  ?  Cela  semble  incroyable  et  l'on  a  peine  à  se  défendre  de  quelque  amer- 
tume à  se  voir  ainsi  vaincu  sans  combat. ...» 

Ailleurs ,  M.  Stanley  n'est  pas  moins  malveillant  pour  d'autres  tentatives  alle- 
mandes : 

«  J'ai  trouvé  à  Aden,  dit-il,  le  coîute  Pfeil  et  quatre  conipagnons  d'aventures.  Quel 
est  l'objet  véritable  de  leur  expédition  ?  Je  n'en  ai  pas  la  moindre  idée.  Ces  messieurs 
appartiennent  à  V Association  allemande  de  l'Afrique  orientale  ,  qui  prétend  possé- 
der d'immenses  domaines  dans  le  continent  noir.  Je  ne  saurais  dire  si  un  seul  de  ses 
membres  connaît  le  nombre  exact  de  milles  carrés  désigné  par  ses  cartographes 
comme  constituant  ce  domaine  africain.  Je  crois  bien  qu'il  s'agit  de  quelque  600,000 
milles  carrés.  Mais  c'est  là  une  évaluation  très  élastique  ;  aucun  de  ces  Brazza  alle- 
mands n'hésitera  jamais  à  ajouter  quelques  milliers  de  milles  carrés  à  ses  tptaux  , 
pour  faire  un  nombre  rond.  » 

Les  renseignements  que  donne  AL  Stanley  sur  ses  négociations  préliminaires  à 
Zanzibar  sont  d'un  intérêt  plus  spécifique  : 

«  A  mon  arrivée  ,  dit-il ,  j'ai  trouvé  toutes  choses  admirablement  arrangées  par 
notre  agent ,  M.  Mackensie  ,  avec  le  concours  du  consul  général  anglais.  Les  provi- 
sions et  marchandises  étaient  embarquées  ,  les  auxiliaires  convoqués  ;  il  ne  restait, 
pour  ainsi  dire  ,  qu'à  me  rendre  à  bord  ,  après  avoir  toutefois  réglé  quelques  détails 
d'iuiportance  ,  tels  que  nos  rapport  à  venir  avec  Tippo-Tip. 
«  Tippo-Tip  est  le  chef  de  l'escorte  qui  m'accompagnait  en  1877  dans  ma  marche 


—  51  - 

vers  le  Congo.  C'est  aujourd'hui  un  bien  plus  gros  personnage  qu'à  cette  époque.  11 
a  placé  en  fusils  et  en  munitions  la  petite  fortune  qu'il  avait  gagnée  à  la  sueur  de 
son  front;  des  Arabes  d'humeur  aventureuse  se  sont  rangés  sous  ses  drapeaux  ,  et 
c'est  ainsi  qu'il  est  devenu  une  sorte  de  roi  sans  couronne  dans  la  région  qui  s'étend 
du  lac  Tanganika  aux  Stanley-Falls.  11  commande  à  des  milliers  de  guerriers  endur- 
cis aux  fatigues  et  aux  dangers.  Si  je  l'avais  trouvé  mal  disposé,  mon  projet  était  de 
passer  aussi  loin  que  possible  de  son  rayon  d'action,  car  les  nuinitions  que  j'emporte 
pour  Émin-Pacha  deviendraient  un  immense  péril  pour  notre  Etat  du  Congo,  si  elles 
tombaient  aux  mains  de  cet  homme.  De  Tippo-Tip  ou  de  Mouanga,  roi  d'Uganda,  je 
ne  sais  vraiment  pas  quel  serait  l'ennemi  le  plus  redoutable.  Tippo-Tip,  pour  tout 
dire,  est  le  Zebehr  du  Congo.  Mais  j'avais  sur  Gordon  ,  dans  mes  rapports  avec  mon 
Zebehr,  l'avantage  qu'il  n'existe  pas  entre  nous  de  rancune  personnelle  et  que  je  suis 
libre  de  mes  mouvements. 

»  Dès  mon  arrivée  à  Zanzibar  ,  j'eus  donc  un  entretien  avec  Tippo  ,  je  le  sondai 
prudemment,  et  je  pus  m'assurer  qu'il  était  également  prêt  à  m'aider  ou  à  me  com- 
battre ,  selon  les  circonstances.  Je  choisis  le  premier  parti.  Notez  que  son  concours 
ne  m'était  pas  absolument  indispensable,  soit  pour  arriver  jusqu'à  Emin,  soit  pour 
me  guider  vers  Wadelaï  à  travers  des  régions  qu'il  ne  connaît  pas  du  tout.  Il  y  a 
quatre  routes  du  Congo  à  Wadelaï  ;  deux  de  ces  routes  sont  au  pouvoir  de  Tippo. 
les  deux  autres  échappent  à  son  influence.  Mais  j'ai  su  au  Caire ,  par  le  docteur 
Junker,  qu'Émin  possédait  environ  75  tonnes  d'ivoire,  qui  valent  quinze  cent  mille 
francs,  à  raison  de  10  francs  la  livre.  Ce  trésor  peut  nous  permettre  de  couvrir  les 
frais  de  l'expédition  et  même  la  rendre  financièrement  fructueuse.  Pourquoi  ne  pas 
tenter  d'amener  cet  ivoire  au  Congo  ?  Il  ne  faut  pour  cela  que  de^  porteurs  en  nombre 
suffisant,  et  c'est  ce  qui  m'a  déterminé  à  traiter  avec  Tippo.  Il  s'est  engagé  à  me 
fournir  600  porteurs  ,  à  raison  de  150  francs  par  trajet  d'aller  et  retour  de  Stanley- 
Falls  au  lac  Albert.  Chaque  porteur  prendra  sur  sa  tête  70  livi'es  d'ivoire.  C'est  donc 
une  valeur  nette  de  300,000  francs  qui  arrivera  à  Stanley-Falls  à  chaque  voyage. 

»  Le  contrat  a  été  signé  par  devant  le  consul  britannique.  J'en  ai  profité  pour 
toucher  un  autre  point  avec  Tippo,  au  nom  du  roi  des  Belges. 

»  La  station  de  Stanley-Falls  a  été  fondée  par  moi  en  décembre  1883.  Depuis  cette 
époque,  plusieurs  Européens  se  sont  succédés  au  commandement  du  poste.  Le  lieu- 
tenant Wester,  de  l'armée  suédoise  ,  avait  réussi  à  en  faire  une  station  présentable. 
Mais  son  successeur,  le  capitaine  Deang,  se  querella  avec  les  Arabes,  se  vit  obligé 
d'évacuer  le  poste  et,  avant  de  battre  en  retraite  ,  crut  devoir  brûler  les  établisse- 
ments en  détruisant  toute  l'artillerie.  L'objet  propre  du  poste  était  d'empêcher  les 
Arabes  de  poursuivre  leur  brigandages  en  aval  des  chutes.  11  s'agissait  moins  pour 
cela  de  recourir  à  la  force  que  d'avoir  du  tact  ou  ,  pour  mieux  dire  ,  de  savoir  tour  à 
tour  et  à  propos  appliquer  l'un  et  l'autre.  Quoi  qu'il  en  soit ,  la  retraite  des  Euro- 
péens rouvrait  l'écluse  aux  incursions  arabes.  Tippo-Tip  est  précisément  l'homme 
qu'il  faut  pour  les  empêcher.  Après  un  échange  de  dépêches  par  câble  avec  Bruxelles, 
je  me  suis  déterminé  à  le  nommer  gouverneur  de  Stanley-Falls ,  avec  appointements 
mensuels  payables  à  Zanzibar  par  les  soins  du  consul  britannique.  Il  aur?.  pour 
fonction  de  défendre  le  poste  contre  les  Arabes  et  les  indigènes,  au  nom  de  l'État  du 
Congo.  Son  pavillon  sera  celui  de  l'Etat.  11  devra  combattre  et  capturer  tout  parti 
courant  la  campagne  pour  faire  des  prisonniers  et  dissiver  tout  rassemidement  sus- 
pect. 11  s'abstiendra  personnellement  de  tout  commerce  en  esclaves  au-dessous  des 
chutes  et  l'interdira  à  ses  subordonnés.  Un  résident  européen  sera  placé  auprès  de 
lui.  Toute  infraction  aux  articles  du  contrat  entraînera  la  suspension  immédiate  des 
appointements. 

»  Tandis  que  je  poursuivais   cette  négociation,   dit  pour  conclure  M.  Stanley  , 


-  52  — 

M.  Mackensie  payait  quatre  mois  de  salaire  d'avance  aux  620  porteurs  enrôlés  à 
notre  service,  et  aussitôt  qu'un  détachement  de  50  d'entre  eux  avait  reçu  sa  solde  , 
il  était  embarqué  dans  un  chaland  et  conduit  à  bord.  Mon  effectif  total  est  de  709 
hommes  divisés  en  7  compagnies.  » 

El-Golcali.  —  El-Goleah  reconnaît  notre  autorité  d'une  façon  effective  sous 
la  forme  d'un  impôt  annuel  assez  léger ,  depuis  le  mois  de  janvier  1873,  époque 
à  laquelle  le  général  de  Galiffet  y  conduisit  la  première  colonne  qui  y  ait  été. 

Nous  y  avons  un  Caïd  ,  qui  relève  actuellement  de  Ghardhaïa  et  qui  y  vient  tous 
les  ans  verser  l'impôt  imposé  par  la  France. 

Vu  la  distance,  il  est  forcément  en  dehors  de  notre  surveillance  du'ecte  et  ne  nous 
fait  guère  connaître  que  ce  qu'il  veut  bien  nous  apprendre  ,  mais  c'est  une  situation 
à  laquelle  on  ne  peut  remédier. 

Le  premier  Caïd  nommé  a  été  cassé  quelques  années  après  ,  pour  brigandages  à 
main  armée  sur  différentes  routes.  Celui  qui  est  en  place  actuellement  est  plus  tran- 
quille, mais  n'a  guère  d'autorité  sur  ses  gens  qui  sont  toujours  campés  à  grande 
distance  et  ne  sont  pas  d'humeur  conmiode. 

La  seconde  colonne  qui  a  visité  ce  pays  ,  sous  les  ordres  du  commandant  Belin  , 
commandant  supérieur  de  Laghouat ,  y  est  arrivée  en  janvier  1882.  P^lle  y  a  ramassé 
quelques  obus  lancés  sur  le  Ksar  par  la  première  colonne,  mais  n'était  venue  là  que 
pour  montrer  aux  gens  du  Sud  que  nous  étions  encore  capables  d'y  venir,  après  le 
désastre  Flatters.  arrivé  l'année  précédente. 

Elle  n'a  pas  eu  un  coup  de  fusil  à  tirer  et  est  revenue  par  le  même  chemin  : 
Ghardaïa,  Mettili  et  Bir-Rekaoui. 

Les  habitants  du  K.sar,  dont  l'oasis  compte  à  peu  près  20,000  palmiers,  appar- 
tiennent à  la  grande  famille  des  Chaamba ,  qui  tient  tout  le  sud  de  la  province 
d'Alger  par  Ouargla  (Chamba  -  Guebala) ,  Metlili  (Clianiba  -  Bevezga  )  et  El  -  Goleah 
(Chamba  -  Muradhi). 

Ce  sont  des  Arabes  nomades  au  possible  :  Les  trois  quarts  au  moins  des  habitants 
du  Ksar  n'y  sont  qu'au  moment  de  la  récolte  des  dattes  :  le  reste  du  temps ,  les 
maisons  sont  gardés  pai*  des  nègres  esclaves  ,  ou  des  gens  de  confiance  ,  ou  même 
pas  gardées  du  tout. 

Le  Ksar  est  bâti  sur  un  mamelon  qui  domine  le  pays  environnant ,  mais  les  habi- 
tants sont,  comme  je  l'ai  dit  plus  haut,  dix  mois  sur  douze,  absents. 

Ils  sont  en  relations  surtout  avec  Jusalah  et  le  Touat.  Ce  sont  des  cavaliers  remar- 
quables à  Méhari,  mais  ils  n'ont  pas  de  chevaux,  l'orge  coûte  trop  cher,  et  le  pays 
ne  leur  conviendrait  guère  ,  à  cause  des  immenses  dunes  de  sable  mouvant  dont  il 
est  couvert. 

Les  nègres  s"y  trouvent  en  grande  quantité  comme  esclaves  ,  ainsi  qu'au  Mzab  ; 
mais  ce  mot  d'esclave  ne  représente  pas  du  tout  ici  la  n^.ême  chose  que  dans  les  pays 
oii  l'esclavage  existait  jadis  :  au  Mzab,  maîtres  et  esclaves  passent  leur  temps  à  tirer 
l'eau  du  puits  pour  arroser  les  jardins  et  ils  travaillent  autant  l'un  que  l'autre. 
L'esclavage  est  une  nécessité  dans  ce  pays  qui  manque  de  bras ,  par  suite  de  la 
chaleur  excessive  que  l'on  éprouve  pendant  neuf  mois  de  l'année. 

En  1881,  une  petite  colonne  française  vint  de  nouveau  visiter  El-Golea  et ,  comme 
les  deux  précédentes,  n'y  fit  qu'un  court  séjour  et  y  fut  bien  reçue. 

Obock. —  L'exploitation  de  l'énorme  réservoir  de  sel,  qu'on  appelle  le  lac 
Assal,  et  qui  se  trouve  à  18  ou  20  kilomètres  d"Obock  sur  la  route  d'A(jussa  et  du 
Choa  ,  vient  d'être  concédée  à  M.  Chefneux  :  cette  concession  est  faite  pour  50  ans  , 
moyennant  une  redevance  annuelle  de  60,000  francs  à  verser  au  trésor  d'Obock. 


—  53  — 

L'exploitation  commencera  en  avril  1888  ;  pour  la  mise  en  valeur ,  la  construction 
d'un  petit  chemin  de  for  s'impose  ;  ce  sera  l'amorce  d'une  ligne  h  pousser  jusqu'à 
Aoussa,  sur  le  lac  de  ce  nom  ,  dans  lequel  se  déversent  les  eaux  de  l'Aouache  ,  qui 
descend  du  Choa,  et  est  navigable  pendant  huit  mois  de  l'année. 

Sans  attribuer  à  cette  exploitation  une  importance  trop  grande  ,  il  est  permis  de 
la  considérer  comme  devant  inaugurer  pour  Obock  une  ère  de  vie  commerciale  et  de 
prospérité. 

liibéria.  —  Nous  recevons  do  Libreville  (Gabon),  de  notre  correspondant , 
M.  Froment,  à  la  date  du  o  juin,  les  renseignements  suivants  sur  cette  contrée  : 

«  La  République  de  Libéria  a  été  fondée,  on  le  sait,  vers  1821,  par  une  association 
philanthropique  américaine ,  connue  sous  le  nom  de  Société  de  colonisation.  Des 
nègres  ,  arrachés  à  l'esclavage  ,  y  furent  alors  transportés  ,  et  on  les  mit  à  même  de 
pouvoir  subvenir  à  leurs  besoins  par  la  culture  et  le  commerce. 

»  Le  protectorat  de  l'Union  couvrit  la  jeune  colonie  jusqu'en  1845;  à  cette  époque, 
jugée  assez  forte  pour  voler  de  ses  propres  ailes,  on  l'abandonna  à  elle-même. 

»  Aujourd'ui  ;  la  population  libérienne  proprement  dite  ,  ne  compte  pas  plus  de 
15,000  âmes.  Elle  occupe  tout  le  littoral  compris  entre  la  rivière  St-  Paul  et  le  cap 
Palmas.  La  capitale  est  Monrovia  ,  ainsi  nommée  en  mémoire  du  Président  des 
États-Unis,  Monroe  ;  les  villes  principales  sont  :  Caldwell ,  sur  la  rivière  St  -  Paul  ; 
Millshury  et  Patinas. 

»  La  Constitution  libérienne  est  calquée  sur  celle  des  États-Unis.  Le  Président 
est  nommé  pour  trois  ans ,  au  suffrage  universel  ;  il  a  un  traitement  aimuel  de 
25,000  francs.  Le  Sénat  et  la  Chambre  des  députés  ont  entre  eux  deux  vingt  et  un 
membres  et  ne  tiennent  annuellement  qu'une  session  de  deux  mois.  Un  article  de  la 
Constitution  dénie  aux  Européens  et  Américains  de  race  blanche,  tout  droit  de 
propriété  foncière  ;  ils  ne  peuvent ,  en  outre  ,  ni  voter  ,  ni  exercer  aucune  fonction 
publique. 

»  Les  mulâtres  ne  sont  pas  compris  dans  ces  lois  prohibitives.  On  voit  que  les 
nègres  libériens  n'ont  pas  oublié  ce  que  la  race  blanche  leur  a  jadis  fait  endurer. 
•»  11  n'y  a  pas  d'armée  active  à  Libéria  ;  tous  les  citoyens  en  état  de  porter  les 
armes  sont  convoqués  à  différentes  époques  de  l'année  pour  être  exercés.  Détail 
curieux  :  cette  milice  est  encore  habillée  des  uniformes  français  dont  Napoléon  111 
lui  fit  jadis  cadeau. 

»  Au  moment  où  je  suis  passé  à  INIonrovia  —  13  avril  —  une  certaine  effervescence 
régnait  dans  la  République  :  les  élections  présidentielles  allaient  avoir  lieu  dans  une 
quinzaine  de  jours  et  on  y  préludait  par  des  meetings  multipliés.  Un  de  ces  meetings 
se  tenait  précisément  le  jour  uième  dans  la  rivière  St-Paul,  dont  l'embouchure  est 
dans  la  baie  Monrovia  :  les  partisans  des  deux  candidats  en  présence  s'y  étaient 
rendus  en  nombre  ,  non  sans  s'être  faits  suivre  de  victuailles  et  provisions  de  tous 
genres,  pai'mi  lesquelles,  m'a  dit  le  Missionnaire  de  qui  je  tiens  ces  renseignements, 
les  liqueurs  alcooliques  tiennent  une  place  considérable.  Ces  meetings  sont  parfois 
très  agités,  et  il  n'est  pas  rare  de  voir  le  revolver  ,  dont  s'arme  prudemment  chaque 
électeur  libérien,  devenir  Vultiina  ratio  des  deux  partis  rivaux. 

»  Le  sol  de  Libéria  est  d'une  grande  richesse  ;  toute  cette  côte  est  peu  élevée  et 
couverte  de  l'exubérante  végétation  des  tropiques.  Son  climat  est  chaud  ,  mais  rela- 
tivement sain  ;  la  fièvre  jaune  y  est  inconnue.  Le  thermomètre  monte  rarement  au- 
dessus  de  trente  degrés  à  l'ombre  ,  ce  qui  n'est  pas  du  tout  une  température 
excessive,  si  on  la  compare  à  celles  du  Sénégal  et  du  Congo.  De  grandes  plantations 
de  calé  ,  de  coton  ,  de  canne  à  sucre  ,  pourraient  donner  à  Libéria  une  prospérité 
considérable  ,  si  une  intelligence  plus  raisonnée  de  ses  intérêts  ,  lui  faisait  oublier 


—  54  - 

ses  rancunes  contre  la  race  blanche ,  seule  capable  d'imprimer  au  commerce  et  à 
l'agriculture  une  sérieuse  impulsion. 

»  Néanmoins ,  les  colons  libéi'iens  ne  se  contentent  pas  de  cultiver  ces  riches 
produits ,  ils  se  sont  faits  en  même  temps  industriels.  Leurs  distilleries  et  leurs 
raffineries  leur  permettent  de  se  passer  d'intermédiaires  entre  eux  et  le  commerce  et 
la  consommation. 

»  Monrovia,  qui  compte  environ  3,000  âmes,  est  bâtie  sur  un  plateau  qui  s'avance 
dans  la  mer  en  léger  promontoire.  On  y  voit  beaucoup  de  maisons  bâties  à  l'euro- 
péenne ;  leurs  murs  ,  blanchis  à  la  chaux  ,  et  leurs  toits  de  zinc  ,  tranchent  sur  la 
sombre  et  luxuriante  verdure  des  palmiers  et  des  manguiers.  Un  phare  s'élève  à 
l'extrémité  du  proniontoire,  mais  la  baie  ,  d'un  accès  facile  ,  n'est  protégée  contre  les 
vents  du  large  par  aucun  travail  d'art.  Il  n'existe  pas  même  une  cale  de  débarque- 
ment où  les  embarcations  puissent  accoster  pour  échapper  à  la  barre. 

»  Deux  ou  trois  maisons  européennes  accaparent  tout  le  grand  commerce  de 
Libéria  ;  ce  sont  elles  qui  achètent  le  café  ,  le  coton  et  le  sucre  aux  planteurs  et  qui 
l'exportent.  On  est  certain  d'y  retrouver  la  maison  Werman  ,  de  Hambourg  ,  qui  a 
semé  des  comptoirs  sur  tous  les  points  de  la  côte  occidentale  d'Afrique.  Il  y  a  aussi 
une  maison  belge. 

»  Les  Missionnaires  du  St^Esprit  sont  installés  depuis  i-inq  ans  à  Monrovia ,  m^is 
de  l'aveu  même  de  leur  supérieur,  ils  n'obtiennent  aucun  résultats  auprès  des  nègres 
libériens,  qui  sont  tous  méthodistes  ou  presbytériens.  Il  peut  paraître  singulier  que 
dans  de  pareilles  conditions ,  ils  s'obstinent  à  rester  ,  alors  que  chez  les  peuplades 
fétichistes  de  l'intérieur,  ils  auraient  sans  doute  plus  de  succès. 

»  D'après  le  supérieur  ,  qui  tient  lieu  provisoirement  d'agent  consulaire  français , 
l'Angleterre,  ne  pouvant  être  remboursée  des  sommes  considérables  que  la  Répu- 
blique libérienne  a  autrefois  empruntées  à  ses  sujets,  songerait  à  mettre  la  main  sur 
son  administration  financière,  malgré  l'intérêt  et  la  sympathie  que  la  reine  Victoria 
a  toujours  témoignés  au  peuple  libérien.  D'un  autre  côté  ,  l'agent  consulaire  belge 
manœuvrerait  pour  faire  endosser  cette  dette  à  la  Belgique  ou  à  une  banque  belge 
quelconque,  de  manière  à  avoir  ba^re  sur  la  République  nègre  ,  qui  ferait ,  il  faut  en 
convenir,  une  riche  colonie. 

»  11  faut  espérer  que  l'Union  américaine  s'interposera  ,  et  qu'on  ne  verra  pas  le 
seul  essai  de  régénération  des  nègres ,  tenté  jusqu'à  présent ,  avorter  après  de 
longues  années  de  quasi  -  prospérité.  Ce  qu'il  faudrait  à  Libéria  ,  ce  sont  non  des 
maîtres  ,  mais  des  guides.  » 

IjC  futur  port  de  Gabès.  —  On  connaît  les  travaux  du  colonel  Roudaire 
sur  la  région  des  chotts  algériens  et  tunisiens.  A  la  suite  de  recherches  qui  lui  avaient 
montré  que  le  niveau  des  chotts  Melrir  et  Karsa  était  à  environ  24  mètres  au-dessous 
de  la  Méditerranée  ,  il  avait  formé  le  projet  de  rétablir  la  grande  lagune  du  lac 
Triton,  signalée  et  décrite  par  les  géographes  de  l'antiquité  et  qu'il  appelait  la  Mer 
tunisienne  intérieure.  Le  projet  fut  vivement  critiqué  bien  que  patronné  par 
M,  de  Lesseps. 

Le  colonel  Roudaire  mort,  un  officier  distingué,  M.  le  commandant  Landas , 
demanda  et  obtint  l'honneur  de  reprendre  l'œuvre  projetée.  L'année  dernière  , 
M.  Landas  qui  avait  parcouru ,  en  l'étudiant  soigneusement ,  la  région  ,  et  y  avait 
retrouvé  sur  des  points  nombreux  les  restes  de  constructions  d'aqueducs  romains  , 
indiquant  rexisteuco  d'abondantes  irrigations  et  d'une  culture  prospère  ,  eut  l'idée 
d'opérer  aux  environs  de  Gabès  ,  des  sondages  qui  lui  révélèrent  la  présence  d'une 
nappe  d'eau  souterraine  peu  profonde.  11  creusa  un  puits  qui  lui  donna  de  l'eau 
jaillissante  non  loin  de  la  mer  ,  sur  la  rive  de  l'Oued-Nela.  L'eau  s'élevait  à  plus  de 


-  55  - 

quatre  mètres  au-dessus  du  sol  ;  le  débit  du  puits  est  de  9,000  mètres  par  minute. 
Un  autre  puits  a  été  creusé  sur  l'autre  rive  du  cours  d'eau.  Des  rij:oles  ont  été 
établies,  des  cultures  entreprises.  Des  villages  ont  surgi  comme  par  enchantement 
dans  ce  désert,  En  étendant  les  cultures,  en  appliquant  1(  s  ressources  qu'elles  créent 
au  développement  graduel  et  prudent  de  l'entreprise,  on  s'occupera  d'abord  d'établir 
pour  les  débouchés  un  port  à  Gabès  ;  puis  ce  port  sera  mis  par  un  canal  en  comnm- 
nication  avec  les  terrains  irrigués  ,  qui  marcheront ,  pour  ainsi  dire,  vers  le  bassin 
(les  chotts.  On  pourra  de  la  sorte  se  rendre  compte  de  l'utilité  et  de  la  possibilité  de 
faire  un  mer  intérieure. 

C'est  ce  qu'a  expliqué  ,  le  2.5  juillet ,  M.  de  Lesseps  à  l'Académie  des  Sciences  , 
en  déposant  les  plans  du  futur  port  de  Gabès  oii  aboutira  le  canal  qui  doit  mener  les 
eaux  de  la  mer  dans  les  chotts  Melrir  et  Rharsa  ,  et  créer  ainsi  la  mer  intérieure  du 
colonel  Roudaire. 

H.  Scrpa-Pinto.  —  Le  major  Serpa-  Pinto  et  le  lieutenant  Augusto  Cardoso 
sont  arrivés  à  Lisbonne,  venant  de  Mozambique. 

Nous  recevons  de  la  Société  de  la  Société  de  Géographie  de  Lisbonne  des  détails 
des  plus  complets  sur  leur  voyage. 

Partis  de  Mozambique  en  1884,  ils  se  proposaient  d'explorer  le'  territoire  situé 
entre  la  côte  et  le  lac  Nyassa,  et  de  compléter  dans  cette  région  les  études  faites  en 
1&S3  par  M.  A.  de  Castiïho. 

De  Mussuril ,  ils  se  dirigèrent  vers  le  Nord,  le  long  du  littoral ,  pénétrant  dans  le 
pays  de  Matibana,  dans  la  direction  de  la  bai(^  de  Fernaô  Veilo/o,  et  explorèrent  tout 
le  pays  jusqu'à  Guissanga  dans  les  parages  du  cap  Delgado. 

D'Ibo,  l'expédition  revint  sur  le  Mutepuezi  et  s'achemina  vers  Médo. 

C'est  là ,  que,  par  raison  de  santé,  le  major  Serpa -Pinto  dut  abandonner  la 
direction  de  l'entreprise,  qui  fut  dès  lors  sous  les  ordres  du  lieutenant  Cardoso. 

Partant  de  Médo  ,  l'expédition  se  rendit  à  Métarica,  à  la  recherche  de  la  rivière 
Lienda  (Lyendo) ,  affluent  du  Kovuna  ,  suivit  quelque  temps  cette  rivière  ,  puis  se 
replia  sur  le  lac  Nyassa  ,  qu'elle  atteignit  au  territoire  de  Gui-Rassia  ,  dont  le  chef 
s'empressa  de  reconnaître  la  suzeraineté  du  Portugal. 

D'après  le  lieutenant,  le  Lienda  ne  prend  pas  sa  source  comme  on  le  pensait,  dans 
le  lac  N'Maramba  ;  il  ne  fait  que  le  traverser,  venant  du  mont  Songe,  à  l'Ouest. 

La  mauvaise  santé  du  lieutenant  Cardoso  le  força  à  se  replier  sur  la  station 
missionnaire  de  Blantyre  ;  de  là ,  il  s'achemina  vers  l'Est  en  passant  le  Ruo  (ou 
plutôt  Luo) ,  près  du  pont  Mélange.  Là,  il  dut  essuyer  quelques  manifestations 
hostiles  de  la  part  des  indigènes  qui ,  le  prenant  pour  un  Anglais  ,  essayèrent  un 
instant  de  lui  barrer  la  route. 

En  poursuivant  sa  traversée  vers  le  S.-E.  ,  l'expédition  est  venue  aboutir  à 
Quilimane. 

Elle  rapporte  un  grand  nombre  d'observations  et  de  déterminations  astronomiques 
et  météorologiques ,  et  a  fait ,  au  point  de  vue  orographique ,  hydrographique  et 
commercial,  une  étude  des  plus  complètes  de  tout  le  pays  qu'elle  a  parcouru. 

lies  D"  Juuker  et  Schnltzler  daus  l'Afrlqae  centrale.  —  Voici 
une  lettre  que  le  docteur  Selnveinfurtli  a  reçue  le  6  novembre  de  Juncker ,  datée  de 
Msalala,  côté  sud  du  lac  d'Ukéréwé  ,  Afrique  centrale.,  le  16  août;  c'est  un  vrai  cri 
de  désespoir.  Juucker  ,  Schnitzler  ,  Lupton  et  Casati  ont  été  isolés  par  le  soulève- 
ment du  Mahdi ,  et  défendent  jusqu'au  centre  du  Soudan,  le  drapeau  du  Khédive. 
Voici  ce  qu'écrit  le  docteur  .Juncker  :  «  Bien  cher  ami  !  je  me  trouve  en  bonne  santé 


—  56  — 

k  Msalala,  après  être  échappé  des  griffes  de  Mwanga  de  Uganda  (le  cruel  successeur 
du  roi  Mtesa),  et  je  m'empresse  de  vous  fair'-  savoir  que  j'ai  engagé  quarante  por- 
teurs, avec  lesquels  je  compte  me  mettre  en  route  pour  Zanzibar.  Faut-il  donc  en 
arriver  a  la  conviction  que  rien  ne  sera  fait  pour  ces  malheureuses  provinces  équa- 
toriales.  Ecrivez,  publiez  toujours,  mon  cher  aini,  seuiez  des  articles  violents  dans  la 
presse ,  pour  ouvrir  les  yeux  du  public  !  Je  fais  tout  mon  possible ,  pour  obtenir 
quelque  amélio'"ation.  Il  est  absolument  nécessaire  que  de  prompts  secours  soient 
apportés  à  Emin-Bey  (le  gouverneur  du  Soudan).  Je  lui  ai  procuré  à  Uganda  pour 
huit  mille  francs  de  cotonnade,  mais  cela  n'empêche  cpae  le  roi  Mwanga  lui  suscitera 
encore  bien  des  difficultés.  Ce  dernier  a  promis  d'envoyer  l'expédition  avec  les  mar- 
chandises à  Unyoro  par  l'entremise  d'un  certain  Muhammed-Bivi ,  mais  elle  n'est 
jamais  partie. 

»  Le  prestige  des  Européens  est  singulièrement  tombé  ici. 

»  Ce  serait  une  honte  éternelle  pour  l'Europe  si  ou  ne  faisait  rien  pour  venir  en 
aide  à  Emin-Bey.  Ayez  donc  la  bonté  d'agir  en  ce  sens  !  Qu'on  mette  tin  aux  agisse- 
ments de  Mv  anga  et  de  ses  complices  ;  qu'on  délivre  l'Uganda  ;  qu'on  porte  secours 
à  Emin-Bey  et  qu"on  reprenne  les  provinces  équatoriales  !  C'est  uniquement  parce 
que  j'ai  l'espoir  qu'on  agira  ainsi ,  que  je  retourne  on  Europe.  Écrivez-moi ,  je  vous 
prie,  le  plus  longuement  possible  à  Zanzibar.  Votre  ami  sincère,  Wilhem  Juncker.  » 

Depuis  lors,  l'explorateur  anglais,  docteur  Felkin,  a  reçu  des  nouvelles  du  docteur 
Schnit/.ler  (Emin-Bey),  datées  du  mois  de  juin,  d'après  lesquelles  il  se  trouvait  en 
bonne  santé  à  Wadelaï,  sur  le  Nil  supérieur.  D'après  un  rapport  du  docteur  Juncker, 
Emin-Bey  a  soumis  les  rebelles  jusqu'à  Lado  sur  le  Nil  Blanc.  Casati  se  trouvait  en 
bonne  santé  à  Wadelaï  ;  Lupton  paraît  avoir  été  tué.  Le  docteur  Fischer  et  le  docteur 
Lenz  ont  été  envoyés  pour  leur  porter  secours  ;  mais  le  premier ,  parti  de  Pangani 
(côte  orientale),  en  août  1885  ,  fut  arrêté  au  lac  Victoria,  revint  à  Zanzibar  en  juin 
1885  et  mourut  à  sa  rentrée  en  Europe  :  le  second  ,  envoyé  par  l'Autriche  ,  a  suivi  le 
Congo  ;  mais  arrivé  aux  Stanley-Falls  ,  en  mars  1886  ,  il  ne  put  continuer  sa  route 
vers  le  nord,  et  se  rendit  à  Nyangoué,  puis  à  Kasongo  et  de  là  est  arrivé  à  Zanzibar, 
ayant  ainsi  accompli  à  travers  toute  l'Afrique,  par  la  voie  du  Congo  ,  une  expédition 
intéressante  au  point  de  vue  scientifique,  mais  sans  profit  pour  Emin-Bey. 

Le  docteur  Juncker  est  revenu  le  4  décembre  dernier  à  Zanzibar ,  d'oii  il  s'est 
rendu  au  Caire. 


/^ffrÊquc  équittorlale.  —  Missions  catholiques.  —  Le  journal  hebdoma- 
daire les  Missions  catholiques,  qui  se  publie  à  Lyon,  vient  de  faire  connaître  (n°  916) 
les  modifications  apportées  aux  missions  catholiques  de  l'Afrique  équatoriale.  Ces 
missions  étaient  confiées  les  unes  à  la  congrégation  des  Pères  du  Saint-Esprit ,  les 
autres  à  celle  des  missionnaires  d'Alger.  Après  des  pourparlers  entre  les  différentes 
parties  intéressées,  c'est-à-dire  entre  le  roi  des  Belges,  souverain  de  l'Etat  du  Congo, 
le  cardinal  Lavigerie,  directeur  de  la  mission  d'Alger  ,  et  les  Pères  du  Saint-Esprit, 
il  fut  convenu  et  le  Pape  décida  : 

Que  la  congrégation  des  missionnaires  belges  de  Scheut  lez-Bruxelles  serait  char- 
gée des  missions  du  moyen  et  du  bas  Congo  belge  ;  que  les  missionnaires  d'Alger 
conserveraient  celles  du  haut  Congo  belge  proprement  dit,  c'est-à-dire  celles  qui  se 
trouvent  aux  sources  mêmes  du  Congo,  entre  le  lac  Tanganyka  et  les  États  de 
Muata-Yanvo,  et  que  la  congrégation  des  Pères  du  Saint-Esprit  prendrait ,  en  com- 
pensation de  ce  qu'elle  perdait  dans  le  Congo  belge  ,  la  partie  du  Congo  français  qui 
ne  leur  appartenait  pas  encore  et  les  régions  situées  sur  le  Kassaï ,  en  dehors  de 
l'Etat  libre  du  Congo. 


-  57  - 

Ce  sont  ces  arrangements  qui  vionnent  d'être  successivement  consacrés  par  les 
décrets  officiels  de  la  S.  G.  de  la  Propagande  qui  ont  fondé  :  d'une  part,  le  vicariat 
apostolique  du  Congo,  confié  à  Mgr  Carie,  et  la  nouvelle  préfecture  du  Conj:o,  qui  a 
pour  préfet  un  Père  de  la  même  congrégation  ;  de  l'autre,  les  missions  du  Congo 
belge  qui  ont  été  données  au  séminaire  africain  de  Louvain,  fondé,  sous  la  juridiction 
de  Tarchovêque  de  Malines  et  des  autres  évêques  de  la  Belgique  ,  par  la  Société  des 
missionnaires  de  Scheut  Ic/.-BruxelIes  ,  pi-écédemment  chargée  de  Tévangélisation 
de  la  Mongolie, 

Enfin,  la  Société  des  missionnaires  d'Alger  conserve,  comme  par  le  passé ,  la 
direction  des  quatre  vicariats  apostoliques  dont  les  limites  et  les  noms  seuls  se 
trouvent  modifiés  par  les  décisions  que  nous  venons  de  rapporter. 

Ces  quatre  vicariats  sont  les  suivants  : 

I.  Le  vicariat  apostolique  du  haut  Congo,  dans  les  régions  situées  aux  sources  du 
Congo  et  à  l'ouest  du  Tanganyka  ,  oii  les  missionnaires  d'Alger  ,  avaient ,  depuis 
plusieurs  années  ,  commencé  déjà  et  établi  des  missions  ; 

II.  Le  vicariat  opostolique  du  Tanganyka,  qui  existe  également  depuis  huit 
annés ; 

1  IL  Le  vicariat  apostolique  du  lac  Nyanza,  existant  depuis  la  même  époque  ; 

IV.  Enfin  ,  le  vicariat  apostolique  de  l'Ounyaniembé ,  dont  les  limites  ont  été 
déterminées  par  une  décision  toute  récente  de  la  Sainte  Congrégation  de  la 
Propagande. 

Nous  avons  dit  plus  haut  à  qui  étaient  confiés  le  nouveau  vicariat ,  la  nouvelle 
préfecture  et  les  nouvelles  missions  du  Congo.  Les  quatre  derniers  vicariats  que 
nous  venons  de  nommer  et  qui  restent  confiés  à  la  Société  des  missionnaires  d'Alger, 
ont  à  leur  tête  : 

Celui  du  Nyanza,  Mgr  Livinhac  ,  évêque  titulaire  de  Pacando  ,  de  la  Société  des 
missionnaires  d'Alger  ; 

Celui  du  Tanganyka,  Mgr  J.-B.  Charbonnier,  qui  vient  d'être  nommé  par  le  Saint- 
Père  évêque  titulaire  d'Utique,  de  la  même  Société  ; 

Celui  du  haut  Congo  et  celui  de  rOunyaniembé  sont  provisoirement  confiés  à  deux 
simples  prêtres  avec  le  titre  de  provicaires.  Ce  sont  les  RR.  PP.  Coqlbois  ,  pour  le 
haut  Congo,  et  Ludovic  Girault ,  pour  l'Ounyaniembé  ,  déjà  missionnaires  dans  ces 
régions,  qui  ont  été  proposés  pour  ces  deux  charges  par  S.  Em.  le  cardinal 
Lavigerie. 


AMERIQUE. 


Les  frontières  «lu  !*arag;na:r  et  «le  la  République  Ar|;;eutine. 

—  Le  gouvernement  paraguayen  doit  nouuner,  d'accord  avec  le  gouvernement  argen 
tin,  une  Commission  scientifique  qui  décidera  sur  la  question  de  savoir  si  l'Araguay- 
Guagu  est,  ou  n'est  pas,  le  principal  affluent  du  Pilcomayo. 

Dans  ce  dernier  cas ,  les  frontières  de  la  République  Argentine  ,  seraient ,  comme 
précédenmient,  déterminés  par  les  limites  du  Chaco  ;  mais  ,  dans  le  premier  cas  ,  la 
rivière  Araguay-Guagu  serait  considérée  comme  la  division  naturelle  <>ntre  les  deux 
républiques, et  la  frontière  argentine  s'étendrait  ainsi  d'un  degré  de  j)lussur  le  terri- 
.toirc  appartenant  actuellement  au  Paraguay. 


-  58  - 

lia  colonisation  allemaude  daus  l'Amérique  méridionale.— 

D'après  le  Bulletin  de  la  Société  de  Géographie  italienne^  on  annonce  en  Allemagne  la 
fondation  d'une  «  Banque  nationale  transocéanique  »  qui  aura  ses  sièges  principaux  à 
Rio-de-Janeiro  ,  à  Burnos-Aires  et  à  Berlin  .  Le  gouvernement  allemand  qui  a  déjà 
officiellement  reconnu  cette  banque  ,  s'efforce  de  détourner  vers  l'Amérique  méridio- 
nale la  plus  grande  partie  des  émigrants  qui  aujourd'hui  se  dirigent  vers  l'Amérique 
du  Nord.  Il  y  a  plus  de  colonies  allemandes  dans  l'Amérique  latine  qu'on  ne  le  pense, 
et  presque  toutes  sont  en  pleine  prospérité.  Si  l'on  excepte  la  tentative  malheureuse 
de  MM.  Pinto  et  Holzwiessig  d'amener  environ  40,000  de  leurs  nationaux  au  Brésil, 
on  peut  affirmer  que  tous  les  au<res  essais  de  colonisation  entre  Porto  -  Alegre  et 
Buenos  Aires  ont  réussi.  Dans  la  province  de  Sainte-Catherine,  on  peut  citer  l'impor- 
tante colonie  de  Dona  Francesca  ,  fondée  en  1849  par  la  Société  de  colonisation  de 
Hambourg,  et  qui  contient  10,000  Allemands.  Non  loin  de  là  se  trouve  San-Benito  , 
colonie  de  3,000  âmes.  Sur  l'Itajahi,  à  environ  60  milles  du  bord  de  la  mer,  se  trouve 
Blumeneau  ,  avec  11,000  colons  allemands  ,  et  Brusque,  avec  2,-500  Allemands,  qui 
ont  reçu  un  subside  de  200,000  francs.  Dans  la  colonie  de  Don  Pedro  ,  il  y  a  environ 
3,900  Allemands  avec  16,000  Italiens.  Dans  la  province  contigue,  Rio  Grande  do  Sul, 
il  y  a  une  série  de  comptoirs  allemands ,  qui  commence  un  peu  au  sud  de  Porto- 
Alegre  et  se  dirige  vers  le  N.-E.  A  Sainte-Catherine,  on  compte  sur  une  population 
de  200,000  habitants  ,  50,000  Allemands  ,  et  à  Rio-Grande  do  Sul ,  sur  580,000 ,  pas 
moins  de  80,000  Allemands,  sans  compter  10,000  établis  dans  la  Plata.  On  espère  en 
Allemagne  que  ces  colonies  formeront  le  nœud  et  le  centre  d'un  Etat  florissant  et  où 
les  Allemands  seront  tout-puissants.  Cependant ,  il  est  à  remarquer  que  tandis  que 
les  Italiens  se  mêlent  et  se  fondent  facilement  avec  les  Espagnols ,  les  Allemands 
restent  à  l'écart ,  apprennent  difficilement  la  langue  espagnole  et  conservent  leurs 
mœurs  et  habitudes  particulières.  Si  le  gouvernement  les  favorise  ,  rien  n'empêche 
pourtant  les  Allemands  de  s'emparer  de  la  plus  grande  partie  du  commerce  et  de 
l'industrie  de  ces  pays. 

Cette  statistique  des  colonies  allemandes  au  Brésil  complète  le  tableau  donné  par 
M.  Du  Fief,  dans  son  travail  sur  la  densité  de  la  population  en  Belgique,  etc. 

Ici  encore,  l'Allemagne  donne  à  la  Belgique  un  enseignement  utile,  peut-être  même 
un  exemple  à  suivre,  en  montrant  ce  que  l'on  peut  attendre  de  colonies  d'émigrants 
établis  par  agglomération  et  non  isolément.  Comme  le  dit  M.  Du  Fief,  dans  son 
travail  sur  la  densité  de  la  populationn ,  «  l'Allemagne  a  dans  tous  les  pays  du 
monde  des  représentants  nationaux  qui  s'y  emparent  des  transactions  commerciales, 
à  leur  profit  en  même  temps  qu'à  celui  de  leur  mère-patrie,  tii-ant  de  celle-ci  la 
plupart  de  leurs  produits  d'échange....  Faisons  donc  comme  ces  nations ,  s'il  est 
démontré  que  l'émigration  est  aujourd'hui  le  remède  à  la  stagnation  du  travail  natio- 
nal ;  établissons  au  dehors  ,  avec  toutes  les  garanties  possibles  ,  ceux  de  nos  conci- 
toyens auxquels  notre  pays  ne  peut  plus  suffire  ;  créons  ,  dans  des  pays  nouveaux  , 
des  Belgiques  nouvelles  qui,  par  leur  travail  et  leur  prospérité  même  ,  continueront 
de  contribuer  au  travail  et  à  la  prospérité  de  leur  commune  patrie.  » 


Accroissement  de  fcm|iérature  dans  les  mines  du  lae 
^iupérieur.  —  M.  H.-A.Wheeler  vient  de  faire  des  observations  thermomé- 
triques dans  les  mines  de  cuivre  de  Keweenaw-Point,  les  plus  profondes  de  toutes 
celles  que  renferme  le  territoire  des  États-Unis.  Les  observations ,  que  résume  le 
journal  Ciel  et  Terre,  furent  faites  dans  cinq  mines  dont  la  profondeur  varie  221  à 
643  mètres,  les  distances  horizontales  intérieures  étant  à  peu  près  égales  à  la  pro- 
fondeur des  puits.  Les  résultats  obtenus  prouvent  que  le  gradient  thermométrique 


~  50  — 

est  un  des  plus  faibles  connus  :  il  est  de  59  à  60  mètres  par  1"  C.  Les  différences 
considérables  observées  dans  les  cinq  mines  ont  conduit  à  ti'ouver  la  cause  de  ce  fait, 
au  premier  abord  singulier.  Keweenawe-Point  est  une  péninsule  qui  s'étend  d'envi- 
ron 115  kilomètres  vers  le  centre  du  lac.  Aucune  des  mines  n'est  conséquemment 
bien  éloignée  de  l'eau  et  celles  qui  s'en  trouvent  le  plus  près  ont  aussi  le  plus  faible 
gradient,  les  plus  éloignées  présentent  un  gradient  plus  rapide.  Si  l'on  prend  en 
considération  l'énorme  étendue  du  lac  Supérieur  et  le  fait  que  sa  surface  seule 
change  de  température  ,  tandis  que  les  couches  profondes  restent  environ  à  4"  au- 
dessus  de  zéro,  il  semble  que  le  lac  fasse  office  d'un  immense  réfrigérant,  qui  abaisse 
la  température  de  toutes  les  masses  rocheuses  qui  l'environnent. 


II.  —   Géographie  commercdale.  —  Statistiques 
et  Faits  économiques. 


EUROPE. 


lia  préparation  de  l'eau  de  fleurs  d'orau$;;cr  flaus  le  llidi 
de  la  France.  —  Tout  le  monde  sait  que  l'eau  de  fleur  d'oranger  se  prépare 
avec  les  pétales  de  la  fleur  ,  que  l'on  a  soin  de  séparer  des  autres  parties  ,  pistils  , 
ovaires,  etc.,  et  qu'on  appelle  ne'roli  l'essence  que  l'on  peut  extraire  des  fleurs 
d'oranger,  en  même  temps  que  l'on  obtient  l'eau  distillée  odorante.  C'est  du  25  avril 
à  la  fin  de  mai  que  se  fait  d'habitude  la  cueillette  des  fleurs  d'oranger,  sur  tout  le 
littoral  méditerranéen.  L'oranger  ,  originaire  de  l'Inde  ,  est  probablement  arrivé  en 
Arabie  vers  la  fin  du  neuvième  siècle  ;  mais  on  ne  le  signale  dans  le  Midi  qu'au 
cours  du  seizième  siècle.  Ce  que  l'on  peut  assurer  ,  c'est  qu'en  1566  les  plantations 
d'orangers  des  environs  d'Hyères  offraient  l'aspect  de  vastes  forêts,  et  que  ces  ai-bres 
étaient  également  cultivés  à  Saint-Chamas,  à  Fréjus,  à  Cannes,  à  Vallauris,  à  Aix  et 
même  à  Marseille.  De  nos  .jours,  c'est  à  Vallauris  surtout  que  la  culture  de  l'oranger 
a  pris,  depuis  quelques  années  ,  une  grande  extension.  Le  climat  de  cette  localité  . 
toujours  tempéré  ,  est  très  propice  à  la  végétation  de  cet  arbre.  Aussi  peut -on  dire 
que  Vallauris  ,  où  fonctionnent  plus  de  quinze  usines  pour  la  distillation  dos  fleurs  , 
est  devenu  le  centre  le  plus  important  pour  ce  genre  d'industrie.  La  cueillette 
n'occupe  pas  moins  de  2,000  personnes.  La  récolte  est ,  en  effet ,  ordinairement  d'un 
million  de  kilogrammes  ,  ce  qui ,  malgré  les  variations  que  subit  le  prix  de  vent  ■ , 
constitue  un  revenu  important  pour  les  pays  où  l'on  cultive  l'oranger  pour  en 
recueillir  les  fleurs.  De  1880  à  1882,  les  fleurs  d'oranger  se  sont  vendues  de  30  à  60 
francs  les  100  kilogrammes  ;  en  1885  ,  la  gelée  ayant  presque  entièrement  détruit  la 
récolte,  le  prix  s'éleva  jusqu'à  350  francs.  En  1886,  les  cours  varièrent  de  75  à  KX) 
francs.  Le  rendement  varie  beaucoup  ,  selon  l'époque  à  laquelle  sont  cueillies  les 
fleurs.  Celles  qui  sont  récoltées  au  début  de  la  saison   ne  rendent  guère  que  50  centi- 


-  60  - 

grammes  d'essence  pai-  kilogramme  de  fleurs  ;  mais  les  fleurs  cueillies  vers  la  fin  de 
mai  produisent  j  usqu'à  1  gi-amme  d'essence  par  kilogramme,  c'est-à-dire  que  le  ren- 
dement moyen  d'une  année  est  de  750  kilogrammes  d'essence. 


IjCS  SsifltistrScs  textiles  en  Italie.  —  C'est  sur  ces  industries  surtout 
que  semble  se  porter ,  après  la  métallurgie  et  les  constructions  mécaniques ,  la 
sollicitude  des  Italiens. 

Il  est  pourtant  utile  de  faire  remarquer  que  c'est  sur  ce  point  que  Timportation 
étrangère  a  le  moins  progressé  pendant  les  dernières  aimées,  ainsi  que  le?  écritures 
italiennes  elles-mêmes  le  démontrent. 

Le  tableau  ci-après,  montrera  quel  est  le  mouvement  d'entrée,  en  Italie,  des  fils  et 
tissus  de  chanvre,  lin,  laine,  cotcn  depuis  1881  : 


Import.\tions   en   1t.\lie. 


EN  PLUS 

EN  -MOINS 

1881 

1885 

pour 
1885 

pour 
1885 

i 

En  n 

lillier^  de  quintaux  métriqnos 

1 
Fils  de  lin  et  chanvre  .  simples ,  écrus 
ou  blanchis 

55.0 

7.3 
52.6 

59.5 

11.5 
20.3 

4.5 

4.8 
»  » 

»  » 

»  » 
32.3 

Tissus  de  lin  et  chanvre  ,   écrus  ou 
blanchis  

Fils  de  coton  simples,  écrus 

—         retors,  écrus 

40.7 
10.2 

30.9 
11.7 

»  » 
1.5 

9  2 
»  » 

—             —      blanchis 

Tissus  de  coton  écrus 

34.6 
32.3 
24.2 
38.6 

37.2 
30.8 
27.7 
31.6 

2.6 
»  » 
3.5 
7.0 

»  » 
1.5 

»  » 
»  » 

—              blanchis . . 

—             teints  

—             imprimés 

Velours  de  coton 

2.4 

4.4 

2.0 

»  » 

Tissus  de  laine  de  toutes  sortes  ,  pei- 

gnée et  cardée,  mérinos,  cachemires, 
draperies,  passementeries,  etc 

56.2 

60  1 

3.9 

»  » 

J'ai  laissé  de  côté  la  soie  et  les  soieries  qui  constituent  une  industrie  tout  à  fait 
spéciale  en  Italie. 

Pour  ce  qui  précède,  on  peut  constater  que  ,  en  présence  de  quelques  augmenta- 
tions sur  les  tissus  de  laine,  de  lin  et  de  chanvre,  il  y  a  une  diminution  extrèuiement 
importante  depuis  1881,  sur  les  filés  de  coton  à  l'importation  en  Italie.  L'importation 
des  tis-us  de  coton  n'a  guère  progressé  que  de  quelques  centaines  de  kilog.  Quant 
aux  lainages,  leur  importation  ne  s'est  pas  accrue  de  4,000  quintaux. 


—  61  - 

C'est  que  tout  l'effort  de  la  fabrique;  italienne  s'est  porté  sur  ces  articles  ,  sur  les 
cotons  spécialement,  et  les  lilatures. 

En  1881.  l'importation  en  Italie  des  cotons  bruts  était  de  48,182  tonnes,  et  la  réex- 
portation de  16,692  ,  en  sorte  que  la  consommation  intérieure  ,  pour  la  faljrication  , 
n'était  que  de  31,470  tonnes. 

En  1885 ,  cette  importation  est  montée  à  78,558  tonnes  et  la  réexportation  à 
19,180  tonnes,  d'oii  il  résulte  que  la  consommation  intérieure,  c'est-à-dire  la  filature, 
en  a  utilisé  ,  sauf  ce  qui  reste  dans  les  entrepôts ,  59,408,  c'est-à-dire  presque  le 
double  du  chifl're  de  1881  ;  cela  seul  indique  quel  progrès  a  fait  cette  industrie.  Elle 
s'est  énormément  développée  pendant  les  cinq  dernières  années  ,  et  ainsi  s'explique 
la  diminution  de  32,300  quintaux  dans  les  importations  de  filés  de  coton. 

Pour  en  donner  la  véritable  physionomie,  je  ne  puis  mieux  faire  que  de  transcrire 
ici,  pi'esque  textuellement ,  les  indications  qui  m'ont  été  fournies  sur  les  industries 
textiles,  en  Italie ,  par  la  Chambre  de  commerce  française  de  Milan  ,  en  rendant 
hommage  à  la  compétence  et  au  patriotisme  éclairé  des  hommes  qui  composent  le 
bureau  de  cette  Chambre  et  aux  membres  de  la  Chambre  elle-même. 

Filature  de  coton.  —  En  1877,  d'après  l'annuaire  Neumann-Spallart ,  il  y  aurait 
eu  en  Italie  880,000  broches  consommant  264,000  quintaux,  soit  30  kilog.  par  broches. 
Actuellement ,  on  calcule  qu'il  y  a  en  Italie ,  1,931,343  broches  de  filature  qui  se 
répartissent  comme  suit  : 

En  Lombardie,  six  filatures  principales  et  . . .  452.162  broches. 

En  Piémont,  six  filatures  principales  et 266. 181      — 

EnVénétie 65.000      — 

En  Ligurie 200.000      — 

En  Toscane 28.000      — 

Province  de  Naples 120.000      — 


Total  (1) 1 .131 .343  broches. 

Presque  toutes  les  filatures  italiennes  sont  établies  sur  des  forces  hydrauliques, 
mais  comme  souvent  celles-ci  sont  insuffisantes ,  ces  établissements  ont ,  en  outre  , 
des  moteurs  à  vapeur. 

Pai'mi  les  filatures  importantes ,  le  Cotonoficio  Veneta ,  à  Venise  (de  création 
récente),  est  le  seul  qui  marche  exclusivement  à  la  vapeur.  On  ne  produit,  en  Italie, 
que  les  titres  gros  ;  les  numéros  fins  proviennent  encore  en  grande  partie  de  l'Angle- 
terre. La  production  en  titres  gros  est  plus  que  suffisante  pour  les  besoins  du  pays. 
Depuis  quinze  ans,  le  nombre  des  broches  a  presque  doublé  en  Italie.  Le  nombre  de 
filatures  travaillant  le  coton  et  le  lin  est  supérieur  à  cent. 

Tissage  du  coton.  —  On  compte  dans  l'Italie  septentrionale  et  dans  l'Italie  cen- 
ti'ale,  environ  ;-J0,000  métiers  qui  se  répartissent  entre  environ  103  établissements 
divisés  comme  suit  : 


(1)  Les  statistiques  italiennes  accusent  un  plus  grand  nombre  de  broches ,  qui  atteindrait,  .«elon  elles, 
à  environ  1,600,000;  le  recensement  officiel,  d'ailleurs,  n'en  est  pas  encore  fait. 


-  62  - 

Province  de  Bergame ,12  établissements. 

Province  de  Novare 8  — 

Province  de  Milan 18  — 

Province  de  Turin 14  - 

En  Toscane 29  — 

(dont  la  majeure  partie  à  Pise  et  à  Pontedera  ; 

ce  sont  presque  tous  de  petits  tissages  avec 

métiers  à  main.) 
Province  d'Udine 9  — 

(d'une  importance  médioci'e). 

Province  de  Brescia 1  — 

Province  de  Gênes 6  — 

(tous  importants,  mais  plus  particulièrement  le 

tissage  de  MM.  Figari  et  Bixio  ,  à  Rivarola , 

avec  environ  1,800  métiers). 
Province  de  Modène  4  — 

(importance  limitée). 
Province  de  Venise 2  — 

Total 103  établissements. 

Le  tissage  du  coton  a  pris  un  développement  très  grand  depuis  dix  ans  ;  on  peut 
dire  que,  dans  cette  période ,  le  nombre  des  métiers  a  presque  doublé.  Une  des 
raisons  de  cette  augmentation  de  la  production,  dérive  de  ce  que  les  tisseurs  suisses, 
qui  ne  pouvaient  plus  lutter  sur  le*  marché  italien  à  cause  des  droits  d'entrée  et  de 
la  main-d'œuvre  à  bas  prix,  sont  venus  s'établir  en  Italie  et  y  ont  fondé  de  nombreux 
tissages. 

En  ce  moment,  il  y  a  une  crise  parmi  les  fabricants  de  tissus  de  coton  ,  crise  que 
l'on  attribue  à  une  production  trop  forte  comparativement  à  la  consommation. 

Une  partie  de  ces  tissages  possèdent  des  forces  hydrauliques  ,  mais  le  plus  grand 
nombre  fonctionnent  par  moteurs  à  vapeur  (1). 

Filature  et  tissage.  —  Laine.  —  En  1876,  on  comptait  en  Italie  : 

Établissements 540 

Force  chevaux-vapeur 1 .088 

—  hydraulique 6. 184 

Broches  actives 284.449 

—  inactives 20.937 

Métiers  mécaniques  actifs 2.364 

—  —         inactifs 207 

—  à  main,  actifs 5.989 

Pas  plus  que  pour  le  coton,  nous  ne  tenons  compte  des  métiers  qui  sont  chez  les 
paysans  et  sur  lesquels  ceux-ci,  parfois,  travaillent  pour  leurs  besoins  personnels. 

Déjà,  il  y  a  quelques  année.^,  l'emploi  de  la  laine  peignée  qui  auparavant  était  de 
peu  d'importance,  arrivait  presque  à  égaler  celle  de  laine  cardée. 


(Ij  Ou  peut  évaluer  qu'il  y  a  dans   toute  l'Italie  :  établissements  tissant  le  coton  et  le  lin,  à  la  façon, 
environ  S40;  tissant  pour  leur  compte,  environ  390. 


—  53  — 


En  1879,  il  est  entré  eu  Italie 


Tissus  de  laine  cardée 

Tissus  de  laine  cardée  avec  chaîne  coton 

Tissus  de  laine  peignée 

Tissus  de  laine  peignée  avec  laine  et  coton  — 
Tissus  de  laine  brodés 


Total. 


quintaux. 

12.085 

7.256 

'.).522 

6.461 

46 

34.370 


En  1879,  il  a  été  exporté  d'Italie  : 

Filés  de  laine  ou  de  poil 

Tissus  de  laine  de  tous    genres  ,  y  compris 

ceux  brodés  

Objets  divers 


Total. 


quintaux. 


4.055 
958 

5.501 


Voici  un  tableau  de  Timportation  étrangère  en  Italie  ,  pendant  les  onze  premiers 
mois  de  1884  et  de  1885  comparés: 


DESIGNATION 


Filés 

Tissus  de  laine  cardée  . . 

Tissus  de  laine  cardée , 
chaîne  coton 

Tissus  de  laine  peignée . . 

Tissus  de  laine  peignée  , 
chaîne  coton 

Autres  tissus  manufactu- 
rés, laine 

Objets  de  laine  cousus  . . 


Totaux 


1884 


Quintaux 


5.561 
18.510 

14.547 
21.833 

7.393 

6.534 
3.136 


75.814 


Valeur 


4.443.600 
16  639.000 

5.695.-910 

26.199.600 

6.653.700 

3.732.020 
6.272.000 


69.635.820 


1885 


Quintaux  Valeur 


7.195 
12.850 

11.720 

21.760 

6.104 

6.891 
3.592 


75.113 


5.811.100 
16.065.600 

6.211.100 
26.112.000 

5.493.600 

5.228.136 

7.186.900 


72.157.430(1] 


(1)  Il  y  a  donc  une  légère  augmentation  comme  il  a  été  établi  ci-dessus,  d'après  les  cliiffres  mêmes 
fournis  par  les  documents  statistiques  italiens. 


En  laine  peignée,  Tltalie  ne  compte  que  quati-e  filatures,  qui  sont  : 

La  Société  de  Borgosesia  ; 
Le  Lanificio  ds  Schio  ; 
De  Albertis,  à  Voltri  ; 
F.  Bertolo,  à  Volti-i. 


-  64  - 

En  laine  cardée ,  on  compte  120  filatures  environ  :  il  n'y  en  a  pas  à  signaler 
comme  de  grande  importance.  En  général ,  les  fabricants  de  tissus  cardés  ont  égale- 
lement  leur  filature.  11  n'e-t  pas  possible  de  produire  une  sérieuse  statistique. 

Le  centre  le  plus  important  d'Italie  comme  fabrication  d'articles  de  laine  se  trouve 
à  Biella  et  environs  (province  de  Novare). 

L'augmentation  continue  de  fabriques  qui  se  montent  tous  les  jours  ,  ne  permet 
pas  de  préciser  la  quantité  d'établissements  qui  se  trouvent  dans  cette  province. 

On  calcule  que  le  Biellèse  (province  de  Novare)  représente  à  peu  près  2/3  (deux 
tiers)  des  filatures  et  tissages  de  laine  de  toute  l'Italie. 

A  Biella  et  environs,  on  compte  plus  de  10-3  fabriques  de  draps  et  autres  tissus  de 
laine,  ayant  leurs  filatures  correspondant  à  environ  7,800  broches.  Ces  différentes 
fabriques  n'ayant  ni  l'emplacement  suffisant ,  ni  la  force  motrice  nécessaire  pour 
augmenter  la  filature  voulue  par  la  consommation  des  métiers ,  sont ,  en  outre  , 
alimentées  par  environ  15  filatures  ayant  7,-500  broches. 

La  quantité  de  métiers  à  la  main  est ,  depuis  quelques  années  ,  en  décroissance  , 
car,  afin  de  soutenir  la  concurrence  étrangère,  il  a  fallu  les  remplacer,  petit  h  petit, 
par  des  métiers  mécaniques  qui  produisent  davantage ,  et  réduisent  le  coût  de  la 
main-d'œuvi'e. 

Les  endroits  oii  plus  spécialement  se  trouvent,  dans  le  Biellèse  ,  les  fabriques  de 
lainages,  sont  : 

Biella  Ville ,  Vallées  de  Mosso  et  de  Strona  Coggiola ,  Sardevala,  Sallone 
Mangranda ,  Cassila. 

Dans  les  auti-es  parties  de  l'Italie,  on  peut  citer  :  Turin  ,  Schio  ,  Bergame,  Prato  , 
Gênes. 

Depuis  1870 ,  l'industrie  de  la  draperie  a  fait  un  grand  pas  en  avant  ;  elle  a  eu  , 
cepeiidant,  dans  cette  période,  des  moments  difficiles  :  les  grandes  grèves  des  années 
1879-1880  ,  et  les  grandes  quantités  de  marchandises  étrangères  laissées  sur  le  mar- 
ché italien  à  des  prix  très  bas,  engagèrent  les  fabricants  de  la  province  de  Fovare  à 
donner  un  très  vif  éjan  à  l'installation  de  métiers  mécaniques  ;  et  c'est  à  la  suite  de 
cette  augmentation  de  matériel  conduit  par  la  force  motrice  ,  qu'il  y  eut  une  grande 
amélioration  dans  l'industrie  de  la  laine.  La  production  des  tissus  de  laine  est  beau- 
coup plus  importante  en  cardé  qu'en  peigné.  Les  deux  sei^^s  établissements  sérieux 
qui  produisent  des  tissus  de  matières  peignées,  sont  :  le  Lanificio  Kossi,  à  Schio.,  et 
la  maison  Eromonesi  et  Varesi,  à  Lodi  ;  dans  bien  des  genres  ,  ces  deux  maisons 
offrent  des  tissus  qui  peuvent  rivaliser  comme  qualité  avec  la  marchandise  de  prove- 
nance française,  ils  ont  de  plus  l'avantage  d'être  meilleur  marché. 

La  production  des  tissus  de  matières  cardées,  est  installée  très  largement  ;  elle 
est  déjà  supérieure  aujourd'hui  à  la  consommation.  Biella  et  les  environs  forment  le 
grand  centre  de  cette  fabrication. 

En  Toscane,  et  spécialement  à  Prato.  on  fabrique  des  di'ap  cardés  ;  ce  sont  des 
marchandises  très  ordinaires ,  mais  d'un  très  bas  prix  ,  et ,  pour  cette  raison  ,  conve- 
nant particulièrement  à  la  consommation  de  la  masse. 

Tenant  compte  de  la  production  à  bas  prix  de  l'Italie  en  tissus  cardés  ,  l'industrie 
française  a  peu  de  chose  à  faire  dans  cette  catégorie  de  fabrication  ;  elle  n'y  trouverait 
pas  un  débouché  sérieux  et  rémunérateur. 

Par  contre,  dans  les  tissus  peignés  ,  nous  avons  encore  un  assez  vaste  champ 
d'expansion,  mais  il  faudrait  que  le  goût  du  pays  fût  étudié  par  nos  fabricants  plus 
sérieusement  que  cela  n'a  été  fait  jusqu'à  présent.  Le  plus  souvent  nos  producteurs 
veulent  imposer  leurs  goûts  et  k-urs  qualités  ;  ils  devraient ,  tout  au  contraire  ,  se 
préoccuper  davantage  de  ce  que  veuc  le  consommateur ,  et ,  par  suite  ,  se  conformer 
aux  besoins  du  pays.   Les  Allemands  n'ont  pas  imposé  quand  même  leur  goût , 


-  65  — 

comme  nous  prétendons  le  faire  ,  sous  prétexte  que  nous  donnons  les  modes  ;  dans 
quelques  nouveautés  spéciales  ,  cela  peut  encore  se  faire  ,  mais  pour  la  grosse  vente 
nous  devrions  travailler  davantage  suivant  les  besoins  du  pays.  Les  Allemands , 
avec  leur  grande  facilité  d'assimilation,  ont  compris  cela  et  très  promptement  ;  se 
conformant  aux  désirs  des  négociants  italiens,  ils  ont  produit,  comme  matières  , 
qualités  ,  coloris  .  les  articles  exigés  par  la  grande  consommation  italienne.  La 
lactique  allemande  est  assurément  celle  qui  convient  dans  le  pays. 

Les  établissements  Rossi .  soit  ceux  de  Schio ,  Pieve,  Torre  et  Piovene ,  ont 
produit  : 

1884  1885 

Pièces 57.571  60.726 

Tissus  ,  mètres 1.674.453      2.455.413 

FUés ,  kilog 459.260         591.900 

Le  produit  des  ventes  de  ces  établissements  a  été  : 

En  1884  ,  de Fr.  16. 188  260.750 

En  1885 ,  de »    17.193  404.100 

Pour  tout  ce  qui  concerne  la  laine,  le  courant  protectionniste  est  très  fort  en 
Italie.  A  ce  propos,  voici  ce  que  disait  à  ses  actionnaires  une  autorité  en  la  matière, 
le  sénateur  A.  Rossi ,  lors  de  la  dernière  assemblée  générale  du  28  février  1886  : 

«  En  raison  de  tout  ce  que  nous  vous  exposons,  votre  Conseil,  en  temps  opportun, 
»  aura  le  devoir  de  faire  observer  au  gouvernement  que  les  très  faibles  droits  dont 
»  sont  frappés  les  articles  de  laine  provenant  de  l'étranger  font  que ,  au  lieu  de 
»  diminuer  l'importation  ,  nous  avons  le  regret ,  tout  au  contraire  ,  de  constater 
»  qu'elle  augmente  chaque  année.  » 

Et  plus  loin  : 

<-<  L'an  prochain  ,  le  31  décembre  ,  le  traité  de  commerce  avec  l'Autriche  -  Hongrie 
»  sera  arrivé  à  échéance ,  et  en  raison  de  la  clause  insérée  dans  le  traité  franco- 
»  italien  ,  celui-là  aussi  deviendrait  révocable  le  1"  janvier  1888.  Nous  avons  lu  qu'il 
»  était  du  désir  de  la  manufacture  de  Borgosesia  (filature  de  laine  peignée)  de  récla- 
»  mer  une  augmentation  de  droits  a  l'entrée  ;  nous  savons  également  que  cette 
»  augmentation  est  réclamée  par  la  situation  de  l'industiie  lainière  du  Biellèse  et 
»  des  auti-es  parties  de  l'Italie.  Nous  joindrons  notre  signature  à  la  relation  spéciale 
»  et  collective  qui  informera  le  gouvernement  de  nos  vœux  ,  de  manière  qu'il  en  soit 
»  tenu  compte  lors  de  la  prochaine  rédaction  des  traités  ,  etc.,  etc.  » 

Chanvre,  jute,  lin.  —  Filature  et  tissage.  On  compte  70  à  80  filatures,  petites 
et  grandes,  et  environ  200  fabriques  de  tissus.  Nous  pouvons  citer  : 

Le  Linifîciote  Canapificio  de  Milan  ,  ayant  25,000  broches  filant  chanvre  jute,  lin, 
possédant  en  outre  un  tissage  mécanique  {200  métiers). 

Trombini  et  C»e  ,  à  Milan  :  lin,  chanvre  et  retors  à  coudre. 

Sessa  G.  F.  et  C'e  ,  à  Milan  :  lin,  chanvre  et  retors  à  coudre. 

Société  de  Montagner,  à  Montagner  [Yénétie)  :  lin,  chanvre  et  retors  à  coudre. 

Société  Vénitienne,  à  Venise  :  fil  à  coudre. 

Arnaud  et  Vigo,  à  Turin  :  filature  de  jute.  (Tissage  à  Voltri.) 

Société  Balestrerie  et  Cie  ,  à  Lucques  :  filature  de  jute  et  tissage. 

Justificio  Pastareni,  à  Terni  :  filature  de  jute  et  tissage. 


-    66  - 

l'rateUi  Prever  ,  à  Giavenne  (Piémont)  :  filature  de  jute  et  tissage 

Canupificio  Ferrarese,  à  Ferrare  :  chanvre  filé  et  cordages. 

La  Parlenopea,  à  Sarlo,  près  Naples  :  lin,  chanvre,  tissage. 

Hennan  et  Buckly,  à  Sarno  :  lin,  chanvre,  tissage. 

Canapicio  Anglo-Italien,  à  Sarno  :  lin,  chanvre,  tissage. 

Società  anonvna  filatura  canapa  (chanvre)  :  Ses  usines  sont  à  Casalanbio  di  Reno, 
le  siège  de  l'administration  à  Bologne.  Établissement  constitué  en  1851  ,  reconstitué 
en  1856  et  qui  n'a  connnencé  à  marcher  sérieui-jement  qu'en  1858.  Capital  versé , 
1 .060.000  francs  ;  peut  être  porté  à  1 .800.000  fr.  Fonds  de  réser-ve,  261,461  fr.  52^ 
En  1881,  on  a  travaillé  14,000  quintaux  de  matière.  En  1883,  environ  mênie 
quantité. 

Cette  nomenclature  est  (ixacte  et  inédite. 


l/iudsi^trie  «le  la  paiile  eis  Italie.  —  Tout  le  monde  sait  que  la  prépa- 
ration de  la  paille  destinée  à  la  fabrication  des  chapeaux,  constitue  ,  en  Italie  ,  une 
industrie  spéciale  d'une  grande  importance.  M.  Golnaghi,  consul  général  à  Florence, 
vient  de  faire  un  rapport  à  ce  sujet.  M.  Golnaghi  établit  que  l'industrie  de  la  paille 
existait  déjà  au  seizième  siècle  dans  les  environs  de  Florence.  De  là,  elle  s'est 
répandue  d'abord  dans  les  autres  parties  de  la  Toscane ,  puis  dans  toute  l'Italie. 
Toutefois,  elle  paraît  n'avoir  acquis  une  grande  importance  qu'au  commencement  du 
dix-huitième  siècle  ,  époque  à  laquelle  Domenico  Mïchelacci  introduisit  ou  perfec- 
tionna la  culture  du  blé  de  printemps,  en  vue  d'obtenir  une  paiile  longue  et  fine.  La 
paille  étant  ici  l'objet  principal  do  la  récolte  ,  le  grain  n'étant  plus  que  l'accessoire  , 
on  comprend  que  l'on  doit  adopter  un  système  de  culture  tout  différent  du  système 
ordinaire.  Ainsi ,  on  doit  semer  très  serré  ,  etc.  Au  moment  de  la  récolte  ,  on  réunit 
les  tiges  en  poignées  ,  dont  chacune  peut  être  facilement  tenue  dans  la  main.  Un 
hectare  donne  10,000  à  20,000  de  ces  poignées.  On  opère  un  premier  blanchiment  en 
étendant  les  poignées  en  éventail  sur  le  sol  et  les  laissant  exposées  à  l'air  pendant 
quatre  ou  cinq  jours  consécutifs,  après  quoi  on  les  retourne  et  on  les  laisse  encore 
sur  le  sol  pendant  trois  ou  quatre  jours.  En  cas  de  pluie  ,  la  paiile  doit  être  rassem- 
blée et  recouverte.  Une  fois  transportée  à  la  fabri(iue,  la  paille  commence  par  subir 
un  second  blanchiment.  Cette  opération  consiste  à  l'huiiiecter  légèrement  et  à  l'expo- 
ser à  la  fumée  du  soufre  dans  une  chambre  close.  Il  s'agit  alors  de  faire  le  triage 
suivant  le  degré  de  finesse.  On  se  sert  pour  cela  d'un  appareil  composé  d'une  série 
d'entonnoirs  tronconiques  combinés  avec  des  plaques  de  cuivre  perforées  mobiles. 
Ces  plaques  sont  percées  de  trous  de  plus  en  plus  gros  ;  généralement  elles  sont 
numérotées  deO  à  13,  mais  quelquefois  de  0  à  20.  On  prend  une  poignée  de  paille  et 
on  la  met  dans  le  premier  entonnoir  ,  celui  dont  la  jilaque  a  les  trous  les  plus  fins. 
Les  pailles  les  plus  fines  traversent  la  plaque  et  restent  suspendues  par  les  épis.  On 
enlève  le  reste  de  la  poignée  ,  que  l'on  place  dans  le  second  entonnoir  ,  et  ainsi  de 
suite  jusqu'au  dernier.  Le  triage  étant  achevé  ,  on  coupe  les  épis,  ce  qui  se  fait  à 
l'aide  d'une  machine  spéciale.  On  assortit  alors  les  pailles  de  même  finesse  suivant 
la  longueur.  Il  y  a  ordinairement  cinq  ou  six  longueurs  pour  les  numéros  les  plus 
fins.  Après  toutes  ces  opérations,  la  paille  est  prête  à  être  tressée. 

fl/éuiail  eu  Alleuiag;ikC.  —  On  écrit  de  Berlin  k  X Agence  libre  : 
>'  Berlin  a  un  infatigable  esprit  de  concurrence  contre  Paris.  La  capitale  de  l'Alle- 
magne veut  d'abord  égaler  ,  ensuite  surpasser  la  capitale  de  la  France  ,  même  dans 
les  œuvres  oii  Paris  est  le  plus  inimitable. 


67 


»  L'industrie  de  l'émail ,  qui  était  le  monopole  de  Paris  et  de  Limoges ,  est  loljjet 
(l'une  émulation  qui  ne  se  las.'^e  pas  à  Berlin.  La  princessi;  impériale  s'on  occupe 
spécialement.  On  a  fait  venir  du  Japon  des  ouvriers  spéciaux  pour  joindre  h  l'email 
français  l'émail  japonais,  et  ainsi  l'emporter  du  coup. 

>•>  Ce  qui  a  été  créé  jusqu'à  ce  jour  est  certainement  remarquable  ;  mais  on  a  la 
douleur  de  continuer  à  domandcr  les  belles  couleurs  à  ce  Paris  si  envié  et  .si 
détesté.  » 

MM.  les  industriels  do  Limoges  se  préoccupent- ils  suffisamment  de  cet  état  de 
choses  ? 


l/iii«iiiijKratioii  étraii^çcrc  cm  Angleterre.—  Le  Board ofTrade 

vient  de  publier  à  ce  sujet  dos  documents  officiels  dont  nous  extrayons  les  rensei- 
gnements ci-après  : 

Voici  d'abord,  pour  une  période  de  dix  années,  de  1871  à  1881,  les  chiffres  relatifs 
au  nombre  des  étrangers  résidant  dans  le  Royaume-Uni. 

La  progression  croissante  relevée  pour  cette  première  période ,  n'a  fait  que 
s'accentuer  depuis.  Le  rapport  le  constate  et  donne ,  à  ce  propos ,  les  détails 
suivants  : 


Elnipire  d'Allemagne    

F'rance 

1881 

1871 

Aufiiiicntîition 
en  1881 

4U..371 
19.618 
15.272 
20.014 

35.141 

16.194 

9.974 

9.467 

5.2:^0 

3.424 

5.207 

10.547 

Russie 

Etats  -  L'nis 

Pays  divers 

91.850 
43.790 

74.200 
39.779 

17.650 
4.011 

Totaux  

135.640 

113.979 

21.661 

Dans  l'industrie  du  vêtement,  l'influence  de  l'élément  étranger  est  absolument 
dominante,  à  l'exclusion  presque  de  l'élément  national.  Il  en  est  de  même  dans  celle 
de  la  meimiserie  qui ,  sur  un  total  de  23,000  ouvriers  ,  en  compte  4,000  étrangers  , 
principalement  allemands  ,  avec  des  rus.ses  et  des  juifs  polonais.  Enfin  .  au  sujet  de 
la  boulangerie,  le  rapporteur  s'exprime  ainsi  : 

«  Les  ouvriers  attachés  à  l'industrie  de  la  boulangerie  déclarent  que,  depuis  nombre 
d'années,  l'influence  des  boulangers  allemands  dans  Londres  a  été  si  prépondérante, 
que  les  Anglais  sont  graduellement  forcés  de  renoncer  à  ce  genre  d'industrie.  Une 
autorité  des  mieux  renseignées  dans  l'espèce  ,  affirme  que  ,  durant  les  dix  dernières 
années,  la  proportion  des  boulangers  allemands  s'est  accrue  de  100  ""<,  à  Londres. 
Il  prétend  que  sur  4,000  maîtres  boulangers  établis  dans  cette  ville  ,  2,U00  sont  alb- 
mands.  Partout  oii  une  affaire  de  ce  genre  se  trouve  disponible  ,  il  y  a  chance  pour 
qu'elle  soit  accaparée  par  un  Allemand.   Les  maîtres  boulangers  allemands  n'em- 


ploient  pas  exclusivement  des  ouvriers  de  leur  pays  ,  mais  les  exceptions  sont  bien 
rares.  L'ouvrier  allemand,  surtout  dès  son  arrivée  à  Londres,  s'utilise  à  meilleur 
mai'ché  que  l'ouvrier  anglais  ,  ce  qui  tend  de  plus  en  plus  à  mettre  entre  des  mains 
allemandes  l'industrie  de  la  boulangerie  londonnienne.  » 


ASIE. 

ï>.es  chemins  de  fer  du  Japon.  —  L'industrie  allemande  a   obtenu 

récemment  un  certain  nombre  de  commandes  de  rails  et  de  matériel  roulant  pour 
les  chemins  de  fer  du  Japon  et ,  à  ce  sujet,  le  Bautechniher  publie  les  renseigne- 
ments suivants  :  Le  Japon  possède  actuellement  227  milles  de  lignes  du  gouverne- 
ment et  120  milles  de  lignes  appartenant  à  des  C(jmpagiiies  privées,  soit  un  total  de 
347  milles  en  exploitation.  Le  gouvernement  a,  de  plus,  68  milles,  et  les  Compagnies 
42  milles,  soit  110  milles  au  total,  en  cours  d'achèvement.  Une  longueur  de  246  milles 
a  en  outre  été  tracée,  dont  91  seront  consti-uits  par  le  gouvernement  et  155  par  l'en- 
treprise privée  ;  456  milles  de  chemins  de  fer  sont  encore  à  l'état  de  projet,  dont  la 
majeure  partie,  c'est-à-dire  336  milles,  seront  des  lignes  privées. 

Sur  la  la  ligne  de  Tokio-Nagasaki,  appartenant  à  une  Compagnie  privée.  47  milles 
ont  été  ouverts  en  1885 ,  et  le  projet  de  ligne  entre  les  deux  capitales  du  Japon, 
Tokio  et  Kioto,  sera  bien  achevé.  A  l'est  de  Kioto,  on  fait  de  grands  progrès  dans  la 
construction  des  chemins  de  fer,  et  les  chiffres  qui  précèdent  font  voir  que  le  Japon 
possède  un  total  de  1139  milles  de  voies  fen'ées  achevées,  en  cours  d'exécution  ou  à 
l'état  de  projet. 

dieintns  de  fei*  en  Perse.  —  Un  syndicat  composé  en  partie  de  Belges, 
a  obtenu  réceumient  du  Gouvernement  persan, à  la  suite  de  négociations  laborieu.ses, 
qui  ont  duré  plus  d'un  an,  la  concession  pour  la  construction  du  premier  chemin  de 
fer  persan.  La  première  ligne  partira  de  la  capitale  Téhéran,  et  aboutira  à  Shah- 
Abdul-Azim  ,  ville  de  90,000  habitants ,  célèbre  lieu  de  pèlerinage.  La  concession 
accordée  à  cette  Société  belge  a  une  importance  beaucoup  plus  considérable  que 
celle  de  la  simple  construction  d'une  ligne  de  chemin  de  fer,  car  cette  Société  a 
également  le  droit  exclusif  de  construire  et  d'exploiter  une  longue  ligne  reliant  la 
mer  Caspienne  au  golfe  Persique.  Cette  Société  a  pris  le  nom  de  Société  anonyme 
belge  des  chemins  de  fer  persan,  avec  son  siège  à  Bruxelles. 

lia  houille  du  Toul^in.  —  Le  steamer  Cachar ,  qui  vient  de  rentrer  à 
Toulon,  importa' ,  pour  la  première  fois  en  France,  vingt  tonnes  d'une  substance 
d'origine  nouvelle,  dite  »  houille  du  Tonkin  ». 

C'est  une  matière  sèche  ,  friable  ,  très  chargée  de  soufre,  qui  représente  les  gise- 
ments de  puits  différents,  mais  dont  les  échantillons  sont  de  même  nature.  Les  puits 
sont  situés  dans  la  baie  d'Along,  k  proximité  de  la  mer. 

On  va  essayer  ce  nouveau  combustible  dans  l'arsenal  maritime  de  Toulon .  et 
rechercher  les  moyens  de  Tutiliser;  il  sera  tout  d'abord  employé  à  la  fabrication 
d'agglomérés. 

■la  production  du  l§>agou.  —  Le  palmier  sagou  {metroxilon  Sagus)  four- 
nit aux  indigènes  de  l'archipel  malais  la  nourriture  farinacée  que  les  autres  peuples 
d'Orient  trouvent  dans  le  riz,  les  céréales  en  général  et  les  racines  farineuses 


—  m  - 

Marco  Polo  écrivait  en  1275  :  «  Et  je  vais  vous  conter  une  autre  merveille  :  ils  ont 
une  espèce  d'arbre  qui  produit  de  la  farine,  et  cette  farine  est  un  aliment  excellent  ; 
cet  arbre  est  long  et  élancé  ;  il  a  une  écorce  très  mince  ,  et  cette  écorce  est  remplie 
de  farine.  » 

Frère  Odoricus,  des  Minorités,  qui  visita  l'Archipel  en  1518 ,  décrit  ainsi  la  prépa- 
ration du  sagou  alimentaire  :  «  On  coupe  ce  gros  arbre  à  ras  du  sol  :  il  on  sort  une 
liqueur  semblable  a  de  la  gomme,  que  l'on  met  dans  des  sacs  en  feuillage  exposés 
au  soleil  pendant  quinze  jours  ;  on  plonge  le  résidu  dans  de  l'eau  de  mer ,  puis  dans 
de  l'eau  douce ,  et  l'on  a  alors  une  pâte  savoureuse  dont  on  fait  du  pain.  »  De  nos 
jours,  cette  manutention  primitive  a  fait  place  à  une  préparation  mieux  entendue. 

Le  sagou  est,  après  le  nipa  ,  le  plus  petit  spécimen  de  l'espèce  des  palmiers;  sa 
hauteur  dépasse  rai-ement  HO  pieds  ;  par  contre,  c'est  le  plus  large  de  l'espèce  après 
le  Gomuti  {Arcnc/a  sacrharifera) ,  et  il  est  difficile  d'entourer  des  deux  bras  le  tronc 
d'un  sujet  adulte. 

Dans  son  jeune  âge,  avant  la  formation  du  tronc,  il  présente  l'aspcci  d'un  bouquet 
de  jeunes  pousses.  .Jusqu'au  moment  oii  la  tige  atteint  5  ou  6  pieds  de  hauteur  ,  elle 
est  recouverte  d'épines  aiguës  qui  la  protègent  contre  les  attaques  du  bétail  et  des 
porcs  sauvages  ;  ces  épines  tombent  dès  que  la  maturité  du  bois  les  a  rendues 
inutiles  ,  grâce  à  une  dureté  naissante.  De  cette  époque  ,  jusqu'à  son  complet  déve- 
loppement ,  sa  tige  se  compose  d'une  mince  et  dure  paroi  d'environ  2  pouces 
d'épaisseur  ;  renfermant  un  fort  volume  de  matière  spongieuse  et  médullaire  :  c'est 
la  farine  dont  les  indigènes  de  l'Archipel  font  leur  pain  ;  puis  ,  au  fur  et  à  mesure 
de  la  formation  du  fruit ,  cette  substance  fai'ineuse  disparaît ,  et  lorsque  l'arbre  a 
atteint  son  plein  développement,  le  tronc  n'est  plus  qu'une  écorce  vide. 

Le  sagou  ne  vit  que  trente  ans  ;  il  aime  les  terrains  bas  et  marécageux  ;  Rumphius 
dit  «  qu'il  lui  faut  des  bas-fonds  humides  oii  l'on  enfonce  dans  la  vase  jusqu'aux 
genoux  ;  il  croît  aussi  dans  des  sols  de  gravier,  à  la  condition  qu'Us  soient  saturés 
d'eau  ». 

On  distingue  quatre  variétés  de  sagou  :  le  sagou  de  culture ,  épineux  sur  le  tronc 
et  les  feuilles  ;  le  sagou  sauvage  ,  l'espèce  à  longues  épines  {Sagus  lœvis) ,  générale- 
ment connue  des  indigènes  sous  le  nom  de  sagou  femelle.  La  première  et  la  dernière 
de  ces  variétés  sont  celles  qui  donnent  la  meilleure  farine  ;  l'espèce  sauvage  a  une 
moelle  dure  dont  la  préparation  est  difficile  ;  quant  à  la  variété  dépourvue  d'épines, 
vu  les  dimensions  relativement  restreintes  de  son  tronc,  elle  contient  peu  de  matière 
médullaire. 

Le  sagou  ,  comme  tous  les  i)almiers  ,  se  reproduit  par  son  fruit ,  dont  la  forme  et 
le  fruit  sont  essentiellement  variables  ;  .sa  dimension  moyenne  est  celle  d'un  œuf  de 
pigeon.  Ce  fruit  fournit  dans  les  îles  Amboyna  une  abondante  nourriture  aux  indi- 
gènes. Quanta  la  farine,  elle  se  consomme  soit  en  potage,  soit  sous  forme  de 
biscuits  passés  au  four  et  faciles  à  conserver,  dont  les  Malais  se  nourrissent  au  cours 
des  voyages  qu'ils  font  à  Singapore  pour  y  apporter  le  sagou  brut ,  qui  s'y  prépare 
pour  être  réexporté  en  Europe. 

Le  palmier  sagou  est  répandu  dans  toute  la  Malaisie,  depuis  la  côte  occidentale  de 
Sumatra  jusqu'à  la  Nouvelle-Guinée.  Il  se  développe  normalement  entre  10"  de  lati- 
tude nord  et  10°  sud  ;  cependant  on  ne  le  trouve  en  forêts  que  dans  la  Nouvelle- 
Guinée,  les  Moluques,  les  Célèbes  ,  Mindanao  ,  Bornéo  et  Sumatra.  Originaire  de  la 
partie  de  l'Archipel  oii  la  mousson  d'est ,  se  faisant  sentir  avec  violence  ,  est  accom- 
pagnée de  pluies  torrentielles,  il  se  reproduit  avec  la  plus  grande  fécondité  dans  les 
îles  qui  donnent  le  clou  de  girofle  et  la  noix  muscade. 

De  tous  les  sujets  du  règne  végétal  qui  fournissent  à  l'homme  une  alimentation 
farinacée,  c'est  certainement  le  plus  productif  et  le  plus  facile  à  exploiter.  Sa  pro- 

5* 


-  70  - 

duction  est  réellement  prodigieuse  ;  il  n'est  pas  rare  qu'un  arbre  donne  4  ou  500 
livres  de  matière  nutritive  brute.  En  tenant  compte  des  maladies  ou  des  accidents 
qui  peuvent  atteindre  le  palmier  sagou,  on  peut  estimer,  en  moyenne,  son  produit  à 
300  livres  (136  kilogrammes).  Sur  certains  points  ,  il  serait  bien  supérieur  ;  d'après 
Rumphius  ,  il  atteindrait  800  livres  (362  kilogrammes)  ,  dans  les  Moluques  ,  et  un 
journal  de  Singapore  affirme  qu'à  Sumatra  il  va  jusqu'à  950  livres  (430  kilogrammes) 
au  maximum,  sans  descendre  au-dessous  de  475  livres  dans  les  cas  les  moins  favo- 
rables. En  prenant  pour  moyenne  700  livres  à  Sumatra,  où  les  arbres  sont  à  10  pieds 
de  distance  les  uns  des  autres  ,  d'après  Forest  et  Gi'a\vfurd  ,  on  arrive  au  chiffre  de 
300,000  livres  de  production  par  acre  (136,000  kilogrammes)  ;  les  palmiers  se  renou- 
velant tous  les  quinze  ans,  la  production  annuelle  est  de  20,000  livres  ,  soit  de  9,000 
kilogrammes  par  acre.  Quand  les  sagous  d'une  plantation  sont  devenus  adultes  ,  la 
récolte  devient  permanente,  le  mode  de  croissance  assurant  une  succession  constante 
de  nouveaux  plants  depuis  le  moment  où  les  premiers  ont  commencé  à  étendre  leurs 
racines,  et  l'ordre  de  cette  succession  peut  être  réglé  au  couteau  au  gré  du  planteur. 

Il  n'y  a  pas  de  saison  particulièrement  favorable  à  l'extraction  de  la  moelle  ;  il 
faut  se  borner  à  attendre  que  l'arbre  soit  suffisamment  développé  ;  l'époque  de  la 
maturité  dépend  de  la  nature  du  sol  dans  lequel  le  palmier  est  planté.  On  compte  en 
naoyenne,  quinze  ans  pour  l'entière  croissance  d'un  arbre  ;  mais  ce  n'est  point  à  son 
âge  que  l'on  reconnaît  s'il  peut  être  abattu  ,  c'est  à  son  apparence  extérieure.  Les 
habitants  des  Moluques  distinguent  six  degrés  dans  la  maturité  de  la  substance 
médullaire  :  le  premier  est  marqué  par  une  sorte  d'efflorescence  poudreuse  sur  les 
branches,  et  le  dernier  par  le  commencement  de  la  fructification.  La  moelle  peut  être 
extraite  à  chacun  de  ces  degrés  ;  pour  cela  ,  on  coupe  l'arbre  près  de  la  racine,  et  on 
dépèce  le  tronc  en  morceaux  de  6  ou  7  pieds  que  l'on  fend  en  deux  dans  le  sens  de 
la  longueur  ;  puis  on  enlève  la  substance  spongieuse  et  on  la  réduit  en  poudre  avec 
un  pilon  de  bois. 

Pour  séparer  la  farine  des  filaments  qui  l'accompagnent ,  on  jette  le  tout  dans  de 
l'eau  douce  ;  le  mélange  est  passé  à  travers  un  tamis  et  va  se  reposer  dans  un  réci- 
pient au  fond  duquel  se  dépose  la  farine.  La  matière  ainsi  obtenue  est  le  sagou  brut 
qui  peut  se  conserver  pendant  un  mois  environ  :  c'est  cette  matière  que  l'on  prépare 
à  Singapore  pour  la  réexportation. 

Dans  l'Hindoustan  ,  le  palmier  sagou  sert  à  l'ornementation  des  jardins.  Vu  sa 
fécondité  et  la  facilité  avec  laquelle  il  se  reproduit  sans  soins  spéciaux ,  il  devrait 
rendre  aux  Hindous  les  mêmes  services  qu'aux  Malais,  et  l'industrie  s'en  emparerait 
avec  succès. 

A  Bornéo,  on  le  trouve  le  long  de  la  côte  du  nord-ouest,  à  Kaluka,  Oya,  Muka  et 
Bentulu  ;  il  y  est  cultivé  par  la  population  mellanue  et  donne  un  rendement  considé- 
rable ;  entre  Rijang  et  Bentulu  ,  cette  culture  est  susceptible  d'un  grand  développe- 
ment. A  Sai  awak ,  il  y  a  plusieurs  fabriques  chinoises  pour  la  manufacture  du 
sagou  ;  Muka  .  tout  en  alimentant  cette  localité  .  exporte  aussi  le  produit  brut  à 
Singapore.  A  Labouan ,  depuis  que  le  sultan  de  Bornéo  a  levé  certaines  mesui-es 
restrictives  qui  paralysaient  le  transport  du  sagou  par  les  rivières,  le  commerce  s'en 
occupe  activement ,  et  l'île  pourra  devenir  un  centre  important  de  préparation  pour 
l'exportation  directe. 

Dans  les  Célèbes,  tous  les  habitants  se  nourrissent  de  ce  produit,  qui  s'y  trouve 
en  abondance.  11  y  croît  dans  les  vallées  humides.  Il  y  avait ,  en  1874 ,  dans  les 
districts  de  Tonsawang  et  de  Ménado  3.53,600  palmiers  donnant  2,500  piculs  (156,250 
kilogrammes)  de  sagou  ;  Billiton  en  comptait  20,600  :  Riouvv  produisait  environ 
58,000  piculs  (362,500  kilogrammes). 


-  71  - 

Singapore  est  actuellement  le  centre  de  la  fabrication  du  sagou  et  son  principal 
marché. 

Ce  produit  y  arrive  à  l'état  brut  de  tous  les  points  de  la  Malaisie,  et  notamment 
de  la  côte  nord-ouest  de  Bornéo  ,  de  la  côte  nord-est  de  Sumatra  ,  ainsi  que  des  îles 
adjacentes,  .de  Siak  à  Indragari.  Près  de  25,0fX)  tonnes  en  sont  annuellement  re(;ue8 
et  manufacturées  ici  par  des  industriels  chinois  sous  forme  de  farine  (flour)  ou  de 
sagou  perlé  {pearl  sagou). 

La  fabrication  du  sagou  perlé  est  assez  simple.  On  lave  la  matière  brute  sur  des 
plans  inclinés  d'oii  elle  tombe  <lans  des  cuves  à  travers  une  étoffe  fine  qui  la  tamise: 
après  avoir  été  agitée  dans  les  cuves  pendant  une  heure,  elle  s'y  repose  pendant  une 
demi-journée  ,  et  donne  un  dépôt  qui  deviendra  le  produit  de  consommation.  A  cet 
effet ,  il  est  de  nouveau  lavé  à  grande  eau  dans  des  conduits  en  bois  garnis  d'obs- 
tacles sous  forme  d'écluses,  contre  lesquels  la  partie  à  conserver,  plus  dense  que  les 
matières  sans  valeur  ,  s'arrête  et  se  consolide  ensuite  aux  rayons  du  soleil.  Brisé  . 
après  cela  ,  et  passé  au  crible,  le  sagou  ainsi  obtenu  est  prêt  à  être  petie.  Il  reçoit . 
dans  ce  but ,  un  mouvement  de  vibration  horizontale  et  rotatoire  sur  une  toile  à 
bords  relevés,  puis  il  est  de  nouveau  criblé.  On  le  chauffe  alors  sur  des  bassines  de 
fer  exposées  à  flannne  de  fourneaux  ardents ,  en  ayant  soin  de  l'y  agiter  constam- 
ment avec  des  spatules  de  bois.  Lorsqu'il  a  acquis  une  certaine  consistance  ,  il  est 
criblé  pour  la  troisième  fois  ;  il  se  présente  alors  sous  l'aspect  de  grains  de  grandeur 
égale  à  celle  d'avant  la  cuisson  ,  mais  d'apparence  glacée  ou  semi  -  transpau"ente  et 
d'une  plus  grande  dureté.  Une  deuxième  opération  en  tout  semblable  à  celle  -  ci  lui 
donne  enfin  la  consistance  voulue  et  réduit  le  grain  aux  proportions  désirées.  Le 
sagou  est  alors  prêt  à  être  exporté. 

De  1862  à  1875 ,  les  exportations  de  sagou  de  Singapore  en  Angleterre  ont  suivi 
une  progi'ession  importante  : 

1862 165,635  cwts. 

1863 123,870 

1864 •. 111,423 

1865 106,409 

1866 151,788 

1867 142,844 

1868 241,860 

1869 268,978 

1870 268,666 

1871 227,766 

1872 288,862 

1873 279,766 

1874 300,29^» 

1875 350,064 

A  partir  de  1875,  l'exportation  se  fait  sur  un  grand  nombre  de  points  et  se 
développe  annuellement  : 


72 


ANNÉES. 

UNITÉS, 

EXPORTATIONS 

[ 

1 

EN 
EUROPE. 

1 

EN           !           EN 
AMÉRIQUE.      AUSTR.\LIE. 

EN  ASIE 

et 

EN  MAXAISIE 

1876 

1877 

G\vts. 
Idem. 

Piculs. 

Idem. 
Idem. 
Idem. 
Idem. 

.316.500 
^4.993 
308.685 
16.702 
260.028 
264.995 
326.039 
293.760 

! 

14.581           4.126 
20.185           8.647 

13.501           6.896 

26.311    1       5.558 

9.590    1       7.188 

14.227           4.181 

11.784           5.517 

1 

24  917 

66.766 

37.288 

40.222 
43.224 
30.048 
29.117 

1878 

1879 

1880 

1881 

1882 

Enfin,  en  1883,  Fimportation  du  sagou  brut  et  l'exportation  du  sagou  manufacturé 
atteignent  des  proportions  considérables. 


■jC  pétrole  du  Caucase.  —  Le  Scottish geographical  Magazine  analyse  une 
récente  brochure  de  M.  Charles  Marvin,  intitulée  :  «  L'invasion  prochaine  du  pétrole 
russe  et  son  influence  sur  le  marché  anglais.  »  Cette  brochure  mérite  l'attention , 
malgré  ses  tendances  un  peu  exagérées.  Comme  on  le  sait ,  d'énormes  quantités  de 
pétrole  ont  été  découvertes  aux  deux  côtés  du  Caucase  ,  tant  vers  la  mer  Caspienne 
que  ver  la  mer  Noire.  A  Baku,  sur  la  côte  ouest  de  la  mer  Caspienne ,  un  seul  puits 
lance,  d'une  ouverture  de  dix  pouces  ,  11,000  tonnes  de  pétrole  par  jour,  c'est-k-dire 
plus  que  tous  les  autres  puits  du  monde  ensemble. 

Et  ce  n'est  là  qu'un  puits  parmi  cent ,  et  rien  ne  fait  .supposer  qu'ils  s'épuiseront. 
Ce  pétrole  de  Baku,  au  dire  de  M.  Redwood  ,  chimiste  de  la  Société  de  pétrole 
de  Londres ,  est ,  sous  certains  rapports ,  supérieur  aux  meilleures  huilos  améri- 
cair-es.  Ce  qui  manque  ,  c'est  uniquement  un  moyen  de  transport  économique  de 
la  mer  Caspienne  à  la  mer  Noire.  On  a  proposé  à  cet  effet  de  construire  un  tuyau 
de  600  milles,  do  Baku  à  un  point  de  la  mer  Noire.  Ce  tuyau  coûterait  50  millions  de 
francs  ;  et ,  ainsi  que  le  fait  remarquer  M.  Marvin  ,  les  projets  de  construction  de 
l'ouvrage  principal  et  des  différents  accessoires,  sont  certes  dignes  de  l'attention  des 
capitalistes  européens. 

En  outre,  il  y  a  d'énormes  champs  de  pétrole  à  Ilski,  dans  le  voisinage  de  Novo- 
Rassisk  ,  sur  la  mer  Noire  ;  une  ligne  de  tuyaux  de  47  milles  relie  déjà  ces  deux 
points. 

Le  Chamber  of  Commerce  Journal,  de  Londres  ,  publie  un  rapport  des  plus  inté- 
ressants du  colonel  C.  E.  Stewart  sur  la  matière ,  et  nous  conseillons  à  toute 
personne  que  la  chose  intéresse ,  de  lire  à  la  fois  ce  rapport  et  la  brochure  de 
M.  Marvin.  Une  question  de  la  plus  haute  importance  est  celle  du  chauffage  parle 
pétrole  des  chaudières  à  vapeur  dans  les  navires  et  les  locomotives. 

Voici,  à  ce  sujet,  un  extrait  du  rapport  du  colonel  Stewart  :  «  Les  Russes  nomment 
aslatki  le  résidu  du  pétrole,  après  que  la  benzine,  la  gazoline  et  l'huile-soleil  en  ont 


—  73  — 

été  extraites.  Getastatki  a  dès  lors  perdu  ses  éléments  volatiles  et  n'offre  plus  aucun 
danger  :  il  peut  facilement  servir  pour  les  bateaux  à  vapeur  et  a,  sur  le  charbon,  de 
nombreux  avantages.  Non  seulement  Pastatki  o.^t  plus  propre  que  le  charbon,  il  pent 
encore  plus  facilement  être  chargé  à  bord  du  vaisseau  et  occupe  beaucoup  moins  de 
place.  Il  peut  même  être  chargé  dans  des  parties  impropres  à  recevoir  le  charbon  , 
ainsi  entre  les  deux  ponts  du  navire.  11  ne  reste  ni  cendres,  ni  scories,  la  combustion 
est  complète.  L'emploi  de  l'astatki  dispense  du  nombre  considérable  di'  chauffeurs 
et  de  machinistes  que  nécessitent  ordinairement  le  nettoyage  des  machines  et  le 
règlement  de  la  vapeur.  Un  vaisseau  peut ,  au  moyen  d'un  tuyau  ,  prendre  à  bord 
100  tonnes  d'astatki  par  heure.  Plus  de  200  bateaux  à  vapeur  brûlent  l'astatki ,  tant 
sur  la  mer  Caspienne  que  sur  le  Volga  et  la  mer  Noire  .  l'usage  de  ce  produit  est 
également  introduit  sur  trois  lignes  de  chemin  de  fer:  celle  de  Laert-zin-Griazi;  celle 
ilu  Caucase  de  Baku  à  Batoum  ;  la  lii^ne  Trans-Caspiitnnc'  de  Michaelofsk  à  Merw. 
Les  fourneaux  d'astatki  ne  fument  pas  et  exigent  peu  de  surveillance.  » 


AFRIOUE. 


Ce  Cf  u'ont  coûté  mos  colonies  d'Afrique.  —  A  la  dernière  séance  de 
la  Société  de  géographie  conmierciale,  M.  Louis  Vignon,  consul  de  France  ,  ancien 
chef  de  cabinet  du  ministre  du  commerce  ,  a  fait  une  communication  sur  cette  très 
intéressante  question  :  «  Ce  que  l'Algérie  et  la  Tunisie  ont  coûté  à  la  France.  » 

La  France  a  dépensé  en  Algérie  ,  de  1830  à  la  fin  de  J886  ,  la  somme  énorme  de 
4  milliards  765  millions.  Les  recettes  faites  dans  noti'e  colonie  pendant  cette  période 
s'étant  élevées  à  1  milliard  165  millions,  les  dépenses  réelles,  non  reinboursées,  ont 
été  de  3  milliards  600  millions. 

Dans  cette  somme,  les  dépenses  du  ministère  de  la  guerre  —  frais  de  conquête  et 
d'occupation  —  ont  été  de  3  milliard-^  .300  millions.  Ainsi ,  «  les  dépenses  civiles  »  , 
pour  administration  ,  colonisation  ,  travaux  publics  ,  etc.  ,  demeurent  au  chiffre  de 
300  millions. 

C'est  là  un  très  gros  chiffre  ;  encore  faut-il  ajouter  que  l'Algérie  nous  coûte  encore 
tous  les  ans  75  millions,  soit  20  millions  de  dépenses  «  civiles  extraordinaires  »  pour 
garantie  d'intérêts  aux  chemins  de  fer  et  annuité  à  la  Société  générale  algérienne,  et 
55  millions  pour  l'enti-etien  du  19"  corps  d'armée. 

En  regard  de  ces  énormes  dépenses,  M.  Louis  Vignon  met  les  faibles  sacrifices 
faits  par  la  Grande-Bretagne  en  Nouvelle-Zélande. 

De  1849  à  1873,  date  des  derniers  sub.-ides  à  sa  c/)lonie  ,  l'Angleterre  n'a  dépensé 
que  168  millions  de  francs,  sur  lesquels  seulement  5  millions  de  «  dépenses  civiles  ». 

Pour  subvenir  à  ses  grosses  dépenses  de  travaux  publics  ,  la  Nouvelle-Zélande  , 
au  lieu  d'avoir  recours  comme  l'Algérie  au  Trésor  métropolitain,  a  fait  des  emprunts 
sur  le  marché  de  Londres. 

M.  Vignon  résume  donc  la  situation  ainsi  : 

L'Algérie  a  coûté  à  la  métropole  trois  cents  raillions  de  «  dépenses  civiles  »  et  lui 
coûte  encore  vingt  millions  de  «  dépenses  civiles  extraordinaii'es  »  par  an. 

La  Nouvelle-Zélande  n'a  coûté  à  l'Angleterre  que  cinq  millions  de  «  dépenses 
civiles  »  et  lui  rapporte  par  an  indirectement ,  quarante  millions  pour  intérêt  et 
amortissement  des  sommes  empruntées  aux  rentiers  anglais. 

De  1881  à  1886,  la  France  a  dépensé  165  millions  en  Tunisie  ,  dont  142  millions  de 


—  74  — 

frais  de  conquête  et  d'occupation.  —  Le  budget  tunisien  paye  toutes  les  dépenses  de 
la  Tunisie,  celles  du  corps  d'occupation  exceptées. 

Cette  très  intéressante  communication  de  M.  Louis  Vignon  ,  fort  applaudie  ,  a  eu 
un  grand  succès. 


Commerce  avec  le  Gabon.  —  Le  correspondant  de  la  Société  de 
géographie  de  Lille  au  Gabon.  M.  Froment,  nous  adresse  les  renseignements 
suivants,  utiles  pour  ceux  de  nos  concitoyens  qui  voudraient  engager  des  affaires 
avec  ce  pays  : 

«  Libreville  (Gabon),  5  niai  1887. 

»  Voici  d'abord  le  tarifs  des  douanes  pour  les  principaux  objets  d'importation 
dans  la  colonie  du  Gabon-Congo  : 

Alcool  à  50"  et  au-dessus 

»     de  25°  à  50" 

Eau-de-vie  de  moins  de  25" 

Armes  de  traite  non  rayées 

Poudre  de  traite 

Poteries,  porcelaines  et  faïences les  100  kil 

Verres  et  cristaux  (y  compris  les  glaces  et  miroirs) . . 

Lard  et  porc  salé 

Jambon  et  langues  fumées 

Saucissons 

Autres  conserves  de  toutes  sortes 

Beurre  salé  ou  de  conserve 

Fromages  

Lait  condensé  non  sucré 

Poissons  marines  ou  conservés 

Céréales,  grains,  légumes,  farines 

Pommes  de  terre 

Biscuit  de  mer 

Tabacs  fabriqués  à  fumer 

Cigares,  cigarettes 

Sucres  bruts  ....     

»        raffinés 

Café 

Huiles  fines  pures 

»        minérales  d'éclairage 

Houille,  coke " les  100  kil. 

Fer  en  barres,  fontes,  tôles  et  acier 

Cuivre  eu  masses,  bai'res,  saumons  et  plaques  .  . . 

Sel  marin  et  sel  gemme , 

Savons id.  8    » 

Bougies id.  16    » 

Cidres,  bières,  limonades l'hectol.  5    » 

Vins  titrant  moins  de  16° id.  5    » 


Fraucs. 

l'hectol. 

100    » 

id. 

60    » 

id. 

40    » 

pièce. 

2    » 

le  kil. 

0  30 

les  100  kil. 

2    » 

id. 

15    » 

id. 

5    » 

id. 

10    » 

id. 

10    » 

id. 

10    » 

id. 

5    » 

id. 

8    » 

id. 

6    » 

id. 

10    » 

id. 

0  50 

id. 

2    » 

id. 

1     » 

le  kil. 

0  60 

id. 

1    » 

les  100  kil. 

5    » 

id. 

8    » 

id. 

6    » 

id. 

6    » 

l'hectol. 

!!     » 

les  100  kil. 

0  15 

id. 

2     » 

id. 

6    » 

id. 

0  4(J 

-  75  - 

\'ins  titranl  16"  el  au-dessus rhectol.  10     » 

Vermouth  et  vins  aromatisés id.  !}0     » 

Vins  mousseux la  bouteille  0  'lO 

Vinaigre le  litre  0  (  T) 

ad  valorem. 

Fils  de  lin,  chanvre ,  coton,  laine  et  soie 10  7„ 

Tissus  de  lin,  chanvre,  coton,  laine  et  soie 10  °/o 

Les  tissus  teints  ou  imprimés  paient  un  droit  supplé- 
mentaire de 10  "/„ 

Passementerie -                          10  °/„ 

Vêtements  confectionnés 10  "/„ 

Chaussures  et  tous  ouvrages  en  peau  et  cuir les  100  kil.        10    » 

t  >uvrages  en  fer,  fonte  et  acier id.                 4     » 

»         en  fer-blanc id.                 6    » 

»         en  cuivre id .               12    » 

»         en  plomb  ou  en  zinc .       id.                 0    » 

»         en  étain id.                12     » 

Machines  françaises exemptes. 

»         étrangères (jd  valorem       10  "/„ 

Orfèvrerie  et  bijouterie le  kil.             5    >> 

Outils  de  toutes  sortes les  100  kil.          8    » 

Cout'^Uerie  de  toutes  sortes id.               40    » 

Instruments  de  musique ad  valorem       10  "  „ 

Chapeaux  de  toutes  sortes la  pièce           0  20 

Les  marchandises  de  provenance  française  bénéficient  d'une  réduction  de  60  "  q. 

Les  principah^s  maisons  de  commerce  du  Gabon  sont  : 

Hatton  et  Cooknon,  de  Liverpool  ; 

Woerman  et  G",  de  Hambourg  ; 

Uaumat,  Béraud  et  Ci«  ,  de  Paris  (rue  Maubeuge,  5). 

Ces  trois  niaisons  font  la  traite  de  Tivoire  du  caoutchouc,  de  Tébène.  du  bois  de 
teinture  et  de  l'huile  de  palme.  Elles  ont  des  comptoirs  dans  rOgôoué  et  sur  tous  les 
points  de  la  côte  jusqu'à  Ambriz  (Angola).  Les  deux  premières  ont  chacune  une 
ligne  de  steamers  qui  transportent  en  Europe  les  produits  achetés  à  la  côte.  La 
maison  Daumas  et  Béraud  n'a,  jusqu'à  présent,  que  des  voiliers.  Enfin  ,  chacune  de 
ces  trois  maisons  a  une  flottille  de  petits  vapeurs  pour  le  service  côtier  et  fluvial 
desservant  leurs  succursales.  La  maison  Hatton  et  Gookson  est  de  beaucoup  la  plus 
importante,  elle  paie  chaque  année  à  elle  seule  250,000  francs  environ  de  droits  de 
douane,  c'est-à-dire  près  de  la  moitié  du  total  des  droits  perçus  annuellement 
au  Gabon. 

»  D'autres  maisons  de  commerce  se  sont  installées  à  Libreville  pour  faire  surtout 
le  détail  ;  quelques-unes  récomment.  Ce  sont,  par  ordre  d'importance  : 

Sajoux  et  G.'e française. 

L.  Pecqueur » 

Archambaud  et  C''" de  Bordeaux,  quai  des  Ghartrons. 

L.  Rover  et  Cie de  Cognac. 

Stein allemande. 

Holt anglaise. 


-   76  — 

Béthencourt portugaise. 

Redembach française. 

Pêne » 

Gravier » 

Ces  établissements  sont  surtout  des  magasins  de  détail  vendant  aux  Européens 
(fonctionnaires  et  marins)  des  vins,  liqueurs,  conserves,  etc.,  et  aux  noirs  de  l'eau- 
de-vie,  des  étoffes,  des  vêtements  confectionnés,  de  la  chapellerie,  de  la  coutellerie, 
du  tabac;  et  les  mille  bibelots  qui  composent  l'étalage  d'un  bazar  bien  achalandé. 

On  a  vu  que  les  droits  de  douane  ,  réduits  de  60  °l„  pour  les  marchandises  de 
provenance  française,  importées  sous  tous  pavillons  ,  deviennent  presque  nuls.  Les 
industriels  français  profiteront-ils  de  cet  énorme  avantage  pour  essayer ,  enfin ,  de 
mettre  leur  fabrication  au  niveau  de  la  fabrication  étrangère  ? 

11  est  fortement  question  d'établir  une  ligne  de  paquebots  français  ,  partant  du 
Havre,  pour  desservir  la  côte  occidentale  d'AMque  et  surtout  notre  colonie  du 
Gabon-Congo.  Actuellement,  quatre  lignes  font  ce  service  :  une  anglaise  ,  partant  de 
Liverpool,  et  qui  perd  beaucoup  de  temps  à  cause  de  ses  nombreuses  escales  sur  la 
côte  de  Guinée  ;  une  allemande,  de  Hambourg,  qui  se  trouve  dans  le  même  cas  ;  une 
portugaise,  partant  de  Lisbonne  ,  et  ne  touchant  que  dans  les  colonies  portugaises  , 
Madère,  Cap-Vert ,  Iles-du-Prince  et  San-Thomé  ,  St-Paul  de  Loanda  ,  etc  ,  et  enfin 
une  ligne  belge,  partant  d'Anvers  ,  et  touchant  au  Havre,  au  Gabon  et  au  Congo.  » 


AMERIQUE. 

I/exportatiou  den  locomotives  des  États-Uuis.  —  Depuis  1875 , 
les  États-Unis  ont  exporté  pour  65,500,000  francs  de  locomotives.  Cette  exportation 
s'est  faite,  pour  les  différents  pays,  dans  les  proportions  suivantes  :  Russie  ,  4  pour 
100  ;  Angleterre  et  colonies  anglaises  ,  29  pour  100  ;  Espagne  et  Cuba,  10  pour  100  ; 
Mexique,  14  pour  100  :  Amérique  du  Sud,  37  pour  100. 


Pour  les  Faits  et  Nouvelles  géographiques  non  extraits  : 

LE   SECRÉTAIRE-GÉNÉRAL  , 

ALFRED  RENOUARD. 


-  77 


COURS  ETGOiNFÉRENGES  DU  JEUDI  SOIR 

A  LILLE. 

(m  extenso). 


LES  PÈRES  BLANCS  D'AFRIQUE 

Pai'  l'Abbé  Joseph  VARIOT,  Docteur  ès-lettres.  Professeur  de  littérature  latine 

à  Lille. 


Conférence  faite  à  Lille  le  8  février  1887 


Si  le  quinzième  siècle  <>st  le  siècle  de  la  découverte  de  l'Amérique  , 
on  peut  bien  dire  du  nôtre  qu'il  sera  celui  de  la  découverte  de  l'Afrique. 
Depuis  plus  de  cinquante  ans  .  le  conlinent  noir  excite  la  curiosité  des 
esprits  et  semble  vouloir  absorber ,  à  son  profit ,  l'activité  humaine 
tout  entière. 

Pendant  que  des  hommes  de  génie  percent  les  isthmes  ,  pour  étoMir 
la  libre  connnunication  des  mers  ,  les  explorateurs  de  toute  nationalité 
se  succèdent  sans  relâche  et  rivalisent  d'audace  pour  achever  la  cou- 
quête  géographique  du  globe  terrestre  :  ils  parcourent  nos  possessions 
françaises  du  Nord  de  l'Afrique  ,  ils  fout  le  guet  aux  portes  du  Sahara 
et  du  Soudan,  ils  sont  aux  grands  lacs  ,  vers  le  sud  -  est ,  sous  les  feux 
directs  de  l'équateur. 

Aux  récits  enthousiastes  publiés  par  les  voyageurs,  les  peuples 
d'Europe  se  sont  émus  à  leur  tour  ,  et  dans  la  pensée  d'étendre  leur 
influence  et  d'accroître  leur  fortune  ,  ils  travaillent  assidûment  à  fon- 
der des  colonies  au  sein  des  territoires  qui  viennent  d'être  ouverts. 
C'est  à  qui  plantera  son  drapeau  sur  quelque  promontou-e  isolé ,  c'est 
à  qui  aura  le  bonheur  d'être  déclaré  le  premier  occupant. 

Toutefois ,  cette  découverte  de  l'Afrique  n'a  pas  réveillé  que  des 
instincts  de  curiosité  et  de  conquête.  Elle  a  fait  naître  ,  au  cœur  des 
nations  civihsées,  le  désir  de  propager  leur  civilisation  parmi  les  tribus 


-  78  - 

barbares ,  et  comme  la  France ,  malgré  ses  épreuves  ,  malgré  ses 
malheurs  ,  demeure  encore ,  en  Europe  .  la  première  gardienne  de 
l'idée  de  civilisation,  elle  sait  toujours  en  devenir  Tapôtre ,  à  l'aide 
d'une  armée  nombreuse  qui  ne  rompt  jamais  ses  cadres .  et  par  des 
soldats  qui  n'ont  pas  le  droit  de  répandre  le  sang,  sinon  le  leur. 

Parmi  ces  héros  intrépides  et  toujours  à  la  bataille  ,  figurent  au  pre- 
mier rang ,  ceux  que  la  voix  populaire  de  notre  armée  ,  des  colons  et 
des  Arabes  a  désigné  sous  le  nom  de  Pères  Blancs.  On  les  appelle 
aussi  Missionnaires  d'Alger ,  à  cause  de  la  ville  qui  fut  leur  berceau. 
Les  Pères  Blancs  ont  considéré  que  s'il  est  beau  de  supprimer  les 
distances  par  le  percement  des  isthmes ,  de  tenter  des  excursions 
hardies  dans  des  continents  jusqu'à  ce  jour  impénétrables  ,  il  est  plus 
beau  encore  de  ne  rien  ménager ,  de  se  dépenser  en  efibrts  inouïs , 
pour  faire  reculer  la  barbarie  ,  et  rapprocher  les  âmes  et  les  cœurs  de 
la  grande  famille  humaine.  Tel  est  le  secret  de  leur  vocation.  Ces 
ouvriers  de  Dieu  ont  eu  l'ambition  d'être  les  messagers  de  la  vérité 
divine  ,  en  même  temps  que  les  ambassadeurs  de  la  civilisation 
humaine. 

Les  Pères  Blancs  prennent  leur  nom  de  leur  costume.  Ils  ont  adopté 
les  vêtements  de  l'Afrique  du  Nord,  afin  de  moins  efi'aroucher  les  indi- 
gènes et  pour  mieux  se  protéger  eux-mêmes  contre  les  ardeurs  dévo- 
rantes du  climat,  L'Arabe  n'aime  pas  les  hommes  imberbes  :  le  Père 
Blanc  doit  donc  porter  toute  sa  barbe  ;  il  est  enveloppé  de  la  gan- 
dourah  blanche  ,  coiffé  de  la  ceccia  ou  du  hmk  avec  la  corde  tressée 
en  poils  de  chameau  ;  ii  porte  aussi  le  burnous  flottant. 

L'association  de  ces  apôtres  de  l'Evangile  s'est  formée  quelques 
années  avant  la  guerre,  pour  conjurer  les  effets  terribles  de  la  famuie 
et  de  la  peste  chez  les  Arabes.  Leur  nombre  s'est  vite  accru.  Par  la 
délégation  des  chefs  suprêmes  de  l'Église ,  avec  le  consentement  du 
gouvernement  de  la  France  ,  qui  les  a  reconnus  d'utUité  publique  ,  ils 
ont  tout  d'abord  travaillé  h.  fonder  l'influence  de  leur  patrie  dans 
l'Afrique  du  Nord ,  et  c'est  de  la  civilisation  chrétienne  qu'ils  sont 
aujourd'hui  les  hérauts  dans  la  région  des  grands  lacs  de  l'équateur. 
On  a  pu  dire  avec  vérité  de  cette  œuvre ,  qu'elle  est  la  plus  grande  de 
ce  siècle.  Malgré  le  court  intervalle  qui  les  sépare  de  leur  oi'igine  ,  les 
Missionnaires  d'Alger  comptent  déjà  plus  de  douze  martyrs  et  quarante- 
cinq  de  leurs  membres  viennent  de  fonder  quatre  vicariats  aposto- 
liques et  onze  établissements  dans  les  royaumes  de  Nyanza ,  du 
Tanganyka  et  sur  la  rive  droite  du  haut  Congo. 


-  79  — 

Une  entreprise  si  considérable  mérite  bien  une  esquisse ,  un  court 
aperçu  qui  mette  sous  les  yeux  le  dessein  de  tant  d'âmes  généreuses. 
Car  si  Ton  vante  les  exploits  d'un  seul  homme  qui  a  couché  sous  la 
tente  du  désert,  qui  a  navigué  en  pirogue  aux  chutes  des  cataractes , 
qui  s'est  frayé  un  chemin  à  travers  les  épines  des  forêts  ,  au  milieu  de 
l'escorte  de  toute  la  faune  d'une  région ,  n'est -il  pas  juste  de  parler 
aussi  d'une  congrégation  qui  compte  deux  cent  cinquante  apôtres  déjà 
formés  ou  en  voie  de  formation,  qui  voit  compléter  son  œuvre  par  une 
congrégation  de  femmes  ,  où  il  y  a  déjà  plus  de  cent  membres  actifs  ? 
Toute  cette  vaillante  phalange  brave  aussi  les  climats,  entend  sans  cesse 
le  glapissement  enroué  du  chacal  et  le  grondement  famélique  de 
l'hyène,  mais  elle  n'a  pas  le  temps  de  le  dire  à  toute  la  terre. 

Quelles  sont  donc  les  Missions  des  Pères  Blancs  dans  le  Nord  de 
l'Afrique,  quelles  ont  été  leurs  tentatfves  dans  le  Sahara  et  le  Soudan, 
comment  se  sont -ils  résolus  ,  sous  la  bannière  du  Sacré-Cœur,  à  la 
conquête  des  régions  équatoriales  ?  C'est  ce  que  j'ai  l'intention  d'indi- 
quer en  quelques  pages  rapides.  Pour  bien  suivre  leurs  opérations , 
j'aurai  besoin  de  fournir  quelques  données  sur  la  topographie  de 
l'Afrique  qui  leur  sert  de  théâtre  ,  et  de  faire  entrevoir  les  mœurs  de 
ces  peuplades,  abandonnées  à  des  instincts  sauvages. 

Mais  avant  tout ,  nous  devons  faire  connaissance  avec  ces  pionniers 
de  la  civilisation,  qui  sont  aussi  les  apôtres  de  notre  foi. 

Vers  la  fin  de  1867  ,  au  lendemain  de  la  famine  et  de  la  peste  qui 
avaient  dévasté  l'Algérie,  plus  de  deux  mille  petits  enfants  abandonnés, 
flétris,  dispersés,  mangeaient,  autour  des  huttes  ,  l'herbe  des  chemins. 
On  les  recueillit  sans  se  préoccuper  des  règles  de  la  prudence  humaine. 
N'y  a-t-il  pas  des  heures  ici-bas  ,  où  la  prudence  de  ce  monde  est  trop 
courte  pour  les  infortunes  à  secourir  ?  Mais  la  miséricorde  divine  a  le 
secret  de  susciter  alors  de  grandes  œuvres,  afin  de  les  opposer  à  des 
détresses  sans  nom.  Pour  porter  remède  aux  malheurs  qui  affligeaient 
l'Afrique  du  Nord,  il  se  rencontra  un  petit  groupe  déjeunes  prêtres 
français,  résolus  à  se  dépenser  pour  l'Eglise  d'Algérie,  dans  notre 
colonie  et  plus  loin  encore. 

Alger  fut  leur  quartier  général  ;  les  nombreux  orphelins  adoptés , 
fournirent  un  aliment  au  début  de  leur  apostolat.  Durant  des  années  , 
le  Pape  et  les  Evèques  eurent  les  yeux  fixés  sur  l'œuvre  naissante. 
Elle  se  développait  tous  les  jours ,  se  formait  à  l'intrépidité  tenace 
comme  elle  s'entretenait  dans  l'espérance  joyeuse,  au  contact  des  fils 
de  saint  Ignace  et  des  enfants  de  saint  Vincent  de  Paul.  Dès  qu'elle  eut 


—  80  - 

traversé  les  crises  et  les  hésitations  de  la  première  croissance,  l'Église, 
par  la  bouche  de  ses  augustes  représentants,  fit  entendre  à  ces  prêtres, 
à  ces  frères,  dont  la  jeunesse  était  encore  toute  vive,  que  l'heure  était 
venue  de  déclarer  librement  s'ils  se  sentaient  capables  de  consacrer 
leur  vie  à  l'œuvre  des  missions  d'Afrique  et  de  s'y  engager  par  ser- 
ment. C'était  un  visa  pour  le  martyre  qui  leur  était  otiért.  Ils  n'hési- 
tèrent pas  à  l'accepter  de  grand  cœur.  Ainsi ,  suivant  le  mot  d'un 
publiciste  catholique,  au  sujet  des  fléaux  de  1867  :  «  Ce  coup  de  foudre 
avait  creusé  un  puits  de  bénédiction ,  dont  les  eaux  allaient  vivifier  les 
déserts.  » 

La  congrégation  des  Pères  Blancs  ne  s'est  pas  formée  d'une  manière 
soudaine  ;  mais  nous  ne  l'étudierons  pas  dans  toutes  les  phases  de  son 
développement.  11  nous  suffit ,  avant  de  la  suivre  dans  sou  action  ,  de 
nous  représenter  ses  fonctions  morales,  son  organisme,  tel  qu'il  existe 
aujourd'hui,  tel  qu'il  s'est  constitué  et  affermi  en  moins  de  vingt  ans. 
Quelle  est  donc  la  fin  qu'elle  se  propose  ;  comment  s'eôectue  son 
recrutement  ;  a-t-elle  eu  la  prévoyance  de  se  ménager  une  base  d'opé- 
ration ,  à  l'exemple  des  troupes  qui  ne  se  mettent  en  campagne  que 
lorsqu'elles  sont  sûres  d'être  soutenues  par  la  mère-patrie  et  de  pouvoir 
s'appuyer  sur  un  camp  bien  retranché? 

Dans  une  région  où  les  enfants  sont  en  si  grand  nombre ,  où  les 
malades  de  tout  âge  implorent  les  secours  de  chaque  instant ,  les 
Missionnaires  d'Alger  se  proposent  l'éducation  des  enfants  et  le  soula- 
gement des  infirmes.  Une  congrégation  de  femmes  est  fondée  à  côté 
de  la  leur ,  afin  de  pourvoir  à  l'éducation  des  petites  filles ,  et  pour 
soigner  les  femmes  des  indigènes. 

Des  enfants  à  élever,  des  malades  à  guérir ,  c'est  toujours  et  partout 
le  commencement  de  l'Evangile.  Que  signifie  donc  l'appel  aux  petits 
enfants,  si  souvent  répété  par  notre  Sauveur ,  quel  est  donc  le  sens  de 
la  recommandation  faite  aux  Apôtres  :  «  Soignez  les  malades  ?  »  Mais 
les  enfants  surtout  réclament  une  sollicitude  inépuisable.  Leurs  pre- 
mières impressions  auront  un  retentissement  si  décisif  sur  leur  vie 
tout  entière  !  Un  proverbe  arabe  ,  dans  sa  forme  concise ,  quoique  un 
peu  absolue,  en  dit  plus  que  tels  manuels  de  pédagogie  de  notre  temps  : 
«  Instruire  le  vieillard  ,  c'est  écrire  sur  l'eau  ;  instruire  l'enfant ,  c'est 
écrire  sur  la  pierre.  »  C'est,  d'ailleurs  ,  par  l'entremise  des  enfants  et 
des  pauvres  infirmes  qu'on  arrive  aux  âmes,  aux  cœurs  qui  ont  tant 
besoin  d'être  relevés  de  lourdes  dégradations  et  délivrés  de  longues 
erreurs  !  Mais  la  conversion  n'est  pas  aâ"aire  d'un  jour.  Pour  être  pru- 


-  81  - 

dente,  elle  doit  être  préparée  par  des  épreuves  multipliées,  et  demeurer 
toujours  libre,  afin  qu'il  n'y  ait  jamais  lieu  de  regretter  les  défections 
qui  naissent  de  l'empressement. 

Les  Pères  Blancs  d'Afrique,  comme  les  bons  ouvriers  de  la  vigne  de 
Dieu,  ne  se  contentent  pas  d'en  défricher  quelque  parcelle  et  de  four- 
nir leur  journée  :  ils  songent  au  lendemain  et  à  l'avenir ,  afin  que  la 
succession  des  Apôtres  soit  interrompue.  Le  recrutement  de  l'œuvre 
est  incessant.  Leurs  écoles  sont  déjà  nombreuses  et  disséminées  un 
peu  partout  :  les  unes  sont  spécialement  dos  maisons  d'études,  d'autres 
sont  créées  surtout  pour  la  formation  morale  et  apostolique.  Sur  les 
hauteurs  de  Carthage,  ils  ont  un  scholasticat  où  l'on  cultive  les  sciences 
sacrées  comme  les  connaissances  humaines,  où  l'on  s'applique  à  parler 
ces  langues  bizarres ,  qui  témoignent  de  la  confusion  de  la  tour  de 
Babel  et  d'autres  confusions  encore.  De  la  pépinière  de  Saint -Louis 
de  Carthage ,  sortent  les  Missionnaires  et  les  professeurs  préposés  à 
l'instruction  complète  des  enfants  ,  qu'ils  soient  Maltais  ,  Arabes  ,  Juifs  , 
Nègres,  Equatoriens  ou  fils  de  colons,  comme  il  arrive  à  Saint-Charles 
de  Tunis  et  dans  les  établissements  de  Malte.  La  seule  ville  de  Malte  , 
dans  l'un  de  ses  vieux  faubourgs  .  a  vu  créer ,  depuis  1881 ,  un  institut 
africain  ,  pour  la  formation  des  médecins  indigènes  ,  un  séminaire  de 
prêtres  maltais ,  et  une  école  normale  primaire ,  où  se  préparent  de 
jeunes  instituteurs  kabyles. 

Ils  ont  aussi  fondé  des  écoles  apostoliques ,  afin  de  discerner  les 
vocations  et  d'étudier  les  aptitudes.  Français,  Belges,  Hollandais, 
Alsaciens,  Nègres  et  Arabes,  tous  sont  appelés  à  former  le  contingent 
de  cette  armée  d'apôtres.  A  l'extrémité  du  village  de  Woluwe,  près  de 
Bruxelles  ,  il  existe  une  école  très  hospitalière  qui  reçoit  les  enfants 
de  la  généreuse  Belgique,  de  la  Hollande  et  des  frontières  d'Allemagne. 
Il  y  en  a  une  autre  à  Lille  pour  toute  la  grande  région  du  Nord. 
N'oublions  pas  l'école  apostolique  de  Saint  -  Laurent  d'Olt,  dans 
l'Aveyron ,  qui  a  déjà  rendu  tant  de  services ,  et  d'où  sont  sortis  les 
jeunes  Arabes  qui  suivent  aujourd'hui  les  cours  des  Facultés  catho- 
liques de  Lille  :  ils  sont  à  la  veille  de  soutenir  leur  thèse  de  doctorat 
en  médecine. 

Dans  chacune  des  écoles  ,  il  se  fait  un  premier  travail  de  polissure 
sur  les  intelligences  en  même  temps  qu'un  triage  des  volontés  qui 
s'annoncent  comme  devant  être  fortement  trempées.  Les  éléments  de 
choix  sont  envoyés  en  Afrique  pour  continuer  leur  formation  aposto- 
lique à  l'École   centrale  de  Saint-Eugène.  De  là,  les  futurs  mission- 


—  82  — 

naires  passent  au  noviciat  général  de  la  maison  Ca^^rèe.  On  les  y 
habitue  à  préférer  «  une  misérable  hutte  k  un  palais  ,  une  nourriture 
grossière  aux  mets  exquis  ,  l'eau  au  vin  »  ;  ils  s'y  préparent ,  dans  les 
exercices  d'une  piété  solide  ,  au  serinent ,  par  lequel  ils  se  consacrent 
à  l'œuvre  de  la  mission  jusqu'à  la  mort ,  comme  Pères ,  s'ils  sont 
prêtres  ,  comme  frères  ,  s'ils  ne  sont  pas  promus  au  sacerdoce. 

Mais  à  une  œuvre  si  étendue  ,  il  faut  des  appuis  ,  les  ressources  sont 
indispensables . 

Grâce  à  Dieu ,  le  point  d'appui  moral  existe  à  Alger,  sous  un  œil 
paternel  et  vigilant.  Alger  est  le  contre  où  l'action  du  recrutement, 
d'abord  dispersée  ,  s'agrège  et  se  condense.  De  plus  ,  les  Pères  Blancs 
ont  une  procure  à  Sainte-Anne  de  Jérusalem,  sur  l'emplacement  même 
de  la  demeure  où,  selon  la  tradition,  fut  conçue  et  naquit  la  Bienheureuse 
Vierge  Marie  ;  ils  en  ont  une  autre  à  Saint-Nicolas  de  Rome ,  auprès 
du  successeur  de  Saint -Pierre.  Ces  établissements  sont  d'abord  un 
acte  de  piété  et  d'obéissance  filiale.  Où  peut-on  mieux  puiser  les  inspi- 
rations de  l'apostolat  et  la  foi  vivante  ,  dans  toute  son  énergie ,  si  ce 
n'est  à  leurs  sources,  au  tombeau  du  Sauveur,  au  berceau  de  la  Sainte 
Vierge ,  à  la  confession  de  saint  Pierre  et  de  saint  Paul ,  près  du 
Vicaire  de  Jésus-Christ  ?  Mais  leur  présence  à  Jérusalem  et  à  Rome 
est  aussi  d'un  grand  poids  auprès  des  peuples  qu'ils  doivent  évangé- 
liser. 

Il  suffit  d'avoir  feuilleté  quelque  étude  sur  l'Afrique ,  pour  ne  plus 
ignorer  de  quelle  superstition  les  Arabes  entourent  le  tombeau  de  leur 
prophète ,  de  quelle  considération  ils  accompagnent  les  pèlerins  au 
turban  vert  qui  reviennent  de  la  Mecque.  Les  Pères  d'Afrique  sont 
bien  obligés  de  compter  avec  les  préjugés  si  invétérés  des  Mahomé- 
tans  ;  ils  ont  dû  se  mettre  à  même  d'opposer  une  réponse  victorieuse 
aux  Arabes  qui  exaltent  leur  prophète  et  ses  marabouts.  Vous  nou.*^ 
parlez  de  la  Mecque  ,  peuvent-ils  dire ,  mais  le  tombeau  du  vrai  et  du 
seul  prophète  est  à  Jérusalem  ;  quelques-uns  de  nos  Pères  y  résident 
et  nous  y  allons  aussi  en  pèlerinage.  Vous  vantez  vos  écoles  si  habiles 
à  expliquer  le  Coran  ,  mais  la  véritable  école  qui  interprète  l'Evangile 
est  à  Rome,  et  c'est  de  là  que  nous  recevons  la  lumière  ! 

Les  Pères  Blancs  vivent  d'aumônes  et  sont  les  clients  de  tous  les 
cœurs  miséricordieux  ,  de  toutes  les  âmes  qui  ont  l'intelligence  de  la 
parole  de  l'Évangile  :  Celui  qui  donne  asile  à  V Apôtre ,  recevra  la 
récompense  de  l'Apôtre  !  Cependant ,  comme  on  pouvait  s'y  attendre , 


~  8:^  - 

ils  n'échappent  pas  à  l'esprit  de  malveillance  qui  s'acharne  aux  œuvres 
catholiques  pour  les  détruire.  On  a  imaginé,  sur  de  très  petits  calculs  , 
que  ces  pauvres  religieux  possédaient  des  biens -fonds  ,  des  capitaux  , 
des  millions.  Cette  manœuvre  perfide  a  été  inventée,  ce  bruit  répandu 
d'une  manière  contagieuse,  pour  détourner  des  missionnaires  d'Alger, 
les  aumônes  et  les  ressources  qu'ils  attendent  de  la  charité....  Les 
millions  sont  une  légende  ,  et ,  comme  le  disait  hier  le  véntTé  Primat 
d'Afrique,  *  quand  on  parle  ,  sans  compter ,  on  y  croit  à  force  de  l'en- 
tendre dire  ;  quand  on  compte ,  ce  sont  des  millions  à  rebours  ».  En 
réalité,  c'est  dans  les  aumônes  des  catholiques  du  monde  entier  que 
les  Pères  Blancs  mettent  ici-bas  leur  principale  espérance  ;  mais  leur 
procure  Ja  plus  vaste,  celle  qui  ne  se  refuse  jamais  à  leur  assurer  le 
pain  de  chaque  jour ,  c'est  la  France.  Ils  en  sont  les  enfants .  ils  en 
connaissent  la  charité,  la  bonté  qui  est  celle  d'une  mère.  Aussi  ont-ils 
établi  une  résidence  à  Paris ,  comme  dans  d'autres  centres  ,  où  ils 
reçoivent  des  offrandes  et  des  charités  ,  en  échange  des  services  qu'ils 
rendent  à  leur  patrie.  Car ,  si  les  Pères  Blancs  sont  les  ministres  de 
l'Eglise  ,  ils  travaillent  aussi  pour  la  France.  Partout  où  ils  existent , 
ils  répandent  nos  bienfaits  ,  notre  langue ,  nos  mœurs ,  toute  notre 
influence.  Un  vaillant  marin  qui  vient  de  s'éteindre  ,  l'amiral  de 
Gueydon,  était  venu  un  jour  leur  faire  une  visite  à  la  Maison- Carrée  : 
<v  Je  vous  approuve  ,  disait-il ,  parce  qu'en  cherchant  à  rapprocher  les 
indigènes  de  nous  ,  par  l'instruction  des  enfants  ,  par  la  charité  envers 
tous  ,  vous  faites  l'œuvre  de  la  France  !  » 

Malgré  cette  approbation  flatteuse,  ce  témoignage  si  autorisé,  n'allons 
pas  croire  que  cette  jeune  congrégation  n'ait  pas  connu  l'adversité. 
Elle  a  traversé  ses  épreuves ,  grandes  et  petites ,  mais  surtout  les 
grandes  qui  sont  venues  de  partout  :  des  colons  français  ou  étrangers  , 
qui  n'éinigrent  guère  pour  leurs  intérêts  éternels  ;  de  quelques  lettrés 
moralistes  qui  imaginent  je  ne  sais  quel  royaume  arabe  cristallisé, 
auquel  il  ne  faut  pas  toucher  ;  des  assemblées  publiques  à  Paris  et  à 
Alger  qui  refusent  de  modestes  allocations  à  des  prêtres  qui  sont  pour- 
tant plus  influents  que  dos  bataillons,  au  dire  des  Arabes  On  a  prétendu 
qu'ils  ne  sont  pas  populaires  ,  qu'ils  affectent  une  modestie  calculée  ; 
on  a  ajouté ,  en  les  visant ,  que  la  plaie  d'une  colonie  qui  commence , 
c'est  le  prêtre  ,  que  la  présence  de  ces  missionnaires,  dans  nos  posses- 
sions du  Nord,  nous  conduisait  tout  droit  à  des  Vêpres  Tunisiennes  ! 
Ces  insinuations  et  ces  sarcasmes  n'ont  pas  découragé  les  Pères  Blancs. 
Ils  se  sont  souvenus  que  de  vrais  apôtres  doivent  être  bafoués  et 


—  84  - 

traités  comme  la  balayure  du  monde  ;  ils  ont  continué  à  passer  en 
faisant  le  bien. 

Un  jour,  toutefois,  des  esprits  austères,  qui  voudraient  de  la  géomé- 
trie jusque  dans  le  sacrifice ,  s'avisèrent  de  ne  plus  s'attaquer  à  leurs 
personnes,  mais  à  l'œuvre  même.  «  Vous  voulez  trop  entreprendre,  — 
disaient  ces  hommes  qui  ont  surtout  le  zèle  des  autres  .  —  le  Nord  de 
l'Afi'ique,  le  centre,  les  grands  Lacs  !  mais  vous  n'y  suffirez  jamais  !  » 
Ce  jour-là ,  celui  qui  est  le  Père  des  Missionnaires  d'Alger ,  qui  les 
défend  toujours  comme  les  fils  de  ses  entrailles,  s'est  senti  atteint  dans 
ses  afiections  les  plus  vives ,  dans  sa  dignité  de  chrétien  et  dans  son 
patriotisme  de  français.  Gomme  l'Apôtre  se  levait  autrefois  devant  ses 
Juges ,  pour  se  réclamer  du  droit  de  citoyen  romain ,  l'Archevêque 
d'Alger  s'est  levé  aussi,  pour  lancer  cette  réponse  vibrante  et  pleine  de 
fierté  :  «  Lorsqu'on  travaille  pour  l'Eghse  et  pour  la  France,  s'est -il 
écrié,  on  ne  fait  jamais  assez!  Une  entreprise  pareille,  réclame 
l'homme  tout  entier ,  il  y  faut  plus  que  du  dévouement ,  elle  exige 
l'héroïsme  !  » 

Une  réponse  analogue  était  adressée ,  ces  dernières  semaines ,  au 
Ministre  revenu  à  résipiscence  et  qui  offrait  de  rétablir  au  budget  une 
somme  de  cent  mille  francs  ,  pour  le  clergé  d'Algérie  et  de  Tunisie.  Le 
crédit  n'a  pas  été  accepté  par  les  évêques  d'Afrique ,  il  ne  pouvait 
l'être.  Les  motifs  de  ce  refus  s'imposent  à  toute  conscience  cathohque. 
Aux  heures  de  trouble  et  de  déchirement  qui  sont  les  nôtres,  faut -il 
donc  laisser  croire  à  la  France  que  les  pouvoirs  publics  pourvoient  à 
tout  le  service  religieux  dans  une  vaste  colonie ,  avec  une  aumône 
presque  dérisoire  ?  doit-on  permettre  ,  à  l'occasion  de  la  discussion  des 
crédits,  que  des  hommes  politique  de  toute  tribu  et  de  toute  langue , 
soient  admis  à  discuter  des  œuvres  qu'ils  ne  peuvent  comprendre  ? 

La  Congrégation  des  Pères  Blancs  a  ses  vertus,  ses  établissements , 
ses  points  d'appui  :  elle  a  été  trempée  par  l'épreuve  et  par  la  lutte. 
Elle  est  prête  à  entrer  en  campagne. 

Mais  jetons  tout  d'abord  un  coup  d'œil  sur  la  carte  d'Afrique. 

L'Afrique,  dont  la  superficie  égale  plus  de  trois  fois  celle  de  l'Europe, 
offre  l'aspect  d'une  île  immense.  Elle  se  développe  au  Nord,  depuis 
nos  possessions  d'Algérie  et  de  Tunisie  jusqu'au  Gap  de  Bonne-Espé- 
rance. La  ligne  de  l'équateur  partage  le  continent  en  deux  parties 
presque  égales  ;  à  l'ouest  et  à  l'est,  les  mers  lui  forment  une  vaste 
ceinture  ;  elle  est  cependant  rattachée  à  l'Asie  par  l'isthme  de  Suez. 

Les  savants  inchnent  à  penser,  qu'à  la  différence  de  l'isthme  de  Suez, 


-  85  - 

autrefois  submergé  sous  les  eaux,  le  massif  de  l'Atlas,  dont  les  deux 
extrémités  finissent  au  Maroc  et  en  Tunisie,  était,  dans  des  temps  très 
anciens,  relié  à  la  Sicile  et  âux  Sierras  d'Espagne.  A  cet  le  époque 
géologique,  si  jamais  elle  a  existé,  la  mer  Méditerranée  n'ayant  pas 
encore  fait  éclater  la  soudure,  l'Afrique  n'aurait  pas  été  une  île  ,  mais 
bien  un  vaste  appendice  de  l'Europe.  Contentons  -  nous  de  sa  forme 
d'aujourd'hui  et  considérons-la  comme  une  île.  dont  le  nord,  le  sud-est 
et  un  peu  le  centre  doivent  spécialement  attirer  notre  attenlion. 

Le  rivage  baigné  par  la  Méditerranée,  à  partir  de  la  province  d'Oran. 
jusqu'au  cap  Bon,  dans  la  régence  de  Tunis  ,  s'élève  en  amphithéâtre , 
sous  le  nom  de  tell  ou  sahel  et  s'adosse  à  l'Atlas .  qui  se  divise  en 
chaînes  parallèles  à  la  mer ,  mais  réunies  entre  elles  par  de  puissants 
contreforts.  Quelques-uns  de  ces  contreforts,  à  angle  droit  sur  les  hau- 
teurs longitudinales  .  se  détachent  un  instant  de  la  chaîne  principale  ; 
ils  semblent  prendre  un  essor  violent ,  comme  des  arbres  qui  seraient 
gênés  à  leurs  bases  .  et  s'élancent  en  pics  et  en  cîmes  nombreu^  es , 
entre  lesquelles  tournoient  les  vautours.  Plusieurs  de  ces  cîmes . 
découpées  en  pitons  et  en  aiguilles,  sont  glacées  et  couvertes  de  neiges 
éternelles.  Telle  est  la  région  montagneuse  du  Djurjurah  ;  sa  configu- 
garation  se  distingue  surtout  par  des  arêtes  aiguës ,  par  des  ravins 
abrupts  et  des  précipices  béants  ;  des  sentiers  étroits  et  escarpés 
courent  en  lacets  infinis  sur  les  pentes  ondulées,  avant  d'aboutir  aux 
demeures  aériennes  des  Kabyles.  Au  printemps  ,  la  végétation  y  est 
verte  et  éblouissante,  le  paysage  sauvage  et  grandiose  rappelle  les  sites 
les  plus  pittoresques  de  la  Suisse. 

Lorsqu'on  descend  les  pentes  de  l'Atlas,  en  tournant  le  dos  au  sahel, 
le  désert  commence.  C'est  le  Sahara  avec  sa  longue  mer  de  sable , 
aujourd'hui  pleine  de  vagues  et  tourmentée  par  les  rafales  de  la  tem- 
pête, demain  d'une  surlace  calme,  unie  et  brûlante,  de  temps  en  temps 
seulement  entrecoupée  de  quelques  hauteurs  vives  et  étincelantes  au 
soleil,  comme  des  lames  de  sabre  ,  ou  couverte  de  quelques  oasis  ,  au 
milieu  desquelles,  s'agitent,  dans  des  murmures  sans  fin ,  les  hauts 
palmiers.  Jadis,  paraît-il,  des  fleuves  roulaient  sur  ces  nappes  de  sable 
encore  imprégné  de  salpêtre  ;  de  nos  jours  ,  il  n'y  a  plus  que  des  lacs 
d'eaux  saumàtres  et  des  puits  creusés  de  loin  en  loin  par  les  caravanes. 

Le  Soudan,  les  hauts  plateaux  prolongent  le  Sahara  dans  la  direction 
du  Sud,  et  les  cavaliers  du  désert,  montés  sur  des  méharis,  les  droma- 
daires rapides ,  ou  sur  leurs  chevaux  qu'ils  maîtrisent  à  leur  gré 
«  comme  de  l'eau  dans  leurs  mains  »  ,  peuvent .  durant  des  centaines 


(le  lieues,  se  livrera  des  courses  vertigineuses,  approcher  de  Tombouc- 
tou.  la  ville  mystérieuse  où  tout  le  monde  n'entre  pas. 

A  partir  de  l'êquateur  ,  si  l'on  se  dirige  vers  le  Sud  .  en  suivant  la 
région  de  l'est,  de  manière  à  être  enfermé  entre  la  rive  droite  du  haut 
Congo  et  l'Océan  Indien  ,  on  arrive  aux  grands  lacs,  où  le  Nil  paraît 
prendre  sa  source  :  le  Victoria  Nyanza  et  le  Tanganyka.  Quelques 
voyageurs  suivent  la  vallée  du  haut  Nil,  pour  arriver  aux  grands  lacs, 
mais  la  l'oute  par  terre  paraît  plus  courte  et  plus  sûre  ,  en  partant  do 
Zanzibar,  par  la  voie  de  l'Océan  Indien. 

L'Afrique  du  Nord,  celle  de  nos  possessions  françaises ,  est  devenue 
la  proie  des  Arabes.  Ils  ont,  depuis  des  siècles,  semé  partout  la  terreur 
et  tout  fait  ployer  sous  la  menace  du  cimeterre  ;  la  polygam'e  continue 
à  les  entretenir  dans  des  instincts  bas  et  cruels.  Mais  l'invasion  arabe 
n'avait  pas  trouvé  le  sol  sans  premier  occupant  ;  il  était  ptuplé  par  les 
Berbères,  les  Egyptiens  primitifs,  qu'on  appelait  les  hommes  par  excel- 
lence. Des  Berbères  sont  sortis  deux  grands  rameaux  ,  les  Kabyles  et 
les  Touaregs,  répartis  en  plusieurs  tribus.  C'est  une  généalogie  qu'il 
faut  retenir  dans  ses  grands  traits. 

Dès  les  premiers  siècles  du  Christianisme,  et  dans  les  époques  qui 
suivirent ,  les  Berbères  déjà  gagnés  à  la  vie  agricole,  avaient  reçu  la 
prédication  chrétienne.  Cette  tradition  est  demeurée  si  profonde ,  que 
de  nos  jours,  leurs  descendants  parlent  encore  de  «  l'ancienne  voie  des 
ancêtres  ».  Ils  furent  longtemps  fermes  dans  leur  foi.  Un  historien 
arabe ,  qui  écrivait  vers  le  quatorzième  siècle ,  raconte  que .  placés 
dans  l'alternative  de  la  mort  ou  de  l'apostasie,  quatorze  fois  ils  parurent 
adhérer  à  la  religion  nmsulmane,  et  quatorze  fois  ils  revinrent  à 
«  l'ancienne  voie  ».  La  persécution  acharnée  a  fini  par  les  briser.  De 
leur  ancien  christianisme ,  ils  ne  conservent  aujourd'hui ,  que  des 
mœurs  plus  sévères  ,  le  signe  de  la  croix  ,  qu'on  retrouve  dans  leurs 
demeures  ,  sur  les  selles  de  leurs  chevaux  ,  et  jusque  sur  leur  front , 
où  le  signe  est  devenu  indélébile  par  les  piqûres  du  tatouage.  En 
pleine  Tripolitaine  .  à  Khadamès  ,  l'ancienne  Cydamus  des  Romains  . 
une  rue  tout  entière,  c'est  la  rue  du  Non,  témoigne  encore  de  la  résis- 
tance que  les  pieux  ancêtres  des  tribus  Berbères  surent  opposer  à 
ceux  qui  voulaient  les  faire  apostasier.  Non,  c'était  le  cri  de  ralliement 
des  Martyre!  Toutes  ces  traditions  sont  conservées  par  les  Kabyles  du 
Djurjuiah  et  les  Touaregs  du  Sahara  et  du  Soudan. 

Car  les  deux  grajides  familles  des  Berbères  prirent  le  paiti  de  céder 
au  flot  envahisseur  et  de  se  retirer  devant  les  fils  de  l'Islam.   Les 


-  87  - 

Kabyles  ou  aborigènes  cherchèrenl  un  refuge  sur  les  sommets  du 
Djurjurah,  où  ne  pouvaient  chevaucher  les  cavaliers  arabes.  Ce  n'est 
qu'à  la  longue  qu'ils  ont  adoj)té  quelques  cérémonies  de  la  religion 
musulmane  ;  elles  sont  entretenues  chez  eux  par  les  marabouts  arabes. 
Il  n'y  a  pas  de  marabout  kabyle.  D'ailleurs  ,  les  quelques  inonieries 
qu'ils  pratiquent,  ne  leur  tiennent  pas  au  cœur,  elles  sont  tout  au  plus , 
connue  un  burnous  jeté  sur  leurs  épaules ,  suivant  l'expression  du 
général  Daumas. 

Le  Kabyle  de  nos  jours  est  gj-and  .  blond  ,  osseux,  et  se  rapproche 
du  type  romain.  On  flirailmême  d'une  médaille  romaine.  11  est  toujours 
rhonnne  d'une  race  longtemps  indomptée  .  à  qui  la  servilmle  est  en 
horreur,  qui  se  souvient  de  toutes  ses  gloires,  depuis  Jugurtha  jusqu'à 
Abel-el-Kader,  qui  se  barricade  dans  sa  montagne  de  fer,  et  ne  craint 
pas  de  répéter  à  qui  veut  Tenlendrc.  qu'il  prépare  deux  sortes  de 
kouskous  :  le  kouskous  blanc,  celui  de  l'hospitalité,  et  le  koukous  noir 
qu'il  met  dans  son  fusil  ;  c'est  la  poudre  et  il  sait  la  faiy^e  pmHer  ! 

Une  autre  famille  des  Berbères,  les  Touaregs,  se  trouvèrent  encore 
trop  près  des  conquérants ,  dans  le  massif  de  l'Atlas  ;  ils  firent  leur 
exode  vers  le  sud.  Aussi,  depuis  des  siècles  ,  ces  tribus  nomades  sont 
en  route  vers  les  vastes  solitudes ,  dont  ils  se  sont  constitués  les 
gardiens. 

On  dit  que  leur  nom  de  Touaregs  signifient  les  indépendants  ,  d'au- 
cuns ajoutent  qu'il  faut  traduire  les  brigands  qui  rançonnent  les  cara- 
vanes et  vivent  de  pillage  aux  portes  du  Soudan,  les  Arabisans,  fidèles 
à  l'étjanologie,  préfèrent  les  appeler  <^  les  Séparés  ».  Rien  n'égale  leur 
énergie.  Ils  courent  tout  le  jour  par  la  chaleur,  et  dorment  en  plein 
air  sur  une  pierre  ,  leurs  armes  à  leurs  côtés.  Avec  des  souvenirs  du 
Christianisme  plus  effacés  encore  que  chez  les  Kabyles,  ils  parlent  un 
dialecte  de  la  langue  berbère  ,  et  ne  sont  pas  étrangers  à  toute  civi- 
hsation. 

Les  Touaregs  no  sont  pas  polygames ,  les  femmes  y  sont  libres  et 
respectées  ;  elles  suivent  avec  grand  soin  l'éducation  de  leurs  enfants 
et  s'entendent  en  littérature  et  en  musique.  C'est  la  dame,  parmi  les 
Touaregs,  qui  chante  en  s'accompagnant  sur  une  sorte  de  viole, 
lorsque  reviennent  vainqueurs  les  terribles  guerriers.  Voici  un  signe 
caractéristique  de  leur  costume  :  les  dames  Touaregs  ne  sont  jamais 
voilées,  les  hommes  le  sont  toujours,  même  la  nuit  ;  les  yeux  seule- 
ment sont  à  découvert.  Ces  nomades ,  toujours  en  route  à  travers  le 


Sahara  el  le  Soudan  ,  doivent  se  mettre  en  garde  ,  par  un  voile  bleu, 
contre  la  réverbération  solaire  et  les  sables  menus  du  désert. 

D'autres  tribus ,  installées  plus  loin  dans  le  voisinage  des  hauts 
plateaux,  n'ont  pas  la  facilité  ,  comme  les  Touaregs  ,  de  vivre  de  vols 
et  de  rapines.  EUes  sont  forcément  plus  sobres.  Ce  n'est  pas  à  dire, 
qu'à  l'exemple  de  l'autruche ,  ces  Soudaniens  mangent  des  cailloux 
comme  du  pain ,  mais  ils  n'ont  pas  de  répugnance  à  broyer  les  os  des 
animaux ,  pour  s'en  faire  une  bouillie  alimentaire.  Un  explorateur 
raconte  qu'un  matin,  à  son  réveil .  il  s'aperçut  de  la  disparition  de  ses 
chaussures.  Les  naturels  en  avaient  fait  un  plat  succulent  dont  ils 
s'étaient  régalés. 

La  région  des  lacs  de  l'équateur  est  d'une  étendue  égale  à  celle  de 
l'Europe  et  ne  compte  pas  moins  de  cent  millions  d'habitants.  Elle  est 
surtout  peuplée  par  les  nègres  Bantous.  Ces  tribus  pullulent  et  n'ont 
presque  jamais  le  loisir  de  travailler ,  elles  passent  le  temps  à  s'entre- 
tuer  ou  à  danser.  Ces  danses  ne  sont  pas  toujours  farouches  et  belli- 
queuses, elles  sont  quelquefois  calmes  et  tranquilles,  avec  des  mouve- 
ments et  des  gestes  presque  imperceptibles.  Les  femmes  ont  leur  danse 
à  elles,  qu'elles  exécutent  doucement,  sans  se  séparer  de  leurs  enfants. 
Mais  les  danses  agitées,  que  les  hommes  se  réservent  avec  tout  l'appa- 
reil des  armes,  finissent  presque  toujours  par  des  blessures  et  l'effusion 
du  sang.  Elles  ne  sont  pas  accompagnées  ,  comme  chez  les  Arabes , 
du  bruit  d'un  tambourin  qui  retentit  ou  des  sons  perçants  de  la  flûte 
mêlés  aux  cliquetis  des  castagnettes.  Le  pas  africain  des  Nègres  est 
conduit  avec  une  agilité  qui  les  transporte  mieux  que  \2p0mbe;  il  con- 
siste à  soulever  avec  les  pieds  des  nuages  de  poussière  ,  pendant  que 
les  bras  se  tordent  en  mille  contorsions  et  que  le  gosier  pousse  ses 
notes  les  plus  rauques  et  les  plus  précipitées. 

La  race  est  belle,  mais  son  éducation  n'est  pas  commencée.  La 
langue  paraît  d'une  difficulté  extraordinaire.  Un  linguiste  allemand,  en 
veine  de  plaisanterie  ,  a  dit  que  ce  langage  se  distingue  de  tout  autre 
par  ses  quatre  claquements  :  l'un  ressemble  au  bruit  d'une  bouteille  de 
vin  mousseux  qu'on  débouche  ,  un  autre  au  clac  par  lequel  on  excite 
un  cheval ,  les  deux  autres  ne  ressemblent  à  rien.  Ce  n'est  là  qu'une 
boutade.  Ce  qui  est  vrai,  c'est  que  dans  cette  langue  dominent  les  sons 
graves  et  aigus  ,  les  onomatopées  ,  qui  expriment  les  sentiments  et  les 
sensations ,  à  l'aide  d'expressions  sonores  ou  de  cris  inarticulés.  Ces 
peuples  disent  bonjour ,  en  faisant  subir  une  série  d'inflexion  à  la 
voyelle  a.  Quand  le  bonjour  est  sec ,  il  n'y  a  presque  pas  d'inflexions  , 


-  89  - 

elles  sont  interminables  au  contraire,  et  sur  des  modes  variés,  lorsque 
le  salut  est  gracieux. 

Toutes  ces  peuplades  ,  traquées  sans  cesse  par  les  Arabes  ,  qui  font 
également  la  chasse  à  l'esclave  et  à  l'ivoire,  se  laissent  surprendre  par 
le  fanatisme  nmsulraan.  Sur  toute  la  surface  de  l'Afrique  ,  on  compte 
aujourd'hui  plus  de  cinquante  millions  d'adhérents  à  la  religion  de 
Mahomet  ! 

En  face  de  ces  races  du  Nord,  arrachées  au  Christianisme,  de  celles 
du  Sud  menacées  à  leur  tour  par  les  Mahométans ,  en  présence  du 
blocus  que  les  nations  d'Europe,  avides  de  possessions  nouvelles , 
entreprennent  à  l'envi  contre  toutes  les  régions  de  l'Afrique,  les 
Pères  Blancs  se  sont  demandé  s'ils  ne  réclameraient  pas  une  place , 
pour  leur  ministère  de  paix  ,  dans  tout  ce  mouvement  colonial ,  et  si 
l'heure  d'une  nouvelle  croisade  n'était  pas  venue  ,  pour  commencer  ou 
reprendre  la  prédication  de  l'Evangile. 

Les  Missionnaires  d'Alger  forment  une  association  toute  jeune  ,  qui 
n'a  pas  vingt  ans  :  elle  est  dans  toute  sa  sève  ,  dans  sa  première  fraî- 
cheur. Dès  leur  apparition,  ils  ont  fait  passer  un  souffle  de  résurrection 
sur  cette  terre  africaine ,  et  à  l'heure  où  tout  semble  finir  parmi  nous , 
ils  ont  la  gloire  de  tout  commencer  là-bas. 

Leurs  postes  sont  établis  sur  le  littoral  de  la  Méditerranée  française  ; 
les  gorges  serrées  de  l'Atlas  se  sont  ouvertes  à  leur  apostolat ,  depuis 
la  province  d'Oran  jusqu'au  Djurjurah  ,  jusqu'à  la  régence  de  Tunis  ; 
leurs  stations  ,  dans  le  protectorat ,  s'appellent  Kairouan  ,  la  seconde 
ville  sainte  des  Arabes  après  la  Mecque ,  Tabarca ,  dans  le  pays  des 
Ki'oumirs  qui  ne  sont  pas  des  êtres  fabuleux,  mais  surtout  Saint  Louis 
de  Garthage  et  Tunis.  Les  profondes  solitudes  du  Soudan  les  ont  tentés  ; 
ils  sont  encore  au  M'zab,  en  plein  Sahara.  Les  voici  enfin,  sous  les  plis 
de  la  bannière  du  Sacré-Cœur,  sur  les  bords  des  grands  lacs  de 
l'Equateur. 

N'est-ce  pas  le  lieu  de  redire  que  le  désert  fleurit ,  qu'il  est 
embaumé  ! 

Les  petits  enfants  arabes,  recueillis  au  moment  de  la  famine  de  1867, 
puis  élevés  dans  des  asiles,  sont  devenus  des  jeunes  gens  et  des  jeunes 
filles.  Leur  esprit  a  été  éclairé  ,  leurs  mœurs  adoucies  ;  des  cœurs  de 
ces  barbares  on  a  fait  des  vases  d'élection  sans  cesse  purifiés  par  les 
Sacrements  ;  le  Dieu  de  l'Euchai'istie  les  a  pénétrés  de  force  et  de 
chasteté ,  leur  existence  a  été  renouvelée.  L'un  d'eux,  en  sortant  de  la 
sainte  communion  ,  dont  ils  sont  insatiables  ,   disait  dans  le  langage 


—  90  - 

familier  à  l'Orient  :  «  Nous  y  allons  comme  de  petits  oiseaux  affamés 
se  pressent  autour  de  la  main  qui  répand  du  grain  pour  les  nourrir.  » 

Le  moment  décisif  était  venu.  Renverrait-  on  dans  leurs  tribus  ces 
premiers-nés  de  la  loi  parmi  les  Arabes,  au  risque  très  probable  de  les, 
exposer  à  l'apostasie  ?  Les  confierait  -  on  à  des  familles  caîboliques  de 
France,  et  alors  le  contact  d'une  civilisation  raffinée  et  pleine  d'em- 
bûches, ne  deviendrait-il  pas,  pour  ces  âmes  toutes  neuves,  comme  un 
danger  de  tous  les  instants  ?  Afin  de  ne  pas  les  exposer  à  ces  périls  , 
on  prit  le  parti  audacieux  de  fonder  des  villages  chrétiens  ,  à  quelque 
deux  cents  mètres  d'Alger.  Ces  villages  chrétiens  ne  rappellent, 
d'ailleurs  ,  que  d'une  manière  très  lointaine  les  anciennes  «  réductions 
des  Jésuites  au  Paraguay  ». 

Les  jeunes  gens  disposés  à  former  une  famille  furent  unis,  ils  eurent 
la  dot  indispensable  pour  le  premier  établissement  :  une  petite  habi- 
tation ,  une  concession  de  terrain,  des  instruments  de  culture  ;  mais 
Taliénation  demeure  soumise  à  de  justes  réserves.  Au  milieu  de  chaque 
village  ,  s'élève  une  église  ,  qui  est  la  maison  de  Dieu  et  la  maison  de 
tous  ;  des  écoles  sont  ouvertes  aux  petits  enfants.  Les  Pères  Blancs  et 
les  Sœurs  de  la  mission ,  qui  ont  élevé  les  parents  ,  continuent  leurs 
soins  à  la  jeune  génération.  Deux  villages  existent  aujourd'hui  ;  ils 
s'appellent  Saint -Cyprien  et  Sainte -Monique,  deux  noms  bien  choisis 
pour  signifier  la  constance  invincible  et  la  tendresse  inaltérable. 

Les  pauvres  ,  les  malades  ne  pouvaient  être  oubliés  dans  ces  fonda- 
tions chrétiennes.  Les  infirmes  étaient  nombreux,  avaient  besoin  d"étre 
consolés,  ils  réclamaient  des  remèdes  surtout  pour  ces  plaies  hideuses 
qui  couvrent  si  souvent  le  corps  des  indigènes.  Les  soins  d'un  instant, 
les  consultations  isolées  n'étaient  pas  suffisantes  pour  des  afièctions 
chroniques  et  cruelles.  Religieux  et  religieuses  souhaitaient  un  hôpital. 
Cet  hôpital  tant  désiré,  ils  l'ont  enfin  obtenu. 

Dans  le  voisinage  des  villages  chrétiens,  au  pied  du  massif  de  l'Atlas, 
on  a  construit  en  style  moresque  ,  et  sous  le  vocable  béni  de  Sainte- 
Elisabeth,  le  grand  hôpital  des  Attafs.  La  porte  en  est  toute  large 
ouverte,  et  Ton  y  soulage  des  infortunés  qui  viennent  quelquefois  de 
bien  loin. 

Le  souvenir  de  l'inauguration  reste  vivant  parmi  les  populations 
arabes  ;  on  se  raconte  encore,  sous  la  tente,  ladiff'a  offerte  aux  nobles 
invités  par  l'archevêque  d'Alger ,  ainsi  que  la  fantasia  exécutée  par 
d'anciens  chefs  indigènes  de  l'armée  d'Afrique.  Plusieurs  jours  avant 
la  cérémonie,  les  femmes  ai'abes  tout  aflairées  autour  des  larges  plats 


-  91  - 

en  bois  de  frêne  que  fabriquent  les  Kabyles ,  avaieni  broyé ,  sans 
relâche  ,  le  froment  qui  sert  au  kouskous  «  do  l'iiospitalilé  »  ;  des 
bardes  étaient  descendus  des  hauteurs  de  l'Atlas,  avec  de  petits 
poèmes  de  leur  composition.  D'Alger ,  de  France  et  d'Angleterre 
étaient  accourus  de  magnanimes  soldats  ;  des  femmes  illustres  vinrent 
aussi  tenir  la  place  des  héros  qui  n'étaient  plus. 

Avec  quelle  émotion  et  quel  transport  n'a-t-on  pas  acclamé  la  pieuse 
et  noble  épouse  du  glorieux  vaincu  de  Castelfidardo,  du  vaillant  soldat 
de  Gonstantine  !  On  l'avait  cru  perdu  dans  celle  sanglante  journée,  et 
les  vieux  chefs  indigènes  ,  en  saluant  son  auguste  compagne  ,  après 
tant  d'événements  survenus,  rappelaient  qu'ils  l'avaient  vu  à  l'ambu- 
lance ,  le  soir  de  la  bataille  ,  tout  noir  de  poudre  ,  respirant  à  peine  , 
étendu  sur  le  lit  de  camp,  que,  par  une  inspiration  toute  française,  les 
chefs  de  l'armée  avaient  recouvert  du  drapeau  de  Gonstantine. 

Les  détails  d'une  diffa  ou  d'une  fantasia  sont  décrits  dans  tous  les 
livres  sur  l'Afrique  ;  mais  comment  ne  pas  évoquer  ici  le  souvenir 
d'une  poésie  qu'un  vieil  arabe  avait  écrite  en  mètre  libre ,  et  qu'il  réci- 
tait dans  cet  idiome  guttural  formé  pour  des  poitrines  profondes  ?  Le 
vieux  barde  chantait  et  chantait  toujours ,  mais  son  refrain  préféré 
était  celui-ci  : 

Les  enfants  avaient  pris  la  fuite, 
N'ayant  plus  de  pain  et  broutant  l'herbe 
Ils  n'avaient  plus  de  père  ni  de  mère. . . 
Le  grand  Marabout  les  a  recueillis  ! 

A  ce  souvenir  du  liéau  et  de  la  charité  héroïque  qui  en  avait  triom- 
phé, les  larmes  coulaient,  las  cœurs  étaient  attendris.  Tout  ce  qui  part 
du  cœur  ne  se  fait-il  pas  entendre  par  lui  ? 

Pendant  que  les  Pères  Blancs  présidaient  à  la  formation  des  villages 
chrétiens,  à  l'installation  de  l'hôpital  des  Attafs,  leur  avant-garde  avait 
déjà  fait  de  nouvelles  étapes.  Depuis  quelques  années,  et  sutout  lorsque 
l'œuvre  des  orphelins  arabes  allait  toucher  à  son  terme  ,  ils  avaient 
songé  à  étendre  leur  croisade.  Ils  n'eurent  pas  un  moment  d'hésitation 
sur  les  tribus  qu'ils  évangéliseraient  de  préférence,  de  la  population  si 
mêlée  dont  se  compose  l'Algérie.  L'Arabe  adulte  est  fanatique  ,  privé 
de  toute  liberté  et  sans  cesse  surveillé  par  des  zélateurs  fai'ouches. 
Les  Juifs,  de  leur  côté,  sont  trop  enfermés  dans  leurs  afl'aires  d'ici-bas 
pour  se  mettre  en  pi  ine  de  l'au-delà.  Les  Berbères,  au  contraire, 
Kabyles  et  Touaregs  ,  jadis  conquis  par  les  Romains  ,   civilisés  par  le 


—  92  - 

christianisme,  ont  donné  du  sang  pour  la  défense  de  leur  foi,  et,  chez 
eux,  tous  les  vestiges  de  «  l'ancienne  voie  »  ne  sont  pas  efiacés. 

Les  Pères  Blancs  se  sont  donc  tournés  vers  la  race  Berbère ,  avec 
l'espoir  de  rallumer  le  flambeau  de  leurs  croyances  ,  et  les  premières 
expéditions  s'engageaient  dans  le  Djurjurah  de  la  Grande-Kabylie.  Des 
stations  furent  établies  sur  les  cônes  qui  s'étagent  presque  en  demi- 
cercle  autour  de  Fort-National ,  «  cette  épine  plantée  dans  l'œil  » , 
comme  l'appellent  les  Kabyles  avec  un  profond  chagrin.  Ces  stations 
sont  aujourd'hui  au  nombre  de  sept,  et  sur  les  sommets  du  Djurjurah, 
comme  au  pied  de  l'Atlas,  les  premiers  soins  sont  aux  malades  et  aux 
enfants. 

Les  voyages  à  travers  les  pays  montagneux  sont  longs  et  pénibles. 
Mais  surtout  dans  ces  régions  qui  semblent  se  dérober  ,  les  kilomètres 
sont  des  kilomètres  de  spahis,  qu'on  ne  fait  qu'en  une  demi-heure  ;  on 
n'a  jamais  fini  de  gravir  des  sentiers  qui  s'entrelacent,  où  quelquefois 
tout  le  monde  glisse  et  descend,  homme  et  monture  ;  les  premières 
habitations  ébauchées  sur  ces  hauteurs  ne  sont  pas  toujours  solides  : 
il  leui'  arrive  d'être  balayées  par  de  terribles  ouragans. 

L'installation  est  toujours  sommaire  sur  un  sol  en  terre  battue. 
Dans  la  même  pièce,  pas  très  grande  et  que  des  portes  à  larges  fissures 
protègent  mal  contre  le  vent,  on  crée  des  compartiments  fictifs,  afin 
d'agrandir  le  domicile.  Q  y  a  tout  au  fond ,  en  face  de  la  porte,  ce  que 
l'on  nomme  la  chapelle,  celle-ci  voilée  par  un  tapis  tendu  ;  près  de 
l'entrée,  le  divan,  où  sont  accueillis  les  visiteui's  ;  dans  un  coin,  la 
cuisine,  avec  un  attirail  très  restreint  ;  à  une  autre  extrémité,  le  loge- 
ment de  la  mule  et  aussi  de  deux  petits  sangliers  apprivoisés  ;  au 
milieu,  la  salle  à  manger  avec  une  caisse  qui  sert  de  table.  Après  le 
souper,  la  pièce  tout  entière  est  transformée  en  dortoir,  et  le  Père 
supérieur  a  le  privilège  de  coucher  dans  la  caisse,  où  viennent  le 
rejoindre  les  petits  sangliers  lorsqu'ils  ont  trop  froid. 

Quelque  modeste  que  soit  l'installation,  le  divan  est  rempli,  dès  la 
première  heure,  de  malades  et  de  curieux  :  le  marabout  arabe  vient 
souvent  y  passer  ses  moments  de  loisir  ;  les  infirmes  surtout  s'y 
pressent  et  sont  très  prolixes  dans  la  description  de  leurs  maladies. 
Mais  l'école  est  l'œuvre  principale  des  Pères  Blancs. 

Les  Kabyles  apprécient  l'instruction  pour  leurs  enfants,  mais  n'en- 
tendent pas  s'assujettir  aux  vexations  de  l'enseignement  obligatoire. 
L'internat,  surtout  l'internat  des  jeunes  filles  a  le  don  de  les  exaspé- 
rer, et  lors  d'une  création  récente  qui  ne  fut  pas  de  leur  goût ,  on  les 


-  93  - 

vit  descendre  à  Fort-National  et  déclarer  au  résident  civil  qu'ils  étaient 
prêts  à  en  finir  plutôt  que  de  laisser  toucher  à  leur  famille  :  «  Si  tu 
veux  prendre  nos  filles,  lui  disaient-ils,  il  ne  nous  reste  plus  qu'à 
travailler  une  route  pour  aller  nous  jeter  dans  la  mer  !  » 

Les  Pères  Blancs  savent  respecter  la  liberté  des  Kabyles  et  mériter 
une  confiance  que  des  lois  oppressives  n'imposeront  jamais.  Aussi,  dès 
que  la  petite  cloche  de  l'école  annonce  l'heure  de  la  classe,  sur  l'un 
des  sommets  du  Djurjurah,  les  enfants  accourent  avec  empressement 
aux  demeures  respectives  des  «  Pères  marabouts  et  des  vierges  mara- 
boutes.  En  hiver,  et  même  jusqu'au  mois  d'avril,  l'accès  de  l'école 
n'est  pas  sans  danger,  parmi  ces  pics  couverts  de  neige,  où  le  sentier 
doit  être  frayé  chaque  matin  ;  mais  le  père  de  famille  aime  sou  enfant 
comme  la  prunelle  de  son  œil  et  ne  consent  pas  à  l'exposer  seul  à  un 
voyage  aussi  périlleux.  Au  premier  signal  de  la  cloche ,  le  Kabyle 
hisse  l'enfant  sur  ses  épaules ,  et  d'un  pied  agile  et  assuré ,  s'avance 
sur  les  arêtes  vives  qui  bordent  les  ravins ,  et  arrive  enfin  avec  son 
fardeau  qui  s'échappe  triomphant  de  ses  bras  et  va  s'ébattre  au  milieu 
des  camarades.  Vers  les  premiers  jours  du  printemps  dernier ,  un 
membre  de  l'enseignement  supérieur ,  venu  de  Paris  pour  une  excur- 
sion dans  l'Atlas  ,  assistait  un  matin  à  l'ouverture  de  la  classe.  Gomme 
il  témoignait  sa  surprise  et  son  admiration  à  l'un  des  intrépides 
Kabyles  qui  venait  d'accompagner  son  fils  :  «  Vois -tu,  lui  dit  fami- 
lièrement le  Kabyle  ,  je  vais  tout  t'expUquer.  Quand  la  cloche  sonne  , 
nos  enfants  ne  restent  plus  en  place  ;  ils  sont  comme  des  tourhillons, 
impatients  d'arriver  chez  les  marabouts  de  France.  On  ne  peut  pour- 
tant pas  les  laisser  partir  seuls  dans  la  neige  et  sur  la  glace  !  Nous  les 
élevons  sur  nos  épaules  et  nous  les  apportons.  »  Le  professeur,  touché 
de  cette  explication  ,  fit  un  salut  cordial  aux  Pères  Blancs  et  leur  dit 
avec  émotion  :  «  Il  y  a  ici  un  attrait  pour  ces  enfants ,  et  leur  instinct 
ne  les  trompe  pas  ;  ils  trouvent  en  vous  des  Pères  !  » 

Cette  œuvre  patriotique  et  de  pacification  poursuivie  par  les  Mission- 
naires d'Alger,  les  résidents  civils  de  Fort-National  ne  se  refusent  pas 
à  la  faire  valoir  contre  les  influences  étrangères  qui  tentent  de  s'insi- 
nuer jusque  dans  le  Djurjurah.  Les  Anglais  nous  ont  souvent  appris  à 
nos  dépens  qu'ils  aiment  les  colonies,  mais  surtout  les  colonies  des 
autres ,  où  il  n'y  a  plus  qu'à  s'établir ,  sans  s'imposer  les  labeurs 
ingrats  de  la  première  occupation.  L'Angleterre  regarderait-elle  d'un 
œil  de  convoitise  nos  possessions  de  l'Afrique  du  Nord  ?  On  pourrait 
le  soupçonner ,  eu  voyant  les  missions  de  propagande  que  la  société 


-  91  - 

biblique  de  Londres  s'est  mis  en  tôle  de  diriger  sur  la  Kabylie.  Mais 
les  efforts  des  ministres  anglicans  et  de  leurs  minislresses ,  ne  sont 
pas  encore  à  la  veille  d'être  couronnés  de  succès.  Il  y  a  quelques  mois, 
au  cours  d'une  visite  qu'un  Père  Blanc  rendait  au  résident  civil ,  on 
annonce  l'arrivée  de  quelques  membres  de  la  société  biblique  ;  ils 
demandent  à  être  introduits.  Le  Père  Blanc  s'apprête  ,  par  discrétion  , 
à  prendre  congé,  mais  il  est  retenu  par  le  résident  civil.  L'entrevue  ne 
dura  qu'un  instant  avec  les  nouveaux  venus.  La  députation  anglaise 
sollicitait  la  protection  du  représentant  de  la  France  :  elle  venait  tra- 
vailler à  la  civilisation  des  Kabyles  et  leur  apprendre  à  devenir  de 
bons  Français.  Le  résident  les  remercia  de  tant  de  bonnes  intentions  , 
et  leur  indiquant  de  la  main  le  missionnaire  qui  était  debout  à  ses 
côtés  :  «  Nous  avons  en  lui,  dit-il,  et  dans  tous  les  autres  Pères  Blancs, 
des  hommes  qui  s'entendent  très  bien  en  civilisation  et  dans  l'art  de 
former  les  enfants  de  la  France  !  » 

Ils  ont,  de  plus,  la  joie  de  former  les  enfants  de  TEglise.  Car,  si  les 
jeunes  Kabyles  fréquentent  leurs  écoles  pour  apprendre  le  français  , 
ils  y  viennent  aussi  pour  entendre  parler  de  Dieu  et  de  «  l'ancienne 
voie  ». 

De  temps  en  temps,  quelques-uns  de  ces  enfants,  plus  avides  d'étu- 
dier, décident  leur  famille  à  les  laisser  partir  pour  Alger  ,  à  la  maison- 
mére  de  la  Mission.  Ils  s'y  appliquent  ,  ils  écoutent  et  s'habituent  à 
«  gouverner  leur  langue  ».  A  l'époque  des  vacances,  ils  reviennent 
dans  les  montagnes.  Avec  quels  transports,  au  milieu  de  quelles  effu- 
sions ne  se  jettent-ils  pas  dans  les  bras  de  leurs  mères  !  Celles-ci, 
suivant  leur  coutume  d'exprimer  leur  joie ,  les  accueillent  avec  de 
grands  cris  ;  elles  convoquent  leurs  voisines  ,  qui  témoignent  aussi 
leur  satisfaction  par  des  clameurs  assourdissantes.  Alors  tout  ce  qu'on 
leur  a  enseigné  dans  la  grande  ville,  les  enfanrs  le  racontent  dans  leur 
pittoresque  langage.  Là -bas,  disent-ils,  on  nous  apprend  que  Dieu 
reçoit  les  siens  dans  des  luaisons  d'or ,  et  que  tous  ceux  qui  ne  sui- 
vront pas  la  vraie  voie,  seront  condamnés  à  manger  du  feu  toujours. 
A  ces  récits  vifs  et  animés,  les  mères  pleurent  et  méditent.  Souhaitons 
le  jour  où  les  enfants  et  les  mères  pourront  être  éclairés  !  La  conver- 
sion de  la  femme,  c'est  la  fin  de  l'islamisme  ! 

C'est  aussi  la  cause  de  la  France  et  de  l'Eglise  que  les  Pères  Blancs 
ont  prise  en  main  ,  depuis  1875,  dans  la  régence  de  Tunis  et  dans  les 
profondeurs  du  Sahara. 

A  une  heure  de  la  Goulette ,  s'élève  eu  amphitliéàtre  une  série  de 


-  95  — 

collines  couronnées  par  une  hauteur  célèbre  qui  lut  longtemps  l'Acro- 
pole d'une  colonie  phénicienne.  Sur  le  sommet  principal  de  tous  ces 
monts  était  assise  l'ancienne  citadelle  de  Byrsa.  On  ne  peut  entre- 
prendre l'ascension  de  ces  collines  étagées  sans  rencontrer  quelque 
grand  souvenir ,  on  ne  peut  faire  un  pas  sans  Couler  quelque  vestige 
(kl  passé.  Le  poêle  épique  a  chanté  .  en  langue  latine,  cette  reine  fugi- 
tive, partie  des  côtes  delà  Phénicie,  abordant  à  ces  rivages  pour  y  fon- 
der la  cité  de  Carthage  ,  qui  balança  si  longtemps  la  fortune  de  Rome. 
La  malheureuse  exilée  avait  espéré  pouvoir  oublier ,  dans  ce  refuge , 
les  amertumes  de  sa  vie,  tous  ses  chagrins  ;  elle  en  retrouva  de  plus 
grands  encore  et  iinit  de  désespoir  au  mUieu  des  flammes  d'un  bûcher! 
Dans  l'histoire  des  âges  ,  l'histoire  dégagée  de  la  légende  ,  a  conservé 
le  souvenir  d'une  autre  femme  ,  l'épouse  d'Asdrubal ,  qui  se  condamna 
aussi  à  une  mort  violente  .  au  sein  de  cette  même  forteresse ,  pour 
échapper  à  l'armée  de  siège  et  aux  outrages  du  vainqueur. 

Après  bien  des  vicissitudes,  sous  la  domination  de  Rome  ,  après  les 
jours  de  gloire  et  de  persécution  de  la  première  prédication  chrétienne, 
temps  admirables  et  terribles ,  où  l'Eglise  de  l'Afrique  proconsulaire 
eut  à  verser  des  flots  de  sang  pour  la  cause  de  l'Evangile  —  on  a  pu 
comparer  cette  terre  sacrée  à  un  immense  reliquaire  baigné  du  sang 
des  martyrs  !  —  la  citadelle  devint  un  camp  retranché ,  pendant  les 
croisades  ,  et  c'est  là  selon  une  tradition  qui  n'est  pas  démentie  ,  que 
..notre  roi  saint  Louis  ,  au  milieu  de  son  armée  en  deuil ,  étendu  sur  un 
lit  de  cendre,  rendit  le  dernier  scupir,  les  yeux  tournés  vers  «  la  douce 
France  ».  Durant  le  cours  d'une  longue  période,  ces  régions  barba- 
resques,  dévastées  par  l'invasion  musulmane,  ne  furent  guère  visitées 
que  par  les  Religieux  voués  à  la  rédemption  des  captifs  ,  dont  saint 
Vincent  de  Paul  fut  assuiément  le  plus  illustre. 

C'est  seulement  dans  la  première  partie  de  notre  siècle ,  qu'on  eut 
entin  la  pensée  d'élever .  sur  les  ruines  de  l'ancienne  citadelle ,  un 
monument  en  l'honneur  d'un  Roi  qui  fut  un  guerrier  et  un  apôtre. 
Une  bien  modeste  chapelle  ,  sous  le  vocable  de  Saint-Louis  ,"fut  érigée 
il  y  a  quarante  -  cinq  ans  ;  des  prêtres  français  y  remplirent  la  charge 
d'aumôniers.  C'est  ainsi  que  l'acropole  de  Byrsa  fit  place  à  la  chapelle 
de  Saint-Louis.  Depuis  plus  de  dix  ans  ,  les  Pères  Blancs  ont  reçu  de 
Pie  IX  la  mission  de  la  desservir  ;  Us  y  étaient  établis  à  la  tête  d'un 
orphelinat  pour  les  indigènes  ,  lorsque  survinrent  les  événements  de 
1880  et  l'expédition  de  Tunisie.   On  vit  bien  alors,  pai"  quel  dessein 


—  9(5  — 

providentiel,  ces  enfants  dé  la  France  s'étaient  installes  sur  les  hauteurs 
de  Carthage. 

Dès  les  premiers  jours,  notre  armée  d'occupation,  notre  marine 
mouillée  à  la  rade  de  la  Goulette ,  se  trouva  à  Saint -Louis  en  terre 
française.  Le  corps  du  génie  y  fixa  son  quartier  général  pour  les  opéra- 
tions de  topographie  et  de  triangulation  ;  officiers  de  la  flotte  et  généraux 
faisaient  appel  aux  Missionnaires  pour  le  service  divin  et  pour  la  consola- 
tion des  malades.  Plus  tard  ,  des  sénateurs  et  des  députés  chargés  d'eu- 
quête,  faisaient  aussi  séjour  dans  l'établissement  de  Carthage.  Emus 
et  reconnaissants  de  la  cordialité  toute  française  avec  laquelle  ils 
étaient  accueillis,  ils  déclaraient  sans  vergogne,  que  certain  cri  de 
guerre  religieuse  proféré  ailleurs ,  n'était  pas  «  un  article  d'exporta- 
tion ou  de  navigation  ».  Au  cours  de  cette  expédition,  qui  devait 
aboutir  à  notre  protectorat  reconnu,  les  officiers  qui  avaient  visité 
l'orphelinat  des  Pères,  songeaient  aussi  à  le  recruter,  et  se  vouaient, 
entre-temps,  à  l'œuvre  des  abandonnés  et  des  vagabonds.  Un  jour, 
l'un  de  ces  chefs  au  cœur  magnanime,  moijtait  à  Saint-Louis,  accom- 
pagné d'un  jeune  arabe.  Le  pauvre  petit  être  était  enfermé  dans  un 
costume  qui  n'avait  pas  été  confectionné  à  sa  mesure  ,  ni  à  la  dernière 
mode.  Dès  qu'il  aperçut  le  Père  Supérieur  ;  «  Mon  père  ,  dit  l'officier . 
c'est  un  petit  indigène  que  je  viens  de  racheter,  son  équipage  était 
très  restreint.  Il  n'est  pas  vêtu  avec  luxe,  mais  j'ai  dû  lui  tailler  moi- 
même  cet  accoutrement,  et  mettre  la  main  à  l'aiguille,  pour  qu'il  fut 
en  état  de  vous  être  présenté.  Je  vous  prie  de  faire  le  reste.  »  Gom- 
ment un  orphelin,  présenté  sous  de  pareils  auspices,  n'aurait-il  pas  été 
accepté,  les  bras  ouverts  ? 

Voilà  ce  qu'on  a  vu  pendant  cette  campagne  de  Tunisie  ;  mais  com- 
bien d'autres  services  rendus  par  les  Pères  Blancs,  qui  ne  tombent 
pas  sous  les  yeux,  et  que  Dieu  se  réserve  comme  un  spectacle  digue 
de  Lui  et  de  ses  Anges  ! 

Une  armée  d'occupation,  avec  ses  cadres,  ses  lignes  déterminées. 
ses  moyens  d'approche,  n'apparaît  au  premier  coup  d'œil,  que  comme 
une  agglomération  de  soldats  toujours  dans  l'action,  incessamment 
engagés  dans  quelque  entreprise,  dans  quelque  mêlée  sanglante.  Mais 
ce  n'est  là  qu'un  aspect  de  la  guerre  et  de  la  vie  des  camps.  Aux 
heures  d'effort  et  d'entraînement,  succèdent  les  journées  d'attente,  de 
lassitude,  où  les  cœurs,  les  âmes  envahies  subitement  par  les  souve- 
nirs, se  sentent  comme  déracinées  sur  ces  plages  lointaines,  avec  tout 
le  malaise  qu'on  éprouve  en  face  de  l'inconnu.  L'absence  n'estelle  pas 


-  97  - 

le  plus  grand  de  tous  Jes  maux  ?  El  puis,  il  3-  a  aussi  là-bas,  sur  le  sol 
(\o  la  patrie,  des  existences  que  riiiquiétudo  dévore,  des  pères  qui 
s'attristent,  des  mères  qui  se  lamentent,  de  jeunes  familles  brusque- 
ment interrompues,  qui  ne  sont  ingénieuses  qu'à  se  tourmenter,  qui 
n'ont  jamais  assez  de  nouvelles,  qui  se  défient  de  celles  qui  arrivent, 
et  qui  du  moins,  seraient  si  heureuses  de  tout  connaître  à  tous  les  ins- 
tants !  A  ces  heures  d'angoisses,  il  est  bon,  pour  ceux  qui  sont  loin  de 
la  demeure  paternelle,  de  toutes  leurs  affections,  de  pouvoir  respirer 
un  peu  d'air  natal,  de  revivre  quelques  instants  en  France,  au  moins 
par  la  pensée,  de  rencontrer  des  amis  sûrs  et  dévoués  en  qui  l'on 
épanche  le  chagrin  qui  s'accumule,  les  ennuis  noirs  et  les  abattements 
profonds  ;  il  est  bon  que  des  épouses,  des  mères  puissent  com[)ter,  en 
toute  vérité,  sur  des  correspondants  sûrs  qui  suppléent  à  tout  ce  que 
les  dépêches  ont  de  si  laconique  !  Les  Pères  Blancs  furent  ces  pré- 
cieux intermédiaires  entre  les  soldats,  leurs  familles  et  leurs  enfants. 
Qui  pourra  redire  les  visites  souvent  répétées,  les  entretiens  forti- 
flanls,  les  libres  causeries  échangées  avec  les  Pères,  par  ces  fils  de  la 
France,  qui  retrouvaient,  sur  les  hauteurs  de  vSaint-Louis,  la  patrie,  le 
souvenir  du  foyer,  la  consolation,  T'espérance  ?  Qui  pourra  jamais 
connaître  toutes  les  lettres  adressées  à  Garthage,  tous  les  messages 
qui  en  partaient,  pour  calmer,  pour  rassurer  tant  d'âmes  gémissantes, 
tant  de  cœurs  meurtris  ?  Ce  sont  là  des  secrets  et  des  mystères,  qui 
échappent  au  regard  de  la  foule  ;  mais  ceux  qui  ont  pu  les  soupçonner, 
verser  le  baume  sur  des  plaies  saignantes,  faire  passer  dans  des  vios 
en  détresse  le  courant  d'espérance  qui  retrempe  et  qui  rafraîchit ,  ces 
hommes-là,  nous  n'en  pouvons  douter,  ont  accompli  une  œuvre  patrio- 
tique et  fi-ançaise. 

C'est  à  Tunis  que  les  Pères  Blancs  ont  peut-être  le  plus  contribué  à 
élabhr  notre  influence.  Au  moment  de  la  reconnaissance  du  protecto- 
rat, nous  n'avions  dans  la  capitale  de  la  Régence,  qu'une  ou  deux 
écoles  primaires  dirigées  par  des  religieuses  et  des  religieux  français. 
Les  ItaUens,  qui  sont  en  quête  de  colonie,  avaient  été  plus  avisés. 
Convaincus  que  la  langue  est  le  meilleur  véhicule  pour  propager  les 
mœurs  et  répandre  les  idées ,  ils  avaient  créé,  depuis  près  de  vingt 
ans  collège  international,  un  collège  déjeunes  filles,  des  cours  du  soir, 
et  dans  d'autres  villes  de  la  Tunisie,  des  établissements  semblables. 
Par  ces  fondations,  ils  essayaient  de  saisir  la  population  maltaise,  de 
rapprocher  de  leurs  coutumes  les  Juifs  et  les  Musulmans.  Mais  les 
dispositions  de  cette  population  mêlée  ne  leur  étaient  guère  favorables. 


—  98  - 

Nulle  puissance,  plus  que  la  France,  n'a  d'autorité  et  d'ascendant  sur 
les  Juifs  et  les  Arabes  ;  le  Maltais  lui-même  a  plus  de  penchant  pour 
le  Français  que  pour  l'Italien. 

Il  était  donc  indispensable  qu'une  grande  école  française  fut  ouverte 
à  Tunis  ;  les  Pères  Blancs  se  trouvèrent  en  nombre  pour  suffire  à  cette 
besogne.  Le  collège  Saint  -  Charles  fut  fondé.  Dès  l'ouverture,  en 
octobre  1882 ,  les  élèves .  de  toute  race  ,  de  toute  religion  vinrent  en 
si  grand  nombre,  qu'il  fallut  construire  une  aile  nouvelle.  Aujourd'hui, 
en  plein  quartier  Européen  ,  sur  l'avenue  .de  la  marine  ,  et  près  de  la 
cathédrale  do  Tunis  .  s'élève  le  collège  français,  qui  va  bientôt  compter 
trois  cents  élèves.  Les  enfants  aiment  leur  école,  apprennent  à  s'y 
connaître  dès  la  première  jeunesse  ;  la  liberté  de  leurs  croyances  .  de 
leurs  traditions  y  est  respectée  ;  mais  ils  sont  formés  à  la  morale  la 
plus  pure  et  s'habituent  à  considérer  la  France,  comme  la  grande 
]iation  de  Dieu  ,  comme  leur  patrie.  Afin  que  les  études  soient  suivies 
et  régulières,  pour  que  les  Pères  puissent  se  livrer  tout  entiers  à  l'édu- 
cation, le  collège  Saint-Charles  de  Tunis  est  sous  le  même  régime  que 
le  collège  Stanislas  do  Paris.  Les  professeurs  sortent  de  l'Université' . 
mais  la  direction  et  l 'administrations  sont  entre  les  mains  des  Pères 
Blancs. 

Les  jeunes  filles  ont  aussi  leurs  pensionnats ,  l'un  k  Tunis  ,  l'autre  à 
Carthage,  et  sur  le  territoire  de  la  Régence,  grâce  l'activité  du  vaillant 
Primat  d'Afrique  ,  plus  de  quinze  écoles  primaires  ont  été  créées ,  en 
trois  ans ,  avec  les  seules  ressources  de  la  charité.  Ces  écoles  ,  desti- 
nées à  alimenter  le  collège  Saint  -  Charles  et  les  pensionnats  déjeunes 
filles,  font  l'admiration  des  visiteurs.  Naguère,  un  membre  de  l'Asso- 
ciation Franklin  .  protestant  d'origine  ,  chargé  d'étudier  les  questu)ns 
d'enseignement  en  Tunisie  ,  a  consigné  cette  phrase  dans  son  rapport  : 
«  Les  Missionnaires  ,  dans  le  protectorat ,  sont  un  merveilleux  instru- 
ment de  colonisation.  » 

On  a  défini  l'apôtre  ,  un  homme  qui  ne  doit  s'arrêter  qu'à  la  fin  du 
monde.  Les  Pères  d'Afrique  ne  s'arrêtent  pas.  Pendant  qu'ils  s'éta- 
blissaient sur  les  hauteurs  de  Carthage ,  pour  rayonner  ensuite  sur 
toutes  les  villes  de  la  Régence ,  d'autres  groupes  de  missionnaaires  . 
trois  par  trois,  comme  c'est  leur  règle  fondamentale,  allaient  à  la 
reconnaissance ,  par  delà  les  gorges  de  l'Atlas .  jusqu'aux  portes  du 
Sahara  et  du  Soudan.  Ils  voulaient  atteindre  les  Touaregs  ,  cette  autre 
famille  des  Berbères ,  qui  est  nomade  et  ne  laisse  de  ses  pas  qu'une 
trace  fugitive  dans  les  sentiers  du  désert.  A  leur  suite ,  ils  espéraient 


-  09  - 


pouvoir  entrer  à  Tombouctou  ,  la  ville  fameuse  ,  ol  porter  le  coup  de 
n.orl  k  la  traite  et  à  l'esclavage,  qui  est  la  source  de  toutes  les 

infamies.  ■    j  a 

A  cette  fin  ,  les  Pères  Blancs  préparaient  de  longue  mani  des  expé- 
ditions dans  le  Sahara  et  dans  le  Soudan.  Appuyés  r.ur  nos  possessions 
françaises  les  plus  avancées  au  Sud  de  Biskra  et  même  sur  la  Tripoh- 
taine,  ils  choisissaient  Tougourth  ,  El-Goleah  ,  comme  des  stations  ,  où 
ils  pourraient  rencontrer  des  caravanes  et  s'attacher  des  chameliers. 
De  là  ,  ces  voyages  dans  la  régence  de  Tripoli ,  à  Rhadamès  ,  où  les 
Pères  Blancs  étaient  déposés  comme  des  colis  dans  une  rue  déserte  ;. 
de  là  ces  excursions  dans  ces  plaines  de  sable  ,  couvertes  d'alfas  et  de 
broussailles  épineuses  ,  où  l'on  n'avait  d'autre  couche  que  le  lit  dessé- 
ché des  rivières  et  dans  le  voisinage  des  vipères  à  cornes  qui  donnent 
la  mort  en  deux  heures  :  tout  cela  pour  approcher  les  Touaregs  , 
s'aboucher  avec  eux.  et  parvenir  à  se  mêler  à  leurs  caravanes  en  route 
pour  le  Sud.  par  Ralh  ou  In-Salah.  On  disait  les  chefs  Touaregs 
fidèles  aux  engagements  contractés. 

Nous  allons  voir  si  les  Pères  d'Afrique  ont  pu  échapper  à  l'instinct 
rapace  de  ces  pirates  qu'on  appelle  «  les  écumeurs  de  ces  mers  de 

sable  ». 

Vers  la  fin  de  1874 .  un  événement  étrange  sembla  favoriser  les 
projets  d'une  croisade  dans  le  Soudan.   Des  Touaregs,  convaincus 
d'avoir  pris  part  à  une  insurrection  avaient  été  saisis,  conduits  à  Alger 
et  condamnés  à  être  passés  par  les  armes.  L'exécution  n'eut  pas  heu  , 
car  leur  grâce  fut  obtenue  par  l'intervention  de  Mgr  d'Alger.  Les 
Touaregs .  vivement  touchés  d'une  démarche  si  inattendue .  vinrent 
remercier  en  corps  celui  qui  leur  avait  sauvé  la  vie  Un  repas  leur  fut 
offert ,  et  à  la  fin  de  la  réception ,  le  chef  des  Touaregs  prenant  la 
parole,  dans  le  langage  de  toutes  ces  races  du  désert  :  «  Tu  es  notre 
Père,  dit-il  à  l'Archevêque  .  nous  te  devons  la  vie.  Compte  désormais 
sur  nous  :  nous  répondrons  de  ceux  de  tes  enfants  que  tu  voudras 
envoyer  dans  le  Soudan.  Nous  les  accompagnerons,  nous  les  défen- 
drons jusqu'à  la  mort.  »  Cela  dit.  les  Touaregs  prirent  le  chemin 
d'In-Salah:  dans  la  direction  du  sud-ouest. 

Dès  les  premiers  mois  de  l'année  suivante,  on  voulut  mettre  à  profit 
la  bonne  volonté  des  Touaregs.  Une  caravane,  composée  de  trois 
missionnaires  .  prenait  la  route  la  plus  courte  pour  Tombouctou  ,  celle 
qui  incUne  vers  l'Ouest  et  passe  pai'  In-Salah.  Durant  plusieurs  mois 
d'indicibles  angoisses,  on  demeura  sans  nouvelles.  Puis  des  chameliers 


-  100  - 

échappés  au  désastre ,  vinrent  annoncer  que  les  Pères  avaient  été 
massacrés  par  les  Touaregs  noirs  ;  les  têtes  avaient  été  tranchées  ,  les 
restes  jetés  au  feu  et  calcinés.  Le  mystère  de  ce  drame  sanglant  n'a 
pu  être  éclairci.  On  a  dit  que  les  Touaregs  n'avaient  été  que  des  émis- 
saires ,  que  les  ordres  partaient  d'ailleurs.  Il  y  a  tant  de  Touaregs 
aujourd'hui  ! 

Malgré  tout,  les  Pères  Blancs  ne  connurent  pas  le  découragement. 
Ils  se  reposaient  dans  la  pensée  que  le  chemin  du  désert .  arrosé  du 
sang  de  leurs  martyrs  ,  était  définitivement  ouvert ,  qu'en  prenant  de 
préférence  la  route  de  l'est  par  Rhat ,  quoique  la  plus  longue  pour  se 
rendre  à  Tombouctou,  ils  pourraient  s'appuyer  sur  des  Touaregs  répu- 
tés très  sûrs  et  très  hospitaliers.  Durant  cinq  années  ,  par  des  recon- 
naissances incessantes  dirigées  vers  le  Sud,  depuis  Rhadamès jusqu'à 
Rhat,  ils  contractaient  des  amitiés,  nouaient  des  alliances  avec  les  plus 
influents  des  Touaregs.  Ces  derniers ,  soupçonnés  d'avoir  trempé  dans 
la  fin  sanglante  du  colonel  Flatters  ne  montraient  aucune  hostilité 
envers  les  Pères  et  les  voyaient  même  de  très  bon  œil.  L'heure  tant 
souhaitée  venait  de  sonner  pour  cet  héroïque  Père  Richard  ;  —  nous 
saluons  en  lui  un  breton  et  l'une  des  plus  belles  âmes  de  notre  époque 
—  il  allait  être  au  comble  de  ses  vœux  et  pouvoir  partir  avec  ses  deux 
compagnons  «  les  pieds  sur  la  terre,  le  cœur  dans  les  cieux  !  » 

On  touchait  à  la  fin  de  1881.  La  caravane  organisée  et  protégée  par 
les  chefs  Touaregs  était  partie  de  Rhadamès  :  elle  s'était  avancée  à 
près  de  cinq  cents  kilomètres  dans  le  Sud.  Après  avoir  dépassé  Rhat , 
elle  marchait  à  petites  journées  dans  ces  mornes  solitudes  e^,  ne  s'ar- 
rêtait que  pour  camper  auprès  des  puits,  avoisinant  les  salines.  Les 
nouvelles  reçues  par  les  caravanes  qui  se  croisent,  étaient  excellentes, 
lorsqu'au  commencement  de  1882,  des  coureurs  vinrent  annoncer  que 
les  Pères  n'étaient  plus  ;  ils  avaient  été  décapités  aux  aboid  d'un  puits. 
il  y  avait  deux  ou  trois  jours.  Des  cavaliers  s'empressèrent  d'accourir  ; 
ils  ne  trouvèrent  plus  que  des  ossements  brûlés  et  noircis  ,  des  vête- 
ments en  lambeaux  et  couverts  de  sang,  et  tout  près  de  ces  objets  san- 
glants, le  chien  du  Père  Richard,  un  Slugi,  au  repos  .  abîmé  dans  sa 
douleur,  qui  ne  relevait  la  tête  que  pour  faire  entendre  des  hurlements 
lugubres.  Tandis  que  les  hommes  s'abandonnaient  à  une  barbarie  sau- 
vage, un  animal  n'obéissant  qu'à  son  instinct,  pleurait  à  sa  manière,  et 
réclamait  par  des  cris,  son  maître  qu'on  venait  d'immoler. 

La  tristesse  fut  grande  dès  les  premières  rumeurs  qui  apportaient  la 
nouvelle  de  ce  second  massacre  :  un  long  cri  de  douleur  s'éleva  dans 


-  101  - 

lo  monde  chrétien,  nue  lettre  partie  d'Alger  exhalait  les  plaintes  de  la 
nntnre  déchirée  et  prodiguait  des  consolations  à  des  mères  qui  vivaient 
encore  !  Mais  enfin  ,  c'était  un  sentiment  de  joie  et  de  fierté  chré- 
tienne, qui  était  la  note  dominante.  Qui  donc  oserait  soutenir  que  la 
foi  est  morte  parmi  nous  ,  que  notre  nation  n'est  plus  capable  de  géné- 
rosité et  de  sacrifice  .  lorsqu'elle  a  du  sang  à  verser  pour  la  cause  de 
l'Evangile  pour  la  grandeur  de  la  patrie  française  ?  On  le  vit  bien  à  la 
messe  d'actions  de  grâces  ,  célébrée  avec  l'agrément  du  Souverain- 
Pontife,  en  l'honneur  des  trois  victimes.  Tandis  que  les  cœurs  étaient 
opprimés,  les  yeux  rougis  par  les  larmes,  des  voix  animées  par  l'espé- 
rance entonnaient  le  Te  Demn,  et  célébraient  ces  trois  enfants  de  la 
France  qui  venaient  d'être  réunis  à  la  glorieuse  armée  des  Martyrs  ! 

L'expérience  était  faite.  Jusqu'à  des  jours  plus  propices  ,  il  ne  fallait 
plus  penser  à  poursuivre  la  croisade  au  Nord  ,  mais  concentrer  toute 
l'action  apostolique  vers  lo  Sud-Est ,  par  les  passages  ouverts  dans  la 
direction  des  grands  lacs.  On  devait  prendre  terre  à  Zanzibar,  et 
remonter  dans  la  direction  de  Téquateur.  C'était  un  voyage  immense  . 
par  mer,  pour  gagner  Zanzibar,  par  terre,  pour  traverser  des  territoires 
inconnus  qui  s'étendent  du  10''  degré  de  latitude  Sud  jusqu'il  la  ligne 
équatoriale.  La  perspective  de  ces  obstacles  et  de  ces  fatigues  ne  put 
ébranler  le  courage  des  Pères  Blancs,  ils  .<e  mirent  en  route  pour  les 
Lacs  et  le  haut  Congo. 

Pour  effectuer  le  long  trajet  de  Zanzibar  aux  grands  lacs .  il  est 
presque  impossible  d'utiUser  les  animaux  vulnérables  qui  succombent 
trop  vite  aux  piqiîres  du  tséisé;  il  faut  faire  appel  aux  indigènes  de  ces 
contrées  et  choisir ,  parmi  eux,  des  porteurs  fortement  constitués. 
Aussi,  l'organisation  d'une  caravane  est-elle  une  entreprise  des  plus 
compliquées  ,  selon  le  témoignage  de  tous  les  explorateurs  qui  s'en- 
gagent dans  les  régions  equatoriales. 

Il  s'agit,  en  efiet,  d'allier  et  de  mettre  d'accord  les  éléments  les  plus 
disparates  :  des  Arabes,  des  Zanzibarites,  des  Nègres,  qui  jouissent  de 
([uelque  réputation  de  sobriété  et  de  modération  dans  l'usage  des 
boissons  fermentées.  C'est  presque  un  problème  insoluble ,  celui  qui 
ctmsiste  à  ahgner,  h  discipliner  des  êtres  dégradés,  faciles  aux  que- 
relles, voleurs,  incorrigibles  et  qui  profitent  souvent  de  la  première 
halte  pour  disparaître  avec  leur  bagage.  Lorsqu'on  s'imagine  avoir  tout 
conclu,  on  s'aperçoit  que  tout  doit  être  recommencé.  C'est  une  première 
dépense  d'énergie. 

Ajoutez  le  ressort  de  la  volonté  sans  cesse  tendu  dans  des  voyages 


—  102  — 

qui  durent .  non  pas  quelques  jours  ,  mais  des  mois  et  des  mois  .  des 
luttes  à  soutenir  contre  le  climat,  les  ardeurs  tropicales  ,  des  obstacles 
h  franchir  qui  se  renouvellent  avec  une  uniformité  désespérante.  Ici . 
des  neuves,  de  larges  rivières,  dont  les  gués  sont  toujours  soigneuse- 
ment cachés  par  les  naturels  du  pays  ;  là,  des  forêts  épaisses,  des  épines 
drues  et  serrées,  des  plantes  aux  émanations  fortes  et  acres  et  dont  les 
brindilles  fouettent  le  visage,  en  y  produisant  une  brûlure  analogue  à 
celle  que  le  piment  fait  dans  la  bouche.  C'est  un  art  de  camper ,  mais 
surtout  de  décamper  à  propos,  pour  ne  pas  entendre  le  rugissement  du 
lion  qui  glace  de  terreur,  pour  fuir  le  voisinage  de  serpents  audacieux 
qui  rampent  droit  à  l'homme  ,  lancent  leur  venin  à  dix  pas;  et  toujours 
dans  les  yeux. 

11  n'est  pas  possible  de  traverser  une  peuplade  —  et  ces  peuplades 
ne  sont  séparées  que  par  une  jungle,  par  un  marais  —  sans  que  la  cara 
vane  soit  soumise  aux  tracas  et  aux  humiliations  des  tributs,  des  droits 
de  passage  et  de  résidence,  bien  connus  sous  le  non  de  hongo.  Le  plus 
petit  négus .  la  reine  du  plus  modeste  territoire  entend  bien  qu'on  lui 
ofifre,  de  gré  ou  de  force  ,  un  ballot  d'étoffes  ,  aux  couleurs  très  vives  : 
peu  importe  la  finesse  du  tissu.  Après  bien  des  pourparlers  pour  réduire 
l'imposition,  le  ballot  est  accordé,  et  les  porteurs  se  trouvent  soulagés 
d'autant.  Pour  entrer  dans  un  village  ,  on  paye  le  hongo  :  on  le  paie 
pour  boire  un  verre  d'eau  ,  pour  occuper  un  emplacement ,  pour  être 
admis  dans  la  case  du  roi  et  même  pour  en  sortir.  Mais  quelque  vexa- 
toire  que  puisse  être  ce  droit  de  passage,  réclamé  à  tout  venant ,  on  le 
préfère  encore  au  droit  de  pillage.  Dans  ce  hongo  substitué  à  la  destruc- 
tion de  la  caravane,  les  explorateurs  s'accordent  à  reconnaître  un 
commencement  de  civilisation  !... 

Pendant  les  étapes,  l'alimentation  n'est  pas  facile,  elle  est  aussi  très 
peu  variée.  On  vit  à  la  grâce  de  Dieu,  aujourd'hui  de  racines  broyées, 
demain,  et  ce  demain  n'arrive  pas  souvent,  d'un  morceau  de  girafe. 
Les  forces  sont  vite  abattues,  l'estomac  devient  paresseux,  et  la  fièvre, 
qui  couve  en  permanence  sous  ces  régions  boisées ,  mine  h  la  longue 
les  plus  fortes  constitutions  européennes.  Faut-il  s'étonner  que  tant  de 
voyageurs  succombent  à  la  maladie  .  lorsqu'ils  ont  vaincu  mille  autres 
fatigues  et  triomphé  des  ruses,  des  embuscades  et  des  guet-à-pens  ! 

Malgré  ces  difficultés,  qui  paraissent  insurmontables  à  première 
vue,  les  Pères  Blancs  ont  organisé  trois  ,  quatre  caravanes  ,  appuyées 
dès  la  seconde ,  par  des  zouaves  pontificaux .  Belges  presque  tous , 
toujours  avides  de  dévouement  et  de  sacrifice,  et  agréés  solennelle- 


-  103  — 

ment  à  titre  d'auxiliaires  jiour  le  commandement  si  difficile  de  porteurs 
indigènes.  Ces  caravanes ,  parties  de  Zanzibar .  sont  parvenues  à 
Tabora.  après  des  efforts  prodigieux  ,  «  en  montant  et  on  doscendaiit 
toujours  ».  A  partir  de  Tabora  ,  les  Missionnaires  du  Nyanza  prennent 
la  route  du  nord  ,  ceux  du  Tanganyka  et  des  sources  du  Congo  ,  conti- 
nuent à  marcher  en  droite  ligne  dans  la  direction  de  l'ouest.  D'autres 
caravanes  remontent  en  ce  moment  le  Bas  Congo  ,  depuis  notre  colo- 
nie de  Brazzaville  jusqu'aux  cataractes  de  la  ligne  de  l'équateur. 
Plusieurs  de  ces  admirables  serviteurs  de  Dieu,  quelques-uns  des 
zouaves  pontificaux  belges  ,  n"ont  pu  supporter  ce  climat  meurtrier  ou 
sont  morts  sous  la  zagaie  des  nègres  sanguinaires.  Leurs  corps 
reposent  dans  les  profondeurs  des  forêts  vierges  et  l'emplacement  de 
leur  sépulture  n'est  révélé  que  par  une  petite  croix  de  bois.  C'est  là 
qu'ils  attendent  la  résurrection  glorieuse. 

A  peine  établis  au  sein  des  grands  royaumes  qui  entourent  les  lacs 
de  l'équateur,  les  Missionnaires  d'Afrique  eurent,  sous  les  yeux  un 
spectacle  navrant ,  auquel  rien  jusqu'à  ce  jour  ne  les  avait  préparés. 
Les  récits  des  voyageurs  qui  passent .  des  explorateurs  qui  vont  vite  , 
sont  fantastiques ,  lorsqu'on  les  compare  à  la  situation  telle  qu'elle 
existe.  Ces  peuplades ,  en  état  de  guerre  continuelle  entre  elles ,  se 
poursuivent  sans  cesse  par  le  fer  et  par  le  feu  .  s'égorgent  de  tribus  à 
tribus,  pour  piller  et  pour  détruire.  L'enjeu  de  la  lutte  est  souvent  une 
verroterie  ou  un  fichu  d'indienne.  Les  têtes  des  vaincus ,  plantées  au 
bout  des  piques  .  sont  les  hideux  trophées  qui  servent  d'avenue  aux 
villages. 

Au  milieu  de  ce  ramassis  de  fauves  .  vivant  dans  le  désordre  et  le 
pêle-mêle  de  la  honte,  il  ne  faut  pas  s'attendre  à  trouver  les  traces  de 
la  société  .  pas  même  celles  de  la  famille.  L'enfant  guette  son  père  ou 
insulte  sa  mère,  dès  la  première  jeunesse  :  on  se  vole,  on  se  vend  ,  on 
cherche  à  se  dévorer.  Dans  ces  contrées  .  on  ne  voit  presque  jamais 
d'or  ni  d'argent ,  l'homme  est  la  monnaie  courante  et  l'instrument  de 
réchange.  Le  prix  d'un  objet,  d'une  mesure  de  sorgho  ou  de  quelques 
chétifs  quadrupèdes,  se  compte  par  têtes  d'esclaves  .  comme  chez  nous 
on  con)pte  par  louis  de  vingt  francs.  11  n'est  pas  rare  qu'une  pièce  de 
cinq  francs  soit  un  homme  ! 

En  présence  de  cette  aÔ'reuse  dégradation,  qui  avilit  toute  la  personne 
humaine,  les  Pères  Blancs  ont  pris  le  parti  de  tenter  leur  premier  essai 
de  civilisation  auprès  des  chefs,  des  femmes  et  des  enfants. 

Les  chefs,  naturellement  curieux  de  tout  ce  qui  est  nouveau,  ont  fait 


~  104  ~ 

presque  tous  un  accueil  gracieux  aux  Missionnaires  d'Afrique.  Ces 
grands  négus  sont  ravis  ,  lorsqu'on  leur  offre  quelque  costume  étince- 
lant,  quelques  dépouilles  de  nos  grandeurs  déchues  :  les  Pères  Blancs 
ont  eu  soin  de  s'en  munir  au  m.arché  du  Temple,  avant  de  quitter 
Paris.  Le  roi  Mtésa ,  dont  on  a  tant  parlé  .  et  malgré  qu'il  fût  circon- 
venu par  des  quakers  venus  d'Angleterre  ,  ne  se  lassait  pas  de  la  con- 
versations des  Missionnaires.  Souvent ,  accompagné  de  son  chien , 
qu'il  tenait  en  laisse,  il  venait  échanger  avec  eux  de  fréquentes  visites 
dans  l'installation  qu'il  leur  avait  permise  et  facilitée.  Mais  les  Pères 
Blancs  n'ont  pas  dû  se  fier  à  ces  premiers  témoignages.  Le  barbare 
reparaissait  trop  souvent  chez  l'enfant.  N'est -il  pas  arrivé  Mtésa  .  au 
sortir  d'entretiens  si  pleins  de  cordialité  ,  de  faire  précipiter  des  cen- 
taines de  victimes  dans  le  Nyanza,  pour  apaiser  le  génie  du  lac,  de  faire 
exécuter  cinquante  de  ses  mille  femmes ,  eu  une  seule  fois  ,  en  une 
seule  nuit  ?  Le  fils  de  Mtésa  règne  aujourd'hui  ;  il  est  malheureuse- 
ment dans  les  dispositions  de  son  père  ;  la  crainte  l'exaspère  et  le  rend 
cruel,  La  polygamie  esta  détruire  et  l'amour  du  sang  à  éteindre,  avant 
que  la  foi  chrétienne  puisse  germer  et  s'étendre. 

Les  femmes  et  les  enfants  sont  les  premières  créatures  qu'il  faille 
conquérir  à  Dieu.  Tout  d'abord  les  mères.  Ces  malheureuses  .  dénuées 
de  tout  secours  ,  ne  peuvent  espérer  de  dignité  morale  que  par  l'in- 
fluence de  l'Evangile.  Chargées  des  fatigues,  des  soins  de  la  maternité, 
elles  sont  vouées  aux  corvées  les  plus  dures,  et  travaillent  aux  champs, 
leurs  petits  enfants  juchés  sur  leurs  épaules.  On  ne  leur  accorde  que 
des  satisfactions  puériles  ou  meurtrières  ,  celle  de  fumer  une  sorte  de 
haschîch  sufibcant.  Mais,  à  la  différence  des  hommes  ,  qui  ont  le  privi- 
lège de  tousser,  à  leur  aise,  à  chaque  expiration,  les  femmes  ne  doivent 
pas  tousser.  Qu'elles  étoufi"ent  plutôt  ! 

Ces  traitements  indignes  ne  sont  rien  en  comparaison  des  actes  de 
cruauté  dont  elles  sont  les  victimes.  Qu'on  nous  pardonne  de  consigner 
ici  des  détails  qui  font  horreur.  Lorsque  les  chefs  barbares  construisent 
un  piège  pour  attirer  le  lion  ou  le  tigre ,  ils  proposent  une  de  leurs 
femmes  comme  amorce  vivante.  Nous  connaissons  les  récits  de  ces 
funérailles  royales ,  où  les  femmes  du  mort  sont  ensevelies,  malgré 
leur  terreur  ,  malgré  leurs  cris  ,  dans  le  lit  d'une  rivière  ,  un  moment 
détournée  de  son  cours.  Ces  créatures  aflblées  sont  rangées  en  cercle 
et  accroupies  autour  du  défunt,  et  lui  servent  de  piédestal  et  de 
monument  funèbre.  Quand  la  cérémonie  est  terminée ,  la  rivière 
reprend  son  cours. 


—  105  — 

Mais  ce  n'est  pas  seulement  dans  le  palais  des  rois  que  la  vie  de  ces 
infortunées  est  exposée  à  de  pareilles  infamies.  Il  n'y  a  que  quelques 
mois,  et  dans  le  voisinage  du  Tanganyka  ,  une  pauvre  femme  avait  été 
envoyée  à  la  recherche  de  débri^  de  bois,  pour  alimenter  le  feu  du  soir. 
La  malheureuse  ,  se  trompant  de  sentier ,  fut  tout  à  coup  submergée 
dans  l'un  de  ces  marécages  cachés  sous  la  végétation.  Elle  faisait 
entendre  des  cris  désespérés  ;  quelques  passants  riaient  ;  son  mari  : 
impassible,  la  regardait  de  loin  et  finissait  par  lui  jeter  une  corde,  d'une 
longueur  dérisoh'e,  en  lui  recommandant  de  se  tirer  du  mauvais  pas 
commt^  elle  pourrait.  La  nuit  vint,  on  l'abandoiina.  et  lorsque  le  jour 
reparut,  elle  avait  été  dévorée  par  un  léopard  !  —  Cette  destinée  acca- 
blante pèse  sur  plusieurs  millions  de  créatures. 

Ces  femmes  ont  besoin  d'être  aidées  ,  encouragées  pour  calmer  les 
humeurs  farouches  de  ceux  qu'elles  épousent ,  pour  être  de  vraies 
mères  et  devenir  ainsi  l'honneur  de  leur  foyer  ;  elles  réclament  les 
vaillantes  sœurs  Maraboutes,  qui  puissent  s'occuper  de  la  mission  déli- 
cate des  jeunes  filles  et  des  mères,  comme  elles  le  font  dans  la  province 
d'Alger  et  dans  tout  le  massif  de  l'Atlas. 

Et  les  enfants  qui  ne  viennent  souvent  au  monde  que  pour  être 
esclaves  !  Pour  se  faire  une  idée  de  cette  plaie  de  l'esclavage,  il  n'est 
pas  inutile  de  rappeler  ce  que  les  Missionnaires  ont  tant  de  fois  observé 
chez  les  infortunés  dont  ils  procurent  la  délivrance.  Ces  pauvres  petits 
êtres  demeurent,  pendant  des  aimées,  même  après  leur  liberté,  sous  le 
coup  de  la  crainte,  du  tremblement  et  del'eff'roi.  Us  revoient  longtemps 
encore,  dans  des  cauchemars  sanglants ,  les  terribles  ravisseurs ,  leur 
hutte  incendiée ,  leur  mère  violemment  arrachée  à  leur  tendresse  et 
toutes  les  scènes  de  cruauté  qu'ils  ont  dû  subir  C'est  ce  que  nous  racon- 
tait un  jeune  nègre ,  racheté  depuis  quelques  années ,  et  qui  couri 
aujoui-d'hui  sur  ses  dix-sept  ans  ,  selon  toute  vraisemblance.  Il  a  vu  le 
jour  au  Sud  de  Tombouctou.  V^endu  six  lois  à  des  maîtres  successifs  , 
comme  le  témoignent  quinze  cicatrices  de  son  visage  ,  il  a  été  délivré 
par  le  Père  Richard  ,  à  ( Juargla ,  sur  les  limites  de  notre  occupation 
française.  On  l'a  éle\é  ,  il  s'est  converti ,  et  depuis  qu'il  est  confié  à  la 
sollicitude  si  douce  .  si  patiente  du  Père  Supérieur  de  Lille ,  il  apprend 
à  travailler  le  bois,  afin  de  pouvoir  doimer  un  jour  .  dit-il ,  «  un  aspect 
plus  beau  aux  cases  des  nègres  !  » 

Ce  jeune  homme  est  sauvé.  Mais  les  autres ,  comment  les  soustraire 
à  l'esclavage  ?  Leur  prix  n'est  pas  considérable  ;  un  enfant  ne  coûte 
que  cent  francs  et  même  moins.  Mais  il  y  en  a  tant  à  racheter  !  Quanti 


—  106  - 

on  vient  à  penser  que  ,  malgré  les  eflbrts  des  nations  civilisées  ,  plus 
de  quatre  cent  mille  enfants,  de  tout  âge  et  de  tout  sexe,  sont ,  chaque 
année  en  Afrique,  la  matière  vile  d'une  traite  inexorable  ,  soit  que  des 
parents  indignes  en  fassent  un  cdieux  trafic,  soit  que  ces  petits  êtres 
deviennent  les  victimes  de  rapt,  de  chasse  à  l'homme  ou  d'attaques  en 
règle  ;  quand  ou  se  représente  ces  longues  chaînes  d'enfants,  torturè.s, 
tramés  dans  les  sables  pendant  des  centaines  et  des  centaines  de  lieues, 
jusqu'à  ce  qu'on  rencontre  un  marché  favorable ,  comment  n'être  pas 
ému  et  gagné  par  un  sentiment  d'humanité,  de  pitié  ,  comment  ne  pas 
venir  au  secours  de  si  grandes  infortunes  .  et  ne  pas  contribuer  à  ce 
qu'un  grand  nombre  de  ces  enfants  puisse  être  délivré  et  disposé,  sous 
la  direction  des  Pères  d'Afrique ,  à  jouir  de  notre  lumière  et  de  nos 
espérances  ? 

C'est  à  cette  entreprise  que  les  Pères  Blancs  ont  voué  leur  vie  dans 
la  région  des  grands  lacs  ,  Sûrs  de  tenir  en  main  le  vrai  et  seul  flam- 
beau de  la  civilisation  ,  ils  luttent  et  marchent  avec  confiance  ,  sans  se 
laisser  déconcerter  par  les  oppositions  de  tout  genre  qui  peuvent  sur- 
venir. Ils  sont  sujets  à  la  contradiction,  et  cela  est  inévitable  dans  la 
mêlée  des  passions  humaines  ,  où  se  choquent  des  éléments  si  divers , 
et  qui  sent  encore  si  loin  d'être  réunis  dans  un  même  esprit  de  paix  et 
de  concorde  !  Les  esprits  empressés  leur  adressent  cette  critique  : 
Mais  vous  ne  faites  rien  chez  les  nègres  ,  ou  bien  vos  progrès  sont  si 
lents  qu'ils  demeurent  insensibles  !  Ceux  qui  se  font  une  idole  de  la 
liberté  de  conscience  ,  plaident  la  cause  de  la  barbarie  ,  en  faveur  des 
nègres  :  Si  vous  étiez  encore  les  seuls  représentants  de  la  civilisation, 
disent-ils  aux  Pères  Blancs  ,  mais  vous  coudoyez  à  chaque  instant  les 
apôtres  de  confessions  divergentes  delà  vôtre  !  Quel  parti  peuvent  bien 
prendre  ces  barbares  ,  au  milieu  de  tant  de  croyances  qui  difî"èrent  ? 
Vous  ne  faites  qu'augmenter  la  confusion  dans  les  cerveaux  de  ces 
sauvages 

Aux  esprits  travaillés  d'impatience  et  qui  réclament  des  résultats 
foudroyants ,  les  Pères  d'Afrique  répondent  que  Dieu  ,  à  qui  l'on  ne 
refusera  pas  la  toute-puissance,  n'a  pas  dédaigné  d'employer  six  longs 
jours  à  la  création  du  monde,  qu'ils  construisent  un  édifice  moral, 
dont  les  fondations  doivent  être  cachées  en  terre,  comme  celles  de  tous 
les  édifices  matériels.  Les  générations  qui  suivront,  la  leur  bâtiront  les 
étages  en  plein  jour;  pour  eux,  ils  se  résignent  à  être  ce  quelque  chose 
qu'on  ne  voit  pas  —  Malgré  que  des  confessions  nombreuses  tentent 
la   conquête   de  ces   cœurs ,  de   ces  âmes   ouvertes  aux  premières 


—  107  - 

impressions  ,  la  victoire  définitive  restera  cependant  aux  plus  dignes  , 
aux  plus  désintéressés  ,  aux  plus  charitables.  L'Africain ,  quelque 
enfant .  quelque  naïf  qu'il  puisse  être  ,  sait  bien  distinguer  l'Européen 
de  l'Arabe  :  il  saura  bien  discerner  aussi  ,  parmi  les  rivaux  de  tant  de 
confessions  religieuses  ,  ceux  qui  lui  veulent  sincèrement  du  bien  ,  de 
ceux  qui  ne  prétendent  qu'à  son  ivoire  ou  à  la  richesse  de  son  pays. 
En  dépit  des  vicissitudes  qu'elles  traversent,  et  cette  considération  est 
à  l'honneur  de  l'humanité  ,  la  justice  et  la  vérité  sont  encore  les  deux 
plus  grandes  choses  de  ce  monde  ;  elles  ont  des  retours  imprévus  et 
finissent  touiours  par  récompenser  les  âmes  qui  savent  attendre. 

Les  Missionnaires  ,  fermement  établis  dans  cette  confiance ,  com- 
mencent à  entrevoir  le  succès  que  Dieu  ne  refuse  jamais  à  une  humble 
prière,  à  des  efforts  persévérants.  Les  nègres  de  Téquateur  parlent 
déjà  notre  langue,  comme  les  Pères  parlent  la  leur,  les  premières 
assises  d'une  société  sont  fondées,  et  la  jeune  Eglise  des  grands  lacs 
apparaît  dans  la  première  éclosion  de  sa  foi. 

Il  y  a  quelques  semaines  ,  un  jeune  explorateur  revenu  du  Congo  , 
nous  disait ,  avec  une  conviction  profonde,  que.  seuls,  les  missionnaires 
peuvent  avoir  prise  sur  les  peuplades  de  l'Afrique .  parce  que .  seuls 
établis  dans  ces  contrés  et  non  simplement  passagers  et  curieux  de 
voyages,  ils  ont  le  temps,  la  patience  héroïque  d'apprendre  la  langue 
indigène  et  d'en  dénouer  les  difficultés  presque  inextricables.  Les 
Pères  Blancs  ont  eu  cette  patience,  ils  connaissent  la  langue  des  grands 
lacs  et  tous  ses  dialectes  ;  ils  viennent  de  composer  une  grannnaii-e  et 
de  réunir  dans  un  dictionnaire  plus  de  sept  mille  mots  empruntés  au 
Ruganda.  La  connaissance  de  la  langue  est  indispensable  à  ceux  qui 
veulent  conduh-e  les  barbares  aux  sources  de  la  civilisation. 

C'est  aussi  pai*  l'intelligence  de  l'idiome  que  les  missionnaires  par- 
nennent  à  jeter,  sur  ce  sol  inculte  et  désolé,  les  premières  bases  d'une 
société.  Près  des  bords  du  Tanganyka,  il  existe  un  Père  Blanc  dont  le 
prestige,  l'ascendant  est  incontesté.  Les  négus  le  respectent ,  le  con- 
sultent, acceptent  tout  de  lui  :  le  pouvoir,  les  réprimandes  ,  les  correc- 
tions, même  la  déchéance.  Ce  pauvre  missionnaire  s'est  vu  transformé 
en  vrai  suzerain,  investi  de  la  toute-puissance  dans  des  royaumes  plus 
étendus  et  aussi  peuplés  que  la  France.  Il  n'abuse  pas  de  cette  situation 
qui  nous  paraît  étrange,  bien  au  contraire.  Il  rachète  des  esclaves  ,  de 
tout  petits  enfants  que  leurs  mères  allaitent  encore  ou  que  ces  malheu- 
reuses abandojuient  à  l'état  de  squelette.  Par  ses  soins,  plus  de  trois 
cents  de  ces  enfants  sont  nourri^;  et  préservés  dans  les  postes  du  Tan- 


—  108  - 

j^anyka.  Les  adolescents  apprennent  la  langue  française  et  sont  initiés 
à  l'instruction  religieuse ,  mais  il  n'est  pas  rare,  qu'en  pleine  leçon  de 
catéchisme,  les  jeunes  nègres  réclament  et  sollicitent  leur  récréation 
favorite,  qui  est  de  danser.  Le  Père  est  bien  obligé  de  la  leur  accorder 
de  loin  en  loin,  jusqu'à  l'infusion  d'habitudes  nouvelles  et  plus  calmes. 
Les  hommes  sont  aussi  l'objet  de  ses  préoccupations  constantes.  11  leur 
aprend  la  guerre,  le  maniement  des  armes,  la  stratégie  et  la  tactique, 
afin  qu'ils  soient  à  même  de  se  défendre  contre  le  léopard  ,  qui  vient 
faire  des  visites  de  nuit,  et  contre  le  trafiquant  arabe  qui  profite  aussi 
de  la  nuit,  et  même  du  jour  pour  organiser  sa  chasse  à  l'homme. 
N'est-ce  pas  une  œuvre  d'humanité  et  de  civilisation  ,  que  d'apprendre 
à  ces  peuples  impressionnables  ,  prompts  à  fuir  devant  le  danger  ,  l'art 
de  résister  aux  fauves  ,  et  particulièrement  à  ces  cavaliers  audacieux 
qui  enlèvent  les  femmes  et  les  enfants,  qu'ils  appellent  sans  pudeur 
«  le  bois  d'ébène  »  ?  Nous  devons  ajouter  ,  pour  l'intelligence  de  cette 
éducation  belliqueuse  ,  que  le  suzerain  de  Tanganyka  ,  si  puissant .  si 
considéré .  est  un  zouave  pontifical  qui  s'est  battu  au  Mans ,  et  qui , 
depuis  ,  selon  un  mot  heureux,  s'est  fait  Africain,  pour  demeurer  plus 
Français  ! 

De  jeunes  églises  viennent  de  naître  dans  ces  vastes  royaumes.  Les 
néophytes  qui  aspirent  à  la  connaissance  de  notre  foi  et  au  baptême , 
sont  soumis  aux  mêmes  épreuves  imposées  ,  dès  les  origines  du  chris- 
tianisme, aux  catéchumènes.  Ces  épreuves  ont  été  soutenues  pendant 
quatre  années ,  et  les  néophytes ,  dont  la  persévérance  ne  s'est  pas 
démentie  ,  ont  eu  le  bonheur  d'âtre  admis  dans  la  grande  famille 
catholique.  Mais  Dieu  a  voulu  sonder  la  fermeté  de  leurs  dispositions, 
et  ces  nouveaux  chrétiens  sont  en  ce  moment  jetés  dans  les  prisons  et 
dans  les  fers. 

On  nous  annonçait  des  bords  du  Nyanza,vers  la  fin  de  juillet  dernier, 
qu'une  persécution  venait  d'éclater  ,  que  la  foi  de  ces  jeunes  néophytes 
avait  été  admirable  et  s'était  montrée  capable  de  résister  jusqu'àl'efi'u- 
sion  du  sang.  Des  lettres  récentes  qui  nous  parviennent ,  confirment 
ces  nouvelles  terribles  et  consolantes  en  même  temps.  Ces  nègres 
chrétiens  viennent  d'ouvrir  leur  martyrologe.  Un  grand  nombre  —  il 
monte  peut-être  à  cent ,  on  ne  connaît  que  les  noms  de  vingt  -  deux 
victimes —  sont  morts  sous  la  bastonnade,  ont  été  brûlés  vifs,  au  milieu 
des  toui'ments  les  plus  raffinés ,  mais  avec  une  constance  qui  frappait 
de  stupeur  les  bourreaux  eux-mêmes.  Mgr  Livinhac,  le  vicaire  aposto- 


—  109  - 

liquo  (le  rOugaiida  ,  reçoit  a  celle  heure  ,  lît  du  Souverain  Poiilife  lui- 
même,  la  mission  d'inlbrmei^  sur  leur  martyre  pour  la  foi. 

En  attendant  que  le  Père  de  tous  les  fidèles  décide  sur  leur  cause  , 
nous  envoyons  un  salut  d'affection  fraternelle  à  ces  premières  fleurs , 
empourprées  de  la  jeune  Eglise  de  l'Equateur 

Celle  étude  ne  peut  demeurer  incomplète.  Elle  le  serait,  si  nous 
finissions  sans  off'rir  riiommage  dn  noire  respect  et  de  notre  reconnais- 
sance à  celui  qui  a  été  le  bras  d(;  Dieu  dans  toute  cette  entreprise. 

Je  sais  bien  que,  de  nos  jours,  deux  doctrines  se  disputent  le  monde. 
L'une,  celle  de  nos  pères  dans  la  foi,  établit  que  la  Providence  suscite, 
aux  heures  de  grande  détresse ,  des  hommes  qui  sont  à  la  hauteur  des 
infortunes,  pour  les  secourir  et  pour  les  consoler.  L'autre,  qui  prétend 
s'appuyer  sur  les  données  positives  de  la  science  ,  déclare ,  dans  un 
langage  mécanique,  que  les  grands  hommes  n'existent  pas,  qu'ils  sont 
simplement  «  une  force  sociale  .  et  la  résultante  d'un  énorme  agrégat 
de  forces  qui  ont  agi  ensemble  pendant  des  siècles  !  » 

Que  cette  théorie  chimique  de  la  notion  du  grand  homme  accom- 
plisse son  évolution ,  mais  qu'il  me  soit  permis  de  rester  fidèle  à  nos 
traditions  et  de  saluer  l'homme  proTidentiel  qui  a  été,  après  Dieu, 
depuis  vingt  ans,  l'inspirateur,  l'âme  et  le  soutien  de  cette  œuvre 
immense. 

Déjà,  lorsque  j'ai  fait  allusion  à  celui  qui  se  portait  le  garant  et  le 
défenseur  des  Pères  Blancs  contre  les  détracteurs  de  cette  mission , 
lorsque  j'ai  raconté  la  bénédiction  des  Atlafs,  les  établissements  de 
Tunisie,  il  était  visible  que  nous  avions  tous  présents  à  l'esprit,  l'intré- 
pide apôtre  que  les  Arabes  se  plaisent  à  nommer  le  grand  général  des 
Marabouts  de  France  ,  l'évéque  infatigable  qu'un  colonel  rapprochait 
lie  la  Lumière  do  l'Eglise  d'Afrique.  «  Nous  avons  vu  saint  Augustin  ! 
sécriait-il  »  ,  le  prince  de  la  sainte  Eglise  romaine  ,  qu'un  archevêque 
de  nos  contrées  appelait  naguère  «  le  plus  grand  évêque  du  temps  »  — 
Son  Éminence  le  Cardinal  Lavigerie  ,  Archevêque  d'Alger  et  de  Car- 
thage  ,  Primat  d'Afrique.  Nous  l'avions  tous  à  la  pensée  ;  néanmoins 
je  persistais  à  vouloir  le  réserver  pour  la  fin  de  cette  exposition. 
Comme  il  a  la  gloire  de  résumer  l'entreprise  tout  entière,  d'en  être  le 
ciment,  n'était -il  pas  juste  qu'il  fournît  la  dernière  impression  sur 
laquelle  nous  devons  rester?  Son  intelligence,  sa  vertu,  son  caractère, 
son  activité,  toute  sa  persoiuie  est  marquée  d'une  ineffaçable  empreinte 
dons  la  conception  de  cette  œuvre  et  dans  sa  rapide  expansion. 

C'est  lui  qui  recueillait  les  enfants  arabes  ,  victimes  de  la  fanùne  et 


—  110  - 

de  la  peste  ;  il  avait  la  première  idée  de  ces  orphelinats  depuis  trans- 
formés en  écoles ,  lesquels  sont  aujourd'hui  disséminés  en  Algérie , 
dans  les  îles,  comme  dans  la  mère-patrie  ; 

C'est  lui  qui  groupait  le  premier  noyau  de  prêtres  de  bonne  volonté, 
et  qui  leur  enseignait  que  le  nom  de  Père  Blanc  est  synonyme  de 
martyr.  Bientôt  il  projetait  au  lohi  raclion  de  la  société  naissante  à 
Jérusalem,  à  Malte,  à  Borne  ,  à  Tunis ,  longtemps  avant  la  question  du 
Protectorat,  ces  jours  derniers,  à  Kairouan ,  cette  seconde  ville  du 
fanatisme  musulman,  après  la  Mecque.  En  vain,  quelques  voix  discor- 
dantes s'élevaient  -  elles  ,  même  de  notre  patrie,  pour  contester  son 
influence  :  une  feuille  italienne ,  la  Rifbrma  ,  déclarait ,  qu'à  lui  seul , 
l'archevêque  d'Alger  valait  un  corps  d'armée  de  cent  mille  hommes  ! 

C'est  lui  qui  fondait  l'hôpital  de  Ste  -  Elisabeth  ,  et  ne  reculait  pas 
devant  le  projet  hardi  d'établir  les  villages  chrétiens  de  St-Cyprien  et 
de  Ste-Monique.  Aujourd'hui,  sa  plus  douce  joie  est  de  visiter  cette 
colonie  d'orphelins ,  dont  pas  un  seul  n'a  apostasie  .  d'exhorter  les 
jeunes  ménages  ,  de  se  complaire  au  babil  des  enfants  ,  qui  grimpent 
sans  respect  sur  ses  genoux  ,  et  savent  déjà  ,  avec  un  accent  de  ten- 
dresse touchante,  bégayer  le  nom  de  «  grand  Papa  ».  N'est-il  pas  le 
père  de  la  première  génération  ? 

C'est  des  hauteurs  de  Noire-Dame  d'Afrique,  où  sont  venues  s'age- 
nouiller tant  de  nos  gloires  françaises  ,  qu'il  suivait  du  regard  ses  tlls 
bien-aimés ,  en  partance  pour  le  désert,  pour  Zanzibar  et  lej  lacs  de 
l'équateur  :  c'est  là  qu'il  demeurait  eir  prières  ,  pour  les  bénir,  et  les 
accompagner  des  vœux  de  son  cœur  ,  pour  verser  des  larmes  sur  leur 
mort,  pour  chanter  leur  martyre  et  leur  triomphe,  consoler  les  mères 
incomparables  qui  avaient  donné  de  leur  vie  à  la  cause  de  l'Evangile  ! 

Lorsque ,  par  l'autorité  de  Pie  IX  et  celle  de  Léon  Xlll ,  il  était 
successivement  promu  délégué  du  Soudan  et  des  régions  équatoriales  . 
lorsque  tout  récemment ,  il  était  revêtu  de  la  poupre  cardinalice  et 
décoré  du  titre  de  Primat  d'Afrique ,  il  sentit  que  des  honneurs  qui 
persistaient  à  venir  le  chercher ,  lui  imposaient  le  devoir ,  à  lui  qui 
s'était  déjà  tant  donné,  de  se  dépenser  par-dessus  toute  mesure.  Que 
ses  fils,  les  Pères  Blancs,  portent  leur  avant-garde  dans  le  Djurjurah, 
à  Carlhage  ,  aux  solitudes  du  Soudan,  qu'ils  affrontent  les  latitudes  de 
feu  de  l'Equateur  ;  qu'ils  rendent  populaue  non  seulement  la  foi  qu'Us 
enseignent,  mais  encore  la  langue  dans  laquelle  ils  l'enseignent  et  la 
patrie  d'où  ils  viennent;  qu'ils  apprennent  aux  barbai'es  la  loi  de  la 
fraternité,  qu'ils  les  prépai'ent  à  la  réforme-  mère  de  tous  les  autres  , 


-  111  - 

1  amour  et  le  respect  de  la  personne  Immaine  ;  qu'ils  dressent  enfin 
leurs  autels  sur  les  ruines  des  cultes  cruels  et  barbares  —  lui,  leur 
Père,  malgré  son  âge.  ses  épreuves,  ses  infirmités,  prend  son  bâton  de 
quêteur,  et  s'en  va,  de  parle  monde,  irais  surtout  dans  sa  chère 
France  ;  il  parle ,  il  écrit ,  il  a  des  paroles  pour  convaincre ,  d'autres 
pour  persuader  ;  c'est  un  voyageur  sans  halte  ni  repos  ,  lorsque  la 
fatigue  l'accable,  il  marche  encore.  Il  a  pu  dire  agréablement  de  lui- 
même  qu'il  était ,  sans  contredit .  l'évêque  qui  a  t'ait  le  plus  de  kilo- 
mètres   

Durant  cet  hiver,  il  a  voulu  se  ménager  une  solitude  dans  l'oasis  de 
Biskra.  Afin  de  tromper  ses  latigues,  mais  plutôt  pour  interrompre  le 
cours  habituel  de  ses  occupations,  il  rédige  un  ouvrage  sur  les  origines 
de  l'Eglise  d'Afrique.  Lorsque  ce  livre  sera  terminé  ,  il  n'y  aura  qu'à 
tourner  le  dernier  feuillet ,  pour  rattacher  à  l'histoire  du  passé ,  cette 
autre  histoire  du  présent ,  dont  le  cardinal  Lavigerie  demeurera  le 
héros.  Il  a  demandé ,  sur  l'inscription  turaulaire  déjà  préparée  dans 
l'un  des  caveaux  de  l'éghse  primatiale  de  Carlhage ,  qu'on  ne  retînt 
rien  autre  chose  de  lui,  sinon  qu'il  n'était  plus  que  poussière  !  Les  âges 
qui  suivront  ne  pourront  cependant  jamais  oublier  qu'il  fût  un  Apôtre 
et  l'un  des  plus  fidèles  enfants  de  la  France. 

Pour  nous,  en  présnce  des  merveilles  déjà  accomplies  ,  comment  ne 
pas  entourer  de  nos  respects  et  de  nos  sympathies  généreuses ,  des 
hounnes  qui  luttent  pour  la  vérité  et  la  justice  jusqu'à  la  mort,  jusqu'à 
l'effusion  du  sang,  comment  ne  pas  éprouver  un  vif  sentiment  de  pieuse 
admiration  pour  Celui  et  ceux  qui  raniment  nos  énergies  chrétiennes 
si  ébranlées,  et  qui  viennent  de  nous  démontrer,  en  leurs  personnes  , 
qu'il  y  a  encore  quelque  honneur,  quelque  gloire  à  se  dire  Français  ! 


-  112  — 


NOUVELLES  ET  FAITS  GÉOGRAPHIQUES 


I.  —  Géograpliie  scientifique.  —  Explorations  et  découvertes. 


EUROPE. 

Fraucc.  —  Pkix  Gay.  —  Le  prix  de  géographie  physique  décerné  par  l'Aca- 
démie des  sciences  en  1886,  a  été  remporté  par  M.  Ph.  Hall,  ingénieur  hydro- 
graphe de  Ifl  marine. 

La  question  proposée  était  la  suivante  : 

Recherches  sur  les  déformations  du  niveau  de  la  surface  des  mers  dans  le  voisi- 
nage des  continents  par  l'effet  des  actions  locales  dues  au  relief  du  sol  ;  choisir  des 
exemples  qui  mettent  bien  le  phénomène  en  évidence. 

La  question  proposée  pour  le  prix  Gay  de  Tannée  1887  ,  est  :  Distribution  de  la 
chaleur  à  la  surface  du  (/lobe. 


ASIE, 


IlécouTcrte  des  sources  <lu  ^ouiigari  eu  C'hiue.  —  Les  Mitthei- 
lungen  de  Petennann,  annoncent  que  les  voyageurs  anglais  H.  E.  M.  James,  F.  E. 
Younghusband  et  H.  Fulford  auraient  réussi  à  découvrir  les  sources  occidentales  du 
Soungary.  Us  ont  quitté  Moukden  en  mai  1886  pour  se  diriger  vers  l'est,  et  atteindre, 
en  suivant  la  vallée  du  Ya-Lou  ,  frontière  de  la  Corée  ,  la  chaîne  de  montagnes  qui' 
sépare  la  Corée  de  la  Mandchourie.  Mais  comme  cette  vallée  était  absolument 
impraticable,  ils  ont  diî  se  résigner  à  en  suivre  une  autre  vers  le  nord  ;  ils  ont 
franchi  la  chaîne  par  un  col  situé  à  une  hauteur  de  900  mètres  et  suivre  le  Ha-ho  ou 
Fleuve  Noir ,  pour  atteindre  le  Soungari ,  dont  ils  ont  longé  le  bras  occidental 
jusqu'à  sa  source  dans  le  Peistan  ou  Montagne  Blanche.  D'après  leurs  observations, 
le  point  le  plus  élevé  ,  qu'on  estimait  jusqu'aujourd'hui  à  3  ou  4,000  mètres  ,  a  été 
fixé  à  2,500  mètres.  Les  glaciers  manquent ,  quoique  la  neige  ne  fonde  jamais  dans 
les  gorges.  Le  Yalu  et  le  Touemen  ,  qui  sépare  la  Russie  de  la  Corée ,  prennent  leur 
source  tout  près.  Il  a  été  impossible  aux  voyageurs  d'atteindre  ce  dernier  ;  aussi  se 
sont-ils  dirigés  vers  le  nord  :  ils  sont  arrivés  le  12  août  à  Kirin ,  capitale  de  la 
Mandchourie.  Ils  continuent  actuellement  leurs  explorations  du  côté  du  Nord. 

Voyage  de  11.  D.  C'arey  «laus  1-Aslc  Ceutrale.  —  Un  fonctionnaire 
du  service  civil  de    Bomljay,  vient   d'accomplir  un  voyage  remarquable  dans  l'Asie 


-  113  - 

centrale.  M.  Carey  a  quitté  l'Inde  en  mai  1885  et  a  traversé  lo  Norfl  Thibct(Changtan) 
jusqu'au  lac  Maiigtsa  ,  point  ou  il  a  tourné  au  Nord,  descendant  dans  les  plaines  da 
Turkestan,  vers  Kiria.  11  a  parcouru  ainsi  300  milles  et  un  pays  qui  n'avait  jamais 
été  visité  par  des  Européens.  Après  un  séjour  à  Kiria  et  à  Khotan  ,  il  a ,  dit  la 
Gazette  Géograpliique  ,  suivi  la  rivière  de  Khotan  jusqu'à  sa  réunion  avec  le  Tarim  ; 
puis  continué  sa  route  jusqu'à  Sharik;  et  à  travers  le  désert  jusqu'à  Shah-Yarand 
Kuchar.  De  ce  point,  il  a  suivi  de  nouveau  le  Tarim  jusqu'au  lac  Lob  .  après  une 
exi'ursion  aux  villes  de  Kurla  et  de  Karastaber  ;  il  a  repris  de  nouveau  le  cours  du 
Tarim  ,  relevant  ainsi  le  parcours  entier  de  cette  rivière.  Le  pays  explosé  est  plat, 
sa  population  pauvre  et  misérable. 

Après  le  30  avril  1886 ,  M.  Garey  est  parti  de  Chaklik  ,  au  pied  d'une  des  plus 
grandes  hauteurs  du  versant  nord  de  la  chaîne  Thibétaine,  se  dirigeant  sur  le  Thibet, 
par  une  par  une  passe  de  l'Altyn-Tagh.  Depuis,  on  est  sans  nouvelle  de  lui  ;  mais  on 
suppose  qu'il  a  employé  l'été  et  l'automne  à  explorer  les  hauteurs  et  qu'il  est  revenu 
hiverner  au  Turkestan. 

On  a  reçu  récemment  par  la  voie  do  Pékin,  une  lettre  de  M.  Garey,  datée  de  Hamy, 
16  novembre  ;  M.  Garey,  d'après  cette  lettre,  était  à  la  veille  de  partir  pour  Yarkand 
cil  il  comptait  hiverner,  et  il  avait  l'intention  de  revenir  dans  l'Inde  au  mois  de  mars 
par  le  pays  de  Karakoroum. 


IliCS  exploration!!»  de  im.  de  Percy  et  llarx.  —  Une  forte  recon- 
naissance ,  conduite  par  M.  le  capitaine  de  Percy  et  par  M.  le  lieutenant  Marx , 
vient  de  revenir  de  chez  les  Mois  .  après  une  exploration  de  trois  semaines , 
rapportant  des  renseignements  fort  curieux  sur  cette  peuplade  mal  connue  ,  que  M. 
le  docteur  Harmand  a  jadis  traversée.  La  colonne ,  li-:ons-nous  dans  le  Temps 
composée  de  trente  zouaves,  de  vingt-cinq  chasseurs  annamites  et  de  cinq  éléphants, 
est  partie  de  Quang-Try  et  s'est  avancée  à  travers  d'assez  grosses  difficultés  de 
terrain  jusqu'à  Aï-Lao  ,  point  terminus  de  sa  marche,  oii  elle  a  séjourné  quelques 
jours.  Un  jeune  médecin  militaire,  M.  le  docteur  Simon,  toujours  curieux  de  science 
et  de  nouveauté  à  connaître,  avait  été  adjoint  à  la  colonne,  et  chargé  de  recueillir  et 
de  formuler  les  observations  autres  que  celles  d'ordre  purement  topographique. 

Cette  fameuse  peuplade  des  Mois,  que  la  légende  locale  représente  comme  inacces- 
sible et  presque  sauvage,  n'a  pas  ,  dit-on  justifié  sa  réputation.  Officiers  et  hommes 
d'escorte  n'ont  trouvé  auprès  d'elle  qu'hospitalité  et  secours  bienveillant.  Dans 
certains  rapides,  les  habitants  venaient  coraplaisamment  s'atteler  à  la  cordelle  et 
aider  nos  sampans  à  remonter  le  courant. 

Il  nous  a  été  donné  de  voir  quelques  photogi'aphies  prises  dans  les  environs  d' Aï- 
Lao  par  la  mission.  Le  type  moi  est  bien  plus  beau  que  le  type  annamite  ,  le  teint 
plus  clair,  l'ossature  plus  vigoureuse.  11  se  rapproche  un  peu  du  Cambodgien  par 
l'aspect  physique  et  le  costume.  Les  Mois  ne  portent  pas  le  kéo  si  uniformément 
malpropre  de  l'homme  du  peuple  annamite.  Ils  se  drapent  dans  une  immense  pièce 
d'étoffe  bariolée  qui  s'enroule  sur  le  torse  nu  ,  retombe  jusqu'aux  pieds  ,  et  dans 
laquelle  une  sorte  d'ouverture  ,  habilement  ménagée,  sert  de  manches  et  permet  les 
mouvements  des  bras.  Cet  accoutrement  leur  donne  dans  le  port  et  la  démarche  une 
dignité  que  l'on  chercherait  en  vain  chez  nos  pauvres  Annamites. 

Dans  quelques  coins  reculés  de  cette  contrée ,  l'argent  est  inconnu  en  tant  que 
monnaie.  Les  tran-sactions  se  font  par  voie  d'échange.  Toujours  est-il  que  dans  la 
partie  visitée  par  la  mission,  les  habitants  semblent  avoir  rompu  tout  à  fait  avec  ces 
habitudes  de  patriarcale  innocence.  A  en  juger  par  le  prix  auquel  ils  ont  vendu  aux 
voyageurs  quelques  objets  de  costume  ou  de  vannerie  ,  on  peut  croire  que  l'esprit 


-  114  - 

mois  s'est  amplement  ouvert  à  la  notion  du  commerce,  et  qu'ils  connaissent  même  à 
ravir  les  lois  de  l'offre  et  de  la  demande.  Ils  parlent  un  dialecte  que  nos  interprètes 
annamites  ont  peine  à  comprendre.  Les  Mois  fabriquent  fort  bien  les  tissus  genre 
crêpons,  travaillent  l'ivoire ,  —  la  plupart  des  éléphants  domestiques  de  l'Annam 
viennent  de  chez  eux,  —  et  cultivent  en  al^ondance  la  cannelle  et  la  noix  d'arec  ,  qui 
trouvent  si  aisément  un  débouché  sur  les  marchés  de  Chine  ou  d'Annam.  Les  plus 
grandes  difficultés  sont  dans  les  communications  à  établir  avec  ces  tribus.  La  route 
difficile,  étroite,  semée  d'obstacles,  qu'a  suivie  la  mission  de  Percy,  ne  peut  à  aucun 
degré  èti"e  utilisée  comme  voie  de  pénétration  commerciale  II  convient  d'en  chercher 
une  autre,  et  ce  sera  sans  doute  l'œuvre  d'une  mission  ayant  plus  de  temps  elle , 
avec  moins  d'escorte  et  de  bagages. 

Il  n'en  faut  pas  moins  féliciter  très  haut  les  intelligents  officiers  qui  viennent  de 
diriger  cette  exploration.  Ils  ont  fait  de  la  bonne  et  consciencieuse  besogne. 


liC  haut  fleuve  Koiijs^e  et  ses  afflueuts.  —  M.  A.  Gouin  ,  lieutenant 
de  vaisseau,  Résident  de  France  à  Sontay  ,  a  adressé  à  la  Société  de  Géographie  de 
Paris,  une  notice  très  détaillée  sur  la  région  du  haut  fleuve  Rouge  : 

«  Les  indigènes  appellent  Song-Thao  cette  importante  artère  fluviale  :  les  Français 
la  nomment  Song-Coï.  Elle  reçoit  deux  affluents,  la  rivière  Claire  (Song-Ca)  et  la 
rivière  Noire  (Song-Bo),  qui  viennent  se  jeter  dans  le  fleuve  Rouge  entre  Hung-Hoa 
et  Sontay.  Ces  trois  cours  d'eau,  qui  sillonnent  et  desservent  tout  le  haut  pays , 
donnent  accès  en  Chine  avec  des  difficultés  que  la  nature  a  faites  grandes  et  que 
l'existence  des  pirates  chinois  augmente  encore.  La  navigabilité  de  ces  rivières  n'a 
pas  été  jusqu'ici  étudiée  avec  soin  ,  et  pendant  longtemps  l'importance  en  fut 
exagérée,  surtout  en  ce  qui  concerne  le  fleuve  Rouge ,  par  les  promoteurs  de  l'expé- 
dition du  Tonkin. 

»  M.  Gouin  décrit  niinutieuseiîient  ces  divers  cours  d'eau  ;  il  indique  les  reliefs 
du  sol  et  ses  productions  ,  les  industries  et  le  commerce  du  pays,  les  ressources  que 
nous  pouvons  en  attendre  et  les  importations  que  nous  pourrions  faire.  Les  mines 
des  environs  de  Lao-Kaï  sont ,  paraît-il ,  abandonnées  depuis  longtemps  ,  sauf  une 
mine  d'or  de  peu  d'importance;  les  forêts  présentent  de  beaux  arbres  utilisables 
pour  la  charronnerie  et  l'ébénisterie.  A  l'aide  d'irrigations  raisonnées  ,  on  créerait 
sans  trop  de  peine  de  vastes  prairies  naturelles  pour  l'élevage  du  mouton,  du  bœuf 
et  du  cheval, 

»  Dans  tous  les  points  du  Tonkin  oii  il  y  a  à  faire  un  commerce  fructueux  ,  s'éta- 
blissent de  nombreux  Chinois  ;  on  les  voit  aujourd'hui  monter  en  masse  sur  la 
rivière  Claire.  Nous  ferons  sagement  de  suivre  l'indication  qu'ils  donnent  de  la 
sorte.  La  population  devient  de  plus  en  plus  dense  à  mesure  qu'on  approche  de  Ha- 
Giang,  ville  qui  compterait,  dit-on,  10,000  habitants.  Le  produit  principal  du  Tonkin 
qui  doit  alimenter  ces  régions,  est  le  sel.  Depuis  le  commencement  de  l'année  188(1, 
il  est  sorti  de  Tuyen-Quan  près  de  5,000  piculs  de  sel ,  allant ,  soit  dans  le  Song- 
Kam,  soit  vers  la  rivière  Claire.  Le  trafic  s'est  fait  par  les  Chinois. 

»  Un  autre  article  à  importer  serait  les  cotonnades.  Un  assortiment  qu'un 
Français  avait  pris  à  Hanoi  pour  un  essai ,  lui  a  été  enlevé  en  un  clin  d'œil  :  mou- 
choirs de  couleurs,  serviettes,  étoflés  blanches  et  noires  ,  soieries  ,  crépons,  etc.,  se 
vendraient  avec  une  facilité  reniarquable.  Dans  son  prochain  voyage,  ce  Français  se 
propose  d'essayer  l'ai'ticle  quincaillerie,  instruments  aratoires.  A  Trinh-Thuong  et  à 
Bac-Quan,  ou  existent  de  nombreuses  cultures  ,  on  pourrait  échanger  contre  nos 
outils  les  insh'uments  tout  à  fait  primitifs  dont  se  servent  les  indigènes.  Les  habi- 


-  115  — 

tatioiis  de  ces  g'ens  ,  construites  généralement  en  gros  bois  ,  sont  tenues  par  des 
fiches  en  bois  ;  1(!  travail  on  ost  considérable.  Ils  manquent  absolument  do  fer.  » 

lia  voie  Huviale  «le  l'OI»-Véiiî*»él.—  Dès  le  mois  de  septembre  1881  ,  le 
ministère  des  voies  de  communications  en  Russie  avait  conçu  le  projet  de  relier  les 
deux  tleuves  Ob  et  Yéniséi  et  de  créer  ainsi  une  communication  fluviale  ininterrom- 
pue à  travers  toute  la  Sibérie,  de  TOural  à  Kyakhia.  En  ce  moment,  la  plus  grande 
partie  des  travaux  est  terihinéo,  notamment  le  canal  reliant  le  lac  Bolshoï  à  la 
rivière  Maly-Koss,  la  régularisation  du  cours  de  la  Yazovaïa  et  des  sources  du  Maly- 
Koss,  ainsi  que  le  déblaiement  de  quelques  autres  petites  rivières. 


AFRIQUE. 


Une  uoiivelle  Ntatioii  alleitiaiide  ilaiif!»  TAfrique  orientale* 

—  D'aprè-i  la  Ao/onù'^  Polltische  Korresponden:  du  22  mars,  la  Compagnie  alle- 
mande de  l'Afrique  oi-ientale  aurait  établi  un  poste  dans  la  région  des  Massai.  On 
lui  aurait  donné  le  nom  de  Ma/l  et  M.  Zboril  en  aurait  pris  le  commandement.  La 
fondation  de  cette  station  est  due  à  M.  Braune ,  chef  de  la  station  de  Korogwe  ,  qui 
écrit  à  ce  propos  à  l'agence  de  la  Compagnie  à  Zanzibar  :  «  Mafi  est  situé  .  pour 
ainsi  dire  ,  à  la  limite  extrême  de  l'Afrique  civilisée  ;  c'est  aussi  le  carrefour  où 
viennent  se  croiser  les  routes  qui  conduisent  à  Pengani.  au  Dchagga  et  aux  grands 
lacs.  Les  district-^  voisins  produisent  en  abondance  le  maïs,  le  materna ,  le  mogho  et 
même  un  peu  de  tabac.  » 

nouvelle!!»  «le  rexpé(liti«>u  «le   .Stauley  au  «lecour^  «l'IOniiu- 

Bey.  —  Annonce  de  la  mort  de  Stanley.  —  Le  navire  Madura.  qui  a  amené  de 
Zanzibar  toute  l'expédition,  est  arrivé  à  Banana,  le  18  mar  •;  dernier,  à  8  heures  du 
matin.  Immédiatement  Stanley  s"e>t  rendu  à  terre  pour  s'assurer  de  tous  les  moyens 
de  transport  dont  il  pouvait  disposer,  en  dehors  de  ceux  que  l'Etat  du  Congo  avait 
mis  à  sa  disposition.  11  eut  immédiatement ,  outre  le  Héron^  à  l'Etat ,  le  Niemann  , 
de  la  maison  hollandaise,  l'Albicquerque,  de  la  maison  anglaise,  le  Serpa-Pinto,  de 
la  Compagnie  [lortugaise,  et  le  Cacongo ,  une  canonnière  portugaise,  de  passage  à 
Borna,  et  dont  le  capitaine  offrit  gracieusement  le  concours. 

Le  20  mars,  Stanley  quittait  Borna  et,  le  soir  même  .  arrivait  à  Matadi ,  d'oii  il  est 
parti  le  25  pour  arriver  à  Banza  Manteka.  Ici  l'expédition  a  commencé  sa  marche 
parterre.  Voici,  concernant  cette  partie  du  voyage,  un  extrait  d'une  correspondance 
que  publie  le  Mom^ement  geofiraphique  : 

«  Le  30  mars  ,  à  quelques  heures  de  la  Loufou  ,  je  rencontrai  l'avant-ganie  de 
l'expédition.  Il  était  8  heures  du  matin.  Immédiatement  après  quelques  .soldats , 
venait  Stanley.  11  était  indisposé  ,  dérangé  par  les  eaux  corrompues  qu'il  avait  bues. 
On  le  portait  en  hamac.  Il  dormait.  Près  de  lui  marchait  un  blanc.  Un  boys  condui- 
sait son  âne.  Devant ,  derrière  les  soldat ,  les  porteurs  se  suivaient  le  iong  du 
chemin,  k  la  file  indienne. 

»  Un  peu  plus  loin  ,  je  fus  croisé  par  un  Arabe  à  belle  barbe  qui  me  salua  et  me 
demanda  en  kisouhali  :  «  Sommes-nous  encore  loin  de  Ntamo  ?  »  C'était  Tippo-Tip. 
Je  ne  l'appris  qu'un  peu  plus  tard. 

»  Au  pont  de  la  Loufou  ,  la  foule  était  grande.  Le  petit  pont  suspendu  que  le  lieu- 


—  116  - 

tenant  Sjocrona  y  a  construit ,  exige  quelques  ménagements  et  les  hommes ,  qui 
arrivaient  toujours  ,  attendaient  leur  tour  de  passage.  Toute  cette  cohue  bariolée  , 
offrait  un  coup  d'œil  intéressant  et  tout  à  tait  inattendu.  » 

L'expédition  est  arrivée  !e  20  avril  ,à  Léopoldville  ,  elle  ne  pouvait  y  séjourner , 
parce  que  la  famine  qui  y  régnait  rendait  difficile  le  ravitaillement  d'une  aussi  forte 
expédition.  Elle  dut  néanmoins  y  camper  pendant  neuf  jours  ,  qui  furent  consacrés 
à  l'organisation  de  la  llottille  et  du  chargement.  La  flottille  se  compose ,  outre  les 
allèges,  de  quatre  steamers  ;  ^e  Stanley^  appartenant  à  l'Etat,  le  Peace ,  delà 
mission  baptiste  ,  le  Henry  Read ,  de  la  Livingstone  mission  ,  et  la  Florida  ,  de  la 
Sanford  expédition. 

L'expédition  s'est  embarquée  le  29  avril;  elle  a  passé  devant  Kwamouth,  le  6  mai. 
Elle  a  dû  arriver  aux  Stanley -Falls  dans  les  premiers  jours  de  juin  ,  et ,  à  l'heure 
présente,  elle  doit  être  en  route  vers  le  lac  Albert. 

—  Au  dernier  moment  (17  août)  nous  recevons  une  dépèche  de  Zanzibar  no»s  annon- 
çant que  Stanley  serait  mort,  abandonné  par  Tippo  et  ses  compagnons  et  massacré 
par  les  indigènes  On  ne  sait  rien  au  siège  du  gouvernement  du  Congo,  ni  dans  d'autres 
sources  bien  informées.  A  Bruxelles,  on  considère  la  nouvelle  comme  fausse. 


Quelques  «létails  sur  Tippo -Tip.  —  Nous  empruntons  à  l'ouvrage  de 
M.  J.  Becker,   La  vie  en  Afrique,  quelques  détails  sur  ce  fameux  traitant  : 

Hained-ben-Hamed,  surnommé  Tippo-Tip,  à  cause  du  clignement  d'yeux  qui  altère 
la  sérénité  de  son  imposante  physionomie  ,  est  fils  d'un  arabe  de  Zanzibar  et  d'une 
fenune  de  la  Mriina  (territoire  de  Bagamoyo).  Il  habite  depuis  dix  ans  le  Manyéma 
entre  le  Tanganiyka  et  le  Haut-Congo. 

11  y  jouit  d'une  popularité  immense,  non  seulement  sur  tout  le  territoire  soumis  h 
son  autorité,  mais  encore  sur  les  peuplades  limitrophes  ,  qui  le  savent  homme  à  ne 
laisser  passer  aucun  acte  de  mauvais  voisinage. 

Par  ses  immenses  plantations  ,  auxquelles  sont  attachés  des  milliers  d'esclaves  , 
fanatiquement  dévoués  au  maître  ,  non  moins  que  par  le  corniaerce  de  l'ivoire  ,  dont 
il  a  su  monopoliser  toutes  les  sources,  ce  marchand,  doublé  de  conquérant  et  d'orga- 
nisateur ,  a  su  se  tailler ,  au  centre  de  l'Afrique  ,  un  véritable  empire  ,  oii ,  bien  que 
vassal  nominal  de  Saïd  Bargash  ,  il  règne  en  maître  absolu. 

Chez  Tippo  Tip,  en  dépit  du  mélange  de  sang,  le  caractère  arabe  l'emporte  et  se 
traduit  par  l'exercice,  à  la  fois  instinctif  et  raisonné,  de  vertus  patriarcales. 

Son  empire  sur  lui-même,  son  courage  indomptable  ,  son  intelligence  des  affaires  , 
la  profondeur  de  ses  vues  et  la  rapidité  de  ses  décisions  ,  le  succès  constant  enfin  de 
ses  entreprises,  joints  à  un  côté  vraiment  chevaleresque  qui  lui  sied  à  mei-veille  ,  en 
font ,  avec  Mirambo  ,  une  espèce  de  héros  célébré  par  tous  les  noirs  rapsodes  de 
l'Afrique  Orientale. 

Dédaigneux  du  luxe  .  Tippo-Tip  est  modestement  logé  à  Itourou  ,  où  son  vieux 
père  et  son  frère  Mohamed  Massoudi ,  enrichis  ,  comme  lui ,  par  le  conmierce , 
vivent  à  l'écart  de  toutes  intrigues  politiques  et  marchandes  connue  de  toute  vani- 
teuse ostentation 

Tippo-Tip,  âgé  d'une  quarantaine  d'années ,  grand  ,  souple  ,  robuste  et  se  présen- 
tant avec  une  dignité  suprême  ,  unit  au  teint  noir  de  l'Africain  ,  la  régularité  et  la 
noblesse  du  type  arabe.  C'est  un  grand  seigneur  dans  la  plus  ample  acception 
du  mot. 

Son  vêtement  se  composait,  lorsque  M.  Becker  le  vit ,  d'un  ample  djoho  jaune  , 
brodé  d'or  fin,  et  d'une  chemise  d'une  éclatante  blancheur.  Sa  coiffure  se  bornait  au 
fez  blanc  d'étofï'e  piquée  sur  laquelle  les  hommes  libres,  qui  en  ont  la  spécialité, 


-  H7  - 

excellent  à  dessiner  à  l'aiguille  des  versets  entiers  du  Coran  ,  mêlés  à  d'élégantes 
arabesques.  Un  djenibia,  au  manche  constellé  de  pierreries,  était  passé  à  sa  ceinture. 

C'est  ce  jirand  trafiquant  d'esclaves,  ce  roi  sans  couronne  ,  dans  la  région  qui 
s'étend  du  lac  Tanganiyka  aux  Stanley-Falls ,  avec  lequel  Stanley  a  entamé  des 
négociations.  Entre  son  hostilité  et  son  amitié,  il  a  opté  pour  son  amitié. 

Le  principal  service  que  Stanley  attend  do  Tippo-Tip  est  celui-ci  :  Emin  -  Pacha 
possède,  paraît-il ,  à  Wadelai ,  environ  75  tonnes  d'ivoire  représentant  une  somme 
d'un  million  et  demi  de  francs.  En  sauvant  cet  ivoire  ,  on  arriverait  à  rembourser  au 
Gouvernement  égyptien  tout  ou  partie  de  la  subvention  qu'il  a  accordée  à  l'expédi- 
tion de  secours.  Mais  il  faut  des  porteurs  pour  transporter  l'ivoire.  C'est  là,  la 
première  raison  qui  a  déterminé  l'explorateur  à  pactiser  avec  Tippo  -  Tip  ,  qui  a 
consenti  à  fournir  600  porteurs. 

Tqipo-Tip  est  donc  entré  au  service  de  l'Etat  du  Congo.  Stanley  l'a  nommé  chef 
de  la  division  des  Falls.  Il  a  fallu,  on  le  voit,  faire  la  part  du  feu. 

La  convention  a  été  signée  à  Zanzibar  le  24  février.  Tippo-Tip  aura  im  traitement 
de  30  livres  sterling  par  mois.  Il  s'oblige  à  arborer  le  pavillon  de  l'État  du  Congo 
sur  la  station  près  des  Stanley-Falls  et  à  faire  respecter  l'autorité  de  l'État  sur  le 
fleuve  du  Congo  et  sur  tous  ses  affluents.  Tant  à  sa  station  qu'en  aval  jusqu'à  la 
rivière  Arouhouimï ,  il  s'engage  à  empêcher  les  Arabes  et  les  tribus  qui  y  sont 
établies,  à  se  livrer  au  commerce  d'esclaves.  Il  recevra  auprès  de  lui  un  Résident , 
représentant  l'État  indépendant  du  Congo  ,  et  se  servira  de  son  intermédiaire  pour 
toutes  les  communications  qu'il  aurait  à  faire  à  l'administration  générale. 

On  se  rappelle  que  les  Arabes  de  Tippo-Tip  avaient  récemment  pris  possession  de 
la  station  des  Falls  ;  c'était  une  écluse  par  laquelle  l'invasion  arabe  pouvait  devenir 
menaçante,  à  un  moment  donné  ,  pour  l'État  libre.  C'est  ce  qui  a  amené  Stanley  h 
faire  cette  alliance  avec  ce  marchand  d'esclaves,  alliance  qui ,  nous  devons  le  dire  ,  a 
été  sévèrement  jugée  par  bien  des  gens  ;  car  si  Tippo-Tip  s'engage  à  ne  pas  faire  la 
traite  en  aval  des  chutes,  on  semble  lui  laisser  carte  blanche  en  amont, 

.\ouvelles  «rEniiu-Be y.  —  Il  paraît  que  vers  le  mois  d'octobj'e,  Emin-Pacha, 
au  secours  duquel  est  parti  Stanley,  a  essayé  de  s'ouvrir  un  passage  à  travers  l'Ou- 
ganda ,  mais  que  le  roi  Mounga  s'est  opposé  à  sa  marche. 

Une  tentative  du  côté  du  Karagoué,  à  l'ouest  du  Victoria-Nyansa,  échoua  égale- 
ment. Emin  dut  retourner  à  Wadelai ,  laissant  dans  l'Ounj'oro  un  détachement  de 
soldats  sous  les  ordres  du  capitaine  Casati,  le  dernier  de  ses  compagnons  euro- 
péens. Cela  résulte  des  renseignements  apportés  à  Zanzibar  par  un  Çomali ,  nommé 
AbduUah. 

On  sait ,  d'autre  part,  par  une  lettre  qu'il  a  adressée  au  docteur  W.  F'elkin , 
d'Edimbourg ,  qu'Einin-Pacha  a  pu  recevoir  des  vêtements  que  le  docteur  Junlcer  lui 
a  fait  parvenir. 

Dans  cette  lettre  ,  il  rend  compte  d'une  excursion  qu'il  a  faite  à  l'Albert  Nyan/.a  , 
excursion  qui  lui  a  permis  de  faire  la  carte  du  lac  et  de  découvrir  une  nouvelle  rivière 
qui  se  jette  dans  le  lac  au  midi,  et  qui  sort  des  montagnes  de  l'Oussongara. 

liCs  Alleiiiait«l!i>  sur  la  côte  orientale.  —  Voici  quelles  .seraient  à 
l'heure  actuelle  les  stations  que  la  Compagnie  Allemande  de  l'Afrique  Orientale 
possède  en  Afrique  : 

r*  Zanzibar,  dépôt  central,  créé  en  décembre  1884  ; 
2*  Simaberg  dans  l'Ousagara.  Janvier  1885  ; 


-  118  — 

3*  KIora  dans  l'Ousagara.  Juin  1885  ; 

4    Haloiih  dans  le  pays  Çoniali.  Décembre  1885  ; 

5"  Dunda  dans  l'Ousaramo  sur  le  Kingani.  Mars  1886  ; 

6^  Madiniola,  dans  TOusaramo  sur  le  Kingani.  Avril  1886  ; 

T  Korogwe,  dans  l'Ousarnbara  sur  le  Pangani.  Avril  1886; 

8^  Ousaungoula  dans  TOusaranjo,  sur  le  Kingani.  Mai  1886  ; 

9^  Petershoehe  près  de  Mbousine  dansFOuseganha.  Juillet  1886  ; 
10"  Baganioyo  sur  la  côte  dans  le  territoire  appartenant  au  Zanzibar.  Avril  1886; 
1 1"  Tanganiyka  sur  le  Kilefi  dans  le  Giriyama.  Octobre  1886  : 
12"  Port  Hohenzollern,  à  l'embouchure  du  Woubouechl,  en  voie  de  formation  ; 
13"  Mofî,  sur  le  Pangani,  dans  l'Ousarnbara.  Novembre  1886. 


Uéc'oii verte  «lu  l^okénié  par  .11.11.  les  lieuteuauts  Tappeu- 
bet'k  et  kuitcl.  —  Nous  lisons  dans  V Afrique  explorée  et  civilisée  :  M.  le 
lieutenant  Tappenbeck  a  fait  à  la  Société  de  Géographie  de  Berlin  une  conférence 
sur  le  Lokénié ,  découvert  par  lui  et  le  lieutenant  Kund ,  entre  le  Kassaï  et 
le  lac  Léopold  II.  Avec  les  hommes  qui  les  accompagnaient ,  ils  construisirent 
cinq  grands  canots  de  14  mètres  de  longueur,  de  0'",55  de  largeur  et  de  0'",45 
de  profondeur.  Les  arbres  que  les  indigènes  emploient  pour  la  construction  de  ces 
bateaux  sont  de  gigantesques  bonibax  ,  qu'ils  appellent  niafoumo.  A  l'endroit  où  ils 
commencèrent  à  descendre  le  Lokénié  .  il  a  de  300  500  mètres  de  large  ;  son  cour-s 
est  très  sinueux  et  serpente  à  travers  la  forêt  vierge  ;  il  est  semé  de  petites  îles  cou- 
vertes d'arbres  élevés  et  entourées  de  bancs  de  .sable.  Aucun  village  ne  s'élève  sur 
ses  rives  silencieuses  pendant  le  jour  ,  mais  très  animées  quand  vient  le  soir.  Une 
nuit  oii  l'expédition  s'était  établie  dans  une  île,  des  milliers  de  perroquets  gris  ,  qui 
avaient  élu  domicile  dans  les  arbres  ,  se  mirent  à  voltiger  autour  du  campement  en 
poussant  des  cris  assourdissants.  En  même  temps,  des  millieis  de  grandes  chauves- 
souris  roussettes,  sorties  de  la  forêt  dès  le  coucher  du  soleil,  rasaient  les  eaux  en  se 
désaltérant  à  la  façon  des  hirondelles ,  sans  interi'ompre  leur  vol.  Des  nuées  de 
petites  mouettes- et  des  bandes  de  canards  sauvages  sillonnaient  également  la  rivière 
en  tous  sens.  Au  bout  de  trois  jours  de  navigation  ,  la  rivière  s'élargit.  Les  forêts 
s'éloignèrent  des  rives ,  faisant  place  en  certains  endroits  à  d'étroites  bandes  de 
roseaux  et  d'herbes.  A  partir  de  ce  moment ,  l'expédition  rencontra  très  fréquem- 
ment de  petits  villages  de  pêcheurs,  établis  à  peu  de  distance  de  la  rive  gauche  ,  et 
des  villages  plus  grands  ,  bâtis  à  l'intérieur  sur  le  flanc  des  collines.  Les  indigènes 
sont  d'une  stature  élancée.  Ils  ont  des  traits  agréables  et  sont  des  pêcheurs  habiles 
et  des  canotiers  de  première  force.  En  aval,  le  Lokénié'  continue  à  s'élargir  ,  formant 
une  succession  de  pools,  parsemés  d'îles.  Les  rives  deviennent  de  moins  en  moins 
boisées,  la  savane  apparaît. 

Au  point  où  elle  reçoit  les  eaux  du  lac  Léopold,  la  rivière  à  l'aspect  d'un  lac.  Sur 
les  rives,  parmi  les  îlots  et  les  bancs  de  sable  ,  la  vie  animale  est  intense  :  hippopo- 
tames en  troupes  innombrables  ,  bandes  de  canards  s'élevant  de  partout  en  sifflant . 
hérons  de  taille  et  de  couleurs  variées  sortant  des  roseaux  ,  oies ,  cigognes  ,  petites 
bécasses  au  vol  léger  ,  pélicans  aux  mouvements  disgracieux  ,  flamants  ,  ibis  ,  van- 
neaux ,  fournissent  aux  chasseurs  un  gibier  abondant.  Au-dessous  du  cojifluent  de 
l'émissaire  du  lac  Léopold  ,  la  rivière  est  appelée  Mfini  par  les  indigènes  qui  sont 
d'une  race  superbe  ,  grands  ,  forts.  Leur  corps  est  peint  d'une  couleur  garance  ;  ils 
portent  les  cheveux  séparés  en  deux  nattes  courtes  et  épaisses  ,  rendues  rigides  au 
moyen  d'une  pâte  huileuse,  et  recourbées  aux  deux  côtés  du  front  comme  les  cornes 
du  buffle.  Presque  tous  sont  déjà  vêtus  de  tissus  européens  qu'ils  vont  chercher  au 


—  119  - 


Stanley-Pool ,  où  Ton  renoontre  à  chaque  instant  les  Irafiqnants  de  cette  région  qui 
viennent  y  échanger  leur  ivoire  contre  les  marchandises  des  blancs.  Pendant  quelque 
temps,  le<  eaux  noires  du  Lokénié  continuent  à  former  un  courant  à  part,  le  long  de 
la  rive  droite  du  Kassaï,  comme  si  elles  éprouvaient  de  la  répugnance  à  se  mêler  aux 
eaux  jaunâtres  de  celui-ci. 


IK'tailK  iiiô(flit!ii  miii*  la  mort  du  lioiitoiiaiit  l*alat.  —  A  Tune  des 
dernières  séances,  de  la  Société  de  géographie  de  Paris,  M.  Maunoir  a  donné  des 
détails  inédits  sur  la  mort  du  jeune  lieutenant  de  cavalerie,  Marcel  Palat ,  quia 
s^iccombé  au  commencement  de  cette  année,  dans  une  tentative  pour  gagner  Tim- 
bouktou  C'est  presque  au  seuil  de  TAlgérie  qu'il  a  été  frappé  ,  pendant  la  traversée 
de  la  courte  partie  du  Sahara  qui  sépare  notre  territoire  de  l'archipel  d'oasis  du 
Guràra. 

Cet  espace  a  toujours  été  difficile  à  traverser.  En  1859 ,  M.  Duveyrier  avait  dû 
s'arrêter  à  El-Goléa,  et  put  se  considérer  comme  favorisé  d'en  être  revenu.  L'année 
suivante,  le  capitaine  Colonieu  et  le  lieutenant  Burin  s'étant  joints  à  la  grande  cara- 
vane du  cercle  de  Géryville,  qui  va  tous  les  ans  échanger  des  troupeaux  au  Gurâra  , 
contre  des  dattes,  arrivèrent  les  premiers  au  Gurâra,  sans  obtenir  accès  dans  un  seul 
village.  Ils  ne  durent  certainement  la  vie  qu'à  la  protection  d'un  millier  de  fusils  de 
leurs  administrés.  En  IST'i  .  Paul  Soleillet ,  qui  vient  de  mourir  à  Obok  ,  réussit  à 
atteindre  Aleliàna ,  village  du  Tidikelt ,  peu  éloigné  d'In-Salah  ,  mais  il  n'y  fut 
pas  reçu. 

Marcel  Palat  s'était  mis  en  route  à  la  fin  de  1885,  trop  tôt  peut-être  après  la  fin  de 
l'insurrection  de  Bou-Aniema  ,  chef  d'une  partie  des  Oulâd-Sidi-Ech-Clieik.  Le  pre- 
mier jour  d'avril  le  trouvait  encore  au  village  d'El-Hàdj-Ghelman  ,  un  des  premiers 
geçours  du  Gurâra.  De  là  ,  il  informait  la  Société  de  géographie  qu'il  avait  déjà  pu 
faire  de  remarquables  observations.  C'est  la  dernière  nouvelle  qui  nous  soit  parvenue 
directement. 

Il  résulte  des  renseignements  recueillis  auprès  des  indigènes,  que  le  voyageur 
ayant  éveillé  la  méfiance  des  haliltants  par  l'achat  d'une  parcelle  de  terre,  la  Djemàa 
ou  conseil  de  la  tribu,  exigea  l'annulation  du  marché  et  le  départ  de  l'acheteur. 
M.  Palat  semblait ,  d'ailleurs  ,  menacé  d'un  autre  côté  ,  car  le  fils  de  Bou  -  Amama  , 
malgré  les  ordres  de  son  père ,  s'était  lancé  à  sa  poursuite.  Le  gouvernement  de 
l'Algérie  avait  aussi ,  mais  trop  tard  ,  été  avisé  qu'un  complot  était  tramé  contre  la 
vie  de  Palat ,  par  des  membres  influents  de  la  célèbre  confrérie  de  Sidi-es-Senoùsi. 

L'officier  français,  contraint  de  quitter  l'oasis  d'El-Hadj-Ghelman,  prit  directement 
la  route  d'In-Salah,  sous  la  conduite  de  trois  Arabes  et  de  deux  Touaregs.  Il  parvint 
ainsi  à  Badjum  ,  que  n'indique  aucune  carte  ,  mais  qui  est  très  probablement  situé 
dans  l'Oued-Aflinas,  affluent  de  l'Oued-Miya,  sur  le  plateau  de  Tademaït. 

A  Badjum,  l'un  de  ses  guides  ,  proche  parent  du  chef  d'In-Salah  ,  lui  propose  une 
chasse  aux  moufflons  dans  les  rochers,  l'éloigné  du  camp  et  l'abat  d'un  coup  de  feu. 
Rien  de  ce  qui  lui  appartenait  n'a  pu  être  sauvé  jusqu'ici.  Comme  celles  du  colonel 
Flatters  et  de  ses  compagnons  ,  la  dépouille  de  cette  nouvelle  victime  du  fanatisme 
musulman  e.st  restée  sans  sépulture  dans  quelque  repli  du  Sahara. 


liliiiltes  «le  la  Tunisie  et  «le  la  Tripolitaiue.  —  Dans  la  même 
séance,  M.  Maunoir  a  déclaré  que  la  nouvelle  annoncée  ,  puis  démentie,  de  la  fixa- 
tion des  limites  de  la  Tunisie  et  de  la  Tripolitaine  ,  est  exacte.  La  convention  inter- 
venue entre  la  France  et  la  Turquie,  fixe  cette  limite  à  Ras-Tadjer .  cran  de  la  Médi- 


—  120  — 

terranée  situé  à  l'Est  du  cap  El-Bibiân.  Cette  convention  obligera  les  cartographes 
h  reporter  Tancienne  frontière  à  32  kilomètres  dans  l'Est.  Toute  la  grande  baie  d'El- 
Bibàn  (Bahtret-el-Bibân)  est  maintenant  sous  le  protectorat  français. 


SjCs  flen^'es  f^outerraiiiii»  de  la  régiou  «les  Ckotts.  —  Tout 
réceunnent,  M.  de  Lesseps  a  fait  une  conmiunication  à  l'Académie  des  sciences  sur 
les  travaux  qui  se  poursuivent  sur  la  côte  du  golfe  de  Gabès,  à  proximité  de  l'Oued- 
Méla.  On  se  rappelle  que  M.  le  commandant  Landas,  ayant  constaté  des  nappes 
souterraines  dans  cette  région,  a  eu  l'idée  de  les  mettre  a  profit  pour  la  fertiliser  et 
y  amener  une  population  qui  lui  sera  d'un  grand  secours  pour  creuser  le  canal 
devant  alimenter  la  mer  intérieure  de  la  région  des  Chotts.  Ses  découvertes  ont  déjà 
donné  les  meilleurs  résultats  .  mais  chaque  jour  elles  se  continuent.  11  y  a  quelques 
mois,  les  ti'availleurs  se  sont  trouvés  en  présence  d'un  puits  débitant  9,000  litres 
d'eau  à  la  minute  qui,  le  19  décembre,  à  six  heures  du  soir,  a  donné  lieu  à  un  phéno- 
mène des  plus  inattendus,  prouvant  que  la  richesse  aquifère  de  cette  parti  du  littoral 
est  encore  plus  considérable  qu'on  ne  l'avait  espéré.  Un  bruit  épouvantable  se  fit 
entendre  tout  à  coup,  et  un  jet  d'eau  aussi  puissant  qu'une  trombe  ,  s'éleva  du  puits 
à  une  hauteur  de  quatre  mètres  au-dessus  du  sol,  accumulant  sur  les  terrains  avoisi- 
nants  des  matières  arénacées  et  des  blocs  de  gypse  ;  en  même  temps  les  construc- 
tions élevées  en  cet  endroit ,  étaient  pour  la  plupart  renversées.  Tout  cela  avait  eu 
lieu  en  moins  de  trois  minutes.  L'événement  s'est  renouvelé  depuis  ,  et  il  en  est 
résulté  un  lac  instantané  de  forme  elliptique  ,  mesurant  10  mètres  de  profondeur,  15 
de  largeur  et  20  de  longueur. 

Depuis,  les  sondages  ont  continué  et  ont  donné  lieu  à  la  découverte  d'un  autre 
puits  débitant  10,000  litres  à  la  minute. 

Tous  ces  curieux  phénomènes  viennent  à  Tappui  de  ce  que  disait  Strabon  sur  les 
fleuves  souterrains  de  cette  partie  de  l'Afrique.  M.  de  Lesseps  les  signale  à  l'Aca- 
démie comme  pouvant  intéresser  la  section  de  géologie. 


lÎMC  faétorcrie  française  daus  ITIiaiidji.  —  La  maison  française 

Daumas  et  Béraud  ,  établie  depuis  longtemps  dans  le  bas  Congo ,  a  fondé  dans 

rUbandji  une  factorerie  pour  laquelle  elle  disposera  d'un  petit  vapeur  et  de  deux 

grands  canots  en  tôle  ;  le  premier  jjrendra  la  route  de  l'Alima,  les  seconds  feront  le 

ervice  entre  la  station  et  Stanley-Pool. 


li'Kspagne  dans  le  ^»ahara  ooeiileutal.  —  La  Revista  scientificn 
militar^  dans  ses  numéros  du  15  janvier  au  15  mars  dernier,  nous  a  donné  un  rapport 
complet  du  capitaine  du  génie,  D.  Julio  Cervera  Baviera,  sur  le  voyage  d'exploration 
accompli  récemment  par  cet  officier  dans  la  partie  du  Sahara  occidental  comprise  à 
rOuest  du  10"  degré  de  longitude  Est  et  entre  les  19°  et  27°  degré  de  latitude  Nord. 

Cette  exploration  ,  qui  a  eu  pour  point  de  départ  le  comptoir  déjà  fondé  par 
TEspagne,  en  1884 ,  sur  la  presqu'île  formant  la  petite  baie  connue  sous  le  nom  de 
Rio  de  Oro,  a  eu  pour  résultat  l'annexion  par  cette  puissance  d'un  territoire  de  plus 
de  700,000  kilomètres  carrés. 

D'après  la  déclaration  même  de  l'explorateur ,  c'est  pour  devancer  la  France  que 
cette  annexion  a  été  faite.  Les  Espagnols  craignaient  de  voir  celle-ci  réunir  sa  colo- 
nie du  Sénégal  à  celle  de  l'Algérie.  On  redoutait  aussi  l'initiative  de  l'Angleterre 
qui  avait  déjà  fait  visiter  la  côte  par  des  agents  détachés  de  son  comptoir  du  cap 


—  121  — 

Jiibi.  Au  Maroc  même,  on  avait  songé  à  étendre  la  domination  ilu  sultan  do  ce  pays 
jusqu'à  Tombouctou. 

C'est  le  12  juillet  IBSf)  que  ,  se  trouvant  au  puits  appelé  El-Auiy ,  le  capitaine 
Baviera  a  signé,  avec  de  nombreux  chefs  de  tribus  dont  il  donne  les  noms,  l'acte  qui 
consacre  l'annexion  à  l'Espagne  des  territoires  appartenant  à  ces  diverses  tribus.  La 
plus  puissante  d'entre  elles  est  celle  d'Yahia-u-Azman  ;  le  sultan  d'Adrar-et-Tmarr  , 
son  chef,  a  signé  ,  le  même  jour  ,  en  présence  des  principaux  chefs  inférieurs  dépen- 
dant de  lui,  un  autre  acte  qui  place  toute  sa  tribu  sous  la  protection  du  Gouverne- 
ment espagnol.  Les  limites  du  territoire  ainsi  annexé  sont  :  sur  l'Océan  ,  le  cap 
Bojador  au  Nord  ,  et  le  cap  Blanc  au  Sud  ;  dans  l'intérieur  des  lignes  assez  mal 
définies  par  l'énoncé  de  quelques  points,  et  des  noms  des  familles  qui  sont  plus  ou 
moins  propriétaires  d'un  sol  sur  lequel  elles  vivent  à  l'état  de  nomades.  Les  jjoints 
les  plus  importants  ainsi  nommés  sont  :  les  puits  de  Turin  au  Nord  ,  d'Akssar  au 
Sud,  et  de  Tixit  au  Sud-Est.  Ce  dernier  paraît  ne  pas  être  à  plus  de  600  kilomètres 
de  Tombouctou.  Voilà  donc  l'Espagne  maîtresse  de  la  route  la  plus  courte  de  l'Océan 
à  la  capitale  du  Soudan,  si  toutefois  le  libre  parcours  de  cette  route  n'exige  pas 
l'entretien  d'une  force  armée  considérable  pour  résister  aux  attaques  de  tribus  dont 
le  capitaine  Baviera  n'a  pas  toujours  eu  à  se  louer  pendant  son  exploration. 

Par  la  prise  de  possession  du  littoral  situé  entre  les  caps  Bojador  et  Blanc , 
l'Espagne  veut  s'assurer  le  monopole  de  la  pêche  dans  cette  région  ,  monopole  que 
les  habitants  des  îles  Canaries  possèdent  déjà  en  fait.  La  sardine  ,  la  morue  sont 
parmi  les  poissons  qui  abondent  sur  cotte  côte.  Les  étrangers  qui  voudraient  prendre 
leur  part  de  cette  riche  production  maritime  ,  seraient  obligés  de  se  tenir  désormais 
en  dehors  des  limites  de  la  mer  territoriale  et  ne  pourraient  faire  aucun  établisse- 
ment à  terre  sans  subir  les  conditions  des  nouveaux  maîtres  du  territoire.  L'explora- 
teur conseille  la  création  de  trois  centres  de  population  :  l'un  au  Rio  de  Oro  ,  l'autre 
à  l'embouchure  du  Seguia-el-Hanna  ,  si  l'on  peut  y  trouver  un  bon  mouillage  ;  le 
troisième  à  la  Uina  ,  «  si  l'on  veut  enfin  que  la  côte  de  Mar  Pequéna  devienne 
espagnole  comme  elle  doit  l'èti'e  ». 

L'établissement  du  Rio  de  Oro  sera  une  factorerie  et  une  pêcherie  plutôt  qu'une 
colonie  ;  celui  d'Hamra  participera  des  deux  catégories  ;  celui  de  la  Uina  sera  plutôt 
une  colonie  et  fournira  le  fourrage  dont  le  premier  établissement  aura  besoin  pour  la 
nourriture  des  bestiaux  qu'on  y  achètera,  en  vue  de  les  transporter  en  Espagne.  Une 
troupe,  formée  d'indigènes  du  Riflf,  assurerait  la  défense  de  ces  établissements. 

Pour  ce  qui  est  de  l'aridité  du  sol  sur  le  continent  africain,  le  capitaine  Baviera  se 
flatte  d'en  triompher  par  la  création  d'oasis  au  moyen  de  puits  artésiens.  Il  cite  ,  à 
ce  sujet ,  l'opinion  d'un  de  ses  amis  ,  le  directeur  des  explorations  de  la  Société  de 
géographie  commerciale  espagnole  :  «  Nous  avons  vu,  de  nos  jours,  naître  et  mourir 
les  oasis.  11  y  a  deux  manières  de  les  créer  :  la  première  consiste  à  creuser  le  sol , 
sur  une  plus  ou  moins  grande  étendue  ,  quand  on  sait  que  l'eau  n'est  pas  loin  ,  et  à 
faire  des  plantations ,  quand  on  s'en  est  approché  à  une  distance  convenable  ;  la 
seconde  consiste  à  creuser  des  puits  étroits  et  profonds  ,  et  k  faire  monter  l'eau  par 
des  moyens  artificiels,  quand  elle  ne  jaillit  pas  spontanément,  pour  arroser  les  plan- 
tations faites  à  l'entour.  Les  habitants  du  Sahara  n'ignorent  point  ces  procédés.  11  y 
a  chez  eux  des  corporations  de  Gheias ,  dont  la  profession  est  de  creuser  des  puits 
depuis  4  mètres  jusqu'à  50  mètres,  et  plus,  de  profondeur.  Ils  reproduisent  ainsi  le 
miracle  qui  n'a  pas  cessé  de  se  produire,  depuis  Moïse,  en  Arabie  et  en  Afrique.  Le 
groupe  des  oasis  du  Mzab  est  un  exemple  des  créations  les  plus  récentes,  taites  par 
les  indigènes.  Quand  manqueront  les  terres  fertiles,  on  sera  bien  obligé  de  s'atta- 
quer au  désert ,  et  l'on  réussira  dans  cette  entreprise  par  le  reboisement  de  ses 
niontagnes  plus  facilement  encore  que  par  le  creusement  des  puits  artésiens.  » 


-  122  - 

N.B.  —  Le  capitaine  Baviera  est  rauteiir  d'une  géographie  militaire  du  Maroc  , 
dont  nous  recouuïiandons  la  lecture  aux  personnes  qui  désirent  savoir  quelles  espé- 
rances l'Espagne  nourrit  relativement  à  la  possession  de  ce  riche  territoire  ,  dans  un 
avenir  plus  ou  moins  éloigné. 


£<es  Ks|iag;nols  ilausi  la  mer  Rouge.  —  Les  journaux  de  Madj-ul 
viennent  enfin  de  lever  un  coin  du  voile  qui  couvre  encore  les  visées  du  gouverne- 
ment dans  la  mer  rouge. 

Le  territoire  que  l'Epagne  convoite  dans  ces  parages  serait  celui  de  la  baie  d'Edd, 
appelée  Idi  par  les  indigènes  ,  située  dans  le  pays  de  Dankali ,  et  non  chez  les 
Somalis ,  comme  les  dépèches  l'avaient  annoncé  inexactement. 

La  baie  est  profonde  et  pourrait  abriter  de  gros  navires.  Elle  est  entourée  de 
terrains  boisés  et  suffisamment  pourvus  d'eau  ;  elle  se  trouve  au  sud  de  Massouah , 
à  une  distance  de  24  heures  de  trajet  par  mer  :  d'Edd  il  faut  12  heures  pour  se  rendre 
à  Slodeida,  dans  l'Yénien  ,  sur  l'autre  rive  de  la  mer  Rouge  ,  et  environ  37  heures 
pour  gagner  Aden. 

Au  fond  de  la  baie  est  un  village,  dont  la  population,  d"à  peu  près  mille  habitants, 
est  composée  de  Danakili  et  d'Arabes ,  venus  en  majeure  partie  de  Moka  et 
d'Hodeda. 

De  ce  village  ,  partent  deux  routes  ,  qui  mènent  à  la  capitale  du  Tigré  ,  Adoua  , 
l'une  qui  exige  cinq  jours  de  marche  ,  se  dirige  sur  Dessor ,  c'est  la  plus  longue  , 
mais  aussi  la  meilleure  ;  car  elle  évite  une  vaste  plaine  couverte  d'efflorescences 
salines  ;  l'autre  route,  qu'on  parcourt  en  quatre  jours  seulement,  passe  par  Korkore; 
ces  deux  routes  se  rejoignent  à  Saffit ,  oii  aboutissent  également  les  chemins  de 
Ghoa  ,  au  sud  ,  et  d'Amphila  au  nord  ;  de  ce  point ,  on  atteint  Adoua  après  six  jours 
de  marche. 

Edd  a  été  occupé  autrefois  par  des  factoreries  françaises  ;  mais  le  gouvernement , 
depuis  l'occupation  d'Obok  et  de  divers  autres  points,  n"a  pas  jugé  opportun  d'en 
maintenir  la  possession  ;  mais  entre  Edd  et  Massouah  sont  situés  les  deux  établisse- 
ments français  d'Amphila,  d'oii  l'on  peut  se  rendre  à  Edd  en  12  heures,  et  de  Zoula , 
petit  port  au  fond  de  la  baie  d'Adulis,  plus  au  nord  et  plus  voisin  de  Massouah. 

Comme  on  l'a  déjà  dit,  le  gouvernement  espagnol  n'a  pas  l'intention  d'établir  là 
une  colonie  proprement  dite,  mais  un  simple  dépôt  de  charbons,  un  lieu  de  refuge  et 
de  ravitaillement  pour  ses  navires  à  destination  de  ses  possessions  lointaines  de 
l'Océan  Pacifique. 

Quoiqu'il  en  soit,  la  prise  de  possession  n'est  pas  encore  consommée  ;  la  Turquie 
soulève  des  objections,  dont  la  principale  est  la  baie  d'Edd  appartient  à  l'Egypte,  et 
fait,  par  conséquent ,  partie  du  territoire  de  l'Empire  ottoman.  La  Porte  a  chargé 
Turkan  bey,  son  ministre  plénipotentiaire  à  Madrid,  de  demander  des  explications 
au  gouvernement  espagnol  (1). 


i>iiituatiou  actuelle  de  l'État  indépeudaut  du  €'oug;o.  —  Les 

dernières  nouvelles  reçues  du  Haut-Congo  ont  fait  connaître  l'abaindon  de  la  station 


,1  II  n'est  que  temps  puurla  FraDce  de  fortifier  sa  position  militaire  et  commerciale  dans  le  débouché 
du  canal  de  Suez  par  une  installation  définitive  dans  la  baie  d"Adulis.  EUe  nous  appartient  en  vertu  d'un 
traité  régulier  Que  les  Italiens  restent  ou  non  à  Massouah  ,  il  faut  que  notre  paviUon  soit  hissé  sur 
tous  les  villages  de  la  baie  d'Adulis  et  des  îles  qui  la  conmiandent ,  les  îles  françaises,  comme  les  appellent 
les  indigènes. 


-  123  - 

des  Falls,  ])Oste  avancé  créé  par  Stanley  au  pied  des  cataractes  qui  portent  son  nom 
et  situé  sur  les  territoires  de  l'Etat  indépendant  du  Congo,  à  900  milles  géogra- 
phiques environ  des  Pool. 

La  région  des  Falls  est  actuellement  habitée  ,  ou  ,  pour  employer  une  expression 
plus  exacte,'  ravagée  par  des  bandes  nombreuses  d'Arabes  qui ,  sous  la  conduite  du 
fameux  Tipo-Tipo,  mettent  le  pays  à  feu  et  à  sang  et  se  procurent  ainsi  par  le  pillage 
les  (^claves  et  l'ivoire  dont  ils  font  le  commerce. 

il  paraît  que  la  station  des  Falls  a  vécu  en  assez  bonne  intelligence  avec  ses  voi- 
sins ;  on  dit  même  que  c'est  grâce  à  l'appui  de  Tipo-Tipo  que  plusieurs  explorateurs 
ont  dû  de  pouvoir  continuer  leur  route  vers  l'intérieur. 

A  quelles  causes  faut-il  attribuer  le  mouvement  subit  qui  vient  de  se  produire  ? 
Quelle  que  soit  la  nature  des  faits  qui  ont  pu  le  provoquer,  l'abandon  des  Falls  n'en 
est  pas  moins  une  nouvelle  preuve  de  la  situation  très  aventureuse  de  l'État  indé- 
pendant et  de  l'impossibilité  dans  laquelle  il  se  trouve,  non  seulement  de  se  mainte- 
nir dans  ses  positions ,  mais  encore  de  donner  un  commencement  d'exécution  au 
programme  si  pompeusement  annoncé. 

Devant  les  prétentions  qui  ont  été  émises  dans  ces  derniers  temps,  il  est  néces- 
saire que  l'opinion  publique  ,  en  France ,  soit  éclairée  sur  le  véritable  état  d'une 
question  qui  touche  de  si  près  à  nos  intérêts 

Dans  le  principe  ,  le  but  poursuivi  dans  l'Afrique  équatoriale  avait  un  caractère 
exclusivement  humanitaire  et  scientifique.  Une  telle  entreprise  ne  pouvait  que  rallier 
toutes  les  sympathies  ;  elle  fut  poursuivie  en  commun  ;  et  non  sans  succès  ,  par  les 
différentes  sections  de  l'Association  internationale  africaine  ,  à  la  tète  de  laquelle  se 
trouvait  placée  la  haute  personnalité  du  roi  des  Belges. 

A  peu  près  à  la  nième  époque,  Stanley  accomplissait  à  travers  l'Afrique  le  voyage 
qui  l'a  rendu  à  jamais  célèbre.  Le  bassin  du  Congo  qui ,  suivant  l'illustre  voyageur  , 
renfermait  d'inuuenses  richesses  ,  méritait  bien  qu'un  effort  sérieux  fût  tenté  de  ce 
côté:  Sous  le  nom  de  Comité  d'études ,  qui  devait  se  confondre  bientôt  avec  celui 
d'Association  internationale  du  Congo  ,  une  expédition  s'organisa  à  Bruxelles  ,  des 
moyens  puissants  y  furent  consacrés  et  le  commandent  en  fut  conlié  à  Stanley. 

Le  but  avoué  et  proclamé  reposait  encore  sur  des  considérations  d'un  ordre  élevé  : 
civilisation  ,  progrès  ,  science  ,  développement  du  commerce  international.  Le  but 
réel  avait  un  caractère  essentiellement  égoïste  ,  politique  et  hostile  à  la  France  à 
qui  l'on  voulait  barrer  la  route  du  Congo. 

Au  fond,  cette  expédition  n'a  été  qu'un  acte  d'usurpation  et  une  invasion  à  main 
armée  des  territoires  du  Congo.  Les  premiers  efforts  eurent  pour  objet  d'imposer 
des  traités.  Ce  qu'on  ne  sait  peut-être  pas  très  bien  ,  ou  ,  dans  tous  les  cas ,  ce  qu'il 
est  bon  de  rappeler,  c'est  l'esprit  dans  lequel  ces  traités  étaient  conçus  :  le  Comité 
s'appropriait  le  monopole  de  tous  les  genres  d'exploitation  ,  à  l'exclusion  de  toute 
autre  puissance,  et  prenait  l'engagement  de  joindre  ses  forces  à  celle  des  indigènes 
pour  repousser  les  intrus  de  n'importe  quelle  couleur. 

Les  difficultés  commencèrent  lorsqu'il  fut  question  de  fonder  des  stations  et  de 
s'établir  dans  le  pays. 

On  n'avait  pas  de  temps  à  perdre  dans  des  négociations  qui  pouvaient  être  très 
longues  et  ne  pas  aboutir  ;  il  fallait  faire  acte  d'occupation  le  plus  rapidement 
possible  ;  aussi ,  la  force  fût-elle  employé  là  oii  les  tentatives  de  conciliation  ne  pro- 
duisirent pas  d'effet  instantané.  Des  combats  acharnés  furent  livrés  un  peu  partout  ; 
nombre  assez  considérable  de  points  purent  être  occupés  le  long  du  Congo  ,  depuis 
Vivi  jusqu'aux  Falls.  Des  agents  avaient  été  envoyés  également  sur  la  côte  et  dans 
la  province  du  Niari-Quillou  ;  sans  aucun  respect  pour  noire  pavillon  ,  ils  émirent  la 


-  124  — 

prétention  d'exercer  des  droits  souverains  et  de  prendre  des  mesures  de  police  et 
d'administration  sur  des  territoires  dépendant  de  la  colonie  du  Gabon. 

La  mission  confiée  à  Stanley  prit  fin  dans  les  derniers  mois  de  1884  ;  elle  eut  pour 
couronnement  la  fondation  de  l'État  indépendant  du  Congo ,  qui  fut  reconnu 
successivement  par  les  diverses  puissances  ,  au  moment  de  la  réunion  de  le  Confé- 
rence de  Berlin. 

La  création  d'un  État  au  Congo,  avec  le  roi  des  Belges  pour  souverain,  est  i^on- 
testablement  une  grande  idée  ;  mais  ,  si  l'on  reste  dans  le  domaine  de  la  pratique  , 
que  de  difficultés  se  présentent  pour  lesquelles  on  n'entrevoit  guère  de  solution  !  Le 
nouvel  État  ne  peut  vivre  .  ni  s'organiser .  ni  se  développer ,  ni  accomplir  aucun 
progrès  ,  sans  qu'il  en  résulte  des  dépenses  considérables  ;  il  n'a  ,  pour  le  moment , 
d'autres  ressources  que  celles  qu'une  main  toujours  généreuse,  en  dépit  des  millions 
déjà  engloutis,  continue  à  lui  verser,  mais  qui  sont  insuffisantes  pour  lui  permettre 
autre  chose  que  de  végéter. 

La  liberté  absolue  du  commerce  ,  dans  son  sens  le  plus  étendu  ,  qui  a  été  la  condi- 
tion sine  qud  non  de  la  reconnaissance  du  pavillon  de  l'Association  internationale 
africaine,  élimine  une  source  précieuse  de  revenus.  Quant  aux  droits  à  établir  sur 
les  produits  exportés,  on  ne  peut  forcément  appliquer  que  des  tarifs  modérés ,  pour 
ne  pas  arrêter  le  conanerce  et  susciter  les  réclamations  des  négociants  ,  qui  font 
remarquer,  ajuste  titre,  que  la  création  d'un  Etat  au  Congo  n'a  eu  d'autre  effet 
que  de  rédu-re  leurs  bénéfices  et  leur  imposer  des  obligations  gênantes. 

Tous  les  effort?  tentés  jusqu'à  présent  par  les  administrateurs  de  l'État  indépen- 
dant, pour  se  procurer  ,  soit  en  Belgique,  soit  à  l'étranger  ,  les  fonds  dont  ils  ont  le 
plus  pressant  besoin,  sont  restés  stériles. 

Si  l'on  excepte  l'ivoire  dont  le  stock,  quelque  considérable  qu'il  puisse  être,  sera 
vite  épuisé ,  on  ne  possède  encore  aucune  notion  exacte  sur  les  ressources  de  la 
contrée.  On  a  bien  vu  du  caoutchouc  dans  les  forêts  qui  bordent  les  rivières  ,  trouvé 
plusieurs  espèces  de  minerai  en  différentes  régions  ,  mais  tout  cela  a  été  vu  en 
passant. 

Le  palmier  existe  partout  en  abondance  ,  les  arachides  viennent  très  bien  ,  mais 
l'huUe  et  la  noix  de  palme  ,  de  même  que  les  arachides  ,  sont  de?  produits  pauvres- 
La  terre  est,  dit-on,  d'une  fertilité  remarquable  ;  mais  lui  a-t-on  demandé  autre 
chose  jusqu'à  présent,  que  du  manioc  et  des  bananes  ^ 

Enfin,  il  est  d'autres  questions  qui  sont  autant  d'entraves  apportées  à  l'exploita- 
tion des  ressources  naturelles  du  pays  :  Tantipathie  du  noir  pour  tout  genre  de 
travail ,  celui  de  la  terre  en  particulier  ;  les  monopoles  établis  par  les  différentes 
tribus  ;  les  taxes  imposées  aux  caravanes  ;  la  difficulté  des  ti-ansports  et  des  moyens 
de  communication. 

La  construction  d'une  voie  ferrée  ,  reliant  le  Pool  à  la  partie  navigable  du  Bas- 
Congo  est  assurément  appelée  à  réaliser  un  immense  progrès.  Quoiqu'on  n'ait  fait 
encore  aucune  étude  sérieuse  à  ce  sujet ,  l'aspect  seul  du  terrain  donne  la  certitude 
qu'une  pareille  entreprise  présentera  de  grandes  difficultés  et  sera  excessivement 
coûteuse.  Les  considérations  qui  précèdent ,  nous  font  craindre  que  ,  avant  de 
longues  années  ,  les  productions  ne  suffisent  pas  seulement  à  couvrir  les  frais  d'en- 
tretien et  d'exploitation. 

Faute  d'argent,  l'État  du  Congo  se  trouve  arrêté  dans  sa  tâche  ;  l'évacuation  volon- 
taire ou  forcée  de  ses  stations ,  diminue  son  prestige  vis-à-vis  des  populations  indi- 
gène qui,  réduites  par  la  force,  pourraient  relever  la  tête. 

Les  tentatives  faites  en  France  par  l'État  indépendant,  n'auraient  peut-être  pas 
échoué  ,  s'il  avait  observé  à  notre  égard  un  peu  plus  de  ménagement  ;  mais,  au  fond 


-   125  - 

de  tous  ses  actes ,  ou  voit  percer  le  parti  pris  absolu  de  ne  rien  céder  et  de  tout 
deuiaiiiler. 

Nous  nous  borncrous  à  signaler  la  nouvelle  interprétation  que  l'on  voudrait  donner 
à  la  clause  relative  au  bassin  de  la  Licona-N'kundja  et  qui  tlénature  complètement 
l'esprit  et  la  lettre  du  traité. 

Pour  nos  contradicteurs,  la  Licona  seule  est  enjeu.  Cette  rivière,  disent-ils^  a  été 
découverte  par  un  Français ,  et  les  plénipotentiaires  n'ont  eu  d'autre  pensée  que 
d'attribuer  à  la  France  la  possession  de  son  bassin.  Or,  la  Licona  a  été  explorée  récem- 
ment, et  l'on  a  constaté  que  cette  rivière  n'était  pas  l'Oubangui,  donc  l'Oubangui  ne 
saurait  appartenir  à  la  France. 

Nous  ferons  remarquer  d'abord  que  personne  encore  n'a  exploré  ni  même  retrouvé 
la  Licona  ,  et  ensuite  qu'il  ne  s'agit  pas  de  la  Licona ,  mais  bien  de  la  Licona- 
N'Kundja. 

Ce  n'est  point  par  hasard  que  ces  deux  noms  ont  été  placés  l'un  à  côté  de  l'autre. 
M.  de  Brazza  n'ayant  fait  que  traverser  la  Licona,  à  une  très  grande  distance  dans 
l'intérieur  des  terres  ,  et  personne  ne  sachant  oii  elle  portait  ses  eaux  ,  il  ne  pouvait 
venir  à  l'esprit  des  plénipotentiaires  de  prendre  comme  base  de  la  détermination  de 
la  frontière  une  rivière  dont  le  cours  était  absolument  inconnu.  Ils  ont  alors  cherché 
sur  la  carte  officielle  admise  par  les  deux  parties ,  un  autre  cours  d'eau  dont  le 
confluent  avec  le  Congo  fût  connu,  et  leur  choix  s'est  arrêté  sur  une  rivière  désignée 
sous  le  nom  de  N'Kundja  et  situé  entre  Bonga  et  l'Equateur  ;  cette  rivière  avait  été 
visitée  par  les  Agents  de  l'AssociatLon  internationale  africaine  ,  et  à  l'époque  oii  le 
traite  a  été  conclu,  on  ne  connaissait  pas  d'autre  affluent  du  Congo  entre  l'Alima  et 
l'Equateur. 

La  N'Kundja,  élément  précis,  a  donc  été  prise  conmie  point  de  départ  de  la  délimi- 
tation ;  les  faits  ayant  démontré  que  la  N'Kundja  et  l'Oubangui  ne  forment  qu'une 
seule  et  même  rivière,  c'est  le  bassin  tout  entier  qui  appartient  à  la  France. 

Cela  était,  du  reste,  si  évident ,  que  les  représentants  de  l'Etat  indépendant  n'ont 
pas  hésité  à  le  reconnaître  ;  ils  ont  signé  une  convention  aux  termes  de  laquelle 
l'Oubangui  est  identifiée  avec  la  rivière  du  traité,  et  la  frontière  est  portée  en  amont 
de  l'Oubangui. 

Nous  ferons  remarquer,  en  dernier  lieu,  que  l'interprétation  que  nous  venons  de 
réfuter,  aurait  pour  effet,  si  elle  était  admise  ,  de  porter  la  frontière  française  sur  le 
Congo,  en  aval  du  point  que  nous  avons  refusé  péremptoirement  d'admettre  au 
moment  des  premières  négociations.  Ce  point  a  été  porté  plus  tard  ,  d'un  commun 
accord,  au  point  de  rencontre  du  parallèle  S^SO'  N.  avec  la  rive  droite  du  Congo,  ce 
qui  laisse  largement  l'Oubangui  dans  nos  possessions. 

On  s'étonnera  que  l'Association  internationale  africaine  cherche  à  acquérir,  à  notre 
détriment,  de  nouveaux  territoires,  lorsque  les  événements  démontrent  qu'elle  n'est 
pas  en  état  de  se  maintenir  sur  ceux  qui  lui  ont  été  reconnus  et  qui  sont  pourtant 
assez  vastes  pour  rendre  sa  tâche  des  plus  lourdes  et  des  plus  glorieuses  en  même 
temps. 


AMERIQUE. 


Découverte  fie  rikplkpuk  par  11.  Howard.  —  On  savait,  lisons- 
nous  dans  le  Bulletin  de  la  Société  de  Géographie  de  Paris,  qu'il  existait  entre 
le  fleuve  Yukon  et  l'Océan   glacial,  un   fleuve  dont  parlaient  les  indigènes.    Ce 

y 


-  l->6  - 

fleuve  est  l'Ikpikpuk  que  vient  de  descendre  l'enseigne  Howard,  de  la  marine  des 
États-Unis.  Il  partit  avec  le  matelot  F.-S.  Price,  de  Fort-Cosmos,  le  12  avril  1886, 
avec  les  ordres  du  lieutenant  Stoney,  pour  traverser  l'Alaska,  de  la  rivière  Putman 
jusqu'à  la  pointe  Barrow ,  région  oii  jamais  un  blanc  n'avait  encore  pénétré.  11 
emmenait  avec  lui  deux  traîneaux  et  seize  chiens,  pour  porter  autant  de  vivres  et  de 
de  matériel  qu'il  fallait  pour  ce  long  voyage.  Tous  les  jours,  M.  Howard  détermina 
se  position  par  observation  astronomique. 

11  cherchait  à  rencontrer  des  tribus  indigènes  avec  lequelles  il  voyageait ,  jusqu'à 
ce  qu'il  fut  recommandé  à  une  autre  tribu.  Il  était  ainsi  escorté  de  trente  à  cent  indi- 
gènes à  la  fois.  Le  voyage  fut  très  rude  ;  le  froid  très  vif;  le  thermomètre  descendit 
jqsqu'à  30  degrés  au-dessous  de  zéro  ;  dans  les  régions  montagneuses ,  il  fallait 
déballer  les  bagages  et  les  porter  à  dos.  Il  fut  accueilli  avec  bienveillance  par  les 
indigènes,  qui  n'avaient  pas  encore  vu  d'homme  blanc.  Cette  race  ressemble  plus 
aux  Esquimaux  qu'aux  Indiens  de  l'Amérique  du  Nord.  Elle  est  adonnée ,  saiiS 
exception  ,  à  l'usage  du  tabac  ;  les  hommes,  les  femmes  et  les  enfants,  tous,  fument. 

M.  Howard  voyagea  en  traîneau  pendant  sept  jours  sur  la  rivière  Gadwell , 
complètement  gelée  ;  ensuite  il  franclut  une  chaîne  de  montagnes  et  découvrit  le 
fleuve  Ikpikpuk  ;  du  2."J  mai  au  3  juin  ,  il  campa  près  de  la  source.  A  partir  de  ce 
moment,  il  eut  à  lutter  contre  la  faim,  les  provisions  étant  entièrement  épuisées,  et 
comme  il  ne  pouvait  jjartager  avec  les  indigènes  la  graisse  putréfiée  de  phoque,  il  se 
contenta  de  racines. 

Quaud  la  débâcle  de  l'Ikpikpuk  arriva ,  il  partit  dans  un  bateau  de  peau  séché  et 
cousue,  et  descendit  le  fleuve  sur  une  longueur  de  200  milles.  A  son  embouchure,  il  se 
forme  un  grand  nombre  de  lacs  et  de  marécagss,  dont  quelques-uns  ont  plus  de  cinq 
milles  de  large.  L'explorateur  arriva  avec  son  bateau  de  peau  jusqu'au  rivage  de 
rOcéan  arctique  ,  qu'il  longea  jusqu'à  la  pointe  Barrow  ;  là  ,  il  trouva  du  secours  et 
put  revenir  à  San-Francisco.  11  avait  ainsi  traversé  l'Alaska  sur  une  longueur  de  plus 
de  1,000  nulles. 


.\oiivcBleN  de  M.  Tlioiiai*.  —  De  la  frontière  du  Ghaco  bolivien,  M.  Thouar 
écrit  à  la  date  du  15  janvier  : 

«  J'ai  franchi  la  distance  de  Padilla  à  Lagunillas  avec  beaucoup  de  peine  ;  de 
Violents  orages  ont  relardé  ma  marche  au  milieu  de  sentiers  à  peine  ouverts.  En 
traversant  la  Cordillière  ,  notre  convoi  a  souffert  ;  les  hommes  sont  tombés  malades 
de  la  fièvre.  Cependant,  l'organisation  de  l'expédition  est  aujourd'hui  presque 
complète  ;  il  ne  me  reste  jjIus  qu'à  procéder  à  l'incorporation  de  quelques  volon-  j 
taires.  Nous  sommes  poui-vus  de  vivres  pour  trois  mois.  Notre  cavalerie  ,  tant  en  ' 
chevaux  qu'en  mules,  se  compose  de  cent  trente-cinq  animaux.  Demain  ,  nous  nous 
mettons  en  marche.  » 

Depuis,  l'on  a  appris  (5  février)  que  l'expédition  avait  dii  s'arrêter  à  Lagunillas  , 
par  ordre  du  Gouvernement  Bolivien,  à  cause  du  choléra  qui  est  signalé  à  Curumba 
et  au  Paraguay. 

Lagunillas  est  à  la  frontière  du  Chaco  Bolivien  ,  par  19°  il'  latitude  Sud  et  66"  OO' 
14"  longitude  Ouest ,  Méridien  de  Paris. 


\avig;al>ilité  de  la  baie  «l'IliidKou.  —  Le  Compte-rendu  de  la  Société 
de  géograpliie  de  Paris  (séance  du  18  mars  1887)  contient  l'analyse  d'un  rapport  du 
lieutenant  Gordon,  conunandant  le  bâtiment  V Alerte  qui  a  fait,  pendant  deux  années 


-  127  - 

successives,  dos  croisières  d'été  dans  la  baie  d'Hiidson.  Il  avait  été  chargé  do  ce 
service  par  le  goiiverneinont  canadien,  désireux  de  savoir  do  (|iiollo  façon  on  pourrait 
organiser  des  communications  régulières,  pondant  la  saison  d'été,  entre  l'Angleterre 
et  la  baie  d'Hudson. 

«  M.  Gordon  a  constaté,  dit  le  compte-rendu  ,  que  si  l'on  veut  établir  des  rapports 
commerciaux  entre  cette  partie  de  l'Amérique  du  Nord  et  l'Angleterre,  la  navigation 
ne  sera  ouverte  que  pendant  deux  mois  pour  les  voiliers  et  pendant  trois  ou  quatre 
pour  les  bâtiments  à  vapeur,  selon  l'époque  où  la  débâcle  des  glaces  se  produira. 
Cette  question  a  une  grande  inqiortance  pour  le  Canada  ,  parce  que  ,  dans  un  pays 
([ui  se  développe  de  plus  en  plus  au  point  de  vue  de  la  production  des  céréales  ,  il 
iiLq>orte  de  trouver  un  moyen  de  communication  rapide,  et  le  moins  onéreux  possible, 
pour  le  transport  des  produits  en  Europe  ,  et  si  la  baie  d'Hudson  pouvait  être  navi- 
gable pendant  un  certain  nombre  de  mois  ,  il  est  certain  que  les  frais  de  transport 
seraient  moins  considérable. 

»  11  avait  été  question  de  construire  un  chemin  de  fer  partant  du  Centre  du  Canada, 
de  Winnipeg,  pour  aboutir  à  la  baie  d'Hudson  ;  aussi,  lorsque  les  premiers  rapports 
du  commandant  Gordon  furent  arrivés ,  et  qu'il  fut  démontré  que  la  navigation 
pouvait  se  faire  pendant  trois  ou  quatre  mois  ,  une  Société  se  forma  et  commença 
immédiatement  les  travaux  pour  le  prolongement  d'une  ligne  ferrée  jusqu'à  la  baie 
d'Hudson.  Cette  nouvelle  voie  aura  une  très  grande  importance  au  point  de  vue  du 
trafic  du  Canada.  » 

Le  journal  Paris-Canada,  du  7  avril  1887,  annonce  que  les  projets  d'établissement 
d'un  service  régulier  de  navigation  dans  la  baie  d'Hudson  ont  été  abandonnés  : 

«  Le  gouvernement  du  Canada  à  décidé  de  ne  pas  envoyer  cette  année  de  steamer 
à  la  baie  d'Hudson.  Pendant  les  trois  étés  dernier,  on  a  envoyé  un  steamer  dans 
cette  baie  pour  déterminer  si  la  baie  et  les  détroits  qui  y  conduisent  étaient  navi- 
gables assez  longtemps  pendant  les  mois  d'été,  tant  pour  faire  des  importations  au 
nord-ouest  que  pour  en  tirer  des  produits  de  l'exportation  en  Angleterre. 

»  Il  paraît  que  sir  John  Macdonald  ,  premier  ministre  du  Canada  ,  ne  regarde  pas 
ce  projet  comme  réalisable.  Pour  calmer  un  peu  certains  intéressés  au  nord-ouest , 
qui  voulaient  avoir  quelque  autre  route  que  le  Pacifique-Canadien  pour  exporter  les 
produits  du  nord-ouest,  sir  John  avait  consenti  à  faire  des  essais  afin  de  déterminer 
la  longueur  de  la  saison  navigable.  Les  résultats  de  ces  essais  n'ont  pas  été  satisfai- 
sants au  point  de  vue  de  l'entreprise  commerciale  en  projet,  et  on  a  abandonné  l'idée 
de  toute  autre  tentative,  que  l'on  regarde  comme  inutile.  » 


-  128  - 


II.  —   Géographie  commerciale.  —  Statistiques 
et  Faits  économiques. 


EUROPE. 


lia  dépopulation  du  départcnBCut  des  Rasâtes  -  Alpes.  —  Le 

département  des  Basses-Alpes ,  écrit  M.  Joseph  Mathieu,  dans  le  Bulletin  de  la 
Société  de  géographie  de  Marseille  ,  présente  un  mouvement  curieux  de  dépopu- 
lation depuis  le  commencement  de  ce  siècle.  De  1806  à  1836  ,  c'est-à-dire  pendant 
une  période  de  trente  ans  ,  la  population  de  ce  département  s'est  accrue  de  13,93'i  ; 
mais ,  de  1836  h  1886  ,  c'est-à-dire  en  cinquante  ans  ,  elle  a  diminué  de  29,713 
habitants. 

Voici ,  d'ailleurs  ,  quelle  a  été  rimportance  de  la  population  des  Basses- Alpes  ,  à 
diverses  époques,  de  1806  à  1886  : 

1806 145.115  habitants. 

1821 149.310  » 

1826 153.063  » 

1831 1.55.896  » 

1836  i.59.045  » 

1861 146.368  » 

1868 143.000  » 

1872 139. .3.32  » 

1876 136.166  y 

1881 1.31.918  » 

1886 129.494  » 

La  décroissance  constante  qui  s'est  produite  dans  la  population  de  ce  département 
voisin  des  Bouches-du-Rhône,  a  eu  surtout  pour  cause  réimgration  à  Marseille  d'un 
grand  nombre  de  familles  des  Basses-Alpes.  De  tout  temps,  les  Bas-Alpins,  à  quelque 
classe  qu'ils  appartinssent,  ont  aimé  le  séjour  de  notre  ville  :  ils  sont  innombrables 
les  industriels,  les  négociants,  les  médecins,  les  avocats,  qui  ont  quitté  leur  pays  de 
montagnes  pour  venir  habiter  au  milieu  de  nous  et  s'y  faire  un  situation  par  leur 
travail  opiniâtre,  leur  esprit  d'ordre  et  d'économie.  L'un  d'eux,  un  avocat  bien  connu 
pendant  la  Restauration,  a  été  même  appelé  ,  en  1830  ,  à  administrer  le  département 
des  Bouches-du-Rhône,  en  qualité  de  préfet ,  et  son  administration  ,  dans  des  temps 
difficiles,  a  laissé  les  meilleurs  souvenirs. 

De  tels  exemples  ,  à  mesure  que  notre  ville  se  développait .  devaient  déterminer 
un  plus  grand  nombre  de  Bas-Alpins  à  venir  s'y  établir ,  et  c'est  ce  qui  explique 
surtout  la  décroissance  dans  la  population  des  Basses-Alpes  pendant  les  cinquante 
dernières  années. 

Nous  devons  aussi  mentionner  une  autre  cause  qui  a  contribué  à  éloiguer  les  Bas 


-  129  - 

Alpins  fie  leurs  montagnes.  Nous  en  devons  la  communication  à  notre  viol  ami  Paulin 
Guizol,  avocat,  ancien  magistrat. 

Depuis  près  de  quarante  ans  ,  un  certain  nombre  de  Bas-Alpins  ,  habitant  notam- 
ment l'arrondissement  de  Bar''eloimette,  émigrent  dans  le  Mexique. 

Voici,  d'ailleurs,  ce  que  nous  a  écrit  à  cet  égard  notre  ami  Guizol  : 

«  L'arrondissement  de  Barcelonnette  est  pauvre  par  lui-même  ;  les  terrains  culti- 
vés entrent  à  peine  dans  une  proportion  d'un  vinglième  ,  tandis  que  les  montagnes  , 
en  grande  partie  déboisées,  en  forment  les  dix-neuf  vingtièmes  et  n'occupent  presque 
point  de  bras  ;  l'industrie  est  nulle.  C'est  dans  ces  conditions  d'infériorités  que 
quelques  hardis  habitants  de  la  vallée  de  Barcelonnette  allèrent  chercher  fortune  au 
Mexique.  Ils  y  apportèrent ,  en  fait  de  capitaux  ,  peu  d'argent  à  la  vérité  ,  mais  un 
grand  amour  pour  le  travail ,  de  l'ordre  ,  beaucoup  d'économie  et  une  grande  persé- 
vérance. Ils  réussirent,  et  ce  furent  les  succès  des  premiers  pionniers  qui  amenèrent 
un  courant  d'émigration  qui  n'a  fait  que  s'accroître  surtout  depuis  186').  A  l'heure 
actuelle  ,  il  n'y  a  pas  moins  de  six  mille  Français  de  cette  partie  des  Basses-Alpes  , 
répartis  moitié  à  Mexico,  et  l'autre  moitié  à  Vera-Gruz  ,  Mazatlan ,  Tampico,  Guada- 
iajara  et  dans  tout  le  territoire  de  la  République  Mexicaine. 

»  Des  maisons  de  commerce  importantes  ,  presque  colossales  ,  ont  été  fondées  et 
prospèrent  depuis  des  années. 

»  Au  début,  nos  compatriotes  eurent  à  lutter  contre  les  Allemands  qu'ils  trouvèrent 
établis  dans  le  pays  ;  cette  lutte  n'a  pas  eu  de  trêve  et ,  dans  vingt-cinq  ans  ,  ils  ont 
fini  par  les  supplanter.  Les  souvenirs  de  la  funeste  expédition  du  Mexique  se  sont 
bientôt  effacés,  et  l'influence  française  ,  qui  était  grande  déjà  avant  la  guerre  ,  n'a 
fait  qu'augmenter  depuis  la  reprise  des  relations  diplomatiques  inaugurées  à  Mexico 
par  M.  Boissy  d'A'nglas  ,  député  ,  envoyé  en  mission  temporaire  à  Mexico  ,  en  1881. 

»  Ces  résultats  importants  témoignent  de  la  puissance  de  la  colonie  barcelo- 
nettoise  dans  le  Mexique  ,  et  de  son  patriotisme.  Beaucoup  sont  revenus  dans  leurs 
chères  montagnes  oii  ils  ont  fait  élever  ,  à  la  place  des  chaumières  paternelles  ,  des 
châteaux  ou  de  somptueuses  villas.  11  y  a  même  une  commune,  celle  des  Jeantiers  , 
où  les  «  Mexicains  »  sont  en  gi'and  nombre  ;  quand  ils  viennent  au  chef-lieu ,  le 
samedi,  jour  de  marché,  on  les  reconnaît  à  leur  teint  basané  ;  la  Recette  particulière 
des  finances  et  la  grande  maison  de  banque  Gassier  frères ,  de  Barcelonnette , 
connaissent  leurs  millions.  » 

Cette  émigration  méritait  d'être  connue  avec  les  détails  qu'elle  comporte  ,  à  cause 
du  caractère  aussi  curieux  que  patriotique  qu'elle  présente ,  et  nous  remercions 
vivement  notre  vieil  ami ,  M.  Guizol ,  de  nous  avoir  fourni  l'occasion  de  publier  les 
renseignements  qu'on  tient  de  lui. 


ASIE. 


■jCS  chemius  de  fer  «l«  Tonkin.  —  Un  récent  arrêté  du  Ministre  des 
affaires  étrangères  a  constitué  une  Conmnssion  technique  extra-parlementaire  char- 
gée d'étudier  les  grandes  lignes  du  programme  d'ensemble  de  l'exécution  des 
chemins  de  fer  projetés  au  Tonkin.  Cette  Commission ,  composée  de  spécialistes 
distingués  et  à  la  tête  de  laquelle  a  été  placé  M.  Fuchs,  ingénieur  en  chef  des  mines, 
qui  a  exploré  avec  le  soin  le  plus  minutieux  les  terrains  carbonifères  de  l'Annam  et 

9* 


-^  130  — 

du  Tonkin,  vient  de  tenir  une  séance  préparatoire.  Elle  a  arrêté  le  programme  de 
ses  travaux,  leur  division  et  les  bases  sur  lesquelles  elle  compte  opérer. 

Nous  sommes  en  mesure  de  donner  à  cet  égard  quelques  renseignements  précis , 
qui  permettront  de  juger  de  l'importance  des  matières  qu'aura  à  traiter  la 
Commission  technique. 

Avant  toute  chose ,  la  Commission  se  fera  délivrer  tous  les  documents  divers 
dressés  à  ditiérentes  époques  par  les  ministères  intéressés  dans  la  question  du 
Tonkin  :  plans,  cartes,  rapports,  etc.  Elle  passera  ensuite  à  l'audition  des  personnes 
réputées  connaître  le  mieux  le  pays,  depuis  le  général  Jamont,  qui  a  exécuté  de 
n:iagnifiques  travaux  de  topographie  dans  toute  la  vallée  du  fleuve  Rouge  ,  jusqu'aux 
chefs  des  principales  maisons  de  commerce  de  Haï-Phong ,  Hanoï  et  de  l'intérieur. 

La  Commission ,  munie  de  ces  'enseignements,  s'occupera  alors  de  dresser  un 
tracé  éventuel  des  lignes  les  plus  urgentes.  Enfin  ,  elle  abordera  la  difficile  question 
du  régime  sous  lequel  vivront  les  Compagnies  concessionnaires.  Ce  sera  la  partie  la 
plus  délicate  de  sa  tâche. 

^'oici  quel  est  le  tracé  sur  lequel  les  commissaires  semblent  d'accord  dès 
maintenant  : 

L'ne  première  ligne  partant  d'Hanoï  descendrait  jusqu'au  lieu  dit  les  Sept-Pagodes, 
sur  un  parcours  de  soixante  à  soixanfe-six  kilomètres,  en  terrain  plat  ;  de  là  ,  elle 
bifurquerait ,  soit  sur  Haï-Phong  seulement ,  soit  jusqu'à  Quang-Yen  ,  en  passant 
toujours  par  HaïPhong.  Les  gens  du  métier  estimdnt,  en  effet ,  que  Quang-Yen  est 
destiné  à  devenir  le  grand  port  marchand  du  Tonkin  ,  tant  par  sa  situation  que  par 
les  avantages  qu'il  présente  au  point  de  vue  de  la  navigation. 

Le  second  tronçon  de  la  bifurcation  se  dirigerait  vers  l'Annam  ,  en  passant  par 
Nam-Dinh  ou  par  Nin-Binh.  Il  mettrait  ainsi  les  deux  pays  en  communication  directe. 
Cette  portion  de  voie  ferrée  ne  nécessitera  pae  de  grands  travaux  d'art.  Les  ponts 
en  seront  les  ouvrages  principaux. 

Plus  difficile  est  la  solution  de  la  question  des  chemins  de  fer  du  Nord  et  de 
rOuest.  La  ligne  de  Lao-Kaï,  la  véritable  voie  économique  du  Tonkin,  passera  forcé- 
ment par  des  régions  sinon  tout  à  fait  inconnues  ,  du  moins  mal  explorées.  On  n'a 
que  des  données  incertaines  sur  la  géologie  et  la  topographie  de  cette  partie  de  la 
colonie,  si  différente  du  pays  d'alluvions. 

Pourtant  cette  ligne  s'impose  ,  si  l'on  veut  amener  au  bord  de  la  mer  les  richesses 
de  toute  nature  que  contient  le  Yun-Nan  et  dont  l'écoulement  assurerait  un  trafic 
fructueux  et  un  fret  important  à  nos  bâtiments  de  commerce. 

Enfin,  la  dernière  section  du  x'éseau  éventuel  serait  la  ligne  d'Hanoï  à  Lang-Son  , 
ligne  purement  stratégic[ue.  M.  Cavalier  de  Cuverville  ,  capitaine  de  vaisseau  et 
membre  de  la  Commission ,  insiste  fortement  pour  la  création  de  ce  railway.  Son 
opinion  est  déterminée  par  des  considérations  d'ordre  militaire.  Il  est  certain  que 
de  ce  côté  de  la  frontière  chinoise  nous  n'ouvrirons  jamais  un  grand  débouché 
commercial. 

Telle  est  la  base  des  travaux  futurs  de  la  Conunission.  Celle-ci ,  pénétrée  de  la 
nécessité  de  trancher  promptement ,  et  dans  le  sens  le  plus  avantageux  ,  la  question 
des  chemins  de  fer  du  Tonkin  ,  est  résolue  à  mener  sa  besogne  aussi  rapidement 
que  le  comportent  les  études  de  toute  nature  auxquelles  elle  sera  obligée  de  se  livrer. 


liCS  cbemiujs  de  fer  en  Orient.  —  Les  chemins  de  fer  sont  devenus  les 
instruments  indispensables  de  toute  conquête  tant  pacifique  que  militaire  ;  c'est 
grâce  à  eux  que  les  Anglais  ont  conquis  l'Hindoustah,  parcouru  aujourd'hui  du  nord 
au  sud  avec  autant  de  facilité  que  les  parties  les  mieux  organisées  de  l'Europe.  Les 


—  181  — 

Russes  connue  les  Anglais  mettent  tons  leurs  efforts  à  faire  pénétrer  jjIus  avant  dans 
les  pays  qu'ils  convoitent  les  lignes  qui  doivent  leur  en  assurer  la  possession. 

L'Afghanistan  sépare  seul  la  Russie  des  colonies  anglaises  et  cette  barrière  sera 
bientôt  franchie  :  les  progrès  dos  deux  nations  sont  constants. 

Lignes  de  l'Afghanistan.  —  Les  Anglais  avaient  ({"abonl  songé  à  gagner  Herat  jjar 
Pechawar  et  Kabou.,  mais  soupçonnant  l'opposition  que  leur  feraient  les  Russes  si 
près  de  leur  territoire,  ils  ont  attaqué  l'Afghanistan  par  le  sud.  Ils  ont  déjà  traversé 
le  Béloutchistan  et  au-delà  des  passes  de  Bolan  ont  poussé  leurs  lignes  jusqu'à 
Harnaï  et  Quettah.  Ils  s'efforcent  pour  l'instant  d'obtenir  de  l'émir  de  Kandahar , 
Abd-ur-Rharnan,  la  concession  de  la  ligne  de  Quettah  à  Kandahar.  Ce  dernier,  sent 
combien  cette  invasion  déguisée  lui  serait  funeste  et  rejette  toute  proposition  ;  mais 
le  Gouvernement  des  Indes  profitant  de  l'embarras  que  causent  à  l'émir  les  révoltes 
constantes  des  Ghilzaïs  et  des  Sinwaris ,  attend  que  son  vassal  soit  réduit  à  lui 
demander  des  secours  pour  lui  arracher  cette  concession. 

Les  Russes,  de  leur  côté  ,  sont  arrivés  à  la  frontière  nord-ouest  à  SaracJts  ;  ils  ont 
remonté  au  nord  jusqu'à  Tchartchaï  sur  l'Amou-Daria  (Oxus)  et,  en  janvier  1888,  la 
ligne  sera  ouverte  jusqu'à  Bohhara.  La  ligne  sera  suivie  jusqu'à  Samai  kande  d'où, 
continuant  son  circuit,  elle  rejoindra  plus  tard  les  Indes  parla  route  du  Pamir. 
Lorsque  les  Anglais  iront  à  Kandahar ,  et  ils  y  parviendront  bientôt ,  les  Russes 
s'empareront  immédiatement  d'Hérat  ;  500  kilomètres  à  peine  sépareront  alors 
l'Angleterre  de  la  Russie  ,  et  après  une  lutte  entre  les  deux  nations  ,  au  profit  bien 
probable  des  Russes,  le  tronçon  européen  joindra  définitivement  le  tronçon  indien. 

Dans  cette  lutte,  les  Anglais  se  laissent  entraîner  par  leur  passion  de  conquête  à 
agir  contre  leurs  intérêts  commerciaux.  D'abord  ,  il  est  téméraire  à  eux  de  vouloir 
lutter  sur  terre  contre  la  Russie  ;  ensuite,  au  point  de  vue  commercial ,  leur  maiine 
n'a  rien  à  gagner  à  laisser  s'établir  des  moyens  de  transport  par  terre.  Les  Russes  , 
au  contraire,  ne  peuvent  que  profiter  d'un  trafic  qui  se  fait  aujourd'hui  uniquement 
par  mer  et  qui  alors  passera  par  leurs  lignes  et  sur  leur  territoire. 

Les  produits  des  Indes  consistent  en  denrées  chères  et  de  peu  de  volume  ,  pour 
lesquelles  le  transport  plus  coûteux  par  voie  ferrée,  sera  un  supplément  onéreux 
sans  doute  ,  mais  largement  compensé  par  la  rapidité  et  la  sécurité  du  transport.  De 
Paris  ,  par  un  service  quotidien  ,  on  poui-ra  atteindre  Lahore  en  quinze  jours  ,  et , 
lorsque  la  ligne  d'Orenbourg  à  Tashkent-Samarkande  sera  faite,  en  treize  jours; 
tandis  que,  actuellement,  il  faut  vingt  jours  au  minimum  par  un  service  hebdoma- 
daire pour  gagner  Bombay. 

D'autres  lignes  sont  également  projetées  ,  dont  la  construction  n'entraînera  pas 
des  difficultés  internationales  aussi  grandes,  mais  qui  influeront  certainement  sur  la 
prépondérance  de  la  Russie  en  Asie. 

Ligne  de  la  Caspienne  au  golfe  Persique.  —  Telle  est,  en  premier  lieu  ,  la  ligne 
de  Bakou  à  Recht  côtoyant  la  Caspienne,  rejoignant  Téhéran.^  hpahan,  Chiraz  et 
Bunder-Boucliir  ;  on  prétend  que  le  gouvernement  russe  s'est  déjà  entendu  avec  la 
Perse  pour  la  construction  de  cette  ligne.  De  Bakou  à  Recht,  la  ligne  traverse  des 
marécages  et  nécessitera  d'assez  grands  travaux  de  ballast  ;  de  Recht  à  Kasbin 
(mi-chemin  entre  Téhéran  et  Recht)  la  route  au  milieu  des  gorges  du  Sefid-Roud 
offrira  encore  quelques  difficultés  et  exigera  de  nombreux  travaux  d'art.  De  Téhéran 
à  Ispahan,  ce  sont  des  déserts  plats  ;  puis  en  «'avançant  vers  Chiraz^  les  montagnes 
du  Farsistan  présenteront  encore  quelques  difficultés.  Ce  chemin  de  fer  rendrait  de 
grands  services  à  la  Perse  eu  permettant  l'exportation  des  produits  des  régions 
fertiles,  produits  qui  se  trouvent  perdus  faute  de  moyens  de  transport.  Cette  route  est 


-  i:^2  — 

aussi  la  plus  suivie  par  les  voyageurs  qui  se  rendent  d'Europe  en  Perse.  De  Tiflis  , 
•on  passe  par  Bakou  ;  de  là,  on  s'embarque  pour  Enzeli,  d'où  l'on  gagne  Recht  en  six 
ou  sept  heures  sur  de  petites  barques  ;  un  fort  mauvais  chemin  de  mulet  remontant 
le  Sefid-Roud  et  le  Shah-Roud  ,  conduit  ensuite  à  Kasbin  ,  et  un  service  de  voitures 
primitif  (troïkas  russes)  vous  mène  définitivement  à  Téhéran.  Les  mauvais  temps  à 
Enzeli  empêchent  souvent  le  débarquement  en  rade  du  courrier  même  ,  et  le  voya- 
geur pressé  est  quelquefois  obligé  de  revenir  avec  le  vapeur  à  Bakou  pour  ne  débar- 
quer qu'au  voyage  suivant. 

Ligne  de  Tiflis  a  Téhéran.  —  Une  autre  route  mène  de  Tiflis  à  Tauris  et  de 
Tauris  (T abris)  à  Téhéran,  mais  le  voyage  se  fait  par  caravanes  et  est  fort  long.  Il 
■est  bien  probable  que  ce  parcours  sera  un  jour  suivi  par  une  voie  ferrée.  Tauris  est 
un  centre  important,  capitale  de  l'Azerbeïdjan,  région  fertile  en  céréales  et  que  des 
travaux  d'irrigation  intelligemment  combinés  rendront  plus  prospère  encore,  quoique 
le  système  primitif  actuel  de  kanot:i  soit  fort  judicieux.  La  ligne  partant  de  Tiflis 
passerait  par  Erivan  et  traverserait  l'Arax  à  Djoulfa  ;  elle  gagnerait  Tauris,  de  là 
elle  rejoindrait  le  Kizil-Uzen,  en  suivrait  le  cours  jusqu'à  Mendjil  (endroit  oii  cette 
rivière,  se  réunissant  au  Sbah-Roud  ,  forme  le  Sefid-Roud)  et  là  se  joindrait  elle- 
même  à  la  ligne  déjà  établie  de  Recht  à  Téhéran. 

Ligne  de  la  vallée  du  Tigre.  —  Si  les  Turcs  n'étaient  pas  aussi  hostiles  à  tout 
mouvement  de  progrès  ,  une  ligne  existerait  déjà  dans  la  vallée  du  Tigre  ,  facilitant 
les  communications  rapides  entre  l'Europe  et  l'Inde. 

Par  cette  ligne,  les  courriers  gagneraient  au  moins  huit  jours  sur  les  services 
actuels.  Toute  la  vallée  du  Tigre  et  de  l'Euphrate,  malgré  la  chaleur  et  la  sécheresse, 
est  fertile.  Les  habitants  des  bords  du  fleuve  n'auraient  besoin  que  d'un  léger  encou- 
rao-ement  à  leurs  travaux  d'agriculture  par  l'assurance  de  l'écoulement  de  leurs 
produits  et  la  sécurité  qu'amènerait  assurément  une  voie  ferrée  dans  un  pays  à 
chaque  instant  dévasté  par  les  nomades  du  désert  à  l'ouest,  les  pillards  des  mon- 
tagnes à  l'est. 

Partant  à''Aleo:andrette,  passant  par  Alep,  Orfa,  Diarbékir  et  Mossoul,  cette  ligne 
suivrait  le  Tigre  à  partir  de  cette  ville  jusqu'à  Baghdad  et  Bassorah.  Un  service  de 
vapeurs  déjà  établi  et  fonctionnant  régulièrement,  joint  Bassorah^  Koratchi , 
Bombay. 

Autres  lign'ES.  —  D'autres  lignes  d'intérêt  secondaire  ,  quoique  fort  appréciable  , 
se  construiront  certainement  de  Trébizonde  passant  par  Van  ,  Ourmiah  et  Tauris. 
Au  point  de  commercial ,  cette  voie  aurait  une  grande  importance,  car  c'est  la  route 
la  plus  suivie  par  les  caravanes  transportant  les  produits  persans. 

De  Scutari  enfin ,  une  ligne  alant  rejoindre  Alep ,  permettra  aux  voyageurs  de 
rejoindre  l'Asie  occidentale  sans  avoir  d'autre  traversée  que  celle  du  Bosphore.  Cette 
lio-ne  ne  manquera  pas  non  plus  d'offrir  une  grande  importance  commerciale. 

Tels  sont ,  en  quelques  mots  ,  les  principaux  projets  de  voies  ferrées  qui  seront 
établies  en  Orient  dans  un  avenir  prochain.  Outre  les  bienfaits  de  civilisation 
qu'elles  apporteraient  aux  peuplades  de  ces  régions  ,  l'Europe  tirerait ,  elle  aussi , 
grand  parti  d'un  conunerce  plus  suivi  avec  des  gens  difflérents  de  mœurs  et  de 
coutumes,  mais  qui  témoignent  par  leur  histoire  de  beaucoup  d'intelligence  et  de 
sagesse. 


Convention  entre  la  France  et  le  royaume  de  ^iam.  —  Le 

Sénat  vient  d'approuver  la  convention  signée  à  Baukok ,  le  7  mai  1886 ,  entre  la 


-  i:ss  - 

France  ot  le  Siam,  dans  le  but  de  favoriser  le  coinniercc  entre  TAnnain  et  la  province 
siamoise  de  Liiang-Prabang.  Cette  importante  province,  qui  exporte  notamment  de 
rivoire  ,  de  la  cire  et  des  peaux  et  importe  du  sel ,  des  tissus  et  de  la  quincaillerie  , 
est  habitée  par  un  nombre  considérable  d'Annamites,  dont  la  protection  appartient  à 
la  France  en  vertu  du  traité  signé  à  Hué,  le  6  juin  1884.  Pour  assurer  cette  pro- 
tection, le  Gouvernement  vient  même  de  créer  à  Luang-Prabang  un  vice-consulat. 

La  convention  détermine  les  attributions  de  notre  agent  consulaire  et  règle  les 
conditions  dans  lesquelles  nos  nationaux  et  protégés  pourront  faire  le  commerce.  En 
voici  les  dispositions  principales  : 

Les  Français  et  protégés  français  ont  le  droit  de  commercer  et  de  s'établir  sur  le 
territoire  de  Luang-Pi-abang.  Les  mêmes  droits  sont  acquis  en  Annam  aux  Siamois. 

Les  Français  et  protégés  français  passant  de  l'Annam  sur  le  territoire  de  Luang- 
Prabang  seront  tenus  de  payer  les  taxes  exigibles  ,  conformément  aux  lois  du  pays  , 
sur  toute  marchandise,  soumise  aux  droits,  qu'ils  pourraient  introduire.  Il  est 
entendu  que  ces  droits  ne  pourront  être  supérieurs  à  ceux  qui  sont  perçus  à  Bang- 
Kok  en  vertu  du  traité  du  15  août  1856.  Ces  droits  sont  de  3  p.  100  sur  la  valeur  de 
toutes  les  marchandises  importéee  ,  et  sont  j)ayables  en  nature  ou  en  argent ,  au 
choix  de  l'importateur. 

Les  marchandises  importées  de  Luang-Prabang  en  Annam  seront  soumises  aux 
taxes  exigibles,  conformément  aux  lois  et  coutumes  de  l'Annam. 

Les  Français  et  protégés  français  pourront  acheter  et  vendre  des  terrains  ainsi 
que  les  forêts  de  teck  dans  tout  le  territoire  de  Luang-Prabang.  Ils  auront  le  droit 
d'y  faire  des  plantations,  et  enfin  d'y  exploiter  des  mines  et  d'y  établir  des  usines. 


I^es  ports  <lii  Toiig;  -  King^.  —  M.  J.  Renaud,  ingénieur  hydrographe  ,  a 
traité  devant  la  Société  de  géographie  de  Paris  ,  le  4  février  dernier,  la  question  si 
actuelle  des  ports  du  Tong-King. 

Haïphong  est  actuellement  le  seul  port  du  Tong-King  ;  l'emplacement  est  aussi 
mal  choisi  que  possible  cependant.  Les  deux  barres,  qui  sont  à  l'entrée  de  la  rivière, 
limitent  le  tirant  d'eau  des  navires  qu'il  peut  recevoir  à  4"',50  à  toutes  les  hautes 
mer,  et  6  mètres  aux  grandes  marées.  Il  ne  peut  pas  même  devenir  la  tête  de  ligne 
du  chemin  de  fer  qui  reliera  plus  tard  Hanoï  et  le  haut  fleuve  Rouge  au  port  de 
commerce ,  à  cause  des  nombreux  et  larges  cours  d'eau  que  la  voie  ferrée  serait 
obligée  de  traverser. 

Haïphong  ne  date  que  de  1874  ;  l'eniplacement  de  la  concession  a  été  choisi  alors 
que  le  Tong-King  était  très  peu  connu  ,  comme  le  point  le  plus  rapproché  de  Hanoï 
accessible  aux  navires.  11  s'est  développé  d'une  uianière  factice  pendant  ces  dernièics 
années,  parce  qu'il  avait  le  monopole  exclusif  d'être  immédiatement  habitable.  11  a 
donc  été  créé  par  le  traité  de  1874,  imposé  par  les  circonstances  mêmes  de  l'expédi- 
tion militaire  ;  son  développement  est  factice;  les  deux  bancs  de  vase  et  de  sable  qui 
ferment  l'entrée  du  fleuve  ne  pourront ,  jamais,  dans  l'avenir,  être  améliorés  ;  il 
restera  un  port  de  caboteurs. 

Quang-Yen,  mieux  situé  au  point  de  vue  topographique  ,  a  l'irrémédiable  incon- 
vénient de  ne  pouvoir  recevoir  que  les  seuls  bâtiments  de  mer  qui  peuvent  aller  à 
Haïphong. 

Aussi  les  grands  navires  sont-ils  tous  obligés  d'aller  njouiller  dans  la  rade  de 
Halong  accessible  ,  par  tous  les  temps  et  à  toute  heure  de  marée  .  aux  navires  du 
plus  fort  tonnage. 

M.  Renaud  préconise  l'établissement  du  port  à  Hong-Gac,  situé  au  fond  de  la  baie 
de  Halong.  Hong-Gac  est  en  communication  avec  les  centimes  du  delta  par  des  canaux 


-  1.34  - 

intérieurs  praticables  aux  jonques  et  sampans  du  fleuve.  Il  peut  être  relié  k  Hanoi 
par  une  voie  ferrée  qui  n'aura  pas  à  traverser  de  cours  d'eau  importants.  Au  point 
de  vue  militaire,  il  est  le  seul  pouvant  donner  abri  à  des  transports,  à  des  croiseurs, 
et,  en  général,  à  des  bâtiments  de  guerre  de  fort  tonnage  qui  pourront  s'y  ravitailler 
aisément. 

Hong-Gac  se  développera  donc  par  la  force  des  choses,  au  détriment  de  Haiphong, 
et  deviendra,  dans  l'avenir,  le  plus  grand  port  du  Tong-King. 


AMERIQUE. 


I/éinigratîoii  clan^  la  RépultSiquc  Argentine.  —  D'après  les 
statistiques  relevées,  pendant  les  trente  dernières  années,  de  1857  à  1886,  1,098,220 
individus  de  toutes  nationalités  sont  venus  s'établir  dans  la  République  Argentine. 

Les  chiffres  de  l'émigration  ne  sont  connus  qu'à  partir  de  1871.  Dans  les  seize 
dernières  années  ,  il  est  venu  s'établir  893,-"69  immigrants  et  il  en  est  parti  2.59,303 , 
chiffres  qui  donnent  en  faveur  de  la  République  Argentine  un  accroissement  de 
population  de  634,266  individus. 

Dans  les  dix-sept  dernières  années,  de  1870  à  1886,  il  est  venu  d'Europe  605,533 
immigrants,  soit  65  "/o  i  6t  de  Montevideo,  328,003,  soit  35  "'„. 

Les  nationalités  se  divisent  ainsi  : 


Italiens 391.454 

Espagnols....  80.942 

Français 60.538 

Anglais 16.502 

Suisses 13.413 

La  répartition  par  âge  se  décompose  ainsi  :  adultes,  83  */y,  enfants,  14,4  "/q.  Dans 
les  adultes,  les  hommes  figurent  pour  la  quantité  de  63,6  "  „  et  les  feuujies  19,4  "/q. 
Les  Italiens  représentent  45,5  «°/(,  des  adultes,  les  Espagnols  10,7  °  q  et  les  Français 

7,4  X. 

Les  chiffres  suivants ,  publiés  par  le  chef  du  bureau  de  statistique ,  prouvent 
l'augmentation  constante  de  l'émigration  : 

1886  1887 


Allemands 

41.021 

Autrichiens 

18.83i 

Belges 

3.009 

Portugais 

2.381 

Divers 

15.439 

Janvier .  . . 
Février . . . 
Mars. . . . 

9.715 
6.828 
7.249 

13.375 
5.129 

4.772 

Avril 

6.832 

7.223 

Totaux 

...       30.624 

31.740 

Pendant  ces  quatre  premiers  mois  de  1887,  il  est  donc  ,    malgré  l'épidémie  de 
choléra,  entré  875  émigrants  de  plus  que  dans  le  même  espace  de  temps  en  1886. 


-  i:-i5  - 

Le  commissaire  général  de  rimmigratioii  a  reçu  ,  du  chef  du  bureau  national ,  le 
tableau  du  mouvement  d'immigrants  pendant  le  mois  d'avril  II  résulte  de  ce  tableau 
que  le  bureau  a  placé  2,056  immigrants  répartis  de  la  façon  suivante  : 

Capitale  12'i ,  province  de  Buenos-Ayres  90^3 ,  Entrorios  302 ,  Gorrientes  8  ,  Santa- 
Fé  3'i3,  Cordoba  78,  Tucuman46,  Santiago  11,  Salta  17,  Gatamarca  3,  Riojal2,  San 
Luis  8,  Mendoza  18,  San  Juan  9,  Ghaco  135,  Missioncs  7  et  Patagones  12. 

Les  envois  se  décomposent  en  1,097  immigrants  en  48  voj'ages  par  voie  d'eau  et 
885  par  voie  ferrée.  11  a  été  envoyé  300  passagers  privilégiés. 


liC  traité  «l'un  ion  entre  le!«  Képiiltiiquefii  du  (entre- Anié- 
ric|ue.  —  Nous  possédons  le  texte  d"uu  traité  iu'éliniinaire  d'union  politique  du 
16  février  1887,  qui  établit  virtuellement  VUnion  Centre-Auiericaine. 

Cette  convention  ,  intitulée  traité  de  paix  ,  d'amitié  et  de  commerce ,  a  été  signée 
entre  les  Républiques  de  Honduras,  Costa-Rica,  Guatemala,  Nicaragua  et  Salvador. 

L'article  premier  décide  qu'en  cas  de  différend  entre  deux  ou  plusieurs  Répu- 
bliques ,  l'arbitrage  décidera  en  dernier  resc'ort.  Les  arbitres  seront  choisis  par  voie 
de  tirage  au  sort  [jarmi  les  puissances  suivantes  :  France  ,  Allemagne  ,  République 
Argentine.  Belgique,  Chili,  Espagne,  États-Unis,  Angleterre,  Mexique  et  Suisse.  Le 
sort  désignera  trois  des  pays  indiqués  ,  qui  désigneront  les  arbitres.  En  cas  de  refus 
du  premier  aibitre,  le  second  le  suppléera,  et,  s'il  y  a  lieu,  le  troisième. 

En  cas  de  rupture  entre  deux  ou  plusieurs  des  pays  contractants,  les  autres  s'en- 
gagent à  observer  la  plus  stricte  neutralité.  • 

Les  pays  contractants  s'engagent  à  ne  pas  intervenir  directement  ou  indirectement 
dans  leurs  affaires  intérieures. 

En  cas  de  différend  avec  une  nation  contractante  ,  les  nations  contractantes  s'en- 
gagent à  apporter  leur  médiation  pour  une  entente  amiable.  Au  cas  où  le  refiis 
d'entente  n'émanerait  pas  de  la  République  Centre-Américaine  indiquée  ,  toutes  les 
Républiques  contractantes  feront  cause  commune  et  s'allieront  pour  la  défense  du 
territoire  Centre-Américain. 

Les  Républiques  contractantes  devant  se  considérer  comme  membres  séparés 
d'un  senl  corps  politique  et ,  en  aucun  cas  ,  comme  des  nations  étrangères  les  unes 
aux  autres,  il  est  stipulé  que  le  natif  de  l'une  ou  de  l'autre  de  ces  Républiques  jouira 
de  tous  les  droits  politiques  dans  les  autres  Républiques  .  Mais  pour  cela  ,  et  pour 
être  sujet  aux  charges  et  contributions  que  supportent  les  natifs  ,  il  est  nécessaire 
que  par  déclaration  faite  ,  par  écrit ,  devant  l'autorité  locale  compétente  ,  ou  tacite- 
ment,  par  l'acceptation  d'un  poste  public ,  l'intéressé  manifeste  sa  volonté  d'être 
considéré  comme  naturel.  Toutefois  ,  en  acceptant  la  citoyenneté  dans  quelqu'une 
des  autres  Républiques,  il  ne  perd  pas  sa  nationalité  d'origine. 

Pour  que  cette  clause  soit  effective  dans  tout  le  Centre-Amérique  ,  les  gouverne- 
ments s'engagent  à  réformer  leurs  constitutions  respectives  en  vue  d'accorder  aux 
natifs  des  autres  Républiques  du  Centre-Amérique ,  sans  autre  formalité  que  le 
consentement  exprès  ou  tacite  indiqué  plus  haut ,  la  jouissance  de  tous  les  droits 
politiques  sans  aucune  restriction. 

Quant  aux  droits  civils,  ils  sont  égaux  pour  tous  les  Centre  -  Américains ,  sans 
réserve  ni  distinction  aucune. 

La  résidence  exigée  pour  la  naturalisation  des  natifs  hispano  -  américains ,  sera 
réduite  à  une  anné  contre  trois  années  exigées  des  autres  étrangers.  Les  natifs 
d'une  République  résidant  dans  l'autre  et  non  naturalisés,  seront  exempts  du  service 
militaire  obligatoire  forcé  et  des  réquisiti(>ns  militaires.  Les  université ,  facultés , 


-  136  — 

collèges  de  Tune  des  républiques  <eront  ouverts  aux  natifs  des  autres.  Le  commerce 
entre  les  Républiques,  par  eau  ou  par  terre,  sera  exempt  de  tout  impôt  d'importation 
ou  d'exportation,  douanier  ou  municipal  ou  de  transit.  Cette  clause  fonctionnera  à 
partir  du  15  septembre  1890  en  ce  qui  a  trait  aux  droits  d'exportation.  La  navigation 
intérieure  ou  extérieure  sera  également  libre  de  tout  droit  ou  entrave.  Les  sentences 
rendues  dans  une  des  Républiques  seront  exécutoires  ;  il  en  sera  de  même  de  tous 
les  documents  publics.  Les  natifs  des  Républiques  contractantes  auront  la  jouissance 
égale  de  la  propriété  littéraire,  industrielle  ou  artistique. 

Les  gouvernements  des  Républiques  contractantes  ayant  encore  la  peine  capitale 
pour  délits  communs  ou  politiques  s'engagent ,  dans  le  plus  bref  délai  possible ,  à 
provoquer  l'abrogation  des  lois  qui  la  décrètent. 

Un  Congrès  de  plénipotentiaires  de  toutes  les  Républiques  sera  réuni  tous  les 
deux  ans  et  s'occupera  des  réformes  ,  mesures  et  affaires  d'intérêt  général.  Sa  pre- 
mière réunion  aura  lieu  dans  le  Costa-Rica  le  15  septembre  1888. 

La  politique  extérieure  sera  uniforme  autant  que  possible  vi-à-vis  de  l'extérieur  au 
moyen  d'une  représentation  commune, 

Le  traité  est  perpétuel,  sauf  pour  les  clauses  ayant  trait  au  commerce  et  à  la 
navigation ,  qui  sont  convenues  pour  une  durée  de  quinze  années  à  partir  des 
ratifications. 

Les  ratifications  seront  échangées  à  Guatemala. 

Comme  corollaire,  les  plénipotentiaires  ont  également  signé  un  traité  d'extradition 
et  une  convention  consulaire. 


Pour  les  Faits  et  Nouvelles  géographiques  non  extraits , 

LE   SECRÉTAIRE-GÉNÉRAL , 

ALFRED  RENOUARD. 


-  i:-r7 


COURS  &  CONFÉRENCES  DU  SAMEDI  SOIR  A  R0UBAIX 

(  m  extenso  ). 


LA   GRÈGE 

ET  SA   SITUATION    ÉCONOMIQUE 

Par  M.  E    de  JOANNÈS  , 

Ingénieur  civil,  Membre  du  conseil  et  conservateur  du  musée  commercial  do  la 
Société  de  Géographie  commerciale  de  Paris. 


Conféy^ence  faite  à  Roubaix  le  5   Mars   1887. 


Mesdames  ,  Messieurs  , 

Mes  amis  et  collègues  de  la  Société  de  Géographie  commerciale  de 
Paris,  que  vous  avez  accueillis  naguère  dans  cette  enceinte  avec  tant 
d'affabilité,  MM.  Castonnet  des  Fosses  et  Moncelon,  m'engageaiut 
depuis  longtemps  à  me  rendre  ici,  pour  vous  entretenir  dans  une  cau- 
serie familière,  d'une  de  ces  questions  géographiques  et  économiques 
sur  le  Levant ,  qui  me  sont  plus  familières  en  raison  du  long  séjour 
que  j'ai  fait  dans  ces  contrées. 

«  Allez  à  Roubaix ,  me  disaient  mes  amis ,  vous  rencontrerez  un 
»  auditoire  d'élite  on  ne  peut  plus  intelligent  et  bienveillant  qui  ne 
»  pourra  qu'écouter  avec  intérêt  un  sujet  qui  touche  .sur  certains 
»  points  à  ce  grand  problème  ,  objet  de  préoccupations  générales  dans 
»  notre  siècle  industriel ,  c'est  à  dire  les  conditions  de  la  production  à 
»  l'intérieur  et  celles  des  échanges  à  l'étranger,  problème  dont  la  solu- 
»  tion  est  aujourd'hui  mie  question  de  vie  ou  de  mort  pour  un  peuple 
»  producteur  et  commerçant.  » 

Et  comme  j'hésitais  ,  prétextant  avec  raison  le  peu  d'autorité  qui 
s'attache  à  mon  nom,  ces  Messieurs  ajoutèrent  :  «  Ne  craignez  rien  , 
»  les  Roubaisiens  ont  des  trésors  d'nidulgence  en  réserve.  » 

Or,  Mesdames  et  Messieurs,  je  vais  être  forcé  de  faii'e  un  colossal 

10 


-  138  — 

emprunt  à  vos  richesses  de  bienveillance,  car  je  vous  entretiendrai 
d'un  pays,  en  apparence  du  moins,  insignifiant  au  point  de  vue  commer- 
cial, et  d'un  peuple,  contre  lequel  existe  malheureusement  des  préven- 
tions très  grandes.  J'aurai  donc  d'abord  à  vaincre  une  certaine 
méfiance  de  votre  part. 

Et  si  je  parle  ainsi,  c'est  qu'un  de  nos  plus  éminents  concitoyens, 
dont  vous  me  permettrez  de  taire  le  nom,  me  disait  ce  matin  même  : 

«  Certes,  on  vous  écoutera  ce  soir  avec  la  plus  grande  attention  , 
»  mais  d'avance  je  vous  préviens  que  vous  aurez  bien  de  la  peine  à 
»  convaincre  vos  auditeurs  ;  les  Roubaisiens  ,  aussi  positifs  que  scep- 
»  tiques,  ne  croient  que  ce  qu'ils  touchent.  » 

Vous  le  voyez,  on  n'est  jamais  trahi  que  par  les  siens  ;  aussi,  contre 
mon  habitude,  je  suis  forcé  de  rééditer  ici  ce  vieux  cliché,  dont  les 
conférenciers  de  profession  ne  manquent  jamais  de  faire  usage,  c'est-à- 
dii-e  de  commencer  par  solhciter  votre  indulgence. 

Et  pourtant ,  veuillez  prendre  note  que  je  ne  suis  nullement  un 
conférencier  de  profession  ,  mais  un  humble  soldat  de  la  science  géo- 
graphique à  qui  vous  faites  ce  soir  l'insigne  honneur  d'accorder  quel- 
ques moments  de  votre  temps  si  laborieux. 

Permettez-moi  donc.  Monsieur  le  Président,  et  vous  tous,  Mesdames 
et  Messieurs,  de  vous  remercier  avec  efi'usion  de  la  bonne  fortune  qui 
m'échoit,  et  pour  ne  pas  trop  abuser  j'entrerai  immédiatement  en 
matière  en  parlant  des  chemins  de  fer  de  la  Grèce. 

Je  voudrais  surtout  montrer  l'influence  qu'ils  ont  exercée  sur  le 
développement  des  divers  facteurs  de  la  richesse  nationale,  car,  à  dater 
de  l'époque  toute  récente  où  le  réseau  étendu  de  ces  voies  rapides  et 
économiques  a  été  décrété,  que  l'on  a  vu  surgir,  comme  par  enchante- 
ment, une  foule  d'entreprises  auxquelles  on  ne  songeait  même  pas 
auparavant,  bien  qu'elles  existassent  à  l'état  latent. 

Pour  des  motifs  financiers  et  pohtiques  trop  longs  à  énumérer  ici,  la 
Grèce  n'avait  pu  suivre  le  mouvement  qui  s'était  produit  depuis  trente 
ans  environ  dans  les  autres  Etats  de  l'Europe,  dont  les  territoires  se 
couvraient  de  chemins  de  fer.  quand  le  royaume  hellénique  ne  possé- 
dait encore  en  1882,  que  la  petite  ligne  du  Pirée  à  Athènes ,  longue  de 
de  dix  kilomètres  à  peme.  Sa  voisine,  la  Turquie,  ordinairement  réfrac- 
taire  à  toute  innovation,  avait  à  cette  époque  en  exploitation  près  de 
700  kilomètres  dp  voies  ferrées. 

Cet  état  de  choses,  si  préjudiciable  au  développement  des  forces  pro- 
ductives de  la  Grèce,  durait  depuis  trop  longtemps,  lorsque  le  gouver- 


—  139  — 

nemeut  décréta  rexécution  d'un  vaste  réseau,  dont  une  partie  est 
livrée  actuellement  à  l'exploitation,  tandis  que  d'autres  lignes  sont  en 
construction  ou  à  l'étude. 

En  raison  de  l'intérêt  qu'offrent  certaines  de  ces  lignes  pour  le  com- 
merce de  l'Europe  occidentale ,  voici  l'énumération  détaillée  des 
chemins  de  fer  de  la  Grèce,  dont  M.  Tricoupi,  l'éminent  ministre,  a 
doté  son  pays. 


A.  —  CheitiiuK   de   fei*   de    l'Attlquc  et   du  Pélopoiièse. 

|o  pj.>.gg  à  Athènes 40  kilom 

2°  Athènes  à  Kalamaki  et  à  Corinthe  passant  par 
Eleusis,  Mégara,  Kalamaki  (entrée  est  du  canal)  et  Corin- 
the (entrée  ouest  dudit  canal) 74      » 

o°  Corinthe  à  Patras 100    » 

Par  Zevgolati,  Kiato,  Sykiao,  Xilocastro  et  Œgumi 
(Vostitza).  Cette  ligue  est  presque  parallèle  au  golfe  de 
Lépante  et  elle  sera  prochainement  achevée  jusqu'à 
Patras,  reliant  ainsi  directemeut  la  mer  Ionienne  au  golfe 
de  Salamine. 

4"  Corinthe  à  Nauplie  par  Argos 50    » 

b"^  Argos  à  Myloï 10    » 

Cette  ligne  sera  continuée  jusqu'à  Kalamata  dans  le 
golfe  de  Koron. 

6°  Patrms  à  Caiacolo 100    » 

Cette  ligne  n'est  ouverte  actuellement  que  de  Pyrgos  à 
Catacolo ,  dans  les  environs  des  ruines  d'Olympie,  dont 
les  fouilles  sont  opérées  par  des  Allemands.  La  ligne  de 
Patras  à  Catacolo  est  parallèle  au  littoral  de  la  Morée 
dans  la  mer  Ionienne. 

70  Athènes  à  Ergasteria  Laurium 70    » 

Par  Kephissia,  Chalandri,  Liopesi,  Koroprou,  Makro- 
poulo,  Kalivia,  Keratea,  Thorico- 

8"  Embranchement  de  Kephissia  à  Pentelicus  (ligne 
précédente) 10    » 


-  140  — 
B.  —  Clieiiilns  de  fer  de  la  Thessalle. 

9"  Larisse  à  Volo  dans  le  golfe  de  ce  nom,  par  Voles- 
tino 62    » 

10°  Volestino  à  Tricala  et  à  Catahaka  par  Carditza  et 
Pharsale 200  1/2 

Ces  deux  dernières  lignes,  comme  on  le  verra  plus  loin, 
sont  destinées  à  être  reliées  au  réseau  national  à  partir 
d'Athènes,  et,  d'après  les  projets  à  l'étude,  à  devenir  une 
voie  internationale  vers  l'Europe  centrale. 

Le  réseau  actuel  donc,  tant  en  exploitation  qu'en  cons- 
truction, serait  déjà  de 695  1/2  kil. 

Presque  tous  ces  chemins  de  fer  ont  été  construits  par  des  ingénieurs 
français.  Le  réseau  de  Thessalie,  concédé  à  M.  Mavrocordato,  banquier 
grec,  est  considéré  comme  d'un  rapport  excellent  ;  il  sert  de  débouché 
pour  les  céréales  qui  vont  embarquer  à  Volo  ,  provenant  des  frontières 
de  l'Epire,  et  de  ce  chef  seul,  il  est  assuré  d'un  trafic  de  80  à  100,000 
tonnes  par  année. 

Un  projet  très  intéressant  pour  les  relations  internationales  est 
étudié  en  ce  moment  ;  il  s'agit  de  construire  une  ligne  (ÏAthènes  à 
Volestino  en  traversant  les  terrains  desséchés  du  lac  de  Copaïs, 
reliant  ainsi  le  réseau  de  Thessalie  à  ceux  de  l'Attique  et  du  Pélopo- 
nèse.  Le  but  qu'on  se  propose,  est  non  seulement  de  souder  à  ces 
derniers  les  divers  chemins  de  1er  Grecs,  mais  encore  de  les  raccorder 
aux  réseaux  autrichiens  et  serbes,  soit  en  s'embranchant  sur  un  point 
de  la  ligne  de  Saionique  à  Uskub  et  Belgrade,  soit  sur  le  chemin  de 
fer  qui  traversera  la  Bosnie  et  la  Croatie  dans  la  direction  d'Agram  et 
qui  par  là,  rejoindrait  encore  les  chemins  autrichiens. 

L'ouverture  d'une  route  ferrée  directe  du  Pirée,  à  l'un  ou  l'autre 
des  points  ci-dessus,  abrégerait  les  distances  de  l'Europe  centrale  à 
la  mer  Egée  et,  par  suite,  à  l'Egypte,  dans  une  proportion  très  sensible, 
comparativement  à  la  voie  de  Brindisi 

M.  Gotland,  ingénieur  de  la  mission  française  en  Grèce,  a  calculé 
que  de  Calais  à  Port-Saïd  (via  Si  Gothard,  Milan,  Venise,  Agram, 
Bosna-Seraï,  Larisse,  Athènes,  Pirée)  on  gagnerait  1000  kilomètres,  et 
de  Berlin  au  canal  de  Suez,  800  kilomètres  environ.  Quant  au  trajet 
maritime  par  la  voie  internationale  grecque,  il  suffit  de  jeter  un  coup 
d'œil  sur  la  carte,   pour  voir   que   de   Saionique  à  Port-Saïd  ou  du 


—  m  — 

Pirée  à  Port-Saïd,  la  distance  est  de  200  milles  marins  plus  courte  en 
faveur  de  cette  dernière,  ce  qui  constitue  quatorze  heures  de  naviga- 
tion de  moins  en  s'embarquant  au  Pirée  au  lieu  d'aller  par  Salonique. 

On  conçoit  quel  puissant  intérêt  il  y  aurait  pour  la  Grèce,  de  pouvoir 
souder  ses  chemins  de  fer  au  réseau  autrichien,  car  alors  tout  le 
transit  pour  le  Levant  et  Suez  se  ferait  à  travers  son  territoire;  reste 
à  savoir  si  les  visées  de  l'Autriche  sur  Salonique  ne  feront  pas  échec 
à  ce  beau  projet. 

De  ce  qui  précède,  il  résulte  que  la  Grèce  est  d'ores  et  déjà,  en 
possession  d'un  ensemble  de  chemins  de  fer  intérieurs  très  respectable 
et  qu'elle  cherche  à  se  raccorder  aux  grandes  artères  de  l'Europe 
occidentale  et  centrale. 

La  Grèce  a  depuis  quatre  années  seulement  ouvert  au  trafic  et  mis 
en  exploitation  près  de  700  kilomètres  de  chemins  de  fer  ;  elle  a  donc 
regagné  le  temps  perdu  et,  si  l'on  tient  compte  du  chiffre  restreint  de 
sa  population  ainsi  que  de  l'exiguité  de  son  territoire,  on  reconnaîtra 
qu'elle  est  arrivée,  en  fait  de  voies  ferrées,  presqu'au  niveau  des 
autres  pays  de  l'Europe 

11  convient  encore  d'ajouter,  que  pendant  qu'elle  construisait  ses 
chemins  de  fer,  elle  augmentait  l'étendue  de  ses  routes  carrossables  ; 
700  kilomètres  de  routes  nouvelles  ont  été  ouvertes  depuis  1882  ; 
500  kilomètres  sont  en  construction,  et  un  vaste  réseau  de  3000  kilo- 
mètres est  à  l'étude. 

A  Athènes  circulent  des  tramways  ;  d'autres  villes  vont  en  établir 
également  ;  partout  l'activité  la  plus  grande  est  déployée  pour  accroître 
les  moyens  de  communication  qui  ont  développé  la  richesse  nationale, 
c'est-à-dire  :  l'agriculture,  l'industrie  ainsi  que  l'exploitation  des  mines 
et  forêts  du  pays. 


FORCES  PRODUCTRICES  DE  LA  GRECE. 

L  —  Agriculture. 

On  croit  généralement  que  la  Grèce,  pays  montagneux,  n'est  pas 
propre  à  l'agriculture.  C'est  une  erreur  qu'il  convient  de  détruire, 
en  rappelant  que  les  vallées  helléniques  possèdent  au  contraire  des 
terres  d'une  grande  fertilité  et  qui  n'attendent  que  la  colonisation 
pour  être  mises  en  valeur,   car,  s'il  est  vrai  que  les  Grecs  ne  sont  pas 


-  142  - 

positivement  des  agriculteurs  dans  toute  l'accep&ion  du  mot,  il  faut 
dire  aussi  que  la  viabilité  du  pays  était,  pendant  ces  dernières  années, 
dans  un  état  rudimentaire  peu  favorable  au  développement  de  la 
culture. 

Ce  qui  contribue  à  la  fertilité  des  vallées  de  la  Grèce,  ce  sont  les 
nombreux  cours  d'eau  qui  descendent  des  montagnes  et  qui  entraînent 
un  limon  très  riche  en  matières  organiques.  Aujourd'hui  que  les  voies 
de  communication  sont  en  bon  état,  on  s'occupe  de  régulariser  le  débit 
de  ces  rivières,  par  des  barrages  et  des  réservoirs,  de  sorte  qu'une 
partie  des  terres  incultes  seront  bientôt  exploitées  avantageusement. 

Je  parlerai  tout  à  l'heure  du  lac  de  Copaïs,  en  Béotie,  qu'une  com- 
pagnie française  est  en  train  d'assécher.  Une  fois  ces  travaux  terminés. 
25,000  hectares  d'excellentes  terres  pourront  être  mises  en  rapport. 
Le  directeur  de  cette  compagnie  me  disait  dernièrement,  que  beaucoup 
d'ouvriers  itahens  occupés  aux  travaux  de  dessèchement  du  Copaïs, 
ont  manifesté  l'intention  formelle  de  rester  dans  le  pays  comme  colons, 
quand  les  terrains  seront  mis  à  leur  disposition. 

Nul  doute  qu'un  courant  d'immigration  ne  s'établisse  bientôt  vers  les 
provinces  de  la  Grèce,  dont  les  terres  sont  susceptibles  de  cultures 
rémunératrices. 

Les  produits  agricoles  en  Grèce  sont  très  nombreux,  le  climat  des 
diverses  régions  se  prêtant  aux  espèces  les  plus  variées.  Il  serait  peut- 
être  intéressant  de  passer  en  revue  les  productions  afférentes  à  chaque 
province  en  pai'ticulier,  mais  cela  entraînerait  trop  loin  et  je  me  bor- 
nerai à  en  faire  une  énumération  générale. 

La  garance,  le  tabac,  le  maïs,  le  sésame,  toutes  les  espèces  de 
céréales  et  de  légumineuses  réussissent  partout. 

Le  coton,  cultivé  en  grand  sur  les  rives  du  lac  de  Copaïs,  lors  de  la 
guerre  de  sécession  américaine,  rend  jusqu'à  1,900  kilogrammes  par 
hectare  dans  les  terrains  irrigués  et  1,200  kilogrammes  seulement 
dans  les  terres  sèches. 

Ce  genre  de  culture  n'est  pas  abandonné  le  moins  du  monde  actuel- 
lement; les  filatures  du  Pirée  travaillent  exclusivement  avec  le  coton 
indigène. 

On  rencontre  le  mûrier  dans  beaucoup  de  localités;  par  suite,  l'élève 
des  vers  à  soie  a  pris  une  grande  extension  depuis  dix  ans.  L'île 
d'Andros,  notamment,  se  livre  à  la  sériculture  avec  profit. 

La  Grèce  possède  des  variétés  d'arbres  fruitiers  très  nombreuses. 
L'oranger,  le  citronnier,  le   grenadier,  le  figuier,  l'amandier,  l'abri- 


—  143  — 

cotier,  etc.,  etc.,  croissent  dans  les  îles  Ioniennes,  dans  les  provijices 
méridionales  et  dans  l'archipel  ;  ils  donnent  des  récolles  qui  alimentent 
le  commerce  de  ces  contrées. 

L'olivier  est  cullivé  sur  une  vaste  échelle  et  l'huile  d'olive  figure 
parmi  les  produits  exportés  pour  un  chiffre  considérable.  Le  jujubier 
est  aussi  cultivé  dans  les  îles  Ioniennes. 

La  vigne  donne  des  résultats  superbes  dans  certaines  parties  du  pays, 
et  la  fabrication  du  vin  y  fait  des  progrès  sensibles. 

Le  malvoisie  de  l'île  de  Tinos,  le  Santorin,  ou  vino-santo,  qui  a  le 
goût  du  Marsala,  méritent  d'être  cités  comme  des  crûs  fort  estimés. 
La  France  importe  depuis  peu  des  vins  grecs,  qui  sont  éminemment 
propres  aux  coupages. 

La  plaine  de  Gorinthe  et  les  environs  de  Patras,  produisent  en 
abondance  les  raisins  sans  pépins,  bien  connus  sous  le  nom  de  raisins 
de  Cofnnihe,  qui  s'exportent  pour  la  France  et  principalement  pour 
l'Angleterre,  où  ils  servent  à  la  préparation  de  l'entremets  national, 
si  léger  et  si  digestif,  \e  plum-pudding. 

La  statistique  de  1885  accuse,  pour  la  seule  exportation  fles  raisins 
de  Gorinthe,  une  valeur  de  35  milHons  de  fr,  représentant  un  tonnage 
de  57,440  tonnes.  Le  port  de  Patras  figure  dans  cette  exportation  pour 
un  chiffre  de  18,192,716  fr.  Cette  culture  progresse  sans  cesse,  elle 
forme  la  richesse  des  contrées  qui  s'y  livrent,  comme  les  oranges  et 
les  citrons  constituent  celle  de  Gorfou  et  des  îles  de  l'Archipel. 

Les  ratlonêes  (1),  espèces  de  glands  d'un  chêne  particulier  qui  sert 
au  tannage  des  cuirs,  proviennent  de  la  Thessalie  et  de  l'Arcanie.  En 
1879,  il  a  été  exporté  plus  de  8,000  tonnes  de  cette  substance  astrin- 
gente. C'est  environ  la  moyenne  annuelle.  Peu  de  nos  tanneurs 
français  connaissent  ce  gland,  qui  est  préférable  au  tan  de  chêne  et 
est  très  employé  dans  le  Levant. 

Passant  à  la  sylviculture,  on  constate  que  la  Grèce  est  une  contrée 
où  les  forêts  sont  nombreuses  et  les  essences  de  bois  excessivement 
variées  ;  sur  le  Parnasse,  dans  l'Eubée,  sur  le  Taygète,  en  Arcanie, 
on  trouve  surtout  beaucoup  de  noyers  dont  l'exploitation  est  difficile 
encore,  à  cause  de  l'état  des  voies  de  communications.  Cet  inconvé- 
nient prendra  fin  bientôt  et  exonérera  la  Grèce  du  tribut  qu'elle  paie 
encore  à  l'étranger,   en  important  une    grande  quantité  de  bois  de 


(1)  Quercus  Œgilops. 


-  -144  — 

charpente, et  de  constructions  navales,  des  douves,  etc.,  alors  qu'elle 
possède  chez  elle  ces  matériaux  en  abondance. 

L'élève  du  bétail  était  resté  stationnaire,  cependant  il  semble  que 
l'on  se  préoccupe  de  cette  situation.  La  proportion  entre  la  population 
et  le  nombre  de  bêtes  à  corne,  reste  jusqu'ici  en  dessous  de  la 
moyenne,  excepté  on  Thessalie  où  existent  des  troupeaux  consi- 
dérables. 

On  sait  que  la  Thessalie  n'a  été  annexée  à  la  Grèce  que  depuis 
huit  ans.  C'était  une  province  de  l'empire  Ottoman  avant  la  guerre 
turco-russe  de  1878.  Cette  nouvelle  acquisition  a  doté  la  Grèce  d'une 
contrée  agricole  extraordinairement  riche.  Les  terres  d'alluvions,  qui 
recouvrent  les  immenses  vallées  dans  lesquelles  se  trouvent  les  villes 
de  Trikala,  Larisse,  Pharsale,  etc.,  offrent  aux  bestiaux  des  pâturages 
abondants. 

Les  troupeaux  des  clans  Albanais  et  Grecs,  peuplent  tous  les  contre- 
forts des  montagnes  nommées  :  Méléo7''es  Pindiques  :  ils  se  sont  telle- 
ment multipliés,  qu'il  n'est  pas  rare  de  voir  des  familles  possédant 
jusqu'à  40,000  têtes  de  bétail.  Le  commerce  de  la  laine  et  des  peaux 
forme  par  conséquent  l'une  des  principales  ressources  de  celte  pro- 
vince. La  qualité  de  la  laine  est  très  bonne,  elle  est  blanche ,  propre 
et  d'une  assez  grande  longueur. 

Le  territoire  de  la  Thessalie  produit  aussi  du  coton  de  bonne  qualité. 
Un  tabac  de  couleur  brune,  que  les  fumeurs  de  l'Orient  préfèrent  même 
aux  tabacs  blonds  de  Samsoun. 

Après  l'annexion  de  la  Thessalie  à  la  Grèce ,  la  population  musul- 
mane qui  était  nombreuse  et  propriétaire  de  la  majeure  partie  du  sol,  a 
émigré  en  Asie-Mineure.  Toutes  les  familles  turques  ont  vendu  leurs 
propriétés  et  des  fortunes  ont  été  faites  par  des  Grecs,  qui  les  ont  ache- 
tées à  vil  prix.  Des  terres  de  première  qualité  se  sont  vendues 
cinquante  francs  l'hectare  et  leur  valeur  a  triplé  depuis  l'ouverture 
des  chemins  de  fer  de  Larisse  à  Volo  et  celui  de  Voleslmo  àKalahaca. 

L'apiculture  a  pris  aussi  un  grand  développement.  En  1852  on  comp- 
tait en  Grèce  250,000  ruches  seulement  ;  en  1860  il  en  existait  280,000  ; 
aujourd'hui  le  nombre  est  plus  que  décuplé.  La  Grèce  est  du  reste  un 
pays  qui  abonde  en  plantes  sauvages  ,  dont  les  fleurs  parfumées 
donnent  au  miel  un  arôme  particulier,  qui  a  rendu  célèbre  le  miel  de 
VHymète. 

Les  collines  de  Garyste  en  Eubée  produisent  ce  miel  blond,  transpa- 


-  145  - 

renl  et  doré,  d'une  délicatesse  extrême,  qui  remplit  la  boiicliç  d'un  goût 
de  roses  très  prononcé. 

L'agriculture  en  Grèce  n'est  donc  pas  restée  en  arrière  des  autres 
branches  de  la  richesse  publique,  ses  progrès  sont  tangibles  ;  de  ce 
côté  toujours  elle  a  largement  satisfait  aux  exigences  de  la  civilisation 
moderne,  si  l'on  considère  surtout  que  le  pays  qui  représente  à  peine 
un  grand  département  français,  peuplé  hier  encore  de  15  habitants  seu- 
lement par  kilomètre  carré  et  privé  de  toute  ressource ,  représente 
aujourd'hui  une  valeur  agricole  productive,  qui  n'est  plus  évaluée  par 
milhons,  mais  bien  par  quelques  milliards. 


il.  —  Productions  minières. 

La  nature  semble  avoir  favorisé  le  sous  sol  de  la  Grèce  d'une  façon 
toute  particulière.  Ses  richesses  minérales .  connues  déjà  des  anciens, 
en  font  un  pays  on  ne  peut  plus  avantageux  pour  l'exploitation  fruc- 
tueuse des  nombreux  minéraux  que  renferment  ses  montagnes. 

La  houille,  ce  pain  de  l'industrie,  a  été  découverte  dans  diverses  par- 
ties du  pays,  notamment  dans  les  provinces  de  Phtiotide ,  d'Acarnie, 
de  Béotie.  Le  lignite  de  l'anthracite  de  Koumi,  en  Eubée,  sont  d'une 
qualité  excellente  et  sont  employés  en  partie  sur  les  bateaux  à  vapeur 
de  la  C'^  Hellénique  de  navigation. 

L'anthracite  existe  aussi  près  des  Thermopyles  et  à  Marcopoulo  en 
Attique. 

On  extrait  la  tourbe  près  de  Thèbes. 

En  Morée,  dans  le  canton  de  Calavrysta,  on  a  découvert  des  argiles 
schisteuses  qui  dénotent  probablement  l'existence  du  terrain  houiller. 

Des  sondages  feraient  peut-être  trouver  dans  ces  parages,  plusieurs 
gissements  carbonifères  importants. 

En  attendant,  la  Grèce  importe  encore  d'Angleterre  d'assez  fortes 
quantités  de  charbons,  pour  les  besoins  chaque  jour  croissants  de  son 
industrie. 

Le  soufre  est  exploité  depuis  de  longues  années  dans  l'île  de  Milo  ;  à 
Santorin,  à  Soussaki,  dans  le  golfe  de  Salonique,  en  Elide,  dans  la 
vallée  de  Catacolo,  en  Kyparassie,  à  Syria,  etc.,  etc. 

Les  célèbres  marbres  statuaires  de  Paros  sont  généralement  connus  ; 
une  compagnie  belge  exploite  depuis  quelques  années  les  anciennes 
carrières  que  les  anciens  avaient  laissées,  et  qui  a  fourni  le  marbre  de 


-  146  - 

la  Vénus  de  Milo.  Cette  compagnie  a  établi  un  apponteraent  à  Parikhia, 
relié  aux  carrières  par  un  tramway  de  6  kilomètres  1/2. 

Toutes  les  îles  de  l'Archipel ,  du  reste,  renferment  des  marbres 
magnifiques  ;  on  a  même  trouvé  dans  le  Taygète,  des  marbres  rouges 
antiques  d'une  pureté  remarquable. 

Dans  l'île  de  Naxos,  on  exploite  l'émery  et  le  feldspath,  le  gouver- 
nement perçoit  plus  de  100,000  drachmes  de  droits  par  an  de  ce  chef. 
Des  pierres  lithographiques  sont  aussi  exploitées  à  Naxos. 

A  Milo.  on  rencontre  du  granit  et  des  pierres  à  bâtir,  des  plâtres,  de 
la  pierre  ponce,  des  obsidiennes,  des  pierres  meulières,  des  silex,  etc. 

Dans  l'île  de  Skyro,  on  trouve  des  paillettes  d'or  dans  le  sable  d'un 
ruisseau.  Selon  Hérodote,  les  anciens  tiraient  l'or  de  cette  île. 

La  magnésie  existe  en  Eubée. 

La  pierre  à  bâtir  s'exploite  dans  une  très  grande  partie  de  la  Grèce  ; 
à  Syra  il  y  a  des  pierres  meulières  estimées. 

Mais  ce  qui  forme  la  principale  richesse  minéralogique  de  la  Grèce, 
ce  sont  les  nombreux  gisements  de  plomb  argentifère ,  disséminés 
dans  plusieurs  parties  de  son  territoire. 

Avant  d'indiquer  les  localités  les  plus  importantes  qui  renferment 
des  minerais  de  cette  nature,  dormons  la  priorité  aux  mines  du  Lau- 
rium,  situées  en  Attique,  parce  que  ce  sont  elles  qui  ont,  en  quelque 
sorte,  donné  l'éveil  sur  les  résultats  qu'on  pouvait  attendre  de  l'exploi- 
tation rationnelle  de  ces  gisements ,  connus  et  travaillés  dès  la  plus 
haute  antiquité,  mais  abandonnés  pendant  des  siècles. 

Les  mines  de  plomb  argentifère  duLaurium,  sont  situées  à  la  pointe 
méridionale  de  l'Attique  qui  se  termine  au  cap  Sunium  et  a  75  kilomètres 
d'Athènes.  Quinze  siècles  avant  l'ère  chrétienne,  elles  étaient  déjà 
exploitées  par  les  anciens  et  l'histoire  apprend  qu'elles  produisaient  des 
quantités  considérables  de  plomb  et  d'argent. 

Par  suite  de  l'imperfection  des  procédés  de  traitement  du  minerai  à 
cette  époque,  les  premiers  exploitants  se  bornaient  à  extraire  une  très 
faible  portion  du  métal  et  abandonnaient  sur  le  sol  les  scories , 
ou  résidus  encore  très  riches,  qui  s'accumulèrent,  couvrant  des  surfaces 
de  terrains  considérables,  sans  qu'on  songeât  à  en  tirer  parti. 

Une  compagnie  franco-italienne  sollicita  et  obtint  la  première  du  gou- 
vernement hellénique  la  concession  des  scories  et  bientôt,  dans  un 
désert  jusque  là  sauvage,  un  bourg  plein  de  vie  et  de  mouvement 
s'éleva,  qui  prit  le  nom  d' Ergasteria.  Des  voies  ferrées  et  des  routes 


-  147  - 

furont  construites  ,  des  hauts  fourneaux  installés  et  plus  de  1,500 
ouvriers  y  trouvèrent  du  travail. 

En  1865  survint  une  contestation  entre  le  gouvernement  et  la  com- 
pagnie. Le  premier  soutenait  n'avoir  concédé  à  la  Sociêti'  que  les  scories 
ou  eccolades  ,  résidus  du  travail  dos  anciens,  mais  non  les  rainerais 
inexploités  dans  le  périmètre  de  la  concession.  La  compagnie  de  son 
côté,  prétendait  s'approprier  ces  minerais,  et  l'on  n'a  pas  oublié 
les  négociations  diplomatiques  et  les  procès  auxquels  ce  différend 
donna  lieu. 

Pour  trancher  ces  difficultés,  la  compagnie  franco-italienne  du  Lau- 
rium  rétrocéda  ses  droits  à  une  société  grecque,  pour  la  somme  de  12 
millions  de  francs,  réalisant  ainsi  uu  grand  bénéfice,  puisque  ses  éta- 
tablissements  ne  lui  avaient  coûté  que  six  millions  de  francs  environ 
et  qu'elle  avait,  de  plus,  encaissé  sous  forme  de  dividendes,  d'impor- 
tants profits  pendant  qu'elle  avait  traité  les  scories  anciennes. 

Il  n'en  est  pas  moins  vrai  que,  si  les  capitaux  français  engagés  pri- 
mitivement dans  cette  entreprise  y  ont  trouvé  une  large  rémunération, 
nous  avons,  par  contre,  été  les  promoteurs  en  Grèce  d'une  industrie 
nouvelle,  en.  découvrajit  des  trésors  minéralogiques  improductifs  jus- 
qu'alors, qui  enrichissent  aujourd'hui  les  successeurs  des  concession- 
naires français. 

Une  autre  sociél;é,  la  compagnie  française  du  Laurium  ,  se  fonda 
peu  après  pour  exploiter  des  gisements  voisins,  en  sorte  qu'aujourd'hui, 
elles  comptent  une  vingtaine  de  hauts-fourneaux  et  de  lavoirs  pour 
traiter  leurs  minerais.  Un  chemin  de  fer  industriel  a  été  construit  pour 
porter  les  produits  à  la  mer  ;  le  nombre  des  ouvriers  varie  de  1,500  à 
2,000,  leurs  machines  à  vapeur  représentent  une  force  de  400  chevaux, 
consommant  1,500  à  1,800  tonnes  de  houille  par  mois.  Des  cités 
ouvrières  ont  été  édifiées  pour  loger  le  personnel  des  mines,  et  l'on 
peut  affirmer  que  celles-ci  i-ivalisent  comme  agencement,  avec  les  entre- 
prises les  mieux  outillées  et  les  plus  intelligemment  dirigées  de  l'Europe. 
Ce  sont,  d'ailleurs,  les  plus  considérables  mines  de  ce  genre  qui  existent 
au  monde  ;  le  plomb  livré  au  commerce,  dépasse  la  quantité  de  10.000 
tonnes  par  année,  sans  compter  la  production  d'argent,  car  les  scories 
rendent  encore  8  à  12  7o  de  leur  poids  en  plomb  et  près  de  0,060s''  en 
argent. 

La  compagnie  française  du  Lauriwn  produit  aussi  une  quantité 
notable  de  zinc  dont  le  minerai  s'exploite  également  aux  environs. 

D'autres  concessions  de  calamine  sont  la  propriété  de  la  compagnie 


-  i48  — 

Grecque  minière  et  de  la  compagnie  Anglaise  David  Swan  et  C'« 
liimted.  On  rencontre  ordinairement  le  carbonate  de  zinc  souslaforme 
cristallisée;  le  rendement  va  jusqu'à  35  %. 

Dans  l'île  de  Milo,  on  a  trouvé  aussi  des  minerais  de  plomb  argen- 
tifère qui  ne  sont  pas  encore  exploités  sur  une  échelle  bien  importante 
quoique  leur  production  ait  été  cependant  de  1.000  tonnes  environ  en 
une  année. 

Dans  l'île  Zea,  les  minerais  découverts  rendent  jusqu'à  80  •'/o  de  plomb 
et  0.125  d'argent. 

A  Zea  et  Thermia,  on  trouve  aussi  des  galènes  et  du  carbonate  de 
cuivre,  ainsi  qu'à  Sikino  et  à  Santorin. 

A  Serphos,  des  gisements  très  riches  de  fer  hématite  sont  exploités 
en  grand,  ils  rendent  de  56  à  60  %  de  fer  et  s'exportent  en  Amérique 
principalement,  où  ils  sont  fort  estimés  par  les  aciéries. 

Les  minerais  de  fer  raanganésiforme  de  Spiliazeza  sont  également 
reclierchés  ;  ils  sont  exceptionnellement  exempts  de  silice  et  renfer- 
ment du  calcaire,  qui  sert  de  fondant  naturel 

Les  minerais  de  fer  manganésiforme  du  Suniuin,  sont  bien  supérieurs 
comme  qualité  aux  similaires  d'Espagne  :  on  en  tire  jusqu'à  20  7^  de 
manganèse. 

Dans  l'Eubée  on  exploite  du  zinc  et  du  plomb,  ainsi  que  de  riches 
minerais  de  magnésie  et  de  barytine. 

Ces  mines  avec  celles  de  Serphos,  sont  la  propriété  de  la  compagnie 
française  dite  «  des  mines  de  Serphos  et  d'Euhèe  ». 

On  trouve  encore  dans  certaines  autres  provinces  de  la  Grèce  de 
l'ocre,  du  chrome,  un  peu  d'étain,  etc.,  etc. 

Le  Titane  se  rencontre  à  S}Ta,  à  Paros  et  en  Eubée. 

Le  cuivre  existe  à  l'état  natif  et  en  couches,  dans  Tîle  de  Scopelo,  eu 
Eurytanie,  en  Carystie,  à  Tinos,  à  Milo,  en  Olympia. 

J'abrège  cette  longue  énumération  des  productions  minérales  de  la 
Grèce,  dont  la  majeure  partie  n'attend  que  l'achèvement  des  voies  de 
communication,  pour  modifier  complètement  la  fortune  des  localités  qui 
les  renferment.  J'en  ai  dit  assez,  pour  fixer  la  plus  sérieuse  attention 
des  géologues  et  des  capitalistes,  sur  un  pays  si  bien  partagé  sous  le 
rapport  minéralogique. 

N'oublions  pas  cependant  les  eux  minérales  de  Termia  qui  ont  une 
grande  réputation  curative. 


-  149  - 


III.  —  Industrie. 


Avec  des  éléments  de  production  comme  ceux  qui  dérivent  ae  l'agri- 
culture et  de  la  richesse  minière,  tels  qu'ils  viennent  d'être  exposés, 
l'industrie  ne  pouvait  rester  longtemps  sans  prendre  son  essor  et  l'on 
va  voir  que  ne  ce  chef,  la  Grèce  commence  à  marquer  en  Europe,  par 
les  grands  progrès  réalisés  depuis  cinq  années  surtout. 

En  efiet,  ce  petit  pays,  qui  n'eut  d'abord  qne  des  relations  commer- 
ciales insignifiantes  avec  ses  voisins,  était  arrivé  peu  à  peu  à  être  consi- 
déré cependant,  comme  un  débouché  ne  manquant  pas  d'une  certaine 
importance  pour  les  marchandises  des  pays  producteurs  de  l'Europe. 
Tout  à  coup,  la  situation  économique  de  la  Grèce  se  modifie  :  sous 
l'impulsion  énergique  de  ses  gouvernants,  des  voies  de  communication 
rapides  sont  établies  et  ce  peuple,  de  simple  consommateur  qu'il  était, 
devient  à  son  tour  producteur  et  même  exportateur,  rappelant  ainsi, 
dans  une  proportion  plus  modeste,  l'évolution  récente  qui  s'est  opérée 
dans  les  Etats-Unis  d'Amérique. 

Le  progrès  s'est  bien  accentué  depuis  que  M.  Burnouf  publiait,  en 
1869.  dans  la  Revue  des  Deux  Mondes,  une  note  sur  l'état  de  l'indus- 
trie hellénique  à  cette  époque  ;  il  semble  que  cet  exposé  date  d'un  siècle 
en  comparant  la  position  telle  qu'elle  est  aujourd'hui,  avec  ce  qu'elle 
était  il  y  a  17  ans. 

Je  ne  répéterai  pas  ce  qui  a  été  dit  relativement  aux  usines  du  Lau- 
riuni,  qui  constituent  à  elles  seules  un  appoint  très  important  pour  l'in- 
dustrie de  la  Grèce  ;  celte  entreprise  commençait  à  peine  à  naître  en 
1869,  lorsque  M.  Burnouf  écrivit  l'étude  en  question  ;  mais  examinons 
le  chemin  accompli  dans  les  difl'érentes  autres  branches  de  l'industrie 
hellénique  depuis  7  ou  8  ans  tout  au  plus. 

.  Le  Pirée,  qui  n'était  qu'un  port  de  passage  est  devenu  en  quelques 
années,  une  viUe  industrielle  de  premier  ordre,  peuplée  de  30.000 
âmes. 

On  y  compte  actuellement  8  filatures  avec  36,000  broches,  4  fabri- 
ques de  tissus  avec  teintureries,  8  minoteries,  plusieurs  fabriques  de 
bougies  ;  un  chantier  de  constructions  navales ,  des  fabriques  de 
machines  agricoles  et  une  foule  d'autres  usines  travaillant  à  la  vapeur, 
telles  que  des  fabriques  de  chaises,  qui  envoient  leurs  produits  en 
Tui'quie  et  même  en  Russie  ;  des  corderies  importantes,  etc.,  etc. 

Le  Pirée,  il  y  a  cinquante  ans,  misérable  bourgade,  avec  quelques 


—  150  — 

huttes  de  pêcheurs,  est  aujourd'hui  un  centre  manufacturier  florissant, 
quel<^s  Grecs,  avec  un  légitime  orgueil,  ont  baptisé  du  nom  de  ;  Man- 
chester de  la  Grèce  ;  on  pourrait  aussi  comparer  «a  prospérité  actuelle 
à  celle  des  villes  américaines,  qui  naissent  et  grandissent  en  quelques 
années. 

A  Athènes,  à  Patras,  à  Livadia,  à  .Egion,  comme  àSyra  et  au  Pirée, 
l'industrie  s'est  développée  d'une  façon  extraordinaire,  et  telle  de  ces 
villes  qui  ne  comptaient  que  cinq  à  six  mille  âmes,  dix  ans  après  les 
guerres  de  l'indépendance,  possèdent  aujourd'hui  20,  30,  50  et  jusqu'à 
60,000  habitants. 

Les  chantiers  de  constructions  navales  de  Syra.  Spetzia,  Galaxida  et 
Hydra  sont  importants  On  y  compte  dix  grands  chantiers  construisant 
en  moyenne  plus  de  cent  navires  à  voiles  de  600  tonneaux  par  an.  Syra 
seul  a  construit  en  1885,  trente  cinq  navires. 

La  sidérurgie  occupe  en  Grèce  plus  de  20.000  ouvriers,  son  outillage 
peut  rivaliser  avec  celui  des  meilleures  usines  métallurgiques  d'Angle- 
terre et  de  France. 

Plus  de  350  grandes  fabriques  de  moindre  importance,  marchant  à 
la  vapeur,  existent  en  Grèce,  en  occupant  30,000  ouvriers  et  jetant  sur 
le  marché  environ  170  millions  de  francs  de  marchandises  par 
année. 

Outre  les  filatures,  au  nombre  de  quinze  ou  vingt,  avec  80,000  bro- 
ches, il  existe  encore  en  Grèce  quatre  manufactures  de  toiles  produi- 
sant mille  pièces  par  jour. 

La  minoterie  est  représentée  par  plus  de  soixante-dix  moulins  à  va- 
peur, avec  200  paires  de  meules,  travaillant  plus  de  dix  raillions  de 
boisseaux  de  blé  par  année. 

Le  Pirée,  Patras,  Syra,  Athènes,  Volo,  Larisse  et  Coriou  possèdent 
des  distilleries  considérables  ;  ces  établissements  au  nombre  de  200 
fabriquent  par  an,  en  moyenne,  avec  3,500  alambics  : 

13  miUions  de  litres  de  hqueur. 

35       »  »       d'alcool. 

Les  mégisseries  d'Athènes,  Gorfou  et  Chalchis,  produisent  pour  une 
valeur  de  20  millions  de  francs  par  an. 

Deux  grandes  fabriques  de  glace  ont  été  installées  depuis  cinq  ans, 
avec  les  annexes  nécessaires  pour  l'étamage. 

Des  filatures  de  soie  travaillent  dans  les  centres  où  l'on  se  livre  à  la 
sériculture. 

La  préparation  des  éponges  est  concentrée  dans  les  ports  deNauphe, 


—  151  - 


Hydra,  Égine,  Granidi,  Hermione  et  Trikeri  ;  plus  de  750  bateaux  sans 
cloche  à  plongeur  et  180  avec  des  cloches  se  livrent  à  cette  pêche,  les 
premiers  sur  les  côtes  de  la  Grèce,  les  seconds  vont  jusqu'à  Tripoli  et 
Tunis.  En  1883,  la  valeur  des  éponges  livrées  an  commerce  par  la 
Grèce,  dépassait  le  chiffre  de  trois  millions  de  francs.  La  France  en 
importait  pour  une  valeur  de  un  demi-million. 

Athènes  possède  des  fabriques  de/er  importantes. 

L'industrie  des  fichus  imprimés,  womïnèsfakeuls,   dont  les  femmes' 
de  l'Orient  entourent  si  gracieusement  l'estomac,  existe  depuis  cin- 
quante ans.  Une  seule  fabrique,  celle  de  Syra,  produit  plus  de  1.000 
fichus    par   jour    et   travaille    par  la   vapeur  avec  cent  cinquante 

ouvriers. 

Des  rizeries,  des  fabriques  de  macaroni,  d'amidon  et  autres  pâtes 
aUmentaires,  se  sont  installées  dans  plusieurs  villes  voisines  des  centres 

agricoles. 

Je  ne  parle  que  pour  mémoire  des  fabriques  de  savon,  et  de  parfu- 
meries ;  des  huileries,  des  tanneries  et  de  tant  d'autres  établissements 
appartenant  à  ce  qu'on  nomme  la  petite  industrie  ;  n'oublions  pas  cepen- 
dant les  grandes  brasseries  de  Corfou,  qui  produisent  des  bières  res- 
semblant à  Y  aie  et  au  porter .  rivalisant  avec  ces  produits  comme  qua- 
lité, et  encore  la  fabrication  du  Kalva  eiduLakoum,  confiseries  natio- 
nales d  une  grande  consommation  dans  tout  l'Orient. 

Enfin,  l'industrie  de  la  carrosserie  a  été  récemment  importée  en 
Grèce  ;  à  Athènes  on  construit  des  voitures  sur  les  modèles  français 
pour  les  besoins  du  pays.  Par  suite,  la  carrosserie  Viennoise  a  été  écar- 
tée du  marché  grec. 

En  citant  plus  haut  le  nombre  des  moteurs  à  vapeur  existant  dans  le 
royaume,j"avais  omis  une  grande  quantité  de  moteurs  hydrauliques; 
représentant  une  force  de  plusieurs  milliers  de  chevaux. 

Après  l'exposé  qui  précède,  je  n'irai  pas  jusqu'à  prétendre  que  la 
Grèce  soit  arrivée  à  l'apogée  du  progrès  industriel,  non,  maispourtout 
observateur  impartial,  il  n'en  reste  pas  moins  évident  que  1  exemple 
de  ces  dernières  années,  est  de  nature  à  faire  augurer  un  avenu-  bril- 
lant à  l'industrie  hellénique,  car,  elle  possède  chez  elle  tous  les  élé- 
ments qui  assurent  le  succès. 

IV.  —  Commerce. 
Les  statistiques  établissant  le  commerce  général  de  la  Grèce,  sont 
assez  anciennes  en  date,  du  moins  quant  aux  reignements  officiels 


—  152  - 

émanant  des  douanes.  Les  dernières  s'arrêtent  à  l'année  1882,  et  si  je 
n'avais  pu  me  convaincre  que  le  mouvement  ascensionnel  a  continu 
depuis  lors,   par  certains  rapports  consulaires   étrangères,  il  serait 
difficile  de  se  rendre  bien  compte  des  progrès  qu'a  fait  le  commerce 
hellénique  depuis  1882. 

En  1859,  d'après  les  Annales  du  comjnerce  ecciérieur,  le  commerce 
général  de  la  Grèce  s'élevait  à  la  somme  de  fr.     .     .      70.677.600 
Exportation    fr.  24,431,800 
Importation     »   46.244,800 
En  1882  on  trouve  :  Exportation.     .      fr.    87,780,100 
Importation.    .      »    160,173.500 


Total,  commerce  général.     ...»    247,953,600 

C'est-à-dire,  qu'après  23  ans,  l'augmentation  du  commerce  général 
est  de  177  millions  de  francs  en  chiffres  ronds,  soit  un  peu  plus  de 
35  pour  cent,  répartis  entre  l'importation  et  l'exportation  par  égale 
partie  environ. 

La  part  de  la  France  dans  ce  mouvement  commercial  est  ainsi 
indiquée  : 

Nous  importions  en  Grèce  : 

En  1881  pour  une  valeur  de fr.  14,735,600 

et  en  1882        »  »  >    20,416.100 


L'augmentation  de  nos  importations  dans  le  royaume 
hellénique  a  été  d'une  année  à  l'autre  de.     ....  »      5.680,500 


Par  contre  la  Grèce  importait  en  France  : 

En  1881  pour  une  valeur  de ,     .     .  »     12,937,900 

et  en  1882        »  »  »    23,323,400 


Soit  une  augmentation  de fr.  10,385.500 

Cette  augmentation  provient  en  partie  d'une  quantité  assez  consi- 
dérable de  minerais  et  de  métaux  que  nous  avons  tirés  de  la  Grèce  en 
1882. 


—  153  - 

Sur  les  160.173.500  francs  de  marchandises  étrangères  importées 
en  Grèce  en  1882,  la  France,  on  l'a  vu  plushaul,  figure 
pour fr.  20,416.100 

L'Angleterre,  qui  tient  la  tête,  pour »    45,231,800 

L'Autriche,  qui  vient  en  seconde  ligne,  pour.     .       »    34,131,700 

La  Russie,  au  troisième  rang,  pour »    24,669.400 

La  Turquie,   quatrième,  pour »     22.722.100 

La  France  n'arrive  donc  qu'au  cinquième  rang. 

Et,  chose  assez  remarquable,  pendant  cette  même  année  1882,  l'Alle- 
magne n'aurait  importé  en  Grèce  que  pour  la  somme  dérisoire  de 
30,013  francs  ! 

Cependant  il  faut  bien  se  garder  de  prendre  ce  renseignement  pour 
exact,  car  il  est  certain  qu'une  partie  des  marchandises  qui  figurent 
à  l'importation  en  Grèce,  comme  d'origine  Autrichienne,  est  en  rèaUté 
de  la  marchandise  Allemande,  arrivant  par  Trieste  et  par  navires 
Autrichiens.  Ce  qui  prouve  qu'il  en  est  ainsi,  c'est  que  l'Allemagne 
a  livré  à  notre  connaissance  des  quantités  notables  de  quincaillerie  et 
d'objets  de  même  genre,  qui,  bien  que  de  qualité  inférieure  aux  arti- 
cles anglais  et  français  similaires,  sont  vendus  à  meilleur  marché,  ce 
qui  suffit  pour  en  assurer  le  débit.  C'est  l'Angleterre  qui  a  été  touchée 
le  plus  directement  par  cette  concurrence. 

Au  surplus,  depuis  1882,  l'Allemagne  a  fourni  au  gouvernement 
Grec  plusieurs  torpilleurs  ;  les  rails  et  le  matériel  roulant  des  princi- 
paux chemins  de  fer.  Une  partie  de  l'artillerie  nouvelle  a  été  livrée 
par  les  usines  Krupp.  Depuis  deux  ans  enfin.  l'Allemagne  a  fait  des 
etlorts  inouïs  pour  s'emparer  du  marché  hellénique  et  elle  a  réussi  à 
supplanter  plusieurs  de  ses  rivaux. 

L'Autriche  a  fourni,  en  1885,  les  fusils  pour  l'armement  des  mihces 
grecques. 

Les  uniformes  et  objets  d'équipement  ont  été  tirés  de  la  France. 

Quant  à  l'Angleterre,  elle  perd  du  terrain  d'année  en  année.  Les 
étoffes  de  coton,  considérées  il  y  a  chiq  ans  comme  article  de  grande 
importation  en  Grèce,  sont  fabriquées  aujourd'hui  au  Pirée,  dont  les 
manufactures,  non  seulement  approvisionnent  tout  le  pays  en  con- 
currence avec  les  Anglais,  mais  exportent  même  leurs  produits  jus- 
qu'en Turquie. 

Les  principaux  articles  d'importation  en  Grèce  sont  les  suivants  : 
grains  et  farines,  tissus  de  coton  et  de  laine,  sucres,  peaux  brutes, 
métaux  bruts  et  ouvrés,  houille,  pétrole,  riz,  café,   papiers,  quincail- 

11 


—  154  — 

lerie,  verres  et  cristaux,  vêtements  confectionnés,  machines  à  vapeur, 
modes,  conserves,  vins  et  spiritueux,  librairie,  matières  tinctoriales, 
etc..  etc. 

On  a  vu,  plus  haut,  de  quels  articles  se  composent  les  exportations 
de  la  Grèce.  Elle  a  fourni  à  la  France  en  1882,  entr'autres  : 

1"  Des  raisins  et  fruits  secs  pour  une  valeur  de.  fr.  8,800,000 

2°  Des  minerais  de  plomb  et  du  plomb  fondu  pour  »  7,000,000 

3'  Des  vins  pour *  1,100.000 

4°  Des  éponges  pour »  500,000 

Cette  même  année  1882,  la  Grèce  exportait  : 

En  Angleterre  pour  une  valeur  de fr.  39.100.000 

EnFrance »  23.323.400 

EnAutriche  »  7,813,800 

En  Turquie »  5,040.900 

En  Amérique  (fers  magnétiques) »  2,551 ,00(J 

En  Russie »  1 ,530.400 

En  Allemagne »  1.408,600 

Etc.,  etc. 

En  résumé,  d'une  part  les  progrès  effectués  par  l'industrie  nationale 
en  Grèce,  surtout  dans  la  filature  et  le  tissage,  et  d'autre  part,  la  con- 
currence nouvelle  allemande  que  nous  y  rencontrons,  alors  que  l'An- 
gleterre et  nous-mêmes  trouvions  dans  ce  pays  de  bons  débouchés, 
doivent  appeler  l'attention  toute  particulière  du  commerce  français, 
s'il  ne  veut  se  voir  bientôt  évincé  d'un  marché  qui  n'est  certainement 
pas  à  dédaigner  et  nonobstant  les  sympathies  que  nous  rencontrons 
en  Grèce,  car  les  affaires  ne  se  font  pas  avec  du  sentiment. 

En  attendant,  ce  que  j'ai  désiré  constater  c'est  que  le  commerce 
général  de  la  Grèce  est  en  progrès  sensible  chaque  année,  tandis  que 
celui  de  certains  autres  pays  de  l'Europe  diminue  notablement. 


V.  —  Les  travaux  publics. 

C'est  avec  intention  que  j'avais  traité  en  première  ligne  ,  la  question 
des  chemins  de  fer  dans  cette  conférence,  en  la  séparant  des  autres 
travaux  publics  :  j'ai  eu  l'honneur  d'en  dire  la  raison.  Il  me  reste  main- 
tenant à  passer  en  revue  les  grandes  entreprises  d'utilité  générale 
exécutées  en  Grèce   depuis  quelques  années  et  presque  toutes,  au 


—  1.S5  — 

iiioyeii  (les  capitaux  de  nolr<i  pays,  libèraleiueiil,  mis  au  service  de  ces 
utiles  conceptions. 

Par  droit  d'ancienneté,  je  placerai  l'entreprise  du  percement  de 
Vïsihmede  Corinthe. 

Le  20  décembre  1881.  mon  distingué  collègue,  M.  le  général  Tiirr. 
faisait  une  communication  à  la  Société  de  géographie  commerciale 
de  Paris,  sur  le  percement  de  Tisthme  de  Corinthe,  dont  il  venait 
d'obtenir  tout  récemment  la  concession. 

L'orateur  nous  donnait  des  détails  excessivement  intéressants  sur 
l'entreprise  qui  allait  être  bientôt  entamée  ;  il  nous  détaillait  le  genre 
des  études  faites  et  les  travaux  qui  avaient  été  tentés  dans  l'antiquité, 
pour  établir  une  communication  entre  le  golfe  de  Lépante  et  la  mer 
Egée. 

Tour  à  tour  Jules  César,  Caligula,  l'emporeur  Adrien,  Néron,  avaient 
fait  exécuter  des  travaux  dans  ce  but,  et  les  nombreux  vestiges  qui  se 
remarquent  encore,  témoignent  que.  bien  avant  notre  ère,  on  attachait 
une  grande  importance  à  la  jonction  des  deux  mers. 

Je  m'abstiendrai  de  rééditer  ici  les  savantes  explications  historiques 
et  techniques  de  M.  le  général  Tiirr,  et  me  bornerai  à  appeler  de 
nouveau  votre  attention  sur  les  avantages  que  le  commerce  de  la 
Méditerranée  doit  retirer  de  l'ouverture  du  canal  séparant  le  Pélopo- 
nèse  de  la  Grèce  septentrionale. 

Pour  faire  mieux  saisir  ces  avantages,  je  fais  une  supposition  •: 

Si  le  détroit  de  Messine  n'existait  pas  et  si  la  Sicile  était  réunie  à 
l'Italie,  les  navires,  qui,  d(?  la  Méditerranée  occidentale,  se  rendraient 
au  Pirée  ou  aux  Dardanelles,  seraient  forcés  de  doubler  tout  le  conti- 
nent Sicilien  ;  oi",  la  situation  est  la  même  en  ce  qui  concerne  les  com- 
munications maritimes  à  partir  du  détroit  de  Messine,  pour  arriver  à 
Salonique  ou  à  Gonstantinople. 

Le  cap  de  Messine  est  situé  par  30"  parallèle  et,  les  navires  venant 
de  Marseille  et  de  Barcelone,  doivent  descendre  au  sud  jusqu'au  36", 
en  contournant  la  presqu'île  de  Morée  et  en  doublant  le  cap  Matapan 
—  si  redouté  des  navigateurs  par  les  gros  temps  —  pour  remonter 
ensuite  jusqu'au  41°,  latitude  de  Salonique  et  du  canal  des  Dardanelles. 

Lorsque  l'isthme  de.  Corinthe  sera  percé,  la  route  du  détroit  de 
Messine  à  l'entrée  des  Dardanelles,  sera  presque  rectiligne  avec  le 
38",  de  sorte  que  les  navires  partis  de  Marseille,  par  exemple,  attein- 
dront les  Cyclades  avec  une  avance  de  48  heures  au  moins,  sur  la 


—  156  — 

route  actuelle,  sans  compter  que  par  le  canal  de  Corinthe  on  traversera 
le  Golfe  de  Lépante  dont  les  eaux  sont  toujours  calmes. 

Donc,  réduction  de  la  prime  d'assurance  maritime  et  économie  de 
temps  et  de  combustible  pour  les  bateaux  à  vapeur  ;  ainsi,  de  Brindisi 
au  Pirée  la  traversée  actuelle,  qui  est  de  cinquante  heures,  sera 
réduite  de  moitié  par  le  canal  de  Corinthe. 

Pour  ceux  qui  connaissent  la  quantité  du  charbon  consommé  par  un 
steamer  en  24  heures,  ainsi  que  les  frais  d'équipage ,  graissage  , 
entretien,  etc.,  l'économie  sera  très  grande,  tout  en  acquittant  des 
droits  de  passages,  qui  seront  relativement  modérés. 

En  ce  moment  les  travaux  sont  poussés  très  activement  ;  malgré 
certains  retards  indépendants  de  la  compagnie,  à  la  fin  de  1887  elle 
aura  terminé  la  majeure  partie  de  son  entreprise:  déjà  les  jetées  que 
protègent  les  deux  entrées  du  canal,  sont  achevées  et  servent  pour  le 
débarquement  du  matériel  et  des  matériaux  nécessaires.  Le  raccor- 
dement du  chemin  de  fer  et  de  la  route  de  la  nouvelle  Corinthe  est 
aussi  terminé,  tous  les  chantiers  sont  en  pleine  marche. 

'Un  travail  très  hardi,  est  un  pont  métallique  de  80  mètres  de  portée 
qui  a  été  lancé,  et  sur  lequel  passera  le  chemin  de  fer  Pirée-Pélo- 
ponèse,  entre  Kalamaki  et  Corinthe. 

Ce  pont  franchi  le  canal  à  47  mètres  d'altitude,  c'est-à-dire  que 
les  navires  pourvus  des  plus  hautes  mâtures  ,  y  passeront  avec 
facilité. 

Telle  est  la  situation  à  ce  jour  d'une  entreprise  à  laquelle  on  songeait 
déjà  il  y  a  plus  de  deux  mille  ans  :  certes,  elle  est  plus  modeste  que 
les  gigantesques  conceptions  de  Suez  et  de  Panama,  puisque  le  canal 
de  Corinthe  n'est  long  que  de  six  kilomètres  environ,  cependant  toute 
proportion  gardée,  les  résultats  n'en  seront  pas  moins  grands,  bien 
que  limités  aux  exigences  de  la  navigation  méditerranéenne  ,  dans  la 
direction  de  Constantinople  et  de  la  mer  Noire. 

Inutile  de  dire  que  la  compagnie  du  canal  de  Corinthe  est  essen- 
tiellement française,  que  ce  sont  nos  capitaux  et  nos  ingénieurs  qui 
sont  à  l'œuvre  actuellement,  enfin,  que  deux  de  nos  plus  distingués 
collègues,  M.  le  général  Tiirr,  comme  promoteur,  et  M.  Péchoux , 
comme  l'un  des  administrateurs  de  la  compagnie,  attacheront  leur  nom 
à  cette  entreprise,  qui  dotera  la  Grèce  d'une  voie  de  transit  maritime 
économisant  temps  et  argent.  Elle  devra  encore  ces  nouveaux  bien- 
faits à  la  France. 


-  157  - 
IjC  dcKMCclicincnt  du  lac  de  Copain. 

11  y  a  quelques  mois  les  escadres  combinées  —  celle  rie  la  France 
exceptée  —  venaient  de  lever  le  blocus  des  côtes  de  la  Grèce ,  après 
avoir  paralyse  nioiuentanément  l'essor  de  son  commerce,  en  vertu  de 
l'axiome  :  La  force  prime  le  droit. 

Presqu'au  même  moment,  un  événement  d'une  grande  portée  écono- 
mique s'accomplissait  dans  le  voisinage  du  détroit  de  Négrepont  ;  on 
célébrait  par  des  fêtes,  l'achèvement  de  la  première  section  des 
travaux  de  dessèchement  du  lac  de  Copaïs ,  et,  circonstance  mémo- 
rable, l'escadre  française  commandée  par  le  contre-amiral  de  Mar- 
quessac,  rehaussait  par  sa  présence  l'éclat  des  cérémonies  qui  avaient 
lieu  à  cette  occasion.  Nos  vaisseaux  pavoises  des  couleurs  nationales 
et  des  couleurs  grecques ,  saluaient  de  leur  artillerie  une  conquête 
pacifique  accomplie,  comme  tous  les  travaux  importants  exécutés 
dans  le  royaume  hellénique,  avec  les  capitaux  français  et  le  talent  de 
nos  ingénieurs. 

Dans  cette  province  de  Béotie  où  chaque  pas  évoque  ,  soit  les  sou- 
veuirs  historiques  de  l'antiquité,  soit  les  exploits  glorieux  des  guerres 
de  l'indépendance,  la  France  était  là,  fidèle  à  son  rôle,  non  pour  dicter 
ses  volontés  au  plus  faible  et  accumuler  des  ruines  autour  d'elle,  mais 
comme  le  génie  de  la  civilisation  et  du  progrès  ,  elle  s'associait  à  tout 
un  peuple  reconnaissant ,  qui  voyait  une  province  fertile  de  plus , 
ajoutée  à  son  territoire,  et  la  santé  publique  succéder  à  \3.mal'aria. 

Le  lac  de  Copaïs ,  ou  Topolias ,  le  plus  grand  de  toute  la  Grèce,  est 
situé  par  38  1/2"  de  latitude  au  nord  de  la  province  de  Béotie  ;  il  a  la 
forme  d'une  baie  allongée  dont  l'extrémité  orientale  est  recourbée. 
A  vol  d'oiseau,  le  lac  de  Copaïs  n'est  qu'à  6  ou  7  kilomètres  du  détroit 
qui  sépare  la  Grèce  de  l'Eubee,  son  pourtour  est  de  90  kilomètres 
environ  et  sa  superficie  de  25,000  hectares. 

Sa  plus  grande  profondeur  dans  les  hautes  eaux,  d'après  M.  Vivien 
de  Saint-Martin,  serait  de  12  mètres  au  pied  du  mont  Ataous ,  tandis 
qu'au  S.-0.,lesalluvions  entraînées  par  les  pentes  douces  de  l'Hélicon, 
en  ont  diminué  beaucoup  la  profondeur  et  laissé  sur  les  rives,  des 
terrains  cultivés  d'une  fertilité  extraordinaire,  mais  malheureusement 
très  insalubres,  et,  en  tout  cas,  d'une  étendue  insuffisante  pour  cons- 
tituer un  centre  important  d'agriculture. 

Le  lac  de  Copaïs,  dont  les  rives  Non!  et  Est  sont  encaissées  par 
de  hautes  montagnes,  reçoit  toutes  les  eaux  de  la  Béotie  occidentale 


-  158  - 

par  trois  rivières  principales  :  la  Céphyse ,  l'Hercyne  ,  le  Mêlas  ,  et 
par  un  grand  nombre  de  sources,  provenant  du  massif  perméable  du 
mont  Parnasse  ;  mais,  comme  ces  eaux  n'ont  pas  d'issue  directe  vers 
la  mer,  bien  que  le  lac  soit  à  près  de  100  mètres  d'altitude ,  elles  se 
perdent  par  évaporation  et  par  des  katarothra  ou  cavités  qui  sont 
même  obstruées  dans  certaines  saisons ,  de  sorte  qu'en  hiver  le  lac 
offre  l'aspect  d'un  vaste  marécage,  couvert  de  roseaux,  dont  les  rives 
sont  habitées  par  des  populations  chétives  .  décimées  par  les  fièvres 
paludéennes  qui  sévissent  principalement  en  juillet,  août  et  septembre, 
lorsque  les  grandes  chaleurs  mettent  h  découvert  des  surfaces  em- 
preignées  de  détritus  végétaux  et  de  matières  organiques  accumulées 
depuis  des  siècles. 

On  conçoit  quelles  ressources  pour  la  richesse  nationale,  il  devait 
résulter  de  la  conquête  de  25,000  hectares  de  terres  vierges,  propres 
à  toute  espèce  de  culture.  Pour  n'en  citer  qu'un  exemple,  le  coton  y 
fut  cultivé  sur  une  vaste  échelle  pendant  la  guerre  de  sécession 
américaine  et  aujourd'hui  encore,  ce  textile  continue  h  donner  de  très 
beaux  résultais  comme  qualité  et  rendement.  Le  ma'is  acquiert  dans 
ces  terrains,  des  proportions  surprenantes,  bref,  toute  la  partie  méri- 
dionale du  lac  que  côtoie  la  route  rie  Thèbes  à  Livadia,  est  renommée 
pour  sa  fertilité ,  au  point  que  les  Turcs  penrlant  l'occupation  dy 
pays ,  avalent  baptisé  la  contrée  de  :  Petite  Egypte  (  Kuischuk 
Missifi). 

Cette  situation  particulière  n'avait  pas  échappé  aux  anciens  :  Strabon 
qui  écrivait  vers  Tan  20  de  notre  ère,  parle  des  travaux  beaucoup 
antérieurs,  entrepris  pour  donner  un  écoulement  aux  eaux  du  lac 
Copaïs  et  parer  aux  inondations. 

En  1846,  M.  Sauvage,  ingénieur  en  chef  du  corps  des  mines  de 
France,  avait  dressé  un  projet  complet  de  dessèchement  du  lac  .  qui 
fut  soumis  au  gouvernement  hellénique;  ce  projet  avait  le  grave 
inconvénient  d'envoyer  à  la  mer  .  par  le  chemin  le  plus  direct ,  la 
presque  totalité  des  eaux:  or,  les  terres  asséchées  du  Copaïs,  ne 
pouvant  être  irriguées  ensuite ,  eussent  été  impropres  à  la  culture  et 
d'un  lac  malsain,  on  n'aurait  fait  qu'un  Sahara. 

Il  était  réservé  à  un  autre  de  nos  compatriotes,  M.  Pochet.  l'un  des 
ingénieurs  les  plus  distingués  du  corps  des  ponts  et  chaussées,  actuel- 
lement directeur  de  la  Compagnie  française  de  «  dessèchement  et 
d'exploitation  du  lac  de  Copaïs  » ,  de  faire  de  nouvelles  études  et 
d'arrêter  un  projet   définitif.  Soumis  au  contrôle  d'une  commission 


—  159  — 

technique,  composée  de  MM.  Pascal ,  inspecteur  général  des  ponts  et 
chaussées,  et  Larousse,  ingénieur  hydrographe  de  la  marine,  ce  projet 
lut  adopté,  nus  à  exécution  peu  de  temps  après  et  est  terminé  en  partie 
aujourd'hui,  avec  un  succès  complet.  Le  plus  grand  honneur  revient 
à  l'habile  ingénieur  qui  a  conçu  le  travail  et  qui  le  dirige,  comme  aussi 
aux  hardis  capitalistes  fondateurs,  parmi  lesquels  ligurent  MM.  Remie- 
ri ,  gouverneur  de  la  banque  nationale  de  Grèce,  Goronïo  ,  Ellisen  ,  de 
Maintenant  et  Etienne  Scouloudi,  député  au  parlement  d'Athènes. 

Voici,  très  brièvement,  en  quoi  consistent  les  divers  travaux  accom- 
plis et  ceux  restant  à  terminer.  J'omettrai  les  détails  trop  techniques  , 
qui  ne  pourraient  que  fatiguer. 

Le  problème  à  résoudre  était  complexe,  il  fallait,  tout  à  la  fois,  assé- 
cher la  superficie  du  lac  de  Copaïs  ,  afin  d'utiliser  pour  la  culture  ses 
25,000  hectares  ;  eu  même  temps,  emmagasiner  dans  un  réservoir  en 
aval  du  lac,  une  partie  des  eaux  qui  serviraient  ensuite  à  irriguer 
méthodiquement  les  terrains  conquis  ;  le  trop  plein  devant  seul  être 
envoyé  à  la  mer. 

La  première  partie  de  ce  programme,  — le  dessèchement  du  lac  et 
la  principale  de  l'entreprise,  —  a  été  résolue  au  moyen  de  trois  canaux 
de  dérivation  et  de  drainage. 

Un  grand  canal  de  ceinture,  d'une  longour  de  33  kilomètres,  suit  les 
rives  méridionales  du  lac  et  recueille  les  eaux  du  Céphyse ,  du  Syno- 
ron,  de  l'Hercyne  et  des  autres  cours  d'eau  venant  de  l'Ouest. 

Presque  parallèlement  à  ce  premier  canal,  on  a  creusé  un  canal 
intérieur,  permettant  de  travailler  à  sec,  dans  la  partie  marécageuse  , 
qui  traverse  le  canal  de  ceinture. 

Un  troisième  canal,  de  28  kilomètres  700 mètres,  dit  :  «  canal  de 
Mêlas  »  ,  au  nord,  recueille  à  leur  entrée  dans  le  lac,  les  eaux  de  la 
rivière  Mêlas  et  par  un  barrage,  une  partie  des  eaux  de  la  Céphyse. 

Ces  trois  canaux  font  confluent  à  l'extrémité  Est  du  lac,  vers  la  baie 
àuKardUza  et,  à  partir  de  ce  point,  commence  la  ligne  des  émissaires 
et  des  tunnels,  qui  conduisent  les  eaux  vers  le  réservoir  dont  j'ai  parlé 
et  l'excédant  à  la  mer. 

Arrivée  à  la  baie  de  Karditza,  la  masse  liquide  s'écoule  d'abord  par 
une  grande  tranchée  à  ciel  ouvert,  puis  s'engage  dans  le  tunnel  de 
Karditza,  long  de  672  mètres,  à  la  sortie  duquel  une  autre  tranchée 
de  2,700  mètres  conduit  les  eaux  dans  le  lac  Likery  ou  Hylicus  ,  puis 
vers  le  déversoir  de  Morihi,  dont  le  débit  est  régularisé  par  des 
vannes,  à  la  cote  de  84  mètres  d'altitude. 


-  160  - 

C'est,  là  que  se  trouve  le  réservoir  destiné  à  fournir  l'eau  d'irriga- 
tion des  terres  cultivées  du  Gopaïs.  Une  chute  de  15  mètres  actionnera 
de  puissantes  turbines  ,  capables  d'élever  dans  ce  lac  cinquante  mil- 
lions de  mètres  cubes  d'eau  par  an. 

Quand  au  surplus ,  elle  s'écoulera  dans  le  trosième  lac ,  nommé 
Paralimni ,  en  traversant  un  tunnel  dit  de  Hungara,  long  de  980  m. 
et  à  l'altitude  de  55  mètres  au  -dessus  du  niveau  de  la  mer. 

Le  lac  Gopaïs  étant  à  95  mètres,  le  lac  Lickeri  ou  Hylicus  à  84  m. 
et  le  lac  Paralimni  à  55  mètres,  on  se  rend  compte  facilement  du 
trajet  parcouru  par  l'eau  jusqu'à  la  mer,  et  des  cascades  qu'elle  forme 
sur  son  parcours. 

Voici  l'eau  arrivée  au  lac  Paralimni ,  c'est  sa  dernière  étape  ,  car 
à  l'extrémité  orientale,  séparé  de  la  mer  par  un  massif  rocheux  nommé 
Anlhedon,  on  creuse  un  troisième  tunnel  de  800  mètres,  au  débouché 
duquel,  les  eaux  arrivant  du  lac  de  Gopaïs  se  précipiteront  dans  la 
mer,  en  une  formidable  chute  de  55  mètres  ,  calculée  pour  produire 
une  force  gratuite  disponible  de  12,000  chevaux-vapeur,  Gette  force 
sera  utilisée  sur  place,  car  la  baie  (VAnchedon,  dans  le  détroit  de 
Négrepont,  est  disposée  naturellement  pour  donner  raissance  à  une 
ville  industrielle  et  maritime  ;  or,  quand  on  considère  qu'on  transporte 
aujourd'hui ,  pratiquement  et  à  de  grandes  distances,  la  force  et  la 
lumière,  on  se  figure  l'avenir  réservé  tant  aux  terrains  du  lac  de 
Gopaïs  livrés  à  la  grande  culture ,  qu'à  celui  de  la  future  ville  d'An- 
thedon.  En  effet ,  placée  comme  elle  sera,  non  seulement  par  sa 
situation  maritime,  mais  encore  par  sa  proximité  du  chemin  de  fer 
international  projeté  d'Athènes  vers  l'Autriche  ,  dont  le  tracé  coupera 
le  lac  Gopaïs  du  sud  au  nord,  elle  y  rencontrera  des  éléments  de  trafic 
considérable. 

Aujourd'hui,  les  eaux  du  Gopaïs  se  déversent  déjà  dans  le  lac 
Licke^H  et ,  c'est  à  l'occasion  de  l'achèvement  des  travaux  de  cette 
première  et  importante  section,  qu'avaient  lieu  les  fêtes  dont  je  parlais 
tout  à  l'heure. 

Outre  l'escadre  française  mouillée  dans  la  baie  d'Anthedon,  notf» 
pays  était  officiellement  représenté  par  son  ministre  plénipotentiaire, 
M.  le  comte  de  Moiiy,  qui.  aux  applaudissements  de  la  foule,  annonçait 
à  M.  Pochet,  que  le  gouvernement  de  la  répubhque  venait  de  lui  con- 
férer la  légion  d'honneur,  à  l'occasion  du  magnifique  travail  qu'on 
inaugurait  à  cette  heure, 

Quant  à  la  Grèce,  M.  le  maire  d'Akrephaïos  s'est  fait  son  interprète 


-  161  — 

en  prononçant  les  paroles  suivantes,  le  12  juin  dernier,  à  l'inaugura- 
tion du  tunnel  de  Kardiiza  : 

«  La  généreuse  France  —  a  dit  cet  honorable  magistrat  —  les  mains 
unies  à  celles  de  toute  la  Grèce,  transforme  le  stérile  Gopaïs  en  Eden; 
le  limon  en  or  ;  nous  rend  la  vie  et  la  santé.  Les  trois  provinces  rive- 
raines du  lac  de  Gopaïs  deviennent  des  provinces  fécondes.  Les 
Akhrephnïens,  que  j'ai  l'honneur  de  représenter  ici,  expriment  leur 
reconnaissance  à  la  grande  nation  française  et  à  la  société  de  dessè- 
chement. » 

Ces  sentiments  sont  bien  ceux  de  tous  les  Grecs,  et  notre  pays  si 
souvent  payé  d'ingratitude,  rencontre  là  bas  une  trop  rare  exception, 
pour  qu'elle  ne  soit  pas  hautement  appréciée  et  proclamée  chez  nous. 

Ne  quittons  pas  le  lac  de  Gopaïs  ainsi  que  la  plaine  de  Delphes  et  de 
Thèbes,  sans  évoquer  une  réminiscence  de  la  Fable,  puisque  nous 
sommes  ici  au  milieu  d'une  contrée  qui  a  le  plus  excité  l'imagination 
féconde  des  romanciers  de  l'antiquité. 

Le  fameux  Sphinx,  qui  proposait  des  énigmes  aux  Béotiens,  tenait 
précisément  ses  assises  sur  les  bords  du  lac  de  Gopaïs,  et  la  fable  nous 
apprend  qu'il  y  précipitait  les  malheureux  assez  peu  intelligents,  pour 
ne  pas  résoudre  ses  problèmes.  G'est  aussi  dans  le  lac  de  Gopaïs,  que 
le  Sphinx,  à  son  tour,  rejoignit  ses  nombreuses  victimes,  après 
qu'Œdipe,  roi  de  Thèbes,  eut  deviné  l'énigme  qui  lui  avait  été  posée. 

Élargissement  de  la  passe  d'^ïlgrlpos. 

{Détroit  de  Négrepont). 

Un  autre  projet  également  dû  à  l'initiative  française,  est  soumis  en 
ce  moment  en  Grèce,  à  l'examen  d'une  commission  technique. 

La  navigation  dans  le  détroit  de  Talenti,  est  considérablement 
entravée  par  l'étroitesse  de  la  passe  qui  sépare  Ghalchis  do  la  côte 
Béotienne  ;  en  cet  endroit  le  peu  de  profondeur  ne  permet  le  passage 
qu'à  des  navires  de  faible  tonnage,  calant  au  plus  3"°, 50. 

D'autre  part,  le  courant  de  l'^Egripos  oppose  un  autre  obstacle  à  la 
navigation,  car  c'est  dans  cet  étranglement  que  se  produit  le  curieux 
phénomène  du  flux  et  du  reflux,  qui,  avec  une  vitesse  de  dix  nœuds  à 
l'heure,  se  fait  sentir  tantôt  du  Nord  au  Sud,  puis,  après  quelques 
minutes  d'immobilité,  se  précipite  en  sens  inverse  du  Sud  au  Nord, 
avec  la  même  rapidité. 


I\ 


-  162- 

Ce  changement  de  courant  se  produit  douze  à  quatorze  fois  en 
24  heures. 

Ce  régime  extraordinaire  a  fatigué  la  science  des  Grecs  et  des 
Latins  ;  Strabon,  Pomponius,  PHne.  Sénèque  et  Tite-Live  ont  échoué 
dans  la  recherche  du  problème.  La  légende  prétend  qu'Aristode, 
désespéré  de  ne  pouvoir  rien  y  comprendre,  se  jeta  dans  la  mer  en 
s'écriant  :  «  Que  V^gripos  méprenne  puisque  je  n'ai  pu  le  tenir!» 

La  question  emprunte  un  intérêt  tout  particulier  au  projet  qu'étu- 
dient en  ce  moment  M.  le  général  Tiirr  et  ses  ingénieurs.  S'il  se 
réalise,  il  créera  une  nouvelle  voie  commerciale  et  stratégique,  reliant 
Pirée  à  Volo.  La  grande  navigation  de  Marseille  à  Constantinople 
l'utiliserait  peut-être  avec  avantage. 

On  a  déjà  jeté  les  bases  d'une  société  financière  française,  à  laquelle 
le  gouvernement  hellénique  concéderait  l'élargissement  du  détroit 
d'^Egripos.  Les  travaux  projetés  atténueraient  sensiblement  les  obsta- 
clos  que  le  courant  oppose  à  la  navigation  méditerranéenne. 

11  me  resterait  encore  à  signaler  un  grand  nombre  d'autres  travaux 
publics  exécutés  en  Grèce  par  des  P^ançais,  cela  m'entraînerait  trop 
loin,  car  notre  nom  est  attaché  à  toutes  les  entreprises  un  peu  impor- 
tantes dans  ces  dernières  années  :  je  me  bornerai  à  citer  :  la  construc- 
tion des  docks  flottants  de  la  baie  de  Salamine,  entreprise  par  les 
forges  et  chantiers  de  la  Méditerranée  ;  le  port  de  Patras  :  l'enlève- 
ment des  roches  qui  obstruaient  la  rade  de  Catacolo  et  la  construction 
du  môle  de  cette  rade,  etc.,  etc.,  sans  compter  les  entreprise  en  cours 
de  négociation,  avec  des  Compagnies  françaises,  approvisionnement 
d'eaux  pour  Athènes  et  autres  villes  ;  gaz,  etc.,  etc. 

Partout,  vous  le  voyez,  la  France  est  intervenue  en  Grèce,  lorsqu'il 
s'est  agi  d'entreprendre,  soit  des  travaux  publics,  chemin  de  fer, 
canaux,  assèchement,  ports,  docks  ;  soit  l'exploitation  des  richesses 
minières  de  ce  pays,  comme  au  Laurium  et  dans  les  Cyclades.  Les 
Grecs  n'oublieront  jamais  cette  participation  prise  par  notre  pays, 
pour  la  réalisation  des  progrès  économiques  qu'ils  ont  accomplis, 
depuis  qu'un  bon  gouvernement  a  pris  en  main  la  direction  du  pays. 
De  notre  côté,  sachons  entretenir  ce  feu  sacré  et  la  gratitude  d'un 
peuple,  en  restant  des  commanditaires  et  des  protecteurs  tout  à  la 
fois. 

Chacun  y  trouvera  profit  et  honneur! 


-  lœ  - 


NOUVELLES  ET  FA[TS  GÉOGRAPHIQUES 


I.  —  Géographie  scientifique.  —  Explorations  et  découvertes. 


AFRIQUE. 


|jCi9  AlIcmanflK  dans  le   Miid-Oiiest  de  l'Afrique.  —  D'après  le 

Caflaïul  ^  des  travaux  de  colonisation  seraient  déjà  comiiiencé.s  dans  le  pays  de 
rOrange  ,  qui  sont  sous  \o  protectorat  allemand.  L'un  des  premiers  pionniers  alle- 
mands de  la  rive  droite  de  l'Orange,  M.  Henri  Petersen,  aurait  acheté  pour  550  livres 
sterling ,  environ  300  milles  carrés  anglais  aux  indigènes  Namaquas  ,  vis-à-vis  de 
Nabasdrift ,  et  en  aurait  commencé  l'irrigation.  M.  Petersen  donne  une  description 
de  cette  conti'ée  qui ,  d'après  lui ,  est  riche  en  prairies  et  excellente  pour  l'élève  du 
bétail,  et  dans  laquelle  il  est  facile  de  créer  des  terres  fertiles  par  une  irrigation 
artificielle  :  dans  tous  les  cas  ,  le  pays  n'est  pas  ce  désert  et  cette  solitude  désolée 
que  les  missionnaires  allemands  y  avaient  rencontrés.  Pour  l'irrigation  ,  les  sources 
abondent ,  et  on  pourrait  alimenter  d'eau  de  grands  villages.  Il  y  a  beaucoup  de 
gibier,  notamment  des  oies,  canards  sauvages,  gnous,  zèbres  et  hippopotames. 

Les  possessions  italieuncs  sur  la  mer  Ofioug;e.  Un  rapport  officiel 
du  ministère  des  affaires  étrangères  (l'Italie  relatif  à  l'extension  des  possessions 
italiennes  sur  les  bords  de  la  mer  Rouge  vient  d'être  déposé  au  Parlement  italien.  Il 
constate  que  les  établissements  de  la  baie  d'Assab,  reconnus  comme  colonie  par  une 
loi  du  5  juillet  1882,  et  étendus  par  la  prise  de  possession  de  Beiloul  et  de  Gobbi 
jusqu'au  cap  Dermah  au  nord  ,  sont  sous  la  souveraineté  immédiate  de  l'Italie  ;  que 
la  frontière  méridionale  de  PAssab ,  comprenant  le  sultanat  de  Raheita ,  n'est  pas 
tout  à  fait  définie  ;  que  le  district  qui  s'étend  du  cap  Dermah  au  sud,  à  la  presqu'île 
Bouri  au  nord  ,  se  trouve  sous  le  protectorat  italien  :  enfin,  que  les  îles  Dahlak  et 
les  environs  de  Massouah ,  depuis  la  presqu'île  Bouri  jusqu'à  Emberimi  sont  sim- 
plement occupés  et  administrés  par  les  Italiens. 

lies  llaug^anja  et  les  Vao  (.%  frique  orientale).—  Les  Procedings  of 
the  R.  Geogr.  Soc.  de  Londres  donnent,  d'après  une  lettre  du  révérend  A.  Hetherwick, 
d'intéres.sants  renseignements  sur  ces  peuplades.  Parlant  tout  d'abord  des  Mang'anja 
ou  Maravi,M.  A.  Hetherwick  lesdivise,  d'après  leurs  dialectes,  enuncertain  nombre  de 
tribus,  et  énumère  aussi  celles  dont  il  connaît  la  langue:  1"  les  Mang'anja  proprement 
dits,  au  pied  des  rapides  du  Shiré,  à  l'ouest  du  Shiré  ;  2"  les  Mbewe,  sur  le  Shiré  infé- 
rieur, près  du  Rue  ;  3"  les  Shirwa,  quelquefoi  appelés  Ngourou  ou  Nyanja,  dans  les 


-  164  - 

îles  du  lac  Shirwa  et  dans  quelques  villages  dispersés  sur  le  Mont  Zomba  ;  c'est  là 
la  tribu  chez  laquelle  la  première  mission  de  l'Université  s'établit,  à  Magomero  ;  elle 
fut  dispersée  par  la  grande  invasion  des  Yao  en  1860-67  ;  4''  les  Mbo,  qui  occupaient 
autrefois  l'ouest  des  cataractes  du  Shiré  ,  mais  qui  en  furent  chassés  par  les  Man- 
goni  ;  quelques-uns  cependant  sont  restés  et  ont  su  maintenir  leur  indépendance  en 
se  retranchant  dans  les  rochers  et  en  restant  continuellement  en  garde  des  popu- 
lations mangoni  ;  5"  les  Chipeta  ,  qui  autrefois  vivaient  au  sud-ouest  du  Nyassa, 
mais  qui  ont  été  détruits  ou  dispersés  par  les  Mangoni  ;  beaucoup  d'entre  eux  se 
trouvent  à  Blantyre  .  comme  esclaves  des  Yao  ,  qui  les  ont  achetés  aux  Mangoni  ; 
6"  les  Chewa  et  les  Tumbuka  ,  tous  deux  à  l'ouest  du  lac  ;  leur  dialecte  ressemble 
beaucoup  à  celui  des  Ghipeta.  —  D'après  le  révérend  W.-P.  Johnson  ,  il  y  a  quatre 
dialectes  de  Yao,  à  savoir  :  le  masaninga,  le  machinga  ,  l'amakali  et  le  mwembe.  Le 
révérend  Hetherwick  pense  qu'il  y  a  lieu  d'ajouter  le  mangoche ,  ainsi  nommé 
d'après  le  mont  Mangoche  ,  au  sud-est  du  lac,  d'oîi  les  tribus  furent  repoussées  en 
1860  par  les  Machinga.  Beaucoup  d'entre  eux  séjournent  maintenant  dans  le  voisi- 
nage de  Blantyre.  Les  Machinga  occupent  maintenant  Zomba  ,  Chikata,  Mponda  et 
Mkata  sur  le  mont  Mangoche.  Les  Lomwe  semblent  être  une  sous-tribu  des  Makoua; 
les  Angourou,  sur  la  rive  orientale  du  lac  Shirwa  et  les  Takhwani,  sur  la  route  de 
Quilimane,  sont  de  la  même  race  queux.  Les  tribus  habitant  le  delta  du  Zambèse  , 
parlent  des  langues  qui  se  rapprochent  beaucoup  de  celles  des  Makoua  et  des  Man- 
g'anja. 

llisiKioiis  belgc^i  pour  le  C'ougo.  —  Le  Bulletin  de  la  Société  royale 
belge  de  géographie  annonce  que  le  8  mai  dernier  le  steamer  Vlaanderen  a  quitté 
Anvers,  emmenant  une  cinquantaine  de  Belges  formant  trois  missions  en  destination 
du  Congo  :  l'une  pour  l'État  du  Congo  :  une  autre  pour  la  Compagnie  du  Congo , 
ayant  pour  but  spécial  l'étude  du  tracé  d'un  chemin  de  fer  ;  la  troisième  pour  la 
maison  De  Roubaix  d'Anvers ,  ayant  pour  but  de  compléter  le  personnel  de  l'éta- 
blissement agricole  de  Matéba. 

Parmi  les  voyageurs  au  service  de  l'État  se  trouvent:  MM.  Camille  Janssen,  gouver- 
neur général,  les  comtes  Antoine  et  Philippe  de  Lalaing  ,  les  lieutenants  Jacques , 
Bisschofs  et  Tobbacks  ;  parmi  les  agents  de  la  Compagnie  du  chemin  de  fer,  le  capi- 
taine Thys,  le  capitaine  Cambier,  Alexandre  Delcommune  ,  les  ingénieurs  Liebrecht 
et  Vauthier  et  d'autres  ingénieurs.  Cette  brigade  compte  se  diviser  en  plusieurs 
colonnes  marchant  parallèlement ,  de  Matadi  à  Léopoldville  ,  pour  faire  une  explo- 
ration sommaire  de  la  région  à  quelque  distance  au  sud  du  fleuve  Congo  ;  puis , 
avoir  réuni  à  Léopoldville,  les  notes  recueillies  dans  cette  première  exploration , 
la  brigade  reviendrait  plus  lentement  sur  ses  pas  en  faisant  le  levé  d'un  tracé  défi- 
nitif. —  Au  moment  de  mettre  sous  presse  nous  apprenons  que  le  17  mai,  le  Vlaan- 
deren était  à  Ténériffe  et  le  21  à  Corée.  11  est  arrivé  dans  de  bonnes  conditions  à 
Boma,  le  3  juin. 

A  ce  propos,  nous  apprendrons  à  nos  lecteurs  que  le  10  juin  est  aussi  parti  d'An- 
vers pour  le  Congo,  M.  Edouard  Dupont,  directeur  du  Musée  d'histoire  naturelle 
de  Bruxelles.  Il  va  employer  un  congé  de  six  mois  à  faire  une  exploration  géologique 
de  la  rivo  sud  du  Congo,  de  Boma  à  Léopoldville.  Nul  doute  que  le  savant  géologue 
n'en  rapporte  de  précieux  renseignements  qui  augmenteront  encore  la  célébrité 
qu'il  s'est  acquise  par  ses  premières  découvertes  paléoniologiques. 

i%ouvelles  aiiuexious  alleniaudes  dans  l'Afrique  orientale. 

—  La  DeutscJie  Kolonialzeitung  de  Berlin,  rapporte  les  faits  suivants  : 
«  Les  vaisseaux  de  guerre  Olga,  Caroli  et  Hyène  ont  quitté  Zanzibar  le  9  janvier. 


—  165  — 

Le  commandant  de  l'expédition,  MM.  le  capitaine  Bendeniann,le  vice-consul  Hunholt 
et  M.  Gustave  Denhardt  se  trouvaient  à  bord  de  YOlya.  Cette  expédition  est  partie 
en  droite  ligne  vers  Lamou  ,  et  l'a  atteint  dans  la  matinée  du  11  janvier.  Le  lende- 
main ,  M.  Gustave  Denhardt  se  rendit  à  Witou  pour  l'avertir  de  ce  qui  allait  se 
passer,  et  YOlga  se  dirigea  vers  Kipini ,  avec  le  vapeur  du  Saïd  Bargash  ^lAo/a , 
ayant  à  son  bord  le  général  du  sultan  de  Zanzibar,  Matthews.  D'une  part,  une  borne 
fut  érigée  sur  la  plage;  à  650  pas  de  Kipini,  mesurés  en  partant  du  centre  du  fort;  et 
d'autre  part,  Gustave  Denhardt  sut  obtenir  du  sultan  Achmed  une  procuration 
spéciale  ,  et ,  le  14  janvier  ,  débarqua  avec  l'héritier  du  sultan  ,  Foumou  Bakari ,  et 
100  soldats  pour  prendre  possession  du  pays  :  l'expédition  atteignit  Foungasombo  , 
le  soir  du  14,  et  y  passa  la  nuit,  les  anciens  des  villages  environnants  étaient  accou- 
rus à  leur  rencontre  pour  souhaiter  la  bienvenue  au  représentant  du  sultan  de 
Souahéli,  et  ce  fut  pour  eux  l'occasion  d'une  véritable  fête  populaire.  Le  15  janvier, 
la  troupe  atteignit  Mkonoumbi,  où  l'on  avait  tout  préparé  pour  une  réception  cor- 
diale. Des  bœufs  et  des  moutons  avaient  été  tués,  du  riz  avait  été  cuit  en  masse  ,  et 
les  anciens  de  l'endroit  vinrent  à  la  rencontre  de  Foumou  Bakari  ,  pour  saluer  celui 
qu'ils  n'avaient  plus  vu  depuis  longtemps.  A  10  heures  du  matin  ,  les  chaloupes  des 
navires  de  guerre  amenèrent  le  capitaine  Bendemaim,  deux  officiers  et  trente 
hommes  de  l'équipage  ;  en  outre,  le  général  Matthews  et  dix  soldats  de  Zanzibar. 
Alors  on  érigea,  devant  la  maison  du  chef  de  l'endroit ,  sultan  Ben  Ali ,  un  màt  au 
haut  duquel  on  hissa  d'abord  le  pavillon  allemand  ,  puis  ,  en  dessous  ,  le  drapeau  du 
sultan  de  Souahéli  ;  d'un  côté  du  mât  se  trouvait  l'équipage  allenjand  ,  de  l'autre  , 
Matthews  avec  ses  gens  ;  on  salua  militairement,  les  tambours  battirent  et  le  capi- 
taine Bendemann  lut  l'avis  suivant  :  «  Je  fais  hisser  le  drapeau  allemand  au-dessus 
du  drapeau  de  Wihan,  en  signe  de  la  décision  suprême  de  Sa  Majesté  l'Empereur 
d'Allemagne  ,  notre  bien-aimé  seigneur  ,  qui  a  bien  voulu  prendre  ce  pays  sous  sa 
protection.  Vive  Sa  Majesté  l'Empereur  d'Allemagne  I  »  Tous  les  assistants  accla- 
mèrent chaleureusement  ces  paroles  ,  car  on  voyait  dans  cette  cérémonie  la  déli- 
vrance du  joug  des  Zanzibarites.  Le  16  janvier  ,  au  matin  ,  Foumou  Bakari  arriva  à 
Lamou  et  se  rendit  tout  d'abord  à  bord  de  YOlga,  où  l'accueil  qu'il  recul  lui  fit  une 
excellente  impression.  Le  17,  les  navires  se  rendirent  à  l'extrémité  septentrionale  de 
l'île  Kiwaihou,  vis-à-vis  de  laquelle  un  drapeau  fut  également  hissé  sur  le  continent 
avec  les  mêmes  cérémonies;  le  18,  les  vaisseaux  retournèrent  dans  la  baie  de 
Manda,  et  le  19 ,  le  drapeau  allemand  fut  hissé  au  centre  de  Mokowe.  De  là  ,  les 
vaisseaux  se  rendirent  à  Kismajou  pour  y  faire  des  recherches  au  sujet  de  la  mort 
du  docteur  Jùhlke  ;  l'assassin  fut  fusillé  en  public  en  présence  des  ministres  du  sultan 
de  Zanzibar.  » 


Retour  de  rexpéilitlou  Leuz.  —  Les  Mittheilungen  de  la  Société  de 
géographie  de  Vienne  rapportent  que  le  15  janvier  dernier,  la  Société  impériale  et 
royale  de  géographie  de  Vienne  recevait  un  télégramme  de  Zanzibar ,  daté  du 
14  janvier ,  par  lequel  le  docteur  Oscar  Lenz  annonçait  son  airivée  à  Zanzibar.  Des 
lettres  très  importantes  ,  datées  du  lac  Tanganyka  en  septembre  ,  et  du  Schiré  en 
décembre  1886  ,  sont  parvenues  à  la  Société  de  géographie  de  Vienne,  qui ,  d'après 
les  indications  qu'elles  contiennent ,  résume  à  peu  près  comme  suit  la  marche  de 
l'expédition  Lenz  et  ses  résultats  :  Quoique  le  véritable  but  de  l'expédition  n'ait  pas 
été  atteint,  à  savoir  la  détermination  de  la  séparation  des  eaux  du  Congo  et  de 
rOuellé,  il  n'en  est  pas  moins  vrai  que  l'expédition  autrichienne  a  accompli  la  neu- 
vième traversée  du  continent  africain  ,  de  l'embouchure  du  Congo  à  celle  du  Zam- 
bèse,  en  touchant  aux  lacs  Tanganyka  et  Nyassa.  C'est  surtout  les  hostilités  existant 


—  166  — 

entre  les  Arabes  et  l'État  du  Congo  ,  les  rapports  tendus  de  l'Empire  allemand  avec 
Zanzibar,  la  mauvaise  foi  des  Arabes  et  la  méfiance  qu'elle  cause  chez  les  indigènes 
envers  tous  les  Européens  ,  enfin  les  effets  pernicieux  de  la  petite  vérole  qui  règne 
dans  toute  l'Afrique  centrale  ,  qui  ont  fait  obstacle  à  la  complète  réussite  du  docteur 
Lenz. 

On  sait  que  le  docteur  Lenz,  accompagné  de  MM.  Baumann  et  Bohndorf,  avait 
atteint ,  le  14  février ,  la  station  des  Falls.  M.  Baumann  y  tomba  malade ,  et  si 
gravement ,  qu'il  dut  renoncer  à  continuer  le  voyage.  Fin  mars,  le  docteur  Lenz  f^e 
remit  en  route  pour  remonter  le  Congo  ;  soutenu  par  Tippo-Tip,  il  arriva  à  Nyangwe 
le  19  mai,  et  de  là  à  Kisonge,  résidence  do  Tippo-Tip,  le  l''""  juin. 

L'expédition  quitta  Kasonge  le  30  juin  ;  la  petite  vérole  y  sévissait  et  en  rendait 
le  séjour  dangereux  ;  elle  atteignit  même  les  porteurs  de  l'expédition  et  les  servi- 
teurs personnels  de  Lenz  et  de  Bohndorf  y  succombèrent.  C'était  là  déjà  une  perte 
sensible.  —  Le  11  juillet,  on  atteignit  Kibonde,  on  ti'aversa  un  haut  plateau  couvert 
de  végétation  et  puis  une  chaîne  de  montagnes.  Le  7  aoijt,  on  aperçut  dans  le 
district  de  Mtowa  la  rive  occidentale  du  lac  Tanganyka,  et  Lenz  et  Bohndorf  rencon- 
trèrent, à  la  station  de  missionnaires  anglais  de  l'île  Kavala,  le  capitaine  Hore  ,  qui 
y  demeure  depuis  de  longues  années  avec  sa  famille  et  qui  explore  le  lac  Tanganyka 
avec  le  plus  grand  soin.  Le  lac  fut  traversé  et  on  atteignit  Oudjidji,  sur  la  rive  orien- 
tale, le  15  août.  Ici ,  les  circonstances  se  présentèrent  tout  autres  que  le  docteur 
Lenz  n'avait  pu  les  prévoir  ;  les  entreprises  guerrières  des  Arabes  ,  le  meurtre  de 
l'évêque  Hannington  à  Ouganda,  rendaient  impossible  la  route  vers  le  nord  ;  au  lieu 
de  prendre  la  route  suffisamment  connue  de  Tabora  ,  le  docteur  Lenz  se  décida  à 
rejoindre  la  côte  orientale  par  le  lac  Nyassa.  Pour  surcroît  de  malheur  ,  Bohndorf 
devint  gravement  malade  et  dut  être  transporté  sur  une  litière ,  presque  paralysé. 
Lenz  n'en  exécuta  pas  moins  son  plan.  Il  se  rendit  par  eau  à  la  pointe  méridionale 
du  Tanganyka  et  prit  de  là  la  route  de  terre  vers  le  lac  Nyassa  ,  en  franchissant  la 
chaîne  qui  sépare  les  versants  du  Congo  et  du  Zambèse.  11  atteignit  le  lac  Nyassa  à 
Karouga,  le  traversa  en  bateau  jusqu'à  son  extrémité  méridionale  et  se  mit  alors 
à  suivre  le  Schiré  pour  parvenir  à  la  côte  à  Quilimané.  De  là  ,  il  se  rendit  par  mer 
à  Zanzibar, 

Peut-être  les  résultats  de  cette  expédition  ne  sont-ils  pas  ceux  qu'on  en  avait 
espérés  ;  à  qui  la  faute  ?  les  Petermanns  Mittheilungen  en  font  presqu'un  grief  au 
docteur  Lenz,  les  Mittheilungen  de  la  Société  de  géographie  de  Vienne  mettent  cet 
insuccès  partiel  entièrement  sur  le  compte  des  circonstances  et  des  obstacles  impré- 
vus ;  le  docteur  F.  Ritter  von  Le  Monier  ,  dans  cette  dernière  revue  ,  fait  spéciale- 
ment remarquer  que  l'expédition  du  docteur  Lenz,  constitue  la  neuvième  traversée 
du  continent  afi'icain.  Les  huit  autres  sont  :  1°  Livingstone  ,  1854-56  ,  de  Saint-Paul 
de  Loanda  sur  la  côte  occidentale  à  Quilimané  sur  la  côte  orientale,  en  un  an  et  huit 
mois  ;  2"  Cameron,  1873-75  ,  de  Bagamoyo  sur  la  côte  orientale  à  Catombela  sur  la 
côte  occidentale  ,  en  deux  ans  et  huit  mois  ;  3°  Stanley,  1874-77  ,  de  Bagamoyo  à 
Banana  (côte  occidentale) ,  en  deux  ans  et  neuf  mois  ;  4°  Serpa-Pinto,  1871-79,  de 
Bengouela  (côte  occidentale)  à  Dourban  (côte  orientale),  en  un  an  et  quatre  mois; 
5P  Wissmann,  1881-82,  de  Saint-Paul  de  Loanda  (côte  occidentale)  à  Sadani  (côte 
orientale) ,  en  un  an  et  dix  mois  ;  6"  Arnot ,  1881-84  ,  de  Dourban  à  Bengouela ,  en 
trois  ans  et  trois  mois  ;  7°  Brito-Capello  et  R.  Ivens ,  1884-85,  de  Mossamèdés  (côte 
occidentale)  à  Quilimané  ,  en  un  an  et  deux  mois  ;  8°  Gleerup,  1884-86,  de  Banana  à 
Zanzibar,  en  trois  ans. 


-  167  — 


AMERIQUE. 


l'jxploratiou  de  11.  17 lia ff au j on  claus  le  llaiit-Orénoque.  —  Le 

Bulletin  de  la  Société  de  yéographie  de  Marseille  annonce  que  M.  Chauiraujon  a 
entrepris  une  exploration  du  haut  Orénoque  et  des  sources  du  Cassiquiari ,  monté 
dans  une  petite  embarcation  (curiara).  Son  exploration  est  des  plus  dangereuses  ; 
car  elle  se  fait  sur  le  territoire  des  Guajaribos  ,  sauvages  féroces  qui  attaquent  tous 
les  voyageurs.  Heureusement  il  a  avec  lui  un  jeune  homme  très  courageux,  AI.  Molina, 
qui  depuis  de  longues  années  parcourt  cette  région.  Aussi  espère-t-il  passer  partout, 
sans  être  obligé  d'engager  des  combats. 

Le  voyage  a  été  surtout  pénible  de  Mapué  à  Gaïcara.  M.  Ghaffaujon  a  dû  faire 
office  de  maria  et  ramer  comme  les  autres.  Ajoutez  à  cela  les  fièvres  et  les  priva- 
tions. La  chasse  était  nulle  par  suite  de  l'inondation  de  toutes  les  forêts  des  bords 
de  rOrénoque  et ,  pendant  quatre  jours  ,  le  voyageur  a  été  obligé  de  se  contenter  de 
<.<  Ghanguango  »  ,  sorte  de  tubercule  qui  n'a  rien  de  bien  agréable. 

Malgré  ces  misères,  M.  Ghaffaujon  continue  ses  travaux  ,  et  par  ses  observations 
astronomiques  ainsi  que  par  les  déterminations  hypsométriques  qu'il  fait ,  rectifie 
d'une  façon  définitive  le  cours  de  rOrénoque,  jusqu'ici  mal  établi. 

M.  Ghaffaujon  est  rentré  depuis  à  Giudad  Bolivar  ,  ayant  terminé  ses  recherches. 
Les  sources  de  l'Orénoque  sont  maintenant  découvertes  et  le  Gassiquiari  ne  serait 
qu'un  bras  de  ce  fleuve,  mettant  en  commuication  le  bassin  de  l'Amazone  avee  celui 
de  l'Orénoque. 

G'est  le  13  décembre  que  M.  Ghaffaujon  a  pu,  après  de  grandes  difficultés, 
parvenir  aux  sources  de  l'Orénoque,  qui  sont ,  paraît-il ,  comme  enveloppées  d'un 
immense  amphithéâtre  de  montagnes.  Un  des  sommets  de  cet  ensenible  a  reçu  le 
nom  de  Pic  de  Lesseps.  On  sait  que  le  docteur  Grevaux  a  déjà  donné  le  nom  de  Rio- 
de-Lesseps  à  un  des  affluents  du  moyen  Orénoque.  Avant  de  rentrer  en  France , 
M.  Ghafl'aujon  va  explorer  le  Sud  du  bassin  de  l'Orénoque  et  reconnaître  le  pays 
depuis  le  Causa  jusqu'aux  sources  de  l'Essequibo. 


OGEANIE. 

Voyage  de   M.  Johu  Douglas  daus  la  ?l[ouvelle-Guiuée..  — 

Dans  ces  derniers  temps,  M.  John  Douglas,  haut  conmiissaire  anglais  à  la  Nouvelle- 
Guinée,  a  voulu  visiter  lui-même  la  partie  Est  du  Protectoi'at.  notamment  le  South 
Gape,  le  Ghina  Straits  et  le  Dinner  Islands  ou  Samaraï  ;  il  est  d'avis  que  les  parages, 
montagneux  et  couverts  d'une  végétation  tropicale  intense,  sont  dangereux  pour  les 
Européens  qui  ne  sauraient  y  vivre.  11  dit  qu'à  l'île  Hayter  i^Zareba),  les  indigènes 
ne  sont  pas  trop  hostiles  :  c'est  une  grande  île  au  sol  riche  ,  avec  de  belles  forêts  et 
de  l'eau  courante. 


-  168  - 


II.  —  Géographie  commerciale.  —  Statistiqiies 
et  Faits  économiques. 


ASIE. 


i^ituatioii  éeouoniique  et  financière  de  l'Inde  anglaise.  — 

Est-il  encore  utile,  est-il  encore  permis  d'écrire  aujourd'hui  sur  l'Inde  un  article  de 
journal  ou  même  un  livre  ?  C'est  la  question  que  se  po  e  M.  Wheeler,  l'auteur  d'un 
excellent  ouvrage,  India  Under  British  Rule,  paru  récemment  à  Londres ,  et  renfer- 
mant des  données  économiques  qu'il  nous  paraît  intéressant  de  résumer  pour  les  lec- 
teurs du  Bulletin  de  la  Société  de  Géographie  de  Lille.  «  Pendant  le  XIX^  siècle, 
dit  il,  la  marche  des  études  s'est  détournée  de  l'Inde,  on  ne  l'a  plus  connue  que  comme 
une  réserve  à  coton,  un  champ  à  spéculation  en  chemins  de  fer  et  en  thés  et  un  dé- 
bouché pour  les  cadets  dans  le  service  civil.  Pendant  les  années  dernières,  il  y  a  eu  une 
certaine  amélioration.  Le  public  anglais  s'est  effrayé  de  la  baisse  de  l'argent,  il  s'est 
réjoui  de  l'idée  de  mettre  des  sujets  anglais  sous  l'autorité  de  magistrats  hindous  et 
mahométans.  Il  s'est  ému  de  la  perspective  d'une  guerre  avec  la  Russie,  mais  il  s'est 
tranquillisé  à  la  restitution  de  la  forteresse  de  Gwalior  au  Maharaja  Sindia.  Bien 
mieux  :  on  ne  confond  plus  la  Birmanie  {Burma)  avec  les  Bermudes  {Bermuda),.. 
Cependant  il  y  a  encore  place  pour  un  supplément  de  connaissances.  »  Et  après 
avoir  ainsi  répondu  à  sa  question,  il  a  publié,  sur  les  origines,  le  développement,  les 
évolutions  et  les  résultats  politiques  de  la  domination  anglaise  dans  l'Inde,  un  livre 
court,  substantiel,  spirituel  et  d'une  lecture  facile,  dont  je  vais  ici  résumer  les  don- 
nées principales  avec  d'autant  plus  de  satisfaction .  qu'il  s'agit  ici  des  opinions  d'un 
auteur  anglais  sur  une  colonie  anglaise. 

Le  territoire  de  l'Inde  britannique  contient  900,CXX)  milles  carrés  ,  avec  une  popu- 
lation de  200  millions  d'habitants.  Le  territoire  laissé  sous  la  domination  des  princes 
indigènes  comprend  600.000  milles  carrés,  avec  une  population  de  52  millions  d'habi- 
tants. Population  et  territoire  se  rapprochent  de  ceux  de  l'Europe,  déduction  faite  de 
la  Russie.  Une  si  vaste  étendue  offre  naturellement  les  climats  les  plus  variés  à  tous 
égards.  En  Angleterre  ,  on  a  fait  à  l'Inde  une  réputatation  détestable  et  contestable 
quant  à  la  salubrité.  Récemment  encore,  tandis  que  dans  nos  minuscules  possessions 
de  Pondichéry,  M.  de  Gubernatis  trouvait,  dans  son  livre  Peregrinazioni  Luliane,  le 
climat  salubre  et  les  malades  relativement  rares,  un  juge  de  la  Cour  de  Calcutta  , 
M.  Gunningham,  écrivait  que  la  mortalité  dans  l'Inde  anglaise  était  effroyable  et  que 
les  statistiques,  tout  incomplètes  qu'elles  fussent,  révélaient  un  chiffre  de  mortaUté 
double  de  celui  de  l'Angleterre.  Mais  en  même  temps,  il  en  indiquait  les  causes  et 
les  remèdes.  11  y  a  ,  disait-il ,  dans  ce  pays-ci  (l'Inde)  ,  chaque  année,  50  millions  de 
cas  de  maladie  et  5  millions  de  morts  que  l'on  pourrait  empêcher.  11  n'y  aurait  qu'à 
prendre  avec  les  indigènes,  contre  leurs  habitudes  et  contre  leur  gré,  certains  .soins 
de  propreté  et  d'hygiène.  A  Calcutta  ,  la  mortalité  moyenne  due  au  choléra  était  de 
4.000  ;  on  a  fait  certains  travaux  de  canalisation  et  d'égouts  ,  et  le  chiffre  est  tombé 
à  1,100,  les  cas  relevés  provenant  tous  d'endroits  où  les  travaux  n'avaient  pas  encore 


—  1()9  — 

été  exécutés.  Do  même  dans  l'armée,  grâce  à  une  hygiène  ti-ès  sévère  et  très  conve- 
nable, le  chiffre  de  la  mortalité  est ,  parmi  les  Anglais  ,  tombé  à  09  pour  mille  en 
1854,  à  29.30  en  IBCn,  27./t8en  1870,  18.50  eu  1875,  15.32  en  1870,  12.71  en  1877 ,  et 
n'était  plus  parmi  les  Hindous,  la  même  année,  que  de  13.38  pour  mille. 

Parmi  les  conditions  qui  ont  déterminé  cette  amélioration  ,  il  faut  placer  eu  pre- 
mière ligne,  l'institution  des  sanatoria.  Ce  sont  des  lieux  choisis,  ordinairement  sur 
les  liauteurs ,  par  une  altitude  moyenne  de  1,500  à  2,000  mètres,  oii  les  soldats 
anglais  sont  installés  confortablement,  presque  luxueusement,  et  mis  là,  en  réserve, 
pour  quelque  éventualité  fâcheuse,  tandis  que  les  troupes  indoues  font  la  partie  la 
plus  dure  du  service  journalier.  Ce  système  ,  inauguré  d'abord  pour  les  troupes  ,  a 
été  étendu  aux  employés  civils,  qui  ont  chaque  année  le  droit  d'y  passer  cinq  ou  six 
semaines  avec  solde  entière.  Et  depuis  une  vingtaine  d'années,  depuis  lord  Lawrence, 
l'habitude  est  prise  par  le  gouverneur  général  d'émigrer  chaque  été  de  Calcutta  à 
Simla.  Chaque  année,  au  début  des  chaleurs,  le  gouvernement  entier,  les  ministres, 
leurs  familles ,  leurs  employés ,  toute  une  suite  énorme,  s'en  vont ,  beaucoup  d'entre 
eux  à  contre-cœur,  chercher  à  Simla  la  fraîcheur  et  la  santé.  C'est  une  habitude  très 
critiquée,  et  qui  menace  un  jour  ou  l'autre  d'être  abandonnée.  On  lui  aura  dû  de 
faire  mieux  connaître  aux  administrateurs  du  Bengale  les  provinces  septentrionales 
de  leur  gouvernement, 

Le  gouvernement  de  l'Inde  est  confié  à  un  vice-roi ,  chef  suprême  de  l'administra- 
tion, assisté  d'un  Conseil  composé  de  six  membres  et  en  plus  du  général  en  chef. 
C'est  ce  Conseil  qui  tient  en  main  toutes  les  affaires  de  l'Inde,  réparties  entre  six 
départements  différents.  De  plus,  chacune  des  huit  provinces  :  Bengal,  Provinces  du 
Nord-Ouest,  Punjab,  Province  Centrale,  Birmanie,  Assam,  iNIadras,  Bombay,  a  son 
gouvernement  spécial,  et  son  Conseil  distinct,  sous  l'autoricé  du  gouvernement  cen- 
tral. 11  y  a  eu  là,  depuis  quelques  années ,  une  unification  que  l'on  aura  peut-être  à 
regretter.  Autrefois  ,  certaines  provinces  ,  le  Punjab  ,  les  Provinces  Centi-ales  et  la 
Birmanie  étaient  ce  que  l'on  appelait  des  provinces  de  «  non-gouvernement  »  {non- 
regulation  provinces).  Elles  étaient  régies  par  les  anciennes  lois  locales  sous  le 
contrôle  élevé  du  Foreign  Office.  Aujourd'hui  tout ,  ou  à  peu  près  ,  est  soumis  aux 
mêmes  lois  et  à  la  même  administration.  Il  y  a  cependant  —  et  si  l'on  regarde  sur 
la  carte,  leur  situation  semble  ,  au  premier  abord  ,  assez  bizarre  ,  —  toute  une  série 
de  principautés  ,  depuis  les  royaumes  véritables  ,  par  exemple  Haidaradba  ,  grand 
comme  l'Italie  ,  jusqu'aux  minuscules  communautés  relevant  de  chefs  inconnus  ,  en 
tout  plus  de  800  États  indépendants  ,  dont  200  seulement  ont  quelque  importance  , 
disséminés  parmi  les  possessions  purement  britanniques  ,  disposant  tous  ensemble  , 
de  plus  de  300,000  soldats  et  de  revenus  considérables  ,  et  dont  l'indépendance 
durera  jusqu'au  jour  où  l'Angleterre  jugera  bon  de  supprimer  les  chefs  indigènes  et 
de  les  englober  dans  ses  possessions  directes. 

La  population  anglaise  de  l'Inde,  en  dehors  des  troupes,  n'est  nullement  ce  qu'on 
pourrait  croire,  étant  donnée  la  facilité  avec  laquelle  les  Anglais  émigrent.  Elle 
n'était,  il  y  a  quelques  années  ,  que  de  60,000.  Ce  chiffre  si  réduit  s'explique  par  ce 
fait  que  l'Inde  est  une  colonie  d'exploitation,  où  les  classes  qui  alimentent  ordinaire- 
ment l'émigration,  ne  peuvent  trouver  place  ,  à  cause  de  l'extrême  bon  marché  de  la 
main-d'œuvre  dû  à  la  densité  de  la  population.  Les  Chinois  eux-mêmes  ne  peuvent 
rivaliser  avec  les  Hindous  ;  qu'iraient  y  faire  les  ti'availleiu-s  européens?  Il  n'y  a  donc 
d'avenir  que  pour  les  capitalistes  qui  utilisent  à  leur  profit  cette  main-d'œuvre 
excepUonnelle. 

On  s'étonne  souvent  de  cette  proportion  misérable  de  la  population  anglaise  à  la 
population  indigène,  et  l'on  n'est  plus  disposé  à  ajouter  foi  à  cette  affirmation  que  la 
Grande-Bretagne  ne  pouvant  coloniser  et  s'assimiler  l'Inde  ,  la  tient  sous  sa  domi- 

12 


—  170  — 

nation  par  son  armée.  C'est  là  une  profonde  erreur.  L'armée  anglaise  ,  aux  Indes  , 
ne  dépa^jse  pas  50,000  hommes  ,  auxquels  il  faut  joindre  100  000  indigènes  solide- 
ment encadrés  et  200,000  hommes  de  police. 

Cette  armée  coûte  d'ailleurs  assez  cher  :  13  millions  de  livres  sterling,  et  en  com- 
prenant la  part  contributive  de  l'Angleterre  et  la  perte  au  change,  près  de  20  millions 
sterling  (500  millions  de  francs). 

Ces  effectifs,  150,000  hommes  de  troupes  actives  et  200,000  de  gendarmerie,  sont 
peu  de  chose  pour  un  aussi  vaste  empire.  Aussi ,  n'est-ce  pas  en  eux  seuls  que  TAi.- 
gleteire  a  mis  sa  confiance  pour  maintenir  sa  supériorité.  Elle  attend  davantage 
encore  des  rivalités  des  princes  indigènes  dont  aucun  ne  saurait  tolérer  l'élévation 
des  autres,  même  due  à  un  triomphe  sur  l'ennemi  national,  et  aussi  de  l'apaisement 
des  esprits  que  doit  nécessairement  amener  tout  un  ensemble  de  mesures  d'ordre 
moral  et  civilisateur. 

La  rivalité  des  princes  indigènes  est,  en  effet,  un  sérieux  atout  dans  son  jeu.  Mais 
je  ne  puis  m'empècher  de  croire  que  l'Angleterre  se  flatte  d'un  espoir  chimérique  en 
attendant  d'aussi  grands  résultats,  parmi  une  population  aussi  nouibreuse,  sur  un 
territoire  aussi  vaste,  de  moyens  ,  tels  que  ,  par  exemple,  la  diffusion  de  la  religion 
chrétienne,  de  l'éducation,  de  l'économie ,  etc.  Au  lendemain  de  la  révolte  des 
Cipayes,  il  y  eut  un  appel  éloquent  et  un  très  vif  mouvement  d'opinion  en  faveur  de 
la  propagande  religieuse  et  de  l'extension  des  missions  soit  protestantes ,  soit 
catholiques.  Cela  d'abord  amena  quelques  conversions.  Mais  c'était  surtout,  comme 
j'ai  pu  l'observer  au  Tonkin ,  parmi  les  pauvres  diables  ,  et  parmi  les  parias  qui 
avaient  espéré  sortir  de  leurs  castes,  et  qui ,  après  la  conversion,  se  voyant  aussi 
résolument  repoussés  par  les  vainqueurs  chrétiens  qu'auparavant  par  leurs  compa- 
triotes, retournaient  bientôt  à  leurs  anciennes  pratiques.  Et  comme  le  gouverne- 
ment anglais  avait  proclamé,  dès  1858,  sa  parfaite  indifférence  en  matière  de  religion, 
du  moins  aux  Indes,  les  conversions  se  firent  chaque  jour  plus  rares. 

L'éducation  mieux  comprise  eût  pu  mieux  réussir.  C'est  en  1854  que  fut  inauguré 
le  système  de  l'instruction  par  l'État ,  commençant  par  l'école  primaire  ,  se  conti- 
nuant par  l'école  secondaire,  pour  finir  par  le  véritable  collège  à  l'anglaise,  avec  des 
professeurs  et  des  salles  de  lecture.  L'ensemble  du  système  était  d'abord  dans 
chaque  présidence,  puis  dans  chaque  province,  placé  sous  le  contrôle  d'un  directeur 
de  l'instruction  publique.  Des  subventions  étaient  accordées  aux  missionnaires  et 
autres  maîtres,  suivant  les  résultats  qu'ils  obtenaient.  Une  université  fût  étalDlie  à 
Calcutta,  une  autre  à  Madras  ,  une  troisième  à  Bombay  ,  pour  faire  le  service  des 
examens  et  décerner  les  grades  et  les  diplômes.  En  un  mot,  le  vieux  système  anglais 
fut  tel  quel  libéralement  transporté  dans  l'Inde.  11  arriva  ce  qu'on  pouvait  prévoir. 
Une  élite  seule  en  profita  ;  quelques  Hindous  prirent  leurs  degrés  et  parvinrent  à  de 
très  hautes  fonctions  judiciaii'es  ou  administratives. 

D'autres  tentatives  du  même  genre,  dans  le  même  ordre  d'idées,  furent  plus  heu- 
reuses. Les  Anglais  arrivèrent  assez  facilement  à  supprimer  le  Suttee ,  l'horrible 
coutume  de  la  mort  obligatoire  ,  quoique  volontaire  ,  des  veuves  sur  le  bûcher  de 
leur  mari.  De  même  ,  ils  abolirent  effectivement  le  culte  de  la  déesse  Kali.  Les 
Thugs  ,  Ja  terreur  de  l'Inde  ,  qui  offraient  à  la  déesse  des  sacrifices  humains  ,  dont 
les  Européens  faisaient  les  frais,  furent  décimés  ;  2,000  furent  arrêtés,  et  1,500 
d'entre  eux  furent  emprisonnés  ou  déportés.  Aujourd'hui ,  leurs  enfants  et  petits- 
enfants  sont  paisiblement  occupés  ,  dans  le  lieu  de  leur  détention  ,  à  tisser  des  tapis 
ou  à  quelque  autre  besogne  utile. 

Mais  c'est  surtout  dans  l'ordre  matériel  que  les  tentatives  des  Anglais  ,  pour  se 
concilier  les  habitants,  furent  heureuses.  Outre  que  la  propriété  foncière,  concentrée 
entre  les  mains  de  quelques  milliers  d'indigènes  ou  même   d'Anglais  ,  propriétaires 


—  m  — 

d'immenses  territoires  ,  a  aussi  constitué  une  aristocratie  dont  le  sort  est  lié  à  celui 
des  conquérants,  les  progrès  matériels,  les  facilités  offertes  aux  basses  classes  pour 
sortir  de  leur  misérable  condition,  les  mesures  bienveillantes  prises  envers  eux  ,  ont 
produit  sur  leur  esprit  une  impression  déterminante.  Et  parmi  ces  mesures,  que  je 
n'ai  pas  le  loisir  d'étudier  en  détail,  aucune  ne  semble  avoir  été  aussi  efficace  que  la 
construction  des  chemins  de  fer. 

A  l'origine,  les  chemins  de  fer  n'étaient  pas  très  en  faveur  près  des  hommes 
connaissant  l'Inde  et  ses  mœurs.  Ils  y  voyaient ,  pour  les  entrepreneurs  ,  un  moyen 
conunode  de  s'enrichir .  par  des  garanties  d'intérêt  ou  de  trafic,  aux  dépens,  soit  de 
la  Compagnie  ,  soit ,  plus  tard  ,  du  gouvernement.  Quant  aux  indigènes ,  ces  mêmes 
hommes  pensaient  qu'ils  ne  s'en  serviraient  guère,  et  que,  comme  au  temps  de 
Porus  et  de  Mégasthène  ,  ils  continueraient  à  aller  à  pied  ,  traînant  dans  des  chars 
leurs  famille -i  et  leurs  biens.  En  dépit  de  ces  prédictions,  la  construction  en  prit  un 
rapide  développement.  Au  commencement  de  mars  1884,  il  y  en  avait  10,800  milles 
(18,000  kilomctre^)  ouverts  à  la  circulation,  3,450  étaient  en  construction  ou  décidés, 
et  le  capital  employé  à  ces  travaux  était  de  140  millions  sterling  (3  milliards  et  demi 
de  francs).  L'influence  de  ces  chemins  de  fer  était  déjà  considérable.  Ce  n'est  pas 
qu'ils  eussent  transporté  un  bien  grand  nombre  de  voyageurs  ou  de  tonnes.  En  1883, 
ils  avaient  servi  à  65  millions  de  voyageurs  et  à  17  millions  de  tonnes  ,  alors  qu'en 
France,  la  même  année,  ces  chiffres  étaient  respectivement  de  180  millions  de  voya- 
geurs ,  avec  une  population  six  fois  moindre,  et  de  90  millions  de  tonnes.  Mais 
surtout  depuis  1877,  ils  avaient  une  action  décisive  contre  la  famine. 

La  famine  est  le  grand  ennemi  de  l'Inde.  La  population  est  extrêmement  dense,  et 
le  territoire  mis  en  culture  n'atteint  pas  le  tiers  de  la  superficie  totale.  L'eau  fait 
souvent  défaut,  et  l'irrigation,  longtemps  en  honneur,  a,  jusqu'à  ces  derniers  temps, 
été  négligée.  De  plus,  les  moyens  de  communication  sont  peu  nombreux.  Les  routes 
ont  été  longtemps  négligées  et ,  encore  aujourd'hui ,  ne  dépassent  pas  1  million 
de  milles  dans  un  pays  qui  compte  1,500,000  milles  carrés.  Quant  aux  fleuves, 
outre  qu'ils  ne  desservent  pas  certaines  régions ,  ils  sont ,  comme  tous  ceux 
de  ces  contrées  ,  d'une  navigation  difficile  :  torrentueux  à  la  saison  des  pluies  et , 
après  cela,  parfois  asséchés.  Qu'une  mauvaise  récolte  survienne  et  des  millions 
d'habitants  se  trouvent  sans  nourriture.  Ces  famines  sont ,  pour  ainsi  dire  ,  pério- 
diques. Elles  sont ,  disent  les  administrateurs  ,  une  institution  de  l'Inde.  En  1771 , 
une  famine  terrible,  pendant  laquelle  les  agents  de  la  Compagnie  et  les  fonction- 
naires indigènes  s'étaient  coalisés  pour  élever  le  prix  du  grain,  fit  périr  plus  de 
5  millions  de  personnes.  Depuis  lors,  vingt  et  une  grandes  famines  se  sont  succédé. 
En  1866,  le  pays  d'Orissa  perdit  le  quart  de  sa  population,  plus  d'un  million  d'habi- 
tants. En  1868,  le  Punjab  en  perdit  1,200,000  ,  et  certains  pays  soumis  aux  princes 
indigènes  en  perdirent  le  triple.  En  1874,  ce  fut  le  tour  de  la  plaine  du  Gange,  et  en 
1877,  du  Decan.  4  millions  de  personnes  succombaient  pendant  que  le  haut  com- 
merce expédiait  sur  l'Europe  des  grains  en  quantités  considérables.  C'est  alors 
qu'intervint  d'une  façon  effective  le  gouvernement  anglais.  De  1874  à  1877  ,  tant  en 
céréales  distribuées  qu'en  travaux  de  secours ,  routes  ,  canaux  ,  chemins  de  fer ,  il 
dépensa  plus  de  400  millions  de  francs.  Après  1877  ,  la  lutte  contre  la  famine  prit 
une  allure  régulière.  Le  gouvernement  central ,  les  provinces  se  mirent  à  construire 
des  chemins  de  fer.  Il  en  fut  ouvert  en  dix  ans,  pour  ce  seul  but  et  sans  espoir  d'un 
trafic  rémunérateur  ,  4,200  milles  (7.000  kilomètres),  1,400  autres  milles  étant  en 
construction.  Cette  année  même  ,  oii  le  budget  sera  sans  doute  en  déficit ,  le  gouver- 
nement s'est  demandé  s'il  devait  suspendre  la  construction  de  ces  chemins  de  fer, 
«  Mais,  dit  le  secrétaire  pour  l'Inde,  arrêter  les  travaux  en  cours  pour  1886-1887  et 
1887-1888,  par  ce  motif  que  nous  ne  pensions  pas  trouver  dans  les  recettes  ordinadres 


—  172  — 

les  sommes  demandées  et  qu'il  fallait,  en  conséquence, recourir  à  l'emprunt,  c'aurait 
été  subordonner  notre  fin  à  nos  moyens  ;  et  le  jour  où  une  nouvelle  famine  eût 
éclaté,  cette  manière  de  voir  eut  déterminé  ,  dans  une  large  mesure  ,  les  maux  qu'il 
s'agissait  d'éviter.  »  En  conséquence,  il  fut  décidé  qu'en  1886-1887  et  en  1887-1888 , 
il  serait  demandé  à  l'emprunt ,  pour  continuer  ces  constructions ,  1,049,000  et 
1,248,000  liv.  st. 

En  outre,  et  toujours  pour  combattre  la  famine,  on  donna  une  grande  extension 
aux  canaux  d'irrigation.  Dès  1854,  on  avait  complété  le  canal  du  Gange.  C'est  une 
œuvre  colossale,  qui,  par  sa  ligne  principale  et  ses  embranchements,  comprend  614 
milles  propres  à  la  navigation,  et  3,111  pour  l'irrigation.  Après  celui  là  ,  viennent 
les  canaux  dérivés  de  l'Indus  ,  du  Satledj  ,  de  la  Ravi,  de  la  Sone.  Pour  les  arrose- 
ments,  il  reste  encore  à  utiliser  de  grandes  rivières  telles  que  le  Sardjou.  le  Gaudak, 
la  Tapti,  la  Narbadah.  Enfin,  dans  certaines  parties  du  Décan,  il  n'y  a  qu'à  restau- 
rer les  travaux  qui  existent.  En  tout,  on  évalue  à  12  millions  d'hectares  ,  soit  à  un 
territoire  grand  comme  un  cinquième  de  la  France,  l'ensemble  des  terres  ajoutées 
au  sol  cultivable  par  les  canaux  d'irrigation. 

L'Inde  est  essentiellement  un  pays  agricole.  Les  statistiques  ,  très  incomplètes  , 
qu'a  publiées  le  gouvernement ,  montrent  que  sur  130  millions  d'habitants  mâles, 
plus  de  50  étaient  des  agriculteurs  ,  et  seulement  13  employés  dans  des  industries 
diverses.  La  principale  culture  consiste  en  céréales.  Après  elle,  vient  l'opium  qui  se 
cultive  dans  la  plaine  du  Gange,  autour  de  Bénarès  et  de  Patna,  et  sur  les  hauteurs 
de  Malva,  et  qui  fournit  au  gouvernement  un  bénéfice  net  de  225  millions  par  an. 
Après  l'opium  ,  le  coton.  Pendant  la  guerre  d'Amérique,  le  coton  donna  lieu  ,  dans 
l'Inde  à  des  spéculations  colossales.  En  quatre  ans  ,  l'exportation  en  passa  de  75  à 
925  millions  de  francs.  Après  bien  des  ruines  ,  elle  est  encore  aujourd'hui  de  300 
millions  environ.  De  plus  ,  l'importation  des  tissus  de  coton  y  a  baissé  considéra- 
blement. Bombay  est  le  centre  de  cette  nouvelle  industrie.  En  1875,  cette  province 
comptait  15  filatures  avec  367,000  broches;  en  1886  elle  en  comptait  70,  avec 
1,700,003.  L'Inde  entière  en  compte  90.  Cette  industrie  ne  se  contente  pas  de 
chasser  de  l'Inde  les  produits  de  l'Angleterre  ,  elle  leur  fait  concurrence  au  Japon  et 
en  Chine.  En  1877 ,  elle  leur  vendait  7  millions  de  livres  contre  12  1/2  que  leur 
vendait  l'Angleterre.  Aujourd'hui  Bombay  en  fournit  68  millions  et  l'Angleterre  20. 
Après  le  coton  ,  viennent  le  jute  ,  que  l'on  travaille  à  Calcutta,  l'indigo  ,  le  tabac, 
le  thé  ,  chaque  jour  plus  cultivé  ,  et  enfin  le  café  qui  représente  déjà  un  commerce 
de  150  millions  de  francs. 

Le  commerce  général  de  l'Inde  s'élève  à  plus  de  3  milliards  de  francs,  sans 
compter  le  commerce  qui  se  fait  par  terre  et  qui  échappe  presque  tout  entier  à  la 
statistique.  Sur  ces  3  milliards  ,  l'exportation  figure  pour  1,800  millions  et  l'impor- 
tation pour  1,200  millions,  dont  140  millions  pour  la  France  Mais  ces  chiôres 
moyens  sont,  surtout  depuis  quelques  années  ,  singulièrement  altérés  par  l'effet  de 
la  baisse  de  l'argent.  L'argent  est  la  seule  monnaie  circulant  dans  l'Inde.  L'or,  qui 
y  est  importé  chaque  année  ,  passe  en  bijoux  ,  ce  qui  est,  chez  l'immense  majorité 
des  Orientaux,  la  forme  ordinaire  de  l'épargne.  La  roupie  ,  étalon  de  la  circulation 
d'argent,  a  une  valeur  nominale  de  2  shellings  (2  fr.  50)  et ,  malgré  la  baisse  de 
l'argent,  elle  a,  à  l'intérieur  de  l'Inde,  toujours  conservé  cette  valeur  nominale  ;  son 
pouvoir  d'achat  est  resté  le  même;  mais  dans  les  affaires  avec  l'extérieur,  elle  ne 
vaut  plus  que  1.5  1/4  (1  fr.  77  12).  Cette  valeur,  si  diminuée,  exige  que,  pour  acheter 
en  Europe  des  quantités  constantes  ,  les  habitants  de  l'Inde  donnent  des  quantités 
de  roupies  toujours  plus  considérables.  Et  c'est  même  cette  obligation  qui  leur  a 
suggéré  l'idée  de  fonder  des  manufactures  de  toutes  sortes  pour  fabriquer  eux- 
mêmes  ce  qu'ils  sont  forcés  d'acheter  si  cher  à  l'étranger.  Il  n'en  subsiste  pas  moins 


-  173  - 

qu'ils  font  encore  en  Europe  des  achats  considérables  et  dans  les  conditions  désas- 
treuses que  j'ai  dites.  L'Etat  lui-même  a  ,  par  suite  de  nombreuses  opérations,  de 
gros  paiements  h  faire  en  Europe  ;  et  le  change  actuel,  tombé  à  1.5  1  /i  au  lieu  de  2 , 
lui  impose,  pour  cette  seule  année,  la  perte  effroyable  de  5.2.52,000  liv.  st. 

C'est  là  une  des  causes ,  c'est  même  la  cause  principale  du  déficit  du  budget. 
L'autre  cause  est  rcxpcditiou  de  Birmanie.  Le  budget  de  l'Inde  s'élève,  pour  1886-87, 
en  recettes,  à  75  millions  sterling  ,  et  avec  la  part  contributive  de  l'Angleterre  ,  les 
emprunts,  les  dépôts  <le  caisse  d'épargne,  etc.,  le  capital  mis  de  diverses  manières  à 
la  disposition  du  Trésor  et  employé  par  lui  ,  il  s'élève  à  116  millions  sterling.  Les 
principales  sources  de  revenus  sont  l'impôt  foncier  ,  22  1/2  millions  ;  l'opium,  9;  le 
le  sel,  6  ;  le  timbre,  3  ;  l'excise,  4  ;  les  assessed  taxes  dont  Vincome  tax  ,  1.2  :  les 
taxes  provinciales,  3  ;  les  douanes,  1  ;  les  forêts  1  :  les  tribus  des  Etats  indigènes  , 
700,000  livres.  Les  frais  de  perception  de  cette  première  catégorie  de  revenus,  au 
total  52  millions  sterling,  se  montent  à  8  millions  sterling. 

Les  impôts  de  l'Inde  sont  au  total  as.sez  modérés  ,  moins  cependant  qu'ils  ne  le 
paraissent.  Ils  sont  d'environ  9  à  10  fr.  par  tête  ,  et  la  dette  n'est  que  de  20  h  22  fr. 
Mais  la  production  annuelle  ne  dépasse  pas,  dit-on,  10  milliards  de  francs,  soit  40  fr. 
par  tête.  Toutefois  ,  je  le  répète  ,  ces  proportions  n'ont  rien  d'inquiétant ,  parce  que 
l'Inde  a,  au  point  de  vue  agricole  et  industriel ,  devant  elle  un  magnifique  avenir. 
Les  famines,  sources  d'énormes  dépenses  dans  ces  années  dernières,  doivent  aller 
toujours  en  diminuant  de  fréquence  et  d'intensité.  La  guerre  de  Birmanie  et  les 
insuffisances  de  recettes  dans  cette  province  ,  n'auront  qu'un  temps.  La  baisse  de 
l'argent  et  la  perte  au  change  ,  dont  on  ne  peut  prévoir  le  terme  et  les  limites,  sont 
seules  inquiétantes.  Mais  ici ,  rien  ne  vient  limiter  cette  inquiétude.  11  n'est  pas 
excessif  de  dire  que  si  elles  continuent,  elles  peuvent  occasionner  non  seulement  un 
embarras  financier, mais, qui  sait?  peut-être  des  difficultés  politiques.  Or,  la  guerre, 
toujours  il  craindre  de  ce  côté,  n'e^t  pas  faite  pour  relever  les  cours.  Et  il  semble 
que,  au  moins  en  ce  qui  concerne  la  tranquillité  do  l'Angleterre  ,  le  mot  de  sir  Grant 
Duff  n'ait  jamais  été  plus  vrai  :  «  Je  n'entends,  disait-il,  jamais  parler  d'un  vaisseau 
naviguant  à  travers  le  brouillard  dans  les  bancs  de  Terre-Neuve ,  au  milieu  des 
montagnes  de  glace,  sans  penser  à  notre  gouvernement  de  l'Iiide.  » 

liC  clieniiu  de  fer  de  Quettah.  —  Si  les  Russes  déploient  la  plus 
grande  activité  dans  la  construction  du  chemin  de  fer  transcaspien  ,  les  Anglais  en 
revanche,  dit  la  Gazette  géoyyaphique  ,  ne  semblent  pas  devoir  ralentir  les  travaux 
de  la  ligne  de  Quettah. 

D'après  le  projet  anglais  ,  ce  chemin  de  fer  ,  qui  s'embranche  sur  la  grande  ligne 
de  rindus,  au  Sud  de  Shikarpur  ,  passe  à  Jacobabad  et,  remontant  vers  le  Nord  , 
rejoint  Sibi,  traverse  le  défilé  de  Nari,  atteint  Harnai,  puis  Mangi,  franchit  le  col  de 
Tchapar  et  aboutit  à  Quettah,  d'où  part  un  embranchement  sur  Candahar  et  l'Afgha- 
nistan. La  voie  est  maintenant  achevée  jusqu'au  pied  des  monts  Khodjak,  chaîne 
située  au  Nord-Ouest  de  Quettah,  et  qui  court  parallèlement  aux  monts  Souleiman. 

Il  y  a  240  kilomètres  de  Quettah  à  Candahar  ;  500  kil.  de  Candahar  à  Hérat ,  et 
380  d'Hérat  à  la  station  russe  de  Merw. 


AMERIQUE. 

Avenir    éeoiioniique    d'Haïti.    —   Haïti  ne  saurait  jamais  être  inditTé- 
rente  aux  Français.  Non  pas  seulement  parce  que  nous  y  avons  dominé  pendant 


-  174  — 

plus  d'un  siècle ,  et  que  nous  y  avions  alors  développé  un  commerce  de  plus  de 
200  millions  de  francs  et  une  prospérité  magnifique  ,  preuve  de  ce  que  peut  faire 
la  France  en  matière  de  colonisation  ;  mais  parce  là  ,  comme  partout  où  nous  avons 
passé,  nous  avons  laissé  ,  malgré  tant  de  désastres  ,  l'empreinte  profonde  de  notre 
génie  ;  que  Haïti ,  comme  le  Canada  et  bien  d'autres  pays ,  garde  de  s  s  anciens 
maîtres  un  souvenir  durable  et  sans  amertume  ;  qu'elle  nous  a  emprunté  nos  insti- 
tutions et  notre  langue  ,  et  qu'aujourd'hui  encore  ,  les  Français  y  ont  une  situation 
prépondérante. 

L'île  d'Haïti  est  située  dans  les  Indes  occidentales ,  entre  le  18^  et  le  20"  degré  de 
latitude  nord ,  et  s'étend  de  68"  MO'  à  74°  30'  de  longitude  ouest  du  méridien  de 
Greenwich.  Elle  mesure  76,000  kilomètres  de  superficie  ,  deux  fois  et  demie  l'éten- 
due de  la  Belgique,  à  peu  près  celle  de  l'Irlande.  La  république  d'Haïti  occupe  un 
tiers  de  cette  île,  à  l'ouest  ;  les  deux  autres  tiers  forment,  depuis  la  scission  due  à  la 
brutalité  des  garnisons  haïtiennes  ,  la  République  Domicaine  ,  moins  l'iche  ,  moins 
peuplée  ,  et  dont  les  habitants  (250,000  environ)  sont  tous  ou  presque  tous  d'origine 
espagnole.  C'est  un  pays  extrêmement  montagneux,  et  dans  lequel  on  retrouve  inté- 
gralement les  dessins  de  toutes  les  chaînes  parallèles  des  Andes.  Un  amiral  anglais, 
voulant  décrire  au  roi  Georges  111  cet  amas  confus  de  montagnes  ,  de  vallées  et  de 
collines,  chiffonnait  une  feuille  de  papier  :  «  Voilà  ,  sire  ,  disait-il ,  l'aspect  que  pré- 
sente Haïti.  »  Malgré  ces  montagnes  si  nombreuses,  Haïti  renferme  en  quantité  des 
plaines  fertiles  et  souriantes,  arrosées  de  nombreux  cours  d'eau,  un  peu  comme  ceux 
de  l'Algérie,  et  dont  un  seul,  l'Artibonite,  est  navigable  sur  un  faible  parcours. 

Le  climat  est ,  en  général ,  celui  des  tropiques  ,  et  la  température  varie  naturelle- 
ment selon  la  position  des  villes.  Par  exemple  ,  la  ville  de  Cap-Haïtien  ,  exposée  au 
nord,  est  bien  plus  agréable  que  celle  de  Port-au-Prince  ,  située  au  fond  d'un  golfe 
immense.  A  Tourjeau,  près  de  cette  dernière  ville,  à  200  mètres  au-dessus  du  niveau 
de  la  mer ,  la  température  varie  de  33°  centigrades  en  été  à  15^5  en  hiver ,  et  les 
nuits ,  comme  il  arrive  sous  les  tropiques ,  n'y  amènent  pas  de  fraîcheur.  Mais 
d'autres  villes  ont  une  température  plus  basse  ,  notamment  Pétionville  ,  où  le  ther- 
momètre est  au  moins  de  6  à  7  degrés  centigrades  moins  élevé  ,  et  Furcy  où  ,  dans 
le  milieu  même  du  jour,  il  n'atteint  pas  25".  En  même  temps,  la  nuit  est  déhcieuse  , 
et  le  thermomètre  ,  matin  et  soir ,  ne  marque  que  18  degrés.  La  saison  des  pluies 
commence  régulièrement  en  avril  et  dure  jusqu'en  septembre  ,  puis  reprend  pour 
quelque  temps  vers  novembre,  aux  pluies  de  la  Toussaint.  Le  climat  n'est  pas  aussi 
malsain  que  le  pourraient  faire  croire  les  relations  effrayantes  de  certaines  expédi- 
tions. Au  commencement  du  siècle,  un  régiment  anglais  y  perdit  400  hommes  sur 
600  ;  un  autre  ,  600  sur  900  ;  l'expédition  Leclerc  eut  1M,0Û0  hommes  emportés  par  la 
fièvre  jaune  ;  et  récemment,  en  1869,  des  navires  français  y  laissèrent ,  à  cause  de  la 
même  fièvre,  près  de  la  moitié  de  leurs  hommes.  Cependant,  en  général,  cette  fièvre 
et  les  autres  fièvres  tropicales  n'apparaissent  pas  à  terre  ,  les  natifs  ne  les  prennent 
pas,  et  le  choléra  n'a  jamais  visité  Port-au-Prince. 

La  population  d'Haïti  qui,  à  la  fin  du  siècle  était  d'environ  600,000  habitants,  dont 
45,000  blancs,  55,000  hommes  libres  noirs  ou  mulâtres,  et  500,000  esclaves,  est  à  peu 
près  aujourd'hui  de  900,000  à  1  million.  Mais  ces  chiffres  sont  peu  sûrs  :  il  se  pour- 
rait qu'ils  fussent  d'un  tiers  au-dessous  de  la  vérité.  Le  nombre  des  blancs  y  a 
singulièrement  diminué.  On  les  compte  non  plus  par  milliers  mais  par  centaines.  Il 
y  a  au  moins  neuf  dixièmes  de  noirs  contre  un  dixième  de  mulâtres,  et  le  type  des 
gens  de  couleurs  se  rapproche  de  plus  en  plus  du  noir.  Cela  tiendrait  à  ce  que  les 
femmes  blanches  sont  excessivement  rares  ,  et  qu'au  contraire  ,  les  noires  forme- 
raient les  trois  cinquièmes  ,  peut-être  même  les  deux  tiers  de  la  population.  Cette 
population,  lors  de  la  conquête,  au  début  du  XVI«  siècle,  était  tout  entière  de  ce  que 


-  175  - 

l'on  a  appelé  les  Indiens.  Il  n'en  reste  pas  aujourd'hui  un  seul  représentant.  Les 
Espagnols  ont  tout  détruit  :  puis  voyant  qu'il  fallait  d'autros  qu'eux-mêmes  pour 
tirer  parti  du  pays,  ils  y  introduisirent  des  nègres  d'Afrique  nt  des  faniilles  des  îles 
voisines.  S'il  faut  on  croire  M.  Spenser  Saint-John,  qui  s'exprime  là-dossus,  semble- 
t-il ,  avec  prudence  et  modération  ,  dans  un  ouvrage  récent  sur  l'île  ,  nègres  et  mu- 
lâtres ,  pris  en  masse  ,  et  sauf  quelques  glorieuses  exceptions  ,  sont  incapables  de 
civilisation.  «  Gomme  homme,  dit-il,  le  nègre  ne  sait  pas  se  gouverner  lui-même  ,  et 
coi I mie  nation  ,  il  n'a  pu  faire  aucun  progrès.  »  Quant  aux  mulâtres  ,  qu'ils  aient 
voyagé  ou  qu'ils  soient  demeurés  dans  leur  pays,  ils  ont  les  défauts  des  deux  races 
d'oii  ils  sont  sortis  et  peu  de  leurs  qualités.  Pourtant,  ajoute-t-il ,  ceux  qui  ont 
été  élevés  en  Europe  ,  dès  leurs  plus  jeunes  années  ,  sont  à  peu  près  exempts  de  ces 
défauts  de  présomption  et  d'outrecuidance,  qui  proviennent  surtout  des  fréquenta- 
tions de  leur  enfance.  Malheureusement  pour  elle,  Haiti  importe  du  dehors  plus  de 
coquins  que  d'honnêtes  gens.  «  11  y  vient ,  dit  M.  de  Molinari ,  dans  un  autre 
ouwage  paru  récemment ,  de  la  Jamaïque  et  des  autres  Antilles  ,  des  États-Unis  et 
même  d'Europe,  une  société  mêlée  d'aventuriers  ,  de  faiseurs  d'affaires  véreux  ,  de 
banqueroutiers,  de  faussaires,  que  la  spéculation  sur  les  incendies,  le  commerce  des 
«  feuilles  »,  les  «jobs  »  de  tout  genre  y 'expliquerai  plus  loin  ces  termes  techniques) 
attirent  naturellement  comme  les  ulcères  attirent  les  mouches.  » 

Le  pays  est  divisé  en  5  départements  ,  avec  5  chefs-lieux  (Cap-Ha'itien  ,  Port-dc- 
Paix,  Gonaïves  ,  Port-au-Prince,  Les  Cayes) ,  23  arrondissements  et  67  communes. 
Port-au-Prince,  qui  était  une  belle  ville,  bien  construite  et  surtout  bien  dessinée,  est 
aujtJurd'liui  dans  im  état  de  délabrement  et  de  saleté  déplorable.  De  loin  ,  cette  ville 
de  25  à  30,000  âmes,  bâtie  en  damier  au  pied  d'une  chaîne  de  mornes,  avec  ses  mai- 
sons aux  couleurs  vives  et  ses  rues  plantées  d'arbres  ,  présente  un  très  joli  aspect. 
A  peine  débarqué,  l'illusion  cesse.  Tout  n'est  que  ruine.  Les  révolutions  et  les  incen- 
dies n'ont  rien  laissé  debout.  Les  unes  ,  d'ailleurs  ,  sont  à  l'ordinaire  ,  la  suite  des 
autres.  Contre  les  incendies  si  fréquents  ,  on  a  bien  organisé  un  corps  spécial  de 
pompiers.  ]Mais  les  bandits  de  toutes  espèces,  et  la  population  en  général,  n'y  voient 
qu'une  occasion  de  pillage,  et  les  troupes  y  ont  été  parfois  conduites  par  leurs  chefs 
qui  leur  recommandaient  seulement  de  «  piller  en  bon  ordre  ».  Eu  même  temps  ,  les 
victimes  de  ces  incendies  en  prennent  texte  pour  réclamer  au  Trésor  de  fortes 
indemnités  ,  si  biea  que  dans  la  récente  constitution,  on  a  introduit  un  article  192 
qui  dit  :«  Nul  Haïtien  ou  étranger  ne  peut  réclamer  d'indemnité  pour  les  pertes 
subies  à  la  suite  de  troubles  civils.  »  Article  ,  ai-je  besoin  de  le  dire  ,  qui  est  absolu- 
ment lettre  morte. 

Haïti,  découverte  par  les  Espagnols,  a  été  envahie  ,  dès  la  fin  du  XVI*  siècle  ,  par 
les  boucaniers  français  et  définitivement  conquise  au  milieu  du  XVII •  siècle.  La 
domination  française  dura  incontestée  jusqu'en  1789.  A  cette  époque ,  des  événe- 
ments que  tout  le  monde  connaît,  amenèrent  lentement  l'explosion  d'une  insurrection, 
au  bout  de  laquelle  ,  grâce  à  un  chef  admirable  ,  le  nègre  Toussaint ,  le  pays  conquit 
son  indépendance.  Entre  temps  ,  les  Anglais  firent  quelques  efforts  pour  s'y  établir  ; 
mais  sir  Spenser  Saint-John,  dans  le  livre  dont  je  parlais  tout-à-l'heure,  reproche  à 
son  pays  d'avoir  pratiqué  la  politique  des  «  petits  paquets  »  et  d'y  avoir  perdu,  en 
efforts  successifs  et  insuffisants,  des  forces  considérables.  Le  gouvernement  installé 
par  les  noirs  ,  ne  fut  d'ailleurs  ni  stable  ni  prospère.  11  y  a  eu,  depuis  lors,  révolu- 
tions sur  révolutions  ;  les  divers  chef  de  l'Etat  n'ont,  à  l'oi'dinaire  ,  pas  duré  et  ont 
presque  tous  fini  tragiquement.  Le  premier ,  Dessalines  ,  a  été  fusillé  ;  Christophe 
se  suicida  ;  Royer  fut  exilé  ;  Hérard-Rivière  fut  déposé,  puis  exilé  :  Pierrot  dut 
abdiquer  ;     Soulouque ,     Giffard    furent    exilés  ;    Salnave  fusillé  ;    Domingues  et 


-  176  - 

Boisrond-Canal  furent  bannis.  Deux  présidents  seulement,  Pétion  et  Nissage-Saget , 
purent  atteindre  l'époque  oii  devaient  cesser  leurs  fonctions. 

Le  président  actuel  est  le  général  Salomon.  Sir  Spenser  Saint-John  en  parle  à 
peine.  On  voit ,  toutefois  ,  qu'il  n"a  pour  lui  ni  amitié  ni  estime.  Forcé ,  comme  tous 
les  autres,  pour  se  maintenir ,  d'abattre  ses  ennemis  ,  le  général  Salomou  a  frappé 
les  amis  de  l'ancien  ministi"e-résident.  D'oti  une  inimitié  très  justifiée  et  de  sombres 
prévisions.  M  de  Molinari ,  qui  Ta  vu  de  près  ,  parle  du  président  en  de  tous  autres 
termes.  Il  a  dîné  avec  lui,  avec  sa  femme,  qui  est  française,  et  avec  ses  ministres.  11 
a  été  charmé  de  leur  conversation.  «  Je  m'attendais  à  une  exhibition  de  la  vantar- 
dise habituelle  des  hommes  de  couleur  ;  j'entendais,  à  mon  agréable  surprise  ,  un 
langage  plein  de  bon  sens.  »  «  J'ai  épousé  une  blanche  ,  lui  disait  le  général ,  et  l'on 
me  reproche  de  ne  pas  aimer  les  blancs  ;  je  ne  laisserai  pas  à  ma  femme  1,000  pias- 
tres de  revenu,  et  l'on  m'accuse  de  piller  le  pays  ;  j'ai  rétabli  la  sécurité,  restauré  les 
finances  ;  laissons  couler  le  temps  et  nous  ferons  mieux.  Je  suis  obligé  d'être  oppor- 
tuniste ;  je  ne  puis  pas  tout  bouleverser  à  la  fois.  » 

La  forme  du  gouvernement  est  républicaine  ,  mais  tout  le  pouvoir  est  aux  mains 
du  président.  Il  choisit  ses  ministres  ,  et  ce  sojit  eux  qui  font  nommer  les  représen- 
tants au  Congrès  ;  et  comme  ceux-ci  touchent  1,500  fr.  par  mois  pendant  la  durée  de 
la  session,  ils  tiennent  à  conserver  leurs  fonctions  et,  pour  y  parvenir ,  s'efforcent 
d'être  agréables  au  ministère.  La  constitution  du  18  décembre  1879  contient ,  parmi 
ses  205  articles,  un  certain  nombre  de  dispositions  au  moins  bizarres.  Telles  sont 
celles  de  l'article  6  qui  interdisent  aux  blancs  «  d'être  propriétaires  »;  de  l'article  14 
qui  déclare  qu'un  étranger  naturalisé,  ne  peut  remplir  aucune  fonction  législative  ou 
executive  ;  et  de  l'article  40  qui  place  les  dettes  publiques  «  sous  la  sauvegarde  de  la 
loyauté  de  la  nation  ».  Sir  Spenser  Saint-John  raconte  ,  à  ce  propos  ,  qu'un  général 
haïtien  étant  allé  à  Paris  chez  un  fameux  banquier  pour  contracter  un  enqn'unt ,  le 
capitaliste  lui  demanda  quelles  garanties  il  comptait  offrir.  II  lui  répondit  :  «  La 
Constitution  place  les  dettes  publiques  sous  la  sauvegarde  de  la  loyauté  de  la 
nation.  »  Le  banquier  le  regarda  fixement  pendant  un  instant  et  lui  dit  froidement  ; 
^'   Mes  affaires  n\e  réclament  ailleurs  ;  bonjour  !  » 

L'espace  me  manque  pour  parler  de  l'armée  avec  ses  0,.500  soldats,  ses  7,000  offi- 
ciers, et  6,500  généraux  et  chefs  d'état-major  ;  de  l'instruction  gratuite  ,  laïque  et 
obligatoire  (au  moins  pour  l'instruction  primaire),  avec  ses  4  lycées,  6  écoles  supé- 
rieures de  filles,  5  écoles  secondaires  ,  165  écoles  primaires  ,  k!00  écoles  rurales,  une 
école  de  médecine  et  une  école  de  musique  ,  réunissant  en  tout  19,250  élèves ,  sans 
parler  des  écoles  libres  oii  nos  religieux  des  deux  sexes  font  merveille  ;  de  la  police 
et  de  ses  agents  au  terrible  coco  macaque ,  ce  succédané  du  nerf  de  bœuf;  de  la 
justice,  avec  sa  Cour  de  cassation,  ses  Tribunaux  civils  et  de  commerce,  ses  juges  de 
paix,  sa  procédure  toute  française  et  son  barreau,  de  l'éloquence  duquel  M.  de  Moli- 
nari cite  de  si  admirables  exemples.  Tout  cela,  d'ailleurs,  ne  donne  de  la  civilisation 
haïtienne  qu'une  idée  superficielle  et  même  fausse.  Toutes  ces  institutions ,  ou 
n'existent  que  sur  le  papier,  ou  fonctionnent  de  la  façon  la  plus  défectueuse. 

Haïti,  avec  tous  les  dons  de  la  nature,  a,  contre  soi,  deux  ennemis  :  ses  habitants 
et  ses  immigrants. 

Ses  habitants,  on  sait  ce  qu'ils  sont.  Une  grande  faiblesse  morale,  une  instruction 
qui,  sauf  à  quelques  hommes  d'élite  entretenus  à  Paris  ,  aux  frais  de  l'Etat ,  leur 
donne  ,  sans  la  science  .  la  présomptio:i  des  demi-ignorants,  une  grande  indolence  , 
due  au  climat ,  à  l'habitude  de  la  vie  de  désordre  et  de  guerres  civiles  ,  à  la  polyga- 
mie et  au  travail  réservé  aux  femmes ,  toutes  ces  infériorités  font  désespérer  les 
vrais  amis  de  l'avenir  de  Haïti,  si  elle  doit  n'attendre  son  relèvement  que  de  ses  seuls 
habitants. 


-  177  - 

Les  jeunes  gens  ont  été  ,  depuis  quelque  temps,  envoyés  en  Kurope  se  former  au 
contact  de  la  civilisation  européenne.  Us  sont  rev.  nus  instruits  ,  policés  ,  civilisés  , 
donnant  les  plus  belles  espérances.  Puis,  grisés  par  la  flatterie,  irrités  par  le  succès 
d  autrui,  ils  ont  repris  les  vieilles  coutumes  du  pays  ,  et  conspiré  contre  les  pouvoirs 
établis,  même  contre  les  plus  sages.  En  réalité,  les  carrières  libérales,  pour 
lesquelles  on  les  avait  élevés  ,  sont  encombrées.  Il  y  a  actuellement  à  Port-au-Prince 
40  avocats,  dont  5  ou  6  au  plus  peuvent  honnêtement  vivre  de  leur  profession.  Que 
devenir  ?  On  fait  un  «.job  ».  On  met  en  commun  30  ou  40,000  piastres  pour  fomenter 
une  insurrection.  Si  le, ;o&  réussit,  on  s'empare  du  gouvernement  et  des  places  lucra- 
tives. S'il  échoue,  on  cherche  refuge  dans  les  légations,  inviolables  aux  termes  de  la 
constitution.  Le  jeu  est  si  simple,  (jue  le  rêve  de  tout  jeune  Hailien  de  bonne  famille 
est  de  faire  un  job.  Le  général  Salomon  ,  pour  couper  court  à  ses  velléités  ,  fusilla 
tout  simplement  les  conspirateurs.  Mais  après  lui  ? 

■Si  telle  est  l'aristocratie,  que  doit  être  le  peuple  !  Toutes  les  tentatives  de  relève- 
ment semblent  devoir  échouer.  Les  prêtrts  catiioliques,  qui  depuis  quelques  années 
sont  extrêmement  bien  recrutés,  ont  en  vain  essayé  de  répandre  les  principes  d'une 
morale  supérieure  ;  les  protestants  s'en  sont  mêlés  de  leur  côté  ;  il  paraît  même, 
contrairement  à  ce  qui  se  passe  partout,  que  l'antagonisme  ordinaire  des  mission- 
naires des  deux  religions  n'a  pas  eu  lieu  ;  rien  n'y  a  fait,  les  conversions  ne  sont  que 
superficielles  ;  le  catholicisme  est  pratiqué  simultanément  avec  le  culte  du  Vawlotix 
si  même  il  ne  recule  l'ancienne  civilisation.  Qu'est ,  au  juste ,  ce  Vaudoux  ?  La 
(|uestion  est  controversée.  On  y  voit  parfois  un  culte  barbare,  qui  exige  des  sacrifices 
humains  ;  et  parfois  un  ensemble  de  règles  fondées  sur  des  préjugés  ou  sur  une 
hygiène  au  moins  bizarre  ,  et  qui ,  par  exemple  ,  interdisaient  à  certaines  races  de 
goûter  de  certains  aliments.  Ce  serait  quelque  chose  comme  ce  dont  il  est  parlé 
dans  la  délicieuse  comédie  indienne  de  Sahountala  ,  oii  l'on  reconnaît  le  roi  -  dieu  à 
ce  qu'il  a  touché,  sans  danger,  une  liane  particulière.  Quoi  qu'il  en  soit,  le  Vau(hjux 
existe,  et  le  clergé  trop  peu  nombreux,  mal  payé  et  surmené,  en  est  réduit  à  consta- 
ter l'inanité  de  ses  efforts. 

L'autre  fléau  de  Haïti  est  le  recrutement  des  étrangers  qui  y  émigrent.  Non  qu'il  y 
ait  lieu  de  proscrire  ou  d'écarter  les  étrangers  ,  comme  le  fait  sottement  la  contitu- 
tion  haïtienne,  au  contraire  ;  mais  il  faudrait  avoir  des  immigrants  de  choix.  On  n'a, 
sauf  exception  ,  que  le  rebut  des  nations.  Les  meilleurs  d'entre  eux  ne  cherchent 
qu'à  exploiter  l'État.  Soit  qu'ils  lui  fassent  des  fournituies  de  qualité  détestable , 
avec  des  bénéfices  de  5  à  600  OjO  ,  soit  qu'ils  lui  réclament .  avec  des  majorations 
excessives,  des  indemnités  illégales  qu'Us  obtiennent,  grâce  à  la  protection  de  leurs 
consuls  et  de  leurs  ministres,  de  toutes  façons  ils  agissent  plutôt  comme  des  ennemis 
que  comme  des  amis  de  la  République. 

Sous  l'influence  de  ces  dissolvants,  l'État  se  trouve  aujourd'hui  dans  une  situation 
excessivement  précaire.  Les  étrangers  ne  pouvant  posséder  les  terres  à  titre  de  pro- 
priétaires, n'osent  guère  y  aventurer  leurs  capitaux  ;  aussi  l'agriculture  n'y  est-elle 
pas  prospère.  Beaucoup  de  terres  appartiennent  à  l'État.  En  1877,  il  y  avait  en  loca- 
tion 2,105  fermes  nationales,  contenant  environ  93,000  hectares,  loués  6  fr.  15  l'hec- 
tare. Beaucoup  de  domaines  appartenant  à  de  grands  propriétaires  sont  loués 
à  moitAé,  et  peu  florissants  ;  d'autres  domaines  moindres  appartiennent  en  propre 
aux  paysans  qui  y  font  avec  succès  de  la  culture  maraîchère.  On  pourrait .  avec  des 
capitaux,  même  au  prix  où  est  la  main-dœuvre  (2  à  3  fr.  par  jour),  faire  à  Haili  de  la 
culture  industrielle  très  profitable.  Haïti  produit  presque  sponta»émeul  le  café,  le 
coton,  la  canne  à  sucre,  le  cacao.  Le  café,  bien  traité,  serait  excellent,  égal  ou  supé- 
rieur au  moka.  La  production  en  était,  sous  la  domination  française  ,  en  1789  ,  de 
de  88  millions  de  livres  ;  elle  a  été  successivement  en  1818,  de  20  millions  ;  en  1824, 


—  i78  — 

de  56  ;  en  18a5,  de  48  ;  en  1860,  de  61  ;  en  1863,  de  71  :  en  1873,  de  64  ;  en  1875,  de 
72  ;  en  1879,  de  47,  et  en  1880,  de  55  millions  de  livres.  Et  cela  presque  sans  culture. 
La  canne  à  !<ucre ,  après  une  période  de  merveilleuse  prospérité  ,  réussit  encore 
admirablement.  C'était ,  avant  l'indépendance  ,  la  principale  culture  En  1789  ,  on 
exporta  54  millions  de  livres  de  sucre  blanc  er  107  de  sucre  brut.  En  1818,  Texporta- 
tion  totale  était  tombée  en  tout  à  1  million  900,000  livres,  et  en  1821  à  600,000,  pour 
disparaître  ensuite  des  mercuriales.  Mêmes  résultats  pour  le  coton.  En  1789,  l'expor- 
tation en  était  de  8,400,000  livres;  elle  était,  en  1835,  de  1,600,000;  en  1842,  de 
880,000;  en  1853;  de  560.000;  en  1859.  de  940,000;  en  1860,  de  690,000.  Pendant  la 
guerre  des  Etats-Unis  ,  grâce  à  des  primes  payées  par  l'Etat,  ces  chiffres  remon- 
tèrent en  1861,  à  1;140,000;  en  1862,  à  1,475,000.  Les  primes  supprimées  en  1865,  le 
coton  fut  de  nouveau  délaissé,  et  remplacé  en  partie  par  la  culture  maraîchère.  Seul, 
le  cacao  a  fait  des  progrès.  En  1789,  l'exportation  en  était  de  609,000  livres.  En  1863, 
elle  était  de  2,200,000  ;  et  en  1881  ,  de  2,730.000  livres.  Enfin ,  on  trouve  en  abon- 
dance divers  fruits,  mangue,  orange,  banane,  des  bois  de  teinture,  et  de  l'acajou  qui 
existe  partout  dans  cette  île  de  la  Tortue,  récent  objet  de  si  vives  contestations. 

Le  commerce  a  suivi  toutes  les  fluctuations  de  l'agriculture.  Il  était ,  en  1789 ,  de 
200  millions  de  trancs.  En  1863  ,  après  bien  des  vicissitudes  ,  il  était ,  s'il  faut  en 
croire  les  statistiques,  remonté  à  105  millions,  dont  44  à  l'importation  et  61  à  l'expor- 
tation :  en  1864  ,  il  n'était  plus  que  de  98  millions  ,  dont  51  à  l'importation  et  47  à 
l'exportation.  Les  dernières  années,  soit  à  cause  de  plus  d'exactitude  dans  les  statis- 
tiques ,  soit  par  suite  d'une  diminution  réelle  dans  les  transactions,  présentent  des 
chiffres  bien  moins  forts.  L'exercice  1883-85  a  donné  à  l'exportation  7,800,000 
gourdes  (1)  (à  4  fr.  25) ,  l'importation  ,  6  millions ,  total  :  13,800,000  ,  soit  .58  millions 
de  francs  :  l'exercice  1885-86,  à  l'importation  ,  4,900,000  gourdes  ,  et  à  l'exportation  , 
7,550,000,  total  :  12,500,000,  soit  53  millions  de  francs. 

M.  de  Molinari,  qui  est  un  libre-échangiste  enragé,  exprime  l'avis  qu'il  se  ])0urrait 
bien  —  mais  ce  n'est ,  a-t-il  soin  d'ajouter,  qu'une  conjecture  que  les  statistiques 
ne  permettent  pas  de  vérifier  —  que  cette  diminution  du  commerce  fût  due  à 
l'élévation  nouvelle  des  droits  à  l'importation  et  à  l'exportation.  En  octobre  1863  , 
à  l'importation  ,  ces  droits ,  furent  augmentés  de  10  0,0  ;  en  1870 ,  ils  le  furent 
encore  de  10  O'O  ;  plus  tard  ,  en  août  18';2  ,  nouvelle  surcharge  de  25  0/0;  puis, 
en  1876 ,  les  dettes  auxquelles  ces  augmentations  étaient  affectées ,  se  trouvant 
éteintes,  on  rappela  tous  ces  droits  et  on  les  remplaça  par  un  droit  unique  de  50  0/0 
au  bénéfice  de  la  caisse  d'amortissement.  Enfin,  en  mars  1883  ,  un  droit  additionnel 
de  33  0,0  fut  établi  «  pour  équilibrer  le  budget  ».  A  l'exportation  ,  un  droit  extraor- 
dinaire de  20  0,0  fut  établi  en  1872,  et  renouvelé  en  1876  et  et  en  1885,  pour  garantir 
l'emprunt  dit  de  1875  ;  et  en  1884  un  droit  supplémentaire  de  100/0  fut  encore  ajouté 
sur  toutes  les  exportations.  Si  bien ,  qu'a  l'importation  ,  un  baril  de  farine  ,  par 
exemple  ,  revient  au  prix  de  3  gourdes  88  cents  ,  comme  suit  :  un  baril,  2  dollars  : 
droit  de  quai ,  0,15  ,  soit  2  d.  15  ;  50  0/0  ,  soit  1.07  ;  33  1/2  0/0  ,  0.66  ;  total  géiiéral  : 
3.88,  ou  17  fr.  50  c.  De  même  à  l'exportation,  100  livres  de  café  coûtent  1  gourde  66  ; 
plus  20  0,0,  0.33;  10  00  supplémentaires,  0.17;  total  général  :  2.16  ou  9.3J.  En 
somme,  après  le  paiement  des  droits  d'importation,  le  baril  de  farine  au  lieu  de  9fr., 
doit  être  acheté  17. .50  ;  et  les  100  livres  de  café,  après  paiement  des  droits  d'exporta- 
tion, doivent ,  au  lieu  de  7  fr.  50,  être  vendues  9.30. 


(1)  Gourdes,  dollar;?,  piastre.?  ."sont   .«yuonymes.   Cette  monnaie   vaut  de  1  fr.  iô  s   1  fr.  .^0,  a  moins  de 
baisse  due  au  papier-moniiaie. 


179  - 


les 

1S85- 


Lebudo-et  et  intimement  lié  au  commerco.  Aujourd  hui,  presque  toutes 
recettes  y^.nent  d..  droits  à  Timportation  etàTexportation.  L.s  recettes  pour!  ^ 
8?6  s'  ll^e  t  à  ,V.12,956  gourdes  ou  (a  4  fr.  2.)  so.t  27,255,000  francs  Elles  eta.ent 
n  1870-1877  de  20,618,325  fr.,  et  en  1881  ,  de  20,3i4,775  fr.  Sur  -^t.  somme  d 
0  4  2,000  gourdes,  89,000  étaient  affectées  aux  «ff^^';«^«^--?«'-<^%,f  "'^  ,'i"„' 
finan  es  et  au  commerce,  1  nùUion  096,000  à  la  guerre  et  a  la  n.aruie  981,000  à  1  n- 
Sluapoliee2^^0U'ag.cul.re,œ^^^ 

irn;:;î:£t;SSié:::tri^5oUg^:u^ 

•      :    liment,  460,000  à  la  Banque  d'Haiti ,  320,000  en  ^0'.- u    ..e^^^-^ 
V,  Hl.nt  du  commerce  ,  800,000  aux  feuilles  d'appointements  (1),  1,400,000  pour 
L^ri:^:ursemenrd:^^  PO-  le  service  des  indemnités,  et 

^^^£^rrr;Zen.nt  semble  fait,  depuis  quelques  années,  d'une  façon 
nss^ri^oureuse.  C'est  là  bon  symptôme  qui  rend  quelque  peu  courage  aux  amis 
dHalu  Si  ce  pays  était  débarrassé  des  révolutions  et  se  n,etta.t  couragcusemen  ta 
exnU  ;r  es  rSsses  dont  il  regorge,  il  serait  bientôt  en  pleine  opulence.  «  ■  ai  ht 
M  C^er  ?aint-John,  parcou^  presque  tout  le  globe,  et  je  P-«  ^^^^^  ^-1'  >- 
nulfe  part  une  île  aussi  belle  que  Saint-Domigue.  Aucun  pays  ne  possède  une  plus 
o-;!nde  pu  "ance  de  production  :  aucun,  u,ie  plus  grande  van  té  de  sol,  de  clunats 
5  Inrod  uts.  »  Poui  frer  parti  de  tout  cela,  il  ne  faudrait  qu'un  premier  et  vig^m- 
^ux  effort  de  l'étranger.  La  France,  qui  a  conquis  Saint-Donangue,  qui    a.  au  s.ec  e 

NoTre  1  TssLance  efficace  de  ses  capitaux  et  de  son  industrie  ,  ou  ses  capitalistes  et 
ses    loéTeu  Hront  établir  à  Hait;  un  réseau  de  télégraphes  et  de  chenuns  de  fer 
ilt.lCdeTusines  à  café,  exploiter  les  forêts  de  bois  précieux,  sans  parler  des 
.^t  s  tnine'aleï  elle  v  retrouvera  au-delà  de  ce  qu  elle  a  perdu  h  Saïut-Donnngue 
r  ^eXt  X  îera  bien^le  se  hâter.  Si  les  prêtres  et  les  religieux  sont  en  train  de 
S^"  t  0      1  t    moiv^^  d'Haïti,  les  Allemands  commencent  à  en  faire  la  conque  e 
"o  lique  ei  financière. . .  Nous  avons  sans  doute  une  avance  consi^-fj;  J-^^ 
Allemands;  nous  possédons  toutes   les  sympathies  de  la  POP^I'-^^^O-^  '  "°"^  J^^.'^^^^t 
entre  nos  mains  le  culte  et  l'éducation  et,  en  grande  partie  encore,  le  culte  exteneur 
n'a"  revenons-nous  de  la  fable  du  Licure  et  de  la  Tortue  et  ne  nous  atcardons 
pas  en  chemin.  » 

l,a  ..o«<Iîli«..  l.«.«eo«c  .1..  Brésil.  -  Le  Brésil  atlire  aujourd'hui  toiit 

pa  "u'ient  la.t'cnt.ou  d„  moude  co,™„ercial  et  ^'^"'^^^^^1 

i„„  l'immense  développement  de  ses  côtes  sur  1  océan  Atlantique,  la  eit.uteae 

plùslèrs  de  set  provinces,  ses  innombrables  ricbesses  naturelle,,  le  sucées  soudarn 


deb„,,«.  ,.l.ntpo»rspécl.m«d.,nHe,.«6o„v.r„  »..t  s,      prac.1^^^^^^^^^^ 
cepter,  comme  il  accepterait  des  crocodiles  empailles  !  »  (Moliuan ,  op.  cl.,  p.  M-, 


L 


-  180  - 

et  prodigieux  de  certains  de  ces  produits  et  la  place  qu'ils  tiennent  sur  les  marchés 
du  monde  entier ,  le  bonheur  exceptionnel  qu'il  a  eu  de  rencontrer  une  forme  de 
gouvernement  et  un  prince  qui  depuis  des  années  lui  ont  assuré,  parmi  les  révolu- 
tions des  pays  voisins  ,  la  sécurité  et  la  prospérité  ,  l'avenir  enfin  que  certains  lui 
prédisent  et  les  spéculations  qu'on  bâtit  sur  cet  avenir,  toutes  ces  causes  ont  excité 
la  curiosité  ,  mieux  que  cela  ,  l'intérêt  des  voyageurs  ,  des  économistes  et  des  finan- 
ciers, et  déterminé  dans  ce  pays  de  nombreuses  et  sérieuses  investigations  sur  ses 
ressources,  sur  leur  utilité  et  le  meilleur  moyen  d'en  tirer  parti.  Parmi  les  voya- 
geurs les  plus  récents  et  les  plus  dignes  de  foi ,  deux  Anglais  ,  deux  ingénieurs, 
M.  James  W.  Wells  ,  qui  vient  d'écrire  ses  impressions  dans  un  livre  Three  thou- 
snnd  j)iiles  th)-o^(ffh  Brazil  {2  Yo\.  in-8") ,  qui  a  fait  quelques  bruits  à  Londres  ,  et 
M.  Hastin^s  Charles  Dent  ,  autenv  de  A  year  in  Brazil,  édité  récemment  dans  la 
même  ville,  et  un  Français,  bien  connu  à  la  Société  de  Géographie  de  Lille,  M.  Gou- 
dreau,  dans  son  récent  ouvrage^Voyage  à  travers  les  Guyanes  et  l'Aniazonie,  nous  ont 
livré  récemment  le  récit  de  leurs  observations  dans  différentes  provinces  du  Brésil. 
Chez  tous  trois  le  but,  ou  plutôt  l'absence  de  but  est  identique:  ils  écrivent  sans  aucune 
préocupation  de  personnes  ou  de  pays.  11  est  même  assez  curieux  de  voir  chacun 
d'eux  censurer  rigoureusement  leurs  administrations  ,  leurs  agents  ou  leurs  compa- 
triotes respectifs.  Chez  tous  trois,  il  y  a  le  désir  de  raconter  ce  qu'ils  ont  vu,  et  seu- 
lement ce  qu'ils  ont  vu,  et  la  même  défiance  des  généralisations  imprudentes  ou  des 
assertions  sans  preuves  ;  chez  tous  trois  ,  enfin  ,  il  y  a  une  sincère  adniiration  de  ce 
pays  ,  avec  ,  quoique  à  des  degrés  inégaux  ,  la  confiance  en  ses  destinées.  J'ajoute 
que  tous  trois  semblent  avoir  une  haute  compétence.  Peut-être  I\I.  Wells,  à  cause  de 
son  séjour  plus  prolongé,  mérite-t-il  une  confiance  particulière,  quand  il  s'agit  d'opi- 
nions basées  sur  l'expérience  personnelle  Mais  les  trois  ouvi'ages  sont  riches  de 
faits,  de  documents  puisés  aux  meilleures  sources,  et  témoignent  de  vastes  connais- 
sances techniques.  Les  appendices  des  deux  auteurs  anglais  et  certains  chapitres  de 
M.  Coudreau  renferment  sur  la  flore,  sur  le  climat ,  sur  la  valeur  économique  du 
Brésil,  etc.,  les  renseignements  les  plus  détaillés  et  les  plus  intéressants. 

Le  Brésil  est  un  vaste  triangle  dont  la  superficie  est  de  plus  de  8  millions  de  kilo- 
mètres carrés,  c'est-à-dire  seize  fois  plus  considérable  que  celle  de  la  France.  L'océan 
Atlantique  le  baigne  à  l'Est  sur  une  longueur  de  plus  de  2,000  lieues  ;  il  y  découpe 
des  baies  magnifiques  comme  celle  de  Rio  Janeiro  ,  qu'on  dit  la  plus  belle  et  la  plus 
pittoresque  du  monde  entier,  et ,  grâce  à  la  facilité  des  communications  ,  a ,  sur  une 
profondeur  qui  varie  de  25  à  100  lieues,  développé,  en  peu  d'années,  par  l'agriculture 
et  le  commerce,  presque  tout  le  long  des  côtes,  une  véritable  richesse.  Comme  dans 
tous  les  pays  équatoriaux,  il  y  a  deux  saisons  :  la  saison  des  pluies,  d'octobre  à  mai, 
avec  les  ondées  intermittentes  d'aviil ,  et  la  délicieuse  accalmie  de  mars  ;  la  saison 
sèche,  de  juin  à  septembre.  La  température  varie  nécessairement  beaucoup  dans  un 
pays  aussi  vaste,  surtout  de  forme  aussi  allongée  du  Nord  au  Sud.  M.  Wells  donne 
comme  température  minima  à  Rio-de-Janeiro,  dans  les  années  1880  à  1884,  50  degrés 
Farenheit ,  18  centigrades  (l^'  septembre  1882),  et  comme  maxima  90"  50,  55  centi- 
grades (27  janvier  1880)  ;  dans  les  villes,  le  long  de  la  côte,  la  chaleur  est  plus  forte, 
sans  devenir  jamais  excessive  ;  dans  la  montagne,  on  trouve  une  fraîcheur  très 
agréable.  La  moyenne  thermométrique  de  l'empire  semble  être  de  27"  centigrades. 
Le  climat  est  salubre.  La  mortalité  à  Rio-de-Janeiro  (ville  et  environs),  qui  n'est  pas, 
tant  s'en  faut,  l'endroit  le  plus  salubre  du  Brésil ,  est  d'environ  25  pour  mille,  à  peu 
près  comme  à  Paris  ;  et,  chose  qui  n'étonnera  pas  ceux  qui  suivent  d'un  peu  près  ks 
statistiques  des  causes  de  décès,  ce  n'est  pas  la  fièvre  jaune  tant  redoutée  qui  fait  le 
plus  de  victimes.  En  1885,  sur  10,182  décès  ,  1,754  étaient  dus  à  la  phtisie  ,  1,624  à 
des  causes  diverses,  1,232  aux  maladies  de  cœur,  TO'3  à  des  accouchements  malheu- 


-  18i  — 

peux,  654  à  la  bronchite,  581  à  des  maladies  des  voies  digestives,  555  k  des  maladies 
de  la  iiioelle,  545  aux  fièvres  pernicieuses  diverses,  480  à  l'apoplexie,  374  à  la  fièvre 
jaune,  etc.  La  fièvre  jaune  semble  varier  d'intensité  proportionnellement  avec  la 
chaleur  ;  toutefois  une  hygiène  meilleure  et  un  traitement  plu»  efficace  semblent 
devoir  réduire  chaque  année  le  nombre  des  décès  qu'elle  cause.  Elle  avait  entraîné, 
en  1878  ,  1,174  décès  ;  en  1879  ,  974;  en  1880  ,  1433  ;  en  1881  ,  912  :  en  1882  ,  95  ;  en 
18S3,  1336  ;  en  1884  ,  618  ;  en  1885 ,  374.  Mais  la  décroissance  est  encore  bien  plus 
marquée  par  les  statistiques  sur  l'ensemble  des  fièvres  pernicieuses.  Les  chiffres  des 
décès  dus  à  ces  fièvres  ont  été  (toujours  à  Rio-deJanciro) ,  en  1878  ,  de  4,562  ;  en 
1879,  de  2,147  ;  en  1880,  de  2,415  ;  en  1881,  de  1,871  ;  en  1882,  de  1,781  ;  en  1883,  de 
3,963  ;  en  1884,  de  1,440  ;  en  1885,  de  1,342.  Ces  décès,  ceux  surtout  provenant  de  la 
fièvre  jaune,  sont  dus  le  plus  souvent  à  l'imprudence  des  victimes.  Dans  l'ensemble 
des  maladies  ,  les  indigènes  figuraient ,  en  1885  ,  pour  7,000  et  les  étrangers  pour 
3,000,  soit  10,000  sur  400,000  (Rio  ,  ville  et  environs)  :  dans  ce  nombre  ,  si  les  statis- 
tiques sont  dignes  de  foi ,  on  comptait  9,881  hommes  libres  et  seulement  301 
esclaves. 

La  population  du  Brésil  est  d'environ  12  millions  d'habitants  ,  peut-être  13  ,  repré- 
sentés par  trois  races  :  la  race  caucasienne,  la  race  noire  et  les  métis,  chacune  à  peu 
près  pour  un  tiers  ;  de  plus,  il  resterait  quelques  centaines  de  mille  aborigènes.  Dans 
ces  12  millions,  les  esclaves  figurent  pour  1,100,000.  La  mort  et  les  afl'ranchissements 
ont  réduit,  depuis  1871,  de  500,0001e  nombre  des  esclaves,  et  depuis  1871  également, 
une  loi  déclare  libre  tout  enfant  qui  naît.  Le  traitement  que  les  esclaves  reçoivent 
de  leurs  maîtres  ,  dit  M.  Dent ,  quoi  que  l'on  puisse  nous  raconter  en  Europe  ,  est 
très  humain  et  même  assez  souvent  familier  et  amical ,  et  le  serait  bien  davantage 
encore  sans  les  socialistes  et  les  épouvantables  conseils  qu'ils  donnent  aux  esclaves  : 
assassiner  les  maîtres,  violer  leurs  filles  et  détruire  leurs  biens.  D'ailleurs  ,  les  trois 
races  ,  que  réunit  la  communauté  de  religion  ,  vivent  à  l'ordinaire  en  bonne  intelli- 
gence et  à  peu  près  dans  des  conditions  et  avec  des  chances  égales.  Les  blancs  sont 
plus  civilisés  et  plus  riches  ;  mais  les  noirs  sont  plus  prolifiques  ;  «  quant  aux  métis, 
dit  M.  Dent ,  ceux  que  j'ai  rencontrés  ,  sont  non  seulement  très  intelligents  ,  mais 
très  instruits,  et  particulièrement  versés  dans  la  connaissance  des  langues  ». 

Dans  la  race  blanche,  figurent  à  peu  près  300,000  étrangers  ,  immigrants  établis  à 
demeure.  Le  gouvernement  brésilien  a  ,  jusqu'ici ,  non  seulement  très  bien  accueilli 
ces  immigrants,  mais  il  fait ,  pour  les  attirer  ,  des  dépenses  s'élevant  à  plus  de  100 
millions  de  francs  ,  et  il  leur  distribue  des  terres.  Toutefois  ,  MM.  Dent  et  Wells 
disent  tous  deux ,  l'un  ,  que  l'immigration  n'est  pas  établie  sur  un  pied  scientifique 
et  que,  sauf  des  terres,  on  n'accorde  aux  immigrants  aucun  avantage  qui  puisse  leur 
faire  préférer  le  Brésil  aux  États  -  Unis  du  Nord  ,  par  exemple  ,  et  à  la  République 
Argentine  ;  l'autre ,  que  ces  inmiigrants  se  trouvent  répartis  seulement  le  long  des 
côtes  de  l'Atlantique  ,  et  que  le  Brésil  semble  se  flatter  de  l'idée  folle  que  les  vastes 
espèces  de  l'intérieur  pourront  être  mis  en  valeur  sans  le  secours  de  l'immigration. 
Quoi  qu'il  en  soit,  cette  immigration,  sans  être  en  rapport  avec  l'immensité  du  pays 
à  civiliser,  est  considérable  ,  et  jusqu'à  ces  dernières  années  ,  allait  toujours  en  aug- 
mentant. L'immigration  atteignait .  en  1870,  le  chiffre  de  9,123  personnes  ;  en  1871  , 
de  12,.331  ;  en  1872,  de  18,441";  en  1873 ,  de  14,931  ;  en  1877  ,  de  29,027  ;  en  1878 ,  de 
22,423  ;  en  1882  ,  de  25,845  ;  en  1883 ,  de  30,000  ;  en  1884  ,  de  10,608.  Parmi  ces  der- 
niers, figuraient  8,683  Portugais,  5,933  Italiens  ,  1,240  Allemands  ,  598  Autrichiens  , 
576  Espagnols,  155  Français.  Les  contingents  respectifs  des  divers  pays  d'Europe 
varient  d'ailleurs  notablement  :  en  1882  ,  il  y  avait ,  sur  25,000  immigrants  ,  15,500 
Italiens,  9,200  Portugais,  3,700  Espagnols,  1,-570  Allemands,  249  Français.  L'élément 
dominant  est  l'élément  Portugais,  puis  les  Allemands.  Il  y  a  au  Brésil  plus  de  150,000 


—  182  — 

Portugais  et  peut-être  100,000  Allcniauds.  Les  Portugais  sont  répartis  un  peu  par- 
tout ;  les  Allemands  sont  surtout  concentrés  dans  la  province  de  Rio-Grande-do-Sul, 
où,  dans  la  ville  de  Sao-Leopoldo  et  les  environs  ,  ils  sont  au  nombre  de  60,000.  Ils 
ne  semblent  pas  avoir  su  ,  comme  aux  Etats-Unis  ,  se  fondre  avec  la  population 
indigène  ,  qui  est  d'ailleurs  très  jalouse  des  étrangers  ,  d'autant  plus  que  ceux-ci  ont 
plus  de  succès.  A  Porto-Alegre  ,  raconte  M.  Wells,  un  Allemand  ayant  gagné  à  une 
loterie  un  lot  de  200,000  milreis  (à  2  fr.  84)  les  indigènes  mirent  le  feu  chez  lui.  La 
source  de  cette  irritation  vient  sans  doute  de  ce  que  les  Allemands  ont  su  s'assurer 
les  meilleures  terres  et  en  tirer  bon  parti.  Mais  elle  ne  saurait  durer ,  et  la  majorité 
de  la  population  brésilienne  désii-e  voir  continuer  et  même  s'accroître  l'immigration 
d'une  race  énergique  et,  en  somme,  loyale  envers  le  Brésil. 

Les  Anglais  sont  peu  nombreux ,  mais  ils  ont  pris  une  situation  prépondérante 
dans  les  chemins  de  fer  comme  constructeurs  ou  exploitants.  Les  Français  sont 
surtout  en  Amazonie.  On  appelle  Amazonie  deux  des  quatre  grandes  provinces  du 
Brésil,  celle  d'Amazone  et  celle  de  Para  :  les  deux  autres  sont  celle  de  Mato  Grosso 
et  celle  de  Minas  Geraes,  la  plus  peuplée  des  quatre,  centre  des  mines  d"or  et  autres 
et  qui  aujourd'hui  en  est  arrivée  à  chercher  la  richesse  dans  Tagriculture  plus  que 
dans  l'exploitation  des  gisements  miniers.  L'Amazonie  est  une  vaste  ,  une  immense 
forêt,  qui  mesure  un  peu  moins  de  la  moitié  de  l'empire  :  des  fleuves  innombrables 
la  sillonnent  en  tous  sens  :  M.  Wiener,  l'explorateur  que  nous  avons  entendu  avec 
tant  de  plaisir,  il  y  a  quelques  années,  à  Lille  et  à  Roubaix,  disait,  devant  la  Société 
de  géographie  de  Paris,  que  le  fleuve  Amazone  compte  1,200  affluents  ,  presque  tous 
réunis  entre  eux  par  des  canaux  (furos),  sortes  d'arroyos  naturels,  et  la  publication 
intitulée  ^e  Brésil  à  l'Exposition  de  Saiitt-Pétersbourr/,  dit  que  l'ensemble  de  ces 
cours  d'eau  offre  43,000  kilomètres  navigables  pour  les  bateaux  à  vapeur.  Avec  cette 
masse  d'eau  ,  l'Amazonie  n'en  est  pas  moins  un  climat  très  sain,  et  qui,  en  dépit  des 
moustiques  et  autres  insectes  ,  passionne  et  retient  tous  ceux  qui  y  sont  allés. 

L'Amazonie  est  d'une  richesse  prodigieuse.  Les  produits  principaux  sont  la  salse- 
pareille, le  cacao,  et  surtout  le  caoutchouc  qui  est  en  train  de  faire  de  l'Amazonie  ce 
que  l'or  a  fait  de  l'Australie.  C'est  par  milliards  de  francs  ,  dit  M.  Coudreau  ,  qu'il 
faut  évaluer  les  produits  spontanés  qui  se  perdent  faute  de  bras.  La  population  de 
l'Amazonie  était,  eu  1871  ,  d'euvn-on  330,000  habitants  :  elle  est  actuellement  d'envi- 
ron 600,000  (1/5  habitant  par  kilomètre  carré).  La  navigation  du  fleuve  a  été  ouverte 
en  1867.  De  1868  à  1882,  l'exportation  a  augmente  de  700  0/0  ;  elle  est  aujourd'hui 
d'environ  80  millions  de  francs.  La  navigation  à  vapeur  qui  a  pris  un  développement 
inouï,  a  amené  la  création  d'une  capitale,  la  ville  de  Manaos  ,  la  merveille  du  Rio- 
Negro  et  de  l'Amazonie.  Aujourd'hui ,  aucune  autre  ville  de  l'empire  et  peut-être  de 
l'Amérique  du  Sud ,  ne  possède  un  plus  magnifique  réseau  de  navigation  à  vapeur. 
Elle  paie  pour  cela  des  subventions.  La  Compagnie  de  V Amazone  ,  qui  a  d'innom- 
brables services  ;  la  Compagnie  de  Manaos  ;  la  Red  Cross  Line,  qui  va  de  Manaos  à 
Liverpool,  vid  Para,  Lisbonne  et  le  Havre  ;  la  Booth  Line,  qui  va  de  Manaos  à  New- 
York  :  la  Companhia  Brazileira,  de  Rio  à  Manaos  par  Para,  touchent  ensemble  des 
subventions  de  6  à  700,000  francs  ;  mais  c'est  là  de  l'argent  bien  placé  :  de  1878  à 
1884 ,  les  revenus  tant  impériaux  que  provinciaux  ,  ont  passé  de  1,031,158  à 
2,355,657  milreis. 

Cette  vaste  et  admirable  région  ,  le  gouvernement  ne  semble  pas  avoir  tenté  de 
l'ouvrir  aux  étrangers  ;  c'est  déjà  ce  que  reniarquent  M.  Dent  et  ]M.  Wells  pour  l'in- 
térieur du  pays.  «  Il  est  certain  ,  dit  M.  Coudreau  ,  qu'on  ne  pourrait  pas  citer  un 
seul  fait ,  un  seul  ordre  du  gouvernement ,  tendant  à  faire  affluer  l'émigTation  vers 
les  deux  provinces  du  Nord. . .  Épris ,  avec  exagération  peut-être ,  de  la  colonisation 
allemande,  il  s'est  désintéressé  de  l'Amazonie  en  pensant,  ce  qui  est  d'ailleurs  exact, 


—  iS'S  — 

qu'elle  était  impropre  à  la  colonisation  alleinande.  Mais  des  immigrants  de  race 
latine,  Portugais,  Français,  Italiens  et  autres,  ne  pourraient-ils  pas  s'y  acclimater?  » 
Nos  compatriotes  ont  pris  en  Amazonie  une  situation  considérable.  Notre  langue  se 
parle  à  Manaos  ,  à  Para,  tout  à  fait  couramment  :  elle  est  enseignée  dans  les 
écoles  et  réellemcint  apprise  ;  les  journaux  s'en  servent ,  même  parfois  le  commerce. 
Mais  ce  n'est  pas  seulement  notre  langue  qui  a  passé  là-bas  ;  une  belle  colonie  fran- 
çaise y  est  établie  «  Il  est  difficile  d'en  faire  un  recensement  exact,  nos  compatriotes 
répugnent  de  se  fEÙre  enregistrer  au  consulat  ;  mais,  se  basant  sur  des  renseigne- 
ments pris  auprès  des  principaux  conmierçants  de  la  contrée  ,  il  semble  qu'on  puisse 
actuellement  fixer  à  400  le  nombre  des  Français  se  trouvant  dans  la  province  de 
l'Amazonie,  contre  200  dans  celle  de  Para.  Ce  chiffre  de  600  Français  ,  presque  tous 
notables,  constitue  une  forte  proportion. . .  Les  autres  colonies  anglaise,  allenjande, 
américaine,  italienne  sont  beaucoup  moins  importantes.  »  Nos  stations  sont  notam- 
ment Solimoens  ,  Jurua  ,  Madura,  Purus  ,  Javari ,  Rio-Negro.  Il  faut  ajouter  aux  600 
Français  150  à  200  Israélites  espagnols  et  marocains  qui  parlent  tous  français  et  se 
réclament  de  la  France.  Nos  compatriotes  ne  font  pas  tous  le  commerce.  Quelques- 
uns  sont  des  agTiculteurs,  de  petits  industriels  ,  exploitant  le  caoutchouc ,  distillant 
la  sucre  ,  armant  et  louant  des  bateaux  à  vapeur.  Parmi  les  commerçants  ,  M.  Gou- 
dreau  cite  une  maison  qui  fait  des  affaires  considérables  par  le  procédé  suivant.  Elle 
a  une  vingtaine  déjeunes  gens  choisis  ,  qui  voyagent  dans  l'intérieur  ,  et  à  qui,  sur 
la  simple  garantie  de  leur  solvabilité  ,  elle  confie  ,  moyennant  commission  ,  20  ou 
30,000  francs  de  marchandises.  Au  bout  de  huit  ou  neuf  mois  d'absence  ,  ce.s  voya- 
geurs reviennent,  puis  recommencent  encore  et  finissent  par  s'établir  à  leur  compte. 
Au  total,  dit  M.  Goudreau,  la  France  a  fait,  en  1885  ,  avec  l'Amazonie,  un  commerce 
de  50  milUons  de  francs.  Quel  progrès  en  peu  d'années  ! 

Au  reste,  l'empire  tout  entier  a,  sous  ce  rapport ,  fait  de  grands  progrès.  En  1870- 
71,  l'importation  était  de  137,  et  l'exportation  de  100,  soit  au  total  30i  millions  de 
milreis  (à  2  fr.  84)  ;  en  1871-72,  ces  chiffres  étaient  respectivement  158  et  193,  total  : 
351  ;  en  1872-73  ,  156  et  215  ,  total  :  372  ;  en  1879-80,  172  et  221 ,  total  :  394  ;  en  1880- 
81, 180  et  233  ,  total  :  414  ;  en  1881-82  ,  184  et  216  ,  total  :  400  ;  en  1882-83  ,  185  et 
195 ,  total  :  380  ;  en  188'3-84  ,  194  et  202 ,  total  :  394.  Il  y  a  là  une  légère  décroissance 
dont  les  motifs  sont  l'élévation  des  droits  de  douanes  ,  la  fermeture  des  ports  brési- 
liens par  le  choléra ,  et  la  création  à  grand  renfort  de  primes,  d'industries  protégées. 
Dans  ce  commerce  ,  l'Angleterre  prenait ,  en  1882  ,  51  0/0  à  l'importation  et  45  0,0  à 
Texportation  ,  soit  48  0,0  en  moyenne  ;  la  France  19  0/0  et  13  0,'0,  soit  16  0,0  ;  les 
États-Unis  4.5  et  20  0/0  ,  soit  12  0,0  ;  l'Allemagne  et  l'Autriche  5.2  et  3.4  0/0  ,  soit 
4.3  0/0  ;  le  Portugal  5  et  4.7  0/0  ,  soit  4.87  0,0.  Ge  sont  là,  d'ailleurs,  des  proportions 
qui  ont  dû. ,  en  quelques  années  ,  notablement  changer.  L'Allemagne  a  pris  une 
avance  énorme  dans  cette  pai'tie  du  monde  comme  dans  les  autres.  Le  consul  d'An- 
gleterre à  Santos  a  signalé  à  maintes  reprises  l'invasion  de  son  district  par  les  pro- 
duits allemands.  Ç'avaient  n'abord  été  la  poterie  et  la  verrerie  ;  en  1886,  il  signale  la 
coutellerie  et  les  objets  en  acier.  «  J'allai,  dit-il,  un  jour,  acheter  dans  un  vaste  maga- 
sin une  paire  de  ciseaux.  —  Sûrement,  fis-je  au  marchand ,  voilà  des  ciseaux  qui  ne 
sont  pas  de  fabrique  anglaise  ?  —  Non  !  monsieur ,  ils  sont  allemands.  —  Mais  j'en 
préférerais  de  fabrique  anglaise.  —  Nous  n'en  avons  pas.  —  Gonmient  !  pas.  Mais 
ne  m'avez-vous  pas  dit.  il  y  quelque  temps  ,  que  vous  ne  vous  fournissiez  dans  ce 
genre  que  de  marchandises  anglaises  ,  les  marchandises  étrangères  étant  très  infé- 
rieures ?  —  Cela  est  vrai ,  mais  depuis  peu,  nous  avons  changé  d'idée.  Lue  grande 
maison  d'importation  allemande  est  venue  récemment  s'établir  à  Sao-Paulo,  avec  un 
vaste  assortiment  de  coutellerie  allemande  qu'elle  distribua  dans  toutes  les  villes  de 
l'intérieur.  Ces  objets  allemands  ne  valent  certainement  pas  comme  qualité  et  comme 


-  184  — 

fini  les  similaires  anglais  ;  mais  ils  coûtent  75  0/0  de  moins.  Les  marchands  au 
détail  n'ont  plus  vu  demander  que  de  ceux-là  ;  et  jjour  faire  des  affaires  ,  nous  avons 
été  forcés  de  faire  de  grands  achats  de  coutellerie  allemande  ,  à  l'exclusion  des 
produits  anglais  »  M.  Coudreau  donne  les  mêmes  indications  pour  certains 
produits  français.  La  produit  allemand  envahit  tous  les  pays  à  cause  de  son  extrême 
bon  marché. 

Or  ,  par  ce  temps  de  protectionnisme  .  au  Brésil  comme  ailleurs  ,  il  n'y  a  que  le 
produit  bon  marché  qui  puisse  passer  par  dessus  les  droits  élevés  dont  on  le  frappe. 
Le  Brésil  ,  après  l'Europe  ,  s'est  dit,  comme  les  États-Unis  ,  qu'ayant  chez  lui  tous 
les  produits  naturels,  il  serait  naïf  de  les  acheter,  une  fois  travaillés,  aux  vieux  pays 
industriels.  Le  danger  de  ce  raisonnement  est ,  qu'à  leur  tour  ,  les  pays  industriels 
peuvent  chercher  ailleurs  les  produits  naturels.  Il  est  parfaitement  admissible  qu'un 
jour  le  coton,  qui  a  réussi  dans  l'Inde  ,  réussisse  aussi  eu  Indo-Chine  ,  en  Australie  , 
etc.,  et  qu'alors  la  France,  l'Angleterre  s'en  approvisionnent  non  plus  aux  Etats-Unis 
ou  au  Brésil,  mais  chez  elles,  dans  leurs  propres  colonies.  Mais  tout  cela  est  encore 
loin  ;  le  Brésil  ne  s'occupe  que  du  présent ,  il  veut  tirer  le  meilleur  parti  de  ses 
ressources,  et  il  faut  avouer  que  de  moins  grandes  richesses  peuvent  faire  tourner 
des  têtes  plus  solides. 

Le  Brésil  est,  en  effet,  comblé  de  tous  les  produits  naturels.  Le  café,  le  coton  ,  la 
canne  à  sucre  ,  qui  occupent  les  deux  tiers  des  cultures,  y  viennent  exceptionnelle- 
ment bien,  ainsi  que  le  blé,  le  riz,  l'ananas  ,  la  banane  ,  le  cocotier.  La  moyenne  de 
rendement  par  unité  qui  est  de  20  en  Europe  ,  serait  au  Brésil  de  30  à  60.  Le  Brésil 
fournit  la  moitié  du  café  du  monde  entier  :  360  millions  de  kilos  sur  660  millions.  Et 
sans  la  dépréciation  considérable  qui  a  atteint  ce  produit ,  ce  serait  pour  lui  une 
source  inépuisable.  La  canne  à  sucre  est  également  très  avantageuse.  Un  homme 
peut  à  lui  seul  eu  exploiter  deux  hectares,  il  gagne  3,000  à  4,000  francs  par  an  ,  en 
calculant  la  vente  sur  le  pied  de  19  fr.  les  1,000  kilos.  .J'ai  parlé  plus  haut  des 
richesses  de  l'Ama/.onie  :  le  caoutchouc,  la  gomme  copal,  les  ré.sines.  30  millions  de 
têtes  de  bétail.  Outre  les  produits  agricoles ,  d'autres  produits  naturels  de  toute 
valeur  :  des  pierres  précieuses  comme  le  diamant ,  le  cristal  de  roche  ,  l'or  de  Minas 
Geraes,  le  granit  et  le  marbre,  la  houille,  le  salpêtre,  l'alun,  le  sel  gemme  ;  des  dépôts 
de  phosphate  de  chaux  aux  îles  Fernando  de  Norouha  ,  évalués  à  1.300,000  tonnes  : 
le  cuivre,  etc.,  etc. 

Jusqu'ici  le  Brésil  s'était  contenté  de  vendre  ces  produits  et  il  avait  fait  ainsi  des 
opérations  très  lucratives.  En  1840  ,  il  exportait  du  café  pour  20  millions  de  milreis , 
lu  sucre  pour  10 ,  du  coton  brut  pour  4  ,  des  cuirs  pour  2 ,  du  caoutchouc  pour 
200,000  milreis  ,  d'autres  produits  encore  pour  2  millions  ;  en  1881  ,  en  dépit  de  la 
baisse  des  prix  ,  cette  exportation  était  pour  le  café  de  126  millions  de  milreis  ,  pour 
le  sucre  de  25  ,  pour  le  coton  de  5  ,  pour  les  cuirs  de  8  ,  pour  le  caoutchouc  de  11 , 
pour  les  autres  produits  de  41  ;  et  en  1885  ,  elle  était  encore  ,  malgré  une  baisse  per- 
sistante ,  pour  le  café  de  105  millions  de  milreis  ,  pour  le  sucre  de  32  ,  pour  le  coton 
de  8 ,  pour  les  cuirs  de  8  ,  pour  le  caoutchouc  de  11  millions.  Mais  ,  depuis  peu  ,  la 
possession  de  tous  ces  produits  naturels  a  inspiré  au  Brésil  le  désir  de  les  exploiter 
lui-même.  Il  a  fondé  ou  subventionné  des  fabriques  de  sucre  et  de  coton  et  construit 
des  chemins  de  fer  pour  en  assurer  l'écoulement ,  etc.  Les  manufactures  de  coton , 
au  nombre  de  60,  réussissent  fort  bien  ,  d'autant  mieux  qu'elles  sont  plus  loin  de  la 
côte  ,  le  coton  et  la  main-d'œuvre  y  étant  moins  cher.  Il  en  est  autrement  des 
fabriques  de  sucre.  Dans  14  provinces  ,  il  existe  plus  de  50  usines  centrales  ,  repré- 
sentant un  capital  de  120,000,000  de  francs ,  auquel  le  gouvernement  garantit  un 
intérêt  de  6  à  7  0/0,  et  malheureusement  la  garantie  doit  fonctionner ,  car  ces  entre- 
prises subventionnées  ne  sont  pas  heureuses  ,  non  plus  d'ailleurs  que  les  entreprises 


-  185  — 

privées.  Les  chomiiis  de  fer  brésiliens  ont  été  construits  ou  par  l'entreprise  privée 
(en  grande  partie  par  des  Anglais)  ou  par  le  gouvernemont  ;  d'autres  sont  subven- 
tionnés parles  provinces  ;  une  Conipagnie  est  française.  La  longueur  en  exploitation 
était,  en  1885  ,  de  7,000  kilomètres;  en  const'-uction  ,  de  1.300  kilomètres  ,  et  en 
projet,  de  5,000  kilomètres.  Plusieurs  de  ces  lignt  s  donnent  de  l)eaux  dividendes  ; 
cependant,  d'après  un  tableau  dressé  par  M.  Wells  ,  un  certain  nombre  sont  chaque 
année  en  déficit,  et  ce  qui ,  d'après  ce  même  tableau  ,  semble  indiscutable  ,  c'est  que 
depuis  deux  ans  le  longueur  de  voies  en  projet  a  été  réduite. 

Cela  ne  saurait  nous  étonner.  Le  Bré.sil  est  sillonné  par  d'innombrables  lleuves. 
Ces  fleuves  se  répartissent  en  trois  grands  bassins  :  celui  çle  l'Amazone  ,  celui  des 
fleuves  qui  coulent  à  l'Est  vers  l'Atlantique,  celui  des  fleuves  qui  coulent  au  Sud. 
Ces  fleuves  sont  presque  tous  navigables  pour  les  bateaux  à  vapeur  ,  et  j'ai  donné 
l'énorme  développement  de  l'Amazone  et  de  ses  affluents  qui  sont  dans  ce  cas.  Les 
chemins  de  fer  brésiliens  n'ont  donc  d'autre  objet  que  de  réunir  ces  bassins  et  de 
desservir  certains  points  de  la  côte.  Toutefois ,  les  distances  sont  telles ,  que  ce 
seraient  encore  là  d'énormes  longueurs  de  voies  ferrées  :  l'obstacle  véritable  à  la 
construction  est  l'état  des  finances  brésiliennes.  Depuis  1874,  pas  une  seule  année  le 
budget  n'a  été  en  équilibre.  Les  recettes  étaient,  en  1875,  de  113  millions  de  milreis 
et  les  dépenses  de  133  ;  en  1876.  109  et  1.33  ;  en  1877,  108  et  143  ;  en  1878,  120  et  161  : 
en  1879,  125  et  190  ;  en  1880,  137  et  166  ;  en  1881,  145  et  152  ;  en  1882,  149  et  156  ; 
en  1883  ,  145  et  165  ;  en  1886  ,  134  et  142.  Pour  faire  face  à  ces  dépenses  ,  il  a  fallu 
emprunter.  On  devait  déjà  beaucoup  à  l'étranger  ;  on  emprunta  à  l'intérieur.  La 
dette  étrangère  était,  en  1875  ,  de  177  millions  de  milreis  (à  2  fr.  84)  ;  elle  n'est  plus  , 
en  1885,  que  de  163,  mais  la  dette  intérieure  qui  n'était,  en  1875,  que  de  487  millions, 
est  en  1885  de  690  ,  titres  d'emprunts  ,  papier-monnaie  et  dépôts  de  caisse  d'épargne 
compris. 

Cette  situation  embarrassée  inspire  à  certains  amis  du  Brésil  de  tristes  pensées. 
JM.  Dent,  qui,  une  fois  l'empereur  Dom  Pedro  disparu  ,  voit  tout  en  noir ,  croit  à  un 
affaissement  momentané  du  crédit  brésilien.  M.  Wells  ,  au  contraire  ,  fait  remarquer 
que  le  pays  est  très  peu  taxé,  qu'il  n'a  engagé  jusqu'ici  à  ses  prêteurs  ni  revenus,  ni 
propriétés,  ni  impôts  ;  qu'il  a  d'immenses  richesses  inexplorées  ou  inexploitées,  et  il 
conclut,  comme  d'ailleurs  MM.  Coudreau  et  Dent,  que  la  colonisation  est  sa  grande 
ressource.  Il  y  a,  dit-il,  telle  contrée  oii  un  «  immigrant  travailleur  et  économe,  avec 
un  capital  médiocre  ,  mettons  une  dizaine  de  mille  francs  ,  convenablement  guidé  et 
dirigé  par  des  amis  expérimentés  ,  aurait  bien  autrement  de  chances  qu'à  suivre  le 
courant  ordinaire  de  l'immigration  aux  colonies  ou  aux  Eltats-Unis  ».  La  conclusion 
est  qu'il  faut  que  le  Brésil  fasse  la  chasse  à  l'inunigrant ,  et  qu'il  dispute  par  de 
bonnes  lois  ,  à  la  République  Argentine  et  aux  États-Unis  les  immigrants  qui  s'y 
portent  en  foule. 

Les  ressources  économiques  île  IXruguay.  —  Trois  ans  après 
que  Christophe  Colomb  eut  abordé  à  File  de  Guanahani ,  une  des  îles  du  groupe 
des  Lucayes,  le  pape  Alexandre  V,  par  une  bulle  restée  ajuste  titre  fameuse,  parta- 
geait entre  les  couronnes  unies  de  Castille  et  d'Aragon  et  la  couronne  de  Portugal 
toutes  les  terres  découvertes  ou  à  découvrir  par  les  navigateurs  des  deux  pays , 
allouant  aux  Espagnols  tout  ce  qui  serait  à  cent  lieues  à  l'ouest  des  Açores,  d'uno 
ligne  imaginaire  tirée  d'un  pôle  à  l'autre,  et  réservant  aux  Portugais  tout  ce  qui  était 
à  l'est  de  cette  ligne. 

Grotius ,  au  XVIP  siècle ,  protestait  au  nom  du  droit  des  gens  et  au 
nom  des  autres  nations  maritimes  contre  cette  main-mise  sur  un  domaine  qui 
ne  pouvait  pas    plus  appartenir  au  Saint-Père  qu'aux  deux  peuples  à  qui  il  en 

13 


—  186  — 

faisait  cadeau.  En  fait,  la  i^rotestation  était  parfaitement  inutile  ,  car  ni  les  compa- 
triotes de  Grotius  ,  ni  les  Anglais  ou  les  Français  ne  s'étaient  crus  un  seul  instant 
liés  par  la  dévolution  d'Alexandre  V  et ,  dès  1496  ,  le  roi  Henri  VIII ,  d'Angleterre  , 
avait  muni  le  Vénitien  Jean  Cabote  ou  Cabot,  de  pouvoirs  aussi  larges  que  ceux 
donnés  par  le  pape  aux  navigateurs  castillans  et  portugais.  Jean,  accompagné  de  son 
fils  Sébastien,  après  avoir  débarqué  dans  l'île  de  Terre-Neuve,  avait  reconnu  la  terre 
ferme  d'Amérique  que  Colomb  ne  vit  que  l'année  suivante  ,  de  même  qu'il  devait , 
deux  ans  plus  tard,  suivre  la  côte  des  futurs  Etats  Unis,  mais  sans  y  aborder,  depuis 
le  cap  Breton  jusqu'aux  Florides.  Six  ans  plus  tard,  la  France,  suivant  cet  exemple, 
prenait  pied  a  son  tour  sur  cette  terre,  où  elle  allait  pendant  un  siècle  et  demi  jouer 
un  rôle  si  éclatant  et  laisser,  dans  sa  défaite  même,  d'impérissables  souvenirs  ,  et  en 
1596,  un  habitant  de  Honfleur  ,  du  nom  de  Jean  Denys  ,  dressait  une  carte  du  golfe 
du  Saint-Laurent.  La  donation  d'Alexandre  V  aux  couronnes  de  Castille  et  de  Por- 
tugal était  donc  en  lambeaux  une  dizaine  d'années  à  peine  après  son  octroi ,  et 
d'ailleurs  ce  n'était  pas  à  titre  de  souverain  temporel  que  le  pape  avait  lancé  sa  bulle, 
c'était  comme  le  chef  suprême  de  la  catholicité.  Alexandre  V  se  croyait ,  en  cette 
dernière  qualité,  le  droit  de  disposer  des  nations  plongées  dans  l'idolâtrie,  de  païens 
auxquels  il  ne  reconnaissait  aucun  droit  à  la  propriété  du  sol  qu'ils  habitaient.  Il 
chargeait  les  Espagnols  et  les  Portugais  de  la  mission  de  les  convertir  à  la  foi  chré- 
tienne —  ut  fides  catholica  et  religio  christiana  (ainsi  s'exprime  la  bulle)  nostns 
prœsertim  temporibus  exultetur ,  etc.,  ac  barbarœ  nationes  deprimantur  et  ad 
fidem  ipsam  reducantur  —  et  ce  n'était  que  simple  justice  de  rémunérer,  par  le  don 
de  ces  riches  pays,  les  nouveaux  croisés. 

L'Espagne,  cependant,  non  contente  de  s'approprier  tout  le  Mexique  et  l'isthme 
central,  voyait  d'un  œil  jaloux  le  Portugal  s'installer  aux  Moluques ,  dont  les 
richesses  étaient  alors  l'objet  de  fabuleux  récits,  et  elle  avait  l'intention  de  planter 
son  drapeau,  elle  aussi,  sur  l'archipel  malais.  C'est  dans  cette  intention  qu'elle  cher- 
chait une  comiiumication  entre  les  deux  grands  océans,  et  qu'elle  chargea  de  la  trou- 
ver un  des  plus  habiles  marins  de  son  temps,  Juan  Diaz  de  Solis,  grand  pilote  de 
Castille.  Avec  deux  bâtiments  ,  Solis  quitta  le  port  de  Lope  ,  le  8  octobre  1513 ,  et 
descendant  le  littoral  sud-américain,  il  rencontra  l'estuaire  de  la  Plata,  qu'il  remonta 
jusqu'à  l'île  qui  reçut  de  lui  le  nom  de  Martin-Garcia  ,  son  second.  Solis  ,  en  débar- 
quant sur  le  rivpge  oriental ,  tomba  dans  une  embuscade  de  Charruas  et  y  laissa  la 
vie.  Le  mauvais  résultat  de  cette  expédition  parut  décourager  un  instant  les  Espa- 
gnols ;  mais ,  onze  ans  plus  tard  ,  ils  confiaient  une  expédition  analogue  à  Diego 
Garcia,  qui  mit  à  la  voile  à  la  Corogne ,  vers  le  milieu  d'août  1526 ,  et  quelques 
semaines  plus  tard,  pénétra  dans  le  rio  de  la  Plata.  II  y  fit  la  rencontre  de  Sébastien 
Cabot ,  qui  avait  quitté  l'Europe  presque  en  même  temps  que  lui ,  à  la  recherche 
d'une  communication  entre  les  deux  mers  ,  mais  que  le  manque  de  vivres  et  l'insu- 
bordination de  ses  naarins  avaient  forcé  de  ralâcher  dans  l'estuaire  de  la  Plata,  où  il 
avait  jeté  l'ancre  près  de  l'île  San-Gabriel.  Une  petite  troupe  armée  qu'il  avait  débar- 
quée pour  reconnaître  les  rives  du  rio  Uruguay  ,  avait  été  massacrée  par  les  indi- 
gènes. Cabot  prit  alors  le  parti  de  remonter  le  rio  Parana,  il  y  parvint  jusqu'au 
confluent  du  Garoana  ,  où  il  fonda  le  fort  du  Saint-Esprit,  le  premier  établissement 
des  Européens  dans  le  bassin  de  la  Plata.  C'est  sur  ces  entrefaites  que  parut  Diego 
Garcia  ,  et  suivant  les  habitudes  du  temps  ,  des  difficultés  ne  tardèrent  point  à  s'éle- 
ver entre  les  deux  commandants ,  quoique  au  service  de  la  même  cour ,  et  Garcia 
rentra  bientôt  en  Espagne.  Sébastien  Cabot,  de  son  côté,  craignant  que  Garcia  ne  le 
desservît  à  Madrid  ,  revint  dans  sa  patrie  ,  laissant  le  fort  Saint-Eprit  à  une  petite 
garnison  avec  qui  les  Indiens  vécurent  d'abord  en  parfaite  intelligence  ,  mais  qu'ils 
finirent  par  massacrer  à  l'instigation  d'un  de  leurs  caciques  qui  était  devenu  amou- 
reux de  la  femme  d'un  officier  espagnol. 


-  187  - 

Go  désastre  n'empêcha  pas  le  gouvernement  espagnol  de  songer  définitivement  à 
roccupation  du  bassin  de  la  Plata.  Don  Pedro  de  Mendoza  prit  terre  ,  au  coirinience- 
ment  de  1535 ,  sur  la  rive  occidentale  du  fleuve  et  il  y  jeta  les  premiers  fondements 
d'une  ville  qu'il  nomma  Santissima  Trinidad,  tandis  qu'il  appelait  son  port  Santa 
Maria  de  Buenos-Ayres  ou  Sainte-Marie- du-Bon-Air.  Tandis  que  les  Espagnols  occu- 
paient ainsi  le  littoral ,  plusieurs  expéditions  parties  du  Pérou  franchissaient  les 
Andes,  exploraient  et  peuplaient  l'intérieur  du  pays.  C'est  ainsi  que  furent  successi- 
vement fondées  les  villes  do  Santiago  del  Estero  en  1553 ,  de  Tucuman  en  1565 ,  de 
Cordoba  en  1573,  de  Salto  en  15(12,  de  la  Rioja  en  1591  et  de  Jujuy  l'année  suivante. 
En  même  temps,  des  explorateurs  venus  du  Chili  fondaient  les  villes  de  Mendoza  et 
de  San  Luiz.  Quelle  que  fiât  l'importance  des  provinces  de  la  Plata  et  leur  prospé- 
rité, elles  n'en  restèrent  pas  moins  de  simples  annexes  de  la  vice-royauté  du  Pérou 
jusque  vers  l'année  1776,  année  oii  elles  furent  érigées  en  vice-royauté  spéciale  avec 
Buenos-Ayres  pour  capitale.  Elle  comprenait  les  territoires  qui  sont  devenus  depuis 
les  républiques  Argentine  ,  de  l'Uruguay  et  du  Paraguay  ,  et  son  premier  vice-roi  fut 
le  vaillant  général  Zéballos  ,  qui  avait  enfin  forcé  les  Portugais  à  dépouiller  toute 
prétention  sur  l'intérieur  du  bassin  do  la  Plata, 

Trente-quatre  ans  plus  tard,  le  10  mai  1810,  on  apprenait  sur  les  bords  de  la  Plata 
la  prise  de  Cadix  et  la  chute  de  cette  célèbre  junte  qui  avait  essayé  de  fonder  en 
Espagne  la  liberté  politique  ,  tout  en  luttant  pour  l'indépendance  nationale  près  de 
succomber  sous  le  plus  audacieux  et  le  plus  immoral  des  nombreux  attentats  de 
Napoléon  l^\  A  Buenos-Ayres  ,  comme  au  Mexique  et  dans  toutes  les  colonies  de 
l'Amérique  méridionale,  il  y  avait  une  lassitude  réelle  de  la  détestable  administration 
de  la  métropole,  et  la  révolution  n'attendait  qu'un  moment  propice  pour  éclater.  Le 
22  mai,  une  assemblée  de  notables  décida  d'abolir  la  vice-royauté,  et  trois  ans  après, 
un  gouvernement  provisoire  était  nommé  ;  c'est  de  ce  jour  que  le  peuple  argentin 
date  son  indépendance,  et  c'est  à  cet  anniversaire  qu'il  la  commémore  encore  aujour- 
d'hui. Mais  en  réalité  elle  resta  incertaine  jusqu'aux  mémorables  victoires  qui  con- 
duisirent le  général  San-Martin  à  Santiago-du-Chili  et  à  Lima  ,  la  capitale  du  Pérou 
(1817-1821).  Seulement,  les  épreuves  des  provinces  émancipées  étaient  loin  d'être 
finies  ;  à  peine  la  guerre  de  l'indépendance  était-elle  terminée,  que  ses  anciens  géné- 
raux se  disputaient  le  pouvoir  et  que  la  guerre  civile  éclatait  dans  le  bassin  de  la 
Plata.  L'Uruguay  a  longtemps  vécu  dans  un  état  d'anarchie  complète  et  la  Répu- 
blique Argentine  n'y  échappait  que  pour  tomber  sous  la  brutale  dictature  de  Rosas. 

L'Uruguay  occupe  une  superficie  d'environ  171,178  kilomètres  carrés  et  compte  une 
population  de  568,000  habitants,  dont  un  quart  environ  habite  Montevideo,  sa  capi- 
tale. Cette  ville  a  sur  Buenos-Ayres  l'avantage  de  posséder  une  magnifique  situation: 
elle  s'élève  sur  une  petite  langue  qui  s'avance  dans  la  mer  entre  deux  anses  ,  dont 
l'une,  celle  de  l'Est ,  lui  fait  un  port ,  qui  a  un  pourtour  d'environ  10  kilomètres  et 
qui  va  se  terminer  à  la  colline,  haute  de  130  mètres,  dont  la  ville  tire  son  nom.  C'est 
une  ville  jolie  ,  bien  bâtie  et  assez  bien  pavée,  qui  se  vante  de  deux  belles  places  ,  la 
Plaza  de  la  Constitution  et  celle  de  la  Independancia  ,  ainsi  que  d'une  rue  magni- 
fique, celle  du  Dix-Huit-Juillet.  Du  reste,  elle  ressemble  à  toutes  les  villes  de  l'Amé- 
rique méridionale,  avec  ses  rues  étroites,  coupées  à  angles  droits  ,  ses  maisons  aux 
toits  plats,  ses  terrasses  et  ses  hauts  miradores.  Ses  édifices  publics  n'ont  rien  de 
remarquable ,  mais  ses  édifices  privés  montrent  de  l'élégance ,  sinon  du  goiît.  Le 
niarbre  s'étale  à  profusion  dans  leurs  cours  comme  dans  leurs  escaliers  ,  mais  à  l'in- 
térieur les  appartements  sont  décorés  simplement  et  meublés  de  mémo.  C'est,  en 
somme,  le  seul  bon  port  de  l'estuaire  de  la  Plata.  11  est  à  la  vérité  exposé  aux  vents 
du  sud,  de  sorte  qu'il  n'est  ni  sûr  ni  facile  d'y  attérir  par  les  gros  tem[)S  ;  mais  la 
profondeur  de  l'eau  y  est  suffisante ,  même  auprès  de  la  ville ,  pour  permettre  la 


—  188  — 

construction  de  quais  et  de  jetées  qui  obvieraient  à  cet  inconvénient ,  et  de  Tauti-e 
côté  de  la  baie  .  près  du  Cerro  ,  on  a  bâti  une  digue  en  granit  qui  a  coûté  quelque 
chose  comme  10  millions  de  francs.  Avec  cette  amélioration  et  quelques  autres  de 
même  genre,  des  ingénieurs  distingués  estiment  que  Montevideo  est  destiné  à  deve- 
nir un  jour  un  centre  maritime  digne  de  l'immense  système  hydrographique  de  la 
Plata,  d'autant  que  les  provinces  de  l'intérieur  du  bassin  de  ce  fleuve  et  les  provinces 
méridionales  du  Brésil  n'ont  pas  d'autre  débouché. 

Comme  il  n'y  a  plus  d'Indiens  dans  l'Uruguay,  ses  568,000  habitants  se  composent 
par  portions  à  peu  près  égales  de  créoles  et  d'immigrants  européens.  Les  premiers 
—  Hijos  del  pais  —  représentent  les  52  centièmes  de  la  population  et  les  seconds 
ses  42  centièmes.  Montevideo  voit  débarquer  annuellement  une  moyenne  de  18,000 
Européens  qui  viennent  s'établir  dans  le  pays  ,  et  les  quatre  dixièmes  de  sa  popu- 
lation, environ  50,000  habitants  ,  sont  aujourd'hui  d'origine  étrangère.  Parmi  les 
émigrants,  c'est  la  nationalité  italienne  qui  domine.  Vous  vous  croiriez  transporté 
dans  une  colonie  italienne  ,  écrivait  il  y  a  quelques  années  ,  le  célèbre  hygiéniste 
Paola  Mantegazza.  «  Le  marinier  qui  vous  débarque  est  italien  :  italien  aussi  est  le 
portefaix  qui  transporte  vos  bagages  ;  italien  encore  qui  vous  héberge.  '^  Sur  100 
immigTants ,  on  en  compte  ,  en  effet ,  35  qui  sont  d'origine  italienne  ;  les  autres  sont 
des  Espagnols  ,  des  Français  ,  des  Basques  surtout ,  des  Anglais  ;  des  Brésiliens  de 
la  province  de  Rio-Grande,  qui  ont  pris  l'habitude,  depuis  longtemps  déjà,  de 
fonder  des  parcs  à  bétail  dans  l'Uruguay  méridional.  Aussi  bien  ,  l'empressenient 
des  Brésiliens  à  s'établir  dans  la  Banda  oriental  ^e\xi-\\  paraître  suspect ,  et  ce  ne 
sont  pas  là,  croyons-nous  bien,  les  immigrants  que  les  Uruguayens  voient  du 
meilleur  œil.  Bien  que  son  aire  soit  cinquante  fois  plus  étendue  et  sa  population 
trente  fois  plus  considérable  ,  le  Brésil  convoite  cependant  ce  territoire  et  il  regarde 
le  Rio  de, la  Plata  comme  .sa  frontière  normale  du  Sud. 

La  richesse  des  deux  rives  de  la  Plata  est  essentiellement  agricole  et  pastorole , 
avec  cette  différence  que  dans  l'Uruguay  la  production  agricole,  proprement  dite, 
l'emporte  sur  l'élève  du  bétail ,  tandis  que  c'est  tout  le  contraire  dans  la  République 
Argentine.  Toutefois  ,  l'Uruguay  est  un  .des  pay.s  du  monde  où  il  s'abat  le  plus  de 
bétail  et  la  péninsule  de  Fray-Bentos  ,  que  forment  au-dessus  de  leur  confluent  le 
Rio-Negro  et  l'Uruguay  ,  n'est  qu'un  immense  abattoir.  C'est  pour  leur  peau  ,  leur 
graisse,  leur  suif,  leur  laine  seulement,  que  ces  millions  de  bœufs,  de  chevaux  et  de 
moutons  sont  massacrés.  La  carne  tasajo  ,  c'est-à-dire  la  viande  bœuf  que  les  éle- 
veurs découpent  eu  minces  lanières  et  font  sécher  au  soleil,  après  l'avoir  imprégnée 
de  sel,  est  recherchée  au  Brésil  et  à  Cuba  pour  l'alimentation  des  nègres.  Mais  elle 
n'est  pas  faite  pour  le  marché  européen  et  celui-ci  ne  s'accommode  pas  mieux  du 
cliarque  dulce,  desséché  seulement  et  non  salé  d'abord.  Depuis  quelque  temps,  on  a 
bien  essayé  d'utiliser  d'une  manière  plus  avantageuse  la  chair  des  animaux  abattus, 
et  il  arrive  en  Europe  quelques  quantités  connues  sous  le  nom  d'extraits  de  viandes 
préparés  par  le  procédé  Liebig.  On  a  obtenu  ,  dans  cette  voie  ,  quelques  bons  résul- 
tats ,  mais  forcément  limités  ,  et  puisque  les  producteurs  argentins  et  urugayens 
semblent  avoir  conçu  l'ambition' de  devenir ,  en  fait  de  viandes  conservées  ,  les  four- 
nisseurs attitrés  de  l'Europe  et  surtout  de  l'Angleterre,  qui  en  ce  moment  regarde  du 
côté  du  Canada  et  des  Etats-Unis  pour  le  futur  approvisionnement  de  ses  formidables 
boucheries,  il  n'était  que  temps  pour  eux  de  cherchei- ,  comme  ils  l'ont  fait ,  quelque 
chose  de  mieux. 

Il  est  certain,  d'ailleurs,  que  l'Uruguay  est  loin  d'avoir  fait  usage  de  toutes  ses 
resources  productives  ;  pour  le  prouver ,  il  sufflt  de  mentionner  ce  fait  que  ,  d'après 
la  Bescripcion  du  général  Reys,  sur  19  millions  de  terres  arables  ,  il  n'y  en  a  guère 
plus  de  14  millions  à  l'état  d'occupation  ou  d'exploitation.  Ce  calcul,il  est  vrai,remonte 


—  189  - 


à  plusieurs  années  ;  mais  les  derniers  états  de  l'administration  des  contributions 
directes  établissent  que  depuis  ,  la  culture- n'a  guère  conquis  plus  de  200,000  hec- 
tares. On  évaluait  à  250  millions  de  francs  la  valeur  des  terres  labourées  et  à  652 
celle  de  la  propriété  bâtie  ;  mais  sur  le  nombre  des  propriétaires  et  la  répartition  de 
la  propriété  foncière,  on  manquait  de  données  pour  toute  l'étendue  de  la  république. 
On  savait  seulement  que  dans  la  province  de  Montevideo  on  comptait  près  de  8,000 
propriétaires  et  que  ,  chose  singulière,  il  n'y  en  avait  pas  le  tiers  qui  fussent  Uru- 
guayens ;  les  autres  étaient  des  Italiens  ,  des  Espagnols  ,  des  Français  ,  des  Argen- 
tins, des  Anglais,  des  Allemands,  des  Brésiliens,  des  Suisses.  La  grande  propriété, 
celle  qui  représentait  une  valeur  de  500,000  à  2  millions  de  francs  ,  ne  comptait  que 
pour  0.30  0/0  du  total,  et  la  part  des  propriétés  de  200  à  500,000  fr.  n'était  elle-même 
que  de  1.15  0/0.  La  propriété  qu'on  peut  appeler  moyenne,  celle  qui  va  de  50  à 
500,000  fr.  ,  figurait  pour  les  20  centièmes,  tandis  qu'un  autre  centième  appartenait 
aux  propriétaires  de  biens  allant  de  20  à  50,000  fr.,  et  58  centièmes  à  la  petite  pro- 
priété, celle  dont  le  lot  est  inférieur  à  25,000  fr.  Cette  distribution  est  une  preuve 
qu'à  parler  d'une  façon  générale  ,  la  propriété  terrienne  est  dans  les  mains  de  ces 
petits  capitalistes  et  de  ces  petits  commerçants  qui  sont  venus  s'installer  dans  le 
pays  depuis  1838,  et  qui  ont  su  s'y  créer  une  existence  à  la  fois  aisée  et  agréable. 

Les  tableaux  suivants  expriment  le  mouvement  commercial  de  l'Uruguay  pendant 
les  deux  années  1884  et  1885  : 


Liquides  en  général 

Céréales  et  comestibles 

Tabacs  et  cigares 

IMPORTATION. 

1884 

1885 

.\u(jiuentalion 

Diminution 

Piastres. 

3.599.589 
4.826.563 
529.650 
3.002.660 
1.36i.723 
5.016.965 
5.209.924 

Piastres. 

3.806.856 
4.416.865 
519.660 
3.764.039 
1.399.232 
6.085.653 
5.283.2;i 

Piastres. 

267.267 
» 
» 
» 
34.509 
1.068.688 
73.307 

Piastres. 

409.698 

10.050 

238.621 

» 

» 

» 

Denrées 

Étoffes  et  confections  . .    . . 
Matériaux  pour  l'industrie. . 
Articles  divers 

Totaux 

24.550.074 

25.275.476 

1.383.771 

658.369 

Animaux  sur  pied 

Conserves,  salaisons 

Produits  agricoles 

Autres  articles 

export; 

^TION. 

1884 

1885 

.\iHjmpnlalioii 

Diniiniitiiin 

Piastres. 

624.692 

23.336.420 

302  537 

384.232 

ll.OO't 

Piastres. 

762.255 

23.462.518 

633.797 

313.904 

80.562 

Piastres. 

137.563 

J 26. 098 

331.260 

» 

» 

Piastres. 

» 
» 

70.328 
31.042 

Articles  pour  le   ravitaille- 
ment des  navires 

Totaux 

24.759.485 

a5. 253. 036 

594.921 

101.370 

190 


Quant  à  la  part  qu'ont  prise  à  ce  trafic  les  divers  pays,  en  voici  les  détails 


IMPORTATION  0/0. 


Angleterre 29    » 

France 16    » 

Espagne 9    » 

Allemagne 9    y> 

Brésil 8    » 

Italie 6    » 

Etats-Unis 8    » 

Belgique 3    » 

République  Argentine 2  90 

Cuba »  79 

Paraguay »  59 


Chili »  55 

Hollande »  25 

Suissej »  15 

Portugal »  12 

Indes »    » 

Chine  eft  Japon »  04 

Ile  Maurice »  02 

Paj's  divers 4  02 

Danemark  et  Russie »    » 

Autriche-Hongrie »    1 

Iles  Canaries »    » 


EXPORTATION  (0/0). 


Angleterre 19 

États-Unis   17 

Belgique 14 

France 13 

Brésil 13 

République  Argentine 5 

Itahe 2 

Espagne 1 

Allemagne 1 

Cuba 1 


Portugal »  53 

Chili »  22 

Antilles,Maurice  et  la  Réunion  »  08 

Cap  de  Bonne-Espérance >  06 

Venezuela »  05 

Paraguay »  03 

Inde,  Chine  et  Japon »  003 

Iles  Maldives »  003 

Hollande :   »  01 

Pays  divers 7  89 


En  remontant  le  Parana  ,  les  Conquistadores  n'avaient  d'autre  dessein  que  de 
chercher  par  terre  une  route  vers  le  Pérou  ,  qui  fût  plus  courte  que  la  voie  du  cap 
Horn,  et  dans  cette  exploration  ,  ils  ne  songeaient  à  se  servir  du  cheval  que  comme 
porteur.  Mais,  trompés  dans  leur  principale  recherche  et  s'étant  étabhs  sur  les  bords 
de  la  Plata,  l'idée  leur  vint  d'acclimater  dans  le  Nouveau-Monde  l'espèce  chevaline. 
Les  chevaux  abandonnés  par  Mendoza  sur  les  lieux  même  où  une  cinquantaine 
d'années  plus  tard  devaient  s'élever  les  premiers  quartiers  de  Buenos-Ayres,  avaient 
pullulé  et  la  multiplication  des  chevaux  laissés  libres  dans  la  pampa  devint  si  rapide 
que  bientôt  les  colons  ne  surent  que  faire  de  ces  quadrupèdes.  Aujourd'hui  encore  , 
malgré  l'accroissement  de  la  population  et  des  guerres  continuelles  qui  ont  fait  une 
consonmaation  incroyable  de  chevaux  ,  comme  par  exemple  la  guerre  du  Paraguay 
ou  il  en  a  péri  plus  de  400,000  ;  malgré  les  abattages  incessants  destinés  autant  à  en 
réduire  le  trop  grand  nombre  qu'à  en  utiliser  la  graisse  et  la  peau,  ces  animaux  sont 
en  nombre  si  considérable  qu'à  peine  surveillée  et  abandonnée  à  peu  près  à  elle- 
même  pour  la  reproduction  ,  la  race  chevaline  suffirait ,  dans  le  bassin  de  la  Plata  , 
aux  besoins  d'une  population  dix  fois  plus  considérable  ,  dùt-elle  en  abuser  comme 
autrefois. 

Il  y  a  quelques  années  ,  on  ne  connaissait  guère  sur  les  deux  bassins  de  la  Plata  , 
qu'une  seule  manière  de  voyager.  Habitué  au  cheval  dès  son  premier  âge  et  à  demi 


-  191  - 

centaure,  Vhijo  del  pais  faisait,  sans  s'en  apercevoir,  des  traites  quotidiennes  d'une 
centaine  de  lieues,  et  force  était  au  voyageur  étranger,  mal  fait  à  ce  genre  de  loco- 
motion, de  profiter  des  charrettes  qui  allaient  d'une  province  à  l'autre  traînées  par  des 
bœufs,  faisant  de  six  à  huit  lieues  par  jour,  ou  des  tropas  de  mulns  ,  plus  accélérées 
que  les  charrettes,  mais  plus  fatigantes  ,  pour  peu  qu'il  ne  fût  pas  assez,  riche  pour 
se  procurer  une  voiture  particulière  ou  tout  au  moins  une  place  dans  ces  lourds  véhi- 
cules à  la  vieille  mode  castillane  ,  qu'on  appelait  messcKjeyies  ,  et  que  l'on  voyait  de 
temps  à  autre  se  mouvoir  sur  les  grandes  routes ,  au  petit  trot  de  sept  chevaux 
étiques  montés  chacun  par  un  postillon.  Rien  de  plus  pittoresque  ,  assurément ,  que 
cette  voiture  européenne  au  milieu  d'un  désert  du  Nouveau-Monde  ;  mais  comme 
moyen  de  locomotion  ,  rien  de  moins  confortable  :  le  voyageur  arrivé  au  gîte ,  qui 
voulait  rendre  à  ses  membres  endoloris  quehiue  souplesse,  devait  de  toute  nécessité 
emporter  avec  lui  ses  matelas  et  ses  couvertures.  Maintenant  la  vapeur  siffle  dans  la 
pampa  et  y  promène  son  panache  de  fumée.  Près  de  2,000  kilomètres  de  voies  fer- 
rées sillonnent  les  régions  au  sud  du  grand  lieuve,  et  il  est  question  d'un  chemin  de 
fer  qui,  franchissant  la  colossale  barrière  des  Andes  et  se  prolongeant  par  le  Chili 
jusqu'à  Valparaiso  ,  joindrait  ainsi  les  deux  Océans.  L'Uruguay  possède  pour  son 
compte  quatre  voies  ferrées  qui  s'appellent  le  Central,  l'Uruguay  du  Nord,  l'Uruguay 
du  Nord-Est,  l'Uruguay  de  l'Est.  Le  premier,  partant  de  Montevideo  ,  aboutit  à 
Durazno  ;  le  second  se  dirige  de  la  ville  de  Salto  sur  la  frontière  brésilienne  ;  le 
troisième  relie  Montevideo  à  Sainte- Lucie  ,  et  le  quatrième  court  de  Montevideo 
à  Pando. 


Les  Ktats-lJiiijH  et  riniinig;ration.  —  Il  y  a  un  mois,  des  tisseurs  lyon- 
nais, au  nombre  de  vingt-quatre,  sont  partis  pour  l'Amérique,  ayant  en  poche  un 
engagement  leur  assurant  du  travail.  Ils  partaient  contents  et  pleins  d'espoir  sur  les 
ressources  que  leur  fournirait  l'exercice  de  leur  profession  dans  le  Nouveau-Monde 
et  ne  comptaient  pas  revenir  à  Lyon  de  longtemps.  Aussi,  la  surprise  a  été  grande, 
quand  trois  semaines  après,  on  les  a  vu  reparaître  à  la  Croix-Rousse. 

Trouvant  peu  naturel  un  retour  si  précipité  et  surtout  si  contraire  aux  espérances 
montrées  au  départ,  nous  avons  eu  la  curiosité  de  nous  informer  des  raisons  qui  ont 
pu  le  motiver,  et  voici  ce  que  nous  avons  appris  : 

Il  existe  aux  États-Unis  ,  notamment  à  New-Jersey  ,  Paterson  et  Westobokin  ,  des 
u.sines  de  tissages  créées  et  dirigées  par  des  Lyonnais.  L'un  d'eux,  M.  Ghauffageon, 
voulant  organiser  un  centre  nouveau  a  acheté,  à  une  vingtaine  de  kilomètres  de 
New- York,  dans  un  endroit  appelé  Sterling  ,  une  étendue  considérable  de  terrain  à 
bon  marché ,  puis  il  y  a  fait  construire  une  usine  dans  laquelle  il  a  aménagé  des 
métiers  de  tissage  mécanique.  Et ,  pour  que  les  ouvriers  pussent  trouver  un  loge- 
ment à  proximité  du  lieu  de  leur  travail ,  il  a  fait  bâtir  en  même  temps  ,  aux  alen- 
tours de  l'usine  ,  un  certain  nombre  de  maisons  oii  les  appartement  ont  été  divisés 
de  telle  sorte,  que  ceux  à  qui  le  travail  de  l'usine  ne  convient  pas  ,  peuvent  installer 
un  ou  deux  métiers  chez  eux.  Pour  480  fr.  par  an  ,  un  ménage  trouve  là  un  apparte- 
ment de  quatre  pièces,  dont  une  chambre  à  coucher,  une  cuisine,  une  salle  à  manger 
formant  salon,  et  un  atelier  pouvant  recevoir  deux  métiers  à  tisser. 

Ces  constructions  faites  ,  M.  Ghauffageon  ,  voulant  que  ce  nouveau  centre  fût  sur- 
tout un  centre  français ,  confia  à  une  maison  de  commission  de  Lyon  le  soin  de 
rechercher  les  ouvriers  lyonnais  qui  voudraient  consentira  aller  travailler  à  Sterling. 
Pour  faciliter  le  voyage,  il  leur  faisait  l'avance  de  2  à  300  fr.  remboursables  à  raison 
de  8  0(0  sur  leurs  salaires.  Comme  taux  des  salaires,  le  tr^ivail  se  faisant  à  façon,  on 
affirmait  qu'un  ouvrier  pouvait  gagner  de  50  à  60  fr.  par  semaine,  soit  plus  du  double 


-  J92  - 

de  ce  que  l'on  gagne  à  Lyon.  Il  y  avait  là  de  quoi  tenter  bon  nombre  de  tisseurs  ,  et 
malgré  leur  peu  d'amour  pour  l'éniigration  ,  les  engagements  ne  tardèrent  pas  à  se 
multiplier. 

Quelques-uns  partirent  d'abord  isolément  et  arrivèrent  sans  encombre,  puis  vint 
le  groupe  dont  nous  avons  parlé  plus  haiit.  Ceux-ci ,  parvenus  à  New-York  ,  furent 
conduits  à  Castel-Gardem  (bureau  d'émigration),  oii  on  les  interrogea  sur  leur 
nationalité,  les  causes  qui  les  conduisaient  en  Amérique,  les  engagements  qu'ils 
avaient  contractés  et,  finalement ,  on  les  interna  dans  les  docks  sous  la  surveillance 
de  six  douaniers  et  soumis  à  un  appel ,  heure  par  heure,  afin  de  s'assurer  qu'aucun 
.ne  s'échappait.  Ils  restèrent  ainsi  cinq  ou  six  jours  ,  pendant  lesquels  on  leur  faisait 
espérer  qu'une  décision  ,  les  autorisant  à  débarquer,  intei-viendrait,  et  qu'ils  pour- 
raient enfin  se  rendre  à  Sterling. 

Vaine  attente  ;  malgré  que  M.  Ghauffageon  fût  venu  les  réclamer  comme  étant  des 
ouvriers  embauchés  par  lui.  Au  bout  de  huit  jours  ,  ils  furent  contraints  de  se  rem- 
barquer sur  le  même  paquebot  qui  les  avait  amenés  et  reconduits  en  France. 

Ajoutons,  pour  être  complet,  qu'au  moment  de  l'embarquement,  trois  réussirent  à 
tromper  la  surveillance  des  gardiens  et  à  pénétrer  dans  la  ville,  où  ils  resteront  pro- 
bablement ;  un  quatrième  s'étant  déclaré  mécanicien  et  apportant  un  nouveau 
systèuie  de  métier,  fut  admis  ,  après  quelques  formalités  ,  à  se  i-endre  à  l'usine  pour 
laquelle  il  était  embauché. 

Toutes  ces  péripéties  proviennent  de  ce  que  M.  Ghauffageon  n'a  pas  tenu  compté 
des  lois  américaines. 

Il  y  a  trois  ou  quatre  ans,  après  une  série  de  grèves  provoquéee  par  l'abaissement 
des  salaires,  abaissement  qui  était  le  résultat  de  la  concurrence  que  faisaient  les 
émigrés,  et  principalement  les  Ghinois  ,  aux  ouvriers  américains  ,  ceux-ci  firent  une 
campagne  formidable  contre  les  étiangers.  hes  Chevaliers  du  <rara?'^ ,  association 
ayant  une  influence  considérable  par  le  nombre  de  ses  adhérents  (plus  d'un  million), 
se  signala  dans  cette  campagne  qui  aboutit  à  faire  voter  par  les  Ghambres  une  loi 
interdisant  l'entrée  de  l'Amérique  «  à  tout  étranger  qui  ne  peut  justifier  qu'il  a  des 
moyens  suffisants  pour  subvenir  à  son  existence  au  moins  pendant  trois  ou  quatre 
mois.  » 

Jusqu'à  ce  jour,  cette  loi  n'avait  pas  été  appliquée  aux  Européens.  Actuellement, 
on  l'applique  indistinctement  à  tous  les  étrangers  ,  et  c'est  en  vertu  de  ces  dispo- 
sitions qu'on  a  obligé  les  tisseurs  lyonnais  à  reprendre  la  route  de  France. 

Pour  les  Faits  et  Nouvelles  géographiques  non  extraits  : 

LE   SECRÉTAIRE-GÉNÉRAL  , 

ALFRED  RENOUARD. 


-  193  — 


LE  SOUDAN  FRANÇAIS 


UN  VAPEUR  FRANÇAIS  A  TOMBOUCTOU 


M.  le  Président  de  la  Société  a  reçu  la  lettre  suivante  que  nous  nous 
empressons  de  publier  : 

Paris,  le  8  octobre  1887, 

A  Monsieur  Paul  GREPY,  Président  de  la  Société  de  Géographie  de  Lille. 

Mon  cher  Président, 

Vous  qui  prenez  un  si  grand  intérêt  aux  affaires  du  Sénégal ,  vous 
devez  ,  comme  moi ,  être  bien  heureux  de  la  bonne  nouvelle  qui  nous 
arrive  de  cette  colonie. 

Pendant  que  presque  toutes  les  puissances  de  l'Europe  cherchent  à 
pénétrer  de  plus  en  plus  en  Afrique ,  nous  apprenons  que  la  France 
vient  d  y  obtenir  un  succès  considérable  D'après  ce  que  nous  annonce 
une  dépêche  du  gouverneur  du  Sénégal,  le  bateau  à  vapeur  «  ^6  iV/^rer», 
parti  de  Bammakou  dans  les  premiers  jours  de  juillet,  a  descendu  le 
fleuve  jusqu'à  Tombouctou  et  en  est  heureusement  revenu. 

Le  20  septembre,  il  était  à  Sausanding,  avec  tout  son  équipage 
(15  hommes  dont  3  blancs)  en  bonne  santé.  Ce  voyage  a  permis  de 
faire  le  levé  du  fleuve  sur  une  longueur  d'environ  300  lieues ,  et  au 
retour,  du  bras  de  Diaka. 

C'est  donc  par  le  Sénégal  que  la  question  de  pénétration  du  Soudan 
a  été  résolue. 

Dès  1863 ,  il  y  a  24  ans  ,  dans  un  travail  intitulé  :  «  L'avenir  du 
Sahara  et  du  Soudan  »,  et  publié  dans  la  Revue  maritime  et  coloniale, 
parlant  dés  projets  qu'on  commençait  à  mettre  en  avant  pour  établir 
des  communications  commerciales  entre  l'Algérie  et  le  Soudan  (sans 

14 


—  194  — 

qu'il  fût  toutefois  encore  question  du  chemin  de  fer),  je  disais  :  «  Dans 
»  notre  opinion ,  la  grande  chose  à  entreprendre  relativement  à 
»  l'Afrique  centrale  ,  si  la  France  veut  tourner  de  ce  côté  ses  vues  et 
»  son  activité ,  ce  n'est  pas  de  rétablir  à  travers  un  pays  maudit  (le 
»  Sahara) ,  des  voies  commerciales  impossibles.  Il  faut ,  après  avoir 
»  repoussé  El  Hadj-Dmar  du  bassin  du  Sénégal ,  s'il  ose  s'y  présenter 
»  de  nouveau  ,  aller  fonder  un  établissement  vers  Bammakou  ,  sur  le 
•»  Haut-Niger,  en  le  rehant  à  Médine  et  à  Seisoudébou  ,  par  une  ligne 
»  de  postes  distants  de  25  à  30  lieues  ,  et  dont  le  premier  doit  être  à 
•»  Bafoulabé,  confluent  du  Bafing  (Haut-Sénégai)  et  du  Bakhoy.  » 

On  devenait  ainsi  maître  de  la  navigation  de  tout  le  Haut-Niger,  et 
on  allait  facilement  à  Tombouctou  ,  en  descendant  le  fleuve  sur  une 
longueur  d'environ  300  lieues. 

C'est  là  ce  que  vient  de  faire  le  petit  vapeur  le  Niger. 

Mais  après  l'époque  dont  nous  venons  de  parler,  des  personnes  ne 
croyant  de  communications  possibles  avec  le  Soudan  que  par  le  Sa- 
hara ,  eurent  la  hardiesse  de  proposer  l'établissement  d'un  chemin  de 
fer  à  travers  ce  désert.  Cette  idée ,  d'abord  confuse ,  devint  un  projet 
très  sérieux,  en  1879  ,  dans  un  ouvrage  de  M.  Duponchel ,  ingénieur 
en  chef  des  ponts-et-chaussées  ,  et  qui  a  pour  titre  :  «  Le  chemin  de 
fer  trans-SahayHen.  » 

Ce  projet  fut  vivement  combattu. 

On  disait ,  avec  raison  ,  que  les  produits  encombrants  du  Soudan  ne 
pourraient  jamais  supporter  les  frais  d'un  transport  en  chemin  de  fer 
de  600  lieues,  car  telle  est  la  longueur  que  lui  supposait  M.  Duponchel. 

Le  chifi're  de  la  dépense  devait  monter  suivant  lui  à  400  millions  et, 
ce  qui  est  la  condamnation  même  de  ce  projet,  il  supposait  20  niillions 
de  dépenses ,  rien  que  pour  fournir  de  l'eau  sur  toute  la  ligne  ,  service 
des  machines  et  personnel  des  postes. 

La  vraie  voie  par  laquelle  les  produits  du  Soudan  doivent  arriver  à 
la  côte,  c'est  celle  de  ses  grands  cours  d'eau,  Niger  et  Sénégal. 

Quant  à  Tombouctou  ,  c'est  en  1375  que  cette  ville  fut  signalée  à 
l'Europe  par  le  Mapa-Mondo  Catalan.  En  1468 ,  le  roi  Soni-Ali  du 
Ghana,  état  limitrophe  de  Tombouctou,  par  hostilité  contre  les  Musul- 
mans ,  permit  aux  Portugais  sous  le  roi  Jean  II ,  de  s'établh^  dans 
l'Adrar,  groupe  d'oasis  situé  entre  la  côte  et  Tombouctou  ;  mais  cet 
établissement  n'eut  aucune  durée  et  les  Portugais  ne  persistèrent  pas 
dans  leurs  tentatives  vers  l'intérieur  du  Soudan. 

En  1828,  un  Français,  René  Caillé,  pénétra  dans  Tombouctou,  après 


—  195  — 

avoir  fait  un  long  détour  dans  le  Sud.  Il  était  parti  du  Rio-Nunoz  ,  où 
j'ai  fait  construire  en  1865  ,  à  notre  poste  de  Déboké  ,  un  monument 
pour  rappeler  la  mémoire  de  ce  courageux  voyageur.  Son  voyage  n'eut 
et  ne  pouvait  avoir  aucun  résultat  politique ,  quelque  intéressant  qu'il 
soit  à  tous  les  autres  points  de  vue. 

Il  y  a  25  ans  ,  ce  furent  les  Anglais  qui  s'occupèrent  sérieusement 
des  moyens  de  pénétrer  dans  l'intérieur  du  Soudan  ;  ils  y  envoyèrent 
par  Tripoli  une  mission  composée  de  Richardson  ,  Barth  et  Owerweg  , 
ces  deux  derniers  allemands.  Au  bout  de  quelques  années  ,  Barth,  seul 
survivant ,  parvint  à  Tombouctou  ,  sous  un  nom  arabe  ,  celui  d'Abd  el 
Kérim.  Il  y  resta  environ  6  mois  ,  de  septembre  1853  à  mars  1854.  A 
ceux  à  qui  il  se  confiait ,  il  se  disait  Anglais  ,  et  il  ne  servait  que  les 
intérêts  anglais.  Il  se  lia  d'amitié  avec  le  chef  religieux  de  la  ville  ,  le 
Kountah  Ahmed  Bekkay.  Celui-ci  était  alors  exaspéré  contre  les  Fran- 
çais à  cause  de  leur  occupation  de  l'Algérie  et  surtout  à  cause  de  ce 
qu'il  appelait  l'apostasie  de  Sidi-Hamza  ,  chef  de  la  puissante  tribu  reli- 
gieuse des  Ouled-Sidi-Chikh ,  qui  venait  de  se  soumettre  à  nous  et 
servait  dans  nos  rangs.  Bekkay  allait  jusqu'à  dire  que  si  les  Français 
envahissaient  le  Touat,  il  marcherait  contre  eux  à  la  této  des  forces  du 
Soudan  ;  simple  fanfaronnade  d'un  vieux  marabout. 

Bekkay  envoya  même  une  ambassade  à  la  reine  d'Angleterre  ,  mais 
elle  ne  dépassa  pas  Tripoli. 

Comme  on  le  voit,  les  circonstances  étaient  alors  très  favorables  aux 
Anglais  dans  la  métropole  du  Soudan  ;  mais  les  choses  en  restèrent  là, 
les  Anglais  s'occupant  surtout  alors  du  Haut-Nil  et  du  Bas-Niger. 

Plus  récemment,  en  1880,  les  Anglais  jetèrent  de  nouveau  les  yeux 
sur  le  Soudan  occidental.  Ils  fondèrent  dos  comptoirs  au  cap  Juby,  au 
sud  du  Maroc,  en  prétendant  que  ce  pays  ne  faisait  pas  partie  des  états 
du  Chérif.  En  effet  il  y  a  toujours  eu  là  des  populations  qui  se  pro- 
clament indépendantes  ,  ce  que  n'admet  pas  le  Chéri!  qui  prétend  que 
son  empire  s'étend  jusque  là  et  même  au-delà. 

Les  Anglais  ,  MM.  Mackensi  et  Curtis  espéraient  attirer  au  cap  Juby 
les  caravanes,  qui,  annuellement,  font  le  commerce  entre  le  Soudan  et 
Mogador. 

Ils  firent  tout  leur  possible  pour  se  mettre  en  rapport  avec  Tom- 
bouctou, comme  cela  nous  a  été  assuré  par  Abd-el-Kader-ben-Bakar, 
cet  envoyé  de  Tombouctou  qui  vint  jusqu'à  Paris,  il  y  a  deux  ans. 

Mais  les  choses  étaient  bien  changées  à  Tombouctou,  et  leurs 
avances  furent  repoussées.  En  effet ,  à  la  mort  d'Ahmed  Bekkay,  en 


—  196  — 

1879,  son  fils  aîné  ,  fVbidin ,  ne  s'entendit  pas  avec  la  population  de  la 
ville.  Il  eut  des  démêlés  avec  l'assemblée  des  notables  au  Djemaa, 
composée  des  principaux  commerçants  et  qui  est  en  quelque  sorte 
présidée  par  le  kiahia  ou  émir.  Cette  dignité  se  transmet  dans  la 
famille  des  descendants  du  général  marocain  qui  s'empara  de  Tom- 
bouctou  au  XVr  siècle. 

Abidin  quitta  la  ville  avec  sa  famille  et  ses  partisans  et  alla  s'établir 
dans  le  Permaglia,  contrée  située  à  une  centaine  de  lieues  dans  le  sud- 
ouest  de  Tombouctou,  sur  la  rive  gauche  du  Haut-Niger. 

11  y  a  trois  ans,  les  membres  de  la  Djemaa  de  Tombouctou  ,  encou- 
ragés à  cela  par  les  chefs  des  grandes  caravanes  ,  qui  sont  des  person- 
nages influents,  se  décidèrent  à  nous  envoyer  Abd-el-Kader-ben-Bakar 
pour  nous  encourager  à  nous  mettre  en  relation  avec  eux.  Ils  venaient 
d'apprendre  d'une  part  les  désastres  des  Anglais  dans  les  régions  du 
Haut-Nil,  d'autre  pan  nos  progrès  au  sud  de  la  province  d'Oran,  notre 
conquête  de  la  Tunisie  ,  de  la  ville  sainte  de  Kairouan ,  enfin  notre 
établissement  sur  le  Haut-Niger,  à  Bammakou  ,  et  l'existence ,  sur  ce 
point,  d'un  bateau  à  vapeur  qui  pourrait  arriver  chez  eux  en  quelques 
jours. 

]Mais  dans  leur  lettre  ils  avaient  bien  soin  de  spécifier  qu'ils  deman- 
daient à  ne  passer  avec  nous  que  des  conventions  commerciales  et  que 
la  terre  ne  leur  appartenait  pas ,  que  de  fait  les  Touiu'egs  en  étaient 
maîtres. 

Aujourd'hui ,  nous  ne  savons  pas  quelles  propositions  le  Ministère 
des  Affaires  étrangères  leur  adressait  par  l'entremise  de  M.  le  lieute- 
nant de  vaisseau  Garon ,  commandant  de  la  canonnière ,  mais  nous 
sommes  certain  que  c'est  d'un  mauvais  œil  que  les  Touaregs  ,  qui 
dominent  à  Tombouctou,  ont  du  voir  arriver  notre  bateau. 

Quant  aux  gens  de  Tombouctou,  ce  n'est  pas  la  présence  d'une  petite 
chaloupe  à  vapeur  ayant  15  hommes  d'équipage  ,  dont  \)  noirs  ,  qui  a 
du  leur  donner  la  hardiesse  de  manifester  leurs  sentiments.  Ils  ont  du 
répéter  ce  qu'ils  avaient  dit  dans  leur  lettre  :  le  pays  n'est  pas  à  nous. 

A  l'heure,  actuelle  ,  la  population  de  Tombouctou  est  aux  abois  ;  le 
commerce  du  Haut-Niger  dont  elle  a  besoin ,  môme  pour  se  procurer 
de  quoi  vivre  est  arrêté  par  les  pillages  des  Poul  deTidjani,  qui 
domine  jusqu'à  la  ville  de  Sa  et  en  aval ,  des  Touaregs  Bousdammès 
qui  ont  pour  chef  Loo-Jallissi,  lequel  a  succédé  à  Eg.  Fandagoumou, 
son  frère. 


-  197  -- 

Cet  état  de  désordre  ne  pourra  cesser,  comme  l'a  déclaré  Barth,  il  y 
a  une  vingtaine  d'années,  que  par  notre  intervention. 

En  même  temps  que  les  Anglais,  les  Espagnols  qui  ne  cessent  d'avoir 
les  yeux  sur  l'Afrique,  et  qui  regardent  le  Maroc  comme  devant  leur 
appartenir  naturellement  un  jour  ou  l'autre  ,  ne  pouvaient  pas  rester 
indifférents  devant  les  tentatives  pour  pénétrer  dans  l'Afrique  occi- 
dentale. 

Les  anciens  traités,  du  reste,  leur  accordaient  des  droits  sur  la  côte 
depuis  le  cap  Bojador  jusqu'au  cap  Blanc ,  c'est-à-dire  en  face  des 
Canaries,  dont  les  habitants  s'y  livrent  à  la  pêche. 

La  Société  de  géographie  commerciale  fonda  ,  en  1884 ,  dans  la  baie 
Rio-de-Oro,  une  factorerie  qu'on  appelle  Villa- Gisneros. 

Le  14  mai  1885,  un  vapeur  espagnol  mouillait  devant  Villa-Cisneros, 
et  y  déposait  une  mission  qui  devait  pénétrer  dans  l'intérieur,  sous  les 
ordres  du  capitaine  du  génie  Cervera. 

Ould-Aïda,  chef  de  l'Adrar,  à  qui  on  avait  écrit,  envoya  deux  de  ses 
gens  pour  prendre  des  renseignements  et  accompagner  la  caravane 
composée  de  trois  Européens,  deux  Maures  de  la  compagnie  des  tirail- 
leurs du  Rif  et  de  trois  Arabes  des  Ouled-Abou-Sba.  Un  nommé  Sidi 
Ahmed-Ould-el-Eide  fut  encore  envoyé  par  Ould-Aïda  pour  amener  la 
mission  jusqu'à  la  frontière  de  l'Adrar,  où  le  roi  devait  venir  la 
trouver. 

Arrivé  là,  le  capitaine  arbora  les  couleurs  espagnoles  dans  son  camp 
et  au  nom  de  la  Société  de  géographie  commerciale  déclara  prendre 
possession  du  territoire. 

Ould-Aïda  vint  poser  sa  tente  près  de  la  mission  ,  eut  avec  elle  plu- 
sieurs conférences  et ,  d'après  le  capitaine  Cervera  ,  aurait  consenti  à 
accepter  le  protectorat  sur  tout  le  territoire  où  il  commande,  par  con- 
séquent sur  l'Adrar.  Tout  cela  n'a  pas  l'air  d'être  très  sérieux .  à  tel 
point  que  devant  les  dispositions  hostiles  des  indigènes  ,  la  mission  fut 
obligée  de  faire  rapidement  demi-tour,  Ould-Aïda  ne  voulant  pas  lui 
permettre  de  mettre  le  pied  dans  l'Adrar. 

Elle  retourna  à  la  côte  non  sans  courir  de  grands  dangers.  Le  capi- 
taine fit  un  croquis  du  pays ,  où  il  marque  la  limite  du  protectorat 
espagnol  englobant  l'Adrar  et  Tichit. 

La  France  ne  saurait  accepter  cette  prise  de  possession.  La  limite 
sur  la  côte  acceptée  entre  les  Espagnols  et  les  Français  est  le  cap 
Blanc.  Cette  limite  doit  évidemment  rester  la  même  vers  l'intérieur. 
Or  elle  laisse  au  sud,  c'est-à-dire  de  notre  côté,  les  villes  de  l'Adrar  et 


-  198  — 

Tichit ,  qui  est  une  des  étapes  des  caravanes  qui  font  actuellement  le 
commerce  entre  Torabouctou  et  le  Sénégal. 

Les  puissances  européennes,  agissant  dans  un  but  politique ,  ne  sont 
pas  les  seules  à  chercher  à  pénétrer  dans  ce  continent  arriéré  d'A- 
frique ;  les  missionnaires  tendent  au  même  but  avec  un  zèle  remar- 
quable ,  et  l'archevêque  d'Alger ,  Mgr  Lavigerie  ,  s'est  distingué  entre 
tous  dans  cette  œuvre. 

Après  la  famine  de  1867  en  Algérie  ,  il  se  trouva  un  grand  nombre 
de  petits  enfants  arabes  abandonnés  et  dispersés  ;  Mgr  Lavigerie  les 
recueillit ,  les  fit  chrétiens  ,  et  comptant  sur  leur  concours  futur,  il 
fonda  la  congrégation  des  Pères  Blancs  d'Afrique  (1),  qui  portent  le 
costume  arabe  pour  ne  pas  offusquer  les  populations  de  l'intérieur,  qui 
n'ont  jamais  vu  d'Européens.  Le  but  est  de  convertir  les  Africains  au 
catholicisme.  Dans  sa  foi  ardente,  l'archevêque  d'Alger  se  montre  très 
entreprenant  ;  il  voulut  envoyer  des  missionnaires  chez  les  Touaregs 
et  à  Tombouctou.  En  1875,  il  fit  partir  trois  Pères  avec  des  prisonniers 
touaregs  à  qui  il  avait  sauvé  la  vie  au  moment  où  on  allait  les  fusiller. 

La  caravane  partit  pour  Insalah.  On  apprit  bientôt ,  sans  plus  de 
détails,  que  les  Pères  avaient  été  massacrés. 

Non  découragés  ,  les  Pères  Blancs  continuèrent  à  lier  des  relations 
amicales  avec  les  chefs  touaregs.  Même  après  le  massacre  de  la  mission 
Flatters  ,  en  1881 ,  trois  Pères  Blancs  ,  sous  la  direction  du  Père  Ri- 
chard, l'un  d'eux,  partirent  de  Rhadamès.  Us  s'avancèrent  vers  le  sud 
et  dépassèrent  Rhat.  Au  commencement  de  1882,  on  apprit  qu'ils  avaient 
été  massacrés. 

Après  ce  nouveau  désastre ,  Mgr  Lavigerie  comprit  qu'il  lui  fallait 
renoncer  à  l'espoir  d'arriver  par  le  Sahara  sur  le  Niger  moyen  ,  et  il 
créa  des  missions  dans  l'Afrique  orientale  ,  autour  des  grands  lacs  du 
Haut-Nil. 

Nous  ne  parlerons  que  pour  mémoire  de  la  tentative  d'exploration 
du  Soudan  par  le  colonel  Flatters,  qui  finit  misérablement  par  la  faute 
de  son  chef  qui  donna  si  naïvement  dans  une  embuscade,  et  nous  répé- 
terons que  la  vraie  route  du  Niger  c'est  le  Sénégal. 

Et  cependant,  depuis  plusieurs  années,  notre  entreprise  de  pénétra- 
tion par  cette  voie  est  en  défaveur  auprès  du  Parlement.  La  manière 


(1)  Voir  la  conférence  de  M.  Vai-iot  sur  les  Pères  Blancs  d'Afrique ,  insérée  dans 
le  présent  volume. 


-  199  - 

étrange  dont  a  été  menée  l'affaire  rlu  chemin  de  fer  de  Médine  en  est 
un  peu  cause.  Mais  c'est  surtout  parce  que  nous  avons  en  Extrême- 
Orient  des  entreprises  qui  coûtent  excessivement  cher,  qu'on  veut 
faire  des  économies,  en  refusant  au  Sénégal  quelques  millions  qui  nous 
feraient  obtenir  en  Afrique,  dans  l'avenir,  un  marché  d'une  importance 
considérable  et  où  nous  n'aurions  pas  de  concurrents. 

Si  cela  continue  ,  il  en  sera  au  Soudan  comme  en  Asie  et  en  Amé- 
rique :  les  Anglais  nous  y  supplanteront.  Au  XVIIP  siècle  ,  la  cour  de 
Versailles  laisse  les  gouverneurs  français  :  la  Bourdonnay.s  et  Dupleix 
sans  secours,  et  l'empire  de  l'Inde  est  à  jamais  perdu  pour  la  France. 

En  1754,  les  Anglais  nous  disputent  le  Canada.  La  Franco  n'envoie 
pas  de  secours  au  gouverneur  Montcalm,  et  nous  perdons  pour  toujours 
cette  belle  contrée. 

C'est  ainsi  que  notre  inconstance  nous  empêche,  la  plupart  du  temps, 
d'arriver  à  des  résultats  sérieux. 


P.  S.  —  Autre  excellente  nouvelle.  C'est  le  colonel  Galliéni  qui  va 
commander,  cette  année,  les  opérations  dans  le  Soudan.  Nous  sommes 
sûr  qu'il  y  fera  de  bonne  besogne. 

GÉNÉRAL  FAIDHERBE , 
Sénateur  du  Nord. 


-  200  - 


COURS  ET  CONFÉRENCES  DE  TOURCOING 


UN    MOT  SUR   LA   NOUVELLE-CALÉDONIE 

Par  M.  L.  MONCELON, 
Délégué  de  la   Nouvelles-Calédonie  au  Conseil  suisérieur  des  Colonies. 


Conférence  faite  à  Tourcoing  le  20  Février  1887. 


Mesdames,  Messieurs, 

Je  dois  commencer  par  remercier  pour  ma  part ,  autant  qu'il  est  en 
mon  pouvoir  de  le  faire,  votre  honorable  Président,  M.  Masurel,  des 
éloges  qu'il  vient  de  nous  prodiguer  (1), 

Avant  de  pénétrer  plus  particulièrement  dans  le  sujet  principal  de 
ma  conférence,  je  désire  vous  communiquer,  si  vous  voulez  bien  me 
le  permettre,  quelques  appréciations  sur  la  politique  coloniale.  Je 
vais,  croyez-le,  le  l'aire  rapidement,  car  je  désire  laisser  le  plus  de 
temps  possible  à  mon  éminent  collègue,  M.  de  Mahy. 

En  vous  donnant  ces  appréciations,  mon  intention  n'est  pas  seule- 
ment de  vous  indiquer  les  raisons  pour  lesquelles  nous  ne  tii^ons  pas, 
selon  moi,  de  nos  colonies,  tout  le  parti  qu'il  serait  désirable,  mon  but 
n'est  pas  seulement  de  vous  expliquer  pourquoi  vous  avez  tous,  ou  du 
moins  quelques-uns  d'entre  vous,  entendu  dire  et  répéter  maintes  fois 
que  si  notre  pays  a  des  colonies,  elles  rapportent  peu,  non-seulement 
je  cherche,  ainsi  que  mon  collègue,  à  vous  dire  quelles  sont,   selon 


(1)  M.  François  ]\Iasurel  père  ,  président  de  la  section  de  Tourcoing  ,  avait  avant 
d'ouvrir  la  séance  adressé  publiquement  cpielques  mots  d'éloges  et  de  remercîments 
à  MINI,  de  Mahy  et  Monceion  qui  avaient  bien  voulu  prodiguer  leur  talent  et  leur 
dévouement  dans  diverses  circonstances  à  la  Société  de  géographie. 


-  201  — 

nous,  les  raisons  de  cette  déplorable  situation,  mais  je  veux  encore  et 
surtout  indiquer  les  moyens  de  remédier  à  cet  étal  de  choses. 

Nous  sommes  arrivés,  Mesdames  et  Messieurs,  à  une  époque  criti- 
que de  notre  histoire  ;  elle  restera  caractérisée  par  la  nécessité  abso- 
hie  où  nous  nous  trouvons  de  transformer  noire  état  social  sous  peine 
de  péricliter  rapidement  et  de  disparaître  de  la  liste  des  grandes 
nations  du  monde  ! 

Nous  en  sommes  là  assurément,  tous  les  économistes  le  reconnais- 
sent unanimement  et  jettent  un  regard  inquiet  du  passé  sur  l'avenir  ; 
du  passé?  hélas,  ne  nous  rappelons-nous  pas  avec  une  sorte  de  terreur 
que  bien  des  siècles  avant  notre  ère  il  fut  des  nations  puissantes  qui 
n'existent  plus  aujourd'hui  et  qui  avaient  cependant  atteint  au  maxi- 
mum de  la  civihsation  et  de  la  grandeur?  l'avenir?  Eh  mais,  qui  ou 
quoi  nous  garantit  du  sort  de  ces  peuples  auxquels  je  fais  allusion? 
Rien  de  rassurant,  en  effet,  dans  notre  situation  présente  et  nous 
trouvons  autour  de  nous  les  signes  les  plus  évidents  d'une  décadence 
certaine 

La  concurrence  illimitée  et  souvent  heureuse  à  nos  industries  natio- 
nales, laquelle  nous  ferme  un  à  un  tous  tes  débouchés  sur  lesquels 
comptait  notre  commerce,  l'abaissement  rapide  et  continu  du  chiffre 

de  notre  natalité voilà  les  facteurs  effrayants  d'un  affaissement 

fatal —  joignez  à  cela  des  préoccupations  politiques  insensées,  l'ab- 
sorption de  la  fortune  publique  par  des  armements  formidables  en  vue 
de  choses  barbaies,  et  si  vous  ne  sentez  pas  l'émotion  vous  gagner  le 
cœur,  c'est  que  vous  aurez  perdu  la  notion  du  vrai,  le  sentiment  du 
patriotisme  ! 

Gomme  les  autres,  comme  vous  tous  sans  doute,  dans  la  modeste 
sphère  où  il  m"est  donné  de  me  mouvoir,  j'ai  recherché  les  moyens  les 
plus  pratiques  de  remédier  à  une  situation  aussi  douloureuse,  et  je  me 
suis  trouvé  d'accord  avec  tant  de  bons  esprits  que  je  crois  être  sur  la 
meilleure  piste, 

Chez  nous,  Mesdames  et  Messieurs,  c'est  dans  l'expansion,  c'est 
dans  la  colonisation   bien  comprise,   c'est  dans  la  paix  commerciale 

qu'est  le  remède et  j'espère  bien  vous  en  convaincre  tout-à- 

l'heure. 

Et  d'abord,  défiez-vous  sérieusement  des  journaux  et  des  liommes 
qui  vous  cornent  sur  tous  les  tons  que  le  Français  n'est  pas  colonisa- 
teur. . . .  Ceux  qui  le  disent,  ce  sont  ceux  qui  sont  intéressés  à  le  dire  : 
Fecïi  cui  prodest!  C'est  V éternel  axiome,  et  ceux    qui  le  disent  le 


—  202  — 

plus  fort  ce  sont  naturellement  les  Anglais,  ils  le  disent  d'un  air  en 
apparence  si  convaincu  qu'une  masse  de  nos  compatriotes  ont  fini  par 
le  croire  ! 

Ils  n'ont  plus  songé  que  les  dits  Anglais  vivent  actuellement  de  l'em- 
pire colonial  que  nous  avons  fondé,  nous  Français!  Cet  empire  des 
Indes,  œuvre  de  Dupleix,  nous  nous  le  sommes  laissé  voler,  c'est  vrai, 
et  cela  est  une  autre  affaire  !  Ce  qui  est  indubitable,  c'est  qu'il  a  été 
créé  par  des  colonisateurs  français  ! 

Le  Canada,  cette  colonie  dont  le  développement  prodigieux  étonne 
le  monde,  oîi,  en  quelques  années,  70,000  Français  sont  devenus 
2,500,000,  le  Canada,  anglais  aujourd'hui,  quoique  toujours  français 
de  cœur,  est  l'œuvre  d'une  poignée  de  colonisateurs  français  ! 

Qui  a  conquis,  soumis,  créé,  façonné  la  plus  belle  des  colonies 
actuelles,  l'Algérie  et  ses  dépendances  ?  Des  colonisateurs  français  ! 

Qui  a  colonisé  le  Texas,  la  Louisiane,  des  Français  ! 

Qui  a  donné  Madagascar  à  la  France  ?  Richelieu  ! 

Et  les    colonies   de  l'Ouest  africain et  les  Guyanes ,   et  les 

Antilles,  et  l'empire  Cochinchinois,  et  Tahiti,  et  la  Nouvelle-Calédo- 
nie.... et  tout  le  reste  ! 

Vous  voyez  donc  bien  que  nous   sommes  colonisateurs,   puisqu'il 

n'est  pas  un  lieu  du  monde  où  nous  n'ayons  colonisé bien  plus,  le 

Français  possède  au  suprême  degré  les  qualités  du  véritable  colonisa- 
teur et  aucun  autre  Européen  ne  reçoit  des  peuplades  étrangères  l'ac- 
cueil qui  lui  est  exclusivement  réservé Le  Sauvage  lui-même 

aime  le  Français  pour  l'aménité,  la  gaieté,  la  bonté,  la  franchise  de 
son  caractère,  alors  que,  courbant  la  tête  sous  la  force,  il  hait  en 
silence  l'Anglais  qui  ne  lui  parle  qu'avec  le  dédain  de  l'orgueil,  et  le 
riffle  à  la  main  ! 

Voulez-vous  que  je  vous  dise  ce  qui  manque  au  Français?  Ce  n'est 
pas  l'intelligence,  ce  n'est  pas  la  force  de  caractère,  ce  n'est  pas  l'am- 
bition ni  l'audace  des  entreprises nous  avons  donné  des  preuves 

de  tout  cela  ;  non,  mais  nous  ne  sommes  pas  adm,imstrateurs,  tout 
est  là. 

Et,  en  effet,  si  des  hommes  comme  les  Dupleix ,  les  Montcalm,  les 
Cartier,  etc ,  n'ont  pas  réussi,  c'est  qu'Us  ont  été  mollement  sou- 
tenus ou  lâchement  abandonnées  ;  pendant  qu'ils  se  sacrifiaient  pour 
la  grandeur  de  leur  pays,  les  intrigues  d'une  cour  luxeuse  et  corrom- 
pue annihilaient  leurs  efforts  ;  ils  croyaient  pouvoir  compter  sur  l'ad- 
ministration et  le  gouvernement,  ces  grands  français,  et  l'administra- 


-  203  - 

tion,  elle,  considérait  leur  action  comme  une  source   de   difficultés 
nouvelles,  de  complications  inutiles  ! 

Aujourd'hui,  les  conditions  se  sont  modifiées,  mais  les  principes  de 
la  routine  sont  restés  les  mêmes. 

La  centralisation  à  outrance  et  la  force  d'inertie,  voilà  le  système 
actuel. 

Assimilation  complète,  direction  unique  par  les  bureaux,  voilà  le 
rêve  du  gouvernement  qui  siège  à  la  rue  Rojalo. 
.  L'initiative  des  hommes  les  plus  honnêtes,  les  plus  dévoués,  les  plus 
compétents  en  matière  coloniale .  est  absolument  bannie,  et  cela  se 
conçoit,  d'un  centre  administratif  auquel  toutes  les  colonies  sont  reliées 
par  des  ficelles  à  l'impulsion  desquelles  seule  elles  doivent  obéir  ! 

En  Angleterre,  on  rit  ironiquement  d'une  méthode  aussi  tristement 
burlesque,  et  l'on  trépigne  d'aise,  car  nous  faisons  ainsi  les  affaires  de 
la  dévorante  Albion  ! 

L'Angleterre  ne  gouverne  pas  ses  colonies  selon  le  bon  plaisir  et  les 
lubies  de  bureaucrates  qui  n'y  ont  jamais  mis  les  pieds,  ni  sur  les  rap- 
ports d'inspecteurs  qui  ne  voient  jamais  que  ce  qu'on  veut  bien  leur 
laisser  voir,  qui  ne  disent  jamais  que  ce  qu'ils  savent  être  agréable  à 
ceux  auxquels  ils  s'adressent —  Non,  elle  gouverne  ses  colonies  en 
se  plaçant  surtout  au  point  de  vue  des  besoins  locaux  et,  pour  que  les 
erreurs  qu'elle  constate  chez  nous  ne  puissent  l'entraver  chez  elle, 
elle  laisse  aux  Colons  de  chaque  Colonie  le  soin  de  se  gouverneux  eux- 
mêmes — 

Eh  bien  !  rien  que  cette  idée,  si  simple  et  si  pratique,  fait  bondir 
nos  administrateurs  coloniaux  sur  leurs  fauteuils:  Comment!  pensent-ils 
sérieusement,  alors  que  de  vieux  admiiiistrateurs  de  profession,  rompus 
à  toutes  les  diificultés  de  gouvernement,  ont  tant  de  mal  à  mener  le 
char  colonial,  vous  prétendriez  laisser  s'administrer  elles-mêmes  des 
Colonies  qui  ne  savent  pas  même  profiter  des  conseils  de  notre  longue 
expérience  ?  Et  ils  sont  absolument  navrés. 

Entendons-nous  cependant  ;  en  blâmant  radministration  générale, 
les  Colons  français  ne  prétendent  point,  que  je  sache,  à  une  autonomie 
complète. . .  en  ce  qui  me  concerne,  je  crois  que  l'un  et  l'autre  système 
serait,  chez  nous,  défectueux,  mais  ce  que  j'affirme,  ce  que  vous  saisirez 
bien  tous,  c'est  que  St-Pierre-Miquelon,  par  exemple,  rocher  glacé  du 
Nord,  qui  vit  exclusivement  du  commerce  de  ses  morues,  ne  saurait 
en  rien  s'accommoder  des  mêmes  institutions  que  le  Sénégal,  pays  brû- 
lant, aux  populations  toutes  spéciales,  aux  produits  tcut  pai'ticuliers  ! 


-  204  — 

La  nuance  apparaît  de  suite,  n'est-ce  pas,  et,  même  sans  avoir 
parcouru  nos  colonies,  le  simple  bon  sens  suffit  à  laisser  entrevoir  que 
chaque  pays  doit  être  doté  d'institutions  en  rapport  avec  sa  situation 
géographique,  son  climat,  sa  population,  ses  mœurs,  ses  productions  ! 
C'est  élémentaire  ! 

L'assimilation  serait  l'idéal  assurément,  si  elle  était  possible,  car  elle 

simplifierait    singulièrement    les    rouages    administratifs mais 

essayez  d'assimiler  la  Nouvelle-Calédonie  ou  Tahiti  à  la  Côte  d'Or  ou 
au  département  de  la  Seine  et  vous  me  donnerez  des  nouvelles  du 
gâchis  que  vous  aurez  provoqué —  Voilà  pourtant  ce  à  quoi  l'on  vise 
et  pourquoi  nos  colonies  restent  dans  le  marasme. 

Il  y  a  pis  encore  que  tout  cela,  il  y  a  l'indifférence  la  plus  complète 
à  l'égard  de  nos  possessions  d'Outre  Mer  ;  à  l'heure  où  je  vous  parle, 
il  y  a  presque  une  majorité  au  Parlement  pour  la  suppression  radicale 
de  nos  colonies,  je  connais  tels  de  nos  ministres  du  moment  qui  ne 
supportent  même  pas  qu'on  leur  parle  de  Colonies,  ils  s'imaginent  que 
la  métropole  doit  se  concentrer  en  elle-même,  ne  vivre  que  par  elle- 
même  et  pour  elle-même,  comme  si  une  nation  maritime  de  l'impor- 
tance de  la  France,  qui  a  sur  trois  mers  une  étendue  décotes  immense, 
peut  ne  pas  posséder  des  points  de  relâche  et  de  ravitaillement  pour  sa 
marine  marchande,  des  points  stratégiques  et  des  dépôts  de  charbon 
pour  sa  flotte  de  guerre,  comme  si,  enfin,  à  l'image  d'une  ruche  qui 
n'essaimerait  pas,  une  grande  nation  peut  vivre  et  prospérer  si,  pério- 
diquement, elle  n'a  pas  les  moyens  de  se  rajeunir  par  le  renouvelle- 
ment partiel  d'une  certaine  fraction  de  sa  population. 

L'Angleterre  émigré  dans  ses  colonies,  l'Allemagne  qui  n'en  a  pas 
émigré  par  centaine  de  mille  chaque  année  sur  l'extrême  Ouest- 
Américain,  la  France,  elle,  n'émigre  pas  assez  nulle  part,  et  elle  voit 
le  chiffre  de  sa  natalité  le  plus  bas  de  toutes  les  nations  de  l'Europe, 
elle  se  laisse  encombrer  d'éléments  abâtardis  par  la  misère,  éléments 
qui,  transportés  sur  un  sol  neuf,  sous  un  ciel  nouveau,  sortiraient  de 
leur  atrophie  et  redeviendraient  producteurs  et  prolifiques,  tout  en 
laissant  sur  le  sol  de  la  Mère-Patrie,  place  plus  large  pour  le  dévelop- 
pement d'autres  catégories  de  citoyens. 

Aujourd'hui,  Mesdames  et  Messieurs,  dans  la  tournée  de  conférences 
que  nous  avons  entreprise  mes  collègues  et  moi ,  et  plus  particulière- 
ment M.  de  Mahy  et  moi ,  nous  constatons,  avec  une  grande  satisfac- 
tion, un  mouvement  sérieux  de  la  population  si  éprouvée  de  certaines 
parties  de  la  France  en  faveur  de  la  colonisation,  je  suis  littéralement 


—  205  — 

encombré  des  demandes  les  plus  sérieuses  émanant  d'hommes  rompus 
au  travail ,  de  chefs  do  familles  entières  qui  ciierchent  à  émigrer  dans 
nos  colonies  ;  la  Société  Française  de  Colonisation,  dont  j'ai  l'honneur 
d'être  membre  du  Conseil,  a  enregistré  à  l'heure  actuelle  près  de 
quarante  mille  de  ces  demandes. 

Hélas  !  Elle  n'a  pu  faire  droit  encore  qu'à  moins  d'une  centaine  ! 
Et  pourquoi,  Mesdames  et  Messieurs  ,  parce  que  nos  ressources  sont 
minimes  et  parce  que  l'Etat  refuse  son  aide  indispensable  à  cette 
œuvre,  la  plus  palriotique  de  toutes  sans  contredit  !  Le  budget  d'un 

peuple  comme  la  France  inscrit  au  ch& pitre  «  Emigration  » savez- 

vous  qu'elle  somme  ?  Vous  ne  pourriez  le  prévoir  :  cinquante  mille 
francs  !  Il  était  de  25,000  l'an  passé  ! 

Croyez-vous  qu'il  soit  de  bonne  politique  de  ne  point  profiter  de  cet 
élan,  de  cette  bonne  volonté  des  émigrants  français  pour  peupler  rapi- 
dement les  vasi  es  territoires  si  riches,  mais  déserts,  que  nous  possé- 
dons dans  certaines  colonies  et  d'y  créer  ainsi,  en  y  assurant  notre 
prépondérance  morale,  des  débouchés  nouveaux  et  certains  à  notre 
commerce  qui  agonise  ?  Vous  entendrez  M.  de  Mahy,  tout-k-l'heure. 

Sur  le  sol  de  la  métropole,  ces  quarante  mille  Français,  anéantis  par 
la  misère,  consomment  sans  produire  et  sans  se  reproduire,  ils  encom- 
brent et  restent  des  non-valeurs,  commercialement  parlant  ;  tranportez- 
les  sur  un  sol  vierge  où  ils  trouveront  des  conditions  nouvelles  et  ils 
se  métamorphoseront  rapidement  en  éléments  actifs,  producteurs  et 
reproducteurs  ;  de  plus,  ils  consommeront  fructueusement  pour  la 
Mère-Patrie  dont  ils  resteront  les  clients.  {Applaudissements.) 
Surtout,  qu'ils  ne  soient  })oint  paralyses  là-bas  par  h^s  mille  entraves 
mesquines  des  règlements  routiniers  de  cette  administration  que  per- 
sonne ne  nous  envie  plus  au  monde  et  bientôt  nous  aurons  des  colonies 
prospères. 

Dans  les  colonies.  Mesdames  et  Messieurs,  sous  ce  soleil  puissant, 
sur  ces  terres  fécondes,  exubérantes  de  végétation  splendide,  de  fruits 
et  de  productions  de  tous  genres  ,  jamais  personne,  même  le  plus  fai- 
néant des  hommes,  n'a  souffert  de  la  faim....  et  je  n'hésite  pas  à  déclarer 
que  je  considère  comme  coupable  le  gouvernement  qui,  possédant  de 
vastes  déseris  dans  ces  admirables  pays  du  soleil,  no  se  hâte  de  les 
partager  entre  les  citoyens  qu'il  n'a  pas  la  faculté  de  doter  sur 
le  territoire  même  de  la  patrie  où  ils  succombent  de  misère. 

Eh  bien  !  si,  Messieurs,  je  me  trompe,  l'Etat  a  des  faveurs  pour  une 
certaine  catégorie  d'individus,  il  les  transporte  dans  de  bonnes  condi- 


—  206  — 

tions  et  leur  partage  son  domaine  colonial mais,  pour  avoir  droit 

à  sa  pitié  et  à  ses  largesses,  il  faut  avoir  cessé  d'être  honnête et 

voilà  pourquoi  j'ai  pu  écrire  tout  récemment  sur  la  couverture 
d'un  livre,  que  vous  connaissez  peut-être,  ces  pai^oles  épouvantables 
mais  exactes  : 

On  se  demande  pourquoi  il  y  a  tant  de  malheureux  en  France, 
lorsqu'il  sufiSt  de  commettre  un  crime  pour  gagner  les  faveurs  du 
gouvernement .  (Applaudissements) . 

Cette  citation  navrante  est  si  vraie  pourtant,  Mesdames  et  Messieurs, 
que  le  Parlement  a  dû  élaborer  une  loi  contre  les  malheureux  qui 
commettent  un  crime  dans  le  seul  but  de  se  faire  transporter  en 
Nouvelle-Calédonie. 

Croyez-vous  de  bonne  foi  qu'un  Etat  comme  la  France  ne  prévien- 
drait pas,  jusqu'à  un  certain  point,  le  crime  et  la  récidive  en  tendant  la 
main  au  malheureux  pendant  qu'il  lutte  encore  avec  son  honnêteté 
native,  et  en  facilitant  l'exode  de  la  masse  de  ceux  qui  souffrent  avant 
que  l'excès  de  misère  les  ait  forcés  au  mal  ? 

Croyez-vous  que  la  France,  au  point  de  vue  budgétaire,  ne  trouve- 
rait pas  un  bénéfice  énorme  à  destiner  à  l'émigration  sur  ses  colonies 
quelques  millions  de  francs  cJiaque  année,  si  ces  trois  ou  quatre 
millions  pouvaient  lui  éviter  l'entretien  ruineux  d'une  partie  de  ses 
pénitenciers  de  tous  genres  et  de  son  administration  pénitentiau*e  qui 
est  une  armée  ? 

Mais  non,  ces  grandes  vérités  à  la  propagation  desquelles  nous  tra- 
vaillons, mon  éminent  ami  et  moi,  de  toutes  nos  forces,  touchent  peu 
nos  administrateurs....  nous  somraies  des  rêveurs  ,  disent-ils  ...  Et  le 
Parlement  fabrique  des  lois  insensées  sur  les  récidivistes,  comme  si 
on  pouvait  détruire  le  mal  sans  en  détruire  préalablement  la  racine. 
Or,  la  principale  source  du  mal  c'est  la  misère   {Applaudissements). 

Mesdames  et  Messieurs,  je  n'entrerai  pas  dans  d'autres  considéra- 
tions sur  nos  colonies,  je  ne  m'arrêterai  pas  à  vous  parler  de  la 
Guyane,  ni  de  Tahiti,  ni  de  Madagascar  dont  M.  de  Mahy  vous  entre- 
tiendra tout-à -l'heure  ,  je  vous  parlerai  seulement,  pour  ma  part,  delà 
Nouvelle-Calédonie  afin  de  pouvoir  vous  décrire  ce  pays  d'une  façon 
plus  détaillée. 

La  Nouvelle-Calédonie  est,  à  proprement  parler,  la  crête  d'une 
chaîne  de  montagne  émergeant  de  l'Océan  ;  elle  peut  avoir  quatre  à 
cinq  fois  la  superficie  de  la  Corse,  c'est  donc  un  territoire  important, 
bien  qu'excessivement  accidenté.  Le  pays  est  bien  arrosé  et  d'une  salu- 


—  207  — 

brité  remarquable,  la  mortalité  y  est  de  beaucoup  inférieure  à  celle  de 
la  France. 

L'île  est  presque  entièrement  entourée,  à  une  certaine  distance  des 
côtes,  d'une  ceinture  de  récifs  vraiment  formidables  contre  lesquels  les 
grandes  lames  du  large  viennent  briser  leur  puissance  et  qui  réserve 
entre  eux  et  la  terre  un  lagon  relativement  calme  dans  lequel  la  navi- 
gation intérieure,  le  cabotage  desservant  le  pays,  peut  s'effectuer  rapi- 
dement, dans  de  bonnes  conditions  de  sécurité.  Cette  chaîne  de  récifs, 
qui  s'étend  à  longues  distances  au  sud  et  dans  le  nord  de  la  Galédonie 
est  formée  de  murailles  coralligènes,  véritables  forteresses  construites 
par  des  infiniment  petits,  et  qui,  dans  certains  parages,  atteignent  des 
profondeurs  de  plusieurs  centaines  de  mètres  ! 

Le  corail,  cependant,  ne  vit  pas  à  ces  immenses  profondeurs  où  il  a 
été  entraîné,  à  des  époques  difficiles  à  déterminer,  par  le  mouvement 
de  bascule  du  sol  qu'a  subi  très  évidemment  toute  la  partie  océanienne 
de  l'hémisphère  sud.  Le  corail  a  dû  s'élever  peu  à  peu  sur  ses  bases 
primitives  pour  répondre  aux  conditions  normales  d'existence  que  lui 
a  imposées  la  nature.  Ces  petits  êtres,  en  effet,  ne  peuvent  guère  vivre 
à  plus  de  trente  et  quelques  mètres  de  profondeur  pour,  de  là,  venir 
s'épanouir  au  raz  des  basses  marées.  Telle  a  été  la  formation  de  ces 
gigantesques  murailles,  à  pic  sur  l'Océan,  si  commodes,  aujourd'hui, 
pour  la  navigation  et  l'exploitation  des  côtes  de  notre  colonie. 

L'aspect  du  pays  est  en  même  temps  grandiose  dans  sa  sauvagerie 
et  du  plus  merveilleux  pittoresque.  Sous  ce  rapport,  rien,  en  Europe, 
ne  saurait  lui  être  comparé. 

Le  pays,  qui  pourra  toujours  très  certainement  pourvoir  aux  besoins 
directs  de  la  consommation  locale  par  les  produits  de  son  agriculture, 
est  cependant  doté  d'un  territoire  arable  relativement  restreint ,  et  je 
ne  crois  pas  que  l'on  puisse  jamais  compter  sur  une  exportation  consi- 
dérable des  denrées  coloniales  proprement  dites,  mais  il  y  a  beaucoup 
à  faire,  par  contre,  au  point  de  vue  de  l'exploitation  de  la  richesse  pro- 
digieuse du  sol  en  minerais  de  toutes  sortes.  L'exposé  de  la  statistique 
suivante  peut  vous  donner  une  idée  de  son  extrême  importance. 

Le  total  des  minerais  de  toute  nature ,  exportés  de  la  colonie  de 
1872  à  1885,  s'élève  au  chiffre  de  110,897  tonnes,  c'est  une  moyenne 
de  8,430  tonnes  par  an. 

Le  maximum  a  été  atteint  en  1884  ;  les  exportations,  cette  année  , 
ont  été  de  19,225  tonnes. 

La  valeur  totale  des  minerais  exportés  pendant  cette  période  a 


-  208  - 

été  de  36,381,060  francs.  En  1872,  elle  n'était  que  de  204.288  francs , 
elle  s'est  élevée  à  un  maximum  de  4,814,050  francs  en  1884  pour 
retomber  à  2,233,040  en  1885. 

Cette  valeur  totale  se  subdivise  ainsi,  suivant  la  nature  des  mine- 
rais exportés  : 

Minerai  de  nickel  :  46,704  tonnes  représentant  une  valeur  de 
18,814,400  francs  ;  minerai  de  cuivre  ;  40,466  tonnes  représentant 
une  valeur  de  14,345,220  francs  ;  cobalt  :  10,980  tonnes  représentant 
une  valeur  de  2,153,425  francs  ;  clirôme  :  12,532  tonnes ,  représen- 
tant une  valeur  de  1,055,760  francs  ;  or  ;  213  kilog.,  485  gr.,  repré- 
sentant une  valeur  de  641 ,485  francs  ;  antimoine  :  190  tonnes  repré- 
sentant une  valeur  de  57,000  francs  ;  plomb  argentifère  :  25  tonnes 
500,  représentant  une  valeur  de  13,770  francs. 

La  teneur  de  ces  minerais  varie  :  pour  le  nickel,  de  8  à  14  "/o  ; 
pour  le  cuivre,  de  14  à  25  %;  pour  le  cobalt,  de  2  à  5  °/o;  pour  le 
chrome,  de  50  à  60  7o  ;  pour  l'antimoine ,  de  24  à  50  7o  ;  pour  le 
plomb  argentifère,  de  40  à  60  7o  de  plomb  et  de  500  à  1,000  gr.  d'ar- 
gent 

La  superficie  des  mines  en  instance,  au  31  décembre  1885,  s'élève 
à  63,713  hectares  87  ares  se  répartissant  ainsi  : 

406  mines  de  nickel,  d'une  superficie  de  37,965  hectares  ;  94  mines 
de  cobalt,  d'une  superficie  de  10,626  hectares  ;  73  mines  de  chrome, 
d'une  superficie  de  4,366  hectares  ;  43  mines  de  cuivre,  dune  super- 
ficie de  4,114  hectares  :  15  mines  de  houille ,  d'une  superficie  de 
2.817  hectares  12  ares  ;  17  mines  d'antimoine ,  d'une  superficie  de 
1,170  hectares;  9  mines  d'or,  d'une  superficie  de  370  hectares; 
3  mines  de  plomb  argentifère  ,  d'une  superficie  de  300  hectai^es  :  33 
mines  de  fer,  de  zinc,  d'étain,  de  pyrites  aurifères  et  argentifères , 
de  platine,  d'opale  et  de  plombagine ,  le  tout  d'unes  uperficie  de 
1,985  hectares  75  ares. 

Pour  avoir  la  superficie  totale  des  mines  demandées ,  de  1870  au 
31  décembre  1885,  il  faut  ajouter  aux  chiffres  précédents  : 

Les  demandes  minières  abandonnées ,  formant  une  superficie  de 
33,659  hectares  54  ares. 

Les  concessions  provisoires  et  permis  de  recherches  demandés  et 
périmés  au  l^""  janvier  1885,  soit  28,597  hectares  ; 

Enfin,  les  permis  de  recherche  en  instance  au  1''''  janvier  1886  , 
soit  12.778  hectares  50  ares. 

Il  convient  d'ajouter  à  ces  chiffres  celui  des  concessions  minières 


-  209  — 

instituées  depuis  1879  jusqu'au  31  décembre  1885,  soit  10,937  hec- 
tares 35  ares  34  centiares. 

Soit  une  superficie  totale  de  154,952  iiectares  26  ares. 

Voici  maintenant  la  répartition  des  mines  définitivement  instituées 
au  31  décembre  1885. 

Nickel  :  51  mines  représentant  4,874  hectares  51  ares  94  cen- 
tiares ; 

Cobalt  :  14  mines  représentant  1,535  hectares  10  ares  ; 

Chrome  :  7  mines  représentant  3,306  hectares  68  ares  45  cen- 
tiares ; 

Cuivre  :  29  mines  représentant  747  hectares  94  ai*es  29  centiares; 

Houille  :  une  mine  représentant  5  hectares  ; 

Antimoine  :  10  mines  représentant  313  hectares  11  ares  65  cen- 
tiares ; 

Or  :  8  mines  représentant  55  hectares  ; 

Plomb  argentifère,  manganèse,  fer,  pyrites  aurifères,  opale, 
argent,  zinc,  étain,  platine  et  plombagine  ; 

Une  mine  instituée  (manganèse)  d'une  superficie  de  100  hectares. 

Les  mines  de  cette  dernière  catégorie,  en  instance,  sont  au  nombre 
de  36  et  représentent  une  superficie  de  2,285  hectares  75  ares. 

Parmi  les  mines  de  cuivi  e  ,  on  peut  citer  la  mine  Pilon ,  qui  est 
actuellement  en  exploitation  et  dont  le  minerai  est  d'une  teneur 
moyenne  de  30  °/o.  Ce  rainerai  est  le  plus  riche  que  l'on  ait 
encore  trouvé  en  Nouvelle-Calédonie.  Si  les  résultats  que  font  pré- 
voir les  premiers  travaux  opérés  sur  cette  mine  se  réalisent,  on 
pourra  y  occuper  avant  deux  ans  un  effectif  de  2,000  travailleurs. 
Avec  deux  exploitations  de  cette  importance,  les  affaires  de  la  colo- 
nie seraient  relevées ,  et  cette  éventualité  n'a  rien  d'impossible. 
Malgré  les  nombreuses  l'echerches  et  déclarations  dont  nos  terrains 
miniers  ont  été  l'objet,  le  pays  est  encore  loin  d'être  connu ,  et  plus 
il  sera  exploré,  plus  les  découvertes  prendront  de  l'importance. 

Vous  voyez  que  la  Nouvelle-Calédonie  renferme  des  mines  d'une 
très  grande  valeur.  On  les  a  encore  peu  exploitéesjusqu'ici  par  rapport 
à  leur  richesse  ,  et  cela  par  défaut  d'argent,  car  les  Calédoniens  ,  n'é- 
tant pas  pour  la  plupart  assez  riches,  ne  peuvent  guère  songer,  comme 
en  France  ,  à  la  création  de  sociétés  minières. 

Pour  l'exploitation  des  mines  de  la  colonie  ,  nous  sommes  obligés  à 
l'heure  actuelle  ,  de  nous  adresser  à  l'étranger  et  comme  les  Anglais 
ne  sont  pas  bien  loin ,  c'est  à  eux  tout  natui^ellement  qu'on  confie  cette 

15 


-  210  - 

grande  entreprise.  C'est  un  véritable  malheur  que  je  m'eflForce  ,  dans 
mes  conférences ,  de  faire  ressortir,  en  engageant  mes  compatriotes  à 
se  former,  eux  aussi ,  en  sociétés ,  afin  de  pouvoir  exploiter  eux- 
mêmes  ces  immenses  richesses. 

La  houille  de  Nouvelle-Calédonie ,  d'après  les  analyses  de  M.  Porte, 
pharmacien  de  la  marine ,  possède  une  puissance  de  chauffage  supé- 
rieure à  celle  de  certaines  mines  australiennes  ,  et  les  récentes  décou- 
vertes dénoncent  un  vaste  bassin  houiller  comprenant  à  peu  près  tout 
le  versant  ouest  de  l'île. 

Il  y  a  donc  en  Nouvelle-Calédonie  un  bassin  houiller  de  première 
importance  ;  aussi  aurons-nous  dans  ce  pays  ,  dès  que  le  percement 
du  canal  de  Panama  sera  un  fait  accomph,  non-seulement  une  situation 
navale  excessivement  sûre ,  mais  encore  un  dépôt  de  charbon  de  la 
plus  haute  valeur. 

Outre  le  minerai ,  il  y  a  en  Nouvelle-Calédonie  du  bétail  en  grande 
quantité  :  c'est ,  en  quelque  sorte ,  la  seule  de  nos  colonies  oii  l'on 
puisse  élever  le  bétail  dans  de  boni  es  conditions. 

Elle  fournit  déjà  à  la  marine  et  à  l'armée  une  partie  des  conserves 
de  viande  ,  et  elle  pourra  ,  sous  très  peu  de  temps  ,  lui  en  fournir  la 
presque  totalité.  C'est ,  il  me  semble  ,  assez  dire  que  dans  ce  pays  le 
bétail  croît  bien  et  est  par  conséquent  de  bonne  quahté. 

La  population  indigène  de  la  Nouvelle-Calédonie ,  celle  que  nous 
avons  rencontrée  quand  nous  sommes  allés  nous  installer  dans  ce  pays, 
doit  avoir  une  origine  tout  à  fait  ancienne.  Il  paraît  absolument  cer- 
tain que  cette  race  est  arrivée  dans  l'île  par  une  succession  de  nau- 
frages. Il  y  a  dans  ces  parages  ,  comme  vous  le  savez  ,  des  courants 
marins  qui  se  dirigent  de  l'est  à  l'ouest  et  qui  sont  puissamment 
secondés  par  des  vents  alises  soufflant  de  la  partie  nord  et  est,  et  diri- 
geant, par  conséquent,  vers  l'ouest  tous  corps  susceptibles  de  flotter  : 
Eh  bien ,  le  Canaque  est  navigateur,  il  construit  avec  des  troncs 
d'arbres  de  solides  pirogues  doubles ,  portant  plate-forme  avec  foyer 
central ,  sur  lesquelles  il  s'installe  avec  sa  famille  ,  et  va  pécher  sur  les 
récifs  quelquefois  durant  plusieurs  jours.  Quand  le  temps  est  beau  ,  un 
voyage  en  mer  accompli  dans  ces  conditions  n'a  rien  de  dangereux , 
mais  quand  survient  la  tempête  ,  et  le  mauvais  temps  s'annonce  assez 
brusquement  dans  ces  contrées ,  le  Canaque ,  entraîné  par  la  bour- 
rasque,  perd  à  jamais  de  vue  son  pays  natal  et  ne  s'arrête  que  lors 
qu'une  île  ,  une  terre  nouvelle  lui  barre  le  passage  ;  il  y  descend  avec 
sa  famille  et  il  y  reproduit  sa  race.  C'est  ce  qu'ont  dû  faire  certaines 


-  211  - 

populations  de  l'Inde  et  de  la  Polynésie  pour  arriver  enfin  jusqu'en 
Nouvelle-Calédonie. 

11  y  a  dans  l'île  deux,  types  d'indigènes  :  le  Canaque  au  teint  jaune  , 
qui  semble  se  rapprocher  du  type  polynésien  ou  tahitien,  et  le  Canaque 
au  teint  presque  noir,  nuance  chocolat ,  pour  ainsi  dire.  La  présence 
de  cer.  deux  types  différents  s'explique  tout  naturellement  par  l'exis- 
tence des  grands  courants  atmosphériques  et  marins,  et  par  le  système 
de  naufrages  probables  dont  je  vous  parlais  tout-à-l'heure. 

Ces  gens-là  ont  dû  se  trouver  très  nombreux,  à  certaines  époques , 
dans  la  Nouvelle-Calédonie ,  car  on  y  remarque  des  traces  considé- 
rables de  cultures  :  il  n'existe  dans  le  pays  aucun  recoin  fertile 
paraissant  ne  point  avoir  été  cultivé  jadis.  Souvent  même ,  les  mon- 
tagnes ont  leurs  flancs  couverts  de  magnifiques  plantations ,  offrant 
ainsi ,  de  leur  base  au  sommet  un  coup-d'œil  vraiment  remarquable. 

L'un  des  principaux  produits  de  l'agriculture  indigène  est  le  Taro  , 
que  vous  connaissez  sans  doute  pour  l'avoir  vu  dans  nos  squares  : 
c'est  une  plante  magnifique  à  feuilles  vertes  lustrées  ayant  la  forme  de 
lances  ,  et  qui  donne  un  très  gros  tubercule  farineux  et  très  nourris- 
sant. On  la  cultive  en  beaucoups  d'endroits  de  l'île  ,  et  principalement 
sur  les  versants  du  bord  de  la  mer. 

Pour  ses  cultures ,  le  Canaque  remue  à  fond  le  sol  :  il  le  travaille 
avec  un  simple  piquet  de  bois  lourd  ,  durci  au  feu  ,  mais  cet  instrument 
est  puissant  entre  ces  mains  ;  au  fur  et  à  mesure  qu'il  soulève  la  terre, 
les  femmes  en  triturent  les  mottes  pour  en  retirer  toutes  les  impu- 
retés ,  tous  les  détritus  étrangers  ,  en  un  mot ,  pour  la  rendre  parfai- 
tement nette.  C'est  principalement  dans  des  terres  ainsi  nettoyées  et 
préparées ,  lesquelles  produisent  excellemment  pendant  quelques 
années  ,  que  les  Canaques  plantent  leurs  ignames.  La  présence  de  ces 
nombreuses  traces  de  culture  dans  toute  la  Nouvelle-Calédonie  établit 
suffisamment  qu'il  a  dû  exister  dans  ce  pays  qui,  actuellement  ne 
compte  plus  guère  que  40  à  50  niille  Canaques,  des  centaines  de  mille 
de  ces  indigènes.  Cette  race  disparaît  donc  ,  comme  d'ailleurs  celle  de 
tous  ces  parages  ,  et  l'on  peut  attribuer  cette  décroissance  énorme  à 
une  foule  de  causes ,  et  non  pas  exclusivement  au  contact  des  Euro- 
péens, car  elle  remonte  certainement  à  de  longues  années  avant  leur 
apparition. 

Assurément  nous  avons  apporté  des  vices  aux  Canaques  ;  ils  boivent 
et  ils  fument ,  mais  ce  n'est  pas  nous  qui  avons  pu  provoquer  leur 
dégénérescence  rapide. 


y 


—  212  — 

Nous  devons  surtout  l'attribuer  à  des  causes  inhérentes  aux  mœurs 
mêmes  de  la  race  :  les  mères  ,  par  exemple  ,  ne  prennent  pas  grand 
soin  de  leurs  filles ,  elles  soignent  assez  bien  leurs  garçons  que  sur- 
veillent les  pères  parce  que  ,  un  jour,  ils  devront  leur  succéder  et  les 
aideront  de  leur  travail ,  mais  quant  aux  filles  elles  s'en  occupent  peu 
et  n'hésitent  pas  parfois  à  les  faire  disparaître  .  lorsqu'elles  les  gênent, 
par  exemple,  pour  courir  les  Pilous,  sorte  de  fête  locale  fort  en  usage 
en  Nouvelle-Calédonie  ;  de  plus ,  les  femmes  canaques ,  par  paresse 
sans  doute,  allaitent  leurs  enfants  pendant  un  temps  infini,  quelquefois 
pendant  quatre,  cinq  et  même  six  ans.  Je  me  rappelle  avoir  vu,  un 
jour,  un  petit  enfant  qui  prenait  alternativement,  le  sein  et  la  pipe  de 
sa  mère  ;  c'était,  comme  vous  pouvez  en  juger,  un  spectacle  assez 
original  et  fort  déplaisani,  et  si  je  le  rappelle,  c'est  parce  qu'il  peut 
vous  donner  une  idée  de  la  longue  durée  de  l'allaitement  chez  les  indi- 
gènes de  la  Nouvelle-Calédonie. 

11  existe  encore  une  autre  cause  grave  de  la  dégénérescence  de  la 
race  canaque  :  C'est  une  coutume  assez  singulière  d'après  laquelle  les 
mariages  se  préparent  dès  la  naissance  même  des  enfants  ;  ainsi , 
lorsqu'une  fille  vient  de  naître,  on  donne  immédiatement  dans  son 
village  une  sorte  de  petite  fête  à  laquelle  l'enfant  est  ordinairement 
plongé  un  instant  dans  l'eau. 

Après  cette  cérémonie,  qui  n'a  aucun  caractère  religieux,  comme 
on  pourrait  le  croire,  les  parents  présents  choisissent  d'un  commun 
accord  le  fiancé  qui  leur  semble  convenir  le  mieux  à  la  petite  fille  ; 
c'est,  dans  la  plupart  des  cas,  une  simple  question  d'argent,  un  véri- 
table marché.  Parfois  il  arrive  qu'un  petit  garçon,  né  presque  en  même 
temps  que  la  petite  fille,  dans  le  même  village  ou  dans  un  village  voisin, 
est  mis  sur  les  rangs,  et,  en  cas  d'acceptation,  les  cadeaux  s'échangent 
immédiatement  entre  les  parents  des  deux  nouveau-nés.  En  général, 
ces  mariages  ne  sont  pas  heureux,  car  il  arrive  que  les  âges  des  époux 
sont  disproportionnés  et  qu'ils  n'ont  l'un  pour  l'autre  aucune  inclina- 
tion. Aussi,  quand  l'âge  du  mariage  est  arrivé,  le  jeune  homme  quel- 
quefois abandonne  sa  femme  et  s'enfuit,  et  réciproquement.  Les  lois 
matrimoniales  des  Canaques  sont  donc  une  des  causes  principales  de 
la  décroissance  rapide  de  cette  race.  Il  leur  naît,  du  reste,  moins  de 
filles  que  de  garçons. 

En  Nouvelle-Calédonie,  comme  d'ailleurs  dans  presque  toutes  les 
tribus  d'indigènes  vivant  à  l'état  sauvage,  les  femmes  s'achètent  ordi- 
nairement comme  de  véritables  esclaves.  L'homme  ne  considère  pas 


-^  213  — 

sa  femme  comme  uno  campagne  Adèle  avec  laquelle  il  poul,  parlagor 
SOS  sentimonts,  mais  bien  comme  une  simple  bête  de  somme,  et  plus 
il  a  de  femmes,  c'esl-à-dire  plus  il  est  riche,  plus  il  est  heureux.  L'une 
va  recueillir  les  coquillages  sur  le  bord  de  la  mer,  ce  qui  est  une 
besogne  pénible,  l'autre  transporte  les  pierres  pour  le  foyer,  une 
troisième  fait  la  provision  de  bois,  etc. 

Bref,  plus  un  homme  a  de  femmes,  plus  il  est  soigné,  plus  il  vit  dans 
une  douce  paresse,  plus  il  jouit  d'une  grande  considération. 

En  Nouvelle-Calédonie,  la  femme  s'achette  ordinairement  à  celui 
dont  elle  dépend  à  l'aide  de  monnaie  Calédonienne,  enfilade  de  petits 
coquillages  fort  rares  dont  un  métro  vaut  environ  luiit  cent  francs  ; 
la  longueur  du  chapelet  est  proportionnée  aux  qualités  reconnues  chez 
l'objet  du  marché.  Aux  Nouvelles  Hébrides  ou  le  porc  est  en  hcmneur 
c'est  contre  deux  ou  trois  de  ces  intéressants  animaux  que  la  femme 
est  généralement  échangée,  et  ne  croyez  pas,  Mesdames,  que  ce  pro- 
cédé puisse  blesser  en  quoi  que  ce  soit  la  susceptibilité  de  ces  filles  de 
la  nature  ;  elles  sont  fières  au  contraire  de  se  voir  aussi  hautement 
estimées,  car,  chez  ces  peuplades,  le  porc  est  l'animal  privilégié  ;  il 
a  droit  au  lit  et  à  la  table ,  il  circule  partout  à  sa  guise  et  si,  par 
malheur,  une  mère  vient  à  mettre  au  monde  plus  de  petits  qu'elle  n'en 
peut  nourrir,  les  déshérités  ne  sont  pas  sacrifiés  pour  cela,  les  femmes 
du  village  qui  se  trouvent  en  état  de  le  faire  leur  donnent  charitable- 
ment le  sein. 

J'ai  dit  plus  haut  que  la  femme  Calédonienne  sacrifiait  volontiers 
l'existence  de  sa  petite  fille  poui'  ne  point  être  entravée  dans  les  courses 
à  travers  les  Pilous  du  voisinage,  ces  mœurs,  heureusement,  tendent  à 
disparaître  ;  néanmoins  je  pus  constater  de  visu  lafaciUtéaveclaquelle 
une  Canaque  que  j'employais  sur  mes  plantations  comme  travailleuse 
fit  passer  de  vie  à  trépas,  en  lui  enfonçant  le  crâne  d'un  coup  de  pierre, 
son  pauvre  petit  nouveau-né. 

Cet  acte  de  sauvagerie  m'ayant  révolté,  j'en  fis  prévenir  le  chef 
voisin,  qui  alla  constater  le  fait  et  vint  me  dire  en  souriant  que  c'était 
là  un  fait  bien  ordinaire  et  d'une  importance  d'autant  plus  mince  que 
l'enfant,  prétendait  la  mère,  était  d'un  Européen...  Et  la  malheureuse 
continua  à  jouir,  dans  la  contrée,  de  la  réputation  qu'elle  méritait; 
celle  d'une  excellente  bête  de  somme  ! 

La  femme,  en  vérité  souffre  moins  qu'on  pourrait  le  croire  de  cet 
état  d'avilissement  qui  lui  paraît  à  elle-même  si  ualurel  ;  elle  se  met 
sur  le  dos  des  poids  énormes  et  considère  ce  métier  de  porte-faix 


-214  ~ 

comme  le  plus  naturel  du  monde  pour  le  sexe  auquel  elle  appartient. 
Il  y  a  d'autant  moins  sujet  de  s'apitoyer  sur  leur  sort  que  c'est  surtout 
lorsqu'elles  marchent  à  vides  qu'elles  paraissent  souffrir. 

Un  beau  jour,  sur  les  confins  de  ma  propriété,  je  rencontrai  une 
bonne  vieille  succombant  sous  un  ballot  énorme  dont  je  fus  curieux  de 

vérifier  le  contenu C'était  tout  bonnement  une  masse  de  cailloux 

qu'elle  avait  rencontrés  à  plus  de  quatre  kilomètres  de  chez  moi  et 
qu'elle  portait  au  moins  à  6  kilomètres  plus  loin  par  la  seule  raison, 
me  dit-elle,  que  ces  pierres  lui  avaient  plu  pour  son  foyer,  par  leur 
forme  et  leur  qualité.  Lorsqu'une  femme  n'a  pas  sa  charge  ordinaire, 
elle  paraît  s'inquiéter  et  sonder  l'espace  autour  d'elle  comme  pour 
chercher  matière  à  constituer  son  fardeau. 

L'homme,  lui,  ne  fait  rien  ou  ne  fait  que  ce  que  la  femme  ne  peut 
absolument  pas  faire.  Il  ne  porte  jamais  rien  que  son  casse-tête  ou  sa 
sagaie,  marchant  fièrement  le  long  des  sentiers  ou  du  bord  de  la  mer, 
lançant  sa  fronde  ou  péchant  un  poisson  et  lorsque,  par  hasard,  une 
femme  venant  en  sens  inverse  l'aperçoit  à  temps,  elle  s'efface  immé- 
diatement dans  la  brousse  comme  un  objet  indigne  de  paraître  aux 
yeux  de  ce  seigneur  et  maître  ;  si  elle  est  surprise,  aussitôt  elle  se 
courbe  jusqu'à  terre  pendant  que  l'homme  passe,  affectant  dédaigneu- 
sement de  jeter  les  yeux  sur  la  pauvre  créature. 

La  même  cérémonie  se  répète  devant  un  Européen,  à  moins  que  ce 
ne  soit  un  condamné  ou  un  libéré.  La  femme  indigène  a  du  flair  h  cet 
égard  ;  elle  connaît  l'état  d'avilissement  du  blanc  en  question  et  ne 

craint  pas  d'entrer  immédiatement  en  pourparlers  avec  lui Aussi, 

pour  un  peu  de  rhum,  un  morceau  de  tabac,  un  dix  sous,  un  forçat 
peut  obtenir  bien  des  choses  dans  un  village,  alors  qu'un  homme  libre 
devra  faire  les  plus  grands  eô'orts  diplomatiques  pour  arriver  au  même 
résultat. 

Les  hommes  cultivent  la  terre,  ce  qui  ne  leur  prend  guère  qu'un 
mois  ou  deux  par  année.  Ils  se  livrent  à  quelques  travaux  de  sculpture 
grossière  ;  ils  font  la  pêche  en  commun,  à  l'aide  d'immenses  filets  qu'ils 
savent  confectionner  dans  la  perfection  ;  ils  construisent  les  cases  et 
façonnent  les  pirogues  à  l'aide  d'énormes  troncs  d'arbres  qu'ils  vont 
chercher  jusque  dans  les  endroits  les  plus  reculés  des  forêts.  C'est  un 
spectacle  excessivement  curieux  que  celui  du  transport  sur  le  httoral 
de  ces  géants  de  la  nature  qui  croissent  sur  les  montagnes  abruytes  de 
l'intérieur  de  l'île. 


-  215  - 

Voici  ce  que  je  disais  à  cet  égard  dans  une  précédente  conférence  à 
]a  Société  française  de  Colonisation  : 

Rien  de  curieux  comme  cette  manœuvre  de  la  descente  de  ces 
pièces  énormes  du  centre  des  forets  encore  vierges  jusqu'à  la  mer,  à 
l'aide  des  moyens  primitifs  dont  disposent  .ces  sauvages. 

Lorsque  le  conseil  des  vieillards,  toujours  plus  écouté  et  redouté 
que  le  chef  même,  a  décidé  que  la  tribu  devait  construire  une  grande 
pirogue  pour  le  service  de  tous,  on  désigne  un  certain  nombre  de 
Canaques,  renommés  pour  leur  connaissance  des  bois  et  leur  habileté 
en  sculpture,  afin  de  choisir,  dans  les  forets,  l'arbre  o  les  arbres 
nécessaires. 

La  recherche  est  quelquefois  longue  ;  mais  jamais  les  difficultés  que 
peut  entraîner  la  situation  même  de  l'arbre  n'entrent  en  considération 
dans  le  choix  qui  est  fait.  Si  l'arbre  convient  par  sa  qualiié  et  son 
énormité  cela  suffit,  serait-il  sur  une  pente  de  50  degrés  ou  dans  le 
fond  le  plus  effrayant  des  précipices. 

On  met  quelquefois  plus  d'un  mois  à  l'abattre  —  car  souvent  la  base 
de  ces  géants  s'appuie  sur  des  contre-forts  puissants  qui  en  doublent 
le  diamètre  et  couvrent  tout  un  territoire.  Jadis  c'était  par  l'entretien 
d'un  feu  constant  que  les  Canaques  arrivaient  à  user  ce  qu'ils  coupent 
aujourd'hui  à  l'aide  de  la  hache  américaine  qui  est  parvenue  jusqu'à 
eux.  11  fallait  alors  une  année  peut-être  pour  arriver  au  même  but. 

Pendant  ce  pénible  travail,  tous  les  hommes  valides  de  la  tribu  sont 
occupés  à  tracer  et  déblayer  à  travers  l'inextricable  végétation  de  la 
forêt  le  sillon  que  devra  suivre  la  pièce  de  bois  pour  se  rendre  au 
village  et  à  la  mer.  Il  est  difficile  de  se  faire,  chez  nous,  idée  d'une 
besogne  pareille  à  travers  les  entassements  prodigieux  d'une  forêt 
tropicale  et  les  brusques  accidents  de  terrain  qui  caractérisent  les  îles 
qui  nous  occupent.  La  sente  déblayée  plonge  parfois  brusquement  au 
centre  de  véritables  gouffres  pour  se  redresser  immédiatement  sur  des 
parois  presque  à  pic. 

N'importe,  on  sape,  on  coupe  ,  on  ouvre  malgré  tout  la  voie,  du  lieu 
où  gît  le  bloc  jusqu'aux  confins  de  la  forêt. 

Il  ne  s'agit  plus  que  de  disposer  les  lianes  solides,  nécessaires  à  la 
traction,  et  à  se  procurer  la  force  suffisante.  C'est  alors  qu'une  véri- 
table fête  commence. 

On  a  invité  les  amis  des  tribus  voisines  à  venir  donner  leur  con- 
cours, et  au  jour  convenu  on  peut  apercevoir  des  grappes  humaines 


-  216  — 

noires  et  mouvantes  suspendues  aux  flancs  des  montagnes,  conver- 
geant toutes  vers  le  point  indiqué. 

Une  fois  réunis,  toutes  les  forces  s'établissent  autour  du  monstre  à 
entraîner  ;  le  chapelet  humain  s'allonge  en  deux  files  sur  les  lianes 
amarrées  de  façon  à  éviter  tout  frtotemeut  sur  le  sol  ;  de  solides  gail- 
lards, armés  de  leviers,  escortent  les  flancs  du  bloc  de  façon  à  lui 
faire  éviter  les  obstacles  et  à  le  soulever  s'il  vient  à  s'accrocher  quel- 
que part  ;  puis,  tout  étant  bien  disposé,  un  hourrah  formidable  éclate 
sous  les  voûtes  du  bois  et  le  singulier  attelage  s'élance  en  bondissant 
sur  la  sente  tracée. 

On  met  parfois  huit  jours  et  plus  pour  arriver  à  la  mer;  mais  il 
n'est  pas  d'exemple  qu'on  ait  jamais  abandonné  un  poteau  ou  une 
pirogue  en  route.  La  patience  est  la  force  du  sauvage  !  Il  faut  les  voir, 
dans  les  pentes  escarpées,  calant  le  bloc  prêt  à  retomber  au  fond  du 
ravin,  puis  se  reprenant  en  chantant  en  chœur,  le  faisant  avancer 
d'une  brasse,  le  calant  à  nouveau,  pour  enfin  atteindre  le  sommet 
aigu  d'où  il  faudra  encore  replonger  dans  l'abîme. 

Mais  si  la  montée  est  un  labeur  immense,  la  descente  est  une  joie 
insensée  ;  la  poutre  est  lancée  par  la  multitude  qui  l'entraîne  de  toute 
la  vitesse  de  ses  jambes  d'acier...  ,  le  tronc  bondit  et  se  précipite, 
semblant  devoir  broyer  tous  les  imprudents  qui  narguent  ses  mena- 
ces—  et,  de  temps  en  temps,  pendant  cette  descente  vertigineuse, 
vous  apercevez  les  plus  audacieux  s'élancer  sur  le  dos  du  monstre,  y 
stationner  quelques  secondes  en  poussant  des  sifflements  aigus  pour 
sauter  en  riant  du  côté  opposé. 

Arrivée  au  village,  la  pièce  est  remisée  à  l'ombre  des  cocotiers  et 
livrée  aux  principaux  artistes  de  la  tribu.  Si  c'est  un  poteau  de  case, 
elle  est  arrondie  à  sa  base  et  disposée  à  la  partie  supérieure  pour 
recevoir  les  bois  de  la  toiture.  Elle  est  alors  en  lioup,  essence 
incorruptible  d'nne  grande  densité  et  d'un  beau  grain  jaune-brun.  Si 
c'est  une  pirogue  que  l'on  veut  établir,  la  pièce  est  creusée  lentement 
à  l'aide  de  hachettes,  d'erminettes,  de  ciseaux  de  menuisiers  ,  emman- 
chés par  les  ouvriers  eux-mêmes  et  d'une  façon  toute  particulière; 
puis  elle  est  façonnée  extérieurement,  de  manière  à  bien  s'asseoir  sur 
l'eau,  sculptée  aux  deux  extrémités ,  pourvue  de  balanciers  destinés  à 
la  rendre  stable  lorsqu'elle  ne  doit  pas  être  accouplée  à  une  autre 
pirogue  même,  et  enfin  munie  d'un  mât,  d'une  voile  de  nattes  trian- 
gulaire, d'une  ancre,  qui  n'est  autre  qu'une  pierre  lourde  et  percée 


-  217  - 

d'un  trou  qui  sert  à  la  rattacher  à  l'embarcation,  et  enfin  lancée  à  la 
mer. 

Les  villages  canaques,  qui  sont  presque  tous  situés  sur  le  bord  de  la 
mer,  sont  généralement  disposés  avec  un  certain  goût,  particulier  aux 
indigènes.  Ceux-ci,  dès  qu'ils  ont  l'intention  ne  créer  un  village,  com- 
mencent par  planter  des  cocotiers  en  ligne  droite  sur  l'emplacement 
qui  lui  est  destiné,  et  ils  y  ajoutent  toute  une  variété  des  plus  jolies 
plantes  de  la  Nouvelle  Calédonie  ;  c'est  dans  le  milieu  de  cette  admi- 
rable végétation  qu'ils  construisent  leurs  cases.  La  visite  d'un  village 
est  ordinairement  très  curieuse  :  les  habitants,  n'ayant  généralement 
aucune  préoccupation  politique  ou  autre,  vivent  pour  la  plupart,  je  parle 
surtout  des  hommes,  dans  une  sorte  d'oisiveté  que  beaucoup  de  gens 
leur  envieraient.  L'emplacement  d'un  village  est  toujours  choisi  auprès 
d'un  cours  d'eau  et,  autant  que  possible,  il  est  situé  non  loin  de  son 
embouchure,  car  les  Canaques,  qui  ne  sont  pas  moins  observateurs 
que  nous,  n'ignorent  pas  que  c'est  principalement  à  l'embouchure  des 
cours  d'eau  que  la  pêche  est  la  plus  abondante. 

Il  y  a  dans  chaque  village  canaque  des  cases  de  différentes  formes  ; 
celle  du  chef  occupe  généralement  l'extrémité  d'une  allée.  Le  chef, 
cependant,  ne  l'habite  jamais  et  il  ne  faut  en  aucun  temps  l'y  aller 
chercher,  car,  sachant  très  bien  que,  naturellement,  il  a  des  ennemis 
capables  d'attenter  à  ses  jours,  en  homme  très  prudent,  il  demeure 
tantôt  dans  un  endroit  tantôt  dans  un  autre,  et  presque  toujours  dans 
une  case  de  peu  d'appai'ence  de  sorte  qu'il  n'est  pas  toujours  facile  do 
connaître  le  lieu  de  sa  résidence.  Les  personnes  qui  désirent  le  voir  en 
font  part  d'abord  à  quelqu'un  de  son  entourage,  qui,  suivant  les  ordres 
mêmes  de  son  maître,  indique  un  endroit  favorable  à  l'entrevue. 

Comme  je  vous  le  disais  tout-à-l'heure,  le  Canaque  mène  une  vie 
bizarre  qu'il  passe  ordinairement  à  ne  rien  faire.  A  part  les  occupations 
que  je  vous  ai  indiquées  tantôt  et  celle  de  la  culture  du  taro  ei  de 
y  igname,  il  fait  fort  peu  de  chose  ;  il  n'a  pas  à  se  préoccuper  de  son 
vêtement,  puisqu'il  n'en  })oi'te  pas  ;  il  n'a  pas  de  préoccupations  poli- 
tiques, puisqu'il  n'a  ni  Sénat,  ni  Chambre  de  Députés;  en  somme,  il  est 
loin  d'être  malheureux. 

Il  n'existe  chez  les  Canaques  qu'une  seule  sorte  d'assemblée  admi- 
nistrative, laquelle  assemblée  se  compose  entièrement  de  vieillards 
qu'on  écoute  toujours  avec  attention  et  qui  ont  une  grande  influence 
sur  les  affaires  communes.  Toutes  les  décisions  prises  par  ces  vieillards, 


-  218  — 

quand  bien  même  elles  iraient  contre  la  volonté  du  chef  (j'en  ai  vu  des 
exemples)  sont  religieusement  exécutées. 

Le  Canaque  arrive  donc  paisiblement  à  l'heure  de  la  mort,  après 
laquelle  on  fait  dans  son  village  une  véritable  cérémonie  en  son  hon- 
neur. Si  le  défunt  remplissait  certaines  fonctions  honorifiques,  on 
célèbre  pompeusement  ses  funérailles,  on  lui  chante  de  véritables 
litanies  pendant  une  journée  entière,  quelquefois  même  pendant  un  jour 
et  une  nuit,  puis  on  lui  lie  les  jambes  sous  le  corps,  et  on  l'enmaillote 
en  quelque  sorte  pour  le  déposer  sur  des  nattes,  derrière  la  case  qu'il 
occupait,  jusqu'au  lendemain  et  quelquefoisjusqu'au  surlendemain  sous 
la  garde  de  deux  ou  trois  personnes  occupées  ,  pendant  ce  temps,  à 
chanter  les  vertus  du  mort.  Cette  cérémonie  faite,  on  transporte  le 
corps  au  cimetière,  ou  plutôt  au  perc/iO«y  de  famille,  car  c'est  ainsi  que 
j'appelle  un  cimetière  canaque,  et  cela,  parce  qu'on  y  dépose  les  morts 
sur  des  perches  disposées,  d'une  certaine  manière,  dans  les  bosses 
franches  d'un  sapin  ou  d'un  banian.  Gomme  vous  pouvez  en  juger  vous- 
même,  une  pareille  méthode  peut  avoir  de  graves  conséquences  dans 
un  pays,  aujourd'hui,  occupé  par  bon  nombre  d'Européens. 

Je  me  rappelle  qu'un  jour,  tandis  que  je  visitais  l'un  de  ces  cimetières 
en  compagnie  d'un  chef  indigène,  un  corps  canaque  dégringola  tout-à- 
coup  de  son  perchoir  et  tomba  dans  un  ruisseau  situé  à  quelques  pas  de 
nous.  Grâce  à  cet  accident  tout-à-fait  imprévu,  j'ai  pu,  à  force  de 
patience,  arriver  à  faire  comprendre  à  ce  chef  les  inconvénients  qui 
devaient  résulter  de  cette  coutume  bizarre  d'exposer  ainsi  les  morts, 
et,  au  moment  ou  j'ai  quitté  la  Nouvelle-Calédonie,  je  constatais  avec 
satisfaction  qu'on  commençait  à  les  enterrer  ;  c'était  pour  moi  une 
véritable  victoire. 

Les  relations  actuelles  des  Européens  avec  les  Canaques  sont  assez 
faciles  ;  les  colons  installés  en  Nouvelle-Calédonie  ont  d'ailleurs  tout 
intérêt  à  ménager  la  population  indigène.  Malheureusement,  au  point 
de  vue  administratif,  on  ne  s'est  pas  encore  occupé  suffisamment  des 
naturels,  et,  ce  qui  pis  est,  nous  n'avons  pas  toujours  agi  loyalement  à 
leur  égard.  En  1878,  par  exemple,  nous  leur  avons  enlevé  sans  aucune 
indemnité  une  portion  des  réserves  qu'ils  occupaient  dans  certaines 
vallées  pour  en  doter  le  domaine,  nous  les  avons  chassés  d'une  partie 
de  leurs  territoires  et  de  leurs  villages  où  ils  laissaient  les  corps  de 
leurs  ancêtres,  où  ils  étaient  nés,  et  les  avons  refoulés  sans  aucune  pré- 
caution dans  les  villages  voisms.  Comme  c'était  à  prévoir,  cette  retraite 
forcée  ne  leur  a  pas  plu  (nous  ne  serions  pas  coutents  non  plus,  si  l'on 


-219  - 


venait  nous  déposséder  de  la  sorte  et,  il  s'en  suivit  un  mouvement 
insurrectionnel  pendant  lequel  ils  ont  tué  environ  300  de  nos  compa- 
triotes. Je  me  trouvais  dans  le  pays  à  cette  époque  et  je  dois  constater 
que  les  in<ligèiies  de  mes  parages,  loin  d'être  menaçants  à  mon  égard, 
venaient,  la  nuit,  garder  l'habilation  ou  je  résidais  ainsi  que  ma  famille. 
J'avais  été  assez  heureux  pour  mo  concilier  l'estime  de  ces  pauvres 
diables  dont  j'avais  maintes  fois  soutenu  les  intérêts  et  je  dus  à  cette  par- 
Ucularité  une  sécurité  complète  au  milieu  de  mon  isolement  absolu,  alors 
que  mes  voisins  avaient  fui  à  Nouméa,  et  pendant  que  mos  malheureux 
compatriotes  étaient  assassinés  de  l'autre  côté  des  montagnes  J'ai  donc 
vécu  avec  eux  dans  les  meilleurs  termes,  aussi  je  vous  assure  que  je  les 
ai  quittés  avec  un  véritable  chagrin  et,  quand  je  pense  parfois  à  eux,  je 
ne  puis  me  défendre  d'une  certaine  émotion. 

J'ai  pu  élever  deux  enfants  de  race  indigène,  l'un  jeune  enfant  de  7 
ans,  qui  m'a  été  amené  au  moment  de  ces  massacres  ,  il  était  origniaire 
de  l'est,  mais  il  avait  été  entraîné  sur  la  côte  ouest  par  sa  famille  à 
laquelle  les  indigènes ,  auxihaires  de  nos  soldats  ,  faisaient  alors 
la  chasse.  L'enfant  fut  capturé  par  ces  auxiliaires  au  moment  où,  sui- 
vant ses  parents,  il  disparaissait  dans  les  fissures  d'une  grotte  profonde. 
Le  canaque  qui  me  l'amena  racontait  qu'il  arriva  juste  k  temps  pour 
■  saisir  le  petit  par  sa  chevelure  crépue  et  le  tu^er  du  trou  où  les  autres 
venaient  de  disparaître  sans  qu'il  lut  possible  de  les  rejomdre  car  ces 
grottes  sont  immenses  et  possèdent  de  nombreuses  issues. 

J'élevai  le  jeune  canaque  comme  s'il  eût  été  mon  enfant.  Il  constitue 
un  beau  spécimen  de  sa  race  et  est  devenu  le  grand  garçon  de  16  ans 
que  j'ai  présenté  tout  récemment  à  la  Société  d'Anthropologie  de  Pans. 
J'ai  amené  é-alement  avec  moi,  en  France,  un  jeune  métis,  fils  d  un 
soldat  d'infanterie  de  marine,  et  que  mon  excellente  mère  eut  la  bonté 
de  recueillir,  alors  que  tout  petit  il  errait  dans  nos  plantations. 

C'est  aujourd'hui  un  superbe  garçon  de  ma  taille  bien  qu'il  n  ait  que 
treize  ans  k  peine,  il  possède  les  éléments  indispensables  de  l'aritmne- 
tique  et  écrit  k  peu  près  correctement  notre  langue.  La  race  des  métis 
calédoniens  est  fort  intéressante  et  il  y  aurait  certainement  quelque 
chose  k  faire  k  son  endroit;  de  même  que  les  Canaques,  elle  nous 
fournirait  certainement  de  puissants  auxiliaires  si  nous  savions  nous 
concilier  leur  confiance  et  leur  amitié,  ce  qui  n'est  pas  possible  avec  les 
procédés  de  conquérants  et  d'envahisseurs  dont  nous  avons  use 
jusqu'ici  k  leur  égard,  et  contre  lesquels  ils  sont  sans  défense. 
Mesdames  et  Messieurs,  je  voudrais  m'étendre  longuement  sur  ce 


—  220  — 

sujet  si  iiitéressant  ;  mais  le  temps  passe  vite,  et  je  ne  puis  tarder 
davantage  à  laisser  la  parole  à  mou  honorable  collègue  M.  de  Mahy. 
—  Permettez-moi,  cependant,  de  vous  dire  que  je  me  suis  occupe 
sérieusement  de  mes  chers  sauvages  depuis  mon  retour  à  la  métro- 
pole ;  j'ai  demandé  â  M.  le  Ministre  de  la  Marine  de  prendre  une 
mesure  par  laquelle  nous  puissions  accorder  aux  Canaques  de  la  Nou- 
velle-Calédonie, comme  à  nos  colons,  des  titres  de  propriété.  Ces  titres 
m'ont  été  réclamés  par  les  Canaques  mêmes. 

A  mon  départ  de  la  colonie,  alors  que  le  «  Destrées  »,  bâtiment  de 
l'Etat,  vînt  me  prendre  au  fond  de  cette  baie  magnifique  où  j'avais 
passé  tant  d'années  si  calmes  et  si  véritablement  heureuses,  cinq  à  six 
cents  canaques  viennent  me  faire  leurs  adieux  sur  la  plage,  à  leur  tête 
était  le  vieux  chef,  mon  ami.  11  m'ofirit  comme  souvenir  une  hache  de 
pierre  d'une  grande  valeur  en  me  recommandant  de  revenir  bientôt 
parmi  eux  après  avoir  obtenu  de  leur  grand  chef,  M,  Grévy  (le  nom 
de  notre  Président  ne  leur  est  pas  inconnu  comme  vous  le  voyez)  des 
titres  de  propriété  en  leur  faveur  comme  en  possèdent  tous  les  colons  ! 

Vous  pouvez  comprendre.  Mesdames  et  Messieurs,  que  si  nous 
savions  faire  acte  d'équité  en  donnant  à  ces  gens  les  titres  de  propriété 
qu'ils  réclament,  il  est  évident  que,  ayant  besoin  de  notre  appui,  ils 
n'auraient  plus  de  raisons  pour  se  défier  de  nous,  comme  ils  sont  en 
droit  de  le  faire  encore  aujourd'hui,  sachant  qu'à  un  moment  donné 
nous  pouvons  encore  les  chasser  de  leurs  territoires  !  Cette  simple 
mesure,  que  je  voudrais  voir  appliquer  le  plus  tôt  possible,  nous  conci- 
lierait certainement  leur  entière  confiance  et  leur  sympathie. 

Si  le  temps  me  l'avait  permis,  j'aurais  voulu  vous  dire  quelques  mots 
des  Nouvelles-Hébrides  mais  l'heure  s'avance  toujours  et  je  ne  dois 
pas  oublier  que  nous  avons  à  entendre  mon  honorable  ami  et  collègue 
M.  de  Mahy. 

Mesdames  et  Messieurs,  il  y  a  actuellement  en  Nouvelle-Calédonie 
14,000  forçats  ou  hbérés,  chiffre  intéressant  à  tous  les  points  de  vue 
et  surtout  au  point  de  vue  français,  et  comme  j'ai  l'honneur  de  parler 
devant  des  députés,  je  désire  vous  dire  le  fond  de  ma  pensée  à  l'égard 
de  ces  condamnés. 

L'administration  pénitentiaire  a  à  peu  près  complètement  travesti  la 
magnifique  loi  humanitaire  de  1854,  par  toute  une  série  de  règleme-ls 
qui,  petit  à  petil,  l'ont  modifiée  de  telle  sorte  qu'il  n'en  subsiste,  pour 
ainsi  dire,  plus  trace.  Eh  bien!  je  ne  demande  qu'une  chose,  c'est  qu'on 
la  remette  en  vigueur  le  plus  tôt  possible. 


-  221  - 

Par  suite  de  toute  cette  série  de  règlements  nouveaux ,  il  arrive 

journellement  que  des  forçats  en  cours  de  peine,  même  des  conrlamnés 
à  perpétuité,  môme  des  condamnés  à  mort  et  commués,  après  quatre 
années  d'un  bagne  plus  qu'anodin ,  sont  mis  en  concession  de  terre, 
dans  des  conditions  tellement  favorables  qu'il  est  impossible  à  l'État 
d'en  offrir  de  pareilles  au  français  honnête  et  maltieureux.  —  Je 
m'adresse  surtout  ici  aux  députés,  qui  pourront  s'occuper  de  la  question 
lorsqu'elle  se  présentera  au  Parlement  et  je  les  prie  surtout  de  ne  pas 
oublier,  dans  la  discussion  qui  surgira,  que  la  mise  on  concession  de 
terre  d'un  forçat  en  cours  de  peine,  alors  que  pareille  faveur  ne  peut 
être  faite  au  citoyen  honnête,  constitue  une  prime,  un  encouragement 
au  crime  et  devient  un  danger  menaçant  pour  notre  société 

Occupons-nous  de  préférence  delà  classe  honnête,  profitons  surtout 
de  ce  moment  favorable  à  l'émigration,  que  je  vous  signalais  tout-à- 
l'heure,  favorisons  nos  compatriotes  malheureux  qui  deviennent  en 
Nouvelle-Calédonie,  aux  Nouvelles-Hébrides,  de  riches  éléments  de 
prospérité  pour  la  métropole,  et  nous  aurons  accompli  une  œuvre 
éminemment  humanitaire  et  patriotique  !  (Applaudissements  pro- 
longés). 


t 


—  222  - 


COURS  ET  CONFÉRENCES  DU  JEUDI  SOiH 

A  LILLE. 

(m  exte?iso). 


A  TRAVERS  LES  GRISONS 

EXCURSION  DANS  LA  SUISSE  ORIENTALE 


Conférence  faite  en   novembre    1886 
devant  la  Société  de  géographie  de  Lille  et  la  Société  de  géographie  de  Vahnciennes, 

Par  M.  E.   GUILLOT, 

Professeur  agrégé  d'Histoire  au  Lycée   G'narlemagne , 

Membre    d'honneur    de    la    Société    de    géographie    de    Lille, 

Secrétaire  de  la  Société  de  géographie  commerciale  de  Paris, 

Officier  d'Académie. 


Personne  n'ignore  combien  sont  nombreuses  et  variées  les  pitto- 
resques beautés  de  la  Suisse;  mais  nulle  part,  peut-être,  elles  ne 
présentent  un  caractère  de  grandeur  et  d'originalité  plus  marqué  que 
dans  les  vallées  supérieures  du  Rhin  et  de  l'inn  ,  dans  les  Grisons  et 
l'Engadine.  Aussi ,  en  me  proposant  de  relater  une  excursion  char- 
mante que  nous  avons  accomplie,  deux  de  aies  amis  et  moi,  dans  cette 
région  au  mois  d'août  1886 ,  je  n'ai  nullement  la  prétention  d'imposer 
aux  voyageurs  à  venir  un  itinéraire  k  suivre  ,  encore  moins  d'indiquer 
dans  ces  quelques  pages  toutes  les  curiosités  qu'il  est  possible  de  con- 
templer. Nous  avons  franchi  de  grandes  distances,  et  vu  beaucoup  de 
choses  ;  mais  nous  en  avons  aussi  laissé  beaucoup  de  côté,  soit  par  une 
négligence  voulue,  qu'expliquait  suffisamment  le  temps  restreint  dont 
nous  disposions,  soit  pai'  des  omissions  involontaires.  Quoi  qu'il  en 
soit,  ce  qu'il  nous  a  été  donné  de  voir  peut ,  je  crois  ,  founir  matière  à 
une  relation  non  dépourvue  de  quelqu'intérêt  car  ,  si  les  Français 


—  223  - 

connaissent  Genève  et  son  lac ,  parcourent  l'Oberland  et  le  Valais  , 
séjouriiont  à  Lucerne  et  accomplissent  le  traditionnel  pèlerinage  au 
Righi.  si  quelques-uns  même  explorent  la  ligne  du  Saint-Gotliard  et  le 
Val  d'Urseren,  un  petit  nombre  s'aventurent  jusque  dans  les  Grisons  : 
nous  avons  vu  durant  notre  voyage  des  familles  Allemandes, des  Italiens, 
des  Autrichiens,  mais  peu  de  Français,  et  c'est  avec  un  sincère  plaisir 
que  nous  avons  entendu  parler  purement  notre  langue,  lorsqu'il  nous 
a  été  donné  à  Silva-Plana  et  à  Pontresina  de  rencontrer  quelques-uns 
de  nos  compatriotes. 

I.  —  De  Pari»  à  Coeschencn. 

Deux  voies  s'offrent  au  touriste  pour  pénéter  dans  les  Grisons  : 
l'une  de  Paris  à  Coire  par  Bâle,  Olten,  Aarau,  Baden,  Zurich,  Wesen, 
Sargans  et  Ragatz  :  l'autre,  de  Paris  à  Gœschenen  à  l'entrée  du  tunnel 
du  Saint  Gothard  par  Bâle,  Olten.  Lucerne  et  le  lac  des  Quatre  cantons  ; 
de  Gœschenen,  une  route  des  plus  pittoresques  conduit  à  Andermatt , 
d'où,  en  franchissant  le  col  de  l'Oberalp,  on  rejoint  le  Rhin  jusqu'à  sa 
source  pour  le  descendre  jusqu'à  Rayatz  en  pénétrant,  par  des  détours 
obligés,  dans  les  vallées  latérales,  souvent  plus  curieuses  à  visiter  que 
la  vallée  principale  elle-même  ;  ce  second  itinéraire  avait  été,  après  un 
mûr  examen,  adopté  par  nous. 

Le  3  août ,  nous  prenions  à  Paris  l'express  de  7  h.  40  du  soir ,  et  le 
lendemain  de  bonne  heure  .  nous  étions  réveillés  à  Belfort  au  milieu 
du  brouillard  qui  nous  cachait  la  vue  de  la  ville  et  de  la  citadelle. 
Quelques  instants  plus  tard,  à  Alt  Munsterol,  nous  subissions  la  visite 
toujours  pénible  et  désagréable,  quand  elle  est  faite  par  les  douaniers 
allemands,  et,  après  des  arrêts  prolongés  et  non  justifiés  sur  le  terri- 
toire d'Alsace-Lorraine,  nous  arrivions  à  Bâle  à  sept  heures,  avec  un 
tel  retard  que  nous  eûmes  à  peine  le  temps  de  prendre  d'assaut  le  train 
qui  devait  nous  emporter  vers  Lucerne.  La  magnifique  traversée  du 
Jura  par  la  vallée  de  l'Ergolz,  Liestal  et  le  tunnel  du  Hauhenstein , 
nous  consola  de  cet  incident.  A  9  heures  ,  nous  étions  à  Lucerne,  et  à 
midi  45  nous  prenions  ,  sous  une  pluie  battante  ,  le  bateau  qui  dessert 
les  deux  rives  du  lac  jusqu'à  Fluelen.  La  pluie,  hélas  !  voilà  le  principal 
désagrément  que,  peu  favorisés  ,  nous  eûmes  à  subir  ,  chemin  faisant , 
et  qui,  apparaissant  dès  le  début  de  notre  voyage,  contraria  nos  excur- 
sions à  plusieurs  reprises,  sans  jamais  nuire  à  l'accomplissement  du 
programme  que  nous  nous  étions  rigoureusement  imposé. 


—  224  — 

Je  ne  m'arrêterai  pas  à  décrire  Luceriie  que  tant  de  personnes 
connaissent ,  ni  son  lac  si  terriblement  pittoresque  .  ni  le  Pilate  à  la 
vieille  légende ,  ni  le  Righi  déjà  gravi  par  nous  dans  un  précédent 
voyage,  et  dont  le  mauvais  temps  nous  eut  empêché  d'ailleurs  de  faire 
l'ascension. 

A  Brunnen ,  où  nous  avions  placé  notre  premier  arrêt ,  la  pluie 
tombait  toujours  ;  il  pleuvait  encore  le  5  août ,  quand  nous  prenions  à 
11  h.  1/2  du  matin  ,  à  la  gare  de  Bi-unuen  ,  le  train  qui  devait  nous 
conduire  à  Gœschenen.  Tout  a  été  dit  sur  les  beautés  de  la  ligne  du 
Gothard,  sur  l'Axenstrasse  et  ses  tunnels,  sur  la  vallée  verdoyante  que 
domine  Altorf ,  sur  les  ponts  audacieusement  jetés  et  sur  les  tunnels 
tournants  de  Wasen,  qui  semblent  le  dernier  mot  de  l'art  et  de  la  science 
modernes  :  j'admirais  pour  la  seconde  fois  toutes  ces  merveilles  ,  que 
nous  regardions  à  juste  titre  comme  le  prélude  de  tant  d'autres,  et 
c'est  avec  une  impatience  facile  à  deviner  que  nous  arrivons  vers  deux 
heures  à  Gœschenen  ,  où  allait  vraiment  commencer  notre  intéressant 
voyage. 

II.  —  ne  C^œscbeueu  à  Anderiiiatt. 

La  situation  de  Gœschenen  (1,109'"  d'altitude)  est  des  plus  remar- 
quables. Placé  à  l'entrée  du  grand  tunnel ,  le  village  est  comme 
suspendu  au-dessus  du  point  de  jonction  de  deux  torrents,  de  force 
presqu'égale,  la  Reuss  qui  vient  du  Saint-Gothard  et  celle  qui  débouche 
du  Gœschenenthal.  Un  pont  des  plus  hardis  supporte  la  route  qui 
réunit  les  deux  parties  du  village  ,  tandis  que  le  chemin  de  fer  franchit 
la  rivière  sur  un  pont  de  fer  léger  comme  une  passerelle  volante. 
Gœschenen  présentait  une  animation  extraordinaire  au  moment  des 
travaux  du  tunnel  ;  elle  abrite  aujourd'hui  beaucoup  d'employés  et  sert 
de  point  de  départ  à  de  nombreux  touristes. 

Six  kilomètres  séparent  Gœschenen  d'Andermatt  :  c'est  une  courte 
promenade  que  l'on  ne  saurait  trop  recommander  de  faire  à  pied ,  en 
suivant  la  route  qui  offre  les  sites  les  plus  curieux  et  les  travaux  d'art 
les  plus  remarquables.  On  s'engage  dans  la  gorge  sauvage  des  Schœl- 
lenen,  bordée  des  deux  côtés  de  blocs  de  granit  à  pic  et  au  milieu  de 
laquelle  bouillonne  la  Reuss.  Plus  de  ces  prairies  ou  de  ces  forêts  qui 
précèdent  Gœschenen  ;  partout  le  rocher  et  le  rocher  dénudé  ;  à  peine 
quelques  gazons  ou  des  herbes  grossières  entre  les  rocs  écroulés. 
Tout  est  pierre,  tout  témoigne  de  la  force  et  de  la  fi'équence  des  ava- 


—  225  — 

lanches  dont  les  débris  amoncelés  apparaissent  de  tous  côtés.  A  son 
entrée  ,  près  des  énormes  tuyaux  en  fonte  qui  ajjportaient  l'eau  de  la 
Reuss  aux  puissantes  turbines  de  l'ingénieur  Favre,  la  gorge  présente 
une  certaine  largeur  ;  mais  elle  se  resserre  à  mesure  qu'on  la  remonte  ; 
et  il  ne  reste  plus  que  le  roc  nu,  dont  les  deux  in-urailles  finissent  par 
se  rapprocher  en  ne  laissant  entre  elles  qu'une  étroite  fissure. 

L'ancienne  route,  dont  les  traces  sont  encore  fort  visibles  grâce  aux 
larges  dalles  qui  la  pavaient ,  et  aux  ruines  des  ponts  qui  lui  faisaient 
franchir  la  rivière ,  s'élevait  en  lacets  multiples  des  deux  côtés  de  la 
Reuss.  La  route  actuelle  est  moins  accidentée  ;  ses  pentes  sont  plus 
douces,  ses  lacets  plus  développés  et  moins  nombreux.  «  En  hiver, 
»  quand  il  fait  froid  et  sec  ,  et  que  l'aij'  est  calme  ,  il  règne  un  silence 
»  de  mort  dans  la  gorge  des  Schœllenen  ;  on  n'y  entend  pas  même  le 
»  bruit  de  la  Reuss,  qui  n'est  plus  qu'un  ruisseau  obstrué  par  la  neige  ; 
»  tout  est  immobile  sous  ce  linceul  uniforme  ;  mais  aussitôt  que  souffle 
»  une  bouffée  de  fœhn ,  ou  que  l'air  attiédi  du  printemps  commence  à 
»  fondre  les  neiges  ,  on  les  voit  se  mettre  en  mouvement  sur  tous  les 
»  points  ;  les  grandes  avalanches  même  ne  sont  pas  rares  du  tout. 
»  Dans  une  excursion  faite  au  mois  de  janvier,  nous  avons  vu  la  route 
»  trois  fois  devant  nous  traversée  par  des  avalanches  assez  puissantes 
»  pour  enlever ,  comme  un  fétu  ,  hommes,  chevaux  et  voitures  de 
»  poste.  Une  quatrième,  tombée  peu  après  notre  passage,  surprit  deux 
»  cantonniers,  dont  l'un  fut  emporté  jusqu'à  la  Reuss  à  deux  cents  pas 
»  de  l'endroit  où  il  travaillait  ;  on  retrouva  son  cadavre  le  lendemain  : 
;>  les  deux  autres  purent  être  dégagés  à  temps  :  l'un  d'eux  était  resté 
»  plus  de  trois  heures  sous  la  neige  (1).  » 

Les  endroits  les  plus  exposés  sont  protégés  par  des  galeries  aux 
toits  inclinés  ,  comme  sur  la  plupart  des  routes  alpestres  ;  mais  cette 
protection  ne  s'étend  que  sur  quelques  points  assez  rares  ,  et  presque 
partout  subsiste  le  danger.  En  été  la  gorge  présente  une  animation 
momentanée  ;  le  silence  qui  y  règne  d'habitude  est  souvent  troublé  par 
le  pas  des  touristes ,  ou  par  le  bruit  des  voitures  qui  conduisent  à 
-Vndermatt  ou  à  la  Furka  les  voyageurs  désireux  de  pénétrer  plus 
avant  dans  les  montagnes. 

Un  des  sites  les  plus  curieux  de  cette  magnifique  route,  est  celui  où 
s'élèvent  les  ponts  du  diable  au  milieu  du  paysage  le  plus  grandiose. 


(1)  Eug.  Rambert.  —  I.a  ligne  du  Saint-Goihard. 

16 


—  22(J  — 

De  ces  deux  ponts ,  l'un  encore  solide  malgré  la  mousse  qui  le  couvre  , 
livrait  passage  à  l'ancien  chemin;  l'autre,  construit  de  nos  jours,  par 
l'ingénieur  Muller ,  et  formé  d'une  seule  arche  de  8  mètres  d'ouver- 
ture ,  sert  à  la  route  nouvelle.  Un  peu  au-dessus  ,  la  Reuss  forme  une 
belle  chute  qui  envoie  de  tous  côtés  une  fine  poussière  et  précipite , 
dans  un  gouffre  sauvage  ,  à  une  grande  profondeur ,  ses  eaux  parfaite- 
ment limpides.  La  route  est  dominée  ,  à  main  droite ,  par  un  rocher  à 
pic  où  l'on  aperçoit ,  très  nettement  dessinés  en  rouge  ,  d'abord  cette 
réclame  d'un  journal  italien  :  «  Il  Secolo ,  10  centimes  dans  toute  la 
Suisse  »,  puis  un  diable  qui  semble  là  fort  à  sa  place  ,  car  les  habitants 
de  la  vallée  racontent  que  ces  parages  sont  hantés  par  un  lutin 
ennemi  des  chapeaux  ;  quelle  que  soit ,  en  effet ,  la  sérénité  du  ciel  et 
le  calme  de  l'atmosphère  ,  il  se  produit  à  cet  endroit  une  sorte  de  cou- 
rant d'air  et  de  violents  coups  de  vent  auxquels,  si  l'on  n'est  point  pré- 
venu ,  il  est  difficile  de  résister.  Sur  la  route ,  à  quelque  distance  du 
pont,  s'élève  une  petite  cabane  où  l'on  peut  se  procurer  du  lait,  et  l'on 
trouve  aussi  des  photographies  et  des  minéraux  du  Saint-Gothard. 

La  route,  après  s'être  élevée  par  une  grande  courbe,  arrive  au  trou 
d'Uri  (Urnerloch.  C'est  un  tunnel  très  primitif,  un  trou  rond,  sans 
aucun  revêtement  en  maçonnerie  ,  et  éclairé  par  des  ouvertures  laté- 
rales à  travers  lesquelles  on  aperçoit  la  Reuss  qui  mugit  au  milieu  des 
rochers  Taillé  dans  le  roc ,  en  1707 ,  le  trou  d'Uri  ne  fut  praticable 
longtemps  qu'aux  hommes  et  aux  chevaux  ;  mais  depuis  la  construction 
de  la  nouvelle  route  ,  on  l'a  rendu  assez  large  pour  que  deux  voitures 
puissent  y  passer  de  front. 

Au  sortir  de  ce  tunnel ,  coup  de  théâtre  :  plus  de  rochers  dénudés  : 
plus  de  débris  accumulés  d'avalanches  ;  plus  de  chutes  bruyantes  de  la 
rivière.  L'œil  se  repose  sur  de  vertes  prairies  qui  s'étendent  à  perte  de 
vue  et  que  dominent  quelques  cimes  neigeuses,  c'est  le  val  d'Urseren  ; 
au  fond ,  un  groupe  pressé  de  maisons  blanches  :  c'est  Andermatt. 
Cette  brusque  transition  du  sauvage  au  riant  et  de  l'obscurité  à  la 
pMne  lumière  produit ,  sur  quiconque  la  subit ,  même  pour  la  seconde 
ou  la  troisième  fois,  une  impression  des  plus  vives  et  des  plus  agréables 
qu'il  soit  domié  d'éprouver. 

Le  val  d'Urseren,  loin  de  faire  suite  à  la  vallée  d'Uri,  qui  commence 
au  lac  des  quatre  Cantons,  et  s'élève  progressivement  jusqu  a  Gœsche- 
nen,  constitue  un  petit  monde  à  part.  Son  étendue  ,  de  l'Ouest  à  l'Est , 
est  d'environ  six  lieues  depuis  le  col  de  l'Oberalp  jusqu'à  celui  de  la 
Furka.  La  Ileuss  couvrait  autrefois  toute  la  vaUée  de  ses  eaux  jusqu'au 


227  — 

moment  où ,  s'étant  péniblement  frayé  un  passage  ,  elle  s'échappa  en 
mugissant  à  travers  l'étroite  coupure  des  Schœllonen.  Une  longue 
chaîne ,  présentant  une  succession  ininterrompue  de  pics  dentelés, 
domine  et  terme  au  Sud  le  val  d'Urseren  jusqu'à  la  trouée  de  l'Urner 
loch.  Vers  le  Nord ,  au  contraire ,  la  chaîne ,  moins  régulière ,  est 
découpée  par  des  vallons  qu'arrosent  dos  ruisseaux,  tributaires  de  la 
Reuss  ,  et  que  dominent  de  hautes  cimes  dont  les  plus  importantes  se 
nomment  le  Baduz,  le  Pizzo  Centrale  et  le  Pic  de  Lucendro. 

Le  climat  est  extrêmement  rigoureux  dans  cette  haute  vallée 
alpestre  ;  la  neige  y  tombe  pendant  de  longs  mois  et  en  abondance. 
En  novembre  ,  le  jour  des  morts  ;  le  cimetière  est  ordinairement  cou- 
vert de  neige,  et  les  habitants  doivent  orner  les  tombes,  non  de  fleurs  ou 
de  verdure,  mais  de  rubans  ou  d'objets  en  verroterie  (1).  En  janvier , 
les  maisons  sont  comme  ensevelies  au  miheu  d'une  épaisse  couche  de 
neige  qui  ne  commence  à  fondre  qu'au  printemps  sous  le  souffle  tiède 
du  foehn.  Même  en  été,  la  végétation  est  maigre  et  rare  ;  au  fond  de  la 
vallée,  des  prairies  le  long  des  rives  de  la  Reuss  ,  que  bordent  aussi 
quelques  saules  ;  çà  et  là  de  petits  champs  de  pommes  de  terre  ;  c'est  à 
peu  près  la  seule  culture  possible  à  cette  altitude  (1,450  mètres  environ) 
et  sous  ce  climat.  Sur  les  pentes  des  montagnes ,  des  myrtilles .  des 
hchens  ou  quelques  buissons  alpestres.  Au-dessus  d'Andermatt ,  une 
forêt  de  sapins  ,  la  seule  de  la  vallée  ,  qui  protège  ce  village  contre  les 
avalanches  et  où  il  est  sévèrement  défendu  de  couper  un  seul  arbre. 

Malgré  la  pauvreté  de  la  végétation  ,  la  vallée  présente  pendant  les 
quelques  mois  d'été  un  aspect  riant ,  et  les  touristes  ont  souvent  la 
bonne  fortune,  comme  cela  nous  est  arrivé,  d'apercevoir  au-dessus  de 
leurs  têtes  un  magnifique  ciel  bleu ,  tandis  que  d'épais  brouillards 
couvrent  toute  la  gorge  des  Schœllenen  et  la  vallée  inférieure  de  la 
Reuss. 

La  population  honnête  et  robuste,  qui  habite  le  val  d'Urseren,  vivait 
jadis  de  l'élève  du  bétail  et  du  trafic  par  les  routes  du  Gothard  ;  depuis  le 
percement  du  tunnel,  cette  dernière  ressource  lui  manque  et  le  passage 
ou  le  séjour  de  quelques  voyageurs  ne  compense  pas  aujourd'hui  la 
perte  du  transit  régulier  et  considérable  du  Gothard. 

Trois  villages  s'élèvent  dans  la  vallée  :  Andermatt  à  l'Est  ;  Hospental 
à  peu  près  au  centre  ;  Réalp  à  son  extrémité  occidentale.    • 


(1)  Eug.  Rambert.  —  La  ligne  du  Saint-Gothard. 


—  228  — 

Andermatt ,  qui  compte  environ  740  liabitants  ,  est  la  localité  princi- 
pale ;  les  hôtels ,  auberges  et  cabarets  y  sont  en  nombre  comme  les 
touristes  pendant  les  trois  mois  qui  constituent ,  ce  que  les  habitants 
appellent  l'été  et  ce  que  des  enfants  du  Midi  appelleraient  encore 
l'hiver.  Nous  y  étions  le  5  août ,  et  la  température  était  glaciale.  Il  me 
souvient  encore  de  l'étonnement  de  notre  hôtelier  lorsqu'il  nous  vit 
sortir  vers  huit  heures  du  soir,  pour  essayer  de  tromper  par  une  courte 
promenade,  l'ennui  d'une  soirée  trop  longue,  car  le  froid  nous  obhgea 
presqu'aussitôt  à  regagner  nos  chambres ,  et  à  imiter  l'exemple  que 
nous  avaient  donné  nos  commensaux  plus  prudents  et  plus  expéri- 
mentés. 

Trois  kilomètres  sur  une  route  presque  di'oite ,  séparent  Andermatt 
d'Hospental ,  petit  bourg  assez  pauvre  ,  qui  tire  son  nom  d'un  ancien 
hospice  aujourd'hui  supprimé  ;  une  haute  tour,  reste  dit-  on,  d'un  fort 
jadis  bâti  par  les  Lombards,  le  domine  ;  les  maisons  son  presque  toutes 
construites  en  bois  ;  elles  ont  une  apparence  misérable ,  et  sur  leur 
façade  s'étagent  des  espèces  d'écaillés  enchâssées  les  unes  dans  les 
autres,  et  qui  de  loin  présentent  un  aspect  assez  pittoresque.  Au-dessus 
d'Hospenthal,  monte  en  serpentant  la  route  du  Saint-Gothard  qui,  par 
des  pentes  fort  bien  ménagées,  atteint  le  col  de  ce  nom  (2,115'"),  passe 
auprès  de  l'Hôtel  de  la  Prosa  où  se  trouve  un  bureau  de  poste  et  télé- 
graphe, et  descend  par  d'innombrables  sinuosités  dans  le  val  Tremola, 
redoutable  par  ses  avalanches  ,  pour  gagner  Airolo  (1,179  mètres)  oîi 
débouche  le  tunnel  du  chemin  de  fer. 

»  A  six  kilomètres  d'Hospenthal ,  s'élève  le  hameau  chétif  de  Réalp 
(1 ,542™) ,  composé  seulement  de  quelques  maisons  :  là ,  commence  à 
monter ,  par  des  courbes  interminables ,  la  merveilleuse  route  de  la 
Furka  construite  dans  un  but  stratégique  pour  relier  la  vallée  de  la 
Reuss  avec  celle  du  Rhône ,  le  pays  d'Uri  avec  le  Valais.  Elle  n'est 
praticable  que  pendant  les  mois  d'été  car ,  franchissant  le  col  de  la 
Furka  à  2,436  mètres  d'altitude,  elle  doit  être  placée  parmi  les  routes 
les  plus  élevées  de  toute  la  Suisse  et  c'est  certainement  une  de  celles 
qui  offre  les  plus  belles  échappées  de  vue  sur  les  glaciers  et  les  pics 
neigeux  des  Alpes  Bernoises. 

Il  existe  donc  au  milieu  de  ces  massifs  alpestres  trois  passages  bien 
nettement  marqués  et  qui  permettent  de  sortir  de  ce  large  entonnoir 
que  l'on  appelle  le  val  d'Urseren  :  le  col  de  la  Furka,  qui  conduit  d'An- 
dermatt  à  Brieg  sur  le  Rhône  ;  celui  du  Saint-Gothard  ,  bien  délaissé 
depuis  le  percement  du  tunnel ,  que  suit  la  grande  route  d'Andermatt 


—  229  — 

à  Airolo  ;  enfin,  celui  de  l'Oberalp,  qu'il  faut  altoindre  pour  déboucher 
dans  la  vallée  supérieure  du  Rhin ,  dans  les  Grisons  :  c'est  ce  dernier 
que  nous  avions  formé  le  projet  de  franchir. 

III.  —  D'AiicIcrniatt  au  col  «le  l'Ohcralp. 

Le  6  août  de  grand  matin  ,  après  un  déjeuner  sommaire  ,  nous  quit- 
tions Andermatt  :  la  pluie  ,  qui  nous  poursuivait  depuis  Lucerne  ,  avait 
.  cessé  ;  les  nuages  commençaient  à  se  dissiper  et  le  temps  s'annonçait 
à  souhait  pour  cette  première  journée  de  marche.  La  route  de 
l'Oberalp  présente  absolument  le  même  caractère  que  les  routes  du 
Saint-Gothard  et  de  la  Furka ,  déjà  suivies  par  moi  dans  un  précédent 
voyage  :  elle  s'élève  brusquement  par  neuf  grandes  courbes  au-dessus 
d'Aûdermatt  ;  un  ancien  chemin  permet  d'atteindre  plus  rapidement 
le  col,  mais  il  offre  moins  de  points  de  vue  que  la  nouvelle  route  :  c'est 
donc  celle-ci  que  l'on  nous  conseilla  do  prendre. 

Je  ne  connais  pas  de  fatigue  plus  grande  et  plus  monotone  que  celle 
qu'on  éprouve  à  gravir  lentement  les  longs  détours  d'un  chemin  qui , 
s'élevant  par  une  pente  régulière  ,  semble  vous  ramener  toujours  au 
môme  point.  Un  incident  regrettable  rendit  encore  poui'  nous  cette 
ascension  plus  pénible  ;  la  route  avait  été  tout  récemment  réparée  et 
empieirée  ,  et ,  pendant  plusieurs  kilomètres  ,  nous  fûmes  obligés  de 
marche^  sur  les  cailloux  mal  assujettis.  A  mesure  que  l'on  s'élève,  la 
vue  devient  plus  étendue  et  plus  variée  :  tout  le  val  d'Urseren  nous 
apparaît  eu  pleine  lumière  jusqu'à  la  Furka ,  avec  ses  trois  villages 
formant  de  légères  taches  blanches.  Au  loin  ,  se  profilent  les  premiers 
sommets  neigeux  des  Alpes  Bernoises ,  et ,  plus  près  de  nous ,  se 
détachent  les  pics  élevés  qui  constituent  le  massif  du  Saint-Gothard. 

Après  une  heure  et  demie  de  marche,  nous  atteignons  les  chalets  de 
l'Oberalp,  où  cessent  les  grandes  sinuosités  de  la  roule ,  qui ,  s'élevant 
toujours ,  domine  la  rive  droite  d'un  ruisseau  formant  une  des  trois 
sources  de  la  Reuss  :  des  deux  côtés,  des  prairies,  au  milieu  desquelles 
se  remarquent  de  grandes  tourbières  :  le  long  du  chemin  ,  des  pierres 
couvertes  d'inscriptions  illisibles  et  rappelant  probablement  des  acci- 
dents survenus  dans  ces  parages.  A  2;02S  mètres  d'altitude  ,  le  lac  de 
l'Oberalp ,  long  de  1  kilom.  1/2  et  dont  les  eaux  se  déversent  dans  la 
Reuss ,  contient  beaucoup  de  truites  ;  c'est  sur  ses  rives  que  nous 
rejoint  la  diligence  qui  porte  nos  bagages  à  Disentis  ,  et  son  passage 
trouble  un  moment  l'immense  solitude  qui  nous  entoure  depuis  plu- 


—  230  - 

sieurs  heures.  Quelques  pas  encore  ,  et  nous  atteignons  à  8  h.  1/2  du 
matin  le  col  de  l'Oberalp  (2,052'")  la  seule  brèche  par  où  Ton  puisse 
pénétrer  facilement  de  la  vallée  de  la  Reuss  dans  celle  du  Rhin  anté- 
rieur (Vorder  Rhein  .  Un  spectacle  merveilleux  s'offre  à  nous  ;  tandis 
que  du  côté  de  la  Reuss,  la  vue  se  trouve  bornée  par  les  massifs  mon- 
tagneux ,  dont  la  route  que  nous  venons  de  suivre  longe  la  base , 
devant  nous  s'ouvre  une  sorte  de  fissure  étroite  et  profonde ,  où  les 
eaux  du  Rhin  mugissent  sans  qu'on  les  aperçoive  ;  en  face,  des  glaciers 
dominés  par  les  pics  Raduz  et  Ravetsch  ,  aux  contreforts  couverts  de 
neige.  En  mesurant  la  profondeur  où  il  faut  descendre  ,  on  éprouve  la 
même  impression  qu'au  commencement  du  val  Tremola  ,  sinon  l'effroi , 
du  moins  la  surprise  et  l'admiration,  et  l'on  ne  peut  s'empêcher  de 
louer  le  génie  de  l'homme  qui  a  su  établir  une  voie  de  communication, 
au  moins  temporaire,  dans  des  régions  où  tout  semble  rappeler  le  chaos. 
Après  un  court  repos,  consacré  à  jouir  de  ce  merveilleux  panorama, 
nous  franchissons  la  borne  qui  sépare  deux  cantons  suisses  :  nous 
quittons  celui  d'Uri  pour  pénétrer  dans  les  Grisons. 

TV.  —  IjCS  Cïrisous. 

Le  canton  des  Grisons  (Graubiinden) ,  ainsi  nommé  dune  des  princi- 
pales associations  (Hgue  Grise)  qui ,  au  moyen-âge ,  se  partageaient  le 
pays ,  est  aujourd'hui  un  des  cantons  les  plus  étendus  de  toute  la 
Suisse  dont  il  constitue  la  partie  orientale.  11  comprend  la  vallée  supé- 
rieure du  Rhin  jusqu'au-dessous  de  May  enfeld.  avec  les  vallons  latéraux 
où  coulent  les  nombreux  torrents ,  affluents  du  grand  fleuve ,  et  la 
haute  vallée  de  l'Inn  jusqu'à  Martinsbruck  ;  puis  dépassant ,  par  ses 
limites  poUtiques ,  la  muraille  des  Alpes  Rhétiques ,  qui  semblerait 
devoir  former  une  frontière  naturelle  ,  il  embrasse  presque  toute  la 
fente  qu'arrose  le  Poschiavino  ,  le  vallon  supérieur  de  la  Maira ,  et 
atteint  les  rives  des  lacs  Majeur  et  de  Lugano  :  par  sa  superficie  de 
304  lieues  carrés ,  il  forme  envù-on  la  sixième  partie  de  la  Confédé- 
ration Helvétique. 

Le  pays  se  compose  d'un  réseau  immense  de  montagnes  que  dominent 
des  pics  aux  neiges  éternelles  ,  et  entre  lesquelles  se  développent  de 
longues  et  tortueuses  vallées ,  dont  les  unes  sont  remontées  par  des 
routes  magnifiques  ,  tandis  que  les  autres  ,  abordables  par  de  simples 
sentiers,  sont  restées  plus  à  l'écart  de  la  civilisation  et  du  commerce. 

Une  muraille  de  rochers  épaisse  et  continue,  partant  du  St-Gothard, 


—  2.'^1  — 

et  qui  forme  à  peu  près  la  frontière  entre  les  Grisons  d'une  part,  les 
cantons  d'Uri  et  de  Glaris  de  l'autre  ,  contient  les  sommets  du  Schins- 
tock,  du  Crispait ,  de  l'Oberalpsiock  ,  les  immenses  glaciers  du  Tœdi , 
et  se  continue  jusqu'à  la  dépression  de  Sargans  par  les  hauteurs  plus 
faibles  de  la  Calanda.  Des  sentiers  difficiles  conduisent  à  des  cols 
élevés  et  que  l'on  ne  jugerait  guère  praticables  ,  même  à  des  chèvres  , 
quand  on  les  voit  du  fond  de  la  vallée ,  permettent  de  franchir  cette 
chaîne.  Dans  les  Alpes  centrales,  qui,  du  St-Gothardau  mont  Septimer, 
continuent  la  ligue  de  partage  des  eaux  de  l'Europe  ,  culminent  le  pic 
de  Baduz,  et  les  massifs  de  Rheinwaldhorn  et  de  l'Adula,  que  couvrent 
de  vastes  glaciers,  tandis  que  les  cols  du  Lukmanier,  du  Bernardino  et 
du  Splugen  livrent  passage  à  des  roules  modernes  qui  conduisent  aux 
lacs  Italiens  et  de  là  à  Milan. 

Vers  le  mont  Septimer ,  à  la  dépression  très  remarquable  de  la 
Maloïa ,  où  la  nature  semble  avoir  tracé  elle-même  une  route  facile 
entre  les  plateaux  de  l'Engadine  et  la  profonde  vallée  de  la  Maira  ,  la 
chaîne  se  divise  en  deux  parties  qui  enserrent  de  leurs  ramifications 
la  région  élevée  et  lacustre  où  roulent  lentement  les  eaux  de  l'Inn.  Au 
Nord  de  cette  rivière  ,  les  Alpes  Grises  se  continuent  vers  le  Nord- 
Est  jusqu'aux  glaciers  de  Silvretta  :  les  pics  d'Err,  Kesh  et  Linard  y 
culminent,  et  si  de  mauvais  chemins  s'élèvent  péniblement  jusqu'aux 
cols  du  Septimer  (2,310'")  et  de  la  Scaletta  (2,620"") ,  de  bonnes  routes 
permettent  d'aller  de  Coire  à  Samaden  dans  l'Engadine  par  les  cols  du 
Julier  (2,287")  et  de  l'Albula  (2,01.5"").  La  muraille  du  Rhœlicon ,  do- 
minée par  le  pic  de  Scesa  Plana  (2,920'")  d'où  la  vue  s'étend  sur  un 
panorama  admirable,  se  prolonge ,  puissant  contrefort ,  jusqu'au  défilé 
de  Luziensteig,  où  elle  surplombe  le  Rhin. 

Une  dernière  chaîne,  laplus  élevée  de  toutes,  commence  à  la  dépression 
de  la  Maloïa,  et  s'étend  en  Suisse  puis  en  Autriche  jusqu'au  pic  des  Trois  - 
Seigneurs,  Ce  sont  les  Alpes  Rhétiques  aux  pics  élevés,  et  aux  immenses 
glaciers.  L'important  massif  de  la  Bernina,  avec  les  pics  de  Morte- 
rash,  de  Roseg,  Bellavista,  Gorvalsch  et  du  Capucin,  qu'entourent  de 
longs  glaciers,  est  pour  ainsi  dire  isolé  entre  deux  grandes  dépressions 
qui  permettent  de  le  contourner.  Au  Nord ,  une  roule  magnifique 
emprunte  la  dépression  de  la  Maloïa,  conduisant  de  Samaden  sur  l'Inn 
à  Chiavenna  sur  la  Maira,  tandis  qu'à  l'Est  le  col  de  la  Bernina  permet 
aux  touristes  qui  ont  gravi  les  sommets  et  visité  les  glaciers  de  l'Enga- 
dine, d'aller  contempler  sous  un  climat  plus  chaud  et  sous  un  ciel  plus 
bleu,  les  riantes  vignes  de  la  Valteline.  C'est  le  principal  passage  de  la 


—  232  — 

chaîne ,  praticable  en  voiture ,  la  voie  de  communication  la  plus 
fréquentée  entre  la  Suisse  et  l'Italie. 

Dans  une  région  aussi  étendue,  aussi  montagneuses  que  les  Grisons, 
dans  un  pays  dont  les  vallées  s'ouvrent  tantôt  vers  le  Nord-Est,  comme 
celles  du  Rhin  et  de  l'Inn,  tantôt  vers  le  Sud,  comme  celles  du  Poschia- 
vino  et  de  la  Maira  ,  l'aspect ,  le  climat ,  les  produits  ,  les  populations 
même  doivent ,  il  est  facile  de  le  comprendre  ,  présenter  une  remar- 
quable variété.  Au-dessous  des  neiges  et  des  glaces  on  rencontre,  en 
effet ,  parfois  des  vallées  riantes ,  des  campagnes  luxuriantes  à  côté 
de  déserts  sauvages  et  de  rochers  arides,  des  plateaux  où  l'hiver  dure 
les  trois  quarts  de  l'année  à  côté  de  valions  dont  le  ciel  et  la  tempéra- 
ture annoncent  déjà  l'Italie. 

Deux  grands  fleuves,  alimentés  par  de  très  nombreux  affluents,  ont 
leur  source  dans  les  Grisons ,  le  Rhin  qui  recueille  la  plus  grande 
partie  des  eaux  de  la  Suisse  avant  de  pénétrer  dans  la  région  alle- 
mande ,  l'Inn  qui ,  par  la  longueur  de  son  cours  ,  est  la  véritable  tête 
du  Danube. 

Du  lac  de  Toma,  situé  sur  la  pente  Nord-Est  du  pic  de  Baduz  ou  Six 
Madum  ,  sort  le  Rhin  antérieur  (Vorder  Rhein) ,  au  milieu  de  rochers 
escarpés  et  de  prairies  :  après  avoir  coulé  dans  le  verdoyant  val 
Tavetsch ,  il  reçoit  à  Disentis  le  Rhin  du  Milieu  (Mittel  Rhein) ,  qui 
ouvre  la  route  du  Luckmanier  ;  à  Ilanz  ,  dans  un  site  magnifique  ,  le 
Glenner  lui  apporte  les  eaux  de  la  vallée  de  Lugnetz  ;  enfin ,  le  Rhin 
Postérieur  (Hinter  Rhein),  qui  descend  du  massif  de  l'Adula,  en  ouvrant 
les  routes  du  Bernardino  et  du  Splugen,  roule  ses  eaux  écumantes  à 
travers  les  sombres  gorges  de  la  Via  Mala  dont  il  sort  àThusis,  reçoit 
près  de  ce  village  TAlbula,  que  rejoint  à  Tiefenkasten  la  Julia,  rivières 
suivies  toutes  deux  par  des  routes  conduisant  dans  l'Engadine,  et 
refoule  impétueusement  près  du  château  de  Reichenau  les  eaux  plus 
calmes  du  Rhhi ,  déjà  formé  ,  et  auquel  il  vient  péniblement  mêler  les 
siennes. 

Le  fleuve  est  désormais  constitué  ;  à  peine  grossi  plus  loin  de  quel- 
ques torrents,  comme  la  Plessur  et  la  Landquart,  il  baigne  les  assises 
glissantes  de  la  Calanda.  A  quelque  distance  de  ses  rives ,  s'élève 
Coire  (9,000  hab.),  la  capitale  des  Grisons  où  s'arrête  le  chemin  de  fer 
venant  de  Zurich ,  et  d'où  partent  toutes  les  routes  qui  traversent  le 
massif  des  Alpes  Grises.  La  contrée  qu'arrose  ensuite  le  Rhin  entre 
Coire  et  Mayenfeld,  se  distingue  par  sa  fertilité  ;  à  droite  du  fleuve,  est 
Landquart,  d'où  se  détache  la  route  du  Prœttigau  ;  à  gauche  ,  Ragatz 


—  2a3  - 


traversée  par  le  torrent  de  la  Tamina  ,  et  où  arrivent  par  une  conrluitc 
de  4  kilomètres  les  eaux  thermales  qui  s'échappent  des  merveilleuses 
gorges  de  PfœfFers.  Tandis  que  la  route  ,  évitant  le  fleuve ,  se  détache 
de  Mayenfeld  et  traverse  entre  les  derniers  contr-oforts  du  Rhœticon 
et  le  Flœscherberg  le  défilé  fortifié  de  Saint-Luziensteig ,  le  Rhin 
coule  plus  à  l'Ouest.  Jadis ,  il  franchissait  la  dépression  de  Sargans 
pour  s'écouler  dans  les  lacs  de  Wallensladt  et  de  Zurich  ;  à  chacune 
de  ses  crues,  il  menaco  de  reprendre  son  ancien  cours,  et  de  percer  la 
digue  de  cinq  mètres  qui  le  maintient  dans  son  lit  actuel  ;  il  s'échappe 
alors  des  montagnes  pour  se  diriger  vers  le  lac  de  Constance  et 
recueillh'  sur  son  passage  le  puissant  tribut  que  lui  apporte  l'Aar , 
perpétuellement  grossi  d'innombrables  rivières. 

L'Inn  n'appartient  à  la  Suisse  que  par  son  cours  supérieur,  il  sort 
d'un  beau  lac  aux  oaux  bleues,  celui  de  Lunghino,  situé  un  peu  au  Nord 
de  la  Maloïa.  La  vallée  qu'il  arrose  jusqu'à  Martinsbruck ,  l'Engadine, 
n'a  guère  plus  de  80  kilomètres  de  long  et  sa  largeur  est  souvent 
réduite  à  un  ou  deux  kilomètres.  C'est  un  long  plateau  lacustre  orienté 
vers  le  Nord-Est,  sans  pente  appréciable,  et  par  lequel  on  aboutit  pour 
ainsi  dire  de  plein  pied  à  la  dépression  de  la  Maloïa,  d'où  l'on  descend 
brusquement  et  par  des  courbes  multiples  dans  la  gorge  profonde  où 
bouillonne  l'Ordlegna,  qui,  plus  loin,  vers  Casaccia,  va  rejoindre  l'im- 
pétueuse Maira.  L'Inn  atteint  ce  plateau  en  formant ,  à  partir  du  lac 
auquel  il  sert  de  déversoir,  de  nombreuses  et  pittoresques  cascades  : 
il  faudrait  aujourd'hui  bien  peu  de  travaux  pour  changer  l'œuvre  de  la 
nature,  et  pour  détourner  les  eaux  de  l'Inn  qui  vont  affluer  au  Danube 
et  se  déversent,  par  conséquent,  dans  la  mer  Noire,  vers  la  Maira ,  le 
Pô  et  la  mer  Adriatique.  La  haute  Engadine,  de  la  Maloïa  à  Samaden  , 
entourée  des  deux  côtés  de  hautes  montagnes ,  dont  les  routes  de  la 
Bernina,  du  Julier  et  de  l'Albula  rompent  la  muraille  presque  continue, 
est  la  plus  belle  partie  de  cette  contrée,  celle  qui  offre  les  paysages  les 
plus  grandioses  ;  la  basse  Engadine  ,  de  Samaden  à  la  frontière  autri- 
chienne ,  plus  monotone  peut-être,  contient  encore  cependant  des 
parties  curieuses  ,  dos  points  de  vue  attrayants  dignes  de  la  visite  du 
touriste. 

Les  montagnes  qui  dominent  la  vallée  sont  perpétuellement  cou- 
vertes de  glaciers  et  de  vastes  champs  de  nevé.  Sur  les  flancs,  s'élèvent 
des  forêts  de  mélèzes  ou  d'alviés.  Ce  dernier  arbre ,  que  Ton  appelle 
le  cèdre  des  Alpes,  est  presque  inconnu  dans  le  reste  de  la  Suisse,  son 
bois  léger  et  blanchâtre  exhale  une  odeur  balsamique  et  sert  à  coulée- 


-  234  — 

lioniier  des  ouvrages  d'ébénisterie  très  estimés.  Ses  fruits  ont  un  goût 
agréable  ressemblant  à  celui  de  la  pomme  de  pin.  L'alvier  ,  qui  vient 
de  la  Sibérie,  croît  jusqu'à  2,500  mètres  d'altitude  et  prospère  surtout 
sur  les  pentes  des  montagnes. 

Dans  la  vallée  s'étalent,  de  distance  en  distance,  de  petits  lacs  que 
viennent  paresseusement  traverser  les  eaux  de  l'Inu.  Tels  sont  les  lacs 
de  Sils,  de  Silva- Plana,  de  Campfer  et  de  St-Moritz,  ce  dernier  dominé 
par  le  village  du  même  nom  ,  le  plus  élevé  de  toute  l'Engadine  (1,856™ 
d'altitude)  puisqu'il  dépasse  même  l'altitude  de  la  Maloïa  (1,811").  Près 
du  lac,  dans  la  plaine,  s'élèvent  rétablissement  de  bains  et  les  somptueux 
hôtels  qui  reçoivent  pendant  l'été  la  foule  sans  cesse  croissante  et 
hétérogène  des  baigneurs. 

Autour  des  lacs,  se  développent  de  vastes  prairies ,  la  plupart  du 
temps  dénuées  d'arbres  et  dont  l'aspect  contraste  ainsi  singulièrement 
avec  celui  des  versants  boisés  qui  les  dominent.  Les  pâturages  y  sont 
très  abondants  et  assez  productifs  :  mais ,  loin  de  les  exploiter  eux- 
mêmes  ,  les  habitants  les  afferment  ordinairement  à  des  étrangers.  La 
rigueur  du  climat  empêche  toute  culture  de  la  terre  :  le  blé  n'y  pousse 
jamais,  et  c'est  à  peine  si  autour  des  villages  de  Sils  et  de  Pontresina 
on  aperçoit  quelques  misérables  jardinets  ,  quelques  maigres  champs 
de  pommes  de  terre  ou  d'avoine.  Un  long  hiver  ,  un  été  court ,  toiles 
sont  les  deux  seules  saisons  de  l'Engadine.  Nous  avons  «  neuf  mois 
d'hiver  et  trois  mois  de  froid  »  disent  les  habitants.  En  janvier  ou 
février,  le  thermomètre  descend  jusqu'à  30°  au-dessous  de  zéro  ;  le  lac 
de  Sils  est  fréquemment  gelé  en  mai  ;  des  gelées  blanches  au  mois 
d'août  ne  sont  pas  rares  ,  et  nous  avons  vu  ,  dans  ce  mois  même ,  à  la 
suite  d'un  violent  orage,  la  neige  fraîche  couvrir  les  montagnes  et  les 
pentes  qui  dominent  Silva -Plana.  A  Pontresina,  le  15  août  1886,  le 
thermomètre  marquait  0°  ;  les  fontaines  avaient  gelé  pendant  la  nuit  : 
mais  le  même  jour  ,  vers  trois  heures  de  l'après-midi,  à  Tirano  ,  dans 
la  Valteline,  nous  subissions  une  chaleur  de  plus  de  30  degrés.  Il  ny  a 
pas  dans  la  haute  Engadine  d'agglomération  méritant  le  nom  de  ville , 
mais  les  villages  y  sont  fréquents  ,  détachant  leurs  maisons  blanches 
parmi  les  vertes  prairies  qui  les  entourent  et  les  épaisses  forêts  qui  les 
dominent. 

Jadis  ,  les  voyageurs  qui ,  venant  d'Italie  ,  franchissaient  en  V(nturo 
le  col  de  la  Malo'ia ,  n'avaient  pour  abri  que  la  modeste  hôtellerie  de  la 
Maloïa  Kulm.  Aujourd'hui,  un  hôtel  grandiose  développe,  à  l'entrée 
même  du  col ,  ses  vastes  constructions ,  offrant  au  voyageur  tout  le 


—  2a's  — 

confort  et  le  luxe  modernes  ;  des  villas  s'élèvent  sur  les  inonticulcR 
voisins  ,  et  une  tour ,  de  construction  récente  ,  à  peine  achevée  .  per- 
mettra aux  curieux,  toujours  nombreux  dans  ces  parages,  de  contempler 
le  splendide  panorama  qui  se  déroule  vers  la  vallé  de  la  Maira. 

Plus  loin  ,  le  long  de  Tlnn  ou  des  lacs  qu'il  traverse  ,  Sils  divisé  en 
deux  localités.  Sils-Baseglia  et  Sils -Maria  se  montre  dans  un  site 
riant  :  Silva- Plana  .  où  aboutit  la  route  dujulier,  reçoit  pendant  les 
mois  d'été  les  nombreux  touristes  qui  se  pressent  dans  son  excellent 
hôtel  Rivalta.  A  Campter,  la  route  se  dédouble  ;  un  tronçon  suit  le  fond 
de  la  vallée  pour  aboutir  aux  bains  de  Saint  Moritz  ;  l'autre  partie  se 
maintient  sur  la  hauteur  pour  gagner  le  village  élevé  de  Saint-Moritz, 
d'où  elle  descend  par  une  longue  courbe  à  travers  un  bois  de  mélèzes^ 
à  Celerina  et  Samaden. 

Samaden  (760  habitants)  situé  à  1,728  mètres  d'altitude  ,  est  la  capi- 
tal»^ de  la  Haute  Engadine  ;  trois  routes  importantes ,  celles  de  la 
Maloïa,  de  l'Albula  et  de  la  Bernina  viennent  s'y  réunir,  mais  elle  n'est 
guère  qu'une  localité  de  passage  :  les  touristes  préfèrent  séjourner  à 
Pontresina ,  qui  doit  sa  notoriété  à  sa  proximité  de  la  chaîne  du  Ber- 
nina, aux  vastes  glaciers  qui  l'avoisinent  et  aux  pittoresques  excursions 
que  l'on  peut  faire  dans  ses  environs. 

La  Basse -Engadine,  que  nous  n'avons  pas  eu  le  loisir  de  visiter, 
mrrite  certainement  de  l'être  ;  mais  elle  n'ofl're  pas  ,  s'il  faut  en  croire 
ceux  qui  l'ont  parcourue,  des  passages  aussi  pittoresques  et  aussi  gran- 
dioses que  la  Haute.  L'Inn  coule  toujours  dans  une  vallée  étroite, 
parfois  tortueuse ,  dominée  par  des  montagnes  élevées.  Sur  ses  rives , 
se  pressent  les  villages  :  Ponte  ,  au  pied  du  col  de  l'Albula  :  en  face  . 
Gampovasto  ,  où  les  Français  et  les  Autrichiens  ,  en  1799 ,  se  dispu- 
tèrent ,  pendant  six  heures  ,  le  pont  qui  permettait  de  franchir  l'Inn  : 
plus  loin.  Madulein,  dominé  par  les  ruines  du  chàteau-fort  de  Guarda- 
wall  :  Zuz,  où  le  blé  commence  à  apparaître  ;  Zernetz  .  presqu 'entière- 
ment reconstruit  depuis  le  terrible  incendie  de  1872  et  d"où  part  la 
route  qui  conduit  à  Munster ,  sur  le  Rambach  ,  affluent  de  l'Adige  par 
le  col  d'Ofen  (2,155  mètres)  :  Ardetz  ,  au  débouché  d'un  défilé  ,  formé 
d'un  chaos  de  rochers  éboulés;  Schuls  ,  dont  les  environs  sont  riches 
en  sources  minérales  :  les  principales  sont  celles  qui  alimentent  les 
bains  salins  et  ferrugineux  de  Tarasp ,  dominés  par  le  château  de  ce 
nom.  aujourd'hui  en  ruine,  et  ancienne  résidence  des  baillis  autrichiens. 
On  traverse,  enfin,  la  gorge  profonde  du  val  Sinestra  avant  d'atteindre 
Martinsbruck ,  où  l'Inn ,  au  milieu  d'un  paysage  grandiose ,  quitte  la 


!  . 

I 


-  236  - 

Suisse  pour  entrer  dans  le  Tyrol  autrichien  ;  le  pont  qui  le  traverse , 
forme  la  limite  entre  les  deux  pa^'^s. 

Depuis  le  col  de  la  Maloïa  jusqu'à  la  frontière  autrichienne,  de  nom- 
breux torrents  viennent  déverser  dans  l'Inn  ,  les  eaux  des  glaciers  qui 
couvrent  les  montagnes  voisines.  Il  serait  trop  long  de  nous  attacher  à 
les  décrire  ici  :  mais  l'un  d'eux  ne  saurait  être  passé  sous  silence ,  le 
Berninabach ,  important  par  le  nombre  des  glaciers  auxquels  il  sert 
d'émissaire  et  par  la  route  fréquentée  qui  remonte  sa  vallée.  Trois  lacs 
occupent  le  plateau  élevé  que  forme  le  col  de  la  Bernina  :  le  lac  Blanc, 
le  plus  étendu  ,  s'écoule  dans  le  Poschiavino  qui  va  rejoindre  l'Adda; 
le  lac  Noir  et  le  Petit-Lac  donnent  naissance  au  Bernina-bach  qui,  après 
avoir  formé  de  belles  cascades ,  reçu  les  eaux  des  deux  glaciers  de 
Morterash  et  de  Roseg  ,  et  longé  les  dernières  maisons  de  Pontresina 
inférieur,  mêle  ses  eaux  torrentueuses  à  celles  de  l'Inn  au-dessus  fie 
Samaden. 

Pour  compléter  cette  brève  hydrographie  du  pays ,  remarquons , 
enfin,  que  les  Grisons  embrassent ,  au-delà  de  la  grande  ligne  de  faîte 
des  Alpes ,  quelques  vaUées  orientées  vers  le  Sud ,  où  l'aspect  des 
villages  ,  le  climat  et  les  habitants  annoncent  déjà  l'Italie.  La  Maira , 
contournant  au  Sud  par  une  longue  courbe  l(j  col  du  Septimer ,  reçoit 
à  Casaccia  l'Ordlegna,  à  la  chute  superbe,  et  tombe  de  rocher  en 
rocher  à  travers  le  val  Bregaglia;  sur  ses  rives,  se  succèdent  Visoco- 
prano,  la  localité  principale  de  la  vallée  ;  Promontogno,  dominé  par  les 
ruines  du  château  de  Castelmur  ;  Bondo ,  avec  l'ancien  manoir  des 
comtes  de  Salis  ;  Castasegna  ,  qui  marque  la  frontière  suisse ,  et  dont 
les  plantations  de  châtaigniers  sont  la  ressource  principale.  Ghiavenna 
est  ensuite  la  principale  localité  italienne  au-delà  de  laquelle  la  Maira, 
traversant  une  plaine  marécageuse ,  pénètre  dans  le  lac  de  Gôme  à  sa 
partie  septentrionale. 

Une  étroite  vallée,  où  l'on  descend  du  col  de  la  Bernina  par  courbes 
et  des  pentes  vraiment  effrayantes,  sert  de  transition  entre  l'Engadine 
et  la  Valteline.  Le  Poschiavino  l'arrose  :  les  villages  qui  se  succèdent 
le  long  du  torrent  jusqu'à  la  Madona  del  Tirano  ,  dépendent  politique- 
ment de  la  Suisse  ;  mais  on  les  croirait  déjà  italiens  quand  on  consi- 
dère leur  aspect,  leur  nom,  leurs  habitants, 

A  deux  heures  et  demie  du  relais  de  poste  de  la  Rosa ,  s'élève  Pos- 
chiavo,  le  chef-lieu  du  val ,  petite  ville  de  2,900  habitants,  avec  beau- 
coup de  jolies  maisons  et  de  nond)reuses  manufactures.  Le  Prese,  situé 
sur  la  rive  septentrionale  du  beau  lac  de  Poschiavo,  possède  un  éta- 


—  237  — 

blisseinent  de  bains  sulfureux,  rcuoiuiné  dans  toute  la  Suisse  oiientale, 
mais  où  l'excessive  cherté  de  toutes  choses  ne  saurait  attirer  beaucoup 
de  baigneurs,  La  route  descend  alors  par  une  forte  pente  dans  une 
étroite  gorge  où  il  y  a  place  à  peine  pour  elle  et  pour  la  rivière;  qui  forme 
de  pittoresques  cascades.  Brusio  est  la  dernière  localité  Helvé- 
tique de  quelqu'importance.  A  Campo-Cologno  est  la  douane  suisse  ;  à 
la  Madona  del  Tirano,  pèlerinage  fréquente,  la  douane  italienne.  Deux 
kilomètres  plus  loin,  on  atteint  ïirano  au  milieu  de  la  belle  et  fertile 
vallée  de  la  Valteline. 

Le  pays  qui  forme  le  canton  des  Grisons  a  subi  au  moyen-âge , 
comme  la  plupart  des  États  de  TEurope,  la  domination  de  la  féodahté. 
Vers  la  fin  du  grand  interrègne  (1273)  il  formait  une  province  de 
l'Empire  Germanique,  mais  ne  tarda  pas  à  se  rendre  indépendant.  De 
nombreux  seigneurs  laïques  ou  ecclésiastiques  ,  tels  que  les  barons  de 
Vatz ,  de  Rhœzuns ,  l'évêque  de  Coire ,  les  abbés  de  Disentis  et  de 
Pfœffers  habitaient  alors  les  châteaux  dont  on  retrouve  aujourd'hui  les 
nombreuses  ruines,  se  faisant  une  guerre  sans  merci,  et  ensanglantant 
le  pays  de  leurs  éternelles  rivalités.  Ce  fut  pour  les  Grisons  comme 
pour  l'Allemagne  entière  ,  une  époque  de  troubles  ,  de  malheurs  et  de 
violences.  Mais  comme  en  Allemagne  aussi ,  les  faibles  cherchèrent  à 
lutter  contre  la  tyrannie  des  forts. 

En  Germanie,  les  villes,  pour  assurer  la  sécurité  des  routes,  résister 
aux  chevaliers  pillards  et  protéger  le  commerce ,  avaient  formé  de 
vastes  associations  politiques  et  commerciales,  la  hgue  Kaoséatique  et 
la  ligue  du  Rliin ,  ayant  leurs  milices  ,  leurs  tribunaux ,  et  se  garan- 
tissant par  leurs  propres  ressources  une  protection  qu'elles  ne  pou- 
vaient plus  attendre  du  gouvernement  central  désorganisé  ou  affaibli. 
11  en  fut  de  même  dans  les  Grisons  ;  le  peuple  accablé  par  les  seigneurs 
ou  les  évêques  ,  s'associa  pour  triomper  des  ennemis  communs.  En 
1396 ,  se  forma  la  ligue  de  la  Maison  de  Dieu  (par  abréviation  Ca  Dé 
=  Casa  Dei}  dont  le  siège  fut  à  Coire  ;  en  1424 ,  la  hgue  Grise  ,  celle 
dont  le  centre  fut  plus  tard  Disentis  ,  et  qui  renouvela  l'alliance  entre 
les  villes  tous  les  dix  ans  jusqu'en  1778  ;  enfin  ,  la  ligue  des  Dix  Juri- 
dictions, qui  eut  pour  capitale  Davos.  Ces  associations  furent  l'origine 
des  trois  ligues  de  la  Rliétie  Supérieure  qui  se  constituèrent  en  1741 
et  dont  les  deux  premières  s'allièrent  immédiatement  à  la  Confédé- 
ration Helvétique,  devenue  indépendante  à  la  suite  de  la  lutte  héroïque 
que  tout  le  monde  connaît.  En  1803 ,  les  Grisons  formèrent  un  canton 
de  la  Suisse ,  tout  en  restant  divisés  jusqu'en  1848  en  26  républiques 


—  238  — 

ou  Juridictions  indépendantes.  A  cette  époque  ,  une  Constitution  nou- 
velle les  priva  de  cette  existence  autonome  ,  et  de  l'ancienne  indépen- 
dance locale,  il  ne  reste  plus  que  le  souvenir. 

Le  canton  des  Grisons,  quoique  très  vaste,  ne  possède  pas  une  popu- 
lation en  rapport  avec  son  étendue  :  elle  atteint  à  peine  le  chiflre  dc^ 
100,000  habitants  :  les  2/3  sont  de  race  romane  ;  1/3  de  race  Germa- 
nique. L'élément  Germanique  se  trouve  principalement  dans  la  vbIIk 
du  Rhin  ;  l'Engadine  est  plus  particulièrement  la  Suisse  romane ,  jadis 
ancienne  Rhétie  qui ,  suivant  toute  probabilité ,  fut  autrefois  peupléi 
par  dos  colons  italiens.  Les  Suisses  seraient  pauvres  et  malheureux 
s'ils  n'étaient  honnêtes  et  laborieux ,  capables  de  chercher  dans  Tin 
dustrie  de  toute  nature,  les  ressources  que,  dans  plusieurs  régions.  1< 
terre  leur  refuse,  capables  surtout  de  quitter  momentanément  le  pay; 
qui  leur  est  cher  et  où  ils  aiment  à  revenir  finir  leurs  jours,  pour  aUe: 
conquérir  à  l'étranger  l'aisance  qui  leur  manque.  Autrefois  ils  s'expa 
triaient  en  masse  :  la  Suisse  était  le  grand  marché  de  soldats  de  l'Eu 
rope  ;  pendant  plus  de  deux  siècles,  les  rois  de  France  eurent  dan 
leur  maison  militaire  des  gardes  Suisses  ,  et  le  rôle  bien  connu  qu'il 
jouèrent  dans  la  journée  du  10  août  1792,  a  été  rappelé  par  rinscriptioi 
gravée  près  du  fameux  lion  de  Lucerne.  Aujourd'hui,  dans  TEngaduje 
les  habitants  sobres  ,  industrieux  ,  économes  et  travailleurs  éaiigrec 
en  grand  nombre  pendant  leur  jeunesse.  On  les  retrouve  dans  tout 
l'Europe  comme  confiseurs ,  cafetiers ,  fabricant,s  de  chocolat  et  d 
liqueurs,  ou  dans  diverses  branches  de  l'industrie.  Après  avoir  fa: 
ainsi  péniblement  fortune ,  ils  reviennent  dans  leurs  vallées  jouir  e 
paix  du  fruit  de  leur  travail  en  habitant  ces  maisons  coquettes, 
l'ameublement  confortable,  que  l'on  aperçoit  dans  tout  le  pays.  Nou 
avons  vu  pendant  notre  séjour  à  Pontreshia  une  élégante  constructio 
qui  s'élève  dans  le  village  même ,  le  long  de  la  route  de  la  Rerninî 
Elle  était ,  nous  a  t-on  dit ,  destinée  à  l'un  des  principaux  maître 
d'hôtel  de  la  localité,  qui,  possesseur  d'une  grande  fortune  ,  veut  jou 
dans  cette  paisible  retraite  d'un  repos  acheté  par  bien  des  années  d'act 
vite  et  de  fatigues.  Les  voyages,  d'ailleurs,  en  leur  procurant  l'aisanc* 
développent  singulièrement  les  connaissances  de  ces  émigrants,* 
presque  toujours  ils  parlent  1  allemand  ,  le  français  ,  l'italien,  quelqu( 
fois  même  l'anglais ,  l'espagnol ,  le  portugais  et  le  polonais  aussi  bie 
que  leur  idiome  roman  :  il  faut  cependant  reconnaître  que  la  langi 
allemande,  enseignée  dans  les  écoles,  fait  chaque  jour  de  nouveaux  ' 
sérieux  progrès.  Une  entente  parfaite  semble,  d'ailleurs,  régner  entil 


il 


~  2;-!9  - 

los  habitants  do  ces  différents  villages  si  doux  ,  si  hospitaliers  ,  et  qui 
paraissent  si  heureux  de  vivre.  Un  vieux  proverbe  du  pays  prétend 
que  «  a|)rès  le  bon  Dieu  et  le  soleil,  le  plus  pauvre  habitant  (^t  le  pre- 
mier magistrat  »  ;  on  ne  saurait ,  cependant ,  contester  l'influence 
qu'exercent  aujourd'hui  encore  certaines  grandes  familles ,  comme 
celle  des  Planta ,  qui  possède  d'immenses  propriétés ,  tant  dans  la 
vallée  du  Rhin  que  dans  TEngadine. 

La  langue  romanche  qui  est  encore  communément  usitée  dans  une 
bonne  partie  des  Grisons  ,  comprend  deux  dialectes  :  le  roman  parlé 
dans  la  vallée  du  Rhin  et  dans  les  vallons  latéraux  ;  le  ladin ,  parlé 
surtout  dans  i'Engadine  :  c'est  la  seule  langue  dont  on  se  sert  dans  les 
familles.  Le  romanche  est  une  sorte  de  patois  difficile  à  comprendre 
des  Italiens  comme  des  Français. 

11  nous  a  été  donné  de  voir  ,  à  plusieurs  reprises  ,  quelques-uns  des 
journaux  qui  s'éditent  à  Goire  et  à  Disentis,  et  nous  devons  avouer,  à 
notre  honte ,  qu'il  nous  a  été  impossible  de  les  traduire.  Dans  les  cime- 
tières de  Silva-Plaiia  et  de  Pontresina  se  trouvent  de  nombreuses 
inscriptions  en  roman,  dont  nous  rappellerons  les  trois  suivantes  déjà 
citées  dans  le  guide  Bœdeker,  et  qui,  assez  compréhensibles,  suffiront 
pour  donner  une  idée  de  cet  idiome  singulier  : 

1"  Quia  reposan  n(^s  chers  genitors(Ici  reposent  nos  chers  pai'ents)  ; 

2°  Naschieri  ils  26  avuost  1831,  mort  ils  10  scner  1850  (Né  le  26  août 
1831,  mort  le  10  janvier  1850)  ; 

3°  Alla  memoria  da  nossa  virtuosa  ed  ameda  mamma  morta  a  Zurich 
ils  18  avuost  1871  nell'  etad  d'ans  63  et  seguond  sia  giavusch  sepulina 
quià  il  de  19  sequaLiid,  inua  gia  reposaiva  sia  bun  bap.  (A  la  mémoire 
de  notre  mère  vertueuse  et  aimée  .  morte  le  15  août  1871 ,  à  l'âge  de 
63  ans,  et  inhumée  ici  selon  ses  vœux  le  19  suivant ,  où  reposait  déjà 
son  bon  père.) 

Citons  enfin  lïtahen  qui  est  parlé  dans  les  vallées  méridionales  du 
canton. 

La  population  des  Grisons  se  compose  pour  les  3/5  de  protestants  ; 
le  reste  est  catholique  ;  les  dissensions  provoquées  par  ces  différences 
de  cultes  et  qui  jadis  ont.  dans  certaines  parties  de  la  Suisse,  abouti  à 
de  véritables  guerres  civiles ,  semblent  aujourd'hui  complètement 
apaisées. 

De  belles  routes  sillonnent  les  vallées  et,  remontant  le  cours  des 
rivières, 'û'anchissent  les  principaux  cols.   Quelques-unes  présentent 


—  240  — 

des  points  de  vue  dignes  d'admiration  et  que  nous  n'aurons  garde 
d'omettre  dans  la  description  de  notre  voyage.  Peu  de  chemins  de  fer, 
jusqu'à  ce  jour,  sillonnent  le  pays  ;  il  suffit  de  mentionner  la  ligne  qui, 
partant  de  Goire  et  passant  à  Mayenfield  et  Ragatz,  se  divise  vers  Sar- 
gans  en  deux  tronçons  ,  l'un  suivant  la  vallée  du  Rhin  jusqu'au  lac  de 
Constance,  l'autre  contournant  les  lacs  de  Wallenstadt  et  de  Zurich 
pour  atteindre  la  ville  de  ce  nom. 

Ce  court  préambule  géographique ,  permettra  maintenant  à  nos 
lecteurs,  —  du  moins  nous  osons  l'espérer,  —  de  suivre  sans  effort  et 
comme  en  pleine  lumière,  le  récit  de  notre  rapide  mais  très  inté- 
ressante promenade  à  travers  les  Grisons. 

E.   GUILLOT 

[A  suivre). 


k 


2/il  — 


GOMMDNICATIONS  AUX  ASSEMBLÉES  GENERALES 

(  in  extenso  ). 


LA  FORÊT  DE  MORMAL^^^ 

Par  M.  Henri  BÉGOURT, 

Inspecteur  des  Forêts  au  Quesnoy  (Nord), 

Membre   correspondant  do  la   Société  de  géographie  de   Lille 

et  Membre  titulaire  de  la  Commission  Historique  du  département  du  Nord. 

(Suite)  (2). 


III 

GÉOGRAPHIE  PHYSIQUE.  —  I.  —  Climat  :  situation  ;  altitude  ;  exposition  ;  phénomènes 
météorologiques.  —  H.  —  5oZ  .  division  du  massif;  dépôts  géologiques  ;  sol 
végétal  ;  sources  et  cours  d'eau.  —  HI.  —  Flore  ligneuse  :  sa  composition  ;  mo- 
nographie des  essences  principales  ;  état  ancien  de  la  forêt  et  souvenirs  qui  s'y 
rattachent. 

Indépendamment  de  l'action  que  l'homme  exerce  sur  leur  composi- 
tion et  leur  évolution,  les  peuplements  forestiers  sont  subordonnés  aux 
conditions  climatériques  et  géologiques  dans  lesquelles  ils  sont  placés. 
Aussi ,  avant  de  décrire  les  essences  qui  forinent  les  peuplements  ou 
la  flore  ligneuse  de  Mormal ,  nous  occuperons-nous  du  climat  et  du 
sol  de  cette  forêt. 

I.  —  Le  climat  d'une  région,  il  est  à  peine  besoin  de  le  rappeler, 
est  déterminé  par  sa  situation  en  longitude  et  en  altitude;  il  dépend 
aussi  de  ses  diverses  expositions,  de  la  configuration  orographique  des 
terrains  environnants,  de  la  répartition  des  pluies  et  de  l'humidité,  de 
la  transition  plus  ou  moins  brusque  entre  la  chaleur  et  le  froid,  et  enfin, 
des  vents  dominants . 

Au  point  de  vue  de  la  situation,  la  forêt  occupe  une  partie  de  la  Ugne 
de  faîte  qui  sépare  le  bassin  de  la  Sambre  de  celui  de  l'Escaut  ;  elle 


(1)  Au  moment  de  publier  la  troisième  partie  de  l'étude  sur  la  Forêf  de  Mormal 
que  veut  bien  nous  reserver  notre  savant  correspondant,  nous  recevons^conimunica- 


tion  d'un  vœu  renouvelé  dans  le  dernier  Contres  national  de  geo^rapme  ,  <i  apies 
lequel  on  souhaiterait  de  voir  chaque  Société  de  géographie  étudier  d  unetaçon  toute 
spéciale  la  région  qu'elle  embrasse.  Rien  ne  peut  mieux  repoudre  a  ce  vœu  au.> 
l'étude  si  substantielle  de  M.  H.  Recourt,  étude  que  nous  apprécions  d  autant  plus 
qu'aucune  étude  n'avait  été  faite,  jusqu'ici,  sur  la  propriété  Domaniale  de  Mormal. 
^  '"     ^  (^JSole  du  Secrétariat). 

(2j  Voir  page  206  du  lome  VI  (1886)  et  pages  178  et  258  Ju  tome  \U  (1887). 

17 


-  2/.2  — 

s'étend  sur  cette  ligne  en  longueur  sur  16  kilomètres  du  N-E  au  S-0, 
et  en  profondeur  sur  5  à  8  kilomètres,  et  elle  est  comprise  entre  les 
longitudesorientales  U'''-  47'  et  le^-  66',  et  entre  les  latitudes  septentrio- 
nales bbs';  IV  50"  et  55g^-  85'  60''. 

Son  point  culminant  est  à  175  mètres  au-dessus  du  niveau  de  la  mer 
et  le  plus  bas  à  135  mètres  (1).  En  partageant  la  forêt  en  trois  zones 
dans  le  sens  de  la  hauteur,  on  trouve  qu'elle  renferme  approximati- 
vement 2,900  hectares  au-dessus  de  la  côte  160,  5,700  entre  les  côtes 
160  et  140,  et  563  au-dessous  de  la  côte  140(2). 

De  ses  deux  versants,  sensiblement  égaux  en  étendue,  l'un  est  à 
l'exposition  du  N-0,  et  l'autre  à  celle  du  S-0.  Sur  le  premier  qui 
appartient  au  bassin  de  l'Escaut,  la  pente  générale  du  terrain  est  de 
8'",70  par  kilomètre,  tandis  que  sur  le  second  qui  est  compris  dans  le 
bassin  de  la  Sambre,  elle  n'est  que  de  3™, 50.  La  forêt  repose  donc  sur 
une  plaine  et  la  régularité  de  cette  plaine  n'est  rompue  que  par  des 
dépressions  légères  dues  à  l'action  des  eaux.  Ses  environs  sont  égale- 
ment constitués  par  des  plaines  ou  par  de  petites  collines ,  de  sorte 
qu'elle  est  exposée  à  tous  les  vents  et  notamment  à  ceux  du  S-0  qui 
sont  les  plus  fréquents  (3)  et  aussi  les  plus  redoutables. 

11  résulte  d'observations  pluviométriques  exécutées  à  Landrecies 
depuis  1847  par  M.  Brocher,  ingénieur  au  service  de  l'administration 
du  canal  de  la  Sambre  à  l'Oise,  que  la  quantité  d'eau  qui  tombe  annuel- 
lement dans  cette  localité  est  en  moyenne  de  0'"5778  par  mètre  carré. 
D'autre  part,  les  expériences  eôèctuées  par  M.  Aug.  Mathieu  ont  dé- 
montré que,  bien  que  le  couvert  des  arbres  intercepte  et  restitue  à 
l'atmosphère  un  dixième  environ  des  eaux  pluviales,  le  sol  des  régions 
forestières  en  reçoit  plus  que  celui  des  régions  agricoles  (4).  Le  chiffre 
annoncé  par  M.  Brocher  doit  donc  être  un  peu  relevé  pour  s'appliquer 


(1)  Parmi  les  points  les  plus  élevés,  se  trouvent  les  carrefours  du  Pont  Routier  et 
des  Grandes  Pâtures  ;  le  point  le  plus  bas  est  à  la  sortie  du  massif  de  la  Rhonelle 
ou  rieu  d'Antiau. 

(2)  S.  BouvART,  Notice  sur  la  topographie  des  forêts  domaniales  de  Mormal, 
TEvêque,  etc.,  p.  17. 

(3)  Observations  recueillies  aux  stations  météorologiques  n"  102  de  l'Opéra  et 
n°  103  du  Cheval  Blanc  (forêt  de  Mormal),  créées  en  1880  par  l'Administration  des 
forêts  et  tenues  par  des  brigadiers. 

(4)  Aug.  Mathieu,  ancien  sous-directeur  de  l'École  Forestière  de  Nancy.  Rapports 
sur  les  observations  udométriques,  atmidomëtriqueSy  et  thermométriques  faites 
dans  les  environs  de  Nancy,  pendant  les  années  1866-1871. 


-  243  — 

à  la  forêt.  Néanmoins,  il  n'est  pas  excessif;  mais  le  ciel  qui  est  souvent 
voilé  par  les  nuages  et  la  nature  peuhygrosc()pique  du  solentrelieiinent 
dans  les  vallons  et  dans  les  cantons  dont  les  arbres  ont  le  couvert  bas, 
une  humidité  qui,  en  persistant  longtemps  à  la  surface,  favorise  la 
production  des  brouillards  et  ralentit  la  végétation. 

D'après  l'ingénieur  précité,  la  température  moyenne  annuelle  s'élève 
à  10''23  à  Landrecies  ;  quant  à  la  moyenne  des  minima  elle  est  de  — 
li"l  et  celle  des  maxima  de  -i  30°5,  de  sorte  que  les  moyennes  des 
températures  extrêmes  présentent  un  écart  de  41''6.  La  température 
moyenne  de  la  forêt  doit  peu  différer  de  celle  de  Landrecies  ;  mais  il 
n'en  est  pas  de  même  des  températures  extrêmes.  Des  observations 
faites  par  M.  A.  Mathieu  il  résulte  en  effet  que  la  température  s'élève 
toujours  moins  haut  dans  un  massif  et  descend  généralement  moins 
bas  que  dans  les  champs  ;  qu'elle  y  offre  plus  de  constance  du  matin 
au  soir,  de  jour  en  jour,  de  mois  en  mois,  en  un  mot,  que  sans  abaisser 
sensiblement  la  température  moyenne  de  toute  l'année,  la  forêt  tend 
à  adoucir  les  climats  excessifs,  «à  les  rapprocher  des  climats  constants 
et  littoraux.  Bien  que  l'écart  entre  la  plaine  et  la  forêt  ne  soit  pas  bien 
considérable,  moins  de  2°  au  plus,  cet  écart  tout  faible  qu'il  est,  ne 
laisse  pas  que  d'être  d'un  grand  intérêt  :  au  printemps,  en  effet,  alors 
que  les  végétaux  développent  leurs  feuilles  et  leurs  fleurs,  une  tem- 
pérature voisijie  de  0°  peut  exercer  beaucoup  d'influence  sur  la  con- 
servation ou  la  destruction  de  ces  organes  ,  suivant  le  sens  dans  lequel 
il  se  produit. 

Mais  la  température  n'est  pas  identique  au  même  moment  sur  tous 
les  points  de  la  forêt  ;  elle  présente  des  différences  qui  proviennent 
moins  de  l'altitude  et  de  l'exposition  que  de  la  configuration  du  terrain 
et  de  la  présence  dans  le  sous-sol  d'une  plus  ou  moins  grande  quantité 
d'eau.  Dans  les  vallons,  surtout  dans  ceux  qui  sont  mal  peuplés  ou 
découverts,  elle  présente  entre  le  jour  et  la  nuit  des  écarts  plus  consi- 
dérables que  sur  les  plateaux  ;  les  brouillai'ds  y  régnent  fréqueunuent 
et  les  gelées  s'y  font  sentir  jusqu'au  mois  de  juin  et  parfois  à  une 
époque  plus  avancée  de  l'été.  En  raison  de  cette  circonstance  les  hoù 
durs,  plus  sensibles  au  froid  que  les  bois  tendres,  y  végètent  mal  ; 
aussi  voit-on  les  vallons  occupés  depuis  un  temps  immémorial  par 
l'aune,  le  tremble  et  le  saule.  Cependant  on  a  tenté,  il  y  a  vingt  ans, 
de  remplacer  ces  essences  par  d'autres  plus  précieuses  ,  telles  que  le 
chêne  et  le  frêne  ;  mais  les  résultats  obtenus  n'ont  pas  répondu  aux 
espérances  qu'on  avait  conçues  ;  en  en  détruisant  les  bourgeons  et  les 


—  244  — 

jeunes  pousses,  la  gelée  les  condamne  à  l'état  rabougri  et  finalement 
à  disparaître.  Sur  les  lianes  des  vallons  et  sur  les  plateaux,  les  bois 
durs  soufirent  aussi  du  froid  dans  leur  jeunesse,  mais  le  mal  qu'il  leur 
cause  se  répare  au  bout  de  quelques  années  ;  on  peut  d'ailleurs  le  pré- 
venir assez  souvent ,  en  les  maintenant  sous  un  abri  plus  ou  moins 
complet  suivant  leur  tempéramment  et  en  ne  les  exposant  en  pleine 
lumière  que  lorsqu'ils  ont  de  1  à  2  mètres  de  hauteur. 

II.  —  Après  le  climat,  le  sol.  Mais  avant  d'indiquer  de  quels  élé- 
ments il  est  formé,  nous  dirons,  pour  en  faciliter  la  description,  quelques 
mots  sur  les  divisions  et  les  subdivisions  de  la  forêt. 

De  tout  temps ,  on  y  a  connu  de  grandes  divisions ,  comprenant 
elles-mêmes  des  subdivisions.  Les  premières  ,  dont  l'étendue  a  varié 
plusieurs  fois ,  correspondaient  à  l'origine  à  l'étendue  surveillée  par 
chacun  des  sergents  ou  gardes  du  massif,  étendue  appelée  melle  ou 
quartier;  elles  empruntaient  leur  nom  aux  paroisses  ou  commu- 
nautés voisines  :  ainsi,  il  y  avait  le  quartier  de  Locquignol,  celui  de 
Maroilles,  celui  de  Landrecies,  etc.  Après  1778,  époque  ou  l'on  modifia 
l'aménagement  de  la  forêt,  on  créa,  tout  en  maintenant  la  division  par 
quartiers,  des  divisions  nouvelles  correspondant  aux  séries  d'exploita- 
tions entre  lesquelles  elle  était  partagée  ;  elles  tiraient  leurs  dénomi- 
nations, soit  des  localités  riveraines,  soit  de  quelque  endroit  remar- 
quable situé  dans  son  enceinte ,  tel  que  le  Brai-Dieu ,  la  Tombe  de 
Gargantua,  etc.  A  la  suite  d'aménagements  ultérieurs,  plusieurs  séries 
ont  été  fondues  en  une  seule,  ce  qui  entraîna  la  suppression  de  certains 
noms ,  et  d'autres  ont  eu  leurs  limites  plus  ou  moins  modifiées. 
Depuis  1860,  elles  sont  au  nombre  de  dix-huit.  Parmi  celles  dont  le 
nom  ne  rappelle  pas  une  localité  voisine  du  massif,  se  trouvent  la 
série  de  Fau-Romarin  qui  doit  le  sien  à  un  hêtre  exploité  il  y  a  quelque 
cinquante  ans  et  dont  la  forme  générale  était  celle  d'un  romarin  ; 
la  série  de  Fontaine-Madame,  ainsi  désignée  à  cause  d'une  fontaine 
que  fréquentaient,  croit-on,  les  comtesses  Jeanne  et  Marguerite,  filles 
de  Bauduin  de  Constantinople  ;  les  séries  de  Pierre-Révisoire  ou 
Rabigeois  et  de  Warfusée,  ainsi  dénommées,  la  première  en  souvenir 
d'un  simple  maçon  qui  y  construisit  des  aqueducs,  la  seconde,  de 
M.  de  Warfusée ,  comte  de  Groesbeke  qui  signala  par  des  ré- 
formes son  passage  à  Mormal  au  XVIF  siècle. 

La  désignation  des  subdivisions  ou  cantons  a  plus  varié  encore  que 


—  245  — 

celle  des  divisions.  Cette  circonstance,  qui  ne  se  produit  pas  dans  les 
forêts  en  montagne,  ne  doit  pas  surprendre  ici  :  l'absence  de  profondes 
vallées  et  d'escarpements  prononcés  et  la  grande  uniformité  des  peu- 
plements surtout  aux  époques  anciennes  devaient  conduire  à  ce  résultat. 
D'ailleurs  les  noms  attribués  aux  cantons  n'évoquent  aucun  souvenir 
remarquable  et  c'est  en  vain  que  l'on  chercherait  à  découvrir  parmi 
eux  ceux  des  Regniers,  des  Bauduins,  des  princes  des  maisons  de 
Bourgogne  et  d'Autriche  qui  ont  tant  de  fois  parcouru  la  forêt  pour  se 
livrer  aux  plaisirs  cynégétiques,  comme  aussi  ceux  d'anciens  baillis 
des  bois  de  Hainaut,  tels  que  Simon  de  Lalaing,  Charles  do  Lannoy,  le 
comte  de  Bossu,  Jacques  deHarchies.  ...  qui  s'illustrèrent  dans  plus  de 
vingt  combats.  En  revanche,  on  y  trouve  une  foule  de  noms  obscurs  : 
Robot,  Gille-Florette,  Van  der  Gott  rappellent  d'anciens  sergents  d(3 
la  forêt  ;  Martin  Tonnant,  Malgueulo,  Balicq,  d'anciens  fermiers  du 
domaine  de  Locquignol  ;  Mazingue,  Gluyer,  des  adjudicataires  de 
coupes  de  bois.  Quelques  noms  de  cantons  ont  été  inspirés  par  la  pré- 
sence d'arbres  de  dimensions  exceptionnelles,  tels  que  le  Quesne  au 
leu  (1),  près  duquel  ont  passé  les  armées  de  Louis  XIV  et  de  la  pre- 
mière répubhque  ;  le  chêne  Guplet,  encore  debout  au  commencement 
de  ce  siècle  :  le  Quesne  à  l'orière  (2),  déjà  cité  dans  les  premières 
chartes  de  la  forêt.  Les  noms  du  Camp  et  de  l'Abatis  rappellent  l'oc- 
cupation autrichienne  de  1793-1794  ;  celui  du  Fort-Misère  (3),  un 
retranchement  de  peu  d'importance  élevé  pendant  les  guerres  du 
XVP  siècle  ;  celui  de  Magoniau,  une  machine  de  guerre,  le  mangon- 
neau,  avec  laquelle  on  lançait  des  pierres  au  moyen-âge  ;  celui  de 
l'Homme-de-pierre,  la  découverte  à  une  époque  que  l'on  ne  peut  pré- 
ciser d'une  statue  de  quelque  divinité  païenne.  Les  autres  cantons 
enfin  empruntent  leurs  noms  à  des  ruisseaux,  des  mares,  des  fontai- 
nes.,  etc.  Nous  laisserons  de  côté  les  particularités  qui  s'y  rattachent. 


(1)  Ce  chêne  se  trouve  à  Tangle  N.-E.  de  la  forêt,  près  de  Tancicn  hameau  de 
Guerlontrau,  qui  a  échangé  son  nom  contre  celui  de  Quesne-au-Leu. 

(2)  C'est  sans  doute  ce  chêne  ,  qui  était  placé  à  l'orière  ou  bordure  de  la  forêt  du 
côté  d'Hecq,  qui  aura  valu  sa  désignation  à  ce  village  {Eecke,  chêne  en  teuton). 

(3)  Le  canton  du  Fort-Misère  s'appelait  jadis  canton  Dégobillo.  D'après  M.  Clé- 
ment Hemery,  ouv.  cité  ,  on  y  lisait  sur  une  pierre,  avant  les  guerres  de  la  première 
Révolution,  l'inscription  suivante  : 

jEternumque  locus  Degobille  nomen  habebit. 


—  246  — 

parce  qu'elles  nous  en l raineraient  trop  loin,  pour  passer  à  la  descrip- 
tion géologique  de  la  forêt  (1). 

Le  sol  de  Mormal,  comme  celui  d'une  grande  partie  du  département 
du  Nord  et  des  régions  voisines,  est  essentiellement  formé  de  dépôts 
quaternaires,  qui  recouvrent  presque  entièrement  les  dépôts  antérieurs 
des  époques  tertiaire,  secondaire  et  primaire.  Ces  différents  dépôts  se 
succèdent  dans  l'ordre  suivant  en  commençant  par  le  haut  : 


TERRAIN  QUATERNAIRE.. 


ALLUVIONS  MODERNES 


ALLUVIONS  ANCIENNES 


TERRAIN  TERTIAIRE. 


TERRAIN  SECONDAIRE 


TERRAIN  PRIMAIRE. 


Limon    inférieur   ou 

ERGERON 


EOCENE  INFERIEUR 


Limon  supérieur Terre  à  briques. 

Limon  sableux  jaune 
Limon  gris. 
Limon  jaune. 
Limon  bleu. 
'{^  Limon  panaché. 

\    DiLUviUM  (?) Cailloux  roulés. 

f  Sables  d'Ostricourt. 
Assise  landenienne  .  )  Marne  de  la  Porqueric 
(Argile  à  silex. 


Senonien  , 


CRETACE  SUPERIEUR  . . . .  /  Turonien. 


CARBONIFERE  INFERIEUR     Cénom.vnien. 


Gondrusien  , 


Craie  à  silex,  à  Micros 
ter  breviporus. 

Marne  à  Inoceramu 
Brognarti  etàTere 
bratida  gracilis. 

I  Marne  à  Inoceramu 
làbiatus. 

Marne  glauconifère  ; 
Pecten  asper. 

Calcaire  à  Productu 
Cora. 


(i)  Nous  avons  profité  pour  cette  partie  de  notre  travail  des  remarquahlea  études 
que  M.  (losselet,  professeur  à  la  Faculté  des  sciences  de  Lille  et  membre  correspon- 
dant de  l'Académie  des  sciences,  a  publiées  dans  la  Revue  de  la  Société  géologique 
du  Nord  ;  nous  ne  pouvions  assurément  prendre  un  meilleur  guide. 


—  247  — 

La  zone  du  calcaire  carbonifère  à  Produclus  cora,  se  rencontre  le 
long  du  Grand-Riou,  dans  le  canton  de  la  Passe  du  Fau,  où  elle  pré- 
sente une  épaisseur  assez  considérable.  Le  calcaire  de  cette  zone  a  un 
aspect  bleuâtre  et  dégage  une  forte  odeur  d'acide  sulfhydrique  lors- 
qu'on le  brise  on  morceaux.  Il  ne  contient  qu'une  petite  quantité  de 
quartz  lydien  ou  phtaniite.  D'un  grain  fin,  très  dur  et  très  résistant,  il 
est  d'un  bon  emploi  pour  l'empierrement  et  l'entretien  des  routes  ; 
aussi  l'a-t-on  exploité,  de  1861  à  1872,  à  la  carrière  de  la  Passe  du 
Fau,  pour  construire  la  route  du  même  nom  et  celle  de  Tortehaye. 
Depuis  lors,  cette  carrière  a  dû  être  abandonnée  par  suite  de  l'inva- 
sion des  eaux  qui  seront  toujours  un  obstacle  sérieux  à  son  exploi- 
tation. 

La  marne  glauconifère  à  Pecien  asper  ou  Tourtia  de  Sassegnies 
n'affleure  dans  le  massif  que  le  long  du  Grand-Rien,  où  il  est  le  plus 
souvent  recouvert  par  la  vase  ;  mais  il  est  très  apparent  dans  la  haie 
de  Mastaing  et  à  la  carrière  voisine,  dite  du  Pont  du  I^ois.  Dans  cette 
carrière,  le  tourtia,  dont  l'aspect  est  verdâtre  et  la  consistance  poudin- 
giforme.  présente  deux  divisions  ;  à  la  partie  supérieure  est  la  glau- 
conie  sableuse,  à  Pecten  asper,  Janira  quinquecostata,  Ostrea  conica, 
0.  vesiculosa,  0.  phyllidiana  ;  à  la  partie  inférieure  est  une  marne 
grise  jaunâtre,  argilo-sableuse,  contenant  avec  un  peu  de  limonite  et 
de  glauconie  (hydrosilicate  de  fer  et  de  potasse),  distribuée  dans  la 
masse  sous  forme  de  grains  verts,  des  galets  et  une  foule  de  fossiles, 
parmi  lesquels  nous  citerons,  outre  ceux  ci-dessus  énumérés,  Spon- 
dylus  striatus,  Ammonites  Mantelli,  Trigonia  scabra,  Cyprina 
quadraia,  Pecien  IciTumosus,  Ostrea  conica,  0.  lateralis,  0.  cari- 
nata ,  Terehratula  pectita ,  T.  slriata ,  Cidaris  vesiculosa ,  etc. 
La  compacité  de  cette  roche  et  son  imperméabilité  en  font  un  très 
mauvais  sol  forestier. 

La  marne  à  Inoceram,us  labialus,  vulgairement  désignée  sous  le 
nom  de  Bièves,  apparaît  à  la  partie  inférieure  d'un  grand  nombre  de 
ruisseaux  du  bassin  de  la  Sambre,  mais  fait  complètement  défaut  sur 
le  versant  de  l'Escaut.  C'est  une  craie  noduleuse,  d'un  aspect  bleuâ- 
tre, renfermant  un  peu  d'argile  et  dans  laquelle  on  rencontre  parfois 
des  pyrites.  Les  principaux  fossiles  qui  accompagnent  les  Dièvres  sont  : 
Inoceramus  labialas,  Ammonites  nodosoïdes,  Amm.  Lewesiensis, 


—  248  — 

Cidaris  hurido,  Rhynconella  Cuvieri,  Discoïdea  minima,  Serpula 
amphisboema. 

La  marne  à  Terehralulina  gracilis,  connue  dans  la  contrée  sous  le 
nom  de  Mariette,  est  généralement  superposée  aux  Dièves,  dans  le 
bassin  de  la  Sambre  ;  on  la  trouve  également  dans  le  sous-sol  d'une 
grande  partie  de  celui  de  l'Escaut.  Elle  n'affleure  que  dans  les  lits  des 
ruisseaux  et  est  surtout  développée  au  carrefour  du  Cheval-Blanc,  et 
près  de  la  maison  forestière  du  Sart-Bara,  où  elle  se  présente  ?ous 
forme  de  bancs  de  moellons  de  3  à  4  mètres  d'épaisseur,  à  peine 
recouverts  de  0^,50  à  0"\70  de  limon.  Légèrement  grisâtre,  elle  est 
tout  à  fait  imperméable  et  donne  par  suite  naissance  à  une  foule  de 
cours  d'eau.  C'est  avec  cette  marne  que  l'on  fait,  en  la  mélangeant 
avec  le  menu  charbon,  des  agglomérés  de  ménage.  Parmi  les  nom- 
breux fossiles  qu'elle  contient,  mentionnons  :  Terehratidina  gracili^, 
T.  striata,  Inoceramus  Brogniarti,  Spondi/lus  spinosus,  Ostrea  sul- 
caia,  0.  hippopodium,  0.  lateralis,  Bacuhtes  bohemicus,  Ptychodus 
'inammillaris,  etc. 

La  craie  à  silex  ou  craie  à  cornus,  de  l'étage  sénonien,  est  peu  déve- 
loppée dans  la  forêt.  Le  principal  dépôt  qu'elle  forme  gît  à  3  ou  4  m. 
de  profondeur  au  carrefour  du  Cheval  Blanc  qui  est  le  point  le  plus 
extrême  vers  l'Est  où  on  la  rencontre  dans  l'arrondissement  d'Aves- 
nes.  Elle  y  est  caractérisée  par  le  Micraster  breviporus  et  YHolaster 
plenits. 

L'argile  de  silex,  sur  l'origine  do  laquelle  tant  d'hypothèses  ont  été 
émises,  existe  dans  le  sous-sol  d'une  grande  partie  de  la  forêt  ;  mais 
on  ne  la  voit  guère  affleurer  que  dans  le  lit  des  ruisseaux.  Cette  assise 
est  'formée  d'un  conglomérat  parfois  considérable  déposé  dans  les 
poches  de  la  couche  précédente,  conglomérat  formé  de  silex  empâtés, 
tantôt  dans  une  argile  verte  ou  brune,  tantôt  dans  un  sable  argileux 
glauconifère.  Les  silex  ne  sont  recouverts  d'aucune  enveloppe  blanche 
comme  ceux  de  la  craie  à  silex  ;  creusés  parfois  de  cavités,  ils  sont 
tantôt  entiers,  tantôt  brisés,  mais  ils  ne  sont  jamais  réduits  à  l'état  de 
galets.  On  y  trouve  parmi  eux  quelques  Micraster  breviporus  et  M. 
cortesiudinarium  provenant  de  la  craie  à  silex.  On  se  sert  assez 
souvent  des  sflex  de  ce  dépôt  pour  l'empierrement  des  routes  de  la 
contrée  ;  mais  il  est  peu  employé  dans  la  forêt  parce  qu'il  s'écrase  trop 


-  249  - 

laciloment  sous  lo  poids  fies  voilures  lourdeinenl  chargées  employées 
au  transport  des  bois. 

Dans  la  série  d'exploitation  de  Pont,  on  rencontre,  au-dessus  de 
l'argile  à  silex,  une  argile  renfermant  une  petite  quantité  de  calcaire, 
dont  se  servaient  autrefois  les  habitants  d'Hargnies,  pour  faire  avec  le 
menu  charbon  des  agglomérés  de  ménage  ;  son  épaisseur  est  de  3  à  4 
mètres  le  long  des  ruisseaux  des  Oiselets  et  Muthiau  dans  le  lit  desquels 
les  eaux  l'ont  mise  à  nu.  M.  Gosselet,  qui  a  reconnu  ce  dépôt  le  pre- 
mier, lui  a  donné  le  nom  de  Marne  de  la  Porquerie. 

L'assise  des  Sables  d'Ostricourt  se  rencontre  dans  le  sous- sol  des 
cantons  de  l'Homme  pendu,  de  la  carrière  du  Vivier  et  de  la  Fontaine- 
Ic-Gomte.  A  l'Homme  pendu,  elle  y  était  représentée  par  des  grès 
quartzeux  que  l'on  a  terminé  d'exploiter,  il  y  a  quelques  années.  Ces 
grès  gisaient  à  une  profondeur  de  1  à  2  mètres  et  ne  formaient  qu'un 
seul  lit  s'étendant  en  largeur  depuis  le  brai  Petit-Jean  jusqu'au  terri- 
toire d'Obies  sur  lequel  il  se  prolonge  et  en  longueur  sur  600  mètres  à 
partir  de  la  chaussée.  Les  dépôts  de  la  carrière  du  Vivier  n'embras- 
saient qu'une  petite  surface.  Quant  à  ceux  de  la  Fontaine-le-Comte, 
ils  s'étendaient  depuis  la  route  Duhamel  jusqu'au  périmètre  de  la  forêt 
en  suivant  le  ruisseau  de  la  Noue-Gluyer.  Prés  de  la  route,  les  grès 
affleuraient  à  la  surface,  mais  sur  les  bords  du  massif  ils  étaient  recou- 
verts par  10  à  11  mètres  de  limon.  Formés  de  blocs  de  diverses  gros- 
seurs, applatis,  arrondis  et  tuberculeux,  ces  grès  reposaient  sur  une 
couche  de  sable  de  0.50  à  1  mètre  de  hauteur,  et  présentaient  des 
bancs  dont  l'ensemble  atteignait  parfois  3  et  4  mètres  d'épaisseur.  Les 
premières  carrières  ouvertes  au  canton  de  la  Fontaine-le-Comte 
remontent  à  une  époque  ancienne  ;  de  là  proviennent  en  efièt  les  maté- 
riaux employés  à  la  construction  des  fondations  de  la  villa  gallo-ro- 
mahie  de  la  route  de  Fontaine;  au  XVP  siècle,  l'abbé  de  MaroUles 
y  fit  des  extractions  pendant  trois  années  consécutives  pour  rebâtir 
son  monastère  qui  tombait  en  ruines  (1)  ;  mais  c'est  seulement  en  1729, 
date  où  l'on  entreprit  de  paver  les  grandes  routes  dans  le  Hainaut , 
qu'on  entama  sérieusement  ces  dépôts  que  l'on  peut  considérer  comme 
épuisés. 

Il  nous  reste  à  passer  en  revue  les  divers  dépôts  qui  se  sont  formés 


(1)  Compte  vingtiesiHS  de  Jehan  de  la  Croix ,  conseiller  de  l'Empereur  et  son 
receveur  (jënéral  de  son  pays  et  comté  de  Haynnau^  du  1"  oct.  1524  au  30  sep.  1525. 


—  250  - 

pendant  l'époque  qiiaterniaire  ;  au  point  de  vue  forestier  ce  sont  les 
plus  importants,  car  c'est  sur  eux  que  sont  implantés  les  végétaux  de 
n'otre  massif. 

A  leur  base ,  on  trouve  sur  quelques  points  de  la  vallée  de  la 
Sambre  une  couche  de  cailloux  roulés  et  de  sables  grossiers  ;  c'est 
le  diluvium;  il  n'a  pas  été  reconnu  jusqu'ici  à  Mormal 

Au-dessus  du  diluvium,  vient  le  limon  panaché.  Il  a  été  signalé  dans 
le  sous-sol  de  divers  cantons  ;  à  l'Homme-Pendu  où  il  affleure  çà  et  là, 
à  la  Porquerie  où  il  a  été  traversé  lors  du  forage  du  puits  de  la  maison 
forestière  de  ce  nom.  Ici,  il  offrit  cette  particularité  lorsqu'il  fut  exposé 
à  la  lumière,  de  passer  en  peu  de  jours  de  la  nuance  brun-chocolat  à 
celles  lie-de-vin  et  violette  avant  de  présenter  les  marbrures  d'aspect 
terreux  qui  lui  ont  valu  son  nom  ;  il  était  accompagné  de  sepiuarias 
et  de  nodules  manganésifères  et  surmonté  d'une  petite  couche  tour- 
beuse qui  semble  annoncer  un  ancien  sol  végétal. 

Le  limoH  bleu  est  surtout  apparent  au  canton  des  Rouillies  ,  sur  les 
bords  des  ruisseaux.  Quant  aux  trois  autres  couches  du  limon  inférieur 
on  les  rencontre  particulièrement  à  la  carrière  du  Vivier,  où  elles 
sont  superposées  et  où  leur  épaisseur  atteint  7  m.,  dont  2  m.  50  pour 
le  limon  jaune,  2  m.  10  pour  le  limon  gris  et  2  m.  40  pour  le  limon 
sableux  jaune. 

Désigné  dans  la  contrée  sous  le  nom  de  sable  boulant,  ce  dernier  limon 
affleure  dans  quelques  cantons ,  notamment  dans  ceux  d'Antiau  et  aux 
Chevaux,  et  il  constitue  le  sous-sol  d'une  partie  notable  de  la  forêt.  Sur 
les  points  où  il  se  rapproche  de  la  surface,  il  forme,  lorsqu'il  est  saturé 
d'eau,  une  boue  liquide  dont  il  est  très  difficile  de  se  dégager,  et  il  ghsse 
lorsque  l'on  pratique  des  tranchées  dans  ce  dépôt.  La  composition  des 
autres  limons  sous-jacents  est  très  variable  :  tantôt  ils  sont  formés  do 
ânes  particules  d'un  silicate  hydraté  d'alumine,  de  petits  grains  de 
quaitz  toujours  anguleux,  imprégnés  de  sels  alcalins  et  d'éléments 
calcaires  très  divisés  ;  tantôt,  ils  sont  constitués  par  un  sable  gras 
passant  insensiblement  à  une  argile  compacte  formant  un  niveau 
d'eau.  (1)  Ce  sont,  en  tous  cas,  de  très  mauvais  sols  sur  lesquels  la 


(1)  Il  est  d'ailleurs  parfois  très  difficile  de  séparer  les  diverses  zones  du  limon 
inférieur.  Quant  à  leur  origine,  elle  a  donné  lieu  à  une  foule  d'hypothèses.  Tandis 
que  Ch.  Lycllc  les  considère  comme  une  bouc  glacière,  pour  M.  de  Rechtoffen  ,  ils 
j)roviennent  de  l'accumulation  de  particules  soulevées  par  le  vent  au  voisinage  d'an- 


—  251  — 

végétation  forestière  a  peine  à  s'implanter.  Ajoutons  que  le  peroxyde 
de  fer  qui  colore  ces  limons  s'y  rencontre  parfois  en  assez  grande 
quantité  pour  former  un  minerai  exploitable,  dit  limonite.  Aux  cantons 
du  Profond-Brai  et  de  la  Minière  où  il  est  abondanl,  la  Société  des 
Hauts-Fourneaux  de  Maubeuge,  dirigée  par  M.  Hamoir,  fut  autorisée, 
en  vertu  d'un  arrêté  préfectoral  du  28  novembre  1854,  à  l'exploiter 
pendant  dix  années  consécutives.  A  l'expiration  de  cette  période, 
durant  laquelle  elle  enleva  7,681  mètres  cubes  de  minerai  sur  une  sur- 
face de  1  hectare  53  ares,  elle  ne  sollicita  pas  le  renouvellement  de  sa 
concession,  à  cause  des  difficultés  de  l'exploitation  qui  l'obligeaient  à 
établir  des  puits  de  7  à  8  mètres  do  profondeur  et  à  ouvrir  des  galeries, 
à  cause  aussi  de  la  richesse  médiocre  du  minerai  qui  ne  renfermait  que 
de  28  à  32  p.  7o  de  fer  et  de  sa  composition  très  variable  qui  nécessitait 
des  doses  différentes  de  fondants,  chaux  ou  silice,  dont  l'objet  est  de 
former  avec  les  matières  étrangères  des  combinaisons  fusibles  s'écou- 
lant  en  scories  et  laissant  dégager  le  métal. 

La  partie  du  limon  quaternaire  désignée  sous  le  nom  de  limon  supé- 
rieur est  cette  couche  rubéfiée  qui  est  vulgairement  appelée  terre  à 
briques  et  qui  se  distingue  notamment  des  autres  limons  par  l'absence 
presque  complète  de  tout  élément  calcaire.  C'est  une  argile  sableuse, 
fortement  colorée  par  le  peroxyde  de  fer  et  parfois  accompagnée  de 
silex  éclatés,  dans  laquelle  le  sable  entre  dans  la  proportion  de  75  à 
85  p.  7«.  (1) 


ciens  fonds  de  mers  ou  de  lacs  desséchés,  et  pour  M.  de  Lapparent,  Traité  de 
Géologie  ,  p.  1088  ,  ils  ont  été  occasionnés  par  un  ruissellement  maintes  fois  répété 
dû  à  des  précipitations  atmosphériques  très  abondantes  s'exerçant  sur  les  roches 
voisines.  Peut-être  ces  trois  causes  ont-elles  contribué  à  la  formation  de  ces  dépôts  ; 
quoi  qu'il  en  soit ,  on  peut  rapporter  leur  âge  à  l'époque  comprise  entre  lapparition 
de  YElephas  primi</enius,  dont  on  trouve  à  la  base  des  débris  avec  d'autres  fossiles 
du  même  temps  et  celle  du  régime  sec  et  froid  qui  caractérise  l'âge  du  renne. 

(1)  Ce  limon  ne  renferme  aucune  trace  de  débris  organiques  contemporains  de 
l'âge  oii  il  s'est  formé  ;  mais  k  sa  base,  on  rencontre  parfois  dans  la  région  du  Nord 
des  silex  Moustiériens  (silex  taillés  sur  une  face),  remaniés  coimne  tant  d'autres  élé- 
ments de  cette  époque  ;  d'oii  l'on  conclut  que  l'âge  de  la  terre  à  briques  est  post- 
moustiérien.  Gomme  celle  du  limon  inférieur,  la  formation  du  limon  supérieur  qui 
s'étend  sur  une  grande  partie  du  nord  de  la  France  et  de  la  Belgique,  a  donné  heu  à 
de  nombreuses  discussions.  L'opinion  la  plus  générale  est  qu'elle  est  due  à  un  limon 
glaciaire.  Les  faits  sur  lesquels  on  se  fonde  pour  lui  attribuer  cette  origine,  con- 
sistent dans  le  fendillement  et  l'éclatement  remarquables  des  silex  et  autres  maté- 
riaux solides  existant  à  la  base  inférieure  de  ce  déi)ôt,  lesquels  ont  dû  être  provoqués 


—  252  — 

Les  derniers  dépôts  effectués  dans  la  forêt  sont  constitués  par  les 
alluvions  récentes,  qui  y  occupent  une  place  assez  étendue,  le  fond  des 
principaux  vallons,  qu'on  désigne  sous  le  nom  de  hrais.  (1) 

Formés  d'éléments  arrachés  par  les  eaux  pluviales  aux  limons  supé- 
rieur et  inféiieur  et  de  détritus  organiques,  ces  dépôts  rappellent  par 
leur  composition  ceux  de  la  vallée  de  la  Sambre.  Leur  épaisseur  est 
variable  :  dans  les  braisdes  Aulneauxet  du  Vivier-Grand -Mère  comme 
dans  l'ancien  étang  d'Ecaillon,  elle  dépasse  souvent  1  mètre. 

Le  sol  végétal  ou  humus  qui  couronne  tous  ces  dépôts,  est  générale- 
ment formé  par  la  partie  superficielle  du  limon  supérieur  et  des  allu- 
vions récentes  ;  son  épaisseur  est  de  0  m.  40  k  0  m.  50  c.  en  moyenne. 
Au  point  de  vue  chimique,  il  est  essentiellement  formé  par  un  mélange 
intime  de  grains  de  sable  très  fins  et  d'argile  auxquels  s'ajoutent  des 
matières  organiques  provenant  de  la  décomposition  des  feuilles  mortes 
et  d'autres  débris  végétaux.  Au  point  de  vue  physique,  il  peut  être 
classé  parmi  les  terres  fortes,  car  il  est  compact  et  tenace  ;  il  absorbe 
l'eau  difficilement  et  la  retient  à  la  surface,  surtout  quand  il  est  décou- 
vert. Lorsqu'il  en  est  saturé  et  qu'il  supporte  le  passage  de  voitures 
lourdement  chargées,  les  roues  y  creusent  de  profondes  ornières  dans 
lesquelles  croissent  ensuite  des  joncs  ;  il  se  durcit  sous  l'action  de 
la  chaleur  prolongée  et  se  crevasse,  surtout  dans  les  hrais  où  il  est 
plus  riche  en  matières  organiques  que  sur  les  hauteurs.  A  raison  des 
propriétés  physiques  de  ce  sol,   dont  l'influence  sur  la  végétation  est 


par  des  alternatives  de  gel  et  de  dégel,  dans  l'absence  de  fossiles  et  dans  la  structure 
même  de  la  roche  qui  n'est  pas  stratifiée,  mais  qui  est  massive  comme  une  boue  qui 
serait  restée  sur  place  après  le  délaiernent  k  diverses  altitudes  des  dépôts  superficiels 
et  notamment  des  ergerons  ou  sables  gras.  Cette  interprétation  donne  la  raison , 
tant  de  l'extinction  des  grands  mammifères  des  alluvions  précédentes  que  de  la 
lacune  existant  entre  l'industrie  de  la  pierre  taillée  en  éclats  ,  qui  se  termine  avec 
l'âge  moustiérien  contemporain  du  dernier  ergeron  et  de  l'industrie  de  la  pierre  polie 
qui  n'a  paru  qu'après  la  formation  de  la  terre  à  briques.  Quelques  géologues, 
MM.  Butot,  Van  den  Broeck  et  S.-V.  Wood  ,  expliquent  cette  formation  par  l'alté- 
ration de  l'ergeron  à  sa  partie  supérieure  ;  mais  cette  interprétation,  dit  M,  de 
Lapparent,  soulève  une  foule  de  difficultés  qui  n'existent  pas  lorsqu'on  admet  celle 
qui  est  rapportée  ci-dessus. 

(i)  Le  mot  &rm  ,  àiicànn^Ài  hraitteau  ,  vient  du  mot  ira/a  ,  dont  l'origine  est  cel- 
tique, et  signifie  lieu  fangeux.  11  a  servi  à  former  un  grand  nombre  de  noms  de  lieux, 
tels  que  Brie,  Folembraye,  Vibraye,  etc.  Les  plateaux  et  les  hauteurs  étaient  autre- 
fois appelés  ternes  et  terneaux  ;  ces  mots  sont  encore  en  usage  dans  une  partie  de 
la  Fagne. 


—  253  — 

plus  considérable  que  celle  qui  est  «lue  à  ses  propriétés  chimiques, 
les  diverses  essences  réparties  dans  la  forêt  ne  développent  leurs 
racines  qu'à  la  surface  ;  le  chêne  lui-même  ne  pivote  pas.  Aussi  à  la 
suite  des  grandes  pluies  ou  de  la  fonte  des  neiges  ,  s'il  survient  une 
tempête,  les  grands  arbres  situés  dans  les  massifs  irréguliers  four- 
nissent de  nombreux  chablis.  L'excès  habituel  de  l'humidité  dans 
certaines  parties  de  la  forêt  nuit  à  la  qualité  du  bois  de  plusitîurs 
essences,  notamment  du  hêtre,  et  il  n'est  pas  rare  d'en  rencontrer  qui, 
à  l'âge  de  120  à  130  ans,  aient  le  cœur  rouge,  indice  d'un  commen- 
cement de  décomposition  ;  après  des  sécheresses  prolongées  ,  la  mort 
frappe  parfois  les  arbres  à  racine  traçante ,  surtout  ceux  qui  sont 
isolés  depuis  peu  de  temps.  Ajoutons  qu'à  raison  de  sa  richesse  en 
terreau,  le  sol  se  couvre  immédiatement,  après  les  coupes  de  taUlis  ou 
les  coupes  d'ensemencement  claires ,  d'une  quantité  prodigieuse  de 
ronces  et  de  plantes  herbacées,  graminées,  carex,  fougères,  auxquelles 
s'associent  l'angélique  sauvage,  angelica  sylvestris,  l'épilobe  à  épi  ou 
laurier  de  Saint-Antoine,  epilobium  spicalum,  le  séneçon  vulgaire,  se- 
necio  vulgaris,  qui  charment  les  yeuxpar  les  tons  vifs  de  leurs  corolles  ; 
mais  toutes  ces  plantes  sont  un  très  sérieux  obstacle  au  succès  des  semis 
naturels  :  les  jeunes  sujets  provenant  de  ces  semis  succombent  en  effet 
pour  la  plupart  dans  la  lutte  que  leurs  racines  engagent  avec  celles  des 
plantes  herbacées  ou  sous  le  feutre  que  forment  au-dessus  d'eux  ces 
mêmes  plantes  lorsque  la  pluie  ou  la  neige  les  a  couchées  sur  le  sol. 
Les  herbes  exposent ,  d'ailleurs,  au  péril  des  incendies  les  cantons 
qu'elles  ont  envahis  :  au  printemps,  il  suffit  d'une  allumette  ou  de 
cendres  mal  éteintes  imprudemment  jetées  par  un  fumeur,  d'une  flam- 
mèche ou  d'un  charbon  incandescent  lancé  par  une  locomotive,  pour 
que,  si  le  vent  est  violent  et  si  le  temps  est  sec  ,  le  feu  parcourre  de 
vastes  espaces  et  compromette  l'avenir  des  peuplements;!).  Quoi  qu'il 
en  soit,  malgré  les  défauts  qui  lui  sont  inhérents,  le  sol  de  Mormal  peut 
être  classé  parmi  les  meilleurs  sols  forestiçrs. 

Avant  de  passer  à  la  description  des  essences  de  cette  forêt,  nous 
ferons  connaître  les  principaux  cours  d'eau  qui  la  sillonnent.  Ce  sont. 


(1)  Un  incendie  causé  en  1883  par  une  macliine  de  la  Compagnie  du  chemin  de  fer 
du  Nord,  sur  la  ligne  de  Paris  à  Cologne,  s'étendit  sur  29  hectares  occupés  par  un 
gaulis  de  20  à  25  ans,  et  y  occasionna  un  dommage  évalué  à  22,000  francs. 


—  254  — 

dans  le  bassin  de  la  Sambre,  la  Sambrette  (1),  que  grossissent  les  ruis- 
seaux des  Oiselets  (2),  des  Rouillies  et  du  Brai  des  Hommes  ;  le  ruisseau 
des  Arbreux  qui  reçoit  les  eaux  des  rieux  de  la  Fontaine-Malgueule  et 
du  Grand-Brai  ;  le  Grand-Bieu  et  le  ruisseau  du  Neuf- Vivier  ;  dans  le 
bassin  de  l'Escaut,  le  ruisseau  du  Brai  des  Officiers,  qui  se  décharge  dans 
un  affluent  de  l'Hognau,  le  rieu  de  Carnoy  ou  Aunelle ,  le  rieu  d'An- 
tiau  (3)  ou  Rhonelle  dont  le  rieu  aux  Chevaux  est  tributaire,  le  ruisseau 
à  Cailloux  ou  Ecaillon  (4)  qui  prend  sa  source  aux  Grandes-Pâtures  et 
reçoit  les  eaux  des  rieux  de  la  Fontaine -Tabar  et  du  Vivier-Grand- 
Mère  ;  le  ruisseau  du  Pont-à-Chiens  qui  en  dehors  de  la  forêt  prend  le 
nom  de  ruisseau  de  la  Fontaine-St-Georges ,  enfin  celui  de  la  Noue- 
Gluyer. 

Ils  sont  alimentés  par  des  fontaines  prenant  naissance  le  plus  souvent 
sur  la  marne  à  Terehratula  gracilis.  parfois  sur  l'argile  à  silex.  Celles 
dont  les  eaux  sont  plus  particulièrement  recherchées  par  les  ouvriei's 
de  la  forêt  sont  :  les  fontaines  aux  Hirchons  et  Cendrier  qui  se  déver- 
sent dans  le  rieu  d'Antiau  ;  celles  du  Carne,  du  Roi-du-Bois  et  Guyot, 
tributaires  du  rieu  aux  Chevaux  ;  les  fontaines  Madame,  Hecquet,  du 
Butiau  et  Tabart  dont  les  eaux  grossissent  l'EcailIon.  Sont  à  signaler  : 
entre  le  carrefour  du  Chêne-la-Guerre  et  les  Etoquies,  les  fontaines 
des  Vaisselettes,  le  Comte  et  au  Marbre  ;  dans  la  vallée  du  Neuf- Vivier, 
les  fontaines  Feuillenne  et  du  Culot-Pavot  ;  entre  Hachette  et  la  Car- 
rière, la  fontaine  de  l'Ermitage,  comprise  dans  l'ancien  enclos  des 
Récollets;  celles  de  Guilbert-Mesnil,  de  Morgnies,  Tordeux,  à  l'Ortie, 
Kokeron  et  Malgueule;  enfln,  dans  la  vallée  de  la  Sambrette,  la  fon- 
taine des  Aulneaux  et  celle  des  Bécasses,  autrefois  Herbégaghe. 


(1)  La  Sambrette  e.st  désignée  sous  le  uoin  de  Santelle  ,  dans  une  ordonnance  de 
1601  des  archiducs  Albert  et  Isabel,  et  sous  celui  de  Saute  dans  le  procès-verbal  de 
délimitation  de  Mormal  de  ]G78.  Sur  la  carte  de  TEtat-Major,  elle  porte  le  nom  de 
ruisseau  de  l'Hirondelle,  et  sur  celle  des  Ponts  et  Chaussées,  celui  de  ruisseau  de  la 
Barque  ! 

(2)  Autrefois  des  Oisillis. 

(3)  Ce  ruisseau  est  désigné  sous  le  nom  de  flumen  Unctius  dans  un  diplôme  de 
885,  MiROEus,  t.  II,  p.  935;  sous  ceux  d'Untiel ,  dans  une  charte  de  Bauduin  IV,  de 
1163,  Cart.  de  l'abb.  cVHautmont ,  f"  ii,  r",  et  diAintiel ,  dans  une  charte  de  1266  , 
Leboucq,  Hist.  eccl.  de  Valenciennes. 

(4)  Il  est  appelé  Escalius  fluvius  dans  une  charte  de  1111  ;  le  nom  de  ruisseau  à 
Cailloux  lui  a  été  donné  à  cause  des  nombreux  silex  qui  se  trouvent  dans  son  lit. 


-  255  — 

A  raison  do  la  situalioii  rie  la  forêt  sur  une  ligno  de  laîte,  le  débit  de 
ses  ruisseaux  ne  saurait  être  considérable  ;  leur  régime  même  n'est  pas 
constant  à  cause  du  pou  d'hygrospicité  du  sol.  Mais  si  les  futaies  dispa- 
raissaient de  Mornial,  après  les  périodes  de  sécheresse;  ils  seraient 
dépourvus  d'eau,  tandis  qu'à  la  suite  de  pluies  abondantes  ils  se  trans- 
formeraient en  torrents.  Déjà,  la  vallée  de  la  Sambre  souff're  fréquem- 
ment du  fait  des  innoudations  qui  parfois  emportent  les  récoltes  et  l'on 
est  obligé,  pour  assurer  le  service  de  la  navigation  sur  cette  rivière, 
de  remonter  en  été  une  partie  des  eaux  à  l'aide  de  machines  installées 
auprès  des  sas  construits  entre  Landrecies  et  Berlairaont.  Cette 
situation  ne  pourrait  évidemment  qu'empirer  après  le  défrichement  du 
massif,  car  les  racines  des  arbres  en  facilitant  le  passage  dos  eaux  de 
pluie  dans  le  sous-sol.  en  jouant  le  rôle  d'un  drainage,  contribuent  à 
régulariser  le  débit  des  sources  et  celui  des  ruisseaux. 

La  seule  particularité  qui  nous  reste  à  signaler  touchant  l'hydro- 
graphie» de  la  forêt  se  rapporte  à  la  dérivation  dont  l'Écaillon  a  été 
l'objet.  Elle  a  été  accomplie  au  moyen  d'un  canal  d'un  kilomètre 
environ  de  longueur  sur  deux  mètres  de  largeur  en  bas  à  travers  la 
Clayeile,  afin  de  déverser  ses  eaux  dans  le  ruisseau  du  Vivier  Corbeau 
et  d'alimenter  l'ancien  étang  dou  Noiles ,  d'Onoilles  ou  d'Aulnoye. 
On  a  tour  à  tour  attribué  l'ouverture  de  ce  canal  à  Louis  XVL  à 
Louis  XIV  et  à  Charles-Quint.  En  réalité,  il  remonte  à  une  époque 
très  ancienne,  car  le  Pont-à- Vaches,  sur  la  chaussée  Brunehaut,  qui 
donne  passage  à  ses  eaux  est  cité  dans  les  plus  anciens  comptes  de  la 
Recette  générale  du  Hainaut.  Il  était  même  déjà  ouvert  dès  le 
Xir  siècle  (1),  puisqu'à  cette  époque  on  constate  l'existence  de  l'étang 
précité  que  les  seules  eaux  venant  du  Vivier  Corbeau  n'auraient  pu 
remplir.  La  conjecture  la  plus  vraisemblable  est  qu'il  a  été  exécuté 
par  Bauduin  l'Edifieur  (2)  dans  l'intérêt  de  la  défense  du  Quesnoy. 
Quoi  qu'il  en  soit,  après  la  conversion  en  prairie  de  l'étang  d'Ecaillon 
en  vertu  d'un  arrêt  du  21  juillet  1778,  il  fallut,  pour  que  les  fossés  de 
cette  place  continuassent   à  recevoir  les  eaux  du  ruisseau  d'Ecaillon, 


(1)  Curtulaire  précité  des  rentes  et  cens  dus  au  comte  de  Hainaut,  1265-1286. 

(2)  Bauduin  IV,  surnoiuuié  le  Bâtisseur  ou  l'Edifieur,  succéda  à  son  père  Beau- 
dain  III  en  1120.  Ce  l'ut  un  prince  batailleur;  il  augmenta  ses  états  de  la  chatellenie 
de  Valenciennes,  de  la  seigneurie  d'Ostrevant,  dont  Bouchain  était  la  capitale  et  de 
la  terre  d'Ath...  11  refit  les  murs  de  Mons  et  fortifia  Le  Quesnoy,  qui  jusqu'alors 
n'avait  été  qu'une  simple  bourgade.  11  mourut  en  1171. 


-  256  — 

prolonger  le  canal  dans  la  forêt  le  long  dudit  étang,  puis  jusqu'à  la  fon- 
taine Hecquet  d'une  part  et  Blanche-Fontaine  d'autre  part.  Les  offi- 
ciers de  la  Maîtrise  du  Quesnoy  furent  chargés  de  l'exécution  de 
ce  travail.  Quelques  années  après  ,  ils  firent  redresser  et  approfondir 
cette  même  section  du  canal .  ensuite  d'un  arrêt  en  date  du  28  sep- 
tembre 1784 ,  attendu  ,  dit  cet  arrêt  «  que  malgré  les  précautions 
prises  pour  faire  verser  dans  l'étang  d'Aulnoye,  situé  près  la  ville  du 
Quesnoy.  les  eaux  nécessaires  aux  fossés  de  cette  place,  aux  moulins 
qui  y  sont  établis,  à  entretenir  de  l'eau  dans  ladite  ville  et  la  santé  tant 
de  la  garnison  que  de  ses  habitants,  il  arrive  encore  que  pendant  l'été, 
les  eaux  des  trois  étangs  voisins  du  Quesnoy  baissent  beaucoup  tant 
par  l'évaporation  de  leur  grande  surface  que  par  la  consommation  jour- 
nalière de  la  ville  et  surtout  par  la  diminution  et  suppression  d'une 
partie  des  sources  que  doivent  alimenter  ces  étangs,  lesquels  laissent 
alors  à  découvert  une  grande  quantité  de  vases  molles ,  dont 
les  vapeurs  sont  nuisibles  à  ladite  ville...  »  (1).  A  la  suite  du  déclasse- 
ment du  Quesnoy  en  1873,  le  gouvernement  décida  que  l'étang  d'Aul- 
noye et  les  francs-bords  du  canal  dans  la  traversée  de  la  ClayoUe 
seraient  aliénés  ;  l'étang,  d'une  contenance  de  18*^  33^  95^^ ,  fut  vendu 
par  petites  parcelles  pour  103,000  francs  et  les  francs-bords ,  d'une 
contenance  de  7^^  59°  52^ .  pour  28,500  francs.  Mais  après  le  reclas- 
sement de  la  place,  le  service  du  Génie  reconnut,  que  l'intérêt  de  la 
défense  exigeait  que  les  eaux  pussent  être  amenées  rapidement  dans 
les  fossés  ,  et  prit  à  sa  charge  les  travaux  que  nécessitait  le  canal  :  mais 
la  surveillance  de  la  section  forestière  de  ce  même  canal  fut  abandonnée 
au  service  forestier  en  vertu  d'une  décision  des  ministres  de  la  Guerre 
et  de  l'Agriculture  rendue  en  l'année  1884. 


(1)  Arch.  uat.  E.  2618. 


—  257 


NOUVELLES  El  FAITS  GÉOGRAPHIQUES 


I.  —  Géograpliie  scientifiqxie.  —  Explorations  et  découvertes. 


ASIE. 


Au  Tliibet.  —  Un  explorateur  indien,  en  mission  pour  le  compte  du  gouver- 
nement anglais,  vient,  paraît-il,  de  pénétrer  dans  les  régions  peu  connues  du  Thibet 
et  a  obtenu  sur  le  Brahmapoutre  ,  dans  les  parages  situés  au  Sud  de  Lassa  ,  des 
renseignements  inédits. 

Il  paraît  que  le  grand  lac  situé  au  Sud  de  la  ville  sainte  et  désigné  sous  le  nom  de 
Jamdok-Tso  ou  le  lac  Palté  ,  se  déverserait  dans  le  fleuve  par  un  canal. 

Le  voyageur  traversant  l'Himalaya,  aurait  gravi  un  des  sommets  du  massif,  jusqu'à 
une  hauteur  de  plus  de  5,000  mètres. 


AFRIQUE. 


liîmites  «lu  C'ongo  Français.  —  Le  dernier  litige  qui  avait  trait  à  nos 
possessions  dans  l'ouest  de  l'Afrique  vient  enfin  de  se  terminer.  Il  est  aujourd'hui 
décidé  que  les  limites  du  Congo  français ,  sauf  quelques  points  contestés ,  sont 
marquées  sur  la  côte  par  le  Rio  Campo  ,  qui  le  sépare  au  Nord  de  la  colonie  alle- 
mande de  Cameroun,  et  par  le  Tchiloango,  qui  leur  sert  de  fi-ontière  au  Sud,  du  côté 
des  possessions  portugaises  de  Cabinda.  Le  cours  du  Tchiloango  et  une  ligne  acci- 
dentée qui  aboutit  à  la  rive  droite  du  Congo  près  de  Manyanga  ,  forment  la  limite 
méridionale.  Du  côté  de  l'Est ,  le  Congo  français  possède  la  rive  droite  du  fleuve 
entre  le  point  de  raccordement  près  de  Manyanga  et  l'embouchure  de  l'Oubanghi- 
jSkoundja.  De  ce  dernier,  la  frontière  va  rejoindre  le  iV  degré  de  longitude  Est  de 
Greenwich  en  suivant  la  ligne  de  partage  des  eaux  entre  l'Oubanghi-Nkoundja  et  le 
Congo,  puis  elle  remonte  au  Nord  suivant  ce  même  méridien  ,  jusqu'à  la  rencontre 
du  parallèle  sous  lequel  coule  le  Rio  Campo. 

On  sait  que  ,  du  côté  de  l'Oubanghi ,  on  n'était  pas  d'accord  pour  les  limites  avec 
l'État  du  Congo.  Une  convention  a  été  signée  à  ce  sujet  le  40  avril.  D'après  cet 
accord,  la  limite  sera  le  thalweg  de  l'Oubanghi,  dont  la  rive  droite  appartiendra  a  la 
France,  et  la  rive  gauche  à  l'État  libre,  y  compris  le  petit  poste  de  N'Koundja,  fondé 
par  M  de  Brazza, 

D'autre  part,  notre  Gouvernement  a  reconnu  que  le  droit  de  préemption  qui  lui  a 

18 


—  258  — 

été  attribué  en  1885  ,  ne  pourrait  s'exercer  qu'après  que  la  Belgique  aurait  renoncé 
elle-rnème  à  acquérir  cette  colonie,  au  cas  oii  ses  fondateurs  voudraient  la  céder.  En 
retour,  ceux-ci  renoncent  à  user  de  la  permission  qui  leur  avait  été  accordée  d'érnettre 
en  France  une  loterie  au  profit  de  l'État  libre  et  acquièrent  le  droit  de  faire  inscrire 
à  la  cote  le  cours  des  titres  de  son  emprunt  jusqu'à  concurrence  de  80  millions. 


Extcusioik  «lu  protectorat  allcmaucl  claus  le  J^ud-Ouest  de 
l'Afrique.  —  D'après  la  Deutsche  Kolonial-Zeitung,  les  Boers  qui  se  sont  établis 
à  Grootfontein  (à  19°  30'  de  lat.  S.  et  18°  de  long.  E.)  dans  le  district  d'Otowi  ont , 
sur  leur  demande  agréée  par  l'Empereur,  été  mis  sous  protectorat  allemand.  On 
trouve  sur  la  nouvelle  carte  d'Afrique  de  Perthes,  à  19"  40'  de  lat.  S.  et  environ  17" 
20'  de  long.  E.  une  sorte  d'oasis  «  Otawa  »,  oii  doit  être  situé  la  ville  bâtie  par  les 
Boers  et  qu'ils  ont  nommée  Grootfontein.  Ce  n'est  autre  que  la  république  de 
Boers ,  Upingtonia  ,  dont  on  a  parlé  ,  il  y  a  quelques  mois  ,  à  l'occasion  de  l'assas- 
sinat de  Jordan. 

On  prévoyait  déjà  ,  depuis  quelque  temps  ,  que  les  nouvelles  colonies  de  Boers 
s'adresseraient  au  gouvernement  allemand  pour  se  soumettre  à  son  protectorat  et 
obtenir  de  lui  aide  et  appui  contre  les  agressions  dont  elles  sont  l'objet  de  deux 
côtés,  d'une  part  des  Ovambos  ,  de  l'autre  des  indigènes  de  Berg-Damara.  Il  est  de 
toute  importance  de  conserver  à  cette  race  forte  et  saine ,  ses  droits  acquis  et  le 
moyen  de  prospérer  dans  ses  entreprises  civilisatrices. 


Auucxious  nuglaiscs.  —  i"  Les  territoires  de  Rode,  de  la  rivière  St-John 
et  du  Xesibiland,  le  Zoidouland  et  le  Swaziland,  —  A  la  suite  d'un  traité  conclu 
entre  le  Gouvernement  du  Cap  et  les  indigènes  Pondos  ,  les  Anglais  ont  annexé  le 
territoire  connu  sous  le  nom  de  Rode.  Ces  indigènes  ont  également  renoncé  à  exercer 
toute  réclamation  sur  le  territoire  de  la  rivière  St-Jobn  et  du  Xesibiland ,  le  tout 
moyennant  une  rente  payée  au  chef  des  Pondos. 

D'un  autre  côté  ,  l'Angleterre  a  déclaré  territoire  britannique  tout  le  Zoulouland  , 
sauf  la  partie  centrale  et  occidentale  et  le  Zwaziland  qui  a  été  occupé,  il  y  a  quelques 
années  déjà,  par  des  émigrants  boërs  venus  du  Transwal,  qui  se  sont  constitués  en 
République  indépendante. 

Le  Zoulouland  formera  une  colonie  distincte  de  Natal ,  ayant  son  administration 
propre. 

2"  Côte  de  Guinée  {territoire  de  Krikor  et  royaume  de  Sefwhi).  —  Les  Anglais 
ont  aussi  étendu  les  limites  de  leur  Protectorat  de  la  Gôte-d'Or.  C'est  ainsi  qu'ils  ont 
mis  sous  leur  protection  le  petit  territoire  de  Krikor,  d'une  longueur  de  26  milles 
Bur  une  largeur  de  6  milles  à  l'Est  du  fleuve  Volta  entre  Awonath  et  Affoo. 

Plus  récemment  encore,  ils  ont  annexé  au  Protectorat  le  Royaume  de  Sefwhi,  sur 
la  frontière  Nord-Ouest,  voisin  de  l'État  indépendant  de  Gamon. 


liiinite  des  possessions  française  et  allemande  sur  la 
Côte  des  Ksclaves.  —  Voici  la  limite  des  possessions  françaises  et  alle- 
mandes sur  la  côte  des  Esclaves  :  On  a  choisi  le  méridien  qui  coupe  la  pointe  occi- 
dentale de  l'île  Bayol  (dans  la  lagune  entre  Agoué  et  Petit-Popo,  un  peu  à  l'ouest  du 
village  Hilla-Condji)  en  le  prolongeant  vers  le  Nord  jusqu'au  neuvième  degré  de 
latitude  septentrionale. 


25*J 


AME  RIQUE. 


K*ul>li<'atioii  tVnn  atlas  de  la  République   Argentlue.  —  La 

Soi'iété  de  géograiiliic  (le  l.ille  vient  de  recevoir  di;  Tlnstitut  géograpiiique  ,  asso- 
ciation scientifique  analogue  à  nos  Sociétés  de  géographie  ,  la  première  livraison 
d'un  atlas  de  la  République,  sous  les  auspices  du  gouvernement  national. 

L'atlas,  dressé  par  le  docteur  Arthur  Seelstrang,  est  publié  par  les  soins  d'une 
Commission  spéciale ,  présidée  par  M.  Stanislas  Zebnllos ,  président  de  l'Institut 
géographique.  11  est  gravé  et  imprimé  avec  beaucoup  de  soins  ,  et  sous  ce  raj^port ,  il 
fait  honneur  à  l'éditeur  Kraft,  de  Buenos-Ayres.  La  première  livraison  se  compose  des 
cartes  :  V.  Province  de  Buenos-Ayres,  section  sud-est  ;  VIIL  Province  d'Entrerios  ; 
XII.  Province  de  Cordoba  ,  section  sud  ;  XXVI.  Gouvernement  de  Santa -Gruz  ;  et 
XXVII.  Gouvernement  de  la  Terre  de  Feu  et  îles  Malouines.  Les  cartes  sont  à 
l'échelle  de  1/1,000,000  et  1/2,000,000. 


IjCS  souB'ecs  (lu  lllji«<issipi.  —  La  Société  historique  du  Minnesota 
(Etats-Unis)  avait,  le  13  décembre  1886,  ordonné  une  enquête  au  sujet  de  la  préten- 
tion du  capitaine  Willard  Glazier  d'avoir  découvert  les  sources  du  Mississipi  ;  le 
rapport  de  l'honorable  James  H.  Baker,  qui  résume  l'enquête  ,  vient  de  paraître. 

II  est  tout  à  rencontre  du  capitaine  Glazier  et  la  Société ,  après  l'avoir  adopté, 
a  voté  la  résolution  suivante  : 

«  Toutes  les  Sociétés  de  géographie  ou  d'histoire,  ou  toutes  autres  sociétés  savantes 
du  monde,  seront  priées  de  se  joindre  à  nous  pour  repousser  la  prétention  de  Glazier 
et  d'effacer  sur  les  cartes  qui  pourraient  les  porter  ,  les  mots  «  lac  Gla/ier  »  pour  les 
remplacer  par  «  lac  Elk  ». 


Traversée  du  liabrador  par  11.  K.  Pcck.  —  Un  missionnaire , 
M.  E.  1.  Peck,  a  réussi  à  traverser  le  Labrador  de  l'Ouest  à  l'Est.  II  avait  échoué 
dans  cette  tâche  en  1882  et  1883.  Parti  le  17 juillet  1884  de  la  Little  Whale  River, 
il  arrivait  à  fort  Giiimo  le  H  août.  Son  journal  a  été  publié  par  le  Church  Mission- 
nary  intelligencer  en  1886.  D'après  lui ,  les  cartes  du  Labrador  sont  erronées.  Il  est 
douteux  que  la  moitié  Ouest  du  Labrador  appartienne  même  à  la  Grande-Terre  :  car 
il  existerait  une  commimication  entre  la  baie  de  Mosquito  sur  la  côte  Est  de  la  baie 
d'Hudson  ,  et  la  Hop-Advance-Bay  dans  la  baie  d'Ungava. 


Nouvelle  uiis<<iiou  «le  M.  11.  Coudreau.   —    M.   H.   Goudreau  est 

chargé  d'une  nouvelle  mission  dans  la  haute  Guyane  française. 

11  devra  visiter  le  bassin  du  haut  Oyapok,  les  monts  Tumuc-Humac,  le  bassin  supé- 
rieur ou  moyen  du  Maroni ,  au  point  de  vue  de  la  géographie  ,  de  l'ethnographie  ,  de 
la  linguistique  et  de  l'histoire  naturelle. 

Il  est  parti  le  10  mai. 


-260  — 


OGEANIE. 


Ije«ï  sources  de  la  rivière  l<'inke  eu  Australie.  —  M.  Charles 
Ghevings  vient  de  publier  dans  V Adélaïde  Observer ,  la  relation  de  son  voyage 
d'exploration  aux  sources  de  la  rivière  Finke.  Ce  cours  d'eau  est  certainement  le 
plus  important  de  tous  ceux  de  l'Australie  centrale  ;  il  arrose  tout  l'intérieur  du  pays. 
La  rivière  est  très  sinueuse  et  ses  rives  sont  couvertes  de  bois  épais  d'arbres  à  caout- 
chouc, tout  le  long  de  son  cours.  Le  voyage  a  été  effectué  eu  1885  ,  et  la  distance 
parcourue  par  l'explorateur  a  été  supérieure  à  5,000  milles.  Il  a  constaté  que  les 
vastes  étendues  de  terres  situées  au  centre  de  l'Australie,  sont  loin  d'être  un  désert 
comme  on  le  croyait;  qu'il  y  a  là  au  contraire  des  prairies  sans  fin,  richement 
fournies  et  bien  arrosées  qui  seraient  d'excellents  pâturages. 


Les  races  et  laugues  «le  la  llclauésie.  —  Le  journal  Science  de 
New-York,  dit  que  c'est  en  Océanie  qu'on  trouve  quelques-uns  des  plus  difficiles 
problèmes  d'ethnographie  à  résoudre.  Ce  vaste  monde  d'îles  peut,  comme  on  le 
sait,  être  divisé  en  cinq  districts  géographiques  :  la  Malaisie  ou  archipel  Indien  , 
qui  s'étend  du  détroit  de  Malacca  à  la  Nouvelle-Guinée  ;  la  il/e7«>/esi!e,  comprenant 
la  Nouvelle-Guinée  et  les  groupes  d'îles  à  l'Est  de  celle-ci  jusqu'aux  îles  Fidji  ;  la 
Polynésie,  comprenant  les  îles  de  la  partie  méridionale  et  orientale  du  Pacifique , 
de  la  Nouvelle-Zélande  aux  îles  Havaï  ;  la  Microne'sie,  formée  par  les  groupes 
de  petites  îles  disséminées  dans  le  Nord  du  Pacifique ,  à  l'Est  des  Philippines, 
et  VAustralasie,  comprenant  l'Australie  et  la  Tasmanie.  Les  tribus  qui  habitent 
ces  différentes  régions  offrent  tous  les  signes  d'une  entière  différence  de  race.  Les 
Malais  sont  petits  ,  au  teint  brun  clair  ;  ils  ont  les  cheveux  très  noirs  et  les  traits 
fins.  Les  Polynésiens  sont  grands  ;  ils  ont  le  teint  jaune,  la  chevelure  très  fournie  et 
noire,  la  figure  belle  et  presque  européenne.  Parmi  les  Mélanésiens,  les  uns,  comme 
les  Papous  ,  sont  grands  avec  des  traits  aquilins  et  des  cheveux  bouclés  ;  d'autres  , 
comme  les  Negritos  et  les  Samangs,  sont  petits  et  ont  les  cheveux  laiteux  et  fiocon- 
neux.  Les  Australiens  sont  noirs  ou  d'un  brun  rougeâtre,  avec  des  traits  nègres  et 
les  cheveux  bouclés.  La  question  à  décider  est  de  savoir  si  toutes  ces  populations 
appartiennent  à  la  même  race  ou  à  plusieurs.  Les  ethnologistes  les  plus  éminents  : 
Crawford,  Pritchard,  Huxley,  Wallace,  Lesson,  von  der  Gablenz,  ont  pris  part  à  la 
discussion,  sans  qu'on  soit  jusqu'à  présent  arrivé  à  une  solution  définitive. 

Un  des  derniers  qui  aient  apporté  leur  science  et  le  résultat  de  leurs  observations 
et  peut-être  un  des  plus  importants,  est  le  révérend  Codrington  dans  son  ouvrage 
sur  les  langues  de  la  Mélanésie.  Les  matériaux  de  cet  ouvrage  ont  été  réunis  pen- 
dant de  nombreuses  années  que  l'auteur  a  passées  principalement  dans  l'île  de 
Norfolk,  comme  missionnaire. 

Le  premier  résultat  de  ces  travaux  est  d'élever  de  beaucoup  notre  opinion  sur  la 
qualité  de  ces  idiomes  et  sur  l'intelligence  de  ceux  qui  les  parlent.  Ces  dialectes  sont 
d'une  richesse  remarquable.  Il  en  raconte  une  preuve  intéressante  au  sujet  d'une  de 
ces  langues,  celle  parlée  dans  l'île  de  Mota  ,  dont  beaucoup  de  natifs  étaient  élèves 
de  l'école  des  missionnaires  de  Norfolk. 

«  Après  quelque  douze  ans  de  connaissance  de  la  langue,  écrit-il,  d'enseignement  et 
d'études,  après  avoir  acquis,  d'une  façon  plus  ou  moins  exacte,  un  vocabulaire  considé- 


-  261  - 

i-able  de  mots  mota,  je  me  mis  h  acheter  des  mots,  qui  m'étaient  encore  inconnus,  aux 
élèves  de  l'île  de  Norfolk  ,  à  raison  de  un  shilling  par  cent.  Quand  je  partis  ,  j'avais 
appris  de  cette  façon  trois  mille  mots  qui  m'étaient  inconnus.  De  plus  ,  il  est  certain 
que  les  indigènes  plus  âgés  restés  à  Mota,  se  servent  d'une  grande  quantité  de  mots 
inconnus  à  ceux  qui  ont  quitté  tout  jeunes  leur  patrie ,  et  que  les  élèves  n'avaient 
millement  épuisé  le  vocabulaire  de  la  langue.  Je  puis  compter ,  par  conséquent, 
qu'un  nombre  de  mots,  égal  h  peu  près  à  celui  do  ceux  que  je  connaissais  ,  m'était 
encore  resté  inconnu  et  que  mon  vocabulaire  aurait  certainement  pu  se  monter  à  six 
mille  mots.  Un  grand  nombre  de  ceux-ci  sont,  il  e!--t  vrai,  composés  ou  dérivés,  mais 
ce  n'en  sont  pas  moins  des  mots  différents.  Et  cela  dans  une  petite  île ,  de  moins  de 
mille  habitants  ,  qui  ne  sont  en  rapport  avec  des  Européens  que  depuis  un  temps 
relativement  court. 

Ce  n'est  pas  seulement  dans  les  mots  désignant  des  choses  et  des  actions  que  se 
rencontre  cette  richesse.  Les  termes  purement  abstraits  sont  communs  ;  ils  sont  for- 
més selon  un  système  aussi  clair  et  aussi  régulier  (jue  celui  du  grec  ou  du  sanscrit. 
C'est  ainsi  que  de  toga  (demeurer)  on  forme  «o^ani  (maintien)  et  togava  (station; 
de  nonom  (penser) .  nonomia  (pensée)  ;  de  tape  (aimer) ,  tapeva  (amour).  Comme  le 
fait  observer  le  docteur  Codriagton  ,  c'est  un  fait  digne  de  remarque  que  de  rencon- 
trer des  mots  abstraits,  comme  ceux  que  nous  venons  de  citer,  chez  un  des  peuples 
qu'on  est  convenu  de  considérer  comme  incapables  d'avoir  des  idées  abstraites. 

Un  résultat  non  moins  important  de  cet  ouvrage,  est  la  prouve  évidente  qu'il 
apporte  que  toutes  ces  langues  ont  une  commune  origine  et  que  toutes  appartiennent 
à  la  famille  malayo-polynésienne.  Personne  ne  peut  plus  en  douter  après  avoir 
examiné  l'excellente  grammaire  comparée  et  les  vocabulaires  très  détaillés  qui 
accompagnent  l'ouvrage.  La  question  qui  ,  dès  lors  ,  se  pose  ,  est  celle  d'expliquer 
cette  singulière  unité  de  langues  chez  des  pcTiplcs  si  différents  l'un  de  l'autre  au 
physique. 

Trois  hypothèses  ont  été  formulées.  Une  première  suppose  que  toutes  les  îles 
étaient  habitées  originairement  par  une  même  race  d'hommes  au  teint  jaune  ou 
brun  clair  et  que  les  différences  ne  proviennent  que  du  lent  effet  des  climats  et 
d'autres  causes  naturelles.  Une  autre  théorie,  celle  du  révérend  docteur  Codrington, 
prétend  que  tout  l'archipel  était  originairement  occupé  par  une  race  d'hommes  au 
teint  noir  et  aux  cheveux  laineux  et  crépus  ,  venant  d'Asie  ,  et  parlant  la  langue 
unique  et  primitive  de  laquelle  sont  dérivés  tous  les  dialectes  rnalayo- polynésiens. 
Plus  tard,  une  race  presque  blanche,  alliée  aux  Siamois  et  autres  peuples  du  sud-est 
de  l'Asie  ,  se  serait ,  par  une  migration  lente  et  graduelle  ,  répandue  dans  les  îles  , 
aurait  pris  des  femmes  parmi  les  autochtones ,  adopté  leur  langue  et  fini  par  les 
supplanter  entièrement  dans  quelques  parages  ,  partiellement  dans  d'autres  :  cette 
ingénieuse  théorie  ne  tient  pourtant  pas  en  présence  de  quelques  faits  importants 
que  l'auteur  n'a  pas  suffisamment  considérés.  Un  de  ces  faits  est  l'existence  en 
Nouvelle-Guinée  de  plusieurs  langues  radicalement  distinctes  de  la  famille  malaise. 
Le  docteur  Codrington  iuimème  fait  observer  que  trois  vocabulaires  de  la  Nouvelle- 
Guinée,  qu'il  a  eus  sous  les  yeux  ,  ne  contenaient  pas  de  mots  qu'il  connût ,  c'est-à- 
dire  pas  de  mots  malais. 

Le  professeur  F.  MûUer  ,  qui  a  étudié  les  dialectes  de  la  Nouvelle-Guinée  septen- 
trionale, y  a  trouvé  un  grand  nombre  de  mots  dérivés  du  malais  ;  mais  c'était  là  des 
additions  toutes  modernes.  Le  professeur  Millier  croit  que  les  Mélanésiens  qui 
parlent  le  malais  sont  une  race  mêlée  de  Malais  jaunes  avec  les  atochtones  noirs. 
Cette  théorie  ,  qui  concorde  en  certains  points  avec  celle  du  docteur  Codrington  , 
n'en  diffère  qu'en  supposant  que  la  langue  malayo-polynésienne  appartenait  origi- 
nairement non  à  la  race  noire,  mais  à  la  race  jaune. 


-  262  — 

C'est  certainement  l'opinion  du  professeur  Mûller  qui  doit  prévaloir,  et  son  hypo- 
thèse est  la  plus  exacte  ,  d'après  laquelle  les  Mélanésiens,  dont  s'occupe  le  docteur 
Codrington  ,  sont  une  race  mêlée  ,  tenant  leur  langage  des  peuples  malais  et  leurs 
caractères  physiques ,  en  partie  des  mêmes ,  en  partie  d'une  race  négroïde  qu'on 
retrouve  encore  presque  pure  dans  certaines  parties  de  la  Nouvelle-Guinée. 


II.  —   Géographie  commerciale.  —  Statistiques 
et  Faits  économiques. 


ASIE. 


Bakou  et  le  basisiiii  pétrolifère  de  la  Caspienne.  —  «  Quand 
on  vient  de  visiter  le  désert  turkmène  ,  les  ruines  du  vieux  Merv ,  le  chemin  de  fer 
transcaspien,  il  semble  que  le  mieux  à  faire  soit  de  rentrer  tranquillement  chez  soi , 
sans  chercher  de  nouveaux  sujets  d'admiration.  Mais  cependant  quel  crime  ce  serait 
de  passer  à  Bakou  sans  s'y  arrêter  !  Nulle  part  peut-être,  à  la  surface  du  globe  ,  la 
nature  n'a  entassé  tant  de  merveilles  pour  frapper  les  yeux  du  vulgaire ,  tant 
d'énigmes  pour  déconcerter  les  savants.  » 

C'est  ce  qu'a  pensé  un  voyageur  français,  M.  Edgar  Boulangier,  qui  vient  tout 
récemment  de  visiter  le  plateau  turkmène  et  qui  a  fait  halte  à  Bakou  avant  de  rentrer 
en  France,  halte  qui  nous  a  valu,  sous  le  titre  de  Voyage  à  Merw  (Paris,  Hachette), 
une  relation,  grâce  à  laquelle  nous  allons  pouvoir  donner  quelques  renseignements 
intéressants  aux  ujembres  de  la  Société  de  géographie  de  Lille. 

Quand  on  a  doublé  la  pointe  d'Apchéron  et  longé  la  côte  méridionale  de  la  pénin- 
sule ,  on  entre  dans  une  vaste  rade  oii  cent  navires  sont  mouillés.  Tout  au  sud,  les 
montagnes  de  Lenkoran  ,  d'où  l'on  extrait  le  soufre  ,  dressent  dans  un  ciel  brumeux 
leurs  cimes  aiguës  ;  puis  on  aperçoit  les  établissements  de  la  marine  militaire.  La 
ville  persane  aux  murailles  crénelées  :  la  nouvelle  cité  russe  avec  ses  maisons  grises 
parfaitement  alignées  ;  la  ville  noire  et  les  nuages  de  fumée  qui  l'étouffent. 

Rien  n'est  facile  comme  l'atterrissage  à  Bakou,  Il  y  a  une  vingtaine  d'aponte- 
ments  en  bois  ,  bâtis  sur  pilotis .  dans  le  port  ;  quelques-uns  mesurent  200  mètres 
de  longueur,  la  plupart  appartiennent  à  des  Compagnies  particulières.  Ils  s'éche- 
lonnent le  long  de  la  courbure  du  rivage ,  en  partie  couvert  de  quais ,  sur  un 
développement  d'environ  2  kilomètres.  Ces  chiffres  donnent  une  idée  de  Timpor- 
tance  commerciale  de  Bakou  ,  aujourd'hui  le  second  port  de  la  Caspienne  ,  demain 
peut-être  le  premier.  Sa  population  a  sextuplé  depuis  vingt  ans ,  elle  est  montée 


—  263  — 

à  60,000  âmes  de  10,000  qu'ollo  était  auparavant.  De  petite  ca])itale  sous  les 
Kans,  elle  est  devenue,  sous  radministration  russe,  l'un  des  plus  riches  centres 
manufacturiers  du  monde.  L'exploitation  du  pétrole ,  sagement  conduite ,  a  jtu 
donner  ce  résultat. 

Un  des  premiers  soins  do  M.  Boulangier  fut  de  rendre  visite  au  consul  fran- 
çais ,  M.  Thyss ,  qui  a  ))assê  vingt  années  de  sa  vie  en  Russie ,  et  qu'il  dépeint 
comme  un  homme  des  plus  aimables  ,  des  plus  hospitilicrs  et  des  plus  compétents 
dans  sa  partie.  Trois  kilomètres  environ  séparent  la  ville  blanche  de  l'agence  consu- 
laire française.  Mais  pour  les  franchir ,  il  faut  ti-averser  la  ville  noire.  La  voiture 
roule  d'abord  avec  un  infernal  bruit  de  ferraille  dans  les  rues  de  la  cité  russe  ,  de 
belles  rues  bien  pavées  ,  bien  vivantes  ;  puis  elle  s'engage  dans  un  petit  désert  de 
sable  d'environ  300  à  -400  mètres  de  longueur,  oii  les  chevaux  n'avancent  qu'à  grand'- 
peine.  Elle  pénètre  ensuite  dans  un  terrain  solide  de  couleur  rougeâtre,  circule  entre 
des  mares  pleines  d'un  liquide  qui  ressemble  à  l'huile  de  foie  de  morue  :  ce  liquide 
est  le  résidu  de  la  distillation  du  naphte  naturel,  et  la  coloration  en  même  temps  que 
la  consistance  du  sol  tiennent  à  ce  qu'il  est  imprégné  de  ce  résidu.  Chose  à  peine 
croyable,  les  pluies  sont  si  rares  dans  cette  partie  du  littoral  caspien  ,  que  l'arrosage 
des  rues  de  Bakou  ne  se  fait  pas  toujours  avec  de  l'eau  douce.  On  y  emploie  des  rési- 
dus de  pétrole.  Il  n'est  pas  rare  de  voir  des  trottoirs  recouvert  avec  de  l'asphalte 
provenant  du  naphte  tellement  sensible  à  l'action  du  soleil  qu'on  y  enfonce  comme 
dans  de  la  boue  à  peine  durcie.  Cependant ,  on  arrive  au  milieu  de  la  ville  noire  : 
c'est  un  ramassis  d'usines  ,  grandes  et  petites  ,  qui  fument  à  qui  mieux  mieux  ,  sauf 
trois  ou  quatre  ,  les  plus  importantes  et  les  mieux  outillées  ,  qui  appartiennent  à  des 
Européens. 

M,  Thyss  ne  manqua  pas  de  montrer  en  détail  à  son  visiteur  la  fabrique  d'acide 
sulfurique  qu'il  dirige.  Dans  un  espace  restreint ,  une  production  colossale  est  régu- 
lièrement conduite  par  un  tout  petit  nombre  d'ouvriers.  Et  le  prix  de  revient  est 
d"autant  plus  faible  que  le  minerai  du  Lenkoran  ne  coûte  pas  bien  cher  et  que  les 
résidus  du  pétrole  employés  comme  combustible  ne  coûtent  rien  du  tout.  Ici,  comme 
pour  les  locomotives  du  Transcaspien  ou  les  fourneaux  domestiques  installés  par 
l'ordre  du  général  Annenkoff ,  c'est  le  pulvérisateur  qui  permet  d'obtenir  un  jet  de 
flamme  occupant  toute  la  longueur  du  foyer.  Les  foyers  de  Bakou  sont  immenses  , 
comme  ceux  de  nos  grandes  usines  ou  de  nos  vaisseaux  de  guerre  ;  et  la  vapeur 
d'eau  ,  mélangée  aux  poussières  du  pétrole  ,  s'y  précipite  avec  un  bruit  intense  pour 
former  une  épaisse  gerbe  enflammée.  Ce  spectacle  d'un  cylindre  métallique ,  codi- 
plètement  vide  de  matière  combustible,  rempli  par  une  flamme  que  l'on  allonge,  que 
l'on  arrondit,  que  l'on  aplatit  à  volonté  en  changeant  l'embouchure  du  tuyau  dont 
elle  s'échappe  ,  frapoe  d'étonnement.  tn  jour  prochain  viendra  oti  toute  la  marine 
russe  sera  chauffée  par  ce  système  si  économique  et  qui  n'offre  pas  le  moindre 
danger. 

Une  promenade  dans  le  vieux  Bakou  est  très  intéressante  ;  elle  dispense  d'aller  en 
Perse  pour  se  faire  une  idée  de  l'architecture  de  ce  pays.  La  vieille  capitale  des 
kans  garde  encore  son  cachet ,  grâce  à  cette  circonstance  qu'elle  n'appartient  à  la 
Russie  que  depuis  une  date  relativement  récente.  Ses  ruelles  sales  et  étroites  ,  bor- 
dées de  maisons  blanches  aux  toits  plats,  dont  les  portes  sont  le  plus  souvent 
fermées  et  les  habitants  invisibles  ,  n'ont  pas  changé  depuis  un  siècle  ;  leur  dédale 
inextricable  couvre  toujours  le  flanc  de  la  même  colline  escai'pée  ;  ce  sont  encore  les 
mêmes  minarets  ,  les  mêmes  petits  dômes  surmontant  les  salles  de  bains  ;  tout  cela 
fait  de  boue  et  badigeonné  à  la  chaux.  Puis  il  y  a  le  bazar,  remarquable  par  le  silence 
qui  y  règne  ;  les  mercantis  persans  vous  offrent  sans  vergogne  des  collections 
variées  de  pierres  fausses  ,  de  turquoises  surtout ,  la  turquoise  est  originaire  de  ce 


~  264  — 

pays.  On  trouve  également  à  acheter  de  beaux  tapis  de  Perse,  mais  coûtant  plus  cher 
qu'à  Askhabad 

La  Tour  de  la  Jeune-Fille  et  la  citadelle  ou  palais  des  kans  ,  sont  les  seuls  monu- 
ments remarquables  de  cette  vieille  cité  en  train  de  disparaître.  La  Tour  de  la  Jeune- 
Fille,  haute  de  30  mètres  au-dessus  du  niveau  de  la  mer,  s'aperçoit  si  bien  du  large, 
que  les  Russes  l'ont  surmontée  d'un  phare  et  d'un  feu  de  port.  Un  kan  de  Bakou  , 
raconte  la  légende,  ayant  voulu  imposer  à  sa  fille,  merveilleusement  belle,  une  union 
qui  lui  répugnait,  celle-ci  finit  par  y  consentir  à  la  condition  que  son  père  ferait  bâtir 
une  tour  très  élevée  ;  la  construction  achevée  ,  elle  y  monta  et  se  précipita  dans  le 
vide ,  préférant  la  mort  au  malheur  et  à  la  honte.  La  citadelle  montre  une  porte 
curieuse  et  bien  conservée.  «  Etaient-elles  assez  hautes  ces  murailles  de  pierres 
garnies  d'embrasures  de  canon ,  dit  M.  Boulaugier ,  car  les  Persans  avaient  des 
canons;  ils  en  ont  mme  encore,  puisque  j'ai  eu  l'honneur  de  voyager  avec  un 
ex-colonel  autrichien  ,  aujourd'hui  général  en  chef  de  l'artillerie  du  sehah,  et  retour- 
nant à  Téhéran.  Mais  quels  canons  et  quels  canonniers  !  Les  cavaliers  turkmènes 
sabraient  tout  cela  d'importance  au  siècle  dernier  ,  et  je  vous  laisse  à  penser  si  les 
Russes  en  ont  été  pendant  longtemps  incommodés  dans  leur  siège  de  Bakou.  Leur 
seul  perte  sérieuse  fut  celle  de  leur  général ,  assassiné  lâchement  par  un  soi-disant 
fanatique,  au  moment  de  la  remise  des  clés  de  la  citadelle  ;  un  monument  a  été  élevé 
à  sa  mémoire.  » 

La  chaîne  du  Caucase  se  termine  k  ses  deux  extrémités  par  des  contreforts  de 
nature  volcanique  ,  oii  les  forces  souterraines  agissent  encore  k  l'époque  actuelle. 
C'est  à  l'orient,  vers  l'extrémité  de  la  pointe  d'Apchéron,  que  l'activité  des  réactions 
intérieures  paraît  avoir  atteint  son  maximum.  Le  sol  y  est ,  en  plusieurs  endroits  , 
couvert  de  cratères  de  boue  en  ébuUition  ;  son  l'elief  se  modifie  presque  incessam- 
ment, des  gaz  inflammables  s'échappent  de  certaines  fissures  et  il  peut  suffire  d'une 
étincelle  pour  allumer  l'incendie.  Monte-t-on  sur  la  Tour  de  la  Jeune-FiUe  par  une 
nuit  calme  et  sombre,  on  a  quelque  chance  de  voir  la  presqu'île  couverte  de  lueurs 
phosphorescentes.  Si  au  xix"  siècle  ces  phénomènes  attirent  l'attention  des  esprits 
les  plus  sceptiques,  on  comprend  qu'ils  aient  paru  surnaturels  aux  peuples  de  l'anti- 
quité. Depuis  Zoroastre  jusqu'à  nos  jours,  les  adorateurs  du  feu  ont  considéré  Bakou 
comme  un  lieu  sacré  oii  ils  venaient  en  pèlerinage  du  fond  de  l'Asie  centrale.  Les 
ordonnances  de  l'empereur  Héraclius,  qui  fit  éteindre  le  feu  entretenu  par  les  prêtres 
parsis  et  les  précautions  des  Arabes,  conquérants  de  la  Perse,  qui  voulurent  imposer 
leur  religion  aux  vaincus  ,  ne  purent  triompher  d'une  résistance  qui  ne  recula  pas 
devant  l'expatriation.  On  se  demande  naturellement  d'oii  viennent  ces  feux  qui 
triaient  depuis  des  milliers  d'années.  On  doit  les  attribuer  aux  vapeurs  du  pétrole 
chassées  à  la  surface  du  sol  par  la  haute  pres.sion  des  gaz  emprisonnés  dans  les  cavi- 
tés souterraines  Reste  la  question  de  savoir  d'où  le  pétrole  provient  et  quel  est  son 
mode  de  formation.  Selon  les  ans,  le  naphte  naturel ,  liquide  brun  foncé  ,  visqueux , 
à  peu  près  opaque  et  formé  de  divers  hydrocarbures,  provient  d'une  distillation  de 
la  houille,  et  à  l'appui  de  cette  hypothèse  ils  citent  la  ressemblance  frappante  obte- 
nue dans  les  laboratoires  par  cette  distillation.  D'après  d'autres,  beaucoup  plus 
nombreux,  il  proviendrait  de  la  décomposition  lente  de  matières  végétales  ,  notam- 
ment de  plantes  marines  et  d'animaux  vivant  sur  les  rivages  des  mers  primitives  ;  la 
fermentation  de  ces  matières  a  produit  des  gaz  que  l'on  retrouve  enfermés  dan?  les 
gîtes  avec  l'huile  minérale  ,  et  la  présence  de  l'eau  salée  dans  ces  gîtes  s'explique 
par  la  supposition  qu'elle  y  a  été  retenue  en  même  temps  que  les  matières 
organiques. 

Un  train  spécial  conduit  de  Bakou  aux  sources  de  péti'ole  exploitées.  Bakou  ne 
renferme  que  des  distilleries  ,  les  puits  sont  concentrés  à  8  milles  au  nord ,  sur  le 


-  265  - 

plateau  de  Balakhani-Sabontchi ,  élevé  de  200  pieds  au-dossns  du  niveau  de  la  rner. 
Qu'on  s'imagine  un  cii'que  de  3  à  4  kilomètres  de  diiimètrc  ,  coiiituro  de  collines 
calcaires  à  faible  relief;  dans  le  fond  de  ce  cirque  ,  formé  do  sables  alternant  avec 
des  couclies  do  marine  dure,  on  a  creusé  plus  de  400  puits  qui  ont  donné  presque 
tous  do  bons  résultats.  Là  ,  sont  entassées  ,  pressées  les  unes  contre  les  autres  ,  des 
exploitations  qui  appartiennent  à  des  Compagnies  ou  à  des  particuliers  ,  savoir  48 
pour  le  district  de  Balakhani  et  38  pour  Saboutchis.  Le  trajet  dure  dix-sept  minutes. 
A  l'arrivée  ,  un  spectacle  nouveau  s'offre  aux  yeux  :  150  à  200  cages  en  bois  noir , 
assez  semblables  à  d'énormes  cheminées  d'usines  ,  se  dressent  devant  vous  ;  à  une 
distance  de  8  à  10  kilomètres  ,  vous  les  prendriez  pour  de  grands  arbres  sombres  , 
formant  un  oasis  au  milieu  du  désert  transcaucasien.  L'erreur  serait  d'autant  plus 
excusable  qu'une  eau  imaginaire  se  montre  fréquemment  au  pied  de  ces  prétendus 
arbres  ;  en  effet,  le  phénomène  du  mirage  se  produit  en  été  dans  ces  parages  brû- 
lants et  arides  qui  bordent  la  Caspienne.  Chacune  de  ces  cages  on  bois,  nommées 
eu  russe  vichka  ^  recouvre  un  sondage  artésien  qui  va  chercher  l'huile  minérale  à 
des  profondeurs  variables.  Le  forage  s'opère  au  moyen  d'un  système  américain  qui 
consiste  à  substituer  une  forte  corde  à  la  tige  de  sonde  à  raccords  ,  employée  en 
France  :  à  l'extrémité  de  cette  corde  ,  on  attache  un  long  et  lourd  trépan  à  pointe 
d'acier.  La  corde  passe  sur  une  poulie  placée  au  sommet  d'un  bâti  en  charpente  , 
élevé  d'une  quinzaine  de  mètres ,  et  elle  est  actionnée  par  une  machine  à  vapeur 
qui  soulève  et  laisse  retomber  le  trépan.  Un  maître  mineur  lui  imprime  en  même 
temps  un  mouvement  de  rotation. 

Mais  le  temps  est  passé  oii  il  suffisait  de  gratter  la  terre  pour  faire  jaillir  le 
pétrole.  Aujourd'hui ,  la  sonde  doit  descendre  à  100  mètres  et  plus  pour  le  rencon- 
trer, et  Ton  ne  le  trouve  pas  toujours.  Si  la  profondeur  des  puits  de  Pensylvanie 
atteint  2,000  pieds ,  il  n'en  est  pas  moins  vi-ai  que  les  forages  de  Balakhani  sont 
oxtrèment  longs  et  coûteux.  On  fit  voir  à  M.  Boulangier  un  puits  dont  le  forage  a 
coiité  30,000  roubles  (75,000  francs) ,  exigé  une  année  de  travail  et  (pii  n'avait  rien 
donné.  Une  fontaine  de  pétrole  ne  dure  pas  toujours  ,  comme  le  jet  donné  par  un 
puits  artésien.  M.  Boulangier  en  vit  un  de  3  à  4  mètres  de  hauteur ,  qui  huit  ans 
auparavant  en  mesurait  le  double  ,  et  l'on  s'attendait  à  la  voir  tarir  d'un  moment  à 
l'autre.  Généralement  la  durée  de  la  gerbe  ne  dépasse  pas  deux  mois  ;  passé  ce  délai, 
le  flowiny  well  rentre  dans  la  catégorie  des  pumping  well,  et  il  faut  alors  employer 
la  pompe  pour  amener  le  pétrole  à  la  surface.  Ce  genre  d'extraction  comporte  l'em- 
ploi d'un  tube  creux  à  clapet,  long  de  2  mètres  ,  large  d'environ  25  centimètres  et  de 
30  litres  de  capacité.  Attaché  à  un  câble  qu'actionne  une  petite  machine  à  vapeur  ,  il 
est  rapidement  descendu  au  fond  du  puits,  oii  il  se  remplit  par  le  jeu  automatique  du 
clapet,  puis  remonté  avec  la  même  vitesse  ;  un  ouvrier  le  saisit  à  l'aide  d'un  crochet, 
fait  donner  un  peu  de  jeu  à  la  corde  pour  opérer  un  mouvement  de  bascule  et  le  tube 
vidé  est  de  nouveau  introduit  dans  le  sondage.  On  comprend  que  la  durée  de  l'opé- 
ration dépend  de  la  profondeur  du  puits  ;  c'est  ainsi  que  le  débit  journalier  peut 
tomber  de  64,000  kilogrammes  à  48,000.  Ce  chiffre  paraît  presque  une  quantité  négli- 
geable à  côté  du  rendement  fabuleux  des  grandes  fontaines,  mais  il  suffit  cependant 
pour  donner  une  exploitation  rémunératrice. 

Souvakhani,  un  ancien  centre  d'exploitation,  est  le  terminus  du  chemin  de  fer  de 
Bakou-Balakhani.  Aujourd'hui ,  il  ne  renferme  que  quelques  puits.  Un  seul  tuyau 
suffit  à  conduire  leur  pétrole  aux  raffineries  de  Bakou.  Mais  c'est  à  Souvakhani  que 
se  trouve  le  temple  des  adorateurs  du  feu  et  c'est  ce  qui  attire  les  voyageurs  dans 
cette  localité.  Un  petit  édifice  carré  ,  surmonté  par  un  dôme  percé  d'une  multitude 
de  petites  cheminées  minuscules ,  décoré  de  cintres ,  de  festons ,  de  créneaux , 
s'élève  au  milieu  d'une  cour  entourée  d'un  mur  de  style  non  moins  indien.  Toutes 


—  266  - 

ces  cheminées  donnaient  autrefois  jjassage  aux  gaz  enflammés,  et  les  fidèles  se  pros- 
ternaient en  foule  devant  le  feu  éternel.  Mais  que  ce  temple  a  perdu  de  son  antique 
splendeur  !  Le  feu  sacré  n'est  plus  entretenu  que  par  deux  misérables  Parsis , 
auxquels  les  exploitants  du  voisinage  veulent  bien  faire  l'aumône  d'une  minime 
partie  des  gaz  qu'ils  ont  captés  ,  et  les  seuls  pèlerins  venus  depuis  quelques  années 
sont  les  mécréants  occidentaux.  Il  n'eu  est  pas  qui  n'ait  pris  plaisir  à  enflammer  avec 
une  allumette  les  gaz  qui  se  détachent  des  fissures  du  sol  et  n'ait  commis  à  son  insu 
le  sacrilège  de  les  éteindre  en  soufflant  dessus. 

11  était  impossible  de  distiller  le  pétrole  sur  les  lieux  mêmes  de  son  extraction. 
Aussi,  les  distilleries  sont-elles  à  Bakou  ,  dans  la  ville  noire  ;  les  plus  petites  usines 
sont  installées  d'une  façon  assez  primitive  :  mais  les  grandes,  celles  de  MM.  Nobel , 
de  Boulfroy  et  de  Rothschild ,  ne  le  cèdent  en  rien  aux  meilleures  usines  améri- 
caines. Le  pétrole,  au  sortir  des  tuyaux  qui  le  déversent  continuellement,  est  conduit 
dans  plusieurs  séries  d'alambics  ,  chauffés  à  difl'érentes  températures ,  oii  il  perd 
successivement  ses  éléments  volatils  et  d'oii  il  sort  à  l'état  de  résidu.  C'est  une  chose 
extraordinaire  de  voir  cette  huile  si  inflammable  ,  courir  impunément  dans  des  cor- 
nues chauffées  d'une  façon  continue  de  15  à  1,400  degrés  centigrades.  Entre  15  et 
180  degrés,  les  produits  obtenus  forment  les  essences  de  pétrole  ,  éther  de  pétrole  , 
benzine  ;  de  180  à  250  degrés,  on  recueille  les  huiles  lampantes  dont  la  densité  varie 
de  0,800  à  0,820  ;  de  2.50  à  400  degrés  ,  on  distille  la  paraffine  ,  et  il  reste  les  huiles 
lourdes^  qui  servent  au  graissage  des  machines.  Enfin ,  les  derniers  alambics  ren- 
ferment les  résidus  que  les  chemins  de  fer  russes  et  les  bateaux  à  vapeur  emploient 
comme  combustible.  Ces  mêmes  résidus  servent  également  au  chauffage  des  raffi- 
neries. Les  raffineries  de  Bakou  traitent  aujourd'hui  8,000  mètres  cubes  de  pétrole 
brut  par  jour.  Leur  travail  annuel  représentant  un  cube  de  1,600,000  mètres  cubes  , 
ne  dure  que  deux  cents  jours  ,  le  travail  chômant  pendant  les  cinq  mois  d'hiver.  Le 
pétrole  rectifié  revient  à  1  fr.  20  les  100  kilogrammes  ,  les  résidus  de  la  distillation 
employés  au  chauftage ,  à  45  centimes  les  100  kilogrammes ,  et  l'huile  de  graisse 
à  8  fr. 

Ce  qui  ressort  de  ces  chiffres,  c'est  le  bon  marché  des  résidus  ,  qui  ,  en  outre  ,  ne 
donnent  pas  de  fumée  et  produisent  autant  de  chaleur  qu'un  poids  de  houille  trois 
plus  considérable.  Diminuer  des  deux  tiers  les  chargements  de  combustible  que  nos 
steamers  doivent  emporter  au  loin,  rendre  disponible  un  tonnage  équivalant  pour  les 
marchandises  ou  l'armement ,  serait  à  coup  sûr  un  progrès  considérable.  Autrefois  , 
le  pétrole  se  transportait  par  fûts,  c'était  un  procédé  barbare.  MM.  Nobel  ont  ima- 
giné ce  qu'on  appelle  les  bateaux-citernes.  L'huile  pompée  dans  les  usines  est  ame- 
née par  des  conduites  jusqu'à  l'extrémité  des  jetées  en  bois  oii  le  navire  est  accosté  , 
il  mesure  75  mètres  de  longueur  et  8"',50  de  largeur.  Tout  son  avant  forme  un  grand 
i-éservoir,  les  chaudières  et  les  machines  sont  placées  au  milieu  du  bâtiment ,  deux 
cuves  cylindriques  descendues  à  fond  de  cale  occupent  l'arrière.  La  capacité  totale 
de  ces  réservoirs  est  de  225,000  gallons.  Le  steamer  est  chauffé  avec  des  résidus 
de  pétrole.  Sa  vitesse  est  de  10  nœuds,  la  consomniation  de  combustible  ne  dépasse 
pas  30  tonnes  pour  une  traversée  de  460  milles. 

Un  transbordement  est  nécessaire  pour  les  bateaux  d'un  plus  fort  tirant  d'eau  , 
mais  du  même  type.  Il  s'opère  au  lieu  dit  Deciat  Fout  (Neuf-Pieds).  Mais  il  serait 
nécessaire  d'entreprendre  d'importants  travaux  pour  défendre  l'entrée  du  grand 
fleuve  russe.  La  barre  formée  en  avant  de  son  delta  par  les  limons  et  les  sables  rend 
la  navigation  difficile  et  impose  au  commerce  des  sujétions  coiiteuses.  On  ne  saurait 
mettre  en  doute  que  le  système  d'ouvrage  adopté  par  la  Commission  européenne  du 
Danube  aurait  ici,  comme  à  Soulina,  un  succès  complet.  Les  petits  bateaux -citernes 
remontent  le  Volga  jusqu'à  Tsaritsine.  à  36i  milles  de  la  mer.  Cette  ville  possède  le 


—  267  - 

déiiot.  contrai  qui  alimente  toute  la  Russie  d'Europe.  Les  réservoirs  contiennent 
22  millions  de  litres.  Le  Volft'a  restant  gelé  pendant  quatre  mois,  la  création  d'autres 
dépôts  était  indispensable  ;  ils  sont  an  nombre  de  trente-six  ,  et  leurs  rései^voirs  qui 
se  remplissent  avant  l'hiver  ont  une  capacité  totale  de  163  millions  de  litres.  Le 
pétrole  voyage  en  chemin  de  fer  dans  des  wagons-citernes  identiques  à  ceux  du 
Transcaspicn  ;  la  Compagnie  Nobel  en  possède  quinze  cents.  Il  faut  trois  minutes  et 
demie  pour  charger  un  wagon  avec  une  pompe  et  un  tuyau,  une  heure  pour  opérer 
le  chargement  d'un  train  de  vingt  à  vingt- cinq  wagons.  Soixante  trains  de  pétrole 
sillonnent  constamment  le  territoire  russe. 

Il  existe  une  autre  voie  d'exportation  pour  les  produits  de  Bakou  :  le  chemin  de 
fer  trauscaucasi(>n  qui  relie  cette  ville  à  l'oti  et  à  Batoum.  Mais  ce  débouché  n'a  pas 
une  importance  comparable  à  celui  du  Volga.  La  Compegnie  du  Transcaucasien  ne 
possède  qu'un  nombre  de  wagons  assez  restreint,  ce  qui  l'empêche  quelquefois  de 
satisfaire  aux  demandes  d'expéditions  dans  l'Europe  occidentale.  Son  matériel 
actuel  ne  lui  permet  pas  de  transporter  annuellement  plus  de  9fi  millions  de  kilo- 
grammes. Les  Russes  ne  semblent  pas  disposés  à  favoriser  l'exportation  d'un  produit 
naturel  qui  leur  est  si  utile. 

Voici  le  tableau  de  l'exploitation  du  bassin  de  Bakou  : 


Puits  épuisés 

Puits  abandonnés 

Puits  arrêtés 

Puits  en  approfondissement. . . . 

Puits  en  sondages 

Puits  projetés  et  en  préparation 

Puits  en  exploitation 

Fontaines  jaillissantes 

Production  par  jour  en  kilogr. ....       700.000  2. .500. 000 

La  produelion  de  tous  ces  puits  ,  depuis  la  première  découverte,  dépasse  aujour- 
d'hui 10  millions  de  mètres  cubes  ,  qui  ont  fourni  3  milliards  de  litres  d'huile  à  brû- 
ler, ce  quo  la  France  consume  en  un  demi-siècle  ,  et  6  millions  de  tonnes  de  résidus 
C;)ml)ustibles  ,  l'équivalent  de  18  millions  de  tonnes  de  houille.  Depuis  dix  ans  ,  la 
production  a  pris  une  énorme  extension  ;  elle  a  passé  de  242,000  tonnes  de  naphte 
brut  k  1,370,000  tonnes  en  1885  et  à  1,600,000  tonnes  en  1886,  de  sorte  que  ce  petit 
bassin,  dont  la  superficie  atteint  à  peine  20  kilomètres  carres  ,  donne  à  lui  seul  le 
quart  do  la  masse  de  pétrole  extraite  de  la  teiTe.  En  même  temps  ,  l'extraction  est 
tombée  de  15  fr.  30  la  tonne  à  2  fr.  75  en  1880.  A  cette  heure  ,  pas  un  gallon  d'huile 
américaine  ne  franchit  la  frontière  rasse  ;  loin  de  là  ,  le  marché  européen  échappe  à 
l'Amérique  de  plus  en  plus.  C'est  ainsi  que  les  usines  achetées  récemment  à  Bakou 
par  jSI.  de  Rothschild  et  complétées  par  les  raffineries  de  Fiume  ,  cherchent  à  expul- 
ser peu  à  peu  les  Américains  de  l'empire  austro-hongrois.  Ces  cubes  énormes  sont , 
comme  nou.s  l'avons  déjà  dit ,  presque  entièrement  consommés  en  Russie  ;  il  en  est 
de  même  des  produits  secondaires.  Outre  que  le  gouvernement  ne  tient  pas  à  priver 
le  pays  d'un  produit  supérieur ,  l'exportation  par  mer  à  destination  de  l'Europe 
occidentale  sera  toujours  difficile  pondant  une  parcie  de  l'année  ,  la  navigation  des 
bateaux-citernes  à  travers  la  Méditerranée  offrant  de  sérieux  dangers  pendant  la 
saison  chaude.  En  effet,  le  point  d'ébuUition  de  la  vapeur  du  pétrole  est  de  28"  cen- 


Balakhani. 

Saboutghi 

37 

18 

49 

21 

11 

6 

8 

9 

74 

13 

11 

8 

99 

46 

4 

46 

—  268  — 

tigrades,  et  cfuand  cette  température  est  atteinte  par  le  milieu  ambiant,  le  navire  est 
enveloppé  d'une  atmosphère  si  inflammable  ,  qu'une  étincelle  pourrait  causer  une 
combustion  générale.  «  L'été  dernier ,  un  vapeur  chargé  de  pétrole  a  fait ,  dans  ces 
conditions  ,  la  traversée  de  Batoum  en  Angleterre  ;  après  le  passage  des  Darda- 
nelles et  jusqu'à  Gibraltar ,  le  point  d'inflammabilité  fut  dépassé  par  les  thermo- 
mètres immergés  dans  les  réservoirs.  Ce  fut  une  semaine  terrible.  On  éteignit  tous 
les  feux  pour  mettre  à  la  voile  ,  on  n'alluma  même  plus  les  fourneaux  de  cuisine. 
Trois  mois  plus  tard,  racontant  ses  angoisses,  le  capitaine  jurait  qu'on  ne  l'y  repren- 
drait plus.  Si  le  pétrole  est  un  combustible  fort  économique  ,  son  maniement  exige 
certaines  précautions,  surtout  dans  les  pays  chauds.  Sur  le  chemin  de  fer  transcau- 
casien, il  est  arrivé  plusieurs  fois  ,  à  l'époque  des  fortes  chaleurs  ,  que  des  trains  de 
naphte  ont  pris  feu  ;  il  n'y  a  pas  eu  d'accident  de  personnes  ,  mais  tout  a  flambé  sur 
place.  » 


Commerce  et  finances  du  Japon.  —  Les  publications  du  Foreign 
Office  (ministère  des  aflJaires  étrangères  britannique  )  ont  toujours  fait  une  place  à 
des  exposés  de  la  situation  financière  des  divers  pays  d'Europe  ou  d'Amérique. 
Cette  année  ,  il  s'y  est  ajouté  un  travail  sur  le  budget  du  Japon  ,  œuvre  de  M.  Le 
Poer  Trench  ,  secrétaire  de  légation  à  Tokio  ,  dont  nous  croyons  pouvoir  extredre 
quelques  renseignements  intéressants  pour  les  membres  de  la  Société  de  géographie 
de  Lille.  D'ordinaire  ,  les  rapports  de  cette  espèce  ,  imposés  aux  jeunes  diplomates 
anglais  par  le  règlement ,  sont  de  simples  compilations  de  documents  officiels , 
faites  sans  grand  discernement  et  sans  esprit  critique  ;  lorsque  leurs  auteurs  essaient 
de  voler  de  leurs  propres  ailes  ,  ils  commettent  parfois  des  erreurs.  Il  y  a  naturel- 
lement des  exceptions  à  cette  banalité  et  celle-ci  est  du  nombre.  Quelques  réserves 
qu'on  fasse  néanmoins ,  on  trouve  en  tout  cas  dans  ces  publications  des  données^ 
statistiques  qu'on  aurait  de  la  peine  à  recueillir  soi-même.  D'après  le  chef 
immédiat  de  M.  Trench  ,  sir  F.  Plunkett ,  ministre  britannique  au  Japon  ,  la  plupart 
des  chiffres  fournis  dans  le  Rapport  se  trouvent  réunis  pour  la  première  fois.  Ce  qui 
ajoute  au  piquant  de  la  chose  ,  c'est  que  ce  travail  soit  le  premier  qui  ait  paru  dans 
les  Annales  du  Foreign  Office  ,  depuis  qu'un  grand  changement  a  été  effectué  dans 
la  forme  du  gouvernement  japonais ,  par  la  constitution  du  cabinet  actuel.  Celle-ci  a 
été  un  pas  de  plus  ,  et  des  plus  importants  ,  sur  la  route  de  Y européanisation  du 
Japon. 

Un  intérêt  particulier  s'attache  au  budget  de  cet  État  de  l'Extrême  -  Orient ,  qui 
conti'aste  par  tant  décotes  avec  la  Chine  ,  son  voisin  immédiat.  Un  emprunt  japo- 
nais, contracté  en  1873  et  rapportant  7  0/0  ,  est  coté  118  à  Londres.  La  reprise  des 
paiements  en  espèces,  la  hausse  des  fonds  publics  sur  le  marché  indigène  ,  le  raffer- 
missement du  crédit  public  ,  l'intention  attribuée  au  gouvernement  d'ouvrir  le  pays 
tout  entier  aux  étrangers,  ont  attiré  l'attention  sur  l'Empire  du  Soleil  levant.  Sa 
population  est  d'environ  37  millions  d'habitants  ,  son  armée  sur  le  pied  de  guerre  de 
110,000  hommes  armés  et  exercés  à  l'européenne  ,  sa  marine  comprend  vingt-  cinq 
navires  dont  sept  sont  des  cuirassés.  530  kilomètres  de  chemins  de  fer  sont  en 
exploitation  ;  l'on  pousse  rapidement  la  construction  du  réseau  de  voies  ferrées.  Tout 
un  système  de  télégraphes,  de  postes,  de  caisses  d'épargne,  de  banques,  de  collèges 
et  d'universités  ,  de  phares  ,  sur  le  modèle  européen  ou  américain  couvre  le  pays 
d'institutions  qui  doivent  en  hâter  le  développement.  Certains  pessimistes  prétendent, 
il  est  vrai,  que  tous  ces  progrès,  si  rapidement  effectués,  sont  restés  à  la  surface,  et 
qu"il  faudra  du  temps  pour  qu'ils  pénètrent  profondément. 


—  269  — 

Le  commerce  extérieur  total  du  Japon  s'est  élevé  en  1884  à  plus  de  HOO  millions  de 
francs  (61  millions  d'yen)  (1).  Il  a  été  exporté  de  la  soie  pour  1:5,281,000  yrn,  du  thé 
pour  5,819,000  ,  du  riz  pour  2,170,000  .  de  la  houille  pour  1,800,000  ,  du  cuivre  pour 
1,414,000  yen.  Il  a  été  importé  8,200,000  yen  d'articles  de  coton  ,  o,/i40,(XX)  de  sucre, 
8,500,000  (le  lainage,  2,054,000  do  niétaux,  1,778,000  de  pétrole,  l,745,0œ  de  navires, 
458,000  (raruies  et  munitions. 

Les  cliiftVes  que  nous  trouvons  dans  le  rapport  de  M.  Trench  s'appliquent  à  l'année 
1886-87  :  ce  sont  ceux  du  budget  de  prévision.  La  comparaison  avec  les  exercices 
antérieurs  n'est  pas  facile,  le  gouvernement  japonais  ayant  introduit  en  1884  une 
modification  dans  la  durée  de  l'année  fiscale.  Jusque  -  là  ,  celle  -  ci  allait  du  l'"  juillet 
au  80  juin  ;  elle  est  comprise  aujourd'hui  entre  le  i""  avril  et  le  31  mars.  Le  motif  de 
cette  modification  n'a  pas  été  seulement  le  désir  d'imiter  ce  qui  se  passait  en  Angle- 
terre et  en  Allemagne.  Il  y  a  eu  des  raisons  plus  sérieuses.  Il  existait  une  très 
grande  inégalité  entre  les  recettes  et  les  dépenses  des  deux  semestres.  Presque 
toutes  les  dépenses  se  faisaient  de  juillet  à  décembre,  tandis  que  les  recettes  ne  ren- 
traient que  dans  la  seconde  moitié  de  l'exercice,  après  la  récolte.  Celle-ci  forme  une 
considération  fort  importante  dans  les  contrées  orientales,  oii  l'impôt  foncier  est  la 
grande  source  de  revenu,  et  c'est  le  cas  au  Japon.  Jusqu'à  la  restauration  du  mikado, 
l'impôt  foncier  a  constitué  presque  la  seule  ressource  de  l'État  ;  aujourd'hui  encore  , 
il  forme  la  moitié  des  recettes.  La  seconde  source  de  revenu,  c'est  la  taxe  sur  le  saké 
(bière  de  riz),  qui  ne  peut  qu'être  estimée  qu'à  la  fin  de  la  récolte  ,  sur  la  quantité 
brassée.  Grâce  au  changement  introduit,  il  y  a  une  corrélation  plus  exacte  entre  les 
encaissements  et  les  débours  du  Trésor. 

Le  revenu  de  l'Etat  pour  1886-1887  était  estimé  à  12,449,236  liv  st.,  les  dépenses  à 
12,448,169  liv.  st. 

On  attendait  de  l'impôt  foncier  7,191,980  liv.  st.,  de  la  taxe  sur  lo  saké  2,473,840 
liv.  st.,  environ  75  0/0  du  budget  total,  —  486,962  liv.  st.  des  douanes,  202,758  liv.  st. 
de  l'enregistrement ,  530,700  liv.  st.  des  postes  et  télégraphes  ,  235,000  liv.  st.  des 
industries  de  l'État,  65,000  liv.  st.  des  forêts  ,  250,000  liv.  st.  du  tabac  ,  78.962  liv.  st. 
de  la  location  et  de  la  vente  des  domaines  de  l'État. 

Si  nous  passons  aux  dépenses,  nous  voyons  que  le  chapitre  du  service  de  la  dette 
(intérêt  et  remboursement)  est  le  plus  considérable,  3,333,833  liv.  st.  (plus  de  25  0/0), 
auquel  il  faut  ajouter  1,166,000  liv.  st.  pour  le  retrait  du  papier-monnaie.  Le  service 
des  postes  et  télégraphes  demande  606,000  liv.  st.,  ce  qui  montre  une  perte  de  70,000 
liv.  st.  sur  l'exjjloitation.  La  liste  civile  coijte  390,000  liv.  st.,  le  cabinet  95,000 ,  les 
légations  et  consulats  108,000  ,  le  ministère  de  l'intérieur  831,000  ,  l'administration 
urbaine  et  les  prélectures  999,800 ,  les  finances  240,000  ,  la  perception  des  impôts 
815,000,  les  douanes  88,000,  les  secours  à  l'agriculture  200,000,  les  pensions  et  dispo- 
nibilités 121,000  ,  l'armée  1,886,000,  la  gendarmerie  48,000,  le  département,  de  la 
guerre  64,000  ,  la  marine  814,000  ,  la  justice  et  les  tribunaux  416,000 ,  l'instruction 
publique  142,000,  le  commerce  et  l'agriculture  89,000,  le  service  de  garantie  aux 
(Compagnies  de  chemins  de  fer  (196  kilomètres)  3,330  et  aux  Compagnies  de  navi- 
gation 4,667.  Le  bureau  pour  administrer  les  industries  de  l'Etat  exige  416,000  liv. 
st.,  ce  qui  laisse  un  déficit  de  200,000  liv.  st.  environ. 

M.  Trench  nous  apprend  que  la  publication  du  budget  a  déçu  les  espérances  qu'on 
avait  formées  à  la  suite  des  promesses  d'économie  et  de  réduction  dans  les  dépenses. 


1)  Le  yen  vaut  nominalement  5  fr.  50  ;  d'après  le  cours  de  Londi'es,  indiqué  par  M.  Neuniaim-Spallart, 
il  faut  déduire  15  à  IB  0/0,  ce  qui  donne  environ  4  fr.  10.  En  1885,  le  yen  valait  i  ir.  25. 


—  270  - 

au  nom  desquelles  on  a  introduit  un  certain  nombre  de  réformes  dans  les  finance^; 
publiques.  Si  l'on  compare  le  budget  de  188f>y7  avec  celui  de  1884-85  ,  on  s'aperçoit 
que  les  économies  ne  dépassent  pas  250,000  liv.  st.  ;  il  y  a  augmentation  dans  les 
besoins  de  Tadministration  locale.  L'armée  coûte  160,000  liv.  st.  de  plus.  Si  la  marine 
ne  présente  pas  un  accroissement,  c'est  qu'on  a  fait  face  par  l'émission  d'un  emprunt 
dont  il  a  été  émis  800,000  liv.  st.  aux  augmentations  nécessitées  par  l'acquisition  de 
matériel  et  par  les  travaux  de  défense  sur  les  côtes.  L'économie  réalisée  est  due  à  la 
suppression  d'un  ministère,  celui  des  travaux  publics,  et  au  licenciement  du  person- 
nel. Le  fardeau  des  contribuables  japonais  n'a  pas  été  allégé.  Si  nous  mettons  face  à 
face  les  recettes  de  l'exercice  1884  -  1885  et  les  recettes  prévues  en  1886- 1887  ,  nous 
constatons  une  diminution  de  près  de  200,000  liv.  st.  ,  malgré  l'introduction  de  nou- 
velles taxes.  La  diminution  la  plus  considérable  porte  sur  la  taxe  du  saké ,  du  tabac 
et  sur  le  revenu  des  industries  de  l'État. 

Arrivons  à  la  dette  publique.  Celle-ci  s'élève  à  245,427,329  yen  =40,904,555  liv.  st., 
dont  plus  de  la  moitié  est  représentée  par  des  titres  de  pensions  héréditaires 
(27,500,000  liv.  st.).  Les  emprunts  pour  travaux  publics  s'élèvent  à  1,793,000  liv.  st., 
non  compris  les  obligations  du  chemin  de  fer  de  Nakasendo  qui  montent  à  .3,330,000 
liv.  st.  La  dette  extérieure  est  de  7,522,000  yen  (environ  1,250,000  liv.  st  ).  Le  taux 
d'intérêt  auquel  le  gouvernement  a  eniprunté  a  varié.  11  a  en  outre  accordé  des  garan- 
ties d'intérêt  à  des  Compagnies  de  cliemin  de  fer  et  de  navigation.  11  s'est  engagé , 
par  exemple,  à  parfaire  jusqu'à  concurrence  de  8  0^0  le  dividende  des  actionnaires  du 
Nippon  Yusen  Kaisha  [Japan  Mail  Steamship  Company). 

En  dehors  de  la  dette  publique  fondée,  il  y  avait  en  circulation  du  papier^monnaie 
pour  11,441,000  liv.  st.  D'après  les  chiffres  du  budget  au  l*^^'  avril  1886,  la  circulation 
du  papier-monnaie  s'élevait  à  76,984,000  yen,  soit  une  diminution  de  1,297,400  contre 
l'année  précédente  ;  au  l*^"  novembre  1886 ,  la  circulation  était  réduite  à  68,619,000 
yen.  La  Trésorerie  avait  une  réserve  métallique  de  11,300,000  yen  en  or,  de 
21,580,000  yen  en  argen.  En  1885  ,  il  a  été  importé  608,000  yen  en  or ,  6,9.38,000  yen 
en  argent,  exporté  500,000  yen  en  or,  3,763,000  yen  en  argent.  Au  mois  de  juin  1885, 
le  gouvernement  a  notifié  qu'à  partir  du  1'^"'  janv'er  suivant ,  il  reprendrait  les 
paiements  en  espèces.  Le  papier-monnaie  émis  par  lui  est  remboursable  en  monnaie 
d'argent. 

En  1886,  il  existait  138  banques  nationales  avec  un  capital  de  7,409,350  liv.  st. 
(44  j;2  millions  d'yen),  ayant  émis  34  millions  yen  de  billets  ;  leur  fonds  de  réseiTe 
était  de  8  millions  yen  environ. 

Jusqu'en  1870  ,  la  question  du  papier-monnaie  a  touché  fort  peu  les  intérêts  du 
commerce  étranger.  Entre  1870  et  1876,  il  y  avait  environ  100,000,000  yen  de  papier- 
monnaie  en  circulation  :  durant  cette  période,  il  a  été  coté  en  moyenne  à  2  1/4  0,0  de 
prime,  celle-ci  s'étant  élevée  au  maximum  à  9  1/2  0/0,  la  perte  n'a  jamais  dépassé 
15  0/0.  En  1876,  le  gouvernement  décréta  que  l'impôt  foncier  serait  payable  en  mon- 
naie, non  plus  en  nature  (riz).  Avant  cela  ,  le  gouvernement  vendait  le  riz  contre  du 
papier-monnaie,  ce  qui  donnait  une  certaine  solidité  à  celui-ci.  En  1877  ,  éclata  la 
révolte  de  Satsuma  ;  les  dépenses  militaires  nécessitèrent  de  nouvelles  émissions  de 
papier-monnaie,  dont  la  valeur  se  déprécia  rapidement.  Les  détenteurs  de  ri/.,  voyant 
la  tendance  à  la  bais.se  et  l'incertitude  de  l'étalon  fiduciaire,  montrèrent  peu  de  dispo- 
sition à  se  défaire  de  leur  stock  ;  le  riz  haussa  ,  il  en  résulta  un  contre  -  coup  sur  le 
papier-monnaie.  Le  change  devint  contraire  ;  de  plus,  le  Japon  importait  plus  qu'il 
n'exportait.  De  1877  à  1881,  la  dépréciation  du  papier-monnaie  ne  fit  que  s'aggraver; 
elle  atteignit  82  OjO  de  la  valeur  nominale  ,  malgré  les  efforts  du  gouvernement  pour 
la  combattre  en  restreignant  la  circulation  et  en  jetant  de  temps  à  autre  des  sommes 
considérables  en  métal  sur  le  marché.  Si  la  situation  s'est  améliorée  ,  si  le  papier- 


I 


-  271  - 

monnaie  est  remonté  an  pair,  on  lo  doit  à  la  politique  résolue  du  gouvernement,  qui 
a  persisté  à  retirer  du  papier-monnaie  ,  au  rétablissement  de  la  tranquillité  et  au  fait 
que  le  Japon  a  exporté  plus  qu'il  ri 'a  importé  dans  les  dernières  années,  (^c  résultat 
n'a  pas  été  obtenu  sans  de  pénibles  sacrifices. 

La  restriction  de  la  circulation,  effectuée  surtout  à  l'aide  d'émissions  d'obligations 
de  l'État  et  de  chemins  de  fer,  a  eu  pour  effet,  dit  M.  Trench  ,  de  faire  baisser  le 
prix  des  marchandises  et  de  rendre  les  fluctuations  des  valevn-s  si  intenses  ,  que  les 
capitalistes  se  sont  empressés  de  placer  leur  sommes  disponibles  en  fonds  de  toute 
espèce.  C'est  à  cela  qu'est  dû  le  succès  de  rémission  des  nouveaux  5  0/0.  11  en  est 
résulté  une  hausse  inconnue  jusqu'ici  dans  le  cours  des  placements  mobiliers  ,  qui 
•ont  absorbé  le  capital  flottant  du  pays.  Au  moment  où  écrivait  le  secrétaire  de  la 
légation  britannique  ,  certains  symptômes  semblaient  indiquer  une  réaction  et  le 
retour  des  capitaux  vers  des  entreprises  commerciales  ou  industrielles.  Cette  réac- 
tion serait  pins  accentuée,  si  le  gouvernement  voulait  s'adresser  davantage  au  crédit 
à  l'étranger,  mais  il  fait  preuve  de  sagesse  sous  ce  rapport  et  ne  veut  pas  recourir  à 
des  emprunts  extérieurs  ,  tant  qu'il  trouve  à  emijrunter  dans  le  pays  à  5  0,0.  Il  a 
raison  de  le  faire,  car  avec  une  circulation  réceiimieiit  consolidée  ,  il  court  risque 
d'en  compromettre  la  solidité,  s'il  contracte  des  dettes  payables  en  métal ,  notam- 
ment en  or  ,  comme  l'exigent  les  préteurs  européens. 

Si  la  fermeté  du  marché  des  fonds  publics  japonais  se  maintient ,  le  gouvernement 
allégera  les  charges  annuelles  par  une  conversion.  En  juin  1886,  on  a  émis  5  millions 
d'yen  d'obligations  de  la  marine,  rapportant  5  0/0  et  qui  faisaient  en  janvier  1887 
plus  de  3  0/0  de  prime.  Ces  obligations-  sont  amortissables  en  1^0  ans,  et  peuvent  être 
achetées  par  des  étrangers.  En  octobre  1886,  le  ministre  des  finances  a  annoncé 
l'intention  d'émettre  un  emprunt  de  175  millions  d'yen  ,  5  0/0  ,  dont  le  produit  est 
destiné  à  racheter  des  titres  anciens  rapportant  15,  7  et  6  0/0.  Il  a  émis  une  première 
série  de  10  millions  d'yen,  en  titres  5  0/0  qui  sont  cotés  à  2  1/2  0/0  de  prime  ;  le  reste 
sera  émis  successivement.  Les  titres  sont  à  l'abri  du  remboursement  pendant  cinq 
ans  ;  après  cela,  ils  sont  amortissables  par  tirage  en  50  ans. 

Cette  opération  si  raisonnable  a  rencontré  des  critiques  ;  on  s'est  demandé  si , 
avec  un  retour  d'activité  commerciale  et  industrielle  ,  les  achats  de  fonds  publics  ne 
diminueraient  pas,  les  capitaux  se  tournant  vers  d'autres  placements. 

La  situation  monétaire  du  Japon  ne  laisse  pas  que  d'être  précaire.  Le  pays  est 
soumis  à  un  drainage  d'argent  monnayé  ;  en  1886  ,  les  banques  étrangères  de  Yoko- 
hama ont  exporté  6,250,000  yen  en  argent  et  elles  y  ont  certainement  trouvé  un 
bénéfice.  L'exportation  a  eu  lieu  même  pendant  la  saison  de  la  soie,  et  au  moment 
d'une  rareté  de  l'argent.  Pour  remplir  le  vide  ainsi  produit ,  le  Shokin  Ginko 
(banque  métallique)  importe  du  métal ,  qui  est  frappé  au  Japon  ;  cette  opération  lui 
est  facilitée  par  la  dépréciation  de  l'argent ,  mais  elle  ne  peut  se  prolonger  indéfini- 
ment sans  affaiblii'  le  pays  qui  la  subit.  Le  yen  japonais  circule  en  Chine  concur- 
remment avec  le  dollar  mexicain.  Quelques  personnes  croient  que  la  banque  Shokin 
Ginko  est  aidée  par  l'Etat. 

La  première  ligne  de  cheniin  de  fer  construite  au  Japon  par  l'Etat ,  entre  ïokio  et 
Yokohama  (1870-1872),  a  une  longTieur  de  28  kilomètres.  Elle  a  coûté  2,855,000  yen, 
le  r  evenu  net  a  été  de  10.9  0/0  en  1880  ,  9  0/0  en  1882 ,  12  0,0  en  1884.  La  ligne  de 
Kobé  à  Osaka  (1874) ,  longue  de  35  kilomètres  ,  ayant  coûté  7,703,000  yen  ,  a  vu  les 
recettes  tomber  de  10  0,0  en  1881  à  5  0/0  en  1884.  La  ligne  de  Tsurnga  -  Ogaki  (102 
kilomètres,  3  millions  yen)  a  rapporté  0.2  0/0  en  1881,  1  0/0  en  1883,  0.2  0/0  en  1885. 

Il  existe  une  Compagnie  privée  avec  un  capital  de  20  millions  (40i),0<30  actions) , 
sur  lesquels  le  gouvernement  garantit  5  0/0.  Le  capital  versé  est  inférieur  à  7  million.s. 
En  1882-1883,  il  a  été  fait  appel  à  la  garantie  ,  mais  pas  depuis  lors.  En  1883-18&i  , 


—  272  — 

les  actionnaires  ont  reçu  10  0/0,  9  1/2  en  1884-1885  ,  8  1/4  en  1885-1886.  La  Oompa- 
gnie  exploite  trois  lignes  d'une  longueur  totale  de  200  kilomètres  environ  ;  elle 
construit  257  kilomètres  et  projette  l'établissement  de  380  kilomètres.  Dans  l'île 
d'Yeso,  le  ministère  du  commerce  exploite  une  ligne  de  90  kilomètres  qui  a  coûté 
204,000  liv.  st.  D'après  M.  Trench .  le  tarif  sur  les  lignes  japonaises  est  très  élevé  , 
prohibitif  même  pour  les  marchandises  encombrantes  de  peu  de  valeur. 

A  Tokio  ,  dont  la  population  est  d'environ  1  million  d'habitants  ,  les  taxes  locales 
ont  triplé  depuis  1879.  Elles  s'élèvent  au  total  de  936,871  j'en. 

La  Yokohama  Shokin  Ginko ,  la  banque  dont  il  a  été  question  plus  haut ,  a  un 
capital  de  3,000,000  yen  ;  elle  a  des  agences  à  Kobe,  Londres  ,  San-Francisco  ,  New- 
York,  Lyon.  Elle  fait  aux  banques  étrangères  (succursales  de  quatre  banques 
anglaises  et  d'un  établissement  financier  français)  une  concurrence  qui  commence 
à  être  sérieuse.  Elle  achète  les  traite  d'exportation  sur  l'Europe  et  l'Amérique  à  un 
prix  supérieur  à  cc4ui  que  les  banques  étrangères  peuvent  payer.  En  1886,  elle  avait 
en  portefeuille  9,460,000  yen  en  traites  or  ;  tout  le  commerce  d'exportation  annuel 
de  Yokohama  est  de  24  millions.  La  Shokin  Ginko  sert  de  bïuiquier  au  gouverne- 
ment ;  c'est  elle  qui  remet  les  appointements  des  légations  et  des  consulats  et  qui 
effectue  les  paiements  pour  les  commandes  faites  à  l'étranger.  Un  tiers  du  capital 
de  la  banque  est  possédé  par  la  maison  imjiériale  et  ne  reçoit  que  4  0/0.  Le  gouver- 
nement favorise  l'établissement  par  des  dépôts  considérables  ,  15  millions  d'yen  au 
30  juin  1886,  sur  lesquels  on  lui  bonifie  un  intérêt  très  modéré. 


Culture  de  la  vigne  au  Japou.  —  D'après  les  Oester.  Monntschrift 
fur  den  Orient^  la  vigne  est  répandue  à  peu  près  par  tout  le  Japon,  mais  c'est  sur- 
tout dans  la  province  de  Kôfou  ,  qu'on  la  cultive.  A  en  croire  la  tradition  ,  la  décou- 
verte de  la  vigne'  au  Japon  date  d'il  y  a  700  ans,  et  c'est  en  1185 ,  sous  le  gouverne- 
ment de  l'empereur  Gotoba,  qu'elle  a  été  faite  par  deux  paysans  dans  les  montagnes 
de  Kôfou. 

Il  y  a  au  Japon  deux  sortes  de  vignes  :  la  Yitis  vinifera  et  la  Yitis  labraska  ; 
cependant  on  ne  cultive  que  la  première,  car  quoique  la  seconde  sorte  réussisse 
mieux  qu'en  Amérique  ,  on  l'aime  moins  ;  elle  pousse  à  l'état  sauvage  au  flanc  de 
toutes  les  montagnes.  On  ne  cultivait  la  vigne  autrefois  que  pour  en  manger  les 
raisins;  aussi,  la  culture  en  était-elle  très  superficielle  et  laissait-on  la  plante 
presqu'à  l'état  sauvage.  Depuis  quelque  temps  ,  cependant ,  on  tâche  ,  par  des  soins 
multiples ,  d'augmenter  le  rendement  des  vignes  et  d'en  obtenir  des  fruits  dont  on 
puisse  faire  du  vin.  On  a  deux  manières  au  Japon  pour  la  reproduction  des  vignes  : 
l'une,  c'est  de  planter  des  boutures  ;  l'autre  méthode,  qui  est  plus  sûre  et  qui  donne 
de  meilleurs  résultats,  consiste  à  plier  les  branches  sans  les  couper  ,  et  à  en  enfouir 
un  bout  sous  terre,  comme  le  font  les  vignerons  français.  Les  Japonais  choisissent 
de  prélérence  pour  leurs  vignobles,  des  flancs  de  montagnes  pierreux  et  secs,  et  pro- 
cèdent alors  de  la  façon  suivante  :  ils  creusent  d'abord  un  fossé  de  1"'20  de  profon- 
deur et  d'environ  2  mètres  de  largeur  ,  qu'ils  relient  avec  des  rigoles  d'écoulement 
des  eaux  et  qu'ils  remplissent  ensuite  de  fumier  et  de  terre.  On  y  plante  les  vignes 
d'ordinaire  en  automne,  sauf  dans  les  districts  très  froids,  conmie  Hokkaïdo,où  cela 
se  fait  au  printemps. 

Comme  fumier,  on  emploie  la  farine  d'os,  les  cosses  du  riz,  des  gâteaux  d'huile  et 
le  marc  des  raisins,  et  "cela  non  pas  indifféremment,  mais  en  vue  de  résultats 
distincts.  C'est  ainsi  que  la  farine  d'os  ,  les  cosses  du  riz  et  le  marc  des  raisins  aug- 
mentent la  douceur  et  le  volume  du  fruit  ;  le  fumier  animal  donne  de  la  force  aux 


—  27:5  — 

pieds  et  produit  une  récolte  plus  nombreuse.  Aussi  presque  toujours  on  applique 
tous  ces  fumiers  à  la  fois. 

Jusqu'en  1875,  la  plante  n'était  cultivée  que  pour  les  raisins  qu'on  mangeait  ;  tout 
au  plus  en  préparait-on  une  sorte  de  liqueur  qui ,  cependant ,  n'était  pas  bue  ,  mais 
appliquée  extérieurement.  C'est  en  1875 ,  qu'un  habitant  de  Kôfou  eut  l'idée  de  faire 
du  vin  pour  la  première  fois  ;  mais  comme  ,  ignorant ,  il  avait  pris  des  raisins  qui 
n'étaient  pas  mûrs,  l'essai  réussit  mal  ;  l'année  suivante,  un  nommé  Oto  Matsougoro 
l'essaya  à  son  tour  et  avec  succès.  A  Hokkaïdo  et  dans  les  provinces  d'Harima  et 
d'Ovari ,  on  produit  maintenant  annuellement  quelques  milliers  d'hectolitres  de  vin  , 
quoique  les  parcs  de  vignes  ne  soient  plantés  que  depuis  cinq  à  six  ans.  Il  est  presque 
certain  que  sous  peu  cette  production  s'élèvera  à  20  ou  30  mille  hectolitres.  Le  vin 
qu'on  produit  aujourd'hui  ne  vaut  pas  grand'chose  ,  aussi  Temploie-t-on  principale- 
ment pour  en  faire,  avec  les  vins  européens,  un  mélange  que  les  marchands  japonais 
vendent  comme  bordeaux. 

La  première  vigne  européenne  plantée  au  Japon  fut  celle  dont  Napoléon  111  fit 
cadeau  au  Schogoûn  en  1868.  Après  cela ,  on  introduisit  d'Amérique  les  espèces 
Isabelle  et  Concorde,  d'Autriche  le  Fi-ankenthaler  ,  ainsi  que  quelques  espèces  fran- 
çaises. Les  vignobles  les  plus  importants  se  trouvent  au  contre  de  Niphon  à  Harima 
et  sur  l'île  de  Kiou-Siou.  Enfin  ,  on  cultive  depuis  quelques  années  avec  beaucoup 
de  succès ,  des  raisins  de  Palestine.  Le  directeur  de  l'école  botanique  de  Harima 
offrit  l'année  passée  au  Ministre  des  affaires  étrangères ,  une  grappe  de  cette  espèce 
pesant  trois  kilos. 

Le  climat  et  le  terrain  sont,  au  Japon,  des  plus  favorables  à  la  culture  de  la  vigne  ; 
aussi  peut- on  espérei' ,  alors  surtout  que  le  gouvernement  protège  et  favorise  cette 
culture  que  le  Japon  deviendra,  tôt  on  tard,  un  pays  de  vignobles.  Malheureusement, 
les  maladies  de  la  vigne  s'y  font  aussi  sentir.  La  nielle  s'y  est  montrée  dès  1867  ,  et 
n'a  jamais  totalement  disparu.  Le  phylloxéra  a  fait  son  apparition  en  1885  ,  et  on 
s^'est  résolu  à  brûler  entièrement  les  vignobles  où  on  l'avait  constaté.  Les  Japonais 
croient  qu'il  a  été  amené  par  des  plantes  importées  d'Amérique. 

La  récolte  de  1885  n'a  pas  été  très  satisfaisante  ,  à  part  les  provinces  de  Kôfou  et 
d'Hokkaïdo ,  oii  les  résultats  ont  été  meilleurs.  La  cause  en  est  aux  pluies  dilu- 
viennes et  aux  inondations  survenues  juste  à  l'époque  de  la  floraison. 


AFRIQUE. 


£.es  mines  d-or  du  Transivaal.  —  La  Norddeutsche  Allgemeine- 
Zeitung  du  22  février,  publie  la  communication  suivante  : 

«  Un  avis  qui  nous  vient  de  Pretoria  ,  fait  de  nouveau  ressortir  la  nécessité  qui 
existe  pour  nous  d'attacher  une  attention  plus  grande  aux  intérêts  du  commerce 
allemand  dans  le  sud-est  de  l'Afrique  ,  alors  surtout  que  la  question  du  chemin  de 
fer  qui  doit  relier  Pretoria  à  Delagoa-Bay  va  enfin  recevoir  une  solution  (le  capital 
de  500  mille  livres  sterling  ,  nécessaire  à  cette  entreprise  ,  est  entièrement  souscrit). 
Bientôt,  il  ne  sera  plus  possible  de  fonder  des  établissements  à  des  conditions  aussi 
avantageuses  que  sur  cette  baie  de  Delagoa ,  qui  offre  tant  de  ressources  au  com- 
merce et  à  l'industrie.  Les  républiques  sud-africaines  ont  une  tendance  à  s'étendre 
vers  la  mer,  pour  y  trouver  des  débouchés  pour  leurs  produits.  Plus  l'exploitation 
des  gisements  d'or  augmente,  plus  cette  extension  vers  les  côtes  se  manifeste.  C'est 
surtout  dans  les  parties  septentrionales  et  occidentales  du  Transwaal  que  l'exploi- 

19 


—  274  - 

tation  des  mines  d'or  prend  du  développement.  Les  capitaux  européens  ,  autres  que 
les  anglais  ,  commencent  à  se  répandre  dans  le  pays.  Des  entrepreneurs  français  et 
allemands  s'associent  pour  acheter  les  mines  les  plus  riches  ,  souvent ,  il  est  vrai  , 
par  esprit  de  spéculation  pour  empocher  l'argent  des  souscripteurs  ,  plutôt  que  dans 
l'intention  de  faire  exploiter  les  mines  et  de  payer  de  bons  dividendes  eux  action- 
naires. Aussi,  est-ce  un  devoir  que  de  mettre  le  public  en  garde  contre  l'achat  des 
actions  ou  parts  des  mines  d'or  du  Transwaal  et  de  prévenir  les  Commissions  de 
Bourses  de  ne  permettre  la  vente  de  ces  actions  que  lorsqu'un  examen  sérieux  aura 
prouvé  leur  valeur.  Si  ces  précautions  ne  sont  pas  prises  ,  il  est  à  craindre  que  les 
agioteurs  n'en  profitent  pour  exploiter  le  public  en  achetant  une  mine  d'or  k  bas  prix 
pour  en  faire  une  entreprise  par  actions  à  un  chiffre  très  élevé. 

Quant  à  la  richesse  des  mines  d'or  ,  elle  est  très  grande  ,  mais  c'est  une  raison  de 
plus  pour  laisser  passer  la  période  de  la  spéculation  et  attendre  que  les  fondateurs  , 
par  suite  du  manque  de  souscripteurs ,  consentent  à  faire  des  propositions  plus 
acceptables.  » 


OGEANIE. 


E%tractiou  de  l'or  eu  Australie.  —  L'extraction  de  For  dans  le  district 
de  Victoria  s'élève,  pour  l'année  1886,  à  640,872  onces,  c'est-à-dire  à  142,799  onces  de 
moins  que  pour  1885,  où  elle  s'élevait  à  783,671  onces.  L'année  1886  est  celle  qui , 
depuis  les  découvertes  des  gisements  d'or  a  Victoria,  a  donné  le  plus  petit  chiffre  de 
production.  Elle  a  donné  78,000  onces  de  moins  que  l'année  1879 ,  qui  jusqu'alors 
était  la  plus  mauvaise. 

Voici  le  produit  net  des  gisements  d'or  dans  les  douze  dernières  années  : 

Année  1875 1,058,823  onces. 

»  1876 937,260  » 

»  1877 792,839  » 

»  1878 753,793  » 

»  1879 718,208  » 

»  1880 812,092  » 

»  1881 886,416  » 

»  1882 879,481  » 

»  1883 740,373  » 

»  1884 774,330  » 

»  1885 783,671  » 

y*  1886 640,872  » 


Pour  les  Faits  et  Nouvelles  géographiques  non  extraits  ■ 

LE   SECRÉTAIRE-GÉNÉRAL  , 

ALFRED  RENOUARD. 


V.U 


iÀ 


!     > 


M 


V} 


T 


\on 


SOCIETI-:    ni;   c.  i;og  raph  ii;    d  i;    lili.i;. 


-  275  - 


COURS  &  CONFÉRENCES  DU  SAMEDI  SOIR  A  ROUBAIX 


UNE  EXCURSION  AU  ROYAUME-UNI 

Par  M.  LEFEBVRE ,  professeur  à  l'Institut  Turgot. 


Conférence  faite  à  Rouhaiœ  le  5  févner  1881 


Votre  excellent  Président ,  au  nom  du  Comité ,  m'a  demandé  une 
causerie  sur  le  Royaume-Uni;  et  comme  le  Comité  connaît  vos 
goûts,  vos  intérêts,  vos  appétits  géographiques,  en  même  temps  que  je 
le  remercie  de  m'avoir  indiqué  ce  sujet,  je  viens  répondre  à  son  désir. 

L'Angleterre  est  à  30  kilomètres  de  nous  ;  nous  l'aimons  peu,  parce 
que  son  nom  est  pour  nous  l'évocation  de  douloureux  souvenirs  ;  mais 
nous  ne  devons  pas  oublier  que  son  peuple  est  de  tous  les  peuples 
européens  celui  qui  a  le  plus  travaillé  à  la  conquête  et  à  la  civilisation 
du  monde ,  celui  dont  l'empire  est  le  plus  universel  et  le  caractère 
le  plus  cosmopolite.  Libre  à  nous  cependant  de  conserver  nos  rancunes 
au  fond  de  nos  cœurs  tant  que  les  monuments  de  Londres  parleront 
de  nos  désastres  ,  tant  que  la  réhabilitation  de  Jeanne  d'Arc  ne  sera 
publiquement,  solennellement,  faite  de  l'autre  côté  de  la  Manche. 

Le  sujet  est  vasie.  L'Angleterre,  ce  sont  ces  deux  continents 
d'Irlande  et  de  Grande-Bretagne  à  qui  leur  position  insulaire  a  permis 
de  développer  prodigieusement  leur  industrie  et  leur  commerce  ; 
c'est  ce  bloc  de  fer  et  de  houille  mettant  en  présence  les  deux  nerfs 
de  la  vie  chez  les  peuples  modernes ,  fouillé  par  une  légion  sou- 
terraine de  300,000  cyclopes  qui  rejettent  annuellement  à  la  surface 
105  millions  de  tonnes  de  ce  produit  ;  ce  sont  ces  larges  estuaires  , 
ces  ports  naturels  où  l'indigène  aiironte  la  mer  et  devient  intrépide 
marin ,  ce  sont  ces  vaisseaux  innombrables  qui  sillonnent  toutes  les 
mers ,  grands  comme  des  léviathans  ,  portant  partout  le  nom  et  l'in- 
fluence anglaises  :  ce  sont  ces  débouchés ,  ces  colonies ,  ces  postes 
stratégiques  constituant  un  immense  empire  d'Outre-Mer  qui  enserre 

20 


—  276  — 

toutes  les  mers  et  tous  les  continents  ;  ce  sont ,  enfin ,  ces  nombreux 
essaims  qui ,  à  rétroit  sur  le  continent,  vont,  sur  des  bords  lointains  , 
créer  une  petite  patrie  à  l'image  delà  grande 

Nous  avons  là  un  sujet  que  nous  pouvons  difficilement  embrasser  en 
80  minutes.  Aussi  allons-nous  faire  moins  une  étude  complète  du 
Royaume-Uni  qu'un  tour  en  Angleterre.  Je  croirai  n'avoir  pas  perdu 
mon  temps  si  je  puis  ,  dans  le  court  laps  de  temps  qui  m'est  accordé  , 
vous  donner  une  idée  assez  exacte  d'une  ville  anglaise  ,  du  port ,  de 
l'industrie  ,  des  mœurs  britanniques. 

Nous  entrons  en  Angleterre  par  le  vaste  estuaire  de  la  Tamise  ;  à 
droite  et  à  gauche  sont  de  petites  maisons  jolies,  proprettes,  de  grands 
arbres  isolés  ou  par  massifs,  au  milieu  de  larges  plaques  vertes  de  gazon. 

—  Sur  la  rive  méridionale,  Gravesend  tout  d'abord  aligne  ses  maisons 
et;  devant  elles,  les  vaisseaux  passent  majestueusement,  avec  des  fiots  de 
fumée,  toutes  voiles  au  vent.  Tout  témoigne  de  la  proximité  d'un  grand 
port  :  les  docks,  les  entrepôts,  les  bassins  de  construction  et  de  calfa- 
tage, les  chantiers  deviennent  de  plus  en  plus  nombreux ,  de  plus  en 
plus  considérables  —  partout  s'accumulent  les  marchandises  ;  des 
carcasses  de  maisons  en  fer  que  l'on  ajuste  et  que  dans  quelque  mois 
on  bâtira  dans  l'Inde,  des  machines  achetées  par  des  Américains  ou  des 
Russes  :  tout  cela  est  énorme ,  écrasant.  A  partir  de  Ch^eenwich ,  le 
fleuve  large  de  plus  d'un  mille,  roule  entre  deux  files  de  bâtiments 
rouge  sombre  :  des  vaisseaux  sont  amarrés  au  rivage  pour  le  charge- 
ment, le  déchargement  ;  tout  cela  se  fait  comme  par  enchantement  ;  les 
grues  grincent,  les  cabestans  crient ,  et  le  cuivre  ,  le  1er  ,  la  houille ,  la 
pierre ,  emplissent  les  flancs  des  navires.  —  Beaucoup  de  vaisseaux 
remontent  vers  l'Ouest.  —  La  Tamise  est  la  continuation  de  la  mer  : 
on  arrive  à  Londres,  de  Canton,  du  Cap,  de  New-York,  de  Melbourne, 

—  vaste  caravansérail  oii  tout  le  monde  se  rend ,  vend ,  achète. 

A  Greenwich,  on  a  un  spectacle  magnifique  sous  les  yeux  ;  l'horizon 
est  occupé  par  une  vaste  toile  d'araignée  ;  de  plus  près ,  ce  sont  les 
gréements  de  centaines  de  navires.  Là ,  counuence  la  Babel  de 
constructions,  de  vaisseaux,  d'hommes  et  d'afiîaires. 

A  l'Occident,  la  forêt  de  vergues,  de  mâts  s'épaissit.  C'est  l'immense 
cité  cyclopéenue  de  Londres.  Ville  bizarre ,  une  brume  étrange  la 
recouvre  ;  elle  devient  opaque  en  hiver  :  tenant  un  homme  par  la  main, 
il  est  souvent  difficile  de  distinguer  sa  figure  ;  une  averse  l'abat ,  mais 
bientôt  elle  se  reforme  ;  les  rayons  du  soleil  sont  rares  dans  ce  pays  ; 
joignez  à  cela  la  monotonie,  le  sOence,  mettez  sur  les  façades  la  sinistre 


-  Zll  — 

teinte  de  la  suie,  et  Londres  vous  paraîtra  une  grande  manufacture  de 
noir  animal  fermée  pour  cause  de  décès.  —  L'aspect  des  monuments 
surtout  est  affreux  :  Somerset -House  ,  British-Museum  ,  Saint -Paul , 
une  espèce  de  Panthéon  anglais  ,  ont  les  creux  de  leurs  ornements 
trop  nombreux  passés  à  l'encre  ;  le  marbre ,  la  pierre  s'encrassent  et 
sont  envahis  par  une  pourriture  d'un  genre  particulier.  Et  pour  les 
statues,  quel  pays  !  —  Voyez-les  à  moitié  nues,  dans  de  larges  drape- 
ries, suivant  le  modèh^  antique  ,  sous  le  brouillard  glacé  ;  c'est  une 
profanation  pour  ceux  que  l'on  veut  tirer  de  l'oubli,  que  de  les  livrer  à 
l'inclémence  d'un  tel  climat.  —  On  ne  pense  pas  au  duc  de  Fer  en 
voyant  Wellington  sur  son  piédestal  ;  et  Nelson  sur  sa  colonne ,  où 
chaque  jour  le  noircit,  n'est  pas  le  terrible  amiral.  —  Que  diraient  les 
Grecs  en  voyant  leurs  arts  ainsi  exilés  ;  ils  verraient  dans  la  blanche 
Albion  l'Enfer  d'Homère  et  dans  les  bateaux  à  vapeur  qui  courent  sur 
la  Tamise,  noirs,  fumeux,  infatigables,  les  barques  du  Styx. 

Dans  cette  brume,  vivent  3  millions  et  demi  d'habitants  ;  douze  villes 
comme  Marseille,  dix  comme  Lyon,  deux  comme  Paris  en  un  tas,  avec 
un  accroissement  annuel  de  60.000  âmes  dont  les  4/5  sont  dus  à  l'excé- 
dent des  naissances  sur  les  décès  ;  avec  530,000  maisons,  23,000  rues, 
et  qui  s'accroît,  comme  toutes  les  grandes  vUles,  vers  l'Ouest.  —  C'est 
énorme  et  en  même  temps  riche  ,  soigné.  —  La  vue  de  Paris  ne  peut 
donner  une  idée  des  squares,  des  concerts  ,  des  maisons ,  des  rues  de 
Londres,  de  l'animation  qui  règne  dans  certains  quartiers  ;les  cercles, 
les  hôtels  sont  des  monuments,  les  rues  sont  souvent  très  larges  ,  les 
cabs  vont  deux  fois  plus  vite  qu'ailleurs ,  et  comme  le  «  Time  is 
monney  »,  on  avale  un  renseignement  en  un  mot. 

L'immense  rivière  ardoisée  se  continue  vers  l'Ouest  et  traverse 
Hamptoncouri  avec  sa  belle  ceinture  de  villas,  de  cottages,  de  maisons 
de  plaisance,  de  verdure  ,  d'arbres  séculaires,  la  vigne  la  plus  grande 
et  la  plus  productive  du  monde  est  dans  cette  ville.  — Là,  vivent  d'heu- 
reux riches ,  opulents  ,  dépensiers  ,  qui  peuvent  enfin  fuir  les  tracas  de 
la  capitale  et  qui  évitent  de  mettre  auprès  d'eux  rien  qui  puisse  leur  en 
rappeler  le  souvenir  ;  la  maison  est  simple,  spacieuse,  des  plantes 
grimpent  souvent  aux  murailles  :  les  fenêtres  s«nt  larges ,  avec  des 
fleurs  sur  les  rebords  ;  pas  de  persiennes,  très  peu  d'ornements  archi- 
tecturaux ,  mais  une  propreté  parfaite.  —  Charmante  demeure  ,  direz- 
vous  ;  oui,  mais  elle  n'est  charmante  que  pour  le  maître  qui  aime  à  se 
trouver  seul  chez  lui  ;  c'est  le  grand  seigneur  des  temps  féodaux  ,  aux 
instmcts  intempérants,  à  qui  la  règle  forme  un  rempart  infranchissable. 


—  278  — 

—  L'isolement ,  sauf  quelques  rares  exceptions  ;  6,000  fr.  de  loyer , 
une  demi-douzaine  de  domestiques  ,  une  dépense  annuelle  d'environ 
60,000  fr.,  tel  est  le  châtelain  ,  tels  sont  les  éléments  d'évaluation  de 
sa  fortune ,  et  il  y  a  en  Angleterre  dix  de  ces  vies  contre  une  en 
France. 

Si  autour  de  son  castel ,  l'Anglais  sème  à  profusion  les  richesses 
naturelles,  c'est  qu'il  aime  la  campagne.  —  On  en  est  convaincu  quand 
on  visite  leurs  parcs,  Saint  James-Parck,  Regent's-Park.  et  quand  on  lit 
leur  littérature. 

Les  parcs  sont  de  grandes  dimensions  :  le  jardin  français  ,  celui  de 
Louis  XIV  surtout,  est  un  salon  en  plein  air,  peuplé  de  statues  ,  de 
vases  ,  où  les  pièces  d'eau  sont  régulièrement  délimitées  ;  les  Tritons , 
les  Nymphes,  les  divinités,  les  monstres  aquatiques  en  émergent  sous 
la  pluie  des  jets  d'eau  ;  —  on  y  converse,  on  y  discute  ;  oa  s'y  plaît  en 
petit  comité.  —  Dans  le  jardin  anglais  ,  les  yeux  de  l'âme  font  conver- 
sation avec  les  choses  naturelles  :  de  vieux  arbres,  de  véritables  prai- 
ries ,  des  étangs  peuplés  de  canards ,  de  cygnes,  d'ane  multitude 
d'oiseaux  nageurs,  des  vaches,  des  moutons,  broutent  l'herbe  toujours 
fraîche  ;  là,  on  se  plaît  seul.  —  Nous  avons  voulu  faire  le  bois  de 
Boulogne  sur  ce  modèle,  mais  nous  avons  commis  la  grave  faute  d'y 
composer  un  groupe  de  rochers  et  de  canards  :  la  main  de  l'architecte 
est  trop  visible.  —  L'Anglais  ne  voit  jamais  se  dresser  devant  lui  l'uni- 
forme d'un  gardien  ;  il  y  est  libre  ;  entre  qui  veut  et ,  remarquez -le  , 
pas  de  dégât  ;  même  liberté  dans  les  gares  ;  ils  sourient  quand  ils  nous 
voient  parqués  comme  des  moutons  dans  nos  salles  d'attente. 

Hyde-Park  ,  d'une  surface  de  168  hectares ,  a  une  rivière  ,  des  pe- 
louses ,  des  bestiaux ,  des  ombrages  ,  c'est  un  vaste  parc  champêtre 
au  miheu  d'une  capitale.  Vers  2  heures,  la  grande  allée  est  un  manège  ; 
presque  tout  le  monde  est  à  cheval  ;  de  bons  gros  papas  ,  des  matrones 
dignes  à  larges  épaules,  des  enfants  passent  sérieux  sur  leurs  poneys  ; 
les  jeunes  filles  se  tiennent  crânement  sur  leur  bête  ;  elles  vont  au  parc 
pour  prendre  l'air  et  non  pour  se  faire  admirer;  à  les  voir ,  on  ne  peut 
s'empêcher  de  se  dire  qu'elles  connaissent  et  remplissent  le  principal 
devoir  d'une  jeune  fille  ,  qui  est  de  se  bien  porter. 

Il  y  a  ,  dans  la  promenade  à  cheval ,  une  question  hygiénique  ,  pour 
beaucoup  une  question  de  luxe.  On  juge  l'homme  ,  dans  le  Royaume- 
Uni  ,  d'après  le  nombre  de  ses  chevaux ,  de  ses  serviteurs  et  de  la 
dépense  en  linge  et  en  toilettes  toujours  fraîches  ,  sans  cesse  renouve- 
lées. Les  habits,  une  fois  fanés,  passent  aune  personne  d'une  condition 


—  279  — 

inférieure.  L'habit  do  soirèo  d'un  élégant  se  retrouve  ,  cinq  ou  six  mois 
plus  tard,  sur  le  dos  d'un  misérable  accroupi  sur  les  escaliers  delà 
Tamise  ;  ce  je  ne  sais  quoi  sur  la  tête  d'une  vieille  qui  trie  des  ordures 
a  été  le  chapeau  rose  d'une  charmante  lady. 

Vers  le  soir,  les  toilettes  abondent ,  mais  les  couleurs  sont  crues  et 
les  formes  disgracieuses  ,  le  chapeau  est  trop  paré  ou  trop  nu  ,  les  che- 
veux trop  lustrés  :  une  toilette,  c'est  souvent  un  ensemble  mal  attaché, 
mal  agencé  qui  crie  et  qui  jure;  elle  est  trop  éclatante  quoique  venant 
de  Paris  ,  mais  c'est  une  anglaise  qui  l'a  choisie.  Règle  générale  ,  on 
peut  dire  ,  avec  le  comte  Joseph  d'Estourmel  ,  que  l'Anglaise  est  un 
champ  clos  où  les  couleurs  ennemies  se  rencontrent  et  se  livrent  ba- 
taille. 

Ily  a,  comme  vous  voyez,  beaucoup  de  sujets  de  distractions  et 
d'études  et  de  réflexions  dans  le  parc  anglais  ;  mais  ce  qu'il  y  a  d'adan- 
rable  ,  c'est  la  verdure  ,  ce  sont  les  arbres  ,  isolés  ,  formant  des  bos- 
quets ,  penchés  sur  les  eaux  tranquilles  ;  ils  sont  énormes  ;  chênes , 
maronniers ,  tilleuls.  A  côté ,  les  biches  paissent  dans  la  fougère 
humide  ,  les  daims  accourent  à  la  voix.  Les  plantes  exotiques  y  pous- 
sent admirablement ,  les  palmiers  hauts  comme  des  chênes  ,  les  bana- 
niers dont  chaque  feuille  pourrait  abriter  un  enfant.  L'Anglais  entend 
parfaitement  cette  architecture  des  arbres  ,  des  pelouses  ,  des  fleurs. 

Nous  avons  nos  jardins  anglais,  nos  voisins  d'outre-Manche  ont  tenté 
d'établir  quelques  parcs  à  la  française,  mais  la  restauration  où  le  goût 
anglais  a  dominé  et  paraît  brutalement  ont  tout  révolutionné  ;  le  jardin 
de  Hamptoncourt  est  dans  ce  cas  ;  les  plantes  grimpantes  s'enroulent 
aux  espaliers  ;  les  pièces  ont  reçu  des  habitants,  les  nénuphars  étendent 
leurs  belles  feuilles  à  la  surface  des  eaux.  L'esprit  national  triomphe. 

Parmi  les  mille  bonnes  choses  que  l'Angleterre  doit  à  sa  position 
insulaire,  nous  ne  parlerons  que  d'une  seule  :  les  vieux  arbres,  conser- 
vés religieusement.  Chez  nous  ,  les  guerres,  les  invasions,  les  émeutes 
populaires  les  détruisent:  là  ils  peuvent  prospérer  et  s'élever  jusqu'au 
ciel.  Il  faut  voir  dans  ce  fait  un  reste  de  l'ancien  amour  féodal  pour  les 
choses  qui  parlent  du  temps  passé.  De  nombreux  promeneurs  entrent 
et  sortent;  on  fait  de  petits  dîners  sur  le  gazon;  des  pensions  y  viennent 
jouer  ;  on  ne  touche  ni  aux  fleurs  ,  ni  aux  arbres  ;  on  aime  les  bètes  , 
dont  on  connaît  les  noms.  Un  écriteau,  de  temps  en  temps  ,  porte  :  «  On 
espère  que  le  public  ne  détruira  pas  ce  qui  est  cultivé  pour  l'agrément 
public.  »  Et  chacun  se  fait  son  propre  constable. 

J'ai  laissé  entendre  plus  haut  que  les  grandes  fortunes  sont  nombreu- 


-  280  - 

ses  en  Angleterre.  D'après  des  relevés  officiels  de  1841,  sur  16  millions 
d'habitants,  il  y  aurait  1  million  de  domestiques.  Une  leçon  de  musique, 
la  visite  d'un  médecin  qui  n'est  pas  célèbre,  se  paient  une  guinée  ;  le 
principal  du  collège  d'Eton  gagne  annuellement  152,000  francs  ;  celui 
d'Harrow,  157,000  fr.;  celui  de  Rugby,  74,000  fr.;  beaucoup  de  pro- 
fesseurs de  ces  établissement,  de  30  à  40,000  fr.  La  feuille  d'impres- 
sion se  paie  200  fr.  dans  la  Revue  des  Deux-Mondes  ,  500  fr.  dans  les 
Trimestriels  anglais  ;  certains  articles  du  Times  ont  été  payés  2,500  fr. 
Thackeray ,  le  romancier ,  gagnait  4.000  fr.  en  24  heures  au  moyen 
de  deux  lectures.  Avec  8.000  livres  sterling  par  an .  on  n'est  pas  riche, 
dit  l'Anglais  ,  on  n'est  que  très  confortable. 

L'Anglais  travaille  et  gagne  beaucoup  .  mais  il  dépense  tout ,  c'est  la 
règle  :  il  ne  pense  pas  à  l'avenir  ;  c'est  l'inverse  du  Français  ,  moins 
travailleur ,  mais  économe. 

Mais,  cet  argent  ,  d'où  vient-il?  Où  va-t-il?  Nous  pourrions  nous 
procurer  des  statistiques  :  mieux  vaut  visiter  les  grands  centres  manu- 
facturiers dont  nous  parlerons  et  les  docks  où  sont  des  arrivages  d'é- 
pices  de  Java .  de  glaces  de  Norwège  ;  trente ,  quarante  mille  ton- 
neaux de  vins  qu'une  grue  décharge  ;  on  dirait  qu'ils  se  meuvent 
d'eux-mêmes  ;  les  machines  les  portent  jusqu'au  fond  des  celliers  ;  ici, 
un  pont  qui  pèse  100  tonnes  et  que  meut  un  seul  homme  et  un  cric.  Des 
peaux  ,  des  cuirs.  Quelques  ouvriers  ,  aidés  par  d'ingénieuses  et  puis- 
santes machines,  font  la  besogne  rapidement,  sans  paroles,  sans  gestes. 
Combiens  nous  épargnerions  quelquefois  de  temps  si  nous  supprimions 
notre  bavardage,  nos  impatiences,  nos  hésitations  .  nos  tâtonnements. 
Chez  eux ,  l'ordre  et  l'exécution  s'engrènent  aussi  sûrement  que  deux 
rouages. 

Nous  sommes  trop  près  du  ShadweU,  le  quartier  pau\Te,  pour  n'en 
pas  parler  ;  la  grandeur  de  sa  misère  est  proportionnée  à  l'immensité 
et  à  la  richesse  de  Londres.  Les  mauvais  endroits  de  Paris  ,  de  Mar- 
seille ,  d'Anvers  ,  ne  sont  rien  à  côté  du  Shadwell  ;  les  maisons  sont 
basses  le  long  des  rues  étroites  qui  descendent  au  fleuve  ;  les  mar- 
chands de  gin  sont  nombreux  ;  par  la  fenêtre  ouverte  on  voit ,  autour 
des  comptoirs  ,  une  bande  de  mendiants,  de  voleurs  ,  de  filles  surtout  ; 
une  musique  grinçante  agit  comme  un  courant  électrique  sur  ces  êtres 
inertes  dont  le  sourii^e  fait  peur.  De  temps  en  temps,  un  rassemblement 
se  forme  aux  portes  ;  c'est  une  rixe  ;  les  bancs  se  vident,  véritable 
égoût  humain  ,  plaie  de  la  pudique  Albion.  Quelques-unes  de  ces  misé- 
rables créatures  ont  un  reste  de  propreté,  mais  souvent  ces  haillons 


-  381  - 

sont  souillés  et  disparates.  Ou  ne  peut  pas  se  figurer  ce  que  peut  de- 
venir un  chapeau  de  dame  qui  a  roulé,  pendant  deux  ou  trois  ans ,  de 
tête  en  tête  ,  qui  a  été  bossue  aux  nuirs  ,  qui  a  reçu  des  coups  de  poing 
—  car  ils  en  reçoivent  —  ;  c'est  peut-être  le  pays  du  monde  où  il  y  a  le 
plus  d'yeux  pochés  ,  de  nez  bandés  ,  de  pommettes  saiguantes  ;  les 
figures  sont  affreuses  mais  ,  le  trait  horrible  ,  c'est  la  voix  fêlée  ,  la 
voix  de  chouette  malade 

Les  strect-boys  ,  mille  fois  plus  repoussants  que  les  voyous  de  Paris, 
pullulent  ;  tristes  victimes  du  chmat  et  du  gin  ;  ils  font  la  roue  pour 
obtenir  une  pièce  de  monnaie.  Près  d'eux,  des  hommes  en  loques 
étonnantes  ;  on  n'imagine  pas  ,  sans  les  avoir  vus  ,  ce  qu'un  vêtement 
peut  porter  de  couches  de  saleté.  Toute  cette  misère,  qui  n'a  quelque- 
fois comme  lit  qu'un  tas  de  suie,  souvent  que  les  escaliers  humides  de 
la  Tamise  ,  n'ont  qu'un  retuge  .  l'ivresse.  «No  pas  boire,  vous  disent 
ces  désespérés ,  alors  mieux  vaudrait  tout  de  suite  mourir.  »  Ils  sont 
lâches ,  profondément  féroces. 

Permettez-moi  de  vous  rappeler  ici  un  mot  de  M.  de  Talleyrand,  en 
1834:  «■  La  canaille  anglaise  est  très  lâche;  victorieuse,  elle  serait 
cruelle  ;  mais  trente  constables ,  armés  de  baguettes  blanches ,  suffi- 
sent pour  la  faire  reculer.  Chez  nous ,  elle  est  brave  et  sait  se  faire 
tuer.  » 

Quand  vous  entrez  dans  ces  rues  .  des  regards  de  fauves  s'attachent 
sur  vous.  «Prenez  garde  k  vos  poches,  vous  dit  unpoliceman,  et  n'allez 
pas  plus  loin,  ce  serait  téméraire.  » 

Nous  nous  arrêterons  dans  le  détail  de  cette  misère  qui  écœure  ,  la 
misère  anglaise ,  la  vie  dans  un  taudis  où  grandit  le  rough  qui  tuera 
pour  gagner  sa  vie  ,  tandis  que  sa  mère ,  un  brûle-gueule  à  la  bouche , 
ne  rêvant  que  le  verre  de  gin ,  ira  faire  le  détris  des  tas  d'ordures.  Et 
peut-on  appeler  cela  une  exception  :  150,000  mendiants  vivent  en  hiver, 
à  Londres  ,  de  l'assistance  publique  ,  et  on  peut  estimer  à  180,000  le 
nombre  des  rough  ou  gens  sans  aveu.  En  1861 ,  le  nombre  de  pauvres 
assistés  dans  l'Angleterre  et  le  Paj'S  de  Galles  était  de  890.-123  ;  dix 
ans  plus  tard  (1871) ,  il  était  de  1,081,926.  C'est  là  un  gouffre  qui  se 
creuse. 

Au  sud  de  Londres,  Epsom  est  célèbre  par  ses  courses  —  les  affiches 
gigantesques  les  annoncent  —  c'est  le  derby,  jour  de  liesse  ,  le  Parle- 
ment ne  siège  pas  :  on  ne  parle  que  de  chevaux  et  d'éleveurs. 

Le  derhu  est  une  grande  plaine  verte,  un  peu  onduleuse  ;  —  tout 
autour  des  échafauds,  des  tentes,  des  centaines  de  boutiques,  des  écu- 


—  282  — 

ries  improvisées,  des  voitures,  des  chevaux  des  hommes  2,300.000  têtes 
humaines.  — Rien  d'élégant  ;  les  voitures  sont  des  véhicules  ordinaires, 
/  les  toilettes  sont  rares  ;  on  vient  pour  voir;  il  n'y  a  d'intéressant  que 

la  masse. 

C'est  une  kermesse  et  l'on  s'y  amuse  avec  grand  fracas  ;  partout  des 
bohémiennes,  des  chanteurs,  des  danseurs,  des  tirs  à  l'arc  et  à  l'arbale- 
te,  des  charlatans  et  une  file  sans  fin  de  cabs,  calèches,  roskis,  four- 
in-hands,  avec  viandes  froides,  pâtés,  melons,  fruits,  vin,  surtout  du 
Champagne.  Avant  de  s'amuser,  on  mange  ;  la  grosse  gaîté  et  le  franc- 
rire  sont  l'effet  d'un  estomac  bien  rempli.  — Le  riche  jette  l'or  à  pleines 
mains,  le  pauvre  promène  sa  pitoyable  personne  devant  la  ripaille  toute 
prête,  dans  l'espoir  d'en  recueillir  les  miettes.  Rebut  de  la  société,  il  se 
nourrit  avec  les  chiens  des  restes  du  repas  ;  il  se  couvre  d'habits  rebu- 
tés; il  n'a  plus  de  dignité,  il  n'a  plus  de  fierté.  Le  grand  moulin  social 
broie  ici  la  dernière  couche  humaine  dans  son  engrenage  d'acier. 

La  cloche  sonne  ;  —  la  piste  se  vide  grâce  aux  efiorts  muets  de  3  ou 
400  policemen  —  la  foule  sur  la  prairie  forme  une  immense  tache 
noire.  Dans  le  lointain,  les  jockeys  en  rouge,  en  bleu,  en  jaune,  en 
mauve,  font  un  petit  tas  à  part  comme  un  vol  de  papillons  posés  —  30 
ou  40  coureurs  —  2  faux-départs,  puis  départ  définitif,  ils  vont  par 
masse,  par  petits  paquets  le  long  de  la  piste;  —  on  les  voit  venir  de  loin 
avec  la  vitesse  d'un  train  à  une  demi-lieue.  —  Ils  arrivent  ;  c'est  un 
ouragan.  —  «  Chapeaux  bas  !  —  chacun  se  découvre  et  se  lève ,  les 
figures  froides  ont  pris  feu,  les  gestes  saccadés,  courts,  secouent  les 
grands  corps  flegmatiques.  —  Dans  l'enceinte  des  paris,  la  secousse  est 
extraordinaire,  comme  d'une  danse  de  St-Guy  ;  les  parieurs  gesticulent 
comme  les  pièces  d'un  télégraphe  fou.  —  Et  pendant  ce  temps  la  foule 
se  répand  dans  la  piste  sur  les  pas  des  coureurs  :  on  va  peser  et 
vérifier. 

Le  moment  grandiose  est  celui  où  les  coureurs,  n'étant  plus  qu'à 
deux  cents  mètres,  la  vitesse  devient  tout-à-coup  visible  et  le  peloton 
de  cavahers  et  de  chevaux  fond  en  avant  comme  un  tempête. 

Puis  les  conséquences:  des  gains  d'un  million  de  francs,  des  pertes 
énormes:  20.000  1.  st.,  50.000  1.  st.;  l'un  perd  sa  voiture,  l'autre  ses 
chevaux,  un  3'^  se  trouvant  insolvable,  se  brûle  la  cervelle.  Cequel'eau- 
de-vie  est  pour  le  palais,  les  paris  le  sont  pour  l'esprit,  un  excitant 
nécessaire  à  des  machines  lourdes  et  rudes;  il.  faut  des  impressions 
violentes,  la  sensation  d'un  risque  énorme  —  Le  pari  est  un  duel,  le 
duel  un  danger  et  l'Anglais  est  par  instinct  militant  et  hasardeux- 


—  283  — 

Les  courses  finies,  on  fostine  en  plein  air  ;  les  buffets  sont  remplis  ; 
les  classes  se  confondent,  le  cocher  trinque  avec  h;  gentleman,  on  boit 
du  porto,  du  sherry,  du  stout  de  l'aie.  —  Le  lendemain  chacun  reprend 
sa  place  ;  le  subalterne  redevient  «  distant  »  comme  d'habitude. 

Phis  tard,  les  têtes  sont  en  feu  ;  les  Phileas-Fog  oublient  leur  flegme, 
se  jettent  à  la  tête  des  os  de  poulets,  se  boxent  dix  contni  dix;  deux 
ou  trois  en  sortent  les  dents  cassées;  —  ils  ont  perdu  leur  attitude 
correcte,  leur  délicatesse;  le  gentleman  n'est  plus  ;  la  bêle  fait  irruption 
—  au  retour  les  vêtements  sont  blancs  de  poussière,  ou  noirs  de  boue  ; 
les  ivrognes  sont  nombreux  ;  leurs  compagnons  les  soutiennent  en  riant; 
nul  n'en  est  dégoûté;  car  c'est  le  jour  où  tout  est  permis,  c'estun  débou- 
ché pour  une  année  de  contrainte. 

Nous  ne  parlerons  pas  de  Greinorn-Gardens,  une  sorte  de  bal  Mabille; 
le  coin  est  par  trop  sombre  ;  on  en  sort  assuré  que  le  mal  est  plus  grand 
là  qu'en  France  et  que  si  la  société  anglaise  est  un  bel  édifice,  le  der- 
nier étage  est  un  cloaque. 


lutérieur  anglais. 

Pénétrons  chez  l'Anglais  ,  l'Anglais  riche,  bien  entendu,  —  pré- 
sentés, nous  y  serons  accueillis  avec  une  politesse  parfaite  ;  les 
salons  sont  princiers,  spacieux  quelquefois,  très  souvent  exigus,  deux 
au  premier-,  d'autres  aux  étages  supérieurs,  la  fête  se  divise,  et  l'on 
étouffe  dans  les  serres  surchauffées  ;  les  dames  cherchant  un  peu  d'au-, 
un  peu  de  place,  s'assoient  sur  les  degrés  des  escahers  monumentaux  ; 
elles  sont  couvertes  de  gaze,  de  tulle,  les  cheveux  sont  pleins  de  dia- 
mants, sur  la  main  et  leur  cou,  des  fanfreluches  vertes,  des  anneaux 
d"or  ;  ornement  de  reine  sauvage  ;  comme  la  française  qui  a  au  plushaut 
point  le  sentiment  des  couleurs  se  récrierait  !  les  unes  sont  belles,  mais 
la  laideur  anglaise  est  plus  laide  que  la  laideur  française  ;  on  pense  à 
ces  cigognes  ,  à  ces  haridelles  habillées  au  frontispice  de  quelque 
monument  humoristique;  les  nez  proéminents,  mâchoires  de  maca- 
ques. —  Quant  aux  hommes,  ils  sont  trop  machmes,  trop  automates 
trop  grands,  trop  anguleux  :  les  figures  si  gaies  des  Français,  sont  bien 
agréables  par  contraste. 

On  y  chante  au  piano  —  on  réussit  rarement;  les  Anglais  sont  encore 
moins  bien  doués  que  nous  pour  la  musique  ;  on  y  écorche  une  sonate 


—  284  — 

au  milieu  du  recueillement  général.  Si  les  jeunes  filles  sont  peu  musi- 
ciennes, elles  sont  simples,  attables,  parlent  ouvertement,  cordialement, 
naturellement,  sans  arrière  pensée  —  elles  vous  mettent  à  Taise.  — 
Bien  autres  sont  les  humbles  Françaises  ,  avec  qui  la  conversation  est 
un  duel,  esprit  tranchant  qui  d'un  mot  vous  met  en  déroute  ,  qui  d'un 
trait  vous  coupe  en  quatre,  à  l'imagination  vive,  exigeante,  qui  veut 
des  nouvelles,  des  anecdotes,  des  bons  mots,  de  l'amusement,  des  flat- 
teries, et  qui  vous  plante-là  si  vous  n'avez  pas  de  bonbons  à  lui  ofFiir. 
L'anglaise  peint  la  pensée  sans  ornement,  elle  parle  de  choses  graves, 
et  raisonne  comme  un  homme. 

Ces  mœurs  font  que  l'Anglais  garde  dans  son  âme  un  coin  pour  le.<^ 
sentiments  ;  il  est  scandalisé  quand  il  voit  un  homme  à  Paris  regarder 
les  femmes  sous  le  nez  et  ne  vouloir  pas  leur  céder  le  trottoir.  —  Nos 
façons,  nos  discours  à  cet  endroit  leur  déplaisent,  les  blessent  et  ils 
nous  trouvent  trop  commis-voyageurs,  fats  et  polis.^ons. 

L'Anglais  voit  dans  la  jeune  fille  une  future  mère,  qui  doit  être  la 
première  institutrice  de  ses  enfants  et  qui  est  par  sou  éducation  prépa- 
rée à  cet  imnortant  rôle. 

Pourtant  elles  sont  silencieuses  ;  mais  ce  n'est  nullement  inaiserie  ; 
biches  effarouchées  qui  rougissent  quand  on  leur  adresse  la  parole, 
elles  reprennent  facilement  leur  aplomb. 

On  aime  à  voir  l'Anglaise  n'avoir  que  tard  l'assurance  et  les  façons 
du  monde.  —  La  Française  est  une  fleur  trop  vite  ouverte. 

Elles  n'aiment  pas  le  séjour  des  villes  ;  l'été  et  l"hiver  se  passent  à  la 
campagne,  en  promenades,  en  courses  de  2  ou  3  heures  par  jour,  — 
de  longues  heures  sont  consacrées,  au  dessin,  à  la  lecture,  à  différents 
travaux,  à  des  visites  aux  pauvres,  à  des  leçons  faites  aux  enfajits  indi- 
gents du  voisinage.  —  Elles  n"ont  pas  le  temps  de  s'ennuyer.  —  Quel- 
quefois la  famille  franchit  la  Manche  ;  elles  trouvent  les  françaises 
«  vej'u  agréables  »  aimables  et  surtout  gaies. 

Une  chose  les  choque  fortement  chez  nous  :  c'est  la  surveillance 
que  nous  exerçons  sur  nos  filles  ;  en  Angleterre,  elles  sont  plus  indé- 
pendantes, sortent  seules  ou  avec  leur  sœur.  —  Cette  liberté  a  son 
excès  chez  les  fast  girls  que  l'on  voit  considérer  les  hommes  comme 
des  camarades  et  parfois  fumer  avec  eux. 

Souvent  elles  sont  modestes  .  pleines  de  santé  ,  de  bon  sens  ,  font 
de  bonnes  ménagères  ,  fidèles  à  leur  mari,  ont  des  enfants  sans  être 
malades  et  ne  mènent  pas  la  maison  en  toilette. 


-  285  - 

La  femme  anglaise  n'est  pas  coqnette  —  elle  sait  voir  fie  spUnulirlcs 
toilettes  sans  envie  ,   elle  est  d'ailleurs  muette  comme  une  Cendrilloii. 

Des  femmes  jolies,  bien  habillées,  portent  ries  lunettes.  —  Il  est  cer- 
tain que  l'Anglaise  n'a  pas  au  même  degré  que  la  Française  le  senti- 
ment de  la  tenue  de  convention  ou  de  la  parade.  Elles  ont  en  revanche 
le  naturel  moins  contraint. 

L'Anglaise  est  franchement  belle  ;  le  grand  air,  les  exercices  corpo- 
rels, les  exercices  d"équila!ion  la  font  robuste  ;  elle  a  un  tempérarruMit 
calme.  Nous  pouvons  taire  cette  remarque  a  propos  de  tout  le  peuple 
anglais  :  ce  qui  nous  use  .  c'est  la  fréquente  variation  des  sentiments 
qui  nous  animent.  —  En  Crimée,  par  exemple,  nos  blessés  survivaient 
moins  souvent  à  leurs  blessures  que  les  Anglais  ,  tout  simplement 
parce  que  ceux-ci  savaient  se  résigner. 

La  condition  sine  qua  non  d'une  bonne  santé  pour  la  femme,  c'est 
d'accepter  sa  condition  ;  l'Anglaise  l'accepte  ,  c'est  un  modèle  de  sou- 
mission. —  Mais  elle  est  moins  agréable  que  la  Française ,  ne  sait  pas 
se  faire  jolie  femme,  elle  est  propre  quand  la  Française  est  attrayante. 

—  L'Anglaise  aupiès  de  la  Française,  c'est  une  très  belle  pêche  rosée, 
mèiiiocreraent  savoureuse  à  côté  d'une  fraise  parfumée  et  pleine  de 
goût. 

La  Française  tient  habilement  un  salon  ;  l'Anglaise  n'y  peut  arri- 
ver :  le  tact,  la  promptitude,  la  souplesse  manquent.  —  La  femme, 
chez  nous,  apprend  rapidement  le  monde  :  la  petiie  bourgeoise,  mariée 
hier,  est  installée  au  comptoir,  joue  ,  relient  les  chalands  ,  la  grosse 
Anglaise  de  Dieppe  ,  celle  de  l'anecdote,  pendant  que  son  mari  s'em- 
presse et  court  avec  toutes  sortes  de  politesses  autour  des  tables  ,  se 
tient  sur  son  trône ,  roide  et  sérieuse  et  dit  d'un  ton  glacé  aux  gens 
qui  se  lèvent  de  table  :  Havè  vo  payé,  Mosieur?  sans  se  douter  que 
cette  interpellation  peut  choquer. 

Et  notre  politesse?  vient -elle  de  la  sympathie  ,  n'est-ce  pas  plutôt 
un  dehors,  un  décor,  un  point  d'honneur,  une  preuve  de  notre  savoir- 
vivre  plutôt  que  l'efl'et  d'une  sympathie  vraie .  d'une  bonté  naturelle. 

—  Cn  sourire,  un  coup  de  chapeau,  trois  jours  après  nous  avons  oublié. 

—  L'Anglais  est  plus  franchement  serviable  et  cordial.  Pour  l'étranger, 
il  se  dérange,  il  fait  des  courses  ,  le  fait  montei*  dans  sa  voiture  ,  puis 
non  seulement  il  vous  invite  à  dîner ,  mais  vous  présente  à  ses  amis  , 
vous  pilote,  vous  nourrit,  vous  loge,  vous  occupe,  vous  distrait.  —  Ce 
qui  frappe  le  plus,  c'est  l'ouverture  de  cœur,  au  bout  de  quelques  jours, 
il  vous  dit  ses  choses  intimes,  le  chiffre  de  sa  fortune  .  de  sa  dépense  , 


—  286  — 

le  prix  de  son  loyer  ,  l'histoire  de  sa  fortune  ,  de  son  mariage.  A  côté 
d'eux,  nous  sommes  des  ultra-boutonnés. 

Pourquoi  l'Anglais  est -il  hospitalier?  11  y  a  à  cela  beaucoup  de 
causes  dont  nous  ne  résumerons  que  les  principales. 

La  vie  à  Londres  se  passe  en  courant  ;  la  maison  de  campagne  est  le 
véritable  salon  ;  pendant  les  huit  mois  que  l'on  y  passe  ,  les  journées 
seraient  bien  longues  sans  les  réceptions,  les  discussions. — La  réserve 
y  est  toujours  la  même  :  en  temps  ordinaire,  beaucoup  d'enfants,  beau- 
coup de  domestiques  ;  la  présence  d'un  étranger  n'y  trouble  pas  l'inti- 
mité comme  chez  nous ,  ne  force  pas  les  gens  à  s'écouter  parler ,  à 
restreindre  leur  familiarité  et  leur  laisser-aller  —  Un  fauteuil  de  plus 
est  occupé  au  salon  ;  il  y  a  un  convive  de  plus  à  la  table  ,  et  c'est  tout. 
—  Le  service  étant  organisé  parfaitement ,  un  signe  suffit  et  tout  est 
improvisé  pour  l'étranger.  —  II  y  a  là  pour  l'Anglais  une  question 
d'humanité ,  de  conscience  ;  il  sait  par  expérience  que  l'étranger  est 
mal  à  l'aise  dans  le  pays  nouveau  où  il  débarque,  et  il  l'aide. 

Si  l'on  admet  que  la  femme  joue  un  rôle  considérable  dans  la  société, 
je  crois  que  montrer  quelle  éducation  la  femme  reçoit  dans  un  pays  , 
c'est  là  le  plus  sûr  moyeu  d'expliquer  en  partie  l'orif^inalité  des  mœurs 
et  des  institutions. 


Éducatlou    des  fllleis. 

L'Anglais  voit  dans  la  jeune  tille  la  future  mère;  il  veut,  par  son 
éducation  ,  la  mettre  à  même  d'être  la  première  institutrice  de  ses 
enfants  ;  elle  a  des  bonnes ,  des  gouvernantes  étrangères  qui  lui 
apprennent  le  français ,  l'allemand,  l'italien  dès  l'enfance  ;  on  mêle  à 
ses  jouets  de  volumineux  dictionnaires  ,  elle  commence  par  étudier 
le  français,  qu'elle  parle  facilement,  souvent  sans  accent.  Elle  Ut 
Dante  ,  Schiller ,  Goethe  :  elle  apprent  même  un  peu  de  latin  et  lit 
Virgile. 

Les  jeunes  Anglaises  donnent  aussi  beaucoup  de  leur  temps  à  l'étude 
des  choses  naturelles  :  de  la  botanique,  de  l'histoire  naturelle  ,  de  la 
minéralogie ,  de  la  géologie  ;  —  dans  leurs  promenades ,  dans  leurs 
voyages  ,  elles  réunissent  des  plantes  ,  des  coquillages  ,  des  animaux 
et  en  font  des  collections.  —  N'est-ce  pas  s'approvisionner  de  faits  et 
se  donner  des  comiaissances  solides  ! 

On  s'étonne  de  voir  des  jeunes  filles  s'adonner  à  de  telles  études.  — 


—  287  — 

L'une  des  causes,  c'est  que  beaucoup  d'entre  elles  ne  se  marient  pas  ; 
l'éducalion  a  été  soignée,  mais  la  dot  est  insuffisante,  égale  souvent  au 
revenu  du  fils  aîné  —  les  prétendants  ne  sont  pas  très  nombreux  ;  ils 
doivent ,  avant  le  mariage  ,  garantir  h  la  jeune  femm.e  une  certaine 
somme  dont  elle  aura  entièrement  la  disposition  ,  qui  sera  son  argent 
de  poche. 

Ce  seulement  épouvante  bien  des  partis.  —  De  plus  ,  l'Anglaise  ne 
comprend  que  le  mariage  d'amour,  d'inclination  ;  aussi  un  très  grand 
nombre  passe  à  travers  le  monde  sans  éprouver  cette  inclination  et 
sans  l'inspirer. 

Celles  qui  ont  manqué  ainsi  le  coche ,  deviennent  des  spmsters,  et 
elles  sont  nombreuses. 

Ne  vous  les  figurez  pas  inutiles,  ennuyées. 

Ce  sont  de  bonnes  tantes  qui  élèvent  leurs  neveux ,  gouvernent  la 
lingerie,  le  fruitier  ou  la  cuisine,  collectionnent,  peignent,  lisent, 
écrivent.  —  Combien  parmi  ces  spinsters  sont  des  savants,  des  roman- 
ciers, des  traducteurs.  —  Miss  Bronte  ,  miss  Thackeray  ,  M""'  Gaskell , 
G.  Eliot,  Elisabeth  Browning —  sont  des  spinsters. 

C'est  là ,  je  crois ,  un  excellent  remède  à  l'ennui.  11  vaut  bien  le 
serin  ou  le  minet,  ou  le  Médor  de  nos  vieilles  demoiselles. 

L'anecdote  suivante  rapportée  par  Taine,  est  une  épisode  de  l'histoire 
intime  de  bien  des  familles  . 

«  Je  suis  contrarié,  disait  un  père,  ma  fille  Jauea24  ans,  ne  se  marie 
pas,  s'enferme  dans  la  bibliothèque  et  commence  à  lire  de  gros  livres. 

»  Combien  lui  donnez-vous  de  dot?  —  Deux  mille  livres  sterling. 
—  Et  à  vos  fils  ?  —  L'aîné  aura  le  domaine  ,  le  second  une  mine  qui 
rapporte  2,000  livres.  —  Donnez  5,000  livres  à  miss  Jane.  » 

Ceci  fait  penser  le  père ,  qui  donne  les  5.000  livres.  Miss  Jane  se 
marie,  a  un  petit  enfant  ;  c'est  une  excellente  mère  ;  c'eût  été  réelle- 
ment dommage  d'en  faire  une  spinster  savante,  à  mine  froncée  et  à 
lunettes. 

Ce  qui  doit  étonner  le  plus  ,  c'est  le  courage  de  la  bonne  miss  qui , 
se  voyant  dans  une  impasse  ,  prend  énergiquement  son  parti  et  se  met 
de  bon  cœur  ,  sans  sourciller,  à  l'étude. 

Un  mot  en  passant  sur  les  quelques  feuilles  imprimées  qui  s'appellent 
le  Journal  des  Modes  ,  il  est  partout  chez  nous  —  des  gravures  enlu- 
minées, la  dernière  forme  des  chapeaux  ,  un  point  de  broderie  ;  quel- 
ques bons  mots ,  des  acrostiches ,  des  rébus  —  pitance  terrible  à 
digérer,  car  c'est  la  platitude  d'un  bout  à  l'autre.  L'Anglaise  n'est  pas 


de  cet  avis  et  ne  prend  pas  de  telles  fadaises  —  il  vaut  mieux  pour  elle 
avoir  une  robe  mal  faite  qu'une  tête  vide.  —  Vous  ne  trouvez  chez 
elle  aucun  journal  de  modes  ,  la  place  est  occupée  par  la  Revue  des 
Femmes  Anglaises ,  feuille  sérieuse  qui  parle  de  l'émigration  en 
Australie,  de  l'instruction  publique  en  France  :  des  possibilités  de 
commercer,  d'établir  de  nouvelles  cultures  dans  ielles  ou  telles  régions. 


lie   mariage 

L'Anglaise  entend  par  le  mariage  l'abandon  de  tout  son  être  et  pour 
toujours  ;  jeune  fille ,  elle  a  son  roman  de  cœur  où  elle  reste  éminem- 
ment anglaise,  c'est-à-dire  pratique.  Elle  ne  rêve  pas  les  promenades 
sentimentales,  la  main  dans  la  main,  au  clair  de  la  lune  ;  elle  veut  être 
une  épouse ,  une  auxiliaire ,  une  associée  de  son  mari  dans  la  bonne 
comme  dans  la  mauvaise  fortune.  Voyez  M"*  Livingstone  qui  traverse 
l'Afrique ,  lady  Samuel  Baker  qui  va  aux  sources  du  iNil.  On  rencontre 
à  Londres  des  femmes  revenant  des  îles  de  la  Sonde  :  elles  ont  tra^tersé 
des  peuplades  antropophages  ;  les  nôtres  oublient  quelquefois  de  rire 
du  loup-garou  —  bagatelle  là-bas  qu'un  voyage  de  six ,  dix  ans.  — 
Voilà  l'épouse  anglaise. 

Une  des  ombres  du  tableau ,  c'est  la  chasse  aux  maris  ;  le  gibier 
devient  chasseur  ;  le  jeune  homme  noble,  riche,  élégant,  est  poursuivi, 
flatté,  tenté,  provoqué,  il  devient  soupçonneux  à  Textrème.  Ce  qui 
n'arrive  pas  chez  nous  oii  les  jeunes  filles  sont  trop  maintenues  pour  y 
prendre  cette  initiative. 

A  l'inverse  du  Français ,  qui  ordinairement  considère  le  mariage 
comme  un  pis-aller,  l'Anglais  ne  désii^e  qu'une  chose ,  c'est  un  home 
avec  la  femme  aimée ,  des  enfants ,  un  petit  horizon  restreint ,  à  lui 
seul  ;  cadet ,  il  doit  souvent  attendre  ;  il  n'est  pas  riche  ;  il  s'embarque 
et  va  en  Australie,  dans  les  Indes,  travaille  et  revient  se  marier.  Quand 
l'Anglais  est  amoureux,  il  est  capable  de  tout.  Combien  déjeunes  gens 
anglais ,  passionnément  amoureux  et  incompris  ,  courent  le  monde  ,  à 
moitié  fous,  pour  se  distraire  —  on  les  rencontre  en  Chine,  en  Australie, 
seuls,  pensifs,  maudissant  la  vie. 

Les  jeunes  gens  se  fréquentent  librement,  peuvent  se  juger,  se 
connaître  ;  ils  montent  à  cheval  et  causent  ensemble.  Quand  le  jeune 
homme  est  décidé  à  se  marier  ,  il  s'adresse  d'abord  à  la  jeune  fille  ;  la 


—  289  — 

permission  des  parents  ne  vient  qu'en  second  lieu.  En  France ,  nos 
mœurs  veulent  tout  le  contraire  ,  et  ce  serait  indélicatesse  de  dire  un 
mot  net  ou  vague  à  la  jeune  fille  avant  d'avoir  averti  les  parents.  Sur 
ce  point,  les  Anglais  raillent  nos  mariages  brusqués  devant  notaire* 
Nous  pouvons  leur  répondre  que  leurs  niaraiges  d'incliualioii  finissent 
plus  d'une  fois  par  la  discorde  et  nos  mariages  de  convejiance  parle 
bon  accord. 

La  dot  de  la  femme  ,  déposée  entre  les  mains  d'un  fidéicommissaire 
responsable,  rapporte  chaque  année  un  certain  revenu  qui  est  l'argent 
de  poche  de  la  femme  :  elle  doit  servir  à  son  habillement  et  à  l'entre- 
tien de  ses  enfants  —  cette  dot  constitue  un  vérilable  bien  paraphernal 
soustrait  aux  accidents  qui  peuvent  arriver  aux  maris.  La  précaution 
est  bonne,  car  la  loi  engloutit  tous  les  biens  de  la  femme  dans  ceux  du 
mari  ;  sans  cette  clause ,  elle  entrerait  dépouillée  en  ménage.  Il  faut 
savoir  que  la  femme  anglaise  est  sujette,  de  par  la  loi,  la  religion,  les 
mœurs  —  le  mari  ne  lui  doit  rien  de  ses  affaires,  achète  ,  vend  ,  bâtit, 
cela  ne  la  regarde  pas  :  elle  est  une  intendante,  ne  doit  s'occuper  que 
de  son  ménage  et  de  ses  enfants  ;  elle  se  résigne  à  ce  rôle.  —  Cette 
inégalité  a  des  inconvénients  :  si  le  mari  meurt ,  la  femme  jusqu'alors 
ignorante  et  dépendante  ,  ne  peut  débrouiller  les  affaires  ,  gouverner 
les  enfants,  en  un  mot  remplacer  le  chef  de  la  famille. 

Le  mariage  est  respecté;  dans  les  journaux,  dans  les  romans,  où 
chez  nous  s'étale  tant  de  licence,  ils  flétrissent  l'adultère  comme  un 
crime;  on  redoute  les  accrocs  dont  l'opinion  publique  s'empare  et 
qu'elle  jette  a  la  publicité  par  la  voie  des  journaux;  ils  trouvent  nos 
façons,  lestes,  débraillées,  choquantes  ;  le  livre  de  Balzac,  la  Physio- 
logie du  Mariage  ferait  scandale,  serait  poursuivi  par  la  Société  pour 
la  répression  du  vice  et  ne  trouverait  pas  d'éditeurs.  —  Leur  jugement 
sur  nos  romans  :  Morale  de  boursicotiers  et  de  lorettes.  —  Ils  oublient 
que  nous  mettons  à  jour  ce  qu'ils  dissimulent  avec  le  plus  grand  soin. 
Nous  sommes  quelque  peu  fanfarons  de  vice  ;  les  désordres  des  par- 
venus élégants  laissent  calme  la  bonne  bourgeoisie  qui  a  des  traditions 
de  famille.  —  11  ne  faut  pas  non  plus  méconnaître  le  rôle  du  commé- 
rage, terrible  gendarme,  universellement  redouté. 

Dans  la  classe  bien  élevée,  la  femme  anglaise  est  tidèle,  sauf  de 
rares  exceptions  ;  libre  dès  l'enfance  elle  sait  marcher  seule  dans  la 
vie  où  un  faux  pas  est  si  vite  fait  ;  —  son  bon  sens,  l'étude  des  lan- 
gues, des  sciences,  les  voyages,  les  conversations,  les  discussions  sur 
les  choses  les  plus  graves,  ont  développé  les  habitudes  de  réflexion  . 


-  290  - 

et  la  lecture  de  romans  sains,  les  visites  aux  pauvres,  l'organisation 
de  sociétés  de  bienfaisance,  l'a  initiée  à  la  vie  réelle  ;  —  elle  passe  les 
3/4  de  l'année  à  la  campagne  à  l'abri  de  toute  tentation,  a  beaucoup 
d'enfants,  un  cortège  de  bonnes,  de  gouvernantes  ;  c'est  une  activité 
de  tous  les  instants ,  une  surveillance  continue  ;  —  elle  lit ,  fait 
des  herbiers  ;  en  un  mot  s'occupe  si  bien  que  l'esprit  est  employé,  le 
temps  rempli,  ce  qui  ferme  l'entrée  aux  idées  malsaines. 


Relation»»  de  famille. 

Il  y  a  beaucoup  de  roideur  dans  les  relations  entre  proches.  —  Le 
fils  appelle  familièrement  son  père  :  mon  gouverneur  ;  gouverneur, 
en  efiét  de  son  castel  et  de  la  garnison  qui  y  loge.  —  11  peut  deshériter 
son  fils.  —  Tout  le  monde  a  entendu  parler  de  ce  jeune  Anglais  qui 
revenant  malade  de  Nice,  s'arrêta  à  Boulogne,  n'osant  retourner  au 
logis  paternel  sans  y  être  mvité.  —  Sa  mère  n'eut  osé  prendre  l'ini- 
tiative. —  Quand  il  reçut  une  lettre,  il  se  mit  en  route.  —  L'enfant 
prodigue  fut  mieux  reçu  et  les  mamans  françaises  ne  pensent  à  de 
telles  choses. 

Cet  état  de  choses  est  encore  aggravé  par  l'inégalité  dans  la  famille  ; 
l'aîné  riche  ;  le  cadet  n'ayant  qu'un  léger  revenu  ;  par  l'indépendance 
des  enfants  qui  peuvent  se  marier  sans  l'autorisation  et  usent  souvent 
de  ce  droit. 

Je  vois  d'ici  l'étonnement  des  parents  français  entendant  dire  à  des 
enfants  :  vous  prenez  ce  droit,  prenez-en  les  charges  ;  mariez-vous 
comme  vous  pouvez.  —  Quel  contraste  !  chez  nous  l'affection,  l'inti- 
mité, les  parents  se  donnant  tout  entier  pour  leurs  enfants  ,  poursui- 
vant la  veine  pour  les  rendre  heureux  ;  l'égalité  parfaite,  en  un  mot  le 
régime  absolu  de  la  sympathie  la  plus  profonde. 

L'anglais  s'étonne  ;  il  ne  comprend  pas  que  deux,  trois  ménages 
puissent  vivre  sous  le  même  toit,  ce  qui  se  fait  quelquefois  en  France  ; 
en  Angleterre,  ce  serait  quasi  un  jirodige.  —  L'anglais  s'isole,  se  can- 
tonne ;  dans  son  enclos  chacun  est  un  intrus,  son  père,  sou  frère  ;  il  y 
a  même  rarement  une  place  pour  l'épouse.  —  Chaque  entrée  est  une 
violation  de  domicile.  —  Pas  d'expansion.  —  Demandez  à  une  mère 
anglaise  ce  qu'elle  sait  des  sentiments  de  sa  fille  ou  des  amusements 
de  son  fils  ;  elle  ne  vous  comprendra  pas.  —  En  France  elle  est  con- 


—  -^91  — 


fidente,  presqiu3  camarade  et  est  heunniso  qu'on  lui  fasse  des 
aveux;  elle  gronde  un  peu  et,  levant  le  doigt,  renvoie  le  mauvais 
sujet  en  lui  disant  de  prendre  garde. 


liCW  Domestiques. 

Nous  avons  les  nôtres,  mais  nous  ne  connaissons  nullement  les 
domestiques  anglais  ;  de  l'autre  côté  de  la  Manche  sont  des  serviteurs 
nombreux,  aux  fonctions  nettement  définies  ;  porter  le  charbon,  allumer 
les  feux,  balayer,  cirer,  sont  autant  de  départements  séparés,  dans  les 
limites  desquels  les  titulaires  se  tiennent  rigoureusement..  —  Ils  sont 
tous  soumis  à  un  «  butler  »  qui  seul  à  des  relations  avec  le  maître  de 
la  maison  ;  —  un  groom  a-t-il  un  habit  tâché,  le  seigneur  et  maître 
réprimande  le  butler  qui  cite  le  délinquant  à  comparaître  devant  le 
Tribunal  de  ses  Pairs,  cuisiniers,  balayeurs  ou  autres. 

Un  domestique  se  présente.  L'acceptera-t-on  ?  Le  Conseil  général 
des  serviteurs  s'assemble  ;  le  postulant  développe  ses  mérites  et  après 
examen  et  renseignements  ils  l'acceptent  ou  le  repoussent  par  accla- 
mation. 

Le  domestique  anglais  est  exact ,  régulier  ;  c'est  un  mécanisme  bien 
monté,  qui  a  des  heures  fixes  pour  les  choses  les  plus  futiles.  —  Il 
obéit  à  une  consigne,  il  a  le  sensé  ofduty,  le  sentiment  du  devoir  et 
réclame  en  revanche  une  certaine  liberté. 


Ii'Aug;lais. 

Il  marche  droit ,  d'un  mouvement  géométrique  ,  sans  regarder  à 
droite,  à  gauche,  sans  distraction,  tout  entier  à  son  affaire,  comme 
un  automate  dont  on  a  pressé  le  ressort.  —  Ajoutez-y  le  physique  et 
vous  aurez  un  type  pour  qui  l'agrément  et  l'élégance  ne  sont  rien, 
uniquement  préoccupé  d'expédier  vite  et  bien  beaucoup  de  besogne. 

Les  Anglais  forment  des  associations,  des  clubs  quelquefois  tumul- 
tueux où  ils  agitent  les  questions  les  plus  graves  ;  ils  s'entendent  pour 
ne  pas  servir  plus  de  deux  ans  le  même  maître  qui  pourrait  prendre 
trop  de  prise.  —  Ils  ont  leurs  repas  à  part,  une  bibliothèque,  où  les 

21 


—  292  — 

orateurs  vont  puiser;  et  sur  les  rayons  inférieurs,  des  jeux  de  dames, 
d'échecs. 


lia  Tie  aiigflaiRe  et  ses  causes. 

Spécimen  de  la  vie  anglaise  :  Etre  confié  de  bonne  heure  à  soi- 
même,  épouser  une  femme  sans  fortune,  avoir  une  nombreuse  famille, 
dépenser  le  plus  possible,  travailler  énormément,  mettre  ses  entants 
dans  la  nécessité  de  travailler  de  même,  s'approvisionner  de  faits  et 
de  connaissances  positives,  se  distraire  d'un  travail  par  un  labeur  plus 
fatigant,  produire  et  acquérir. 

Il  3^  a  des  causes  à  cela,  —  le  droit  d'aînesse,  le  climat,  le  besoin 
d'exercice  rude. 

Le  droit  d'aînesse  met  chacun  dans  la  nécessité  de  s'aider  lui-même  ; 
tout  petit,  l'Anglais  sait  qu'il  doit  être  l'artisan  de  sa  fortune.  —  Le 
grand  nombre  d'enfants  nous  fait  supposer  chez  les  parents  d'Outre - 
Manche  plus  de  courage  et  moins  de  sensibiUté  que  chez  nous.  —  Plus 
de  courage,  car  ils  ne  craignent  pas  les  embarras  d'une  nombreuse 
famiUe,  moins  de  sensibilité  car  ils  ne  s'émeuvent  nullement  à  cette 
idée  que  leurs  enfants,  garçons  et  filles,  devront  peiner,  lutter  et  les 
quitteront  peut  être  pour  toujours.  —  Nous  n'avons  pas  de  plus  grand 
souci  que  d'éviter  à  nos  enfants  les  misères  que  nous  avons  subies,  — 
On  ne  considère  pas  comme  un  idéal  d'avoir  une  demi-douzaine  de 
filles  gouvernantes  ou  de  s'en  défaire  par  l'exportation. 

Le  climat  a  une  grande  puissance.  —  La  tristesse  et  la  sévérité  du 
pays  coupe  par  la  racine  toute  conception  voluptueuse.  Il  faut  s'ac- 
commoder à  l'inclémence  de  son  milieu  ;  c'est  la  terre  du  travail  sous 
cloche,  dans  un  logis  bien  sec,  au  milieu  d'une  famille  très  bien  por- 
tante, devant  un  feu  riant.  —  Il  y  a  loin  de  là  à  l'idéal  du  Napolitain,  le 
flâneur  à  l'ombre,  sur  une  terrasse,  en  plein  air,  au  miheu  des  fleurs, 
des  statues,  des  ornements.  —  Lui  se  nourrit  de  raisins  exquis,  de  fruits 
dignes  de  la  table  des  Dieux  ;  il  a  gratis  les  plus  belles  et  les  meilleures 
choses,  tandis  que  le  palais  anglais  ne  connaît  rien  au-delà  d'un  mor- 
ceau de  viande,  d'un  verre  (ïale  ou  de  gin.  —  Le  mendiant  italien  est 
un  heureux  comparé  au  besogneux  anglais  qui  à  chaque  heure  doit 
penser  à  se  couper  le  cou.  —  Les  fameux  rasoirs  de  Mapping  qui  ne 
coûtent  qu'un  shilling,  semblent  n'être  faits  que  pour  cela. 


—  29S  — 

L'Anglais  a  des  instincts  militants,  le  désir  de  vaincre  et  de  se 
persuader  qu'il  accomplit  une  lâche  ilifficile.  —  Témoin  les  marches 
des  jeunes  filles,  l'habitude  du  cheval,  les  courses,  la  chasse.  —  Ce 
besoin  d'activité,  uni  h  leur  tempérament  flegmatique  les  rend  émi- 
nemment pi'opres  aux  métiers  et  aux  professions  :  ils  travaillent  aussi 
bien  la  dixième  heure  que  la  première.  —  Ils  n'ont  pas  d'aversion  pour 
la  monotonie  du  labeur  insipide  :  il  y  a  en  eux  l'étoffe  de  puissants  et 
patients  ouvriers. 


lia  ville  iiiauufacturlcre. 


Manchester  !  dans  le  pays  du  fer  et  de  la  houille.  —  De  loin,  un 
immense  entassement  au-dessus  duquel  se  hérissent  des  centaines  de 
cheminées  hautes  comme  des  obélisques,  dans  le  nuage  étrange,  som- 
bre qui  pèse  sur  la  ville.  —  Les  hauts-fouriieaux  flamboyent  derrière 
les  colHnes  qui  sont  les  débris  de  minerai;  —  le  sol  est  excavé  à  une 
profondeur  considérable  —  Tout  témoigne  d'une  vie  industrielle  des 
plus  actives. 

Vue  (le  près,  Manchester  est  lugubre.  =  Les  ramifications,  hautes, 
profondes,  aux  murailles  noircies  par  la  suie,  aux  façades  nues  s'ali- 
gnent à  perte  de  vue.  —  Pas  un  ornement,  pas  une  brique  inutile  ;  de 
la  solidité  et  c'est  suffisant  :  on  pense  à  des  prisons  économiques  ; 
les  maisons  ont  l'aspect  de  grande  caserne  à  bon  marché ,  de  i(;o?'^- 
house  pour  des  milliers  de  personnes.  —  Ces  bâtisses  sont  des 
rectangles  à  six,  sept  étages  quelquefois,  chacun  de  quarante  fenêtres. 
—  Si  nous  y  pénétrons,  dans  un  bruit  infernal,  des  milliers  d'ouvriers 
immobiles  presque  toujours,  alignés,  du  matin  au  soir  et  chaque  jour 
surveillent  la  machine. 

Vers  six  heures,  la  manufacture  dégorge  dans  la  rue  une  foule 
bruyante  et  agitée  ;  il  y  a  des  femmes,  des  enfants,  des  vieillards.  — 
Les  figures  sont  pâles,  mornes  ;  beaucoup  d'enfants  sont  pieds-nus.  — 
Les  uns  se  précipitent  chez  le  marchand  de  gin.  ;  les  autres  regagnent 
leurs  tanières  dans  des  rues  étroites.  —  Triste  maison;  la  fenêtre 
entrouverte  laisse  pénétrer  l'air  de  la  rue.  moins  mauvais  que  celui 
de  la  chambre  ;  les  enfants  blancs,  charnus,  malpropres  se  roulent 
sur  un  reste  de  tapis  ;  un  linge  suspendu  sèche,  c'est  l'enveloppe  du 


—  294  — 

dernier  né,  plein  de  vie,  qui  sourit  à  ses  aînés  en  attendant  la  terrible 
attente  qui  tue  ses  frères. 

Dans  les  faubourgs,  les  maisons  sont  plus  espacées  ;  c'est  la  zone  des 
heureux  ;  ils  voient  un  coin  du  ciel  bleu  ;  le  brouillard  est  moins 
impur;  mais  cela  seulement  pendant  les  beaux  jours;  en  hiver,  le 
nuage  s'épaissit ,  engloutit  tout  de  sa  brume  opaque  et  écrase 
l'homme 

Hors  de  la  ville,  fuyant  le  climat  inhumain,  les  maisons  des  riches 
s'alignent  comme  des  dames  sur  un  damier.  —  Architecture  où  tous 
les  styles  se  heurtent  ;  parcs  verdoyants  avec  des  nappes  d'eau,  des 
arbres  énormes,  des  troupeaux  de  daims  ;  mille  belles  choses  coûtant 
fort  cher,  mais  où  manque  un  peu  de  goût.  —  Pour  éviter  les  équivo- 
ques, les  contrastes  trop  frappants ,  on  pourrait  s'attifer  moins  et  se 
parer  davantage. 

A  quoi  bon  le  goût  ;  n'ont-ils  pas  la  puissance  ?  —  Des  manufactures, 
des  capitaux,  de  l'ambition,  des  représentants  aux  quatre  coins  du 
monde,  des  vaisseaux  en  mer?  —  Ils  connaissent,  au  jour  le  jour,  l'état 
et  les  ressources  des  difiérents  pays  ;  ils  gouvernent  des  milliers  d'ou- 
vriers, ils  surveillent  le  travail  humain  ;  leurs  entreprises  se  chifîrent 
par  raillions  ;  ils  envoient  un  délégué  au  Japon,  en  Chine,  en  Australie, 
en  Egypte  ;  ils  achètent  des  terres  en  Amérique,  au  Cap,  en  Océanie, 
on  y  élèvera  des  moutons,  on  y  cultivera  le  coton,  le  thé.  —  Voilà 
l'activité  britannique. 

Les  magasins  sont  babylonniens  :  plus  de  100  mètres  de  façades  ; 
partout  des  rails  ;  la  machine  à  vapeur  traîne  les  fardeaux,  monte  les 
ballots,  fait  tout  le  travail  brutal. 

D'après  les  relevés  authentiques  du  coton  brut  qui  entre  et  du  coton 
manufacturé,  le  district  de  Manchester  a  gagné  en  deux  ans  500  mil- 
lions de  francs  par  mois  pour  redescendre  à  un  bénéfice  encore  énorme 
de  250  millions. 

On  s'étonne  peu  de  ces  résultats  quand  on  a  sous  les  yeux  des 
ateliers  où  l'on  voit  travailler  de  23,000  à  35,000  broches  par  semaine,  où 
travaillent  4,800  ouvriers,  où  l'on  fait  pour  30  millions  d'affaires  par 
an  ;  des  hangars  où  20  forges  flamboient,  où  une  fourmilière  d'ouvriers 
s'agite  ;  où  l'on  fait  cent  locomotives  par  an,  chacune  de  75,000 francs. 
—  Les  piliers  en  fonte  sont  gros  comme  des  troncs  d'arbres,  les 
machines  à  entaille,  à  forer,  font  sauter  des  copeaux  de  fer,  ou  percent 
des  plaques  de  fer  épaisses  comme  la  main.  —  Et  ces  formidables 
marteaux  pilons  de  500  kil.  dont  le  jeu  est  si  précis  qu'ils  cassent  une 


—  -^95  — 

noisette  sans  entamer  l'amande  !  11  faut  une  année  d'hommes  pour 
préparer  Ja  besogne  à  ces  puissants  travailleurs  ;  mais  l'acier  fait  tout, 
frappe,  coupe,  lime,  sans  se  précipiter,  sans  se  fatiguer;  à  côté, 
riiouime,  riusecte  surveille  et  commande  à  la  machine  géante. 

Jetons  les  yeux  sur  la  carte  qui  met  une  teinte  noire  sur  la  région 
de  Manchester  :  houille,  fer  —  et  par-dessus  l'argilo  des  briques  ;  à 
côté  un  estuaire,  un  port  naturel,  un  débouché,  TJrerpool.  — Joignez 
a  cela  les  grands  capitaux,  la  victoire  est  amx  gros  bataillons,  la 
bonne  organisation,  i'applicalion,  le  savoir-lane  de  l'ouvrier  qui  donne 
juste  ce  qui  est  demandé,  l'assiduité  du  contre-maître,  l'exactitude  des 
machines,  la  régularité,  la  discipline  et  la  solidité  du  personjiel  indus- 
triel qui  est  un  véritable  rouage,  bien  monté  et  bien  huilé  et  l'on  com- 
prendra la  prospérité  de  cette  région. 

J'ai  nommé  Liverpool  qui  prospère  sur  l'emplacement  d'un  ancien 
étang,  les  pieds  dans  l'eau  ;  le  ciel  plein  de  brouillards  ,  véritable pavs 
de  sarcelles  :  une  petite  Hollande  ,  avec  une  verdure  plus  rare.  Rien 
de  beau  ni  d'élégant  ;  c'est  une  ville  monstre  comme  Manchester,  où 
se  meut  une  population  d'un  demi-million  d'âmes  autour  de  la  Mersey, 
large  comme  un  bras  de  mer. 

Au  centre  .  doux  bâtiments  se  regardant  étonnés  de  leur  voisinage  . 
l'un  grec,  un  café-concert,  l'autre  une  belle  bibliothèque.  Puis  jusqu'à 
l'horizon ,  dans  toutes  les  directions  ,  des  rues  le  long  desquelles  s'ali- 
gnent des  comptoirs  ,  des  magasins  ,  des  manufactures  ,  hauts,  massifs 
comme  des  monuments  cyclopéens.  Près  des  docks  ,  les  magasins  de 
coton  sont  le  réceptacle  de  presque  tout  le  coton  du  monde ,  mais  les 
docks  surtout  sont  énormes  ;  la  rivière  ,  large  ,  profonde ,  se  ramifie 
en  une  multitude  de  canaux  ,  de  bassins  que  l'on  agrandit  et  multiplie 
chaque  jour  parce  qu'ils  sont  toujours  insuffisants;  les  vaisseaux  se 
suivent  à  la  file  ,  se  présentant  par  groupes  ,  attendant  leur  tour  ;  les 
navires  à  voiles  entre  lesquels  se  faufilent  les  noirs  bateaux  à  vapeur  ; 
des  vaisseaux  de  guerre  qui  s'avancent  majestueusement  au  milieu  de 
l'humble  foule  qui  s'écarte  pour  leur  livrer  passage. 

C'est  un  spectacle  unique  au  monde  :  un  navire  jauge  3,000  à  4,000 
tonneaux  ;  un  steamer  a  iOO  mètres  de  long.  Un  navire  dont  la  coque 
a  50  pieds  de  haut  va  porter  1,500  é migrants  en  Tasmanie  ,  les  flancs 
sont  recouverts  de  cuivre  et  contiennent  tout  un  monde. 

11  y  a  des  ateliers  pour  la  construction  de  navires  en  fer  ;  il  en  sort 
de  chacun  de  25  à  30  par  an.  1,000  à  1,500  (Tuvriers  ,  des  forges  ,  des 
outils  monstrueux ,  des  chantiers  munis  de  canaux  où  l'eau  arrive.  On 


—  296  — 

voit  des  carcasses  de  350  pieds  ;  terminé .  le  navire  coûtera  80  à 
100,000  livres  sterlings  :  le  carré  qui  doit  contenir  les  chaudières  est 
composé  de  poutres  de  fer  grosses  comme  le  corps  d'un  homme. 

Toujours  l'impression  de  Fénormité  ,  et  cette  plaie  de  la  ville  indus- 
trielle ,  l'imprévoyance  ,  le  travail  intime  ,  rapide  ,  qui  ne  suffit  pas  à 
rendre  l'homme  heureux;  il  va  détendre  ses  nerfs  à  la  campagne  ou 
se  réfugie  dans  l'ivresse.  Liverpool  est  une  ville  terrible  pour  l'i- 
vresse. Quand  on  voj^age  en  chemin  de  fer .  on  est  exposé  à  trouver 
en  1*""  classe  un  gentleman  ivre .  en  seconde  classe ,  deux  ou  trois 
hommes  qui  chantent  et  jurent.  Les  femmes  les  accompagnent ,  ne 
s'étonnent  point  :  ils  sont ,  suivant  elles  .  seulement  «  gris  »  comme 
tous  les  soirs. 

Aux  environs  de  Leeds-street ,  le  quartier  de  la  misère  ,  où  les  mai- 
sons sont  des  caves  malsaines  .  triste  population  où  s'étalent  toutes  les 
laideurs  ,  on  sort  des  boutiques  de  gin  pour  jouer  sur  le  trottoir  avec 
des  cartes  noires,  ou  pour  s'asphyxier  dans  le  taudis  infect.  Les  traits 
paraissent  avoir  été  corrodés  par  le  vitriol. 

11  y  a  pai'  an  50,000  arrestations  ,  1  %  de  la  population. 

La  misère  est  encore  plus  grande  au  quartier  des  Irlandais  ,  qui  sont 
au  moins  cent  mille  et  qui  y  affluent  chaque  jours  ;  et  il  y  a  pis  et  plus 
bas  en  Irlande  ,  où  ,  au  sortir  des  manufactures  ,  la  débauche  grossit 
de  quelques  pences  le  salaire  de  la  journée. 

Parmi  les  ouvriers  ,  il  y  a  deux  types  bien  saillants  ;  l'athlétique  ,  le 
géant  de  six  pieds  qui  pousse  et  retourne  les  grosses  pièces  de  fer 
dans  la  forge  ;  les  plus  beaux  sont  ceux  du  Yorkshii'e  ;  le  flegmatique  , 
surtout  dans  les  fabriques  de  coton  :  teint  pâle  ,  œil  terne  ,  regard  froid 
et  fixe  ,  mouvements  exacts  ,  ménagés  ;  dépense  du  minimum  d'efforts. 
Ce  sont  des  travailleurs  excellents  :  rien  de  tel  qu'une  machine  pour 
conduire  une  machme, 

Dans  les  manufactures  de  fer ,  les  ouvriers  gagnent  de  10  à  45  fr. 
pai'  semaine  ,  dans  les  manufaciures  de  coton ,  de  20  à  35  fr.  C'est 
suffisant  ;  les  receltes  et  les  dépenses  s'équilibrent  :  mais  ,  viennent  le 
chômage  ,  la  maladie  ,  la  misère  est  extrême.  D'une  façon  générale , 
cinq  causes  de  malheur  pèsent  sur  l'ouvrier  : 

1°  Le  mauvais  climat  ;  il  faut  beaucoup  riépenser  en  houille,  lumière, 
spiritueux ,  viande ,  blanchissage  fréquent ,  quatre  repas  par  j(mr.  A 
Manchester ,  ils  accaparent  les  primeurs. 

2°  La  concurrence  oblige  chacun  à  travailler  jusqu'à  l'extrémité  de 


—  297  — 

sa  forco  ;  la  moindre  défaillance  est  une  chute  et  les  bas-fonds  sont 
horribles. 

3"  Ils  ont  des  troupeaux  d'enfants  ,  15  et  18  quelquefois  :  la  famille 
grandit  et  le  père  n'a  toujours  que  ses  deux  bras. 

4"  Les  chômages  sont  inévitables  ;  les  grèves  surviennent;  en  1862 
(octobre) ,  210,000  personnes  furent  sans  aucun  ouvrage. 

5°  Ils  sont  dépensiers  et  enclins  à  l'ivrognerie  ;  c'est  un  fléau  ;  le 
climat  y  pousse  ,  le  gin  réjouit. 

Toutes  ces  causes  de  ruine  font  que  ,  sur  100  ouvriers  ,  5  arrivent  à 
l'aisance  ;  les  autres  vont  mourir  dans  les  tristes  quartiers  dont  nous 
venons  de  parler  :  car  ils  ne  veulent  pas  toujours  profiler  des  institu- 
tions qui  veulent  diminuer  Vhnpy^èvoijance,  le  grand  vice  de  l'ouvrier 
ajiglais.  Les  work-house  lui  offrent  du  travail  facile ,  un  abri  et  du 
pain  ;  il  refuse  ;  on  a  oublié  le  petit  verre  et  l'on  pourrait  laisser  quel- 
que argent  ;  l'cmvrier  ne  redoute  qu'une  chose  :  laisser  de  quoi  payer 
son  enterrement. 

De  Manchester ,  allons  à  Glascow  ;  nous  traversons  le  paysage  an- 
glais où  la  terre  est  contrainte  à  produire  par  l'industrie   de  l'homme. 

Glascow  est ,  comme  Manchestf^r ,  sur  un  sol  de  fer  et  de  houille  ; 
partout  de  hautes  cheminées  ,  des  hauts-fourneaux  sur  les  rives  de  la 
Clyde  qui  s'élargit  pour  former  un  port  naturel.  C'est  toujours  la 
grande  ruche  à  l'aspeci  navrant  :  les  enfants  grouillent  pieds  nus  dans 
la  boue,  des  femmes  en  hailhjns  allaitent  assises  au  coin  d'une  rue, 
etc   Le  climat  est  pire  qu'à  Manchester. 

La  côte  a  ses  rondeurs  couvertes  de  villas  blanches  au-dessus  de 
l'eau  peuplée  de  navh*es.  C'est  le  rivage  écossais  aux  promontoirs 
hardiment  coupés.  Prenons  la  mer  et  suivons  le  canal  calédonien;  le 
Ben-Nevis  nous  apparaît  marbré  de  neige  ;  le  golfe  se  resserre ,  la 
grande  eau  enfermée  entre  des  montagnes  stériles  prend  un  aspect 
tragique.  Sur  cette  terre  indomptable  et  sauvage ,  l'homme  est  mal 
venu.  Tout  se  flétrit  et  se  rabougrit.  On  oublie  de  reboiser  ;  l'arbre 
refait  le  sol ,  abrite  la  culture  ,  le  bétail  et  l'homme. 

Le  canal  aboutit  à  une  enfilade  de  lacs  dont  l'eau  est  brunie  par  la 
tourbe  ;  la  solitude  devient  moins  sévère  ,  les  montagnes  se  boisent  à 
demi .  les  vallées  s'élargissent,  se  couvrent  de  moissons  et  tout  à. coup 
apparaît  Inverness.  jolie  ville  moderne  et  vivante  au  sein  des  Highlands; 
la  rivière  est  claire  et  vive  :  beaucoup  de  bâtiments  sont  neufs,  partout 
la  propreté  ,  le  soin  ,  l'attention  active  ;  les  vitres  sont  luisantes  ,   les 


—  298  — 

boutons  de  porte  sont  en  cuivre  ;  il  y  a  des  fleurs  aux  fenêtres  ;  les 
plus  pauvres  maisons  sont  reblanchies  à  neuf.  C'est  une  ville  à  phy- 
sionomie française,  à  population  affable,  on  y  est  chez  soi  et,  pour  cette 
raison ,  nous  terminerons  là  notre  excursion  en  Angleterre. 

Nous  pouvons  regarder  derrière  nous  et  résumer  nos  impressions 
dans  la  visite  de  ces  Babels  de  l'industrie.  Ce  qui  doit  attacher  ,  c'est 
la  grandeur  de  la  richesse  acquise  jointe  à  la  faculté  plus  grande  de 
produire  et  d'acquérir.  Toute  l'œuvre  utile  exécutée  depuis  des  siècles 
s'est  transmise  et  accumulée  sans  perte ,  ce  pays  n'ayant  pas  subi  d'in- 
vasion depuis  800  ans,  ni  de  guerre  civile  depuis  200  ans.  Son  capital 
est  plusieurs  fois  plus  grand  que  le  nôtre.  L'Anglais  sait  souvent  mieux 
que  nous  conduire  ses  affaires  .  féconder  son  sol,  améliorer  son  bétail, 
diriger  une  manufacture  ,  coloniser  et  exploiter  les  pays  lointains  ,  il 
sait  mieux  se  cultiver  lui-même.  Il  faut  vivre  avec  lui  et  tremper  notre 
généreux  cai'actère  par  le  contact  avec  le  bon  sens  britannique.  Ce^a 
ne  nous  enlèvera  pas  notre  beau  climat ,  notre  belle  répartition  de  la 
richesse  et  l'agrément  de  notre  vie  de  famille.  Nous  serons  des  Fran- 
çais mieux  préparés  pour  les  luttes  de  la  vie. 

Nous  donnerons  à  la  machine  le  travail  brutal  qui  excède  les  forces 
de  l'homme  ;  car  il  ne  suffit  pas  pour  honorer  nos  savants  de  leur  élever 
des  statuts ,  il  faut  encore  leur  permettre  d'être  des  bienfaiteurs  de 
l'humanité. 

Lorsqu'on  pourra  espérer  trouver  dans  nos  ports  un  fret  de  retour , 
les  navires  viendront  directement  nous  apporter  les  matières  pre- 
mières. 

Nous  avons  de  grandes  industries  nationales.  Nous  n'avons  pas  sous 
les  pieds  un  bloc  de  fer  et  de  houille ,  est-il  impossible  de  les  mettre 
en  présence?  N'avons-nous  pas  des  chemins  de  fer,  des  vaisseaux,  des 
canaux?  Et  n'est-ce  pas  un  Français  qui  a  dit  que  les  obstacles  avaient 
été  inventés  pour  être  surmontés  ? 

Nous  n'avons  pas  l'ouvrier  machine  anglais  ,  mais  nous  avons  l'ou- 
vrier français  qui  est  sans  rival  ;  il  a,  seul  au  monde,  l'instinct  du  beau  ; 
c'est  un  perfectionneur. 

Il  faut  que  nous  soyons  là  pour  nous  faire  connaître ,  et ,  quand 
nous  serons  connus ,  pour  dire  à  ceux  qui  médiront  de  nous  :  vous 
mentez  ! 

Et  cette  langue  si  claire  ,  de  l'aveu  de  tous  les  peuples  ,  pourquoi  ne 
l'emploierions-nous  pas  à  défendre  nos  intérêts  sur  tous  les  marchés 
du  monde  ?  Il  nous  faut  des  représentants  instruits  ,   éclairés  .  actifs  , 


-  299  - 

pour  défendre  nos  intérêts  industriels  et  commerciaux.  En  un  mot, 
nous  pouvons  réaliser  des  progrès  immenses ,  développer  de  plus  en 
plus  notre  ijidusirie  ,  surtout  en  nous  dotant  d'un  outillage  national.  Et 
nous  aurons  par-dessus  tout,  connue  plus  beau  fleuron  de  notre  cou- 
ronne ,  la  noblesse  de  nos  sentiments  qui  nous  mettent  à  la  tête  des 
nations  civilisées. 

C'est  sur  cette  pensée  tlatteuso  ,  pour  ceux  surtout  qui  ont  en  mains 
les  destinées  de  l'industrie  fiançaise  ,  que  je  m'arrête,  en  vous  remer- 
ciant de  votre  bienveillante  attention. 

Quelques-uns  se  recrieront ,  prétendront  que  notre  suprématie 
morale,  notre  pouvoir  intellectuel  doit  nous  suffire  :  c'est  une  erreur. 
Il  faut  que  nous  soyions  les  premiers  du  monde  par  l'industrie  ;  ce  souci 
des  choses  matérielles  nous  permet  de  mieux  jouer  notre  rôle  de 
Français  ;  c'est-à-dire  d'apporter  du  désintéressement  el  de  la  géné- 
rctsité. 

Je  termine  ,  Mesdames  et  Messieurs  ,  en  vous  traduisant  la  pensée 
de  tous  ceux  qui  ont  en  mains  les  destinées  de  l'industrie  française. 
Nous  serions  des  industriels  ,  mais  non  des  industriels  français  si ,  au- 
delà  de  l'industrie  et  de  ses  profits  ,  nous  ne  voyions  la  civilisation. 


—  300  - 


NOUVELLES  ET  FAITS  GÉOGRAPHIQUES 


I.  —  Géographie  scieiitifiq[ue.  —  Explorations  et  découvertes. 


ASIE. 


Retour  de  IHII.  Bonvalot ,  Capiis  et  Pépiu.  —  On  se  rappelle 
que  ces  exploiateurs  dont  nous  avons  entendu  il  y  a  quelques  années  une  confé- 
rence à  la  Société  de  Géographie  de  Lille,  étaient  repartis  à  nouveau  pour  l'Asie 
centrale.  Nous  avons  relaté  de  temps  en  temps  leurs  nouvelles  dans  nos  divers 
Bulletins.  Aujourd'hui ,  nous  pouvons  annoncor  qu'ils  sont  rentrés  en  France  par 
Marseille  en  septembre  dernier. 

Ils  ont  vainement,  au  cours  de  leur  voyage,  essayé  de  pénétrer  dans  l'Afgha- 
nistan. Depuis  leur  départ  de  Mesched  en  mai  1886,  ils  ont  fait  quatre  tentatives, 
mais  chaque  fois  ils  ont  été  prisonniers  des  Afghans,  qui  les  ont  expulsés.  Leur 
dernier  effort  a  eu  lieu  de  Samarkand  par  Hissar  et  la  Kabadie  ;  leur  retour  s'est 
fait  par  les  vallées  du  Sourkhane  et  du  Kafirnagane  en  passant  au-dessus  des 
monts  du  Baïsoun.  Dans  leur  voyage  vers  le  sud ,  les  explorateurs  ont  eu  à 
franchir  les  cols  de  Takta  Karatcha  (5,500  pieds)  et  d'Aucha  (  15,585  pieds)  ;  la 
descente  de  ces  deux  cols  vers  le  sud  a  été  des  plus  difficiles,  les  sentiers  étant 
escarpés  et  pierreux.  Au-dessous  du  second  de  ces  cols,  coule,  d'après  eux,  le 
Sangalak,  un  affluent  du  Sourkhane,  un  torrent  dont  lés  eaux  sont  teintes  d'un  rouge 
foncé  par  les  calcaires  et  l'argile  qu'elles  traversent. 

Ils  ont  reconnu  la  structure  géologique  des  montagnes  comme  étant  la  même  que 
celle  des  monts  Koungour  au  nord  de  Kashi  et  des  montagnes  de  Derbend  ,  de  Kilef 
et  de  Schirabad.  Géographiqueuient ,  ils  ont  pu  constater  que  la  vallée  de  Kafirna- 
gane s'étend  de  Hissai-  jusqu'au  confluent  de  Kaiirnagane  avec  l'Amou  ;  sa  largeur 
moyenne  est  de  2  1/2  à  3  milles  et  elle  est  côtoyée  à  l'est  et  à  l'ouest  par  des 
chaînes  de  montagnes  d'élévation  moyenne  coupées  de  nombreux  torrents  aujour- 
d'hui desséchés.  Le  sol  de  toute  la  vallée  semble  largement  imprégné  de  matières 
salines  et  la  flore  est  composée  essentiellement  comme  celle  que  produisent  les  sols 
salins.  Les  montagnes  sont  presque  sans  végétation  Quoique  les  voyageurs  n'aient 
pu  accomplir  le  véritable  but  de  leur  expédition  à  cause  de  l'opposition  jalouse  des 
Afghans  ,  ils  ont  cependant  réuni  uu  bon  nombre  d'observations  scientifiques  qu  ils 
feront  eounaître  ultérieurement. 

Ils  sont  retournés  par  le  Pamir  et  l'Indoustan  ,  en  partant  du  lac  Goulcha  et  en 
passant  par  Karakoul,  le  col  de  Toujouk,  la  rivière  Amalgane  et  le  petit  Khanat  de 
Koundjou  d'où  ils  sont  entrés  dans  l'Inde. 


-  30)   - 

l':ii|>l«»ratioii  par  SB.  le  ooloiicl  SiirtecN  «le  la  terre  «le  lia- 
(lian.  —  M.  le  colonel  Surtees,  accompagné  d'un  géologue  aiigl;iis,  M.  Wiiehouso, 
visite  actuellement  les  terrains  de  Madian  oii  les  Bédouins  prétendent  avoir  décou- 
vert des  gisements  de  pétrole.  Cette  terre  de  Madian,  qui  forme  la  zone  frontière 
entre  l'Egypte  et  l'Arabie,  a  été  explorée  en  partie  eri  1877  par  M.  le  capitaine 
Burton,  qui  espérait  y  trouver  des  mines  d'or. 

Dt'part  de  11.  Itoliyz  pour  la  région  «lew  ni«»utiii  Saïa^vwky. 

—  Sous  la  diicction  du  ccilonel  Hobyz  ,  et  sur  l'initiative  du  comte  Iguatiew, 
gouverneur  de  la  Sibérie  orientale  ,  une  expédition  s'organise  pour  explorer  cette 
partie  de  l'Asie  ou  les  monts  Saïawsky  servent  de  frontière  entre  la  Sibérie  et  la 
Mongolie.  C'est  là  que  se  trouvent  les  mines  de  graj)hite  d'Alibert.  L'expédition 
poussera  une  reconnaissance  jusqu'à  l'endroit  oii  commence  le  fleuve  Ienisseï,  c'est- 
à-dire  jusqu'au  lac  Kossogoul,  dans  la  Mongolie  septentrionale. 


AFRIQUE. 


Kxpl<>ration  «le  II.  K.-D.  Bro^iie  «laiis  l'Afrique  niéri- 
«liouale.  Le  Gold  Fields  Times  rapporte  que  M.  li.-D.  Browne  a  fait  une 
tournée  d'inspection  dans  le  territoire  portugais  situé  entre  Lorenzo-Marquez 
et  Inhambané.  11  a  constaté  que  le  ciiemin  de  fer  de  la  baie  de  Delagoa  avance 
régulièrement  ;  il  est  achevé  sur  un  parcours  d'une  vingtaine  de  kilomètres  com- 
prenant les  sections  les  plus  difficiles  à  travers  les  marais.  Les  ingénieurs  ont  eu 
l'excellente  idée  de  planter  des  eucalyptus  le  long  de  la  voie  ferrée  ,  ainsi  que  dans 
les  marécages  qui  s'étendent  derrière  Lorenzo-Marquez.  Du  charbou  a  été  découvert 
à  quelques  kilomètres  du  point  de  la  niarée  haute ,  et.  l'on  a  entrepris  de  sonder  le 
filon.  La  houille  paraît  être  de  bonne  qualité,  non  bitumineuse,  mais  de  la  nature  de 
l'anthracite  ,  ce  qui  serait  d'un  grand  avantage  au  point  de  vue  commercial ,  les 
houilles  de  Natal  et  de  la  colonie  du  Cap  étant  surtout  bitumineuses.  On  a  aussi 
découvert  du  platiae  dans  un  dépôt  d'alluvion.  M.  Browne  est  monté  à  Barbeton  , 
d'oii  il  comptait  aller  à  Sofala,  à  treize  jours  de  marche  environ  de  l'ancienne  rési- 
dence d'Oumzila  ,  pour  vérifier  un  renseignenient  qu'il  avait  reçu  relativement  à 
l'existence  de  riches  gisements  aurifères  dans  cette  région. 


E!«^ploration  du  Kouaugo  par  91.  €2.  Gireufeli.  —  Avant  son  retour 
en  Europe,  le  missionnaire  G.  Grenfell  a  encore  résolu  un  problème  important  du 
Congo,  à  savoir  le  tracé  du  cours  inférieur  du  Kouango.  A  10  kilomètres  seulement 
de  son  embouchure  dans  le  Kwa  ,  il  reçoit  un  grand  affluent,  le  Djouma  ,  venant  du 
sud-est  et  qui  probablement  est  formé  par  les  trois  rivières  Wambou,  Saie  et 
Kouilou,  que  les  lieutenants  Kund  et  Tappenbeck  ont  franchi  vers  le  mdieu  de  leur 
cours.  Grenfell  remonta  le  Kouango  jusqu'au  point  le  plus  éloigné  ,  atteint  eu  1880 
par  le  major  Mechow,  la  barrière  de  Kikounschi  à  5"  8'  de  latitude  S.  Ce  barrage, 
ou  chute  d'eau,  quoiqu'il  n'eût  qu'une  hauteur  d'un  mètre,  ne  permit  pas  au  vapeur 
de  continuer  sa  route.  Le  Kouango  suit  sa  direction  S.-N.  jusqu'à  4"^  30'  S.,  puis  il 
se  détourne  vers  l'est,  pour  rejoindre  dans  la  direction  N.-N.-E.  le  cours  du  Kassaï 
ou  SankouUou.  On  attend  avec  impatience  la  publication  de  la  carte  de  Grenfell  :  ou 


—  302  — 

saura  alors ,  si  réellement ,  comme  le  fait  croire  le  tracé  du  docteur  Bùttner ,  le 
Kouango  fait  un  grand  circuit  vers  l'ouest. 

il.  le  docteur  llans  ^icbinz  dans  la  république  l'pinstonia. 

—  M.  le  docteur  Hans  Sehinz  ,  de  Zurich,  qui  depuis  1884  a  exploré  le  Sud  de 
l'Afrique ,  a  fourni  aux  Mittheilungen  de  Gotha  des  renseignements  précieux  sur 
l'extension  du  Protectorat  Allemand  à  la  république  Upingtonia  par  19"  latitude  Sud 
et  18'  longitude  tlst.  Nous  les  résuiuons  d'après  Y  Afrique  civilisée  et  explorée. 
Cette  république  ,  qui  tire  son  nom  du  premier  ministre  de  la  colonie  du  Cap , 
est  située  au  Nord  du  Damaraland ,  dans  le  pays  d'Ovambo,  et  a  été  fondée  sur 
des  terrains  achetés  aux  indigènes  par  un  Boër  nommé  Jordan.  Ce  pays,  riche  en 
sources  abondantes  intarissables  ,  est  propre  à  l'élève  du  bétail  ;  il  est  habité  par 
des  Damaras  des  montagnes  ,  et  des  Bushmen  nomades ,  dont  la  seule  occupa- 
tion consiste  à  chercher  du  miel ,  à  extraire  des  racines  et  à  s'attaquer  aux  bœufs 
des  Boërs. 

M.  Sehinz,  qui  a  exploré  la  région  du  lac  Ngami,  écrit  que  ce  lac  n'est  point  dessé- 
ché, comme  on  l'a  dit  quelquefois  ,  mais  qu'il  qu'il  diminue.  L'Okavango  forme  au 
Nord-Ouest  du  lac  une  vaste  nappe  marécageuse  ,  et  pendant  la  saison  sèche,  le  lac 
ne  reçoit  qu'une  faible  partie  de  ses  eaux.  Il  en  est  tout  autrement  à  l'époque  des 
pluies  :  les  petites  rivières  se  réunissent  en  un  large  cours  d'eau  qui  se  déverse 
directement  dans  le  lac.  Le  Tamalankan  ,  qui  se  détache  de  l'Okavango  ,  sous  le 
18°  40',  se  jette  dans  le  Botletlé  et  non  dans  le  Zambèze. 

,li'Anibas-Bai  aux  Allemands.  —  Les  Mittheilungen  de  Petemiann 
annoncent  qu'à  la  fin  de  mars  1887,  l'Ambas-Bai  et  l'établissement  des  mission- 
naires baptistes,  Victoria,  ont  solennellement  été  remis  aux  mains  des  autorités 
allemandes  à  Cameroun.  L'extension  du  protectorat  allemand  à  l'Ambas  Bai  avait 
déjà  été  prévue  dans  la  convention  anglo-allemande  du  7  n)ai  1885  et  devait  s'accom- 
plir sitôt  que  la  société  des  missionnaires  baptistes  et  le  gouvernement  allemand 
seraient  tombés  d'accord.  Cette  condition  est  remplie  par  le  fait  de  la  cession  de 
l'établissement  aux  missionnaires  de  Bâle. 


Exploration  de  l'Ouban^i  par  M.   le  capitaine  Tan  Gèle. 

—  Le  Mouvement  Géographique  annonce  qu'au  mois  d'octobre  1886  ,  à  bord  du 
Henry  Reed ,  M.  le  capitaine  Van  Gèle  a  exploré  l'Oubangi  dans  sa  partie  infé- 
rieure et  a  reconnu  ses  affluents.  Il  a  passé  tout  d'abord  devant  le  petit  poste 
français  établi  sur  la  rive  gauche  par  O^SO'  de  latitude  Sud  et  17"^35''  de  longitude 
Est.  Là,  l'Oubangi  mesure  2,500  mètres  de  largeur,  11  mètres  de  profondeur  au 
thalweg  et  une  vitesse  d'un  mètre  à  la  seconde  ,  soit  un  volume  d'eau  de  15,000 
mètres  cubes  à  la  seconde. 

A  hauteur  du  4™^  degré,  en  aval  des  rapides,  il  a  encore  1,200  mètres  de  largeur , 
7'" ,50  de  profondeur  et  1"',30  de  vitesse  à  la  seconde. 

Entre  ces  deux  points,  la  largeur  de  l'Oubangi  varie  continuellement  sans  dépasser 
4,000  mètres.  Ses  eaux  ont  une  couleur  brun  clair.  Son  aspect  général  est  à  peu  de 
choses  près  celui  du  Congo  :  des  îles  et  des  rives  boisées.  La  rive  droite  présente 
beaucoup  de  parties  marécageuses.  La  rive  gauche  est  souvent  élevée  et  bordée  de 
collines. 

Sur  la  rive  droite,  peu  peuplée  du  reste,  habitent  les  Baloï,  vrais  pirates  ,  qui  sont 
la  terreur  des  peuples  voisins.  Sur  la  rive  gauche  est  une  des  populations  des  plus 


—  :^H  — 

denses.  C'est  une  succession  non  interrompue  de  villages  ;  aussi  l'animation  sur  le 
fleuve  est  parfois  extraordinaire.  On  rencontre  souvent  deux  à  trois  cents  canots 
sillonnant  les  eaux. 

La  race  est  belle,  de  haute  stature.  Le  cannibalisme  existe  partout  sur  la  plus 
grande  échelle.  Les  peuples  riverains  font  des  expéditions  les  uns  chez  les  autres  , 
dans  le  seul  but  de  se  procurer  des  viandes  de  boucherie. 

Dans  cette  partie  de  son  cours,  l'Oubangi  ne  reçoit  aucun  affluent  important  :  les 
seuls  notables  sont  trois  petites  rivières  ;  le  Nghiri  à  gauche  ,  Vlbenga  et  le  Lobay 
à  droite. 

Le  Nghiri  débouche  dans  l'Oubangi  par  30'  au  Nord  de  l'Equateur  et  draine  d'une 
façon  assez  inattendue,  dans  son  cours  extrêmement  sinueux  ,  la  longue  presqu'île 
que  forment  en  cet  endroit  l'Oubangi  et  le  Congo. 

A  son  confluent ,  le  Nghiri  a  100  mètres  de  largeur,  5  à  6  mètres  de  profondeur. 
On  la  remonte  jusqu'à  1"  20  de  latitude  Nord.  11  a,  là  encore,  3  mètres  de  profondeur. 

Sur  ces  rives  habite  une  population  excessivement  nombreuse.  Il  est  probable  qu'à 
l'époque  des  crues  ,  le  Nghiri  communique  avec  le  Congo  dans  le  voisinage  de  la 
station  des  Bengala. 

Quant  à  l'affluent  de  droite  ,  l'Ibenga  ,  il  se  jette  dans  l'Oubangi  un  peu  au  Nord 
du  deuxième  parallèle.  11  n'a  que  90  mètres  de  largeur ,  4'" ,50  de  profondeur.  Ses 
eaux  noires  viennent  du  Nord-Ouest.  Sur  ses  rives  basses  vivent  de  nombreux 
éléphants. 

Le  Lobay  est  plus  considérable  ,  il  débouche  par  3"  40'  de  latitude  Nord  et  a  plus 
de  200  mètres  de  largeur,  4"',50  de  profondeur.  Ses  rives  boisées  s'élèvent  par  places 
jusqu'à  10  mètres. 

Sous  le  quatrième  parallèle  Nord  ,  l'Oubangi  est  obstrué  par  des  rapides  formés 
par  un  massif  montagneux  que  le  fleuve ,  venant  du  Nord-Est ,  a  dû  percer  pour 
rejoindre  le  Congo.  Ces  rapides ,  le  Henry  Reed  n'a  pu  les  franchir.  11  paraîtrait 
qu'en  amont  les  eaux  sont  encore  plus  mauvaises. 


AMÉRIQUE. 


La  déliniitatiou  «les  froutières  Véuézuelo-  Brésilicunes.  — 

La  frontière  entre  le  Venezuela  et  le  Brésil  a  été  délimitée  dans  les  années  1880  à 
1883.  Cette  délimitation  a  démontré  que  l'Orénoque  et  le  Rio-Negro  ne  sont  pas 
reliés  l'un  à  l'autre  par  le  Cassiquiari  seulement,  mais  qu'il  existe  une  foule  de  bifur- 
cations formant  une  grande  île  ,  qu'on  a  nommée  «  Ilha  Pedro  II  ». 


Projet  «le  eaual  iuteroeéauique  au  i\lc*arag;ua.  —  Suivant  le 
Report  of  the  W.  «S.  Nicaragua  Surveying  Party  1885,  par  A.-G.  ]MenocaI,  le  canal 
projeté  commencerait  à  Puerto  et  suivrait  d'abord  la  vallée  du  Rio-Grande,  puis  celle 
du  Rio-Lajas  jusqu'au  lac  Nicaragua.  Le  canal  traverserait  le  lac  depuis  l'ancienne 
embouchure  du  Rio-Lajas  jusqu'à  celle  du  San-Juan  ,  qu'il  suivrait  alors  jusqu'à  la 
vallée  arrosée  dans  sa  partie  inférieure  par  le  petit  Rio-San-Francisco.  Les  eaux 
du  San-Juan  seraient  contenues  par  un  grand  barrage  à  Oehoa,  à  l'Est  de  l'embou- 
chure du  Rio-San-Carlos.  Le  San-Francisco  serait  séparé  du  San-Juan  par  une  autre 
digue  ;  on  formerait  ainsi  un  vaste  lac  artificiel  au  même  niveau  que  le  Nicaragua. 


Il  y  aurait  à  creuser  un  petit  canal  pour  relier  le  San-Juan  au  San-Francisco.  De 
là ,  le  canal  traverserait  les  montagnes  en  longues  courbes  ,  au  sortir  desquelles 
il  se  dirigerait  en  droite  ligne  sur  Greytown.  Dans  cette  partie  ,  il  faudrait  con 
struire  trois  écluses  et  quatre  autres  dans  la  vallée  du  Rio-Grande.  La  longueur 
totale  du  canal  serait  de  169,8  milles  ,  dont  40,3  devront  être  creusés.  Le  coût  total 
est  estimé  à  64,036,197  dollars  ou  liv.  sterl.  12,807,240.  Le  fond  du  canal  aurait 
une  largeur  de  80  à  120  pieds  ,  sa  surface  de  80  à  3(iO  pieds  ;  il  aurait  28  pieds  de 
profondeur. 


Alaska.  —  Explorations  nouvelles.  —  Le  rapport  officiel  du  lieutenant 
F.  Schwatka  ,  au  ministère  de  la  guerre ,  sur  sa  mémorable  expédition  au  fleuve 
Youkou,  en  1883,  vient  enfin  d'être  publiée.  Si  Ton  songe  que  la  plus  grande  partie 
du  voyage  sur  le  fleuve  a  été  faite  sur  un  radeau  et  que  presque  partout  le  courant 
du  fleuve  a  la  rapidité  d'un  torrent ,  il  faut  admirer  et  le  courage  et  la  persévérance 
de  l'explorateur  et  surtout  l'exactitude  des  plans  et  des  cartes.  Le  fleuve  fut  mesuré 
de  Lindeinan-Sea  a  l'embouchure  de  l'Aphoon,  soit  3,290  kilomètres.  Le  rapport  est 
accompagné  de  nombreuses  photographies  de  paysages ,  stations  commerciales  , 
indigènes ,  tombeaux,  etc. 

L'exploration  des  régions  situées  aux  confins  de  l'Amérique  anglaise  et  de  l'Alaska, 
qui  a  une  grande  importance  à  raison  des  gisements  d'or  très  riches  qu'on  y  a 
découverts,  promet  d'être  activement  poussée  cette  année  ;  c'est  le  Canada  seul  qui 
s'en  occupera,  vu  que  le  Congrès  des  Etats-Unis  n'a  pas  alloué  les  sommes  néces- 
saires. Le  géologue  G. -M.  Dawson ,  bien  coimu  par  ses  travaux  dans  la  British- 
Golumbia  et  dans  les  îles  de  la  Reine  Charlotte  ,  entreprendra  une  expédition  dans 
les  régions  du  Youkon  supérieur  ;  une  partie  de  l'expédition  ,  sous  sa  conduite  per- 
sonnelle ,  suivra  la  vallée  du  Stakeen  qui  débouche  dans  le  grand  Océan  ,  franchira 
les  monts  Rocheux  et  se  dirigera  vers  l'Est  le  long  du  fleuve  Liard  ;  de  là  ,  on  fran- 
chira la  séparation  des  eaux  du  Mackenzie  et  du  Youkon  et  l'on  atteindra  ce  fleuve 
près  du  Fort  Selkirk  en  suivant  le  Pelly.  Au  Fort  Selkirk  ,  Dawson  se  réunira  avec 
la  deuxième  division  de  l'expédition  qui,  sous  la  direction  de  W.  Ogilvy,  aura  suivi 
en  général  la  route  de  Schwatka  ;  ils  feront  alors  des  excursions  étendues  le  long 
des  différents  affluents  du  Youkon.  Dawson  retournera  en  automne  et  Ogilvy  hiver- 
nera au  Fort  Selkirk  pour  continuer,  l'été  suivant,  ses  explorations.  (Peferman. 
Mitt.) 


Résultats  de  la  Missiou  II.  C.  lloyauo.  —  M.  Carlos  Moyano , 
lieutenant  de  vaisseau  ,  Gouverneur  du  territoire  de  Santa-Cruz,  a  adressé  au  gou- 
vernement Argentin  son  rapport  sur  son  exploration  jusqu'aux  sources  du  Rio 
Gallegos  et  du  Rio  Santa-Gruz. 

Cette  mission  a  parcouru  une  zone  s'élevant  de  la  mer  jusqu'à  la  Gordillière  des 
Andes  du  50"  au  52°  de  latitude  dans  la  Patagonie  australe. 

Le  voyage  de  M.  Moyano  a  duré  deux  mois  et  demi. 

M.  Moyano  a  constaté  que  les  eaux  du  Pacifique  forment  des  ports  excellents  sur 
les  côtes,  que  tous  les  lacs  de  la  Patagonie  australe  communiquent  entre  eux,  et  que 
la  zone  andine ,  couverte  de  forêts  ,  se  prête  très  bien  à  l'élevage  ;  enfin  ,  il  a  signalé 
de  nombreuses  mines  de  charbon  et  de  fer.  Malheureusement ,  leur  éloignement  de 
toute  voie  de  communication,  en  rend  l'exploitation  imparfaite. 


305  — 


OGEANIE. 


Kxploratloiis  en  I%ouTclle*<«iiiiiée. —  Le  révérend  W.-G.  Lawes,  dans 
une  lettre  de  Port-Morcsby  du  20  janvier,  annonce  dans  une  lettre  publiée  jiar  les 
Proceedings  de  la  Société  de  géographie  de  Londres  qu'une  expédition  s'organise 
sous  la  direction  de  M.  Vogan  ,  conservateur  du  musée  d'Auckland,  dans  le  but 
d'essayer,  aussitôt  après  la  saison  des  pluies  ,  de  traverser  la  Nouvelle-Guinée  flans 
sa  partie  sud-est  de  Freshwater-Bay  au  golfe  Huon.  Au  mois  d'août  de  l'année 
passée,  le  docteur  Glarkson  et  M.  G.  Hunter  avaient  fait  un  voyage  dans  l'inté- 
rieur :  ils  sont  partis  de  Kapakapa  et  ont  suivi  la  dépression  entre  les  hauteurs 
d'Astrolabe  et  de  Macgillivray.  Ils  ont  traversé  la  rivière  Kemp-Welch,  sans  pourtant 
que  cette  expédition  ait  eu  des  résultats  bien  intéressants. 

Les  États-Unis  dans  le  Pacifique.  —  Le  Sénat  de  Washington  a  rati- 
fié le  traité  de  commerce  signé  avec  les  îles  Havvai  et  dont  une  des  clauses  porte  la 
cession  au  gouvernement  des  Etats-Unis  de  Pearl-River. 

Les  Etats-Unis  s'apprêtent  à  créer  une  station  navale  dans  l'archipel  de  Tonga 
(île  des  Aaiis)  qui  se  trouve  sur  la  route  de  l'Australie  et  qui  est  destiné,  par  consé- 
quent, à  acquérir  une  certaine  importance  lorsque  l'isthme  de  Panama  sera  percé. 


II.  —   Géographie  commerciale.  —  Statistiques 
et  Faits  économiques. 


EUROPE. 


ISituation  économique  de  la  Bosnie    et  de  I-nerzégovine. 

—   De  toutes  les  provinces  que  renferme  la  péninsule  balkanique ,    la  plus  pitto- 
resque et  la  plus  belle  est  assurément  la  Bosnie. 

C'est  un  pays  de  montagnes  ,  de  vallées  et  de  forêts  II  n'y  a  guère  de  plaines  que 
dans  la  Pozavina,  le  long  de  la  Save  ,  du  côté  de  la  Serbie.  Partout  ailleurs  s'étend 
une  suite  de  vallées  oii  coulent  des  ruisseaux  et  des  rivières  et  que  couronnent  des 
hauteurs  boisées.  La  superficie  de  la  Bosnie  est  de  5,410,200  hectares,  sur  lesquels  il 
y  en  a  871,700  couverts  de  rochers  stériles,  tels  que  le  Karst  ;  1,811,300  occupes  par 
des  terres  labourables  et  2,727,200  par  les  forêts.  Faute  de  routes  pour  y  accéder  , 


—  306  - 

beaucoup  de  ces  forêts  sont  encore  absolument  vierges.  Les  plantes  grimpantes  qui 
s'enlacent  autour  des  chênes  et  des  hêtres  y  forment  des  fourrés  impénétrables ,  oii 
l'on  ne  peut  s'avancer  que  la  hache  à  la  main  comme  au  Brésil.  Les  habitants  ont 
coupé  pour  leur  usage  les  bois  qui  sont  à  leur  portée  ,  et  les  Turcs  ,  afin  d'éviter  les 
surprises,  ont  systématiquement  détruit  et  brûlé  toutes  les  forêts  autour  des  villes 
et  des  bourgs,  de  sorte  que  les  forêts  manquent  aux  alentours  des  lieux  habités.  De 
magnifiques  massifs  de  résineux  s'étendent  dans  les  hautes  montagnes ,  derrière 
Sarajewo  jusqu'à  Ibar  et  Mitravitza.  C'est  de  là  que  ,  pendant  plusieurs  siècles  ,  la 
République  vénitienne  a  tiré  tout  le  bois  nécessaire  à  la  construction  de  ses  flottes. 
On  a  calculé  que,  sur  les  J, 667,500  hectares  de  bois  feuillus  et  sur  les  1,059,700  hec- 
tares de  résineux,  il  y  avait  environ  138,971,000  mètres  cubes  ,  dont  24,946,000  de 
bois  de  construction  et  114,02-5,000  de  bois  à  brûler.  Voilà  des  éléments  d'une 
richesse  énorme,  mais,  il  faut  bien  le  reconnaître  ,  d'une  réalisation  difficile.  Pour  le 
moment ,  d'ailleurs ,  l'exploitation  de  ces  bois  ne  serait  financièrement  qu'une 
opération  désastreuse,  le  stère  de  sapin  se  vendant  de  2  à  5  francs  et  celui  de  chêne 
de  3  à  7. 

L'aspect  de  l'Herzégovine  est  tout  à  fait  différent.  De  grands  blocs  de  calcaire 
blanchâtre,  jetés  çà  et  là,  recouvrent  le  sol.  L'eau  manque  presque  partout;  pas  de 
sources  :  les  rivières  sont  toutes  formées  de  grottes  ,  elles  donnent  naissance  en 
hiver  à  des  lacs  dans  des  vallées  sans  issues,  puis  disparaissent  sous  terre.  C'est  ce 
que  les  Allemands  désignent  très  bien  sous  le  nom  de  Hohlen  Flicsse  ,  les  rivières 
des  cavernes.  Les  maisons  ,  construites  en  bois  ,  dans  la  Bosnie  ,  le  sont  ici  avec  de 
grosses  pierres  d'un  aspect  vraiment  sauvage.  On  ne  voit  presque  point  d'arbres.  Le 
climat  est  le  même  que  celui  de  la  Dalmatie,  et  comme  il  fait  partie  du  bassin  médi- 
terranéen, le  pays  subit  l'influence  du  siroco  et  des  longues  sécheresses  estivales. 
La  vigne  et  le  tabac  y  prospèrent  et  donnent  d'excellents  produits.  Vers  les  bouches 
de  la  Naranta  ,  l'olivier  et  l'oranger  même  apparaissent.  Aux  environs  de  Ljubuskr  , 
dans  la  vallée  marécageuse  de  la  Trébisatch,  le  riz  se  cultive.  Au  contraire,  dans  la 
Bosnie,  région  montagneuse  orientée  vers  le  nord,  le  climat  est  rude  ;  il  gèle  fort  et 
longtemps  à  Sarajewo,  et  la  neige  y  persiste  pendant  six  semaines  ou  deux  mois. 

L'éminent  écrivain  à  qui  nous  empruntons  les  principaux  ti'aits  de  cette  descrip- 
tion (1)  pour  les  lecteurs  du  Bulletin  de  la  Société  de  géographie  de  Lille, 
ne  fait  pas  de  l'agriculture  bosniaque  une  peinture  brillante.  «  Cette  agriculture, 
dit  M.  Emile  de  Laveleye ,  est  une  des  plus  primitives  de  toute  l'Europe. 
EUe  n'applique  que  par  exception  l'assolement  triennal ,  connu  cependant  des 
Germains  au  temps  de  Gharlernagne  ,  et  même ,  dit-on  ,  à  l'époque  romaine.  Généra- 
lement ,  la  terre  restée  en  friche  est  retournée  ,  ou  plutôt  déchirée  par  une  charrue 
informe.  Sur  les  sillons  frais,  on  jette  la  senience  de  mais,  qu'on  enterre  légèrement 
au  moyen  d'une  claie  de  branchages  servant  de  herse.  Les  champs  sont  binés  une 
ou  deux  fois  entre  les  plants.  Après  la  récolte  ,  on  met  un  second  ou  un  troisième 
maïs,  parfois  du  blé  ou  de  l'avoine  jusqu'à  l'entier  épuisement  du  sol.  On  l'aban- 
donne alors,  et  il  se  couvre  de  fougères  et  de  plantes  sauvages  ,  où  paît  le  bétail .  en 
attendant  que  la  charrue  revienne ,  après  un  repos  de  cinq  à  dix  ans.  L'engrais 
est  inconnu,  car  les  animaux  domestiques  n'ont  très  souvent  aucun  abri  :  ils  vaguent 
dans  les  friches  ou  dans  les  cours  des  maisons.  Aussi  la  production  agricole  est-elle 
relativement  minime  :  100  millions  de  kilogrammes  de  maïs  ,  49  millions  de  kilo- 
grammes de  froment,  38  millions  de  kilogrammes  d'orge,  40  millions  de  kilogrammes 


(1)  La  Péninsule  des  Balkans,  lomc  ^«^  chapitres  iv,  v  et  vi  (Paris,  Alcan,  1886/. 


-  307  - 

d'avoine,  1(J  imlliuiis  de  kilogrammes  de  fèves.  La  fève  constitue  un  article  imfior- 
tant  de  l'alimentalion  :  on  en  mange  effectivement  tous  les  jours  de  jeùno  ot  de 
carême,  et  il  y  en  a  180  pour  les  Grecs  et  105  pour  les  catholiques.  On  récolte  é;rale- 
ment  du  seij>le.  du  millet,  de  Tépeautre  ,  du  sarrazin,  des  haricots,  du  sor;^ho  ,  des 
poiiiines  de  terre,  des  navets,  du  colza.  Le  produit  des  divers  grains  s'élève  à  500 
millions  de  kilogrammes.  •' 

Quelques  faits  donneront  une  idée  encore  plus  précise  de  ce  déplorable  état  de 
choses.  Ce  pays  natureliement  si  favorable  à  la  culture  do  l'avoine  ,  ne  peut  en  four- 
nir assez  pour  les  besoins  de  la  cavalerie  ;  on  est  forcé  d'en  aller  chercher  en 
Hongrie,  et  elle  se  paye  à  Sarajcwo  le  prix  excessif  de  20  à  21  francs  les  100  kilo- 
grammes. Le  bétail  est  la  principale  richesse  du  pays.  La  statistique  officielle  de 
1879  fournit  les  nombres  suivants  pour  les  animaux  domestiques  en  Bosnie-Herzé- 
govine :  158,034  chevaux  ,  3.134  mulets  ,  762,077  bêtes  à  cornes  ,  839,988  moutons  , 
430,354  porcs.  A  compter  10  moutons  et  4  porcs  pour  une  tète  de  gros  bétail ,  on 
obtient  un  total  de  1,114,796,  ce  qui,  pour  une  population  de  1,158,453  habitants,  fait 
presque  par  100  habitants  100  têtes  de  bétail.  Proportion  extrêmement  élevée, 
puisqu'on  France  le  chiffre  correspondant  n'est  que  de  49  ;  dans  la  Grande-Bretagne, 
45  ;  en  Belgique,  36  :  en  Hongrie,  68  ;  en  Russie,  64.  En  Australie  et  aux  États-Unis, 
ou  pour  mieux  du-e  dans  tous  les  pays  ou  la  population  a  une  faible  densité  ,  les 
espaces  inoccupés  entretiennent  beaucoup  d'animaux  domestiques  ,  et  par  consé- 
quent, les  hommes  peuvent  se  procurer  facilement  de  la  viande.  Quoique  la  Bosnie 
exporte  des  bêtes  de  boucherie  en  Dalmatie  pour  les  villes  du  littoral ,  le  Bosniaque 
mange  beaucoup  plus  de  viande  que  le  cultivateur  belge  ou  français.  Considère-t-on 
maintenant  le  chiffre  du  bétail  relativement  à  l'étendue  du  pays,  on  obtient,  au  con- 
traire, une  proportion  moins  favorable  :  22  têtes  de  bétail  par  100  hectares  en  Bosnie, 
40  en  France,  51  en  Angleteri-e,  61  en  Belgique.  La  production  totale  que  livre  le  sol 
dans  la  Bosnie-Herzégovine  est  très  minime,  car  elle  n'entretient  que  22  habitants 
par  100  hectares,  alors  qu'ily  en  a  en  Belgique  187,  en  Angleterre  111,  en  France  70. 
C'est  seulement  en  Russie  que  l'on  trouve  15  habitants  sur  la  même  superficie  ,  et 
l'on  sait  que  la  Russie  septentrionale  a  un  climat  ainsi  qu'un  sol  détestables.  Quant 
aux  salaires  des  journaliers,  ils  peuvent  se  résumer  ainsi  :  de  70  centimes  à  2  francs 
à  la  campagne  ,  suivant  la  saison  et  la  situation  ;  de  1  fr.  10  à  2  fr.  10  dans  les  villes. 

Les  vaches  sont  très  petites  et  ne  donnent  presque  pas  de  lait.  Les  moutons  sont 
nombreux  :  c'est  la  viande  que  préfère  le  musulman  ;  mais  leur  laine  est  très 
grossière  ;  elle  sei't  à  confectionner  les  étoffes  et  les  tapis  que  les  femmes  tissent  au 
sein  de  chaque  famille.  Dans  les  bois  de  chêne  ,  les  porcs  vivent  presque  à  l'état 
sauvage.  Avec  leurs  hautes  jambes  et  leur  aspect  de  sangliers,  ils  galopent  comme 
des  lévriers.  Chaque  paysan  possède  des  chèvres.  Les  bergers  quittant  les  plaines 
pour  tout  lété  et  emmenant  les  troupeaux  sur  les  hauteurs  ,  dans  les  pâturages  et 
dans  les  bois  des  montagnes  ,  elles  sont  le  fléau  des  montagnes.  Les  chevaux  sont 
mal  faits  et  de  petite  taille  ;  on  les  emploie  uniquement  comme  bêtes  de  somme,  car 
ils  sont  trop  faibles  pour  tirer  la  charrue,  et  la  charrette  n'est  pas  usitée  ;  mais,  très 
agiles,  ils  gravissent  et  descendent  les  sentiers  des  montagnes  avec  une  rapidité  et 
une  sûreté  de  pied  peu  communes.  Ils  sont  très  mal  nourris  et  réduits  pour  la  plupart 
du  temps  à  chercher  eux-mêmes  leur  subsistance  dans  les  forêts,  les  pâturages  ou 
le  long  du  chemin.  Quelques  begs  turcs  possèdent  des  bêtes  d'une  belle  allure  ,  des 
chevaux  arabes  introduits  dans  le  pays  par  la  conquête  ottomane.  Tous  les  trans- 
ports s'effectuant  sur  leur  dos,  le  nombre  des  chevaux  est  considérable  et  chaque 
exploitation  rurale  en  possède  au  moins  une  couple.  Si  l'on  améliorait  la  race ,  la 
Bosnie  pourrait  fournir  d'excellents  chevaux  à  Tltalie  et  à  tout  le  littoral  de  l'Adria- 
tique. Aussi  bien  ,  le  gouvernement  autrichien  commence-t-il  à  s'occuper  de  ce  per- 

22 


—  308  — 

fectionneineiit  :  en  1884  ,  il  envoya  à  Mostar  cinq  étalons  de  la  race  de  Lipitça  et 
détail  caractéristique .  toute  la  population  fut  les  recevoir  drapeau  et  musique  en 
tête.  La  municipalité  fournit  les  écuries  ;  d'autres  localités  ,  telles  que  Nevesinje  et 
Konjica,  offrirent  d'en  faire  autant,  et  l'année  dernière  ,  des  haras  ont  été  établis  sur 
divers  points  du  pays  dans  le  dessein  de  grandir  la  taille  des  chevaux  indigènes. 

Sous  la  domination  turque,  la  condition  des  paysans  était  devenue  tout  à  fait  into- 
lérable. Après  la  conquête  ottomane  ,  le  territoire  fut ,  comme  c'est  l'habitude  en 
pays  turc  ,  divisé  en  trois  parts  :  la  première  pour  le  sultan  ;  la  seconde  pour  le 
clergé  ;  la  troisième  pour  les  propriétaires  musulmans.  Ces  propriétaires  étaient  les 
nobles  bosniaques  ,  les  chrétiens  convertis  à  risiamisme  et  les  spahis  à  qui  il  n'était 
pas  rare  de  voir  le  sultan  donner  des  terres  en  fiefs.  Les  laboureurs  devinrent  sous 
le  nom  de  kmets  (colons)  ou  rayas  (bétail)  des  espèces  de  serfs.  Tout  d'abord  et  jus- 
qu'au milieu  du  dernier  siècle  ,  les  kmets  n'eurent  à  livrer  aux  grands  propriétaires 
(hegs)  ou  aux  petits  propriétaires  {agas)  qu'un  dixième  des  produits  sur  place  ,  sans 
avoir  à  les  transporter  au  domicile  de  leurs  maîtres,  plus  un  autre  dixième  à  l'Etat 
pour  l'impôt.  Les  spahis  et  begs  vivaient  en  grande  partie  des  razzias  qu'ils  opéraient 
dans  les  pays  voisins,  et  l'État,  ne  faisant  rien  pour  la  communauté,  avait  peu  besoin 
d'argent.  Mais,  peu  à  peu  ,  les  musulmans  élevèrent  leurs  exigences  :  ils  en  vinrent 
jusqu'à  exiger  le  tiei's  ou  la  moitié  de  tous  les  produits  du  sol,  livrables  à  leur  jioini- 
cile,  plus  deux  ou  trois  jours  de  corvée  par  semaine.  11  ne  resta  bientôt  plus  aux 
kmets  que  ce  qui  leur  était  strictement  nécessaire  pour  subsister.  Dans  les  hivers 
qui  suivaient  une  mauvaise  récolte,  ils  mouraient  littéralement  de  faim.  Aussi, 
réduits  au  désespoir  ,  se  réfugiaient-ils  par  milliers  sur  le  territoire  autrichien  ,  oii  le 
gouvernement  leur  donnait  des  terres  ,  et ,  en  attendant ,  les  nourrissait.  En  1840 , 
l'Autriche  commença  à  s'émouvoir  .de  cet  état  de  choses  :  elle  fit  entendre  des  récla- 
mations à  la  Porte,  et  celle-ci,  à  diverses  reprises,  donna  des  instructions  à  ses  gou- 
verneurs pour  qu'ils  intervinssent  en  faveur  des  paysans  bosniaques. 

En  1850,  lorsque  Omer  Pacha  eut  maîtrisé  l'insurrection  des  begs  et  brisé  leur 
puissance,  un  nouveau  règlement  fut  rendu  :  il  sert  encore  de  base  au  régime  agraire 
actuellement  en  vigueur.  La  corvée  est  abolie  d'une  façon  absolue.  La  prestation  du 
kmet  est  fixée  au  maximum  à  la  moitié  du  produit  si  le  propriétaire  fournit  le  bétail, 
les  bâtiments  et  les  instruments  aratoires  ;  au  tiers,  si  le  capital  d'exploitation  appar- 
tient au  cultivaieur.  Celui-ci  doit,  en  tout  cas,  livrer  la  moitié  du  foin  au  domicile  du 
maître.  Mais,  d'autre  part,  celui-ci  doit  supporter  le  tiers  de  l'impôt  sur  les  maisons. 
La  dîme  qui  revient  à  l'Etat  est  d'abord  déduite.  Dans  les  districts  peu  fertiles  ,  le 
raya  paye  seulement  le  quart ,  le  cinquième  ou  le  sixième  du  produit.  Ce  règlement 
établissait ,  en  somme  ,  un  système  analogue  au  métayage  en  vigueur  dans  le  midi 
de  la  France,  dans  une  grande  partie  de  l'Espagne  et  de  l'Italie  ,  sur  les  biens  ecclé- 
siastiques en  Croatie  sous  le  nom  àe  polovina^  et  il  semble  ,  dès  lors  ,  qu'il  aurait  dû 
terminer  les  souffrances  des  tenanciers.  Il  n'en  fut  rien  toutefois  ,  et  leur  sort  ne  fit 
qu'empirer.  Exaspérés  des  garanties  accordées  aux  chrétiens,  et  qui  leur  paraissaient 
autant  d'atteintes  à  leurs  droits  séculaires  ,  les  begs  maltraitèrent  et  dépouillèrent 
plus  que  jamais  leurs  pay.sans  ;  ceux-ci  n'avaient  aucun  recours  possible  auprès  des 
juges  et  des  fonctionnaires  musulmans.  Les  rayas  bosniaques  cherchèrent  de  nouveau 
leur  salut  dans  l'émigration.  Cet  exode  eut  lieu  en  1873-74  et  l'Europe  se  rappelle 
encore  les  lamentables  scènes  qui  le  marquèrent.  Plus  énergiques  ,  et  soutenus  par 
leurs  voisins  du  Monténégro  ,  les  Herzégoviniens  se  soulevèrent  ;  c'est  ainsi  que 
commença  la  mémorable  insurrection ,  origine  des  grands  événements  qui  ont  si 
profondément  modifié  la  situation  de  la  péninsule. 

Quelle  est  aujourd'hui  la  situation  économique  des  cultivateurs  ?  Pour  nous  édifier 
à  cet  endroit,  entrons  sur  les  pas  de  M.  de  Laveleye  dans  la  chambre  de  l'un  d'entre 


-  m^  - 

eux  :  «  L'habitation  est  une  hutte  en  clayoïinage  rocouvei-te  de  bardeaux  de  chêne  : 
elle  est  éclairée  par  deux  lucarnes  à  volets  sans  carreaux  de  vitre.  P^lle  est  divisée  en 
deux  petites  cliauibrcttes.  La  première  est  celle  où  l'on  fait  la  cuisine  ;  dans  la 
seconde  couche  la  famille.  La  première  pièce  est  entièrement  noircie  par  la  fumée 
qui,  faute  de  cheminée,  envahit  tout  jusqu'à  ce  qu'elle  s'échappe  à  travers  les  inter- 
stices du  toit.  La  charpente  en  est  visible  ;  il  n'y  a  point  de  plafond.  A  la  crémaillère 
est  suspendue  une  marmite  où  cuit  la  bouillie  de  maïs  qui  est  la  nourriture  du 
paysan.  Trois  escabeaux  en  bois  ,  deux  vases  en  cuivre  ,  quelques  instruments  ara- 
toires, voilà  tout  le  mobilier  :  ni  table  ,  ni  vaisselle  :  on  se  croirait  dans  une  caverne 
des  temps  préhistoriques.  Dans  la  chambre  à  coucher,  ni  chaises  ni  lit  :  deux  coffres 
pour  tout  mobilier. ...  Le  kmet  ouvre  l'un  des  coffres  et  nous  montre  avec  fierté  ses 
habits  de  fête  et  ceux  de  sa  femme.  Il  a  récemment  acheté  pour  celle-ci  une  veste  en 
velours  bleu  toute  brodée  d'or ,  qui  lui  a  coiité  IGO  francs  ,  et  pour  lui  un  dolman 
garni  de  fourrures.  «  Depuis  l'occupation  ,  dit-il ,  il  a  pu  faire  des  économies  ,  parce 
»  que  les  prix  ont  beaucoup  augmenté,  et  il  ose  mettre  ses  beaux  habits  le  dimanche 
»  parce  qu'il  ne  craint  pas  d'être  rançonné  par  le  fisc  et  les  begs.  »  L'autre  coffre 
est  tout  rempli  de  belles  chemises  brodées  en  laines  de  couleur.  Elles  sont  faite.s  par 
sa  femme  qui  les  a  apportées  en  dot.  Voilà  bien  les  peuples  enfants  :  ils  songent  au 
luxe  avant  de  soigner  le  confort.  -Ni  table  ,  ni  lit  :  mais  du  velours  ,  des  broderies  et 
des  soutaches  d'or.  Cette  ab.sence  de  mobilier  et  d'ustensiles  explique  comment  les 
Bosniaques  se  déplacent,  émigrent  et  reviennent  si  facilement.  » 

M.  de  Laveleye  fit  la  connaissance  d'un  capitaine  dalmate,  M.  Domitchi,  qui  s'est 
beaucoup  occupé  de  la  géologie  et  de  la  minéralogie  du  pays.  Il  exploite  ,  au  pied  du 
mont  luatch,  une  concession  où  l'on  rencontre  ,  chose  très  rare  ,  du  mercure  à  l'état 
liquide.  M.  Domitchi  assure  que  le  pays  est  très  riche  en  minéraux  de  toutes  sortes. 
Près  de  Tuzla,  des  salines  appartenant  au  fisc,  livrent  une  paitie  du  sel  qu'on  con- 
somme dans  le  pays.  En  1883 ,  elles  ont  donné  une  augmentation  de  bénéfice  de 
.S00,000  florins,  ce  qui,  pour  le  dire  en  passant,  est  l'indice  d'une  plus  grande  prospé- 
rité. Non  loin  de  Varès  ,  on  produit  du  fer  excellent.  Des  bassins  de  lignite  de  très 
bonne  qualité  existent  près  de  Zeniteha  ,  de  Banjaluka,  de  Travnich  ,  de  Ronzieta  et 
Mostar  ;  on  a  recueilli  également  des  minerais  très  riches  de  chrome,  de  cuivre ,  de 
manganèse  ,  de  plomb  argentifère  et  d'antimoine.  Une  collection  des  minerais  de  la 
Bosnie  figurait  à  la  dernière  Exposition  universelle  de  Paris.  L'État  s'est  réservé  la 
propriété  de  toutes  les  mines,  mais  Une  Compagnie,  la  Bosnia,  a  obtenu  des  conces- 
sions importantes  et  en  a  commencé  l'exploitation. 

Tant  que  la  Bosnie  appartenait  à  la  Turquie,  elle  est  restée  une  vraie  terre  incon- 
nue. Aujourd'hui ,  veut-on  se  renseigner  sur  son  orograj^hie  ,  sa  géologie  ,  sa  consti- 
tution, la  répartition  de  la  propriété  ,  son  régime  agraire  ,  sa  population  ,  .ses  races  , 
ses  cultes  ,  ses  occupations  ,  il  n'y  a  qu'à  feuilleter  la  publication  officielle  appelée 
Ortschafts  und  Decolkerungs  Statistik  von  Bosiiien  und  der  ITerzegovina,  et  l'on 
connaît  ce  pays  mieux  que  le  sien  propre.  On  y  trouve  les  chiffres  suivants.  En  1879, 
les  1,158,453  habitants  vivaient  dans  43  villes,  31  localités  où  se  tiennent  des  mar- 
chés ,  5.054  villages  et  190,062  maisons.  On  voit  que  la  population  rurale  est  disper- 
sée dans  un  nombre  considérable  de  hameaux  ,  n'ayant  en  moyenne  que  231 
habitants.  Six  personnes  par  maison  est  un  chiffre  assez  élevé  qui  s'explique  par  le 
nombre  assez  grand  des  familles  patriarcales.  Le  sexe  ma.sculin  est  de  beaucoup  plus 
nombreux  que  le  sexe  féminin  :  615,312  d'une  part  et  seulement  543,121  de  l'autre  ; 
proportion  peu  favorable  à  la  polygamie,  qui  n'existe,  au  surplus,  que  chez  les  fonc- 
tionnaires turcs  et  point  du  tout  chez  les  musulmans  indigènes.  Voici  un  aperçu  des 
professions  :  95,400  capitalistes  et  propriétaires  -  fonciers ,  dont  un  grand  nombre 
cultivent  eux-mêmes  ;  84,942  cultivateurs-fermiers  ;  54,775  manœuvres  et  ouvriers  de 


—  310  — 

toute  espèce  ;  10,929  marchands ,  boutiquiers,  industriels;  1,082  ecclésiastiques; 
678  employés  :  259  instituteurs  et  professeurs  ,  et  94  médecins.  «  Ce  qui  peint  au  vif 
la  situation  du  pays,  c'est  l'effectif  si  réduit  de  l'état-major  des  fonctions  libérales. 
Malgré  de  récents  progrès,  combien  peu  il  se  fait  pour  les  besoins  intellectuels  et 
moraux  !  Un  seul  maître  enseignant  pour  4,506  personnes  !  Evidemment ,  pas  un 
médecin  dans  les  villages  et  même  dans  les  bourgs.  Le  musulman  se  résigne,  le  raya 
est  pauvre,  et  tous  demandent  des  remèdes  aux  exoirismes  ,  aux  plantes  et  à  des 
recettes  de  sorcière.  » 

L'élément  Israélite  joue  en  Bosnie  un  rôle  fort  importoni  :  les  Juifs  qui  Thabiteiit, 
viennent  les  uns  de  l'Autriche  ou  de  la  Hongrie ,  et  les  autres  sont  des  indigènes 
établis  depuis  fort  longtemps  dans  le  pays.  Ces  derniers  descendent  des  malheureux 
réfugiés  qui  avaient  fui  l'Espagne  pour  échapper  à  la  mort,  au  XV  et  au  XV'I  siècle. 
Ils  parlent  encore  l'espagnol  et  l'écrivent  avec  des  caractères  hébraïques.  Ils  sont  au 
nombre  de  3,420  ,  dont  2,079  fixés  à  Saraje^vo.  Ce  nombre  est  petit,  mais  la  place 
qu'ils  ont  su  se  faire  dans  le  mouvement  des  affaires  est  énorme.  C'est  par  leur  inter- 
médiaire que  se  font  presque  exclusivement  les  importations  et  les  exportations.  Ils 
vivent  d'ailleurs  très  simplement  et  ne  semblent  pas  désireux  d'attirer  l'attention. 
Ces  Juifs  ont  complètement  adopté  le  costume  des  musulmans  et  leur  façon  de  vivre. 
Pour  ce  uiotif ,  et  peut-être  aussi  à  cause  de  la  ressemblance  des  deux  cultes  ,  ils  ont 
été  moins  maltraités  que  les  chrétiens.  Tous  accomplissent  les  prescriptions  de  leur 
culte  avec  la  plus  rigoureuse  ponctualité.  Ils  ne  le  cèdent  pas  aux  musulmans  sous 
ce  rapport.  Le  samedi  personne  ne  manque  à  la  synagogue  ,  et  même  la  plupart  s'y 
rendent  le  matin,  quand  la  voix  du  muezzin  appelle  les  enfants  de  Mahomet  à  la 
prière. 

Il  existe  encore  en  Bosnie  une  autre  race  très  intéressante  et  qui  est  disséminée 
dans  toute  la  péninsule.  Ce  sont  les  Tsintsares  ,  gens  aussi  actifs  ,  aussi  économes  , 
aussi  entreprenants  que  les  Juifs  eux-mêmes,  et  plus  disposés  en  même  temps  à  faire 
œuvre  directe  de  leurs  bras.  Ils  habitent  dans  toutes  les  villes  et  y  fout  le  commerce  ; 
dans  les  campagnes,  ils  tiennent  des  auberges  tout  comme  les  Juifs  en  Galicie  et  en 
Pologne.  Ce  sont  d'excellents  maçons  ,  et  avant  l'arrivée  dos  nruratori  italiens  ,  ils 
étaient  les  seuls  dans  le  pays.  Ils  sont  également  charpentiers  et  exécutent  avec  une 
grande  habileté  les  travaux  de  menuiserie.  On  leur  attribue  la  construction  de  tous 
les  bâtiments  importants  de  la  péninsule  :  églises,  ponts,  maisons  en  pierres.  Enfin, 
on  vante  leur  goût  dans  la  conlection  des  objets  de  filigrane  et  d'orfèvrerie.  Quel- 
ques-uns d'entre  eux  sont  riches  et  font  de  grandes  affaires  ;  le  fondateur  de  la 
fameuse  maison  de  banque  Sina,  à  Vienne,  était  un  Tsintsare.  Les  Tsintsares  sont 
entre  eux  d'une  probité  proverbiale  ;  ils  adoptent  le  costume  et  la  langue  du  pays 
qu'ils  habitent ,  mais  ne  se  mélangent  pas  avec  les  autres  races.  «  Ils  conservent  un 
type  à  part ,  très  reconnaissable.  D'oii  viennent  ces  aptitudes  spéciales ,  qui  les 
distinguent  si  nettement  des  Bosniaques  musulmans  et  chrétiens  au  milieu  desquels 
ils  séjournent?  Ce  sont  évidemment  des  habitudes  acquises  et  transmises  hérédi- 
tairement. On  ne  peut  les  attribuer  ni  à  la  race  ,  ni  au  culte  ,  car  leurs  frères  de  la 
Roumanie  ,  de  même  sang  et  de  même  religion  ,  ne  les  possèdent  nullement  jusqu'à 
présent.  Quel  dommage  qu'il  n'y  ait  que  quelques  milliers  de  Tsintsares  en 
Bosnie  !  » 


E.e  canal  de  la  nier  «lu  .\ord  à  la  mer  Baltique.  —  Ce  travail , 
dii  à  l'iuitiative  de  M.  de  Bismarck  .  qui  fit  voter  l'année  dernière  les  crédits  néces- 
saires à  l'exécution  des  travaux,  a  été  inauguré  le  3  juin  dernier  par  l'empereur 
Guillaume. 


-  Mi  - 

Voici  ,  en  qudques  mots  ,  le  plan  ,  les  proportions,  le  coût  des  travaux  ,  ainsi  que 
le  trafic  éventuel  du  canal  dcïs  doux  mers  allemand  : 

Le  tracé  adopté  est  celui  qui  a  été  élaboré  par  ringénieur  Leutre  ,  en  s'inspirant, 
paraît-il ,  dos  conseils  d'un  grand  négociant  de  Hambourg. 

Ce  canal  j)artira  à  trois  kilomètres  on  amont  de  Burnsbuttel,  près  de  Tomljouchure 
de  l'Elbe  ,  pour  aboutir  dans  la  baie  de  Kiel,  près  de  Holtonau  II  atteindra  l'Eider  à 
Wittelsbergeu  et  en  suivra  le  cours  en  passant  par  Rendsbourg  jusqu'à  Steinrad  , 
oti  il  prendra  la  direction  suivie  par  le  canal  actuel  de  r?]ider  ,  mais  en  supprimant 
les  courbes. 

Le  canal  aura  60  mètres  de  lai'geur  au  niveau  de  l'eau  ,  26  mètres  au  fond  et  une 
profondeur  de  8"',50.  Les  observations  techniques  faites  sur  les  pluies  et  sur  l'éva- 
poration  dans  le  Holstein,  ont  prouvé  que  l'eau  nécessaire  à  ralimontation  des  biefs 
du  canal  et  au  service  des  écluses  ne  fera  pas  défaut.  Il  y  a  un  inconvénient .  cepen- 
dant :  c'est  l'interruption  forcée  qu'éprouvera  la  navigation  sur  le  canal  pendant  la 
saison  des  froids  ;  il  sera  gelé  pendant  trois  mois  au  moins. 

Les  frais  do  construction  se  mon.teront  à  la  somme  de  156  millions  de  marks, 
dont  50  seront  à  la  charge  de  la  Prusse  et  le  reste  à  répartir  entre  les  autres  Etats 
allemands.  Ces  sommes  sont  couvertes  au  moyen  d'un  emprunt  contracté  par 
l'empire. 

Les  frais  annuels  d'entretien  sont  évalués  à  1,900,000  marks.  On  estime  qu'ils 
seront  couverts  par  les  droits  perçus  au  passage  des  navires  qui  paieront  75  pfen- 
nings  par  tonne.  En  1883  ,  le  détroit  du  Sund  a  été  franchi  par  .35,000  navires  ,  tant 
voiliei's  que  vapeurs,  jaugeant  ensemble  13,975,000  tonnes.  On  .i)euse  que  18,000 
navu'es  environ  suivro-.it  la  nouvelle  route  :  c'est  de  637  milles  marins  au  moins  que 
la  nouvelle  voie  abrégera  la  navigation  qui  se  fait  actuellement  par  le  cap  Skagen. 
Les  voiliers  gagneront  trois  jours  et  les  vapeurs  vingt-deux  heures  ,  en  comptant 
pour  ceux-ci  une  vitesse  de  6,25  nœuds  en  mer  et  5,3  nœuds  dans  le  canal. 

Les  difficultés  et  le-^  dangers  de  la  navigation  maritime  par  le  Sund  se  chiffrent 
chaque  année  par  des  pertes  considérables.  De  1877  à  1881  ,  on  a  compté  92  navires 
allemands  jaugeant  ensemble  20,000  tonnes  et  représentant  une  valeur  de  3  à  4 
millions  de  marks,  qui  ont  péri  autour  du  cap  Skagen,  dans  le  Sund  ,  dans  les  deux 
Belt ,  dans  le  Kattegat ,  dans  la  partie  septentrionale  de  la  mer  du  Nord  et  aux 
bouches  de  l'Elbe  II  y  a  eu  d'autres  pertes  évidemment  dont  on  a  jamais  nen 
appris.  On  estime  enfin  qu'il  se  perd  chaque  année  200  navires  de  toute  nationalité 
dans  ces  parages. 

Ces  dangers  et  ces  pertes  étant  écartés  à  l'avenir,  le  nouveau  canal  présente  encore 
d'autres  avantages  considérables  au  point  de  vue  conimercial  et  militaire. 

Avantages  commerciaux.  —  Les  ports  allemands  de  Lubeck ,  de  Weimar,  de 
Stettin,  de  Dantzig,  de  Kœnigsberg ,  de  PiUau  ,  tous  sur  la  Baltique  ,  se  trouveront 
sensiblement  rapprochés  des  ports  de  la  mer  du  Nord.  Le  trajet  do  la  Baltique  à 
Hambourg  se  trouvera  abrcdé  de  44  heures;  il  le  sera  de  32  pour  Bremerhafen  ,  de 
22  heures  pour  Amsterdam,  Rotterdam,  Anvers,  Duukerque  et  Londres.  Le  port  de 
Lubeck  est  le  centre  d'un  trafic  important.  Il  a  des  chantiers  ,  des  usines  métallur- 
giques, des  manufactures.  Les  bassins  sont  remplis  de  voiliers  et  de  vapeurs  venus 
de  Suède  et  de  Norwège. 

Rostok ,  le  porc  le  plus  animé  du  Mecklembourg ,  exporte  en  abondance  des 
céréales  que  lui  expédient  les  villes  de  l'intérieur.  Plus  loin,  c'esi,  Stettin  ,  le  grand 
port  de  la  Basse-Oder,  la  ville  maritime  la  plus  considérable  de  la  Prusse  propre- 
ment dite. 

Stettin  est  le  port  de  Berlin  sur  la  Baltique  et,  comme  cité  industrielle,  elle 


—  312  — 

occupe  un  des  premiers  rangs  en  Allemagne.  Là,  viennent  s"entasser  les  produits  du 
bassin  industriel  houiller ,  métallurgique  et  agricole  de  Silésie.  C'est  le  marché 
naturel  de  Breslau  ,  l'un  des  plus  grands  entrepôts  de  céréales  du  continent  et  le 
centi'e  du  commerce  des  laines  en  Allemagne. 

Dantzig,  le  port  du  bassin  de  la  Vistule  allemande  a  perdu  beaucoup  de  son 
ancienne  importance.  En  retour ,  Kœnigsberg  a  beaucoup  gagné.  Enfin  ,  Memel ,  le 
dernier  port  allemand,  sur  la  frontière  russe  ,  est  un  grand  entrepôt  de  céréales  ,  de 
bois  ,  de  lin  et  de  chanvre. 

Voilà  pour  la  région  de  la  Baltique.  Du  côté  de  la  mer  du  Nord  ,  il  faut  noter  tout 
d'abord  que  TP^lbe,  à  l'embouchure  de  laquelle  le  canal  a  son  point  de  départ,  est  le 
cours  d'eau  de  l'Allemagne  le  plus  favorable  à  la  navigation.  Les  droits  de  naviga- 
tion qui  pesaient  autrefois  sur  le  trafic  eu  différents  endroits  ,  ont  été  supprimés 
depuis  1870  ,  et  les  embarcations  descendent  librement  de  Dresde  à  Hambourg  sans 
rencontrer  de  douanes  intérieures.  L'Elbe  a  sur  son  cours  ,  Magdebourg ,  le  grand 
entrepôt  de  céréales  ,  de  betteraves  et  d'antres  denrées  agricoles  que  produisent  les 
riches  campagnes  de  la  Bœrde  ,  le  centre  d'une  activité  considérable.  Enfin  ,  l'Elbe 
est  en  communication  directe  avec  la  mer.  Son  estuaire  oti  la  marée  remonte  juscpi'à 
165  kilomètres  de  l'embouchure  ,  est  constamment  agité  par  le  flot. 

Hambourg  est  la  deuxième  ville  de  l'Allemagne  par  sa  population  et  par  l'impor- 
tance de  son  commerce  qui  a  quadruplé  de  valeur  depuis  le  milieu  du  siècle.  Quoique 
situé  à  110  kilomètres  de  la  mer  ,  elle  est  en  libre  communication  d'échanges  mari- 
times avec  tous  les  pays  du  monde  par  le  chenal  de  l'Elbe.  Des  services  réguliers 
de  vapeurs  rattachent  Hambourg  aux  ports  de  la  Russie  ,  aux  villes  du  littoral  Scan- 
dinave, aux  cités  maritimes  de  l'occident  et  au  continent  américain.  Son  avant-port, 
Guxhaven,  lui  est  très  utile  en  hiver  quand  l'Elbe  est  couverte  de  glaces  en  aval. 

Avantages  militaires.  —  Les  avantages  commerciaux ,  considérables  ainsi  qu'on 
vient  de  le  voir  par  ces  aperçus,  ne  le  cèdent  en  rien  aux  avantages  militaires  qu'en 
tirera  la  marine  de  guerre  allemande. 

Le  point  de  vue  stratégique  tient  un(?  large  place  dans  le  tracé  et  dans  les  travaux 
à  exécuter.  Si  l'on  a  choisi  Kiel  pour  point  de  départ,  c'est  que  c'est  le  premier  port 
militaire  allemand.  Dorénavant ,  il  sera  relié  directement  au  second  port  militaire . 
Wilhemshafen.  Les  fortifications  des  écluses  tiennent  une  place  importante  parmi 
les  travaux  prévus.  Des  forts  seront  élevés  aux  entrées.  Si  le  canal  n'était  construit 
que  pour  la  marine  marchande  ,  et  si  on  faisait  abstraction  de  toutes  les  considéra- 
tions stratégiques,  il  coûterait  50  millions  en  moins  ,  —  le  tiers  ! 

Les  navires  de  guerre  allemands  sont  exempts  du  droit  de  passage. 

Lorsqu'une  première  fois,  en  1873,  il  fut  question  du  canal  devant  la  Chambre  des 
Seigneurs  ,  le  maréchal  de  Moltke  ne  voulut  pas  en  entendre  parler.  Il  préférait  une 
augmentation  de  la  marine  ,  qui  a  eu  lieu  .  en  effet ,  et  c'est  lui  maintenant  qui  a 
suggéré  au  chancelier  de  reprendre  le  projet.  Il  craint ,  en  effet ,  que ,  lors  d'une 
guerre  ,  la  flotte  allemande  pourrait  bien  se  voir  réduite  à  l'inaction  par  une  flotte 
ennemie  qui  viendrait  s'embosser  à  l'entrée  de  la  Baltique  et  barrer  toutes  les 
passes  au  moyen  de  torpilles  ,  étant  d'accord  avec  le  Uaneniark. 

Lorsque  le  canal  sera  construit ,  les  navires  de  guerre  allemands  pourront  aisé- 
ment circuler  d'une  mer  à  l'autre  ,  refuser  le  combat  s'ils  ne  sont  pas  en  force  ,  cher- 
cher ou  attendre  des  secours  pour  accabler  l'ennemi. 

La  flotte  de  la  Baltique  pourra  se  réfugier  facilement  dans  l'embouchure  de  l'Elbe 
ou  du  Weser  oii  des  dispositions  et  des  travaux  spéciaux  ont  été  exécutés  pour  créer 
un  abri  sûr.  Grâce  aux  vingt-deux  heures  gagnées  par  le  canal,  ces  navires  de  guerre 
allemands,  partis  par  exemple  en  même  temps  qu'une  flotte  ennemie  des  hauteurs  de 


-  313  - 

Héligoland,  arriveraient  iTicore  quelques  heures  avant  celle-ci  à  l'entrée  du  Grand- 
Belt  pour  lui  barrer  l'entrée  de  la  Baltique. 


ASIE. 


liC  transport  île  l'or  en  Sîhérie.  —  On  sait  que  dos  caravanes  font 
quatre  ou  cinq  fois  par  an  le  clieinin  des  niinr>s  de  la  Sibérie  orientale  à  Saint- 
Pétersbourg  pour  le  transport  de  l'or.  A  ce  sujet,  d'après  des  journaux  russes,  la 
Deutsche  Welltpost  rapporte  les  intéressants  détails  suivants  sur  une  de  ce-<  cara- 
vanes qui  arriva  à  Saint-Pétersbourg  dans  les  premiers  mois  de  1885,  chargée  d'envi- 
ron 346  pouds  (1  poud  =  154  kilos)  -d'or  pur,  d'une  valeur  de  7  millions  de  roubles. 
Les  lingots  d'or  sont  de  grandeurs  variées  (depuis  quelques  grammes  jusqu'à  10 
livres);  on  les  emballe  d'abord  dans  de  petites  caisses,  qui  elles-mème  sont  réunies 
dans  une  grande  caisse  contenant  25  pouds,  et  fermée  au  moyen  de  lattes  de  fer 
clouées  autour  ;  chacune  de  ces  caisses  est  soudée  à  un  chariot.  Ces  chariots  sont 
fabriqués  de  telle  façon  qu'on  peut  les  transformer  en  traîneaux.  Ils  sont  chacun 
attelés  d'une  tro'ique  de  chevaux  de  postes,  ou  de  chevaux  livrés  par  les  particuliers 
selon  les  régions  que  l'on  parcourt.  En  répartissant  25  pouds  d'or  sur  chaque  chariot, 
il  a  fallu  14  troiques  pour  le  transport  des  346  pouds.  Le  commandant  de  la  circons- 
cription militaire  de  la  Sibérie  orientale  nomme  ordinairement  pour  accompagner  ces 
caravanes  un  de  ces  meilleurs  officiers  .  qui  s'entoure  d'une  compagnie  d'hommes 
pris  parmi  les  cosaques  de  Sibérie.  La  caravane  dont  il  est  question  ici ,  était  com- 
mandée par  le  capitaine  d'état-major  Kermal,  chef  du  convoi  de  Scheragel  (gouver- 
nement d'irkoutsk),  qui  ne  quitta  pas  un  instant  la  caravane  et  mit  de  la  sorte  un 
mois  et  dix  jours  au  trajet  d'Irkoutsk  à  Saint-Pétersbourg,  sans  jamais  pouvoir  se 
l'eposer  suffisamment  pour  rétablir  ses  forces.  Pour  prix  de  leurs  efforts,  les  hommes, 
qui  ont  conduit  la  caravane  d'or  de  Sibérie  à  Saint-Pétersbourg ,  reçoivent ,  outre 
leur  salaire  et  leurs  frais  de  route  pour  l'aller  et  !e  retour,  un  double  salaire.  L'or 
transporté  sert  à  frapper  des  ducats  et  des  demi-impériaux  ;  il  appartient  au  domaine 
de  la  Cour  et  provient  des  mines  d'or  de  Nertschinsk  et  de  Kari,  qui  font  partie  de 
ce  domaine  ;  aussi  est-il  mis  à  la  disposition  absolue  du  ministère  de  la  Cour 
impériale. 


I.ie  c«>ninicrec  de  rAiiuain  et  du  Tosikiu  en  1S86.  —  Les  ren- 
seigneuionts  suivants  ont  été  puisés  dans  le  premier  rapport  annuel  sur  les  opéra- 
tions des  douanes  de  l'Annam  et  du  Tonkin  pendant  l'année  1886: 

IMPOHT.\TI0NS.  EXPORTATIONS. 


1885 21 .679.878  f.  51  7.8(50  296  f.  94 

1886 28 .  808 .  505      95  '.1.112. 433      82 

Le  total  des  importations  et  des  exportations  a  donc  été  de  29,5^10,175  fr.  45  o.  en 
1885,  et  de  37,920,939  fr.  77  c.  en  1886. 
L'excédent  en  faveur  de  1886 ,  soit  8,380,764  fr.  32  c. ,  est  dû  non  seulement  à 


—  314  — 

l'accroissement  du  commerce  ,  mais  encore  au  plus  grand  soin  apporté  dans  le  ser- 
vice de  la  vérification.  Sur  le  chiffre  total  de  rimpoitation  en  1886 ,  il  n'y  a  que 
4,013,111  fr.  de  produits  importés  de  France  ou  des  colonies  françaises  ;  le  reste  , 
22,775,394  fr.  vient  de  l'étranger  ;  sur  près  de  fi  millions  ,  rinjportation  française  n'a 
été  que  de  5,000  fr.  Les  deux   tiers  des  tissus  de  coton  sont  fournis  par  l'étranger. 

L'importation  française  a  été  très  faible  pour  les  médecines  diverses  ,  nulle  pour 
les  tissus  de  soie  ,  l'opium  et  la  toile.  Au  contraire  ,  le  vin  ,  les  liqueurs  sont  venus 
exclusivement  de  France  ou  des  colonies  irançaises. 

Enfin,  pour  la  quincaillerie,  le  tabac  et  les  cigai'es  ,  l'importation  française  a  égalé 
l'importation  étrangère. 

En  résumé,  les  importations  françaises  ne  comprennent ,  pour  des  chiffres  d'une 
certaine  importance,  que  la  bimbeloterie,  les  conserves  alimentaires  ,  les  épices  ,  les 
huiles,  les  liqueurs,  la  quincaillerie,  le  tabac  et  les  vins. 

Les  principaux  articles,  tels  que  les  cotons  filés,  les  cotonnades,  les  matériaux  de 
construction ,  le?  lainages ,  etc.  ,  viennent  de  l'étranger.  Les  cotons  filés  et  les 
cotonnades  représentent  à  peu  près  le  quart  de  la  valeur  des  importations  du  Tonkin 
et  de  l'Annam. 

Les  produits  exportés  en  1886  l'ont  été  ,  pour  la  plus  grande  partie  ,  à  l'étranger  ; 
on  n'a  exporté  en  France  ou  dans  les  colonies  françaises  que  pour  1,968,611  fr., 
tandis  qu'on  a  exporté  à  l'étranger  pour  7,143,821  fr. 

Les  produits  exportés  en  France  sont  principalement  les  tissus  de  soie,  647,727  fr., 
et  la  bourre  de  soie,  186,900  fi-. 

L'excédent  de  1,2.52,136  fr.  en  faveur  de  l'année  dernière  ,  aurait  été  plus  considé- 
rable si  plusieurs  causes  n'avaient  nui  au  développenient  du  commerce  :  les  récoltes 
du  riz  ont  manqué  dans  les  provinces  de  Qui-N'hon ,  de  Bin-Ding  et  du  Than-Hoa  ; 
la  rébellion  et  la  piraterie  ont  nui  aux  transactions  et  ruiné  les  habitants. 

Signalons  comme  produits  appelés  à  prendre  un  grand  développement  :  la 
cannelle  ,  qui  est  exportée  en  Chine  ;  le  coton  ,  dont  la  production  est  favorisée  par 
un  climat  exceptionnellement  bon  et  peut  devenir  un  jour  la  base  d'un  grand 
commerce. 

La  soie  grège  est  également  appelée  à  prendre  une  grande  place  dans  le  commerce 
d'exportation.  11  n'est  pas  douteux  que  cette  industrie ,  dont  le  déveloj<pement  est 
certain,  pourra  nous  donner  avant  longtemps  plusieurs  milliers  de  balles  Je  soie  de 
qualité  supérieure.  Nous  approvisionnerons  alors  en  partie  nos  fabriques  de  Lyon  , 
qui  ont  été  jusqu'à  présent,  tributaires  de  la  Chine. 

En  résumé,  malgré  la  plus-value  de  1,252,136  fr.,  l'année  1886  doit  être  considérée 
comme  médiocre  pour  le  commerce  d'exportation.  Quand  le  calme  sera  rétabli  en 
Annam,  certains  articles,  tels  que  les  arachides  ,  les  huiles  d'arachides  ,  la  cannelle , 
la  soie  grège  ,  les  tissus  de  soie  el  le  sucre  ,  pourront  atteindre  en  1887  ,  en  Annam 
seulement ,  un  chiffre  aussi  élevé  que  celui  de  toutes  les  exportations  réunies 
en  1886. 

Quant  au  mouvement  de  la  navigation,  nous  voyons  qu'il  est  entré  en  1886  ,  dans 
les  trois  ports  de  l'Annam  et  du  Tonkin  :  Haï-Phong,  Tourane  ,  Qui-N'hon,  924  na- 
vires et  jonques  jaugeant  ensemble  252..597  tonneaux  contre  413  navires  jaugeant 
192,079  tonneaux  en  1885. 

A  part  les  jonques  ,  les  côtes  sont  régulièrement  visitées  par  des  navires  fi-ançais  , 
anglais,  allemands  et  danois.  Parmi  les  pi'eniiers  ,  les  paquebots  des  messageries 
maritimes  sont  les  plus  nombreux  :  ainsi ,  sur  180  navires  français  entrés  dans  les 
trois  grands  ports  de  l'Annam  et  du  Tonkin  en  1886,  la  Compagnie  des  Messageries 
maritimes  seule  figure  pour  130  entrées. 

Les  navires  allemands  viennent  en  seconde  ligne  pour  le  nombre  ,  mais  doivent 


-  :-îl5  - 

être  classés  les  premiers  pour  la  valeur  des  chargements.  11  est  fMitré  ,  sous  pavillon 
allGinaiid  ,  124  bateaux  jaugeant  G'^'iO'i  tonmaux  ,  en  1880,  contre  100  navires 
jaugeant  5.'^,387  tonneaux,  en  J88"). 

Il  est  entré  54  bâtiments  danois  ,  en  1886  ,  dans  les  ports  du  protectorat  ;  11  seule- 
ment étaient  entrés  en  1885. 

Les  navires  anglais  sont  nioin-;  nombreux  :  05  entrés  en  1885  et  48  seulement 
en  1880. 

«  Un  des  obstacles  les  plus  graves  au  commerce  ,  nous  écrit  h  ce  propos,  l'un 
de  nos  correspondants ,  c'est  le  change  de  la  piastre.  Le  Trésor  rend  toute  tran- 
saction avec  la  France  impossible,  en  faisant  payer  de  3  à  0  1/2  pour  cent  les  simples 
mandats-poste.  Gomme  il  suffit  avec  Hongkong  d'envoyer  des  caisses  de  piastres 
qui  ne  paient  presque  rien,  le  résultat  est  que  les  marchands  sont  dans  l'impossibilité 
de  vendre  des  marchandises  françaises. 

»  .Joignez  à  cela  que  les  fournisseurs  français  veulent  être  payés  comptant  ou  à 
trente  jours. 

»  Or,  1"  les  marchandises  françaises  sont  toutes  plus  chères  que  les  marchandises 
allemandes  et  anglaises  ,  et  il  n'est  pas  prouvé  du  tout  qu'elles  soient  toujours  de 
qualité  supérieure. 

»  2"  Il  faut  payer  un  fret  énorme.  Ainsi,  c'est  aussi  cher  pour  faire  venir  les  caisses 
de  Saigon  à  Tourane  que  de  Marseille  à  Saigon 

»  Enfin,  la  douane  crée  mille  difficultés.  Par  exemple,  une  marchandise  est  destinée 
à  Hué,  je  suppose.  Elle  entrerait  en  rivière  à  Thuan-an  ;  mais  il  n'y  a  pas  d(?  douane 
à  Thuan-an.  Il  faut  donc  qu'elle  aille  d'abord  à  Tourane.  Là  ,  elle  reste  sur  le  quai 
jusqu'à  ce  que  le  destinataire  ait  envoyé  à  la  douane  le  détail  des  marchandises  et 
leur  prix.  11  faut  trois  jours  et  souvent  quatre  pour  qu'une  lettre  aille  de  Tourane  à 
Hué.  Cela  fait  huit  jours  pour  l'aller  et  le  retour. 

»  Les  marchandises  en  venant  de  France  paient  2  fr.  50  pour  cent  de  la  valeur. 
Celles  d'Angleterre  et  d'Allemagne  paient  5  pour  cent.  Les  marchandises  françaises 
devraient  être  beaucoup  moins  frappées  ,  et  au  contraire  ou  devrait  frapper  davan- 
tage les  marchandises  étrangères. 

»  Enfin  ,  ainsi  que  je  vous  l'ai  dit ,  les  négociants  sont  trop  improvisés.  Ils  se 
bornent  à  tenir  des  espèces  de  bazars-épiceries  ,  à  l'usage  exclusif  des  fonctionnaires 
civils  et  militaires.  Tous,  à  mon  avis,  seront  obligés  d'y  renoncer.  Leur  clientèle  est 
trop  restreinte. 

»  Personne  ici  ne  s'est  occupé  de  vendre  aux  Annamites.  Les  marchands  me 
répondent  :  toute  cotonnade  ou  étoffe  à  très  bas  prix  coûtera  en  France  toujours 
plus  cher  que  la  marchandise  similaire  anglaise.  —  Alors,  que  venons-nous  faire  en 
Annam  ?  Puis,  il  faudrait  courir  le  pays  ,  se  donner  beaucoup  de  mal.  Or  ,  c'est  ce 
qu'on  n'aime  pas. 

»  L'Annam  est  inondé  de  produits  anglais  ,  étoffes  ,  fil ,  aiguilles  ,  médicaments  , 
marchandises  de  toute  nature.  Le  plus  curieux  ,  est  que  presque  tout  a  échappé  à  la 
douane  par  l'audace  des  capitaines  de  navires  qui  débarquent  tout  en   contrebande. 

»  II  y  a  ici  beaucoup  à  faire.  Mais  il  faut  des  marchandises  à  bas  prix. 

»  Ainsi  donc  ,  jusqu'ici ,  il  n'y  a  pas  une  seule  maison  de  commerce  qui  ait  réelle- 
ment enti-epris  de  commercer  avec  les  Annamites  et  les  Chinois  ,  c'est-à-dire  avec 
l'intérieur  de  l'Annam  et  du  Tonkin.  Et  on  ne  peut  pas  alléguer  le  manque  de  sécu- 
rité, car  les  trois  quarts  du  pays  sont  absolument  sûrs  et  pacifiés. 

»  3°  T  aurait-il  un  commerçant  sérieux  voulant  faire  des  affaires  avec  l'Annam  ou 
le  Tonkin  proprement  dits,  qu'il  en  serait  empêché  : 


-  316  - 

»  A.  Par  le  change  de  la  piastre  qui  était  à  3  fr  85  ,  il  y  a  six  mois  ,  qui  a  été  à 
4  fr.  20  ensuite,  et  qui  varie  ainsi  chaque  mois. 

»  B.  Par  le  prix  da  papier,  un  mandat-poste  se  payant  de  2  1/2  à  7  pour  cent  ;  cela 
varie  aussi  chaque  mois. 

»  G.  Gomme  on  ne  peut  prendre  que  500  fr.  par  jour  de  mandats,  et  que  c'est  très 
rigoureusement  surveillé  ici ,  il  faut  qu'un  négociant  de  Thuan-an  ,  par  exemple  , 
fasse  le  voyage  de  Hué ,  qui  prend  vingt-quatre  heures  chaque  fois  et  coûte  une 
piastre  et  demie  chaque  fois,  autant  de  fois  qu'il  a  .500  fr.  à  envoyer  en  France.  Pour 
10,000  fr.,  cela  ferait  donc  vingt  voyages  à  30  piastres,  et  vingt  fois  vingt- quatre 
heures  perdues. 

»  4"  La  facilité ,  au  contraire  ,  de  se  procurer  tout  à  Hongkong  à  meilleur  mai'ché 
qu'en  France  ,  sans  avoir  de  fiet  à  payer,  ou  peu  s'en  faut ,  sans  avoir  de  traites  à 
acheter,  et  avec  peu  ou  pas  de  risques  à  courir,  fait  qu'il  est  presque  impossible  que 
le  marchand  vende  de  la  marchandise  française. 

>•>  S**  Les  maisons  étrangères  font  crédit.  Les  maisons  françaises  s'y  refusent. 

»  6"  Il  paraît  que  les  maisons  françaises  ne  peuvent  pas^  vendre  au  prix  auquel 
vendent  les  maisons  étrangères. 

»  7"  Puisque  Hué  est  le  plus  grand  centre  de  population  de  l'Annam  ,  il  devrait  y 
avoir  une  douane  à  l'entrée  de  la  rivière.  Gela  éviterait  aux  navires  destinés  à  Hué 
de  perdre  un  jour  pour  aller  à  Tourane  et  un  jour  pour  revenir  à  Thuan-an  ,  sans 
compter  les  ennuis  de  toutes  sortes. 

»  Enfin  ,  il  me  semble  qu'on  ne  devrait  frapper  aucun  droit  sur  les  marchandises 
françaises,  puisque  la  seule  raison  sérieuse  que  nous  ayons  de  venir  ici  .  est  d'ouvrir 
des  débouchés  au  commerce  français.  Or,  les  premières  mesures  que  l'on  prend,  ont 
pour  résultat  de  fermer  l'Annam  au  commerce  français.  Ge  n'est  pourtant  pas  pour 
donner  des  sijiécures  à  des  fonctionnaires  ,  que  nous  sommes  ici.  » 


AFRIOUE. 


l*ort!«  algéricMS.  —  Plusieurs  Sociétés  financières  sont  actuellement  en 
instances  pour  obtenir  l'autorisation  de  construire  quelques-uns  des  ports  de  la  côte 
algérienne,  dans  les  conditions  qui  avaient  été  proposées  oar  le  Gonseil  supérieur. 

La  Gompagnie  de  l'Est-Algérieu  offre  de  construire  le  port  de  Bougie ,  auquel 
accède  la  ligne  des  Beni-Mansour ,  en  faisant  l'avance  du  capital  nécessaire  à  cette 
entreprise ,  dont  elle  se  rembourserait  par  la  perception  ,  pendant  une  période  à 
déterminer,  de  taxes  de  quai  et  autres  que  devraient  acquitter  les  navires. 

Une  Gompagnie  financière ,  qui  demande  la  concession  de  la  construction  d'un 
chemin  de  fer  de  Tlemcen  à  Raschgoun  ,  propose  de  créer  un  port  dans  les  mêmes 
conditions  que  le  précédent ,  de  façon  à  mettre  la  région  extrême  du  département 
d'Oran,  sur  la  frontière  marocaine,  en  communication  avec  la  mer  par  la  route  la 
plus  courte,  ainsi  que  le  demandent  instamment  les  populations. 

Le  port  d'Arzeu  peut  être  construit  dans  des  conditions  identiques,  car  des  propo- 
sitions de  même  nature  avaient  été  faites  à  ce  sujet  il  y  a  deux  ans.  Sa  situation  de 
tète  de  ligne  du  cliemin  de  fer  de  Saïda  et  prolongement  rend  probable  une  solution 
prochame  à  laquelle  la  Gompagnie  Franco-Algérienne  est  très  intéressée. 


—  317  - 

Le  poi"t,  de  Mostaganem  va  être  créé  au  moyen  de  l'emprunt  que  réalise  en  ce 
moment  la  municipalité  de  cette  ville. 

Celui  de  Ténès  se  teimiuo  avec  les  subventions  allouées  par  l'Ktat  ;  par  consé- 
quent ,  le  chemin  de  fer  d"Orléansville  h  la  mei- ,  que  réclament  avec  instances  les 
populations  de  l'arrondissement ,  aura  sa  tête  de  ligne  créée  quand  il  sera  lui-même 
concédé  et  construit. 

Des  améliorations,  nécessaires  pour  assurer  la  sécurité  d'entrée  des  navires  et  la 
tranquillité  de  la  nappe  d'eau,  sont  en  voie  d'exécution  au  ])Ort  d'Alger ,  et ,  d'autre 
part,  des  études  complètes  d'un  projet  de  création  d"un  arrière-port,  dans  la  baie  de 
Mustapha ,  ont  été  soumises  à  l'ajjprobation  du  Ministre  des  Travaux  publics  et ,  en 
conséquence,  aux  enquêtes  réglcnicntaires  ,  terminées  aujourd'hui  au  premier  et  au 
second  degré. 

Pour  Dollys,  le  projet  de  construction  d'un  chemin  di-  1er  départemental  desser- 
vant la  Kabylie  et  se  dirigeant  sur  Bogliar ,  avec  prolongements  ultérieurs,  a  déjà 
provoqué  des  propositions  de  construction  d'un  port  dans  des  conditions  beaucouji 
plus  complètes  que  celui  auquel  on  travaillait  depuis  six  ans.  Au  projet  en  cours 
d'exécution  ,  dont  la  dépense  s'élevait  à  G;J5,000  fr  ,  va  venir  s'ajouter  un  nouveau 
projet  complètement  étudié,  dont  la  dépense  s'élèverait  à  2,500,000  fr,  et  qu'une 
Compagnie  financière  demande  à  construire  dans  les  mêmes  conditions  que  les 
précédentes. 

Le  port  de  Djidjelli  pourra  s'exécuter  d'une  façon  identique  ,  surtout  si  l'on  ct»ns- 
truit  la  ligne  projetée  de  Djidjelli  à  Setif ,  qui  a  chance  d'être  substituée  à  celle  de 
Bougie-Sétif  qui  semble  abandonnée. 

Le  port  de  Philippeville  est  terminé,  ou  à  peu  près  ,  à  l'aide  des  subventions  anté- 
rieures de  l'Etat  et  des  avances  d(^  la  Chambre  de  Commerce  ,  les  dons  et  avances 
de  la  municipalité. 

Le  Gouvernement  paraît  plein  de  bonne  volonté  pour  construire  également  celui 
de  la  Calle 

On  peut  donc  considérer  l'achèvement  ou  la  construction  des  ports  de  la  côte 
algérienne  comme  assurés  ,  sans  avoir  recours  aux  subventions  allouées  annuelle- 
ment par  l'Etat  qui  n'aurait  plus  que  des  garanties  d'intérêt  k  payer  pour  quel- 
ques-uns. 


lie  eoniniercc  ile  l'État  libre  du  Tou^o  et  de  la  c«»loiiie  du 
Gahou  eiî  f  >*8C  —  L'exportation  de  l'Etat  libre  du  Congo  pendant  l'année 
1886  a  été  évaluée  h  la  somme  de  2,017,942  fr.  provenant  des  marchandises 
suivantes  : 

573.468  kilog.  café 659.488  fr. 

118.366     —  caoutchouc .5-..^0.8I0 

381.070     —  huile  de  palme 171.488 

22.205     —  ivoire 444.100 


Le  reste  provient  de  différents  articles  ,  comme  de  la  cire,  des  peaux  ,  de  l'huile 
de  poisson,  de  la  graine  de  sésame.  En  fournissant  cette  statistique  ,  le  Gouverne- 
ment du  Congo  fait  remarquer  que  l'exportation  de  1887  donne  déjà  des  chiffres 
beaucoup  plus  importants. 

Nous  avons  une  colonie  voisine  ,  celle  du  Gabon  .  qui  concurrence  l'Etat  libre  du 


—  318  — 

Conpo.  Nous  n'avons  que  Tétat  de  ses  exportations  en  1885  ;  il  s'élève  à  plus  de 
2  millions  ;  quatre  articles  représentent  presque  seuls  ce  total,  ce  sont  : 

456.555  kilog.  caoutchouc 1 .187.644  fi*. 

30.014     —      ivoire 898.753 

840.572     —      ébène 126.084 

3.877.968     —      santal 75.560 

Ce  qui  est  regrettable,  c'est  que,  sur  ces  chiffres,  14,.578  fr.  seulement,  c'est-à-dire 
moins  de  1  "/(, ,  représentent  le  commerce  d'exportation  sur  la  France.  C'est  à  l'étran 
ger  que  vont  les  produits  de  notre  colonie  ,  et  cependant  ils  sont  assez  riches  pour 
tenter  notre  commerce. 

11  est  vrai  que  la  France  a  négligé  cette  colonie  et  y  a  laissé  les  Allemands  et  les 
Anglais  y  fonder  des  comptoirs  florissants.  Nul  doute  qu'avec  l'appui  que  donne 
maintenant  l'Administration  coloniale  à  nos  nationaux,  des  maisons  françaises  pour- 
raient facilement  reprendre  le  terrain  perdu. 

Mais  une  autre  mesure  s'y  impose,  c'est  la  création  d'une  ligne  française  reliant  la 
mère-patrie  à  nos  colonies  de  la  côte  occidentale  d'Afrique.  Déjà  les  Anglais  ,  les 
Belges,  les  Portugais  subventionnent  des  Compagnies  de  navigation  desservant 
toutes  les  colonies  de  la  côte  ,  y  apportant  et  en  exportant  à  leur  profit  toutes  les 
marchandises  possibles.  On  annonce  que  les  Italiens,  qui  n'ont  pourtant  pas  de 
colonies  à  eux  dans  ces  parages  ,  vont  faire  créer  par  la  Société  Florio-Rubattino  un 
service  au  départ  de  Gènes.  Seule,  la  France  qui,  cependant,  a  les  intérêts  les  plus 
importants  entre  le  Congo  et  le  Maroc,  n'a  pas  de  service  à  elle.  Il  serait  temps  d'y 
songer. 


IjC  «îonimcpt'e  <l*inB{»orfatioii  avec  Maclagasear.  —  Nous  donnons 
ci-de.ssous  la  nomenclature  des  articles  d'importation  les  plus  importants  : 

1"  Spiritueux.  —  Tandis  qu'un  grand  nombre  de  peuples  de  la  côte  orientale  de 
l'Afrique  préparent  les  boissons  fermentées  ,  les  Malgaches,  chose  curieuse,  ne 
connaissent  pas  cet  art  et  tirent  leurs  boissons  alcooliques  du  dehors.  Le  rhum  de 
Maurice  et  de  Bourbon  est  presque  exclusivement  écoulé  à  Madagascar  ;  Tamatave 
et  les  ports  avoisinants  importent  annuellement  pour  près  de  800,000  fr.de  rhum. 
Ce  produit  a  déjà  causé  de  grands  ravages  parmi  les  tribus  noires  de  la  côte 
orientale. 

2"  Faïence  ,  verrerie ,  etc.  —  Les  Malgaches  aisés  ont  une  grande  prédilection 
pour  ces  objets  ,  qui  constituent  souvent  une  grande  partie  de  leur  avoir.  C'est  la 
France  qui,  par  l'intermédiaire  de  Marseille,  en  fournit  Madagascar. 

3'*  Instruments  de  musique.  —  Le  Malgache  a  un  goût  prononcé  pour  la  musique  ; 
on  trouve  l'accordéon  dans  chaque  village  et  autrefois  les  horloges  à  carillon  du  can- 
ton de  Berne,  étaient  fort  répandues  sur  la  côte  occidentale. 

4"  Etoffes  de  laine.  —  Elles  sont  spécialement  destinées  aux  contrées  habitées 
par  les  Hovas. 

ô"  Tissus  de  coton  américains.  —  Ces  tissus ,  non  temts  ,  sont  très  demandés  , 
tant  sur  la  côte  orientale  que  sur  l'autre.  Les  Hovas  les  utilisent  comme  vêtements 
de  dessus,  tandis  que  les  Sakalaves  s'en  ceignent  les  reins  ou  les  emploient  comme 
tenture  de  leurs  chambres  d'habitation.  L'importation  de  cet  article  est  de  8  millions 
lie  francs  environ  pour  les  deux  ports  de  Tamatave  et  de  Majunga. 


-.3VJ  — 

6"  Tissus  de  coton  tissés ,  teints  et  imprimés.  —  Avec  l'article  précédent ,  ces 
tissus  constituent  la  plus  importante  catcgoi-ie  des  marchandises  importées ,  dont 
TAiigieterre  a  réussi  à  s'emparer  ces  derniers  temps.  Los  indiennes  avec  df>s  C()ul(;nrs 
mates,  sont  désirées  sur  les  deux  côtes  de  l'île. 

Le  conmierce  se  fait  l'n  partie  par  voie  d'échanges,  en  partie  contre  le  paiement 
en  espèces.  La  monnaie  la  plus  courante  esr,  la  pièce  de  5  fr.  appelée  piastre;.  Pour 
obtenir  des  monnaies  divisionnaires,  les  indigènes  ont  coutume  de  couper  les  pièces 
en  morceaux. 

La  plupart  des  maisons  européennes  sont  établies  à  la  côte  ;  à  l'intérieur,  le  com- 
merce est  entre  les  mains  des  llovas.  Les  maisons  principales  ont  leur  siège  en 
Europe  (Marseille,  Hambourg.  Londres),  de  là,  elles  pourvoient  régulièrem-wit  leurs 
succursales  et  factoreries  des  marchandises  nécessaires. 

Les  peu[)les  suivants  [)articipent  au  commerce  de  Madagascar  : 

I.  —  Les  Hovas  développent  beaucoup  d'habileté  comme  conrunerçants  et  soignent, 
au  moyen  de  porteurs,  les  transports  de  marchandises  de  et  pour  la  côto.  Gomme  les 
fonctionnaires  hovas  dominent  complètement  le  conmierce  dans  leur  district,  il  ne 
sera  pas  aisé  aux  Européens  de  les  écarter. 

II.  —  Les  Anglais  ont  leurs  principales  maisons  à  Tamatave  et  Tananarive  ;  ils 
importent  des  tissus  ,  des  meubles  ,  des  boissons  ,  des  tôles.  La  plus  importante  de 
ces  maisons  qui,  eu  même  temps,  a  joué  un  grand  rôle  dans  la  politique  des  llovas  , 
est  celle  de  Proctor  Brothers,  à  Tamatave  et  à  Tananarive.  11  faut  encore  ajouter  les 
importations  directes  de  soieries,  dentelhjs  ,  droguerie  ,  etc. ,  faites  par  des  mission  • 
naires  anglais. 

III.  —  Les  Américains  ne  travaillent  que  dans  les  tissus  de  coton  écru ,  et  cela 
sur  les  places  de  Tamatave  et  de  Majunga. 

IV.  —  Les  Français  importent  surtout  des  vins  ,  de  l'absinthe  ,  du  rhum  ,  de  la 
verrerie,  des  faïences  et  du  sel  :  ils  exportent  du  caoutchouc,  du  copal,  des  peaux  et 
du  bétail. 

V.  —  Les  Allemands  ont  à  Madagascar  une  influence  commerciale  qui  grandit 
chaque  jour.  La  maison  Oswald,  à  Hambourg,  a  fondé  une  succursale  à  Tamatave  et 
une  autre  à  Nossi-Bé  ;  son  importation  annuelle  est  maintenant  de  3  millions  de 
francs  en  draperie,  cotonnade,  faïence,  verrerie,  vin,  bière,  etc. 

VI.  —  Les  Hindous  sont  généralement  adonnés  au  petit  commerce,  la  plupart  sont 
actifs  et  très  économes  ;  on  les  rencontre  dans  toutes  les  localités  des  côtes  orientale 
et  occidentale.  Ils  tirent  leurs  marchandises  de  Zanzibar  ou  de  Bombay.  Les  moins 
riches  des  Hindous  habitant  sur  la  côte  orientale,  sont  en  relation  avec  des  maisons 
créoles  de  Maurice.  Les  grossistes  européens  leur  vendent  fréquemment  des 
marchandises  à  crédit ,  et ,  selon  la  solidité  du  client ,  3  ,  4  ,  ou  même  six  mois 
de  terme. 

VU.  —  Les  Arabes  jouissaient  précédemment  d'une  grande  influence  dans  l'île  ; 
ils  la  conservent  encore  sur  la  côte  sud-ouest  en  excitant  continuellement  les  indi- 
gènes contre  les  Européens.  Leur  négoce  n'est  plus  très  important  dans  le  nord- 
ouest  de  l'île. 


AMERIQUE. 

Ressources    et    état    économique    du    llex.ique.     —     Nous 
avons  sous   les  yeux  deux  ouvrages   sur  la  république  mexicaine  :   l'un  est  de 


—  320  - 

M.  Antuiùo  Garcia  Cubas  ;  il  a  pour  I  itrc  :  Cundra  geogniphico,  estadistico  e  histonco 
de  los  Ëstados  Unidos  Me ricanos  (1)  ;  l'autre  porte  la  signature  de  M.  Jules  Leclercq, 
président  de  la  Société  géographique  de  Bruxelles,  un  infatigable  voyageur  dont  le 
nom  est  bien  connu  des  géographes  (2).  Ces  deux  livres  ne  se  ressemblent  pas  ; 
l'un  est  purement  économique  et  didactique  ,  l'autre  n'est  qu'une  relation  de 
voj'age  ;  mais  chacun  d'eux  est ,  dans  son  genre  ,  d'une  lecture  fort  attachante  et 
instructive. 

M.  Antonio  Garcii  Cubas  n'a  pas  donné  à  son  livre  un  titre  menteur  ;  il  s'agit  bien 
d'une  description  géographique  ,  statistique  et  historique  de  la  République  mexi- 
caine ,  comme  l'indique  ce  titre.  Après  avoir  lu  le  yoluii,e  ,  on  connaît  mieux  le 
Mexique  et  ses  immenses  ressources  naturelles  ;  mais  on  connaît  aussi  les  maux 
dont  ce  pays  a  souffert  et  souffre  encore.  M.  Cubas  est  sans  doute  un  ardent 
patriote;  mais  il  n'aime  pas  sa  patrie  jusque  dans  ses  vices,  comme  Cicéron  le 
faisait  de  Rome.  Il  ne  cache  point  la  vérité  aux  lecteurs.  Il  constate  et  déplore  en 
même  temps  les  longues  agitations  et  les  vicieux  errements  politiques  dont  le 
Mexique  a  été  la  victime  depuis  son  émancipation ,  espérant  d'ailleurs  qu'avec  le 
temps  et  la  cessation  de  l'anarchie  ,  ce  beau  pays  ne  tardera  pas  à  voir  surgir  une 
ère  de  prospérité  véritable. 

Baigné  à  l'Est  par  l'Atlantique  et  à  l'Ouest  par  le  Pacifique  ,  s'étendant  sur  une 
superficie  de  200  millions  d'hectares  ,  du  15"  an  20''  parallèle  Nord  et  du  86"  au  117" 
longitude  occidentale  ,  le  territoire  mexicain  occupe  une  position  privilégiée.  Son 
littoral  sablonneux  et  aride  en  certains  endroits,  entrecoupé  de  lagunes  ,  de  marais , 
de  forêts  épaisses,  appartient  à  la  zone  intertropicale.  Cette  zone,  partant  de  l'Océan, 
se  prolor;ge  jusqu'à  une  hauteur  de  3,000  et  4,000  pieds  ,  et  comprend  ce  que  l'on 
appelle  les  terres  chaudes  —  Tierras  caJAentes  —  extrêmement  fertiles  ,  mais  sou- 
mi.ses  aux  miasmes  pernicieux  de  la  côte.  La  deuxième  ,  celle  des  terres  tempérées, 
—  Tierras  tempUidas  —  constitue  dans  son  ensemble  un  immense  plateau  situé  sur 
le  versant  de  l'Atlantique  et  sur  celui  du  Pacifique  :  on  y  range  tous  les  territoires 
atteignant  de  4,000  à  8,000  pieds  d'altitude  ,  c'est-à-dire  la  plus  grande  partie  des 
.  États  mexicains    Au  -  dessus  de  ces  plateaux  ,  s'étage  la  troisième  zone,  celle  des 

/.^^^  terres  froides,  —   Tierras  fhuUkfS ^ —  laquelle  embrasse  la  dernière   assise  des 

/  Andes  et  monte  jusqu'à  la  région   des   neiges   éternelles.    On   conçoit  qu'avec  une 

pareille  disposition  topographique,  le  Mexique  présente  tous  les  climats  et  une 
réunion  de  productions  des  diverses  zones.  Pour  mieux  dire,  on  y  passe  en  quelques 
heures  d'une  température  à  une  autre  et  de  la  fiore  intertropicale  à  la  flore  euro- 
péenne. Ainsi,  à  Toluca  ,  à  quelque  2,600  mètres  au-dessus  des  eaux  du  golfe  ,  on 
cultive  l'agave  ou  l'aloès  américain,  tandis  qu'à  Tenoehitlan,  plus  bas  de  326  mètres, 
on  récolte  des  blés  superbes,  comparables  aux  meilleures  variétés  européennes. 
A  Actopan, à  1,926  mètres  d'altitude,  on  rencontre  des  champs  de  coton  en  plein 
rapport,  et  à  Jotla,  à  981  mètres  au-dessus  de  la  mer,  on  cultive  la  canne  à  sucre  qui 
y  vient  à  merveille. 

Le  Mexique  renferme  environ  10  millions  1,2  d'habitants,  dont  1,900,000  européens 
et  créoles,  3,970,000  indiens,  4,492,000  métis.  Les  grandes  occupations  sont  l'agricul- 
ture et  l'extraction  minière.  L'agriculture  mexicaine  est  loin  d'ailleurs  de  tirer  tout 
le  parti  possible  des  immenses  ressources  naturelles  dont  elle  dispose.  Un  premier 
obstacle  au  développement  de  cette  industrie  est  l'immense  étendue  des  domaines  ; 


(IJ  Mexico,  imprimerie  du  ministère  des  finance.s ,  188-J. 

(2)  Voyage  au  Mexique,   de  y'ew-Yurk  à  VeraCruz  par  terre  ;  uu  voIum'û  in-18  (Paris,  Hachette,  ISSTj). 


-  321  - 

mais  ce  n'est  pas  le  seul.  Il  y  a  encore  le  chiffre  de  la  population  ,  qui  y  est  si  pou 
dense,  eu  égard  au  développement  du  territoire  qu'elle  habite.  L'argent  ne  fait  pas 
défaut  aux  grands  propriétaires  assurément,  et  les  fortunes  colossales  ne  sont  rien 
moins  que  rares  iiarmi  eux.  Mais  ils  n'ont  pas  le  goîit  des  améliorations  et  des  nou- 
veautés :  descendant  des  anciens  conquistadores  et  très  fiers  de  cette  origine ,  ils 
vivent  les  yeux  tournés  vers  le  passé,  pour  eux  plein  de  si  grands  souvenirs,  et  s'ils 
pratiquent  avec  grandeur  et  simplicité  tout  ensemble  l'hospitalité  de  leurs  ancêtres, 
s'ils  sont  loyaux  et  fidèles,  ils  se  soucient  fort  peu  de  l'agricMltnre  et  de  ses  mille 
tracasjournaliers.  Quant  aux  ranciieros,  ils  disposent  de  iicu  de  ressources  pécu- 
niaires, et  chez  eux  le  sentiment  du  progrès  ne  pénètre  qu'avec  une  extrême  len- 
teur. Aussi  est-ce  à  peine  si  l'on  connaît  au  Mexique  les  machines  agricoles  les  plus 
usuelles  aux  Etals-Unis  et  en  Europe.  Le  système  de  rotation  des  récoltes  n'est 
guère  appliqué  et  l'irrigation  est  rare.  Quelques  étrangers,  parmi  lesquels  figurent 
un  petit  nombre  de  Français  et  de  Belges  ,  ont  cherché  ,  il  est  vrai ,  à  introduire  au 
Mexique  les  métho  les  perfectionnées  de  l'agriculture  européenne  ;  mais  jusqu'ici 
leur  exemple  n'a  pas  été  suivi  et  n'a  exercé  qu'une  influence  médiocre  sur  la  culture 
indigène  :  la  routine  a  continué  d'être  la  plus  forte. 

Alexandre  de  llumboldt  a  calculé  que  ,  durant  toute  la  durée  de  la  domination 
espagnole,  les  mines  d'argent  du  Mexique  n'avaient  pas  livré  moins  de  4,500  tonnes 
du  précieux  métal,  .soilren  monnaie  quelque  chose  comme  12  milliards  de  francs,  et 
l'on  n'est  pas  tenté  de  trouver  ce  calcul  exagéré  lorsqu'on  songe  qu'un  seul  gîte , 
celui  de  Valenciana,  près  de  la  ville  de  Guanaxato  ,  produisit  de  1768  à  1816,  c'est-à- 
dire  pendant  quarante-deux  ans  ,  plus  de  7  millions  de  francs  bon  au  mal  an  ,  et  fit 
du  seigneur  Obregon  ,  son  heureux  propriétaire  ,  à  la  fois  un  duc  de  Valenciana  et 
l'homme  le  plus  liclie  de  la  terre.  Les  Indiens  connaissaient,  eux  aussi,  ces  richesses, 
et  l'on  sait  que  Fernand  Gortez  ravit  à  Montézuma  les  lingots  que  le  prince  indien 
avait  amassés. 

Voici,  d  autre  part,  les  chiffres  exprimés  en  dollars,  que  donne  M.  Cubas  sur  la 
frappe  de  l'or  et  de  l'argent  dans  les  hôtels  des  monnaies  du  Mexique.  Pendant  lu 
périotle  1537  à  1881  :  argeiit,3. 021 .758,854  ;  or,  118,636,975.  Qu'on  ajoute  la  frappe 
des  années  1882  et  1883,  on  arrive  à  un  total  de  3,195,851,018  dollars,  soit 
15,791,255,000  fr.,  pour  les  monnaies  d'or,  d'argent  et  de  cuivre.  Aussi  bien ,  les 
Espagnols  ne  s'inquiétaient-ils  que  des  métaux  précieux  et  ne  ne  s'occupaient-ils 
que  de  ceux-ci.  Ainsi,  dans  l'Etat  de  Du rango ,  ils  creusèrent  de  nombreux  gîtes 
argentifères  ;  mais  ils  négligèrent  tout  à  fait,  quoique  situé  à  une  faible  distance  de 
la  capitale  de  l'Etat ,  le  Cerro  de  Moncado,  colossale  masse  de  fer  d'une  homogé- 
néité telle,  que  Humboldt  la  prit  pour  un  immense  aérolithe,  et  qui,  mise  en  œuvre  , 
pourrait,  assure-t-on,  livrer  annuellement  15,000,000  de  tonnes  de  minerai.  Eh  bien  ! 
elle  gît  toujours  a  sa  place  et  les  Espagnols  n'en  ont  rien  tiré  ,  pas  plus  que  des 
deux  mines  de  houille  de  Colima,  ou  de  ses  dépôts  de  fer  magnétique. 

L'industrie  manufacturière  proprement  dite  est  encore  à  l'étant  d'enfance  au 
Mexique.  On  s'y  livre  toutefois  à  la  fabrication  des  tissus  de  laine  et  de  coton  peint  ; 
on  file  la  soie  et  l'on  fait  même  quelques  soieries.  L'industrie  de  la  poterie  ,  de  la 
faïence  et  de  la  porcelaine  ne  laisse  pas  que  de  montrer  quelque  activité  ,  airisi  que 
celle  du  papier  et  des  substances  chimiques.  On  raffine  le  sucre  et  l'on  produit  des 
mélasses.  On  tire  de  la  canne  et  des  fruits  du  manguey,  des  eaux-de-vie ,  parmi 
lesquelles  le  mezcal,  le  tequila,  le  pidqiie  sont  le  plus  connues.  On  fait  d'excellents 
vins  dans  les  districts  de  Paras  ,  de  Paso-del-Norte  et  Aguas-Calientes.  Il  y  a  encore 
des  brasseries,  des  tanneries,  des  ateliers  d'ébénisterie ,  des  manufactures  de 
tabac,  etc.,  etc. 

Le  Mexique  commerce  avec  l'Angleterre  ,  l'Espagne  ,  les  États  -  Unis  ,  la  France , 


—  322  — 

rAllernagiie,  et  dans  une  faible  mesure  avec  la  Belgique,  l'Italie  et  quelques  répu- 
bliques de  rAinérique  centrale  et  de  l'Amérique  du  Sud.  Les  seules  données  dignes 
de  confiance  que  l'on  ait  sur  ces  importations  ,  dit  M.  Culias  ,  remontent  à  l'année 
1874.  A  cette  époque,  elles  représentaient  une  somme  d'environ  36  millions  de 
piastres,  soit  80  millions  de  francs.  Quant  aux  exportations,  le  ministère  des 
finances  a  l'habitude,  depuis  quelques  années  déjà,  d'en  tenir  une  statistique  exacte. 
Leur  chiffre,  pour  l'année  1883,  s'est  élevé  à  environ  42  millions  de  piastres  (210 
millions  de  francs) ,  sur  lesquels  la  part  de  l'Angleterre  e.st  de  17,258,000  piastres  , 
celle  des  États-Unis  de  3,916,739  piastres,  et  la  part  de  la  France  de  4,205,000  fr. 
seulement. 

Les  exportations  de  l'Allemagne  ,  de  la  Grande-Bretagne  et  des  États-Unis ,  à 
destination  du  Mexique  et  de  l'Amérique  espagnole  en  général ,  sont  en  progrès 
constant.  La  vraie  cause  de  la  prospérité  relative  du  commerce  de  ces  trois  pays 
avec  les  contrées  du  Nouveau-Monde  ,  est  d'abord  le  bon  marché  auquel  ils  vendent 
leurs  produits ,  et  ensuite  le  système  de  propagande  qu'ils  ont  adopté  et  suivent 
depuis  de  longues  années.  A  cet  endroit,  aucune  illusion  n'est  possible.  En  présence 
de  l'excès  de  production  qui  frappe  tous  les  yeux,  les  industriels  étrangers  ont 
compris  que  l'heure  de  la  demande  était  passée  ,  que  celle  de  ïoffre  était  venue  :  de 
toutes  les  Villes  manufacturières  d'Europe  et  des  États-Unis  sont  partis  des  essaims 
de  commis-voyageurs,  munis  de  catalogues  et  de  nombreux  échantillons,  ayant 
pour  mandat  non  seulement  d'offrir  aux  importateuis  les  produits  des  -diverses 
fabriques  ,  mais  en  même  temps  d'étudier  sur  place  les  besoins  ,  les  goûts  ,  les  cou- 
tumes ,  les  ressources ,  les  règlements  et  les  taris  de  douanes  de  tous  les  centres  de 
consommation  qu'ils  seraient  appelés  à  parcourir;  de  créer  à  leurs  commettants  une 
nouvelle  clientèle,  de  visiter  celle  des  autres,  de  tout  faire  pour  la  séduire  et  pour  la 
conquérir  ;  de  faire  tous  les  efforts  possibles  pour  obtenir  les  renseignements  les 
plus  complets  et  les  plus  précis  sur  les  produits  similaires  des  autres  pays  ,  leur 
prix,  leur  mode  d'emballage,  le  nom  des  industriels  qui  les  ont  créés. 

Voilà  ce  qu'ont  fait  et  font  encore  les  Américains  ,  les  Anglais  ,  les  Belges  ,  et 
surtout  les  Allemands  ;  c'est  par  là  qu'ils  sont  parvenus  à  élargir,  dans  les  deux 
mondes  et  principalement  en  Amérique  ,  le  cercle  de  leurs  affaires  commerciales  ,  et 
c'est  là  ce  qui  explique  le  développement  si  notable  de  leurs  exportations.  11  faut 
ajouter  que  les  fabricants  étrangers  ,  mais  surtout  les  fabricants  d'Allemagne  ,  s'em- 
parent de  nos  modèles,  les  copient,  les  reproduisent  et  lancent  sur  tous  les  marchés 
du  monde  des  marchandises  de  qualité  inférieure.  Il  nous  importe  de  réagir  contre 
les  effets  de  la  concurrence  que  nous  font  nos  rivaux,  et  le  plus  sûr  moyen  de  com- 
battre cette  concurrence  avec  succès  ,  c'est  d'aller  l'attaquer  là  où  elle  se  fait  sentir  ; 
et  pour  cela,  nous  n'avons  qu'à  suivre  l'exemple  que  nous  ont  donné  les  industriels 
des  autres  pays.  Si  les  fabricants  français  veulent  développer  leurs  exportations  et 
se  créer  des  relations  productives  avec  les  importateurs,  soit  de  la  république  mexi- 
caine, soit  des  autres  régions  du  nouveau  continent ,  il  faut  qu'ils  exploitent  résolu- 
ment et  dans  une  pins  large  mesure  le  système  fécond  de  la  propagande,  et  expédient 
sur  tous  les  marchés  des  représentants  habiles  et  actifs  ,  chargés  de  faire  connaître 
et  prévaloir  les  produits  de  leur  fabrication.  La  qualité  de  ces  produits  étant ,  de 
l'avis  de  tous  ceux  qui  les  consomment ,  supérieure  à  celle  des  produits  similaires 
d'une  autre  provenance,  il  ne  saurait  être  difficile,  pourvu  que  les  prix  ne  soient  pas 
trop  élevés  ,  de  les  faire  adopter  de  préférence  par  les  importateurs.  11  convient  de 
ne  pas  oublier  que  l'article  courant  est  celui  qui  donne  lieu  aux  plus  importantes 
opérations  dans  les  pays  d'Amérique  ,  et  que  le  bon  marché  est  une  des  premières 
conditions  de  la  vente. 

Tels  sont  les  conseils  que  donne  au  commerce  français  ,  dans  la  Gazette  gèogra- 


-  :^23  - 

Ijhigue  ,  M.  Edouard  Sanipé,  consul  de  France  à  Mexico.  «  Aujourd'liui  comme 
avant ,  ajoute-t  il  ,  l'industrie  française  tient  le  sceptre  en  co  qui  concerne  la  durée 
du  produit ,  la  pureté  du  goût ,  la  distincion  artistique  de  la  forme  et  la  finesse  du 
travail  ;  comme  toujouis  elle  excelle  et  domine  dans  IVxquis  ,  mais  l'exquis  ne  cons- 
titue par  un  article  de  consonuiiation  pour  la  masse.  C'est  dans  la  fabrication  des 
articles  courants,  c'est-k-dire  de  ceux  que  consomme  tout  le  monde,  que  notre  indus- 
trie s'est  laissé  distancer  par  ses  rivales ,  et  c'est  à  mieux  réussir  sous  ce  rapport 
que  doivent  tendre  toutes  nos  facultés.  Il  est  possible  que  chez  le  consommateur 
désabusé  se  produise  tôt  ou  tard  une  réaction  de  défaveur  à  l'égard  de  ces  marchan- 
dises, dont  l'apparence  trompeuse  séduit  la  vue  ,  et  qui  ne  se  vendent  bon  marché 
que  parce  qu'elles  sont  de  qualité  médiocre  ou  de  mauvais  aloi.  N'importe,  le 
but  que  poursuit  notre  industrie  fi-ançaise  est  de  vulgai-iser ,  dans  une  large  me- 
sure, la  consommation  de  ses  prduits.  Eh  !  bien,  il  faut,  à  notre  avis,  ([u'elle  s'efforce 
de  réduire  le  coût  de  sa  production,  afin  de  diminuer  ses  prix  de  vente  ,  et  qu'elle 
abandonne  ses  habitudes  casanières  contractées  dans  la  paisible  jouissance  d'une 
suprématie  dont ,  pendant  une  longue  période  ,  aucun  péril  grave  n'a  menacé  l'exis- 
tence. Les  temps  et  les  circonstanees  ont  changé.  Partout  le  vent  souffle  à  l'action 
et  à  la  lutte  ;  il  fîiu',  coûte  que  coûte,  passer  les  monts  et  les  mers,  et  ne  pas  oublier 
que  l'avenir  sei'a  au  plus  actif.  » 

Le  revenu  public  du  Mexique  s'élève  à  33,166,000  piastres ,  et  ses  dépenses  à 
32,721.000.  Le  ministère  des  finances  absorbe  à  lui  seul  le  tiers  environ  de  cette 
somme  et  5  millions  et  demi  sont  dévolus  au  ministère  des  travaux  publics.  C'est  un 
chiffre  relativement  très  considérable  ;  mais  il  s'explique  par  l'impulsion  donnée 
dans  ces  dernières  années  aux  chemins  de  fer  et  aux  lignes  télégraphiques  ;  ces 
chemins,  en  1884,  se  répartissaient  en  vingt-huit  lignes,  grandes  ou  petites.  La  plus 
importante  de  ces  lignes  est  le  Fei'ro  Carril  Central,  qui  se  développe  sur  une  lon- 
gueur d'environ  1,00J  kilomètres  ,  de  Mexico  à  Paso-del-Norte ,  oii  il  se  rattache  au 
Santa-Fc  Atkinsoa  2'opeka  Railroad.  Une  ligne  non  interrompue  do  rails  ,  courant 
sur  une  longueur  de  4,488  kilomètres,  relie  déjà  Mexico  à  New-York,  la  grande  cité 
mexicaine  et  le  grand  emporium  du  commerce  américain.  C'est  là  un  fait  d'une 
grande  portée  pour  l'avenir  commercial  du  Mexique  et  pour  ses  destinées  politiques 
elles-mêmes. 

Pour  M.  Jules  Leclercq  également ,  l'inauguration  du  Central  Mexican  est  un 
événement  économique  d'une  portée  incalculable,  et  marque  le  point  de  départ  d'une 
ère  nouvelle  pour  l'ancien  empire  de  Montézuma.  «  Longtemps  isolée  du  monde  , 
cette  riche  contrée,  demeurée  jusqu'ici  en  friche  ,  va  attirer,  comme  autrefois  l'Aus- 
tralie et  la  Californie,  des  bras  et  des  capitaux,  et  de  rapides  et  gigantesques  trans- 
formations en  modifieront  la  face.  Le  Mexique  semble  tout  naturellement  appelé  à 
devenir  l'Inde  des  États-Unis,  et  qui  peut  prévoir  l'essor  d'un  peuple  ayant  l'Inde  à 
sa  porte  ?  La  nature  a  placé  les  deux  peuples  dans  une  sorte  de  dépendance  réci- 
proque ;  et  cependant ,  par  une  étrange  ironie  ,  il  y  a  entre  les  deux  pays  une  anti- 
pathie profonde  qui  frappe  l'étranger  le  moins  observateur.  Il  ne  faut  pas  longtemps 
pour  s'apercevoir  que  Mexicains  et  Américains  se  haïssent  du  fond  de  l'àme  en 
dépit  de  leurs  mutuelles  protestations  d'amitié.  Comment  le  Mexicain  ,  dont  la  poli- 
tesse et  l'exquise  urbanité  égalent  presque  celles  du  Japonais,  pourrait-il  sympathiser 
avec  le  Yankee,  dont  la  rudesse  va  souvent  jusqu'à  la  grossièreté  ?  II  y  a  entre  les 
deux  races  une  incompatibilité  qui  dérive  de  la  différence  de  mœurs  ,  de  caractère  , 
de  langue,  de  religion.  A  cette  antipathie  naturelle,  s'ajoutent  le  ressentiment  et  la 
méfiance  qu'éprouve  la  nation  mexicaine  pour  celle  qui  lui  a  ravi  la  moitié  de  son 
territoire.  Elle  songe  avec  amertume  que  deux  des  plus  riches  portions  de  l'Union , 

23 


—  3-^A  — 

le  Texas  et  la  Californie,  étaient  autrefois  des  provinces  mexicaines,  e   les  Etats-Unis 
les  conquirent  par  les  armes  en  1847.  » 

Les  Mexicains  se  rappellent  aussi  qu'à  cette  époque  la  nouvelle  de  la  découverte 
des  mines  d'or  attira  en  Californie  desl  millions  d'aventuriers  ,  et  que  devant  ce  Ilot 
d'immigration  faisant  soudain  éruption,  la  population  mexicaine  fut  éliminée  du  sol 
californien  ;  si  bien  qu'aujourd'hui  San-Fiancisco  et  les  autres  anciens  établisse- 
ments n'ont  d'espagnol  que  le  nom.  La  même  chose  a  eu  lieu  au  Texas,  où  la  langue 
anglaise  s'est  substituée  à  la  langue  castillane.  Actuellement ,  le  même  flux  anglo- 
saxon  qui  a  déjà  inondé  une  moitié  de  l'immense  territoire  mexicain  ,  menace  d'en- 
vahir l'autre  moitié  ,  et  ce  n'est  pas  sans  appréhension  que  certains  patriotes  mexi- 
cains considèrent  la  carte  du  futur  réseau  de  voies  ferrées  dont  les  Américains  du 
Nord  ont  résolu  de  couvrir  le  territoire  s'étendant  du  Rio-Grande  à  l'isthme  de 
Panama.  Mais  la  poussée  est  énorme  et  l'impossibilité  d'y  résister  inspire  à  quelques 
journaux  mexicains  un  sentiment  qui  tient  à  la  fois  de  la  rage  et  du  désespoir  .  et 
qu'ils  expriment  par  les  articles  les  plus  acerbes.  Ils  invoquent  le  Timeo  Danaos , 
que  traduit  d'une  façon  assez  pittoresque  ce  vieux  dicton  :  «  Si  vous  soupez  avec  le 
diable,  servez-vous  d'une  longue  cuillère.  »  Ainsi  il  paraît  à  Mexico  un  journal  dont 
le  nom  est  l'Aiiti-AiJiericano.  Cet  organe  combat  de  toutes  ses  forces  l'invasion 
norte-americana  ;  il  réclame  du  gouvernement  des  mesures  propres  à  enrayer  les 
aoissements  des  Anglo-Saxons  et  à  favoriser  l'immigration  des  races  latines.  Juarez, 
que  les  Mexicains  comparent  volontiers  à  Washington,  et  qu'ils  considèrent  comme 
leur  plus  grand  patriote,  nourrissait  une  haine  profonde  contre  les  Etats-Unis  ;  il  ne 
voulut  jamais  entendre  parler  d'entreprises  américaines. 

C'est  en  1876,  lors  de  l'avènement  à  la  pi-ésidence  du  général  Porphirio  Diaz,  que 
le  gouvernement  mexicain  a  accordé  aux  Américains  les  premières  concessions  de 
chemins  de  fer.  Le  général  Porphirio  Diaz,  un  des  hommes  les  plus  éclairés  de  son 
pays,  n'a  pas  voulu  perpétuer  l'existence  d'une  muraille  de  Chine  entre  les  deux 
États  que  l'on  désigne  depuis  quelque  temps  sous  le  nom  de  Républiques  Sœurs. 
Depuis  l'échec  de  Maxirnihen  contre  le  Mexique  ,  ce  pays  n'a  plus  ,  d'ailleurs  ,  les 
mêmes  raisons  d'entretenir  des  défiances  contre  les  Etats-Unis.  Le  Président  a 
compris  que  le  Mexique,  qui  n'a  jamais  possédé  de  routes,  ne  peut  perdre  son  temps 
à  en  construire  ;  que  le  seul  genre  de  voies  de  communications  dont  on  puisse  doter 
un  pays  qui  n'en  a  pas  ,  ce  sont  les  voies  ferrées,  et  que  les  seuls  hommes  pouvant 
aider  les  Mexicains  à  construire  les  chemins  de  fer,  sont  les  Américains,  leurs  plus 
proches  voisins,  disposant  de  tous  les  moyens  et  de  toute  l'énergie  nécessaires  pour 
mener  à  bien  une  pareille  entreprise.  «  Aussi  longtemps,  disait  le  Président  en  1880, 
par  l'organe  de  son  ministre  Romero  (1),  qu'il  y  aura  au  Mexique  des  villes  éloi- 
gnées des  chemins  de  fer  ,  des  terres  privées  de  l'outillage  agricole  moderne  ,  des 
mines  non  pourvues  de  machines  d'invention  récente  ,  des  populations  mal  vêtues  , 
des  maisons  sans  confort,  il  est  clair  que  ce  pays  offrira  un  vaste  champ,  où  pourra 
s'exercer  l'activité  des  Américains. 

»  La  situation  du  pays,  dans  le  voisinage  immédiat  des  États-Unis,  sa  richesse  en 
productions  tropicales  et  en  matières  premières  demandées  par  la  consommation 
américaine,  la  possibilité  pour  les  Mexicains  de  consommer  les  produits  manufactu- 
rés par  leurs  voisins  du  Nord,  tout  semble  favoriser  l'établissement  entre  le  Mexique 
et  les  États-Unis  de  relations  commerciales  d'une  grande  étendue.  » 

Voici ,  au  sujet  des  prétendus  projets  d'invasion  du  Mexique  par  les  Etats-Unis  , 


(1)  Report  o[  tfie  secretary  o[  finance  of  the   l'nited  States  of  Mexico,  on  the  actual  condition  of  Mexieo 
and  the  increase  of  commerce  wit/i  the  United  Sates  (New- York,  18S0). 


-  325  - 


1  «|iie  M.  Julç/î  Li  cleijfcq  eut ,  en  1883  , 
ige  de  Long-lfâlrflik  :  «^Nc  j>ensez  pas  , 


Graiit,  dans  soa  petit  cottage  de  Long-lWïwik:  «^Nc  j>ensez  pas  ,  lui  dit  l'illustre 
soldat,  que  le  gouveruenient  de  Washington  nourrisse  à  l'égard  du  Mexique  le-; 
mauvais  desseins  que  beaucoup  do  gens  lui  prêtent.  Une  extension  de  territoire  est 
inutile  au  maintien  des  institutions  de  l'Union  et  on  trouverait  à  peine  un  Aruéri- 
cain  sur  ee'.it  qui  no  s'indignât  a  l'idée  d'acquérir  des  provinces  rhez  une  nation 
amie.  L'Union  n'a  que  faire  d'un  pays  dont  la  population  se  compose  presque 
entièrement  d'Indiens  qui  ne  consonmient  ni  ne  produisent  ;  elle  se  soucie  d'ailleurs 
assez  peu,  de  s  annexer  un  peuple  qui  abhorre  toute  domination  étrangère  et  qui 
serait  dans  un  état  de  révolte  perpétuelle  contre  ceux  qui  lui  raviraient  son  autono- 
mie. Le  territoire  de  l'Union  ,  qui  compte  50  millions  d'âmes  ,  est  assez  gi-and  pour 
en  recevoir  2UU  millions;  l'Union  n'a  donc  besoin  de  s'agrandir  ni  du  côté  du 
Mexique,  ni  du  côté  du  Canada  ,  et  le  Mexique  doit  rester  aux  Mexicains    » 

«  Depuis  quelques  années  de  paix  ,  dit  M.  Jules  Ledercq  en  terminant  son  livre, 
votre  pays  a  prospéré  au-delà  de  toutes  les  prévisions.  Vous  marchez  à  pas  de  géant  ; 
il  y  a  en  vous  de  grandes  ressources,  de  grandes  intelligences,  de  grandes  passions, 
au  premier  rang  desquelles  je  place  votre  fierté  ,  votre  superbe  orgueil  national. 
Sachez  vous  servir  de  toutes  ces  nobles  qualités.  Les  États-Unis  ont  l'œil  sur  vous  , 
ils  épient  vos  mouvements.  Prenez-y  garde.  Si  après  qu'ils  auront  engagé  chez  vous 
d'immenses  capitaux,  vous  deviez  rouvrir  l'ère  des  révolutions  ,  des  discordes  intes- 
tines ,  ou  si ,  pour  votre  plus  grand  malheur ,  la  paix  religieuse  devait  être  troublée 
par  la  propagande  étrangère ,  c'en  serait  fait  de  votre  autorité,  vous  seriez  mûrs 
alors  pour  la  tutelle  hunaliante  de  l'oncle  Sam.  Les  peuples  ,  comme  les  individus  , 
ont  les  destinées  qu'ils  méritent.  L'avenir  de  votre  beau  pays  ,  que  j'aime  parce  que 
j'y  ai  passé  des  jours  si  heureux  ,  dépend  beaucoup  de  votre  patriotisme  et  de  la 
sagesse  de  vos  hommes  d'État.  » 


OCEANIE. 


Sitiiatiou  écouoniiqiie   des  îles  llarquises  et  «le  Taïti.  — 

«  Peu  d'année.-;  après  la  découverte  de  Guanahani  par  Christophe  Colomb,  les 
Espagnols  fondèrent  les  empires  du  Mexique  et  du  Pérou.  Mais  l'Espagne  qui,  dès 
cette  époque,  avait  le  droit  d'inscrire  au  fronton  de  l'arsenal  de  Cadix  :  Tu  regere 
imperio  ftuctûs,  Hispane ,  mémento  ,  ne  pouvait  arrêter  là  ses  investigations,  d'au- 
tant plus  que  son  objectif,  arriver  par  l'ouest  aux  îles  aux  Épices,  n'était  pas  atteint, 
et  que  ces  colonies  nouvelles,  jetées  sur  les  côtes  des  deux  mers,  allaient  servir  de 
point  de  départ  aux  voyages  ultérieur.s.  Du  littoral  américain  et  eu  particulier  du 
Pérou  ,  d'intrépides  navigateurs  ,  lancés  dans  l'immensité  de  cet  océan  qui  couvre  le 
tiers  du  globe,  ne  tardèrent  pas  à  ajouter  de  nouvelles  découvertes  au  domaine  géo- 
graphique ,  déjà  si  .singulièrement  étendu.  En  1.59-3,  l'un  d'eus,  Mindanao,  reconnut 
à  quinze  cents  lieues  de  la  côte  péruvienne  un  groupe  d'îles  ,  qu'il  nomma  archipel 
des  ISIarquises,  en  l'honneur  du  marquis  de  Canète,  gouverneur  du  Pérou  »  (1). 

M.  Alfred  Davin,  lieutenant  de  vaisseau,  à  qui  nous  empiuntons  ces  lignes,  ajoute 
qu'après  Mindanao,  un  grand  nombre  de  navigateurs  visitèrent  l'archipel.  Les 
baleiniers  occupés  à  poursuivre  les  cétacés  .  nombreux  alors  dans  la  mer  australe  , 


(1)  Voir  lu  livre  d<i  M.  .Ubert  Diiviii  :  Cinquante  mille  milles  dans  lOcéan   Pacifique  {V»TÏ<,Vlou,lf^'<  . 


) 


'inf^T^^ 


-  326  — 

adoptèrent  l'île  de  Noukahiva  comme  lieu  de  rendez-vous.  Mais  ces  hommes ,  q\ii 
étaient  de  vrais  écumeurs  de  mer,  s'attirèrent  par  leur  cruauté  et  leurs  excès  de  tout 
genre ,  la  haine  des  indigènes.  L'archipel  était  habité  par  des  peuplades  de  races 

j^y^^^  rouges  qu'on  appela  Kanaks,  mot  dérivé,  dit-on,  du  sandwichien  kanaka  —  autoch- 

,   ■      -,  tone.  C'étaient  des  colosses  tatoués  des  pieds  à  la  tête,  parlant  un  langage  rude  , 

I^/v^ft/'Ct  I  «4;.'/  guttural ,  hérissé  de  consonnes  ,  et  qui,  d'un  commerce  facile  avec  les  étrangers  ,  se 
vfjjtÀ  livraient  entre  eux  a  des  guerres  atroces,  terminées  par  d'horribles  festins.  Placés 
sous  le  joug  de  chefs  sauvages  et  sanguinaires,  ils  obéissaient  servilement  à  leur 
direction,  et  les  guerres  de  tribu  à  tribu  ,  donnaient  lieu  à  des  massacres  et  à  des 
vendette  innombrables.  Leurs  prêtres  —  taouas  ,  —  investis  de  fonctions  multiples  , 
exploitaient  le  fanatisme  et  la  crédulité  des  insulaires,  en  soignant  les  malades  ,  en 
jugeant  les  crimes  et  en  servant  les  dieux.  Cette  dernière  fonction  ne  manquait  pas 
d'importance  :  l'Olympe  des  anciens  Marquisiens  étant  fort  peuplé,  s'il  faut  en  croire 
du  moins  les  dires  des  vieillanls  ;  car  on  chercherait  vainement  chez  ces  peuples  un 
livre,  une  pierre  ou  un  monument  susceptible  de  jeter  quelque  jour  sur  leur  téné- 
breux passé.  On  pense  toutefois  qu'ils  avaient  une  vague  croyance  à  la  migration 
des  âmes  vers  un  monde  mystérieux,  séjour  de  félicité,  que  les  taouas  avaient  proba- 
blement accommodé  au  génie  de  ce  peuple  enfant.  Les  guerriers  morts  dans  les 
combats  ,  en  acquérant  au  milieu  de  ces  rixes  sanglantes  le  plus  grand  nombre  de 
chevelures ,  devaient  vraisemblablement  posséder  une  place  d'honneur  dans  cet 
empyrée. 

Au  fond,  toute  la  regliion  des  Kanaks  parait  avoir  consisté  en  sacrifices  humains 
et  en  scènes  de  cannibalisme.  Le  principal  théâtre  de  ces  scènes  était  la  vallée 
d'Oata ,  que  M.  Alfred  Davin  a  visitée.  C'est  un  lieu  très  pittoresque ,  mais  que 
rendent  sinistre  les  souvenirs  qui  s'y  rattachent.  Au  fond  de  la  vallée,  une  cascade 
blanche  d'écume,  bondit  de  rocher  en  rocher  jusqu'à  la  mer.  Si  l'on  suit  les  sentiers 
kanaks,  il  est  aisé  de  franchir  quelques  centaines  de  mètres ,  bien  que  la  vallée  soit 
entièrement  en  friche  et  abandonnée  aux  animaux  errants.  Un  peu  plus  loin  ,  des 
massifs  inextricables  s'opposent  à  la  marche  :  force  est  de  lutter  corps  à  corps  avec 
les  bambous  et  les  goyaviers.  Çà  et  là,  l'œil  découvre  une  multitude  de  cases  aban- 
données ;  la  mort  dépeuple  la  campagne  et  les  survivant  se  rapprochent  du  littoral. 
M.  Davin  allait  renoncer  à  l'ascension  ,  quand  après  avoir  franchi  un  épais  fourré  , 
il  découvrit  une  clairière  étendue.  Autour  de  cet  espace  vide,  une  série  de  plates- 
formes  en  ruine  ,  et  au  milieu  un  temple  —  paé-paé .  —  plus  élevé  que  les  autres  : 
c'était  l'emplacement  de  ces  hoïka.s  ou  fêtes  anciennes,  toujours  terminées  par  des 
sacrifices  humains.  «  Quand  les  guerriers,  au  retour  d'une  expédition  contre  une  île 
voisine,  échouaient  leurs  pirogues  chargées  de  prisonniers  sur  la  plage  de  Nouka- 
hiva, le  ronflement  des  conques  marines  ,  ébranlant  les  échos  des  vallées  .  annonçait 
la  victoire  aux  tribus  d'alentour  :  grands  et  petits  .  hommes  et  femmes  ,  tous  accou- 
raient comme  des  fauves,  pour  prendre  part  à  la  curée.  Les  prisonniers ,  traînés 
parmi  les  rochers  et  les  broussailles  ,  poussaient  des  hurlements  de  douleur  ;  mais 
une  fois  garrottés  sur  l'autel  central ,  ils  attendaient  sans  sourciller  l'instant  du 
sacrifice  :  pour  eux  ,  la  mort  n'était  que  le  passage  de  cette  vie  dans  une  autre  ,  le 
départ  pour  des  contrées  mystérieuses  ,  départ  auquel  ils  songeaient  sans  crainte 
comme  sans  joie.  » 

L'archipel  porte  les  marques  les  plus  évidentes  d'une  origine  plutonienne  ;  il  est 
probablement  formé  par  les  sommets  épars  d'un  continent  submergé  et  comprend 
sept  îles,  dont  la  plus  importante  est  Noukahiva.  laquelle  possède  l'excellente  baie 
de  Taïo-haé,  entourée  de  hautes  montagnes.  La  ville  de  Taïo-haé  ,  la  capitale  de 
Noukahiva  et  de  tout  l'archipel,  est  déjà,  part  rapport  aux  autres  villages  éparpillés 
dans  ces  îles,  un  centre  de  civilisation.  C'est  le  point  d'oii  partent  plusieurs  routes  ; 


-  327  - 

ses  maisonnettes,  groupées  autour  de  la  baie,  commencent  à  subir  la  loi  do  l'aligne- 
ment; quelques  réverbères  s'allument  chaque  soir  pendant  une  heure  au  moins  ,  et 
l'eau  potable,  amenée  des  sommets,  se  répand  dans  les  habitations.  Kn  1K55 ,  on 
comptait  à  Noukahiva  2,700  iiabitants  et  ll,y(X)  dans  tout  l'arcliipel.  Kn  1872 ,  ces 
chiffres  se  réduisaient  respectivement  h  1,600  et  6.000.  La  population  a  donc  dimi- 
nué de  moitié  en  dix-sept  ans  ,  et  la  progression  dé("roissante  continue  :  le  recense- 
ment de  1883  n'attribue  plus  que  099  iiabitants  à  File  de  Noukahiva.  Diverses  causes 
contribuent  à  produire  ce  résultat  effi-ayant  :  l'alcoolisme,  la  lèpre,  les  guerres  et  les 
meurtres.  Les  guerres  de  tribu  à  tribu  sont  anjourd'liui  pres([ue  éteintes  ;  mais  les 
assassinats  continuent ,  et  pendant  la  seule  année  1879  ,  dans  un  district  habité  par 
600  individus,  on  a  compté  jusqu'à  trente  honmies  tués  Aussi  bien,  sait-on ,  par 
l'exemple  des  Etats-Unis  comme  par  celui  des  archipels  polynésiens  ,  que  les  races 
indigènes  fondent  pour  ainsi  dire  au  contact  des  Blancs.  On  est  ici  en  face  d'une  loi 
certaine,  quoique  les  anthropologistes  et  les  physiologistes  soient  assez  embarrassés 
pour  en  assigner  la  cause  véritable. 

Tri)is  grands  obstacles  se  dressent  devant  les  progrès  de  Tagriculturc  :  le  manque 
de  bras  ,  les  animaux  errants  ,  les  sécheresses.  Le  nombre  des  animaux  errants  est 
considérable  ,  et  s'accroît  d'une  manière  inquiétante  ;  les  taureaux  ,  les  chèvres  ,  les 
porcs  et  les  moutons  errent  à  l'aventure  dans  les  taillis.  Avec  de  pareils  hôtes  ,  la 
culture  est  difficile  et  la  circulation  dangereuse.  Ces  animaux  commettent  des  mé- 
faits sans  nombre  :  ils  dévastent  les  plantations  en  broutant  les  jeunes  pousses  des 
cotonniers  et  en  dévorant  les  écorces  d'aibres.  En  troisième  lieu  ,  Noukahiva  est 
parfois  soumise  à  des  séehei'esses  prolongées.  Vers  1874,  il  n'est  pas  tombé  de  pluie 
durant  quatorze  mois  ;  une  autre  période  de  sécheresse  a  duré  quatre  ans.  Aussi . 
l'archipel  est-il  à  peu  près  resté  ,  pour  l'agriculture ,  ce  qu'il  était  au  moment  de  sa 
découverte.  L'industrie  n'est  guère  plus  prospère.  L'unique  industrie  indigène  , 
celle  de  la  tapa,  tuée  par  les  importations  d'étoffes  européennes,  consiste  à  frapper 
l'écorce  de  certains  arbres  avec  un  marteau  de  bois.  On  obtenait  ainsi  une  matière 
blanchâtre,  à  peu  près  homogène,  qui  servait  de  vêtement  aux  femmes. 

Quant  au  commerce,  les  exportations  ,  en  1883  ,  n'ont  atteint  que  400.000  IV.  pour 
tout  l'archipel  et  ne  portent  ([ue  sur  quatre  articles  :  ce  sont  le  coton  ,  le  coprah 
(cocos  secs),  le  fungus  et  le  bétail.  Le  coprah  s'expédie  aux  fabriques  de  savon  de 
la  Californie,  et  le  bétail  ,  capturé  dans  les  montagnes  ,  s'envoie  aux  archipels  voi- 
sins. Le  fungus  ,  sorte  de  champignon  .  pousse  sur  les  vieux  arbres  ;  il  passe  pour 
être  un  des  mets  favoris  des  Chinois  à  l'égal  des  nids  de  salanganes  et  des  filets  de 
caïman.  Ce  produit,  entre  aussi ,  pai-aît-il,  dans  la  composition  de  la  laque.  Depuis 
1870,  les  goélettes  américaines  qui  font  le  service  mensuel  des  dépèches  entre  Taiti 
et  San-Francisco  ,  l'elàchent  à  Taïo-haé.  Quelques  rares  bâtiments  de  commerce  y 
viennent  mouiller  de  loin  en  loin  ;  presque  tout  le  fret,  peu  considéiablts  d'ailleurs, 
est  absorbé  par  la  Société  commerciale  de  l'Océanie  ,  laquelle  a  son  siège  à  Ham- 
bourg et  des  succursales  dans  tous  les  archipels.  «  On  a  assuré,  on  a  même  imprimé 
que  Taïo-haé  est  sur  la  route  de  Panama  à  l'Australie.  Il  n'en  est  rien  :  l'arc  de 
grand  cercle  ou  route  orthodromique  (ainsi  que  les  navigateurs  l'appellent),  toujours 
suivie  par  les  bâtiments  à  vapeur  comme  étant  la  plus  courte,  passe  à  600  milles 
plus  bas,  à  l'île  de  Râpa,  point  déjà  choisi  vers  1867  comme  lieu  de  relâche  et  dépôt 
de  charbon  par  les  paquebots  anglais  transpacifiques,  les  premiers  qui  relièrent  les 
deux  nouveaux  mondes.  Donc,  l'ouv  rture  du  canal  interocéanique  ne  saurait  avoir 
aucune  influence  sur  le  développement  ultérieur  de  l'archipel  des  Marquises.  Notre 
colonie  restera  à  l'écart .  improductive  et  peut-être  coûteuse  ,  à  moins  que  les  com- 
munications à  vapeur  entre  Taïti  et  San-Francisco,  si  jamais  elles  existent,  ne 
viennent  stimuler  la  production  en  lui  ouvrant  un  débouché,  » 


-  328  -  j 

L'île  de  Taïti  ou  d'Otahiti ,  que  Rougaiiiville  iiommait  la  Nouvelle  Cythére  ,  et 
Dumont  d'Urville  la  perle  et  le  diamant  du  cinquième  monde,  Taïti  fait  partie  des 
îles  de  la  Société  ,  ainsi  nommées  ,  dit-on  ,  par  Gook  ,  en  l'honneur  de  la  Société 
royale  de  Londres.  Bien  que  l'on  doive  au  capitaine  anglais  Wallis  les  premières 
notions  sur  Taïti  (1767) ,  les  Français  la  visitèrent  de  bonne  heure  ,  et  dès  1842 .  sa 
sa  reine ,  impuissante  à  apaiser  les  querelles  intestines  et  à  mettre  fin  aux  diffi- 
cultés sans  cesse  renaissantes  dans  ses  États,  sollicita  de  l'amiral  du  Petit-Thouars 
la  protection  de  la  France.  Cette  requête  fut  agréée  par  l'amii'al  qui  ,  Tannée  sui- 
vante, crut  devoir  prendre  définitivement  possession  du  pays.  Mais  le  gouvei-nement 
français  dé.savoua  l'amiral  ;  il  opina  pour  le  maintien  pui*  et  simple  du  statu  quo 
et  les  choses  marchèrent  ainsi  jusqu'en  1880  ,  époque  à  laquelle  cette  terre  devint 
colonie  française. 

Taïti  est  entourée  de  récifs  de  tous  côtés.  Elle  comprend  deux  masses  volca-  -.  ^Êk 
niques ,  Taïti  proprement  dit  et  Taïarabu ,  que  réunit  l'isthme  étroit  de  Tararavr^fi-'^^^^B 
Elle  surgit  du  sein  de  l'Océan  comme  une  imposante  pyramide  dont  le  sommet 
monte  à  l'altitude  de  plus  de  2,000  mètres.  L'intérieur  est  absolument  désert.  Sa 
capitale,  Papéiti,est  une  bourgade  de  2,500  âmes.  Son  nom  lui  vient  d'un  ruisseau 
qui  prend  sa  source  derrière  l'habitation  du  roi,  et  dans  lequel  les  naturels  allaient 
jadis  puiser  de  l'eau  avec  des  calebasses  {pape  eau  ,  cte  corbeille  ;  d'autres  disent 
pape,  eau,  iti,  peu).  Ses  maisons  éparpillées,  se  ptessent  autour  d'une  baie,  fermée 
du  côté  de  la  mer  par  l'île  en  miniature  de  Motu-uta ,  que  couronnent  des  bosquets 
de  palmiers  et  de  cocotiers  aux  vertes  aigrettes.  Cet  îlot  eut  ses  heures  de  célé- 
brité :  le  roi  Pomaré  II ,  presque  exilé  ,  y  traduisit  la  Bible  en  langue  indigène  ;  la 
fameuse  Pomaré  elle-même  la  visita  souvent  et  le  drapeau  protecteur  y  llotta  pour 
la  preniière  fois. 

Papéiti  ne  possède  aucun  monument.  On  ne  saurait,  en  effet,  qualifier  de  ce  titre 
ni  l'église  ,  bâtie  en  planches  ,  ni  l'hôtel  du  gouverneur ,  ni  le  palais  bâti  pour  la 
descendance  de  la  reine  Pomaré.  Sa  population  composée  d'Européens ,  de  Kanaks 
et  de  Chinois  est  administrée  par  un  gouverneur ,  assisté  lui-même  d'un  Conseil 
colonial.  Ici  l'administration  civile  a  beaucoup  plus  d'initiative  que  partout  ailleurs  , 
à  cause  du  manque  de  télégraphes  et  d'autres  moyens  de  ("ommunications  rapides  ; 
par  suite  ,  un  certain  nombre  de  questions  intéressant  la  colonie  ne  sauraient  être  I 

tranchées  instantanément  du  fond  d'un  cabinet  situé  rue  Royale  ou  place  Beauveau. 
Papéiti  n'est,  en  effet,  relié  au  monde  civilisé  que  par  de  petits  bâtiments  à  voiles 
faisant  régulièrement  le  service  de  San- Francisco.  Dans  le  temps  ,  il  fut  question 
d'établir  un  service  postal  par  bâtiments  à  vapeur  ;  mais  la  métropole  n'ayant  oflèrt 
qu'une  subvention  insuffisante,  ce  projet  n'eut  pas  de  suite.  1 

Physiquement ,  les  Taïtiens  appartiennent  à  un  mélange  de  la  race  jaune  ,  de  la 
race  noire  et  de  la  race  blanche.  Ils  ont  le  nez  épaté,  et  jadis  on  écrasait  aux 
enfants  le  cartilage  de  cet  organe,  suivant  une  mode  pratiquée  de  temps  immémorial 
à  Timor.  Leurs  cheveux  .sont  plats ,  leurs  pommettes  saillantes ,  leurs  lèvres 
épaisses,  leur  teint  couleur  de  bronze.  Signalons  ,  en  passant ,  un  fait  curieux  :  les 
métis  issus  d'Européens  et  de  Kanaks  naissent  blonds  et  roses.  Dès  la  première 
génération  ,  le  type  indigène  disparaît  donc  presque  complètement  pour  faire  place 
au  nôtre,  tandis  que  chez  les  races  africaines,  les  enfants,  malgré  tous  les  mélanges, 
portent  des  traces  indélébiles  de  leur  origine  jusqu'à  la  dixième  génération.  Au  point 
de  vue  moral,  les  Taïtions  sont  doux  ,  serviables  ,  humains  ,  et  l'on  ne  ee  douterait 
jamais,  que  ce  sont  les  descendants,  en  les  voyant  tels  ,  de  ces  anthropophages  qui, 
lors  de  la  visite  de  Wallis  ,  sacrifiaient  encore  des  victimes  humaines  Dans  le 
district  de  Pari ,  domaine  héréditaire  de  Pomaré  ,  se  trouvait  jadis  un  temple  élevé  | 

à  Oro,  le  Jupiter  taïtien.  Au  milieu  d'une  vallée  profonde  ,  étaient  dressés  plusieurs 


.-  :^29  - 

autels;  un  grand  iiomlirc  do  crânes  répandus  alentour,  ne  laissaient  aucun  doulc  siir 
le  culte  rendu  à  la  divinité  qu'on  y  honorait.  Mais  si  lesTa'itiens  ne  sont  plus  canni- 
bales, ils  sont  l'estés  profondément  apathiques  et  paresseux.  M.  Mœrenhout ,  entre 
autres,  en  eut  la  preuve  significative  en  1835.  Il  s'agissait  d'une  culture  de  cannes  à 
sucre  Papara  ;  les  défrichements  commençaient  à  s'étendre,  les  récoltes  se  faisaient 
dans  de  bonnes  conditions  ;  mais  les  naturels  remplirent  si  mal  leurs  engagements 
que  ce  projet  dut  être  abandonné. 

«  Quand  ces  indigènes  ,  se  demande  un  auteur  américain  ,  deviendront-ils  indus- 
trieux? »  Kt  il  se  hâte  d'ajouter  :  «  Dites-moi  quand  l'océan  leur  refusera  son  triljut 
de  poissons,  quand  la  terre  bienfaisante  ne  produira  plus  de  fruits,  et  je  vous  répon 
drai.  »  Cet  Américain  connaissait  le  pays.  -  I.,es  heureux  Kanaks ,  dit  à  son  tour 
M.  Alfred,  ne  sont  soumis  à  aucune  obligation  militaire  ou  autre  ;  couchés  sur  un  lit 
de  feuilles  sèches,  ils  n'ont  qu'à  étendi-e  la  main  pour  pourvoir  à  leur  subsistance  ; 
l'arbre  à  pain,  —  maloré.  —  leur  donne  d'énormes  fruits ,  pleins  d'une  pulpe  fari- 
neuse ;  l'eau  pure  et  limpide  de  sources  nombreuses  étanche  leur  soif,  sans  préju- 
dice des  grappes  de  cocos  pendues  aux  arbres  comme  de  gigantesques  raisins.  Le 
comble  est  mis  à  leur  joie  quand  ih  peuvent  ajouter  à  ce  menu  frugal  du  poisson 
cru  et  du  fëii.  sorte  de  banane  qu'ils  font  cuire  au  four.  En  une  heure  de  pèche  au 
flambeau,  les  Kanaks  prennent  assez  de  poisson  pour  vivre  huit  jours  ;  quant  au  fëii 
qui  pousse  à  l'état  sauvage  à  l'intérieur  de  l'île,  les  gens  du  pays  n'ont  que  la  peine 
de  l'aller  cueillir.  N'oublions  pas  qu'une  foule  de  végétaux  utiles  croissent  ici  spon- 
tanément. Lej)andanus,  pour  n'en  citer  qu'un,  s'élève  sur  tous  les  rivages  :  ses  feuilles 
tiennent  lieu  de  tabac  ;  son  écorce  sert  à  confectionner  des  chapeaux,  des  vêtements 
et  même  des  cordages.  » 

M.  Stewart ,  agent  de  la  maison  Suarez  de  Londres  ,  avait  fait  venir  à  Taïti  des 
habitants  du  Céleste-Empire,  afin  d'exploiter  le  coton  dans  le  district  de  Papara. 
Deux  mille  cinq  cents  travailleurs,  dont  mille  Chinois ,  furent  réunis  sur  un  terrain 
de  3,800  hectares,  dont  1,800  ne  tardèrent  pas  à  être  défrichés  ;  les  cotonniers  et  la 
canne  à  sucre  donnaient  de  belles  récoltes  ,  la  plantation  allait  être  cédée  pour  le 
prix  de  5  millions  à  une  Compagnie  française,  quand  la  guerre  de  1870  éclata.  Peu 
après.  M.  Stewart,  mal  soutenu  par  la  maison  de  Londres,  tomba  malade  ;  il  mourut 
et  son  domaine  fut  dépecé.  La  plupart  des  travailleurs  d'Antimaona  sont  venus 
s'établir  à  Papéiti  ;  ils  y  liabitent  un  quartier  bâti  en  planches,  que  les  Européens 
appellent  la  Petite  Pologne.  Là,  les  Chinois  se  livrent  aux  transactions  les  plus 
diverses  :  les  uns  font  venir  d'Amérique  des  pacotilles  qu'ils  débitent  :  d'autres 
vendent  des  légumes  d'Europe  pour  la  culture  desquels  ils  ont,  comme  partout,  une 
aptitude' spéciale.  Entassés  dans  leurs  petites  boutiques,  le  corps  nu  jusqu'à  la  cein- 
ture ,  ils  forment  des  cercles  ou  devisent  en  agitant  des  éventails  ;  ou  bien  encore  , 
accroupis  à  terre  ,  ils  se  livrent  à  la  manœuvre  des  bâtonnets ,  essayant  de  faire 
entrer  dans  une  ouverture  trop  petite  une  masse  de  riz  considérable.  Ils  ont  natu- 
rellement impoité  à  Taïti  leurs  vices  ,  dont  le  moindre  est  celui  de  fumer  l'opium. 
Cette  funeste  passion  s'est  étendue  à  la  façon  des  taches  d'huile  :  les  naturels 
adoptent  peu  à  peu  l'usage  de  l'extrait  de  pavot ,  et  la  ferme  d'opium  ,  adjugée 
naguère  à  15,000  fr.,  l'est  aujourd'hui  à  60,000  fr. 

Ra'iatéa  est,  après  Taïti ,  la  plus  grande  terre  du  groupe  de  la  Société.  L'an- 
nexion de  tout  l'archipel  n'étant  qu'une  question  de  temps  ,  on  commencera  proba- 
blement par  Raïatéa.  Dès  à  présent,  pour  préparer  la  réussite  de  ces  projets,  on 
emploie  des  voies  persuasives ,  on  salue  de  vingt  et  un  coups  de  canon  la  reine  de 
rîle,  on  donne  aux  indigènes  de  grands  festins  ou  amou-ramas,  pour  employer  le 
terme  consacré.  Les  invités  emportent  quelquefois  les  fourchettes  ,  mais  à  titre  de 
simple  souvenir,  ne  considérant  ces  insti'uments  que  comme  des  objets  de  coUec- 


-  3S0  — 

tion  ;  la  femme  d'un  chef  avise  ,  à  la  fin  d'un  repas  ,  un  flacon  de  liqueur  aux  flancs 
rebondis.  «  Ceci ,  dit-elle ,  doit  être  bon  pour  le  mal  aux  dents,  je  l'emporte.  »  Au 
point  de  vue  des  mœurs  kanaques  ,  ces  procèdes  n'ont  rien  d'extraordinaire.  Entre 
eux,  les  indigènes  ne  se  comportent  pas  d'une  manière  différente  ;  un  invité  enlève 
toujours  et  très  gravement  les  restes  d'un  festin  donné  en  son  honneur  :  c'est  là  une 
règle  immuable.  Quand  l'amphitryon  sait  vivre  .  il  fournit  même  à  ses  invités  les 
paniers  destinés  à  enlever  les  reliefs.  D'autre  part ,  quand  un  chef  de  l'île  invite  un 
Européen  ,  il  est  d'usage  que  celui-ci  se  fasse  suivre  de  quelques  paniers  de  vin  ; 
les  lois  du  pays  interdisent  aux  insulaires  l'usage  des  boissons  fermentées  ;  mais 
ils  se  livrent,  tranquillement  et  sans  aucun  remord-^,  à  des  libations  sans  fin  quand 
ils  peuvent  le  faire  sans  encourir  le  risque  d'une  amende.  Ces  lois  offrent  un  curieux 
mélange  des  coutumes  du  pays  et  des  prohibitions  apportées  par  les  missionnaires 
méthodistes.  Inutile  d'ajouter  que  ces  missionnaires  se  font  une  large  part  dans 
l'administration  du  teiritoire.  Le  code  indigène  ,  repris  et  augmenté  par  eux  ,  punit 
de  la  pgine  capitale  le  blasphème  et  l'idolâtrie;  il  abandonne  aux  missionnaires  le 
droit  d'annuler  le  contrat  de  mariage  et  celui  de  donner  leur  consentement  ou  d'inter- 
poser leur  veto  quand  il  s'agit  de  porter  des  marchandises  à  bord  d'un  navire.  Ils 
ont,  en  outre  ,  introduit  un  article  en  vertu  duquel  la  trahison  est  punie  selon  les 
lois  anglaises,  ce  qui  implique  l'obligation  de  les  consulter,  puisque  eux  seuls  peuvent 
appliquer  ces  lois  en  connaissance  de  cause. 

«  Quel  est  l'avenir  réservé  à  cette  petite  île  perdue  au  sein  de  l'Océan  Pacifique  , 
presque  aux  antipodes  ?  Elle  offre  peu  d'intérêt  au  point  de  vue  commercial,  et  nous 
ne  croyons  pas  que  son  importance  puisse  augmenter ,  même  après  le  percement  de 
l"isthme  de  Panama.  Malgré  la  fertilité  du  sol,  la  côte  seule  est  habitée  ;  les  bras 
font  défaut,  et  d'ailleurs  les  indigènes  ne  se  décideront  point  à  travailler  quoi  qu'il 
arrive.  Ainsi,  d'un  côté  un  pays  peu  étendu,  de  l'autre  une  population  insuffisante  : 
il  n'y  a  place  entre  ces  deux  facteurs  ni  à  une  importation,  ni  à  une  exportation 
sérieuses.  Il  ne  faut  considérer  Taïti,  que  comme  un  poste  militaire  et  un  point  de 
ravitaillement,  surtout  si  l'on  se  décide  à  améliorer  Port-Phaéton.  »  C'est  sur  ces 
lignes  que  nous  voulons  prendre  congé  de  M.  Alfred  Davin  et  de  son  livre,  d'une 
lecture  à  la  fois  si  instructive  et  si  attachante.  Non  cuivis  homhii  contingit  adiré 
Corinthum;  il  n'est  pas  donné  à  tout  le  monde  de  parcourir  50,000  milles  sur 
rOcéan  Pacifique  et  de  visiter  Taïti  et  les  Marquises  ;  mais  les  lecteurs  du  Bul- 
letin de  la  Société  de  géographie  do  Lille  ,  grâce  à  la  relation  de  M.  Davin,  ont  pu 
refaire  ce  voyage ,  avec  les  yeux  de  l'esprit  du  moins,  et  cela  sans  quitter  leur 
fauteuil  et  le  coin  de  leur  feu,  qui  ont  tant  de  charmes  par  le  temps  inclément  qui 
règne.  ,.  ' 


Four  les  Faits  et  Nouvelles  géographiques  non  extraits 

LE   SECRÉTAIRE-GÉNÉRAL , 

ALFRED  RENOUARD 


■A3i  - 


COMPTE-RENDU  DE  QUELQUES  EXCURSIONS 

ORGANISÉES  PAR  LA  SOCIÉTÉ  DE  GÉOGRAPHIE  DE  LILLE 

EN     1887. 


Ex.cursitou  aux  iniiiew  de  liCns.  —  Cette  excursion  a  eu  lieu  le  jeudi 
21  avril  1887  ;  nous  fûmes  ce  jour  lii  52  sociétaires,  lillois,  roubaisiens,  tourquennois 
et  armentiérois,  inscrits  pour  y  prendre  part.  Aux  yeux  de  beaucoup  d'entre  nous,  ce 
voyage  d'unjour  avait  un  double  attrait  :  il  nous  permettait  tout  d'abord  de  visiter 
dans  tous  ses  détails,  tant  pour  l'agencement  intérieur  que  pour  les  constiuctions 
extérieures,  un  établissement  minier  dont  la  réputation  n'est  plus  à  faire  ;  il  nous 
permettait  encore  de  jouir  à  peu  de  frais  et  avec  tout  le  confortable  possible,  d'une 
récréation  de  quelques  heures  ,  que  voulait  bien  généreusement  nous  offrir 
M.  Léonard  Danel ,  président  du  Conseil  d'administration  des  mines  et  depuis  de 
longues  années  bienfaiteur  de  la  Société. 

M.  Crépin,  président  du  Comité  d'excursion,  fait  l'appel  au  départ  dans  la  salle 
des  Pas-Perdus  de  la  gare,  et  nous  voici  bientôt  sur  le  quai  oii  M.  Léon  Danel  offre 
à  chacun  d'entre  nous  une  carte  de  la  concession  de  Lens  ,  jointe  au  programme  de 
l'excur.sion  de  la  journée.  On  monte  en  wagon,  on  part,  et  les  conversations 
bruyantes  vont  si  bon  train  qu'il  nous  semble  ,  qu'à  peine  installés  ,  nous  sommes 
arrivés  à  Lens. 

Reçus  avec  la  plus  grande  cordialité  par  M.  BoUaert ,  agent  général  des  mines , 
nous  mettons  gaiement  pied  à  terre,  traversant  rapidement  la  gare  de  la  ville  encom- 
brée de  wagons  de  houille,  et  gagnant  le  train  spécial,  mis  à  notre  disposition,  pour 
nous  conduire  à  Liévin,  oii  se  trouve  l'une  des  principales  fosses  en  pleine  exploi- 
tation ,  celle  dite  de  Saint-Arné ,  portant  le  n°  3. 

Le  trajet  s'effectue  si  rapidement,  que  nous  avons  à  peine  le  temps  d'examiner  les 
splendides  wagons  de  la  Compagnie  ;  nous  descendons  bientôt  pour  nous  rendre  à 
travers  le  village  au  puits  qui  attend  notre  visite. 

Liévin,  oii  nous  nous  trouvons  maintenant,  n'existait  pas  il  y  a  vingt-cinq  ans  : 
c'est  aujourd'hui  une  jolie  bourgade  oii  la  Compagnie  de  Lens  a  fait  contruire 
sept  cents  maisons  pour  le  logement  de  ses  ouvriers  .  une  église  d'un  caractère  tout 
particulier  et  fort  original,  deux  splendides  écoles  de  filles  et  de  garçons,  oii  l'ins- 
truction primaire  est  donnée  à  600  enfants  des  deux  sexes  et  une  école  d'adultes. 
Deux  rangées  de  corons  aux  toits  rouges,  bordent  la  rue  principale,  mieux  entretenue 
que  les  chaussées  de  nos  villes.  Toutes  les  maisons  sont  pareilles  et,  par  les  portes 
ouvertes,  on  aperçoit  des  intérieurs  propres  et  coquets  qui  invitent  à  entrer  :  chaque 
maison  comprend,  au  rez-de-chaussée,  une  pièce  assez  vaste,  dallée  de  carreaux 
céramiques,  et  une  cuisine  ;  à  l'étage  unique,  deux  chambres  ;  puis,  sous  les  combles, 
un  grenier.  Le  sous-sol  est  excavé,  et,  derrière  la  maison,  le  mineur  a  la  jouissance 

24 


—  332  — 

d'un  carré  de  terre  de  deux  cents  mètres  qui  fournit  des  légumes  pour  toute  la 
famille.  La  Compagnie  loue  ces  maisons  à  raison  de  5  francs  par  mois,  somme  qui 
représente  un  peu  plus  que  les  travaux  d'entretien.  La  plus  grande  propreté  règne 
partout  ;  une  surveillance  active  est  d'ailleurs  exercée  sur  les  corons  de  la  Compagnie 
par  des  gendarmes  retraités,  gardiens  vigilants  et  sûrs. 

Nous  arrivons  ainsi  sur  la  place  du  village  oii  nous  voyons  installé  un  jeu  de 
paume  à  la  disposition  des  mineurs,  et  oii  se  trouve  l'église  Saint-Amé  que  nous  visi- 
tons rapidement.  Puis  nous  pénétrons  dans  les  bâtiments  en  briques  qui  rccouv  ent 
la  bouche  du  puits.  L'architecture  en  est  simple  et  élégante.  La  recette  au  charbon 
est  à  six  mètres  au-dessus  des  voies  de  l'embranchement  qui  dessert  la  Fosse  ;  c'est 
ce  qui  fait  que  le  bâtiment  comprend  un  rez-de-chaussée  haut  de  6  mètres  et  un  étage 
qui  a  environ  15  mètres  sous  le  faîte.  Dans  le  rez-de  chaussée  se  trouve  une  vaste 
salle  pour  les  mineurs  ave<:'  de  nombreuses  armoires  (une  à  la  disposition  de  chaque 
brigade  d'ouvriers)  ,  deux  bureaux  pour  les  porions,  un  autre  bureau  pour  les  sur- 
veillants et  employés  de  la  place,  une  lampisterie,  un  magasin  renfermant  tous  les 
objets  nécessaires  à  la  consommation  moyenne  d'un  mois  et  des  ateliers  pour  les 
petites  réparations  ;  sans  parler  de  la  recette  inférieure  au  niveau  du  sol  pour  la 
descente  des  bois  et  l'épuisement  des  eaux  par  caisses  guidées.  A  l'étage  ,  sont  le 
chevalement  et  la  machine.  Le  chevalement  est  en  bois  très  souple  et  fort  solide,  il 
porte  l'axe  des  molettes  à  11  mètres  au-dessus  du  sol  et  la  recette  au  charbon. 
La  machine  est  verticale,  à  cylindres  enterrés  ;  les  pistons  ont  0'",65  de  diamètre  et 
2™  de  course  ;  les  glissières  sont  portées  par  le  couvercle  du  cylindre,  ce  qui  ne  se 
fait  plus  ;  la  distribution,  par  tiroir  sans  détente  spéciale,  n'a  rien  de  particulier. 

A  leur  arrivée,  les  cinquante-deux  voyageurs  se  partagent  en  deux  groupes  :  un 
prcuuer  groupe,  limité  à  trente  personnes,  a  le  droit  de  descendre  dans  les  «entrailles» 
de  la  terre  ;  un  second  groupe  visitera  en  détail  les  installations  superficielles.  Puis 
la  caravane  se  retrouvera  à  l'orifice  de  sortie  de  la  fosse  n"  4. 

Suivons  maintenant  le  premier  groupe  ,  celui  dit  des  privilégiés,  et  mêlons-nous  à 
ces  heureux  excursionnistes  que  les  vingt-deux  autres  voient  partir  d'un  œil  d'envie. 
A  la  hâte,  nous  revêtons  le  costume  de  l'ouvrier  du  fond  :  à  savoir  la  chemise  de 
cretonne  imprimée,  blanchie  par  des  lavages  journaliers,  la  culotte  et  la  veste  de  toile 
bleue,  le  béguin  blanc  serré  autour  de  la  tète  par  des  cordons,  et  la  lourde  barrette  de 
cuir  bouilli  qui  doit  protéger  nos  crânes  puissants  des  chocs  contre  le  bois  des  gale- 
l'ies.  On  nous  donne  à  tous  une  lampe  de  sîireté  :  et  pour  conserver  à  nos  descendants 
le  souvenir  du  21  avril  1887 ,  nous  nous  formons  en  groupe  et  permettons  qu'on 
braque  sur  nous  un  appareil  photographique.  Nous  gagnons  ensuite  la  bouche  du 
puits  ;  la  descente  va  commencer. 

La  salle  de  recette  où  nous  nous  trouvons  est  dallée  de  grands  carreaux  de  fonte  sur 
lesquels  glissent  avec  fracas  les  berlines  lourdement  chargées  de  houille.  Au  fond,  la 
machine  met  en  mouvement  deux  immenses  bobines  de  dix  mètres  de  diamètre  sur 
les  moyeux  desquelles  s'enroulent  en  sens  contraire  deux  solides  câbles  d'aloès.  Ces 
câbles  qui  soutiennent  les  cages  d'extraction  ,  vont  passer  au-dessus  du  puits  sur  les 
molettes  soutenues  par  de  fortes  charpentes  en  fer. 

Après  deux  coups  de  cloche,  voici  que  les  câbles  se  mettent  tout  à  coup  en  mouve- 
ment, l'un  monte,  l'autre  descend  dans  le  gouffre  noir  dont  l'ouverture  béante  semble 
vouloir  tout  engloutir.  Puis  bientôt  ils  sont  au  bout  de  leur  course  :  pendant  qu'une 
cage  est  descendue  au  fond  de  l'abîme  ,  une  autre  est  remontée,  supportant  sur  cha- 
cun de  ses  deux  planchers  superposés  quatre  berlines  de  charbon.  Des  taqueurs 
sortant  rapidement  les  petits  wagonnets,  les  déversent  dans  les  bâtiments  de 
criblage  et  les  remplacent  sur  les  planchers  de  la  cage  par  des  berlines  où  ont  pris 
place  les  excur.sionnistes  lillois 


—  333  - 

Le  charbon  extrait,  par  jour  dépasse  50U  toimes,  nous  dil-oii,  uiais  lors  do  la  grande 
poussée  de  1872,  on  est  arrivé  au  chiffre  très  considérable  de  1,022  tonnes.  La 
Compagnie  de  Lens  est  de  toutes  les  Sociétés  houillières  du  Nord  et  du  Pas-de-Calais, 
celle  dont  le  développement  a  été  le  plus  rapide  et  le  plus  considérable  :  en  1840,  ses 
6,939  hectares  de  concession  (Lens  et  Douviin  réunis)  était  absolument  vierges  de 
tout  travail,  mémo  d'cxi)loration;  l'extraction  n'y  a  été  commencée  que  fui  1853,  et 
l'on  y  extrait  actuellement  plus  de  1,300,000  tonnes.  En  fait,  depuis  1872,  par  sa 
production,  la  Compagnie  de  Lens  s'est  placée  immédiatement  après  la  Compagnie 
d'Anzin,  qui  est  hors  de  comparaison  avec  toutes  les  autres,  détrônant  la  Compagnie 
d'Aniche  du   second   rang  qu'elle  avait  conquis  en  1852  et   toujours  gardé  depuis. 

Mais,  attention  1  le  départ  va  sonner.  Nous  sommes  deux  dans  chaque  berline, 
seize  en  tout  dans  la  cage.  Le  moment  est  solennel  et  une  certaine  émotion  nous 
gagne.  Deux  coups  de  cloche  au  milieu  des  râles  et  des  souffles  puissants  des 
machines  ;  puis  ,  après  un  léger  sursaut,  la  cage  s'enfonce  éperdument  dans  la  pro- 
fondeur du  puits.  En  un  instant,  tout  a  disparu  :  les  charpentes  et  les  constructions 
de  la  recette  ont  fui ,  et ,  à  travers  la  nuit  épaisse  et  noire  ,  on  essaye  en  vain  de 
distinguer  les  parois  du  puits.  Descend-on  ?  Monte-t-on  ?  Par  moments  ,  on  se  croit 
immobile,  puis,  des  oscillations  se  produisent  et,  après  quelques  minutes  de  cette 
descente ,  la  cage  s'arrête  à  l'accrochage  ,  à  près  de  huit  cents  pieds  au-dessous 
du  sol. 

Aussitôt  des  mineurs  tirent  hors  de  la  cage  les  berlines  qui  contiennent  les  excur- 
sionnistes, et  la  promenade  souterraine  commence  par  la  visite  de  l'écurie,  voisine 
de  l'accrochage.  Un  froid  intense  règne  dans  la  galerie  de  foiul,  qui  reçoit  tout  l'air 
de  la  mine.  L'écurie  qui  se  trouve  sur  le  côté  de  la  galerie,  est  taillée  dans  le  roc  et 
voûtée  en  briques  :  quelques  chevaux,  d'une  extrême  tranquillité,  très  hauts  et  très 
gras  s'y  trouvent.  Les  autres,  laissant  leurs  stalles  inoccupées,  traînent  des  trains 
de  berlines  des  tailles  à  l'accrochage. 

Après  un  rapide  passage  à  travers  l'écurie  obscure,  éclairée  par  une  seule  lampe, 
on  reprend  la  galerie  de  fond  dont  on  suit  longtemps  les  méandres  pour  arriver  à  uno 
veine  en  exploitation.  La  galerie  est  fort  belle  :  d'abord  voûtée  en  maçonnerie  par 
suite  du  peu  de  résistance  du  sol,  puis  taillée  en  plein  roc  et  entièrement  blanchie  à 
la  chaux  pour  donner  plus  d'intensité  à  la  lumière  falote  des  lampes  de  sûreté. 

On  marche,  on  marche  toujours.  Par  instants,  on  rencontre  un  train  de  berlines 
traîné  par  un  cheval  géant,  ouvrant  de  grands  yeux  ,  inutiles  au  milieu  de  cette  éter- 
nelle nuit.  A  droite  et  à  gauche,  des  galeries  secondaires  ouvrent  de  grands  trous 
noirs  au  fond  desquels  pointent  les  petites  flammes  des  lampes. 

La  promenade  souterraine  continue,  et  bientôt  la  galerie  de  fond  change  complète- 
ment d'aspect  :  la  voûte,  taillée  dans  le  grès,  fait  place  à  une  galerie  étayée  de  troncs 
de  bouleaux  ;  un  canard,  large  tuyau  de  conduite  d'air,  passe  sous  le  toit,  et  au  froid 
qui  incommodait  au  début  les  voyageurs,  a  succédé  une  température  suffocante 
A  travers  les  bois  de  soutènement,  on  aperçoit  entre  le  mur  de  la  galerie  (rocher  infé- 
rieur) et  le  toit,  une  couche  de  houille  d'au  moins  0'",70  d'épaisseur,  que  la  galerie 
suit  sur  toute  sa  longueur.  On  arrive  ainsi  à  la  veine  Ai-ago,  dont  on  visite  une  des 
tailles  :  la  veine  fait  les  zigzags  les  plus  singuliers  ;  à  un  endroit,  elle  descend  brus- 
quement et  un  mineur,  couché  sur  le  côté,  abat  le  charbon  à  l'aide  d'une  pique.  La 
houille  tombe  en  fragments  brillants  qu'un  gamin  ramasse  et  dont  il  emplit  les 
berlines. 

Plus  loin,  un  plan  incliné  monte  à  travers  les  couches  successives  et  dessert  de 
nombreuses  tailles  secondaires.  A  grand  renfort  de  genoux  et  de  coudes,  et  non  sans 
quelques  périlleuses  glissades  ,  on  gravit  le  plan  incliné  et  on  assiste  sur  son  passage 
au  travail  des  mineurs,    arrachant  périlleusement  le  charbon  des  souterrains,  ou  il 


-  334  - 

est  déposé  ,  il  y  a  des  milliers  de  siècles  ,  dans  la  seconde  période  de  la  vie  du 
globe,  au  moment  oii  s'épanouissaient  dans  leur  merveilleuse  exubérance  les  végé- 
taux singuliers  de  la  flore  secondaire. 

La  veine  Arago,  oii  se  promènent  les  excursionnistes,  est  grisouteuse  ;  le  terrible 
ennemi  des  mineurs  s'y  dégage  lentement  des  blocs  de  houille  qui  l'emprisonnent, 
et  sans  les  multiples  précautions  prises  par  le  personnel,  sans  la  sévérité  des  règle- 
ments, des  catastrophes  seraient  inévitables. 

Pour  reconnaître  et  doser  le  grisou,  les  porions  se  sei-vent  d'une  lampe  spéciale  : 
c'est  une  lampe  Davy  dans  laquelle  l'huile  a  été  remplacée  par  de  l'alcool,  dont  la 
flamme  est  beaucoup  plus  sensible.  Si  on  promène  cette  lampe  le  long  de  la  veine 
grisouteuse,  on  voit  la  flamme  pâlir  et  s'allonger  ;  et  dans  la  cheminée  de  toile 
métallique  qui  surmonte  la  lampe  ,  le  grisou  brûle  avec  une  flamme  bleue  caractéris- 
tique. A  l'aide  d'une  graduation  que  porte  la  lampe ,  les  surveillants  déterminent 
aisément  la  quantité  de  gaz  dangereux  contenue  dans  l'air  de  la  galerie. 

Cette  expérience,  renouvelée  plusieurs  fois,  intéresse  vivement  les  voyageurs 
souterrains  ;  puis  la  promenade  à  travers  les  galeries  continue  et  on  gagne  ainsi  la 
fosse  n**  9,  en  construction  et  dont  les  installations  extérieures  ne  sont  pas  terminées 
encore  :  on  creuse  de  nouvelles  galeries  à  travers  un  grès  d'une  dureté  extrême  qui 
néces.site  l'emploi  de  puissantes  perforatrices  à  air  comprimé  Mais,  l'heure  avance, 
la  course  souterraine  a  aiguisé  les  appétits,  les  estomacs  crient  famine  ;  les  jambes 
sont  lasses  et  d'aucuns  manifestent  le  désir  de  revoir  la  lumière  du  jour. 

On  se  remet  donc  en  marche  silencieusement  et  on  traverse  une  voie  de  fond  qui 
ramène  tout  le  monde  à  l'accrochage  de  la  fosse  n"  4.  Les  voyageurs  montent  en 
berline,  on  charge  les  cages  et  une  première  bande  d'excursionnistes  quitte  le  fond. 

La  cage  monte,  monte  à  travers  l'obscurité  du  puits  ;  on  approche  de  la  surface, 
on  perçoit  le  bruit  des  machines,  on  entend  les  cris  joyeux  des  excursionnistes  de  la 
surface,  revenus  en  chemin  de  fer  à  la  fosse  n°  4  ;  puis,  c'est  tout  à  coup  un  ébloiiis- 
sement  général  :  la  cage  est  arrivée  au  jour,  les  taqueurs  tirent  les  berlines  et  les 
voyageurs  mettant  pied  à  terre  racontent  leurs  impressions  à  ceux  qui  n'ont  pu, 
comme  eux,  admirer  les  merveilles  de  l'exploitation  des  mines. 

La  cage  vide  redescend  pour  chercher  une  seconde  bande  de  promeneurs  souter- 
rains :  bientôt  tout  le  monde  est  réuni  dans  la  grande  cour  du  n"  4,  et  pour  que 
chacun  conserve  le  souvenir  de  cette  belle  excursion,  M.  Gayez,  photographe,  prend 
pour  la  .seconde  fois,  une  vue  du  groupe  formé  par  les  excursionnistes  du  jour  et  du 
fond  réunis.  Les  derniers  se  hâtent  alors  d'aller  échanger  leurs  vêtements  de  toile 
noircis  par  le  charbon  contre  leur  costume  de  voyage  ;  puis  tout  le  monde  se  rend  à 
l'hôtel  de  la  Compagnie  de  Lens,  oii  M.  Léonard  Danel  offre  aux  excursionnistes 
lillois  un  dîner  plantureux 

Ce  dernier  a  été  un  vrai  banquet  dont  le  confortable  venait  bien  à  point  après  une 
matinée  réellement  très  chargée  :  11  était  servi  dans  une  immense  salle  dont  les  murs 
étaient  ornés  avec  goût  d'un  grand  nombre  de  trophées.  M.  Léonard  Danel,  président 
du  Conseil  d'administration  ;  M.  Bollaert,  agent  général  des  mines  de  Lens,  et  tous  les 
ingénieurs  de  la  Compagnie  y  assistaient.  Le  Champagne  versé,  plusieurs  toasts  ont 
été  portés,  par  M.  Paul  Crépy  a  la  Société  des  mines  de  Lens  et  à  son  président , 
par  M.  Léonard  Danel  à  la  Société  de  géographie  de  Lille,  par  M.  Alfred  Renouard  à 
MM,  les  ingénieurs  et  au  Conseil  d'administration  de  la  Compagnie ,  enfin  par 
M.  Eeckman  à  M.  Bollaert. 

Puis,  de  rechef,  l'on  s'est  mis  en  route  pour  visiter  les  installations  extérieures  de 
la  fosse  n"^  7,  dite  Saint-Léonard.  Les  trois  quarts  d'heui'e  passés  autour  des  ateliers 
de  criblage  et  de  nettoyage  des  charbons  ont  paru  vraiment  trop  courts  aux  excur- 
sioimistes  que  l'ordre  du  jour  appelait  dans  une  autre  direction. 


-  :m  - 

Nous  remontons  en  wagons,  et  quelques  minutes  après  nous  mettons  pied  à  terre 
au  rivage  de  Pont-à-Vendin,  établi  par  la  Compagnie  sur  le  bord  d'un  bassin  creusé 
parallèlement  au  canal  de  la  Haute-Deûle.  Ce  bassin  a  :I8  mètres  de  largeur  à  ligne 
d'eau,  3'".'10  de  profondeur,  et  une  longueur  considérable  de  275  mètres  qui  permet 
le  chargement  en  bateaux  de  5,000  tonnes  de  houille  par  jour. 

Après  un  examen  rapide  de  l'installation,  un  train  complet  est  arrivé  pour  le 
déchargement  sur  un  chemin  de  fer  parallèle  au  rivage,  placé  sur  un  remblai  de 
7  mètres  au  dessus  de  l'oau  dans  le  bassin,  et  les  excursioimistes  ont  pu  jouir  à  leur 
aise  du  spectacle  vraiment  pittoresque  de  l'opération  du  versement  dans  les  bateaux. 
Le  train,  en  effet,  venant  des  Fosses  au  Rivage,  s'est  arrêté  en  face  de  trémies  cou- 
chées sur  un  talus  correspondant  chacune  à  des  glissières  en  tAle  sous  lesquelles  sont 
les  bateaux  à  charger  rangés  bout  à  bout.  La  locotive  est  décrochée  et  vient,  par 
laiguiliage  terminal  sur  une  voie  paiallèle,  se  placer  à  côté  du  premier  wagon  :  alors 
un  homme  accioche  l'élévateur  à  la  première  caisse  qui  est  lestement  vensée;  de  cette 
caisse  on  passe  à  la  seconvie  en  faisant  reculer  la  locomotive  d'un  tour  de  roue  et 
ainsi  de  suite  jusqu'au  bout  du  train.  Le  train,  complètement  déchargé  de  la  tête  à  la 
queue,  la  machine  vient,  par  l'aiguillage  initial,  se  placer  en  queue,  c'est-à-dire  en 
tète  du  côté  des  Fosses,  et  le  signal  du  départ  est  donné.  C'est  un  émei-veillernent 
que  de  voir  cette  manœuvre  originale  et  cette  célérité  d'exécution  qui  permet  de 
chaiger  un  bateau  de  270  tonnes  en  moins  de  trois  quarts  d  heuie.  avec  un  personnel 
léduit  à  tiois  horames,  l'un  à  la  locomotive  ,  l'autre  à  l'accrochage  de  la  grue  et  aux 
loquets,  le  troisième  aux  glis-sières.  C'est  avec  regret  que  l'assistance  s'est  éloignée 
d'un  aussi  eu  Jeux  spectacle. 

Nous  remontons  une  fois  encore  dans  les  wagons  de  la  Compagnie,  et  nous  diri- 
geons vers  la  fosse  de  Douvrin  qui .  d'après  l'ordre  du  jour,  est  le  point  terminus  de 
notre  excursion. 

Sous  la  direction  de  M.  Reuraaux,  ingénieur  en  chef  de  la  Compagnie,  nous  visi- 
tons bientôt  cette  magnifique  installation,  à  la  direction  de  laquelle  est  spécialement 
attaché  M.  l'ingénieur  Renié,  auquel  ou  est  redevable  du  beau  travail  de  serrement 
qui  en  a  permis  le  fonctionnement. 

Mais  il  est  six  heures,  le  moment  du  départ  approche,  il  faut  terminer  quand  même 
cette  promenade  intéressante.  Nous  remontons  dans  le  petit  train  de  la  Compagnie 
qui  redouble  de  vitesse  pour  nous  conduire  à  la  gare  de  Lens. 

Avant  notre  retour  pour  Lille  ,  réunis  au  cercle  des  ingénieurs ,  nous  sommes 
heureux  de  remercier  encore  une  fois  MM.  Danel,  Bollaert,  Reumaux  et  les  ingé- 
nieurs de  la  mine  ,  du  charmant  accueil  qu'ils  ont  bien  voulu  réserver  aux  membres 
de  la  Société  et  nous  les  assurons  de  nouveau  que  tous  nous  conserverons  de  la 
première  excusion  de  1887  un  souvenir  ineffaçable. 

A  6  h.  37,  nous  quittons  Lens:  en  wagon,  les  conversations  ne  roulent  plus  que  sur 
un  seul  sujet,  l'excursion  delà  journée  que  nous  essayons  de  nous  remémorer  par 
le  détail  comme  pour  en  jouir  encore ,  et  tous  nous  sommes  d'avis  que  depuis 
longtemps  ,  pareil  émerveillement  n'a  été  offert  aux  géographes  de  Lille.  Comme 
Titus,  aucun  de  nous  n'avait  perdu  sa  journée.  Alfred  Renou.\rd. 


Excursion  à  C'af^sel.  —  (12  juin  1887).— Partis  de  Lille  à  7  heures  15.  sous 
la  direction  de  MM.  Fernaux  et  Merchier,  les  excursionnistes  aperçoivent  d'abord 
Cassel  un  peu  avant  d'arriver  à  Hazebrouck,  puis  après  avoir  dépassé  cette  gare , 
ils  distinguent  progressivement  les  détails  du  panorama  de  la  ville  qui  s'étale  sur 


—  336  - 

le  sommet  du  mont.  A  8  heures  55 ,  enfants  ,  dames,  tous  ,  jeunes  et  vieux,  sautent 
les  marches  du  train  d'un  même  élan  joyeux,  le  soleil  aussi  était  de  la  fête.  La  ville 
de  Cassel,  que  nous  allons  visiter,  est  située  à  50"  48'  de  latitude  N.  et  à  0"  9'  de 
longitude  E.;  elle  est  à  50  kil.  de  Lille,  à  20  kil.  de  St  Oiner,  à  30  kil.  de  la  mer, 
à  Dunkerque ,  et  environ  10  kil.  de  la  frontière  belge  k  Calcane;  elle  est  à  3  kil. 
de  la  station  de  Bavinchove,  village  que  nous  voyons  à  peu  de  distance.  Voici  la  route 
de  St-Omer  ,  par  laquelle  trois  fois,  en  six  siècles,  arrivèrent  les  Français  pour  com- 
battre les  Flamands.  En  véritables  touristes  ,  nous  dédaignons  l'omnibus  et  nous 
commençons  à  gravir  la  célèbre  colline  ,  point  culminant  de  toute  la  Flandre  ;  l'un 
de  nous  lui  fait  l'honneur  d'un  véritable  alpen-stock. 

Les  riches  moissons  des  champs  ,  les  vallons  fleuris  ,  les  surfaces  accidentées  et 
pittoresques  nous  séduisent,  et  bientôt,  regardant  en  arrière,  nous  sommes  étonnés 
de  dominer  déjà  la  gare  que  nous  venons  de  quitter  et  les  clochers  qui  nous  envi- 
onnent.  Un  instant  après ,  nous  passons  devant  le  château  original ,  construit  par 
général  Vandamme  enfant  de  Cassel ,  dont  Napoléon  I*^'  appréciait  l'ardeur  belli- 
queuse. Nous  sommes  là  à  l'entrée  de  la  ville ,  nous  la  trouvons  toute  pavoisée  de 
drapeaux  et  d'oriflammes,  et  décorée  de  guirlandes  de  verdure  et  de  fleurs.  C'est  la 
Kermesse,  et  en  même  temps  la  procession  annuelle  de  la  Fête  Dieu  ;  nous  admi- 
rons, sur  les  places,  deux  superbes  reposoirs,  devant  lesquels  sont  des  tapis  artiste- 
ment  dessinés  en  fleurs  naturelles  ,  dont  les  couleurs  ménagées  avec  goiît ,  font  un 
effet  superbe  qui  soulève  notre  admiration.  Nous  regardons  passer  devant  nous  ,  la 
longue  suite  d'enfants  et  déjeunes  filles,  portant  de  nombreuses  bannières ,  des 
statuettes  et  des  reliquaires,  puis  vient  le  petit  agneau  traditionnel,  etc.  Une  foule 
nombreuse  et  recueillie  ,  qui  donne  une  idée  du  caractère  des  habitants  du  pays  , 
regarde  ou  accompagne  la  procession.  Pour  nous,  profitant  de  ce  que  l'église  est  vide, 
nous  allons  la  visiter.  Nous  y  voyons  un  beau  Rubens  :  la  Vierge  qui  offre  l'Enfant 
Jésus  à  St-François  d'Assise  pour  V embrasser  {ï)-  —  puis  un  Christ  crucifié,  supposé 
de  Van  Dyck.  Au  maitre-autel  est  la  copie  d'une  belle  AssomptiGit  d'après  Raphaël, 
l'autel  est  en  marbre  de  couleur  et  le  rétable  à  colonnes  corinthiennes.  Sous  le 
clocher,  sont  peints  à  fresque,  sur  les  piliers,  les  Pères  de  l'Eglise.  L'orgue  à  double 
buffet  est  bien  installé,  on  y  voit  le  roi  David  et  sainte  Cécile,  en  pied  ;  un  chrono- 
gramme nous  dit  qu'il  date  de  1821.  11  n'y  a  rien  de  très  remarquable  dans  l'archi- 
tecture de  cette  église  qui  fut  souvent  brûlée  et  reconsti-uite  par  parties  ;  il  reste 
des  vestiges  de  celle  de  1290,  bâtie  en  grés  du  pays.  L'horloge  et  le  carillon  de  la 
tour  viennent ,  dit-on  ,  de  Thérouanne  ,  mais  plutôt  de  l'abbaye  de  Clairmarais  qui 
dépendait  de  la  châtellenie.  L'église  Notre- Dame  fut  longtemps  collégiale  à  douze 
chanoines  ;  nous  remarquons  le  porche  en  forme  de  lourd  péristyle  à  trois  entrées  et 
à  côté  ,  un  grand  Calvaire.  Près  de  là ,  nous  voyons  l'ancien  collège  des  Jésuites , 
bâti  en  1687,  et  occupé  par  les  Récollets  de  1770  à  1789  :  détruit  en  1793 ,  ce  qui  en 
reste  est  la  chapelle  monumentale  dont  on  a  fait  l'école  des  frères.  Puis  nous  passons 
devant  l'hospice  des  vieillards  ,  fondé  en  1255  ;  à  côté,  est  l'école  des  sœurs  Augus- 
tines  et  leur  chapelle,  fondée  par  Robert-le-Frison  ;  son  corps  y  reposa  de  1131  à 
1281.  Arrivés  à  une  place  ornée  d'une  fontaine,  nous  montons  par  une  antique  ruelle 
sur  la  butte  du  château  ,  on  y  pénètre  par  une  ancienne  porte  flanquée  de  tours 
crénelées.  Cette  terrasse  est  le  point  légendaire  qui  fut  fortifié  de  toute  antiquité 
parles  Morins,  les  Menapiens  et  les  Romains  avant  de  devenir  le  château-fort  histo- 
rique du  moyen-âge.  Là  aussi  exista  ,  jusqu'en  1789,  la  collégiale  de   Saint-Pierre  , 


(1)  Lo  Musée  de  Lille  possède  de  Rubens  le  même  sujet,  mais  plus  srraml 


-  337  — 

fondée  on  1072  par  Robei*t-Io-Frison.  Aujounl'hui ,  nous- n'y  voyons  qu'un  jardin 
agréable  et  bien  dessiné  ,  dans  lequ'l  s'élèvent  :  vers  l'Ouest ,  le  Moulin  ,  dit  de 
Gassel ,  aperçu  et  connu  de  bien  des  lieues  à  la  ronde  ;  et  vers  l'Kst,,  quelques  habi- 
tations pai  ticulières.  Mais  si  la  puissance  a  disparu  ,  si  les  curieux  rnonum«;nts  ont 
été  détruits,  il  r.iste  toujours,  la  beauté  moins  fugitive  du  silo  et  la  splendeur  de  la 
nature.  Si  Jules-César  et  plusieurs  de  ses  Lieutenants  ont  foulé  jadis  ce  sol  et  com- 
nieiicé  sa  célébrité  en  y  fondant  l'un  des  points  stratégiquf-s  de  la  Belgique,  bien  des 
hommes  illusti-es  ont  suivi  leurs  traces  ,  car  outre  plusieurs  comtes  et  comtesses  de 
Flandre  ([ui  l'ont  affectionné  ,  et  de^;  rois  que  la  guerre  y  a  amenés  ,  ce  lieu  a  été 
visité  avec  intérêt  et  cu'-iosité  par  une  foule  de  savants  et  d'hommes  distingués; 
Charles-Quint ,  et  le  17  messidor  an  II  ,  Napoléon  ,  premier  Consul ,  lui  firent  aussi 
cet  honneur.  Quant  à  nous,  déjà  émerveillés  par  les  magnifiques  points  de  vue  qui 
sont  ménagés  pour  les  promeneurs,  nous  avons  la  bonne  fortune  de  pouvoir  monter 
sur  le  toit  en  plate-forme  de  la  maison  la  plus  élevée  de  la  butte.  De  là  ,  nous 
jouissons  de  ce  spectacle  splendide  que  Malte-Hrun  appelle  le  plus  beau  panorama 
du  monde.  La  campagne,  à  nos  pieds,  avec  ses  maisons,  ses  habitants,  ses  animaux 
microscopiques,  nous  rappelle  Swift  ;  ce  pavé,  que  nous  croyons  voir  égaré  dans  une 
mousse  arboi'escente  ,  c'est  une  grosse  tour  séculaire  ,  perdue  avec  l'église  qu'elle 
domine  au  milieu  d'un  bouquet  d'arbres  du  même  âge  :  et  l'une  de  nos  fillettes,  vou- 
drait avoir  comme  jouet  cette  maisonnette  aux  toits  rouges  qui  est  un  vieux  manoir 
des  temps  féodaux.  Nous  voyons  rayonner  autour  du  mont,  quia  plus  de  165  mètres 
d'altitude  ,  une  foule  de  grandes  routes  parmi  lesquelles  les  plus  droites  sont  d'an- 
ciennes voies  l'omaines  qui  sont  au  nombre  de  sept.  Au  loin  ,  nos  lunettes  nous 
montrent  Dunkerque,  la  mer  et  même  les  falaises  de  Douvres  ;  puis  la  haute  tour  de 
Bruges  sur  les  confins  de  la  Hollande,  tandis  que  vers  l'ouest  nous  apercevons  les 
collines  de  l'Artois  d'où  sortent  l'Aa,  la  Lys  et  la  Scarpo.  L'un  de  nous  possède  la 
carte  de  l'immense  hori/.on  circulaire  que  nous  découvrons  de  ce  point  presqu'aérien 
à  180  mètres  au-dessus  de  la  mer ,  et  cette  circonférence  de  plus  de  150  lieues  que 
nous  embrassons,  permet  de  distinguer,  par  un  tem])S  clair,  plus  de  40  villes  et  100 
bourgs.  C'est  de  là  ,  pendant  que  nous  contemplons,  émus,  le  théâtre  de  près  de 
vingt  siècles  de  faits  historiques  ,  que  le  savant  professeur  d'histoire  du  Lycée  de 
Lille  ,  M.  Merchier ,  nous  fait  le  récit  intéressant  des  batailles  de  1071  ,  de  1328  et 
de  1677  (1),  nous  indiquant  successivement  et  sur  le  vif  les  localités  qu'il  cite. 


(1)  Il  nous  montre  Robert-Ie-Frison,  deuxième  fils  de  Bauduin  V  de  Lille  .  appelé 
par  le  peuple  flamand,  fatigué  de  l'oppression  et  des  cruautés  de  Richilde,  veuve  du 
comte  Bauduin  VI,  son  frère,  et  qui  avait  pris  la  tutelle  de  ses  fils  Arnould  et 
Bauduin.  Nous  le  voyons,  au  levant,  descendre  du  \Vonhenberg(Mont  des  Vautours, 
aujourd'hui  des  Récollets)  et  mettre  en  fuite  les  troupes  wallonnes;  puis  ensuite 
s'élancer  à  l'ouest  du  Mont  Cassel  vers  Bavinchove ,  et  repousser  les  mêmes 
troupes  jointes  à  celles  du  jeune  roi  Philippe  1''',  venu  au  secours  de  son  cousin 
Arnould,  Richilde  est  faite  prisonnière  pendant  la  bataille,  puis  échangée  contre 
Robert,  pris  lui-même  ,  s'étant  laissé  emporter  par  son  ardeur  au  milieu  des  enne- 
mis Enfin ,  le  roi  de  France  ,  revenant  de  Saint-Omer  avec  des  renforts ,  ayant  été 
tué  ,  son  oncle ,  Robert-le-Frison  ,  est  reconnu  comte  de  Flandre  ;  plus  tard  ,  le  roi 
ayant  épousé  Berthe  de  Hollande,  .sa  belle-fille  ,  la  couronne  de  Flandre  est  assurée 
à  la  branche  cadette  des  descendants  de  Bauduin  de  Lille. 

—  Les  Cassellois  furent  moins  heureux  en  1328;  les  flamands ,  soulevés  contre 


-  338  - 

Captivés  par  sa  parole  autant  que  par  le  décors ,  nous  remercions  vivement  le 
maître ,  prodigue  de  sa  science,  dans  cette  conférence  d'un  genre  si  rare.  C'est  à 
regret  que  nous  quittons  notre  belvédère  pour  visiter  au  milieu  de  la  pelouse  de  la 
butte,  d'abord  :  la  crypte  de  l'ancienne  collégiale  oii  existe  le  tombeau  de  Robert-le- 
Frison  ,  dont  nous  voyons  encore  une  partie  qui  reste  dei'uis  qu'il  fut  violé  sous  la 
Terreur;  puis  la  pyramide  commémorative  que  le  D'  De  Smyttère  a  généreusement 
fait  édifier  pour  rappeler  les  exploits  de  ce  comte  et  d'autres  faits  historiques.  Au 
pied  de  ce  monument ,  l'un  de  nos  collègues  a  la  bonne  idée  de  photographier  notre 
groupe  et  d'offrir  à  chacun  de  nous  ce  souvenir  de  notre  agréable  excursion. 

Nous  descendons  ensuite  vers  l'ancienne  porte  de  Bergues  oii  existe  une  belle 
chapelle  octogonale  avec  dôme,  toute  ornée  de  fresques  à  l'intéiieur;  nous  y  rele- 
pons cette  inscription:  0n2e  lieve  vroiiw  van  bermhertiffheid ,  bidvoor  ons,  écueil 
de  prononciation  pour  les  français.  Nous  passons  devant  la  Poste,  le  Télégraphe,  le 
Collège,  l'Orphelinat  ;  enfin,  sur  la  grande  Place,  encombrée  de  saltimbanques,  nous 
voyons  une  fontaine  adossée  à  une  assise  monumentale  en  grés.  A  côté  ,  se  trouve 
l'Hôtel-de-Ville  qui  est  classé  au  nombre  des  monuments  historiques  ;  c'est  une 
élégante  construction  espagnole  bâtie  en  1634  après  un  incendie  accidentel;  une 
petite  tour  à  clocher  renferme  la  cloche  d'alarme.  Jadis  siégeait  là  le  haut  justicier  ; 


leur  comte  ,  Louis  de  Grecy  petit -fils  et  successeur  de  Robert  de  Béthune  ,  virent 
arriver,  du  côté  de  Saint-Omer,  le  nouveau  roi  de  France,  Philippe  de  Valois,  pour 
secourir  son  cousin.  11  s'installa  vers  le  nord  du  Mont  Cassel  et  ravagea  le  pays. 
Les  Flamands  déployèrent ,  par  bravade  ,  une  bannière  oii  était  peint  un  grand  coq 
avec  cette  inscription  : 

«  Quand  ce  coq  ici  chantera  , 

«  Le  roi  Cassel  conquestera.  » 

Un  jour,  un  tisserand  ,  Zanneken  ,  se  fit  fort  de  surprendre  les  français  pendant 
leur  sieste  du  jour  et  d'enlever  le  roi  et  son  oriflamme.  Il  conduisit,  en  effet,  les 
milices  par  des  chemins  couverts  du  côté  d'Hardifort  jusqu'à  la  tente  du  roi  qui  fut 
surpris,  comme  Philippe-le-Bel ,  à  Mons-en-Pévèle  ;  il  croyait  au  succès  quand  ,  par 
une  coïncidence  malheureuse  ,  arriva  Robert  de  Cassel.  Revenant  d'une  expédition 
vers  Dunkerque ,  il  prit  à  dos  les  troupes  flamandes  qui  résistèrent  avec  valeur , 
Zanneken  et  les  siens  se  firent  tous  tuer  sans  reculer.  Le  roi,  furieux  .  brûla  Cassel 
et  massacra  tous  ses  habitants.  La  Flandre,  effrayée,  se  soumit. 

—  En  1667  ,  les  Flamands  ne  jouèrent  pas  un  rôle  actif  dans  la  bataille  ,  mais  la 
Flandre  devait  être  le  prix  de  la  victoire  dans  la  guerre  de  Hollande.  Louis  XIV 
assiégeait  Cambrai  et  le  duc  d'Orléans,  son  frère,  St-Omer.  Guillaume  111  de  Nassau, 
prince  d'Orange  et  depuis  roi  d'Angleterre  .  accourut  pour  secourir  cette  dernière 
ville.  11  arriva  par  Sainte-Marie-Cappelle  au  sud  du  Mont  Cassel.  gagna  Bavinchove 
et  la  rivière  la  Peene  ,  derrière  laquelle  se  trouvait  le  duc,  venu  à  sa  rencontre.  Le 
11  avril  1677  ,  les  Hollandais  jetèrent  des  ponts  sur  ce  ruisseau  et  le  traversèrent , 
mais  ils  furei.t  étonnés  d'en  trouver  un  second  qui  les  séparait  des  Français;  pendant 
leur  indécision ,  par  des  manœuvres  habiles  ,  les  Français  les  mirent  en  déroute  et 
ils  s'enfuirent  jusqu'à  Ypres  ,  abandonnant  canons  et  drapeaux.  St-Omer  se  rendit 
alors,  et  la  paix  de  Nimègue  (1668)  confirma  la  P'iandre  à  la  France.  Depuis  1865, 
un  monument,  rappelant  cette  victoire  ,  a  été  élevé  au  confluent  des  deux  rivières  au 
sud  du  village  de  Noordpeene.  Il  existe  aux  Invalides  un  tableau  représentant  cette 
bataille  et  la  vue  de  Cassel. 


-  339  - 

à  cette  jiiridiction  suprême  a  succédé  une  humble  justice  de  paix  ,  dont  nous  voyons 
le  prétoire  orné  d'un  jugement  de  Salomon.  Mn  l'iDô,  Robert  duc  de  Har  et  seigneur 
de  Cassel,  autorisa  un  combat  singulier  en  cette  ville.  Nous  visitons  la  salle  du 
musée  piesqu'entièrcment  consacrée  à  des  antiquités  du  pays,  monnaies,  scels,  bla- 
sons, pierres  et  coquilles  fossiles  ,  etc.  Dans  une  autre  salle  ,  nous  apercevons  des 
mannequins  et  des  décors  du  cai'naval,  cette  fête  qui  est  légendaire  dans  les  flandres, 
oii  partout  on  promène  des  (Jéants  ou  Reuss.  se  célèbre  avec  autant  d'enthousiasme 
qu'à  Rome.  Des  peintres  l'ont  illustrée  jadis, comme  les  tableaux  de  Téniers  nous  ont 
transmis  la  gaîté  des  kermesses  flamandes  du  XVIl^' siècle.  En  descendant  le  perron 
de  l'Hôtel-de-Ville  orné  de  deux  colonnes  en  pierre  soutenant  le  balcon  oii  se  lisaient 
les  arrêts  de  justice,  nous  avons  devant  nous  la  Mairie  T'Londs  huys  ,  construction 
de  la  fin  du  XVI  siècle  ,  grand  bâtiment  sans  architecture,  dont  le  toit  est  garni  de 
vingt  fenêtres  de  différentes  grandeurs  en  trois  rangées  ;  c'est  là  que  siégea  la  noble 
Cour  de  Cassel,  dont  la  juridiction  s'étendait  sur  toute  la  châtellenie  :  de  St-Omer  à 
Poperinghe  et  de  Watten  à  Estaires  et  Strazeelc.  Maintenant  c'est  là  que  sont  les 
archives,  le  secrétariat  et  la  salle  du  Conseil, 

Mais  toutes  ces  choses  intéressantes  n'empêchent  pas  l'estomac  de  crier  famine  ; 
heureusement,  nous  voici  arrivés  à  VHôtel  du  Saiivaye  oii  un  repas  plantureux  nous 
attend  dans  un  salon  d'oii  nous  pouvons  contempler  en  même  temps  :  Hazebrouck , 
Aire  et  St-Omer,  tout  en  dégustant  le  potage.  Au  dessert ,  après  les  toasts  d'usage  , 
un  piano  nous  permet  de  savourer  complètement  les  plaisirs  des  sens ,  embaumés 
que  nous  sommes  par  de  somptueux  bouquets.  11  faut  pourtant  s'arracher  à  ces 
délices,  et  à  3  h.  1/2  nous  descendons  par  la  rue  de  Lille  vers  le  mont  des  Récollets. 

Après  la  Gendarmerie  et  le  couvent  des  Dames  de  Saint-Maur ,  dont  la  chapelle 
monumentale  vient  d'être  élevée  sur  le  dernier  contrefort  à  l'Est  du  mont ,  nous 
côtoyons  le  Ginictière  oii  nous  remarquons  une  tombe  ornée  d'une  pierre  du  pays  : 
énorme  monolithe  rectangle  en  poudingue  ferrugineux  à  silex,  curieux  par  sa  hau- 
teur d'environ  trois  mètres.  Nous  admirons  de  nouvelles  perspectives  pleines  de 
charmes  et  bientôt  nous  arrivons  au  pied  du  mont  des  Récollets  (1),  dont  le  sommet 
qui  est  à  146  mètres   d'altitude   n'est  qu'à  1,000  mètres  de  celui  du   mont   Cassel. 


(1)  C'est  un  monticule  de  sable  qui  est  recouvert  d'une  légère  couche  d'argile 
sableuse  et  qui  repose  sur  une  assise  d'argile  de  Flandre  d'une  épaisseur  considé- 
rable. Ce  mont,  comme  tous  ceux  de  Flandre,  est  de  l'âge  tertiaire,  la  grande  quan- 
tité de  nunin;ulites  que  Ton  trouve  dans  les  sables,  indique  qu'ils  sont  de  la  période 
éocène.  Les  couches  sont  fort  nombreuses  et  de  sables  très  différents  ;  elles  con- 
tiennent quelquefois  assez  de  glauconie  pour  en  paraître  noires,  ou  as.sez  de  coquilles 
fossiles  et  de  nummulites  pour  former  des  bancs  pierreux  calcaro-sableux.  Ces 
coquilles  sont  très  variées,  on  en  a  relevé  près  de  cent  espèces  (MM.  Ortlieb  et 
Chelloneix)  dont  quelques-unes  sont  de  grande  dimension  ,  telles  :  les  natiles  et  les 
cerithes  ;  on  y  trouve  aussi  beaucoup  de  dents  de  squale  et  d'autres  débris.  Tous  ces 
dépôts  furent  formés  pendant  l'époque  tertiaire,  oii  la  mer  recouvrant  toute  b 
Flandre,  la  Belgique,  etc,  avait  pour  rivages  les  hauteur  du  Pas-de-Calais,  jusqu'à 
Lille,  Mous  et  les  Ardennes ,  à  part  le  golfe  d'Orchies  ,  qui  s'enfonçait  assez  avant 
dans  les  terres,  pour  rejoindre  vers  Laon  le  bassin  parisien.  Aujourd'hui,  le  Mont 
Cassel  est  environné  de  sablières  ,  mais  les  sables  du  Mont  des  Récollets  sont  gran- 
dement exploités  ,  ils  offrent  des  coupes  magnifiques  et  de  grandes  facilités  pour 
étudier  ces  terrains  tertiaires. 

J'ajouterai  que  de  nombreux  ruisseaux  ou  bèkes,  prennent  leur  source  au  pied  de 


—  340  - 

D'un  côté,  est  exploitée  une  vaste  sablière  oii  nous  ramassons  des  fossiles,  le  reste 
est  couvert  d'un  fourré  de  3  à  4  mètres  de  hauteur.  Chacun  s'élance  à  sa  guise  vers 
le  sommet ,  car  il  n'y  a  guère  de  sentiers,  et  la  gaîté  française  s'en  donne  à  cœur 
joie.  Arrivés  en  haut,  les  bras  pleins  d'aubépine,  de  genêts  et  de  bruyères  en  fleurs, 
nous  constatons  sur  une  terrasse  de  4  à  5  mètres  de  diamètre  ,  que  deux  bornes  de 
pierre  restent  seules  à  la  place  du  couvent  des  Récollets,  fondé  en  1610  par  les 
archiducs  Albert  et  Isabelle.  Après  avoir  un  peu  regardé  au  loin  le  mont  des  Cats  et 
le  panorama  septentrional  de  Cassel,  nous  redescendons  à  l'aventure  vers  le  rendez- 
vous  :  un  cabaret  sur  la  route  de  Lille.  Bientôt  tous  réunis,  nous  gagnons  par  un 
agréable  chemin  champêtre,  la  route  d'Aire  avec  ses  beaux  châteaux,  scs  parcs,  ses 
étangs  aux  carpes  séculaires  et  le  village  d'Oxelaere  dont  la  vieille  église  romane 
nous  est  cachée  par  des  arbres  touffus.  Je  ne  saurais  décrire  ici  le  charme  infini  de 
cette  promenade,  dont  le  coup  d'œil  et  les  perspectives  changent  k  chaque  instant. 
C'est  presque  trop  tôt  que  nous  apercevons  la  gare  oii  nous  retrouvons  quelques 
dames  fatiguées  que  notre  collègue  ,  le  D""  Isaïe  Reumaux  ,  de  Staples  ,  toujours  si 
dévoué,  y  a  conduites  dans  sa  voiture.  Alors,  joyeux  et  satisfaits  de  notre  journée, 
nous  trinquons  une  dernière  fois  en  l'honneur  du  pays  que  nous  quittons. 

11  est  6  h.  16,  la  cloche  tinte  ,  la  vapeur  siffle  ,  joyeux  Cassel  achève  sans  nous  ta 
bruyante  kermesse  !  Au  revoir  ,  Lille  nous  attend  ! 

E.   Cantine  AU. 


E'KCursIou  à  Anvers.  —  Le  dimanche  29  juin,  au  nombre  de  vingt-cinq 
nous  avons  pris  le  chemin  de  fer  avec  l'intention  de  nous  rendre  à  Anvers  ;  mais, 
pour  ne  pas  suivre  les  chemins  battus  et  généralement  suivis,  et  pouvoir  faire  une 
partie  de  la  route  en  bateau  à  vapeur,  nous  demandâmes  nos  billets  pour  Hamme- 
lès-Termonde.  Le  voyage,  jusque-là.  n'offre  rien  de  bien  remarquable  ;  après  avoir 
jeté  un  coup  d'œil  sur  les  environs  charmants  de  la  gare  de  Gand  et  aperçu  rapi- 
dement les  défenses  de  la  petite  ville  de  Termonde,  placée  au  confluent  de  la 
Dendre  et  de  l'Escaut,  nous  arrivons  k  Hamme  oii  nous  sommes  reçus  en  descendant 
du  train  par  un  ami  dévoué.  M.  0.  VanHaver,  qui  a  bien  voulu  se  charger 
d'assurer,  par  ses  démarches,  la  réussite  complète  de  notre  petit  voyage.  Qu'il 
reçoive  ici  nos  plus  sincères  remerciements,  ainsi  que  ]\L  Isidore  Vandamme  , 
l'un  des  grands  industriels  du  pays,  dont  la  musique  particulière  de  ses  établisse- 
ments a  contribué  gracieusement  à  l'accueil  cordial  et  tout  spontané  qui  nous  a 
été  fait. 

Nous  visitâmes,  avant  do  déjeuner  .  les  digues  .  promenades  superbes  .  plantées  de 
noyers  bordant  la  Durme.  affluent  de   l'Escaut,  qui  passe  k  Hamme.  Sur  les  bords 


ce  mont  et  de  celui  de  Cassel  ;  tous  se  jettent   dans  l'Yser ,  rivière  qui  s'écoule 
directement  k  la  mer  k  Nieuport  (Belgique). 

Parmi  ces  nombreuses  sources  ,  il  y  en  a  de  ferrugineuses  ;  un  docteur  de  Cassel 
en  a  essayé  avec  succès  les  propriétés  curatives  ;  il  a  fait  un  rapport  de  ses  expé- 
riences en  1863,  mais  son  initiative  est  restée  sans  écho,  quoique  les  analyses 
sérieuses,  faites  k  Lille  et  k  Paris,  aient  constaté  de  6  k  12  centigrammes  de  1er 
carbonate  en  dissolution  par  litre  d'eau. 


-  341  - 

de  cette  belle  rivière,  deux  de  nos  jeunes  excursionnistes  qui  n'avaient  pas  hésité, 
par  amour  de  l'art,  à  se  charger  d'un  appareil  portatif,  nous  offrirent  de 
photographier  notye  groupe,  ce  que  nous  acceptâmes  avec  empressement  :  souvenir 
charmant  qui  met  devant  nos  yeux  les  amis  avec  lesquels  nous  avons  vécu  d'une  vie 
commune  pendant  48  heures  et  qui  nous  rappellera  sans  cesse  l'amabilité  de  ses 
auteurs. 

Nous  montâmes  sur  le  bateau  à  vapeur  à  1  heure  1.2  ,  après  avoir  déjeuné,  et  nous 
commençâmes  les  28  kilomètres  qui  nous  séparaient  encore  d'Anvers. 

Ce  voyage  en  bateau  est  certainement  un  des  plus  jolis  que  Ion  puisse  faire.  La 
Durme,  déjà  large  de  100  mètres,  coule  entre  des  rives  pittoresques  ;  l'une,  la  gauche, 
plate  et  un  peu  ondulée,  l'autre,  formée  de  ces  digues  que  nous  avions  parcourues  le 
matin  ;  elle  se  jette  dans  l'Rscaut  aux  environs  de  Thielrode.  A  partir  de  cet  endroit, 
l'Escaut  est  parsemé  de  petites  villes  et  de  villages  ;  c'est ,  à  chaque  coude  du  fleuve  , 
un  paysage  nouveau.  C'est  Tamise  avec  son  pont  superbe  de  400  mètres  .  servant  à 
la  ligne  de  Malines  à  Terncuze  et  son  port  pittoresque  et  curieux.  Puis  Steendorp 
avec  ses  nombreuses  briqueteries ,  et  Ruppclmonde  ,  petite  ville  au  confluent  du 
Ruppel.  Là ,  l'Escaut  se  resserre  légèrement  (250'")  et  nous  apercevons  l'ancienne 
abbaye  de  Saint-Bernard  avec  son  toit  pointu,  et  Hemixem  avec  ses  briqueteries 
mécaniques  ;  puis  le  château  de  Brakegem  ,  d'Hcmsdael ,  de  Gerlocht  et  le  fort  n"  8 
de  la  défense  d'Anvers  se  laisse  apercevoir,  bientôt  suivi  de  Hoboken,  oii  se  trouvent 
les  chantiers  maritimes  de  la  Société  Cockerill  de  Seraing.  Nous  côtoyons  un  beau 
navire  dont  on  termine  la  construction  au  milieu  de  l'Escaut,  qui  a  retrouvé  ses  450™ 
de  largeur,  et  de  nombreux  navires  à  vapeur  et  à  voiles  nous  croisent  constamment. 
L'approche  de  la  grande  cité  commerciale  belge  se  fait  sentir.  Enfin  ,  le  profil  de  la 
cathédrale  d'Anvers  se  fait  voir  à  l'horizon  ,  bientôt  suivi  de  ceux  des  autres  monu- 
ments, puis  les  premiers  quais  apparaissent  à  nos  j^eux.  Nous  sommes  encore  en 
admiration  devant  ce  panorama  splendide,  lorsque  notre  bateau  accoste.  Nous 
mettons  le  pied  sur  le  sol  d'Anvers,  cette  grande  et  belle  cité  dont  l'origine  remonte, 
dit-on.  au  VP  siècle,  époque  à  laquelle  une  colonie  saxonne  s'établit  sur  les  ruines 
d'une  fortification  romaine  et  prit  le  nom  d'Anwarpers(à  la  jetée).  Mentionnons,  pour 
mémoire  ,  la  légende  qui  veut  qu'un  géant ,  habitant  les  environs  ,  exigeait  un  impôt 
des  bateliers  qui  remontaient  ou  descendaient  le  fleuve  ;  ceux  de  ces  derniers  qui 
refusaient  de  se  soumettre  ,  avaient  la  main  coupée  et  jetée  dans  le  fleuve  ;  d'où  le 
nom  d'Hand-Wcrpen  (main jetée);  de  là  aussi,  l'origine  des  mains  coupées  qui  ornent 
les  armes  de  la  ville. 

La  colonie  prospéra  et ,  au  IX*  siècle  ,  les  Normands  s'emparèrent  d'Anvers  et  la 
fortifièrent.  Le  Steen,  vieux  bâtiment  que  l'on  restaure  en  ce  moment,  est  ce  qui 
reste,  dit-on.  de  cette  enceinte.  Après  les  Normands,  Anvers  appartint  au  duché  de 
Brabant .  et  prit  une  telle  extension  ,  qu'en  1560  ,  elle  possédait  125  mille  habitants 
Elle  était  alors  une  des  plus  flori.ssantes  cités  de  la  chrétienté.  Mais  vini-ent  les 
troubles  religieux  »  et  cette  prospérité  disparut.  Les  lois  contre  les  hérétiques  firent 
émigrer  des  milliers  de  bourgeois  qui  transportèrent  leurs  industries  à  l'étranger  e* 
principalement  en  Angleterre. 

Puis  vinrent  les  émeutes  des  troupes  espagnoles  eu  1576.  Celles-ci  saccagèrent 
Anvers  et  la  ruinèrent.  Ce  fait  est  connu  dans  l'histoire  sous  le  nom  de  furie  espagnole. 
En  1582,  le  duc  d'Alençon  ,  frère  du  roi  de  France,  fut  élu  duc  de  Brabant  et  voulut 
ilevenir  maître  absolu  des  grandes  villes.  11  s'empara  d'Anvers,  ses  troupes  se  ruèrent: 
dans  la  ville  et  tuèrent  tous  ceux  qui  leur  résistaient;  mais  les  Anver.sois  reprirent 
l'offensive  et  rejetèrent  les  Français  hors  d'Anvers.  Cet  attentat  s'appelle  la  furie 
française  ;  un  monument  élevé  en  face  du  théâtre  flamand  rappelle  cet  événement. 

r*uis  vint   le  sièsc  de  1585.  nii  le  bourgmestre.   Mariiix   de   Saiute-Aldegonde,  fut 


—  342  - 

contraint  de  rendre  la  ville  aux  Espgnols  sous  les  ordres  d'Alexandre  Farnèse.  Les 
expatriations  et  l'occupation  des  bouches  de  l'Escaut  par  les  Hollandais  firent  que  le 
commerce  s'éloigna  de  plus  en  plus  d'Anvers.  L'art- alors  remplaça  le  commerce  et  fit 
briller  Anvers  du  plus  vif  éclat  avec  Rubens,  Jordaens,  Téniers  et  bien  d'autres 
grands  artistes. 

La  paix  de  Westphalic,  en  1648,  consomma  la  ruine  d'Anvers  en  fermant  complète- 
ment l'E.scaut,  de  .sorte  que  sa  population  descendit  à  40  mille  habitants  en  1790.  Ce 
fut  l'armée  française  ,  en  prenant  possession  de  la  ville  en  1794  .  qui  proclama  la 
liberté  de  l'Escaut.  Napoléon  voulut  développer  cette  cité  et  lui  rendre  son  ancienne 
splendeur,  mais  les  circonstances  ne  le  lui  permirent  pas.  Après  avoir  été  défendue 
en  1814  par  Carnot,  elle  fut  annexée  au  royaume  nouveau  des  Pays-Bas. 

Sa  prospérité  s'accrut  de  nouveau  alors  ,  ju.squ'en  1830  ,  oii  de  nouveaux  troubles 
lui  portèrent  préjudice.  Le  traité  de  Londres,  1.5  novembre  1831,  obligeait  la  Hollande 
à  évacuer  la  Belgique,  ce  qui  ne  fut  exécuté  qu'après  la  prise  de  la  citadelle  d'Anvers 
par  une  armée  française  sous  les  ordres  du  maréchal  Gérard  (décembre  1832).  Cette 
ville  alors  fit  partie  du  royaume  de  Belgique.  En  18("3  ,  eut  lieu  le  rachat  de  la  taxe 
imposée  à  la  navigation  sur  l'Escaut  ;  de  cette  époque  datent  sa  prospérité  et  sa  for- 
tune nouvelles.  Elle  compte  maintenant  200,000  habitants  avec  les  faubourgs. 
L'agrandissement  et  l'embellissement  datent  de  1863-72.  Elle  est  agrandie  de  six  fois 
son  étendue  primitive.  Les  forts  nouvellement  con.struits  ainsi  que  l'enceinte  font 
d'Anvers  une  des  plus  importantes  forteresses  modernes.  Les  nouvelles  installations 
maritmies  et  la  construction  des  quais  de  l'Escaut  font  aussi  d'Anvers  un  des  princi- 
paux ports  du  continent  et  la  tète  de  ligne  des  chemins  de  fer  pour  le  Nord  de  la 
France,  l'Allemagne  du  Sud,  la  Suisse  et  l'Italie  depuis  le  percement  du  St-Gothard. 
Une  simple  promenade  faite  par  nous  dans  ce  dédale  de  quais  et  de  bassins,  au  four- 
millement des  navires  de  tous  les  pays  du  monde,  nous  donna  vine  idée  générale 
de  l'importance  d'Anvers  au  poiïit  de  vue  commercial. 

La  fin  de  la  première  journée  fut  employée  à  visiter  le  .Jardin  Zoologiquc,  fondé  en 
1843.  et  qui  est  certainement  le  plus  remarquable  établis.sement  de  ce  genre. 

Le  lendemain  ,  nous  visitâmes  les  Musées ,  les  monuments  si  nombreux  dans 
Anvers.  Nous  n'oubliâmes  point  le  rarissime  Mu.sée  Plantin,  ancienne  habitation  du 
célèbre  imprimeur  Christophe  Plantin,  né  près  de  Tours  en  1514.  Il  s'installa  en  1579 
dans  cette  maison  ,  laquelle  passa  aux  mains  de  son  gendre  Moretus  ,  et  resta  en  son 
état  primitif  jusqu'à  nos  jours.  La  ville  l'acheta  en  1872  avec  tous  ses  meubles,  ses 
tapis,  ses  tableaux  (parmi  ceux-ci  quatorze  Rubens  et  deux  Van  Dyck)  et  ses 
collections. 

Un  dernier  repas  nous  réunit  tous  et  nous  nous  rendîmes  à  la  gare  pour  retourner 
vers  notre  vieille  cité  lilloise  .  heureux  et  contents  de  notre  excursion  qu'un  beau 
soleil  accompagna  sans  cesse,  lequel  contribua  beaucoup  à  son  succès. 

Fern.\ux. 


E^Kciirsloii  à  la  Nabllère  d'Oiiitrieourt  et  à  ll<»us-cii-l*évèlc.  — 

(24  juillet  1887).  —  Quelques  mmutes  avant  9  heures,  nous  débarquons  à  la  station 
de  Libercourt-Garvin  sur  la  lisière  des  bois  dépendant  du  château  d'Oignies.  Nous 
sommes  une  trentaine,  y  compris  quelques  enfants  qui  courent  aussitôt  prendre  leurs 
ébats  sous  la  feuillée.  Chez  les  Français,  la  gaîté  de  même  que  la  valeur,  n'attend  pas 
le  nombre  des  années.  Mais  il  faut  modérer  une  si  belle  ardeur,  un  garde  tout  galonné 


-  M4;s  - 

vient  (le  surgir  d'un  fourre';  comme  d'une  boîte  à  surprise,  son  fusil  en  bandouillère 
barre  la  route  et  nous  croyons  entendre:  quand  vous  seriez  le  petit  caporal,  on  ne 
passe  pas. . . .  sans  permission.  Il  vérifie  la  nôtre  de  la  première  à  la  dernière  lettre  et 
nous  autorise  à  suivre  le  chemin  sur  lequel  non.s  voyons  nombre  de  lapins  et  de 
faisans,  plus  heureux  que  nous,  tracer  des  perpendiculaires.  Nous  débouclions  enfin 
dans  la  plaine  couverte  de  moissons  dont  les  épis  dorés  ondulent  gracieusement 
sous  le  zéphyr  qui  tempère  l'ardeur  d'un  soleil  splendide.  Nous  gagnons  le  bois 
d'Ostricourt  oii  nous  rencontrons  une  tolérance  bien  plus  large,  nous  nous  déployons 
librement  h  gauche  et  à  droite  d(!  la  route,  heureux  de  nous  enfoncer  dans  la  verdure 
et  de  savourer  les  parfums  sylvestres  :  jouis.sance  qui  fait  si  totalement  défaut  aux 
cita(Uns  affairés.  On  s'en  donne  à  cœur  joie  à  travers  les  arbustes  et  les  buissons, 
les  oiseaux  interrompant  leurs  concerts  mélodieux  pour  écouter  nos  refrains  ;  les 
marguerites,  le  chèvre-feuille  et  les  fougères  se  transformant,  entre  les  mains  des 
dames,  en  bouquets  élégants  et  parfumés,  peut  être  même  découvre-t-on  parfois  une 
fraise  exquise  qui  a  attendu  notre  passage  pour  mûrir.  Après  avoir  ainsi  cheminé 
quelque  temps  à  travers  bois  et  clairières,  nous  arrivons  à  la  Sablière;  belle  exploi- 
tation qui  suit  les  ondulations  les  plus  superficielles  du  banc  de  sable  que  nous 
voyons  presqu'affleurer.  11  est  très  pur,  sans  fossiles,  ni  agglomérats  pierreux  , 
quartzeux  mêlé  à  des  grains  noirs  de  glauconie,  il  est  verdàtre  à  l'extraction  pour 
devenir  g-isàtre  en  séchant,  c'est  le  même  qu'on  rencontre  partout  autour  du  bassin 
tertiaire  d'Orchics. 

Après  ces  observations,  nous   rentrons  dans  le  bois,  nous  traversons  un  marais  oii 
l'un  de  nous  roule  en  voulant  cueillir   des  roseaux    magnifiques,  nous  l'en  retirons 

tout  couvert de  poussière.  Heureux  effet  de  la  phénoménale  sécheresse.  Nous 

nous  arrêtons  un  instant  dans  un  cabaret  tout  coquet  et  plein  de  charme  pour  des 
voyageurs  altérés,  aussi  nous  reprenons,  plus  alertes,  le  chemin  sous  bois  et  nos 
gais  propos.  Tout  à-coup  nous  atteignons  la  lisière  et,  devant  nous,  sur  la  colline,  à 
3  kil.  environ,  nous  apercevons,  fier  sur  sa  cime,  le  clocher  de  Monsen-Pévèle.  Les 
dames  profitent  d'un  char-à-bancs  qui  les  attend  pour  gravir  le  mont,  tandis  que 
nous  prenons  un  chemin  de  traverse  au  milieu  de  champs  d'une  fertilité  incontes- 
table. En  arrivant  à  l'entrée  du  village  que  nous  trouvons  tout  en  fête  et  pavoisé, 
nous  remarquons  un  arc  de  triomphe  portant  l'inscription  :  Honneur  aux  étrangers; 
agréable  présage  de  l'accueil  sympathique  qu'on  nous  réserve.  La  réputation  des 
habitants  est  faite,  du  reste,  depuis  longtemps,  et  c'est  toujours  avec  plaisir  qu'on 
est  reçu  dans  ce  pays  hospitalier  oii  le  travail  entretient  l'aisance.  Aujourd'hui,  les 
rues  sont  remplies  d'une  foule  de  musiciens  et  de  curieux  ;  c'est  qu'à  l'occasion  de 
la  kermesse,  la  municipalité  intelligente  et  active  a  organisé  un  festival  auquel  ont 
répondu  21  Sociétés  de  localités  voisines  dont  les  noms  nous  sont  signalés  d'une 
manière  flatteuse  par  de  nombreux  arcs  de  triomphe.  Outre  les  drapeaux,  les  fleurs 
et  la  verdure,  nous  voyons  des  guirlandes  de  lanternes  disposées  avec  goût  ;  le 
village  sera  donc  ce  soir  éclairé  à  giorno  ,  de  manière  à  éclipser  les  pâles  rayons  de 
la  lune  qui  fait  le  service  ordinaire.  C'est  avec  difficulté,  que  nous  mêlant  à  cette 
foule  joyeu.se  et  bruyante  de  campagnards  tout  endimanchés  mais  plus  ou  moins 
mélomanes,  nous  parcourons  tout  le  village  aussi  bien  les  abords' de  l'église  encom- 
brés de  jeux  forains,  que  la  Place  oii  s'élèvent  deux  élégants  kiosques  destinés  au 
concert.  Nous  descendons  ensuite  vers  l'Est ,  à  la  fontaine  Saint-Jean,  située  au 
milieu  de  riants  pâturages  :  la  légende  lui  attribue  des  propriétés  curatives  non 
contestées,  mais  ce  que  nous  constatons,  c'est  que  le  gracieux  berceau  de  verdure  qui 
la  recouvre  ,  cadre  fort  bien  avec  le  site  agréable  et  pittoresque  dont  l'horizon  est 
borné  par  le  mont  de  la  Trinité  et  sa  flèche  hardie.  Tout  donne  envie  de  faire  une 
cure  à  cette  fontaine  oii  comme  Tytire,  mollement  étendus  sous  l'ombrage ,  nous 


-  344  - 

poumons  cliauter  les  beautés  agrestes  de  la  nature.  Mais  nous  avons  quelque 
chose  de  plus  pressant  à  guérir  ,  c'est  le  vide  dont  notre  estomac  ,  comme 
toute  la  nature  ,  a  une  profonde  horreur.  Nous  regagnons  le  restaurant  oii  Ton  a 
dressé  notre  couvert  sous  la  tente  d'une  façon  toute  rustique.  En  vrais  touristes, 
nous  faisons  largement  honneur  au  repas  égayé  par  les  bruyantes  fanfares  des  600 
musiciens  qui  parcourent  le  village  ;  nous  n'oublions  cependant  pas  de  porter  des 
toasts  pour  exprimer  notre  gratitude  aux  organisateurs  si  dévoués  de  cette  excur- 
sion, puis  nous  terminons  en  buvant  à  la  santé  de  notre  cher  Président  et  à  la  pros- 
périté de  la  Société.  Au  café,  quelques  convives  charment  l'auditoire  par  de  joyeuses 
chansons  dont  l'une,  d'un  comique  achevé,  obtient  un  succès  de  fou  rire. 

Mais  il  est  3  heures  ,  nous  nous  remettons  en  route  ;  nous  visitons  l'endroit  appelé 
le  Pas  Roland,  dépression  circulaire  sur  le  flanc  sud  de  la  colline,  elle  a  environ 
50  mètres  de  diamètre  et  ceux  qui  aiment  les  légendes  fantasques  ,  l'attribuent  à  la 
place  d'une  motte  de  terre  ,  qui  s'attachant  au  pied  du  cheval  du  héros  de  l'Arioste. 
fut  transportée  d'un  seul  pas  assez  loin  pour  former  le  mont  de  la  Trinité.  La  surface 
est  fournie  de  gazon  ,  et  des  arbres  plantés  symétriquement ,  permettent  d'y  établir  à 
l'ombre  des  jeux  et  des  courses.  C'est  un  cirque  naturel  formé  par  une  très  ancienne 
extraction  de  sable  qui  s'est  régularisée  par  des  éboulernents.  La  tradition  qui 
l'appelle  le  Parolan,  dit  que  c'est  là  que  tinrent  conseil  les  chefs  des  armées  pour 
discuter  de  la  paix ,  le  jour  de  la  bataille  de  1304.  La  science  pourrait  n'y  voir  que  le 
souvenir  de  l'époque  oii  les  parois ,  non  éboulées ,  étaient  par  hasard  taillées  de  façon 
à  répercuter  les  bruits  un  peu  éloignés  et  répéter ,  en  fidèle  écho  ,  les  paroles  dites  à 
un  endroit  déterminé.  Du  haut  de  ce  versant  où  se  trouve  la  place  du  village ,  on 
découvre  la  plaine  qui  fut  le  champ  de  bataille  ;  c'est  de  là,  qu'un  professeur  d'iiistoire 
du  Lycée,  M.  Epinay,  qui  a  bien  voulu  accompagner  l'excursion  et  nous  communi- 
quer sa  science,  nous  initie  aux  intrigues  et  aux  péripéties  de  la  guerre  de  Flandre 
entre  le  roi  Philippe-le-Bel  et  le  comte  Gui  qui  en  fut  victime  ;  elle  se  termina  par  la 
bataille  de  Mons-en-Pévèle  et  la  paix  d'Athies-sur-Orge. 

Mons  en-Pévèle  {Mans  in  pabulis^  colline  dans  les  pâturages)  fut  longtemps  appelé 
Mons-en-Puelie,  probablement  par  la  suppression  de  la  première  syllabe  dans  le  lan- 
gage usuel;  tandis  qu'aujourd'hui,  par  une  habitude  inverse,  les  gens  du  pays  disent 
Mons-en-Péve ,  en  supprimant  la  seconde  syllabe. 

Le  Pévèle  fut  un  des  quartiers  de  la  châtellenie  de  Lille  ,  dès  sa  création  ,  vers  l'an 
1000,  mais  Mons  en-Pévèle  qui  en  faisait  partie,  quant  aux  charges  et  aux  impôts, 
resta  du  ressort  judiciaire  de  l'Abbaye  de  Sc-Vaast-d"Arras  qui  y  possédait  la  ferme 
dite  de  l'Abbaye,  située  au  pied  de  l'église  et  sur  les  terres  de  laquelle  le  roi  de 
France  fit  enterrer  ses  morts.  Cette  commune  ,  quia  plus  de  2,000  habitants,  dépend 
du  canton  de  Pont-à-Marcq (jadis  Marcq-en-Pévèle)  et  se  trouve  à  21  kilom.  de  Lille; 
elle  n'est  pas  sur  le  sommet  du  mont,  mais  sur  une  ondulation  du  versant  sud;  le 
sommet  de  la  colline  est  à  107  mètres  d'altitude  ;  en  1792  ,  les  Français  y  avaient 
établi  un  camp  fortifié  d'observation,  lia  population  ,  toute  agricole,  avait  jadis  une 
certaine  renommée  pour  la  fabrication  des  fromages,  dont  on  fait  encore  quelque 
peu.  Jean  Buzelin  ,  vers  1600 ,  parlant  du  village ,  le  dit  :  insiyni  pur/nâ  et  copia 
caseortim.  Le  célèbre  chansonnier  lillois,  Brûle-Maison,  vers  1700,  dans  son  voyage 
de  Lille  à  Douai  par  la  barque,  chante  ; 

«  'V^ois-tu  là-bas  sous  ces  buissons; 
«  C'est  le  pays  de  Mons-en-Pève 
«  Oti  les  fromages  sont  si  bons.  » 

Le  village  possède  de  belles  routes,  dont  l'une  rejoint  celle  de  Lille  à  Douai  à  la 
ferme  dite  du  blocus,  parce  que  là,  paraît-il.  se  trouvèrent  en  1304  les  retranchements 


—  345  — 

dos  Flamands  l'ontro  Wmnèe  de  Pliilippe  IV.  Le  soinrnoi  du  monl  se  compose  (1) 
d'une  zone  de  sable  fin,  très  doux,  d'une  épaisseur  d'environ  30  mètres.  On  y  trouve 
en  certaines  couches  des  amas  de  coquilles  fossiles  très  petites  {numuiuUtes plauu- 
/ato)  qui,  parfois  ,  sont  agglomérées  en  plaques  de  1  mètre  sur  15  à  30  centimètres 
d'épaisseur,  on  en  fait  dans  le  pays  des  bordures  de  trottoirs  ou  du  hallage  ;  c'est 
l'assise  la  plus  élevée  de  l'escène  inférieur  de  nos  éontrées.  Au-dessous  ,  se  trouve 
une  deuxième  zone  d'environ  30  mètres  d'argile  grise  ou  bleuâtre  ,  devenant  brune 
jiar  altération  et  contenant  des  cristaux  de  gypse  :  c'est  de  l'argile  de  Flandre  dite  do 
Wahagnios ,  parce  qu'on  le  retrouve  à  ce  village  au  pied  du  mont.  Une  troisième 
couche  est  formée  de  sable  quartzeux  sans  fossiles,  mêlé  de  glauconie  (2),  les  mêmes 
qu'à  Ostricourt.  elle  a  17  mètres.  Une  quatrième  couche  de  30  mètres  se  comi)Ose 
d'argile  et  de  Tuttcau  qui  affleure  dans  certains  fossés  du  bois  de  Carvin;  enfin  ,  5** 
au-dessous  se  trouve  la  craie. 

Abordons  maintenant  la  partie  historique  dans  ses  faits  les  plus  saillants,  d'après 
les  auteurs  et  chroniqueurs  français  et  flamands,  Meyer,  d'Oudegherst,  Buzclin,  Van 
der  Heer,  Moreri,  etc. . . . 

Le  comte  de  Flandre  était  Gui  de  Dampierrc,  second  fils  de  Guillaume  de  Bourbon 
Archambault,  seigneur  de  Dampierrc  ,  époux  de  Marguerite ,  comtesse  de  Flandre  et 
de  Hainaut,  qui  était  la  seconde  fille  du  comte  Bauduin  IX,  empereur  de  Constanti- 
nople.  Cette  princesse  est  bien  connue  par  son  mariage  illicite  avec  Bouchard 
d'Avesnes  ;  les  descendants  de  cette  union  occupèrent  les  rois  et  plusieurs  papes  au 
sujet  de  leur  légitimité  et  créèrent  par  leurs  prétentions  bien  des  embarras  au  comte 
de  Flandre,  leur  frère  utérin.  Gui  de  Dampierre  succéda  à  sa  mère  le  12  mai  1279, 
son  frère  aîné  ayant  été  traîtreusement  tué  dans  un  tournoi  en  Hainaut ,  en  1251 , 
peut-être  à  l'instigation  de  Jean  d'Avesnes,  il  ne  laissait  pas  d'héritiers.  Les  diffé- 
rends entre  Gui  et  Philippe-Ie-Bel  datent  de  la  guerre  de  Guyenne  en  1292  ;  le  roi , 
qui  retint  prisonnière  sa  filleule  ,  la  fille  du  comte  ,  de  crainte  qu'elle  n'épousât 
Edouard  d'Angleterre,  sut  bientôt  par  la  ruse  prendre  pied  dans  la  riche  Flandre, 
toujours  convoitée.  Heureux  aussi  par  les  armes  ,  il  vainquit  les  Flamands  en  1297  à 
la  bataille  de  Furnes,  puis  en  1299  il  fit  prisonnier  et  emmena  en  France  le  comte 
Gui ,  Robert  de  Béthune  ,  son  fils  aîné,  et  Guillaume  son  second  fils.  En  mai  1301  , 
Philippe  IV  et  la  reine  Jeanne  de  Navarre  ayant  fait  un  voyage  dans  la  Flandre  sou- 
mise ,  furent  éblouis  de  la  richesse  du  pays  et  voulurent  en  profiter  ;  Jacques  de 
Ghâtillon  l'oncle  de  la  reine,  fut  nommé  gouverneur,  mais  bientôt  ses  exactions 
soulevèrent  les  populations.  Les  derniers  fils  du  comte  Gui  ;  Jean  de  Namur,  son 
frère  Gui  et  leur  neveu  Guillaume  de  Juliers,  chanoine  de  Maestricht,  encouragèrent 
à  la  révolte  les  chefs  du  peuple,  Jean  Breydel,  doyen  de  la  corporation  des  bouchers 
et  Pierre  De  Goninck  ,  doyen  des  tisserands ,  tous  deux  de  noble  condition  :  ce  sont 
les  deux  courageux  citoyens  auxquels  Bruges  vient ,  après  six  siècles  ,  d'élever  une 
statue.  Ils  furent  faits  chevalier,  à  la  mémorable  bataille  des  éperons,  que  les 
Flamands  gagnèrent  près  de  Courtrai  le  10  juillet  1302,  contre  le  comte  d'Artois,  qui 
y  périt  avec  63  princes,  ducs  et  comtes  de  son  armée. 

Le  roi,  brûlant  de  venger  cette  défaite,  envoya  une  armée  qui  ne  dépassa  guère 
Arras  et  rebroussa  chemin  avant  d'arriver  en  Flandre.  Mais  en  1304,  Philippe-Ie-Bel, 
ayant  pressuré  son  peuple  et  même  le  clergé,  put  réunir  une  flotte  commandée  par 
l'amiral  génois  Grimaldi,et  une  armée  importante  contenant  des  troupes  allemandes, 


(1)  Ortlieb  et  Chelloueix  :  Éludes  géologiques  des  collines  du  départoineut  du  Nord. 
(2;  Silicate  de  1er  et  de  potasse  vert-noir  devenaut  jaune  par  altération. 


-  346  — 

italiennes  et  espagnoles.  Jacques  Mayer  dit  :  qu'on  s'étonnait  de  la  réunion  de  si 
grandes  forces  contre  un  si  petit  peuple.  11  ne  put  cependant  prendre  Douai  et ,  plus 
loin,  il  n'osa  traverser  les  marais  de  Pont-à-Vendin,  derrière  lesquels  les  Flamands 
étaient  prêts  à  le  repousser.  Harcelé  sur  ses  flancs,  il  se  dirigea  sur  Tournai,  où  il  se 
reposa,  tandis  que  les  Flamands  campaient  dans  la  plaine  de  Bouvines.  Il  entra 
bientôt  en  Flandre  par  Orchies,  puis  trouvant  la  route  de  Lille  barrée,  il  vint  camper 
à  Mons-en-Pévèle.  Apprenant  là  que  sa  flotte  était  victorieuse  à  Ziérycksée,  il  descen- 
dit dans  la  plaine  vers  Faumont,  pour  attirer  les  Flamands  ,  qui,  en  effet,  occupèrent 
Mons-en-Pévèle.  Il  leur  offrit  alors  une  paix  onéreuse,  qu'ils  refusèrent,  et  le  18  août 
au  matin,  ils  descendirent  à  mi-côte,  tous  rangés  sur  une  seule  ligne  ;  les  milices  de 
Lille,  d'Ypres  et  de  Gourtrai  étaient  au  centre  avec  Robert  de  Gassel  et  le  bouillant 
Guillaume  de  Juliers.  Le  roi  ne  répondit  pas  à  cette  avance  et  le  temps  se  passa  en 
escarmouches;  tout  fut  mis  en  œuvre  :  ruses,  diversions  surpiises,  propositions  de 
paix  fallacieuses  et  pis  encore,  disent  les  chroniques.  Enfin,  après  des  combats 
partiels  jusque  dans  le  camp  des  Flamands,  ceux-ci  voulurent  en  finir  et,  vers  le  soir, 
ils  se  jetèrent  à  l'improviste  sur  les  Français.  Surpris  par  une  si  furieuse  attaque  à 
laquelle  ils  ne  s'attendaient  pas  ce  jour-là,  ils  reculèrent,  et  les  Flamands  pénétran 
jusqu'à  la  tente  du  roi ,  le  blessèrent  et  faillirent  le  tuer.  L'oriflamme  fut  mise  en 
pièces  et  le  souper  royal,  déjà  servi,  fut  mangé  par  des  roturiers  flamands.  Cepen- 
dant l'armée  française  était  nombreuse  et  il  fallut  reculer;  déjà,  sur  la  gauche,  Jean 
de  Namur  et  ses  Gantois  avaient  été  repoussés.  On  se  rallia  au  clair  de  la  lune  sur  la 
colline  et  l'air  retentit  des  fanfares  des  milices  flamandes  se  retirant  sur  Lille  Les 
pertes  étaient  grandes  des  deux  côtés  et  les  résultats  nuls  ;  les  Français  s'attri- 
buèrent la  victoire:  pourquoi  n'en  profitèrent-ils  pas?  Quelque  temps  après,assiégeant 
Lille,  Philippe-le-Bel  oti'rit  même  la  paix  aux  Flamands  qui  venaient  secourir  la  ville. 
Mais  plus  rusé  que  bon  général,  il  sut  se  faire  remettre  Lille  et  Douai  par  son  astuce 
dans  les  négociations.  Alors  il  devint  exigeant  vis-à-vis  du  comte  Robert  de  Béthune, 
successeur  de  son  père  ,  mort  en  captivité  ,  et  lui  fit  signer  à  Athies-sur-Orges  ,  en 
1305,  un  traité  très  différent  des  promesses  antérieures.  Le  peuple  flamand  ne  le  rati- 
fia pas  avant  d'avoir  obtenu  une  modération,  ce  qui  n'arriva  qu'en  1309.  On  voit  qu'à 
Mons-en-Pévèle  les  adversaires  étaient  dignes  l'un  de  l'autre,  et  si  l'un  garda  le 
champ  de  bataille,  il  était  trop  atteint  pour  en  profiter  et  poursuivre  l'autre.  Du  reste, 
Bouvines  avait  été  vengé  à  Gourtrai,  et  les  Flamands,  devenus  Français,  étaient  bien 
dignes  de  porter  ce  nom.  Jadis,  les  comtes  de  Flandre  ont  plus  d'une  fois  versé  leur 
sang  pour  le  roi  et  la  France,  et  aujourd'hui  si  nous  pouvons  encore  nous  émouvoir 
aux  récits  des  glorieuses  actions  de  nos  ancêtres,  nous  savons  qu'à  l'heure  du  danger, 
on  ne  trouverait  en  France  que  des  Français. 

Revenons  maintenant  à  notre  excursion  :  En  quittant  le  Parolan  et  le  champ  de 
batailles,  nous  nous  dii-igeons  vers  l'église  qui  est  sous  le  vocable  de  Saint-Jean  ;  elle 
a  trois  nefs,  elle  est  assez  vaste  mais  n'a  rien  de  remarquable,  à  gauche  est  un  tableau, 
d'un  dessin  original ,  qui  représente  Saint  Michel.  Sous  le  porche,  nous  découvrons 
la  porte  du  clocher,  qui  est  tout  neuf,  il  date  de  1882,  d'après  une  inscription  rimée  , 
toute  à  la  louange  de  M.  Desmoutiers,  seigneur  du  Blocus  ,  conseiller  général ,  en 
reconnaissance  de  sa  libéralité  envers  la  commune.  Nous  gravissons  escaliers  et 
échelles,  environ  190  marches  ou  35  mètres  jusqu'à  la  naissance  de  la  flèche  ;  là  , 
nous  sommes  largement  récompensés  de  nos  efforts  par  le  panorama  splendide  qui 
s'oflre  à  nos  regards.  Vers  le  N.-O.,  nous  apercevons  dans  le  lointain  ,  à  60  kil.  en 
ligne  droite,  le  mont  Gassel  et  son  voisin  le  mont  des  Récollets  qui  ont  165  mètres  et 
140  mètres  d'altitude  (nous  sommes  aussi  à  140  mètres  environ),  vers  la  droite,  suivent 
les  collines  des  environs  de  Bailleul.  Lille  s'aperçoit  à  peine  derrière  les  hauteurs  de 
Fâches  à  15  kil.  Vers  l'Est,  nous  voyons  le  mont  St-Aubertou  de  la  Trinité  (à  35  kil.) 


-  -.Vil  — 

suniioiité  de  Sun  éuliso  ;  allilude  liO  moires.  En  ^ajinaiiL  vers  le  S.-K.,  on  voit  éinor- 
ger  de  bois  sombres  l'ancienne  tour  de  St-Aniand  et,  k  côté,  les  nombreux  clochers  de 
Valenciennes  (à  35  kil.)  adossés  anx  hauteurs  de  la  vallée  de  la  Sambre  qui  dessinent- 
l'horizon  vers  Maubeugc  à  170  mètres,  et  vers  Fourmies  à  235  mètres.  Directement 
au  sud,  nous  apercevons  un  groupe  varié  do  dAines,  de  tours  et  de  clochers  ,  c'est 
Douai  à  15  kil.;  — enfin,  au  couchant  au-delà  do  Vimy,  sont  les  ondulations  du  Pas- 
de-Calais,  où  la  Scarpe  et,  plus  loin,  la  Lys  ,  avec  leurs  affluents,  prennent  leurs 
sources.  En  avant,  sont  les  bois  qui  avoisinent  Phalempin  et  Garvin,  dont  on  voit  les 
importants  clochers  ,  et ,  plus  près  de  nous  ,  contre  l'église  où  nous  sommes,  nous 
apercevons  l'ancienne  ferme  de  l'abbaye  de  St-Waast,  citée  plus  haut,  puis  vers  le 
levant ,  le  cimetière  de  Mons-en-Pévèle  avec  un  beau  monument  élevé  à  la  mémoire 
de  M.  Desmoutiers  dontj'ai  parlé  ;  partout  autour  de  nous,  nos  regards  planent  .sur 
un  pay.sage  ravissant  dont  nos  yeux  ne  peuvent  se  détacher.  Nous  étions  absorbés 
dans  la  contemplation  de  ce  majestueux  tableau  ,  éclairé  des  mille  feux  d'un  soleil 
resplendis.sant  ;  quelques-uns  -songeaient  peut-être  à  nos  valeureux  ancêtres  qui,  il 
y  a  près  de  six  siècles,  se  battaient  ici  corps  à  corps  ,  comme  des  lions,  dont  la  ban- 
nière des  comtes  portait  l'image,  quand,  tout-à-coup,  le  bruit  du  canon  nous  fait 
tous  tressaillir  et  nous  rappelle  à  la  réalité.  Ce  sont  des  cris  d'allégresse  que  la 
poudre  couvre  de  sa  voix  puissante,  c'est  le  départ  du  cortège  qu'elle  annonce.  Nous 
assistons,  de  notre  estrade,  un  peu  élevée  peut-être,  au  défilé  des  Sociétés  de  musique 
-dont  les  instruments,  aussi  brillants  que  bruyants  ,  étincellent  au  soleil.  Nous  enten- 
dons les  marches  entraînantes  par  lesquelles  les  exécutants  se  mettent  en  haleine 
avant  d'aborder  les  grands  morceaux  réservés  pour  les  concerts. 

Il  faut  cependant  quitter  notre  gigantesque  belvédère,  nous  jetons  un  dernier  coup 
d'œil  sur  la  foule  qui  grouille  autour  des  installations  foraines  et  sur  tout  le  paysage 
qui  nous  enchante  ,  puis  nous  retournons  nous  mêler  aux  êtres  minuscules  que  nous 
voyons  festoyer  plus  bas.  Bientôt ,  nous  songeons  au  départ,  que  nous  effectuons 
après  un  hourrah  énergique  en  l'honneur  de  la  belle  et  sympathique  comnmne  de 
Mons-en-Pévèle.  Un  vaste  char-à-bancs  recueille  les  plus  fatigués  et  les  transporte 
jusqu'au  bois  de  Phalempin,  tandis  que  les  intrépides  arpentent  pédestrement  le 
chemin.  Sur  la  route,  nous  voyons  Thumeries,  nous  traversons  le  ruisseau  qui  devient 
la  Marque,  dont  la  source  se  trouve  à  l'ancienne  sucrerie  Coget,  que  nous  laissons  à 
gauche,  tandis  qu'à  droite  nous  V(jyons  les  deux  châteaux  voisins  de  M.  Pierre 
Legrand  (mort  en  1859)  et  de  M'"''  Vanderstraeten.  Au  petit  village  de  la  Neuville  . 
nous  passons  devant  un  vieux  château  du  XVIT  siècle  à  fenêtres  ogivales  garnies  de 
petits  carreaux  ,  tourelles  pointues  et  pignons  à  degrés  ,  il  appartient  à  M.  Dillies- 
Vallois.  Arrivés  à  la  forêt,  nous  tournons  à  gauche  pour  gagner,  à  travers  bois, 
Phalempin,  l'antique  baronnie  oii  Saswalon  ,  le  premier  châtelain  de  Lille  ,  fonda  en 
1039  l'abbaye  oii  il  fut  enterré.  Nous  suivons  une  longue  avenue  en  charmille  qui 
passe  devant  VErmituge,  jolie  construction  entourée  d'eau,  bâtie  il  y  a  un  siècle 
(1789)  par  l'administration  forestière  comme  demeure  du  conservateur  et  occupée 
aujourd'hui  par  le  brigadier.  Derrière  la  grille  ,  une  joyeuse  société  a  l'air  de  priser 
fort  peu  les  mérites  de  la  vie  ascétique.  L'heure  nous  force  à  brûler  le  Gros-Chêne  et 
le  Plouick,  ce  vieux  château  qu'habita  Henri  IV  avec  la  belle  Gabrielle  ;  ce  roi  possé- 
dait la  châtellenie  de  Lille  dès  1562  (1),  il  l'apporta  en  1589  à  la  couronne,  qui  la  con- 
serva deux  siècles.  Peut-être  reste-t-il  encore  dans  le  bois  ,  quelques  effluves 
attractives  du  génie  familier  de  ce   roi  galant-homme,  car  ou  y  vient  de  bien  loin 


(1)  11  la  tenait  des  dvics  de  Vendôme  qui  l'avaipiit  liéritéc  par  alliance  de  la  maison  de  Luxembourg 

25 


—  348  — 

folâtrer  dans  la  verture.  Tout-à-coup,  les  sons  plus  bruyants  que  mélodieux  de  Torii-ue 
de  Barbarie  frappent  de  nouveau  nos  oreilles  ;  c'est  Phalempin  qui  fête  aussi  sa 
ducasse  avec  entrain.  Nous  traversons  ce  village  bien  connu,  nous  nous  comptons  en 
dégustant  un  dernier  rafraîchissement,  pas  un  traînard  n'est  resté  dans  la  forêt  ; 
bientôt  la  vapeur  siffle  et  nous  emporte.  A  7  heures  50  nous  sommes  à  Lille,  échan- 
geant tous  de  cordiales  poignées  de  mains  et  nous  dispersant,  contents  de  notre 
journée,  nous  pouvions  répéter  avec  Horace  et  Voltaire  : 

«  Omne  tulit  punctum,qui  miscuit  utile  duki.  » 
«  Heureux,  qui  sait  mêler  l'utile  à  l'agréable.  >■> 

E.   Gantineau. 


Il 


E!K.eursIou  à  Furnes  (31  juillet).  —  Quarante-trois  excursionnistes  s'étaient 
fait  inscrire  au  bureau  de  la  Société  pour  se  rendre  en  groupe  à  Fumes  le  31  juillet 
et  assister  au  défilé  de  la  célèbre  procession  séculaire.  Partis  le  matm  par  le  pre- 
mier train  de  Dunkerque  sous  la  direction  de  MM.  Altred  Renouard  et  Houzé ,  ils 
arrivaient  bientôt  dans  ce  port  oii  ils  trouvaient  le  temps  de  se  livrer  au  plaisir  du 
bain  et  de  se  trouver  réunis  vers  midi  autour  d'une  table  bien  servie.  Quelques 
heures  après ,  ils  prenaient  le  train  à  la  station  des  Dunes  qui  les  débarquait 
bientôt  à  la  ville  de  Furnes. 

La  procession  était  le  but  unique  de  leur  voyage  ,  nous  allons  en  dire  quelques 
mots  : 

Une  fois  par  an  ,  le  dernier  dimanche  de  juillet ,  Furnes  quitte  sa  torpide  attitude 
de  ville  belge  momifiée  et  organise  ce  cortège. 

Dès  le  matin  ,  les  rues  de  la  cité  ,  la  veille  encore  muettes  et  mornes  ,  retentissent 
des  sons  prolongés  des  cornes  et  de  l'aigre  grincement  des  crécelles  :  les  unes  et  les 
autres  devant  servir  dans  la  journée  aux  soldats  chargés  de  prodiguer  l'ironie  et 
l'outrage  sur  le  chemin  du  Calvaire. 

Puis  à  mesure  que  l'heure  avance,  des  groupes  de  cavaliers  romains  .  casqués  de 
fer-blanc  et  drapés  de  manteaux  éclatants  ,  des  Pharisiens  aux  longues  robes  traî- 
nantes ,  des  apôtres  ceints  de  peaux  de  bêtes  et  affublés  de  perruques  chevelues, 
commencent  à' circuler  ;  les  cabarets  s'emplissent  d'hommes  représentant  des  per- 
sonnages sacrés  et  s'affermissant  par  des  libations  de  bière  dans  la  gravité  de  leurs 
robes  ,  et  derrière  les  prêtres  ,  on  voit  les  dames  de  la  ville  se  parer  de  sombres 
voiles  flottants  pour  figurer  dans  le  cortège  des  saintes  femmes. 

En  quelques  heures ,  la  vie  moderne  s'est  effacée  sous  la  poussée  d'une  sorte  de 
résurrection  de  la  vie  d'autrefois  comme  la  comprenaient  les  chrétiens  du  moyen 
â"-e  qui ,  dans  l'ardeur  de  leur  foi  ,  ne  craignaient  pas  de  mêler  le  sacré  au  profane 
et  de  faire  concourir  les  hommes  et  les  choses  à  la  glorification  et  au  souvenir  des 
mystères  de  la  religion. 

Les  mitres  et  les  dalmatiques  s'emmêlent  aux  étendarts  et  aux  boucliers  ;  les 
crèches  qui  vont  servir  à  figurer  la  Nativité  avec  la  paille  et  les  bœufs  croisent  les 
seigneurs  de  la  cour  d'Hérode  en  collants  gris-perle  et  en  toques  de  velours;  des 
ano-es  à  tuniques  blanches  se  heurtent  à  de  grands  prophètes  barbus  ;  puis  toute 
cette  foule  bigarrée  va  s'aligner  aux  portes  de  l'église  Sainte-Walburge  ,  tandis  qu'à 


—  :m  — 

rintéi'ieur  de  l'cdifice  se  coiisoiuiueiit  les  appivLs  du  drame  iiiUine  et  de  la  l'assion 
même  du  Sauveur.  Là,  des  mains  griment  et  habillent  les  fii^urants  qui  devront 
représenter  le  Christ  aux  différentes  époques  de  sa  vie  de  gloire  et  de  douleur,  les 
Madeleines  pleurant  sur  leurs  molles  chevelures  éeroulées  ,  les  saintes  viergea  che- 
vauchant sur  des  ânes  en  souvenir  de  la  l'uite  en  Egypte. 

Au  coup  do  quatre  heures  ,  le  porche  s'ouvre  sur  cette  apparition.  Dans  la  rue  , 
un  monde  de  docteurs,  de  lévites  ,  de  ceinturions,  de  confrères  de  la  Passion  en 
brunes  cagoules  et  de  pénitentes  en  bure  grossière  s'est  joint  aux  groupes  déjà 
formés;  puis  le  chars  se  n;etteiit  en  mouvement;  l'énorme  file  s'ébranle,  et  la  pro- 
cession commence  à  se  dérouler  et  à  circuler  dans  les  carrefours  ainsi  qu'un  lleuve 
de  pourpre  et  d'or.  Coiiune  la  procession  coïncide  avec  la  foire,  les  théâtres  forains 
étoutiént  le  mugissement  de  leurs  cuivres  ,  les  ballerines  passent  à  la  hâte  un  vête- 
ment sur  leurs  maillots,  les  petits  immobilisent  des  yeux  sérieux  sous  le  pied  de 
blanc  qui  leur  enfariné  la  trogne.  Et  partout  une  foule  énorme  s'incline  au  passage 
du  cortège. 

On  voit  d'abord  apparaître  les  prophètes  ,  suivis  de  masques  horribles  simulant 
la  Peste  ,  la  Guerre  et  la  Famine;  puis  l'étable  de  Bethléem  traînée  par  des  péni- 
tents ,  avec  Marie  et  Joseph  caressant  des  yeux  l'Enfant  dans  la  crèche  ,  puis  les 
quatre  bergers  et  les  trois  mages  ,  Siméon  portant  Jésus  au  temple  ,  Marie  et  Joseph 
fuyant  en  Egypte  ,  la  cour  d'Hérode  ,  Jésus  et  les  docteurs  ,  les  apôtres,  sur  deux 
rangs,  accompagnent  Jésus  sur  son  âne  ,  le  jardin  des  oliviers  ,  Judas  méditant  sa 
trahison ,  le  christ  prisonnier ,  puis  encore  le  chiist  flagellé  ,  le  couronnement 
d'épines  ,  Pilate  et  ses  assesseurs  ,  Longri  à  cheval,  le  saint  sépulcre  ,  Jésus  ressus- 
cité ;  et  toute  cette  gigantesque  mise  en  scène  qui  s'avance  au  ronflement  des  cornes 
et  un  crécellement  des  moulins  et  par  moments  s'arrête  pour  permettre  au  christ  de 
s'abiiiier  sous  le  bois  du  supplice  dans  la  poussière  du  chemin  ,  avec  des  sueurs  de 
lassitude  qui  imitent  les  eaux  do  l'agonie ,  s'achève  en  une  troupe  compacte 
d'hommes  et  de  femmes  habillés  de  longs  suaires  et  fléchissant  sous  les  croix  que 
chacun  porte  à  l'épaule. 

Une  telle  réalité  préside  à  tous  ces  simulacres  que  par  moments  le  spectateur  se 
sent  pris  d'un  frisson  et  croit  assister  aux  horreurs  d'un  drame  véritable.  Gomme 
pour  rendre  l'illusion  plus  saisissante  ,  les  apôtres  discutent  entre  eux  (non  en 
hébreu  ,  mais  en  flamand  ,  Hérode  parle  aux  seigneurs  de  son  entourage  ,  le  christ 
s'entretient  avec  ses  disciples ,  les  soldats  romains  poussent  des  huées  ,  et  des 
musiques  sépulcrales  qui  semblent  sortir  de  dessous  terre  font  entendre  la  joie 
abominable  des  esprits  infernaux. 

Enfin,  derrière  le  char  de  la  Résurrection,  le  clergé,  dans  la  magnificence  de 
ses  chasubles  ,  ayant  à  sa  tète  Mgr  l'archevêque  de  Bruges  ,  promène  sous  un  dais 
d'or  le  saint  sacrement  comme  le  vivant  soleil  et  l'éternel  témoignage  de  la  présence 
divine. 

Lentement  la  procession  fait  le  tour  de  la  ville  ,  entre  des  rangs  pressés  de  popu- 
lation prosternée  sur  lesquels  se  projette  la  clarté  vacillante  des  cierges  braséant  à 
toutes  les  fenêtres.  Aussi ,  quand  après  d'infimes  stations  ,  pour  ajouter  à  la  solen- 
nité de  la  mort ,  elle  s'écoule  sous  les  arceaux  de  l'église,  on  demeure  sous  le  coup 
d'une  émotion  que  rien  ne  peut  rendre. 

Rien ,  en  effet ,  dans  les  données  modernes  de  nos  fêtes  religieuses  uu  civiles 
n'offre  une  idée  de  la  procession  à  laquelle  il  nous  a  été  donné  d'assister.  l]n  voyant 
ce  défilé  si  nouveau  pour  nous,  il  nous  semblait  être  transporté  en  plein  moyen 
âge  et  vivre  pour  un  instant  de  la  vie  de  cette  époque  si  absolument  diflérente  de 
la  nôtre,  poétique,  imagée,  profondément  religieuse  et  croyante,  bercée  d  . 
légendes  dorées,   pleines  de  pittoresque  dans  les   manifestations  extérieures  ,  où 


—  350 


riniagination  exubérante  donnait  à  tout  une  acuité  dévie  extraordinaire  ,  oii  s'édi- 
fiaient nos  vieilles  cathédrales. 

Où  nos  vieilles  romances. 
Ouvraient  leurs  ailes  d'or  vers  un  ujonde  enchanté 

La  ville  de  Furnes  est  bien  le  cadre  qui  convient  à  ce  tableau  :  ses  églises  inache- 
vées et  oii  il  semble  que  demain  on  va  reprendre  l'œuvre  interrompue,  ses  antiques 
maisons  aux  toits  pointus  à  pinacles  et  à  pignons ,  sa  grande  place  à  logia,  une  des 
plus  archaïques  et  des  plus  pittoresques  du  pays,  courourent  à  compléter  l'illusion 
et  à  donner  à  ce  spectacle  une  note  et  une  couleur  qu'on  chen-herait  vainement 
ailleurs. 

La  procession  de  Furnes  remonte  au  XI IT  siècle  .  elle  fut  instituée  en  l'honneur 
de  la  Vraie  Croix  dont  Robert  de  Flandre  avait  rapporté  une  parcelle  qu'il  offrit  à 
l'église  de  sainte  Walburge  à  son  retour  de  la  croisade.  Cette  procession  se  célé- 
brait au  mois  de  mai  et  retraçait  la  légende  miraculeuse  de  Robert  sa  .  vé  d'un 
naufrage.  Modifiée  et  complétée  au  commencement  du  XV"  siècle  par  l'adjonction 
des  sociétés  de  rhétorique  ,  elle  comporta  à  partir  de  1422  la  représentation  dialo- 
guée  du  Mystère  de  la  Passion,  dont  les  excursionnistes  lillois  ont  pu  voir  les  prin- 
cipales scènes  ;  c'est  de  cette  époque  également  que  date  l'introduction  de  la 
musique  dans  le  cortège  et  notamment  des  troupes  dont  l'effet  est  si  étrangement 
funèbre.  Puis,  la  fantaisie  s'en  mêlant,  les  géants,  les  cybilles,  les  grotesques, 
avaient  pris  place  dans  la  procession,  lorsque  la  période  troublée  de  la  Révolution 
vint  brusquement  la  suspendre  pendant  un  demi-siècle.  Enfin,  en  1637 ,  quand 
l'apaisement  fut  complet ,  on  voulut  renouer  la  tradition ,  mais  l'antique  cortège 
n'excitait  plus  le  même  intérêt ,  la  Réforme  avait  refroidi  les  enthousiasmes  et  un 
peu  ébranlé  la  foi,  lorsqu'en  1650  un  horrible  sacrilège  fut  commis  dans  la  ville  de 
Furnes  et  causa  une  profonde  émotion  dans  toute  la  région. 

Un  soldat  de  la  garnison  nonuué  Mannart ,  cédant  aux  mauvais  conseils  d'un  de 
ses  camarades  Mathurin  Lejeune  ,  s'approche  de  la  sainte  table,  mais  au  lieu  d'avaler 
l'hostie,  il  la  cracha  dans  son  mouchoir  et  la  brûla  ,  croyant  au  moyen  de  cendres 
pouvoir  ouvrir  toutes  les  portes  et  se  rendre  invulnérable.  Les  coupables  furent 
appréhendés  et  punis  de  mort.  La  ville ,  théâtre  de  ce  forfait ,  voulut  le  réparer  en 
restituant  à  l'ancienne  procession  sa  primitive  splendeur  et  en  lui  donnant  en 
quelques  points  la  forme  d'une  procession  de  pénitence. 

Cette  procession  subsista  jusqu'en  1793  oii  elle  fut  momentanément  supprimée; 
reprise  en  1814,  elle  s'est  perpétuée  depuis  lors  sans  altération  notable.  Elle  porte 
encore  aujourd'hui  le  caractère  de  ces  trois  évolutions. 

Plus  de  trente  mille  visiteurs  étaient  accourus  le  31  juillet  à  Furnes  pour  assister 
à  la  cérémonie;  on  s'écrasait  dans  les  rues  ,  et  cette  foule  compacte  ,  serrée  ,  grouil- 
lante ,  en  rappelant  à  sa  façon  les  beaux  jours  de  la  procession  qui ,  au  moyen  âge  , 
attirait  des  millions  de  pèlerins,  ajoutait  à  la  vigueur  du  tableau. 

Le  soir,  reprenant  le  train  pour  Dunkerque  et  après  s'être  restaurés  un  instant 
dans  cette  ville,  les  géographes  revenaient  à  Lille,  heureux  d'avoir  pu  assistera  ces 
splendeurs  que  jusque-là  la  seule  renommée  leur  avait  permis  de  connaître. 

Alfred  RENOUARD. 


-  351  - 


PROCÈS  -  VERBAUX  DES  ASSEMliLÉES  GÉNÉRALES. 


.%N«cnibléc    ;;;«'uérnle  «lu  9H  oct4»l»rc   IM87. 


Présidence  de  M.  Paul  GREPY. 


La  séance  est  ouverte  à  8  h.  1/4.  MM.  Paul  Crepy,  président  ;  Alfred  Renoiiard  , 
secrétaire-général  ;  Alex.  Eecknian,  secrétaire-général-adjoint;  Van  Hende,  biblio- 
thécaire ;  Qnarré-Reybourbon  ,  archiviste;  Grépin  ,  Diiflos  ,  Leburque-Gomerre , 
Delessert,  Warin  ,  membres  dn  Gomité  ,  prennent  place  au  bureau. 

Membres  nouveaux.  —  M.  le  secrétaire-général  donne»  les  noms  do  67  sociétaires 
nouveaux  admis  depuis  la  dernière  as.semblée  générale. 

Agent  de  la  Société.  —  Pour  assurer  le  service  intérieur  de  la  Société,  qui  devient 
de  plus  en  plus  assujettis.sant,  le  Comité  s'est  préoccupé  du  choix  d'un  titulaire 
spécial,  qui  pourrait  décharger  MM.  le.s  secrétaires-généraux  d'une  partie  de  la 
besogne  matérielle  qui  leur  incombe  encore  actuellement.  Divers  candidats  lui  ont 
été  présentés  ;  M.  Jusniau,  cartographe  diplômé,  a  été  définitivement  proclamé 
«  Agent  de  la  Société  ».  MM.  les  sociétaires  qui  voudraient  obtenir  les  renseigne- 
ments dont  ils  ont  besoin,  le  trouveront  dorénavant  à  leur  disposition  chaque  jour 
delà  semaine,  dans  la  salle  des  cours,  à  des  heures  qui  seront  ultérieurement 
déterminées. 

Concours.  —  Les  résultats  du  concours  sont  aujourd'hui  connus  :  ils  ont  été  publiés 
par  tous  les  journaux  de  l'arrondissement.  Au  nom  de  la  Société,  M.  le  président 
remercie  MM.  Mamet,  Merchier,  Épinay  et  Jacquin  qui  ont  bien  voulu  accepter  la 
mission  de  corriger  et  classer  les  copies  des  223  élèves  de  Lille,  Roubaix  et  Tour- 
coing qui  y  ont  pris  part. 

Congrès  géographique  du.  Havre.  —  M.  le  président  a  représenté  la  Société  au 
Gongrès  annuel  des  sociétés  françaises  de  géographie  qui  s'est  tenu  cette  année  au 
Havre,  du  16  au  20  août.  Ge  congrès  a  réuni,  outre  les  représentants  de  18  sociétés 
de  géographie  proprement  dites,  ceux  des  sociétés  des  études  coloniales  et  maritimes, 
académique  indo-chinoise  et  de  topographie,  ainsi  que  les  délégués  officiels  de 
presque  tous  les  ministères.  De  plus,  les  députés  du  Havre  ont  manifesté,  par  leur 
présence,  l'intérêt  qu'ils  portaient  à  cette  assemblée,  aux  séances  de  laquelle  assis- 
taient régulièrement  des  membres  de  la  Ghambre  de  commerce  de  la  ville.  L'incon- 
testable supériorité  de  son  président,  M.  Levasseur,  que  nous  avons  entendu  comme 
conférencier  il  y  a  deux  ans  à  Lille,  et  le  choix  des  questions  posées  au  programme, 
n'ont  pas  peu  contribué  à  rendre  cette  réunion  utile  à  la  science  géographique. 
Parmi  les  principaux  problèmes  débattus  dans  les  séances  nos  membres  pourront 
trouver  la  discussion  iu-extenso  dans  le  volume  qui  sera,  comme  d'habitude,  publié 
k  cette  occasion,  il  y  a  lieu  de  citer  :  la  question  de  l'outillage  des  ports  français, 


—  352  — 

comparé  à  ceux  des  ports  étrangers,  celle  du  travail  aux  colonies,  celle  de  l'adminis- 
tration coloniale,   et  diverses  autres  se  rapportant  à  la  pédagogie. 

Comme  d'ordinaire,  tous  les  représentants  des  sociétés  de  géographie  ont  lu,  par 
ordre  d'ancienneté  de  création,  un  compte-rendu  des  travaux  ou  de  la  situation  des 
associations  qu'ils  représentaient.  Lorsqu'est  venu  le  tour  de  parole  du  délégué  de 
la  Société  de  Lille,  M.  le  président  a  donné  lecture  du  rapport  suivant  : 

«  La  Société  de  géographie  do  Lille  se  composait ,  au  ol  décembre  1886,  de  : 

1,318  membres,  dont  1,013  inscrits  à  Lille: 

137        »        à  la  section  de  Roubaix  ; 
168        »        à  celle  de  Tourcoing 

(fondée  en  septembre  dernier). 
De  plus  ,  elle  sert  ses  Bulletins  à  chacun  des 
268  membres  de  la  Société  de  géographie  de  Valenciennes. 

1,586. 

Ces  Bulletins,  tirés  chaque  mois,  —  même  pendant  les  vacances,  —  à  1.650  exem- 
plaires, contiennent  ensemble  832  pages  de  texte  grand  in -8°,  avec  de  nombreuses 
cartes,  planches  et  figures  à  l'appui,  sans  compter  des  milliers  de  cartes  volantes 
(éditées  parla  Réunion  des  Explorateurs  et  Conférenciers)  distribuées  aux  sociétaires 
les  jours  de  conférences. 

En  1886,  la  Société  a  oi-ganisé  : 
26  conférences  à  Lille  : 
10  »  à  Roubaix  ; 

3  >>  à  Tourcoing. 

39 ,   presque    toutes    accompagnées    do    projections 
lumineuses  à  l'appareil  Molteni. 

Elle  a  dirigé  11  excursions  en  France,  en  Belgique,  en  Angleterre  :  nous  croyons  , 
en  effet,  que  ce  moyen  de  répandre  le  goût  de  la  géographie  est  l'un  des  plus  efficaces 
auxquels  nous  puissions  avoir  recours. 

Le  Concours  annuel  a  réuni  223  concurrents  des  doux  sexes  divisés  en  douze 
catégories,  depuis  les  jeunes  gens  de  9  ans  jusqu'aux  candidats  à  St-Cyr.  —  A  cette 
occasion,  elle  a  distribué  des  récompenses  dont  le  total  s'est  élevé  à  fr.  1,400  ;  cette 
somme  avait  été  entièrement  offerte  par  quelques-uns  de  ses  membres. 

La  Société  reçoit  une  seule  subvention  :  fr.  300  de  la  Chambre  de  Commerce. 

Un  cartographe,  un  sténographe  et  un  photographe  lui  sont  attachés. 

Je  viens  devons  exposer  très  succinctement.  Messieurs,  la  situation  et  les  travaux 
de  notre  Société,  en  1886.  Je  suis  heureux  d'ajouter  que  sa  marche  en  avant  ne  se 
ralentit  pas  en  1887,  et  qu'elle  se  fait  de  plus  en  plus  une  \Aace  enviée  parmi  les 
nombreuses  Sociétés  savantes  dont  s'honore  la  ville  de  Lille.  » 

Excursions.  —  M.  le  président  annonce  que  les  excursions  d'été  sont  terminées, 
et  que  le  programme  élaboré  par  la  Commission  spéciale ,  sous  la  présidence  de 
M  Crépin,  a  été  scrupuleusement  rempli  :  Le  nombre  moyen  des  excursionnistes  a 
été  chaque  fois  de  15  à  25 ,  il  a  dépassé  deux  fois  40  et  a  atteint  52  pour  la  visite 
aux  mines  de  Lens.  M.  le  président  remercie,  au  nom  de  la  Société,  ceux  qui  ont  bien 
voulu  chaque  fois  se  dévouer  pour  diriger  ces  courts  mais  instructifs  voyages,  et 
notamment  MM.  les  professeurs  Merchier  et  Epinay  qui,  lors  des  excursions  de 
Gassel  et  de  Mons-en-Pévèle  ,  ont  rappelé,  dans  une  improvisation  des  plus  goûtées, 
le  souvenir  des   grandes  batailles  et  des  hauts    faits   qu'évoquait  la  Wsite  à  ces  lieux 


—  .Ti:;  — 

célèbres.  Un  comptc-rcudu  des  principales  excursions  «le  1887  sera  inséré  à  hrel'délai 
dans  le  Bulletin. 

Conférences.  Sons  peu,  nos  conférences  de  la  saison  d'hiver  seront  reprises 
comme  do  coutume,  et  le  bureau  s'est  pi'éoccupé  du  soin  de  les  organiser.  M.  Lefebvre, 
professeur  de  mathématiques  spéciales  au  Lycée  de  Lille,  a  accepté  de  les  inaugurer 
en  décrivant,  à  l'aide  de  projections,  un  «  voyage  dans  l'espace  »  ;  M.  Guillot ,  notre 
ancien  secrétaire-généaal,  actuellement  {)rofesseur  d'histoire  au  Lycée  Charlemagne, 
a  promis  de  parler  sur  le  «  massif  du  Cantal  »  ;  nous  avons  aussi  la  certitude  d'avoir 
M.  Lourdelet,  président  de  la  Chambre  syndicale  des  négociants-commissionnaires 
et  vice-président  de  la  Société  de  géographie  commerciale  de  Paris,  qui  décrira,  avec 
projections,  «  un  voyage  commercial  au  pays  des  Yankees  »;  M.  Perret,  directeur 
de  l'Ecole  normale  supérienre,  parlera  sur  la  Mésopotamie  à  la  séance  solennelle  de 
la  distribution  des  récompenses  en  janvier  1888  ;  enfin,  nous  avons  les  promesses  de 
MM.  Labonne,  sur  l'Islande;  Broussali,  sur  l'Arménie,  etc.  On  le  voit  donc ,  une 
bonne  partie  de  notre  organisation  d'hiver  est  assurée  ,  et  il  est  à  croire  que  notre 
Société,  comme  les  années  précédentes,  traversera  avec  succès  cette  période  d'un 
nouvel  exercice. 

Cours  hebdomadaires.  —  Notre  collègue ,  M.  Merchier ,  professeur  agrégé 
d'histoire  au  Lycée  de  Lille  et  membre  du  Comité  d'études  ,  a  accepté  de  faire,  tous 
les  mardis,  dans  la  salle  ordinaire  des  cours  de  la  Société  ,  une  série  de  conférences 
hebdomadaires  sur  la  Russie,  l'Allemagne  et  l'Autriche.  Le  talent  bien  connu  de 
M.  Merchier  nous  est  un  sûr  garant  du  succès  que  ne  peuvent  manquer  d'obtenir  ces 
conférences.  M.  le  président  le  remercie  de  son  intelligente  initiative  et  de  son 
dévouement  à  la  Société. 

Nécrologie. — La  Société  de  géographie  de  Lisl)oune  nous  a  informé  le  10  septembre 
dernier,  de  la  perte  qu'elle  venait  de  faire  en  la  personne  de  son  président.  M.  le 
Conseiller  Antonio  Augusto  d'Aguiar,' ancien  ministre  d'Etat,  pair  du  rovaume  de 
Portugal,  et  professeur  à  l'Ecole  Polytechnique  et  à  l'Institut  industriel  de  Lisbonne. 
Au  nom  de  la  Société  de  géographie  de  Lille,  notre  président,  membre  correspon- 
dant de  la  Société  de  Lisbonne  a  envoyé  à  cette  dernière  l'expression  de  ses  regrets 
et  de  ses  sincères  condoléances. 

La  tféographie  au  Congrès  des  Sociétés  savantes  en  1888.  —  La  Société  a  reçu 
du  Ministre  de  l'Instruction  publique,  le  programme  des  questions  mises  k  l'ordre  du 
jour  du  Congrès  des  Sociétés  savantes  pour  1888.  M.  le  président  donne  lecture  aux 
membres  présents  des  questions  concernant  la  section  de  géographie  historique  et 
descriptive,  afin  que  les  délégués  que  la  Société  enverra  comme  d'habitude,  à  Paris, 
puissent  les  étudier  et,  au  besoin,  les  traiter  avec  avantage.  Ces  questions  sont  les 
suivantes  : 

«  1'  Anciennes  démarcations  des  diocèses  et  des  cités  de  la  Gaule  conservées 
jusqu'aux  temps  modernes  ; 

2°  Exposer  les  découvertes  archéologiques  qui  ont  servi  à  déterminer  le  site  de 
villes  de  l'antiquité  ou  du  moyen-âge,  soit  en  Europe,  soit  en  Asie,  soit  dans  le  nord 
de  l'Afrique,  soit  en  Amérique  : 

3'  Signaler  les  documents  géographiques  curieux  (textes  et  cartes  manuscrits)  qui 
peuvent  exister  dans  les  bibliothèques  publiques  et  les  archives  des  départements  et 
des  communes.  —  Inventorier  les  cartes  locales  manuscrites  et  imprimées  ; 

4°  Biographie  des  anciens  voyageurs  et  géographes  français  ; 

5"  De  l'habitat  en  France,  c'est-à-dire  du  mode  de  répartition  dans  chaque  contrée 
des  iialntations  formant  les  bourgs,  les  villages  et  les  hameaux. —  Dispositions  parti- 


-  354  - 

culières  des  locaux  d'habitation,  des  fermes,  des  granges,  etc.  Origine  et  raison 
d'être  de  ces  dispositions.  —  Altitude  maximum  des  centres  habités  ; 

6*^  Tracer  sur  une  carte  les  limites  des  différents  pays  (Brie,  Beaucc,  Morvan, 
Sologne,  etc.),  d'après  les  coutumes,  le  langage  et  l'opinion  traditionnelle  des  habi- 
tants. —  Indiquer  les  causes  de  ces  divisions  (nature  du  sol,  ligne  de  partage  des 
eaux,  etc.)  ; 

7"  Compléter  la  nomenclature  des  noms  de  lieux,  en  relevant  les  noms  donnés  par 
les  habitants  d'une  contrée  aux  divers  accidents  du  sol  (montagnes,  cols,  vallées,  etc.) 
et  qui  ne  figurent  pas  sur  nos  cartes  ; 

8"  Chercher  le  sens  et  l'origine  de  certaines  appellations  communes  à  des  accidents 
du  sol  de  même  nature  (cours  d'eau,  pics,  sommets,  cols,  etc.)  ; 

9"  Étudier  les  modifications  anciennes  et  actuelles  du  littoral  de  la  France  ; 

10"  Chercher  les  preuves  du  mouvement  du  sol,  à  l'intérieur  du  continent,  depuis 
l'époque  historique  ;  traditions  locales  ou  observations  directes  ; 

11°  Signaler  les  changements  survenus  dans  Iz  topographie  d'une  contrée  depuis 
une  époque  relativement  récente  ou  ne  remontant  pas  au-delà  de  la  période  histo- 
rique, tels  que  :  déplacement  des  cours  d'eau,  brusques  ou  lents  ;  apports  ou  creuse- 
ment dus  aux  cours  d'eau  ;  modifications  des  versants,  recul  des  crêtes,  abaissement 
des  sommets  sous  l'influence  des  agents  atmosphéiûques  ;  changements  dans  le 
régime  des  sources,  etc  ; 

12"  Forêts,  marais,  cultures  et  faunes  disparus.  » 

Don  de  cartes  —  M.  Eeckman  offre  à  la  Société,  de  la  part  de  M.  le  capitaine  do 
frégate  Charles  Rouvier,  chef  de  la  mission  française  de  délimitation  du  Congo  finan- 
çais en  1885-86,  dix-huit  cartes  à  grande  échelle  de  notre  nouvelle  colonie.  Ces  cartes, 
qui  sont  exposées  dans  la  salle  des  séances  et  seront  insérées  nominativement  dans 
le  catalogue  de  la  bibliothèque,  constituent  la  première  œuvre  géographique  et 
hydrographique  de  l'Afrique  équatoriale. 

A  ce  propos,  M.  Eeckman  fait  une  description  sommaire  de  la  colonie  du  Congo, 
et  fait  remarquer  que,  des  trois  membres  qui  composaient  cette  mission,  MM.  Rou- 
vier, Ballay  et  Pleigneur,  les  deux  premiers  sont  encore  vivants.  Le  dernier,  capi- 
taine d'infanterie  de  marine,  a  péri  sur  la  rivière  Niari,  victime  de  son  dévouement  à 
la  science  ;  sur  l'une  des  cartes  exposées  ont  été  jointes  sa  photographie  et  sa 
biographie.  On  sait  que  le  commandant  Rouvier  a  reçu  récemment,  pour  son  oeuvre 
remarquable,  une  grande  médaille  d'or  de  la  Société  de  géographie  de  Paris  ;  notre 
président  a  pu,  le  jour  de  la  séance  solennelle  oii  cette  récompense  a  été  décernée  au 
vaillant  explorateur ,  lui  exprimer  les  félicitations  de  la  Société  de  géographie 
de  Lille. 

Communication.  —  La  séance  est  terminée  par  une  communication  de  M.  Quarré- 
Reybourbon,  archiviste  de  la  Société,  sur  la  vie  et  les  travaux  du  géograplic  lillois 
Gosscllin.  Cette  étude  intéressante  sera  prochainement  reproduite  in  extenso  dans 
nos  Bulletins 

La  séance  est  levée  à  dix  heures  et  demie. 

Le  Secrétaire-  (renérol, 

Ai.FRKD  RRNOUARD. 


—  ii"»  - 

COMMUNICATIONS  AUX  ASSEMBLÉES  GÉNÉRALES 

(m  extenso). 
LEÇON  D  OUVERTURE   DU  COURS 

DE  GÉOLOGIE  APPLIQUÉE  A  LA  GÉOGRAPHIE  '' 

Professé  a  i.a  Faculté  des  Sciences  de  Lille 

Par  M.  J.  GOSSELET, 

Correspondant  de  riiistitul ,  Professeur  à  la  P^aculté  des  Sciences  de  Lille  , 

Membre   du    Comité   d'études   de  la   Société. 


Leçon  du  1"  Déceîubre  18S7. 


Un  homme  dont  vous  avez  longtemps  applaudi  la  parole,  M.  Abel 
Desjardins,  le  regretté  doyen  de  la  Faculté  des  Lettres, disait  souvent, 
après  un  examen  de  baccalauréat,  que  les  Français  se  reconnaissent 


(1)  Voici  le  programme  approximatif  de  ce  cours  : 

Origine  première  du  relief. 

Continents  et  mers.  —  Falaises,  plages,  dunes,  polders,  deltas. 

Lacs  salés,  carpiennes. 

Origine  des  vallées.  —  Vallées  de  plaine,  rivières  de  Lépoque  quaternaire,  Escaut. 
Lys,  Somme,  Seine.  —  \^Tllces  îles  i)ays  de  montagne,  Meuse,  Seinoy,  Moselle,  Rhin. 

Glaciers.  —  Lacs.  —  Cataractes  et  cagnous. 

Origine  des  montagnes.  —  Ridement  du  sol. 

Relief  du  sol  j)rimaire  du  nord  de  la  France  et  de  l'Europe.  —  Ardennc,  Pays  de 
Galles,  Harr,  ?»Ionts  Hercyniens.  —  Chaîne  du  Nord.  —  Bretagne,  ^'osg•es,  Plateau 
central. 

Relief  de  la  grande  jilaiue  du  Nord,  iîassin  de  Paris,  Glis  de  la  craie.  Pays  de 
Rray,  Boulonnais. 

Relief  de  la  chaîne  moditoiranéeime.  —  Alpes.  Pyrénées,  Espagne,  Italie,  Médi- 
terranée et  îles  de  la  Méditerranée. 

Région  des  déserts.  —  Sahara,  Egypte,  Arabie. 

Océan  atlantique.  —  Ses  îles.  —  Cap  de  Bonne-Espérance. 

Grand  Océan,  lies  océaniques,  Atlas.  Formations  des  arandos  profondeurs. 


—  356  — 

à  leur  esprit,  à  leur  politesse  et  à  leur  ignorance  en  géographie. 
Possèdent-ils  encore  ce  dernier  caractère  ?  J'espère  que  non.  En  tous 
cas,  on  doit  constater  que,  si  on  ne  sait  pas  la  géographie  en  France  et 
particulièrement  à  Lille,  les  moyens  de  l'apprendre  ne  manquent  pas. 

La  Société  de  géographie  de  Lille,  dont  la  direction  active  et  éclairée 
fait  Tadmiration  de  tous  ceux  qui  connaissent  les  difficultés  d'une 
pareille  tâche,  a  donné  dans  notre  pays  une  puissante  impulsion  aux 
études  géographiques  Outre  la  publication  régulière  de  son  intéres- 
sant bulletin,  outre  ses  concours,  outre  ses  conférences  où  elle  fait 
entendre  les  plus  illustres  explorateurs,  elle  a  organisé  des  cours  régu- 
liers, qui  cette  année  sont  confiés  à  Téminent  professeur  du  Lycée. 
M.  Merchier.  Ces  cours  devaient  avoir  lieu  le  jeudi,  comme  les 
années  précédentes.  Avec  une  bienveillance  qui  m'honore,  la  Société  a 
mis  son  cours  au  mardi  pour  permettre  à  ses  auditeurs  d'assister  à 
nos  leçons.  Je  les  remercie  et  remercie  mon  collègue  M.  Merchier  de 
leur  courtoise  attention. 

A  côté  de  ces  cours  dûs  à  l'initiative  privée,  il  y  a  les  cours  muni- 
paux  et  ceux  du  Haut -Enseignement.  Depuis  de  longues  années. 
M.  Mamet  fait  un  cours  annexé  à  la  Faculté  des  Sciences.  L'arrivée  de 
la  Faculté  des  lettres  à  Lille  va  permettre  à  mon  savant  collègue, 
M.  Cons,  d'inaugurer  un  nouveau  cours  public  de  géographie,  indé- 
pendamment des  leçons  et  des  conférences,  qui  s'adressent  spéciale- 
ment aux  élèves  de  la  Faculté  des  lettres. 

11  peut  donc  sembler  étonnant  que  j'annonce  aussi  un  cours  de  géo- 
graphie et  que  j'y  consacre  un  temps  que  je  parais  enlever  à  mon 
enseignement  naturel  :  je  vais  vous  en  exposer  les  motifs. 

Je  crois  que  l'enseignement  supérieur  ne  doit  pas  se  borner  aux 
limites  étroites  d'une  salle  de  conférence.  A  côté  des  élèves,  il  y  a  le 
grand  public,  auquel  s'adressent  uniquement  les  professeurs  de  faculté, 
avant  que  l'institution  des  bourses  de  licence  leur  eut  fait  une  clientèle 
spéciale.  Par  le  cours  public,  le  professeur  agit  sur  la  partie  active  et 
éclairée  de  la  Société  ;  il  y  fait  pénétrer  d'emblée  des  idées  scientifi- 
ques qui  mettraient  toute  une  génération  pour  y  arriver,  en  passant 
par  l'intermédiaire  des  élèves  et  de  l'enseignement  secondaire.  Aussi 
j'ai  tenu  à  maintenir  à  la  Faculté  des  Sciences  de  Lille,  la  tradition  des 
cours  publics  qui  y  avaient  été  longtemps  si  prospères.  Tous  les  ans, 
je  développe  dans  cet  amphithéâtre  un  point  quelconque  de  la  science 
et  j'appelle  la  société  lilloise  à  venir  s'asseoir  sur  ces  bancs  à  côté  des 
élèves.  Ceux-ci  n'y  perdent  rien.  S'ils  trouvent  dans  ces  leçons  publi- 


-  357  — 

ques  moins  rie  faits  de  détail,  moins  de  précision  didactique,  moins  de 
préparation  à  l'examen,  ils  y  rencontrent  les  idées  générales  plus  déve- 
loppées, les  théories  plus  lai-genient  exposées,  l<',s  problèmes  de  la 
science  soulevés  en  plus  grand  nombre.  Certes  l'enseignement  supé- 
rieur borné  à  ce  cours  public  serait  incomplet,  mais,  à  coté  il  y  a  le 
cours  de  licence,  les  conférences  et  le  livre,  le  livre  qui  dans  bien  des 
cas  peut  remplacer  le  ))rofesseur  J'avoue  que  je  ne  crois  pas  devoir 
vous  forcer  à  venir  entendre  près  de  cette  chaire  ce  que  vous  pouvez 
aller  lire  à  quelques  pas  d'ici, dans  un  ouvrage  bien  écrit;  je  ne  me  sens 
pas  le  courage  devons  mâcher  la  besogne,  de  m'assurer  si  vous  savez 
votre  cours,  si  vous  pourrez  me  le  réciter  dans  quelques  mois  à  l'exa- 
men. Ce  n'est  pas  pour  cela  que  j'ai  passé  ma  vie  h  travailler  et  à 
réfléchir.  J'ai  une  plus  hante  idée  de  mon  rôle  et  du  vôtre  Dirigez 
vous-mêmes  vos  études  d'après  vos  goûts  et  votre  caractère,  si  vous 
voulez  du  secours,  je  vous  en  donnerai  ;  si  vous  voulez  des  conseils, 
je  serai  toujours  h  votre  disposition.  Je  veux  bien  vous  frayer  la  voie, 
mais  je  ne  veux  pas  que  vous  emboîtiez  le  pas  :  Ayez  de  la  spontanéité 
dans  le  travail,  comme  dans  les  idées. 

Puisque  j'étais  décid('^  à  coatiimer  le  cours  public,  il  fallait  en  choisir 
le  sujet.  J'ai  pensé  que  je  devais  profiter  de  la  réunion  des  Facultés 
pour  inaugiu^er  un  cours  qui  pût  s'adresser  aux  élèves  des  deux  Facultés>. 
Je  donnerai  ainsi  la  preuve  matérielle  de  l'utilité  d'une  concenti'ation 
qui  ne  fait  de  donnes  que  pour  ceux  qui  ne  comprennent  pas  ce  que  doit 
être  l'enseignement  supérieur  universitaire.  J  ai  donc  choisi  les  appb- 
cations  de  la  Géologie  à  la  Géographie. 

La  Géologie  et  la  Géographie  sont  deux  sciences  qui  traitent  du 
même  sujet  :  de  la  terre.  La  Géologie,  c'est  l'histoire  de  la  terre  et  des 
élres  qui  ont  vécu  â  sa  surface,  la  Géographie  traite,  non  seulement  de 
la  surface  actuelle  de  la  terre,  mais  encore  delà  distribution  des  êtres 
vivants  qui  la  peujjlentet  en  particulier  des  diverses  Sociétés  humaines, 
de  ia  situation  des  centres  intellecluels,  industriels  et  comuiei'ciaux. 
des  ressources  naturelles  que  le  sol  offre  à  l'activité  humaine,  etc.  On 
pouri-ait  donc  définir  les  deux  sciences  d'une  manière  plus  générale  en 
(lisant  que  la  Géologie,  c'est  l'étude  de  la  terre  en  elle-même  et  la 
Géographie,  l'étude  de  la  terre  dans  ses  rapports  avec  l'humanité. 

On  compiend  quelle  est  Tunioii  intime  des  deux  sciences  :  le  géologue 
doit  être  géographe,  car,  pour  jiarler  de  la  terre,  pour  faire  son  histoire, 
il  faut  connaître  son  état  présent  et  pouvoir  désigner  les  différents 
lieux  par  les  noms  que  les  géographes  leur  ont  a.ssignés.  Ceux  d'(>ntre 


-  358  - 

vous  qui  ont  déjà  suivi  nos  travaux  savent  quelle  importance  j'attache 
à  la  géographie  ;  j'écrirai  volontiers  au-dessus  de  mon  laboratoire  : 
I^ul  n  entre  ici,  s'il  ne  sait  la  géographie. 

D'un  autre  côté,  le  géographe  doit  connaître  la  géologie.  La  nature 
du  sol  joue  un  rôle  prépondérant  sur  les  diverses  manifestations  de 
l'activité  humaine.  Que  l'on  compare,  comme  l'a  faitElie  de  Beaumont, 
l'habitant  de  l'Ile  de  France  avec  celui  de  l'Auvergne.  Quelle  diflFé- 
rence  au  point  de  vue  physique  comme  au  point  de  vue  intellectuel! 
Quelles  richesses  le  Parisien  n'a-t-il  pas  trouvées  dans  son  sol  :  Pierres 
de  taille  pour  construh'e  ses  maisons,  plâtre  pour  les  orner,  argile  à 
tuile  pour  les  couvrir,  meulière  pour  ses  égoûts  et  ses  caves,  grès  pour 
ses  routes,  etc.  La  terre  dont  la  nature  est  très  variée  se  prête  à  toutes 
les  cultures  :  les  sommets  des  collines  sablonneuses  sont  couverts  de 
bois  et  de  forêts  ;les  pentes  exposées  au  soleil  laissent  mûrir  le  raisin, 
les  pêches,  les  figues  ;  les  plaines  revêtues  de  limon  alluvial  consti- 
tuent d'immenses  potagers:  les  plateaux  de  la  Benuce  se  couvrent  de 
moissons  sans  égales.  Et  le  sol,  doucement  incliné  de  tous  côtés  vers 
la  capitale,  semble  disposé  pour  y  laisser  couler  naturellement  par 
toutes  les  routes  qui  y  convergent  tous  les  matériaux  nécessaires  au 
développement  de  la  civilisation.  C'est  bien  le  pôle  attractif  de  la  France. 
suivant  l'énergique  expression  d'Elie  de  Beaumont. 

Le  pôle  répulsif,  c'est  le  Plateau  central  avec  son  sol  granitique  où 
le  châtaignier  seul  prospère  .  avec  sa  forme  de  coupole  d'où  l'eau  s'é- 
chappe en  divergeant  et  où  l'homme  civiUsé  semble  ne  pouvoir  vivre 
que  par  une  sorte  d'équilibre  instable. 

Ne  disons  cependant  pas  trop  de  mal  du  Plateau  central.  Outre  qu"il 
peut  y  avoir  dans  cet  auditoire  des  Auvergnats  à  qui  je  serai  désolé  de 
faire  de  la  peine,  il  faut  se  rappeler  que  le  Plateau  central  est  le  noyau 
autour  duquel  s'est  formée  la  France. 

Du  reste,  nous  n'avons  pas  besoin  d'aller  chercher  si  loin  nos  exem- 
ples. Il  nous  suffit  de  .comparer  les  deux  extrémités  du  département 
du  Nord. 

Voyez  dans  nos  rues  le  lourd  chariot  que  traine  lentement  un  seul 
cheval,  attelé  d'un  seul  côté  du  timon  et  que  conduit  un  homme  impas- 
sible gravement  assis  sur  le  devant  de  sa  voiture.  Comparez  à  cela  la 
charrette  légère  des  environs  d'Avesnes.  emportée  par  un  trotteur 
ardennais  que  le  conducteur  debout  sur  sa  voiture  exhorte  par  des 
claquements  de  fouet  continuels.  N'est-ce  pas  sous  la  môme  latitude 
avec  la  même  langue  et  le  même  gouvernement  .   deux  peuples  bien 


—  .!.■)'.)  — 

différents,  le  peuple  de  l'argile  et  le  peuple  du  sclii.ste.  Auquel  faut-il 
doiiLier  la  préférence?  je  ne  sais.  Laquelle  des  doux  voitures  a  fait  le 
plus  de  chemin  an  bout  de  la  journée?  Peut-être  pas  celle  que  l'on 
croit.  Le  lourd  chariot  roulant  sur  les  routes  unies  de  la  Flanflre  n'a 
aucune  raison  pour  sarrêlei-,  tandis  que  la  chaietle  avesnoise  s'ai rèle 
au  bout  de  la  cote  escarpée,  pour  se  reposer  et  souvent  aussi  en  bas. 
l)onr  se  donner  le  coui-age  d'en  gravir  une  nouvelle. 

II  est  inutile  d'insister  sur  l'influence  minéralogique  du  .sol.  Cetttî 
inHuence  est  d'autant  plus  grande  qu'elle  s'exerce  sur  les  vt'gétaux  , 
sur  les  animaux,  sur  l'air,  sur  l'eau,  sur  le  climat  et  qu'elle  se  réper- 
cute ainsi  sur  l'homme  de  tous  les  points  du  milieu  dans  lequel  il  vit. 

L'année  passée  quand  je  vous  ai  parlé  des  nappes  aquifères,  j'ai  placé 
sous  vos  yeux  deux  cartes  ,  l'une  des  environs  d'Hazebrouck  ,  l'autre 
des  environs  de  Cambrai.  Dans  la  première,  vous  avez  vu  tout  le  pays 
couvert  d'habitations  disséminées  et  isolées  :  dans  la  seconde,  les  plaines 
nues  et  les  maisons  ramassées  en  gros  villages.  De  quoi  cela  dépend- 
il?  du  sol.  rien  que  du  sol.  Dans  la  Flandre  où  le  sol  est  argileux,  il  y 
a  de  l'eau  partout.  Indépendamment  des  sources  et  des  ruisseaux,  le 
moindre  trou  en  fournit.  Dans  la  pleine  crayeuse  du  Cainbrésis.  il  n'y 
a  pas  de  ruisseaux,  les  rivières  y  sont  rares  ;  tout  aussi  rares  sont  les 
sources  ;  les  nappes  aquifères  n'existent  qu'à  une  grande  profondeur; 
l'homme  n"a  donc  pu  y  construire  ses  demeures  que  dans  des  endroits 
privilégiés. 

Ainsi  le  géographe,  quand  il  vent  décrire  un  pays,  doit  tenir  grand 
compte  de  la  nature  du  sol.  C'est  ce  que  font  tous  les  géographes 
éminents.  Mais  s'ils  sont  étrangers  à  la  science  géologique,  ils  s'expo- 
sent à  commettre  de  graves  erreurs.  Ils  diront  que  le  cap  Gris -Nez  est 
formé  de  rochers  granitiques  ,  ou  ils  parleront  de  convulsions  volca- 
niques en  face  du  mont  Cassel. 

Voici  donc  un  premier  terrain  commun  aux  géolcgues  et  aux  géo- 
graphes, la  géologie  géographique  qui  renseigne  sur  la  nature  du  sol 
d'un  pays,  qui  en  fait  connaître  la  caite  géologique 

La  nature  minéralogique  du  sol  n'est  pas  le  seul  facteur  de  son 
influence  sur  ses  habitants  ;  le  relief  de  la  surface  terrestre  a  plus 
d'importance  encore. 

Qui  ne  connaît  les  différences  entre  les  pays  de  plaines  et  les  pays 
de  montagnes  ?  Elles  se  manifestent  dans  tout  :  végétation  spontanée  et 
culture ,  animaux  sauvages  et  races  domestiques,  taille,  physionomie, 
habitudes,  industrie,  caractère.  Rien  de  ce  qui  intéresse  l'humanité 


—  360  — 

n'est  iiulépeudant  du  relief  du  sol.  Or  Tétude  du  relief  ne  consiste  ])as 
uniquement  dans  la  géodésie,  c'est-k-dire  dans  la  constatation  brute  des 
altitudes.  Les  montagnes  voisines  ont  entre  elles  des  rapports  plus  ou 
moins  intimes:  les  vallées  sont  dans  la  dépendance  des  montagnes. 
Il  y  a  des  lois  qui  les  relient  les  unes  aux  autres  Celte  partie  du 
savoir  humain  désignée  sous  le  nom  d'Orologie  ou  d'Orographie  se 
rapporte  tout  autant  à  la  géographie  qu'à  la  géologie  Toute  descrip- 
tion géographique  d'un  pays  commence  par  son  orogr?)phi(\  Tout 
traité  de  géologie  se  termine  par  des  considérations  orographiques. 

L'orographie  est  donc  un  second  trait  d'union  entre  les  deux 
sciences  et  la  place  qu'elle  occupe  au  commencement  de  l'une  et  à  la 
fin  de  l'autre  m'amène  à  vous  soumettre  un  troisième  ordre  de  con- 
sidéralions. 

Si  nous  examinons  la  marche  d'une  des  branches  quelconque  des 
sciences  de  la  nature  .  et  la  géographie  en  est  une  au  premier  chef, 
nous  constatons  que  l'on  ne  s'est  pas  contenté  longtemps  de  réunir 
les  faits,  ni  même  de  les  grouper  et  de  les  coordonner;  on  a  voulu 
en  connaître  les  causes.  Félix  qui po^tuit  reriim  cognosceve  causai 
s'est  écrié  le  poëte  philosophe.  C'est  aussi  le  cri^de  tout  savant.  Nous 
voulons  connaître  les  causes  ;  vouloni^expliquer  les  faits  .  nous  vou- 
lons des  théories.  Or,  le  moyen  d'expliquer  les  faits  dans  les  sciences 
d'observation  et  en  dehors  de  l'expérience,  un  illustre  botaniste  du 
commencement  de  ce  siècle,  Turpin  ,  nous  l'a  enseigné  en  disant  : 
Il  faut  voir  venir  les  choses. 

Les  naturalistes  de  l'école  de  Lin  née  n'étudiaient  les  êtres  vivants 
que  sous  leur  forme  la  plus  parfaite.  Ils  prenaient  la  plante  en  fleur  et 
ne  considéraient  les  fleurs  qu'en  leur  plein  épanouissement.  S'ils 
décrivaient  un  oiseau .  ils  le  décrivaient  en  plumage  de  noce.  Plus 
tard,  on  a  compris  que  la  connaissance  d'un  état  particulier  n'est  pas 
la  connaissance  complète  de  l'être  ;  on  a  remonté  dans  son  jeune  âge 
jusqu'au  moment  où  il  devient  un  individu  distinct;  puis  le  microscope 
étant  venu  centupler  nos  moyens  d'observation,  on  s'est  livré  avec 
passion  à  l'étude  des  embryons.  On  a  été  si  loin  dans  cette  voie,  que 
pour  quelques  naturalistes,  l'embryogénie  a  fait  négliger  la  connais- 
sance de  l'être  achevé. 

Quoiqu'il  en  soit,  la  géographie  ne  peut  pas  échapper  à  cette  marche 
de  l'esprit  humain.  Pour  elle  aussi  la  connaissance  de  l'état  actuel  des 
continents,  des  mers,  des  vallées  et  des  montagnes,  des  fleuves  et  des 
lacs  n'est  pas  une  science  complète  ;  pour  elle  aussi,  il  y  a  le  rerum 


-  301  - 

cngno>iCcrr  causas.,  il  y  a  une  eiubryogéiiie  ^l  rembrvogênio  de  la 
géographie,  c'est  la  géologie. 

Je  viens  de  parler  aux  naturalistes;  je  m'adresse  uiainlenant  aux 
historiens.  Je  leur  dirai  :  vous  admettez  que  l'état  actuel  d'un  peuple  esl 
la  conséquence  de  son  passé,  qui!  faut  aller  chercher  dans  les  siècles 
l'origine  de  ses  institutions.  Peut-il  en  èti-e  autrement  de  notre  vieille 
terre?  u'a-t-elle  pas  acquis  sa  constitution  actuelle  peu  à  peu  et  telle 
que  nous  la  voyons,  n'est-t-elle  pas  le  résultat  des  phénomènes  qui  se 
sont  succédés  pendant  un  laps  de  temps  immense  ?  Si  vous  voulez  la 
connaître,  étudiez  donc  les  formes  qu'elle  a  successivement  acquises  et 
voyez  la  venir. 

Je  n'ai  pas  la  prétention  de  faire  de  vous  tous  des  géologues ,  ni 
même  d'apprendre  la  géologie  aux  futurs  géographes;  mais  je  vou- 
drais qu'ils  fussent  bien  convaincus  de  la  nécessité  d'être  au  courant 
des  idées  géologiques  ,  de  pouvoir  consulter  les  ouvrages  et  les  cartes 
géologiques ,  de  pouvoir  même  dans  des  cas  spéciaux  appliquer  les 
principes  de  la  science 

La  géologie  peut  rendre  de  très  grands  services  à  la  partie  de  la 
géographie  que  l'on  appelle  géographie  historique.  N'avez  vous  pas  vu 
écrit  partout,  même  dans  les  livres  des  maîtres  de  la  science ,  qu'à 
l'époque  de  Jules  César,  la  mer  couvrait  tout  le  nord  de  notre  déparle- 
ment. On  donne  la  forme  des  côtes  ;  on  cite  les  golfes  .  y  compris  le 
Sinus  Itius  ;  on  tlécri!  les  rivières,  les  ports.  Tout  cela  passait  pour 
authentique  lors  qu'un  géologue  (1)  s'avisa  d'étudier  le  pays.  Il  reconnut 
que  toute  la  plaine  maritime  est  bien  constituée  par  un  épais  dépôt 
mai'in  prouvant  qu'elle  a  réellement  été  submergée  ;  mais  que  ce  sable 
marin  recouvrait  les  tourbières  dans  lesquelles  on  trouve  des  poteries 
gallo  romaines  remontant  au  quatrième  siècle  de  l'ère  chrétienne. 
Ainsi  sous  la  domination  romaine  et  à  plus  forte  raison  à  l'arrivée  de 
César  ,  le  nord  de  notre  département  n'était  p?,s  encore  recouvert  par 
la  mer.  C'était  un  sol  tourbeux,  sur  lequel  vivaient  de  nombreuses 
populations.  Tout  ce  que  les  géographes  avaient  écrit  sur  cet  ancien 
littoral  à  l'époque  romaine  était  un  fruit  de  leur  imagination. 

J'ai  encore  à  citer  un  autre  service  que  la  géologie  a  rendu  à  la 
géographie.  Elle  lui  a  fourni  son  personnel  habitué  aux  voyages  et  à 
l'observation.  Parmi  les  grands  géographes  du  siècle,  ne  voit-on  pas 


(1)  M.  Debray. 


—  H62  — 

citer  Huuiboldt,  Abicli,  Darwin,  von  Reichloffen,  tous  géologues.  Les 
vrais  créateurs  de  la  géographie  de  la  France  ce  sont  des  géologues  : 
Monnet,  d'Omalius  d'Halloy.  Elie  de  Beaumont ,  Boblaye ,  Leymerie 
pour  ne  citer  que  les  morts.  Il  y  avait  40  ans  que  la  carte  d'Etat-Major 
était  presqu'entièreinent  publiée  ,  que  l'explication  de  la  Carte  géolo- 
gique de  France  avait  paru  et  la  géographie  de  cabinet,  la  géographie 
d'enseignement  en  était  encore  aux  cartes  que  vous  avez  pu  voir  dans 
cet  amphithéâtre  .  oii  l'on  mettait  une  chaîne  de  montagnes  dans  la 
partie  la  plus  basse  de  l'Orléanais  et  où  l'on  faisait  courir  l'Ardenne 
du  nord  au  sud,  tandis  qu'elle  est  dirigée  de  l'est  à  l'ouest. 

On  comprend  donc  pourquoi,  lorsqu'on  voulut  Ibnderà  la  Sorbonne 
un  enseignement  de  géographie  physique,  on  le  confia  à  un  géologue 
qui  s'était  fait  connaître  par  ses  études  sur  le  terrain  et  par  ses  explora- 
tions géologiques  dans  les  pays  les  plus  lointains. 

J"espère  aussi  trouver  dans  ces  considérations  une  excuse  pour 
avoir  introduit  le  mot  de  géographie  dans  le  programme  de  mon  cours. 

Parmi  toutes  les  applications  de  la  géologie  à  la  géographie .  vous 
devez  prévoir,  par  ce  que  je  vous  ai  dit  tout  à  l'heure,  que  je  choisirai 
celle  qui  présente  les  aperçus  les  plus  généraux.  Laissant  de  côté,  au 
moins  pour  le  moment,  les  descriptions  locales,  j'examinerai  avec 
vous  la  formation  'lu  relief.  Votre  contrée  se  prête  peu  à  des  études 
de  ce  genre  ;  il  faudra  souvent  que  nous  allions  chercher  nos  exemples 
plus  loin.  Néanmoins  dans  beaucoup  de  cas .  nous  nous  contentei'ons 
des  observations  faites  dans  le  pays.  Il  nous  suffira  de  les  projeter  par 
l'imagination  sur  un  cadre  plus  grandiose,  pour  arriver  à  une  concep- 
tion exacte  des  phénomènes. 


-  -Mi  - 


NOUVELLES  ET  FAITS  GÉOGHAPHIQUES 


I.  —  Géographie  scientifique.  — Explorations  et  découvertes. 


EUROPE 


l^ess  lies  Faroë.  —  Le  Bulletin  de  la  Société  royale  belge  de  géographie 
contient  une  notice  intéressante  sur  ces  îles.  Des  trente-trois  îles  et  îlots  qui  com- 
posent les  possessions  danoises  connues  sous  le  nom  de  Farôerae,  dit-il ,  Stromoe 
est  la  plus  grande,  sa  superficie  étant  de  vingt-cinq  milles  de  long-  sur  sept  de  large  ; 
la  ville  de  Thorshavn  en  est  la  capitale.  Les  îles  Faroë  ont  une  population  d'environ 
ILOOO  habitants  et  la  capitale  Thoishavn  en  compte  environ  un  millier.  Cette  ville 
est  originale,  mais  n'est  pas  belle.  Ses  maisons  sont  construites  en  bois,  et  en  guise 
de  toitures  elles  sont  couvertes  d'écorces  de  bouleau,  sur  lesquelles  est  déposée  une 
couche  de  tourbe  et  de  gazon.  En  été,  l'occupant  d'une  de  ces  maisons  peut  cueillir 
un  bouquet  de  fleurs  à  la  fenêtre  de  sa  chambre  à  coucher.  Les  rues  de  la  ville  sont 
très  rudes  et  pierreuses  ;  elles  sont  fort  sales,  et  l'odeur  de  poisson  sec  et  à  sécher  et 
d'huile  de  poisson  sont  d'une  nature  à  donner  des  nausées  aux  touristes.  Des  tranches 
de  baleines  et  des  myriades  de  jeunes  morues  et  de  sardines  sont  suspendues  aux 
gouttières.  Malgré  l'air  humide  de  ce  chmat  quasi  arctique,  oii  des  brouillards  conti- 
nuels sont  formés  par  le  courant  chaud  du  Gulf-Stream  se  rencontrant  dans  ces  lati- 
tudes avec  le  courant  froid  arctique,  il  est  vraiment  remarquable  de  voir  que  ces 
carcasses  de  baleines  et  de  poissons  soient  aussi  rapidement  desséchées. 

Un  visiteur  accidentel  n'est  guère  favorablenient  impressionné  par  ce  qu'il  aura  vu 
à  Thorshavn  ;  mais  le  voyageur  qui  ose  s'exiler  pour  quelques  semaines  aux  Faroë  , 
s''aperçoit  bientôt  qu'il  se  trouve  parmi  des  gens  dont  les'  vertus  patriarcales  sont 
aussi  anciennes  que  leurs  us  et  coutumes. 

Il  n'y  a  pas  d'arbres  aux  îles  Faroë.  Le  bois  de  construction  est  importé  de  la 
Morwège.  Le  principal  commerce  est  le  produit  de  la  pèche.  La  laine  aussi  forme  une 
branche  importante  de  l'exportation,  les  habitants  ayant  ici  plus  d'attention  aux  pro- 
duits en  lame  qu'à  la  qualité  de  la  viande  des  moutons.  Les  photographies  repro- 
duites dans  le  numéro  du  Graphie  de  Londres  (19  févrii  r  1887)  ont  été  pnses  par 
Herr  Millier,  l'honorable  «  Sysschmand  »  de  Thorshavn,  qui  représente  les  îles 
Faroë  dans  la  Chambre  haute  du  Parlement  danois;  mai«  il  est  impossible  de  repro- 
duire correctement  les  nombreuses  et  grandioses  «  scènes  »  de  ces  îles. 

Le  voyageur  qui ,  par  exemple  ,  se  trouve  vers  le  milieu  de  la  tète  de  Myling  , 
l'extrême  pointe  nord  de  l'île  de  Stromoe  ,  qui  plonge  perpendiculairement  et  d'une 

26 


-  364  — 

hauteur  de  plus  de  2,000  pieds  dans  la  mer  ,  n'oubliera  pas  aisément  les  sensations 
qu'il  a  éprouvées  en  cet  endroit. 

Les  fameux  rochers  le  Géant  et  les  rochers  des  Femmes  sont  près  de  Myling. 
D'a])rès  la  légende,  ces  pétrifications  étaient  des  géants  qui  enjambèrent  la  distance 
de  l'Islande  aux  Faroè.  Les  jambes  de  l'homme  rocher  le  distinguent  des  roches  des 
femmes, 

Kirkebo  est  l'un  des  plus  anciens  villages  de  cet  archipel.  11  y  a  des  siècles  ,  il  y 
avait  déjà  là  un  évèché  et  une  école  ecclésiastique  ;  mais  les  anciens  pirates  des  mers 
du  Nord  causèrent  toujours  beaucoup  de  tourments  à  cetévêché  ,  le  ravageant  et  le 
pillant  suivant  leur  caprice.  Les  rt'ines  de  cet  évêché  existent  encore  aujourd'hui  à 
Kirkebo. 

La  baleine  est  aux  habitants  de  Faroë  ce  que  le  hareng  est  à  certains  ports  de  la 
Hollande.  Quand  un  troupeau  de  «  gruid  »,  nom  indigène  donné  à  la  baleine,  est  en 
vue,  un  enthousiasme  surgit  parmi  les  habitants  de  l'archipel.  Le  plus  grand  nombre 
possible  d'embarcations  prennent  la  mer  et  les  équipages  tâchent  de  cerner  les 
baleines  et  de  les  forcer  à  se  réfugier  dans  une  «  voe  »  ou  baie  à  baleine ,  oii  ils 
pourront,  sans  trop  de  difficultés,  capturer  ces  cétacés.  Trois  à  quatre  cents  baleines 
viennent,  bon  an  mal  an,  se  faire  prendre  aux  îles  Faroë  ,  et  comme  le  produit  d'une 
baleine  est  évalué  à  environ  cent  francs,  ces  cétacés  sont  toujours  considérés  comme 
des  visiteurs  bien  venus. 


AFRIQUE. 

i^ou'i'cllcs  de  ^tauley.  —  Nous  avons  relaté  dans  Tuii  de  nos  derniers 
Bulletins  la  prétendue  mort  de  Stanley  et  nous  exprimions  des  doutes  sur  ce  fait 
que  rien  ne  venait  confirmer.  Depuis  ce  temps ,  divers  journaux  ont  donné  des  nou- 
velles du  célèbre  explorateur. 

En  premier  lieu  ,  le  Times  a  {)ublié  une  lettre  de  lui ,  datée  du  23  juin  ,  de  Yam- 
bounga  sur  la  rivière  Arouwimi.  Stanley  y  fait  savoir  que  le  major  barthelot,  qui 
avait  escorté  Tippo-Tip  jusqu'aux  Falls  ,  était  de  retour  la  veille  à  Yambounga  ;  il 
disait  que  Tippo-Tip  avait  annoncé  sa  nomination  de  gouverneur  du  district ,  mais 
demandait,  pour  être  soutenu  dans  sa  mission  et  faire  prévaloir  son  autorité  ,  l'aide 
de  deux  officiers  européens  et  d'une  troupe  de  soldats. 

En  septembre,  l'Agence  Reuter  a  publié  une  dépèce  de  Saint-Paul  de  Loanda  ,  du 
major  Barthelot  laissé  au  camp  d'Yambounga  ,  au  pied  des  rapides  de  l'Arouwimi  , 
avec  une  garaison  de  cent  hommes  ,  et  transmise  par  LéopoldviUe.  Le  major  disait 
avoir  reçu  le  12  juillet  des  nouvelles  de  Stanley  qui  venait  d'accomplir  alors  une 
dizaine  de  journées  de  marche  vers  l'intérieur  à  partir  de  Yambounga  :  Stanley,  alors 
en  bonne  santé,  longeait  le  cours  de  l'Arouwimi  qu'il  trouvait  navigable  à  une  cer- 
taine distance  au-dessus  des  rapides  et  sur  lequel  il  avait  lancé  la  baleinière  d'acier 
qu'il  avait  emportée  ;  il  espérait  arriver  le  22  juillet  au  centre  du  ^&ys,  des  Mabodès 
et  à  Wadelaï  dans  le  milieu  du  n:ois  d'août. 

Enfin,  en  date  du  4  novembre ,  l'Agence  Reuter  publie  la  dépêche  suivante  de 
Saint-Paul  de  Loanda  : 

«  Nous  avons  reçu  quelques  nouvelles  fraîches  de  l'expédition  de  Stanley.  Elles 
sont  datées  du  8  août  environ. 

»  A  cette  époque,  Stanley  avait  quitté  le  camp  de  repos  quU  avait  établi  à  8  jour- 
nées de  marche  environ  du  territoiie  des  Mabodés  et  s'avançait  directement  vers  la 
côte  occidentale  du  lac  Albert-Nyanza. 


—  im  — 

»  Il  avait  éprouvé  d'assez  grandes  difficultés  par  suite  de  la  fati^,'ue  de  ses 
hommes ,  ce  qui  avait  amené  un  éparpillcmcnt  de  sa  troupe  sur  une  distance  de 
plusieurs  kilomètres. 

»  D'autre  part,  il  avait  dîi  négocier  avec  quelques-uns  des  chefs  les  plus  impor- 
tants de  ces  contrées  pour  obtenir  des  vivres  frais,  la  consommation  de  ceux  de 
l'expédition  étant  très  grande. 

»  Les  indigènes  s'étaient  prêtés  de  bonne  grâce  à  ces  exigences. 

»  11  avait  séjourné  trois  ou  cjuatro  jours  au  camp  qu'il  avait  établi ,  pour  remettre 
tout  en  état  et  laisser  reposer  ses  honunes,  puis  il  était  reparti ,  en  laissant  la  garde 
du  camp  à  une  trentaine  d'hommes. 

»  Son  intention  était ,  en  arrivant  à  la  côte  occidentale  du  lac  Alburt ,  de  s'établir 
sur  los  montagnes  très  fertiles  qui ,  d'après  les  renseignements- recueillis  ,  bordent 
cette  partie  du  lac,  et  d'envoyer  vers  Wadelaï,  par  le  lac,  une  petite  avant-gard(!  sur 
la  baleinière  en  partie  démontée. 

»  Cette  mission  sera  probablement  confiée  au  lieutenant  Stairs,  toujours  à  l'avant- 
garde  et  en  bonne  santé. 

»  Cet  itinéraire  peut  être  modifié  si  Stanley  recevait  avant,  comme  il  le  croit,  des 
nouvelles  d'Emin. 

»  Jusqu'à  présent ,  et  par  suite  de  la  grande  sensation  produite  dans  toute  la 
contrée  par  l'an-ivée  de  l'expédition  ,  Stanley  a  déjà  pu  apprendre  ,  sans  avoir  des 
nouvelles  directes  ,  qu'Emin  était  en  bonne  santé  et  qu'un  apaisement  avait  eu  lieu 
au  sud  du  lac  Albert. 

»  Stanley  avait  également  écrit  au  camp  d'Yambounga  ,  par  le  même  courrier  qui 
a  apporté  les  présentes  nouvelles  ,  qu'il  serait  très  utile  de  lui  faire  des  envois  de 
nouveaux  vivres,  car  il  pourrait  ainsi  mieux  ravitailler  le  camp  d'Émin. 

»  On  est  très  embarrassé  au  camp  d'Yambounga  pour  donner  suite  à  cette 
demande,  étant  donnée  l'agitation  qui  règne  dans  le  pays  et  le  souvenir  de  ce  qui 
s'est  passé  aux  Falls.  Il  serait  très  difficile  de  se  procurer  des  porteurs  désireux  de 
s'enfoncer  dans  des  régions  inconnues  quand  Stanley  ne  les  accompagne  pas. 

»  On  espère  que  la  caravane  ,  annoncée  par  Tippo-Tip  conmie  ayant  été  envoyée 
par  lui  par  le  Mbourou,  rejoindra  Stanley  à  temps  pour  lui  être  utile. 

»  Stanley  croyait  être  en  relations  avec  Emin  vers  le  15  août. 

»  Stanley  a  envoyé  aussi  à  Yambounga  des  renseignements  curieux  sur  les  pays 
inexplorés  qu'il  a  parcourus.  La  population  est  très  hospitalièi*e. 

»  Stanley  a  dû  abandonner  le  camp  du  cours  de  l'Arouwinii,  qui  se  dirige  vers  le 
sud  à  partir  d'un  endroit  situé  au  rommencement  du  pays  des  Mabodés  et  oii  il 
redevient  navigable. 

»  Stanley  a  rencontré  dans  sa  marche  ,  après  avoir  quitté  l'Arouwimi ,  des  cours 
d'eau  qui,  d'après  des  renseignements  incomplets  parvenus  ici ,  doivent  être  consi- 
dérés comme  des  affluents  de  l'Ouellé. 

»  Tippo-Tip  a  adressé  de  nouvelles  informations  au  gouverneur  de  Borna,  concer- 
nant la  situation  des  Falls. 

»  Cette  situation  s'est  améliorée  et  Tippo-Tip  assure  de  rétablir  toute  sou  ancienne 
autorité,  quand  il  aura  reçu  les  renions  demandés. 

»  11  a  fait  plusieurs  excursions  importantes  dans  l'intérieur,  et  elles  ont  produit  le 
meilleur  effet  sur  les  Arabes.  Ces  derniers  se  persuadent  qu'il  ne  s'agit  pas  de  nuire 
à  leur  commerce.  » 


Lew  froutières  des  coluuics  fk*auçaises  et  allcuiaiicles  daus 
l'Afrique  occidentale.  —  La  Demtche  Rundschau  annonce  ijue  les  études 


—  366  - 

faites  par  les  commissaires  allemaiirls  et  français  en  février  dernier ,  viennent 
enfin  d'aboutir,  et  qu'on  a  pris  comme  frontière  des  colonies  des  deux  pays  le  méri- 
dien qui  part  de  la  côte  des  Esclaves  ,  touche  la  pointe  ouest  de  la  petite  île  Bayol 
(dans  la  lagune  entre  Agué  et  Petit-Popo,  à  Touest  du  village  Hillakondschi) , 
jusqu'au  neuvième  degré  do  latitude  N.  Cette  délimitation  a  été  acceptée  par  les 
.deux  puissances. 

f 'oucc  siou  «lu  lac  Asn»!  par  11.  Cbefueiiii..  —  M.  Chefneux , 
moyennant  une  redevance  annuelle  de  60,000  francs,  vient  d'obtenir  la  concession 
de  l'exploitation  de  cet  énorme  réservoir  de  sel  qu'on  appelle  le  lac  Assal  et  qui 
se  trouve  à  18  ou  20  kilomètres  derrière  Obock,  sur  la  route  d'Aoussa  et  du 
Choa.  Un  petit  chemin  de  fer  amènera  le  sel  à  Obock. 

I^e  payf^  «les  Betjouauas.  —  La  Zeitschrift  fiïr  Schulilgeogr.  donne  d'in- 
téressants renseignements  sur  cette  contrée  peu  connue,  à  laquelle  le  gouvernement 
colonial  anglais  du  Gap  vient  d'imposer  son  protectorat,  et  qu'il  dépeint ,  contraire- 
ment à  l'opinion  admise  qui  en  faisait  un  Sahara  inhabitable  pour  les  Européens  , 
comme  un  pays  pourvu  d'eau  et  propre  à  la  culture.  Elle  cite,  à  ce  propos,  une  lettre 
insérée  dans  le  Lape  Times  ,  dans  laquelle  un  Anglais  qui  habite  le  Betjouanaland 
depuis  dix  ans,  donne  les  détails  suivants  sur  ce  pays  :  «  J'avais  sur  cette  contrée  les 
idées  de  tout  le  monde,  je  le  croyais  stérile  etimpiopre  à  toute  culture,  mais  depuis 
le  séjour  que  j'y  ai  fait ,  mon  opinion  s'est  modifiée  en  bien  des  points.  La  plus 
grande  partie  du  Betjouanaland  se  compose  de  prairies  ;  l'herbe  qui  y  pousse  est 
substantielle  et  nourrissante  et  peut  fort  bien  supporter  la  sécheresse.  11  y  pousse 
en  outre  deux  sortes  d'arbustes  totalement  inconnus  au  Gap  ;  c'est  le  «  vaalbosch  » 
et  le  «  razynkiebosch  »  ,  tous  deux  donnant  une  excellente  nourriture  pour  le  bétail, 
ce  qui  augmente  considérablement  la  valeur  du  pays  comme  pâturage  Le  vaalbosch 
surtout  est  une  véritable  richesse  pour  le  pays,  c'est  un  arbuste  toujours  vert ,  qui 
constitue  donc  une  ressource  précieuse  tant  en  hiver  que  dans  les  époques  de  séche- 
resse. Le  razynkiebosch  se  dépouille  de  ses  feuilles  en  hiver,  mais  au  printemps  et 
en  été  il  constitue  une  nourriture  abondante  et  saine  pour  les  bêtes  à  cornes ,  les 
brebis  et  les  chèvre.s.  qui  s'en  montrent  très  friandes  ;  il  porte  de  plus  comme  fruit 
des  baies  douces  qui  servent  de  nourriture  aux  indigènes,  et  dont  les  Boers  font  une 
sorte  de  sirop,  qui  leur  sert  de  sucre.  Mais  le  grand  avantage  que  possède  le  Betjoua- 
naland sur  la  colonie  du  Gap  ,  c'est  sa  richesse  en  eaux  souterraines.  La  raison  de 
ce  fait  tant  contesté,  mais  actuellement  établi,  est  simple  :  le  Betjouanaland  est  un 
haut  plateau  sans  cours  d'eau ,  au  terrain  sablonneux;  par  suite,  toute  l'eau  pro- 
venant des  pluies  est  absorbée  et  se  réunit  dans  des  réservoirs  souterrains ,  au  lieu 
de  s'écouler  vers  la  mer  en  entraînant  le  sol  végétal ,  comme  c'est  le  cas  dans  la 
colonie.  Les  pluies  diluviennes  des  mois  d'été  alimentent  ces  réservoirs  et  on  peut 
conclure  que  tout  le  pays  est  sillonné  sous  teiTe  de  cours  d'eau  très  nombreux  ;  il 
suffira  de  creuser  un  puits  à  une  profondeur  de  3  à  6  mètres  ordinairement ,  ponr 
trouver  de  l'eau  en  abondance.  On  ne  trouve  que  peu  de  sources  a  la  surface  du  sol. 
On  rencontre  dans  le  Transvaal  et  dans  quelques  autres  districts  des  lacs  d'eau 
limpide  et  d'une  profondeur  insondable  ;  les  sources  très  abondantes  en  eau,  qui  se 
montrent  dans  le  Betjouanaland  à  de  rares  intervalles,  s'écoulent  et  se  perdent  dans 
le  sable.  L'existence  des  cours  d'eau  souterrains  n'est  pas  une  simple  hypothèse. 
A  5  heures  de  Vryburg  ,  dans  la  ferme  d'un  M.  Brezuidenhout,  se  trouve  un  trou 
assez  large  pour  permettre  à  un  homme  de  s'y  glisser  ;  à  une  profondeur  de  4  mètres 
on  voit  couler  un  fleuve  d'eau  claire.  On  a  essayé  de  sonder  l'eau  ,  mais  on  n'a  pas 


—  :r)7  - 

pu  attoiiidi'c  le  tbiiil.  On  a  mciiio  un  jour  desccMidu  un  homme  en  le  tenant  par  des 
cordes  ;  il  a  rapporté  que  Tintérieur  du  trou  ressemblait  à  une  coupole  et  qu'aussi 
loin  que  portait  la  vue  on  ne  voyait  qu'une  même  nappe  d'eau.  Cet  endroit  n'a  été 
découvert  par  les  indij;ènes  que  par  hasard ,  parce  que  le  sol  se  défonça  un  jour 
qu'une  vache  y  passait  et  que  les  indigènes  essayèrent  en  vain  de  boucher  l'orifice 
béant  pour  éviter  les  accidents.  » 


B/bEc  «8c  Tristan  «rAeoiiiilia.  —  On  sait  que  dans  les  eaux  antarctiques 
la  pèche  de  la  baleine  a  diminué  sensiblement  :  cette  situation  ,  paraît-il,  menace 
l'existence  des  habitants  de  l'île  solitaire  Tristan  d'Acounha  ;  ces  habitants  sont  en 
grande  partie  les  descendants  de  la  garnison  entretenue  ici  lors  de  la  captivité  de 
Napoléon  à  Sainte-Hélène  :  des  naufragés  se  sont  aussi  fixés  dans  l'île.  Par  suite 
des  passages  toujours  plus  rare>;  de  baleinières  ,  les  habitants  ont  perdu  l'une  de 
leurs  sources  do  richesses  des  plus  importantes,  à  savoir  la  vente  de  viande  fraîche 
et  de  pommes  de  terre  ;  de  plus,  une  épave  a  amené  dans  l'île,  des  rats  qui  s'y  sont 
multipliés  de  telle  façon  ,  qu'ils  détruisent  presque  entièrement  les  moissons  et  les 
pommes  de  terre.  En  1885,  un  malheur  sérieux  a  frappe  la  petite  colonie,  en  lu' 
enlevant  15  hommes  qui  |)érirent  en  mer  par  accident.  p]n  août  1886 ,  l'île  fut  visitée 
par  deux  vaisseaux  de  guerre  anglais,  qui  remirent  aux  habitants  des  secours  en  blé, 
tàrine,  etc.  La  misère  n'a  pas  encore  fait  son  apparition  ,  mais  elle  est  imminente  ; 
aussi  le  pasteur  E.-N.  Dodgson  ,  qui  y  réside ,  exhorte-t-il  fort  les  habitants  à  émi- 
grer  vers  le  Cnp  ou  vers  Sainte-Hélène.  Cependant,  on  ne  peut  espérer  le  succès 
d'un  pareil  plan,  si  l'on  se  rappelle  que  les  habitants  des  îles  Pitcairn  transportés  à 
Norfolk,  il  y  a  trente  ans  ,  n'hésitèrent  pas  à  préféi'or  leur  île  solitaire  et  à  y  retour- 
ner bientôt.  F.n  août  1886,  l'île  comptait  97  habitants,  dont  30  enfants  au-dessous 
de  14  ans,  'i4  filles  et  femmes  et  seulement  23  hommes. 


AMERIQUE. 


Vallées  sous -marines  de  la  côte  «ïu  a»afîlîquc.  —  Le  premier 
numéro  dn  Kosinos,  no\)velle  revue, organe  delà  Société  géographique  du  Pacifique, 
publie  la  relation  des  explorations  du  professeur  Georges  Davidson  sur  les  vallées 
sous-marines  des  côtes  du  Pacifique.  Le  professeur  Davidson  indique  trois  de  ces 
vallées.  La  première  partant  de  Shelter  Cove,  à  30  milles  au  sud  du  cap  Mendocino, 
à  100  brasses  de  profondeui-  à  1  1/4  mille  de  la  côte  et  25  brasses  sous  les  rochers  ; 
mais  à  l'endroit  où  elle  traverse  le  plateau  marginal  ,  sa  profou'^eur  atteint  400 
brasses.  Les  lianes  de  la  vallée  sont  très  abrupts.  A  mi-chemin  entre  cette  vallée  et 
le  point  Gorda,  il  y  en  a  une  autre  d'une  profondeur  variant  de  150  à  300  bras.ses  et 
immédiatement  au  N.  du  point  Gorda  une  vallée  très  profonde  vient  de  rO.-S.-O.  et 
aboutit  à  la  côte  même.  A  1  1,2  mille  au  large  ,  elle  a  100  brasses  de  profondeur  et 
les  riancs  en  sont  très  raidos.  Là  oii  elle  traverse  le  plateau  ,  sa  profondeur 
est  de  520. 

Une  troisième  vallée  existe  un  peu  plus  près  du  cap  Mendocino  ;  elle  vient  de 
l'ouest.  Elle  a  450  brasses  de  profondeur  à  ô'I  2  milles  au  sud-ouest  du  cap  Mendo- 
cino. Le  fond  est  composé  de  mousses  vertes. 


-  368  - 

La  connaissance  de  ces  vallées  est  intéressante  ,  parce  que  des  vaisseaux  de  cabo- 
tage qui  se  rendent  a  Huraboldt-Bay  ,  sont  souvent  surpris  par  les  brouillards  à 
Shelter-Cove  et  doivent  chercher  des  mouillages  le  long  de  la  côte. 


REGIONS    POLAIRES. 


Ex^ploratious  antarctiques.  —  Les  Proceedings  de  la  Société  royale  de 
géographie  de  Londres  annoncent  qu'on  s'occupe  actrvemcnt  en  Australie  de  former 
une  expédition  pour  explorer  les  régions  antarctiques.  11  s'est  formé  un  comité 
antarctique  appuyé  par  la  Société  royale  de  Victoria  et  la  Société  royale  de  géogra- 
phie d'Austi-alie.  Une  somii:e  de  10,000  liv.  st.  a  été  consacrée  à  l'équipement  d'une 
expédition.  On  cherche  à  obtenir  des  offres  de  la  part  des  grands  armateurs  pour  la 
fourniture  de  deux  vaisseaux  cuirassés  de  175  tonnes  chacun  et  de  la  force  de  60  che- 
vaux. Chaque  vaisseau  devra  contenir  des  cabines  pour  deux  explorateui-s  qui 
s'occuperont  des  constatations  scientifiques  :  ces  cabines  devront  être  intallées  de 
telle  façon  qu'elles  pourront  servir  de  laboratoires  et  de  salles  d'expériences.  Le  ; 
vaisseaux  auront  droit  à  une  prime  spéciale  de  800  à  1,00)  liv.  st.  pour  les  premières 
100  tonnes  d'huile  qu'ils  amèneront  à  l'entrepôt  d'au-delà  60"  au  sud.  Les  buts 
spéciaux  qu'on  se  propose  d'atteindre  sont  :  dresser  un  plan  général  de  toutes  les 
côtes  se  trouvant  dans  le  cercle  antarctique  et  qui  ne  sont  pas  encore  mentionnées 
sur  les  cartes  de  l'Amirauté  ;  la  découverte  de  nouvelles  routes  vers  le  pôle  sud  ,  de 
ports  pouvant  servir  de  quartier  d'hiver  et  de  nouveaux  produits  commerciaux.  De 
plus,  on  espère  recueillir  des  observations  précieuses  en  matière  de  météorologie, 
d'océanographie,  de  magnéti.sme  terrestre,  d'histoire  naturelle  et  de  géologie.  Voilà 
un  résumé  des  projets  du  comité  antarctique,  qui  espère  encore  obtenir  des  subsides 
du  gouvernement.  Puisque  nous  parlons  de  voyages  antarctiques ,  nous  pouvons 
assurer  que  le  bruit  d'un  voyage  de  M.  Nordenskiôld  dans  ces  régions  est  dénué  de 
tout  fondement. 


La  température  probable  «lu  Pôle.  —  Les  plus  grands  efforts  ont 
été  tentés  pour  atteindre  le  pôle  ;  la  légitime  curiosité  de  l'inconnu  a  provoqué  , 
depuis  cinquante  ans,  vingt-cinq  ou  trente  expéditions,  grandes  ou  petites,  qui  n'ont 
pas  répondu  au  but  proposé  ,  ni  même  donné  des  résultats  scientifiques  en  rapport 
avec  les  frais  qu'elles  ont  entraînés.  ISanankè  de  l'inconnu  persiste  toujours. 

Devant  cette  impossibilité,  on  a  pensé  qu'on  pouvait  du  moins  faire  le  siège  scien- 
tifique du  pôle  en  organisant  tout  autour,  sur  un  certain  nombre  de  points  accessibles, 
une  série  d'observations  oii ,  pendant  une  année  consécutive  ,  on  procéderait  à  une 
série  d'études  simultanées  ;  en  les  concentrant,  on  pourrait  déduire  par  comparaison, 
les  principaux  phénomènes  physiques  des  régions  circumpolaires. 

L'honneur  de  cette  généreuse  initiative  revient  à  M.  Wayprecht ,  le  compagnon 
de  M.  Payer,  l'explorateur  hardi  qui  dirigea  rexpédition  du  Tegetthoff' en  1872;  il 
fut  le  découvreur  de  la  terre  François-Joseph  au  79"  51'  de  latitude.  Largement 
secondé  dans  les  détails  assez  délicats  de  l'organisation  de  l'entreprise  par  M.  le 
comte  Wilczek ,  il  réussit ,  à  la  suite  de  nombreux  préliminaires  diplomatiques  , 
à  rallier  la  plupart  des  nations  européennes  au  projet  présenté  et  à  obtenir  les  sub- 


-  369  - 

ventiôns  nécessaires.  Les  délôgués  de  chacune  d'elles  se  réunirent  successivement  à 
Hambourg,  à  Berne  ,  h  Saint-Potersbourg ,  dans  des  conférences  où  fut  discuté  le 
choix  des  points  les  plus  propres  à  rinstallation  des  obsi^vatoires  circumpolaires. 
Chacune  des  nations  représentées  s'engagea  alors  à  entretenir  à  ses  frais  ,  pendant 
au  moins  une  année  (août  1882  à  août  18813),  une  mission  scientifique  sur  un  des 
points  convenus,  obligée  à  se  conformer  à  un  programme  arrêté  d'avance.  C'est  ainsi 
que  fut  résolue  l'organisation  des  stations  suivantes  : 

1"  Etats-Unis.  —  Station  d'Uglaamie ,  à  5  milles  à  l'ouest  de  la  pointe  Barrow 
(côte  nord  de  l'Alaska) ,  sous  les  ordres  du  lieutenant  Ray;  lat.,  71"  18';  long., 
158"  44'  0.  ; 

2"  P]tats-Ums.  —  Station  de  la  ba,ie  Lady  Franklin  (côte  est  de  la  terre  de  Grinnel), 
sous  les  ordres  du  lieutenant  Greely.  Cette  expédition  aboutit  à  un  désastre  complet; 
la  plupart  des  membres  périrent; 

3"  Angleterre.  —  Station  de  Fort-Raë  (grand  lac  des  Esclaves,  Canada) ,  sous  les 
ordres  du  capitaine  Dawson  ;  lat.,  62"  30'  ;  long.,  118'  00'  0.  ; 

4"  Allemagne.  —  Station  de  Kingua  Fiord  (golfe  de  Guuiberland) ,  sous  les  ordres 
du  D""  W.  Geise  ;  avec  stations  annexes  sur  la  côte  du  Labrador  ; 

5"  Danemark.  —  Station  à  Godthaab  (côte  ouest  du  Groenland) ,  sous  les  ordres 
de  M.  Paulsen  ;  lat.,  6i"  10'  ;  long.,  54"  05'  0.  ; 

(')"  Autriche.  —  Station  à  l'île  Jan  Mayen  (entre  la  Norwège  et  le  Groenland),  sous 
les  ordres  du  lieutenant  Von  W'ohlgemuth  ;  lat.,  70"  58';  long.,  10"  55'  0.  ; 

7°  Suède.  —  Station  à  la  baie  Mossel  (Spitzberg)  ;  sous  les  ordres  de  M.  Nils 
Ekholm  ;  lat.  79"  53  ;  long.  13°  40'  E.  ; 

8"  Norwège.  —  Station  à  Bossekop  (Laponie) ,  sous  les  ordres  de  M.  Akel  Stecn  ; 
lat.,  69"  56  ;  long.,  20"  40'  E.  : 

9"  Hollande.  —  Station  à  Dicksonshaven  (embouchure  du  Yenissei) .  sous  les 
ordres  de  M.  Snellen  ;  lat. ,  73"  20'  ;  long. ,  79«  40'  E.  ;  l'expédition  a  été  prise  dans 
les  glaces  ; 

10"  Russie.  —  Station  à  Ssagstyr  ^bouches  de  la  Lena)  ;  sous  les  ordres  de 
M.  Yurghens  ;  lat.,  67"  24'  ;  long.,  24"  16'  E.  ; 

11"  Russie.  —  Station  à  Sodankylà  (Finlande)  ;  lat.,  67"  24'  ;  long.,  24"  16'  E.  ;  ' 

12"  Russie,  —  Station  à  la  baie  Karmakuli  (côte  nord  de  la  Nouvelle-Zemble) , 
sous  les  ordres  de  M.  Andrieff;  lat.,  72°  30'  ;  long.,  50"  40'  E. 

Les  autres  stations  ,  situées  dans  l'océan  Antarctique  ,  ont  été  distribuées  à  la 
France,  à  l'Allemagne,  à  l'Italie  et  k  la  République  Argentine.  Elles  complétaient 
pour  les  deux  pôles  la  série  des  observations  possibles. 

Les  travaux  de  toutes  ces  stations  ont  été  publiés  ;  les  observations  ont  été  faites 
d'heure  en  heure  pendant  douze  mois  consécutifs  et  uniformément  d'après  un  pro- 
gramme identique.  Ils  fournissent  ainsi  des  documents  de  haute  importance. 

En  ajoutant  à  cette  série  d'observations  régulières  ,  un  certain  nombre  de  docu- 
ments fournis  par  les  expéditions  polaires  indépendantes  qui  ont  atteint  des  hautes 
latitudes,  sur  des  points  éloignés  des  stations  internationales  ,  on  comble  certaines 
lacunes.  11  faut  aussi  tenir  compte  des  stations  météorologiques  permanentes  et 
réo-ulières  de  l'extrême  nord  de  l'Europe,  en  Russie,  vn  Sibérie,  en  Norwège.  ainsi 
que  c<llcs  de  l'Amérique  du  Nord. 

Parmi  les  expéditions  indépendantes  qui  ont  hiverné  dans  les  parages  les  plus 
voisins  du  pôle  ,  on  peut  citer  :  celle  de  Th.  Von  Heuglin  ,  commandant  le  navire 
allemand  Gennania  (1873)  qui  a  fait  une  croisière  au  nord  du  Spitzberg;  celle  du 


-  370  - 

capitaine  Koldewey,  qui  atteignit  l'île  Sabine  (1869-1870)  ;  le  voyage  de  circumnavi- 
gation de  M.  A.  E  Nordenskjôld  (1879),  pendant  lequel  il  a  hiverné  sur  la  côte  nord 
de  la  Sibérie,  chez  les  Tschoukotches  ;  l'expédition  de  MM.  Payer  et  Weyprecht,  de 
la  marine  autrichienne  (1872-1874)  qui  ont  découvert  la  terre  François-Joseph  ;  celle 
des  capitaines  Nares  et  Thompson,  commandants  VAlert  et  le  Discovery  (1875-1876), 
enfermés  pendant  un  hiver  dans  les  glaces  près  de  la  terre  Grinnel  ;  et  enfin  l'expé- 
tion  dramatique  de  la  Jeannette  ,  commandée  par  le  capitaine  De  Long  ,  qui  s'est 
avancée  jusqu'au  nord  des  îles  de  la  Nouvelle-Sibérie. 

En  réunissant  les  indications  fournies  sur  la  température  par  ces  différentes  séries 
d'explorateurs,  qui  ont  attaqué  le  pôle  de  tous  les  côtés,  on  forme  un  ensemble 
approximatif  servant  de  base  à  un  essai  sur  les  climats  circumpolaires. 

Le  tableau  suivant  fournit  les  documents  nécessaires  pour  tracer  les  principaux 
isothermes  :  ceux  qui  représentent  les  deux  extrêmes  :  janvier  et  juillet  ;  ce  tracé 
indique  seulement  l'expression  des  caractères  généraux  de  la  température  : 

Janvier.  —  La  température  la  plus  basse  normalement  constatée  a  été  —  57"  rele- 
vée par  l'expédition  de  VAlert  et  le  Discovery,  pendant  l'hivernage  à  la  terre  de 
Grinnel.  On  en  a  cité  qui  sont  encore  inférieures  ;  mais,  comme  l'a  fait  observer 
M.  A.  Pinart ,  voyageur  dans  l'Alaska  ,  au-delà  de  —  40"  l'alcool  du  thermomètre 
«  se  transforme  tellement ,  qu'il  est  difficile  d'accepter  ses  indications  ».  En  partant 
du  détroit  de  Behring  vers  l'est,  on  peut  constater  que  l'isotherme  —  40"  débute  à 
l'embouchure  du  Mackensie  ;  à  Fort-Yukon  et  à  Fort-Good-Hope  ,  situés  à  peu  près 
sous  la  même  latitude  ;  il  redescendrait  ensuite  vers  le  sud  jusqu'à  la  baie  Ghester- 
field  ,  oii  Schwatka  a  observé  —  40"  à  Camp  Daly  ;  sa  trace  se  perd  ensuite  jusqu'à 
la  terre  de  Grinnel  ou  cap  Golombia. 

L'isotherme  —  30"  est  indéterminable  dans  l'Est  de  l'Amérique  du  Nord  à  cause 
du  manque  de  documents  ;  il  semble  passer  par  la  baie  d'Hudson  ,  la  station  inter- 
nationale allemande  de  Kingua  Fiord  et  remonter  jusqu'au  cap  York  ,  d'après  une 
observation  de  Hayes.  On  retrouve  ce  même  isotherme  dans  le  nord  de  la  Sibérie  , 
oii  il  est  rigoureusenient  déterminé  d'après  les  stations  permanentes  de  l'empire 
russe.  Il  s'infléchit  jusqu'à  la  mer  d'Okhotsk  pour  remonter  au  nord  à  l'embouchure 
de  la  Kolynia. 

L'isotherme  —  20°  prend  naissance  à  la  pointe  Barrow  ;  descend  au  sud  jusqu'au 
lac  Winnipeg  et  remonte  ensuite  jusqu'à  la  côte  du  Labrador ,  près  de  la  station 
internationale  d'Okok  ;  très  indéterminé  sur  toute  la  côte  orientale  du  Groenland,  il 
réapparaît  au  Spitzberg,  à  la  terre  François-Joseph,  à  l'île  Bennett,  au  nord  des  îles 
de  la  Nouvelle-Sibérie ,  d'oii  il  rejoindrait  la  pointe  Barrow,  contournant  ainsi  le 
bassin  polaire  dans  la  moitié  de  son  trajet  et  pénétrant  profondément  dans  le  conti- 
nent américain. 

Les  isothermes  représentant  des  températures  plus  élevées  sont  déterminés,  pour 
la  plupart,  au  moyen  des  renseignements  fournis  par  des  observatoires  météorolo- 
giques réguliers. 

11  résulte  de  ce  tracé  que  le  froid  paraît  se  répartir  avec  intensité  sur  deux  centres 
principaux  :  le  premier,  déterminé  par  des  observations  méthodiques,  se  trouve  dans 
le  nord  de  la  Sibérie  ,  aux  environs  des  bouches  de  la  Lena  ,  près  Verkhoyansk  , 
d'après  H.  Wild  ;  le  second  centre  ,  indiqué  par  des  observations  moins  certaines  , 
mais  ayant  une  réelle  concordance  entre  elles  ,  serait  au  nord  de  la  baie  d'Hudson  . 
près  de  la  Boothia.  11  est  à  remarquer  que  ces  deux  centres  de  froid  se  produisent  au 
nord  des  deux  continents. 

Juillet.  —  La  répartition  de  la  température  estivale  présente  plus  d'uniformité 
que  celle  de  l'hiver.  Au  mois  de  juillet  débute  l'été,  avec  une  rapidité  inconnue  dans 


~  371  - 

nos  climats;  le  soleil  restant  perpétuellement  à  l'horizon,  ses  rayons  obliques 
donnent  une  chaleur  peu  élevée  ,  mais  ininterrompue  :  leur  action  est  telle  ,  que  la 
température  s'élève  du  côté  éclairé  à  -^  12"  et  même  -+-  15",  tandis  qu'à  l'ombre.  (\\i 
côté  opposé  ,  elle  s'abaisse  au-dessous  de  0.  Une  atmosphère  à  peine  tiède  s'étend 
tout  autour  du  pôle. 

La  moyenne  la  plus  bas^e  se  trouve  h  la  terre  Frnnçois-.loscph  ,  sans  avoir  d'autre 
point  d'attachi'  pour  le  tracé  de  l'isotherme.  Les  documents  fournis  par  :  Nares,  à  la 
terre  de  Grinnel  ;  Payer  et  Weyprecht ,  à  la  terre  François-Joseph  ;  Smith  et  Ulves  , 
au  Spit/.berg;  Nordensjold  ,  sur  les  glaciers  du  Groenland  .  la  station  internationale 
de  Kingua  Fiord  .  celle  de  Pointe -Barrow  ,  stat'ons  les  plus  rapprochées  du  pôle, 
donnent  jiour  la  moyenne  de  juillet  -+-  !>".  Le  trac,  de  l'isotherme  -t-  5"  passe;  par  les 
points  suivants,  pour  chacun  desquels  il  a  été  étab'i  une  moyenne  mensuelle  :  Fort- 
Yukon  ,  Fort  Good-Hope ,  Rivière  Sullivan .  Godthaab  ,  le  sud  du  Spitzberg,  le  sud 
de  la  Nouvelle-Zemble  ,  Dicksonshaveii ,  la  péninsule  de  Taimour.  Le  tracé  se  main- 
tient entre  le  08''  et  le  76  degré  de  latitude.  Au  nord  de  Terre-Neuve,  l'influence  des 
vents  marins  ne  permet  aucune  détermination  régulière  :  elle  s'accentue  encore  plus 
sur  la  côte  orientale  du  Groenland,  d'oii  les  courants  tièdes  s'épanouissent  vers  le 
nord  d'un  côté,  à  l'ouest  du  Spitzberg  et  de  l'autre  dans  la  mer  de  Raffin. 

Il  paraît  résulter  de  l'ensemble  des  renseignements  comi)arés  sur  la  température  , 
que  les  isothermes  de  froid  se  concentrent  autour  de  deux  centres  ,  situés  tous  deux 
à  la  partie  la  plus  septentrionale  des  deux  continents  du  globe.  On  sait ,  du  reste  , 
([lie  les  climats  extrêmes  concordent  presque  toujours  avec  les  grandes  surfaces 
continentales  et  que  les  climats  sont  plus  équilibrés  dans  le  voisinage  des  mers.  Si 
l'on  pouvait  prolonger  le  tracé  figurant  les  isothermes  concentriques,  aux  deux 
centres  fro'ds ,  on  obtiendrait  au  pôle  même  des  températures  moins  basses  qu'en 
Sibérie  et  dans  l'Amérique  du  Nord.  L'intensité  du  froid  ne  concorde  donc  ,  pas  plus 
que  le  pôle  magnétique,  avec  le  pôle  terres 

Cette  absence  des  basses  températures  au  centre  du  bassin  polaire  indiquerait  la 
prédominance  des  eaux  sur  les  terres  ;  il  existerait  des  terres  détachées  ou  des 
groupes  d'îles,  analogues  k  la  terre  François-Joseph  et  non  pas  un  continent  que  les 
géographes  ont  considéré  pendant  longtemps  comme  étant  la  prolongation  du 
Groenland. 

La  répartition  de  la  température  de  l'été  est  moins  nettement  indiquée.  Elle  a  des 
rapports  encore  inconnus  avec  les  mouvements  des  eaux  et  des  effets  des  niarées  , 
qui  provoquent  la  débâcle  des  glaces.  La  chaleur  des  mois  de  juillet  et  d'août  contri- 
bue à  diminuer  les  glaces  dans  des  proportions  considérables,  tandis  que  les  cou- 
rants transportent  dan^  des  régions  plus  chaudes,  celles  que  la  température  d'été  ne 
parvient  pas  à  fondre  sur  place. 


-  372  — 


z 
z; 

o 


172 
t/} 

O 

l-H 

O 


•aKaoan 

S. 

1 

S3 

1 

1 

00  co 
I     1 

1 

^8S 
1    1    ! 

*  o 

1 

•aM[3\0M 

(M 
1 

0-7 

1 

00 

1 

5 

-  5,50 

—  1,94 

1 

'NJ      rvl      -î" 

lO  -^  O 

1    1    i 

*      * 

aaaoïDO 

t- 

o 

1 

-5'    -^ 

1 

o  -^ 
1 

ô  îb  00 
1     1     1 

1 

aivaidas 

C 

o" 

-  7,34 

-  9,15 

-  4,83 

I.IOV 

- 

ri  -ij!"  co" 

-ri     lO     00 

o'  o'  o" 

1  1 

«      /NJ     CO 

iH'niiif 

ce 

3 

id 

■^  ce"  ro" 

O 
•th   oc   CÔ~ 

1 

t^Llf 

t- 

8S 

r-  oj"  -T 

00     * 

— .    O) 

1 

o 

lO 

IVK 

- 

1 

1 

r- 

1 

-    7,12 

-11,56 

1,81 

*   IC     * 

CQ 

co 

ro 

f>} 

rc 

IC 

Ci 

c-> 

r- 

O 

■^-1 

co 

r^ 

•^ 

r- 

«s- 

r~ 

IIH.VV 

"l          1 

lO 

7 

1 

lO 

1 

1 

I 

— 1 
1 

7 

1 

1 

A 

'00 

1 

*. 

co 

05 

co  -^ 

co 

oj  o  U-: 

o 

o  co 

lO  Cl  c- 

SHVK 

(>3 

^ 

m  -jd  o 

l>> 

;«; 

m  Cl  ce 

^ 

r~ 

A 

co 

1 

1 

1 

1     1     1 

co 

1 

(>j  co 

1  1  1 

co 

1 

CO 

a> 

t^  lO 

r» 

lO  o  <>i 

co 

t- 

-^  -* 

m 

ai  o  ce 

îiaïaAM 

1 

§3 

1 

1 

1     1     1 

1 

* 

1     1     1 

o 

1 

1 

aai.v.^vr 


(MO  iC    ^) 

t^  CO  *^  co 

«5t<   Cl  c-*"  \0  Oi 

III  II 


C3     çù 


o   o^ 


a  o  < 


Q    =     C3 
i:^         O 


■  £2- 


ri      Îk    V    ^-^ 


'  5     33 


CJ    4)     Ci 


c  •■-•     C3    -D    ^ 


âî    -^        ïi     •     J- 


«   "=        O 


z  '^ 


r^.     H  rt 


^  5 

o   < 


c«.  c    z       "S 


<  -O) 


-     -    -< 

O    H--    M 


S  >^  g  §  ^ 
Six  s  c^  « 


Hir,     Z     Z 


q    H 


s    7.  ~-  r^    ^ 


H 


373  - 


II.  —   Géographie  commerciale.  —  Statistiques 
et  Faits  économiques. 


EUROPE. 


Kes)«oiiree(ii  iiaturcliew  et  Kituatiou  économique  «le  la 
Serbie.  —  11  y  a  bioiilôt  vingl  ans  qu'un  ('iiiinent  jjuhlicisto  Itclge  ,  qui  est  en 
même  temps  un  infatigable  voj'ageur,  visitait  les  Jugo-Slaves  du  Danube  et  la  pénin- 
sule du  Balkan.  M.  E.  de  Laveleye,  pour  l'appeler  de  son  nom  .  a  voulu  revoir  ces 
pays,  constater  les  changements  de  toutes  sortes  qui  s'y  .sont  opérés  depuis  1807  et 
se  rendre  compte  de  leur  situation  économique  et  politique  ,  dont  il  avait  déjà  parlé 
dans  son  livre  intitulé  :  lo  Prusse  et  l'Autriche  depuis  Sadowa.  Le  moment  était 
opportun  et  il  fallait  le  saisir,  dit-il ,«  car  toutes  ces  populations  se  transforment 
rapidement.  Sous  l'influcn'-c  des  chemins  de  fer,  de  leurs  constitutions  nouvelles  et 
des  rapports  plus  intimes  avec  l'Europe  occidentale  ,  elles  ne  tarderont  pas  à  aban- 
donner leurs  coutumes  locales  et  leurs  institutions  primitives,  pour  adopter  la  légis 
lation  et  la  manière  de  vivre  que  nous  appelons  la  civilisation  moderne.  Elles  renon- 
ceront à  leurs  costumes  pittoresques  et  à  leurs  usages  séculaires,  pour  s'habiller, 
penser ,  parlementariser .  se  quereller  et  se  moraliser  à  la  façon  de  Paris  ou  de 
Londres  »,  M.  dé  Laveleye  s'est  donc  remis  en  route,  et  après  avoir  séjourné  quelque 
temps  à  Vienne  et  parcouru  la  Bosnie  ,  il  montait  à  Vukovar  sur  un  steamer  à  deux 
ponts,  pour  se  rendre  h  Belgrade  ,  capitale  de  la  Serbie  ,  et  pénétrer  ensuite  dans  la 
Bulgarie,  la  Roumélie,  la  Macédoine  et  la  Roumanie  (l). 

Le  Danube  qu'il  descendait,  laissa  à  M.  de  Laveleye  l'idée  d'un  grand  et  même  un 
très  grand  fleuve.  Mais  quel  contraste  avec  le  Rhin!  s'écrie-t-il.  Tandis  que  le 
cours  d'eau  qui  baigne  Manheim  ,  M aj'ence  ,  Cologne,  réalise  bien  ,  avec  ses  deux 
voies  ferrées  latérales  et  ses  innombrables  bateaux  de  toute  forme,  l'idée  du  «  chemin 
qui  marche  »,  selon  le  mot  de  Pascal,  transportant  d'innombrables  masses  de  voya- 
geurs et  de  marchandises,  le  magnifique  Danube  traverse  des  solitudes  et  ne  semble 
destiné  qu'à  faire  tourner  les  roues  des  moulins  flottants  à  farine  ,  que  portent  ses 
eaux.  La  cause  de  ce  contraste  est  bien  simple.  Le  Rhin  coule  vers  l'Occident  et 
aboutit  aux  marchés  de  la  Hollande  et  de  l'Angletenv  ;  le  Danube  ,  lui  ,  porte  ses 
eaux  à  la  mer  Noire,  c'est-à-dire  vers  les  contrées  nagèrc  encore  frappées  do  la  malé- 
diction turque,  pour  se  se:  vir  du  terme  même  de  notre  voyageur. 

A  Pt'terwarden,  M.  de  Laveleye  admira  les  merveilles  de  l'industrie  moderne.  Le 
chemin  de  fer  direct  de  Pesth  à  Belgrade,  qui  aboutira  à  Constantinople,  franchit  le 
Danube  sur  un  pont  de  deux  arches  ,  construit  par  la  Société  de  Fivos  -  Lille  ,  puis 
passe  par  un  tunnel  sous  la  vieille  forteresse  reconstruite  par  le  prince  Eugène.  Le 
Danube,  après  avoir  rec^-u  la  Tisza,  s'élargit  beaucoup  ;  il  prend  l'aspect  du  Mississipi. 


(1,   Yinv  InPéiuHSule  ile\  Hulkùns,  rie.  aW.  [i'^Wn  Aliiiu,   l'aris.  IHSG, 


-  374  - 

et  à  Belgrade,  sa  largeur  est  tout  à  fait  imposante.  Depuis  1867  ,  la  ville  s'est  trans- 
formée. Une  grande  rue  occupe  l'arête  de  la  colline  entre  la  Save  et  le  Danulie  ,  et 
aboutit  à  la  citadelle,  dominant  le  fleuve  du  haut  de  promontoire  escarpé  sur  lequel 
se  dressent  ses  formidables  bastions.  Cette  rue  est  maintenant  garnie  des  deux  côtés 
de  hautes  maisons  à  deux  ou  trois  étages,  avec  des  boutiques  dont  les  vitrines 
montrent  de  la  quincaillerie,  des  étoffes  de  toute  espèce,  des  chapeaux  ,  des  antiqui- 
tés, des  habits  tout  faits,  des  chaussures,  des  photographies,  des  livres  et  du  papier, 
tout  comme  dans  nos  grandes  villes.  Sur  les  deux  versants  de  la  colline  centrale, 
vers  le  Danube  et  vers  la  Save,  des  rues  nouvelles  ont  été  bâties.  Elles  se  composent 
de  villas  fort  élégante^,  mais  n'ayant  qu'un  rez-de-chaussée.  Toutes  les  construc- 
tions, vieilles  et  nouvelles,  sont  fraîchement  badigeonnées,  et  Belgrade  continue 
ainsi  de  mériter  son  nom  turc  —  Beo-gratl  —  qui  signifie  blanche  ville.  «  De  la 
domination  musulmane,  il  ne  reste  presque  plus  de  traces  :  quelques  fontaines  avec 
des  inscriptions  arabes  et  une  mosquée  qui  tombe  en  ruines,voilà  tout.Il  y  avait  jadis 
un  grand  nombre  de  mosquées,  et  le  traité  d'évacuation  stipulait  qu'elles  seraient 
respectées;  mais  comme  nul  ne  le.s  répare, le  temps  fait  son  œuvre  :  elles  s'écroulent; 
bientôt  il  n'en  restera  plus  une  seule.  C'est  dommage.  I,e  gouvernement  serbe 
devrait  en  conserver  une  comme  souvenir  d'un  passé  dramatique  et  comme  ornement 
architectural.  Voyez  avec  quelle  rapidité  recule  la  domination  ottomane.  Récemment 
encoie,  elle  s'étendait  sur  toute  la  rive  droite  du  Danube  et  de  la  Save,  et  nomina- 
lement jusqu'en  Roumanie,  en  plein  cœur  de  l'Europe  ;  maintenant  elle  est  rejetée 
au-delà  des  Balkans,  où  elle  n'exerce  même  plus  qu'une  autorité  rominale.  » 

Nul  pays,  mieux  que  la  Serbie,  ne  mérite  le  nom  de  démocratie.  Il  n'y  a  ni  aristo- 
cratie, ni  grands  propriétaires  ;  les  beys  turcs  ayant  été  chassés  ou  tués  pendant  les 
longues  guerres  de  l'indépendance ,  les  paysans  serbes  sont  devenus  les  maîtres 
absolus  du  sol.  Dans  les  campagnes  on  ne  trouve  guère  d'ouvriers  et ,  semblable  en 
cela  au  Yankee,  aucun  Serbe  ne  consent  à  être  domestique  ;  même  les  cuisinières  et 
les  servantes  viennent  de  la  Croatie  ,  de  la  Hongrie  et  de  l'Autriche;  Un  cultivateur 
ne  peut-il,  avec  l'aide  de  sa  famille,  suffire  à  couper  ses  foins  et  ses  blés,  il  s'adresse 
à  ses  voisins  qui  viennent  lui  donner  un  coup  de  main  ,  sauf  à  lui  demander,  le  cas 
échéant,  le  même  service.  Cela  s'appelle  le  moba.  Par  malheur,  les  Serbes,  qui  aupa- 
ravant marchaient  toujou.-s  armés ,  sont  de  très  médiocres  cultivateurs.  Leur 
grossière  charrue  toute  en  bois,  avec  un  petit  bout  de  soc  en  fer,  traînée  par  quatre 
bœufs  ,  déchire  le  sol ,  mais  ne  le  retourne  pas.  Au  maïs  succède  le  froment  ou  le 
seigle,  puis  une  jachère  de  plusieurs  années  suit.  C'est  à  peine  si  le  tiers  de  la  sur- 
face du  sol  est  en  culture.  Néanmoins ,  la  population  étant  peu  dense,  —  1,800,000 
habitants  sur  4,900,000  hectares,  ou  2  hectares  et  demi  par  tête,  —  il  en  résulte  que 
les  vivres  ne  manquent  pas  et  qu'on  peut  même  en  exporter.  En  effet ,  la  statistique 
nous  apprend  qu'en  moyenne  la  Serbie  vend  à  l'étranger  pour  30  millions  de  francs 
de  bétail  et  de  produits  animaux  et  pour  8  à  10  millions  de  fruits  ,  graines  et  vins. 

Les  chiffres  suivants  indiquent  l'emploi  de  la  superficie  et  la  richesse  agricole  du 
pays.  Des  montagnes  et  des  forêts  occu|)ent  2,400,000  hectares  ,  soit  la  moitié  du 
pays  ;  les  terres  cultivées  800,000  ,  les  prairies  430,000.  Le  surplus  se  compose  de 
terrains  vagues.  Sur  les  terres  labourables,  le  mais  prend  470,000  hectai'es  ;  le  seigle, 
le  froment  et  les  autres  céréales  300,000  ;  le  reste  est  consacré  h  la  culture  de  la 
vigne,  de  la  ponane  de  terre,  du  tabac,  du  chanvre,  etc.  En  Serbie,  comme  dans 
tout  l'Orient,  le  mais  est  d'ailleurs  le  produit  principal.  On  estime  qu'en  moyenne  la 
récolte  donne  pour  le  maïs  438,327  tonnes  ,  250,000  pour  le  froment ,  32,000  pour 
l'avoine  et  80,000  pour  les  autres  céréales.  La  proportion  sur  100  attribuée  à  chaque 
céréale  est  la  suivante  :  maïs,  52,35  ;  froment,  27,20  ;  orge,  6,30  ;  avoine,  6,60;  seigle. 
3.90  ;  é])eautre,  3  ;  millet,  0,65. 


—  :-i7r,  _ 

Les  héros  de  rinsurrection  des  Pays-Bas  ,  les  Gueux  de  mer  ,  qui  au  XVI^  siècle 
ont  dispersé  les  flottes  de  Philippe  11  ,  étaient  des  pêcheurs  de  harengs  ;  en  Serbie , 
Milosch  et  ses  compagnons  étaient  des  éleveurs  et  des  marchands  de  porcs.  D'innom- 
brables troupeaux  de  ces  animaux  ,  presque  à  l'état  sauvage ,  s'engraissaient  de 
glands  dans  les  vastes  forêts  de  la  région  centrale,  la  Schoutjiadia.  On  les  amenait 
par  grandes  bandes  vers  la  Save  et  le  Danube  et  on  les  vendait  à  l'Autriche  et  à  la 
Hongrie.  Maintenant  ces  forêts  sont  dévastées  ,  et  le  porc  américain  a  pénétré  par- 
tout. Pendant  1881,  on  transportait  encore  325,000  porcs  gras  ou  maigres.  Certaines 
zones  de  la  Serbie  sont  roiiommécs  pour  leurs  animaux  domestiques  :  les  plaines  de 
la  Koloubara  et  la  basse  Morava  pour  leurs  chevaux  :  Resavska  pour  ses  bœufs  : 
Krivoviv,  Visotehka,  Piror  et  Labska  pour  leurs  moutons.  En  somiue,  la  richesse  en 
bétail  est  représentée  i)ar  les  chiffres  suivants  :  82(5,.550  bêtes  à  cornes,  122,500  che- 
vaux, 3  millions 620,750  moutons  et  1,067,940  porcs;  mais  cette  richesse  ne  suit  pas 
le  mouvement  de  la  population  elle-même.  Considère-t-on  les  anciennes  provinces 
serbes,  sans  compter  les  districts  annexés  par  le  traité  de  Berlin,  qui  ont  280,000 
habitants,  on  trouve  que  la  population  s'élevait  à  1  million  1859,  à  1,215,576  en  1866 
et  à  1,516,660  en  1882.  L'accroissement  annuel  est  donc  d'environ  9,2  0/0,  ce  qui 
donne  une  période  de  doublement  de  cinquante  ans ,  comme  en  Angleterre  et  en 
Prusse.  En  même  temps ,  de  1859  à  1882,  le  nombre  des  bêtes  à  cornes  tombait 
de  801,296  à  709,000,  celui  des  chevaux  de  139,000  à  118,.500  ,  celui  des  porcs  de 
1,752,011  à  958,440.  11  n'y  a  que  le  chiffre  des  moutons  qui  augmente  un  peu  :  il  a 
monté  de  2,385,458  k  2,832,500.  Toutefois ,  le  rapport  entre  le  chiffre  du  bétail  et 
celui  de  la  population  est  beaucoup  plus  satisfaisant  ici  que  dans  les  pays  occiden- 
taux ,  car  en  réduisant  le  nombre  des  animaux  domestiques  en  tètes  de  gros 
bétail ,  on  arrive  au  total  de  1,400,000  pour  1,516,650  habitants,  ce  qui  fait  presque 
une  tête  par  habitant.  C'est  la  même  proportion  que  dans  la  Bosnie-  Herzégovine  , 
qui  avec  2  millions  d'hectares  de  plus,  n'a  que  1,158,458  habitants  au  lieu  de 
1,820,000.  Il  faut  aller  dans  les  pays  récemment  occupés  ,  comme  l'Australie  et  les 
Etats-Unis,  pour  trouver  une  proportion  aussi  favorable.  De  là,  on  peut  conclure  que 
les  Serbes  maiigont  généralement  de  la  viande  à  l'un  de  leurs  repas  ,  quand  ils  ne 
sont  pas  obligés  par  leurs  pratiques  religieuses  de  faire  maigre  ,  ce  qui  leur  arrive 
plus  de  cinquante  jours  par  an.  Alors  ils  se  contentent  de  maïs  et  de  fèves. 

Les  hommes  d'État  serbes  se  montrent  très  préoccupés  d'importer  chez  eux  l'in- 
dustrie manufacturière  ,  et  à  cet  effet ,  ils  ont  fait  voter  en  1873  une  loi  spéciale  per- 
mettant au  gouvernement  d'accorder  aux  entreprises  industrielles  qui  s'établiront 
en  Serbie  un  monopole  exclusif,  dont  la  durée  peut  être  de  quinze  ans  ,  et  en  outre 
des  faveurs  de  diverses  sortes  :  des  terres,  des  bois,  des  exemptions  de  droits  d'im- 
portation sur  les  machines.  Quelques  concessions  de  monopole  ont  été  demandées  , 
mais  ces  entreprises  n'ont  guère  réussi.  La  seule  qui  fasse  exception  est  une  grande 
fabrique  de  draps,  établie  à  Paratchine  par  une  maison  morave.  Mais  l'Etat  lui  prend 
tous  les  draps  nécessaires  à  l'armée,  et  il  les  paie  10  0/0  de  plus  que  le  prix  le  plus 
bas  soumissionné  par  d'autres  fournisseurs.  Gela  constitue  une  lourde  charge  pour 
les  contribuables,  et  sans  profit  pour  personne,  pas  mênie  pour  les  ouvriers,  le.squels 
reçoivent  un  salaire  minime  variant  de  0  fr.  40  à  1  franc  pour  les  femmes  ;  de  1  fr.  50 
à  2  francs  pour  les  hommes. 

M.  de  Laveleye  proteste  en  termes  très  vifs  contre  de  pareils  errements  ;  il  déclare 
qu'à  son  sens  les  hommes  d'État  serbes  poursuivent  une  chimère  dangereuse  en 
voulant  acclimater  chez  eux  .  dès  à  présent ,  la  grande  industrie.  «  Dans  un  pays  , 
dit-il ,  oii  chacun  est  propriétaire  et  cultive  sa  propre  terre  ,  l'heure  de  l'industrie 
manufacturière  n'est  pas  venue  :  il  manque  le  prolétariat  pour  lui  fournir  la  main- 
d'œuvre  à  bon  marché  par  la  concurrence  des  bras.  Au  lieu  de  se  féliciter  d'une 


—  376  — 

situation  économique  si  heureuse,  qui  permet  à  tous  de  mener  la  vie  saine  de.  la  cam- 
pagne et  de  se  procurer  par  le  travail  agricole  un  bien-être  suffisant,  le  gouvernement 
serbe  s'eflforce  ,  au  moyen  de  primes  ,  de  protection  et  de  privilèges  ,  de  créer  une 
industrie  factice,  contre  nature,  plus  exposée  encore  que  la  nôtre  aux  cruelles  crises 
dont  nous  souffrons  périodiquement.  Quelle  aberration  !  Elle  est  dictée  par  cette  idée 
qu'un  pays  oii  manque  la  grande  industrie  est  arriéré ,  barbare.  Même  erreur  en 
Italie.  Voit-on  s'élever  des  cheminées  de  fabrique  ,  on  s'en  réjouit  :  c'est  l'image  de 
la  civilisation  occidentale.  Qui  profitera  de  la  création  de  ce-;  établissements?  Ni 
l'État  qui  leur  accorde  des  faveurs  de  toute  espèce  ,  ni  le  public  rançonné  par  les 
monopoleurs  ,  ni  surtout  les  travailleurs  enlevés  aux  champs  et  entassés  dans  les 
ateliers.  Quelques  spéculateurs  étrangers  s'enrichiront  peut-être  aux  dépens  de  la 
Serbie,  et  iront  dépenser  ailleurs  le  produit  net  de  leurs  prélèvements  privilégiés.  » 

Comme  nous  l'avons  dit  déjà,  le  sol ,  source  principale  de  la  richesse  serbe,  est 
dans  les  mains  de  ceux  qui  le  font  valoir.  Il  n"y  a  point  de  rentiers  et  d'oisifs  et  les 
villes  les  plus  grandes  ne  sont  que  faiblement  peuplées.  Belgrade  n'a  que  36,000 
habitants  et  Niseh  25,000.  Ensemble  ,  toute  la  population  urbaine  ne  dépasse  pas 
200,000  âmes.  11  n'y  a  point  du  tout  d'aristocratie  et  peu  de  bourgeoisie  :  celle-ci  se 
compose  de  négociants,  de  boutiquiers  et  de  propriétaires  de  maisons.  Les  habitants 
de  la  campagne  forment  les  neuf  dixièmes  de  la  population  ,  et  à.  peu  près  tout  ce 
dont  ils  ont  besoin  —  vêtements,  meubles,  ustensiles,  instruments  aratoires  —  ils  le 
confectionnent  eux-mêmes  sur  place.  On  ne  voit  pas  bien  l'urgence  de  remplacer  les 
bonnes  et  solides  étoffes  de  laine  du  pays  et  les  solides  chemises  de  lin  brodées , 
appropriées  au  climat  et  si  pittoresques ,  que  les  Serbes  fabriquent  eux-mêmes,  par 
des  cotonnades  à  boa  marché,  imitées  de  celles  de  l'Autriche  et  de  rAUemagiie.  Tout 
manque  donc  ici  jusqu'à  présent  pour  favoriser  le  développement  de  l'industrie 
manufacturière  :  les  marchés  urbains  ,  les  consommateurs  et  le  personnel  ouvrier. 

Ce  développement ,  d'ailleurs  ,  se  heurterait  à  un  autre  obstacle.  Effectivement, 
l'Autriche  s'est  fait  accorder  des  avantages  exceptionnels  par  le  récent  traité  de 
commerce  de  1881.  Afin  de  faciliter  les  échanges  des  populations  habitant  des  deux 
côtés  de  la  frontière  dans  une  certaine  zone  ,  l'Autriche  a  adopté  de  commun  accord 
et  sans  condition  de  réciprocité  ,  avec  quelques  Etals  limitrophes  ,  un  tarif  de  faveur 
a'ppelé  Grenz  Verhehr  Tarif.  Le  tarif  différentiel  arrêté  avec  la  Serbie  réduit  pour 
certaines  marchandises  les  droit  de  douane  à  la  moitié  de  ceux  payés  par  la  nation  la 
plus  favorisée  ;  mais  au  lieu  de  limiter  la  zone  à  laquelle  doivent  être  réservées  ces 
facilités,  le  traité  austro-serbe  de  1881  les  accorde  au  produits  qui  sont  directement 
importés  du  territoire  douanier  de  la  monarchie  austro-hongi-oise,  par  les  frontières 
communes.  Les  droits  de  douane  ,  généralement  faibles  déjà  ,  se  trouvent  ainsi  très 
réduits,  et  les  fabriques  serbes  rencontrent  une  concurrence  qui  leur  devient  bientôt 
fatale.  Les  patriotes  serbes  s'indignent  de  ce  qu'ils  appellent  un  asservissement 
commercial  à  l'Autriche.  Les  autres  nations,  fait  remarquer  à  ce  propos  M.  de 
Laveleye,  ont  le  droit  de  se  plaindre  de  cette  prime  exorbitante  accordée  à  un  État 
que  favorise  déjà  sa  proximité  même  ;  car  sur  lé  total  du  commerce  extérieur  de  la 
Serbie,  s'élevant  en  1879,  pour  les  importations  et  les  exportations,  à  8(5  millions  de 
francs,  les  échanges  avec  l'Autriche  montaient  à  65  millions.  Quant  à  lui,  il  trouve  à 
cet  arrangement  un  grand  avantage  pour  les  Serbes  :  «  11  les  préserve  d'être  enfer- 
més —  ce  sont  ses  propres  termes  —  dans  des  ateliers  insalubres  et  exploités  par 
des  manufacturiers  privilégiés.  » 

Aussi  bien,  un  rapport  récent  du  consul  d'Autriche-Hongrie  à  Belgrade,  fait-il 
ressortir  ,  sans  y  mettre  de  façon  ,  cette  sorte  de  vassalité  commerciale  de  la  Serbie 
vis-à-vis  de  sa  puissante  voisine.  «  La  Serbie,  dit  M.  de  Wysocki ,  est ,  par  sa  situa- 
tion, attribuée  presque  entièrement  à  l'Au triche-Hongrie,  et  elle  le  sera  encore  long- 


-  :n7  - 

temps.  Le  long  de  sa  frontière  septentrionale  ,  la  Serbie  a  trois  grands  moyens  de 
communication  :  le  Danube,  la  Save  et  In  Staatsbahn,  qui  lui  imposent  impérieuse- 
ment rAutriche-lIongrio  comme  débouché  et  couinie  source  d'importations.  »  Cette 
affirmation  est  confninée  par  les  chiffres  qui  ex|)nment,  le  commerce  international  de  • 
la  Serbie  en  1880  :  importation  ,  59,090,26;^  francs  ;  exportation  ,  31 ,685,."^);^  francs  ; 
transit,  1,504,877  francs  :  total,  90,826,693  francs.  Importation  d'Autriche  -  Hongrie  : 
38,151,904  francs;  exportation  en  Autriche- Hongrie,  24,376,208  francs;  total, 
62,528,112.  francs.  Reste  donc  pour  tous  les  autres  pays  27,758,581  francs.  En  1882, 
l'exportation  a  représenté  13,990,000  francs  pour  les  poi-cs  ,  14,246,270  francs  pour 
les  pruneaux,  6,083,600  francs  pour  le  froment,  2,584,660  francs  pour  les  vins, 
8,101,770  francs  pour  la  laine  ,  soit  un  total  de  45  millions  environ.  M.  de  Lavcleye 
ne  donne  point  riiidication  de  l'importation  :  rnnis  il  fournit  sur  la  i)r()gression  du 
mouvement  commercial  en  Serbie  des  renseignements  qui  ne  manquent  pas  d'inté- 
rêt :  13  millions  de  francs  en  1842;  22  millions  en  1852  ;  28  millions  en  1862; 
67  millions  en  1867  et  90  millions  en  1880. 

Le  centre  industriel  le  plus  important  de  la  Serbie  ne  lui  appartient  ]jas  depuis 
longtemps  :  c'est  Pirot ,  chef- lieu  de  la  seconde  province  attribuée  à  la  Si  rbie  par  le 
traité  de  Berlin.  Située  dans  une  plaine  ,  entourée  de  collines  cultivées  ,  mais  très 
nues  ,  Pirot  s'étend  sur  les  rives  d'une  rivière  bordée  de  saules.  Elle  a  encore  tout 
l'aspect  d'une  ville  turque  :  ses  rues  sont  formées  d'échoppes  basses  et  complètement 
ouvertes  ;  dans  les  unes  on  voit  travailler  les  artisans  ,  dans  les  autres  le  marchand 
est  assis  ,  les  jambes  croisées  ,  au  milieu  de  ses  objets  a  vendre.  Presque  tous  les 
Turcs  ont  émigré.  Aussi  les  mosquées  et  le  bain  —  hammam  —  tombent-ils  en 
ruines.  L'église  principal  du  rite  oriental  est  très  intéressante  ;  elle  est  ancienne  et 
contient  des  bois  sculptés  ,  des  icônes  et  quelques  tableaux  qui  semblent  dater  du 
moyen-âge.  Elle  n"a  rien  d'ailleurs  qui  l'annonce  à  la  vue,  pas  de  clocher  ;  un  grand 
mur  sans  fenêtres  la  cache  entièrement  aux  passants.  Le  préfet  de  Pirot,  qui  accom- 
pagnait M.  de  Laveleye ,  lui  fit  remarquer  avec  orgueil  qu'on  n'avait  pas  perdu  de 
temps  dans  cette  ville  pour  s'occqper  de  l'instruction  publique,  si  dédaignée,  pour  ne 
pas  dire  nulle  ,  pendant  la  domination  turque.  Us  visitèrent  tous  les  deux  l'école 
primaire  installée  dans  une  ravissante  maison  turque  à  vérandah  et  à  plafond  en  bois 
sculpté.  Les  murs  étaient  couverts  de  cartes  géographiques,  de  tableaux  d'histoire 
naturelle,  voire  même  d'anatomie  humaine.  Plus  loin,  se  trouve  le  gymnase,  subven- 
tionné à  la  fois  par  la  ville  et  le  département.  Le.s  l)ons  élèves  obtiennent  une  bourse 
de  24  francs  par  mois  et  des  livres.  Pour  une  population  de  14,000  habitants  ,  le 
nombre  total  des  élèves  s'élève  à  700. 

Les  habitants  de  Pirot  conlectionnent  des  tapis  d'un  genre  tout  spécial ,  et  qui 
portent  le  nom  de  leur  localité.  Ils  sont  de  basse  lisse  ,  sans  poils  redressés  ,  assez 
minces  par  conséquent,  mais  semblables  des  deux  côtés  et  inusables.  Leurs  dessins, 
oii  dominent  le  rouge  ,  le  blanc  et  le  bleu  ,  sont  d'un  goiit  admirable.  Ces  couleurs  , 
autrefois  ,  étaient  pour  ainsi  dire  indestructibles  ;  malheureusement,  les  fabricants 
commencent  à  employer  l'aniline  ,  et  elles  s'altèrent  plus  ou  moins  promptement. 
Les  femmes,  presque  dans  chaque  famille  ,  font  de  ces  tapis  entièrement  à  la  main  , 
sans  même  employer  la  navette.  La  chaîne  est  tendue  perpendiculairement  et  l'ou- 
vrière ,  accroupie  ,  y  fait  passer  le  fil  de  la  trame  ,  sans  modèle  et  pour  ainsi  dire 
d'inspiration.  Leur  gain  est  des  plus  modiques  :  il  ne  s'élève  qu'à  30  ou  40  centimes, 
pour  douze  heures  de  travail.  II  est  vrai  qu'à  Pirot,  éloignée  de  tout  débouché 
commercial ,  le  coiît  de  l'existence  est  extrêmement  bas  ;  ainsi  un  poulet  ne  coûte 
queOfr.  50;un  dindon  1  fr.  50  ;  les  œufs  18  centimes  la  douzaine.  Les  tapis  de 
Pirot,  eu  égard  à  leur  bonne  qualité  ,  sont  extrêmement  ion  marché  :  10  à  12  francs 
le  mètre  carré.  On  en  fait  sur  commande  de  toute  grandeur  ;  ils  sont  très  recherchés 


-  ^8  - 

en  Bulgarie  et  eu  Turquie  ;  mais  la  Bulgarie,  pour  favoriser  la  fabrication  de  ce  tapis 
chez  elle  et  peut-être  aussi  pour  se  venger  de  ce  qu'on  lui  a  enlevé  un  district  qu'elle 
prétendait  bulgare,  a  frappé  l'importation  de  ces  tapis  d'un  droit  très  élevé,  accom- 
'  pagné,  dit-on,  de  vexations  de  toutes  sortes. 

«.  Si  j'essaie  de  résumer  ,  dit  M.  de  Laveleye  ,  l'impression  que  me  laissent  mon 
séjour  en  Serbie  et  l'étude  des  documents  qui  m'ont  été  fournis, j'arrive  à  cette  conclu- 
sion que  la  nation  serbe  est  une  des  plus  heureuses  de  notre  continent ,  et  qu'elle 
possède  tous  les  éléments  d'un  brillant  avenir.  Elle  réunit  les  conditions  de  la  vraie 
civilisation,  de  celle  qui  apporte  à  tous  moralité  ,  liberté  ,  lumières  et  bien-être.  Ici 
ont  survécu  des  autoaomies  locales  et  des  libertés  communales  rattachées  au  passé» 
tandis  que  dans  notre  Occident ,  nous  devons  les  reconstituer  et  leur  donner  une  vie 
nouvelle.  La  production  de  la  richesse  est  encore  limitée  ,  mais  toutes  les  familles 
vivent  sur  une  terre  qui  leur  appartient.  Un  certain  bien-être  est  le  lot  de  chacun,  et 
l'on  ne  rencontre  point  ce  poignant  contraste,  très  fréquent  chez  nous,  entre  l'extrême 
opulence  et  l'extrême  dénûment.  »  Bref,  M.  de  Laveleye  augure  très  bien  de  l'avenir 
du  peuple  serbe  ;  seulement,  il  discerne  sur  l'horizon  politique  deux  points  noii'S  :  la 
convoitise  des  places  officielles  et  des  fonctions  publiques,  qui  n'est  pas  moindre  en 
Serbie  qu'en  France  ,  ainsi  que  le  développement  toujours  croissant  de  la  dette 
publique.  11  redoute  encore,  et  non  sans  raison,  comme  en  témoigne  et  trop  éloquem- 
ment  la  guerre  déclarée  par  la  Serbie  à  la  Bulgarie  ,  sans  rime  ni  raison  ,  c'est  bien 
le  cas  de  le  dire,  les  visées  trop  ambitieuses  de  certains  hommes  d'Ktat  serbes,  et  les 
aspirations  d'une  partie  de  la  nation  elle-même. 

Il  y  a  effectivement  à  Belgrade  des  patriotes  exaltés  qui  rêvent  la  renaissance , 
dans  un  avenir  plus  ou  moins  prochain,  de  l'empire  de  Douchan.  D'autres  espèrent 
qu'un  État  serbo-croate  réunira  un  jour  sous  sa  domination  toutes  les  populations 
parlant  la  même  langue  :  les  Croates  ,  les  Serbes,  les  Slovènes  ,  les  Dalmates  et  les 
Monténégrins.  Ce  sont  là,  selon  toute  probabilité,  pour  longtemps  encore,  pour  tou- 
jours peut-être  de  pures  illusions.  Les  patriotes  plus  rassis  et  plus  pratiques  envi- 
sagent un  résultat  plus  vraisemblable  et  plus  prochain.  C'est  l'annexion  de  la  Vieille- 
Serbie,  cette  pointe  septentrionale  de  la  Macédoine,  au  sud  de  Vrania,  qui  comprend 
le  théâtre  de  la  grandeur  et  de  la  chute  de  l'ancien  royaume  serbe  :  Ipek,  la  résidence 
des  anciens  patriarches  ;  Skopia,  oii  Douchan  plaça  sur  sa  têie  la  couronne  impériale 
de  toute  la  Roumanie  ;  Detchani ,  le  tombeau  de  la  dynastie  des  Némanides ,  et 
Kossovo,  le  champ  de  bataille  épique,  oii  le  croissant  triompha  définitivement.  Une 
partie  de  la  Vieille-Serbie  a  été  déjà  conquise  en  1879  ;  elle  compose  aujourd'hui  les 
trois  départements  de  Nisch  ,  de  Vrania  et  de  Prekopljé ,  mais  le  reste  appartient 
encore  à  la  Turquie  et  demeure  sous  la  domination  de  ces  Arnautes  ,  dont  un  voya- 
geur anglais,  M.  Arthur  Evans,  qui  connaît  bien  cette  partie  de  la  péninsule  balka- 
nique ,  presque  inaccessible  aux  Européens,  trace  un  fort  vilain  portrait.  «  Le.> 
Arnautes  de  la  Vieille-Serbie  sont  sans  contredit  les  plus  fanatiques  et  les  plus 
turbulents  des  musulmans.  Toujours  les  armes  à  la  main  ,  ils  portent  sur  eux  un 
véritable  arsenal,  car  dans  leurs  larges  ceintures  en  cuir,  ils  ont  généralement  deux 
pistolets,  un  et  quelquefois  deux  kandjiars.  A  cette  ceinture,  les  Arnautes  accrochent 
trois  cartouchières  ou  boîtes  en  métal  ciselé  de  dimensions  différentes ,  et  dans 
lesquelles  ils  mettent  les  balles,  la  poudre  et  les  amorces.  Une  baguette  en  fer , 
terminée  par  un  aimeau  en  cuivre  ouvragé  et  qui  sert  à  bourrer  leurs  pistolets , 
complète  leur  attirail  guerrier.  Lorsqu'ils  sont  en  expédition  ou  qu'Us  voyagent, 
les  Arnautes  portent  toujours  un  immense  fusil  à  crosse  de  cuivre  plein.  » 


—  ;j7*,t 


ASIE. 


Un  reeensenicnt  cil  Trauscaucawic.  —  I^'aniiée  dernière,  les  autorités 
russes  ont  entrepris  un  recensement  de  la  population  du  Caucase  dans  le  but  de 
déterminer  le  nombre  déjeunes  gens,  âgés  de  vingt  ans,  soumis  au  service  militaire. 
La  population  chrétienne  fournit  seule  le  contingent,  la  population  musulmane  paye 
une  taxe  d'exemption  ,  conformément  à  la  loi  dernièrement  votée.  Les  Cosaques  , 
dans  les  provinces  de  Terek  et  de  Kouban  ,  n'ont  pas  été  soumis  à  ce  recensement , 
leur  prestation  militaire  se  faisant  sur  d'autres  bases  ,  ni  la  population  civile  de 
Stavropol ,  qui  a  déjà  été  soumise  au  service  militaire  obligatoire  en  vertu  de  lois 
antérieures.  Bien  que  toutes  les  données  ne  soient  pas  encore  connues,  il  est 
possible  de  déduire  des  comparaisons  curieuses  entre  le  nombre  de  la  population 
recensée  cette  fois,  et  celle  obtenue  lors  du  dernier  recensement  fait,  il  y  a 
treize  ans. 

Par  l'examen  des  registres  tenus  dans  les  églises  paroissiales  et  les  mosquées  du 
gouvernement  de  Tiflis  ,  il  a  été  possible  d'arriver  à  cette  conclusion  ,  que  pour  la 
période  de  cinq  années  (1875-1880)  l'augmentation  moyenne  naturelle  de  la  popu- 
lation entière  de  toutes  les  nationalités  ,  dans  cette  province,  est  égale  à  1  :  5  p.  c. 
par  an  ;  ce  qui  porte  à  croire  que  pendant  les  treize  années  écoulées ,  depuis  le  der- 
nier recensement,  la  population  du  Caucase  s'est  accrue  d'environ  20  p.  c.  En  effet, 
comme  le  démontrent  les  chiffres  obtenus  au  dernier  recensement,  le  taux  d'augmen- 
tation est  considérablement  supérieur  à  celui  des  gouvernements  de  Tiflis  et  de 
Kutaïs.  Le  taux  actuel  d'augmentation  dans  la  population  pour  les  treize  dernières 
années  est  comme  il  suit  :  Pour  le  gouvernement  de  Kutais,  17  p.  c.  :  dans  celui  de 
Tiflis,  19  p.  c.  (ces  gouvernements  ayant  la  plus  dense  population,  la  raison  du  taux 
d'accroissement ,  relativement  lent ,  est  suffisamment  visible)  ;  dans  celui  de  Baku  . 
24  p.  c.  ;  dans  celui  d'Erivan.  26  p.  c.  ;  et  dans  celui  d'Elizabetopol ,  33  p.  c.  d'aug- 
mentation moyenne  des  cinq  gouvernements  transcaucasiens  est  de  23  p.  c.  pour  les 
treize  années ,  ou  1,77  p.  c.  par  an  ,  résultat  que  l'on  doit  considérer  comme  très 
satisfaisant.  Une  chose  qui  mérite  une  attention  spéciale  et  que  l'on  doit  considérer 
comme  un  fait  très  satisfaisant ,  c'est  que  cette  augmentation  considérable  dans  la 
population  tombe  ,  pour  la  plus  plus  grande  partie  ,  sur  les  districts  habités  par  les 
Tartares  ,  dont  la  nationalité  disparaît  rapidement  dans  l'Empire  turc.  Un  examen 
plus  détaillé  des  facteurs  particuliers  de  la  population  montre  que  ,  même  dans  cer- 
taines places,  comme,  par  exemple,  dans  le  gouvernement  d'Erivan ,  l'augmentation 
de  la  population  tartare  est  plus  forte  que  l'augmentation  correspondante  de  la  popu- 
lation chrétienne.  Le  taux  d'augmentation  pendant  les  treize  années  parmi  ces  deux 
parties  différentes  de  la  population  ,  était  le  suivant  :  Dans  le  district  de  Nakhitchi- 
van,  les  chrétiens  (Arméniens)  se  sont  accrus  de  19  p.  c.  ;  les  Tartares  de  26  p.  c.  ; 
dans  le  district  de  Novobagazid  ,  les  chrétiens  (Arméniens  et  Russes)  se  sont  accrus 
de  35  p.  c.  et  les  Tartares  de  42  p.  c.  ;  dans  le  district  de  Alexandropol,  les  premiers 
(Arméniens  et  Grecs),  27  p.  c,  et  les  derniers  (Tartares  et  Kurdes),  32  p.  c. 

Le  dernier  l'ecensement  peut  être  considéré  comme  satisfaisant  quant  aux  résul- 
tats obtenus  tant  au  point  de  vue  de  l'exactitude  que  de  la  supputation.  C'était  la 
première  fois  qu'une  distinction  exacte  avait  été  établie  entre  les  différentes  sectes 
de  mahométans.  Le  nombre  supputé  de  la  population  dans  la  Transcaucasie ,  si  l'on 
admet  une  augmentation  de  3  p.  c.  durant  les  treize  dernières  années ,  doit  être 
quelque  chose  comme  4,515,155;  y  compris  les  provinces  de  Kars  et  de  Batoum. 

27 


—  :m)  — 


AMERIQUE 


Groëulaufl.  —  Population.  —  Le  Dagblad  de  Copenhague  ,  donne  comme 
chiffre  de  la  population  au  Groenland,  fin  1885,  9,914  habitants  ,  dont  4,676  hommes 
et  5,328  femmes.  Il  y  a  4,414  habitants  (dont  2,U9  hommes  et  2,295  femmes)  dans 
la  partie  septentrionale,  et  5,500  (dont  2,557  houmies  et  2,943  femmes)  dans  la  partie 
méridionale.  Dans  le  cours  de  Tannée  1885,  la  population  s'est  augmentée  de  86  indi- 
vidus dans  le  nord  et  de  31  dans  le  sud  du  pays. 


Un  c-bemin  de  fer  trauMeontiucutal.  —  D'après  le  Deutsche  Kolo- 
nialzeitung,  le  Paraguay  ne  tardera  pas  à  être  relié  à  l'Océan  par  un  chemin  de  fer. 
Le  général  Osborne,  bien  connu  par  sa  valeureuse  conduite  pendant  la  guerre  de 
sécession  ,  est  en  pourparlers  définitifs  pour  la  constitution  d'une  Société  anonyme 
pour  la  construction  d'un  chemin  de  fer  ;  il  s'agit  de  traverser  le  continent  sud-amé- 
ricain du  sud-est  au  nord-ouest ,  de  telle  sorte  qu'à  l'embouchure  de  Rio-Urug-uay , 
près  de  Gualeguaychu,  on  construirait  un  port  d'où  le  chemin  de  fer  serait  mené  sur 
la  rive  gauche  de  l'Uruguay  jusqu'au  Mout-Gacero  ;  on  pourrait  utiliser  sur  cette 
ligne  des  chemins  de  fer  déjà  établis  ;  du  Mont-Gacero  la  ligne  croiserait  l'isthme 
eati  e  Uruguay  et  Paraila ,  franchirait  le  Parana  près  de  Posadas .  traverserait  le 
Paraguay  pour  franchir  le  Rio-Para^uay  dans  les  environs  de  Villa-Hayes  ,  et  irait 
ainsi  relier  le  Gran-Ghaco  d'un  côté  avec  la  Bolivie  ,  de  l'autre  avec  le  Paraguay  et 
la  République  Argentine  Mais  Sucre,  la  capital  de  la  Bolivie,  n'est  que  le  point  final 
'provisoire  de  ce  chemin  de  fer,  qui  aura  ainsi  une  longueur  de  1,800  kilomètres  ;  on 
le  continuera  de  là  soit  vers  le  Pérou,  soit  vers  Panama.  Le  capital  de  100  millions 
de  dollars  est  dès  à  présent  souscrit.  On  s'est  assuré  le  concours  de  Hobart,  le 
constructeur  du  chemin  de  fer  du  Pacifique,  qui  a  déjà  établi  plus  de  9,000  kilomètrss 
de  chemins  de  fer  dans  les  États-Unis. 

Ge  chemin  de  fer  ouvre  un  nouveau  champ  à  la  colonisation.  Les  journaux 
allemands  ne  se  font  pas  faute  d'insister  sur  ce  point  et  d'indiquer  à  leurs  compa- 
triotes ce  nouvel  exutoire. 


Pour  les  Faits  et  Nouvelles  géographiques  non  extraits  ; 

LE   SECRÉTAIRE-GÉNÉRAL  , 

ALFRED  RENOUARD. 


—  381    — 


TABLE     DES     MATIÈRES 

DU  SECOND  SEMESTRE  DE  1887. 


I      —    Iflciii lires    de    la    Société. 

PAOBS. 

Sociétaires  nouveaux  admis  dans  le  courant  dé  juillet  :1887 5 


II.  —  Cours  et  conférences  de  Lille. 


CoLAKDEAU.  —  La  navigation  aérienne 28 

Abbé  Variot.  —  Les  Pères  blancs  d'Afrique .* 77 

E.  GuiLLOT.  —  A  travers  les  Grisons.  —  Excursion  dans  la  Suisse  orientale. . .  222 
GossELET.  —  Leçon  d'ouverture  du  Cours  de  Géologie  appliquée  à  la  Géographie 

professé  à  la  Faculté  des  Sciences  de  Lille 355 


III.  —  !§ection  de  Ronbaim 


De  Joannés.  —  La  (Trèce  et  sa  situation  économique 137 

Lefebvre.  —  Une  excursion  au  Rovaume-Uni 275 


1%'.  —  Section  de  Tourcoius. 


ViBERT.  —  L'Algérie  6 

L.  MoNCELON.  —  Un  mot  sur  la  Nouvelle-Calédonie 200 


—  382  - 


%.  —  Communications  aux  assemblées  g;énérales. 

PAGES. 

Faidheebe  (général).  —  Le  Soudan  français 195 

BÉCOURT.  —  La  forêt  de  Mormal  (suite)  (avec  carte) 240 


VI.  —  Kxeursions. 


A.  Renouard.  —  Excursion  aux  mines  de  I>ens 331 

Gantineau.  —  Excursion  à  Cassel 335 

Fernaux.  —  Excursion  à  Anvers 340 

Gantineau.  —  Exclusion  à  la  sablière  d'Ostricourt  et  à  Mons-en-Pévèle 342 

A.  Renouard.  —  Excursion  à  Furnes 348 


VII.  —  Procès-verltaiiiK  «les  Assemblées  générales. 

Procès-verbal  de  rassemblée  générale  du  28  octobre  1887 351 

VIII.  —  I\ouvelles  et  faits  géographiques. 

§  I.  —  Géographie  scientifique.  —  Explorations  et  découvertes. 
Europe. 


France.  —  Prix  Gay 112 

Les  îles  Faroë 363 


Asu: 


Résultats  scientifiques  du  voyage  de  M.  J.  Martin  dans  la  Sibérie  orientale  ...  44 

Merw 47 

Progrès  des  explorations  russes  dans  l'Asie  septentrionale 47 

Ethnographie  de  TAssam  (Hindoustan) 49 


—  3H3  — 

PAORS. 

Découverte  des  sources  du  Soungari  en  Chine 112 

Voyage  de  M.  Carey  dans  l'Asie  centrale H2 

Les  explorations  de  M   de  Percy  et  Marx ll-^ 

Le  Haut  Fleuve  Rouge  et  ses  affluents î  1^ 

La  voie  fluviale  de  l'Ob-Yéniséi 1 15 

Au  Thibet 257 

Retour  de  MM.  Bonvalot ,  Capus  et  Pépin '^) 

Exploration  de  M.  le  colonel  Surtecs  sur  la  Terre  de  Madian 301 

Départ  de  M.  Bobyz  pour  la  région  dos  monts  Saïawsky 301 


Afrique  . 

Nouvelh^s  de  l'expédition  Stanley  au  secours  d'Emin-Bey 49 

p:i-(;oléah  52 

Obock 52 

I  âbéria 53 

Le  futur  port  de  Gabès 54 

M.  Serpa-Pinto 55 

Les  D"  Junker  et  Schnit/Jer  dans  l'Afrique  centrale 55 

Afrique  équatoriale.  —  Missions  catholiques 56 

Une  nouvelle  station  allemande  dans  l'Afrique  orientale 115 

Nouvelles  de  l'expédition  de  Stanley  au  secours  d'Emin-Bey.  —  Annonce  de  la 

mort  de  Stanley 115 

Quelques  détails  sur  Tippo-Tip 116 

Nouvelles  d'Émin-Bey IH 

Les  Allemands  sur  la  côte  orientale 117 

Découverte  du  Lokémé  par  MM.  les  lieutenants  Tappenbeck  et  Kund 118 

Détails  inédits  sur  la  mort  du  lieutenant  Palat lit' 

Limites  de  la  Tuuisio  et  de  la  Tripolitaine 119 

Les  fleuves  souterrains  de  la  région  des  Ghotts 120 

Une  factorerie  française  dans  l'Ubandji 120 

L'Espagne  dans  le  Sahara  occidental 120 

Les  Espagnols  dans  la  mer  Rouge 122 

Situation  actuelle  de  l'Etat  indéjiendant  du  Congo 122 

Les  Allemands  dans  le  sud-ouest  de  l'Afrique 163 

Les  possessions  italiennes  sur  la  mer  Rouge 163 

Les  Mang'anja  et  les  Yao  (Afrique  orientale) 163 

Missions  belges.pour  le  Congo 164 

Nouvelles  annexions  allemandes  dans  l'Afrique  orientale 164 

Retour  de  l'expédition  Len/ 165 

Limites  du  Congo  français 257 

Extension  du  protectorat  allemand  dans  le  sud-ouest  de  l'Afrique 258 

Annexions  anglaises 258 

Limite  des  possessions  française  et  allemande  sur  la  côte  des  Esclaves 258 

Exploration  de  ISl.  R.-D.  Brow  ne  dans  l'Afrique  méridionale 301 

Exploration  du  Kouango  par  M.  G.  Grenfell 301 

M.  le  D"  Hans  Schinz  dans  la  République  Upingtonia 302 

L'Ambas-Bai  aux  Allemands 302 

Exploration  de  lOubangi  par  M.  le  capitaine  Van  Gelé 30:i 


—  384  — 

PAGES. 

Nouvelles  de  Stanley 364 

Les  frontières  des  colonies  françaises  et  allemandes  dans  l'Afrique  occidentale.  365 

Concession  du  lac  Assal  à  M.  Ghefneux 366 

Le  pays  des  Betjouanas  366 

L'île  de  Tristan  d'Acounha 367 


Amérique. 

Les  frontières  du  Paraguay  et  de  la  République  Argentine 57 

La  colonisation  allemande  dans  l'Amérique  méridionale 58 

Accroissement  de  température  dans  les  mines  du  Lac  Supérieur 58 

Découverte  de  l'Ikpikpuk  par  M.  Howard ■125 

Nouvelles  de  M.  Thouar 126 

Navigabilité  de  la  baie  d'Hndson 126 

Exploration  de  M.  Cliaffaujon  dans  le  Haut-Orénoque 167 

Publication  d'un  atlas  de  la  République  Argentine ...  259 

Les  sources  du  Mississipi 259 

Traversée  du  Labrador  par  M.  E.  Peck 259 

Nouvelle  mission  de  M.  H.  Goudreau 259 

La  délimitation  des  frontières  Venezuelo-Brésiliennes 303 

Projet  de  canal  interocéanique  au  Nicaragua 303 

Alaska.  --  Explorations  nouvelles 304 

Résultats  de  la  luission  M.  C  Moyano 304 

Vallées  sous-marines  de  la  côte  du  Pacifique     367 


OcÉANŒ . 

Voyage  de  M.  John  Douglas  dans  la  Nouvelle-Guinée 167 

Les  sources  de  la  rivière  Finke  en  Australie 260 

Les  races  et  langues  de  la  Mélanésie 260 

Explorations  en  Nouvelle-duinée 305 

Les  Etats-Unis  dans  le  Pacifique 305 

RÉGIONS    POLAIRES. 

Explorations  antarctiques 368 

La  température  probable  du  Pôle 368 


§  IL  —  Géographie  commerciale .  —  Statistiques  et  Faits  économiques. 

Europe. 

La  préparation  de  l'eau  de  fleurs  d'orangers  dans  le  midi  de  la  France 59 

Li^s  industrie?  textiles  en  Italie 60 


_  ;«5  — 

PAOIiS* 

L'industrie  de  la  paille  en  Italie. 66 

L'émail  en  Allemagne 66 

L'immigration  étrangère  en  Angleterre 67 

La  dépopulation  du  département  des  Basses-Alpes 128 

Situation  économique  de  la  Bosnie  et  de  l'Herzégovine 305 

Le  canal  de  la  mer  du  Nord  à  la  mer  Baltique 310 

Ressources  naturelles  et  situation  économique  de  la  Serbie 373 


Asie. 


Les  chemins  de  fer  du  Japon 68 

Chemins  de  fer  en  Perse 68 

La  houille  du  Tonkin 68 

La  production  du  sagou .... 68 

Le  pétrole  du  Caucase 72 

Les  chemins  de  fer  du  Tonkin 129 

Les  chemins  de  fer  en  Orient 130 

Convention  entre  la  France  et  le  royaume  de  Siam 132 

Les  ports  du  Tong-King 133 

Situation  économique  et  financière  de  l'Inde  anglaise 168 

Le  chemin  de  fer  de  Quettah 173 

Bakou  et  le  bassin  pétrolifère  de  la  Caspienne 262 

Commerce  et  finances  du  Japon 268 

Culture  de  la  vigne  au  Japon 272 

Le  transport  de  l'or  en  Sibérie 313 

Le  commerce  de  l'Annam  et  du  Tonkin  en  1886 313 

Un  recensement  en  Transcaucasie 379 


Afrique. 


Ce  qu'ont  coûté  nos  colonies  d'Afrique 73 

Commerce  avec  le  Gabon ; 74 

Les  mines  d'or  du  Transwaal 73 

Ports  algériens •   •  •  •  316 

Commerce  de  l'État  libre  du  Congo  et  de  la  colonie  du  Gabon  en  1886 317 

Le  commerce  d'importation  avec  Madagascar 318 


Amériqtje. 


L'exportation  des  locomotives  des  État-Unis 7G 

L'émigration  dans  la  République  Argentine 134 

Le  trsdté  d'union  entre  les  Républiques  du  centre  Amérique 135 

Avenir  économique  d'Haïti 173 

La  condition  présente  du  Brésil 17  J 


—  386  — 

P\OBS 

Les  ressources  économiques  de  TUrugay 185 

Les  Etats-Unis  et  Timmigration 191 

Ressources  et  état  économique  du  Mexique 319 

Groenland.  —  Population 380 

Un  chemin  de  fer  transcontinental 380 


OCÉANIE. 

Extraction  de  l'or  en  Australie 274 

Situation  économique  des  îles  Marquises  et  de  Taïti 325 


Lille  Imp.LDaiMi. 


vinuliNU  :dl_  .  I .  JUL   1 4.  wwf 


G  Société  de  géographie 

11  de  Lille 
S56  Bulletin 

t. 7-8 


PLEASE  DO  NOT  REMOVE 
CARDS  OR  SLIPS  FROM  THIS  POCKET 


UNIVERSITY  OF  TORONTO  LIBRARY