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Full text of "Bulletin italien"

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Annales de la Faculté des Lettres de Bordeaux - 
et des Universités du Midi e 


QUATRIÈME SÉRIE 
Commune aux Universités d'Aix, Bordeaux, Montpellier, Toulouse 





XXXIIe ANNÉE 





BULLETIN ITALIEN 


Paraissant tous les trois mois 


TOME X 
1910 





Bordeaux : \] 
FERET & FILS, ÉDITEURS, 15, COURS DE L’INTENDANCE 


Grenoble : A. GRATIER & C‘, 23, GRANDE-RUE 
Lyon: Herr GEORG, 36-42, pAssaGE DE L'HÔTEL-DIEu 
Marseille : Pauz RUAT, 54, RUE Parapis | Montpellier: C. COULET, 5, Grann’'Rue 
Toulouse : Énouarp PRIVAT, 14, RUE DES ARTS 
Lausanne: F. ROUGE & C", 4, RuE HaLDIMAND 
Rome : LOESCHER & €'° (BRETSCHNEIDER & REGENBERG), 307, conso UmBerro I 


Paris : 
ALBERT FONTEMOING, 4, RUE LE Gorr 








EN ete "Ta 


Vol. X. Janvier-Mars 1910. N° 1. 





LES DEUX VERSIONS ITALIENNES 


DE LA 


LÉGENDE DE SAINTE CATHERINE DE SIENNE 


PAR RAYMOND DE CAPOUE 


A propos du manuscrit italien 2178 de la Bibliothèque Nationale. 


Le fonds des manuscrits italiens de la Bibliothèque Nationale 
_s’est récemment enrichi d’un précieux recueil, comprenant les 
biographies de trois bienheureuses du Tiers-Ordre de saint 
* Dominique, ayant toutes trois vécu au xiv° siècle : sainte 
Jeanne d’Orvieto, sainte Marguerite de Città di Castello et 
sainte Catherine de Sienne. Ce manuscrit est loin d'être 
inconnu ; il faisait partie, au xvin° siècle, de la riche collection 
du couvent dominicain des SS. Jean et Paul, à Venise, où il 
portait la cote paxzv, — cote écrite au crayon, et qui se lit 
encore sur une petite étiquette carrée, collée au dos du volume, 
— etil a été décrit tout au long par D. M. Berardelli, dans le 
tome XL, pp. 63-68, de la Nuova raccolta d'opuscoli scientifici 
e filologici de Calogerà. Il m’a semblé que la notice de Berar- 
delli pouvait être reprise et complétée sur certains points; 
l'examen de certaines particularités de cet intéressant volume, 
sur lesquelles je n'ai pas craint de m'étendre un peu longue- 
ment, me fournira l'occasion d'étudier, de plus près qu’on 
ne l'avait fait jusqu’à présent, la composition de la légende 
italienne de sainte Catherine de Sienne, qui occupe, à elle 
seule, près des neuf dixièmes du recueil. 

Ce manuscrit, qui a reçu dans le fonds italien le n° 2178, 


1. Codicum omnium latinorum et italicorum qui manuscripti in bibliotheca SS. Joannis 
et Pauli Venetiarum apud Patres Prædicatores asservantur Catalogus. Sectionis quintae 
pars posterior, 





2 BULLETIN ITALIEN 


se compose de 202 feuillets de parchemin, mesurant 295 sur 
215 millimètres, numérotés, semble-t-il, au xvurr° siècle, et pré- 
cédés de neuf feuillets de papier, cotés A-T. Les 198 premiers 
feuillets sont écrits sur deux colonnes de 38 lignes; l’écri- 
ture paraît être du début du xv° siècle. Ce volume, revêtu 
d’un modeste cartonnage, avec dos en parchemin, est illustré 
de sept grandes initiales peintes à personnages, qui présentent 
une grande analogie de style avec celles qui ornent le manuscrit 
de la légende latine de sainte Catherine conservé dans les 
archives de la maison Généralice de l'Ordre des Prêcheurs, à 
Rome, et étudié, il y a quelques années, par M. Julien Luchaire:. 
Voici la liste des miniatures de notre manuscrit? : 

1° (fol. r v°, col. 2). Dans un E majuscule, une sainte 
debout, en habit de dominicaine, tenant de la main droite un 
lis à trois branches et de la main gauche un livre fermé à 
couverture rouge, d’où semble sortir une croix à longue tige, 
également rouge; cette religieuse dominicaine représente 
sainte Jeanne d'Orvieto. S 

2 (fol. 13 v°, col. 2). Dans un autre E majuscule, une 
sainte très semblable à la première, et figurant sainte Margue- 
rite de Città di Castello; elle tient de la main droite un livre 
rouge surmonté, comme celui de la précédente miniature, 
d’une croix rouge à longue tige, et de la main gauche un lis 
à trois fleurs. 

3° (fol. 25 r°, col. 1). Dans un L majuscule, une sainte très 
semblable aux deux précédentes, et figurant sainte Catherine 
de Sienne; elle tient dans la main droite un objet carré blanc 
(un livre), d'où paraît émerger une tige rouge (sans doute 
celle d’une croix, comme dans les précédentes miniatures, 
mais la couleur est ici très effacée), et dans la main gauche 
un livre rouge, celui-ci non surmonté d’une croix. — Les trois 
saintes des feuillets 1 v°, 13 v° et 25 r° sont peintes sur fond or. 

4° (fol. 34 v°, col. 1). Dans un N majuscule, une sainte à 


1. Un manuscrit de la légende de sainte Catherine de Sienne, dans : École française de 
Rome. Mélanges d'archéologie et d’histoire, XIX° année (1899), p. 149-198. 

2. Ces miniatures ne sont pas indiquées dans la notice précitée de Berardelli. 

3. Symbole de la croix sortant de l'Évangile, d'après une obligeante communi- 
cation de M, l’abbé Broussolle, 











LÉGENDE DE SAINTE CATHERINE DE SIENNE 3 


genoux, en prière, sur fond bleu; dans la partie supérieure de 
la miniature, le Christ bénissant, entouré d’anges. 

5° (fol. 75 r°, col. r). Dans un P majuscule, sainte Catherine 
de Sienne à genoux devant un autel, recevant les stigmates:. 

6° (fol. 168 r°, col. 1). Dans un Q majuscule, sainte Cathe- 
rine étendue sur son lit de mort et entourée de plusieurs 
personnages, sur fond or. 

7° (fol. 199 r°, col. 1). Une S majuscule, à fond bleu; dans 
la partie inférieure de la lettre, un dominicain en prière; dans 
la partie supérieure, sainte Catherine de Sienne glorieuse. 

Ce n’est pas pour le couvent des SS. Jean et Paul que ce 
volume a été exécuté; il n’y est entré que fort tard, en 1755?, 
— c'est-à-dire vingt-neuf ans seulement avant que fût impri- 
mée la notice de Berardelli, — par la cession qu’en fit aux 
religieux de SS. Jean et Paul la prieure des sœurs du Tiers- 
Ordre de San Martino, à Venise, On lit, en effet, au recto 
du dernier feuillet, la note suivante, tracée d’une écriture très 
nette du xvur° siècle : 


Si fà notaë, qualmente il presente codice fù graziosamente ceduto 
e regalato alla nostra libraria de SS. Giovanni e Paolo dalla molto 
reverenda Madre suor Maria Annonziata Grandi, priora delle nostre 


1. Cette miniature est la traduction assez exacte du passage suivant de la légende 
latine de sainte Catherine de Sienne, par Raymond de Capoue (Acta Sanctorum, 
april. IE, p. 907, col. 2 F) : « Dominum, inquit, vidi cruci affixum, super me magno 
cum lumine descendentem : propter quod ex impetu mentis, volentis suo creatori 
occurrere, corpusculum coactum est se erigere. Tunc ex sacratissimorum ejus 
vulnerum cicatricibus quinque in me radios sanguineos vidi descendere, qui ad 
manus et pedes et cor mei tendebant corpusculi, » — Le texte italien correspondant se 
trouve, dans notre manuscrit, au feuillet 117 v°, col. 2 : «lo cognosco che allora da 
me fu veduto el segnore confixo in croce descendere sopra di me con grandissima 
luce, e per questa cagione vogliendo a lui occorrere la mia mente, el corpo convene 
cadere (sic). Allora vidi a me descendere ale mie mani e ali miei piedi sanguinolenti 
radii, gli quali procedeano dale cinque cicatrice dele sue piaghe sacratissime. » 
(Livre 11, chapitre 6.) — Même version dans l’édition de la légende italienne publiée 
à Milan, 1489; autre version dans l’édition de S, Jacopo di Ripoli, 1477. 

2. Quétif et Echard, Scriptores ordinis Praedicatorum, t. 1, p. 781, col. 2, à 
l’article F. Thomas Antonii de Senis, signalent, en 1719, comme se trouvant « Venetiis, 
apud SS. Jo. et Paul., Part. alt. PI. £», un manuscrit de composition identique au 
nôtre; je n’ai pas retrouvé ce manuscrit dans le catalogue de Berardelli. D’ailleurs, 
la présence du recueil de fra Tommaso, au couvent des SS. Jean et Paul, où ce 
personnage a vécu longtemps, s’expliquerait tout naturellement; la plupart de ses 
autres œuvres étaient représentées par un ou plusieurs exemplaires dans la biblio- 
thèque du couvent. 

3. Calogerà, Nuova raccolta, etc., t. XL, p. 68. 

4. Berardelli, dans Calogerà, ibid., a lu donato, et, plus loin, libreria. 


A BULLETIN ITALIEN 


Suore del Terz’ Ordine a S. Martino, col consenso: delle altre Suore 
del suddetto regio Collegio, l’anno 1755. 


Depuis quand ce-manuscrit était-il à San Martino? probable- 
ment depuis fort longtemps. Il est très vraisemblable que ce 
recueil, étant donnée sa composition, a été formé dès l’origine 
pour un couvent de femmes de l'Ordre de saint Dominique; et 
précisément pour celui de San Martino. En tout cas, c’est à 
Venise, et dans un couvent de femmes, qu'a dû être écrite 
cette autre note, du xvu° siècle, qui se lit au feuillet 198 r°, 
porn: 


MDCCLXXXII2 à xiij di di aprile, questa benedettä e gloriosa 
leggenda della Beata Gioana, laqual fu prestata per M|adonn/as Cara 
Cossa da cha Christian a Miser Niccolin Bocco, et lui la smarri de 
sorte che più la non se trovava, vosse la bona sorte, che la capità alle 
man de Miser Vicenzo di Alessandri del quondam Miser Piero de San 
Gier[emila#, et cusi noi pizzocare5 a perpetua memoria havemo fatto 
far la presente nota per avernela questo zentil’ homo cusi amorevol- 
mente data. 


Après la dispersion des manuscrits du couvent des SS. Jean 
et Paul, ce volume fut recueilli par le P. Antonio Squarcina, 
évêque d’Adria, comme en témoigne une noteô du possesseur 
anonyme, peut-être Andrea Tessier, de Venise”, qui l’acquit 


1. Il est à remarquer que Berardelli donne de la fin de cette note un texte tout 
différent : (col consenso di tutte le altre Suore del Regio Colleggio del SS. Rosario, 
detto di S. Martino, del Terz’ Ordine della Penitenza di S. Domenico di questa città 
di Venezia, » 

2. Calogerà, Nuova raccolta, etc., t. XL, p. 67. —- La note porte MCCCLXXXII, par 
suite évidemment d’un lapsus. 

3. Berardelli, dans Calogerà, ibid., a lu Maria. 

k. Berardelli, Piero de.ser Gieronimo. 

5. Pour pizzochere. — Sur cette expression, voy. E. A. Cicogna, Delle Inscrizioni 
veneziane, vol. IIT, p. 417 : « Viveano unite alcune devote donne, che noi chiamamo 
pizzochere, in un romitaggio posto presso alla Chiesa parrochiale di Sant’ Agnese:..; » 
cf. ibid., t. V, p. 507. — Je dois à l’obligeance de mon confrère, M. Léon Dorez, 
communication du passage suivant, tout à fait topique, de Giambattista Albrizzi, 
Forestiero illuminato intorno le cose più rare. e curiose della città di Venezia (Venezia; 
1772, pelit in-8°), p. 125 : « Contiguo a questo luogo [il piccolo spedale dedicate 
a $S. Giambattista, non lontano dalla chiesa di S. Martino], vi è un Oratorio con due 
altari, che serve all’ uso di un certo numero di Terziarie Domenicane, dette Pizzochere, 
le quali si fabbricarono in questi ultimi tempi un piccolo monistero. » 

6. Cette note est écrite à l’intérieur du plat supérieur du manuscrit. 

7. On sait par F. Grottanelli, Leggenda minore di S. Caterina da Siena.…., p. xm, 
que le manuscrit se trouvait, aux environs de 1868, date de la publication de la 
Leggenda minore, «a Venezia, presso il Ch. signor Andrea Tessier », 




















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LÉGENDE DE SAINTE CATHERINE DE SIENNE D 


après la mort de Squarcina'; ce nouveau possesseur paraît 
avoir été un homme curieux et instruit; malheureusement, 


. les références bibliographiques relatives à son manuscrit, qu'il 


avait relevées dans cette même note, sont incomplètes ou en 
partie inexactes. 
Voici maintenant quelle est la composition du recueil?. 


I 


Traduction en italien, faite en 1400, par frà Tommaso 
d'Antonio Nacci Caffarini, de Sienne, de la légende latine de 
sainte Jeanne d'Orvieto, par frà Jacopo Scalzaÿ. 

Fol. r r°, col. r-fol. r v°, col r. Table des chapitres de la 
Légende de sainte Jeanne d’Orvieto. « Nel nome di Cristo 
Jesu e de la gloriosa Vergine Maria e di santo Domenico e di 
sanlo Francescho, e di tutli e santi. Amen. Questi infrascripti 
sono € capitoli dela leggenda dela venerabile vergine beata 
Vanna overo Joanna da Orvieto dele suoro dela penitenzia di 
misser santo Domenico, fondatore e padre dell’ ordine de’ frati 
Predicatori... » — Fol. 1 v°, col. 1-fol. 12 v°, col 1. Texte de 
la Légende : « Qui disollo incomincia la leggenda dela sopradetta 
gloriosa vergine beata Joanna, laquale leggenda è mollo conpen- 
diosa e breve, considerate le cose magnifiche d’essa... » Incipit 
(fol. r v°, col. 2) : « El creatore di tutte le cose, Dio e se- 
gnore nostro...» Explicit (fol. 12 v°, col. 1) : « Qui finisce la 
leggenda dela beata vergine Giovanna d'Orvieto, vestita dell’ 
abito dele suore° dela penitenzia di misser san Domenico, 


1. Squarcina, d’après Gams, Series episcoporum, p. 769, est mort le 12 décembre 
1851 ; il appartenait à l’Ordre de saint Dominique. 

2. Le manuscrit coté X. 3002 des archives de la maison Généralice des RR. PP. 
Dominicains, à Rome, est un recueil latin de composition qui paraît à peu près 
identique à celle de notre manuscrit italien. Cf. Analecta Bollandiana, t. XIX, 1900, 
P. 21. 

3. Cf. Fumi (L.), Leggenda della b. Vanna da Orvieto, tradotta in volgare l’anno 1400, 
in Venezia, da frà T. Caffarini da Siena, dal testo latino del ven. Scolza Orvietano, 
contemporaneo della beata, tratta dal cod. veneto e dal sanese…. ; Città di Castello, 1885, 
in-8°. 

4. Ici et plus loin, sont imprimées en italiques les parties du texte écrites en rouge 
dans le manuscrit. 

5. Ms. : vestita dele suore dell’ abito, — Cf. l’incipit de la légende de sainte 
Catherine de Sienne, fol. 2/4 v°, col, r, de notre manuscrit, 








6 BULLETIN ITALIEN 


laqual leggenda fu volgarizata in Vinegia per uno frate Thomaso 
da Siena, de’ frati Predicatori!', per consolazione et edificazione 
dele devote persone volgari, e spezialmente del detto abito, 
anni Domini mille quattro cento del mese d’agosto. Deo 
gratias. Amen. » 


Il 


Traduction en italien, faite en 1400, par frà Tommaso 
d’Antonio Nacci Caffarini, de Sienne, d’une légende anonyme 
latine de sainte Marguerite de Città di Castello. 

Fol. 13 r°, col. 1-fol. 13 v°, col. 1. Table des chapitres 
de la Légende : « Questa è la tavola de’ capitoli dela infra- 
scritta leggenda dela venerabile vergine beata Margarita da 
Città di Castello dele suoro dela penitenzia di misser san 
Domenico, fondatore e padre dell’ ordine de’ frati Predicatori. » 

Fol. 13 v°, col. 2-fol. 23 v°, col. r. Texte de la Légende” 
« Qui? incomincia la leggenda dela venerabile vergine beata Marga- 
rila da Cillà di Castello sopradetla... » Incipit : « El salvatore 
del mondo e nostro, Cristo Jesu, volendo mostrare.. » Explicit 
(fol. 23 v°, col. 2): « Qui finisce la leggenda dela beata Margarita 
vergine da Ciltà di Castello, vestila dele suoro [etc., comme 
ci-dessus, jusqu’à :] del mese d’agostlo, essendo allualmente la 
moria in Vinegia. Deo gralias. Amen. Amen. Amen. » 

En comparant le texte italien de frà Tommaso avec le texte 
latin original de la même légende, publié par les Bollandistes 
(Analecta Bollandiana, t. XIX, 1900, pp. 23-26), d’après le 
manuscrit des archives de la maison Généralice des RR. PP. 
Dominicains, à Rome, et le manuscrit du Vatican 101951, om 
constate aisément que le traducteur, loin de suivre fidèlement 
son modèle, a pris vis-à-vis de lui d’assez grandes libertés, et 
a, par endroits, délayé, amplifié le texte original#, Voici le 

1. Ms. : predecatori, 

2. Ici éomme plus haut, les italiques indiquent la partie du texte écrite en rouge 
dans le manuscrit. 

3, En revanche, fra Tommaso abrège, quand il rencontre des noms propres : 
« Quedam mulier, Viola nomine, uxor Benencase Iohannoli de villa Collis Putei 
curie Premagni » (cap. 9), devient (fol. 18 v*, col. 1) : «una donna chiamata Vivola, 


moglie d'uno chiamato Benincasa. » On pourrait relever bien d’autres exemples de 
ce procédé, 








LÉGENDE DE SAINTE CATHERINE DE SIENNE 7 


début de la Légende latine, tel que le donnent les Bollandistes 
(ibid., pp. 23-24) : 


Beata Margarita novella virgo orta ex nobilibus parentibus natione 


de Castro Metule masse Tarbarie Petri apostoli iuxta Civitatem Castelli 


per xij miliaria. Dicta est autem Margarita a quadam pretiosa 
gemma, que sic vocatur ; que gemma est candida, parva et virtuosa. 
Sic beata Margarita fuit candida per virginitatem; fuit enim virgo 
purissima, sicut plures fratres ordinis Predicatorum, quibus confite- 
batur, asseruerunt. Fuit parva, non solum corpore sed etiam humi- 
litate, in qua fuit profundissima. Fuit virtuosa in miraculorum multi- 
tudine, prout infra patebit. 


Voici maintenant ce que ces quelques lignes sont devenues 


-dans la Légende italienne (ms. italien 2178, fol. 13 v°, col. 2) : 


El salvatore del mondo e nostro, Cristo Jesu, volendo mostrare di 
quanto pregio fussero appo esso l'anime humane essendo perdute per 


lo peccato e fatte suggette ala podestà del demonio, venne in questo 
. mondo per la spirazione dela nostra humanità. E venuto si come uno 


grande mercatante, cercante le dette anime come preziose margarite, 
si dispose a ricomperarle dela sua preziosissima: vita di Dio e d’uomo 
€ del suo preziosissimo sangue, dando eziamdio esso suo prezi[o]|sissimo 
sangue non solamente in parte ma in tutto per dimostrare inver d’ esse 
l’abisso dela sua carità colaquale l’amava e avevale amate ab etterno. 
Or intra l’altre preziose margarite sopradette, n'apparbe una singu- 
larissima da esso Cristo Jesu ab etterno prediletta, di nazione presso 
ala Città di Castello, dela provincia di Toscana, miglia dodici d’uno 
luogo chiamato Castello Metoleta di san Pietro? apostolo e di nobili 
parenti procreata, signori del detto luogo. E el padre ebbe nome 


Parisio e la madre Emilia. Ma questa vergine, e quanto a’ fatti e quanto 


al nome, fu chiamata e nuncupata Margarita. E per questo fu ben 
conveniente che Margarita questa vergine fosse appellata. La marga- 
rilæ è una pietra e gemma preziosa, laquale, intra l’altre, à tre 
proprietadi, perochè essa è candida e picciola e vertuosa. E cosi questa 
santa fu candida per la verginità, perochè fu vergine purissima, 
secondo che fu affermato al tempo del suo transito per più frati Predi- 
catori da equali s’ era confessata. Fu ancora picciola e quanto ala 
quantità del corpo e anco quanto ala quantità dell’ anima, essendo di 
profondissima humilitade. E fu ancora vertuosa, non solamente 
essendo ornata di tutte le vertudi, ma eziamdio per operazioni di molti 
miracoli e di molte cose maravigliose, secondo che negli capitoli 
infrascritti apparirà e chiarirà. 

1. Ms. : preziossissima. 

2, Le texte porte deux fois di san Pietro. 





8 BULLETIN ITALIEN 


Il est à noter que, dans ce développement verbeux, le tra- 
ducteur indique les noms des père et mère de la sainte (Parisio, 
Emilia), que ne donne pas l'original; on remarquera aussi 
l'expression : «al tempo del suo transito », qui précise un détail. 

A la fin de la Légende, fra Tommaso a encore ajouté ce qui 
suit (fol. 23 v°, col. 1): 


Molti altri miracoli e grazie à concedute e concede el Signore a suoi 
fedeli per li meriti di questa vergine, de’ quali scrivere tutto seriosa- 
mente sarebbe troppo o vero massa longo. E perd diceamo che al 


presente bastino questi a onore e gloria d’esso nostro signore misser. 


Jesu Cristo e di questa sposa sua e del suo padre misser san 
Domenico, sotto el cui abito essa conservd la sua innocenzia battesi- 
male e servette in ogni santità e giustizia, dal principio dela vita sua 
perfino al fine, al predetto misser Gieso Cristo etterno sposo suo. Col 


quale mo si truova beata in cielo insieme con san Domenico e con 


tutti gl’ altri beati a benedirlo, ringraziarlo e lodarlo per infinita 


secula seculorum. Amen. : 


III 


Traduction en italien, faite en 1399, partie par Neri di 
Landoccio Pagliaresi, de Sienne, partie par un anonyme de 
Plaisance, de la légende latine de sainte Catherine de Sienne, 
par Raymond de Capoue. — Texte généralement conforme à 


celui de l'édition princeps de San Jacopo di Ripoli (1477, in-4°}. 


Fol. 24 v°, col. 1 : «/n:' nomine domini Jesu. Amen. Qui 
incomincia? el primo prologo nela leggenda dela Beala Caterina 


vergine da Siena, veslila dell’ abito dele suoro dela penilenzia di 


santo Domenico. Laquale leggenda fu volgarizata in parte per uno 
sanese, elquale fu singulare devoto dela delta vergine*, e in parte 


1. Ici encore, les italiques indiquent les parties du texte écrites en rouge dans le 
manuscrit. 

2. Cette précieuse note a été publiée, d’après le manuscrit T. Il, r de la biblio- 
thèque communale de Sienne et le nôtre, alors conservé à Venise, par F, Grottanelli, 
Leggenda minore di S. Caterina..…., Bologna, 1868, p. xr1-x1r1. (Collezione di opere 
inedite o rare.) On comparera avec les textes allégués dans le même ouvrage, p. x; 
notamment : « Legendam Virginis idem generalis [Stefano Maconi] fecit in Mediolano 
a quodam... viro de Placentia de latino in vulgari translatari, ipsam postea trans- 
mittendo Venetiis, uxori... Francisci de Sandeis » [notre misser Franciescho Sandelli|. 

3. Le mérite d’avoir identifié ce « sanese, singulare devoto dela detta vergine», 
avec Neri di Landoccio Pagliaresi, l’un des secrétaires de la sainte, revient à Grotta- 


nelli; voir Leggenda minore di S. Caterina da Siena…, pubbl. da F. Grottanelli, p. xx 


et suiv.; Pagliaresi a été interrompu dans son travail par la mort (Grottanelli, ibid.) 
- Cf, Edmund G. Gardner, Saint Catherine of Siena.…, 1907, p. vin. 








LÉGENDE DE SAINTE CATHERINE DE SIENNE (9) 


per uno allro devolo, huomo lombardo dela città de Piacenza ; el- 
quale piacentino la volgarizd lulta. Et è lulta quesla leggenda, per 
lo delto placentino volgarizaia, in Vinegia appo uno-misser Fran- 
ciescho Sandelli, elquale sta presso a Santa Soffia. E fu volga- 
_ risala la delta leggenda per li sopradetli, negl anni domini mille 


…_  trecenlo novanla nove. Deo gratias. Amen. » 


._  « Dura el volgarizare del sopradetlo sanese per fino al quarlo 
capilolo dela seconda parte di questa leggenda inclusive. E el volga- 


£ < rizare del sopradetlo placentino dura dal detlo quarto capilolo 


inclusive per fino al fine, si come al sopradello quarlo capito[lo| 


_ appare.» 


Fol. 25 r°, col. 1-fol. 33 r°, col. 1. Premier prologue : 
« L'Aquila spirituale, laquale volà infino ala sommità del 


_ cielo di sopra...» 


. Fol. 55 r°, col. r -fol. 35 v', col. 2. Second prologue : « Qui 


à = _comincia el secondo prologo nela leggenda sopradetlta. Dixe David 





8 figluolo -d’'Isay.. » 
.. … Fol. 53 v°, col. 2-fol. 34 r°, col. 2. Table des chapitres de 


à _ Jar partie (12 chapitres). 


Fol. 34 r°, col. 2- fol. 74 v°, col. 1. Texte de la I" partie. 
- Fol. 74 v°, col. 1-col. >. Table des Han e de la IT° partie 
(12 chapitres). 

_ Fol. 75 r°, col. 1-fol. 95 r°, col. 2. Texte des chapitres 1 

à 5, et d’une partie du chapitre 4 de la Il° partie. Le texte 
_s’arrête brusquement, au milieu d’une phrase, avec ces mots : 
«Con queste dunque e con altre parole impetrd dala madre 
sua benedictione, e poi andà ala inferma. » La fin de ce cha- 


…  pitre 4, absente dans le manuscrit, occupe, dans l’imprimé 


de 1477, huit colonnes et demie; s’il était complet, le texte du 


manuscrit, après: «e poi andÔ ala inferma, » devrait continuer 


ainsi : «e cosi allegra la servi, come se mai non avessi detto 
di lei alcuno male. » 

Fol. 95 v, et fol. 96 r° et v°. Blancs. 

 Fol. 97 r°. « Qui comincia el volgarizalo di quello placentino 


“& sopradello nel principio di questa leggenda. » 





 Fol. 97 r°, col. 1-fol. 150 v°, col. 2 (in fine). Texte des 
chapitres 4 à 9, et début du texte du chapitre 10 de la 





10 BULLETIN ITALIEN 


11° partie. — Toute cette partie du manuscrit, et elle seule, 
est différente du texte imprimé de 1477. 

Fol 150 v°, col. 2 (in fine)-fol. 167 r°, col. 1. Texte de la 
fin du chapitre ro, et texte des chapitres r1 ef 12 de la 
Il° partie : « Et per tale modo venendo, quando fuoro appresso 
a questo castello per sey migliara, volsero alquanto reposare, 
ma non bene cautamente.. » 

Fol. 167 r°, col. 1-fol. 167 v°, col. 2. Table des chapitres de 
la IIT° partie (6 chapitres). 

Fol. 167 v’, col. 2; fol. : 98 r°, col. 1. Texte de la IH° partie. 

Fol. 198 r°, col. 1. « Qui finiscie la lerza e ullima parte di 
quesla leggenda dela beata Calerina da Siena. E cost è qui tulta 
compiula per volgare. Laqual leggenda in latino compose uno 
venerabile padre frale Ramondo da Capua, dotlor in sacra pagina 
e maestro generale di lullo l'ordine de’ frali Predicatori, avendola 
esso cominciala in Roma alquanti anni doppo el transilo dela 
delta beala, e compiutola pot in Cicilia, cirea gl anni domini 
MIIIC novanta quatro, essendo esso li in Cicilia per imbastciadore 
del sanlo padre, e essendo esso sulo l'ullimo confessore dela 
sopradetla beata; laquale, come appare nel quarto capilolo dela 
sopradelta terza parte, pass al cielo negl anni domini MCCCLXXX. 
Deo gratias. Amen. » 


Comme on l’a vu plus haut, le compilateur du manuscrit 
a pris soin de noter (fol. 24 v°, col. 1 ; cf. fol. 97 r°) que, pour 
une partie de la légende de sainte Catherine insérée dans son 
recueil, il a reproduit la traduetion d’« un sanese... singulare 
devolo dela detta vergine », et, pour le reste, celle d’« uno altro 
devoto, huomo Eombardo dela città di Piacenza », traduction 
dont une copie complète se trouvait alors à Venise, chez un 
certain «misser Franciescho Sandelli ». A la première de ces 
traductions, que nous appellerons traduction À, il a emprunté: 
1° toute la partie I de la Légende; 2° les chapitres 1 à 3 de la 
partie Il, et une portion du chapitre 4, qui, dans notre 
manuscrit, est brusquement interrompu au milieu d'une 
phrase. À la seconde traduction, ou traduction B, il doit: 
1° le chapitre 4 entier de la partie II de la Légende, de sorte 





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LÉGENDE DE SAINTE CATHERINE DE SIENNE II 


que ce chapitre 4 se trouve représenté deux fois dans notre 
exemplaire : une première fois d'une manière incomplète 
(traduction À), une seconde fois dans son entier (traduction B)'; 
° tout le reste de la légende, soit les chapitres 5 à 12 de la 
partie 11, et toute la partie II. 

Nous avons noté, d'autre part, que si la traduction imprimée 
à San Jacopo di Ripoli, en 1477, est conforme, pour une partie, 
au texte de notre manuscrit, pour une autre elle s'en écarte ; 
les divergences commencent avec la deuxième transcription 
du chapitre 4 de la partie Il, et se continuent pendant cinq 
chapitres (5 à 9), pour cesser avant la fin du chapitre 10 de 
cette même partie I. 

D'où nous devons conclure que, dans le manuscrit qui a 
servi de base à l'édition de 1477, la traduction À se continuait 
beaucoup plus loin que dans notre manuscrit 2178 (au delà 
du début du chapitre Il, 10), et que, pour tout le reste de 
la Légende, c’est-à-dire à partir du point où les deux textes, 
manuscrit et imprimé, coïncident de nouveau, le rédacteur 
de ce même manuscrit a eu sous les yeux, lui aussi, non 
plus la traduction À, mais la traduction B. 

Afin de permettre au lecteur de se faire une idée des diffé- 
rences qui existent entre ces deux traductions, nous donnons 
ci-après deux passages de chacune d'elles : le début du cha- 
pitre II, 4, et le début du chapitre IL, 10. 


IC parlie de la Légende; chapitre 4; début. 


TRADUCTION À. Trapucriox B. 


(Ms. italien 2178, fol. 87 r°, col. 1, et  (Msitalien 2178, fol. 97 r°, col. 1.) 
texte imprimé de 1477°.) 


Era nella mente di questa sa- Admirabile compassione era 
cra vergine una marävigliosa con- confissa nela mente di questa 


1. La portion du chapitre II, 4, qui, dans la traduction B, correspond à la partie 
déjà transcrite, fol. 87 r°-95 r°, de ce mème chapitre, d’après la traduction 4, est, 
dans notre manuscrit, annulée par un va-cat (fol. 97 r°-104 r°). 

2. Je reproduis le texte de l’imprimé, sans tenir compte des légères différences, 
simples différences de graphie pour la plupart, qu’il présente avec le texte manuscrit. 

3. La traduction 4 suit généralement de plus près que la traduction B l'original 
latin (cf. Acta sanctorum, Aprilis t. IE, p. 889, col. 1). 











12 BULLETIN ITALIEN 


passione de’ poveri, ma lunga- 
mente più mirabile e più excel- 
lente era la pietà che ella aveva 
inverso di coloro che erano infer- 
mi. Per la qual cosa fece opere 
quasi inaudite, le quali forse agli 
ingnoranti parranno incredibili, 
ma non sono pero per questo da 
passare con silentio, anche sono 
maggiormente da recitarle inte- 
ramente per maggior gloria 
dell onnipotente iddio. La narra- 
tione dumque di frate Thomaso 
ella sua scriptura e di frate Bar- 
tholomeo Dominici da Siena, el 
quale è ora maestro in sacra 
theologia e priore provinciale 
dell” ordine della provincia Ro- 


vergine di tutti li poveri, ma più 
admirabile pietà fu in questa ver- 
gine circa quelli che erano infer- 
mi; per laquale cagione fece 
opere maravigliose, lequali parre- 
beno incredibile ad altrui, ma 
non di meno per me se recita- 
ranno per maggiore gloria del om- 
nipotente Dio. La narratione e la 
scriptura di frate Thomaso e di 
frate Bartholamio di Siena:, maes- 
tro in theologia e provinciale dela 
Romana provincia, e la relatione 
de Lapa et de Lissa e d’alcune 
altre matrone degne di fede, me 
danno thema e cagione che io 
scriva cid che siegue appresso. 


mana, ella testimonianza ancora di più e più venerabile donne, 
le quali sono degne d’ogni fede, etiamdio oltre a Lapa e Lisa disopra 
nominate, mi pongono questo per necesità, cioè ch’ io reciti le cose 


che seguono. 


Ile partie de la Légende; chapilre 10; début. 


TRADUCTION À. 


(Texte imprimé de 1475.) 


Incredibile? forse t’imparrà, o 
lectore buono, quello ch’ io al 
presente intendo di narrarti ; ma 
quella verità che non inganni e 
non & ingannata, sa che tanto e 
per tal modo mi fu sperimental- 
mente noto, che nulla cosa degjl’ 
acti humani non si potrebbe tro- 
vare a presso a me più certa. Era 
in questa vergine sacra lo spirito 
prophetico, tanto perfecto e tanto 
continuo, che secondo che si 


1. Ms. : Siema, 


Trapucrion B 


(Ms. italien 2178, fol. 149 r°, col. 2.) 


O benigno lectore, forsi che tu 
crederessi non essere vero ci che 
io intendo de narrare a te; ma ve- 
racemente, come Jesu Cristo co- 
gnosce, io scrivo questo essere 
vero per propria experientia. In 
questa vergine era spirito de pro- 
phetia, cosi perfetto e cosi con- 
tinuo, che nulla era coperto a se, 
come vedea quelli che conversa- 
vano con ley e che aley° aveano 
recorso per la salute de l'anime 


2. Mème observation que pour le passage précédemment reproduit (cf. Acta sanc- 
torum, Aprilis t. HI, p. 922, col, 2, pars 11, cap. x1v). 





LÉGENDE DE SAINTE CATHERINE DE SIENNE 13 


vedeva, nulla allei poteva esser 
nascoso delle cose che apparivano 
allei, o vero a coloro che conver- 
savano eon lei, o vero a coloro che 
ricorrevano allei per salute dell’ 
anime loro. E non era possibile 
a noi, che conversavamo collei, 
di fare alcuno bene o vero alcuno 
male, ne piccolo ne grande, in 
sua absentia, che non pervenissi 
alla sua notitia, si come per fre- 


loro. Et noi, che aveamo la sua 
conversatione, non poteamo fare 
cosa in absentia de ley, laquale 
cosa fusse da fare mentione che 
alley potesse essere celata, come a 
noi fu la experientia manifesta. 
Ma dico anchora che molte fiate 
questa vergine dicea a noi le nos- 
tre cogitationi cosi perfettamente, 
quasi come daley propria fussero 
pensate. 


quentissima, anche quasi per 

continua esperientia questo vedemo. E quello che è più mirabile, si 
è chelle cogitalione del nostro cuore spesse volte cele diceva si 
perfectamente, come se per lei, non per noi, fussino state pensate. 


On peut voir, par ces deux extraits, combien nos deux 
versions sont éloignées l’une de l’autre; mais, si du début du 
chapitre II, 10, nous nous reportons à la fin de ce même 
chapitre, nous sommes frappés, au contraire, de l'identité des 
deux textes; les seules différences qui subsistent, sont des 
différences graphiques ou dialectales. C’est donc dans l'in- 
térieur de ce chapitre IT, ro, qu'il nous faut chercher l'endroit 
précis où cessent les divergences, c’est-à-dire où, dans l'im- 
primé, la traduction À ferait place à la traduction B; ce point 
de raccord, je crois l’avoir trouvé dans le passage reproduit 
ci-dessous ; on pourra y constater qu'à partir des mots : «E per 
retornare più tosto.a Siena vennero a cavallo a me. Et per tale 
modo venendo..., » les deux textes concordent parfaitement ; 
cette concordance se maintient jusqu’à la fin de la Légende. 

La comparaison des deux versions italiennes avec le texte 
latin original de Raymond de Capoue vient confirmer ces 
conclusions. La traduction À est généralement bien plus fidèle 
que la traduction B; or, nous observons que la version 
imprimée, qui suit d'assez près le texte latin jusqu'au passage 
du chapitre II, 10, que nous venons d'indiquer, s’en écarte 
précisément à partir du moment où elle se confond avec la 
version manuscrite, ou traduction B, c’est-à-dire à partir de 
ces mêmes mots : «E per retornare più tosto a Siena... » 

Bull. ital. : 








14 BULLETIN ITALIEN 


(Texte imprimé de 1477.) 


Ma: actendi quello che seguita, 
accid che tu abbi sperientia del 
suo senso prophetico e del mira- 
coloso adjutorio per lei ministrato 
da cielo. Jo era, gia sono passati 
molti anni, e prima ch’ io meri- 
tassi d’avere familiare notitia di 
questa prudente vergine, nel cas- 
tello el quale si chiama monte 
pulciano, nel quale castello io 
era proposto ad uno monasterio 
dell’ ordine mio, nel quale io stecti 
da quatro anni; e stando quivi 
solamente aconpagnato da uno 
frate del’ ordine, perchè quivi non 
è2 convento di frati, volentieri 
vedevo gli frati che venivano a 
me de conventi vicini, e singu- 
larmente quegli a me familiar- 
mente noti. Per laqual cosa frate 
Thomaso, confessoro della ver- 
gine disopra più volte nominato, 
insieme con frate Giorgio di Nar- 
do, elquale è ora maestro in sacra 
theologia, pensorono di venire 
del convento di Siena, accid che 
noi potessimo avere insieme qual- 
che consolatione spiritu{alle. E 
per ritornare più tosto a Siena, 
vennono à cavallo a me. Et per 
tale modo venendo, quando furo- 
no presso a questo castello per sei 
miglia, vollono alquanto ripor- 
sarsi, ma non bene cautamente, 
percid che in quello luogo era 
alcuni ladroni, gli quali, se vede- 


(Ms. italien 2178, fol. 150 v°, col. 2.) 


Or attendi ci che seguisse 
appresso, e vederay col miraculo 
el suo prophetico sentimento mi- 
nistrato per ley uno agiuto man- 
dato dal cielo. Io fuy per molti 
anni, e inanzi che io avesse la fa- 
miliarità di questa vergine, in uno 
castello nominato Monte Polli- 
ciano, nel quale trassi demora per 
quatro anni, avendo cura del mo- 
nasterio dele donne subjette al 
nostro ordine. Facendo demora 
solamente con uno frate in questo 
castello, percid che ivi non è con- 
vento de frati hedificato, io vedea 
molto volontieri li frati liquali 
venivano a me dali altri conventi, 
e maximamente coloro liquali 
erano domestici a me. Et per 
questa cagione frate Tomaso, con- 
fessore dela vergine, venne a me 
con frate Giorgi Nardi3 per darmi 
alcuna consolatione spirituale; e 
per retornare più tosto a Siena, 
vennero a cavallo a me. Et per tale 
modo venendo, qüando fuoro ap- 
presso a questo castello. per sey 
migliara, volsero alquanto repo- 
sare, ma non bene cautamente, 
percid che in quello luoco era 
alcuni latroni, liquali, se vedeano 
andare alcuno solitario o vero in- 
cautamente, el robavano e spo- 
gliavano luy, e alcuna volta el 
privavano dela vita, accid che non 
fussero accusati. Costoro vedendo 


1. Cf. Acta sanctorum, Aprilis t. IL, p. 923, coll. 1-2, pars Il, cap. x1v. 


2. Le texte porte non ne convento. 
3. Ms.: Naddi. 
h. Ms.: cautamente, Percid. 








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LÉGENDE DE SAINTE CATHERINE DE SIENNE 19 


vano andare alcuno solitario, lo questi frati andare senza altra 
rubavano e spogliavano, e alcuna  compagnia.… 

volta el privavano della vita, accid 

che non fussino accusati. Costoro vedendo questi frati andare senza 
altra compagnia… 


Il serait intéressant de rechercher quelle est, dans les 
autres manuscrits et dans les autres éditions de la Légende 
italienne de sainte Catherine, la part respective faite à 
l'une et à l’autre de ces deux versions. Grâce à une obli- 
geante communication de mon confrère, M. René Poupardin, 
qui a bien voulu le consulter pour moi lors d’un récent 
voyage, j'ai pu me rendre compile que le texte du manus- 
crit de Sienne T. Il, 1', comme celui du manuscrit de Paris, 
est formé de la juxtaposition de portions des deux traductions; 
dans cet exemplaire, le début du chapitre Il, 4 appartient à la 


version de Neri di Landoccio Pagliaresi ou version À (Era ne 


la mente), et le début du chapitre IL, 10, à la version de l’ano- 
nyme de Plaisance ou version B (O benigno lectore); le point 
de raccordement serait donc à chercher entre le début du 
chapitre Il, 4 et celui du chapitre II, 10; l'examen détaillé du 
manuscrit permettrait aisément de déterminer avec précision 
où finit la première traduction et où commence la seconde”. 
En ce qui concerne les éditions, si je ne suis pas en mesure 
d'indiquer la composition de celles de Naples, 1478, et de Milan, 
1486, j'ai pu constater que celle qui a été donnée à Milan en 
1489 ne contient absolument rien de la version 4°; elle doit 
donc nous représenter le texte intégral de la version B, 
reproduit en partie seulement, comme nous venons de le voir, 
dans le manuscrit T. IL, : de Srenre, dans le manuscrit de 
Paris 2178 et dans l'édition la plus ancienne, celle de 1477. 


Il me faut encore signaler, dans la légende de sainte Cathe- 


1. L'un des derniers possesseurs de notre manuscrit 2158 a transcrit le début du 
texte fourni par ce manuscrit de Sienne, et reproduit en regard le texte corres- 
pondant de l'édition de 1477; cette double copie est au feuillet B du manuscrit. 

2. Il est vraisemblable, d’après ce qu'en dit F. Grottanelli, Leggenda minore di 
S. Caterina da Siena.…, p. xn, que l’exemplaire de Sienne et le nôtre sont identiques. 

3. Cf. Gardner, Saint Catherine of Siena.…., p. vu et note. Mes recherches, tout à 
fait indépendantes de celles de M. Gardner, m'ont amené, sur ce point particulier 
exactement au mème résultat que lui, 





16 BULLETIN ITALIEN 


rine, telle qu'elle est conservée dans notre manuscrit 2178, . 
une particularité intéressante, qui semble avoir échappé à 
Berardelli; je veux parler d'une longue note ajoutée, d'une 
main autre que celle du copiste du manuscrit, au texte du 
chapitre 12 et dernier du livre IL. Commençant vers le milieu 
de la marge extérieure du feuillet 164 v°, cette note se poursuit, 
sur deux colonnes, dans la marge inférieure de cette même 
page, et s'achève, sur deux colonnes également, dans la marge 
inférieure du feuillet suivant 165 r°. Elle comporte elle- 
même plusieurs petites additions, reportées dans la partie 
supérieure, laissée libre, de la marge extérieure du feuillet 
164 v°. Ces diverses reprises et retouches semblent bien 
indiquer que nous sommes ici en présence d'un original. Le 
passage ainsi ajouté est par lui-même fort curieux; il se 
rapporte aux deux calices d'argent fin dont la sainte faisait 
usage, et nous y trouvons, au sujet de ces calices, des traits 
merveilleux, rapportés ici sur le témoignage de « frate Tomaso 
d'Antonio'» de Sienne et d’autres personnes. Ainsi, lisons- 
nous, lorsque Catherine communiait, il arrivait que l’hostie 
s’échappät des doigts de l’officiant pour voler dans la bouche 
de la bienheureuse; et lorsque, après la communion, le prêtre, 
selon l’usage, lui présentait le vin dans le calice, elle serrait 
ce dernier avec une force telle, qu’elle laissait profondément 
empreinte sur les bords la marque de ses dents; de sorte que 
ses deux calices, est-il dit dans notre note, étaient, à leur 
extrémité supérieure, dentelés et « mâchés », comme auraient 
pu l'être des calices de plomb. 

Je ne trouve rien qui corresponde à ce passage, soil dans 
l’Epilome vilae bealae Caterinae de Senis, par Thomas de Sienne 
(Tommaso d’Antonio Caffarini), publié par Mombritius, soit 
dans la Légende latine de Raymond de Capoue, soit encore 
dans la Légende italienne de l'édition de Milan, 1489; mais 
nous avons, sous une forme un peu différente et plus déve 
loppée, l'équivalent de l’interpolation de notre manuserit 2158, 
dans l'édition, si souvent citée plus haut, de 1477; il ne m'a 


1, Frà Tonmmaso d' Antonio Nacci Caffarini, traducteur, comme on l’a vu plus haut, 
des lé zendes de sainte Jeanne d'Orvieto et de sainte Marguerite de Città di Castello. 





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LÉGENDE DE SAINTE CATHERINE DE SIENNE 17 


pas paru sans intérêt de reproduire parallèlement les deux 
textes. D'un même récit latin, diversement remanié, il aura été 
fait plusieurs versions italiennes ; le manuscrit 2178 nous aurait 
conservé l'original ou plutôt la minute de l’une d'elles. 


(Texte imprimé de l'édition de 1473.) 


lo non voglio ne affermare ne 
negare,mala discretione dellectore 
pud giudicare che come la cosa è 
da essere condocta, considerato el 
fondamento delle gratie sopra 
decte, le quali aveva questa sancta 
vergine. || Dove ancora m'occorre 
un’ altra cosa, la quale non è da 
preterire, ma bene si debbe sin- 
gularmente notare; cioè, che 
tanto era el divoto e fervente 
affecto di questa vergine circa el 
venerabile sacramento, che, quan- 
do essa lo riceveva per le mani 
del sacerdote, più volte si vedeva 
chiaramente che l’ ostia conse- 
crata non solamente con una 
violentia usciva delle dita del 
sacerdote e senza nessuna actrac- 
tione di labbra o di denti o di 
lingua d'essa vergine volava nella 
bocca sua, ma eliamdio, dopo 
ericevimento della decta hostia 
consecrata, per la sua excessiva 
mente di divotione e afectione 
che essa aveva al sangue di cristo, 
più volte, essendole porto dal 
sacerdote secondo l’usanza el vino 


(Ms. italien 2178, fol. 165 r°, col. 1.) 


lo non voglio cid negare ne 
affermare, ma la discreptione del 
lectore pud giudicare che cosa è 
da essere creduta, considerato el 
fundamento dele gratie sopra- 
dette, le quali avea questa ver- 
gine. || Dove: è anco ben singu- 
larmente2 da notare come tanto 
era lo smisurato e inesplicabile 
affetto d’essa vergin santa al 
sopradetto venerabile sacramento, 
che spesse fiate, quando comuni- 
cava e lo prendeva, non sola- 
mente |’ ostia consecrala parea 
che fosse tracta dele mani del 
sacerdote per forza, e saltasse ne- 
la bocca dela santa vergine, 
senza che la vergine essa ostia a 
se traesse, o co’ denti o cole labbra 
o cola lingua3,ma eziamdio,poiche 
era comunicata, dandole el sacer- 
dote el vino nel calice, com è 
d’ usanza, acid 4 che essa el pren- 
desse, per la grande devotione e 
affectione che ella avea al sangue 
di Cristo, con tanta reverenza di 
mente e di corpo el detto vino 
prendea e beeva, come se fosse 


1. Ici commence cette longue addition marginale (fol. 164 v°); un signe conven- 
tionnel renvoie, dans le manuscrit, du texte à cette addition. 

>. Les deux mots «ben singularmente » ont été ajoutés, d’une encre beaucoup 
plus pâle, immédiatement au-dessus de la ligne qui commence par : « Dove è anco » 


(fol. 164 vo, dans la marge extérieure). 


3. Les trois mots : « o cola lingua », d’abord omis, ont été ajoutés dans une partie 
restée blanche de la marge extérieure du feuillet 164 vo, 

h. Le membre de phrase : « acid che essa el prendesse. d’esso Geso Cristo » a été 
ajouté dans la partie supérieure de la mème marge. 


18 BULLETIN ITALIEN 


nel calice, con tanta reverentia di 
mente e di corpo el pigliava come 
se fussi propriamente stato el 
sangue di cristo; e prendeva del 
decto vino del calice e beeva, si 
come dalla divina suavità mira- 
bilmente fussi pasciuta e della 
divina dolceza sopra mirabil- 
mente inebriata. Per si facta forma 
avendo essa beuto e preso el 
decto vino, s’atachava poi e pren- 
deva cogli suoi denti la summità 
e l’orlo del calice, e con tanta 
forza de suoi denti, per grande 
spatio di tempo, si forte e si 
strectamente teneva el decto ca- 
lice, che finalmente conveniva 
che el sacerdote, non senza grande 
difficultà e con singulare ingegno, 
esso calice de denti della vergine 
si come per forza elo traessi asse. 
Dopo la qual cosa, secondo la 
consuetudine d’essa vergine, per 
si facto modo, per ispatio di più 
hore, era con la sua mente levata 
suso ad dio, nell’ abisso della 
divina degustatione saginata e 
assorta, che rimaneva si come esa- 
nime e abstracta da ogni senti- 
mento corporale. E in segno d'’ella 
vehemente applicatione de denti 
della vergine al decto calice, è da 
sapere come essa aveva due calici, 
equali con certi paramenti teneva 
appresso asse per la opportuna 
e necessaria celebratione della 
messa dovunque ella stesse o che 
si trovassi, per lo privilegio che 


1. Le membre de phrase : 


« e avendolo essa beuto... 


suto propriamente el sangued’esso 
Geso Cristo ; e avendolo: essa 
beuto con inesplicabile soavità e 
dolceza, si come che tutta ebria di 
spirito diventata, con tanto da- 
poi fervore teneva strettamente e 
fortemente la sommità o vero l’orlo 
del calice co i suoi denti, e per 
longo spazio di tempo, che con 
ingegno e con grande difficultade 
si traeva de la bocca sua; in tanto 
che la sommità o vero gl’ orli di 
due calici equali essa aveva, 
erano pieni di dentature, essendo 
incincischiati e masticati o vero 
interrotti da i suoi denti, come se 
fossero edetti calici suti o vero 
quasi stati di pionbo. E niente- 
dimen erano d’argento fino, in 
tanto che uno d’essi, el quale fe 
fare uno gentile homo di Genova, 
e donollo a lei quando essa era a 
Genova col papa Gregorio unde- 
cimo, tornata con esso d’Avignone, 
cost ducati trenta due; l’altro era 
alquanto minore. E tutte queste 
cose vidde e provù el sopradetto 
frate Bartolomeo, spesse fiate, e 
confessando e comunicandola. 
E similemente buona parte: de 
le dette cose vidde uno frate To- 
maso d’Antonio, del quale di- 
sopra fu fatto menzione, e anco 
molte altre persone. Anco uno 
venerabile religioso, maestro Gre- 
gorio da Rimino, dell’ ordine 
de’ frati Romiti di santo Agostino, 
ebbe a dire nela prezença d’ uno 


e fortemente la sommilà 


ec. », a été ajouté après coup, et d’une écriture un peu plus fine, immédiatement 
au-dessous du membre de phrase : « acid che essa el prendesse… d’esso Geso Cristo, » 
Le texte primitif, après « com è d’usanza », porte : «con tanto fervore prendea la 


sommità o vero... » 
2. Ms. : in buona parte, 








LÉGENDE DE SAINTE CATHERINE DE SIENNE 19 


aveva da papa Gregorio undecimo. 
Erano e decti calici nelle loro 
summitadi e orli si cincisciati e 
intercisi da denti della vergine, 
come se fussino stati di stagno o 
di piombo. E l’uno d’essi le fu 
dato a Genova quando essa ritornd 
d'Avignone col sopradecto papa 
Gregorio, che costù trenta due 
ducati. Ma l’altro era di minore 
quantità e di minore valore. Or 
questo più volte esperimentd e 
vidde el sopradecto maestro Bar- 
tholomeo, el quale non solamente 


misser padre: Leonardo? Pisani 
e di più altre venerabili persone, 
come una fiata, comunicando3 
esso in Roma la detta vergine, e 
avendo l'ostia consecrata in su 
la patena per voler darlila, l’ostia 
per se medesima vol dela patena 
nela bocca dela detta vergine. E 
cosi ebbe a testificare più volte 
el sopradetto misser padre4 Leo- 
nardo da Vinegia, dinanzi al sopra- 
detto frate Tomaso d’Ant{onio] da 
Siena e di più altre persone. || E 
cosi noi porremo, etc. 


udi a confessione la decta vergine, 

ma etiamdio più tempo le decte la santa comunione. E ancora la sopra- 
decta maraviglia vidde uno frate Thomaso d’Antonio da Siena, del 
quale di sopra fu facta mentione nel sexto capitolo. E anche molti 
frati e sacerdoti cogli loro compagnie, molte altre persone, huomini 
e donne, le quali si trovavano alle predelclte celebratione delle 
messe, questa grande maraviglia vedeano. Appresso, uno venerabile 
religioso, el quale si chiama maestro Gregorio da Rimine, de’ frati romiti 
di sancto Agustino, grande maestro edoctore in sacra theologia, dinanzi 
alla presentia d’un venerabile messere prete Lionardo Pisano e di più 
altre venerabile persone, intra l’altre cose, rendeva testimonianza 
di questa vergine, cioè che, trovandosi esso a Roma nel tempo che 
y’ era la decta vergine, disponendosi alcuna volta per singulare 
gratia a celebrare e concederle la sancta comunione, esso la vide che, 
essendo per comunicarla e avendo posta l'ostia in su la patena, essa 
hostia per se medesima si partiva della patena e volava in bocca della 
vergine. E questo medesimo ebbe arrecitare nella ciptà di Vinegia el 
sopra decto messere prete Lionardo nella presentia di prete Giovanni 
da Pozo e [dJel decto frate Thomaso da Siena, el quale allora predicava 
in Vinegia, e anche in presentia di molte altre persone. || E cosi noi 
porremo fine. 


Les deux textes qui précèdent sont eux-mêmes à rapprocher 


1. Le manuscrit porte pre, sans aucun signe d’abréviation. Peut-être, au lieu de 
prete, comme dans le texte imprimé, faut-il lire padre. 

2. 11 y a à cet endroit un grattage, par suite duquel le mot Leonardo, qui devait 
avoir été écrit ici primitivement (cf. un peu plus loin), est devenu lono do. 

3. On remarque encore un grattage entre ce mot et le suivant. 

4. Le manuscrit porte ici encore pre, sans aucun signe d’abréviation, comme 
plus haut. 


20 BULLETIN ITALIEN 


d'un troisième, plus court, mais dont nous connaissons bien 
l'auteur. On a pu remarquer que, tant dans la note marginale 
du manuscrit italien 2178 que dans le passage correspondant 
de l'édition de 1477, par deux fois est invoqué le témoignage 
de « frate Tomaso d’Antonio » ou « frate Thomaso d’Antonio da 
Siena »; or, dans le procès instruit à Venise, en 1411, sur la 
sainteté et la doctrine de Catherine de Sienne, l’un des prin- 
cipaux témoins fut précisément ce même frà Tommaso 
d’Antonio, ou frà Tommaso Nacci Caffarini, qui avait été en 
relation pendant bien des années avec elle; et dans un 
passage de sa longue et très intéressante déposition, nous 
retrouvons, rapportés plus succinctement, les faits merveil- 
leux consignés dans les notes reproduites plus haut : 


« Dico etiam, » lisons-nous dans cette déposition de frà Tommaso, 
«quod cum virgo ad civitatem Senarum de Avenione redisset, et in 
domo propriæ habitationis de apostolica licentia aliquoties missa 
celebraretur, contigit me ibidem aliquando juvare ad missam, atque 
videre qualiter virgo post Eucharistiæ mirabilem sumtionem, veluti 
caritate effusi pro nobis sanguinis Jesu-Christi taliter inebriata, os 
suum ad os calicis postquam vinum de illo sumsisset, taliter appli- 
cabat, et cum propriis dentibus ita fortiter detinebat, ut sacerdos de 
dictis dentibus vix finaliter posset calicem retrahere. Propter cujus 
actus frequentiam, vidi dictum calicem circumceirca extremilates 
per ejusdem dentes virginis mirabiliter undique intercisum, et prout 
apparet in libeilo de supplemento legendæ virginis, id in duobus aliis 
calicibus noscitur contigisse 1. » 


Le Libellus de supplemento legendae virginis mentionné à la 
fin de l'extrait qu'on vient de lire, ne serait-il pas cet autre 
ouvrage de frà Tommaso Nacci Caffarini, dont le texte latin, 
conservé dans plusieurs manuscrits, n’a jamais été impriméà, 


1. Processus contestalionum super sanctitate et doctrina beatæ Catharinæ de Senis, 
dans Martène et Durand, Veterum scriptorum... amplissima collectio, t. VI (729), 
col. 1272. — Une traduction abrégée de ce passage se trouve dans E. Cartier, Wie de 
sainte Catherine de Sienne, par Raymond de Capoue, son confesseur, suivie du supplément 
de T, Caffarini et des témoignages des disciples de sainte Catherine au procès de Venise, 
t, 11 (1877), p. 243. 

2. Une copie faite au xvur° siècle sur l'original conservé au couvent de Saint-Do- 
minique, à Sienne, se trouve à la bibliothèque Casanatense, à Rome, sous le n° 2360 ; 
cf. A. Poncelet, Catalogus codicum hagiographicorum latinorum bibliothecarum Roma- 
narum praeler quam Vaticanam (Bruxelles, 1909), p. 265. C’est l’exemplaire mentionné 
par Cartier, Vie de sainte Catherine de Sienne, etc., t, 1, p. xvn, sous la cote xxvr, 86 








RE CET PT AR POLE 





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NES AE, a at à 


LÉGENDE DE SAINTE CATHERINE DE SIENNE 21 


mais dont il a paru, au xvunr siècle, sous le titre de Supple- 
mento alla volgala leggenda di sancta Catarina di Siena, ehe 
forma il lomo secondo della sua vita, une traduction italienne, 
due au P. Ambr.-Ansano Tantucci:? J'ai vainement cherché, 
dans cette traduction, le passage, visé dans la déposition de 
frà Tommaso, relatif aux deux calices de sainte Catherine 
portant sur leurs bords les marques de ses dents; mais deux 
paragraphes du chapitre xvir du « Trattato VI » de ce Supple- 
mento sont consacrés au fait miraculeux, rapporté ci-dessus, 
de l’hostie volant des mains du prêtre dans la bouche de la 
sainte; dans l’un et dans l’autre de ces deux paragraphes, on 
remarquera certaines expressions très voisines de celles que 
nous avons rencontrées dans les deux notes italiennes 
imprimées plus haut, et, dans le second, une relation assez 
détaillée du témoignage, allégué dans ces mêmes notes, de frà 
Gregorio da Rimini?. Voici les deux passages en question : 


$ 45. «E qui à viene in acconcio cid, che io medesimo Fra Tommaso 
della Fonte testimone di vista osservai con maraviglia. Frequente- 
mente, anzi poco meno che sempre, spiccava dalle mani del Sacerdote 
la Sagrosanta Ostia, e volava da se stessa a nascondersi dentro il petto 
della Santa Vergine, senza ch’ ella, o colla lingua, o con le labbra 
punto cooperasse per inghiottirla... ». 

$ 46. « L’istesso testifica, e più volte testifico il Maestro Fra Gregorio 
da Rimini, dell’ Ordine Romitano di Sant’ Agostino, Religioso di 
eccelente dottrina, e pietà, nipote dell’ altro Fra Gregorio de Rimini, 
famoso, ed insigne Teologo de’ suoi tempi, e poi Priore Generale del 


(pour xx. vi. 36). — Quétif et Echard, Scriptores ordinis Praedicatorum, t. IE (1721), 
p. 822, col. 2, signalent un autre exemplaire dans une bibliothèque de Bologne. — 
Le procès de Venise est de 1411; si la date 1416, qui se lit dans l’exemplaire de la 
Casanatense, copie de l'original, est bien celle de la composition de l’ouvrage, 
il faudrait admettre que ce traité, lors de la déposition de fra Tommaso, était 
seulement en préparation, ou que l’auteur, dans cette déposition, vise une première 
rédaction, antérieure de plusieurs années à la rédaction définitive. Il est à noter 
toutefois que le titre Libellus de supplemento legendae.…, indiqué dans la déposition, 
est bien celui que porte l’ouvrage contenu dans le manuscrit de la Casanatènse. 

1. Lucques, 1754, in-4°. Cette traduction doit se joindre aux cinq volumes in-4° des 
Opere di Caterina di Siena publiés par les soins de Girolamo Gigli. — Ce Supplément 
a été traduit et abrégé par E. Cartier, dans le second volume de sa traduction de la 
Vie de sainte Catherine de Sienne, par le B. Raymond de Capoue, pp. 89-221. 

2. Du calice de sainte Catherine, il est dit seulement, à la fin de cette relation, 
que la bienheureuse «l’addentd a guisa tale, che a gran forza poterono distaccarlo ». 

3. Fra Tommaso d’Antonio rapporte ici le témoignage de fra Tommaso della 
Fonte, qui fut l’un des confesseurs de sainte Catherine et dont les notes ont beaucoup 
servi à Raymond de Capoue pour la rédaction de sa Légende, 


22 BULLETIN ITALIEN 


suo Ordine. Degno d’ammirazione & il fatto, che a lui successe in 
Roma, dov’ era già divenuto celebre il nome di Caterina. Richiese 
questi in grazia di poterle un giorno amministrare la Santa Commu- 
nione.. Venuto dunque, che fu il tempo... di porgere il Divin 
Sagramento, tenendo egli in mano ferma la Patena, vide con gli occhi 
proprj, ed anco con universal stupore videro tutti i circostanti, che 
l'Ostia Sagrosanta si spicco dalle mani del Sacerdote, ch’ era lo stesso 
Maestro Fra Gregorio, ed al cospetto di quanti quivi assistevano al 
Sagrifizio, vold dirittamente dentro l’aperta bocca dell’ affammata Ver- 
ginella. Porgendole poi.. il calice per purificarsi le labbra, la Santa, 
quasi assetata del sangue preziosissimo di Gesù Cristo, l’'addentà a 
guisa tale, che a gran forza poterono distaccarlo:.…. » 


En résumé, l’étude qui précède nous amène aux deux prin- 
cipales constatations que voici : 

1° Dans les manuscrits et dans les éditions, ont été juxta- 
posées des portions, d’étendue très variable, des deux plus 
anciennes traductions italiennes de la légende latine de sainte 
Catherine de Sienne, par Raymond de Capoue, traductions 
dues, l’une (la plus fidèle) à un Siennois, identifié par Grotta- 
nelli avec Neri di Landoccio Pagliaresi, l’autre (la plus libre) 
à un anonyme de Plaisance; 

2° Dans une interpolation du manuscrit italien 2178 sont 
rapportés certains faits miraculeux relatifs à sainte Catherine, 
absents de la Légende originale latine de Raymond de Capoue; 
le récit de ces mêmes faits se retrouve, sous une forme plus ou 
moins différente, dans plusieurs autres écrits contemporains. 


IV 


Fol. 199 r°. « Quesla? è una lauda facla in reverenzia dela 
beata Katerina da Siena, veslila del abilo di santo Dominico, 
e laquale fe e compose uno suo devolo senese de’ frati Predi- 
calori3. Si forte del parlare io son constretto Quel ch’ o nell’ 


1. Supplemento alla volgata leggenda, etc., pp. 191 et 192. — Cf. E. Cartier, Vie de 
sainte Catherine de Sienne..., t. II, pp. 201-202. 

2. Ici comme plus haut, les italiques indiquent les parties du texte écrites en rouge. 

3. Frà Tommaso d’Antonio Nacci Caffarini, dont le nom est revenu si souvent au 
cours de cette étude. 








LÉGENDE DE SAINTE CATHERINE DE SIENNE 23 


intelletto... » — Fol. 202 r°: « À goder e lodare Lui signor 
nostro sempre e benedire. Amen. Si forte era constretto dal 
mio sire Di questa vergin dire, Che più l’tacer non potie soffe- 
rire. Deo gratias. Amen. » — Cette « laude » a été imprimée 
à Sienne (tip. A. Mucci), en 1863, d’après un manuscrit moins 
complet (qui donne seulement les 11 premières strophes sur 24 
que contient notre exemplaire), sous les titre et sous-titre que 
voici : « Con solenne e devota pompa, il giorno 29 aprile 1863, 
nella chiesa della ven. confraternità di Santa Caterina da Siena 
in Fontebranda, celebrandosi l’annua festività della di lei 
padrona, il maëstro dei novizj offre ai priori delle compagnie 
aggregate la seguente lauda.» « Una lauda a riverenza della 
beata Vergine Caterina da Siena, fatta per frate Tommaso de’ 
Predicatori. » A la suite de cette poésie, se lit un « Cenno sull 
autore », — cet auteur est aussi, on s’en souvient, le traduc- 
teur des deux premières légendes du recueil, — avec la date : 
« Siena, li 29 Aprile 1863 », et la signature «F. G.» Un exem- 
plaire de cette plaquette, qui se compose de 8 pages in-8°, 
a été relié en tête de notre manuscrit. 
L. AUVRAY. 


1. Dans le manuscrit de la Bibliothèque nationale de Florence, Palat., n° 13 (cf. 
Guido Gentile, 1 Codici Palatini, t. 1, p. 13), cette même laude se termine, comme dans 
l'imprimé de 1863, par le vers: « Per gran perfezione che in lei sentio. » La partie 
non imprimée commence, dans notre manuscrit, par cet autre vers: « Sempre suo 
Gesu più perfettamente ». Serait-ce là le début d’une autre pièce? Rien, dans le 
manuscrit, ne le donne à supposer. 








LA TRADITION DE BURIDAN 


ET LA 


SCIENCE ITALIENNE AU XVI‘ SIÈCLE 
(Suile .) 


a —— ——_———— 


II 


La DYNAMIQUE PARISIENNE AU TEMPS DE LÉONARD DE Vin. 


La Dynamique que Jean Dullaert? et Louis Coronel$ ensei- 
gnent à Montaigu, que Jean de Celaya“ professe à Sainte- 
Barbe, c’est la Dynamique de Jean Buridan et d’Albert de Saxe, 
c'est la Dynamique de l’impelus. 

Comment le projectile se meut-il après qu'il a quitté la main 
ou la Machine par laquelle il a été lancé? Tous rejettent les 
explications qui attribuent à l’air la continuation de ce mouvye- 
ment, que l’action invoquée soit une poussée de l'air qui 
tourbillonne à l'arrière du mobile ou une attraction de l'onde 
condensée qui se propage à l’avant. « A l'encontre de ces deux 
manières de dire, » écrit Dullaert, « j’élève un seul et même argu- 
ment: Un mobile peut se mouvoir d’un mouvement de rotation, 
et cela en demeurant toujours au même lieu; il n’est assuré- 
ment mû ni par l’air qui le pousse, ni par l’air qu'aurait 


1, Voir le Bull. ital., t. IX, 1909, pp. 338-360. 

2. Joannis Dullaert de Gandavo Op. cit, Physicorum lib. VIII, quæst. IL: 
Quæritur secundo utrum projectum, dum reflectitur, in puncto reflexionis quiescal, 

3. Ludovici Coronel Op. eit.. lib. IE, pars 1: De motu locali; éd. cit., fol. L, col. e 
seqq. (En titre courant: De impetu.) 

h. Joannis de Celaya Op. cit., lib. VIII, cap. XI, quæst,. II1: À quo movetur projec- 
lum post separationem illius a quo projicitur; fol, CC, col. d et fol. CCI. (En litre 
courant : De motu projecti.) 








LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU XVI SIÈCLE 29 


ébranlé celui qui l’a lancé; ces deux explications sont donc 
insuffisantes. La conséquence résulte clairement de l’anté- 
cédent, et celui-ci est rendu manifeste par le mouvement du 
sabot. 

» Bien que l’une de ces deux opinions paraisse avoir été celle 
du Philosophe, on en tient communément une troisième, que 
voici : Après le repos du moteur qui l’a lancé, le mouvement 
du projectile est produit par une certaine vertu imprimée en 
ce mobile; c'est-à-dire que le premier moteur donne au pro- 
jectile la vertu de se mouvoir dans telle direction qu'il vise, 
de même que l’aimant, nous l'avons dit plus haut, donne au 
fer la vertu de se mouvoir » vers lui. 

Louis Coronel rejette également, par divers arguments, les 
théories qui attribuent au mouvement de l'air la continuation 
du mouvement des projectiles; l’un de ces arguments est le 
suivant : « Cette explication ne rend pas compte d'une manière 
satisfaisante du mouvement de rotation de la roue que personne 
ne tire et qui, en son mouvement, demeure toujours en contact 
avec le même air; on ne peut dire, en effet, dans ce cas, que 
les parois de l'air viennent se réunir après avoir été séparées, 
puisque pendant toute la durée du mouvement, la roue demeure 
au même lieu. » 

Coronel nous apprend ensuite que « beaucoup de savants 
s'accordent à imaginer un énpelus distinct du mobile; en 
premier lieu, lorsqu'un corps pesant est projeté en l'air ou 
horizontalement, il ne pourrait, après avoir été lancé, continuer 
à se mouvoir si l’on n'y supposait une certaine qualité motrice 
que l'instrument de projection y a imprimée et que l'on 
nomme #npelus; si l’on n'admettait pas l'existence de cette 
qualité, les physiciens ne sauraient quel moteur donner à ce 
mobile. » 

Dullaert nous apprend non seulement que cette explication 
est communément reçue, mais encore que l’on donne habituel- 
lement à cette vertu imprimée dans le mobile le nom de gravilé 
accidentelle lorsque le projectile est lancé vers le bas, et de 
légèreté accidentelle lorsqu'il est lancé vers le haut. Ces déno- 
minations ne lui plaisent pas; en un corps, en effet, que l’on 


CRAN TO LL SE nr be nel: AT 4112 
d LA LA ie Mn Que CC cie br 


26 BULLETIN ITALIEN 


lance horizontalement, cette vertu ne peut être dite ni gravité 
ni légèreté; il vaut donc mieux, dans tous les cas, l’appeler 
impelus. Ce vœu paraît avoir été exaucé à Paris, car Coronel et 
Celaya n’emploient plus, pour désigner cette vertu imprimée 
au mobile, d'autre terme que celui d’ünpelus. 

Quelle est, selon nos auteurs, la nature de cette vertu? Nous 
passerons en revue, tout à l'heure, leurs opinions à cet égard. 
Suivons, pour le moment, l'emploi qu'ils en font, d’après 
Buridan et Albert de Saxe, pour expliquer les divers phéno- 
mènes de la Dynamique. 

« Une pierre, » dit Dullaert, «reçoit plus de cette vertu 
que n’en reçoit une plume; elle peut donc être lancée plus 
loin. » 

Jean de Celaya, à limitation de Buridan, précise davantage : 
« Vous demanderez peut-être pourquoi, selon cette opinion, 
une pierre lancée se meut plus longtemps qu’une plume. On 
répondra que la raison en est telle : La pierre a plus de matière 
et est plus dense que la plume; elle reçoit donc un impetus 
plus intense, et elle le retient plus longtemps; dès lors, il 
n’est pas étonnant qu’elle se meuve plus longtemps. » 

A cette explication, Celaya prévoit une objection: « Un pro- 
jectile de grandes dimensions se mouvrait donc plus rapidement 
qu’un projectile plus petit ; cette conséquence est contraire à 
l'expérience; cependant, on la prouverait ainsi : L'impetus 
imprimé au grand projectile est plus considérable que l'impetus 
imprimé au petit; le grand projectile se meut donc plus vite 
que le petit. 

» À cette réplique nous répondrons que la conséquence est 
faussement déduite. Pour le démontrer, il nous faut distinguer 
que l’impelus imprimé à un projectile peut être plus considé- 
rable ou bien intensivement (et nous nierons qu'il en soit ainsi 
dans le cas considéré), ou bien exlensivement; nous accorderons 
que ceci a lieu dans le cas considéré; mais alors nous nierons 
la conséquence ; il n'y a, en effet, aucun inconvénient à ce 
qu'un émpelus qui est exlensivement moindreqæun autre impelus, 
mais qui est inlensivement plus considérable, produise un mou- 
vement plus rapide que ce dernier. » 











étre à 


D om at ot dat à 


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à 


LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU XVI° SIÈCLE 27 


Les distinctions, si familières à la Scolastique, que marquent 
les mots extensive et intensive, trouvent leur traduction adéquate 
en cet énoncé de forme toute moderne: L’impetus total d'un 
corps résulte d’impelus attribués à chaque élément de ce 
corps; toutes choses égales d’ailleurs, l'impetus élémentaire 
est d'autant plus intense que la vitesse de l'élément est plus 
grande. 

La lecture de l'ouvrage de Jean de Celaya nous montre que 
l’on songeait, à Paris, à la distribution extensive de l'impelus 
en la masse d’un corps; on y était, d'ailleurs, conduit par les 
opinions de Marsile d'Inghen que nous avons rapportées en 
notre précédente étude : et que, tout à l'heure, nous verrons 
discutées par Louis Coronel. Nous savons ? comment cette notion 
de la distribution extensive de l’inpelus a conduit Léonard de 
Vinci et Bernardino Baldi à concevoir l'existence d'un centre 
de la gravilé accidentelle et, par là, à préparer la voie à Roberval, 
à Descartes et à Huygens. 

« Lorsqu'un corps est jeté en l'air,» déclare Dullaert, «il 
se meut plus vite au commencement qu'à la fin, et plus vite 
au milieu de sa course qu’à la fin, et cela parce que la vertu 
imprimée en lui s’affaiblit sans cesse et de plus en plus. » 

« Certains disent, » écrit le même auteur, « que l’impelus, 
causé par la violence, se corrompt par suite de l’absence de 
sa cause... Mais il vaut mieux, je crois, dire que cet impelus, 
causé par la violence, est corrompu par la forme même 
du projectile, forme qui incline le corps à un mouvement 
contraire à celui que produit l’inpelus. » 

Louis Coronel dit plus brièvement : « Le corps mù violem- 
ment se meut d'un mouvement opposé au mouvement 
naturel; landis qu'il se meut, l’inpelus s’affaiblit sans cesse; 
il est plus intense au début du mouvement et plus atténué 


1. Jean 1 Buridan (de Béthune) et Léonard de Vinci, V : Que la Dynamique de 
Léonard de Vinci procède, par l'intermédiaire d’Albert de Saxe, de celle de Jean 
Buridan. — En quel point elle s’en écarte, et pourquoi. — Les diverses explications 
de la chute accélérée des graves qui ont été proposées avant Léonard, pp. 94-96. 

2. Léonard de Vinci et Bernardino Baldi, IV : Les emprunts de Bernardino Baldi à la 
Mécanique de Léonard de Vinci (suite). Le centre de la gravité accidentelle (Etudes sur 
Léonard de Vinci, ceux qu’il a lus et ceux qui l’ont lu, IH; première série. p. 108, seqq.) 


- Bernardino Baldi, Roberval et Descartes (ibid., IV ; première série, p. 127, seqq.). 


OT 7 PR TP A TS EN ENT ES 






28 BULLETIN ITALIEN 


à la fin; un tel mobile se meut donc de plus en plus 
lentement. » 

C'est dans le traité de Jean de Celaya que nous trouvons 
exposée de la manière la plus nette la loi de l’inerlie sous la 
forme que Jean Buridan lui avait donnée et que Galilée gardera 
encore presque textuellement : 

« Contre cette solution, » dit le régent de Sainte-Barbe, «on 
oppose l'argument suivant: Il résulterait de cette théorie 
qu'un corps projeté se mouvrait toujours. Cette conséquence 
est fausse et, cependant, le raisonnement est évident; rien, 
en effet, ne détruirait cet impelus; il mouvrait donc toujours 
le projectile. 

» Nous répondons à cette réplique en refusant de reconnaitre 
la valeur du raisonnement, et cela parce que nous mnions 
l'antécédent. Cet impelus, en effet, est détruit tantôt par le 
milieu résistant, tantôt par la forme ou par la vertu du 
projectile qui exerce une action résistante, tantôt enfin par 
-un obstacle. 

» … Lorsque l'on jette un grave en l'air, la forme de ce 
grave ne coopère pas au mouvement ascensionnel; elle y 
résiste, au contraire, et elle diminue l’impelus imprimé en ce 
mobile. » 

L'impelus devrait donc durer indéfiniment s'il n'avait à 
lutter contre aucune des trois causes de destruction qui ont 
été énumérées; c’est bien ce qu'admet Celaya : « Selon cette 
opinion, il ne serait pas nécessaire de supposer autant 
d'intelligences qu'il y a d’orbes célestes; il suffirait de dire 
qu'il y a en chaque orbe un impelus, que cet impelus y a été 
imprimé par la Cause première, et qu'il meut cet orbe; cet 
impelus ne se corrompt pas, car un tel orbe céleste n'a aucune 
inclination au mouvement contraire. » 

Lorsque Buridan avait émis, au sujet des mouvements 
célestes, cette audacieuse hypothèse, il avait humblement 
sollicité le jugement des théologiens. Voici que par la voix 
de Jean Majoris', la Théologie déclare que cette supposition 
est recevable. 


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LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU XVI° SIÈCLE 29 


Jean Majoris soutient que le Ciel est composé de matière 


et de forme. À l'encontre de cette opinion, il prévoit l’ob- 


jection suivante : 

« Si le Ciel était ainsi composé, il n’aurait nul besoin d’un 
moteur extrinsèque, ce qui est pourtant l’ayis de tous les sages ; 
donc il n’est pas ainsi composé. 

» Nous répondrons que cet argument contredit à tous ceux 
qui ont traité du mouvement du Ciel. S'il n’y avait aucune 
objection à redouter que celles qui concernent le mouvement, 
je dirais qu’il n’y a pas inconvénient à ce que le Ciel fût mû 
par sa forme substantielle; ou bien encore à ce qu’il fût mû 
par une forme accidentelle qui lui serait connaturelle, de 
même que le grave descend par sa pesanteur. Nous voyons la 
meule du forgeron tourner par l’impelus qui lui a été imprimé; 
nous ne devons donc pas nier que Dieu ait pu produire un 
accident capable de mouvoir le Ciel d’un mouvement circu- 
laire, naturellement et continuellement; il en faut dire autant 
de la forme substantielle. » 

. Ainsi, dès le début du xvr° siècle, la Théologie de l'Uni- 
versité de Paris, celle que les catholiques de tous pays saluent 
à ce moment comme la fidèle gardienne de l’orthodoxie, est 
ralliée à cette pensée: Les mouvements des corps célestes 
peuvent dépendre de la même Dynamique que les mouvements 
des corps sublunaires. C'est seulement au temps de Képler 
et de Galilée que les astronomes adopteront franchement 
cette opinion:. Il est intéressant, à ce sujet, d'observer que 
Jean Majoris indique trois causes possibles de la persi- 
stance d'un mouvement de rotation : Un impelus imprimé par 


denuo recognitæ et repurgatæ. Vænundantur Iodoco Badio et Ioanni Parvo. Colophon : 
Finis disputationis Joannis Majoris natione scoti et professione Theologi Parrhi- 
siensis penitus recognite et aucte Impresse impensis communibus Joannis Parvi et 
Jodoci Badii Ascensii. Opera ipsius Ascensii anno domini MDXXVIII circiter XV 
calendas septembris. Deo gratias. — Cet ouvrage débute par deux lettres, l’une de 
Joannes Majoris à deux autres théologiens du Collège de Montaigu, Noël Bède et 
Pierre Tempeste; l’autre de Pierre Peralta à Pierre Desjardins (ab Hortis) ; en ces deux 
lettres, il est fait allusion à une première édition du même livre donnée, «il y a un 
grand nombre d’années », par les soins d'Antoine Coronel. — In dist. XII quæst, IL : 
Utrum cælum sit ex materia et forma conflatum ; éd. cit., fol. XXXIX. col. c. 

1. Voir P. Duhem, Zwerv ra gauvéuevax. Essai sur la notion de théorie physique de 
Platon à Galilée (Annales de Philosophie chrétienne, 79° année, 1908, et Paris, 1908). 
Voir, en particulier, la conclusion de ce travail. 


Bull. ital. 3 


30 BÜLLETIN ÎTALIEN 


violence; une forme accidentelle mais connaturelle, semblable 
à la pesanteur; une forme substantielle, analogue à l'âme, 
forme substantielle du corps. Ces pensées de Jean Majoris 
offrent une ressemblance frappante avec celles que Nicolas 
de Cues a émises, et surtout avec celles que Jean Képler 
adoptera:. 

La continuelle diminution de l’impelus en un mouvement 
violent a été invoquée par Albert de Saxe et par Marsile 
d’'Inghen pour démontrer avec précision qu'entre l’ascension 
et la descente d’un projectile pesant se place un repos inter- 
médiaire. 

Tous les régents de Montaigu admettent cette théorie. 

L'existence de ce repos intermédiaire est l’objet même de 
la question où Jean Dullaert traite de l’impetus. Aussi 
trouvons-nous, vers la fin de cette question, la conclusion 
suivante : 

« Entre deux mouvements contraires, l’un direct, l’autre 
réfléchi, dont l’un seulement provient d’une cause intrinsèque, 
tombe un repos intermédiaire proprement dit; cela est évident: 
Lorsqu'une pierre est jetée en l’air, et qu’elle est soustraite à 
tout autre moteur, une vertu très forte est imprimée en elle, 
selon l'opinion qui admet l’impelus; la pierre se meut alors 
vers le haut. Comme cette vertu s’affaiblit continuellement, 
elle arrive à un tel degré de détente qu’elle ne peut plus 
pousser le mobile vers le haut; elle résiste toutefois à la 
gravité qui tire ce corps vers le bas. Enfin, elle atteint une 
faiblesse telle qu'elle ne suffit plus à résister. Je prends 
l'instant où cette vertu [cesse de mouvoir vers le haut mais 
où elle] suffit à résister, et l'instant où elle ne suffit plus à 
résister; pendant la durée intermédiaire, le corps demeure 
en repos, » 

Louis Coronel reproduit explicitement le calcul fait par 
Marsile d’Inghen. Il a si grande confiance en ce calcul qu'il 
n'hésite pas à en tirer la conclusion suivante, dont la naïveté 
prête à sourire: « Il résulte clairement de là que l’on peut 


1. Nicolas de Cues et Léonad de Vinci, X : La Dynamique de Képler (Etudes sur 
Léonard de Vinci, ceux qu’il a lus et ceux qui l'ont lu, XI; seconde série, pp. 207-211). 








LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU XVI° SIÈCLE 31 


imaginer des cas où une pierre jetée en l'air y demeurerait 
en repos pendant une heure, ou pendant deux heures, ou 
pendant trois heures. Mais, direz-vous peut-être, on ne perçoit 
point ce repos de la pierre en l'air. Cette objection ne conclut 
pas; la trop grande distance peut nous empêcher de percevoir 
ce repos ; ou bien encore, il peut se faire que la pierre demeure 
seulement immobile pendant un temps imperceptible. » 

Cette théorie tenait assurément une grande place en l’en- 
seignement de la Physique au Collège de Montaigu; aussi, 
ceux-là mêmes qui quittaient ce Collège, profondément 
dégoûtés des leçons qu'ils y avaient reçues, demeuraient-ils 
convaincus de cette quies inlermedia qui tenait le projectile 
en suspens. Écoutons ce qu’en dit', en 1531, Juan Luiz Vivès, 
cet élève de Jean Dullaert de Gand dont les imprécations 
contre la Philosophie parisienne retiendront bientôt notre 
attention : | 

« Le mouvement courbe ou circulaire est un ; le mouvement 
brisé est multiple; la brisure du mouvement correspond à un 
arrêt ou à un interstice…. 

» Qu’une interruption se place entre les deux parties d'une 
telle trajectoire, non seulement la raison l'enseigne, mais 
encore les sens le perçoivent fréquemment. Toute chose, en 
effet, se meut naturellement ou par violence. Si elle se meut 
naturellement, elle demeurera ‘en repos lorsqu'elle aura atteint 
sa fin. Si elle se meut par violence, entre la fin de la violence 
et le commencement de l'inclination naturelle, un certain 
intervalle viendra se placer, intervalle pendant lequel la 
violence fléchit tandis que la nature reprend le dessus; ainsi 
en est-il de la pierre jetée en l’air. D’un mouvement violent 
et d’un mouvement naturel, en effet, ne se peut former un 
mouvement qui soit unique et d’un seul tenant. Toutes les 
fois qu’une force nouvelle prend naissance et renverse le sens . 

1. Jo. Ludovici Vivis Valentini De prima philosophia, sive de intimo naturæ opificio 
liber secundus (Jo. Lodovici Vivis Valentini Opera, in duos distincta tomos : quibus omnes 
ipsius lucubrationes, quotquot unquam in lucem editas voluit, complectuntur : præter 
Commentarios in Augustinum De civitate Dei, quorum desiderio si quis afficiatur, apud 
Frobenium inveniet. Basileæ, anno MDLV. In fine: Basileæ, per Nic. Episcopium 


juniorem, anno MDLV. Tomus 1, pp. 564-565). — Le De prima philosophia est daté : 
Brugis, anno MDXXXI. 


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32 BULLETIN ITALIEN 


du mouvement, il se produit un certain intervalle, encore que 
trop bref pour être perçu, pendant lequel la première force, 
fatiguée, cède la place à la force nouvelle qui entre en 
vigueur; durant cet intervalle se produit un combat, une 
lutte, qui ne saurait se passer en un simple instant indivisible, 
qui exige un certain temps; à cette action très rapide suffit 
un temps très bref, mais cependant divisible. 11 est des cas 
où nous pouvons, à l’aide de nos sens, constater ce repos; 
ainsi en est-il de la flèche tirée en l'air; au moment de 
retomber, elle s’arrête quelque peu, puis commence son 
second mouvement. » “a 

Vivès, en ce passage, s'exprime à peu près comme Georges 
Valla; ce qu'il dit de la lutte entre la violence et la nature 
rappelle également les considérations par lesquelles Léonard 
de Vinci a été conduit à la notion d’impelo composé:. 

La pensée de cette lutte s’est fortement imposée à l'esprit de 
l’'Humaniste espagnol, car il y revient un peu plus loin: : 

« En toute action, il y a effort pour parvenir au but; ilya 
donc une distance entre le commencement et la fin de cette 
action; c’est en cet intervalle que s'exerce l'effort et, sans cet 
intervalle, l'effort serait inutile. Lorsque l'action est contraire 
à la nature du patient, la lutte est continuelle; elle a lieu au 
commencement, au milieu, à la fin; la violence de l’agent et 
la nature du patient ne sont jamais sans se combattre. Lorsque, 
au contraire, l’action est selon la nature du patient, il n’y a 
point de lutte au début du mouvement; ce mouvement, en 
effet, est excité par la nature même du mobile, et cette nature 
ne combat pas contre elle-même. Mais lors même que la force 
est naturelle, aussitôt qu'elle entre en action, le milieu au 
sein duquel elle agit entre en lutte avec l’agent; l'agent ou le 
moteur, en effet, veut pénétrer le milieu pour atteindre sa fin; 
et le milieu, si mou soit-il, résiste à la pénétration ; toute péné- 
tration, en effet, est une sorte de division, et la division est le 
commencement de la corruption, tandis que l’union aïde à la 


1. Nicolas de Cues et Léonard de Vinci, XI : La Dynamique de Nicolas de Cues et la 
Dynamique de Léonard de Vinci. Théorie de l'impeto composé (Études sur Léonard 
de Vinci, ceux qu’il a lus et ceux qui l'ont lu, XI; seconde série, pp. 210-222). 

2. Luiz Vivès, loc. cil., p. 568, 





LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU XVI° SIÈCLE 33 


conservation. Plus le milieu est dur, plus ses parties sont 
étroitement unies, et plus aussi ses forces sont grandes et sa 
résistance puissante; c’est pourquoi le mouvement est plus 
difficile dans l’eau que dans l'air, et plus difficile dans la vase 
que dans l’eau pure. » 

Ce passage ne porte pas seulement la trace de ce que Vivès 
avait entendu enseigner, au Collège de Montaigu, touchant 
le mouvement violent; lorsque l’'Humaniste espagnol nous 
montre « la nature excitant le mouvement naturel », il se 
souvient assurément de ce que ses maîtres lui ont dit de la 
chute accélérée des graves. Mais avant de rechercher nous- 
même ce qu'ils pensaient à ce sujet, il nous faut examiner ce 
qu'ils disaient de la nature même de l’impelus. 

A ce sujet, les maîtres de l’Université de Paris avaient le 
choix entre plusieurs doctrines. 

La première était celle de Guillaume d'Ockam:. 

Pour le Venerabilis Inceplor, il n’y a, au sein du projectile, 
aucune entité, aucune vertu réellement existante que l’on 
puisse regarder comme le moteur de ce projectile. D'ailleurs, 
le mouvement n’est pas, lui non plus, une entité distincte du 
mobile. Pour le chef de l'École nominaliste, moteur, mou- 
vement, mobile ne sont ici qu'une seule et même chose; il n’y 
a pas un impelus engendrant un mouvement en un corps; il 
y a seulement un corps mû impétueusement. 

Buridan, nous l’avons vu, rejetait résolument cette théorie 
de Guillaume d’Ockam. Pour lui, dans le projectile en 
mouvement, il y a trois choses coexistantes, mais réellement 
distinctes les unes des autres : en premier lieu, le mobile; 
en second lieu, une réalité purement successive, une forma 
Îluens, qui est le mouvement local; en troisième lieu, une 
réalité permanente, l’impelus, qui produit le mouvement local 
dans le mobile et joue ainsi le rôle de moteur. 

Quelle est la nature de cette entité? Buridan n'’essaye pas 
de le deviner. Albert de Saxe, qui admet en sa plénitude la 


1. Nicolas de Cues et Léonard de Vinci, IX : La Dynamique de Nicolas de Cues et les 
sources dont elle découle (Etudes sur Léonard de Vinci, ceux qu’il a lus el ceux qui 
l'ont lu, XI; seconde série, pp. 192-194). 


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34 BULLETIN ITALIEN 


théorie du mouvement local et de l’impelus proposée par le 
Philosophe de Béthune, hésite fort: à trancher cette difficile 
question qui ressortit plutôt, selon lui, à la Métaphysique qu'à 
la Physique; il se décide cependant à déclarer que « l’impetus 
est une qualité de seconde espèce, consistant en une certaine 
aptitude et facilité au mouvement. » 

C’est en conformité avec cette opinion, explicitement 
professée en ses Quæsliones in libros de Cælo et Mundo, 
qu’Albert, en sa Physique, s’exprimait, au sujet de la chute 
accélérée des graves, dans les termes suivants? : 

« Le mobile animé du mouvement naturel acquiert une 
certaine aptitude à ce mouvement, et cette aptitude acquise, en 
s’unissant à la gravité, meut plus rapidement le mobile. » 

Marsile d’Inghen trouve que l’impetlus doit être rangé à la 
fois parmi les qualités de première espèce (habilus vel dispo- 
sitio) qui s’acquièrent soit par la production même du sujet, 
soit par sa disposition vers le mieux ou vers le pire, et 
parmi les qualités de troisième espèce (aclio vel passio). 

La comparaison de l’inpetus à une aptitude acquise, à une 
habitude, avait sans doute attiré l'attention de Léonard de 
Vinci lorsqu'il lisait les écrits d'Albert de Saxe; nous trouvons 
en cette comparaison l'explication des derniers mots de cette 
pensée : 

« Si une roue dont le mouvement est devenu de plus en 
plus violent donne d'elle-même, après que son moteur l’aban- 
donne, beaucoup de tours, il paraît clair que si ce moteur 
persévère à la faire tourner en sus de la dite vitesse, cette 
persévérance peut avoir lieu avec peu de force. Et je conclus 
que pour vouloir maintenir ce mouvement, le moteur n'aura 

1. JVicolas de Cues et Léonard de Vinci, IX : La Dynamique de Nicolas de Cues et 
les sources dont elle découle (Études sur Léonard de Vinci, ceux qu’il a lus et ceux qui 
l'ont lu, XI; seconde série, p. 196). 

2. Alberti de Saxonia Quæstiones in libros de physica auscultatione ; in librum VII 
quæst XIII. — Cf. Fernadino Baldi, Roberval et Descartes, 1 : Une opinion de Baldi 
touchant les mouvements accélérés (Études sur Léonard de Vinci, ceux qu’il a lus et 
ceux qui l'ont lu, IV ; première série, p. 130). 

3. Nicolas de Cues et Léonard de Vinci, IX : La Dynamique de Nicolas de Cues et 
les sources dont elle découle (Études sur Léonard de Vinci, ceux qu’il a lus et ceux qui 
l’ont lu, XI; seconde série, pp. 196-197). 


h. Les manuscrits de Léonard de Vinci; ms. B de la Bibliothèque de l’Institut, 
fol. 26, verso: 





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LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU XVI° SIÈCLE 39 


toujours que peu de fatigue et d'autant plus que, par nature, 
il se fixera. » 

Cette assimilation de l’impetus à une aptitude acquise, à une 
habitude, était assurément bien connue, au temps de Léonard, 
dans les écoles de Paris où les ouvrages d'Albert de Saxe et de 
Marsile d’Inghen avaient grande vogue. 

Jean Dullaert de Gand nous apprend que « de l'avis de 
certains physiciens, l'impelus engendré par violence se 
corrompt peu à peu par suite de l’absence de sa cause, comme 
la connaissance intuitive se corrompt par l'absence de son 
objet ». 

Jean de Celaya pense que l’impelus est une qualité seconde 
au sens large; il le compare « aux connaissances et aux dispo- 
sitions de l’âme ». 

Mais c’est à Louis Coronel qu’il nous faut adresser pour 
connaître les arguments de ceux qui prétendaient, par cette 
assimilation, justifier l'hypothèse d’un impelus distinct du 
mobile et du mouvement local : 

« Lorsque certains objets se sont mus, à plusieurs reprises, 
de mouvement local, ils deviennent plus aptes à ce mou- 
vement ; il reste donc en eux une certaine aptitude, une certaine 
disposition qu’ils ont acquise tandis qu'ils se mouvaient; 
par conséquent, pendant la durée du mouvement, une certaine 
entité actuelle était produite en ces corps; c’est cette entité 
qui a engendré ladite aptitude, et cette entité était distincte 
du mouvement local. 

» L’antécédent de cette proposition est rendu manifeste par 
un grand nombre d'expériences. En premier lieu, lorsque les 
doigts sont habitués à écrire, ils exécutent le mouvement 
d'écrire beaucoup mieux qu'auparavant. » Et Coronel déve- 
lonpe d’autres exemples, entre autres celui d’une connaissance 
acquise par la répétition d’une même perception. 

« Mais, » ajoute-t-il, « celui qui comprend bien cet argument 
dira que l’on en conclut aussi bien le faux que le vrai. Si la 
répétition de mouvements actuels produisait une aptitude au 
mouvement, une pierre que l’on aurait jetée en l'air à plusieurs 
reprises acquerrait une certaine aptitude à se mouvoir vers le 


SP NE ER RE NET 
: DT Me 2 ET y 


36 é BULLETIN ITALIEN 


haut; par conséquent, toutes choses égales d’ailleurs, il serait 
plus facile de la jeter en l'air qu'il n’était auparavant; l’expé- 
rience nous enseigne le contraire. 

» Cette remarque ne supprime pas la force de l'argument. 
En un homme qui a pris de mauvaises habitudes d’intempé- 
rance, des actes répétés de tempérance ne suffisent pas à 
engendrer l'habitude de la tempérance. De même, en üne pierre 
où la forme substantielle et la gravité résistent au mouvement 
vers le haut, la répétition de plusieurs jets actuels ne produit 
pas d'aptitude à se mouvoir vers le haut. L’argument semble 
donc garder sa force. » 

Nous venons d'entendre comparer l’impetus à la disposition 
physiologique par laquelle des doigts, habitués à écrire, écrivent 
plus aisément. Nous ne nous étonnerons plus lorsque Képler 
enseignera: que l’impelus imprimé par le Créateur à la Terre a 
engendré, au sein de cette Terre, une organisation anatomique, 
a produit un agencement de fibres circulaires qui assurent la 
permanence du mouvement de rotation; il ne fera que suivre 
une opinion bien connue à Paris, au début du xvr° siècle. 

Nous savons maintenant quelles opinions divergentes, 
touchant la nature de l’impelus, sollicitaient, à cette époque, 
l'adhésion des maîtres parisiens. Entre ces partis divers, les 
uns demeuraient en suspens; les autres se portaient soit d'un 
côté, soit de l’autre. 

Des deux avis en présence, Jean de Celaya n’en mentionne 
qu'un, celui qui assimile l’impelus à une aptitude, à une dispo- 
sition, qui en fait une qualité et, partant, une entité permanente 
distincte du mobile; c’est assurément à cet avis qu'il se range. 

Jean Dullaert connaît «l’autre avis, selon lequel on tient que 
l’impelus n'est pas une qualité réellement distincte de la chose 
ou du corps qui est mû... Lorsqu'une flèche est lancée wio- 
lemment par une baliste, ...elle est mue par ce mouvement 
violent et impétueux et non par une qualité nommée impetus, 
et l’on en doit dire autant dans les autres cas.» Après avoir 


1. Nicolas de Cues et Léonard de Vinci, X : La Dynamique de Nicolas de Cues et la 
Dynamique de Képler (Études sur Léonard de Vinci, ceux qu’il a lus et ceux qui l'ont lu, 
XI; seconde série, pp. 208-211). 











LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU XVI° SIÈCLE 37 


exposé les arguments que l'on faisait valoir pour ou contre 
cette opinion, le philosophe gantois semble demeurer en 
suspens. 

_ Coronel, qui attache, semble-t-il, à cette discussion plus 
d'importance que Dullaert et, surtout, que Celaya, prend une 
position intermédiaire entre celle d’'Ockam et celle de Buridan. 
Avec Ockam il admet que l’impetus est identique au mouvement 
local, mais avec Buridan il pense que le mouvement local est 
une entité distincte du mobile. Citons ses propres paroles, dont 
la netteté est parfaite : 

« Remarquez qu'entre l’impelus et le mouvement local, je 
n’assignerais pas d'autre différence qu’une différence du plus 
au moins, en sorte que tout impelus serait un mouvement 
local, mais que la réciproque ne serait pas vraie; l’impetus est 
un mouvement très intense. D'ailleurs, que le mouvement soit 
intense ou faible, nous pourrions dire que tout mouvement 
est impelus; il n’en résulterait pas que tout ce qui se meut, se 
meuve avec impétuosité (impeluose); mais nous n'y verrions pas 
d’inconvénient; il n’est pas nécessaire que tout ce qui se meut 
avec impelus se meuve avec impétuosité..… Volontiers, nous 
aurions nommé impelus la qualité motrice lorsqu'elle est pro- 
duite par une cause extrinsèque, tandis que nous l'aurions 
nommée mouvement {molus) lorsqu'elle est produite par une 
cause intrinsèque, si limpetus ne pouvait aussi être produit 
par la forme substantielle et par la gravité d’un poids qui 
tombe. Que l’on s'exprime d’une manière ou de l'autre, 
nous n’en prendrons point souci, car la difficulté est toute 
verbale. | 

» Sachez, en second lieu, que le moteur produit dans le | 
mobile une certaine entité sans laquelle il ne pourrait se 
mouvoir, et qui est une sorte d’instrument nécessaire requis 
par la nature; cette entité est le mouvement local. Le poids qui 
se meut vers le haut n’a pas en lui d’autre mouvement que 
l’impelus ; en un poids qui tombe, la forme substantielle et la 
gravité produisent un mouvement que l’on peut nommer impetus 
lorsqu'il est suffisamment intense. Bref, nous pouvons dire 
qu’en toutes circonstances où un impetus est produit, un mou- 


38 BULLETIN ITALIEN 


vement local est engendré; ...et tout ce qui se doit dire de 
l’impetlus quant à sa production soit instantanée, soit successive, 
_ se doit dire aussi du mouvement. » 

Coronel eût pu traduire exactement sa pensée en donnant à 
l’impetus le nom de quantilé de mouvement que Descartes lui 
attribuera un jour. 

L'impelus étant identique au mouvement local, les raisons 
qui conduisent à distinguer l'inpelus du corps qu'il meut 
établissent aussi la distinction entre le mouvement local et le 
mobile. « On peut formuler l’argument suivant : L’impelus est 
distinct de la chose qui se meut impétueusement; donc le 
mouvement local est distinct du mobile. On peut justifier cette 
conséquence de la manière suivante: Tout inconvénient qui 
résulterait de la supposition d’un impetus distinct de la chose 
qui se meut impétueusement (s’il en résultait quelqu'un), 
découlerait aussi de l'hypothèse que le mouvement est distinet 
du mobile, et inversement; et l’une des conséquences s’expli- 
querait tout aussi bien que l’autre. » | 

Parmi les arguments propres à établir que l’inmpetus est 
réellement distinct du mobile, Coronel place l'explication de 
la chute accélérée des graves. Il est donc temps d'examiner ce 
que les maîtres de Montaigu ou de Sainte-Barbe enseignaient 
au sujet de cette explication. 

Jean Dullaert écrit: « Certain impetus est causé par la violence; 
certain autre impetlus est engendré naturellement. Il faut remar- 
quer, à ce sujet, que si un grave est retenu en l'air et si l’on 
écarte ce qui l’empêchait de tomber, ce grave tombe plus vite 
à la fin du mouvement qu'au commencement, donné que la 
résistance soit uniforme. La cause en est que, dans le mouve- 
ment de ce grave, l’impetus du mobile part d’une intensité de 
degré zéro {a non gradu intensionis), commence à croître en 
intensité, et croît sans cesse d’une manière continue jusqu'à 
la fin du mouvement. » 

Le philosophe gantois ajoute cette phrase digne de remarque : 
« En des graves de grandeurs différentes, l’inpetus croît-il pro- 
portionnellement à la grandeur du grave ou non? Ce serait 
une sérieuse difficulté à examiner, mais je n’en parle pas. » II 








LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU XVI° SIÈCLE 39 


n'insiste pas davantage sur la cause qui fait croître l’impelus 
au cours du mouvement naturel. 

Coronel est plus explicite. 

Il rejette l'explication de la chute accélérée des graves qu'ont 
donnée Aristote et Thémistius. Les raisons qu'il fait valoir 
contre cette explication sont, parfois, d’une singulière naïveté; 
il pense: que si la pesanteur était une vertu émanée du lieu 
naturel, il suffirait de recouvrir la terre d’un vêtement pour 
empêcher cette vertu de passer; les corps placés au-dessus de 
ce vêtement cesseraient de peser vers le centre du monde. 
Coronel fait, d’ailleurs, cette autre remarque plus heureuse 
que la théorie de Thémistius n’explique pas le ralentissement 
du mouvement d’un projectile jeté en l’air. 

L'hypothèse de l’impelus, au contraire, sauve aussi bien 
l'accélération du mouvement naturel que le ralentissement du 
mouvement violent: « Un poids, en effet, qui tombe en un 
milieu uniforme descend plus vite à la fin de son mouvement 
car, pendant la durée de sa course, la gravité, ou bien sa 
propre forme substantielle, ou toutes deux ensemble, ont 
produit en lui un certain impelus, qualité qui le meut vers le 
bas; et comme cet impetus est, alors que le mobile approche de 
son terme, plus intense qu’il n’était au début du mouvement, 
le poids tombe plus vite vers la fin de sa chute. » 

Un peu plus loin, Coronel répète: « En descendant, la gravité 
produit un impelus; ...pendant la durée successive de la des- 
cente, la gravité produit un impelus. » C’est donc exclusivement 
à la gravité ou à la forme substantielle du corps pesant 
qu'est dévolue cette génération d’un impelus de plus en plus 
intense. 

Ce principe n'était pas affirmé avec une suffisante netteté 
dans les écrits des maîtres anciens; certaines tournures de 
phrases employées par eux auraient pu donner à penser que 
l’accroissement éprouvé par l’impelus durant un certain moment 
avait pour cause l’impelus ou le mouvement local qui existait 
aussitôt avant ce mouvement. | 


1. Ludovici Coronel Op. cit., lib. IV, pars 1: De loco; éd. cit., fol. LXX XIE, col. c, 








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ho BULLETIN ITALIEN 


Buridan, par exemple, avait écrit: 

«Le mouvement devient alors plus rapide; mais plus il 
devient rapide, plus l’inpetus devient intense. » 

Et aussi : « Plus le mouvement devient rapide, plus l’impetus 
devient vigoureux. » 

Plus explicitement encore, Summenhard disait : « Vers la 
fin du mouvement, l’impelus s’accroît par suite de la vitesse 
du mouvement précédent. » 

Certains auteurs semblaient donc attribuer à l’impelus ou 
au mouvement local (pour Coronel, c’est tout un) qui existe 
à un instant donné une part en l'accroissement ultérieur de 
l'impelus ; ils préparaient ainsi une doctrine que nous avons 
vue formulée par Bernardino Baldi' et adoptée par Roberval 2. 

Louis Coronel eût formellement rejeté l'opinion de ces der- 
niers auteurs; il leur eût objecté ce qu'il objectait, comme 
nous le verrons tout à l'heure, à une théorie de Marsile 
d’Inghen : « L’impetus produit après le lancement du projectile 
serait donc engendré par un autre inpelus, par celui qu'a 
produit l'auteur du lancement ; l’impelus serait, par conséquent, 
une qualité active, capable de produire une autre qualité 
de même espèce qu'elle-même. » 

En ce point, Jean de Celaya est, nous l’allons voir, du même 
avis que Louis Coronel. 

Celaya traite à plusieurs reprises de l’accélération du mou- 
vement naturel. 

Voici un premier passages : 

« Si vous demandez par quoi sont mus les corps graves 
inanimés quand ils descendent et les corps légers quand ils 
montent, nous répondrons qu’un corps pesant est müû par 
sa forme substantielle à titre de principe et par sa gravité à 
titre d’instrument... Vous direz peut-être : Nous voyons par 
l'expérience qu'un grave se meut plus vite à la fin de son 


1. Bernardiné Baldi, Roberval et Descartes, 1: Une opinion de Bernardino Baldi 
touchant les mouvements accélérés (Études sur Léonard de Vinci, ceux qu’il a lus et ceux 
qui l'ont lu, IV; première série, pp. 138-139). 

2. 1bid., II : Bernardino Baldi et Roberval (Op. cit., pp. 144-145), 

3, Joannis de Celaya Op. cit,, lib. VIII, cap. V, quæst. II : An animal moveatur 
ex se; fol, CLXXX VIII, col. b. 









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LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU XVI° SIÈCLE 41 


mouvement qu’au commencement; mais à la fin de sa chute, 
il est plus proche de son lieu naturel; il semble donc que 
ce lieu naturel imprime au corps pesant une certaine vertu 
qui le meut plus rapidement. Nous répondrons que la cause 
de cette plus grande vitesse n’est pas une vertu émanée du 
lieu naturel. La cause de cette vitesse croissante est l’impelus 
qui est acquis au cours de la descente; uni à la gravité, il pro- 
duit vers la fin un mouvement plus rapide que celui que la 
gravité seule produisait au début. » 

Voici un second passage : où le même sujet est traité de 
nouveau : 

« Lorsqu'un certain être se meut naturellement, une certaine 
qualité est causée en cet être; cette qualité, que l’on nomme 
impelus, concourt au mouvement d’une manière active; au 
début du mouvement, cette qualité n'existait pas; plus le 
mobile avance, plus cette qualité devient intense et plus fort 
est son concours à ce mouvement. Donc... le mouvement 
naturel est plus rapide à la fin qu’au commencement. Cette 
conclusion est évidente, car, à la fin, le mobile possède un 
impetus qui lui vient en aide et, au début, il ne le possède pas. » 

À cette explication de la chute accélérée des graves, Jean de 
Celaya, poursuivant son exposition, en ajoute une autre, que 
l’on avait déjà proposée avant Simplicius et que Durand de 
Saint-Pourçain avait recueillie : 

« En outre, à la fin du mouvement, le milieu oppose à sa 
propre division une moindre résistance (je veux parler de 
sa résistance accidentelle) qu’au début; le milieu à traverser 
est, en effet, moins épais vers la fin du mouvement qu'il 
n'était au commencement; or, il est certain qu’un milieu de 
huit pieds d'épaisseur résiste plus qu’un milieu de quatre 
pieds, du moins quant à la résistance accidentelle. Il n’est 
donc pas étonnant qu'un tel mouvement naturel soit plus 
rapide à la fin qu’au commencement. » 

Citons enfin cette phrase digne de remarque ? : « Nous 


1. Joannis de Celaya Op. cit., lib. VII, cap. X, quæst. III : An motus naturalis sit 
velocior in fine quam in principio; fol. GXCVII, col. b. 

2. Joannis de Celaya Op. cit., lib. VIII, cap. XI, quæst. III : À quo movetur pro- 
jectum post separationem illius a quo projicitur ; fol. CCI, coll. a et b. 


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ho BULLETIN ITALIEN 


voyons par l'expérience que l’inpetus qui meut un corps pesant 
vers le haut est corrompu par la gravité et par la forme 
substantielle de ce corps; au contraire, la forme du corps 
pesant conserve et accroît l’inpelus qui meut ce poids vers le 
bas. » Pour Celaya donc, comme pour Coronel, c’est la forme 
substantielle et la pesanteur du grave qui, au cours de la 
chute de ce grave, conservent l'impelus déjà acquis et en. 
accroissent l'intensité. 

Il nous reste à prendre, en un dernier débat, l’avis des 
maîtres parisiens. 

Nous avons vu qu’'Aristote, et maint physicien après lui, 
avaient admis la vérité de cette proposition : Dans les premiers 
moments qui suivent son départ, un projectile accélère sa 
course. Nous avons vu, également, que Jean Buridan et Albert 
de Saxe n'avaient fait aucune allusion à cette prétendue accé- 
lération initiale, que Marsile d'Inghen et Gaëtan de Tiène 
l’avaient résolument niée, tout en admettant, bien à tort, la 
réalité des effets qu’on lui attribuait et en cherches donner 
de ces effets une autre explication. 

De cette question, Jean de Celaya ne parle pas, mais les 
deux régents de Montaigu y prêtent quelque attention. 

Jean Dullaert semble avoir prévu la théorie que Bernardino 
Baldi devait soutenir un jour et s’être attaché à contredire par 
avance à cette théorie. L'impelus qui meut un projectile a sa 
plus grande intensité, dit-il, à l’instant même où le mobile 
quitte son moteur. «Je prouve que l'inpelus ne pourra 
pas, immédiatement après cet instant, avoir une plus grande 
intensité ; en effet, si, aussitôt après cet instant, il était plus 
intense qu'en cet instant, c’est que son intensité irait en 
croissant pendant un certain temps; il en résulterait donc que, 
pendant ce temps, le projectile se mouvrait continuellement 
de plus en plus vite; or, cela est contraire à l'expérience 
et à l'opinion de tous ceux qui ont traité de cette matière; que 
cela soit contraire à l'expérience, c’est manifeste, car, au début 
de son mouvement, la flèche ne peut être perçue par le regard, 
grâce à sa très grande vitesse. 

. De ce que la flèche lancée par la baliste se meut, au 





LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCLENCE ITALIENNE AU XVI° SIÈCLE 43 


début du mouvement, plus vite que lorsqu'elle est à une 
certaine distance de la machine, il n’en résulte pas qu’elle ne 
produise pas, lorsqu'elle est quelque peu distante de cette 
machine, un choc plus violent qu’au commencement de sa 
course. En effet, pour un même mobile, il n'ya pas un rapport 
fixe entre la violence du coup et la vitesse du mouvement. 
A cela, quelques-uns assignent une cause tirée de la nature 
même de l’objet; ce serait une conséquence de la nature même 
de l’impelus. Mais, quoi qu'il en soit, je n’en ai cure; il me 
suffit que l’on ne puisse tenir cet argument comme prouvant 
que le mobile se meut, à une plus grande distance de ce qui 
l’a lancé, plus vite qu'il ne se meut à une moindre distance. » 

Coronel admet, comme Dullaert, qu’un mobile mû par 
violence se meut de plus en plus lentement; il admet aussi 
que la force du coup est plus grande lorsque le projectile est 
à quelque distance de l'instrument qui l’a lancé; mais il 
est, plus que le philosophe gantois, soucieux de. concilier ces 
deux affirmations. 

Il commence par exposer l’explication que Marsile d’Inghen 
avait imaginée; mais il se refuse à admettre ce changement 
progressif en la distribution de l’inpelus; en un passage que 
nous avons cité il y a un instant, il refuse à l’impelus le titre 
de qualité active, capable d’engendrer son semblable et, par 
là, de se propager au sein du projectile. 

Cette explication rejetée, il en propose une autre, que 
voici : 

« Le coup est d'autant plus fort que la quantité d’air 
divisée par le projectile est plus considérable, la véhémence 
de l'impulsion étant supposée la même; près du début du 
mouvement, bien que l’inpelus soit plus intense, il n’y a que 
peu d’air divisé; vers la fin, au contraire, la quantité de l'air 
ébranlé est grande, mais l'impelus est très faible; à une 
distance modérée, enfin, l’inpelus est bien intense et l'air 
ébranlé est en bonne quantité; la blessure est donc moins 
forte au commencement et vers la fin du mouvement; c’est 
au voisinage du milieu de la course que le coup est le plus 
violent, » 





44 BULLETIN ITALIEN 


Déjà Gaëtan de Tiène avait hésité entre cette théorie et celle 
de Marsile d’Inghen. 

En un mouvement naturel, l’inpelus croît sans cesse; 
il diminue continuellement en un mouvement violent; de 
cette proposition, qui résumait toute sa Dynamique, Buridan 
avait fait une remarquable application aux mouvements vibra- 
toires; le va-et-vient d’une corde écartée de sa position 
d'équilibre, les oscillations d’une cloche ébranlée lui avaient 
servi d'exemples. 

Albert de Saxe avait de la même théorie déduit un autre corol- 
laire:: «Supposons, avait-il écrit, que la terre soit perforée de 
part en part et que, par le canal ainsi creusé, un grave descende 
très rapidement vers le centre; au moment où le centre de gravité 
de ce corps sera devenu le centre du Monde, ce corps continuera 
à se mouvoir au delà et à se diriger vers la partie opposée du 
Ciel grâce à l’inpetus qu'il a acquis et qui ne sera pas encore 
corrompu; lorsqu’en l’ascension du corps, cet impelus viendra 
à manquer, le grave se remettra à descendre; il ira ainsi, 
oscillant autour du centre, jusqu’à ce qu'il n’y ait plus en lui 
aucun impetus; alors, il s'arrêtera. » 

Nous avons vu? que ce passage d'Albert de Saxe semblait 
avoir inspiré une pensée de Léonard de Vinci. 

En 1516, l’Écossais Georges Lokert, régent au Collège de 
Montaigu, donna une édition des Quæstiones in libros de Cælo 
el Mundo de Maître Albert de Saxe; en cette édition, deux 
questions dont l’importance est extrême pour l’histoire de la 
Dynamique furent omises, entre autres celle qui contient le 
passage précédent. 

N'allons pas en conclure que cette conséquence de la Méca- 
nique de Buridan et d’Albert de Saxe fût ignorée au Collège 
où professait Maître Georges Lokert; elle y était assurément 
enseignée et commentée, au point de frapper les esprits les 


1. Alberti de Saxonia Quæstiones in libros de Cælo et Mundo; in lib. II quæst. XIV, 
apud edd, Venetiis, 1492 et 1520. Cette question ne se trouve pas dans les éditions 
données à Paris en 1516 et en 1518, 

2. Léonard de Vinci et la pluralité des Mondes, VII : Commentaire aux réflexions sur 
la pluralité des mondes données par Léonard de Vinci (Études sur Léonard de Vinci, 
ceux qu’il a lus et ceux qui l'ont lu, X; seconde série, p. 95). 





ls 


mat PE dune. “nie ji: Modéré: dr hÈres dd ASS LES MS 


LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU XVI° SIÈCLE 45 


plus rebelles à la Scolastique parisienne; Didier Érasme de 
Rotterdam qui fut, aux dernières années du xv° siècle, élève 
du Collège de Montaigu, va nous en fournir le témoignage. 

En 1522, Érasme publiait à Bâle, chez son ami Froben, ses 
Colloquia, dont le succès fut extraordinaire’. Or, voici ce que 
nous lisons au neuvième dialogue, intitulé Les questions? : 

« Azpæus :.… C'est le contraire dans le mouvement violent, 
qui, plus prompt au commencement, se ralentit peu à peu; 
ce qui est tout opposé au mouvement naturel... 

» Gurtox : Mais dites-moi : si quelque Dieu s’avisoit de percer 
la Terre par la moitié,... en jetant une pierre par ce trou-là, 
où iroit-elle ? 

» Azprius : Elle dêcendroit jusqu’au centre de nôtre Globe; 
puis elle auroit la bonté de s’y reposer; car ce Centre est le 
Siège de tous les Corps pesans.… 

» Curiox : Je raisonneroïis autrement : vous m'avez dit que 
le mouvement naturel, quand il ne trouve point d'obstacle, 
augmente de plus en plus, par le progrès; si votre thèse est 
soûtenable, la Pierre ou le Plomb qu'on jetteroit par le trou 
de la Terre, se trouvant près du Centre, dans un mouvement 
très rapide, passeroit infailliblement plus loin, et alors ce 
seroit un mouvement violent. 

» Azpaius : Pour le Plomb, il feroit mauvois voïage, car, 
se fondant nécessairement en chemin, il n'arriveroit que 
goutte à goutte; mais si la pierre à cause de la rapidité de son 
mouvement, ne pouvoit pas s'arrêter au Centre, elle commen- 
ceroit aussitôt à se mouvoir plus lentement; et retourneroit au 
Centre de la même manière qu'une Pierre jetée en l'air 
retombe sur la Terre. 

» Curiox : Mais comme ce seroit par mouvement naturel que 
la Pierre retourneroit vers le Centre, elle passeroit encore par 
la raison de la grande vitesse et ainsi cette pauvre Pierre sera 

z7. L'existence d’une édition antérieure à 1522 est peu probable (voir : Brunet, 
Guide du libraire et de l'amateur de livres, 5° édition, 1861, t. II, col. 1041). 

2. Les Colloques d’Erasme, Ouvrage très intéressant, par la diversité des sujets, par 
l’Enjoûment, et pour l’Utilité Morale. Nouvelle Traduction par Mons’ Gueudeville, Avec 
des Notes, et des Figures très ingénieuses. Tome cinquiesme, Qui contient, Les trois 


principaux Mobiles de l Homme ; le Culte, la Nature et l'Art. A Leide, chez Pierre vander 
Aa et Boudouin Jansson vander Aa Marchands Libraires, MDCCXX; pp. 179-181. 


Bull. ital. h 


46 BULLETIN ITALIEN 


condamnée au mouvement perpétuel; elle n’aura jamais de 
repos. 

» Azpæius : Elle se reposera enfin, après avoir couru et 
recouru, jusqu’à ce qu’elle soit parvenüe à l'équilibre. » 

La vogue des Colloques d'Érasme fut prodigieuse., La pre- 
mière édition, tirée à 24,000 exemplaires, fut enlevée à Paris 
en quelques semaines. Les éditions et les traductions se succé- 
dèrent, innombrables jusqu’à la fin du xviu° siècle. Par elles, 
le problème d'Albert de Saxe se trouvait répandu partout. 
C’est par les Colloques d'Érasme, nous le verrons, que l’abbé 
Maurolycus, à Messine, connut ce problème parisien. 

Un Didier Érasme, un Louis Vivès, pourront bien tourner 
en dérision les maîtres sous lesquels ils ont étudié à Montaigu 
et l’enseignement que ces maîtres leur ont donné; ils ne 
parviendront pas à oublier les leçons qu'ils y ont reçues; 
lorsqu'ils revêtent d’élégante latinité une théorie de Méca- 
nique, il nous suffit d’écarter le manteau dont ils l’ont affublée 
pour reconnaître quelque antique pensée d’Albert de Saxe, 
soigneusement conservée en la Faculté des Arts de l’Université 
de Paris. 

Telle est la Dynamique que l’on enseignait à Paris au début 
du xvr° siècle. Elle est l’héritière directe de la Dynamique 
professée par Jean Buridan; depuis le milieu du xrv° siècle, 
quelques points se sont précisés; d’autres se sont légèrement 
obscurcis; l’ensemble est demeuré le même. 

Si nous comparons cette Dynamique à celle qu'au même 
moment, le Vinci consignait en ses notes, nous constatons 
entre ces deux doctrines de nombreuses et frappantes ana- 
logies. Parmi les régents de Montaigu ou de Sainte-Barbe, 
bien plus que parmi les maîtres de Bologne ou de Padoue, 
Léonard eût rencontré des hommes dont les pensées eussent 
fait écho aux siennes. 

Entre la science des Parisiens et la science de Léonard, 
si nous cherchons les différences, nous en trouvons une qui 
est tout à l’avantage du grand peintre. 

Lorsqu'un mobile est jeté en l’air, la pesanteur et l'inpelus 
luttent entre eux pendant toute la durée du mouvement; c’est 








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LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU XVI° SIÈCLE 47 


une proposition qu’admettent également le Vinci et les conti- 
nuateurs de Buridan ; mais ceux-ci invoquent cette proposition 
pour en tirer une conclusion fausse, l'existence d'un temps 
de repos entre la marche ascendante et la marche descen- 
dante du projectile; celui-là aperçoit cette idée féconde : l’im- 
pelo composé rend compte de la courbure de la trajectoire. 

En revanche, les Parisiens pourraient montrer avec fierté 
qu'en plusieurs de ses parties, leur doctrine surpasse celle de 
Léonard ; résolument, ils nient qu'un projectile lancé hori- 
zontalement commence par accélérer sa course ; et surtout, ils 
demandent à l’impelus acquis l'explication correcte et féconde 
de la chute accélérée des graves. 

P. DUHEM. 
(A suivre.) 





APPUNTI INTORNO ALLA TRADUZIONE FRANCESE 


DEL FILOSTRATO 


DOVUTA A LOUIS DE BEAUVAU 


Tutti i lettori del Bullelin ilalien conoscono lo studio magi- 
strale dell’ Hauvette:, in cui è stata detta l’ultima parola 
riguardo all’ autore della versione, Louis de Beauvau, all im- 
portanza dei codici che ne esistono ed a molte altre questioni 
di cui per brevità non posso far cenno. Perché dunque la mia 
intenzione di ritornare sopra il medesimo argomento non 
apparisca temerità, dir che fu il Professore suddetto ad inco- 
raggiarmi alla pubblicazioné di questi appunti, assicurandomi 
anzi il suo preziosissimo aiuto?. Lo studiolo si limiterà percid 
a mettere in rilievo il valore non comune della versione ed a 
studiarne le relazioni con l'originale, specialmente dal punto 
di vista psicologico ed estetico. 

Sono l’introduzione e l’ultimo capitolo del Filostrato fran- 
cese che ci aprono uno spiraglio largo e sicuro nel cuore del 
signore di Beauvau, facendoci conoscere le cause intime che 
lo spinsero con tanto calore ed entusiasmo a voltare nella sua 
lingua l’opera boccaccesca. Peraltro questi due brani non sono 
interamente indipendenti dall’ originale, come sembrerebbe a 
prima vista. Il proemio del poema dedicato a Fiammetta 
avrebbe potuto suggerire al traduttore l’idea di paragonare, al 
principio, i casi suoi a quelli di Troilo, ma la mancanza 
assoluta d’ogni accenno od allusione a questa dedica, nella 

1. Cfr. B. L., t. VII, 1907, pp. 298-313, ora ristampato in Les plus anciennes 
traduclions françaises de Boccace (x1v°-xvn siècle), Bordeaux, 1909, pp. 18-38. 

2 11 Ch"° Prof, Hauvette s’è incaricato con squisita gentilezza di rivedere i passi 
della versione francese, che io cito secondo la pessima edizione a stampa delle 
Nouvelles françaises du X1V° siècle, Paris, 1858, sui migliori mss. parigini, di oui gli 


rendo pubblicamente grazie. Le citazioni dell’ originale sono fatte secondo l’edizione 
Moutier, l'irenze, 1831. 








APPUNTI INTORNO ALLA TRADUZIONE FRANCESE DEL FILOSTRATO 49 


traduzione, ci fanno ritenere ben poco probabile questa suppo- 
sizione. L’ultima proposizione della prefazione invece corri- 
sponde fedelmente all’ ottava, in cui il Boccaccio invoca la 
compassione di tutti gli amanti'. Ben maggiore è la dipen- 
denza del capitolo finale francese dal testo italiano, giacché, 
ad eccezione delle ultime righe, il primo è quasi uguale al 
secondo (Fil. VIII, 29-33 e 1° ed alcuni versi della 2* ottava, 
Nouv. fr., pp. 302-304). Ma ancora nelle poche proposizioni 
che restano si sente un’ eco delle ottave boccaccesche : Poi {u… 
te ne andrai Alla donna gentil... O te felice... E come tu nelle sue 
man sarai, (IX, 5) e : « Et ay esperance que ce petit livret sera 
beaucoup plus eureux que nul aultre ne pourroit estre, car 
il ira encores en la main de telle de qui seulement l’acoin- 
tance mieulx vault que de l’avance du monde ensemble » 
(p. 304). E finanche l’osservazione strettamente personale del 
traduttore : « Le joyeux temps passé souloit estre occasion que 
je faisoye de plaisanz dictz et gracieuses chansonnettes et 
ballades » (p. 303}, non è in realtà che un’ imitazione del passo : 
Sogliono i lieli tempi esser cagione Di dolci versi (IX, 1). Gerto non 
abbiamo il diritto di mettere in dubbio la sincerità di questa 
confessione, giacché, non foss’ altro, basterebbe la traduzione 
del Filostrato, condotta con eleganza e buon gusto, ad assicu- 
rarci che abbiamo a fare con un uomo dotato d'ingegno 
poetico. Inoltre la precisione, con cui questi indica il genere 
delle composizioni che scrisse in tempi migliori, rende 
superfluo ogni dubbio in questo riguardo?, 

Un’ innegabile affinità spirituale avvicina, anzi lega autore 
e traduttore al protagonista del racconto. Ma distinguiamo : 
Quando il Boccaccio scrisse questo poema, il suo stato 
psicologico non era quello che vorrebbe farci credere. Una 
momentanea separazione dalla sua Fiammetta lo rendeva 
bensi triste e dava un certo fondamento a’ suoi lamenti, ma in 
fin de’ conti si trattava d’uno stato passeggero, che non 


1. &«E voi amanti prego che ascoltiate » (1, 6) e «Et vous, amoureux, prie chiere- 
ment que escoutez...» (p. 120-121). 

2. L’Hauvette, op. cit., p. 21, ha trovato aggiunte alla fine d’un codice, che 
contiene la traduzione del Filostrato, alcune composizioni liriche, che quasi certa- 
mente saranno di Louis de Beauvyau. 


50 BULLETIN ITALIEN 


avrebbe tardato a cessare. Maria d’Aquino gli aveva dato tante 
e tante prove d'’affetto che, se pure non aveva raggiunto 
ancora le supreme soddisfazioni d’amore, a quanto almeno 
afferma nel proemio:, poteva sperare, ed a ragione, che tosto 
o tardi ci sarebbe arrivato. I suoi sentimenti erano, insomma, 
quelli d’un uomo ebbro d’amore, il quale è già quasi arrivato 
al culmine della felicità, e tutto d’un tratto si vede allontanato 
momentaneamente dal raggiungimento delle sue brame, 
e perciù strepita e piange, ma il quale è intimamente convinto 
che tutto cid non è che un gioco del caso, che piü tardi gli 
porgerà occasione d’assaporare, con la voluttà acuita dalla 
lunga attesa, il frutto tanto desiderato. Per questa ragione le 
sue interminabili lamentele diventano, a lungo andare, 
monotone e disgustose, poiché sono realmente inadeguate e 
sproporzionate alla situazione. Ë molto piü sincera e convin- 
cente invece la descrizione delle gioie amorose di Troilo, dove 
la natura e lo stile boccacceschi, cosi ricchi di sensualità, 
possono manifestarsi ed atteggiarsi ne’ piü splendidi e 
smaglianti colori. Fiducioso nella sua amante, egli sperava di 
salire sempre piü nelle grazie di lei e non pensava, povero 
illuso, alla morale della favola, che dopo la felicità del Troiano 
innamorato ne vengono i dolori e la disperazione, che Maria 
d’Aquino assomigliava moltissimo, anzi, per sua sciagura, 
troppo fedelmente alla leggera e volubile Griseida?. 

Non cosi il signore di Beauvau; la sua amante l’ha ingan- 
nato atrocemente e concede ormai i suoi favori ad altro pit 
fortunato amatore. Percid il suo dolore à profondo ed insa- 
nabile ed i lamenti amorosi sono piü sinceri nella sua prosa 
piana che non nelle ottave armoniose del poeta fiorentino. 
Scrive egli per consolarsi, giacché non si lusinga pit di poter 
riafferrare la felicità sfuggitagli. Scrive egli per vendicarsi 


1, .… € Non perch’ io desideri che alcuno creda che io di simil felicità (quella 
di Troilo) gloriare mi possa, perocché non mi fu mai tanto favorevole la fortuna, né 
sforzandomi di sperarlo nol pud in alcun modo concedere la credenza che ciù 
avvenga » (p. 8). 

2. ...« E quante volte le bellezze, i costumi, e qualunque altra cosa laudevole in 
donna, di Griseida scritto troverete, di voi essere parlato potrete intendere : l’altre 
cose, che oltre a queste vi sono assai, niuna, siccome già dissi, a me non appartiene, 
né per me vi si pone, ma perché la storia nel nobile innamorato giovane la richiede » 


Cp: 9). 





PE TE OS PO OP OT TS SA ee OT 7 





APPUNTI INTORNO ALLA TRADUZIONE FRANCESE DEL FILOSTRATO 51 


della perfidia della sua donna, ponendo sotto gli occhi di 
tutti gli amanti incauti un esempio ammonitore della volubi- 
lità ed incostanza femminile. Le sue preghiere, i suoi sospiri 
non cercano più la via di penetrare nel cuore di quell’ inu- 
mana, ma si rivolgono a tutte le donne belle e gentili:; 
certo la perfida, che l’ha tradito cosi ingiustamente, non 
merita che le si dica la dolce parola di riconciliazione. Eppure 
alla fine pare che risorga in lui un lieve raggio di speranza : 
Togliendo l’idea dal! originale, invoca con timidezza la sua 
fiamma d'un tempo ed invidia il suo libriccino, che verrà 
forse nelle mani di colei ch’ egli stima pit di tutto il mondo 
intero. Ë questo un semplice complimento dovuto all’ imita- 
zione boccaccesca oppure una speranza viva e reale? Non 
possiamo rispondere con sicurezza, perché già nella prossima 
proposizione il gentiluomo francese si rivolge alle donne in 
generale. Scosso il giogo, sia pure a malincuore, di quell infe- 
dele, egli offre d'ora in poi a tutto il bel mondo femminile il 
suo cuore, il suo corpo ed il suo pensiero?. 

Se osserviamo da vicino questa pagina autobiografica di 
Louis de Beauvau, sorge in noi spontaneo il dubbio intorno 
alla veridicità di molti particolari, i quali corrispondono con 
fedeltà sospetta ad altrettanti della storia di Troilo. Nessuno 
vorrà, peraltro, negare che il suo cuore sanguinasse ancora 
a quel tempo per una ferita reale d'’amore, altrimenti non si 
potrebbe spiegare lo sdegno sincero ed il biasimo raddoppiato, 


1. Questa tendenza del traduttore a generalizzare i passi, in cui il Boccaccio si 
rivolge in particolare alla sua Fiammetta, non si limita alla prefazione, ma si 
osserva parecchie volte nella versione del poema stesso (Cf, a proposito, p. 205, 
nota 2"). Ë caratteristica in questo riguardo la traduzione di tre ottave (1V, 23, 24,25e 
pp. 205-206), in cui il poeta fiorentino parla fiducioso alla sua amante ed implora da 
lei nuove e piü alte grazie. Louis de Béauvau non poteva voltare verbalmente il passo, 
giacché, considerando egli l’opera tradotta quasi cosa sua, sarebbe stata questa troppo 
crudele ironia per lui abbandonato ignominiosamente dalla sua donna. Percid 
generalizzd, con molta abilità, il particolare ed attribui le frequenti allusioni del 
poeta al di lui amore a quello di Troilo, traducendo cosi l’originale in modo che 
nessun riferimento personale offendesse il suo stato d’animo d’amante ingannato. 
Questo procedimento è stato osservato dappertutto, eccettuata qualche rara eccezione, 
dovuta forse piü che altro alla fretta (p. e. LIL, 2 « Adunque sii presente, O bella 
donna », e p. 174 « Doncques soyez cy presente, o belle et gracieuse dame ».) 

2. Si lui supplie, et aux aultres qui le liront, que en le lisant vueillent avoir 
aucune compassion du tourment et du martire que amours jusques cy me ont fait 
endurer, et je mettroy cueur, corps et pensée à les servir loyaument jusques a la 
mort et sans departir » (p. 304). 





A 


23 BULLETIN ITALIEN 


con cui, nella versione, sono condannate le donne ingan- 
natrici'. Ma alcuni particolari sono stati certamente aggiunti 
dalla fantasia del traduttore, il quale tendeva a rendere la sua 
sorte simile in tutto e dappertutto a quella di Troilo : cosf il 
fatto ch’ egli fu timido come questi nel dichiarare il suo 
amore, «et craintivement je m'en hardi luy raconter mon fait » 
(p. 118); cosi la circostanza che la sua felicità d’amante durd 
pochissimo e che fu ingannato ed abbandonato, proprio nel 
modo medesimo dell infelice Troiano, senza alcuna ragione 
o colpa, dalla sua donna. » Mais ce tantet n'eut, las! durée, 
ains me faillit sans cause ne raison » (p. 119); infine lo stato 
del gentiluomo tradito corrisponde tale e quale alla dispera- 
zione di Troilo dopo l’inganno di Griseida, « Depuis n’eu joye, 
ne depuis n’eu plaisir, depuis n’eu bien, ne depuis n'’eu liesse, 
ne chose en ce monde qui peust pour rien ne sceust reconforter 
mon tres malheureux et abandonné cuer, qui ainsi avoit 
perdu toute esperance sans jamais recouvrer » (p. 119). 

Percid non ci allontaneremo molto dalla verità conchiu- 
dendo, che il signore di Beauvau ebbe a soffrire un tradimento 
amoroso, come il protagonista del poema, ma che, toltagli la 
mano dalla fantasia, cercù di presentarci la sventura sua molto 
piü somigliante al racconto tradotto di quello ch'essa fosse 
stata in realtà. 

Da questo fatto deriva alla traduzione una freschezza e spon- 
taneità tali da farla considerare quasi come un’opera originale. 
Leggendo quelle pagine appassionate il traduttore credette 
d’avere tra le mani la storia del suo amore infelice, e voltà in 
francese le ottave italiane con vero amore ed entusiasmo. Per 
questa ragione sono frequenti le aggiunte, le omissioni, i muta- 
menti e gli errori che ci svelano, per mezzo d'indizi apparen- 
temente insignificanti, tutto l’animo suo, la sua cultura, le sue 
convinzioni e le sue occupazioni predilette. 

1. «Cotal fin’ ebbe la speranza vana Di Troilo in Griseida villana » (VIH, 28)e 
«Geste fin eut l’esperance vaine que avoit Troyle en la belle Criseida, faulce, trai- 
tresse et desloialle » (p. 302). Altrove è stata omessa un’ allusione del Boccaccio alla 
felicità dei due amanti, che suona quasi invito lusinghiero alle orecchie di Fiam- 
metta (III, 33 e p. 182). L’omissione di questo passo, il quale ricordava tristamente al 


traduttore la gioia per sempre perduta, ci rafforza nel convincimento, che in questo 
racconto ci sia un fondamento di verità autobiografica. 








APPUNTI INTORNO ALLA TRADUZIONE FRANCESE DEL FILOSTRATO 53 


La sua seienza mitologica non era dayvero grande. Cosi gli 
perdoniamo l'ingenua vanità d’aver aggiunto al nome di 
Pallade la spiegazione la deesse de Sapience (p. 124 e I, 17), a 
quello d'Achille il commento {le vaillant capitaine des Greux 
(p. 302 e VIII, 25). Ma piü spesso la sua dottrina lo lascia in 
asso, e Protesilao (IV, 39) si trasmuta in un personaggio ben piü 
noto della leggenda troïiana, ma non apparso ancora a quel 
tempo sulla scena della guerra, Panthasilée (p. 209). I nostro 
stupore aumenta ancora quando leggiamo che Venere, la 
quale è chiamata giustamente dal Boccaccio figliuola di 
Giove (III, 74), si trasforma, per l’ignoranza del traduttore, 
nella madre del sommo degli dei mère de Jupiter (p. 192). 

Le abitudini medievali non possono non riflettersi, nella 
traduzione, in accenni e brevi aggiunte : cosi nel testo francese 
non bastan piü i {roian padri (1, 18) a dirigere i sacrifici al 
Palladio; ci vogliono, oltre Les peres troyens?, i sacerdoti : les 
seigneurs de l’église (p. 124), che soprintendono a simile ufficio; 
cosi una festa pagana assume le forme d’un pio pellegrinaggio 
medievale, .. el la plus part m'ont desjà demandé congié d'aller 
a ceste feste qui vient en pelerinage (p. 173 e II, 143). Bell’ ana- 
cronismo invero! 

Ma piû numerosi sono ancora i passi, in cui gli scrupoli 
religiosi indussero il traduttore a mutare l’originale. L'invoca- 
zione di qualche deità pagana quale vero dio posta in bocca ai 

1. Per attenuare la colpa del traduttore sia detlo che nel passo in questione non 
si cita mai espressamente il nome della dea, sicché ad una persona poco dotta in 
mitologia era aperta la strada alle piü strane congetture: Il potere irresistibile di 
questa divinità, a cui nessuno pud sottrarsi, influisce sopra il sommo degli dei, sopra 
Giove stesso, cosi si legge piû in giü (III, 76 e p. 193). Come dunque, pensà il dabben 
traduttore, una figlia ha da dominare il proprio padre? Ben piü nalturale e logica 
gli sembrè la relazione inversa, che cioè la madre abbia imposto al figlio il suo 
giogo, massimamente che, piü in basso ancora (lIl, 79 e p. 194), il poeta fiorentino 
celebra il figliuolo di questa dea, l’onnipotente Amore, senza indicarne chiaramente 
il nome. Percid gli si porgeva spontanea l’identificazione erronea di queste due 
divinità ben differenti (Giove ed Amore) ed il concetto apparentemente logico per lui, 
ignaro in mitologia, che questo figliuolo potentissimo nato di madre, al cui influsso 
tutti devono piegarsi, non sia altri che Giove medesimo. L’espressione anteriore poi, 
che definisce questa dea quale figliuola del sommo degli dei, gli sarà parsa proba- 
bilmente una svista del poeta. Eppure Louis de Beauvau fu inviato dal suo signore, 
dal buon re Renato, quale ambasciatore a papa Pio II, a Roma (Hauvette, op. cit., 
p. 22). Quale distanza fra i due uomini! Come avrà sorriso maliziosamente il 
raffinato umanista nei conversari coll’ onesto, ma ingenuo cortigiano, cosi poco 


iniziato nei segreti della scienza antica! 
2, L’edizione reca erroneamente les clers troyens, 


ce GE did ‘c ASOTÈTURS dés AN EX 


54 BULLETIN ITALIEN 


personaggi del poema, si trasforma, nella versione, in una 
preghiera rivolta al vero Dio, sicché possiamo illuderci che si 
tratti proprio del Dio cristiano : lo dico Giove, iddio vero 
(EL. 24) e je dy du vray Dieu (p. 126); lo stesso a p. 197 e III, 67: 
Il giuramento per Giove, O sommo Giove (VITE, 17), è reso pit 
esattamente : O souverain Jove (p. 299)'. Il rispetto profondo 
pel nome di Dio induce Louis de Beauvau a capovolgere 
l’ordine, dovuto probabilmente alla rima, in cui Pandaro 
precede Dio (II, 82 e p. 156), ad omettere addirittura Amore 
preposto a Dio : Amore, Iddio, e’ l mondo questo cessi! (IV, 53) 
e Jà Dieu ne le vueille! (p. 213). Certo ad un uomo intimamente 
devoto bastava in questo caso Iddio, ed ogni altra aggiunta 
gli sembrava un’ irriverenza. 

Tutta una serie di mutamenti à dovuta al fatto che il tra- 
duttore, ignorando il significato classico della parola /nferno, 
come l’usa il Boccaccio, gli attribuisce il senso cristiano, 
molto pit ristretto, di dimora dei dannati. Una mente 
medievale non poteva concepire il desiderio sacrilego della 
figliuola, che augura al proprio padre l’Inferno : O padre mio. 
E li Troian lasciar! nell infernale Valle fuslu, volesse Iddio, 
defunto (IV, 93) e « O mon père! et laisser les Troyans en 
malle tempeste infernalle! Que pleust ore a Dieu que auant 
feussiez vous trespassé » (pp. 222-223)2. La stessa avversione 
a tradurre tale e quale il termine /nferno si nota anche altrove; 
p. e. IV, 54e p. 213; IV, 120 e p. 229; VI, 16 e p. 263; NII, 
21 € p. 300, nei quali casi la parola suddetta è evitata © resa 
con l'autre monde. 

Né sono meno manifeste le traccie delle severe convinzioni 
morali del traduttore in parecchi passi della prosa francese. 
La morale boccaccesca superficiale ed egoistica non poteva 
garbare all’ onesto gentiluomo, che credette suo dovere di 
rimaneggiare il racconto italiano nei luoghi, che si trovavano 
in evidente contrasto con le sue massime; ma non sempre 
questi mutamenti sono vantaggiosi alla verità ed alla bellezza 


1. Male ancora qui l’edizione : O souverain juge. 
2. In questo caso la divergenza sarà dovuta forse ad una differente interpunzione 
del manoscritto che servi al traduttore pel suo lavoro. 








APPUNTI INTORNO ALLA TRADUZIONE FRANCESE DEL FILOSTRATO 55 


della traduzione. Griseida vuol persuadere il suo amante, che 
una relazione nascosta e pericolosa sia piü attraente d’un 
amore legale e conosciuto, e ci per indurlo a desistere dal 
piano di rapirla : 

E quanto più di possederla ardi, 

Piu tosto abominio nel cor ti viene, 

Se larga potestade di vederla 


Fatta ti fia, e ancor di ritenerla. 
(LV, 152.) 


Sotto la Griseida francese invece fa capolino l’uomo morale, 
il quale condanna dal punto di vista etico la rapina quale una 
brutta azione, considerandola come una violenza da parte 
d'un potente a danno d’una donna debole : «et tant que vous 
auez plus de puissance et de hardement, de tant plus deuez 
vous avoir abhomination au cuer de faire une chose mal 
faicte; et si Dieu vous a grant pouoir donné, sachez en ouurer 
saigement en temps et lieu » (p. 238). Sono sentimenti che 
onorano altamente il fiero gentiluomo, ma non possiamo 
trattenerci dall’ osservare che le massime leggere, poste in 
bocca dal Boccaccio alla vedova volubile, armonizzano meglio 
col di lei carattere che non la severità morale attribuitale dal 
Francese. 

Questi è sincero, ed odia percid la raffinata ipocrisia delle 
donne. Vuol chiamare ogni cosa col suo vero nome e far 
parlare i personaggi con la massima sincerità. Cosi gli sembrù 
un’ esagerazione poco naturale, che Griseida insistesse tanto 
nel volere salva la sua castità, e mitigù l’espressione (IT, 121 
e p. 167). La verità psicologica, al contrario, sta appunto in 
quest’ esagerazione, giacché proprio donne siffatte hanno 
sempre la parola castità sulle labbra. Il Boccaccio è, senza 
paragone, dei due il pi profondo conoscitore del cuore fem- 
minile, come si vede da un passo, in cui la vedova leggiera 
apparisce timorosa e trepida, mentre attende con desiderio 
vivissimo l’arrivo dell’ amante. Simili finezze della psicologia 
femminile non sono familiari al buon traduttore, che credette 
suo dovere di togliere la contraddizione apparente (III, 25 


ep. 179). 





56 BULLETIN ITALIEN 


Anche il concetto dell” amore, manifestato per mezzo di 
Pandaro, assume un aspetto diverso nei due uomini : L’Ita- 
liano non si meraviglia punto dell’ infedeltà di Griseida; gli 
sarebbe bastato che la loro relazione non fosse cessata cosi 
presto, giacché un amore che durasse quanto la vita sarebbe 
sembrato anche a lui stucchevole. Tutt’ altro il Francese, il 
quale s'aspettava dalla sua amante una fedeltà che non 
avrebbe avuto fine che con la morte (IV, 46 e p. 214). 

Lo spirito feudale di casta si riflette piuü volte nella versione, 
specialmente nelle relazioni tra vassallo e signore, tra 
amante ed amata. Né a questo fatto è completamente estranea 
la lingua francese, la quale, a preferenza dell italiana, si serve 
d'un linguaggio meno familiare e pit rispettoso. Al semplice 
amico caro (II, 1) usato da Pandaro di fronte a Troilo, corri- 
sponde in francese l’espressione ossequiosa del vassallo verso 
il figlio del suo re, mon seignour el mon amy (p. 155). 
I termini, in cui l’innamorato esprime alla sua donna 
devozione illimitata, assumono un tono di maggiore umiltà 
e rispetto nella traduzione che non nell’ originale (Il, 103 € 
p. 162; VI, 32 e pp. 267-268). 

Né è priva di significato la predilezione del traduttore 
d’abbondare nei particolari riguardanti l’arte della guerra e 
della caccia. Cosi i tentativi per far rinvenire Troilo svenuto 
(IV, 19 e p. 204) ed i vari procedimenti per accertarsi, se 
Griseida fosse proprio morta o soltanto priva di sensi (LV, 
118 e p. 228), sono resi con esattezza tale ed abbondanza di 
particolari, che fanno supporre in lui una dimestichezza 
non comune con simili casi frequentissimi sui campi di 
battaglia. Ma accanto al guerriero troviamo in Louis de 
Beauvau anche l’uomo di corte, il quale non isdegnava 
l'occupazione piü lieta della caccia e trovava sopratutto gran 
godimento stando seduto ad una tavola ben bandita in com- 
pagnia di donne leggiadre (V, 41 e p. 252-253). In questa 
circostanza i suoi gusti s’incontravano con quelli del poeta 
fiorentino. 

Studiate ormai le divergenze dovute particolarmente allo 
stato d’animo, alla cultura, alle convinzioni ed alle abitudini 





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APPUNTI INTORNO ALLA TRADUZIONE FRANCESE DEL FILOSTRATO 57 


del traduttore discoste in vari casi da quelle del Boccaccio, 
dobbiamo indagare i risultati che derivano da cid e dal tem- 
peramento artistico del signore di Beauvau alla versione 
considerata pit specialmente quale opera d’arte e paragonata 
col testo italiano. Già la natura stessa della narrazione 


 prosaica rendeva necessario il mutamento radicale d’abbrevia- 


zioni ardite, di metafore, di circonlocuzioni, che formano 
nella lingua poetica uno de’ più efficaci mezzi artistici, ma 
che diventano zavorra inutile nel linguaggio piü dimesso e 
logico della prosa, specialmente della prosa francese cosi 
limpida e semplice. Il traduttore ha intuito giustamente 
questa necessità ed ha saputo tenerne conto, dando alla sua 
versione un’ andatura piü familiare e piü ordinata, senza gli 
sbalzi ed i trapassi repentini dell’ espressione in rima. Il 
pensiero costretto entro i limiti misurati dal verso e dalla 
rima è stato giudiziosamente ordinato, allargato e meglio 
definito nella prosa, sicché, nel suo genere, questa non la 
cede in eleganza alle belle ottave del Boccaccio. Alcune volte 
peraltro questa tendenza cosi spiccata riesce di svantaggio 
notevole alla traduzione, giacché non sempre la visione 
poetica si presta ad essere allargata in prosa chiara e minuta. 
Percid la descrizione fine ed espressiva del risveglio d’amore 
in tutti gli esseri a primavera perde molto tradotta con 
simili criteri (I, 18 e p. 128); percid l’apparizione di Griseida 
nel tempio, descritta dal Boccaccio in un’ ottava efficace 
(E, 27), è diluita in proposizioni sciatte e noiose (pp. 126-127). 


AI gentiluomo francese manca evidentemente la facoltà di 


rappresentare nel giro di poche frasi un quadretto vivo e 
parlante. Dobbiamo invece dargli la lode d’aver evitato con 
sobrietà giudiziosa le frequenti antitesi e giochetti di parole 
che deturpano i versi boccacceschi, cosi Acqua soave al suo 
ardor severo (1, 41) reso bellamente con «eaue de confort 
pour estaindre l’aspre et cruel feu qui ainsi le tourmentoit » 
(p. 131), ed i versi artificiosamente secenteschi ch’ anzi che 


. morire Di dolor voglia, io voglio che parlare Possa chi voglia e di 


ciù abbaiare (VI, 7) tradotti con sapiente concisione : «que 
avant que ainsi mourir de douleur je vueil laisser parler qui 


RL TE Se SN ne GC gr CE 





08 BULLETIN ITALIEN 


vouldra » (p. 261). Altra particolarità della versione è l’espres- 
sione di maggiore forza ed energia che le deriva dall’ aggiunta 
d'una parola o dal mutamento d’una frase, che dà al passaggio 
un risalto speciale : l’amico (1, 4) diventa loyal amy (p. 136), 
la frase £l m° ha Griseida si la vila lollo Co’ suoi begli occhi 
(IT, 86) aumenta di vigore voltata in « Helas! Criseida me tire 
presque l’ame du corps avecques ses beaulx yeux » (p. 157). 

Una trattazione a parte meriterebbero le numerose simili- 
tudini, quasi tutte rimaneggiate e cambiate dal traduttore, 
ma, per mancanza di spazio, ci limiteremo ad osservare che 
questo tentativo non è riuscito molto bene, giacché il carattere 
poetico di queste le rendeva poco adatte ad essere trasportate 
in umile prosa. Sono rari i casi in cui la similitudine sia 
tradotta fedelmente, come Æ rassembrava a matllutina rosa 
(IL, 38) e «elle ressembloit la rose qui espanouist au matin » 
(p. 145). Prevalgono invece i mutamenti dovuti alle predile- 
zioni del signore di Beauvau, cosi quando esalta sopra ogni 
altro fiore la rosa:, oppure alla tendenza di dar chiarezza 
e semplicità al complicato ed all’ involuto?, oppure alle neces- 
sarie esigenze della prosa cosi diverse da quelle della poesiaÿ. 
Infine troviamo un paragone, al quale un errore d'inter- 
punzione ha mutato interamente significato ed il quale, in 
seguito ad aggiunte grossolane, ha perduto ogni grazia. 
Giudichino i lettori : Æ si come l’uccel di foglia in foglia Nel 
nuovo lempo prende dileltanza Del canto suo ; cost facean costoro, 
Di molle cose parlando fra loro (IV, 138), e « Et tout ainsi 
comme l'oisel prent son esbat ou temps nouveau à aller 
sailletant de fueille en fueille, ainsi faisoient ilz de leur costé, 
car il n’y auoit endroit ou lit là ou ilz ne allassent guignant 
et jouant en disant maintes gracieuses parolles » (p. 254). 

Per dare un’ idea piü completa della versione, passeremo 
in frettolosa rivista le tre epistole amorose scambiate fra 

1. Cf. Hauvette, op. cil., p. 30, nota 2°; 1, 19 € p. 124; I, 71 € p. 154. 

2. 1,4oe p.130; 11, 10e p.137; VII, 97 € pp. 292-293. In quest’ ultimo caso il 
paragone pesante apparisce del tutio diverso nella versione, della qual cosa non 
possiamo che essere grati al traduttore. 

3. 11, 43 e p. 147; l'ottava che decanta l’amata alla maniera popolaresca degli 


strambotti, non poteva essere tradotta tale e quale, né deve farci meraviglia che in 
questo caso la prosa francese rimanga molto al disotto dei versi italiani. 








APPUNTI INTORNO ALLA TRADUZIONE FRANCESE DEL FILOSTRATO 09 


Troilo e Griseida, le quali, possedendo una certa indipendenza, 
sono adatte ad istruirci sul temperamento artistico del tra- 
duttore tanto diverso da quello del Boccaccio. La versione 
della prima epistola (11, 96-106 e pp. 160-163) à veramente 
bella e non la cede in nulla all’ originale, anzi lo supera in 
certi riguardi. Sono omessi particolari inutili ed insignificanti, 
l’'espressione poetica qua e là troppo condensata è stata allar- 
* gata con giusta misura nella prosa limpida ed efficace. Non 
cosi la seconda che contiene la risposta di Griseida a Troilo 
(LI, 121-127 e pp. 166-168). Al signore di Beauvau manca il 
fine intuito della psicologia femminile per apprezzare la voluta 
oscurità delle ultime ottave, che rispecchiano efficacemente 
la lotta interna dei sentimenti opposti nel cuore dell’ inna- 
morata. La sua predilezione, del resto lodevole, pel chiaro e 
semplice gli è nociuta in questo caso. Invece l’epistola del 
Troiïano all amante lontana (VII, 52-75 e pp. 281-287) è stata 
voltata con innegabile vivacità e fedeltà. I pianti amorosi del 
giovinetto abbandonato, noiosissimi e sempre sul medesimo 
tono, appariscono abbreviati da mano sobria; cosi in altro 
luogo sono stati ridotti alle proporzioni naturali i lamenti 
interminabili di Griseida per la separazione imminente 
dal} amato (IV, 90, 92 e p. 222). 

Ma non soltanto in singoli brani della versione, bensi 
nel carattere stesso dei personaggi principali del racconto si 
riflette inconsciamente la natura differente dell autore e del 
traduttore. Il primo non riconosce alcun limite o ritegno 
all’ amore, sicché il suo Troilo vi sacrifica tutto : Amore il facea 
pronlo ad ogni cosa Doversi oppor (IV, 16), mentre il secondo, 
ammaestrato dall’ esperienza, confessa la fatuità di questa 
passione e vi pone un argine potente nella legge superiore 
dell” onore : « car de tout son pouoir il y remedieroit voulen- 
tiers si honneslement faire le pouoil. Amours le faisoit prest et 
appareillé à toutes choses soy enployer » (p. 203). 

Ancora pi spiccata è la divergenza nel carattere delle due 
Griseide, le quali presentano, a somiglianza de’ loro creatori, 
dei tratti interamente diversi. La Francese è sincera e piu 
gelosa della dignità femminile che non l’Italiana, in cambio 





6o BULLETIN ITALIEN 


supera questa la sorella straniera pel suo carattere un po’ 
sfacciato, ma seducentissimo. E appunto nelle sue piccole 
finzioni, nella sua pudicizia simulata abilmente si cela il 
fascino misterioso, che circonda proprio le donne di tal 
natura, sicché soltanto dall' arte e dal!’ esperienza d’un Boc- 
caccio si poteva aspetlare una rappresentazione cosi vera e 
viva della seduzione femminile. Si tacci pure la Griseida 
italiana di doppiezza e d’affetto soltanto simulato, essa supera 
senza confronto la francese per la perfezione artistica e per 
la verità psicologica'. Questa è piû generosa di fronte al suo 
amante, quella pensa unicamente al suo vantaggio ed al suo 
godimento, come apparisce da parecchi luoghi dei due testi, 
p. e. IV, 161 e p. 240. Questo tratto dovrebbe avvicinare 
maggiormente alla nostra simpatia la protagonista della tradu- 
zione, eppure accade in noi proprio il contrario, poiché sen- 
timenti di generoso altruismo non possono dimorare in un 
cuore leggero come il suo. EË impossibile immaginare un 
affetto elevato e pieno di premura per le sofferenze altrui in 
un essere frivolo e sensuale che, vivendo secondo i principi 
egoistici, si dà interamente al godimento momentaneo, pronto 
del resto a cercarsi, al minimo mutar di vento, altrove il 
soddisfacimento de’ suoi istinti. 

Infine citeremo due esempi, i quali, scelti tra cento, ei 
scoprono uno dei lati pit caratteristici della versione francese : 
Il di andando, e la notte nel lello, Di Griseida sua sempre pensava 
(V, 67) e « Et ainsi le jour s’en alloit, puis s’en venoit la nuit, 
là ou ne faisoit que penser au grant plaisir qu'il avoit eu ou 
lit de si belle dame, ne en aultre chose ne prenoit plaisir » 
(p. 258). AI Boccaccio basta farci sapere che Troilo pensava 
sempre a Griseida, mentre il traduttore vuol definirei minuta- 
mente quali fossero i pensieri dell’ infelice innamorato. Ancor 
pii manifesta apparisce questa tendenza dalle ottave (V, 54-57), 
in cui il giovane Troiano esprime i pensieri, che sorgono in lui 
alla vista dei luoghi testimoni della sua felicità d'amore, voltate 
(pp. 255-256) in modo che tutta l'attenzione del lettore passa 


1. Si paragoni in questo riguardo la bellissima scena amorosa nella parte WI, 
otlava 28° e segg. con la trad. fr, a pag. 180 e segg. 





0 RON, VIT 


RE Léna een de dé dit mot de, 


APPUNTI INTORNO ALLA TRADUZIONE FRANCESE DEL FILOSTRATO 61 


dal fatto interno all’ esterno, dal pensiero vero e proprio alle 
circostanze di luogo e di tempo. Rapide e brevi sono le im- 
magini che sorgono nella mente del Troilo italiano : Colà 
istava, quand’ ella mi prese Con gli occhi belli e vaghi con amore 
(VW, 55); minuziosi invece sono i riferimenti agli avvenimenti 
passati del francese, il quale ci svolge di nuovo la scena tale 
e quale sotto gli occhi, dimenticando quasi d’aver da fare con 
un ricordo soltanto, che di natura sua è fuggitivo e frammen- 
tario : « En chevauchant ainsi par la ville vit ung aultre lieu 
là ou il avoit veu Criseida au commencement de ses amours, 
en la compagnie des autres dames de la ville » (p. 256). 

Da questi e da molti altri brani si deduce un fatto che è 
quasi la chiave di volta per comprendere il valore intrinseco 
della traduzione. Il Boccaccio è senza dubbio superiore nella 
rappresentazione dei fatti psichici, mentre Louis de Beauvau 
riesce meglio quale descrittore delle circostanze concomitanti, 
che nell’ originale sono trattate spesso come qualcosa di 
secondario. Il poema italiano si limita quasi unicamente a 
dipingerci la vita e le evoluzioni psichiche dei protagonisti, 
dapprima la felicità dei due amanti, poi la separazione ed il 
tradimento, infine la disperazione di Troilo. Il quadro è bello, 
ma vi manca completamente la cornice. Per questa ragione 
una lettura continuata del Filostrato stanca ed annoiïa, non- 
ostante gl’ innegabili meriti di lingua e di stile e la naturalezza 
dei caratteri. Ora il traduttore francese ha cercato, seguendo 
le tendenze del suo temperamento artistico, di rimediare a 
questa sproporzione tra l’azione esterna ed interna, accor- 
ciando od omettendo certi pensieri che si ripetono con troppa 
insistenza e dando maggior rilievo alla descrizione dei fatti 
esteriori. Non vogliamo con cid dire ch’.egli abbia conseguito 
sempre la proporzione armonica, né negare che qua e là 
pecchi, anche lui, ma per l’eccesso opposto. In ogni modo ci 
ha dato, e di questo dobbiamo essergli grati, un buon rima- 
neggiamento del Filostrato, che si legge con piacere e senza 
sforzo, ma che non sempre raggiunge la verità psicologica 
dell’ originale. 

Uco CHIURLO. 
Bull. ital. 5 


ra d'il 6 SPL : À 





ALBANYANA 


I. L’InconnuE DE F.-X. FABRE. 


Quand il revint fixer à Montpellier la résidence de ses vieux jours, 
Fabre semble avoir voulu rompre avec les souvenirs de toute son exis- 
tence florentine. Aussi rigoriste d'apparences que libre de mœurs, 
il s’est efforcé de détruire, pour lui non moins que pour son amie 
Louise de Stolberg, tous les témoignages que l'histoire aurait pu 
ramasser dans ses papiers contre elle, contre lui-même ou contre eux. 
Comme il l’écrivait à son ami le baron de Castille, peu après la mort 
de M*° d’Albany : « La froide raison n’approuve pas toujours les élans 
de la poésie dans une âme passionnée... Certains secrets du cœur ne 
doivent pas être compris du public :.» Du vivant de son amie, ou 
d’après ses instructions, il brüla «une foule de papiers plus qu'inutiles », 
qui concernaient ses relations avec Alfieri. Il pratiqua pour lui-même 
une égale discrétion, et ce n’est pas sa faute assurément si nous pou- 


_vons aujourd’hui pénétrer dans l'intimité de cet illustre ménage à trois 


que formèrent Alfieri, la comtesse d’Albany et Fabre lui-même. 

Ménage à trois ou à quatre, s’il faut en croire les dires des contem- 
porains mêmes de Fabre, des hôtes qui s’assemblaient chaque jour 
pour la prima sera dans le célèbre salon du Lung’arno. La comtesse 
y était seule de huit à onze heures pour recevoir une nombreuse et 
brillante société cosmopolite; à onze heures apparaissait Fabre, reve- 
nant, dit un de ces visiteurs 2, de chez une autre maîtresse « d'ordre 
inférieur », et la compagnie se retirait alors, laissant souper en tête 
à tête ces deux amants philosophes. 

N'est-ce pas à cette inconnue que Fabre adressa la lettre que voici, 
dont le pauvre brouillon a échappé à la prudence de notre peintre, 
vieilli et devenu ermite à Montpellier? Ecrite par un vieillard plus que 
sexagénaire, goutteux, cacochyme, à une dame d'âge mûr, hémiplé- 
gique, privée de tout usage du membre droit, privée presque complè- 
tement du mouvement et de la parole, cette lettre peut paraître à 


1. Lettre inédite du 25 mai 1824, en réponse à une lettre de M. de Castille, datée 
du même mois (Bibl. munic. de Montpellier). 

a. Conversation de lord Burghersh avec la duchesse de Dino à Londres, 24 juillet 
834 (Chronique de la duchesse de Dino, 1, 293). 





ÂLBANYANÀ 63 


première vue aussi innocente que dénuée d'intérêt ; il semble que ce 
soit tout uniment celle d’un vieux monsieur qui demande et donne 
des nouvelles à une vieille dame. Toutefois certaines allusions, — à ce 
passé qui l’a si fort tourmenté, au souci du repos de sa correspon- 
dante, à sa crainte qu’une lettre tombât entre les mains de personnes 
qui auraient eu le droit de «la mal prendre », à ses doutes sur l’éven- 
tualité d’un retour à Florence, — permettent de croire que cette épître, 
de style si calme et si froid, de sujet plus médical que passionné, est 
une lettre d'amour. 

Ou plutôt, dirait-on plus justement, une lettre d’« après l'amour ». 
Ce brouillon est un précieux, irrécusable et cruel témoignage de la 
froideur d'âme de Fabre, de son insensibilité, de son égoïsme. Dans 
cette lettre, la première qu'il écrit à une femme autrefois aimée, après 
trois ans et plus de séparation et de silence, il n’y a pas un mot d’affec- 
tion, pas une marque de tendresse ou même d'émotion ; de la curiosité, 
un intérêt un peu affecté, une indifférence mal déguisée, une franchise 
dépourvue presque de politesse. C’est de ses propres maux qu’il parle 
le plus longuement et avec une visible complaisance; c’est sa santé 
qu'il allègue pour s'abstenir de promettre sa visite à l’abandonnée. 
Aux excuses que son amie lui a adressées sur son propre silence, il 
répond pour justifier le sien par un souci rigide et circonspect des 
convenances. S’il demande à la malheureuse hémiplégique une nouvelle 
lettre, c'est en l'invitant à prendre tout son temps pour l'écrire. Il 
veut évidemment songer le moins souvent et le moins possible à sa 
maîtresse d'autrefois, devenue impotente et grabataire. Il pousse 
l'indifférence et la franchise jusqu’à dire à son amie qu'elle est encore 
« relativement jeune » (ancora fresca). Pour Fabre, ce souvenir d’une 
liaison d’un quart de siècle n’était plus du passé vivant. 

Cette maîtresse « d'ordre inférieur », où la chercher? Tenons compte 
que la conversation de Burghersh nous est rapportée par l’orgueilleuse 
duchesse de Dino, pour qui tout «ce qui n’est pas né» est d'ordre infé- 
rieur : preuve en soit l'ironie qu'elle met à raconter une visite de George 
Sand à Valençay et le mépris très sincère qu’elle étale pour le salon de 
M"° d’Abrantès, où « l’on rencontre M"° Victor Hugo ». La femme d’un 
artiste, qui avait de plus « le ridicule d’être pauvre », comme dit 
Stendhal, devait être pour elle, à plus forte raison, « d'ordre inférieur ». 
Faut-il la retrouver en Teresa Santarelli, femme de ce Santarelli, 
graveur en pierres fines, dont la réputation fut européenne pendant 
l'Empire et la Restauration, dont Fabre était l’ami, et au fils duquel, 
Emilio, il devait plus tard laisser toute sa fortune? Je n’oserais l’affirmer, 
mais rappelons-nous qu'à l'époque mème où Fabre écrivait ainsi 
à l’inconnue hémiplégique, son ami Pietro Benvenuti lui annonçait: 


1. Lettre inédite d’avril 1827 (Bibl. munic. de Montpellier). 





64 BULLETIN ITALIEN 


qu'une attaque d’apoplexie venait de frapper M”° T. Santarelli, et 
qu'après avoir eu la partie droite du corps et la langue immobilisées, 
tout en conservant son entière lucidité, elle n'avait qu’une très lente 
convalescence. Y aurait-il eu à Florence, en 1827-1828, parmi les 
personnes autrefois en relations mondaines ou familières avec Fabre, 
deux dames simultanément atteintes d'hémiplégie? Ce n'est pas 
impossible. Avouons que c’est peu probable. Il n’est donc pas interdit 
de supposer que M"° Santarelli est bien la maîtresse d'ordre inférieur, 
la dame inconnue à qui fut adressée cette lettre que Fabre a oublié de 
détruire. Et c’est sans doute parce que cette minute, rédigée en italien, 
sans date, sans noms propres, d’une écriture minuscule, griffonnée, 
tourmentée par la goutte, presque indéchiffrable, a été égarée dans 
une liasse de papiers presque de rebut; c’est à ses humbles et rebu- 
tants dehors qu’elle doit d’avoir survécu, pour notre amusement de 
chroniqueur, à quelque vertueux autodafé. 


Ero in una situazione deplorabile quando ricevei la sua 
inaspettata e tristissima lettera ', ed è questa la ragione dell’ 
involontario ritardo alla mia risposta. Ero in letto con un fiero 
insulto * di gotta al pugno mancino, alla spalla, al gomito 
dritto, a’ due piedi ed al ginocchio dritto, il tutto accompa- 
gnato da una infreddatura che mi cagionava una tosse cavallina 
convulsa che mi scuoteva tutto e che raddopiava i miei dolori; 
e per soprappiùü Salvatore ? esso pure era in letto colla gotta e 
sua moglie con un rumatismo in capo. Veda se peggio potevo 
stare ! Furchè la tosse, il resto è migliorato, e ne profito per 
ringraziarla della sua lettera. Ma, buon Dio! come mai, all età 
sua ancora fresca, puô ella essere cosi mal ridotta? Tutto è troppo 
chiaro nella sua lettera, benche assai bene scritta colla mano 
mancina. £ una mano morla? E ella fredda, insensibile, incapace 
di alcun moto? uno pede stroppialo? pud ella peré camminare, 
sortire, divagarsi? una lingua pappagalla? E ella sempre cosi? 
più o meno secondo le stagioni e i tempi? Me lo deve dire? 
[lungamente e] al più presto che potrà ‘. [metta per scriverme 
tutto il tempo necessario|. Mi domanda scusa se dopo tre 


VARIANTES : a) Prem. rédaction : attacco ; b) Les mots lungamente e 
sont une addition; c) La phrase entre || est une addition. 


1. Cette lettre a été sans aucun doute détruite par Fabre. Je reproduis textuelle- 
ment le mauvais italien de l’autographe qui est d’une lecture difficile. 

2. Le fidèle domestique que Fabre avait ramené de Florence à Montpellier et qui 
le servit jusqu’à sa mort, 






Nr) cnrge,  L) viip dés SE D RE D à CS 


ALBANYANA 65 


anni e mezzo mi scrive per la prima volta. E egli colpa mia se 
non lo ha fatto prima? lo da parte mia non lo poteva; temevo 
con troppe ragioni che la mia lettera fosse* veduta per caso 
da persone? che probabilmente lo avrebbero trovato male 
assai, e dovevo rispettare il suo riposo. Mi aveva dato prove 
che l’intendeva cosi. Ma oime! lasciamo il passato, mi ha 
tormentato abbastanza! Aspetto altra lettera da lei, più lunga 
e più dettagliata su tutto cio che la risguarda, franca e sincera. 
Spero che non dubitara dal vivo interesse che vi porto. Il mio 
male è troppo ostinato, troppo frequente, troppo vecchio perch' 
io possa ragionevolmente sperare di rivedere lei a Firenze, ma 
confesso che non posso ancor risolvermi a dire di no. Del 
rimanente il giorno e pessimo per una tal decisione. Vedremo 
più tardi; la tosse mi affoga, soffro molto; do fine per oggi 
a questa lettera. Creda quel sard sempre divoto e sincero 
amico suo. 


II. NOUVEAUX FRAGMENTS DE LA CORRESPONDANCE 
DE LA COMTESSE D’ALBANY. 


La majeure partie de la correspondance de Louise de Stolberg, 
comtesse d’Albany, est bien connue; Saint-René Taillandier en a com- 
mencé la publication dans ses Lettres inédites de Sismondi, Bon- 
stetten, etc., Orlandini et Mayer, Antona-Traversi, d’autres encore l'ont 
continuée. Je l’ai à peu près achevée dans le Portefeuille de la comtesse 
d'Albany. Toutefois on peut encore glaner parmi les autographes du 
fonds Fabre-Albany un certain nombre de lettres qui ont leur intérêt. 
Elles montrent pour leur part, et plus encore par rapprochement 
qu’en elles-mêmes, l'étendue et la variété des relations mondaines de 
la comtesse, l'importance que sa longue liaison avec Alferi lui avait 
conférée dans les milieux littéraires italiens, surtout l'illusion que, 
malgré la trop réelle médiocrité de son esprit, ses contemporains 
se faisaient sur son mérite intellectuel. Dès son séjour à Paris sous 
Louis XVI, introduite par Alfieri dans les salons des Trudaine, des 
Angivilliers et de leurs amis, où elle devait rencontrer André Chénier 
et le voir sous l’aspect d’un gourmand trop vorace, elle jouissait d’une 


VARIANTE : a) Prem. rédaction : capitata. 


1. Trois ans et demi depuis son départ de Florence, L'attaque de paralysie de 
Teresa Santarelli est d’avril 1827. La lettre à laquelle répond ici Fabre est probable- 
ment postérieure de quelques mois à cet accident. Les dates concordent. 

2. Ce pluriel de prudence désigne probablement Santarelli. 





OR Cadet ed 


66 BULLETIN ITALIEN 


certaine influence dans le monde parlementaire. Sous le Directoire, on 
la voit en relations avec les agents diplomatiques des petits États 
italiens, et, pendant le Congrès de Vienne, sa vieille rancune contre 
Napoléon la désigne à l'honneur d'être l'amie et la confidente des 
triomphateurs du jour; plus tard, elle suit les affaires politiques en 
restant étroitement attachée aux principes de la légitimité. Dépositaire 
de la pensée d’Alfieri, elle conserve et propage son culte, elle fait 
incliner les Arcades devant son portrait; héritière de sa bibliothèque 
et grande liseuse, elle se fait la pourvoyeuse de livres de ses amis, 
Lucchesini, Lady Burghersh, la princesse Consini, Teresa Mocenni et 
bien d’autres; fondatrice de son monument funèbre, elle devient l’amie 
du sculpteur Canova et de ses amis Cicognara; élève du peintre Fabre, 
elle collectionne comme lui des œuvres d'art, encourage les peintres 
et les dessinateurs, de même qu’en souvenir d’Alfieri, elle protège les 
poètes et surtout les tragiques. « Reine des cœurs » à Florence comme 
à Rome, tenant maison ouverte, elle reçoit l'aristocratie florentine et 
les étrangers de renom, les touristes et les résidants, la danoïse 
Frederika Brun comme lady Morgan, lady Burghersh ou lady Davy, 
M”: de Staël et sa famille comme les « Prix de Rome » que d'anciens 
camarades d'école recommandent à Fabre. Et pour gouverner, pour 
relier, pour s’attacher tout ce petit monde de visiteurs, d'hôtes, de 
correspondants, sans cesse renouvelé, elle devient une infatigable 
épistolière, recueillant, transmettant, propageant les nouvelles et les 
on-dit les plus divers, raisonnant sur tout avec un bon sens souvent 
étroit, mais, en somme, personnel et direct, en femme qui a beaucoup 
vu, et, sinon toujours compris, du moins beaucoup retenu. Si ses 
propres lettres ont été dispersées ou perdues, du moins les lettres de 
ses correspondants peuvent en faire retrouver les traces trop bien 
dissimulées; elles peuvent surtout suppléer provisoirement à leur 
absence en renouvelant et en précisant quelques traits de la physio- 
nomie de cette femme célèbre, si mal connue à certains égards et si 
difficile à connaître. C'est ce qui semble autoriser la mise en lumière 
de toutes celles qui ont eu la chance de survivre aux destructions 
partielles de ses papiers. 


I. DE MADAME TINGUY DE CHOUPPES 


(16 novembre 1787. Sans suscription.) 


Madame la Comtesse, 


J'ay été bien mortifié, lors de mon passage à Paris, de 
n’avoir pas eu l’honneur de vous y trouver, ainsi que de vous 
y présenter de vive voix mon homage et remerciman de tout 
l'interais que vous avez pris à mon sor; il est bien changé 
actuelleman ; il ne me manque que du temps pour terminer 









ALBANYANA 67 


mon procès à l'amiable. Sy j’auzais encore enploier voz bontés 
auprès de Monsieur d’Amecour, mon raporteur, affain qu'il 
me donne six semenne pour faire émanciper ma fille! Je luy 
demande cela au nom de toute ma famille, pour finir en arbitrage 
cette détestable affaire. Je vous supplie de vouloir bien plaider 
ma cause après de M. le présidan d’'Ormesson : il peut tout 
faire auprès de M. d’Amécour. Je ne demande que six semenne : 
je vous réytère mes supplication, madame la comtesse, ainsy 
que mille pardon de toutes les peines que je vous donne (je 
vous en auray un reconnoisance éternelle), ainsy : que le 
profond respect avec lequel j’ay l'honneur d’estre, 
Madame la Comtesse, 
Votre très humble et obéissante servante, 
Tinguy de Chouppes. 
Au Porteau en Haupoitou (sic), le 16 gbre 1787. 


2. DU DIPLOMATE ANGIOLINI?2 


(Paris, 8 mars 1799. Sans suscription.) 


IL faut bien que je vous avoue, très aimable Madame la 
comtesse, que j'ai reçu dans son temps la lettre dont vous me 
parlez dans votre dernière du 14 février 5. Il faut même que 
je vous avoue que je ne vous ai point répondu. En attendant 
tous les jours la réponse que M. de Witt devait m'envoyer pour 
vous, les semaines se sont écoulées, et je suis resté avec le désir 
d'accomplir à ce devoir. Cependant les dangers de la Toscane“ 
sont survenus : alors je n’ai plus eu un moment de liberté ; 
mon travail en tout genre a été continuel, difficile et très 
laborieux. Ma santé elle-même en a souffert. Enfin, l'orage 
a passés, mais il y a eu toujours à faire pour en détourner les 
suites 5. En un mot, ayant oublié tout, excepté l’objet qui me 
tient à Paris, même ma réponse à vous faire a été oubliée. 

1. La phraseest claire mais mal construite : ce second ainsi e. q. s. se rapporte 
comme le premier à je vous réytère. 

2. Diplomate italien, qui gérait à Paris les affaires de la Toscane. 

3. Ces deux lettres de Madame d’Albany sont probablement perdues. 

k. Débarquement des Anglo-Napolitains à Livourne en novembre 1798, occupation 
de cette place jusqu’en janvier 1799, malgré la neutralité et les protestations de l’État 


toscan ; impuissance de cette garnison à aider Mack par une diversion ou par un sou- 
lèvement de la Toscane. 


5. L'orage n’était pas encore terminé : le 25 mars 1799, les Français entrent à 
Florence sous le général Gaulthier. 





68 BULLETIN ITALIEN 


C’est bien assez pour une excuse. Je viens au sujet de votre 
nouvelle lettre, et il ne sera pas beaucoup ce que j'ai à vous 
dire. L’estampe du tableau de Socrate de David', soyez sûre 
qu'elle n’est pas encore faite; on s’est engagé à m'informer 
lorsque ce sera et vous l'aurez; c’est-à-dire vous l'aurez si je 
serai en état de vous la faire avoir. Je l’espère pourtant, malgré 
la grêle qu’on est à la veille de voir tomber, mais c’est toujours. 
très-sage de douter, car il n’y a rien de certain dans ce bas 
monde. 

Mad/[ame] de Chastillon? a eu votre lettre, et j'ai averti hier 
au soir M. de Witt que, s’il veut vous écrire, j'ai une occasion 
prompte demain de vous faire avoir son pacquet. Je ferai dire 
le mesme à Mad|ame] de Chastillon, et je souhaite qu'en vous 
écrivant ils vous mettent à même de pouvoir vous assurer 
de mes soins. 

Rapport aux estampes de Poussin, j'ai cherché la note que 
vous m'en avez donnée dans le temp. Il ne m'a pas été 
possible de la trouver. Je la rencontrerai peut-être une autre 
fois, mais à bon compte vous pourriés bien m'en remettre un 
autre. Ce serait plus tôt fait pour l’exécution de vos ordres. 

Mille complimens au C. Alf. 3 et mille choses à Carletti#; 
ayés la bonté de dire à celui-ci que j'ai dit à Azara5 ce qu’il 
me mande. Il est aussi occupé que moi, et il ne m'a pas répondu 
par la raison par laquelle je doute fort si demain j'aurai le 
temp de lui écrire. 

Agréez les assurances de tous mes sentimens d’estime et de 


respect. | 
Angiolini. 


P. S.— Mad[ame] de Chastillon me fait sçavoir qu’elle vous 
écrira par une autre occasion, et je ne sais rien de M. de Witt. 


1. Ceci, et la mention des estampes du Poussin, atteste l’intimité existant déjà 
entre le ménage Alfieri-Albany et le peintre Fabre, pour qui sont demandés ces ren- 
seignements. — La Mort de Socrate de David figura au Salon de 1787. 

2. Amie de madame d’Albany, d’ailleurs peu connue, mais dont le nom revient 
à diverses reprises dans sa correspondance. 

3. Comte Alferi. 

4. Carletti, diplomate et homme d’État toscan, personnage quelque peu ridicule 
que M** d’Albany poursuit d’impitoyables quolibets dans ses lettres à Teresa Morenni. 
Elle lui reproche sa vanité, sa parcimonie et son esprit d’intrigant ambitieux. Cf. sur 
son affaire avec lord Wyndham les documents recueillis et transcrits, dans une 
intention peu bienveillante, par Alfieri lui-même, (Revue napoléonienne, s. IE, t, II.) 

5, Diplomate espagnol. 





ALBANYANA 69 


3. DU PRINCE NERI CORSINI! 


(Vienne, 21 octobre 1814. Sans suscription ?.) 


Madame la Comtesse, 


Je me proposois de vous recommender M. le comte de Buol 
Schevenstein3, qui vient résider comme ministre plénipoten- 
tiaire de S. M. l'Empereur, auprès de notre Cour. C’est un 
véritable cadeau que l’on nous fait. Vous trouverez en lui un 
homme tout à fait digne de votre estime et de votre amitié. 
On me dit beaucoup de bien de sa femme, qui est partie en 
même [temps] de Wurtzbourg5. On lui accorde beaucoup 
d'esprit et des manières très agréables. 

Notre cher cardinal Consalviô, que j'aime et j'estime 
infiniment, a eu la bonté de venir chez moi tout exprès pour 
me dire les choses les plus aimables de votre part. Je voudrais 
les mériter, mais je suis malheureusement fort au dessous de 
ce que mes amis veulent penser à mon égard. Il me tarde 
infiniment de retourner dans notre belle Toscane, pour y se- 
conder les intentions vraiment paternelles de mon souverain 7; 
mais autant nos affaires seroient simples si l’on pouvoit s’en 
occuper promptement, autant celles qui doivent être traitées 
entre les grandes puissances sont épineuses et compliquées. 
Dieu veuille que la présence des souverains intéressés amène, 
comme il8 le devroit, un dénouement prompt et heureux! 

Vous verrez”, j'espère, assez souvent ma bonne sœur Marioni, 
malgré qu’elle coure les églises et soit chargée de prier pour 
toute la famille. Dites-lui bien des tendresses de ma part. 

1. Neri Corsini, homme d’État et diplomate toscan, dont le nom revient souvent 
dans les lettres de la comtesse et de ses correspondants. M** de Souza l’attendait avec 
impatience, à Paris, en 1812 (cf. Portefeuille, p. 138). Après cette ambassade au 
Congrès de Vienne, il fut sénateur de Rome(cf. ibid. p. 362, une lettre de Miss Cornelia 
Knight du 16 juin 1818). 

2. Sauf au bas de la première page où il y a l’adresse : « M{a]d{[ame] la comtesse 
d’Albanie, Florence. 

3. Diplomate autrichien. 

k. Omis dans l'original. 

5. Résidence du grand-duc détrôné Ferdinand, grand-duc de Wurtzbourg de 
1806 à 1814. 

6. Un des plus anciens amis de la comtesse d’Albany et d’Alfieri, alors secrétaire 
d’État et directeur de la politique étrangère du Saint-Siège. Sur ses relations avec la 
comtesse, cf. ma note sur une Correspondance perdue du cardinal Consalvi (Bibliographe 
moderne, 1908). 

7. Le grand-duc Ferdinand II] de Lorraine, rentré à Florence le 17 septembre 1814. 


8. Sic, pour elle, 
9. Italianisme, qui a le sens du présent d’habitude français : Vous voyez. 


POP EC PEN PAST PT ST TT Te te CE EN 
CARS SLT 


70 BULLETIN ITALIEN 


Rappellez-moi au souvenir de M. Fabre et de tous ceux qui 
auroient la bonté de vous demander de mes nouvelles. 
Conservez-moi la bienveillance que vous m'avez toujours 
témoignée, et à laquelle je mets tant de prix, et agréez l’expres- 
sion des sentiments très distingués et bien sincères avec 
lesquels je suis, Madame la Comtesse, le très humble et très 


obéissant serviteur et ami N. Corsini 


4. DE MADAME FRÉDÉRIQUE BRUN, NÉE MUNSTER! 
(10 novembre 1821)?. 


Sophienholm, le 18 novbr. (sic) 1821. 
Madame, 


Comment vous exprimer ma tendre gratitude de votre 
souvenir de la mère, et de votre bonté pour la fille? Dans 
chacune de ses lettres, Idaÿ me parle des douz témoignages 
d'une bonté toute maternelle dont vous la comblés. Puisse- 
t-elle toujours s’en rendre digne et vous réjouir par l’exercice 
de ses beaux talents!, comme elle réjouissait jadis le cœur de 
sa pauvre mère, qui languit et languira toujours après l’enfant 
de son cœur, après celle qui était la lumière de ses yeuz! 

Je puis vous donner, Madame, les meilleures nouvelles de 
votre ami de Bonstettenÿ. Il se sent rajeunir d’année en année. 
Mon cher Prince de Danemark et son angélique épouse l'ont 
vû ainsi jusques vers le commencement de ce mois. Ce 
vieillard charmant et (sic) l’enfant gâté de la ville de Genève, 


1. Frédérique Brun, née Münster, femme de lettres, née le 3 juin 1765, morte le 
25 mars 1835, amie de Klopstock, Bonstetten, Thorwaldsen,.Sismondi et M”* de Staël, 
avait connu M"° d’Albany de 1807 à 1810, à Rome, où elle avait résidé près de sa 
fille Ida, et resta sa correspondante. (Cf. dans le Portefeuille, p. 42, 49, deux lettres 
d’elle, du 31 octobre et du 21 décembre 1808. Cette dernière lettre donne des détails 
médicaux qui expliquent la langueur physique et morale dont se plaint ici M** Brun). 

2. Suscription : À Madame la comtesse |[d’Albany,] née comtesse de Stollberg (sic) 
à Florence. 

3. Ida Brun épousa le comte Louis-Philippe de Bombelles, d’abord officier au 
service de Naples, puis ministre d'Autriche en Toscane et en Suisse, et devint ainsi 
la belle-sœur de l’impératrice Marie-Louise (cf. Billard, Les Maris de Marie-Louise). 

4. Le chant et l’art des « attitudes », divertissement artistique et mondain qu'Ida 
Brun avait pratiqué aux soirées de M** d’Albany sous la direction de sa mère (cf. 
Portefeuille, p. 42, le billet non daté donné en note). 

5. Le célèbre philosophe et {littérateur suisse. Saint-René Taillandier, a publié 
ses lettres à M”* d’Albany (Lettres inédites de J.C. L. de Sismondi, de M. de Bonstetten, 
de M"”* de Stlaël et de M”* de Souza, un vol. in-12, 1V-4o7 pages. Paris, Michel Lévy, 
1863. J’ai publié les réponses de M** d’Albany à Bonstetten | Lettres et écrits divers de 
la comtesse). Aux relations de Bonstetten et de Louise de Storberg est mêlée, d’une 
façon encore trop peu éclaircie, la mystérieuse amie que M** d’Albany appelle « la 
tendre Maltzam ». Il y a là un agaçant petit problème d’identité que j'espère pouvoir 
élucider quelque jour. 






ben Se tee Mis 2 den ah ALES Muse LR, dis 





ALBANYANA 71 


ville sage, et qui sait bien quelles espèces d'enfants on peut 
gâter sans les gâter. 

Que vous êtes bonne, Madame, de me désirer quelquefois au 
milieu de vous et d’Ida, et de mon cher et bien aimé gendre. 
Je voudrais bien encore passer une année du soir de la vie 
dans votre belle ville, dans une modeste demeure, pas trop 
loin de celle d’Ida. Ce douz rêve sera-t-il mis en réalité? 

Vous priez pour les Grecs! avec moi, je le sçais! Trouvez- 
vous pas bien impertinents les publicistes qui veulent mettre 
en parallèle la légitimité des maisons régnantes de l’Europe et 
leurs droits incontestables, avec ce barbare de Constantinople?, 
qui n'a pas d'héritiers légitimes, et dont le sauvage, cruel et 
sanguinaires gouvernement n’a jamais été reconnu par aucun 
acte civil du noble peuple qui n’a jamais cessé de s'opposer au 
droit infernal du plus fort, et dont quatre à cinq peuplades, les 
Mainottes, la Cacavauliottes sic), les Monténégrins, les Lepsins 
et ceus des montagnes de la Thessalie et de la Macédoine, 
n’ont jamais cessé de faire une noble résistance à leurs tirans? 

Adieu, Madame, recevez l’assurance du tendre attachement 
et du profond respect avec lesquels j'ai l’honneur d’être votre 
très humble et très-dévouée servante. 

Frédérique Brun née Münster. 


5. DE LA DUCHESSE VICTOR DE BROGLIE{ 
(Sans date. Sans suscription)5. 


Madame, 


Madame Necker de Saussure6, la cousine, l’amie la plus 


1. Il ne semble pas que M”* d’Albany se soit jamais inquiétée beaucoup des 
Grecs. Sur l'opinion publique à leur égard, cf. Isambert, l'Indépendance grecque et 
l’Europe (in-8°, Paris, Plon), et Bourgeois, Manuel de politique étrangère, 11, pp. 663 
sqq. Les publicistes contre lesquels s’indigne ici M** Brun n'étaient pas seuls 
à prendre parti pour le sultan. Strogonoff, agent russe ‘à Stamboul, désavouait au 
nom de son Czar, le 26 mars 1821, la révolte de l’Hétairie «comme contraire à la 
morale qu’il professait et au respect des gouvernements établis ». 

2. Le Sultan Mahmoud II (1809-1834). 

3. La proclamation de la Guerre Sainte contre les chrétiens, le 31 mars 1821, avait 
été suivie de grands massacres de chrétiens, notamment de prêtres et du patriarche 
lui-même, à Stamboul. 

h. Albertine de Staël, mariée le 20 février 1816, à Pise, au duc Victor de Broglie(cf. 
Saint-René Taillandier, Lettres de Sismondi, etc., p. 348 et suiv., les lettres de M”° de 
Staël où il est question des préparatifs de ce mariage; p. 352, un court billet où M** de 
Staël annonce la célébration du mariage à M”* d’Albany (S. R. T. a imprimé : j'éprouve 
le besoin de vous l’amener, au lieu de vous l’annoncer, p. 353 : le lapsus est évident). 

5. Le second feuillet de la lettre, où était la suscription, manque. 

6. Moraliste, auteur de divers ouvrages d'éducation. 





72 BULLETIN ITALIEN 


intime de ma mère, sera, j'en suis sûre, bien accueillie de 
vous ; elle n’a nul besoin de ma foible recommandation, ayant 
tant de titres à votre bienveillance. J’ose cependant ajouter 
quelques mots pour vous dire à quel point ma mère chérissoit 
son caractère et apprécioit son esprit. Hélas! si elle vivoit 
encore!, c'est elle qui la recommenderait à votre bonté avec 
tout le feu de son cœur. Une surdité cruelle prive Madame 
Necker de bien des jouissances et lui rend plus nécessaire de 
recontrer de la bienveillance. C’est donc avec une grande joie 
que je pense qu'elle aura le bonheur de vous voir, et que vous 
daignerez l'accueillir avec votre bonté parfaite. Il est impos- 
sible d’avoir été près de vous sans conserver un souvenir de 
cette bonté qui ne s’effacera jamais?. Mon frères et mon mari, 
qui en ont joui comme moi, ne me pardonneraient pas de ne 
pas mettre leurs respectueux hommages à vos pieds. Je me 
trouve trop heureuse que le voyage de m{a]d[amje Necker 
m'offre l’occasion de vous offrir, Madame, l'expression du 
dévouement respectueux avec lequel j’ai l'honneur d'être votre 
très humble et très obéissante servante. 


Staël de Broglie. 


6. DE LA PRINCESSE CORSINI 


(Sans date 4.) 


J’aie l'honneur de vous remettre deux des livres que vous 
avez eut la bontée de me pretter. Je crois que l'ouvrage a dix 
volumes. Si vous voulliez avoire encore la complaisance de me 
pretter ceux qui suivent, je vous en serai fort reconnaissante. 
Mes enfants sont à vos pieds. Pour moi, je me procurerai au 
plus tôt le plaisir de vous réitérer à vive voix l’expression des 
sentiments de considération et d’attachement que vous me 
connoissez. 

Antoinette Corsini. 


1. M" de Staël mourut le 14 juillet 1817. Le ton ému de l’allusion que M” de 
Broglie fait ici à sa mère semble indiquer que cette lettre n’est pas très postérieure 
à cet événement, 

2. M" de Broglie avait vécu à Florence et fréquenté le salon de M”* d’Albany peu 
de temps après son mariage. 

3, Le baron Auguste de Staël. 

4. Suscription : À madame la comtesse d’Albany chez elle. 





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rt 7 a Ve an OM QU er RE Le ee AN OU 


ALBANYANA 73 


7. DE LADY PRISCILLA BURGHERSH 
(Sans date !.) 


Ma chère comtesse, 


Me trouvez-vous bien indiscrète de vous demander encore 
des livres? Ne pouvant sortir ils me sont d’une grande 
ressource. 

Avez-vous la Vie de Marianne par Marivaux? Je crois que 
c'est un livre fameux, et je ne l’ai jamais lü. Enfin je vous 
serai très reconnaissante de tout ce que voudrez me prêter. 

Votre bien dévouée 


Priscilla Burghersh. 


8. DE SAMUELE IESI 
(Sans date?.) 


Pregiatissima signora Contessa 


Dal!’ ottimo signor marchese Torrigianis ho ricevuto trenta 
zecchini pel disegno che ho avuto la soddisfazione di farle. 
Le sono obbligatissimo perche mi teneva compensato larga- 
mente dall’ onore di averla servita. 

Unitamente alla detta somma ho avuto dal prelodato Signor 
marchese un gentilissimo biglietto di leif, pieno di espressioni 
tanto lusinghiere, e che io sommamente apprezzo. Voglia ella 
gradire per quest’ atto di sua bontà le dichia [ra] zioni della 
mia riconoscenza e le proteste della più sincera stima. 

Suo devot”° ed obblig”° servo 


Sabato sera 6 Xbre. Samuele lesi. 


9. DE LEOPOLDO CICOGNARA ? 
(Sans date ni suscription.) 


Veneratissima signora Contessa, 
lole ho infinite obbligazioni per la memoria ch’ ella si 


1. Suscription : À madame mad{[ame] la comtesse d’Albany. 

2. Suscription : Alla pregiatissima Signora [la signora Contessa d’Albany. S. P. M, 

3. Ami de la comtesse d’Albany et de Lucchesini, dans les lettres duquel il est 
souvent nommé, 

h. Lettre perdue de la Comtesse. 

5. L. Cicognara, né à Ferrare en 1767, mort à Venise en 1834, d’abord mêlé au 
mouvement politique comme plénipotentiaire de la Cisalpine à Turin (1794), délégué 


34 BULLETIN ITALIEN 


degnata avere di me, e per il modo cortese ed esuberante cor 
cui il sig. Baldelli : dottamente ha soddisfatto alle mie ricerche; 
egli mi ha confermato nelle mie opinioni con argomenti 
convincentissimi. 

Il primo volume dell’ opera mia è sotto il torchio; ma non 
credo di poterlo vedere alla luce che in primavera avvanzata. 
Il numero delle stampe e la diligenza che vorrei porre nella 
correzione ne fanno progredire assai lentamente l’edizione. 
Saro ben contento se quest’ improba fatica porrà meritarmi 
qualche suffragio e in particolare il di lei compatimento ch’ io 
valuto pur tanto per la somma agilità del suo spirito e straor- 
dinaria pronteza di concepire, oltre che per il suo tatto cosi 
finamente educato. 

lo scrissi a Foscolo? sarà più d'un mese; non vorrei che la 
mia lettera fosse rimasta giacente alla posta, ove io credo ne 
lasci dormir parecchie, per non ingrassar le finanze ed annoïarsi 
colle correspondenze dei seccatori; due cose una peggiore dell” 
altra. Non si puù perù fare in pochi tocchi il ritratto di Jui più 
sommigliante di quello che trovo, con una rapidita di penello: 
tizianescaÿ, al fondo della sua lettera : « souvent malade, 
amoureux, mélancolique et gai alternativement, mais toujours 
spirituelleé. » Egli non puû neppur querelarsi se apparisce 
qualche neo, che sotto il di lei pennello diventa una bellezza. 
Non poteva dipingersi meglio da chi si fosse proposto il suo 
elogio senza voler adularlo. lo ardisco di pregare la siglnojra 
contessa a voler ricordarmi a lui. 

Mia moglie, spesso malata e poco allegra in inverno, è sensi- 
bilissima al modo cortese con cui ella si è degnata di ricordarla. 
Quanto meglio ella stava a Firenze! Destinata a viver qui, non 


à la Consulta de Lyon, puis président de l’Académie des Beaux-Arts de Venise, 
célèbre surtout comme critique d’art et archéologue, ami de Canova à qui il sacrifie 
tous les sculpteurs modernes dans sa Storia della Scultura(3 vol. in-fol. 1813-1818). Ila 
aussi publié le recueil des Fabbriche più cospicue di Venezia. On ne saurait dire auquel 
de ces deux grands ouvrages il est ici fait allusion. 

1. J. B. Baldelli de Cortone, ami et correspondant de M°* d’Albany et de Fabre, 
avait servi dans l’armée française pendant sa jeunesse, puis passa plusieurs années 
à visiter les pays du Nord (1800-1804). En 18:15 il devint président de la Crusca et 
gouverneur de Sienne, où il mourut en 1831. 


2. Ugo Foscolo, célèbre poète, auteur des Dernières lettres de Jacopo Ortis, amant 


de Quirina Mocenni Maggiotti, fille de Teresa Regoli Mocenni, la grande amie de la 
comtesse. 
+ Cette flatterie est tout de même bien exagérée. 
. Il serait intéressant de retrouver cette lettre et celle dont il est question dans 
la A ci-dessous dans les papiers de Cicognara, 








ALBANYANA 75 


ävvi luogo (fatalmente) ov’ ella stia peggio di salute e d’umore. 
Oh! potessimo pure transferirci in Toscana, ma è sterile voto. 
Rinnovandole intanto, veneratissima signora contessa, le 
proteste della mia devozione, ho l'onore di offrirmi a suoi 
venerati comandi, se mi credera abile e degno di eseguirli. 
Di lei, signora contessa veneratissima Suo obb° devot° osseq° 


servitore 


Leopoldo Cicognara. 
Venezia li 23 Xbre (sic). 


10. DE MADAME CICOGNARA 


(Sans date ni suscription.) 


Bien de remerciemens, Madame la comtesse, de votre 
aimable billet. Vous attachez beaucoup plus de prix à ma 
lettre qu’elle ne méritoit, mais votre réponse a été extrêmement 
précieuse pour moi, car elle me rassure de votre bienveillance. 

Mon mari a été enchanté de la manière aimable dont vous 
lui avez témoigné l'intérêt que vous prenez pour sa santé. Il a 
été de nouveau indisposé avec un attaque de fièvre : il est 
mieux, mais il ne peu pas sortir le soir ni se trouver où il 
y ait trop de monde; enfin il est encore très faible, et il n’y 
aura pour lui de meilleur remède que de courir la poste, 
remède amer qui nous privera du plaisir de vous voir et de 
vous entendre causer avec tant d'esprit et de tact. 

Notre prochain départ ne s'effectuera pas sans que nous 
ayons le bonheur de vous présenter personnellement nos 
homages, et sans vous assurer que je suis et je serrai toujours 
votre très humble servante. 

Lucie Cicognara. 


I1. DE MADAME CICOGNARA 


(Sans date ni suscription.) 
14 aprile. 
La Cicognara restituisce alla sig[nor|a Contessa d’Albani les 
Mémoires de Lafontaine: che ha lette con somma soddisfazione, 
per esser nutrite di una quantita di osservazioni storiche e 
critiche, proprie a dare una idea giusta della storia letteraria 
non solo, ma a schiarireé quantità d’aneddoti relativi a quella 


1. Mémoires sur la vie et les ouvrages de La Fontaine, par Walckenaër. 





76 BULLETIN ITALIEN 


corte di Luigi XIV. I versi, che sono veramente riempiti di 
attico sale e di un senso che in ogni secolo ed in ogni età si 
riscontra, me li ho trascritti per non perderne la memoria. 
Questi furono scritti alla famosa di Bouillon, scusandosi di non 
voler fare l’elogio di Mad* Mazarin, nel timore di ferire l’amor 
proprio dell’ una o dell’ altra delle due sorelle : 


Vous vous aimez en seurs, cependant j’ai raison 
D’éviter la comparaison : 

L'or se peut partager, mais non pas la louange. 

Le plus grand orateur, quand ce seroit un ange, 

Ne contenteroit pas, en semblables desseins, 

Deux belles, deux héros, deux auteurs ni deux saints. 


Avvrebbe voluto la scrivente fare questa restituzione perso- 
nalmente, ma ha dovuto in questi giorni nuovamente fare 
l’ufficio d’infermiera quando sperava di aver finito. Ora va un 
po meglio la salute del marito, ed unisce egli pure i suoi 
ringraziamenti e doveri a quelli della scrivente. L.r. 


III. UNE LETTRE INÉDITE DE FABRE A BERTIN L’AINÉ. 


J'ai déjà publié plusieurs séries de lettres des Correspondants du 
peintre Fabre. La Revue Rétrospective a notamment imprimé en 18962 
entre autres celles du journaliste Bertin, le directeur du Journal des 
Débats, mais cette publication devra être reprise en entier, en raison 
des coupures arbitraires faites dans les textes par la Revue, et aussi en 
raison des additions et corrections que de nouvelles recherches me 
permettent d'y introduire à présent. Voici une addition non sans valeur 
à cette correspondance avec Bertin : la réponse de Fabre à la lettre de 
Bertin du 15 septembre 1821. La minute en est conservée dans les 
papiers du peintre, mais elle a été mal classée, probablement par suite 
d’une annotation au crayon (Réponse de Fabre à Roselli lettre 2) mise 
en tête de l’autographe. Je ne m'explique pas l'origine de cette erreur 
et de cette confusion : aucun doute n’est possible sur le destinataire de 
cette réponse, qu'il suffit de rapprocher de la lettre précitée de Bertin 
pour constater qu’elle y répond, comme Fabre le déclare lui-même, 
article par article et ligne à ligne. 

Dans l'histoire, peu mouvementée d'ailleurs, des relations des deux 
amis, ces deux lettres (celle de Bertin du 15 septembre, et cette réponse) 


1. Sic, pour Lucie Cicognara. 
2. Les Correspondants du peintre Fabre (1808-1834), dans la Nouvelle Revue Rétro- 


spective (1896) et à part (Paris, R, R. 1897). 





ALBANYANA 77 


ont un intérêt assez vif: la conversation recommence entre eux après 
un silence de huit ans; après tant d'événements, qui font «qu'on croit 
rêver quand'on les repasse », elle recommence, confiante et tendre en 
matières familiales, encore assez réservée sur les sujets politiques. 
Quoique ayant cordialement détesté l'Empire, et applaudi à sa chute, 
les deux amis ne se montrent pas ici très satisfaits de la Restauration ; 
mais, chose bizarre, tout en blämant les procédés de la censure, ils 
blâment aussi la politique conciliatrice de Louis XVIII. En matière 
politique, cette lettre n’est assurément un document que par prétérition. 
Pour l'histoire de l’art, elle a plus d'importance : elle montre où en 
étaient en 1821 l’école et les théories de David, les progrès de l’école 
employée, et, à propos des débuts du jeune paysagiste Edouard Bertin, 
le conflit entre la vieille école française et la jeune peinture romantique. 
Elle s’ajoutera donc utilement à la correspondance Fabre-Bertin déjà 
publiée. 


: Dieu soit loué! Après six ans de silence (ni plus ni moins)?, 
je recois enfin une bonne et bien aimable lettre de mon cher 
paresseux. Ne vous en déplaise, il ne vous sied pas très-bien 
de vouloir me gronder. Etre battu et payer l’amende, en vérité, 
c'est un peu trop. Acceptez votre pardon, et une autre fois, n°y 
venez pas. J'ai un peu tardé à vous répondre, mais hélas ! 
j'étais plus mort que vif quand j'ai reçu votre belle épiître. 
Je suis encore convalescent” d’un horrible accès de gouttes 
qui pendant un mois m'a fait souffrir les tourments de l'enfer. 
C’est le plus cruel que j'aie eu de ma vie... Je suis encore bien 
faible, mais heureusement j'étais hors de mon lit, et en état 
d’être promené hors de chez moi, quand M. Edouard‘ est 
arrivé. Je me hâte de vous dire qu’il se porte à merveille; il 
est resté deux jours à Florence. Je lui ai donné pour cicerone 


VaARIANTES : a) Fabre avait écrit d’abord et a supprimé: en réponse 
aux dernières que je lui avais écrites ; — b) Prem. rédaction: et bien 
faible, supprimé. 


1. En tête de cette minute de lettre autographe, une main postérieure a écrit au 
crayon «réponse de Fabre à Roselli, lettre 2». Il y a eu là une confusion inexplicable. 

2. Et même huit ans (s’il n’y a pas eu de lettre de Bertin détruite ou perdue), 
car la lettre qui précède celle du 15 septembre 1821 (à laquelle Fabre répond ici) est 
du 13 avril 1813. 

3. On sait que Fabre fut sujet dès sa jeunesse à cette maladie, qui le persécuta 
toute sa vie. 

k. Édouard-François Bertin, l’ainé des fils de Bertin l’aîné, né à Paris en 1797, 
élève de Girodet et de Bidault, devint inspecteur des beaux arts sous le règne de 
Louis-Philippe. 


Bull. ital. Ô 





78 BULLETIN ITALIEN 


le fils de M. Santarelli', qui s’est très bien acquitté de son rôle, 
et nous avons dîné deux fois ensemble chez M{ald/amJe la 
comtesse d'Albany, qui l’a reçu avec grand plaisir, et qui m'a 
bien chargé de vous faire ses compliments bien sincères. 
Nous avons bien souvent bougonné contre vous, mais n'en 
parlons plus. M. Edouard est parti ce matin pour Rome, d'où 
il comptait vous écrire“. Je lui ai donné une lettre pour M. 
Boguet?, qui est certainement l'artiste le plus en état de lui 
donner de bons conseils’. J'espère que M. votre fils lui mon- 
trera ses ouvrages, et je vous en (sic) rendrai compte fidèlement 
de ce que M. Boguet m'en écrira *. 

Je mets votre lettre devant moi et je vais répondre à tout, 
article par article. J’ignorais complètement la perte que vous 
aviez faite de votre pauvre Jules. Je n’aurois point résisté au 
besoin de vous en témoigner mes regrets. Ils sont bien sincères. 
Il est cruel d’être toujours frappé dans ses plus chères affections. 
Quel malheur aussi que l’état de M'° votre filles ne soit pas 
plus satisfaisant. Son frère° a répondu à toutes mes questions 
à cet égard, et personne de votre famille n’a été oublié. 

Il y a quatre ans, je devais en effet venir à Paris pour y 
chercher des secours contre une incommodité# qui m'allarmoit 
beaucoup. Je me suis mis entre les mains de M. Vaccaÿ, 


VARIANTES : a) Prem. réd. : il l’a, effacé; — b) Prem. réd. : si Mr. 
effacé; — c) Prem. réd.: c’est, effacé. Puis Fabre a écrit et a supprimé 
encore : Il faut avoir bon pied bon œil pour être paysagiste; —: 
d) Prem. réd. : toujours, effacé; — e) Prem. réd.: m’a donné des, effacé: 


1. Probablement Émile Santarelli, dont Fabre fit plus tard son héritier. 

2. Nicolas-Didier Boguet (1755-1839), peintre et graveur, né à Chantilly, passa la 
plus grande partie de sa vie à Rome. La République romaine lui fit exéculer de 
grandes toiles décoratives au Quirinal, qui furent détruites à la première restau. 
ration pontificale. Boguet était un paysagiste de l’école classique, et Fabre se faisait 
peut-être illusion en croyant que ses conseils seraient suivis par Édouard Bertin, 
peintre « pittoresque et romantique », du père de qui ces tendances effrayaient le 
classicisme (cf, la lettre du 15 sept. loc. laud., p. 17). 

3. Louise-Angélique Bertin, née le 15 janvier 1805 aux Roches près de Bièvre, 
musicienne, peintre et poète, Elle réussit à obtenir de Victor Hugo, d’après Notre- 
Dame de Paris, le livret de son Esmeralda, qui eut peu de succès (Opéra, 12 nov. 1836). 

h. Une maladie de vessie. Il est question de ce projet de voyage à Paris dans les 
lettres de Blacas à Fabre (14 juillet, 18 sept. 1817). Blacas y regretle que Fabre 
préférât le praticien de Pise à ceux de Paris: peut-être le libéralisme de Vacca 
l’importunait-il. 

5. Chirurgien célèbre, professeur à l’Université de Pise, qui avait été appelé à 
soigner Napoléon à l'ile d'Elbe, 1 





ALBANYANA 79 


professeur de Pise, qui, grâce à l'excellence de mon tempéra- 
ment, m'a guéri comme par miracle:. Il n'en était plus question 
trois jours après la très petite opération qu'il a fallu subir et 
qui ne m'a pas coûté une goutte de sang. 

Je serois en effet aussi heureux que j'aie jamais pu le désirer 
dans mes rêves de fortune, si cette maudite goutte me tour- 
mentoit un peu moins. Ma ci vuol pazienza. Il y a sur le tapis 
un projet de voyage à Paris? pour le printemps prochain, 
voyage purement de plaisir, tant de la part de M"° la CJom]tesse 
d’Albany que de la mienne. Ma la goutte* voudra-t-elle signer 
mon passeport ”, et le moyen d'y compter d’ayance! Nous 
verrons. 

La peinture est bien négligée. Indépendamment de la goutte, 
j'ai eu cette année une autre maladie qu’on a nommée fièvre 
catarrhale, et qui, jointe à mes cinquante-cinq ans, a beaucoup 
diminué ma vue. Je ne dirai pas, comme M. Girodet m'écrivoit 
depuis peu de lui-même (et je sais qu'heureusement il a beau- 
coup exagéré): je ne dirai pas que je suis presque aveugleÿ, 
mais en vérité je suis très embarrassé pour peindre. J’ai besoin 
de lunettes pour voir de près et pour exécuter des petits 
détails, et avec ces mêmes lunettes je ne vois goutte ce qui est 
à deux pas de moi. Il faut à l’avenir soigner ma santé et 
m'amuser de la peinture, quand cette santé sera passable. 
Girodet m'a mandé à peu près les mêmes choses qu'il a dites 
à votre diner aux Roches“ (que je suis loin d'avoir oubliées!). 
J'espère qu'il ne nous tiendra pas parole, et qu’il ne se conten- 
tera pas de faire des dessins sur des sujets tirés d’Anacréon. 


VARIANTES : a) Prem. réd. : n’a pas, effacé; — b) Fabre avait ajouté 
ici celte phrase qu'il a supprimée : Et puis ce congrès de souverains 
qu’on nous annonce; — c) Prem. réd.: cather, mot interrompu à cause 
de la faute d'orthographe et supprimé. 


1. Blacas lui écrit le 18 sept. 1817: « … charmé d'apprendre que vous étiez entiè- 
rement débarrassé de l’incommodité qui vous tourmentoit depuis longtemps. » 

2. Le projet se réalisa en effet pendant l'été (juillet-août) 1822. Fabre fut bien 
accueilli et fêté par ses anciens camarades. 

3. Girodet dit dans sa lettre du 28 août 1821 (à laquelle pense Fabre): «Ma vue est 
affaiblie à tel point que je n’y vois plus à lire une écriture assez grosse sans lunettes. » 
(Cf. loc. laud., p. 179.) 

4. I lui parle en effet de son séjour à la campagne et de ses dessins sur des sujets 
tirés d’Anacréon (ibid., p. 159). 





80 BULLETIN ITALIEN 


Il nous doit mieux que cela, tels beaux (sic) qu'ils puissent 
être. C’est encore trop tôt pour nous dire « Hic victor cæstus 
arlemque repono »'. Faites lui mes compliments ainsi qu'à 
M. Gros et à M. Gérard. 

Je remercie ce dernier de tout mon cœur de sa dernière 
lettre, à laquelle je répondrai quand j'aurai repris un peu de 
force. J'en ai si peu qu'il faut que je me repose, et je ne (sic) 
crois de ne pouvoir finir cette lettre avant l'heure de la poste. 
Me voilà de nouveau en pleine jouissance et jasant avec vous. 
C’est bien agréable. Dommage que ce soit de si loin ! 

J'aurai peut être le bonheur de voir un jour la Vénus 
mutilée dont vous me parlez; elle est bien belle si elle surpasse 
celle de Médicis". C’est dommage qu’elle soit mutilée. 

Je savois en effet que vous aviez suivi le Roi à Gand®, Le 
reste, que j'ignorois, est un peu fort, quoique nullement 
extraordinaire, quand on se rappelle certaines amnisties et 
certaines pensions de cette époque, auxquelles il est difficile 
de comprendre quelque chose. «Nous avons nos amis: gagnons 
nos ennemis6, » C’est, peut-être bien, sage, mais j’aimerois 
autant dire: « Conservons nos amis et* guerre à nos ennemis ». 
On paraît trop les craindre. Au reste « Non nobis domine ». 
Ceci n'est pas de mon ressort”, et j'en dirais peut-être trop°. 
Votre journal fait mes délices trois fois la semaine. Il y a 
quelquefois de belles lacunes blanches’, et je m'attends® à 
recevoir un jour une belle feuille de papier blanc timbré au 


VARIANTES : a) Prem. réd.: méprisons, effacé; — b) Fabre avait 
d'abord ajouté et a supprimé cette phrase: Je suis seulement fàché 
qu'il faille dire à tous ceux qui pensent comme vous: Sic vos non 
vobis fertis aratra boves; — c) Prem. réd.: Je n'ose plus finir, effacé; 
— d) Prem réd.: Une belle f, effacé. 


1. Virgile, Énéide. 

2. Les deux célèbres peintres, tous deux camarades de Fabre à l'atelier de David. 

3, La Vénus de Milo, signalée par Dumont d’Urville à l'ambassadeur français à 
Constantinople, M. de Rivière, et achetée par les soins du secrétaire d’ambassade 
M. de Marcellus. 

h. Indication caractéristique sur le goût de Fabre. 

5. Bertin aîné suivit Louis X VIII en exil à Gand le 20 mars 1815, et du 14 avril au 
21 juin y rédigea le Moniteur de Gand. 

6. On reconnait ici la sévère intransigeance du royalisme de Fabre, vraiment trop 
peu politique, car on compte sur les uns et... avec les autres. 

7. Les articles supprimés par la Censure. 





ALBANYANA 81 


lieu du journal. Nous verrons aussi la fin de cela. Il suffit de 
vivre un peu. Tout va vite aujourd’hui. On croit rêver quand 
on repasse dans sa tête tout ce que nous avons vu! 

Mille et mille remerciements à Madame Bertin d’avoir été 
mon avocat auprès de vous, quoique sans succès. Je la supplie 
de me conserver ces {sic) bonnes dispositions pour moi‘, et 
d'agréer l'hommage bien sincère de mon respect et de ma 
reconnoissance. Veuillez bien me rappeler au souvenir de 
M. Boutard: et de M. votre frère? et de toutes les personnes de 
votre aimable société qui daignent encore se souvenir de moi, 
et vous, mon cher paresseux, conservez-vous à vos amis: j'en 
suis un, et comptez sur le sincère et inviolable attachement du 
vieux goutteux, votre serviteur et ami tout dévoué. 

J'ai envoyé à Paris par M. Ramey*, sculpteur, fils (sic), 
revenu à Paris depuis quelques mois, un livre de Cennino 
Cennini4 sur la peinture. Ce livre a dû être remis à M. Castel- 
lanÿ, que vous connaissez probablement, et il devoit ensuite 
être remis à M. Mériméeÿ, peintre, avec une lettre pour chacun. 
Sont-ils morts tous trois, Ramey, Castellan et Mérimée, ou n'ont- 
ils reçu ni le livre ni les lettres? Vous me demandez une 
commission: en voilà une que vous ne fairés pourtant qu’en 
temps et lieu, et sans qu’elle vous donne la moindre peine. 


VARIANTE : a) Prem. réd.: à mon égard, effacé. 


L.-G. PÉLISSIER. 


1. Le beau-frère de Bertin, J.-B. Bon Boutard (1771-1835), architecte et rédacteur 
artistique (avec Delescluze) au Journal des Débats. 

2. Louis-François Bertin de Veaux (1771-1842), qui dirigeait le Journal des Débats 
avec son frère aîné. 

3. Ramey (Etienne-Jules), fils de Claude (1796-1852), grand prix de Rome en 1815; 
il exposa en 1822 l’Innocence pleurant la mort d’un serpent, un Christ à la colonne, et 
Thésée combattant le minotaure. 

4. Cennino Cennini, peintre florentin du Quattrocento (1360-1437), célèbre sur- 
tout par son traité de la peinture (11 libro dell’ arte fatto e composto da Cennino 
da Colle) dont le manuscrit est à la Bibliothèque Laurentienne de Florence. Ce précieux 
traité venait d'être publié à Rome en 1821 par Gius Tambroni. 

5. Antoine-Laurent Castellan (1772-1838), peintre et écrivain d'art, inventeur d’un 
procédé de peinture sur lequel il écrivit un mémoire en 1815 et qui eut peu de succès. 
Il en est parlé dans ses lettres à F.-X. Fabre. 

6. S.-F. Léonor Mérimée (1757-1836), père de Prosper Mérimée, élève de Doyen 
et de Vincent, secrétaire perpétuel de l’École de beaux arts en 1807, s’occupa surtout 
du perfectionnement des procédés matériels de peinture. Il a entretenu avec Fabre 
une correspondance assez active. J'ai publié quelques-unes de ses lettres (loc. laud., 
P- 149sqq.). 





QUESTIONS D'ENSEIGNEMENT 


RAPPORT 


SUR LES CONCOURS DE L’AGRÉGATION D’TTALIEN 


ET DU CERTIFICAT D'APTITUDE 


EN 1909 


MonsIEuR LE MINISTRE, 


Pour la première fois cette année, vous avez voulu que les jurys 
chargés d'examiner les candidats à l’Agrégation d’italien et au Certificat 
d'aptitude à l’enseignement de la langue italienne, fussent indépen- 
dants des jurys d'espagnol. Les deux langues méridionales n'avaient 
jamais cessé de faire bon ménage, et leur concorde eût pu se pro- 
longer encore longtemps; mais il y avait tout intérêt à leur accorder 
leur autonomie, et à fortifier l'autorité des jurys en y faisant entrer un 
nombre plus élevé de spécialistes. 

Vous m'avez fait le grand honneur, Monsieur le Ministre, de 
m'appeler à présider les deux jurys d’italien, et je m’autorise de ce 
fait pour vous présenter, en un seul rapport, le compte rendu du 
concours d’agrégation et celui du certificat, bien que la composition 
des deux jurys ne füt pas exactement la mêmer. 


]J. AGRÉGATION. 


Le concours de 1908 avait été marqué par un fléchissement sen- 
sible, tant dans le nombre des concurrents (cinq seulement avaient 
été jusqu’au bout des épreuves écrites) que dans leur valeur (un seul 
candidat fut jugé digne du titre d’agrégé). Cette faiblesse momen- 
tanée a été suffisamment compensée en 1909 : neuf concurrents ont 


1. Le Jury d’agrégation était composé, outre le président, de MM. Bouvy, chargé 
de cours à la Faculté des lettres de l’Université de Bordeaux; Luchaire, professeur 
à la Faculté des lettres de l’Université de Grenoble, et Paoli, professeur au lycée 
Louis-le-Grand; celui du certificat comprenait, outre le président et M. Luchaire, 
M. Bonafous, professeur à la Faculté des lettres de l'Université d’Aix-Marseille, 











QUESTIONS D'ENSEIGNEMENT 83 


subi toutes les épreuves écrites, et deux d’entre eux seulement sont 
tombés au-dessous de la moyenne. Le Jury a pu faire cinq admis- 
sibles, laissant de côté deux candidats dont les points dépassaient 
encore sensiblement ceux du troisième admissible de l'année 
précédente. 
_ Les épreuves orales ont été moins satisfaisantes. Elles ont cepen- 
dant permis de proposer la nomination de deux agrégés, esprits 
solides et clairs, professeurs consciencieux et possédant bien la langue 
italienne, pour lesquels ce titre est la juste récompense d'efforts sou- 
tenus et bien dirigés. 


Épreuves écrites. — Le thème, tiré du Don Juan de Molièrer, et la 
version, empruntée à la correspondance de Giusti?, l’un et l’autre 
assez difficiles, n’appellent aucune remarque particulière. Il en va 
autrement des deux dissertations. 

En français, les candidats avaient à exposer et à discuter les idées 
du puriste Cesari sur la langue italienne, non sans jeter un coup d'œil 
sur la destinée qu’eurent ses théories au x1x° siècle3. Le sujet était 
convenablement connu de la généralité des concurrents, mais 
plusieurs n'ont pas su situer la question dans son véritable cadre 
historique : Cesari marque une réaction très nette du purisme contre 
les libertés de langage prises par certains écrivains du xvin° siècle 
imbus des idées de l'Encyclopédie, et contre leur défenseur le plus 
intelligent et le plus modéré, Cesarotti. Il était donc inutile de s’appe- 
santir sur les grammairiens plus ou moins puristes du xvrr° siècle, et 
plus encore de remonter jusqu'aux polémiques linguistiques du 
xvr° siècle, époque où le problème de la langue italienne s'était posé 
tout autrement qu’au temps de Cesari; c’est là un luxe d’érudition 
déplacé. Cependant on peut dire que le fort et le faible de la doctrine 
du puriste véronais ont été intelligemment distingués, et l’une des 
copies reconstitue la psychologie de Cesari, sans complaisance, mais 
avec une verve et une précision tout à fait distinguées. L'étude com- 
plémentaire de la fortune des théories puristes au xix° siècle a été 
plus inégale, mais elle témoigne encore d’une information assez 
étendue. 

Une observation s'impose sur la forme de ces dissertations fran- 


1. Acte V, sc. 2: D. Juan. «Il n’y a plus de honte maintenant à cela; l'hypocrisie 
est un vice à la mode... et qu’un sage esprit s’accommode aux vices de son siècle. » 

2. Lettre à Vieusseux, avril 1845 (dans l’édition de l’Epistolario di G. Giusti, publiée 
par F. Martini, Florence, Lemonnier, 3 volumes); quelques brèves coupures. 

3. A. Cesari écrit au comte Francesco Amalteo : « lo poi sono fermo di credere 
la lingua nostra essere cosi ricca, varia e copiosa, che del solo materiale lasciato 
da’ Trecentisti si pud trarre il necessario a spiegar qualunque concetto dell’ animo 
di qualunque materia si voglia. » 

Commenter ce jugement, en précisant la pensée de l'auteur, et montrer dans 
quelle mesure et pourquoi les faits lui ont donné tort ou raison. » 





8h BULLETIN ITALIEN 


çaises : quelques-unes ont été écrites dans un style inacceptable, On 
y cueille des fleurs de ce genre: « Le point de vue rhétorique finit par 
avoir le dessus sur le côté logique et raison. » — «L'avenir lui a donné 
tort. » — «Il avait pour ainsi dire nationalisé en internationalisant. » 
Ce qui est plus grave peut-être, c'est que plusieurs candidats semblent 
perdre de vue les ressources de la langue française : ils parlent de 
« francésisme » comme si nous n'avions pas le mot « gallicisme », et 
de «campanilisme » comme si «l’amour du clocher», la «politique 
de clocher » n'étaient pas des expressions courantes. La « tradition 
vichienne » (de Vico!) est barbare; la «tradition trecentista », et «let 
fuoruscito di parte bianca n’avait guère élargi le cercle au delà de sa 
bellissima e formosissima Fiôrenza» sont du pur galimatias, Un 
italianisant français doit savoir raisonner en français, même des 
choses d'Italie. Que les futurs candidats y prennent garde. : 

La dissertation italienne invitait les candidats à définir, en les 
opposant, les diverses nuances du sentiment national tel qu'il appa- 
raît en Italie, de Dante à Machiavel, c’est-à-dire dans des œuvres 
inscrites au programme de l'année, notamment dans Pétrarque, 
bien qu'il ne fût pas nommér. Encore ici l'information a paru satis- 
faisante, au moins dans les lignes générales du sujet. Mais les concur- 
rents se sont abstenus de prendre pour base essentielle de leurs déve- 
loppements les œuvres qu'ils devaient posséder à fond: à des vues 
nettes et précises, ils ont ainsi préféré des généralités vagues et 
parfois peu exactes. Si la moyenne n'est pas mauvaise, aucune cCompo- 
sition ne témoigne pourtant des qualités de mesure et d'équilibre qui 
eussent été nécessaires ; la meilleure dissertation elle-même ne contient 
pas sur le patriotisme de Dante un jugement assez approfondi. 

La forme laisse aussi à désirer. Les candidats, nourris de critique 
italienne contemporaine, ne s’avisent pas assez que ce sont là, au 
point de vue du style — sauf de très honorables exceptions — de fort 
médiocres modèles, dont la langue est souvent négligée, inélégante, 
farcie de germanismes et de gallicismes. De futurs professeurs 
devraient faire la différence entre ce qui est bien et ce qui est mal 
écrit; s'ils ne sont pas un peu puristes en italien, quel jargon ensei- 
gneront-ils à leurs élèves? 


Épreuves orales. — L'observation qui domine toutes les autres 
porte sur la grande maladresse des candidats lorsqu'il s'agit de com- 
menter un exercice oral de traduction, thème improvisé ou explication 
préparée de textes italiens. 

Le thème oral n'est plus de mise dans les classes; mais le Jury 
continue à y trouver la meilleure occasion de sonder les connaissances 


1, «In qual maniera si andà svolgendo, attraverso le vicende della civiltà italiana, 
il sentimento nazionale dal’ Alighieri al Machiavelli, » 









EG 
eur 


QUESTIONS D'ENSEIGNEMENT 85 


des concurrents touchant la grammaire italienne pratique et le voca- 
bulaire usuel dans leurs rapports avec le français. Après lecture du 
texte, et traduction, aussi aisée et correcte que possible, le Jury attend 
donc que le futur agrégé revienne de lui-même sur le morceau, pour 
corriger sa première traduction, s’il le juge utile, mais surtout pour y 
trouver l’occasion d'expliquer ces idiotismes d'expression et de syn- 
taxe qui donnent sa physionomie propre à une langue vivante. Ce 
côté de l'épreuve a été à peu près inexistant : les meilleurs candidats 
n'ont rien su ajouter d’intéressant à une traduction d’ailleurs conve- 
nable; les autres n’ont réussi qu'à souligner leurs erreurs en y 
persistant, quand ils ne les ont pas aggravées. 

L'absence de méthode n’a pas été moins remarquée pour l'épreuve 
d'explications préparées. Quelques candidats ont cru faire preuve 
d'originalité en commentant à fond leurs textes avant de les lire ou 
de les traduire, et il est arrivé que l’un oubliait d'en donner lecture, 
et l’autre d'en faire la traduction! Ce dernier, rappelé à l’ordre, 
a montré qu'il comprenait assez mal le morceau sur lequel il avait 
savamment disserté. Un maître expérimenté peut appliquer de loin 
en loin avec élégance la méthode paradoxale qui consiste à mettre la 
charrue avant les bœufs: mais le Jury déconseille absolument ces 
fantaisies à des apprentis professeurs. Ceux-ci doivent penser à leurs 
futurs élèves, au lieu de se livrer à de pareils exercices de virtuosité. 
Or, comment veut-on que des élèves s'intéressent au commentaire 
d’un texte qu'ils ne connaissent pas? Quand ensuite ils le liront, 
quelle saveur y trouveront-ils encore) On les en aura fatigués 
d'avance. Une lecture intelligente et une traduction soignée sont la 
base et la condition même d’un bon commentaire; on ne les fera donc 
précéder que du minimum de notions historiques, ou de résumé 
analytique, nécessaires à l'intelligence du passage; plus tard viendra 
le commentaire littéral et, s’il y a lieu, philologique, destiné à dissiper 
toutes les difficultés du texte ; enfin, on résumera les idées contenues 
dans le morceau, on en montrera l’enchaînement, on en appréciera 
l'expression, afin de reconstituer l'unité artistique du texte, et d'en 
faire sentir le charme ou la force. | 

En 1909, deux courtes poésies latines de Pétrarque figuraient au 
programme; pour 1910, le Jury y a inscrit une soixantaine de vers 
empruntés à une élégie latine d’Ange Politien. Cette mesure se justifie 
par deux ordres de considérations. D'une part, une portion notable 
de la production littéraire des Italiens, du Moyen-Age à la Renais- 
sance et au delà, est écrite dans la langue de Cicéron et de Virgile; 
elle ne doit pourtant pas rester inaccessible à des italianisants. D'autre 
part, l'étude historique de la langue italienne, phonétique et morpho- 
logie, suppose des connaissances précises, bien qu’élémentaires, de 
grammaire latine (déclinaison et conjugaison) et de prosodie. Le Jury 


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86 BULLETIN ITALIEN 


se réserve donc le droit d'ajouter aux deux textes d'explication pré- 
parée quatre ou cinq vers latins, à propos desquels il pourra s'assurer 
aisément que les candidats parlent d’une voyelle brève ou d’une 
désinence verbale autrement qu’un aveugle des couleurs. 

La leçon en italien:, sur un sujet purement littéraire2, a été fort 
honorable. Il y a lieu de tenir compte aux candidats de la difficulté 
de la question portée au programme; elle les obligeait à étudier, en 
même temps que le romantisme italien, les grandes littératures euro- 
péennes de la fin du xvin siècle et du début du x1x°; tous l'ont fait , 
consciencieusement et, semble-t-il, avec plaisir. Pour la leçon en 
français, le sujet tiré au sort était, au contraire, d'ordre historique, 
mais directement emprunté au programme, et il ne pouvait être 
imprévu. Cependant cette épreuve a paru très faible; un des admis- 
sibles s’est même retiré. Chaque année le programme contient une 
question d'histoire se rapportant à une des époques capitales de la 
civilisation italienne; les candidats ne doivent pas négliger cette 
partie de leur préparation. 

La prononciation des deux eandidats admis est à peu près irrépro- 
chable; les candidats malheureux devront faire un effort pour se 
corriger de certains défauts: il y a telles fautes d’accent, portant sur 
des mots usuels, qui ne sont pas tolérables; il convient aussi d'effacer 
les traces les plus choquantes d’accent français, sans pourtant tomber 
dans une affectation fautive de toscanisme, comme cela s’est vu, qui 
révélait peu d'oreille, avec de très insuffisantes notions de phonétique; 
mieux vaut prononcer comme un lombard, ou un sicilien, qui parle- 
rait correctement. 

L’explication d’un texte espagnol continue à donner de très médio- 
cres résultats. Le but en est bien moins de s'assurer que les candidats 
sont en mesure de déchiffrer une page écrite dans cette langue — 
avantage en somme assez mince — que de les obliger à acquérir de 
la grammaire castillane une connaissance suffisante pour leur être 
de quelque profit dans leurs études linguistiques. C’est pourquoi le 
Jury maintient le coefficient double pour cette épreuve, et le justifie 
par quelques interrogations grammaticales. Les candidats se trompent 
fort s'ils croient que cette note reste sans effet sur le résultat final 
du concours. 


1. Comme les années précédentes, tous les candidats ont traité les mêmes sujets ; 
mais ces sujets ont été tirés au sort. ; 

2. «In che modo e fino a che punto la letteratura romantica italiana è stata una 
letteratura popolare, morale, adattata ai bisogni e alle tendenze della società di quei 
tempi ? » 

3. « La diplomatie de Florence et dé Venise durant le conflit de 1527-1530. » 





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QUESTIONS D'ENSEIGNEMENT 87 


IT, CERTIFICAT D'APTITUDE. 


Sur vingt-deux candidats inscrits, vingt et un ont subi les épreuves 
écrites, qui, dans leur ensemble, n'ont pas été mauvaises: il faut 
arriver au douzième pour tomber au-dessous de la moyenne; aussi le 
Jury a-t-il pu faire cinq admissibles qui se suivaient de très près. En 
revanche, les épreuves orales ont laissé beaucoup à désirer. Les can- 
didats classés premier et second doivent leur succès, l’un à sa posses- 
sion très sûre de la langue italienne, jointe à des qualités de réflexion 
et de netteté, l’autre à son travail soutenu et aux progrès constants 
qu'il n’a cessé de réaliser. Mais il est évident que si l’un des autres 
admissibles avait eu une seule épreuve vraiment brillante, il aurait 
distancé sans peine tous ses concurrents. 


Épreuves écrites. — I1 faut jeter un cri d'alarme pour la compo- 
sition française, qui est éliminatoire, sans entrer pourtant dans le 
calcul définitif des points. Douze candidats, cette année, y étaient 
astreints, et le jury, après avoir relevé les notes avec toute l'indul- 
gence compatible avec le souci de la dignité du concours, a dû en 
arrêter six, dont un se classait quatrième pour ses épreuves d'italien. 
Deux seulement ont obtenu des notes supérieures à ro. Cette épreuve 
est destinée à contrôler le degré de culture des candidats, leurs 
facultés de raisonnement et d’exposition appliquées à des questions 
suffisamment générales, mais se rapportant de préférence à la civili- 
sation italienne, et accessoirement à celle de la France. Le Jury se 
refuse à y voir de simples exercices de style. S'il est sensible à une 
forme aisée et correcte, qui d’ailleurs n’est pas fréquente, il entend 
tenir compte aussi de la valeur des idées et des connaissances : les 
candidats au certificat d’italien qui, ayant à parler de l'épopée en 
Italier, ont omis jusqu’au nom du Tasse, ont fait l'équivalent d'un 
gros barbarisme. 

La composition en langue italienne doit être comprise à peu prè 
de la même manière quant au fond : sans vouloir la transformer en 
une dissertation littéraire proprement dite, il y a intérêt à faire parler 
les candidats de ce qu’ils seraient inexcusables d'ignorer; aussi a-t-il 
paru bon de leur poser une question se rattachant à leur programme, 
et permettant à un esprit cultivé de tirer parti de ses lectures et de 
ses impressions personnelles. Le sujet? n’a pas mal inspiré les can- 

1. «On a dit et répété que les Français n’avaient pas la «tête épique ». Peut-on 
dire, et dans quelle mesure, que les Italiens l’aient eu davantage?» 

2. «Sotto forma di lettera, che si suppone scritta da un Italiano a un giovane 
studente francese, si esporrà con semplicità e chiarezza quali somiglianze e quali 
differenze si avvertano tra una tragedia di A. Manzoni, segnatamente Il Conte di Car- 


magnola, e un dramma romantico francese (di V. Hugo, A. Dumas, A. de Vigny 
a scelta). » 





88 BULLETIN ITALIEN 


didats : cinq copies ont obtenu des notes supérieures à 25 (sur 40); 
les deux premières atteignent même 32 et 35. 

Malheureusement, le thème: est loin d’avoir été aussi satisfaisant, 
et parmi les auteurs des cinq premières compositions italiennes, trois 
tombent ici sensiblement au-dessous de la moyenne. Ceci prouve qu'il 
faut se donner la peine d'apprendre à faire un thème, même lorsqu'on 
parle ou qu'on écrit couramment une langue. La version, tirée de 
Boccace?, a été satisfaisante dans l’ensemble; quatre copies seulement 
ont eu des notes très basses. 


Épreuves orales. — Le Jury a été frappé de l’inexpérience, de l’hési- 
tation, des explications confuses, murmurées à voix basse, et coupées 
de silences, dont plusieurs candidats ont donné le fâcheux spectacle. 
Quelle que fût leur aptitude à manier pour eux-mêmes la langue 
italienne, ils ont fait preuve de capacités pédagogiques insuffisantes, 
et par là se sont en quelque sorte disqualifiés; tel a été le cas des deux 
aspirantes qui temaient la tête pour les épreuves écrites. 

Comme pour l'agrégation, la pierre d’achoppement a été l’art de 
commenter; et justement, au certificat, les épreuves orales sont 
surtout des commentaires! La version improvisée et le thème oral ont 
montré déjà peu de décision et de netteté dans la méthode; ‘la lecture 
expliquée et le commentaire grammatical ont accusé plus fortement 
encore ces défauts. Cependant, au début des épreuves orales, le prési- 
dent avait rappelé, en les développant, les termes de la circulaire du 
14 août 1903, qui accompagne l'arrêté relatif aux concours des certi- 
ficats d'aptitude à l’enseignement des langues vivantes. Ces recom- 
mandations ne paraissant pas avoir été bien comprises, je crois 
nécessaire de les résumer ici. 

Le commentaire grammatical a remplacé l’ancienne leçon de gram- 
maire théorique; car, dans une classe, la grammaire ne doit plus être 
enseignée qu’à propos des phrases usuelles et des lectures; mais sous 
cette forme elle est une des préoccupations constantes du professeur; 
celui-ci doit veiller continuellement à ce que les élèves possèdent les 
verbes, les pronoms, les règles d'accord, la syntaxe familière, qui est 
plus rebelle au gallicisme que la syntaxe littéraire, souvent entachée 
d’exotisme. Les candidats, après avoir lu et traduit le texte, aplaniront 
donc d’abord toutes les difficultés qui peuvent arrêter des élèves de 
force moyenne; si ce texte est ancien ou poétique, ils y trouveront 
l'occasion de faire quelques observations très simples de grammaire 


1. J.-J. Rousseau, Confessions, Il° partie, livre XII: « Souvent quand l'air était 
calme, j'allais immédiatement en sortant de table me jeter seul dans un petit 
bateau... et me laisseraient en paix dans ma solitude, » avec une brève coupure. 

2, Anecdote sur Guido Cavalcanti, nouv. g de la 6* journée du Décaméron, 
depuis : « Avvenne un giorno che Guido Cavalcanti... » jusqu’à la fin. 





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QUESTIONS D'ENSEIGNEMENT . 89 


historique. Ensuite ils choisiront dans le morceau trois ou quatre 
faits — mais il faudra les bien choisir — à propos desquels ils donne- 
ront des explications précises, qui, dans une classe, constitueraient la 
leçon de grammaire du jour. Pour une durée totale d’une demi-heure, 
cette dernière partie de l'épreuve variera entre dix minutes et un quart 
d'heure. Le Jury a demandé que le coefficient de cette épreuve soit 
élevé de 1 à 2. 

La lecture expliquée en langue italienne représente le côté littéraire 
de l’enseignement, toujours à propos d’un texte limité. Ainsi, pas de 
notions générales toutes faites, sans rapport direct avec le morceau 
proposé; pas de vain bavardage, rien de vague; mais quelques rensei- 
gnements brefs et précis sur l'œuvre d’où la page est tirée, sur son 
auteur et son époque, sur les circonstances dans lesquelles le passage 
a été écrit, le tout dans la mesure et sous la forme où ces renseigne- 
ments peuvent contribuer à la pleine intelligence du texte. Celui-ci 
sera lu alors en entier ; puis, sans le traduire, on en fera un commen- 
taire ou mieux une paraphrase en italien, de façon à rendre compte 
de tous les détails, de toutes les intentions qui, à la lecture, auront 
certainement échappé à des élèves. Ce commentaire achevé, on résu- 
mera le sens du morceau, on en dégagera les idées essentielles, de 
façon à ce que les élèves emportent de l’ensemble de ces explications 
un souvenir net et précis. 

On peut aussi fort bien admettre que certaines expressions du texte 
fournissent l’occasion d'une de ces courtes leçons de vocabulaire, qui 
sont un des exercices les plus utiles de la classe: le candidat indi- 
querait à ce propos quelques synonymes ou équivalents, en distin- 
guant avec soin les nuances de sens ou d'emploi qui les séparent : 
mots poétiques, archaïques, littéraires, techniques ou d'usage familier, 
en mentionnant aussi quelques locutions usuelles ou proverbiales, 
qui constituent une part essentielle du langage vivant. Il y a là plus 
de matière qu’il n’en faut pour remplir la demi-heure accordée à cette 
épreuve. 

Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l'hommage de mon très 
respectueux dévouement. 


Henri: HAUVETTE, 


Président, 
Chargé de cours à la Faculté des lettres 
de l’Université de Paris, 





BIBLIOGRAPHIE 


Emil Zilliacus, Giovanni Pascoli el l'Antiquité; étude de littéra- 
ture comparée. Helsingfors, 1909; 131 pages. 


M. Emil Zilliacus a étudié l'influence de l'antiquité sur Pascoli, 
dans les trois œuvres principales du poète : Myricæ, Poemi Conviviali, 
Odi e Inni. Dans les Myricæ, cette influence est très réduite. Sur plus 
de cent soixante pièces que renferme le recueil, M. Zilliacus a noté 
seulement cinq endroits où se rencontre la trace d’une inspiration 
antique. L’élément gréco-latin semble presque complètement absent 
des recueils intitulés : Primi Poemetti; Canti di Castelvecchio. En 
revanche, l’imitation de l'antiquité domine dans les Poemi Conviviali. 
Giovanni Pascoli a lui-même signalé la source d’un certain nombre 
de ses poésies, et M. Luigi Siciliani avait déjà abordé le sujet que 
M. Zilliacus traite plus complètement aujourd’hui. Il passe d’abord 
en revue les pièces plus courtes et analyse ensuite dans le détail 
L'Uliimo Viaggio, petite Odyssée en vingt-quatre chants. Pascoli 
revient encore au personnage d'Ulysse : dans les Odi e Inni; d’autres 
pièces de ce dernier recueil sont aussi toutes pénétrées de l'influence 
antique. M. Zilliacus ne s’est pas contenté de rechercher avec diligence 
les sources de la poésie de Pascoli; il a essayé aussi de montrer com- 
ment l’original et savoureux poète italien a su transformer la matière 
que lui fournissaient les anciens par des conceptions modernes et 


1. M. Zilliacus observe avecraison qu'Ulysse paraît être une figure favorite des poètes 
italiens contemporains. Après Pascoli, Gabriele D’Annunzio en a fait le héros d’un 
cycle de poèmes. Ajoutons que cette figure apparaît aussi fréquemment dans la 
littérature française contemporaine. Sans remonter jusqu’à l'Ulysse de Ponsard, 
rappelons que M. Gebhart fut particulièrement séduit par l'ingénieux et subtil roi 
d’Ithaque. A l’origine et presque à la fin de sa carrière nous retrouvons le personnage 
d'Ulysse. Après lui avoir autrefois consacré une piquante thèse latine (De varia 
Ulyssis apud veleres poelas persona), il nous a raconté les dernières aventures du 
héros dans son livré charmant et profond intitulé D’Ulysse à Panurge. M. Ernest 
Dupuy a développé un sujet analogue dans un poème écrit en 1906 et publié avec 
d’autres'en 1908, Ulysse, de retour dans Ithaque, se sent envahir par l'ennui; il est 
repris par la nostalgie des voyages et des dangers. Malgré les conseils et les prières 
d'Eumée, il quitte son île rocheuse, abandonne Pénélope et se livre de nouveau aux 
hasards et aux émotions d’une vie errante. Tout récemment Ulysse a paru sur un 
théâtre de la Nature, à Champigny-la-Bataille. Dans leur pièce, le Festin du Roi, 
MM. Charles Méré et Henri Fescourt ont fondu, en trois actes, les onze derniers chants 
de l'Odyssée. (Voir Mercure de France, 1" août 1909.) 








BIBLIOGRAPHIE 91 


personnelles. Chez Carducci, l'influence de l'antiquité s'exerce surtout 
par Rome et les Latins. Pascoli et D’Annunzio remontent jusqu'à la 
Grèce. Mais tandis que D’Annunzio est ébloui par la splendeur de l'art, 
Pascoli demande au génie hellénique des leçons morales et des pré- 
ceptes philosophiques. L'auteur préféré de Pascoli semble être Hésiode ; 
dans une page, pleine de goût et de finesse, M. Zilliacus à fait un 
rapprochement judicieux et agréable entre le poète italien du xx’ siècle 
et le vieil aède rustique qui composa les Travaux et les Jours. 

Voici, d’après M. Zilliacus, un tableau des pièces ou des morceaux 
qui, dans l’œuvre de Pascoli, révèlent, à des degrés divers, l’imitation 
de l'antiquité. 


Myricæ. 


Tre versi dell Ascreo. — Cette poésie a pour point de départ, comme 
l'indique le titre, trois vers d’Hésiode. 

O reginella. — La jeune paysanne italienne dont le poète chante la 
louange est une sœur de la Nausicaa homérique. 

Nozze. — Dans cette pièce humoristique, la reproduction du chant 
du rossignol est directement empruntée aux oiseaux d’Aristophane. 

Sogno d'ombra. — Le titre et la fin rappellent l'expression pin- 
darique : « L'homme est le songe d’une ombre. » 

Il dittamo. — Le poète décrit l'herbe merveilleuse en imitant Virgile 
(Énéide, ch. XII, passim). 


Poemi Conviviali. 

Solon. — L'idée de cette pièce a été fournie à Pascoli par un passage 
d'Elien. Nombreuses imitations d'Homère et de Sapho. 

Il cieco di Chio. — La pièce a pour origine un passage de l’hymne 
homérique à Apollon Délien. 

La cetra d'Achille. — Le poète nous transporte à la veille de la mort 
du héros. Source principale : /liade, ch. IX. 

Le Memnonidi. — L'Aurore pleure son fils Memnon et accable de 
reproches le meurtrier Achille. Sources nombreuses et diverses. 

Anticlo. — Poème inspiré par un passage du quatrième chant de 
l'Odyssée où Ménélas raconte un exemple du sang-froid d'Ulysse. 

Il sonno di Odisseo. — Source principale : Odyssée, ch. X. 

Il poeta degli Iloti. — Source et personnage principal : Hésiode. 

Poemi di Ate. — Cycle de poèmes sur le crime et le châtiment : 
1° Ale; 2° L'etèra; 3° La madre. Sources nombreuses et diverses. 

Sileno. — L'idée du poème a été fournie à Pascoli par un passage 
de Pline (Historia naturalis, XXXVT). 

Poemi di Psyche. — 1° Psyche (Apulée, Métamorphoses); 2° La 





92 BULLETIN ITALIEN 


civella, sur la mort de Socrate (souvenirs de Platon, mais invention 
romanesque, peu appropriée au sujet). 

1 Gemelli. — Mythe de Narcisse. Idée première fournie par un 
passage de Pausanias. 

T vecchi di Ceo. — Selon une légende antique, les vieillards de Céos 
se donnaient la mort; Pascoli s'est servi, pour traiter ce sujet, de la 
préface de N. Festa aux œuvres de Bacchylide. 

Alexandros : Tiberio. — Poèmes historiques. 

Gog e Magog. — Le poète a traité ce sujet relatif à deux peuplades 
sauvages appelées Gog et Magog, en grande partie d’après un épisode 
de la vie légendaire d'Alexandre. 

L’'Ultimo viaggio. — Source principale : Homère. Nombreux éléments 
modernes : Dante, Tennyson, Graf :. 


Odi e Inni. 


Il rilorno. -—— Le héros est encore Ulysse. Source principale : 
Odyssée. 

Il dovere. — Le poète reprend un sujet déjà indiqué dans La cetra 
d'Achille. Un des chevaux d'Achille prédit au héros sa mort. Source : 
Iliade, ch. XIX. 

L'Isola dei poeti. — Le poète décrit un rève pendant un voyage en 
Sicile. Courte inspiration pindarique. 

Al corbezzolo. — La poésie débute par un hymne à l'arbousier ; 
sont ensuite décrites les funérailles de Pallas (£néide, ch. XD). 

A Giorgio navarco ellenico. — Pièce inspirée par la guerre entre la 
Turquie et la Grèce. 

Ad Antonio Fratti. — Vieux garibaldien mort pendant la même 
guerre. 

L'antica madre. — Hymne pour les étudiants de Messine. 


M. PAOLI. 


1, Avec la pièce finale, La Buona Novella, le recueil, trait caractéristique pour le 
poèle, se termine sur un motif chrétien. La première partie du poème, 1n Oriente, 
décrit l’apparition de l’ange aux bergers sur la montagne de Judée et l’adoration des 
bergers; dans la seconde partie, In Occidente, Rome est endormie avec ses temples, ses 
amphithéâtres et ses palais, une nuit après la fin des Saturnales, tandis que le message 
de paix et de fraternité est apporté à un gladiateur qui, mourant de ses blessures 
saignantes, est étendu dans le spoliarium du cirque (Zilliacus). 


5 janvier 1910. 





Le Secrétaire de la Rédaction, Eucèxe BOUVY. 
Le Directeur-Gérant, GrorGes RADET. 


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Bordeaux.— Impr. G. GouNouiLnou, rue Guiraude, 9-11, 








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Avril-Juin 1910. N° 2. 








DANTES BALLATA : PER UNA GHIRLANDETTA ? 


In the Marzocco for Jan. 2 Professor M. Barbi publishes, 
under the title ‘‘ Alla ricerca del vero Dante ”, an interesting 
article on Dante’s ballala ‘‘ Per una ghirlandetta ”” (Ball. VIII 
in the Oxford Dante). He prints first what has been claimed 
to be the ‘‘ original ” text, as it appears in the. editions of 
Fraticelli and Giuliani, and then the so-called ‘‘ popular” text 
(which is printed, with a few slight variations, by Fornaro in 
his Poesie liriche di Dante, pp. 181-182). In a comparison of 
the two versions Professor Barbi has no difficulty in proving, 
on metrical and other grounds, that the former is undoubtedly 
of modern origin. In this, the first four lines of the second 
stanza, for instance, run as follows : 


Vidi a voi, donna, portar ghirlandetta 
a par di fior gentile, 
e sopra lei vidi volar in fretta 
un angiolel d’amore tutto umile. 


In the-other version, the reading of which is based on that of 
all the four manuscripts which contain the ballata, they run : 


= 


F vidi a voi, donna, portare 
ghirlandetta di fior gentile 
e sovr’ a lei vidi volare 
un angiolel d’ amor umile. 


Professor Barbi points out that in the former version there 
is a mixture of eleven-syllabled and seven-syllabled lines, 
whereas in the other all the lines are of nine syllables; and 
he shows that in the so-called original version the lines have 
been wrongly divided, and the words « par (1. 2), in fretta (1.3), 
and {ulto (1. 4), interpolated in order to satisfy the supposed 
requirements of metre and rhyme. He traces the history of 
this manipulated version, and gives good reasons for believing 
that the manipulator was Salvadore Betti, a correspondent of 

AFB., IVe SÉRIE. — Bull. ital., X, 1910, 2. 7 


94 BULLETIN VPALIEN 


Vincenzo Monti and G. G. Trivulzio, who was an annotator 
of the Divina Commedia, and a prolific writer on Dantesque 
subjects, including the lyrical poems. 

The samples published from time to time by Professor 
Barbi of the results of his labours on the canzoniere of Dante 
have aroused the liveliest expectations among Dante students, 
who await with impatience the publication of his long-pro-. 
mised and sorely needed critical edition. The uncritical text 
of the lyrical poems included in the Oxford Dante is the 
one serious blemish in that otherwise excellent work, A few 
minor corrections, notably in sonnets XXXII (‘‘ Guido, vorrei 
che tu e Lapo ed io”) and XLIV (‘Per quella via che la 
bellezza corre ”), were introduced in the last edition (1904) 
from data furnished by Professor Barbi in one of the publi- 
cations referred to above; but the canzone, ‘‘ O patria degna 
di trionfal fama ” (Canz. XVIII), for instance, which is now 
rejected by all competent authorities, and the ballata, ‘‘ Fresca 
rosa novella ” (Ball. IV), which is by Guido Cavalcanti, still 
remain to mislead students. It should be explained that, as 
stated in the original preface, the responsibility for the selec- 
tion and arrangement of the lyrical poems in the Oxford 
Dante rested with the late Professor York Powell, who under- 
took the task at a time when the best available text was that 
of Fraticelli, and when practically nothing of a critical nature 
had been published on the subject. Fraticelli, as is well 
known, did not believe in the authenticity of the {enzone of 
six sonnets between Dante and Forese Donati, which he was 
inclined to attribute to Burchiello; consequently these poems 
were likewise rejected by Professor York Powell, who was 
not aware of the strong evidence in favour of their genuineness 
adduced by Professor Del Lungo. The {enzone, however, was 
duly included in the last edition of the Oxford Dante, and 
the numerous proper names which occur in the poems were 
incorporated in the revised index; unfortunately they do not 
figure in the Oxford Dante Dictionary, as that work was based 
on the text of the first edition (1894) of the Oxford Dante. 


PAGET TOYNBEE, 








LA TRADITION DE BURIDAN 


ET LA 


SCIENCE ITALIENNE AU XVI° SIÈCLE 
(Suile ‘.) 


IV 


LA DÉCADENCE DE LA SCOLASTIQUE PARISIENNE APRÈS LA 
MORT DE LÉONARD DE Vinci. LES ATTAQUES DE L'HumaA- 
NISME. Diprer ÉRASME Er Louis Vivès. 


Le 2 mai 1519, Léonard de Vinci mourait à Amboise. 

A l'heure où disparaissait un de ses plus pénétrants disciples, 

_et qu’elle n’avait pas connu, la Scolastique parisienne ressen- 
tait les premières atteintes de la décrépitude; après avoir si 
puissamment contribué au progrès de la Science moderne, elle 
allait renoncer à la promouvoir. 

Pour discuter avec clarté et précision les grands problèmes 
de la Physique, de la Métaphysique et de la Théologie, les 
scolastiques parisiens avaient dû rendre l'outil dialectique 
aussi aigu et aussi pénétrant que possible; la Logique déjà 
raffinée d’Aristote ne leur avait plus semblé assez délicate ; à la 
suite de Petrus Hispanus, ils s'étaient efforcés de surpasser 
en finesse et en rigueur le Stagirite lui-même; et certes, ils 
avaient donné d’admirables exemples de leur habileté à définir 
et à argumenter; l’analyse de la notion d'infini, que nous 


1. Voir le Bull. ital., t. IX, 1909, pp. 338-360 ; t. X, 1910, pp. 24-47. 





96 BULLETIN ITALIEN 


avons rapidement exposée ailleurs', demeure comme un 
monument de la force et de la souplesse de leur esprit. 

Mais il arriva à la Logique parisienne ce qui est toujours 
arrivé aux sciences où la Dialectique joue un rôle essentiel. 
Cette Logique ne devait être qu’un moyen adapté à des fins 
déterminées, et qui la dépassent; on la prit pour un but et on 
l’étudia pour elle-même. Elle était une arme destinée à sauver 
la vérité et à porter des coups mortels à l’erreur ; elle ne servit 
bientôt plus qu'à des exercices d'escrime où chacun des deux 
adversaires se souciait uniquement de montrer sa dextérité. 

Cultivée pour elle-même et non pour l'usage qu’il convenait 
d'en faire, la Dialectique ne tarda pas à produire une végéta- 
tion abondante et enchevêtrée, à se surcharger de fruits aussi 
étranges qu'inutiles, Déjà les écrits de Jean Majoris, et surtout 
ceux de Jean Dullaert, se montrent tout encombrés de ces 
subtiles arguties où l’auteur cherche bien moins à éclaircir la 
proposition qu'il soutient qu'à nous faire admirer son talent 
d’ergoteur. 

Fatigantes pour la raison, dont elles tendaient outre mesure 
l'attention, sans attrait pour l'imagination, à laquelle elles 
échappaient par leur extrême abstraction, ces chicanes dont 
l'utilité ne se laissait guère deviner, rebutaient les écoliers. 
Elles les rebutaient d'autant plus sûrement que les subtilités 
de la Logique n’assuraient aucune place lucrative à ceux 
qui les maniaient habilement, tandis que juristes et cano- 
nistes vendaient leurs roueries à beaux deniers comptants. 

Ce dégoût des étudiants pour les théories savantes de la 
Logique scolastique attristait profondément Jean Majoris. 
Pour le combattre, il insérait, en ses divers écrits, des dialo- 
gues où il mettait aux prises deux de ses élèves, l’un lassé par 
les subtilités de la Dialectique, l’autre pénétré des beautés de 
cet art et s’efforçant d'en convaincre son interlocuteur. 

Nous avons analysé déjà un de ces dialogues?, celui où deux 


1, Léonard de Vinci et les deux infinis (Études sur Léonard de Vinci, ceux qu'il a lus 
et ceux qui l’ont lu, IX; seconde série, pp. 1-53). — Sur les deux infinis (Ibid., seconde 
série, note E, pp. 368-407). k 

2. Léonard de Vinci et les deux infinis, II : L'infiniment petit dans la Scolastique 
(Études sur Léonard de Vinci, ceux qu'il a lus et ceux qui l'ont lu, IX ; seconde série, p.38). 





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LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU XVI° SIÈCLE 97 


étudiants en Logique, Jean Forman et Jean Dullaert, échan- 
gent leurs doléances; les droits que leurs études les contrai- 
gnent à payer leur semblent bien lourds; et, d'autre part, Jean 
Forman se plaint de perdre son temps à discuter « des cas que 
Dieu pourrait réaliser, mais qui n’arrivent jamais, à traiter de 
l'infini, de l'intensité des formes en la matière, à examiner si 
le continu se compose de points, etc. » Maître Jean Annand, 
survenant, rend courage à nos deux étudiants logiciens en 
exaltant les théologiens aux dépens des juristes. 

Un autre dialogue du même genre est inséré en l'édition 
qui fut imprimée en 1519, du commentaire au premier livre 
des Sentences: composé par Jean Majoris. 

Maître Gauvin de Douglas, curé de l’église de Saint-Gilles, 
à Édimbourg, et David Cranston, bachelier en Théologie, 
échangent leurs pensées. 

Gauvin se plaint des discussions de Logique ou de Physique 
que l’on introduit au commentaire du premier livre des Sen- 
lences; il est las des thèses que l’on soutient au sujet des 
relations, de l'intensité de la forme; il est dégoûté de questions 
telles que celle-ci : doit-on supposer qu'en un continu, il 
existe des points. [Il préfère l'étude du quatrième livre des 
Sentences, où l’on ne traite que de Théologie. 

David Cranston excuse Jean Majoris des digressions logiques 
qu’il introduit au premier livre des Sentences; le maître ne fait 
que se conformer à un antique usage. Gauvin aurait tort de 
croire, d’ailleurs, que ces discussions épineuses soient la cause 
qui détourne les écoliers de s’adonner à la Théologie. A peine 
ont-ils terminé l'étude des Summulæ que les jeunes Parisiens, 
issus de familles aisées, se ruent vers le Droit, abandonnant 
Logique et Théologie, et cela parce que la carrière de juriste 
est lucrative. Aussi, aux Collèges de Navarre et de Bourgogne 
trouve-t-on, pour entendre l’enseignement des Summulæ, foule 
d'étudiants de bonne famille; mais, à la fin de l’année, il y a si 


1. Joannes Major In primum Sententiarum ex recognitione Jo. Badiü. Venundantur 
apud eundem Badium. — Pas de colophon. Au verso du titre se trouve une épiître 
de Joannes Major à Georges de Hepburn; elle est datée de Montaigu, septième jour 
des calendes de juin 1509, et suivie de ces mots : Impressit autem jam Badius anno 
MDXIX. Le dialogue dont nous parlons vient aussitôt après cette épitre. 





98 BULLETIN ITALIEN 


peu de candidats à la licence que les régents s’en vont la 
bourse vide. 

A ce moment, déjà, à l’étude des questions épineuses de 
Logique et de Physique qui hérissaient le premier livre des 
Sentences, les écoliers de Sorbonne préféraient l'explication 
purement théologique, et partant plus aisée, du quatrième. 
Très nombreux lorsqu'il s’agissait d'entendre commenter ce 
quatrième livre, ils étaient à peine une douzaine pour suivre 
l’enseignement du premier:. 

Ce fut bien pis, nous apprend Jean Majoris, lorsque les 
progrès de la Réformation protestante contraignirent les 
étudiants catholiques de porter toute leur attention sur de 
nouveaux sujets. « La nouvelle et détestable calamité de Martin 
Luther, l’exécrable hérésie, » entraîne cette conséquence qu'en 
Sorbonne on délaisse l'examen des anciennes questions de 
Théologie pour s'occuper presque exclusivement d'Écriture 
Sainte. 

En dépit de ses préférences, le vieux théologien de Montaigu 

se voit obligé de sacrifier à cette mode qu'il déplore; lorsqu'il 
 réédite ses commentaires au premier livre des Sentences, il 
abrège ce qu'aux premières éditions il disait de l'intensité 
des formes, de l'infini, de divers autres sujets relatifs aux 
arts libéraux. Mais ces sacrifices ne suffiront pas à sauver la 
Scolastique parisienne de la décadence où elle va être pré- 
cipitée. 

Nous avons entendu les cris d’alarme d’un vieillard, à la 
pensée de la ruine prochaine qui menace la place où, long- 
temps, il fut un chef respecté. Ceux qui, contre cette place, 


1. Joannis Majoris Hadingtonani, scholæ Parisiensis Theologi, in Primum Magistri 
Sententiarum disputationes et decisiones nuper repositæ ; cum amplissimis materiarum et 
quæstionum indicibus seu tabellis. Vænundantur Joanni Parvo et Jodoco Badio, 1530. 
Colophon : Sub prelo Jodoci Badii Ascensii, communibus ejus et Joannis Parvi 
impensis : ad Calendas Septembres. MDXXX. — Lettre, datée du Collège de Mon- 
taigu, 1530, de Joannes Major (sic) à Joannes Major Eckius Suevus. 

In secundum Sententiarum disputationes Theologicæ Joannis Majoris Hadyngtonani 
denuo recognitæ et repurgatæ. Vænundantur Iodoco Badio et loanni Parvo. Colophon : 
Finis disputationis Joannis Majoris natione scoti et professione Theologi Parrhi- 
siensis penitus recognite et aucte Impresse impensis communibus Joannis Parvi et 
Jodoci Badii Ascensii. opera ipsius Ascensii anno domini MDXXVIII cireiter XV 
calendas septembris. Deo gratias, — Épître de Joannes Major {sic) Hadyngtonanus 
à Noël Bède et Pierre Tempeste, datée: Er Collegio Montisacuti, Kal. sept. MDXX VIH, 


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LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU XVI‘ SIÈCLE 99 


mènent le plus rudement l'assaut sont des transfuges; ils 
ont habité dans l'enceinte des murailles qu'ils veulent 
renverser. 

Les deux plus ardents adversaires de la Scolastique pari- 
sienne ont fait leurs études à Montaigu; plus tard, le culte 
ardent des humanités n’a pu leur faire entièrement oublier, 
nous l'avons vu, les leçons de Mécanique qu'ils avaient reçues 
en cette maison. Ces deux champions de l’Anti-scolastique sont 
Didier Érasme de Rotterdam et Louis Vivès de Valence. 

Aux Collèges de Navarre et de Bourgogne, on trouvait (c'est: 
Gauvin de Douglas qui nous la dit par la bouche de Jean 
Majoris) un grand nombre de jeunes gens de bonne famille ; 
mais la maison que Gilles Aycelin de Montaigu avait fondée 
en 1313 était l'asile des écoliers les plus gueux. On y faisait 
maigre chère; « Montaigu, esprit aigu, dent aigüe, » disaient 
les bourgeois de Paris, égayés par la mine famélique des 
subtils logiciens. D'ailleurs, s’il faut en croire Rabelais, le 
couvert y valait le vivre; oyez plutôt ce que Pinocrate en conte 
à Grand-Gousier : 

« Seigneur, ne pensez pas que je l’aye mis au collège de 
pouillerye qu'on nomme Montaigu; mieulx l’eusse voulu 
mettre entre les guenaulx de Saint Innocent pour l'énorme 
cruauté et villenie que j'y ay cognue; car trop mieulx sont 
traictez les forcez entre les Maures et les Tartares, les meur- 
triers en la prison criminelle, voyre certes les chiens en vostre 
maison que ne sont ces malautrus au dit Collège. » 

C’est en ce triste asile qu’en 1497 Didier Érasme vint, comme 
boursier, terminer ses études; il y contracta le germe des 
infirmités qui empoisonnèrent sa vie, un étrange dégoût de 

certains aliments, tels que le poisson, et une répugnance non 
moins insurmontable pour la Scolastique. 

Pauvres théologiens parisiens, régents de Montaigu, docteurs 
en Sorbonne, collègues de Johannes Majoris ! Écoutons ce 
qu'en dit la Folier, soufflée par Érasme : 

« Parlerai-je des Théologiens ?.., J’ai ordonné à ma Philautie, 


1. K'Éloge de la Folie, composé en forme de déclamation par Érasme de Rotterdam... 
Pièce qui, représentant au naturel l'homme tout défiguré par la Sottise, lui apprend agréa= 


100 BULLETIN ITALIEN 


à la Déesse Amour propre, de les favoriser plus que les autres 
hommes; et effectivement, ils sont ses Mignons ; comme si ces 
Anges corporels étaient établis dans le troisième Ciel, ils regar- 
dent du faîte de leur élévation tous les Mortels comme des 
bêtes rampantes; et ils en ont pitié; environnez d’une Troupe 
de définitions magistrales, de conclusions, de corollaires, de 
propositions explicites et implicites, ce qui compose la Milice 
de l’École sacrée, ils trouvent tant de moïens d'échapper que 
Vulcain même ne pourrait les retenir... Il n’y a point de nœu 
que ces Messieurs ne coupent du premier coup avec le couteau 
du Distinguo, couteau formé de tous ces termes monstrueux 
qui sont nez dans le sein de la subtilité Scolastique… 

» Ils ont encore bien d’autres subtilitez plus pointuës : les 
instants de la Génération Divine, les notions, les relations, 
les formalitez, les quidditez, les eccéités, tant d’autres chimères 
de cette nature : je défie qui que ce soit de les apercevoir, à 
moins qu’il n’eût la vue assez perçante pour distinguer à travers 
les ténèbres les plus épaisses des objets qui ne sont nulle part... 

» Ce qui subtilise encore ces très profondes subtilitez, ce sont 
toutes ces différentes routes de l’École : vous sortiriez plus 
aisément d’un labirinte, que vous ne vous débarrasseriez des 
enveloppes des Réaux, des Nominaux, des Thomistes, des Alber- 
tistes, des Occanistes, des Scotistes; ah ! je pers haleine : et 
cependant, ce ne sont là que les principales sectes de l'École; 
vraiment, il y en a bien d’autres ! Combien pensez-vous qu'il y 
ait de science et d’épines dans tous ces partis là ? 

» Ces Ergoteurs sont si enflez du vent et de la fumée de 
leur érudition vuide, et toute verbale, qu’ils n’en démordront 
point : occupez jour et nuit à gouter la douceur de leur chicane, 
ils ne se donnent même pas le temps de lire une fois l'Évangile 
ou les Épitres de Saint Paul. Cependant, appliquez à ces Sotises 
dans leurs Écoles, ils ne laissent pas de s'imaginer que l'Église 
tomberoit dès qu'ils cesseroient de la soutenir, ils s’en croient 
les apuis et les Atlas. 


blement à rentrer dans le bon Sens et dans la Raison : traduite nouvellement en François par 
M. Gueudeville, A Leyde, chez Pierre van den Aa, 1713. — La préface d'Érasme, 
adressée à Thomas Morus, est datée du 10 juin 1508, pp. 177-195. 








LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU XVI‘ SIÈCLE 1O1 


» Nos Éplucheurs ont la cervelle si remplie, si agitée de 
toutes ces fadaises, que Jupiter n'’étoit pas plus gros du cerveau, 
lorsque voulant accoucher de Pallas, il implora la hache de 
Vulcain. Ne vous étonnez donc pas si, dans les Disputes publi- 
ques, ils ont grand soin de se parer la tête de tant de bandes ; 
c'est pour empêcher, par ces liens honorables, que leur 
cervelle, surchargée de science, ne rompe de tous cotez. Je ne 
puis m'empêcher de rire... quand j'écoute ces illustres Person- 
nages : ils béguaïent plutôt qu'ils ne parlent; ils ne se réputent 
tout à fait Théologiens que lorsqu'ils savent parfaitement leur 
barbare et vilain jargon : il n’y a que ceux du métier qui 
puissent les entendre; mais ils en font gloire, disant arrogam- 
ment qu'ils ne parlent pas pour le vulgaire profane. C’est, 
ajoutent-ils, c’est avilir la dignité de la sainte Écriture, de 
l’assujettir aux règles de la Grammaire et aux vétilles du 
Purisme. Admirons la majesté des Théologiens ! À eux seuls 
permis de faire des fautes dans le langage ; et il n’y a tout au 
plus que la canaille qui ait le droit de leur disputer cette 
prérogative. » 

Trois sentiments inspirent cette déclamation d'Érasme. 

Le premier de ces sentiments est la lassitude profonde qu'a 
causée une dialectique subtile et pointilleuse à l'excès. 

Le second est le désir de voir la Théologie délaisser l'appareil 
logique, inutile et compliqué, qu’elle manœuvre sans reläche 
comme sans fruit; le désir de la ramener aux études qui 
fécondent et vivifient la foi, à la méditation des Écritures. 

Ces deux sentiments, déjà Johannes Majoris nous les avait 
montrés chez ses élèves; chez Érasme, ils ne sont peut-être pas 
les plus puissants inspirateurs de l’esprit anti-scolastique; un 
troisième sentiment lui souffle, plus violemment encore, la 
haine des études auxquelles on a voulu assujettir sa jeunesse, 
et celui-là, c’est l'horreur du style technique dont l’École fait 
usage, c'est le goût du beau langage et le culte de la Grammaire, 
c’est le Purisme. 

Le souci d'élégance dont ne saurait se départir l’humaniste 
de Rotterdam lui a interdit de mettre, en ses diatribes, une 
précision exagérée; il n’a pas voulu montrer du doigt ceux 





102 BULLETIN ITALIEN 


qu'il tournait en dérision; il n’a pas expressément désigné ses 
maîtres et ses condisciples de Paris. Le bouillant Vivès n'aura 
pas de tels scrupules. 

À la fin du xv° siècle et au début du xvr' siècle, les Espagnols 
tenaient grande place en l’Université de Paris. Nous avons 
eu occasion de signaler l’activité de Pedro Cirvelo, de com- 
menter l’enseignement que Jean de Celaya donnait à Sainte- 
Barbe. Jean Majoris comptait plusieurs Espagnols au nombre 
de ses élèves préférés. En un de ses écritsr, il cite avec affection 
le nom de Louis Coronel, dont les Physicæ perscrulaliones ont 
retenu notre attention; le nom d'Antoine Coronel, frère de 
Louis, auteur de nombreux écrits, et éditeur de plusieurs 
ouvrages du Théologien d'Hadington; enfin, le nom de Gas- . 
pard Lax, de Sarinyena en Aragon, qui, en 1512, fit imprimer 
à Paris trois livres de Logique, sur les Termini, les Obligationes 
et les /nsolubilia. 

Comme un grand nombre de ses compatriotes, Juan Luiz 
Vivès, né à Valence en 1492, s'était acheminé vers Paris, attiré 
par la grande réputation de l’Université ; il avait pris place 
parmi les élèves du Collège de Montaigu, où il eut pour maîtres 
deux des disciples préférés de Jean Majoris, l'Espagnol Gaspard 
Lax et le Gantois Jean Dullaert. Brillant humaniste, Vivès ne sut 
pas supporter bien longtemps la rude discipline de ces logiciens 
minutieux; en 1519, nous le trouvons professeur à Louvain, 
d’où il accable de sarcasmes l’Université parisienne, les maîtres 
qui y enseignent et les leçons qu'ils y donnent. En Angleterre, 
où il passe au sortir de Louvain, à Bruges, où il revient mourir 
en 1540, il ne cesse de mener avec violence le combat de 
l’Humanisme contre l'antique Scolastique. 

Pauvres logiciens de Montaigu ! Ils ne se recrutaient pas, 


1. Magister Johannes Majoris Scotus. Omnia opera in artes quas liberales vocant a 
perspicacissimo ac famatissimo uno sactarum (sic) litterarum professore profundissimo ma. 
gistro Johanne Majoris, majori accuratione elaborata, atque castigata quam antehac ün 
lucem prodita sint majorique precio comparanda quam quispiam persolvere possit si ea ab 
equo judice pensiculantur. Venumdantur vero a Michaele Augier cive Cadomensi ac 
Religator Universitatis ejusdem juxta pontem Sancti Petri et a Johanne Mace Redonis 
commorante e vestigio Sancti Salvatoris sub divo Johanne Evangelista degente. Colo= 
phon : Impressum Cadomi per Laurentium Hostingue impensis virorum indus- 
triosorum Michaelis Augier prope pontem ejusdem Cadomi commorantis et Johannis 
Mace e regione Sancti Salvatoris Redonis residentis. 





a te L'oe 


LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU XVI' SIÈCLE 109 


David Cranston nous l’a dit, parmi les fils de familles aisées ; 
leurs examens délaissés ne versaient plus, en leur bourse 
plate, qu'une infime contribution de droits, et les étudiants, 
trouvant encore ces droits trop onéreux, s’ingéniaient à s'y 
soustraire; aussi nos régents vivaient-ils besogneux et loque- 
teux. Écoutons ce dialogue, que Vivès fait tenir: par Nugo et 
Gracculus : 

« GraccuLus : Je tiens un sujet digne d’un poète. 

.» Nuco : Quoi donc, n'est-ce pas un sujet digne d’un philo- 
sophe que tu attendais? Demandes en un à ces fameux nouveaux 
maîtres Parisiens. 

» GraccuLzus : Pour la plupart, c'est de costume qu'ils sont 
philosophes, non de cerveau. 

» Nuco : Philosophes de costume? On dirait plutôt des 
cuisiniers ou des muletiers. 

» Graccuzus : C'est qu'ils portent des vêtements crasseux, 
râpés, déchirés, crottés, immondes et pouilleux. 

» Nuco' : Ce seront donc des philosophes Cyniques ? 

» GRAGGuLUS : Pis que cela! Des philosophes Punais?; ils 
affectent de passer pour Péripatéticiens, mais ils ne le sont 
pas, car Aristote, le chef de la secte, était des plus cultivés. 
Pour moi, si je ne puis être philosophe d'autre manière, je 
vais dire adieu à la Philosophie, et pour longtemps. » 

Le portrait que Vivès nous trace des maîtres parisiens n’est, 
sans doute, guère flatté; en tout cas, il n’est pas flatteur. Les 
études auxquelles ces maîtres président ne lui ont pas laissé 
un meilleur souvenir. En un écrit qu’il compose à Louvain 
dès 1519, il accable ces études des plus violentes diatribes 
dont ses compatriotes, les maîtres espagnols, sont copieusement 
éclaboussés. 

« De ce Paris,» dit-il5, « devrait rayonner la lumière de la 
civilisation la plus complète. Or, on y voit des hommes 

1. Lodovici Vivis Exercitationes linguæ latinæ. Garrientes (lo. Lodovici Vivis Valen- 


tini Opera in duos distincta tomos.. Basileæ, per Nicolaum Episcopium juniorem. 
Anno MDLV. Tomus I, p. 21. — A la page 59, ces Exercitationes portent la date : 


. Bredæ Brabanticæ, die Visitationis divæ Virginis MDXXX VIII). 


2. [l'y a ici, sur les adjectifs cynici et cimici, un jeu de mots intraduisible. 
3. Jo. Lodovicus Vives /n pseudodialecticos; cette pièce porte la date: Lovani, 
MDXIX (Jo, Lodovici Vivis Opera, tomus I, p. 252). 


ON AL VUE TEE D 


104 BULLETIN ITALIEN 


embrasser avec acharnement la barbarie la plus sordide et, en 
outre, se livrer à des études qui sont de véritables monstres; 
tels les sophismala, comme ils le$ nomment eux-mêmes; rien 
de plus vain, rien de plus sot que ces études. Si, parfois, un 
homme intelligent s’y livre avec quelque attention, ses 
qualités intellectuelles vont à leur perte; ainsi des champs 
fertiles que l’on ne cultive pas procréent-ils une foule d’herbes 
inutiles. Ces gens rêvent; ils imaginent des inepties; ils 
inventent une langue nouvelle qu’ils sont seuls à comprendre. 

» De cet état de choses, la plupart des gens instruits rejettent 
la faute sur les Espagnols qui se trouvent à Paris; hommes 
invincibles, ils gardent vaillamment la citadelle de l'igno- 
rance.…. 

»Y a-t-il, dans le langage des hommes, proverbe plus 
rebattu que celui-ci : À Paris, on forme la jeunesse à ne rien 
savoir, mais à délirer en un bavardage insensé? Dans les 
autres Universités, on étudie assurément quelques questions 
vaines et futiles; mais on apprend aussi bon nombre de 
choses solides; à Paris, on n’apprend que les plus creuses des 
balivernes. 

» Ces Espagnols et tous leurs sectateurs, on devrait ou bien 
les contraindre de s’adonner à des sciences meilleures ou bien, 
par édit public, les bannir comme corrupteurs et des mœurs 
et de la civilisation. » 

Vivès met l’enseignement de Paris fort au-dessous de celui 
que donnent les autres Universités; est-ce donc qu'il voudrait 
voir les Parisiens adonnés à l’Averroïsme, comme leurs 
émules de Padoue et de Bologne? Non, sans doute, si l'on en 
croit la violence avec laquelle il invective Averroès: : 

« Dis-moi, je te prie, Averroès, qu'avais-tu donc pour 
ravir ainsi l'esprit des hommes ou, plutôt, pour le leur ôter? 
Certains auteurs ont pu entraîner beaucoup de gens par la. 
grâce du discours et la cajolerie des mots; mais rien n'est 
plus hideux, plus inculte, plus obscène, plus puéril que toi... 


1. Joannis Ludovici Vivis De causis corruptarum artium liber V: De philosophiæ 
naturæ, medicinæ et artium corruptione; De philosophia naturæ. Pièce datée: Brugis, 
anno MDXXXI (Jo. Lodovici Vivis Opera, tomus 1, p. 4x2). 








. de de ne Lt a ET AEN EL 


LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU XVI° SIÈCLE 109 


Ils sont dignes de l'admiration et de la louange universelle 
ceux qui ont formé des âmes, ceux qui ont enseigné à bien 
vivre. Mais toi, rien n'est plus scélérat, plus irréligieux 
que toi; quiconque s’adonne avec trop de véhémence à tes 
préceptes ne peut manquer de devenir un impie et un 
athée. » 

Ce que Vivès reproche à ses anciens maîtres, ce n’est donc 
pas leur aversion pour l’Averroïsme; cette aversion, il la 
partage. Ce qu'il leur reproche, en premier lieu, c'est ce dont 
Jean Forman se plaignait en sa conversation avec Dullaert, ce 
qui excitait les doléances de Gauvin de Douglas en présence 
de David Cranston, ce qui, très certainement, lassait et 
dégoûtait au plus haut point les étudiants de Paris : La subti- 
lité d’une Logique qui, longuement et minutieusement, analyse 
des problèmes purement abstraits, résout des difficultés tout 
hypothétiques, discute, selon le mot que Jean Majoris prête à 
Forman, « des cas possibles pour Dieu, mais qui n'arrivent 
jamais ». Écoutons les sarcasmes par lesquels Vivès fait écho 
aux plaintes des étudiants en Logique contre leurs régents: : 

« Ce que ces gens pouvaient tirer des livres d’Aristote était 
fort peu de chose; maintes discussions l’avaient déjà broyé, 
agité, secoué à l’excès; aussi ce genre de combat semblait-il 


-des plus connus, même aux conscrits; on a donc cherché une 


nouvelle manière de faire la guerre et un nouveau sujet de 
batailles. Ils se sont mis alors à chicaner de sottes subtilités, 
qu'ils nomment eux-mêmes des calculs (calculaliones). C’est 
l’Anglais Roger Suiseth qui a donné un grand développement 
à ces calculs; aussi, Jean Pic avait-il accoutumé de les appeler 
les broutilles à la Suiseth (quisquiliæ Suiceticæ) ; c’est un nom 
qui leur convient fort bien; ces calculs, en effet, ne s’appli- 
quent ni à la science, ni à aucun usage pratique. 

» Que ces subtilités n'aient aucun usage pratique, je ne 
vois personne qui en doute, pas même les plus grands parmi 
ceux qui les professent, parmi ceux que l’on estime parce 
qu'ils ont de ces calculs une connaissance approfondie. 


1. Louis Vivès, loc, cit., pp. 412-418. 


106 BULLETIN LTALIEN 


» Quant à la science, que peut-elle être en de tels sujets si 
éloignés, si complètement séparés de Dieu, d’une part, du 
sens et de l'esprit, d'autre part? En un domaine où, fondé sur 
le vide, on voit s'élever un vaste édifice d’assertions et d'avis 
contradictoires touchant l’accroissement et le décroissement 
de l'intensité, le dense et le rare, le mouvement uniforme, le 
mouvement non uniforme, uniformément varié, non unifor- 
mément varié? Ils sont innombrables ceux qui, sans mesure, 
discutent des cas qui n'arrivent jamais, qui ne peuvent même 
se présenter en la nature; qui parlent de corps infiniment 
rares ou infiniment denses, qui divisent une heure en parties 
proportionnelles de telle ou telle raison, qui imaginent, en 
chacune de ces parties, un mouvement, ou une altération, ou 
une raréfaction, variant dans un certain rapport... » 

_ Ces exercices logiques, ces calculs, des hommes comme 
Jacques de Forli les ont introduits jusque dans les études 
médicales, au désespoir de Louis Vivès: : 

« Les chicanes et les vétilles de Jacques de Forli ne sont mi 
moins épineuses, ni moins inutiles que celles de Suiseth, dont 
Jean Dullaert nous faisait, en nos exercices de Physique, de 
fréquentes citations; elles ne le cèdent aux calculs de Suiseth 
ni en prolixité, ni en fâcheux ennui. » 

Ces exercices de Dialectique ue donnent aux étudiants 
aucune connaissance positive; ils ne les habituent nullement 
à observer les faits concrets; ils ne développent pas en eux 
les qualités intellectuelles que requiert la pratique : 

«Les jeunes gens et les adolescents que l’on a instruits à 
l’aide de ces discussions captieuses et épineuses ne savent rien 
des plantes, rien des animaux, rien des éléments ni de la 
nature entière; ils ne sont munis d'aucune expérience des 
choses de la nature, d'aucune connaissance des réalités; 
aucune prudence ne les soutient; leur jugement et leur 
conseil sont excessivement faibles, et on les admet à l'accès 
des honneurs ! » 

Absence de toute connaissance concrète et pratique en 


r. Ludovici Vivis Op. cit., De medicina (Lodovici Vivis Opera, tomus 1, p. 415), 








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LA TRADITION DE BURIDAN EŸ LA SCIENGE ITALIENNE AU KV SIÈCLE 10? 


l'enseignement de l’Université de Paris, caractère abstrait et 
idéal des problèmes traités, complication et subtilité des 
méthodes qui servent à les résoudre, tout cela excite la verve 
railleuse de Vivès; mais ce qui l’irrite au plus haut point, ce 
qui choque au suprême degré son goût délicat, c'est le langage 
barbare à l’aide duquel se donne cet enseignement; c'est à ce 
« style de Paris » qu'il réserve ses plus fréquentes et ses plus 
violentes invectives. | 

« Quelle est donc, je vous prie:, cette langue dont use votre 
Dialectique? Du Français ou de l'Espagnol? Du Goth ou du 
Vandale ? Car du Latin, ce n’en est assurément pas. 

» Ces hommes prétendent parler latin; or, non seulement 
les latinistes les plus savants ne les comprennent pas, mais il 
arrive fort souvent qu'ils ne s'entendent pas entre gens de 
même farine ou plutôt de même son. Bon nombre des mots 
qu'ils emploient sont inintelligibles pour tout autre que celui 
qui les a forgés… | 

» Presque tout ce dont ces professeurs traitent à force de 
syllogismes, d’oppositions, de conjonctions, de disjonctions, 
d'explications de propositions, n’est que devinettes comme 
l’on s’en propose en jouant, entre enfants et bonnes femmes. » 

« Cette langue: d’où barbarismes et solécismes jaillissent à 
profusion est la seule, paraît-il, qui se prête aux définitions 
magistrales des questions théologiques. 

» Un ouvrage est-il écrit d’une manière un peu moins 
inculte? Quel qu'en soit le sujet, ces hommes sont tellement 
ignorants, tellement stupides qu’ils ne le veulent nommer ni 
Philosophie, ni Théologie, ni Droit, ni Médecine; ils l’ap- 
pellent Grammaire. Les Offices, les Paradoxes, les Tusculanes, 
les Académiques de Cicéron, c’est, disent-ils, de la Grammaire. 
Seuls, les écrits qu'ils composent, ces écrits qui ne sont pas 
soumis aux règles de la Grammaire, d’où débordent les trivia- 
lités de toutes sortes, ne sont pas, pour eux, de la Grammaire ; 
et je l’avoue bien volontiers; ce n’est ni de la Grammaire, 


1. Jo. Lodovicus Vives 1n pseudodialecticos (Jo. Lodovici Vivis Opera, tomus [, 
P. 273). 
2. Louis Vivès, loc. cit., p. 281. 





108 BULLETIN ITALIEN 


ni quoi que ce soit d'autre. Scot, Ockam, Paul de Venise, 
Hentisber, Grégoire de Rimini, Suiseth, Adam Goddam, Buc- 
kingham, ce ne sont pas des grammairiens; ce sont des 
philosophes et des théologiens; ils les comprennent. Maïs 
Cicéron, Pline, Saint Jérôme, Saint Ambroise, ils sont bannis 
de l’École; que les grammairiens les comprennent! » 

« Pour moi, j’'éprouve envers Dieu une extrême reconnais- 
sance et je lui rends grâces d’avoir enfin quitté Paris, d’en être 
sorti comme des ténèbres Cimmériennes, d'être parvenu à la 
lumière, d’avoir reconnu quelles étaient les études vraiment 
dignes de l’homme, celles qui méritent par là le nom d'Huma- 
nités. » if 

L'Humanisme! Ce nom désigne l’ensemble de répulsions et 
d’aspirations qui entraînent, au début du xvi° siècle, les 
écoliers de l’Université de Paris! Fuir les disciplines abstraïtes 
parce qu’on n’en perçoit pas l'utilité immédiate, parce qu’elles 
requièrent une minutieuse et laborieuse précision, parce que 
cette précision réclame un langage technique dédaigneux de 
ce qui charme l'oreille; s’adonner aux études dont l'emploi 
est tout proche; recueillir en sa mémoire des observations 
concrètes dont l'acquisition ne bande pas jusqu'à la fatigue 
les ressorts de l'intelligence; à la langue qui fait bon marché 
de l'harmonie, pourvu qu'elle définisse la pensée avec une 
rigoureuse netteté, préférer le discours qui arrondit en 
périodes oratoires ou voile d'images poétiques les contours de 
la vérité; en un mot, délaisser la raison pour embrasser l'ima- 
gination qui leur semblait plus belle; tel était le rêve de 
maints bacheliers, en la bruyante rue du Fouarre, en l’austère 
Sorbonne; et pour courir à la réalisation de ce beau rêve, ils 
jetaient leurs cahiers, ils déchiraient les commentaires aux 
Summulæ de Petrus Hispanus, aux Calculationes de Suiseth, 
aux Senlences de Pierre de Lombard. 

Si puissamment s’exerçait cet attrait de l'Humanisme que 
les maîtres eux-mêmes, ceux qui avaient vécu dans l'ensei- 
gnement de la Dialectique, éprouvaient les séductions des 


1, Louis Vivès, loc. cit., p. 284. 





LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU XVI° SIÈCLE 10q 


études nouvelles et se désespéraient d'être trop vieux pour 
sy livrer : « On les entendait: donner au diable la folie 
qui avait entraîné leur intelligence, déplorer le temps qu’ils 
avaient inutilement usé à traiter ces vaines bagatelles. Bien 
souvent, » poursuit Louis Vivès, «j'ai entendu mes anciens 
maîtres, Dullaert et Gaspard Lax, se plaindre avec une pro- 
fonde douleur d'avoir gaspillé un si grand nombre d’années 
en des études aussi futiles et aussi creuses. » 

Les maîtres parisiens ne s’attardaient pas tous, comme 
Dullaert ou Lax, à pleurer le temps et la peine qu’ils avaient 
donnés aux épineuses discussions de la Logique et de la 
Physique; résolument ils se détaurnaient de ces. anciennes 
méthodes pour courir avec ardeur dans les voies nouvelles; 
dédaigneux des connaissances péniblement acquises et minu- 
tieusement analysées par les docteurs du Moyen Age, leurs 
prédécesseurs, ils regardaient comme impur tout savoir qui 
n'était pas puisé à la source même et refusaient de s’en 
abreuver; écartant la foule des commentateurs, ils voulaient 
que la Métaphysique leur fût immédiatement enseignée par 
Platon et par Aristote; faisant table rase de toute la Théologie 
scolastique, ils entendaient éclairer leur foi par la seule étude 
des Saintes Lettres; en tout ordre de choses, ils souhaitaient 
de séduire l'imagination et émouvoir le cœur bien plutôt que 
de convaincre la raison. 

Depuis longtemps, un tel mouvement avait commencé de 
se produire, détournant de la Scolastique nominaliste certains 
maîtres de l'Université de Paris; dès le début du xv° siècle, nous 
trouvons, à la tête de ce mouvement, les deux personnages 
les plus considérables de cette Université, le cardinal Pierre 
d’Ailly et le chancelier Jean Gerson. 

L'un et l’autre s’indignent de voir les Théologiens délaisser 
l'étude de l'Écriture, véritable fondement de leur science, 
pour ne plus chercher en celle-ci qu’un prétexte à discussions 
purement profanes. 

Pierre d’Aïlly ne reproche pas seulement à ces « Pseudo- 


1. Louis Vivès, loc, cit., p. 284. 
Bull. ital. ; 8 





110 BULLE'FIN L'TALIEN 


pasteurs » : leur peu de goût pour l'étude de la science sacrée, 
mais encore leurs habitudes d’intempérance; et les officiels 
Livres des procureurs des diverses nations semblent bien 
prouver qu’en ce point, les reproches de l’évêque de Cambrai, 
si brutale qu’en füt la forme, portaient juste : 

Pour ces Pseudo-pasteurs, dit-il, « plus d’étude de la Sainte 
Écriture, plus d'entretien sur la divine sagesse; ils s'occupent 
uniquement de la sagesse de ce monde, qui est folie aux yeux 
de Dieu. Et en effet, s’il leur arrivait par hasard, à Paris, 
de. murmurer quelques mots touchant la Sainte Écriture, ils 
ne le faisaient qu’en face des plats et entre les pots, dans 
les dîners et les banquets;-ce n'étaient plus pensers d'esprit 
à jeun, mais éructations de ventre gavé. ...O quelles viles 
disputes sur toutes sortes de questions! O quel inutile conflit 
d'arguments! Là, plus souvent que de juste, la question puait 
le vin et la solution était gonflée de venin. On y blasphémait, 
on y condamnait les sentences les mieux prouvées. » 

D'une manière plus précise, Jean Gerson blâme l’envahis- 
sement de la Théologie par les infinies subtilités de la Logique 
des Modernes, et ses reproches sont exactement ceux qu'en 
leurs doléances, les élèves de Jean Majoris reprendront un 
siècle plus tard : 

« Pourquoi, » disait, en ses leçons sur Saint Marc?, le Chan- 
celier de l’Université de Paris, « pourquoi les théologiens de 
notre temps sont-ils traités de sophistes verbeux, à l'ima- 
gination déréglée? Uniquement pour la cause que voici: 
Ce qui serait utile et intelligible, étant donnée la qualité de 
leurs auditeurs, ils le laissent de côté pour s’adonner à la 
pure Logique ou à la pure Métaphysique, voire même à la 
Mathématique; alors, en un temps et en un lieu où cela n’a 
que faire, tantôt ils traitent de l'intensité des formes, tantôt 
de la division du continu; aujourd'hui ils exposent des 
sophismes que voilent à peine des termes théologiques; 


1. Domini Petri de Alliaco Invectiva contra Pseudo-pastores, écrit inédit cité par 
Launoy (Joannis Launoïi Constantiensis, Paris. Theologi, De varia Aristotelis in 
Academia Parisiensi fortuna, tertia editio, Lutetiæ Parisiorum, apud Edmundum 
Martinum, MDCLXII, pp. 97-98). 

2, Cité par Launoy (Launoii, Op, laud., éd, cit., pp. 98-99). 








LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU xXVI° SIÈCLE 111 


demain, ils distingueront, dans les choses divines, des priorités, 
des mesures, des durées, des instants, des signes de nature 
et autres semblables notions. Quand même tout cela serait 
vrai et solide, ce qui n’est point, cela ne servirait le plus 
souvent qu'à bouleverser l'esprit des auditeurs ou à exciter 
leur rire, et non point à édifier leur foi avec rectitude. » 

Pierre d’Ailly et Jean Gerson accusent la Logique nomi- 
naliste de nuire à l'étude des Saintes Lettres; qu’à ce reproche 
vienne s’en joindre un autre, celui de fausser le sens des 
philosophes antiques, et l'Humanisme chrétien aura formulé 
tout son programme. 

Dès la fin du xv° siècle, les Humanistes chrétiens compo- 
saient, à l’Université de Paris, un parti puissant dont Jacques 
Lefèvre d’Étaples peut être regardé comme le chefr. 

Parmi les écrits de Lefèvre d'Étaples, il en est peu qui aient 
été aussi goûtés que ses Paraphrases des écrits philosophiques 
d’Aristote?. Habitués à ne connaître la pensée du Philosophe 
qu'au travers des commentaires, des gloses, des questions que 
les Grecs, les Arabes et les maîtres de l’École latine avaient 
multipliés à profusion, les lecteurs de Lefèvre s’imaginaient 
que la doctrine du Stagirite venait d’être découverte et leur 
était révélée pour la première fois. 

Ecquæ Stagirites cœcis occlusa latebris 
Abdiderat, clarum sunt habitura diem 


écrivait Josse Clichtove de Nieuport, docteur en Sorbonne, 
dans la pièce de vers dont il accompagnait les Paraphrases de 


1. Sur Lefèvre d’Étaples, humaniste chrétien, voir P. Imbart de la Tour, Les 
Origines de la Réforme, t. II, ch. I. 

2. Jacobi Fabri Stapulensis /n Aristotelis octo Physicos libros Paraphrasis. Colophon : 
Impressum Parisiis Anno domini millesimo quingentesimo nonagesimo secundo 
(Per Johannem Higman). — In hoc opere continentur totius phylosophiæ naturalis para- 
phrases : hoc ordine digestæ. Introductio in libros Physicorum. Octo Physicorum Aristo- 
telis: paraphrasis. Quatuor de Cœlo et Mundo completorum : paraphrasis. Duorum de 
Generatione et corruptione : paraphrasis. Quatuor Meteorum completorum : paraphrasis. 
Introductio in libros de Anima. Trium de Anima completorum : paraphrasis. Libri de 
Sensu et Sensato : paraphrasis. Libri de Sommo et Vigilia : paraphrasis. Libri de Longi- 
tudine et Brevitate vitæ : paraphrasis. Dialogi insuper ad Physicorum, tum facilium tam 
difficilium intelligentiam introductorii : duo. Introductio Metaphysica. Dialogi quatuor, ad 
Metaphysicorum intelligentiam introdüctorii. Impressum in alma Parrhisiorum acha- 
demia per Henricum Stephanum in vico clausi brunelli e regione Schole decretorum. 
Anno Christi piissimi Salvatoris, entis entium, summique boni. 1512. Pridie Kalen- 
das Februarii, 


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112 BULLETIN ITALIEN 


son maître. Dans une lettre écrite à Paris et datée de 1504, 
qui accompagne certaines éditions de cet ouvrage, Marius 
Acquicolus d’Oliveto disait au cardinal François Soderino, 
évêque de Volterra : « Désormais, garde qui voudra ses Thé- 
mistius, ses Alexandre, ses Simplicius; Marius se contentera 
de son cher Lefèvre. » Ces propos ne sont nullement flagor- 
neries de flatteurs; ils peignent avec fidélité l’accueil enthou- 
siaste qu'a reçu l'écrit de l’humaniste d’Étaples. 

Or, lorsque nous parcourons la Paraphrasis libri Physicorum, 
nous ne pouvons nous empêcher de trouver singulièrement 
insipide cet exposé limpide, mais incolore, du grand traité 
d’Aristote. Certes, les Commentaires et les Questions des Burley, 
des Ockam, des Buridan, des Albert de Saxe n'avaient point cette 
simplicité ; la pensée d’Aristote y était souvent comme enfouie 
sous la luxuriante végétation à laquelle elle avait donné naïis- 
sance; mais c’est précisément par cette poussée scolastique 
que la philosophie péripatéticienne devait être féconde; ces 
branches touffues portaient les fruits dont la science moderne 
devait un jour exprimer le suc. Pour dégager la souche et la 
manifester aux yeux de tous, l’humanisme de Lefèvre d’Étaples 
a brutalement arraché cette ramure embroussaillée qu'il 
prenait pour ronces parasites; sur le sol déblayé, il ne nous 
montre plus qu'un tronc desséché. 

Lefèvre d'Étaples avait pour disciple préféré Josse Clichtover. 
Né à Nieuport (Flandre occidentale) en 1472, docteur en Sor- 
bonne, puis chanoine de Chartres, Clichtove mourut en 1543. 
Contemporain de Jean Majoris, il se trouva souvent aux côtés 
de celui-ci dans les discussions théologiques; mais, en 
général, en de telles disputes, Clichtove et Majoris ne tenaient 
pas pour le même parti; le théologien écossais défendait, nous 
l’avons vu, les antiques méthodes de la Scolastique parisienne ; 
il ne cédait que pied à pied, et de mauvaise grâce, aux exi- 
gences de l’'Humanisme; le théologien flamand, au contraire, 
s'était élancé avec ardeur dans la voie que Lefèvre d'Étaples 
lui avait ouverte. 


1. J.-Al. Clerval, De Judoci Glichtovei Neoportuensis doctoris theologi Parisiensis et 
Carnotensis canonici vita et operibus (1472-1543). Thèse de Paris, 1894. 





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- LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU XVI‘ SIÈCLE 113 


Clichtove avait enrichi de Scholies les Paraphrases péripaté- 
ticiennes de son maître; ainsi complétées, ces Paraphrases 
eurent une vogue extraordinaire’. 

Or, au début de la Paraphrasis libri Physicorum, Clichtove 
avait mis une préface; en cette préface, l'auteur jugeait et 
condamnait les discussions d’une si pointilleuse logique 
auxquelles, jusqu'alors, la Physique donnait lieu dans les 
écoles de Paris ; à l'égard de ces discussions, il s’exprimait en 
termes moins violents, mais aussi sévères que ceux dont usait 
Louis Vivès. 

« À dessein, disait Clichtove, je me suis montré sobre 
lorsqu'il s'agissait de discuter des questions à la façon des 
modernes, de secouer à tout vent des arguties contraires aux 
preuves éprouvées de la Philosophie; ces choses-là n’engen- 
drent pas la véritable science; elles engendrent plutôt un 
bavardage futile, un importun caquet qui abhorrent la tran- 
quille et modeste Philosophie et s’en éloignent; en commen- 
tant toutes ces petites raisons qui luttent contre la vérité des 
‘sciences, on ne conduit nullement l'esprit à embrasser ces 
sciences en leur certitude et en leur sincérité; on l’en détourne 
plutôt, on le fait tomber en des discussions captieuses et 
sophistiques qui n’ont aucun commerce avec la véritable doc- 
trine ; imbus de ces discussions, les esprits des adolescents, 
alors qu’ils devaient être poussés à recueillir le fruit mûr des 

sciences, se dessèchent entièrement et produisent en vain 
des herbes stériles... En ces scholies que nous avons jointes [à la 
Paraphrase de Lefèvre d’Étaples|, nous résolvons parfois, il est 
vrai, des questions que pose la matière même du sujet et qui 
méritent d’être agitées; mais nous ne les résolvons pas de cette 
façon barbare, rebutante et grossière que l’on voit employer 
de nos jours lorsque l’on veut examiner ces questions dans 
l’enseignement. » 

1. Totius philosophiæ naturalis Paraphrases, adjecto ad litteram familiari commen- 
tario declarato. Selon M. l’abbé Clerval (Op. cit., p. 15), les éditions complètes, conte- 
nant la Paraphrasis libri Physicorum, sont les suivantes : Parisiis, W. Hopylius, 1502; 
H. Stephanus, 1510 et 1512; Simon Colinæus, 1521 et 1531; Pet. Vidoue, 1533; 
Joh. Parvus, 1539.— Parisiis et Cadomi, Fr, Regnauit et Pet. Vidove, 1525. — Friburgi 


Brisgoiæ, Fab. Emmeus, 1540. — Lipsiæ, Jac. Thanner, 1506. — Cracoviæ, J. Haller, 
1510; Hier. Victor, 1518; J. Haller, 1522. 


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114 BULLETIN ITALIEN 


Ainsi, dès le début du xvr° siècle, il était à l'Université de 
Paris des maîtres que la Scolastique nominaliste avait lassés 
et dégoûtés; fuyant les discussions épineuses et subtiles, les 
capliunculæ, les calculationes, les Suiselicæ quisquiliæ, ils se 
livraient aux charmes d'une Philosophie et d’une Théologie 
enfin humanisées ; ils n'avaient que pitié et dérision pour ceux 
qui continuaient à traiter ces sciences selon le modus barbarus, 
insulsus el crassus jusqu'alors en usage; ils se rangeaïent autour 
des Lefèvre d’Étaples et des Josse Clichtove auxquels allait 
la faveur des étudiants; ils se détournaiïent des Majoris, des 
Dullaert et des Coronel que, de leur côté, délaissaient les 
écoliers. : 

Couverts d’habits râpés et la bourse vide, les malheureux 
logiciens de l'Université de Paris songeaient tristement en 
leur chaire que les élèves n’entouraient plus; ils écoutaient 
les moqueries dont on accablait leur science, la science qu'ils 
avaient acquise à grand'peine, la science à laquelle ils avaient 
consacré leur laborieuse vie; ils entendaient chanter les 
louanges d’autres études plus utiles, plus aisées, plus sédui- 
santes, plus humaines; d’un œil d’envie, ils voyaient le succès 
et la vogue favoriser ceux de leurs collègues qui avaient 
trahi et délaissé les vieilles disciplines pour ces nouvelles 
études; ils sentaient le doute qui, douloureusement, venait 
étreindre leur cœur, qui leur comptait les années perdues, 
qui leur rappelait les travaux rudes et fastidieux accomplis 
pour rien. 

Si, du moins, leur mélancolique rêverie avait eu le loisir 
de se dérouler dans le silence et dans la paix! Mais l’Huma- 
nisme ne laissait même pas à leur tristesse ce dernier 
adoucissement. L'Humanisme, le délicat Humanisme, si 
soucieux de l'élégance de ses périodes, si craintif de la 
moindre incorrection grammaticale, s'était complu, pour 
combattre la Scolastique, à mettre en un latin très pur 
les plus grossières invectives. Maintenant les violences de 
langage ne lui suffisaient plus; contre les maîtres qu'il 
traquait, contre les méthodes dialectiques qu'il pourchassait, 
il déchaînait les charivaris menés par la gent écolière: c'est 





LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU XVI° SIÈCLE 1 15 


ce que l'Humanisme appelait rétablir « la solide et véritable 
Théologie ». 

En 1521, un voyage amène Louis Vivès à Paris; de là, il 
écrit: à son maître Érasme, demeuré à Louvain; il lui dit la 
vogue et l'influence qu'ont, auprès des Parisiens, les écrits de 
l'Humaniste néerlandais. 

Les Parisiens, dit Vivès, «vous exhortent et vous supplient 
de continuer à bien mériter de la vraie religion, sans vous 
laisser effrayer par les glapissements des ignorants... Pour 
eux ils ont soin qu'aux cours des discussions théologi- 
ques, ceux qui prennent part à la dispute ne disent pas de 
sornettes. Et c’est ce qui a lieu. En Sorbonne, si quelqu'un 
présente un argument tissu des fils d’araignée de Suiseth, on 
voit, aussitôt, les spectateurs froncer le sourcil; ils s’exclament, 
ils poussent des huées, ils chassent de l’école l’auteur de 
l'argument. Il en est ainsi même dans les altercations philo- 
sophiques; qu'il y vienne quelque diseur d’énigmes, muni 
d'une de ces propositions que surchargent les syncategoremala 
et dont l'explication réclamerait un devin d'Étrurie; une telle 
proposition est, d'ailleurs, en extrème faveur auprès de la 
populace scolastique ; aussitôt notre homme est accueilli par 
des cris, par des sifflets, par des huées; en grand tumulte, on 
le met à la porte de la salle où se tient le débat. Ces faits ont : 
été, pour moi, un délicieux spectacle, et je suis assuré que 
vous vous en réjouirez en raison de l’amour que vous portez 
aux bonnes études. » | 

« Que ne peut-on point espérer, » répond Érasme?, « puisque 
la Sorbonne méprise enfin les pointilleuses subtilités pour 
embrasser la solide et véritable Théologie ! » 

Pitoyables logiciens de Paris, réduits au délaissement ou 
livrés aux huées! Que ne leur était-il donné de sonder 
l'avenir, et quel réconfort n’y eussent-ils pas trouvé! Les 
siècles futurs devaient se lasser bien vite de l'Humanisme:; 


« 


1. Epistolarum D. Erasmi Roterodami Libri XXXI, et P. Melancthonis Libri IV. 
Quibus adjiciuntur Th. Mori et Ludovici Vivis ÆEpistolæ... Londini. Excudebant 
M. Flesher et R. Young. MDCXLII. Sumptibus Adriani Vlacq. — Erasmi Roterodami 
Epistolarum liber XVII, epist. 10; fol. 753. 

2. Erasmi Roterodami Epistolurum liber XVIT, epist. 11; éd. cit., fol. 755, 


D NT PRE 7 LUE 
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PONTS EN OT PMP, CE RE TNE UE E E rTTE 





116 BULLETIN ITALIEN 


les élégances latines des Érasme ou des Vivès n'étaient guère 


propres à retenir longtemps la faveur des gens de goût, alors 


que les langues modernes se disposaient à produire leurs plus 
beaux chefs-d’œuvre. En revanche, du champ labouré par les 
philosophes et les théologiens de Paris allait surgir la plus mer- 
veilleuse moisson que la Science ait jamais récoltée. Les caleu- 
laliones à la Suiseth, les discussions sur la division à l'infini, 
sur l'intensité des formes, sur le mouvement uniforme ou 
uniformément varié, étaient autant de graines qui devaient 
lever au siècle suivant et produire la Géométrie analytique, le 
Calcul infinitésimal, la Cinématique et la Dynamique. Ces 
Grégoire de Rimini et ces Jean Buridan, ces Albert de Saxe et 
ces Nicole Oresme que les Humanistes traitaient avec dédain, 
ils étaient les précurseurs de Galilée et de Descartes, de Cava- 
lieri et de Torricelli, de Fermat et de Pascal. 


4 


COMMENT, AU XVI‘ SIÈCLE, LA DYNAMIQUE DE JEAN BuripaAN 


S'EST RÉPANDUE EN ÎTALIE. 


De cette Dynamique que l’on allait cesser d'enseigner à Paris, 
c’est Galilée, ce sont les amis de Galilée, comme Baliani et Torri- 
celli, qui allaient, avec Descartes et Gassendi, se partager l'héri- 
tage. Comment, du début à la fin du xvi° siècle, cet héritage 
allait-il leur être transmis ? Comment la Dynamique de Jean. 
Buridan, que Léonard lui-même n'avait pas admise en sa pléni- 
tude, allait-elle s’infiltrer en la Science italienne? C'est ce que 
nous essayerons maintenant de dire. 

Cette infiltration de la Dynamique parisienne en la Science 
italienne s’est produite, d’ailleurs, avec une extrême difficulté 
et une extrême lenteur, car elle s’est faite en refoulant peu à 
peu les préjugés péripatéticiens. 

Ces préjugés étaient bien forts et bien tenaces au milieu du 
xvi° siècle, et nous en pouvons citer des témoins. 





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LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU XVI° SIÈCLE 117 


Le premier de ces témoins est le Cardinal Gaspard Contarini 
(1483-1542). 

Contarini avait composé un petit livre intitulé De elementis 
qui fut publié:, pour la première fois, en 1548, six ans après 
la mort de l’auteur, et qui eut, dans la suite, plusieurs éditions?. 

Au livre I de son ouvrage, Contarini se demande pourquoi 
« tous les éléments, et tous les corps graves et légers qui se 
meuvent dans la direction où la nature porte l’élément qui pré- 
_ domine en eux, se meuvent de plus en plus vite jusqu’à ce 
qu'ils parviennent au terme auquel ils tendent ». 

La première explication que Contarini mentionne, mais pour 
la rejeter aussitôt, c’est l'explication donnée par les Parisiens : 

« Quelques-uns attribuent à l’inpetus la cause de cet effet. [ls 
disent que tout cela arrive par suite d’un impetus qui croît sans 
cesse, que c'est pour cette raison que les corps se meuvent de 
plus en plus vite. Mais lorsque vous les pressez davantage et 
leur demandez qu'est-ce que cet impetus ? quelle sorte de qua- 
lité? d’où la tiennent les éléments? ou bien ils se taisent, ou 
bien ils imaginent quelques commentaires inexistants et que 
l’on ne peut comprendre. » 

La seconde théorie que le Cardinal condamne est celle de 
Thémistius; il lui oppose l’objection qu'a élevée Richard 
de Middleton et, après lui, toute l’École de Paris. 

Il aborde ensuite l’énumération des causes multiples qu’il 
pense devoir attribuer à la chute accélérée des graves; il com- 
mence cette énumération en ces termes : 

« Aristote, au huitième livre de la Physique, traite du mou- 
vement des projectiles ; il chérche ce qui les meut après qu'ils 
ont quitté l’homme ou la machine qui les a lancés; à ce propos, 
le Philosophe écrit : « Il est de la nature de l’eau et de l’air, 
» lorsqu'ils se trouvent en leur sphère propre et naturelle, et 
» lorsqu'ils ont été poussés dans une direction quelconque, de 
» se déplacer aussitôt après cette impulsion, et par leur propre 


1. Gasparis Contarini, cardinalis amplissimi, philosophi sua ætate præstantissimi, 
De elementis et eorum mixtionibus libri quinque. Parisiis, MDXLVIIL. 

2. Celle que nous avons sous les yeux porte : Parisiis, Apud Andream Wechelum, 
1564. 


118 BULLETIN ITALIEN 


» effort, d’une certaine longueur; leur mouvement est rapide 
» pendant un moment; puis il se ralentit peu à peu: enfin ces 
» corps reviennent au repos.» Ajoutez à cela que la nature 
éprouve une extrême horreur de l'existence d’un espace vide 
quelconque, qui détruirait l’unité du Monde; lors donc qu'un 
corps se meut dans l’air ou dans l’eau, les parties voisines de 
l’air ou de l’eau se précipitent derrière le mobile; poussées 
d’abord, elles poussent à leur tour le mobile par leur propre 
effort et le font avancer. » | 
Bien que Contarini ne nous le dise pas d’une manière 
formelle, il est clair qu’il se rallie à cette explication du mou- 
vement des projectiles par la propulsion du milieu ébranlé. 
C'est, d’ailleurs, à cette influence du milieu qu'il attribue 
l'accélération qu’éprouve la chute des graves. Il invoque deux 
causes pour expliquer cette accélération : d'une part, l’action 
propulsive de l’air que l'horreur du vide oblige à se précipiter 
à l'arrière du mobile; d’autre part, la diminution qu’éprouve 
la résistance du milieu qui se trouve à l'avant du mobile 
lorsque celui-ci le chasse. | 
« Quelques physiciens, » poursuit Contarini, «invoquent 
une troisième raison; la nature entière, disent-ils, est dirigée 
par l'intelligence; il n’y a donc rien d’absurde à ce que nous 
percevions parfois, dans les opérations des agents naturels, des 
traces de raison... C’est pourquoi, selon ces physiciens, plus 
un corps grave ou léger s’est müû longtemps en conformité 
avec sa nature, plus, par conséquent, il s’est rapproché du 
lieu qui lui convient, plus aussi il fait effort et pression; non 
pas qu'aucune qualité nouvelle ou qu'aucun poids nouveau 
vienne s'ajouter à sa gravité; c'est avec son même poids 
naturel qu'il produit un effort de plus en plus grand, de plus 
en plus véhément, au fur et à mesure qu'il a parcouru un 
plus long espace et qu'il est plus voisin de sa fin 
» Je crois ne devoir ni approuver ni désapprouver cette 
raison. Les deux causes exposées ci-dessus me semblent parfai- 
tement satisfaisantes ; elles me paraissent donner l'explication 
de tous les accidents qui se rencontrent en ces mouvements 
sans qu'il soit besoin d'invoquer le concours d'aucune intelli- 








LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU XVI° SIÈCLE 1 19 


gence ni d'aucune raison; je me contente donc de ces deux 
causes. » 

Les Commentaires à la Physique d’Aristote composés par 
François Vicomercati de Milan: ne portent pas de date; dédiés 
à Henri IL, ils sont précédés d’une épître de l’auteur à ce roi: 
en cette épître, Vicomercati énumère les faits glorieux qui ont 
signalé le règne du souverain; le dernier événement qu'il cite 
est la restitution de Boulogne à la France; comme cette resti- 
tution fut accomplie en l’an 1550, on doit supposer que les 
Commentaires à la Physique d’Aristote ont suivi de près cette 
année. | 

Vicomercati adopte pleinement?, au sujet du mouvement 
des projectiles, l'opinion d’Aristote ; c’est le milieu fluide, mis 
en branle par le moteur initial, qui continue à se mouvoir 
lui-même et à promouvoir le projectile. « Quelqu'un fera 
peut-être cette objection : Cette même force, qui est imprimée 
en l’air par le moteur, pourrait tout aussi bien être infusée 
à la pierre ou à la flèche que l’on lance, en sorte que la précé- 
dente explication du mouvement des projectiles ne serait pas 
exacte. Mais, nous l’avons déjà dit, c’est le propre de l’air et de 
l’eau de recevoir un impetus par lequel ces corps continuent 
à se mouvoir eux-mêmes lorsque le moteur initial est revenu 
au repos, et par lequel, en même temps qu'ils se meuvent, ils 
meuvent d’autres corps; ils meuvent ces derniers, d’ailleurs, 
non du mouvement que possédait le moteur qui les a lancés, 
mais du mouvement dont ces fluides se meuvent eux-mêmes. » 

C’est là, déclare Vicomercati, le sens attribué par Alexandre 
et par Simplicius à la doctrine d’Aristote; il y ajoute l’exposé 
des opinions d’Averroès; il rappelle que, selon le Commen- 
tateur, « l'essence de l’eau et de l'air est intermédiaire entre 
l'essence corporelle et l'essence spirituelle ;... mais,» pour- 
suit-il, « ce que nous avons exposé d’après Alexandre et Sim- 


1. Francisci Vicomercati Mediolanensis /n octo libros Aristotelis de naturali auscul- 
talione commentarii, nunc denuo recogniti : et eorundem librorum e græco in latinum per 
eundem conversio. Ad Henr. II. Galliarum regem.. Venetiis, Apud Hieronymum Scotum. 
MDLXIHT. 

2. Vicomercati Commentarii in libros de naturali auscultatione, lib. VIII: éd. cit., 
pp. 373 (marquée 365) et 374 (marquée 373). 





120 BULLETIN ITALIEN 


plicius est plus solide et fournit plus aisément la solution de 
tous les doutes qui peuvent naître à propos de cette question.» 

Vicomercati a rejeté avec la plus sommaire désinvolture 
la théorie du mouvement des projectiles que soutenaient les 
Parisiens. L'explication de la chute accélérée des graves, pro- 
posée par Jean Buridan, est encore moins favorisée; Vico- 
mercati n’en parle même pas. Contarini avait fait à cette 
explication une courte allusion suivie d’une non moins brève 
réfutation ; Vicomercati biffe cette allusion et cette réfutation ; 
cela fait, il reproduit :, à peu près textuellement, ce qu'avait 
dit le Cardinal; il. déclare admettre les deux causes « qui ont 
été approuvées, en son livre De elementis, par le Cardinal 
Contarini, cet homme qu'ont paré les sciences et une foule 
de vertus, ce philosophe doué d’un grand jugement et d'une 
science profonde. Cependant, » poursuit Vicomercati, « de ces 
deux explications, j'approuve surtout la première, bien que 
Contarini soutienne de préférence la seconde. Sans doute, à 
mon avis, celle-ci est de quelque poids, mais elle en a beaucoup 
moins que la première. » C’est donc à la diminution d'épaisseur 
du milieu que le grave doit traverser que Vicomercati attribue 
le principal rôle en l'accélération de la chute des graves; 
l'impulsion produite à l’arrière du projectile par l'air qui s'y 
* précipite en tourbillons lui paraît être d’un effet plus douteux; 
de deux explications inadmissibles, il s’empresse de choisir 
la plus sotte. 

Gaspard Contarini, Francesco Vicomercati sont des esprits 
particulièrement routiniers; les seuls enseignements dont leur 
Dynamique consente à tenir compte sont ceux d'Alexandre, 
de Simplicius et d’Averroès. Entre ces physiciens retardataires 
et ceux qui admettent les doctrines plus modernes de l’École 
parisienne, il en est qui suivent un moyen terme; ils imitent 
l’éclectisme assez étrange et peu rationnel dont Léonard de Vinci 
a donné l'exemple; ils attribuent à un impelus impressus la 
continuation du mouvement des projectiles; mais à l’action 
de l’air ébranlé, ils demandent d'expliquer toutes les accéléra- 
tions, non seulement l'accélération que l’on observe réellement 


1, Vicomercati, loc. cit.; éd. cit., pp. 367-368. 





LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU XVI‘ SIÈCLE 191 


en la chute des graves, mais encore et surlout l'accélération 
imaginaire qu'un projectile éprouverait au début de sa course. 
Entre la pensée de ces physiciens et celle de Léonard la ressem- 
blance est si grande qu'il est permis de voir en celle-là un écho 
de celle-ci ; cette supposition est, d'ailleurs, d'autant plus 
vraisemblable que le premier des géomètres qui aient suivi, 
en cette question, les traces du Vinci est Tartaglia, un bandit 
des Mathématiques:; que le second est Jérôme Cardan, dont 
le De sublililale est nourri d'emprunts clandestins? faits à l’ami 
de Fazio Cardano. 

En la Dynamique de Nicolo Tartaglia, on peut distinguer 
deux phases : l’une correspond à l’exposé que l’auteur a donné, 
en 1537, au cours de sa Nova scienlia; l’autre à ce qu'il 
enseigne, en 1546, en ses Quesili el inventioni diverse; à neuf 
ans de distance, le géomètre de Brescia se contredit à peu près 
sur tous les points. 

La première Dynamique de Tartaglia, celle de la Nova 
scientia$, est purement péripatéticienne; on n’y perçoit aucun 
reflet des doctrines de Léonard de Vinci. 

De ce que le choc d’un corps est d'autant plus violent que 
le corps tombe de plus haut, Tartaglia conclut cette propo- 
sition “: « Si un corps également grave se meut de mouvement 
naturel, plus il va s'éloignant de son principe ou s'approchant de 
sa fin, plus il va vile. » Au sujet de cette accélération, Tartaglia 
ne donne point d'explication autre que celle-ci : « La même 
chose se vérifie pour quiconque va vers un lieu désiré; plus 
il va, approchant de ce lieu, plus il se presse et s'efforce de 
cheminer ; comme il paraît en un pèlerin, qui vient d’un lieu 
lointain : plus il est proche de son pays, plus il s’efforce de 
cheminer de toute sa puissance, et cela d'autant plus qu'il vient 
d'un pays plus lointain; ainsi fait le corps grave; il se hâte 


1. P. Duhem, Les Origines de la Statique, ch. IX, €. I, pp. 194-202. 

2. Léonard de Vinci, Cardan et Bernard Palissy (Études sur Léonard de Vinci, ceux 
qu’il a lus et ceux qui l'ont lu, VI; seconde série, pp. 223-245). 

3. Nova scientia irventa da Nicolo Tartalea. Vinegia, Steph. da Sabio, MDXXX VII. 

4. Nicolo Tartaglia, La nova scientia, primo libro, propositione prima. — 11 appelle 
corps également grave celui qui, en raison de la gravité de sa matière et de sa figure, 
n’est apte à éprouver, d’une façon sensible, l'opposition de l’air à aucun de ses mou- 
vements (déf. 1). 





122 BULLETIN ITALIEN 


de même vers son propre nid, qui est le centre du Monde, et 
plus il vient d’un endroit éloigné de ce centre, plus il va vite 
en s’approchant de lui. » 

Les caractères du mouvement violent s'opposent exactement 
à ceux du mouvement naturel : « Plus un corps également 
grave : s'éloigne du principe ou s'approche de la fin du mouvement 
violent, plus il va lentement... De là, il est manifeste qu'un corps 
également grave a sa plus grande vitesse au commencement 
du mouvement violent et sa plus petite à la fin. » 

Tartaglia tire cette proposition de l'observation; il évite 
de traiter de la nature de l’impelus qui entretient le mouvement 
violent. 

Le mouvement d’un projectile se décompose rigoureusement 
en deux périodes, une première période pendant laquelle /le 
mouvement est purement violent, une seconde période pendant 
laquelle il est entièrement naturel. « Aucun corps également 
grave? ne peut, pendant aucun espace de temps ni de lieu, marcher 

à la fois de mou- 

vement violent et 

de mouvement na- 
lurel. » 

+c Tandis que le 

mobile se meut 

de mouvement 

violent, il décrit 

d’abord une 

D ligne droite AB 

Fic. 2. (fig. 2), puis un 

arc de cercle BC ; 

en C, cet arc raccorde tangentiellement à la verticale CD 

décrite de mouvement naturel; au point C, où finit le mou- 

vement violent et où commence le mouvement naturel, la 

vitesse atteint sa plus petite valeur #. 
A cette balistique fondée sur des principes purement péri- 


B 





1. Nicolo Tartaglia, La nova scientia, lib. 1, prop. II. 
2, Nicolo Tartaglia, La nova scientia, lib, 1, prop. V. 
3. Nicolo Tartaglia, La nova scientia, lib. II, suppos. IN, propp. IV, V, VI. 
ñ. Nicolo Tartaglia, La nova scientia, lib. T, prop. VI. 





LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU XVI SIÈCLE 123 


patéticiens, Tartaglia apporta dans la suite des retouches qui 
la rapprochèrent étroitement des opinions soutenues par 
Léonard de Vinci, si étroitement qu'il est permis de croire 
à une influence exercée sur les idées du grand géomètre : par 
les notes posthumes du grand peintre. 

En cette nouvelle balistique, contrairement à ce qu'il avait 
soutenu dans la Nova scientia, Tartaglia affirme ? que, hors 
le cas où la pièce tirerait verticalement, la trajectoire du boulet 
n'a aucune portion rectiligne, ne fût-elle que d’un pied. Ce qui 
incurve la trajectoire, c’est la gravité naturelle, sans cesse 
agissante. La grande vitesse est la propre cause de la rectitude 
du mouvement; plus un corps grave est lancé rapidement dans 
l'air, moins il est pesant; partant, plus il va droit au travers 
de l’air qui soutient d'autant mieux un corps qu'il est plus 
léger. Plus la vitesse décroît, plus la gravité va croissant, 
et cette gravité sollicite sans cesse le corps et le tire vers la 
terre. Or, dès l'instant que le boulet quitte l’âme de la pièce, 
la vitesse du mouvement violent va sans cesse en diminuant, 
et, par conséquent, la trajectoire s’incurve de plus en plus. 

Nous reconnaissons, en cette théorie, l’antagonisme et la 
lutte de l’inpelo et de la gravité, dont nous avons lu la descrip- 
tion dans les notes de Léonard. A l’imitation de celui-ci, 
Tartaglia invoque également une action accélératrice de l'air 
mis en branle. Cette action lui sert à répondre à une question ? 
posée par le Signor Gabriel Tadino di Martinengo, chevalier 
de Rhodes et prieur de Barletta : 

« Le PRIEUR : Si l’on tire une même pièce d'artillerie deux 
fois coup sur coup, avec une même hausse, vers un même but 
et avec deux charges égales, les deux tirs seront-ils égaux ? 

» TARTAGLIA : Sans aucun doute, ils seront inégaux ; le second 
coup portera plus loin que le premier. 

» Le Prreur : Pour quelle raison? 


1. Quesiti et inventioni diverse di Nicolo Tartalea, Vinegia, Vent. Ruflinelle, ab 
instantia et requisitione et a propria spese de Nic. Tartalea Brisciano autore; 
MDXLVI. J1 primo libro delli quesili et inventioni diverse di Nicolo Tartaglia, sopra gli 
tiri delle artiglierie, et altri suoi varii accidenti. 

». Nicolo Tartaglia, loc. cit., quesito terzo. 

3. Nicolo Tartaglia, loc, cit,, quesito quarto,— Cf, ; libro secondo, quesito primo. 





124 BULLETIN ITALIEN 


» TARTAGLIA : Pour deux raisons. La première est que, lors 
du premier tir, le boulet a trouvé l’air en repos, tandis que, 
lors du second tir, il le trouve non seulement tout ébranlé 
par le boulet lancé au premier tir, mais encore tendant forte- 
ment, courant au lieu vers lequel on tire. Or, il est plus facile 
de mouvoir et de pénétrer une chose déjà mue et pénétrée 
qu'une chose qui est en repos et en équilibre. Par conséquent, 
la balle tirée la seconde fois, rencontrant un moindre obstacle 
à son mouvement que la première, ira plus loin que celle-ci...» 

Tartaglia empruntait peut-être ces raisonnements à quel- 
qu'une des notes laissées par Léonard de Vinci; peut-être aussi 
les avait-il conçus en lisant le traité De ponderibus écrit par 
ce mécanicien que nous avons nommé le Précurseur de 
Léonard de Vinci. On peut le croire d'autant plus volontiers 
qu'au septième livre des Quesili el inventioni diverse, Tartaglia 
a plagié la partie statique de ce traité avec une impudence que 
Ferrari lui a durement reprochée; on sait également que cet 
écrit fut publié par Curtius Trojanus d'après un manuscrit que 
lui avait légué Tartaglia. 

Mais ce que Tartaglia ne pouvait emprunter au Précurseur 
de Léonard, c’est la notion d’impelo composé, si formellement 
niée en la Nova scientia, c'est l'hypothèse que cette compo- 
sition entre l’inpelus violent et la gravité naturelle est la cause 
de la courbure de la trajectoire, hypothèse que nul jusque-là, 
sauf le Vinci, ne paraît avoir conçue; si complet est le renon- 
cement de Tartaglia à ses anciennes idées, qu'il va plus loin 
que son prédécesseur; cette composition d'impelus et de gra- 
vité, ainsi que la courbure qui en résulte pour la trajectoire, 
il admet qu'on la doit considérer pendant toute la durée du 
mouvement du projectile. Un si soudain et si complet change- 
ment de front suppose quelque forte impulsion reçue du 
dehors: il est difficile de ne pas mettre dans les notes de 
Léonard l'origine de cette impulsion. 

Si les opinions émises en Dynamique par Tartaglia ont, tout 
d’abord, présenté une grande conformité aux doctrines de 
l'École, pour se rapprocher ensuite des pensées de Léonard 
de Vinci, c’est à celles-ci que se rapportent immédiatement les 





LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU XVI° SIÈCLE 129 
théories développées par Jérôme Cardan:. Entre la Mécanique 
du grand peintre et celle du célèbre médecin, géomètre et 
astrologue de Milan, les rapprochements sont si nombreux, 
les analogies si intimes, que force nous est, bien souvent, de 
regarder la seconde comme un plagiat de la première. 

Cardan connaît les opinions diverses qui ont été émises 
touchant la cause qui entretient le mouvement violent: 
« Donques? la première opinion est que la chose mouvée 
comme la pierre soit mouvée par la vertu acquise de celui qui 
la jette (vi acquisita a projiciente); ainsi, comme la chose 
échauffée du feu, après échauffe les autres choses par sa vertu 
acquise, et la matière demeure longtemps chaude; ainsi la 
chose mouvée reçoit la forcé par celle qui mouve, par laquelle 
l’autre est poussée tant qu'elle se repose. Cette opinion est 
sensible, qui a esté rejetée par l’argument des anciens, allégué 
d'Aristoteles. » Après avoir longuement exposé les théories 
qui expliquent la propulsion du projectile par le mouvement 
de l’air environnant, Cardan ajouteÿ : « Mais la première 
opinion nous est plus nécessaire, qui est simplement entendue 
et ne contient tant de difficultés. Et quand on suppose que 
tout ce qui est mouvé l’est de quelque chose, ce est très vrai; 
mais ce qui mouvé, c'est une impétuosité acquise (impelus 
acquisilus), ainsi que la chaleur en l’eau, qui est induite en 
l’eau par le feu outre nature, et toutefois quand le feu est osté, 
l’eau brule la main de celui qui la touche: et ainsi l’accident, 
violentement adhérent, retient sa force. » 

Cardan attribue donc l'entretien du mouvement violent à un 
impelus acquisilus, semblable à l’impeto invoqué par Léonard 
de Vinci; et cet impetus, il se sert, pour en concevoir la nature, 
de la comparaison même dont Alexandre d’Aphrodisias usait 
à l’égard de la xwnzzxñ divaurs ddouévn qu'il conférait à l'air. 

Comme Léonard de Vinci, Cardan distingue trois périodes 

1. Hieronymi Cardani medici Mediolanensis De subtilitate libri XXI. Lugduni, 
apud Guglielmum Rouillium, sub Scuto Veneto. MDLI. — Les livres de Hiérome 
Cardanus, médecin milannois, intitulés de la Subtilité et subtiles inventions, ensemble 
les causes occultes et raisons d’icelles, traduis de latin en françois par Richard le Blanc. 
Paris, Charles l’Angelier, MDLVII. 


2. Cardan, De la Subtilité, traduction de Richard le Blanc, édit. cit., fol. 46, recto. 
3. Cardan, loc. cit., fol. 47, verso. 


Bull. ilal. 9 


126 BULLETIN ITALIEN 


dans le mouvement d’un projectile pesant : une première 
période où le projectile se meut uniquement sous l’action de 
l’impelus acquisilus; une dernière période où il n'est plus 
soumis qu'à la pesanteur; enfin une période intermédiaire où 
la gravité et l’inpelus acquis violemment luttent l’un contre 
l’autre : « Les matières donc: qui sont jetées au loing consistent 
en trois mouvemens : le premier violent, le dernier du tout 
naturel, et le moien composé des deux autres. » 

Aux deux périodes extrêmes correspondent deux portions 
rectilignes de la trajectoire, la première inclinée, la dernière 
verticale; pendant la période intermédiaire, le mobile décrit 
un arc de courbe : «Or quand la boule jetée? est parvenue 
droictement en son extrême lieu, elle ne descend en faisant la 
figure du cercle, 
ni aussi droicte- 
ment, mais pres- 
que par une ligne 
moyenne entre les 


B 





[GC deux qui repré- 
sente presque la 
ligneenvironnante 
d’une quatrième 

L partie de cercle, 


Fic. 3. comme est BC 

(fig. 3); et finable- 

ment aucune fois la bouts descend tout droit de C en D par le 
mouvement de la matière pesante. » 

Avec Aristote et aussi avec Léonard de Vinci, Cardan admet$ 
que la plus grande vitesse du projectile n’est atteinte ni au 
commencement ni à la fin, mais au milieu de la course : « Car 
nous voions que les machines et les traits mesmement jetés 
de la main, donnent cous plus véhémens en quelque distance, 
qu'ils ne font de près, et quasi en l'artillerie. » Or, le concours 
de l’impelus et de la gravité ne saurait expliquer cette pré- 


1. Cardan, loc. cit, fol, 49, recto. 
2. Cardan, loc. cit., fol, 49, recto. 
3. Cardan, loc. cit., fol. 48, verso. 








_ LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU XVI SIÈCLE 12% 


tendue vérité d'observation; le mouvement «naturel est 
augmenté en la fin, le violent au commencement »; le passage 
du mouvement violent au mouvement naturel devrait donc 
correspondre à un minimum de vitesse. L'existence d’un 
maximum de vitesse entre le départ et l’arrivée du projectile 
ne peut s'expliquer: que par une action accélératrice de l'air 
ébranlé : « Car l’air au commencement n’aide point le mouve- 
ment, sinon que bien peu; par succession de temps, le mou- 
vement naturel de l'air, comme il est mouvé, est fait plus 
valide ;..... pourquoi par lui mesme il est nécessaire la célérité 
du mouvement estre augmentée. » 

Cette action accélératrice de l’air ébranlé, Cardan l’a étudiée 
à plusieurs reprises ; dans un de ses derniers ouvrages, l'Opus 
novum de proportionibus?, il la décompose, comme Léonard 
l’avait fait avant lui, en deux autres actions: Une traction de 
l'air chassé à l’avant du mobile et une impulsion du fluide 
qui vient, en tourbillonnant, occuper la place que le projectile 
laisse vide derrière lui. «Il résulte évidemment. de là qu’en 
tout mouvement soit naturel, soit violent, il se fait un certain 
accroissement de vitesse depuis le début du mouvement 
jusqu'à un certain instant. C’est pourquoi les machines de 
guerre de tout genre exigent une certaine distance pour que 
leur coup atteigne sa plus grande violence. » C’est donc à 
l’action accélératrice de l’air que l’on doit attribuer3 la vitesse 
croissante du mouvement naturel par lequel un grave tombe 
à terre : 

« Tout mouvement naturel, accompli en un milieu homogène, 
est plus fort à la fin qu’au commencement; il en est au contraire 
du mouvement violent. 

» En effet, d’après ce qui précède, le mouvement naturel est 
sans cesse accru par l’action du milieu ; d'autre part, la cause 


1. Cardan, loc. cit., fol. 48, verso. 

2. Hieronymi Cardani Mediolanensis, civisque Bononiensis, philosophi, medici 
et mathematici clarissimi, Opus novum de proportionibus numerorum, motuum, pon- 
derum, sonorum, aliarumque rerum mensurandarum, non solum geometrico more 
stabililum, sed etiam varis experimentis et observationibus rerum in natura, solerti 
demonstratione illustratum, ad multiplices usus accommodatum, et in V libros digestum ; 
Basileæ, ex officina Henricpetrina, Anno Salutis MDLXX, Mense Martio. Lib. V, 
prop. XXX. 

3. Cardani Opus novum de proportionibus, lib. V, prop. XXXI. 





128 BULLETIN ITALIEN 


qui meul est perpétuelle, elle découle d’un principe éternel; 
d’après ce que nous avons dit, elle meut uniformément; ce 
mouvement deviendra donc à la fin plus rapide qu'il n’est en 
aucune autre partie de sa durée. Au contraire, dans le mouve- 
ment violent, lorsque le mobile approche du but, cette force 
qui meut le projectile prend nécessairement fin; elle est sur- 
passée par la force naturelle qui meut en sens contraire; avant 
donc que le mouvement ne cesse rate il devient, en 
sa partie finale, extrêmement lent. 

Ce que Cardan, en l’Opus novum je proportlionibus, expliqué 
clairement au sujet de l’accélération du mouvement naturel 
permet d'interpréter un passage assez obscur que nous lisons 
au De sublililate; en ce passage, il s’agit de déterminer: « La 
cause pourquoi une navire est menée tant légèrement des voiles. 
Car à peine cette navire est mouvée du commencement. 
Pourtant Aristoteles aurait quelque doute, qui estime que les 
mouvemens violens sont diminués vers la fin. Il est manifeste 
que le mouvement de la navire est rendu toujours plus léger 
par vent égal... Le mouvement n'est-il point toujours, ainsi 
seulement jusqu’à certain limite? Il est jà connu qu'il est 
augmenté dès le commencement. Mais la cause en est, pour- 
ceque quand ce qui mouve cesse, le mouvement violent, 
comme j'ai dit, est augmenté; il sera donc d'autant plus 
augmenté quand la cause qui mouve demeure. » 

En son De rerum nalura dont la première édition fut impri- 
mée à Rome en 1555, Bernardino Telesio professe une Dyna- 
mique qui est assez semblable à celle de Cardan, partant 
à celle de Léonard de Vinci. 

Telesio expose: l'explication qu'Aristote donne du mouve- 
ment des projectiles; il ajoute tout aussitôt : « C’est une raison 
vaine et qui repose sur un fondement entièrement faux; les 


1, Les livres de Hiérome Cardanus, médecin Milannois, intitulés de la Subtilité et 
subtiles inventions, traduis de latin en françois par Richard le Blanc; Paris, Charles 
l’Angelier, 1556, fol. 335. Ce passage n’est pas dans la première édition du De subtilitate, 
parue en 1551; il fut introduit dans la seconde édition, imprimée en 1554, sur 
laquelle fut faite la traduction de Richard le Blanc. 

2. Bernardini Telesii Cosentini De Rerum Natura iuxla propria principia, Liber 
Primus, et Secundus, denuo editi. Neapoli, apud losephum Caccium. Anno MDLXX. 
Liber primus, cap. 46: Cur gravium ad inferna motus assiduè magis conciletur, 
Peripateticorum nulli satis explicatum est; éd. cit., fol. 32, verso. 





LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU XVI° SIÈCLE 129 


corps qui sont projetés violemment, en effet, semblent mus 
non pas, comme il plaît à Aristote de le soutenir, par l'air qui 
les pousse en avant, mais bien par une vis impressa. » Si la 
théorie du Stagirite était exacte, « tout corps mû par violence 
se mouvrait éternellement; une petite quantité d'air est 
suffisante, au gré d’Aristote, pour faire monter une pierre ; 
à plus forte raison en pourrait-elle faire autant lorsqu'elle est 
_ devenue beaucoup plus considérable. Il n’en sera pas de 
même si ces corps sont mus par une vis impressa, par un 
molus inditus ; plus ils s’éloigneront du moteur qui les a lancés, 
plus s’affaiblira d'une manière continue le mouvement de ces 
projectiles ; par cet éloignement, en effet, la vis impressa, le 
motus indilus s’affaiblissent et languissent de plus en plus. » 

S'il demande à l’impetus l'explication du mouvement des 
projectiles, Telesio ne lui attribue aucunement l'accélération 
de la chute des graves; de la théorie qui lui donne ce rôle, 
il ne souffle mot. Quant aux diverses autres raisons qui ont été 
données du même phénomène, il les passe en revue et les 
trouve insuffisantes; celle qu’il propose comme nouvelle a de 
grandes analogies avec celle que Tartaglia a donnée en sa Nova 
scientia, avec celle aussi au sujet de laquelle Contarini suspen- 
dait son jugement : 

« La cause pour laquelle la chute des graves n'est pas uni- 
forme:, pour laquelle elle va s’accélérant d’une manière 
continue, tous les Péripatéticiens l’ont recherchée avec grande 
anxiété; mais, jusqu'ici, il ne paraît pas qu'ils aient pu rendre 
raison de ce fait. Cette raison semble se manifester très claire- 
ment à l’aide des principes que nous avons exposés. La nature 

propre du grave reçoit son immobilité de son lieu propre, qui 
est la Terre, et de l’universalité abstraite qui lui convient; 
mais le lieu qui lui est absolument opposé, le contact de corps 
qui lui sont étrangers et qui l’ont en haine, confèrent à cette 
nature une certaine force; elle se précipite alors vers son lieu 
propre, vers les corps qui lui sont apparentés; elle tombe 
d'autant plus rapidement que ces corps étrangers, qui la 
haïssent et la rebutent, accélèrent continuellement son mouve- 


1. Bernardino Telesio, loc. cit. ; éd, cit., fol. 33, recto. 





130 BULLETIN ITALIEN 


ment afin qu’elle jouisse le plus vite possible de l’immobilité 
au sein des corps qui lui sont apparentés. » 

Tartaglia et Cardan sont vraiment, en Dynamique, disciples 
de Léonard de Vinci; Telesio se rapproche du grand peintre 
en ce qu'il attribue à un impetus imprimé au projectile la conti- 
nuation du mouvement de celui-ci, tandis qu'il n’invoque pas 
cet impelus pour expliquer l'accélération de la chute des graves. 
Les physiciens qui acceptaient, à ce sujet, la doctrine des 
Parisiens, étaient assurément fort rares, en ‘re au début du 
xvi° siècle. 

Il serait peut-être téméraire de prendre pour une adhésion 
formelle à cette doctrine l’allusion que fait Maurolycus à 
l’impetus créé par le poids. En sa Cosmographia, qu'il acheva 
le 21 octobre 1535, mais qu’il publia seulement en 1545, le 
savant abbé de Messine insère le dialogue suivant: : 

« ANTIMAQUE : Si les graves disposaient d’un chemin qui leur 
permit d’accéder au centre, de quelque endroit qu'on les laissât 
tomber, ils concourraient en ce point. 

NicomèpE : Sans doute, mais je vais vous éprouver à l’aide 
de cette question : Faites que la terre soit percée de part en 
part, comme pourrait l’être une boule de bois, d'un trou 
passant par le centre; dans ce trou, laissez tomber une lourde 
pierre; jusqu'où pensez-vous qu’elle ira ? | 

» ANTIMAQUE : Ne sera-ce point au centre ? 

» Nicomèpe : C’est précisément ce que dirait un homme qui 
ne connaîtrait pas à fond cette matière. Mais sachez que cette 
pierre, ainsi abandonnée à elle-même, ne s’arrêterait pas tout 
d’abord au centre. Emportée par l’impelus du poids, elle 
dépasserait le centre d’une certaine longueur et monterait vers 
l'hémisphère opposé; elle retomberait alors et, de nouveau, 
dépasserait le centre, remontant au delà d'une longueur 
moindre que la précédente; elle irait et reviendrait ainsi, sui- 

1. Cosmographia Francisci Maurolyci Messanensis Siculi, Zn tres dialogos distineta : 
in quibus de forma, situ, numeroque tam cœlorum quam elementorum, aliisque rebus ad 
astronomica rudimenta spectantibus satis disserilur. Ad Reverendiss. Cardinalem 
Bembum. Venetiis MDXXX XIII. In fine : Completum opus Messanæ in freto siculo 
die Jovis XXI Octobris VIII indictionis anno salutis MDXXXV. quo die Carolus 


Cæsar ab africana expeditione reversus Messanam venit, Venetiis apud hæredes Lucæ- 
antonii funtæ Florentini mense lanuario MDXLHT. Dialog, 1, pp. 15-16, 





LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU XVI° SIÈCLE 131 


vant un trajet qui décroîtrait sans cesse, tandis que l’impelus 
s'affaiblirait peu à peu, jusqu’au moment où elle se reposerait, 
au centre. De même, un plomb suspendu par un fil que l’on 
a écarté de la position verticale ne revient pas immédiatement 
à cette position; il la dépasse, tout d’abord, d’un certain écart, 
puis il va et revient un certain nombre de fois; chaque fois, la 
force qui le meut est plus faible et l'écart plus petit; il finit par 
demeurer en repos dans la position verticale. 

» ANTIMAQUE : Vous avez raisonné d’une manière très péné- 
trante et vous appuyez votre spéculation d’un exemple fort 
bien adapté. Je me souviens maintenant qu’en ses Colloques, 
Érasme de Rotterdam propose la même question. » 

Maurolycus se souvenait, sans doute, d'avoir lu cette ques- 
tion en un autre écrit que les Colloquia d'Érasme. Le dialogue 
où il nous la présente est tout rempli de considérations sur le 
centre de gravité de la terre et sur la convergence des verticales 
qui sont empruntées au De Cælo d'Albert de Saxe. Mais si un 
érudit italien pouvait sans honte, en 1535, faire allusion aux 
écrits de Didier Érasme, eût-il pu, sans rougir, avouer qu'il 
demandait ses inspirations à un traité composé, au xiv° siècle, 
par un scolastique de Paris? 

L'année qui vit imprimer la Cosmographia de Maurolyeus vit 
également paraître l’immortel traité de Copernic. Il est piquant 
de remarquer que ce traité renfermait lui aussi une brève 
allusion à l’inpetus engendré par le poids: «Les corps qui sont 
mus vers le haut ou vers le bas, » écrit le chanoïne de Thorn', 
« n’accomplissent pas un mouvement simple, uniforme et égal. 
En eux, en effet, on ne peut régler la légèreté ou l'impetus 
causé par leur propre poids. Tous les corps qui tombent 
éprouvent, au début, un mouvement très lent; puis, en tom- 
bant, ils accroissent leur vitesse. » | 

Les allusions à l’impelus ponderis que nous avons trouvées en 
la Cosmographia de Maurolycus, sans impliquer une adhésion 
formelle et complète à la doctrine parisienne de la chute accé- 
lérée des graves, nous montrent toutefois que cette doctrine 
n'était pas inconnue de l'Abbé de Messine. 


1. Nicolai Copernici De revolutionibus orbium cælestiam libri VI; lib. I, cap. VIN, 





132 BULLETIN ITALIEN 


Alessandro Piccolomini, en sa Paraphrase aux Questions 
mécaniques d’Aristote, dont la première édition est de 1547», 
admet nettement cette théorie de Buridan et d’Albert de Saxe. 
Aristote ou l’auteur, quel qu'il soit, des Mryavxx roofiuarz 
avait déjà comparé’, en un corps qui tombe, la gravité (f426<) 
et le mouvement (9:62 ou xivroic); très vaguement d’ailleurs, il 
avait paru indiquer que le mouvement peut s'ajouter au poids 
et l’accroître; ce sont ces pensées flottantes et indécises que 
Piccolomini,en sa Paraphrase, interprète à l’aide de la doctrine 
parisienne; cette doctrine, d’ailleurs, il se garde bien d'en 
nommer les auteurs; à la façon dont elle est présentée par lui, 
on la croirait issue de la Science hellène. 

Cette doctrine il l’expose, en même temps que toute sa 
théorie du mouvement violent, dans son XXXVII° Chapitre, 
consacré à l'examen de la trente-deuxième question d’Aristote. 

«IT faut remarquer, » écrit Piccolomini, « qu’il y a deux 
sortes de pesanteurs : l'une qui a sa source dans la nature 
même du corps; l’autre, superficielle, que les Grecs nomment 
ëriréluav. Celle-ci n’est point autre chose qu’un certain impetus 
non permanent qui peut, ou bien s’acquérir dans le corps 
même müû par sa propre tendance (qui vel acquiritur in re ipsa 
ex suo nulu mola), ou bien être imprimé par un moteur mou- 
vant violemment. 

» En effet, lorsqu'une pierre tend vers le bas, elle devient 
sans cesse plus rapide, parce que sans cesse, par suite du 
mouvement, elle acquiert une plus grande pesanteur (j'entends 
parler de la pesanteur superficielle). 

» De même, lorsqu'une pierre est projetée violemment, elle 
reçoit une certaine gravité ou une certaine légèreté superfi- 
cielle imprimée par ce qui la projette. Ce n’est pas autre chose 
qu’un impetus accidentellement acquis, qui meut la pierre 
violemment et qui la rend comme mobile d'elle-même, jusqu’à 
ce que cet impelus vienne à s’alanguir et à s’'évanouir.… » : 

Pas plus pour Piccolomini que pour Léonard de Vinci, 


1. Alexandri Piccolominei In mechanicas quæstiones Aristotelis paraphrasis paulo 
quidem plenior, ad Nicholaum Ardinghellum Cardinalem amplissimum, Excussum 
Romæ, apud Antonium Bladum Asulanum, MDXLVII, 

à. Aristote, Mnyavià mpoBmuara, XVIII et XX (éd. Didot, t. IV, pp. 64 et 65). 





LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU XVI‘ SIÈCLE 133 


l’impetlus n’est, de soi, perpétuel : « Cette pesanteur ou légèreté 
superficielle ne saurait devenir durable ni parfaite, car la forme 
substantielle du corps qui la subit, à savoir, la pesanteur ou 
légèreté qui est naturelle à ce corps, s'oppose à ce qu’elle s’im- 
prime parfaitement et profondément. » 

Ce qui affaiblit l’impetus et finit par le tuer, ce n’est pas 
seulement la résistance des obstacles extérieurs, c’est la gravité 
naturelle : « La vertu impulsive prend fin, ce qui peut arriver 
soit par la résistance de quelque objet qui repousse le mobile, 
soit par la tendance du mobile lui-même, effort qui résulte de 
sa propre nature et qui devient plus puissant que cette gravité 
ou légèreté superficielle. 

« Aussitôt que la véritable pesanteur surpasse, par la puis- 
sance de son effort, l’inpelus que le moteur a imprimé dans la 
pierre, celle-ci cesse de se mouvoir violemment et, par son 
mouvement propre, elle tend en bas:.» 


P. DUHEM. 
(A suivre.) 


1. Piccolomini, loc. cit.; cf.: cap. XXX VIII, quæst, trigesimatertia. 








LE POLITICIEN A FLORENCE 
AU XIV° ET AU XV: SIÈCLE : 


SES MOYENS D'EXISTENCE, SES PROCÉDÉS, SES PÉRILS 


ET LA RANÇON DE SES DÉFAUTS 


(Suite*.) 


IV 


Si les tours d'adresse dans l'histoire politique de Florence 
sont relativement rares, c’est que les coups de force y 
abondent. La classe dirigeante d'Italie, qui étonnera le monde 
en 1859 par sa maîtrise d'elle-même dans la victoire, est 
alors toujours prête à verser le sang. 

Passons en effet avec rapidité sur les violences de langage 
qui troublèrent assez souvent les assemblées de Florence. 
Il sera toujours difficile à des réunions nombreuses de discuter 
des questions brülantes dans un calme inaltérable, et les corps 
politiques des républiques italiennes se composaient d'un 
nombre formidable de membres, puisque souvent ils compre- 
naient tout le pays légal; on voit siéger à la fois, dans le 
Conseil du Peuple, à Bologne, 800 personnes en 1347, 918 en: 
13672; à Florence, lorsque Savonarole eut étendu les droits 
politiques à quelques milliers d'hommes qui devaient les 
exercer tour à tour, l’ancienne salle de séances, qui contenait 
830 places, dit positivement G. Cambi, 1000, semble dire 
Guichardin#, devient insuffisante et, dans la nouvelle, on wit 
2.000 personnes et plus, 2.270 le 21 mai 1527; à certains jours, 
une partie des membres devait se tenir dans les couloirs ou 


1. Voir le Bull. ilal., t. IX, pp. 212-226 et 304-337. 

2. Historia miscellanea Bononiensis de frère Bartol. della Pagliola, au XVIII" volume 
des Rer. italic. script. de Muratori. ÿ 

3. Cambi, 11, p. 90; Guichardin, Stor. fiorent., p. 126, 


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LE POLITICIEN À FLORENCE AU XIV° ET AU XV° SIÈCLE 130 


dans une salle voisine, où il fallait qu'un deuxième bandilore 
allât répéter les appels du premier'. Un instant, le minimum 
légal des membres présents pour la validité d’une délibération 
fut de 800, et pour l'élection du Gonfalonier de Justice, 1.500. 
Tout ce qu'on pouvait demander à la loi, étant donnés ces 
chiffres, c'était de fixer la police des assemblées, et on y avait 
fait le possible?. 

Ce sont donc péchés véniels que certaines tentatives d’obs- 
truction, certains désaccords en séance entre deux Prieurs, 
dont l’un somme un orateur de quitter la tribune, tandis 
qu'un autre lui ordonne d'y rester“. Nous n'avons pas davan- 
tage à nous scandaliser des efforts qu'on faisait parfois pour 
couvrir la voix d’un orateur en toussant, en crachant, en 
frottant ses pieds contre le sol pour suppléer à ces engins, 
pupitres, couteaux à papier, que la civilisation moderne met 
à la disposition de nos législateurs5. On ne voit pas qu'on ait 
alors imité les cris d'animaux. 

Seulement, chez nous, on ne dépasse guère, ces jours-là, les 
gros mots; nos hommes politiques se distribuent quelques 
horions, mais c’est rare : ils échangent plus volontiers des 
cartes, et encore leur épiderme devient de moins en moins 
sensible. À Florence, malgré la loi qui punissait d’une peine 
double les violences commises dans les Conseils6, on fut sou- 


1. Cambi, IV, p. 38. e 

2. Voir le morceau anonyme précité du 1X° volume des Delizie qu’a réimprimé 
G. Capponi. C'était encore un assez bon moyen d’atténuer les chances de désordre 
que de punir les absents, qui, d’ordinaire, seront des auditeurs paisibles (Scip. Am- 
mirato, à la date de 1489; Guichardin, Stor. fior., p. 79; Cambi, II, p. 39). On donna, 
à un certain moment, des jetons de présence (p. xvu1 de la préface de Gherardi aux 
Consulte della repub. di Firenze). On avait aussi cherché à prévenir les motions impro- 
visées en faisant-passer les propositions par une filière (voir p. vrr-1x de la préface 
précitée de Gherardi; additions de Scip. Ammirato le Jeune. au XVIII‘ livre de son 
oncle en 1411; Don. Giannotti, Discorso sulla forma del governo di Firenze, p. 181-182 du 
III" volume de ses œuvres; mais il n’en résulta d'ordinaire qu’une perte de temps, de 
même que de l’incroyable complication des systèmes d'élection (voir un exemple qui 
dépasse tout dans l'élection d'un capitaine de galère, le 20 juillet 1325, chronique de 
Bartol. della Corazza); car le parti dominant s’arrangeait toujours pour que les divers 
Conseils fussent plus ou moins à sa dévotion. 

3. Guichardin, Stor. fior., p. 365-366 ; Dino Compagni, 11, chap. ro. 

4. Scip. Ammirato, liv. XIII, à la date de 1374; Pietro Buoninsegni, à la date 
de 1373. 

5. Vespasiano da Bisticci, chap. 8 de la Vita di Agnolo Pandolfini ; chron. de Giov, 
di Jac. Morelli, à la date du 9 décembre 1529. 

6. P. xvur-xvin de la préface de Gherardi aux Consulte della repub. fiorent. 





136 BULLETIN ITALIEN 


vent à deux doigts des pires extrémités; on y menaçait un 
collègue de le jeter par la croisée; les couteaux étaient tout 
prêts à sortir des poches:, et l’on n’essayait pas seulement 
d'intimider les individus, mais l'assemblée entière. En 1372, 
un Prieur qui trouvait un Conseil récaltcitrant, allait de banc 
en banc poser la terrible question : « Es-tu Guelfe? » et, sur la. 
réponse affirmative, obligeait l’interpellé à voter ouvertement 
la motion de la Seigneurie». 

Dès le dernier quart du x1v° siècle, les meneurs extorquaient 
fréquemment le vote en reposant à une assemblée la même 
question un nombre indéfini de fois, jusqu’à ce qu'elle eût 
cédé; tantôt le Gonfalonier de Justice se faisait, vers minuit, 
apporter les clefs de la salle, s’asseyait dessus et jurait qu'on 
ne sortirait pas avant d'en avoir passé par où il voulait: 
tantôt on faisait servir un repas à l'assemblée ou on lui 
signifiait qu'elle aurait le vivre comme le couvert, mais ne 
rentrerait chez elle qu'après capitulations. 

L'apparence même de discussion disparaissait souvent. 
Les âmes étaient si impétueuses, la Constitution offrait si peu 
de résistance aux novateurs qu’on brusquait fréquemment la 
fortune. Personne, pour ainsi dire, ne songeait à conquérir l'opi- 
nion par une polémique de plume. On rencontrerait beaucoup 
plus de pamphlets de circonstance dans la vieille France 
monarchique et féodale que dans Florence démocrate et 
républicaine. Entre Dante, qui compose à la sueur de son front 
son œuvre immortelle, et d'obscurs rimeurs qui lanceront 
quelques pièces politiques parmi des banalités sentimentales 
ou descriptives, Florence n’a pas un Rutebeuf, un Eustache 
Deschamps, un Alain Chartier, un Gringoire“. Le peu de factums 
politiques que l'Italie produit alors sont surtout des Lamen- 
lalions qui suivent les événements, loin de les avoir amenés. 
C'est sans doute en raison de cette demi-indifférence à 

r. Voir, entre autres, la scène décrite par Guichardin, p. 16: de sa Stor, fiorent. 

2. Scip. Ammirato, liv. XIII. 

3. G. Capponi, Stor. di Firenze, IV, chap.1; Cambi, 1, 136-139 ; Il, 133 ; II, 283. Ces 
abus n'étaient pas inconnus de la sage Venise; des dénonciations, sur lesquelles la loi 
ne permettait de voter que cinq fois, ce qui paraît déjà raisonnable, étaient remises 


vingt fois sur le tapis. 
g P 
4. Pétrarque, on le sait, n’entre pas dans les affaires intérieures de Florence, 





LE POLITICIEN À FLORENCE AU XIV° ET AU XV° SIÈCLE 137 
l'opinion publique qu'à l'heure où Florence produisait les 
plus grands écrivains de l'Italie, elle enfanta si peu de 
politiques marquants ; car, entre Giano Della Bella, qui est de 
la fin du xrm° siècle, d’une part, et Salvestro dei Medici. 
Michele di Lando, d'autre part, qui brillèrent un instant 
en 1378, où n'’aperçoit dans ses Conseils aucune figure un 
peu saillante; il faut attendre Rinaldo degli Albizzi et Côme 
l'Ancien pour trouver des hommes qui fixent longtemps le 
regard de l’histoire. Les Compagni et les Villani ont joué un 
rôle dans les affaires, mais qui le saurait s'ils n’avaient tenu 
une plume? Les progrès de l’artoraloire, pour lesquels d’ailleurs 
l'Italie, trop brillante improvisatrice, n’est pas spécialement 
douée, s’en retardaient d'autant. Comment l’aurait-on cultivé, 
alors que la première pensée d’un chef de parti, dès que 
surgissait une difficulté sérieuse, était de faire entrer furtive- 
ment dans son palais des paysans à lancer en armes sur la 
place, ou bien, s’il pouvait saisir un instant la majorité dans 
les Conseils, de faire occuper cette même place par des affiliés 
pour y jouer une comédie de plébiscite? Quelquefois même le 
parti dominant se faisait attribuer pour un certain temps le 
droit de {enir les bourses en main, c’est-à-dire de nommer aux 
offices, ou, du moins, le droit d’en réserver une partie pour 
des hommes plus sûrs encore que les autres, dont les noms 
avaient été mis à part dans le borsellino. Si le parti ennemi ne 
se laissait pas faire, la bataille se déchaïînait dans les rues et 
l'incendie s’y promenait. 

Une profession exercée avec tant de fureur était naturelle- 
ment pleine de périls pour ceux qui s’y livraient. 

Jusqu'en 1532, tant qu'un fonctionnaire était en exercice, 
du moins s’il remplissait les charges éminentes de Prieur, de 
membre des Collèges, il était inviolable, sauf pour crime 
d’État ou pour homicide; la première de ces deux restrictions 
inquiète; pourtant on y mettait généralement de la bonne foi, 
puisqu'on voit qu'en 1400 on attendit pour arrêter un 
gonfalonier de Compagnie qui conspirait, qu'il fût sorti de 
charge, et puisqu’à Sienne, lorsqu'en 1370 on décapite pour 
complot un capitaine du Peuple et un gonfalonier de Com- 





138 BULLEŸIN ITALIEN 


pagnie avant l'expiration de leurs pouvoirs, Orlando Malavolti 
s'écrie que ce fut «un horrible et pitoyable exemple »; ilest 
vrai que deux ans plus tard le titre de membre des Réfor- 
mateurs de Sienne valut seulement à un scélérat d’être déca- 
pité sur les fourches au lieu d’être pendu. 

Mais, pour commencer par les surprises anodines, il y avait 
de douces violences que la rudesse des mœurs sociales com- 
portait. Entre Prieurs, durant les deux mois de cohabitation, 
l’on se faisait des niches, souvent fort malpropres, d’après les 
conteurs; quelquefois on les combinait de façon à rendre 
la place intenable à un collègue dont on voulait se défaire. 
Il se peut que Giovanni di ser Bernardo Carcherelli, Prieur 
en 1414, sous le gonfalonier Canigiani, fût, comme le préten- 
daient ses collègues, un mauvais sujet sous le coup d’un 
arrêt de la Gabelle du sel; mais il ne leur appartenait pas de 
le chasser; un autre Seigneur, en 1438, ne pouvant s'entendre 
avec le reste de la Seigneurie, s’en alla un beau matin chez 
lui. En 1382, dit Gino Capponi, dans son Histoire de 
Florence, les citoyens à qui Parte Guelfa avait dû rendre les 
droits politiques dont elle les avait arbitrairement dépouillés, 
n’en étaient pas moins, quand ils arrivaient à la Seigneurie, 
tenus à l’écart des délibérations secrètes. 

Ce n'étaient là que des mortifications, et, quant à la chance 
de mourir dans une émeute comme Corso Donati, les plus 
obscurs Florentins la partageaient avec les hommes publics. 
Mais pour ceux-ci, même lorsque les inimitiés avaient bien 
voulu patienter, les dénonciations, reçues tout aussi réguliè- 
rement qu’à Venise, et les rumeurs populaires les guettaient. 
Battus sur la place publique ou défaits en rase campagne, 
ils couraient chance d'être décapités, pendus, brülés, 
tenaillés, roués ou propaginés, c’est-à-dire enterrés vifs-la tête 


1. Sur cette inviolabilité provisoire, voir Marco Foscari dans sa relation de 1527; 
Scip. Ammirato, liv. XXXI, à la date de 1532; Pietro Buoninsegni, p. 7960; Orl. Mala- 
volti, 2° partie, aux dates indiquées. 

2. Voir ces deux cas dans Cambi, 1, 189 et 214. — Je ne compte pas ici le cor- 
donnier Prieur, qui essaya en vain d'échapper, en quittant la place, aux conséquences 
de la faillite de son frère, ibid., p. 254. Je dois dire qu'à la page 257 de Gambi les 
noms des Prieurs évincés en 1414 et 1438 sont rapportés à la Seigneurie de mars: 
avril 1447. \ 





LE POLITICIEN A FLORENGE AU XIV EP AU V° SIÈCLE 139 


en bas. Le gouvernement ajoutait quelquefois l'insulte au 
supplice ; les Noirs choisirent, pour décapiter d'illustres Blancs, 
l’île d'Arno où l’on exécutait les malfaiteurs vulgaires. De son 
côté, la foule affluait à s’étouffer ; un chroniqueur menait son 
fils, âgé de huit ans, à une de ces fêtes, qui, dit-il, réunissait 
20.000 spectateurs; enfants, hommes faits, chefs de l’escorte 
funèbre enjoignaient, avec menaces aux bourreaux, de bien 
torturer les condamnés jusqu’à ce qu'ils poussassent des cris 
horribles: ; et, quand les tortionnaires ne prolongeaient pas 
le supplice par obéissance, ils le prolongeaient quelquefois 
par inexpérience, puisqu'on n'y employait pas toujours un 
homme du métier; avant 1398, on contraignait parfois des 
pèlerins à remplir l'office; puis, on y délégua, quand on 
n'avait pas mieux, certains prisonniers ?. 

Si le politicien vaincu ou disgracié échappait à la peine 
capitale, il passait par des prisons infectes où la charité des 
bonnes âmes n’arrivait pas toujours à le défendre contre la 
dureté, les caprices des geôliers. On a beaucoup écrit sur la 
question ; je me borne à dire que Romanin, qui soutient que 
les prisonniers étaient plus humainement traités à Venise 
qu'ailleurs, avoue que la puanteur des geôles placées sous le 
Palais Ducal montait jusqu’à l'escalier du Grand Conseil et que 
les puits étaient horribless. 

Plus souvent encore, c'était la relégation dans une ville 
donnée avec obligation d’y faire constater de temps en temps 
sa présence, ou l'exil avec liberté de choisir son séjour, mais 
avec confiscation des biens et promesse d’impunité ou de 
récompense pour le meurtrier du banni, l’exil d’où en général 
on ne revenait qu’à des conditions humiliantes. A la vérité, je 
ne crois pas que les exilés italiens de ce temps aient autant 
souffert que ceux du xix° siècle contre qui la Sainte Alliance 
prêtait presque partout main forte; l'estime pour le talent d'un 
réfugié ou le désir de déplaire à ses ennemis ménageait souvent 


1. Pietro Buoninsegni, p. 638, en décembre 1375 ; Sozomene, à la date du 22 décem- 
bre 1379; Tribaldo dei Rossi, Ricordanze, p. 288 du XXII!° volume des Deliz. degli 
erud. tosc., à la date de 1489. 

2. Addition de Scip. Ammirato le Jeune au XVI‘ livre de son oncle, année 
mentionnée. 

8. Op. cit., LI, 74; VL, 87. 





140 BULLETIN ITALIEN 


, 


au proscrit un accueil généreux. Lapo da Castiglionchio, exilé 
en 1378, devenait professeur de droit à Padoue, puis agent de 
Carlo della Pace, puis avocat consistorial et sénateur à Rome; 
Agnolo Pandolfini, dépouillé de ses biens, fut recueilli par 
Ferdinand de Naples qui lui donna 1.200 ducats par mois; 
Giannozzo Manetti ne fut guère moins libéralement traité par 
Calixte III et par Alphonse de Naples. On sait la fortune de 
Luigi Alamanni à la cour de France. Puis ces exilés apparte- 
naient en général à de grandes familles de négociants qui 
avaient des comptoirs partout. C’est ainsi qu’une branche des 
Strozzi, sur laquelle pourtant s’acharna le parti des Médicis, se 
refit assez vite, chez de bons parents, une fortune comme on 
n’en trouvait pas beaucoup à Florence même, au point que les 
Médicis, moins rancuniers, plus avisés que leurs partisans, se 
prêtaient aux avances qu'elle ne s’interdisait point:. Il n'en 
reste pas moins que le parti vainqueur surveillait l’exilé dans 
sa retraite, lui tendait des pièges, aggravait à plaisir sa situation. 
Toute l'humilité du monde, que dis-je? les plus grands services 
rendus jadis aux proscripteurs n’obtenaient pas à des vieillards 
la permission de revenir mourir dans leurs pénates; non seule- 
ment on ouvrait leur correspondance, mais leurs compatriotes 
jouaient gros jeu à les visiter, simplement même à leur 
répondre. Leurs fils vivaient à Florence comme des juifs ou 
des excommuniés que tous évitent, quand ils n'étaient pas 
obligés de prendre à leur tour, à douze ou quatorze ans, le 
chemin de l'étranger, tandis que les épouses, les veuves, 
traitées avec quelques égards personnels, n’en voyaient pas 
moins accablés d'impôts les biens qu'on leur laissait. 

En attendant qu’on fût frappé, on traversait d'assez fréquentes 
alarmes; à ouvrir un avis dans les Conseils on ne risquait pas 
seulement son crédit. Il y avait des propositions que, dans un 
moment de colère, on avait à tout jamais défendu d'émettre: 
malheur à qui s’avisait qu'elles étaient pourtant utiles! Encore 


1. Voir la correspondance d’Alessandra dei Bardi aux dates du 16 décembre 1450, 
h janvier et 20 septembre 1465. 

2. Voir en particulier les biographies de Palla di Noferi Strozzi et d’Agnolo Pan- 
dolfini dans Vespasiano da Bisticci et une scène curieuse des Mémoires de Benv. Cellini 
à l’année 1535. 





LE POLITICIEN À FLORENCE AU XIV° ET AU XV° SIÈCLE 141 


là était-on averti; mais Naldo Naldi rapporte le cas d'une loi 
rétrospective de finances qui entraîna l’exil et faillit entraîner 
la mort de celui qui l'avait rédigée. Nous avons vu qu'une 
prime récompensait dans certains cas la désignation d’un 
candidat; mais cette désignation, si l'élu ne la justifiait pas 
ultérieurement, pouvait être punie d'une amende de 1.000, de 
2.000 livres, En 1295, un certain Gheri Paganetti avait demandé 
qu'un capitaine du Peuple remboursât ses appointements 
depuis le jour où il n'avait pas prononcé une suffisante condam- 
nation contre un délinquant; que Dino Compagni fàtcondamné 
à 200 livres pour l'avoir souffert, à 200 livres pour n'avoir pas 
saccagé les biens du condamné -qui n’avait pas payé en temps 
. utile; à 200 livres pour n’avoir pas fait condamner un autre 
personnage dont la culpabilité était établie; à 200 livres pour 
n'avoir pas fait fermer les boutiques, comme le prescrivaient 
les Ordinarmenti di Giustlizia, jusqu’à la punition du coupable ; 
à 200 livres pour n'avoir pas mis sur pied les artefici en armes 
jusqu'à la dite punition ; à 200 livres pour n'avoir pas fait casser 
le podestat coupable d’indulgence ; total 1.200 livres:. Voilà 
bien du fracas: c’est à se demander si Paganetti parlait sérieu- 
sement, et on ne lui donna pas satisfaction. Toutefois les 
titulaires de charges un peu relevées étaient astreints à fournir 
des cautions non pas seulement pour leur probité, mais pour 
leur bonne gestion dans tous les sens. Or, ces garanties ne 
ressemblaient pas aux dédits qu’on stipule fort aisément dans 
le monde des théâtres parce que, souvent” fort de son insolva- 
bilité, l'artiste ne voit dans le chiffre qu’une attestation favora- 
ble : en mars 1391, un châtelain qui n’avait pas bien défendu 
sa citadelle fut décapité et ses cautions payèrent en outre 
2.000 florins ; la même chose était arrivée au temps de Matteo 
Villani?. Et je ne parle pas de la responsabilité particulière aux 
Grands dont un parent avait maltraité un bourgeois. Quiconque 
touchait de près ou de loin à un homme en place, c’est-à-dire 
tout ce qui n’était pas petit peuple, vivait toujours sous la possi- 
bilité d’une catastrophe. A plus forte raison, le fonctionnaire 

1. M. Isid. Del Lungo, op. cit., 1, pp. 159-160. 

2. Pietro Buoninsegni, p. 705; Matt. Villani, I, chap. 6 

| Bull. ital. 10 





1/42 BULLETIN ITALIEN 


lui-même était-il souvent contraint à des réparations pécuniaires 
que nos administrateurs ne connaissent pas. 

L'âpreté des mœurs les exposait à d’autres périls. Un châtelain 
n'avait pas seulement à redouter une attaque de l'ennemi; mais 
un soulèvement de la population, une révolte de ses merce- 
naires. Les ambassadeurs avaient fréquemment à traverser des 
pays infestés de brigands, désolés par la peste ; en novembre 
1408, au cours d’une mission à Naples, Jacopo Salviati eut à 
prendre part à un combat naval. Un diplomate arrive dans la 
ville où on l’envoie, le voilà sauvé, direz-vous. Non : comme ni 
lui ni les hommes politiques auxquels on l’adresse ne mesurent 
toujours leurs paroles, le droit des gens ne lui assure qu'une 
demi-protection. Sans Charles IV, des ambassadeurs florentins 
se seraient fait un mauvais parti à sa cour. Il suffisait d’ailleurs, 
pour exposer le diplomate, que l’objet de sa mission déplüt: le 
féroce Bernabù Visconti n’est pas le seul qui ait fait avaler à un 
ambassadeur son message en parchemin, sceau compris. 

Aussi, dans cette Florence qui paraît de loin si libre, s'obser- 
vait-on beaucoup. Il y avait des citoyens à qui l’on défendait 
d'entrer au Palais pour recommander leurs intérêts: ; il y en 
avait d’autres qui, craignant d’être chassés de la ville, n'osaient 
monter les degrés du Palais et faisaient présenter leurs suppli- 
ques par des tiers. C’est Vespasiano da Bisticci qui le dit dans 
sa biographie de Pandolfo Pandolfini; ailleurs il raconte 
comment Giannozz0 Manetti, exilé de Florence, puis sommé d'y 
comparaître, se risque à venir sur la foi d'une lettre que le 
pape lui a donnée, mais qu'il ne doit produire qu'en cas 
d'absolue nécessité, commentil insinue doucement aux hommes 
du jour qu'il borne ses désirs à la tranquillité dans l'exil; vous 
croiriez lire un interrogatoire d'émigré arrêté pendant qu'il 
traversait par mégarde un coin de la France, qui supplie qu'on 
le reconduise sain et sauf à la frontière. 

M. Del Lungo a, au reste, fait le compte de tout ce qu'on n'a 
pas osé publier à Florence au temps de la liberté ; il a fait voir 
que, si sous Côme I‘ les ouvrages d'histoire ne paraissent pas 


1. Voir M. Salvemini, Magnali e popolani dal 1280 al 1295, p. 212; Scip. Ammirato, 
Famiglie nobili fiorentine, p. 157. 





LE POLITICIEN A FLORENCE AU XIV° ET AU XV° SIÈCLE 14# 


du vivant de leurs auteurs, durant la période républicaine les 
écrivains qui appartenaient au parti guelfeet encore à la fraction 
Noire de ce parti osaient seuls laisser voir leurs chroniques ; 
que les hommes du parti vaincu réservaient leurs Mémoires 
à leur famille ou les cachaient à leurs enfants mêmes; que les 
personnages officiels aimaient mieux raconter les guerres que 
le gouvernement intérieur de la république. Je ne donnerai 
qu'un exemple de cette prudence : Bartolommeo del Corazza, 
tavernier bien posé, n'inscrit rien dans sa chronique à l’année 
1433 qui a vu l'exil de Côme l’Ancien, et à l’année 1434 ne 
mentionne: pas son rappel. Voilà un chroniqueur qui se 
compromettait peu! 

On exagérerait certes étrangement à dire que la terreur 
régnait à Florence parmi les hommes en place; mais c'est 
uniquement pour deux motifs : d’abord la gaîté, la mobilité 
naturelles aux Méridionaux, puis la foi profonde qui restait 
encore aussi vivace dans les classes supérieures que dans le 
peuple. La plupart de ces gens-là entendaient la messe tous 
les matins, et, parmi les plus passionnés, plus d’un a risqué sa 
vie pour aller prier sur le tombeau du Christ; ils oubliaient 
vite les périls passés et ne s’effrayaient pas trop des coups que 
pouvait leur réserver l’avenir, parce qu'ils croyaient que rien 
n’est perdu pour qui meurt en la grâce de Dieu. 

Mais cette réflexion ne doit pas seulement nous avertir 
qu'ils gardaient une sérénité relative dans les orages de la 
politique ; elle nous invite à rechercher si les politiciens de Flo- 
rence abusaient généralement des places qu’ils se disputaient 
avec acharnement. Cette nouvelle enquête ne leur sera pas trop 
défavorable. 


V 


Allons tout d’abord à l’article le plus délicat. Si les fonc- 
tionnaires de Florence n'ont en tête que le gain, ils exploi- 
teront sans pitié les villes sujettes. C’est précisément ce qu'ils 
ne paraissent pas avoir fait. 

D'abord, quelques mots sur la façon dont se conduisaient 





144 BULLETIN ITALIEN 


en général ces fonctionnaires étrangers que, sous les noms de 
podestats, de capitaines du Peuple, d’'Exécuteurs, les villes 
libres appelaient à la tête de leur administration, et exami- 
nons-les à Florence pour la double raison que c’est là qu'ils 
nous sont le mieux connus et que ce sont eux que les 
Florentins, qui allaient en Seigneurie, avaient eus sous les 
yeux. Sans doute quelques-uns nous sont dépeints comme des 
hommes qui s’enrichissaient à servir les haines d’an parti; 
mais d’abord prenons garde qu’au moyen âge l’opinion est tour 
à tour féroce et faible; quand elle n’insulte pas un condamné, 
elle s’apitoie volontiers sur lui; le mot « cruel » appliqué à des 
juges est alors tout simplement, on ne l’ignore pas, synonyme 
de justicier. Puis, en nombre de cas, nous voyons ces magis- 
trats étrangers, non pas servir les fureurs de la foule ou des 
gouvernements, mais leur tenir tête. Assurément, ils étaient 
aux gages de la cité qui les employait, mais une partie d'entre 
eux, nous l’avons dit, n’exerçaient la fonction qu'en attendant 
l'heure de jouer un grand rôle dans leur propre ville:. 
Beaucoup d’autres, au contraire, vouaient leur existence au 
service de villes étrangères, mais ils n’y arrivaient pas toujours 
en candidats exaucés ; beaucoup n'avaient point obtenu, mais 
accepté leur mandat. À Florence, les autorités compétentes 
élisaient par précaution quatre sujets auxquels on offrait 
successivement la place?, et dans les manuels à l’usage des 
fonctionnaires on trouve des formules pour la proposer, 
l’accepter ou la refuser. Ces fonctionnaires étaient donc vis-à- 
vis de leurs commettants, non sur le pied de créatures, mais 
sur celui d'hommes qu'on a été heureux de rencontrer. Leur 
ton s’en ressentait; les manuels précités leur prêtent un 
langage assez cassant; on les y fait engager l’administré à 
marcher droit vu qu’ils ne sont pas gens à se laisser mettre en 
affront3. En réalité, leur conduite répondait à ce langage. 
Podestats, capitaines du Peuple, Exécuteurs, perdus pour 


1. Outre les exemples cités plus haut, voir sur Vanni di Michele Castellani une 
note de M. Novati, à la page 216 du II* volume de la correspondance de Salutati. 

2. Voir le morceau plusieurs fois cité que G. Capponi a repris dans les Delizie.…. 

3. Oculus pastoralis sive libellus erudiens futurum rectorem populorum, écrit anonyme 
de 1222, au IV* volume des Antiquitates italicae medii aevi de Muratori. — On lira des 





LE POLITICIEN À FLORENCE AU XIV° ET AU XV° SIÈCLE 145 


ainsi dire avec leur petite escorte dans des cités de 50.000 ou 
100.000 habitants, maintenaient leurs arrêts en face des 
menaces de la Seigneurie ou de la multitude. En janvier 1324 
(v. st.), l'Exécuteur a condamné, à tort ou à raison, Bern. Bor- 
doni ; pour sauver celui-ci, les Prieurs l’envoient en ambassade, 
et le frère du condamné, accompagné des massiers de la 
Seigneurie, va signifier à l'Exécuteur que Bordoni est absent 
pour le service de l’État, et qu’on ait à surseoir; les gens de 
la Seigneurie et ceux de l’Exécuteur en viennent aux mains; 
mais l'Exécuteur tient bon et condamne en outre à de grosses 
amendes le frère de Bernardo et plusieurs des Prieurs:. A la 
suite de cette affaire, Florence décida que dorénavant la 
Seigneurie aurait le droit de casser le podestat, le capitaine du 
Peuple et l'Exécuteur; c'était, comme nous dirions, supprimer 
l’inamovibilité de la magistrature. Florence n’en trouva pas 
l’'échine de ses magistrats étrangers beaucoup plus souple. 
En 1352 (v. st.), le podestat condamne un autre Bordoni fort 
bien apparenté; la famille, les Prieurs, les Collèges veulent 
entraver l'exécution de la sentence; le podestat rend sa baguette, 
insigne des fonctions qu'on ne le laisse pas exercer, et s’en va 
à Sienne, d’où un tumulte populaire oblige à le faire revenir 
avec-2.000 florins d’or d’indemnité qui ne l’empêchent point 
de faire tomber Ja tête de son condamné?. En 1379, le capi- 
taine du Peuple se trouve fort embarrassé, non pas simplement 
parce que la Seigneurie lui a commandé d’abord de trouver 
innocents, ensuite de trouver coupables quelques hommes 
accusés de complot, mais parce que réellement il ne démêle 
pas s’ils sont innocents ou coupables; il se produit une 
panique favorable à l’évasion des prisonniers ; seul il ne perd 
“pas la tête et décapite deux des accusés qui ont avoué; pour 
les autres, malgré les cris du peuple qui l’assiège dans son 
palais, il déclare qu'il ne les exécutera que s’il acquiert la 
modèles pour lettres d'offres de podesteries au chap. 13 du Liber de regimine civi- 
tatum par Giovanni de Viterbe, publié par M. Salvemini au III° volume de la Bibliotheca 
juridica medii aevi de M. Gaudenzi, Bologne, 1go1. 

1. Leon. Bruni, Hist. fiorent., V' liv. p. 95, t’; G. Villani, IX, chap. 283; March. 
di Coppo Stefani, liv. VI, rubr. 382; Pietro Buoninsegni, à la date indiquée. 


2. Matt. Villani, IE, chap. 55; Pietro Buoninsegni et March. di Coppo Stefani, 
à la date indiquée. 





146 BULLETIN ITALIEN 


preuve de leur culpabilité; alors, scène étrange, les parents des 
accusés les supplient de se laisser frapper pour ne pas jeter 
Florence dans un cataclysme, et les accusés demandent au 
capitaine ce qu'ils doivent avouer : « Cela vous regarde, » 
répond-il, «je n’ai rien à vous dire; si vous vous sentez cou- 
pables, avouez, je ferai justice; pour moi, je ne crains rien. » Il 
finit par les exécuter, mais sur leur aveu. Les gens du podestat, 
on l’a vu tout à l'heure, n'avaient pas plus peur que leur 
chef; en 1393, un gonfalonier de Compagnie les prie de 
relâcher bénévolement un prisonnier; naturellement ils 
refusent; le gonfalonier, bon politicien, crie : « C’est une insulte 
aux guelfes ! » phrase magique qui a tout de suite de l'écho; un 


chef de milices campagnardes crie : « Vivent Guelfes! »; mais 


leur parti paie à quelques jours de là cette manière trop com- 
mode de provoquer un élargissement?. On en trouverait autant 
dans d’autres villes italiennes : en 1300, le podestat de Pistoja se 
démit parce qu’on lui refusait satisfaction pour la dispersion 
de ses fantassins et la mort de son meilleur cavalier; om 
reconnut le bien fondé de sa plainte puisqu'on lui paya ses 
appointements comme s’il avait fourni le temps convenu. 
En 1314, le peuple, à Sienne, arrache à la mort cinq malheu- 
reux qu’une loi barbare y condamne; il n’a pas tort, mais 
le podestat qui n’avait pas fait cette loi et qui était là pour 
l'appliquer, réussit à reprendre un de ces hommes, le décapite 
et jette la tête et le tronc aux mutins; le jour du sindacato, il 
fut acquitté; car véritablement ce n'était pas lui qu'il aurait 
fallu condamner. À Pise, en 1376, les prières des Anciens et 
un soulèvement obtiennent de l'Exécuteur non pas l’impu- 
nité, mais un adoucissement fort léger de peine pour un 
délinquant. 

Tant d'exemples de loyale énergie devaient faire impression 
sur les Florentins qui allaient exercer des fonctions analogues 
à quelques lieues de là. Fallait-il beaucoup plus de probité 


1. March. di Coppo Stefani, liv. X, rubr, 845. En 1345, Giov, di Jacopo Martelli, 
signale un conflit analogue, mais n’en indique pas l'issue. 

2, Page 140-141 du XVIII" volume des Delizie….. 

3. Sur ces trois faits, voir /storie pistolesi, p. 15; chron. d’Andrea Dei, à la date de 
1314, au XV° volume de Muratori : chron. de Marangone, col. 754-579, 





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LE POLITICIEN À FLORENCE AU -XIV° ET AU XV° SIÈCLE 147 


pour ne pas abuser de son pouvoir dans une ville sujette que 
pour en user rigoureusement dans une ville libre contre 
le caprice des chefs de l’État? Tout d’abord, je constate que 
Florence avait édicté un certain nombre d'ordonnances qui 
visaient la protection de ses sujets : discours périodiques, 
sous le nom de Proteste, des gonfaloniers de Compagnie pour 
rappeler tous les magistrats, y compris ceux du dehors, au 
devoir de rendre une exacte justice; serments prêtés par les 
fonctionnaires, cautions fournies par eux; ordre de rapporter, 
à la fin de leur office, un registre où ils auraient résumé toutes 
les causes qu'ils auraient jugées; limitation de la durée des 
procès ; défense de passer la nuit hors du ressort: ; interdiction 
de faire du commerce directement ou indirectement?. Ces 
règlements, il est vrai, se retrouvent chez tous les peuples, 
même chez ceux qui ont le plus pillé leurs sujets. Cependant 
je vois que Florence entre dans le détail, qu’elle prend des 
précautions minutieuses dont ne s’aviseraient pas, j'imagine, 
des hommes indifférents, au fond, aux droits de leurs vassaux ; 
à Montepulciano, les actes devront tous être rédigés par les 
notaires du pays et à leur profit, disposition qui ne devait 
certainement pas agréer aux notaires qu'’amenaient avec eux 
les magistrats florentins puisque l’honnête Salutati, qui l'avait 
rencontrée à Todi, soupirait après Viterbe où on ne lui ferait 
plus un crime du gain de sa plume. Florence paraît avoir aussi 
cherché à assurer le contrôle de ses fonctionnaires par des 
tournées d'inspection, par des {amburi ouverts aux dénoncia- 
tions secrètes des habitants (moyen peu recommandable, mais 
certainement bien intentionné), par une double reddition de 
comptes, la première dans la ville administrée, la seconde au 
siège du gouvernement#. 

Certes, bien des prévaricateurs ont bravé ces mesures, 


1. Annotation de Scipione Ammirato le Jeune au livre X VIII de son oncle, pour 
les années 1422 et 1423. 

2. Voir par exemple, pour le podestat de Castiglione Fiorentino, arrêté du 
10 décembre 1384, p. 57 des Capitoli di Firenze. 

3. L'arrêté florentin précité est du 11 avril 13go, ibid. ; pour Salutati, voir les 
lettres 15, 16, 17 du 1” volume de l'édition Novati. 

h. Voir au [* volume des Capitoli di Firenze, les arrêtés des 14-15 février 1352 
relatifs à S. Gemignano, du 4 janvier 1385 touchant Arezzo; et au |" volume des 





I AS BULLETIN ITALIEN 


éludé ces sanctions, mais moins qu'on n’eût pu le craindre; 
car l'opinion publique tenait certainement plus de compte à 
Florence que dans la Rome antique de l'équité due aux 
vassaux. Le christianisme y est pour beaucoup; mais la 
fraternité du sang y est pour quelque chose; on se détestait 
fort entre villes italiennes, quand on ne s’aimait pas; c'est 
ce qui arrive toujours entre parents; mais, quand on ne se 
détestait pas, on s’aimait. Les villes toscanes, en particulier, 
se sont fait une guerre sanglante ou perfide, mais souvent 
elles intervenaient dans les affaires les unes des autres pour 
s’entr'aider. C’est afin de le démontrer que nous insistions tout 
à l'heure sur les efforts que souvent une d’entre elles faisait 
pour ne pas abuser des circonstances qui en mettaient une 
autre à sa discrétion. Pise, comme Florence, a plus d’une fois 
envoyé des magistrats chevaucher à travers son domaine pour 
redresser les torts des fonctionnaires. Les biographes 
appuient particulièrement sur le désintéressement, l'équité 
des administrateurs que Florence envoie au dehors, et leurs 
louanges persuadent parce qu'elles visent des faits précis. 
Giannozzo Manetti, disent-ils, membre d’une Commission 
chargée d’imposer les sujets de sa patrie, décida ses.collègues 
à procéder avec tant de justice que les contribuables, tout en 
payant à contre-cœur, n’émirent pas une plainte; vicaire à 
Pescia, il refusa la provision de bois préparée pour lui sur 
la place. Bartolommeo di Fortini, à Borgo $S. Sepolcro, se fit 
donner la liste des habitants, les convoqua un à un et tâcha de 
déterminer ceux qui n'avaient pas de profession à en prendre 
une pour éviter les conséquences de l’oisiveté. Donato Acciajuoli 
restitua par testament aux communes qu'il avait administrées 
la partie d’appointements qu’il avait indûment touchée pour 
certains auxiliaires qui n'avaient figuré que sur le papier?. 

Il ne faudrait pas peut-être attacher trop d'importance aux 


Documenti degli archivi toscani, un arrêté du 30 décembre 1398 concernant la même 
ville, — Un arrêté des 21, 30 et 31 mai 1392, prenant en considération l’appauvrisse- 
ment de la commune de Foiano, réduisit de 200 florins d’or à 120 les appointements 
qu’elle donnait à son podestat (page 428 du 1° volume des Capitoli di Firenze). 

1. Par exemple, en 1353, colonne 715 de Marangone. 

2. Voir la vie latine de Manetti, par Naldo Naldi au XX' volume de Muratohi 
celles du même, de Fortini et de Donato Acciajuoli, par Vespasiano da Bisticci, 





LE POLITICIEN À FLORENCE AU XIV® ET AU XV° SIÈCLE 149 


_ politesses des villes à l'endroit de leurs administrateurs ; elles 
consentaient à tenir leurs enfants sur les fonts, elles leur 
offraient à cette occasion des cadeaux, quelquefois considé- 
rables; ils recevaient souvent leurs armoiries en prenant 
congé d'elles; mais ces gracieusetés, que Florence, au reste, 
ne permettait pas toujours, pourraient avoir été sollicitées. 
Par contre, il est manifeste que les Florentins qui ont passé 
par les charges du dehors tiennent à établir, quand ils 
racontent leur vie à leurs familles, non pas qu’ils ont soutenu 
avec vigueur les droits de la cité dominante, mais qu'ils ont 
ménagé et au besoin défendu contre elle ceux des cités 
vassales. Bonaccorso Pitti nous dit qu'il s’était opposé, en 1399, 
par ses paroles et par ses actes, à ce que Florence envoyäât un 
podestat à Pistoja; qu'il avait affirmé que c'était enfreindre 
ses privilèges; Florence ayant passé outre, il fut envoyé à 
Pistoja comme capitaine; mais, le jour où Florence le somma 
de lui livrer un voleur qu'il avait arrêté, il refusa au nom 
des franchises de la ville et, menacé d’exil, ne céda qu'avec 
le consentement de Pistoja qu'il avait consultée; podestat de 
Montepulciano en 1419, il condamna un Siennois pour expor- 
tation illicite de grains; le Siennoiïs intéressa à sa cause ses 
compatriotes et les Ricasoli, ennemis personnels de Pitti; à leur 
instigation, Florence ordonna Île retrait de la sentence; Pitti 
résista, fit envoyer par les gens de Montepulciano des 
ambassadeurs à Florence, leur conseilla de réclamer de la 
Seigneurie la convocation des Collèges: Florence refusa, mais 
il fallut la menace d’une amende de 1.000 florins d’or pour 
décider Pitti à céder. En 1409, Jacopo Salviati, capitaine 
d’Arezzo, fit, sur un complot, une enquête que Florence 
_trouva trop indulgente, et lui, de son côté, il déclare qu’elle 
condamna à la décapitation un acéusé fort peu coupable et 
relaxa des personnages plus dangereux. Rinaldo degli Albizzi, 
podestat à Prato, s'entend dire par un voiturier détenu pour 
dettes : « Je paierais bien mes créanciers si l’on me payait mes 
_ propres créances ; mais j'ai affaire à un homme de telle consé- 
quence que les petits ne peuvent pas m'aider contre lui, et 
les grands ne veulent point; vous ne voudriez pas vous- 


190 BULLETIN ITALIEN 


même, si vous saviez qui c’est. » C'était le père de Rinaldo, le 
puissant Maso. Aussitôt, Rinaldo fait saisir et vendre les mules 
de son père et paie le voiturier:. 

Quand un calcul d’ambition intelligente se serait mêlé à 
tous ces actes de vigueur comme à la protection que Côme 
l'Ancien accordait à Volterra, les villes n’en profitaient pas 
moins. Mais il restait assez de vertus civiques pour qu'on 
n’attribue pas tout à une arrière-pensée. Florence, pour son 
malheur, avait renoncé aux armées nationales, mais les 
hommes publics qu’elle envoyait aux armées en qualité de 
commissaires pour surveiller les condottieri, se trouvaient, du 
jour au lendemain, comme nos Représentants de 93, posséder 
la bravoure du soldat. Le fameux Ferruccio qui, en 1530, 
illustrera la chute de la république florentine, avait reçu 
l'éducation militaire, mais combien d’autres allaient direc- 
tement du palais de la Seigneurie aux armées! Veri Guadagni;, 
dans des opérations militaires près d’Arezzo, fait vaillamment, 
efficacement son devoir et tombe mortellement blessé; un 
Frescobaldi, prisonnier, meurt dans les tourments plutôt 
que de révéler les secrets de l’État; le célèbre Pier Capponi, 
celui que Charles VIIT n’avait pas intimidé, mourut à 
l'ennemi”. En 1484, au siège de Pietrasanta, le commissaire 
Antonio Pucci dit au condottiere qui hésitait : « Donnez-moi 
votre cuirasse; j'irai combattre à votre place. » Le capitaine se 
décide à marcher; après la victoire, Pucci va visiter, embrasser 
les blessés, provoque et satisfait les demandes d'argent, si bien 
que les soldats se seraient jetés au feu pour le Marzocco; trois 
semaines après, il meurt d’épuisement; un de ses collègues 
succombe aussi et un autre n'en vaut guère mieux. Un peu 
plus tard, Biagio del Melano, ne pouvant sauver un château 
dont il avait la garde, jette par-dessus les murs les objets 
moelleux qu’il peut rassembler, laisse tomber dessus ses 
enfants, dont l'ennemi a pitié, et se laisse brûler pour ne pas 


1. Scip. Ammirato, Delle famiglie nobili fivrentine, p. 36. 

2. Scip. Ammirato, Stor. fior., liv. XIX, années 1426, 1428; XX VII, année 1496 : 
chron. de Giov.di Jac. Morelli au XIX‘ volume des Pelizie, à la date du { janvier 1 4a7s 
Landucci, 26 septembre 1496. 

3. Cambi, Il, p. 25-27. 








LE POLITICIEN A FLORENCE AU XIV° ET AU XV° SIÈCLE 11 


se rendre. Quant à Rinaldo degli Albizzi, il suffit de connaître 
son rôle et son langage d'homme d’État pour deviner qu’il se 
battait comme un troupier de profession. Remarquez que ces 
hommes ne font pas seulement bonne contenance devant 
des périls inaccoutumés, ce qui est déjà fort beau; ce sont des 
entraîneurs ; et qu'on ne dise pas que l’habitude de la parole 
devait les y servir! La pratique de la tribune prépare mal à se 
faire suivre au feu : ici, c'est le caractère qui fait tout. Certains 
commissaires ou châtelains de Florence n’ont pas su s’impro- 
viser militaires, mais ils en rougissaient; d’eux d’entre eux, 
après avoir rendu beaucoup trop tôt une forteresse, n’osèrent 
pas rentrer dans leur patrie, et l’un d'eux, dit-on, se noya 
de désespoir :. 

L'indélicatesse de quelques comptables n’empêchait pas le 
Trésor de veiller sur l'argent de l'État. On créait de temps en 
temps des places inutiles; mais on n’augmentait guère les 
traitements. On épluchait soigneusement les comptes. Nous 
avons vu qu'on fixait souvent à l'ambassadeur le nombre de 
jours qu'il devait employer à sa mission : ce n’était pas là une 
manière de parler; il devait jurer qu'il était parti à telle date, 
revenu à telle date; s’il demeurait en mission au delà du 
terme fixé, c'était à ses frais, à moins qu’il n’eût obtenu 
l'agrément de la Seigneurie; cet agrément, il fallait le demander 
d'avance, et la Seigneurie ne l’accordait que difficilement, et 
seulement si elle était bien convaincue que l'intérêt de l'État 
l’exigeait; autrement, tout ce que les diplomates obtenaient, 
c'était l'autorisation de retarder le retour suivant leur conve- 
nance, mais sans que les honoraires s’en accrussent d’un 
denier?. Au contraire, avaient-ils expédié leur tâche plus vite 
qu’on n'avait supposé, ils n’en étaient que mieux venus, mais 
on leur faisait rembourser le traitement afférent aux jours 
qu'ils n'avaient point passés au dehors. Si, dans la contrée où 
on les envoyait, une cherté imprévue les avait obligés à 
dépenser plus que leurs honoraires, tant pis pour eux! Gian- 
nozz0 Manetti eut beau représenter à Côme l'Ancien qu'il avait 


1. Scip. Ammirato, Liv. XX VIE, à la date de 1502. 
2, P. 306 du [°° volume des Commissioni di R. degli Albizzi, 





152 BULLETIN ITALIEN 


pour ce motif laissé beaucoup du sien dans une mission à 
Rome; on ne lui concéda aucun supplément. — Mais il 
s'agissait là d’un homme qu'on se préparait à persécuter. — 
Réponse : les comptes des personnages les plus en crédit subis- 
saient un examen rigoureux. Témoin, Rinaldo degli Albizzi, à 
l'époque où sa maison gouvernait Florence, où lui-même 
il était chargé, à chaque instant, des affaires les plus délicates. 
Les 2 et 8 novembre 1421, il sollicite du gouvernement, pour 
lui et ses collègues d’ambassade, qu’on prolonge le terme de 
soixante jours qui leur avait été assigné et dont ils prévoyaient 
l'insuffisance; le gouvernement répond ne pas comprendre 
comment ils ne sont pas encore à Naples, but de leur voyage, 
alors que, de leur propre aveu, d’autres voyageurs s’y sont 
rendus en ce moment même avec sécurité; il leur enjoint de se 
mettre en route sur-le-champ, vu que le délai ne sera pas 
prolongé. Ce n’est qu’à force d'insistance, et quand Rinaldo 
a dit: « Rappelez-nous ou payez-nous..., notre bourse n'en 
peut plus, » que le gouvernement décide qu’il paiera le mois de 
décembre, au cours duquel venait d’expirer le délai primitifs. 
On ne se contentait pas du serment rappelé tout à l'heure; on 
surveillait le départ effectif des ambassadeurs et celui de Rinaldo 
comme des autres. En 1426, on le désigna pour une mission à 
Venise et en Hongrie; il était souffrant et hésitait à partir ; il s’y 
décida pourtant, mais on ne lui délivra pas ses papiers, pour 
le jour fixé; néanmoins, afin d'éviter la lourde amende qu'il 
aurait encourue, il fit soigneusement constater que ce n'était 
pas sa faute s’il ne partait pas ponctuellement; l’année précé- 
dente, où, pour une ambassade à Rome, l'argent et les papiers 
n'avaient pas non plus été prêts à temps, mais où proba- 
blement il se portait mieux, il avait par précaution joué une 
vraie comédie; il était parti ostensiblement, l'avait fait constater 
par un notaire, était rentré par une autre porte et s'élait caché 
pendant trois jours pour laisser aux autorités le temps de s'aper- 
cevoir de leur distraction qui innocentait sa fausse sortie?. Tout 
comme un autre, il était astreint aux remboursements; en 


1. Lettre du 19 décembre 1421, dans les Commissioni di R. degli Albizzi. 
2. 1bid,, à la date du 4 octobre 1426, et p. 554-555 du IIe volume, 





LE POLITICIEN À FLORENCE AU XIV° ET AU XV° SIÈCLE 153 


1422, n'étant resté en roule que vingt-deux jours, il reversa 
au Trésor les honoraires de trois jours qu'il avait touchés en 
plus; en mai 1423, n'ayant employé à un autre voyage que 
sept jours au lieu de huit, il remboursa les honoraires du jour 
économisé. Quand la Seigneurie, en mars 1403, lui avait 
confié une mission à l'insu des Dix de Balie, qu’elle eût dû 
prévenir, les Dix, piqués, avaient refusé d’ordonnancer la 
dépense, et Rinaldo n’était pas rentré dans ses débours. 

Nous avons vu que les Seigneurs invitaient trop de monde 
à dîner; il n’en faudrait pas conclure que leurs dépenses 
quotidiennes de bouche fussent considérables; car le registre 
en était minutieusement tenu, ce qui ne va guère avec la 
prodigalité ; à la fin du xiv° siècle et au début du xv°, ils man- 
geaient les jours ordinaires peu de poisson de mer, beaucoup 
plus de veau que de bœuf (le bœuf encore aujourd'hui est 
beaucoup moins commun en Italie que le veau); on achetail 
pour eux le vin en détail et par petites quantités; ils s’éclai- 
raient avec des chandelles, réservant la bougie pour leur cha- 
pelle, et mangeaient dans des assiettes de bois; leur argenterie, 
qui servait aux jours de réception, se composait de 2/4 assiettes. 
ko cuillères, 43 fourchettes; ajoutez 12 couteaux à manche 
d'argent, de sorte que, dans les grands jours, il fallait 
emprunter de la vaisselle, du linge et de la batterie de 
cuisine:. 

Cette comptabilité rigoureuse où d’aucuns trouveraient une 
pointe de ladrerie et qui mérite pourtant le respect, fait penser 
au gouvernement de Louis-Philippe ; des deux parts, le Trésor 
est administré par la classe qui a le plus contribué à le 
remplir, et par des négociants, donc par des hommes qui 
veulent et savent faire les choses au plus juste prix. Mais cette 
régularité financière qui, sauf des cas précis et qu'ont multi- 
pliés les inimitiés politiques, ne fait pas acception de per- 
sonnes, s'explique aussi par l'esprit républicain qui, à Florence, 
ne périra que sous les ruines du siège de 1529-1530. Malgré les 
fréquents recours à la violence, un certain respect de la léga- 


1. Voir M. Curzio Mazzi, La mensa dei Priori di Firenze nel secolo X1V, au XX*° volume 
de la 5° série de l’Arch. stor. ital. 





19/4 BULLETIN FTALIES 


lité subsistait; pour faire triompher sa volonté par la force, il 
fallait avoir pour soi la Seigneurie et moins encore se risquer 
à la contraindre qu'’attendre le moment où le sort, plus ou 
moins aidé, la composerait d’hommes favorables au coup de 
main projeté; pour se faire suivre de la foule, il fallait un 
gonfalon officiel. Au fond, Florence avait déjà pris l'habitude 
d’'obéir, mais plutôt à un parti qu'à un homme. Les Albizzi, 
les Médicis faisaient ce qu'ils voulaient, mais en tant que 
c'était aussi la volonté de leur parti; leurs désirs propres ne 
prévalaient pas toujours. Ils ne tiraient pas d’exil qui bon leur 
semblait. Un Strozzi écrit à sa mère que les Médicis le rap- 
pelleraient volontiers, lui et ses frères, mais qu'un des Huit 
s’est écrié : «J'ai contribué à les faire chasser de Florence 
et je ne veux pas contribuer à les y ramener, » ce qui a 
empêché les Médicis de provoquer un vote:. Dira-t-on que les 
Médicis avaient inspiré cette résistance? Ce pourrait bien être 
une calomnie; car on ne votait pas toujours sur mot d'ordre. 
Au moment où Giannozzo Manetti essuyait les traitements les 
plus pénibles de la part du gouvernement, il fut élu des Dix 
de Balie à la presque unanimité; des mesures qui déplaisaient 
aux Médicis, comme le cadastre de 1458, passaient néanmoins ; 
on leur accordait souvent de nommer aux fonctions, mais 
plus d’une fois, sous Côme l'Ancien, sous son fils Pietro, 
l'opinion obligea à en revenir au tirage au sort. — Vaine 
apparence, dira-t-on; tout le monde savait qui le sort dési- 
gnerait puisque l’urne la plus sûre du monde ne peut rendre 
que ce qu'on lui a confié. — Il y eut, en effet, des super- 
cheries; mais il faut bien admettre que le public croyait au 
libre jeu du hasard puisqu'il pariait sur les élections et qu'il 
s’ensuivait des procès qu'une loi du 11 décembre 1563 assigna 
à la compétence des Huit?. — Bon, répliquera-t-on, ce n’était 
pas le secret de Polichinelle, mais dans le monde politique on 


1. Lettre de Lorenzo Strozzi, du 5 février 1464, dans la correspondance d’Alessandra 


dei Bardi, 

2, Voir Manni, Sigilli, page 133 du XXIV* volume, cité page 237, note 2, du 
VII‘ volume du Giornale degli archivi toscani. — A Venise, en 1612, il se tenait de 
semblables paris chez l'ambassadeur d’Espagne, au sujet des élections faites dans le 
Grand Conseil; l'ambassadeur avait mème autorisé une banque à cet effet (Romanin, 
op. cil., VI, p, 105-106), 








LE POLITICIEN A FLORENCE AU XEV° ET AU %V° SIÈCLE 159 


était au courant. — Parfois oui, mais parfois non, puisqu'en 
1465 Alessandra dei Bardi, à qui sa disgrâce n'avait pas Ôté 
ses relations et qui surveillait toutes les oscillations de la poli- 
tique, annonçait le tirage des Prieurs, en personne qui n'avait 
rien su paf avance!. Bien mieux, le 6 novembre 1426, Rinaldo 
degli Albizzi, bien placé, on l’avouera, pour tout savoir, 
demande qui le sort vient de désigner pour la Seigneurie, et, 
le même mois, Niccolù da Uzzano, autre fort grand person- 
nage, lui écrit espérer que les nouveaux Seigneurs serviront 
bien la commune, à quoi Rinaldo répond le 9 qu'il en est 
heureux’. Dans des lettres confidentielles, ce n'est pas là le 
langage d'hommes qui mettent la main dans l’urne à coup sûr. 

L'esprit républicain était lui-même soutenu par quelques 
vertus républicaines. Le Florentin, même dans les hautes 
classes, demeurait d'ordinaire frugal. Les femmes riches s’ha- 
billaient depuis longtemps avec luxe, mais on ne déployait 
guère de faste que dans les grandes circonstances. . Les 
palais proprement dits ne s’élevèrent qu’au milieu du 
xv° siècle; jusque-là les grandes familles ne s'étaient bâti 
que des forteresses, et Côme l'Ancien qui le premier s'en 
construisit un y rencontra de la difficulté. Les jeux de hasard 
étaient surtout le fait des oisifs. Beaucoup de grands person- 


‘mages pratiquaient le concubinage et même pis, mais ils 


cachaient plutôt qu'ils n'étalaient leurs désordres. Avant 
Laurent le Magnifique, la galanterie des poètes demeurait 
platonique; les femmes de condition, sous leurs atours, 
restaient pures, même simples et naïves; leurs maris ne 
péchaient guère qu'avec des femmes du peuple ou des esclaves 
dont le nombre était encore considérable en Italie. Le titre de 
maîtresse d'un grand personnage ne sera révendiqué que plus 
tard. Un curieux témoignage montre le souci qu'avait l’opi- 
nion publique d’être respectée. Outre ses périls, la vie d’un 
podestat n'était pas gaie; on lui interdisait d'amener sa femme 
et ses enfants, on lui conseillait de ne pas dîner chez les parti- 
culiers, de ne pas emmener ses employés dans ses prome- 


1. Page 538 de sa correspondance, 
2, Commissioni di R. degli Albizzi, aux dates indiquées. 





156 BULLETIN ITALIEN 


nades, et on lui interdisait les distractions de l’inconduite:; 
seulement un poète laissait échapper en latin que le grave 
personnage pourrait se consoler sans bruit’; la décence ne 
voulait pas être bravée. Ce poète écrivait en 1222, mais jusqu’à 
une époque fort tardive, la pudeur publique ne fut offensée 
à Florence qu'en paroles. On dit que vers 1510, c’est-à-dire à 
une époque de son existence qui correspond à notre Directoire 
et où l’on était encore républicain quoique déjà épris de jouis- 
sances, on n’arrivait à rien que par les courtisanes: cela se 
peut, mais ces courtisanes, à la différence de celles qui allaient 
fleurir à Venise et à Rome, n'ont laissé aucun nom dans 
l’histoire. Nous avons déjà noté que les politiciens ne possé- 
daient pas une imagination très fertile; le machiavélisme 
même était alors assez candide en Italie; qu'il s’agît de politique 
étrangère ou de politique intérieure, les pièges étaient bien 
simples : on conviait un citoyen à venir conférer au Palais, on 
invitait un châtelain à dîner; s'ils acceptaient, on arrêtait 
l’un, on assassinait l’autre, et c'était tout; le premier venu 
pourrait se hausser jusque-là. 

À plus forte raison, le gros des Florentins, sous ses ran- 
cunes et ses convoitises, gardait-il quelque chose de candide. 
Angelico de Fiesole est beaucoup moins étranger dans son pays 
qu'on ne pourrait le croire; j'oserais presque dire qu'il y est. 
moins étranger que Boccace, du moins que le Boccace du Déca- 
méron, enivré de jeunesse et tout frais émoulu de Naples; car 
le Boccace ami de Pétrarque et auteur du De casibus virorum 
illustrium, est bel et bien un Florentin. Il ne faut pas certes juger 
exclusivement la ville par ses chroniqueurs, qui se composent 
quelquefois un peu pour écrire: Giovanni Villani a trempé dans 
certaines actions que, la plume à la main, il réprouve. Toutefois, 
dans l’ensemble, leur gravité, leur patriotisme sont sincères., 
On en trouve la preuve jusque dans leur discrétion. Assuré- 
ment, nous l'avons dit, cette discrétion s'explique en partie 


. Chapitres 74 et 795 du traité précité de Giovanni de Viterbe. 

. Voir, dans le De regimine et sapientia Potestatis d'Orfino de Lodi (publié par 
M. PES Ceruti, VII‘ volume des Miscellanea di storia italiana de la Députation d’his= 
toire nationale pour le Piémont), le curieux passage qui commence par Gaudia saepe 
tuis poteris subjungere curis. 





à sb à nains uénét\ dés Hits 


PEN AT NS DE Re M TE A EE m9 


LE POLITICIEN A FLORENCE AU XIV° ET AU XV° SIÈCLE 197 


par la crainte de déplaire au parti dominant; mais, parmi les 
scandales advenus, certains étaient à la charge des vaincus : on 
ne leur aurait pas su mauvais gré de les divulguer; or, ç’a été 
une des difficultés, une des surprises instructives de ma tâche 
que de les voir toujours très brefs en pareille matière ; souvent 
ils suppriment les noms, et, ce qui me gênait beaucoup plus, 
ils abrègent les détails; ils gémissent dans ces occurrences 
plus qu'ils ne racontent. Pour des auteurs qui écrivent au jour 
le jour, quelle différence avec la presse moderne! Les époques 
où le scandale scandalise au lieu d’affriander ne sont pas des 
époques foncièrement scandaleuses. Au surplus, la génération 
qui a pendant quatre ans obéi à Savonarole et qui a, trente ans 
plus tard, tenu tête onze mois à un pape et à un empereur, 
ne pouvait avoir uniquement pour chefs des politiciens sans 
scrupules. 
CHarLes DEJOB. 





Bull. ital. I] 





UN ALTRO NEMICO DELLE RACCOLTE 


Mi si consenta di aggiungere alcune considerazioni a quelle 
che ho svolte su questo Bullelin' a proposito di un libro 
recente del prof. Colagrosso su le « Raccolte »2 : argomento 
che, dopo quel libro e questi miei contributi, è ben lontano 
dall’ essere esaurito, nè forse merita di essere trattato esau- 
rientemente di proposito; ma che si presta a rievocare aneddoti 
letterari non privi di interesse, e aprirà la via a veder chiaro 
nella storia della cultura del secolo xvixr, quando avremo, nè 
altri potrebbe darla meglio del Colagrosso, quella compiuta 
bibliografia delle Raccolte, della quale un maestro autorevo- 
lissimo, Alessandro D’Ancona, ha ultimamente riconosciuto 
l’opportunitàs. 

À quante cose non servivano le Raccolte, nel settecento! 
Chi pensi a quali esigenze esse rispondevano, quanti bisogni 
soddisfacevano, che modesta fatica richiedevano ai poeti, per 
compensarli d volte con vartaggi più tangibili che non sia 
quello della semplice notorietà, troverà in ciù il segreto della 
loro fortuna. Le monacazioni, le lauree, le prime messe, 
i matrimonii, erano, si, argomenti terribilmente noiosi; ma i 
poeti, che non tardarono ad accorgersene, trovarono subito il 
rimedio : e quando non rinfrescavano vecchie poesie (rimedio, 
questo, escogitato dallo Zanotti, e usato largamente, sappiamo, 


1. IX, 1909, n° 2. Cito le pagine dell’ estratto : e colgo l’occasione per riparare 
a due sviste tipografiche, e a un’ omissione. A p. 17, n. 4, la data di pubblicazione 
della Bibliografia del Modona è 1898, non 1903; a p. 25, n. 4, la pagina in cui il 
Cantù ha pubblicato i due sonetti di cui v’ è parola, è 533, non 537. A proposito della 
Raccolta per la morte del ludimagistro Barbetta (p.26-27, n. 8) avrei dovuto ricordare 
che ne parla il Concari, nel suo Settecento, p. 255. 

2. Del quale ha discorso G. B. Pellizzaro, Cose del Settecento, in Fanfulla della 
Domenica del 24 maggio 1908; e G. Natali, nella Rass. Bibl. della Lett. ital., XVI, 
1908, pp. 303-06; cf, anche Giorn. Stor., LIT, 1908, p. 260. 

3. In Rassegna bibliografica della lett, ital., XVI, 1909, p. 165. 





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UN ALTRO NEMICO DELLE RACCOLTÉ 199 


dal Parini e dal Monti; e anche da Labindo:), quando non 
mettevano insieme alla stracca i soliti luoghi comuni richiesti 
dall’ argomento sgradito, di tutto si disponevano a parlare 
fuorchè d’ esso. O davano quel qualunque componimento 
narrativo o didascalico 0 lirico che la fantasia loro ammaniva 
(e il Frugoni giunse a parlar d’ amore, per conto proprio, in 
una poesia per monaca?); o lodavano bellamente il compi- 
latore, o |’ amico richiedente, o chi altri volevano; o si 
lagnavano, in tono di burla o anche con fare indignato, del- 
l'usanza delle Raccolte : e anche allora le loro invettive, 
proprio nelle Raccolte, trovavan luogo onorato. Nelle Raccolte 
trovava sfogo la mania filosofica del secolo xvin; delle Rac- 
colte si voleva servire il Monti per vendicare i detrattori della 
figliuola sua“; d’esse si serviva il Frugoni per isfogare il suo 
odio, non meno personale benchè letterario, contro Aristarco : 
in un sonetto per nozze, velenosissimoÿ, e in un poemetto, 
pure per nozzei. Del resto, fin dalla prima metà del secolo, un 
sonetto pubblicato in una Raccolta poteva sembrare segnale 
opportunissimo per iniziare una battaglia letteraria7. 

E con ciù le poesie per Raccolte costavano cosi poca fatica! 
Se si avevano a largir delle lodi, si largivano senza pensarci 
tanto : che fossero opportune, rispondenti alle condizioni 
particolari delle persone lodate, non era ritenuto necessario. 
Il Menzini, che nelle lettere famigliari è tanto candido 
quanto si palesa inacidito nelle satire, invitato a scriver versi 
per nozze, chiedeva al Redi i nomi degli sposi: «E se 
S V. Illma potesse, aggiungeva, mandarmi quattro righe di 
notizia delle lodi a toccarsi in si fatto genere, lo avrei molto 


1. E. Bertana, /n Arcadia, Napoli. 1909, p. 406. 

2. Ibidem, pp. 353-354 ; A. Neri, Aneddqji goldoniani. Ancona, 1883, pp. 4o-48. 

3. Bertana, pp. 53-101; e su di cid, specialmente F, Picco, in Fanfulla della 
Domenica, del 26 sett, 1909. 

h. Ma la sua ode, per opposizione della censura, non fu pubblicata. Cf. F1. Pelle- 
grini, L’ode di V. Monti « per nozze illustri veronesi », nella Misc. Nuziale Scherillo-Negri 
(Da Dante al Leopardi, Milano, s. a., p. 543 sgg.) 

5. G. Rossi, Innocenzo Frugoni e Giuseppe Baretti, in Il libro e la stampa, I, 1909; 
p. 52. Il sonetto, per nozze Barbaro-Barbarigo, è pubbl. nelle Opere poetiche del 
Frugoni, Parma, 1779, X, p. 294. 

6. Rossi, p. 58. 

7. Cosi un sonetto del Tagliazucchi, ed. nel 1735. Cf. L. Piccioni, Per gli 
antecedenti del Romanticismo, in Giorn. Stor. lett. della Liguria, LL, 1901, pp. 132-133, 





160 BULLETIN ITALIEN 


caro; ma se è di suo incomodo non inltendo gravarnela. » La 
lettera del Menzini è del 1686: : quando ancora, checchè ne 
sia della loro origine?, le Raccolte non erano propriamente di 
moda : se, col diffondersi della moda, per una legge natura- 
lissima la coscienza artistica venne ancor meno, si comprende 
agevolmente che per lo più quei componimenti « per sover- 
chie lodi » potessero « divenir satira per la circostanza »*; 
e che i poeti che scrivevano in Raccolte per nascite si pre- 
stassero a esser messi in canzone, meglio che dal Passeroni, 
dal Parini#, come quelli che erano ben lontani della coscien- 
ziosità di Giulio Cesare Becelli, il quale, celebrando'due nobili 
sposi, conchiudeva : K4 


Cid che di loro nascerà, non lice 
Cantar, nè a mente indovinar presaga; 
Ma l’alta Mente l’alta idea n° ha vivas. 


L 


L’usanza letteraria aveva dunque in sè tanto di forza da 
resistere agli attacchi dei numerosissimi nemici che, più per 
vezzo che per convinzione, essa contù dopo il Bettinelli. Di 
molti, integrando le notizie date dal Colagrosso, ho già 
discorso; potrei aggiungere i nomi di Giannantonio De Luca, 
e quelli, meno oscuri, di Ambrogio Viale, il « Solitario delle 


1. Lettere di B. Menzini e del Sen. V. da Filicaja a Fr. Redi. [a cura di D. Moreni}, 
Firenze, 1828, pp. 121-122. 

2. In relazione alle considerazioni del Colagrosso e mie, potrei aggiungere che à 
veri precursori delle Raccolte nuziali son forse da riconoscere nelle Strenne nuziali, 
come quelle del sec. XIV, raccolte da O. Targioni-Tozzetti, Livorno, 1873. — La più 
antica Raccolta che sia stata pubblicata, alla quale collaborarono venti scrittori, con 
componimenti volgari e latini, è del 1474; su di essa cf. F. Patetta, Di una Raccolta dj 
Componimenti e di una Medaglia in memoria di Aless. Cinuzzi paggio del conte Gerolamo 
Riario, in Bull. Senese di St. patria, VI, 1899, p. 151 sgg.; e G. Zaccagnini, Il petrar 
chista Agostino Staccoli, in Studi di lett. ital. dir. da E. Pércopo e N. Zingarelli, IW, 
1902, pp. 250-251. Anche per la morte del Calderini (1477) e per la morte del Platina 
(1481) furono messi insieme componimenti di compianto ; ma questi furono pubbli- 
cati, a giudizio del Patetta, solo nel 1504: Cf. G. Lumbroso, Gli accademici nelle cata- 
combe, in Arch. della Soc. Rom. di St. patria, XII, 1899, p. 222; e Patetta, p. 176, nota: 

3. Cosi Silvia Verza, in una lettera al Rezzonico, dicendo di avere, per questo 
scrupolo, distrutta una anacreontica già preparata. Cf. le Opere del conte Rezzonico, 
Como, 1830, X, p. 320. Ma i più non erano davvero presi da scrupoli siffatti. 

h. Vespra, vv. 327-349; e già prima da Salvator Rosa, Satira, II, v. 607 sgg. 

5. Per le nozze di Gir. Aless. Giuliani e di Beatrice della Torre, [Verona, 19724,] 
senza indicaz. di pagina, Sul Becelli, cf. E. Bertana, in Giorn. Stor, d. lett. ital., XXWI, 
1895, p. 114 sgg. 

6. G. Natali, in Rass, Bibl. cit., p. 304; e A. Ravà, Un sonetto poco noto di Carla 
Goldoni, in Fanfulla della domenica del 26 settembre 1909. 





ah te", ne 


Er. 


UN ALTRO NEMIGO DELLE RACCOLTE 161 


Alpi »:; e del Roberti, più assai blando? : non più convintie 
nemnen lontanamente più efficaci del Bettinelli, il quale, col 
chiasso che fece il suo poemetto, aveva almeno ottenuto una 
cosa : che le Raccolte, tutte le volte che fu o parve possibile, 
si mascherarono sotto altro nome che il loro proprio, troppo 
« avvilito » oramai dal pugnace gesuita mantovanoÿ. Ma una 
più compiuta illustrazione merita, tra i nemici delle Raccolte, 
Carlo Innocenzo Frugoni; e di una notizia anche più ampia 
sarebbe degno, sotto questo riguardo, un letterato che ora è 
quasi del tutto dimenticato, Luigi Uberto Giordani. 

Il Frugoni, assai giovane ancora, dovette non piccola parte 
della rapida diffusione della sua fama a una Raccolta di pro- 
porzioni insolite, messa insieme nel 1728 per le nozze 
d’Antonio Farnesef. Non egli aveva avuto da fare a mettere 
insieme i componimenti dei 232 collaboratori : chè per la: 
massima parte essi si erano presentati da sè, e solo la vanità 
del principe committente aveva impedito, da parte di Comante, 
una certa selezione®. Da allora, egli era stato un compilatore 


1. Bertana, p. 467, e n. 1. 

2. « Non si rifina nel secol nostro di celebrare in rima spose, monache, maestrati, 
dottorati. » Se non che, « Se cominciamo cosi di buon’ ora a lamentarci sul numero 
dei versi, di qua a tre o quattro secoli, che resterà a lamentar per li posteri?» Opere 
di G. B. Roberti, Napoli, 1826, V, pp. 17, 19. 

3. 11 Marchese Paolo Vincenzo Salaroli presentava Per le felicissime nozze del conte 
P. P. Bianchetti con la Marchesa Aurelia Monti, Parma, 1761, due sensualette anacreon- 
tiche di Angelo Mazza, dicendo : «Non v’ aspettate perd di vedere un fortuito 
accozzamento di stucchevoli Poesie sotto il comunale, ad oggimai avvilito titolo di 
Raccolta, ove d’ordinario suole aver maggior parte il capriccio, e la scipitezza, che 
il retto discernimento e il buon gusto. » — Che il Bettinelli non abbia influito nel 
mettere in voga i poemetti nuziali e occasionali collettivi, come voleva il Carducci, 
mostra il fatto, già messo in rilievo dal Bertana, che di tali poemetti se n°’ hanno fin 
dal secolo xvrx. Il poema per la venuta di Carlo di Borbone a Piacenza (1732) che 
è forse il più noto, fu preso in esame dal Colagrosso (Un’ usanza letteraria, etc., 
Firenze, 1908, p. 13 sgg.) : quattro anni prima, i Piacentini avevan fatto lo stesso, 
in proporzioni più modeste, per le nozze di Antonio Farnese con Enrichetta d’Este 
(Lina Balestrieri, Feste spettacoli alla corte dei Farnesi, Parma 1909, p.55, n.1;,— per 
le feste in onore di Carlo di Borbone, oltre allo studio della Balestrieri, p. 55, n. 2, 
è da citare Glauco Lombardi, Il teatro Farnesiano di Parma, Parma, 1909, estr. del- 
V Arch. Stor. p. le prov. parmensi, IX, 1909, pp. 22-25). 

h. Colagrosso, p. 12; Balestrieri, pp. 10, 54-55; Amici e nemici, p. 4. 

5. «Se io avessi potuto unire, e scerre a mio grado le poesie, che la compongono, 
molto minor novero d’ esse certamente vi sarebbe entrato ; ma sparsosi il grido di 
tale Raccolta nei tempi che si andava da me divisando, non pochi poeti da me non 
cerchi, ne voluti, improvvisarhente si offersero, e fecer brighe per essere ammessi, 
e fu d’ uopo piegar la fronte, a chi d’ammettergli mi comandà » lett. del F. al Card. 
Cornelio Bentivoglio : cf. G. Zannoni, Lettere e rime inedite di C. I. Frugoni, in Studi 
e Documenti di sioria e di diritto, XVI, 1895, p. 354. 





162 BULLETIN ÎITALIEN 


alla moda, e aveva messo fuori la sua Raccolta per ogni fausto 
evento dell’ aristocrazia parmigiana, e aveva infastidito con 
successo amici e confratelli oscuri ed illustri : tra questi, anche 
|’ Algarotti, al quale si rivolse alle volte con vera insistenza:,. 

Forse per ciù egli non pone, come sappiamo che fece il 
Goldoni, i compilatori nella categoria dei seccatori, dei quali 


si è pur preso il divertimento di fare un lepido elenco:; ma 


non è a dire che, se egli importunava gli altri, gli altri non 
importunassero lui. Chè, anzi, come poeta di Raccolte egli è da 
considerare forse il più fecondo, certo il più disinvolto del suo 
tempo : e tanto bruciù incensi alla Musa occasionale, da 
guastare, soprattutto per questo, la sua buona fama di poeta. 
Del che furono consapevoli i suoi contemporanei!, e, mon 
men degli altri, egli stesso. 

Da questa consapevolezza deriva anzi, a volte, un che di 
accorato ai suoi lagni contro le Raccolte, che han ridotto per 
lui la poesia a un ingrato commercioÿ, e a cagion delle quali, 
egli sa bene, il suo nome avrà fama caducaf. Al Bernieri, in- 
trinseco suo, che lo richiedeva di versi per monaca, egli rispose 


amichevolmente irritato : 
fra i dotti amici 
lo te primo ponea, poichè tu cento 
Prove mi desti d’ amistà; ma tale 
Com’ or ti crederû? 


1. Colagrosso, p. 156; Amici e nemici, pp. 17, 22. — E in una letiera del 1956, in 
p. s. (Ah! quei p. s. che dicon le cose che più stanno a cuore allo scrivente!) « I versi 
per la promozione del sig. Conte Sanvitale, e quando pensate di mandarmegli? lo 
già & lui gli ho promessi : egli sa, e crede che voi gli scrivete. Trovate qualche 
momento da conversar con le Muse. Non mi fate restar {[privo] di cosa, che debbo 
pubblicare. » Zannoni, p. 360. 

2, In una canzonetta a L. Canossa, in Opere poetiche, VII, p. 215. 

3. Del F. poeta di Raccolte, oltre allo Zannoni, p. 356, discorre di proposito 
V. A. Arullani, Lirica e lirici nel settecento, Torino, 1893, pp. 73-75 : il quale dà 
anche notizia (p. 71), di due sonetti del Bettinelli, per raccolta, del 1807. Questi 
potrebbero essere aggiunti agli altri non pochi ch’ io he già ricordato (Amici e 
nemici, pp. 19-20); del resto, dell’ attività poetica del decrepito Bettinelli, dà una 
preziosa testimonianza un personaggio che lo conobbe in quegli anni, e che, pastore 
arcade di 18 anni, dovette, per la morte di lui, « comporre e recilare una poesia 
senz’ essere poeta » : G. Arrivabene (Ricordi autobiografici, in Atti e Mem, della R. Acc. 
Virgiliana, biennio 1877-1878, Mantova, 1879, p. 99). 

4. A. Lombardi, St. della lett. ital. del secolo X VI11, Modena, 1829, IL, p. 232. 

5, Una vera « mercanzia ». In una lettera famigliare, il Frugoni confessava : 
« O’ poi cento commissioni di poesia per vari argomenti. » Cf. Zannoni, pp. 361-302. 

6. Di ciù discorre assai bene il Bertana nell’ op. cit., p. 322 sgg. Altri rimandi 
ho io messi insieme in una recensione di questo volume, sulla Rass, bibliogr. della 
leit. ital, X VIE, 1009, p. 279 sgg. 





UN ALTRO NEMICO DELLE RACCOLTE 163 


Ed elevandosi di tono, assurgendo bellamente a considerazioni 
che avevan valore generale : 


Tu sai, Bernieri mio, ...quanto feci 
Sonar Parnaso di querele, ed arsi 

Di giusto sdegno sul servire ingiusto 
Sempre col canto alle materie ingrate 
Ch’ oggi l’uso tiranno a noi presenta, 

A noi, che per aver de’ carmi nostri 

La maggior parte in tai materie avvolta, 
Se per gemer di torchio oserem farla 
Di pubblica ragion, nè sarem letti, 

Nè avuti in pregio alcun da’ nostri tempi 
Nè da’ più tardi, che verranno poi'. 


Questa profezia, della quale ora possiamo apprezzare quanto 
fosse, oltre che sincera, veridica, egli fa ai suoi confratelli in 
Arcadia ed a sè : nè, quando pensa a sè particolarmente, 
Comante è men pessimista : 


Pieni gli antri febei, piene le dotte 
Castalie fonti son de’ versi miei 

Che sulla fresca età recise chiome, 
Ricche vesti mutate in sacri veli- 

A cantar fur costretti, e sdegno n° ebbe 
Quel coronato di purpuree rose 
Ridente genio, che il toscano plettro 
Per ben altri subietti a lui più cari 
Talor mi porge, e libero m°’ ispira?. 


Per quanto, aiutandosi con la sonorità dei versi e con la 
magniloquenza delle frasi, sembrasse talvolta prender sul serio 
il suo compito di poeta occasionale3, il Frugoni lavorava 
a contraggenio, intorno a questi « comandati argomenti », 
troppo solenni e troppo severi. [| più solenni e i più severi di 


1. Opere poetiche, VII, p. 295 sgg. (per la monacazione della contessa Matilde 
Cantelli). 
2. Opere poetiche, VII, p. 315 sgg. (per la monacazione di Teresa Tommasi, al 
Vescovo di Parma Fr. Pettorelli Lalatta). E per la stessa occasione, allo stesso : 
Ma che Sempre degg’ io l’alpestro giogo 
Salir di Pimpla per severi troppo 
Comandati argomenti, e lassù, dove 
Con le divine muse il genio alberga, 
Canuto vate portar meco il grave 
E già varcato settantesim’ anno? 


(Opere poetiche, VII, p. 347 sgg.) 
3. Bertana, pp. 332-333, nota. 





164 BULLETIN ITALIEN 


tutti, e per i quali fu più di frequente comandato, le monaca- 
zioni, erano quindi a lui i più cordialmente antipatici. Sentia- 
molo in queste strofette sfogarsi con Lorenzo Canossa : 


Sien le suore benedette 
Che mi fanno bestemmiare : 
Per lor tutto in canzonette 
lo mi debbo distillare. 

Per suggetto il meno ricco, 
Che men piace, e men risona, 
lo son sempre nel lambicco 
Sui fornelli d’Elicona :. 


Che lo facessero bestemmiare, trattandosi di un abate e per 
giunta ex-chierico regolare somasco, è un po’ grossa; ma che 


le « vergini pudiche » gli paressero : ; 


Tristi argomenti, che quai dure ortiche 
Spesso di Pindo osan spuntar tra i fiori?, 


comprendiamo più facilmente, se pensiamo alle seccature che 
ne aveva quotidianamente Comante. Anche Aurisbe gli richie- 
deva versi per monaca : e per quanto Aurisbe gli stesse a 
cuore$, anche con lei si lagnà il poeta : 


Dunque versi tutti i di 

Costi pur voglion le Monache, 

E si cantan pur costi 

Sacri veli e sacre tonache? 
Si, le Suore in verità 

Son tra noi tante angelette, 

Gigli son di purità, 

Sien dal ciel pur benedette. 
Ma potrebber lasciar cheti 

I toscani colascioni, 

E non mettere i poeti 

In tributo di canzoni 4. 


Sieno benedette!, borbotta anche qui, come un vecchio 
« rustego » goldoniano, il Frugoni, con l'atteggiamento di 
chi sta per perder la pazienza. E per monaca rifiutà versi altra 


1. Opere poetiche, VIII, p. 219. 

2. Ibidem, II, p. 541. Sonetto a Gio : Campo di Rovigo, di cui il Bertana, p. 33a, 
riferisce la prima quartina. 

3. Su di che, cf. A. Neri, op. e loc. cit. 

k. Opere poetiche, VIIE, p. 443. 





UN ALTRO NEMICO DELLE RACCOLTE 165 


volta:; e ne rifiutù per occasioni consimili, allegando la 
stanchezza, la tarda età, la vena inaridita : à 


Si, che i versi, che vorreste, 
Son, castagne da pelare : 
Che mi rosichi la peste, 
Se si posson sempre fare?. 


Cosi all’ amico Canossa : al quale insegnava, con questa 
immagine cosi modesta, che la poesia poteva essere, si (ed era, 
pur troppo, per Comante) un mestiere : ma non un mestiere 
di tutti i giorni; non, ad esempio, un mestiere come quello 
del medico. E se un medico, il Pateri, chiedeva versi, egli di 


rimando : 
Dori bella, se il Pateri 
Di me vuol versi ognor novi, 
Digli pur, che non lo speri, 
E che a farli egli si provi. 
Presto scrivesi un cristiero, 
Un purgante, un lenitivo; 
: Non cosi, nel mio mestiero, 
Quand’ io voglio, versi scrivos. 


Passi la trivialità dei paragoni terapeutici; e passi quest’ altra 
trivialità di un’ altra canzonetta a Dori, in cui domanda di 
esser lasciato in pace, per ragione di analogia, 


se verbigrazia un fico, un pero, 
Poichè n°’ ebbono tanti e tanti fatti, 
Cessan di farne, perchè tali invero 
Son di natura alfin gli antichi patti4. 


In complesso, la nota predominante dei lagni del Frugoni è 
la stanchezza, o piuttosto la poltroneria, per la quale egli fu 
nemico non delle Raccolte soltanto, ma di quella che, con un 
vocabolo del Brognoli, potremmo anche noi chiamar « metro- 
mania »5. Percid egli non è delle Raccolte oppositore sistema- 
tico : se ne lagna, più che altro, perchè scriver versi giocosi di 


. Opere poetiche, X, p. 251 sgg. 
. Ibidem, VIII, p. 192. 

. Ibidem, VII, p. 396. 

. Ibidem, IIL, p. 127. 

. Bertana, pp. 330-331, 337. 


O'E D bb 


166 BULLETIN ITALIEN 


rifiuto gli par più comodo e più sbrigativo che celebrar gli 
argomenti comandati, e perchè il resultato à lo stesso : i versi 
di rifiuto entreranno nella Raccolta, piaceranno al compilatore, 
faranno sorridere la monacanda o gli sposi o il neo-dottore a 
seconda dei casi, e seguiranno, insieme, la moda di parlar 
male delle Raccolte e quella di collaborarvi. Solo un paio di 
volte il Frugoni fece, sia pure in pochi versi, una satira vera 
e propria di questa famigerata usanza letteraria : in un sonetto 
a Lorenzo Dorighi, che mi sembra, nel suo genere, singolar- 
mente felice', e in certi sdruccioli per monaca, eterno, 
sgradevolissimo argomento?. 

In questi egli comincia, al solito, col dirsi stanco, stanco di 
scriver versi comandati, «ristucco e logoro » di ascendere sul 
Parnaso : 

..Dirvi non potrei come poi m’ abbiano 
Fatio per noia eterna uscir de’ gangheri 


Messe, dottori, matrimoni e monache, 
Che vengon tutti in Pindo, e versi vogliono. 


E qui comincia la satira, diremo cosi, «oggettiva » del- 
l’usanza delle Raccolte. Tali versi encomiastici non costuma- 
vano ai tempi d’Augusto : non c’ erano allora preti e monache, 
che (sieno benedette! par che ripeta Comante) « felice ed 
ottima | Cosa nel mondo son »; ma c’ eran giuristi, e medici, 
e sponsali ; e poeti, « e che poetil», per celebrarli; eppure 


Pur era allor delle Raccolte incognita 

La non dannabil moda, onde mal usano 

I tempi nostri, e lo splendor ne oscurano. 
Taccia l'audace e spensierata critica. 

Non tutti i fior metto in ghirlanda e pratico : 
So, qual conviensi, fior da fior discernere. 


1. Opere poetiche, III, p. 219. Eccone le quartine : 


Perché la strana usanza s’ è mai messa 
Che nulla senza versi s’ abbia a fare? 
Non vien dottoral toga oggi concessa, 
Che non la debba Apollo ricamare : 
I1 santo matrimonio poi non cessa 
Di far le caste Muse spiritare : 
Nemmeno un prete oggi pud dir la messa, 
Se i poeti nol guidano all’ altare. 


3. Per la vesliz.one di Maria Adelaide Pallavicini, ibidem, VII, p. 378 sgg. 








UN ALTRO NEMICO DELLE RACCOLTE 107 


Arder di bile, e maledir la cetera 

Mi fan certe Raccolte, ove si sogliono 

À nuovi nomi oscuri, ad are ignobili 
Gli incensi degli Dei si mal profondere. 


La censura, espressa in termini molto temperati, non è 
priva di buon senso : mentre il Bettinelli, mosso da intenti 
forse più mercantili, aveva deplorato l’oscurità dei lodatori, 
il Frugoni deplora l’oscurità dei lodati, le lodi profuse imme- 
ritamente., Se non che, la chiusa del sermone ne guasta 
l’effetto : questa Raccolta, egli dice, fa eccezione, e in essa 
possono degnamente cantare, tra altri, 

Rossi.., e Bettinelli, un’ aurea 


Nobil coppia d’ingegni, in cui dell itala 
Facondia il nome e lo splendor ravvivasi. 


E anche qui fa capolino l’eterno Bettinelli, infaticato colla- 
boratore, malgrado tutto, in ogni genere di Raccolte! 


Luigi Uberto Giordani, il « nemico delle Raccolte » al quale 
ho pensato nel dare il titolo a quest’ articolo, à noto oramai, e 
la sua fama è anche in cid assai modesta, quasi soltanto per esser 
cugino di Pietro. Ma i biografi parmensi e piacentini, perchè 
egli nacque e visse a Parma e la sua famiglia fu di Piacenza, 
lo ricordano con affetto come una piccola gloria locale; 
e dal maggiore di essi, il Pezzana?, si possono raccogliere 
notizie dalle quali la sua figura appar meritevole di molta 
attenzione. 

_ Nato nel 1753, Luigi Uberto fu professore di diritto criminale 
nell’ Università di Parma dal 1781 in poi, dopo essere stato, 
giovanissimo, dottor collegiato, anziano del Comune, decurione 
legale. Odiava tuttavia l’esercizio della giurisprudenza, alla 
quale pur doveva una posizione elevata ed indipendente, ed 


1. G. B. Jannelli, Disionario biografico di parmigiani illustri o benemeriti, Genova, 
1877, PP. 189-192; L. Mensi, Dizionario biografico piacentino, Piacenza, 1889, p. 210; 
A. M. Boselli, Testi dialettali parmensi, in Arch. stor. per le prov. parm., N. S.. V, 
1905, p. 22. Oltre al Pezzana (nota seg.), anche il cugino Pietro raccolse alcuni 
Pensieri per un elogio à L. U. Giordani, pubblicati nelle Opere, Milano, 1854 sgg., X, 
pp. 282-283, e conservati autografi alla Laurenziana di Firenze (C. Mazzi, in Riv. 
d. bibl. e d. archivi, XI, 1900, p. 12). 

2. Memorie degli scritlori e letterati parmigiani, Parma, 1833, VIII, p. 587 sgg. 


Ne À UP PTE PO EN ARE PT PE PR POS AT M A NE ET EEE 


168 BULLETIN ITALIEN 


era tutto delle Muse:. Simile in cid al cugino Pietro, che dalla 
giurisprudenza fece divorzio davvero, e a non so quanti altri 
tra gli scrittori nostri, grandi e piccini. E come scrittore, pur 
non avendo potenza di fantasia nè sempre padronanza del 
verso, danteggid?, e in Quattro componimenti poetici fatti in 
villa e poi in quattro falli in ciltà, fu di quei seguaci del Parini 
che deviarono da lui, instaurando un genere tra gnomico e 
descrittivo, come di chi prendesse sul serio gli ammaestra- 
menti del Giorno3; in uno poi di questi componimenti, un 
poemetto funebre, imito da vicino il Foscolo del quale erano 
appena usciti alla luce i Sepolcrit. Egli era un gregario, dunque, 
nell’ arte; ma di seguire con consapevolezza parecchie correnti 
gli diede agio l’estesa cultura, e, tra altro, la conoscenza di 
molte lingue. Mori nel 1818, dopo aver coperto parecchie 
cariche sotto Napoleone I (Procuratore sostituto generale a 
Parma nel 1806, Giudice nella Corte Imperiale di Genova nel 
1811), e aver ottenuto, dal nuovo regime di Maria Luisa, la 
dignità di Procuratore generale nella Corte di cassazione e 
nella Corte d’appello. 

Di Pietro Giordani, fu, come maggiore di età, tenerissimo 
parente e quasi padre, e quando lo ebbe seco a Parma «gli 
rese meno amara la mancanza di affetti domestici »5 ; e nel r795, 
con un’ orazione latina che ebbe lunga eco di fastidiose 
polemiche (quanto sarebbe stata più innocua, è proprio il caso 
di dire, una delle solite Raccolte di versi!), ne celebrà la laurea 
in leggei; ed esercitando un dolce dominio sul} animo suo, 
riusci a placarlo quand’ egli, trovandosi tra i monaci di 
S. Sisto, più era stomacato del loro contegno7. Per questo, ho 
già accennato, egli passù alla storia; ma anche letteraria- 
mente presenta un certo interesse, per qualche ardimento che 
piace : una parodia dei giornali del tempo, che giro mano- 

1. Memorie degli scrittori e letterati parmigiani, Parma, 1833, VIII, p. 589 ; Jannelli, 
P. 190. 
. Pezzana, p. 599, n. 2. 

. Versi di L. U. Giordani, Parma, 1809 (ed. Bodoniana), voll. I e II. 
. Ibidem, vol. II, p. 31 sgg. 

. G. Capasso, La giovinezza di Pietro Giordani, Torino, 1896, p. 32. 

. Ibidem, pp. 11, n. 1; 51-ba. 


. Ibidem, pp. 115-116. — Lettere di P. Giordani a lui ha pubblicato I. Della 
Giovanna, P, G. e la sua dittatura letteraria, Milano, 1887, p. 187 sgg. 


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UN ALTRO NEMICO DELLE -RACCOLTE 169 


scritta e forse non sarà difficile rintracciare, e che, al giudizio 
che ne dava il Pezzana: si pu sospettare non priva di brio e 
di buon senso, e uno scherzo satirico contro le Raccolte. 

Nelle Raccolte, come ogni buon nemico di quest’ usanza 
letteraria, L. U. Giordani scrisse parecchio. Del resto, anche 
il suo illustre cugino, sappiamo, simpatizzava con esse’; € 
sebbene non fosse poetaÿ e percid non potesse collaborarvi 
con versi, vi collabord con qualche bella prefazione o con 
qualche discorso“, e qualche volta addirittura pregando altri 
di scriver versi per conto proprio’; non poteva egli dunque 
mancare, egli cosi ligio, malgrado lo scherzo satirico, ai 
pregiudizi e alle correnti letterarie del suo tempo. Di molte 
delle sue poesie occasionali dà notizia, nell’ accurata biblio- 
grafia dei suoi scritti, il Pezzanaî; e d’esse parte è riunita nel 
quarto volumetto dell’ edizione già citata dei Versi : nel quale 
troviamo sonetti e odi per monaca, per prima messa, per nozze, 
per morte, e anche per danzatrice e per cantatrice?. Per nozze 


1. Pezzana, pp. 591-592. Si trattava di una «Gazzetta di Serravalle », messa 
insieme per ispasso dal G., che ne mandà fuori sei numeri. 

2. Amici e nemici, p. 8, n. 2. Cf. le Opere di P. Giordani, nella cit. ed. Gussalli, 
IX, p. 111 sgg. | 

3. Una sua poesia, che sola si conserva, parve di ben poco pregio al Capasso, 
p. 121, n. r. Ne ha pubblicato recentemente qualche saggio F. Marimd, La neura- 
stenia di Pietro Giordani, in Annali del Manicomio provinciale di Perugia, II, 1908, 
p. 260. Del Giordani abbiamo anche la versione, in quattro versi mediocri, d’un 
epigramma in onore del Canova e del Mezzofanti (Opere, IX, p. 93). Ma egli stesso si 
professava «a molti noto per la rara imperizia nei versi » (Opere, Appendice, p. 148). 
Cf. Della Giovanna, p. 175, nota. 

4. Erano originariamente prefazioni a Raccolte di versi, p. e., l’Orazione di 
P. Giordani Per le tre legazioni riacquistate dal papa nell estate 1815 (in Alcune prose 
di P. G., Milano3, 1824, p. 139 sgg.) e la Lettera per l’ assunzione di Mons. Lodovico 
Loschi (ibidem, p. 247 sgg.). Questa, per le espressioni liberaleggianti, guadagnd 
al piacentino l’esilio dagli stati parmensi (A. D’Ancona, Spigolature nel’ Arch. della 
Polizia Austriaca di Milano, in Nuova Antologia del 16 marzo 1899, pp. 225-228.) 

5. Per nozze Chini-Bandi, nel 1809, il G. presentù un’ ode di G. B. Giusti c.n 
queste parole: «Affinchè senza qualche pubblico segno di mia congratulazione 
(siccome s’usa) non passi questo giorno ad entrambi fortunato; poichè io non ho 
di facoltà poetica, richiesi un poeta non de’ volgari: ed egli mi dà per offerirvi 
quest’ ode. » (Opere, VIII, p. 336). L’ode del Giusti non è ricordata nelle notizie biblio- 
grafiche che su di lui diede il Malagodi, IL dott G. Giusti, in Nuova Antologia del 
1° maggio 1908, pp. 12-13, nè in quelle che aggiunse G. Cogo, Vincenzo Cuoco, 
Napoli, 1909, pp. 95-96. 

6. Op. cit., p. 609. Sono da aggiungere una canzone Per le acclamatissime nozze 
del dott. V. Balestrieri con la Sig. Luigia Schiaffinati, Parma, 1771, e un sonetto, di cui 
. dà notizia altrove lo stesso Pezzana, p. 461, in morte di Angelo Mazza, che era suo 
cugino (ibidem, p. 587). 

7. App. 23;24; 31,45; 32,33, 95 sgg.; 106 sgg.; 30, 46; gr sgg. — Versi satirici per 
nozze e per sacro oratore, scrittiin dialetto parmigiano, ha pubblicatoil Boselli, p. 77-78. 


170 BULLETIN ITALIEN 


poi abbiamo una vera fioritura dei vari generi letterari : oltre ai 
sonetti, scrisse canzoni, cantate, inni, brindisi, e anche sciolti:. 
Non mancano in alcuni di questi componimenti? quelle osce- 
nità per cui fu giustamente riprovato, insieme con troppi altri 
poeti nuziali, il Frugoni*; non manca, in un inno, un augurio 
che per fortuna fu vano, se pensiamo che la poesia nuziale, 
quando l’autore scriveva, era prossima ad estinguersi per 


esaurimento : 
e sii di canto ascreo 
A Febo ed alle Dee grato argomento, 
o Imeneoi; 


non manca il concetto, che vedemno comune ai molti nemici 
delle Raccolte del Bettinelli in poi, che le Raccolte siano 
un’ ottima cosa quando in esse scriva un poeta di bella fama : 
nel caso singolo, trattandosi di celebrar le nozze di Angelo 
Mazza, il poeta doveva essere simile a lui, e Apollo aveva 
emesso, e poi tolto, «il gran divieto » di cantare, a ogni 


Cantor di nozze, se non pari a quello 
Per cui risuona un’ altra volta in Pindo 
La sacra notte e il talamo beato5. 


Lo stesso concetto restrittivo anima lo scherzo satirico Per 
le nozze di Tizio e Berla, che senza confronto mi sembra, anche 
sotto l’aspetto dell’ arte, la cosa più notevole di Luigi Uberto 
Giordani, l’unica davvero notevole. Il Giordani lo compose 
«per mero capriccio », dice egli, « senza animo di pubbli- 
carlo »6; fu un amico che volle darlo alle stampe e diffonderlo, 
ed egli allora vi aggiunse una lettera all’ indirizzo dei singoli 


1. Oltre che due sonetti pel suo primo matrimonio, ibidem, pp. 28-29, egli ne 
scrisse e pubblic quattro quando, vedovo di Luigia Ferrari, riprese moglie 
(L. U. Giordani nelle sue seconde nozze, Parma, 1813.). 

2. In una cantata (per nozze Sangiantoffetti-Nani. Padova, 1792) egli funge da 
ammaestratore, diciamo cosi, notturno : 

Sposa, non più ritegni. E tu, felice 
Sposo gentile, ardisci. 

(Versi, IV, p. 61.) 

3. Amici e nemici, p. 12, nn, 5, 6. Cf, A. Neri, Passatempi letterari, Genova, 
1882, pp. 173-186. 

4. Versi, IV, p. 76. 

5. Ibidem, p.54. 

6. Tbidem, p. 88; lo scherzo è pubblicato a pp. 80-88. 








UN ALTRO NEMICO DELLE RACCOLTE 171 


libraï, a firma di un « Fabio Rustico pescivendolo » che se ne 
fingeva autore, dichiarando d’aver appreso l’arte del poetare 
dalle innumerevoli Raccolte che « per inevitabile destino appro- 
dano finalmente alle botteghe dell’ arte » sua. La lettera è, nel 
suo insieme, poco spiritosa, come poco spiritosa è la ghermi- 
nella di fingere la pubblicazione dello scherzo non consentita 
o almeno non voluta da lui : gherminella alla quale ricorse il 
Bettinelli pel suo poemetto, e gli ha creduto il Sommervogel:. 
Checchè ne sia, la data della composizione dello scherzo 
sarebbe, secondo una duplice dichiarazione dell’ autore che 
al Pezzana parve sospetta, il 1781 o il 1784 : anno, quest 
ultimo, in cui gli venne fatto di vedere «una magnifica 
edizione di Raccolta fatta in Venezia per matrimonio di 
magnati, nella quale non era alcun pregevole componimento, 
ma gran lusso di carta e d’intagli in rame »2; — la data 
invece della pubblicazione è il 1787, data delle nozze Sanvitale- 
Gonzaga per le quali, oltre ad una erudita dell’ Affù, usci una 
miscellanea poetica curata dal padre del Pezzana, Giuseppe. 
Il Giordani, che fu poi buon amico del Pezzanino, cosi suo 
cugino Pietro era solito chiamarlo, teneva evidentemente a far 
sapere che da parte sua non c’ era stata ombra d’intenzione di 
satireggiare la Raccolta Sanvitale-Gonzaga : il Pezzana non gli 
dovette credere, e anzi non cel il suo malumore verso questo 
satirico che a sua volta scriveva tanto in Raccolte“; e, con sua 
buona pace, possiamo negargli fede anche noi. Certo è che 
la satira fu a bella posta largamente diffusa a Parma, dove 
fece gran chiasso : alcuni esemplari «ne ricevette in Parma il 
libraio F., il quale, credendo questo scherzo rivolto a porre in 
deriso una magnifica Raccolta uscita in questa città per illustre 
maritaggio, ne recù tutti gli esemplari da lui ricevuti alla fami- 
glia a cui credea mirare il gioco. Il libraio Carmignani, al 
quale pure n° eran giunte parecchie copie, poche ne sparse per 


1. Bibliothèque de la Compagnie de Jésus, Bibliographie, 1, col. 1416. 

2. « Cosi, aggiunge il Pezzana, p. 593, n. 2, desiderava egli che si credesse. Ma 
perchè nel farlo ristampare nei Versi 18og pose egli l’anno 1781 alla lettera che lo 
accompagna ? Qui gatta ci cova! » 

3. Amicie nemici, p. 20. 

h. Pezzana, pp. 593, 608, 609. 


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172 BULLETIN ITALIEN 


la città; le altre nascose diligentemente, udito il gran rumore 
che se n’ era sollevato da molti, ed in ispezieltà dal B., che 
credevalo farina del Mazza » 1. E sarebbe bello poter dire quanta 
parte v’ ebbe veramente Angelo Mazza : certo in qualche modo 
egli, che sappiamo parente, e collega all Università, e addirit- 
tura, in materia poetica, « maestro e autore » di Luigi Uberto?, 
ne fu inspiratore. Ma altri avranno attribuito lo scherzo al 
Bettinelli, se riusci presso qualcuno il gioco dell’ autore, 
che fece diffondere i foglietti da Mantova, in carta milanese e 
senza nota tipografica, per mezzo di un amico fidato ; e poichè 
l’autore vero non si faceva noto, c’ era anche chi, come un 
GC. V. D. B., pare che fosse « sul punto di farsene bello »4, Per 
dar vita alla narrazione del Pezzana, occorre sostituire i nomi 
alle prudenti iniziali; e credo di non andare errato, rico- 
noscendo nel B. l’avv. Luigi Bramieri di Piacenza; nel 
C. V. D. B. il conte Vitt. Del Bono di Parma, fra gli Arcadi 
Adonte Giardanio; nel libraio F., forse, il libraio Freddi. 

Cosi una Raccolta nuziale, che già aveva suscitato il malu- 
more dell’ Affù e forse del Bettinelli5, fu segnale di un 
clamoroso pettegolezzo tra i letterati del luogo. Ma vediamo 
brevemente lo scherzo, causa di tanto scandalo. 

Tizio e Berta non sono, come forse si crederebbe a primo 
aspetto, due contadinotti : sono 


Sangue purissimo 
Di semidei, 


e i loro nomi hanno un valore puramente esemplificativo 
(« nomi celebri » dice l’autore in notaô « come quelli di tutta 
l’altra famiglia notissima ai casisti ») : Dante avrebbe detto 
« Ser Martino e Donna Berta », conforme l’uso dei vecchi 


1. Pezzana, p. 594. 

2. Ibidem, p. 593. 

3. Ibidem, pp. 593-594. 

h. Ibidem, p. 594. 

5, Amici e nemici, p. 19. L’ Affà fini per non volerne più saper di Raccolte, e mel 
17994, pregato di collaborare in una Raccolta, se ne scusù, dando comunicazione di 
un' ecloga inedita del Baldi (in fine ai Componimenti poetici per nozze Piovani- 
Zaccaria, Parma, 1794). 

6. Versi, IV, p. 89. 





PT 777 4 





UN ALTRO NEMICO DELLE RACCOLTE 179 
giuristi:; ma il nome Tizio, che L. U. Giordani ha preferito, 
s’ era imposto nell’ uso, oramai, anche dei giuristi. Le nozze 
sono suntuose : intervengono i testimoni, i parenti, gli amici 


numerosi : 


Di que’ che invitansi Tal nome barbaro 
La turba è molta. AIl età rozze 
Or che più mancavi ? Si lasci, e scrivasi : 
Che? La Raccolia. Versi per nozze. 


Abbiam veduto che veramente la satira bettinelliana aveva 
sortito questo efletto : che presso la gente di buon gusto, le 
Raccolte... non si chiamavano più Raccolte. Ma, continua il 
poeta, 


.….già d’Arcadia Gli alunni vengono 
Coi nomi greci A dieci a dieci. 


Sono i poeti che interverranno al pranzo nuziale, i poeti 


famelici che mirano a un cantuccio nella mensa, e son staff. 
lati, ricordiamo, ben duramente dalla severa musa del Parini?. 
Se non che, non a questo mira la satira del Giordani, che 


continua : 
Oh quanto strepito! A rivi sboccano 
Che largo coro! I be’ concetti : 
Un bosco sfrondasi Immenso popolo 
Di verde alloro. Sono-i sonetti. 


1. Paradiso, XII, v. 139. Mi si consenta, per i numerosi esempi che se n°’ hanno, 
di rimandare al mio studio Roffredo Epifanio di Benevento, negli Studi medievali, IV, 
1909, p. 234, n. 5. 

2. Meriggio, VY. 902-920; Notte, vv. 520-521.— Del resto, era un motivo di satira 
abusato : si vegga, ad es., quest’ epigramma del Bettinelli (A. Zoncada, ] fasti delle 
lettere in Italia, Poesie, Milano, 1853, p. 632): 

Un poeta un po’ pedante 
Dava leggi e teorie 
Ad un circolo ascoltante 
Delle varie poesie; 
E or de’ comici scrittori 
Ragionava, ed or de’ lirici; 
Tragici, epici cantori 
Distingueva dai satirici; 
E seguiva pur co’ melici... 
Qui una dama: Vi rammenti, 
Disse, amico, de’ famelici, 
Che non sono i men frequenti. 


Bull. ital. 


D A SR MS EE PSC ape DO et PR PEN EE PE RE TE 
ts Ê RS ACER 24 





174 BULLETIN ITALIEN 
Chi ha rime sdrucciole Alcun non dubiti 
E chi sestine; De’ nostri eroi 
Chi anacreontiche Che cantor manchino 
Cose divine. Ai vanti suoi. 
Pochi dispiegano Trovà il Meonio 
In tono grave Solo un Achille, 
Sacre a Calliope Or Berta e Tizio 
Sonanti ottave. Ne trovan mille. 
Altri minacciano Se d’esser patria 
In fieri volti AI gran cantore 
Con folte pagine Sette contesero 
D’eterni sciolti. Città l’onore, 
O nostro secolo Or ben son povere 
Aureo davvero Quelle villette 
Che tanto supera Che non nutricano 
L’età d’'Omero! Poeti sette. 


Qui è il caso di ricordare l’esuberanza di versaiuoli di cui 
fecero pompa piccole ciltà, come già ho ricordato: : cosicchè 
lo scherzo di L. U. Giordani viene ad averne efficacissimo rin- 
calzo di prova, e un certo sapore di arguzia. Quanto al mesto 
confronto con le età dei grandi poeti antichi, esso era oramai 
un motivo convenzionale, Si ricordi il Frugoni?, e con lui 
quanti altri deplorarono quella benedetta metromania, che 
tanto screditava i poeti ed era da essi posta in discredito. Ma 
più originale mi sembra la burla, diretta, nei versi precedenti, 
a tutte le forme metriche dei lirici occasionali; chè tutte vi 


1. Amici e nemici, pp. 4-5. Si veggano anche le parole che il cugino del Nostro, 
Pietro Giordani, scrisse nel 1816 nella Biblioteca. italiana, a proposito di un discorso 
della Staël Sulla maniera e la uütilità delle traduzioni : « lo fo ragione che in Italia la 
metà almeno di quelli che sanno leggere, presumono di far versi. Non sapranno altro 
al mondo; ma si credono poeti. E questa vana e matta credenza è gran cagione che 
in tutta la vita non imparino mai cosa buona. Ogni città, ogni borgo, ogni terricciuola 
d'Italia tiene accademie: per far ché? Per recitare sonetti, odi, madrigali, elegie. 
Ma sopra tutto sonetti : questi sono il pane cotidiano, e la delizia degl’ intelletti. Ma, 
per tutti gli Dei, che farà mai al mondo un popolo di sonettanti? Oh liberiamoci una 
volta da questa follia.. Quei cinquecento o seicentomila facitori di righe rimate © 
non rimate, si traggano d’inganno; siano capaci che un mezzo milione di poeti nol 
pud la natura produrre, nol puù patire la nazione: cessino di perdere il tempo, 
d’essere noiosi e ridicoli; occupino l’ingegno in cose utili : studino e imparino ciù 
che a loro e alla patria giovi sapersi: ci lascino riposare da tanto fastidioso e vergo- 
gnoso frastuono. So che per poche parole mi fo più d’un milione di nemici. Si 
sdegnino pure, ma si emendino gl’ ingegni; si purghi l’Italia; lasci le inezie; si 
riempia di buoni e giovevoli ed onorati studi. » Opere, IX, pp, 344-349. CF. il vol. XI, 
p. 235, cit. dal Della Giovanna, p. 77, n. 2. Mai come nel Settecento (e l’abuso lamen- 
tato dal Giordani era un’ eredità di quel secolo) fu vero l’oraziano « qui nescit versus 
tamen audet fingere » (De Arte poetica, 382). 

2, Opere poeliche, VII, p. 295. 


I I ES EU AL PU RON SP OU VE Te 





UN ALTRO NEMICO DELLE RACCOLTE 


son colpite, e con una certa aggiustatezza. Segue la 
discorrendo dell’ ordinamento delle poesie : ° 


Chi mai non zoppica 
D’ accento o rima, 
S’ avanzi ed occupi 
La fila prima. 

Chi poi nel numero 
Mal regge in piede, 


Cui manca sillaba 

O d’essa eccede, 
Prudenté scelgasi 

Secondo posto, 

E dietro ai proceri 

Si stia nascosto. 


179 


satira, 


Sappiamo che non sempre le Raccolte erano ordinate secondo 
tali criteri, perchè non era facile che un poeta dappoco si 
rassegnasse al secondo posto. Si preferiva quindi l’ordine 
alfabetico, o l’ordine di ricevimento dei versi, e di ciù si faceva 
esplicita dichiarazione:. Ma la preparazione del volume è 
compiuta, esso passa in tipografia. Vediamo con che cura 
 debbano procedere le ulteriori operazioni : 


Scelti caratteri 
Da tinta intatti 
Chiaro tipografo 
Disponga e adatti; 
Nè l’onor manchivi 
Di pellegrino 
Dilicatissimo 
Noto bulino. 


Di azzurri e candidi 
Fogli s aduni 
Gran mole, e gemano 
I torchi bruni. 

Mille si formino 
Volumi belli 
Cui gallo artefice 
Vesta di pelli. 


Per la storia del costume, non sarà, credo, senza interesse 
questa canzonatura delle esotiche preferenze dell’ alta società 
d’allora. Due esemplari erano poi destinati agli sposi ; e questi 
richiedevano una preparazione speciale : 


Ma due si scelgano 
Per lisci e pinti 
Fogli, e per ampio 
Margin distinti, 

Cui fuor, sull’ indico 
Cuoio dorato, 
Risplenda il gemino 
Stemma onorato. 

Su piatto argenteo 
Paggio elegante 


AIT alta coppia 
Li rechi innante; 

« E’ questo » dicasi 
« Umil dovuto 
Al raro merito 
Lieve tributo. » 

Le due grand’ Anime, 
Soavemente 
Ridendo, accettano 
Il bel presente. 


Sono sposi, evidentemente, assai men restii di quelli del 


rt. Colagrosso, pp. 33-34. 





176 BULLETIN ITALIEN 


Bettinelli e del Roncalli, che consideravano le Raccolte neces- 
sario fastidio:; la loro gioia deve essere anzi immoderata, se 
il Giordani la confronta (e il paragone è una vera stonatura) 
con la gioia del «turco despota », nientemeno, quando gli si 
reca innanzi un tributo di teste recise. 

Ma lo scherzo finisce felicemente, con un accenno alla 
consapevolezza dell’ effimera gloria dei poeti d’allora, consa- 
pevolezza che tanto crucciava il Frugoni : e da ultimo con 
una beffa assai arguta, che colpisce insieme i verseggiatori, 


e gli sposi, e i lettori : 


Voi felicissimi, Ben altro adempiesi 
Nostri poeti, Qui il vostro voto : 
Di vostre glorie Fausto è dei nobili 
Vivete lieti. 26. Sposi il giudizio, 

Che monta ai posteri Che tutto lessero 
Restare ignoto? Il frontispizio. 


Sorte comune, questa d’esser giudicate dal frontispizio, delle 
Raccolte, e, per fortuna del volgo dei leggenti, d’altri libri 


parecchi. 
Giovanni FERRETTI. 


1. Amici e nemici, p. 12, n. 2; p. 16. 








QUESTIONS D'ENSEIGNEMENT 


LES JURYS D'ITALIEN 
EN 1910 


———— 


AGRÉGATION 


MM. H. Hauverre, professeur adjoint à la Faculté des Lettres de 
l'Université de Paris, Président. 


Bouvx, chargé de cours à la Faculté des Lettres de l'Université 
de Bordeaux. 


LucHatRe, professeur à la Faculté des Lettres de l’Université 
de Grenoble. 


Paour, professeur au lycée Louis-le-Grand. 


CERTIFICAT D'APTITUDE 


MM. H. Hauverre, Président. 


Bonarous, professeur à la Faculté des Lettres de l’Université 
d’Aix-Marseille. 


LUCHAIRE. 








BIBLIOGRAPHIE 


Dante Alighieri, Vila Nova, suivant le texte critique préparé 
pour la « Società dantesca italiana », par Michele Barbi, 
traduite, avec une introduction et des notes, par Henry 
Cochin. Paris, Honoré Champion, éditeur, 1908. 


Voilà longtemps déjà que M. Henry Cochin s’est signalé dans les 
études italiennes. En 1879, il traduisait la nouvelle de Luigi da Porto 
sur la tragique histoire de Roméo et Juliette. Sa traduction de la Vita 
Nuova est toute récente. Dans l'intervalle qui sépare ces deux tenta- 
tives, M. Cochin s’est occupé de littérature italienne, avec une 
compétence à laquelle ont rendu hommage les juges les plus auto- 
risés. IL s’est particulièrement intéressé à Pétrarque et à Boccace, et 
il complète aujourd’hui ses recherches sur le glorieux Trecento, en 
remontant jusqu’à l’Alighieri qu’il étudie à l’aurore de son adolescence 
et de son génie. Commencée il y a quinze ans environ, publiée en 1905 
dans la revue l'Occident, reprise plus tard en un magnifique ouvrage 
de luxe, la traduction française de la Vita Nuova a été mise à la portée 
du grand public dans ‘üne dernière version rédigée d’après le texte 
italien établi par Michele Barbi. 

L'œuvre de M. Cochin (on peut parler d'œuvre, et même d'œuvre 
personnelle) comprend une savante et agréable introduction où sont 
examinées et discutées les principales questions relatives à la Vita 
Nuova; de plus, grâce à un heureux arrangement typographique, le 
texte traduit correspond, page par page, au texte original; l’on trouve 
enfin un ensemble de notes destinées à éclaircir les passages les plus 
difficiles. 

L'auteur s'est expliqué loyalement sur la méthode qu'il a suivie : 
pour traduire avec fidélité, précision et élégance la Vita Nuova, il a 
adopté «un mot à mot intelligent, assez éclairé des beautés de l'ori- 
ginal pour en produire comme un reflet aux yeux du lecteur». 
M. Cochin a rarement manqué le but qu'il s'était proposé, mais il a 
été obligé parfois d’avoir recours à des expressions et à des tournures 
surannées. « Sans faire d’archaïsme, dit-il, on n’a pas cru devoir se 
refuser l'usage de certains mots bien connus, qui appartiennent au 
vocabulaire du Roman de la Rose, tels que semblant et semblance ; 
doutance, remembrer, d’autres encore ; car, à vrai dire, on ne pouvait 
pas s'en passer. De même on n'a pas pu éviter d'employer quelques 
mots dans le sens qu'ils avaient au xiv° siècle, et non dans celui qu'ils 
ont malheureusement pris aujourd'hui. De ce nombre sont : pileuæ, 
avec plusieurs dérivés, et surtout gentil et courtois, pour lesquels nous 





BIBLIOGRAPHIE 179 


n'avons pas d'équivalents. » Le gentil et courtois libello dantesque 
a porté bonheur à M. Henry Cochin : son ouvrage sur la Vita Nuova 
vient d'être couronné par l'Académie française. M. PAOLI. 


André Bonneîfons, Un état neutre sous la Révolulion. La chute de 
la République de Venise (1789-1797), Paris, Librairie acadé- 
mique Perrin, 1908; 1 vol. petit in-8° de xx-336 pages. 


L'histoire de Venise est si captivante qu'on est toujours tenté de 
remercier les auteurs qui s’en occupent, leurs livres fussent-ils 
médiocres; et dans celui-ci on aura encore plaisir à retrouver un 
tableau, vaguement esquissé, de la décadence de la Sérénissime, 
quelques profils de diplomates, un récit peu original, mais vivement 
brossé, des Pâques véronaises, et par-ci par-là quelques aperçus sur des 
négociations ou épisodes diplomatiques mal connus; mais, d’ailleurs, 
je suis assez de l'avis de M. Ballot qui, dans un article de la Revue 
d'histoire moderne et contemporaine (t. XIII, p. 97), dit que « ce livre 
n'ajoutera rien à nos connaissances sur les dernières années de la 
République de Venise». Disons « à peu près rien » pour être tout à fait 
juste; et au surplus renvoyons les lecteurs du Bulletin à cet article aussi 
judicieux que sévère, pour les renseigner sur la documentation et la 
composition du médiocre ouvrage de M. Bonnefons. Le vrai sujet est 
mal indiqué par un titre trop vaste : c’est une étude sur les relations 
diplomatiques de Venise avec la monarchie constitutionnelle et la 
République française. Mais cette étude n’est qu'ébauchée, faute d’une 
documentation suffisante. Sur les relations de la Sérénissime et des 
émigrés, M. Bonnefons ne s’est pas mis au courant : le fonds des 
Inquisitori di Stato entre autres lui aurait fourni, plus abondamment 
peut-être pour cette période que pour aucune autre, des riferte de’ 
confidenti, matériaux aussi solides que pittoresques ; nos études sur le 
Comte d'Artois à Venise, sur un emblème séditieux à Venise lui auraient 
montré le genre de trouvailles amusantes qu’on peut y faire. Il est 
bien difficile de savoir quel fonds l’auteur a consulté à l’Archivio de’ 
Frari, tant ses références sont rares et vagues. Il est regrettable qu'il 
n'ait pas publié en appendice les instructions données à Hennin, 
Noël et Lallement, qui, en raison de leurs dates, resteront en dehors 
de la collection ministérielle des Instructions aux Ambassadeurs de 
France à Venise. Le récit de la chute du Gouvernement aristocratique 
au chapitre VIT est une des moins bonnes parties de son ouvrage. 


Léox G. PELISSIER. 
Giovanni Rabizzani, Chateaubriand. Lanciano, R. Carabba, 
1910; in-8°, xxxn1-258 pages. 


Si l’on accorde à M. Rabizzani, en toute sincérité, cet éloge mérité 
de tous points que son Chateaubriand est une très utile étude de 


ne. vote dolé te Eds Alors nés Dee Lénine ie RAD dé ARS Es che NAÏÉS à MÉé 
à ef u » d Le e v D ; k ; pi 


180 BULLETIN ITALIEN 


littérature comparée, il en sera sans doute fort mortifié; car dès les 
premières pages de son avant-propos, il n’a que des paroles dédai- 
gneuses pour ce genre d'exercice critique : « Voici, » dit-il, «quelques 
titres à la mode : Milton et l'Italie, Gœthe en France, Dante et la 
France; mais à part le fait que plusieurs de ces travaux sont l’œuvre 
érudite et patiente de savants éminents (saluez, MM. Allodoli, Balden- 
sperger et Farinelli; c'est à vous que ce discours s’adresse!), il 
demeure barbare de comparer un poète à une région dans son sens 
géographique, historique ou politique, à un peuple, à une littéra- 
ture...,à quoi encore}... Pareïlles expressions sont toujours vagues et 
souvent fausses, ou bien arbitraires et antiphilosophiques.» A lire ce 
dernier grief, on se croirait revenu aux beaux jours du xvim° siècle, 
où l'on eût bravé bien des reproches pour ne pas encourir celui de 
_ n'être pas philosophe! Et tout fier, pour ces motifs, d’avoir intitulé 
son livre Chateaubriand, sans plus, il nous présente une étude où il 
est d’abord question de Chateaubriand et l'Ilalie (c'est la première 
partie) et ensuite de Chateaubriand en Italie (c'est la seconde partie). 
Ceux qui préfèrent les réalités aux mots, le féliciteront d’avoir traité 
ce sujet sans le dire, plutôt que s’il l’avait annoncé sans le traiter. 

En ce qui concerne la partie historique de la question, M. Rabiz- 
zani est bien documenté, et nul ne saurait s’en montrer surpris, 
puisqu'il a travaillé sous la direction d’un maître comme M. Guido 
Mazzoni, et avec le secours « de son admirable bibliothèque »; c’est 
surtout grâce à un si précieux appui que ce livre a pu devenir ce qu'il 
est, instructif et solide. Pour ce qui est de la « philosophie», M. Ra- 
bizzani se réclame d’un maître qui, pour ne pas enseigner, n’en exerce 
pas moins une grande influence sur la jeunesse universitaire d'Italie, 
M. Benedetto Croce. Chacun connaît et apprécie l’œuvre de cet esprit 
pénétrant et infatigable, qui continue brillamment, à Naples, la tradi- 
tion de F. De Sanctis. Un des plus heureux effets de son activité 
critique a été de mettre un frein à certains excès de la méthode histo- 
rique, entendue d’une façon étroite, à la mode allemande, en revendi- 
quant pour la critique esthétique le rôle et la place auxquels elle a 
droit. [1 n’y a qu’à applaudir à son œuvre. Mais à voir l'usage que 
certains « jeunes » font de ses idées, on se prend à craindre qu'ils n’en 
tirent pas le meilleur profit possible. 

Dès le premier chapitre, sur le Génie du Christianisme, à propos de 
la question de savoir si le sujet d’une œuvre d'art possède par lui- 
même une valeur esthétique, indépendamment de l’auteur qui s’en 
empare (p. 15-21), nous nous apercevons que M. Rabizzani a une 
doctrine arrêtée d'avance : pour lui, en ces matières, il y a une vérité 
et une erreur, et il s'étonne que l'erreur ait été professée par tant 
d'hommes distingués, parmi lesquels il nomme, outre Chateaubriand, 
William Cowper, M. Giovanni Pascoli, Ruskin, Guyau, tandis que 
Gœthe «a hésité entre l’erreur et la vérité » (p. 19). Personnellement, 
je suis bien d'accord avec M. Rabizzani sur le fond de la question; 





Per 





BIBLIOGRAPHIE 181 


mais cette conception d’une orthodoxie esthétique, est la chose la plus 
déconcertante du monde. Qui veut s'occuper de l’histoire des idées 
doit avant tout éprouver pour les idées d'autrui, indépendamment des 
siennes propres, une certaine sympathie; au moins doit-on faire effort 
pour en comprendre la genèse et le rapport avec le milieu intellectuel 
et social où elles se sont formées, sans se préoccuper constamment de 
leur valeur absolue; les opposer dédaigneusement avec ce que vous en 
pensez, ou avec ce que j'en pense, en l’an de grâce 1910, est la meilleure 
facon de ne pas les comprendre. Déclarer par exemple que les louanges 
accordées par ses contemporains à Chateaubriand, pour sa façon « juste 
et féconde» de traiter des caractères et des passions, furent les plus 
sots éloges que l’on pût lui adresser (p. 24), c’est prendre une peine 
inutile, qui met seulement en lumière la suffisance du critique; 
j'aimerais mieux qu’il cherchât à comprendre et à m'expliquer 
. pourquoi, à un moment donné, le point de vue de Chateaubriand a 
pu paraître «juste et fécond », et à me dire s’il l’a été, oui ou non. 

Un peu plus loin, M. Rabizzani part en guerre contre la méthode 
comparative appliquée à l'étude des sentiments (p. 27 et suiv.), parce 
que De Sanctis a fait très justement observer que l'expression des 
sentiments dépend du caractère de celui qui parle, des conditions 
spéciales où il se trouve, du siècle où il vit, de ceux auxquels il 
s'adresse, etc... — Mais précisément la critique objective, ou histo- 
rique, a pour but de faire ressortir la valeur relative de toutes ces 
circonstances contingentes; par ce moyen, elle peut reconstituer 
l'histoire des sentiments, non dans ce qu’ils ont de fixe et d’immuable, 
mais au contraire dans leurs perpétuels changements. À un critique 
récent, M. van Tieghem (Revue du mois, mars 1906), qui croit à l'utilité 
de la méthode comparative pour étudier les sentiments, M. Rabizzani 
oppose cet axiome — ou ce dogme: «Le poète, dans sa création, ne 
s'occupe pas de savoir si un sentiment est odieux ou admirable, mais 
seulement s’il est vrai (p. 28). » Mais de quel poète parle ici M. Ra- 
bizzani ? A-t-il en vue tel ou tel poète déterminé, ou bien s'agit-il du 
type fixe, immuable, absolu du poète « en soi »? Croit-il qu'en façon- . 
nant le personnage de Lucrèce Borgia, V. Hugo ait eu l'intention de 
«faire vrai », plutôt que de créer un monstre purifié par le plus 
sublime des sentiments, l'amour maternel? Pense-t-il que Manzoni 
n’a pas volontairement prêté des sentiments odieux à don Rodrigo, 
et, par contraste, des sentiments d’une admirable générosité à fra 
Cristoforo? Et s’il ne le croit pas — comme il faut l’espérer! — que 
signifie cette affirmation solennelle de principes absolus ? 

S'il avait voulu donner pour base à son travail, déclare-t-il (p. 107), 
cette détestable méthode comparative, il aurait dû prendre la person- 
nalité de Chateaubriand comme une pierre de touche, comme l'unité 
de mesure, pour y rapporter tous les romantiques italiens, « travail 
stupide et inutile ». On peut lui objecter qu’il ne fait pas autre chose 
dans son chapitre V, et qu’en tout cas il n’est pas beaucoup moins 


182 BULLETIN ITALIEN 


inutile (faisons - lui grâce de l’autre épithète) de juger Chateaubriand 
d’après certains principes d'esthétique que celui-ci n’a pas pu con- 
naître. C’est un peu l’histoire de nos critiques du bon vieux temps, 
qui condamnaient sans appel la Divine Comédie comme un monstre, 
parce qu'aucune des toises en usage dans l'arsenal classique ne per- 
mettait de la jauger. Une pierre de touche vaut l’autre, et il serait 
peut-être temps de renoncer à en trouver une pour l'appliquer aux 
ouvrages de l'esprit; cela ressemble trop à la pierre philosophale! 

Cet emploi maladroit du dogmatisme critique ne peut que hâter 
une réaction en faveur d’une méthode de plus en plus objective, 
moins préoccupée de juger que de comprendre, fondée sur l’étude 
attentive d’une époque, d’un milieu, d’un tempérament, et non sur 
des théories préconçues. L'histoire a du bon, quand ce ne serait que 
d'enseigner à tenir compte des dates et à distinguer les générations! 
M. Rabizzani conclut sa première partie en remarquant, avec De 
Sanctis, que le sentimentalisme de René a été frappé à mort par 
l'ironie de Heïine : « Henri Heïne détruit tout ce passé sentimental; il 
est l’âme la plus représentative de notre société » (p. g1) — phrase 
révélatrice, où nous apprenons tout à coup que ce «jeune» — du 
moins le croyions-nous tel jusque-là — est un contemporain de De 
Sanctis et de Heine! Sans doute, il essaie de se rajeunir en citant les 
Saggi critici du premier dans l'édition de 1898; mais nous n'oublions 
pas pour cela que le volume remonte à 1866, et que H. Heïne était 
mort dix ans plus tôt! Que M. Rabizzani tâche donc de faire abstrac- 
tion d’impressions qui remontent à un grand demi-siècle, et qu'il 
s'efforce de regarder autour de nous : il verra que le sarcasme de 
Heine est aussi peu de mise aujourd’hui que la mélancolie de René 
pouvait l'être il y a cinquante ans; les luttes profondes qui nous 
agitent, qui nous divisent, qui nous conduisent rapidement vers un 
état social tout nouveau, ne sont pas de celles que la jeunesse puisse 
suivre d’un regard ironique; il faut prendre parti, c'est-à-dire s’atta- 
cher à un idéal, travailler à le faire triompher — et nous ne voyons 
pas que la jeunesse se dérobe à ce devoir sacré. 

Nous voici bien loin de Chateaubriand; mais c’est un des mérites 
de ce livre de soulever beaucoup de questions générales, et ilen a 
d’autres encore : il est agréablement écrit ; il est nourri de faits ; il est 
précis et clair; il donne, soit en note, soit en appendice, des excursus 
curieux sur certains points particuliers. Ce qui m'y a paru le plus 
défectueux, ce sont les idées, auxquelles je crains que M. Rabizzani 
ne tienne plus qu’à tout le reste; sa philosophie l’a constamment gêné 
et souvent égaré; qu'il consente à cultiver tout simplement l'histoire 


littéraire ; il peut y réussir fort bien. 
Hevr: HAUVETTE, 











CHRONIQUE 


… L'Index des cinquante premiers volumes (1883-1907) du Gior- 
nale Storico della Letteratura Italiana vient de paraître (Turin, Læs- 
cher, 1909; vin-5o9 pages). L'importance capitale de cette revue dans 
nos études est trop connue pour qu'il soit besoin d'insister sur les 
services que cet Index est appelé à rendre. Il se compose de trois 
parties : l'index alphabétique, par noms d'auteurs, des écrits signés 
publiés dans le Giornale pendant ces vingt-cinq années ; l'index alpha- 
bétique, par noms d'auteurs, de la bibliographie, c'est-à-dire de tous 
les ouvrages analysés, mentionnés ou simplement annoncés; enfin 
une table des notices nécrologiques. 

Comme on voit, il n’y a pas ici d’index analytique des personnes 
ou des matières auxquelles se rapportent articles et ouvrages signalés, 
et c'est là une lacune qui ne peut manquer de causer bien des regrets : 
car si je m'intéresse à une question d'histoire littéraire déterminée, 
j'ai le droit d'ignorer les noms de tous ceux qui s’en sont occupés, et 
c'est précisément ce qu'une table bien comprise devrait surtout 
m'aider à savoir. Dira-t-on que cela eût exigé un dépouillement trop 
long et forméun volume trop considérable? Cette excuse pourrait tout 
au plus justifier le retard de cette partie indispensable des tables, que 
nous attendons encore. Nous l’attendons d'autant plus légitimement 
qu'en 1896 la maison Læscher avait publié sur ce plan l'index des 
tomes [ à XXIV; il faudra que cette publication soit continuée ; la 
refonte des index alphabétiques des auteurs n’en dispense pas. — H. H. 

…— Un volume de M. Rodolfo Renier est une bonne fortune trop 
rare pour que nous n’en signalions pas au plus vite l'apparition. 
Absorbé par son enseignement d’une part, et de l’autre par la labo- 
rieuse direction du Giornate Slorico della Letteratura Italiana, 
M. Renier se déclare lui-même « mort comme producteur de matière 
scientifique originale »; nul ne l’en croira; car dans sa chaire de 
Turin, comme dans le Giornale Storico, il est difficile de déployer une 
activité plus variée, plus féconde, qui suppose, avec une pareille 
facilité, une information aussi étendue et aussi solide; cela est prodi- 
gieux. Mais il est certain que le temps fait défaut à ce vaillant esprit 
pour se recueillir et pour édifier une de ces œuvres organiques dont 
la gestation n’admet guère de partage, et il faut admirer le renonce- 
ment de l’homme qui se dévoue ainsi tout entier à une tâche de 


18/4 BULLETIN ITALIEN 


direction scientifique. Heureusement il n'a perdu l’habitude ni de lire 
pour son propre plaisir, ni de méditer sur ses lectures; et de ces 
méditations est sortie, depuis plusieurs années, une série d'articles 
très remarqués, qui ont paru pour la plupart dans le Fan/ulla della 
Domenica; on fut charmé de trouver, sous la plume de ce savant, 
de ce philologue, de cet austère défenseur de la rigide méthode histo- 
rique, les qualités les plus aimables dont puisse se parer la meilleure 
vulgarisation, celle qui repose sur une information de première main. 
C’est un choix de ces articles que M. Renier nous présente sous le titre 
trop modeste de Svaghi crilici, en un élégant volume de 560 pages 
publié par l'éditeur Laterza de Bari (1910). 

Il ya là vingt-quatre écrits dont onze concernent la littérature 
italienne, depuis la dantesque Gaïa di Gherardo da Camino jusqu’à 
G. D’Annunzio, en passant par Vannozzo, Gellini, S. Rosa, la fille 
de Monti, sans oublier une importante étude sur l’ancien « gergo 
furbesco » ; six articles sont consacrés à la littérature française (Mar- 
guerite de Navarre, Corinne, Stendhal, Zola, Maupassant, J. Verne), et 
trois à la littérature allemande (H. Heine, A. Stifter, G. Keller); sous 
la rubrique «Varia », sont groupées quatre études concernant plus 
directement le folk-lore : Arlequin, le Juif errant, hagiographie scien- 
tifique, et la Santa Casa de Lorette. Si les questions abordées sont par 
elles-mêmes fort attrayantes, la façon dont elles sont traitées est telle 
que lorsqu'on a jeté les yeux sur un quelconquede ces chapitres, il est 
impossible de ne pas le lire jusqu’au bout. H. H. 

… Nous devons au chroniqueur florentin Donato Velluti un pré- 
cieux témoignage, d'où il ressort que le jeu de tennis a été introduit 
— avec ce nom — à Florence par des chevaliers français au début 
de 1325. À propos d’un Tommaso di Lippaccio qui passait alors son 
temps à jouer à la balle avec les Français, D. Velluti ajoute: «e di 
quello tempo si comincio a giucare a tenes.» M. Pio Rajna commente 
cette phrase curieuse, avec sa compétence habituelle, dans le Marzocco 
du 13 février 1910. Voilà donc encore une mode anglaise dont l'in- 
troduction en France n’a été qu'un retour dans son pays natal, et 
c’est un Florentin qui nous l’apprend! 

A dire vrai, le sens et l’origine de.ce mot « tenes » laisse le champ 
libre à plus d’une discussion : l’étymologie la plus vraisemblable est 
le mot « tenez » prononcé par les joueurs en lançant la balle. M. Rajna 
écarte cette explication par des considérations qui ne nous paraissent 
pas décisives, malgré ses efforts pour faire triompher une étymologie 
allemande (tenne— aire, surface plane en terre battue), il est obligé 
d'en reconnaître toute l’invraisemblance; quant au mot tens (dont 
nous avons conservé le radical dans notre verbe tancer, et dans 
l'italien tenzone), il lui plairait fort s’il signifiait, plutôt que lutte, 
quelque chose comme défense, obstacle. Mais un Florentin aurait, 








CHRONIQUE 185 


dans ce dernier cas, écrit {ense ou tenso (comp. renso — Reims) et non 
tenes ; et il ne paraît pas du tout certain que D. Velluti ait prononcé 
ténes plutôt que tenés, car c'est bien le mot français, et non sa pro- 
nonciation populaire florentine (tenèsse), qu'il a voulu transcrire, 
exactement comme les Florentins résidant en France appelaient la ville 
de Blois Bles (et non Blesse). Dans ces conditions nous nous rallions, 
jusqu'à nouvel ordre, à l'explication du «tenes» florentin et du 
« tennis » anglais par l’exclamation : «tenez! ». — H. H. 

M. Lage F. W.Staël von Holstein a présenté à l’Université 
d'Upsal une thèse sur Le roman d’Athis et Prophilias, étude littéraire 
sur ses deux versions (Upsal, 1909, vir-126 pages). Ce travail, exécuté 

suivant une excellente méthode et avec une information patiente et 
solide, ne nous intéresse ici que par le côté où il touche à la littérature 
italienne ; la première partie du roman a servi de modèle en effet à la 
huitième nouvelle de la dixième journée du Décaméron, qui a eu elle- 
même une assez belle destinée entre toutes les nouvelles de Boccace 
(voir Bull. italien, 1909, p. 12-14 et 211). M. Staël résume fort claire- 
ment les opinions déjà émises sur ce problème, se rallie aux conclu- 
sions récentes de L. Di Francia, et fait ressortir ce détail intéressant 
que le manuscrit d’Alhis, aujourd'hui conservé à Londres, a pu être 
consulté à Naples par Boccace ; car il porte la date de 1330 et appartint 
à Jeanne, duchesse d'Athènes, comtesse de Brienne et de Liches, mère 
de ce Gauthier, duc d’Athènes, qui est célèbre dans l’histoire de 
Florence ; celle-ci vivait alors à la cour du roi Robert de Naples. — H.H. 

—— Signalons une importante publication franco-italienne sur 
Léonard de Vinci: Leonardo da Vinci, conferenze fiorentine; avec 
30 illustrations; Milan, Treves, 1910; gr. in-8° de 326 pages. Ces 
conférences furent tenues au cercle Leonardo de Florence, il y a au 
moins quatre ou cinq ans; pour arriver un peu en retard, la publica- 
tion n’en est pas moins la bienvenue. Cet élégant volume comprend 

les articles suivants : 
* Ed. Solmi, La risurrezione dell’ opera di Leonardo. 

M. Reymond, L'éducation de Léonard. 

Angelo Conti, Leonardo pittore. 

Vitt. Spinazzola, Leonardo architetto. 

Ant. Favaro, Leonardo nella storia delle scienze sperimentali. 

Filippo Bottazzi, Leonardo biologo e anatomico. 

B. Croce, Leonardo filosofo. 

L. Del Lungo, Leonardo scrittore. 

Joséphin Péladan, Épilogue. 

À ces neuf conférences vient s'ajouter un curieux écrit d'actualité : 
L'aeroplano di Leonardo, par M. Luca Beltrami. — H. H. 

- Les thèses de doctorat sur le xvi° siècle français, avec plus 
d'une référence à l'influence italienne, se suivent de près à la Sor- 


ETS NT ANT D SE MORT RE TPE 
E us # 2 48e 





186 BULLETIN LTALIEN 


bonne; en attendant la soutenance prochaine des thèses de MM. Plat- 
tard, sur Rabelais, et Laumonier, sur Ronsard, l’année 1909 s’est 
achevée avec le Baïf, de M. Augé-Chiquet (La vie, les idées et l'œuvre 
de Jean- Antoine de Baïf; Paris-Toulouse, 1909, xix-618 pages). 
Le nouveau docteur a reçu des éloges mérités, et même obtenu 
un légitime succès, pour la conscience et le talent grâce auxquels 
il a fait revivre la physionomie d’un poète dont l’œuvre manque un 
peu d’attrait. Au point de vue italien, il faut signaler tout parti- 
culièrement le chapitre III (Baïf poète lyrique), qui définit avec pré- 
cision ce que l'inspiration de Baïf doit à Pétrarque, à Sannazar, à 
Bembo et à leurs disciples, en même temps qu'aux petits vers latins, 
galants et sensuels des humanistes; mais l'influence italienne est 
étudiée encore en d’autres parties (ch. VI, L’Alexandrinisme, — mais 
pourquoi indiquer ici les imitations de l’Arioste? — et ch. VII, Les 
vers rimés, important pour l'étude des formes métriques). — La 
thèse complémentaire de M. Augé-Chiquet (édition critique des Amours 
de J.-A. de Baïf, œuvre de jeunesse, publiée en 1552) permet de saisir 
sur le vif le procédé du poète dans l'emploi qu’il fait de ses modèles; 
car, outre les variantes du texte, l'éditeur a eu la très bonne précaution 
d'indiquer les sources des pièces autant qu’elles sont connues, et de 
les citer intégralement quand le texte en est moins accessible que les 
œuvres de Pétrarque. Seulement, sur ce point, on regrettera que 
M. Augé-Chiquet, un peu pressé peut-être, n'ait pas su rendre plus 
évidents les procédés de Baïf dans limitation. La sèche rubrique 
« sources » est trop vague, car il y a bien des façons d'utiliser des 
sources : on peut traduire littéralement, imiter de près ou de loin, 
s'inspirer d’un quatrain, d'un tercet, d'un vers, d’une image, et tout 
cela vaut la péine d’être indiqué; des lecteurs pressés (ce sont les plus 
nombreux) penseront que Baïf a fidèlement traduit toutes les pièces 
qu'ils apercevront au bas des pages, et cela n’est pas du tout exact. 
Car parmi ces prétendues sources on relève d'assez vagues réminis- 
cences (pour le sonnet O nuit plaisante, M. Augé-Chiquet lui-même 
en convient, p. 88 de sa grande thèse), et plus souvent de simples 
rapprochements — ce qui est bien différent. En ces sujets si délicats, 
il faudrait pouvoir tenir compte des intermédiaires qui se sont inter- 
posés sans doute entre le poète et son modèle présumé : tous ces 
thèmes ont tellement servi qu'il faut, deux fois sur trois, renoncer à 
décider si la source est ici plutôt que là, du moins dans le cas de 
Baïf qui, en somme, a rarement traduit. Il y a là une question de 
méthode qui a son importance pour la rédaction d’un travail de cette 
nature. — H. H. | 

L'éditeur A.-F, Formiggini, de Modène, vient de publier une 
« Miscellanea Tassoniana di studi storici e letlerari pubblicata nella 
Festa della Fossalta — xxvur giugno MDCCCCVIIT — a cura di 





PUBLICATIONS NOUVELLES 187 


lommaso Casini e di Venceslao Santi, con prefazione di Giovanni 
Pascoli ». C’est un élégant volume in-4°, de x1-510 pages, illustré de 
reproductions d’estampes nombreuses et bien réussies. Parmi les 
trente savants mémoires qui y sont réuni$, nous signalerons ici 
seulement ceux qui offrent un intérêt particulier au point de vue de 
la littérature comparée : Carlo Frati, Re Enzo e un anlica versione 
francese di due trattati di falconeria; — Francesco Picco, La « sage- 
femme» della Secchia Rapita (sur J. Chapelain); — Giovanni Setti, 
Tassoni e Montaigne; — Giulio Bertoni, /ntorno ad alcune citazioni 
provenzali e a una grammatichetta francese di A. Tassoni. Signalons 
encore, pour son intérêt artistique, l'étude de Giulio Bariola, Le illus- 
trazioni alla Secchia. Les autres études, d’un caractère plus spécia- 
lement historique ou philologique, n’ont d’ailleurs pas une moindre 
valeur. — H. H. . 





PUBLICATIONS NOUVELLES ADRESSÉES AU BULLETIN 


AnNzrani (JEANNE), La Città di S. Caterina. Sienne, 1909; 41 pages. 
Extrait du Bollettino Senese di Sloria Patria, anno XVI, 1909. — 
(Introduction du mémoire présenté par M'"° Anziani pour le diplôme 
d'études supérieures d’italien, à la Sorbonne. Le Bulletin italien 
publie, d'autre part, un autre fragment de ce mémoire.) 

Catalogo dei Codici marciani italiani, a cura della Direzione della 
R. Biblioteca di S. Marco a Venezia; volume I (Fondo antico, classe I, 
IL ID), redatto da Carlo Frati e À. Segarizzi; Modène, Ferraguti, 1909; 
in-4°, xu-379 pages. (Premier volume de cette importante publication, 
qui en comprendra au moins six.) 

Crescinr (Vincenzo), Nuove postille al trattalo amoroso d’Andrea 
Cappellano ($$ 1-32). Venise, 1909; 99 pages (Extr. des Ati del R. 
Istituto Veneto di scienze, lettere ed arti, t. LXIX). (Première partie 

_de cet important travail, dont la suite paraîtra dans le volume suivant 
du même recueil.) 

Darcmixi (GArrano), Alla ricerca di Gesü. Note di un viaggio in 
Oriente (1906); con illustrazioni. Rome-Milan, Albrighi-Segati, 1910; 
in-16, 320 pages. 

De Mazoë (Error), Le Fonti della Gerusalemme liberata con nuova 
ragione critica. Parme, Typ. coop., 1910; xvi-344 pages, in-8. 

Doxart (L.), Corso pralico di lingua italiana per le scuole francesi. 
Grammatica; esercizi; letture. Zurich, Orell Füssli, Paris, Fisch- 
bacher; 1909. 

FerRETTL (GiovANNI), Pietro Giordani e Pietro Custodi (Extr. du 
Bollettino slorico piacentino, anno IV, 1909; 12 pages). — (Lettres 
extraites de la collection Custodi à la Bibliothèque Nationale, dont 
notre collaborateur L. Auvray a donné ici même le Catalogue, t. III-V.) 


PEN ES PI SR PTE EN 
vd el £ Les À 


188 BULLETIN ITALIEN 


FerRiA (C. Vicror LAURENT), Grammaire italienne; cours élémen- 
taire. Paris, Poussielgue, 1909 (174 pages). 

I Fioretti di S. Francesco con Introduzione e Commento per cura 
di ArnazpO DELLA Torre. Turin, G.-B. Paravia ; in-16 de Lvi-285 pages, 
8. d. (mars 1909). — (L'importance de l’'Introduction, des notes et des 
index font de cette nouvelle édition le véritable texte d'étude pour les 
amateurs des Fiorelti.) 

GAaRoOFALO pi Boxiro (P.), Acrisia Vichiana nella « Scienza Nuova », 
annotazioni critiche. Naples, Detken, 1909, 1 vol. in-8. 

Hurrox (EpwarD), Giovanni Boccaccio; a biographical study, with 
photogravure frontispiece and numerous other illustrations. Londres, 
John Lane, 1910; in-8°, xxvinr-426 pages. 

ManacorDA (Guipo), Germania filologica; guida bibliografica per 
gli studiosi e per gli insegnanti di lingua e letteratura tedesca, con 
circa 20,000 indicazioni. Crémone, P. Fezzi, 1910; gr. in-8° de 
280 pages (10 francs). 

NIGHTINGALE JoNEs (FLORENCE), Boccaccio and his imitators in 
german, english, french, spanish and italian literature. — The Deca- 
meron. — Chicago, University of Chicago press, 1910; gr. in-8°, 
iIV-16 pages. 

Proro (Enrico), Per alcune ricerche sulle fonti del « Mondo Creato » 
di T. Tasso. Naples, 1910 (Extr. de la Rassegna critica della lett. 
ilaliana, XIV, p. 193 et suiv.), 45 pages (Polémique avec M. Scopa). 

Rexrer (Ropozro), Svaghi crilici. Bari, Laterza, 1910; in-16, 
vin-566 pages. 

Société des Professeurs de langues vivantes de l'Enseignement 
public. — Congrès international, tenu à Paris du 14 au 17 avril 4909. 
Compte rendu général publié par les soins de M. G. Delobel, secré- 
taire général du Congrès. Paris, Henry Paulin, 1909; grand in-8° de 
847 pages. 

Viaxey (Joseru), Préface pour la réimpression des Amours de P. de 
Ronsard Vandomois commentées par Marc-Antoine Muret; nouvelle 
édition publiée d’après le texte de 1578 par Hucues VaGanay. Paris, 
Honoré Champion, 1910; in-4°. 





5 avril 1910. 





Le Secrétaire de la Rédaction, Eucène BOUVY. 
Le Directeur-Gérant, GEorGEs RADET. 








Bordeaux. — Impr. G. GounôuiLuou, rue Guiraude, 9-11, 








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Vol. X. Juillet-Septembre 1910. N° 3. 





POUR LE TEXTE 


DU DIALOGUE» DE SAINTE CATHERINE DE SIENNE 


En faisant un travail sur le Dialogue de la Divine Providence 
de sainte Catherine de Sienne, j'ai été amenée à consulter, 
non seulement les éditions assez nombreuses que nous en 
possédons, mais encore quelques manuscrits intéressants. 

La dernière édition du Dialogue, qui est d’ailleurs fort rare, 
est celle qu'a publiée Girolamo Gigli (Sienne, 1707), et son 
texte s’écarte sensiblement de celui des éditions antérieures, 
toutes vénitiennes: à l’exception de l’incunable bolonais de 
l'Azzoguidi (1472, in-folio). 

Or, la leçon de Gigli ressemble beaucoup à celle d’un manus- 
crit de la Laurentienne, cod. Gaddiano, PI. 89 sup. 100, du 
xiv° siècle. Dans ce manuscrit, nous trouvons au bas du 
feuillet :84 (recto), après les oraisons qui font suite au texte 
du Dialogue, la note suivante, de la même main que le reste: 

« Or in apresso scriveremo circa a un colonello il quale 
per errore manca in questo libro a capitoli CLXIII. » Et en 
effet, au feuillet 146 (verso), au milieu de la marge de la 
première colonne, on peut lire: 

« Qui manca circa a uno colonello il quale è scricto in 
questo libro accarte CLXXXIIIE. » | 

Il est bon de noter que ce passage omis tient, sur la page 18/ 
de notre manuscrit, à peu près deux colonnes, et que le «circa 
a un colonello » ne peut se rapporter qu’au manuscrit qui a 
servi de modèle. 

D'ailleurs ce manuscrit 89 sup. 100 est surtout intéressant 


1. Mathio Codeca, Venezia, 1483 et 1494; Arrivabene, ibid., 1517; Marchio Sessa, 
ibid., 1540; Farri, ibid., 1579; Giacomo Cornetti, ibid., 1589. 

2. Cf., pour la description, le Catalogue des Manuscrits latins de la Bibliothèque 
Laurentienne, par Bandini, t. V, col. 334. 


AFB., IVe Série. — Bull. ital., X, 1910, 3. 13 








190 BULLETIN ITALIEN 


par le fait qu'il est une copie, et une copie faite au xrv° siècle. 
Le Dialogue est écrit en 1378; ce n’est qu'après la mort de 
sainte Catherine, en 1380, que ses disciples transcrivent et 
répandent ses œuvres. Il y a donc des chances pour que le 
manuscrit qui a servi de modèle au nôtre soit au moins une 
des premières copies toscanes. | 

À Florence il n'existe pas de texte plus ancien: les deux 
autres manuscrits du Dialogue (Biscioni 21 et 22) étant posté- 
rieurs'. Mais à Sienne, à la Bibliothèque Communale, on 
trouve, catalogué dans l’/ndice per Materie de Ilari, un manus- 
crit du Dialogue qui est coté actuellement I, VI, 13, et qui, 
à la page 140 (verso), immédiatement après le texte du Dialogue, 
porte une note effacée; mais que l’on déchiffre à l’aide d’un 
réactif : 

«Anno vero Domini millessimo trecentesimo e octagesimo 
ottavo. » 

Ce manuscrit, sur papier, contient d’abord six lettres dé 
sainte Catherine (f. 1-5 recto), puis le texte du Dialogue (f. xo- 
140 verso). L'écriture, assez régulière au début, se gâte à partir 
de la page 41, et les lettres gothiques prennent peu à peu 
l’inclinaison, les boucles et les fioritures de l'écriture cursive 
de l’époque. On remarque beaucoup de corrections entre les 
lignes et dans les marges; les formes dialectales du langage 
populaire siennois abondent, et on relève d'innombrables 
erreurs de graphie. | 

Une note de Gaetano Milanesi sur le premier feuillet de 
garde porte: «Si dubita che questo libro sia scritto di mano 
di M° Andrea di Vanni, pittore, amico della Santa. » Si cette 
hypothèse est fondée — et la comparaison de cette écriture 
avec celle de la lettre du peintre siennoïs, reproduite en photo- 
gravure dans la publication Scrillura di arlisti ilaliani (Firenze, 
1869-73), ne s’y oppose nullement, non plus que les nombreuses 
incorrections caractéristiques, — si cette hypothèse est fondée, 
ce manuscrit nous reporte à une époque où l'œuvre de Cathe- 
rine n’était pour ainsi dire pas sortie du petit cercle de ses 
amis et de ses disciples locaux. 


1. 1473 et 1454. 








POUR LE TEXTE DU ( DIALOGUE }) DE SAINTE CATHERINE DE SIENNE 191 


Un autre manuscrit nous permet de remonter plus haut 
encore. 5 

Gigli, dans la Préface de son édition du Dialogue, dit que 
«le texte ancien de la Sainte Verginella n’a jamais été publié 
jusqu'ici, sinon avec de fortes altérations de mots et de sens; et 
qu'il est parfois si différent de la leçon véritable, et si informe, 
. que les publications les plus connues, faites à Venise chez Farri 
et chez d’autres, se trouvent, en les comparant avec le manus- 
| crit, non seulement dépouillées de toute grâce d’élocution et 
| de saveur toscane, mais manquent en grande partie de leur 
clarté et de leur force primitives; et enfin (ce qui est pire) elles 
. sont criblées d'erreurs considérables qui pouvaient parfois + 
È inquiéter un lecteur chrétien, et lui faire rechercher une 
| interprétation ». 
4 Or, le manuscrit que Gigli prétend avoir copié, et qu'il a vu 
3 dans la chapelle privée de Silvio Gori Pannilini, a été légué 
: à la Bibliothèque Communale de Sienne par Gregorio Gori 
Pannilini en mai 1882, et il est actuellement décrit dans 
l’Appendice manuscrit du Catalogue, sous la rubrique T, IE, 9. 

C’est un manuscrit en parchemin de 148 feuillets mesurant 
o m. 190 X o m. 263; le feuillet 49, écrit en minuscules 
modernes, porte au verso, en bas, la note suivante: 


« Come in congiuntura di fare il confronto e correggere il libro 
stampato dei Dialogi {sic) di S. Cat* col presente libro esistente 
appresso il S° Silvio Gori, per ridurre in miglior uso l’opere della 
Santa, si trovo da me, Giulio Donati che feci la detta fatica, rasato il 
| presente foglio, quale fu di poi, l’anno 1704 trascritto da me da altro 
Ê libro che è una buona copia del sopradetto, che si ritrova il nob. Sign” 
Flavio Petrucci. » 


3 | Entre les feuillets était glissée une note manuscrite sur papier 
contenant ces mots : 

, « Memoria. 

| Questo libro che fu donato al Sig. Silvio Gori Pannilini dal medico 
Girolamo Bandiera contiene li Dialoghi di S. Caterina da Siena da lei 
dettati in tempo che stava in estasi, e fu scritto dal Beato Stefano Ma- 
coni compagno diletto della Santa che fu poi Generale della Certosa. » 


1. Girolamo Gigli, Opere di Sta Gaterina, t. IV, p. vr. 


TR de VU LA 





192 BULLETIN ITALIEN 


Or, Stefano Maconi était à cette époque le secrétaire habituel 
de sainte Catherine; c’est lui qui, avec Neri Pagliaresi e 
Barduccio Canigiani, écrivit, sur des feuillets aujourd'hui 
égarés, ce que Catherine dictait en octobre 1378 de son 
Dialogue de la Divine Providence; c’est à lui que Ser Cristofano 
di Gano Guidini s’adressa, en 1386, pour le prier de corriger 
une traduction du Dialogue qu'il venait de faire en latin:. Cette 
attribution du manuscrit à Stefano est basée sur le fait qu'on 
trouve à la fin du texte la formule: « prega Dio per lo tuo 
inutile fratello, » formule que Maconi avait coutume de mettre 
au bas des lettres qu'il écrivait pour lui-même ou sous la dictée 
de Catherine». 

Ainsi présenté, ce manuscrit est intéressant et mérite d'être 
étudié. Il commence ainsi, tout en haut du feuillet x : 


«AI nome di Yhux crocifixo. E di Maria dolce. 


Questo libro fece la venerabile vergina Katerina da Siena mantellata 
di Sancto domenico: liber divine doctrine date per persona del primo 
intellectui loquentis gloriose e felice virgini katerine de senis predica- 
torum ordinis, e scriptus ipsa dictante lingua vulgariter, e stante in 
raptu actualiter, et audiente quia in ea loqueretur domine deus, e 
coram pluribus referente. » 


Suit le texte, très correct, avec des latinismes d'orthographe 
(scripto, decto, facto... contemplatione, etc.); le caractère 
droit, étroit, régulier de l'écriture gothique est bien celui du 
xiv° siècle. Les initiales, vermillon et cobalt alternés, sont 
fermes et sans fioritures. Les notes et les corrections à l'encre 
noire sont de la même main. Les rubriques à l’encre rouge, 
indiquant les titres des chapitres et des traités, telles que les a 
adoptées Gigli, et, avant Gigli, tous les copistes de manuscrits 
et tous les éditeurs vénitiens, ont été rajoulées après coup; 
entre les lignes, dans les marges, en haut et en bas des pages; 
et ces rubriques ne concordent pas avec la division en chapitres 
indiquée par les majuscules. 


1. Cf, G. Gigli, Operé di Sta Caterina, t. IV, p. 1x, e seg. 
a. Cf. Bibl. Com. de Sienne, Cod, 1, II, 15. 





POUR LE TEXTE DU ( DIALOGUE ) DE SAINTE CATHERINE DE SIENNE 193 
A la page 137 (verso) le Dialogue finit ainsi: 


« Qui finisce ellibro facto e compilato per la venerandissima vergine, 
fidelissima serva e sposa di Yhux xpo crocifixo Katerina da Siena del 
abito di Sancto domenico socto gli anni dofnini MccczXX VIII del 


mese d'octobre. 
AMEN 


Prega dio per lo tuo inutile fratello. » 


Le feuillet 138 est blanc. Les feuillets 139 à 148 (recto) sont 
écrits dans le même caractère et probablement par la même 
main, mais avec une plume un peu plus large. Les rubriques à 
l'encre rouge font ici corps avec le texte. Dans cette deuxième 
partie nous trouvons : 


« La venerandissima vergine Katerina da Siena. mantellata e vera 
figluola di sancto domenico. essendo a Roma. mandô questa lettera 
al Maestro Ramondo da Capua del decto ordine. singularissimo padre 
dell” anima sua. Avendolo papa urbano sexto mandato a genova. 
Nella quale di chiaro gli notifica la sua morte. benchè honestamente. » 
— Cette lettre porte le n° CII dans l'édition de Gigli (vol. IF, p. 635). 


Au feuillet r4r (recto): 


« Certi nuovi misterii che dio adoperd nel anima della decta sua 
sposa Caterina la domenica della sexagesima. come di sopra si fa 
mentione. E quali essa significo al decto mastro Ramondo. » — 
Lettre CIIT de l’éd. Gigli (vol. I, p. 647). 


Au feuillet 142 (verso) : 


« Certe parole le quali essa benedetta vergine orando dixe doppo el 
teribile caso che ella ebbe el lunedi a nocte doppo la sexagesima. 
quando da la famiglia fu pianta amaramente come morta. Doppo el 
quale caso ella mai non fu sana del corpo. Ma continuamente aggravoe 
infino al fine. » — Éd. Gigli (tome IV, p. 373). 


Au feuillet 143 (recto, col. D): 


« Certi ponti del sermone che ella ci fece. sentendosi agravare. » 
— Éd. Gigli (tome IV, p. 38r). 


Au feuillet. 144 (verso, col. IT): 


«Appresso scrivard parte del ordine del glorioso e felice fine di 
questa dolce vergine. secondo che nostri bassi intellecti poterono 





194 BULLETIN ITALIEN 


comprendere, preoccupati di grandissimo dolore. » — Dialogo, éd. 
Marchio Sessa (Venezia, 1540), à la fin, avec de légères altérations. 


Au feuillet 146 (verso, col. IT): 


«Una notabile e bella visione che ebbe una matrona Romana. serva 
di dio. El di alora che la decta sposa di Yhux xpo passoe di questa vita.» 


La vision, inédite (en latin), se termine au bas de la page 148 
(recto) par le «responsorio » reproduit par le manuscrit de la 
Laurentienne : 


Ad honorem Yhux Xpo crucifixi. Et memoriam virginis predilecte 
sponse sue. 

Opem miram quam dedisti, dum vixisti. et dum transisti. filiis quos 
dilexisti. dum te ipsis profuturam post mortem promisisti. Nos tuis 
iuvas precibus. imple mater quod dixisti. que tot signis claravisti. 
nobis opem feras Xpisti. — Nos tuis.. 

Alia principio ecc. 

Ora pro nobis beata mater Katerina 

Ut digni efficiamur promissionibus Xpi. 

Domine Yhux Xpiste qui sponsam tuam beatam Katerinam aureola 
triplici mirabiliter dotare dignatus es, Concede propitius ut cuius 
memoria facimus ei apud te semper patrocinia sentiamur. Qui vivis 
et regnas cum deo patre in unitate spiritus sancti deus. per omnia 
secula seculorum. amen. 

Orate pro scriptore. 


Enfin, au verso du dernier feuillet (148) se trouve une « laude» 
en forme de ballade, composée par frà Tommaso Nacci. 
Caffarini, en l'honneur de sainte Catherine. Elle est d’une 
écriture contemporaine, mais beaucoup plus fine, celle de frà 
Tommaso sans doute. L’encre est moins noire et l’initiale 
n’est pas coloriée : 


Si forte di parlare io son costretto 
quel c’ho nel intelletto 
che più I tacer non posso sofferire. 


1. Voir le Post-Scriptum de cet article. 

2, On peut croire que la ballade a été écrite ici par l’auteur lui-même : l'écriture 
est identique à celle du manuscrit B-VII-5 de la Communale de Sienne (Regole di 
Fratelli e Sorelle del Terz’ Ordine di Penitenza di San Domenico), écrit par Fra Tommaso 
Caffarini. 








L ‘ __ POUR LE TEXTE DU ( DIALOGUE )} DE SAINTE CATHERINE DE SIENNE 199 


Non posso sofferir di questa santa 

ched ÿ’ non parli con fervor de illa 

ch’ ell’ è da la suo cima ffin la pianta 

piena di Cristo, ell” è la ver’ ancilla, 

che la suo gloria di e notte canta 

tenendo sempre al ciel la suo pupilla 

che lagrime sfavilla | tutte piatose 
benigne e amorose 

chiedendo grazie a Dio con sant’ ardire. 


Con sant’ ardir fanciulla spregia ‘1 mondo, 
e ’l salvator eleggie per suo sposo 
di che Cristo Gesù tutto giocondo 
l’anguadia (?)' con un anel glorioso, 
e ell’ allor si dispone profondo 
di sol piacer a Cristo dilectoso, 
con cuor desideroso | lui amando 
sè quanto pud sforzando 
con tutto’ 1 cuor a Ilui sempre servire. 


Sempre servire a Ilui, già mai non posa, 
ferventemente ne la vita attiva 
per modo che è cosa maraviglosa ; 
po’ tratta essendo alla contemplativa, 
e com’ un’ ape tutt’ argomentosa 
e sempre di virtüu ragunativa?, 
tutta caritativa | per me’ potere 
al signor compiacere 
ed al suo dir pienament’ ubbidire. 


Pienamente ubbidire a dio non resta 

sotto ‘1 vestir de’ fra predicatori, 

e lo spagnuol seguiscie liet’ e presta, 

per purità simil’ a gigli e fiori; 

ed anco Pietro martir, con gran festa 

per dio spettando mort’ e gran dolori 

e con belli splendori | d’ alta dottrina 
segue la cerubina 

doctor Tomaso avendo ‘1 suo sentire. 


Avendo tal sentir non prende sosta, 
co la suo dolce bocie a’ santi prei 
di que’ che vita per noi ha disposta : 
chè nostri affett’ iniqui falsi e rei 
perdoni a chi da” vizi si discosta, 
peccavi e dica miserere mei; 


1. En marge dans le manuscrit: «o la sposa ». 
2. Variante en marge : 


e stando liet’ e fresca come rosa 
l’abito santo prende l’amativa. 


10 





BULLETIN ITALIEN 


e 1 risguardo di lei | è si grazioso 
e tant’ è virtuoso : 
che verun ch’ en le’ guati puû sfuggire. 


Non puÿ sfuggir verun la suo presenza 

amollativa di ciascun cuor duro; 

tant’ è cortes ’e piena di clemenza 

che donarie ridendo ‘1 sangue puro; 

a chiunque fa vera penitenza 

el suo soccorso promette sicuro ; 

e d’ esser fermo muro | al peccatore 
con si benigno cuore 

ch’ esso non teme più poter perire. 


Più poter perir gl’ è tolta paura 

al peccator ch’ a lei è rifuggito, 

perchè come di figluol prende cura 

di que’ che dal peccato s’ è partito; 

con preghi e lagrime senza misura 

per chiunque per le’ fosse convertito, 

con si grand’ appetito | di salute 
dell’ anime abattute 

che corporal mangiar ne e dormire. 


Lassa dormir, la serva, e tal mangiare 
e, de’ servi di Dio fedele schiava, 

per altro cibo c’ ha a manducare, 

pel qual aver, di e notte veghiava: 
cioè di tutto ’! mondo a Cristo trare, 
(nel cui voler sempr’ essa si spechiava) 
perchè cid desiava | l’anim’ eletta, 

da Di(o) era refetta 
Si ch’ al corpo ne convenie sentire. 


Sentie suo corpo tal refezione 

che cibo corporal poco curava, 

e per paura di dicezione 

essa di prendar cibo si sforzava. 

ma, per dolceza che nell’ orazione 

avie, cid nel suo corpo ridundava, 

und’ esso rifiutava | cibo terreno 
del divin si ripieno 

che cid vedevi in essa comparire. 


In le’ comparir suo faccia splendente 

si vedie come ros’ alb’ e vermigla, 

e verso Idie corrir valentemente 

conforta di e notte suo famigla ; 

e mentovando Marie dolcemente 

si in le’ s’uniscie ch’ è gran maravigla ; 

sempre devota figlia | staendo’ n cielo 
con amoroso zelo 

c’ ha di suo desider sant’ adempire. 





. 





SALE 


POUR LE TEXTE DU € DIALOGUE }) DFE SAINTE CATHERINE DE SIENNE 197 


Pour le texte du Dialogue, il faut noter dans ce manuscrit 
une particularité intéressante: la division en chapitres. C’est 
là un fait très important; les initiales en couleur n'ont pas été 
mises au hasard; elles correspondent à des divisions, et qui 
sont plus voisines de la pensée de Catherine que celles adop- 
tées plus tard, et rajoutées après coup par des disciples. 

Il y a dans le manuscrit 101 initiales et 167 rubriques de 
chapitres. En relevant tous les débuts des 101 chapitres primi- 
tifs on peut remarquer qu'ils indiquent tous, soit un change- 


ment d'interlocuteur dans le Dialogue — « Allora l’anima ».…. 
«Allora Dio »..., — soit une reprise d'explication — « Hora t'ù 
manifestato »… «Hora ti voglio dire»... «Otti narrato »… 
« Jo si ti dixi sopra »... « Decto {à ».…. etc... — et que, d'autre 


part, le développement d’une même figure allégorique, d’une 
même idée, d’un même commentaire scolastique n’occupe 
jamais qu’un chapitre, tandis que, d’après les rubriques, le 
texte est coupé tout autrement, et d’une manière bien plus 
arbitraire. 

Gigli, qui dit avoir copié ce manuscrit, ne l’a pas fait. Ou 
du moins, s’il a écrit en toscan et non en vénitien, il a corrigé, 
modifié, introduit dans le texte ce qui avait le caractère d’une 
note marginale, inventé même quelquefois. En somme, nous 
possédons dans ce manuscrit un document de premier ordre, 
aussi bien pour la langue que pour la pensée de sainte Cathe- 
rine et pour l'intégrité du texte de son Dialogue — et personne 
n'a encore songé à en donner une édition exacte et fidèle. 


JEANNE ANZIANI. 


Post-Scriplum. — Ces notes étaient déjà rédigées et compo- 
sées quand j'ai eu connaissance de l’article de M. Auvray paru 
dans ce Bulletin (p. 1-23 de la présente année), où est men- 
tionnée l'édition de la ballade de frà Tommaso Caffarini 
publiée à Sienne en 1863 (p. 22-23). Ni à Florence ni à Sienne 
il ne m'avait été donné de rencontrer un exemplaire de ce 
rare opuscule, ou de le voir cité. M. Auvray nous apprend en 
outre que le manuscrit italien 2178 de la Bibliothèque Natio- 


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198 BULLETIN ITALIEN 


nale, à Paris, contient un texte beaucoup plus long de cette 
ballade. Dans le manuscrit de Sienne, auquel je l’ai empruntée, 
elle ne compte que dix stances; une onzième stance, d'ailleurs 
incomplète, se lit dans un manuscrit palatin, de Florence, et 
dans la brochure imprimée en 1863; le manuscrit de Paris 
nous en fait connaître treize de plus, soit au total vingt-quatre 
stances, plus une Ripresa finale suivie de la formule : Deo 
gralias — Amen. Dans ces conditions, le manuscrit récemment 
acquis par notre Bibliothèque Nationale a pour nous le grand 
avantage de présenter seul, à notre connaissance, la ballade 
de frà Tommaso en son entier. Bien que le texte n’en soit pas 
d’une correction parfaite, il y a donc intérêt à publier ici toute 
la portion inédite de cette composition, en commençant à la 
onzième strophe:. 

M. H. Hauvette a bien voulu se charger de prendre copie 
de ces treize strophes; grâce à son obligeance mon travail se 
trouve heureusement complété sur ce point. 


11 Adempir pensa suo’ desider santi 
Cid è d’unir tutte anime con Dio 
E di ritrar gl’ uomini tutti quanti 
Da ogni male e dal peccato rio. 
Cosi seguie tutt’ i perfetti amanti, 
A’ qua’ generalmente era’ n disio, 
Faendo di le’ sermon’, laude, canti, 
Per gran perfection che ’n lei sentio?, 
Sempre suo Gesù più perfettamente3, 


1. Voici également les variantes principales du ms. de Paris pour les 10 strophes 
publiées ci-dessus. St. 1, v. 7: Che lagrime sfavilla dolci e piatose. — St. 2, v. 4-6: 
La sposa po’ con anel glorioso, Et ess’ alor si dispon’ a profondo Di ben piacer... — 
St. 3, v. 6: Sempre era di vertù ragunativa (après ce vers, le ms. de Paris a inséré dans 
la strophe les deux vers de la variante); v. 8: Al suo sposo piacere. —"St. 4, ». v: 
Pienamente obedire a lui non resta; v. 3: Di che suo padre e di lor segue presta; 
v. 9: Doctor Thomaso avendo ?1 suo servire. — St, 5, v. 1: Avendo tal servir... ; V. 8-9 : 
E tanto vertuoso Che verun che lei guardi puù sfuggire. — St. 6, v. 5: A chiunque 
prende vera penitenza. — St. 7, v. 3: Perché come di figlio prende cura.— St, 8, 
v. 9: Si ch’ ancho ?l corpo n’averva sentire. — St. 9, v. 9: Che ciù si vidie ’n essa com: 
parire. — St. 10, v. 7: Sempre divota.figlia conversa ’n cielo. 

2. 11 y a un distique de trop dans cette strophe; probablement il s’agit d'une 
variante de deux vers que le copiste a incorporée dans la strophe, comme il l’avait 
fait pour la st. 3. 

3. Ce vers est profondément altéré; non seulement il est mal rythmé, mais encore 
il ne présente pas la «rim’ al mezzo» (ici en -io) qui ne manque jamais dans le 
seplième vers, d’après tout le reste de la pièce. Je proposerais donc de lire: 


Sempre Gesù suo Dio | perfettamente. 











13 


14 


15 


16 





RE M AT L, Br Pr. ETOR 


# 


POUR LE TEXTE DU ( DIALOGUE ) DE SAINTE CATHERINE DE SIENNE 190 


Amand’ attualmente, | “4 
Si che mia lingua nol potrebbe dire. 


Non|lo] porre’ dir quasi lingua creata 
Quand’ ella s’inginochia ‘1 santo altare 
Quant’ aparisce tutta transformata, 
Perch’é ‘1 suo cuor saliscie a venerare 
Quel gran signor nell’ hostia consecrata, 
El qual aspetta di comunicare, 

Con santo meditare | el grande amore 

Che ’n cena ‘1 salvadore 
A’ suoi mostrà dovendosi partire, 


Dovendosi partir per morte oscura; 
In cid pensava suo cara figliola, 
Mostrando tutta d’un’ altra figura 
Parato ‘1 sacerdote con la stola, 
El qual porgendo a Ilei quell’ ostia pura, 
Nel suo vasel sacrato quasi vola ; 
Tutta sua faccia cola | di sudore 

Per lo suo gran fervore 
Sé col suo sposo desiando unire. 


Sé desiando unir, el! è unita 
Nell’ oration collo suo spos’ eletto, 
E l’ anima con Die tant'è rapita 
Che tra’ con seco ‘1 corpo a quel diletto ; 
E per che paia come tramortita 
Non perd perde del sentir effetto, 
Parlando con affetto | melodia, 
Con si fatt’ armonia, 
Che ciascun sempre la vorrebbe udire. 


Vorrebbe udir ognun per gran dolzore 
Che contien suo sermon di tanta alteza; 
E poi che pregat’ à con tutto el cuore 
Per tutto quanto quel ch’ el!’ à ’n vagheza, 
Dovendo ritornare all’ amarore 
Ed a lo stato di prima basseza, 
Con umile savieza | fa confessione (?) 
E po’ beneditione 
Con braccia ’n croce domand’ al suo sire. 


Dal suo sir tant’ abonda in le’ scientia 
Quanta quasi abbi o dottor o studente, 
E tant’ è dolce e bella suo loquentia 
Ch’ ogni persona diletta ’ntendente. 
Per. la chiareza di sua sapientia 
Si pud chiamar un cherubin lucente; 
Di che tant’ è fervente | d’amor fino 
Che par un serafino 
Tutto infiammato d’amor da ferire. 


200 


+7 


18 


79 


20 


21 


- Quand’ in lei vien febre cotant’ ardente 





BULLETIN ITALIEN 


D'amor ell’ è da ferir ben ferita 
Del suo Gesù nel qual è trasformata, 


4 


‘Di che del suo vestir ell’ è vestita, 


Essendo del patir sempr’ affamata 

E per vertù d’amor è tant’ ardita 

C’ a satisfar per ciascun è ’nfiamata; 

Tanta pena ’mpetrata | è gran stupore! 
Veder tanto dolore 

C’ ogni persona ne dovrie morire. 


Dovrie morir la vergin preziosa 


Che disfarebbe ogni terrena cosa; 

Ed ell’ è sempre ma’ liet’ e ridente 

Rendendo grazie a que’ di cui è sposa. 

Non pens’ al suo dolor quasi niente; 

Poi al suo fianco sente | aspro coltello, 
Percosse di martello, 


x 


Ed allor pur di pene è 1 suo sitire. 


EI suo sitir sol saziarie ‘1 martiro, 
EI qual sopr’ ogni cosa disirava, 
E di patir dolor crudel’ e diro 
Quest’ era quel che sempr’ ell affettava. 
Tant’ avie ‘1 cuor grande, forte, di viro, 
Che di e notte ciù ella spettava. 
E per che si bramava | [le] concedette 
Idio la morte, e dette 
Di cuor pressura per su’ amor patire. 


Per suo arhor patir le fu donato 
La morte santa nel tempo fiorito, 
Cid è ’n quel di che Pietro innamorato 
A morte per la fede fu ferito, 
E questo fu con ragion ordinato, 
Perd che lui in tutto avie seguito; 
Per la chies’ à sitito | por la vita?; 
Da Dio exaudita 
Cosi testifico nel suo finire. 


Nel suo finir confessd morte dura 
Esser a Ilei concessa dal Signore; 
Virginità di singular valura 
Che sopra’ fior getta suave odore, 

E po’ dottrina di si grande altura 
Che spira, chiaro e lucente splendore; 


1. Le ms. porte grande è stupore. 
2. Le ms. porte : Per la chiesa sitito por sempre vita, — Le vers suivant manque 
d’une syllabe, 





. POUR LE TEXTE DU ( DIALOGUE ) DE SAINTE CATHERINE DE SIENNE 201 


+ Di che 1 suo creator | cosi dotata 
$ | L’ à seco poi menata, 
E fatt’ à le suo noze ’n ciel salire. À 


FA 22 In ciel salir con angelici canti à 

"HR Fe ‘1 segnor questa vergin Katerina, ; 
Bianch’ e vermigl’ e splendente co’ santi 
L’ à posta com’ una nobil regina, 

4è . E quivi a Ile’ dona diletti tanti, 

# | Fra viuo/’, gigli e rose senza spina, 

7 Fatta tutta divina | Die contemplando * 

| A faccia in lui sguardando 

Perfectamente potendol fruire. 


Pr. + 29 Fruir perfetto a questa spos’ à dato 

* E di coron’ più esser coronata 
Perd che in lei non si trovû peccato,. 
Ma di tutte vertü esser ornata. 

: O madre, posta ’n si nobile stato, 

; Raguarda la tuo greggia desolata, 

Che sia sua avocata | come dicesti?, 
E come ’mpromettesti 
D’ esser dinanzi e dopo ‘Il tuo transire. 


| 24 Dopo ’l transir tuo ci desti speranzas, 
| ; - Vivendo, che per noi tu pregaresti, 
E c’ avaremmo piena perdonanza 
Di nostre pene e colpe attender desti; 
E già di cid abbiam per essembranza 
Di papa letter’ ch’ aver ci facesti; - 
Adunque tuo pietà dismisuranza # “ 
Preghiam ch’ adempia quel ch’ a dir ci avesti, 
Accid che Dio ci presti | teco trovare5, 
A goder e lodare 
Lui Signor nostro sempre e benedire. 


AMEN. 
$ _ Si forte era constretto dal mio sire 
; Di questa vergin dire, 
L Che più ’l tacer non potie sofferire. 


— 


| Deo gratias. Amen. k | R 


ET . Ce vers a une syllabe de trop ; faut-il corriger Dio mirando? è 
. Vers mal rythmé; on peut lire : Che si’ avocata sua come dicesti. 
. Même observation; je lirais: Dopo 1 transir, tu ci desti speranza. 
h. Interpréter pietà comme pietà a, le second a étant élidé par le premier. — Ici 
encore lt strophe contient deux vers de trop, comme st. 11. 
5. Une syllabe de trop : le trovare. 


A 
OS LD æ 


LR Et 





LA TRADITION DE BURIDAN 


ET LA 


SCIENCE ITALIENNE AU XVI° SIÈCLE 


(Suile ‘.) 


La Dynamique des Parisiens, presque universellement 
ignorée des Italiens, va se rappeler à leur attention sous une 
forme qui ne sera exempte ni de violence, ni d’amertume; c’est 
un Italien émigré en France, Jules-César Scaliger, qui en sera 
le porte-parole; par la voix de Scaliger, elle opposera ses théo- 
ries nettes et cohérentes aux indécisions et aux contradictions 
de Cardan. 

En 1557, Jules-César Scaliger publie?, du De Sublililate de 
Cardan, qui trouvait en France une vogue extrême et que 
Richard Le Blanc venait de traduire en français, une critique 
des plus vives; cette critique, que Scaliger donne comme for- 
mant le XV° livre de ses Exolericæ exercilaliones, est intitulée : 
De Sublilitate ad Hieronymum Cardanum. Gomme l'ouvrage dont 
il donnait la plus malveillante des critiques, l'écrit de Jules- 
: César Scaliger fut extrêmement luÿ. 

Scaliger est un admirateur fanatique des maîtres de l’École 


1. Voir le Bull. ital., t. IX, 1909, pp. 338-360; t. X, 1910, pp. 24-47 et 95-133. 

2. Julii Cæsaris Scaligeri Exotericarum exercilationum liber XV. De Subtilitate ad 
Hieronymum Gardanum. Lutetiæ, apud Vascosanum, MDLVII. 

3. Outre la première édition : Lutetiæ, apud Vascosanum, 1557, nous avons eu 
entre les mains les éditions suivantes : Francofurti, apud A. Wechelum, 16071; Fran- 
cofurti, apud A. Wechelum, 1612; Lugduni, apud A. de Harsy, 1616. 


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LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU XVI° SIÈCLE 203 


parisienne; une citation nous donnera la mesure de cette 
admiration extraordinaire. 

Au XVI: livre De la Sublililé, Cardan avait eu l’idée assez 
naïve de ranger les génies par ordre de grandeur décroissante. 
Il avait attribué le premier rang à Archimède, en invoquant 
comme raison de cette préférence, les inventions mécaniques 
du Géomètre syracusain. Le second rang était réservé à Aris- 
tote. Euclide venait au troisième; Jean Duns Scot occupait le 
quatrième ; le cinquième était accordé à Suiseth le Calculateur, 
dont Cardan faisait un Écossais du prénom de Jean; notre 
médecin milanais regardait, d’ailleurs, ces trois hommes, 
Euclide, Duns Scot, Suiseth, comme ayant possédé un égal 
génie; l'ancienneté plus ou moins grande du temps où ils 
vécurent déterminait seule entre eux un ordre de préséance. 
Plus bas en l'échelle de l'intelligence humaine, Cardan plaçait 
Apollonius de Perge, Archytas de Tarente, et une foule d’autres 
génies. | 

La prééminence accordée à Archimède révolte la raison de 
Jules-César Scaliger: : 

« Tu as donné à un simple artisan le pas sur Aristote qui, 
d'ailleurs, ne fut pas moins savant que lui en ces mêmes arts 
mécaniques; sur Jean de Duns Scot, qui fut comme la lime de 
la vérité; sur Jean Suiseth le Calculateur, qui a presque 
dépassé la mesure imposée à l'intelligence humaine! Tu as 
passé sous silence Ockam, dont le génie a renversé tous les 
génies passés, qui, à des folies que l’on n'avait pu vaincre 
jusqu'à lui, à cause de leur insaisissable subtilité, opposa les 
arguments nouveaux qu'il avait fabriqués et mis en forme! 
Tu as placé Euclide après Archimède, le flambeau après la 
lanterne ! IL semble que tu sois emporté par le tourbillon et la 
tempête de ton mauvais génie; ce c’est pas toi qui le tiens en 
bride, c’est lui qui te donne de l’éperon! » 

Celui qui prise si haut Guillaume d'Ockam et Suiseth le 
Calculateur va professer la Dynamique des Parisiens, et nous 
n'en serons point étonnés. 


1, Julii Cæsaris Scaligeri Op. cit., exercitatio CCCXXIV : Sapientum census. 


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204 BULLETIN ITALIEN 


Nous trouvons, en effet, en l’ouvrage de Jules-César Scaliger” 
une exposition et une réfutation très étendues des diverses 
théories qui attribuent à l’air la persistance du mouvement 
des projectiles. : 

« Qu'’une telle raison soit sans valeur, voici, dit notre auteur, 
une démonstration qui le mettra suffisamment en évidence : 

» Soit une légère planchette, en laquelle un disque a été 
découpé à l’aide du tour ou d’un compas tranchant; supposons 
que ce disque puisse tourner dans la cavité circulaire sans 
frotter contre les bords. La planchette étant fixée verticalement 
quelque part, percez le disque à l’aide d’un axe muni d’une 
manivelle; faites reposer sur deux fourchettes les extrémités 
de cet axe. Après avoir lancé ce disque circulaire, vous verrez 
manifestement que ce disque, une fois le moteur écarté, con- 
tinue à tourner en la cavité circulaire, bien qu'aucun air ne le. 
pousse. En ce mouvement de rotation, en effet, le mobile ne 
laisse derrière lui aucun lieu que l'air puisse venir remplir. 
D'ailleurs, l'air qui se trouve entre le disque et la planchette 
est en si petite quantité qu'il est incapable d'exercer aucune 
force propre à entretenir le mouvement considéré. Le contour 
du disque, parfaitement lisse et poli, ne peut ressentir aucune 
impulsion par l'effet de l’agitation de l'air ambiant. » 

En cette réfutation expérimentale des théories péripatéti- 
ciennes, nous retrouvons la trace des discussions si clairement 
et si fermement menées par Jean Buridan. 

Ce n’est pas l’air ébranlé qui maintient le projectile en 
mouvement. Qu'est-ce donc? 

À la cause qui entretient ce mouvement, Scaliger ne donne 
pas le nom d’impelus ; il l’appelle motion, molio; mais ce chan- 
gement de dénomination n’influe pas sur le contenu même de 
l’idée; la motio qu’il considère est identique à l’impetus de Jean 
Buridan et d'Albert de Saxe: « La molio est une forme qui est 
imprimée dans le mobile et qui s’y peut conserver lors même 
que le moteur primitif est écarté. Je dis: le moteur primitif, 
celui qui a fait pénétrer cette forme dans le mobile; car il n'est 


1. Julii Cæsaris Scaligeri Op. cit, exercitatio XXVIII: De motu projectorum. 
Motus violentus quis, 





LA TRADITION DE BURIDAN ÊT LA SCIENCE ITALIENNE AU XVI° SIÈCLE 209 


pas nécessaire que la cause efficiente persiste à coexister à son 
effet. » ; 

Cette forme se fatigue: et périt avec le temps, parce qu'elle 
est hors de la nature des éléments en lesquels elle est imprimée. 

Ces doctrines sont communes à un grand nombre de physi- 
ciens du xvr' siècle. Mais voici un passage? où Scaliger marque 
clairement, au sujet du mouvement accéléré qu'engendre un 
moteur constant, l'idée que Piccolomini avait seulement fait 
entrevoir à son lecteur : | 

“« Les corps pesants, une pierre par exemple, n’ont rien qui 
favorise la mise en mouvement; ils y sont, au contraire, tout 
à fait opposés. La pierre que l’on met en mouvement sur un 
plan horizontal ne se meut pas de mouvement naturel... 
Pourquoi donc la pierre se meut-elle plus aisément après que 
le mouvement a commencé? Parce que, conformément à ce 
que nous avons dit ci-dessus au sujet du mouvement des pro- 


* jectiles, la pierre a déjà reçu l'impression du mouvement. A 


une première part du mouvement en succède une seconde; et, 
toutefois, la première demeure. En sorte que, bien qu'un seul 
moteur exerce son action, les mouvements qu'il imprime en 
cette succession continue sont multiples. Car la première impul- 
sion est gardée par la seconde, et la seconde par la troisième. » 
Bien que Scaliger ait fort clairement exposé la théorie pari- 
sienne de la chute accélérée des graves, il s’en faut qu'il soit 
parvenu à la faire communément recevoir en Italie; il n’a 
même pas pu convaincre Cardan. 
… Lorsqu'en 1560, Cardan publie la troisième édition de son 
De Subtilitales, il y joint une Apologie contre un calomnialeurf, 
apologie destinée à répondre aux critiques de Scaliger. 


1. Julii Cæsaris Scaligeri Op. cit., exercitatio LXXVI: Quare sidera motu non 
franguntur, Quare non fatigant motores suos. 

2. Julii Cæsaris Scaligeri Op. cit., exercitatio LXXVILI: Quamobrem mota rota 
facilius moveatur postea. 

3. Hieronymi Cardani Mediolanensis medici de Sublilitate libri XXI. Ab authore 
Plusquam mille locis illustrati, nonnullis etiam cum additionibus. Addita insuper Apologia 
adversus calumniatorem, qua vis horum librorum aperitur. Basileæ. In fine: Basileæ, ex 
officina Petrina, anno MDLX. Mense Martio. 

h. Hieronymi Cardani Mediolanensis medici Zn calumniatorem librorum de Subtili- 


« tate actio prima ad Franciscum Abundium, S. Abundii Gommendatarium perpetuum. Éd. 


cit., pp. 1265 seqq. 
Bull. ital. 14 










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206 BULLETIN ITALIEN 


La riposte n’est pas moins vive que l'attaque. Pour affubler 
Scaliger d'un costume qui soit particulièrement déshonoré aux 
yeux des Humanistes italiens, Cardan habille son contradicteur 
non pas en Parisien, mais en Averroïste:. « Que direz-vous de 
son jugement?» s'écrie-t-il. « Toutes les fois qu'il veut disputer 
de la Philosophie naturelle, il s'appuie aux principes et à l’auto- 
rité d’Aristote et d’Averroës ; or, ceux-ci prouvent l'éternité du 
Monde, supposition qui enlève au Christ sa divinité et, à tous, 
l'espoir d’une juste rémunération des bonnes et des mauvaises 
actions. Et après cela, il ose m’accuser d'impiété ! » 

Si Cardan accuse Scaliger d’un attachement trop opiniâtre à 
l'avis d’Aristote et d’Averroës, il se refuse à partager, envers 
les maîtres de l'École nominaliste, la fervente admiration de 
son contradicteur?: 

« Quel souci un âne peut-il avoir d'une lyre, et pourquoi 
vanter la marjolaine à des pourceaux? Il admire l’extrème 
subtilité d'Ockam et d'Hentisber* ; ils les place plus haut que 
le faîte de l'humanité. Sans doute, ils ont écrit sur tout d'une 
manière ingénieuse et claire; mais en eux, l'invention est 
nulle; niez-leur une seule proposition, quinze pages vont vous 
écraser. Mais comme ces auteurs sont fort bien accommodés 
aux disputes des écoles, il sourit à cela et le comble d'éloges. 
Il est clair qu'il ne les comprend pas; mais il loue pour se 
donner l'air de comprendre. » 

Encore qu'il ne partage pas l’avis d’Aristote au sujet du 
mouvement des projectiles, Cardan n’épargne pas ses sarcasmes 
à l'expérience par laquelle Scaliger a prétendu réfuter cette 
théorie! : 

« Si soigneusement que cette roue ait été exécutée, il ne voit 
pas, tant il est stupide, que la manivelle est entraînée par l'air 
en un mouvement de rotation et, avec la manivelle, la roue 
elle-même... Il eût mieux fait de la faire tourner sans l’aide de 
manivelle, avec le doigt qu’il eùt soudainement retiré. » 

Quant à l'explication du mouvement accéléré que prend une 


1, Hieronymi Cardani Apologia ; éd. cit., p. 1268. 

2. Hieronymi Cardani Apologia, art. 324; éd. cit., p. 1412. 

3. C'est-à-dire de Guillaume d’Heytesbury, dont Scaliger n’a point parlé, 
h. Hieronymi Cardani Apologia, art. 29; édit. cit., p. 1804. 





LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU, XVI‘ SIÈCLE 207 


meule soumise à une action constante, explication en laquelle 
Scaliger n’a fait que suivre l’enseignement de Paris, voici ce 
qu en pense Cardan!: «Il se trompe du tout au tout; ce n'est 
pas seulement cette roue, mais tout mobile, qui se meut avec 
plus de facilité et de rapidité lorsqu'il a déjà pris une certaine 
vitesse, et cela, comme nous l'avons enseigné au second livre, 
parce que l’air du premier mouvement vient en aide au mouve- 
ment suivant. » 

Aussi, en 1570, en son Opus novum de proporlionibus, Gardan 
 persistait-il, nous l'avons vu, à expliquer l'accélération de la 
chute des graves par l'impulsion de l'air ébranlé. 

Si Scaliger n'a pas converti Cardan, il n’a pas convaincu 
davantage Bento Pereira d'embrasser la Dynamique parisienne. 

Né à Valence en 1535, Bento Pereira? entra de bonne heure 
dans la Compagnie de Jésus; il vint alors à Rome où s’écoula 
son existence et où il mourut le 6 mars 1610. C’est à Rome que 
Bento Pereira publia, en 1562, la première édition de ses quinze 
livres sur la Physique. Cet ouvrage eut une très grande vogue ; 
de nombreuses éditions le répandirent en tous lieux'; Galilée, 
qui l’avait étudié dans sa jeunesse, le cite en ses premiers 
écrits®. 

Bento Pereira consacre tout un chapitre6 de son ouvrage à 
exposer les diverses explications du mouvement violent des 
projectiles; parmi ces explications, il n’a garde d'oublier celle 
que soutenait l'École parisienne. € Certains philosophes, » 
dit-il, «qui ne sont ni peu nombreux, ni des moindres, mais 
nobles entre les premiers, soutiennent ceci : Lorsqu'une pierre 
est jetée, par la force et l’impulsion qui la lancent, celui qui la 


. Hieronymi Cardani Apologia, art. 797; éd. cit., p. 1320. 

2. Nouvelle Biographie générale publiée par Firmin Didot frères, t. xxx, p. 571, 
1862. 

3. Benedicti Pererii, societatis Jesu, De communibus omnium rerum naturalium prin- 
cipiis et affectionibus libri quindecim, qui plurimum conferunt, ad eos octo libros Aristotelis, 
qui de Physico auditu inscribuntur, intelligendos ; Romæ, impensis Venturini Tramezini, 
apud Franciscum Zanettum et Bartholomæum Tosium, MDLXII. | 

h. Outre la première édition, nous avons relevé les suivantes: Romæ, 1576; 
Parisiis, 1579; Romæ, 1585; Venetiis, 1609. 

5. Le opere di Galileo Galilei ristampate fedelmente sopra la edizione nazionale, vol. I, 
Juvenilia ; Firenze, 1890; pp. 24, 35, 145, 318, 4rr. 

6. Benedicti Pererii Op. cit., lib. XIV, cap. IV : De caussa motus violenti eorum 
qui projiciuntur. 


OU oO A LS ET ar M 
# Nat UE Sir 





208 . BULLÉTIN ITALIEN 


met en mouvement imprime en elle une certaine vertu 
motrice qui demeure inhérente à cette pierre et qui continue 
à la mouvoir après qu'elle s'est séparée de celui qui l'a pro- 
jetée.» Notre auteur fait connaître les principaux arguments 
dont se prévaut cette opinion et, à cette ‘occasion, il cite les 
Exercilationes de Scaliger. Mais, tout aussitôt, un nouveau et 
long chapitre vient réfuter: cette théorie et sauver l'opinion 
péripatéticienne. | 

L’explication parisienne de la chute accélérée des graves est 
moins heureuse que la théorie de l’impelus; Bento Pereira ne 
l’'honore même pas d’une mention. 

Au sujet de cette chute accélérée, notre auteur expose avec 
beaucoup de soin? les diverses hypothèses antiques que 
Simplicius nous a conservées; il y joint la supposition qui 
attribue cette accélération à l'impulsion de l'air ébranlé à 
l'arrière du projectile, supposition au sujet de laquelle il cite 
Walter Burley et Contarini. «Ce dernier avis, » ajoute-t=il, 
«me paraît être le plus probable. En premier lieu, les autres 
opinions se trouvent réfutées par des raisons manifestes et 
nécessaires, tandis qu’à l'encontre de celle-ci, on ne saurait 
même imaginer quelque argument probable. En second. lieu, 
cette explication ne suppose rien qui ne s'accorde parfai- 
tement avec la raison et l’expérience, rien qui ne soit tiré de 
la nature même des choses. En cette opinion, plus qu’en toute 
autre, mon esprit se complaît, en celle-là seule il goûte un 
profond repos. » 

Bento Pereira est de l'École des Contarini et des Vicomer- 
cati; en cette École, la Dynamique parisienne est tenue pour 
nulle et non avenue; ou bien, si l’on en tient quelque compte, 
c’est pour en réfuter les assertions. 

De cette École sont aussi Césalpin et Borro. 

En ses Quæsliones peripalelicæ, dont la première édition 
parut à Florence en 1569, André Césalpin ne dit que quelques 


1. Benedicti Pererii Op. cit., lib. XIV, cap. V : Refellitur opinio faciens caussam 
motus projectorum, virltutem quandam impressam projeclis. 

2. Benedicti Pererii Op. cit., lib, XIV, cap. III : Tractatur secunda divisio motus 
in naturalem et violentum, 





LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU XVI° SIÈCLE 209 


mots: du mouvement des projectiles; mais ces quelques mots 
sont une adhésion formelle à la théorie d’Aristote?. 

Girolamo Borro était d'Arezzo, comme Césalpin. En 1576, il 
publia un iraité assez volumineux consacré en entier au mou- 
vement des graves 3, Au début de ce traité, Borro donne la liste 

des «noms des anciens philosophes dont les opinions sont, 
en ce livre, soit admises, soit réfutées. » Cinquante noms de 
sages grecs ou latins, parmi lesquels on trouve même ceux 
d'Homère et d'Orphée, sont accompagnés des noms de quatre 
philosophes arabes: Algazel (AI Gazali), Avempace (Ibn Bädja), 
Averroès et Avicenne; mais pas un philosophe chrétien 
n'obtient même l'honneur d’une citation. 

Ce mépris, poussé jusqu'à l'oubli absolu, de la Science 
chrétienne occidentale, de ce colossal mouvement intellectuel 


1. Andreae Caesalpini Aretini medici clarissimi, atque philosophi subtilissimi 
 peritissimique Peripateticarum Quæstionum libri quinque. Ad Potentissimum et fælicis- 
simum Franciscum Medicen Florentiae Et Senarum Principem. Cum Privilegiis. Venetiis, 
Apuüd Juntas. MDLX XI. Lib. IV, quæst. I, fol. 70, recto et verso, — Nous n’avons pu 
consulter la première édition de cet ouvrage. ; 

.2. Nous avons vu Buridan admettre que l’impetus d’un corps, müû avec une vitesse 
donnée, était proportionnel à la quantité de matière première de ce corps; cette pro- 
position, il la tirait de ce principe : Receptio omnium formarum et dispositionum natura- 
lium est in materia et ratione materiæ. Nous avons cherché à montrer que la quantité de 
malière première considérée ici par Buridan était, du moins dans le cas des corps 
graves, le produit du volume par une quantité proportionnelle au poids spécifique, 
qu’elle était donc identique à la quantité de matière ou masse définie par Newton. 

Que telle soit bien l’idée attachée par les Scolastiques à ces mots: quantité de 
matière, nous en trouvons la preuve singulièrement nette en une question examinée 
par Césalpin (lib. 1V, quæst. IT; éd. cit., fol. 7r, verso, à fol. 74, verso), question 
dont le titre est précisément : Omnem virtutis intensionem remissionemque ex materiæ 
quantitate pravenire. « Une vertu, » dit Césalpin (fol. 72. recto), «n’est pas mesurée par 
le volume ou l'étendue de la masse, mais par la quantité de matière ; celle-ci, en effet, 
étant par elle-mème indéterminée, peut tantôt se reserrer en des bornes plus étroites, 
et tantôt s'étendre en un plus ample volume... Tous les corps qui se portent simple- 
ment vers le centre (fol. 74, verso), c'est-à-dire tous les corps qui sont simplement 
graves [ceux qui ne sont pas formés par la mixtion d’un ou plusieurs éléments 
graves avec un élément léger], tous ces corps, dis-je, sont plus graves les uns que 
les autres à cause de la quantité de matière qu’ils renferment; le plomb est plus 
lourd que la pierre parce qu’en ce plomb il y a plus de matière grave qu’en une 
pierre de même volume ; il est, en effet, plus dense. On peut comparer également 
entre eux des graves d’espèces différentes [des solides, des liquides, des gaz], de l’eau 
et de la terre par exemple, mais en un lieu, tel que l'air, où ils sont graves tous 
deux ; il est encore vrai que le plus grave est celui où se trouve le plus de matière. » 

Cette quantité de matière demeure, d’ailleurs, invariable en toutes les -transfor- 
mations que les corps graves peuvent éprouver : «Si une poignée d’eau se transforme 
en dix poignées d’air, il y aura mème vertu en.dix volumes d’air qu’en un volume 
d’eau, car de part et d’autre ik y aura une égale portion de matière » (fol. 72, recto). 

3. Hieronymus Borrius Arretinus De Motu Gravium, et Levium. Ad Franciscum 
Medicenm Magnum Etruriæ Ducem Il. Florentiæ, In Officina Georgii Marescotti. 
MDLXX VI. 


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210 BULLETIN ITALIEN 


qui à reçu le nom de Scolastique est la marque propre de 
l'Averroïsme italien. Que Borro soit un fervent averroïste, il 
l’affirme à chaque page de son écrit. Le nom d’Averroès s’y 
présente auréolé des épithètes les plus flatteuses. « Averroes, 
omni genere laudis abundans philosophus...1. » «Philosophus 
nunquam salis laudatus Averroes…?.» « Averroes divinissime pro= 
bavit..3.» Toute la doctrine de notre auteur peut se résumer 
en ces termes : Aristote est infaillible; Averroès est le défen- 
seur jaloux et autorisé de cette infaillibilité. D'ailleurs, ce 
résumé de sa pensée, c'est Borro lui-même qui nous le 
fourniti: « Averroes, qui in Aristotelem erroris nolam, nec levissi- 
mam illam quidem, ab alio quovis inuri non paltitur, sed eundem 
ab omni injuria nunquam non vindicat, ne in hac parte indefensus 
relinqualtur…., ail...» 

Ce n’est pas en un tel écrit, assurément, que nous verrons 
triompher les doctrines dynamiques des Parisiens; en fait, à. 
ces doctrines Borro n’accorde même pas la plus légère allu- 
sion; tout ce que les Nominalistes ont pu dire au sujet du 
mouvement des projectiles ou de la chute des graves n'existe 
aucunement pour lui; évidemment, il est convaincu qu'entre 
Averroës et lui, l'humanité a cessé de penser. 

Ce qui maintient le projectile en mouvement, c’est, bien 
entendu, pour Borroÿ comme pour Aristote, l’air dont l'ébran- 
lement se propage au-devant du mobile. Le physicien 
d’Arezzo ne paraît pas même se douter que celte absurde expli- 
cation ait été cent fois réfutée. 

L'ébranlement du milieu joue aussi son rôle en l'accélération 
du mouvement naturel6, Borro expose? les diverses expli- 
cations qui ont été proposées en vue de rendre compte de 

1, Girolamo Borro, Op. cil., p. 51. 

2. Girolamo Borro, Op. cit., p. 184. 

3. Girolamo Borro, Op. ci., Index, indication de la question traitée à la 
ur. SA Borro, Op. cit., pars HI, cap. XXV : Demonstratio, quam Aristoteles 
libro septimo Physicorum literis consignavit, ad veritatis trutinam examinatur; 
k ons Borro, Op. cit., pars II, cap, XIII : Quomodo elementorum motus 
a medio pendeat; pp. 234-235. 

6. Girolamo Borro, Op. cit., pars HI, cap. XII : Quomodo elementorum motus 


a medio péndeat, 
7. Girolamo Borro, Op. cit., pars HI, capp. XIV, XV et XVI. 





® LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU XVI° SIÈCLE 211 


cette accélération; en cette exposition, cela va de soi, il n’est 
fait aucune allusion à la théorie des Parisiens; notre auteur 
résume en ces termes! l’opinion qu'il adopte : 

« La gravité ou la légèreté des éléments est accrue par le 
plus grand nombre des parties du milieu qui se précipitent à 
l'arrière du mobile; par la moindre résistance du milieu à la 
fin du mouvement; par la plus forte impulsion de l'air qui 
suit le mobile; par la perfection que les corps graves ou légers 
acquièrent, d'autant plus complète qu'ils s'approchent davan- 
tage de leurs lieux naturels. L'accroissement que la gravité 
ou la légèreté reçoit vers la fin du mouvement accroît ce 
mouvement et le rend plus rapide. » 

Que l’on ait, plus de deux siècles après Jean Buridan et 
Albert de Saxe, écrit à Rome, à Florence, des livres comme 
* ceux de Bento Pereira, d'André Césalpin, de Girolamo Borro; 
que l’absurde théorie du mouvement des projectiles, proposée 
par Aristote, ait pu être regardée comme sauve de toutes les 
objections qui lui avaient été faites; bien plus, qu'elle ait été 
traitée comme une doctrine incontestée et incontestable, c’est 
un fait bien digne d'arrêter l'attention; il donne la mesure 
de l'opiniâtre résistance que le Péripatétisme italien savait 
opposer à la pénétration de toute idée nouvelle. Cette même 
résistance, nous la constatons, d’ailleurs, chez des hommes de 
situations fort diverses : un Jésuite dont la doctrine religieuse 
est des plus orthodoxes; un médecin, professeur d’Université, 
qui donne fort dans le Panthéisme averroïste ; un philosophe, 
non moins grand admirateur d’Averroès, mais étranger aux 
Universités; un peu plus tôt, nous l’avions constatée à la fois 
chez un Vénitien, prince de l'Église, comme Gaspard Contarini, 
et chez un humaniste milanais comme Vicomercati. L'état 
d'esprit qu'elle caractérise est assurément très général en 
l'Italie du xvr° siècle. ; 

En dépit de cette résistance, les principes que les Parisiens 
‘avaient donnés à l’étude de la Dynamique parvenaient quel- 


1. Girolamo Borro, Op. cit., pars III, cap. XVI: Quæ sint veræ Peripateticorum 
causæ, propter quas ea, quæ natura moyentur, velocius in fine, quam in principio 
moveantur ; p. 24/4. 











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212 BULLETIN ITALIEN 


quefois à s’insinuer en la Science italienne; vers le milieu du 
xvi® siècle, nous les avons vus se glisser parmi les écrits 
d’Alessandro Piccolomini; durant le dernier quart de ce 
même siècle, nous allons les retrouver dans l’œuvre de 
Bernardino Baldi, dans celle de Gianbattista Benedetti. 

C'est en 1582 que Bernardino Baldi avait rédigé ses Exercices 
sur les Questions mécaniques d’Aristote. Get écrit fut imprimé 
seulement en 1621, vingt-huit ans après la mort de l’auteur. 

Nous avons étudié autrefois les Exercilaliones composées par 
l'abbé de Guastalla; nous y avons signalé: la marque particu-= 
lièrement reconnaissable du Vinci; nous avons dit également? 
comment certaines idées que Baldi tenait de Léonard avaient 
attiré l’attention de Mersenne et provoqué Roberval et Descartes 
à d'importantes découvertes. 

Si Baldi dissimule l'influence qu'il a éprouvée de la part du 
Vinci, il avoue celle qu'Alessandro Piccolomini a exercée sur 
ui. C’est en une question3 où se trouve citée avec éloge la 
Paraphrase de Piccolomini que nous lisons ce passage : 

«Les projectiles cessent de se mouvoir parce que l'impres- 
sion dont l’impelus et la vertu les portent n’est point une pro- 
jection naturelle; elle est purement accidentelle et violente; or, 
rien de ce qui est accidentel et violent, rien de ce qui est non 
naturel, ne saurait être perpétuel. Gette impression accidentelle 
prend donc fin; tandis qu’elle cesse peu à peu, le mouvement 
du projectile s’alanguit et le corps parvient enfin au repos. » 

Baldi n'’attribue pas seulement à l’inpelus la continuation 
du mouvement des projectiles; avec les Parisiens et avec 
Piccolomini, il attribue l'accélération de la chute des graves 
à un continuel accroissement de cet impelus. 


. Léonard de Vinci et Bernardino Baldi (Études sur Léonard de Vinci, ceux qu'ila 
lus a ceux qui l'ont lu, III; première série, pp. 89, seqq.). 

2. Bernardino Baldi, Roberval et Descartes (Études sur Léonard de Vinci, ceux qu’il a 
lus et ceux qui l'ont lu, IV; première série, pp. 127, seqq.). 

3. Bernardini Baldi Urbinatis Guastallæ Abbatis 1n Mechanica Aristotelis proble- 
mata exercitaliones : adjecta Succincta narralione de autoris vita et scriptis. Moguntiæ, 
Typis et Sumptibus Viduæ Ioannis Albini. MDCXXI. Quæst. XXXIL: Quæritur hic, 
cur ea quæ projiciuntur, cessent a latione ? P. 270. 

4. Bernardino Baldi, Op. eit., quæst. XXXI: Cur facilius movéatur commolum 
quam manens, veluti currus comtmotos citius agitant, quam moveri incipientes ? 
Hoc quærilur. Pp. 278-279. 





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. LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU XVI° SIÈCLE 213 


« Par là se résout cette question qui est tenue, parmi les 
physiciens, pour très difficile : Pourquoi, dans le mouvement 
naturel, la vitesse est-elle constamment accrue? Ici, en effet, 
c'est la nature qui meut; comme elle est inséparable du 
mobile, elle le presse continuellement, d'abord lentement, 
puis, pour la cause que nous avons dite, de plus en plus 
rapidement. Le mouvement donc est produit dans le mouve- 
ment même; et comme ce mouvement se trouve toujours 
accru à la fois par le moteur et par le mouvement, il progresse 
à l'infini. Personne, je pense, ne niera que la cause de cette 
accélération ne soit celle-là, à savoir que la puissance mou- 
vante meut le mobile alors que celui-ci est déjà en mouvement. 
En effet, le corps müû acquiert une certaine pesanteur acciden- 
telle; et comme cette pesanteur est accrue par le mouvernent, 
elle rend ce mouvement plus facile et plus rapide. » 

Nous avons dit ailleurs! comment Baldi avait étendu cette 
explication à la prétendue accélération qu'un projectile éprou- 
verait au début de sa course. Nous ne reviendrons pas ici sur 
cette théorie. 

Il semble bien qu’au passage dont nous venons de donner 
la traduction, Baldi identifie’ la gravité accidentelle au mou- 
vement lui-même; le mouvement y est traité comme une 
puissance motrice; et cette opinion, qui est celle qu'Ockam 
avait soutenue, semble conforme à la pensée de l’auteur même 
des Questions mécaniques. 

Précisant cette pensée, Bernardino Baldi n'hésite pas à 
regarder non seulement le mouvement comme une puissance 
motrice, mais encore le repos comme une puissance résistante. 
Quelques lignes avant le passage que nous venons de citer, il 
écrit: : « La résistance de l’objet que l’on fait passer de l'état 
de repos à l’état de mouvement est semblable à un certain 
mouvement en sens opposé. Le contraire arrive à celui qui 
meut un mobile qui se trouve déjà en mouvement; dans ce 
cas, il est grandement aidé par le mouvement même du 


1. Bernardino Balli, Roberval et Descartes : I. Une opinion de Bernardino Baldi 
touchant les mouvements accélérés (Études sur Léonard de Vinci, ceux qu’il a lus et ceux 
qui l'ont lu, IV ; première série, pp. 138-139). 

2. Bernardino Baldi, loc. cit., pp. 177-178. 


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214 BULLETIN ITALIEN 


mobile; le mouvement coopère à l’action que le moteur exerce 
sur le mobile. Le mobile augmente en une certaine mesure la 
puissance du moteur; ce que ce mobile éprouverait de la part 
du moteur, il le fait de lui-même. » 

‘ Ces lignes portent la marque d’une influence autre que 
celle de Piccolomini; elles rappellent fort exactement, en effet, 
un passage qu'au sujet de la même question, Cardan avait 
écrit en son Opus novum de proportionibus: : 

«Imaginons, » dit Cardan, «un corps pesant en équilibre, 
reposant, par exemple, sur le sol; si nous voulons le soulever, 
il opposera au mouvement violent une certaine résistance; 
pourquoi cela? Parce qu’il se meut d’un certain mouvement 
naturel occulte; la puissance de ce mouvement mesure la 
force avec laquelle le corps résistera au mouvement contraire. 

» On comprend, dès lors, pourquoi les navires et les chars 
s’émeuvent tout d'abord lentement et difficilement; lorsque 
ensuite ils ont commencé à se mouvoir, leur mouvement 
devient plus rapide; ils résistent en effet par le mouvement 
naturel occulte, et celui-ci avait sa plus grande intensité alors 
qu'ils étaient en repos, comme l'enseigne Aristote en ses 
Mécaniques ; ce mouvement occulte est, en effet, un mou- 
vement naturel et contraire au mouvement violent. Lorsque le 
corps a commencé à éprouver le mouvement violent, il est 
animé d’un moindre mouvement naturel et il résiste moins. » 

Galilée devait un jour accueillir ces pensées de Cardan et de 
Bernardino Baldi sur la mise en mouvement d’un corps qui 
se trouve au repos?. 

La théorie de la chute accélérée des graves, donnée par 
l'Abbé de Guastalla, nous présente comme un reflet de la 
théorie parisienne; mais ce reflet est singulièrement déformé 
et obscurci. C’est sous une forme autrement claire et nette que 
nous reconnaissons, dans les écrits de Gianbattista Benedetti, 
les principes de la Dynamique qu'ont enseignée Jean Buridan 
et Albert de Saxe. 


1. Hieronymi Cardani Opus novum de proportionibus, prop. XXX VIII, p: 4x, 
2. Galilei De motu (Le opere di Galileo Galilei, ristampate fedelmente sopra la 
Edizione nazionale. Vol. 1. Juvenilia. Firenze, successori Le Monnier, 1890, p. 318). 


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LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU XVI‘ SIÈCLE 215 


Ces écrits, composés sans doute à des époques diverses et 
qui ne nous sont point connues, ont été réunis par l’auteur, 
en 1585, sous ce titre : Spéculalions diverses de Mathémaliques 
et de Physique:; c’est en ce recueil que nous relevons de 
fréquents emprunts à la Mécanique des Parisiens. 

Toujours le mouvement des projectiles abandonnés par le 
moteur qui les a lancés y est attribué à une impressio impetus?, 
à une énpression naturelle, à une impéluosilé reçue par le 
mobile. 

Cet impelus meut tout d’abord le corps en ligne droite; 
puis, lorsqu'il est assez affaibli, la pesanteur commence à 
exercer son action et à détourner le mobile de la trajectoire 
rectiligne. « Cet impetus impressus 3 décroît peu à peu et conti- 
nuellement ; alors l’inclination de gravité du corps s’insinue 
en lui, se mêle peu à peu à l’impression acquise; elle ne permet 
pas que la trajectoire demeure longtemps droite; elle l’oblige à 
- s'incurver; le corps est mû simultanément par deux vertus: 
d'une part, la violence imprimée; de l’autre, la nature; et cela 
contre l'opinion de Tartalea qui niait qu’un corps pût être 
animé à la fois d’un mouvement violent et d’un mouvement 
naturel. 

L'opinion soutenue ici par Benedetti contredit, en effet, 
celle que Tartaglia a exposée dans sa Nova scientia, mais elle 
concorde avec celle que ce même géomètre a professée en ses 


Quesili el inventioni diverse, et qui est celle de Léonard de 


Vinci, de Piccolomini et de Cardan. 

Benedetti a fort clairement affirmé qu'un moteur constant 
devait engendrer un mouvement accéléré : « Dans les mou- 
vements naturels et rectilignes, » dit-il, « l’impressio, l’impe- 
tuosilas recepta croît continuellement, car le mobile a en lui- 
même la cause mouvante, c’est-à-dire la propension à se 


1. lo. Baptistae Benedicti Patritii Veneti Philosophi. Diversarum Speculationum 
Mathematicarum, et Physicarum Liber. Quarum series sequens pagina indicabit. Ad Sere- 
nissimum Carolum Emmanuelem Allobrogum, et Subalpinorum Ducem invictissimum. 
Taurini, Apud Hæredem Nicolai Bevilaquæ, MDLXX XV. 

2. Benedetti, Op. cit., De Mechanicis, cap. XVII, p. 160.— Disputationes de quibusdam 
placitis Aristotelis, cap. XXIV, p. 184. — Responsa physica et mathematica, p. 287. 

3. Benedetti, Op. cit., De Mechanicis, cap. XVII, p. 160. 

h. Benedetti, Op. cit., Disputationes de quibusdam placitis Aristotelis, cap. XXIV, 
p. 184. 





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216 BULLETIN ITALIEN 


rendre au lieu qui lui est assigné; Aristote n’auraïtpas dû 
déclarer qu’un corps est d'autant plus rapide qu'il s'approche 
davantage de son but {{erminus ad quem), mais bien plutôt que 
ce corps est d'autant plus prompt qu'il s'éloigne davantage de 
son point de départ (lerminus a quo). Car l’impressio croît au 
fur et à mesure que le mouvement naturel se prolonge, le 
corps recevant continuellement un nouvel impelus; en effet, 
il contient en lui-même la cause du mouvement, qui est l'incli- 
regagner son lieu naturel hors duquel il se trouve 


x 


nation à 
placé par violence. » 

Ailleurs, traitant du mouvement de la roue qui sert à hisser 
un seau hors d’un puits, Benedetti écrit ceci : « Tout corps 
grave, qu’il se meuve naturellement ou violemment, reçoit en 
lui-même un impelus, une impression du mouvement, de telle 
sorte que, séparé de la vertu mouvante, il continue à se mouvoir 
de lui-même pendant un certain laps de temps. Lors done que 
ce corps se meut d'un mouvement naturel, sa vitesse augmen- 
tera sans cesse; en effet, l’impelus et l’impressio qui existent en 
lui croîtront sans cesse, car il est constamment uni à la vertu 
mouvante. De là aussi il résulte que si, après avoir mis la 
roue en mouvement avec la main, on enlève la main, la roue 
ne s'arrête pas de suite, elle continue à tourner un certain 
temps. » 

C'est à Jean-Baptiste Benedetti que les auteurs les mieux 
informés de l’histoire de la Mécanique ont attribué?, en général, 
cette explication du mouvement accéléré produit par un 
moteur persistant. Combien cette opinion s'éloigne de la 
vérité, nous le savons. Cette explication était connue de 
Walter Burley en la première moitié du xrv° siècle; au milieu 
de ce même siècle, Jean Buridan et Albert de Saxe l'ensei- 
gnaient; elle était communément admise à l'Université de 
Paris au début du xvi' siècle; Scaliger, au milieu du xvr siècle, 

. Benedetti, Op. cit., Physica et mathemalica responsa, p. 287. 
. Emil Wohlwill, Die Entdeckung der Beharrungsgesetzes (Zeitschrift für Vülkerpsy- 
chaliite und Sprachwissenschaft, X VIter Band, p. 394). 
Giovanni Vailati, Le speculazioni di Giovanni Beñedelti sul moto dei gravi (Rendiconti 


dell’ Accademia Reale delle Scienze di Torino, 1897-1898). 
Ernst Mach, La Mécanique, erposé historique et critique de son développement; Paris, 


1904, p. 120. 








LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU XVI° SIÈCLE 217 


avait vivement reproché à Cardan de ne s’y être point rallié; 
à la création de cette théorie, Benedetti n’a eu absolument 
aucune part; mais il est le premier qui, en Italie, ait donné 
à cette doctrine une franche et complète adhésion; Alessandro 
Piecolomini et Bernardino Baldi l'avaient paraphrasée bien 
plutôt que nettement formulée. 

Benedetti a-t-il connu la théorie que Bernardino Baldi pro- 
posait pour rendre compte de la prétendue accélération qu'un 
projectile éprouverait au début de sa course? Il est malaisé de 
répondre péremptoirement à cette question. Mais ceci mérite 
d'être remarqué : Benedetti a proposé la même explication que 
Baldi, tout en indiquant qu'il ne tenait pas pour assuré le 
phénomène auquel elle prétend s’appliquer. C’est en une lettre 
où notre auteur corrige diverses erreurs de Tartaglia que se 
trouve le passage suivant ': 

« La raison que Tartaglia invoque... est absolument vaine; 
l'air qui était primitivement enfermé dans la bombarde en est 
tout aussitôt chassé; il cède devant le boulet, il est divisé par 
ce corps. Que le boulet se meuve à une certaine distance plus 
rapidement qu'au début de sa course, si cela était vrai, cela 
dépendrait d'une autre cause; cette cause serait en partie sem- 
blable à celle qui, dans les mouvements naturels, rend les 
corps d'autant plus vites qu’ils sont plus éloignés du terme 
à partir duquel ils ont commencé à se mouvoir naturellement ; 
le long d'une certaine distance, ce corps se mouvrait de la 
même manière que s'il était emporté par son mouvement 
naturel. » 

Comme Bernardino Baldi, Benedetti croit pouvoir donner 
à la théorie des Parisiens une extension illégitime et contre 
laquelle Jean Dullaert avait protesté d'avance; il sera mieux 
inspiré en d’autres propositions qu'il rattachera à cette même 
théorie. 


1. lo. Baptistæ Benedicti Diversarum speculationum liber ; Physica et mathematica 
responsa, p. 299. 





218 BULLETIN ITALIEN 


VI 


DES PREMIERS PROGRÈS ACCOMPLIS EN LA DYNAMIQUE 
PARISIENNE PAR LES ÎTALIENS. G10vANNI BarrisraA BENEDETII. 


Du jour où un géomètre italien, répudiant la routine des 
Péripatéticiens et des Averroïstes, osa recevoir en leur pléni- 
tude les principes de la Dynamique parisienne, son génie, 
exercé à la précision par l’étude d’Euclide et d'Archimède, 
leur fit produire des fruits qu'ils n'avaient pas portés jus- 
qu'alors. Aux doctrines de Buridan et d'Albert de Saxe, 
Benedetti apporta tout d’abord un complément d’une extrême 
importance. 

Rappelons ce passage: où Albert de Saxe expose une idée 
particulièrement chère au Philosophe de Béthune : 

« Supposons que l’on fasse rapidement tourner une meule 
de forgeron très grande et très lourde, puis que l'on cesse de 
la mouvoir; elle continue à tourner très longtemps, ce qui ne 
peut se faire, semble-t-il, que par un certain impelus intrin- 
sèque qu'elle a acquis, qui lui a été imprimé par celui qui l’a 
mise en mouvement. Si l’on cesse de tourner cette meule, son 
mouvement diminue continuellement et s'arrête enfin, et cela 
parce que la forme naturelle de cette meule a une tendance 
opposée à ce mouvement... Et, peut-être, si cette meule ainsi 
mise en mouvement pouvait durer toujours, sans éprouver 
aucune diminution, aucune altération; s’il n'existait, non 
plus, aucune résistance capable de corrompre l'impelus qui 
a été ainsi engendré, peut-être, dis-je, que cette meule serait 
mue perpétuellement par cet impelus. Si cette supposition était 
agréée, il ne serait plus nécessaire d'imaginer que des intelli- 
gences meuvent les orbes célestes. On pourrait dire, en eflet, 
que Dieu, au moment où il créa les sphères célestes, a com- 
mencé à mouvoir chacune d'elles comme il lui a plu, et 


1. Magistri Alberti de Saxonia Subtilissimæ quæstiones in libros de Cælo et Mundo, 
lib. II, quæst. XIV, 





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LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU XVI° SIÈCLE 219 


qu'elles se meuvent encore par l’impelus que Dieu leur a alors 
donné; en ces corps, cet impelus ne subit ni corruption, ni 
diminution, car le mobile n’a aucune inclination opposée au 
mouvement qui le porte. » 

Albert'de Saxe, comme Jean Buridan, ne reconnaît que deux 
causes capables de détruire l’inpetus: la forme naturelle, qui 
inclinerait le mobile à un mouvement opposé; les résistances 
extérieures telles que la résistance de l’air et le frottement des 
supports. En une meule exactement centrée, le poids ne ferait 
aucune opposition au mouvement de rotation; sans la rési- 
stance de l'air, sans le frottement de l’axe sur les coussinets, ce 
mouvement durerait indéfiniment. 

Cette proposition, qui est fort juste, Benedetti n’y veut point 
souscrire ; mais pour soutenir sa négation, qui est une erreur, 
il est amené à formuler une vérité essentielle et que personne, 
semble-t-il, n'avait encore clairement aperçuer. 

_ Benedetti ne veut pas que le mouvement de la meule soit 
perpétuel, même dans les conditions idéales qu’Albert de 
Saxe a imaginées; il lui faut donc découvrir, en la propre 
substance de cétte meule, une cause intrinsèque de résistance 
au mouvement de rotation, une cause capable de corrompre 
l’impetus ; et voici, selon lui, quelle est celte cause : « Ce n'est 
pas à un mouvement de rotation, c'est à un mouvement recti- 


ligne que chacune des petites parties de la meule serait 


entraînée par son impelus, si elle était libre; pendant le mou- 
vement de rotation, chacun de ces impetus partiels est violenté 
et, partant, il se corrompt. » 

« Imaginons, » dit Benedetti?, «une roue horizontale, aussi 
parfaitement égale que possible et reposant sur un seul point; 
imprimons-lui un mouvement de rotation avec toute la force 
que nous pourrons employer, puis abandonnons-la; d'où 
vient que son mouvement de rotation ne sera pas perpétuel? 

» Cela a lieu pour quatre causes. 


1. Giovanni Vailati est, croyons-nous, le premier qui ait signalé ces décou- 
vertes de Benedetti (Giovanni Vailati, Le speculazioni di Giovanni Benedetti sul moto 
dei gravi. Accademia Reale delle Scienze di Torino, anno 1897-1898). 

2. Jo. Baptistæ Benedicti Diversarum speculationum liber ; De mechanicis, cap. XIV, 
p. 159. 


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220 BULLETIN ITALIEN 


» La première est qu'un tel mouvement n’est pas naturel 
à la roue. te 

» La seconde consiste en ceci que la roue, lors même qu'elle 
reposerait sur un point mathématique, requerraît nécessai- 
rement, au-dessus d'elle, un second pôle capable de’la maïn- 
tenir horizontale, et ce pôle devrait être réalisé par quelque 
mécanisme corporel; il en résulterait un certain frottement, 
d’où proviendrait une résistance. 

» La troisième cause est due à l'air contigu à cette roue 
qui la refrène continuellement et, par ce moyen, résiste au 
mouvement. 

» Voici maintenant la quatrième cause : Considérons cha- 
cune des parties corporelles qui se meut elle-même à l’aide de 
l’impelus qui lui a été imprimé par une vertu mouvante extrin- 
sèque; cette partie a une inclination naturelle au mouvement 
rectiligne, et non pas au mouvement curviligne; si une parti- 
cule prise en la circonférence de ladite roue était disjointe de 
ce corps, il n’est point douteux que, pendant un certain temps, 
cette partie détachée se mouvrait en ligne droite au travers de 
l'air; nous pouvons le reconnaître en un exemple tiré des 
frondes à l’aide desquelles on jette des pierres ; en ces frondes, 
l’impelus du mouvement, qui a été imprimé au projectile, 
décrit, par une sorte de propension naturelle, un chemin 
rectiligne; la pierre lancée commence un chemin recliligne suivant 
la droile qui est langente au cercle qu’elle décrivait tout d'abord, 


el qui le louche au point où la pierre se trouvait lorsqu elle a été 


abandonnée, comme il est raisonnable de l'admettre. 

» Gette même raison fait que, plus une roue est grande, plus 
grand est l’impelus ou l'impression que reçoivent les diverses 
parties de la circonférence de cette roue; aussi arrive-t-il bien 
souvent, lorsque nous voulons l'arrêter, que nous n'y parve- 
nions pas sans effort ni difficulté; plus est grand, en effet, le 
diamètre d'un cercle, moins est courbe la circonférence 
de ce cercle... Le mouvement des parties qui se trouvent sur. 
ladite circonférence approche donc d'autant plus du mouve- 
ment conforme à l’inclination que la nature leur a attribuée, 
inclination qui consiste à se déplacer suivant la ligne droite. » 








LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU XVI° SIÈCLE 221 


Ces pensées, assurément, plaisaient fort à Benedetti; il 
y revient à deux reprises; il les complète et les précise, 
d’ailleurs, en ces deux circonstances, en y joignant l'affir- 
mation d'une importante vérité : Cette tendance du mobile, 
mû d'un mouvement circulaire, à s'échapper suivant la tan- 
gente à la trajectoire courbe est la cause qui tend la corde de 
la fronde et tire la main qui retient cette corde. 

Cette dernière proposition, Benedetti la formule en la lettre 
même : où il a expliqué, selon la Dynamique parisienne, com- 
ment s'accélère le mouvement d’une meule que tourne une 
puissance constante : 

« Tout corps grave qui se meut soit par nature, soit par 
violence, désire naturellement se mouvoir en ligne droite; 
nous pouvons clairement le reconnaître lorsque nous tour- 
nons le bras pour jeter des pierres avec une fronde ; les cordes 
acquièrent un poids d'autant plus grand et tirent d'autant plus 
la main, que la fronde tourne plus vite et que le mouvement 
est plus rapide; cela provient de l’appétit naturel qui a son 
siège en la pierre et qui la pousse à marcher en ligne droite. » 

La même vérité se trouve exprimée de nouveau, et presque 
dans les mêmes termes, au passage suivant ?, qui a également 
trait à la manœuvre de la fronde : 

« La main tourne, autant que possible, suivant un cercle; 
ce mouvement en cercle de la main oblige le projectile à 
prendre, lui aussi, un mouvement circulaire, tandis que, par 
son inclination naturelle, ce corps, dès là qu’il a reçu un 
léger impetus, voudrait continuer son chemin en ligne droite. 
Ne passons pas sous silence un effet, bien digne de remarque, 
qui se produit en cette circonstance. Plus l'accroissement 
de vitesse du mouvement giratoire fait croître l’inpetus du 
projectile, plus il faut que la main se sente tirée par ce corps, 
et cela au moyen de la corde; plus est grand, en effet, l’impetus 
de mouvement qui est imprimé au corps, plus est puissante 


>: 


l’inclination de ce corps à se mouvoir en ligne droite; plus 


1. Jo. Baptistæ Benedicti Diversarum speculationum liber ; Physica et mathematica 
responsa, p. 287. 
2. Benedetti, Op. cit., Dé mechanicis, cap. XVII, pp. 160-161. 


Bull. ital. 19 


223: BULLETIN ITALIEN 


grande aussi est la force avec laquelle il tire afin de pouvoir 
prendre ce mouvement. » 

Buridan et ses disciples avaient admis qu’un impetus imprimé 
à un corps peut, selon la manière dont il a été engendré, 
tendre à mouvoir ce corps en droite ligne ou en cercle; 
Benedetti, méditant l’enseignement de ces philosophes, rectifie 
ce qu’il contenait d’erroné; lorsqu'un très petit corps est libre, 
l’impetus tend toujours à le mouvoir en ligne droite; en un 
grand corps, les liaisons des diverses parties peuvent imposer 
à celles-ci des mouvements courbes; mais il en résulte des 
pressions ou des tractions qui témoignent de l'effort exercé 
par chaque élément pour suivre une trajectoire rectiligne. 
En attribuant à ces actions de liaisons le pouvoir d’ôter la per- 
pétuité à un mouvement de rotation, Benedetti contredisait à 
tort à une très belle et très importante proposition de Buridan 
et d'Albert de Saxé; ceux-ci-avaient découvert une des faces 
du vrai; Benedetti en apercevait clairement une autre; l'avenir 
de la Mécanique devait mettre en évidence l’exacte position 
que ces deux vérités partielles occupent en la vérité totale. 

Ces découvertes, si importantes et si précises, comment 
Benedetti est-il parvenu à les faire? Un intéressant passage 
de l’une de ses lettres va nous renseigner au sujet des démar- 
ches de sa pensée. ù 

Voici ce que Benedetti écrit à Paul Capra de Novare : : 

« Vous me demandez en vos lettres si le mouvement cireu- 
laire d’une meule de moulin, qui aurait été une fois lancée, 
pourrait durer perpétuellement, au cas où cette meule repo- 
serait, pour ainsi dire, sur un point mathématique et où elle 
serait supposée parfaitement ronde et parfaitement polie. 

» Je réponds qu’un tel mouvement ne saurait être perpétuel 
et même qu'il ne saurait durer bien longtemps ; tout d’abord, 
il est refréné par l'air qui fait une certaine résistance sur le 
pourtour de la meule; mais, en outre, il est refréné par la 
résistance des parties mêmes du mobile. Une fois ces parties 
mises en mouvement, elles ont un impelus qui les porte natu- 


1. Jo, Baptistæ Benedicti Diversarum speculationum liber; Physica et mathematica 
résponsa, pp. 285-286. 








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LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU XVI‘ SIÈCLE 223 


rellement à se mouvoir en ligne droite; mais comme elles sont 
jointes ensemble, qu'elles se continuent l’une l’autre, elles 
souffrent violence lorsqu'elles sont mues en cercle; c’est par 
force qu'en un tel mouvement elles demeurent unies entre 
elles; plus leur mouvement devient rapide, plus s'accroît 
en elles cette naturelle inclination à se mouvoir en ligne 
droite, plus est contraire à leur propre nature l’obligation 


de tourner en cercle. Afin donc qu'elles demeurent en leur 


naturel repos, puisque leur tendance propre est de se mouvoir 
en droite ligne lorsqu'elles sont lancées, il faut que chacune 
d'elles résiste d'autant plus à l’autre, que chacune d'elles tire, 
pour ainsi dire, plus vivement en arrière celle qui se trouve 
devant elle, que le mouvement de rotation est plus rapide. 

» Grâce à cette inclination que les diverses parties d'un 
corps rond ont à la rectitude du mouvement, il arrive que 
le sabot qui se fait tourner lui-même avec grande violence 
demeure, pendant un certain laps de temps, parfaitement droit 
et en repos sur la pointe de fer dont il est armé; pas plus d’un 
côté que de l’autre, il n’incline vers le centre du Monde; en ce 
mouvement, en effet, aucune de ses parties n'incline vers 
le centre du Monde; chacune d'elles incline bien plutôt à se 
mouvoir suivant une ligne transversale, perpendiculaire à la 
fois à la ligne de direction ou verticale et à l’axe de l'horizon; 
nécessairement donc, un tel corps doit demeurer droit. 

» Lorsque je dis que ces parties n’inclinent aucunement vers 
le centre du Monde, je le dis seulement sous ce rapport; 
jamais, en effet, elles ne sont absolument privées de cette . 
inclination, et c'est pourquoi le corps fait effort en son point 
d'appui. Il est vrai, toutefois, que plus le sabot tourne avec 
vitesse, moins il presse au point d'appui, plus ce corps devient 
léger. 

» Ceci se voit clairement si l’on prend exemple de la balle 
lancée par une arbalète ou par quelque autre instrument ou 
machine balistique. Plus, en son mouvement violent, la balle 
est rapide, plus est grande sa propension à aller en droite 
ligne, moindre est son inclination à aller au centre du Monde; 
par cette cause, elle est rendue plus légère. 





224 BULLETIN ITALIEN 


» Si vous désirez apercevoir plus clairement cette vérité, 
imaginez que ce corps, le sabot, mû d’un très rapide mouve- 
ment de rotation, soit découpé ou divisé en une foule de 
parties. Vous verrez que ces diverses parties ne descendent pas 
immédiatement vers le centre du Monde, mais qu’elle se meu- 
vent, si je puis dire, tout droit suivant une ligne horizontale. 
Personne, que je sache, n’a encore fait cette observation au 
sujet du mouvement du sabot. 

» Ce mouvement du sabot ou des autres corps analogues 
nous montre à quel point les Péripatéticiens sont dans l’erreur 
au sujet du mouvement violent; ils pensent, en effet, que le 
corps est poussé par l'air qui se précipite pour occuper le lieu 
délaissé par le mobile; c’est plutôt l'effet contraire qui naît de 
ce mouvement de l'air. » 

Nous nous souvenons d’avoir lu:, dans les ÆExercilationes 
de Bernardino Baldi, des considérations presque semblables 
à quelques-unes de celles que nous venons de transcrire, et 
lorsque nous les avons rencontrées au livre de l’abbé de Guas- 
talla, nous n’avons pas hésité à en marquer l’origine ; ce sont, 
avons-nous dit, pensées de Léonard; ce jugement, nous le 
devons répéter ici et le rendre encore plus formel, car le sceau 
du Vinci se montre encore plus nettement imprimé en ce que 
Benedetti vient d'exposer. 

La pensée fondamentale d’où découlent tous les raisonne- 
ments de Benedetti est la suivante : L'inpelus causé par la 
violence est analogue à la gravité naturelle; l’inpetus, lorsqu'il 
agit seul, comme la gravité naturelle, lorsqu'elle agit seule, 
meut le mobile en ligne droite : « Tout corps grave qui se 
meut soit par nature, soit par violence, désire naturellement 
se mouvoir en ligne droite. » 

Or, cette pensée est, en la Dynamique du Vinci, un principe 
essentiel. 

A la fin de son mouvement, un projectile décrit un chemin 
rectiligne, parce qu'il est alors mû par nature, sans aucun 
mélange de violence : « La flèche se fichera en ligne perpen- 


1, Léonard de Vinci et Bernardino Baldi, IV (Études sur Léonard de Vinci, ceux qu'il 
a lus et ceuæ qui l'ont lu, IT; première série, pp. 100-115). 





LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU-XVI° SIÈCLE 22 


diculaire :, et si tu la trouves ainsi, c'est signe qu'elle avait 
fini le mouvement violent et qu'elle entrait dans le mouve- 
ment naturel, c’est-à-dire qu'étant pesante, elle tombait, libre, 
vers le centre. » 

Au début du mouvement, la trajectoire est également recti- 
ligne, car l’inpelo annihile alors la gravité naturelle; la gravité 
accidentelle demeure seule, et celle-ci pèse dans la direction 
selon laquelle le moteur a lancé le mobile; le boulet que la 
bombarde, pointée horizontalement, a tiré, se meut suivant une 
droite horizontale, parce que la violence lui a fait perdre sa 
gravité naturelle, dirigée suivant la verticale : «Tout grave qui 
se meut selon la position de l'égalité ne pèse que par la ligne 
- de son mouvement?. On le prouve dans la première partie que 
fait le mouvement du boulet de la bombarde, mouvement qui 
est dans la position de l'égalité. » 

De cette phrase de Léonard, il est bien naturel de rapprocher 
celle-ci, qui est de Benedetti : « Plus, en son mouvement vio- 
lent; la balle est rapide, plus est grande sa propension à aller 
en ligne droite, moindre est son inclination à aller au centre 
du Monde; par cette cause, elle est rendue plus légère. » 

Entre les pensées des deux auteurs, une seule nuance est à 
signaler. Léonard admet que la première partie de la trajec- 
toire est purement rectiligne, car alors, selon lui, la violence 
anéantit complètement la gravité naturelle. L’impetus, selon 
Benedetti, atténue cette gravité naturelle sans la détruire entiè- 
rement, si violent soit-il; aussi la trajectoire, d'autant plus 
voisine de la ligne droite que le mouvement est plus rapide, 
n’atteint-elle jamais cette ligne droite. Ici, Benedetti corrige la 
pensée du Vinci comme l'avait fait son maître Tartaglia. 

Pour Léonard donc, et pour tous ceux qui paraissent avoir 
subi son influence, pour Tartaglia, pour Cardan, pour Bernar- 
dino Baldi, pour Benedetti, le mouvement purement violent est 
rectiligne, tout comme le mouvement purement naturel. 


1. Les manuscrits de Léonard de Vinci; ms. A de la Bibliothèque de l’Institut, 
fol. 4, recto. 

2. Les manuscrits de Léonard de Vinci, ms. G. de la Bibliothèque de l’Institut, 
fol. 77, recto. 


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226 d BULLETIN ITALIEN 


« Du mouvement en général, » écrit Léonard en un de ses 
cahiers. « Quelle chose est le mouvement en soi. — Quelle 
chose est celle qui est mise davantage en acte par le mouve- 
ment.— Quelle chose est l’inpeto. — Quelle chose est la cause 
de l’impelo et du milieu où il se crée. — Quelle chose est la 
percussion. — Quelle chose en est la cause. — Quelle chose 
est l’incurvation du mouvement droit et quelle en est la cause. 
Aristote, 3° de la Physique, et Albert, et Thomas, et les 
autres, du mouvement réfléchi de (risallalione) au 7° de la 
Physique. » 

Les principes que nous venons de rappeler posent, en effet, 
cette question : Quelle est la cause qui détermine la courbure 
de la trajectoire décrite par un projectile, par les diverses 
parties d’un mobile éloigné de son moteur ? Cette cause, c’est 
que le mobile n’est pas sollicité par une gravité purement 
naturelle ou par un impelo simple; elle réside en ce fait que 
l’impelo est composé. 

Une première forme d’impelo composé est mise en évidence 
par ce qui précède. Elle résulte de la lutte entre l’impeto simple 
qui a lancé le projectile et la pesanteur naturelle de ce même 
projectile. C’est un impelo composé de cette sorte qui, selon 
Léonard, selon Cardan et Bernardino Baldi, incurve la partie 
moyenne de la trajectoire d’un projectile, qui, selon Tartaglia 


et Benedetti, incurve cette trajectoire en tout son parcours. 


A côté de cette sorte d'impelo composé, Léonard en a défini 
une seconde espèce’. En ce nouvel impelo, dont l'existence 
paraît lui avoir été révélée par le jeu du globe que Nicolas de 
Cues avait décrit, la forme du mobile intervient; il y a 
conflit entre l’inpelo imprimé par le moteur et ce que Léonard 
nomme l’impelo du mobile. 

Cet impelo du mobile, le Vinci lui accorde une extrême 
importance en la théorie du vol des oiseaux; mais il ne paraît 
pas qu'il soit jamais parvenu à s’en faire une idée bien nette. 

1. Les manuscrits de Léonard de Vinci, ms. ! de la Bibliothèque de l'Institut, 
fol. 130, verso. 

2. Nicolas de Cues et Léonard de Vinci, XI: La Dynamique de Nicolas de Gues et la 


Dynamique de Léonard de Vinci, Théorie de l’impeto composé (Études sur Léonard 
de Vinci, ceux qu’il a lus et ceux qui l'ont lu, XI; seconde série, pp. 215-222). 


arc 2" 





LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU XVI° SIÈCLE 227 


C'est cette notion, demeurée obscure chez Léonard, que 
Benedetti précise dans les divers passages que nous avons cités. 
Chacune des parties d’un mobile qui se meut d’un mouvement 
giratoire est le siège d’un conflit entre deux tendances : 
d'abord, l'inpetus simple, qui tend à entraîner cette particule 
suivant la ligne droite; puis une réaction, conséquence du 
lien qui unit cette partie aux parties voisines, réaction qui 
s'oppose à la continuation du mouvement rectiligne. 

Quelles indications Benedetti trouvait-il, au sujet de ces deux 
éléments de l’inpelo composé, en la science de ses prédéces- 
seurs ? 

Nous avons vu que Léonard attribuait formellement à l’impelo 
simple la propriété de mouvoir le mobile en ligne droite ; en 

avait-il déduit cette conséquence, que Benedetti énonce si for- 
mellement : Chacune des parties d’un mobile animé d'un 
mouvement giratoire s’échapperait tout aussitôt en ligne droite, 
si l’on brisait les liens qui unissent cette partie au reste du 
corps; cette droite serait la dernière tangente à la trajectoire 
curviligne que décrivait cette partie avant qu'elle ne füt libre ? 
Le Vinci était certainement parvenu, mais après bien des 
tâätonnements, à reconnaître au moins la première partie de 
celte loi; la lecture de ses manuscrits nous le prouvera. 

Voici un premier fragment où, à la place de la loi véritable, 
est énoncée une loi erronée : 

« Toute chose mue avec violence suivra dans l'air la ligne 
du mouvement de son moteur. Si quelqu'un meut la chose en 
cercle et qu’elle soit lächée dans son mouvement, son mouve- 
ment est courbe; et si le mouvement est commencé en cercle 
et fini en droiture, en droiture sera sa course. » 

Un second fragment? nous rend témoins des doutes de 
Léonard au sujet de la loi qui nous occupe. La première des 
deux phrases qui composent ce fragment est biffée dans le 

_ manuscrit. 


1. Les Manuscrits de Léonard dé Vinei, publiés par Ch. Ravaisson-Mollien, Ms n° 2038, 
Italien, de la Bibliothèque nationale (Acq. 8070 Libri), folio r, verso. Paris, 1891. 

2. Les Manuscrits de Léonard de Vinci, publiés par Ch. Ravaisson-Mollien, ms. I de 
la Bibliothèque de l’Institut, fol. 98 [50], recto. Paris, 1889. 





228 BULLETIN ITALIEN 


«Autant le mobile retient en soi d’impelo acquis, autant il 
suit la rectitude de la ligne du moteur. 

» Pour quelle cause une route courbe étant donnée à un 
moteur, la chose qui se sépare fuit par la ligne... » 

Un dernier fragment’, enfin, contient des affirmations bien 
voisines de la vérité : 

« Du mouvement circulaire. Mais le mouvement circulaire de 
vitesse uniforme chassera autant le mobile avec une révolution 
entière qu'avec plusieurs. 

» Mais il le chassera dans la création de la première circula- 
tion d’autant plus loin que cette création est plus voisine de 
son intégrité ; et le mouvement de son mobile n’observera pas 
un tel mouvement circulaire, après qu’il s’est divisé de la roue, 
mais suit le mouvement droit. » 

Il y a, en cette note, une ébauche de ce que Benedetti dira 
avec beaucoup plus de précision. Il est à remarquer que cette 
note se trouve en ce cahier E où Léonard, par l'étude du jeu 
du globe, est conduit à la notion d’impelo composé. 

La lecture même des notes de Léonard conduisait done à 
admettre cette première vérité formulée par Benedetti : En un 
corps animé d’un mouvement de rotation, chaque partie tend, 
à chaque instant, à se mouvoir en ligne droite. 

À cette première vérité, le Géomètre vénitien en joint une 
seconde : Ce qui s’oppose à la continuation de ce mouvement 
rectiligne, c’est une force qui tire la particule vers le centre du 
cercle dont elle décrit la circonférence ; plus ce cercle est petit, 
plus cette force est grande. 

Cette nouvelle proposition, elle était pour ainsi dire dictée à 
Benedetti par un ouvrage qu'il avait minutieusement analysé 
et discuté, par les Questions mécaniques d’Aristote. C’est d'une 
proposition toute semblable, en effet, qu’Aristote ou l’auteur, 
quel qu’il soit, de ces Questions tirait la loi du levier, à laquelle 
il ramenait ensuite la plupart des problèmes de Mécanique? : Le 


1. Les Manuscrits de Léonard de Vinci, publiés par Ch. Ravaisson-Mollien, ms. E de 
la Bibliothèque de l’Institut, fol. 29, recto. Paris, 1888. 

2, Voir, à ce sujet, nos Origines de la Statique, chap. VI, t. I, pp. 108-rv0, et t. HI, 
note À, pp. 298-307. 





LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU XVI° SIÈCLE 229 


levier, au lieu de permettre au poids qu'il supporte de se mou- 
voir en ligne droite, l’oblige à se mouvoir en cercle; cette 
contrainte est exercée par une force émanée du centre du cercle; 
elle est d'autant plus grande que le chemin opposé au poids 
s'éloigne davantage de la rectitude, que le cercle décrit par ce 
poids est plus petit. 

Cette doctrine eut des fortunes diverses. Admise plus ou 
moins vaguement par le Commentateur péripatéticien de 
Jordanus de Nemore: et par Blaise de Parme», elle a été ingé- 
nieusement réfutée par Léonard de Vinci; mais Guidobaldo 
dal Monte l’a reprise“ en 1577, au temps donc où Rene 
méditait sur la Mécanique. 

A la vérité, les considérations d’Aristote ou de Guidobaldo 
avaient trait à une masse qui est sollicitée au mouvement recti- 
ligne par sa gravité naturelle et non point par un impelus 
violemment imprimé; mais l'assimilation entre la gravité 
naturelle et la gravité accidentelle, admise par la plupart des 
mécaniciens et, en particulier, par Benedetti, conduisait aisé- 
ment du premier cas au second. 

De la vérité que le Géomètre vénitien a formulée avec une 
sorte de prédilection, les éléments étaient donc, depuis 
longtemps, entrevus et plus qu’à demi dégagés; il restait, 
cependant, à les réunir et à en composer une proposition 
claire et précise; c'est ce qu'a fait Benedetti, et le mérite 
d’avoir accompli une telle besogne ne saurait être mis à trop 
haut prix. 

Benedetti nous apparaît comme un adversaire de la Phy- 
sique péripatéticienne. 

Son traité De mechanicis suit pas à pas les Questions méca- 
niques d’Aristote afin de les critiquer, de les corriger, de les 
compléter. 

Un autre de ses écrits est intitulé : Dispulaliones de quibusdam 
placitis Aristotelis. Nous savons, par le témoignage même de 


1. Les Origines de la Statique, t. I, p. 136 
2. Ibid., t. I, p. 150. 

3. 1bid., t. I, pp. 160-161. 

4. Ibid., t. 1, p. 218. 


AT AS RE NE LELIES RO ET NE RE ER TER EU 
CA EL : è PA UT PER Lo PA PE Ve à 


En ? f ci 





230 BULLETIN ITALIEN 


l'’auteur', que cet écrit était composé dès 1553. Benedetti le 
fait précéder de cette courte déclaration? : 

« L'importance et l’autorité d’Aristote sont si grandes qu'il 
est dangereux et très difficile d’écrire quoi que ce soit contre 
ce qu'il a enseigné; cela l’est surtout à moi, à qui la sagesse 
de ce grand homme a toujours paru admirable. Poussé, 
cependant, par l'étude de la vérité, dont l’amour armerait 
Aristote contre lui-même s’il vivait encore, je n’ai pas hésité 
à publier certaines conclusions contraires à l’avis du Philo- 
sophe; la philosophie des Mathématiques, en laquelle je 
m'affermis toujours comme en une base inébranlable, m'a 
contraint de ne pas-partager son sentiment. » 

Par ses doctrines contraires à celles d’Aristote, Benedetti se 
trouvait assurément au nombre des adversaires de la Scolas- 
tique italienne, si fermement attachée encore, à cette. époque, 
aux principes péripatéticiens et averroïstes. Ses pensées 
n'étaient pas en un antagonisme aussi marqué avec les ensei- 
gnements de la Scolastique parisienne. 

Il trouvait# erronée la doctrine d’Aristote touchant l'infini ; 
il soutenait, par exemple, qu’un corps infini pourrait actuel- 
lement s'étendre hors du ciel; que les parties infiniment 
nombreuses d’un continu ont une existence actuelle; que la 
multitude actuellement infinie est concevable tout aussi bien 
que le nombre fini et constitue, aussi bien que celui-ci, un 
genre de quantité. Toutes ces affirmations devaient sembler 
d’effroyables hérésies aux Alexandristes ou aux Averroïstes 
italiens. Mais en quoi eussent-elles offusqué le moins du 
monde les Nominalistes parisiens? Ces propositions, ne les 
avaient-ils pas entendu soutenir, dès le début du xrv° siècle, 
par Jean de Bassols, puis, au cours du xiv° siècle, par Grégoire 
de Rimini, le subtil et puissant logicien, et par Robert Holkot? 
En la première moitié du xvr° siècle, Jean Majoris et ses élèves 

1. Resolutio omnium Euclidis problematum aliorumque ad hoc necessario inventorum 
una tantummodo circini data apertura, per loannem Baptistam de Benedictis inventa. 
Venetiis MDLIIL. In fine: Venetiis apud Bartholomæum Cæsarum. MDLIII. Épître 
dédicatoire à Gabriel de Guzman, sixième folio non paginé, verso. 

2. lo. Baptistæ Benedicti Diversarum speculationum Liber, p. 168. 


3. lo. Baptistæ Benedicti Diversarum speculationum liber ; Disputationes de quibusdam 
placitis Aristotelis, cap. XXI, p. 181. 





LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU XVI° SIÈCLE 231 


ne les avaient-ils pas formellement adoptées? À la Sorbonne, 
rue du Fouarre, à Montaigu, elles eussent rencontré des 
partisans et des contradicteurs, mais elles n’eussent effrayé ni 
étonné qui que ce füt. 

Benedetti, d’ailleurs, se montrait, en bien des points, 
disciple des physiciens de Paris. Sa Dynamique avait, avec 
celle de Jean Bhridan et d'Albert de Saxe, une étroite parenté. 
Il admettait. également le principe de Statique formulé par 
Albert de Saxe; après avoir rappelé les définitions du centre 
de gravité proposées par Pappus et par Commandin, il 
ajoutait : : « D’autres disent que le centre de gravité de chaque 
corps particulier est le point au moyen duquel ce corps 
s’unirait au centre de l’Univers, s’il n’en était pas empêché; 
et tous s'accordent en ceci que la Terre s'unit au centre 
proprement dit de l'Univers par l'intermédiaire de son centre 
de gravité. » 

C’est à la Logique, à la Physique des Parisiens qu’en Italie, 
les initiateurs de la Science moderne empruntent des armes 
pour combattre les enseignements surannés du Philosophe et 
du Commentateur; ceux qui s'efforcent de secouer le joug de 
la tyrannique routine ont les yeux fixés sur Paris, dont la 
Scolastique nominaliste est, depuis des siècles, en possession 
de la liberté intellectuelle. 

P. DUHEM. 
(A suivre.) 


1. Consideratione di Gio. Battista Benedetti. Filosofo del Sereniss. S. Duca di 
Savoia. D'intorno al Discorso della grandezza della Terra, et dell Acqua. Del Eccellent. 
Sig. Antonio Berga Filosofo nella università di Torino. In Torino. Presso gli heredi del 
Bevilacqua, 1579, p. 18. 











LE OSSERVAZIONI INEDITE DI GILLES MÉNAGE 


SOPRA L’AMINTA DEL TASSO . 
4 


Non tema il lettore ch’ io gli spieghi dinnanzi intera la 
tediosa e per lo più vana farragine del nuovo commento. 
Accanto alle annotazioni antiche, apparse in edizione ornatis- 
sima, pei tipi del Vitré, nel 1655, più che ad illustrazione, 
coll’ illustrazione della favola tassesca:, sopra i margini di un 
esemplare che si conserva presentemente alla Nazionale pari- 
gina, il Ménage accumulô senza risparmio le sue aggiunte 
erudite; mi sembro buona cosa, separando dall’ erudizione 

inutile e pedantesca, ond’ esso è infarcito, i tratti che interes- 
 sano realmente la storia letteraria, dare agli eruditi un’ idea 
di quel che sia questo commento inedito; anche se il dotto 
filologo nel suo nuovo commento ci dice spesso cose non 
sfuggite ai tassisti più recenti o presentate da essi come nuove, 
ha pur sempre diritto ad un onesto cenno quest’ ultimo frutto 
della sua operosa attività intorno alle lettere nostre?. « Gelido 


1. Aminta favola boscareccia di Torquato Tasso, con le annotazioni di Ecrro MexaAGr0, 
accademico della Grusca, in Parigi, presso Agostino Curbé, etc., M.DC.LV, 
2. 11 Ménage lascid morendo le note manoscritte raccolte per la nuova edizione 


al suo segretario Simon de Valhébert. Nella prima metà del 700 l’esemplare annotato . 


dalla mano del Ménage si conservava a Parigi nella libreria di Alberto Francesco 
Floncel, avvocato del Parlamento (Vedi P. A. Serassr, La vita di Torquato Tasso, 
Bergamo, 1900, t. Il, p. Lui-crv del Catalogo). Il volume fu consultato certamente da 
colui che nel 1768 prepard per l’editore Marcello Prault una nuova stampa della 
Aminta, in-12°: la prefazione e i pensieri di scrittori diversi sull’ Aminta, 
articoli introduttivi dell’ ediz. menagiana, vi son riprodotti nella nuova forma, 
corretti ed accresciuti. Ë strano che per le tre o quattro osservazioni, con cui il 
volumetto si chiude, desunte anch’ esse dal!’ opera del Ménage, il nuovo autore non 
metta a profitto le correzioni e le aggiunte e riproduca quasi esclusivamente le note 
che il Ménage nella 2° ediz. avrebbe soppresse (Osservo di passata che non si pud 
parlare di una vera e propria ristampa, nel 1768, delle Annotazioni del Ménage. Credo 
inesatta là ove parla delle ristampe di tali Annotazioni Elena Samrimssco, Ménage 
polémiste, philologue et poète, Paris, 1902, p. x1). Il Solerti, che s’ era dapprima 
limitato a riprodurre il cenno del Serassi, in Opere minori in versi di Torquato Tasso, 





LE OSSERVAZIONI INEDITE DT GILLES MÉNAGE 233 


grammatico e lessicografo, » se lo si studia in relazione con 
Dante, à, quando si tratta del Tasso, studioso costantemente 
appassionato ed anche, qualche volta, estimatore felice; si 
arresta con interesse dinnanzi alla sua figura chi studia le sorti 
francesi della più famosa pastorale italiana :. Fu, a parer mio, 
giustizia e gratitudine il plauso degli eruditi toscani; e se più 
tardi G. Fontanini, Ménage italiano, movendo guerra in difesa 
del Tasso all’ intero universo, addenterà per fame polemica 
particolarmente il Ménage, è facile riconoscere, astraendo 
dalla gloria pedantesca di misurarsi con un avversario di 
grido, quanto deboli ed infondate sieno per la più parte le 
accuse e quanto largamente sfruttato, nonostante l’acerbità 
degli attacchi, sia il commento del « Varrone francese »2. 

Si pud ragionevolmente vedere nelle nuove osservazioni di 
Gilles Ménage una nuova testimonianza del suo ardore negli 
studi tasseschi e prendere quasi alla lettera, fatta la sua piccola 
parte all’ amplificazione letteraria, cid che il 20 aprile 1657 
egli scriveva agli accademici della Crusca : Spero di mi- 
gliorare tanto la mia Opera nella seconda edizione che non 
sara forse indegna d’un accademico della Crusca. 


Bologna, 1895, t. III, p. cr, potè più tardi servirsi delle note menagiane inedite e 
molte, anzi troppe, ne pubblicd nel volume che fa parte della collezione Paravia, 
1 discorsi dell’ arte poetica, il padre di famiglia e l’Aminta annotati per cura di ANGELoO 
Socgrr1, Torino, 1901. Non avendo mai il Solerti indicata l’origine menagiana di 
siffatte note, pur citando nella sua prefazione il commento manoscritto in questione, 
la sua parziale edizione nulla giovà alla conoscenza del commento stesso. Non credo 
che questo sia stato notato da quanti recentemente si occuparono del Ménage; la 
notizia, frequentemente ripetuta, che il Ménage lascid manoscritte delle Nuove osser- 
vazioni sopra l’Aminta rimonta direttamente o indirettamente, più che agli scritti 
stessi del Ménage e agli accenni del Serassi e del Solerti, al catalogo stampato in 
testa al ben noto Menagiana, Paris, 1715, 3° ediz. 

1. À noto l’equo giudizio del Carducci che disse il commento del Ménage « come 
i più dei commentari critici d’allora, infarcito d’erudizione e di pedanteria, ma 
sparso anche di delicate e fini e peregrine dottrine ». 

2. L'Aminta di Torquato Tasso difeso ed illustrato da Giusto Fonranini, etc., 
Roma, 1700. Per il piacere di dissentire dal Ménage, il Fontanini giunge a sostenere 
(p. 63) che dall’ episodio della puntura dell’ ape non si ricava in modo veruno che 
Aminta baciasse e ribaciasse la ninfa, e (p. 94) con aperta ingiustizia, travisando o 
non comprendendo le parole del commentatore francese, lo accusa di non conoscere il 
Torrismondo e di aver visto soltanto l’Avanzo di un poema drammatico. Del resto, come 
il Fontanini stesso sospetiù, molte accuse sue non avrebbero avuto ragione di essere 
se fosse uscita la 2° ediz. In questa non solo s’ incontrano corretti alcuni errori che 
il Fontanini gli rimprovera, ma vediamo pure talora, il che à più caratteristico, le 
stesse aggiunte che il Fontanini sfoggid per mostrare una più vasta e più sicura 
erudizione. 


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234 BULLETIN ITALIEN 


E si vedrà che non i fiumi Toschi 
Ma 1 Ciel, l’ arte, lo studio, e 1 santo Amore 
Dan spirto e vita a i nomi, e alle carte, 


Mi si conceda, con tutto questo, un sospetto. In chi scorra 
le lettere del Ménage nasce spontaneo il dubbio che molta parte 
delle nuove osservazioni gli sia stata comunicata dagli acca- 
demici suoi amici. Nella lettera stessa citata egli indica qual 
fonte degli ideati miglioramenti la nota censura dell” acca- 
demia. Agli appunti con blanda severità mossigli dall’ accade- 
mia: in risposta al dono ch’ egli le aveva inviato delle proprie 
Annolazioni, il Ménage in genere si attenne scrupolosamente. 
Non solo sottopose ad una revisione rigorosissima Vl'orto- 
grafia del volume e migliord, conformemente aï consigli 
ricevuti, lo stile, ma si acconciù pure a modificazioni notevoli 
del vero e proprio commento. Una parentesi (p. 106-7) intorno 
alla maggior severità della poesia francese in confronto dell 
italiana, come quella che a differenza della poesia nostra non 
tollera facilmente l'enjambement, aveva lievemente irritata la 
suscettibilità della patriottica accademia e viene per conse- 
guenza annullataÿ. Il Ménage aveva detto (p. 239), in nota al 


verso 
Ma le bagni la pioggia e mova il vento : 


« Mi par che sarebbe stato meglio riferir il calpestar all’ ossa 
e il muover [del] vento alle ceneri.» L'Accademia, pur quali- 


1. Ï rapporti epistolari del Ménage con gli accademici fiorentini, in cid che ebbero 
di più notevole, sono parziale argomento del suo curioso volumetto Mescolanze, 
Parigi, 1678. Vedi il passo cit, a pag. 107. Mi riferird costantemente a tale volumetto 
non raro, anche quando per talune lettere potrei rimandare alla piccola raccolta 
edita dal Pélissier : Lettres de Ménage à Magliabecchi et à Carlo Dati in Revue des lang. 
rom., XXXV, 1891, p. 128-65. Tre lettere del Ménage, che fan pure parte del citato 
volume, furono ristampate dal Socerri, Vita di T. Tasso, Torino, 1895, II, pagg. 470, 
L71, 472. 

; ra NE il non veder notate dall’ accademia alcune mende assai gravi che ci 
lascian credere vere le parole del Ménage al Dati (Mescolanze, cit., p. 124) : « Scrissi 
in fretta e quasi nel corso della stampa tali osservazioni. » Ë curioso tra gli altri 
questo riavvicinamento (p. 278), che fortunatamente scompare nella nuova ediz, : 
Tasso. — « Tolga Dio che mai faccia | Cosa che le dispiaccia » e Danre, Inf. XXV,.— 
Al fine delle sue parole il ladro | Le mani alzù con ambeduo le fiche | Gridando 
Togli Dio, ch’ à te le squadro. » 

3. L'osservazione, spoglia perd dei suoi tratti piu salienti («noi Francesi qui 
Musas colimus severiores »), riappare dieci anni più tardi in Les poésies de M. de 
Malherbe avec les observations de M. Ménage, Paris, 1666, p. 536. 

Fu probabilmente in seguilo a questo piccola esperienza che, per evitare le possi- 











LE. 
v” 4 


À 


LE OSSERVAZIONI INEDITE DL GILLES MÉNAGE 239 


ficando ingegnosa l’osservazione, aveva ricordati i notissimi 
versi di Dante. Ed ecco la nota marginale del Ménage : « Ë ben 
vero che dell’ ossa Dante nel Purg. c. 3° disse l’ istessa cosa 
coll” istesso verso : 


L’ ossa del corpo mio sarieno ancora 
In co’ del ponte, presso à Benevento 
Sotto la guardia della grave mora; 


ma è da notare, che parlù solamente delle ossa, e non delle 
ossa e delle ceneri, si come il Tasso. » E del pari trascritto dalla 
lettera in questione quello ch’ egli sostituisce (p. 329) alla 
antica sua spiegazione della parola inaffiare : « Vale legger- 
mente bagnare ed è proprio degli orti — Piantô parecchi piedi 
di bellissimo bassilico salernetano e quegli di niuna altra 
acqua che à rosata, à di fior d’aranci, à delle sue lagrime 
non inaffiava giammai, — disse il Boccaccio G. 1v, n. 5, ragio- 
nando della Lisabetta, che in un cesto messo avea la testa 
dell’ Amante. » 

Le osservate relazioni tra il nuovo testo delle Annotazioni e 
la lettera dell’ Accademia non bastano certo a negare ogni 
originalità alla nuova edizione; esse ci dicono perd come 
l’annotatore si comportava rispetto agli appunti che gli 
amici suoi gli spedivano : li trascriveva fedelmente sui margini 
del suo volume, senza curarsi di segnarne in modo alcuno 
l’origine. Vediamo altri fatti. Nell’ Antibaillet:, part. I, art. LIV, 
a proposito delle origini della pastorale drammatica, egli 
cosi si esprime: « J'ai fait là-dessus une grande observation 
dans mes Remarques sur, lAmynte du Tasse. Et comme 
je l’ai fort augmentée et mise dans un plus grand jour depuis 
l'édition de mon Amynte, je la produirai en cet endroit, étant 


bili ire dei lettori italiani (si direbbe ch’ egli abbia prevista a questo riguardo 
la replica violenta del Fontanini) egli aggiunse in sostegno della sua affermazione 
che i tragici francesi di gran lunga avanzassero tutti gl’ italiani (p. 209) queste 
parole del Testi : «Or de l Itale cetre è somma lode | Cantar quel ch’ à gran 
pena | Frine oseria tra ciechi orror notturni. | Gran vergogna di Pindo! Oggi 
chi s’ ode | Calcar tragica scena, | Vestito il pie’ di Sofoclei coturni? | Negletti 
e taciturni | Stanno i teatri : e nomi austeri, e mesti | Gli Edipi sono e l’ Ecube e 
gli Oresti. » 

1. Si veda l’ed. La Monnoye dei Jugemens des savans, Paris, 1730, t. VIII, p. 108-15, 


LE La NE 0 Pate NAS à 2 QE dé HE dé PATES SALES 
Lrar * FAR TET . LÉ F " L'an Are 4 Ê 





236 BULLETIN ITALIEN 


persuadé qu'elle ne déplaira pas à mes lecteurs:.» Egli non 
dice che taluna, e non la meno importante, delle aggiunte à 
letteralmente attinta ad una lettera del Dati:; a cui, riconos- 
cente, rispondeva con queste parole : « se forse nel leggere le 
mie osservazioni sopra l’Aminta le saranno nati sémnili altri 
pensieri intorno alla dottrina... la supplico a scrivermegliÿ. » 
E in una sua lettera al Sig. Conte del Maestro : « M. l'abbé de 
S. Laurens m'a écrit autrefois que vous aviez fait en vostre 
particulier quelques remarques sur mon Amynte. Si vous ne 
les avez point perdües vous m'obligerez aussi très-sensiblement 
de m'en faire part; ayant dessein de donner bientost une 
segonde édition de cet ouvraget. » È infine importantissimo 
questo passo d’una lettera del Magliabechi : « Ô scritto, come 
ella vedrà alcuni passi di diversi Autori, simili ad altri, 
addotti in molli luoghi dell’ Aminta da V. S. Illustrissima, 
i quali mentre scriveva, mi venivano in mente. Non pretendo 
portar, come si dice, a Samo vasi, Nottole a Atene e cocodrilli a 
Egitto. Con tutto ciù gli ho voluti scrivere, già che questo a me 
non portava via se non pochissimo tempo; cioè quello dello seri- 
vergli; il quale io stimerei felicissimamente impiegato, quando 
anche ve ne fosse uno solo che le potesse servire per accrescere 
le sue dottissime osservazioni. Potrebbe esser che ci fossero 
molti di questi passi che non fossero a proposito, e non 
vi avessero che fare, perchè io non ho voluto rileggere 
l’Aminta, ma come à detto, un solo che fra tutti vi sia che le 
possa servire, mi farà stimare benissimo impiegata la fatica 
durata nello scrivergli tuttis. 

Non si puô certo precisar la portata della conclusione a cui 
questi passi conducono; era necessario tuttavia rilevare la 
cosa, non lontana del resto dalle abitudini note del Ménagef : 
la sua cultura italiana ci sembra men prodigiosa e di certi 


1. Non è questa la sola volta che il Ménage dà dei saggi della sua futura edizione; 
à la sola volta che ne avverte il lettore. In genere egli faceva suo il detto del Mal- 
herbe : « Perchè non potrei mettere nella mia credenza quello che prima ho messo 
sul mio camino ? » 

2. Mescolanze, cit,, p. 104. 

3. Ibid,, p. 110. 

h. Ibid., p. 153. 

5. 1bid., p. 168. 

6. Ë noto che per le Origini della lingua italiana gli accademici della Crusca gli 





LE OSSERVAZIONI INEDITE DI- GILLES MÉNAGE 237 


autori poco noti tra noi si comprende la citazione in un autor 
forestiero:. La cosa è tanto più degna di nota che nella ricchezza 
appunto dei riscontri, nella determinazione frequente dei fonti 
a cui il Tasso o altri attinse, sta il merito massimo che per 
noi ha il commento. Alluse il Du Périer probabilmente solo 
alle imitazioni che dell’ Aminta si erano avute infinite ed ai 
raffronti che l’amico aveva a! questo riguardo istituiti quasi 
ad ogni pagina del suo commento quando a lui si rivolse 
con questi versi : 


. Sed ante alias te laetior urbes 
Roma colet, coeloque tuos aequabit honores, 
Attonitis inians animis : ut Gallus amoenas 
Noveris Etruscum Charites, ut splendida furta 
Ingentis Tassi sollers detexeris… 


L'elogio non è men meritato se ci vediamo un’ allusione a 
tutta quella parte dell’ opera in cui delle immagini e dei 
pensieri del Tasso si cercano nei poeti classici e nei lirici 
italiani anteriori le probabili origini. Questa duplice ricerca 
già notevole nella prima edizione, arricchisce d’altre conclu- 
sioni la parte nuova. Vediamo, procedendo con ordine di scena 
in scena, quelle che son più attendibili e cominciamo da quelle 
che con termine più ampio di quel che possa piacere a taluno 
si potrebbe dir fonti. 


P. 128 (At. I, sc. 1°, v. 26 et sgg.). « Diresti, ripentila, sospi- 
rando. Ebbe mira a quel Ms sonetto del Bembo : O RTS 
et Are di bellezza, etc. 


P. 136 (At. I, sc. à VY. ë 66) Citati alcuni versi d'Ovidio 


comunicarono tutte le schede che già avevano raccolte per il loro Etimologico e che 
dal cenno che il Ménage fece a siffatto obbligo nella sua lettera all’ accademia che va 
innanzi al volume nacque l’accusa lanciatagli dal Boileau, ripetuta dal Baillet e dal 
Fontanini, ch’ egli non ne fosse l’ autore. Noterd che il Ménage nell’ Antibaillet, ove 
para scrupolosamente tanti attacchi, si lagna bensi-di questa accusa, ma di passata, 
nella prefazione, senza ribatterla particolarmente. 

1. Î collaboratori fiorentini si resero benemeriti della nuova ediz. anche in altra 
maniera compiendo per il lontano collega erudite ricerche, procurandogli libri poco 
diffusi. Fu dal Magliabechi che il Ménage potè avere il rarissimo Beccari (Mescolanze, 
cit., p. 115) : « Ardebam incredibili cupiditate videndi fabulam illam Pastoralem 
Augustini Beccari, civis Ferrariensis, ceterarum rpwtéruroy, eamque diu frustra per 
omnes Bibliothecas Gallicas atque Italicas conquisiveram. » 


Bull. ital. 16 





238 BULLETIN ITALIEN 


il commentatore cosi continua : «I quali versi cosi furono. 
tradotti dall’ Anguillara : 


E dov’ ogn’ altra Ninfa altera andava, 
S’ altrui la sua beltà fea maraviglia, 


lo, se la forma mia qualch” un lodava, 
Per vergogna tenea basse le ciglia, 

E se talhor qualch’ un mi vagheggiava, 
La guancia à un tratto si facea vermiglia : 
E cosi rozza in questa parte fui 

Che vitio mi parea piacere altrui. 


Ed à essi, credo, ebbe mira il nostro Poeta, qui dicendo : 


... + 2. . .re,:se talhora 

Vedea guatarmi da cupido Amante, 
Chinava gli occhi rustica a selvaggia, 

Piena di $degno e di vergogna, e m’era 
Mal grata la mia grazia, e dispiacente 
Quanto di me piaceva altrui : pur come 
Fosse mia colpa, e mia onta, e mio scorno 
L’ esser guardata, amata e desiata. » 


P. 138 (At. I, sc. 1°, vv. 76-7). 


«Eccoti, Cinthia, il corno, eccoti l’arco 
Ch’ io rinunzio i tuoi strali e la tua vita. 


Bernardo Tasso, padre del nostro Torquato, in un suo 
sonetto a Priapo, che si legge nel libro secondo delle sue 
Rime : 

Ti lascio aprico colle, ombrosa piaggia, 
Ecco gli strali e l’ arco, o casta Diva 
Cinthia; nè piü sperar che à te ritorni. » 


P. r71 (At. L'sc.2", Vy: 298). 
«La lunga etate insegna a l’huom di porre 
Freno a i leoni ed a le tigri ircane, 
Luigi Alamanni anch’ egli nel V libro della Coltivazione : 
' . che non puû il tempo? 
Toglie al fero leon l’ orgoglio e l’ira, 


E lo riduce à tal, ch’ amico e fido 
Con le gregge, e coi can si resta in pace. » 





LÉ OSSERVAZIONI INEDITE DI-GILLES MÉNAGE 
P° 184 (At. I, sc. 2°, vv. 177-83). 


«Che in cerchio sedevam ninfe e pastori 
E facevamo alcuni nostri giuochi, 
Che ciascun ne l’orecchio del vicino…. 


 L’Ariosto nel VII del Furioso, st. 21 : 


Tolte che fur le mense e le vivande, 
Facean sedendo in cerchio un gioco lieto, 
Che ne l’ orecchio l’ un l’ altro domande, 
Come più piace lor qualche secreto. 

Il che a gli amanti fu comodo grande 
Di scoprir l’ amor lor senza divieto, 

E furon lor conclusioni estreme 

Di ritrovarsi quella notte insieme. » 


P:' 194 (At. FE, sc. 2°, v. 246-7). 


RTL non t’ appressar troppo z 
Ove sian drappi colorati.. 


Il Petrarca in una sua canzone : 


Non t’ appressar, ove sia riso, à canti ». 


P. 245 (At. IL, sc. 2°, vv. 23-24). 


« Dafne Come ha nome ’l gran mastro? 


Tirsi Dafne ha nome. 


Dafne Lingua bugiarda. 


239 


Tolto di peso dallo Sperone nel Dialogo delle laudi del 
Cathaio, villa della S. Beatrice Pia degli Obici, tra il Moresini 
e la Portia : MOR. — E per distinguere il mio parlare, non è 
miracolo de’ maggiori che possa far la Natura che una cosa | 
medesima in un punto e in un’ hora sia in sè stessa dolce ed 
amara, pia e crudele? oltra di ciù sia fame e cibo, e morte di 
Ciascuno che la conosce? PORT. — Certo si, ma chi è tale se 
non Amore? MOR. — Una Donna che l’ assimiglia. PORT. — 
Nominatela questa Donna, MOR. — Portia è il suo nome. 


PORT. — Lingua falsa e bugiarda. » 


P. 248 (A. IE, sc. 2*, v. 48). « Lampeggiava un riso. — Dante 


nel XXI del Purgatorio : 


Un lampeggiar d’un riso dimostrommi. » 


Le bee Cr 1 128 
Ra nt 





240 BULLETIN ITALIEN 
P. 302 (At. IE, sc. 2°, vv. 14-5). 
«, . . . . chè mia salute 


Sarebbe il disperare. 


Da Virgilio : 


Una salus victis nullam sperare salutem. » 


Chi abbia lette le prose tassiane e ammirata la famigliarità 
sua cogli autori che siamo venuti citando e la sua acutezza 
di analisi talvolta eccessiva e la sua memoria, nonostante i 
lamenti ingiustificati, mirabile, darà certo qualche peso ai 
riscontri qui su riferiti. Quanto ai passi che coll’ Aminta il 
Tasso avrebbe ispirati ai suoi imitatori, è facile spesso discor- 
dare dal commentatore francese : bastava mettersi nella via 
dal Tasso segnata perchè si offrissero spontanee e copiose le 
immagini affini a quelle ond’ è intessuto l’Aminta. Parecchie 
_tuttavia delle sue affermazioni meritano di essere qui ripetute. 
Ci diranno tra l’altro i nuovi commenti quanto salda e viva 
perdurasse nel Ménage l’ammirazione per il Marino. Tutta 
l’opera glie ne è nota e cara. Due volte la difende dalle cen- 
sure dello Stigliani e dice meritati i motteggi lanciati dal 
dottissimo. Aleandri contro quest’ ultimo:. | 


P. 148 (At. I, sc. 1°, VV. 140-2). 


«Odi quel lusignuolo 
Che va di ramo in ramo 
Cantando : io amo, io amo… 


1. Questo egli dice (p. 324) intorno al biasimo di cui lo Stigliani aveva colpito il 
Marino per il termine di Paradiso messo in bocca a Dei pagani, cosa per lui inverisi- 
mile e irriverente. Sulla questione, che fece versare allora mari d’inchiostro, del 
meraviglioso mitologico nella poesia cristiana, il Ménage si pronuncia altrove : 
è frase a lui cara che bisogna vivere da cristiano e scrivere da poeta. Lo si pud quindi 
credere favorevole sempre al Marino, quand egli (loc. cit.) aggiunge : « Nientedimeno 
l’istesso Aleandri nell’ istessa Difesa nota sopra quei versi della Stanza XI del 
Canto VIII : « Sembra il felice e dilettoso loco | Pien d’angelica festa un paradiso », 
ripresi parimente dallo Stigliani, come troppo irriverenti in bocca d'un Cristiano, 
che quello era un dei luoghi che s’aveano a mutar del Marino, essendo stato avvertito 
che benchè sia in bocca di ciascheduno il dire d’esser in paradiso, quando si trova 
fra gioie e piaceri eziandio carnali, non conviene perù far comparire in iscritto questo 
vulgar detto e inconsiderato, » 

Avrebbe potuto utilmente dedicare un po’ d’attenzione al Ménage, unito intima- 
mente per più riguardi al gruppo di scrittori ch’ egli prende in esame, il CABëEN. 
L'influence de Giambattista Marino sur la littérature française dans la première moilié 
du XVIF siècle, Grenoble, 1904. 





LE OSSERVAZIONI INEDITE DI GILLES MÉNAGE 241 


. 


Il Guarini in un suo madrigale : 


Dolcissimo usignuolo, 
Tu chiami la tua cara compagnia, 
Cantando : Vieni, vieni anima mia. » 


Ibid. (At. I, sc. 1“, v. 150 e sgg.). 


« , . . Amano ancora 

Gli alberi; veder puoi con quanto affetto, 
E con quanti iterati abbracciamenti 

La vite s’ avvitichia al suo marito : 

L’ abete ama l’ abete, il pino il pino : 

L’ Orno per l’ Orno, € per la Salce il Salce, 
E l’un per l’altro faggio arde, e sospira. 
Quella Quercia, che pare 

Si ruvida, e selvaggia, 

Sent’ anch’ ella il potere 

De l’ amoroso foco, etc. » 


Il Marini nell’ Adone VII, 226 : 


«Non ch’ altro i tronchi istessi, i tronchi, i salci 
Senton dolci d’ Amor nodi e ferite. 

Chi puo dir com’ à gli Olmi, e com’ à i Salci 
L' Hedra sempre s’ abbarbichi e la Vite? 

E chi non sà, che se con scuri e falci 

Da spietato Boschier son disunite, 

Lagrimando d’ amor cosi recise 

Si lagnan de la man che l’ ha divise. 


Fronda in ramo non vive, à ramo in pianta 
Cui non sia dato entro la ruvid’ alma 

Sentir quella virtü feconda e santa 

Che con nodo reciproco le’ ncalma. 

Con sibili amorosi Amor si vanta 

Far sospirare il Frassino e la Palma. 
Baciansi i Mirti, e con scambievol groppo 
Alno ad Alno si sposa e Pioppo a Pioppo. » 


P. 156 (At. I, sc. 1°, v. 192). « Quel grande che cantd l’armi e 
gli amori. — I Testi nel!’ Epitalamio di Maria Farnese e Fran- 
cesco d’Este Duca di Modana : 


L’altra era Clio, che della Reggia Estense 
Abitatrice antica, 

E delle glorie di que’ grandi Eroi, 
Provida osservatrice 

Sparse di manna i carmi 


242 BULLETIN ITALIEN 


Al Cigno che cantù l’ Arme e gli Amori, 
E gonfid l’ aurea tromba 

Di sovrumano spirto 

A colui, che portù di là dal Mare 
L’Arme pietose e ‘1 Capitano invitto. 


E 71 Marini sopra il Ritratto dell’ Ariosto : 


Quel gran pittor de l’Armi e de gli Amori. 


P. 164 (At. I, sc. 1°, vv. 278-30). 


«Specchi del cor, fallaci infidi lumi, 
Ben riconosco in voi gl’ inganni vostri; 
Ma che pro? se schivarli Amor mi toglie, 


I1 S. d'Urfé .. cosi lo traslatà : 


Traïstres miroirs du cœur, lumieres infidelles, 

Je vous reconnois bien et vos trompeurs apas. 
Mais que me sist cela, puisqu’Amour ne veut pas 
Voyant vos trahisons que je me garde d’elles’?» 


P. 173 (ALT, sc. 2°, 46 e sou.) 


« Ch’ io sono omai si presso a la mia morte 
Ch’ è ben ragion ch’ io lasci chi ridica 
La cagion de ’l morire... 


Il Chiabrera nella Meganica IV, 2. 


Poich’ io deggio morire à gran conforto, 
Che i duri affanni miei 

À te sieno palesi, 

À ciù che tu li possa altrui ridire; 

Onde i cortesi Amanti 

Vengano larghi à mie miserie estreme 
Di ben dovuti pianti. » 


P.:174 (At. TL 80.:29, y: 17 sg) 


«.… E forse (ahi spero 
Troppo alte cose!) un giorno esser potrebbe. 


1, Charlotte Banri, L’Amyntas du Tasse et l’Astrée d’'Honoré d’Urfé, Milan, 1896, 
p. 30, ha anch’ essa rilevata la corrispondenza dei due passi citati. 








LE OSSERVAZIONI INEDITE DI GILLES MÉNAGE 243 
Carlo Noci nella Cinthia, favola Boschereccia, atto IV, sc. 8*: 


Et (à che spero) forse 

Per lo stesso sentier lo stesso corso 
Terrà questo mio corpo, 

Et si congiungerà con quel di lei. » 


P. 175 (At. I, sc. 2°, vv. 59-60). 


«... commossa da tarda pietate 
Piangesse morto chi già vivo uccise. 


Il Preti nell’ Idillio dell’ Amante timido : 


Ma poich’ io sard morto 
Tarda fia la pietade à chi tacendo 
Senza chieder pielà visse e morio. » 


P. 179 (At. I, sc. 2°, v. 98): « Sospirava sovenle e non sapeva.… 
Il Marini nell’ Adone, parlando dell’ istesso Adone nel Cant. I, 
ott. 165: 


E serpendo gli và per entro il petto; 
Ama, nè sà d’amar, nè ben intende 
Quel suo dolce d’amor non noto affetto. 


6 


Ibid. (At. I, sc. 2°, v. 100-1). 


» Cosi fui prima amante che intendessi 
Che cosa fosse amore ..… 


Il Marini nel sopra allegato luogo dell’ Adone : 


E pria si sente incenerito il core 
Che s’ accorga il suo male essere amore. » 


P. 182 (At. I, sc. 2°, v. 106-r2). 


« ... un’ ape ingegnosa... 

A le guance di Fillide volando, 

A le guance vermiglie come rosa, 
Le morse e le rimorse avidamente ; 
Ch’ a la similitudine ingannata 
Forse un fior le credette. 


Orazio Navazotti anch’ egli in un suo Madrigale : 


L’Ape di cui piagata 
Foste, à Donna, sul volto, à voi si pose 
Credendo di posarsi in sü le rose. 


244 


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BULLETIN ITALIEN 


Nè qui sol fu ingannata : 

Me fatto per:dolor pallido il viso 

Credea fermarsi in più d’un bel Narciso; 
Onde quivi trovata, 

Mentre in vece di mele il sangue beve 


. Dal doppio inganno suo morte riceve. » 


P; 163 (AL. T, sc: 2°, v. 1209-30). 


«La virtù de la bocca 
Che sana cid che tocca. 


Imito questo luogo il Bruni in un suo Madrigale, intitolato 


Vendetta amorosa : 


‘ 


“bre quell’ aurea bocca 

Gran Maestra di baci, 

Ma non già di mordaci; 

Colei, che cid che tocca 

Sana leggiadra Medica e cortese, etc. » 


P. 234 (At. IL, sc. 1°, v. 23 e sgg.). « Ohimé quando ti porto 
i fior novelli, etc. Pietro Michiele in un suo Madrigale nella 
1° Parte delle sue Rime: 


Questi, ch’ à i primi albori 

Fiori accglsi, io ti dono; 

E questi dolci e candidi licori 

Per te pur tolti sono. 

Ma che prù latte e fior porgerti in dono? 
(Disse Fileno à Clori) 

S’ hai tu latte nel sen, nel volto fiori. 


E in un suo sonetto nell’ istessa Parte: 


Se di frutti à di fior sei vaga, o Bella, 
Tanti ten’ reccard mattina e sera, 
Che n°’ avrà invidia ogn’ altra Pastorella : 

Mà sprezzi i frutti e i fior, cruda mia fera, 
Poiche’ n sen, poiche’ n volto amica stella 
Ti pose eterni Autunno e Primavera. 


Usù l’istesso concetto il Murtola anch’ egli in un suo Madri- 
gale intitolato Fior ricusalo da bella donna : 


Perchè, Donna, il bel fiore 
Da me in don non prendesti? 
Forse perche nel volto 

Hai più bei fiori accolto?» 





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\ LE OSSERVAZIONI INEDITE DL GILLES MÉNAGE 245 


P. 243 (At. II, sc. 2°, v. 20). « Quel che insegna a gli augelli, etc. 
Elismonda nel Romanzo di Clelia : Hélas ! Cleontine, repliqua- 
t-elle en souriant, qui voudriez-vous qui me l’eust apris?. Celui 
qui aprend aux Rossignols à chanter si bien au Printemps, 
respondit elle, pourroit bien vous avoir apris à parler, comme 
vous faites. » 

P. 245 (At. II, sc. 2°, v. 23). « Spiegar la pompa de le occhiute 
piume. E ‘1 Testi nelle Stanze al S. Cavaliere Enea Vaini : 


Orgoglioso -pavone a che ti vante 
Del ricco onor de le gemmate piume. » 


P. 308 (At. III, sc. 2°, v. 119). « Ohimé, chè troppo ho atteso 
e troppo inteso. — Montano nel Pastor fido V, 5. 
| Troppo son chiaro, 


Troppo dicesti tü, troppo intes’ io. 
Cercato avess’ io men, {ù men saputo. 


Alcina nella tragedia del conte Fulvio Testi, IV, 3. 


Vanne; troppo hai tu detto, 
lo troppo udito. » 


P. 309 (Coro att. LIL, v. 7). « Ch’ amore è merce e con amor si 
merca. 


solo amore 
sol amore. 


. Degno cambio d’amore 


è 
Degno premio d’amore è 


Disse il Marini nell’ Adone. E lo Stigliani nel Polifemo: 


Ch’ altro premio ch’ amore amor non have. » 


Tralascio un gruppo speciale di osservazioni aventi lo scopo 
di precisare non l'originalità o la vitalità di un concetto e 
di un’ immagine, ma la loro peregrinità : fenomeni di paralle- 
lismo che non sono tuttavia senza importanza e che non inte- 
ramente bandirebbe un commentatore moderno dal suo com- 
mento:. E tralascio del pari tutto cid che il Ménage imbandi 

1. Ed effettivamente non li bandisce dal suo, nella ed. dell’ Aminta già citata, il 


Solerti, specialmente quando il parallelismo si riscontra nelle opere stesse del Tasso. 
Segnerd, per comodo di chi voglia farsene un più preciso concetto, quali sono le 





246 ‘ BULLETIN ITALIEN 


al suo lettore per il solo motivo che l’opera nacque a Parigi, 
rivolta a lettori francesi : alludo naturalmente alle infinite 
osservazioni lessicografiche, ove nulla di nuovo, o che essendo 
nuovo sia esatto, puù attirare lo sguardo. 

Resta, messe copiosa, quello che, inutile al Tasso, è utile al 
Ménage. Celebrare il Tasso, mostrare di che mirabili effetti sia 
stata operatrice in lui la conoscenza piena e profonda dei poeti 
anteriori e quanto fascino a sua volta abbia esercitato egli sui 
poeti che a lui seguirono, giudicare, vagliare giudizi altrui, : 
dichiarar voci ardue, non è il solo compito che si è proposto 
il Ménage. L’opera ha anche per intento l’elogio degli amici 
e dei protettori più cospicui', il diletto delle dotte lettrici; 
domina infine dappertutto lo sforzo visibile di far bella mostra 
di sè, di sfoggiare l’inesausta dottrina. Le parentesi del tutto 
oziose non si contano. Anche qui, in mezzo all’ ingombro | 
delle chiose insignificanti, si puo isolar qualche idea non falsa 
e non inutile. Sono, al solito, riscontri. | 


P. 110. « Luciano nel Dialogo di Cupido e di Giove: Amore 
— Ma se in qualche cosa ho peccato, perdonami Giove: perchè 
son bambino, e di più imprudente. Giove — Tu bambino, 
Amore, che sei molto più antico di Giapeto, forse perchè non 
hai barba e non sei canuto, vorresti percid esser tenuto per 
bambino, essendo al contrario e vecchio e scaltro. 


note di questo genere ch’ egli trascrisse dal vecchio commentario, Prol., parte della 
nota al v. 4, cioè lo duplice citazione di Marziano Capella; la nota ai v. 26-97. Att. I, 
sc. I, parte della nota ai vv. 43-6,-cioè la citazione del Torrismondo; parte della nota 
ai vv. 48-50, cioè la citazione della Gerusalemme (è strono che in questa nota l’annota- 
tore non dica, riprodotta un’ osservazione del Fontanini, che l’osservazione stessa era 
stata anticipata dal Ménage, il quale aggiunse in margine i medesimi passi addotti 
più tardi dal Fontanini di Anacreonte, di Properzio, del Tasso); sc. II, parte della 
nota ai vv. 1798 é sgg., cioè la citazione del Bembo e di S. Bargagli; la nota ai 
vv. 266-9; parte della nota al v. 290, cioè la citazione del Dialogo della Nobiltà. Att. HE, 
sc. Il, parte della nota ai vv. 11-12, Cioè la citazione del madrigale tassesco; sc. LI, 
la nota ai vv. 72-3. Att. III, sc. I, la nota ai vv. 3-8; parte della nota al v. 47, cioè la 
citazione del Boccaccio; sc. II, parte della nota ai vv. 4-b, cioè la citazione del 
Sannazzaro e del Tasso. Coro Att. III, parte della nota al vv. 7, cioè la citazione di 
Dante, Att. IV, sc. I, la nota al v. 54. Att. V, parte della nota al vv. 6:1-5, cioè la 
citazione del Petrarca. Coro Att. V, parte della nota ai vv. 15-6, cioè la citazione del 
Marino. 

1. Aggiunge (p. 188) alle espressioni elogiative già dispensate nella 1° ediz. al 
Chapelain l’espressione dantesca allora usitatissima «che sopra qli altri com aquila 
vola ». Regala (p. 288) il titolo di «veramente ideale » ad un egloga del Charpentier 
parecchio mediocre. 





À fans A ee a Le ne 


No 0e 


LE OSSERVAZIONI INEDITE DI GILLES MÉNAGE 247 


Al qual luogo ebbe mira il Marini in quei leggiadrissimi 
versi delle Stanza 31 del canto III dell” Adone : 


Madre, risponde Amor, s’erro talhora 
Ogni error mio per ignoranzia accade. 
Tu vedi ben che son fanciullo ancora, 
Condona i falli a l’immatura etade. 

Tu fanciul! (replico Venere allhora) 

Chi si stolto pensier ti persuade? 
Coetaneo del Tempo, e nato avante 

A le Stelle ed al Ciel, t’ appelli infante? 


Forse perchè non hai canute chiome, 

Te stesso in cio semplicemente inganni ? 

E ti dai pur di Pargoletto il nome, 

Quasi l’astutia più non vinca gli anni, etc. » 


P. 136. « Il Petrarca nel Sonetto Giunlo mi ha Amor : 


Et hà si egual à le bellezze orgoglio 
Che di piacer altrui par che le spiaccia. 


Girolamo Preti, nelle Canzone che comincia, Amor qual foco: 


Che di piacer’ a me forse le spiaccia. » 


P. 136. «Il Petrarca nelle Poesie latine : 


. crimen placuisse putabat. 


IL che tolse da Ovidio, il quale nelle Metamorfosi parlando 
di Aretusa dice: 


Quaque aliae gaudere solent ego rustica dote 
Corporis erubui, crimenque placere putavi. » 


P. 165. «Il Petrarca in quel verso del Sonetto affettuosis- 
simo Valle che dei lamenti miei: 


Ben riconosco in voi l’usate forme. 


Il Bembo anch’ egli nel Sonetto Vago augelletto : 


Ben riconosco in te gli usati accenti. » 


P. 172. « L’Autor degli Ammaestramenti degli antichi: — Qual 
cosa è più lieve che la piuma? la polvere. E quale più che la 











248 BULLETIN ITALIEN 


polvere? il vento. E quale più che ’1 vento? la femmina. E quale 
più che la femmina? nulla.— Il che prese da que’ versi latini: 


Quid levius pluma? pulvis. Quid pulvere? ventus. 
Quid vento? mulier. Quid muliere? nihil. ». 


P. 275. « Salmo XLI. — « Quemadmodum desiderat cervus ad 
fontes aquarum ; ita desiderat anima mea ad te Deus, » le quali 
parole furono cosi traslatate in Italiano da Bernardo Tasso :+ 


Come assetata Cerva ogn’ hor desia 

Fresca fontana, o rivo; 

Cosi l’anima mia, 

Il mondo, e i suoi diletti havendo a schivo, 
Te fonte eterno, e vivo. » 


P. 329. « Il Petrarca : 


O occhi miei, occhi non già, ma fonti. $ 


Il qual verso fu cosi trasferito in latino da Pontano in una 
sua elegia Ad suspiria el lacrimas : 


O oculi, nunc iam flumina, non oculi’.» 


L.-F. BENEDETTO. 


1. Nella nuova redazione sono relativamente più abbondanti le discussioni filolo- 
giche intorno a questo o quel passo di autore classico. Scompaiono invece quasi 
totalmente le note etimologiche. Due sole nuove etimologie sono aggiunte; di cui 
la prima è indubbiamente e la seconda probabilmente falsa. 

P. 135 — « Donde derivi la voce pania non è cosa certa: viene, credo, dalla latina 
panis, essendo il vischio materia tenace, simile a quella che si fa di farina, gluten 
farinaceum ». 

P. 304 — « Nerina, nome di Ninfa. Virgilio nell’ Egloga VIL: — Nerine, Galatea, 
thymo mihi dulcior Hyblae. — Vien formato Nerine da Nnodc inusitato, detto invece 
di Nnpac. Nnpds. Nnpivos, Nnoivn, Nerine, si come Nepturine appresso Catullo; — Tene 
Thetis tenuit pulcherrima Nepturine., — Dissero ‘altresi verisimilmente i Latini 
Nerina, si come Andromeda, Semela, Penelopa. Circa, Ecata, etc. appresso Orazio, 
Tibullo e altrove, Theophila da @eogiin, appresso Marziale; la qual terminazione 
qui venne seguitata dal Tasso. Ed io al suo esempio nelle mie Rime Italiane usai 
parimente Zola per nome di donna in luogo di Jole.» 








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ET LA BIBLIOTHÈQUE DE CARPENTRAS 
D'APRÈS DES DOCUMENTS INÉDITS 


Notre intention n'est pas, dans cette très brève esquisse, 
d'évoquer l'affaire Libri. Bien qu’elle attende encore son his- 
torien: — malgré les substantielles pages de M. L. Delisle en 


1. Il est curieux d’observer que l’auteur de l’article : Libri — M. Léon Sagnet, 
attaché au ministère des travaux publics — dans la Grande Encyclopédie, t. XXII, 
P. 189-190, a ignoré que c'était au t. 1 (1878), col. 864-867, du Supplément de Brunet, 
qu’il eût fallu renvoyer qui voulait trouver une bibliographie sommaire de l'affaire, 
sur laquelle il ne fournit que de banales références. Brunet n’a, malheureusement, 
pas consigné les articles, si obstinément partiaux pour Libri, parus en Allemagne et 
dont voici — outre les correspondances de l’Allgemeine Zeitung augsbourgeoise — 
ceux que nous avons pu lire: Berlinische Zeitung, 11 juin 1848, article du secrétaire 
perpétuel de l’Académie des Sciences de Berlin, Encke, qui s’y fait l'écho des soupçons 
qui pesaient sur Arago, «ennemi déclaré » de Libri, dans la publication du rapport 
Boucly — dans le Moniteur du dimanche 19 mars 1848, rapport daté du 4 février 1848; 
Magazin für die Litteratur des Auslandes, 15 juin 1848, article du directeur, Lehmann ; 
Literarische Zeitung (Berlin), 29 juin 1848, article de K. Brandes, conservateur de la 
Kônigliche Bibliothek; Serapeum (Leipzig), 15 juillet 1848, article du même; Blätter 
für litterarische Unterhaltung, 28 juillet 1848, art. du professeur romanisant de Halle, 
Ch. Witte; Hamburger litterarische und kritische Blätter, 29 juillet 1848, art. du célèbre 
censeur et bibliophile hambourgeois, Hoffmann ; Gôtt. Gelehrte Anzeigen, 7 et 10 août 
1848, article de Stern; Heidelb. Jahrbücher der Lit., fascicule d’août 1848.— D'autre 
part, M. H. Stein, auteur de l’article: L.-V. Delisle, au t. XIII, p. 1195, de la Gr. 
Encyel., ne mentionne, parmi les bibliothèques pillées par Libri, que celles de Lyon, 


Tours, Orléans et Troyes! Et M. L.-H. Labande, dans l’Introduction du Catalogue des 


mss. de Carpentras, t. 1 (x9o1), p. xzv-xLvur, ne consignera, à son tour, que les plus 
lamentables banalités sur les déprédations de Libri dans la vénérable Inguimbertine, 
se bornant à insinuer (p. xzv ) qu’ «au dire des contemporains », Olivier-Vitalis « ne 
surveillait en aucune façon » les «agissements » du grand bibliopole! Du moins, eût- 
il pu imiter l’exemple — lui qui avait à sa disposition le ms. 1255 — de ses collègues 
de Grenoble, P. Fournier, E. Maignien et A. Prudhomme, qui, dans leur Catalogue des 
mss. de Grenoble (1889), donnaient, à l’Introduction, p. xxxy, note 1, la liste des mss. 
dérobés par Libri à leur bibliothèque, d’après le rapport de juillet 1840. Mais le 


mieux, en l’espèce, était d’imiter le travail de J. Loiseleur; au t. VIII (1884) du 


Bulletin de la Société Archéologique de l’Orléanais, p. 117-126: Les larcins de Libri à la 
Bibliothèque d'Orléans. Sur les déprédations de Libri à Tours, il n’y a que quelques 
mots à l’Introduction du Cat. des mss. de cette ville par M. Collon, bibliothécaire, 
t. I (1900), p. ur et xv, et cela est pris dans les travaux, d’ailleurs consciencieusement 
cités, de M. L. Delisle. Libri n’est, en revanche, point même nommé par A.-F. Lièvre 
dans son Introduction de trois pages au Catalogue des mss. de Poitiers (t. XX V [1894|.) 
Quant au Catalogue des mss. de Lyon (1898-1899), M. G. Guigue, auteur de l’Intro- 


PET NT 7 Ne 





250 BULLETIN ITALIEN 


tête de son Calalogue des manuscrits des fonds Libri el Barrois 
à la Bibliothèque Nationale (Paris, 1888, in-8°) — et que nous 
ayons réuni sur elle, spécialement sur ses échos à l'étranger, 
un déjà fort copieux — et, souvent, fort édifiant — matériel, 
nous ambitionnons simplement, dans les pages qui vont suivre 
et où nous avons eu pour collaborateur dans la transcription 
des pièces inédites l’aimable bibliothécaire de Carpentras, 
M. A. Divol, professeur honoraire de l’Université, agrégé d’his- 
toire — qui n’a pas hésité, malgré les ans, à affronter, d’ailleurs 
avec succès, les épreuves du certificat d'aptitude aux fonctions 
de bibliothécaire municipal, — de fournir quelques précisions 
documentaires sur un point jusqu'alors totalement négligé de 
cette colossale tragi-comédie : la nature des déprédations com- 
mises par Libri à Carpentras. Sans doute, nul, parmi les rares 
érudits qui se sont astreints au dépouillement de pièces (acces- 
sibles, du moins, à la recherche, car le dossier Libri, qui, lors 
de la tentative de revision de 18611, comptait 507 pièces, est 


duction, s’y tait sur le pirate qui, dans le dépôt dont les trésors sont énumérés dans 
les copieuses pages qui suivent, exerça maints ravages. Il semble, parfois, que le mot 
attribué à Dupin: «l'y a des personnages qui ont agi dans tout cela avec la légèreté d’un 
«colibri... » soit toujours à rappeler. — Nous devons, enfin, signaler le médiocre Libri 
de l’ex-employé de la Mazarine, puis de l’Arsenal, L. Larchey, ex-élève de l’École des 
Chartes. Il a paru à Paris en 1869 — année de la mort de Libri à Fiesole (28 sept.); sa 
femme était morte à Paris en mai 1865, — in-8°. On est un peu surpris de ne pas 
trouver — fut-ce prudence? il est difficile d'admettre l’ignorance — le moindre mot 
sur Libri dans l’article que M. G. Paris a donné sur l’histoire du Journal des Savants, 
au n° de janvier 1908 de ce périodique. Si paradoxale que la remarque puisse paraître, 
c’est encore dans le Larousse (t. X [1873], p. 484-485) qu’est le meilleur article sur la 
philosophie de l'affaire Libri, article d’autant plus appréciable qu’il est antérieur aux 
définitives identifications de M. L. Delisle. 

1. Sur cette revision, il importe de connaître: 1° la supplique de la femme de Libri 
— cette sœur du baron Double, Le célèbre bibliophile, dont l’Académie avait couronné 
l’Éloge de Pascal, resté inédit — dans The Times du 15 avril 186r, à la suite de la nomi- 
nation par Rouland, ministre de l’instruction publique, en 1858 d’une Commission 
composée de D’Audiffret, président de la Cour des Comptes, Sainte-Beuve et du libraire 
Merlin pour vérifier les faits du procès, où Delangle, alors ministre de la justice, avait 
joué un rôle important en sa qualité de procureur général ; 2° la Consultation de M. Gel: 
liez, avocat, suivie de l'adhésion de l’ex-administrateur du Collège de France, Édouard 
Laboulaye, et d’une sorte d’adresse, par laquelle 28 députés au parlement italien 
demandaient à leur gouvernement d’intervenir diplomatiquement auprès du gou- 
vernement de Napoléon III pour que fût réhabilité publiquement l’homme qui avait 
jeté tant d’éclat (sic) sur sa patrie. Cette consultation (Paris, 1861, 16 p. in-8°), distri- 
buée en fin mai 1861 au Sénat — Celliez rédigea, en outré, un gros mémoire de 
92 p. in-8° — avait été précédée par la remise à l'Empereur, le 14 novembre 1860, 
d’une supplique du Conservateur du British Museum, Panizzi — à l'adresse duquel 
étaient les 18 caisses expédiées, lors de sa fuite, par Libri à Londres! — et où étaient 
invoqués les témoignages, flatiteurs pour Libri, de Encke, Pertz (bibliothécaire en 
chef du roi de Prusse), feu le baron de Reilfenberg (directeur de la Bibliothèque de 





LIBRI-CARUCCI ET LA BIBLIOTHÈQUE DE CARPENTRAS 251 


resté inaccessible) dont l'intérêt n’est plus aujourd'hui qu'ar- 
chéologique, n’ignore qu'il y est, à plusieurs reprises, question 
de la bibliothèque de cette ville. Et ce que, d’un tel examen, 
l'on pouvait déduire à ce sujet, se réduisait, en somme, 
à quelques renseignements assez maigres, que nous deman- 
derons qu’on nous permette de résumer brièvement. 


Nommé, à la fin de mai 1833, membre de l'Institut, dès 1839 
suppléant au Collège de France, titulaire en 1843, le futur man- 
darin au traitement « fixe » de 13,500 francs — non compris le 
domicile gratuit à la Sorbonne — et rédacteur du Journal des 
Savants, avait, grâce à l'appui de Villemain, été chargé, en 
1840-1841, puis en 1842 et en 1844, d’une grande tournée 
d'inspection à travers les bibliothèques de France, et c’est de 
la première — et de beaucoup la plus importante — de ces 
_ missions que le retentissant article du Journal des Savants 
de 1842 devait, dans son calcul, immortaliser le si profitable 
_souvyenir'. La Bibliothèque de Carpentras — dont on lira plus 


Bruxelles), l’abbé Gazzera (conservateur de la Bibliothèque de Turin), Prosper 
Mérimée (de l’Institut, sénateur), de Morgan (secrétaire de la Royal Sociely astrono- 
mique à Londres), Holmes (l’un des conservateurs du British Museum), etc.; 3° le 
rapport imprimé de d’Audiffret. Sainte-Beuve et Merlin; 4° le Moniteur Universel du 
mercredi 5 juin 1861, contenant le rapport de Bonjean — complétant celui qu’il avait 
composé en 1857 et qui est dans le Moniteur du 27 mars 1857 — qui fut tiré à part 
(Paris, Imprimerie Impériale, 1861, 98 p. in-12 et 1 page d’errata) en un très petit 
nombre d'exemplaires, mais réimprimé la même année par Lahure sur 292 p. 
in-8; 5° le Moniteur du 11 juin 1861, contenant le texte de l’interpellation de 
P. Mérimée au Sénat en faveur de la femme de Libri ; 6° le Moniteur du 5 juin 18617, 
contenant le texte de la grande discussion de l’affaire Libri au Sénat, à la suite de 
laquelle la pétition de la femme de Libri fut rejetée « à la presque unanimité ». 
Comme divers errata s'étaient glissés dans le discours de Delangle, celui-ci fut réim- 
primé, corrigé, dans le Moniteur du lendemain, mercredi 12 juin 186r.Ces renseigne- 
ments, jusqu'alors non consignés par ceux qui ont traité de l'affaire Libri, ont besoin 
d’être complétés par un détail, aussi peu connu, On saura, sans doute, que le succes- 
‘sur de Libri à l’Institut fut Michel Chasles — victime, d’ailleurs, d’un autre 
faussaire, Vrain-Lucas, — qui avait eu maille à partir avec Libri à propos de ses 
théories sur l'invention des chiffres et que ces faits furent cause qu’on le soupçonna, 
sans preuves, d’avoir conduit «l'intrigue» dont avait été «victime» l «illustre 
géomètre », mais nous n’avons pas trouvé que l’on ait jamais songé à recourir à ce 
sujet à la curieuse lettre de Libri: À Monsieur Chasles, membre de l’Institut de France, 
Londres, 7 7bre 1867 (s. L. n. d., in-64 de 3 p.), qui contient une lettre de Morgan — 
auteur de l’article de The Athenaeum du 13 juillet 1850 — à Libri. 

1. Parmi les 26 articles de Libri dans la Revue des Deux-Mondes, celui du 15 août 
1842: Du Catalogue de nos manuscrits, p. 254 seq., traite la même matière. Notons que la 
Révue poussa si loin la confiance en son collaborateur qu’elle n’hésita pas à encarter 
dans son n° du 1° juin 1849 la traduction du pamphlet que de Morgan avait publié 
en anglais dans l’Athenaeum du 12 mai et que ces 12 pages, dans le format de la 





252 BULLETIN ITALIEN 


bas qu'il possédait une connaissance acquise de longue date 
— reçut, naturellement, sa visite officielle; mais le retors 
filou, dans le rapport, qu'illustrait le Catalogue sommaire des 
manuscrits de Peiresc, destiné au ministre, s'était, par une 
ruse dont il exploitera perfidement la subtile combinaison 
p. 29 seq. de sa Leltre à M. de Falloux, ministre de l'Instruction 
publique et des Culles, contenant le récil d'une odieuse persécution 
el le jugement porté sur cetle persécution par les hommes les plus 
compétents et les plus considérables de l'Europe; suivi d’un grand 
nombre de documents, relatifs aux spolialions qui ont eu lieu, 
à différentes époques, dans les Bibliothèques et les Archives de la 
France, par G. Libri, membre de l'Institut, etc. (Paris, Paulin, 
1848, 327 p. in-8°; r1° éd., ibid., 1849; les trois dernières pages 
sont données comme ayant été ajoutées par Paulin, ce qui doit 
ne représenter qu'un artifice de Libri), borné à transcrire, en 
datant du 18 janvier 1841, ce qu'il avait trouvé à ce sujet dans 
le tome IT pour 1797 du Magasin Encyclopédique de L.-A. Millin! 
On lisait, en effet, à cet endroit, p. 503, que, sur les 115 volu- 
mes de la correspondance et manuscrits de Peiresc conservés 


Revue, allèrent porter au monde la nouvelle de;la publication de la deuxième édition 
de cette inoubliable Lettre à M. de Falioux, que tous les bibliothécaires devraient con- 
sidérer comme livre de chevet. Mais le plus typique est, dans ce sens, le factum 
de Prosper Mérimée, publié sous forme de lettre à Buloz, dans la Revue du 
15 avril 1852: Le procès de M. Libri, p. 306-336, qu’il faut lire pour comprendre quels 
ravages peut causer l’esprit de solidarité mal entendu dans les cervelles les mieux 
pondérées, On sait que cette élucubration valut à son auteur, outre la sanglante 
réplique (Revue du 15 mai 1892: Procès de M. Libri, p. 592-603) de Lud. Lalanne, 
H. Bordier et le professeur à l’École des Chartes F. Bourquelot, une aimable con- 
damnation à quinze jours de prison, 1,000 francs d'amende et aux dépens (solidaire- 
ment avec le gérant, V. de Mars, qui eut, lui aussi, sa petite amende {cf. le texte du 
jugement dans la Revue du 15 juin 1852, p. 1221-1222]). Bonjean a noté, dans son 
second rapport (Moniteur, p. 808), qu’au lendemain de la publication de son factum, 
_et après que l’on eut soigneusement revu les pièces de la procédure de l’affaire Libri, 
Mérimée « fut mandé; on lui présenta successivement toutes les pièces qui avaient 
excité sa verve railleuse, et le téméraire critique, vaincu par l’évidence, en fut réduit . 
à reconnaitre que sur tous les points à peu près il s'était trompé : l’interrogatoire n’a 
pas moins de 18 pages.» C'est, sans doute, en souvenir de cette mésaventure que, 
devenu l’un des secrétaires du Sénat, Mérimée, cependant toujours incrédule, tempé- 
rera, dans son intervention en faveur de la pétition de la femme de Libri, son 
langage et, bien qu’attaquant Bonjean, confessera qu’il « déplore des violences » qui 
ne lui «échapperaient plus aujourd’hui » (Moniteur du r1 juin 186x [n° 162]). Il est 
amusant, enfin, d'observer comment, dans cette interpellation, Mérimée couvre 
de fleurs l’auteur du tout premier acte d'accusation, devenu son collègue au Sénat et 
dont il avait dit tant de mal en 1852 ! — Nous clôrons cette note en ajoutant que c'est 
au n° du 27 septembre 1842 du Moniteur que nous avons trouvé — sous forme de 
l’annonce de son départ pour Aix — l’aveu semi-officiel de la nomination tacite de 
Libri au poste d’Inspecteur des Bibliothèques. 





LIBRI-CARUCCI ET LA BIBLIOTHÈQUE DE CARPENTRAS 253 


. à Carpentras, 3 seulement portaient des traces de soustractions, 
et c’est tout ce qu'avait redit Libri, dont la rouerie scélérate se 
ménageait peut-être déjà, au cas, peu probable, où les bureaux 
eussent découvert sa fraude, le recours — dont il usera plus 
tard — à l’honnête Hænel, lequel, en 1826, ne retrouvait 
plus à Carpentras que 669 manuscrits, des 2,000 qui s’y trou- 
vaient en 1808! Cette tactique, dont la force abusa si long- 
temps les étrangers, Libri, on ne le sait que trop, la déve- 
loppa avec obstination quand, l'instruction ayant signalé que 
36 autres volumes de la collection Peirese avaient perdu 
1,700 feuillets, que 5 autres figuraient dans le Catalogue de 
vente Ashburnham, et qu’enfin 343 feuillets — dont 295 appar- 
tenaient indubitablement à la collection ainsi mutilée, puis- 
qu'ils portaient la pagination du recueil, — avaient été recueillis 
dans le domicile même du fugitif, il se vit acculé à l’expédient 
misérable de prétendre, en fin de compte, que ces muets accu- 
sateurs lui avaient été envoyés en communication par le 
défunt bibliothécaire, son ami Olivier-Vitalis! Ce procédé, 
dont Bonjean (Moniteur du 12 juin 1861, p. 808) stigmatisera 
l’incohérence, revêtait, aux yeux de qui admettait la bonne foi 
de Libri, une certaine vertu de conviction du fait que Libri 
s’entendait merveilleusement à en consolider par des exemples 
historiques la caduque efficacité. Depuis les temps, lointains, 
du pillage de la bibliothèque de Mazarin, jusqu’à ceux, si 
rapprochés, des actes de vandalisme commis au dam de la 
collection de Louis-Philippe, que de cas typiques — dont celui 
de l’abbé Aymon, ce sous-bibliothécaire de la Bibliothèque 
Royale fuyant en Hollande avec une insigne cargaison de 
livres et de manuscrits volés, n’est pas le moins étrange — 
s'offraient à l’érudition avisée du faussaire ! Et Prosper Mérimée, 
dans son intervention malencontreuse du 11 juin 18671, ne 
contera-t-il pas, avec une ironie triomphante:, à ses collègues 
du Sénat comment, en 1853, Persigny ayant prié le Ministre 
de la guerre de faire examiner les parchemins employés à la 


1. Ironie d’autant plus sûre d’elle-même que, cette fois, elle s’appuyait sur la 
réalité et pouvait en appeler au propre témoignage du Moniteur ! 


Bull. ital. 17 


254 BULLETIN ITALIEN 


confection des gargousses:, l’on s’aperçut que, sur 4,000 gar- 
gousses décousues, quantité d’entre elles avaient été fabriquées 
avec des pièces de première importance, que l’on s’empressa 
de renvoyer aux Archives? 

Mais revenons en arrière, après cette utile digression, et 
allons retrouver Libri à Carpentras. S'il est vrai, comme en 
fait foi la pièce ci-dessous, publiée sous le n° 4, — note de 
Lambert, — que c’est le 30 juillet 1842 que la Commission 
d'inspection de la bibliothèque de Carpentras dénonça l'atti- 
tude d’Olivier-Vitalis vis-à-vis de Libri? et que fut désignée la 
nouvelle Commission dont l'enquête «révéla les faits relatifs 
à M. Libri»; si l’on songe que Boucly fera état, dans son 
rapport, de la correspondance de Libri avec Olivier-Vitalis 
à cette époque — en particulier d’une lettre du 12 septembre 
1843, où Libri tente d’amadouer le bonhomme, mais déjà l’on 
cite une missive du 21 mai 1841, rédigée dans ce sens! — n'’a- 
t-on pas le droit de se demander si ce n’est pas de Carpentras 
même que venait la mystérieuse dénonciation, signée Henry 
de Baisne — pseudonyme que nul n’a pu déchiffrer — et qui, 
parvenue à la préfecture de police le 3 décembre 1845, fut 
transmise au procureur du roi, Boucly, le 5 février 1846 par le 
préfet? On n'ignore pas que c’est à la suite de cette dénon- 
ciation que Boucly — dont le rapport, adressé au garde des 
sceaux Hébert, est daté, répétons-le, du 4 février 18481 — 


1. Sur l’emploi des brevets royaux pour confectionner des gargousses en 1793,— 
vieux précédent! — cf. la note de M. A. Chuquet: PArevees et Gargousses, dans ses 
ir sd d'Histoire, 1910, n° 4, p. 313. 

. Les deux lettres d’Olivier-Vitalis à Libri qui motivèrent les soupçons de la Com- 
mission devaient se rapporter à des demandes de souscription à sa Laure, car le rapport 
de Boucly mentionne qu’en 1842 Libri avait souscrit à 20 exemplaires de cet ouvrage, 
pour la somme de 120 francs. Quant à la lettre du 12 septembre 1843, où Libri promet 
une souscription « plus nombreuse », elle est surtout intéressante à cause d’un passage 
où il demande« quelques manuscrits incomplets en provençal, ainsi qu’un fragment 
d’un manuscrit grec, qui est une espèce de missel et qui est également incomplet. Ces 
livres (sic) ne sont d’aucune utilité pour la ville ». Or, l'espèce de missel n'était autre 
que l’Evangeliarium graece du 1x° siècle, muni de notes originales de Libri, que 
Vitalis avait porté, en 1834, dans son Nouveau Catalogue et que M. Omont a décrit 
p. 26 de son Catal. des mss. grecs des départements! Rappelons qu’'Olivier-Vitalis est 
— détail généralement ignoré — l’auteur d’une Notice historique sur la vie de Malachie 
d’Inguimbert, parue à Carpentras en 1812, in-4°, avec un fort beau portrait. Il est 
curieux, d’autre part, d’observer qu’en 1823 F{oisse]t [aîné], dans sa très bonne 
notice sur Peiresc au t. XX XIII de la Biogr. Univ. Anc. et Mod.; p. 261, affirmait que la 
collection des mss. de Peiresc à Carpentras ne comprenait plus que 86 volumes. 








LIBRI-CARUCCI ET LA BIBLIOTHÈQUE DE CARPENTRAS 255 


écrivit au procureur du roi à Carpentras, lequel... laissa sa lettre 
sans réponse. Celui de Grenoble — Henry de Baisne accusait 
Libri d’avoir dérobé dans la bibliothèque de cette ville un 
psautier manuscrit, vendu 7,000 francs à Payne et Foss à 
Londres — se borna à répondre que les psautiers, au nombre 
de trois, appartenant à la ville, se trouvaient à leur place. En 
conséquence, les recherches furent suspendues. 

Or, dans la seconde, et non moins mystérieuse dénoncia- 
tion, celle du r2 juillet 1847, adressée, cette fois, au procureur 
général près la Cour Royale — qui la transmit le 17 à Boucly 
— c'était de nouveau des larcins commis à Carpentras qui étaient 
nettement signalés et c’est de nouveau, en ce même mois de 
juillet 1848, au procureur du roi à Carpentras qu'avec plus 
d'instances que précédemment s’adressera le magistrat pari- 
sien. «M. le procureur du roi à Carpentras — dira Boucly dans 
son rapport (Monileur du dimanche 19 mars 1848, p. 640): — 
a eu des difficultés assez graves à surmonter pour pouvoir me 
fournir les renseignements que je lui ai demandés par trois 
lettres successives; la cause en doit être attribuée aux ména- 
gements que désirait garder le nouveau bibliothécaire vis-à-vis 
de son prédécesseur, vieillard octogénaire qui peut se trouver 
impliqué dans cette affaire. » Si donc, comme nous le croyons 
fermement, le dénonciateur de 1845 et de 1847 est le même 
qui, dès 1844, insinuait dans divers journaux, v. gr. le Courrier 

. C'est au n° du 23 mars 1848 qu’on lit, p. 662 — à la suite du démenti de 
nine au n° du 22, p. 656 — que ce n’est pas, comme l'avait annoncé le journal 
le 19 — et, à sa suite, la Bibliothèque de l'École des Chartes (n° de janvier-février 1848, 
qui ne fut distribué que le 23 mars à Paris et le 24 en province [cf. Revue des Deux- 
Mondes du 15"Mnai 1852, p. 593, note 1]) — au ministère des affaires étrangères que fut 
trouvé le rapport Boucly, mais «pendant les journées de combat, dans un carton 
placé dans le cabinet de M. Guizot.. Celui-ci aurait enfoui le rapport dans ses 
cartons. » Sur les conditions dans lesquelles fut averti Libri de cette découverte, il 
faut lire les deux pièces suivantes : Aux lecteurs du Bulletin Scientifique du « National », 
article de Terrien en réponse à plusieurs assertions de Libri, extrait du AVational 
du 18 mai 1849 (Paris, 12 p. in-8°) et M. Libri, le « National » et le « Moniteur », extrait 
du journal l’Assemblée Nationale du 14 septembre 1849, suivi d’une lettre de Libri au 
rédacteur en chef (Paris, 1850, 11 p. in-8°). Voici, d’ailleurs, les principaux articles — 
nous ne disons rien du Siècle, ni du National, à dessein — dont la lecture devra être 
exigée de l'historien futur de l'affaire Libri, relativement à l'impression causée par sa 
fuite et les premiers débats touchant son procès : Débats du 28 novembre 1848 et des 
11 mai et 2 juin 1849, Assemblée Nationale des 1* juin, 14 et 23 septembre 1849, 
Patrie du 25 septembre 1849, Illustration des 9 décembre 1848 et 12 mai 1849, Biblio- 


thèque Universelle (Genève) du mois de juillet 1848, The Athenaeum des 27 mai 1848, 
12 mai 1849, 13 juillet 1850, et The Examiner du 10 juin 1848. 


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256 BULLETIN ITALIEN 


français et le National; — cf. en particulier le numéro du 6 sep- 
tembre de ce dernier organe, où Libri est désigné comme « un 
homme bien connu pour le zèle qu’il met à conserver les biblio- 
thèques » — et peut-être aussi dans la Bibliothèque de l'École des 
Chartes:, que Libri devait être surveillé, serait-il si étrange 
que ce personnage résidât à Carpentras, centre premier de 
découverte des pirateries de Libri? 

Quoi qu’il en soit de ce point, sur lequel il faut peut-être 
renoncer à être jamais fixé documentairement, la Bibliothèque 
de Carpentras joua un rôle capital dans la procédure de l'affaire 
Libri. Les pièces inédites que nous publions, en particulier la 
pièce n° 2, démontrent que le Théocrile des Aldes, le Dante 
manuscrit et le Cortigiano fixèrent tout de suite l'attention de 
Lambert. L'histoire du Théocrite, si nous avions assez d'espace 
pour la détailler, serait précieuse. On verra qu’au témoignage 
de Lambert, il avait déjà été catalogué par ce bibliothécaire 
avant que Libri s’en saisît, à titre de prêt. C’est à Lambert 
que, très vraisemblablement, est due, dece chef, la constatation 
du vol de Libri — à moins, cependant, que Tripier, garde des 
archives de la liste civile, qui avait feuilleté naguère le volume 
à Carpentras même, n'ait ici joué quelque rôle — lorsque, au 
n° 204 du Catalogue de la bibliothèque de M. Libri] (Paris, Sil- 
vestre et Jaunet, 1847, grand in-8° comprenant 3,025 articles)?, 


1. La Bibl. de l'Éc. des Chartes — Mérimée prétendra, en 1852, que ses motifs 
n'étaient pas purs — a parlé à trois reprises de Libri en 1847: t. VIII (mai-juin), p. 462 
et (juillet-août), p.535 — en termes évidemment désireux de suscitersun soupçon sur 
l’origine des livres vendus par Libri; l’un de ces articles fut reproduit par le National 
— et t. IX (septembre-octobre 1847), p. 88: « Un de nos lecteurs, du comté de 
Sussex, en Angleterre, nous fait espérer le catalogue des manuscrits dé M. Libri, qui 
ont été transportés dans ce pays et dont l’acquéreur est lord ASHBURNHAM. Nous 
serons heureux de pouvoir fournir aux savants français quelques renseignements 
sur le contenu de cette précieuse collection, dont l’accès ne leur a pas été ouvert. » 
On sait que, lorsque l'affaire Libri eut éclaté, lord Ashburnham refusa de laisser 
examiner ses manuscrits (p. 807 du 2° rapport Bonjean), mais qu’on en retrouva 
l'inventaire dans les papiers de Libri, dont 18 caisses de livres volés avaient pu 
échapper à la justice. Pendant sa vie, le noble lord persista dans cette inqualifiable 
attitude, bien que sa bonne foi originelle fût hors de cause, et ce n’est qu'après sa 
mort que son fils consentit à vendre au British Museum, à la Lorenziana de Florence 
et à la Bibliothèque Nationale les mss. rassemblés à Ashburnham Place, — opération 
non encore effectuée quand M. H. Stein écrivit l’article Ashburnham dans la Grande 
Encyclopédie (t. IV, p. 87), — dont le fonds Libri fut, comme nul n’ignore, partagé 
entre la Laurentienne et la Nationale : négociations qui ont été amplement narrées 
par M. L. Delisle, + 

2, Le total apparent de cette vente fut de 105,257 francs, plus 10 0/0. 












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LIBRI-CARUCCI ET LA BIBLIOTHÈQUE DE CARPENTRAS 257 


apparut cette mention : « Theocrili et Hesiodi opera, graece, 
Venetus, inpressum caractleribus ac studio Aldi Manucciüi, 1495, 
in-folio, parch. Non Rocxé. » Mais, avant que ce vénérable 
monument de la conscience du grand imprimeur-humaniste 
füt, dans la vacation du 3 août, adjugé à Payne et Foss, 
combien d'aventures n’avait-il pas subies, depuis la date où — 
c'était le 19 novembre 1841 — Libri ayant obtenu qu'Olivier- 
Vitalis fût autorisé par le maire « à remettre à M. Libri, à titre 
de prêt, tous les livres dont il aurait besoin pour son séjour en 
ville » et maître, dès le 21, du Théocrile, tentait, le 22, d’ob- 
tenir de Payne et Foss une édition moins précieuse pour la 
substituer à cette perle, puis partait de Carpentras avec la pièce 
convoitée, — et d’autres encore, — qu’un peu plus d’un mois 
plus tard, à Angoulême, il exhibaïit, orgueilleusement, comme 
sa propriété :! Et l'opération ainsi réalisée, n’était, en vérité, 
nullement dépourvue de finesse, si, vendu 655 francs, l’ou- 
vrage subtilisé avait été substitué par un faux frère dont le 
coût atteignait, à Londres, 80 francs ronds! Quant au don 
gratuit des 33 volumes de compensation, ce que Lambert 
oubliera, dans son rapport, de dire, c’est que c’étaient, pour la 
plupart, des... hommages d’auteurs, dont la valeur globale 
pouvait bien atteindre entre 60 et 8o francs! — L'odyssée du 
manuscrit de Dante est, grâce à M. L. Delisle, suffisamment 
connue, mais M. L. Auvray n’eût-il pas été en droit, dans 
Les manuscrits de Dante des Bibliothèques de France (Paris, 1892), 
de l'illustrer de quelques réflexions? Pour nous, l’apparente 
contradiction entre l'indication du catalogue de Carpentras — 
cf. plus bas la pièce n° 5, — faisant de ce manuscrit un in-8, 
alors que Libri, dans la description sommaire envoyée au 
ministre en 1841, le déclarait in-16: « La « Divina Comedia di 
Dante » (Di Tommaseo Spinelli, 1468) in-16, xve siècle» — indi- 
cation répétée au n° 406 du Catalogue des 2,200 manuscrits 
vendus en mars 1847 pour 200,000 francs à Lord Ashburnham : 
« Dante, « Divina comedia» (fort joli), in-16, carré, xv-* siècle, 
vélin» —, nous a rappelé une expérience maintes fois renou- 


1. Voyez, à la Bibl. Nat., le n° du 12 janvier 1842 du Charentais, où le Théocrite 
figure parmi les splendeurs bibliographiques du grand homme. 


258 BULLETIN ITALIEN 


velée dans nos bibliothèques et sur laquelle, dès 1823, Schæll 
attirait l'attention, au tome I, pp. x et x1v, de l'Histoire de la 
lillérature grecque. Cette confusion des formats reste, en effet, 
la pierre d’achoppement de nos Calalogues de bibliothèques, 
spécialement des municipales, qui remontent, en général, 
à une époque ancienne, et où, pour désigner les formats, l'on 
a tenu compte, presque toujours, non pas du nombre de pages 
que contenait chaque feuille, mais de la grandeur et de la 
dimension du volume, — cela se fait, d’ailleurs, aujourd’hui 
encore, — d’où il advient si souvent que des œuvres des xv°et 
xvi° siècles y sont données comme in-folio, lorsqu'elles sont 
in-4°; in-8°, lorsqu'elles sont in-12, etc.! — Du Corligiano, l'aven- 
ture est, cependant, la plus curieuse. Voici comment, dans son 
factum de 1852, Prosper Mérimée raisonnait sur son compter: 
«.… M. le juge est homme à confondre la Pucelle de Chapelaïn 
avec celle de Voltaire. Je crois à la bonne foi quand même; 
mais, lorsqu'on commet des étourderies semblables, il ne faut 
pas parler si haut de faits précisés, de recherches techniques, 
du contrôle le plus attentif et le plus sévère. Passe pour 
sévère; mais attentif, ne le dites plus. En effet, j'ai sans cesse 
à vous signaler le même genre de distractions, qui consiste 
à donner comme preuve de l’accusation un argument qui la 
réfute. C’est ainsi qu'à propos d’un manuscrit du Cortigiano 
qui a disparu de la bibliothèque de Carpentras, on rapproche 
ingénument une note de M. Libri qui le décrit comme une 
copie du temps, d’une autre note de M. Libri désignant un 
manuscrit cédé par lui à lord Ashburnham comme le manus- 
cril aulographe de l'auleur, avec une reliure de Grolier. On se 
demande toujours pourquoi le juge d’instruction ne s’adressait 
pas à un libraire pour prendre des renseignements. Ce Corti- 
giano me rappelle l’allocution de Grippeminaud à Panurge: 
«Orça, encore n’advint depuis trois cents ans ença, orça, que 
personne eschappast de céans sans y laisser du poil, orça, ou 
de la peau le plus souvent, orça. » On avait accusé M. Libri 
d’avoir volé un exemplaire du Cortigiano à Carpentras, et, 


1. Art. cit., p. 323. 








LIBRI-CARUCCI ET LA BIBLIOTHÈQUE DE CARPENTRAS 259 


malgré l'assurance que le livre était toujours dans la biblio- 
thèque de cette ville, on eut cependant la curiosité de voir un 
autré exemplaire que M. Yemeniz avait acheté 519 francs à la 
vente de M. Libri. Le livre fut saisi, mais «cet ouvrage, placé 
sous triple cachet par le juge d'instruction de Lyon, parvint 
sur le bureau de l’un des employés du parquet, et disparut 
sans qu'on en ait trouvé trace». Apparemment, c'est un des 
cachets qu’on espérait retrouver. Pour moi, je pense qu'il eût 
mieux valu le mettre dans un tiroir fermant à clef.» Ce badi- 
nage n'avait qu'un tort, grave, qui était de fausser les termes 
de l’acte d'accusation. «Un manuscrit coté 363 — y était-il dit 
à la lettre — était ainsi désigné sur l'inventaire de la biblio- 
thèque : « I! Cortegiano di Castiglione, in-f, » sans autre indica- 
tion. Ce manuscrit existait encore sur les rayons en 1841. Libri, 
dans un catalogue qu'il envoyait à cette époque au ministre, le 
mentionnait en ces termes : « /{Cortegiano di B. Castiglione (con 
note del tempo e CORREZIONT), in-folio, papier, seizième siècle.» 
En 1842, il avait disparu. Or, dans le Catalogue des manus- 
crits vendus à lord Ashburnham, on lit, sous le n° 1606 : 
«Castiglione. Il Cortegiano, in-folio sur papier, seizième siècle. 
C’est le manuscrit autographe de l’auteur avec une foule 
de corrections.» — La confusion commise, en l'espèce, était, 
comme on va le voir, presque inévitable. En juillet — le 
30 juillet — 1847, le commissaire-priseur adjugeait, dans la 
salle publique où avait lieu la vente Libri sus-mentionnée, au 
libraire bien connu Tilliard, le volume porté au n° 2701 du 
Calalogue et qu’une notice particulière couvrait d’éloges : 
« Il libro del Cortegiano, del conte Baldesar Castiglione, Venelia, 
Alde, 1528, in-f°, etc.» Comme, dans sa réponse aux questions 
du juge d'instruction, Lambert, — qui avait lu la captieuse 
insinuation de Libri dans sa Réponse de M. Libri au rapport 
de M. Boucly (Paris, 1848, 115 p. in-8°; Londres, 1848, 86 p. 
in-8°; tirée à 11,000 exemplaires) — laissera subsister l'hypo- 
thèse du vol d’un double de l'édition de 1528; comme, d’autre 
part, l’état incomplet des livres de la bibliothèque dressé en 
mars 1834 par Olivier-Vitalis ne-mentionnait pas les doubles, 
— et le Catalogue des manuscrits de Carpentras qu’à la suite 


260 BULLETIN ITALIEN 


de l'affaire Libri publiera, en 1862, Lambert, contiendra; lui 
aussi, maints desiderala, — l’on comprend que l’on aït voulu 
examiner le livre payé par Tilliard 519 francs et que ce dernier 
— détail où nous avons vu Mérimée commettre une erreur — 
avait, à l’époque, revendu à l'amateur lyonnais Yemeniz. On 
s'était, d'autre part, fait une loi, dans la procédure Libri, lors- 
qu'il y avait lieu d'envoyer en province un volume, ou de l'en 
faire venir, de procéder directement de parquet à parquet, et 
c'est ainsi qu'à la suite de la disparition du Cortigiano parut, 
dans le Monileur du vendredi 2 août 1850, cette note, dont 
Mérimée se gaussait avec une verve si intempestive:: 


Avis. Dans le cours d’une procédure criminelle, un volume précieux 
et rare, Il libro del cortegiano, à la reliure de Grolier, a disparu du 
parquet de Lyon. Toutes les recherches faites pour le découvrir sont, 
jusqu’à ce jour, demeurées infructueuses. C’est un in-folio, relié en 
maroquin jaune ancien, à compartiments et à tranches dorées. Il a 
pour titre : Il libro del cortegiano del conto Baldesar Castiglione. 
Venetia, Aldo, 1528. Il porte sur les plats la devise de Grolier : Portio 
mea, Domine, sit in lerra viventium; et cette autre : Tanquam ventus 
est vita mea, sous laquelle on peut encore lire : la Grolerie. 

Tous renseignements qui seraient de nature à faciliter la découverte 
de cet ouvrage devraient être transmis au parquet de M. le Procureur 
général près la cour d'appel de Paris. 


Le mystérieux disparu finit, toutefois, par être découvert, et 
c’est sur la foi des expertises de D’Audiffret, Merlin et Sainte- 
Beuve que Bonjean, dans son rapport de 1861, réduira à sa 
vraie valeur cet épisode « qui a fourni à Libri et à ses amis 
le texte de mille plaisanteries, dont on ne s’explique ni le but 
ni la portée; car ce volume fort précieux, qui a été retrouvé 
depuis et restitué à son propriétaire, ne figure pas dans l'acte 
d'accusation ». Du moins, le manuscrit volé — car la pleine 
lumière est faite sur ce point — a-t-il réintégré, sinon son 
dépôt originel, au moins le sûr asile que fournit à ses trésors 


1. La Bibliothèque de Carpentras possède, provenant d’une collection d’imprimés 
réunie par le D° Barjavel, une réimpression de cet article dans L'Union. L’erratum : 
conto (pour conte) y a été corrigé. — Nous rappellerons aux bibliophiles qui l’ignore- 
raient, qu’un Catalogue de mes livres a été publié, en 1865-66, en 3 vol. in-4", par 
Yemeniz. 








LIBRI-CARUCCI ET LA BIBLIOTHÈQUE DE CARPENTRAS 261 


la Laurentienne, et c’est page 51 de sa Notice sur des manuscrits 
du fonds Libri conservés à la Laurentienne à Florence (Paris, 
extrait des Notices et Extrails de la Bibl. Nat., t. XXX VII, 
1° partie (1886), in-4°) que M. L. Delisle a consigné la réalité 
de cette triste métempsycose. 

Nous commencions ces lignes par l'affirmation que nous 
n'entendions pas évoquer l'affaire Libri. Et voici que, nous 
bornant à la seule bibliothèque de Carpentras, les pages 
succèdent aux pages! Il faut que nous arrêtions notre plume. 
Nous permettra-t-on de citer, avant la fin, une autre prouesse 
de Libri à Carpentras, moins connue que celle dont nous 
venons de résumer les plus saillantes péripéties? Voisinant 
_ avec ceux de Peiresc, il y avait, à l’Inguimbertine, un recueil 
des Lettres écrites par divers savans à M. de Mazaugues. Les 
ciseaux de cet homme avide le soulagèrent de 74 feuillets, et 
c’est de là que provenaient les missives de Montfaucon, de Jacob 
Spon, du P. Lelong, jetées sur le marché des autographes par 
le forban qui, en douze années — de 1838 à 1850 — battit 
monnaie avec la plus prodigieuse quantité de papier brouillé 
dont l’Europe lettrée — qui apprit à ce noble jeu l’art d’une 
spéculation encore à son enfance — ait jamais disputé l’en- 
chère. Boucly concluait son rapport sur les vols de Carpentras 
par une phrase — que M. Labande, assez mal fixé, répétons-le, 
sur le procès Libri — semble lui avoir timidement empruntée 
— relative à Olivier-Vitalis, qui lui paraissait «avoir toléré 
et facilité ces détournements, soit par faiblesse, soit par 
une complaisance coupable ». Et M. Labande, qui a donné, 
pages xLvi-xLvir de son /ntroduction, une liste de 11 manuscrits 
_ volés par Libri et aujourd’hui à Paris et à Florence, est d'avis 
qu'elle «pourrait sans doute être augmentée de quelques 
numéros », si, « dans le désordre qui, sous l'administration 
d'Olivier-Vitalis, régnait à la Bibliothèque de Carpentras, il est 
à redouter que d’autres larcins, dont il est difficile de retrouver 
la trace, aient été effectués ». Le hasard, qui a voulu que le 
quarante-sixième feuillet du premier volume des Leitres à 
Mazaugues fût retrouvé chez Libri, à la Sorbonne, muni de 
son numéro d'ordre, ne s’est, dans une multitude de cas 


262 BULLETIN ITALIEN 


d’analogues larcins, pas reproduit, très certainement, et c’est 
sur un doute que, nous aussi, nous clôrons ces notes, relative- 
ment à l'étendue des vols commis par Libri dans ce dépôt 
de Carpentras, dont les 2,154 manuscrits actuels et les 
25,000 volumes (?) sont désormais sous bonne garde. En est-il 
de même pour toutes nos bibliothèques de province? Et ne 
sait-on pas qu'il est possible, aujourd’hui encore, de dérober 
impunément des in-folios à la Nalionale? Encore que nous ne 
partagions pas toutes ses vues, M. E. Morel a raison, dans son 
livre : Bibliothèques, t. II, p. 384 seq., d'évoquer l'ère où l’on 
cessera, enfin, d'encourager le vol dans nos établissements 
publics de conservation des monuments de la pensée humaine. 
Mais il ne faudrait pas user de demi-mesures et nous persistons : 
aujourd'hui, comme lorsque nous relations un vol de manus- 
crits à Berlin', à croire que le meilleur remède consiste dans 
l'application stricte de cette règle : Ne laisser jamais pénétrer, 
dans une bibliothèque publique, sans rigoureuse surveillance un 
«outsider » : pas plus le membre de l'Instilut, qui défie les règle- 
ments, que l'artisan, fût-ce un simple maçon, non suspect de 
bibliomanies. El ne pas oublier de faire surveiller les bibliothécaires. 

Addenda.— L'article de Libri sur le Catalogue des manuscrits 
de nos bibliothèques est au numéro de Janvier 1842 du Journal 
des Savants?. C’est par décret du 2 septembre 1841 que Ville- 
main — qui devait désigner les experts du procès Libri! — 
avait nommé ce personnage secrétaire de la Commission du 
Catalogue général des manuscrits des départements: cf. le 
tome I de ce Catalogue (Paris, 1849), page v. C'est Libri qui a 
écrit dans ce volume l'Avertissement sur les manuscrits de la 
bibliothèque du séminaire d’Autun, pages 3-6, comme ce fut 
lui qui rédigea les inventaires des manuscrits des deux biblio- 
thèques — ville et Faculté de médecine — de Montpellier, en 


1. « Voleur de manuscrits, » dans Le Siècle, n° 26375. 

2. Au numéro d'avril 1841 du même périodique, Libri a publié, page 219, la 
lettre de Peiresc au cardinal Barberini én faveur de Galilée, d’après le manuscrit de 
Carpentras. Voyez pour les articles qu’il y a écrits la Table des années 1816-1858, 
donnée par Cocheris et publiée en 1860. On y trouvera, s. v., plusieurs indications 
intéressantes. Dans la Table des années 1859-1908, qui a paru l'an dernier, le nom de 
Libri ne figure qu’une seule fois, à propos de l’article: Les plus vieu manuscrits 
d’Autun mutilés par Libri (année 1908, p. 377-381), par M. Em. Chatelain. 





Le 





LIBRI-CARUCCI ET LA BIBLIOTHÈQUE DE CARPENTRAS 263 


collaboration avec les conservateurs, Blanc et Kühnholtz, 
ainsi que de la bibliothèque de la ville d'Albi, inventaires 
revus par F. Ravaisson, dans ce même volume. Il est tout à fait 
regrettable que le conservateur de la bibliothèque de la ville 
de Troyes, Harmand, ait cru devoir se taire sur le chapitre des 
si déplorables déprédations qu'y commit Libri, quand, en 
1805, il rédigea l'Avertissement (p. 1-viu) de son Catalogue des 
manuscrits de cette ville. M. L. Morel-Payen, l’actuel conserva- 
teur, aurait là matière à une étude intéressante, puisqu'on n’a 
pas publié de nouveau, dans la série moderne, le Catalogue des 
manuscrits de Troyes, si peu maniable en sa forme archaïque. 
Cependant, on sait qu'un Supplément important a été donné 
au tome XLIIT (1904), de cette série, pp. 432-6501. Quant au 
silence de Harmand — voleur de livres, lui aussi, et condamné 
de ce chef en février 1873 (cf. la brochure de A. Socard sur 
cette affaire, 196 p. in-8°, 1873) — il se pourrait fort qu'il ait été 
. intéressé : cf. A. Socard, op. cit. p. 115, où Harmand accuse 
Libri d’avoir, vers 1840, à sa seconde visite, dérobé le Second 
Enfer d’Et. Dolet. Sur les vols de Libri à Troyes, il n’existe 
qu'une indication insignifiante dans une autre brochure de 
A. Socard: Promenade à la Bibl. de Troyes (Troyes, 1869, 
48 pp. in-8°), pp. 24-25. Ce Socard, bouquiniste — et cousin de 
M. Emile Socard, auteur du Catalogue des livres de la Biblio- 
thèque de Troyes — a également publié en 1873 le Catalogue 
des livres rares, singuliers el curieux, des manuscrils précieux, 
des autographes ...composant le cabinet de M. Harmand.. dont-la 
vente aura lieu le lundi 1° décembre 1873, sur 202 p. in-8°. 

Le travail de M° Henry Celliez : Mémoire sur les irrégularités 
de la procédure criminelle suivie contre M. Libri, a paru chez 
Laîné, à Paris, en 1861, in-8. L'année suivante, il fut enrichi 
d'un Supplément de 16 pages in-8°, ibid. Quant à la « consul- 
lation » dont nous parlions plus haut, elle porte le titre signi- 
ficatif : M. Libri n’est pas contumax, et a paru également à Paris, 
chez Laîné (1861, 14 pp. in-8°). Pour ce qui est, enfin, de 
l’opinion de D’Audiffret, Sainte-Beuve, efc., on la trouvera 


1. M. L. D{orez], qui en a rédigé l'Introduction, a cru devoir ignorer Libri. 





264 BULLETIN ITALIEN 


dans la Pétition adressée au Sénat sur l'affaire de M. Libri, avec 
une nole à l'appui signée par MM. Guizot, marquis d'Audiffret, 
Mérimée, Laboulaye, etc. (Paris, Lahure, 1861, 8 pp. in-8°). 
C’est le 5 avril 1849 (n° 144 du dossier résidu) que le garde 
des sceaux écrivit pour annoncer que des ordres avaient été 
donnés aux fins de rechercher le Corlegiano disparu de Lyon. 
Il est, dans les notes à la Correspondance de Peiresc, malheu- 
reusement restée inachevée, car Tamizey de Larroque annonçait 
10 volumes au tome VII, dernier de la collection (Paris, 1888- 
1898), souvent question de Libri; v. gr. IL, 34, 514; IL, 60, 
224, 236, 720, 727; IV, 202; VI, 697. — Tome I, page vi, 
nole 2, l'éditeur a exprimé sa gratitude pour le conservateur 


G. Barrès. 
Camice PITOLLET. 


Saint-Brieuc. 
(A suivre.) 


1. Nous aurions pu ajouter, à propos de l’article de 1852 dans la Revue des Deux- 

. Mondes, que P. Mérimée en avait aggravé le caractère, offensant pour la magistrature, 

par la réplique dont il faisait suivre la lettre des experts, pages 604-608, afin de 

conserver le dernier mot sur ces honnêtes érudits, moins «experts » que lui dans l’art 
de la mystification, 








QUESTIONS D'ENSEIGNEMENT 


PROGRAMMES DES CONCOURS D'’ITALIEN EN 1:91: 


AGRÉGATION 


* I. L'influence franciscaine dans la poésie et les arts italiens au 
xmu° et au x1v° siècle. 


Textes. — S. François, Laudes creaturarum. — JAcoponE pA Toni, 
Dialogo sia S. Francesco e la Povertà (San Francesco sia laudato.) 
. et La Crocifissione (Donna del Paradiso). — Daxre, Parad., c. XI. 
— PÉTRARQUE, Trionfo della Pudicizia. — Vasanr, Vila di Giotto. 


IT. La littérature chevaleresque avant l’Arioste. 


Textes. — ANDREA DA BARBERINO, extraits contenus au t. I du 
Manuale de D’Ancona êt Bacci, p. 670-686. — L. Puccr, extraits 
du Morgante, p. 118-146 du t. II du même Manuale. — M. M. 
Borarpo, extraits de l’Orlando innamorato, ibid., p. 152-163. 


III. La Révolution française et l'Italie. 


Textes. — Letture del Risorgimento italiano scelte da G. Carpuccr 
(Bologne, Zanichelli, 1896), t. I (1749-1830), p. 104-255. — 
V. Azriert, 11 Misogallo. — V. Mori, Bassvilliana, c. II, et Per 
il congresso cisalpino in Lione, ode. 


IV. La poésie italienne depuis 1870. 


Textes. — G. Carpuccr, Avanti! Avanti!; Il canto dell Amore; 
Davanti S. Guido; Ça ira; Nell annuale della fondazione di 
Roma; Jaufré Rudel; Cadore. — M. Rapisarpr, poésies con- 
tenues dans l’anthologie Dai nostri poeti viventi (Florence, 1903), 
p. 342-354. — G. Marranr, même anthologie, p. 222-232. — 
G. Pascozr, même anthologie, p. 304-319. — G. D’Axnuwzio, la 
Figlia di Jorio. 


V. Texte latin pour l'explication orale. — Sannazar, Egloga III 
(Galatea). 





266 = BULLETIN ITALIEN 


CERTIFICAT D'APTITUDE 


1. Pétrarque, Trionfo della Pudicizia. 

2. Boccace, extraits de la Fiammelta (p. 193-210 de. l’Antologia 
delle opere minori di G. Boccaccio, Florence, Sansoni). 

3. Boiardo, extraits de l’Orlando innamorato, au t. II, p. 152-163, 
du Manuale D'Ancona et Bacci, 

h. Letture del Risorgimento italiano scelte da G. Carducci (Bologne, 
Zanichelli, 1896), t. I (1749-1830), p. 104-1837. 

5. V. Monti, Bassvilliana, c. II. 

6. G. Carducci, Canto dell Amore; Davanti S. Guido; Cadore. 


En attendant une bibliographie plus complète, voici quelques 
indications sur les textes dont le programme ne désigne pas d'édition. 

I. Le Cantique de Saint-François est dans le Manuale d'Ancona- 
Bacci, 1, p. 51. Le même volume contient la Crocifissione de Jaco- 
pone, p. 102. Le Dialogo tra S. Francesco a la Poverta est l’ode 24 du 
livre III dans l'édition de Venise 1617; le Bull. italien réimprimera 
ce texte dans son fascicule d’octobre-décembre 1910, avec la Biblio- 


graphie. — Il existe des Vite degli artisti de Vasari une édition 
économique (Florence, Salani). 
IT, Misogallo, éd. Renier; Florence, Sahsont. — Monti, Poesie 


scelte, Florence, Barbéra (avec notes). 
IV. Toutes les pièces de Carducci portées au programme sont com- 
prises dans l’Antologia Carducciana de MM. Mazzoni et Picciola (2°édL.). 
V. Sannazaro, Egloghe piscatorie, con versione di L. Grilli (pe di 
Castello, 1899). 


CONCOURS DE 1910 : SUJETS DE COMPOSITION 


AGRÉGATION D'ITALIEN 


TaÈème. — M. Maeterlinck, La vie des abeilles, Il, xxm. Depuis : (On 
conviendra, dit quelque part Buffon. » jusqu’à : « nous ne perdrons 
rien pour avoir reculé ni attendu. » 


Version. — G.-B. Marino, Le Macchie della Luna (Adone, X st. 36 
et 38-43). 

DISSERTATION FRANÇAISE, — La « fiaba »; sa signification dans l'his- 
toire du théâtre italien et dans la société vénitienne du xvim siècle; 
causes de son succès et de sa décadence. 


DissERTATION ITALIENNE. — Indagare per quali ragioni, sia teoriche, 
sia storiche, le arti plastiche abbiano avuto in Italia, sul finire del 
secolo xv e nei primi decenni del xvr, uno svolgimento più pien@ e, 
in complesso, più originale che non la letteratura. 





QUESTIONS D'ENSEIGNEMENT 267 


CERTIFICAT D'APTITUDE 


Taème. — E. Faguet, Proudhon, dans Politiques et moralistes du 
x1X- siècle, 3° série, p. 115-118 (nombreuses coupures). 


Version. — L. Tansillo, La Strage degli Innocenti (Lagrime di San 
Pietro, Pianto primo, st. 59-64). 


Composrrion FRANÇAISE. — Expliquer et discuter les raisons pour 
lesquelles il serait très utile, dans certains cas peut-être indispensable, 
de connaître la langue, l'histoire et les principaux écrivains de la 
Rome antique pour étudier à fond la langue et la littérature italiennes. 


COMPOSITION EN LANGUE ITALIENNE. — Come si rispecchiano nella 
letteratura italiana della seconda metà del Settecento i costumi del 
tempo e le aspirazioni a un rinnovamento morale e politico? 


MODIFICATION AU JURY DU CERTIFICAT D'ITALIEN 


EN 1910 


M. Paor, professeur au Lycée Louis-le-Grand, est nommé membre 
du jury du certificat d'aptitude à l’enseignement de la langue italienne 
dans les lycées et collèges, en remplacement de M. Bonafous, pro- 
fesseur à la Faculté de lettres d'Aix. 


L'ENSEIGNEMENT DES LANGUES MÉRIDIONALES 


ET LE 


PROGRAMME DES ÉCOLES D'ARTS ET MÉTIERS 


Une certaine inquiétude s’est manifestée parmi les professeurs de 
langues méridionales, au sujet du nouveau programme des Écoles 
d'arts et métiers, en vertu duquel les langues italienne et espagnole 
ne seront pas admises dans ces Écoles à partir de 1912: l'allemand ou 
l'anglais deviendront obligatoires. 

Au cours de sa récente tournée d'inspection en Provence et dans 
la région des Alpes, M. H. Hauvette a recueilli des doléances sur ce 
point. Aussi, dès son retour à Paris, a-t-il eu à ce sujet un entretien 
avec le Directeur de l'Enseignement technique au ministère du Com- 
merce et de l'Industrie; celui-ci n’a élevé aucune objection de prin- 
cipe contre la réclamation qui lui était présentée, et a prié M. Hauvette 
de lui remettre une note détaillée sur la question. En réponse à cette 
note, la Direction de l’enseignement technique a fait savoir qu’elle 
ferait l’objet d’un examen attentif lors de la prochaine réunion du 
Conseil supérieur de l’enseignement technique au mois d'octobre. 


BIBLIOGRAPHIE 


É. Bourciez, Éléments de linguistique romane. Paris, C. Klinck- 
sieck, 1910; 1 vol. in-12 de xx1-697 pages. 


Nous n'avions en France aucun traité général de linguistique 
romane, rien de comparable à des monuments tels que la grammaire 
de Diez ou celle de M. Meyer-Lübke, et c'était à des livres étrangers ou 
à des traductions qu’un Français devait recourir pour avoir une vue 
d'ensemble sur le développement des langues sorties du latin. Le livre 
de M. Bourciez vient combler cette lacune, et, en face des œuvres de 
l’érudition allemande, d’une construction solide mais massive, les 
Éléments de linguistique romane prennent place, modèle de science 
précise, élégante et sobre. 

L'auteur a voulu «exposer d’une façon sommaire — conforme 
toutefois aux exigences de la science — ce que nous sayons d’un peu 
certain sur l’origine et l’évolution des langues romanes ». Il s’est 
borné, en général, à l'étude des langues littéraires, sans entrer par le 
menu dans l’examen des dialectes, ce qui aurait considérablement 
alourdi le volume. D'ailleurs, dans la plupart des pays romans, et 
peut-être même en Italie et en France, les dialectes sont encore trop 
mal connus, pour qu’on puisse, pour le moment, en faire une 
synthèse satisfaisante. M. Meyer-Lübke, qui l’a essayé, s’est parfois 
égaré dans le détail. Au contraire, le livre de M. Bourciez ne donne 
que les faits fondamentaux du développement dialectal, — ce qui est 
plus sage dans l’état présent de la science, — tandis qu'il apporte, 
dans le domaine des idiomes littéraires, les solutions définitives, 
désormais parfaitement légitimes. 

IL était d'autant plus utile d’écarter toute surcharge, que le manuel 
vise non seulement les faits de phonétique et de morphologie, mais 
encore ceux de lexicologie, de sémantique et de syntaxe. Ces dernières 
branches de la linguistique romane y sont étudiées d’une manière plus 
complète et plus suivie qu'elles ne l’ont été jusqu'ici dans les traités 
généraux. On ne peut guère en rapprocher, parmi les œuvres 
récentes, que la deuxième édition de l’Einführung de M. Meyer-Lübke. 
L'auteur n’a pu la mettre à profit, puisqu'elle n’a paru qu'après 
juin 1909. Elle ne contient d’ailleurs qu’une quinzaine de pages sur 
la syntaxe, alors que les chapitres correspondants des Éléments 











ii a ire RS VE EU FER 








BIBLIOGRAPHIE 269 


donnent, sous une forme concise, et avec une grande précision de 
détail, un aperçu complet sur l’évolution syntaxique du latin depuis 
l'époque républicaine jusqu’à nos jours. L'exposé est aussi fouillé que 
celui des Beiträge de M. Tobler, mais il n’a rien de fragmentaire, il est 
débarrassé de tout détail superflu, et il se signale par une parfaite 
limpidité. 

Là n’est pas la seule originalité du livre. Au lieu de procéder selon 
la méthode comparative ordinaire qui consiste à rapprocher les 
langues romanes les unes des autres pour remonter à leur source 
commune, le latin, l’auteur part du latin, en suit le développement 
dans le temps et dans l’espace, en montre l'épanouissement dans les 
langues romanes actuelles. Il a fait une grammaire différenciative, — 
comme il le dit, — et non comparative. 

De cette conception particulière, découle le plan — absolument 
nouveau — du volume. Celui-ci se divise en trois parties. La première 
est consacrée à l'étude du latin tel qu’il était parlé à Rome pendant 
l’époque impériale. Résumant et complétant sur certains points les 
travaux de Schuchardt, Neue-Wagner, Dräger etc., M. Bourciez énu- 
mère les différences qui ont séparé le latin vulgaire du latin classique, 
et montre que la diffusion du latin vulgaire, celui de Rome, s’est, 
au début, opérée d’une manière à peu près uniforme dans la plupart 
des provinces romaines. 

La seconde partie, intitulée Phase romane primitive, note les dan 
gements qu'a subis le latin entre le v° siècle et la fin du x°. C'est 
durant cette période que les langues romanes ont commencé à se 
différencier. C’est celle où les documents font le plus défaut, celle 
qu'il est le plus malaisé de connaître, et celle aussi où l’auteur a 
déployé le plus de science, accumulé le plus de preuves, et fait 
montre d’une information aussi étendue que précise sur tout ce qui 
concerne les sources linguistiques du haut Moyen-Age. 

Enfin, dans la troisième partie, l'étude des langues romanes propre- 
ment dites se développe et se précise. On y trouvera les notions 
essentielles sur l'ancien français et le provençal, l'espagnol et le 
portugais, l'italien, le roumain, les idiomes rhétiques. 

Le chapitre qui clôt l'ouvrage a trait au français moderne. Le fran- 
çais moderne diffère sans doute de l'ancien français plus que la 
plupart des autres langues romanes actuelles ne diffèrent de ce qu’elles 
étaient à leurs débuts. Telle est vraisemblablement la raison d’être de 
ce chapitre qui n’a pas, dans l'ouvrage, son équivalent pour les 
langues sœurs. Néanmoins, peut-être eût-il été plus harmonieux de 
consacrer aussi aux autres langues romanes quelques pages spéciales, 
pour montrer le développement que chaque idiome a pris dans les 
temps modernes. 

En revanche, l'idée de placer en tête du volume une courte et 

Bull. ital. 18 





270 BULLETIN ITALIEN 


substantielle introduction, où sont exposées les vues générales de 
l’auteur sur le langage et sur son évolution, est tout à fait heureuse, 
Ceux des lecteurs qui ne sont pas encore familiarisés avec la méthode 
linguistique, trouveront, dès le seuil de l’ouvrage, les principes fonda- 
- mentaux de la science, et seront ainsi préparés à lire le reste du livre 
avec fruit. : 

Je ne puis songer à suivre ici l'exposé pas à pas. Je dois me borner 
à signaler deux ou trois questions au sujet desquelles l’auteur a 
proposé des théories particulièrement neuves et ingénieuses. 

L'explication de l'alternance du radical dans les verbes ‘espagnols 
(sentir, medir, dormir, etc.) ou portugais (sentir, subir, etc.) mérite 
d'être signalée. M. Bourciez montre que les faits qui se produisent 
dans les deux langues, malgré d’apparentes similitudes, doivent être 
distingués les uns des autres. En espagnol, l’alternance vocalique 
résulte de deux lois phonétiques qui se sont entre-croisées : i + 1= e; 
e+ié, i0— i. C’est du gérondif midiendo et de la 3° pers. sing. du 
parfait midiô, qu'est sorti le radical mid-, en regard de med-. D'autre 
part, comme le radical atone gardait l’e dans sentimos, sentides, on 
n’a pu avoir ici qu’au subjonctif sintamos, sintades (d’après sintiendo). 
De là est résulté le triple aspect, -i-, -e-, -ie-, que le radical de 
certains verbes offre au présent. — En portugais, au contraire, les 
innovations sont relativement modernes, et l’analogie joue un rôle 
plus étendu: le point de départ phonétique est le passage de o à u 
devant i: on a eu, phonétiquement, subir, subi, puis, par analogie, 
subo, tandis qu'on a dit sùbes, sous l'influence de cùmes. Cette 
alternance subo : sdbes s'est propagée, par symétrie, dans sénto : 
sèntes. 

Mais ces questions de langues modernes s’écartent un peu des sujets 
traités habituellement dans cette revue. La théorie du pluriel dans les 
substantifs latins en -is de la troisième classe intéresse une époque plus 
ancienne. Cette théorie est d’une importance capitale. On avait cru jus- 
qu’à ce jour (v. Meyer-Lübke, Gram.,1,553; II, 41; Grundr.,l°?, p. 677- 


8, $ 68) que les pluriels en -i de l'italien et du roumain reposaient sur - 


les formes -es du latin classique. On expliquait l’=i par une influence 
de l’-s finale. Ce système soulevait une grave objection. Comment l'-s 
aurait-elle pu entraîner ce traitement spécial, puisqu'elle est tombée 
de bonne heure en Italie et en Orient? Cette difficulté est résolue par 
M. Bourciez. Mettant à profit et précisant une remarque faite en 
passant par G. Mohl (/ntrod. à la Chronol. du lat. vulg., 217), il fait 
remonter les pluriels italiens et roumains en -i à des nom.-acc. latins 
en -is, qui sont attestés en effet dans les inscriptions, et qui ont dù 
devenir régulièrement -i en Italie et en Orient. — Quant à la 2° pers. 
du sing. du présent de l'indicatif, vendïs, c’est l’analogie, et non la 
phonétique, qui a entraîné les formes italiennes et roumaines vendi, 





BIBLIOGRAPHIE 271 


vinzi. D'après la 3° pers. du singulier vendit — dormit, on a eu, dès la 
fin de l’Empire, à la place de vendïs, *vendi(s), comme dormi(s). 
L'identité de la terminaison de éanto, vendo, *dormo, a aussi produit 
“canti(s), d’où canti, cinti. 

IL faudrait relever une foule d’autres points intéressants. Pour 
expliquer le développement de la flexion *-omus à la première per- 
sonne du pluriel, dans le nord de la Gaule, la Haute-ltalie et la Rhétie, 
l’auteur propose des types *“daomus, “staomus formés sur dao, stao, — 
Les formes françaises et rhétiques, aux deux premières personnes du 
pluriel, dans le verbe «être», sont tirées de “ess#mus, *essilis, d’après 
_ le nouvel infinitif “essère. — Le français puis est considéré comme le 
résultat d’un croisement entre *posso et *pôtleo d’où * püsseo, etc. 

Je n'insisterai pas davantage sur tous ces détails, car je veux, 
avant de terminer, signaler une innovation importante. Chacune des 
parties de l'exposé linguistique est précédée d’un résumé succinct 
des principaux faits historiques particuliers à chaque pays et à chaque 
époque. Les divers manuels s'étaient bornés jusqu'ici à étudier en 
elle-même l’évolution des langues, sans faire une part suffisante à 
l'influence que les événements de l’histoire exercent sur les destinées 
des idiomes. C’est le mérite de ce livre d’avoir su regarder plus haut 
et plus loin. Pour l’auteur, la linguistique n’est pas uniquement la 
science des mots. Le linguiste n’est pas l’homme qui se borne à 
compter le nombre des spondées dans Ovide, ou à faire la statistique 
de la préposition cv dans Xénophon. Il a pour mission de rechercher 
les causes nécessaires et les relations profondes qui existent entre les 
variations des langues et la vie des peuples. 

Ainsi, l'unité nationale de l'empire romain fut la plus sûre garantie 
de l'unité linguistique. Mais, lorsque l'empire succombe, lorsque ce 
corps immense se désagrège, sur les restes de l’ancienne latinité, de la 
Romania, fermentent et pullulent bientôt les dialectes naissants. Par 
une décentralisation progressive, chaque pays tend inconsciemment 
à se créer un idiome particulier. À l’unité de l’époque impériale 
succède une véritable féodalité linguistique. Tant il est vrai que les 
évolutions du langage sont solidaires des changements historiques, et 
que le sort des langues est intimement lié à celui des nations. 

L'ouvrage de M. Bourciez, rempli de détails minutieux et patiem- 
ment accumulés, n'en suggère pas moins en plus d’un endroit, par ses 
vigoureux raccourcis historiques, des pensées d’une philosophie 
profonde. Les linguistes n’oublieront pas, en le lisant, que leur 
science n’est qu’une branche de l’histoire, et les historiens y pourront 
comprendre que l'étude du langage a, comme toutes les sciences qui 
concernent l’homme, son intérêt général. 
| G. MILLARDET. 





272 BULLETIN ITALIEN ; 


Angelo Borzelli, Arte noslra. Rime e prose varie...— Naples, 
F. Casella, 1910; in-16, xvi-352 pages. 


L'idée de ce recueil est extrêmement ingénieuse et séduisante : 
l'auteur a voulu présenter à la jeunesse une anthologie de prose et 
de vers dont les morceaux rapprochés constituent une espèce d'histoire 
abrégée de l’art italien, ou tout au moins un commentaire vivant 
des œuvres les plus caractéristiques, au milieu desquelles les Italiens 
ont l’enviable privilège de vivre. Tout de suite, on pense que le livre 
est de ceux qu'on voudra mettre entre les mains des élèves et des 
étudiants, pour les perfectionner dans la connaissance de la langue 
italienne, tout en les familiarisant avec un des aspects les plus admi- 
rables de la civilisation de l'Italie; l’anthologie de M. Borzelli s'y 
prêterait d'autant mieux qu'elle est égayée de reproductions assez 
nombreuses, quelquefois bien réussies. 

Malheureusement, pour peu qu'on y réfléchisse, on s’aperçoit que 
l'exécution de ce plan si attrayant se heurte à des difficultés sérieuses, 
que M. Borzelli n’était pas maître d'éviter; non seulement il y aura 
forcément des lacunes, dans un livre de ce genre, parce que les écri- 
vains italiens n’ont pas forcément parlé de toutes les œuvres qui sont 
les plus dignes de retenir l’attention; mais surtout on sera trop 
souvent réduit à s'adresser à des écrivains de second, de cinquième, 
de dixième ordre, qui ne formeront ni le style ni le goût des jeunes 
gens. L'auteur d’Arte nostra, qui a mis en tête de son anthologie un 
index des artistes et des œuvres dont traite son volume, n’y a pas 
ajouté une table des auteurs auxquels il a fait des emprunts; il a sans 
doute eu raison, car on y aurait remarqué trop de noms inconnus, ou 
même de noms qu'on aimerait mieux n’y point voir. 

Il semble en outre que l’auteur d’un pareil ouvrage eût dû prendre 
certaines précautions. Dans la première moitié du livre, les extraits 
de Vasari occupent naturellement la place principale ; mais Vasari est 
un historien peu sûr, qu'il faut constamment redresser. M. Borzelli 
adopte sa manière de voir en ce qui touche la merveilleuse naïssance 
de l’art italien au xur° siècle, comme s’il n’y avait rien eu depuis le 
Laocoon et la Vénus de Médicis jusqu’à la chaire de Pise et à la fontaine 
de Pérouse! L'histoire de l’art n’en est plus à ces notions par trop 
simplistes; elle ne méconnaît plus le rôle dé l’art chrétien, de l’art 
byzantin, de l’art arabe même et surtout de l’art français sur l’éveil 
radieux, mais relativement tardif — comme celui de la littérature — 
de l’art italien. On voudrait donc que l’auteur du recueil intervînt 
davantage, par des notices et des notes, pour orienter ses lecteurs. S'il 
avait agi ainsi, peut-être aurait-il évité que la place excessive accordée 
aux Carraches, à Caravage, ou au Dominiquin, ne laissât croire à son 
jeune public que ces artistes représentent la grande époque de l'art 





BIBLIOGRAPHIE 273 


italien; le barocchismo méritait un chapitre, mais il eût fallu le 
définir et le caractériser, lui assigner sa place. Pour le xvur° siècle, il est 
curieux de ne trouver aucune mention ni de Tiepolo ni de P. Longhi, 
alors que Venise, seule à cette époque, possédait encore une école 
active et originale; au reste Saint-Marc lui-même et le palais des 
Doges ne sont l'objet ni d’une reproduction, ni d’un texte, si court 
qu'il soit. Ce sont pourtant des œuvres qui comptent dans l’art italien ! 

On aurait voulu surtout que l’auteur, après avoir accepté, sans 
protester même en note, les erreurs de fait contenues dans les mor- 
ceaux qu'il citait, n’y en ajoutât pas de son cru : la chapelle de 
l’Arena, de Padoue, où Giotto a exécuté ses célèbres fresques porte le 
nom de «Cappella degli Scrovegni » (et non Servegni) (p. 61); la 
madone de Botticelli reproduite p. 89 — la Vierge à la grenade — n’a 
jamais été à la galerie Pitti, mais aux Offices. Ce genre d'erreurs, 
dans un livre destiné à l’enseignement, est particulièrement regrettable. 

Je n’ai pas cru pouvoir cacher les défauts du volume. Il reste pourtant 
qu'il répond à un besoin réel, et que l’on y trouve bien des fragments 
que l’on est heureux d’avoir ainsi sous la main. 


Hexrt HAUVETTE. 


Antoine Heroet, Œuvres poétiques; édition critique, publiée 
par Ferdinand Gohin. Paris, Cornély, 1909; LxIx-174 pages 
in-12 (Société des textes français modernes). 


C’est une excellente idée qu'a eue M. Gohin, d'accord avec la Société 
des textes français modernes, de nous donner cette édition critique 
des œuvres poétiques d'Antoine Héroet; elles n’avaient plus été réim- 
primées depuis 1568, aussi les rares volumes qui les contiennent 
n’étaient-ils pas aisément accessibles. On va maintenant pouvoir les 
lire, les consulter, s’en servir ;.ces poèmes en valent la peine, car ils 
constituent — la Parfaicte Amye notamment — un important cha- 
pitre de l’histoire du platonisme dans la poésie française; or les idées 
platoniciennes que l’on y rencontre viennent en droite ligne d'Italie, 
en particulier des deux derniers livres du Courtisan par B. Castiglione. 
C’est à ce titre que la publication due aux soins de M. Gohin nous 
intéresse ici, et c'est sous cet aspect seulement que nous voulons 
l'envisager. Nous nous bornerons donc à rendre hommage au soin 
avec lequel a été préparé l’« appareil critique » du texte, à l'utilité des 
notes, qui mettent des rapprochements assez nombreux sous les yeux 
du lecteur, et que complète un lexique de la langue d'Héroet ; enfin, 
à la notice biographique qui nous introduit dans l'intimité du poète 
et de son œuvre. Tout cet ensemble de recherches forme une publi- 
cation dont les amateurs de notre seizième siècle ne peuvent qu'être 
fort reconnaissants à M. Gohin. 





274 BULLETIN ITALIEN 


Malheureusement, en ce qui concerne la comparaison avec les 
sources italiennes, l'éditeur d'Héroet fait preuve d’une préparation 
insuffisante, et nous croyons devoir signaler, en toute franchise, les 
lacunes de sa notice sur ce point : il ne faut pas que, sur ce terrain, 
le travail de M. Gohin passe pour définitif; il ne l’est pas. Il fait, 
au contraire, sentir l'opportunité de nouvelles recherches, que je ne 
prétends pas entreprendre ici, mais dont le point de départ demande 
à être mieux précisé. : 

Amené par son sujet à s'occuper de la fortune du Courtisan en 
France, c'est tout naturellement de la traduction due à Jacques Colin, 
et publiée en 1537, que M. Gohin s’est servi; c’est elle qu'il a citée 
constamment dans ses notes; — rien de plus légitime, de plus néces- 
saire même, si À. Héroet n’a connu l’œuvre de Castiglione que dans 
cette traduction et non dans le texte original; sur ce point, d’impor- 
tance secondaire, mais non négligeable, M. Gohin n’apporte d'ailleurs 
aucune conclusion positive. Mais en admettant qu’Héroet ait consulté 
seulement la traduction, le commentateur moderne n'était pas 
dispensé de recourir au texte, dont il existe une édition scolaire, 
. pourvue de notes abondantes et précieuses de M. Vittorio Cian 
(Florence, 1892); M. Gohin eût pu y apprendre beaucoup, notamment 
que la scène du dialogue se place en 1507, et non en 1506 (p. xx), 
que l'Arétin que l'on remarque parmi les interlocuteurs (Bernardo 
Accolti, mort à Rome en 1535) n’a aucun rapport, ni de parenté ni 
de caractère, avec le célèbre Fléau des Princes (ibid.), mort à Venise 
en 1556, que « Messer Alfonso Ariosto » enfin, à qui Castiglione avait 
dédié son livre, n’est pas «l'Arioste» tout court (p. xx1, note 2), 
c’est-à-dire l’auteur du Roland Furieux, — qui s'appelait Lodovico, — 
mais un de ses cousins. 

En tout cas, il est surprenant qu'ayant à parler de Jacques Colin, 
M. Gohin n'ait pas cité, et sans doute pas connu, le travail si exact que 
M. V.-L. Bourrilly a consacré au personnage (Bibl. d'Histoire mo- 
derne, t. I, fasc. IV, 1905); un passage important (ch. II, $ IV) y est 
consacré à la traduction du Courtisan, et les renseignements que 
M. Bourrilly fournit sur le texte de cette traduction — manuscrits et 
éditions — pour être sommaires n’en sont pas moins très précis; là 
encore, M. Gohin eût pu apprendre plus d’un détail utile sur les 
manuscrits français 12249 et 19017 de la Bibliothèque Nationale, sur 
la valeur des diverses réimpressions (celle que « Brunet indique » [p. xx, 
n. 1]), sans lieu ni date, peut être consultée à la Bibliothèque Nationale, 
car il en figure deux exemplaires au Catalogue général des livres 
imprimés, t. 24, col. 938), sur la date de la. mort enfin de Jacques 
Colin, que M. Bourrilly retarde de dix ans, jusqu'à 1547. 


1. On pourrait relever d’autres menues erreurs de faits: par exemple, la traduc- 





BIBLIOGRAPHIE ::1270 


Une erreur plus grave concerne la dédicace du Cortegiano : à celle 
qu'il avait primitivement adressée à Alfonso Ariosto, Castiglione en 
substitua une à « don Michel de Silva, vescovo di Viseo », prélat 
portugais (et non espagnol, p. xx, n. 2); et M. Gohin ajoute (p. xxu, 
fin de la même note) : « Mais ici se pose un petit problème bibliogra- 
phique : comment se fait-il que dans la traduction française publiée 
en 1537 pâr Jehan Longis, chacun des livres de l'ouvrage soit précédé 
de la mention «à messire Alphonse Arioste »? Cette traduction a, 
sans doute, été faite, non sur la première édition italienne, mais sur 
un manuscrit qui portait la trace de la dédicace primitive. » 

S'il avait jeté les yeux sur une édition italienne du Cortegiano, 
M: Gohin n'aurait pas pris la peine de proposer ce petit problème à la 
sagacité des bibliographes : il se fût aperçu que la lettre dédicatoire 
traduite par J. Colin (mais omise par Jehan Longis) est bien la 
seconde, celle que l’auteur avait écrite pour Michel de Silva; mais il 
y est dit (p. 3, 1. 35 du texte V. Cian) que le livre est adressé (et non 
qu'il l'avait été antérieurement) à Alfonso Ariosto, dont le nom, au 
vocatif, est resté à la première ligne du Livre I (Jacques Colin a 
traduit : J'ay doubté longuement en moy mesme, Alphonce tres cher 
amy, quelle chose des deux me fust plus difficile...), et dans le titre 
de chaque livre. 


M. Gohin a eu le mérite d'attirer l'attention sur le manuscrit 
français 2335 : de la Bibliothèque Nationale, contenant une traduction 
de la seconde moitié du livre III du Courtisan, celle justement qui 
traite de la «dame de palais », et d'en publier le préambule, qui est 
curieux (p. xXII-XxIV); nous avons là une preuve nouvelle de la 
diffusion de l’œuvre de Castiglione en France, même par fragments, 
et le choix de ce morceau est caractéristique. Seulement, il est au 
moins risqué de vouloir reconnaître dans cette traduction partielle 
« un fragment de l'ébauche dont Jacques Colin avait confié la revision 
à Mellin de Saint-Gelais ». M. Gohin a-t-il comparé ce fragment à la 
traduction complète du livre III contenue dans le manuscrit français 
19017 qu'il ne cite pas ? C’est à peine s’il l’a rapproché de l'édition de 
J. Longis, car il y renvoie inexactement 2 : une collation plus attentive 
lui eût montré que la similitude des idées s'explique par l'identité 
du texte traduit, mais que les phrases et les expressions sont diffé- 


tion du Courtisan, par G. Chapuis, a paru à Paris en 1585 et en 1592, non en 1588. 
— P. x, la pièce des Dernières poésies, de Marguerite de Navarre (p. 301) doit être 
intitulée: Définition du vray amour (G. Paris, J. des Sav., juin 1896). 

1. Ne pas oublier la mention français ! 

2. Il dit (p. xxiv): Vient ensuite la traduction qui correspond au folio 50 recto 
de l’édition de Jehan Longis (il faut lire 150 recto) et se continue jusqu’à la fin du 
troisième livre (la traduction s’arrête avant la fin du troisième livre, au beau milieu 
d’une phrase, exactement aux lignes 11-12 du chap. 76, dans l’édition V. Cian). 





276 - BULLETIN ITALIEN 


rentes : c'est une autre traduction, distincte aussi de celle de Chapuis ; 
je ne sache pas qu’elle ait encore été examinée de près. 


On voit par ces quelques observations pourquoi la rechérche des 
sources italiennes des Œuvres Poétiques d'Héroet reste à entreprendre, 
même après la publication de M. Gohin; mais son volume est un 
instrument de travail qui peut, qui doit provoquer une enquête plus 
approfondie sur ce point; par là, il 4 rendu à nos études un service 
dont tout italianisant français ne manquera pas de lui savoir gré. 


Her: HAUVETTE,. 


Giordano Bruno, Opere ilaliane. III. Candelaio, commedia, con 
introduzione e note a cura di.Vincenzo Spampanato. Bari, 
Gius. Laterza e figli, 1909; in-8° de Lxrv-243 pages. 


Le Candelaio de Giordano Bruno nous appartient un peu, au moins 
par le côté bibliographique. C'est en effet à Paris que parut pour la 
première fois, en 1582, cette œuvre d’un caractère si particulier. 
Depuis cette date, bien des réimpressions en ont été données, sans 
compter celles de 1583 et de 1632, qui, mentionnées par plusieurs 
bibliographes, paraissent cependant purément imaginaires; mais, 
même après les consciencieux travaux d’Adolf Wagner, d’Imbriani 
(complétés par ceux de Tria) et de Lagarde, on manquait encore d’une 
édition vraiment satisfaisante et critique de la célèbre, mais très 
obscure comédie de Bruno. M. Vincenzo Spampanato, auteur de. 
publications très estimées sur la vie et les œuvres du philosophe de 
Nola, vient de combler heureusement cette lacune. 

Le texte même du Candelaio est précédé d’une ample Introduction, 
où l’auteur, reprenant et complétant sur certains détails quelques-uns 
de ses travaux antérieurs, envisage la comédie successivement aux 
points de vue bibliographique, historique, philologique et littéraire. 
Les nombreuses recherches auxquelles s’est livré M. Spampanato, 
l'ont conduit à d’heureuses trouvailles. Qui est, par exemple, la 
mystérieuse «signora Morgana B.», à qui est adressée l'épître 
dédicatoire du Candelaio? Les critiques ont beaucoup divagué sur ce 
sujet; les uns font de Morgana une anglaise, d’autres une vénitienne, 
d’autres encore une napolitaine ou une toulousaine; M. Spampanato, 
appuyant sa thèse sur des. pièces d'archives inconnues de ses devan- 
ciers, l'identifie presque sûrement avec une cousine de Giordano, 
fille de ce Scipione Savolino, oncle maternel du philosophe, dont il 
est question dans l’une des dernières scènes de l’acte V de la comédie. 
Les principaux rôles et personnages du Candelaio, Bonifacio, 
Manfurio, Bartolomeo, sont analysés ici avec finesse; et l'on trouvera 





BIBLIOGRAPHIE peu Le 


aussi, dans cette Introduction, d'intéressantes remarques sur les 
nombreuses particularités grammaticales que présente cette œuvre 
essentiellement napolitaine, écrite dans une langue manifestement 
archaïque et populaire: 

Le Candelaio, apprécié de manières si diverses par la critique, 
a exercé, en France notamment, une influence indéniable; en 1633, 
un auteur anonyme en donnait une sorte de «rifarcimento », dans une 
comédie intitulée Boniface et le Pédant; et il est généralement admis 
que Cyrano de Bergerac, dans son Pédant joué, — auquel Molière 
a fait les emprunts que l’on sait, — s’est inspiré de la pièce de Bruno. 

Un très abondant commentaire, où quantité de petites énigmes 
trouvent leur solution, accompagne le texte du Candelaio, texte établi 
avec grand soin sur l'édition, malheureusement bien incorrecte, de 
1582. Deux index terminent l'ouvrage: un index historique, dans 
lequel il est piquant de constater que les articles « cortegiane » et 
- «Napoli » comptent parmi les plus importants, et un index philolo- 
gique, où sont relevés tous les mots expliqués dans les notes, 

En somme, cette nouvelle édition fait grand honneur à son auteur. 
J'ajouterai que le volume est d’une exécution matérielle fort soignée ; 


ce qui ne gâte jamais rien. 
L. AUVRAY. 


Miscellanea di Studi in onore di Attilio Hortis : Trieste, maggio 
MCMIX ; — Trieste, G. Caprin, 1910; in-4°, 1,050 pages en 
deux tomes. 


Près de trois cents souscripteurs, amis et admirateurs d’Attilio 
Hortis se sont réunis pour offrir au vaillant défenseur de l’«italia- 
nità » de Trieste, à l'historien de l’humanisme au xiv° et au xv° siècle, 
ces deux gros volumes, renfermant soixante et un mémoires d'une 
haute valeur, imprimés avec la plus grande élégance et précédés d’un 
beau et vivant portrait d'A. Hortis. L'occasion de cette manifestation 
de respect, d’estime et de reconnaissance pour l’illustre Triestin, a été 
le trente-cinquième anniversaire de sa nomination comme directeur 
de la Biblioteca Civica de sa ville natale. Car A. Hortis n’enseigne pas; 
mais la réputation, qu'il a su acquérir par ses publications, le place 
à côté des meilleurs représentants de la philologie italienne; il faut 
lire l'étude de M. Guido Costantini sur L'opera letleraria di Atlilio 
Hortis (p. 37-112), pour se rendre compte de l'énorme labeur fourni 
par ce savant modeste. En dehors des travaux historiques concernant 
la région de Trieste, il a surtout attaché son nom aux ouvrages, 
désormais classiques, qu'il a consacrés à Pétrarque et à Boccace. 
Aussi, parmi les mémoiïres contenus dans cette Miscellanea, nous 
bornerons-nous à signaler ici ceux qui se rapportent à ces deux 





278 BULLETIN ITALIEN 


auteurs et, en général, à la littérature italienne et latine du xrv° et du 
_xy° siècle, laissant de côté ceux qui ont un caractère purement archéo- 
logique, historique, glottologique ou d'intérêt local. 

M. Pio Rajna publie un court fragment, le chap. I, de son édition 
du De vulg. Eloquentia, de Dante, avec traduction et commentaire 
explicatif (p. 113-128). Cette édition commentée, annoncée dès 
l'apparition de l'édition critique en 1896, et toujours attendue, n’a 
pas été perdue de vue par M. Rajna, qui ne se résoudra sans doute 
pas à la publier avant d’avoir élucidé, à son entière satisfaction, les 
mille problèmes que soulève chaque mot de ce texte épineux; remer- 
cions-le doublement de nous en donner au moins un avant-goût, 
pour tout ce que renferme déjà ce fragment de commentaire, et pour la 
promesse implicite qu’il nous plaît d'y trouver; c'est comme une arrhe 
qui nous fait espérer moins lointaine l’apparition du travail complet. 

M. Guido Biagi revient (p 221-225) sur l’«Edizione borghiniana 
del Novellino » pour confirmer certaines conclusions de ses études 
anciennes, et désormais classiques, sur ce précieux recueil de contes, 
et sur les remaniements arbitraires qu'y introduisit Borghini dans 
son édition de 1572. 

I. Del Lungo, Un creato di papa Paolo II (p. 225-228); le cardinal 
de Pavie, de la famille Ammannati, mort en 1479. 

Corrado Ricci, 1 Boccacci e il Boccaccio a Ravenna (p. 251-258), 
notes documentaires importantes, d'abord sur l'existence à Ravenne 
d’une famille Boccacci, du xn° au xrv° siècle, puis sur la chronologie 
des voyages certains, probables ou possibles de Boccace à Ravenne. 

Vittorio Rossi, La prima slesura d’una « Senile » del Petrarca 
(p. 259-273). Il s’agit de la lettre VI du sixième livre des Seniles, dont 
V. Rossi publie la rédaction primitive d’après un manuscrit de la 
Marciana, Lat. XIII, 70, précédée d’éclaircissements abondants sur 
son contenu. 

Lod. Frati, Una miscellanea umanistica della R. Biblioteca Universi- 
taria di Bologna (p. 321-330); analyse du Zibaldone portant le n° 182, 
rédigé entre 1438 et 1466 environ. 

Berthold Wiese, Zu einer kritischen Ausgabe des «Ninfale Fieso- 
lano» Boccaccios (p. 347-362). Après avoir exposé les principes sur 
lesquels doit reposer l'édition critique du poème, M. B. Wiese en 
publie dix octaves (III, 34-43) avec tout l’« apparatus criticus ». 

M. Zingarelli, La processione nell Eden dantesco (p. 363-369). 
Important article sur les rapports de cet épisode avec la littérature et 
surtout avec l’art (motif de la procession historique) du Moyen-Age. 

F. d’Ovidio, Sui versi 118 e 148 del Contrasto di Cielo Dalcamo 
‘(p. 453-458). 

Ant. Medin, /! testamento e l’inventario d’un umanista veronese del 
secolo XV (p. 459-473); il s'agit d’Antonio Beccaria. 








BIBLIOGRAPHIE 279 


Nino Tamassia, Fr. Petrarca e gli Statuti padovani (p. 475-479). 
Commente un curieux texte de Pétrarque, sur les usages funéraires, | 
à l’aide des Statuts de Padoue. 

Ida Luisi et A. G. Spinelli, Modena e il Petrarca (p. 481-500), avec 
une bibliographie. 

Remigio Sabbadini, La gita di Fr. Barbaro a Firenze nel 1415 
(p. 615-627), avec sept textes, pour la plupart lettres écrites par 
F. Barbaro, ou à lui adressées. 

Bartolomeo Mitrovich, /! patriottismo del Petrarca (p. 629-663). 
Analyse méritoire d'un problème déjà souvent discuté, et l’on peut 
dire résolu ; l'analyse tourne ici à l'apologie. 

Albano Sorbelli, Un nuovo codice della « Vita C. Caesaris» di Fr. 
Petrarca (p. 677-682); le manuscrit est entré récemment à la biblio- 
thèque de l’Archiginnasio de Bologne (A. 1841). 

G. Bertoni, Sulla composizione del codice estense 232 delle egloghe 
del Petrarca e sull' autenticità dei cosi detti argomenti (p. 719-725); 
conclut en faveur de l'authenticité. 

Carlo Gratzer, Cola di Rienzo (p. 327-751). Résumé de la carrière 
du tribun, sans aucun élément de nouveauté. 

C. De Franceschi, Il Quarnaro e il confine orientale dell Italia nel 
Poema di Dante (p. 773-782). A retenir pour le commentaire de 
Inf. IX, 113-114. 

Andrea Moschetti, Antonio Manetti e à suoi scritti intorno a Filippo 
Brunelleschi (p. 807-829); intéresse entre autres la célèbre nouvelle 
du Grasso legnaiuolo, dont l’auteur est bien A. Manetti, 

Parmi les nombreux mémoires, que nous passons à regret sous 
silence, signalons pourtant celui de M. E. Maddalena sur le Menteur, 
de Goldoni (p. 545-548), et deux morceaux consacrés à Manzoni : 
M. Oscar Hecker, un fervent de Boccace, qui dédia, en 1902, ses 
Boccaccio-Funde à Attilio Hortis, a eu cette fois la coquetterie de lui 
adresser une belle traduction de l’ode de Manzoni, Marzo 1821, en 
vers allemands de même mesure (p. 1-5); M. Manfredi Porena offre 
au savant Triestin un commentaire fort attachant de la Parteneide du 
célèbre Milanais (p. 159-177). EH. 


Guido Manacorda, Germania Filologica; guida bibliografica per 
gli studiosi e per gl’ insegnanti di lingua e letteratura 
tedesca, con circa 20,000 indicazioni. — Crémone, Stab. 
d’Arti grafiche P. Fezzi, 1910; 1 vol. gr. in-8° 1x-280 pages 
(10 francs). 


On n'attend pas de nous, à cette place, un compte rendu détaillé 
de ce répertoire bibliographique intéressant la langue et la littérature 


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280 BULLETIN ITALIEN 


allemandes; la compétence nous ferait entièrement défaut pour une 
pareille tâche. Mais puisqu’un répertoire de ce genre, appliqué à 
l'Allemagne, est une chose toute nouvelle en Italie, et même en 
France, nous ne croyons pas inutile de le mentionner ici, à l'intention 
de tous ceux qui sont amenés, par les études de littérature comparée, 
à s'occuper incidemment de littérature allemande. Le livre de 
M. Guido Manacorda leur rendra des services signalés, car il est 
clairement composé, facile à consulter et conçu par un jeune historien 
de la littérature qui est doublé d’un bibliographe passionné : c’est lui 
qui dirige les Studi di Filologia moderna, publiés à Catane depuis le 
commencement de 1908, et l’on sait de reste quelle importance cette 
publication a prise immédiatement. 

La Germania Filologica se divise en trois grandes parties — généra- 
lités, linguistique, littérature — et est complétée par un dictionnaire 
bibliographique, où les noms d’auteurs et les titres d'œuvres anonymes 
sont classés par ordre alphabétique. Avec la liste des monographies 
(par genres et par périodes), qui termine la troisième partie, ce 
dictionnaire est, au point de vue très spécial qui nous intéresse ici, 
ce qui est appelé à rendre le plus de services. Pour chaque auteur, 
M. Manacorda donne, outre les dates extrêmes de sa vie, l'indication 
des meilleures éditions de ses œuvres et celle des études les plus 
considérables qui y sont consacrées ; il ne se pique pas, naturellement, 
de tout enregistrer, mais il veut signaler l'essentiel; et l'impression 
qui se dégage de l’examen attentif d’un bon nombre d'articles est 
qu'il s’est tenu dans une très juste mesure. 

Cependant, puisque l’auteur, très modestement, sollicite des avis 
grâce auxquels il pourra combler certaines lacunes dans les éditions 
futures de son livre, auquel nous en souhaitons beaucoup, nous ne 
croyons pas pouvoir lui cacher qu'il nous semble avoir cité trop peu 
de livres français consacrés à la littérature allemande. Quelques-uns 
de ceux dont l'absence nous a frappés lui ont peut-être paru peu 
dignes d’être signalés, mais nous ne pouvons croire que tous aient 
été l’objet d’une condamnation aussi sévère; cette rigueur serait 
d'autant plus à regretter que, s'adressant à un public qui n'est pas 
celui des spécialistes, l’auteur devait leur indiquer les ouvrages utiles 
composés en italien ou en français — et chacun peut s'assurer qu'il 
l’a fait à l’occasion. 

Nous nous attendions donc à trouver, parmi les manuels de littéra- 
ture allemande (pp. 168-169), celui de M. A. Bossert (Paris, Hachette, 
1901), sinon celui, beaucoup plus court, de M. A. Chuquet (Paris, 
Colin, 1909). C’est surtout de nos thèses de doctorat que M. Mana- 
corda, travaillant en Italie et en Allemagne, paraît avoir la connais- 
sance la plus imparfaite, car s’il en cite quelques-unes, même très 
récentes, il en omet beaucoup d’autres qui n’ont pas une moindre 








BIBLIOGRAPHIE 281 


valeur; j'ai noté au hasard de mes souvenirs, sans aucune prétention 
à être complet, celles de MM. Firmery, sur J.-P. Richter (1886); 
F. Baldensperger, sur Gottfried Keller (1899); L. Reynaud, sur Lenau 
(1905); Rouge, sur F. Schlegel (1904); Dalmeïda, sur Gæthe et le 
drame antique (1908); Cramaussel, sur Schleiermacher (1908); signa- 
lons encore, en dehors des thèses, l'étude de M. P. Besson, sur Platen 
(1894), et, du même, une précieuse contribution de littérature 
comparée sur Schiller et la littérature française (Annales de l'Université 
de Grenoble, 1906). Sans aucun doute, M. Manacorda a rencontré ces 
noms et ces titres dans ses dépouillements; mais on voit mal pour 
quels motifs il les a exclus, avec beaucoup d’autres, d’un répertoire 
qu'il ne destine certainement pas à des Allemands, et que, sans aucun 
doute, il a conçu avec un critérium différent de celui qu'on pourrait 
attendre d’un Allemand. 
Hexr: HAUVETTE. 





CHRONIQUE 


La maison Laterza, de Bari, nous communique le programme 
d'une collection d’auteurs italiens, dont les premiers volumes doivent 
paraître en 1910, sous le titre général de Scrittori d'Italia. Le plan est 
d'une ampleur qui dépasse tout ce que les publications de la librairie 
italienne nous ont fait connaître jusqu’à ce jour, puisque le pro- 
gramme actuellement arrêté ne prévoit pas moins de 600 volumes, et 
que l’on n’écarte pas l’idée d'une nouvelle série, dont on ne s’occupera 
pourtant pas avant que la première soit entièrement exécutée. Pour 
entreprendre la réalisation d'aussi vastes projets, il faut être jeune; 
aussi l'éditeur et celui qui semble avoir été le principal inspirateur de 
la collection, M. Benedetto Croce, ont-ils confié la direction des 
Scrittori d'Italia à M. Achille Pellizzari, qui, aux mérites de la jeunesse 
et de l’activité, unit une compétence dont la solidité et l'étendue sont 
attestées par des travaux déjà nombreux. 

Le choix des textes a été dicté par des considérations d'ordre litté- 
raire, historique et philosophique; c’est la «littérature italienne » qu'il 
s'agit de mettre à la portée du lecteur moderne, sous tous ces aspects; 
nous ne verrons donc paraître ici ni des curiosités bibliographiques 
ni des collections de documents, mais toutes les œuvres repré- 
sentatives, du xm° au x1x° siècle; en règle générale, ces œuvres seront 
publiées intégralement ; pour certains auteurs de second ou de troi- 
sième ordre seulement, on s’en tiendra à des anthologies et à des pages 
choisies. Les textes ne seront accompagnés d’aucune note, mais un 
appendice rendra compte de la méthode suivie dans l'établissement 
du texte, donnera un aperçu bibliographique, des index, et quand il 
le faudra, des glossaires. Le prix du volume de 4oo pages in-8°, en 
moyenne, doit être de 5 fr. 50 en Italie, 6 francs à l'étranger; un très 
heureux système d'abonnement à dix volumes (au choix) assurera un 
assez sérieux rabais (40 francs en Italie, 45 francs à l'étranger). Les 
Scritlori d'Italia ne formeront donc pas une collection « économique » 
et populaire; mais, conçue suivant des principes rigoureusement 
scientifiques, elle sera cependant accessible à un large public. 

Les premiers volumes doivent paraître en septembre; nous les 
attendons avec impatience. — H. H. 


Nous recevons le fascicule 3-4 de la seconde année des Studi di 
Filologia moderna qui contient, comme articles de fond, une étude de 








CHRONIQUE 283 


M. A. Galletti, Critica letteraria e critica scientifica in Francia nel 
secolo XIX; une de M. E. Mele, Per la fortuna del Cervantes in Italia 
nel Seicento, et un mémoire de M. Guido Manacorda sur « Le Grazie » 
di C. M. Wieland. Parmi les communications, retenons celle de 
M. Achille Pellizzari, 1 manoscritti portoghesi della R. Biblioteca 
Nazionale di Napoli, et une note de grammaire historique sur l'emploi 
de la forme «je vas ». — M. A. Galletti rend compte du Dante e la 
Francia de A. Farinelli, et M. Franc. G. Ippolito de A. Fusco, La 
filosofia dell arte in G. Flaubert (1907). La Chronique et le dépouille- 
ment des revues italiennes, françaises, espagnoles, portugaises, alle- 
mandes, anglaises, américaines, danoises, norvégiennes, hollandaises, 
finlandaises et hongroises, toujours fait avec le plus grand soin, est 
appelé à placer cette publication au premier rang des instruments de 
travail destinés à ceux qui s’occupent de littérature comparée, — H. H. 


-— Parmi les différentes reproductions de manuscrits publiées, dans 
ces dernières années, par les soins de M. H. Omont, chez MM. Ber- 
thaud frères, il en est une au moins qui mérite d’être signalée ici, 
comme intéressant plus particulièrement nos études. Je veux parler 
d’un récent album offrant le fac-similé réduit des miniatures d'un pré- 
cieux traité d'escrime, qui, conservé jusqu’en 1729 dans le cabinet du 
roi, à Versailles, fait aujourd'hui partie du fonds des manuscrits 
italiens de la Bibliothèque Nationale (ms. n° 959). Ce traité, œuvre 
d'un maître d'armes milanais, dont on ne sait, d’ailleurs, à peu près 
rien que le nom, Giovanni Antonio Lovino, fut présenté de la part de 
l’auteur au roi Henri III. Le manuscrit, élégamment calligraphié, est 
orné de soixante-six peintures très finement exécutées, représentant 
autant de scènes d'escrime. Nous y voyons les adversaires combattre 
tour à tour avec l'épée seule, avec l’épée et le poignard, avec deux 
épées, avec le lourd « spadone » à deux mains, etc. 

Tous sont vêtus à la mode du temps. La reproduction ne saurait 
donner la moindre idée de la richesse et de la fraîcheur de coloris des 
costumes; du moins, elle permettra d'apprécier le talent, comme 
dessinateur, de l'artiste inconnu qui a si fièrement campé ces nom- 
breux escrimeurs, aux attitudes les plus variées. 

Des manuscrits italiens à peintures de nos collections, il en était 
peu de plus dignes d’une publication de ce genre. L. A. 


- Signalons ici la publication d'un ouvrage de grand luxe, qui 
intéresse d’une façon toute particulière les candidats de 1910 au 
concours de l’agrégation d’italien; le volume n’est malheureusement 
pas de ceux qu'ils pourront se procurer, mais ils trouveront à le con- 
sulter dans les principales bibliothèques. Il s’agit des Commedie di 
Carlo Goldoni, edizione Rasi; le volume que nous avons sous les 
yeux porte le litre particulier de : Le Commedie della villeggiatura 





284 BULLETIN ITALIEN 


(Florence, xxxin1-358 pages, 1909; nombreuses illustrations, pleines de 
goût et très réussies). 

Ce bel in-quarto contient le texte des quatre comédies de Goldoni 
relatives à la mode ruineuse des villégiatures parmi les Vénitiens du 
xvin° siècle : d’abord La villeggiatura, puis la célèbre trilogie : Le 
smanie della villeggiatura, Le avventure della vill. et Il ritorno dalla 
vill.. En guise d'introduction figurent les cinq sonnets de G. Carducci 
sur Goldoni, puis une préface générale de F. Flamini, une étude de 
P. Molmenti sur La villeggiatura dei Veneziani al tempo del Goldoni, 
enfin, une préface particulière de G. Targioni-Tozzetti: Prefazione 
alle Commedie su la villeggiatura. — H. H, 


- Nous ne devons pas laisser passer au moins sans un mot de 
remerciement et d'éloge le livre de M. Albert Dauzat, l'Italie nouvelle 
(Paris, 1909), qui est un témoignage éloquent de l'intérêt, de la 
passion même, du sérieux et de l'admiration avec lesquels l’auteur 
a observé sur place, à l’aide d’une documentation très solide, la vie 
intellectuelle, sociale, politique, industrielle de la jeune nation ita- 
lienne. Nos amis d’outre-monts lui en expriment une vive reconnais- 
sance, non pas certes que de pareils témoignages de bienveillance 
leur viennent rarement de chez nous; mais trop souvent — et nous 
l'avons signalé ici même à plusieurs reprises — il arrive que la bonne 
volonté des Français ne soit pas accompagnée d’une égale compétence. 
Que l'exemple de M. Dauzat fasse école, et l'opinion italienne devra 
renoncer à sa méfiance à l'endroit des livres de voyageurs français, 
toujours un peu suspects de légèreté. Dans le Giornale d'Italia du 
10 janvier dernier, M. Guido Mazzoni rend à M. A. Dauzat un hom- 
mage mérité, sous ce titre significatif : l’/talia in bello; l’auteur : 
a représenté l'Italie en beau — ét l’on a tout de suite envie de se 
demander si cela n’est pas la chose la plus naturelle du monde! Maïs 
puisque les trésors artistiques de l'Italie ancienne, et ses paysages, ses 
ruines, ses édifices sacrés ou profanes, ses musées, font trop souvent 
ignorer ou dédaigner la forte organisation économique et morale de la 
nation reconstituée depuis un peu plus d’un demi-siècle, il est bon de 
dire bien haut que sous cet aspect aussi elle est belle, et que son 
avenir est plein de promesses. Pour cette louable entreprise, si dili- 
gemment réalisée, on excusera sans peine chez M. Dauzat quelques 
légères inexactitudes, des confusions, des erreurs de détail, à peu près 
inévitables dans un travail aussi général. — H. H. 


9 juillet 1910. 





Le Secrétaire de la Rédaction,- EuGène BOUVY. 
Le Directeur-Gérant, GEorGEs RADET. 





Bordeaux. — Impr. G. GounouiLaou, rue Guiraude, 9-14, 





Vol. X. Octobre-Décembre 1910. N° 4. 





L'ART DE LA COMPOSITION DANS LA « DIVINE COMÉDIE » 


Le temps est loin où l’on croyait en France qu'à part quel- 
ques pages sublimes la Divine Comédie n'offre que galimatias ; 
mais aujourd'hui encore le grand public chez nous incline 
à croire qu’elle vaut par un nombre considérable sans 
doute de morceaux, mais enfin par des morceaux détachés 
et que l’ensemble ne gagne pas à être vu de près. En Italie, 
on est naturellement mieux informé; on étudie, on admire 
l'ensemble, mais surtout pour y chercher des sens cachés, 
des allégories secrètes; par exemple : de quelle vertu, de 
quel dogme Dante a-til voulu faire la clef mystérieuse de 
son œuvre? Tout récemment un critique a soutenu qu'il avait 
écrit son poème pour y incarner l’unité et la dualité de Jésus- 
Christ, l’unité et la trinité de Dieu. Je ne prétendrai pas que 
les Italiens fassent là fausse route; il y a en effet du mystère 
au fond de la Divine Comédie; mais je crois que les Italiens 
raffinent et qu'en tout cas ce n’est jamais par là que l’œuvre 
de Dante intéressera les Français. Je voudrais ici traiter un 
point aussi simple, aussi peu abstrus que possible, et montrer 
que la Divine Comédie n’est pas simplement une œuvre de 
foi, de science, de passion, mais une œuvre d'art, en d’autres 
termes, qu’elle est admirablement composée. 

Remarquons d’abord que l’art y était absolument nécessaire. 
Sans doute le poète disposait d’une matière inépuisablement 
riche puisqu'elle embrasse les plus vastes, les plus nobles 
questions sur lesquelles l’homme ait jamais médité : philoso- 
phie, théologie, physique, politique, l'histoire tout entière, 
ses grands hommes avec le droit de les interroger et de les 
juger de haut. Mais à quelle condition pouvait-on faire de tout 


1. Cet article reproduit, quant au fond, une conférence faite à la Sorbonne le 
18 décembre 1909, pour la 17° année des travaux de la Société d'Études italiennes. 


A FB., IVe Série. — Bull. ital., X, 1910, 4. 19 


286 BULLETIN ITALIEN 


cela un poème? Suffisait-il d’avoir assez de génie pour passion- 
ner la science et effacer de l’œuvre tout caractère didactique? 
Non, car on ne fait pas un poème épique avec des discours, 
des entretiens et des méditations. Voyez le Paradis perdu : 
jamais poète n’a été plus convaincu, plus éloquent que Milton; 
pourtant son poème n’a jamais été le livre de chevet de sa 
nation comme la Divine Comédie l'a été pour l'Italie, sauf, 
bien entendu, aux époques de décadence. C'est qu'il y a dans 
le Paradis perdu beaucoup trop de discours et de conversations: 
Encore le sujet de Milton lui fournissait-il une action, un 
drame : Dieu crée le monde, l’homme, se propose le bonheur 
de ses créatures; ses desseins sont traversés par les démons 
qui entraînent l’homme dans leur désobéissance ; Dieu impose 
à l'homme une expiation et lui promet un rachat loïntain. 
Au contraire, le sujet de Dante ne lui offrait aucun drame 
puisqu'il consistait en une simple visite à l’autre monde. Dès 
lors, s’il n’y prenait pas garde, son poème allait se composer 
d'épisodes; on y entendrait cent, deux cents colloques (pour- 
quoi pas trois cents?) avec autant d'interlocuteurs qui n’appa- 
raîtraient que pour disparaître ; ce serait une immense pièce à 
tiroirs, où seul le caprice du poète eût assigné une limite au 
défilé des personnages. 

— Mais, dira-t-on, en face de toutes ces figures qui passent, 
il yen a une qui demeure, celle de Dante qui voit passer les 
autres; voilà un personnage tout trouvé pour donner de 
l'unité au poème; pour ne pas s’en aviser, il aurait fallu le 
faire exprès. — Soit! Mais un spectateur ne donne pas de 
l’unité à un spectacle par le seul fait qu'il le regarde, pas plus 
qu'un lecteur n’en donne à un livre décousu. Il faut que le 
personnage principal soit un centre et non pas seulement un 
miroir ou un phonographe; il faut qu'il nous intéresse par 
lui-même. Or, quand l’action se passe sur la terre, il n’est pas 
très difficile de nous intéresser au personnage principal, parce 
qu’on est libre de le faire agir brillamment; dans la plupart 
des épopées, on le fait monter à cheval, on lui donne des 
armes solides, des muscles d'acier, un cœur de lion, et tout 
s'ensuit. Mais que peut faire Dante en face de Satan ou de 





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L'ART DE LA COMPOSITION DANS LA ( DIVINE COMÉDIE » 287 


Dieu? Il ne peut étaler sa personne sans se donner l'air d’un 
comparse qui dans le drame ne voit que le bout de rôle qu’on 
a bien voulu lui confier; il sera forcément, semble-t-il, le 
compère d’une interminable Revue, honnête confident chargé 
de poser des questions, d'enregistrer des réponses. 

Or, voici ce que Dante a imaginé. 

D'abord il nous a touchés par les épreuves qu'il a imposées 
à ce voyageur qui est lui-même. Il n’est pas, dans l’autre 
monde, à la façon d'Ulysse dans l'Odyssée, d'Énée dans Virgile, 
un promeneur qui cause, mais un explorateur qui passe par 
de terribles émotions, qui descend des pentes vertigineuses, 
gravit des rochers à pic, s'entend adresser d’effroyables 
menaces, qui est obligé parfois de se mettre entre les mains 
de monstres sans l’aide desquels il ne saurait poursuivre sa 
route, qui traverse un fleuve de feu. Ses souffrances sont, au 
total, moins terribles, moins continues que celles des damnés 
et même des âmes du purgatoire; et il convenait qu’il en fût 
ainsi; mais chacun des autres gémit un instant et s’éclipse, 
tandis que chaque épreuve de Dante nous rappelle les précé- 
dents assauts qu’il a subis. Il n’est donc pas seulement dans 
son poème celui que nous voyons toujours, ce qui serait trop 
peu, il est celui que nous plaignons le plus souvent. Comme 
nous comprenons, en outre, que ces angoisses lui sont infligées 
pour son bien, elles se rattachent par là à l’idée générale du 
poème et en accroissent l'efficacité. | 

On voit déjà cet art de faire beaucoup pour le personnage 
principal sans faire plus qu’il ne faut. Voici une autre inven- 
tion de Dante qui nous montrera combien il était pénétré de 
la difficulté de son sujet et comment il y a paré. IL va retourner 
à son profit cette difficulté même, comme font les grands 
physiciens quands ils se heurtent à une force de la nature, et 
en a tiré une beauté nouvelle. Il lui faut intéresser à son per- 
sonnage principal sans trop le mettre en évidence? Le moyen 
est trouvé : ce sera de distribuer avec une sage économie, une 
judicieuse lenteur, la révélation de son caractère, si bien que 
durant tout le cours du poème, au moins pendant les deux 
premiers tiers, à des moments très espacés, nous apprendrons 





288 BULLETIN ITALIEN 


quelque chose de nouveau sur lui. Et, soit dit en passant, si son 
Paradis plaît moins généralement que son Enfer et son Purga- 
toire, ce n'est pas seulement parce qu'il est parfois un peu 
aride, car Dante y a semé à pleines mains le pittoresque et le 
sentiment, c’est parce qu’à partir de ce point, il n’a plus rien 
à nous laisser découvrir en lui. Jusque-là l'intérêt se renou- 
velle sans cesse, et le héros va nous attachant toujours davan- 
tage, non par ses actions puisqu'il n’en peut accomplir, mais 
par les manifestations progressives de son âme. Un homme 
qui n’avait pas peur des réformes, M. Paul Janet, a dit quelque 
part, en substance : « Les anciens programmes scolaires 
avaient l'avantage de ménager au collégien pour chaque 
année une tâche nouvelle, d’abord le latin, puis le grec, puis 
les vers latins, puis les langues vivantes et les sciences, 
ensuite les narrations, les discours, les dissertations; aujour- 
d’'hui une partie de ces exercices ont été supprimés; on aborde . 
les autres presque tous à la fois, si bien qu'avec un peu de 
mauvaise foi un élève de Première peut prétendre qu'il fait la 
même chose depuis cinq à six ans. » Dante, par un procédé 
tout différent, n’a fini de nous livrer les secrets de son cœur 
qu'après les deux premiers tiers de son poème. 

A la vérité, la nature lui avait, en un certain sens, facilité le 
moyen de soutenir son œuvre par la peinture de son caractère, 
puisqu'elle lui avait donné une âme d’une richesse extraordi- 
naire. Mais combien, précisément pour ce motif, l’art n’était-il 
pas nécessaire, du moment où il en fallait mesurer l'expansion ! 
Quelle force de volonté, quel amour intelligent pour la beauté 
de l’œuvre y étaient nécessaires! Car cette âme riche est impé- 
tueuse par elle-même, par la rudesse de l’époque, par les 
circonstances où se trouve le poète. Dante n’était pas un simple 
particulier qui a ses opinions, ses antipathies, mais que ses 
occupations quotidiennes en distraient à chaque minute; c'était 
un militant, et nous savons combien les hommes politiques, 
quand ils visent à autre chose qu’à s'assurer la continuation 
des jouissances où ils se reposent, sont obsédés par ce qu'ils 
appellent la folie ou la scélératesse de leurs adversaires; c'était 
un vaincu, et un vaincu qui ne se rendait pas; on l'avait chassé 











L'ART DE LA COMPOSITION DANS LA ( DIVINE COMÉDIE » 289 


de Florence, on avait confisqué ses biens, tâché de l’atteindre 
dans son honneur en le condamnant comme concussionnaire; 
il essayait de rentrer à main armée dans sa patrie, excitait 
l'empereur d'Allemagne contre elle; il vivait errant, pauvre, 
gravissant l'escalier de l’étranger, mangeant son pain; jusqu’à 
la consolation de communier avec ses frères d’exil lui échappait; 
il allait, par dégoût, former bientôt son parti à lui tout seul. 
Combien donc ne devait-il pas être tenté de chercher à chaque 
instant dans son poème une satisfaction pour tous ses griefs, 
de laisser éclater à chaque pas tous ses ressentiments; comme 
Agrippa d’Aubigné, dans ses Tragiques, où nous admirons 
une foule de beaux vers, où nous partageons même les colères 
de l’auteur, mais qui lassent pourtant! Car c'est un volcan 
dont l’éruption recommence à chaque minute et qui vomit 
toujours les mêmes laves. 

Loin de là, Dante a soumis ses ressentiments à une discipline 
extraordinaire. Il eût été bien naturel, il eût semblé adroit à 
un maladroit, de commencer le poème par quelques réflexions 
mélancoliques sur l’homme qui allait s’aventurer dans les 
enfers, ne füt-ce que pour nous donner l'envie de l'y suivre; 
Dante nous aurait peint ses malheurs et donné son voyage 
comme une compensation offerte par Dieu; s’il n'avait pas 
voulu se présenter lui-même, il était aisé de faire parler 
Béatrix ou Virgile. Non. Lorsque Dante s'engage dans sa 
terrible expédition, tout ce que nous savons de lui, c’est qu’il 
est égaré et que trois bêtes furieuses le menacent; longtemps 
encore nous ne saurons pas un mot de plus sur son histoire. 
Dante a pris hardiment le contre-pied de la tradition, qui 
veut qu'au début d’une épopée on entr'ouvre aux yeux du 
lecteur l’âme de son héros et l’avenir qu’elle lui prépare. 

Mais alors que nous importera, au moins provisoirement, 
cet inconnu, ce voyageur qui n’a pour lui que son danger? 
Dante y a pourvu. D'abord, cet inconnu n'en est pas un en 
haut lieu. Son péril a troublé dans leur quiétude de grandes 
saintes dont une est descendue jusqu'aux portes de l'enfer 
pour lui trouver un guide dans la personne du grand Virgile, 
et quand il pénétrera dans les limbes, il sera admis, lui 


290 BULLETIN ITALIEN 


sixième, dans le chœur des maîtres poètes de l'antiquité. Déci- 
dément cet innominalo ne doit pas être le premier venu. 
Ensuite, avant même qu'il se dévoile, il nous frappe par la 
véhémence de sa sensibilité. C’est comme un personnage vu 
de dos qui impose par la noblesse de sa démarche; nous 
désirons qu'il se retourne, mais nous attendons. 

Voyons donc la judicieuse lenteur avec laquelle va procéder 
Dante, sûr que nous lui ferons crédit. | 

Un des sentiments qui agitent le plus violemment son cœur 
est sa colère contre sa Florence qu’il adore, maïs qui le per- 
sécute et se perd. Nous trouvons une première attaque contre 
elle au VI° chant de l'Enfer; mais ce sont en tout trois vers 
placés dans la bouche d’un damné sans grandeur, d’un glouton 
florentin que ses concitoyens avaient surnommé Pourceau; 
cette première invective part donc d’assez bas. La deuxième 
apostrophe ne viendra qu’au XV° chant de l'Enfer; elle sera pro- 
férée encore par un damné qui expie un horrible vice, mais qui 
du moins, à d’autres égards, mérite la considération, Brunetto 
Latini, l’auteur du fameux Trésor, le conseiller des débuts 
littéraires de Dante, le premier qui devina son génie. Quant à 
Dante, il n’éclatera qu’au début du XX VI° chant de l'Enfer. Le 
passage est fort curieux parce qu'il marque la fougue avec 
laquelle les sentiments se succèdent chez lui et qui rend méri- 
toire l’énergie avec laquelle il la gouverne. Après avoir félicité 
sa ville des voleurs qu'elle compte dans l'enfer’, il passe 
immédiatement à la menace, lui annonce un châtiment pro- 
chain, le hâte de ses vœux parce que ce coup l’atteindra 
d’abord tout le premier et que, si on le laisse vieillir, il n’au- 
rait pas la force d’y survivre. Ainsi l’amertume, la haine et 
une tendresse d'autant plus touchante qu'elle éclate dans une 
malédiction se succédent en onze vers. Plus tard, pour gour- 
mander ses concitoyens avec plus d'autorité, il prêtera sa 
colère d’abord à une âme du purgatoire, Forese Donati, 
c'est-à-dire à un homme qui a déjà la promesse du salut, 
plus tard encore à un saint, à un martyr, son aïeul Cacciaguida, 


1. L'ironie chez Dante est un peu lourde; les cours où il a vécu n'étaient pas 
assez exigeantes en matière de politesse pour obliger et enseigner à aiguiser le trait, 








L'ART DE LA COMPOSITION DANS LA ( DIVINE COMÉDIE 291 


au XV° chant du Paradis; et, quand il sera bien établi par 
ces témoins accrédités que le bras de Dieu est levé sur 
Florence, Dante, au XXV° chant du Paradis, fera entendre 
qu'elle peut venir à résipiscence et offrir de nouveau asile 
à l'innocence et au bonheur : la suprême récompense qu'il 
souhaitera pour son poème serait que Florence, lui rouvrant 
ses portes, le couronnât de laurier près des fonts où il a reçu 
le baptême. 

Ce qu'il pense d'elle, il le pense de l'Italie entière; mais 
nous n’entendrons longtemps que des malédictions isolées 
contre telle ou telle ville, Pistoja, Pise, Gênes; à travers 
l'Enfer, quand il rencontre des scélérats qui les déshono- 
rent, il souhaite leur extermination; car il connaît peu les 
demi-mesures; mais c'est seulement au VI° chant du Purga- 
toire qu'il s’en prendra à la péninsule tout entière, dans 
le célèbre passage où Sordello et Virgile tombent dans les bras 
l’un de l’autre parce qu'ils sont tous deux fils de Mantoue; 
Dante flétrit les haines fratricides qui de son temps ensan- 
glantent les cités; il qualifie l'Italie de lupanar, de cavale 
vicieuse que l’empereur devrait enfourcher et châtier. 

Même sagesse dans la conduite de sa colère contre les 
désordres de l'Église. Dante, pieux chrétien, parfaitement 
orthodoxe, tout particulièrement attaché à ceux des dogmes 
que les novateurs rejetteront tout d’abord, nourrit un égal 
respect pour la hiérarchie ecclésiastique; on sait combien le 
révoltera l'attentat commis par Philippe le Bel sur Boni- 
face VIII. D'autre part, Dante constate que quelques-uns des 
chefs de l'Église trahissent ou vendent Jésus-Christ. Il place 
donc des ecclésiastiques, des papes même dans l'enfer, 
hardiesse qui n'avait alors rien que de très ordinaire; mais 
ce qui lui est propre, ce n’est pas seulement l'originalité 
terrible du châtiment qu'il applique aux pontifes simoniaques, 
c’est la gradation entre la simple mention du pape Anastase II 
que la légende implique dans le schisme de Photius(X[° chant 
de l'Enfer), l’allusion au goût des clercs pour certaines per- 
versités (XV° ch., v. 126, ibid.) et le tableau saisissant des 
simoniaques plongés la tête en bas dans des puits dont leurs 








292 BULLETIN ITALIEN 


jambes seulement dépassent les bords et où ils disparaissent 
lorsqu'un nouveau damné, tombant sur eux, les y enfonce ; 
un d'eux, interrogé par Dante, n’est autre qu’un pape, 
Nicolas IIT, lequel prend la voix de Dante pour celle du 
pape alors régnant, Boniface VIII qu'un même trafic réserve 
au même supplice. Alors seulement, au XIX° chant de l'Enfer, 
le poète tonnera contre les commerces sacrilèges introduits 
dans une Église qui a conquis le monde par le renoncement. 

Dante avait trouvé moyen, je ne sais comment, de faire une 
place dans sa vie à tous les arts libéraux; sa tâche civique 
remplie, quand il n’écrivait pas de vers, il dessinait ou écoutait 
de la musique. Il a voulu retrouver quelques-unes de ces jouis- 
sances au cours de son voyage imaginaire. Mais comme il a 
su attendre! Comme il a résisté, jusqu’à l’heure convenable, 
aux tentations les plus naturelles ! Quand Virgile s'offre à lui, 
il le salue par les mots : «Tu es mon chef et mon guide; je te 
dois le beau style qui m'a fait honneur. » Ici, on le voit, 
Dante est sur le point de trahir son incognito; mais Virgile 
ne relève pas le mot, n’adresse aucun compliment à Dante 
sur ses compositions antérieures, et ce n’est pas seulement 
pour différer les hommages que Dante mérite; car Virgile, 
dans les entretiens qu'il a chemin faisant avec lui, pourrait 
causer de littérature sans y mêler la personne de son disciple; 
il ne le fait pas; ce ne serait point une assez grave préparation 
à l'entrée dans les enfers. Voilà pourquoi Dante ne répète rien 
des propos qu’il a tenus dans les limbes avec les poètes 
antiques. Il ne se permettra des entretiens profanes que dans 
le purgatoire, entre les horreurs de l'enfer et les extases du 
paradis; dans le purgatoire, en effet, les âmes goûtent déjà 
une demi-quiétude et pourtant ne sont pas encore absolument 
détachées des pensées terrestres. Bourdaloue n’a pas osé 
dépeindre le génie militaire de Condé parce que, habitué aux 
panégyriques des saints, il a fait de l’éloge de Condé la fin 
dernière de son oraison funèbre et, par suite, s’est condamné 
à ne relever dans sa vie que ses mérites de chrétien. Bossuet, 
au contraire, visant à établir dans son discours le néant devant 
Dieu de la gloire mondaine, se met dans l’heureuse obligation 






RE rer e NU À TS, 
AT RENE UN ere : 





L'ART DE LA COMPOSITION DANS LA ( DIVINE COMÉDIE ) 293 


‘d'en montrer l’apparente grandeur. Longtemps avant lui, le 
génie suggérait à Dante une inspiration analogue. 

Ainsi, au Il° chant du Purgatoire, il rencontre son ancien 
ami le musicien Casella et le prie de lui chanter quelques 
vers; Casella entonne par courtoisie un air qu’il avait composé 
pour une canzone de Dante et les âmes ravies s’arrêtent à 
l'entendre; mais aussitôt la grosse voix de Caton, gardien de 
ce vestibule, les rappelle à leurs dévotions interrompues et ces 
âmes s’enfuient comme des colombes effarouchées. Puis les 
conversations sur les arts libéraux se prolongeront un peu 
plus, mais pour nous montrer artistes et poètes s’exerçant à 
la vertu qu'ils ont le moins pratiquée sur la terre, l'humilité. 
La vanité, qui est de toutes les conditions, sévit en effet ici- 
bas particulièrement chez eux, non qu'ils aient plus sujet que 
les autres d’être fiers d'eux-mêmes (il faut autant de génie 
pour être un Turenne que pour être un Racine, et un Turenne 
est plus nécessaire à une nation qui ne sépare pas la paix de 
l'honneur), mais parce que la renommée est souvent la seule 
récompense des arts de l’esprit et parce qu'il est plus facile 
à un artiste et à un poète qu'à un politique ou à un capitaine 
de s’imaginer qu'il ne doit sa gloire qu'à lui-même : pure 
illusion, car Racine n'aurait pas été Racine sans Corneille et 
Malherbe, j'ajoute sans Port-Royal et La Rochefoucauld, 
j'ajoute sans Euripide; mais on oublie facilement des colla- 
borateurs qui ne sont pas là pour réclamer. Voici au contraire, 
au X[° chant du Purgatoire, un artiste qui n’a d'autre souci 
que de désabuser sur son talent, comme il est désabusé lui- 
même sur la gloire. Oderisi, de Gubbio, que Dante compli- 
mente sur ses belles enluminures, renvoie l'éloge à un 
successeur qui l’a surpassé: «Je n'aurais pas été si loyal 
pendant que je vivais, » ajoute-t-il, mais il faut s’y résigner; 
Giotto a effacé la renommée de Cimabue, Guido Cavalcanti 
a fait oublier Guido Guinicelli «et peut-être en est-il ün 
troisième qui les détrônera tous les deux. Le bruit du monde 
n'est autre chose qu'un souffle de vent qui vient tantôt d'ici, 
tantôt de là et qui change de nom parce qu'il change de 
côté. » Ce tiers qui effacera les deux Guido, le lecteur le 


294 BULLETIN ITALIEN 


devine; mais nous pardonnons à Dante de couronner son 
propre front parce qu'il nous fait sentir que cette couronne 
est fragile et dangereuse à porter. Que de choses le génie fait 
accepter! C’est ainsi que Musset peut, sans choquer les croyants, 
dire au Christ, dans Rolla: «Les clous du Golgotha te sou- 
tiennent à peine; » ce qui leur semblerait ailleurs un affreux 
blasphème, cette incroyable hardiesse qui réduit le Christ aux 
proportions d’un crucifix vermoulu émeut et ne scandalise 
pas, parce qu'on sent que Musset est au désespoir, pour lui et 
pour le monde, de son incrédulité. 

Une pointe de mélancolie perce dans les paroles d’Oderisi; 
au XXIV* chant du Purgatoire, une autre victime du progrès, 
le poète Bonagiunta de Lucques ne laisse plus voir aucun 
regret; il est presque heureux d’avoir compris, grâce à Dante, 
pourquoi le doux style nouveau a fait pâlir le sien; et, deux 
chants plus loin, Guido Guinicelli, après avoir lui aussi renvoyé 
à un autre l'éloge que Dante lui-adressait, le prie de réciter 
en paradis un Paler en sa faveur, tandis que toute la cour- 
toisie de Dante n'obtient pas un mot profane d'Arnaud Daniel, 
le brillant troubadour, qui pleure ses folies passées, ne chante 
plus que la joie à venir et demande, comme Guinicelli, qu'on 
se souvienne en temps opportun de son âme en peine. Ces 
hommes à qui, sur terre, on n’eût pas marchandé impuné- 
ment l'admiration, n’aspirent plus qu’à inspirer la pitié. 

Voilà pour les opinions et les goûts de Dante. Voyons pour 
ce qui est de sa personne et de son rôle historique. Gertes 
Dante se fait prédire dans la Divine Comédie qu'il sera un 
grand poète, un martyr de la justice. Mais ces prédictions sont 
très obscures d’abord, elles viennent à de longs intervalles, 
elles contiennent encore plus de menaces que de promesses, 
et jamais ne sentent la rodomontade de la lettre où Château- 
briand assure M"° Récamier qu'il peut donner beaucoup de 
gloire à la France, mais à condilion d'avoir carte blanche, vu qu'il 
ne vaul rien en seconde ligne. Jamais Dante n'a écrit des vers où 
il s’attribue en politique l'importance d’un Frédéric II d’Alle- 
magne, ou simplement d’un Pierre des Vignes, d’un Farinata 
degli Uberti, Même comme pénitent, il est modeste; il n’étale 





EUROPA TS CN INPI ENTRE Tr” FE AN LP CHERE TR 





L'ART DE LA COMPOSITION DANS EA ( DIVINE COMÉDIE ) 299 


pas ses fautes, il ne s’écrie pas comme le poète allemand 
Bürger : « Quel misérable je suis! J’ai séduit ma belle-sœur; 
sans moi, elle serait encore une honnête femme!» Nous 
sommes avertis, comme il a été dit plus haut, que Dante doit 
une satisfaction à Dieu; on relève çà et là quelques allusions 
très générales à ses fautes; les sept P gravés sur son front 
par un ange, puis effacés l’un après l’autre, nous avertissent 
qu’il avait sa part de tous les péchés capitaux; mais il faut 
arriver à la fin du Purgatoire pour assister à l’interrogatoire 
que Béatrix lui fait subir, à l’aveu qu'elle lui arrache, à la 
pénitence qu'elle lui impose et que couronnera, au Paradis, 
le triple examen de théologie qu'il passera avec la modestie 
d'un écolier attentif à ne répondre que par les paroles des 
maîtres de la science. 

La glorification de Béatrix est conduite avec un égal bon- 
heur. Dante avait annoncé, à la fin de la Vie Nouvelle, qu'il 
allait se recueillir pour dire de Béatrix ce qui n'avait jamais 
été dit d'aucune femme, et l’on sait qu'en effet dans la Divine 
Comédie il finit par la transfigurer, par faire d'elle une figure 
supérieure à la terre; mais il ne la montre que tout à la fin 
du Purgatoire. C'est par Virgile que l’on connaissait son 
intervention en faveur du poète égaré dans la forêt. Dans 
l'Enfer elle ne sera pas plus nommée que le Christ, et dans 
les vingt-neuf premiers chants du Purgatoire elle n’est men- 
tionnée avec un peu d’insistance qu'en cas d’absolue nécessité, 
par exemple lorsque Dante hésite à franchir le fleuve de feu 
ou lorsqu'il y souffre au point que, pour se rafraîchir, il se 
serait jeté dans du verre en fusion; Virgile est alors réduit, 
pour réveiller son courage, à lui dire: « Béatrix est sur 
l’autre rive... Je crois voir ses yeux, » De la sorte, c’est-à-dire 
en ne montrant Béatrix qu'à sa place, aux abords du séjour 
des bienheureux, puis dans le Paradis, il a réservé pour la fin 
de son poème les miracles du sourire, de la tendresse, de la 
grâce malicieuse de celle qu'il met à part des autres créatures; 
car il a voulu que la sainte, au moment de ressaisir son auto- 
rité sur Dante, recouvrât toutes les séductions de la femme; 
la timide jeune fille de la Vie Nouvelle se présente à son infidèle 


Fes 





. 296 BULLETIN ITALIEN 


chevalier avec le train d’une impératrice et l’assurance d’une 
châtelaine. Dante la prépare pour ainsi dire par le diadème 
à l’auréole. 

L’art de Dante n’a rien à voir avec l’adresse qui se rit de la 
vraisemblance, qui compte sur l’inadvertance du lecteur. Rien 
n’est plus naturel que la lenteur avec laquelle le héros de la 
Divine Comédie se découvre à nous. Sur terre, ses passions 
s'échapperaient bien plus librement : on est moins à l'aise 
dans l’autre monde. Victor Hugo se plaît quelque part à 
imaginer qu'on trouvera un jour le secret de ressusciter et 
de revenir {out pâle crier : « J'en arrive!» À plus forte raison 
doit-on être tout pâle quand, au lieu d’en arriver, on y arrive. 
Dante, à ses premiers pas dans l’enfer, ne peut songer à émettre 
une profession de foi politique; il est tout yeux, tout oreilles; 
il ne s’'émancipera que progessivement, quand il aura vu des 
pécheurs bien plus coupables que lui et retrouvé d’anciens 
amis. 

D'autre part, la progression qu’il a observée ne soutient pas 
seulement l’intérêt du poème; elle accroît notre confiance dans 
le témoignage de Dante sur son temps. Supposez, en effet, 
qu’il éclate tout d’abord et surtout contre les hommes qu'il 
a combattus dans la vie réelle, nous dirons : «C’est un Gibelin, 
défions-nous! », tandis qu’à le voir tout d’abord et d'ordinaire 
foudroyer des hommes avec lesquels il ne s’est jamais trouvé 
en conflit, nous nous accoutumons à le tenir pour un jus- 
ticier qui ne condamne ses ennemis qu'en vertu de règles 
universelles. 

On pourrait fournir beaucoup d’autres preuves de l’habile 
composition du poème, par exemple l’heureux emploi fait des 
démons auxquels Dante ne recourt pas tout de suite, qu'il 
peint tantôt cruels, tantôt perfides, tantôt facétieux ou ridicules, 
ou la finesse avec laquelle il a dessiné Virgile, ce juste à qui 
la grâce a manqué, ce dépositaire d'une demi-révélation qui 
éclairera les autres et ne l’a pas éclairé lui-même, ce Moïse qui 
conduit Dante tout près du paradis et n’y entrera jamais; très 
intéressant par cette situation, Virgile l’est encore chez Dante 
par sa bonté paternelle, par sa naïveté. Aujourd'hui nous vou- 









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L'ART DE LA COMPOSITION DANS LA ( DIVINE COMÉDIE » 297 


lons qu'on nous montre des tares chez les grands hommes; le 
Moyen-Age ne demandait qu'un peu d'ingénuité; Virgile, 
dans les moments difficiles, est très poli avec les démons; 
il leur dit vous et s’il vous plait ; il se laisse un moment mystifier 
par eux, moins perspicace cette fois-ci que son disciple, et il 
est un peu piqué d’avoir été dupe. Mais ne nous laissons pas 
entraîner et expliquons plutôt où Dante a pu prendre son 
talent de composition. 

En effet, au Moyen-Age, ou bien les poètes mêmes qui ont du 
talent et du souffle, comme Jean de Meung, nous ont laissé des 
fatras incohérents, ou bien ils ne réussissent à faire œuvre d'art 
qu'à condition de s’enfermer dans des dimensions restreintes; 
par exemple, la Chanson de Roland met bien le héros au 
premier plan ; elle le distinguenettement d'Olivier; elle le fait 
passer par des alternatives de raison prévoyante, d'impru- 
dence chevaleresque; c’est lui seul, après tout, qui avait prévu 
le piège de Roncevaux, et s’il n’a pas fini par sonner du cor, 
c'est qu'Olivier, dans un instant d'humeur, l’en a empêché ; mais 
la Chanson de Roland est infiniment plus courte que la Divine 
Comédie. Donc comment Dante a-til pu coordonner un aussi 
vaste poème? Serait-ce parce qu'il avait l'esprit profond? Non, 
personne ne l'avait de son temps. Toute sa science est d’em- 
prunt, sa politique aussi, et, dans ses idées, tout ce qui ne lui 
vient pas de l’Antiquité ou des Pères est bien peu solide. Son 
art seul est profond. Mais prenons garde que, quand on veut 
généraliser sur une époque, il ne faut pas l’examiner dans un 
seul ordre de choses. L'Italie est en décadence au xvu° siècle 
en matière de littérature, mais les sciences y sont glorieuses et 
l'opéra y naît. De ce que les poètes du Moyen-Age ne savaient 
guère composer, il ne s'ensuit pas que ce don lui füt absolu- 
ment refusé, puisqu'un plan manifeste relie toutes les parties 
d’une cathédrale, quoique d'ordinaire plusieurs architectes 
s’y soient succédé. Puis, Dante s'était placé dans des condi- 
tions particulières puisque seul parmi les poètes du Moyen- 
Age il s'était donné une forte éducation littéraire; seul, il avait 
vécu dans un long commerce avec de grands esprits ; d’autres 
que lui avaient lu Virgile, mais les autres prenaient un vers, 


APT CEE Te 





298 BULLETIN ITALIEN 
une idée à Virgile; lui, il avait médité l’Énéide, il la possédait; 
bien mieux, il s'était fait le disciple assidu des scolastiques, 
de ces esprits point assez inventifs pour ajouter aux doctrines 
des anciens, mais assez vigoureux pour les embrasser; la 
Somme de saint Thomas lui apprit à construire son poème. 
De plus, il était Italien; or, de même qu’un Français, dès 
qu'il s'élève au-dessus de l'ordinaire, a de l'esprit, de même 
un Italien, dès qu’il tranche, sait calculer et combiner; c’est 
pour cela que l'intelligence politique chez eux court souvent 
les rues. Cette habileté de combinaison, ils la portent fréquem- 
ment dans la littérature. A la vérité, dans Arioste et le Tasse, 
dans Métastase et Goldoni, un Français, à première vue, est 
plutôt frappé des disparates; mais ceux-ci n'étaient pas des 
élèves de saint Thomas et s’adréSsaient à des générations moins 
sérieuses. Encore ne faut-il pas s'y tromper. Nous sommes 
seuls avec les anciens, nous autres Français, à concevoir 
l’unité, dans les ouvrages de l’esprit, d’une manière un peu 
puritaine; pour nous, un poème bien composé est celui où un 
même ton, je ne dis pas règne, mais domine d’un bout à 
l’autre ; c’est comme une classe bien tenue où pas un élève ne 
prend la parole sans permission; les Italiens et tout le reste 
de l’Europe (il n’est d’ailleurs pas sûr qu'ils aient raison) 
mêlent bien plus librement la vérité et la fantaisie, la sagesse 
et la folie. Sous cette réserve, regardez de près, par exemple, 
le Roland furieux, et vous verrez avec quel art l’auteur 
rattache entre eux les extrêmes, comme il réussit à n'être 
jamais ni tout à fait sage ni tout à fait fou; certains combats 
sont décrits avec une précision, une verve toutes militaires, 
mais quelques exploits impossibles, adroitement jetés dans le 
récit, vous avertissent de ne pas trop vous émouvoir; et parmi 
les inventions les plus bouffonnes, tel trait d'observation vous 
rappelle que l’auteur connaît la vie. Seulement, voici la double 
supériorité de Dante. D'abord, il faut autrement de vigueur 
pour réaliser l'unité très souple mais très forte de la Divine 
Comédie que pour réaliser l'unité réelle inais très ténue du 
Furioso; on fait de plus grandes choses avec les mains puis- 
santes de Dante qu'avec les doigts délicats de l’Arioste, Ensuite, 





L'ART DE LA COMPOSITION DANS LA ( DIVINE COMÉDIE » 299 


Arioste, le Tasse, Métastase, Goldoni, outre qu'ils cultivent un 
art inférieur, s’y absorbent tellement que chez eux l'homme 
disparaît ; on ne sait trop à qui l’on a affaire. Y avait-il autant 
d'ironie dans le caractère de l’Arioste que dans son poème? 
C'est une question. Dans quelle mesure Goldoni souhaite-t-il 
de corriger les travers qu’il a souvent combattus avec hardiesse? 
On ne sait trop. Au contraire, jamais chez Dante l'artiste ne 
fait oublier l'homme. Partout on reconnaît en lui un grand 
patriote et un grand chrétien. S'il réussit à ménager ses 
effets, c'est qu'il a réussi à exécuter en imagination son mer- 
veilleux voyage et qu'il se rappelle nettement l'ordre dans 
lequel il a ressenti ses émouvantes impressions. Son habileté 


vient de sa grandeur. 
CHarLes DEJOB. 





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MILTON EN ITALIE 


« Les Anglais étant extrêmement fiers et glorieux, ont néan- 
moins complaisance et se laissent gagner par civilités, qui est 
la raison qui les porte à aimer sur toutes les nations les Italiens 
qui ont l’avantage de l’adresse et courtoisie sur tous les autres 
peuples de l’Europe. » CHATS 

C’est ainsi que le vicomte Salomon de Virelade exposait à 
Mazarin, en 1650, ses projets de négociations avec le Parlement 
républicain’, et ce trait de caractère, assez finement observé, 
ne convient pas aux seuls diplomates; le genus irrilabile vatum 
peut s’en faire une application facile. 

L'humeur voyageuse des Anglo-Saxons, l'attraction de la 
lumière et de la beauté latine sur les hommes du Nord suffi- 
raient du reste à expliquer le nombre et l'importance des 
pèlerins d’outre-Manche qui se succèdent en Italie depuis 
bientôt quinze siècles. 

Un quartier voisin de Saint-Pierre, à Rome, porte encore - 
le nom significatif de Sassia (San Spirilo in Sassia, église et 
hôpital); les rois ouvrent la marche : c'est Cadwalla, baptisé 
par saint Serge (689) et qui meurt vêtu de la blanche robe des 
néophytes; c’est Conrad et Offa, devenus moines; c’est Alfred, 
le futur traducteur de Boèce et de saint Grégoire; c'est au 
xr siècle, le Danois Knut et peut-être le fabuleux Macbeth; 
puis, le flot se régularise et des institutions d’où sortira Île 
futur Collège anglais s’établissent de l’autre côté du Tibre»; 
les étudiants afflueront à leur tour dans les grands centres 
universitaires, à Bologne où les Actes conservés de la nation 


1. Note citée par Guizot (Histoire de la République d'Angleterre, édit. de 1860, 
p. 444). Û 

2. Cf. la communication du D' W. Croke au Congrès des Sciences historiques(1908), 
. The national english institutions of Rome during th: fourtcenth century. 











MILTON EN ITALIE 3a1 


germanique remontent au début du xrm° siècle, à Padoue, qui 
fournissait naguère les matricules publiées par M. Andrichr. 

Chaucer y viendra en 1373, et recueillera peut-être sur les 
lèvres mêmes de Pétrarque la touchante histoire de Grisélidis?. 

La Renaissance portera vers la Toscane les amis de l’huma- 
nisme, et le duc Humphrey de Gloucester s'inscrira parmi les 
Mécènes du xv° siècle, John Colet, l'ami d'Érasme et de 
Thomas Morus, le fondateur de la célèbre école de Saint-Paul 
à Londres, a visité Florence, et le carme poète, Battista Man- 
tuano, figure au nombre des auteurs qu'il propose à ses jeunes 
élèves. 

Le schisme d'Henri VIII ralentit, sans l’interrompre, ce mou- 
vement d'échanges littéraires; sans parler des pétrarquisants 
Wyatt et Surrey, de l’Arcadia où Sir Philip Sidney se fait 
l'émule de Sannazar et de Montemayor, de l’euphémisme qui 
devance les excès du marinisme et du gongorisme, rappelons 
ce que Spenser doit aux épopées de l’Arioste et du Tasses, et 
nommons au moins ce Gabriel Harvey, l'Hobbinol de la Reine 
des Fées, pédant, excentrique, si fier de son costume vénitien, 
des connaissances qu'il avait rapportées d'Italie et qui lui 
valurent, avec un compliment douteux de la reine Elisabeth, 
les quolibets du satirique Nash. 

Milton est à certains égards le dernier et le plus grand des 
Elisabethans ; sa culture classique, plus étendue que celle de 
Shakespeare et mieux digérée que celle de Ben Jonson, est à 
la base d’une originalité qui se fonde pour ainsi dire sur deux 
imitations combinées, l'inspiration biblique, l'étude appro- 
fondie, l'assimilation laborieuse des chefs-d’œuvre de l’Anti- 
quité. 

À ce titre, son voyage en Italie nous paraît faire époque, 
non seulement dans la biographie du poète, mais dans l'his- 


1. Ce recueil, édité en 1892, va de 1222 à 1738. 

2. Sur cette rencontre discutée des deux poètes, cf. un article de M. Jusserand, 
l’éminent historien de la littérature anglaise, dans le Ninetcenth Century (juin 18096), 
et un autre de M. Segré (Nuova Antologia, 1899, t. D). 

3. Cf. l'étude comparative de M. L. Turrini : « L’Orlando Furioso e la Regina delle 
- Fate,» Piacenza, Bertola, 1891. 


Sur la querelle d’Harvey et de Nash, Isaac Disraeli: The Calamities and Quarrels 


of Authors, p. 117 et suiv. de l’édition de 1867. 
Bull. ilal. 20 


ARAdai LS 
AT 2 L 


302 BULLETIN ITALIEN 


toire comparée des littératures modernes; pour l’une et pour 
l’autre, il clôt une période, il en ouvre une nouvelle, ni plus 
ni moins que le voyage de Gœthe, un siècle et demi plus tard, 
en sens inverse toutefois : l’auteur de Werther, à peine échappé 
des orages du Siurm und Drang, va demander au pays de 
Virgile et à la Sicile d'Homère une sérénité qui planera désor- 
mais sur son œuvre; /phigénie en Tauride, Hermann et Dorothée 
marqueront le triomphe de ce classicisme olympien, tandis 
que l’auteur de Comus et de Lycidas, de l’ Allegro et du Pense- 
roso, sorti de Cambridge et de l’ermitage d'Horton tout 
imprégné des parfums de la Renaissance, reviendra au con- 
traire du Midi pour se lancer à corps perdu dans les polémiques 
religieuses et civiles; entre les deux saisons de sa Muse, l’une 
printanière et si courte, la seconde pareille à un glorieux 
automne attristé par la disgrâce et la cécité, l’excursion sur le 
Continent apparaît avec le charme un peu mélancolique d'une 
halte rafraîchissante qui précède une longue traversée dans 
les sables que soulève la tempête. Je n’ai pas à m'arrêter sur 
la jeunesse austère et pensive de Milton, sur le puritanisme de 
ses premiers maîtres, heureusement compensé par les soins 
intelligents d'un père musicien et lettré qui sut, chose rare, 
faire crédit et loisir à la vocation de son fils; après un stage 
universitaire brillant sans être heureux, le jeune homme avait 
refusé de prendre les ordres anglicans et d’embrasser une 
carrière; de 1632 à 1637, il avait complété dans la retraite 
d'un village voisin de Londres sa formation personnelle, 
développé ce talent précoce pour la versification latine qu'at 
testent ses élégies, ses épigrammes et ce Silvarum Liber, 
intéressant comme les cartons et les ébauches d'un grand 
artiste. 

Il avait traduit quelques psaumes en vers anglais, composé 
des pièces de circonstance où éclate cette ode merveilleuse 
sur la Nativité du Sauveur (1629) qui est une des perles de 
la haute poésie sacrée; il avait assidûment fréquenté Spenser 
et notre du Bartas (traduit par Sylvester, en 1621); mais sauf 
la première édition du masque de Comus, dédiée au jeune 
vicomte Brackly par le musicien Lawes, en 1637, et où le 








MILŸON EN ITALIE 303 


nom de l’auteur ne figure pas, il n’avait encore rien donné au 
public:. 

En avril 1637, sa mère était morte, son jeune frère Chris- 
tophe avait pris femme dès qu'il eut achevé ses études, sa 
sœur Anne venait de se remarier ; le père consentit à se séparer 
de John et à lui permettre d'entreprendre, avec un seul domes- 
tique, le tour sur le Continent qui formait déjà le terme obligé 
d’une éducation britannique. 

Milton approchait de la trentième année; peu sociable de son 
naturel, il avait cependant gagné les bonnes grâces d’un vieux 
diplomate, Sir Harry Wotton, qui vivait retiré au célèbre 
collège d’Eton (à 4 milles d'Horton); cet amateur du bon 
tabac et de la pêche à la ligne, qu'Izaak Walton fait revivre 
dans les pages délicieuses de ses Lives, avait rempli sous 
Élisabeth, et à Venise sous Jacques I”, au temps de Paul V 
et de Fra Paolo Sarpi, un rôle international des plus impor- 
tants; c’est à lui qu’on attribue la fameuse définition de l’am- 
bassadeur : « Vir bonus, missus foràs ad mentiendum, reipublicæ 
causà; » nul n'était plus à même d'initier son jeune voisin 
aux finesses italiennes, et la lettre où il lui accuse réception de 
l'envoi de Comus honore également son goût littéraire et sa 
perspicacité diplomatique. 

Après avoir loué d’un mot heureux « la délicatesse dorienne » 
de cette pièce, qui lui a laissé «la bocca dolce », il recommande 
le voyageur à un certain Michel Branthwait, jadis agent de la 
Grande-Bretagne à Venise, et qui servait alors de précepteur 
au fils de lord Scudamore, ambassadeur de Charles I° à Paris, 
et il lui donne pour maxime cette phrase sibylline d’un gentil- 
homme nommé Scipioni, qui avait été au service du duc de 
Paliano (de la maison des Carafa), et qui, rencontrant Wotton 


1. Comus, représenté dès 1684 au château de Ludlow par les enfants du comte de 
Bridgewater, gouverneur du pays de Galles, est un éloge allégorique de la vertu, sur 
le thème bien connu des métamorphoses opérées par la baguette de Circé. Peele et 
Fletcher, contemporains de Shakespeare, ont fourni certains traits; une note du 
traducteur anonyme de la vie de Milton par Samuel Johnson (Paris, an V)cite comme 
source principale le Comus d’Erycius Puteanus (Dupuy), publié à Louvain en 1611; 
et à Oxford en 1634. 

Les étudiants de Cambridge l’ont joué à l’occasion des fêtes récentes du centenaire 
(décembre 1908). 





30/4 BULLETIN ITALIEN 


à Sienne, condensait en ces termes l’expérience d’une vie de 
courtisan : « Signor Arrigo mio, pensieri stretti e viso sciollo. » 
Nanti d’un passeport de Suffolk, gouverneur des Cinq-Ports, 
que lui avait procuré Lawes, Milton arrivait à Paris en mai 
1638, et Scudamore, que le comte de Bridgewater et les Buls- 
trodes, seigneurs d'Horton, avaient prévenu en sa faveur, le 
mettait en relations avec l’illustre Grotius, qui, fuyant son 
ingrate Hollande, représentait depuis 1636 auprès de Louis XIII 
la jeune reine de Suède. 

Grotius, épris d’un projet de paix perpétuelle, correspondait 
avec Laud, primat anglican de Canterbury, en vue d’unir les 
églises épiscopaliennes du Nord et de la Grande-Bretagne, de 
rejeter le Pape dans l'alliance austro-espagnole, et d'entraîner 
ainsi la France dans le schisme. 

Laud, dont la politique ecclésiastique fut toujours hésitante 
vis-à-vis de Rome, accueillait assez froidement les ouvertures 
de Grotius, et ce dernier eùt probablement trouvé un auditeur 
plus docile dans la personne du jeune Milton, si celui-ci n'avait 
eu hâte de gagner l'Italie; de Nice, il s'embarque à Gênes pour 
Livourne et Pise; au mois d’août suivant, il est à Florence. 

L'heure était mal choisie pour juger le Seicento ; la génération 
antérieure, héritière attardée de la Renaissance, venait de 
perdre ses plus brillantes figures, un Marino, un Tassoni, un 
Chiabrera; on était loin de la réaction relative qui vers la fin 
du siècle engendrera l’Académie des Arcades; l’art n’était pas 
beaucoup plus florissant que la littérature : des sculpteurs de 
talent, Borromini, l’Algarde, le cavalier Bernin; quelques bons 
peintres à Naples et à Rome, quelques musiciens virtuoses à 
Venise et à Naples; beaucoup d’archéologues, de dilettanti 
peuplant les trop nombreuses académies de la Péninsule; 
jusqu’en 1729, on en compte cinq cents, réparties entre cent 
trente-trois villes, dont soixante-dix pour la seule Bologne 
(depuis les Gelali, en 1588)! 

Les sciences profitaient à cet échange d'idées et. d’observa- 
tions, — qu'il suffise de rappeler les Lincei romains, fondés par 
le prince Federigo Cesi — mais les compliments fades et les 
aigres satires que les Vadius et les Trissotins de l’époque 





MILTON EN ITALIE 305 


multipliaient de chaque côté des Alpes gisent ensemble dans la 
poussière des bibliothèques, et le nom seul des hôtes illustres 
admis à ces festins surannés tire aujourd’hui de l'oubli quel- 
ques-uns des amphitryons. Mathurin Régnier, commensal des 
cardinaux de Joyeuse et d'Ossat, s’y déplaisait presque autant 
que l’Angevin du Bellay; le président Maynard, accompagnant, 
avec Scarron, M. de Noaiïlles en 1654, avait su se rendre 
agréable au pape Urbain VIII et à ses cardinaux; les lettres 
qu'il écrivit de Rome à Chapelain, à Conrart et à Balzac en 
font foi; Chapelain, en 1623, avait salué l’illustre auteur de 
l’Adone, Saint-Amant était venu à deux reprises (1633 et 1643); 
Descartes, au cours de son pèlerinage à Lorette, avait sans 
doute peu fréquenté les beaux esprits, mais quelques années 
plus tard, l’érudit Heinsius se félicitera de l’accueil des lettres 
florentines, et cela dans une lettre à Carlo Dati, le plus 
apprécié, le plus fidèle des amis de Milton. 

La famille Dati apparaît dès le xv° siècle dans l’histoire avec 
un général des Frères Prêcheurs: et trois écrivains : Goro, 
l’auteur d’un Traité de la Sphère longtemps répandu; Grégoire, 
l'historien des guerres contre Pise et les Visconti; leur neveu 
Léonard, poète latin, secrétaire pontifical, mort en 1472 
évêque de Massa Marittima. 

Carlo Dati, né en 1619, allait devenir secrétaire de la Crusca 
(1640), plus tard président de l’Académie florentine (1649); 
helléniste, talent facile et fleuri, né pour les anthologies et 
les panégyriques, il sera des premiers à saluer l’astre du Grand 
Roi, et publiera, vers la fin de sa carrière (1667, i! mourut 
en 1675), une histoire des Peintres. 

Au moment de l’arrivée de Milton, il est déjà secrétaire d'un 
groupe plus modeste, celui des Apalisti, fondé après la peste 
de 1630, et qui a presque le caractère d'une Université. 

Il y rencontre l'avocat Coltellini, de Bologne, qui présidera 
un jour l’Académie (1659) sous le nom prétentieux d'Ostilio 
Cantalgesio ; les réunions se tiennent via dell’ Oriuolo. Milton 


1. Sur le premier, cf. le R. P. Mortier, Hist. des Maïtres généraux de l’Ordre des 
Frères Précheurs, t. III, Paris, 1906; sur Léonard, la monographie de M. Flamini 
(Florence, 1890), et sur Carlo, les Scritti Varj du P. Marchese, t. IT. 


306 BULLETIN ITALIEN 


se lie également avec Jacopo Gaddi, poète et Mécène, membre 
de l’Académie des Svogliali, qui siège place Madama; elle a 
pour censeur l’abbé Buonmattei (1581-1647) qui s’est signalé 
dès 1609 par une oraison funèbre du grand-duc Ferdinand, 
et qui, professeur à Pise jusqu’en 1638, s'est occupé de gram- 
maire italienne et d’études dantesques, alors assez négligées. 
Buonmattei, qui présidera bientôt les Apatisti (1640) et qui 
sera secrétaire de la Crusca avant Dati, figure au nombre des 
correspondants de Milton. ie 

Nommons encore Antonio Malatesta « pronlissimo e vivacis- 
simo », auteur d'un ouvrage sur la Sphère honoré d’un sonnet 
de Galilée, et qui dédiera lui-même au jeune Anglais un de 
ses Équivoques (recueil trop libre, qui demeura manuscrit 
jusqu’au xvim° siècle). Et avec lui, l’abbé Chimentelli, pro- 
fesseur d'éloquence et de grec à Pise, Frescobaldi, le noble 
Antonio Francini, qui célèbre dans une ode italienne, où 
l’hyperbole prend un air de prophétie, les talents et la patrie 
du signor Giov. Miltoni. 

Il ne faut pas oublier que les témoignages immédiats nous 
manquent sur ce voyage de Milton, et que nous devons nous 
rapporter à ceux qu'il allègue, douze ans après, dans sa 
Defensio secunda (contre Saumaise, à propos de la polémique 
sur Charles I‘ et l’/conoclastes). 

Ce fragment trop court d’autobiographie se ressent des 
nécessités de la cause, et l’on s'explique la complaisance un: 
peu vaniteuse avec laquelle l'avocat des régicides se reporte 
aux marques d'estime qu'il avait rassemblées dès 1645 en tête 
de ses Poemala. 

Sans doute, il déclare modestement que ces éloges émanent 
surtout de l’amitié {non lam de se quàm supra se esse dicta), 
mais qui serait demeuré insensible aux périodes caressantes 
où Carlo Dati «{anto homini servus, tantæ virtulis amator», 
chantait l’érudition, l’éloquence de ce nouvel Ulysse, de ce 
polyglotte émérite, de ce philosophe qui savait déchiffrer les 
grandeurs divines à travers la Nature, et prêter l'oreille aux 
harmonies des sphères célestes? 

Les doctes Florentins étaient sous le charme des pièces 





pr Tr ME a Lg Es Nr AS les PRO EE CAES: dl du AN 





MILTON EN ITALIE 307 


latines qui dataient des années universitaires de Cambridge, 
par exemple des morceaux de bravoure intitulés: Naluram non 
pali seniun, de Ideà Plalonicà quemadmodum Aristoteles intel- 
leæit, car il est peu probable que Milton leur ait lu ses élégies 
sur quelques obscurs dignitaires anglicans, moins encore sa 
violente invective contre les papistes inventeurs du Complot 
des Poudres (/n Prodilionem Bombardicam). 

Ce qui est certain, c’est qu’à la séance du 16 septembre on 
l'entendit réciter « des hexamètres très érudits », et en 1762, 
un chercheur, Thomas Hollis, découvrit à la Laurenziana de 
Florence six sonnets de lui à Chimentelli et à d’autres lettrés, 
on parle aussi d’un petit buste en marbre de Milton, qui aurait 
été envoyé en Angleterre dans un étui de bois précieux, et 
dont la trace serait perdue:. 

Est-il exact que ce protestant ait recueilli les plaintes discrètes 
de ses nouveaux amis au sujet des rigueurs de l’Inquisition ? 
Ce que la postérité retient surtout, c’est la visite de Milton 
à Galilée, le vieillard aveugle, dans sa villa d’Arcetri, sur les 
hauteurs enchanteresses de San Miniato. L'imagination s'exerce 
volontiers sur le dialogue qu'on aime à supposer entre ces 
deux gloires?, mais il n’en reste d'autre trace positive que la 
comparaison de la lune avec le bouclier de Satan (Paradis 
Perdu, ch. I, vers 284 et suiv.): 

.. the broad circumference 

Hung on his shoulders like the moon, whose orb 
Through optic-glass, the Tuscan artist views 

At evening from the top of Fesolé, 


Or in Valdarno, to descry new lands, 
Rivers or mountains, in her spotty globe. 


Il est même à noter que Milton, au VIIT: chant de son épopée, 
se borne à faire insinuer le nouveau système du monde par 
l’archange Raphaël, en réponses aux timides objections 
d'Adam, et qu'il encadre sa propre cosmogonie dans les lignes 
ptolémaïques. 

1. On trouvera le tableau des conversazioni florentines du Seicento dans la Monaca 
di Monza de Rosini, cette suite médiocre d’un épisode inoubliable des Promessi Sposi. 


2. Cf. le poème de l’abbé Zanella « Milton et Galilei», le groupe en marbre du 
sculpicur romain Aureli, et le tableau d’un peintre espagnol. 


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308 BULLETIN ITALIEN 


Rappelons aussi l’allusion légèrement ironique du ch. HI 
(vers 587-589) où Satan débarque inaperçu dans le globe du 
soleil : 


. a spot like which, perhaps, 
Astronomer in the sun’s lucent orb, 
Through his glazed optic tube, yet never saw. 


C'est en allant de Florence à Sienne que Milton traversa la 
forêt de Vallombreuse, et qu'il vit les torrents des Apennins 
jonchés de ces feuilles mortes qui lui serviront à figurer la 
chute vertigineuse des anges rebelles : 

Thick as autumnal leaves that strow the brooks 


In Vallombrosa, where the Etrurian shades 
High over-arch’d imbower … 


Lamartine et Wordsworth y feront un pèlerinage en mémoire 
de lui. | 

L'automne, cet automne romain paré de chaudes splendeurs, 
accueillit le poète dans la Ville Éternelle. 

Peuplée alors d’une centaine de mille âmes, elle rornhl 
après les agitations du siècle précédent, sous le sceptre d'un 
Pontife ami des lettres ; les académies n’y manquaient pas: il 
y avait les Umorisli, les Ordinali, etc. Un recueil intitulé « Apes 
Urbanæ » (flatterie délicate à l'adresse des Barberini, qui 
portaient des abeilles dans leurs armes) énumère, aux enwi- 
rons de 1630, quatre cent cinquante écrivains, et une antho- 
logie de 1635 renferme les compositions de cinquante et un 
poètes vivants ! | 

Le cardinal Francesco Barberini, neveu d'Urbain VIH, 
portait le titre purement honorifique de protecteur du royaume 
d'Angleterre, et Milton lui fut présenté par le bibliothécaire de 
la Vaticane, Lucas Holstenius, un Danois converti qui avait 
passé trois ans à Oxford. On dit que le prince de l’Église 
aurait poussé la courtoisie jusqu’à s’avancer au devant du jeune 
insulaire et à l’introduire lui-même auprès de ses hôtes; c’est 
à une réception chez le cardinal que Milton entendit chanter 
la célèbre Léonora Baroni, originaire de Mantoue, qui impro- 
visait accompägnée sur le théorbe par sa mère Adriana, et sur 





MILTON EN ITALIE 309 


la harpe par sa sœur Catarina; un contemporain, Nicius 
Erythreus, mentionne une collection d’applausus, en grec, en 
latin, en français, en italien, en espagnol, qui attestent la 
vogue prodigieuse de cette Corinne du Seicento. Notre grave 
Anglais joignit sa voix au concert, et ne déposa pas moins de 
trois épigrammes aux pieds de Léonora : il la met au-dessus 
des naïades et des sirènes, au-dessus de la princesse de Ferrare 
qui fit le malheur du pauvre Torquato, et franchissant toutes 
les limites de l’hyperbole, le puritain se fait presque idolâtre, 
ou panthéiste : 


Quod si cuncta quidem Deus est, per cunctaque fusus, 
In te unà loquitur, cœtera mutus habet. 


Les Romains ne se laissent pas vaincre en compliments: 
Selvaggi égale du premier coup Milton à Homère et à Virgile; 
Salsilli (qui appartenait à l'académie des Fantastici) lui décerne 
sans barguigner la triple couronne de poésie grecque, latine, 
_ toscane : désormais la Tamise l'emporte sur le Mélès, le Mincio 

et le Sebeto (allusion au Tasse); Milton s'acquittera, pendant 
une maladie de Salsilli, en lui dédiant une pièce en vers 
scazons qui foisonne d'expressions mythologiques. 

Le 50 octobre, il dine au Collège anglais avec plusieurs 

compatriotes, parmi lesquels un frère de lord Falkland, le 
jeune Cary, ét le fils d’un ministre de Bristol, Gawen, étudiant 
d'Oxford, qui se fera plus tard catholique; il y rencontre 
encore un jeune philosophe platonicien, destiné à une mort 
précoce, et dont l’érudition l’enchante. 

Cependant ce milieu ecclésiastique met à la gêne son purita- 
nisme incapable de contrainte, et, dès le mois de décembre, le 
voilà en route pour Naples avec un ermite, compagnie dont 
on aurait dû peu attendre, écrit dédaigneusement Johnson. 

C’est cet humble personnage qui le présente à Manso, 
marquis de Villa, seigneur de Bisaccio et de’ Penca, qui tenait 
après le vice-roi la première place dans la capitale de l’ancien 
Regno. 

Ce vieillard (il était né en 1561) eut le singulier honneur de 
servir de trait d'union entre trois générations littéraires. Jeune 





310 BULLETIN ITALIEN 


gentilhomme, il avait offert une noble hospitalité au malheu- 
reux Tasse (en 1588 et 1594); celui-ci lui avait payé sa dette en 
inscrivant le nom de Manso parmi les chevaliers de la croisade: 
et en lui dédiant le dialogue dell’ Amicizia ; c’est pour la pieuse 
mère du marquis qu’il avait entrepris le poème (inachevé) 
des Selle Giornale; à ses derniers moments, il avait prononcé 
le nom de cet ami fidèle, lui avait légué un de ses portraits, et 
la première épitaphe du grand poète (à S. Onofrio) fut rédigée 
par Manso. | 

La biographie de Torquato, publiée à Naples en 1619, puis 
deux fois éditée à Venise, et encore à Rome, en 1634, élait 
attribuée au marquis de Villa, qui ne la reniait point. 

Marino, ce génie trop facile et corrupteur du goût, l'avait 
eu pour Mécène, et lui devait aussi un monument funéraire. 
Écrivain à ses heures, maniant tour à tour l'épée et la plume 
comme les Espagnols de la Renaissance, Manso avait composé 
plusieurs recueils : le Paradiso d’Amore (Milan, 1608), l’£rocallia 
(Venise, 1618; Milan, 1628), les Nomiche (Venise, 1635), sonnets 
et canzoni « amoureuses, sacrées, morales », où il avait inséré 
six sonnets inédits du Tasse, et trois de Marino. Sa villa, 
ennoblie par le séjour de Torquato, accueillait une académie, 
dite degli Oliosi; il avait doté un collège où les jeunes gentils- 
hommes s’exerçaient aux armes et aux lettres. On nous 
rapporte des traits édifiants de sa religion et de ses pratiques 
de pénitence. 

Milton eût difficilement trouvé guide plus vénérable et plus 
aimable à la fois; on se plaît à les voir ensemble sur les bords 
du golfe, fréquenter par exemple les ateliers des peintres 
(Domenichino et Salvator Rosa étaient alors à Naples), monter 
à la Chartreuse, ou déposer une branche de laurier sur la 
tombe de Virgile. , 

Le vieillard avertissait doucement son hôte de veiller sur sa 
langue, d'éviter les controverses politiques ou religieuses qui 
pouvaient le rendre suspect, et c’est avec une délicatesse 


1. Fra cavalier magnanimi e cortesi 
Risplende il Manso.…. 


(Gerusalemme Conquistata, ch. XX.) 








MILTON EN ITALIE 311 


paternelle qu'il enfermait en un distique inspiré de saint 
Grégoire cette invitation discrète: 


Ut mens, forma, decor, facies, mos, si pietas sic, 
Non Anglus, verum herclè Angelus ipse fores. 


Milton adressa de son côté au marquis une pièce latine assez 
longue où il évoque ses bons offices vis-à-vis du Tasse et de 
Marino. A travers le fatras mythologique, et l’'emphase d’une 
admiration qui avait au moins la sincérité de la reconnais- 
sance, on relève avec intérêt les allusions à la littérature 
anglaise, aux druides, aux projets variés qui s’agitaient déjà 
dans cette tête puissante. 

Arthur et la Table-Ronde, la matière de Bretagne toujours si 
chère à l'imagination celtique, tel était alors le thème de 
l'épopée qui devait concentrer les feux épars d’un génie incer- 
tain sur sa voie: 

.…. Indigenas evocabo, in carmine reges, 
Arturumque etiam sub terris bella moventem ; 
Aut dicam invictæ sociali fædere mensæ 


Magnanimos heroas, et (o modo spiritus adsit) 
Frangam saxonicas Britonum sub Marte phalanges. 


C’est, deux siècles à l’avance, le programme des Idylles 
héroïques du Lauréat de l’ère victorienne. Que serait-il advenu 
de cette collaboration invoquée du goût latin avec la fougue 
indisciplinée du Nord? 

Il suffit à la gloire de Manso d’en avoir suggéré le désir à 
son hôte; deux coupes richement ornées, que Milton décrira 
dans l’Epitaphium Damonis:, furent le présent symbolique du 
vieillard au jeune homme; les saisons, le Phénix et l'Amour 
en faisaient la parure; Tityre, qui semble être Chaucer, imita- 
teur de Pétrarque (dans les vers à Manso), et les nymphes 
hyperboréennes jadis chantées par Callimaque, eussent agréé 
cet hommage de la belle Parthénope. 

Notre voyageur avait formé le dessein de visiter la Sicile et 
la Grèce ; lui qui se comparait, dans une lettre datée d'Horton, 


1. Cette élégie, imitée de celle de Moschus sur la mort de Bion, est consacrée à 
Charles Diodati, ami d’enfance de Milton, qui apprit son trépas en revenant d'Italie. 








1 Ÿ 2 NERO BULLETIN ITALIEN 


à Cérès cherchant sa fille Proserpine, Proserpine étant pour 
lui l’Idée platonicienne (« hanc 05 nxkcd ‘Idéay»), on se le 
figure volontiers sur les traces de Théocrite et d'Eschyle parmi 
les champs d’Enna, gravissant les pentes de l'Hymette ou du 
mont Hyblée. PCI sue 

Mais le rêve antique allait avoir un brusque réveil: Milton 
était parti au lendemain du procès d’Hampden; les sourdes 
rumeurs de la guerre civile rejoignirent en Italie le futur 
secrétaire de Cromwell; citoyen avant d’être artiste, il ne crut 
pas, écrira-t-il dans sa Defensio, pouvoir demeurer davantage 
éloigné de sa patrie. 

Un marchand l'aurait également prévenu que ses libres 
propos contre le papisme avaient soulevé: la défiance des 
jésuites ; il ne paraît pas s’en être effrayé beaucoup, puisque 
nous le retrouvons à Rome en janvier et février 1639. 

Il s'arrête complaisamment à Florence, où il récite, le 
17 mars, «de nobles vers latins», devant l’Académie des 
Svogliati ; il y reparaît le 24, en compagnie de lettrés italiens ; 
son compatriote, le jeune Windebank, est présenté au grand- 
duc, qui lui demande si les Écossais rebelles pourront résister 
aux armes du roi Charles; le 30 mars, Milton écrit à Lucas 
Holstenius, en vue d'obtenir un manuscrit, et il le charge de 
ses compliments pour le cardinal Barbérini « émule des plus 
illustres Mécènes, les d’Este, les Farnèses, les Médicis ». 

Enfin, il quitte la Ville des Fleurs, fait un pèlerinage à 
Lucques, en souvenir de son ami Diodati, qui était originaire 
de ce pays, et par Bologne et Ferrare il s’achemine vers 
Venise. | 

C’est alors qu’il compose trois sonnets italiens, dans le goût 
de Pétrarque, en l'honneur d’une « Donna leggiadra », rencon- 
trée sur les bords du Reno; il écrit également une canzone 
qu'un critique du siècle dernier, Eugenio Camerini', n'hésite 
pas à qualifier de « vaghissima », malgré certaines incorrections 
bien excusables chez un étranger. 


1. Profili Letterari (Florence, Barbéra, 1860). On y trouve des indications utiles 
sur les traducteurs italiens de Milton. 

Cf. l’article de Mademoiselle Teresa Guazzaroni dans le Giornale Arcadico (nou- 
velle série, 1902). 





Rés s Éliis 


tt -e  t, dle a  108 E 
Si 


MILTON EN ITALIE 313 


Au mois d'avril 1639, Milton est à Venise, d'où il expédie en 
Angleterre un chargement de livres; d’après son neveu 
Philipps, il y avait aussi des morceaux de musique, destinés 
peut-être à son ami Lawes, qu’il compare, dans un sonnet de 
1645, au Casella de Dante. 

Il traverse Vérone et Milan, et par la route du Grand Saint- 
Bernard, arrive à Genève, où il retrouve la trace de sir Henry 
Wotton et de plusieurs Anglais de marque, lesquels séjournaient 

. volontiers dans cette métropole du calvinisme. 

Leurs autographes, où figurent les noms de Strafford, de 
Cumberland, d’Evelyn, étaient réunis dans l'album d’un 
collectionneur italien, Camillo Cardoino, de Naples, album 
qu'un Américain, Summer, acheta vers 1850, à Londres; 
Milton y avait transcrit, à la date du 10 juin, les deux derniers 
vers de Comus : 


If Vertue féible were, 
He aven itself would stoope to her. 


avec une ligne de latin : 


Cœlum non animum muto dum trans mare curro. 
C'était à l'avance le témoignage qu'il se rendra plus tard, 


d'un ton légèrement pharisaïque, au sujet de la conduite 
irréprochable qu'il avait tenue outre-monts malgré le laisser- 


aller des mœurs et l’indulgence de l'opinion italienne: «car si 


je pouvais échapper aux regards des hommes, je me savais 


toujours en la présence de Dieu. » Les réfugiés de Lucques, les 


Turretini, les Calandrini, les Diodati, occupaient une place 
importante parmi les théologiens genevois; Jean Diodati, le 
champion de la stricte orthodoxie calviniste au fameux synode 
de Dordrecht (contre les Arminiens, 1618), attirait de fort loin 
les visiteurs et les élèves en sa villa située sur les bords du 
lac. Milton nous dit qu'il fréquentait journellement le docte 
professeur. 


1. À Cologny; elle servit de résidence à lord Byron, en 1816. Cf. l’auteur anonyme 
des Dernières années de lord Byron (Paris, Calmann-Lévy, 1873. 

On trouvera le portrait de Diodati dans l’ouvrage de M. Francis Gribble, Lake 
Geneva and its literary landmarks, Londres, Constable, 1901, p. 141. 





PL Nh fe 


TN ARR 


ET 
f- 


314 BULLETIN 1TALIEN 


Il ne s’arrêta guère à Paris, où lord Scudamore avait cédé la 
place à son collègue, l’ambassadeur Leicester. 

Au mois d'août 1639, il était de retour à Londres, qu'il ne 
devait plus guère quitter. 

Les années qui suivirent comptent parmi les plus orageuses 
de la vie du poète; malheureux en ménage, bientôt entraîné 
dans le tourbillon des polémiques irritantes sur le divorce, le 
presbytérianisme, l’exécution de Charles [°, il se tournera vers 
l'Italie avec un sentiment que comprennent toutes les âmes 
exilées de cette terre d'élection. 

En 1646, Carlo Dati reçut l’Epitaphiun Damonis, et en 
réponse à ses félicitations, une épître latine (datée du 21 avril 
1647) précieuse pour l’autobiographie de Milton. 

Il se plaint du hasard et de la loi qui l’enchaînent à une 
épouse incongéniale; il s'excuse des tirades anti-papistes qui 
émaillent ses pamphlets et qui peuvent choquer la religion de 
son ami; il allègue des passages analogues de Dante et de 
Pétrarque: ; puis il complimente Dati sur une oraison funèbre 
de Louis XIII, qui révèle chez ce serviteur de Mercure (Dati 
s’adonnait au négoce) un adepte des Muses ; il salue les habi- 
tués du salon de Jacopo Gaddi, et promet d'écrire encore. 

Dati Ini adresse, le 1°’ novembre, une lettre italienne où il 
vante un obscur littérateur nommé Rovai, dont il a prononcé 
l'éloge funèbre, et qu'il a déjà signalé à Heinsius et à Vossius; 
il suggère des rapprochements entre Horace, Pétrarque et 
Chiabrera ; avec une finesse toute florentine, il cite à propos de 
métrique un vers de Tibulle où se devine aisément une allusion 
aux infortunes conjugales de Milton. 

Le 4 décembre 1648, il remercie de l'envoi des Poemala, en 
met l’auteur à côté de Théocrite; il est devenu professeur 
d'humanités à l’Université, après la mort de Doni; c’est la 
chaire que les Politiens, les Vettori, les Adriani ont illustrée; 
il prépare l’oraison funèbre d’un oncle du Grand-Duc, Lorenzo 


1. Milton avait traduit quelques extraits de la Commedia et de l’Arioste contre la 
Donation de Constantin; le voyage d’Astolphe dans la lune a aussi inspiré cette 
étrange description du Fools Paradise qui fait hors-d’œuvre au ch. HI du Paradis 
Perdu, et qui renferme des attaques violentes contre le catholicisme (fragment sup- 
primé dans quelques versions italiennes.) 








UPDATE 


iiLTON EN ITALIÉ 315 


de’ Medici; Chimentelli enseigne le grec à Pise; tous les 
académiciens se rappellent au souvenir du signor Miltoni. 

À en croire Salvini, Dati, qui mourut après Milton (en 1675), 
avait le dessein de publier les lettres de ses plus célèbres 
correspondants ; on y aurait peut-être vu figurer cet Alexander 
Morus, émule de Saumaise, et qui partage avec lui quelques- 
unes des plus virulentes épigrammes de l’/conoclasles, car ce 
chevalier errant de la polémique, après avoir vécu à Genève 
au moment même du passage de Milton, s'étant trouvé malade 
à Florence, avait reçu les soins de Carlo Dati, et lui avait dédié 
une pièce qui porte ce titre de circonstance : Ægri somnium, 
« la douce musique, écrit le poète reconnaissant, calme la fièvre 
et s’insinue jusque dans les moëlles. » 

C'est sur cette harmonie imprévue qu’il nous plaît de 
conclure; sans doute, il y aurait lieu de rechercher ce que le 
génie miltonien doit directement à l'Italie, et ce que l'Italie a 
fait plus tard pour acclimater chez elle ce robuste génie, mais 
un travail d'aussi longue haleine exigerait tout un livrer. 


J. MARTIN, 


Prêtre de Saint-Sulpice. 


1. Ces lettres sont analysées en détail dans l'ouvrage classique de M. David Masson, 
Life of Milton, en six volumes, auquel nous avons emprunté la substance de cet 
article. : 

Voir t. III, p. 650, 680, 688. Le récit du voyage est au l° volume. 














LIBRI-CARUCCI 


ET LA BIBLIOTHÈQUE DE CARPENTRAS 
D'APRÈS DES DOCUMENTS INÉDITS 


(Suite'.) 


PIÈCES INÉDITES 


Les documents qui vont suivre proviennent du manuscrit 1255 à 
Carpentras, dont M. Divol nous a écrit ce qui suit: « Le manuscrit 
1255, composé exclusivement de pièces détachées, est divisé en deux 
parties. La seconde partie, celle qui vous intéresse, comprend 54 piè- 
ces accompagnées de fragments de toute nature et de toute dimension. 
On a écrit parfois sur des bandes, sur des lettres de faire part. 
Certaines pièces, plus ou moins importantes, sont reproduites une ou 
plusieurs fois. Tous ces papiers sont distribués entre quatre chemises, 
enfermées elles-mêmes dans une grande chemise commune. Ces 
quatre chemises sont placées arbitrairement les unes à la suite des 
autres. Le désordre est encore plus frappant, quand on fouille dans 
chacune d'elles. Pas un seul numéro, pas la moindre tentative de 
classement logique ou chronologique. » C'est pour mettre quelque 
arrangement et un peu de clarté dans ce chaos qu'a été tenté le rapide 
inventaire ci-dessous, où sera respecté l’ordre des chemises, et, plus 
encore, leur contenu. 


«. Cette première chemise est la moins intéressante. À part les deux 
pièces dont il sera question plus loin, elle est constituée par une série 
de lettres administratives ou judiciaires écrites de 1847 à 1854, à Car- 
pentras ou à Paris, et qui toutes ont trait à l'affaire Libri, mais 
n'apportent aucun fait nouveau, aucun renseignement un peu curieux. 
Beaucoup de ces lettres sont du consciencieux Lambert, qui y réclame 
le plus souvent la restitution de feuillets des manuscrits de Peiresc 
arrachés par Thémis aux griffes du célèbre bibliopole. A la fin, ce 
bibliothécaire modèle pourra se féliciter d'en avoir obtenu 292 sur 350, 


1. Voir le Bull. ital., t. X, pp. 249-264. 





PENETET. +. 


% 





PR CT NS Ve DER, #7 





LIBRI-CARUCCI ET LA BIBLIOTHÈQUE DE CARPENTRAS 317 


dont la disparition lui avait été signalée, sans que ce chiffre fût autre 
qu'approximatif. Ajoutons-y une copie de l'acte d'accusation de Libri, 
ainsi que de l'arrêt rendu contre lui par la Cour d’Assises de la Seine, 
une note tirée du Manuel de Brunet — sur le Théocrite des Aldes — 
et d’autres notes émanant du Catalogue des manuscrits des fonds 
Libri et Barrois par L. Delisle. 


9. La deuxième chemise ne renferme que quatre lettres sans intérêt, 
datées de 1850 et dont deux proviennent de Lambert, — qui y réclame 
inutilement copie de l’acte d'accusation et restitution des manuscrits 
et livres dérobés à Carpentras, — les deux autres, écrites par un 
greffier du parquet de la Seine, opposant des fins de non: recevoir à 
ces missives, sous le prétexte que la Cour n'avait pas ordonné de 
restitution. 


y. Trois pièces seulement constituent cette chemise : une lettre 
autographe de Libri au chanoiïne d’Olivier-Vitalis, alors (1834) biblio- 
thécaire et de caractère simplement mondain, et les deux documents 
que nous reproduisons ci-dessous. 


à. Ici, fort heureusement, les informations inédites et rares abon- 
dent, écrites ou réunies par Lambert, qui les a léguées en partie à 
cette bibliothèque, que, selon une tradition encore vivante à Carpen- 
tras, il dirigeait avec une énergie voisine de la rudesse. Ce sont: 
1° Questions posées par M. le Juge d'instruction de Carpentras; 
»° Déposition écrite remise à M. le Juge d'instruction à Carpentras:; 
3° Une lettre d'Eysséric; 4°-5° Deux lettres du bibliothécaire Vitalis ; 
6° Extrait de l'Inventaire de 1842-47 : manuscrits qui n'ont pas été 
retrouvés 2. 

Dans la transcription qui va suivre, nous considérons la Déposition 
écrite de Lambert, exposé clair et précis de l’histoire de la Biblio- 
thèque de Carpentras de 1840 à 1847 au point de vue des larcins de 
Libri, comme le pivot de notre contribution, autour duquel gravitent 
les autres pièces comme autant de compléments et d'éclaircissements 
indispensables, y compris, même, les écrits, si postérieurs, de Barrès 
et de Tamizey de Larroque. Notre intention n'ayant jamais été de pro- 
duire une œuvre agréable, mais, au contraire, d'éclaircir documentai- 
rement un des côtés restés obscurs de cette prodigieuse affaire Libri, 
l'on nous pardonnera, nous osons l’espérer, d’avoir volontairement 

1. Lambert attachait sans doute une importance extrème à ce document, car il en 
a fait une quadruple expédition, dont deux complètes et très soignées, et, des deux 


autres, l’une inachevée, l’autre sabrée de ratures verticales, bien qu'aucune n'offre de 
différences de rédaction. 

2. Cet extrait, accompagné d’une note complémentaire, est en double expédition. 
Il est reproduit plus bas, $ V. 


Bull. ital. 21 


SR PE RE LE AT ES AS pue 
D AN APS TOUS Ar ANNE EN 





318 BULLÉTIN ITALIEN 


sacrifié ici l'attrait de la forme aux exigences austères de la plus 
pragmatique méthode historique. 


QUESTIONS POSÉES PAR M. LE JUGE D’INSTRUGTION 
DE CARPENTRAS. 


Faits généraux. — À quelle époque M. Lambert a-t-il été nommé 
bibliothécaire? Antérieurement à cette époque ne remplissait-il pas 
déjà ces fonctions, en remplacement de M. l’abbé Laurans, qui n'était 
bibliothécaire que de nom? — Dans quel état était la bibliothèque à 
cette époque ? Existait-il un catalogue exact et détaillé des imprimés 
et des manuscrits? — Ce Catalogue contenait-il des énonciations 
suffisantes et qui permissent de constater la disparition des ouvrages? 

Dans le courant de 18/47, une commission ne fut-elle pas nommée 
par le Conseil municipal à l'effet de dresser l’inventaire des imprimés, 
manuscrits, médailles, etc. de la bibliothèque? — Quel fut le résultat 
de ce travail? 

Un récolement complet des imprimés et des manuscrits ne fut-il pas 
dressé, vers la même époque, par M. Lambert? — Ne trouva-t-il pas 
9,000 volumes qui ne figuraient dans aucun catalogue? — Ne fut-il 
pas également constaté par M. Lambert qu’un grand nombre de 
manuscrits avaient disparu? — Pourrait-il en former un état? — Il 
serait bon d'indiquer l’époque où ce travail a été terminé. — Des 
soins rigoureux ont-ils été pris depuis lors par M. Lambert pour 
rendre tout enlèvement, toute soustraction impossibles ? — M. Lambert 
ne peut-il pas affirmer qu'aucun détournement n’a eu lieu sous son 
administration? 

Au mois de décembre 1847, des renseignements ne furent-ils pas 
demandés à M. Lambert par M. de Larque, alors procureur du roi à 
Carpentras? De quelle nature étaient ces renseignements? — Il est 
question dans le Rapport de M. Boucly du retard que M. Lambert 
aurait mis à répondre, par suite des ménagements qu’il désirait 
garder vis-à-vis de son prédécesseur, vieillard octogénaire. M. Lam- 
bert pourrait-il fournir quelques explications à cet égard et dire 
quelles furent les recherches auxquelles il se livra à cette époque? 

Il résulte d’une lettre écrite par M. de Larque à son collègue de 
Paris, que M. Lambert aurait déclaré dans diverses conversations, que 
des soustractions auraient été commises à la bibliothèque antérieu- 
rement à sa nomination. Il aurait même fourni une note de divers 
manuscrits qui avaient disparu. Quelques explications seraient 





LIBRI-CARUCCL ÊT LA BIBLIOTHÈQUE DE CARPENTRAS 319 


également nécessaires sur ce point. Notamment sur les ouvrages 
ci-après. 

Théocrite. — M. Lambert est prié de dire tout ce qu’il sait relative- 
ment à cet ouvrage. — À quel titre fut-il prêté à M. Libri? — 
Ce dernier était-il autorisé à l'emporter à Paris? — Est-il à sa connais- 
sance que M. Laurans ait consenti à l'échange dont parle M. Libri? — 
N'est-ce pas au contraire sur les réclamations pressantes de M. Lau- 
rans que M. Libri se décida enfin à envoyer de Paris un autre Théo- 
crite en remplacement de celui qu’il avait emporté? — Le nouvel 
ouvrage ne fut-il pas apporté par M. Morel? N'’existait-il pas entre les 
deux une grande différence de prix ? 

Envoi de 33 volumes en échange de manuscrits. — L'envoi de 
33 volumes se rattache-t-il dans la pensée de M. Lambert à l'affaire de 
Théocrite, ou bien à celle de l'échange proposé par M. Libri relative- 
ment à certains manuscrits? Quel est le prix approximatif de ces 
33 volumes? M. Lambert pourrait-il en donner la liste exacte? M. Lau- 
rans n'a-t-il pas parlé à M. Lambert de cet échange de manuscrits 
proposé par M. Libri? N’a-t-il pas été question des obsessions aux- 
quelles il était en butte de la part de plusieurs personnes ? 

Il libro del Cortegiano. — A-t-il existé dans la bibliothèque un 
volume portant ce titre? — Était-il imprimé ou manuscrit? — A-t-on 
des soupçons vis-à-vis de M. Libri? 

Dante. — Renseignements précis sur ce volume. — A quelle époque 
a-t-il été volé, ou depuis quelle époque a-t-il disparu ? Déclaration faite 
par le concierge. — Rapport de la Commission de surveillance. — 
Débat qui s’éleva relativement à la rédaction du rapport sur ce point. 
— Ce volume n'’était-il pas d’un grand prix ? — Serait-il possible d’en 
avoir le signälement ? 

Visites de M. Libri à la Bibliothèque. — M. Libri n’a-t-il pas visité à 
diverses époques la bibliothèque? — A quelle époque ont commencé 
les visites — À quelle époque ont-elles cessé? — M. Libri était-il 
autorisé par le maire? — En quels termes avait-il la permission d’em- 
porter les livres chez lui? — Exigeait-on des reçus chaque fois? — 
Ne passait-il pas le plus souvent à la bibliothèque des journées entières 
et ne faisait-il pas apporter ses repas dans la salle même où il travail- 
lait? — Était-il seul ou accompagné? — Une surveillance quelconque 
était-elle exercée autour de lui? M. Lambert n’a-t-il pas reçu quelques 
déclarations de l’ancien concierge sur divers points ? — Des soustrac- 
tions auraient-elles pu être facilement commises par lui? 

Il est essentiel que M. Lambert dise sur ces divers points non seule- 
ment ce qu'il sait personnellement, mais encore tout ce qu'il a entendu 
dire par les employés ou autres personnes de son entourage. 


Carpentras, 20 juin 1849: 
1, Copie garantie (Note de Lambert). 





320 BULLETIN ITALIEN 


IT 


DÉPOSITION ÉCRITE REMISE A M. LE JUGE D’INSTRUCTION 
A CARPENTRAS. 


Le 1° mars 1840, je fus, sur la proposition de la Commission de 
surveillance, chargé de la confection du catalogue des livres de la 
bibliothèque de Carpentras. Je recevais de la ville, pour ce travail, un 
traitement égal à celui du bibliothécaire, mais je n'étais attaché par 
aucun titre à l’établissement. Il existait déjà un ancien catalogue des 
imprimés, rédigé par ordre alphabétique, passablement détaillé, mais 
offrant quelques erreurs fort graves et jugé insuffisant par la Commis- 
sion de surveillance. Je n’ai trouvé d’ailleurs ni catalogue ni registre 
où il fût fait mention des livres doubles et des ouvrages, en assez 
grand nombre, qui, depuis plus de cinquante ans, sont entrés dans la 
bibliothèque. Je commençai par les imprimés ; les manuscrits n'étaient. 
pas encore à ma disposition et je croyais, d’ailleurs, qu'il en existait 
un Catalogue. 

Au commencement d’août 1842, M. d’Olivier-Vitalis, bibliothécaire, 
s'étant démis de ses fonctions, une commission spéciale fut nommée 
par M. le Maire pour procéder à l'inventaire de la bibliothèque et du 
musée. . 

Cette commission dont je faisais partie, commença le 8 du même 
mois le cours de ses opérations qui, suspendu après la deuxième 
séance par l’absence de plusieurs membres, fut repris le 21 novembre 
suivant, et terminé le 23 janvier 1843. Cet inventaire a été ensuite 
revisé et complété, sur ma demande, le 19 février 18437. 

M: l'abbé Laurans, principal du collège, fut nommé bibliothécaire 
à la place de M. d'Olivier, et je lui fus adjoint en qualité de sous- 
bibliothécaire. M. d'Olivier continua de loger à la bibliothèque, et n’en 
sortit que le 8 février 1843. Le même jour j’occupai son logement; 
toutes les clefs me furent remises; et dès lors je suppléai cons- 
tamment M. Laurans jusqu’à sa mort, survenue le 18 janvier 1844. 

Le même jour je fus nommé bibliothécaire. 

Aussitôt après la sortie de M. d'Olivier je m’empressai de rédiger 
un catalogue des manuscrits dont il n'existait qu’une liste insuffi- 
sante, où les 115 volumes de Peiresc et quelques autres n'étaient pas 
mentionnés. Il n’y a jamais eu aucun catalogue du musée. La commis- 
sion d'inventaire a joint à la suite de son travail une liste des manus- 
crits qui n'ont pas été retrouvés. Une copie de cette liste est jointe à 


ma déposition 1. 


1. Cf. ci-dessous, n° V. 







ERP LD AU, Tr "LE V Or AUS RE ? \ TVA 
TT NME De NES 


LIBRI-GARUCCI ET LA BIBLIOTHÈQUE DE CARPENTRAS 321 


En décembre 1847, M. de Larque, alors procureur du roi à Carpen- 
tras, me demanda, sur l'invitation de M. Boucly, procureur de la 
Seine, la description des manuscrits qui manquaient à la bibliothèque. 
J'en donnai le titre et j'en indiquai le format d’après l’ancienne liste 
précitée. Je ne les avais jamais vus; il m'était impossible d’en faire la 
description ; les volumes tant imprimés que manuscrits de notre 
bibliothèque n’ont aucune marque ni estampille qui les fasse distin- 
guer et portent seulement sur le dos un numéro collé, qui souvent se 
détache de lui-même. Si M. Boucly écrivit jusqu’à trois fois à M. de 
Larque pour pouvoir obtenir des renseignements suffisants, il est 
bien évident aujourd'hui qu'il faut ‘en attribuer la cause au manque 
de catalogues et non aux ménagements qu'il a cru que je gardais 
envers mon prédécesseur. 

Au nombre des manuscrits qui nous manquent, se trouve notam- 
ment le volume intitulé : 2! Cortegiano di Castiglione, in-folio. L'ancien 
catalogue des manuscrits ne le désigne pas autrement. Dans sa 
Réponse au Rapport de M. Boucly, M. Libri paraît croire qu'il s’agit 
d'un exemplaire de la première édition, 1528. Je ne sais s’il nous 
manque de plus un imprimé. Dans ce cas, il aurait été double; car 
nous avons encore un exemplaire de cette première édition intitulé : 
Il libro del Cortigiano del conte Baltazar Castiglione... In Venetia, 
Aldo, 1528, in f°. C'est, je le répète, le manuscrit qui nous manque : il 
devait avoir une grande valeur. 

Il existait aussi dans le même cabinet un précieux manuscrit du 
Dante, in-8° sur vélin, qui aurait disparu de la bibliothèque dans 
l'intervalle de 1835 à 1841. J'ai oui dire qu'il était couvert de maro- 
quin rouge. L'ancien concierge, mort en 1848, a déclaré devant 
la Commission d'inventaire que ce livre avait été communiqué à 
M. Libri; mais il n'a pu donner aucun autre renseignement. Quant 
au Théocrite en grec imprimé chez Alde, 1495, in f°, je l'avais déjà 
porté sur mon catalogue lorsqu'il fut prêté à M. Libri; j'en pus donner 
par conséquent une description exacte et complète qui permettait d’en 
constater l'identité. 

Le reçu de M. Libri est daté du 21 novembre 184r. Il a été remis 
entre mes mains par M. d'Olivier, ex-bibliothécaire, avec plusieurs 
autres papiers relatifs à l'administration de la bibliothèque. M. Libri 
s'engage à rendre le Théocrite après s’en être servi pour ses travaux. 
Il n'était point autorisé à l'emporter hors de la ville, Le livre fut 
réclamé par M. l'abbé Laurans et rapporté de Paris, en septembre 1843, 
par M. Léon Morel, alors secrétaire de la mairie. Je ne vis point 
M. Morel lorsqu'il rendit ce volume, et je n’ai jamais eu avec lui 
aucune relation à ce sujet. Le concierge de la bibliothèque et moi nous 


1. Cf. ci-dessous, n° VI, la copie de la pièce III de la chemise y. 





PSE Et 
"FM NOR 
L 7 NT ; 
RE Ar er del 


329 BULLETIN ITALIEN 


nous aperçûmes facilement que l’exemplaire avait été changé, et nous 
le fimes observer à M. Laurans; mais je ne pouvais sans titre faire 
moi-même les réclamations nécessaires. L’exemplaire de Carpentras 
était couvert de parchemin et n’avait pas été rogné, ce qui en augmente 
beaucoup la valeur; celui de M. Libri est rogné, relié en maroquin rouge, 
et porte une marque anglaise sur la garde avec le nom Graham. 

Quant aux réclamations que M. Laurans me dit avoir faites pour 
obtenir la restitution de notre exemplaire de Théocrite, j'appris 
qu'elles avaient été sans résultat satisfaisant, et c’est tout ce que je 
puis en dire; ni les lettres de M. Laurans à ce sujet, ni la réponse de 
M. Libri ne m’ayant été communiquées. 

M. Libri prétend, dans sa Réponse à M. Boucly, qu’il obtint le 
Théocrite de Carpentras par voie d'échange, et qu'il offrit en compen- 
sation un autre exemplaire de la même édition, plus un certain 
nombre de livres imprimés. Je n'ai point eu connaissance de cet 
échange ; M. Laurans ne m'en a jamais parlé; il n’en est point question, 
surtout, dans la lettre écrite par M. Libri, le 13 septembre 1845, et 
apportée par M. Morel avec le Théocriter. Dans cette lettre qui me fut 
remise par M. Laurans, le jour même qu'il la reçut, M. Libri dit 
simplement: J’ai remis à M. Morel un ouvrage qui m'avait été prêté 
depuis quelque temps. Rien de plus au sujet de ce livre; pas un seul 
mot sur le changement d’exemplaire. 

J'appris alors, par la même lettre et de la bouche de M. Laurans, 
que M. Léon Morel était chargé de la part de M. Libri de proposer 
l'échange de plusieurs manuscrits de Carpentras contre quelques livres 
imprimés destinés à la bibliothèque de la ville ou à celle du collège. 

Dans le courant de l’année 1843, M. Tassis, natif de Carpentras, 
correcteur de l’imprimerie de MM. Firmin Didot, fut choisi par 
M. Laurans pour correspondant de la bibliothèque; c’est-à-dire qu'il 
fut chargé de faire des achats de livres et de retirer des divers minis- 
tères les ouvrages accordés par le gouvernement. 

Sur la fin de janvier 1844, deux ou trois jours après la mort de 
M. Laurans, je reçus de Paris, pour la bibliothèque, une caisse 
expédiée par M. Tassis. Cette caisse fut ouverte sous nos yeux par le 
concierge, et je notais les volumes à mesure qu'il les en tirait. Elle 
contenait plusieurs ouvrages donnés par le gouvernement, quelques 
livres achetés par la ville et trente-trois volumes in-12° et in-8° brochés, 
envoyés par M. Libri, je ne sais à quel titre. Je supposai même que 
c'était un don gratuit. La lettre d'envoi de M. Tassis ne contenait à ce 
sujet aucune explication. M. Libri, disait-il, m'a envoyé de la Sorbonne 
un petit ballot de livres destinés à la bibliothèque de Carpentras; ü 
contenait trente-trois volumes. J'annonçai à M. Tassis la mort de 


1. Cf. ci-dessous, n° VI, la copie de la pièce Il de la chemise y. 








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LIBRI-CARUCCI ET LA BIBLIOTHÈQUE DE CARPENTRAS 323 


M. Laurans, qu’il ignorait encore, et je lui accusai réception de la 
caisse, notamment des trente-trois volumes dus à la munificence de 
M. Libri: c’est l'expression que j'employai. M. Tassis, dans sa réponse, 
ne me parla nullement des livres en question, et me déclara qu'il ne 
voulait plus être le correspondant de la bibliothèque. 

Cependant la générosité de M. Libri n'étant de ma part qu’une pure 
supposition, je pensai tout naturellement que ces livres avaient été 
envoyés en échange des manuscrits qu'il avait demandés. Je ne les 
inscrivis point dans le catalogue, et les mis en réserve pour les lui 
rendre dans le cas où il les réclamerait. J'attendais à ce sujet une 
explication de sa part, lorsqu'il me fit dire par le concierge qu'il en 
faisait don à la bibliothèque. Ces trente-trois volumes valent au plus 
quatre-vingts francs. En admettant qu'ils aient été donnés pour 
l'échange de Théocrite, ils sont bien loin de suffire à la compensation. 

Je ne sais si l'échange des manuscrits aurait pu s’effectuer; mais je 
puis attester que depuis le 8 août 1842, jour où fut commencé 
l'inventaire, aucun volume n'est sorti du cabinet des manuscrits. 

Pendant l'été de 1847, la bibliothèque et le musée furent transportés 
dans le nouveau local qu’ils occupent aujourd’huir. Je fus chargé de 
surveiller ce transport, qui fut fait avec tant de soin et de célérité que 
nous n’avons pas eu à déplorer la perte d’un seul feuillet, d’une seule 
médaille, ni la dégradation du moindre objet. Tous les volumes, 
comptés au départ et à l’arrivée, ont été rangés par ordre sur les 
tablettes, à mesure qu'on les apportait. 

Au mois de mars 1848, M. le Maire d'alors me fit appeler pour me 
communiquer le n° du Moniteur qui contenait le Rapport de M. Boucly. 
Quelque temps après je reçus pour la bibliothèque deux exemplaires 
de la Réponse de M. Libri à ce Rapport. 

Depuis près d’un an je n’entendais plus parler de cette affaire, 
lorsque M. Lalanne, en qualité d'expert, est venu le mois dernier à la 
bibliothèque vérifier l’état des manuscrits de Peiresc, qu'il a feuilletés 
d'un bout à l’autre. Cette opération, qui a duré neuf jours entiers, du 
26 mai au 4 juin suivant, s’est faite constamment sous mes yeux, et 
j'ai pu reconnaître qu'un assez grand nombre de pièces retrouvées 
dans le cabinet de M. Libri avaient été arrachées de ces manuscrits, 
je ne puis dire à quelle époque, mais avant le 8 août 18422. 


1. Ce transfert, de l'hôtel de Grandis-Pomerol à l’ancien hôtel d’Allemand, eut 
lieu du 8 juin au 14 août 1847. 

2. Sur quelques manuscrits de Peiresc et leurs curieuses transmigrations, nous 
publierons un article documentaire dans l’un des prochains numéros de ce Bulletin. 
Libri avait eu, à l’en croire (Hist. des Sc. Math. etc., citée plus bas, t. IV, p. 485), 
l'intention de donner dans l’ouyrage qui a fondé sa gloire en France «une notice des 
mss. de Peiresc, si riches en documents inédits de toute espèce, et qui sont dispersés actuel- 
lement à Carpentras, à Nimes, à Montpellier, à Paris, à Rome et ailleurs. » En fait, il les 
connaissait, hélas! trop bien et ne tarda pas, sans doute, à reconnaître que mieux 
valait encore les piller que les décrire, : 


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324 BULLETIN ITALIEN 


Je n'ai jamais eu aucun rapport avec M, Libri. J'ai entendu dire 
qu'en 1830, il vint résider à Carpentras, en qualité de réfugié politique. 
Il y est resté, je crois, deux ou trois ans. Je ne le connaissais que par 
sa réputation de savantr. Il fréquentait assidûment la bibliothèque, où 
il passait des jours entiers, probablement sans être surveillé, Nommé 
professeur à la Faculté des sciences de Paris et au Collège de France, 
il est revenu en 1840 à Carpentras avec le titre d'Inspecteur général 
des bibliothèques. C'est la seule fois que j'ai eu l'honneur de le voir et 
de lui parler, Il parcourut quelques recueils de la correspondance de 
Peiresc, et comme il était fort pressé de partir, il me pria de lui copier 
les noms de plusieurs personnages à qui les lettres de Peiresc sont 
adressées. Ce que je fis au même instant. 

J'ai su par diverses personnes de sa connaissance qu'il passait à 
Carpentras tous les ans, en allant à Florence ou à son retour. Il a 
visité deux ou trois fois la bibliothèque, de 1844 à 1847; mais il ne s'y. 
est arrêté que peu d'’instants et dans l'intervalle des séances. Il s’est 
présenté au concierge, qui l’a fait entrer dans la salle des imprimés ; 
mais j'ai toujours gardé la clef du cabinet des manuscrits, le concierge 
n'a pu l'y introduire. 

LAMBERT, 


Bibliothécaire de la Ville de Cerptatrél 
Carpentras, le 20 juin 1849. 


1. Quand Libri se vit contraint, à la suite d’une affaire de conspiration que nous 
détaillerons ailleurs, de quitter, en 1830, l’Université de Pise, dont il occupait une 
chaire depuis 1823 — il était né à Florence le 2 janvier 1803 — il jouissait déjà d'une 
exceptionnelle réputation de mathématicien. À r7 ans, licencié en droit et docteur 
ès sciences, le Mémoire qu’il avait publié sur la théorie des nombres et le théorème 
de Fermat, si fort loué par Gauss, lui avait, en union avec le prestige attaché à sa 
très ancienne origine florentine, gagné les esprits, et les travaux qui suivirent, non 
moins remarquables, sur la résolution générale des équations indéterminées du 
1‘ degré à deux inconnues (1826), sur les fonctions discontinues, sur la théorie 
de la chaleur, etc., avaient assis, à un âge où l’on prend ordinairement ses premiers 
grades universitaires, sa fortune de savant. On se convaincra de sa valeur en 
examinant, non seulement son mémoire : Sur la théorie des nombres (Florence, 1820, 
in-4°) et les 2 vol. in-4° de ses Mémoires de mathématiques et de physique parus à Pise 
en 1827-29, mais les nombreuses contributions de lui demeurées enfouies dans 
les Memorie de l’Ac. des Sciences de Turin, les Annales de Gergonne, le Journal de 
Crelle, les Annales de chimie et de physique et les Comptes Rendus de l’Ac. des Sciences 
de Paris. Son Histoire des Sciences mathém. en Italie, etc., publiée à Paris en 1838 et 
1841 en 4 vol. in-8°, œuvre hors de pair tant du point de vue de l'érudition que de 
celui du style, expliquerait l'amitié passionnée d’un Arago, et des ouvrages comme 
les Souvenirs de la jeunesse de Napoléon (Paris, 1842, in-8°) et surtout la Lettre sur le 
clergé et la liberté de l'enseignement (Paris, 1844, in-8°), — sans parler des Découvertes 
d'un bibliophile (Strasbourg, 1843, in-8°), ni des articles des Débats, — celle d’un 
Guizot. — I1 y a, dans la vie de Libri, une sorte de tragique poésie à laquelle ne 
seront insensibles que les philistins de science et qu’il serait à souhaiter que son 
futur historien sût dégager avec l’impartialité (qui n'exclut nullement l'émotion 
humaine) du véritable critique. 11 est cerlain, par exemple, que quand Libri écrivait 
la note contenue p, 10 du t. I de son Histoire des Sciences Mathématiques — dont 
lest. Vet VI, annoncés en 1841 comme étant « sous presse », ne parurent jamais — 





LIBRI-CARUCCI ET LA BIBLIOTHÈQUE DE CARPENTRAS 329 


III 


LETTRE DE M. Eyssérict. 


En 1847, la commission chargée de la vérification des médailles et 
des manuscrits de la Bibliothèque de Carpentras, interpella M. Vitalis, 
ex-bibliothécaire, et M. Boitelet, concierge, sur les pertes en médailles et 
manuscrits que nous avions constatées dans notre travail de vérification. 

M. Vitalis déclara ne pouvoir fournir aucun renseignement. 

Quant au concierge Boitelet, la commission ne put avoir de détails 
qu’au sujet du Dante. Ce précieux manuscrit avait été communiqué à 
M. Libri lors d’une visite qu’il fit à la bibliothèque en 1839 ou 4o. (Je 
ne me rappelle pas trop l’époque désignée par Boitelet.) Après le 
départ de M. Libri, quand le concierge voulut ranger les divers manus- 
crits que M. Libri avait examinés, le Dante avait disparu. « Je ne puis 
dire,» ajouta Boitelet, «que M. Libri ait réellement emporté le 
« Dante »; je ne puis que constater la coïncidence entre la disparition 
du manuscrit et le passage de M. Libri. » 

En présence d’un soupçon aussi grave contre un homme aussi haut 
placé que M. Libri, toute autre preuve manquant d’ailleurs, la com- 
mission fut d'avis à l’unanimité de ne pas nommer M. Libri dans le 
procès-verbal, mais le fait révélé par Boitelet fut consigné, seulement 
on substitua au nom de M. Libri l'expression vague de «un savant 
étranger ». 

Boitelet ajoutait que M. Libri n’était pas activement surveillé, à cause 
de la confiance qu’on avait en lui et surtout par suite du caractère 
officiel dont il était revêtu. La surveillance était, d’ailleurs, difficile, 
attendu que M. Libri travaillait toujours au milieu d’une montagne de 
livres et derrière le fauteuil de M. Vitalis, alors bibliothécaire. 


sur les «coupables négligences » qui firent disparaître tant de «mss. précieux » dans 
«ces derniers temps » (le passage est daté de 1835), il était sincère, La difficulté consiste 
à bien dégager comment «en un plomb vil» se mua cet « or pur » et en vertu de quelle 
évolution l’amateur zélé devint un voleur retors. 

1. Eysséric, ancien professeur au Collège de Carpentras, auteur d'ouvrages estimés 
de géographie et de mathématiques, bienfaiteur de la Bibliothèque, — dont une salle 
porte son nom, ainsi, d’ailleurs, qu’une rue de Carpentras — dut écrire cette lettre à 
Lambert, qui, en tout cas, l’a léguée à la Bibliothèque. Nous avertissons une fois pour 
toutes que qui désirerait avoir des renseignements sur les personnages dont il est 
question dans ces pièces, les trouvera dans l’Introduction de M. Labande. Sur Dom 
Malachie d’Inguimbert, p. x1v seq.; sur Peiresc, p. xxiv seq.; sur l’abbé de Saint-Véran 
— qui resta bibliothécaire jusqu’à sa mort (1812), — p. xxxiv seq.; sur Barjavel, 
p. xzrn1, sur Eysséric, p. xLiv. Il n’y a malheureusement rien qui vaille sur Olivier- 
Vilalis, dont il importait cependant de fixer le caractère. M. Labande, aujourd’hui 

archiviste du Prince de Monaco — depuis 1905, si nous avons bonne souvenance — et 
 confectionnant,; aux frais de S. A. S., des bouquins in-4° sur diverses seigneuries, 
doit avoir oublié ces vétilles depuis longtemps, 





3926 BULLETIN ITALIEN 


Œuvres de Théocrile. — Je n'ai jamais entendu dire à l’abbé Lau- 
rans qu'il eût accepté l'échange du Théocrile; je me rappelle positi- 
vement le contraire. M. Laurans s’est plaint plusieurs fois devant moi 
de ce que M. Libri avait gardé notre édition et nous avait envoyé une 
édition rognée, d’une valeur très inférieure. Si l'abbé Laurans a fini 
par accepter les propositions de M. Libri, c'était pour ne pas l’indis- 
poser contre nous. M. Libri avait, en effet, rendu des services à la 
bibliothèque et sa haute position lui permettait assurément d'en 
rendre de nouveaux. J'ai entendu dire que M. Libri avait souvent 
sollicité et obtenu du ministre de l’Instruction publique des envois de 
livres pour la bibliothèque ou pour le collège. 

Exsséric, 


Professeur de mathématiques. 
Carpentras, 27 juillet 1840. 


Je dois ajouter que M. Olivier-Vitalis, alors bibliothécaire, passait 
pour avoir avec M. Libri des relations intimes et il n’était guère 
homme à surveiller ce dernier d’une manière sérieuse. — C’est là un 
fait de notoriété publique à Carpentras. 


IV 
SUR LE CHANOINE HyaciNrHE D'Orivier- Virauis. 

«J'ai peine à comprendre, nous écrivait M. Divol, que cet huma- 
niste assez distingué de la fin du xvru° siècle et la première moitié du 
x1x° soit devenu en peu d'années le déplorable auteur des deux lettres, 
vraiment extraordinaires, à Libri conservées dans notre Bibliothèque. 
Par les variations et les fantaisies du français et de l'orthographe 
et même par la forme des caractères, elles rappellent le xvi° siècle. 
Est-ce la décrépitude sénile, accélérée par le malheur, qui a engendré 
ce phénomène d’archaïsme rétrospectif? Ce n’est point moi qui tenterais 
d’élucider ce problème psychologique. » L'auteur de la «dissertation 
et examen critique des diverses opinions des écrivains » sur L'illustre 
châlelaine des environs de Vaucluse, la Laure de Pétrarque (Paris; 
1842, in-8° avec portrait) avait trouvé, pour célébrer le monument 
élevé par l’Athénée de Vaucluse à la mémoire de Pétrarque, des accents 
qui témoignent, sinon de sa verve poétique, du culte qu'il professait 
pour le chantre de l’amour chevaleresque. Le manuscrit 1243 de la 
Bibliothèque de Carpentras, intitulé : Mélanges historiques, contient, 
en effet, ces « inscriptions» proposées par Vitalis : 


Hie Lauram cecinit procul heu! Petrarcha sepultus ! 
Vivos laesit amor nec amor post funera junæit. 








LIBRI-CARUCCI ET LA BIBLIOTHÈQUE DE CARPENTRAS 327 


Aux mûânes de Pétrarque, à son ombre fidèle, 

À Laure que ses vers rendirent immortelle. 

Qui que tu. sois, rival de ce chantre sacré, 
Puisses-lu, comme lui par ta Laure inspiré, 
Égaler son génie, égaler sa tendresse 

Et ceindre d’un laurier le front de ta maîtresse! 


Quae Venus afflavit vali, dilecta Camænis 
Carmina casta pudor, non virtus ipsa recusat : 
Nostri si legeris vestigia sacra Poelae, 

Æmulus, 6 utinam plectrum nova Laura ministret! 


Mais il semble indiscutable que, dans ses rapports avec Libri, 
Olivier-Vitalis ait fait preuve d’une coupable condescendance à sacri- 
fier au prestige du personnage puissant la rigueur du devoir profes- 
sionnel et ce point important nous apparaît fixé documentairement 
par les pièces suivantes, dont nous avons dit plus haut qu'elles 
faisaient partie de la chemise + du manuscrit 1255. La première note, 
écrite à la hâte par Lambert sur un imprimé de la Justice de Paix 
froissé et un peu sale, a la teneur qu'on va lire : 

« Par arrêté ministériel du 30 avril 1839, le comité d’ inspection de 
la bibliothèque de Carpentras a été composé de : 

» MM. Athenasy, ancien président; Bavoux J., Laboissière G., 
Allegier Th., Anris, Barjavel D. m., Verney, prof., Barcilon, not., 
Pascal, secrétaire délégué par le Comité (sic). 

» Le 30 juillet 1842, le Comité tint sa dernière séance, dans laquelle 
il dénonça deux lettres de M. le bibliothécaire Olivier, ce qui fut 
cause qu'on ne le convoqua plus. C'est à la suite de ce fait grave 
qu'une nouvelle commission fut désignée pour Laver (sic) M. le 
bibliothécaire et le travail de cette dernière révéla les faits relatifs à 


M. Libri. » 
En fait, Vitalis s'était vu contraint de démissionner en août 1842 et 
la lettre suivante — extraite en très grande partie, — date de deux 


années après sa mise à pied. Elle n’en est pas moins caractéristique, 
comme le remarquait, on l’a vu, M. Divol.-« M. le Comte Libri à 
Paris. De Carpentras le 20 avril 1844.— Depuis que mes 80 ans 
se sont écoulés dans les tourmentes révolutionnaires ou dans des 
vicissitudes d’existence bien précaires, que je m'apperçais tous les 
jours, que ma mémoire, mes facultés intellectuelles faiblissent. Je 
m'aplaudis d’avoir battu en retraite, d’avoir eu le courage de le 
manifester en donnant ma démission de l'emploi honnorable que 
j'occupais qui m’avait valu des relations si satisfaisantes et fort de ma 
conscience d’avoir bravé l'induction que des ennemis jaloux de ce 
poste à envier pouvaient la faire sous cet aspect considérer comme un 
aveu tacite de la réalité des inculpations dont ils flétrissaient sourde- 
ment et chacun dans des vues personnelles, ma mémoire. 








328 BULLETIN ITALIEN 


» Je me suis aplaudi que déjouant toutes les intrigues, on ait jetté 
les yeux sur ce pauvre abbé Laurent (sic) qui à peine installé et se 
conduisant à mon égard d’une manière affectueuse et pleine d’atten- 
tion n'ai pu résister à une violente maladie à laquelle en trois jours il 
a succombé, mais laissant ses affaires si dérangées qu’elles ont donné 
à ses héritiers bien de la tablature. Un nouveau choix pour lui succé- 
der a été fait dans un membre en retraite de l’Université ayant su 
aussi les braver, M. Lambert qui a bien du mérite qu'avait reconnu 
l'abbé Laurent en l’'employant dans son absence à faire le relevé et un 
nouveau catalogue de la Bibliothèque, Voilà touz mes prétendans aux 
abois et je ne les plains pas; si ma Châtelaine Laure s'était vendue 
comme je m'en flattois, si M. de Villemain auquel moi petit vieux 
bibliothécaire de province avorton d'instruction publique espérant 
que sous vos auspices malgré les nombreux errata de mon imprimeur 
de m'en prendre un certain nombre d'exemplaires pour les biblio- 
thèques de province ou pour les prix des collèges avoit eu lieu (sic) et 
m'avoit dédomagé en partie de la demande que j'avais faite au 
ministre de l'intérieur d’une pension d'homme de lettre pour les 
quelques pauvres ouvrages que j'avais donné au public gratuitement 
et dont l'impression avait contribué à me ruiner, n’avoit été transmis. 
au Ministère de l'instruction publique auprès duquel (sic), qui s’est fait 
une loy de ne pas en donner, mais seulement quelques gratifications. 
Je pourrois aller et à force d'économie et de privations ne pas imiter 
ni l’abbé Laurent ni un autre de mes anciens compatriotes avec lequel 
j'étais en grande relation d'amitié. 

» Là je trouve qu’il y a bien longtemps que je n’ai point de vos 
nouvelles et je me dis il faut en provoquer fussai-je indiscret dans ses 
occupations si multipliées — et puis M' Martin me dit vous n'avez 
pas reçu des nouvelles de M. le Comte, et la sœur de ce bon Boitelet 
qui m'est toujours si dévouée etc. M. Libri ne viendra-t-il plus revoir 
son Carpentras? Que leur répondre? Je cherche en vain quelque indice 
dans le journal des Scavans dans la Revue des Deux-Monde qu'on me 
fait passer rien ne s’y présente... » 

La seconde lettre du misérable bibliothécaire est plus caractéristique 
encore et nous la reproduisons in extenso : « M. le Comte de Libri. — 
Il y a déjà bien longtemps que je n’ai pas reçu de vos lettres, je ne 
sçais à quoi l'attribuer; cette privation m'afflige; honoré de mes 
relations avec vous ce qui a pu ajouter à la jalousie dont m'ont pour- 
suivi mes détracteurs dont les sourdes menées ont élé accueillies dans 
des vues si diverses mais tendant toutes de se procurer les moyens de 
m'évincer pour me succéder, fier de ma conscience et de tout ce que 
j'avais fait pour le dépôt qui m'était confié, je crus d’abord que le 
mépris devait être ma seule arme pour les repousser. Sept à huit préten- 
dans ostensibles ou cachés déjoués dans leur complots (sic), seroient- 








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LIBRI-CARUCCI ET LA BIBLIOTHÈQUE DE CARPENTRAS 329 


ils parvenus par de tristes insinuations à les faire adopter par ceux qui 
m'avoient jusqu’à présent montré tant d'’interests, ah que mes vieux 
ans sont criblés des traits de leur malice. eh bien j'ai laissé le champ 
libre. L'histoire de leur complot seroit vrayment curieuse, mais où 
aboutiroit-elle? Je la connais à présent vu que parfois ils se trahissent ; 
à compromettre quelquefois mes amis. en m’accusant de négligence à 
surveiller même des surveillans dans leur recherche à nos manuscrits. 
Je n'ai pu m'expliquer comment y avoit disparu le joli Dante in-8° que 
j'y avois remarqué depuis bien peu de temps. Je n’eus qu’à me louer 
des égars de ce pauvre abbé Laurent qui avoit plus de cœur que de 
tête et qui fit une si triste fin. Son successeur a pris part à mes peines, 
il a l’attention de me faire passer la Revue des Deux-Mondes et le 
Journal des Sçavans, où je cours de suite à la table pour voir s’il ya 
quelque article de M. G. Libri. Élevé d’abord par des Poroyalistes 
à Lyon ensuite par des Sulpiciens à Paris, je ne vis qu’orgueil et désir 
de prédomination dans leur lutte en corps et toute ma vie j'ai été 
confirmé dans cette idée portant toujours cependant une grande véné- 
ration pour l’abbé Émery auquel je demandoi un jour si les Sulpiciens 
étoient une ramification des Jésuites. Mon séjour à Rome me jetta 
dans les beaux-arts et l’archéologie. Le baron de Sainte-Croix étoit 
l’ami de la maison, c’est lui qui m’engagea à accepter les offres de 
l'abbé de Saint-Véran de m’acheminer à lui succéder en fesant gratui- 
tement son service. Six années s’écoulèrent ainsi. Dès le moment de 
sa mort, les prétendans s’agitèrent et me donnèrent bien du tintoin ; 
grâce aux Ministres, ils furent déjoués. Oh mon Dieu quel triomphe! 
1830 renouvelle leurs efforts ; enfin 1840 tous ces chiens enragés tom- 
bèrent sur ma carcasse. Ah que la longévité est pénible à suporter — 
quelque philosophie chrétienne qui nous soutienne. 

» Revenons à mon but qui est d’avoir si je puis de vos nouvelles, 
ne fut-ce qu'un mot, je connais combien votre temps est précieux. 
Parmi les restes de mes correspondans à Paris qui s’élaircissent j'en 
avois prié quelques uns de passer à la Sorbonne, et de me dire si vous 
étiez à Paris, en course ou en Italie, point de réponse. Je désirois 
savoir aussi si l'abbé Michel Angelo Lanci qui m'’avoit écrit de Mar- 
seille qu'après avoir fait imprimer à Paris trois ouvrages, il viendroit 
avec sa mère passer vingt-quatre heures avec moi et faire une visite 
au séjour de Pétrarque et de Laure à Vaucluse — point de rénseigne- 
mens point de réponse. Ce pauvre Marquis de Fortias paye le tribut, 
sa bibliothèque se vend, vous deviez bien être un peu là; vaines 
recherches quelque lié que je sois avec son héritier. 

» Je demande au ministre de l’intérieur une pension d'homme de 
lettres comme l'avoit obtenue de 600 francs l'abbé de Saint-Véran. 
J'expose mes titres et surtout que j'avois écorné ma petite fortune 
patrimoniale pour faire imprimer ces objets et les distribuer gratuite- 


330 BULLETIN ITALIEN 


ment. Ma pétition est transmise au Ministre de l'instruction publique, 
pas de pension, mais l'espoir de quelque gratification, de quelque 
secours. — Septembre 1844 arrive mais rien. Et ne voyez-vous pas, 
me dit un ami, que vous avez comis une imprudence en dédiant votre 
Châtelaine Laure à M. de Villemain sans lui en avoir demandé 
l’agrément. — C’est très mal. Comment voulez-vous qu’il y prene 
quelqu'intérêt, qu'il vous aide à payer vos frais d'impression, renou- 
vellez-lui votre demande et surtout faites-lui bien vos excuses de lui 
avoir jetté au nez cette triste production pleine de fautes d'impression. 
Approuvez-vous cette idée? Vous ne pouvez (sic) aplaudir à cette 
démarche vous qui n’aviez d'autre but que de me servir efica- 
cement? quand vous me dirigeätes sans m'’engager à prendre cette 
précaution. 

» Mon Teschner ne me donne point signe de vie heureux peut-être 
qu'il ne me réclame l'emmagasiment (sic) de 200 exemplaires que je 
lui ai confiés. Je rumine toutes ces idées pendant mon séjour à ma 
campagne où je vis en hermite; en ville je suis logé un peu haut au 
2° étage, mais je suis bien et j'ai un appartement à donner à quelque 
parent où ami. Ah si vous veniez dans le Midi ne fut-ce que de 
passage. Que je serois heureux que vous l’acceptassiez. C'est le vœu 
de mon brave Boitelet ainsi que de sa belle-sœur qui me sont restés 
si fidelles. ainsi que les gens les plus marquans et les autorités. Je 
serois tenté de renouveller ma pétition auprès du ministre de 
l'intérieur et de la faire apuyer .par M. le Préfet et le Sous-Préfet. 
L'aprouveriez-vous? . 

» Pardon de mon long bavardage, mes 80 ans sonés peuvent-ils 
auprez de vous me servir d’excuses en faveur de la parfaite considé- 
ration avec laquelle je suis etje serai toujours 

M. le Comte. Votre dévoué et obéissant serviteur 


H'° D'Or. Vir. (sic). » 
Carpentras (Vaucluse), le 8 Septembre 1844 !. 


». 


MANUSCRITS QUI N'ONT PAS ÉTÉ RETROUVÉS. 


N° 374 Guill. Piacentino. — Trattato di chirurgia, in-f°. 
— 368 Il Cortegiano di Castiglione, in-f°. 
— 379 Ericius de Cyclo paschali (in-4°). 


1. — Nous devons ajouter que M. A. Divol nous a écrit tout récemment — et 
lorsque notre manuscrit était déjà à l'imprimerie —, à la date du ro avril dernier, qu'il 
avait, de bonne source, appris «que le vrai motif de la démission de ce triste bibliothé- 








LIBRI-CARUCCI ËŸ LA BIBLIOTHÈQUE DE CARPENTRAS 331 


N° 355 Trattato d’Aritmetica, in-f°. 

— 199 Melchior Imhof. Monarchia Solipsorum sive Jesuitarum 
(in-8°). 

— 207 Dante, in-8°,.vélin, rel. mar. rouge. 

(Sans n°) Traité d'histoire et de chronologie (in-4°). 

N° 495 Recueil de divers écrits sur la Provence, in-f°. 

— 604 Mémoire pour l’histoire de la Provence, in-f°. 

(Sans n°) Relazione compendiaria degli stati et del governo di 
Fiandria. 

Informazione del principio della conversione dei Giudei 
in Portogallo, e l'occasione che han dato d'informar 
l'inquisizione, in-/4°. 

—  Relazione delle cose che mossero all’ impresa d’Affrica 
il re di Portogallo ed ïl seguito della battaglia, 
in-4°. 

— Charles de Castellane. — Recherches poétiques ou recueil 
contenant diverses règles et observations de grammaire, 
de rhétorique et de poétique, tirées des meilleurs 
auteurs qui en ont traité (in-4°). 

N° 586 Le chevalier des Dames, roman in-f°. 

— 584 Enlèvement d’une fille. Conseils de Caton. — Histoire 
d'Apollonius de Tyr. — S. Graal et sadoc. Guron (sic). 
— Le chevalier sans peur. — L'empereur de Rome. 
Le roi. Artus. Le roi Pharamond, in-f° vélin, avec 
figures. 

— 518 Poggius (Joan). — Panegyricus ad Emmanuelem regem, 
in-f°, vélin, avec fig. 

(Sans n°) Dictionnarium latino-italicum, in-8°. 

(n°douteux) Parlamento di Carlo V° al suo figliuolo, dove si contiene 
come si dove governare in tempo di pace e di guerra, 
in-f°. 

N. B. — Ces titres sont transcrits textuellement de l'ancien cata- 
logue, qui ne contient d'autre indication que celle du format. 


LAMBERT, 


bibliothécaire. 


caire, en août 1842, avait été un larcin dissimulé, commis au préjudice du Musée. Il avait 
essayé de s'approprier trois tableaux que le peintre Duplessis avait légués à Carpentras... » 
Nous ajouterons, comme représentatif de l’état dans lequel se trouvent maintes de 
nos bibliothèques de province, cet autre passage de la même lettre du zélé bibliothé- 
caire : « Depuis le commencement de février, je suis très occupé, de ma propre initiative et 
de mon plein gré, cela va de soi. J'ai entrepris les fiches du fonds antérieur au'X1Xe siècle. 
Je suis récompensé amplement par les découvertes que je fais tous les jours. Par exemple, 
je n'ai jamais vu une bibliothèque aussi riche en livres sur l’Espagne, en espagnol, en 
latin, etc. » Que de trésors ainsi perdus par une routinière inertie! 








332 BULLETIN ITALIEN 


Note à joindre à la liste des manuscrits qui manquent 
à la bibliothèque de Carpentras. 


(Getle note n'a pas élé envoyée à Paris.) 


J'ai découvert ces jours derniers, dans les archives de la mairie de 
cette ville, le procès-verbal et un inventaire de la bibliothèque fait en 
l'an XIIL. A cette pièce était jointe une note courte et superficielle sur 
les manuscrits, dans laquelle on ne mentionne qu’une douzaine de 
volumes, que l’on suppose être les plus précieux. Il en existait alors 
environ 700. Ceux de Peiresc, dont on ne donne pas les titres, étaient 
au nombre d'environ 180. Or, comme il ne s’en trouve aujourd’hui que 
115, il nous en manque environ 65. 


LAMBERT, 
bibliothécaire de la ville. 
Carpentras, le 27 juillet 1849. 


VI 


VARIA. 


a. Note, de l'écriture de Lambert, sur Librir. — M. Guillaume 
Libri, ex-membre de l’Institut (Académie des sciences), est fils de 
M. Libri de Bagnano qui a été condamné aux travaux forcés et exposé 
sur la place des Terraux, à Lyon, pour avoir fabriqué de fausses 
lettres de change et qui, après avoir fait banqueroute, s’est brûlé la 
cervelle à Florence. 

Il n’a jamais été, comme on l’a dit, préfet de cette dernière ville, 
mais seulement commissaire du gouvernement français pour la 
confiscation ou la vente des biens d'église en Toscane. 


1. Chemise à. C’est un minuscule carré de papier. Le détail concernant les fonc- 
tions du père de Libri commissaire du gouvernement français en Toscane est inédit 
et Bonjean, dans son second rapport (1861), s'était borné à consigner sa condamna- 
tion, en 1817, à Lyon, aux travaux forcés à perpétuité, pour fabrication et usage 
de fausses lettres de change, peine commuée en 1825 en celle du bannissement perpé- 
tuel. Mais il n’est pas vrai que ce chevalier... d'industrie se soit brûlé la cervelle à 
Florence, Quand Libri sollicita ses lettres de naturalisation, qu’il obtint, en effet, le 
19 février 1833, il prétendit faussement qu'il était mort depuis deux ans en Amérique. 
Il se trouvait alors à Amsterdam, et il ne mourut qu’en 1836. Les renseignements que 
donne, sans doute d’après L. Larchey, M. L. Sagnet sont erronés sur ce point, On sait 
que Libri se fit, après sa fuite de France, naturaliser sujet-anglais et que l'on n’eut, 
pour cette «victime de la démagogie » — comme on disait alors — que délicates 
attentions outre-Manche! 





LIBRI-CARUCCI ET LA BIBLIOTHÈQUE DE CARPENTRAS 339 


Ce dernier renseignement a été donné par Chiari, bottier à Carpen- 
tras, qui est natif de Florence, et connaissait particulièrement le père 
de M. Libri. 


8. Copie d'une lettre de Libri, dont l'original a élé remis au juge 
d'instruction de Carpentrasr. — « Monsieur, j'ai remis à M. Morel un 
ouvrage qui m'avait été prêté depuis quelque temps avec reçu. Je dési- 
rerais savoir si vous auriez besoin de quelques livres pour votre biblio- 
thèque, afin de pouvoir vous en envoyer du moins quelques-uns. 
M. Morel vous parlera de quelques livres que vous avez et qui vous 
sont parfaitement inutiles. Je désirerais, si cela était possible, faire un 
échange, soit en envoyant des livres ou des instruments dont vous 
auriez besoin pour votre collège, soit en donnant de l'argent pour que 
vous achetiez ce qui vous conviendrait. Je vous serais très reconnais- 
sant, Monsieur, si vous voulez avoir la bonté de faciliter cet échange. 
Quant aux conditions, je m'en rapporterai entièrement à vous, et 
certainement elles seraient avantageuses à la bibliothèque. 

Veuillez agréer, Monsieur, l'expression des sentiments de la consi- 
dération avec laquelle j'ai l'honneur d’être 


Votre très humble serviteur. 


G. Lisri. 
Paris, ce 13 septembre (1843). » 


y. Copie du reçu du « Théocrile».— « Je reconnais avoir reçu (d’après 
l’autorisation de M. le maire de Carpentras, et à titre de prêt) de 
M. le chanoine d'Olivier Vitali (sic), bibliothécaire de la ville de Carpen- 
tras, le Théocrite grec imprimé par les Aldes (Venetiis, 1595, in-f°) que 
je m'engage à lui renvoyer après m'en être servi pour mes travaux. 


G. Lrsri. 


Carpentras, 21 novembre 1841.» 


à. Notes tirées d'un brouillon du bibliothécaire G. Barrès:. — 
« Lorsque j'ai reçu vôtre notice sur les manuscrits achetés par la Lau- 
rentienne, je l’ai parcourue avec beaucoup de soin et j'y ai noté avec 
une peine véritable quelques volumes qui provenaient de Carpentras. 

» On doit trouver à la Laurentienne, parmi ces dix manuscrits de 
Dante que les Italiens s'étaient réservés, le Dante in-8, ou petit in-/° 
vélin, qui, dit-on, était accompagné d'un commentaire de Thomas 
Spinelli — qui a disparu de notre bibliothèque en 1835 d’après le 
témoignage de M. Lambert dans ses desiderala... J'ai essayé de 


1. Chemise y. 11 s’agit du Théocrite. La lettre est adressée à l’abbé Laurans.' 
2. C’est l’ébauche d’une longue lettre destinée à M. L. Delisle, qui venait de lui 
envoyer sa Notice de 1886. Elle est contenue dans la chemise «. 


Bull. ital. ù 22 


VER, Ab (ir tn, LS. 


334 BULLETIN ITALIEN 


À 


recueillir quelques renseignements sur le premier séjour de Libri à 
Carpentras, mais je n'ai pu interroger aucun de ses contemporains 
qui avaient pu être en relations avec lui, en 1831 et 1832; il n’en resté 
plus. La tradition m'a appris que lorsqu'il vint chercher un refuge en 
France, il avait demandé à être interné dans une ville du Midi où se 
trouvait une bibliothèque et que la ville de Carpentras lui avait été 
assignée. 11 fréquentait notre bibliothèque fort assidument et c'est 
pendant cette période qu'il apprit à la connaître, à consulter les 
nombreux volumes rares imprimés ou manuscrits qu’elle contenait. 
Il dut bientôt s’apercevoir qu'il n°y avait pas de catalogue complet des 
manuscrits et que surtout, outre les volumes qui figuraient sur les 
rayons, il y avait un tas de cahiers et de feuilles volantes où se trouvaient 
des documents historiques précieux, complètement ignorés. M. Lam- 
bert, quand il a fait son catalogue, a réuni ces lambeaux épars, et il 
en a formé ce qu'il appelle les liasses, qui vont du n° 617 à 645. 

De plus, pendant ce temps-là, Libri a dû se lier d’une manière toute 
particulière avec le bibliothécaire Olivier-Vitalis et lui inspirer une 
confiance dont il abusa plus tard indignement. Lorsqu’'en 1841 et 1842 
il est venu avec la mission d'étudier spécialement les manuscrits pour 
faire son travail sur le catalogue qu'il préparait pour le Ministère, 
porteur de lettres de recommandation, on a dû lui ouvrir toutes les 
portes sans défiance. Je crois que c’est surtout à ce second séjour à 
Carpentras qu'il a mis les volumes de Peiresc au pillage, puisque c’est 
à cette époque qu'il a volé à Tours, à Orléans, à Lyon et ailleurs, en 
se couvrant du titre d’inspecteur général des bibliothèques. Les collec- 
tions les plus riches de France ont été saccagées par cet ignoble 
brocanteur, qui a payé l'hospitalité honorable qu'il avait trouvée dans 
ce pays par la plus noire ingratitude. Bien des gens ont été les 
victimes de ce triste personnage, qui n’a pas rougi de vendre à 
l'étranger le fruit de ses brigandages... » 

. Carte-lettre de Tamizey de Larroque à Barrès:. — « 1° décembre 
1888. Cher Monsieur, Je suis en possession de deux des registres Libri 
et je m'empresse de vous annoncer qu’un au moins de ces registres 
me paraît avoir été volé à notre bien-aimée /nguimbertine. C'est plus 
que probablement le registre désigné dans le catalogue Lambert (t. I, 
p. 116) sous le titre de : Lettres originales de M. de Peiresc. Ce registre 
divisé en deux parties, en deux tomes qui portent dans le catalogue 
des manuscrits de la B. N. (fonds français, nouvelles acquisitions) les 


1. Chemise «. Nous. avons dit avec quel pieux zèle Tamizey de Larroque publia 
une partie de l’énorme correspondance de Peiresc. Sur les deux registres dont il est 
question dans ce billet, cf. le Catalogue des manuscrits des fonds Libri et Barrois à la 
Bibl. Nat., de M. L. Delisle, p. 150. Sur le vol. 5169, id., p. 146. Sur un autre recueil 
de lettres autographes de personnages illustres, correspondants de Peiresc, également 
à la Nationale et provenant de Carpentras, n° 1872 du Catalogue de vente Ashburnham, 
cf, ibid., p. 146. 








LIBRI-CARUCCI Et LA BIBLIOTHÈQUE DE CARPENTRAS 339 


numéros 5170 et 5171, se compose de lettres, les unes autographes, 
les autres qui portent seulement la signature de Peiresc, écrites à 
divers personnages, mais principalement à frère Valanis et à Guillemin 
prieur de Remoules. Quel dommage qu’un aussi précieux recueil ait 
été enlevé à vos collections! Il y a là près de cinq cents lettres qui sont 
presque toutes d’une grande importance et qui me fournissent la 
matière de près de deux nouveaux in-4° à joindre à tous les autres 
‘in-4° déjà en préparation. Je me demande si le volume inscrit sous le 
n° 5169 ne vous a pas aussi été ravi par le fameux forban : c'est un 
registre écrit de la main de Peiresc où jour par jour il a noté les lettres 
par lui expédiées de 1622 à 1632. Pour moi, il est présumable que.ce 
tableau a été, avec les autres manuscrits de Peiresc, acheté par Mgr. 
d'Inguimbert, de glorieuse mémoire. Il n’a pu être volé que chez vous 
car on ne l'a jamais catalogué à Paris ni à la Méjanes, et on sait qu'à 
Montpellier il n’est entré que deux volumes autographes. Commu- 
niquez, s. v. p., cette note écrite currente calamo à MM. vos collègues 
de la Commission, présentez tous mes respects et agréez la nouvelle 
assurance des sentiments affectueux de votre dévoué serviteur et ami, 


TAMIZEY DE LARROQUE. 


Quand j'aurai d’autres volumes, je vous dirai ce que je pense de 
leur origine... » 








GIACOMO ZANELLA ET ANTONIO ZARDO 


La belle figure, bonne et paternelle, sereine et méditative, qui 
sur une médiocre gravure frappe mes yeux en ouvrant le 
volume d’Antonio Zardo, ramène à ma pensée les souvenirs, 
maintenant anciens, du mouvement si gai de l'Université de 
Padoue alors que, jeune élève au’lycée, je manquais les cours 
de l'excellent Cesare Sorgato et du sévère et bienveillant 
Gnesotto, pour écouter, tout près de là, dans l’amphithéâtre 
de la salle K, ceux de Giacomo Zanella. Je ne saurais vraiment 
regretter ces escapades systématiques, si lointaines, car peu 
de temps après, Zanella cessa d’enseigner et je me trouvai 
réellement matricolino' au moment où la voix du professeur- 
poète allait s’éteindre pour toujours. 

En faveur de l'intention nous pardonnons à Antonio Zardo, 
qui tint à écrire un livre rigoureusement objectif, d’avoir 
négligé des souvenirs personnels, si vivants, qui auraient accru 
l'intérêt de son bel ouvrage. Pour moi, qui n’écris qu'un très 
mince article de circonstance et d’impressions, qu'on me 
pardonne si je fais précisément le contraire de Zardo. Il quitta 
l’Université de Padoue à peu près à l'époque où j'y entrai. 
C’est donc au plus beau de la renommée de Zanella comme 
poète et professeur qu'il fut son élève bien-aimé. 

Il est difficile d'imaginer combien, pendant ces quelques 
années, le milieu intellectuel de l’austère Padoue fut comme 
pénétré d’un sentiment d’orgueilleuse satisfaction, d’être en 
possession de cette intelligence alors dans son plein. Le nom 
de l’abbé Zanella était dans toutes les bouches et remplissait 
les conversations des personnes sérieuses et cultivées, hommes 
et femmes, et de toute opinion. Les étudiants se groupaient 
sur le seuil du Bo pour y attendre le passage du professeur, et 


1. C'est-à-dire réellement étudiant à la Faculté (note du traducteur). 





GIACOMO ZANELLA ET ANTONIO ZARDO 337 


dans les cafés et restaurants, sous les portiques ou le long du 
Prà della valle, ils discutaient avec animation et admiraient 
Zanella. Ils admiraient plus qu'ils ne discutaient. Et avec une 
conviction profonde ils comprenaient, dans leur admiration 
jeune et enthousiaste, rendue plus vive et plus exubérante par 
l'intérêt que suscite d'ordinaire une gloire locale et présente, 
tous les privilégiés sur qui se reflétait mieux quelque rayon de 
cette gloire. C’est ainsi qu’en Lucrezia Marcello ils célébraient 
l’auréole que faisait à sa beauté douce l'honneur d'être l'élève 
chère au poète. Et sur Antonio Zardo, d'esprit réservé et déjà 
grave, connu de la plupart seulement comme une figure noble 
et sympathique, ils publiaient, avec un mélange de respect et 
d'envie, les beaux encouragements que Zanella avait donnés à 
ses premiers essais poétiques, assurant qu il n’aurait pas hésité 
à y mettre sa propre signature. 

Or, après vingt-cinq ans de cette heure rapide, remplie de 
la gloire zanellienne et de son florissant printemps, Zardo 
écrit un livre où de beaux souvenirs personnels pouvaient 
trouver place; et, au contraire, il les tait, les dissimule, dominé 
par l’idée désintéressée qu'une étude entièrement imperson- 
nelle est plus convenable et plus utile à la renommée du poète 
pour qui l'esprit d’un temps s’est enflammé d’une belle passion, 
puis l’a presque abandonné. 

L'histoire simple de cette vie et de cet esprit est exposée par 
Zardo avec le sentiment de l’amitié en même temps qu'avec 
une évidente impartialité. Poète lui aussi, esprit lettré et 
littérateur distingué, on dirait qu’il a cherché à oublier son 
ancienne personnalité pour n'être que le biographe nouveau 
et définitif, et le critique du savant et du poète. 


Zanellä est l’un des derniers et des plus dignes représentants 
de cette sympathique école d’abbés vénitiens érudits, qui fut 
féconde en brillants esprits, de Forcellini à Corraddini, de 
Cesarotti à Capparozzo, de Barbieri à Canal. Abbés possédant 
toujours une science humaniste élégante, très souvent doués 
d'un talent poétique facile et agréable, parfois aussi, mon- 
dains, et versés dans la littérature étrangère, dans la poésie 


338 BULLETIN ITALIEN 


surtout. Comme inclination humaniste, celle-ci rendit Zanella 
tout à fait contraire à la subtile philologie allemande contre 
laquelle il protesta, même en vers, dépassant peut-être la 
mesure permise. Il se déclara non moins adversaire des modes 
et des formes de la lyrique allemande dont la simplicité natu- 
relle, imitée jusqu'à l’abus par Zendrini, ne pouvait manquer 
d’altérer le vers italien. Esprit sarcastique et mordant, Zen- 
 drini ne lui épargnait pas les pointes, et je le vois encore, 
pendant l'été de 1873 ou 1874, se promenant à Recoaro avec 
la comtesse Adriana Marcello de Venise, femme très cultivée, 
et lançant ses saillies contre le poète, son rival. Pour prouver 
à la comtesse la bonté de sa théorie et la fausseté de l’idée 
zanellienne, pourtant commune à la généralité des poètes, 
que la poésie doit avoir une forme que l’on puisse dire aristo- 
cratique (cf. Zardo, p. 26), il citait les premiers vers de sa lettre 
à Lampertico : 

«De peu d’années, ami, je te précède sur la route du 
temps'...» 
cherchant à démontrer avec une pointe de malice qu’on ne 
comprenait pas bien si Zanella voulait se laisser croire plus 
jeune ou plus âgé que Lampertico. à 

Mais, négligeant les anecdotes, disons que nous aimons le 
soin pris par Zardo pour faire ressortir tous les moyens d'étude 
et d’art qui amenèrent Zanella à sa relative perfection, même 
au risque de nous le montrer meilleur artiste que poète. Dans 
cette idée de la nécessité d’une étude longue, minutieuse et 
patiente, le Vicentin insiste souvent dans ses écrits et dans 
ses lettres, tantôt soutenant justement l'utilité essentielle de 
l'exercice de traduction, tantôt rappelant que ce n’est qu'avec 
beaucoup de peine qu'on obtient le brillant et le poli des 
pierres qui sortent des carrières de Chiampo, son pays natal, 
tantôt prévenant la jeunesse napolitaine que «si l'inspiration 
est chose spontanée, pour la revêtir des formes sensibles, la 
communiquer à autrui de façon ordonnée et claire au moyen 
de la parole, il faut un travail lent, délicat, laborieux et. 


1. Di pochi lustri io ti precorro, amico, 
Nelle vie dell’ età.…. 








’ 





GIACOMO ZANELLA ET ANTONIO ZARDO 339 


souvent pénible. Mesurer l'étendue de sa pensée, chercher la 
période la plus favorable pour l'exprimer, choisir la phrase 
la plus capable de la rehausser, discerner le mot qui la rendra 
avec plus de force et de couleur, est une étude qui demande 
plus que de la patience, mais de longues, de bonnes et atten- 
tives lectures ». 

Zanella fut plutôt meilleur maître que critique et historien 
de la littérature, et tel il apparaît dans les pages sincères de 
son biographe qui note consciencieusement les défauts de 
l’œuvre du littérateur. Ces défauts sont ceux de l'école quil 
suivit, école qui n'avait aucun fondement critique, et qui 
restreignait l'élément historique aux notices biographiques, à 
la composition extérieure des œuvres, et à leur succession. Je 
me souviens lui avoir entendu vanter Tiraboschi comme 
l'historien idéal de la littérature, non point pour son esprit 
d'investigation, toujours l'honneur de son œuvre en ce qu’elle 
est une mine inépuisable de renseignements, mais pour la tenue 
et la méthode dans l'exposition du sujet. 

Cependant, si la direction était défectueuse, toujours vaste et 
consciencieuse était l’érudition. S'il est vrai aussi, comme le 
dit Zardo, que Zanella, dans son enseignement à l'Université, 
avait plutôt en vue de former le goût des jeunes gens que de 
les instruire, il n’est pas moins vrai qu'en temps et lieu il 
savait entraîner avec lui ses auditeurs par les plus secrets 
détours de la recherche historique. Je me rappelle ses beaux 
cours sur l’Alfieri et autres tragiques modernes, qui débor- 
daient d'un goût et d’un sens chaud de l’art; mais je me 
rappelle aussi plusieurs cours uniquement employés à expli- 
quer historiquement ces deux seuls tercets de Dante : 

« Mais bientôt il arrivera que Padoue, près du marais chan- 
gera (rougira) l’eau qui baigne Vicence à cause de son peuple 
rebelle au devoir. Et là où le Selé et le Cagnano se joignent, 
tel domine et va la tête haute quand déjà se tisse la toile pour 
le prendre. » 

Et de ces explications il tire ensuite matière pour son étude : 
Des guerres entre Padouans et Vicentins au temps de Dante, que 


1. Paradis, IX. 








340 BULLETIN ITALIEN 


Zardo loue avec raison pour les délails, les observations, les 
appréciations de beaucoup de valeur (Zardo, p. 161). 


La partie la plus importante et la meilleure de la peu 
nombreuse production littéraire de l’abbé vicentin étant la 
poésie, l'ouvrage de Zardo est disposé avec un soin tout parti- 


 culier pour en faire ressortir le caractère et les mérites, pour 


en déterminer les causes et l'inspiration. Tâche noble et belle, : 
parce qu'elle venge très heureusement la réputation du poète, 
soupçonné d'un amour un peu tiède pour l'Italie, et d'un 
esprit adulateur et servile, au point de lui avoir attiré, dans les 
sarcasmes de quelque rival, le titre dérisoire de poèle officiel de 
la maison Lamperlico. 

La vérité est que la vie de Zanella se poursuivit sans évé- 
nements extérieurs, sans luttes apparentes, dans le cercle 
restreint de paisibles affections de famille et de quelques amis, 
sans grande variété de lieux et sans changements dans sa 
condition personnelle. En revanche, dans cette nature plus 
méditative que communicative, la vie intérieure était intense. 


Son âme, douce, contemplative et profondément religieuse, était 


portée, par une impulsion intime, à se replier sur elle-même, 
ou à méditer sur ce qui l’entourait pour comprendre l'esprit 
et le sens des choses qui lui étaient proches. Et s’il prenait 
son essor vers de plus vastes horizons, il dépassait les limites 
de la vie sociale, de la patrie, de la civilisation humaine, pour 
s’abandonner à un rêve mystique vers l'infini, vers l'au-delà, 
dont un désir inquiet l’enflammait intérieurement : 


O di futuri elisi 
Intimi lampi e desideri immensi.. 


Voilà la raison pour laquelle la poésie de Zanella n’a pas 
une haute portée historique et sociale, et manque par consé- 
quent d’universalité. Même quand les progrès et les merveilles 
de la science occupent sa pensée, rarement il s'élève à une 
conception lyrique où les éléments doctrinaux arrivent à se 
fondre en un sujet et en une forme de haute inspiration 
comme dans Conchiglia fossile. Souvent nous avons des des- 





A NN DAT D Sp TU A AT 
get D Le 


en, 2 





GIACOMO ZANELLA ET ANTONIO ZARDO + St 


criptions qui, si parfaitement travaillées qu’elles soient, nous 
ramènent au vieux genre didascalique, comme dans Micro- 
scopio et Telescopio, avec des rapetissements d'images dans le 
goût du xvi° siècle. 

Mais lorsque l'inspiration lyrique, unique et cohérente, fait 
défaut, toujours se substitue le mouvement intérieur qui 
appelle le poète hors des contingences présentes, vers les 
régions sereines de l'aube. Alors il s’enivre de pensées qui ne 
sont plus de la terre, et de la foi qui remplit son espril 
enflammé par de divines visions. Alors son chant devient plus 
chaud de ferveur mystique, universel de l’universalité de la 
foi qui l’anime, sublime par les images radieuses dans les- 
quelles se fixe et s’abîime son âme altérée du désir de l'infini 
et de Dieu. Sublime donc, je me plais à le répéter, la fin de 
l’ode La Veglia, vantée pour des mérites tout autres : 

«O lueurs intimes, désirs immenses des paradis futurs, 
flammes qu'au mourant Dieu fait luire, renfermez-vous dans 
le chant du poète solitaire, et faites, aux parents, moins 
cruelles les larmes qui réchaufferont la pierre de son repos. » 

Et cette autre qui peut facilement paraître, et paraît gro- 
tesque, si l’on se place hors de la vision du poète, et qui est 
belle cependant, de grandeur biblique si l’on veut entrer dans 
son ardente inspiration : 

« La lumière s'éteint, et un voile obscur s étend devant le 
regard de l’homme qui, {remblant, découvre à travers l'ombre, 
Dieu qui passe pour suspendre de nouveaux soleils dans l’Infini. » 

Muore la lampa e scuro un vel s’abbassa 
Sullo sguardo dell’ uom che sbigottito 


Scorge per entro l’ombra Iddio che passa 
Nuovi soli a librar nell Infinito. 


De judicieuses et fines observations ont été faites par des 
critiques, depuis une trentaine d'années, sur la partie relative 
à l'élément scientifique dans les poésies de Zanella et, pour 
sa part, Zardo en parle admirablement dans son louable 
volume. Il me paraît cependant que toutes ces élégantes 
descriptions et ces figures ne sont que pure œuvre de style, 
travail de tête, enjolivement et moderne accommodement d’un 


VIT 


mn. a QE lle tf 





342 BULLETIN ITALIEN 


art didascalique subtil, dont Mascheroni avait, moins d'un 
siècle auparavant, renouvelé les merveilles. 11 me paraît, de 
plus, que Zanella ne sent pas vivement la poésie des décou- 
vertes de la science, du progrès humain, et qu'il ne s’en sert 
que comme motifs d’ornementation et de style, comme de 
belles oppositions de convention, pour rehausser le sentiment 
réel et profond qui l'anime : la religion. Ce sentiment, bien 
fondu avec la matière doctrinale, ressort mieux dans son chef- 
d'œuvre Conchiglia fossile, chef-d'œuvre précisément parce 
que les trois éléments qui le composent s’y mélangent admi- 
rablement : universalité de l’histoire humaine, délicatesse de 
l'art, élévation de l'inspiration poétique. Mais lorsqu'il n’y a 
pas proportion parfaite, le lecteur découvre de suite un je ne 
sais quoi d’incohérent, de discordant entre les diverses parties 
et les divers éléments de ses meilleures compositions mêmes. 
Ces belles strophes qui commencent l’ode Ad una. antica imma- 
gine della Madonna, ne rendent-elles pas mieux l’humanisation 
manzonienne du sentiment religieux que les formes multiples 
et les multiples couleurs de l’'hymnographie sacrée de Borghi 
et d’Arici, de Mamiani et de Tommaseo? Et au contraire comme 
elle est baroque cette maussade conclusion contre la 
..sparuta 


Di vil lucro maestra e di sozzura 
Filosofia… 


Comme il est faux et véritablement grotesque cet homme qui 


il volto 
Scolorato abbassd nè più sorrise. 


Comme il est bizarre de stylé cet avant-dernier distique : 


Spento il sereno fior della speranza 
Che rimena la stanca anima a Dio... 


Esprit aimable et doux, aimant les aspects simples de la 
calme nature et le cadre paisible des affections familiales, 
Zanella les dépeint de main de maître, en d’exquis petits 
tableaux où il montre une certaine analogie avec quelques 
poètes lyriques anglais, d’un siècle avant lui, Cooper et Crabbe 





GIACOMO ZANEL£ZA ET ANTONIO ZARDO 343 


notamment, peintres de l’intimité domestique, des petits aspects 
du monde extérieur et de la vie bourgeoise et populaire dans 
la simplicité de ses occupations quotidiennes. 

Beaucoup de ses poésies, et le choix de ses traductions en 
sont un témoignage. Et j'aurais aimé que Zardo eût analysé 
plus subtilement cette qualité de l'esprit et de l’art de Zanella, 
lui qui, sous ce rapport, est l’élève qui le suit de plus près. 
La physionomie générale du Vicentin, comme poète et litté- 
rateur, se reconnaît dans l’œuvre de Zardo, bien qu'atténuée : 

« Comme sur le verre transparent et uni, ou sur les eaux 
limpides et calmes... revient l'empreinte de nos visages :. » 

Dans ses travaux d’érudition, Zardo, comme Zanella, aima 
les sujets d’histoire locale. Comme lui, il écrivit sur Alberto 
Mussato, et, d'un autre sujet d'analyses et de reconstruction 
historique agréable au maitre, il sut tirer un livre de beaucoup 
d'intérêt et de valeur : Pétrarque et les princes de Carrare. Je 
nè sais si, sur certaine indication donnée par Zanella dans 
ses cours sur l’Alfieri et autres tragiques modernes, Zardo 
trouva l’occasion de son beau travail comparatif entre Schiller 
et Nicolini, mais il est certain qu'il rentre dans le genre 
longuement traité par Zanella dans ses cours et dans ses 
Parallèles littéraires. 

Sans parler de la manière générale de traiter le sujet litté- 
raire, où Zardo ne s'éloigne pas sensiblement du poète de 
Chiampo, le soin que l’un et l’autre mirent à étudier nombre 
de poètes étrangers est digne de remarque. Zanella, les 
Anglais; Zardo, les Allemands : Uhland, Platen, Gœthe, Lenau. 
De même pour la traduction : le Vicentin, par cette affinité de 
caractère moral et poétique dont j'ai parlé plus haut, préféra 
les auteurs anglais; Zardo, au contraire, les allemands. Le 
premier, un peu renfermé dans le cercle des affections intimes 
et pures, dans les aspects circonscrits et simples, aimait les 
compositions où le sujet sentimental et fantaisiste était en 
accord avec ses aptitudes particulières, et il suivait la pente 
naturelle à son esprit. Zardo est plus éclectique. Il traduit en 
quelque sorte, indépendamment d’un accord intime entre son 


1. Divine Comédie. 





À ce (“16 
7 RE PU 





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34/4 BULLETIN ITALIEN 


: 


auteur et lui, entre son esprit et le sien. Zanella, dans ses 
versions, est plus élégant comme forme, son vers est plus 
arrondi, mais il est plus libre par rapport au texte. Les ver- 
sions de Zardo sont généralement moins perfectionnées comme 
style et comme harmonie, comme composition technique de 


la strophe, mais elles rendent plus fidèlement, sinon com- 


plètement, l'esprit de l’auteur, certainement le sens du texte. 

Il est regrettable que, tandis que Zanella traduisait les poésies 
célèbres de ses auteurs, ou du moins les plus importantes, 
Zardo ait généralement dispersé son activité féconde dans 
une multitude de petites poésies d'auteurs souvent de second 
ordre. Petites choses assez agréables en elles-mêmes et dignes 
de considération dans l’ensemble de l'œuvre poétique de leur 
auteur, mais un peu insignifiantes hors de cet ensemble et du 
milieu poétique qui leur est pour ainsi dire personnel. Outre 
qu'il traduisit, de Gœthe, de Schiller et de Heine, des choses 
toujours ou presque toujours secondaires, il ne fit pas, dans 
Uhland et dans Kerner, un choix qui nous donne la nuance 
exacte de l’école souabe; et dans Geïbel, si délicat, dans 
Freiligrath, si riche de coloris, il ne nous met pas à même 
de distinguer le génie divers de ces deux excellents poètes de 


la moderne Allemagne; de même pour le romantique Cha- 


misso, de même pour Lenau, le Léopardi autrichien. On dira 
que Zardo n’a pas traduit pour instruire le lecteur en général, 
ni pour seconder mon désir en particulier, c’est très juste et 
je ne me permets pas de blâmer Zardo d'avoir suivi son plaisir 
et son goût dans le choix de ses traductions. Je dis simplement, 
puisqu'il a beaucoup traduit, que s’il avait allié l'inspiration 
et son inclination à une idée suivie et ordonnée, ses traductions 
d'auteurs secondaires eussent été de plus d'utilité et lui eussent 
acquis une renommée plus grande et plus durable, qu'il 
mériterait d’ailleurs. Ce que j'exprime n'est, on le voit, qu'un 
simple regret ct non une critique. 

Traducteur fidèle et versatile, Zardo ne donne point à ses 
versions, comme le fait Zanella, une marque bien personnelle. 
Il apporte souvent, au contraire, à ses poésies lyriques, aux 
premières surtout, un agréable parfum zanellien. Il n'y a pas 











GIACOMO ZANELLA ET ANTONIO ZARDO - 345 


affinité dans le fond, mais une certaine manière de disposer et 
d'entremêler les idées et les images, d’aviver l'expression du 
sentiment qui rappelle le tour et la manière du Vicentin. 
Choisissant parmi les meilleurs, je citerai les quatre premiers 
vers du sonnet Le Sapin : 

« Lorsque l’automne arrache à la forêt sa dernière feuille, 
lui seul, en face du rigoureux hiver, revêtu de sa parure 
intacte, se redresse et ne craint pas que l’aquilon le flétrisse:, » 
où paraît un certain souffle zanellien. 

Et les deux quatrains du sonnet La Neige rappellent encore 
Zanella et même Cowper : 

« Tous deux étions enfants : La neige tombait en épais tour- 
billons. A travers la vitre, pendant qu’au foyer brillait la flamme, 
nous contemplions la campagne blanchie et l'arbre dépouillé 
qui gémissait sous les coups du vent, l’eau glacée du ruisseau, 
et l'oiseau tacheté de neige qui secouait son aile alourdie 2. » 

Un mélange d'inspiration de Prati et de Zanella se sent en 
ces deux strophes de l’ode À l’œuvre : | 

« A l'œuvre, frères! Insensé est celui qui fuit le travail. Avec 
le temps il perd un trésor qu’ensuite il recherche en vain. 
Tout dit autour de lui : Laisse les songes dorés, et, courageux 
à l'ouvrage, un jour tu goûteras ce bien que tu envies. Entre 
la roche moussue, la goutte, sur la pierre, tombe incessam- 
ment et peu à peu finit par l’entamer. Le ruisseau qui s’égare, 
lent et incertain, sur l’herbe des prés, reste privé d’eau avant 
d’avoir achevé son cours à, » 


Quando l’ultima foglia alla foresta 
Autunno invola, ei solo contro i rigori 
Del verno, avvolto nell’ intatta vesta, 
Sorge, nè teme che aquilon lo sfiori. 


ä: Fanciulli ambo eravam : fitta cadeva 
E a vortici la neve. Alla vetrata, 
Mentre la fiamma nel camino ardeva, 
Contemplando stavam la nevicata 
Campagna e l’arbor spoglio, che gemeva 
Sotto ai colpi del vento, la gelata 
Onda nel rivo, e l’augel che batteva, 
Sparso di neve, l’ala affaticata. 


8; Fratelli all’ opera! È insano 
Chi fugge dal lavoro; 
Coi di perde un tesoro, : 
Ch’ indi ricerca invano. 


346 BULLETIN ITALIEN 

Et dans ce premier quatrain du sonnet À Dupré on reconnaît 
aisément le tour zanellien : 

« Tandis que s’est égarée l'antique foi, le siècle orgueilleux 
renie toutes choses divines, el en face du ciel, s’élevant auda- 
cieux, il salue la matière, sa divinité :. » 

Si par certaine tendance d'esprit, par certains principes et 
procédés de technique, Zardo est un bon continuateur de 
Zanella, le seul même, je ne veux pas dire qu’il n’y ait sur sa 
palette abondance de couleurs bien à lui. Il a même parfois 
certains mouvements qui semblent comme un jet de la fraîche 
poésie populaire : 

« Mon esprit est comme une petite flamme qu'il faut protéger 
du moindre vent. Le creux de la main la garantit avec peine, 
et elle semble toujours près de s’éteindre ?. » 

Quelquefois c’est un petit tableau admirablement nuancé qui 
sembleunirlesentiment moderne au coloris habituelaux Anglais: 

« La neige tombe en flocons et on entend au dehors souffler 
la bise impétueuse. Près du foyer je m'’assois, rêveur, me 
rappelant le temps heureux de la jeunesse. Un arbrisseau, 
curieux, épie dans la chambre et frappe la vitre de ses bran- 
ches avec un bruit de plainte, pendant que le vent furieux 
l'attaque et semble vouloir l’arracher 3. » 


Tutto gli dice intorno; 
Lascia i dorati sogni, 

E indura all’ opra e un giorno 
Godrai quel ben che agogni. 
Entro muscosa roccia 

Sul sasso, ad ora ad ora, 
Infin che lo perfora 

Batte assidua la goccia ; 

Il lento e incerto rivo 

Che a’ prati erra sul dorso, 
Riman di linfa privo, 

Nè ancor fornito ha il corso. 


 ( Mentre l’audace secolo, smarrita 
L’antica fè, rinnega ogni divina 
Cosa, ed incontro al ciel erge l’ardita 
Fronte e, sua diva, la materia inchina, 


2. Il mio pensier somiglia un lumicino, 
Cui fa d’uopo protegger da ogni vento; 
Col cavo della mano il copro a stento 
Ed è pur sempre a spegnersi vicino. 


8. Cade a fiocchi la neve, e impetuoso 
H rovaio, di fuor, stridere sento; 





JE 4 





GIACOMO ZANEÏLA ET ANTONIO ZARDO 54? 


D'autres fois, enfin, il a un air de franche et joyeuse bravoure 
qui rappelle les Juvenilia de Carducci par le ton et l'allure : 

« Si j'étais encore un enfant, je te poursuivrais à travers le 
jardin comme autrefois, ou bien, sans être vu, je voudrais me 
cacher derrière l’obscur buisson et t'effrayer en sortant tout 
à coup. Je voudrais retourner à la fontaine où plus d’une fois 
je m'’assis avec toi pour étancher ma soif ardente, et j'aimerais 
à contempler ton beau visage dans l’eau cristalline et purer. » 

Tout cela explique que Zardo n’est point un imitateur, bien 
qu'il ait formé son esprit de littérateur, de traducteur et de 
poète à l'école de Zanella et en suivant ses traces. Il lui a 
consacré un livre qui est un noble monument, où il résume 
son œuvre et ses mérites avec abondance d'informations, avec 
droiture et finesse d’appréciations et de remarques, avec respect 
et indépendance tout à la fois. Qualités aujourd'hui rares et 
qui feront rechercher son ouvrage avec d'autant plus d'intérêt 
et de confiance qu'est plus répandue la regrettable coutume 
de faire en ces sortes d'ouvrages une critique dure ou un 
panégyrique. : 

Si avec cela Zardo fut un esprit moins modeste qu'il ne le 
paraît, d’après son livre même, cependant je tiens à dire que 
dans l’ensemble de sa belle œuvre littéraire, il a élevé au poète 
de Chiampo un digne monument en ce qu'il est une appli- 
cation heureuse des préceptes du maître et un rappel discret 


de ses exemples. 
Giuseppe FINZI. 


Traduction de M®° TH1ÉRARD-BAUDRILLART. 


lo siedo accanto al focolar, pensoso 

E il caro tempo giovanil rammento. 

Un arboscel, pei vetri, curioso 

Spia nella stanza, e in suono di lamento 
Picchia coi rami, allor che furioso 
L’investe e sembra che lo svelga il vento. 


4 Fossi fanciullo ancor, t’inseguirei, 
Come un di pel giardino, o dietro oscura 
Macchia, non visto, ascondermi vorrei, 
Sbucar repente e metterti paura. 


Vorrei tornare al fonte, ove sedei 
Teco più volte, a spegnere l’arsura, 
E il tuo bel viso contemplar godrei 
Dentro quell’ onda cristallina e pura. 


SRE Petit 4 De CE 





QUESTIONS D'ENSEIGNEMENT 


BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE 


DES QUESTIONS ET DES AUTEURS PORTÉS AU PROGRAMME 
DE L'AGRÉGATION D'ITALIEN EN 1910 


Question I. — L'INFLUENCE FRANCISCAINE DANS LA POÉSIE 
ET LES ARTS ITALIENS AU XII® ET AU XIV° SIÈCLE 


Auteurs : S. François, Laudes Crealurarum. — Jacopone pa Ton, 
Dialogo tra S. Francesco e la Povertà (San Francesco sia laudato:) 
et La Crocifissione (Donna del Paradiso). — Danre, Parad., c. XI. 
— PÉTRARQUE, Trionfo della Pudicizia. — Vasart, Vila di Giotto. 


1° Textes : 


Les Laudes creaturarum ont fait l’objet de reproductions très nom- 
breuses. On en retrouvera un bon texte dans le Manuale de D'An- 
cona et Bacci (t. 1, p. 51). Parmi les récentes éditions critiques, 
intéressantes à consulter à cause des variantes, nous citerons celles 
de Faloci-Pulignani dans Miscellanea Francescana, III, 3-6, de 
Sabatier dans son édition du speculum perfectionis, Paris, 1898, p. 284 
à 289, de H. Boehmer, dans les Analekten zur Geschichte des Franzis- 
kus von Assizi, Tubingen et Leipzig, 1904. 

Il existe plusieurs éditions anciennes des œuvres poétiques de 
Jacopone da Todi. La première en date est celle de Florence, 14go. 

D’autres ont été publiées à Venise en 1514 et 1556, une à Rome 
en 1558. La plus commune, mais non la plus correcte, est celle 
des Poesie spirituali, publiée à Venise en 1617: c’est d’après elle, 
à défaut d'autre, que le Bulletin reproduit ci-après le Dialogo sia 
S. Francesco e la Povertàa. Quant à la Crocifissione, on la trouvera : 
dans le Manuale de D’Ancona et Bacci, t. Il, p. 102, ainsi que dans 
l'édition publiée tout récemment par la Sociela filologica romana 
(Rome, 1910). | 

Pour le chant XI du Paradis, il suffit de renvoyer aux dernières 








QUESTIONS D'ENSEIGNEMENT  : 349 


éditions de la Divine Comédie, celles. notamment de Casini (Florence, 
Sansoni), Scartazzini (Milan, Hæpli, 4° édition revue par Vandelli, 
1903), Fraticelli (Florence, Barbèra), Camerini (Milan, Sonzognos), 
Torraca (Rome-Milan, Soc. Dante Alighieri); ainsi qu'à lédition de 
Tulte le opere di Dante Alighieri du D' Moore (Oxford, 1894). 

Pour le Trion/o della Pudicizia, nous renvoyons de même à l'édition 
complète des Rime de Pétrarque de Mestica (Florence, 1896), et à 
l'édition spéciale des Trionfi de C. Appel (Halle, 1901) (Cf. Bulletin 
italien, t. II, 1902, p. 70-56). 

L'édition fondamentale des Opere di Giorgio Vasari est celle de 
G. Milanesi (Florence, Sansoni, 1878-85), en 9 volumes. La Vita di 
Giotto y figure au tome I, p. 369-409. Elle est suivie d'un commentaire 
et de la Canzone sopra la Povertà, attribuée à Giotto. On trouvera la 
même vie dans l'édition, complète en un volume, des œuvres de 
Vasari, publiée à Florence, chez Salani, en 1889. 


\ 


2° Ouvrages à consulter sur la vie de Saint François et le mouve- 
ment franciscain au XII° siècle : 


P. SABATIER, Saint François d'Assise. Livre fondamental, dont la 


première édition date de 1894, et qui a été le point de départ d'un 


renouvellement des études franciscaines. 

JOHANNES JOERGENSEN, Saint François d'Assise, sa vie el son œuvre, 
traduit du danois par T. de Wysewa (Paris, Perrin, 1909). Autre livre 
capital, d'esprit tout différent, mais fait également d’après les sources, 
et mettant à profit les recherches accomplies durant les quinze 
dernières années. 

La question des sources de la vie de François d’Assise a donné lieu 
à d'innombrables discussions sur lesquelles on consultera, outre ces 
deux ouvrages : 

S. Mnoceui, La questione francescana (Giornale storico della letter. 
ital., t. XXXIX, 1902, p. 293-3261; Esercitazioni sulla letteratura reli- 
giosa in Ilalia nei sec. XIII e XIY diritte da G. Mazzonr. Florence, 1905, 
p. 13r et suivantes ; U. Cosmo, Rassegna francescana, dans le Giorn. 
Storico, t. LVI (1910), p. 4o1. 

Consulter enfin, sur le côté politique et social de cette question : 

Eu. Gesnarr, L'Ilalie myslique. Paris, 1899. 

P. SaBarier, Saint François et le mouvement religieux au xur° 
siècle, dans Arte, Scienza e Fede ai tempi di Dante. Milan, 1891. 

À. Luchaire, Innocent 111, Rome et l'Ilalie. Paris, 1905. 

JOERGENSEN, Pèlerinages franciscains, trad. par T. de Wyzewa. 
Paris, 1910. 

G. LAFENESTRE, Saint François et l'art italien, deux articles publiés 
dans la Revue des Deux Mondes, sept.-oct. 1910. 


Bull. ital. 23 





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350 BULLETIN ITALIEN 


3° Sur François d'Assise poète, sur Jacopone da Todi et sur la 
poésie franciscaine primitive: 


Ouvrages généraux concernant la poésie franciscaine : 

Ozanam, Les poètes franciscains en Italie, 2° édition. Paris, 1882. 

D’AncoxA, La poesia popolare italiana, 2° édition. Livourne, 1906: 

D’Ancoxa, Origini del teatro ilaliano. Turin, 1891. 

GasPpary, Storia della letteratura italiana, t. I. 

DE Saxcris, Storia della letteratura italiana, t. I. 

Ouvrages spéciaux : 

I. Decca Giovanna, S. Francesco d'Assisi giullare e les « Laudes 
creaturarum », dans Giornale Storico della letter. ital., t. XXV, 1809, 
p. 1. 

IRENEO Arr0, De’ canticivolgart di S. Francesco d'Assisi (Guastalla, 
1777, rare dissertation, réimprimée dans la Miscellanea francescana, 
XI, 5). 


4° Sur Dante et le Chant XI du «Paradis». 


Nous renvoyons d’abord aux principales monographies récentes de 
Dante (citées presque chaque année dans les bibliographies données 
par le Bulletin italien): 

ZinGarezur, Dante (Storia letteraria d'Italia, de Vallardi). 

Kraus, Dante, sein Leben und sein Werk. Berlin, 1897. 

Barrour, Chapitres relatifs à Dante de la Storia della lelteratura 
italiana. | 

On consultera spécialement sur Dante et François d’Assise : 

P. BONAVENTURA DA SORRENTO, San Francesco d’Assisi, commento 
al canto XI del Paradiso. Sant’ Agnello, 1890. 

M. Da CarBoxarA, Dante e San Francesco, Tortona, 1890; et Dante 
e San Bonaventura, Tortona, 1891. 

S. Iexupt, Il canto di Dante e San Francesco. Turin, 1897. 

Lectura Dawris (Florence, Sansoni): le commentaire du chant XI 
du Paradis est de M. Alfonso Bertoldi. 

F. Novari, Freschi e mini del Dugento, Milan, 1908. (Ce volume 
renferme un article intitulé : Dante e S. Francesco d'Assisi, et un 
autre sur L'amor mislico in S. Francesco e in Jacopone da Todi, 
p. 205 et 227.) 


5° Sur Pétrarque et le « Triomphe de la Chasteté». 


G. Mecopra, Studio sui Trionfi del Petrarca, Palerme, 1898 (cf. sur 
cet ouvrage Giorn. Slorico dellà letter. ilal., t. XXXV, p. 365 
et suiv.). 

Enrico Prorô, Sulla composizione dei Trionfi, Naples, 1901 (t. HI, 
dei Studi di lett, italiana). 





QUESTIONS D'ENSEIGNEMENŸ 351 


6° Sur Giotto et l'inspiration franciscaine dans l’art primitif 
italien : 


Le livre fondamental sur la matière est celui de H. Tnope : Saint 
François d'Assise et les origines de l'art de la Renaissance en ltalie, 
traduit de l’allemand, sur la 2° édition, par G. Lefèvre (Paris, Laurens, 
2 vol. in-8°), auxquels il faut joindre, du même auteur : Giotto (1899) 
(en allemand), dans la collection des Xünstlermonographien de 
Knackfuss, et Studien zur Geschichte der italienischen Kunst im XI11. 
und XIV. Jahrhundert, dans : Repertorium für Kunstwissenschaft, 
vol. XI, XIII et XVIII. 

B. BERENSON, À sienese painter of the franciscan legend. Londres, 
1909. (Ce peintre est Sassetta, dont l’œuvre franciscaine est mise en 
parallèle avec celle de Giotto.) 

Consulter, en outre, les ouvrages d'ensemble sur l'art italien au 
temps de la Renaissance : 

E. Müxrz, Histoire de l'art pendant la Renaissance, t. [°° (1889). 

André Micuez, Histoire de l'art, t. I, 2° partie (1907). 

Venturi, Storia dell arte italiana, t. V : la Piltura del Trecento(1907). 

CROWE e CAVALCASELLE, Stloria della pittura in Italia, t. 1 (1875). 
(Il en existe une traduction anglaise revue et mise au courant par 
Langton Douglas et Arthur Strong, t. I et II, 1903). 

D’Ancowa, Jacopone da Todi, il giullare di Dio dans Studi sulla 
letteratura italiana dei primi secoli. Ancône, 1884. 

G.-B. BarBenis, Jacopone da Todi. Todi, 1901. 

Rexan, Nouvelles études d'histoire religieuse. Paris, 1884, p. 334. 

Jacob Burcxxanpr, Le Cicerone, traduit par Auguste Gérard. Paris, 
189), t. II. 

Consulter enfin, comme ouvrages d’un caractère plus spécial : 

Bayer, Giotto (Collection des maîtres de l’art). Paris, 1908. 

Anonyme, Saint François d'Assise. Paris, 1884 (intéressant pour 
les illustrations). 

DE Manpacx, Saint Antoine de Padoue et l'art italien. Paris, 1899. 

Corrapo Ricci, Santi e Artisti. Bologne, Zanichelli, 1890. 

Mesrica, S. Francesco, Dante e Giotto [Nuova Antologia, 1881, 
t. LVII-LVII). 

Frarini, Sloria della Basilica e del Convento di San Francesco. 
Prato, 1882. 

ARNOLD GoFrin, S. François d'Assise dans la légende et dans l'art 
primitif italien. Paris, 1910. 

Le volume de Rime di Trecentisti minori, a cura di G. Vozrt 
(Florence, Sansoni, 1907), contient, outre la canzone attribuée à 
Giotto contre la pauvreté (p. 252), une curieuse canzone d'Antonio 
Pucci, à la louange de la pauvreté (p. 112). 


ARBRE 





322 BULLETIN ITALIEN 


7° Sur G. Vasari : 


Uco Scorri-BETTINELLI, Giorgio Vasari Scritlore. Pisa, 1905 (Annali 
della R. Scuola Normale Sup. di Pisa, vol. XIX). 


Question II.— LA LITTÉRATURE GHEVALERESQUE AVANT L'ARIOSTE. 


Auteurs : ANDREA DA BARBERINO, extraits contenus au t. I du Manuale 
de d’Ancona et Bacci, p. 670-686. — L. Pucor, extraits du Morgante; 
p. 118-146 du t. II du même Manuale. — M. M. Borarno, extraits, 
de l'Orlando innamorato, ibid., p. 152-163. 


1° Textes : 


Les morceaux portés au programme sont ceux que contiennent les 
tomes I (p. 650-686) et II (p. 128-146 et 152-163) du Manuale della 
lett. ital. de MM. D'Ancona et Bacci. Ce Manuel ne dispense pas 
entièrement de se reporter aux textes des ouvrages complets. 

Pour Andrea da Barberino, les seules éditions à consulter sont bien 
indiquées à la suite des extraits du Manuale. 

‘Pour le Morgante de Pulci, la réimpression la plus récente et la plus 
correcte est celle que l’on doit à G. Volpi (Florence, Sansoni, trois 
petits volumes, 1900-1904), avec quelques notes. 

Une édition critique de l’Orlando innamorato de Boïardo a paru à 
Bologne, en trois volumes (Romagnoli Dall’ Acqua, 1906-1907), par, 
les soins de M. F. Fôffano. 


2° Ouvrages généraux à consulter : 

Léon Gaurier, Les épopées françaises, 1. IT, ch. XXVIIE (t. HE, 
2° éd., 1892). 

Gaston Paris, Histoire poétique de Charlemagne. Paris, 1865. 

Pio Rasa, Le Fonti dell Orlando Furioso, »° éd. Florence, 
Sansoni, 1900. 

V. Rossi, 1! Quattrocento. Milan, Vallardi. 

Ph. Monnier, Le Quattrocento. Paris, 1901, 2 volumes. 

F. Fôrraxo, La poesia cavalleresca. Milan, Vallardi. (Storia della 
letteratura italiana per generi; mais le premier volume, qui doit être 
rédigé par M. Crescini, n’a pas encore paru.) | 


3° Sur A. da Barberino : 

Pio Rasa, Ricerche sulle fonti dei Reali. Bologne, Romagnoli 
Dall’ Acqua, 1872 (préface de la réimpression des Reali, pures seule- 
ment de 1893 à 1900 par G. Vandelli). 

A.-F. Renmarp, Die Quellen der Narbonesi. Altenburg, Bonde, 1900: 

H. Hawickuorsr, Ueber die Geographie bei Andrea da Barberino, 
dans les Romanische Forschungen, XIII, 3; voir Romania, XXXI, 685: 





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QUESTIONS D ENSEIGNEMENT 353 


4 Sur Luigi Pulci : 


Pio Rasa, La materia del Morganté in un ignoto poema cavalleresco, 
dans le Propugnatore, t. II, 1, p. 7, 220, 353; ce « poème inconnu » 
a été publié depuis par J. Hübscher (Orlando die Vorlage zu Pulcis 
Morgante, Marburg, 1886). 

Pio* Rasa, La Rotta di Roncisvalle (Propugnatore, t. HE, 2, p. 384; 
t. IV, 1, 52, 333, et t. IV, 2, p. 53. 

F. Fôrrano, Il disegno del Morgante (Giorn. Storico della lett. ital., 
t. XVI, 368) et 17 Morgante di L. Pulci. Turin, 1891. 

F. Mowiezrano, L’indole e il riso di Luigi Pulci. Rocca San Cas- 
ciano, 1906. 


5° Sur M.-M. Boiardo : 


Studi su M. M. Boiardo, Bologne, Zanichelli, 1894 (volume collectif 
auquel ont collaboré MM. Pio Rajna, R. Renier, G. Mazzoni, A. Luzio, 
G. Ferrari, etc.). 

G. Seanues, Bojardo’s Orl. Innam.und seine Beziehung zur altfranz. 


_erzählenden Dichtung. Leipzig, 1901. 


F. Fôrrano, 1 Precursori del Boiardo, dans la Rivista d'Italia, 


_octobre 1905. 


G. Berront, Nuovi studi su M. M. Boiurdo. Bologne, Zanichelli, 1904. 
G. Maravasi, La materia poelica del ciclo brettone in Italia. Bologne, 
Zanichelli, 1903. 


Question III. — La RÉVOLUTION FRANÇAISE ET L'ITALIE. 


Auteurs : Letture del Risorgimento italiano, scelte da G. Carpucar 
(Bologne, Zanichelli, 1896), .t. [ (1749-1830), p. 184-255. — 
V. Arte, 11 Misogallo. — V. Mori, Bassvilliana, c. Il, et Per il 
Congresso cisalpino in Lione, ode. 


1° Textes : 


Pour le Misogallo, il existe une édition excellente, avec une intro- 
duction et des notes, due aux soins de M. R. Renier (Florence, San- 
soni, 1884). | 

Les pièces de Monti portées au programme sont contenues dans le 
volume de Poesie scelle ed annotale, a cura di G. Piergili; Florence, 
Barbèra, 1891. 

Outre les morceaux publiés par G. Carpucar dans ses Letture del 
Risorgimento italiano, et portés au programme (t. I, p. 104-255), les 


_ candidats feront bien de recourir aux œuvres importantes dont il 


existe de bonnes éditions, signalées ci-après : 
P. Cozrerra, Storia del Reame di Napoli da 1734 al 1825, con Intro- 
duzione e commenti di C. Manfroni. Milan, 1905, 2 vol, in-8°, 





354 BULLETIN ITALIEN 


V. Cuoco, Saggio storico sulla rivoluzione di Napoli (1799), premes- 
savi la vita dell’ autore scritta da Mariano d’Ayala. Florence, Bar- 
bèra, 1865. 

U. FoscoLo, Le ullime leltere di J. Ortis, ed. Martinetti e C. Antona- 
Traversi, Saluces, 1887. 

U. Foscoro, Poesie, nuova edizione critica per cura di G. Chiarini. 
Livourne, 1904. 


2° Études historiques : 


AuG. FrancHEeTT1, Sloria d'Italia dal 1789 al 1799. Milan, Vallardi, 
s. d. (Storia politica d'Italia scritta da una Società di Professori.) 

O. Buzze, Die italienische Einheitsidee in ihrer litterarischen Ent- 
wicklung von Parini bis Manzoni. Berlin 1893. 

C. Tivaronr, L’Italia durante il dominio francese, 2 vol. Turin, 1889. 

B. Croce, S{udü slorici sulla Rivoluzione ncnoletana del 1799, 


2° éd. Rome, 1897. 


F. Bouvier, Bonaparte en Ilalie. Paris, 1899. 

G. Grepri, La Rivoluzione francese nel carteggio di un osservatore 
italiano (Paolo Greppi). Milan, 1900, 3 volumes. 

La vita italiana durante la Rivoluzione francese e l'Impero, confe- 
renze. Milan, 1906. 

F. Lemmi, Le origini del risorgimento italiano (1789-1815). Milan, 
1906. 

Giuseppe ManAcORDA, 1 rifugiali italiani in Francia negli anni 1799- 
1800. Turin, r907. (Extrait des Memorie della R. Accad. delle Scienze 
di Torino, série II, tome LVII.) 


3° Études littéraires générales : 


Paul Hazaro, La Révolution française et les lettres ilaliennes (1789- 
1815). Paris, 1910. 

E. Masi, Il leatro giacobino in Ilalia (dans le volume Parrucche e 
sanculolti nel secolo XVIII, Rome, 1880). 

A. Pacuiccr-Brozzr, Sul leatro giacobino ed antigiacobino in Italia. 


Milan, 1887. 
G. Genrice, Dal Genovesi al Galluppi, Herr storiche. Naples, 
1903. 


Fr. Aposrour, Le Lellere sirmiensi, riprodotte e illustrate da A: 
D'Ancona, colla vita dell’ autore scritta da G. Bigoni. Rome-Milan, 
1906. 


4° Études particulières sur Alferi : 


Eu. BerranA, Vittorio Alfieri studiato nel pensiero, nella vita e nell 
arte, 2° ed. Turin, 1904. 
P. F. Moxnezzo, Un nuovo misogallo. Naples, 1894. 








Aa) (Hs pe qe DRE en: 


QUESTIONS D'ENSEIGNEMENT 305 


G. TamBar4, Un manoscrilto di rime politiche degli ultimi anni del 
secolo XVIII. Padoue, 1891. 


5° Sur U. Foscolo : 


G. DE Wixckezs, Vila di Ugo Foscolo. Vérone, 1885-1898, 3 vol. 
A. Mrcuæzr, Ugo Foscolo a Venezia; dans le Nuovo Archivio Veneto, 
1903 et 1904. 


6° Sur V. Monti : 


T. Cas, 1! cittadino V. Monti, dans la. Nuova Antologia de juin- 
juillet 1894. 

C. Canru, V. Monti e l'età che fu sua. Milan, 1879. 

L. Viccni, Vinc. Monti; le lettere e la politica in Ilalia dal 1750 al 
1830. Fusignano, 1879-87, 4 volumes. 

L. Viccai, Les Français à Rome pendant la Convention (1792-1795). 
Rome-Paris-Londres, 1892. 


7° Sur les frères Verri : 


L. Ferrari, Del Caffè, periodico milanese del secolo XVII. Pise, 
1899. 

Eug. Bouvyx, Le comte P. Verri, ses idées et son temps. Paris, 1889. 

A. Leprerr, Studio biografico e crilico su Aless. Verri e le Notti 
Romane. Camerino, 1900. 


8° Sur les frères Pindemonte : 


Poesie e lettere di G. PINDEMONTE, raccolte ed illustrate da F. Bra- 
DEGO. Bologne, 1883. 

S. Peri. /ppolito Pindemonte. 2° éd. Rocca San Casciano 1905. 

S. Gixr, Vila e studio critieo delle opere d'Ipp. Pindemonte. Como, 


1899. 
9° Sur C. Botta : 
C. Dromisorri, Vita di Carlo Botta. Turin 1867. 
P. Pavesio, Le lettere inedite di C. Botta. Faenza, 1875. 


E. Reis, Studio intorno alla vita di C. Botta, dans les Memorie della 
R. Accad. di Torino, 1903, tome LIIL. 


10° Sur Vincenzo Cuoco : 


G. OrrToxe, Vincenzo Cuoco e il risveglio della coscienza nazionale. 
Vigevano, 1903. . 

N. RuGcreri, V. Cuoco, studio storico-critico, con un’ appendice di 
documenti inediti. Rocca San Casciano, 1903. 

M. Rouaxo, Ricerche su V. Cuoco politico, sloriografo, romanziere, 
giornalista. Isernia, 1904. 











326 BULLETIN ITALIEN 
11° Divers : 


U. Para, V. Barzoni e i Francesi in Italia. Venise, 1895. 

A. Lumsroso, Attraverso la Rivoluzione francese e il primo impero. 
Milan, Turin, Rome, r907. | 

G. Srorza, Contribulo alla vita di G. Fantoni (Labindo). Gênes, 1907. 

L. Pepe, Jgnazio Ciaja, martire del 1799. Trani, 1899. 

F. MomiGrraxo, Un pubblicista, economista e filosofo del periodo 
napoleonico (M. Gioia); dans la Rivista di filosofia e scienze affini. 
Bologne, 1903. | 


Question IV.— La POÉSIE ITALIENNE DEPUIS 1870. 


Auteurs.— G.Carpuccr, Avanti! Avanti!; Il canto dell Amore; Davanti 
S. Guido; Ça ira; Nell annuale della fondazione di Roma; Jaufré 
Rudel; Cadore. — M. Rarisarni, poésies contenues dans l’antho- 
logie Dai nostri poeli viventi (Florence, 1903), p. 342-354. — 
G. Marrani, même anthologie, p. 222-232. — G. Pascorr, même 
anthologie, p. 304-319. — G. »’Axnuwzio, la Figlia di Jorio. 


1° Texte : 


Toutes les pièces de G. Carducci portées au programme sont conte- 
nues dans l’Antologia Carducciana de MM. G. Mazzoni et G. Picciola 
(Bologne, Zanichelli, 2° éd., r909). Mais les candidats doivent aussi 
connaître l'édition complète en un volume des Poesie di G. Carducci 
(Bologne, 2° éd., 1904). Il existe aussi des éditions partielles, avec 
commentaire, des poésies de Carducci; nous signalerons : 

D. Frawnzoxt, Le grandi odi storiche di G. Carducci, con commento 
e studio storico sul poeta, 2° éd. Lodi, 1907. 

D. FERRARI, Saggio d'interpretazione di quaranta odi barbare, 3 vol. 
Crémon, 1908-1910. | 

Pour la Figlia di Jorio de G. D’Annunzio, il n'existe pas d'autre 
édition que celle de Milan ; Treves, 1904. 

L’Anthologie Dai nostri poeli viventi contient les autres textes à 
étudier; mais les candidats devront feuilleter les principaux recueils 
complets des œuvres de G. Marrapt (Poesie nuovamente raccolte ; 
5° éd., 1905, Florence, Barbèra); de Mario Rapisarpt (Opere, 6 vol., 
Catane, 1894-1897); de Giovaxxi Pascorr (Myricae, 7° éd., Livourne, 
1905; Canti di Castelvecchio, Bologne, 1906; Primi poemetti, Bologne, 
1907). 


2° Ouvrages à consulter : 


La revue La Critica a publié, par la plume de son directeur BENE- 
DETTO CROCE, une série d’études touchant la littérature contempo- 
raine, où chacun des poètes ci-dessus nommés est l’objet d’un examen 























QUESTIONS D'ENSEIGNEMENT 357 





approfondi, complété par des indications biographiques précises 
(années 1903-1910). 

Buonr Fagris, La genèse et les sources françaises du «Ça ira » de 
G. Carducci. Lucques, Baroni, 1910. : 

G. Curarinr, Memorie di G. Carducci scrilte da un amico, 2° éd. 
Florence, Barbèra, 1907. 

G. A. Borcese, Gabriele D'Annunzio. Naples, 1909. 

A. Heumanx, La poésie dans la tragédie de‘G. D'Annunzio (Revue 
bleue du 4 juin 1910). 


AUTEUR LATIN POUR L'EXPLICATION ORALE. 


Le programme indique l'édition des Egloghe Pescherecce di Jacopo 
Sannazaro, recate in versi italiani da Luigi Grilli; edizione corredata 
dal testo; Città di Castello, 1899. — Il ne sera pas superflu d’en 
collationner le texte avec celui des éditions du xvr° siècle ou des réim- 
pressions du xviu° (Amsterdam, 1728; Padoue, 1731). 

G. Rosalba, La cronologia dell « Eclogae piscatoriae» di J. Sanna- 
zaro, dans le Propugnatore, 1893, p. 5. 

Pour le commentaire spécial que l’on attend des candidats id Rap- 
ports sur les concours d’Agrégation d'’italien en 1909 et en 1910), les 
ouvrages les plus nécessaires à consulter sont naturellement la Gram- 
maire des langues Romanes de W. Meyer-Lübke, et la traduction 
italienne de sa grammaire italienne (Gramm. slorico- -comparata della 
lingua italiana, Turin, Loescher, 1901); on tiendra compte aussi de 
l'excellent manuel de M. E. Bourciez: Éléments de linguistique romane, 
Paris, 1910. Pour faciliter la tâche des candidats en ce qui concerne 
la prononciation du latin, nous publions ci-après quelques indications 
brèves mais précises, que M. Bourciez a bien voulu formuler à leur 
intention et dont la rédaction du Bulletin lui exprime toute sa 
reconnaissance. 





OBSERVATIONS SUR LA PRONONCIATION DU LATIN” 


Les observations suivantes, d’un caractère tout pratique, et présen- 
tées sous une forme forcément un peu brève et impérative, indiquent 
comment devrait être rectifiée la prononciation du latin actuellement 


1. Ces notes sont destinées plus particulièrement aux candidats des agrégations 
et de licence d’espagnol et d’italien, 


a 
a 





358 BULLETIN ITALIEN 


employée en France. Elles se réfèrent — dans la mesure où nous la 
connaissons — à la prononciation usitée dans la bonne société romaine 
vers le début de l’époque impériale, c’est-à-dire au temps d’Auguste. 
On n’a tenu compte ici que des nuances les plus importantes, et on a 
laissé de côté les prescriptions déjà admises chez nous (s et { sensibles 


à la finale, gn non mouillé, e jamais muet, etc.). Les points de 
comparaison ont été pris dans les sons du français normal, 


I. Consonxes. " 


4 


1. La réforme essentielle consistera à articuler le c toujours dur 
devant e, i, donc comme k ou x grec (dans civis, audacia, facere, 
comme dans carus). Le g sera de même articulé comme y grec ancien 
(dans genus, agere, agil, comme dans gula ou agat). 

2. Le { conservera toujours le son dental ordinaire, et ne sera pas 
sifflant devant : suivi d’une autre voyelle (on le prononcera dans actio, 
perilia comme dans tibia ou perilus). | 

3. Le s doit être aussi toujours prononcé dur (dans casa comme 
dans sal), et jamais comme un z. Le x s'articule cs (fr. excès). 

4. Le n et le m ne doivent jamais nasaliser les voyelles qui les pré- 
cèdent; ils conservent donc leur articulation distincte. Le n est faible 
ou nul dans le groupe ns ; il a une teinte gutturale dans nc, ng. Le m 
doit être articulé faiblement à la finale (dans dominum, rosam, etc.). 

5. Le r est assez fortement roulé. Les consonnes doubles se font 
entendre par une prolongation de l'articulation. 

6. Le À est muet ou assez faible (dans herba, cohors, etc.). Dans les 
groupes ch,th, ph, il représente une aspiration légère qui peut se faire 
sentir ou non derrière c, {, p (pour le groupe ph, on pourra tolérer 
une prononciation /). 

7. Le u consonne (écrit d'ordinaire v) est une semi-voyelle du se 
prononce comme un w anglais (le ou du fr. oui) dans uinum ou vinum, 
cauare ou cavare, etc. On peut cependant admettre aussi pour lui la 
prononciation du v français labiodental dans vin (c'est déjà celle de 
l'époque de Trajan). 

8. Le i consonne (écrit souvent j) est une semi-voyelle qui se prononce 
à l’initiale comme y du fr. yeux, et entre deux voyelles comme iy (dans 
iam ou jam, iugum ou jugum, Maia ou Maja, etc.). 


II. VOYELLES. 


1. La réforme essentielle et indispensable sera de conserver à l’u 
latin le son qu’il a en italien et en espagnol, celui de la diphtongue 
graphique ou en français. Dans les groupes qu ou gu suivis de voyelle, 
l'u est un w léger (voir plus haut, I, 7). 





QUESTIONS D'ENSEIGNEMENT 359 


2. Pour les autres voyelles, on peut se contenter d’un a intermé- 
diaire entre ceux du fr. patte et pâte; d’un e et d’un o intermédiaires 
entre les sons ouverts et fermés (ceux du fr. mer et dé, port et pot). 
L'i se prononce comme dans le fr. dire. Toutefois, il serait préférable 
de donner aux voyelles brèves un son plus ouvert qu'aux longues : 
mèl comme fr. mer, téla comme fr. dé, etc. (Voir plus bas, IV, 1). — 
 L’y qui ne se rencontre que dans les mots venus du grec, sonnera 
comme l’u français ou l’ü allemand (Pyrrhus prononcé pürrous). 

3. Les voyelles ne doivent jamais être nasalisées (voir plus haut, I, 4). 


III. Drparonquess. 


1. Dans la diphtongue au de causa, audire, etc., les deux éléments 
seront prononcés distincts, mais réunis dans une seule émission de 
voix (fr. aou). La diphtongue rare eu sera de même proférée éou dans 
heu, neuter, Europa, etc. 

2. Les diphtongues ae, oe, dans caelum, poena, peuvent être profé- 
rées avec une distinction des éléments composants (prononciation litté- 
raire), mais aussi comme un e simple (prononciation plus populaire). 


IV. QUANTITÉ ET ACCENTUATION. 


1. Il serait à désirer qu’on distinguât toujours les voyelles latines 
brèves et les longues, en faisant glisser la voix ou en la laissant 
traîner. Ex.: alïs prononcé avec un i comme celui du fr. lisse; mais 
nutris comme dans le fr. un lis. : 

2. Il serait bon également que, pour reproduire l'accent musical des 
anciens, la voix montât jusqu'à une note plus aiguë sur la voyelle de 
la syllabe accentuée. On sait que cette voyelle est la pénultième dans 
les mots où elle est longue (paroxytons); l'antépénultième, dans ceux 
où la pénultième est brève (proparoæytons). Dans tous les cas, la 
syllabe initiale du mot est proférée avec une certaine force musculaire. 

3. À défaut d’une observation exacte de ces nuances, on devra 
tenir compte de l'accent d'intensité (vulgairement appelé tonique), 
et le faire porter, suivant la règle énoncée plus haut, tantôt sur 
la pénultième, tantôt sur l’antépénultième : Ex. maritus, rapidus. 
On obtiendra ainsi une distinction qui n’est probablement pas celle 
du début de. l’époque impériale, mais qui est d’une importance 
capitale pour l’évolution ultérieure du latin. 


E. BOURCIEZ. 





20 


‘: 30 


35 








DIALOGO TRA S. FRANCESCO E LA POVERTA 


(Le Poesie Spiriluali del B. Jacopone da Todi, Venezia, 1617, L. I, 
oda XXIV, p. 347.) 


San Francesco sia laudato, 
Che con Christo sta beato. 


Per la gratia divina 
Si conobbe per dottrina, 
Come di pungente spina 
Nacque buon frutto odorato. 

Egli andû a confessione 
Con grande contritione. 
Dimandà religione 
Si com’ huomo disperato. 

Dell’ apostolica vita 
Allor fulli stabilita 
La regola statuita 
Dal sommo Pontificato. 

San Francesco assai cortese, 
Poi che con Christo s’apprese, 
Tutto sempre a questo attese 
Di esser povero ligato. 

All entrar d’ una foresta 
Povertà si li fu appresta, 
Como femina onesta 
Col corpo trasfigurato. 

Ben pareva regolata 
Come donna disprezzata. 

Sola andava e fatigata, 
Perché avea molto girato. 


Quando’l vide, se li appressa. 


San Francesco si recessa. 
Peccatore si confessa, 
Perché solo era scontrato. 
Quando ella ver lui mosse, 
Femina credea che fosse: 
Di vergogna si commosse, 
Che pensava esser cercato. 
San Francesco la risguarda, 
Del saluto non si tarda : 
Il divino foco t’arda 


De lo spirito infiammato. 
Quella prese a favellare : 

Frate ben sai salutare. 

Qual ragione hai sol d’andare? 

Che mi pari huom regolato. 
— Povertate vo cercando : 


Che ricchezza ho messo in bando. 


Fanto l’anderd chiamando, 
Ch’io con lei sard scontrato. 

— Frate mio ben hai detto; 
Che da Dio sii benedetto. 
Amistade ti prometto; 

Perd c’hai si ben parlato. 

— Donna per l’amor di Dio 
Non guardar perché ji’ sia rio, 
S’i t’ho detto il fatto mio. 

Tu chi se’, che m’hai laudato? 

— Con vergogna frate ‘1 dico, 
Perché non se’ molto antico. 
Ma perché sei nostro amico, 
Non ti sia da me celato. 

Son colei, che tu dimande 
Con le povere vivande. 

Ogni cosa mi par grande, 
Che per Dio mi sia donato. 


— Or mi di’, Suora, in che guisa 


Tu mi par Donna in divisa? 
Povertate in sua assisa 
Non ha corpo si formato. 
— Frate ben ti dico vero, 
Di color son bianco e nero; 
Como Christo è un'’intero 
Et in Trinità vocato. 
Questo corpo par fattura 
D'una umana creatura. 
S'io avessi altra figura, 
Non saresti assicurato. 
Ma in quel modo, che mi vedi, 


4 


45 


50 


6o 


7ù 








So 


85 


95 


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105 


110 


115 


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QUESTIONS D'ENSEIGNEMENT 301 


Se ti piace, se mi credi, 

Dio mi manda, e ti concede 
Quel medesmo, c’hai pregato. — 
À questo elli: Hor io son satio. 

lesu Christo ne ringratio, 

Che m’ha dato tanto spatio 

D'aver quel c’ho disiato. 
— Frate, hor non lodar il giorno, 

Se non provi lo sogiorno. 

Chi vuol ben sonar il corno, 

Tienlo stretto dal suo lato. 
Nulla cosa è da piacere, 

Che sia poscia da pentere. 

lo più grave a sostenere 

Son che’l pondo encaricato. 
Vedi bene, che io son passa : 

Tal vivanda non m'ingrassa. 

E puoi creder, ch’io son lassa, 

Che tutto’l mondo ho cercato. 
Non trovai ancor persona, 

Se del mio fatto ragiona, 

Ch'ella dica ch'io sia buona, 

E che non mi dia commiato. 
Che io son aspra e sono amara: 

Tutta gente con me è ’n gara, 


: E ogni cosa m'’entra cara, 


Unque non è tal mercato. — 

Elli allor : Suora si voglio, 
Per non fare quel che soglio, 
Rimembrando si mi doglio, 

Che ’l tempo haggio mal usato. 

Haggio Iddio tanto offeso, 
Che dovria esser impeso : 
Perché ’n vano haggio dispeso 
Tutto cid c’haggio operato. 

— Ben Francesco hai gran ra- 

[gione 

Di temer condennatione: 
Se t’arrendi per prigione 
Non sarai si giudicato. 

— Suor, se tu non mi vien meno, 
Senza te mai non mi ceno. 
Sarai quasi come freno, 
Bicordando'’l mio peccato. 

— Frate, se tu mi provassi 
Di lassar i boccon grassi, 
Spenderesti molti passi, 
Accioché fossi albergato. 

— Non ti porre or questa magna. 
Chi non spende non guadagna. 
Se tu fossi mia compagna, 


Non fia mai da te scostato. 

Frate, non sii di me vago. 
Maggior cosa si ti pago, 

Entra per lo crun dell’ago 
I1 camelo scaricato. 

— Sora mia non m'esser grave, 
Par mi sei dolce e suave, 

Si como è in porto la nave. 
Quando è fuor del tempestato. 
— Non ti credo nulla cosa, 
Se non mi ti fai tua sposa. 

Non sard poi vergognosa, 
Da che mi ti avrai sposato. 

Ch'io sposata fui da Christo, 
E in sua vita feci un misto 
(Si come ha in se l’ametisto) 
Di due lustri a gli occhi grato. 

Se tu fai questo ligame, . 
Vederd ben che tu m’ame. 

Non per sete nè per fame 
Non sarai da me lassato, 

Or t’ho detto tutto’l fatto, 
Perché ’1 mondo non tien patto; 
Se non vuoi ricever matto, 
Lassa il gioco intavolato. 

— Jo di nulla mi difendo 
(Disse’1 Santo); mi ti rendo. 
Tutto’l corpo in te dispendo 
Mal vestito et affamato. 

— Ora bene, hai grande fede; 
Chi ben ama sempre crede: 

Ma tuo occhio anco non vede 
Color, che mi son da lato. 

Ch'io haggio qui sette sorelle, 
Tutte pretiose e belle. 

Me aver non puoi senza elle; 
Che tra sé se l’han giurato. 

L’una si è mia cameriera. 

Et cortese messagiera. 
Ogni cosa glie è leggiera 
A soffrir in ogni lato. 

Se non tieni il cor con meco, 
D’altra via non sto con teco; 
Ciascheduna porta seco | 
Ricco pegno incoronato. — 

Elli : Chi costoro sono, 
C’hanno preggio cosi buono? 
Credo ben che questo dono 
lesu Christo m'ha mandato. 

— Frate, di me ben ti basta: 
Chi è ben saldo non vuol tasta. 





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Tal ha ferro in fillasta, 
Nè crede esser vulnerato. — 

Elli allor : Dico mia colpa 
Di gran vitio in che io so in colpa. 
Che già l’osso entro la polpa 
Mi sento or contaminato. 

— Frate, non ti sia vergogna 
La parola, che rampogna. 

Chi alquanto tien bisogna, 
Ben si pud chiamar pagato. 

— Suora, e tu sii mia bifolca; 
Como terra si m’assolca: 
Quanto vuoi, sotterra colca; 
Pur che io sia ben medicato. 

— Frate mio, non ti dispiaccia, 
Che’l mio detto ti minaccia : 
Che a la tua medesma faccia 
Veggio, sei ben medicato. — 

— San Francesco : Suora mia 
Sia pur quel, che esser si sia; 
Dimmi or della compagnia, 
Onde m’hai si ’nnamorato. 

— Queste son la Charitade 
Ubidienzia, e Umilitade, 
Continentia, e Castitade 
Patientia en sommo stato. 

Cameriera è la Speranza, 

Che ci dona consolanza, 
Onde avemo gran baldanza, 
Che lo ben sia meritato. 

— Suora mia (le disse il Santo), 
Questo bene a me par tanto, 
Che di gioia tutto quanto 
Mi par esser rifrescato. 

— Frate, questo è tal presente, 
Che ti manda Dio vivente. 

Se serai ben sofferente, 
En buon ora fusti nato. 

= Suora, ben ti vo obedire 
E tutto in pace sofferire, 

Et amare e ben servire 
Il Signor, che m'ha crealo. 

E di questa nova storia 
Christo n’aggia laude e gloria, 

E mi doni con vittoria 
Vincer, chi m’ha contraslato. 

— Frate, meco sta in concordia, 
Nulla sia tra nui discordia, 


BULLETIN ITALIEN 


Dio per sua misericordia 
Faccia te da me amato. 

— Suora, se non t'’è in fatiche, 
Pregoti, che tu mi diche; 
Come io da queste amiche 
Sard ben guidardonato. 

— Frate, di me dir in prima, 
Se m'intendi ben per rima: 
Che dal piè ’nsino a la cima 
Sempre ’l mondo m'’ha odiato. 

Di saper sono et ingegno, 
Senza danno si ritegno 
Intrattabile sostegno 
Senza nullo judicato. 

Di possession si coverta 
Mia fortezza non è certa: 
Tutt'ora con man aperta 
Porta il magno Imperiato. 

Ond’i vo sempre gioconda 
De la gratia che m’abonda: 

A la tavola rotonda 
Sarai meco satiato. 

Di quest’altre, che mi dici, 
In su’l ciel han le radici; 

De’ sto mondo fur nutrici, 
E onde Christo fu cibato. 

Tutti ensieme con riposo, 

In quel luogo dilettoso 
Di lesu Christo amoroso 
Entraremo, almo beato. 

Entraremo in gaudio magno 

Ove è quel pretioso agno, 





225 


230 


239 


240 


250 


255 


Del suo sangue, che fe un bagno, 


Onde el mondo fu lavato. 
Che piu è ’l ben, qual io non 
[mostro, 
Che avrem col Signor nostro; 
Se tutta acqua fosse inchiostro, 
Nol pu dir tanto beato. 

Di saper più non ti caglia. 
Sta costante a la battaglia. 

Se pur ti verrà travaglia, 
Pensa como vadi armato.— 

Cid che a Povertà conviene, 
San Francesco ben ritiene. 
Rinovd tutto di spene, 

Di tal muda rinfrescato. 


260 


265 


270 





RAPPORT 
SUR LES CONCOURS D’AGRÉGATION D’ITALIEN 


ET DU CERTIFICAT D'APTITUDE 


À L'ENSEIGNEMENT DE LA LANGUE ITALIENNE DANS LES LYCÉES ET COLLÈGES 


EN 1910 





Monsieur LE MinisSTRE, 


Comme l’année dernière, vous avez bien voulu m'appeler à présider 
simultanément le jury d’agrégation d'’italien, et celui du certificat 
d'aptitude à l’enseignement de la même langue ; au reste, la compo- 
sition de ces deux jurys tend de plus en plus à se confondre 1. Pour 
ce motif, je réunis en un seul rapport les observations que j'ai l’hon- 
neur de vous soumettre sur ces deux concours. 


I. AGRÉGATION. 


Le nombre des candidats inscrits a été de dix, mais neuf seulement 
ont pris part aux épreuves écrites, chiffre identique à celui de 1909, 
mais encore inférieur à la moyenne des années 1900-1907. L'impor- 
tant, d’ailleurs, est que le niveau s'élève d’une façon sensible après le 
fléchissement des dernières années; or, cette fois, le candidat classé 
second atteint un total de points supérieur à celui du premier de 1909. 
Quant au premier de cette année, il possède une culture littéraire 
et des qualités critiques que nous aurions voulu rencontrer plus 
souvent dans les concours précédents. Le jury enregistre ce progrès 
avec satisfaction, et veut y voir la promesse que le niveau ne fléchira 
plus : il y tiendra la main ; l'intérêt bien entendu des études italiennes 


1. Le jury d’agrégation était composé, outre le président, de MM. Bouvy, chargé 
de cours à la Faculté des Lettres de l’Université de Bordeaux, J. Luchaire, professeur 
à la Faculté des Lettres de l’Université de Grenoble, et Paoli, professeur au Lycée 
Louis-le-Grand. — Le jury du certificat comprenait, outre le président, MM. Luchaire 
et Paoli. 





4 7e | A OP RS PE FOUT 


364 BULLETIN ITALIEN 


lui en fait un devoir. Un agrégé d'italien doit être quelque chose de « 
plus qu’un professeur de langue parlée; il faut qu'il initie ses élèves … 
à la poésie d'un Dante, d’un Arioste, d’un Leopardi; qu’il leur fasse 
sentir la profondeur du génie d’un Léonard ou d’un Michel-Ange, et. 
leur explique quelle place occupe l'Italie dans la civilisation de 
l'Europe moderne. Alors son enseignement sera vraiment apprécié 
et recherché, parce qu'il ne le cédera à aucun autre pour la formation 
intellectuelle de la jeunesse. Bien entendu, il sera donné en italien : 
mais le maniement de la langue vivante n’y sera plus son but à lui- 
même, et les jeunes gens qui le suivront apprendront en même temps 
à goûter une poésie exceptionnellement riche, et une pensée constam- 
ment en quête de beauté. Cet idéal ne se réalisera pas tout d’un coup : 
mais le premier point est de recruter des agrégés capables de le mettre 
peu à peu en pratique. 

Épreuves écrites. — Le thème était un chapitre de M. Maeterlinck, 
contenant une longue citation de Buffon :; quatre copies ont paru 
très honorables, deux seulement tout à fait ns M Les difficultés 
étaient d'interprétation précise, de syntaxe et de style, plutôt que de 
vocabulaire; plusieurs candidats ont su se tirer adroitement d'affaire: 
mais il est regrettable que, chez quelques-uns, même des meilleurs, 
on relève des négligences et des étourderies assez sérieuses. 

La version, tirée du chant X de l’Adone du Cav. G. B. Marino 
(st. 36 et 38-43), renfermait des subtilités de pensée et des rech rches 
d'expression assez délicates à saisir et à rendre. Aucune copie L'esl 
exempte de contresens; deux sont franchement mauvaises. L'une des 
erreurs les plus fréquentes a été de traduire scrignuta par « crevassée» 
ou par une expression équivalente; les candidats, ignorant le mot, 
ont essayé d’en deviner le sens d’après le contexte, et ont fait fausse 
route. Un certain nombre de particules confirmatives ou atténuatives, 
comme pure, ancor, mai, employées par le poète avec intention, méri- 
taient d’être rendues avec soin ; elles ont été trop souvent éludées. Un 
candidat a fait effort pour conserver le plus possible les inversions du : 
texte italien, et pour reproduire l’aspect des vers ; cette méthode n'est 
pas à encourager, car elle amène à traduire les passages difficiles 
tellement mot à mot, qu'il est impossible de savoir si le sens est ‘4 
compris, et cela ne ressemble plus que de fort loin à du français. RO 

Le sujet de dissertation française? se prêtait à des développements 
abondants tant sur l'histoire du théâtre que sur celle des milieux 
littéraires et de la société à Venise au xvinr siècle. Les candidats s'en 
sont donné à cœur joie, et le reproche que l’on peut adresser aux plus” 
faibles d’entre eux n’est point de manquer de documents ; c’est plutôt 


1. La Vie des abeilles, II, xxn. 
2. La fiaba; sa signification dans l’histoire du thédlre italien et dans la société 
vénitienne du xvr® siècle; causes de son succès el de sa décadence. : Le 








te DE ice ESS Ar, à 


QUESTIONS D'ENSEIGNEMENT 369 


d'en présenter trop, de mal choisir ceux qu'ils présentent, ou de les 
mal présenter. Les uns se sont perdus dans des développements de 
longueur excessive sur Goldoni ei sur Chiari; les autres ont cru oppor- 
tun d'analyser une à une les « fiabe » de C. Gozzi; d’autres ont mêlé 
les différentes questions proposées, parlant simultanément de l’origine 
de la « fiaba », de ses caractères et des causes de son succès, aboutis- 
sant ainsi à un travail confus, d’une lecture pénible. Un petit nombre 
seulement de candidats ont su serrer d’un peu près le sujet, dire 
l’essentiel et le dire de façon méthodique, envisageant distinctement 
les origines de la « fiaba », les transformations que Gozzi lui a fait 
subir, ses caractères essentiels comparés à ceux des autres formes 
dramatiques italiennes, ses rapports avec le milieu vénitien, les causes 
de son succès, causes générales, inhérentes au genre lui-même, ou 
spéciales à Venise, enfin les raisons du peu de durée de son succès. 
La rédaction des compositions a été de valeur fort inégale, les compo- . 


_sitions les mieux ordonnées étant, presque toujours, les mieux écrites. 


Les négligences de style, les italianismes ne sont pas rares et ne 
semblent pas toujours le fait d'inadvertances. Un candidat, malgré 
les avertissements donnés dans le précédent rapport, a eu le mauvais 
goût d’émailler son style, d’ailleurs très médiocre, de mots italiens 
dont la présence n’a aucune excuse, puisque les équivalents ne font 
pas défaut en français ; affectation ou paresse d'esprit, il y a là une 
habitude fâcheuse, à enrayer au plus vite. 

La dissertation italienne était moins facile à traiter, car le sujet 
roulait sur l’art autant que sur la littérature et comportait l'expression 
de nuances délicates r. Le défaut général a été justement l'absence de 
nuances, ou la maladresse à subordonner les divers points de vue à 
une conception nette d’un problème éminemment complexe. Un trop 
grand nombre se contentent de ces formules simplistes : la Renais- 
sance résulta de la révélation subite de l'Antiquité, — ou bien : 
l'humanisme a marqué un temps d’arrêt, pour ne pas dire un recul, 
du génie italien. Les plus avisés ont bien reconnu à quel point ces 
formules banales cadrent mal avec les faits; mais ils se sont empêtrés 
dans les contradictions et n'ont traité que des parties du sujet. Une 
seule copie a paru vraiment distinguée, trop unilatérale dans sa 
conception, mais révélant une pensée personnelle qui s'exprime 
avec fermeté. Trois compositions ont été jugées très insuffisantes. La 
correction matérielle n'a guère donné satisfaction que dans trois ou 
quatre copies; les autres sont déparées par des étourderies dont un 
bon nombre peut être mis sur le compte d’une improvisation hâtive; 
mais beaucoup paraissent tenir à une négligence habituelle; par 


1. « Indagare per quali ragioni, sia teoriche, sia storiche, le arti plastiche abbiano 
avuto in Italia, sul finire del secolo xv et nei primi decenni del xvr, uno svolgi- 
mento più pieno e, in complesso, più originale che non la letteratura. » 


Bull. ital. # 





366 BULLETIN ITALIEN 


exemple, plusieurs candidats semblent s'être entendus pour ne plus 
employer l’article devant aucun nom propre : ils écrivent Petrarca, 
Machiavelli, Poliziano, Botticelli, comme Dante, Leonardo, Michel- 
Angelo, Raffaello, etc.; le cas est cependant bien différent et l'on ne 
doit pas ignorer qu'il Enitie à cet égard un usage solidement établi 
en italien. 

Épreuves orales. — Dans leur ensemble, les épreuves orales ont été 
satisfaisantes ; un seul des admissibles a fait preuve d’une gaucherie 
qui lui a fait perdre trois rangs. 

Il y a progrès incontestable pour le thème oral, notamment en ce 
qui concerne le commentaire grammatical et lexicographique que le 
jury attend après la traduction ; trois candidats surtout ont fait sur ce 
point un effort louable. Le jury recommande encore une plus grande 
précision, car les remarques doivent être tirées du texte proposé, sans 
tomber dans des généralités faciles. Cette épreuve de traduction 
improvisée exige un entraînement approprié; le jury a encore entendu 
cette année trop de gallicismes comme avrei creduto essere (j'aurais 
cru être), le gérondif italien pour traduire le participe présent français 
exprimant un état et non une action, etc.; un seul candidat a su 
rendre «une Vierge» (il s’agit d’une œuvre d'art) par una Madonna: 
Voilà quelles sont les difficultés qui devraient faire l’objet, dans le 
commentaire, d'observations brèves, mais précises; seulement il faut 
commencer par les apercevoir ! 

Les explications préparées: ont également marqué un progrès; la 
méthode est meilleure. Cependant plus d’une fois l’un des deux textes 
fait tort à l’autre : tel candidat, se sentant capable de donner un bon 
commentaire historique au morceau de Dino Compagni (FE, vu), 
a transformé l'explication en leçon, et réduit G. Gozzi (Sermone XF, 
40-55) à la portion congrue; tel autre a fait exactement le contraire. 
Un seul a bien équilibré les deux parties de l'épreuve, Un bon pro- 
fesseur doit savoir partager un temps limité entre deux exercices, sans 
en sacrifier aucun. 

La leçon en français portait sur Manzoni et la question de la langue 
italienne, ou plutôt sur un des principes fondamentaux d’où se déduit 
toute la théorie linguistique de Manzoni?. Un candidat s'est très 


1. Comme les années précédentes, tous les admissibles ont traité à l'oral les 
mêmes sujets, mais pour les épreuves préparées ces sujets ont été tirés au sort. 

2. « Manzoni a écrit dans son Rapport sur l'Unité de la langue italienne: — Tutti 
o quasi tutti quelli che negano al toscano la ragione di essere la lingua comune 
d'Italia gli concedono pure qualche cosa di speciale, una certa qual preferenza, un 
certo qual privilegio sopra gli altri idiomi d'Italia. Con che, per verità, danno segno 
di non avere una chiara et logica nozione d’una lingua, la quale non è se non è un 
tutto, e a volerla prendere un po’ di qua e un po’ di là, è il modo d’immaginarsi 
perpetuamente di farla senza averla fatta mai. — Discuter ce principe, et en montrer 
l'importance (ou, si l’on croit, l'insuffisance) dans la conception manzonienne de la 
langue. » 





QUESTIONS D'ENSEÏIGNÈMENT 367 


intelligemment tenu dans les limites exactes du sujet; on n’a pu 
regretter dans sa leçon qu'une lacune, qui lui est d’ailleurs commune 
avec ses concurrents, touchant la genèse des idées du romancier 
milanais sur ce point: comment la question s’est-elle posée à lui? 
Avec quelle préparation, quelles idées ou quels préjugés l’a-t-il 
abordée, examinée, résolue? Ainsi envisagée, la question se fût singu- 
lièrement éclairée. Quelques-uns ont élargi le sujet, en y faisant entrer 
des réflexions générales sur le romantisme, ou en s’occupant des cri- 
tiques provoquées par la théorie de Manzoni; d’autres, au contraire, 
l'ont rétréci, en ne donnant qu’un résumé, d’ailleurs intelligent et 
exact, de la théorie, sans aucune discussion. Peu de candidats arri- 
vent à se tracer un plan net, et à s’y tenir, à poser nettement la 
question dès le début, et à faire sentir la progression de leur dévelop- 
pement. S'ils n'y réussissent pas mieux, c'est sans doute aussi parce 
qu'ils ne saisissent pas très distinctement la question sous tous ses 
aspects. | 

Le sujet de leçon en italien consistait en un exposé critique des 
idées de Léonard de Vinci sur les mérites respectifs des beaux-arts et 
de la poésie. La difficulté était double : il s’agissait d’une part de 
dégager des notes de Léonard tout ce qui est essentiel et vraiment 
caractéristique touchant ses idées sur l’art, et de l’autre, pour en faire 
la critique, d’en expliquer la genèse dans l'esprit de l'artiste, de les 
éclairer à la lumière de son œuvre et de celle des penseurs, poètes, 
artistes, ses prédécesseurs ou ses contemporains. À ce double point 
de vue, les cinq leçons ont présenté un aspect très différent et une 
valeur fort inégale. Deux candidats, préoccupés surtout de l'impor- 
tance donnée par Léonard à la peinture, ont perdu de vue qu'il avait 
aussi parlé de sculpture, d’architecture, de musique; leur exposé 
critique, malgré sa valeur, a donc eu le défaut d’être incomplet. En 
ce qui concerne les arts plastiques, et notamment la peinture, le 
désordre dans lequel se présentent les pensées de Léonard, s’est plus 
d'une fois traduit par une certaine confusion dans l'exposé qui en 
a été fait. Cette absence de méthode et d'aptitude pédagogique a natu- 
rellement eu son contre-coup sur la note. La partie critique de la 
leçon permettait aux candidats de faire voir leur érudition en même 
temps que leur sens littéraire et artistique. À ce point de vue, le jury 
a été favorablement impressionné : des réflexions originales, person- 
nelles ont été présentées; un rapprochement très heureux a été fait 
notamment avec la critique que Pascal a formulée, un siècle et demi 
après Léonard, de la « beauté poétique » ; de même l’exagération, dans 
laquelle tombe l'artiste quand il limite le domaine de la poésie à la 
. description, a été justement relevée. — La forme, dans aucune épreuve, 


1. «Esporre e discutere le idee di Leonardo da Vinci intorno al valore rispettivo 
delle arti e della poesia. » 





2 ne A DENT EL OR vi 





368 BULLETIN ITALIEN 


n’a été parfaite; cependant, à deux exceptions près, l’élocution a été 
correcte, aisée, parfois élégante. En résumé, cette épreuve, en 1910, a 
donné des résultats très nettement supérieurs à ceux du concours. 
précédent. 

L’explication d’un texte moderne en langue espagnole a mérité, elle 
aussi, des notes plus élevées qu’en 1909. L'épreuve a conservé encore 
un caractère très élémentaire, qui devra peu à peu se relever. Les 
candidats, qui se sont mis consciencieusement à apprendre la gram- 
maire, devraient lire, dans leurs moments de loisir, quelque roman 
contemporain — de B. Perez Galdôs ou de V. Blasco Ibañez — pour 
acquérir plus de familiarité avec le vocabulaire et les tournures 
usuelles, tout en tirant parti de cette étude pour leurs connaissances 
générales de philologie romane comparée. 

Comme l'an dernier, quelques vers latins, empruntés au pro- 
gramme, ont été joints aux deux textes d'explication préparée, à titre. 
de simple indication. À partir du prochain concours, en vertu de 
l’arrêté ministériel du 21 juillet 1910 pris en Conseil supérieur de 
l'Instruction publique, cette épreuve aura une sanction dans la 
fixation de la note globale des explications. Aïnsi qu'ont pu le faire 
prévoir les questions posées cette année, les candidats auront à prouver 
qu'ils connaissent les rapports qui unissent l'italien au latin au point 
de vue de la phonétique et de la morphologie. A ,cet égard, ils feront 
bien de s’exercer à respecter, en lisant, l'accent tonique des mots 
latins, et à donner aux voyelles et aux consonnes la valeur qu'elles 
avaient à l’époque impériale. 

L’attention des candidats a besoin d’être appelée d'une façon parti: 
culière sur la prononciation de l'italien. Deux d’entre les admissibles 
ont été jugés satisfaisants à ce point de vue; l’un possède une articu- 
lation aisée, agréable, mais non exempte de toute faute (sur l'accent 
tonique de ciclope et de chiavica, ce dernier mot étant dans un texte 
du programme; sur la valeur des o ouverts ou fermés, souvent con- 
fondus); l’autre a plus de correction, mais moins de vivacité et de 
naturel, Leurs concurrents ont laissé fort à désirer, celui-ci parce qu'il 
ne semble avoir fait aucun effort pour atténuer. l'harmonie toute fran- 
çaise de sa diction, ceux-là parce que leur articulation est incertaine 
ou même incorrecte; l'éducation de leur oreille et de leur gosier est 
nettement insuffisante. Sur ce point — et c’est un point capital — il 
n'y a pas progrès. L'erreur de quelques-uns paraît être de croire qu'il 
suffit de passer un certain temps en Italie; mais un séjour, même 
prolongé, en Toscane ne sert pas à grand'chose s'il ne comporte, 
d'une part, un isolement aussi complet que possible par rapport 
à tout élément français, et de l’autre, une étude attentive, théorique 
et pratique — expérimentale, s'il se peut — de la phonétique. À cet 
égard, un effort très sérieux réste à entreprendre. 








QUESTIONS D'ENSEIGNEMENT 369 


II. CERTIFICAT. 


En 1910, vingt candidats se sont fait inscrire au certificat d’apti- 
tude d’italien, contre vingt-deux en 1909; mais quatre d’entre eux 
ont renoncé à concourir, au lieu d’un seul défaillant l’an passé. 
Ce léger déchet ne saurait nous préoccuper; tel composant, très 
faible, aurait pu se retirer encore sans aucun inconvénient; l'essentiel 
est que la valeur du concours se maintienne, avec une tendance 
certaine à se relever. Nous attendons toujours des progrès plus 
2e décisifs pour les épreuves écrites; mais l’oral nous a donné beaucoup 
| plus de satisfaction qu'en 1909. Cette agréable constatation faite, 

le jury tient surtout à indiquer les faiblesses à réparer et les progrès 

à accentuer. 

204 Épreuves écrites. — La composition française (éliminatoire) continue 
à être médiocre. Ce n’est pas en un an, après le cri d'alarme jeté 
ici même lors du concours précédent, que l’on pouvait compter sur 
une amélioration notable, alors que le mal a des racines lointaines et 
profondes. Le jury ne peut se lasser de rappeler quelle importance il 
attache à cette épreuve de culture générale, et de répéter qu'il ne veut 
pas, sur ce point, entrer dans la voie d’une indulgence contraire au 
bon renom et à la dignité de notre enseignement des langues vivantes. 
Aux termes de l'arrêté du 14 août 1903, sont dispensés de cette 
épreuve préliminaire les candidats déjà pourvus de la licence 
ès lettres ou du certificat d'aptitude au professorat des Écoles nor- 
males (lettres); c’est dire clairement que les autres doivent justifier 
d'une maturité d'esprit et de style plus grande que celle qu'on attend 
de simples candidats au baccalauréat ou au brevet supérieur. Sur 
neuf compositions françaises remises cette année, cinq ont eu des 
& notes éliminatoires; deux approchent de la moyenne; aucune ne la 





dépasse — c’est-à-dire n'assure à son auteur la dispense de cette 
épreuve pour les concours futurs:. 
FR Le texte du thème, assez difficile2, invitait les candidats à montrer 


qu'ils possédaient le vocabulaire usuel et n'étaient pas embarrassés 
pour rendre convenablement les idiotismes français; or, le jury 
a constaté chez tous les concurrents l’ignorance de locutions fort 
communes, telles que «traire la vache» ou «un pêcheur à la ligne », 
et a relevé un nombre exagéré de gallicismes. Aucune copie n’a 


1. Le sujet était: «Expliquer et discuter les raisons pour lesquelles il serait très 
utile, dans certains cas peut-être indispensable, de connaître la langue, l’histoire et 
les principaux écrivains de la Rome antique pour étudier à fond la langue et la 
littérature italiennes. » 

2. E. Faguet, Proudhon: « C'était un homme de faible santé. une des plus belles 
et hautes pages de toute la littérature morale » (Politiques et moralistes du XIX° siècle, 
3° série, pp. 115-118 (nombreuses coupures). 





370 BULLETIN ITALIEN 


dépassé la note 12. Nous ne saurions donc assez recommander aux 
futurs candidats de lire méthodiquement, la plume à la main, les 
ouvrages des bons écrivains modernes, pour enrichir chaque jour leur 
vocabulaire. 

La version, qui exigeait de la réflexion pour bien interpréter toutes 
les nuances d’un texte poétique du xvi° siècle:, a été plus SAUT 
sante : sept copies ont dépassé la moyenne. 

Le sujet de composition en langue italienne portait sur les symp- 
tômes de renaissance nationale qui se manifestent dans la littérature 
italienne du xvurr° siècle?, sujet très connu que la présence au pro- 
gramme d'auteurs tels que G. Gozzi et V. Alfieri pouvait laisser pres- 
sentir. Le jury n’a pas retrouvé cette fois la fermeté de pensée et là 
sûreté de style qui l’avaient frappé l’an dernier dans deux ou trois 
copies. Cependant l'épreuve, dans son ensemble, est honorable : une 
dizaine de candidats ont su tirer un assez bon parti des œuvres de 
. Gozzi et d’Alfieri qu'ils connaissaient, non sans faire mention en 
outre, pour la plupart, de Goldoni, de Parini, parfois de Baretti. L’in- 
formation, assez précise même, n’est pas ce qui fait le plus défaut, 
mais bien la personnalité dans l’exposition d'idées et de faits qu’il 
faudrait dominer avec aisance : l'important n’est pas de dire beaucoup 
de choses, mais de distinguer l'essentiel et de l’exprimer avec autorité. 
La forme des six premières copies n’est pas sans mérite ; on y relève 
pourtant trop d’étourderies : évidemment plusieurs candidats n'ont 
pas pris le temps de se relire. Il faut arriver à être maître de son 
temps — et de sa plume — comme de sa pensée. 

Épreuves orales. — Certaines recommandations contenues dans 
mon rapport précédent semblent avoir été entendues. Dès la première 
épreuve, la traduction orale improvisée d’un passage de l’Osservatore 
de G. Gozzi, deux candidats ont fait preuve de netteté, de jugement, 
d'autorité dans la lecture et la traduction ; sur plus d'un détail, certes, 
ils se sont mépris, mais le sens général et le ton du morceau ont 
été intelligemment rendus. Le thème oral (une page de Lamennais) 
a donné lieu à une bonne épreuve et à deux passables. Deux épreuves 
de lecture expliquée (Dante, Parad., XV, v. 118-135) ont répondu assez 
exactement à ce que le jury attend des candidats ; il est vrai que les 
autres concurrents ont renouvelé les tâtonnements et l’absence de 
méthode déplorés l’an dernier. Mais le commentaire grammatical a 
été meilleur dans l’ensemble; le texte d’Alferi (Oreste, acte IT, sc. r, 
Y. 104-133) suggérait d’ailleurs un grand nombre de remarques. 

La prononciation est satisfaisante, bonne et même très bonne chez 
deux candidats; mais l’économie du concours est telle qu'il ne suffit 


1. Luigi Tansillo, le Lagrime di S. Pietro, Pianto primo, st. 59-64. 
2. «Come si rispecchiano nella letteratura italiana della seconda metà del 
Settecento i costumi del tempo e le aspirazioni a un rinnovamento morale e politico ?» 














LÉ Din pa 





QUESTIONS D'ENSEIGNEMENT 371 


‘pas d'articuler comme un Italien pour compenser une préparation 
trop sommaire ou une culture générale insuffisante. Inversement, les 
candidats dont la préparation a été bien dirigée doivent se rappeler 
que la note de prononciation, avec son coefficient double, est égale à 
celle de lecture expliquée ou de commentaire grammatical. 

Je n'ai pas à répéter les indications données dans mon précédent 
rapport sur la façon de comprendre les diverses épreuves orales ; j'y 
renvoie les candidats, en relevant que plus d’un devra encore les 
méditer. Nous avons entendu par exemple, à propos d’un passage 
du Paradis, une petite leçon de dix à douze minutes sur la vie et les 
œuvres de Dante, dont le jury n'a tenu compte que pour mesurer 
le temps ainsi perdu. Le programme ne comprenant que cinq ou six 
auteurs, il n’est pas très pénible de préparer, en un an, cinq ou six de 
ces airs de bravoure, dont on est toujours sûr de placer au moins un. 
De même, dans le commentaire grammatical, il était inutile de consa- 
crer même cinq minutes à la légende d’Oreste et à la conduite de 
l’action dans la tragédie d’Alfieri. Chaque épreuve doit répondre à un 
aspect particulier de l’enseignement, et c’est bien comme des exercices 
de classe que le jury s’attache à juger les diverses explications. 

Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l'hommage de mon plus 
profond respect, 


H. HAUVETTE, 


Professeur adjoint à la Faculté des Lettres 
de l’Université de Paris, 
Président du Jury. 











BIBLIOGRAPHIE 


Camille Monnet, Projet de bibliographie lamartinienne française- 
ilalienne. Turin, Lattes, 1909. 


M. Monnet a eu la très heureuse idée de rassembler dans ce 
volume les renseignements bibliographiques sur Lamartine épars 
jusqu'ici dans des recueils d’inégale valeur, et en y joignant un grand 
nombre d'indications nouvelles. Comme son titre l'indique, il s’est 
spécialement appliqué à dépouiller les revues italiennes et je ne sache. 
pas que personne l'ait fait avant lui. Il rend ainsi le plus signalé 
service à tous ceux qui s'intéressent à l’œuvre lamartinienne. Modeste- 
ment, M. Monnet n’a voulu donner son important ouvrage que comme 
un projet. L’ordonnance en est excellente et claire : il faut souhaïter 
que de nombreuses éditions permettent à ce livre de s'enrichir et que 
tous les érudits aident l’auteur dans cette tâche. Je me permets d’in- 
diquer ici quelques omissions, dans l'espoir de contribuer à cet inté- 
ressant travail. 

1. Puisque M. Monnet cite Brunetière, Faguet, etc., et que son livre, 
si je comprends bien, est destiné aux étrangers autant qu'aux Français, 
il serait utile de signaler les pages si serrées, si nourries de science 
que M. Gustave Lanson consacre au grand poète dans sa Lillérature 
française (pp. 934-940). 

2. Les Souvenirs de Me Delahante contiennent de nombreux ren- 
seignements sur Lamartine et sa famille. 

3. Domenichi, L'amore nella lirica di A. de Lamartine, etc. Padoue, 
Gallina, in-16, 1907. 

4. Doumic, Carnet de voyage de Lamartine en Italie (Correspondant, 
25 juillet 1908). 

5. Faguet, Amours d'hommes de Lettres (.. Lamartine, etc.). 

6. L'étude de M. Fidao, citée page 60, a été insérée, revue, dans son 
volume Le Droit des Humbles. 

7. Galante (Sarah), Le sentiment chez Lamartine. Pistoie, Flori, 
in-8°, 1907. 

8. Ch.-M. des Granges, La Presse littéraire sous la Restauration, 
ouvrage très important pour quiconque veut étudier l'accueil fait aux 
Méditations dans la presse. 





D Ces 





BIBLIOGRAPHIE 373 


Mais il suffit de voir avec quelle diligence M. Monnet a mené à 
bien ce difficile recensement pour être assuré qu'il nous donnera 
bientôt une bibliographie tout à fait définitive. : 


JEAN Des COGNETS. 


Carteggio del Conte Federico Confalonieri, ed altri documenti 
speltanti alla sua biografia, pubblicalo con annotazioni sloriche 
a cura di G. Gallavresi, parte I. Milano, 1910, in-8°. 


La correspondance du comte Federico Confalonieri, dont M. Galla- 
vresi nous donne aujourd’hui la première partie, méritait bien d’être 
recueillie. Sur le grand drame de 1814, sur la chute de la domination 
napoléonienne et la victoire de la Sainte-Alliance, elle fournit des 
témoignages sincères et perspicaces, qui peuvent servir aussi bien 
à l’histoire de France qu’à l’histoire d'Italie. Nous y trouvons l’im- 
pression produite à Milan par la retraite de la Grande Armée: «On 
sent jusqu'ici la puanteur des cadavres fumants de Moscou » 
(Lettre 30, 16 oct. 1812). Nous y trouvons le récit de l’entrée triom- 
phale des Autrichiens dans la capitale lombarde, le défilé des troupes, 


les illuminations, la fête au théâtre en l'honneur des officiers de 


S. M. Impériale (Lettre 52, 29 aprile 1814). Voici le spectacle de Paris, 
conquis par «l’immense afflux des diverses nations »: les grenadiers 


_ allemands campent sur la partie gauche des Champs-Élysées; et de 


l’autre côté, les Cosaques ; la garde russe occupe l'Étoile. Les élégantes 
viennent tous les jours faire leur promenade au milieu des troupes, 
pendant que Tartares et Baskirs envahissent les cafés à la mode et les 
restaurants du Palais-Royal (Lettre 53, 30 avril 1814). Voici le grand 
espoir de libération qui naît au cœur des Italiens : les bons citoyens, 
qui attendent avec anxiété des nouvelles, « mettent toute leur con- 
fiance dans leurs envoyés auprès des Puissances, pour le bien de leur 
pays»; les ambassadeurs, qui brûlent de patriotisme; et bientôt, 
l’inutilité évidente de toutes les démarches et la désillusion qui suit 
la fièvre : « Le sacrifice de ma patrie est accompli; et nous devions 


‘ venir jusqu'à Paris, pour être nous-mêmes les spectateurs de notre 


misère et de notre deuil! Au moins n’avons-nous pas été des specta- 
teurs indifférents ou inactifs ; mais ce sont des baïonnettes qu’il faut, 
et non pas des députations, pour plaider la cause d’un peuple...» 
(Lettre 76, 18 mai 1814). Enfin, tout rentre dans le calme ; empereurs, 
rois, princes, prennent la route du retour ; Paris redevient silencieux ; 
c'est Londres maintenant qui s'agite, prise d’un délire de joie en 
acclamant Nelson. — A négliger le côté psychologique et sentimental 
de cette correspondance, qui mériterait à lui seul une étude, le simple 
exposé des faits contemporains suffit à exciter l'intérêt. On s’imagine 








374 BULLETIN ITALIEN 


assister à ces événements tragiques et glorieux avec celui qui les 
raconte; c'est de l’histoire qui vit. 

La méthode suivie par M. Gallavresi n’est pas moins digne de 
retenir l'attention. Il avait affaire à deux sortes de lettres, les unes. 
déjà publiées, les autres inédites: celles-ci étant d’ailleurs les plus 
nombreuses, grâce aux patientes recherches qu'il a faites dans nombre 
d'archives publiques et privées. Il a donc eu soin de mettre en tête de 
chaque lettre, à droite, «Edita» ou « Inedita» ; à gauche, la mention 
du lieu d’où elle est tirée; le lecteur est aussitôt renseigné, sans 
fatigue et sans effort. — Il ne s’est pas astreint à reproduire l'ortho- 
graphe quand elle était douteuse ou surannée, ni à laisser subsister 
la ponctuation quand elle était mauvaise. Mais il n’a jamais inter- 
prété une lecture douteuse, sans la marquer d’un point d'interro: 
gation; et il a toujours mis entre parenthèses les conjectures qu'il 
propose, pour remplacer les passages effacés ou déchirés. Telle semble 
bien être la juste mesure : il a eu le respect du texte, sans en avoir la 
superstition. — Faut-il rendre intégralement tous les détails de toutes 
les lettres, même quand ils sont sans importance? Est-il nécessaire 
de savoir que tel correspondant a eu mal à la tête, par exemple, ou 
qu'il s’est levé de plus grand matin que d'ordinaire? Ou peut-on, bien 
plutôt, retrancher avec avantage de telles vétilles? L'éditeur l’a fait 
quelquefois ; mais il ne l’a pas fait sans résumer le passage supprimé: 
c'est l'essentiel. — Importante aussi, pour des textes modernes ou 
contemporains, est la question des personnalités. Voici comment il 
l’a résolue : «Je n’ai pas cru avoir le droit d’omettre certaines lettres 
importantes, qui ont un caractère indubitable d'intimité, et dont 
la publication pourrait déplaire à quelques-uns. Les recherches de 
ceux qui m'ont précédé dans cette étude ont soulevé, qu’on le sache 
bien, presque tous les voiles; les choses en sont venues à un tel point, 
que j'avais désormais l'obligation de mettre en lumière le tableau tout 
entier, évitant des jugements erronés ou exagérés, résultat d'infor-. 
mations incomplètes. Quand ces fortes raisons ne m'ont pas semblé 
légitimer l'impression de lettres intimes, et pour ainsi dire sentimen- 
tales, j'ai cru qu'il était de mon devoir, au risque de renoncer à des 
documents psychologiques intéressants et quelquefois précieux pour 
l’histoire des mœurs, de me limiter à la publication des lettres impor- 
tantes pour l’histoire générale. » — Le plus nouveau peut-être est 
ceci : M. Gallavresi a pensé que la correspondance d’un homme 
n'était pas exclusivement constituée par les lettres qu’il avait écrites; 
mais aussi par celles qu’il avait reçues. On ne comprend guère les 
unes sans les autres; les secondes ne sont pas le supplément des pre- 
mières, mais leur complément indispensable. Celles même qui pro- 
viennent de tiers peuvent être bonnes à retenir, quand elles se 
rapportent directement au personnage principal. Il a donc publié ces 











lettres à à Gonfalonieri, en RATES moyens ; Nos con- 
( Gonfalonieri, - — di Le pa les lettres de sa femme, - — en 


? à 
HE 


. Gallavresi qui vient hi Fier en mains la revue de la Société 
istoire du « Risorgimento », s'est déjà fait connaître par 
plusieurs travaux excellents. Celui-ci nous fait désirer vivement la 

on pondance complète de Manzoni, que le public attend. Entre- 
e Vs la même sagacité et la même finesse, elle ne saurait 


1 










376 BULLETIN ITALIEN 


PUBLICATIONS NOUVELLES ADRESSÉES AU BULLETIN 


IrvinG Baggrrr, The new Laocoon; an essay on the confusion of 
the arts. Boston-New York, 1910; xiv-259 pages, in-16. (Intéresse 
l’histoire des doctrines classiques et romantiques.) 

LuiGr Foscoro Bexeperro, Altre fonti dell « Adone» di G. B. Marino, 
Turin, Loescher, 1910; in- 8, 26 pages (Extrait du Giornale Storico 
della letterat. italiana, t. LVD. : 

Luic1 Foscoco Bexeperro, 11 « Roman de la Rose» e la letteratura 
ilaliana. Halle, Niemeyer, 1910; in-8°, 259 pages (Beïhefte zur 
Zeitsch. f. rom. Philologie, 21 Heft). 

BeneperTrO CROCE, Lirici marinisti. Bari, Laterza, 1910; in-8?, 
559 pages. 

Bexenerro Croce, Saggi sulla letteratura italiana del Seicento. Bari, 
Laterza, 1911; in-8°, xxur1-444 pages. | 


Virrorio Cia, Un francese amico di Cavour e dell Italia : il conte 


Ad. di Circourt (Extrait de la Nuova Antologia, 1° septembre 1910, 
16 pages). 


The forerunners of Dante; a selection from an poetry before Es L 


1300, edited by A. J. Butler. Oxford, Clarendon Press, 1910; in-16, 
Xxxv-262 pages (contient le texte de LXXI canzoni, avec notes). 


The Oxford Book of Italian Verse (XILI* century-XIX® century) 


chosen by St. John Lucas. Oxford, Clarendon Press, 1910; 576 pages 


(Anthologie de 345 pièces, suivies de quelques notes courtes, mais 


précises, particulièrement biographiques). 


GABRIEL MAUGAIN, Un chapitre de l’histoire des relations intellec- 


tuelles de la France et de l'Italie : l'Italie dans quelques publications 
de jésuites français (dernier tiers du xvn: siècle et quinze premières 


années du xvur°). Paris-Grenoble, 1910; in-8°, 58 pages (Extrait des. 


Annales de l’Universilé de Grenoble, 1910, p. 381-438). 
GaBriEz MauGai, Étude sur l'évolution intellectuelle de l'Italie 
de 1657 à 1750 environ. Paris, 1909; in-8°, xx1-407 pages. 


* MauGaix (GaBrieL), Documenti bibliografici e critici per la storia. 


della fortuna del Fénelon in Italia. Paris, 1910; in-8°, xx1-229 pages. 

AcniLe Neri, La soppressione dell «Indicalore Genovese ». Turin, 
Bocca, 1910; grand in-8°, 42 pages (Extrait de la Biblioteca di Storia 
italiana recente, vol. IT). 

Pierro Topo, L'Œuvre de Molière et sa fortune en Italie. Turin, 
Loescher, 1910; in-8°, 578 pages. 

Kane VossLer, Die Gütliche Komüdie ; Entwicklungsgeschichte und 
Erklärung; Il Band, II Teil : Erklärung des Gedichtes. — Heidelberg, 
C. Winter, 1910; in-8°, 335 pages. (Avec ce quatrième demi -volume 
se termine la grande étude de M. K. Vossler sur le poème de Dante.) 








TABLE ALPHABÉTIQUE 


PAR NOMS D'AUTEURS 


ZIANI ( ). — Pour le texte du «Dialogue » de Sainte Catherine de Sienne. . 

vRaï (L.). — Les deux versions italiennes de la légende de Sainte Cathe- 

rine de Sienne, par Raymond de Capoue, à propos du 
manuscrit italien 2178 de la Bibliothèque Nationale... 

G. Bruno, Opere italiane, III. Candelaio, conmedia, con introdu- 

- zione e note a ra a V:  Spampanato (HIbI DER PNR EN ET 


mia trqul Tao Re 
RCIEZ a — Observations sur la prononciation dual se 


: dovuta a Louis de Beauvau . . . , . . . . . . . . .. 
(Cu.). — Le politicien à Florence au x1v° et au xv‘ siècle (3e article).. , 
L'art de la AE ve dans la « «Divine Comédie Pr eue. 






ed 
pe (G.). Un altro nemico delle Raccolte. , . . . . . . . . . . . . 















3 Hauverre (H.). — Rapport sur les concours d’agrégation d’italien et du certi- 
ficat d'aptitude à l’enseignement de la langue italienne 
TEE \ dans les lycées et collèges en 1910.. . . , . . . . . . . 

Her G. Rabizzani, Chateaubriand (bibl.). . . . . . . . . . . : 


—— A. Borgelli, Arte Nostra, Rime e prose varie (bibl.) , . . . . 
_ - À. Heroet, OEuvres poétiques, édition critique publiée par 
ROC OBE RS R de e e res 15 0 
_— G. Manacorda, Germania filologica (bibl.). . . . . . . 5 . . 


CH. - qu» — Miscellanea di Studi in andre di A. Hortis Cibl.). ve ere e 


alla sua biografia, pubblicato con annotazioni storiche a cura di 
GFGaHayrest:parto (bibl): PT Re l'es 
Masse (:}— Milton en Italie. 1,4. 4, 4. 0. 6. 
4  Mucanper (G.). — E. Rourciez, Éléments de linguistique romane (bibl.). . . . . 
_ Paour (M.). — E. Zilliacus, Giovanni Pascoli et l'antiquité (bibl.). . . . . . .. 
— . Dante Alighieri, Vita Nova, suivant le texte critique préparé pour 
la « Società dantesca italiana» par M. Barbi, traduite par 
Henry Gochin (bibl.).., .:. . . .... . . . . . 


"4 







ÿ: Re ne ds... 

























| Péssn(L. -G.). = Asa an FRAPPE ; ra ë 
A. Bonnefons, Un état neutre sous la Re 





_ documents inédits, , 0%) Sea 4 


<-.6r 


Bénin Biubarix dal (M"*). — Voy. Finzi (6. LES 
 TorNBEE (P. ). - — Dante's pans 1« Per una Ghirlandetta ». . e 


























TABLE ANALYTIQUE 


DES MATIÈRES 


I. ARTICLES DE FOND. 

Dante’s Ballata : « Per una Ghirlandetta (P. Toynbee), p. 93.— L'art de la com- 
position dans la « Divine Comédie » (C. Dejob)}, p. 285.— Pour le texte du « Dia- 
logue» de Sainte Catherine de Sienne (J. Anziani), p. 189. — Le politicien à 
Florence au xr1v° et au xv* siècle (C. Dejob}, p. 134. — La tradition de Buridan et 
la science italienne au xvr' siècle (P. Duhem), p. 24, 95 et 202. — Milton en Italie 
(3. Martin), p.300.— Le Osservazioni inedite di Gilles Ménage sopra l’« Aminta » de] 
Tasso (L.-F. Benedetto), p. 232. — Giacomo Zanella et Antonio Zardo(G. Finzi), 
traduction de M“ Thiérard-Baudrillart), p.336. — Libri-Carucci et la bibliothèque 


de Carpentras d'après des documents inédits (CG. Pitollet), p. 249 et 316. 


IL. Quesrions D'ENSEIGNEMENT. 


Rapport sur les concoursdel’agrégation d’italien et du certificat d’aptitude en 1909 
(E. Hauvette), p.82.— Les jurys d’italien enrg10,p. 177. — Programme des concours 
d’italien en 1911, p. 265. — Concours de 1910: sujets de composition, p. 266. — 
Modification au jury du certificat d’italien en 1910, p. 267. — L'enseignement des 
langues méridionales et le programme des Écoles d’Arts et Métiers, p. 267. — Biblio- 
graphie sommaire des questions et des auteurs portés au programme de l'agrégation 
d’italien en 1910, p. 348.— Observations sur la prononciation du latin (E. Bourciez), 
p. 367. — Dialogo tra S. Francesco e la Povertà, p. 360. — Rapport sur les concours 
d’agrégation d’italien et du certificat d’aptitude à l’enseignement de la langue ita- 
lienne dans les lycées et collèges en 1910, p. 363. 


III. BIBLIOGRAPHIE. 


E, Bourcrez, Eléments de linguistique romane (G. Millardet), p.268.— A. Bor- 
GELLI, Arte nostra. Rime e prose varie (H. Hauvette), p. 272. — Miscellanea di 
Studi in onore di A. Horris (H. Hauvette), p. 277.— Dante ALiGHiERI, Vita Nova, 
suivant le texte critique préparé pour la «Società dantesca italiana » par M. Bang, 
traduite par Henry Cochin (M. Paoli), p. 178. — Les deux versions italiennes de la 
légende de Sainte Catherine de Sienne, par Raymond de Capoue, à propos du manus- 
crit italien 2178 de la Bibliothèque Nationale (L. Auvray), p. 1. — A. HEROET, 
OEuvres' poétiques, édition critique publiée par F. Gohin (H. Hauvette), p. 273. 
— G. Bruxo, Opere italiane, 111 Candelaio, commedia, con introduzione e note a cura 
di V. SpampanaTo (L. Auvray), p. 276. — Appunti intorno alla traduzione francese 










TABLE | ANALXTIQUE DES MATIÈRES 
del « Filostrato » dovuta a Lots DE Bauvau dre Chiurlo), p. 18.— 






grafia, pubblicato con annotazioni storiche a curadi G. GALLAVRESI, r 
p. 373. — Albanyana (L.-G. Pélissier), p. 62.— G. Ras1zzant, C 
(H. Hauvette), p. 179. — C. Monner, Projet de bibliographie lama 
çaise (J.des Cognets), p. 372. — E. Zicrracus, Giovanni Pascoli et l'An 
Paoli), p. 90. —  G. a Germania Filologica (H. Hauvette), 






s 










IV. CHRONIQUE o lo el € 16e de Le ae UE re RARE EAU 


f 





20 novembre 1910. A | QT 








Le Secrétaire de la Rédaclion, EUGÈNE BOI 
Le Directeur-Gérant, GrorGes RADET. 





Bordeaux . — Impr. G. GounouiLnou, rue Guiraude, 9-14. 


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4001 

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