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Full text of "Documents pour servir à l'histoire de l'invasion allemande dans les provinces de Namur et de Luxembourg"

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University  of  Toronto 


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L'INVASION  ALLEMANDE 

DANS   LES   PROVINCES 

DE  NAMUR  ET  DE  LUXEMBOURG 


Il  a  été  tiré  de  cet  ouvrage  z5  exemplaires  de  luxe, 

portant  la  signature  des  auteurs. 

Ces  exemplaires  sont  numérotés  de  1  à  XXV 

et  sont  hors  commerce. 


Tous  droits  de  reproduction   et  de  traduction   réservés 

pour  tous  pays. 
Copyright  by   G.   Van  Oesl  et  C'e.  1Ç23. 


DOCUMENTS    POUR    SERVIR    A    L'HISTOIRE 

DE 

L'INVASION 
ALLEMANDE 

DANS  LES  PROVINCES 

DE  NAMUR  ET  DE  LUXEMBOURG 

PUBLIÉS  PAR 
le    Chanoine    Jean    SCHMITZ       et       Dom   Norbert   NIEUWLAND 

SECRÉTAIRE  DE  l'ÉVÊCHÉ   DE  NAMUR  DE   l'ABBAYE  DE   MAREDSOUS 

C1JSQV1ÈME    PARTIE 

(TOME  VI) 

L'ENTRE^SAMBRE^ET^MEUSE 


BRUXELLES    &    PARIS 
LIBRAIRIE   NATIONALE    D'ART    ET    D'HISTOIRE 

G.   VAN   OEST  &  Cie,  ÉDITEURS 
1923 


Ooiversitas 
BIBLIOTHECA 

Oîtaviens'x*. 


5M| 


L'ENTRE-SAMBRE-ET-MEUSE 


AVANT-PROPOS 


Nous  étudierons  dans  ce  volume  la  conduite  des  armées  allemandes 
et  les  souffrances  qu'elles  ont  fait  endurer  à  la  population  civile  dans  la 
partie  de  la  province  de  Namur  comprise  entre  la  Meuse  et  la  Sambre,  à 
l'exception  de  la  région  située  au  nord  de  la  route  de  Rouillon  à  Fraire, 
région  qui  a  déjà  été  traitée  soit  dans  le  tome  II,  en  ce  qui  concerne  le 
IIe  secteur  (sud-ouest)  de  la  position  fortifiée  de  Namur,  soit  dans  le 
tome  III,  où  ont  été  longuement  décrits  les  combats  engagés  pour  la 
conquête    de   la  Sambre. 

Nous  prenons  en  ce  moment  les  armées  belligérantes  à  l'issue  des 
combats  de  Namur,  de  la  Sambre  et  de  la  Meuse,  et  nous  les  suivons  dans 
leur  course  rapide  et  mouvementée  à  travers  les  cantons  de  Walcourt,  de 
Florennes,  de  Philippeville  et  de  Couvin.  (Voir  la  carte  finale,  fig.  i3o). 

Ainsi  circonscrite  pour  l'espace,  la  cinquième  partie  de  notre  travail 
se  limite  pour  le  temps  aux  journées  du  24  et  du  25  août  1914;  elle  est 
l'émouvante  histoire  de  la  retraite  des  armées  alliées  et  de  la  tumultueuse 
avance  de  la  IIe  et  de  la  IIIe  armées  allemandes  (1  .  Après  avoir  atteint  le 

(1)  A  consulter  :  Fernand  Engerand,  Le  Secret  de  la  frontière,  Charleroi,  ch.  IV  :  Le  Dénouement, 
p.  507  et  ss.,  Paris,  Bossard.  —  Id-  La  Bataille  de  la  frontière,  Briey.  Paris,  Bossard. —  Général  Lanrezac,  Le 
Plan  de  campagne  français,  Paris,  Payot.  —  Jules  Isaac,  Le  Témoignage  du  général  Lanrezac  sur  le  rôle  de  la 
5e  armée.  Paris,  Chéron,  1922.  —  Hanotaux,  Histoire  illustrée  de  la  guerre  de  19/4.  Paris,  Gounoulhiou-  — 
Hanotaux,  l'Enigme  de  Charleroi,  Paris,  l'Edition  française  illustrée.  — Général  Palat,  III,  Bataille  des  Ardennes 
et  de  la  Sambre-  Paris,  Chapelot.  —  La  Grande  guerre  écrite  et  illustrée  par  les  écrivains  combattants,  Paris, 
Guillet,  1922,  t.  I,  pp.  70  et  ss.  —  Colonel  Grouard,  La  Conduite  de  la  guerre  jusqu'à  la  bataille  de  la  Marne. 
Paris,  Chapelot.  —  Génétal  Douchy,  Le  Grand  Etal^Major  allemand  avant  et  pendant  la  guerre  mondiale. 
Paris,  Payot.  —  Général  Mangin,  Comment  finit  la  guerre-  Paris,  Pion-  —  Lieutenant-colonel  Poudret, 
A  propos  de  la  1  bataille  de  la  Marne,  dans  "Revue  militaire  suisse,  LXIVe  année,  p.  441.  — La  Campagne  de 
l'armée  belge,  1914  à  janvier  1916.  Paris,  Bloud   et  Gay.  —  Chot,  La  "Furie  allemande  dans  l'Enlre~Sambre~ 


premier  objectif  qu'ils  poursuivaient  —  la  prise  de  Namur  et  la  maîtrise 
des  passages  de  la  Sambre  et  de  la  Meuse  — ,  les  chefs  de  ces  deux 
armées  rêvent  de  capturer,  en  ces  deux  journées,  les  troupes  belges  et 
françaises  qui  ont  dû  se  résoudre  à  la  retraite  ;  et  lorsque  l'ennemi  cons- 
tate qu'elles  se  dérobent  à  son  étreinte,  il  en  éprouve  une  colère,  un 
dépit  qui  se  traduisent  aussitôt  en  d'innombrables  et  inutiles  excès. 

Marquons  avant  tout  le  point  initial  de  ces  tragiques  incidents. 
Le  23  août  au  soir,  le  général  Lanrezac  reçoit,  à  son  quartier  général  de 
Chimay,  la  nouvelle  de  l'échec  de  la  IVe  armée  française  au  nord  de  la 
Semois,  à  droite  de  la  Meuse  ;  il  apprend  aussi  la  chute  de  plusieurs 
forts  de  Namur  ainsi  que  la  retraite  des  troupes  belges,  enfin  l'arrêt  et  le 
repli  probable  de  l'armée  anglaise.  Envisageant  alors  l'épuisement  de  sa 
propre  armée  et  son  encerclement  au  nord  et  à  l'est,  il  prend  une  réso- 
lution héroïque  qui  surprit  ses  vaillantes  troupes  et  dont  on  lui  tint 
longtemps  rigueur,  mais  qui,  de  l'avis  de  maints  critiques  militaires 
autorisés,  bouleversa  te  plan  ennemi  et  sauva  la  France.  Plutôt  que  de 
s'exposer  à  un  véritable  «  Sedan  »,  il  ordonne  la  retraite  générale  :  «  La 
Ve  armée  en  marche  avant  le  jour  le  24  août  se  repliera  sur  la  ligne 
générale  Givet-Philippeville-Beaumont-Maubeuge  (1).  » 

Au  moment  où  se  déclancha  ce  recul  inattendu,  l'État-Major  allemand 
se  crut  victorieux,  mais  Lanrezac  savait  qu'il  n'était  pas  battu.  Tenir 
obstinément,  dans  les  conditions  les  plus  défavorables,  eût  été  la  défaite 
certaine  (2).  En  se  dérobant  à  temps,  la  Ve  armée,  sur  laquelle  reposait 
la  redoutable  mission  de  défendre  la  trouée  de  l'Oise  et  de  barrer  la  route 
de  Paris,  sortait  sans  trop  de  dommages  d'une  situation  critique.  Il  n'y 
eut  ni  rupture  de  front,  ni  encerclement,  ni  tournement,  ni  destruction. 
Bien  qu'elle  se  déroulât  à  travers  une  région  difficile,  n'offrant  qu'un 
nombre  insuffisant  de  chemins  menant  vers  le  sud,  la  retraite  s'effectua 
sans   déroute,    ni   panique.    Les   soldats   ne   quittèrent  pas  le  champ  de 

et-Meuse.  Charleroi,  Hallet,  1919.  —  Malburny,  La  Vague  allemande  sur  le  pays  de  Charleroi.  Charleroi, 
Hallet,  1919.  —  Gustave  Somville,  Dinant.  Paris,  Perrin.  —  von  Bulow,  Mein  Bericht  zur  Marne  Scblacbt, 
Berlin,  August  Scherl,  et  traduction  Jacques  Netter.  Paris,  Payot,  1921. —  von  Hausen,  Erinnerungen  an  den 
Marnefeldzug,  1914,  Leipzig,  Koehler  1920,  et  traduction  avec  préface  du  Général  Mangin,  Paris,  Payot,  1922. 
—  Baumgartbn--Crusius,  Die  Marnescblacbt,  1914,  Leipzig,  Max  Lippold,  1919.  — Die  Schlachlen  und  Gefecbte 
des  Groszen  Krieges.  Berlin,  Sack,  p.  14-16-  —  Stegemann,  Geschicble  des  Krieges,  I.  p.  139  et  ss.  Berlin, 
Deutsche    Verlags-Anstalt,  1917. —  Tony   Kellen,    Belgien.  Hermann  Montanus,  Berlin,  1915,  p.  22. 

(i)  Sur  l'heure  exacte  à  laquelle  furent  donnés  les  ordres  de  retraite  par  le  général  Lanrezac  et  par  le 
maréchal  French,  cf.  Jules  !saac,  o.  c.  pp.  84  à  88. 

(2)  «  Aujourd'hui  que  les  faits  sont  mieux  connus,  écrit  Isaac  en  juillet  1922,  il  paraît  hors  de  doute  que 
Lanrezac,  en  décidant  de  battre  en  retraite,  a  déjoué  le  plan  ennemi,  sauvé  la  Ve  armée  d'un  désastre  plus  que 
certain,  sauvegardé  l'avenir  et  rendu  possible  le  redressement  sur  la  Marne  »  o.  c.  pp.  91  et  92. 


bataille  à  la  débandade,  à  cause  de  l'horreur  du  combat;  ce  n'est  ni  la 
crainte  d'y  laisser  leur  vie,  ni  la  faiblesse  devant  l'ennemi  qui  les  pous- 
sèrent à  délaisser  la  lutte;  ils  se  soumirent  à  regret  et  par  discipline  à  la 
volonté  du  commandement  (i). 

Il  y  a  plus  :  dans  tout  le  cours  de  cette  retraite,  que  dictaient  maintes 
fâcheuses  circonstances,  la  Ve  armée  garda  sa  liberté  d'allures.  Chaque 
fois  qu'il  en  fut  besoin,  par  suite  de  retard  ou  d'encombrement,  on  réglait 
l'avance  de  l'adversaire.  A  Stave,  à  Chaumont,  à  Hemptinne,  à  Walcourt, 
à  Surice,  à  Agimont,  à  Matagne,  à  Fagnolles,  à  Mariembourg,  des 
arrière-gardes  attendirent  l'ennemi,  et  le  continrent  jusqu'à  l'instant  précis 
où  son  avance  cessait  d'être  un  danger. 

L'historien  devra  le  proclamer  :  ce  fut  une  retraite  délibérée,  calme, 
glorieuse  (2). 

Signalons,  dès  ce  moment,  la  seule  chose  que  le  soldat  français 
trouva  douloureuse.  Il  ne  l'ignorait  pas  :  chaque  fois  qu'il  tirait  sur 
l'ennemi,  il  exposait  les  civils  à  de  cruelles  représailles;  il  mettait  en 
péril  les  vies  et  les  biens.  Sa  légitime  résistance  était,  à  chaque  pas, 
l'occasion  d'incendies  et  de  massacres.  C'est  en  pleurant  qu'il  s'éloigna 
souvent  du  combat,  pour  se  soustraire  à  cette  cruelle  responsabilité,  ou 
qu'il  céda  parfois  aux  instances  des  habitants,  qui  le  suppliaient  de  s'abs- 
tenir de  toute  résistance,  afin  d'éviter  de  nouvelles  ruines. 

D'autre  part,  les  civils  furent  inconsciemment  pour  l'armée  en  retraite 
un  grand  obstacle.  «  Sur  tous  les  derrières  de  l'armée,  écrit  le  général 
Lanresac  (3),  on  a  le  spectacle  affreux  des  populations  belges  du  Bori- 
nage  qui  fuient  devant  l'invasion  allemande  ;  des  milliers  d'hommes, 
de  femmes  et  d'enfants,  emmenant  avec  eux  des  véhicules  de  toute 
sorte,  de  la  brouette  à  l'immense  fourragère  attelée  à  quatre  bœufs, 
couvrent   les    routes,   barrant  la  circulation  à  tous  les  défilés.  » 

Comment  se  comporta  l'armée  allemande,  le  tableau  ci-dessous  le 
dira,  et  sa  concision  est  éloquente  (4). 

(1)  Lanrezac,  o.  c.  p.  199;  Hanotaux,  Histoire  illustrée  delà  guerre  de  1914,  VIII,  p.  79  et  l'Enigme 
de    Cbarleroi,   p-  79;  Engerand,  o.  c.  pp.  538  à  647. 

(i)  Jules  Isaac  relève,  de  plus,  que  la  retraite  a  été  poursuivie  sans  accident  grave  sur  un  parcours 
de   a5o   kilomètres  (o.   c,    p.    ui). 

(3)  Le  plan  de  campagne  français,  o.  c,  p.  177.  On  lira  une  autre  et  émouvante  description  de  la  retraite 
dans   Eue    Bahier.    Vne  ambulance  pendant  la  guerre,  Copenhague  1915,  p-  7,  cité  par  Hanotaux,  VI,  p.  18. 

(4)  En  résumé,  le  Xe  corps  a  détruit  totalement  5  villages,  incendié  partiellement  6  villages,  versé  le 
sang  des  civils  dans  9  villages;  la  Garde  a  détruit  totalement  1  village,  incendié  partiellement  7  villages, 
versé  le  sang  des  civils  dans   5   villages  ;   le  XIIe   corps   de  réserve   a   détruit  totalement    5  villages,   incendié 


8 

Maisons 

Sur  le  parcours  du  Xe  corps  :  vînmes  incendiées 

Hanzinne i  5o 

Hanzinelle —  83 

Thy-le-Baudhuin 2 

Morialmé —  6 

Somzée.                 , 5  3z 

Laneffe —  20 

Chastrès 2  — 

Fraire 2  2 

Yves-Gomesée —  i3 

Thy-le-Château 2  — 

Walcourt 1  i5 

Fontenelle 1  — 

Daussois —  zy 

Silenrieux —  3t 

Sur  le  parcours   du  corps  de  la  Garde  : 

Lesves 4  14 

Furnaux —  1 

Stave , 2  74 

Biesmerée —  t 

Florennes 2  4 

Saint-Aubin 1  — 

Jamagne 1  — 

Villers-deux-Eglises —  2 

Bioul 1  — 

Ermeton-sur-Biert 3  86 

Sur  le    parcours    de    la    23e    division  de  réserve, 
XIIe  corps  de  réserve  : 

Anhée 1  6 

Haut-le-Wastia ' 3  2 

Warnant —  3 

Annevoie —  1 

Rivière —  1 

Sosoye 4  5 

Philippeville 1  2 

Neuville 3  ï6 

Mariembourg 4  95 

Frasnes , 12  145 

partiellement  9  villages,  versé  le  sang  des  civils  dans  14  villages;  le  XTle  corps  a  détruit  totalement  3  villages, 
incendié  partiellement  8  villages,  versé  le  sang  des  civils  dans  12  villages:  le  XIXe  corps  a  détruit  totalement 
3  villages,  incendié  partiellement  z  villages,  versé  le  sang  des  civils  dans  6  villages. 


9 

v-    .  Maisons 

Sur  le   parcours    de   la   24e  division    de    réserve,  incendiées 

XIIe  corps  de  réserve  : 

Gerin 2  2 

Anthée 9  7a 

Maurenne —  46 

Agimont —  1 

Soulme 6  — 

Vodelée —  3 

Doische '  — 

Sur  le  parcours  du  XIIe  corps   : 

Sommière 

Weillen 

Morville 

Flavion 

Rosée 

Omezée 

Franchimont 

Villers-le~Gambon 

Merlemont 

Villers-en-Fagne 

Dourbes 

Nismes 

Petigny 

Couvin 

Le  Bruly 

Petite-Chapelle 

Sur  le  parcours  de  XIXe  corps   : 

Onhaye 4  114 

Surice 5j  i3o 

Lotenne —  2 

Romedenne it  119 

Romerée 2  12 

Treignes 1  — 

Oignies * 1  1 

Voilà  le  désastre  qu'a  réalisé  en  deux  jours  l'armée  allemande 
victorieuse. 

Ce  bilan  est  particulièrement  émouvant  si  l'on  considère  que,  à 
l'arrivée  de  l'ennemi,  le  pays  était  désert.  Nous  avons  pris  soin  de  noter, 
village  par  village,  au  cours  du  travail,  le  nombre  des  personnes  qui  y 
étaient  demeurées.   Aussi  a-t-il  fallu   aux  auteurs  du  Livre    Blanc    un 


1 

1 

7 

1 

2 

42 

4 

3 

t5 

l 

4 

52 

4 

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5 

2 

5l 

3 

58 

8 

3 

4 

t4 

5 

8 

2 

\o 

5 

4 

10 


extraordinaire  cynisme  pour  parler  de  francs-tireurs  (i)  ;  il  ne  restait  dans 
tout  l'Entre-Sambre-et-Meuse  qu'un  nombre  insignifiant  d'habitants  (2)  ! 

Quand  le  lecteur  apprendra  comment  furent  traités  les  quelques  civils 
courageux  qui  étaient  demeurés  à  Surice,  à  Romedenne,  à  Franchimont  et 
à  Frasnes,  il  se  demandera  avec  effroi  ce  qui  serait  advenu  si  les  Français 
n'avaient  partout  conseillé  aux  habitants  de  fuir  devant  un  si  cruel  ennemi. 

Les  vieillards  eux-mêmes,  les  sourds-muets  et  les  simples  d'esprit  ne 
trouvèrent  pas  pitié  devant  ces  sauvages.  (Voir  Qnhaye,  Laneffe,  Fraire, 
Doische,  Hansinne,  Thy-le-Baudhuin,  etc.) 

Des  soldats  belges  et  français  faits  prisonniers  sont  tués  sans  pitié,  à 
l'instar  des  civils,  à  Anhée,  à  Falaën,  à  Bioul,  à  Ermeton-sur-Biert,  à 
Neuville,  à  Frasnes. 

A  Romedenne,  un  pauvre  blessé  français  est  achevé  de  deux  coups 
de  fusil. 

Ces  méfaits,  accomplis  sous  l'œil  des  généraux  et  des  chefs  d'armée, 
que  nous  voyons  s'avancer  partout  en  tête  de  leurs  troupes  (3),  ont 
été  consignés  par  beaucoup  de  soldats  allemands  dans  leurs  carnets  de 
campagne.  Nous  avons  relevé  un  nombre  considérable  de  ces  citations, 
dont  il  sera  fait  mention  aux  localités  correspondantes.  Bornons-nous, 
dans  cette  introduction,    à    en   donner  quelques  unes. 

Le  baron  von  Hodenberg,  du  100e  grenadiers,  XIIe  corps,  note  ses 
impressions  à  Rethel,  quelques  jours  après  son  passage  dans  la  province. 
Il  écrit  :  «  La  discipline  va  baissant  de  plus  en  plus.  Eau-de-vie,  vin  et 
pillage  sont  à  l'ordre  du  jour.   La  faute  en  est  à  l'infanterie.  Ce  sont  les 


(1)  Le  Livre  Blanc  est,  cette  (ois,  plutôt  discret.  Du  Xe  corps,  il  publie  trois  lignes  sur  Laneffe  et  Somzée 
(annexe  34,  p.  5o),  et  deux  courts  rapports  sur  Silenrieux  (annexes  39  et  40,  p.  55);  enfin  les  annexes  43,  44, 
45  et  46  (pp.  57  à  60)  tentent  de  justifier  le  meurtre  du  vénérable  curé  d'Acoz.  La  32e  division  (XIIe  corps)  a 
donné  un  court  rapport  sur  Anlhée  et  "Rosée  (annexes  38,  p.  54),  et  sur  Couvin  (annexe  42,  p.  56).  C'est  tout 
pour  la  région  étudiée  dans  ce  volume. 

(2)  C'est  l'une  des  raisons  pour  lesquelles  l'histoire  de  cette  région  a  été  particulièrement  difficile  à 
reconstituer.  Les  rares  témoins  des  agissements  des  troupes  allemandes  se  tenaient  terrés  dans  des  cachettes. 
Lorsqu'on  put  les  consulter,  ils  déclaraient  généralement  n'avoir  rien  vu.  Quant  à  l'ennemi,  il  n'avait  fait  que 
passer,  en  une  course  échevelée,  sans  laisser  d'autres  traces  que  des  cadavres  sans  sépulture,  des  pans  de  murs 
calcinés,  des  maisons  souillées  et  saccagées. 

(3;  On  retrouve  dès  le  24  et  25  août  les  États-Majors  à  Anthée,  à  Gérin,  à  Rosée,  à  Merlemont,  etc. 
Dans  son  rapport  adressé  à  la  commission  d'enquête  en  :oio,  le  parquet  de  Dinant  «  signale  la  présence,  dans 
ces  journées  tragiques,  de  nombreuses  autorités  supérieures,  qui  ont  assisté  impassibles  à  ces  scènes,  si  elles 
ne  les  ont  pas  organisées.  Le  général  von  Hausen  lui-même,  avec  l'état-major  de  la  IIIe  armée,  est  à  Taviet 
le  23,  à  Gérin  le  24,  à  Merlemont  le  25  (fig.  58),  d'où  il  contemple  à  ses  pieds  les  nombreux  incendies 
allumés  dans  toute  la  région  par  les  troupes  sous  ses  ordres,  sans  s'en  préoccuper  autrement  que  pour  les 
expliquer  par  le  sempiternel  prétexte  :  on  a  tiré  !  " 


1 1 


troupes  des  trains  de  combat  qui  se  comportent  le  plus  mal  »  (i).   Nos 
lecteurs  ne  penseront  pas  différemment. 

Le  sous-officier  de  réserve  Friedrich  Bùrger,  de  la  3e  batterie  du 
4748e  régiment  d'artillerie  de  campagne,  23e  division,  écrit  dans  une  lettre 
à  ses  parents,  abandonnée  par  lui,  le  25  août,  à  Romedenne  : 

«  Les  habitants  tirent  sur  nous  :  voilà  pourquoi  nous  incendions  les  villages. 
Dans  la  seule  nuit  d'hier,  z3  août,  nous  avons  mis  le  feu  à  trois  localités  :  quel 
spectacle  !...  Toute  l'organisation  est  merveilleuse.  Des  avions,  des  ballons  captifs, 
des  zeppelins  et  un  nombre  incalculable  d'autos  passent  et  portent  la  mort.  Tout 
est  en  feu,  tout  est  pillé  et  massacré.  C'est  la  guerre,  Messieurs,  c'est  la  guerre  !  » 

Les  soldats  prenaient  parfois  la  peine  de  motiver  et  de  justifier, 
séance  tenante,  les  navrantes  dévastations  auxquel  ils  se  livraient.  «  Votre 
Roi  n'avait  qu'à  nous  laisser  passer  »,  déclarent  les  incendiaires  d'Yves- 
Gomezée.  Le  capitaine  von  Heinelling,  de  la  83e  brigade,  XIe  corps, 
consigne  sur  un  billet  de  réquisition  le  texte  suivant  :  «  Stave  vient  d'être 
incendié  parce  que  les  soldats  français  ont  tiré  de  ce  village.  »  A  Ermeton- 
sur-Biert,  un  officier  dit  au  docteur  belge  Helsmoortel  :  «  Tout  village  où 
l'on  s'est  battu  doit  être  incendié.  »  «  S'il  y  a  un  seul  Français  dans  votre 
village,  vous  serez  tous  fusillés  sans  pitié  »,  déclare  un  officier  à 
M.  Laloux,  fermier  à  Surice.  «  Si  un  coup  de  feu  est  tiré  pendant  la  nuit, 
même  par  des  soldats  français,  dit  un  Hauptmann  à  Oignies,  vous  serez 
fusillés  !  »  Il  résulte  clairement  de  ces  déclarations  que,  à  l'origine, 
il  n'était  pas  toujours  question  de  francs-tireurs  :  c'est  le  besoin  tardif 
de  se  justifier  qui  a  fait  naître  la  légende. 

La  division  de  la  cinquième  partie  sera  la  suivante  : 

Chap.      I    :  Sur  le  front  de  la  Sambre  ; 
Chap.     II   :   La  retraite  de  Bioul  ; 
Chap.   III  :  Sur  le  front  de  la  Meuse- 

Partant  de  1  ouest,  à  la  limite  du  Hainaut,  nous  avancerons  pas  à 
pas  jusqu'à  la  Meuse,  dont  nous  remonterons  le  cours  jusqu'à  Givet, 
prenant  chaque  division  allemande  au  moment  où  elle  met  le  pied  dans 
la  région  et  l'accompagnant  jusqu'à  la  limite  de  la  province. 

(1)  Cette    page    est    reproduite    dans   tes   Violations  des  lois  de  la  guerre  par  l'Allemagne,  Paris,  Berger- 
Levrault,  I,  p.  101. 


CHAPITRE  I 


SUR  LE  FRONT  DE  LA  SAMBRE 


Ainsi  que  nous  l'avons  longuement  exposé  dans  la  seconde  partie, 
c'est  le  21  août  que  la  IIe  armée  allemande  (général  von  Bùlow)  (t)  et 
la  Ve  armée  française  (général  Lanresac)  (2)  en  vinrent  aux  prises  sur  la 
Sambre. 

La  veille  au  soir,  le  commandement  supérieur  français  avait  donné 
comme  directive  à  la  Ve  armée  «  de  prendre  l'offensive  au  nord  de  la 
Sambre,  sa  gauche  passant  par  Charleroi  ». 

Le  général  Lanrezac  décida  néanmoins  de  ne  prendre  l'offensive 
que  le  23  août,  jour  où  l'armée  anglaise,  qui  s'avançait  à  gauche,  serait 
à  hauteur;  en  attendant,  on  se  bornerait  à  empêcher  l'ennemi  de 
déboucher  au  sud  de  la  Sambre,  et  «  il  était  même  interdit  d'aller  dans 
les  fonds  de  Sambre  autrement  que  par  des  détachements  chargés 
d'empêcher  les  éclaireurs  ennemis  dépasser  »  (voir  t.  III,  p.  10). 

(1)  La  IIe  armée  comprenait,  du  moins  à  partir  du  i5  août,  date  à  laquelle  le  IXe  corps  passa  à  la  Ie  armée, 
trois  corps  actifs  :  la  Garde,  le  VIIe  et  le  Xe  corps,  et  les  trois  corps  de  réserve  correspondants. 

Le  8  août,  ces  trois  corps  actifs  avaient  respectivement  atteint  Hamoir,  Fraipont,  Esneux,  et  les  corps  de 
réserve  Basse-Bodeux,  Eupen,  La  Reid  où  ils  stationnaient  en  attendant  la  chute  des  forts  de  Liège.  La  ligne 
qui  les  séparait  de  la  IIIe  armée  était  Malempré-Tohogne-Havelange,  ces  localités  appartenant  à  la  IIIe  armée. 

L'avance  fut  ordonnée  le  14  août  :  la  9e  division  de  cavalerie  passa  la  Meuse  à  midi  près  de  Hermalle,  sur 
un  pont  qu'y  avait  jeté  le  Xe  corps,  et  gagna  Waremme,  Puis  les  troupes  d'infanterie  s'ébranlèrent.  Le  18  août, 
le  VIIe  corps,  le  Xe  corps  de  réserve  et  le  Xe  corps  atteignirent  Ophey,  Wansin,  Branchon.  Le  corps  de  la 
Garde  s'échelonnait  sur  la  route  Huy,  Huccorgne,  Ville.-en,-Hesbaye,  Moxhe,  Ambresin,  Wasseiges- 

Le  19,  la  IIe  armée  fut  portée  en  avant;  le  Xe  corps  de  réserve  jusque  Sart-Risbart,  le  X6  corps  actif 
jusque  Perwez,  la  Garde  jusqu'à  Méhaigne- 

Le  21  août,  les  têtes  du  VIIe  corps  de  réserve  atteignirent  Nivelles,  celles  du  Xe  corps  de  réserve  Frasnes~ 
lez-Gosselies,  celles  du  Xe  corps,  Pont-de-Loup  et  Tamines,  celles  de  la  Garde,  Auvelais  et  Jemeppe- 

(2)  La  composition  détaillée  de  la  Ve  armée  française  a  été  donnée  tome  III,  pp.  9  et  io- 


14 

Le  combat  des  z\,  zz  eî  zZ  août  sur  le  front  du  10e  corps  français 
a  été  raconté  dans  la  IIIe  partie  (p.  41  et  ss.),  mais  nous  devons  revenir, 
au  cours  de  ce  chapitre,  sur  les  événements  militaires  qui  se  sont  passés 
sur  le  front  du  3e  corps. 

Ces  trois  journées  constituent  en  réalité  un  combat  unique  : 
commencé  le  21  sur  le  front  Namur-Roselies,  poursuivi  le  zz  sur  le 
front  Namur-Charleroi  et,  le  23,  sur  le  front  Hastière-Thuin,  il  se 
termina  le  23  au  soir  par  l'ordre  de  retraite  du  général  Lanrezac  (i)- 
Quant  aux  engagements  partiels  du  24  août,  auxquels  est  principalement 
consacrée  la  Ve  partie  de  notre  ouvrage,  ils  ne  sont  que  des  combats 
d'arrière-garde- 

Si  l'on  admire  sans  réserve  la  vaillance  dont  firent  preuve  les 
Français  sur  la  Sambre,  il  convient  d'ajouter  que  leur  courage  fut  aussi 
téméraire  qu'héroïque.  Les  21  et  22  août,  ils  se  lancèrent  à  l'attaque,  sans 
égard  aux  instructions  du  général  Lanrezac  (2),  et  ils  subirent  de  lourdes 
pertes  en  se  heurtant  à  un  ennemi  prudent,  qui  s'était  mis  partout  sur  la 
défensive  et  n'allait  de  l'avant  que  lorsqu'il  voyait  son  adversaire  battu 
ou  épuisé. 

C'est  le  Xe  corps  et  le  corps  de  la  Garde  qui,  entre  Charleroi  et 
Namur,  ont  attaqué  la  Ve  armée  française.  La  division  logique  de  ce 
chapitre  est  donc  la  suivante  : 

1.  —  L'avance  du  Xe  corps. 

2.  —  L'avance  du  corps  de  la  Garde. 


I.  —  'L'avance  du  Xe  corps. 

La  région  étudiée  ici  est  la  partie  nord-ouest  de  la  province  de 
Namur,  circonscrite  par  la  ligne  Hanzinne-Tarcienne-Berzée-Clermont- 
Castillon-Silenrieux-Cerfontaine.  (Voir  fig.  t3o.) 

C'est  au  nord  de  cette  région,  sur  des  localités  appartenant  à  la 
province  de  Hainaut,  que  s'est  déroulé  partiellement  le  combat  de  la 
Sambre  (3).  Consacrer  de   longues  pages  à  ce  combat  serait  sortir  du 

(1)  Il  conviend.-ait  plutôt  de  l'appeler  Combat  de  Sambre~cl--Meuse-  Quant  à  l'appellation  «  bataille  de 
Charleroi»  qui  a  prévalu  dès  le  début  dans  la  littérature  française,  elle  est  impropre.  V-  Hanotaux,  Histoire 
illustrée  de  la  guerre-  o  c-  IV,  p-  114- 

(2)  cf-  Isaac,  o-c-  pp-  14  et  70  à  73. 

(3)  A  consulter  :  Engerand,  o-  c  p  507  et  523;  Lanrezac,  o.  c;  Hanotaux,  Histoire  illustrée  de  la 
guerre  de  J914,  V,  p-  282,  VI,  p-  3o  ;  La  grande  guerre  écrite  et  illustrée,  o.  c.  (raconte  longuement  les  opéra- 
tions de  la  5e  division,  au  22  août);  Cornilieau,  La  ruée  sur  Paris,  Paris,  Tallandier,  p.  3t. 


15 

cadre  de  notre  travail  ;  aussi  nous  bornerons-nous  à  consigner  ici 
quelques  données  sommaires  d'ordre  militaire,  indispensables  à  l'intel- 
ligence des  rapports  n°  507  à  529,  relatifs  aux  villages  de  la  province 
de  Namur. 

Au  soir  du  20  août,  le  3e  corps  français  tenait  Gerpinnes- 
Tarcienne-Nalinnes,  prolongé  à  l'est  par  le  10e  corps  qui  occupait 
Fosses-Vitrival-Le  Roux. 

Nous  renvoyons  le  lecteur  au  tome  III,  p.  i3  et  ss.,  pour  les 
événements  du  21  août  au  10e  corps  :  l'ennemi  s'y  empare  des  ponts 
d'Auvelais  et  de  Tamines.  Face  au  3e  corps  qui  nous  intéresse  ici, 
le  Xe  corps  allemand  s'empare  de  Roselies  et  d'Aiseau.  Sur  tout 
le  cours  de  la  Sambre,  von  Bùlow  transporte  ses  troupes  au  sud  de 
la  rivière. 

Le  22,  au  point  du  jour,  le  3e  corps  est  déployé  sur  la  ligne 
Gerpinnes-Tarcienne-Nalinnes.  La  5e  division  (général  Verrier),  placée 
à  l'aile  droite,  qui  s'est  usée  à  reprendre  Roselies  par  une  pénible  attaque 
de  nuit,  s'est  laborieusement  reformée  après  le  désordre  dans  lequel 
cette  opération  l'a  jetée.  Alors  qu'une  prudence  pareille  à  celle  de  l'adver- 
saire eût  été  de  circonstance,  la  5e  division  bondit  à  l'attaque,  elle  tente 
de  reprendre  Roselies,  mais  est  rejetée,  à  9  heures,  sur  la  ligne  Presles- 
Bouffioulx.  A  10  heures,  l'ennemi  sortant  de  Châtelet,  s'empare  de 
Bouffioulx,  d'où  la  division  cherche  vainement,  en  un  rude  assaut,  à  le 
rejeter. 

En  fin  de  journée,  le  3e  corps  se  reforme  sur  la  ligne  Gerpinnes- 
Tarcienne-Nalinnes,  à  la  gauche  du  10e  corps,  dont  les  deux  divisions 
se  sont  épuisées,  elles  aussi,  à  se  ruer,  la  20e  à  Tamines,  la  19e  à 
Aisemont,  sur  un  adversaire  bien  retranché,  et  s'arrêtent,  à  19  heures, 
au  sud  de  Fosses-Vitrival-Scry  et  Biesme. 

Nous  sommes  au  23  août  et  le  combat,  qui  se  déplace  d'heure  en 
heure  vers  le  sud,  s'est  maintenant  étendu  au  territoire  de  la  province 
de  Namur.  Pour  cette  journée,  von  Bûlow  a  prescrit  de  continuer 
l'attaque  comme  suit  :  la  Garde  à  l'aile  gauche,  jusqu'à  la  ligne  Tamines- 
Mottet-Rosée  ;  à  sa  droite  le  Xe  corps,  jusqu'à  la  ligne  Charleroi- 
Philippeville,  puis  le  Xe  corps  de  réserve  jusqu'à  la  ligne  Thuin- 
Boussu  lez  Walcourt-Cerfontaine  ;  à  l'extrême  droite  le  VIIe  corps. 
A  8  heures,  la  ligne  Fontaine- Valmont-Mettet  doit  être  dépassée  par 
les  troupes  d'attaque. 

En  réalité,  l'avance  allemande  du  23  août  fut,  comme  nous  allons 
le  voir,   très  insignifiante.    «  La  IIe  armée,   dit  von  Bùlow,   au  prix  de 


i6 

combats  sévères  (t),  atteignit  seulement  la  ligne  Merbes  le  Château- 
Thuin-Saint  Gérard  ».  C'est  que  les  trois  corps  français  ont  reçu,  la 
veille  au  soir,  l'ordre  de  «  tenir  ferme  sur  leurs  positions  ».  Ils  tiennent, 
en  effet,  pendant  toute  la  journée,  malgré  l'action  intense  de  l'artillerie 
allemande. 

Dans  la  nuit  même  du  23  au  24,  les  troupes  françaises  qui,  malgré 
l'échec  de  la  veille,  avaient  magnifiquement  contenu  l'ennemi  sur  tout  le 
front  pendant  la  journée  du  23  août,  se  retirèrent  à  marches  forcées, 
mettant  entre  l'ennemi  et  elles  un  espace  considérable. 

Cette  retraite  s'accomplit  souvent  au  sein  des  ténèbres  et  dans  un 
grand  silence  ;  les  ordres  eux-mêmes  étaient  donnés  à  voix  basse.  Ceux 
qui  en  furent  les  témoins  (voir  rapport  n°  5 11)  assurent  qu'elle  était 
impressionnante. 

Le  24  août,  l'ennemi  fit  un  bond  en  avant  considérable.  Nous  verrons 
les  éclaireurs  du  Xe  corps  passer  près  de  Thy-le-Baudhuin  à  8  heures, 
à  Thy-le-Château  à  10  heures,  à  Gourdinne  à  10  h.  3o.  Les  villages  de 
Tarcienne,  Hanzinne,  Hanzinelle,  Berzée,  Somzée,  Laneffe,  Fraire, 
Morialmé,  Chastrès  et  la  ville  de  Walcourt  furent  occupés  la  plupart 
dans  l'avant-midi,  quelques-uns  à  la  soirée.  On  ne  signale  de  résistance 
qu'à  Walcourt. 

Un  bon  nombre  de  ces  localités  se  trouvaient  dans  le  champ  de 
bataille  du  23  août  :  des  soldats  des  deux  armées  sont  tombés  à 
Tarcienne,  à  Hanzinne,  à  Hanzinelle,  à  Somzée,  à  Gourdinne,  à 
Chastrès,  à  Walcourt.  Le  combat  n'avait  pourtant  guère  endommagé  ces 
villages  et,  s'ils  sont  maintenant  incendiés,  il  faut  en  demander  compte 
non  pas  aux  nécessités  du  combat,  mais  à  la  sauvagerie  allemande. 

On  jugera  aussi  sévèrement  la  témérité  avec  laquelle  l'ennemi  a  parlé 
de  francs-tireurs  à  Somzée  (2),  à  Laneffe  (3),  à  Silenrieux  (4),  car  ces 
villages,  ainsi  que  tous  les  autres,  étaient  pour  ainsi  dire  déserts.  Pour 
épargner  aux  civils  les  angoisses  et  les  souffrances  que  leur  faisait 
endurer  un  ennemi  sans  scrupule,  les  Français  avaient  partout  donné 
le  mot  d'ordre  de  fuir  :   on  le  suivit,  et  quand  les  Allemands  vinrent, 

(1)  Von  BjIow  dit  avoir  perdu  en  deux  jours  11000  tués  et  blessés,  dont  beaucoup  d'officiers.  Mon 
"Rapport  sur  la  Bataille  de  la  Marne,  o-  <-•  p-  57.  Von  Hausen  signale  de  son  côté  la  désagréable  situation 
causée  à  l'armée  de  von  Bulow  par  les  succès  que  les  Français  remportèrent  sur  le  Xe  corps  de  réserve, 
et  affirme  que  les  combats  du  li  août  ne  répondirent  pas  à  l'attente  du  chef  de  la  IIe  armée-  Von  Hausen, 
Erinnerungen,   o-   c-   p.    i3i-    Voir   aussi   Isaac,    o.    c-    p.    83   (note). 

(2)  Livre  Blanc,  Anlage  34,  p.  5o. 

(3)  U. 

(4)  Anlage  39  et  40,  p.  55. 


«7 

ils  n'en  crièrent  pas  moins  qu'  «  on  avait  tiré  sur  eux  »  (i)  !  On  verra 
comment  furent  massacrés  ou  brutalisés  les  rares  vieillards  qui  n'avaient 
pu  fuir.  Preuve  nouvelle  que  le  feu  et  le  sang  étaient  admis,  au  même  titre 
que  le  fusil  et  le  canon,  parmi  les  moyens  de  faire  fléchir  l'adversaire  (2). 

Au  soir  du  24  août,  le  Xe  corps  allemand  avait  presque  entièrement 
dépassé  les  limites  de  la  province  deNamur  et  atteint  la  ligne  Barbançon- 
Boussu  lez  Walcourt-Yves  Gomezée,  ayant  à  sa  gauche  la  Garde  sur  la 
ligne  Boussu-Jamagne. 

Le  25  août,  le  Xe  corps  gagne  Daussois  et  Silenrieux,  obliquant 
nettement  vers  le  sud-ouest,  dans  la  direction  d'Erpion-Vergnies  et 
Eppe-Sauvage.  (Voir  fig.  i3o.) 

Abordant  maintenant  plus  en  détail  l'histoire  des  journées  du  23  et 
du  24  août  sur  le  front  du  3e  corps,  nous  diviserons  la  région  attaquée 
par  le  Xe  corps  allemand  en  trois  sections  : 

t .   Hanzinne-Tarcienne  ; 

2.  Tarcienne-Gourdinne  ; 

3.  Gourdinne-Berzée. 


;.    —    Les    combats    sur    le    front    de    la    5e    division    fran- 
çaise (3e  corps),  de  Hanzinne  à  Tarcienne. 

Pour  la  pleine  intelligence  des  rapports  relatifs  aux  diverses  localités 
situées  dans  ce  secteur,  il  est  indispensable  que  le  lecteur  s'instruise 
d'abord  des  opérations  militaires  qui  s'y  sont  déroulées  le  23  elle  24  août, 
ainsi  que  de  la  part  qu'y  prirent  les  régiments  français  qui  composent  la 
5e  division  (3). 

(1)  En  une  lettre  du  25  août  retrouvée  à  Walcourt  chez  M.  Cambier,  oit  était  installée  la  Kommandantur, 
le  soldat  Fritz  Dorrig,  de  Crefeld,  écrit  :  «  Les  habitants  d'ici  prennent  partiellement  part  aux  combats  et 
perdent  pour  cela  leurs  biens  et  leur  vie;  car  à  de  tels  hommes  on  (ait  un  court  procès.  Un  village  entier  est 
souvent  mis  en  (eu.  "  Ce  document  et  trois  autres  lettres  de  la  même  provenance  s'expriment  sur  le  même 
combat  en  une  phrase  stéréotypée,  qui  paraît  dictée  par  les  officiers  :  (l  Nous  avons  eu  les  22,  23  et  24  août 
des  journées  pénibles,  mais  nous  les  avons  quand  même  surmontées-  »  Le  soldat  Kahle,  de  Krainhagen 
(ObernKirchen)  ajoute  :  «  Je  ne  peux  pas  vous  écrire  tout  comme  je  le    voudrais,    parce   que    c'est  défendu.  » 

(2)  A  consulter  aussi  :  Chot,  La  Furie  allemande  dans  l'EnlrefSambre-~etr*MeiLse,  o.  c.  ;  ^Valburny, 
La  Vague  allemande  sur  le  pays  de  Cbarleroi,  o.  c. 

(3)  Ces  données  ont  été  puisies  à  la  Section  historique  de  VEtatr-Major  général  de  l'armée  française, 
à  Paris,  à  laquelle  nous  exprimons  notre  vive  gratitude-  Cf  aussi  Lanrezac,  o.  c-,  pp-  172  à  179;  Hanotaux, 
Histoire  illustrée  de  la  guerre  de  1914,  V,  p-  282  et  ss.;  id.  VEnigms  de  Cbarleroi,  p-  71  ;  Palat,  III,  p-  3t3; 
La  grande  guerre  écrite  et  illustrée,  o.  c,  p.  80  et  81. 


i8 

La  5e  division  française  (i)  tient,  dans  le  combat  de  la  Sambre,  la  droite  du 
3e  corps.  Très  éprouvée  le  22  août,  ainsi  que  nous  l'avons  vu,  à  Roselies  et  Châtelet, 
elle  se  reconstitue,  au  matin  du  23,  sur  le  front  Hanzinne-Tarcienne,  où  elle  fera 
face  à  la  38e  brigade  allemande  (2). 

La  10e  brigade,  qui  s'est  retirée  dans  la  nuit  jusqu'à  Florennes,  est  revenue  à 
Hanzinelle  à  4  heures  et  ses  deux  régiments  (le  36e  et  le  129e)  s'emploient  à  organiser 
solidement  le  village. 

A  leur  droite  sont  détachés  depuis  la  veille  au  soir  deux  bataillons  du 
4e  tirailleurs  (38e  division)  (3)  :  le  ier  bataillon  entre  Hanzinne  et  Hanzinelle,  le 
6e  bataillon  à  la  côte  271,  chargé  d'opérer  la  liaison  avec  le  toe  corps.  Cette 
liaison  est  aussi  assurée  par  la  brigade  de  cavalerie  du  3e  corps,  qui  se  poste  entre 
Hanzinelle  et  la  station  d'Oret,  et  se  retire  le  soir  sur  Jamagne. 

A  la  gauche  de  la  10e  brigade,  prend  place  l'un  des  régiments  de  la  9e  brigade, 
le  39e;  après  avoir  passé  la  nuit  sans  incident  à  Thy-le-Baudhuin,  il  avait  d'abord 
reçu,  à  6  heures  du  matin,  la  consigne  de  se  replier,  mais  presque  aussitôt  arriva 
l'ordre  de  «  barrer  coûte  que  coûte  la  trouée  d'Hanzinelle  ».  A  cette  fin,  le 
2e  bataillon  fut  dirigé  sur  Hanzinelle,  le  ier  bataillon  sur  la  côte  25i  et  le  3e  sur 
Thy-le-Baudhuin. 

Quant  au  2e  régiment  de  la  9e  brigade,  le  74e,  le  plus  éprouvé  des  quatre 
régiments  de  la  division  à  Roselies,  il  est  allé  se  reformer  à  Silenrieux. 

Le  23  de  bon  matin,  toutes  les  troupes  disponibles  de  la  5e  division  sont  placées 
sous  les  ordres  du  général  Muteau,  commandant  la  38e  division  d'Afrique.  Il  leur 
demande,  avant  tout,  d'empêcher  que  sa  droite  ne  soit  débordée.  En  fait,  elles 
demeureront  en  place  toute  la  journée  du  23  août,  sous  un  violent  bombardement 
d'artillerie,  empêchant  toute  avance  de  l'infanterie  allemande.  Elles  subirent 
d'ailleurs  des  pertes  fort  légères,  car,  instruites  par  l'expérience  de  deux  jours,  elles 
avaient  pris  soin  de  se  retrancher. 

Dès  l'aube  du  24  août,  l'artillerie  allemande  prit  de  nouveau  sous  son  feu  les 
positions  de  la  5e  division.  On  pouvait  croire  que  ce  fût  le  prélude  d'une  grosse 
attaque,  car  déjà  l'infanterie  ennemie  se  montrait  devant  les  tranchées  du 
39e  d'infanterie,  sur  la  côte  35t,  à  l'ouest  d'Hanzinelle,  et  à  moins  de  200  mètres 
des  positions  du  4e  zouaves.  Celui-ci  eut  même  de  la  peine  à  se  dégager  et  l'artillerie 
divisionnaire  laissa  plusieurs  pièces  sur  le  terrain  Le  39e  reçut  l'ordre  de  rompre 
le  combat  à  6  h.  3o,  pour  se  replier  sur  Morialmé,  où  la  brigade  se  reformait.  Seul 
de  cette  unité,  le  ter  bataillon  ne  fut  pas  touché  par  le  message  et  continua  à  tenir 
énergiquement,  jusqu'à    ce  qu'il    perçut  le  repli  des    troupes  d'Hanzinelle    et  de 

1  9e  brigade 

(,)5div.  \      gén.TAssiN.       :    39e  et  74e  d'infanterie. 

gén-  Verrier,      f        10"  brigade       .    36e  et  .^  d.infanterie. 
gén-  Léautier. 

(2)  Cette  brigade,  comprenant  les  72.  et  74  de  réserve,  se  rattache  à  la  XIXe  div-  de  rés-,  Xe  corps  de  rés. 


,   s  75e  brigade 

\Z)   38    division  \  :    ier  zouaves  et  ier  tirailleurs, 

gen.  Schwarte 
d'Afrique 

76    brig-ade  e  ....  „    . 

gén.  Muteau.  '  :   4    zouaves,  8P  tir.  et  4e  tir- 

gén-  Bertin- 


'9 

Thy-le-Baudhuin.  Il  se  retira  alors,  mais  au  prix  de  pertes  élevées,  à  travers  le 
vallonnement  au  sud  de  la  côte  25 1  et,  par  le  bois  voisin,  gagna  la  route  Donveau- 
Fraire,  où  il  rejoignit  les  fractions  de  la  20e  brigade. 

C'est  seulement  après  10  heures  qu'on  put  former  la  colonne  de  division  sur 
la  route  de  Daussois  à  Silenrieux. 

Au  sud-ouest  de  Silenrieux.  la  brigade  de  cavalerie  française  du  3e  corps, 
faisant  fonction  d'arrière-garde,  gardait  le  contact  avec  la  cavalerie  allemande  ;  elle 
fut  canonnée  par  une  section  d'artillerie  ennemie  mise  en  batterie  au  sud  du  bois 
de  Fraire;  deux  hommes  furent  blessés. 

Voyons  maintenant,  en  une  série  de  rapports  (n°  507  à  5ti  ),  les 
événements  qui  marquèrent  l'occupation  des  villages  de  Tarcienne, 
Hanzinne,  Hanzinelle,  Thy-le-Baudhuin  et  Morialmé,  après  la  pénible  et 
difficile  retraite  des  troupes  françaises.  La  plupart  de  ces  données  ont  été 
recueillies  au  cours  d'une  enquête  faite  sur  place,  du  20  au  22  juin  1915. 

§  t .  —  Tarcienne. 

C'est  dans  ce  village  qu  ont  été  réunis,  en  un  cimetière  collectif,  les 
soldats  des  deux  armées  tombés  sur  une  partie  du  champ  de  bataille  (1). 
Du  coté  allemand,  les  victimes  appartiennent  surtout  aux  37e  et  38e  brigade, 
19e  division,  Xe  corps;  du  côté  français,  au  3e  corps  et  à  l'armée 
coloniale,  surtout  au  4e  zouaves  (2). 

Les  faits  qui  se  sont  passés  à  Tarcienne  sont  consignés  dans  le 
rapport  suivant. 

N°  507.  Le  22.  août  dans   la   matinée,    les   récits  des  gens  affolés  venant  de  Châtelet, 

Tamines,  Falisolle  .et  environs  semèrent  l'épouvante  dans  le  village  de  Tarcienne. 
Les  habitants  commencèrent  à  fuir  à  14  heures,  quand  revinrent  les  troupes  françaises 

(t)  Le  cimetière  est  situé  «  au  Pavé  »  près  de  la  route  de  Philippeville,  non  loin  de  l'endroit  où  (ut  tué  le  duc 
de  Saxe-Meiningen,  commandant  la  39e  brigade  de  réserve;  il  contient  79  Allemands  et  32 1  Français.  Les 
Allemands  se  répartissent  ainsi.  37e  brigade  :  38  soldats  du  78e,  7  du  9te  ;  38e  brigade  :  6  soldats  du 
730  fusiliers,  25  du  74e  fusiliers;  39e  brigade  :  2  soldats  du  164e;  1  soldat  du  17e  hussards.  Les  Français  se 
répartissent  ainsi  :  3e  corps  ;  12  soldats  du  39e,  73  du  5e,  1  du  119e,  21  du  6e,  3  du  239e,  2  du  274e, 
1  du  11*  d'art.,  1  du  32e  d'art.,  8  du  36e  d'art.,  t  du  43e  d'art.  ;  1e1  corps  :  t  du  8e  ;  armée  coloniale  :  23  du 
4e  tiraill.  algériens;  1  du  8e  tir.  alg.  ;  14  du  4e  tir.  alg.  ;    159  du  4e  zouaves. 

On  déplore,  une  fois  de  plus,  la  coupable  négligence  apportée  par  les  ambulanciers  allemands  dans 
l'identification  des  victimes  de  l'armée  française.  Sur  32 1  cadavres  français,  i58  n'ont  pas  été  identifiés, 
tandis  que  7  allemands  seulement  n'ont  pas  été  identifiés  sur  79- 

Il  y  a  aussi  un  petit  cimetière  militaire  à  l'entrée  de  Gerpinnes,  en  venant  de  Tarcienne;  un  autre  plus 
considérable  à  Gozée  ;  un  troisième  à  Nalinnes-Haies.  Ce  dernier  contient  des  soldats  allemands  tombés  à 
Tarcienne. 

(2)  Ginisty,  o,  c.  a  publié  pp.   146  et  147  un  épisode  du   combat   soutenu   par  le  4e  zouaves  à  Tarcienne. 
V.   aussi   Hanotaux,    Histoire  illustrée  de  la  guerre  de  1914,    V.   p.    282;   id  l'Enigme  de  Cbarleroi,   p.    71 
Lanrezac,  o.  c.  pp.  172   à    179;  Palat,   III  p.  3i3. 


20 

qui  avaient  combattu  à  Châtelet  et  à  Presles.  A  19  heures,  le  curé,  M.  l'abbé  Honnay. 
restait  pour  ainsi  dire  seul.  Un  capitaine  français,  à  la  tête  des  débris  de  son  régi- 
ment, le  pressa  lui-même  de  partir  :  «  on  se  battrait  le  lendemain,  disait-il.  dans 
l'endroit  ».  Le  curé  gagna  Chastrès.  puis  Chimay,  où  il  put  grouper  les  deux  tiers 
de  ses  paroissiens  et  les  ramener  le  26  août  dans  leurs  maisons  intactes,  mais  pillées. 
L'église  était  dans  un  état  pitoyable  ;  des  excréments  souillaient  le  palier  et  les 
marches  de  l'autel  majeur. 

Un  combat  violent  s'est  livré  dans  le  village  et  aux  alentours,  dans  la  journée 
du  23  et  le  lendemain  matin.  L'artillerie  allemande  était  postée  derrière  les  Flâches 
(hameau  de  Gerpinnes)  et  à  Joncret  ;  l'artillerie  française  à  Somzée.  Chastrès,  sur 
les  hauteurs  de  Laneffe,  à  la  grand'route  de  Fraire  à  Rouillon.  derrière  le  bois. 
On  évalue  à  deux  cents  le  nombre  des  obus  tombés  dans  le  village,  dont  plusieurs 
autour  de  l'église,  dont  toutes  les  vitres  furent  brisées.  Une  maison  voisine  de 
l'église  fut  démolie,  une  autre  eut  le  toit  défoncé.  Au  hameau  de  Limsonry.  vers 
Nalinnes,  deux  maisons  furent  détruites  complètement  par  les  obus  et  d'autres 
criblées  de  balles  de  mitrailleuses.  Beaucoup  de  bêtes  à  cornes  furent  tuées  dans 
les  pâturages. 

Des  troupes  de  la  38e  brigade  allemande  (Xe  corps)  (1)  occupèrent  le  village 
le  24  août  à  1 1  heures  ;  le  centre  était  totalement  désert  ;  «  au  Pavé  »  à  2  kilomètres 
et  demi  du  village,  étaient  restés  Félicien  Franquet  et  son  épouse,  Joséphine  Bolle. 
Les  victimes  du  combat  furent  laissées  sans  sépulture  jusqu'au  27  et  au  28  août,  date 
à  laquelle  elles  furent  mises  en  terre,  sur  ordre  de  l'ennemi,  par  quelques  villa- 
geois, revenus  chez  eux.  De  joo  à  800  blessés,  d'abord  soignés  à  l'ambulance  de 
Gerpinnes,  furent  bientôt  transférés  à  Charleroi. 

§2.  —  Hanzinne. 

Hanzinne,  sur  la  grand'route  de  Châtelet  à  Florennes,  par  Gerpinnes, 
fut  envahi  le  24  août  au  matin  par  des  soldats  de  la  XIXe  division,  Xe  corps 
allemand. 

Le  village  fut  incendié  alors  que  l'ennemi  l'occupait  déjà  paisiblement 
depuis  un  jour  :  5o  maisons  y  furent  détruites  (voir  fig.  17). 

Le  curé,  M.  l'abbé  Laurent,  qui  tentait  de  rentrer  dans  sa  paroisse 
le  25  août,  échappa  comme  par  miracle  à  la  fureur  des  soldats  qu'il  ren- 
contra à  Morialmé.  Voici  le  récit  que  nous  a  dicté  cet  ecclésiastique 
le  2t  juin  191  5. 

N°  5ù8  L'occupation  d'Hanzinne  fut  précédée  d'un  combat  d'artillerie  assez  meurtrier, 

entre  les  Allemands  qui  se  trouvaient  au  nord  du  village,  dans   le    bois  de  Fromiée 
(Gerpinnes)  et  les  Français,  qui  tenaient  le  haut  de  Thy-le-Baudhuin  (2). 

(t)   On  a  retrouvé  à   Tarcienne  un   havresac  du   74e   d'infanterie. 

(z)   Le  curé    actuel   d'Hanzinne,    M.    Halluent,   a    assisté    à    l'exhumation   des  victimes.    En   un    endroit 
reposaient   3o   Allemands  et   un   Français,    Adalbert   Valette.    Ce   dernier  avait   pu   recevoir  avant   de  mourir 


21 

Dès  le  22  août,  le  village  avait  été  totalement  abandonné  par  la  population.  Il 
n'y  restait  que  cinq  habitants  au  moment  de  l'entrée  de  l'ennemi,  le  24  août  : 
«  C'étaient,  a  déclaré  l'un  deux,  des  bêtes  furieuses,  et  je  fuirais  comme  les  autres 
si  la  guerre  venait  à  recommencer.  0  Les  troupes  qui  passèrent  à  Hanzinne,  apparu 
tenaient  au  Xe  corps  ;  quelques  bons  de  réquisition  accusent  notamment  la  présence 
des  78e  et  91e  d'infanterie  (37e  brigade)  et  du  73e  régiment  de  fusiliers  (38e  brigade). 
La  destruction  du  village  n'est  cependant  pas  imputable  aux  troupes  de  combat  qui 
l'envahirent   et    qui,     à     travers     champs,     gagnèrent     immédiatement    Walcourt. 

Des  habitants  virent  mettre  le  feu  aux  maisons,  le  mercredi,  26  août,  et  le 
jeudi  27.  Ils  se  rendirent  parfaitement  compte  que  les  Allemands  utilisaient  des 
pastilles  incendiaires  de  couleur  jaunâtre.  Quarante  maisons,  huit  granges,  la  fabrique 
Mengeot  et  la  verrerie  Manet  furent  complètement  détruites.  On  ne  s'explique  guère 
qu'une  partie  du  village  ait  échappé  à  la  sauvagerie  de  l'ennemi  :  des  tentatives 
d'incendie  furent  constatées  dans  huit  maisons  préservées.  A  l'église  même,  le  curé 
découvrit,  en  rentrant  au  village,  des  gerbes  de  paille  brûlées,  à  côté  d'un  amon- 
cellement de  chaises,  partiellement  atteintes  par  le  feu  ;  près  du  foyer  avait  été 
disposée  une  lampe  à  pétrole,  qui  devait  provoquer  une  explosion. 

Arsène  DARGENT.  55  ans,  était  parti  le  25  août  vers  22  heures,  à  la  recherche 
du  bétail  de  la  ferme  de  Bevernelle  (Hanzinelle)  ;  une  lanterne  qu'il  portait  le 
désigna  aux  soldats,  qui  tirèrent  sur  lui  :  il  tomba  mort.  Ses  deux  compagnons 
furent  aussi  poursuivis  de  balles,  et  l'un  d'eux,  Arsène  Heck,  fut  blessé  au  bras. 

Un  vieillard  de  85  ans,  Donat  Beaurain,  repassait  à  Laneffe,  lorsqu'un  soldat 
tira  sur  lui  presque   à  bout  portant.  La  balle  l'atteignit  à  la  cuisse,  mais  il  guérit. 

Le  curé  de  la  paroisse,  M.  Hector  Laurent,  fut  l'un  des  premiers  à  tenter  le 
retour  et  il  faillit  payer  cher  cette  imprudence.  De  Cerfontaine,  il  regagna  Morialmé 
le  25  août,  avec  trois  compagnons,  croisant  des  troupes  qui  paraissaient  excitées 
au  plus  haut  point  et  les  menaçaient  de  leurs  armes.  Arrivé  à  Morialmé  vers  midi, 
il  y  fut  témoin  du  pillage  des  magasins  et  des  maisons. 

Arrêté  bientôt  et  conduit  au  camp,  il  subit  un  court  interrogatoire,  puis  un 
groupe  de  soldats  le  colla  au  pignon  d'une  maison  voisine  et  s'apprêta  à  le  fusiller. 
Plus  de  cinq  heures  durant,  il  vécut  les  angoisses  et  les  tortures  d'un  homme  qui, 
condamné,  va  périr  de  mort  violente  et  se  sait  innocent.  En  vain  faisait-il  appel 
à  l'humanité  de  ses  gardiens  et  des  officiers,  dont  un  colonel,  qui  se  trouvait 
avec  eux  ;  en  vain  donnait-il  tous  les  renseignements  voulus  sur  son  identité  et 
expliquait-il  la  raison  d'être  de  sa  présence.  Apprenant  qu'il  y  avait  dans  la  troupe 
un  prêtre  catholique,  il  voulut  solliciter  son  appui;  les  sentinelles  s'empressèrent 
d'écarter  celui  qui  aurait  pu,  par  confraternité,  venir  à  son  secours.  «  Espion 
anglais  !  »,  ne  cessait  de  redire  le  soldat  qui  l'avait  arrêté.  Comme  M.  l'abbé  Laurent 
demandait  à  un  officier  s'il  allait  être  fusillé,  celui-ci  lui  répondit  :  «  Encore  trois 
minutes  !  Alors  le  bandeau  sur  le  front  et  la  balle  là  !  »,  et  il  lui  posait  le  doigt  sur 
la  région  du  cceur.  L'abbé  s'abandonna  alors  à  l'un  de  ces  efforts  suprêmes  que  l'on 
tente  pour  garder  la  vie.  Se  jetant  à  genoux  et  secoué  jusque  dans  le  fond  de  son 

les   secours  de   la   religion  et   les    habitants  ont  conservé   le    souvenir    de   son   courage   et   de    ses   sentiments 
élevés.    Une  autre  tombe,   près  du   cimetière,   contenait   une   dizaine   d'Allemands  et   6  zouaves. 


22 

être  par  l'angoisse,  il  cria  :  «  Ayez  pitié  d'un  pauvre  prêtre!  Epargnez-moi,  je  vous  en 
supplie  !  Si  vous  me  tuez,  vous  apprendrez  que  j'étais  innocent  !  Ayez  compassion 
de  mon  vieux  père  !  Ne  faites  pas  mourir  un  vieillard  aux  cheveux  blancs  !  »  En 
même  temps,  il  se  préparait  à  la  mort,  disant  à  haute  voix  :  «  J'offre  mon  sang  pour 
ma  Patrie  et  pour  la  cause  de  Dieu  !  »  Pour  mettre  fin  à  cette  scène  qui  semblait  le 
troubler,  le  colonel  lui  donna  l'ordre  de  se  taire.  «  Je  le  veux  bien,  répondit  le 
condamné,  mais  aurai-je  la  vie  sauve  ?  »  Après  quelques  moments  de  réflexion,  le 
colonel  ajouta  :  «  Vous  partirez  quand  nous  partirons.  » 

Le  danger  était  passé.  M.,  le  curé  continua  à  intéresser  à  lui  cet  officier 
supérieur,  qui  parut  bientôt  pris  de  pitié  :  il  lui  apporta  du  pain  et  un  peu  de  vin  et 
le  fit  asseoir.  A  17  h  i5,  les  troupes  s'éloignèrent  et  M.  le  curé  fut  libéré.  Il  avait 
gardé  de  cette  scène  atroce  un  ébranlement  de  tout  l'organisme  qu'il  ne  domina 
qu'après  plusieurs  années. 

Rentré  dans  sa  paroisse,  il  s'occupa  des  blessés  et  reçut  à  cette  fin  un  passeport 
d'un  lieutenant  du  2e  régiment    des  dragons  de  la  Garde  (t). 

§  3.  —  Hanzinelle. 

Hanzinelle  est  situé,  comme  Hanzinne,  sur  la  grand'route  de 
Châtelet  à  Florennes,  à  25o  mètres  d'altitude,  près  des  sources  de  la 
Thyria.  qui  se  jette  dans  l'Eau  d'Heure  à  Berzée. 

Quatre-vingt-trois  immeubles,  sur  deux-cent-quarante-deux,  furent 
détruits  les  24  et  25  août,  en  l'absence  des  habitants.  Les  éléments  du 
rapport  ci-dessous  ont  été  fournis  en  1915  par  M.  le  bourgmestre  Binard 
et  par  M.  Daube,  curé  de  Hanzinelle,  et  complétés  récemment  par 
M.  l'instituteur  Yernaux. 

N°  509.  Des  troupes  françaises  passèrent  à  Hanzinelle  le  i5  et  le  19  août,  se  dirigeant 

vers  Hanzinne  et  Charleroi. 

Le  22  août,  la  retraite  des  Français  qui  refluaient  de  Chàtelet-Bouffioulx  donna 
le  signal  du  départ  :  il  resta  cinq  hommes,  seuls  témoins  de  la  bataille,  et  qui  furent 
entraînés  eux-mêmes  le  24  août  au  matin,  par  l'arrière-garde  française. 

C'est  le  22  août  à  21  heures,  qu'étaient  arrivés  à  Hanzinelle  les  Algériens  qui 
soutinrent  le  combat.  Le  village  avait  été  organisé  pour  la  résistance  ;  des  meurtrières 
avaient  été  pratiquées  dans  les  toitures.  Des  tranchées  s'ouvraient  depuis  le  «  Trou 
du  renard  »  jusque  Tarcienne,  en  passant  par  le  «  Petit  Fays  » ,  le  «  Sommet-Cendrie  » 
et  Somzée.  L'artillerie  s'était  d'abord  postée  «  à  la  petite  Sonceau  »,  prairie  qui 
longe  la  Thyria  et  est  bordée  de  bois  à  l'ouest  et  au  sud-est.  Le  bois  fut  criblé 
d'obus  et  presque  anéanti.  Les  canons  avaient  pu  heureusement  passer  à  temps  le 
ruisseau,  par  le  pont  du  moulin,  et  s'établir  sur  le  plateau,  à  côté  du  bois  «  Chenia  »  ; 
mais  ils  y  furent  encore  repérés  par  les  avions  ennemis.   On   retrouva  à  cet  endroit 

(1)   Division   de  cavalerie   de  la   Garde,    3e  brigade.    Ce   document  est  conservé. 


23 

un  lieutenant  décapité,  plusieurs  artilleurs  tués,  avec  des  chevaux.  Des  canons  et 
des  caissons  y  furent  abandonnés.  Un  cadavre  d'Algérien  fut  retrouvé  assis  dans 
un  trou,  près  de  la  tuilerie  Hancart,  à  côté  d'un  tas  de  cartouches  vides.  Un  canon 
fut  aussi  retrouvé  près  du  bois  du  Fays.  Quant  à  l'infanterie,  elle  s'était  postée 
surtout  le  long  de  la  route  qui  va  du  «  Sommet  d'Hanzinelle  »  à  Tarcienne,  par  le 
«  Fond  des  Mais  ».  Des  témoins  oculaires  affirment  que  l'artillerie  allemande  se 
trouvait  à  la  ferme  de  Bertransart  (Gerpinne). 

A  s'en  tenir  aux  chiffres  révélés  par  les  tombes,  les  Français  auraient  perdu 
72  hommes,  les  Allemands,  2  (t). 

Le  combat  dura  du  dimanche  après-midi  au  lundi  24  août,  vers  7  heures.  Le 
village  et  les  environs  nord  et  ouest  reçurent  un  nombre  considérable  de  projectiles. 
Au  village,  une  cheminée  de  la  tuilerie  Emile  Compart,  l'étable  de  MmeFélicie  Jallay 
et  le  coin  de  la  maison  veuve  Rose-Denis  furent  démolis.  Dans  cette  dernière,  on 
retrouva  la  jambe  d'un  soldat  français.  Les  obus  n'avaient  incendié  que  l'ancien 
calvaire  des  Pères  Jésuites,  situé  sur  la  place. 

Les  troupes  allemandes  envahirent,  le  24  août  au  matin,  le  village  désert, 
car  il  avait  été  totalement  évacué  par  les  troupes  françaises  et  il  n'y  eut  aucun  combat 
dans  les  rues.  L'ennemi  cependant  y  mit  le  feu,  sans  aucune  raison  militaire  et  par 
pure  rage  de  destruction.  Au  cours  de  cette  journée  et  des  deux  journées  suivantes, 
soixante-douze  maisons  et  onze  granges  furent  détruites,  tant  à  Hanzinelle  même 
qu'au  Donveau,  territoire  de  la  commune  (voir  Morialmé)  ;  la  ferme  d'Augustin 
Rousseaux  ne  fut  incendiée  que  le  mercredi,  26  août.  Ce  navrant  et  inutile  désastre 
était  évalué,  en  1914.  à  plus  d'un  million. 

§  4.  —  Thy-le-Baudbuin. 

Il  restait  trois  vieillards  dans  ce  village  quand  l'ennemi  y  parut.  L'un 
d'eux,  Narcisse  Degraux,  âgé  de  84  ans,  y  fut  tué. 

Thy-le-Baudhuin,  écrit  Al.  l'abbé  Marchant,  curé  de  cette  paroisse,  est  occupé 
le  i5  août  par  le  4e  régiment  de  cuirassiers  français,  du  19  au  21  par  les  25e  et  47e 
d'infanterie.  Dès  le  21,  les  gens  de  la  Sambre  jettent  l'émoi  dans  le  village;  le  22 
à  i5  heures,  ce  sont  des  soldats  français  mis  en  déroute  au  combat  de  Châteleî. 
Petit  à  petit,  sur  leur  conseil,  le  village  se  vide,  sans  qu'aucune  considération  puisse 
retenir  les  fuyards.  Bientôt,  au  son  du  canon  se  joint  le  crépitement  des 
mitrailleuses  et  des  coups  de  fusil. 

Le  22  à  minuit,  il  ne  reste  plus  que  quelques  civils.  Les  Français  occupent 
militairement  le  village  et  prennent  position  à  2  heures  du  matin  sur  les  hauteurs 
de  Tarcienne,   Hanzinne    et    Hanzinelle,   où    ils  tiendront    l'ennemi   en  respect  le 

(1)  Voici  l'emplacement  des  tombes  françaises  primitives  :  t .  «  à  la  petite  Sonceau  »,  i  Algérien; 
2.  au  «  Culot  d'Hanzinelle  »,  le  long  de  la  route  de  Thy-le-Baudhuin,  7  artilleurs  ;  3.  «  Sur  la  Cendrie  », 
2  grandes  tombes  d'Algériens  ;  4.  dans  les  terres  plastiques  du  «  Sommet  »,  quelques  fantassins  ;  5. 
«  sur  le  Fays  »,   4  ou  5   fantassins.   Tous  ces  corps   furent   ensuite  transférés  à  Tarcienne. 


*4 

23  et  le  24  août  jusqu'à  8  heures.  De  nombreux  obus  furent  lancés  sur  le  village  à 
à  la  fois  de  Biesme  et  de  Flaches  (Gerpinnes)  mais  aucune  maison  ne  fut  atteinte. 

Lorsque  le  24  août,  les  Allemands  pénétrèrent  dans  la  localité,  il  y  restait  trois 
civils  :  un  moribond.  Félix  Dutron,  son  frère  Sylvain  qui  le  veillait,  âgé  de  66  ans 
et  Narcisse  DEGRAUX  (fig.  6),  vieillard  de  84  ans,  dont  les  facultés  mentales 
étaient  fort  affaiblies.  Ce  dernier  fut  retrouvé  le  26  août  au  matin  assis  sur  une 
pierre  derrière  son  habitation,  gémissant  et  presque  exsangue.  On  ne  réussit  pas 
à  savoir  ce  qui  s'était  passé.  Il  semblait  avoir  reçu  un  ou  deux  coups  de  lance  : 
l'avant-bras  droit  était  coupé  et  cassé  à  deux  endroits.  Les  blessures  avaient 
reçu  un  pansement  militaire  sommaire  :  un  morceau  de  tablier  d'enfant  faisait 
office  de  bandage  et  une  traverse  de  chaise  servait  à  maintenir  le  bras.  Il  mourut 
le    même  jour    à  22  heures. 

Thy-le-Baudhuin  compte  une  seconde  victime,  Alphonse  DELBART,  53  ans. 
Frappé  de  deux  atteintes  successives  au  commencement  de  1914,  il  n'avait  pas 
retrouvé  la  parole  et  marchait  encore  péniblement  au  moment  où  la  guerre  fut 
déclarée.  Soutenu  par  sa  femme  et  ses  enfants,  il  parvint  à  gagner  le  23  août,  la 
ferme  de  la  Botte,  entre  Fraire  et  Yves-Gomezée.  Arrivés  là,  les  siens  durent 
l'abandonner  et  depuis  on  ne  l'a  plus  revu. 

Chacun  des  jours  suivants  ramena  un  certain  nombre  de  villageois  dans  leur 
logis  pillé.  Quatre-vingts  personnes  sur  quatre  cents  gagnèrent  la  France  et 
soixante-douze  ne  revinrent  qu'à  l'armistice. 


§  5.  —  Morialmé. 

Le  rapport  que  nous  consacrons  à  cette  localité  (1)  est  dû  au  curé 
de  la  paroisse,  M.  l'abbé  Bodart;  il  est  l'un  de  ceux  qui  donnent  une 
vision  nette  du  combat  de  la  Sambre  aux  22  et  23  août. 

Six  immeubles  furent  incendiés  par  les  troupes  du  Xe  corps  ou  de 
la  Garde. 

j^c  5,  ,  Le  général  de  division  Boë  passa  à  Morialmé  le  t5  août  vers  16  heures,  avec 

d'importantes  troupes  qui  partirent  le  lendemain  à  midi,  vers  Biesme  et  Châtelet. 
Blessé  quelques  jours  plus  tard  près  de  la  ferme  «Belle-Motte»  (t.  III,  p.  175),  ce  général 
fut  transporté  à  1  ambulance  des  Pères  Jésuites  de  Florennes,  où  il  fut  fait  prisonnier. 

Ces  troupes  furent  remplacées  le  jour  même  par  d'autres  soldats  français  qui 
ne  partirent  que  le  21. 

Le  22  août  à  7  heures,  il  passe  une  file  interminable  d'autobus  qui  font  le 
service  de  ravitaillement  sur  la  Sambre,  où  se  livrent  de  violents  combats.  A 
10  heures,  spectacle  inoubliable  :  c'est  une  lamentable  et  indéfinie  procession  de 
gens  qui  fuient.  Ils  viennent  de  Châtelet,  Couillet,  Montignies,  etc.  L'état  dans 
lequel  ils  se  trouvent  montre  assez  dans  quelles  conditions  d'épouvante  leur  départ 

(1  )  V.  aussi  Engerand,  o-  c,  p.  540. 


25 

s'est  opéré  :  la  plupart  ne  sont  presque  pas  vêtus  et  ils  emportent  tout  ce  qu'ils  ont 
pu  recueillir  de  leurs  biens  au  moment  du  départ.  Ce  triste  défilé  continue  sans 
interruption  jusqu'au  soir.  La  panique  se  communique  de  proche  en  proche  :  c'est 
bientôt  de  Bouffioulx  qu'ils  viennent,  puis  d'Acoz,  puis  de  Gerpinnes,  puis 
d'Hanzinne  et  d'Hanzinelle. 

Entre-temps,  les  autobus  charrient  des  blessés  et  de  longues  théories  de 
soldats  en  retraite  viennent  de  la  Sambre.  Vers  le  soir,  des  troupes  régulières  se 
mettent  sur  la  défensive,  barrant  les  passages  avec  du  fil  barbelé,  ouvrant  des 
meurtrières  aux  portes  et  aux  murs.  La  panique  gagne  le  village  et  la  plupart  des 
habitants  se  mettent  à  fuir  sans  savoir  où.  Le  dernier  train  est  rempli  de  fuyards. 
A  20  heures,  c'est  un  singulier  spectacle  sur  la  route  de  Florennes  ;  des  troupes 
françaises  se  replient  en  grande  hâte,  entraînant  avec  elles  tous  leurs  pesants 
charrois;  en  même  temps,  c'est  une  mêlée  désordonnée  de  civils,  hommes,  femmes 
et  enfants,  confondus  parmi  les  soldats  ou  refoulés  sur  les  bords  du  chemin. 

M.  le  vicaire  et  moi,  nous  nous  trouvons  à  l'ambulance,  avec  les  religieuses 
et  quelques  autres  personnes.  Bientôt,  nous  ne  pouvons  plus  faire  face  à  tous  les 
pansements  et  aux  soins  à  donner,  car  la  plupart  de  nos  ambulanciers  et  ambu- 
lancières d'occasion  ont  quitté,  et  nous  sommes  seuls.  C'est  alors  que  nous  prenons 
le  parti  d'évacuer  nos  malades  à  Florennes,  au  grand  établissement  des  Pères 
Jésuites.  Ceux  qui  n'ont  que  des  blessures  légères  et  peuvent  marcher,  nous 
les  mettons  en  route  à  pied,  après  avoir  pansé  leurs  blessures;  quant  aux  grands 
blessés,  c'est  avec  infiniment  de  peine  que  nous  pouvons  trouver  au  village  deux 
chariots,  où  nous  les  plaçons  le  moins  mal  possible.  A  23  heures,  nous  étions  à 
Florennes  et  je  déposais  à  la  chapelle  des  Jésuites  le  Saint-Sacrement,  que  j'avais 
emporté  de  Moriaïmé. 

Le  23,  à  5  heures  du  matin,  nous  sommes  de  retour  à  Moriaïmé.  Aux  messes 
de  6  h.  et  de  7  h.  3o,  assistent  à  peine  une  quarantaine  de  paroissiens.  Nous 
décidons  de  ne  pas  faire  d'autre  office.  Une  dizaine  de  personnes  se  présentèrent  à 
l'heure  de  la  grand'messe  et  récitèrent  ensemble  le  chapelet. 

A  partir  de  ce  moment,  Moriaïmé  était  désert  et  faisait  une  impression  lugubre. 
La  solitude  n'était  plus  interrompue  que  par  le  passage,  à  de  rares  intervalles, 
de  l'une  ou  l'autre  voiture  d'ambulance  qui  nous  apportait  des  blessés  évacués 
d'autres  ambulances.  Notre  office,  à  M.  le  vicaire  et  à  moi,  était  maintenant  de 
les  diriger  plus  loin,  à  Florennes  ou  à  Walcourt,  car  nous  étions  dans  l'impossi- 
bilité de  les  soigner,  étant  seuls  dans  un  village  abandonné. 

Vers  midi,  les  rues  commencent  à  se  repeupler  de  gens  qui  reviennent,  et  à 
17  heures,  il  y  avait  assez  bien  de  mouvement  sur  la  place  de  l'église.  A  14  heures 
le  canon  se  fait  entendre  à  la  fois  dans  la  direction  d'Oret,  d'Hanzinne,  de 
Gerpinne  et  de  Tarcienne.  Du  haut  du  clocher,  on  aperçoit  la  lumière  des  coups 
de  feu,  sans  pouvoir  toutefois  apprécier  les  distances.  A  17  heures,  des  soldats  à  la 
débandade  reviennent  de  Tarcienne,  annonçant  la  retraite  des  Français  et 
l'approche  de  l'ennemi.  La  fuite  des  civils  recommence.  On  voit  la  fumée  des 
incendies  allumés  à  Oret.  On  prétend  que  des  obus  sont  tombés  sur  la  paroisse,  au 
Donveau. 

C'est  à  ce  moment  que,  sur  le  conseil  d'un  officier  français,  j'envoie  deux  jeunes 


26 

gens  faire  le  tour  du  village,  pour  inviter  les  habitants  restés  chez  eux  à  partir  dans 
la  direction  de  Florennes  et  de  Saint-Aubin.  Nous  partons  nous-mêmes  à  21  heures, 
avec  les  Religieuses,  vers  cette  dernière  localité.  Les  civils  suivent  le  bord  du 
chemin,  car  le  milieu  est  tenu  par  les  troupes  françaises  en  retraite,  qui  s'avancent 
dans  les  ténèbres,  en  gardant  un  complet  silence.  Les  ordres  même  sont  donnés  à 
voix  basse  :  c'est  impressionant  au  plus  haut  point. 

Le  24  au  matin.  Saint-Aubin  se  vide  à  son  tour  :  il  faut  fuir  vers  le  sud-est. 
Nous  ne  rentrâmes  chez  nous  que  le  jeudi  27,  après  avoir  compris  que  la  fuite  ne 
ne  nous  laissait  que  deux  alternatives  :  passer  en  France  pour  un  temps  indéfini, 
ou  risquer  tout  et  rencontrer  les  Allemands.  On  résolut  d'adopter  cette  dernière, 
et  tout  alla  bien,  à  part  un  revolver  braqué  sur  nous  par  un  officier,  avec  force 
paroles  menaçantes    «  Les  prêtres  étaient,  disait-il,  leurs  pires  ennemis.  » 

Pendant  notre  absence  de  trois  jours,  les  Allemands  étaient  passés  à  Morialmé. 
Ils  y  sont  entrés  le  lundi  24  à  10  heures  du  matin.  Neuf  ou  dix  personnes  se  tenaient 
cachées  dans  les  coins  les  plus  reculés  de  leurs  maisons. 

Beaucoup  de  pillages  furent  accomplis,  spécialement  des  vivres,  vins,  etc.,  et  à 
peine  l'ennemi  était-il  installé  au  village  qu'il  mettait  le  feu  à  plusieurs  endroits, 
sans  le  moindre  motif.  La  maison  François  Lechat,  au  hameau  de  Poucet,  sur  la 
route  du  Donveau  à  Fraire,  fut  incendiée  dès  le  lundi  à  midi  et  le  feu  se  communi- 
qua à  la  grange  de  la  veuve  François.  Quinze  maisons  furent  brûlées  au  Donveau, 
hameau  de  la  paroisse  qui  dépend  de  la  commune  d'Hanzinelle,  dans  la  nuit 
suivante,  ainsi  que  les  maisons  Barbier-Lambert  et  Servais  Falesse  à  «  la  Croix- 
Meurice  ».  On  ignore  le  moment  où  fut  détruite  la  ferme  Casin,  à  «   La  Petterie  ». 

A  Morialmé  même,  l'hôtel  de  ville,  auquel  était  incorporée  l'habitation  de 
M.  le  vicaire,  fut  incendié  le  24,  vers  18  heures.  C'est  là  que  périrent  les  archives 
civiles  de  la  localité,  qui  étaient  importantes.  On  suppose  que  les  soldats  auront 
mis  le  feu  à  cet  immeuble,  parce  que  le  drapeau  belge  continuait  à  y  flotter  et  qu'il 
contenait  les  armes  des  particuliers,  réunies  par  ordre  du  bourgmestre. 

Les  troupes  qui  passèrent  à  Morialmé  semblent  avoir  appartenu  au  Xe  corps 
et  à  la  Garde;  ces  dernières  se  dirigèrent  vers  Florennes  et  Saint-Aubin  (voir  ces 
localités). 


2.  —  Les   combats  sur  le  front  de  la  38e  division  (3e  corps), 

de  Tarcienne  à  Gourdinne. 

Ainsi  que  nous  l'avons  fait  pour  le  secteur  précédent,  résumons 
d'abord  les  données  militaires  que  nous  avons  trouvées  dans  les  archives 
de  la  section  historique  de  l'État-Major  Général,  à  Paris;  elles  sont 
indispensables  à  l'intelligence  des  opérations  qui  se  sont  déroulées  dans 
la  région. 

Tandis  que  l'une  des  brigades  de  ta  38e  division,  la  75e,  très  éprouvée  le  22  août 
devant  Châtelet,  se  reconstitue  le  lendemain  à  Yves-Gomezée,  la  seconde  brigade. 


*7 

la  76e,  est  déployée  le  23  août  sur  le  front  Tarcienne-Linsonry,  au  nord  de  Somzée 
et  de  Gourdinne. 

Dès  l'aube,  la  lutte  d'artillerie  est  reprise  et,  dans  l'après-midi,  elle  s'intensifie 
jusqu'à  l'extrême  violence  ;  mais  l'ennemi  renonce  à  l'attaque.  Celle-ci  sera 
déclanchée,  comme  nous  le  verrons  bientôt,  plus  à  gauche,  devant  la  6e  division, 
où  l'adversaire  trouve  un  terrain  plus  propice  et  une  moindre  résistance. 

Nous  retrouvons  aussi  sur  ce  front,  au  23  août,  une  brigade  du  18e  corps, 
qui  a  été  mise  à  la  disposition  du  3e  corps  en  échange  de  la  1  Ie  brigade  (6e  division)  : 
c'est  la  69e  brigade  (35e  division)  comprenant  les  6e  et  123e  d'infanterie. 

Le  6e  régiment,  dès  son  arrivée,  est  dirigé  sur  Somzée. 

Dans  l'après-midi,  comme  on  croyait  que  le  io'J  corps  avait  fléchi,  les  ier  et 
3e  bataillons  du  123e  furent  portés  de  Chastrès  à  Laneffe  pour  couvrir  la  droite  du 
3e  corps  vers  Morialmé  et  intervenir,  si  possible,  dans  le  flanc  des  attaques 
débouchant  d'Oret.  C'est  ainsi  que  vers  16  heures  de  l'après-midi,  pour  parer  au 
repli  de  la  6e  division,  il  ne  restait  plus  à  Chastrès  que  le  2e  bataillon  du  123e  et 
un  bataillon  du  274e. 

Quand  la  38e  division  dut,  elle  aussi,  évacuer  la  position  de  Somzée  et  se 
replier,  il  devenait  difficile,  si  Ton  ne  prenait  des  mesures  spéciales,  de  limiter  le 
recul  à  la  ligne  Chastrès-Berzée,  qu'on  avait  espéré  tenir.  La  75e  brigade,  d'Yves- 
Gomezée,  fut  portée  en  avant  et  s'établit  pour  la  nuit  au  nord  d'Yves-Gomezée, 
tandis  que  le  74e  (9e  brigade,  5e  division)  occupait  les  crêtes  au  nord  de  Vogenée. 
Quant  aux  76e  et  69e  brigades  dont  il  est  question  ici,  elles  purent  se  maintenir  en 
définitive  à  Chastrès  (1),  couvertes  par  des  avant-postes  sur  la  ligne  Laneffe- 
Thy  le  Château. 

Venons  à  la  retraite  (2),  à  l'aube  du  24  août.  A  droite,  la  76e  brigade  se  retira 
avant  le  jour,  sans  donner  l'éveil.  La  75e  brigade  la  rallia  seulement  à  14  heures  à 
Clermont,  après  une  marche  des  plus  pénibles,  le  plus  souvent  à  travers  champs, 
tant  les  routes  étaient  encombrées.  Ensemble  elles  organisèrent  ce  village  pour 
la  défense,  couvertes  aux  avant-postes,  entre  Strée  et  Rognée,  par  le  Ie  zouaves. 

La  69e  brigade  (18e  corps)  qui  devait,  à  partir  de  Vogenée,  former  l'arrière- 
garde  de  la  38e  division,  reçut  l'ordre  de  tenir  Silenrieux  (par  le  123e)  et  Walcourt 
(par  le  6e). 

Par  l'exposé  qui  précède,  le  lecteur  a  pu  se  rendre  compte  que  la 
journée  du  23  août  fut  relativement  calme  sur  le  front  Tarcienne- 
Gourdinne. 

Les  villages  que  l'ennemi  occupa  ensuite  n'en  eurent  pas  moins  à 
souffrir  :  ce  sont  Somzée,  Laneffe,  Chastrès,  Fraire  et  Yves-Gomezée, 
localités  auxquelles  nous  consacrons  une  série  d'intéressants  rapports 
(nos  5i2  à  5\j),  dont  les  données  ont  été  recueillies  en  juin  1915  et 
complétées  après  l'armistice. 

(1)   Voir   Isaac,    o.    c.    p.    83. 

(z)   A    consulter    aussi    Hanotaux,    Histoire    illustrée  de  la  grande  guerre,    V.    p.    284    et    VIII,    p,   58 
et   70  ;    Palat.   o-    c-   III,   p.    314;  La  grande  guerre  écrite  et  illustrée,  o.  c,  p.  80. 


28 

§   i .   —  Somzée. 

Le  Livre  Blanc  nous  apprend  que  Somzée  a  été  incendié  par  la 
6e  colonne  de  transport  du  Xe  corps  et  justifie  ce  fait  en  affirmant  que  les 
civils  ont  tiré  :  or,  il  restait  deux  vieillards  dans  ce  village  délaissé  ! 

On  lira  ici  une  page  navrante  :  l'exécution,  dans  la  nuit  du  24  août, 
du  vénérable  curé  d'Acoz  et  de  ses  deux  compagnons  (1).  Von  Bùlow 
lui-même,  chef  de  la  IIe  armée,  a  vraisemblablement  sa  part  de 
responsabilité  dans  cet  assassinat  :  il  était  le  24  au  soir  au  sud  d'Acoz  (2) 
et  en  passant  le  25  août,  à  7  heures,  à  Somzée  (3),  il  a  dû  apercevoir  les 
cadavres  des  trois  victimes. 

N°  5i2.  Somzée,  village  de  5io  habitants,  domine  la  Thyria,  en  regard  de  Chastrès  ; 

cest  là  que  se  croisent  les  grand'routes  de  Charleroi-Philippeville-Rocroi  et  de 
Gerpinnes-Walcourt. 

Des  troupes  françaises  arrivèrenl  le  16  août  à  18  heures,  venant  de  Beauraing. 
De  nouveaux  contingents  se  succédèrent  les  jours  suivants.  Le  22  au  soir,  il  passa 
des  Algériens  qui  se  rendaient  à  Thy-le-Baudhuin. 

Le  22,  raconte  le  curé,  M.  Serville,  nous  fûmes  témoins  de  la  fuite  des  habitants 
du  pays  de  Châtelet,  Gerpinnes,  Mettet,  etc.,  qui  racontaient  l'incendie  des  villages. 
La  panique  s'accrut  quand,  à  16  heures,  les  Français  eux-mêmes  refluèrent  à  Somzée; 
on  remarqua  parmi  eux  le  126e  et  les  mitrailleuses  de  Pont-à-Mousson.  A  19  heures, 

(1)  A  consulter  sur  ce  crime  la  "Réponse  au  Livre  Blanc  allemand,  Paris  Berger-Levrault  1917,  p.  108  ; 
et  Auguste  Mélot,  le  Martyre  du  Clergé  belge,  Paris  Bloud.   1916,  p.  22. 

Le  meurtre  de  M.  l'abbé  Druet  est  l'un  de  ceux  dont  l'armée  allemande  a  pris  la  pleine  responsabilité. 
Acoz  [igure  au  nn  19  sur  la  liste  des  23  faits  criminels  notifiés  officiellement  par  la  Wilhclmstrasse  aux 
diplomates  accrédités  dans  les  pays  neutres  ou  alliés  ("Direction  du  Contentieux  et  de  la  Justice  Militaire;  à  Paris, 
dossier  762).  Un  rapport  sur  les  actes  d'hostilité  commis  par  les  prêtres  et  religieux,  contre  les  troupes  allemandes 
en  "Belgique,  document  dont  l'abbé  Vandenbsrgh  put  prendre  copie  au  Gouvernement  Général  de  Bruxelles,  en 
1915,  portait  ce  qui  suit  :  «  Acoz,  le  24  août,  à  8  h.  3o  du  soir,  le  curé  refusa  de  recevoir  chez  lui  des  voitures 
et  des  chevaux,  qu'on  voulait  y  remiser  ;  il  avait  pourtant  des  locaux  très  vastes.  Après  qu'on  les  eut  remisé? 
ailleurs,  on  tira  de  partout  sur  les  soldats.  Ceux-ci  pénétrèrent  dans  les  maisons,  et,  entre  autres,  chez  le  curé. 
On  le  trouva  caché  avec  deux  compagnons  au  grenier.  Sur  les  trois,  on  trouva  des  cartouches  vides  et  remplies. 
Il  fut  exécuté.  »  Enfin,  le  Livre  Blanc  consacre  aux  événements  d'Acoz  quatre  pages  entières  (p.  57  à  60, 
annexes  43,  44  et  45).  L'imprécis  des  accusations  et  les  contradictions  qu'on  y  relève,  suffisent  à  les  démolir. 
Le  lieutenant  Huck,  commandant  du  IIe  Pferdedepot,  a  vu  M.  le  curé  et  assure  qu'il  lui  a  paru  suspect  ;  il  ne 
connaît  les  faits  que  par  ouï-dire.  Le  rittmeister  Liidke,  chef  de  la  2e  section  du  train,  relate  l'incendie  du 
village  et  l'arrestation  de  «  trois  francs-tireurs  ».  L'attaque  des  civils  était,  dit-il,  concertée  et  s'est  faite  sur  un 
signal  donné.  Il  se  vante  d'avoir  découvert,  le  lendemain,  l'arsenal  :  deux  caisses  de  dynamite,  cent  fusils  et  des 
cartouches  ;  sur  chaque  paquet,  le  nom  du  civil  auquel  les  munitions  étaient  destinées.  L'oberleutnar.t  Muller 
et  le  lieutenant  Schrôder,  —  ce  dernier  a  interrogé  les  trois  victimes,  —  relèvent  qu'on  a  tiré  avec  des  fusils  de 
chasse  et  que  le  curé  était  porteur  de  la  quittance  d'un  revolver  anglais. 

Ainsi  donc,  aux  yeux  de  ces  guerriers  grossiers  et  sauvages,  le  dépôt  des  armes  prescrit  par  l'autorité  et 
le  reçu  de  dépôt  font  la  preuve  du  crime,  alors  qu'ils  devaient  clairement  établir  l'innocence  des  accusés  ! 

(2)  Von   Bulow,   Mon  "Rapport,   etc.,   p.   62. 

(3)  Von   Bulow,   Mon  Rapport,   etc.,    p.   63. 


29 

un  officier  demanda  à  utiliser  l'église  pour  donner  un  peu  de  repos  à  ses  hommes;  il 
nous  exhorta  à  partir,  parce  que,  le  lendemain,  on  se  battrait  au  village.  A  ce  moment, 
on  plaçait  des  canons  en  batterie  et  des  mitrailleuses  aux  maisons.  A  zt  h.  3o,  tous 
mes  paroissiens  avaient  fui,  à  part  deux  ou  trois,  et  je  partis  moi-même. 

Des  troupes  allemandes,  d'artillerie  surtout,  entrèrent  à  Somzée  le  lundi  soir. 
A  en  croire  les  témoins,  les  soldats  étaient  pareils  à  des  bêtes  féroces,  et  le  motif 
de  leur  rage  paraît  avoir  été  la  mort  d'un  prince  de  Saxe-Meiningen,  tué  par  une 
balle  française  «au  Pavé».  Ce  même  lundi,  dès  to  heures  du  matin,  Edouard 
Pourignaux,  revenant  de  Laneffe,  avait  vu  défiler  la  cavalerie  allemande  au  lieu  dit 
Tambois  »,  sur  la  route  de  Thy-le-Baudhuin  à  Laneffe.  Camille  Polomé  reçut 
leur  visite  dans  sa  maison,  au  soir  du  24  août  :  sa  femme  parvint  à  les  écarter,  en 
leur  montrant  une  dame  malade  étendue  sur  un  matelas. 

Les  incendies  ne  commencèrent  que  le  mardi  25,  à  partir  de  midi.  Trente 
maisons  furent  brûlées  ce  jour-là.  «  On  a  tiré  ici  sur  mes  soldats  !  »,  dit  un  officier 
à  Edouard  Pourignaux.  «  Ce  n'est  pas  possible,  Monsieur,  répondit-il,  nous  ne 
sommes  au  village  que  deux  vieillards!  »  Quelques  habitants,  revenus  chez  eux  dans 
l'après-midi,  essayèrent  d'éteindre  le  feu  ou  de  sauver  quelques  meubles  et  effets, 
mais  la  soldatesque  les  en  empêcha,  en  tirant  des  coups  de  feu  sur  les  maisons. 

Mercredi  26  à  9  heures,  le  feu  fut  mis  chez  Famenne  et  l'on  crut  que  le  restant 
du  village  allait  périr.  Joseph  Famenne  venait  de  rentrer  avec  sa  famille,  et  les 
émotions  qu'il  éprouva,  en  voyant  sa  maison  en  feu,  le  conduisirent  au  tombeau. 
Dans  la  nuit  suivante,  on  remit  le  feu  à  la  maison  de  Joseph  Michaux. 

Les  incendiaires  de  Somzée  ont  écrit  dans  le  Livre  "Blanc  (1)  que  «  des  civils  y 
furent  fusillés  »  et  cela  suffit  à  établir  combien  leurs  allégations  sont  légères  : 
personne  n'a  été  tué  à  Somzée  même.  Comme  on  le  verra  plus  loin,  le  curé  d'Acoz 
et  ses  compagnons  sont  tombés  la  veille,  en  dehors  du  village,  pour  des  faits  qui 
se  sont  passés  à  Acoz. 

Jules  GODEFROID  (fig.  67),  42  ans,  fut  tué  dans  sa  fuite  entre  Dourbes  et 
Nismes,  Florent  MOUVET,  52  ans,  fut  réquisitionné  le  25  août  avec  son  chariot, 
attelé  d'un  bœuf,  au  moment  où  il  revenait,  pour  conduire  des  blessés  à  Walcourt. 
Le  boeuf  fut  retrouvé  à  Walcourt;  quant  à  M.  Mouvet,  on  ne  l'a  plus  revu. 

Les  habitants  revinrent  à  Somzée  le  25  août  et  les  jours  suivants  (2)  ;  ils 
trouvèrent  le  village  saccagé  et  en  partie  brûlé.  Dans  les  maisons,  les  meubles 
étaient  renversés,  tout  avait  été  fouillé  et  une  foule  d'objets  avaient  disparu. 

Les  ornements  de  l'église  avaient  été  déposés  au  presbytère  et  chez  les  Reli- 
gieuses :  ils  furent  retrouvés  tailladés  à  coups  de  sabre  (3).  Des  aubes  et  des  orne- 
ments de  procession  étaient  souillés. 

On  remarque  entre  Laneffe  et  Somzée  la  tombe  d'un  soldat  français.  Posté  au 
Quartier  Sainte-Barbe,  il  aurait,  dit-on,  tiré  sur  les  éclaireurs  ennemis,  le  24  août, 
et  aurait  ensuite  été  tué  dans  sa  fuite. 

(1)  Anlage  34,   p.   5o. 

(il   Une  cinquantaine  étaient  allés  jusqu'en  France  et  ne  revinrent  qu'en  1918 

1,3)  Au  cours  de  l'enquête  qu'ils  firent  sur  place  en  juin  içjiS,  les  auteurs  visitèrent  la  sacristie  de  l'église 
de  Somzée  et  se  rendirent  compte  de  visu  des  lacérations  dont  les  chasubles,  chapes,  étoles,  manipules,  etc. 
portaient  la  trace. 


3o 

N°  5i3.  Le  vénérable  curé  d'Acoz,  M.  l'abbé  Eugène  DRUET  (fig.  11),  67  ans,  a  été 

tué  près  de  Somzée,  sur  la  route  de  Tarcienne,  le  24  août  au  soir,  avec  Archange 
BOURBOUSE,  d'Acoz,  27  ans  et  Ernest-Joseph  BASTIN,  de  Montigny-sur- 
Sambre  (1). 

Pour  bien  mettre  en  lumière  les  circonstances  de  leur  fin  tragique,  reprenons 
les  faits  au  22  août. 

Au  moment  où  la  population  d'Acoz,  sur  le  conseil  des  Français,  prenait  la 
fuite,  M.  l'abbé  Druet  essaya  d'abord  d'enrayer  la  panique;  quand  il  vit  que  ses 
efforts  étaient  inutiles,  il  bénit  les  groupes  de  fuyards  qu'il  rencontra,  et  revint  au 
presbytère. 

Il  y  fut  bientôt  rejoint  par  trois  de  ses  paroissiens  :  Ernest-Joseph  Bastin, 
Archange  Bourbeuse  et  son  épouse;  celle-ci  venait  d'être  blessée  d'une  balle  sur 
le  chemin  de  Joncret. 

Une  première  bande  d'Allemands  envahirent  la  cure  et  se  retirèrent  sans  faire 
de  mal,  après  avoir  accepté  des  vivres.  A  22  heures,  un  officier  vint  quérir  le 
prêtre  et  l'obligea  à  le  conduire  avec  ses  hommes  à  Joncret.  Chemin  faisant,  on 
passa  à  côté  d'un  puits  et  le  vieillard  fut  contraint,  sous  la  menace  répétée  de 
coups  de  crosse,  de  tourner  le  lourd  treuil,  pour  abreuver  les  chevaux.  Au  retour, 
il  fut  tellement  bousculé  par  des  troupes  qui  passaient  qu'il  crut  prudent  de  retour- 
ner à  Joncret;  quand  il  y  fut  arrivé,  l'officier  qu'il  venait  de  quitter  accepta  de 
l'accompagner  jusqu'à  la  Croix-Michel,  puis,  à  travers  champs,  il  put  regagner  son 
presbytère. 

Le  23  août,  M.  le  curé,  qui  était  d'une  conscience  scrupuleuse,  ne  se 
crut  pas  autorisé  à  dire  la  messe,  parce  qu'il  manquait  d'enfant  de  chœur;  il  se 
borna  à  communier  et  à  consommer  les  Saintes  Espèces.  La  journée  se  passa  sans 
incident. 

Le  24  août,  les  troupes  d'attaque  étant  passées  et  tout  étant  redevenu  calme, 
Archange  Bourbouse  exprima  le  désir  d'aller  à  Joncret,  pour  voir  ce  qui  se  passait 
à  la  ferme  de  sa  sœur;  M.  le  curé  l'accompagna.  Il  visita  aussi  l'ambulance  de 
Gerpinnes.  où  il  s'intéressa  au  sort  des  soldats  français  blessés,  tout  en  remplissant 
auprès  d'eux  son  ministère. 

A  la  soirée,  la  2e  section  du  train  et  la  5e  colonne  de  munitions  d'artillerie  du 
Xe  corps  entrèrent  à  Acoz.  Ces  troupes,  qui  devaient  passer  la  nuit  au  village, 
pillèrent  plusieurs  maisons  et  bientôt  des  soldats  ivres  se  mirent  à  tirer  des  coups 
de  feu  et  à  pousser  d'effrayantes  clameurs.  M.  le  curé  se  trouvait  à  son  bureau 
avec  sa  sœur  :  jetant  un  rapide  coup  d'œil  au  dehors,  il  vit  des  flammes  s'élever 
de  plusieurs  côtés  du  village  (2).  Alors  il  dit  à  sa  sœur  :  «  Récitons  le  chapelet  et 
demandons  à  Dieu  qu'au  moins  notre  église  soit  préservée!  »  Tout  à  coup,  on 
entendit  de  violents  coups  de  hache  résonner  contre  la  porte  de  l'avant-cour. 
Joséphine  Bolle,  parente  de  M.  l'abbé  Druet,  sortit  pour  aller  ouvrir  :  un  soldat 
l'écarta  d'un  geste  brusque  et,  se  tournant  vers  IA.  le  curé,  il  lui  demanda   raison 

(1)  L'enquête    sur    le    meurtre  du  curé  d'Acoz  a   été    menée    par    Al.    l'abbé    Dubuisson,    successeur    de 
M.  l'abbé  Druet. 

(2)  Quarante-sept  maisons  d'Acoz  furent  détruites. 


3i 

d'une  blessure  qu'il  avait  à  la  main.  Cependant  la  troupe  s'était  répandue  dans 
la  maison  de  cure  et  la  fouillait.  Intimidés  par  le  vacarme,  Archange  Bourbouse 
et  Ernest-Joseph  Bastin,  qui  déjà  étaient  au  lit,  montèrent  au  grenier  et  s'y 
cachèrent,  mais  ils  furent  surpris  et  bientôt  on  entendit  retentir  dans  les  escaliers 
des  hurlements  où  se  mêlaient  la  joie  et  la  fureur  :  les  soudards  tenaient  deux 
coupables  et  les  poussaient  devant  eux,  en  les  brutalisant.  Ils  leurs  lièrent  les 
mains  derrière  le  dos,  ainsi  qu'à  M.  le  curé,  qui  fut  emmené  nu-tête,  n'ayant  aux 
pieds  que  des  pantoufles  de  feutre.  Sous  les  yeux  des  femmes  éplorécs,  les  trois 
prisonniers  s'en  allèrent  sans  un  geste,  sans  un  adieu.  Il  leur  était  défendu  de 
prononcer  une  parole,  ou  de  tourner  seulement  la  tête.  Un  peu  plus  loin,  le  véné- 
rable prêtre  perdit  sa  frêle  chaussure  et  ses  bourreaux  l'obligèrent  à  marcher 
nu-pieds. 

Joséphine  Bolle  songea  alors  à  écrire  une  lettre  au  commandant  installé 
à  Gerpinnes.  au  château  de  M.  de  Bruges,  pour  le  supplier  de  rendre  la 
liberté  aux  prisonniers;  elle  chargea  Joseph  BOURBOUSE,  41  ans,  frère 
d'Archange,  de  la  porter  en  toute  hâte.  Le  malheureux  fut  lui-même  arrêté  à 
Gerpinnes  et  fusillé. 

On  ignore  ce  qu'il  advint  ensuite  des  trois  prisonniers.  Leurs  cadavres  furent 
retrouvés  près  de  Somzée,  sur  la  route  de  Tarcienne,  et  les  deux  laïques  avaient 
les  yeux  bandés. 

§2.  —  Laneffe. 

Ce  village  a  été  brûlé  le  25  août,  comme  Somsée,  par  la  6e  colonne 
de  transports  du  Xe  corps  (t).  On  remarquera  spécialement  les  indignes 
traitements  qu'endurèrent  plusieurs  vieillards  qui  n'avaient  pu  fuir. 

A  Chastrès  (rapport  n°  5i5)  deux  civils  trouvèrent  la  mort. 

Le  i5  août  au  soir,  écrit  le  curé,  M.  l'abbé  Prud'homme,  il  vint  à  Laneffe  une 
division  volante  de  cavalerie  française,  comprenant  des  hussards,  des  dragons,  des 
cuirassiers,  des  chasseurs  et  des  cyclistes.  L'aumônier,  vicaire  de  Vitry-le-François, 
et  un  officier  d'intendance,  logèrent  à  la  cure.  Le  16,  à  5  heures,  ces  troupes, 
partirent  vers  Charleroi. 

Le  tç,  il  passa  aux  environs  des  troupes  françaises  considérables.  A  i5  heures 
un  bataillon  du  47e(Saint-Malo)  s'arrêta  dans  la  commune  et  deux  médecins  militaires 
furent  reçus  au  presbytère.  De  nombreux  soldats  de  ce  régiment,  Bretons  et 
Normands,  allèrent  prier  à  l'église  et  demandèrent  à  se  confesser. 

Le  20,  ces  troupes  partirent  de  bon  matin  et  furent  remplacées  à  8  heures,  par 
l'ambulance  du  ioe  corps,  dont  faisaient  partie  beaucoup  de  prêtres.  L'aumônier, 
vicaire  de  Fougères,  s'installa  à  la  cure,  avec  un  officier  du  train,  prêtre,  nommé 
Pasturet.  Je  logeai,  dans  des  lits  improvisés,  le  plus  de  prêtres  possible. 

(1)  Livre    Blanc,   Anlage    34,    p.   5o.   On    a  retrouvé  dans   ce  village   un   havresac  du   91e  d'infanterie 
(37e  brigade,    19e  division,   Xe  corps). 


32 

Le  21,  quatre  d'entre  eux  dirent  la  Sainte-Messe,  que  servirent  leurs  confrères. 

Le  22,  les  armes  furent  déposées  à  la  maison  communale.  Dans  l'après-midi, 
des  fugitifs  du  pays  de  Chàtelet  affolèrent  les  habitants.  Vers  le  soir,  les  Français 
refoulés  de  Châteleî,  Bouffioulx  et  Tamines,  repassèrent  en  désordre.  Ils  reprirent 
des  positions  sur  les  collines  situées  entre  Laneffe,  Fraire  et  Chastrès,  et  conseil- 
lèrent d'abandonner  le  village,  donnant  surtout  pour  raison  que  «  les  Allemands 
mettaient  les  civils  en  tête  des  troupes  et  qu'il  fallait  prendre  des  mesures  pour 
éviter  ce  procédé  barbare  ».  Nous  partîmes  dans  la  nuit  et,  à  part  quelques  vieil- 
lards incapables  de  suivre  les  autres,  il  ne  resta  personne  à  Laneffe. 

De  Chastrès,  où  je  m'étais  abrité,  j'essayai  de  rentrer  le  23  au  matin.  Sur  la 
grand'route,  des  Français  m'en  empêchèrent,  en  disant  :  «  Zone  de  guerre.  » 

Dans  la  journée,  les  Français  tinrent  le  village,  et  le  duel  d'artillerie  se 
poursuivit.  Aucune  maison  ne  fut  pourtant  atteinte  par  les  obus. 

Les  Allemands  entrèrent  à  Laneffe  le  lundi  24,  dans  l'avant-midi.  Un  vieillard 
de  85  ans,  Jean-Baptiste  Hancart.  fut  découvert  :  des  soudards  sans  pitié  le  forcèrent 
à  marcher  devant  eux  jusque  Chastrès.  Revenu  à  Laneffe,  il  dut  conduire  un  autre 
groupe  à  Daussois.  où  il  fut  retenu. 

Valentin  Gautot,  son  épouse  Clotilde  Papart,  sa  mère  âgée  de  85  ans  et  une 
fillette  de  it  ans,  furent  aussi  surpris  chez  eux  le  24,  vers  10  heures.  Malgré  leurs 
supplications,  ils  durent  marcher  en  tête  des  troupes,  soutenant  à  tour  de  rôle  leur 
vieille  mère,  qui  ne  marchait  qu'avec  difficulté.  «  S'il  survenait  quelque  chose, 
disaient  leurs  gardiens,  ils  seraient  fusillés.  »  Ces  gens  passèrent  la  nuit  près  de  la 
ferme  du  moulin.  Le  lendemain,  les  femmes  furent  licenciées  et  rentrèrent  à  Laneffe 
à  7  heures  ;  mais  Valentin  Gautot  dut  encore  escorter  les  troupes  vers  Walcourt  et 
revint  le  soir. 

Trois  autres  octogénaires,  Henri  Lambert,  Félicité  Bourtembourg  et  Jacques 
Thomas,  passèrent  indemnes. 

Le  25,  il  vint  des  troupes  considérables,  du  côté  d'Hanzinne.  Elles  bombardèrent 
le  bois  de  Thy-le-Baudhuin,  où  se  trouvaient  encore,  pensait-on,  quelques  soldats 
français,  puis  partirent  sur  Daussois. 

Cette  journée  fut  marquée  par  le  pillage  en  grand  et  par  l'incendie  de  vingt 
maisons,  dont  deux  fermes.  Il  est  bon  de  faire  observer  en  réponse  à  l'accusation 
du  Livre  "Blanc,  que,  ni  au  moment  du  passage,  ni  après,  on  n'a  reproché  aux 
vieillards  restés  au  village  aucun  acte  de  mauvais  gré.  Dès  i3  heures,  le  «  Tienne 
du  Moulin  »  brûlait  ;  le  reste  fut  allumé  à  la  soirée. 

Je  rentrai  à  Laneffe  le  26  et  j'eus  fort  à  faire  pour  consoler  et  réconforter  les 
quelques  personnes  qui  étaient  restées  ou  venaient  de  revenir,  et  étaient  profon- 
dément terrifiées.  Le  village  ressemblait  à  un  désert.  Des  cadavres  de  chevaux  en 
putréfaction  encombraient  les  rues.  Les  maisons  achevaient  de  se  consumer,  au 
sein  de  nuages  de  fumée  nauséabonde.  Partout  s'étalaient  les  traces  des  ripailles 
allemandes  :  bouteilles,  bocaux  de  confiture  et  de  sucre,  déchets  de  viande  jon- 
chaient le  sol. 

Le  3o,  il  vint  un  bataillon  du  7e  chasseurs.  Deux  officiers  et  dix  soldats  logèrent 
à  la  cure  Ils  enfermèrent,  on  ne  sait  pourquoi,  le  bourgmestre  à  la  cave,  mais 
il  réussit  à  s'évader. 


33 

Des  troupes  du  Maroc,  venues  à  Chaslrès  (1)  le  19  août,  partirent  pour  Charleroi 
dans  la  nuit  du  21  au  22. 

Le  22,  ce  fut  le  cortège  sans  fin  des  malheureux  réfugiés  de  la  Sambre  et  des 
blessés  de  la  bataille. 

Aux  offices  du  dimanche.  23  août,  il  n'y  avait  que  quelques  assistants  et  des 
soldats  français  :  presque  tous  les  habitants  avaient  fui.  Au  soir,  le  curé  put  trouver 
une  auto  et  transporter  à  la  gare  de  Walcourt  une  quarantaine  de  blessés  qui 
avaient  été  soignés  au  patronage  ;  il  voulut  ensuite  rentrer  dans  sa  paroisse,  mais 
les  postes  de  sentinelles  l'arrêtèrent  et  il  fut  entraîné  dans  la  retraite.  Les  batteries 
françaises  étaient  postées  entre  Walcourt  et  Chastrès. 

Quand  l'ennemi,  notamment  le  74e  d'infanterie,  entra  au  village  dans  l'avant- 
midi  du  24,  il  n'y  restait  aucun  civil. 

Deux  soldats  allemands  et  un  français  furent  tués  à  Pumont  ;  deux  autres 
Allemands  furent  retrouvés  en  d'autres  endroits,  sur  le  territoire  de  la  commune. 
Leurs  corps  reposent  maintenant  au  cimetière  militaire  de  Tarcienne. 

Roger  PAULUS,  17  ans,  de  Tongrinne.  parti  de  son  village  avec  ses  deux 
sœurs,  fut  fait  prisonnier  à  Châtelet  et  marcha  en  tête  des  troupes  pour  les  conduire 
vers  Gerpinnes  et  Tarcienne.  On  le  retrouva  tué  à  Chastrès,  dans  le  jardin  de 
Mme  Allard. 

Jean-Baptiste  DRUAUX,  65  ans,  fut  encore  vu  le  23  août,  alors  qu'il  se 
dirigeait  vers  la  campagne  avec  un  instrument  de  travail  ;  depuis  lors  il  n'a  plus 
reparu. 

§  3.  —  Fraire. 

Ce  village  se  trouva,  dans  l'après-midi  du  23  août,  dans  la  zone  de 
combat  et  les  troupes  françaises  ne  l  abandonnèrent  qu'au  matin  du  2.4  août, 
au  moment  où  l'ennemi  pénétrait  dans  Laneffe. 

Deux  civils  furent  fusillés  et  deux  maisons  furent  incendiées. 

Dans  la  semaine  qui  précéda  les  combats,  Fraire  (2)  fut  occupé  par  les  turcos. 
Ils  partirent  vers  la  Sambre  dans  la  nuit  du  20  au  21.  Le  22  à  la  soirée,  des  bandes 
de  fuyards  de  Charleroi  et  environs  annoncèrent  la  venue  prochaine  des  incendiaires 
et  un  lamentable  cortège  de  blessés  se  traîna  vers  la  station.  En  pleine  nuit,  un 
cri  retentit  :  «  A  2  heures  du  matin,  Fraire  sera  bombardé  !  Il  faut  fuir  !  » 

Le  23  août,  passage  incessant  de  troupes  et  de  blessés.  Dans  l'après-midi,  le 
combat  se  rapprochait.  Des  canons  français  étaient  échelonnés  au  nord  de  la  route 
de  Chastrès  (3),  à  200  mètres  du  cimetière  de  Fraire  et  entre  Somzée  et  Laneffe, 
tirant  vers  Tarcienne  et  vers  Oret.  Le  duel  d'artillerie  se  poursuivit  violent,  jusque 

(1)  Voir  Engerand,  o.  c.  p.  540  ;  Palat,  III  p.  3t3. 

(2)  Les  éléments  de  ce  travail  ont    été   fournis   par   M.    E-    Dereine,   professeur   à  l'école    moyenne    de 
Walcourt   et   par   le  curé  de  l'endroit,   M.    l'abbé  Toussaint- 

(3)  Voir  Palat  III.   p.   3î3. 


34 

19  heures.  Presque  tous  les  habitants  avaient  fui  et  les  Français  eux-mêmes  se 
retirèrent  vers  22  heures. 

Le  24  août  au  matin,  des  canons  étaient  installés  en  batterie  à  gauche  de  la 
place  publique,  leurs  caissons  masqués  par  des  arbres  ;  des  turcos  s'échelonnaient 
sur  le  versant  de  la  colline,  face  au  nord  et  un  régiment  de  zouaves  défilait  sur  la 
grand'route.  Dans  les  rues  s'alignaient  encore  des  files  de  caissons.  Bientôt  des 
soldats  épuisés  vinrent  dire  que  l'ennemi  entrait  à  Laneffe.  Les  dernières  troupes  et 
les  derniers  civils  s'éloignèrent  à  9  h.  3o. 

Les  Allemands  parurent  dès  10  heures;  ils  mirent  le  feu,  sans  motif,  aux  maisons 
d'Auguste  Taverne  et  de  Vital  Poulain. 

Le  zouave  Arthur  Boullay,  de  Versailles,  fut  trouvé  tué  près  de  la  place. 

Maximilien  DELHAYE.  66  ans,  commit  l'imprudence  de  sortir,  armé  d'un 
revolver.  Surpris  et  fouillé,  il  fut  pendu,  séance  tenante,  à  un  arbre,  sur  la  route 
d'Yves,  à  mi-chemin  entre  Fraire  et  La  Botte.  On  retrouva  son  cadavre  deux  jours 
après,  dans  un  fossé,  la  tête  fendue  d'un  coup  de  sabre. 

Un  simplot,  Alphonse  SPILETTE  (fig.  9),  45  ans,  fut  lié  à  un  canon  et 
emmené  par  les  troupes  ;  il  fut  tué  à  Fosses  et  y  fut  inhumé  (Voir  T.  III,  p.  162). 

Le  3o  août,  un  régiment  de  Dusseldorf  campa  à  Fraire. 

§  4.  —  Yves~Gomezée. 

Le  feu  fut  mis  à  Yves-Gomezée  le  24  août  par  le  164e  de  Hanovre, 
Xe  corps. 

C'est  à  ce  village  que  s'arrêta,  au  soir  de  cette  journée,  l'avance 
allemande. 

Le  rapport  suivant  remonte  au  mois  de  juin  1915. 

N.0  517.  A  Tues,  les  Français  en  retraite  entraînèrent  les  habitants  à  leur  suite;  il  ne 

resta  au  village  que  le  curé,  M.  l'abbé  Lemaire,  son  vicaire  et  quelques  vieillards. 
Après  le  combat  d'artillerie,  l'ennemi  apparut  le  24  août  et  commença  les 
incendies  le  jour  même.  Les  maisons  Clippe  et  Anciaux,  à  «  La  Botte  »  (à  la  limite 
territoriale  d'Yves-Fraire),  furent  allumées  à  19  heures.  Deux  heures  après,  ce  fut 
le  tour  des  maisons  Alexandre  Borgniet,  et  Jules  Tassigny,  non  loin  de  la  gare  de 
Saint-Lambert.  Le  25  à  10  heures,  on  mit  le  feu,  à  Maimbercée,  près  de  Saint- 
Lambert,  à  la  maison  de  Louis  Sturbois  et,  à  Yves  même,  à  la  maison  de  J.  Dételle. 
A  11  heures,  Mlle  Marguerite  de  Cartier  d'Yves  fut  arrachée  à  son  château  et 
amenée  au  presbytère  :  elle  était  conduite  par  deux  soldats,  au  moyen  d'une  longue 
corde  et  de  lisières  qui  lui  enserraient  les  poignets.  Son  visage  était  couvert  d'égra- 
tignures  et  sa  robe  était  déchirée.  Vers  la  même  heure,  on  vit  plusieurs  chariots 
emporter  du  château  le  mobilier  et  des  tableaux;  puis  à  11  h.  3o  il  en  sortit  un 
mince  filet  de  fumée.  Le  feu  couva  longtemps,  mais  à  t5  heures,  une  énorme  gerbe 
de  flammes  s'élança  par-dessus  les  murailles.  De  cette  riche  construction,  rien  ne 
fut  préservé  (fig.  1). 


35 

Dans  les  premières  heures  de  l'après-midi,  furent  incendiées  trois  maisons 
appartenant  aussi  au  château  :  la  villa  qu'occupaient  les  demoiselles  Stilmans,  la 
maison  voisine,  où  résidait  la  famille  Delahaut,  et  l'usine  dénommée  «  La  Foro-e  », 
avec  ses  dépendances. 

Le  2e  bataillon  du  164e  de  Hanovre,  39e  brigade,  20e  division,  et  le  5e  hussards, 
se  trouvaient  à  Yves  le  25  août.  Interpellés  par  Mme  Jules  Tassigny  sur  le  motif  de 
ces  désastres,  des  Allemands  répondirent  :  «  Votre  Roi  n'avait  qu'à  nous  laisser 
passer  !  » 


3.   —   Les   combats   sur   le   front   de   la  6e  division, 
de  Gourdinne  à  Berzée. 

C'est  ici  que  l'ennemi  a  donné  toutes  ses  forces,  le  23  août,  pour 
enfoncer  l'extrême  gauche  du  3e  corps,  à  l'endroit  de  sa  liaison  avec 
le  18e.  Les  Français  durent  se  replier,  mais  l'ennemi  n'osa  poursuivre 
et  de  faibles  détachements  français  restèrent  à  Gourdinne,  Berzée  et 
Thy-le-Château.  Voici  le  récit  de  ces  engagements,  d'après  les  archives 
de  la  Section  Historique  de  l'Etat~Major  général  de  l'armée  française, 
à  Paris. 

Seule  à  l'action,  la  12e  brigade  (1)  occupe  ici  un  front  de  5  kilomètres.  Le 
5e  régiment  prolonge  à  gauche  la  74e  brigade  depuis  la  route  de  Somzée  à  Charleroi 
jusqu'à  Pairin  ;  le  119e  est  à  l'extrême  gauche  de  la  ligne  du  3e  corps  (Pairin- 
Fontenelle),  en  liaison  avec  le  18e  corps. 

Dans  la  fin  de  la  matinée  du  23,  l'ennemi  dirigea  sur  ces  deux  régiments,  du 
côté  de  Limsonry,  un  feu  meurtrier.  L'artillerie  allemande,  à  l'est  de  la  route  de 
Bultia,  fut  contrebattue  par  l'artillerie  de  la  6e  et  de  la  38e  divisions.  A  i3  h.  40, 
malgré  le  feu  du  1 19e,  l'infanterie  allemande  déboucha  de  Nalinnes,  se  dirigeant  vers 
Pairin.  Un  bataillon  du  5e  et  un  bataillon  du  8e  tirailleurs  (38e  division  d  Afrique) 
continrent  un  moment  l'ennemi.  Mais,  à  t5  h.  3o,  de  nouvelles  batteries  allemandes 
étant  entrées  en  action,  et  son  infanterie  ayant  reçu  des  renforts,  l'engagement 
reprit  avec  plus  de  violence.  Un  bataillon  du  1 19e  fut  vivement  pressé  à  la  lisière 
du  bois  de  Baconval  (Gourdinne).  Le  239e  (régiment  de  réserve  du  3e  corps),  fut 
envoyé  en  face  de  Limsonry  pour  renforcer  la  première  ligne,  entre  le  5e  et  le  119e, 
et  les  mitrailleurs  tinrent  encore  quelque  temps  l'ennemi  en  respect.  A  16  h.  3o,  la 
gauche  du  119e  est  tout  à  coup  menacée  et  une  compagnie  du  239e  se  porte  à  son 
aide.  Mais  la  manœuvre  de  cette  compagnie  aggrave  la  situation,  car  elle  paraît  être 

'*'  /  11e  brigade 

•  24e  et  18e  rég. 


(,'  division       }     ëén-  Hollender 

79"  rég- 


ler.. Bloch)  ,ae  brigade 

6  :  5    et  170e 


gén.  La  visse 


36 

le  signal  d'un  désarroi  général  :  la  droite  du  5e  lâche  à  son  tour  sa  position. 
A  17  heures,  l'ordre  est  donné  à  toutes  les  troupes  de  se  replier.  Le  général  Bloch, 
commandant  la  6e  division,  se  rend  compte  qu'il  n'a  plus  assez  de  réserves  pour 
assurer  la  direction  du  combat  et  réclame  l'appui  de  toute  l'artillerie  disponible. 
Malheureusement  celle-ci,  massée  sur  le  plateau  d'arrière,  ne  tarde  pas  à  être 
découverte  par  la  retraite  de  l'infanterie,  et  elle  abandonne  de  même  ses  positions  : 
toute  la  division,  infanterie  et  artillerie,  se  replie  d'abord  sur  Berzée  et  Thy- 
le-Château. 

C'est  alors  que,  à  son  tour,  la  38e  division, sur  la  droite,  est  obligée  d'évacuer  la 
position  de  Somzée  et  de  se  replier,  par  échelons,  sur  Chastrès  et  Fraire. 

Pour  parer  au  repli  de  la  6e  division,  il  ne  restait  plus  à  Chastrès,  comme  nous 
l'avons  vu,  que  deux  bataillons  (un  du  123e  et  un  du  274e);  la  division  dut  se  replier 
plus  en  arrière.  Seul  le  ier  bataillon  du  5e  régiment  réussit  à  tenir  Berzée,  le  restant 
se  retira  jusqu'à  Walcourt  et  au-delà.  L'Etat-Major  du  3e  corps  se  fixa  à  Silenrieux, 
donnant  comme  points  de  ralliement  aux  unités  dispersées  et  mélangées  dans 
l'encombrement  des  routes,  le  Four-à-Verre  (voir  fig.  i3o),  au-delà  de  Boussu- 
lez-Walcourt  et  d'Erpion,  en  direction  du  sud-ouest.  L'ennemi,  heureusement,  ne 
poursuivit  pas. 

A  la  6e  division,  à  l'heure  de  la  retraite,  les  troupes  étaient  déjà  en  marche  sur 
Fourbechies  lorsque  le  général  Rouquerol,  commandant  l'artillerie  du  3e  corps,  en 
chef  énergique,  en  arrêta  une  partie  et  envoya  les  5e  et  239e  à  Erpion,  le  ito/  à 
Castillon  et  Fontenelle,  le  274e  (rég.  de  réserve  du  3e  corps,  avec  le  239e)  à  Boussu- 
lez-Walcourt,  les  faisant  appuyer  par  cinq  ou  six  groupes  des  tie  et  22e  régiments 
d'artillerie  de  campagne. 

§   1 .   —  Dans  la  région  de  Gourdinne~Berzée. 

Nonobstant  la  violence  des  combats  que  nous  venons  d'exposer,  il 
résulte  des  rapports  consacrés  à  Gourdinne,  Thy-le-Château,  Berzée  et 
Pry  (nos  5 18  à  52.  t)  que  ces  villages  furent  respectés.  On  signale  seulement 
deux  victimes  à  Thy-le-Château. 

]>jo  g, g  Le  21,  à  midi,  un  Etat-Major  français  vint  à  Gourdinne  ;  à  t5  heures,  le  129e, 

du  Havre,  défila  sur  la  route  de  Chastrès  à  Somzée.  Au  soir,  le  36e  d  infanterie  (1), 
venant  de  Rance,  prit  ses  quartiers  pour  la  nuit  et  partit  le  lendemain  matin.  Le  22, 
le  mouvement  des  troupes  s'accentua.  Il  passa  un  régiment  de  turcos.  Vers  le  soir, 
un  régiment  d'infanterie  cantonna  à  Gourdinne  jusqu'au  lendemain  à  midi.  Les 
caissons  à  munitions  passaient  et  repassaient,  s'approvisionnant  au  dépôt  de  Berzée. 

L'exode  des  habitants  commença  quand  arrivèrent,  vers  le  soir,  affolés  et  en 
pleurs,  les  gens  de  Tamines,  Châtelet  et  Couillet. 

Pendant  toute  la  nuit,  ce  fut  un  va-et-vient  de  convois  militaires.  Une  batterie 
française,  installée  entre  Gourdinne  et  Nalinnes,  ouvrit   le  feu  le  23  à  7  heures  et 

(t)   Ces  deux  régiments    forment  la  10e  brigade,  5e  division,  3e  corps. 


$7 

l'infanterie,  postée  du  côté  du  bois  des  Coumognes,  engagea  le  combat  vers 
14  heures.  Dans  l'avant-midi,  un  aéroplane  français  opéra  de  nombreuses  recon- 
naissances. Les  régiments  qui  participèrent  aux  combats  d'arrière-garde  étaient  les 
5e,  39e  et  1 19e.  Les  blessés  étaient  déchargés  à  l'allée  du  cimetière,  où  ils  recevaient 
un  pansement  sommaire. 

La  fuite  des  habitants  se  poursuivit  le  dimanche  à  midi  et,  le  soir,  il  restait 
19  personnes  au  village  (1).  Les  Français  se  replièrent  à  partir  de  18  heures  et  la 
retraite  se  poursuivit  toute  la  nuit.  Un  seul  canon,  posté  entre  Walcourt  et 
Gourdinne,  continua  à  tirer  jusqu'au  matin. 

Au  soir  du  23,  le  curé,  M.  Piérart,  se  rendit  chez  le  bourgmestre,  M.  Henrion. 
«  Demeurons  au  poste,  dirent-ils  en  s'embrassant;  mourons  ensemble,  en  accom- 
plissant notre  devoir  !  »  Tous  ceux  qui  étaient  restés  se  rendirent  à  l'église  et 
ensemble  se  préparèrent  à  la  mort,  en  recevant  les  sacrements. 

Le  2.4  à  9  h.  3o,  dix  uhlans  parurent  sur  la  place.  Apercevant  le  curé  qui  sortait 
de  la  Croix-Rouge,  où  il  soignait  22  Français  blessés,  ils  lui  enjoignirent,  revolver 
au  poing,  de  les  conduire  au  bout  du  village.  Le  bourgmestre  dut  ensuite  les  conduire 
jusqu'au  bois  de  Charnoix. 

A  i3  heures,  on  entendit  un  vacarme  de  cris,  de  chants  et  de  charrois  :  c  était 
l'infanterie  allemande,  les  92e  et  78e  (2),  qui  entraient  au  village.  Le  bourgmestre, 
ayant  soulevé  le  rideau  d'une  fenêtre,  fut  mis  en  joue;  puis  des  soldats  firent 
irruption  dans  sa  demeure,  demandant  s'il  n'y  avait  pas  d'armes.  Ils  examinèrent  des 
fusils  de  chasse  qui  pendaient  aux  murs,  et  les  remirent  en  place.  Ils  demandèrent  à 
manger.  Quelques  coups  de  feu  tirés  de  Chastrès  par  des  traînards  les  arrêtèrent 
momentanément. 

Des  bandes  de  soldats  se  livrèrent  au  pillage  de  toutes  les  maisons. 

Vers  le  soir,  un  Etat-Major  d'une  douzaine  d'officiers  prit  quartier  au 
presbytère.  Au  repas  du  soir,  auquel  assista  le  curé,  ils  mangèrent  et  burent  comme 
des  goujats. 

Le  lendemain  à  8  heures,  la  troupe  continua  sa  marche  sur  Rognée. 

Douze  soldats  français  (3)  tués  à  Gourdinne,  furent  inhumés  le  26  par  les  civils. 

A  l'église,  les  Allemands  s'attaquèrent  au  tabernacle,  qu'ils  labourèrent  de 
coups  de  ciseau,  sans  réussir  à  le  fracturer.  Ils  détériorèrent  aussi  au  pres- 
bytère un  coffre-fort  où  étaient  renfermés  les  vases  sacrés. 

Le  tte  d'artillerie,  le  3e  du  génie,  des  troupes  d'infanterie  et  coloniales 
passèrent  à  Th\}~le~Cbâteau  (4)  du  19  au  22  août. 

Le  22  vers  le  soir,  et  la  nuit  suivante,  on  nous  amena  de  Charleroi  des  voitures 

(1)  i56  passèrent  en  France  et  revinrent  après  l'armistice. 

(2)  Le  92e  se  rattache  à  la  40e  brigade,  20e  division,  Xe  corps;  le  78e  à  la  37e  brigade,  19e  division, 
Xe  corps. 

(3)  Voici  leurs  noms  :  Gaston  Levaillant,  2799;  Emile  Leblond,  17;  René  Simon,  2082;  Henri  Guille- 
mette  (Le  Havre);  Narcisse  Vret,  804;  Adolphe  Carly,  4o3  ;  René  Fournier,  861;  Emile  Martin,  5o3  ; 
Celestin  Garcia  (Falaise-Paris);  Edouard  Brault,  1905;  Armand  Conard,  622;  Cyprien  Bonnauc,  83.  Ils  ont 
été  transférés  en  1918  au  cimetière  militaire  de  Tarcienne. 

(4)  Ce  rapport  émane  de  la  R.  Sœur  Marie-Louise,  des  Filles  de  Marie. 


38 

remplies  de  blessés.  Nous  accordâmes  l'hospitalité  à  de  nombreux  fugitifs  de 
Marcinelle,  3ouffioux,  Nalinnes,  etc.  Le  dimanche  surtout,  c'était  partout  l'encom- 
brement, tant  était  considérable  le  nombre  des  gens  qui  fuyaient  devant  l'ennemi, 
terrifiés. 

A  10  heures,  un  major  réquisitionna  des  chariots  pour  conduire  ses  blessés  à 
Walcourt,  où  l'on  préparait  un  train  de  Croix-Rouge;  à  \j  heures  notre  ambulance 
était  vide.  Pendant  ce  temps,  on  poursuivait  le  combat  de  Nalinnes,  Gerpinnes, 
Boisconval,  etc.  Des  obus  tombèrent  à  Thy-le-Château.  Un  convoi  de  yo  blessés 
nous  fut  encore  amené  à  la  soirée  (i). 

Les  premiers  uhlans  se  présentèrent  lundi  24  août  à  to  heures.  Ils  traversèrent 
le  village  désert  et  tirèrent  sur  deux  femmes  que  j'avais  envoyées  dans  une  prairie 
pour  traire  des  vaches  et  donner  du  lait  aux  blessés.  Des  soldats  d'infanterie  du 
Hanovre  vinrent  le  soir,  avec  de  l'artillerie  et  de  la  cavalerie.  Ils  pénétrèrent  dans 
les  maisons  en  brisant  portes  et  fenêtres  et  emportèrent  vivres,  vins  et  même  effets 
d'habillement;  ils  s'attaquèrent  au  coffre-fort  contenant  le  trésor  d'orfèvrerie  de 
l'église,  mais  ne  réussirent  pas  à  le  fracturer.  Chez  les  PP.  Oblats  furent  hébergés 
des  soldats  du  j\e  de  réserve. 

Jules  DUBOIS,  45  ans,  et  Florentin  GOBLET,  45  ans,  et  les  membres  de 
leurs  familles  furent  rencontrés  par  l'ennemi,  le  2.5  août,  près  de  Barbençon.  Les 
soldats  les  séparèrent  des  femmes  et  des  enfants  et  les  obligèrent  à  marcher  devant 
eux;  on  les  retrouva  fusillés  un  peu  plus  loin,  entre  Vergnies  et  Erpion. 

Paulin  Groy.  qui  était  resté  chez  lui,  dut  accompagner  les  soldats  à  Berzée  ;  à 
son  retour,  il  constata  qu'on  lui  avait  enlevé  une  somme  de  4,000  francs. 

En  septembre,  beaucoup  de  prisonniers  français  venant  de  Châlons,  passèrent 
à  Thy-le-Château  ;  ils  mouraient  de  faim  et  les  Allemands  défendaient  de  leur 
donner  à  manger. 

N°  52o.  Berzée,  écrit  M,  le  curé  Prélat,  reçut,  le  18  août,  un  peloton  de  tirailleurs  séné- 

galais; le  19  dans  l'après-midi,  le  5e  de  ligne  (garnison  à  Falaise);  le  20  août,  le 
24e  de  ligne  et  i,5oo  turcos. 

Dans  l'après-midi  du  22,  des  gens  du  pays  de  Charleroi  affolèrent  la  population 
par  leurs  récits  terrifiants.  Dans  la  nuit,  ce  fut  le  branle-bas  causé  par  la  retraite 
des  Français.  Les  ambulances  volantes  se  fixèrent  à  Berzée. 

Le  23  août  laisse  le  souvenir  d'une  journée  tragique,  inoubliable.  Dès  9  heures, 
la  grande  bataille  de  Gozée  et  de  Nalinnes  battait  son  plein.  Les  habitants  restés  au 
village  se  trouvèrent  bientôt  en  face  d'un  ciel  de  fumée,  de  poudre  et  de  feu. 
C'était  un  roulement  ininterrompu  et  assourdissant  du  canon. 

Vers  14  heures,  devant  le  danger  plus  pressant,  je  consommai  les  Saintes 
Espèces  et  confiai  l'église  et  la  paroisse  à  Notre-Dame  de  Grâce.  A  16  heures, 
tandis  que  la  bataille  faisait  rage,  nous  montâmes  en  voiture,  M.  Léon  de  Saint- 
Hubert  et  moi.   Des  hauteurs  de  Castillon,  vers  2t    heures,   nous  vimes   tous  les 

(1)  Plusieurs  moururent  à  l'ambulance,  entourés  des  soins  maternels  des  religieuses.    Voici  leurs  noms  : 
Julien  Chandellier,  du  3e  can.  1  esc.  3  batt.;  de  Crouy,  jeune  soldat  qui  se  prépara  à  la  mort  comme  un  saint; 
Léon  Gaumin  1913,  Caen  186;  Alexandre  Leroyer  1911,   Lisieux   5z6  ;  André  Jouanne  1908,  Lisieux   398. 
Alain  Kéromnès,  sergent-major  au  5°  d'inf.,  mourut  chez  les  PP.  Oblats- 


39 

villages  du  pays  en  feu.  Cerfontaine,  Chimay  et  Momignies  furent  mes  dernières 
étapes  en  Belgique.  Pendant  que  d'autres  groupes  de  paroissiens,  surpris  par 
l'ennemi  vers  Couvin  et  Froid-Chapelle,  étaient  obligés  rie  rebrousser  chemin  et 
regagnaient  Berzée,  notre  caravane,  composée  de  3ou  personnes,  poursuivit  sa 
marche  vers  Hirson,  Vervins,  Marie,  Laon,  Soissons,  Compiègne,  Beauvais, 
Les  Andelys,  à  raison  de  io  à  35  kilomètres  par  jour.  Chaque  matin,  nous  devions 
nous  remettre  précipitamment  en  route,  poussés  sans  cesse  en  avant  par  l'avance 
foudroyante  de  l'ennemi.  Le  6  septembre  nous  pûmes  nous  fixer  dans  l'Eure. 

Cependant,  les  Allemands  étaient  arrivés  à  Berzée  le  24  août.  Cinq  personnes 
demeurées  au  village  ont  raconté  que  cette  entrée  fut  terrifiante(t),  accompagnée 
d'un  vacarme  infernal,  d'un  pillage  furieux  et  d'orgies  sans  fin.  Il  est  heureux, 
déclarèrent-elles,  que  le  curé  et  le  bourgmestre  fussent  absents.  Trois  cent 
cinquante  personnes  purent  se  réinstaller  chez  elles.  Le  presbytère  fut  dévasté. 

Les  chasseurs  d'Afrique  arrivés  à  Pry  le  19  août,  partirent  vers  Charleroi  dans 
la  nuit  du  21  au  22. 

Le  départ  des  habitants,  entraînés  par  les  fugitifs  de  la  Basse-Sambre, 
commença  le  samedi  soir  et  se  poursuivit  le  lendemain.  De  nombreux  trains  se 
formaient  à  Walcourt. 

Le  canon  tonna  jusque  16  heures,  de  Nalinnes.  où  l'ennemi  avait  pris  position. 
Les  Français  commencèrent  à  refluer  en  désordre  vers  16  heures  et  deux  heures 
après,  le  village  était  complètement  évacué. 

Pry  n'eut  pas  à  souffrir  du  bombardement  qui  se  fit,  le  24,  au  dessus  de 
Walcourt. 

Le  25,  l'ennemi  envahit  le  village,  dans  lequel  quelques  familles  ouvrières 
venaient  de  rentrer.  Les  soldats  enfoncèrent  les  portes  à  coups  de  hache  et 
pillèrent  les  maisons.  Les  gens  furent  pris  et  rangés  le  long  du  jardin  du  presbytère, 
pour  être  fusillés,  mais  ils  eurent  la  vie  sauve. 


§2.    —   Walcourt. 

Nous  avons  vu  que,  pour  couvrir  la  retraite  de  la  38e  division,  le 
24  août,  le  6e  régiment  d'infanterie  reçut  la  mission  de  tenir  Walcourt, 
tandis  que  le  \z$e  occupait  Silenrieux. 

Tout  d'abord  l'ennemi  n'avait  pas  poursuivi,  mais  il  reprit  rapidement 
contact.  A  midi,  il  y  avait  encore  un  tel  encombrement  dans  les  fonds  de 
l'Heure  qu'on  pouvait  craindre  une  catastrophe.  A  peine  arrivé  sur  sa 
position  de  Walcourt,  le  6e  régiment  fut  attaqué  par  des  détachements  de 
cavalerie  et  de  cyclistes,  que  soutenait  une  forte  artillerie;  il  y  fit  une 

(0  Au  témoignage  du  soldat  H.  Albers,  Berzée  (ut  pillé  le  25  août  par  le  train  du  78e  d'infanterie  de 
réserve,  Xe  corps  de  réserve-  V.  Bédier,  Comment  l'Allemagne  essaie  de  justifier  ses  crimes,  Paris  Colin  p.  1 1  : 
et  Les  Violations  des  lois  de  la  guerre,  o-  c.  p.  76. 


4o 

belle  défense.  A  12  h.  40,  le  2e  bataillon  du  6e  était  menacé  sur  sa  droite  : 
deux  compagnies  du  3e  bataillon  furent  envoyées  pour  le  soutenir  à  la 
ferme  Baileu,  mais,  en  arrivant  à  la  crête,  elles  tombèrent  elles-mêmes 
sous  un  feu  violent  d'artillerie.  Toute  la  ligne  se  replia  à  14  heures  sur 
Walcourt,  où  les  deux  autres  compagnies  du  3e  bataillon  les  recueillirent. 
On  résista  du  côté  de  la  station  et  sur  la  voie  ferrée  jusque  \6  h.  3o  ; 
quelques  éléments  se  maintinrent  même  sur  la  rive  droite  de  l'Heure 
jusque  t8  h.  3o,  alors  que  la  collégiale  de  Walcourt,  bombardée  par 
l'artillerie  allemande,  était  déjà  en  feu.  (Voir  fig.  2  à  4.) 

Le  74e  d'infanterie,  19e  division  allemande,  Xe  corps,  entra  dans 
Walcourt  dans  l'après-midi  :  on  trouvera  dans  le  rapport  n°  522  d'inté- 
ressants détails  sur  les  incidents  qui  marquèrent  l'entrée  de  l'ennemi, 
détails  que  nous  avons  relevés  à  Walcourt  même  le  20  juin  1915. 

Les  villages  de  Rognée,  Fontenelle,  Castillon  et  Clermont,  à 
l'extrême  pointe  de  la  province,  auxquels  nous  consacrons  plusieurs 
rapports  sommaires  (nos  523  à  527),  demeurèrent  indemnes.  Un  civil  fut 
fusillé  à  Fontenelle. 

N    522.  Le  gros  des  troupes  françaises  (t)  arrive  à  Walcourt  le  19  août,  pour  gagner,  le 

22  août,  Farciennes  et  la  Sambre.  Dans  l'après-midi  du  22,  la  route  de  Walcourt  à 
Somzée  est  encombrée  de  pièces  d'artillerie  et  de  véhicules  qui  y  paraissent  déjà 
immobilisés  par  le  recul. 

Le  23  août,  la  dernière  ligne  de  canons  français,  tirant  vers  la  Sambre,  est  au 
nord-ouest  de  Gourdinne  et  se  voit  de  Walcourt. 

Dans  l'après-midi,  la  gendarmerie  est  dirigée  sur  Philippeville  et  un  matériel 
considérable  de  locomotives  et  de  voitures  de  chemins  de  fer  est  évacué  vers  la 
frontière.  A  17  heures,  un  officier  français  déclare  qu'il  y  a  du  danger.  En  un 
moment  la  panique  s'empare  de  toute  la  population.  On  annonce  que  les  autorités 
sont  parties  et  que  les  Allemands  sont  prêts  d'arriver.  Alors  la  ville  offre  un 
spectacle  inoubliable.  On  croirait  venue  la  fin  du  monde.  On  court,  on  se  bouscule, 
on  crie,  on  pleure...  La  retraite  des  Français  est  commencée,  mais  combien  elle  va 
être  entravée  par  cette  cohue  de  civils  qui  envahissent  tous  les  chemins!  A  la  soirée, 
il  reste  en  ville  81  personnes  (2). 

Le  24  août  dans  i'avant-midi,  Walcourt  est  dans  un  calme  morne.  La  retraite 
des  Français  se  poursuit.  Des  officiers  déclarent  que  1  ennemi  est  à  un  kilomètre 
d'ici,  vers  Pry. 

La  bataille  continue  et,  de  la  ville,  on  distingue  le  feu  de  l'artillerie  française 
qui  tire  au  sud  dans  la  direction  de  Pry  et  de  Thy-le-Château,  à  l'est  vers  Fraire 
et  Morialmé. 

(1)  Sur  le  passage  d'éléments  du   4e  zouaves,   le   16   août,   voir   Ginisty,   o.    c,    pp.    144-151.  V.  aussi 
Hanotaux,  Histoire  illustrée  de  la  guerre  de  1Ç14,  VI,  p.  3o. 

(2)  Environ  73o  restèrent  absents  pendant  la  guerre  et  revinrent  à  l'armistice. 


(Photo   octobre    1914) 
Fig     1.   —  Yves--Gomezée. 
Ruines   du   château   baron   de   Cartier  d'Yve,    iiuendié 
par   les   troupes  du   Xe   corps. 


(Photo   1915) 
Fig.    3.    —    Walcourt. 
Vue   pancran.ique   de   la   ville,    après   l'incendie. 


(Photo   septembre    1914) 
Fig.    4  —   Walcourt. 
Vue  de   la   collégiale   incendiée. 


Fig.    2.    —   Walcourt. 

Vue   de   la   collégiale   de   Notre-Dame   de    Walcourt, 

avant   le  désastre, 


(Photo  octobre    1914) 
Fig.    5.   —   Walcourt. 
Les  maisons  incendiées  à   l'ouest   de   la  collégiale, 


VICTIMES  DES   FUSILLADES  ET   DES   MASSACRES  DE  THY-LE-BAUDHU1N,   DE  FRA1RE,   DE  SOMZÉE, 
DE  JAMAGNE,   DE   LESVE,   DE   H  AUT-LE-WASTI A   ET   DES  FLOYES   'SOSCYE) 


Fig-  7- 

Valentine  LEFEBVRE,  17  ans, 

tuée  à  Lesve. 


Fig.  8.  —  Victoire  DETAILLE, 

Veuve  Antoine  Rondiat,  78  ans, 

tuée  à  Haut-le-Wastia. 


Fig.  6. 
Narcisse  DEGRAUX, 

84  ans, 
tué  à  Thy-le-Baudhuin. 


Fig.  io- 

Jules  DUPËROUX,  19  ans, 

tué  a  Saint-Aubin 


Fig.    i3- 

Mathieu  DETOURBE,  34  ans, 

de  Haut-le-Wastia, 

tué  sur  la  route  de  Moulins. 


Fig.    I 1 . 


M.  l'abbé  Eugène  DRUET,  curé  d'Acoz,  67  ans, 
fusillé  à  Somzée  avec  ses  deuN  compagnons. 


Fig.  9. 

Alphonse  SPILETTE,  45 ans, 

de  Fraire,  lié  à  un  canon 

et  massacré  à  Fosses. 


Fig.   12. 

André CHERM ANNE, 44  ans 

tué  a  Jamagne. 


Fig.  16. 

Désiré  SACOTTE, 

42  ans, 

tué  à  Haut-le-Wastia. 


Fig.   14. 

Ambroise  LÉONARD,  45  ans, 

de  Haut-le-Wastia, 

fusillé  à  Les  Floyes  (Sosoye)  avec 

ses   compagnons. 


Fig.  i5. 

Narcisse  BORSUT,  59  ans, 

de  Haut-le-Wastia, 

fusillé  à  Les  Floyes  (Sosoye)  avec 

ses  compagnons. 


4' 

A  14  h.  3o,  un  premier  obus  allemand  atteint  Walcourt  :  le  bombardement  a 
commencé,  il  s'intensifie  vers  t5  h.  3o,  pour  durer  jusque  19  heures.  Une  maison 
avec  grange  attenante,  située  «  au  Calvaire  »,  au  sud  de  la  ville,  est  détruite  et 
incendiée.  Vers  t5  heures,  les  premiers  soldats  allemands  sont  aperçus  près  d'un 
chalet  en  construction,  d'autres  pénètrent  dans  la  propriété  des  Sœurs  Ursulines  (t). 

A  t8  heures,  les  Français  ne  tiennent  plus  qu'en  petit  nombre  les  alentours  du 
cimetière.  Un  officier  et  vingt  soldats  français  furent  tués  sur  le  territoire  de  la 
ville,  dont  six  près  du  cimetière;  également  trois  soldats  allemands. 

A  >o  h.  3o,  au  moment  où  le  combat  prenait  fin,  l'aumônier  des  Ursulines, 
IA.  Guillaume,  sorti  de  la  cave  où  il  s'était  réfugié  avec  des  religieuses  et  avec 
un  groupe  de  civils,  aperçut  la  collégiale  en  feu  (2).  La  tour  était  déjà  fortement 
entamée.  La  pensée  lui  vient  que  le  feu  peut  se  communiquer  à  l'intérieur  de 
l'édifice  et  détruire  notamment  la  précieuse  statue  de  Notre-Dame  de  Walcourt  :  il 
sort  aussitôt,  traverse  la  ville  en  courant  et  arrive  sur  la  grand'place.  Celle-ci 
est  couverte  de  soldats  allemands,  au  nombre  de  près  d'un  millier,  rangés 
en  un  ordre  impeccable  et  l'arme  au  bras.  Trois  officiers  à  cheval  occupent 
le  flanc  gauche.  II  aborde  l'un  deux,  qui  le  renvoie  à  l'officier  de  tête.  «  Il  y  a,  lui 
dit-il,  dans  cette  église  une  Vierge  artistique,  miraculeuse  et  très  célèbre,  puis-je 
la  sauver?  »  L'officier  y  consent  et  l'abbé  pénètre  dans  la  collégiale.  Des  étincelles 
tombent  dans  le  nef  et  déjà  des  chaises  prennent  feu.  Il  se  dirige  vers  l'autel  de  la 
Sainte  Vierge  ;  mais  la  statue  est  restée  dans  le  grand  chœur,  fixée  par  un  écrou 
au  brancard  sur  lequel  elle  a  été  déposée  pour  la  fête  de  l'Assomption.  Il  renverse 
violemment  le  brancard,  la  statue  se  détache,  il  l'emporte  et,  essouflé,  va  s'asseoir 
sur  un  banc,  devant  la  maison  de  M.  Lechat.  De  la  toiture  et  de  la  tour  de  la  collé- 
giale s'élancent  vers  le  ciel  des  colonnes  de  fumée  et  de  feu  avec  des  myriades 
d'étincelles  que  le  vent  chasse  au  loin;  des  pièces  de  charpente  s'effondrent  avec 
fracas,  le  plomb  fondu  découle  des  gouttières  en  petites  cascades.  Deux  officiers 
examinent  maintenant  la  statue  et  autorisent  deux  soldats  à  la  transporter;  au  bas 
de  la  côte,  ils  la  remettent  à  leur  guide,  qui  achève  le  trajet,  avec  l'aide  de 
Mme  Massart,  et  arrive  bientôt  au  couvent.  La  Vierge  y  resta  exposée  jusqu'à  ce  que 
le  calme  se  rétablit  en  ville. 

La  chute  de  matériaux  enflammés  provoque,  dès  le  24  août,  l'incendie  de  treize 
maisons  voisines  de  l'église.  (Fig.  5.) 

Dans  la  journée,  les  troupes  arrachent  et  jettent  par  terre  le  drapeau  de  la 
Croix-Rouge  au  château  de  Pumont,  quelles  saccagent;  elles  commencent  le  pillage 
de  la  ville,  qui  se  poursuivra  pendant  toute  la  semaine. 

En  ville,  Maria  Charlier,  épouse  Anciaux,  est  poursuivie  de  coups  de  feu,  en 
sortant  de  sa  maison  envahie. 

A  Gerlimpont,   aux  confins    de   Walcourt    vers    Silenrieux.    le    cadavre    d'un 

(1)   Les  troupes  entrées  à  Walcourt  appartiennent,  pense-t-on,  au  74e  d'infanterie. 

(.t)  «  Nous  avons  dû  incendier  la  collégiale  :  c'était  un  trop  beau  poste  d'observation  pour  les  Français.  " 
Parole  d'un  officier  allemand  au  doyen  de  la  ville,  M.  Baré.  Un  machiniste  de  PEtat-Belge,  M.  Maguin,  qui 
s'était  caché  dans  le  bief  du  cours  d'eau,  au-dessus  de  la  villa  Delenne,  vit  s'allumer  l'incendie.  En  un  clin 
d'oeil,  les  flammes  émergèrent  du  toit  et  de  la  tour,  d'une  extrémité  à  l'autre. 


42 

vieillard  est  aperçu  par  les  passants,  puis  on  ne  le  voit  plus  et  on  ignore  où  il  est 
inhumé. 

A  la  soirée,  vers  22  heures,  passage  de  convois  d'artillerie. 

Le  25  août,  un  ecclésiastique  de  la  ville,  M.  Van  Kerchove,  est  collé  au  mur 
de  la  Kommandantur  ;  on  lui  arrache  violemment  le  brassard  de  la  Croix-Rouge  et 
on  parle  de  le  fusiller  ;  finalement,  il  est  chargé  de  conduire  deux  officiers  auprès 
des  blessés. 

A  9  h.  Zo,  il  se  rend,  avec  M.  l'abbé  Guillaume,  à  la  collégiale.  Du  jubé,  dit 
de  Charles-Quint,  ils  voient  s'élever  un  panache  de  fumée  :  le  parquet  en  chêne 
avait  reçu  des  tisons  enflammés,  tombés  de  la  voûte,  et  avait  pris  feu.  Aidés  de 
quelques  soldats  que  leur  adjoignit  un  officier,  ils  font  la  chaîne  et  déversent  sur  le 
foyer  la  quantité  d'eau  nécessaire  pour  l'éteindre.  Ainsi  fut  sauvée  cette  remar- 
quable pièce  de  sculpture. 

N<>  g23  Les  habitants  de  "Rognée  —  écrit  le  curé  de  l'endroit,   M.  l'abbé  Roland  — 

s'enfuirent  le  23  août  et  se  réfugièrent  pour  la  plupart  à  Sautain  ;  ils  rentrèrent  à 
partir  du  25,  à  l'exception  de  53  qui  émigrèrent  en  France.  Quatre  vieillards  étaient 
restés  au  village  :  ils  furent  enfermés  le  24  août  dans  une  grange  et  subirent  toutes 
sortes  de  mauvais  traitements.  Les  envahisseurs  emportèrent  des  maisons  les  vivres 
et  le  linge.  Le  château,  qu'occupait  M.  Hubert,  fut  pillé  de  fond  en  comble;  au 
cours  des  mois  d'août  et  de  septembre,  des  autos  et  des  camions-automobiles  en 
emportèrent  tout  ce  qui  était  transportable;  ce  qui  ne  l'était  pas  (comme  la  cage 
d'escalier,  etc.)  fut  démoli  à  coups  de  hache. 

|vjo  52.  Fontenelle  reçut  des  chasseurs  d'Afrique,  puis  des  zouaves  et  des  turcos.  Le 

23  août  au  soir,  il  n'y  restait  que  quatre  hommes  et  quelques  femmes.  Le  24,  à 
2  heures  du  matin,  l'ordre  leur  fut  donné  de  partir,  parce  qu'un  combat  devait  être 
livré  dans  la  région  :  Vital  Noël  resta  seul  au  village. 

De  Fourbechies,  où  ils  s'étaient  abrités,  le  vicaire  et  la  plupart  de  ses  paroissiens 
revinrent  le  25  août  à  i5  heures,  croisant  des  troupes  allemandes,  qui  les 
accueillirent  avec  des  ricanements.  Des  soldats  du  74e  avaient  brisé  les  portes  et  les 
fenêtres  des  maisons,  pillé  les  vivres,  le  linge  et  la  vaisselle.  A  la  chapelle,  les  troncs 
étaient  fracturés. 

Le  vicaire,  M.  Delvigne,  et  l'échevin,  M.  Fernand  Guislain,  furent  faits  otages 
et  passèrent  la  nuit  suivante  sous  la  tente. 

Le  26  août,  Florent  LAUVAUX,  59  ans,  cantonnier  de  la  commune,  fut  retrouvé 
tué  dans  une  prairie  non  loin  de  la  route  de  Castillon.  On  ignore  les  circonstances 
de  sa  mort.  Peut-être  aura-t-il  été  pris  pour  un  soldat  français  à  cause  de  sa 
casquette  d'uniforme. 

N°  525.  De  Caslillon  on  vit  se  dérouler  le  combat  de  Gozée.  On  ignore  comment  se  fit 

l'entrée  des  Allemands,  car  le  village  était,  à  leur  arrivée,  absolument  désert.  On 
devine  qu'il  s'y  est  livré  des  escarmouches  :  des  chevaux  étaient  tués  devant  la  cure, 
des  tranchées  avaient  été  creusées  sur  quelques  centaines  de  mètres  et  on  y  décou- 


43 

vrait  des  traces  de  sang;  un  caporal  français,  Henri-Joseph-Charles  Poissonnier  (i), 
gisait,  transpercé  d'une  balle,  la  poitrine  labourée  d'un  coup  de  baïonnette,  les 
poches  des  habits  coupées.  Le  village  fut  pillé.  Au  presbytère,  le  coffre-fort  fut 
éventré  et  le  portrait  de  M.  Sevrin,  doyen  de  Florennes.  lacéré  d'un  coup  de 
baïonnette. 

A  Mertenne,  les  Allemands  surprirent  Augustin  Noël  et  Edouard  Tracet,  qu'ils 
forcèrent  à  danser  et  à  boire  en  leur  compagnie. 

Le  18  août,  relate  M.  l'abbé  Leclercq,  curé  de  Clermont,  il  vint  au  village  des 
chasseurs  d'Evreux,  qui  partirent  le  lendemain.  Puis  ce  furent  des  soldats  d'infan- 
terie de  Tarbes  et  du  74e,  qui  quittèrent  le  22  pour  Tarcienne,  au  lieu  de  se  rendre 
à  Farciennes,  où  ils  étaient  envoyés. 

Le  23,  la  population  commença  à  fuir. 

Le  24,  à  8  heures,  des  officiers  français  annoncèrent  que  des  canons  étaient 
postés  autour  du  village  et  qu'il  se  préparait  une  réédition  de  la  bataille  de  Gozée. 
Le  reste  des  habitants  s'en  alla  et  il  ne  demeura  au  village  que  t3  personnes. 

Des  uhlans  venant  de  Castillon  apparurent  le  lundi  soir  et  campèrent  «  au 
blanc  Vivier  »,  où  ils  surprirent  quelques  zouaves  français  en  état  d'ivresse. 
L'ennemi  occupa  le  village  le  25  au  matin.  Quatre-vingt-dix  habitants  avaient  gagné 
la  France. 

Al.  Charles  Bédoret  reçut  à  Fourbechies,  le  25  août,  un  passeport  signé  d'un 
rittmeister  du  régiment  des  Hussards  de  la  Garde  du  corps. 

§  3.  —  Baussois. 

Daussois,  sur  la  grand'route  de  Philippeville  à  Beaumont,  est  la 
première  localité  que  le  Xe  corps  occupa  au  matin  du  25  août. 

Le  feu  fut  mis  à  ce  village  le  même  jour,  bien  qu'il  n'y  restât  en 
tout  et  pour  tout  que  deux  moribonds  :  vingt-sept  maisons  devinrent  la 
proie  des  flammes,  ainsi  qu'on  en  trouvera  le  récit  dans  le  document 
ci-dessous,  écrit  par  M.  le  curé  Guislain. 

Le  23  août  dans  l'après-midi,  les  habitants  suivirent,  des  hauteurs  voisines,  la 
bataille  qui  se  livrait  sur  le  front  Gozée-Hanzinne,  en  suivant  la  ligne  Marbaix, 
Ham-sur-Heure,  Nalinnes,  Gourdinne  et  Somzée. 

Le  soir,  à  l'arrivée  des  fugitifs  de  la  Basse-Sambre,  la  terreur  s'empara  de  tous. 
Le  lendemain  matin,  il  n'y  avait  presque  plus  personne  dans  le  village.  Il  se  vida 
complètement  dans  1  après-midi.  L'arrière-garde  française  logea  dans  les  maisons 
la  nuit  suivante  et  s'empara  des  vivres  qu'elle  découvrit. 

(1)  Né  à  Saintes  en  1892.  Est  parti  au  (eu  le  22  à  t5  h.  45  ;    a  gagni  Rognée,  puis  Tarcienne.  Revenu   à 
Castillon  le  23  au  soir,  il  tomba  le  24  août,  surpris,  oense-t-on,  dans  une  escarmouche. 


44 

L'ennemi  quitta  Yves  le  25  août  au  matin  (i),  jalonnant  le  chemin  de 
bouteilles  brisées,  et  se  dirigea  vers  Daussois.  Il  restait  dans  ce  village  deux  mori- 
bonds. Un  octogénaire.  Alexandre  Charles,  fut  emporté  de  sa  maison  par  les 
Allemands  et  déposé  en  pleine  place  sur  un  matelas.  Une  partie  des  troupes 
stationna  en  haut  du  village  et  mit  le  feu  aux  maisons  :  vingt-sept  furent  complè- 
tement brûlt  es  (2).  Quant  à  l'autre  quartier  de  la  paroisse,  un  officier  et  des  soldats 
se  bornèrent  à  en  visiter  les  habitations.  Le  maréchal-ferrant  fut  obligé  à  fracturer 
la  serrure  de  la  porte  de  l'église,  et  à  enlever  les  drapeaux  qui  flottaient  à  la 
tour,  avec  menace  d'incendier  l'église,  s'il  s'y  refusait.  Il  eut  la  clairvoyance  de 
demander  à  l'officier  une  attestation.  Elle  lui  fut  délivrée  en  ces  termes  : 

Luc  Dubois  à  ouvert  par  mon  ordre  la  porte  de  l'église  de  Daussois-  Je  l'ai  fait  reclouer. 

PriNCE  de  Wrede, 
Chef  d'Escadron. 

Peut-être  l'incendie  est-il  dû  à  ce  qu'un  soldat  allemand  fut  tué  à  mi-chemin 
entre  Yves  et  Daussois. 

.^4.   —  Silenrieux. 

Ce  village,  assis  sur  la  route  de  Philippeville  à  Beaumont,  fut 
traversé  par  le  Xe  corps  au  matin  du  25  août,  avant  qu'il  obliquât  vers  le 
sud-ouest. 

Trente  et  une  maisons  de  la  localité  furent  sauvagement  détruites,  le 
26  août,  par  une  colonne  de  transports. 

-Kj0  5  Des  troupes  françaises  occupèrent  Silenrieux  (3)  le  18  août.  Le  22,  les  habitants 

furent  démoralisés,  au  retour  du  74e  d'infanterie,  qui  revenait  décimé  des  combats 
de  Roselies  et  de  la  Sambre.  Le  23,  les  Français  creusèrent  des  tranchées  vers 
Boussu.  sur  les  hauteurs  qui  dominent  la  route  de  Philippeville;   ils  y  installèrent 

(1)  Nous  connaissons  l'itinéraire  précis  que  suivirent  ces  troupes-  M.  Louis  Bertrand,  fils  du  bourg- 
mestre de  Velaine-sur-Sambre,  les  accompagnait.  Réquisitionné  avec  cheval  et  voiture  pour  le  transport  de 
blessés,  par  la  Croix-Rouge  du  77e  (3*  bataillon),  40e  brig.  20'  div.  X''  corps,  il  est  allé  à  Tamines  le  21  et 
le  22,  en  plein  combat,  ramenant  chaque  fois  des  blessés  à  Velaine,  témoin  sur  tout  le  trajet  du  pillage  et  des 
sauvageries  des  soldats. 

Le  23,  au  matin,  son  compatriote  Emile  Guyaux  et  lui  partirent  sur  Le  Roux,  menant  chacun  leur 
attelage,  puis  sur  DevanHe-Bois,  où  ils  logèrent.  Le  24,  ils  gagnèrent  Yves-Gomezée,  qui  était  en  feu;  ils 
v  logèrent  à  côté  de  deux  saules  creux,  qui  abritaient  chacun  un  civil.  Le  25,  le  convoi  se  dirigea  sur  Daussois 
et  Boussu-lez-Walcourt. 

On  a  retrouvé  à  Daussois  un  gobelet  en  métal  aux  initiales  du  92e  régiment  d'infanterie  (qui  forme  avec 
le  77e  la  40e  brigade.) 

Le  46e  d'art-  (2e  régiment  de  la  brigade,  avec  le  10e)  est  aussi  passé  à  Daussois. 

(2)  A  la  maison  communale  périrent  les  archives  civiles  et  notamment  le  double  de  l'état-civil  des  nais- 
sances depuis  le  XVe  siècle  .  Citons  aussi  la  ferme  du  château,  du  XVIIe  siècle. 

(3)  Ce  travail  a  été  rédigé  le  22  juin  1915,   avec  le  concours  du  curé  de   Silenrieux,  M.  l'abbé  Guillaume* 


45 

quelques  pièces  d'artillerie,  posèrent  une  mitrailleuse  près  de  l'église  et  prati- 
quèrent dans  la  flèche  du  clocher  une  ouverture  donnant  sur  les  routes  de  Walcourt 
et  Philippeville.  On  n'a  d'ailleurs  tiré  de  là  aucun  coup  de  fusil. 

Dans  la  journée,  on  assista  au  repli  des  Français,  en  même  temps  qu'au  passage 
des  fugitifs  de  la  Basse-Sambre,  tandis  que  se  déroulait  le  combat  de  Nalinnes. 

Le  24,  on  exhorta  la  population  à  se  retirer.  Les  derniers  habitants  partirent 
lorsque,  à  14  h.  45,  une  batterie  placée  à  côté  de  la  chapelle  Sainte-Anne  tira 
quelques  coups  de  canon  dans  la  direction  nord-est.  Quelques  obus  ennemis,  venant 
des  hauteurs  dominant  Vogenée,  tombèrent  dans  le  village  et  aux  alentours. 

Au  soir,  il  restait  à  Silenrieux  une  poignée  d'hommes. 

Trois  uhlans  apparurent  mardi  25  août  à  5  h  3o.  Un  soldat  belge  se  trouvait 
encore  au  village  et  les  regarda  passer  sans  tirer. 

A  7  h.  i5,  il  vint  une  trentaine  de  uhlans,  que  suivit  de  près  le  gros  de  la 
troupe,  venant  à  la  fois  de  Philippeville  et  de  Walcourt.  Ils  ne  rencontrèrent  pas  la 
moindre  résistance  et  pillèrent  tout  à  leur  aise  les  habitations;  ils  mirent  le  feu  à  la 
maison  de  Jules  Lambotte,  qui  parvint  à  l'éteindre. 

Le  défilé  des  troupes  se  poursuivit  dans  la  journée,  la  nuit  suivante  et  le 
mercredi.  Le  25,  vingt  personnes  qui  avaient  fui  rentrèrent. 

Le  26  août  à  17  h.  3o,  une  colonne  du  train  arriva  de  Walcourt.  Ainsi  que  l'a 
rapporté  Amour  Masset,  témoin  de  la  scène,  l'officier  qui  marchait  en  tête,  arrivé  à 
3o  mètres  de  l'intersection  des  routes  de  Philippeville  et  de  Walcourt,  tira  à  terre 
un  coup  de  revolver.  «  On  a  tiré  sur  nous  !  »  crièrent  aussitôt  les  soldats;  ils  se 
livrèrent  à  une  fusillade  générale,  poursuivant  de  balles  plusieurs  civils  qu'ils 
aperçurent  et,  descendant  de  cheval,  ils  mirent  le  feu  aux  maisons  (t).  Le  premier 
immeuble  incendié  fut  celui  du  commissaire-voyer,  M.  Martiny;  puis  ce  furent  les 
maisons  de  Nestor  Masset,  de  M.  Piret,  etc.  Trente  et  un  bâtiments,  dont  26  maisons, 
furent  successivement  détruits.  D'autres  eussent  subi  le  même  sort  et  le  centre  tout 
entier  eût  péri  si  la  pluie  qui  tombait  n'avait  contrarié  l'action  du  feu  eî  si  les  habi- 
tants n'avaient  adouci  la  fureur  des  incendiaires  en  leur  offrant  des  rafraîchissements. 
Le  calme  ne  revint  que  vers  23  heures. 

Le  26  août  se  trouvait  aussi  à  Silenrieux  la  2e  colonne  sanitaire  du  Xe  corps. 


(1)  Les  incendiaires  de  Silenrieux  nous  sont  connus  par  le  Livre  Blanc  allemand  (Anlage  3ç  et  40,  p.  55). 
L'oberleutnant  Stiemcke,  commandant  la  7**  colonne  de  transports,  et  l'oberleutnant  Schumann,  commandant 
la  4e  colonne  du  Xe  corps,  venant  de  Fleurus,  affirment  que  «  les  civils  ont  tiré  du  clocher,  dans  lequel  ils 
avaient  pratiqué  des  ouvertures;  l'attaque  devait  être  préparée  et  le  clergé  local  ne  devait  pas  y  être  étranger.  " 

Les  habitants  de  Silenrieux  opposent  à  cela  qu'il  restait  au  village  quelques  hommes  seulement,  dont  aucun 
n'était  ni  à  l'église,  ni  au  clocher;  le  curé  lui-même  n'était  pas  chez  lui,  mais  dans  une  section  de  la  paroisse 
située  sur  les  hauteurs.  Etrange  attaque  aussi,  qui  n'a  amené  ni  tué,  ni  même  blessé  I 

L'armée  a  fait  grand  état  des  faits  de  Silenrieux  ;  ils  figurent  sous  le  n°  io  sur  la  liste  des  faits  criminels 
que  la  Wilhelmstrasse  a  signalés  à  ses  diplomates  étrangers  (Direction  du  Contentieux  et  de  la  Justice  militaire, 
à  Paris,  dossier  762);  également  au  'Rapport  sur  les  actes  d'boslililé  commis  par  les  prêtres  et  les  religieux  contre 
les  troupes  allemandes,  dont  l'abbé  Vanderbergh,  de  Vienne,  put  prendre  copie,  sous  l'occupation,  au  Gouver- 
nement général  de  Bruxelles. 


46 


IL  —  L'avance  du  corps  de  la  Garde. 

Dans  le  chapitre  précédent,  nous  avons  vu  les  ravages  causés  par  le 
Xe  corps  allemand  dans  la  partie  nord-ouest  de  la  province  de  Namur, 
après  qu'il  eut  été  aux  prises  avec  le  3e  corps  français  sur  la  Sambre, 
entre  Charleroi  et  Tamines. 

Abordons  maintenant  la  région  située  entre  Tamines  et  la  position 
fortifiée  de  Namur,  dans  laquelle  la  Garde  allemande  (t)  se  rencontra 
avec  le  toe  corps  et,  le  23  août  après-midi,  avec  le  ier  corps  français. 

Nous  avons  consacré  un  volume  entier  (le  tome  III)  aux  combats 
qui  se  livrèrent  les  t  \ ,  22  et  23  août  sur  ce  front  de  bataille  :  ils  amenèrent 
la  Garde,  le  23  août  au  soir,  à  la  route  de  Rouillon  à  Fraire.  (Voir 
fig.  i3o.)  Les  rapports  qui  vont  suivre  compléteront  le  récit  de  ces 
combats  en  relatant  les  faits  survenus  à  Furnaux,  Biesmerée  et  Stave, 
villages  qu'occupaient,  le  23  août,  les  troupes  françaises. 

Le  présent  chapitre  est  principalement  consacré  à  la  retraite  du 
10e  corps  français  et  à  l'avance  de  la  Garde  jusqu'à  sa  sortie  de  la 
province  de  Namur.  Voici  d'abord  quelques  données  militaires  sur  le 
repli  des  troupes  françaises  dans  cette  région. 

Ordonnée  le  23  au  soir  (2),  la  retraite  s'opéra  le  24  août  de  bon  matin.  A  ce 
moment,  le  front  entre  Oret  et  la  Meuse  était  tenu  par  le  toe  corps,  —  comprenant 
les  19e,  20e  et  37e  divisions  —  et  par  le  1"  corps  —  comprenant  la  5ie  division  de 
réserve,  la  8e  brigade,  la  ire  et  la  2e  division. 

Le  ier  corps,  en  partie  de  la  région  de  Sart-Saint-^Laurent  et  Lesves,  en  partie 
de  la  région  d'Anthée^Onhaye  où  il  avait  repoussé,  au  soir  du  23  août,  la  menaçante 
avance  du  XIXe  corps  saxon,  se  retira  le  24  août  sur  Surice  et  Fagnolles,  où  nous 
le  rencontrerons  plus  tard,  arrêtant  pas  à  pas  l'ennemi  qui  le  suit  de  près. 

Quant  au  10e  corps,  qui  tenait,  le  23  au  soir,  la  ligne  Graux-Mettet- 
Wagnée  (3),  au  nord  de  la  route  de  Bioul  à  Fraire,  il  ne  disposait  pour  la  retraite 
que  de  la  route  de  Philippeville,  qu'il  ne  pouvait  atteindre  qu'en  défilant  longuement 
en  flèche,  sous  le  feu  de  l'ennemi. 

Tous  ces  éléments  se  décrochèrent  pourtant  sans  combat,  à  l'exception  des  2e 
et  47e  régiments  d'infanterie  (20e  division)  et  de  la  74e  brigade  (37e  division^  qui 
avaient  reçu  la  mission  de  protéger  la  retraite  et  furent  aux  prises  avec  l'ennemi. 

(1)  Sur  ce  corps  allemand,  V.  Hanotaux,  Histoire  illustrée  de  la  grande  guerre  de  1914,  VIII,  p.    6o- 

(2)  Voir  le  texte  de  l'ordre  d'armée  dans  Lanrezac,  o.  c,  p.  184.  A  consulter  aussi  Hanotaux,  o.  c,  VI, 
p.   22   à  3o  ;    VIII,   p.   72   et   76. 

(3)  V.   Lanrezac,  o.   c,   p.    180. 


47 

La  19e  division  s'écoula  la  première  (1).  A  peine  avait--elle  achevé  de  s'écouler 
au  carrefour  de  Stave,  que  les  obus  allemands  atteignaient  les  positions  voisines  de 
la  37e  division. 

La  20e  division  avait  déjà  commencé  à  se  replier  par  la  route  directe  d'Oret  à 
Florennes,  quand  les  2e  et  47e  d'infanterie,  qui  constituent  la  40e  brigade,  furent 
fortement  pressés  à  l'arrière  et  obligés  de  se  retirer  à  travers  bois,  à  l'est  de  Corroy, 
sur  la  ferme  des  Pavillons  où,  jusqu'à  \  1  heures,  l'encombrement  fut  extrême. 

Dès  4  heures  du  matin,  les  avant-postes  de  la  37e  division,  qui  devaient 
empêcher  l'ennemi  de  déboucher  d'Oret  et  de  menacer  toute  la  retraite,  étaient  aux 
prises  avec  l'ennemi.  La  canonnade  avait  repris  sur  toute  la  ligne  et  de  violents 
corps  à  corps  s'engageaient  dans  les  bois  voisins  d'Oret  et  aux  abords  des  hauteurs 
défendues  par  le  3e  zouaves  et  le  3e  tirailleurs.  La  74e  brigade  (37e  division)  subit, 
en  se  dégageant,  des  pertes  sensibles.  Elle  retraita  à  partir  de  7  heures  par  échelons 
successifs,  prise  d'enfilade  par  l'artillerie  ennemie.  Le  colonel  Taupin,  commandant 
la  brigade,  fut  mortellement  blessé  à  8  heures.  Elle  dut  abandonner  une  partie  du 
matériel,  mais  put  s'écouler  vers  Florennes,  sans  que  l'ennemi  osât  poursuivre.  La 
37e  division  passa  la  dernière  à  Florennes  et  se  reforma  à  la  bifurcation  des  routes 
de  Philippeville  à  Rosée  et  Florennes. 

Quand  les  troupes  de  la  Garde  se  rendirent  compte  que  les  Français 
abandonnaient  partout  le  combat,  elles  allèrent  de  l'avant,  suivant  pas  à 
pas  l'armée  en  retraite.  On  constate  que,  immédiatement,  elles  obliquèrent 
vers  le  sud-ouest,  vraisemblablement  pour  laisser  le  champ  libre,  dans 
l'Entre-Sambre-et-Meuse,  au  XIe  corps  —  qui  ne  fut  retiré  que  le 
26  août  (2)  — ,  ainsi  qu'aux  XIIe  de  réserve  et  XIXe  corps  saxons. 

La  Garde,  qui  avait  occupé  le  23  au  soir  Graux  et  Denée,  traversa 
le  lendemain,  de  bon  matin,  la  route  de  Rouillon  à  Fraire,  pénétra  à 
Furnaux  (rapport  n°  532)  à  6  heures  et  à  Biesmerée  fn°  533)  à  9  heures. 
Contenue  quelque  temps  au  nord  de  Stave  par  deux  compagnies  du 
3e  zouaves,  qui  avaient  reçu  la  mission  de  protéger  le  repli  des  divisions 
françaises,  la  Garde  envahit  Stave  (n°  534),  Florennes  (n°  535),  Morialmé 
et  Saint-Aubin  (n°  536)  entre  10  et  1 1  heures  ;  là,  l'attendait  de  nouveau 
l'artillerie  française,  qui  ne  lui  permit  pas  d'aller  plus  avant. 

En  tête  des  rapports  que  nous  allons  publier,  viennent  deux  travaux 
relatifs  à  Sart-Saint-Laurent  et  à  Lesves,  villages  qui  se  trouvèrent  le 
23  août  dans  le  champ  du  combat  de  la  Sambre. 

(1)  Le  Dr  G-  Veaux,  En  suivant  nos  soldais  de  l'ouest,  p.  69.-71,  a  consacré  des  pages  intéressantes 
à  la  retraite  du  41e  d'infanterie,  19e  division,  qui  se  fit  dès  le  soir  du  23  par  Anthée,  Florennes  et 
Mariembourg. 

(2)  L'ordre  de  le  diriger  vers  la  Russie  fut  communiqué  à  3  heures  du  matin.  Baumgabten  Crusius,  o.  c, 
p.  45.  —  On  trouvera  mentionné  le  passage  de  troupes  de  ce  corps  à  Biesmerée,  à  Furnaux,  à  Stave  et 
jusqu'à  Saint-Aubin 


48 

§   i  •  —  Sart^Saint-Laurent . 

Pendant  que  les  éclaireurs  allemands  mettaient  le  feu  à  la  ville 
de  Fosses,  le  zZ  août  vers  8  heures  du  matin  et  attaquaient  le  10e  corps 
massé  entre  Scry  et  Saint-Gérard,  le  général  Franchet  d'Esperey 
déployait  le  iei  corps  —  qui  avait  quitté  la  Meuse  pendant  la  nuit  — 
perpendiculairement  au  10e,  la  gauche  à  Saint-Gérard,  la  droite  à  Sart- 
Saint-Laurent. 

Vers  1 1  heures,  il  déclancha  contre  l'ennemi,  qu'il  prenait  de  flanc, 
un  feu  d'artillerie  préparatoire  à  l'attaque;  et  il  allait  lancer  énergique- 
ment  son  corps  d'armée  contre  la  Garde,  quand  il  apprit  que  le 
XIXe  corps  saxon  avait  passé  le  fleuve  en  face  d'Onhaye,  menaçant  son 
propre  corps  d'armée  à  l'arrière.  Forcé  de  renoncer  à  l'offensive,  il 
retira  aussitôt  du  front  la  division  Deligny,  qu'il  porta  à  Anthée,  et  la 
8e  brigade  (général  Mangin),  qu'il  dirigea  sur  Onhaye,  où  elle  rejeta  les 
Saxons  sur  la  Meuse. 

La  Garde  occupa  Sart-Saint-Laurent  dès  16  heures  (1). 

N°  53o.  Le  22  août,  Sarl"Sainl"Laurent  fut  occupé  par  l'infanterie  française.  La  nuit 

suivante  fut  très  agitée.  A  la  soirée  du  22  et  le  lendemain  aux  premières  heures  du 
jour,  presque  toute  la  population  s'enfuit  vers  Bois-de-Villers.  Une  première 
messe  fut  dite  à  4  h.  3o,  à  laquelle  assistèrent  quelques  personnes  seulement.  Une 
seconde  messe  fut  dite  à  9  h.  3o  et  il  n'y  avait  pour  ainsi  dire  au  village  que  des 
soldats  français. 

Bientôt  ceux-ci  se  retirèrent  vers  Lesves,  et  alors  commença,  vers  1 1  heures, 
un  combat  d'artillerie  assez  violent.  Les  canons  français  étaient  postés  au  sud  du 
village.  Le  feu  de  l'ennemi,  venant  de  la  direction  de  Ham-sur-Sambre  et  Taravisée 
atteignit  l'église,  ouvrant  une  vaste  brèche  dans  le  mur  ouest,  ébranlant  le  clocher, 
endommageant  les  toitures,  l'orgue  et  le  mobilier.  Des  obus  communiquèrent 
l'incendie,  à  14  heures,  aux  trois  fermes  Jacquemart,  Defrenne  et  Boulanger,  sises 
«  au  Bijard  »,  ainsi  qu'à  la  grange  de  Camille  Mathieu,  dans  le  village  même. 

Après  le  combat,  on  retrouva  «  au  Cheslon  »  les  cadavres  de  deux  Allemands 
et  du  français  Louis  Taffin,  sapeur  au  3e  génie,  d'Arras;  à  «  Folle-pensée  »  —  où 
ils  furent  mis  en  terre  par  des  habitants  de  Saint-Gérard  les  cadavres  de  treize 
Allemands  du  2e  régiment  de  la  Garde  à  pied  (2),  et  du    sergent  français  Dubois. 

A  16  heures,  commença  l'invasion.  Les  premières  troupes,  venant  de  Ham- 
sur-Sambre,  défilèrent  pendant  3  heures  dans  la  direction  de  Saint-Gérard;  elles 
furent  suivies,  le  lendemain,  des  ambulances,  qui  stationnaient  à  Deminche. 

(1)  Cf.  Hanotaux,  VI,  p.  22;  Histoire  illustrée  de  la  guerre  de  1914,  Engerand,  o.  c,  p.  537  ;  Lanrezac, 
o.  c,  pp.  172,  174,   175  ;  La  grande  guerre  écrite  et  illustrée,  o.  c.  p.  78  et  79. 

(2)  On  enterra  aussi  à  <(  Folle-pensée  »  18  chevaux  de  l'armée  allemande. 


49 

Le  24  août,  la  population  revint  au  village  et  sauva  partiellement  les  maisons 
du  pillage. 

Le  25,  à  io  heures,  de  nouvelles  troupes,  venant  de  Floreffe,  commencèrent  à 
passer,  jusque  bien  avant  dans  la  nuit.  Le  bourgmestre,  M.  Dumay,  fut  requis  de 
les  conduire  à  Wépion.  Un  coup  de  feu  ayant  été  tiré  —  assurément  par  un  soldat  — 
les  troupes  se  livrèrent  à  des  perquisitions,  mais  il  n'y  eut  pas  de  représailles. 
Le  garde-champêtre,  âgé  de  71  ans,  fut  sur  le  point  d'être  mis  à  mort,  parce  qu'il 
s'était  montré  avec  arme  et  képi  :  les  soldats  lui  lièrent  les  mains  derrière  le  dos 
et  le  rouèrent  de  coups. 

§  2.  —  Lesves. 

A  la  suite  de  la  retraite  précipitée  du  ier  corps,  dans  l'après-midi 
du  zZ  août,  la  route  des  Six-Bras  à  Saint-Gérard,  qui  eût  été  si  néces- 
saire, pour  la  retraite,  aux  troupes  belges  de  la  division  de  Namur,  fut 
abandonnée  dès  16  heures  à  l'ennemi,  qui  fit  son  entrée  à  Lesves. 

Le  premier  geste  des  soldats  de  la  Garde  fut  de  mettre  le  feu  à  cinq 
maisons  et  de  se  protéger  derrière  un  religieux  français  et  un  médecin 
belge,  pour  pousser  une  timide  pointe  en  avant  dans  la  direction  de 
Bioul  (1).  C'est,  peut-on  dire,  grâce  à  ce  manque  d'initiative  de  la  Garde 
que  les  troupes  belges  Je  Namur  purent  opérer  leur  retraite. 

Le  25  août,  commença  sur  la  route  de  Bois-de-Villers  à  Saint- 
Gérard  le  défilé  des  troupes  du  XIe  corps  et  de  la  Garde  qui  avaient 
participé  au  siège  de  Namur.  Elles  se  comportèrent  avec  sauvagerie  :  le 
feu  fut  remis  à  sept  maisons  et  à  deux  granges  et  trois  civils  trouvèrent 
la  mort  (2). 

Le  23  août,  la  retraite  de  l'armée  française  délogée  de  la  Sambre  s'accentua 
vers  Fosses,  Saint-Gérard  et  Lesves.  Dès  10  heures,  les  obus  allemands  éclataient 
vers  La  Levée,  entre  Bambois,  Sart-Saint-Laurent  et  Lesves;  mais  le  heurt  fut  parti- 
culièrement violent  vers  midi,  aux  environs  du  «  Bois-de-Graux  »,  hameau  de 
Lesves  dans  la  direction  de  Maison. 

«  Comme  j'avais,  raconte  M.  le  curé,  conduit  à  l'ambulance  établie  au  Couvent 
des  Pères  du  Sacré-Cœur  de  Bétharram  quelques  Français  blessés,  dont  un 
capitaine,  une  estafette  vint  tout  à  coup  crier  :  «  Sauve  qui  peut!  Les  Allemands 
«    arrivent!  »  Ce  fut  une  débandade  générale.  Les  blessés  valides  partirent  à  pied; 

(1)  Le  général  von  Biilow,  chef  de  la  IIe  armée,  écrit  que,  s'il  n'est  pas  intervenu  plus  tôt  pour  barrer  la 
retraite  à  l'armée  belge,  c'est  qu'il  croyait  que  c'était  affaire  à  l'aile  droite  de  la  IIIe  armée-  Non  rapport, 
o.  c,  p.  60. 

(2)  Le  rapport  consacré  à  Lesves  contient  le  procès-verbal  d'une  enquête  faite  le  27  avril  1915  et  corn» 
plétée  par  des  donnée  que  fournirent  ensuite  le  R.  P.  François  Carrère,  religieux  de  la  Congrégalion  des 
Pères  du  Sacré-Cœur  de  Bétharram,  et  l'abbé  Jules  Petit,  curé  de  la  paroisse- 


so 

les  autres  furent  hissés  dans  la  voiture  d'ambulance  qui  accompagnait  le  capitaine 
et  dans  les  chariots  du  village  qui  stationnaient  aux  environs  et  le  convoi  prit  la 
direction  de  Bioul.  » 

Le  R.  P.  François  Carrère,  du  couvent  du  Sacré-Cœur  établi  à  Lesves,  a  été 
témoin  oculaire  de  l'arrivée  de  l'ennemi.  Voici  ce  qu'il  raconte  :  «  Il  est  16  heures. 
Une  fusillade  s'est  fait  entendre  à  proximité  et  quelques  balles  s'égarent  déjà  dans  le 
parc  du  couvent.  A  ce  moment,  le  médecin  me  prie  de  l'accompagner  dans  sa  maison, 
où  il  doit  prendre  une  trousse.  Parvenus  au  coin  du  parc,  nous  apercevons  derrière  la 
haie  qui  borde  le  sentier  menant  aux  «  Volées  »,  tout  près  de  la  chapelle  Saint-Roch, 
un  officier  étranger.  A  côté  de  lui  une  mitrailleuse.  Dissimulé  derrière  le  buisson, 
il  braque  ses  jumelles  sur  la  route  de  Saint-Gérard,  pour  se  rendre  compte  sans 
doute  du  nombre  des  Français  postés  près  de  la  «  chapelle  aux  Loups  ».  L'officier, 
en  gris,  n'a  pas  de  casque  à  pointe  ;  je  le  prends  pour  un  Anglais  —  on  a  annoncé 
qu'ils  sont  proches  —  et  je  lui  demande  :  «  Are  you  english?  »  De  la  main,  il  nous 
fait  signe  de  partir  et,  faisant  demi-tour  vers  la  maison  Hemptinne,  nous  apercevons 
devant  nous,  près  de  la  maison  Phileas,  une  colonne  allemande,  composée  de 
cavaliers,  de  fantassins  et  de  canons,  qui  encombre  la  route.  Nous  nous  disposons  à 
rentrer,  mais  ils  nous  ont  aperçus.  «  Halte!  otages!  »,  crient  deux  uhlans.  Un 
officier  braque  son  revolver  sur  nous,  injurie,  menace  et  crie  :  «  On  a  tiré  sur 
nous!  »  Au  docteur,  qui  lui  a  dit  qu'il  soigne  des  blessés,  il  répond  •  «  Silence, 
cochon  !  »  Placés  en  tête  de  la  colonne,  nous  sommes  bousculés  et  poussés  en  avant 
à  coups  de  crosse. |j  On  s'arrête  devant  la  maison  de  l'instituteur  :  «  Dans  cette 
maison,  un  homme  a  tiré  sur  nous,  d'une  fenêtre!  Si  nous  le  trouvons,  vous  serez 
fusillés!  —  Mais  nous  ne  pouvons  être  rendus  responsables!  —  Silence,  cochon  de 
Belge!  »  Acculés  à  la  haie  qui  borde  notre  verger,  face  à  la  maison,  nous  voyons 
les  soldats  briser  les  vitres  à  l'aide  de  leur  fusil,  visiter  l'immeuble  et,  finalement,  y 
mettre  le  feu  avec  une  essence  contenue  dans  des  bidons  et  dont  ils  enduisent  portes 
et  fenêtres.  Puis,  en  avant  !  Deux  autres  maisons  commencent  aussi  à  brûler  derrière 
nous.  Passant  devant  le  chalet  et  le  château,  nous  nous  engageons  sur  le  chemin  de 
Bioul,  toujours  poussés  et  insultés.  Arrivés  au  bouquet  de  tilleuls,  les  canons  et  les 
cavaliers  entrent  dans  un  chemin  creux,  les  fantassins  se  couchent  sur  le  sol; 
mais  l'officier  et  deux  soldats  nous  conduisent  200  mètres  plus  loin,  dans  les  champs 
qui  s'allongent  vers  la  route  de  Saint-Gérard.  Des  balles  sifflent  tout  à  coup  à  nos 
oreilles  et  j'aperçois  une  petite  compagnie  de  Français  cachés  sous  les  tilleuls  de  la 
«  chapelle  aux  Loups  ».  Alors,  on  nous  sépare.  L'officier  et  un  soldat,  debout,  se 
placent  derrière  moi;  un  autre  soldat  derrière  le  docteur.  Les  balles  sifflent  toujours, 
mais  les  Français  aperçoivent  sans  doute  les  civils  et  cessent  bientôt  le  feu.  Puis, 
entourés  de  milliers  d  Allemands,  que  nous  voyons  dévaler  des  «  Voilées  »  et  de 
Lesves,  ils  agitent  le  drapeau  blanc  et  sont  faits  prisonniers.  A  présent,  notre 
présence  n'est  plus  utile  ;  nous  sommes  licenciés  et  un  officier  cycliste  nous  ramène 
au  village.  II  est  18  heures.  » 

Pendant  la  fusillade  —  continue  M.  le  curé  —  je  gagnai  Besinne,  section  de  la 
paroisse,  puis  je  revins  à  Lesves.  La  nuit  fut  fiévreuse,  par  suite  des  incendies  qui 
embrasaient  partout  l'horizon  et  des  fusillades  incessantes. 

Le  24  août,  comme  j'achevais  la  Sainte-Messe,  on  me  prévint  que  des  blessés 


51 

gisaient  dans  les  campagnes  du  Bois-de-Graux  et  je  m'y  rendis  aussitôt.  Le 
R.  P.  Carrère  s'y  trouvait  déjà.  Nous  confessâmes  les  plus  blessés  et  les  fîmes 
transporter  au  couvent.  De  nombreux  morts  s'échelonnaient  le  long  du  chemin. 

Escorté  de  deux  paroissiens,  je  dépassai  la  ferme  «  des  Voilées  »  et  me  dirigeai 
vers  la  ferme  «  d'Hérende  ».  Comme  je  me  penchais  sur  un  blessé  couché  dans  le 
fossé,  on  m'avertit  que  les  Allemands  étaient  à  côté.  Je  me  jetai  à  terre,  mais  déjà 
des  balles  étaient  dirigées  vers  nous  :  trois  soldats  tiraient  du  coin  d'une  pâture  de 
la  ferme.  Comme  le  blessé  me  suppliait  de  le  sauver  ou  de  lui  procurer  un  revolver 
«  pour  ne  pis  tomber  aux  mains  des  Allemands  >,  je  regagnai  le  village,  en  longeant 
le  fossé  et  je  revins  avec  une  charrette  à  bras.  Nous  parvînmes  péniblement  à  hisser 
le  malheureux  sur  le  véhicule,  tandis  que,  à  plusieurs  reprises  encore,  les  trois 
soldats  déchargeaient  leurs  armes  dans  notre  direction.  Sans  doute  voulaient-ils 
nous  effrayer. 

Dans  l'après-midi,  escorté  de  Vital  Hennaux,  un  enfant  de  14  ans,  le  seul  qui 
ait  consenti  à  m'accompagner  —  le  bruit  s'était  répandu  qu'on  tirait  sur  l'ambu- 
lance —  je  me  rendis  de  nouveau  sur  le  champ  de  bataille.  Nous  agrandîmes  en 
profondeur  des  tranchées  qu'avaient  préparées  les  Français  et  nous  traînâmes 
16  cadavres  jusqu'à  cette  tombe  d'occasion. 

Le  25  août,  il  ne  fut  pas  possible  de  continuer  les  inhumations:  le  défilé  des 
troupes  ayant  fait  le  siège  de  Namur  se  poursuivit  sur  la  route  de  Bois-de-Villers 
à  Saint-Gérard,  depuis  6  heures  du  matin  jusqu'au  26  août  à  midi.  Ce  fut  la  journée 
de  grande  épreuve  pour  la  population.  Les  soldats  se  ruaient  dans  les  maisons, 
l'arme  au  poing,  menaçant,  insultant,  pillant... 

Donat  Dewez  et  son  enfant,  âgée  de  7  ans,  furent  rencontrés  près  de  leur 
demeure  et  obligés  à  marcher  avec  les  troupes,  vers  Bois-de-Villers.  Passant  près 
d'un  verger,  le  père  s'offrit  à  cueillir  quelques  fruits  pour  la  troupe  et  un  fantassin 
lui  dit  :  «  Partez  vite!  »  Ils  réussirent  à  gagner  une  maison  voisine,  d'où  ils  virent 
quelques  instants  plus  tard  flamber  leur  logis,  ainsi  que  l'habitation  adjacente 
appartenant  à  Marie  Beaupère. 

Vers  le  même  moment,  les  soldats  avaient  aussi  mis  la  torche  à  la  maison  du 
cantonnier,  Auguste  Piot. 

Près  de  l'arrêt  du  vicinal  «  des  Auges  »,  Jules  Hadelin  CRASSET,  âgé  de 
35  ans,  cueillait  des  fruits  avec  Constant  POCHET,  âgé  de  17  ans,  dans  l'intention 
de  les  offrir  aux  soldats.  Tout  à  coup  ceux-ci  se  mirent  à  tirer  :  Jules  Crasset 
tomba  pour  ne  plus  se  relever.  Constant  Pochet  était  gravement  atteint  ;  il  fut 
dépouillé  de  sa  montre  et  d'une  somme  de  400  francs  ;  il  mourut  des  suites  de  ses 
blessures  en  décembre  suivant. 

Des  incendies  dévorèrent  aussi,  non  loin  de  la  place  Verte,  les  maisons 
d'Arthur  Lambotte,  Julien  Tonon  et  Phileas  Pochet,  ainsi  qu'une  remise  située  de 
l'autre  côté  du  chemin.  Le  prétexte  fut  «  qu'on  y  avait  constaté  la  présence  de 
soldats  belges  et  français  ».  En  réalité,  quelques  retranchements  avaient  été 
creusés  le  23  dans  le  jardin  Lambotte. 

Victor  DEMEUSE,  âgé  de  45  ans,  fut  tué  d'une  balle  au  moment  où  il  essayait 
de  sauver  quelques  meubles  chez  Phileas  Pochet.  L'ayant  appris  dans  l'après-midi, 
après  que  j'eus  enterré  le  soldat  français  Marcel  Warocqué,  je  me  fis  accompagner 


52 

de  quatre  hommes  et  j'allai  charger  Victor  Demeuse  sur  une  civière.  Les  soldats 
que  nous  rencontrâmes  sur  le  grand'route  étaient  surexcités;  ils  m'accueillirent 
par  une  bordée  de  cris  et  d'insultes,  telles  que  «  schweinpfarrer  ». 

On  me  demanda  ensuite  de  me  rendre  «  aux  Bruyères  »,  où  je  trouvai  presque 
mourante  Valentine  LEFEBVRE  (fig.  7),  âgée  de  17  ans.  Vers  to  heures  du  matin, 
une  escarmouche  s'était  produite  dans  les  environs  entre  Belges  et  Allemands. 
Quand  elle  fut  achevée,  les  Allemands  fouillèrent  les  maisons,  pour  capturer 
les  soldats  belges  qui  s'y  tenaient  cachés.  Chez  Lefebvre,  un  crépitement  se  fit 
entendre  et  Valentine  cria  qu'elle  était  atteinte.  Un  soldat,  passant  à  vingt 
mètres  de  distance,  avait  pris  plaisir  à  tirer  sur  la  porte  fermée,  et  la  balle, 
traversant  le  bois,   avait  blessé    l'enfant  au  bas-ventre.   Elle    mourut  à  la  soirée. 

Sortant  de  là,  je  passai  chez  Louis  Stavaux  où  étaient  soignés  depuis  le 
matin  une  quinzaine  de  soldats  belges  blessés.  Ceux-ci  me  racontèrent  qu'après 
avoir  passé  la  nuit  précédente  dans  les  bois,  ils  avaient  rencontré  un  jeune 
lieutenant  belge  qui  les  avait  exhortés  à  le  suivre,  disant  qu'il  les  sauverait. 
Quand  ils  débouchèrent,  le  z5,  dans  les  campagnes  de  Lesves,  entre  la 
«  Guinguette  »  et  la  «  Levée  »,  un  officier  allemand  les  invita  à  se  rendre.  Le 
lieutenant  se  retourna  vers  ses  hommes  et  cria  :  «  Feu!  »  Au  même  instant,  les 
fantassins  allemands  ripostèrent  et  les  nôtres  tombèrent  au  nombre  de  sept  tués 
et  quinze  blessés,  tandis  que  le  lieutenant  disparaissait  dans  le  bois  avec  ses 
compagnons  restés  indemnes. 

§  3.  —  Vurnaux,  Biesmerée   et  Stave- 

II  s'est  livré  le  23  août,  à  la  lisière  nord  de  ces  trois  localités,  un 
combat  d'artillerie  en  liaison  avec  les  engagements  d'Oret,  de  Wagnée  et 
de  Mettet,  que  nous  avons  relatés  dans  la  IIIe  partie  (1),  et  qui  eurent 
pour  effet  de  contenir  l'ennemi  jusqu'au  lendemain  à  quelque  distance  de 
la  route  de  Rouillon  à  Fraire. 

Le  combat  reprit  à  cet  endroit  le  24  août  de  bon  matin,  au  moment 
où  se  décrochaient  les  troupes  françaises.  Admirable  fut  notamment  la 
résistance  du  3e  zouaves  :  des  éléments  des  17e  et  19e  compagnies  résis- 
tèrent à  la  corne  nord-est  du  bois  entre  les  Croisettes  et  Wagnée,  en 
travers  du  chemin  de  terre  descendant  sur  Wagnée,  jusqu'à  ce  qu'ils 
fussent  faits  prisonniers  par  Fennemi,  qui  débordait  la  position  à  droite 
et  à  gauche  (2). 

La  Garde,  qui  avait  occupé  Oret  et  Mettet  le  24  août  de  bon  matin, 
traversa  la  route  de  Rouillon  à  Fraire  et  entra  à  Furnaux  à  6  heures,  à 
Biesmerée  à  9  heures  et  à  Stave  à  1 1  heures.  Elle  se  conduisit  dans  ces 
villages  avec  brutalité,  mais  sans  commettre  de  crimes. 

(1)  P-  194  et  ss. 

(2)  Voir  aussi  tome  III,  p.  190  et  iq6. 


53 

C'est  au  lendemain  que  remonte  ta  malheureuse  destruction  du 
village  de  Stave  par  les  troupes  du  XIe  corps,  qui  avaient  participé  au 
siège  deNamur.  Soixante-quatorze  maisons  y  furent  incendiées,  en  l'ab- 
sence des  habitants  et  en  dehors  de  tout  combat,  sous  l'oeil  complaisant  d'un 
général  et  de  l'Etat-Major  établis  au  château,  alors  que  d'autres  troupes 
occupaient  le  village  depuis  un  jour.  Le  capitaine  von  Heinelling,  de  la 
83e  brigade  d'infanterie,  XIe  corps,  a  révélé  le  vrai  motif  de  ce  désastre  : 
«  des  soldats  français  ont  tiré  à  Stave  (i)  »;  mais  il  fait  erreur  en 
alléguant  que  l'incendie  est  l'œuvre  du  combat  :  le  canon  a  mis  le  feu  à 
deux  maisons  seulement;  le  restant  a  été  incendié  à  la  main  et  sans  le 
moindre  motif  plausible. 

A  Furnaux  (2)  le  3i  août,  l'artillerie  française  postée  sur  tes  hauteurs  con- 
finant à  Biesmerée  et  à  «  la  Plate  Pierre  »,  tira  dans  la  direction  de  Devant-les-Bois 
et  de  Bossière. 

Au  soir,  les  Français  se  retirèrent  dans  le  bois  allant  du  «  Gros  Tilleul  »  au 
chemin  de  fer  Tamines-Dinant,  et,  pendant  ta  nuit,  ils  s'éloignèrent  brusquement 
vers  le  sud  (3). 

Des  troupes  de  la  Garde  entrèrent  à  Furnaux  le  24  août  à  6  heures  du  matin  ; 
elles  ne  firent  que  passer  et  se  dirigèrent  immédiatement  sur  Ermeton  et  Biesmerée. 
Elles  mirent  le  feu  à  la  maison  de  Jules  Sacré,  sur  la  route  de  Fraire  à  Rouillon. 
Elles  se  rencontrèrent  avec  des  soldats  belges  venant  de  Denée  et  se  retirant  sur 
Ermeton,  au  bois  du  «  Gros  Tilleul  »  et  dans  les  terrains  avoisinant  ce  bois.  Il  y  eut 
aussi  une  escarmouche  avec  les  soldats  français  (4).  Sylvain  Cassart,  rencontré  sur 
un  chemin,  fut  emmené  sans  rime  ni  raison,  et  déporté  en  Allemagne,  d'où  il  ne 
fut  libéré  que  le  4  août  1915. 

Il  vint  d'autres  troupes  de  la  Garde  vers  midi  —  elles  se  vantaient  d'avoir 
incendié  Saint-Gérard.  Elles  se  montrèrent  insolentes,  violentes,  s'installant  en 
maîtresses  dans  les  maisons,  pillant  tout  ce  qui  leur  tombait  sous  la  main.  Ces  troupes 

1  1)  Voici  la  traduction  intégrale  de  ce  précieux  document,  daté  du  jour  même  de  l'incendie,  dont  l'original 
est  conservé  à  Bruxelles  aux  archives  de  la  commission  d'enquête. 

83e  brig.  d'inf.  Stave,  le  25  août  1914. 

Le  village  de  Stave  a  été  incendii  aujourd'hui  par  l'artillerie  parce  que  des  soldats  français  ont  tiré  de  ce 
village-  Conjointement,  l'avoir  de  la  dame  Sophie  Reiter  a  été  incendié.  Elle  est  Luxembourgeoise  et  parle 
l'allemand.  Comme  elle  est  innocente,  prière  de  lui  allouer  après  la  guerre  le  prix  de  sa  propriété  détruite. 

von  Heinelling, 
Capitaine  et  adjudant  de  brigade. 

On  relève  aussi  à  Stave,  au  26  août,  un  bon  du  71''  d'inf.,  76  brig.,  38e  div.,  XIe  corps. 

(2)  Données  recueillies  par   M.   l'abbé  Noël,   curé. 

(3)  Le  Dr  G.  Veaux,  dans  En  suivant  nos  soldats  de  l'ouest,  raconte  une  attaque,  dont  fut  déjà  l'objet 
le  4«e  (10e  corps)  dans   la   nuit   précédente,   p. 8t. 

(4)  Les  gens  du  village  enterrèrent  sur  place  le  26  août,  i3  Allemands  et  21  Français,  dont  Jean 
Chastre,    1907,   Tn'le   270;    Philibert   Darmet,    1901,   Toulouse    270;  Jacques    Roby,    1908,    Limoges    2467. 


54 

partirent  le  25  août  à  6  heures  du  matin,  conduites  par  un  groupe  de  civils  (i),  qui 
furent  relâchés,  les  uns  à  Jamagne  vers  minuit,  les  autres  à  Cerfontaine  le  26, 
à  4  heures  du  matin. 

Le  25  après-midi,  un  nouveau  régiment,  plus  brutal  encore  que  la  Garde, 
envahit  le  village,  drapeau  et  musique  militaire  en  tête  :  c'était  le  167e,  44e  brigade, 
22e  division,  XIe  corps.  Le  colonel  s'établit  au  presbytère  et  se  fit  entourer  de  huit 
otages,  qui  furent  enfermés  dans  une  place,  étendus  sur  une  couche  de  paille. 
Les  affaires  commençaient  à  se  gâter  dans  l'après-midi  du  26  août,  par  suite  d'excès 
de  boisson,  lorsque  ces  troupes  firent  volte-face,  rappelées  dare-dare  contre  le  front 
russe. 

N°  533.  Le  23  août,  un  combat  s'engagea  entre  l'artillerie  française  installée  à  la  limite 

nord  du  territoire  de  Biesmerée  (2)  et  l'artillerie  allemande  postée  aux  environs  de 
Fosses.  Quelques  bombes  éclatèrent  dans  le  village,  sans  y  faire  de  dégâts.  Une 
seule  maison  de  la  commune,  sise  à  trois  kilomètres  du  centre,  sur  la  route  de 
Florennes-Mettet,  fut  partiellement  détruite. 

Lundi  24  août,  à  9  heures,  les  troupes  ennemies  entrèrent  dans  le  village  et  y 
séjournèrent  deux  jours.  On  évalue  à  to,ooo  le  nombre  de  soldats  qui  y  passèrent. 
Ils  appartenaient  notamment  au  62e  d'infanterie,  40e  brigade,  Xe'  corps. 

Comme  le  bourgmestre,  M.  Felenne,  se  portait  au  devant  des  ulhans,  ceint  de 
l'écharpe  tricolore  ;  «  Enlevez  cela,  hurla  un  officier,  nous  n'aimons  pas  ces 
couleurs-là  !  »,  puis  il  lui  arracha  l'écharpe  d'un  geste  brusque  et  se  la  mit  en 
bandoulière.  Emmenés  une  première  fois  dans  les  campagnes,  avec  Jules  Ranwez  et 
Etienne  Coilart,  puis  libérés,  le  bourgmestre  et  ses  compagnons  furent  bientôt  repris, 
joints  à  un  convoi  de  prisonniers  belges  et  français  et  conduits  à  Mettet,  où  ils 
furent  internés  à  l'église.  Après  48  heures  de  jeûne  et  de  tortures  morales  —  on  ne 
cessait  de  leur  dire  :  «  demain,  civilistes,  demain  matin  tous  fusillés  !  »  —  ils  furent 
dirigés  sur  Fosses,  puis  Gembloux,  en  endurant  toutes  sortes  de  brutalités.  Après 
un  séjour  de  trois  jours  et  trois  nuits  dans  une  pâture,  un  train  de  bestiaux  les  mena 
à  Soltau,  d'où  le  bourgmestre  revint  après  trois  mois. 

Le  26  août,  au  soir,  l'armée  cantonnée  à  Biesmerée  partit  pour  Stave  et 
Florennes,  et  se  fit  précéder  d'un  groupe  de  civils,  qui  furent  libérés  à  Stave. 

Tout  le  village  fut  pillé.  Rien  n'échappa  à  la  rapacité  de  la  soldatesque  :  maisons, 
magasins  et  caves  furent  partout  mis  à  sac. 

Des  troupes  du  94e  (XIe  corps)  sont  aussi  passées  à  Biesmerée  (3). 

-jsjo  534  C'est    en    partie  à   la    lisière    nord    du    territoire  de  Stave   (4)    qu'eut   lieu    le 

dernier  effort  des  Français  pour  arrêter  l'avance  de  l'ennemi  qui  avait  passé  la 

(1)   C'étaient   M.   le   chanoine   Demanet,    professeur  a  l'Université  de  Louvain,  M.  Noël,  curé  à  Furnaux, 
MM.    Maurice  Polomé,   Joseph   Demanet,    Félix  et  Jules   Dinsart   et   deux  étrangers. 

(z)  Rapport   rédigé   d'après  les   notes   fournies  par   le   bourgmestre,    M.  Felenne,  et  le  curé,    M.  Pirlot. 

(3)  Les  Archives  de  la  Commission  d'enquête,  à  Bruxelles,  possèdent  un  écrit  émanant  de  ce  régiment, 
qui   est   intitulé  '■   Inf.    Rgt.    Groszherzog   von   Sachsen  N°   94. 

(4)  Enquête  faite  sur  place  par  les  auteurs,  en  juin  1915;  le  récit  émane  de  M.  l'abbé  Paquet,  curé  de  Stave. 


55 

Sambre;    leur  artillerie  était   postée  derrière    les  peupliers  qui  bordent   la  vieille 
route  Biesmerée-Oret,  tout  près  du  chemin  de  fer. 

Quant  aux  Allemands,  ils  tiraient  de  Biesmes  et  de  Mettet. 

Les  Français  durent  battre  en  retraite,  menacés  eux-mêmes  par  les  troupes 
qui  avaient  passé  la  Meuse  (i). 

Le  24  août,  les  arrière-gardes  françaises  traversèrent  le  village  vers  8  heures. 
Elles  se  trouvaient  déjà  bien  loin  dans  la  direction  de  Philippeville  quand  parurent 
les  troupes  de  la  Garde,  vers  î  1  heures.  Elles  venaient  de  Mettet  et  d'Oret.  Le  curé 
se  trouvait  pour  les  recevoir  à  l'entrée  du  village,  avec  l'instituteur.  Il  ne  restait 
avec  eux  que  quelques  vieillards,  incapables  de  fuir.  Un  groupe  de  soldats  se  mit 
à  défoncer  les  portes  des  maisons  et  à  les  fouiller.  D'autres  se  répandirent  à  travers 
les  jardins  et  les  prés,  à  la  recherche  de  soldats  français.  Cependant  le  gros  des 
troupes  se  forma  en  colonne  et  s'avança  dans  la  localité  avec,  en  tête,  le  curé  et  un 
étranger  réfugié  au  village-  On  arriva  sans  encombre  dans  la  cour  du  château,  où 
quelques  soldats  français  épuisés  de  fatigue  et  endormis  furent  surpris  dans  une 
remise  et  faits  prisonniers.  La  porte  du  château  fut  enfoncée  et  l'Etat-Major, 
comprenant  plusieurs  généraux  et  officiers  supérieurs  de  la  Garde,  s'y  installa. 
Vers  1 1  h.  3o,  on  prétendit  que  des  coups  de  feu  avaient  été  tirés  sur  les  troupes 
et  M.  l'abbé  Paquet  fut  fait  otage  au  presbytère,  sous  la  garde  de  trois  sentinelles, 
jusqu'au  lendemain  à  8  heures. 

Pendant  ce  temps,  les  troupes  commençaient  le  pillage  de  toutes  les  maisons. 

Mardi  25,  à  8  heures,  ces  troupes  s'éloignèrent,  probablement  vers  Florennes. 

A  14  h.  3o,  on  entendit  tout-à-coup  tirer  le  canon  :  de  nouveaux  régiments, 
venant  cette  fois  de  Biesmerée,  lançaient  des  obus  sur  un  coin  de  la  localité,  avant 
d'y  pénétrer.  Plusieurs  maisons  furent  endommagées  et  deux  furent  incendiées  par 
ces  projectiles.  Les  soldats  pénétrèrent  ensuite  dans  les  rues  en  tiraillant  sauvage- 
gement  dans  tous  les  sens,  bien  qu'il  n'y  eût  là  ni  civils,  ni  soldats;  bien  plus,  ils 
lançaient  dans  les  maisons  des  cartouches  incendiaires  et  y  mettaient  le  feu.  Ce  jour- 
là  brûlèrent  les  maisons  situées  de  la  gare  à  la  ferme  de  Mme  de  Blockausen,  près  de 
l'église.  Le  curé  fut,  de  nouveau,  arrêté  et  les  quelques  habitants  qui  étaient  restés 
ou  étaient  rentrés  furent  rassemblés  près  de  l'église.  Le  chef  de  la  troupe,  à  cheval, 
criait  :  «  On  a  tiré  sur  nous,  on  va  incendier  le  village  !  »  La  conduite  d'eau  était  à 
sec  :  les  civils  en  étaient  rendus  responsables  et  il  fallait  donner  de  l'eau  sous  peine 
de  mort.  On  finit  par  en  découvrir  un  peu  et,  3près  des  allées  et  venues,  les  habi- 
tants furent  poussés  dans  la  cour  des  écoles,  où  ils  restèrent  jusqu'au  lendemain 
matin,  sous  la  garde  d'une  troupe  menaçante,  à  la  lueur  sinistre  des  incendies  qui 
s'allumaient  de  toutes  parts. 

Mercredi,  26,  le  curé  fut  de  nouveau  otage,  avec  le  bourgmestre,  dans  la 
maison  où  s'était  installé  un  général;  ils  y  restèrent  jusqu'au  départ,  vers  Corennes 
et  Rosée,  des  troupes  incendiaires,  dans  la  nuit  de  mercredi  à  jeudi.  Pendant  toute 
la  journée  du  26,  des  incendies  avaient  encore  été  allumés  de  divers  côtés  et  le 
pillage  s'était  continué. 


(1)   Ils  laissaient  sur  le  terrain  quatre  ou  cinq  morts,  dont   le  capitaine  Contraine.  qui  furent  inhu 
place.  Trois  blessés  furent  soignés  au  presbytère;  vingt-cinq,  dans  la  grange  de  Mme  Lucie  Cognaux  ;  ils  appa 
tenaient  au  8e  d'artillerie. 


mes  sur 
r- 


56 

Jeudi,  27,  on  put  mesurer  toute  retendue  du  désastre  :  74  maisons  ne 
formaient  plus  qu'un  amas  de  décombres.  Le  centre  était  détruit,  ainsi  que  les 
maisons  qui  longent  le  chemin  de  la  gare  à  Florennes  par  Cornelle.  La  ruine  eût 
été  plus  considérable  sans  les  efforts  qui  furent  déployés  pour  éteindre  les  feux 
allumés  ou  pour  décider  les  soldats  à  respecter  certains  immeubles  ou  pour  amener 
les  chefs  à  faire  cesser  cette  inutile  dévastation. 

A  Stave,  furent  tués  François  KAYSER,  43  ans,  de  Spontin  (Tome  IV,  p.  117), 
qui  fut  inhumé  au  cimetière  paroissial,  et  Léon  FAUCILLE,  82  ans,  de  Stave,  atteint 
d'une  balle  dans  la  fusillade,  en  allant  à  la  recherche  de  son  bétail. 

Des  bons  furent  délivrés  le  26  août  par  le  capitaine  Hôlhil,  de  la  7e  comp.  du  71e, 
38e  division,  XIe  corps. 

§  4.   —  Florennes. 

Deux  uhlans  furent  lues  par  un  artilleur  français  le  24  août,  à 
10  heures,  en  pleine  ville  de  Florennes,  à  la  jonction  des  routes  de 
Philippeville  et  de  Rosée  :  ce  fait  fut  et  resta  pour  la  ville,  pendant 
de  longues  semaines,  une  grave  et  perpétuelle  menace.  Soldats,  officiers 
et  généraux  ne  cessaient  de  redire  «  qu'on  avait  fait  périr  cinq 
uhlans  et  qu'on  soignait  mal  les  blessés  .allemands  ».  Ces  propos, 
qui  avaient  déjà  provoqué  le  bombardement  de  la  ville  avant  l'arrivée 
du  gros  des  troupes,  déchaînèrent  chez  les  soldats  une  surexcitation 
qui  grandit  de  jour  en  jour.  Pour  s'en  faire  une  idée  exacte,  il  faut 
lire  les  incidents  renseignés  dans  le  rapport  n°  535  et  notamment  les 
brutalités  inouïes  infligées  à  un  religieux  jésuite. 

Le  28,  la  ville  fut  sur  le  point  d'être  saccagée  à  propos  d'un 
dépôt  d'armes  :  c'étaient  les  flingots  de  la  marche  militaire  de  la 
Saint-Pierre,   qui  avaient  fait  peur  à  l'occupant! 

Les  jours  de  terreur  durèrent  jusqu'à  la   mi-septembre. 

Dans  le  travail  que  nous  faisons  suivre,  sont  condensées  les 
données  fournies  par  MM.  le  docteur  Paul  Rolin,  Gustave  Allard, 
juge  de  paix,  le  R.  P.  Lafra,  du  couvent  des  Jésuites,  et  principa- 
lement par  M.  H.  Pector,  agent-voyer,  et  M.  l'abbé  Sevrin,  curé- 
doyen  de  la  ville.  Les  auteurs  y  ont  ajouté  les  renseignements  qu'ils 
ont  recueillis  au  cours  d'enquêtes  personnelles  faites  notamment  le 
10  septembre    1914  et  le   19  juin    1915. 

Nous  joignons  un  court  rapport  sur  Saint-Aubin,  la  dernière 
localité  que  l'ennemi  envahit  dans  la  journée  du  24  août.  Un  civil 
y  fut  tué  (rapport  n°  536). 


57 

Le  24  août,  à  ta  heures,  une  patrouille  du  17e  hussards,  commandée  par 
e  sous-officier  Hermann  Cuina,  s'avança  jusqu'à  la  Place  Verte.  En  face 
du  café  Génicot,  elle  fut  attaquée  par  un  artilleur  français  posté  derrière  une 
cabine  électrique,  à  côté  de  la  gendarmerie.  Deux  hussards  furent  tués  (1), 
avec  leurs  chevaux;  le  sous-officier  eut  deux  os  fracturés  à  l'avant-bras.  Le 
soldat  français  s'approcha  des  victimes,  ieur  enleva  quelques  objets  —  de  quoi 
faire  un  trophée,  —  enfourcha  un  cheval  désarçonné  et  partit  dans  la  direction 
de  Philippeville. 

Porté  aussitôt  chez  le  docteur  Rolin,  le  hussard  blessé  ne  tarda  pas 
d'exhorter  celui-ci  à  arborer  la  Croix-Rouge  et  à  mander  un  officier  de  l'armée, 
dès  l'arrivée  des  troupes  en  ville  :  le  salut  de  Florennes  pouvait  en  dépendre. 
Posté  à  une  lucarne  de  grenier,  M.  Rolin  vit  les  Allemands  arriver  Place  Verte  et, 
escorté  d'un  frère  des  Ecoles  chrétiennes,  Allemand  d'origine,  il  se  porta  au-devant 
d'un  officier  à  cheval,  le  priant  de  se  rendre  chez  lui.  Ce  dernier  accepta. 
Le  blessé  narra  à  son  chef  l'escarmouche,  affirmant  qu'il  avait  été  blessé  et 
ses  camarades  tués  par  des  culottes  rouges.  L  officier  —  un  général,  au  dire 
du  blessé  —  dit  en  français  à  M.  Rolin  :  «  Vous  avez  de  la  chance!  Vous 
alliez  voir  un  beau  feu!  »  Le  blessé  fut,  quelques  jours  après,  transporté  au 
lazaret  n°  IV  du  corps  de  la   Garde,   établi  chez  les  Pères  Jésuites. 

Peu  de  temps  après  la  scène  qui  vient  d'être  racontée,  les  Allemands 
lancèrent  sur  la  ville,  de  Somtet  (Metîet),  une  cinquantaine  d'obus.  Trois 
projectiles  endommagèrent  sérieusement  la  tour  de  l'église  et  le  jubé  de  la 
chapelle  de  la  Congrégation;  trois  maisons  voisines  de  la  gare  de  l'Est  — 
elle-même  fortement  ébréchée,  ainsi  que  la  maison  Collart  —  furent  détruites; 
il  y  eut  aussi  quelques  dégâts  en   pleine  agglomération. 

A  14  h.  3o,  le  17e  hussards  fit  son  entrée  en  ville  et  captura,  près  de  la  gare  de 
l'Est,  quelques  soldats  belges  de  la  retraite  de  Namur.  D'autres  régiments 
suivirent  (2). 

(1)  Le  caporal  Willem  Bode  et  le  sergent-trompette  August  Pape,  du  jc'  escadron  du  17e  hussards. 
Ils    furent    inhumés   dans    le   parc    des    Pères   Jésuites   et    transférés,    en  juin    1918,    au    cimetière    militaire. 

Quatre  autres  soldats  sont  tombés  à  Florennes,  dont  deux  Allemands,  un  Français  et  un  Belge; 
de  plus,  38  blessés  sont  décédés  à  l'ambulance  des  Pères  Jésuites,  un  chez  M.  le  docteur  Rolin,  un  à 
l'école  communale  des  filles.  Nous  connaissons  les  noms  des  suivants  :  Maurice  Baudin,  10e  d'art.  ; 
Gustaue  Binet,  iSô^d'inf.;  Victor  Boullis,  2e  d'inf.;  René  Cappocq,  8e  d'inf.;  Jean  Chicot,  2e  zouaves; 
Emile  Debrieu,  3e  zouaves;  sergent  H.  De  Kersaintgilly,  70e  d'inf.;  Mariville  Desainte,  110''  d'inf.; 
Julien  Dodier,  70e  d'inf.;  Marcel  Favier,  3e  zouaves;  Gasni,  3e  zouaves;  François  Gillet,  40e  d'inf., 
tous  décédés  à  l'ambulance;  Pierre  Gyomarck,  de  Quimper  ;  Joseph  Hardy,  2e  d'inf.;  Albert  Jacquart, 
33e  d'inf..  de  Lille;  Pierre  Janvrin,  du  génie,  de  Piouvay  ;  Emile  Lebernicheur,  de  Rennes;  René  Legalle, 
de  Quimper  ;  Pierre  Legallet,  de  Lorient  ;  Albert  Lefranc,  25''  d'inf.,  de  Grandville  ;  Maurice  Libert, 
3r)e  d'inf.,  de  Seine;  sergent  René  Micouin,  i36e  d'inf.,  de  Granville  ;  Nabi  Mohamed,  6e  tir.  alg.; 
Pierre  Moisan,  241e  d'inf.,  de  Saint-Lô  ;  Jean  Paris,  6e  génie,  de  Saint-Malo  ;  Sassy,  tir.  alg.; 
Georges  Thery,   273e  d'inf.,   de   Hénin-Liétard  ;   Auguste   Travert,   de   Cherbourg. 

(2)  Les  troupes  qui  sont  passées  à  Florennes  appartenaient  aux  unités  suivantes  :  Leib  Garde  Husaren  ; 
Garde  Ulanen  rég.  t  et  5  ;  icr,  2e,  3e  et  4e  rég.  de  la  Garde  à  pied;  ier,  2e,  3K  et  4e  rég.  des  Grenadiers  de 
la  Garde;  143  rég.  d'art-  de  camp,  de  la  Garde;  bat-  de  pionniers  de  la  Garde;  100e,  toic,  102e  et  io3e  rég. 
de  réserve;  12e  bat.  de  chasseurs  de  réserve;  23e  rég.  d'art-  de  camp-  de  réserve;  rég-  des  hussards  de  réserve 
de  Saxe,  etc.  Ces  renseignements,  et  d'autres  précieux  détails,  nous  ont  été  communiqués  par  M.  Pector, 
à  Florennes. 


58 

Presque  tous  les  habitants  avaient  fui  :  il  restait  le  bourgmestre  et  les 
conseillers  communaux,  M.  Gustave  Allard,  juge  de  paix,  M.  Benedix,  commissaire- 
voyer,  les  Pères  Jésuites  du  Collège,  les  Frères  des  Ecoles  chrétiennes,  les 
religieuses  de  l'enseignement  et  de  la  charité,  et  un  petit  nombre  de  particuliers. 

Après  s'être  présenté  chez  le  juge  de  paix,  M.  Allard,  le  général  se  fixa  dans 
une  maison  voisine.  Comme  M.  Allard  lui  demandait  ce  qui  avait  amené  le  bombar- 
dement, il  répondit  :  «  Ici  comme  ailleurs,  les  civils  ont  tiré  sur  nos  soldats.  »  A 
priori  et  sans  examen,  il  accusait  les  civils;  mais  il  dut  reconnaître  son  erreur 
lorsqu'il  eut  interrogé  le  blessé. 

Dès  l'entrée  des  troupes,  le  doyen  de  la  ville  demanda  à  parler  à  un  officier 
sachant  le  français  et  lui  rappela  la  promesse  de  l'Empereur  d'épargner  la  population 
civile.  L'officier  se  déclara  prêt  à  respecter  cet  engagement. 

Le  doyen  alla  ensuite  visiter,  vers  i5  heures,  les  malades  qu'on  n'avait  pu 
transporter  et  constata  de  visu  que  les  troupes  pillaient  les  maisons  abandonnées. 
En  rentrant,  il  conseilla  aux  religieuses  et  à  quelques  familles  réfugiées  chez 
M.  Dupierreux  de  réoccuper  leurs  maisons,  pour  les  sauver  du  pillage.  Le  soir, 
des  soldats  surexcités  par  la  boisson,  saccagèrent  les  portes  et  les  fenêtres  de 
plusieurs  habitations. 

Le  25  août  à  8  h.  i5,  le  commandant  de  place  pénétra  de  force  au  presbytère, 
criant  à  tue-tête  qu'il  allait  faire  fusiller  le  doyen,  parce  que  l'on  avait  sonné  la 
cloche  pour  la  messe.  Cet  homme  brutal  écumait;  il  partit  en  hurlant.  M.  le  doyen 
envoya  le  clerc  pour  arrêter  l'horloge,  mais  il  avait  été  devancé  par  des  soidats,  qui 
avaient  déjà  coupé  les  cordes  des  cloches. 

Vers  9  heures,  des  médecins  de  la  Garde  impériale  prirent  possession  du 
Collège  des  Jésuites  «  au  nom  de  Guillaume  II  ».  La  visite  était  à  peine  terminée 
qu'une  troupe  en  armes  envahit  la  cour  et  l'officier  qui  la  commandait  somma  le 
R.  P.  Jean  Lafra,  ministre  de  l'établissement,  de  l'accompagner  pour  la  recherche 
des  armes  dans  le  couvent.  Le  P.  Recteur  se  joignit  bientôt  à  eux.  Comme  on 
n'avait  pas  eu  le  temps  de  se  munir  de  toutes  les  clefs,  l'officier  fit  défoncer  quelques 
portes,  puis  il  arrêta  le  Recteur,  «  à  cause  de  sa  lenteur  et  de  sa  négligence  dans  la 
perquisition  ».  En  vain,  le  P.  ministre  invoqua-t-il  sa  responsabilité  en  la  matière; 
«  Vous,  lui  répliqua  l'officier,  vous  serez  fusillé,  si  on  profère  à  Florennes  la 
moindre  menace  contre  nous!  »,  Le  Recteur  fut  conduit  au  local  Saint- Jean  et. 
dans  l'après-midi,  dirigé  sur  Mettet. 

Un  scolastique,  le  P.  Weber,  obtint  un  passeport  pour  porter  à  son  supérieur 
quelques  objets  indispensables;  en  réalité,  il  songeait  à  se  constituer  prisonnier  à  sa 
place.  Le  Recteur  fut,  en  fait,  libéré  le  lendemain,  et  son  subordonné  fut  conduit  à 
Marche,  où  il  fut  retenu  jusqu'à  la  fin  de  septembre. 

Le  prince  Eitel,  en  visitant  l'ambulance,  avait  répondu  à  un  religieux  «  que  le 
cas  du  Recteur  relevait  du  médecin  en  chef)).  Le  doyen  tenta  une  démarche  auprès 
d'un  général,  qui  lui  dit  :  «  Ignorez-vous,  Monsieur,  que  dans  cette  maison  on  a 
fait  périr  cinq  uhlans?  —  Sur  mon  honneur,  on  a  soigné  vos  blessés  comme  les 
autres.  —  Jurez  tant  que  vous  voulez  :  il  y  a  accusation!  ». 

Le  P.  Lafra  faisait  de  son  côté  des  démarches  pour  délivrer  son  supérieur,  et 
s'était  fait  accompagner  d'un  médecin  et  d'un  cavalier  allemands.  Il  se  rendit  à  cette 


59 

fin  chez  M.  l'échevin  Pestiaux,  puis  chez  un  boulanger,  M-  Havenne,  chez  lequel 
était  en  quartier  l'officier  qui  avait  procédé  à  l'arrestation.  Chemin  faisant,  un 
sous-officier  braqua  sur  lui  son  browning,  en  disant  :  «  Vous,  je  vais  vous  tuer!  — 
Et  pourquoi?  —  Parce  que  vous  soignez  mal  nos  blessés!  —  C'est  faux,  nous  les 
soignons  de  notre  mieux!  »  Chez  M.  Havenne,  plusieurs  sous-officiers  prenaient 
un  repas  dans  la  salle  à  manger;  ils  vinrent  au  religieux  avec  une  curiosité,  ou 
plutôt  une  colère  peu  dissimulée.  La  sentinelle  fit  signe  de  son  fusil  qu'il  allait  être 
fusillé.  A  ce  moment,  déboucha  à  son  tour  dans  le  corridor  le  sous-officier  qui, 
peu  de  temps  auparavant,  l'avait  menacé  ;  il  s'écria  d'un  ton  élevé  et  dédaigneux  : 
«  Vous,  prêtre  catholique,  la  race  la  plus  sale...  »  A  ces  mots,  la  fureur  se  peignit 
sur  le  visage  des  autres,  qui  parurent  disposés  à  se  jeter  sur  lui,  au  point  que 
l'insulteur  qui  avait  déchaîné  cette  rage  sembla  craindre  les  résultats  trop  violents 
de  ses  paroles  et  interposa  lui-même  ses  larges  épaules  entre  les  agresseurs  et  la 
victime.  Les  efforts  du  médecin  pour  dégager  le  P.  Lafra  furent  vains  ;  on  lui 
arracha  le  brassard  de  la  Croix  Rouge  et,  dans  une  mêlée  rapide,  il  fut  roué  de 
coups  et  jeté  sur  le  dallage  du  corridor,  puis  précipité  dans  la  cave,  d'un  énergique 
coup  de  coude.  Il  réussit  à  saisir  la  frêle  rampe  de  l'escalier,  le  long  de  laquelle  il 
se  laissa  choir,  en  sorte  qu'il  tomba  moins  lourdement  sur  le  sol  pavé  de  la  cave. 
Il  put  sortir  par  une  porte  qui  donnait  sur  la  rue,  s'engagea  dans  un  porche  ouvert, 
où  des  uhlans  étrillaient  leurs  chevaux,  traversa  une  haie  et  s'assit  sur  le  sol  en 
face  d'un  mur  fort  élevé  ;  il  sentait  le  besoin  de  se  reposer  de  ses  émotions  et  se 
recommandait  à  la  Providence. 

«  Il  pouvait  être  midi,  raconte  le  P.  Lafra.  Bientôt  j'entendis  des  voix,  mes 
agresseurs  avaient  suivi  une  piste,  ils  accouraient.  J'allai  vers  eux.  Le  premier  qui 
arriva,  un  simple  soldat,  me  saisit  par  la  main;  c'est  tout  ce  que  je  vis  et  remarquai 
de  net.  Je  me  sentis  sur  le  champ  renversé,  frappé  avec  force  sur  la  tête,  dans  le 
dos,  soulevé,  puis  rejeté  par  terre,  au  milieu  de  vociférations  et  d'injures  affreuses. 
Je  ne  pus  me  rendre  compte  du  nombre  des  assaillants,  ni  des  armes  dont  ils  se 
servaient  pour  me  battre;  ils  devaient  avoir  des  fusils,  des  fourreaux  de  sabre  ou 
de  baïonnette,  et  une  fourche. 

»  Dès  le  début,  j'avais  décidé  de  faire  le  mort,  je  ne  poussais  aucun  cri,  je  ne 
remuais  aucun  membre.  Rentrant  ma  tête  dans  les  épaules  ou  la  laissant  retomber 
sur  la  poitrine,  je  n'étais  plus  qu'une  masse  inerte,  un  homme  assommé. 

»  Soudain  ceux  qui  me  battaient  se  retirèrent.  Je  n'étais  plus  à  même  de 
bouger;  d'ailleurs  je  préférais,  par  prudence,  rester  immobile... 

»  Au  bout  d'un  temps  que  je  ne  saurais  déterminer,  mes  ennemis  revinrent  et. 
cette  fois,  leurs  coups  furent  abominables.  Je  ne  me  souviens  pas  de  tout,  car  je 
perdis  connaissance;  mais  j'ai  gardé  le  souvenir  de  ce  qu'ils  nomment  la  schlague  ! 
Je  me  souviens  de  certains  coups,  qui  devaient  mètre  portés  avec  une  crosse,  dans 
le  dos,  et  je  me  disais  :  «  Mon  Dieu,  quel  sera  le  dernier  de  ces  coups?  Quand 
arrivera  la  syncope  finale  qui  me  transportera  près  de  Vous?  »  Un  moment  je  crus 
que  mon  âme  se  séparait  de  mon  corps  :  le  sang  me  monta  de  la  poitrine  à  la 
bouche  et  à  la  tête  ;  puis,  à  travers  les  paupières  fermées,  j'aperçus  comme  une 
aurore  douce  et  brillante.  Était-ce  la  mort? 

>>  Non  !  Je  revins  à  moi  ;  j'étais  sur  le  dos  et  mes  ennemis  me  dépouillaient... 


6o 

»  J'entendis  aussi  parler  de  baïonnette,  de  revolver.  Ils  voulaient  peut-être 
m'achever  de  cette  façon,  mais  me  croyant  sans  doute  mort,  ils  se  contentèrent  de 
me  retourner  et  me  donnèrent  sur  la  nuque  un  tel  coup  de  talon  et  de  crosse  que 
le  nés,  les  joues,  la  bouche  entrèrent  dans  la  cendrée  du  chemin.  J'y  aurais  rapide- 
ment étouffé,  si  ces  hommes  ne  m'avaient  ensuite  renversé  sur  le  dos.  Je  reçus 
quelques  coups  de  pied  encore,  puis  ils  partirent. 

»  Je  faisais  toujours  le  mort  et  je  ne  cessais  de  répéter  mentalement  la  seconde 
partie  de  Y  Ave  Maria,  demandant  la  grâce  de  ne  pas  mourir  loin  de  nos  Pères,  dans 
ce  coin  isolé...  Une  heure,  je  crois,  se  passa  ainsi.  Mes  forces  diminuaient.  Les 
mouches,  attirées  par  le  sang,  me  couvraient  la  tête  et  le  visage.  Qu'ailais-je 
devenir  ? 

»  Soudain,  j'entendsdu  bruit,  des  pas,  des  voix.  Un  groupe  s'approche  de  moi. 
Ce  sont  des  Allemands.  L'un  d'eux  me  pousse  du  pied,  un  autre  se  penche  et  dit  en 
français  :  «  Mon  Dieu  !  Mon  Dieu  !  »  Il  met  ses  bras  autour  de  mon  cou  et  me 
dresse  sur  mon  séant.  Ce  mouvement  me  cause  une  grande  douleur  et  une  syncope 
de  quelques  instants.  Quand  je  reviens  à  moi,  je  sens  qu'on  me  lave  avec  de  la 
paille  mouillée,  un  arrosoir  tout  entier  est  versé  sur  ma  tête,  au  risque  de  me 
suffoquer.  Alors  je  fais  un  mouvement  involontaire.  Celui  qui  me  lave  s'arrête  et 
approche  de  mes  lèvres  sa  gourde  remplie  de  vin. 

»  Le  bon  Samaritain  —  je  l'appelais  ainsi  en  ce  moment  —  me  dit  :  «Dcminus 
vobiscum  !  »  Je  ne  répondis  pas.  «  Ami  !  reprit-il.  vous  m'entendez,  je  suis  ami  !  » 
J'ouvris  légèrement  l'œil  droit,  assez  pour  apercevoir  la  Croix-Rouge  sur  l'uniforme 
allemand.  Je  m'enhardis  à  le  prier,  très  bas,  de  me  procurer  un  prêtre.  Un  soldat 
partit  et  ramena  bientôt  M.  le  doyen,  qui  me  conféra  l'absolution  et  l'extrême- 
onction. 

»  Le  charitable  infirmier  et  ses  aides  firent  un  brancard  à  l'aide  de  rames  de 
haricots,  me  recouvrirent  d'une  grande  toile  rouge  aux  extrémités  lacérées  — 
c'était,  me  dirent  les  sœurs,  un  morceau  de  drapeau  belge  —  et  me  transportèrent 
au  Collège. 

»  Le  docteur  Rolin  et  les  majors  français  ne  me  cachèrent  pas  leur  inquiétude. 
Mon  état  leur  semblait  grave.  Les  balafres  de  la  tête  et  de  la  figure  ne  faisaient 
présager  rien  de  dangereux,  mais  toute  la  partie  supérieure  du  corps  était  para- 
lysée ;  le  dos,  grièvement  contusionné,  ressemblait  à  du  foie  noirâtre,  et  des  vomis- 
sements incoercibles  me  secouaient  douloureusement.  J'allais  cependant  échapper  à 
la  mort,  grâce  aux  soins  dévoués  des  Sœurs  de  Charité.  Je  ne  devais  garder  de  mon 
acccident  qu'une  propension  très  marquée  aux  vertiges  et  un  affaiblissement 
général  qui,  pourtant,  semble  disparaître. 

»  Avant  son  départ  de  Florennes,  l'infirmier  de  la  veille  vint  me  dire  adieu. 
J'oubliai  de  lui  demander  son  nom  et  son  adresse.  Je  sais  seulement  qu'il  est  juge 
de  paix  dans  une  ville  d'Allemagne.  » 

Le  P.  Lafra  avait  été  laissé  pour  mort,  car  un  Allemand  dit  chez  M.  Bertrand  : 
«  Nous  venons  de  tuer  votre  Pasteur.  » 

Florennes  compte  quelques  victimes.  Adolphe  LAMBOT,  24  ans,  revenant  de 
Vireux  le  25  août,  a  été  abattu  d'un  coup  de  feu  à  l'entrée  du  bois  qui  relie  Soulme 
à  Rosée. 


6i 

Muu  Lefert,  née  Angélique  Hubert,  revenait  de  Merlemont  avec  sa  vieille 
mère,  Adolphine  DUMONT,  veuve  J.-B.  HUBERT,  86  ans,  ainsi  que  son  mari  et 
sa  fille.  Ils  reçurent  des  coups  de  feu  le  2.5  août,  à  8  heures,  près  de  la  gare  de 
Villers-le-Gambon  :  Mme  Lefert  en  resta  estropiée;  sa  mère,  blessée,  vécut  encore 
quelques  heures. 

Hortense  Bélisandre,  épouse  de  Lucien  Dubois,  reçut  aussi  une  balle  à  la 
jambe  en  revenant  sur  la  route  de  Philippeville  à  Dinant. 

Le  2.6  août,  la  situation  s'était  aggravée.  Une  sinistre  rumeur  circulait  :  la 
ville  serait  réduite  en  cendres  si  l'on  découvrait  des  armes. 

On  craignait  —  à  tort,  tant  la  terreur  était  grande  et  contagieuse  —  que  l'un 
ou  l'autre  civil,  rentrant  de  son  exode  et  trouvant  sa  maison  dévastée,  ne  fît  un 
mauvais  coup.  Le  juge  de  paix  et  le  doyen  de  la  ville  firent  une  démarche  auprès 
du  général,  pour  obtenir  que  la  population  ne  fût  pas  rendue  responsable  d'un  acte 
isolé,  mais  il  s'y  refusa  formellement.  L'affiche  suivante  fut  placardée  le  jour 
même  : 

A   LA    POPULATION   DE   FLORENNES 

Les  habitants  de  Florennes  doivent  remettre  aujourd'hui  même  leurs  armes  à  l'hôtel  de  ville.  Ceux  qui 
rentrent  doivent  faire  le  même  dépôt  avant  de  s'installer  dans  leur  maison. 

Nous  renouvelons  la  défense  que  nous  avons  faite,  plusieurs  fois,  de  tirer  sur  un  soldat  allemand. 

Les  habitants  du  quartier  dans  lequel  on  aurait  tiré  sur  un  soldat  allemand  risqueraient  d'être  passés  par 
les  armes. 

Florennes,  le  2.6  août  1914. 

Le   Bourgmestre, 

V.    Devuyst. 

Le  28,  nouvelle  alerte  :  les  Allemands  menaçaient  de  tout  saccager,  si  on  ne 
leur  dénonçait  un  dépôt  d'armes  qu'ils  prétendaient  exister  dans  la  localité.  Comme 
M.  le  doyen  demandait  des  précisions  au  commandant,  il  répondit  :  «  Nous  savons 
que  ce  dépôt  existe,  à  vous  de  le  dénoncer,  c'est  la  guerre  !  »  En  fin  de  compte  on 
se  demanda  s'il  n'était  pas  question  des  armes  de  parade  servant  à  la  Saint-Pierre. 
Les  vieux  fusils  et  les  défroques  militaires  furent  livrées  aux  Allemands,  qui 
s'apaisèrent. 

La  ville  était  encore  sous  le  coup  des  menaces  quand  vinrent  à  Florennes,  le 
10  septembre,  deux  délégués  de  Mgr  l'évêque,  le  vicaire  général  Debois  et  le 
chanoine  Schmitz,  qu'accompagnait  un  officier  allemand.  Les  soldats  s'enivraient, 
tiraient  toute  la  nuit,  puis  accusaient  la  population.  C'est  en  tenant  compte  de  ce 
fait  qu'il  faut  lire  lavis  placardé  le  9  septembre  (1)  informant  que  «  dans  la  nuit  du 
8  au  9  septembre,  des  actes  de  mauvais  gré  avaient  été  tentés  contre  l'officier 
habitant  la  maison  du  chef  de  la  gare  centrale  ».  A  l'occasion  de  la  visite  de  ces 
délégués  ecclésiastiques   (2),   le  doyen  dit   au  lieutenant  Maurer,  qui    les  accom- 

(1)  Souvenirs  historiques,  Brian  HîH,  Bruxelles,  p.  16. 

(2)  Le  rapport  de  ces  délégués  terminait  ainsi  :  '(  Nous  supplions  Votre  Grandeur  d'intervenir  auprès  de 
l'autorité  militaire  pour  ramener  la  sécurité  et  la  paix  dans  ce  pays  si  éprouvé...  Florennes  vit  encore,  chaque 
jour,  sous  la  menace  de  l'incendie  et  de  la  fusillade.  Il  est  bien  établi  que  les  soldats  s'y  livrent  à  des  excès  dans 
la  boisson.  " 


02 

pagnait  :  «  Vos  hommes  ne  sont  plus  des  soldats,  mais  des  souîards  !  »  L'officier 
demanda  à  être  conduit  à  l'hôtel  de  ville,  où  il  harangua  les  troupes  rassemblées. 
Depuis,  elles  se  montrèrent  relativement  paisibles. 

N°  536.  Sainl"Aubin  (i)  fut  occupé  par  les  Français  du  14  au  20  août. 

Dans  la  matinée  du  24,  les  Français  résistèrent  quelque  peu  à  l'avance 
ennemie.  Leur  ligne  de  combat  s'étendait  de  la  gare  d'Hemptinne  à  Chaumont, 
passant  à  i,5oo  mètres  au  sud  de  Sainte-Aubin.  L'artillerie  était  postée  un  peu  plus 
loin.  Des  officiers  prévinrent  les  quelques  habitants  qui  n'avaient  pas  fui,  que  le 
village  serait  vraisemblablement  anéanti  dans  le  combat.  Ils  ouvrirent  le  feu 
à  9  heures  sur  Oret,  Morialmé,  Pavillon  et  tirèrent  une  centaine  de  coups- 
L'ennemi  ne  répondit  pas.  Les  soldats  Antonin  Canin,  de  Lyon,  et  Alfred  Auberger, 
de  Montluçon  (126e  zouaves),  tombèrent  sur  le  territoire  de  Saint-Aubin  (2)  et 
reposent  au  cimetière  militaire  de  Florennes. 

Vingt-cinq  personnes  restaient  au  village  quand  parurent  les  premiers  Alle- 
mands le  24  août,  à  10  heures,  venant  de  Florennes.  A  17  heures,  des  masses 
évaluées  à  10.000  hommes  traversèrent  les  campagnes  situées  au  nord,  dans  la 
direction  de  Morialmé  et  envahirent  le  village,  les  pâtures  et  les  bois  voisins. 
Elles  y  logèrent  et  partirent  ensuite  sur  Hemptinne,  d'où  elles  se  divisèrent  entre 
Philippeville  et  Jamagne.  On  nota  la  présence  du  2e  régiment  d'artillerie  de 
campagne  de  la  Garde  (2e  division  de  la  Garde),  oberst.  von  der  Hardt. 

Ces  troupes  furent  remplacées  par  d'autres,  presque  en  aussi  grand  nombre, 
les  deux  nuits  suivantes  (3). 

Les  maisons  furent  pillées  de  fond  en  comble.  A  l'église,  les  troncs  furent 
fracturés. 

Jules  DUPÉROUX  (fig.  to),  19  ans,  revenait  de  Philippeville  le  mardi  vers 
5  heures  du  matin,  quand  il  rencontra  des  soldats  qui  gagnaient  Hemptinne  :  ils 
tirèrent  sur  lui,  une  balle  lui  transperça  la  tête.  Ils  lui  labourèrent  ensuite  la 
poitrine  et  les  reins  de  coups  de  baïonnette.  On  le  retrouva  jeté  dans  un  champ 
d'avoine,  sous  quelques  gerbes  qui  le  dissimulaient  aux  yeux  des  passants. 

§5.    —  Vers  la  frontière. 

L'ennemi  fut— il  intimidé,  le  24  août,  par  les  quelques  pièces  d'artil- 
lerie française  qui  tirèrent  sur  lui  d'Hemptinne  :  toujours  est-il  qu'il  ne 
dépassa  pas  ce  jour-là  Florennes  et  Saint-Aubin  ;  ce  qui  permit  l'écoule- 
ment sans  encombre,  non  seulement  des  trois  divisions  formant 
le  10e  corps,  mais  aussi  des  troupes  du  3e  corps  qui  combattaient  encore 
en  ce  moment  aux  environs  de  Walcourt. 

(1)  Voir  Journal  d'un  officier  de  cavalerie,  Parts,  Berger.-Le\rault,  p.  17. 

(2)  Le  soldat  belge  Charles  Henrard,  d'Etnines,  est  aussi  tombé  à  Sainte-Aubin. 

(3)  Une  liste  de  bons  de  réquisition  conservée  aux  archives  de  la  Commission  d'Enquête  à  Bruxelles  signale 
au  24  et  au  26  août  plusieurs  bataillons  des  95e.  76e  brigade,  38e  division,  XIe  corps. 


63 

Résumons  ici  les  données  militaires  (i)  concernant  ia  retraite 
du  loe  corps,  de  Florennes  à  la  frontière  française. 

La  19e  division  acheva  de  traverser  Fîorennes  le  24  août  entre  9  et  \o  heures, 
et  poursuivit  paisiblement  sa  route  vers  Philippeville.  De  là,  sans  cantonner,  par 
une  pénible  marche  de  nuit,  elle  gagna  Lomprez,  Aublain,  Couvin  et  Pesche. 

La  20e  division  traversa  Florennes  en  même  temps  que  la  queue  de  la  19e  divi- 
sion et,  par  Hemptinne,  gagna  aussi  sans  incident  Soumoy,  Daussois,  Falemprise, 
où  elle  arriva  à  14  heures.  A  16  heures,  la  cavalerie  allemande  ayant  été  signalée 
à  Silenrieux,  l'ordre  fut  donné  précipitamment  de  se  replier  sur  Cerfontaine. 
A  18  heures,  les  troupes,  bien  qu'exténuées,  gagnèrent  à  travers  bois  et  dans 
l'obscurité  la  ville  de  Chimay. 

La  37e  division  passa  la  dernière  à  Florennes  :  la  j¥  brigade  défila  par  la  lisière 
est  et  la  voie  ferrée,  gagnant  Philippeville  ;  la  74e  brigade  utilisa  la  grand'route  et  se 
dirigea  sur  Neuville  et  Villers-deux-Eglises.  Sans  délai,  ces  unités  continuèrent  sur 
Boussu-en-Fagne  et  Dailly. 

Le  25  au  matin,  la  Garde  reprit  sa  marche  en  avant,  passant  succes- 
sivement à  Hemptinne  (rapport  n°  537),  à  Chaumont  (n°  538),  à 
Jamagne  (n°  53c)  —  où  fut  tué  André  Chermanne  (fig.  12)  — ,  à 
Villers-deux-Eglises  (n°  540)  —  où  deux  maisons  furent  incendiées  — , 
à  Soumoy  (no  541),  à  Senzeilles  (n°  542)  et  à  Cerfontaine  (n°  543). 

De  là,  la  Garde,  dépassant  la  limite  de  la  province  de  Namur,  se 
dirigea  sur  Froid-Chapelle,    Rance,    Chimay  et  Ohain   (voir  fig.    t3o). 

Six  cents  zouaves  de  Baïra  (Sahara)  logèrent  à  Hemptinne  (2)  le  21  août  et 
partirent  le  samedi  22,  à  23  heures,  dans  la  direction  d'Oret.  Ils  repassèrent  le  24 
à  7  heures,  disant  que,  depuis  3  heures  du  matin,  ils  étaient  couverts  de  shrapnels 
et  qu'ils  se  retiraient  sur  Mariembourg.  Des  troupes  de  cavalerie  étaient  aussi  venues 
le  23,  à  23  heures,  d'Hanzinne  et  de  Morialmé;  elles  passèrent  la  nuit  le  long  des 
haies  et  dans  les  chemins.  Le  24,  à  8  heures,  un  canon  prit  position  entre  Saint- 
Aubin  et  Hemptinne;  à  9  heures,  trois  canons  ramenés  de  la  région  d'Hanzinelle 
furent  installés  à  côté  du  premier  et,  ensemble,  ils  tirèrent  une  dizaine  de  salves 
contre  l'ennemi.  Celui-ci  ne  répondit  pas,  et  l'artillerie  se  retira  aussitôt  vers 
Philippeville. 

Les  premiers  Allemands,  des  uhlans,  parurent  le  mardi  matin,  25  août.  Arrivés 
à  la  chapelle  de  Sainte-Brigitte,  à  5  h.  3o,  ils  prirent  l'une  et  l'autre  bifurcation. 
L'infanterie  suivit  à  6  h.  3o  ;  d'abord  deux  bataillons,  puis  à  10  heures,  une  masse 
évaluée  à  8.000  ou  to.ooo  hommes,  venant  de  Saint-Gérard,  avec  ambulances  (3). 

(1)  Elles  ont  été  puisées  à  la  Section  historique  de  l'Etalr'Major  général,  à  Paris. 

(a)   Les  renseignements  si  précis  contenus  dans  ce  rapport  ont  été  reçus  le  22  octobre  1914,  de  M.  l'abbé 
Ch.  Jos.  Bilquin,  curé  de  l'endroit. 

(3)  Noté  sur  un  bon  de  réquisition  l'indication  suivante  :  7e  compagnie  du  iet  régiment  de  la  Garde. 


64 

Le  village  offrit,  ce  jour-là.  un  spectacle  extraordinaire  :  on  y  comptait  cinq 
campements  importants.  A  i3  heures,  le  défilé  commença  dans  la  direction  de 
Jamagne,  Jamiolle.  Villers-deux-Eglises,  Senzeilles  et  Cerfontaine.  et  se  poursuivit 
tout  l'après-midi.  Le  curé  était  resté  presque  seul  au  village.  Ayant  remarqué  que 
les  officiers  criaient  et  hurlaient,  il  se  mit  à  faire  de  même,  non  sans  succès.  Les 
méfaits  se  bornèrent  au  pillage  et  au  sac  des  maisons.  Portes  et  fenêtres  furent 
brisés.  C'était  plaisant  de  voir  le  va-et-vient  des  soldats,  charriant  sans  relâche  les 
vins  hors  des  caves  à  l'aide  de  seaux  de  cuir. 

Le  2.6,  un  dernier  passage  de  troupes  mit  fin  à  l'invasion. 

N"  53?.  A  Chaumonl.   lundi  24  août,   de   midi  à    t5   heures,   un  feu  de   shrapnels    fut 

ouvert  par  l'ennemi  sur  les  arrière-gardes  belge  et  française  (1).  Les  Allemands 
n'entrèrent  toutefois  au  village  que  le  lendemain,  à  16  heures,  et  pillèrent  les 
maisons  abandonnées,   emportant   jusqu'aux  linges  et  literies. 

N°  539.  Les  habitants  de  Jamagne  s'enfuirent   le  23  août. 

Le  24,  il  ne  restait  que  trois  hommes  deux  furent  faits  otages;  le 
troisième,  André  CHERMANNE,  44  ans,  fut  tué  dans  un  fossé,  sur  la  route  de 
Philippeville,   en    voulant  se  rendre    dans  le  pâturage  où  paissaient  ses  chevaux. 

Quand  les  gens  revinrent  de  Géronsart  ou  de  Gonrieux,  à  travers  la  forêt 
de  Senzeilles,  ils  trouvèrent  leurs  maisons  mises  à  sac  :  les  portes  et  fenêtres 
étaient  brisées  ;  les  provisions,  linges  et  ustensiles  enlevés  ;  les  étables  et 
porcheries  vidées;  des  bouteilles  vides  jonchaient  les  chemins,  trahissant  les 
orgies  auxquelles  s'étaient  livrés  les  soldats  de  l'ambulance  et  les  artilleurs  qui 
avaient   occupé  le  village. 

j,jo  g  .0  Les  premiers  Français  arrivèrent  à  Villers~'DeuX'''Eglises  le  14  août.  Il  en  vint 

tous  les  jours  qui  suivirent,  notamment  le  270e,  le  20  août.  Ces  braves  Bretons 
assistaient  à  toutes  les  cérémonies  religieuses  et  les  officiers  prenaient  place  dans 
le  chœur. 

Le  départ  des  habitants  commença  le  23  août  et  se  poursuivit  le  24  ;  ce  jour-là, 
quand  le  village  fut  envahi  par  200  à  3oo  turcos,  harassés  et  affamés,  qui  se  préci- 
pitèrent dans  les  maisons  à  la  recherche  de  vivres,  il  y  restait  à  peine  dix  personnes. 
Ces  turcos  furent  dirigés  le  soir  sur  Neuville  et  Mariembourg. 

Beaucoup  de  fugitifs  s'étaient  arrêtés  dans  les  bois  de  Senzeilles  et  revinrent 
dès  le  lendemain. 

(1)  Y  trouvèrent  la  mort  cinq  soldats  belges  et  deux  français,  à  savoir  :  Sixte,  Louis-Joseph,  du 
i3e  de  forteresse,  de  Grand-Leez,  atteint  à  la  poitrine  dans  un  champ  d'avoine  au  lieu  dit  "  Saint- 
Joseph  >' ;  Dassy,  Louis,  de  Honnay;  Franz,  Jean-Joseph,  d'Autelbas,  et  Gérard,  Léon,  de  Suxy,  tous 
trois  du  «3e,  dont  les  deux  premiers  tombèrent  à  200  mètres,  et  le  troisième  à  3o  mètres  de  la  ferme  de 
Prairie;  Légat,  René,  du  i3",  de  Tilly,  blessé  à  la  tête  et  tombé  dans  le  bois  de  Reulx,  à  180  mètres 
de  la  route  de  Philippeville;  Chollier,  Jean-Pierre-Victor,  du  2''  zouaves  français,  tué  d'une  balle  à  la 
tête,  à  8  heures,  le  long  de  la  route  de  Philippeville,  près  du  bois  des  Acaudries  ;  Dihl,  Nicolas,  artilleur 
français,  tombé  au  bois  de  Surprêt.  Tous  ces  soldats  furent  réinhumés  en  juin  1918  au  cimetière  militaire 
de   Saint-Aubin. 


La  Garde  impériale  fit  son  entrée  le  25  août,  à  8  heures  du  matin,  et  le  défilé 
se  poursuivit  jour  et  nuit  jusqu'au  27.  Ces  soldats  traitèrent  les  habitants  restés  au 
village  comme  des  esclaves,  ou  plutôt  comme  des  bêtes  de  somme,  et  leurs  biens 
comme  s'ils  eussent  été  leur  propriété.  Le  bourgmestre,  Alexandre  Meunier, 
et  le  garde-champêtre,  Emile  Gobeaux,  durent  les  précéder  partout,  pénétrer  au 
presbytère  par  une  fenêtre  de  la  cuisine  dont  les  soldats  avaient  brisé  les  vitres,  et 
à  l'église  par  une  porte  de  remise  qu'ils  avaient  démolie.  Ils  donnèrent  un  quart- 
d'heure  au  bourgmestre  pour  livrer  5oo  kilog.  d'avoine  et  18  lanternes.  Malgré  ses 
70  ans,  il  passa  la  nuit  à  l'école,  avec  son  compagnon,  sur  une  botte  de  paille. 

Le  26  août  à  i3  h.  3o,  les  maisons  d'Alphonse  Bayet-Nicaise  et  de  Joseph 
Bertrand-Hennaut,  sur  la  route  de  Jamiolle,  furent  incendiées,  «  parce  qu'un  civil 
avait  tiré  ».  Or  le  coup  de  feu  venait  d'un  Allemand  à  cheval,  ainsi  qu'en  fut  témoin 
M.  Bayet,  et  avait  atteint  un  monceau  de  charbon.  Repoussés  d'abord  dans  la 
maison  en  flammes  par  les  fusils  braqués  sur  eux,  M.  et  Mme  Bayet  réussirent  à 
s'évader,  mais  durent  se  mettre  à  genoux  en  face  du  feu,  avec  un  groupe  d'autres 
civils,  et  furent  menacés  de  la  mort.  Quatre  d'entre  eux  restèrent  tellement  sous 
l'impression  de  ces  brutalités  qu'ils  ne  tardèrent  pas  d'en  mourir. 

Une  scène  identique  se  passa  près  de  l'église,  où  un  groupe  de  dix-sept 
personnes  fut  sur  le  point  d'être  fusillé. 

Du  i5  au  24  août,  des  unités  françaises  cantonnèrent  à  Soumoy.  Le  24,  à 
i5  heures,  les  officiers  annoncèrent  l'installation  d'une  batterie  au  sud-est  de  la 
localité  et  conseillèrent  aux  habitants  de  s'enfuir.  Il  ne  resta  personne  et  les 
Français  se  retirèrent  eux-mêmes  sans  livrer  combat. 

Le  25  août,  quelques  centaines  d'Allemands  firent  leur  entrée  au  village  et, 
constatant  qu'il  ne  s'y  trouvait  pas  de  Français,  ils  se  dirigèrent  sur  Senzeilles.  Les 
habitants  rentrèrent  la  plupart  après  deux  ou  trois  jours  d'absence. 

Un  bataillon  de  zouaves  et  des  Algériens  vinrent  à  Senzeilles  le  t5  août. 

Le  village  était  désert  lorsque  l'ennemi  y  pénétra  le  25  août  dans  l'avant-midi. 
Le  défilé  des  troupes  dura  trois  jours  et  trois  nuits.  Les  soldats  enlevèrent  au 
presbytère  un  riche  calice. 

Un  soldat  français  et  trois  officiers  allemands  furent  inhumés  an  cimetière.  Le 
soldat  français  Albert  Legrand,  blessé,  fut  soigné  trois  mois  à  l'ambulance,  puis 
réussit  à  s'évader. 

Cerfonîaine  accueillit  avec  enthousiasme,  le  14  août,  des  éléments  du  10e  corps 
et  du  corps  algérien,  qui  se  dirigèrent  vers  Florennes  et  Mettet. 

Grâce  au  sang-froid  et  au  dévouement  du  bourgmestre,  M.  François,  une 
partie  notable  des  habitants  restèrent  chez  eux,  ou  même  se  répartirent  entre  les 
maisons  inoccupées,  ce  qui  les  préserva  considérablement  du  pillage. 

L'ennemi  parut  le  25,  à  partir  de  8  heures. 


CHAPITRE   II 


LA  RETRAITE  DE  BIOUL 


Notre  intention  n'est  pas  d'entreprendre  ici  une  histoire  complète 
et  définitive  de  l'incident  militaire  qui  a  pris  le  nom  de  «  retraite  de 
Bioul  ».  Cette  tâche  restera  longtemps  difficile,  en  raison  du  nombre 
et  de  la  complexité  des  événements  qui  composent  cet  émouvant 
épisode.  Les  matériaux  que  nous  possédons  nous  paraissent  néanmoins 
assez  intéressants  pour  être  publiés  :  écrits  sous  l'occupation  même 
ou  au  lendemain  de  l'armistice,  par  des  témoins  oculaires  et  choisis, 
ils  font  partiellement  la  lumière  sur  la  retraite  mouvementée  de  la 
division  de  Namur. 

En  lisant  ces  pages,  on  ne  peut  se  défendre  de  l'impression 
qu'un  peu  plus  de  sang-froid  et  d'organisation  aurait  probablement 
sauvé  toute  l'armée  de  Namur.  C'est  seulement  le  24  août,  à 
i3  heures,  que  la  Garde  fit  prisonnières  les  troupes  restées  à  Bioul 
et  c'est  à  14  heures  que  le  passage  fut  coupé  à  Sosoye  par  l'arrivée 
du  XIIe  corps  de  réserve  ennemi.  On  disposait  donc  de  la  matinée 
entière  du  24  août  pour  faire  sortir  de  l'encerclement  les  troupes  qui 
encombraient   Bioul  et  les  environs. 

Peut-être  hésitera-t-on,  malgré  tout,  à  en  faire  grief  au  comman- 
dement, si  l'on  réfléchit  que  les  Allemands  se  reprochent  aussi  d'avoir 
laissé  échapper  une  importante  partie  de  l'armée  belge,  qu'ils  auraient 
pu  si  facilement  constituer  prisonnière;  car  la  Garde,  qui  se  trouvait  le 
z3,  à  17  heures,  à  Saint-Gérard  et,  à  20  heures,  à  Denée,  n'avait 
pas    grand    effort    à    faire    pour    rejoindre    les    troupes    saxonnes    du 


67 

XIIe  corps  qui  avaient  passé  la  Meuse  à  Yvoir  et  à  Hun,  et  barrer 
la  retraite  à  l'adversaire.  Le  chef  de  la  IIe  armée  s'en  est  excusé  : 
«  il  pensait,  écrit-il  dans  ses  Mémoires,  que  c'était  affaire  à  la  colonne 
de  l'aile  droite  de  la  IIIe  armée  d'intervenir  de  ce  côté  (t)  ». 

Groupons,  avant  tout,  les  données  d'ordre  militaire  que  nous 
avons  pu  recueillir  sur  la  retraite  de  Bioul  et  qui  serviront  comme 
de  cadre  aux  travaux  particuliers  que  nous  ferons  suivre. 

C'est  le  23,  à  to  heures  (2),  que  le  lieutenant-colonel  Grumbach,  du 
45e  d'infanterie  française,  qui  commandait  le  secteur  Cognelée-Marchovelette, 
ordonna  le  repli  du  3e  bataillon  du  148e,  installé  aux  environs  du  village  de 
Champion;   cette  troupe  fut   aussitôt  suivie  du    ier  bataillon  du  3oe  belge. 

Le  général  Henrard,  qui  commandait  le  IVe  secteur  de  la  position  fortifiée 
(Marchovelette-Meuse),  mis  en  péril  par  le  repli  de  ses  voisins  de  l'ouest, 
donna  à  son  tour  l'ordre  de  la   retraite  peu  de  temps   après. 

A  i3  heures,  ce  fut  le  tour  du  IIIe  secteur,  dont  le  flanc  et  l'arrière 
étaient  découverts,  par  l'irruption  de  l'ennemi  dans  le  IVe  secteur;  les  troupes 
furent  dirigées  sur  Malonne,   par   le  pont  de  Bauce. 

Dans  te  Ier  secteur,   le  général  Teyszerski  donna  le  signal  à    12  h.   3o. 

Le  général  Michel,  gouverneur  de  la  position,  arriva  à  11  h.  3o  à  la  villa 
de  P\.  le  baron  Fallon,  au  Milieu  du  Monde,  puis  bientôt  à  Gros-Buisson;  il 
traça  d'abord  comme  itinéraire  à  ses  troupes  Lesves-Saint  Gérard-Ermeton 
sur  Biert;  puis,  apprenant  le  recul  des  Français  à  Lesves  et  Saint-Gérard,  il 
décida  de  marcher  sur  Bioul  et  Sosoye. 

Quelle  fut  cette  retraite,  nous  l'apprendrons  par  un  témoin  oculaire.  Le 
général  Cadoux  (3)  décrit  ainsi  le  repli  du  3e  bataillon  du  148e,  puis  du  reste 
des  troupes. 

Pendant  cette  retraite,  qui  (ut  plutôt  pitoyable,  étant  donnés  l'affolement  et  le  défaut  de  liaison, 
chacun  s'en  va  au  petit  bonheur.  Le  tir  de  l'artillerie  allemande  de  petit  et  de  gros  calibre  ne  cesse 
de  faire  des  ravages  dans  les  rangs  des  troupes,  véritable  cohue  qui  s'enfuit  de  tous  côtés  en  jetant  la 
panique  sur  son  passage-  A  12  h.  3o,  le  3e  bataillon,  ou  plutôt  ce  qui  a  pu  en  être  rassemblé  à  Namur, 
se  porte  à  la  citadelle  pour  occuper  des  tranchées  introuvables.  Pendant  la  recherche  de  celles-ci,  une 
grêle  d'obus  s'abat  sur  le  bois  dans  lequel  les  compagnies  se  sont  abritées...  A  16  h.  3o,  sous 
une  avalanche  infernale  d'obus  de  tous  calibres,  une  nuée  d'automobiles,  de  caissons,  un  torrent  de 
soldats  belges  que  rien  n'arrête  disloquent  les  unités  françaises  et  les  entraînent  dans  leur  fuite  éperdue 
On  se  cherche,  on  ne  se  connaît  plus,  on  ne  se  trouve  plus.  C'est  la  débâcle.  Un  officier  belge  qui  passe 
en  auto  crie  aux  troupes  françaises  .  «  Rassemblement  vers  Bioul.  »  Il  n'y  a  pas  d'autre  ordre.  Chacun 
s'oriente  vers  le  village  indiqué,  dont  le  nom  passe  de  bouche  en  bouche.  En  cours  de  route,  des  essaims 
se   forment,   des  groupements  se  constituent.   On   arrive   à   Bioul. 

Bien  qu'une  bonne  partie  de  la  garnison  de  Namur  eût  déjà  dépassé  Bioul 
à  la  soirée,  il  y  régnait  cependant  à  la  tombée  de  la  nuit  un  encombrement 
indescriptible. 

(1)   Von  Bulow,   Mon  'Rapport,   etc.,   o.    c,   p.    60. 

(i)   A    11    h.    «5,   écrit   le  général   Cadoux. 

(3)   Notice  manuscrite  dont  le  général  a  bien   voulu   nous  donner  communication. 


68 

Une  importante  colonne  d'ambulance  conduite  par  le  major  Petit  tenta  le 
passage  et  fut  attaquée,  sur  la  droite,  à  la  sortie  du  village  (rapport  n°  546)  (1). 
Cette  échauffourée,  en  faisant  refluer  vers  Bioul  une  partie  de  la  division,  eut 
des  conséquences  fâcheuses  sur  la  retraite,  dont  elle  retarda  l'écoulement  de 
plusieurs  heures. 

Le  lieutenant-général  Michel  se  porta  de  Sosoye,  où  il  était  à  23  heures, 
à  Rosée,  où  il  rencontra,  le  24  août,  à  1  heure  du  matin,  l'État-Major  du 
1er  corps  français;  on  décida  que  le  ier  corps  battrait  en  retraite  sur  Agimont- 
Vodelée,  qu'une  division  française  resterait  en  avant  d'Anthée  et  de  Flavion 
jusque  xi  heures,  pour  la  sécurité  du  passage,  et  que  les  troupes  belges 
seraient  autant  que  possible  dirigées  sur  Franchimont,  Villers-en-Fagne,  Roly, 
Mariembourg,   seule   route  disponible. 

A  Bioul,  un  conseil  d'officiers  supérieurs  se  tint  dans  la  nuit. 

Le  24  août,  à  2  heures  du  matin,  le  colonel  Delmaere,  commandant  du 
28e  de  ligne,  mit  en  branle  des  éléments  des  8e,  ioe,  28e  et  t3e  de  forteresse, 
avec    quelques    batteries,    sur    Sosoye,    Flavion,    Rosée,    Vodelée,    Mariembourg. 

A   5   heures,    un   groupe   de  soldats    de    l'ambulance   du   major  Petit   prit   la 

route  de  l'abbaye  de  Maredsous,   où  une   partie  du  convoi   fut   faite   prisonnière 

(rapport  n°  547). 

Le   général    Ghislain    dirigea    un   bataillon    sur  Warnant    et   s'y    rencontra,   à 

6  heures,  avec  l'avant-garde  de  la  23e  division  de  réserve  allemande  (XIIe  corps), 

qui  avait  passé  la  Meuse  à  Yvoir;   c'est  le  combat   de  Warnant   que   raconte  le 

rapport  n°  548.   Cependant,  une  partie  des  troupes  belges  qui  y  avaient  participé 

s'était    rabattue    à    temps    sur    Bioul   :   le  capitaine-commandant  Béchet  en  sauva 

des  éléments,  auxquels  il  fit  gagner  Sosoye;  d'autres,  dirigés  sur  Denée,  y  furent 

faits    prisonniers,    à     l'exception    de    fractions    du    t3e    de    ligne    et    du     i3e    de 

forteresse,   qui  s'échappèrent  encore  à  l'instar  des  précédents. 

Le  2e  bataillon  du  i3e  de  forteresse  gagna  Florennes,  où  il  se  heurta  à 
l'ennemi,  et  fut  fait  prisonnier  dans  les  premières  heures  de  l'après-midi 
(rapport  n°  55o). 

Le  3e  bataillon  du  t3ede  ligne  put  encore  atteindre  Ermeton-sur-Biert  par 
la  route  de  Rouillon  à  Fraire,  mais  il  eut  à  y  soutenir  un  combat  contre 
la  Garde  allemande  (rapport  n°  549). 

Les  unités  belges  se  reformèrent  en  partie  dans  la  région  d'Eteignères  et 
de  Signy-le-Petit,  au  sud  de  Chimay. 

«  Nous  croisons,  écrit  le  docteur  Veaux,  toute  l'armée  belge  de  Namur  en  retraite.  Les  uniformes  sont 
sales,  dégoûtants,  couverts  d'une  couche  de  poussière  épouvantable.  Les  capotes  noires  sont  en  partie 
déchirées,  les  képis  à  grande  visière  violette,  verte,  bleue,  sont  cassés  ;  beaucoup  d'hommes  n'ont  plus  de 
coiffure.  Voici  des  artilleurs,  quelques-uns  à  pied,  n'ayant  plus  ni  chevaux,  ni  canons.  Nous  remarquons 
cependant  une  batterie  qui  a  encore  bonne  allure.  Elle  a  formé  son  parc  dans  une  prairie.  Les  hommes 
soignent   leurs   chevaux,  d'autres  lavent   leurs  pieds,  se  nettoient   dans  le  ruisseau   voisin...  Un  grand  écriteau 

(1)  C'est  ce  qui  a  donné  lieu  au  récit  de  M.  Nothomb  dans  la  Belgique  martyre.  Voir  aussi  la 
"Réponse  belge  au  Livre  blanc  allemand.  Paris,  Berger-Levrault,  1917,  p.  83.  On  ne  peut  cependant  en 
faire  un  crime  aux  troupes  de  la  Garde,  qui  n'ont  pu  se  rendre  compte  dans  la  nuit  qu'il  s'agissait  d'une 
ambulance. 


69 

indique  les  directions  que  doivent  suivre  les  troupes  belges  des  différentes  divisions  et  leur  lieu  de 
cantonnement  pour  la  nuit...  Nous  descendons  à  Signy-le-Petit.  C'est  là  que  s'arrêtent  les  troupes  belges. 
A  l'entrée  du  bourg,  on  les  classe  par  régiments;  leurs  officiers  réorganisent  les  compagnies,  qui  se  groupen 
dans  les  champs  avoisinants...  On  se  met  aussitôt  au  nettoyage  des  fusils;  on  remplit  des  caissons  de 
cartouches.  Dès  qu'il  y  a  mille  hommes  de  réunis,  on  les  encadre  avec  des  officiers,  les  leurs  autant  que 
possible;  on  les  embarque  dans  des  trains  qui  sont  rangés  sur  toutes  les  voies  avoisinantes...  Les  trains 
partent  tous  sur  le  Havre  ;  l'armée  belge  de  Namur  se  réorganise  petit-à-petit  pour  être  dirigée  sur  Anvers 
par  voie  de  mer.  Voilà  ce  que   peut  une   bonne  direction  :  une  déroute   est  vite  transformée  en  retraite  («).  » 

Cependant  quelques  milliers  de  soldats  étaient  restés  le  24  août  à  Bioul, 
engouffrés  dans  les  caves  et  les  jardins  du  château  et  dans  les  maisons  parti- 
culières; ils  étaient  démoralisés,  mais  ne  demandaient  cependant  qu'à  marcher 
et  même  qu'à  combattre.  Ils  attendaient  encore  des  directives,  qui  ne  venaient  pas. 
Soudain,  vers  1 1  heures,  le  village  fut  bombardé.  Bientôt  l'ennemi  parut  et  les  fit 
prisonniers  :  c'étaient  des  parties  du  8e,  du  8e  de  forteresse,  du  i3e  et  de  l'ambu- 
lance (rapport  n°  545)  (2). 

§   1 .  —  Au  village  de  Denée. 

544.  Les  troupes  françaises  et  la  garnison  de  Namur,  en  retraite,  passèrent 
à  Denée  (3)  le  23  août  dans  l'après-midi.  Presque  tous  les  habitants,  délaissant 
leurs  maisons,  s'étaient  réfugiés  dans  les  carrières  de  marbre  situées  aux  environs, 
dont  les  vastes  souterrains  offrent  des  abris  sûrs.  Les  troupes  alliées  aban- 
donnèrent dans  les  maisons,  dans  les  rues  et  dans  les  campagnes,  un  matériel 
considérable  en  habits,  équipements,  armes  et  pièces  d'artillerie,  camions  et 
convois,  que  les  gens  du  village  firent  disparaître  en  bonne  partie,  avant 
l'arrivée  de  l'ennemi,  en  les  jetant  dans  des  puits  abandonnés. 

Les  premières  troupes  allemandes  pénétrèrent  dans  le  village  le  23  août 
entre  19  et  2.0  heures  et  firent  otage  le  bourgmestre,  M.  de  Montpellier,  le 
curé  et  le  secrétaire  communal;  elles  partirent  le  lendemain  à  la  première  heure. 

Le  25  août,  à  20  h.  3o,  le  village  fut  investi  par  des  troupes  du  167e, 
22e  division,  XIe  corps,  qui  repartirent  le  26  au  soir  pour  la  Russie. 

§  2.  —  Au  village  de  Bioul. 

545.  L'armée  française  en  retraite  repassa  à  Bioul  (4)  dans  l'après-midi  du  23  août, 
bientôt  suivie  de  la  division  de  Namur. 

Des  milliers  de  soldats  belges,  la  plupart  sans  chefs  et  sans  armes,  séjournèrent 
au  village  dans  la  nuit  suivante,  installés  dans  les  maisons  particulières,  mais  surtout 

(1)  En  suivant  nos  soldais  de  l'Ouest,  o.  c,  p.  76. 

(2)  A  consulter  sur  la  retrai  e  de  Bioul  :  La  Campagne  de  l'Armée  belge,  Paris,  Bloud  et  Gay,  p.  64; 
Lanrezac,  o  c,  p.  177;  baron  Buffin,  Récits  de  combattants,  Paris,  Pion,  pp.  100  et  ss.;  von  Bulow, 
o.  c,  p.  60;  docteur  Georges  Veaux,  En  suivant  nos  soldais  de  l'Ouest,  pp.  70  et  ss. 

(3)  Ces  renseignements  ont  été  recueillis  sur  place  en  mai  1916. 

(4)  Ce  rapport  groupe  des  données  recueillies  auprès  des  habitants  du  village  et  de  nombreux  témoins 
oculaires. 


7° 

au  château  et  dans  la  propriété  de  M.  Vaxelaire.  Un  certain  ordre  régna  dans  le 
cantonnement.  Des  sentinelles  étaient  postées  à  l'entrée  des  routes  et  les  relèves 
se  firent  régulièrement. 

Une  centaine  de  brancardiers,  dont  l'aumônier  de  la  4e  division,  M.  Van  Luyten, 
et  plusieurs  prêtres,  occupaient  l'église  paroissiale  et  le  presbytère. 

Ce  fut  une  nuit  de  terreur,  sous  la  menace  perpétuelle  de  l'irruption  d'un 
ennemi  redouté. 

A  l'église,  beaucoup  de  soldats  se  confessèrent  et  M.  le  curé  distribua  à 
plusieurs  reprises  la  S.  Communion.  A  2.  heures  du  matin,  un  religieux  capucin, 
brancardier,  célébra  la  Sainte  Messe  et  beaucoup  de  brancardiers  communièrent. 

Il  s'était  tenu  dans  les  salles  du  château,  entre  zi  et  zl  heures,  un  conseil  de 
guerre  présidé  par  le  colonel  Lebeau,  du  corps  de  transport.  L'avis  du  colonel,  qui 
était  de  forcer  l'encerclement,  prévalut  et  on  décida  que,  de  grand  matin,  on 
tenterait  de  percer  les  lignes  allemandes. 

Il  y  eut,  en  effet,  plusieurs  départs,  dont  quelques-uns  seront  signalés  dans  les 
rapports  suivants. 

Trois  colonnes  attelées  du  corps  de  transport  de  ia  4  D.  A.,  conduites  par  le 
lieutenant  Wilmes,  arrivèrent  encore  à  Bioul  le  24  août  dans  l'avant-midi  et  y 
furent  faites  prisonnières  dans  les  conditions  que  nous  allons  raconter.  Elles  avaient 
quitté  la  Marlagne  le  z3  août  à  16  heures,  avant  même  d'avoir  reçu  l'ordre  de 
retraite,  et  avaient  subi  d'incessants  retards,  à  partir  de  Gros-Buisson,  par  suite  de 
l'irruption  de  batteries  d'artillerie  et  de  troupes  d'infanterie.  Après  s'être  aventurées 
sur  la  route  de  Bois-de-Villers  à  Saint-Gérard,  que  venait  de  leur  assigner  un 
capitaine-commandant,  elles  avaient  rebroussé  chemin  et  gagné  Arbre  par  une 
obscurité  profonde,  puis  pris  la  route  de  Bioul.  A  hauteur  de  la  ferme  Romiée,  la 
colonne  s'était  arrêtée,  bloquée  par  une  interminable  série  de  véhicules  qui  la 
précédaient  et  qui  tous  avaient  fait  halte.  Les  conducteurs  dormaient  d'un  sommeil 
de  plomb,  après  plusieurs  nuits  d'insomnie.  Un  caisson  d'artillerie  en  essayant  de 
doubler  la  colonne,  avait  roulé  dans  une  prairie  sise  en  contre-bas  et  les  conduc- 
teurs, gravement  blessés,  avaient  été  transportés  à  la  ferme  précitée.  La  marche 
avait  repris  le  24  août  au  matin. 

La  colonne  avait  dépassé  Bioul  et  s'engageait,  vers  1 1  heures,  sur  le  chemin 
de  Denée  quand,  à  z  kilomètres  du  village,  elle  fut  attaquée  sur  la  droite.  Le  major 
d'artillerie  Bonsir  fit  faire  demi-tour  et  quand  on  rentra  dans  Bioul,  on  apprit  que 
les  Allemands  avaient  installé  des  batteries  vers  Mossiat  et  la  ferme  des  Bruands, 
sur  le  chemin  de  Warnant.  Deux  des  colonnes  de  munitions  venaient  d'être  parquées 
à  la  lisière  sud  du  village  et  la  troisième  dans  le  village  même  quand  l'ennemi 
ouvrit  le  feu. 

Deux  obus  tombèrent  sur  la  colonne  n°  t,  tuant  huit  chevaux.  D'autres  coups 
furent  éparpillés  sur  tout  le  village,  sans  faire  toutefois  de  victimes  (t). 


(1)  Nous  ignorons  dans  quelles  circonstances  ont  été  tués  les  soldats  français  dont  les  :ioms  suivent, 
retrouvés  et  inhumés  sur  le  territoire  de  Bioul  :  Jean  Diericx,  du  45e  d'infanterie  ;  André  Jamotte,  du 
148e  d'infanterie;  deux  Français  non  identifiés  sont  aussi  inhumés  au  cimetière,  v.n  autre,  dans  la  campagne. 
Jules-Louis   Robine,  du   3e;d'infanterie  6145,  Cherbourg  354,  est   tombé   à   Bioul   et   a   été  inhumé  à  Biesmes. 


7» 

A  i3  h.  3o,  un  drapeau  blanc  fut  hissé  à  la  tour  de  l'église  et  on  députa  une 
jeune  fille,  Maria  Hotlet,  pour  aller  au  devant  de  l'ennemi  en  portant,  elle  aussi, 
un  drapeau  blanc. 

L'ennemi  pénétra  aussitôt  dans  le  village,  faisant  marcher  devant  lui  jusque 
sur  la  place  publique  les  habitants  qui  se  trouvaient  sur  son  chemin.  Le  major 
Van  den  Berghe.  de  l'artillerie,  traita  de  la  reddition.  Le  major  Richter,  de 
l'artillerie  saxonne,  dit  au  lieutenant  Wilmès  :  «  J'étais  en  position  avec  mon 
groupe  lorsque  vous  avez  fait  la  tentative  de  percée  vers  Denée,  mais  je  savais  que 
vous  ne  pouviez  passer,  autrement  j'aurais  démoli  la  colonne  en  marche  sur  la 
route,  que  j'enfilais  dans  toute  sa  longueur  ».  Les  soldats  belges  massés  sur  la 
place  et  sur  la  grand'route  défilèrent,  les  bras  levés,  devant  un  colonel.  L'État- 
Major  s'établit  au  château,  dont  trois  salles  du  rez-de-chaussée  servirent  d'ambu- 
lance pendant  une  semaine. 

La  colonne  de  transport,  prisonnière,  dont  nous  venons  de  parler,  qu'accompa- 
gnaient au  total  1,900  hommes,  bivouaqua,  le  soir,  près  de  la  ferme  d'Ohet  en  feu, 
le  lendemain  2.5,  à  la  ferme  de  Hontoir,  le  26,  à  Thynes,  le  27.  près  de  Corbion- 
Leignon  et  le  28,  dans  le  parc  du  château  de  Hogne,  où  elle  rencontra  les  prêtres  et 
religieux  dinantais.  Avec  elle,  le  major  von  Welck  et  le  lieutenant  Fuss.  ce 
dernier  du  177e  saxon. 

Un  dernier  fait  relatif  à  Bioul.  Mardi.  25  août,  à  i3  heures,  cinq  soldats  belges 
qui  avaient  revêtu  des  habits  civils  dans  l'espoir  d'échapper  encore  à  l'ennemi  se 
dirigeaient  de  Bioul  vers  Maredsous  en  suivant  le  chemin  dit  de  Maharenne. 
lorsqu'ils  aperçurent  derrière  eux  un  parti  de  cavaliers  ennemis;  ils  quittèrent  le 
chemin  et  firent  semblant  de  travailler  dans  un  champ  de  luzerne.  Trois  uhlans 
qui  faisaient  fonction  d'éclaireurs  invitèrent  les  hommes  à  se  rapprocher  du  chemin 
et  lorsque  vinrent  les  cavaliers  qui  suivaient,  au  nombre  de  25,  l'officier  qui  les 
commandait  dit  :  «  Vous  êtes  soldats!  »  «  Non  »,  répondirent-ils.  Il  les  fit  visiter. 
L'un  d'eux,  Jules  Danhier,  du  3e  régiment  d'artillerie  n°  1948,  portait  sa  médaille 
militaire  :  l'officier  saisit  son  arme  et  le  tua  séance  tenante.  Ses  quatre  compa- 
gnons regagnèrent  le  village.  Danhier  fut  inhumé  à  Bioul  et  transféré  en  1918  au 
cimetière  militaire  d'Anhée.  Plusieurs  civils,  notamment  Félicie  Thiry,  veuve 
Hallaux,  furent  témoins  de  l'exécution. 

§  3.  —  A  la  colonne  d'ambulance  de  la  4e  division  d'armée  (1). 

1.  L'ATTAQUE  DE  LA  COLONNE 

Cantonnée  d'abord  à  Flawinne,  puis  à  Jambes,  la  colonne  d'ambulance  de  la 
4e  division  d'armée  (major  Petit)  reçut,  le  21  au  soir,  l'ordre  de  quitter  la  place. 
Elle  traversa  Namur  avec  fourgons  et  bagages  et  arriva  à  22  h.  45  à  Salzinnes. 

Vers  minuit,  un  cantonnement  fut  assigné  aux  quatre  sections,  chez  les  Frères 
des  Ecoles  Chrétiennes,  dans  les  écoles,  etc. 

(1)  Les    rapports   noS  546  et   547   émanent    de    prêtres    et    de    religieux    faisant    partie    de    l'ambulance, 
dont  nous  avons  recueilli  et  confronté  les  dépositions. 


7* 

Le  22,  des  éléments  de  la  colonne  se  rendirent  sur  le  champ  de  bataille  de 
Boninne  et  jusqu'aux  tranchées  avancées,  relevant  les  blessés.  Cette  journée  et  la 
nuit  suivante  se  passèrent  sans  recevoir  aucune  indication  sur  la  retraite. 

Le  23  août,  la  colonne  fut  dirigée  sur  le  «  Milieu  du  Monde  »  et  stationna  de 
9  heures  à  \Z  heures  à  «  Notre-Dame-au-Bois  »,  où  les  ambulanciers  commen- 
cèrent à  deviner  que  la   marche  était  la  retraite. 

On  s'ébranla  à  i3  heures,  mais  l'avance  devenait  difficile,  par  suite  du  grand 
nombre  de  convois  de  tout  genre  qui  s'engageaient  sur  la  route  de  Bois-de-Villers. 
On  croisa  bientôt  un  bataillon  français  (ier  régiment  de  ligne),  qui  battait  aussi  en 
retraite,  en  bon  ordre.  A  l'entrée  de  Bois-de-Villers,  passaient  des  chariots 
emmenant  des  familles  du  pays  de  Fosses  et  de  la  basse  Sambre,  l'un  de  ces 
cortèges  lamentables  comme  on  en  vit  tant  depuis.  A  un  carrefour,  deux  de  ces 
groupes  allaient  en  sens  opposé,  car  le  canon  grondait  à  l'est  comme  au  nord,  et 
ces  gens  se  demandaient  anxieusement  de  quel  côté  de  l'horizon  ils  pouvaient 
diriger  leurs  attelages.  La  vue  de  ces  familles  éplorées,  de  ces  véhicules  disparates, 
où  des  infirmes  et  des  octogénaires  voisinaient  avec  des  enfants  au  berceau,  est 
restée  gravée  profondément  dans  la  mémoire  de  tous,  comme  un  des  plus  doulou- 
reux souvenirs  de  la  grande  guerre. 

A  Bois-de-Villers,  sur  la  place  de  l'église,  on  reçut  le  mot  d'ordre  de 
se  diriger  sur  Sosoye.  Le  jour  commençait  à  décliner.  On  avançait  assez 
rapidement,  malgré  le  poids  du  sac,  la  faim  et  la  fatigue.  Le  long  du  chemin  de 
Bioul,  par  Arbre,  on  commençait  à  apercevoir  des  havresacs  de  soldats  aban- 
donnés. L'allure  des  troupes  qui  arrivaient  de  tous  les  côtés,  se  dirigeant  vers 
Bioul,  accusait  déjà  la  panique. 

A  19  h.  i5,  la  colonne  entra  à  Bioul,  à  la  nuit  tombante.  Depuis  plusieurs 
heures  il  y  passait  des  troupes  belges  qui  gagnaient  Denée  ou  Sosoye;  mais 
à  ce  moment,  la  situation  était  devenue  critique,  Denée  étant  déjà  occupé  ou 
près  d'être  occupé  par  l'ennemi.  «  Nous  sommes  cernés  »,  disait  le  général 
Ghislain  à   l'oreille  du  major  Massart. 

A  Bioul  se  croisent  de  nombreuses  routes  :  la  chaussée  de  Rouillon  à  Fraire 
traverse  le  village  par  le  milieu,  de  l'est  à  l'ouest;  la  route  d'Arbre,  par  laquelle 
arrivait  la  colonne;  à  quelque  distance  de  l'église  le  chemin  de  Warnant;  au 
centre,  le  chemin,  d'abord  unique,  qui  bifurque  plus  loin  vers  Salet,  vers  Maredsous 
et  vers  Denée.  Lequel  de  tous  ces  chemins  menait  à  Sosoye,  qui  avait  été  assigné 
aux  brancardiers  comme  direction? 

Tandis  que  les  chefs  de  la  colonne  essayaient  de  le  découvrir,  on  croisa  trois 
Français,  qui  portaient  un  blessé  sur  un  brancard  et  qui  annoncèrent  que  les 
Allemands  étaient  à  Warnant.  Or  le  chemin  que  l'on  suivait  en  ce  moment  inclinait 
dans  la  direction  de  ce  village.  Après  un  échange  de  vues  entre  le  major  Petit,  le 
lieutenant  docteur  Franck  et  quelques  autres  médecins,  on  décida  d'aller  rejoindre 
les  fourgons  de  l'ambulance  qui,  avec  l'artillerie  et  d'autres  transports,  devaient 
atteindre  Philippeville  par  la  route  de  Fraire. 

On  se  remit  en  route.  La  fraîcheur  de  la  nuit  adoucissait  la  fatigue  et  l'idée 
d'échapper  à  un  ennemi  invisible,  mais  proche,  donnait  du  courage.  La  consigne 
avait   été   donnée    d'éviter    tout   ce    qui    pouvait    attirer   l'attention    :   on    marchait 


7$ 

rapidement,  en  rangs  serrés  et  en  silence.  Les  fourgons  roulaient  tous  (eux  éteints. 
Quelques  centaines  de  mètres  plus  loin,  il  fallut  faire  passage  à  une  file  d'autos 
fermées,  contenant,  disait-on,  l'Etat-Major  de  la  place  de  Namur,  puis  nous 
continuâmes  notre  chevauchée. 

«  Nous  avions,  raconte  un  ambulancier,  à  peu  près  fait  un  kilomètre  sur 
la  route  de  Fraire  et  nous  étions  arrivés  à  la  limite  des  communes  de  Bioul 
et  de  Denée  quand  éclata  près  de  nous,  sur  la  droite,  une  vive  fusillade.  Les 
Allemands  nous  canardaient.  Une  panique  indescriptible  s'ensuivit  (i).  Les  bran" 
cardiers  s'enfuirent  vers  la  gauche  ou  en  arrière,  tandis  que  les  conducteurs 
des  fourgons  et  des  transports  faisaient  brusquement  tourner  bride  à  leurs  chevaux. 
Mon  groupe  et  moi,  nous  entrâmes  dans  la  première  maison  de  Bioul  que  nous 
rencontrâmes,  «  à  la  Barrière  »,  où  cent  vingt-cinq  hommes  environ  s'entassèrent, 
pris  de  terreur  à  la  pensée  qu'ils  allaient  être  découverts  par  cet  ennemi  féroce, 
dont  on  connaissait  déjà  les  exploits  à  Andenne  et  ailleurs.  L'horizon  était  en  feu 
et,  non  loin  de  là,  une  meule  se  consumait  dans  les  champs. 

»  Puis  un  bruit  retentit  sur  la  route  :  c'étaient  les  fantassins  français,  qui 
ne  parurent  guère  émus.  «  Les  leurs,  dirent-ils,  avaient  tiré  sur  nous,  par 
méprise!  »  Puis  on  entendit  dans  le  lointain  des  «  Hourrah  !  »  «  Les  nôtres,  ajouta 
l'officier  français,  ont  repris  la  position  à  la  baïonnette  !  »  En  réalité,  c'était 
l'ennemi,  qui  dévalisait  un  chariot  rempli  de  biscuits. 

»  On  se  remit  en  marche,  plus  nombreux  que  la  première  fois  et  avec  un 
nouvel  entrain,  lorsque,  un  peu  au  delà  de  l'endroit  de  la  première  fusillade,  une 
pétarade,  plus  fournie  que  la  première,  éclata  sur  la  droite,  et  se  poursuivit 
pendant  un  certain  temps.  Nous  nous  jetâmes  tous  par  terre.  Je  crus  entendre 
un  galop  de  chevaux  :  c'était  le  bruit  caractéristique  des  mitrailleuses.  Quand 
le  moment  d'angoisse  fut  passé,  on  se  dispersa,  les  uns  dans  les  champs,  le 
plus  grand  nombre  vers  Bioul;  des  projecteurs  allemands  fouillaient  toute  la 
campagne. 

»  Après  •  être  resté  quelque  temps  tapi  dans  les  fossés,  le  groupe  des 
ambulanciers,  sous  la  conduite  énergique  d'un  officier  français,  qui  ordonnait 
aux  hommes  d'avancer,  affirmant  que  le  feu  venait  des  Français,  se  remit  une 
troisième  fois  en  route.  Les  hommes  n'avaient  pas  fait  5o  mètres  que  la  fusillade 
reprit.  Ils  s'abritèrent  encore  une  fois  dans  les  fossés  et,  vers  2  heures  du  matin, 
regagnèrent  le  village  de  Bioul,  où  les  avaient  précédés,  dès  la  seconde  attaque, 
beaucoup  de  leurs  compagnons. 

»  J'appris  plus  tard  que  des  avant-gardes  ou  flanc-gardes  allemandes  étaient 
arrivées,  dès  cette  nuit,  entre  Saint-Gérard  et  Bioul,  et  qu'à  l'endroit  d'où  était 
partie  la  fusillade,  au  «  Bois  Petit-Jean  »,  se  trouvaient  deux  mitrailleuses. 
Après  la  première  fusillade,  des  soldats  accoururent  sur  les  lieux,  pillèrent  le 
fourgon  de  biscuits  et,   au    témoignage    du    sergent   belge    Skellart,   achevèrent   à 

(1)  «  Impossible,  écrit  un  second  témoin,  de  dépeindre  le  désordre  qui  suivit  la  [usillade  :  les  soldats 
quittent  leurs  attelages,  les  chevaux  rebroussent  chemin,  les  voitures  se  cassent  contre  les  arbres  de  la  route, 
les  hommes  se  couchent  dans  les  fossés,  fuient  les  uns  à  travers  les  campagnes,  les  autres,  vers  Bioul.  Quelque 
temps  après,  le  convoi  était  réorganisé  et  on  essaya  une  deuxième  et  une  troisième  fois  de  passer,  mais  en 
vain  :  la  fusillade  recommençait  toujours-  » 


74 

coups  de  revolver  un  Belge  blessé  qui  se  trouvait  au-dessus  de  lui,  tout  en 
l'atteignant  lui-même  dans  les  jambes. 

»  Le  sergent  Poucet  raconte  ici  un  beau  trait  de  vaillance.  Quelques 
gendarmes  belges  avaient  été  envoyés  à  la  recherche  des  deux  mitrailleuses  :  l'un 
d'eux  vint  redire  que  ses  compagnons  avaient  été  pris  ou  tués.  Alors  un  adjudant 
français  partit  avec  douze  hommes,  surprit  les  servants  et  revint  avec  une  roue  de 
mitrailleuse;  ils  réussirent  ensuite,  après  plusieurs  heures  d'attente  et  d'efforts,  à 
s'emparer  de  la  seconde  mitrailleuse.  » 

Onze  cadavres  de  soldats  belges  furent  recueillis  «  au  pré  al  mai  »,  lieu  de 
l'embuscade,  par  une  équipe  d'hommes  de  Denée  (i).  Vingt  blessés  furent  amenés, 
dès  le  23  au  soir,  à  l'école  des  Sœurs  de  Denée  et  plusieurs  autres  au  château  de 
Biouî,  où  il  s'en  trouvait,  le  25,  une  cinquantaine. 

2.  LE   DÉPART  DE  LA  COLONNE 

47-  Un  signal  de  départ  fut  donné  à  Bioul  le  24  août  vers  3  heures  du  matin.  Le 

signal  parvint  notamment  à  l'église  et  l'on  éveilla  les  hommes  qui  dormaient. 

Un  premier  noyau  de  200  à  25o  brancardiers,  conduit  par  le  commandant 
Glorie,  du  corps  de  transports  de  l'ambulance,  se  constitua  sur  la  place,  à  peu  près 
au  moment  où  partait  pour  Warnant  le  général  Ghislain.  Ces  hommes  se  mirent 
promptement  en  route,  sans  attendre  ceux  du  second  groupe  (major  Petit),  qui 
discutaient  encore,  devant  un  café,  sur  les  moyens  de  s'échapper;  l'un  de  ceux-ci 
s'était  déjà  procuré  un  drap  de  lit  à  porter  en  tête  de  la  colonne,  en  guise  de 
drapeau  blanc. 

Les  soldats  du  premier  groupe  se  dirigèrent  sur  Sosoye  :  c'était  en  fait  le  seul 
chemin  utilisable.  A  la  sortie  du  village,  ils  traversèrent  en  courant  un  champ  de 
betteraves,  non  loin  de  soldats  postés  le  long  d'une  crête  et  tirant  dans  la  direction 
de  Warnant.  A  marche  forcée,  ils  purent  gagner  Sosoye,  Flavion  et  Rosée,  où  des 
uhlans  braquèrent  sur  eux  des  jumelles  à  la  sortie  d'un  bois.  A  Mariembourg,  un 
train  les  conduisit  à  Couvin. 

Le  groupe  du  major  Petit  se  joignit  à  un  nouveau  rassemblement  de  troupes 
qui  se  fit  vers  5  heures  du  matin,  environ  une  heure  après  le  départ  du  bataillon  de 
Warnant.  L'ordre  de  marche  fut  encore  donné  dans  la  direction  de  Sosoye,  par  le 
Charrau  et  le  chemin  de  Maredsous. 

(1)  Ils  furent  inhumés  le  25  août,  avec  trois  Belges,  deux  Français  et  deux  Allemands  trouvés  dans  les 
campagnes,  et  deux  Français  atteints  au  combat  d'Ermeton  et  décédés  à  Denée.  On  connaît  les  noms  suivants  : 
L  L.  P.  Jolet,  Albert  Tellier,  de  Bohan,  Emile  Clembos,  de  Thorembais--les.-Béguines,  J.~G.  Constant,  de 
Leignon,  A.  G.  J.  Delhaisse,  de  Chevetogne,  tous  du  i3e  de  ligne;  Achille  Garré,  de  Mineelbeke,  chasseur 
à  pied;  Fernand  Henri,  G-  Crabeels,  de  Perck,  A.  E.  G.  Rousseaux,  de  Frameries,  du  8e;  A.  Huxkaerts,  de 
Reckem,  artill.  10e  B.  M-  Moens,  de  Louvain,  lancier;  E.  J.  Lemmens,  de  Bolland  ;  sergent  Joseph  Arts,  du 
ioe;  Oscar  Charles  de  Leers  et  Fosteau,  I-  R.  d'art. 

Les  deux  Français  trouvés  dans  les  campagnes  sont  Julien  Coppin,  d'Arras,  du  i34e,  et  Emile  Hatquet, 
de  Giveî.  Le  lieutenant  A.  Denis,  venant  du  combat  d'Ermeton,  a  été  inhumé  à  la  carrière  d'Ermeton. 

Ont    aussi   été   identifiés,    sous    l'occupation,    les   corps    suivants,    inhumés,  sur   le  territoire  de   Denée 
Louis  Dellille,  du  2"  zouaves;  Mathurin  Lecornet,  du  41e  d'infanterie;  Joseph  Vaty,  du  43"  d'inf. 


75 

On  entendit  bientôt  crépiter  sur  la  gauche  une  fusillade  :  c'était  le  combat  de 

Warnant. 

Au  croisement  des  chemins  de  Salet  et  de  Maredsous,  un  groupe  belge  d'artil- 
lerie était  en  arrêt,  observant  l'horizon  dans  la  direction  de  Denée. 

Près  de  Maredsous,  le  Charrau  était  obstrué  par  une  série  d'autos  abandonnées 
et  de  chariots  renversés.  Dès  la  nuit  précédente,  des  Allemands  avaient  été 
aperçus,  paraît-il,  en  cet  endroit,  faisant  des  signaux  lumineux. 

On  arriva  à  l'abbaye  bénédictine  de  Maredsous.  où  l'on  décida  de  prendre  un 
court  repos.  Le  major  Petit,  une  douzaine  de  médecins  militaires,  et  la  plus  grande 
partie  de  la  colonne  d'ambulance  entrèrent  dans  l'école  abbatiale,  érigée  en  ambu- 
lance, où  se  trouvaient  déjà  une  cinquantaine  de  blessés.  Ils  croyaient  y  faire  une 
courte  halte,  puis  poursuivre  leur  route-  Les  religieux  leur  servirent  une  réfection, 
car  la  plupart  n'avaient  plus  mangé  depuis  douze  heures. 

Quand,  une  heure  après,  fut  donné  le  signal  du  départ,  il  était  trop  tard  :  on 
se  battait  aux  environs  de  l'abbaye.  De  tous  les  points  de  l'horizon  on  entendait  le 
canon  ou  la  fusillade.  Comme  le  major  Petit  insistait  vivement  pour  le  départ,  on 
lui  montra  un  piquet  de  hussards  allemands  venus  de  Maredret,   qui  se  trouvait 

devant  l'abbaye. 

L'après-midi,  une  délégation  des  chefs  de  la  colonne  se  rendit  à  Ermeton,  où 
se  trouvait  un  général  allemand,  pour  l'intéresser  au  sort  des  brancardiers.  Le 
général  leur  délivra  des  sauf-conduits  pour  Namur,  où  ils  furent  licenciés.  Seuls 
les  médecins  militaires  et  une  douzaine  de  brancardiers  restèrent  à  Maredsous,  où 
le  chiffre  des  blessés  s'éleva  bientôt  à  175. 

§  4.  —  Le  combat  de  Warnant  (1). 

Dans  la  nuit  du  z3  au  24  août,  à  1  heure  du  matin,  des  officiers  de  l'Etat-Major 
de  Namur  se  présentèrent  à  Warnant.  chez  les  religieuses  enseignantes,  les  priant 
de  leur  désigner  «  un  civil  pour  aller  à  Bioul,  porter  un  message  qui  sauverait  le 
restant  de  l'armée  belge  ».  On  les  mena  à  Bioul  par  la  gare  de  Warnant  et  le 
chemin  de  Falaën,  en  passant  à  un  demi-kilomètre  de  «  La  Batterie  »,  où  l'ennemi 
était  déjà  arrivé. 

Le  24  août  vers  6  heures  du  matin,  le  village  fut  envahi  par  l'armée  allemande 
venant  de  Spontin.  par  Yvoir.  «  Spontin,  dit  au  curé  un  médecin  saxon,  méchantes 
gens  !  Eux  tiré  sur  moi  !  La  balle  m'a  frôlé  l'épaule.  »  A  ce  moment  était  aussi 
arrivée,  de  Bioul,  la  colonne  de  soldats  belges  du  i3e  de  ligne  que  commandait  le 
général  Ghislain.  Une  vive  fusillade  s'engagea  aussitôt. 

Voici  ce  que  raconte  sur  les  débuts  du  combat  un  lieutenant  du  i3e  de  ligne. 
«  Quittant  Bois-de-Villers  la  veille  au  soir,  au  sein  d'une  colonne  formée  d'élé- 
ments divers  —  infanterie,  artillerie  et  corps  de  transport  —  je  m'étais  trouvé 
vers  2  heures  du  matin,  le  24  août,  à  la  ferme  du  Rouchat,  vallée  du  Burnot,  et  puis 

(1)  Si  l'on  excepte  le  rapport   d'un    officier  du    i3e   de    ligne,    les  renseignements    relatifs    au   combat    de 
Warnant  ont  été  recueillis  sur  place  le  3o  avril  1915   et  complétés  après  l'armistice. 


76 

à  l'est  de  Bioul,  sur  la  route  d'Annevoie,  où  je  reçus  Tordre  de  prendre  place  dans 
la  colonne  qui  se  dirigeait  vers  Warnant. 

»  A  l'entrée  de  ce  village,  nous  fûmes  accueillis  de  coups  de  feu  et  je  portai  ma 
compagnie  à  la  sortie  sud,  où  je  déployai  les  hommes  en  tirailleurs  le  long  du 
chemin  de  fer  vicinal.  Une  troupe  allemande  peu  importante  se  trouvait  dans  les 
prairies,  vers  la  gare  de  Warnant,  mais  des  éléments  belges  étaient  aux  prises  avec 
d'autres  allemands  plus  au  sud. 

»  A  partir  de  ce  moment  —  il  pouvait  être  5  heures  —  des  coups  de  fusil  et  de 
canon  étaient  tirés  sur  nous  de  plusieurs  directions,  mais  principalement  de 
Haut-le-Wastia.  Nos  troupes,  qui  sortaient  de  Warnant,  refluèrent  vers  le  nord  et 
alors  j'occupai  la  lisière  sud  du  village,  pendant  que  deux  mitrailleuses  prenaient 
position  sur  la  route  de  Warnant  sud,  à  gauche  de  l'école  des  Sœurs. 

»  Le  village  était  à  peine  organisé  pour  le  combat  que  de  l'infanterie  ennemie 
débouchait  du  cimetière.  C'est  alors  que  je  rejoignis  les  troupes  en  retraite  sur 
Bioul,  que  protégeaient  trois  compagnies,  d'une  hauteur  au  nord  de  Warnant  ;  je 
ralliai  une  partie  de  ma  compagnie  au  hameau  de  Mont,  vers  1 1  heures,  et  je  gagnai, 
avec  des  détachements  des  8e et  i3e,  des  chasseurs  à  pied  et  deux  batteries  d'artillerie, 
les  villages  de  Denée,  Maredsous,  Falaën,  Mariembourg.  » 

La  retraite  fut  aussi  protégée  par  un  groupe  d'artillerie  que  commandait  le 
major  Massart.  Les  soldats  qui  le  composaient  furent  faits  prisonniers,  ainsi  que 
leur  chef,  qui  était  blessé  sérieusement  et  fut  soigné  à  l'ambulance  de  Maredsous. 

Le  combat  dura  jusque  7  h.  45.  Dans  le  village  et  aux  abords,  les  habitants 
furent  témoins  d'une  déroute,  d'une  confusion  difficiles  à  décrire.  De  deux  à  trois 
cents  soldats  belges  furent  faits  prisonniers.  On  releva  cinq  cadavres  de  soldats 
belges  (1),  également  six  français  (2.). 

Plusieurs  blessés  du  combat  furent  recueillis  et  soignés  chez  les  religieuses  de 
la  Doctrine  Chrétienne.  Deux  d'entre  eux  moururent  le  jour  même  (3);  deux  autres, 
gravement  atteints  (4),  restèrent  chez  les  religieuses  jusqu'au  10  septembre,  date  à 
laquelle  ils  furent  transportés  à  Maredsous  ;  une  vingtaine  d'autres  furent  bientôt 
conduits  au  château  de  M.  Vaxelaire,  à  Bioul. 

(1)  Les  soldats  Gillart,  de  Namèche  ;  Louis  Deschamp'",  de  Maillot  ;  Joseph  Hollogne,  de  Couvin  ; 
Joseph  Fiirst,  de  Bonnert  ;  Marcel  Hasaets,  de  Genval. 

'2)  Les  soldats  Georges  Brancquart,  5o2,  de  Calais,  inhumé  tombe  E  ;  Georges  Lu-tard,  2188,  d'Annezin, 
d'un  rég.  d'inf.  de  S.  Orner  ;  Paul  Wandenabeele,  de  Renescure  (Pas-de-Calais)  ;  Auguste  Boudden,  ou 
Bourdon,    1627,  de  Dunkerque,  tombe  G;  Aristide  Boussy,  ou  Roussy.  25o,  de  Laon,  et  un  inconnu. 

Les  corps  de  Henri  Bernard,  2171-2071,  de  Mézières,  tombe  G,  André  V.  Alahy,  6242,  de  Fourmies, 
du  148e,  le  sous-officier  Pigot,  de  Dunkerque,  du  3ioe  et  un  inconnu  ont  aussi  été  retrouvés  sur  le  territoire 
de  Warnant. 

Ajoutons  ici  que,  parmi  les  Français  qui  défendaient  le  pont  d'Yvoir,  trois  furent  tués  et  enterrés  près  de 
a  '  villa  des  Toutous  »,  trois  furent  trouvés  morts  et  enterrés  près  de  la  ferme  de  Héneumont  ;  deux  autres, 
sérieusement  blessés,  furent  soignés  par  M.  et  Mme  Woos,  à  la  ferme  de  Héneumont.  Une  dizaine  d'autres 
blessés  furent  confiés  aux  religieuses  de  Warnant,  et  passèrent  de  là  à  l'ambulance  de  Bioul. 

(3)  Le  capitaine  commandant  Trentels,  du  i3e,  né  à  Bruxelles,  domicilié  à  Salzinnes,  qui  avait  eu  la  tête 
traversée  d'une  balle,  et  le  soldat  J.  Tisson,  du  i3e,  domicilié  à  Bruxelles,  qui  avait  reçu  plusieurs  balles  au 
genou  et  à  la  cuisse. 

(4)  Le  caporal  Hector  Foucart,  de  Courcelles,  relevé  presque  exsangue,  et  Fernand  Doyen,  de  Masbourg, 
atteint  au  poumon  et  à  la  tête. 


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VICTIMES    DES   MASSACRES 
DE  NEUVILLE,    DE   FRANCHIRONT,   DE   FRASNES,   DE   MAR.EMBOURG,   D'ANTHEE  ET  DE  SOULME. 


Fig.  22.  h  Etienne  PATRON, 

20  ans,  fusillé  à  Neuville 

(Philippeville).  : 

(Pholog.  à  l'âge  de  9  ans) 


Fig.  23.  —  Paulin  GOBILLON. 

3o  ans, 
fusillé  à  Neuville  (Philippeville)/ 


Fig.  24.  —  Jules  P1RSON, 
53  ans,  fermier  à  Omezée,   tué  à      Fig.  25.  —  Alzir  ANCIAUX, 
Franchimont.  20  ans, 

martyrisé    à    Franchimont. 
(Photog.  à  l'âge  de  9  ans.) 


Fig.  26. 

Camille   LECLERCQ,   42   ans, 

massacré   à   Frasnes. 


Fig.  27.  —  Edgar  VAN  SCHOOR, 

20  ans,  de  Mariembourg, 

fusillé   à    Eteignières    avec  son    frère 

et   cinq   autres  civils. 


Fig.  28.  —  Ernest   VAN   SCHOOR, 

3o  ans,  de  Mariembourg, 

fusillé   à   Eteignières   avec   son   frère 

et   cinq   autres  civils. 


Fig.   29. 

Adolphe    BURTON,    56  ans, 

d'Anthée,    tué   à   bout  portant 

dans   une   haie. 


Fig.    3o.   -  -    Edouard    MARÉE, 
5o   ans,    tué   à   Soulme. 


Fig.    3i.    --   Nestor  COGNAUX, 
29   ans,   tué  à   Soulme. 


Fig.  32. 
Félicien  BAUDOIN,    59  ans, 

d'Anthée,  lié  à  une  haie 
et  fusillé,  avec  un  inconnu,   à 
l'entrée  du   village  d'Anthée. 


77 
§  5.   —  Le  Combat  d'Ermeton~sur-Biert. 

54p.  Ce  pittoresque   village,   dont  le  site   épouse  la  forme   d'un   amphithéâtre,   se 

compose  de  maisons  assises  sur  la  rive  gauche  de  la  rivière,  des  deux  côtés  du 
chemin  de  fer,  et  d'un  second  groupe  dit  «  sur  les  Roches  »,  qui  couronne, 
vers  le  sud,  la  hauteur  où  est  construite  l'église.  Au  centre,  le  château.  La 
localité  est  traversée  de  l'ouest  à  l'est  par  les  routes  de  Biesmerée  et  de 
Furnaux,  qui  se  rejoignent  devant  le  château  pour  former  la  route  qui  va  à 
Maredret,   et  du  nord  au  sud   par  la  route  de  Ligny  à  Givet. 

Le  23  août,  les  habitants  furent  témoins  de  la  retraite  des  armées  (1).  Il 
semble  que,  à  la  soirée  de  ce  même  jour,  les  Allemands  étaient  déjà  arrivés  de 
l'autre  côté  d'un  bois  proche  du  village,  car  on  aperçut  des  Français  courant 
le  long  du  bois,   tirant,   se  couchant  à   terre,   puis  courant  plus  loin. 

Dans  la  nuit,  des  balles  tombèrent,  à  deux  ou  trois  reprises,  sur  les  toitures. 

Des  éclaireurs  allemands  se  présentèrent  à  l'entrée  du  village  le  24  août 
de  bonne  heure,  et  rebroussèrent  aussitôt  chemin.  Ils  aperçurent,  sur  le  remblai 
de  la  route  de  Saint-Gérard,  des  gens  de  Falisolle  qui  avaient  passé  la  nuit 
chez  Lebon,  à  Ermeton,  et  essayaient  de  regagner  leur  village;  ils  tirèrent  sur 
eux.  François  TERWAGNE,  55  ans,  fut  tué  sur  le  coup.  Louis  STEINIER, 
son  neveu,  âgé  de  17  ans,  fut  seulement  blessé  et  put  se  traîner  jusqu'à  la 
maison  Lebon,  où  il  mourut.  Son  corps  y  fut  réduit  en  cendres,  ainsi  que  celui 
de  M.  Terwagne,  qui  y  avait  été  ramené.  Mme  Charles,  de  Falisolle,  avait 
aussi  été  atteinte  d'une  balle  à  l'aine. 

Vers  9  heures,  un  cri  retentit  :  «  Les  Belges  sont  là!  »  Une  colonne  venant 
de  Bioul  et  se  dirigeant  vers  Flavion  se  heurta  dans  le  village  à  la  Garde 
allemande  venant  de  Biesmerée  et  de  Furnaux,  puis  aussi  de  Denée  et  de 
Maredret.  Cette  colonne  comprenait  surtout  le  3e  bataillon  du  i3e  de  ligne  qui 
avait  quitté  le  23  août,   à    18   heures,   les  tranchées  de  Géronsart  (Jambes). 

Le  médecin-auxiliaire  Jean  Helsmoortel.  attaché  au  1e1  bataillon  du  28e  de 
ligne,  qui  accompagnait  la  troupe,  raconte  ainsi  l'itinéraire  qu'avait  suivi  cette 
colonne  et  le  combat  qu'elle  eut  à  soutenir. 

«  Dans  la  nuit  du  23  août,  la  route  de  Lesves  à  Bioul  était  encombrée  de 
charrois.  Canons,  caissons,  mitrailleuses  et  bagages  étaient  immobilisés;  seule 
l'infanterie  pouvait  se  frayer  un  pénible  passage.  A  droite,  un  peu  sur  la 
hauteur,   on  voyait  flamber  des  fermes  et,   disait-on,   Saint-Gérard, 

»  En  entrant  dans  Bioul,  le  24  au  matin,  je  trouvai  une  compagnie  du 
8e  de  ligne  déployée  en  tirailleurs  face  au  bois  de  Neffe.  Dans  Bioul  même, 
c'était  le  désarroi  le  plus  complet.  La  colonne  d'ambulance  occupait  la  place  et 
la  route  de  Fraire  jusqu'à  la  sortie  du  village.  L'artillerie  et  le  charroi  occupaient 
le  parc  de  M.  Vaxelaire.  Les  artilleurs  de  forteresse  étaient  mêlés  aux  fantassins 
échappés  aux  intervalles  des  forts. 

»  Au  matin  du  24  août,  après  avoir  vainement  cherché  mon  unité  vers  Warnant. 

(t)   Mme    la    comtesse    Marie    de    Villermont   en   a    donné   une    pittoresque    description    dans    la    "Reuue 
générale,    1921.  —  A  consulter  sur  le  combat  :  Hanotaux,  Histoire  illustrée  de  la  guerre  de  1914,  V,  p.  292. 


7» 

je  me  joignis  au  3e  bataillon  du  i3e  de  ligne  (major  Baudot),  qui  gagnait  à  travers 
champs  la  route  de  Bioul  à  Fraire. 

»  Cette  route  avait  été  attaquée  la  nuit  précédente,  comme  le  prouvaient  les 
chevaux  tués,  les  caissons  renversés,  les  voitures  d'ambulance  culbutées  dans  les 
fossés  et  une  auto  grise  dont  les  occupants,  deux  Allemands,  étaient  tués  :  l'un 
d'eux  était  tombé  mort  sur  le  marchepied,  l'autre,  ayant  voulu  fuir,  gisait  les  bras 
en  croix,  face  contre  terre. 

»  Arrivés  au  carrefour  de  la  route  de  Saint-Gérard  à  Ermeton-sur-Biert,  nous 
obliquâmes  à  gauche.  Contre  un  mur,  le  long  de  cette  route,  un  Allemand  se 
mourait. 

»  Arrivés  au  bois  de  Furnaux,  assaillis  tout  à  coup  d'une  grêle  de  balles, 
nous  nous  réfugiâmes  dans  une  sorte  de  carrière.  Une  patrouille  explora  le 
bois  et  revint  dire  que  la  route  était  libre.  Nous  descendîmes  alors  la  côte  menant 
à  Ermeton. 

»  Quand  une  compagnie  eut  traversé  le  village,  la  queue  de  la  colonne  étant 
encore  à  son  entrée,  une  violente  attaque  se  déclancha  à  notre  droite,  venant  de 
Mettet.  Pendant  ce  temps,  la  tête  de  la  colonne  recevait  le  choc  dans  les  «  Biert  ». 
La  colonne  était  coupée.  Le  château  du  chevalier  de  Brogniez  brûlait  comme  une 
torche.  L'incendie  gagnait  de  proche  en  proche.  Nos  soldats  se  défendaient  coura- 
geusement. Les  Allemands  s'avançaient  droit  au  milieu  des  chemins,  tandis  que 
les  nôtres  tiraient  sur  eux  des  maisons. 

»  Tout  à  coup,  nous  nous  aperçûmes  que  nous  étions  cernés.  Les  officiers 
étaient  tués  ou  blessés.  Le  nombre  des  soldats  valides  était  fort  réduit.  A  bout  de 
munitions  et  de  forces,  les  soldats  se  rendirent.  Ils  étaient  une  trentaine,  dont  un 
officier,  trois  brancardiers  :  Van  In,  Lombaerts  et  Delaneux,  un  médecin  le  docteur 
A.  van  Schevensteen  et  moi. 

»  Les  Allemands  mirent  aussitôt  le  feu  aux  habitations  que  nous  venions  de 
quitter.  Ils  envoyèrent  ensuite  l'officier  (un  commandant)  et  le  brancardier 
Delaneux  en  exploration  dans  une  maison  qui  flambait,  pour  voir  s'il  ne  s'y  trouvait 
pas  des  blessés.  Au  moment  où  le  commandant  sortait,  il  fut  tué  à  bout  portant  par 
un  soldat  qui  l'attendait  et  l'avait  épaulé  tout  tranquillement. 

»  Deux  soldats  m'entraînèrent  ensuite  sur  la  route  de  Maredsous,  disant  que  le 
village  allait  être  rasé  par  l'artillerie.  Comme  je  leur  demandais,  chemin  faisant,  le 
motif  des  incendies,  ils  répondirent  que  «  tout  village  où  on  s'était  battu  devait  être 
brûlé  ». 

»  Je  fus  ensuite  conduit  au  château  des  comtesses  de  Villermont,  où  se  trouvait 
le  colonel  comte  d'Eulenbourg,  blessé  dans  le  combat,  et  je  fus  chargé  de  soigner 
les  blessés  belges  et  français.  Ces  derniers  appartenaient  aux  33e,  43e,  84e,  i«oe 
d'infanterie,  6e  chasseurs  d'Afrique,  2e  zouaves,  ze  tirailleurs.  Nos  blessés,  dont  le 
commandant  Tilot,  affreusement  défiguré  (1),  étaient  installés  dans  les  annexes, 
écuries  et  remises,  les  blessés  allemands  au  château.    » 

Les  Allemands,  de  l'aveu  des  officiers,   subirent  des    pertes  importantes.   Un 

(1)  Un  récit  reproduit  par  Vers  l'Avenir,  journal  de  Namur,  7  février  1919  n°  32,  relate  la  courageuse 
résistance  et  la  mort  du  commandant  Tilot  et  du  lieutenant  Denis,  du  i3e,  qui  tombèrent  après  avoir  défendu 
avec  une  vingtaine  d'hommes  un  talus  naturel,  à  environ  200  mètres  de  la  route,  à  l'entrée  du  village. 


79 

certain  nombre  de  cadavres  de  leur  soldats  furent  enterrés,  d'autres  furent  jetés 
dans  le  feu  des  maisons  incendiées.  François  Licot  et  Edmond  Tocquin  ont  décou- 
vert des  débris  humains  carbonisés,  aves  des  fers  de  talon  et  autres  fragments 
d'uniformes  dans  les  maisons  veuve  Blaimont,  Joseph  Purnode,  et  dans  la  grange 
Licot.  Du  côté  des  Belges,  on  recense  80  soldats  tués  et  quelques  prisonniers.  Un 
soldat  belge  fut  retrouvé  à  l'état  de  cadavre  devant  le  poulailler  Delforge,  dans 
lequel,  sous  les  yeux  d'Adelin  Thibaut,  il  s'était  caché  le  24  août  dans  la  matinée. 

Les  incendies  commencés  pendant  le  combat  se  continuèrent  ensuite  pendant 
la  journée  (1).  François  Licot  a  vu  jeter  dans  les  habitations  des  cartouches  incen- 
diaires, remplies  d'un  liquide  inflammable;  86  maisons  furent  détruites  (fig.  18).  Les 
soldats  se  livrèrent  à  cette  destruction  en  chantant,  en  jouant  des  instruments  et  en  se 
livrant  à  des  démonstrations  de  joie  bruyante.  L'église  fut  sur  le  point  d'être 
incendiée  :  on  prétendait  qu'on  avait  tiré  du  clocher.  Les  officiers  y  renoncèrent 
lorsque  le  curé,  M.  Delchevalerie,  les  eut  conduits  à  la  tour  et  eut  fait  la  preuve 
qu'on  tirait  de  l'extérieur. 

Léopold  DETHY,  46  ans,  fut  pris  par  des  soldats  au  moment  où  il  sortait  de 
sa  cave,  croyant  à  une  accalmie.  Emmené  à  200  ou  3oo  mètres  de  là,  près  du 
moulin  de  Furnaux,  il  y  fut  fusillé. 

A  la  soirée,  la  comtesse  Jeanne  de  Villermont  qui  s'était  rendue,  à  la  demande 
d'un  officier,  à  la  cabine  électrique,  fut  mise  en  joue  par  un  cavalier,  qui  tira 
sans  l'atteindre;  il  eût  continué  à  tirer  si  les  deux  soldats  qui  accompagnaient 
la  comtesse  n'avaient  fait  des  signes  désespérés. 

A  l'ambulance  du  château,  un  officier  français,  pris  de  peur  au  moment  où 
l'ennemi  entrait,  commit  l'imprudence  de  se  cacher  dans  un  lit,  à  côté  d'un  blessé. 
Surpris,  il  fut  expulsé  à  coups  de  crosse  et  fusillé  dans  l'avenue. 

Deux  gardes,  Jean-Baptiste  Vanderelst  et  Henri  Bodart,  attendaient  la  fin  du 
combat  dans  la  maison  du  premier  nommé  lorsque  les  Allemands  entrèrent,  les 
poussèrent  dehors  et  tirèrent  sur  eux  presque  à  bout  portant.  Us  tombèrent  et  on 
les  crut  morts,  mais  ils  n'étaient  que  blessés.  Jean-Baptiste  Vanderelst  fut  amené 
au  château  par  sa  femme.  Henri  Bodart  se  cacha  sous  un  buisson,  dans  le  ruisseau 
et  put  ainsi,  le  soir  venu,  gagner  le  château.  Ils  guérirent. 

Vital  Blaimont  fut  tué  à  Couvin  ;  Arthur  Genard  et  Elvire  Coppée,  son  épouse, 
Alexandre  Rouyre  et  Juliette  Genard,  son  épouse,  sont  au  nombre  des  victimes  de 
Surice. 

§  6.  —  La  colonne  des  prisonniers  de  Florennes  (2). 

Un  bon  millier  de  soldats  de  toutes  armes  —  fantassins,  cavaliers,  artilleurs, 
chasseurs  et  soldats  du  génie,  dont  quelques  Français  —  se  groupèrent  à  Flavion 
le  24  août  vers  midi  ou  i3  heures,  et  se  dirigèrent  sur  Philippeville,  sous  la  conduite 
du  major   Fiévez,  ff.   de  lieutenant-colonel  du   i3e  de  forteresse.  La  plupart  de  ces 

(1)  Voir  la  description  de  l'incendie  et  de   la  brutale  prise  de  possession  du  château  dans  le  récit   de   la 
comtesse  de  Villermont. 

(2)  Récit  de  Victor  Falque,  du  33*"  de  ligne  i/3. 


8o 

soldats  avaient  suivi  l'itinéraire  Bioul-Maredsous-Sosoye.  Quand  ils  traversèrent 
cette  dernière  localité,  deux  cadavres  de  uhlans  gisaient  auprès  d'un  pont. 

A  5oo  mètres  de  la  gare  de  Florennes-est,  un  coup  de  feu  ayant  retenti  d'un 
bois  situé  sur  la  gauche,  l'adjudant  Masson  disposa  des  hommes  en  tirailleurs  sur 
la  gauche  de  la  route.  Puis  on  cria  :  «  Des  uhlans  à  droite  !  »  Des  soldats  furent 
aussi  postés  de  ce  côté  avec  la  hausse  à  400  mètres.  Un  officier  ennemi  braquait 
sur  eux  des  jumelles,  tandis  que  sa  troupe  se  cachait  derrière  le  talus  du  chemin  de 
fer  situé  à  quelque  distance,  et  tirait  de  là  sur  nous  une  grêle  de  balles.  Un 
canon  à  droite,   une  mitrailleuse  à  gauche,  entrèrent  aussi  en  action. 

La  situation  était  intenable,  sur  une  grand'route,  sans  le  moindre  abri  :  après 
avoir  résisté  quelque  temps,  la  colonne  gagna  Florennes  au  pas  de  course  et  se 
réfugia  dans  des  maisons  abandonnées,  sous  le  bombardement.  Un  clairon  belge 
sonna  :  «  cessez  le  feu  !  »,  mais  les  obus  continuèrent  à  pleuvoir  pendant  quelque 
temps  encore. 

Une  partie  de  l'armée  en  retraite  avait  pu  dépasser  Florennes,  mais  d'autres 
soldats  au  nombre  d'environ  3oo,  furent  faits  prisonniers  à  t8  heures.  Réunis  à 
des  zouaves  et  à  des  Sénégalais,  ils  furent  dirigés  sur  Mettet  et  parqués  dans  une 
prairie,  puis  le  lendemain  matin  dans  l'église  paroissiale. 

Le  26,  on  les  emmena  vers  Fosses.  Un  groupe  devait  pousser  des  canons  pris 
aux  Français.  «  Travaillez,  tirez,  tas  de  chiens  !  »  criaient  les  gardiens.  Par  Ham 
et  Le  Mazy,  les  prisonniers  atteignirent  Gembloux,  où  ils  furent  entassés  dans 
des  wagons  à  bestiaux  et  conduits  à  Celle-lager. 


CHAPITRE  III 


SUR   LE  FRONT  DE  LA   MEUSE 


Bien  que  le  cours  de  la  Meuse  entre  Dave  et  Givet  ne  fût  défendu 
le  23  août  que  par  une  division  de  réservistes  français  arrivés  la  nuit 
précédente,  les  trois  corps  allemands  lancés  à  la  conquête  du  fleuve  et 
soutenus  par  57  batteries  de  la  IIIe  armée,  installées  d'Yvoir  à 
Blaimont  (1),  ne  réussirent  à  faire  passer  sur  la  rive  gauche,  en  fin  de 
journée,  que  de  faibles  détachements. 

Du  château  de  Taviet,  le  général  von  Hausen,  chef  de  la  IIIe  armée, 
rédigea  le  23  août  au  soir  l'ordre  suivant  :  «  Bien  que  le  gros  du  corps 
puisse  se  reposer,  il  faut  cependant  que  la  poursuite  se  fasse,  avec  des 
troupes  de  toutes  armes,  par  le  XIIe  corps  dans  la  direction  de  Philippe- 
ville,  par  le  XIXe  corps  dans  la  direction  de  Romerée-Mariembourg  (2)  ». 

Cet  ordre  venait  d'être  lancé  le  24  août  à  2  h.  3o  du  matin,  quand 
vint  au  Grand-Quartier,  au  témoignage  du  même  général,  un  inquiétant 
message  de  von  Bûlow,  chef  de  la  IIe  armée,  relatant  les  succès  obtenus 
par  les  Français  au  front  de  la  Sambre,  sur  le  Xe  corps  de  réserve,  et 
enjoignant  à  la  IIIe  armée  de  soutenir,  dans  la  journée,  l'attaque  de  la 
IIe  armée  en  marchant  sur  Mettet,  direction  est-ouest. 

A  5  h.  5o,  von  Hausen  lança  un  nouveau  message  dans  ce  sens, 
sacrifiant  en  cela,  assure-t-il,  ses  vues  personnelles,  qui  le  portaient  à 
poursuivre  l'ennemi  dans  la  direction  du  sud-ouest.  Des  informations 
reçues  par  avion  l'amenèrent  d'ailleurs,  dès  l'avant-midi  du  24,  à 
reprendre  sa  conception  originelle,  en  lui  notifiant  la  retraite  générale  des 

(1)  Baumgarten-Crusius,  o.  c,  p.  28. 

(2)  von  Hausen,  Erinnerungen,  p.  i3z.  Sur  l'armée  de  von  Hausen,  c[r.    Hanotaux,   Histoire  illustrée  de 
la  guerre  de  1Ç14,  VIII,  p.  276. 


Français;  et  il  lança  de  Dinant,  à  9  h.  45,  l'ordre  du  jour  n°  3,  désignant 
à  chaque  corps  la  direction  à  suivre  pour  la  journée  (1). 

Le  général-major  Baumgarten-Crusius  estime  qu'en  août  1914,  le 
haut  commandement  allemand  eût  été  en  situation  d'infliger  à  l'armée 
française  une  défaite  écrasante.  On  eût  revu  un  «  Cannes  »  ou  un 
«  Tannenberg  »  si  la  IIIe  armée  avait  conquis,  le  23  août,  les  ponts  de 
Fumay,  Revin  et  Monthermé  et  coupé  la  retraite  à  la  Ve  armée  française. 
Il  eût  suffi  pour  cela,  affirme-t-il,  de  diriger  vers  cette  région  le 
XIe  corps  —  au  lieu  de  le  détacher  à  Namur  —  ainsi  que  le  XIIe  corps 
de  réserve  et  le  Ier  corps  de  cavalerie  (von  Richthofen)  (2),  et  non  pas 
seulement  quelques  éléments  du  XIXe  corps,  ainsi  que  nous  l'avons 
relaté  au  tome  IV,  p.  68. 


I.  —  L'avance  du  XIV  corps  de  réserve. 

Le  XIIe  corps  de  réserve,  général  von  Kirchbach,  comprend  les  23e 
et  24e  divisions  de  réserve. 

Celles-ci  avaient  suivi,  pour  gagner  la  Meuse,  deux  itinéraires  tota- 
lement différents.  Leur  marche  en  avant,  après  le  passage  du  fleuve,  resta 
aussi  distincte. 

De  Baillonville,  où  il  était  le  20  août,  et  de  Braibant,  où  il  était 
le  22,  le  Quartier-Général  gagna  le  24  août  l'Entre-Sambre-et-Meuse. 

Abordons  maintenant  l'itinéraire  que  suivirent  ces  deux  unités  et 
retraçons  leur  conduite. 


t.  —  La  23e  division  de  réserve. 

La  23e  division  de  réserve,  comprenant  les  100e,  101e,  102e  et 
io3e  régiments,  a  pénétré  en  Belgique  à  Gouvy  et  s'est  dirigée  sur 
Wibrin,  Laroche,  Marche,  Hogne,  itinéraire  qu'avait  suivi  avant  elle 
le   XIIe  corps;    elle    atteignit,   le    21    août,   la   région  de  Ciney-Sovet. 

Ainsi  que  nous  l'avons  longuement  raconté  au  tome  IV,  cette 
division  de  réservistes  saxons  se  rendit  tristement  célèbre,  le  23  août, 

(1)  von  Hausen,  o.  c,  p.  i3i  ;  Baumgarten-Crusius,  o.  c,  p.  45. 

(2)  Baumgarten-Crusius,  o.  c,  p    43-44.  Cfr.  aussi  Hanotaux,  U'slcire   illustrée    de  la   guerre  de  1914. 
VI,  p.  23. 


83 

dans  les  villages  de  Spontin,  Dorinne,  Purnode,  Evrehailles  et  Yvoir, 
tandis  qu'elle  se  ruait  à  la  conquête  de  la  Meuse,  joignant  à  son 
aile  gauche  la  32e  division  active.  C'est  le  io3e  de  réserve  qui 
marchait  en  tête  du  défilé  (t),  suivi  du  101e.  De  faibles  sections 
parvinrent  à  traverser  le  fleuve  dès  le  23  (2)  et  passèrent  la  nuit  en 
pleine  rue  d'Anhée. 

L'ordre  de  la  3e  armée  (n°  3)  (Dinant  9  h.  45)  traçait  comme 
itinéraire  à  la  23e  division  de  réserve  :  Florennes,  Philippeville, 
Mariembourg,  Couvin,  Brùly  (3).  C'est  cet  itinéraire  jalonné  de  feu, 
de   sang   et   de   pillage    que    nous    allons    suivre    maintenant   en   détail. 

«  Partout  où  nous  passions,  a  déposé  le  soldat  Oswald  Witthe, 
du  i33e  de  réserve,  après  avoir  pillé  tous  les  villages,  nous  mettons 
le  feu  aux  maisons;  et  c'était  la  même  chose  dans  tous  les  vil- 
lages (4).  » 

Le  24  août,  de  bon  matin,  la  division  s'engagea  dans  la  sinueuse 
vallée  de  la  Molignée,  tout  en  occupant  et  en  fouillant  les  coquets 
villages  qui  la  dominent  :  sur  la  droite,  Warnant  et  Annevoie;  sur 
la  gauche,  Haut-le^Wastia.  Pas  un  hameau,  pas  une  maison  où 
n'aient  retenti  leurs  hurrah  ou   leurs  cris  menaçants! 

La  division  passa  ainsi  successivement  à  Marteau,  à  Sosoye,  à 
Maredsous.  Elle  gagna  le  sommet  du  plateau  à  Slave  et  Florennes, 
et  là  se  termina  son  avance  au  soir  du  24  août  :  nous  allons  en 
reconstituer  les  péripéties. 

(1)  Von   Hausen.    Erinnerungen,   o.   c,   p.    127. 

(2)  A  Yvoir,  c'est  à  partir  de  17  h.  3o  que  l'ennemi  put  occuper  sans  danger  la  rive  ouest  de  la 
Meuse,  vers  Fidevoye,  après  avoir  fait  cesser  la  résistance  des  derniers  Français  en  dirigeant  sur  les 
coteaux  boisés  de  la  rive  gauche  un  tir  de  mitrailleuses.  Quelques  Allemands  passèrent  d'abord  la  Meuse 
en  barque,  et  ce  sont  eux  qui  achevèrent  en  cet  endroit  un  blessé  français,  le  capitaine  Gautelet.  Les  gens 
d'Yvoir  virent  ensuite  accoupler  des  barques  «  au  Rivage  »,  non  loin  de  Fidevoye,  à  200  mètres  en  amont 
de  l'écluse  de  Hun,  et  former  les  pontons  à  rames  qui  servirent  au  transport  des  troupes.  Celui-ci 
commença  à  19  heures  et  se  poursuivit  jusqu'au  matin,  à  la  lueur  de  lanternes  suspendues  à  un  câble, 
d'une  rive  à  l'autre.  Il  passa  sur  ces  pontons  non  seulement  de  l'infanterie,  mais  de  l'artillerie,  un  peu 
de  cavalerie  et  des  voitures  de  la  Croix-Rouge,  qui  se  dirigèrent  vers  Anhée.  Des  civils  constatèrent  qu? 
le  premier  canon  mis  sur  radeau  le  fit  chavirer,  et  ce  n'est  qu'après  bien  des  efforts  que  les  soldats,  qui 
poussaient  des  cris  de  rage,  parvinrent  à  le  retirer  du  fleuve.  Très  peu  de  fantassins  avaient  pu  utiliser, 
à  la  soirée  du  23  août,  le  pont  endommagé  de  Houx-  Une  notable  partie  des  troupes  du  XIIe  corps  de 
réserve,  qui  encombrait  Yvoir  le  23  août,  fut  dirigée  sur  Dinant  pour  y  utiliser  le  pont  de  bois  de  Leffe, 
car   la   traversée   sur   pontons   était   fort   lente. 

(3)  Bauhgarten-Crusius,  o.  c,  p.  35;  v.  aussi,  au  sujet  de  l'itinéraire  de  la  division  :  Die  Schlachlen 
und  Gefecbte  des  Groszen  Krieges,  o.  c,  p.  16;  Les  Violations,  o.  c,  p.  88;  Marsckneb,  Mit  der 
23.   Heserver-Bivision,   p.    i5   (ouvrage  très  détaillé   et   très   intéressant). 

(4)  Direction  du  contentieux  et  de  la  justice  militaire,  à  Paris,  dossier  io55,  enquête  auprès  des 
prisonniers,   rapport  n°    154. 


84 

On  remarquera  que,  le  24  août,  dès  8  h.  3o  du  matin,  dix  hussards 
de  la  Mort  arrivaient  à  Sosoye,  venant  de  Maredret;  ils  s'y  trouvèrent 
isolés,  en  pleine  retraite  de  Bioul,  et  deux  furent  tués.  Sans  doute, 
la  Garde,  qui  occupait  déjà  Denée  et  Furnaux,  cherchait-elle  à  faire 
la  liaison  avec  la  IIIe  armée. 

§   1 .  —  Anhée. 

Anhée  est  assis  dans  la  vallée  de  la  Meuse,  non  loin  du 
confluent  de  la  Molignée,  que  la  23e  division  de  réserve  va  remonter 
jusqu'à  sa  source. 

Cette   localité   eut  à  souffrir   des   combats   du   i5    et   du  23   août. 

L'ennemi  y  pénétra  le  23  au  soir  (rapport  n°  55 1)  et  occupa  le 
lendemain,  à  1  heure  du  matin,  le  château  de  Moulins  (Warnant) 
(rapport  n°  552),   où  s'ouvre  la  vallée. 

N°  55 1.  Le  6  août,  à  18  heures,  débarquèrent  à  Anhée  (1)  les  premiers  soldats  français, 

une  compagnie  du  148e  (lieutenant  Courty). 

Le  9  août,  la  4e  compagnie  (ter  bataillon,  commandant  Vannière  [fig.  19]), 
du  148e,  venue  d'Hastière,  s'installa  entre  les  5e  et  8e  d'une  part  (à  Bouvignes), 
et  les  2e  et  3e  d'autre  part  (à  Yvoir).  Le  chef  de  bataillon  résidait  au  château  de 
M.  Henry  à  Moulins;  une  partie  de  l'Etat-Major  était  à  Senenne,  au  château  de 
M.  de  Wouters  (2). 

Le  i5  août,  les  offices  de  l'église  ne  purent  se  faire,  à  cause  du  combat. 
Sept  Français  de  la  10e  compagnie  du  1 10e  tombèrent  sur  le  territoire  de  la  commune, 
«  au  Bout  des  Campagnes  (3).  »  Le  soir,  il  y  eut  une  accalmie  et,  le  lendemain,  les 
troupes  en  repos  remplirent  l'église.  Quelques  braves  se  détachèrent  pour  porter 
la  statue  de  la  S.  Vierge  au  milieu  de  l'assistance  émue  et  recueillie.  Presque  tous 
ces  soldats  se  confessèrent  et  les  officiers  donnaient  eux-mêmes  l'exemple. 

Le  17  à  3  heures  du  matin,  le  148e  fut  remplacé  par  le  45e. 

Le  20  au  matin,  le  général  Mangin,  venu  en  auto  de  Bioul,  s'arrêta  à  Anhée 
pour  conférer  avec  le  colonel  Grumbach,  commandant  le  45e  ;  il  y  revint  le  lende- 
main, et  présida,  au  château  de  La  Molignée,  une  réunion  d'officiers  supérieurs. 

Les  soldats  du  45e  quittèrent  la  localité  dans  la  nuit  du  21  au  22,  et  furent 
remplacés  de  nouveau  par  le  bataillon  du  commandant  Vannière,  du  148e,  revenu 
de  Hun.  L'après-midi  du  22,  le  148e  quitta  définitivement  Anhée,  où  arrivaient  le 

(t)  Dans  le  présent  rapport  sont  fondus  les  notes  recueillies  sur  place  au  jour  le  jour  par  dom 
Norbert  Nieuwland,  et  les  renseignements  qu'ont  communiqués  M.  l'abbé  Fissette,  curé  d'Anhée,  et 
M.  Paul  Bauchau. 

(a)  Nous  avons  enregistré  plusieurs  reconnaissances  opérées  par  cette  compagnie  sur  la  rive  droite  de  la 
Meuse  (Tome  IV,  p.  126,  149,  154). 

(3)  On  connaît  les  noms  des  soldats  Mellet  ou  Milliet,  Plattel  ou  Platelle,  Roussel,  Vanoverberghe  ou 
Vanoverberte,  et  Lesage. 


85 

soir  des  éléments  du  8e  dans  la  section  de  Moulins.  Le  village  d'Année  était  défendu 
par  des  réservistes  du  3ioe. 

Le  23  à  9  heures,  l'artillerie  allemande,  dissimulée  derrière  les  montagnes  de 
la  rive  droite  vers  Yvoir  et  vers  Houx,  ouvrit  le  feu  sur  le  village,  des  deux  côtés  à 
la  fois.  Plus  de  25  obus  firent  des  brèches  dans  l'église,  ébranlant  la  voûte, 
déchiquetant  les  confessionnaux,  endommageant  les  orgues  et  le  matériel.  Dix-sept 
obus  tombèrent  dans  le  jardin  de  la  cure.  Vingt  maisons  du  village  furent  atteintes 
plus  ou  moins  gravement  (i),  six  furent  incendiées  (2). 

Le  château,  ancien  prieuré  de  Senenne,  bombardé  de  9  a  i5  heures,  fut 
en  partie    détruit. 

Quarante-sept  soldats  français  (3)  étaient  tombés  çà  et  là  dans  le  village  ou 
dans  les  campagnes.  Plusieurs  d'entre  eux  furent  tués  sans  pitié  alors  qu'ils  se  ren- 
daient. Isidore  Scailteur,  dont  le  café  avait  été  envahi  entre  16  et  17  heures  par  un 
officier  et  quelques  soldats  allemands,  aperçut  un  groupe  de  soldats  français  postés 
dans  les  jardins  situés  en  face  de  sa  maison,  qui  longeaient  le  chemin  de  halage 
et  s'avançaient  en  levant  les  bras  pour  se  rendre.  Bien  que  l'officier  eût  vu  le 
geste,  il  donna  l'ordre  de  tirer.  M.  Scailteur  vit  tomber  l'un  des  Français;  et  bien 
qu'il  n'ait  pas  été  témoin  de  la  suite  du  drame,  il  paraît  certain  que  les  trois  autres 
soldats  qui  se  rendirent  subirent  le  même  sort.  On  retrouva  leurs  cadavres  dans  les 
jardins  de  Louis  Binamé  et  de  J.-B.   Donnay.   Ils  étaient  tous  les  quatre  du  3ioe. 

Il  n'y  eut  à  déplorer  qu'une  seule  victime  civile,  Narcisse  FRÉROTTE,  49  ans, 
frappé  par  une  balle  en  fuyant  au  cœur  de  la  bataille. 

Vers  le  soir,  quand  les  troupes  de  la  23e  division  de  réserve,  XIIe  corps  de 
réserve,  firent  leur  entrée  dans  l'endroit,  la  moitié  de  la  population  avait  fui.  Six 
habitants  (4),  arbitrairement  arrêtés,  furent  joints  au  célèbre  groupe  des  soi-disant 
francs-tireurs  de  Spontin,  de  Hun  et  d'Yvoir,  mais  ils  furent  relâchés  près  de  Stave. 
(T.  IV,  p.  ti 5).  Un  autre  groupe,  comprenant  environ  200  personnes,  fut  colloque 
chez  M.  Bauchau  et  libéré  le  lendemain  à  6  heures.  Pendant  ces  journées,  un  bon 
nombre  de  maisons  furent  pillées  ou  saccagées. 

Le  curé,  M.  Fissette,  avait  pu  gagner  Haut-le-Wastia,  où  il  échappa  au  danger 
qu'il  courait  en  revêtant  des  habits  civils. 

Le  24  août  dans  la  matinée,  M.  Bauchau  fut  témoin  de  la  destruction  par  la 
dynamite  du  bureau  postal  et  du  coffre-fort  qui  s'y  trouvait. 

(1)  Ce  sont  les  maisons  Busseret,  Aubreby  et  veuve  Maison  (près  de  l'église),  la  ferme  du  vicomte 
Vilain  XIII I ,  les  maisons  Dossogne,  Dussart,  Demoulin,  Michel,  Collet,  Bodart,  Rouyr,  Chevalier  ;  enfin 
l'église  et  le  château  de  Senenne. 

(a)  Ce  sont  les  maisons  Jules  Bodart,  Alphonse  Borsut,  Léon  Coliard,  Victor  Pousseur  ;  celles  de 
l'éclusier,  Louis  Coster,  et  du  sous-éclusier,  Maurice  Lambotte. 

O)  Les  suivants  furent  inhumés  snr  la  place  publique  en  face  de  l'église  :  René  Dedonker,  Nevians,  Tobie 
Buroo  ou  Barroo,  Léon  Dewart  ou  Deswart,  Jérôme  Wills,  Arthur  Samson  ou  Sensen,  tous  du  3ioe  de 
Dunkerque.  On  a  aussi  retenu  les  noms  de  Lucien  Keval,  du  148e,  de  Boulogne-sur-Mer,  et  de  l'adjudant 
Pigot,  du  3ioe. 

Les  corps  des  soldats  français,  exhumés  en  1916,  furent  transférés  au  cimetière  militaire  d'Anhée 
«  Près  du  Petit  Bois  ». 

Sont  aussi  tombés  à  Anhée  trois  soldats  allemands  9/177,  Dresden,  et  Paul  Lennig,  des  uhlans  de  la  Garde. 

(4)  Voici  leurs  noms  :  Joseph  Blondiaux,  Ernest  Henry,  Adelin  Scailteur  et  son  fils  Joseph,  Joseph 
Binamé  (lesquels  enterraient  les  morts  au  moment  où  ils  furent  pris)  et  une  dame,  Ida  Clause. 


86 

Moulins.   —  "Rapport  de  Dom  Norbert  JSieuwland. 

N°  552.  ^e    fus    attaché  le    6    août,    en    qualité    d'aumônier,    aux   troupes   françaises 

arrivées  à  Anhée  et  je  pus  ainsi  suivre  de  près  les  escarmouches  qu'elles  enga- 
gèrent, les  jours  suivants,  avec  les  éclaireurs  ennemis  (voir  tome  IV). 

A  partir  du  17,  je  fus  assisté  par  le  R.  P.  dom  Hadelin  de  Moreau,  mon 
confrère. 

Le  23,  nous  fûmes  réveillés  à  6  heures  du  matin  par  une  vive  fusillade.  Le 
combat  commençait  ;  il  se  poursuivit  pendant  toute  la  journée.  A  16  heures,  le 
quartier  de  Moulins  devint  la  cible  de  l'artillerie  allemande.  Cinq  obus  atteignirent 
le  château  de  M.  Henry,  où  je  résidais.  A  18  heures,  le  canon  se  tut  et  l'ennemi 
franchit  le  pont  de  Houx.  Avec  la  famille  Henry  j'avais  gagné  le  château  de  Moulins, 
transformé  en  ambulance  française,  où  je  passai  la  nuit  au  chevet  des  blessés. 

Le  24  août,  à  1  heure  du  matin,  un  cri  retentit  :  «  Les  Allemands  sont  là!  »  Un 
groupe  de  soldats  envahit  la  propriété.  L'officier  qui  les  conduisait  braqua  sur  moi 
son  revolver  en  disant  :  «  Si  fousils  dans  le  château,  vous  fousillé  !  »  Ses  hommes 
m'empoignèrent,  tandis  qu'il  fouillait  les  coins  de  l'habitation.  A  3  heures,  un  régi- 
ment envahit  la  cour;  je  me  présentai  au  devant  d'eux.  «  Spontin  kapout,  vociférait 
un  officier  en  se  démenant  comme  un  possédé;  curé  kapout,  vous  aussi  fusillé!  » 
Des  blessés  furent  amenés,  deux  Français  et  sept  Allemands. 

On  entendit  bientôt,  du  côté  de  Warnant,  une  fusillade  nourrie  et  la  troupe 
s'éloigna.  A  9  heures,  nous  apprîmes  ce  qui  était  arrivé  :  plusieurs  centaines  de 
soldats  belges,  faits  prisonniers  dans  la  rencontre  de  ce  village,  furent  amenés  dans 
la  cour  de  la  ferme. 

Dans  l'après-midi,  j'obtins  la  libération  des  gens  d'Anhée  qui  s'étaient  réfugiés 
à  l'ambulance.  A  la  soirée,  on  relâcha  les  otages,  qui  étaient  parqués  dans  une 
écurie.  Je  reçus  du  lieutenant  Otto  (1),  du  100e  de  réserve,  un  passeport.  Le  fermier 
de  Moulins  inhuma,  sur  ordre,  deux  soldats  ennemis,  puis  fut  délesté,  par  des 
troupes  qu'il  croisa,  des  4000  francs  qu'il  portait  sur  lui. 

Le  24  août,  les  blessés  furent  évacués,  sauf  3  Français  et  6  Allemands,  grave- 
ment atteints,  qui  furent  emportés  le  26. 

§  2.  —  Haut-le-Wastia. 

Bien  que  Haut-le-Wastia  n'ait  pas  été  défendu  le  23  août  par  les 
troupes  françaises,  qui  s'étaient  retirées  la  nuit  précédente,  ce  village  a 
eu  à  souffrir  de  l'invasion.  Les  soldais  du  101e  et  du  io3e  de  réserve  y 
pénétrèrent  le  24  à  6  heures  du  matin-  On  signale  aussi  le  25  août  des 
troupes  du  102e  de  réserve.  Plusieurs  habitants  furent  fusillés  ou  bruta- 
lisés ;  un  groupe  de  vieillards,   de  femmes  et  d'enfants  fut  mitraillé  et  le 

(1)  Ce  lieutenant  est   cité  dans  le  carnet   de  route  du  sous-officier  Burkhardt,  du  ioo6  de  réserve.  Voir 
Les  Violations,  o.  c,  p-  88- 


»7 

feu  fut  mis  à  deux  maisons.  Voici  le  récit  de  ces  événements  (rapport 
n°  553),  tel  que  nous  l'a  fait  le  i5  juin  1915  M.  J.  Balthazar,  curé  de 
la  paroisse. 

Le  rapport  n°  554  relève  quelques  détails  relatifs  à  Warnant. 

Haut-le-Wastia,  que  contourne,  au  nord,  la  Molignée,  occupe  une  situation 
stratégique  de  premier  ordre;  de  nombreux  points  de  son  territoire,  on  a  vue  sur 
la  vallée  de  la  Meuse. 

Au  t5  août,  nous  n'avions  vu  aucun  soldat,  ni  belge  ni  français,  et  nous  nous 
disposions,  dans  le  calme,  à  faire  la  procession  de  l'Assomption,  malgré  le  bruit 
du  canon  et  des  mitrailleuses  qui  nous  arrivait  de  Dinant,  lorsque,  pendant  la 
grand'  messe,  la  pluie  vint  à  tomber,  empêchant  la  population  de  se  livrer  à  cette 
manifestation  si  désirée  de  sa  piété. 

Au  soir,  nous  reçûmes  le  148e  français,  venant  de  Bioul,  qui  nous  quitta  dans 
la  nuit,  se  rendant  à  Dinant.  Le  16  août  dans  l'après-midi,  vinrent  le  uoe  et  le 
41e  d'artillerie,  qui  séjournèrent  au  village  jusqu'au  22  à  midi,  édifiant  la  paroisse 
par  leurs  sentiments  chrétiens  :  un  grand  nombre  de  soldats  assistaient  chaque 
jour  à  la  messe,    célébrée  à  leur  intention  à  3  heures  du  matin  et  y  communiaient. 

Le  23  août,  nous  étions  sans  défenseurs.  Dans  l'avant-midi,  nous  eûmes  deux 
messes  basses,  les  seuls  offices  religieux  de  la  journée.  A  9  heures,  les  premiers 
obus  explosaient  dans  les  champs;  vers  midi,  ils  arrivèrent  en  plein  village,  et  alors 
les  habitants  prirent  la  fuite,  les  uns  se  dirigeant  sur  Falaën,  d'autres  sur  Sosoye, 
d'autres  sur  Salet-Warnant.  Environ  trente-cinq  personnes  demeurèrent  et  vinrent 
se  réfugier  au  presbytère.  Je  les  installai  dans  des  caves  aménagées  sous  le  choeur 
de  l'église,  et  sous  les  sacristies,  où  nous  passâmes  en  prière  l'après-midi,  jusqu'à 
ce  que  le  bombardement  cessât,  vers  le  soir.  Il  avait  d'ailleurs  été  intermittent  et 
de  peu  d'importance  :  une  trentaine  d'obus  tombèrent  sur  le  territoire  de  la 
paroisse,  endommageant  deux  maisons  et  brisant  les  vitres  dans  un  quartier. 

Après  une  nuit  calme,  les  premiers  soldats  allemands  entrèrent  au  village  le 
24,  à  6  heures  du  matin,  et  trouvèrent  les  maisons  closes.  Ils  les  pillèrent  d'une 
façon  inouïe.  Il  était  8  heures  quand  ils  se  présentèrent  au  presbytère  :  mes 
paroissiens  et  moi,  nous  fûmes  enfermés  dans  l'église  et  gardés  jusqu'à  i3  h.  3o; 
puis  les  premières  troupes  s'éloignèrent. 

A  peine  étions-nous  rentrés  dans  nos  maisons,  que  de  nouveaux  soldats  les 
envahirent.  Vers  i5  heures,  des  gens  qui  avaient  fui  voulurent  revenir,  mais 
quand  ils  constatèrent,  à  l'entrée  du  village,  que  l'ennemi  l'occupait  encore,  ils 
jugèrent  prudent  de  rebrousser  chemin  et  d'entrer  dans  un  taillis.  Cette  manoeuvre 
avait  été  remarquée.  Des  soldats  organisèrent  une  battue  à  travers  champs  et 
mirent  en  action  une  mitrailleuse.  Il  y  eut  plusieurs  victimes.  Une  infirme,  Victoire 
DETAILLE  (fig.  8),  veuve  Antoine  RONDIAT,  âgée  de  78  ans,  fut  tuée  sur  la 
charrette  qui  avait  servi  à  l'emmener.  Désiré  SACOTTE  (fig.  t6),  époux  de 
Caroline  Trillet,  42  ans,  père  de  famille,  fut  retrouvé  tué  à  peu  de  distance.  D'autres 
personnes  furent  blessées  :  l'une  eut  la  figure  traversée  de  part  en  part,  une  autre 
fut  gravement  blessée  à  la  cuisse,  une  fillette  de  6  ans  eut  la  hanche  percée  d'une 


88 

balle  et  est  restée  estropiée.  Pendant  ce  temps,  on  mettait  le  feu  aux  maisons 
voisines  de  Mathieu  Detourbe  et  de  Mme  veuve  Désiré  Mélot,  et  trois  civils  étaient 
faits  prisonniers.  L'un  d'eux,  Mathieu  DETOURBE  (fig.  t3),  époux  d'Aline  Mélot, 
père  de  famille,  âgé  de  3t  ans,  fut  fusillé  une  heure  après  sur  la  route  de  Moulins, 
territoire  de  Warnant.  Les  deux  autres,  Alfred  Wauthier  et  Jean  Polomé,  furent 
associés  au  groupe  de  Spontin  emmené  à  Roly  et  Hotton.  (Tome  IV,  p.  1 15). 

Des  fenêtres  du  presbytère,  je  fus  inconsciemment  témoin  de  cette  scène  :  je 
suivais  des  yeux  les  soldats  s'avançant  à  travers  champs,  mettant  le  feu  aux  récoltes 
non  fauchées  et  tirant  sans  cesse.  Je  les  croyais  à  la  recherche  de  soldats  français 
et  je  n'appris  que  le  lendemain  que  les  pauvres  victimes  étaient  mes  paroissiens. 

Trois  autres  civils  (fig.  14  et  i5)  furent  fusillés  près  des  ruines  de  Montaigle 
(voir  rapport  n°  557).  Aucun  d'eux  n'était  porteur  d'armes  et  n'avait  commis  le 
moindre  délit. 

N°  554.  Warnant   reçut   à   plusieurs    reprises    des    Français    :    le    i5    août,   quelques 

soldats;  le  t6  août,  le  45e  de  ligne,  qui  séjourna  jusqu'au  21;  le  22,  au  soir, 
une  forte  colonne  qui  resta  deux  heures,   puis  poursuivit  sa  route. 

Le  23,  des  troupes  françaises  et  des  gardes~civiques  de  Charleroi  passèrent 
à  Warnant,  se  retirant  sur  Falaën,  Flavion  et  Philippeville. 

L'ennemi  entra  à  Warnant  le  24,  au  matin,  et  y  soutint  un  combat  contre 
des  troupes  belges,   ainsi  que  nous  l'avons  raconté  plus  haut  (p.   76). 

Trois  immeubles  furent  détruits  dans  la  commune.  La  «  Villa  des  Toutous  » 
fut  incendiée  par  des  obus  le  23.  La  ferme  de  Heneumont  fut  pillée  à  fond  la 
nuit  suivante;  les  soldats  tuèrent  poules,  porcs  et  bétail,  burent  et  mangèrent 
tout  ce  qu'ils  trouvèrent,  puis  mirent  le  feu  à  l'immeuble,  le  24  août,  à  8  heures, 
pour  faire  disparaître  les  traces  de  leur  orgie.  La  ferme  d'Ohey  fut  brûlée  le 
24  août  par  les  soldats  qui  se  rendaient  à  Haut~le"Wastia. 

§  3.  —  Annevoie  et  "Rivière. 

Ce  sont  des  soldats  du  to3e  de  réserve  (46e  brigade)  qui  brutali- 
sèrent les  habitants  de  Hun  et  y  incendièrent  une  maison. 

A  Annevoie  (rapport  n°  555),  il  passa  des  éléments  du  tote  de  réserve. 

Rivière  est  l'une  des  rares  localités  qui  ne  furent  pas  occupées  pen- 
dant les  premières  journées  de  l'invasion.  On  lira  néanmoins  avec  intérêt 
le  rapport  n°  556  consacré  à  cette  localité  :  il  montre  avec  quelle  légèreté 
les  troupes  y  ont  détruit  un  château  ancien,  rempli  d'œuvres  d'art. 

N°  555.  Le  9  août  (1),  la  2e  compagnie  du  148e,  qui  se  trouvait  jusque  là  à  Dinant, 

s'établit  à  Rouillon;    elle   fut   renforcée  le   14  par  la   section  de  mitrailleuses  du 
2e  bataillon  et,  le   t5,  par  la  7e  compagnie. 

(1)  Ce  rapport,  relatif  à  Annevoie  et  Hun,  emprunte  les  données  militaires  aux  notes  qu'a  bien  voulu 
nous  communiquer  le  général  Cadoux  ;  les  autres  renseignements  ont  été  recueillis  par  le  curé  de  la 
paroisse,   M.    Warnon. 


89 

A  partir  du  i5,  le  barrage  de  Hun  (ut  aussi  gardé  par  une  section.  Le 
16  août,  à  14  h.  25,  le  sous-lieutenant  Trinquant,  du  5e  chasseurs  à  cheval, 
arriva  à  Rouillon  avec  son  peloton,  pour  assurer  la  liaison  avec  la  5e  division 
de  cavalerie  française.  A  16  heures,  le  pont  de  Rouillon  fut  miné  par  le 
capitaine  du  génie  Mascart,   de  l'armée  belge. 

La  11e  compagnie  du  148°  (capitaine  Roques),  qui  s'était  repliée  du  pont 
de  Bouvignes  te  i5  août,  vint  se  reconstituer  à  Annevoie  le  17  août.  Tout  le 
3e  bataillon  (commandant  Bertrand)  s'y  trouva  dès  lors  réuni.  Le  même  jour, 
dès  avant  l'aube,  la  4e  compagnie  (de  Houx-Anhée),  la  3e  compagnie  (du  pont 
d'Yvoir),  relevées  par  un  bataillon  du  45e,  vinrent  occuper  le  barrage  de  Hun. 
Les  5e  et  7e  compagnies  et  la  compagnie  hors-rang  (de  Bioul)  s'établirent  aussi 
à  Annevoie  et  Rouillon,  le  poste  de  commandement  du  colonel  Cadoux  étant 
au   château   d'Annevoie. 

Le  21  août,  le  général  Mangin,  commandant  la  8e  brigade,  donna  au 
3e  bataillon  l'ordre  de  gagner  Bioul  (t).  La  4e  compagnie,  de  Hun,  se  rendit  à 
Annevoie. 

Le  22  août,  le  passage  de  Hun  fut  gardé  par  la  5e  compagnie,  le  pont  de 
Rouillon,  par  les  2e,  7e  et  8e  compagnies.  Une  patrouille  ennemie  se  présenta 
à  7  heures  au  barrage  de  Hun  et  fut  dispersée  à  coups  de  fusil. 

A   16  h.  20,  le  pont  de  Rouillon  fut  détruit  sur  les  deux  tiers  de  sa  portée. 

Le  23,  la  position  du  versant  est  du  bois  de  Salzinnes  (entre  Hun  et  Rouillon) 
fut  occupée  par  la  ire  compagnie  (Delahaye),  ramenée  de  Burnot,  et  les  abords  du 
pont  de  Rouillon  le  furent  par  la  2e  compagnie  (Dagalier). 

A  Hun,  la  3e  compagnie  occupait  des  tranchées  construites  au-dessus  du  village. 

(1)  Le  général  Cadoux  a  bien  voulu  nous  communiquer  l'émouvante  participation  de  cette  vaillante 
troupe  au  siège  de  Namur.  Mis  à  la  disposition  du  lieutenant-colonel  Grumbach,  commandant  le  45e, 
le  3e  bataillon  du  148  fut  adjoint  à  deux  bataillons  du  45'  •  et  ensemble  ils  arrivèrent  à  Namur  le 
22  août,  à  7  heures.  Le  3  bataillon  fut  envoyé  aussitôt  sur  la  route  de  Louvain,  à  5oo  mètres  sud  de 
la  borne  6  (bifurcation  du  chemin  de  Cognelée).  Dans  l'après-midi,  il  fut  chargé  de  reconnaître  les  abords 
nord  du  bois  des  Grandes  Salles,  en  vue  de  reprendre  le  château  de  Beauloy,  qu'avaient  abandonné  les 
troupes  belges  du  capitaine  Dewattines.  A  17  heures,  l'ordre  fut  donné  aux  9e  (Gaune  de  Beaucoudray) 
et  12e  compagnies  (Boitel)  de  se  porter  en  avant.  Elles  commencèrent  le  mouvement,  mais  dès  leur 
arrivée  à  hauteur  de  l'église  et  du  cimetière  de  Cognelée,  elles  reçurent  des  coups  de  fusil  des  défenseurs 
de  Beauloy.  Le  major  Melon,  du  3oe  d'infanterie  belge,  ayant  confirmé  l'évacuation  de  Beauloy  par  ses 
troupes  et  le  capitaine  Dewattines  ayant  conseillé  de  ne  pas  aller  plus  loin,  les  9e  et  12e  compagnies 
furent  dispersées  dans  les  tranchées  voisines,  jusqu'à  ce  que  la  10e  compagnie  leur  fut  envoyée  en 
renfort.  Alors  elles  envahirent,  baïonnette  au  canon,  le  parc  du  château  et  une  section  de  la  9e  com- 
pagnie, avec  le  lieutenant  de  Beaucoudray,  pénétra  dans  la  redoute,  mettant  en  fuite  les  derniers  défenseurs. 
A  «9  h.  3o,  les  tranchées  qu'occupaient  les  10e  et  12e  compagnies,  prises  d'enfilade  par  l'artillerie 
ennemie,  durent  être  évacuées.  Le  9e  reçut  aussi,  du  chef  de  bataillon,  l'ordre  de  se  replier  derrière  le 
village  de  Cognelée.  Le  lendemain,  les  compagnies  occupèrent  les  abords  de  Champion,  où  elles  subirent 
un  feu  affolant  de  batteries  lourdes  de  campagne,  invisibles,  jusqu'à  ce  que  le  lieutenant-colonel  Grumbach 
ordonna   le  repli,   à    1 1    h.    i5. 

Le  colonel  du  45e,  avec  les  11e  et  12e  compagnies  du  45e  et  les  9e,  10e,  11e  et  12e  compagnies 
du  148  ,  bivouaqua  le  23,  au  soir,  à  i.5oo  mètres  de  Bioul,  passa  le  lendemain  par  Maredsous.  Une 
partie  du  3  bataillon  retrouva  son  régiment,  le  24,  à  Gochenée  et  Agimont  et  gagna  de  là,  le  25, 
Doische,  Mazée,  Treignes  Vierves  et  Rocroi  ;  le  restant  se  reforma  le  24,  à  21  heures,  à  Fagnolles  et 
gagna  aussi  Rocroi. 


Attaquée  dès  5  h.  3o  par  de  l'infanterie  et  de  l'artillerie,  elle  tint  toute  la  matinée, 
s'opposant  à  la  mise  à  l'eau  de  barques  amenées  par  l'ennemi.  Elle  reçut,  à  t3  h.  t5, 
l'ordre  de  se  retirer,  avec  la  ire  et  la  2e  compagnies,  sur  Bioul,  où  tout  le  bataillon 
devait  se  mettre  sous  les  ordres  du  colonel  Pétain,  pour  passer  la  nuit  à  la  lisière 
nord  de  Falaën,  gagner,  le  lendemain,  Flavion  et  Agimont.  Un  officier  et  douze 
soldats  français  (i)  du  148e,  furent  tués  à  Hun  et  y  restèrent  inhumés  dans  une 
tombe  collective,  à  gauche  de  la  route  de  Namur  à  Dinant,  jusqu'à  leur  transfert 
au  cimetière  d'Anhée. 

Le  io3e  saxon  commença  à  franchir  la  Meuse  à  Hun  le  23  août  vers  le  soir  ; 
il  traita  les  civils  du  hameau  avec  une  brutalité  extrême.  Hommes,  femmes  et 
enfants,  expulsés  des  caves  où  ils  se  tenaient  paisiblement,  furent  chargés  sur  des 
nacelles  et  passèrent  la  nuit  sur  le  pavé  dans  le  bâtiment  de  la  poste.  Le  lendemain, 
les  femmes  et  les  enfants  furent  renvoyés,  mais  dix  hommes  (2)  furent  associés  aux 
civils  de  Spontin  et  emmenés  avec  eux  jusqu'à  Roly  et  Hotton.  Nous  avons  relaté 
leurs  souffrances  tome  IV,  p.  n5.  Le  24  août,  dès  5  heures  du  matin,  le  feu  était 
mis,  au  rivage,  à  la  maison  d'Alexis  Woos,  occupée  par  Clément  Lecoq,  dans 
laquelle  les  Français  s'étaient  installés. 

L'ennemi  ne  fit  son  apparition  à  Rouillon  et  à  Annevoie  que  le  24  août. 
A  7  heures,  12  uhlans  venus  par  le  pont  d'Yvoir  montèrent  la  côte  de  Bioul  ;  mais, 
reçus  par  les  balles  de  quelques  Français  qui  avaient  séjourné  dans  les  bois,  ils 
rebroussèrent  chemin.  A  i3  heures,  des  fantassins  appartenant,  croit'-on,  au  tote, 
et  venus  de  Hun  par  les  campagnes,  passèrent  à  Annevoie,  se  dirigeant  vers 
Haut-le-Wasîia,  et  ne  molestèrent  pas  la  population.  Les  jours  suivants,  les  passages 
de  troupes  furent  de  peu  d'importance. 

N    556.  Le  i3  août  (3)  à  1 1  heures,  le  colonel  Cadoux  reçut  du  chef  du  ier  corps  l'ordre 

de  se  transporter  de  Dinant  à  Bioul  et  de  modifier  la  répartition  des  bataillons  du 
i48equ'il  commandait,  les  espaçant  depuis  Anseremme  jusqu'à  Burnot"Lusîin  inclus. 
De  ce  fait,  le  secteur  Houx-Burnot  se  trouvait  renforcé  ;  la  2e  compagnie  s'établit 
le  soir  à  Rouillon  avec  la  section  de  mitrailleuses  du  2e  bataillon,  et  la  ire  compagnie 
à  Burnot. 

Le  i5  août  à  8  heures,  ces  effectifs  furent  encore  renforcés  à  Rouillon  par  la 
7e  compagnie,  à  Burnot  par  la  8e. 

Le  t5  à  8  h.  3o,  le  bourgmestre  de  Godinne  informa  le  colonel  Cadoux,  à 
Bioul,  «  que  des  uhlans  s'installaient  au  sanatorium  de  Mont  et  paraissaient  vouloir 

(1)  C'étaient  le  capitaine  Victor  Gautrelet  ou  Gautelet,  de  Remillies;  Gaston  Dumont  ou  Dumour,  de 
Mézières;  Florimond  Huleux,  de  Denain;  Julien  Jaspart,  de  Cambrai  ;  Edouard  Juzert  ou  Gugert,  de  Mézières; 
Charles  Millancourt,  d'Avesne  ;  Eugène  Petit,  de  Lens  ;  Désiré  Pichet  ou  Pihet,  de  Mézières  ;  Marcel  Trichin 
ou  Triclin,  de  Rennes  ou  Reims  ;  Léon  Ancelle,  de  Maillencourt  ;  Georges  Havet,  de  Valenciennes,  tous  du 
148    ;  et  Henri  Nesrians,  de  Dunkerque,  du  3ioe  ;  enfin,  un  inconnu. 

(i)  C'étaient  Alexis  Woos,  Alexandre  Legros,  Victor  Legros,  Victor  Daffe,  Victor  Feraille,  Léon 
Beaupère,  Jules  Beaupère,  Alexandre  Stavaux,  Victor  Pirson  et  Auguste  Defrenne.  Les  deux  premiers 
moururent  des  suites  de  ces  mauvais  traitements. 

(3)  Ce  rapport,  consacré  à  Rivière  et  Burnot,  a  utilisé  les  notes  du  colonel  Cadoux,  des  renseignements 
fournis  par  M.  Edouard  de  Pierpont,  à  Rivière,  et  le  procès-verbal  de  l'enquête  que  nous  avons  faite  sur 
place   le   3o  septembre  1916. 


9» 

s'y  retrancher,  et  que  des  Allemands  auraient  été  vus  se  dirigeant  vers  la  Meuse 
avec  des  barques  ». 

Le  17  août,  la  6e  compagnie,  avec  l'Etat-Major  du  2e  bataillon  (commandant 
Graussaud)  et  la  section  de  mitrailleuses,  s'établirent  aussi  à  Burnot-Lustin  ;  cette 
compagnie  se  disposa  le  lendemain  entre  Rivière  et  Godinne,  à  hauteur  des  Iles,  à 
la  lisière  du  bois  de  la  chapelle  S.  Hubert.  Les  coteaux  de  la  montagne  de  Rivière 
étaient  préparés  pour  la  défense,  spécialement  aux  lieux  dits  :  campagne  des  Tries, 
Tienne  au  Collin  et  au  sommet  du  Sart  à  Socle,  à  l'entrée  du  bois  et  dans  la 
pépinière  dominant  la  Meuse.  Les  retranchements  opérés  en  terrasse  au  lieu  dit  : 
Tienne  au  Collin,  vers  le  nord  du  cimetière  communal,  étaient  armés  de  mitrail- 
leuses et  particulièrement  bien  dissimulés.   Ils  rendaient  l  accès  du  pont  impossible. 

Le  19,  le  sous-lieutenant  Courty,  de  la  tre  compagnie,  au  pont  de  Burnot, 
donna  la  chasse  à  un  peloton  de  cavalerie  ennemi,  qui  s'était  approché  du  pont, 
venant  de  Mont  ;  le  feu  de  la  section  tua  6  chevaux.  Un  officier  allemand,  en  fuyant, 
menaça  le  bourgmestre  de  Mont  du  revolver,  en  vociférant  que  le  village  serait 
brûlé  pendant  la  nuit.  Les  habitants  affolés  demandèrent  de  la  troupe  pour  les  protéger. 

Le  21,  les  Français  arrêtèrent  par  quelques  obus  tirés  de  Rivière  une  troupe 
d  avant-garde  qui  s'acheminait  vers  les  fonds  d'Hestroy. 

Le  22  de  bon  matin,  le  pont  de  Burnot-Lustin  fut  tenu  non  plus  seulement  par 
la  ire,  mais  encore  par  la  6e  compagnie,  sous  les  ordres  du  capitaine  Delahaye, 
commandant  la  ire  compagnie.  On  signala  aussi  les  officiers  suivants  :  capitaine 
Tréca,  lieutenants  Létranger  et  Arthaud. 

Le  pont  de  Burnot  sauta  à  tô  h.  45  et,  une  seule  pile  étant  détruite,  le  comman- 
dant demanda  par  auto  au  général-gouverneur  de  Namur,  5o  kilogrammes  de  tonite 
pour  achever  la  destruction  de  l'ouvrage. 

Le  23,  dès  la  pointe  du  jour,  la  tre  compagnie  quitta  le  pont  de  Burnot-Lustin 
détruit,  et  alla  s'établir  entre  Hun  et  Rouillon,  sur  le  versant  est  du  bois  de  Salzinnes, 
tandis  que  les  troupes  allemandes,  venant  de  Crupet,  envahissaient  le  sanatorium  et 
se  répandaient  dans  le  vallée  jusqu'à  la  gare  de  Lustin.  Dans  l'avant-midi,  la  voie 
du  chemin  de  fer  du  Nord-Belge,  la  route  dite  de  la  corniche  et  le  halage  vis-à-vis 
de  Rivière  se  couvrirent  de  soldats. 

A  i3  heures,  tout  le  ier  bataillon  du  148e  (tre,  ie,  3e  et  4e  compagnies,  Burnot, 
Rouillon  et  Yvoir)  avait  reçu  l'ordre  de  gagner  Bioul,  Denée  et  le  bois  au  nord 
d'Ermeton-sur-Biert. 

Cet  ordre  n'atteignit  pas  la  section  de  Capelîis  (2e  compagnie),  qui  avait  été 
envoyée,  à  midi,  à  Rivière,  et  s'était  portée  à  t3  h.  20  dans  les  broussailles  de 
l'éperon  sud  de  Rivière.  Des  cavaliers  ennemis,  l'ayant  remarquée  du  sanatorium, 
firent  feu  sur  elle  et  bientôt  la  canonnèrent  à  l'aide  d'une  batterie.  Ils  lancèrent  aussi 
quelques  obus  sur  le  château  de  M.  de  Pierpont.  Il  était  18  heures,  et  les  habitants 
venaient  de  sortir  de  l'église,  où  s'était  chanté  le  salut  du  Saint-Sacrement.  La 
section  se  terra  sous  la  canonnade  et  ne  put  diriger  que  des  feux  mal  ajustés  sur 
de  petites  fractions  ennemies  qui  cherchaient  à  traverser  la  Meuse  en  barquette.  Les 
villageois  aperçurent  soudain  un  soldat,  membre  en  hercule,  traverser  la  Meuse  à 
la  nage  et  s'emparer,  sur  la  rive  gauche,  de  l'une  des  barques  que  les  Français 
avaient  coulées  à  fond;  il  traversa  à  nouveau  le  fleuve,  entraînant  entre  deux  eaux 


92 

la  lourde  embarcation,  que  l'on  répara  à  la  hâte  et  qui,  bientôt,  permit  à  cinq  incen- 
diaires, dont  un  officier,  de  venir,  la  torche  à  la  main,  anéantir  en  quelques  instants 
le  château  Louis  XVI  de  M.  de  Pierpont  (i).  Un  soldat  de  la  section,  Léon  Lacroix, 
de  Saint-Omer,  fut  tué  net  par  un  coup  de  feu  à  la  face.  A  18  heures,  la  section 
regagna  Rouillon  et,  apprenant  le  départ  de  la  compagnie  pour  Bioul,  se  mit  à  sa 
recherche.  Elle  passa  à  Bioul  la  nuit  du  i3  au  24  et  se  joignit,  le  lendemain,  à  une 
colonne  de  différents  éléments  dont  une  partie  du  148e  (commandant  Bertrand) 
venant  de  Namur;  elle  retrouva  son  régiment  le  25  août  à  1 1  heures  à  Vierves. 

Pendant  la  fusillade,  toute  la  population  avait  fui  vers  Boilaîtrie.  M.  Xavier  de 
Pierpont,  attardé  à  l'église  après  le  salut,  y  priait  encore  tandis  que  l'incendie  battait 
son  plein.  M.  Edouard  de  Pierpont  et  sa  famille,  dont  de  jeunes  enfants,  ne  quit- 
tèrent qu'au  moment  où  le  feu  laissait  entrevoir  ses  premières  flammes  et  c'est 
comme  par  miracle  qu'ils  échappèrent  à  la  grêle  de  balles  qui  les  assaillit  à  leur 
départ. 

Ce  drame  du  passage  de  la  Meuse  par  un  soldat  allemand,  qu'un  seul  franc- 
tireur,  s'il  eût  existé,  eût  aisément  empêché,  est  une  preuve  irréfutable  que  les 
troupes  incendiaient  par  plaisir  et  sans  utilité  militaire. 

Le  24  août,  les  troupes  visèrent  de  la  rive  droite  de  la  Meuse,  sans  les 
atteindre,  quelques  hommes  rentrés  au  village,  et  elles  bombardèrent  Burnot,  dont 
9  maisons  furent  détruites  ou  très  endommagées;  puis  elles  gagnèrent  Godinne  et 
Yvoir. 

Le  27,  campèrent  à  Rivière  environ  2000  hommes,  dont  des  cavaliers  et  le  corps 
de  munition  de  la  IIIe  batterie  d'artillerie  à  pied,  sous  le  commandement  du 
rittmeister  von  Bonin.  Celui-ci  dit  à  M.  de  Pierpont,  en  montrant  les  ruines  :  «  Ce 
sont  vos  prêtres  qui  sont  cause  de  ces  désastres  !  Ici  aussi,  il  y  a  eu  des  francs- 
tireurs,  dirigés  par  un  curé!  » 


§  4.  —  Sosoye~Maredrel. 

Lorsque  les  éclaireurs  de  la  23e  division  de  réserve  atteignirent,  le 
24  août,  la  gare  de  Falaën,  qui  est  située  dans  la  vallée  même,  les 
soldats  belges  tirèrent  sur  eux,  du  bois  voisin,  quelques  coups  de  feu. 
En  punition  de  ce  fait  de  guerre,  cinq  maisons  furent  brûlées,  vingt-six 
hommes  de  Foy  furent  ligotés  comme  des  malfaiteurs  et  emmenés  ;  trois 
pères  de  famille  de  Haut-le-Wastia,  surpris  par  hasard  dans  les  envi- 
rons, furent  liés  à  des  arbres  et  fusillés,  au  lieu  dit  «  Les  Floyes  ». 

Le  rapport  n°  558  relate  ce  qui  s'est  passé  à  l'abbaye  de 
Maredsous. 

A  Maredret  (rapport  n°  559),  Emile  Taton  fut  tué  par  des  uhlans. 

(1)  Il  y  périt  des  tableaux,  des  sculptures  et  beaucoup  d'objets  d'art.  On  y  admirait  entre  autres  un  salon 
en  stuc,  œuvre  exécutée  en  1777  par  les  frères  Moretti  et  signée;  le  plafond  seul  était  orné  de  60  personnages 
représentant,  en  douze  médaillons  délicatement  exécutés,  Cérès  et  les  mois  de  l'année. 


93 

La  paroisse  de  Sosoye  —  écrit  M.  l'abbé  Bruyr,  curé  de  l'endroit  —  comprend, 
outre  le  centre,  les  hameaux  de  Marteau  et  de  Foy.  Soldats  belges  et  uhlans  se 
croisèrent  pendant  toute  la  matinée  du  24  août  dans  cette  région.  En  arrivant  à 
Marteau,  les  Allemands  procédèrent  à  une  visite  minutieuse  des  maisons.  Josuë 
Binon  fut  sur  le  point  d'être  fusillé,  parce  qu'on  trouva  chez  lui  des  douilles  de 
cartouches  qu'il  avait  conservées  en  souvenir  des  manoeuvres  militaires  faites  dans 
la  région  par  l'armée  belge  l'année  précédente;  emmené  par  les  troupes,  il  fut 
relâché  près  de  Maredret. 

Quand  l'avant-garde  du  corps  d'armée  ennemi  atteignit,  vers  t3  heures,  la 
gare  de  Falaën,  au  lieu-dit  «  La  Forge  »,  au  pied  de  la  montagne  sur  laquelle  est 
assis  le  hameau  de  Foy,  elle  reçut  des  coups  de  feu  d'un  groupe  de  soldats  belges 
postés  dans  les  bois  qui,  au  sud,  surplombent  la  gare.  Deux  chevaux  furent  tués. 
Après  s'être  mis  à  l'abri  des  balles  dans  les  caves  des  maisons,  les  Allemands 
sortirent  furieux,  tirèrent  sur  la  gare  et  sur  les  hôtels  Couturier  (1)  et  Devigne  — 
où  fut  blessée  Elvire  Devigne  —  et  mirent  le  feu  à  deux  maisons  et  à  une  grange 
appartenant  à  Auguste  Baivy-Tonon,  ainsi  qu'au  magasin  de  marchandises  du 
chemin  de  fer  (2).  La  maison  de  la  veuve  Delaire,  à  Foy,  fut  aussi  incendiée. 

Les  hommes  de  Foy  coururent  un  sérieux  danger  :  ils  furent  arrachés  à  leurs 
maisons  au  nombre  de  26,  liés  deux  à  deux  et  les  mains  derrière  le  dos  et  entraînés 
jusqu'au  château  de  M.  Desclée,  à  Maredsous. 

A  Sosoye,  dix  hussards  de  la  mort  arrivèrent  le  24  à  8  h.  3o,  par  la  route  de 
Maredret,  et  furent  assaillis  par  le  feu  de  quelques  soldats  belges  établis  près  du 
café  Urtrel-Lurquin.  Deux  Allemands  furent  tués,  l'un  au  pied  de  l'escalier  qui 
monte  à  l'arrêt  du  train  de  Sosoye,  l'autre,  3o  mètres  plus  loin,  au  milieu  de  la 

(1)  Un  témoin  oculaire,  M.  Fernand  de  Bien,  qui  se  trouvait  à  l'hôtel  Couturier,  a  fait  le  récit  suivant. 
'<  Soudain  un  nuage  de  poussière  s'éleva  dans  la  vallée,  venant  de  la  direction  de  Montaigle  :  une  colonne 
saxonne  remontait  la  Molignée.  Nous  l'aperçûmes  au  moment  où  elle  arrivait  près  de  Marteau.  A  cet  endroit, 
un  coup  de  (usil  abattit  un  cheval;  sur  le  champ,  une  maison  voisine  —  d'où  les  Allemands  prétendaient  qu'on 
avait  tiré  —  (ut  livrée  aux  flammes. 

»  Des  fenêtres  de  l'hôtel,  nous  pouvions  suivre  les  mouvements  de  la  colonne.  Elle  avait  fait  halte,  pendant 
que  deux  hussards,  détachés  en  éclaireurs,  venaient  reconnaître  les  abords  de  la  gare  et  que  des  fantassins  se 
postaient  en  vedettes  près  du  pont  sur  lequel  la  route  franchit  la  Molignée  à  Marteau.  A  c:  moment,  nous 
vîmes  un  soldat  belge,  caché  dans  les  broussailles  tapissant  le  versant  de  la  vallée,  se  lever  et,  le  fusil  à  la 
bretelle,  se  diriger  d'un  pas  délibéré  vers  les  Allemands;  sans  s'inquiéter  de  ses  intentions,  ceux-ci  tirèrent  et 
le  malheureux   s'affaissa-   On   le  crut  mort,   mais  il  se  releva  bientôt  et  disparut  en  rampant  dans  les  buissons. 

»  Les  Saxons  ne  se  pressaient  pas  d'avancer.  Tout  à  coup,  deux  soldats  français,  qui  étaient  restés 
embusqués  derrière  la  gare,  firent  feu.  L'ennemi  riposta  et  tira  notamment  sur  l'hôtel,  dont  les  vitres  volèrent 
en  éclats.  Nous  descendîmes  dans  les  souterrains.  Bientôt  nous  entendîmes  au-dessus  de  nous  un  vacarme 
effroyable,  des  cris,  des  vociférations  :  les  Saxons  faisaient  irruption  dans  le  café,  prêts  à  tout  saccager-  l<  On 
a  tiré  d'ici  sur  nous!  »  nous  dit  un  officier.  Nous  répondîmes  que  ce  ne  pouvaient  être  que  des  soldats. 

»  Pendant  qu'ils  fouillaient  l'hôtel,  d'autres  soldats  envahirent  la  gare,  emmenèrent  le  chef  de  station, 
défoncèrent  à  coups  de  hache  le  plancher  de  la  salle  d'attente  et  y  mirent  le  feu.  Des  hommes  dévoués  vinrent 
à  la  dérobée  jeter  quelques  seaux  d'eau  sur  le  brasier,  qu'ils  réussirent  à  étouffer.  Quant  aux  soldats  français, 
ils  furent  aperçus  dans  un  bois  voisin  et  ne  purent  échapper  à  la  mort. 

»  Des  étudiants  de  Leipzig  nous  racontèrent  qu'à  Spontin,  ils  avaient  perdu  leur  major,  tué  d'un  coup  de 
feu  par  un  habitant  du  village.  » 

(2)  Cet  incendie  semble  visé  dans  Marschneb,  o.  c,  p.  ao. 


94 

route  qui  mène  à  Marteau.  Un  cheval  fut  tué  à  côté  de  son  cavalier,  un  second  put 
se  traîner  jusqu'à  Chertin,  un  troisième  jusqu'au  cimetière.  Plusieurs  hussards 
rebroussèrent  chemin  vers  Maredret,  deux  continuèrent  vers  Falaën,  un  dernier  se 
cacha  dans  le  bois.  Craignant  des  représailles,  le  garde-champêtre,  aidé  de  quelques 
hommes,  se  hâta  d'enfouir  hommes  et  chevaux.  Dans  l'entre-temps  continuèrent 
à  défiler  des  soldats  belges,  venant  à  travers  champs  de  Bioul  et  se  dirigeant  vers 
les  Bierts.  Il  en  passait  depuis  le  grand  matin  (i). 

A  14  h.  3o,  arriva  de  Marteau  à  Sosoye  le  corps  d'armée  qui  venait  d'Anhée 
et  se  dirigeait  vers  Maredret;  il  défila  sans  discontinuer  jusqu'à  21  heures.  Le 
lendemain,  il  passa  de  nouveau  des  troupes  pendant  trois  heures  dans  la  matinée 
et  pendant  deux  heures  clans  l'après-midi.  Du  24  au  27  août,  5, 000  Allemands 
logèrent  dans  l'église,  dans  les  maisons  et  dans  les  granges. 

Un  douloureux  massacre  fut  commis  le  24  août  vers  16  h.  3o,  au  Heu  dit 
«  Les  Floyes  »,  paroisse  de  Sosoye.  Quand  on  a  dépassé  le  vieux  château  de 
Montaigle,  en  allant  vers  Warnant,  on  atteint  l'endroit  très  pittoresque  où  le 
Flavion  se  jette  dans  la  Molignée.  Trois  hommes  de  Haut-le-Wastia  y  furent 
fusillés  dans  une  prairie  qui  borde  la  grand'route,  entre  deux  des  nombreux  ponts 
du  chemin  de  fer.  Ambroise  LÉONARD  (fig.  14),  45  ans,  époux  de  Marie  Sacotte,  et 
Charles  GUILLAUME,  42  ans,  époux  de  Marie  Benoît,  furent  pris  sur  la  voie  du 
chemin  de  fer;  Narcisse  BORSUT  (fig.  i5),  5ç  ans,  époux  de  Marie  Danthine, 
arrêté  près  de  la  prise  d'eau  de  Salet,  fut  amené  en  auto  auprès  des  deux  premiers. 
Ils  furent  liés,  Ambroise  Léonard  à  un  arbuste,  les  deux  autres  à  un  gros  saule, 
et  tués,  séance  tenante,  à  quelques  minutes  d'intervalle.  Un  groupe  de  23  personnes 
(it  de  Marteau,  5  de  Haut-le-Wastia  et  7  de  Salet)  se  trouvait  caché  en  face  de 
l'endroit  de  la  fusillade,  dans  une  sorte  de  grotte  qui  borde  la  voie  ferrée. 

N    558.  L'abbaye  de  Maredsous  (2),  commune  de  Denée,  occupe  un  site  remarquable 

au  sud  de  la  Molignée.  Dès  l'aube  du  23  août,  un  convoi  de  six  voitures  amena 
36  blessés  français  à  l'école  abbatiale  qui  avait  été  aménagée,  ainsi  que  l'école 
d'arts  et  métiers,  en  ambulance.  Ils  venaient  à  peine  de  recevoir  les  premiers  soins 
qu'une  estafette  apporta  l'ordre  d'emmener  vers  la  France  tous  ceux  qui  étaient 
transportables.  Il  en  revint  d'autres  dans  la  journée  et  petit  à  petit  tous  les  lits  se 
garnirent. 

A  la  suite  des  soldats,  se  présenta  à  la  porte  du  monastère  un  lamentable 
cortège  de  fuyards  éperdus  venant  du  pays  de  Saint-Gérard  et  de  la  Sambre.  Ils 
furent  installés  à  la  ferme  et  à  l'école  d'arts  et  métiers.  Quand  le  bruit  du  canon 
se  rapprocha,  (combat  de  Saint-Gérard;,  des  centaines  de  personnes  se  réfugièrent 
dans  la  grande  crypte  de  l'église.  A  la  soirée  et  pendant  toute  la  nuit,  il  passa,  sans 
discontinuer,  des  soldats  belges  et  français,  fuyant  dans  la  direction  de   Philippe- 

(1)  Le  23,  à  21  heures,  un  brancardier  bJge,  M.  l'abbé  Demolder,  de  Louuain,  sonna  au  presbytère 
et  annonça  que  le  général  Michel,  le  général  Henrard  et  quinze  officiers  de  l'Etat-Major  de  Namur,  se 
trouvaient  chez  Jules  Burlet.  II3  songèrent  d'abord  à  prendre  quartier  au  presbytère;  puis  ils  dirent  qu'ils 
n'étaient  pas  en  sûreté  et  gagnèrent  Rosée. 

(2)  Le  carnet  de  route  du  sous-officier  Butkhardt,  du  iooe  grenadiers  de  réserve,  relate  son  passage  à 
Maredsous.  V.  "Les  Violations,  o.  c.  p.  88. 


95 

ville.  La  croix-rouge  de  Namur  (médecins,  ambulanciers  et  infirmières)  arriva  vers 


minuit. 


Une  colonne  de  plus  de  200  ambulanciers  (major  Petit)  vint  le  24  août  dans  la 
matinée  et  ne  réussit  pas  à  échapper  à  l'encerclement.  Une  patrouille  de  25  à 
3o  hussards  allemands  parut  bientôt  devant  l'abbaye  et  demanda  à  manger. 

A11  heures,  on  amena  71  blessés,  dont  quelques-uns  du  combat  de  Saint- 
Gérard. 

Nouvelle  alerte  pendant  le  dîner  :  une  batterie  allemande  chercha  à  atteindre 
les  fuyards,  des  hauteurs  de  Denée,  et  tira  quelques  obus  dans  la  direction  de 
l'Abbaye  de  Sainte-Scholastique. 

Le  26  et  les  jours  suivants,  on  amena  des  blessés  d'Ermeton  ;  le  chiffre  des 
soldats  soignés  à  l'ambulance  s'éleva  à  174,  dont  90  Belges  et  84  Français  (1). 

Les  derniers  blessés  furent  emmenés  en  Allemagne  le  3o  novembre,  jour  où 
fut  fermée  l'ambulance. 

559-  Au  hameau  de  Maredret,   les    premiers   Français,   des  84e    et    284e,   parurent 

le  2ù  août,  accueillis  comme  des  sauveurs.  Ils  partirent  le  lendemain  et  furent  rem- 
placés par  des  artilleurs,  qui  placèrent  des  batteries  de  réserve  sur  le  terrain  en 
déclivité  qui  sépare  Denée  de  Maredret. 

Puis  ce  fut  la  retraite  des  civils  et  des  troupes.  La  journée  du  23  août  fut  très 
agitée.  A  l'issue  de  la  messe  basse,  on  courut  vers  la  gare,  où  venait  d'arriver 
un  train  qui  avait  essuyé,  à  Anhée,  le  feu  des  mitrailleuses  allemandes  et  en 
portait  les  traces. 

Bientôt  se  croisent  dans  le  village  des  soldats  qui  ont  combattu  vers  Saint- 
Gérard,  sur  la  Meuse,  et  à  Namur.  Des  batteries  sont  postées  sur  les  hauteurs  du 
Chenoy.  A  la  soirée,  tout  l'horizon  est  en  feu  et  une  odeur  acre  prend  les  habitants 
à  la  gorge.  La  retraite  se  poursuit  pendant  toute  la  nuit. 

Le  24  à  9  h.  3o,  un  groupe  de  uhlans  traverse  te  village.  A  t5  h.  3o,  le  gros 
des  troupes  débouche  par  la  route  de  Sosoye.  La  rue  principale,  dans  la  direction 
d'Ermeton,  était  remplie  de  troupes  quand  tout  à  coup  éclatèrent  des  centaines  de 
coups  de  feu.  «  On  ne  fusillera  personne,  déclara  un  officier  à  l'hôtel  Gillaint- 
Marlet,  mais  l'ordre  est  donné  d'inspirer  la  terreur  aux  habitants.  » 

Les  occupants  de  plusieurs  maisons  furent  poussés  au  mur,  pendant  que  les 
logis  étaient  fouiliés  de  la  cave  au  grenier. 

Emile  TATON,  38  ans,  s'était  hasardé  dans  Tavant-midi  à  la  rencontre  de  sa 
sœur  qui  devait  arriver  de  Biert-Flavion  :  on  le  retrouva  vers  1 1  heures,  la  tête 
percée  de  balies.  On  pense  qu'il  a  été  abattu  par  des  uhlans. 

Le  26  et  le  27,  une  équipe  d'hommes  courageux  parcourut  les  abords  du  village 
et  donna  la  sépulture  à  quelques  cadavres  de  soldats  qui  y  furent  découverts. 

^    (.)  Moururent  à   Maredsous    quatre    Belge,    :    Ghislain    Macaux,    du    ,3e   (le   »3),   François   Mortier 
.      ch    a  p.ed  (le  z7),  Arthur  Tillot,   capitaine-commandant  du   1 3e  (le   27),   Joseph  Paty,   du  .3e  (le  3  sep.! 
tembre);  également  deux  Français  :  Mathurin  Lecornet,  du  4.0  (le   io),  Louis  Delille,  du  *e  zouaves   (le   .8) 


96 

La  Molignée  prend  sa  source  aux  environs  de  Slave  :  c'est  là 
que  la  23e  division  de  réserve,  quittant  Sosoye  et  Maredret,  atteignit 
le  sommet  du  plateau,   pour  prendre  la  direction  de  Florennes. 

Nous  renvoyons  le  lecteur,  pour  Stave  (i)  et  Florennes,  au  cha- 
pitre II,  p.  52.  à  61,  ces  localités  ayant  été  surtout  traversées  par  les 
troupes  de  la  Garde. 

C'est  à  Florennes  que  s'arrêta,  au  24  août,  l'avance  de  la 
23e  division;  la  tête  de  ses  colonnes  pénétra  à  la  soirée  dans  cette 
petite  ville,  que  terrorisait  déjà,  depuis  10  heures  du  matin,  la  Garde 
impériale. 

§  5.  —  Philippeville. 

De  Florennes,  qu'elle  quitta  le  25  août  au  lever  du  jour,  la 
23e  division  de  réserve  se  dirigea  vers  Philippeville.  Le  100e  grena- 
diers, qui  marchait  en  tête  du  défilé,  pénétra  dans  cette  ville  à 
6  heures,  bientôt  suivi  des  autres  régiments  de  la  division.  La 
coquette  bourgade  fut  relativement  respectée.  Un  commandant  de 
bataillon,  accédant  aux  instances  du  doyen  et  du  bourgmestre,  fit 
éteindre  le  feu  qui  était  déjà  mis  à  une  maison.  Un  civil  paya  de  sa 
vie  quelques  coups  de  fusil  tirés  par  des  soldats  belges  sur  le  chemin  de 
Neuville-Mariembourg. 

Les  renseignements  que  nous  faisons  suivre  ont  été  obtenus  de 
M-  l'abbé  Gosset,  curé-doyen  de  la  ville,  et  ont  été  complétés  à  une 
date  ultérieure  par  des  indications  que  fournirent  les  RRdes  Sœurs  de 
Notre-Dame. 

N°  56o.  ^-e    couvent    des    Sœurs    de   Notre-Dame   avait   été   transformé   en   un   vaste 

hôpital.  Le  premier  blessé  français  y  fut  amené  le  16  août  :  c'était  le  lieutenant 
Thuillier,  du  35e,  d'Arras.  Il  en  vint  tous  les  jours  suivants  et  surtout  à  partir 
du  22  août  (2).  Le  lendemain,  non  seulement  les  82  lits  étaient  occupés,  mais 
salles,  corridors,  cour,  jardin,  tout  en  était  rempli.  Le  24,  ceux  qui  pouvaient 
marcher  partirent  à  pied,  et  des  voitures  automobiles  en  transportèrent  vers 
Mariembourg  et  Rocroi.   Une  soixantaine  ne  purent  être  évacués,  à  cause  de  la 

(1)  Le  12e  chasseurs  de  réserve,  qu'accompagnait  Félix  Marschner,  traversa  Stave  en  (eu  à  la  soirée, 
fit  halte  en  pleine  nuit  dans  les  campagnes  et  arriva,  au  matin  du  25,  à  Florennes.  Marschner,  o.  c, 
p.    22.   Le  pillage  des  caves  de   Florennes  y  est   raconté. 

(2)  Ils  appartenaient  notamment  aux  35e,  36e,  39e,  273e,  au  3e  tirailleurs  algériens  et  au  3e  zouaves. 
Moururent  à  Philippeville  :  les  soldats  Claude  Martin,  de  Saint-Fons;  Manuel  Paris  Leclerc,  de  Nanterre; 
Laurent  Cerveau,  n°  55 1,  Le  Havre  ;  Eugène  Galhauti  n°  474,  Rouen-Nord  ;  Corentin  Waeslynck, 
n°   853,    Dunkerque. 


97 

gravité  de  leurs  blessures.  On  leur  laissa  un  médecin  français,  M.  Rigollot- 
Simonnet,  chirurgien  de  l'hôpital  Saint-Joseph  de  Paris,  et  trois  infirmiers,  qui 
furent  faits  prisonniers  avec  leurs  malades. 

La  nouvelle  des  crimes  qui  jalonnaient  partout  le  passage  des  Allemands 
avait  plongé  la  population  dans  un  véritable  effroi.  On  ne  saurait  se  rappeler 
rien  de  plus  lamentable  que  la  panique  causée  par  l'annonce  de  leur  arrivée 
prochaine.  L'attitude  affolée  des  gens  de  Tamines  et  du  voisinage  qui  s'en^ 
fuyaient  au  soir  du  23  août,  activa  le  départ  des  habitants.  Pendant  la  nuit 
suivante  et  le  lundi  matin,  il  passa  des  bandes  de  soldats  de  la  retraite  de 
Namur:  la  19e  division  française  (10e  corps)  défila  aussi,  le  24  août,  à  travers 
la  ville.  A  i3  heures,  le  48e'  régiment  d'artillerie  y  fut  arrêté  pour  mettre  en 
état  de  défense  les  lisières  nord  de  la  ville  et  y  résister,  éventuellement,  avec 
un  bataillon  du  3e  tirailleurs;  cette  résistance  n'eut  pas  lieu  et,  dès  18  heures, 
ces  unités  rejoignirent  la  division.  Le  dernier  millier  de  soldats  français  fut 
retiré  de  la  ville  à  minuit,  dans  la   nuit  du  24  au   25  août. 

Il  restait  à  Philippeville  à  peine  cent  habitants  sur  1,200  quand  l'ennemi 
y  pénétra,  sans  coup  férir,  le  25,  à  6  heures.  C'était  le  Ier  bataillon  du 
100e  régiment  de  réserve  de  Saxe.  «  Le  maire  et  le  curé!  »,  demandèrent  les 
premiers  cavaliers  qui  débouchèrent  sur  la  Grand'Place.  M.  Eugène  Gérard, 
bourgmestre,  arriva  aussitôt,  puis  le  doyen,  qui  achevait  de  célébrer  la  messe. 
«  Vous  êtes  Monsieur  le  Maire?  demanda  le  major  baron  von  Miltitz,  com- 
mandant du  bataillon;  cinq  cents  mille  francs  de  contribution  de  guerre!  » 
Après  pourparlers,  il  se  contenta  de  25, 000  marks  et  se  montra  déférent  envers 
les  autorités  locales,  relâchant  à  leur  demande  les  habitants  arrêtés,  sous  divers 
prétextes,  par  ses  soldats,  et  faisant  même  éteindre  un  incendie  qu'ils  avaient 
allumé. 

Entre-temps,  les  troupes  qui  continuaient  leur  route  vers  Mariembourg  furent 
accueillies  à  Neuville,  à  3  kilomètres  de  Philippeville,  à  coups  de  fusil,  par  des 
soldats  belges  qui  battaient  en  retraite  de  Namur  et  étaient  passés  en  ville  une  heure 
avant  les  Allemands.  Ceux-ci  commencèrent  à  incendier  les  maisons  qui  bordent  la 
grand'route.  L'un  des  cavaliers  blessé  rebroussa  chemin  jusqu'à  la  maison  d'Eugène 
F002,  à  20  minutes  de  la  ville,  et  vint  tomber  de  cheval  à  cet  endroit  :  on  trouva 
mort  à  côté  de  son  cadavre  un  habitant  de  la  ville,  Jacques  GENETELLI,  45  ans, 
et  brûlée  la  maison  Fooz,  qu'il  gardait.  On  suppose  que  les  troupes  en  marche  ont 
fusillé  ce  malheureux  et  incendié  l'habitation,  par  représailles. 

Le  lendemain,  la  maison  de  Désiré  Bouillon,  où  des  soldats  avaient  passé  la 
nuit,  flamba  à  son  tour. 

Les  soldats  établis  à  Philippeville  passèrent  la  journée  du  25  août  à  piller  ou  à 
saccager  les  maisons  abandonnées  et  à  vider  les  caves.  Les  portes,  les  fenêtres  et  le 
mobilier  gardèrent  longtemps  les  traces  de  leur  vandalisme  :  ils  ouvraient  les 
meubles  à  coups  de  hache  et  emportaient  tout  ce  qui  était  à  leur  convenance.  Maints 
coffres-forts  furent  fracturés,  notamment  à  la  gare  et  à  la  poste,  mais  les  soldats 
s'attaquèrent  vainement  à  ceux  de  la  Banque,  qui  résistèrent.  Ce  furent  partout  des 
scènes  d'orgie.  La  place  offrait  un  curieux  spectacle  :  les  soudards  y  avaient  amon- 
celé de  la  paille  et  installé  des  meubles  enlevés  dans  les  plus  somptueuses  maisons. 


9» 

On  en  voyait  affublés  d'habits  de  messieurs  et  de  robes  de  dames  et  ils  buvaient  dans 
de  larges  coupes  Champagne,  vins  et  liqueurs.  Il  fallut  des  journées  et  des  journées 
de  travail  pour  déblayer  les  monceaux  qui  encombraient  la  place  et  les  rues  de  la 
ville  :  débris  de  meubles,  restes  de  victuailles,  boîtes  à  conserves,  tessons  de 
bouteilles,  paille  et  foin  éparpillés,  fumier  et  excréments,  etc.  (t). 

§  6.   —  JVeuuille-Samart. 

Lorsque  la  23e  division  de  réserve  arriva  à  hauteur  de  Neuville  el  de 
Samarl,  elle  subit  quelques  coups  de  feu  de  la  part  de  soldats  belges 
surpris  dans  leur  retraite.  Par  mesure  de  représailles,  le  feu  fut  mis  à 
plusieurs  maisons  espacées  le  long  de  la  route  qui,  à  la  lisière  du  bois  de 
Senseilles,  gagne  Mariembourg. 

Le  lendemain  matin,  2.6  août,  deux  habitants  du  village  et  un 
malheureux  soldat  belge,  quittant  une  retraite  sûre  qu'ils  occupaient  dans 
la  forêt,  furent  surpris  par  les  troupes  qui  continuaient  à  passer  et  furent 
fusillés.  Le  feu  fut  remis  à  plusieurs  maisons  qui  bordent  la  grand'route; 
le  chiffre  total  des  incendies  s'élève  à  seize.  Voici  le  détail  de  ces  faits, 
ainsi  que  nous  l'ont  transmis  le  bourgmestre  de  Neuville,  M.  Alexandre 
Mousty>  et  le  curé,  M.  l'abbé  Guyaux. 

N°  56i.  Neuville  reçut  le  14  août  les  premiers  Français,  artilleurs,  puis  zouaves.  Le  23 

et  le  24  août,  les  routes  et  les  campagnes  furent  encombrées  de  fuyards.  Les  derniers 
Français  quittèrent  Neuville  et  Samart  dans  la  sinistre  nuit  du  24  au  25  août,  durant 
laquelle  le  rougeoiement  des  incendies  voisins  augmenta  la  terreur  des  quatre 
familles  restées  au  village. 

Les  Allemands  arrivèrent  le  25  au  matin.  A  8  h.  3o,  à  la  limite  des  paroisses  de 
Philippeville  et  de  Neuville,  ils  incendièrent  la  maison  d'Eugène  Fooz  et  tuèrent 
devant  elle  Jacques  Genetelli,  ainsi  qu'il  a  été  relaté  plus  haut  (rapport  n°  56o). 
A  l'endroit  où  la  grand'route  est  traversée  par  le  chemin  qui  mène  à  Roly  par  le 
bois  de  Samart,  ils  mirent  le  feu  à  la  maison  d'Alfred  Benoît,  à  10  heures. Vingt" 
cinq  maisons  de  la  paroisse  s'échelonnent  ensuite  le  long  de  la  grand'route  de 
Mariembourg,  sur  une  distance  de  4  à  5  kilomètres.  C'est  là  surtout  qu'il  y  eut  du 
désastre.  Comme  l'ennemi  était  arrivé  au  milieu  de  la  côte  de  l'Haie  Thomas,  il  se 
heurta  à  quelques  soldats  belges  cachés  dans  le  bois,  qui  tirèrent  sur  lui;  deux  de 
ces  derniers  tombèrent  à  l'endroit  même  (2),  avec  un  soldat  allemand. 

(1)  Le  lamentable  état  de  la  ville  pillée,  dans  la  journée  du  25  août,  est  décrit  dans  Marsciiner,  o.  c, 
p.  22  et  23. 

(2)  Ce  sont  Alphonse  Verhaeven,  du  23l  de  ligne,  et  Joseph  De  Bruyn,  du  28e,  4e  bat.,  4'  comp.  de 
Liller-Saint-Hubert  (Limbourg),  que  AV.  Mousty,  bourgmestre  de  Neuville,  conduisit  au  cimetière  le  16  août. 
Le  cadavre  du  soldat  allemand  fut  mené  à  Philippeville.  Six  autres  Belges  furent  blessés,  dont  Alphonse  Borgers, 
du  8e  de  ligne,  de  Lierre,  et  un  nomm.-  Dupont,  de  Salzinnes.  A  17  heures,  M.  le  bourgmestre,  aidé  d'un 
médecin  allemand,  les  chargea  sur  un  chariot  et  les  conduisit  à  l'ambulance  des  Sœurs  de  Notre-Dame  de 
Philippeville. 


99 

Arrivés  au  sommet  de  la  côte,  ils  mitraillèrent  la  maison  d'Octave  Renauld. 
A  10  h.  3o.  ils  envahirent  la  ferme  de  Pierre  Gobillon-Piette,  au  lieu  dit  «  La 
Frisette  »;  ils  y  enlevèrent  quatre  chevaux,  qu'ils  attelèrent  à  un  chariot  chargé  de 
céréales,  et  ils  décapitèrent  sur  place  trois  veaux  et  un  porc.  Arrivés  devant  la 
maison  de  M.  Baudoux-Patron,  ils  firent  sortir  Eugène  Fooz  et  Ida  Patron, 
prétendant  que  ceux-ci  avaient  tiré.  A  ce  moment,  brûlaient  à  proximité  la  ferme 
de  Mrae  veuve  Brogniet  et  les  maisons  Laffineur  et  Robert.  Il  était  i3  h.  Zo. 

Le  26  à  3  h.  3o  du  matin,  Paulin  GOBILLON  (fig.  23),  3o  ans,  et  Etienne 
PATRON  (fig.  22),  20  ans,  de  Neuville,  quittèrent  le  bois  proche  de  la  gare  de 
Neuville-Sud  où  ils  avaient  passé  la  nuit,  pour  aller  soigner  leur  bétail.  Les 
troupes,  dont  le  défilé  se  poursuivait  sans  répit,  les  surprirent,  ainsi  qu'un  soldat 
belge  qui  les  accompagnait,  Emile  LEFEBVRE,  de  Diest,  du  régiment  des  chasseurs. 
Quelques  heures  après,  on  les  retrouva  tués  à  5o  mètres  au  delà  du  pont  de  Grand- 
Mont.  Paulin  Gobillon  avait  reçu  trois  balles  au  front,  une  à  l'eeil  et  cinq  dans  la 
poitrine  ;  Etienne  Patron  avait  une  balle  à  l'eeil,  une  à  la  joue,  plusieurs  dans 
la  poitrine.  Les  réfugiés  entendirent,  du  bois,  la  fusillade  et  virent  incendier  les 
maisons  Julien  Leroy,  Antoine  Simon,  Paulin  Gobillon  (écurie  et  grange),  Antoine 
Malherbe,  Julien  Demeure,  Louis  Baudoux,  Aimé  Gérard,  Maloteaux,  et  Jamain 
(deux  maisons).  Pierre  Villatte  inhuma  les  trois  victimes  dans  l'après-midi  du  26. 


§  7.  —  Le  combat  de  Mariembourg. 

A  Mariembourg,  c'est  le  127e  d'infanlerie  française,  ire  brigade, 
ier  corps,  qui  recul  la  mission  d'arrêter,  le  25  août,  la  trop  brusque 
avance  allemande,  qui  compromettait  la  retraite  du  ier  corps.  En  ce  qui 
concerne  le  seul  front  de  marche  de  la  23e  division  de  réserve  allemande, 
qu'on  se  rappelle  que,  dès  9  heures  du  matin,  le  tooe  grenadiers  de 
réserve  s'engageait  dans  les  bois  qui  séparent  Neuville  et  Roly  de 
Mariembourg. 

Avec  une  bravoure  admirable,  les  troupes  françaises  continrent 
l'ennemi  aux  portes  de  Mariembourg  jusque  17  heures. 

Mais  le  village  paya  cher  cette  résistance.  Sur  180  immeubles  qu'il 
comptait,  65  maisons  et  3o  granges  ou  écuries  furent  incendiées  (fig.  20 
et  21).  La  dévastation  se  continua  pendant  deux  jours  et  c'est  à  grand'peine 
qu'on  arrêta  les  incendiaires  qui,  dans  leur  rage  de  destruction, 
désignaient  à  tout  moment  de  nouveaux  immeubles,  de  nouvelles  rues 
pour  la  destruction  (1). 

Un  habitant  fut  tué.  Trois  autres,  emmenés  par  le  to3e  de  réserve, 

(1)  D'après  les  bons  de  réquisition,  les   incendies  du  25  août  sont  l'œuvre  du  i  00e  grenadiers  de  réserve, 
ceux  du  z6  août  des  ioiL,  io3e  de  réserve,  du  11e  chasseurs  de  Marburg  et  du  ï3    rég.  de  rés.  d'art,  de  camp. 


100 

firent  partie  du  célèbre  groupe  des  fusillés  d'Eteignères,  dont  nous 
raconterons  plus  loin  l'histoire.  (Voir  rapport  n°  563.) 

Ci-joint  deux  documents  :  l'un,  extrait  de  notes  puisées  à  la  Section 
historique  de  l'Etat  Major  Général  de  l'armée,  à  Paris,  dépeint  le  combat 
de  Mariemboug  (t)  ;  l'autre  relève  les  incidents  survenus  au  village. 

Un  prisonnier  allemand  du  iû3e  de  réserve,  2e  bat.  8e  comp., 
Hermann  Tscharne,  a  témoigné  «  que  les  maisons  furent  incendiées  par 
ordre  du  capitaine,  parce  que  des  civils  avaient,  paraît-il,  tiré  sur 
nous  »  (z). 

Le  prisonnier  Emile  Flachs,  du  iooe  de  réserve,  ye  comp.,  a  déposé  : 
«  L'officier  adjoint  au  chef  de  mon  bataillon  a  donné  l'ordre  d'incendier 
une  demi-dousaine  de  maisons  desquelles,  affirmait— il ,  des  soldais  belges 
et  français  avaient  tiré  sur  les  nôtres  »  (3). 

Le  25  août,  à  4  h.  3o,  la  tre  division  française  (ier  corps)  —  dont  la  queue 
avait  été  surprise  la  veille  au  soir  à  Romedenne  —  reçut  l'ordre  de  couvrir, 
avec  le  6e  chasseurs  à  cheval  mis  à  sa  disposition,  le  passage  du  reste  du 
1er  corps  d'armée  par  le  défilé  de  Couvin. 

En  exécution  de  cet  ordre,  le  général  commandant  la  ire  division  donna  les 
ordres  suivants.  Le  6e  chasseurs  se  portera  vers  Fagnolles  et  couvrira  dans  la 
direction  de  Matagne-la-Grande  ;  la  i,e  brigade,  disposant  de  la  compagnie 
divisionnaire  du  génie  et  d'un  groupe  de  l'artillerie  divisionnaire,  tiendra  sur 
le  front  Frasnes-Mariembourg;  le  2e  brigade  tiendra  Nismes  avec  le  ier  régi- 
ment d'infanterie  et  une  batterie,  et  organisera  avec  le  zL  régiment  de  la 
brigade  et  deux  batteries  une   position    de  repli  en   arrière. 

Nous  parlons  seulement  ici  de  l'action  de  la   ire  brigade. 

A  Mariembourg,  la  défense  fut  assurée  par  le  127e  (4)  (formant  avec  le 
43e  la    lre  brigade,    1e1    corps),   colonel  de   Fonclare. 

Dès  4  h.  3o,  le  régiment,  qui  quittait  Matagne-la-Grandc,  reçut  l'ordre 
d'organiser  le  barrage  du  couloir  de  Mariembourg.  Les  unités  prirent  immé- 
diatement leurs  positions  de  combat  en  avant  de  cette  dernière  localité.  Le 
3e  bataillon  occupait  les  haies  en  avant  de  Mariembourg,  face  à  Philippeville 
et  Matagne,   la    11e  compagnie   à  l'extrême  droite. 

A  8  h.    Zo,   puis  à    10    heures,   des    taubes   survolèrent    la    localité.   L'attaque 

(1)  Sur  le  combat  de  Mariembourg,  cf.  Hanotaux,  Histoire  illustrée  de  la  guerre  de  1914,  VI,  p.  26, 
VIII  p.  77,  VEnigme  de  Cbarleroi,  p.  78;  Pai.at,  III,  333.  L'incendie  du  village  esl  dépeint  dans  Masschnfr, 
o.  c,  p.  23-24. 

(2)  Réponse  du  Gouvernement  belge  au  Livre  Blanc  allemand,  Paris.  Berger-Levrault,  1917,  p.  i5i. 

(3)  Id.,  p.  270. 

(4)  Le  127''  était  arrivé  le  23,  de  bon  matin,  à  Saint-Gérard,  et  y  avait  combattu,  déployé  le  long  de 
la  route  de  Lesves,  en  soutien  du  43e,  qui  avait  pris  place  plus  en  avant  vers  Fosses  et  la  Sambre.  Il  te 
replia  partiellement  à  midi,  mais  la  110  compagnie  reçut  l'ordre  de  tenir  jusque  18  heures.  Le  régiment 
atteignit   le   23,    à   minuit,    Ermetou-sur-Bieit   et   le   24,    au   soir,    Matagne-la-Grande. 


lot 

se  déclancha  à  9  heures  par  une  vive  fusillade  entre  les  avant-postes  de  gauche 
et  des  groupes  avancés  de  cavalerie  et  de  cyclistes  ennemis.  L'artillerie 
allemande  entra  également  en  action,  arrosant  de  shrapnells  et  d'obus  explosifs 
le  village,   les  abords  et  la  route  de  Maricmbourg  à  Frasnes. 

Le  combat  se  déroula  en  plusieurs  phases  successives,  d'abord  en  avant  du 
village,  puis  dans  le  village  même.  De  9  à  16  heures,  l'infanterie  allemande, 
malgré  ses  efforts  opiniâtres,  fut  contenue  au  nord  de  Mariembourg.  Le 
tir  des  mitrailleuses  françaises  paraissait  très  efficace  sur  les  colonnes  ennemies 
qui  tentaient  de  sortir  du  bois.  L'artillerie,  très  bien  postée,  et  qui  prenait  la 
précaution  de  changer  de  position  quand  elle  se  voyait  repérée,  réussit  à  prendre 
sous    son    feu   et   à    démonter   au    moins   une    batterie    adverse. 

Vers  17  heures,  le  12.7e  clu''  grâce  au  commandement  énergique  de  son 
colonel,  avait  résisté  à  toutes  les  attaques  et  maintenu  sa  position,  reçut  avis 
d'avoir  à  préparer  son  mouvement  de  retraite  vers  Frasnes,  sa  mission  retar- 
datrice étant  remplie;  en  effet,  tous  les  éléments  du  corps  d'armée  avaient 
atteint  sans  encombre  le  défilé  de  Couvin.  Le  général  de  division  donna  l'ordre 
de  rompre  le  combat  sous  la  protection  de  l'artillerie.  Le  84e  (2e  brigade, 
ire  division,  qui  tenait  Nismes)  devait  se  replier  le  dernier.  A  18  heures,  le 
mouvement  de  repli  des  troupes  de  Mariembourg  s'effectua,  protégé  par  les 
feux  d'une  compagnie  du  génie  et  de  deux  bataillons  du  43e  d'infanterie  établis 
sur  les  hauteurs  sud  du  village  de  Frasnes.  Au  prix  de  grands  efforts,  malgré 
les  balles  et  les  obus  allemands,  les  éléments  du  127e  passèrent  l'Eau  Blanche, 
à  Mariembourg,  et  gagnèrent  la  route  de  Frasnes.  Les  dernières  fractions, 
vivement  pressées  par  l'ennemi,  qui  avait  gagné  les  abords  immédiats  du 
village,  se  replièrent,  sous  les  ordres  directs  du  colonel,  sur  les  hauteurs 
boisées  de  Nismes  et  Petigny,  d'où  elles  gagnèrent  Couvin.  Ces  troupes 
rallièrent,  à  2-3  heures,  leur  cantonnement  de  Cul-des-Sarts,  très  fatiguées 
physiquement  de  ces  efforts  successifs,   mais  le  moral  intact. 

Le  127e  avait  7  hommes  tués,  124  blessés,  dont  3  officiers,  et  2  disparus. 

Le  9  août  arrive  à  Mariembourg  un  escadron  du  4e  chasseurs  d'Arras, 
lieutenant  Vartel,  suivi  bientôt  de  troupes  d'infanterie.  La  division  d'Oran  a  ses 
effectifs  renforcés  ;  nombre  de  vétérans  des  campagnes  du  Maroc  portent  des 
médailles;  on  a  en  eux  toute  confiance  pour  le  grand  choc. 

Commencée  le  21,  la  bataille  fait  immédiatement  sentir  l'acharnement  de  la 
lutte.  Les  réfugiés  affluent;  tous  les  véhicules  sont  utilisés;  un  homme  de  Châteli- 
neau  arrive  avec  une  brouette,  dans  laquelle  il  transporte  sa  mère  infirme;  c'est 
navrant.  L'église  recueille  les  femmes  portant  des  enfants,  le  reste  envahit  tout  et 
dort  même  sur  les  trottoirs.  La  température  heureusement  est  délicieuse. 

Le  dimanche  vers  midi,  plus  d'illusion  à  se  faire  :  c'est  la  retraite.  La  division 
de  Namur  arrive  par  petits  groupes  et  une  escadrille  française  reprend,  à  16  heures, 
son  vcl  vers  Mésières.  L'artillerie,  qui  repasse  le  lendemain,  24,  paraît  intacte  ;  ce 
n'est  pas  un  désastre,  mais  la  belle  division  d'Afrique  a  bien  souffert.  Un  caporal  de 
Limoges  aligne  12  hommes  :  c'est  ce  qui  reste  d'une  compagnie.  «  On  l'a  fait,  dit-il, 
charger  à  1200  mètres,  sans  appui  suffisant.  »  Un  turco  blessé  a  fait  de  son  fusil  une 


102 

béquille  et  il  marche.  Un  lieutenant  de  réserve  de  la  20e  brigade,  l'abbé  Lefoul, 
vicaire  de  Rennes,  relevé  inanimé  à  Mettet,  n'a  plus  idée  de  rien,  et  le  dernier  train 
de  blessés,  qui  part  à  17  heures,  l'emmène  vers  Chimay.  avec  tous  les  uniformes 
bleu-clair  des  tirailleurs  algériens.  Le  lieutenant-colonel  Sibra  meurt  chez  les 
religieuses  de  la  rue  Saint-Louis;  son  cadavre  sera  enterré  dans  le  jardin,  dans  la 
nuit  du  25  au  26,  à  la  lueur  des  incendies. 

Le  25,  le  1er  corps  français  livre  un  dur  combat.  L'artillerie  s'établit  sur  la 
chaîne  de  collines  qui  va  de  Nismes  à  Dailly,  tandis  que  les  trois  bataillons  du 
127e  de  Valenciennes  prennent  position  dans  le  vallon  sur  une  ligne  qui  s'étend  de 
la  route  de  Philippeville.  cabane  Minet,  à  la  route  de  Fagnolles. 

La  localité  bondée  se  vide  complètement  et  les  dernières  dispositions  prises  par 
le  colonel,  installé  rue  de  France,  sont  exécutées  dans  un  silence  impressionnant, 
parfois  troublé  par  le  bourdonnement  d'un  taube  ou  le  pas  d'un  cheval.  Commencé 
vers  midi,  le  combat  devient  acharné  et  extrêmement  meurtrier.  D'après  un  officier, 
les  Allemands  y  auraient  perdu  463  hommes. 

Le  100e  saxon  pénètre  par  la  route  de  Roly,  incendiant  les  maisons  sur  son 
passage;  l'Etat-Major  s'établit  à  la  gare,  café  Démasqué.  Le  io3e,  sortant  du  bois 
du  Roi,  perd  beaucoup  de  monde  dans  le  terrain  découvert,  terres  du  Roi,  et  avance 
péniblement  le  long  de  la  route  de  Philippeville,  où  les  Français,  appuyés  par 
le  remblai  du  chemin  de  fer  de  Chimay  (cabane  Minet),  puis  par  le  mur  du  cimetière, 
le  moulin  blanc  et  l'école  des  garçons,  se  défendent  avec  héroïsme.  Les  Allemands 
ne  prirent  le  moulin  (fig.  20)  qu'après  la  mort  de  ses  derniers  défenseurs. 
«  Ne  soyez  pas  nerveux,  les  gas,  visez  bien!  »  disait  un  chef  (1).  Un  de  ces  héros, 
blessés,  se  débarrassa  de  sa  capote  ensanglantée  et  lira  avec  sa  chemise  rougie, 
jusqu'au  coup  de  baïonnette  final  (2).  Il  était  18  heures.  Quarante  maisons  brûlaient; 
les  soldats  allemands  poussaient  des  hourrah  terribles-  puis,  réunis  devant  l'usine 
Hecq-Lambinon,  ils  entonnèrent  la  «  Wacht  am  Rhein  ».  Le  pillage  et  les  incendies 
continuèrent  dans  la  nuit.  Très  peu  de  maisons  échappèrent  au  pillage. 

Le  bourgmestre,  M.  Grambras,  et  le  curé  intérimaire,  M.  Sainmonî,  se  trou- 
vaient dans  la  maison  RosineTichon  à  200  mètres  du  moulin  bianc,  avec  25  personnes, 
dont  9  religieuses  venues  la  veille  de  Walcourt.  On  avait  prié  toute  la  nuit  et  il 
était  6  heures  du  matin,  le  26  août,  quand  les  soldats  enfoncèrent  d'un  coup  de 
hache  la  porte  du  grillage.  Sans  attendre  que  la  porte  de  la  maison  subît  le  même 
sort,  la  sœur  cuisinière  vint  ouvrir,  et  ses  explications,  données  en  allemand, 
semblaient  satisfaire  le  feldwebel,  quand  quelques  gouttes  de  sang  découvertes  sur 
les  habits  de  Fernand  Huon  amènent  l'accusation  de  «  francs-tireurs  »  et  les  dispo- 
sitions pour  la  fusillade.  Les  explications  sont  données,  elles  sont  péremptoires  : 
Fernand  Huon  a  découpé  pour  la  sœur  cuisinière  les  quartiers  de  bœuf  abandonnés 
par  les  Français.  Cette  viande  cuite  pendant  le  combat  fait  plus  que  les  discours 
pour  apaiser  les  loups  affamés.  Ils  dévorent  le  tout  et  se  laissent  servir  comme  des 
agneaux  par  les  sœurs,  parlant  presque  toutes  l'allemand. 

(1)  Parole  entendue  c!e  la  cave  du  moulin  par  Stanislas,  garçon  brasseur  d'Achille  Jalhay. 

(2)  Témoignage   de  Alme  veuve   Deleuze  qui    vit    la   scène   de   sa   maison,   à   quelques  mètres     Le   soldat 
envoyait  ses  balles,  agenouillé,  en  répétant  souvent  :  "  las  de  salauds!  » 


io3 

Dans  la  matinée,  le  feu  a  éclaté  à  deux  pas,  rue  de  France  et  l'abbé  Sainmont, 
aidé  de  Charles  Hennequin  et  de  son  fils  Jules,  met  en  action  la  pompe  com- 
munale; des  femmes  font  la  chaîne,  des  grenadiers  prêtent  main-forte,  et  l'incendie 
s'arrête  après  avoir  dévoré  les  maisons  Eggermont  et  Louis. 

Cependant  l'abbé  Sainmont  avait  été  emmené  devant  le  commandant  de  place, 
capitaine  Leppin,  du  100e  grenadiers.  Un  long  entretien  en  anglais  aboutit  à  un 
accord  et  à  une  proclamation,  affichée  à  la  porte  de  l'église,  et  publiée  à  la 
sonnette,  selon  la  coutume,  par  Jules  Desselle.  Cette  proclamation  fut  déchirée 
plus  tard;  quelques  débris  permettent  d'en  rétablir  la  première  partie  : 

L'abbé  Dr  Sainmont  est  chargé  par  le  commandant  de  la  place,  capitaine  Leppin,  de  proclamer  qu'un 
accord  est  intervenu  entre  eux  pour  ramener  le  calme  et  la  tranquillité  à  la  population,  que  les  hommes  devront 
se  tenir  chez  eux,  les  (emmes  pouvant  sortir  librement  pour  vaquer  à  leurs  occupations... 

Jules  Desselle  venait  d'assister  à  une  scène  terrible.  Son  oncle,  Auguste 
DESSELLE,  47  ans,  avait  été  tué  à  bout  portant  sur  le  seuil  de  sa  porte.  Jules  se 
réfugia  avec  ses  deux  soeurs  dans  une  citerne  de  la  cave,  où  les  Allemands  les 
poursuivirent  et  explorèrent  même  la  citerne  avec  leurs  baïonnettes.  Ces  malheu- 
reux restèrent  dans  l'eau  pendant  six  heures,  puis  quittèrent  la  maison  en  flammes 
pour  se  réfugier  dans  les  jardins  et  manger  des  légumes  crus, 

Edgar  et  Ernest  Van  Schoor  (fig.  27  et  28),  ainsi  que  Jules  Nicolas,  furent 
entraînés  par  des  troupes  de  passage  du  io3e  de  réserve  et  conduits  à  Eteignères, 
où  ils  furent  fusillés  le  28  août,  tandis  qu'Achille  Agneau  et  Hubert  Carpony, 
emmenés  par  les  mêmes  troupes,  échappèrent  à  la  mort,  ainsi  que  le  curé  de 
Frasnes,  après  un  douloureux  calvaire. 

Quant  aux  habitants  du  village,  surpris  par  l'ennemi,  ils  furent  parqués  dans 
une  prairie,  où  ils  furent  forcés  de  s'agenouiller,  de  se  relever,  de  s'étendre  à 
plat,  avec  défense,  sous  peine  de  mort,  de  relever  la  tête.  Ce  manège  dura  toute 
une  nuit. 

Le  27  août,  ce  fut  encore  un  passage  ininterrompu  de  soldats  qui  s'in- 
stallèrent en  maîtres  dans  les  maisons. 

Dans  l'après-midi,  le  conseiller  communal  Ernest-Désiré  Robe,  55  ans, 
tomba  mort  sur  le  boulevard  de  l'Est,  en  rentrant  en  ville,  tant  l'avait 
impressionné  le  spectacle  de  la  ville  incendiée  et  saccagée. 

§  8.  —  Frasnes. 

Frasnes  fui  occupé  sans  résistance  le  25  août,  au  soir,  à  l'issue 
du  combat  de  Mariembourg.  Après  une  première  journée  relativement 
calme,  une  soudaine  sauvagerie  s'empara  des  troupes  de  la  2.3e  divi- 
sion de  réserve  qui  défilaient  à  travers  le  village.  Alors  les  soldats 
se  comportèrent  comme  des  tortionnaires.  Parmi  les  habitants,  peu 
nombreux,  qui  avaient  eu  la  confiance  de  ne  pas  fuir  devant  l'enva- 
hisseur,   douze   furent   fusillés,    Les   autres   eurent    la    vie    sauve, [  mais 


to4 

endurèrent,  au  cours  de  langues  heures  de  détention,  un  supplice 
aussi  cruel  que  la  mort.  Qu'on  lise  surtout  l'histoire  du  groupe 
d'Eteîgnères  :  quand  le  curé  de  l'endroit,  accusé  sans  motif  d'  ((  avoir 
fait  des  signaux  aux  Français  et  commandé  le  feu  »,  fut  relâché  par 
ses  bourreaux  du  to3e  et  rentra  dans  sa  paroisse,  après  un  voyage 
de  plusieurs  jours,  il  était  méconnaissable.  Le  village  fut  entièrement 
détruit  :  sur  t55  maisons,  dix  seulement  furent  accidentellement 
préservées  (voir  fig.  34  à  37). 

N    563.  Le   village   de   Frasnes   (1)    est   situé   à    l'extrémité   de    la    colline    qui    sépare 

les  vallées  de  l'Eau-Blanche  et  de  l'Eau-Noire. 

Ce  fut  le  2.3  août  que  l'inquiétude  commença  à  se  manifester  parmi  les 
habitants,  lorsque  les  avions  français,  quittant  le  camp  d'aviation  de  Philippe- 
ville,  regagnèrent  la  France  par  la  voie  de  l'air,  tandis  que  les  camions  qu'on 
avait  vu  passer  la  semaine  précédente,  chargés  du  matériel  de  l'armée,  encom- 
braient de  nouveau  les  grand'routes.  Toute  la  soirée  du  23,  le  24  et  la 
matinée  du  25,  ce  fut  un  défilé  ininterrompu  de  troupes  mêlées  à  des  civils  de 
l'Entre-Sambre-et-Meuse,  surtout  de  la  région  de  Fosses.  Bien  qu'aucun  de  ces 
derniers  n'eût  vu  d'Allemands,  ils  étaient  terrifiés  et  racontaient  sur  l'attitude 
de  ceux-ci  les  nouvelles  les  plus  alarmantes. 

Puis,  les  Français  firent  eux-mêmes  des  préparatifs  de  combat  :  les  maisons 
situées  du  côté  de  Mariembourg  furent  évacuées  par  ordre  et  l'infanterie  y 
établit  des  mitrailleuses. 

En  l'absence  du  bourgmestre  et  des  administrateurs,  qui  avaient  suivi  les 
fugitifs,  M.  Moreaux,  curé  de  Frasnes,  prit  toutes  les  mesures  que  réclamait  la 
gravité  de  l'heure,  placardant  des  affiches  pour  exhorter  les  habitants  restés  au 
village  à  ne  pas  poser  le  moindre  acte   réprchensible. 

Mardi,  dans  la  matinée,  le  combat  battait  son  plein  dans  la  région  de 
Fagnolles.  Vers  midi,  quelques  obus  allemands  atteignirent  Frasnes,  et  il  en 
tomba  encore  plusieurs  dans  l'après-midi.  L'un  d'eux  éclata  devant  le  pres- 
bytère, dont  la  façade  et  les  fenêtres  furent  criblées  d'éclats.  La  canonnade  et 
la   fusillade  se  poursuivirent  jusque    19  heures. 

Vers  le  soir,  les  derniers  canons  français  défilèrent  dans  la  direction  de 
Couvin  et  gagnèrent  le  parc  de  Saint-Roch.  M.  le  curé  parcourut  le  village,  et 
constata  que  les  dégâts  causés  par  l'artillerie  n'étaient  pas  considérables.  Rares 
étaient  les  habitants  qui  n'avaient  pas  fui.  Il  se  rendit  au  «  trou  Hannevart  », 
à  proximité  de  la  route  de  Boussu,  où  un  groupe  de  gens,  plus  morts  que  vifs, 
avaient  fait  un  campement  dans  une  grotte.  Il  les  exhorta  à  rentrer  chez  eux 
avant  l'arrivée  de  l'ennemi. 

Des    uhlans    parurent    le    soir   même,    vers    22    heures   (2).    Ils    respectèrent 

(1)  Ce  document  utilise  surtout  le  récit  recueilli  de  la  bouche  de  M.  l'abbé  Moreaux,  curé  de  la 
paroisse,  le  icr  décembre  1914.  A  consulter  aussi  :  Léon  Rf.my,  Frasnes,  la  journée  sanglante.  Bruxelles, 
Société  belge   d'imprimerie,   rue   des   Ateliers,    3,    1921. 

(2)  La  publication  Dionanlensis  prétend  (n°  25,  p.  87),  que  ce  détachement  appartenait  au  72e  d'infanterie. 


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Fig.    37.   —   Frasnes. 
Ruines   de   la    Rue   Saint-Roch. 


(Photo  1915.) 


La  (dîn- 

martiale <■ 

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•  bataille. 

f  soldais  tombés 

sur 

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hier. 

Cotivin,  1 

•  it>  septem 

fc-e  1914. 

I  (  omman*t<uU  tfetaf* 

1  LACROIX. 

Fig.    38.   —   Frasnes. 

Proclamation  du  commandant  Lacroix, ".annonçant 
l'exécution  de  34  civils  français. 


Photo    191?  ) 


Fig.    39. 


Anthée. 


Maisons,  de   la   place,  incendiées  par  la  24e  division  de  réserve. 
(Sur    la   droite   de   la   photographie,    l'église  ); 


(Photo  novembre  «914) 
Fig.  40.  —  Anthée. 
Hôtel   Nénon,    incendié. 


(Photo  novembre  1914. 
Fig.  41 .  —  Anthée. 
Les  ri'ines  du  presbytère. 


(Photo  novembre  1914.) 

Fig.  42.  —   Anthée. 

Tabernacle    en    cuivre    de    l'autel 

majeur,    portant   les   traces 

d  effraction. 


105 

quelque    peu    les    maisons    occupées,    mais    ils    saccagèrent    avec    sauvagerie    les 
immeubles  délaissés,  enfonçant  portes  et  fenêtres,  brisant  les  meubles,  emportant 
ou  détruisant  vivres,   linges  et  literies.   A  leur  départ,   le  village  offrait  déjà  un 
spectacle  écœurant.  Un  général,  un  colonel  et  un  officier  logèrent  au  presbytère. 
Le  mercredi  2.6,  les  troupes  défilèrent  pendant  toute  la  journée,  et  l'avant-midi 
se  passa  sans  incident,  sauf  que  le  curé,  ayant  voulu  aller  à  l'église  à  7  heures  pour 
dire  la  Sainte-Messe,  fut  mis  en  joue  et  dut  rentrer  en  hâte  au  presbytère.   On 
remarqua  que  des  réchauds  à  pétrole  étaient  allumés  en  quelques  endroits  près  des 
lits  ou  des  couvertures,  au  milieu  du  désordre  indescriptible  des  maisons  mises  à 
sac.  Aimé  Gravier  fut  sur  le  point  d'être  fusillé,  parce  qu'il  avait  ramassé  quelques 
cartouches  vides  sur  la   route   :   il  put  être  sauvé  grâce  à  l'intervention   pressante 
de  M.  le  curé.  Cela  aurait  dû   inspirer  des  craintes,   mais  personne    ne    songeait 
encore  à  la   possibilité  d'actes  de  sauvagerie   comme  ceux  qui  furent   posés  dans 
l'après-midi.  Un  officier  raconta  aussi  froidement  à  M.  Adolphe  Malter,  professeur 
à  l'école  normale  de  Couvin,  en   présence  de  M.   le  curé,  que,  par  ci   par  là,  on 
abandonnait  aux  soldats  l'un  ou   l'autre  village  pour  le  livrer  aux  flammes.  «  Les 
hommes    avaient,    ajouta-t-il,    un    plaisir    extrême    à    contempler    ces     sortes    de 
spectacles.  » 

Vers  midi,  le  village  était  cerné.  Des  cruchons  de  pétrole,  de  naphte  et 
d'essence  étaient  déposés  dans  les  rues.  A  14  heures,  des  coups  de  feu  retentirent, 
tirés  par  les  soldats,  mais  attribués  aux  civils.  Les  troupes  qui  défilaient  s'arrêtèrent 
et  aussitôt  fut  donné  le  signal  de  l'incendie  et  du  massacre.  Le  feu  fut  mis  en  un 
moment  aux  quatre  coins  du  village,  qui  devint  en  moins  d'une  heure  un  immense 
brasier  (t). 

Les  soldats  tirèrent  sur  les  civils  qu'ils  aperçurent  et  en  tuèrent  plusieurs 
Joseph  REMY,  42  ans,  père  de  deux  enfants,  fut  tué  à  bout  portant  dans  les  bras  de 
sa  femme,  qui  arrivait  quelques  instants  après  dans  le  village,  affolée  et  les  bras 
pleins  de  sang,  en  criant  :  «  Ils  ont  tué  Joseph!  »  Camille  LECLERCQ  (fig.  26), 
42  ans,  père  de  3  enfants,  fut  transpercé  d'un  coup  de  baïonnette,  puis  achevé  par 
des  balles.  Son  fils,  Roger,  parvint  à  fuir  et  vit  la  soldatesque  s'acharner  sur  un 
prisonnier  français,  le  faisant  tomber  par  terre  sous  des  coups  de  crosse  répétés  ; 
puis,  sur  ordre,  on  lia  les  mains  à  ce  malheureux  et  on  le  précipita  dans  une  ber- 
gerie en  feu.  Désiré  BERTRAND,  56  ans,  après  avoir  réussi  à  fuir  d'une  maison 
incendiée  dans  laquelle  il  avait  été  enfermé,  fut  tué  d'une  balle  et  jeté  dans  le  bra- 
sier; sa  femme  dut  ensevelir  elle-même,  le  lendemain,  le  cadavre  carbonisé.  Emile 
MAWET,  5t  ans,  fut  tué  d'une  balle  au  cceur,  au  moment  où  il  sortait  de  sa 
maison.  Sa  femme,  Marie  DEWALQUE,  54  ans,  avait  été  témoin  du  meurtre; 
comme  elle  exprimait  par  des  cris  ses  protestations  et  sa  douleur,  elle  fut  emmenée 
à  l  extrémité  du  village,  vers  Mariembourg  et  comparut  devant  une  sorte  de  conseil 
de  guerre.  La  malheureuse  y  fut  accusée  d'avoir  tué  son  mari  et  fut  fusillée  séance 
tenante  en  présence  de  la  population  captive. 

Gustave  GRAVIER,  vieillard  manchot,  -j-j  ans,  fut  retrouvé  contre  un  mur,  le 
front  percé  d'une  balle.  Joseph  GILLOT,  percepteur  des  postes,  41  ans,  Auguste 
ANCIAUX,    58   ans,   garde-champêtre    de    la    commune,    et   Arthur    MANGEOT, 

(i)   Le  P.  René  de  Nantes,  dans  Couvin  pendant  la  guerre,  p.  57,  a  décrit  l'aspect  du  village  détruit. 


io6 

ouvrier  carrier,  42.  ans,  furent  pris  dans  une  cave  et  dirigés  sur  Couvin,  où  ils 
arrivèrent  exténués,  tant  ils  reçurent  de  mauvais  traitements;  arrivés  près  de  l'usine 
«  La  Couvinoise  »,  ils  y  furent  fusillés,  et  leurs  cadavres  déchiquetés  furent  jetés 
dans  le  fossé  qui  longe  le  parc  de  Saint-Roch.  Julien  Gillot,  fils  du  percepteur  des 
postes,  âgé  de  12  ans,  avait  été  renvoyé  à  mi-chemin;  les  soldats  le  rouèrent  de 
coups  et  le  firent  tomber  le  long  de  la  route,  puis  tirèrent  dessus.  Heureusement 
1  enfant,  couché  à  plat,  ne  fut  pas  atteint.  Célinie  ANC1AUX,  sœur  d'Auguste, 
60  ans,  périt  asphyxiée  dans  la  cave  du  presbytère.  Félicien  LEMOINE,  56  ans,  et 
Achille  Robert  furent  poursuivis  de  coups  de  feu  et  atteints  l'un  et  l'autre;  le  second 
parvint  à  fuir,  mais  on  n'a  jamais  été  fixé  sur  le  sort  de  Lemoine,  qu'on  n'a  plus 
revu.  Hortense  ROBERT,  jo  ans,  mourut  de  saisissement  dans  sa  fuite.  Plusieurs 
autres  personnes  furent  blessées.  Victorine  Collin,  épouse  Edmond  Gravier,  reçut 
un  projectile  dans  le  bras.  M"le  Poucet,  repoussée  et  enfermée  dans  sa  maison  en 
feu,  fut  poursuivie  de  balles  dans  la  cave  et  parvint  à  fuir  par  une  fenêtre  qui 
s'ouvrait  sur  le  jardin. 

Pendant  ce  temps,  la  soldatesque  se  précipitait  dans  les  maisons  en  hurlant, 
arrêtait  tous  les  civils  qu'elle  rencontrait  et  constituait  plusieurs  groupes  de 
prisonniers.  Les  uns,  au  nombre  de  34,  furent  conduits  à  la  sortie  du  village  du 
côté  de  Couvin,  au  lieu  dit  «  Le  Congo  »  ;  c'étaient  quelques  habitants  de  Frasnes 
et  des  réfugiés  de  l'Entre-Sambre-et-Meuse.  Une  mitrailleuse  fut  placée  devant 
eux  et  ils  échappèrent  on  ne  sait  comment  à  la  mort  dont  ils  étaient  menacés.  Un 
second  groupe,  composé  du  curé,  des  quatre  religieuses  de  la  Providence  et 
d'habitants  restés  au  village,  dont  une  partie  s'étaient  réfugiés  au  presbytère,  n'eut 
pas  moins  à  souffrir.  Le  curé,  M.  l'abbé  Moreaux,  fut  frappé  et  couvert  de  crachats 
sur  le  talus  de  la  route;  on  lui  reprochait  la  mort  de  deux  soldats  allemands  que,  à 
ce  moment  même,  on  enterrait  à  peu  de  distance  et  qui,  d'après  une  enquête  faite 
par  M.  le  bourgmestre,  avaient  été  amenés  de  Mariembourg.  Quand  M.  le  curé  eut 
rejoint,  à  la  bifurcation  de  la  route  de  Nismes  et  de  celle  de  Mariembourg,  ses 
paroissiens,  qui  étaient,  eux  aussi,  menacés  de  la  mort,  il  fit  en  leur  faveur 
plusieurs  démarches  pressantes  auprès  des  officiers.  «  Fusilles-moi,  répétait-il, 
mais  épargnes  mes  paroissiens  innocents  !  »  Les  religieuses  s'offrirent  aussi  en 
victimes,  mais  en  vain.  Rien  ne  parvenait  à  calmer  leurs  féroces  gardiens. 

Les  prisonniers  furent  alors  dirigés  sur  Mariembourg,  où  des  soldats  très 
excités  les  jetèrent  dans  une  écurie,  puis  les  brutalisèrent  pendant  plusieurs  jours, 
pour  leur  faire  enfin  enterrer  les  cadavres. 

Quant  à  M.  l'abbé  Moreaux,  qui  était  plus  que  tous  les  autres  l'objet  des 
insultes  et  des  coups,  il  fut  retenu.  L'accusation  proférée  contre  lui  était  la  suivante: 
•<  Nos  soldats  ont  vu  le  pasteur  au  clocher,  agitant  le  drapeau  et  faisant  des 
signaux  ;  il  a  commandé  le  feu  sur  les  troupes  allemandes  !  »  Emmené  vers  Couvin 
à  la  nuit  tombante,  par  des  soldats  du  to3e  de  réserve,  il  fut  joint  à  un  groupe 
d'une  quinzaine  d'hommes  de  Mariembourg  et  d'au  delà,  avec  lesquels  se  trouvait 
un  turco.  Tous  les  prisonniers,  sauf  M.  le  curé,  étaient  ligotés.  Pendant  la  nuit, 
—  qu'ils  passèrent  près  de  la  route  de  Chimay,  non  loin  du  couvent  de  Pesche,  — 
ils  étaient  couchés  sur  le  dos,  pieds  et  mains  liés  par  des  cordes  qui  leur  entraient 
dans   les   chairs.   Leurs  gardiens  ne  cessaient  de  les  brutaliser,   leur  crachant  au 


107 

visage,  les  accablant  de  coups  de  pied  et  de  crosse.  Il  plut  pendant  une  partie  de 
cette  nuit  et,  comme  ils  étaient  incomplètement  vêtus,  ils  se  trouvèrent,  le  matin, 
dans  un  état  si  misérable  que  plusieurs  étaient  en  proie  à  la  fièvre. 

Jeudi  27  à  6  heures,  on  s'avança  par  de  mauvais  chemins  de  bois  vers  les 
«  Fonds  de  l'Eau  »  et  la  chapelle  Saint-Antoine;  on  traversa  la  rivière  en  passant 
dans  l'eau  jusqu'au  genou  et  l'on  arriva  à  Cul-des-Sarîs.  Là,  un  peu  de  soupe 
fut  distribuée  aux  prisonniers,  pour  la  première  fois,  et  ils  y  passèrent  la  nuit. 

Vendredi  28,  le  cortège  se  dirigea  sur  Regniowez  et  Eteignères.  A  proximité 
du  chemin  de  fer  de  Hirson  à  Charleville,  les  soldats  prétendirent  qu'on  avait  tiré 
sur  eux  d'une  maison  —  les  prisonniers  se  rendirent  nettement  compte  qu'il  n'en 
était  rien;  —  ils  envahirent  la  maison  et  en  arrachèrent  six  ou  sept  étrangers,  La 
dame  de  la  maison  et  un  jeune  homme  furent  joints  aux  prisonniers;  on  leur  fit 
faire  volte  face,  pour  les  ramener  à  Eteignères,  où  ils  furent  promenés  à  travers 
le  village  jusque  23  heures.  M.  l'abbé  Moreaux  s'attendait  encore  à  être 
fusillé  et  il  devait  à  tout  moment  se  défendre  de  l'accusation  qui  était  proférée 
contre  lui. 

La  sauvagerie  des  soldats  n'avait  fléchi  en  rien.  Tandis  que  le  curé  de  Frasnes 
était  mis  à  part  avec  son  confrère  d'Eteignères,  qui  l'avait  rejoint,  ainsi  que  la 
dame  et  le  jeune  homme  d'Eteignères  et  quelques  autres,  sept  prisonniers  du  même 
groupe,  dont  les  frères  Ernest-Désiré  VAN  SCHOOR  (fig.  28),  âgé  de  Zo  ans,  et 
Edgard-Fernand-Ghislain  VAN  SCHOOR  (fig.  27),  âgé  de  20  ans,  et  Jules 
NICOLAS,  âgé  de  42  ans,  tous  trois  de  Mariembourg  subirent  un  interrogatoire 
sommaire  et  furent  menés  devant  un  banc,  sur  lequel  on  les  fit  asseoir.  Ils  furent, 
à  l'instant  même,  fusillés  dans  cette  position  et  leurs  cadavres  tombèrent  en  arrière. 
L'officier  qui  commandait  le  feu  était  catholique,  ayant,  déclara-t-il,  un  frère  prêtre. 
Il  envoya  dans  l'église  les  prisonniers  qui  avaient  eu  la  vie  sauve,  échangea  avec 
eux  quelques  paroles  et  les  congédia.  Muni  d'un  passeport,  M.  l'abbé  Moreaux  fut 
arrêté  en  route  plus  de  cinquante  fois,  logea  à  l'Escallière  et  rentra  à  Frasnes  dans 
l'après-midi  du  3o  (»).  A  ce  moment,  les  forts  passages  de  troupes  étaient  terminés 
et  on  ne  rencontrait  plus  sur  les  grand'routes  que  des  autos.  Les  traitements 
qu'avait  subis  le  curé  de  Frasnes  avaient  eu  pour  effet  de  lui  faire  perdre  presque 
totalement  la  vue. 

Dans  la  journée  du  27  août,  le  feu  avait  été  remis  aux  maisons  qui  avaient 
échappé  à  l'incendie  de  la  veille,  par  des  soldats  de  Mariembourg  qui  en  avaient 
reçu  spécialement  mission  du  commandant  Leppin.  Ce  jour-là  brûlèrent  les  maisons 
de  Jules  Robert,  ardoisier,  de  Jules  Tumblez-Hennuy,  bourgmestre,  les  maisons 
Fayt.  Benoît  Laurent  et  l'école  catholique  des  garçons. 

Cent  quarante-cinq  maisons  ont  été  détruites  ;  dix  seulement  ont  été  préservées 
au  village  même. 

Le  16  septembre  à  ît  heures,  une  vive  fusillade  mit  en  émoi  les  habitants  : 
34  civils  français  condamnés,  avec  une  légèreté  inouïe,  par  une  cour  martiale 
siégeant  à  Couvin,  étaient  fusillés  à  la  carrière  du  Lion,  payant  de  leur  vie  des 
crimes   imaginaires.    Cette   exécution   barbare  fut  portée  à  la  connaissance  de  la 

(1  )   Les  compagnons  du  curé  de  Frasnes  reçurent  un  passeport   sïg-né   Frhr   von  Ompteda,  dont   l'original 
a  été  découvert  par  le  parquet  de  Dinant  et  est   déposé  aux  archives  de  la  Commission   d'Enquête,  à  Bruxelles. 


io8 

population,    le   lendemain   par   l'affiche  que  reproduit   la  figure  38   (voir  rapport 
n°  564)  (1). 

Au  lendemain  de  la  catastrophe,  les  soldats  commencèrent  un  pillage  métho- 
clique  des  caves,  sous  les  maisons  incendiées.  Les  familles  s'étaient  dispersées  dans 
les  environs,  pour  chercher  un  abri,  et  il  ne  restait  plus  dans  la  localité  que 
quelques  personnes  habitant  dans  les  caves  ou  dans  de  petites  dépendances 
préservées,  se  lamentant  à  cause  du  manque  de  vêtements  et  des  objets  de  première 
nécessité.  En  décembre  suivant,  i5o  habitants  étaient  revenus,  sur  600. 

Massacre  de  lrenle~qualre  civils  français  à  Frasnes. 

La  défaite  subie  par  les  Allemands  sur  la  Marne  dans  les  premiers 
jours  de  septembre  1914  eut  son  épilogue  à  Frasnes  le  16  septembre. 

Dès  l'instant  où  les  troupes  de  la  IIIe  armée,  arrivées  au  delà  de  la 
Marne,  dans  la  région  de  Montmiraiî,  durent  reculer,  elles  s'emparèrent 
—  selon  la  méthode  de  guerre  qui  leur  est  couiumière  —  d'un  groupe  de 
38  civils,  dont  elles  en  amenèrent  à  Frasnes  trente-quatre,  qu'elles  y 
fusillèrent.  Aucun  de  ces  hommes  n'avait  été  ni  interrogé,  ni  jugé. 
Toujours  les  mêmes  accusations  :  «  ils  avaient  fait  des  signaux,  coupé  les 
doigts  aux  blessés,  dévalisé  des  cadavres,  etc.  » 

Par  un  surcroît  de  sauvagerie,  les  exécuteurs  interdirent  de  faire 
l'identification  des  cadavres.  Malgré  de  laborieuses  recherches,  nous 
n'avons  pu,  après  huit  années,  dresser  qu'une  liste  incertaine  et  incom- 
plète de  ces  malheureuses  victimes,  et  le  rapport  ci-dessous,  bien 
qu'il  ne  contienne  que  des  données  vérifiées,  dont  nous  mentionnons 
l'origine,  est  loin  de  faire  la  pleine  lumière  sur  cet  horrible  drame. 

«Le  t6  septembre  1914,  à  11  heures  —  a  raconté  M"e  la  comtesse  de 
N°  564.  Villermont,  au  château  de  Saint-Roch,  à  Couvin  —  les  soldats  cantonnés  à 
Saint-Roch  se  précipitèrent,  affairés,  vers  la  grand'route,  et  j'aperçus  par  la  fenêtre, 
au  travers  des  arbres,  une  escorte  militaire  encadrant  des  civils.  Mon  domestique 
me  dit  que  c'était  «  un  détrousseur  de  cadavres  »  qu'on  allait  fusiller  plus  loin. 
Emue  de  la  chose,  j'en  parlai  au  comte  V/ilding  de  Koenigsbrùck,  grand'maître  de 
la  Cour  du  Roi  de  Saxe  et  chef  de  la  Croix-Rouge,  logé  à  Saint-Roch  :  il  répondit 
«  que  je  n'avais  pas  à  m'intéresser  à  ces  individus  —  il  y  en  avait  donc  plusieurs  — , 
misérables  apaches,  honte  de  l'humanité,  pris  à  dépouiller  les  cadavres,  dont  les 
poches  étaient  pleines  de  doigts  coupés!  »  Deux  heures  après,  le  baron  Philippe 
von  Feilitzsch-Keigersgrùn,  officier  de  la  Croix-Rouge,  entra  au  château,  excité  et 
jubilant.  «  Schrecklich  !  »  répétait-il  avec  de  grands  gestes;  je  compris  qu'il  avait 
dû  commander  le  feu  qui  avait  mis  fin  aux  jours  de  ces  malheureux. 

»  Toute  consternée,  j'allai  me  renseigner  à  Couvin  et  j'appris  que,  derrière  un 

(1)   P.  René  de  Nantes,  Couvin  pendant  la  guerre.  Paris,  Librairie  Saint-François   4,  rue  Cassette,  p.  80. 


1^9 

convoi  de  prisonniers  français,  se  trouvaient  34  civils  français,  parmi  lesquels  des 
vieillards  de  70  ans  et  des  jeunes  gens  de  t6  ans,  venant  par  étapes  de  Montmirail, 
localité  située  au  delà  de  la  Marne  à  l'est  de  Paris,  Meaux  et  Chàlons-sur-Marne, 
au  sud  de  Château-Thierry  et  de  Reims.  Cette  localité  marque  l'extrême  pointe  de 
l'avance  allemande  avant  la  défaite  de  la  Marne.  Ces  pauvres  gens  étaient  arrivés 
le  matin  à  Couvin,  exténués,  les  habits  en  loques,  beaucoup  pieds  nus  Un  grand 
vieillard  à  tête  blanche,  dont  la  taille  dépassait  celle  des  autres,  avait  les  yeux 
hagards  et  paraissait  fou  de  terreur.  On  leur  marqua  sur  le  dos  une  grande  croix  à 
la  craie  blanche,  comme  à  des  victimes  prêtes  à  être  immolées  et,  après  un  arrêt 
d'une  demi-heure  devant  la  Place  Verte,  on  les  dirigea  vers  Frasnes. 

»  Ils  y  furent  alignés  au  pied  de  la  «  Carrière  du  Lion  »  et  fusillés  ». 

M.  Jamme,  commissaire  de  police  de  Couvin,  songea  à  recueillir  les  papiers  de 
ces  malheureux,  afin  de  les  identifier.  Il  était  au  quatrième  cadavre  quand  les 
bourreaux  lui  ordonnèrent  de  cesser.  Il  n'avait  —  est-il  besoin  de  le  dire  —  trouvé 
sur  eux  ni  aucun  instrument  d  apache,  ni  aucun  doigt  coupé.  Le  lendemain,  l'affiche 
suivante  (voir  fig.  38)  fut  apposée  sur  les  murs  de  Couvin  :  elle  relatait  un  jugement 
fictif,  qui  n'avait  pas  été  rendu;  la  date  du  16  avait  été  biffée  au  crayon  et  remplacée 
par  le  chiffre  17. 

PROCLAMATION 

La  cour  martiale  a  condamné  à  mort  34  Français. 
Ils  avaient  commis  des  crimes  différents. 

Les  uns  avaient  essayé  d'espionner  les  positions  des  troupes  allemandes   pour  les  trahir  aux  commandants 
français. 

D'autres  avaient  tenté  d'enflammer  un  hôpital  dans  lequel  se  trouvaient  des  blessés  allemands. 
Le  reste  avait  pillé  des  soldats  tombés  sur  le  champ  de  bataille. 
L'exécution  a  eu  lieu. 

Couvin,  le  17  septembre  1914.  le  commandant  d'étape, 

(S)      Lacroix. 

Le  17  à  i5  h.  3o,  le  commandant  Lacroix  pria  M.  Mauer,  de  Couvin,  qui 
servait  d'interprète  à  l'hôtel  de  ville,  de  signifier  à  la  commune  l'ordre  de  fournir 
12  bêches  pour  creuser  la  fosse.  Comme  M.  Mauer  demandait  d'où  venaient  les 
morts,  le  commandant  répondit  «  qu'il  les  avait  fait  fusiller,  parce  qu'ils  détrous- 
saient les  cadavres  de  leurs  soldats  ». 

On  serait  resté  sans  détails  sur  l'identité  des  victimes  et  sur  leur  odyssée  si  l'on 
n'avait  appris,  après  l'armistice,  qu'il  existait  un  survivant,  Alfred-Paulin  Chevalier, 
âgé  de  63  ans,  instituteur  retraité,  demeurant  à  Etrechy,  par  Vertus,  Marne. 
Interrogé,  il  a  pu  fournir  de  précis  et  intéressants  renseignements. 

C'est  le  6  septembre  1914  que  les  Allemands  installèrent  à  Etrechy  un  parc 
d'artillerie  et  pillèrent  le  village.  M.  Chevalier  fut  arrêté  le  6  septembre  au  matin, 
sur  dénonciation  d'un  espion  allemand,  et  accusé  «  d'avoir  tinté  trois  fois  la  cloche 
pour  avertir  l'artillerie  française  »,  ou  encore  «  d'avoir  donné  aux  enfants  la  haine 
des  Allemands  »,  accusations  fantaisistes  et  qui  ne  reposaient  sur  aucune  preuve. 
Après  avoir  été  lié  pendant  deux  heures  à  un  rouleau,  il  comparut  devant  le 
commandant   du    parc   d'artillerie   établi    à    Givry-les-Loisy,    puis  il   fut  ramené  à 


1  10 


Etrcchy,  et  joint  à  un  convoi  de  prisonniers  militaires.  Avec  lui  se  trouvaient  trois 
autres  civils,  un  nommé  Hugo,  de  Brugny,  M.  Vincent  d'Olizy,  de  Violaine 
(Marne),  et  un  troisième  d'Avesnes  (Nord).  Ils  restèrent  à  Etrechy  jusqu'au 
9  septembre  au  soir,  enfermés  dans  une  grange  où  ils  reçurent  des  coups  de 
bâton.  Hugo  avait  été  parqué,  seul,  dans  un  infect  trou  à  porcs,  et  chaque  fois  qu'il 
montrait  la  tête  ou  les  mains  pour  regarder  hors  de  son  taudis  ou  pour  respirer,  il 
était  frappé,  à  tel  point  que  sa  tête  et  ses  mains  ne  formaient  vraiment  plus  qu'une 
plaie,  et  que,  avant  le  départ,  il  dut  recevoir  un   pansement  dans  une  ambulance. 

C'est  le  9  septembre  que  la  débâcle  allemande  s'esquissa  :  on  se  mit  en  route 
et  on  logea  à  Soulières.  Le  to,  la  marche  par  étapes  forcées  commença.  Après  une 
journée  d'avance  sous  un  soleil  de  plomb  et  sans  nourriture,  on  arriva  à  Germaine 
(Marne),  où  la  nuit  se  passa  dans  un  hangar.  Le  1  i  au  matin,  le  convoi  prit  la 
direction  de  Reims,  où  le  groupe  des  quatre  premiers  prisonniers  s'accrut  d'autres 
civils,  des  cultivateurs,  venant  de  Montmirail  et  environs  :  il  y  en  avait  onze  de 
Corfélix,  il  y  en  avait  cinq  du  Recoude  (mairie  de  Le-Gault-La~Foret)  ;  il  y  en 
avait  deux  de  Carrobert,  un  de  Perthuis;  il  y  en  avait  de  Margny  et  autres  pays. 
Ils  étaient  faussement  accusés  d'  «  avoir  coupé  les  fils  des  téléphones,  d'avoir 
renseigné  les  avions,  d'avoir  tiré  sur  l'ennemi  »;  d'autres  avaient  été  requis  de 
conduire  des  blessés  et,  à  un  moment  donné,  on  les  avait  joints  au  groupe  des 
prisonniers.  Parmi  eux,  des  septuagénaires,  des  hommes  de  quarante  ans,  des  jeunes 
gens  de  vingt;  en  particulier  un  enfant  de  14  ans,  Robert  Martin,  son  père  Jules 
Martin,  42.  ans,  son  grand-père  Louis  Martin,  jo  ans,  de  Corfélix. 

Mme  veuve  Jules  Martin  a  pu  nous  donner  les  détails  suivants  sur  l'arrestation 
des  siens.  «  C'est  le  5  septembre  à  8  heures  du  matin  que  les  Allemands  sont 
arrivés  à  Corfélix.  Après  trois  jours  de  combat  à  travers  la  plaine,  ils  ont  été 
obligés  de  reculer.  Honteux  de  leur  défaite,  ils  ont  cherché  des  moyens  barbares 
pour  se  venger  et  c'est  à  Corfélix  qu'ils  commencèrent.  Emmenés  une  première 
fois  hors  de  la  cave  de  notre  maison,  nous  pûmes  y  rentrer  à  la  fin  de  la  journée, 
poussés  par  la  faim,  et  nous  étions  occupés  à  préparer  un  repas  quand  des  soldats 
obligèrent  nos  hommes  à  les  suivre.  Ils  emmenèrent  même  mon  fils  Robert,  âgé  de 
14  ans;  seul  échappa  un  de  ses  oncles  qui  s'était  mis  au  lit  et  passa  pour  malade. 
«  On  les  enfermait,  nous  déclara  un  Alsacien,  pour  la  nuit  seulement,  parce  qu'on 
craignait  qu'ils  fissent  des  signaux  aux  Français.  »  Le  lendemain,  au  lieu  de  les 
libérer,  les  troupes  les  emmenèrent,  au  nombre  de  douze.  Un  peu  plus  loin,  l'un 
deux,  Paul-Louis-Numance  JACQUET,  domestique  à  Corfélix,  âgé  de  36  ans,  qui 
ne  pouvait  plus  marcher,  fut  fusillé.  C'était  le  8  septembre. 

La  première  étape  les  mena  à  Lacaure,  la  seconde  à  Epernay,  la  troisième  à 
Reims,  où  le  groupe  complet  fut  constitué.  » 

Au  départ  de  Reims,  sous  une  pluie  battante,  le  cortège,  comprenant  un  millier 
de  militaires  et  38  civils,  gagna  La  Neuvillette,  où  il  fut  entassé  pour  la  nuit  dans 
une  grange. 

Le  12,  longue  étape  jusqu'à  Bazincourt,  où  deux  civils  purent  s'échapper;  il  en 
restait  trente-six,  Le  >3  à  Rethel,  le  14  à  Attigny,  le  i5  à  Rocroy,  où  il  fut  question 
d'une  exécution,  mais  leurs  gardiens  dirent  «  qu'ils  n'avaient  pas  trouvé  un  endroit 
convenable  ». 


1 1 1 

Tout  ce  voyage  avait  été  un  long  martyre.  Ces  malheureux  étaient  frappés  au 
moindre  signe  de  fatigue.  Ils  devaient  souvent  porter  les  havresacs  de  leurs  gardiens. 
Dans  les  villages,  les  Allemands  s'échelonnaient  le  long  des  rues  et  se  les  renvoyaient 
de  l'un  à  l'autre  à  coups  de  pied  et  de  poing.  Une  seule  parole  revenait  sur  leurs 
lèvres  :  «  ils  allaient  être  fusillés  ».  Ces  centaines  de  kilomètres  furent  parcourus 
sous  une  chaleur  torride  et  dans  la  poussière,  sans  pour  ainsi  dire  recevoir  ni  à 
boire,  ni  à  manger.  On  avalait  des  pommes  de  terre,  des  betteraves  ou  des  carottes 
trouvées  le  long  des  routes,  des  croûtes  de  pain   moisi   ramassées  dans  les  fossés. 

Le  \6,  quand  fut  passée  la  frontière  belge,  un  vieillard  exténué  s'affaissa  sur 
la  route  et  fut  tué  de  deux  coups  de  feu,  puis  enfoui  au  bord  du  chemin. 

A  Couvin,  dans  une  prairie,  un  officier  allemand  vint  demander  qui  étaient  ces 
gens  :  «  Des  francs-tireurs,  des  espions,  des  dévaliseurs  de  cadavres  !  »  lui  fut-il 
répondu  ;  il  prit  sa  cravache  et  se  mit  à  les  frapper.  Alors  les  35  civils  furent 
séparés  des  soldats,  M.  Chevalier,  grâce  à  un  dolman  de  pompier  que  lui  avait 
passé  un  sous-officier  français,  avait  été  rangé  parmi  les  militaires  et  y  resta.  Les 
Allemands  remarquèrent  bientôt  qu'il  manquait  un  prisonnier,  et  vinrent  faire  une 
enquête  à  Mariembourg,  parmi  le  groupe  des  militaires,  mais  leurs  recherches 
furent  vaines  :  M.  Chevalier  s'était  fait  inscrire  comme  G.  V.  C.  et  avait  pris  un 
faux  nom  (Hadot),  qu'il  conserva  pendant  de  longs  mois,  jusqu'à  ce  qu'il  put  quitter 
le  camp  des  prisonniers  d'Alten-Grabow  en  Allemagne  et  gagner  la  Suisse,  puis  la 
France.  C'est  le  16  février  1916  qu'il  rentra  à  Vertus. 

Tous  les  34  autres  furent  fusillés  :  aucun  d'eux  n'avait  eu  à  répondre,  devant 
des  juges,  d'une  accusation  quelconque. 

Ce  n'est  que  fin  juillet  1920  que  les  cadavres  ont  été  exhumés,  par  une  équipe 
de  soldats  français,  et  transférés  au  cimetière  de  Frasnes.  Ils  y  forment  trois  rangées: 
la  première,  comprenant  les  n°s  t  à  14,  ne  compte  que  des  inconnus  ;  la  seconde, 
nPS  i5  à  20,  comprend  six  corps  identifiés,  à  savoir  :  n°  i5  Grégoire  Glau...t;  n°  16 

Jules  Martin;   n°    17    Louis   ot  ;    n°   t8   Narcisse   Prieur;   n°  19  Elie   Henriet  ; 

n°  20  Lucien  Achille  Camus  ;   la  troisième  rangée,  nos  21  à  34,  ne  compte  non  plus 
que  des  inconnus. 

D'autre  part,  les  renseignements  fournis  par  M.  Alfred-Paulin  Chevalier  et  par 
Mme  veuve  Jules  Martin  ont  permis  de  dresser  des  victimes  la  liste  provisoire 
suivante  : 

1.  ADAM,  Alfred-Désiré,  60  ans,  cantonnier,  à  Corfélix. 

2.  DESPEZELLE,  Théodore-Edouard,  54  ans,  journalier,  id. 

3.  HEBERT,  Auguste-Gustave-Ernest,  67  ans,  garde-champêtre,  id. 

4.  HENRIET,  Louis-Elie-Théophile,  65  ans,  sans  profession,  id. 

5.  MARTIN,  Louis-François-Gustave,  71  ans,  rentier,  id. 

6.  MARTIN,  Jules-Auguste,  fils  du  précédent,  42  ans,  cultivateur,  id. 

7.  MARTIN,  Robert-Jules,  fils  du  précédent,  14  ans,  id. 

8.  PHILIPPON,  Léon-Gaston,  32  ans,  poseur  à  la  Cie  des  C.  B.  R.,  id. 

9.  RENE,  Auguste-Alexandre,  69  ans,  journalier,  id. 
10.  TRUFFAUT,  Louis-Paul,  65  ans,  manouvrier,  id. 
il.  TRUFFAUT,  Georges-Emile,  39  ans,  cultivateur,                                   id. 


t  12 

12.   CAMUS,    Lucien-Achille,    19   ans,    ouvrier    agricole    à   Désiré,    habitant    au 

Recoude,  mairie  de  Le-Gault-La-Forêt. 
i3.    CAMUS,    Henri-Octave,     17    ans,    ouvrier    agricole    à    Désiré,    habitant    au 

Recoude,   mairie  de  Le-Gault-La-Forêt. 
14.    GARNIER,  Louis,  60  ans,  journalier  au  Recoude. 
i5.    PRIEUR,  Narcisse-Barthélémy,  55  ans,  cultivateur  au  Recoude. 

16.  SAVRY,  Jules-Louis-Alexandre,  58  ans,  manouvrier  au  Recoude. 

17.  BEDEL,   Alexandre-Omer,   48    ans,    cultivateur  à   Carrobert,    de    passage  au 

Recoude. 

18.  BEDEL,  Pierre,  16  ans,  ouvrier  agricole  à   Carrobert,  de  passage  au  Recoude. 

19.  BROCHOT,  Marie-François,  70  ans,  manouvrier  à   Perthuis,  parti  de  Tréfols 

le  7  septembre. 

2.0.  LEFÈVE  (1),  Emile,  5o  ans,  de  Talut-Saint-Prix. 

2t.  COURGIBET,  Alexandre,  70  ans,  de  Fromcntières. 

22.  DOLIZY,  Vincent,  de  Violaine. 

23.  HUGO,  de  Brugny. 

24.  LABARRE,  ....  d'Etrechy. 

25.  ...,  d'Avesnes. 


$9.   —  Vers  la  frontière  française. 

Parlant  de  Frasnes  au  malin  du  26  août,  la  23e  division  de  réserve 
alleignit  la  France  vers  midi,  par  Cul-des-Sarts  el  L'Escaillière  (2).  Un 
combal  d'arrière-garde  se  déroula  à  Rièzes,  où  le  général  d'artillerie 
von  Kirchbach,  commandant  le  XIIe  corps  de  réserve,  fut  légèrement 
blessé  (3). 

Les  rapports  qui  vont  suivre  (nos  565  à  572)  relaient  les  faits,  d'im- 
portance secondaire,  qui  se  sont  déroulés  dans  les  villages  frontières  de 
Géronsart,  Boussu-en-Fagne,  Aublain,  Dailly,  Pesches,  Gonrieux, 
Presgaux  et  Cul-des-Sarts- 

N°  565.  A   Géronsart,  écrit  l'instituteur,   M.   Paul  Bauffet,   quand  les  habitants  virent 

arriver  les  émigrés  de  Moriaimé,  d'Acoz  et  de  Couillet,  quand  surtout  ils  enten- 
dirent les  Français  en  retraite  leur  crier  :  «  Sauvez-vous!  »,  ce  fut  une  fuite  éperdue 

(1)  Les  données  sur  les  nos  20  et  suivants  ne  sont  pas  officielles,  tandis  que  les  précédentes  ont  été 
fournies  par  les  mairies  de  Corfélix  et  de  Le-Gault-La-Forêt. 

(2)  L'ordre  donné  le  25  au  soir  pour  le  26  précisait  que  la  poursuite  devait  être  continuée  le  26,  par  la 
23    div.  de  réserve,  sur  Le  Trembloy,  au  sud  de  Rocroi.  Von  Hausen,  Erinnerungen,  o.  c.  p.  146. 

Le  général  von  Bûiow  note  de  son  côté  que  la  IIIe  armée  avança  le  26  août  son  flanc  droit  par  Mariem- 
bourg-Gonrieux-Regniowe;  sur  Auvillers,  s'écartant  dans  sa  marche  de  la  direction  droit  au  sud-ouest 
qu'il  était  nécessaire  de  prendre  et  créant  ainsi  entre  elle  et  la  II  armée  un  trou  regrettable.  Mon  rapport, 
o.  c,  67. 

(3)  Vor;    Hausen,  ibid,,  p.   147. 


ti3 

dans  les  bois,  où  des  cachettes  naturelles  ne  manquaient  pas  pour  se  dissimuler  aux 
yeux  de  l'ennemi. 

Mardi  25  août,  le  bruit  éloigné  d'une  fusillade  venant  de  Philippeville  tint 
tout  le  monde  en  haleine.  Vers  10  heures,  on  signala  les  premiers  Allemands 
aux  confins  de  Senzeilles-Mariembourg.  A  midi,  les  derniers  Français  battaient 
en  retraite,  tout  en  combattant.  A  i3  heures,  les  Allemands  s'avancèrent  à  travers 
bois,  l'infanterie  précédant  l'artillerie.  Un  canon  fut  mis  en  place  et  tira  un  coup 
sur  Frasnes,  Deux  aéros,  un  allemand  et  un  français,  combattaient  au-dessus  du 
bois.  Cependant  deux  soldats  français  postés  au  lieu  dit  «  Tienne  Warisse  « 
tiraient  sur  l'ennemi  et  lui  tuaient  plusieurs  hommes,  que  leurs  compagnons 
impassibles  chargeaient  aussitôt  sur  leurs  canons  et  emportaient.  Un  officier 
allemand  tomba  raide  mort.  Plusieurs  chevaux  furent  aussi  tués.  Les  Allemands 
couvraient  la  forêt,  au  hasard,  d'une  grêle  de  balles,  mais  sans  atteindre  leurs 
adversaires  invisibles.  Bientôt  Allemands  et  Français  s'éloignèrent,  se  poursuivant 
l'un  l'autre,  et  disparurent.  Quant  aux  canons,  au  nombre  de  cinq,  ils  furent 
joints  à  quinze  autres  et  postés  dans  les  prairies  ;  vers  le  soir,  ils  partirent  au  galop 
vers  Mariembourg. 

A  Boussu~eri''Fagne,  le  25  août  au  matin,  les  autorités  militaires  françaises 
conseillèrent  aux  habitants  d'abandonner  leurs  maisons;  bientôt  il  ne  resta  plus  au 
village  que  deux  ou  trois  vieillards.  Les  fugitifs  se  virent  dépassés  par  l'ennemi  aux 
environs  de  Cul-des-Sarts  et  purent  revenir  chez  eux,  à  l'exception  de  quatre 
familles  qui  avaient  pénétré  plus  avant  en  France.  Ils  trouvèrent,  en  rentrant,  leurs 
maisons  intactes,  car  il  n'était  passé  que  deux  groupes  de  uhlans  dans  la  matinée 
du  25  :  les  uns  s'engagèrent  dans  le  bois,  les  autres  venaient  d'Aublain  et  deman- 
dèrent le  chemin  de  Cerfontaine. 

N°  567.  Des  Bretons  —  écrit  M.  l'instituteur  Scaillet  —  prirent  quartier  à  Aublain  le 

17  août.  Le  18,  le  général  Bonnier,  qui  résidait  au  presbytère,  passa  la  revue 
des  troupes  et  dit  ensuite  à  M.  le  curé  avec  un  accent  qui  trahissait  l'affection  et  le 
dévouement  :  «  Pauvres  enfants,  ils  ne  savent  pas  où  ils  vont  !  »  La  revue  terminée, 
les  troupes  venues  de  Couvin  par  Dailly  reprirent  le  même  chemin,  pour  se  diriger 
sur  Tamines. 

Les  fuyards  qui  passèrent  ensuite  au  village  étaient  principalement  de  Tamines, 
d'Aiseau  et  de  Mettet, 

Le  25  au  matin,  il  vint  plusieurs  centaines  de  fantassins  français  démoralisés, 
qui  battaient  en  retraite  et  ne  voulaient  pas  dire  d'où  ils  venaient.  On  en 
disposa  dans  les  campagnes  à  l'est  du  village,  en  ordre  de  bataille;  ils  creu- 
sèrent des  tranchées,  aménagèrent  des  cachettes  avec  des  gerbes  d'avoine 
et  établirent  un  poste  d'observation  au  clocher.  Un  taube  circula  le  long  du 
chemin  de  fer.  Vers  midi,  ce  fut  un  aéro  français,  qui  transmit  sans  doute  l'ordre 
de  la  retraite,  car  les  troupes  prirent  le  chemin  de  Mariembourg,  où  la  bataille 
s'engagea. 

Quand  les  gens  virent,  le  soir,  Mariembourg  en  feu,  ils  se  réfugièrent  «  sous 
les  Roches  »,  dans  la  vallée  de  l'Eau  Blanche.  Les  bois  furent,  pendant  deux  jours 


M4 

et  deux  nuits,  leur  refuge.  Durant  le  jour,  les  femmes  s'enhardissaient  à  aller 
traire  le  bétail. 

Quelques  uhlans  passèrent  le  26  et  le  27,  se  dirigeant  vers  Cerfontaine. 

Après  cela,  les  gens  revinrent  dans  leurs  maisons,  qui  étaient  respectées. 

N°  568.  A  partir  du  22  août,  la  route  de  Boussu  et  la  grand'route  de  Chimay,  qui  passe 

non  loin  du  village  de  Bailly,  offraient  aux  regards  le  plus  navrant  et  le  plus  inou- 
bliable des  spectacles.  Des  familles  entières  s'enfuyaient  devant  i'ennemi,  allant  au 
hasard  chercher  un  refuge...  Elles  venaient  surtout  de  Charleroi,  Marcinelle  et 
Mettet,  les  unes  en  voiture,  les  autres  à  pied,  poussant  des  brouettes  chargées  de 
vivres  et  de  couvertures.  Ces  fuyards,  qui  paraissaient  hantés  d'horribles  visions, 
étaient  harassés  de  fatigue  et  brisés  de  chagrin. 

Le  24  fut  une  journée  de  tristesse  et  d'angoisse,  à  cause  de  la  retraite  des 
troupes  belges  et  françaises.  Des  pièces  d'artiilerie  prirent  position  aux  environs 
du  village.  La  première  ligne  de  canons  se  trouvait  «  aux  Longuigneuls  »,  à  «  la 
Haie  de  Frasnes  »,  et  aux  «  Monts  de  Boussu  »  ;  tandis  que  l'infanterie  creusait  des 
tranchées  rudimentaires  à  «  La  Faligeotte  »  et  «  au  Tienne  de  Pesches  ».  Les 
officiers,  prévoyant  un  combat,  engagèrent  les  habitants  à  fuir;  ce  qu'ils  firent, 
vers  Cul-des-Sarts  ou  dans  le  bois  de  Gonrieux. 

Le  26  au  matin,  quelques  uhlans  traversèrent  le  village. 

Le  27,  des  habitants  revinrent  dans  leurs  maisons,  qu'ils  trouvèrent  pillées,  et 
annoncèrent  aux  autres  que  le  village  était  calme  et  qu'ils  pouvaient  rentrer. 

N°  569.  Le   17  août,   relate  M.  l'abbé  J.  Artus,  prit  quartier  au  village  de  Pescbe  un 

détachement  de  turcos  et  de  zouaves  français,  que  la  population  reçut  avec  un 
enthousiasme  délirant.  Partis  le  18  à  midi,  ils  furent  remplacés  le  même  jour  par 
des  soldats  de  l'armée  de  Paris  ;  leur  Etat-Major  et  3oo  militaires  furent  hébergés 
au  pensionnat  des  Filles  de  Marie.  Beaucoup  d'entre  eux  se  confessèrent  et 
témoignèrent  le  désir  de  communier  le  lendemain,  mais  l'ordre  de  départ  vint 
à  minuit. 

Le  21,  180  chariots,  chargés  de  mitraille,  cartouches,  grenades  et  autres 
explosifs,  et  traînés  par  700  chevaux,  campèrent  à  l'entrée  du  village.  Ce  défilé  de 
lourds  véhicules  se  dirigea  le  lendemain  à  8  heures  vers  Mariembourg  et  Philippeville. 
«  Venez  avec  nous  !  Nous  en  avons  assez  pour  faire  sauter  la  tête  de  Guillaume  !  » 
criaient  plaisamment  les  conducteurs  aux  habitants  postés  le  long  des  chemins  pour 
les  acclamer. 

Le  23,  tandis  que  les  vitres  et  les  portes  des  maisons  étaient  secouées  sans  répit 
par  les  détonations  d'une  violente  canonnade,  la  grand'route  de  Couvin-Chimay 
était  sillonnée  et  le  village  envahi  par  des  bandes  de  malheureux  fuyards  arrivant 
de  Dinant,  Tamines,  Mettet  et  autres  localités,  et  qui,  affolés  et  harassés  de  fatigue, 
faisaient  aux  habitants  le  lugubre  récit  de  l'horrible  spectacle  dont  ils  avaient  été 
les  témoins  navrés.  Vers  17  heures,  une  trentaine  d'avions  français  abandonnèrent 
le  camp  de  Philippeville  et,  se  dirigeant  sur  Rocroi,  survolèrent  le  village  de 
Pesche.  Témoins  du  vol  effaré  des  grands  oiseaux,  les  paysans  ne  perdaient  pas 
confiance  :    «  Ils  vont  chercher  la   «  Turpinite  »,  fameux  gaz  asphyxiant  découvert 


115 

par  Turpin  et  qui  anéantira  l'armée  allemande!  »  Chacun,  la  nuit  suivante,  reposa 
paisiblement,  appuyé  sur  cette  ferme  espérance. 

Le  24  à  midi,  comme  je  demandais  à  un  sergent  français,  prêtre,  qui  venait  de 
Tamines  et  requérait  des  logements,  si  l'armée  reculait,  il  répondit  encore  :  «Nous 
venons  nous  reposer  un  peu  ».  Deux  heures  après,  un  officier  à  quatre  galons, 
littéralement  recouvert,  figure  et  habits,  d'une  épaisse  couche  de  poussière  et  brisé 
de  fatigue,  me  demanda  un  lit  et  me  dit  :  «  Vous  êtes  prêtre?  —  Oui.  —  Alors  on 
peut  vous  confier  quelque  chose  :  nous  reculons.  Ou  bien  nous  avons  subi  une 
lourde  défaite,  ou  bien  le  plan  du  grand  Etat-Major  est  de  fortifier  notre  aile  droite 
en  Alsace  et  d'attirer  l'ennemi  en  Belgique.  Ce  sont  des  barbares  que  nous  avons 
devant  nous.  Ils  brûlent  et  saccagent  tout.  Le  spectacle  de  ces  pauvres  gens  dont 
nous  sommes  les  défenseurs  et  qui  fuient  éperdus  devant  l'ennemi  me  crève  le  cœur!» 

Le  détachement  français  ramenait  au  couvent  quelques  blessés,  parmi  lesquels 
deux  Algériens.  Le  colonel  Maurice  Taupan,  qui  avait  commandé  les  Algériens  à 
Tamines,  mourut  dans  la  nuit  du  25  au  26,  après  avoir  reçu  avec  piété  les  sacrements 
de  l'Eglise  et  fut  inhumé  le  26  à  19  heures,  dans  le  cimetière  du  couvent,  sans 
chant  ni  cérémonie,  pour  ne  pas  attirer  l'attention  de  l'ennemi  quioccupait  la  localité. 

Les  Français  s'étaient  préparés,  le  25,  à  la  résistance  et  avaient  garni  de 
canons  la  colline  «la  Butte»  qui  domine  le  village,  pour  refouler  l'ennemi  qui  allait 
déboucher,  disaient-ils,  par  la  grand'route  de  Couvin-Chimay  ;  à  midi,  un  ordre 
télégraphique  leur  enjoignit  de  se  diriger  sur  Rocroi.  Alors  ce  fut  dans  le  village 
un  affolement  général.  Les  paysans  alarmés  chargèrent  sur  des  chariots  quelques 
provisions  et  objets  de  première  nécessité  et  s'en  allèrent  dans  la  forêt,  les  uns 
chassant  devant  eux  leur  bétail,  d'autres  le  laissant  dans  les  prairies  ou  les  écuries. 
A  19  heures,  le  village  était  désert  et  dans  les  ténèbres,  l'on  n'entendait  que  le 
beuglement  de  quelques  vaches  et  le  craquement  des  lourds  véhicules  emportant  de 
«  la  Butte  »  les  derniers  canons  français.  L'ennemi  était  à  quelques  kilomètres, 
comme  nous  l'annonçait  la  sinistre  lueur  des  incendies. 

Dans  la  soirée,  quelques  uhlans  battaient  déjà  la  campagne  entre  Pesche 
et  Couvin. 

Le  26  à  5  h.  3o,  une  cinquantaine  de  uhlans,  suivis  de  la  masse  compacte  de 
l'infanterie  saxonne,  se  présentèrent  à  l'entrée  du  village.  Pendant  toute  la  journée, 
jusque  vers  16  heures,  ce  fut  un  défilé  ininterrompu  de  soldats,  de  chevaux,  de 
canons,  voire  même  de  camions  de  boulangerie  et  de  lourds  chariots  de  ferme 
enlevés  à  Dînant,  Surice  et  autres  localités  incendiées.  En  tête  du  défilé,  marchaient 
des  civils,  dont  M.  le  curé  de  Frasnes.  De  temps  en  temps,  ces  masses  serrées 
s'arrêtaient,  et,  tandis  que  le  déluge  d'uniformes  gris  couvrait  les  routes  et  les  places 
publiques,  les  fiers  soldats  germains  pénétraient  dans  les  maisons  l'arme  au  poing 
à  l'instar  de  brigands,  se  faisaient  ouvrir  les  armoires,  emportaient  pain,  viande, 
lard,  boissons  et  tout  ce  qui  leur  tombait  sous  la  main.  Si  la  maison  était  abandonnée, 
ils  enfonçaient  les  portes  et  la  dévalisaient  totalement. 

Déjà  de  nombreux  soldats  escaladant  les  murs  de  clôture  du  couvent,  s'étaient 
présentés  aux  portes,  terribles  et  menaçants,  tellement  défiants  qu'ils  soupçonnaient 
qu'on  pût  leur  présenter  du  pain  empoisonné.  C'est  ce  que  me  déclara  l'un  d'eux 
qui,  en  mangeant  la  tartine  que  je  lui  avais  donnée,  appuyait  son  arme  sur  mon  côté 


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gauche,  prêta  faire  feu.  Ils  étaient  des  centaines  :  tous  braquaient  sur  moi  leur 
arme  ou  leur  revolver.  Avertie,  la  Révérende  Mère  se  fit  escorter  de  quelques 
soeurs  allemandes  et  leur  fit  distribuer  des  tartines  et  du  café  avec  tant  de  bonhomie 
qu'ils  se  montrèrent  bientôt  convenables. 

Le  défilé  des  masses  grises  se  continua  pendant  toute  la  journée  du  lendemain. 

N  570.  Le  14,  de  grand  matin,  écrit  M"e  Elisa  Rousseaux,  institutrice,  les  premières 

troupes  françaises  défilent  sur  la  grand'route  Chimay-Mariembourg,  qui  coupe  au 
nord  le  territoire  de  Gonrieux.  Un  brouillard  épais  enveloppe  le  village,  on  ne 
distingue  rien,  mais  le  bruit  assourdissant  des  chariots  réveille  les  habitants.  On 
s'habille  à  la  hâte,  on  court  au  pavé,  on  se  relaie  pour  porter  des  rafraîchissements 
aux  soldats. 

Le  t5,  un  régiment  algérien  cantonne  à  Boutonville,  village  à  i5  minutes  d'ici. 
Une  véritable  procession  s'organise  dans  l'après-midi,  les  Arabes  reçoivent  en 
abondance  lait,  œufs,  sucre,  chocolat. 

Le  17,  le  125e  de  Cherbourg  arrive  par  la  route  de  Cul-des-Sarts  ;  le  lendemain 
il  se  dirige  vers  la  Sambre  et  un  jeune  fermier  conduit  en  chariot  jusque  Tongrinne 
les  soldats  dont  les  pieds  sont  endoloris  par  les  marches  forcées. 

A  partir  de  ce  jour  jusqu'au  22,  les  régiments  des  garnisons  côtières  de 
Saint-Lô,  Saint-Malo  et  Saint-Nazaire,  composés  en  grande  partie  de  réservistes, 
traversent  Gonrieux  sans  s'arrêter. 

Le  20,  nous  arrive  une  colonne  de  ravitaillement  (capitaine  Holley;  chef 
d'escadron,  comte  de  Vaubert  de  Genlis  )  ;  le  21,  elle  reçoit  l'ordre  de  rebrousser 
chemin  et  prend  la  route  de  Chimay.  Presque  en  même  temps  la  9e  division  d'ambu- 
lance entre  par  la  route  de  Cul-des-Sarts  :  il  y  a  18  prêtres-soldats.  Le  23,  ils  se 
succédèrent  aux  trois  autels  de  l'église,  offrant  la  divine  victime  pour  la  Patrie  en 
danger.  L'église  ne  désemplit  pas  de  la  journée  et  les  offices  furent  émouvants.  Ces 
soldats  nous  ont  fort  édifiés;  un  grand  nombre  s'approchaient  chaque  matin  de  la 
Sainte-Table  et,  le  soir,  ils  restaient  bien  tard  à  l'église,  récitant  leur  chapelet. 

Le  23,  les  routes  de  Couvin  à  Chimay  offrent  aux  regards  le  plus  navrant  et  le 
plus  inoubliable  des  spectacles.  Des  familles  entières  de  paysans  s'enfuient  devant 
l'ennemi  ;  elles  viennent  des  bords  de  la  Sambre,  traînant  derrière  elles  tout  ce 
qu'elles  ont  pu  rassembler.  La  plupart  de  ces  malheureux  voyagent  à  pied  et  poussent 
devant  eux  de  petites  charrettes;  ils  paraissent  harassés  de  fatigue  et  brisés  par  le 
chagrin.  Ils  emportent  avec  eux  l'horrible  vision  de  leurs  maisons  saccagées  et 
brûlées,  de  leurs  parents  ou  amis  lâchement  fusillés. 

Les  soldats  passent  une  grande  partie  du  23  août  dans  les  prés  voisins  de  la 
rue  Doaire,  d'où  l'on  découvre  Philippeville.  Couchés  à  plat  sur  le  sol,  ils  suivent 
les  péripéties  du  combat  et  disent  de  fois  à  autre  :  «  Comme  ça  chauffe  là-bas  !  » 
Vers  17  h.  3o,  soldats  et  habitants,  appuyés  sur  le  mur  de  clôture  du  grand  verger 
longeant  l'école,  regardent  dans  la  direction  de  Philippeville,  écoutant  anxieusement 
la  grande  voix  du  canon.  Tout  à  coup,  dans  le  lointain,  un  gros  oiseau  semble  surgir 
de  terre,  puis  un  2e,  un  3e...  on  en  compte  18.  Après  avoir  plané  un  instant,  tous 
prennent  leur  essor  vers  Rocroy.  Ce  sont  les  avions  français  qui  abandonnent 
Philippeville  :  la  retraite  de  nos  braves  défenseurs  commence. 


t'7 

Le  lendemain  fut  un  jour  plein  de  tristesse  et  d'angoisse.  L'ambulance  quitte 
Gonrieux  dans  la  matinée.  Vers  midi,  plusieurs  milliers  de  soldats  belges  échappés 
de  Namur  passent  sur  la  grand'route.  Avertis  par  un  cycliste,  les  parents  courent 
embrasser  leurs  (ils,  mais  ceux-ci  ne  peuvent  s'arrêter,  ils  doivent  rejoindre  le 
général  Michel  à  Rièzes.  La  vue  de  ces  soldats  en  déroute,  débandés,  abandonnés 
à  eux-mêmes,  ne  fait  qu'accroître  la  terreur  qui  règne  au  village. 

Dans  l'après-midi,  de  nombreux  fuyards  remplissent  les  rues  ;  on  les  loge  dans 
les  granges,  les  fenils,  les  hangars,  les  classes  A  peine  ces  malheureux  sont-ils 
installés  que  le  75e  d'infanterie  française  arrive.  Il  vient  de  Tirlemont.  Les  soldats 
sont  exténués,  ils  marchent  depuis  cinq  jours.  A  la  nuit  tombante,  ce  sont  des 
troupes  échappées  à  l'ennemi,  elles  ont  quitté  Rosée  à  3  heures  du  matin.  Noirs  de 
poudre,  harassés,  ils  se  laissent  tomber,  sac  au  dos,  le  long  des  talus.  «  Impossible 
d'aller  plus  loin,  disent-ils,  si  l'ennemi  arrive  cette  nuit,  nous  n'échapperons  plus!  » 
On  case  les  fuyards  dans  l'église  et  les  soldats  ont  à  leur  disposition  les  locaux 
abandonnés  par  les  premiers.  Ils  reposent  tranquillement  toute  la  nuit.  Dans  la 
matinée,  un  grand  nombre  viennent  se  faire  masser  les  pieds  et  les  genoux  chez  les 
sœurs. 

Comme  les  Allemands  sont  à  quelques  kilomètres  de  Mariembourg,  les 
ambulances  sont  évacuées,  les  blessés  transportés  dans  toutes  les  directions,  à 
Couvin,  au  couvent  de  Pesche.  Une  charrette  conduite  par  une  femme  et 
chargée  d'un  Algérien  gravement  blessé,  arrive  à  Gonrieux  au  moment  où 
le  clairon  sonne  le  départ  des  troupes  en  retraite.  Le  commandant  confie  le 
malheureux  aux  autorités  locales  ;  il  est  déposé  à  l'école  des  garçons,  en 
attendant  qu'une  voiture  puisse  le  tranporter  au  couvent  de  Pesche,  ce  qui  à 
lieu  le  soir  même. 

Le  bruit  du  canon  se  rapproche  de  plus  en  plus.  La  plupart  des  habitants, 
affolés,   s'enfoncent  dans  les  bois  pour  attendre  les  événements. 

Le  lendemain,  26,  les  fuyards,  cachés  au  «  Fond  de  l'Eau  »,  voient  descendre 
une  troupe  de  cavaliers  avec  lances  et  oriflammes.  «  Anglais?  »  demande-t-on. 
—  «  Allemands!  »  fut  la  réponse.  Ces  uhlans  étaient  suivis  de  près  par  des 
colonnes  serrées  et  tout  un  matériel  de  campagne.  Dans  l'espace  de  deux  jours, 
42,000  défilèrent  par  le  chemin  rocailleux  du  bois,  allant  sur  Rocroi.  Alors  les 
habitants,   rassurés,   rentrèrent  au  village. 

Le  3o.  pendant  les  vêpres,  un  officier  en  auto  arrive  chez  le  bourgmestre 
et  l'emmène  pour  faire  le  tour  du  village.  C'est  le  lieutenant  Marquardt,  de 
Leipzig,  un  grand  boiteux,  qui  prend  possession  de  Gonrieux  au  nom  de 
l'Empereur.  Il  s'installe  dans  la  belle  habitation  de  M.  Luc,  qui  a  gagné  la 
Bretagne.  Le  drapeau  national  est  enlevé  du  clocher  par  un  soldat,  car  le  clerc 
a  refusé  d'aller  le  prendre. 

Pendant  les  semaines  qui  suivent,  la  commune  dut  fournir  :  lard,  poules, 
vin,  bougies,  beurre,  épiceries,  farine,  levure,  lampes,  pétrole,  pommes  de 
terre,  produits  pharmaceutiques,  etc.,  et  réparer  les  vélos.  En  même  temps, 
on  réquisitionne  paille,  avoine,  fourrage,  ti  cochons,  26  bœufs,  6  chariots, 
14  chevaux  pour  le  magasin  de  la  3e  armée  et  la  boulangerie  (inspecteur 
Herman)    établie   au    couvent   de    Pesche.    Sept    fermiers    sont    réquisitionnés    et 


n8 

partent  en  France  avec  attelages  pour  5,  7,  9  et  même  19  jours.  L'un  alla 
jusque  Châlons  et  dut  transporter  des  morts  et  des  mourants.  Trois  revinrent 
sans  chariots,  ni  chevaux. 

N°57i.  Presgaux  (paroisse  de  Gonrieux)  ne   (ut    non   plus   visité   par  les   Allemands 

que  le  3o  août  :  une  auto  venant  de  Cul-des-Sarts  vint  y  réquisitionner  des 
vivres. 

N°  572.  Cul~des~Sarts  (1),  relate  M.  l'abbé  Seron,  curé,  confine  aux  villages  français 

de  Regniowez  et  La  Taillette  et  est  à  6  kilomètres  nord-ouest  de  Rocroi. 

Le  26  à  8  heures,  les  premiers  uhlans  apparurent  au  hameau  de  la  Rièze  et 
firent  quelques  patrouilles  dans  les  environs.  Ils  furent  suivis  de  troupes  d'infan- 
terie et  d'artillerie,  qui  se  dirigèrent  plutôt  du  côté  de  Petite-Chapelle  et  eurent  à 
soutenir,  du  quartier  «  Les  Plains  »,  un  combat  contre  les  troupes  françaises  de 
Rocroi  et  des  environs;  trois  soldats  allemands  succombèrent  à  cet  endroit  et 
furent  pius  tard  inhumés  au  cimetière  paroissial. 

A  ce  moment,  les  habitants  s'étaient  presque  tous  retirés  dans  les  bois  ;  un 
certain  nombre  avait  précédé  les  troupes  françaises  et  resta  exilé. 

Dans  le  centre  du  village,  on  ne  vit  de  troupes  que  vers  11  heures,  d'abord  des 
cavaliers,  puis  des  cyclistes.  Une  compagnie  de  ceux-ci  était  aux  abords  de  l'église 
comme  j'allais  sonner  l'Angelus;  leur  chef  me  dit  qu'ils  avaient  dû  forcer  des 
portes  pour  se  restaurer  et  me  remit  un  bon  pour  ce  que  ses  hommes  avaient  pris. 
Je  pouvais,  ajoutait-il,  rassurer  mes  paroissiens. 

Le  gros  des  troupes,  infanterie  et  artillerie,  n'arriva  dans  le  centre  du  village 
que  vers  17  heures.  Deux  patrouilles  m'enlevèrent  successivement,  d'abord  pour 
perquisitionner  dans  l'église,  puis  pour  m'emmener  au  poste  de  commandement. 
La  commune  était,  me  dit  l'interprète,  très  suspecte.  On  me  prenait,  me  dit  ensuite 
un  officier,  pour  deux  raisons  :  i°  un  des  leurs  avait  été  tué;  j'avais  en  effet  appris 
que  vers  i5  heures,  un  officier  (2)  en  bicyclette  avait  été  blessé  par  les  Français 
aux  environs  du  village  et  qu'il  avait  tiré  un  coup  de  revolver  sur  un  villageois, 
M.  Hubert-Arthur  Collin,  qui  voulait  lui  porter  secours  et  qui  fut  blessé  griève- 
ment ;  20  des  officiers  avaient  été  empoisonnés  par  du  vin.  Le  lendemain,  je  fus 
requis  pour  les  conduire  jusque  près  de  Regniowez,  puis  je  fus  libéré  et  je  pus 
encore,  en  rentrant,  célébrer  la  Sainte-Messe,  un  peu  avant  midi. 

Le  28  août,  un  officier  fit  marcher  plusieurs  civils  devant  ses  soldats,  arme  au 
poing,  les  forçant  à  crier  :  «  Si  vous  tirez,  nous  sommes  fusillés  les  premiers!  »  A 
Regniowez,  ils  furent  relâchés. 


(i)   Cf.  Masschner,  o.  c,  p.  25. 

(2)  Le  lieutenant  Otto  von  Boyneburgh,  de  Wichmannshausen  (Hesse),  décédé  le  26  août. 


ii9 

2.  —  La  24e  division  de  réserve. 

La  24e  division  de  réserve  (général  von  Ehrenthal)  comprenait  les 
47e  et  48e  brigades,  formées  des  104e,  106e,  107e  et  1 33e  régiments  de 
réserve,  appuyés  d'un  régiment  de  uhlans  de  réserve  et  du  24e  régiment 
d'artillerie  de  réserve. 

Partie  de  la  région  de  Saint-Vith,  la  division  s'est  dirigée  sur 
Vielsalm,  la  baraque  de  Fraiture,  Erezée,  Melreux,  Heure,  suivant  pas 
à  pas  le  XIe  corps,  et  elle  est  arrivée  le  22  août  dans  la  région  de  Natoye. 
Nous  la  retrouvons  ce  jour-là  et  le  lendemain  terrorisant  les  villages  de 
Crupet,  Durnal  et  Spontin  ;  elle  couvre  de  ruines  et  arrose  de  sang 
humain  toutes  les  routes  qui  mènent  à  la  Meuse. 

La  division  demeura  le  24  août  à  Dinant  et  dans  la  vallée  de  la 
Meuse,  pour  couvrir  les  ponts  et  en  assurer  la  sécurité  (1);  ses  troupes 
ne  furent  pas  étrangères  aux  cruautés  et  aux  dévastations  qui  se  conti- 
nuèrent, pendant  cette  journée,  dans  la  ville  martyre. 

La  division  commença  à  passer  la  Meuse  dans  la  nuit  du  24  au 
25  août,  à  minuit  (2),  au  pont  de  Leffe  devenu  libre,  et  se  dirigea  sur 
Anthée,  en  partie  par  Sommière  et  Gérin  (3),  en  partie  par  la  grand'route 
de  Philippeville  (4).  Le  25  août,  elle  fut  chargée  par  le  chef  de  la 
IIIe  armée  de  l'attaque  de  la  forteresse  de  Givet  (5)  et  reçut  à  cette  fin 
deux  batteries  et  demi  d'artillerie  à  pied  et  deux  batteries  de  mortiers 
autrichiens  de  3o.5  (6).  Commencé  le  samedi  29,  le  bombardement  se 
poursuivit  jusque  dans  la  nuit  du  3o  au  3i  août.  Avant  que  commençât  le 
siège,  toute  la  population  civile  avait  été  expulsée  des  villages  de  la 
région,  dans  lesquels  les  troupes  s'établirent  en  maîtres. 

C'est  le  ier  corps  français  qui  les  y  avait  précédées.  Aussi  convient-il 
d'étudier  tout  d'abord  les  incidents  qui  marquèrent  sa  retraite  (7). 

Le  1er  corps  français,  comprenant  la  ire  et  la  2e  division,  reçut  dans  la  nuit  du 
23  au  24  août  l'ordre  de  retraite  du  général  Lanrezac  :  «  La  5e  armée,  en  marche 
avant  le  jour,  le  24,  se  repliera  sur  la  ligne  générale  Givet-Philippeville'-Beaumont- 
Maubeuge  ». 

(t)   Von  Hausen,  Erinnerungen,  p.  140. 

(2)  BAUrtGARTEN-CRUSIUS,    O.    C.»    p.    35. 

(3)  Id.,  p.  36. 

(4)  Von  Kausen,  carte,  Anlage  4. 

(5)  Von  Hausen,  o.  c,  p.   146  ;  Baumgarten.-Crusius,  o.  c,  p.  45. 

(6)  Baumgarten-Crusius,  o.  c,  p.  41. 

(7)  D'après  les  archives  de  la  Section  historique  de  l'armée  française.  A  consulter  aussi  sur  la  retraite  du 
t  r  corps  st  de  la  5i®  division  de  réserve,  Hanotaux,  Histoire  illustrée  de  la  guerre  de  1914,  VI,  p.  22,  et 
VIII,  p.  76. 


i2o 

La  tre  division  (irc  et  2e  brigades)  s'est  repliée  à  l'ouest  de  la  2e;  la  irR  brigade 
atteignit  à  la  soirée  le  cantonnement  des  Matagne  :  le  43e,  Matagne-la-Grande  ; 
le  127°  Matagne-la-Petite  ;  la  2e  brigade  ne  réussit  pas  à  dépasser  Romerée  et 
Romedenne,  où  elle  fut  surprise  à  la  soirée,  ainsi  que  nous  le  raconterons  plus  tard. 

A  la  2e  division  (3e  et  4e  brigades),  c'est  la  3e  brigade  qui  s'est  repliée  la 
première,  dès  9  h.  3o,  et  est  allée  cantonner  à  l'arrière,  le  73e,  à  Gimnée,  le  33e,  à 
Niverlée  et  Masée. 

La  4e  brigade  (8e  et  110e)  avait  reçu  l'ordre  de  couvrir  la  retraite,  la  route  de 
Rosée  à  Gochenée  et  Agimont  étant  menacée  dès  l'avant-midi  du  24  août  par  les 
troupes  allemandes  du  XIXe  corps  qui  avaient  passé  la  Meuse  la  veille  ou  au  matin 
à  Hastière,  à  Waulsort  et  au  Colèbi  (Lenne).  Le  1 10e  est  resté  à  Miavoye  le  dernier, 
faisant  fonction  d'arrière-garde  :  le  ter  bataillon  et  la  10e  compagnie  occupaient  le 
hameau,  le  3e  bataillon  (moins  la  10e  compagnie)  était  posté  au  château  de  Fontaine, 
le  2e  bataillon  au  sud-ouest  de  Miavoye.  A  11  heures,  le  régiment  reçut  l'ordre  de 
se  replier  :  tandis  qu'il  se  dirigeait  vers  Doische.  où  il  cantonna  à  la  soirée,  les 
3e  et  1"*  bataillons  formèrent  un  repli  sur  le  mamelon  situé  entre  Omezée  et  Soulme. 
où  le  général  Deligny,  commandant  la  2e  division,  se  trouvait  en  personne  à  i3  h.  40. 
Bien  que  l'artillerie  ennemie  fût  signalée  au  nord-est  de  Soulme,  les  3e  et  1e1  batail- 
lons ne  furent  pas  engagés  et  rejoignirent,  le  soir  même,  leurs  unités. 

Quant  au  8e  régiment,  il  arriva  à  14  h.  3o  dans  la  région  de  Vodelée,  où  le 
1er  bataillon  prit  les  avant-postes  au  nord  du  village,  se  reliant  à  l'ouest  avec  le 
ier  régiment  (ire  division),  qui  occupait  alors  Romedenne,  et  à  l'est  avec  le 
2e  bataillon  du  45e,  qui  avait  quitté  Morville  à  10  heures  et  s'était  arrêté  à  Gochenée  ; 
le  3e  bataillon  du  8e  s'établit  au  nord-est  de  Vodelée  en  soutien  d'artillerie  et  le 
2e  bataillon  se  porta  vers  Agimont,  où  il  releva  un  bataillon  du  3 10e  dans  la 
surveillance  du  secteur  Givet-Hermeton.  Les  3  bataillons,  formant  l'arrière-garde 
de  la  2e  division,  quittèrent  Vodelée  le  25  août  à  4  heures,  pour  gagner  Gimnée, 
Mazée  et  Dourbes. 

La  8e  brigade  (général  Mangin)  était  réduite  à  deux  bataillons  :  l'un  du  45e, 
l'autre  du  148e,  qui  avaient  combattu  la  veille  au  soir  à  Onhaye.  Nous  verrons  que 
ce  sont  eux  encore  qui  soutinrent  le  combat  d'Agimont,  après  lequel  ils  se  retirèrent 
sur  Treignes  et  Rocroi. 

Sur  l'itinéraire  suivi  par  la  24e  division,  les  villages  d'Anlhée,  de 
Maurenne  et  de  Morville  rediront  longtemps  la  cruauté  des  réservistes 
saxons. 

Les  autres  localités  furent  relativement  épargnées.  Une  maison  fut 
brûlée  à  Agimont.  Six  civils  furent  tués  à  Soulme.  Deux  maisons  furent 
brûlées  à  Vodelée.  Un  sourd-muet  fut  martyrisé  à  Doische.  A  Gimnée, 
la  population,  enfermée  la  nuit  dans  l'église  illuminée,  fut  exposée  à  être 
exterminée  par  les  obus  du  fort  de  Givet. 

Les  rapports  qui  suivent  vont  nous  relater  le  détail  de  ces 
cruautés. 


12.1 


$    t .   —  Gérin . 

Quand  la  24e  division  de  réserve  eut  escaladé  la  côte  qui  borde 
la  Meuse  et  pénétra  dans  Sommière,  au  matin  du  25  août,  elle  y 
avait  été  précédée  par  les  troupes  du  XIIe  corps;  c'est  pourquoi 
nous  omettrons  de  parler  ici  de  ce  village  (voir  rapport  n°  582,  p.  137). 

La  division  gagna  de  là  Gérin,  où  se  trouvait  déjà  depuis  la 
veille  le  commandement  général  de  la  IIIe  armée  (tj.  Le  village  était 
presque  désert.  Un  groupe  d'habitants,  qui  y  fut  surpris,  fut  malmené 
à    l'extrême   et   cinq    hommes    tombèrent   dans   l'hécatombe   de   Surice. 

Gérin  (2)  est  situé  à  267  mètres  d'altitude,  à  8  kilomètres  de  Dinant.  Ce 
village  fut  occupé  avant  le  23  août  par  les  troupes  françaises,  qui  édifièrent 
la  paroisse  par  leurs  sentiments  chrétiens.  Au  salut  de  chaque  soir,  l'église 
était  comble;  ces  braves  récitaient  le  chapelet  à  haute  voix  et  chantaient  des 
cantiques.  Après  l'office,  M.  l'abbé  Thibaut,  aumônier  militaire  de  Cambrai, 
se  trouvait  au  confessionnal  avec  le  curé  de  la  paroisse;  ensemble,  ils  prêtaient 
leur  ministère  à  ceux  qui  le  demandaient.  Le  lendemain,  les  troupiers  français 
s'approchaient  nombreux  de   la  Sainte  Table. 

Le  23  août,  à  \o  heures,  les  premiers  obus  allemands,  tirés  des  hauteurs 
de  Blaimont,  tombèrent  au  sud-est  du  village  et,  une  heure  après,  ils  le 
dépassèrent.  A  12  h.  3o,  Nicolas  SIMON  et  son  épouse  Anna  FERAILLE, 
d'Onhaye,  après  avoir  traversé  Gérin,  se  dirigeaient  vers  Anthée  par  le  vieux 
chemin,  lorsqu'ils  y  furent  tués  par  des  obus,  à  un  kilomètre  au-delà  du  village. 
A  19  h.  3o,  des  obus  mirent  le  feu  aux  maisons  voisines  de  François  Piot  et 
de  Henri  Colot. 

Les  habitants  avaient  tous  quitté  leurs  maisons  à  partir  de  1 1  heures,  à 
l'exception  d'un  vieillard,   Désiré  Colin. 

L'arrière-garde  française  quitta  Gérin  à  l'aurore  du  lundi,  24  août.  Les 
éclaireurs  allemands  arrivèrent  par  l'extrémité  nord-ouest  du  village,  en  suivant 
le  ravin  situé  entre  Gérin  et  Weillen  ;  ils  firent  prisonniers  cinq  soldats  français. 
D'autres  cavaliers  arrivaient  au  même  moment  par  le  chemin  qui  traverse  le 
dessus  du  village  et  d'autres  encore  par  le  sud. 

Le  presbytère  et  de  nombreuses  maisons  furent  pillées;  un  calice  de  l'église 
et  les  bijoux  de  la  statue  de  la  sainte  Vierge  furent  emportés. 

Le    26    août,    un   groupe   de    gens    qui    s'étaient    réfugiés   à   Gérin   —   après 

(1)  Von  Hausen,  o.  c,  p.  141.  MUe  Bertrand,  qui  hébergeait  l'Etat-Major,  reçut  l'écrit  suivant 
dont  l'original,  découvert  par  le  parquet  de  Dinant,  est  déposé  aux  archives  de  la  Commission  d'enquête  : 
Das  Armée  Oberkommando  3  bescbeinigt  Mdm.  Bertrand,  dass  es  hier  beste  Aufnabme  gefunden  bal  und 
bile  um   môgliscbste  "Rùcksicblnabme  und  Schonung.    Gérin,    35.    8.    14.  A.    B. 

Steiger,    Oherleulnant  d-    "R. 

(*)  Nos  premiers  renseignements  sur  Gérin  ont  été  pris  sur  place  le  10  septembre  1914;  ils  ont  été 
ensuite   complétés  par   M.   le  curé   Boursoit. 


122 

avoir  échappé  aux  massacres  de  Surice  et  assisté  à  la  destruction  d'Anthée  (t), 
—  furent  surpris  «  à  la  Barrière  de  Gérin  »  ;  un  officier  leur  enleva  et  déchira 
le  passeport  qui  leur  avait  été  remis  et,  comme  des  criminels,  les  ramena  à 
Surice,  où  il  les  mit  en  présence  de  l'horrible  monceau  des  quarante  cadavres 
de  civils  qui  avaient  été  fusillés  la  veille.  Parmi  les  victimes  se  trouvaient 
cinq  notables  de  Gérin.  L'officier  se  disposait  encore  à  tuer  tous  ces  hommes. 
«  Sales  francs-tireurs,  leur  dit-il,  vous  allez  subir  le  même  sort!  »  Lorsqu'il 
entendit  proférer  ce  mot  de  francs-tireurs,  un  vieillard,  Henri  Tongleî,  ne  put 
contenir  son  indignation;  il  répliqua  avec  énergie  à  l'officier  qui  allait  com- 
mander l'exécution  :  «  Monsieur,  nous  ne  sommes  pas  des  francs-tireurs,  car  là 
où  vous  prétendez  qu'il  y  a  des  francs-tireurs,  vous  massacrez  les  habitants  et 
vous  incendiez  les  villages;  or,  à  Gérin,  vous  n'avez  ni  massacré,  ni  incendié!  » 
Que  se  passa-t-il?  L'officier  libira  les  gens  de  Gérin.  Comme  un  homme  affolé 
avait  la  faiblesse  de  remercier  l'Allemand,  M.  Tonglet  ajouta  :  «  Cesse  ces 
remerciements  et  reviens  avec  nous!  Pourquoi  remercier?  Tu  es  innocent,  tout 
comme  nous,   de  ce  qu'on  te  reproche  !  » 

§  2.   —  Anthée  et  Maurenne. 

Le  magnifique  village  d'Anlhée  fut  entièrement  pillé,  incendié  et 
détruit  pendant  les  deux  journées  du  25  et  du  26  août,  alors  qu'il  ne  s'y 
était  livré  aucun  combat  et  que  l'ennemi  l'occupait  paisiblement  depuis 
trente-six  heures. 

ïl  a  fallu  à  l'ennemi  une  singulière  impudeur  pour  affirmer  qu'il  y 
avait  été  attaqué  par  la  population  civile  :  il  restait  à  Anthée  en  tout  et 
pour  tout  neuf  vieillards,  dont  nous  donnons  ci-dessous  les  noms. 

Les  crimes  que  nous  allons  relater  sont  l'œuvre  non  seulement 
des  104e  et  to6e  régiments  de  réserve,  qui  forment  la  47e  brigade  (24e  divi- 
sion de  réserve)  (2),  mais  aussi  de  la  23e  division  active  (XIIe  corps)  qui  a 
utilisé  la  route  de  Dinanî  à  Philippeville  jusque  Rosée,  et  surtout  du  train 
de  la  32e  division  active  (XIIe  corps)  qui  est  passée  par  Anthée  pour 
rejoindre  à  Rosée  l'itinéraire  de  sa  division.  C'est  ce  que  nous  apprend 
le  Livre  Blanc. 

Les  gens  d'Anthée  et  du  voisinage  qui  tombèrent  entre  les  mains  de 
ces  cruels  Saxons  endurèrent  des  sévices  inouis.  Les  premiers  habitants 
qui  revinrent  au  milieu  des  ruines  retrouvèrent  les  cadavres,  laissés  sans 

(1)   Leur  odyssée   est   racontée   ci-dessous   (Anthée,   rapport   n11  574,   p.    124). 

(1)  Le  1 33e  de  réserve,  célèbre  à  Spontin,  est  aussi  passé  à  Anthée.  M.  Libert  a  découvert  en  1915,  en 
bêchant  le  jardin  des  religieuses,  un  cadavre  de  soldat  allemand  ;  on  ne  put  l'identifier,  mais  les  bottes  en  cuir 
portaient  l'inscription  suivante  :  «  i33  R,  1  bat.  3e  corps  ».  Ce  régiment  forme,  avec  le  107e,  la  48e  brigade 
de  réserve. 


123 

sépullure,  de  quatre  de  leurs  concitoyens  et  de  cinq  inconnus,  qu'à  cette 
heure  on  n'a  pas  encore  pu  identifier. 

Douze  hommes,  dont  le  curé,  le  médecin,  des  jeunes  gens  de  19  et 
de  16  ans,  périrent  dans  les  massacres  de  Surice. 

Soixante-douze  maisons  furent  brûlées  à  Anthée  centre (fig.  09342): 
il  ne  resta  debout  que  l'église  et  trois  maisons. 

A  Maurenne,  hameau  important  delà  paroisse,  quarante-six  maisons 
furent  détruites  sur  cinquante-neuf. 

Miavoye,  autre  dépendance  de  la  paroisse,  fut  préservé,  mais 
plusieurs  habitants  périrent  à  Surice. 

Ce  n'est  pas  sans  labeur  qu'a  été  reconstituée  l'histoire  d'Anthée, 
tant  sont  rares  les  témoins.  Les  vieillards,  terrés  dans  leurs  caves, 
n'avaient  généralement  rien  vu;  mais  des  gens  du  voisinage,  entraînés 
par  la  soldatesque,  ont  stationné  quelque  temps  à  Anthée  et  y  ont  vu 
chacun  l'une  ou  l'autre  scène  isolée  de  sauvagerie,  dont  ils  nous 
ont  fait  le  récit.  C'est  à  l'aide  de  ces  données  qu'a  été  rédigé  le  rap- 
port n°  574. 

Anthée  resta  un  désert  pendant  une  bonne  partie  de  l'occupation. 
Une  impressionnante  horreur  se  dégageait  de  ces  maisons  détruites  et  la 
plupart  endeuillées.  L'église,  profanée  par  les  troupes,  fut  rendue  au  culte 
à  la  fête  de  l'Ascension  de  1915. 

Anthée  occupe  l'un  des  points  culminants  de  l'Entre-Sambre~et-Meuse.  La 
paroisse  comprend  les  villages  d'Anthée,  de  Maurenne  et  de  Miavoye. 

Anthée  fut  occupé  pendant  dix  jours  par  des  troupes  françaises,  et  le  général 
Franchet  d'Esperey  y  séjourna  avec  son  Etat-Major.  Les  soldats  creusèrent  des 
tranchées  du  côté  de  Dinant  et  ouvrirent  des  meurtrières  à  la  Villa  Philippe,  dans 
la  même  direction.  Les  débris  d'un  taube  capturé  à  proximité  séjournèrent  quelque 
temps  dans  une  cour  de  ferme. 

Les  Français  se  retirèrent  dans  l'après-midi  du  zZ  (1).  Alors  les  habitants 
s'enfuirent  épouvantés,  parfois  sans  prendre  avec  eux  ni  vêtements  ni  vivres.  Les 
uns  se  réfugièrent  dans  les  grands  bois  situés  derrière  le  château  de  Fontaine, 
d'autres  vers  Florennes,  Couvin  et  la  France,  enfin  un  groupe  de  35  personnes, 
celui  qui  fut  le  plus  éprouvé,  s'abrita  à  Surice.  Il  resta  au  village  une  arrière-garde 
française  qui  se  retira  dans  la  matinée  du  24  août. 

Une  poignée  d'habitants  restait  au  village  quand  l'ennemi  y  entra  le  24  août 

(1)  On  lira  dans  Ginisty,  Histoire  de  la  guerre  par  les  combattants,  Paris,  Garnier,  p.  39  et  ss.,  une 
crnouvan'e  description  de  la  cohue  aux  abords  d'Anthée,  dans  l'après-midi  du  23  août,  à  l'heure  où  se  prépa- 
rait  la  retraite. 


«M 

à  i5  h.  t5  il),  sans  le  moindre  combat,  car  il  ne  s1y  trouvait  plus  un  seul  combattant. 
La  première  journée  ne  fut  guère  marquée  que  par  des  pillages  (2). 

«  Vers  18  heures,  raconte  Mme  Scailteur,  il  vint  des  flots  de  soldats,  à  la 
fois  de  Dinant  et  d'Ermeton-sur-Biert.  Ces  derniers  étaient  assez  humains,  mais 
les  Saxons,  des  fantassins,  étaient  de  vrais  lions.  Ils  avaient  de  petites  haches, 
à  l'aide  desquelles  ils  enfonçaient  portes  et  fenêtres,  brisaient  les  meubles  et 
cassaient  les  vaisselles.  Ils  grinçaient  des  dents,  vous  empoignaient  à  tort  et 
à  travers,  vous  battaient  comme  des  gerbes,  à  coups  de  pied  et  de  poing, 
même  avec  la  crosse  de  fusil,  en  disant  «  Vous  avez  caché  des  sales 
Franzous  !  »  Ils  tuaient  les  uns  des  poules,  d'autres  des  cochons,  des  moutons, 
des  vaches,  ils  n'épargnaient  rien.  «  Le  curé,  prétendaient-ils,  avait  fait  tirer  les 
hommes  sur  les  troupes,  il  avait  dit  aux  femmes  de  jeter  de  l'eau  bouillante  ». 
alors  que  notre  brave  curé  nous  avait  encore  prêché  le  23,  à  la  messe,  que 
l'ennemi  allait  arriver  et  que,  s'il  nous  demandait  quelque  chose,  nous  devions 
faire  un   sacrifice,   pour  épargner  les  habitants.  » 

L'incendie  du  village  d'Anthée  remonte  au  25  août.  Les  premiers  coupables 
du  désastre  se  sont  fait  connaître  dans  le  Livre  Blanc  (3).  C'est  le  train  de 
l'Etat-Major   de    la    32e  division   (Rittmeister   Heltzer,    du    18e   huss.    de    réserve). 

En  quittant  Anthée,   ils  allèrent  incendier  Rosée. 

Un  groupe  de  civils  qui  avaient  échappé  le  matin  au  massacre  de  Surice 
et  qui,  faits  prisonniers,  subirent  un  martyre  de  plusieurs  jours,  furent  amenés 
le  25  août  à  Anthée  et  y  furent  témoins  de  l'incendie  du  village.  «  Vers 
14  heures,  raconte  l'un  d'eux,  M.  Debatty,  curé  de  Morville,  nous  nous  trouvions 
depuis  midi  parqués  au  fond  du  village,  dans  un  verger  appartenant  à  Joseph 
Burton,  lorsqu'une  bande  d'incendiaires  arriva  par  la  route  d'Hastière  en 
hurlant,  la  même  bande  probablement  qui  avait  incendié  Maurenne  (4).  Elle 
mit  le  feu  à  la  maison  du  garde  Louis  Renard,  dépendance  du  château  de 
Fontaine.  En  moins  d'une  heure,  tout  le  village  d'Anthée  était  en  feu.  Le 
presbytère  et  l'habitation  du  docteur  Jacques  ne  flambèrent  qu'après  :  sans 
doute  leur  fallut-il  plus  de  temps  pour  les  piller,  car  en  avons-nous  vu  passer 
des  chariots  chargés  de  matelas,  de  meubles,  de  fauteuils,  de  chaises,  etc  ! 
Puis  nous  vîmes  se  consumer  la  maison  des  religieuses,  l'école  des  filles,  toute 
la  rue  :  nous  entendions  tirer  quelques  coups  de  feu  et  les  maisons  flambaient 
comme   des   torches...   Le   feu   commençait   toujours  par  la   toiture.  Les   maisons 

(1)  C'étaient  les  frères  Julien,  Jacques  et  Lucien  Hubert,  Augustin  Corbiau,  frère  du  vétérinaire, 
François  Dechambre  père,  Gustave  Cleda,  maréchal-ferrant,  Maurice  Collard,  plafonneur  et  le  vieux  ménage 
Barbier  (Félicien  Barbier  et  son  épouse  Charlotte  Sarto).  Tels  sont  les  francs-tireurs  qui  auraient  pu  s'attaquer 
à  l'armée  allemande  I 

(2)  On  les  attribue  à  des  troupes  que  commandait  le  général  von  Morgenstein,  qui  passa  la  nuit  du 
24  au  25  août  au  château  de  La  Forge,  à  Anthée- 

(3)  Anlage  38,   p.   54. 

(4)  Henri  Laloux,  cultivateur  à  Gérin,  reçut  dans  la  prairie  Defacqz  un  bon  de  réquisition  de  trois 
chevaux,  d'un  nommé  Scheffer  ou  Scheffler,  qui  accompagnait  le  convoi  en  question,  venant  d'Hastière, 
et  qui  annonça  qu'on  allait  brûler  le  village.  «  L'incendie  commença,  confirme  Henri  Laloux,  par  la 
maison  du  garde  Renard,  puis  l'officier  mit  lui-même  le  feu  à  la  maison  Burton,  en  tirant  sur  le  toit  de 
la  grange-  * 


125 

voisines  de  notre  campement  brûlèrent  à   leur  tour,  la  chaleur  devînt  insuppor- 
table,  on   recula  comme  on  put,  on  s'étendit  sur  le  sol... 

»  Mais  voici  qu'une  nouvelle  bande,  venant  toujours  d'Hastière,  nous  avait 
aperçus  et  dirigeait  sur  nous  une  fusillade  nourrie.  La  garde  qui  nous  retenait 
prisonniers,  officiers  en  tête,  s'éclipsa  derrière  les  murs  et  nous  restâmes  seuls 
au  milieu  de  la  fusillade...  » 

En  même  temps  que  commençait  l'incendie,  les  soldats  s'acharnaient  sur  les 
quelques  civils  qu'ils  découvrirent  au  village  et  sur  ceux  qu'ils  retenaient 
prisonniers.  Plusieurs  furent  tués  et  nous  allons  raconter  leur  martyre;  les 
autres  furent  mis  en  joue,  frappés,  torturés,  traînés  d'un  village  à  l'autre,  pour 
être  enfin,  épuisés  de  faim  et  de  fatigue,   rendus  à  la  liberté. 

Joseph  Burton  fut  témoin  du  meurtre  de  son  père.  Il  raconte  que,  rentré 
chez  lui  à  7  heures  du  matin,  il  dut,  pendant  toute  la  matinée,  pomper  de 
l'eau  pour  l'armée.  Il  entendit  lui  aussi  les  coups  de  feu  tirés  dans  la  direction 
d'Hastière  et  vit  brûler  la  maison  du  garde  et  la  salle  de  musique  qui  se  trouve 
à  peu  de  distance.  La  fusillade  redoubla,  puis  ce  furent  l'école  des  filles,  les 
maisons  Lamarche  et  Botin  qui  prirent  feu,  et  ainsi  de  suite  jusqu'à  la  place. 
On  n'entendit  bientôt  plus  que  des  hurlements  et  de  sauvages  cris  de  fureur. 
Vers  i5  heures,  alors  qu'il  continuait  à  débiter  de  l'eau,  il  fut  saisi  à  la  gorge, 
collé  contre  un  mur  et  menacé  d'être  fusillé  si  l'on  trouvait  chez  lui  des 
armes.  La  perquisition  fut  infructueuse.  Jeté  ensuite  dans  les  rangs  des  soldats, 
il  parcourut  «  comme  un  ballon  de  football  »,  dit-il,  une  distance  de  5o  mètres; 
puis,  couché  sur  une  brouette,  ies  soldats  lui  déboutonnèrent  la  jaquette,  faisant 
signe  de  le  percer  de  leur  baïonnette.  Libéré  par  un  officier  qui  passait  et 
qu'il  supplia  de  l'autoriser  à  se  rendre  dans  la  maison,  toute  voisine,  de  ses 
parents,  il  y  trouva  les  siens  terrifiés  et  blottis  dans  un  réduit.  Le  feu  venait 
d'être  mis  à  la  maison;  on  chercha  à  fuir  par  une  fenêtre  de  derrière,  donnant 
dans  le  verger  de  M.  Defacqz.  Au  moment  où  son  père,  Adolphe  BURTON  (fig.  29), 
56  ans,  escaladait  la  fenêtre,  un  soldat  braqua  sur  lui  son  fusil.  «  Ne  tirez  pas, 
c'est  mon  père!  »,  cria  Joseph  Burton;  son  père  put  encore  atteindre  une  haie 
voisine,  dans  laquelle  il  se  blottit.  Peu  de  temps  après,  Joseph  Burton,  joint  à 
un  groupe  de  prisonniers  civils,  vit  deux  soldats  quitter  les  rangs,  entrer  dans 
un  champ  attenant  au  verger  où  était  son  père,  et  tirer.  Le  vieillard  se  redressa, 
puis  retomba  en  poussant  un  grand  cri  :  il  était  mort.  Le  curé  de  Morville, 
put,  à  une  distance  de  dix  mètres,   lui  donner  l'absolution. 

Joseph  Burton  et  ses  compagnons  furent  encore  témoins  d'un  second  meurtr». 
Un  inconnu  qui  faisait  partie  de  leur  groupe  chercha  aussi  à  se  cacher  dans  la  haie  du 
verger  Defacqz  ;  mais  il  fut  aperçu  par  des  soldats,  qui  lui  arrachèrent  son  paletot, 
lui  lièrent  les  mains  derrière  le  dos  et  le  frappèrent  violemment  à  l'aide  de  crosses 
de  fusil;  puis  ils  le  poussèrent  contre  les  fils  de  fer  d'une  clôture  et  lui  tirèrent 
trois  coups  de  fusil  en  pleine  poitrine.  Le  malheureux  s'affaissa  sur  les  genoux,  à 
demi  retenu  par  la  clôture  métallique.  On  le  vit  encore  faire  un  effort  pour 
se  redresser,  le  sang  lui  jaillit  de  la  bouche  et  il  retomba  mort,  le  dos  contre 
terre.  Sous  les  yeux  des  prisonniers,  deux  porcs  vinrent  fouiller  et  retourner  le 
cadavre. 


12Ô 

Félicien  BAUDOIN  (fig.  32),  5ç  ans,  arrêté  au  moment  où  il  tâchait  de  rentrer 
dans  sa  maison,  jusque  là  préservée,  [ut  mené  à  une  extrémité  du  village  et  lié  à  une 
haie  par  une  grosse  corde,  à  côté  d'un  étranger  âgé  d'environtrente  ans.  Ils  y  furent 
tués.  Joseph  Libert  aperçut  leurs  cadavres  près  de  l'école  des  filles,  le  26  août  à 
4  heures  du  matin.  Un  autre  civil  inconnu  gisait  dans  le  fossé,  la  face  contre  terre, 
dans  le  vieux  chemin  de  Gérin,  au  croisement  de  la  route  d'Hastière. 

Cinq  cadavres  non  identifiés  furent  retrouvés  à  Anthée  et  nous  n'avons  réussi 
à  obtenir  de  détails  sur  aucun  d'eux. 

Xavier  DELHAYE,  ardoisier,  41  ans.  et  son  épouse  Céline  CRÉPIN,  45  ans, 
voulurent  revenir  à  la  soirée  dans  leur  maison  ravagée  (fig.  55);  ils  furent  surpris  et 
fusillés  séance  tenante.  Deux  enfants  de  8  et  de  6  ans  qui  les  accompagnaient  s'en- 
fuirent  et  purent  se  réfugier  au  château  d'Anthée. 

Revenons  au  groupe  des  échappés  de  Surice  dont  nous  avons  parlé.  Ils  furent, 
eux  aussi,  bien  près  d'être  mis  à  mort  dans  l'après-midi  du  25  août.  Des  soldats 
s'élancèrent  sur  le  curé  de  Gérin,  en  vociférant  et  en  le  menaçant  de  leur  arme.  Il 
passait  pour  le  curé  d'Anthée,  car  quelque  temps  après,  un  officier  demanda  à  un 
civil  :  «  Ce  n'est  donc  pas  le  curé  d'Anthée?  »  Vers  17  heures,  les  hommes  furent 
séparés  des  femmes.  On  leur  annonça  qu'  «  ils  allaient  être  fusillés  parce  qu'on 
avait  tiré  sur  les  troupes  ».  Ils  furent  emmenés  à  travers  le  village  qui  n'était  plus 
qu'un  immense  brasier  et  alignés  le  long  de  la  haie  Defacqs.  «  On  a  tiré,  criait 
un  officier  supérieur,  nous  allons  vous  juger  et  votre  sort  dépend  de  la  sentence.  » 
Il  tint  conseil  avec  deux  subalternes,  puis  vint  annoncer  qu'ils  pouvaient  retourner 
à  leur  village. 

Ils  regagnèrent  le  groupe  des  femmes  au  verger  Burton,  et  croyaient  venue  la 
délivrance,  lorsqu'ils  furent  repris  au  nombre  de  17.  par  des  soldats  du  iooe  régi- 
ment, qui  arrivait  à  Anthée  entre  17  et  18  heures  et  qui  les  emmena  vers  Rosée, 
ainsi  que  nous  le  raconterons  plus  loin. 

On  vit  se  continuer  le  26  août  les  mêmes  scènes  de  sauvagerie.  Joseph  Aneuse 
passa  à  Anthée  à  16  heures,  regagnant  Weillen.  «  Nous  ne  vîmes,  écrit— il,  aucun 
civil,  mais  des  troupes  passaient  toujours  à  grande  allure  sur  la  route  de  Philippe- 
ville.  Hommes  et  chevaux  étaient  fleuris.  Nous  fûmes  invités  avec  ironie  à  saluer 
le  mannequin  en  paille  d'un  soldat  français,  lié  sur  un  canon.  Bousculés  par  des 
officiers,  nous  dûmes  escalader  le  talus  qui  longeait  la  route;  puis  nous  fûmes 
rejetés  sur  la  chaussée,  avec  menace  d'être  fusillés  si  nous  quittions  encore  les 
grands  chemins.  Nous  arrivâmes  sur  la  grand'place  exténués  et  nous  nous  laissâmes 
choir  sur  des  chaises  d'église  que  les  soldats  y  avaient  amenées.  Le  feu  commen- 
çait à  consumer  les  maisons  de  la  place.  Les  Allemands  assis  sur  la  margelle  d'un 
puits  chantaient  et  jouaient  des  instruments,  tandis  que  leurs  camarades  empor- 
taient des  maisons  un  butin  de  toute  espèce.  A  peine  étaient-ils  sortis  d'un 
immeuble  qu'il  prenait  feu.  L'église,  ouverte,  présentait  un  aspect  lamentable.  Je 
crus  bien  que,  elle  aussi,  était  condamnée  à  périr,  car  j'y  vis  s'élever  de  grandes 
flammes  ».  On  trouva  une  quarantaine  de  chaises  brûlées  dans  la  nef  et  il  est 
permis  de  croire  que  les  soldats  allumèrent  ce  foyer  pour  faire  disparaître,  avec 
1  église  incendiée,  ies  traces  de  ieurs  saletés.  Le  bel  idifice  avait  été  transformé 
en  écurie;  les  planchers  du  maître-autel  et  de  la  sacristie  avaient  été  brûlés,  ainsi 


127 

que  quatre  socles  de  statue  et  la  porte  d'un  confessional  ;  les  soldats  avaient  essayé 
de  fracturer  le  tabernacle,  où  se  trouvait  la  sainte  réserve (fig.  42).  Heureusement  un 
aumônier    catholique    allemand   avait    transporté    au    château    de    la    Forge,    à    la 
demande  de  Mme  la  baronne  de  Rosée,  l'ostensoir  contenant  le  Saint  Sacrement,  qui 
était  resté  exposé  dans  le  tabernacle,  pendant  la  journée  du  zZ  août. 

Après  deux  jours  de  sauvagerie  incendiaire,  il  ne  restait  debout  à  Anthée  que 
l'église  et  trois  maisons  dans  le  fond  du  village,  à  savoir  la  maison  de  Joseph  Burton, 
qui  fut  respectée,  parce  qu'elle  est  proche  de  la  cabine  électrique  contenant  les 
accumulateurs;  la  maison  de  Gustave  Toussaint,  où  il  y  eut  un  commencement 
d'incendie,  et  celie  d'Alexandre  Watrice. 

Les  habitations  furent  toutes  pillées  avant  d'être  incendiées. 

Au  presbytère  (fig. 41)  et  à  la  maison  des  religieuses  périrent  les  archives  parois- 
siales, trois  calices,  un  riche  ostensoir  et  un  matériel  du  culte  considérable.  La 
commune  a  aussi  perdu  les  archives  civiles. 

Les  trois  maisons  sises  «  au  Grand  Bon  Dieu  »  et  la  petite  section  de  La  Forge 
furent  préservées. 

Le  hameau  de  Maurenne,  paroisse  d'Anthée,  fut  presque  complètement  détruit 
par  une  poignée  de  soldats,  dans  la  journée  du  25  août,  sous  les  yeux  des  habitants 
qui  étaient  restés  dans  leurs  maisons  et  que  les  incendiaires  parquèrent  ensuite  dans 
la  chapelle.  Sur  59  maisons,  i3  restèrent  indemnes  (1). 

Miavoye  seul  fut  respecté. 

Près  de  400  blessés  français  furent  soignés  au  château  d'Anthée  (2),  où  ils 
encombraient  les  appartements  et  la  cour.  Dans  la  journée  du  25  août,  la  paille 
souillée  sur  laquelle  gisaient  ces  malheureux  fut  brûlée  dans  une  prairie.  Quelques 
cartouches,  tombées  par  mégarde  des  vêtements  des  blesses,  vinrent  à  exploser, 
sans  d'ailleurs  atteindre  personne.  A  ce  moment  passaient  des  batteries  allemandes. 
Officiers  et  cavaliers  sautèrent  en  bas  de  leur  monture  et,  en  un  geste  fou,  déchar- 
gèrent fusils  et  revolvers  sur  le  monceau  de  paille,  en  criant  qu'il  s'y  cachait  des 
francs-tireurs.  Plusieurs  canons  furent  braqués  sur  l'ambulance,  comme  pour  la 
détruire,  et  on  menaçait  de  fusiller  les  hommes,  malgré  toutes  leurs  protestations 
d'innocence.  Il  fallut  des  pourparlers  de  plus  d'une  heure  pour  calmer  ces  forcenés. 
Ils  emmenèrent  sur  une  3uto  du  château  les  armes  des  blessés,  avec  un  otage,  qui 
put  heureusement  s'esquiver  la  nuit  suivante  et  ramener  l'auto. 

Le  village  d'Anthée  a  été  particulièrement  éprouvé  à  Surice  dans  la 
journée  du  25  août.  C'est  là  que  furent  surpris  et  fusillés  M.  l'abbé  Oscar  Piret,  curé 

(1)  A  savoir  les  maisons  Vital  Roly,  Louis  Vandegiste,  ferme  Jules  Lequeux  (où  écuries  et  granges  furent 
biûlées),  Félix  Pierrard,  l'école  et  l'habitation  de  l'instituteur,  Félicien  Bertrand,  Maurice  Bertrand,  Germiat, 
Stampe,  Martin  et  Vanderest. 

(2)  Le  13^  bataillon  de  chasseurs  séjourna  huit  jours  au  château,  à  partir  du  25  août,  chargé  de  la 
protection  dis  convois  et  de  l'ambulance.  Direction  du  Contentieux  et  de  la  Justice  militaire,  à  Paris,  dossier  317. 

Le  16  a_.it,  s'établit,  au  château  d'Anthée,  le  commandant  de  la  14°  division  (XII"  corps  de  réserve), 
général  von  Ehrenthal.  Il  parut  s'appliquer  à  faire  oublier  les  ravages  causés  par  ses  troupes  et  qu'il  ne  pouvait 
ignorer.  Il  mit  fin  à  l'ère  de  la  terreur.  Son  corps  sanitaire,  composé  d'une  dizaine  de  médecins,  prodigua  des 
soins  habiles  aux  blessés  français,  qui  furent  emmenés  le  2  septembre. 

Aucun  soldat  français  n'est  tombé  à  Anthée. 


128 

d'Anthée,  40  ans;  P\.  Félix  Jacques,  docteur  en  médecine,  57  ans;  Henri  Jacques 
son  fils,  16  ans;  Olivier  Delcour,  62  ans;  ses  deux  fils,  Arthur,  3o  ans,  et  Léon, 
19  ans;  Alphonse  Nassaut,  63  ans,  et  son  fils  Fernand,  19  ans,  tous  d'Anthée; 
également  trois  habitants  de  Miavoye,  André  Libert,  46  ans;  Jean-Baptiste  Libert, 
40  ans,  et  Olivier  Parmentier,  62  ans.  Joseph  Libert,  82  ans,  de  Maurenne,  fut  aussi 
tué  à  Surice  au  moment  où  il  cherchait  à  fuir  (voir  Surice  et  fig.  yy  à  98). 

Quittant  le  village  d'Anthée,  la  2.4e  division  de  réserve  se  dirigea  sur 
Morville,  pour  gagner  de  là  les  localités  qui  sont  à  la  périphérie  de 
Givet-Charlemont.  Le  chef  de  la  IIIe  armée  raconte  dans  ses  Mémoires 
que  le  24  août,  vers  14  ou  i5  heures,  lorsqu'ayant  traversé  le  champ  de 
bataille  de  Lenne-Onhaye,  il  se  rendit  à  Anthée,  un  combat  se  déroulait 
sur  la  hauteur  située  au  sud-ouest  de  Morville  entre  la  tête  de  la 
24e  division  et  une  arrière-garde  française  (1). 

§  3.  —  Agimonl. 

Dans  la  journée  du  24  août  et  à  la  soirée,  les  troupes  de  la  8e  brigade 
française  (général  Mangin)  continrent  au  nord  d'Agimont  et  refoulèrent 
sur  la  Meuse  des  éléments  du  XIXe  corps  allemand,  notamment  le 
2e  bataillon  du  106e  qui,  après  s'être  rendu  coupable  des  massacres 
d'Hermeton-sur-Meuse,  avait  gagné  la  ferme  des  Onches. 

Le  rapport  ci-dessous  fait  le  récit  de  ces  combats,  d'après  les  notes 
qu'ont  bien  voulu  nous  communiquer  le  général  Cadoux  et  la  Section 
historique  de  l'armée  française  ;  il  relate  aussi  les  événements  survenus 
au  village. 

N°  575.  Le    143e  d'infanterie    (colonel    Proie)    s'installa    à   Agimont    le    14  août.   Les 

habitants  vécurent  rassurés  jusqu'au  23,  car  les  soldats  affirmaient  que  l'ennemi  ne 
passerait  jamais  la  Meuse.  Le  22,  le  143e  partit  pour  Ermeton-sur-Biert  et  fut 
remplacé  par  des  troupes  de  réserve,  le  5e  bataillon  (commandant  Faugier)  du  3ioe 
(lieutenant-colonel  Pigault). 

Ce  bataillon  détacha,  le  23  août,  la  19e  compagnie  au  «  Bac-du-Prince  »  :  c'est 
elle  qui  chassa  les  Allemands  de  la  maison  de  léclusier  d'Hermeton-sur-Meuse. 

Le  24  août,  la  19e  compagnie  fut  relevée  au  «  Bac-du-Prince  »  par  les  17e  et 
20e  compagnies,  qui  firent  le  coup  de  feu  toute  la  matinée  contre  l'ennemi  qui 
passait  à  Hastière  et  Hermeton.  Attaquées  dans  l'après-midi,  elles  se  replièrent, 
recueillies  par  la  t8e  compagnie.  A  ce  moment,  le  bataillon  recevait  l'ordre  de 
rallier  la  5ie  division  de  réserve  à  Mariembourg,  où  il  arriva  le  lendemain  matin  à 
6  heures.  Quant  au  restant  de  la  division,  il  s'était  replié,  le  matin,  d'Onhaye  et 
d'Anthée,  sur  Mariembourg  et  Frasnes,  par  Rosée.  Vodecée  et  Sautour. 

(1)   Von  Hausen,  o.  c,  p.   i3g. 


129 

Le  même  24  août  à  t3  h.  3o  ou  14  heures,  le  colonel  Cadoux,  du  148e,  et  son 
Etat-Major  arrivèrent  à  Agimont,  avec  le  2e  bataillon  du  i48c(commandant  Graussaud) 
et  la  compagnie  hors-rang  (1).  Le  village  était  occupé  par  des  cuirassiers,  qui 
avaient  disposé  des  vedettes  sur  les  crêtes  nord,  dans  les  bois  des  Onches  et  de 
Vagne,  et  qui  reçurent,  à  16  heures,  l'ordre  de  se  replier  dans  la  direction  de 
Rocroi.  Le  ier  bataillon  du  148e,  commandant  Vannière,  qui  venait  aussi  d'arriver 
de  Hun-Rouillon,  fut  chargé  de  les  remplacer  et  prit  les  avant-postes,  s'établissant 
sur  les  hauteurs  boisées  au  nord  d'Agimont,  depuis  le  ruisseau  de  Soulme  à  l'ouest, 
jusqu'à  la  Meuse.  La  liaison  avec  le  45e,  que  commandait  à  Gochenée  le  général 
Mangin,  chef  de  la  brigade,  se  fit  sur  le  ruisseau.  A  \g  h.  3o,  l'alerte  fut  donnée 
dans  la  direction  du  N.  E.  (gare  de  Heer-Agimont)  ;  des  patrouilles  allemandes 
s'étaient  infiltrées  dans  le  bois  de  Vagne  et  des  Onches.  A  21  heures,  l'ennemi 
débordait  de  toutes  parts  dans  les  bois  et  la  fusillade  commença.  A  22  heures,  il 
atteignait  les  hauteurs  qui  dominent  Agimont  vers  le  N.  O.  On  signala  même  un 
groupe  de  cavalerie  et  des  cyclistes  poussant  leur  reconnaissance  jusqu'à  Gochenée. 
L'ennemi  vint  bientôt  à  l'attaque,  enfilant  de  ses  feux  la  rue  principale  du  village. 
D'autres  troupes  ennemies  se  glissaient  vers  le  «Bac  du  Prince»,  le  long  de  la  rive 
gauche  de  la  Meuse  et  commençaient  à  encercler  tes  Français.  Ceux-ci,  un  moment 
surpris,  s'étaient  ressaisis  et  se  défendirent  courageusement.  Deux  blessés  furent 
amenés  à  l'école  des  Religieuses  et  bientôt  évacués  par  l'ambulance.  Il  y  eut,  à 
d'autres  endroits,  quelques  blessés,  mais  aucun  mort.  A  22  h.  5o,  le  colonel  Cadoux, 
averti  d'une  menace  de  débordement  et  incapable  d'atteindre  le  général  commandant 
la  8e  brigade,  dut  se  résigner  à  abandonner  Agimont  sans  ordre,  tant  il  y  courait 
de  risque.  Il  dirigea  les  trains  et  le  régiment  sur  Petit-Doische  (Maison  Blanche) 
et  installa  ses  troupes  dans  les  fossés  de  la  route  de  Givet  à  Philippeville,  tandis 
que  le  train  gagnait  Doische.  La  retraite  se  poursuivit  le  25  août  à  3  h.  3o  sur 
Doische,  qu'occupait  le  colonel  Pétain  avec  le  1 10e  régiment  (4e  brigade).  A  la  suite 
de  ce  dernier  régiment,  les  troupes  du  colonel  Cadoux  gagnèrent  Vierves,  qu'elles 
eurent  la  mission  de  défendre  et  où  les  rejoignit  la  section  de  Capellis,  que  la 
2e  compagnie  avait  laissée  le  23  à  Rivière. 

Dans  la  matinée  du  25  août,  des  civils  d'Agimont  se  rendirent  sur  les  trieux 
avoisinant  le  village  et  y  trouvèrent  les  cadavres  de  7  soldats  allemands,  qu'ils 
enterrèrent  sur  place  ;  un  huitième,  atteint  de  deux  balles,  était  presque  mourant  ; 
il  fut  transporté,  avec  tous  les  ménagements  possibles,  à  l'hôpital  de  Givet. 

Cependant,  il  fallut  attendre  le  vendredi  28  août  à  10  heures  avant  que  l'ennemi 
prît  possession  du  village.  Dix  otages,  dont  le  bourgmestre  et  le  curé,  furent  conduits 

(1)  Ces  troupes  avaient  soutenu  la  veille  le  combat  d'Onhaye  et  couvraient  encore  ce  village,  au  matin 
du  24,  dans  les  directions  de  Sommière,  Bouvignes,  Dinant,  Waulsort  et  Hastière.  Le  bataillon  Bourdieu, 
du  45",  tenait  les  issues  du  village  et  campait  sur  la  grand'place.  Le  départ  (ut  ordonné  à  3  heures  du  matin. 
A  4  heures,  le  2e  bataillon  du  148e  se  mit  en  route  vers  Maurenne  et  Miavoye,  avee  le  45e  comme  avant-garde  ; 
à  5  h.  3o,  il  organisa  pour  la  défense  la  clairière  au  sud  de  Miavoye,  où  il  (ut  remplacé  à  8  h.  3o,  par  le 
bataillon  du  4s9.  Il  gagna  de  là,  sans  incident,  le  village  d'Agimont,  par  le  bois  du  Roi  et  Gochenée.  Il  [ut 
rejoint  à  Gochenée  par  le  détachement  du  capitaine  Boitel,  venant  de  Namur,  et  à  Agimont  par  le  icr  bataillon 
du  148  .  A  ce  moment,  un  bataillon  du  3ioe,  qui  gardait  la  route  Givet-Hermeton,  {ace  au  nord,  avait  déjà 
été  attaqué  par  des  forces  ennemies  venant  d'Hermeton,  et  avait  été  remplacé  par  un  bataillon  du  8e  d'infanterie 
(brigade  Pétain). 


i3o 

à  Vodelée  et  mis  en  présence  du  major  Kuchens,  du  i  33e  d'infanterie.  «M.  le  curé, 
dit  celui-ci  à  M.  l'abbé  Marloie,  vous  avez  tort  de  vous  allier  aux  Français!  Ils  sont 
en  déroute.  Moi,  je  dois  porter  la  guerre  en  France  ;  après  dans  le  Angleterre  et 
puis  peut-être  dans  le  Russie  !  »  Les  otages  furent  ramenés  à  Agimont,  à  la  nuit 
tombante,  et  presque  tous  les  hommes  du  village  furent  enfermés  dans  l'église,  où 
ils  passèrent  la  nuit  gardés  par  deux  soldats. 

Le  29  au  matin,  la  population  reçut  l'ordre  d'évacuer  le  village  dans  le  délai 
d'un  quart  d'heure.  Les  gens  gagnèrent  Rosée  et  Florennes,  pendant  le  bombarde- 
ment de  Charlemont,  et  trouvèrent  en  rentrant,  le  ier  septembre,  leurs  maisons 
pillées  et  prodigieusement  souillées.  Une  maison  avait  été  incendiée.  Deux  vieillards, 
Jean-Baptiste  Cotiaux  et  Jules  Caussin,  et  quelques  hommes,  qui  n'avaient  pas 
quitté  leurs  maisons,  passèrent  ces  journées  dans  la  terreur,  molestés  et  menacés 
de  mort  par  leurs  féroces  gardiens. 

§4.  —  Soulme. 

Sans  les  instantes  supplications  de  quelques  habitants  restés  à  Soulme, 
le  village  eût  été  détruit  par  le  feu  :  il  était  condamné  et  l'ordre  de  brûler 
fut  donné  le  25  août.  Les  Allemands  se  montrèrent  sans  doute  vexés  de 
ce  que  l'artillerie  française,  qui  avait  occupé  le  24  août  la  localité, 
avait  tiré  dans  la  direction  de  la  Meuse. 

Six  civils  furent  massacrés  sur  le  territoire  de  la  commune. 

Nous  annexons  deux  courts  rapports  sur  les  villages  voisins  de 
Gochenée  et  de  Vodelée,  où  deux  maisons  furent  détruites. 

No      6  Des   artilleurs    d'Arras    logèrent   à    Soulme   (1)    le    14   août    et    se    dirigèrent 

le  lendemain  sur  Onhaye.   Un  taube   survola   le   village   pendant   qu'ils   défilaient. 
Le  i5  au  soir,  il  vint  3oo  pontonniers. 

Les  Français  en  retraite  commencèrent  à  passer  le  24  à  to  heures  du  matin. 
Plusieurs  milliers  de  soldats  creusèrent  des  tranchées.  Le  27e  régiment  d'artillerie 
installa  une  douzaine  de  canons  près  de  l'église.  On  croyait  engager  un  combat 
contre  les  Allemands  venant  de  Morville  et  protéger  la  retraite  des  régiments 
d'arrière-garde  (8e,  1 10e,  148e  et  45e).  L'avant-garde  du  XIXe  corps  allemand  passa 
en  effet,  vers  17  heures,  à  proximité  du  village  et  prit  la  direction  de  Surice  : 
quelques  éclaireurs  d'abord,  suivis  de  troupes  en  rangs  serrés.  Les  Français  les 
laissèrent  passer  sans  tirer  un  coup  de  fusil,  mais  leur  artillerie  était  entrée  en 
action  à  i3  heures  dans  la  direction  de  Lenne  et  d'Hermeton-sur-Meuse  (2). 

(1)   Ce  récit  a  été  recueilli  de  la  bouche  du  curé  de  la  paroisse,  M.  l'abbé  Rifflet,  le  16  janvier  1915. 

(z)  C'était  tout  au  moins  la  ir6  batterie  du  27e  d'artillerie,  régiment  divisionnaire  de  la  s."  division,  et 
peut-être  le  rr  groupe  de  ce  régiment  qui  avaient  pris  place  entre  Gochenée  et  Soulme.  Il  est  à  croire  que 
l'artillerie  française  n'a  pas  aperçu  à  temps  la  colonne  allemande.  Il  ne  faut  pas  oublier  non  plus  que  le  rôle 
d'une  arrière-garde  n'est  pas  de  rechercher  le  combat,  quand  sa  mission  a  pris  fil,  car  on  ne  sait  pas  en  prin- 
cipe à  quelle  force  on  risque  de  rester  accroché. 


i3t 

Dans  la  journée,  toute  la  population  avait  fui,  à  l'exception  de  quelques 
personnes  :  M.  et  Mllc  Rigaux,  M.  Demareschal  et  la  famille  Dubois. 

Le  25  août,  à  4  heures  du  matin,  des  troupes  allemandes  refluant  de  Surice 
arrivaient  à  Soulme,  pour  s'emparer  de  l'artillerie  française,  mais  celle-ci  avait 
gagné,  dans  la  nuit,  Vodelée  et  Gimnée.  Ces  soldats  étaient  de  vrais  forcenés,  ils 
poussaient  des  hurlements  et  saccagèrent  en  un  moment  tout  le  village,  brisant  portes 
et  fenêtres,  pillant  les  maisons.  MM.  Dubois,  Rigaux  et  Demareschal  durent  aider 
à  charger  le  butin  sur  des  camions  qui  furent  dirigés  sur  Matagne. 

L'officier  qui  commandait  ces  bandits  donna  l'ordre  d'incendier  le  village  :  on 
les  vit,  munis  de  récipients  de  pétrole  et  d'essence,  allumer  plusieurs  foyers 
d'incendie.  Une  villageoise,  Mme  Dubois,  se  jeta  aux  genoux  de  l'officier,  deman- 
dant grâce.  D'abord  rebutée,  elle  insista  tellement  qu'elle  obtint  gain  de  cause  :  on 
éteignit  le  feu  qui  avait  pris  à  plusieurs  maisons.  Déjà  la  fumée  s'échappait  des 
fenêtres  brisées  du  presbytère  :  des  membres  des  familles  Dubois  et  Rigaux  purent 
jeter  au  dehors  les  matelas  enflammés  et  empêcher  le  désastre. 

Six  civils  avaient  trouvé  la  mort  à  l'arrivée  de  l'ennemi. 

Adolphe  LAMBOT,  24  ans,  de  Florennes,  qui  retournait  chez  lui  en  vélo, 
venant  de  Vireux,  muni  d'un  passeport  régulier,  fut  arrêté  sur  le  côté  du  village 
et  fusillé  séance  tenante. 

Trois  villageois  Ernest  MARÉE  (fig.  3o),  5o  ans,  Nestor  COGNAUX  (fig.  3t), 
29  ans  et  Joseph  Dubois,  qui  étaient  à  la  garde  du  bétail,  s'avancèrent  au  milieu  des 
champs  pourvoir  défiler  les  troupes.  Voyant  des  cavaliers  descendre  de  cheval  et 
mettre  le  genou  en  terre,  en  épaulant  leur  fusil,  Joseph  Dubois  se  jeta  sur  le  sol  et 
s'enfuit  en  rampant.  Ses  deux  compagnons  essuyèrent  la  fusillade  et  tombèrent 
blessés;  puis  les  cavaliers  se  précipitèrent  sur  eux  et,  malgré  leurs  supplications, 
les  achevèrent  à  coups  de  crosse  et  de  hachette.  On  les  retrouva  la  tête  fendue. 
Jean-François-DésiréGUISLAIN  (fig. 12g),  71  ans,  échappé  de  Surice,  fut  tué  à  l'orée 
du  bois  de  Dave. 

Deux  inconnus,  âgés  l'un  d'environ  40  ans,  l'autre  d'environ  25  ans,  furent 
fusillés  le  25  août,  près  du  moulin,  au  lieu  dit  «  Dorélu  »  ;  on  retrouva  leurs  cadavres 
liés  ensemble. 

Mercredi,  26  août,  la  plupart  des  habitants  étaient  rentrés  lorsque,  vers 
17  heures,  le  1 33e  saxon  occupa  le  village,  jusqu'au  lundi  suivant.  Des  batteries  de 
siège  autrichiennes  s'installèrent  près  de  la  scierie,  entre  Soulme  et  Gochenée,  et 
se  préparèrent  au  bombardement  du  fort  de  Charlemont.  Celui-ci  commença  le 
samedi  et  cessa  dans  la  nuit  de  dimanche  à  lundi. 

Le  curé  et  le  bourgmestre  furent  retenus  tout  le  temps  comme  otages,  au 
corps  de  garde. 

Le  27  août  à  17  heures,  on  annonça  l'arrivée  de  chasseurs  français,  qui  firent, 
en  effet,  une  courte  démonstration  dans  la  direction  de  Soulme,  puis  regagnèrent 
Charlemont.  Craignant  une  débâcle,  les  soldats  se  préparèrent  à  fusiller  les  otages, 
et  ceux-ci  croyaient  leur  fin  arrivée,   quand  un  officier  décommanda  l'exécution. 

Samedi  29  août,  les  habitants  durent  évacuer  le  village,  pour  gagner  Merlemont 
et  Villers-le-Gambon  ;  ils  revinrent  le  lendemain  et  les  jours  suivants.  Lorsqu'ils 
traversèrent,  le  2  septembre,  le  village  de  Surice,  des  cadavres  de  soldats  français 
et  de  femmes  gisaient  encore  sans  sépulture. 


»32 

N°  577.  Dans  l'après-midi  du  24,  des  uhlans  voulurent  pénétrer  à  Gocbenée,  mais  les 

Français,  qui  occupaient  le  village  —  leurs  postes  les  plus  avancés  ne  dépassaient 
probablement  pas  les  jardins  des  deux  maisons  de  «  Butia  »  près  de  l'ancienne 
cure  —  tirèrent  sur  ces  éclaireurs  et  en  tuèrent  deux  (1);  les  autres  rebroussèrent 
chemin.  Pendant  l'escarmouche,  on  entendit  les  balles  siffler  dans  les  rues  et  les 
habitants  s'enfuirent  vers  Doische  et  Treignes,  où  les  rejoignirent,  le  lendemain, 
les  troupes  allemandes. 

Les*Saxons  avaient  aussi  essayé  de  passer  le  24  août  par  la  ferme  des  Onches, 
mais  nous  avons  raconté  ailleurs  qu'ils  avaient  rebroussé  chemin. 

Des  uhlans  arrivèrent  le  24  août  au  soir  à  l'hôtel  Dumont,  sur  l'Hermeton, 
entre  Gochenée  et  Soulme. 

Le  2,5  de  bon  matin,  des  fantassins  venant  de  Morville  ou  d'Insemont  vinrent 
camper  au-dessus  de  Soulme. 

Ce  n'est  que  dans  l'après-midi  du  26  que  les  premiers  Allemands  occupèrent 
le  village  même  :  ils  venaient  de  Spontin  et  appartenaient  au  1 33e  de  réserve.  Le 
28,  le  père  de  l'instituteur  fut  arrêté  et  jeté,  les  mains  liées,  dans  une  écurie  :  on 
avait  trouvé  dans  sa  grange  quelques  cartouches  abandonnées  par  les  Français.  Le 
soir,  il  fut  mis  en  tête  des  troupes  qui  partaient  vers  Givet.  Les  émotions  de  cette 
arrestation  le  conduisirent  au  tombeau. 

Le  29,  de  lourdes  pièces  de  siège,  installées  au  village,  entrèrent  en  action 
contre  le  fort  de  Charlemont  et  tirèrent  jusqu'au  mardi  suivant.  La  population  passa 
trois  nuits  dans  les  bois  de  Rosée.  Au  retour,  elle  trouva  les  maisons  pillées. 

N°  578.  Le    14   août,    à    9   heures,    Vodelée    reçut    avec    enthousiasme    les    artilleurs 

français,  qui  partirent  le  lendemain  à  4  heures. 

Dans  l'après-midi  du  24  août,  des  Français  firent  halte  pour  se  ravitailler  et 
annoncèrent  que  l'ennemi  était  proche.  S'il  ne  vint  pas  le  jour  même,  c'est  qu'il  fut 
repoussé  à  la  carrière  du  «  Rond  Tienne  »,  territoire  d'Agimont. 

Dans  la  nuit  suivante,  presque  tous  les  habitants  s'enfuirent  affolés  par  les 
clameurs  qui  venaient  de  Surice. 

Le  25  août  à  8  heures,  une  avant-garde  de  uhlans  traversa  Vodelée.  Elle  fut 
suivie  à  8  h.  3o  d'une  première  colonne,  et  à  1  3  heures  d'une  seconde  colonne  de 
soldats  appartenant  au  XIXe  corps  et  venant  de  Surice.  Vexés  de  trouver  le  village 
abandonné,  ils  brisèrent  portes  et  fenêtres  et  pillèrent  de  nombreuses  maisons.  Le 
feu  fut  mis  chez  la  veuve  Joseph  Dossart-Dumont  et  chez  Joseph  Bouty-Golinvaux, 
ainsi  qu'à  la  grange  du  bourgmestre,  M.  Anatole  Minet. 

Tout  le  village  aurait  péri  si  quelques  habitants  restés  chez  eux  n'avaient  réussi 
à  parlementer.  A  22  heures,  les  troupes  s'étaient  éloignées. 

Le  27  août  à  4  heures,  le  major  Kuchens,  du  i33e  de  réserve  de  Chemnitz, 
obligea  le  curé,  M.  Sibille,  à  se  lever,  à  rassembler  la  population  dans  l'église  et  à 
lui  lire  une  proclamation  sévère. 

Le  29,  les  gens  se  retirèrent  dans  des  carrières  ou  gagnèrent  la  région  de 
Florennes-Philippeville,  jusqu'à  la  chute  du  fort  de  Givet. 

(1)  L'un  d'eux  (ut  inhumé  au  bois  de  La  Croisette,  l'autre  près  du  bois  Plantet.  Les  chevaux  qu'ils 
montaient  tombèrent  à  5oo  mètres  de  distance  l'un  de  l'autre;  on  retrouva  près  d'un  cheval  les  restes  d'un 
petit  (eu  de  papier,  comme  si  le  cavalier,  d'abord    blessé,  avait  eu  le  temps  de  brûler  les  documents  qu'il  portait. 


i33 
§  5.   —  Gimnée. 

A  Gimnée,  ni  massacres,  ni  incendies  ;  mais  la  population  a  gardé 
le  souvenir  d'une  scène  atroce.  Dans  la  nuit  du  26  au  27  août,  l'église 
illuminée  se  signalait  comme  un  phare  au  fort  de  Givet,  qui  se  mit  à  la 
bombarder.  Or  les  Allemands,  dans  un  sentiment  d'inexplicable  cruauté, 
y  avaient  enfermé  tous  les  hommes!  Ils  passèrent  une  nuit  horrible, 
tandis  que  les  obus  sifflaient  autour  d'eux;  ils  n'attendaient  que  le 
moment  où  ils  seraient  écrasés  sous  les  décombres  de  l'édifice.  Le  récit 
de  ces  faits  a  été  obtenu,  en  1915,  de  M,  l'abbé  Bouchât,  curé  à  Gimnée. 

Les  faits  concernant  Doische  —  où  fut  massacré  un  pauvre  sourd- 
muet  —  et  Vaucelles  sont  consignés  dans  les  rapports  nos  58o  et  58 1. 

N°  579.  Le  20  août,  un  convoi  de  ravitaillement  et  de  munitions  de  l'armée  française 

campa  à  Gimnée.  Le  i3  fut  une  journée  de  fièvre;  des  gens  venant  des  régions 
envahies  fuyaient  devant  les  barbares  et  nous  criaient  leur  horreur.  Le  24  au 
matin,  des  soldats  de  la  garnison  de  Namur  arrivèrent,  noirs  de  poussière  et 
harassés  de  fatigue,  se  dirigeant  vers  Mariembourg  et  Couvin.  Le  soir,  on  vit 
refluer  des  troupes  françaises  qui  arrivaient  de  Surice  et  Romedenne;  elles 
passèrent  la  nuit  au  village,  pour  prendre  un  peu  de  repos.  Vers  20  heures,  on  vit 
des  flammes  jaillir  de  Surice  et  de  Romedenne.  Durant  toute  la  nuit,  les  gens  se 
tinrent  prêts  à  partir  à  la  moindre  alerte.  La  fuite  s'acheva  le  25,  vers  4  heures  du 
matin,  «  Sauvez-vous,  criait  un  officier  français  en  parcourant  le  village,  les 
Allemands  mettent  tout  à  feu  et  à  sang!  »  Une  douzaine  de  civils,  dont  le  bourg- 
mestre, restèrent  chez  eux 

Le  25  août  à  8  heures,  on  vit  venir  les  uhlans,  bientôt  suivis  du  gros  des 
troupes.  A  midi  le  village  était  rempli  d'artillerie.  La  journée  se  passa  sans  autres 
incidents  que  des  bris  de  portes  et  de  fenêtres  et  des  faits  de  pillage.  A  la  soirée, 
les  habitants  qui  avaient  fui  dans  les  environs,  apprenant  que  les  soldats  s'abste- 
naient de  violences  graves,  revinrent  peu  à  peu  et  assistèrent  au  départ  des  troupes 
qui  s'en  allaient,  en  chantant  victoire,  à  la  poursuite  des  Français.  Ils  veillèrent 
pendant  toute  la  nuit  suivante,  Surice  et  Romedenne  achevaient  de  se  consumer  et 
formaient  encore  deux  immenses  brasiers.  On  redoutait  le  même  sort,  car  des 
officiers  avaient  dit  que  Gimnée  serait  brûlé. 

La  matinée  du  26  août  fut  calme.  Vers  20  heures,  la  tranquillité  cessa 
subitement,  pour  faire  place  à  la  terreur  et  à  l'effroi.  En  quelques  minutes,  le 
village  fut  cerné  et  de  nouvelles  troupes  l'envahirent  à  l'instar  de  bêtes  féroces, 
défonçant  les  portes  et  les  fenêtres  à  coups  de  hache,  chassant  les  gens  des 
maisons,  rangeant  les  hommes  le  long  des  murs,  comme  pour  les  fusiller.  Bientôt 
on  mena  les  hommes  —  villageois  et  étrangers,  au  nombre  de  plus  de  quatre  cents 
—  dans  l'église  paroissiale.  Les  soldats  firent  allumer  les  lampes  et  tout  le 
luminaire  disponible.  Il  était  23  heures  et  l'église  était  illuminée  comme  pour  la 
messe  de  minuit,  au  jour  de  la  Noël,  lorsque  retentit  soudain,  dans  le  silence  de  la 


i  34 

nuit,  le  fracas  d'un  obus  qui  venait  d'éclater  dans  les  environs.  Le  fort  de  Charle- 
mont  prenait  comme  objectif  l'édifice  éclatant  de  lumière.  Alors  ce  fut  une  panique 
épouvantable.  On  s'étendit  en  dessous  des  bancs,  le  long  des  murailles  et  dans  les 
coins.  Tout  le  monde  tremblait,  priait,  se  préparait  à  la  mort.  Le  point  semblait  bien 
repéré  et  on  n'en  pouvait  clouter,  l'édifice  allait  s'écrouler,  ensevelissant  la  foule 
sous  les  ruines.  Fuir  était  impossible,  car  des  sentinelles,  l'arme  au  poing,  veillaient. 

L'émoi  s'accrut  quand,  du  jubé,  des  soldats  se  mirent  à  tirer  des  coups  de  feu. 
Enfin,  ils  firent  éteindre  les  lumières.  Mais  le  bombardement  se  poursuivit  encore 
pendant  quelque  temps,  jusqu'à  ce  que,  a-t-on  dit,  un  habitant  de  Vaucelles  eut 
prévenu  le  commandant  du  fort  de  Givet.  Plus  de  vingt  obus  vinrent,  en  sifflant, 
s'écraser  aux  alentours  de  l'église. 

Le  lendemain,  nouvel  émoi.  Le  bruit  s'était  répandu  qu'on  précéderait  les 
troupes  à  l'attaque  du  fort  de  Givet.  De  profondes  tranchées  avaient  été  creusées  à 
l'est,  le  cimetière  avait  été  converti  en  forteresse,  des  réseaux  de  fils  de  fer  étaient 
tendus  de  tous  côtés. 

Après  avoir  passé  dans  ce  lamentable  état  deux  jours  et  deux  nuits,  les  hommes 
furent  libérés.  Ils  avaient  vieilli  de  plusieurs  années. 

Le  vendredi  à  midi,  il  fallut  partir  pour  Matagne,  Merlemont  et  Sautour, 
jusqu'au  1er  septembre. 

Quand  les  habitants  revinrent,  après  la  chute  de  Givet,  ils  trouvèrent  les 
maisons  saccagées.  A  l'église,  les  soldats  avaUnt  dormi  dans  les  ornements  sacer- 
dotaux,  et  utilisé  les  linges  d'autel  pour  nettoyer  leurs  armes.  Douze  otages 
passèrent  encore  la  nuit  à  l'église  et  accompagnèrent  les  troupes,  le  lendemain, 
dans  la  direction  de  Mazée. 

N°  58o.  Doische  est  situé  à  cinq  kilomètres  de  Givet. 

Quatre  uhlans  se  présentèrent  le  28  août  à  10  heures,  venant  de  Gimnée.  En 
l'absence  du  bourgmestre,  le  curé,  M.  Pirmez,  alla  à  leur  rencontre.  A  14  heures, 
une  douzaine  d'autres  éclaireurs,  venus  aussi  de  Gimnée,  se  dirigèrent  vers  Foische 
(France).  A  19  heures,  plusieurs  compagnies  ayant  avec  elles  de  l'artillerie  vinrent 
prendre  position,  en  vue  de  l'attaque  de  Givet. 

Le  29  août,  à  4  heures  du  matin,  le  bourgmestre  fut  requis  de  porter  de  maison 
en  maison  l'ordre  d'évacuation.  Celle-ci  dura  jusqu'au  ter  septembre. 

Un  pauvre  sourd-muet,  Joseph  DUMONCEAU,  44  ans,  né  à  Opont,  occupé  à  la 
ferme  d'Hector  Anceau,  était  resté  à  Doische.  Quand  les  réservistes  saxons  entrèrent 
à  la  ferme,  ils  le  harcelèrent  de  questions.  Comme  le  malheureux  ne  répondait  pas, 
ils  le  rouèrent  de  coups,  le  poussèrent  brutalement  au  dehors  et  le  fusillèrent  en 
face  de  l'église,  où  il  resta  sans  sépulture  jusqu'au  retour  des  habitants. 

Quand  ceux-ci  revinrent,  le  2  septembre,  les  maisons  étaient  pillées  et  souillées, 
le  linge  emporté  ou  détérioré,  les  meubles  enlevés.  Au  presbytère,  les  soldats 
avaient  pris  la  coupe  d'un  calice  et  une  pièce  d'un  riche  ostensoir,  ils  avaient  brisé 
le  reliquaire  de  saint  Georges. 

Cinquante  personnes  avaient  gagné  la  France  et  ne  revinrent  qu'après 
l'armistice. 

En  regagnant  sa  paroisse  le  1er  septembre,  le  curé  fut  arrêté  à  Vodecée,  conduit 
à  Rosée  et  à  Dinant,  où  il  réussit  à  obtenir  un  passeport  de  libération. 


i35 

En  ces  journées,  des  troupes  allemandes  passèrent  à  Gimnée  et  à  Niverlée,  mais 
elles  n'osèrent  pénétrer  à  Vaucelles,  que  protégeait  Charlemont.  Ce  n'est  que  le 
samedi  29  août,  à  2  heures  du  matin,  qu'une  colonne  d'infanterie,  précédée  d'un 
piquet  de  cavalerie,  se  répandit  dans  le  village.  Les  soldats  envahirent  tout,  non 
sans  effrayer  les  habitants  par  le  récit  de  leurs  exploits  à  Spontin  et  à  Dinant. 
«  Moi,  pastor  Spontin,  pan!  »,  disait  l'un  d'eux  à  l'instituteur,  M.  Maistriaux. 
«  Fouî!  la  belle  Dinant,  kapout!  »,  criait  un  autre.  A  10  heures,  un  officier  donna 
l'ordre  d'évacuer  le  village.  On  se  rendit  à  Mazée,  à  Treignes,  à  Matagne  et  à 
Vil!ers~le-Gambon;  et  lorsqu'on  revint,  le  mercredi  suivant,  on  constata  qu'aucune 
maison  n'avait  échappé  au  vandalisme  de  ces  féroces  saxons.  Des  soldats  parcou- 
raient  plaisamment  les  rues  affublés  des  soutanes  du  desservant. 


II.  —  L'avance  du  XIIe  corps. 

Le  XIIe  corps  actif  (général  von  Eisa)  (1),  IIIe  armée  allemande, 
atteignit  la  Meuse  au  matin  du  23  août.  «  Sous  la  protection  du  feu 
de  l'artillerie,  écrit  le  général  von  Hausen,  le  XIIe  corps  avança  sa 
32e  division  sur  Houx  et  sa  23e  division  sur  Dinant  (2).  »  «La  32e  division, 
écrit-il  ensuite,  réussit  à  prendre  pied  à  Leffe  et  la  23e  aux  Rivages,  avec 
de  faibles  sections  (3).  » 

C'est  plutôt  dans  la  région  de  Houx-Leffe  que  la  32e  division  avait 
atteint  la  vallée.  Le  178e  était  arrivé  le  premier  à  Leffe,  s'avançant  à  la 
fois  par  les  hauteurs  et  par  le  ravin  dans  lequel  est  situé  le  populeux 
faubourg  ;  c'est  l'auteur  des  monstrueux  massacres  qui  ensanglantèrent 
cette  paroisse.  Le  io3e  quitta  Lisogne  à  16  h-  3o  et  vint  prêter  main-forte 
au  178e  :  on  le  retrouve  déjà  à  Bouvignes  à  17  h.  3o,  tuant  les  civils  qui 
paraissent  dans  les  rues.  Quant  aux  102e  et  177e,  qui  avaient  combattu 
du  côté  de  Houx,  ils  arrivèrent  à  Leffe  à  22  heures;  le  177e  y  fusilla 
encore  des  civils  en  pleine  nuit  et  le  102e  s'y  distingua  par  le  massacre 
de  deux  religieux  Prémontrés. 

Ces  régiments  passèrent  la  Meuse  au  pont  de  Leffe  et  se  dirigèrent 
sur  Rostenne,  Sommière,  Weillen,  Falaën,  Morville,  Rosée. 

La  23e  division  envahit  la  ville  même  de  Dinant.  Le  to8e  et  le  182e, 
descendus  dès  7  heures  du  matin  par  la  rue  Saint-Jacques,  versèrent  le 
sang  des  civils  à  la  ferme  de  Malaise,  à  la  rue  des  Tanneries  et  dans  de 
nombreux  massacres  isolés  du  quartier  Saint-Pierre.  Le  sinistre  100e  qui, 

(1)  Voir  tome  IV,  p.   12  et  81. 

(2)  Von  Hausbn,  Erinnerungen,  o.  c,  p.   126. 
'3)  Ibid. ,  p.  i3o. 


t36 

dès  6  heures  du  matin,  dévalait  en  ville  par  la  Montagne  de  la  Croix  et 
commençait  la  chasse  à  l'homme  dans  le  faubourg  Saint-Nicolas,  et 
te  101e,  arrivé  aux  premières  heures  de  l'après-midi  par  la  route  du 
Froidvau,  sont  les  régiments  dont  les  noms  resteront  attachés  aux 
massacres  du  mur  Tschoffen,  du  rocher  Bayard  et  de  l'aqueduc  deNeffe. 

Les  régiments  108e  et  182e  passèrent  la  Meuse  au  pont  de  Leffe, 
les  100e  et  101e  la  traversèrent  aux  Rivages;  ils  rejoignirent  la  32e  division 
à  Rosée,  par  la  route  d'Onhaye,  Gérin,  Anthée  (1).  A  partir  de  Rosée, 
leur  itinéraire  fut  commun  (2). 

Que  fallait-il  attendre  de  troupes  qui  s'étaient  fait  ainsi  la  main  à 
tous  les  crimes?  Telles  elles  avaient  été  à  Dînant,  telles  elles  furent  dans 
l'Entre-Sambre-et-Meuse.  Relevons  entre  autres  que  le  100e  et  le  io3e 
ont  saccagé  Franchimont,  le  100e,  le'ioi6  et  le  102e  Villers-en-Fagne  ; 
le  108e  et  le  182e  se  sont  distingués  à  Onhaye,  à  Flavion,  à  Couvin  et  y 
ont  massacré  l'abbé  Gilles;  le  178e  est  l'auteur  de  la  tuerie  de  Flun.  Tous 
ont  leur  part  dans  les  destructions  et  les  meurtres  que  nous  allons  relever 
presque  à  chaque  pas  :  à  Sommière.  à  Weillen,  à  Onhaye,  à  Anthée,  à 
Morville,  à  Rosée,  à  Villers-le-Gambon,  à  Nismes,  à  Petigny... 

Von  Hausen  écrit  que,  arrivant,  le  25  au  soir,  au  château  de  Merle- 
mont  (voir  fig.  58),  «  il  apprit  que  les  troupes,  dans  le  courant  de  la 
journée,  n'avaient  pas  seulement  eu  à  briser  la  résistance  d'arrière-gardes 
françaises,  notamment  à  Samart,  à  Villers-en-Fagne  et  à  Mariembourg, 
mais  qu'elles  avaient  aussi  eu  fort  à  souffrir  de  l'hostilité  de  la  population 
civile.  En  maint  endroit,  les  habitants  étaient  sortis  des  maisons, 
combattant  et  soutenant  les  Français;  mais,  de  préférence,  ils  laissaient 
les  Allemands  traverser  tranquillement  une  localité  et  ils  s'attaquaient 
alors  de  façon  sournoise  et  par  derrière  aux  Etats-Majors,  aux  trains 
d'arrière  et  même  aux  transports  de  blessés  (3)  ». 

C'est  ainsi  qu'un  chef  d'armée  allemande  écrit  l'histoire!  Il  était  là. 
en  tête  de  ses  troupes,  et  il  a  pu  se  rendre  compte  par  lui-même  que, 
partout,  devant  lui,  les  habitants  avaient  fui.  Que  pouvaient  donc  faire 
quelques  vieillards,  quelques  infirmes,  contre  des  troupes  nombreuses 
et  exercées  ! 

(t)  Bien  que  les  villages  d'Onhaye,  Gérin  et  Anthée  se  trouvent  sur  l'itinéraire  du  XIIP  corps,  nous  avons 
été  amenés  à  traiter  ailleurs  leur  histoire.  La  première  de  ces  localités  intéresse  le  XIXe  corps,  qui  y  a  soutenu 
le  combat  du  23  août,  et  les  deux  dernières  ont  aussi  été  traversées  par  la  24e  division  de  réserve. 

(2)  A  consulter  sur  cet  itinéraire  :  von  Hausen,  Erinnerungen,  o.  c,  p.  16;  Die  Schlachien  und  Gefecble, 
p.  16  ;  de  Dampierre,  Carnels  de  route,  o.  c,  p.  27  ;  Les  Violai  ions,  o.  c,  p.  89  et  114. 

(3)  'Erinnerungen,  p.   145. 


i37 


i .   —  oommiere. 


Ce  village,  situé  au  sommet  du  plateau  qui  domine  Bouvignes,  fut 
violemment  bombardé  le  23  août  et  la  population  s'enfuit,  à  l'exception 
d'une  femme  et  de  trois  hommes,  dont  un  fut  tué  le  lendemain. 

L'ennemi  arriva  le  24  août  de  bon  matin.  A  en  croire  un  témoin 
allemand  qui  est  passé  à  Sommière,  «  le  178e  régiment  avait  déjà  fait 
une  marche  de  nuit  sur  la  hauteur,  par  une  route  en  lacets,  vers 
Rostenne  (t)  »  où  il  arriva  à  5  heures.  Il  ajoute  que,  de  Sommière,  le 
178e  «  fit  un  grand  crochet  en  quittant  la  route  de  Philippeville,  pour 
gagner  Morville  par  Weillen  et  Falaën  ».  Arrivé  à  Morville  le  24  à 
22  heures,  il  en  partit  le  25  à  9  heures  pour  gagner  Rosée  (2). 

Le  rapport  que  nous  faisons  suivre  est  du  curé  de  Sommière, 
M.   l'abbé  Gilles. 

N°  582.  Du  t5  au  a3  août,  le  village  fut  occupé  par  plusieurs  milliers  de  Français,  du 

pays  de  Saint-Omer,  qui  ont  laissé  d'excellents  souvenirs.  Le  capitaine  About,  com- 
mandant la  11e  compagnie  du  8e  d'infanterie,  occupa  le  presbytère.  Les  troupes  et 
l'artillerie  s'installèrent  dans  les  fermes  voisines  de  l'église,  creusant  des  tranchées 
aux  abords  du  village  et  surveillant  l'activité  de  l'ennemi.  Presque  tous  les  soldats 
s'approchèrent  des  sacrements,  bien  qu'ils  l'eussent  déjà  fait  avant  de  quitter  la 
France.  Le  i5  août,  la  grand'messe  fut  troublée  par  le  son,  tout  proche,  du  canon 
et,  à  la  sortie  de  l'office,  vers  1 1  h  Zo,  un  officier  nous  prévint  que  le  village  allait 
être  bombardé.  Beaucoup  de  familles  partirent  aussitôt  pour  Weillen,  Falaën  et 
Sosoye.  Le  curé  se  rendit  jusqu'au  lendemain  à  la  ferme  d'Hontoir. 

Le  23  août,  le  canon  commença  à  gronder  à  6  heures.  On  apercevait  au-dessus 
des  lignes  allemandes  un  ballon  captif.  Une  messe  basse  fut  dite  à  7  h.  3o  et  suivie 
par  une  vingtaine  de  personnes.  A  l'évangile,  on  vint  crier  que  des  obus  allemands 
tombaient  dans  le  village,  venant  de  Gemmechenne,  qui  n'est  guère  distant  à  vol 
d'oiseau  que  de  deux  kilomètres;  alors  les  derniers  habitants,  affolés  déjà  par  les 
incendies  qu'ils  avaient  aperçus  sur  l'autre  rive,  s'enfuirent;  le  curé  emporta  le 
Saint-Sacrement  et  se  rendit  à  la  ferme  de  Ftrout  (Weillen). 

Dix-huit  obus  tombèrent  autour  de  l'église  et  la  tour  fut  atteinte  à  9  h.  Zo.  Ce 
sont  des  obus  qui  mirent  le  feu  à  la  ferme  d'Alexis  Gérard,  à  Rostenne,  et  à  l'étable 
de  la  ferme  Bouchât,  à  côté  de  l'église. 

Le  27e  d'artillerie  français  riposta  de  la  drève  des  fermes  d'Hontoir,  de 
16  à  18  heures. 

Trois  hommes  et  une  femme  (3)  restaient  au  village  quand  le  178e  y  pénétra 
dans   la   matinée   du   24   août,    en   poussant  des   cris   sauvages,    qui  les  glacèrent 

(1)  De  Dampierre,  Carne/s  de  roule,  o.  c,  p.  24. 

(2)  Ibid. ,  p.  26-27. 

(3)  Joseph   Rolin,    Désiré   Dave,    Désiré   Deleuse  et   Mathilde  Jacquet,   épouse   Ferdinand   Pierre. 


i38 

d'effroi.  Les  maisons  furent  pillées;  les  chevaux,  le  bétail,  la  volaille  furent  enlevés 
des  étables.  Treize  chevaux  furent  pris,  notamment  à  la  ferme  Jules  Bouchât. 
La  porte  de  l'église  fut  fracturée,  les  troncs  violés,  les  bijoux  de  la  statue  de  la 
Vierge  enlevés. 

Désiré  DELEUSE  (fig.  46),  62.  ans,  ancien  garde-champêtre  et  sous-officier  de 
l'armée,  fut  tué  le  2.5  à  10  heures,  dans  les  circonstances  suivantes.  Des  soldats 
lui  demandèrent  de  leur  renseigner,  sur  une  carte,  le  chemin  de  Weillen.  Comme 
il  le  leur  indiquait,  ajoutant  quelques  explications,  ils  se  saisirent  brusquement  de 
lui  et  le  fusillèrent  dans  la  cour  de  sa  maison,  à  laquelle  ils  mirent  ensuite  le  feu. 

Cinq  autres  habitants  furent  fusillés  à  Flun,  dans  une  métairie  située  sur  la 
route  de  Falaën  à  Weillen  (voir  rapport  n°  584  et  planche  n°  4)  (fig.  43  à  49, 
53  et  54). 

Le  drapeau  national  qui  flottait  à  la  tour  de  l'église  fut  abattu  à  coups  de  fusil 
et  brûlé  dans  une  écurie  voisine. 

La  terreur  continuait  à  régner.  Quelques  hommes  qui  avaient  voulu  revenir 
furent  mis  au  mur  et  on  ne  sait  comment  ils  eurent  la  vie  sauve;  ils  durent  pendant 
des  journées  donner  à  boire  aux  hommes  et  aux  chevaux. 

Environ  joo  prisonniers,  belges  et  français,  venant  de  Bioul,  passèrent  à 
Sommière  le  25  août. 

Cependant  les  soldats  recherchaient  activement  le  curé.  Prévenu  à  temps, 
celui-ci  revêtit  des  habits  civils  et  s'abrita  d'abord  à  la  ferme  de  Stroul,  puis  au 
presbytère  de  Falaën.  Un  mois  se  passa  avant  qu'il  pût  reprendre  ses  fonctions 
sans  danger. 

§  2.   _  Weillen. 

Le  23  août,  pendant  la  messe  de  10  heures,  un  cri  retentit  :  «  Ils 
ont  passé  la  Meuse  !  »  Les  assistants  se  précipitèrent  au  dehors  et  toute 
la  population  s'enfuit. 

Il  restait  quelques  personnes  seulement  dans  les  maisons  quand 
l'ennemi  parut,  le  24  août,  à  6  heures  du  matin. 

Le  village  fut  pillé  (1)  ;   une  maison  fut  incendiée  (rapport  n°  583). 

Un  horrible  drame  se  déroula  à  Flun,  sur  le  chemin  de  Falaën,  le 
24  août  à  14  h.  3o.  Cinq  personnes  de  Sommière  qui  s'y  étaient  réfugiées 
dans  la  ferme  d'Olivier  Mathieu,  y  furent  massacrées,  avec  le  propriétaire 
et  son  fils,  par  les  éclaireurs  qui  précédaient  le  178e  (rapport  n°  584  et 
fig.  43  à  49,  53  et  54). 

(1)  Le  sou.i-officier  Hugo  Hoppert,  de  la  3e  batt.  du  2r/  rég.  d'art,  de  camp,  du  XIIe  corps  de  réserve, 
prisonnier  de  guerre,  a  déposé  ce  qui  suit.  «  Le  25  août,  nous  arrivâmes  à  4  h.  i5  du  matin  à  Weillen.  La  cure 
et  l'école  furent  pillées,  parce  que  le  curé  avait  promis  20  mks  par  tête  d'Allemand.  Il  {ut  pendu.  »  Allusion  aux 
accusations  proférées  contre  le  curé  de  Dorinne,  jugé  à  Weillen.  Cf.  tome  IV,  p.  137.  "Direction  du  Contentieux 
ei  de  la  Justice  Militaire,  à  Paris,  dossier  io55. 


t3ç 

Le  i5  août  au  matin,  écrit  M.  Joseph  Aneuse,  de  Weillen,  dès  avant  3  heures, 
arrivent  des  troupes  françaises,  le  8e  d'infanterie  et  le  27e  d'artillerie  qui,  après  une 
longue  marche  de  nuit,  vont  prendre  part  à  la  bataille  de  Dinant.  Placés  immédia- 
tement  à  l'arrière  du  front  de  combat,  nous  passons  une  journée  très  mouvementée. 
A  un  moment  donné,  un  détachement  se  fortifie  à  l'est  du  village,  sur  la  route 
Onhaye-Sommière,  tandis  qu'un  autre  s'établit  au  nord-ouest,  sur  la  hauteur  du 
Liez,  qui  domine  Weillen.  La  population  est,  en  même  temps,  avertie  de  se  tenir 
prête  à  évacuer  le  village.  Un  peu  plus  tard,  le  6e  escadron  du  6e  chasseurs,  qui 
restait  ici  en  réserve,  part  pour  Dinant,  et  l'ambulance  n°  4  de  la  2e  division  du 
t€r  corps  se  retire  dans  la  direction  de  Florennes. 

A  l'heure  même  où  les  habitants  ont  commencé  à  fuir,  nous  apprenons  le  recul 
de  l'ennemi,  la  reprise  de  la  citadelle  et  la  victoire  des  troupes  françaises. 

Comme  les  voitures  d'ambulance  ne  doivent  arriver  qu'à  la  soirée,  des 
villageois  se  rendent  sur  le  champ  de  bataille  avec  des  chariots  de  ferme,  pour 
relever  les  blessés.  Je  les  accompagne.  Sur  les  hauteurs  qui  dominent  la  rive 
gauche,  le  château  de  Meez  et  la  ferme  Cézaire  achèvent  de  se  consumer.  A  cet 
endroit,  environ  yo  Français  sont  tués.  Les  blessés  sont  très  nombreux;  nous  les 
ramenons  à  l'ambulance  installée  au  château  du  baron  de  Giey,  à  Weillen.  Huit 
d'entre  eux  y  moururent  les  jours  suivants,  un  adjudant,  six  soldats  du  8e,  un  soldat 
inconnu  du  73e;  ils  furent  enterrés  au  cimetière  paroissial  (t). 

Pendant  la  semaine  du  16  au  23  août,  les  paysans  se  remettent  aux  travaux  des 
champs,  persuadés  que  l'ennemi  ne  passera  pas  la  Meuse.  Les  troupes  françaises 
les  édifièrent  profondément  par  leur  assiduité  aux  offices  de  l'église  et  par  leurs 
communions  fréquentes. 

Samedi  22,  le  canon  se  fait  entendre  de  nouveau.  Dès  le  matin  du  23,  la 
bataille  fait  rage.  Toutes  les  troupes  de  réserve  sont  parties  vers  la  Meuse. 

Pendant  la  grand'messe  de  io  heures,  on  crie  tout-à-coup  du  dehors  de  l'église  : 
«  Les  Allemands  sont  passés!  »  Alors  c'est  la  panique.  La  foule  se  précipite  au 
dehors.  Déjà  des  fuyards  passent  en  courant  et  des  blessés  reviennent  du  champ  de 
bataille.  A  midi,  une  batterie  s'installe  aux  abords  du  village,  sur  le  «  tienne 
d'Onhaye  »  et  ouvre  le  feu  dans  la  direction  d'Hastière.  Une  heure  plus  tard,  des 
mitrailleuses  s'établissent  au  même  endroit.  Des  groupes  se  forment  et  prennent  des 
directions  diverses. 

Par  la  route  de  la  gare  arrivent  bientôt  des  gardes-civiques  et  des  soldats 
belges.  Tous  ces  éléments  se  mêlent  et  prennent  la  direction  de  Rosée,  par 
Flavion.  La  foule  grossit  à  chaque  croisement  de  route,  formant  bientôt  une  cohue 
indéfinissable,  qui  se  continuera  sur  tous  les  chemins  de  l'Entre-Sambre-et-Meuse 
pendant  les  jours  de  la  retraite. 

Auprès  de  «  Belle-Vue  »,  des  soldats  français  dispersés  parmi  les  civils  tirent 
individuellement  sur  un  taube  allemand  qui  passe  et  repasse  au-dessus  de  nos 
têtes.  Plus  loin,  nous  rencontrons  un  détachement  d'une  centaine  d'hommes  qu'un 
officier  a  groupés  et  qu'il  dirige  sur  Weillen,  dans  le  but  d'entreprendre  la  défense 

(1)   Voici  leurs  noms  :    Alphonse  Busin,  adjudant  au  8e;  Ernest   Egels,  Henri  Wiels,  Victor  Brebion, 
Robert  Maze,  François  Leroy  et  Lucien  Delattre,  soldats  du  8°.  Ils  [urent  transférés  en  1916  à  Anhée. 


140 

à  outrance  du  village.  Il  y  renonça,  M.  le  curé  lui  ayant  objecté  qu'un  combat 
isolé  en  cet  endroit  causerait  la  destruction  du  village,  sans  aboutir  à  un  résultat 
certain. 

Durant  la  nuit  suivante,  nous  contemplons  avec  effroi  la  chaîne  de  feu  qui  se 
développe  le  long  de  la  Meuse  et  de  la  Sambre,  d'Hastière  à  Namur  et  de  Namur 
à  Charleroi. 

Le  24  août  à  6  heures,  l'ennemi  entre  au  village  et  commence  par  dévaliser 
le  château.  Il  se  montre  grossier,  exigeant,  cruel,  envers  les  quelques  habitants 
restés  dans  leurs  maisons  ou  surpris  après  leur  retour.  C'est  ainsi  que  Gustave  Petit 
et  son  épouse,  qui  ont  passé  la  nuit  dans  les  bois  et  viennent  de  rentrer,  sont  arrêtés 
vers  u  heures,  avec  la  famille  Storm,  d'Onhaye,  et  celle  d'Adelin  Côme;  les 
hommes  sont  emmenés  sur  la  route  de  Sommière,  où  ils  restent  trois  heures  à  côté 
d'un  prisonnier  français  attaché  à  un  arbre,  puis  vers  Flavion;  ils  finissent  par 
obtenir  un  passeport  de  libération.  Paul  Mathieu,  qui  est  revenu  pour  soigner  son 
bétail,  doit  accompagner  les  Allemands  pendant  deux  jours  entiers  et  leur 
procurer  tout  ce  dont  ils  ont  besoin  ;  le  mardi  soir,  en  rentrant  chez  lui,  il  tombe 
exténué  et  meurt. 

A  14  h.  3o,  se  déroule  à  Flun  le  massacre  qui   fait  l'objet  du  rapport  n°  584. 

Le  26  août,  le  bourgmestre,  M.  Louis  Waha,  est  fait  prisonnier  à  son  tour  et 
enfermé  pendant  quatre  jours,  sans  nourriture,  dans  une  annexe  du  château, 
menacé  à  tout  moment  de  la  mort.  De  là,  il  voit  les  soldats  se  promener  affublés  de 
chasubles  et  d'ornements  sacerdotaux,  et  s'acharner  à  briser  des  crucifix  et  des 
emblèmes  religieux.  Le  curé,  qui  a  eu  la  prudence  de  revêtir  les  habits  civils,  est 
activement  recherché.  On  n'entend  que  ces  mots  :  «  Où  est  le  Pastor?  Pastor 
Kapout !  » 

A  mesure  que  les  habitants  reviennent,  ils  trouvent  les  maisons  bouleversées, 
les  meubles  brisés  ou  emportés.  Tout  est  couvert  d'ordures.  Le  presbytère  et  la 
maison  des  Religieuses  ont  particulièrement  souffert  :  portes,  rampes,  tables,  lits, 
meubles,  tout  est  brisé  ou  défoncé;  mobilier,  vaisselle  et  bibliothèque  sont  jetés 
dans  le  jardin.  Un  grand  Christ  a  la  tête  brisée,  des  ornements  d'église  sont  foulés 
aux  pieds. 

A  l'église,  le  désordre  est  grand  :  le  tabernacle  du  maître-autel  est  ouvert;  le 
coffre-fort  placé  derrière  l'autel  porte  des  traces  d'effraction,  les  soldats  emportent 
un  calice  et  un  reliquaire.  Les  linges  d'autel  servent  à  envelopper  des  quartiers 
de  viande.  Le  jubé  est  couvert  d'immondices. 

Dans  les  écoles,  les  images  de  nos  Souverains  sont  brisét  s,  piétinées.  Les 
encriers  sont  jetés  violemment  contre  les  murs. 

A  plusieurs  reprises  le  village  est  menacé  d'être  incendié.  Parmi  les  habitants 
qui  sont  demeurés  dans  leurs  maisons  ou  y  sont  revenus,  il  n'est  personne  qui  n'ait 
enduré  de  grandes  souffrances,  morales  et  physiques. 

On  relève  la  présence  à  Weillen  en  ces  journées  de  la  24e  col.  de  munitions 
de  réserve,  du  i3e  chasseurs  de  réserve,  du  104e  d'inf.,  de  la  4e  col.  de  munitions 
d'artillerie  de  réserve  et  de  la  2e  batt.  du  24e  rég.  d'art,  de  camp,  de  réserve. 


VICTIMES  DES  MASSACRES   DE   FLUN,   DE   VILLERS-LE-G AMBON,   DE   VODECÉE    ET  DE  VILLERS-EN-FAGNE 


Fig.  43.   —   Henri  PIRLOT,  47  ans 
massacré  à  la  ferme  de  Flun. 


F'g-  44- 

Olivier  MATHIEU,  52  ans 

père  de  Gaston,  blessé  et  carbonisé 

à  la  ferme  de  Flun. 


Fig.  45. —  Gaston  MATHIEU,  25  ans 
tué  à  la  ferme  de  Flun. 


Fig.  46. 

Désiré  DELEUZE,  62  ans 

fusillé  à  Sommière. 


F'g-  47- 
Valentin  MATHIEU,  29  ans 

carbonisé 
à  la  ferme  de  Flun. 


Fig.  48- 

Joseph  PIETTE,   20  ans 

(à  l'âge  de  9  ans) 

carbonisé  à  la  ferme  de  Flun. 


Fig.  49. 

Octave    MATHIEU,    54    ans 

père  de  Valentin, 

tué  à  la  ferme  de  Flun. 


Fig.  5o.  —  Nestor    WIAME, 

46  ans,  de  Villers~le~Gambon, 

tué  sur  la  route  de  Givet. 


Fig.  5  1  .  —  François  PIERRE,  58  ans 

Echevin  de  Vodecée, 

y  fusillé. 


Fig.  52.    -  Adelin  WOïNE,  53  ans 

Instituteur  à  Villers^en-Fagne, 

fusillé  aux  abords  du  village. 


(Photo    1 9 1 5J 


Fia-.    53-    —   Flun. 


Corps  de  logis  et  grange  de  la  ferme  qui  fut  le  théâtre  du  massacre 
(du  côté  de  Falaën). 


(Photo    1915) 
Fig.    54. 
Ferme  de  Flun  et  chemin  de  Weillen. 


Phoîo    1 0  1 5) 


Fia;.    55.   —   Anthée. 


Maison  Barbier,  incendiée  sur  la  route  de  Philippeville, 
où    urent  tués  Xavier  Delhaye  et  son  épouse. 


(Photo    1915) 
Fig.    56.   —  Morville. 
Ecoles  incendiées  des  Religieuses  de  la  Providence, 
à   Lassurance. 


(Photo   novembre    1914) 
p;,,     5-,.    —   Dourbes.    Panorama  du  village   incendié  par   les   troupes  du   XII     corps. 


141 

Le  24  août,  a  déposé  M.  Oger  Mathieu,  un  groupe  de  personnes  de  Sommière 
qui  s'étaient  réfugiées  à  Falaën  pendant  le  bombardement  de  leur  village  et  qui  s'en 
retournaient  chez  eux,  s'arrêtèrent  dans  la  métairie  nous  appartenant,  située  à  Flun, 
sur  le  chemin  de  Weillen  à  Falaën  (fig.  53  et  54). 

Il  était  14  h.  3o.  Les  hommes  qui  composaient  notre  groupe  étaient  assis  sur  le 
seuil  de  la  grange  quand  douze  uhlans  arrivèrent  près  de  la  ferme.  Deux  d'entre 
eux  se  détachèrent,  dépassèrent  la  ferme  Pirson  qui  borde  la  route  et  se  posèrent  à 
l'autre  entrée  de  la  ferme  située  vers  Falaën.  Les  autres  pénétrèrent  en  courant 
dans  la  cour,  par  le  chemin  situé  vers  Weillen.  Mon  père  et  moi,  nous  allâmes  à 
leur  rencontre,  pour  leur  offrir  un  rafraîchissement.  «  Que  faites-vous  ici?  », 
demanda  l'un  d'eux  en  français.  «  Ce  sont,  répondit  mon  père,  des  parents  de 
Sommière,  qui  sont  ici  à  cause  du  bombardement  du  village.  »  Le  soldat  ajouta  : 
«  N'y  a-t-il  pas  de  Français?  »  Tous  trois,  nous  répondîmes  :  «Non  »,  leur  faisant 
comprendre  qu'ils  pouvaient  visiter  la  maison.  Pendant  ces  courtes  explications,  un 
uhlan  mettait  déjà  le  feu  à  une  charrée  de  foin  qui  se  trouvait  dans  la  cour,  d'autres 
entraient  en  hurlant,  se  précipitant  vers  nous  avec  leurs  baïonnettes  et  leurs 
revolvers.  Le  premier  coup  de  lance  m'était  destiné  :  je  l'évitai  par  un  brusque 
écart  et  me  glissai  derrière  la  porte  de  la  maison,  jusqu'au  seuil  de  la  cave,  d'où  je 
pus  voir  toute  la  scène.  M'ayant  manqué,  le  soldat  perça  de  son  deuxième  coup  mon 
cousin  Stanislas  MILCAMPS,  53  ans,  qui  mourut  sur  le  champ.  Alors  commença 
la  fusillade.  Je  vis  mon  oncle,  Henri  PIRLOT  (fig.  43),  47  ans,  tomber  sur  la  porte 
de  la  grange,  atteint  d'un  coup  de  revolver.  Mon  père,  Olivier  MATHIEU  (fig.  44), 
52  ans,  blessé  lui  aussi  par  une  balle,  se  traîna  dans  la  grange  et  s'y  cacha  sous  une 
voiture  :  nous  l'y  retrouvâmes  carbonisé,  ainsi  que  Henri  Pirlot.  Puis  je  vis  mes 
deux  cousins,  Valentin  MATHIEU  (fig.  47),  fils  d'Octave  Mathieu,  19  ans,  et 
Joseph  PIETTE  (fig.  48),  20  ans,  entrer  en  se  sauvant  dans  l'écurie,  où  ils  périrent 
carbonisés,  sans  même  avoir  été  blessés.  Les  soldats  tirèrent  aussi  sur  mon  cousin 
Octave  MATHIEU  (fig.  49),  54  ans,  et  sur  mon  frère  Gaston  MATHIEU  (fig.  45), 
25  ans,  qui  tombèrent  morts  sur  le  seuil  de  la  maison. 

De  l'entrée  de  la  cave,  je  rentrai  par  le  corridor  dans  la  maison,  et  en  passant 
devant  les  fenêtres,  je  faillis  être  atteint  par  trois  balles  tirées  du  dehors.  Je 
rejoignis  les  femmes  et  les  enfants  qui  se  trouvaient  à  l'intérieur,  et  tandis  que  nous 
montions  à  l'étage,  nous  pûmes  examiner  ces  barbares  qui  s'amusaient  à  tirer  des 
coups  pour  mettre  le  feu  à  la  maison,  à  la  grange  et  même  au  fumier.  Ils  contem- 
plèrent l'incendie  qui  faisait  rage  et  lorsqu'ils  furent  persuadés  qu'aucun  de  nous 
n'échapperait  à  la  mort,  ils  partirent  dans  la  direction  de  Falaën.  Il  était  grand 
temps  de  fuir,  car  la  fumée  allait  nous  asphyxier.  Enjambant  les  cadavres,  nous 
pûmes  fuir  par  la  porte  du  jardin  et  gagner  le  bois  voisin,  où  nous  passâmes  la  nuit. 

§  3.  —  Falaën. 

Plusieurs  patrouilles  de  cavalerie  ennemie  sillonnaient  déjà  les 
abords  de  Falaën  dans  l'avant-midi  du  24  août,  ce  qui  donna  lieu  à  de 
multiples  rencontres  avec  les  soldats  belges  et  français  qui  poursuivaient 
leur  retraite. 


i4i 

C'est  peut-être  en  guise  de  représailles  que  deux  soldats,  un  Belge 
et  un  Français,  qui  étaient  tombés  aux  mains  de  l'ennemi,  furent  froidement 
fusillés  à  la  ferme  de  Bellevue,  vers  17  heures,  en  présence  des  habitants 
terrifiés,  ainsi  qu'il  va  être  raconté  dans  le  rapport  suivant,  qui  résulte 
d'une  minutieuse  enquête  faite  auprès  des  témoins  du  drame. 

N°  585.  Le  24  août  dès  7  h.  3o  du  matin,  dix  uhlans  pénétrèrent  à  Falaën.  Jutes  Lekeux 

les  aperçut  qui  traquaient  un  soldat  français  sans  armes,  venu  de  Sommière.  Quand 
ce  soldat  fut  arrivé  dans  le  jardin  de  la  forge,  les  uhlans  tirèrent  sur  lui  et  le 
blessèrent  ;  le  malheureux  put  encore  se  traîner  quelques  mètres  plus  loin  et  fut 
achevé  d'un  coup  de  revolver  par  un  cavalier  descendu  de  sa  monture.  De  Falaën 
les  uhlans  allèrent  à  Sosoye,  où  ils  laissèrent  plusieurs  victimes.  Un  second  soldat 
français  fut  tué  à  Falaën  dans  l'avant-midi,  près  de  la  maison  de  Désiré  Demanet, 
qui  l'enterra  en  même  temps  que  le  premier. 

De  nombreux  soldats  belges  se  trouvaient  encore  à  Falaën  dans  les  premières 
heures  de  l'après-midi.  Un  groupe  de  quatre-vingts,  sous  les  ordres  du  lieutenant 
Caussin,  qui  étaient  arrivés  à  la  ferme  de  Bellevue  à  g  heures,  purent  s'évader  à 
14  heures  et  gagner  la  France.  Quatorze  autres  soldats  belges  se  heurtèrent  à  des 
Allemands  vers  t5  heures  au  lieu  dit  «  Boly  »  ;  ils  purent  fuir  à  l'exception  d'un 
seul,  Arsène  Pirson,  de  Sommière,  qui  se  cacha  derrière  une  haie,  tira  sur  eux  et 
y  fut  tué. 

Deux  autres  soldats  belges  furent  retrouvés  tués  près  du  château  de  Beauchêne. 

Vers  i5  heures,  des  cavaliers  saxons  passèrent  à  la  ferme  de  Bellevue,  et 
n'inquiétèrent  pas  les  gens  qui  s'y  trouvaient.  Des  fantassins  (1).  un  officier 
supérieur  en  tête,  s'y  présentèrent  à  17  heures  et  expulsèrent  la  famille  du  fermier, 
à  savoir  M.  Sylvain  Navaux  père  et  son  fils,  M.  Dételle,  de  Fosses,  et  sa  dame  née 
Navaux  ;  les  frères  Amaury  et  Joseph  Hosselet,  de  Falaën,  et  deux  ouvriers 
flamands  qui  faisaient  la  moisson.  Menés  dans  un  bosquet  de  sapins,  à  cinquante 
mètres  de  l'habitation,  ils  durent  se  mettre,  tour  à  tour  à  genoux,  puis  se  relever,  etc., 
et  crurent  leur  dernière  heure  arrivée,  car  les  soldats  semblaient  vouloir  les  fusiller. 
Quand  ce  jeu  eut  duré  une  demi-heure,  on  amena  un  soldat  belge  en  tenue  militaire 
et  sans  arme  et  un  soldat  français,  habillé  en  civil.  Ils  venaient,  croit-on,  de  Bioul 
et  avaient  été  pris  dans  le  bois  de  Fayat.  Officiers  et  soldats  échangèrent  quelques 
paroles  qui  décidèrent  de  leur  sort,  puis  on  leur  lia  les  mains  derrière  le  dos  et 
dix  soldats  vinrent  se  poster  devant  eux,  cinq  à  genoux  et  cinq  debout.  On  fit 
approcher  les  membres  de  la  famille  Navaux,  afin  qu'ils  vissent  de  très  près  la  scène 
du  massacre;  puis  sur  un  signal  de  l'officier,  les  exécuteurs  tirèrent  :  les  deux 
victimes  s'affaissèrent  sans  pousser  un  cri.  Les  civils  terrifiés  furent  reconduits  à  la 
ferme.  Peu  de  temps  après,  ils  reçurent  l'ordre  de  prendre  des  outils  et  d'enterrer 
les  cadavres.  Quand  la  fosse  fut  creusée,  M.me  Dételle  les  y  déposa  et  les  recouvrit 
d'un  peu  de  paille,  puis  on  referma  la  tombe.  «  C'est  moi,  dit  l'officier,  qui  ai  fait 
détruire  et  fusiller  Spontin  et  Dinant.  »  Il  paraissait  pressé  de  partir  et  il  s'éloigna 

(1)   Le  ioo*"  Grenadiers  est  signalé  le  24  août  près  de  Falaën.  V.  de  Dampierre,  o.  c,  p.  27. 


t43 

avec  la  troupe.  Quelques  semaines  plus  tard,  les  Allemands  remplacèrent  la  croix 
de  bois  qu'y  avait  mise  le  fermier,  par  une  autre  croix  qui  portait  l'inscription 
suivante  (i)  :  «  Ici  reposent  un  soldat  français  et  un  soldat  belge  tués  par  une 
patrouille.  »  Les  cadavres  furent  exhumés  en  1917  et  transférés  au  cimetière  de 
Mont  (2). 

§  4.  —  Morville. 

Dans  ce  village,  où  bifurquent  les  grand'routes  de  Namur  à  Givel 
et  de  Dinanl  à  Philippeville,  il  passa  des  troupes  considérables  :  celles 
de  la  23e  et  de  la  3ze  division  allemande,  se  dirigeant  vers  Rosée;  celles 
aussi  de  ta  24e  division  de  réserve,  se  rendant  dans  la  périphérie  de  Givet, 
pour  le  siège  de  cette  forteresse  (voir  p.  128). 

Les  quelques  habitants  restés  à  Morville  attestent  que  ce  fut,  pendant 
plusieurs  jours,  un  enfer,  tant  était  élevé  le  diapason  de  la  férocité  et  de 
la  sauvagerie.  Le  curé  de  l'endroit,  après  avoir  été  dix  fois  exposé  à  la 
mort,  parvint  à  être  libéré  et  resta  pendant  quinze  jours  caché  au  fond 
des  bois,  revêtu  d'habits  civils.  Quarante-deux  maisons  furent  incendiées 
(voir  fig.  56),  en  dehors  de  tout  combat;  deux  civils  furent  tués,  dont 
un  à  Surice. 

N°  586.  Les  habitants  délaissèrent  Morville  le  23  août,  après  le  passage  de  la  Meuse 

par  l'armée  allemande.  Les  Français  avaient  pris  possession  du  presbytère  vers 
19  heures  et  y  avaient  creusé  des  meurtrières  dans  les  murs  pour  y  installer  des 
mitrailleuses. 

L'ennemi  fit  son  entrée  le  24  août,  sans  combat,  et  mit  toutes  les  maisons  à  sac. 
Quarante-deux  maisons  furent  brûlées  par  pure  sauvagerie,  dans  la  journée  du 
25  août.  Le  curé  de  Morville,  M.  l'abbé  Debatty,  vit  brûler  le  hameau  de 
L'Assurance,  d'Anthée,  où  il  était  retenu  prisonnier  :  vers  midi  le  feu  y  consumai! 
la  maison  des  religieuses  (fig.  56),  l'école  des  soeurs,  les  maisons  Braibant,  Mottint, 
Galand  et  Jourdain.  C'est  devant  ce  brasier  que  fut  fusillé  un  civil  qui  n'a  pu  être 
identifié,  et  dont  le  corps  repose  au  cimetière  d'Anthée.  Une  disaine  de  personnes, 
dont  Lucien  Roba,  d'Anthée,  y  furent  malmenées  à  l'extrême  et  contraintes  à  rester 
devant  les  flammes,  à  genoux  et  les  bras  en  croix,  pendant  des  heures.  A  18  heures, 
le  curé  de  Morville,  emmené  vers  Rosée  avec  ses  compagnons  de  captivité,  longea 
de  nouveau  son  village  où  la  rue  principale  était  en  feu.  «Vous,  curés  belges,  tous 
crapules  !  lui  disait  avec  rage  l'officier  du  tooe  saxon  qui  les  brutalisait.  Vous  avez 
commandé  à  vos  gens  de  tirer  sur  nos  soldats!  Vous  viendrez  en  promenade  avec 

(1)  Cette  mensongère  inscription  n'a  malheureusement  pu  être  conservée. 

(2)  Il  ne  nous  a  pas  été  possible  d'identifier  sûrement  les  deux  victimes.  On  connaît  les  noms  de  trois 
soldats  tombés  à  Falaën  :  J.-B.  Waegemans,  belge,  de  Turr.hout  ;  Erveld,  belge,  i3e  de  ligne,  24369; 
Edouard  Alion,  français,  de  Béthune.  On  croit  que  les  deux  Belges  en  question  ont  été  tués  près  de  Beauchêiie. 


144 

nous  jusque  Paris  !  Vous  nous  servirez  de  sécurité  !  »  Les  incendies  se  poursuivirent 
pendant  toute  la  nuit  suivante. 

L'église  de  Morville  échappa  à  l'incendie,  mais  fut  extraordinairement  souillée 
et  pillée.  Chaises  et  bancs,  jetés  au  dehors,  furent  mis  en  pièces  et  brûlés  ;  la  lampe 
du  Sainte-Sacrement  fut  brisée,  les  ornements  sacerdotaux  lacérés,  un  calice,  les 
boîtes  des  saintes  huiles,  des  coussins  d'autel,  des  livres  liturgiques,  un  costume  de 
bedeau,  des  bannières  furent  enlevés,  les  nappes  et  linges  d'autel  emportés  et 
déchirés,  les  troncs  fracturés. 

Les  archives  civiles  périrent  dans  l'incendie  de  la  maison  communale. 

On  évaluait,  en  1914,  les  dégâts  causés  en  une  journée  dans  la  commune 
à    1, zoo, 000  francs. 

Hortense  DELOBBE,  40  ans,  fut  tuée  sur  les  escaliers  de  la  cave,  d'une  balle 
en  pleine  poitrine,  tirée  de  l'extérieur  à  travers  la  porte  d'entrée.  Les  meurtriers 
s'opposèrent  au  transfert  de  la  victime  au  cimetière. 

Emile  Viscardy,  yo  ans,  fut  tué  à  Surice,  en  dehors  de  la  fusillade  collective 
(voir  Surice). 

Outre  les  troupes  venant  d'Anîhée,  le  1 33e  est  passé  à  Morville. 

§  5.   —  Flavion. 

Les  premiers  éléments  du  XIIe  corps  entrèrent  dans  Flavion  désert 
le  24  août  à  17  h.  45. 

C'est  le  108e,  46e  brigade,  23e  division,  qui  mit  le  feu  au  village  le 
25  août.  On  signale  aussi  la  présence,  le  26  août,  du  io3e  (32e  division). 

Les  notes  qu'on  va  lire  ont  été  partiellement  données,  le  2  novem- 
bre 1915,  par  M.  l'abbé  Lambiotîe,  curé  de  l'endroit  au  moment  des 
événements,  et  complétées  ensuite  par  son  successeur,  M.  l'abbé  Mauclet. 

|yjo  53.7  L'ambulance   établie   au   château   de   M.    Closon    reçut,    après    le   combat   du 

i5  août,  32.5  blessés  du  33e  de  ligne,  dont  75  l'étaient  gravement  ;  il  en  mourut 
quatre  (1). 

Le  23,  le  viilage  entier  s'ébranla  vers  le  sud  quand  vint  le  flot  de  la  Basse" 
Sambre,  que  suivit,  le  lendemain,  une  partie  de  l'armée  belge  coupée  à  Namur. 
Les  derniers  soldats  se  heurtèrent  à  l'armée  allemande  et  neuf  d'entre  eux  furent 
tués  dans  les  Bierts  (2). 

L'avant--garde  ennemie  pénétra  dans  Flavion  désert  le  24  août  à  17  h.  45  ;  le 
gros  de  l'armée,  venant  de  Sosoye,  Falaën  et  Weillen,  vint  à  22  heures.  Un  soldat 
français,  Ernest  Barrant,  surpris  dans  le  village,  fut  traqué  chez  Antoine  François 
et   se   blottit   en   dessous  d'un   lit;    il   y   fut   tué  par  des   balles   tirées  de   l'étage 

(1)  Dont  Emile  Coupart,  de  Lille,  et  Albert  Ravaux,  de  Lille. 

(2)  On  connaît  les  noms  de  Pierre  Noë,  de  Vi!lers--rÉvêque,  du  ior,  d'Arthur  Lemailleux,  de  Septon,  et 
de  J.-B.  Charles,  de  Jemeppe-sur-Sambre,  du  ii';  un  autre  appartenait  aux  chasseurs.  Deux  furent  inhumés 
sur  la  route  d'Ermeton,  un  aux  confins  de  Falaën,  trois  au  "  Fond  Susset   »  et  trois  sur  la  route  de  Falaën. 


145 

inférieur,  à  travers  le  plancher.  Les  Allemands  traînèrent  ensuite  son  cadavre  au 
dehors  et  le  jetèrent  dans  le  jardin. 

Le  lendemain  à  17  heures,  ils  mirent  le  feu  à  la  maison  de  la  veuve  Mottint  ; 
puis  le  26  août  aux  maisons  veuve  Vassaux-Petit,  veuve  Collignon  et  veuve  Robe. 
On  en  accuse  les  troupes  du  108e.  Le  2.8  août,  le  feu  fut  remis  au  presbytère,  mais 
il  put  être  éteint  Les  ornements  sacrés  qui  y  avaient  été  déposés  furent  retrouvés 
lacérés. 

§  6.   —  Rosée. 

Le  101e  saxon  (23e  division)  esl  entré  à  Rosée  sans  combat  au  soir 
du  24  août  ;  il  mit  le  feu  le  lendemain  dans  trois  quartiers  différents  du 
village.  Les  incendies  étaient  déjà,  semble-1-il,  terminés  quand  parut  le 
178e  (32e  division),  dans  l'après-midi  du  25  août  (t). 

Deux  habitants  du  village  furent  tués  à  Fagnolles. 

Le  Livre  Blanc  a  désigné  les  incendiaires  :  c'est  le  train  de  l'Etat— 
Major  de  la  32e  division  d'infanterie  (rittmeister  Heltzer).  On  reconnaît 
dans  le  rapport  de  ce  dernier  (Anlage  38,  p.  54)  le  cliché  habituel  : 
«  On  a  tiré  par  derrière,  au  signal  donné  ;  i attaque  était  préparée  » . 

Le  curé,  M.  l'abbé  Collard,  fut  déporté  en  Allemagne  et  y  resta 
à  la  prison  d'Ohrdruf  jusqu'au  6  octobre  (2)  ;  c'est  à  son  retour 
d'Allemagne  qu'a  été  reçu  son  témoignage,  reproduit  dans  le  rapport 
qui  va  suivre. 

De  Rosée,  le  XIIe  corps  se  mit  en  marche  au  matin  du  25  août,  la 
23e  division  en  tête.  Nous  savons  par  le  carnet  d'un  officier  saxon  du 
178e  que  la  32e  division  quitta  Morville  à  midi,  formant  une  colonne  de 
marche  de  sept  kilomètres  de  longueur.  On  fit  un  arrêt  d'une  demi-heure 
à  la  soirée.  A  Merlemont,  deux  civils  furent  empoignés  et  relâchés  à 
Dourbes  seulement,  où  la  division  arriva  le  26  à  5  heures  du  matin. 
Quand  elle  traversa  Villers-en-Fagne,  ce  village  était  déjà  en  feu  (3). 

Nous  annexons  un  court  travail  sur  Omezée,  village  qui  eut  moins 
à  souffrir  de  l'invasion. 

N°  588.  Sur  le  territoire  de  'Rosée  se  trouve  le  point   culminant  de   l'Entre^Sambre'- 

et-Meuse,  à  3i3  mètres  d'altitude. 

Les  Français  y  arrivèrent  le  14  août  et  organisèrent  plusieurs  cérémonies 
religieuses,  très  impressionnantes  par  le  nombre  des  soldats  qui  y  assistèrent,  autant 
que  par  leur  ferveur  dans  la  prière  et  dans  les  chants. 

(1)   De   Dampierre,  Carnets  de  route,  o.  c,  p.  28.  Des  bons  relevés  à  Rosée  accusent  le  passage  du  1780 
et  aussi  du  38  bataillon  du  io6p  de  réserve,  XIIe  corps  de  réserve, 

(i)   Cf.  à  son  sujet  Van  Langbnhove,  Comment  naît  un  cycle  de  légendes.  Paris,  Payot,  p.  46. 
(i)   De   Dampierhe,  Carnets  de  roule,  p.  27. 

10 


»46 

La  population,  affolée  par  la  retraite  des  troupes  et  des  civils  le  23  août,  s'enfuit 
le  lendemain  de  grand  matin,  à  l'exception  de  quelques  vieillards,  d'une  famille 
voisine  de  l'église  et  du  personnel  du  presbytère.  Des  blessés  français  soignés  dans 
la  première  maison  du  village  craignaient  d'être  achevés  :  je  leur  promis  de 
me  trouver  auprès  d'eux  au  moment  de  l'arrivée  de  l'ennemi  et  d'aller  à  sa 
rencontre. 

Au  soir,  quand  les  premiers  Allemands,  une  douzaine  de  uhlans,  arrivèrent  au 
galop  de  leurs  chevaux,  je  me  plaçai  devant  eux  les  bras  levés,  et  leur  dis  quelques 
mots  en  allemand.  Ils  n'inquiétèrent  pas  les  blessés.  Un  colonel  et  un  capitaine 
soupèrent  au  presbytère,  et  me  demandèrent  «  si  les  gens  n'étaient  pas  cachés  dans 
les  caves  pour  tirer  ».  Comme  je  les  rassurais,  ils  ripostèrent  «  qu'on  disait  la 
même  chose  à  Dinant  et  qu'ils  avaient  vu  une  jeune  fille  tirer  sur  un  de  leurs 
officiers  ».  Ils  rentrèrent  à  minuit,  se  faisant  accompagner  d'une  quinzaine  de 
grenadiers. 

Le  2.5  dans  la  matinée,  les  soldats  se  mirent  à  piller  les  maisons  et  à  en  incen- 
dier quinze.  Une  veuve,  fort  âgée,  qui  habitait  «  les  ruelles  »,  à  l'est  du  village,  et 
était  revenue  de  bon  matin,  fut  témoin  de  l'incendie  de  huit  maisons  de  ce 
quartier  (i).  Le  pillage  étant  terminé,  les  soldats  tiraient  des  coups  de  feu  sur  les 
toits  des  maisons,  qui  bientôt  prenaient  feu.  La  dame  éloigna  sa  vache,  puis  s'assit 
sur  le  seuil  de  sa  demeure  en  pleurant;  elle  les  supplia  comme  elle  put  d'  «  avoir 
pitié  d'une  pauvre  femme  qui  n'avait  fait  de  mal  à  personne  ».  Comme  les  soudards 
répondaient  «  qu'ils  avaient  reçu  des  ordres  »,  elle  se  mit  à  pleurer  de  plus  belle. 
Un  officier  mandé  aussitôt  lui  dit  :  «  On  a  tué  nos  frères,  nos  amis,  nos  camarades. 
Nous  devons  venger  nos  morts.  Les  bons  pâtiront  pour  les  mauvais  ».  Il  lui 
permit  d'emmener  un  veau  et  quelques  vêtements,  puis  il  mit  le  feu  à  la  modeste 
habitation. 

Trois  maisons  situées  sur  la  route  de  Philippeville  avaient  été  touchées  le 
24  août  au  soir  par  des  obus,  qui  y  avaient  mis  le  feu.  Deux  maisons  voisines,  dont 
le  local  du  patronage,  furent  encore  incendiées,  sans  motif,  dans  l'après-midi  du 
mardi  (2). 

Enfin,  le  même  jour  à  14  heures,  on  vit  des  soldats  tirer  dans  les  toitures  de 
deux  belles  habitations  voisines  de  l'église,  qui  furent  bientôt  consumées  (3). 

Une  centaine  de  civils,  rencontrés  pendant  la  journée,  furent  emprisonnés  à  la 
ferme  du  bourgmestre.  J'y  fus  mené  aussi  le  soir,  avec  les  religieuses,  que  j'avais 
reconduites  chez  elles. 

Mercredi  26  vers  1 1  heures,  des  officiers  supérieurs  me  demandèrent  dans  la 
cour  de  la  ferme.  «  On  avait  tué  à  Rosée  un  officier  (4)  et  le  meurtrier  était 
probablement  un  villageois  ;   les  curés  étaient  la  cause  que  les  soldats  allemands 

(1)  Maisons  veuve  Honoré  André,  Léon  Collinet,  Joseph  Riffont,  Albert  Denis,  Léandre  Dubois,  Benoni 
Gilliard,  Dumont  (rères  et  sœurs,  Emile  Cléda. 

(a)  Maisons  Félicien  Riffont,  Alexis  Posset,  Léopold  Achez  (occupée  par  Céline  Fécherolle),  Edouart  Hubot 
et  le  patronage. 

(3)  Maisons  Zéphyr  Gillain  et  Léon  Moriamé. 

(4)  Une  enquête  fut  faite  sur  place  par  l'ennemi  en  juillet  1915.  L'officier  tué  s'appelait,  dit-on,  le  capi- 
taine von  Eisa,  fils  d'un  général  qui  se  trouvait  à  Laon.  Les  recherches  restèrent  sans  résultat. 


>47 

étaient  attaqués  par  les  civils;  ils  avaient  une  grande  influence  sur  le  peuple;  pour 
cela  je  serais  déporté  en  Allemagne  ».  Conduit  dans  une  salle  voisine,  où  se 
trouvaient  deux  officiers  belges  prisonniers,  j'en  sortis  à  t3  heures.  «  Le  chariot 
était  prêt,  me  dit-on,  il  fallait  partir.  »  Je  ne  fus  pas  autorisé  à  faire  mes  adieux  à 
ma  famille  et  je  dus  avant  le  départ  haranguer  les  prisonniers,  leur  recommandant 
le  calme,  dont  ma  vie  dépendait.  Puis  je  partis  pour  Dinant,  accompagné  d'officiers, 
d'ambulanciers  et  de  quelques  blessés  montés  avec  moi  sur  le  chariot;  quant  aux 
soldats  non  blessés,  ils  suivaient  à  pied. 

A  Dinant,  un  capitaine  me  laissa  entendre  que  je  serais  libéré  le  lendemain  ; 
mais  jeudi  27,  je  dus  suivre  la  colonne,  qui  gagnait  Leignon,   Marche  et  Melreux. 

Là,  on  m'avait  déclaré,  de  rechef,  que  je  n'irais  pas  plus  loin,  lorsqu'un  train 
entra  en  gare  :  j'y  fut  poussé  en  hâte  à  la  suite  des  prisonniers  et  nous  arrivâmes 
samedi  à  Coblence,  puis  à  Ohrdruf,  où  je  fus  mis  au  cachot. 

Pendant  tout  le  voyage,  j'avais  été  copieusement  insulté.  A  la  prison,  le  com- 
mandant,  baron  von  Moffling,  n'avait  reçu  aucun  dossier  à  mon  sujet.  Il  me  traita 
avec  beaucoup  d'égards.  Quant  aux  subalternes,  ils  m'appelaient  «  franc-tireur  ou 
espion  »  et  me  menacèrent  souvent  de  la  mort.  Je  fus  bientôt  associé  à  un  groupe 
de  civils  de  Neufchâteau,  qui  avaient  été  déportés  comme  moi,  et  je  fus  rendu  à  la 
liberté  le  6  octobre. 

Armand  ANTOINE,  20  ans,  et  Joseph  GILLAIN,  44  ans,  avaient  fui  et  reve- 
naient en  vélo  le  26  au  matin,  devançant  les  membres  de  leur  famille,  lorsqu'ils 
tombèrent  entre  les  mains  des  Allemands  dans  les  environs  de  Fagnolle.  Le  curé  et 
le  bourgmestre  de  cette  localité  les  aperçurent,  ainsi  qu'un  troisième  civil  dont  on 
ignore  le  nom,  couchés  par  terre,  les  mains  liées  derrière  le  dos,  violentés  par  des 
Allemands  aux  allures  sinistres  qui  leur  tenaient  le  genou  sur  la  poitrine  et  leur 
faisaient  subir  un  interrogatoire.  D'après  ce  qu'ils  purent  saisir,  il  était  question  d'une 
convocation  de  garde  civique  trouvée  sur  eux.  Vers  t5  heures,  ils  furent  emmenés 
dans  la  direction  de  Mariembourg  et  on  est  resté,  depuis  lors,  sans  nouvelles  à 
leur  sujet. 

Eugène  VISÉE,  29  ans,  né  à  Ghlin,  garçon  d'hôtel  chez  Adelin  Henroteaux,  à 
l'Hôtel  des  Voyageurs,  à  Dinant,  avait  quitté  cette  ville  le  22  août.  Le  2.5  août,  il  se 
trouvait  dans  les  campagnes  de  Rosée,  lorsqu'il  fut  aperçu  par  les  Allemands  qui 
passaient  sur  la  grand'route  et  abattu  comme  un  vulgaire  gibier.  Enterré  d'abord 
sur  place,  les  Allemands  le  transférèrent  ensuite  dans  leur  cimetière. 

N°  589.  Un  détachement  français  —  écrit  M.  l'abbé  Genin,  curé  —  passa  à  Omezée  la 

nuit  du  23  au  24  août.  Le  24  dans  l'après-midi,  d'autres  Français,  venant  de 
Morville  par  les  bois,  gagnèrent  Surice.  A  tô  h.  3o,  il  en  vint  encore,  par  les 
campagnes  de  Soulme,  qui  engagèrent  les  habitants  à  fuir  :  «  Les  Allemands  avaient, 
disaient-ils,  fusillé  le  doyen  de  Dinant  et  d'autres  prêtres  ». 

Le  25  août  à  4  heures  du  matin,  les  derniers  civils  restés  au  village,  terrifiés 
par  l'incendie  de  Surice,  se  dirigèrent  vers  Franchimont,  sous  la  conduite  de  leur 
curé,  et  y  arrivèrent  au  moulin  une  heure  avant  les  Allemands.  Ceux-ci  passèrent 
à  7  heures,  venant  de  Surice,  où  ils  avaient  enlevé  un  fils  du  jardinier  Debuisson  ; 
c'étaient  des  soldats  du   101e.  Ils  obligèrent  les  gens  d'Omezée  à  donner  à  boire  à 


148 

leurs  chevaux,  puis  un  capitaine  remit  à  M.  le  curé  un  passeport  collectif  (»)  pour 
regagner  Omezée,  Il  ajouta  qu'il  venait  d'incendier  le  village,  parce  qu'on  avait  tiré 
de  ce  côté;  en  réalité,  il  avait,  à  6  heures,  de  Lautenne,  à  une  distance  d'un  kilo- 
mètre, bombardé  le  hameau  de  «  Champelle  ».  La  maison  de  la  veuve  Chaltin  prit 
feu  et  trois  autres  maisons  furent  plus  ou  moins  détériorées  par  des  obus.  Ces 
troupes  passèrent  à  Franchimont  à  7  heures,  y  enlevèrent  Frédéric  Delvaux, 
d'Omezée,    pour   le  conduire   à   Merlemont  et  gagnèrent  de   là  Villers-en-Fagne. 

A  Omezée  même,  il  passa  le  25  août  à  6  h,  3o  environ  200  cavaliers  allemands, 
qui  contournèrent  le  village,  venant  de  Soulme  et  se  rendant  à  Surice.  Le  même 
jour  au  soir,  deux  autos  traversèrent  la  localité. 

Jules  Pirson  (fig.  24),  53  ans,  fut  tué  à  Franchimont,  le  25  août,  vers  23  heures; 
Clémence  Saint-Guillain,  veuve  Xavier  Howet,  47  ans,  fut  tuée  «  au  Piche  »,  à 
Lautenne  (Surice),  le  26  août  à  10  heures:  elle  était  mère  de  sept  enfants,  qui  sont 
orphelins  (voir  Surice). 

Le  28  août,  sur  l'ordre  du  commandant  de  Lautenne,  le  village  fut  évacué  sur 
Florennes,  en  vue  de  l'attaque  de  Charlemont.  Ces  habitants  furent  reçus  chez  les 
Frères  des  Ecoles  Chrétiennes.  Lorsqu'ils  revinrent,  après  quatre  jours,  ils 
trouvèrent  leur  village  entièrement  pillé. 


§  7.  —  Franchimont. 

Elle  est  particulièrement  émouvante  l'histoire  de  Franchimont.  Ce 
petit  village  était  presque  désert  quand  parurent  les  premières  troupes,  le 
25  août  à  6  h.  3o.  Elles  passèrent  sans  s'arrêter;  un  faible  détachement, 
laissé  sur  place,  se  borna  à  piller  les  maisons. 

D'autres  troupes  du  XIIe  corps,  excessivement  sauvages,  arrivèrent 
à  20  h.  3o  et  mirent  le  feu  au  village  :  cinquante-deux  maisons,  sur  83, 
furent  détruites.  Quatre  civils  furent  massacrés.  Une  trentaine  de  civils,  dont 
beaucoup  d'étrangers,  furent  faits  prisonniers;  les  soldats  du  to3e  infli- 
gèrent un  vrai  martyre  à  onze  d'entre  eux,  et  surtout  à  Emile  Demeuldre, 
un  brave  jeune  homme  qui  fut  finalement  assassiné  par  deux  officiers, 
par  pur  plaisir  de  répandre  le  sang  humain.  On  signale  aussi  la  présence 
dans  le  village,  aux  heures  des  massacres,  du  48e  d'artillerie. 

Le  précis  et  intéressant  rapport  qu'on  va  lire  est  extrait  des  notes 
qu'a  écrites,  sous  l'occupation,  le  curé  de  l'endroit,  M.  l'abbé  Patron,  et 
qu'on  trouve  consignées  dans  un  registre  de  la  fabrique  d'église. 


(1)  En  voici  la  traduction  «Franchimont,  25  août  1919.  La  commune  de  Franchimont  s'est  montrée 
pendant  le  passage  des  troupes  très  convenable  et  secourable.  J'ai  délivré  au  curé  de  la  commune,  sur  sa 
demande,  cette  attestation,  afin  de  le  mettre  en  état  de  ramener  les  autres  habitants  de  la  localité. 
(s)  von  Zenbau  (?),  capitaine  au  101e  régiment  (XIIe  corps)  ». 


149 
N°  590.  La  journée  du  25   août. 

Nous  pensions  que  notre  petit  village  serait  préservé  des  horreurs  de  la  guerre, 
séparé  qu'il  est  des  grand'routes  par  des  bois,  des  collines  et  des  vallées  profondes  ; 
mais  telle  était  la  multitude  envahissante  qu'elle  eut  besoin  de  tous  les  chemins. 

Les  habitants  avaient  fui  le  24  août,  entraînés  par  l'exemple  de  tant  d'étrangers 
qui,  pendant  la  journée,  avaient,  en  une  lamentable  procession,  traversé  nos  rues 
sans  savoir  où  ils  allaient,  poussés  en  avant  les  uns  par  les  autres  comme  les 
moutons  d'un  troupeau.  Restaient  au  village,  avec  le  curé  et  le  garde-champêtre, 
quatre  hommes  et  deux  femmes  pour  le  haut,  trois  familles  pour  le  bas,  dont  deux 
quittèrent  aussi  leurs  demeures  l'après-midi  du  25. 

L'ennemi  parut  le  25.  Dès  7  heures,  des  chemins  escarpés  de  Lautenne,  Omezée 
et  Surice  dévalaient  des  troupes  de  toutes  armes,  usant,  dans  la  traversée  du  village, 
des  routes  les  plus  étroites,  les  plus  rocailleuses,  les  plus  montueuses.  Un  contingent 
d'environ  3oo  hommes  bivouaqua  dans  la  terre  dénommée  «  Petite  campagne  », 
dont  le  grain  déjà  mis  en  gerbes  fut  livré  aux  chevaux,  piétiné  et  gaspillé  de  toute 
façon.  Ces  soldats  visitèrent  les  maisons,  brisant  les  fenêtres  et  les  portes  qu'ils 
trouvaient  fermées,  enlevant  les  boissons,  les  vivres,  surtout  les  jambons  dont,  après 
leur  départ,  on  retrouva  un  grand  nombre  dans  les  fossés  des  chemins.  Ils  firent 
surtout  de  longues  stations  dans  les  cabarets,  buvant,  chantant,  dansant,  activant 
des  «  harmonica  »  et  des  «  orgues  de  barbarie  ».  Ce  qu'on  vit  dans  la  suite  de 
bouteilles  vides  et  de  verres  brisés! 

J'avais  dû  me  rendre  de  grand  matin  à  Villers-le-Gambon  ;  quand  j'appris  que 
les  Allemands  étaient  à  Franchimont,  j'y  retournai,  et  je  fus  témoin,  dès  mon 
arrivée,  du  pillage  et  du  sac  des  maisons.  Etant  entré  dans  la  cour  de  l'école,  je 
rencontrai  deux  officiers,  qui  m'accompagnèrent  à  la  cure  en  disant  :  «  Wein, 
Wein!  »  Je  leur  servis  du  vin.  «  Nous  avons  tout  le  monde  contre  nous,  me  dit  l'un 
d'eux,  mais  nous  avons  la  volonté  de  vaincre  et  nous  vaincrons  tout  le  monde  !  Déjà 
Liège  tombé,  Namur  tombé  !  » 

Le  presbytère  fut  ensuite  visité  par  des  bandes  de  soldats,  dignes  descendants 
des  Germains  dont  César  fait  le  portrait  dans  ses  Commentaires  :  ils  emportèrent 
sur  leur  dos,  comme  des  sacs  de  blé,  des  charges  de  bouteilles;  dans  la  montée, 
celles-ci  se  brisaient  et  les  sacs  saignaient  abondamment...  Abusant  de  mon  igno- 
rance de  la  langue  allemande,  l'officier  Scheppel  me  remit  en  tout  et  pour  tout  deux 
bons,  l'un  de  5  bouteilles  pour  la  4e  batterie  du  48e,  l'autre  de  8  bouteilles  pour  la 
tre  batterie.  Une  petite  réserve  que  j'avais  dissimulée  dans  les  coins  et  recoins  du 
presbytère,  ainsi  que  la  provision  de  vin  de  messe  furent  découvertes.  «  Plus  de 
messe!  »,  me  dit  en  emportant  ce  dernier,  un  sergent,  digne  fils  de  Luther. 

Le  soir,  les  pillards  partirent  et  il  vint  une  autre  compagnie,  celle  qui  incendia  la 
localité(i).lvl.Piret-Leclercq  rentrait  au  village  en  même  temps  que  ces  soldatsy  arri- 
vaient et  leur  commandant  lui  dit  :  «  Inutile  d'aller  plus  loin,  nous  allons  brûler!  » 

J'avais  accueilli  au  presbytère,  pour  la  nuit,  un  voisin  E.  Defoin,  et 
M.  Jules  Pirson,  d'Omezée,  avec  sa  fille  Maria.  A  peine  nous  étions-nous  retirés 

(1)   Les  incendiaires  venaient  de  Lautennc-Omezée-Surice.  Ils  n'étaient  guère  qu'une  cinquantaine,  affirme 
le  garde-champêtre  du  village,  et  étaient  de  vrais  sauvages- 


t5o 

pour  nous  reposer  que  commencèrent  la  fusillade  et  l'incendie  du  village.  Des  coups 
de  feu  crépitèrent  autour  du  presbytère,  des  balles  y  creusèrent  des  éclats  dans  la 
pierre.  Un  coup  d'ccil  jeté  à  la  hâte  par  une  fenêtre  nous  fit  apercevoir  en  face,  à 
quelque  deux  cents  mètres,  la  grande  ferme  transformée  en  une  immense  fournaise, 
d'où  jaillissaient  d'énormes  gerbes  de  flammes  et  d'épaisses  colonnes  de  fumée. 

Thomas  Demeuldre,  de  Lautenne,  qui  a  été  mêlé  de  si  près  au  drame  de 
Franchimont,  me  raconta  plus  tard  comment  procédaient  les  soldats.  A  la  nuit 
tombante,  il  essayait  de  regagner  son  village  avec  sa  famille  et  son  attelage 
lorsqu'il  arriva  à  Franchimont.  Il  y  avait,  me  dit-il,  des  soldats  «  tout  massif  ». 
Quand  il  fut  à  mi-côte  d'un  chemin  escarpé  «  à  la  Basse-Voie  »,  des  soldats  du 
haut  de  la  côte  tirèrent  sur  eux,  puis  accoururent,  prirent  ses  chevaux  et  les  vivres 
qu'il  emportait  et  le  firent  prisonnier  avec  les  siens.  Un  officier  le  rudoya,  le 
bouscula,  le  frappa  d'un  fort  coup  de  crosse  à  la  tête  et  força  ce  vieillard  septua- 
génaire à  parcourir  à  la  course  le  village  désert  en  criant  :  «  Villageois,  ne  tirez 
pas!  »  En  face  du  presbytère,  l'officier  épaula  son  fusil  et  allait  tirer  ses  balles 
incendiaires  lorsqu'une  fenêtre  s'éclaira  :  il  laissa  alors  retomber  la  crosse  du  fusil 
et  ne  tira  pas.  Le  tour  du  village  fini,  M.  Demeuldre  fut  mené  au  camp  «  à  la 
petite  campagne  »,  trébucha  dans  les  fils  de  fer  et  reçut  de  l'officier  un  coup  de 
revolver  à  bout  portant,  qui  lui  blessa  la  cuisse,  puis  il  fut  porté  sur  un  tas  de 
paille,  où  sa  femme  vint  le  rejoindre,  puis  bientôt  après  son  fils  Emile,  pour  y 
être  assassiné,  comme  nous  le  verrons  bientôt. 

La  vue  de  l'incendie  avait  été  au  presbytère  le  signal  du  sauve-qui-peut.  L'un 
de  mes  hôtes,  Jules  PIRSON  (fig.  24),  53  ans,  qui  avait  voulu  retourner  à  la  ferme 
Baudhuin  pour  ne  pas  laisser  périr  ses  quatre  chevaux  dans  le  feu,  fut  retrouvé 
assassiné  dans  un  étroit  sentier;  il  portait  une  blessure  à  la  poitrine  et  la  tête 
était  fendue  verticalement  au-dessus  de  la  nuque.  Sa  fille  fut  emmenée  au  bivouac, 
où  les  soldats  la  ligotèrent,  ainsi  que  Marthe  Henrard.  Quant  à  moi,  je  m'enfuis 
par  l'enclos  des  poules,  je  dévalai  les  pentes  du  «  Pachis  du  curé  »  et  pareil  à  une 
bête  fauve  pourchassée,  j'allai  me  blottir  immobile,  soufflant  de  chaud,  dans  les 
buissons  du  fond.  M.  Defoin  était  à  côté  de  moi,  sans  me  voir,  ni  m'entendre. 

Je  n'avais  pas  en  vue  le  village,  mais  le  feu  devait  faire  rage  et  l'incendie  se 
propager,  car  le  ciel  étoile  était  tout  assombri  par  des  nuages  de  fumée  se  poussant 
et  se  succédant  sans  cesse.  A  travers  le  feuillage  des  grands  arbres  qui  me 
couvraient,  une  pluie  de  flammèches  et  d'étincelles  tombait  tout  autour  de  moi  et 
jusque  sur  mes  vêtements.  Une  odeur  de  paille,  de  foin  et  de  bois  brûlés  emplissait 
l'air.  Dans  la  clarté  de  l'incendie,  je  voyais  seulement  s'élever  la  masse  de  l'église 
et  du  clocher,  et  les  fenêtres  étincelaient  d'un  sinistre  éclat.  Si  je  ne  pouvais  rien 
voir,  j'entendais  le  roulement  d'un  char  et  des  décharges  de  fusil,  le  tout  entremêlé 
de  cris,  de  vociférations  et  de  chants.  Il  me  semblait  que  les  incendiaires  célé- 
braient à  l'égal  d'une  victoire  pour  la  puissante  Allemagne  chaque  nouvelle  maison 
qui  prenait  feu.  Alors,  le  cœur  gonflé  d'indignation  et  de  colère,  je  me  jetai  à 
genoux  et  je  mis  sur  mes  lèvres  la  prière  du  Psalmiste  qui,  dans  ses  psaumes 
imprécatoires,  invoque  les  vengeances  du  Seigneur  contre  les  ennemis  de  son 
pays  :  "Redde  vicinis  nostris  sepluplum...  Sicut  ignis  qui  comburil  silvam,  ita  perse" 
queris  eos  in  tempeslate  tua  ! 


i5t 

Les  incendiaires  ne  firent  pas  leur  besogne  à  demi.  Les  quartiers  auxquels  ils 
mirent  le  feu  à  l'aide  d'explosifs  ou  de  grenades  furent  tout  détruits.  Pas  une 
maison  ne  demeura  debout.  Cinquante-deux  belles  habitations  devinrent  la  proie 
des  flammes,  avec  les  écuries  et  les  granges  adjacentes,  remplies  de  foin  et  de 
grains  nouvellement  remisés,  ainsi  que  Técole,  la  salle  communale  et  les  archives. 
Deux  petits  quartiers  ont  été  épargnés  :   en  tout  une  bonne  vingtaine  de  maisons. 

Il  était  23  heures,  et  les  soldats  s'étant  éloignés,  le  silence  commençait  à  se 
rétablir.  Je  me  décidai  à  aller  demander,  par  de  grands  détours,  l'hospitalité  à 
mon  confrère  de  Villers-le-Gambon. 

Avant  de  poursuivre  le  récit,  revenons  au  début  de  l'incendie,  pour  relater  la 
mort  de  deux  autres  victimes,  Jean  Scieur  et  Alzir  Anciaux,  son  beau-frère,  telle 
que  me  l'ont  racontée  les  survivants  du  drame. 

La  famille  Anciaux  comprenait  Julien  Anciaux,  ses  enfants  Elvire  et  Alzir, 
Jean  Scieur,  époux  en  secondes  noces  d'Elvire,  Marthe  Henrard,  fille  d'Elvire,  d'un 
premier  mariage.  Cette  famille  avait  été  la  dernière  à  fuir  et  fut  la  première  à 
rentrer  :  le  25  août  à  la  tombée  du  jour,  elle  arrivait  au  tilleul  Sainte-Anne,  à  trois 
minutes  du  village.  Les  troupes  qui  campaient  en  cet  endroit  ne  les  inquiétèrent 
point  et  leur  dirent  de  rentrer  bien  tranquilles.  Ces  gens  purent  revenir  chez  eux 
avant  l'incendie  du  village,  ils  déchargèrent  leur  chariot,  déposèrent  caisses, 
matelas  et  vivres  et  lièrent  le  cheval  fatigué  à  l'écurie.  Tout  à  coup,  ils  entendirent 
une  bande  de  soldats  accourir  et  la  frayeur  les  fit  sursauter.  Cinq  soldats  se 
précipitèrent  vers  eux  en  poussant  des  hurlements  de  bêtes  fauves.  L'un  d'eux,  la 
crosse  du  fusil  en  avant,  s'élança  sur  Jean  SCIEUR,  45  ans,  en  criant  :  Kapout  ! 
Le  malheureux  se  jeta  à  genoux,  leva  les  bras  en  un  geste  de  supplication  et  dit  : 
«  Grâce  !  Pardon  !  Ne  nous  faites  pas  de  mal  !  »  Mais  déjà  un  coup  de  crosse  l'avait 
terrassé.  Les  soldats  l'entraînèrent  dehors,  avec  Alzir  ANCIAUX  (fig.25),  20  ans,  et 
Marthe  Henrard  et  le  jetèrent  à  cent  mètres  de  là,  sur  la  place  du  village.  Ils  mirent 
aussi  le  feu  à  la  maison,  en  jetant  sur  la  toiture  une  grenade  incendiaire. 

Cependant,  le  grand'père,  Julien  Anciaux,  entendant  cette  horrible  scène,  sauta 
par  la  fenêtre,  enjamba  une  haie  et  se  blottit,  avec  sa  fille  Elvire,  dans  un  fossé 
servant  à  l'écoulement  des  eaux,  que  masquaient  d'épais  buissons. 

Peu  de  temps  après,  en  présence  de  Marthe,  un  soldat  enfonça  sa  lance  dans 
le  ventre,  puis  dans  le  crâne  de  Jean  Scieur,  et  un  autre  déchargea  sur  lui  son 
revolver.  «  Tuez-moi  aussi  !  »  criait  sa  fille.  «  Non,  vous  pas  fusillée,  mais  autre 
chose!  »  Laissant  là  le  cadavre,  qui  portait  une  plaie  béante  à  la  tête  et  était  inondé 
de  sang,  ils  emmenèrent  Alzir  et  sa  nièce  et  leur  firent  faire  trois  fois  la  même 
randonnée  dans  les  alentours,  assénant  sans  cesse  à  Alzir  des  coups  de  crosse,  de 
pied  et  de  poing.  Lorsqu'ils  furent  arrivés  auprès  d'un  champ  de  pommes  de  terre, 
ils  séparèrent  l'oncle  de  la  nièce.  Alzir  suppliait  Marthe,  en  lui  prenant  la  main, 
de  ne  pas  l'abandonner  ;  Marthe  voulait  le  suivre,  mais  les  soldats  la  retinrent  sur 
la  route,  d'où  elle  entendit  un  officier,  à  peu  de  distance,  redire  au  malheureux  la 
sempiternelle  et  stupide  accusation  :  «  Vous  avez  tiré  !  »  puis  retentirent  quelques 
coups  de  revolver.  Alzir  n'était  plus.  La  victime  fut  enfouie  dans  le  champ  de 
pommes  de  terre.  Tandis  que  Marthe  allait  rejoindre  Mlle  Pirson  au  campement,  où 
elles  passèrent  une  nuit  atroce,  liées,  mises  à  genoux,  menacées  de  la  mort,   les 


i5z 

soldats  amenèrent  table  et  chaises  et  s'amusèrent  longtemps  à  boire  à  côté  du 
cadavre  encore  chaud.  Plus  tard  la  famille  explora  vainement  le  champ  à  sa 
recherche  :  le  sol  avait  été  entièrement  nivelé  et  le  corps  de  la  victime  ne  fut 
retrouvé  qu'au  moment  de  l'arrachage  des  pommes  de  terre. 

La  journée  du  26  août.  Les  deux  groupes  de  prisonniers.  Supplice  des  prisonniers 
du  premier  groupe  et  exécution  de  l'un  d'entre  eux. 

Dès  le  matin  du  26  août,  bien  qu'on  me  le  déconseillât  comme  une  grave 
imprudence,  je  voulus  revenir  à  Franchimont.  Arrivé  à  mi-chemin  du  sentier  de 
Sainte-Anne,  j'aperçus  un  soldat  qui  me  faisait  de  grands  gestes  d'appel.  J'allai 
vers  lui.  Brusquement  il  m'empoigna  au  collet  par  derrière,  et,  me  poussant  devant 
lui,  il  me  culbuta  dans  le  fossé  d'un  champ  où  était  le  bivouac  des  troupes.  Trois,  cinq, 
dix  soldats  se  ruèrent  sur  moi  en  hurlant,  me  rouèrent  de  coups  et  me  mirent  sur  le 
cceur  des  cartouches  en  criant  :  fousiilé  !  «Vraiment,  me  dit  une  de  mes  paroissiennes, 
j'ai  cru  assister  à  une  scène  de  la  Passion  !  »  Au  centre  du  bivouac,  se  trouvaient  déjà 
sur  de  la  paille  une  disaine  d'hommes,  deux  du  village,  les  autres  de  Lautenne  et 
de  Surice,  qui  avaient  été  arrêtés  le  matin  dans  les  rues  ou  sur  les  routes,  et  étaient 
étroitement  gardés  par  deux  sentinelles.  De  leur  nombre  Julien  Anciaux,  qui  était 
revenu  pleurer  sur  les  ruines  fumantes  de  sa  maison.  Ce  fut  le  premier  groupe  de 
prisonniers,  qui  eut  le  plus  à  souffrir. 

Plus  loin,  avait  pris  place  un  second  groupe  de  prisonniers,  non  gardés,  ayant 
des  chaises  pour  s'asseoir  et  des  vivres  à  manger,  dont  Marthe  Henrard,  Maria 
Pirson,  le  garde-champêtre,  la  famille  Z.  Arnould,  la  seule  qui  ait  passé  la  nuit 
dans  son  habitation,  une  petite  et  modeste  maison,  située  à  l'écart,  qui  ne  fut  pas 
non  plus  respectée.  La  famille  de  ce  pauvre  ouvrier  comprenait  le  mari,  sa  jeune 
femme  et  trois  petits  enfants.  La  nuit  de  l'incendie,  à  23  heures,  une  grosse  pierre 
fut  lancée  avec  violence  à  travers  l'unique  fenêtre.  A  4  heures  du  matin,  des 
soldats  chassèrent  les  gens  hors  du  lit,  ils  leur  permirent  seulement  d'emporter  les 
enfants  endormis  et  quelques  hardes,  puis  ils  mirent  le  feu  à  la  chaumière.  Les 
derniers  incendies  furent  allumés  le  26,  car,  durant  la  première  expédition  incen- 
diaire, deux  ou  trois  maisons  n'avaient  pas  pris  feu,  d'autres  n'avaient  pas  encore 
subi  l'attaque  des  grenades,  entre  autres  le  magasin  d'un  négociant,  qu'il  fallait 
sans  doute  piller  au  préalable.  Dans  la  matinée  du  mercredi,  il  sortit  du  campement 
un  détachement  de  soldats  qui  vint  achever  la  sinistre  besogne.  Quand  les  flammes 
nouvellement  allumées  montèrent  dans  les  airs,  comme  nous  les  contemplions  avec 
douleur,  un  officier  nous  dit  :  «  La  guerre  !  C'est  la  guerre  !  Ce  sont  les  lois  de 
la  guerre  !  » 

A  ce  second  groupe  on  adjoignait,  au  fur  et  à  mesure  de  leur  capture,  des 
Franchimontois  et  des  gens  des  villages  voisins  arrêtés  en  revenant  chez  eux, 
auxquels  les  soldats  commençaient  par  dire  :  «  Pastor,  fousiilé  !  »  au  point  qu'ils 
croyaient  tous  ma  dernière  heure  arrivée. 

Peu  après  mon  arrestation,  l'officier  qui  surveillait  le  camp  me  fit  subir  un 
court  interrogatoire,  puis  je  fus  l'objet  de  la  curiosité  malveillante  et  des  sarcasmes 
des  soldats.  L'un  d'eux  me  jeta  à  la  tête,  en  ricanant,  un  chapelet  de  Lourdes  à  gros 


t53 

grains,  un  autre  se  frottait  le  ventre  en  disant  :  «  Guter  Wein,  Pastor  »,  un  autre  me 
montrait  le  linge  qu'il  avait  pillé  au  presbytère.  Comme  j'avais  exhorté  mes 
paroissiens  à  penser  à  Dieu  et  que,  étendu  tout  de  mon  long,  j'étais  absorbé  dans 
l'accomplissement  de  mon  ministère,  un  cavalier  recula  pour  prendre  son  élan, 
puis  lança  à  bride  abattue  sa  monture  sur  notre  groupe,  en  sorte  que  le  sabot  du 
cheval  me  frôla  la  tête,  bien  qu'un  cri  d'épouvante  poussé  par  mes  voisins  me 
l'eût  fait  retirer.  Un  sergent,  après  m'avoir  dit  :  Loquor  paululum  linguam  latinam, 
audi  me,  s'assit  solennellement  derrière  notre  groupe  et  continua  ainsi  :  Odio  ego 
habeo  ecclesiam  romanam  ;  sacerdos  romanus  fur  est  et  lalro!  (i) 

Le  plus  à  plaindre  de  nos  compagnons  d'infortune  fut  assurément  le  pauvre 
Emile  DEMEULDRE,  3ù  ans,  de  Lautenne.  Fuyant  les  coups  de  feu,  comme  nous 
l'avons  raconté,  il  parvint  à  regagner  la  maison  paternelle.  Elle  était  occupée  par 
l'ennemi  :  il  voulut  s'en  aller  de  nouveau  et  fut  encore  arrêté.  Le  voilà  donc  défini- 
tivement  entre  les  mains  des  soldats,  pauvre  agneau  tombé  dans  les  griffes  de  loups 
furieux  !  Il  reçut  d'abord  une  volée  de  coups  de  pied,  de  poing  et  de  crosse, 
puis  amené  au  campement  de  Franchimont,  il  y  fut,  en  notre  présence,  renversé, 
roulé  à  terre,  battu  comme  plâtre.  Son  père,  Thomas  Demeuldre,  dont  la  jambe 
était  déchirée  et  bandée,  eut  la  force  de  se  lever  et  s'avança  au  devant  des  tortion- 
naires,  implorant  pitié  pour  son  fils  :  il  fut  brutalement  repoussé.  Les  soldats  firent 
asseoir  Emile  sur  un  coffre  qu'ils  avaient  pris  au  village  et  lui  lièrent  les  mains 
derrière  le  dos  par  une  grosse  et  solide  corde.  Ils  lui  poussaient  contre  la  poitrine 
leurs  lances,  leurs  baïonnettes,  ou  le  canon  de  leur  revolver,  comme  pour  lui  faire 
entendre  qu'il  n'échapperait  pas  à  la  mort  :  «  Vous,  tiré,  vous  fusillé!  »  répétaient" 
ils;  «  Je  n'ai  rien  fait  »,  répondait  chaque  fois  le  jeune  homme.  Tout  le  long  du 
jour,  ce  ne  fut  de  la  part  d'Emile  qu'une  plainte,  qu'un  cri.  Il  se  débattait,  il  faisait 
des  efforts  inouïs  pour  dégager  ses  mains,  il  pleurait,  il  suppliait  qu'on  lui  rendît 
la  liberté,  il  implorait  miséricorde  :  «  Pardon!  répétait-il,  je  suis  innocent!  »  Et 
les  soldats  de  s'amuser,  de  rire,  de  se  moquer  de  ses  efforts,  de  le  secouer 
violemment,  de  le  battre  pour  l'obliger  au  repos,  à  un  repos  impossible  :  le  pauvre 
garçon  était  dans  la  fièvre,  le  terrible  fousillé  retentissait  sans  cesse  à  ses  oreilles, 
la  pensée  de  la  mort,  d'une  mort  imméritée,  ne  le  quittait  plus.  Dans  l'après-midi, 
sa  raison  paraissait  sombrer,  ses  propos  devenaient  incohérents.  Chaque  fois  que 
paraissait  l'officier,  il  redoublait  ses  larmes  et  ses  prières.  «  Tais,  tais  »,  lui 
criait  le  brutal  Allemand,  dans  son  langage  inculte  ;  et  d'autres  fois  :  «  Taisez, 
taisez,  ou  bien  fousillé  de  suite  !  »  Ce  qui  rendait  cette  scène  encore  plus  navrante, 
c'est  que  son  vieux  père  et  sa  vieille  mère  se  faisaient  aussi  suppliants,  protestaient 
de  la  douceur  et  de  la  bonté  de  leur  enfant.  Non  seulement  ces  hommes  cruels  ne 
les  écoutaient  pas,  mais  ils  leur  refusèrent  brutalement  ce  qu'ils  finirent  par 
demander  comme  une  faveur,  comme  une  grâce  :  être  autorisés  à  rester  au  camp 
avec  leur  fils  et  ne  pas  être  séparés  de  lui;  car  seules,  leurs  caresses  parvenaient 
à  le  calmer.  A  \6  heures,  la  liberté  fut  rendue  aux  prisonniers  ordinaires; 
M.  et  Mme  Demeuldre  durent  abandonnner  leur  pauvre  enfant  sans  compagnie, 
entre  les  mains  de  ces  tigres  assoiffés  de  sang. 

(i)  Traduction  :  "  Je  parle  un  peu  le  latin,  écoutes-moi...  Je  hais  l'Eglise  romaine;  le  prêtre  romain  est 
un   voleur  et   un   larron.    » 


i54 

Vers  le  milieu  du  jour,  sa  corde,  à  force  d'être  tirée,  avait  fini  par  se  délier  : 
vite  les  soldats  reprirent  la  besogne,  ils  y  mirent  à  eux  trois  toutes  leurs  forces,  ils 
serrèrent  le  nœud  si  violemment,  me  dit  un  de  nos  compagnons  placé  tout  près, 
qu'il  semblait  qu'on  entendît  craquer  les  os  du  patient,  qui  hurlait  de  douleur. 
Après  sa  mort,  on  trouva  la  corde  profondément  entrée  dans  les  chairs  et  le 
couteau  ne  put  couper  l'une  sans  entamer  les  autres. 

La  nuit  s'avançait.  Emile  Demeuldre  était  toujours  prisonnier  avec  les  dix 
hommes  du  premier  groupe,  plus  compromis  aux  yeux  des  Allemands,  et  qui 
formaient  une  catégorie  à  part.  Pour  moi,  j'avais  été  en  fin  de  compte  mené  au 
bout  du  camp,  comme  otage,  et  on  avait  mis  à  ma  disposition  une  chaise, 
une  couverture,  un  pot  de  crème  pour  ma  nourriture  et  une  sorte  d'abri  fait 
de  paille. 

Vers  le  soir,  on  délia  les  mains  à  Emile  Demeuldre.  Etait-ce  enfin  la  délivrance? 
Hélas!  non...  Des  loups  lâchent-ils  leur  proie?  Au  contraire,  il  allait  être  soumis 
pour  la  nuit  à  un  ligotage  plus  douloureux,  il  allait  être  torturé  non  plus  seul,  mais 
avec  ses  dix  compagnons,  de  façon  à  ne  faire  d'eux  tous  qu'une  seule  chaîne... 

Des  soldats  les  lièrent  les  uns  aux  autres,  bras  contre  bras,  le  bras  droit  de 
chacun  étant  attaché  par  plusieurs  tours  d'une  corde  solide  au  bras  gauche  de  son 
voisin  de  droite,  et  le  bras  gauche  étant  fixé  de  même  au  bras  droit  du  voisin  de 
gauche.  La  corde  enserrait  fortement  les  deux  bras  depuis  l'épaule  jusqu'au  poignet, 
puis  faisait  plusieurs  tours  autour  du  corps  pour  aller  rejoindre  les  deux  autres  bras. 
«  Malheureux,  disais-je  longtemps  après,  à  une  victime  de  ce  ligotage  odieux, 
Julien  Anciaux,  vous  avez  dû  gémir  toute  la  nuit.  —  Gémir,  me  répondit-il,  dites 
donc  hurler!  Mes  poignets  étaient  tout  en  sang;  mes  bras  demeurèrent  paralysés 
pendant  plusieurs  mois;  il  suffisait  d'une  légère  poussée  exercée  contre  l'un  d'entre 
nous  pour  nous  faire  tomber  tous  avec  lui  à  la  renverse,  sur  le  tas  de  paille.  Nous 
sommes  demeurés  onze  heures  d'horloge  dans  cette  position,  couchés  sur  le  dos,  la 
figure  en  l'air,  la  tête  sans  appui.  La  nuit,  il  est  tombé  une  forte  averse  :  nous 
devions  fermer  les  yeux  pour  les  protéger  de  l'eau.  —  Mais,  ajoutai-je,  vous  n'avez 
plus  été  gardés,  c'était  peine  inutile.  —  Deux  soldats  se  relayaient  toutes  les  heures, 
l'un  se  mettait  du  côté  des  pieds,  l'autre  du  côté  des  têtes.  Et  parce  que  nous 
hurlions  comme  des  malheureux,  et  que  nous  remuions  les  jambes  tant  que  nous 
pouvions,  ils  nous  injuriaient,  ils  nous  frappaient.  Ce  n'est  pas  pour  cela  que  nous 
sommes  demeurés  tranquilles  :  ils  pouvaient  nous  fusiller  de  suite,  autant  maintenant 
que  plus  tard,  disions-nous.  Finalement  plusieurs  étaient  dans  la  fièvre,  ils  diva- 
guaient, ils  battaient  la  campagne,  ils  disaient  les  choses  les  plus  drôles,  en  sorte 
qu'il  y  avait  à  la  fois  à  rire  et  à  pleurer...  Un  tel  disait  ses  Paler  comme  un  saint, 
quand  tout  à  coup,  au  milieu  d'un  Ave,  il  se  mettait  à  blasphémer  contre  les  Boches, 
à  les  traiter  des  plus  sales  noms  d'animaux  qui  lui  passaient  par  la  bouche...  » 

Jeudi  27,  à  7  heures,  il  vint  un  officier  supérieur.  Il  parut  s'apitoyer  sur  le  sort 
de  ces  malheureux  et  les  fit  délier.  Les  troupes  s'éloignaient  à  ce  moment  et  la  fin 
de  la  tragédie  approchait. 

Trois  officiers,  restés  sur  place,  congédièrent  l'un  après  l'autre  les  dix  hommes. 
Julien  Anciaux  ne  se  hâta  pas  de  partir,  car  il  désirait  savoir  ce  qui  allait  advenir 
d'Emile  Demeuldre. 


155 

Bien  qu'il  eût  été  délié  comme  les  autres,  cet  infortuné  jeune  homme  ne  s'était 
pas  relevé.  Il  était  tranquillement  couché  par  terre,  exténué,  à  bout  de  forces.  Ce 
n'était  plus  qu'une  loque  humaine.  Les  indicibles  souffrances  qu'il  avait  endurées 
l'avaient  rendu  presque  inconscient,  fl  Relevez-vous  !  »,  commanda  l'un  des  officiers. 
Il  se  leva  lentement  et,  se  retournant  vers  eux,  il  dit  en  pleurant  :  «  Je  ne  saurais 
marcher...  j'ai  mal  au  bras...  »  A  l'instant  même,  l'un  d'eux  lui  mit  le  revolver  sur 
la  poitrine,  et  tira  ;  les  deux  autres  en  firent  autant,  et  la  victime  s'affaissa  à  leurs 
pieds.  Puis  ils  s'en  allèrent  en  riant  ..  se  hâtant  pour  rejoindre  la  troupe.  La  justice 
allemande  était  satisfaite. 

Pour  la  nuit  du  26  au  27,  je  fus  autorisé  à  rentrer  au  presbytère.  En  compagnie 
d'un  officier  et  de  six  soldats,  nous  traversâmes  notre  pauvre  village  abandonné  et 
désert,  par  le  quartier  sinistré,  dont  toutes  les  maisons,  des  deux  côtés,  étaient 
encore  en  pleine  combustion.  A  l'église,  deux  soldats  sonnèrent  les  cloches  à  toute 
volée  pour  convoquer  la  population  et  l'officier  m'obligea  à  faire  une  proclamation, 
»  pour  engager  les  gens  à  ne  pas  tirer  sur  les  troupes  ».  Il  vint  quatre  personnes 
et  je  leur  débitai  ma  harangue.  Comme  cet  exercice  oratoire  me  paraissait  passa- 
blement ridicule,  je  terminai  ainsi  :  «  Du  reste,  tirez  ou  ne  tire2  pas  :  votre  curé 
est  foulu  ». 

Je  devais  rentrer  au  camp  le  lendemain  à  7  heures,  mais  les  troupes  s'étaient 
éloignées  et  le  village  était  vide. 


§  8.  —  Villers~le~Gambon  et  Vodecée. 

Les  éclaireurs  du  XIIe  corps  entrèrent  à  Villers-le-Gambon 
(rapport  n°  591)  et  à  Vodecée  (rapport  n°  592)  le  25  août  à  8  heures  et 
s'y  conduisirent  comme  des  bandits.  Quatre  habitants  furent  fusillés,  deux 
maisons  incendiées. 

Relevons  spécialement  que  l'échevin  de  Vodecée,  François  Pierre, 
fut  abattu  pour  venger  la  mort  d'un  uhlan  tué,  sous  les  yeux  de  l'ennemi, 
par  des  soldats  français  (1). 

C'est  le  100e  grenadiers  qui  est  entré  le  premier  à  Villers;  le  182e 
y  est  signalé  le  26  août  (2). 

De  Villers-le-Gambon,  une  partie  des  troupes  se  dirigèrent  sur 
Villers-en-Fagne,  par  Sautour  (rapport  n°  593),  tandis  que  d'autres 
allaient  par  Merlemont  (rapport  n°  594)  et  Sart-en-Fagne  (rapport  n°  595). 
A  Merlemont,  vers  10  heures,  les  Allemands  subirent  un  court  arrêt, 
l'artillerie  française,  de  Fagnolles,  les  ayant  contenus  pendant  une  heure. 

(1)  Le  chef  de  la  IIIe  armée,  général  von  Hausen>  a  dû  être  témoin  de  cette  scène,  qu'il  raconte  dans  ses 
Mémoires,  p.  145. 

(2)  O.i    a    retrouvé    quelques   bons    de    réquisition    délivrés    par    la    1  îe  comp.   du    100e   Leib    Grenadier 
(le  a5  août),  par  la  8e  du  t82e  (le  26  août),  et  par  le  129  bat.  de  pionniers  (le  26  août). 


156 


N°59i-  La    paroisse    de   VillerS"le~Gambon    et  Vodecée  -      écrit    M.   l'abbé    Bouchât, 

curé  (i)  —  est  située  sur  la  ligne  de  faîte  de  l'Entre-Sambre-et-Meuse,  entre  les 
routes  de  Philippeville  à  Dinant  et  de  Philippeville  à  Givet.  Elle  est  bordée  au  nord 
et  à  l'est  par  une  forêt  touffue,  que  traverse  la  première  de  ces  routes. 

Il  fut  beau  le  départ  de  nos  soldats  rappelés  sous  les  armes  !  Ils  étaient  animés 
d'un  grand  enthousiasme  et  pleins  de  courage  ;  ils  consolaient  leurs  familles  éplorées 
et  juraient  de  faire  tout  leur  devoir.  «  Nous  mourrons  s'il  le  faut,  disaient-ils,  mais 
nous  ne  céderons  pas  !  » 

Les  troupes  françaises  s'installèrent  le  14  août  dans  la  paroisse,  suivies  chaque 
jour  d'autres  colonnes.  Lors  de  leur  départ  vers  Dinant,  la  sainte  communion  leur 
fut  distribuée  à  une  heure  du  matin. 

Le  2.5  août  à  S  heures,  tous  les  chemins  déversèrent  des  Allemands  dans  nos 
villages.  Quand  les  habitants  entendirent  les  hurlements  de  bêtes  fauves,  véritable- 
ment assoiffées  de  carnage,  que  poussaient  ces  soldats,  ils  furent  pris  d'une  panique 
générale  et  la  plupart  des  habitants  qui  n'avaient  pas  encore  quitté  leurs  maisons 
les  jours  précédents  allèrent  se  cacher  dans  les  carrières  et  dans  les  bois.  On  ne 
pouvait  pas  comprendre,  ni  se  faire  une  idée  de  cette  façon  de  faire  la  guerre.  Tous 
les  habitants  de  Vodecée  avaient  aussi  quitté  leur  village  dès  le  lundi  24  août. 
A  Villers-le-Gambon,  j'étais  resté  avec  une  vingtaine  de  paroissiens,  dont  une 
douzaine  s'étaient  réfugiés  au  presbytère.  En  arrivant,  les  Allemands  pillèrent 
quelques  maisons,  mais  ils  s'acharnèrent  surtout  sur  quelques  victimes  qu'ils 
rencontrèrent  à  l'intérieur. 

Il  arriva  d'abord  une  colonne  composée  d'automobiles,  qui  descendit  la 
grand'rue  ;  les  soldats  qui  les  montaient  tenaient  le  fusil  braqué  sur  les  habitants 
et  sur  les  émigrés  qu'ils  rencontraient  et  les  terrorisèrent  par  leurs  menaces. 
Le  chemin  de  la  gare  déoersa  ensuite  une  seconde  colonne  venant  vraisemblable- 
ment de  Franchimont  et  composée  de  vrais  démons,  qui  poussaient  des  hurlements 
effrayants.  Enfin  des  uhlans,  suivis  de  près  par  de  l'infanterie,  vinrent  du  côté  de 
Vodecée  par  la  route  de  Philippeville. 

Ces  fantassins  firent  prisonniers  Edmond  Dricot,  Victor  Masson,  puis  plus 
tard  Lucien  Mottuit,  qui  portait  dans  ses  bras  son  petit  enfant,  ainsi  que  Emmanuel 
Defoin,  de  Franchimont.  Ces  quatre  civils  racontent  de  la  façon  suivante  les  scènes 
dont  ils  furent  témoins. 

«  La  bande  en  tête  de  laquelle  nous  marchions  pénétra  d'abord  chez  Thomas. 
Un  officier  y  tira  à  bout  portant  sur  un  jeune  homme,  Raoul  Thomas  :  la  balle 
lui  traversa  le  soulier  et  le  pied  de  part  en  part. 

»  Puis,  les  soudards  dépassèrent  la  gare,  après  avoir  fouillé  toutes  les  maisons; 
ils  allèrent  jusqu'aux  usines  des  Dolomies  et  d'eaux  gazeuses,  puis  revinrent  par  le 
même  chemin  :  tout  était  vide. 

»  En  descendant,  les  uns  escaladèrent  le  grenier  d'Alfred  Bayenet.  d'autres  se 
postèrent  sur  la  route  entre  cette  dernière  maison  et  celle  de  Victor  Masson,  et  de 
ces  deux  endroits  à  la  fois,  ils  tinrent  sous  leurs  fusils  toute  la  place  Verte.  Celle-ci 
était  déserte.  Un  seul  homme  la  traversa,  Jean-Baptiste  BRISBOIS,  74  ans,  qui 
allait  à  la  recherche  des   siens.   Une  fusillade  éclata  aussitôt,   il  tomba  criblé  de 

(1)  La  plupart  des  données  contenues  dans  ce  rapport  ont  été  recueillies  le  19  juin  1915. 


i57 

balles,  les  bras  étendus,  la  face  contre  terre.  Alors  on  nous  poussa  en  avant  vers 
Vodecée.  Quand  nous  fûmes  à  cinq  cents  mètres  des  premières  maisons,  sur  la 
route  de  Philippeville,  la  colonne  se  divisa  en  trois  groupes  de  vingt  hommes.  De 
chaque  côté  de  la  route,  un  groupe  organisa  une  battue  dans  les  champs  d'avoine, 
tandis  que  les  autres  nous  faisaient  avancer.  Soudain  des  coups  de  feu  éclatèrent  : 
c'étaient  deux  soldats  français  cachés  dans  les  hautes  herbes,  derrière  une  meule, 
qui  tiraient  leurs  dernières  cartouches,  mais  les  Allemands  leur  répondirent  et  ils 
tombèrent  foudroyés  (i). 

»  Vis-à-vis  de  la  maison  d'Arthur  L'Koest,  on  nous  montra  le  cadavre  d'un 
officier  (2)  et  un  cheval  à  côté  de  lui  :  c'était  l'œuvre  des  deux  Français  qui 
venaient  de  tomber.  «  Civils,  voilà  votre  œuvre  !  »  nous  dit  l'officier.  A  ce 
moment,  un  paisible  habitant  de  Vodecée  et  échevin  de  la  commune,  François 
PIERRE  (fig.  5i),  58  ans,  venait  de  rentrer  et  regagnait  sa  maison  à  deux  cents 
mètres  plus  loin.  On  l'appela,  on  le  força  à  venir.  Un  officier  le  renversa  d'un  coup 
de  pied  dans  les  reins  et,  lorsqu'il  se  fut  relevé,  il  le  mit  en  présence  du  cadavre. 
«  Qui  a  tiré?  Sont-ce  des  civils?  Sont-ce  des  militaires?  »  lui  demanda-t-il.  Le 
pauvre  homme  balbutiait,  les  mains  jointes,  implorait  pardon.  Après  un  court 
instant  de  délibération,  on  le  fit  mettre  à  genoux  à  deux  mètres  de  nous  et  dix 
soldats  le  tuèrent  à  bout  portant.  Impossible  de  décrire  cette  scène  d'horreur  : 
nous  vîmes  les  sursauts  du  cadavre,  qui  retomba  inerte  à  nos  pieds. 

»  Les  Allemands  mirent  ensuite  le  feu  à  trois  maisons  qui  bordent  la  route.  La 
maison  Joseph  Limborg-Bayot,  la  grange  de  Louise  Luc,  veuve  Arthur  L'Hoest,  et 
la  meule  qui  avait  abrité  les  soldats  français,  furent  incendiées  ;  le  feu  fut  mis 
aussi  à  la  maison  de  François  Pierre,  mais  il  s'éteignit. 

»  Toujours  en  tête  de  ces  monstres,  qui  nous  maltraitaient  de  toute  façon, 
nous  revînmes  à  Villers  et  nous  fûmes  congédiés  sur  la  route  de  Givet,  aux  abords 
des  Sablonnières,  à  to  h.  3o.  Nous  avions  vécu  deux  heures  atroces.  » 

Pendant  ce  temps,  à  9  h.  3o,  sur  le  quai  de  la  gare,  Adolphine  DUMONT, 
86  ans,  de  Florennes,  revenait  de  Merlemont  avec  sa  fille,  son  gendre  Lefer  et  sa 
petite  fille.  Une  patrouille  passa  sans  les  inquiéter,  puis  arrivée  vers  la  fabrique 
des  eaux  gazeuses,  à  une  distance  de  3oo  à  400  mètres,  elle  ouvrit  le  feu  sur  le 
groupe  de  civils  :  la  fillette  eut  les  vêtements  troués  de  balles,  sa  mère  eut  la 
jambe  brisée  au-dessus  du  genou  et  Adolphine  Dumont  eut  les  deux  cuisses 
fracassées;  elle  en  mourut  le  27  août. 

Nestor  W1AME  (fig.  5o),  46  ans,  père  de  cinq  enfants  en  bas-âge,  voulut 
aller  rejoindre  sa  famille  réfugiée  à  Sart-en-Fagne  ;  à  peine  avait-il  franchi  deux 
kilomètres  sur  la  roule  de  Givet,  vers  io  h.  3o,  qu'il  tomba  sous  les  balles,  près 
des  Sablonnières,  dans  le  fossé  du  chemin. 

Le  soir,  avec  l'aide  du  R.  P.  Amand,  bénédictin  de  Maredsous,  et  de  quelques 
habitants,  je  donnai  la  sépulture  religieuse  à  J.-B.  Brisbois.  A  peine  avais-je  déposé 
les  ornements  sacrés  que  des  Allemands,  qui  me  guettaient,  me  firent  otage  et 
m'emmenèrent  dans  une  maison  où  je  passai  la  nuit  sous  la  garde  de  vrais  bandits. 
Je  ne  raconterai  pas  les  horreurs  de  cette  nuit,  ni  ce  que  j'ai  souffert,  ni  combien 

(1)  L'un  d'eux  se  nommait  Auguste  Montuit,  29  ans,  le  second  était  d'Oran. 
(1)   Major-médecin,  croit-on,  qui  a  été  inhumé  à  Philippeville. 


158 

de  fois  j'ai  cru  ma  dernière  heure  arrivée!  Pendant  deux  longues  heures,  je  restai 
collé  contre  un  mur  sur  la  place  Verte. 

Le  26  à  5  heures,  je  fus  mis  en  tête  de  la  colonne  qui  quittait  le  village,  pour 
la  conduire  à  Merlemont. 

A  ma  rentrée,  je  m'occupai  des  morts,  que  j'enterrai,  ainsi  que  des  malades 
et  des  blessés  que  j'avais  recueillis  chez  moi. 

Quatre  fois  encore,  il  vint  d'autres  troupes  et  je  fus  chaque  fois  fait  otage. 

N°  592.  "Vodecée  reçut,   le   17  août,   un  détachement  de  soldats  français  du  20e  et  un 

groupe  d'artillerie,  qui  se  dirigèrent  le  20  sur  Agimont,  et  furent  remplacés  par 
1,200   zouaves;   ceux-ci  partirent  dans  la  nuit  suivante  pour  Fosses. 

Ils  revinrent  le  23  en  annonçant  qu'ils  avaient  fait  des  pertes  dans  les  bois  de 
Biert;  les  chariots  transportèrent  leurs  blessés  vers  Mariembourg.  Le  24  à 
14  heures,  toute  la  population  avait  fui,  à  la  suite  des  gens  de  Tamines,  Mettet, 
Stave,  Morialmé,  Hanzinne,  etc.,  qui  étaient  passés  depuis  la  veille. 

Le  25  août  à  1 1  heures,  une  patrouille  allemande  de  20  hommes  apparut  sur 
la  route  de  Givet  et  fut  reçue  par  des  coups  de  feu  de  deux  Français.  Ce  fut 
l'occasion  du  meurtre  de  François  Pierre,  ainsi  qu'il  a  été  raconté  au  rapport 
précédent. 

Le  même  jour,  deux  fils  du  bourgmestre,  arrêtés  à  Villers-en-Fagne,  furent 
conduits,  ligotés,  à  Merlemont,  puis  à  Rosée  et  enfin  à  Dinant,  où  ils  durent 
enterrer  des  cadavres.   Ils  rentrèrent  méconnaissables,  quelques  jours  plus  tard. 

N°  5ç3.  Saulour,  site  pittoresque,  occupe  en  partie  la  colline  où  se  trouvait  l'ancienne 

place  forte, en  partie  la  vallée  que  traverse  la  roule  de  Philippeville  à  Villers-en-Fagne. 
Le  village  fut  plongé  dans  l'épouvante  lors  de  l'incendie  de  Villers-en-Fagne  : 
on  entendait  distinctement  les  chants  de  joie  des  Allemands,  mêlés  au  son  des  cris 
et  des  instruments.  Les  habitants  attendaient,  affolés,  l'arrivée  de  ces  troupes 
barbares,  mais  elles  ne  vinrent  pas.  Ce  n'est  que  deux  jours  après  qu'une  douzaine 
de  soldats  traversèrent  le  village,  se  dirigeant  vers  Philippeville. 

N°  594.  Merlemoni  est  situé  en  îlot  sur  une  éminence,  faisant  face  aux  hauts  plateaux 

des  Fagnes  (Niverlée,  Romerée,  Matagne-la-Grande,  Matagne-la-Petite  et 
Fagnolles),   à  proximité  de  la  route  de  Philippeville  à  Givet. 

Des  régiments  français,  troupes  de  combat  et  train  de  ravitaillement,  arrivèrent 
au  village  à  partir  du  14  août  à  5  heures.  Des  troupeaux  de  bestiaux  furent 
abattus  à  Merlemont  et  les  quartiers  de  boucherie  étaient  emportés  dans  toutes  les 
directions  par  des  autobus  de  Paris. 

Une  ambulance  fut  établie  par  l'armée  française  au  château  de  M.  le  baron 
Nothomb  et  dans  le  local  des  oeuvres  paroissiales.  Six  cent  quatre-vingt-sept 
blessés  du  combat  de  Dinant  furent  soignés  au  château  du  16  au  20  août,  puis 
dirigés  sur  la  France.  Un  blessé,  Arcadius  Le  Telle,  instituteur  à  Auchel  (Pas-de- 
Calais),  succomba  et  fut  inhumé  au  cimetière  paroissial. 

Les  premiers  uhlans  parurent  le  25  août  à  7  h.  20  venant  de  Villers-le-Gambon. 
De  10  à  u  heures,  des  batteries  françaises  établies  à  Fagnolles  tirèrent  sur 
Merlemont    quelques  obus,   qui  ralentirent    un    peu  de  temps  l'allure  de  l'armée 


i5ç 


allemande  à  Merlemont,   sans  d'ailleurs  faire   de  dégâts  dans  le  village.   Aussitôt 
après,  l'avalanche  allemande  suivit   son   cours.   Le  général  Freiherr  von  Hausen. 


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Fig.    58.    —   Billet   délivré   à   Alertement   par   le  général   von   Hausen, 
commandant   la  IIIe  armée  allemande. 

commandant  la  IIIe  armée,    et  son    état-major,  comprenant   60  officiers,  dont    ie 
Kronprinz  de  Saxe,  s'établirent  au  château  le  mardi  à  «5  heures  (1)  et  le  quittèrent 

(1)  von  Hausen  relate  dans  ses  mémoires,  p.  147,  sa  rencontre  avec  M.  le  baron  Nothoinb,  auquel  il 
délivra,  le  27  août,  l'écrit  ci-dessus  (fig.  58).  Traduction.  "  Alerlemont,  27  août  1914.  Aux  troupes  et  postes 
de  l'armée  allemande.  Le  baron  Eugène  Nothomb,  qui  a  hébergé  le  commandement  supérieur  delà  IIIe  armée, 
a  reçu  l'autorisation  de  se  rendre  à  Bruxelles,  par  Namur.  Tous  les  postes  sont  requis  de  le  laisser  passer  sans 
ennui,  lui  et  ses  compagnons.  Le  baron  Nothomb  voyage  en  compagnie  de  son  épouse,  née  Louise  Craecker, 
ainsi  que  des  personnes  de  service  dont  les  noms  suivent  :  Maria  Klein,  Joséphine  Gervais,  Rachel  Gilles, 
(s.)  Baron  von  Hausen,  generaloberst.  »  Le  général  von  Hausen  eut  aussi,  le  27  août,  une  conférence  avec  le 
général  von  Ehrenthal,  commandant  la  24e  division  de  réserve,   qui  assiégeait  Givet. 


i6o 

au  matin  du  27  août.  Le  prince  Joachim,  fils  de  l'Empereur,  arriva  mystérieusement 
le  28  au  soir,  exténué  de  fatigue. 

Un  jeune  homme,  Sylvain  SCIEUR,  âgé  de  3o  ans,  fut  retrouvé  tué  dans  un 
buisson,  à  quelques  centaines  de  mètres  de  sa  maison,  et  les  circonstances  de  sa 
mort  sont  restées  incertaines. 

Au  presbytère,  les  soldats  arrêtèrent  M.  l'abbé  Faucomont,  curé  de  Saint- 
Aubin,  qui  s'y  était  réfugié  avec  sa  famille,  et  l'emmenèrent  dans  la  direction  de 
Villers-en-Fagne. 

Au  soir  du  25  août,  quelques  habitants  restés  au  village  purent  contempler  le 
sinistre  spectaclede  l'incendie  des  villages  de  Surice,  Romedenne,  Villers-en-Fagne 
et  Franchimont. 

N°  595.  Sart~en~Fagne,   écrit  M.    l'abbé   Péters,  curé,   est   privé   pour  ainsi   dire   de 

communications  avec  l'extérieur,  et  n'est  relié  qu'avec  Merlemont  et  Villers- 
en-Fagne  par  des  chemins  communaux.  Le  curé  de  la  paroisse,  M.  Botte,  partit  à 
la  mobilisation  comme  brancardier. 

Trois  mille  Français  du  6e  tirailleurs  algériens  et  de  la  compagnie  d'Oran 
furent  reçus  le  16  août  et  transformèrent  pour  un  jour  le  village  en  une  vaste 
caserne. 

Les  villageois  portèrent,  les  jours  suivants,  des  linges,  des  vêtements  et  des 
douceurs  à  l'ambulance  de  Merlemont. 

L'ennemi  pénétra  au  village  le  25  août.  Trois  uhlans  vinrent  dans  l'avant-midi. 
A  i3  heures,  il  passa  un  détachement  d'artillerie  de  i5o  hommes,  allant  vers 
Matagne,  et  à  ij  heures,  un  millier  d'hommes,  dont  les  deux  tiers  étaient  des 
fantassins.  Ces  troupes  furent  correctes  à  l'égard  des  rares  habitants  qui  avaient 
résisté  à  l'affolement  général  ;  vers  minuit  ceux  qui  avaient  logé  continuèrent  leur 
marche  en  avant. 

Un  convoi  de  ravitaillement  arriva  le  26  vers  \-j  heures,  pour  partir  à  son  tour 
le  27  à  6  heures  du  matin.  Les  gens  rentrèrent  aussitôt  et  tout  redevint  calme. 

§  9.   —  Villers-en-Fagne . 

Village  perdu  au  milieu  des  bois,  à  l'écart  des  grand'roules,  Villers- 
en-Fagne  comptait,  en  1914,  185  habitants. 

Le  tooe  grenadiers,  23e  division,  XIIe  corps,  venait  d'y  pénétrer  le 
25  août  vers  9  heures,  quand  l'artillerie  française  chargée  d'arrêter 
l'avance  allemande  ouvrit  le  feu.  A  l'issue  du  combat,  vers  14  heures,  les 
grenadiers  et  les  hussards  s'acharnèrent  sur  le  village  presque  désert  :  sur 
72  immeubles,  5i  furent  détruits  à  partir  de  16  heures.  Quand  la  32e  divi- 
sion traversa  la  localité,  dans  la  nuit  suivante,  elle  était  tout  en  feu  (1). 

Un  officier  saxon  du  178e,  qui  passa  à  Villers-en-Fagne  à  la  soirée, 

(1)   de  DA.npiERRE,  Carnets  de  route,  p.  28-29. 


tôt 

justifie  ainsi  ce  désastre  :  «  La  population  avait  averti  les  Français  de 
l'approche  des  grenadiers,  par  un  signal  fait  du  haut  du  clocher- 
L'artillerie  ennemie  avait  tiré  dessus  quelques  shrapnells  et  blessé  ou  tué 
des  grenadiers.  Là-dessus  des  hussards  avaient  mis  le  feu  au  village.  Le 
curé  et  d'autres  habitants  ont  été  fusillés  (i).  » 

En  réalité,  cinq  civils  furent  massacrés,  mais  le  curé,  qui  était 
absent,  eut  la  vie  sauve.  On  verra  dans  le  rapport  ci-joint  —  dont  les 
éléments  essentiels  ont  été  recueillis  le  24  juin  1915  — ce  qui  a  donné 
lieu  à  cette  légende. 

Roly,  village  situé  sur  la  route  de  Mariembourg,  fut  préservé  (voir 
rapport  n°  597). 

Du  to  au  24  août,  Villers~en~Fagne  fut  occupé  par  des  troupes  françaises. 

Cinq  uhlans  arrivèrent  le  25  août  à  9  heures  et  furent  suivis  à  9  h.  3o 
du  gros  de  ta  troupe.  Plusieurs  taubes  avaient  déjà  évolué  au-dessus  du  village  vers 
S  heures. 

Le  premier  acte  de  l'ennemi  fut  de  fusiller  un  soldat  français.  Celui-ci  revenait 
de  la  direction  de  Fagnolles  et  se  heurta,  dans  le  bas  du  village,  vers  9  heures,  à 
un  détachement  ennemi.  Il  leva  les  bras  et  fut  fait  prisonnier,  sans  résistance.  Séance 
tenante  il  fut  fusillé,  en  présence  d'Amour  Haulin  et  de  Joseph  Wallon.  Ce  dernier 
fut  tué  lui-même  peu  de  temps  après. 

Un  fort  contingent  de  cavaliers,  qui  avait  suivi  les  premiers  uhlans,  était 
parvenu  au-dessus  du  village  lorsqu'un  obus  français  vint  éclater  dans  leurs  rangs 
et  les  mit  en  déroute  ;  on  vit  repasser  à  la  hâte  des  Allemands  blessés,  des  chevaux 
sans  cavaliers  et  des  soldats  désarçonnés.  Peu  de  temps  après,  de  nombreuses 
batteries  allemandes  prirent  place  sur  la  côte  dite  «Tienne  à  Gahi  »,  s'étendant  sur 
une  ligne  d'environ  un  kilomètre  et  demi  jusque  près  d'Ingremez.  Elles  entrèrent 
aussitôt  en  action  et  fonctionnèrent  jusque  14  heures.  Des  obus  français  tombèrent 
en  maints  endroits  du  village,  mais  surtout  au  «  Tienne  à  Gahi  »,  où  furent  tués  de 
nombreux  chevaux  et,  croit-on,  des  soldats  allemands  (2). 

C'est  à  l'issue  du  combat  que  le  village  eut  à  souffrir,  car  les  Allemands 
rendirent  les  habitants  responsables  de  la  défense  française. 

Le  feu  fut  mis  en  premier  lieu  au  presbytère  (3)  vers  16  heures  et  se  poursuivit 

(1)  Ibid.  p.  19.  Le  parquet  de  Dînant  a  relevé  à  Villers-en-Fagne  un  bon  délivré  par  le  2e  bat.  du  loi  et 
par  le  28e  d'art.;  une  inscription  découverte  chez  Joséphine  Noël  accuse  la  présence  du  2ebat.du  io3e  ;  le 
secrétaire  communal   a  signalé  une   paire  de  chaussettes  marquées  au  101e  et   Léontine  Gerin,  épouse   Bour- 

mbourg,  2  chemises  du  102e  rég.  2  bat.  (Archives  de  la  Commission  d'enquête,  à  Bruxelles.) 

(2)  On  signale  au  village  les  tombes  de  6  officiers- 

(3)  Dans  les  jours  qui  suivirent,  les  soldats  — notamment  un  officier  saxon  du  nom  de  Rosbecq  —  se 
glorifièrent  à  plusieurs  reprises  d'avoir  «  brûlé  le  curé  »  dans  la  maison  de  cure,  parce  qu'  «  il  avait  fait  des 
signaux  aux  Français  à  l'aide  d'un  drapeau  » .  Or,  le  curé  était  absent  au  moment  de  l'incendie  du  viltage,  s'étant 
rendu  à  Roly,  le  24  août,  pour  la  fête  de  l'Adoration  perpétuelle  du  Saint-Sacrement.  Ce  qui  a  pu  donner 
occasion  à  cette  rumeur  et  faire  croire  aux  habitants  eux-mêmes  que  le  propos  tenu  par  les  Allemands  était 
fondé,  c'est  qu'un  aumônier  volontaire  de  la  5ie  division,  le  P.  Zimmermann,  religieux  français  de  la  Compagnie 


1Ô2 

pendant  la  nuit  suivante  et  la  matinée  du  26  août  (1).  Camille  Belvaux,  d'Ermeton- 
sur-Biert,  qui  se  trouvait  en  ce  moment  à  Villers-en-Fagne,  raconte  ainsi  les 
premiers  incendies  :  «  A  i5  heures,  comme  il  nous  semblait  que  toute  la  troupe 
était  passée,  nous  nous  décidâmes  à  partir.  A  peine  avions-nous  fait  quelques 
mètres  que  des  uhlans  qui  sortaient  du  bois  nous  arrêtèrent,  puis  nous  laissèrent 
continuer  notre  route.  Quand  nous  fûmes  un  demi-kilomètre  plus  loin,  nous  vîmes 
qu'en  un  instant  toutes  les  maisons  étaient  la  proie  des  flammes. 

»  Dans  les  rues,  ce  n'étaient  plus  que  soldats  et  cavaliers,  canons  et  fourgons, 
se  rendant  vers  Mariembourg.  Nous  voulûmes  rebrousser  chemin,  mais  ce  fut 
impossible,  tant  nous  étions  noyés  dans  la  troupe.  Au  fond  du  village,  une  ferme, 
transformée  en  croix-rouge,  était  remplie  de  blessés.  Un  peu  plus  loin,  nous  vîmes 
couchés  dans  le  fossé  deux  Allemands  tués.  Plus  loin,  on  transportait  dans  un 
jardin  le  cadavre  d'un  capitaine.  A  ce  moment  nous  vîmes  des  soldats  tirer  des 
coups  de  feu  sur  une  maison  et  elle  fut,  en  un  instant,  réduite  en  flammes.  Une 
autre  ferme  qui  était  devant  nous  fut  aussi  incendiée,  après  que  la  troupe  eut  fait 
sortir  le  bétail  des  écuries  et  emporté  les  meubles  sur  un  chariot,  auquel  peu  de 
temps  après,  ils  mirent  aussi  le  feu.  «  Sales  Belges,  tué  nos  soldats  !  »  nous  dit 
en  nous  mettant  le  revolver  sur  la  poitrine  un  officier  de  cavalerie,  qui  précédait 
sa  troupe.  » 

Céli-JosephDUMONT,6o  ans,  qui  habitait  chez  son  frère,  secrétaire  communal, 
fut  retrouvé  carbonisé. 

Félix  DEFOIN,  66  ans,  fut  arrêté  après  le  combat,  dans  sa  maison,  où  il  était 
retourné  pour  chercher  des  vivres.  Il  fut  emmené  sur  la  route  de  Merlemont,  à 
200  mètres  du  village,  et  fusillé.  Les  soldats  avaient  trouvé  sur  la  cheminée  de  sa 
maison  quelques  cartouches  abandonnées  par  les  Français. 

Adelin  WOINE(,fig.  52),  53  ans,  instituteur  communal,  fut  surpris  et  fouillé  aux 
abords  du  village  au  moment  où  il  y  revenait;  trouvé  porteur  d'un  revolver  non 
chargé,  il  fut  arraché  aux  étreintes  de  son  épouse  et  abattu  à  un  détour  du  sentier, 
puis  dépouillé  de  l'argent  qu'il  portait  sur  lui. 

Joseph-Constant  WALLON,  57  ans,  fut  d'abord  contraint  à  abreuver  les 
chevaux  sur  la  place,  puis  il  fut  conduit  à  la  sortie  du  village,  du  côté  de  Merlemont, 
et  fusillé  le  long  d'un  mur. 

Hubert  NOËL,  34  ans,  fut  réquisitionné  avec  ses  chevaux,  au  moment  du 
combat,  pour  conduire  des  vivres  à  Fagnolles.  Son  cadavre  fut  retrouvé  dans  le 
bois,  le  long  d'un  fossé. 

de  Jésus,  se  trouvait  le  14  août  après-midi  à  Villers~en-Fagne,  ayant  quitté  Rosée  dans  la  nuit  précédente  avec 
l'ambulance  dirigée  par  le  docteur  Ernest  Faucon.  Il  partit  de  Villers-en-Fagne  à  la  soirée  même  du  24,  afin 
de  céder  son  lit  au  colonel  de  Riols  de  Fonclare,  qui  venait  d'arriver  à  Villers-en-Fagne  et  y  regroupait  son 
régiment  décimé.  A  Merlemont,  où  il  se  rendit  en  quittant  Villers-en-Fagne,  l'alerte  (ut  donnée  dans  la  nuit 
même  et  le  2.5  au  matin  l'aumônier  disait  la  messe  à  Petigny.  Plusieurs  habitants  de  Villers-en-Fagne,  qui 
avaient  aperçu  le  religieux  la  veille  et  le  croyaient  hébergé  au  presbytère,  ont  pu  supposer  qu'il  avait  été  surpris 
dans  l'incendie  de  la  maison  du  curé  et  carbonisé. 

(1)  Sur  71  maisons,  les  suivantes  furent  préservées  :  la  ferme  Noël  et  la  maison  Rihoux,  dans  lesquelles  se 
trouvaient  des  blessés;  les  maisons  François  Haulin,  Nicolas  Demotte,  Braibant,  Auguste  Defoin,  Félicien  Jomot, 
Théophile  Gérin,  Félix  Jomot,  Emile  Lotin,  Jules  Gérin,  Michel  Dumont,  Désiré  Gérin,  Arthur  Colonval  et 
l'école. 


i63 

La  plupart  des  habitants  restés  au  village  (t)  y  endurèrent  un  vrai  martyre, 
que  partagèrent  bientôt  tous  ceux  qui  y  revinrent,  après  avoir  fui  vers  Mariembourg. 
Plusieurs  furent  parqués  à  l'étage  de  la  maison,  non  incendiée,  de  Théophile  Gérin, 
où  la  soldatesque  les  terrorisait  en  leur  montrant  le  pétrole  qui  allait  servir  à  les 
brûler  vifs.  Le  26,  à  \j  heures,  ils  furent  emmenés  à  Sart-en-Fagne  avec  défense 
de  revenir  encore  au  village. 

N°  597.  A    Ro/y,    écrit    M"e   G.    Braibant,   institutrice    communale,    le    z3   août   dans 

l'après-midi,  un  flot  d'étrangers  dont  les  visages  reflètent  l'épouvante,  envahit  les 
rues  et  les  maisons.  Ils  viennent  de  Fosses,  de  Tamines,  de  Dinant.  Ils  racontent 
leur  triste  sort  et  nous  prédisent  le  nôtre. 

Le  24  août,  la  journée  est  consacrée  aux  préparatifs  du  départ.  Les  chariots 
s'emplissent  de  provisions,  les  familles  se  groupent,  on  décide  de  partir  ensemble. 
Les  heures  deviennent  angoissantes.  Bientôt  fantassins  et  cavaliers  belges  arrivent 
et  se  confondent  en  un  pêle-mêle  affreux.  Les  locaux  publics  sont  aménagés  pour 
servir  d'ambulance,  et  de  pauvres  blessés  y  sont  déposés  par  centaines.  Mais 
l'ennemi  approche  et  la  troupe  doit  partir.  Les  malheureux  blessés  sont  de  nouveau 
hissés  sur  des  camions  ou  des  autos  et  la  retraite  continue. 

Le  25  août  va  décider  du  sort  du  village.  Partira-t-on  ou  restera-t-on  ?  La 
généralité  opine  pour  cette  dernière  alternative.  Quelques  familles  se  réfugient 
dans  les  bois  voisins,  tandis  que  d'autres  cherchent  un  abri  dans  leur  cave.  Vers 
i3  heures,  le  combat  s'engage  dans  les  environs.  A  16  heures,  les  Allemands,  l'arme 
au  poing,  l'air  menaçant,  font  leur  entrée  au  village.  Les  autorités  vont  à  leur 
rencontre,  elles  satisfont  à  leurs  exigences  et...  les  loups  s'apaisent. 

§   10.    —  Matagne-la~Grande  et  Fagnolles. 

Le  combat  qui  s'est  livré  sur  le  territoire  de  ces  localités  et  aux 
environs,  dans  l'avant-midi  du  25  août,  se  rattache  à  l'effort  général 
tenté  par  les  Français  pour  enrayer  l'avance  ennemie  et  permettre  aux 
ter  et  10e  corps  français  de  s'écouler  vers  le  sud. 

Le  25  août,  à  4  h.  3o  du  matin,  la  ire  division  (ier  corps)  avait  reçu 
l'ordre  de  couvrir  le  passage  du  ier  corps  par  le  défilé  de  Couvin.  A 
cette  fin,  le  6e  chasseurs  à  cheval,  mis  à  sa  disposition,  se  porta  vers 
Fagnolles,  couvrant  dans  la  direction  de  Matagne-la»-Grande.  Tandis 
qu'il  se  portait  vers  Matagne-la-Petite,  il  tomba  sous  le  feu  d'une 
batterie  ennemie  installée  en  arrière  du  village.  Les  escadrons  se 
replièrent  en  hâte  et  on  les  vit  repasser  à  Dourbes,  à  1 1  heures,  au  sein 

(t)   Vingt  hommes  et  un  petit  nombre  de  femmes  et  d'enfants- 

Joseph  Bourtembourg  a  raconté  dans  la  publication  «  Dionantensis  "  n"  23,  p.  S9,  comment  il  échappa  à 
la  mort,  dans  la  cave  de  sa  maison  en  feu.  Mme  Firmin  Gérin  et  son  mari,  paralysé,  furent  mis  au  mur  de 
l'école  et  menacés  d'être  bombardés  à  bout  portant,  (ibid.,  p.  60.) 


t64 

d'un  nuage  de  poussière.  Le  lieutenant-colonel  Sanson  fut  tué,  le  colonel 
de  Gramont  fut  porté  comme  disparu,  trois  officiers  furent  blessés,  plus 
de  5o  hommes  mis  hors  de  combat. 

La  tre  brigade  (43e  et  127e  régiments),  avec  la  compagnie  division- 
naire du  génie  et  un  groupe  de  l'artillerie  divisionnaire,  devait  tenir  sur 
le  front  Fagnolles-Mariembourg-Frasnes. 

Nous  joignons  deux  rapports  qui  contiennent  quelques  détails  sur 
ces  opérations. 

N°  5o8.  Dans  la  nuit  du   24  au  25  août,   écrit  M.   Pierre,   instituteur,   les   maisons   de 

Matagne~la~Grande  regorgeaient  de  Français.  Vers  1  heure  du  matin,  des  hommes 
vinrent  frapper  aux  portes,  prétendant  qu'un  uhlan,  dont  ils  avaient  reconnu  la 
silhouette,  avait  traversé  au  galop  la  localité.  Les  lignards  ne  parurent  pas  accorder 
la  moindre  importance  à  ce  bruit  et  achevèrent  leur  sommeil.  Vers  5  heures,  deux 
à  trois  cents  dragons  français  poussèrent  une  reconnaissance  jusqu'à  la  fabrique  de 
dynamite  et,  à  leur  retour,  engagèrent  habitants  et  réfugiés  à  fuir.  Le  départ  fut 
fort  laborieux,  tant  était  compacte  l'armée  française  :  canons,  charrois,  hommes 
couchés  sur  les  chemins  obstruaient  tout  passage.  Il  fallut  quatre  heures  à  certaines 
gens  pour  s'avancer  d'un  demi-kilomètre.  A  ce  moment  quelques  centaines  de 
fantassins  prirent  position  au  pied  du  grand  «  Tienne  »,  qui  domine  le  petit  cime- 
tière.  Sur  la  crête  s'établirent  plusieurs  batteries.  Vers  8  heures,  le  duel  d'artillerie 
commença,  sur  les  indications  d'un  colonel  français,  installé  à  quelques  mètres  du 
cimetière.  Bientôt  des  uhlans  apparurent  aux  portes  de  Matagne  et  se  répandirent 
dans  les  prés,  suivis  d'autres  cavaliers,  toujours  plus  nombreux,  que  l'on  voyait 
s'avancer  en  courant.  Pendant  une  heure,  ils  furent  tenus  en  échec  par  les  canons 
et  les  mitrailleuses  françaises. 

Mais  leur  masse  croissait  toujours,  au  point  de  pouvoir  bientôt  prendre  de 
flanc  les  batteries  françaises,  qui  occupaient  les  sommets  de  la  même  ligne  de 
crête,  tirant  à  la  fois  de  Romerée,  de  la  route  de  Bieure,  et  de  «  Gramemont  ». 

Pendant  que  les  pièces  d'artillerie  de  Bieure,  maintenant  repérées,  essayaient 
d'éviter  les  projectiles  ennemis  en  se  déplaçant  sans  cesse  dans  la  campagne, 
l'interminable  théorie  des  convois  militaires  et  civils,  émue  par  le  son  du  canon 
et  le  bruit  de  la  fusillade,  poursuivait  le  plus  rapidement  possible  sa  marche  tumul- 
tueuse et  encombrée.  Les  Français  durent  les  suivre  à  leur  tour,  laissant  trois  morts 
près  du  cimetière  (1). 

Peu  de  temps  après,  les  Allemands  occupèrent  le  sommet  du  «  Tienne  ». 

Au  village,  une  maison  voisine  de  l'église  avait  été  incendiée  par  des  obus; 
l'église  elle-même  avait  été  plus  ou  moins  endommagée  par  des  éclats. 

N'1  599.  A  Fagnolles,  écrit  M.  l'abbé  Derselle,  curé  de  la  paroisse  en  1919,  lorsque  la 

population  vit  refluer  les  troupes  françaises,  elle  fut  prise  d'affolement  et  gagna  les 
forêts  voisines.  Seuls  le  curé,  le  clerc  et  quelques  habitants  attendirent  l'ennemi. 

(1)  Jules    Delain   et   Alexandre    Douly,  de  Saintr-Omer  et   Le   Coester,   de  Dunkerque.  Maurice   Hallain, 
atteint  au  flanc,  put  se  traîner  dans  un  bois  voisin,  où  on  retrouva  son  cadavre.  Un  officier  fut  blessé. 


l65 

Un  combat,  qui  marque  la  dernière  résistance  française,  fut  ouvert  le  25  août, 
vers  7  heures  du  matin.  Au  village  combattirent  le  43e  de  Lille  et  le  127e 
de  Dunkerque,  appuyés  par  de  l'artillerie.  Un  escadron  français  de  chasseurs 
à  cheval,  muni  de  deux  mitrailleuses,  avait  à  peine  commencé  l'installation  de 
celles-ci  que  déjà  il  était  dépisté  par  un  taube  et  couvert  de  grenades,  qui 
firent  plusieurs  victimes.  Tués  et  blessés  furent  enlevés  séance  tenante  par  les 
ambulanciers. 

La  bataille  battait  son  plein  vers  tu  heures.  Des  batteries  françaises  tiraient 
à  200  mètres  du  presbytère,  celles  de  l'ennemi  occupaient  les  hauteurs  de  Villers- 
en-Fagne.  Forcée  de  quitter  les  avant-postes  par  un  tir  nourri,  l'infanterie 
française  se  retira  à  l'arrière.  Une  ligne  de  tranchées  resta  cependant  garnie  pour 
recevoir  l'ennemi  :  c'est  là  que  cinq  soldats  du  43e  furent  tués  par  un  shrapnel 
tombé  à  quelques  mètres  derrière  eux(i). 

Les  Allemands  parurent  à  14  h.  3o  et  défilèrent  sans  s'arrêter,  pendant  deux 
heures,  dans  la  direction  de  Dourbes;  on  remarqua  notamment  des  troupes  du 
tooe  régiment. 

Le  26  août  vers  7  heures,  Casimir  Seilleur  fut  sur  le  point  d'être  fusillé  :  on 
avait  trouvé  chez  lui  un  fusil  chargé  et  une  caisse  de  cartouches  à  ballettes.  Le 
curé,  M.  l'abbé  Guyaux,  parvint  à  le  sauver. 

Dans  la  journée,  le  curé  fut  sommé  d'accompagner  un  officier  en  auto  à 
Mariembourg. 

Cinq  soldats  français  et  un  Allemand  furent  tués  à  Fagnolles.  Joseph  Machelard, 
de  Fagnolles,  48  ans,  a  été  fusillé  à  Petigny.  Deux  civils  de  Rosée  (voir  p.  147) 
furent  tués  à  Fagnolles. 

§11.  —  Dourbes. 

Dourbes,  coquel  village  de  36o  habilants,  qu'arrose  le  Viroin,  fui 
respecté  par  la  23e  division  qui  y  passa  le  25  août,  et  même  par  les 
premières  troupes  de  la  32e  division  qui  le  traversèrent  le  lendemain. 
C'est  ce  que  nous  croyons  conclure  du  fait  que  le  178e  entra  à  Dourbes 
le  26  à  5  heures  du  matin  et  en  partit  à  8  h.  3o,  croisant  en  gare  de 
Nismes  le  64e  d'artillerie  et  le  18e  hussards  (32e  division)  (2).  Les 
incendies  commencèrent  dans  la  journée  et  se  continuèrent  le  lendemain  : 
58  maisons,  soit  les  deux  tiers,  furent  détruites  (voir  fig.  57).  Cet 
inutile  désastre  devait  punir  quelques  coups  de  feu  tirés  par  l'arrière» 

(1)  Ce  sont  le  caporal  Bourgain,  de  Lille,  et  les  soldats  Blanchat,  de  Roubaix,  Bufquin,  de  Roubaix, 
Derudder,  de  Saint-Omer,  et  Bekaert,  de  Dunkerque.  Un  hussard  allemand  fut  aussi  retrouvé  mort  à 
100  mètres  des  Français. 

(z)  de  Dampiehrb,  o.  c-  p.  29.  Arrivé  à  Dourbes  le  i5  août,  le  lieutenant  Reisland,  du  177e,  écrit  : 
«  Encore  de  nombreux  incendies-  Un  village  haut  perché  flambait  presque  tout  entier.  A  le  regarder  de  loin, 
je  pensai  aussitôt  à  l'embrasement  de  la  Walhalla  dans  le  Crépuscule  des  "Dieux.  Tableau  merveilleux,  mais 
émouvant.   »  Les   Violations,  o-  o  p.  114. 


i66 

garde  française.  Trois  civils  furent  tués.  On  lira  avec  un  vif  intérêt  le 
récit  de  M.  le  curé  Husquin,  témoin  oculaire,  récit  qui  a  été  recueilli 
dès  le  28  octobre  1914. 

OUoy   est  l'un  des   rares   villages  qui  ne  connurent  pas  l'invasion 
(rapport  n°  601). 

N"  600.  Il  passa  à  Dourbes,  vers  le  10  août,  des  troupes  des  8e,  73e  et  iio'  d'infanterie 

française  (3eet  4e  brigades,  2e  division,  icr  corps).  Le  127e  était  à  Pétigny.  Le  21  août, 
il  passa  des  convois  de  ravitaillement  et  d'ambulance. 

Le  23  et  les  deux  jours  suivants,  les  chemins  furent  encombrés  par  le  triste 
défilé  des  gens  du  pays  de  Bioul,  Fosses,  Auvelais.  ainsi  que  des  chariots  et 
charrettes  qu'ils  emmenaient  avec  eux.  Des  centaines  d'étrangers  logèrent  dans  les 
granges  et  à  la  belle  étoile. 

Le  25  août  à  7  heures,  lorsque  j'eus  dit  la  messe,  les  trois  quarts  des  habitants 
s'étaient  enfuis  à  leur  tour  et  les  dernières  troupes  françaises  se  retiraient.  Une 
douzaine  de  canons  étaient  restés  près  du  village,  au  lieu  dit  :  «  Es  valli  »,  et  purent 
tirer  de  10  h.  3o  à  i3  h.  3o  sans  être  repérés  ;  des  obus  allemands  tombèrent  dans 
les  campagnes  voisines,  sans  atteindre  ni  les  artilleurs,  ni  le  village. 

Vers  1 1  heures,  une  bande  de  chevaux  sans  cavaliers  dévala  de  Matagne,  dans 
un  nuage  de  poussière  ;  ils  étaient  suivis  d'un  escadron  du  6e  chasseurs  à  cheval 
français,  qui  venait  d'être  décimé  près  du  cimetière  de  Matagne-la-Grande.  A  la 
demande  d'un  capitaine,  je  donnai  quelques  soins  à  un  sous-lieutenant  blessé,  qui 
fut  aussitôt  remis  sur  la  voiture  d'ambulance,  puis  le  capitaine  conseilla  aux  quinze 
habitants  qui  restaient  d'abandonner  le  village. 

Je  rejoignis  mes  paroissiens  qui,  pour  la  plupart,  s'étaient  déjà  abrités  dans  un 
taillis,  entre  deux  rochers,  dans  la  direction  d'Olloy. 

A  i3  h.  3o,  les  batteries  françaises  se  retirèrent,  abandonnant  un  canon  dont 
le  timon  était  brisé,  et  le  combat  prit  fin. 

Nous  rentrâmes  à  quelques-uns  au  village,  mais  nous  dûmes  nous  retirer 
précipitamment,  poursuivis  par  les  éclaireurs  allemands  qui  arrivaient  par  la  route 
de  Matagne.  «  Couchez-vous  !  »  me  crièrent  subitement  mes  compagnons,  qui 
avaient  aperçu  l'ennemi  tirer  dans  ma  direction  ;  deux  balles  me  frôlèrent  la  tête. 
Nous  parvînmes  à  regagner  notre  abri. 

En  ce  moment  les  troupes  ennemies  envahissaient  les  rues  et  se  livraient  au 
pillage  des  maisons.  Celles-ci  furent  pour  la  plupart  non  seulement  dépouillées 
de  ce  qu'elles  contenaient,  mais  saccagées. 

Dépassant  le  village,  l'ennemi  se  trouva  bientôt  en  contact  avec  les  Français 
dans  les  campagnes  qui  séparent  Dourbes  de  Nismes.  L'après-midi,  nous  assistâmes 
de  loin  à  leur  rencontre  le  long  du  Viroin,  dans  les  prairies  voisines  de  la  tannerie  ; 
nous  entendîmes  pousser  des  clameurs  et  des  cris. 

Nous  passâmes  la  nuit  suivante  sur  les  pierres,  à  côté  des  rochers. 

Le  26  août,  je  revins  au  village  avec  une  vingtaine  d'hommes.  A  ce  moment 
les  troupes  de  la  veille  étaient  parties  dans  la  direction  de  Nismes  et  trois  soldats 


,67 

français  cachés  dans  les  environs  tiraient  sur  elles  du  lieu  dit  :  «  Hinry  »,  à  environ 
3oo  mètres,  tuant  un  major  et  blessant  deux  soldats  (i). 

Cependant  d'autres  troupes  avaient  pris  possession  du  village  et  s'attaquaient 
aux  civils  qui  y  avaient  été  surpris.  Sortant  du  presbytère,  j'aperçus  plusieurs  de 
mes  paroissiens  qui  rampaient  dans  les  fossés  ou  se  glissaient  contre  les  murailles. 
Trois  hommes  furent  atteints.  Palmyr  TONGLET  (fig.  66),  46  ans,  eut  les  deux 
tempes  percées  d'une  balle  sur  le  «  tienne  Delvaux  »,  un  peu  en  dehors  du  village; 
sa  femme  et  sa  fille,  qui  s'étaient  penchées  sur  lui,  durent  l'abandonner  pour  échapper 
à  la  mort.  Clément  COGNIAUX,  68  ans,  fut  atteint  au  dos  d'une  balle  qui  le 
transperça  de  part  en  part,  devant  l'école  des  religieuses  ;  Jules  GODEFROID 
(fig.  67),  de  Somzée,  42  ans,  reçut  deux  balles  dans  la  poitrine  et  tomba  hors  du 
village,  sur  la  route  de  Nismes. 

Un  groupe  de  civils  qui  ne  réussit  pas  à  fuir  fut  arrêté  et  eut  beaucoup  à 
souffrir.  Il  comprenait  Honorine  Hurion,  épouse  Clément  Gaye,  son  fils  Désiré  Gaye, 
Clément  Hurion  et  sa  fille  Marthe.  Le  feu  venait  d'être  mis  au  village  vers  t  o  heures  ; 
ils  durent  le  traverser  et  furent  menés  jusqu'à  la  maison  du  garde  Cyprien  Jacmart, 
où  l'officier  allemand  avait  été  tué  le  matin  ;  ils  furent  sur  le  point  d'y  être  fusillés. 
Honorine  Hurion,  sous  la  menace  du  revolver,  dut  visiter  toute  la  maison  pour 
s'assurer  que  personne  n'y  était  caché.  On  leur  fit  retraverser  le  village  et  on  les 
aligna  au  bord  de  la  route  de  Nismes  ;  puis  ils  furent  relâchés. 

Le  26  août  furent  incendiés  le  château  et  les  maisons  de  «  la  cour  »,  celles  de 
la  route  de  Nismes,  de  la  place  et  de  la  route  de  Fagnolles. 

Le  27  août,  les  troupes  continuèrent  leur  marche  en  avant.  Il  en  vint  d'autres, 
qui  poursuivirent  la  destruction  du  village  en  incendiant  la  maison  communale,  où 
périrent  les  archives  civiles,  les  maisons  voisines  et  une  partie  de  celles  de  la  route 
de  Matagne-la-Grande.  Il  ne  resta  de  Dourbes  que  la  rue  conduisant  à  l'église, 
dans  le  bas  du  village,  avec  l'église,  les  écoles  et  le  presbytère. 

Cinquante-huit  maisons  furent  détruites,  soit  les  deux  tiers,  au  cours  de  ces 
deux  journées. 

Le  25  août,  après  la  retraite  française  et  le  passage  des  populations  qui  fuyaient, 
quelques  obus  allemands  atteignirent  Olloy  vers  i5  heures.  Tirés  des  hauteurs  de 
Maîagne-la-Petite,  ils  tombèrent  aux  environs  de  la  ligne  du  chemin  de  fer  et  en 
deçà  du  bois  qui  s'étend  jusqu'à  Oignies.  Une  batterie  française  de  75  fut  alors 
installée  à  Neviaux,  non  loin  du  cimetière,  dans  les  prairies  qui  longent  le  Viroin  ; 
découverte  par  un  taube,  elle  eût  été  aussitôt  couverte  par  les  shrapnels  qui  furent 
envoyés  vers  elle  si  déjà  elle  ne  s'était  retirée  vers  Couvin,  par  Petigny.  Au  bruit 
de  la  canonnade,  le  petit  nombre  d'habitants  qui  étaient  restés  se  rendirent  dans 
les  bois  voisins,  où  ils  passèrent  la  nuit.  Les  Allemands  suivirent  en  partie  la  voie 
Dourbes,  Nismes  et  Petigny,  en  partie  celle  de  Vierves  et  Le  Mesnil.  Ainsi  contour- 
nèrent-ils Olloy  sans  y  entrer,  et,  le  lendemain  à  6  heures,  la   messe  put  être  dite 

(1)  C'est  le  fait  qui  a  amené  la  destruction  du  village.  Un  officier  a  déclaré  à  plusieurs  reprises,  les  jours 
suivants,  qu'  "  à  Dourbes,  un  civil  a  tiré  trois  coups  à  balleltes  sur  les  Allemands  ;  un  capitaine  a  été  tué,  deux 
soldats  blessés  ». 


t68 

comme  de  coutume.  Un  cycliste  ennemi  passa  le  26  à  9  heures,  et  demanda  le 
chemin  de  Saint-Joseph  (Nismes)  ;  deux  heures  après,  vingt-cinq  fantassins 
demandèrent  à  boire,  puis  se  dirigèrent  vers  Couvin. 

§    12.  —  JSismes. 

C'est  la  2e  brigade  (ire  division,  ier  corps  français)  qui  reçut,  au 
matin  du  25  août,  la  mission  de  tenir  Nismes,  avec  le  ter  régiment 
d'infanterie  et  une  batterie,  et  d'organiser,  avec  le  2e  régiment  de  la 
brigade  et  deux  batteries,  une  position  de  repli  à  l'arrière. 

Les  défenseurs  se  comportèrent  avec  vaillance  :  l'ennemi,  qui  débou- 
chait déjà  de  Dourbes  vers  14  heures,  ne  put  entrer  à  Nismes  qu'à 
18  h.  3o  (1). 

Le  lendemain,  le  feu  fut  mis  à  3  maisons  et  sept  civils  furent 
massacrés.  Voici  ce  qu'a  écrit  à  ce  sujet  le  curé  de  la  paroisse, 
M.  l'abbé  Gruslin. 

N°  602  ^e  village  de  Nismes  est  traversé  par  l'Eau  Noire,   qui  se  réunit  un  kilomètre 

plus  loin  à  l'Eau    Blanche,    au   pied  de  la  Roche  à  Lomme,  pour  former  le  Viroin. 

Le  25  août,  au  matin,  les  derniers  habitants,  quand  ils  virent  que  la  retraite 
française  était  terminée  et  que  l'arrière-garde  effectuait  sur  les  Tiennes  quelques 
travaux  de  défense  et  barricadait  les  quatre  ponts  de  l'Eau  Noire,  se  réfugièrent 
dans  les  bois  de  Regniessart,  à  4  kilomètres  de  la  localité.  Il  ne  resta  que  le  curé 
et  un  petit  nombre  de  personnes,  la  plupart  des  vieillards  et  des  infirmes. 

Dans  les  premières  heures  de  l'après-midi,  l'ennemi  se  dirigeait  en  rangs 
serrés  vers  la  tannerie  Houben  quand  des  Français  embusqués  dans  un  bosquet  et 
le  long  de  la  rivière,  au  pied  de  la  Roche  à  Lomme,  ouvrirent  le  feu.  Une  vive 
fusillade  se  poursuivit  de  part  et  d'autre  et  des  ouvriers  qui  se  trouvaient  à  la 
gare  de  Nismes  entendirent  distinctement  un  capitaine  français  crier  à  quelque 
5o  soldats  qu'il  avait  sous  ses  ordres  :  «  Courage,  mes  amis,  tenons  ferme!  »  Plus 
loin  les  Allemands  vociféraient,  poussaient  des  cris. 

L'artillerie  ennemie  vint  à  l'aide  des  fantassins  et  la  poignée  de  défenseurs 
français  dut  battre  en  retraite,  gagnant  le  village  de  Nismes  (2).  On  vit  encore  un 

(t)  Voir  de  Dampierre,  o.  c.  p.  29.  —  M.  Fettweis,  substitut  du  procureur  du  Roi  à  Dinant,  a  relevé  les 
tr?ces,  le  25  au  soir,  du  102e  et  de  l'Etat--Major  de  la  23e  division,  qui  y  a  passé  la  nuit. 

(2)  Un  témoin  oculaire,  Auguste  Deprez,  habitant  la  "  Montagne  aux  Buis  »,  face  à  la  gare,  a  fait  le  récit 
suivant  du  combat,  auquel  il  a  assisté  de  la  montagne,  à  environ  3oo  mètres  de  sa  maison.  «  Les  Français 
étaient  placés  le  long  du  Viroin  et  de  l'Eau  Blanche,  et  sur  les  coteaux  boisés  qui  séparent  Nismes  de  Petigny  ; 
le  commandant  se  trouvait  au  «  Tienne  du  Fourneau  »,  face  à  la  Roche  à  Lomme  et  à  la  gare.  Les  Allemands 
se  présentèrent  vers  t6  heures,  venant  de  Fagnolles  et  de  Dourbes;  ils  disposèrent  cinq  canons  entre  la 
Montagne  aux  Buis  et  la  Roche  à  Lomme,  d'où  ils  tirèrent  quelques  coups  seulement,  ayant  été  repérés  aussitôt 
par  les  Français.  Une  quinzaine  de  ceux-ci,  commandés  par  un  officier  et  formant  arrière-garde,  se  repliaient 
tout  en  gardant  contact  avec  l'ennemi.  Arrivés  derrière  un  tas  de  perches,  je  les  vis  encore  ouvrir  le  feu. 
Trois  de  leurs  officiers  vinrent  à  leur  aide  et  l'un  d'eux  fut  fait  prisonnier.    Un  soldat  français  qui   se  trouvait 


t6ç 

soldat,  près  d'être  fait  prisonnier,  se  jeter  dans  la  rivière  et  chercher  un  abri  sous 
de  fortes  racines.  Un  autre  fit  le  dernier  coup  de  feu,  dissimulé  dans  un  monceau 
de  perches,  près    de  la  gare  (t). 

Puis  des  Allemands  s'avancèrent,  les  canons  traversèrent  la  rivière,  escala- 
dèrent le  remblai  du  chemin  de  fer,  franchirent  les  haies  et  gagnèrent  la  route. 

A  18  h.  Zo,  les  premiers  uhlans  pénétrèrent  à  Nismes,  venant  de  Matagne  et 
de  Dourbes  et  se  dirigeant  sur  Petigny  et  Couvin.  Le  défilé  dura  jusque  2t  h.  3o. 
En  passant  devant  l'église,  des  soldats  firent  une  large  brèche  à  la  porte  d'entrée, 
forcèrent  la  porte  du  jubé  et  enlevèrent  le  drapeau  qui  flottait  au  clocher. 

Dans  la  nuit  suivante  et  le  lendemain,  26  août,  les  soudards  s'acharnèrent  sur 
les  maisons,  brisant  portes  et  fenêtres,  pillant  tout  ce  qui  était  à  leur  convenance. 

Les  troupes  de  passage  commencèrent  le  pillage  du  château  Licot,  qui  se 
poursuivit  pendant  des  semaines  (2).  Meubles,  tableaux,  vaisselle  et  tout  ce  qui  s'y 
trouvait  furent  brûlés  et  détruits  ou  emportés,  au  point  que  bientôt  il  ne  resta  plus 
que  les  murs. 

Le  26  août,  vers  16  heures,  les  soldats  mirent  le  feu,  sans  motif  aucun,  aux 
maisons  de  Victor  Fichet  et  d'Agathan  Danis,  ainsi  qu'aux  deux  maisons  Magotaux- 
Danis,  occupées  par  François  Hallard  et  François  Delvaux,  enfin  au  chantier  de 
bois  d'Octave  Danis,  entrepreneur.  Une  tentative  d'incendie  chez  la  veuve  Laurent 
resta  sans  suite. 

Le  même  jour,  sept  civils  trouvèrent  une  mort  atroce. 

Victor  FICHET,  vieillard  de  72  ans,  fut  trouvé  affreusement  blessé  et  à  moitié 
carbonisé  sur  un  fumier,  en  face  de  sa  maison  incendiée. 

Emile  PERLEAUX  (fig.  69),  43  ans,  père  de  trois  enfants,  Alfred  GRÉGOIRE 
(fig.  72),  36  ans,  Gaston  LAPOTRE  (fig.  71),  22  ans,  et  Achille  COLLART  (fig.  73), 
23  ans,  furent  arrêtés  le  26  août  sur  la  route  de  Petigny,  en  revenant  du  bois,  avec 
le  docteur  Morren.  Celui-ci  put  échapper  en  invoquant  sa  profession;  mais  les  autres 
furent  aussitôt  garrottés.  Emile  Perleaux  et  Gaston  Lapotre  furent  tués  à  coups  de 
fusil  ou  de  revolver  à  mi-chemin  de  Petigny.  Alfred  Grégoire  et  Achille  Collart 
furent  tués  à  l'entrée  de  Petigny.  Ce  dernier  fut  achevé  par  de  nombreux  coups  de 
baïonnette,  et  des  habitants  de  Petigny,  cachés  dans  une  cave  voisine  du  lieu  de 
l'exécution,  furent  les  témoins  épouvantés  de  son  agonie,  sans  oser  se  porter  à  son 
secours,  tant  le  danger  était  grand. 

seul  sur  la  route  de  la  gare  y  fut  tué.  Les  soldats  envahirent  alors  les  environs  de  la  gare,  nous  les  entendîmes 
qui  brisaient  portes  et  fenêtres  en  hurlant  et  nous  les  vîmes  ramasser  les  morts  et  tes  blessés.  Quand  ces 
troupes  —  des  grenadiers  —  partirent  vers  Nismes  le  lendemain,  à  4  heures  du  matin,  les  prairies  étaient 
couvertes  de  matelas,  de  tables,  de  chaises  et  de  quartiers  de  viande. 

(1)  Nous  avons  relevé  les  sépultures  suivantes  de  soldats  français  du  127e.  A  la  gare,  Florimond  Tachery, 
1910,  Lille,  n°  552  ;  sous  Saint-Roch,  François  Pau,  1908,  Lille,  n°  2897,  Albert  Hennebert,  1910,  Lille, 
n°  2464,  et  deux  soldats  non  identifiés;  à  la  Croix  de  Frasnes  :  Constant  Vandeputte,  1910/ Lille,  n°  818, 
Oscar  Des  Fontaines,  1910,  Arras,  n°  171,  Jules  Bray,  1910,  Lille,  n°  5950,  Pierre  Van  Hove,  Lille,  19131 
n°  5809  et  un  inconnu. 

Furent  aussi  inhumés  :  à  la  gare  le  major  allemand  Schrôdel,  du  i  02e  ;  dans  le  parc  de  Mme  Moreau.- 
Philippe,  le  capitaine  Walter  von  Eisa,  fils  d'un  général,  du  102e;  dans  le  parc  du  château,  un  officier 
inconnu  du  102e. 

(2)  Le  3o  août  s'y  trouvait  l'Etapp.  Fuhrpark  Kolonne  5  (XIX,  2  K.  S.  Armée  Korps). 


170 

Jules  NICOLAS  (fig.  68),  56  ans,  père  de  cinq  enfants  et  Ernest  MOREAU, 
i3  ans,  deux  voisins,  furent  fusillés  en  rentrant  chez  eux,  alors  qu'ils  revenaient  de 
la  montagne  aux  buis.  Quelques  civils  cachés  à  peu  de  distance  les  entendirent  faire 
appel  à  grands  cris,  mais  en  vain,  à  la  pitié  de  leurs  bourreaux. 

A  ces  victimes,  il  faut  ajouter  un  septuagénaire  originaire  d'Oignies, 
Joseph  TIBAUT,  qui  fut  abattu  sur  la  voie  ferrée,  en  cherchant  à  atteindre 
Mariembourg. 

Après  les  longues  heures  d'un  séjour  très  pénible  dans  la  forêt,  les  habitants 
revinrent  au  village  et  n'y  trouvèrent  plus  qu'une  poignée  de  soldats. 

Le  prince  Max  de  Saxe  célébra  la  messe  à  l'église  paroissiale  le  27  août  et  fit 
remettre  au  curé  un  billet  ainsi  conçu  : 

En  passant  par  ici,  je  me  suis  permis  de  dire  la  messe  à  votre  maître-autel  avec  les  ornements  et  le  calice 
que  j'ai  avec  moi. 

Max,  ptince  de  Saxe, 

D    theol.  etjuris., 

en  ce  moment  aumônier  militaire  de  la  i3e  division  (ire  de  Saxe)  (1). 

Le  5  septembre,  le  curé  et  le  secrétaire  communal  furent  emmenés  par  une 
escorte  de  soldats,  vrais  léopards,  qui  les  internèrent  dans  une  maisonnette,  à  la 
sortie  du  village  vers  la  gare.  Ils  y  furent  l'objet  de  menaces  de  la  part  d'un 
capitaine  et  furent  libérés  après  quelques  heures. 

§   t3.   —  Petigny. 

L'ennemi  entra  à  Petigny  sans  la  moindre  résislance,  au  soir  du 
2.5  août.  Il  restait  dans  ce  village  un  moribond  et  quelques  vieillards.  Il 
n'empêche  que  le  feu  fut  mis,  le  lendemain,  à  quatorze  maisons.  Quatre 
étrangers  surpris  aux  abords  de  la  localité  y  furent  massacrés,  ainsi  qu'on 
le  lira  dans  le  récit  de  M.  l'abbé  Capelle,  curé  de  Petigny. 

N"  6o3.  Toute  la  population,  sur  te  conseil  du  curé,  s'enfuit  dans  les  bois  dans  la  journée 

du  25  août  et  y  resta  jusqu'au  matin  du  28.  Lorsque  le  25  au  soir  l'ennemi  occupa 
le  village,  il  y  restait  trois  vieillards. 

Les  troupes  se  livrèrent  à  un  pillage  complet.  Bien  qu'il  n'y  eût  pas  un  soldat 
français  pour  les  inquiéter,  elles  mirent  le  feu,  sans  autre  motif  que  le  plaisir  de 
détruire  et  le  souci  de  terroriser,  à  14  maisons  situées  dans  la  rue  principale  du 
village,  reliant  Oiloy  à  Couvin.  Ces  bâtiments  sont  :  une  grange  isolée  appartenant 
au  moulin;  un  pâté  de  quatre  habitations,  dont  deux  nouvellement  construites. 
flanquées  chacune  de  grange  et  écurie;  une  ancienne  habitation  avec  écurie;  le 
local  du  patronage,  comprenant  corps  de  logis  et  salle  de  concerts;  une  grange 
spacieuse,  reliée  à  six  habitations  finissant  la  rue  vers  Couvin,  qui  avec  une 
grange-remise  intercalée  furent  la  proie  des  flammes  ;  une  habitation  et  une 
grange  neuve. 

(1)   L'original  est  conservé"  à  Bruxelles,  aux  archives  de  la  Commission  d'enquête  ;  également  un  billet  signé 
d'un  médecin  du  3"  bat    du  102e 


'7' 

Le  26  août  à  5  heures,  un  vieillard,  Désiré  Chabot,  fut  aperçu  par  deux  uhlans. 
au  moment  où  il  chassait  du  bétail  dans  une  pâture.  A  quelques  mètres  de  distance, 
ils  tirèrent  sur  lui  quatre  coups  de  feu.  «  Kapout  !  »  cria  l'un  d'eux,  et  ils  se 
retirèrent.  M.  Chabot  resta  sur  place  trente-neuf  heures,  baignant  dans  son  sang. 
Deux  civils  de  Couvin  vinrent  le  charger  sur  une  brouette.  Il  guérit  après  un  mois 
de  soins,  mais  resta  infirme. 

Le  même  jour,  les  troupes  rencontrèrent  un  groupe  d'étrangers  qui  avaient 
commis  l'imprudence  de  sortir  du  bois.  Ils  furent  fusillés  près  du  moulin,  sous  les 
yeux  de  Victor  Masson.  Ce  sont  Omer  LOTHIER,  24  ans,  de  Mariembourg; 
Joseph  MACHELARD,  48  ans,  de  Fagnolles  ;  Louis  DERNIÉVOIX,  41  ans.  et  son 
fils  Ernest,  de  Bouffioulx,  et  les  quatre  civils  de  Nismes  dont  nous  avons  déjà 
donné  les  noms  (voir  Nismes). 

Le  26  au  malin,  le  XIIe  corps  poursuivit  son  avance  et  entra  de  bon 
matin  à  Couvin,  à  Bruly-de-Pesche  et  autres  villages  voisins.  La 
23e  division  marchait  en  tête.  La  3ze  passa  à  Le  Bruly,  qui  était  déjà 
en  feu,  à  16  heures  (t)  ;  le  178e,  qui  fait  partie  de  cette  division,  passa 
la  frontière  à  16  h.  45  (2)  et  arriva  à  17  heures  au  Gué-d'Hossus,  qui 
était  aussi  en  flammes.  Les  pages  qui  vont  suivre  retraceront  l'histoire  de 
cette  journée  du  26  août. 

C'est  seulement  lorsqu'elle  eut  mis  le  pied  sur  le  sol  français  que 
l'armée  allemande  semble  s'être  rendu  compte  de  la  sauvagerie  dont  elle 
avait  fait  preuve  en  traversant  la  Belgique.  «  La  division,  écrit  alors  un 
soldat  allemand,  intervient  une  bonne  fois,  Dieu  merci,  énergiquement, 
contre  ce  brûlage  et  ce  massacre  de  civils.  Le  ravissant  village  du  Gué- 
d'Hossus  aurait  été  tout  à  fait  innocemment  livré  aux  flammes.  Un 
bicycliste  serait  tombé,  ce  qui  aurait  fait  partir  son  fusil.  On  a  simple- 
ment jeté  les  habitants  mâles  dans  les  flammes.  De  pareilles  horreurs  ne 
se  reproduiront  plus,  il  faut  l'espérer  (3).  » 

§   14.   —  Couvin. 

Dans  Couvin  se  réunissent  trois  grand'routes  :  celle  de  Philippeville, 
celle  de  Matagne  et  Fagnolles,  celle  de  Nismes  et  Petigny;  de  la  ville 
partent  ensuite  les  voies  qui  mènent  à  Chimay  et  à  Rocroi. 

Bien  qu'il  n'y  restât  pas  un  soldat  français  et  seulement  une  poignée 
de  civils,  cette  petite  ville  fut  sérieusement  exposée  à  une  ruine  totale. 
Le  feu  fut  mis  à  deux  reprises  par  le  102e  et  huit  maisons  furent 
détruites. 

(1)   de  Dahmerbf,  Carnets  de  roule,  p.  3o 

U)  n. 

(3)  lb.,  P.   Si. 


172 

Les  troupes  avaient  défilé  paisiblement  pendant  la  journée  du  26 
lorsqu'à  la  soirée,  une  fusillade  menaça  d'amener  les  plus  grands 
malheurs.  Un  prêtre  que  toute  la  population  estimait  pour  sa  science  et  sa 
piété,  sa  bonté  et  sa  douceur,  et  qu'elle  vénère  maintenant  comme  un 
martyr,  M.  l'abbé  Paul  Gilles  (fig.  70),  vicaire  de  Couvin,  fut  surpris 
par  des  soldats  du  182e  au  moment  où  il  allait  visiter  un  malade.  Il  fut 
cruellement  massacré.  Les  soldats  emportèrent  son  corps  meurtri  — 
peut-être  son  cadavre  —  sur  un  chariot  et  le  déversèrent  dans  un  ravin, 
en  dehors  de  la  ville  (1). 

Un  groupe  de  21  prisonniers,  dont  plusieurs  femmes  et  une  fillette 
de  dix  ans,  fut  entraîné  jusqu'au  Gué-d'Hossus,  village  français  de  la 
frontière,  lui  aussi  incendié;  ces  otages  endurèrent  des  angoisses 
mortelles;  un  des  leurs,  Pierre  Boutai  (fig.  75),  fut  fusillé  sous 
leurs  yeux. 

Au  rapport  sur  Couvin  (n°  604),  nous  joignons  un  court  travail 
sur  Bruly-de-Pesche  (n°  605).  hameau  perdu  au  sein  de  la  forêt,  dans 
la  direction  de  Cul-des-Sarts. 

>^o  *.Q.  Vendredi  7  août,  dans  l'avant-midi,  un  escadron  de  chasseurs,  commandé  par 

le  comte  de  Boisset,  fit  son  entrée  à  Couvin;  il  partit  pour  Mariembourg  le  lende- 
main  au  soir.  D'autres  troupes  se  succédèrent  les  jours  suivants  jusqu'au  22  août. 

Le  23,  d'interminables  convois  de  fugitifs  de  l'Entre~Sambre-et-Meuse  jetèrent 
les  Couvinois  dans  une  grande  panique,  qu'accrut  bientôt  le  passage  des  avions 
français  regagnant  Rocroi  (2).  Le  24,  ce  fut  la  retraite  des  troupes  françaises,  qui 
s'effectua  en  un  ordre  parfait.  Il  n'en  était  pas  de  même  des  soldats  belges  qui 
avaient  pu  s'échapper  de  la  place  forte  de  Namur.  «  La  vue  de  ces  soldats  en 
déroute,  dépareillés  et  débandés,  abandonnés  entièrement  à  eux-mêmes,  ne  fit 
qu'accroître  la  terreur  qui  régnait  déjà  dans  la  ville  (3).    » 

En  pleine  nuit  du  lundi  au  mardi,  le  général  Franchet  d'Espérey,  qui  avait 
pris  quartier  chez  le  docteur  Lambotte,  fut  prévenu  que  les  Allemands  avaient 
passé  la  Meuse  à  Revin.  Il  se  leva  et  donna  des  ordres. 

Le  25  à  14  heures,  combat  de  Mariembourg,  que  soutint  le  127e  français.  Les 

(1)  On  a  notamment  relevé  à  Couvin  le  passage  des  108e  et  i8ie  et  du  48e  d'art.  (i3e  div.  XIIe  corps), 
des  ioie,  io3e  et  178e  et  du  18e  hussards  (3ie  div-  XIIe  corps),  des  chasseurs  de  Marbourg  (1  ie  bat.),  du  100e 
de  réserve  (XIIe  de  réserve). 

(2)  Mme  la  comtesse  Henriette  de  Villermont  décrit  ainsi  cette  retraite:  «  Dans  un  nuage  de  poussière,  un 
flot  incessant  d'hommes,  de  femmes,  d'enfants,  de  vieillards,  passent  harassés,  la  plupart  chargés  de  valises, 
de  paquets,  au  milieu  de  chariots,  de  voitures,  de  charrettes  de  toute  espèce,  traînées  par  des  chevaux,  des  ânes, 
des  chiens,  et  aussi  par  des  hommes.  Des  piles  de  meubles,  de  matelas,  d'objets  de  toute  sorte  y  ont  été  entassés 
en  hâte  et  se  balancent  comme  pour  s'écrouler.  Une  figure  livide  de  malade  en  émerge  quelquefois.  Tout  cela 
défile  sans  trêve,  tandis  que  les  fantastiques  automobiles  des  aérostatiers,  des  autos  de  toute  espèce,  traversent 
en  trombe  cette  foule  qui  s'ouvre,  se  déplace,  se  referme  dans  une  soumission  et  un   silence  impressionnant.  » 

(3)  P.  René  de  Nantes,  Couvin.  Librairie  Saint--François,  rue  Cassette,  à  Paris. 


i73 

derniers  défenseurs  repassèrent  à  la  soirée,  couverts  de  poussière  et  exténués  de 
fatigue,  et  prirent  le  chemin  de  Rocroi.  A  ce  moment  il  ne  restait  à  Couvin  qu'une 
poignée  d'habitants  pour  recevoir  l'ennemi,  des  femmes  et  des  vieillards. 

Le  26  août,  de  bonne  heure,  on  cria  :  «  Voilà  les  Anglais  !  »  C'était  l'avant- 
garde  allemande,  bientôt  suivie  de  troupes  plus  considérables,  qui  défilèrent 
d'abord  assez  paisiblement  à  travers  la  ville,  sans  rencontrer  d'ailleurs  le  moindre 
obstacle.  Dès  4  h.  3o,  Désiré  Chabot  fut  blessé  grièvement  par  des  uhlans  sur  la 
route  de  Petigny.  La  maison  voisine  de  la  sienne,  appartenant  à  M.  Magotteaux- 
Poulain,  fut  incendiée  à  5  h.  3o.  Quelques  hommes,  surpris  sur  la  rue,  furent 
requis  de  conduire  les  premières  colonnes  jusqu'au  village  voisin. 

Vers  9  heures  la  situation  empira.  Une  centaine  de  Saxons  envahirent  le 
château  des  comtesses  de  Villermont  et  le  couvent  des  Pères  Capucins,  et  y 
semèrent  l'épouvante.  «  Nous  étions  assemblés,  a  écrit  le  P.  René  de  Nantes,  dans 
notre  salle  d'études,  ne  nous  doutant  pas  de  ce  qui  se  passait  autour  de  nous. 
Soudain,  un  grand  bruit  se  fait  entendre,  la  porte  extérieure  du  couvent  s'ouvre 
avec  fracas,  et  les  crosses  de  fusil  résonnent  dans  le  couloir.  En  même  temps,  des 
cris  désespérés  de  femmes  et  d'enfants  (fugitifs  d  Ermeton),  mêlés  aux  cris  féroces 
de  la  soldatesque,  frappent  nos  oreilles  et  nous  glacent  d'effroi...  «  Heraus  ! 
Sortez!  »,  crient  à  tue-tête  ces  énergumènes;  et  le  revolver  braqué  sur  nous,  les 
yeux  menaçants,  ils  nous  saisissent  vivement  par  notre  habit  et  nous  forcent 
d'évacuer  la  place.  La  foule  ahurie,  ne  comprenant  rien  au  langage  qu'elle 
entendait,  pousse  des  cris  de  terreur  et  cherche  à  se  répandre  dans  le 
couvent  (1).  Quelques-uns  même  de  ces  malheureux  se  rappelant  le  chemin 
de  la  cave,  conçoivent  l'idée  de  s'y  réfugier;  mais  nous  nous  y  opposons 
de  toutes  nos  forces...  »  Les  soldats  procédèrent  à  une  perquisition  générale, 
aussi  minutieuse  que  grotesque,  durant  laquelle  ils  commirent,  à  9  h.  3o,  leur 
premier  crime. 

L'un  des  réfugiés,  jardinier  du  château  d'Ermeton,  Vital  BLAIMONT,  48  ans, 
trompant  la  surveillance  des  religieux,  avait  réussi  à  gagner  la  cave.  Un  soldat  se 
mit  à  sa  poursuite,  l'aperçut  blotti  dans  l'angle  d'un  escalier  et  déchargea  trois  fois 
sur  lui  son  revolver. 

A  ce  moment,  les  Saxons  s'étaient  répandus  dans  toute  la  ville  et  saccageaient 
furieusement  les  maisons  abandonnées.  Le  pillage  se  poursuivit  pendant  l'après- 
midi.  Dès  8  h.  3o  du  matin,  la  ville  avait  été  condamnée  à  fournir  20,000  rations  de 
pain  pour  le  lendemain.  Toutes  les  femmes  y  travaillèrent,  M.  Pamelard  courut 
chercher  des  levures  à  Nismes  et  les  Allemands  défoncèrent  les  portes  de  toutes  les 
boulangeries.  Mais  on  avait  beau  cuire  des  pains  à  tour  de  bras  :  les  troupes  qui 
passaient  venaient  les  enlever  au  fur  et  à  mesure. 

Vers  17  heures,  on  entendit  une  fusillade  qui  s'étendit  de  proche  en  proche. 
Beaucoup  de  soldats  étaient  remplis  de  vin  et  de  liqueurs  et  tiraient.  «  Caché  derrière 

(1)  Au  même  moment,  Mme  la  comtesse  H.  de  Villermont  était  entraînée  dans  la  cour  par  un  officier; 
devant  elle  se  plaçait  un  double  rang  de  soldats,  le  premier  un  genou  en  terre,  le  second  debout,  la  tenant  en 
joue.  Les  soldats  criaient  :  «  Feuer,  Tod  !  »  et  tiraient  dar.s  les  moindres  buissons.  Deux  femmes,  dont  une 
jeune  fille  de  16  ans,  surprises  dans  un  buisson  où  elles  s'étaient  cachées,  furent  amenées  auprès  de  Alnie  la 
comtesse-  La  jeune  fille  s'accrochait  à  elle,  poussant  des  cris  de  terreur  :  «  Sauvez-nous  !  on  va  nous  fusiller  !  » 


'74 

l'une  des  fenêtres  de  la  bibliothèque,  écrit  encore  le  P.  René,  je  pus  observer  sans 
peine  les  mouvements  désordonnés  de  cette  bande  furieuse.  Les  uns  visent  dans  la 
direction  du  parc,  comme  s'ils  venaient  d'apercevoir  l'ennemi  au  milieu  des  bois; 
d'autres  dirigent  leur  tir  vers  l'usine  Saint-Roch  et  sur  l'épaisse  charmille  qui, 
longeant  l'étang,  conduit  au  cimetière.  Ils  tirent  encore,  ils  tirent  toujours,  et  leur 
visage  et  leurs  gestes  trahissent  manifestement  la  surprise  et  l'effroi.  » 

<(  Nous  allons  tout  brûler,  et  fusiller  tous  les  civils  comme  à  Dinant  »,  dirent 
des  soldats  près  de  la  maison  Louis  Antoine,  en  présence  de  M.  Mauer,  régent  de 
langues  modernes  à  l'école  moyenne.  Le  feu  fut  mis,  en  effet,  à  ce  moment  «  au  Petit 
Village  »  à  deux  maisons  appartenant  aux  comtesses  de  Villermont.  Il  y  eut  aussi 
plusieurs  victimes.  Trois  hommes  de  Frasnes  furent  massacrés  le  long  du  parc  de 
Saint-Roch  (voir  Frasnes,  p.  io3).  Un  ouvrier  attardé  dans  une  pâture  fut  grièvement 
blessé  et  un  jeune  homme  de  25  ans,  en  manches  de  chemise,  vêtu  comme  un 
cultivateur  au  travail,  tomba  mort,  atteint  de  plusieurs  balles.  On  retrouva  son 
cadavre  dans  l'étang  du  parc  de  Saint-Roch.  «  Il  n'en  a  plus  pour  longtemps  à  vivre  », 
avait  dit  le  matin  à  M.  Pureur,  vétérinaire  à  Couvin,  un  officier,  qui  se  vantait 
d'avoir  déjà  tué  quatorze  civils  ce  jour-là. 

Dès  le  début  de  la  fusillade,  le  doyen  de  la  ville,  M.  Demanet,  le  Frère  Léon, 
capucin  âgé  de  80  ans,  et  M.  Pamelard,  pharmacien  et  échevin  —  le  bourgmestre 
et  autres  autorités  avaient  suivi  les  fugitifs  et  les  troupes  en  retraite  —  furent  arrêtés 
au  moment  où  ils  étaient  à  la  recherche  de  cercueils  pour  enterrer  les  morts  «  Vous 
êtes  nos  garants!  »  leur  dirent  les  sentinelles.  Comme  ils  se  trouvaient  devant 
l'ambulance  établie  à  l'école  normale,  un  officier  demanda  à  M.  le  doyen  : 
«  Connaissez-vous  Karl  Marx?  —  «  Non  »,  répondit-il.  Le  doyen  et  M.  Pamelard 
furent  mis  le  visage  au  mur.  On  amena  le  civil  en  question,  puis  M.  le  doyen  fut 
invité  à  le  regarder.  «  Le  connaissez-vous?  »  Il  l'avait  précisément  vu,  le  matin 
même,  à  l'église  de  Couvin,  escorté  de  sa  jeune  fille;  il  répondit  :  «  C'est  le  chef 
de  gare  intérimaire  ».  L'officier  lui  mit  le  revolver  sur  la  tempe  :  «  Pourquoi  dites- 
vous  que  vous  ne  le  connaissez  pas,  alors  que  vous  le  connaissez?  —  Je  savais  qu'il 
était  chef  de  gare  intérimaire,  arrivé  depuis  quelques  jours  à  Couvin,  mais  je  ne 
connaissais  pas  son  nom.  »  Charles-Augustin  Marx  avait  la  vie  sauve;  non  reconnu, 
il  eût  été  vraisemblablement  fusillé  comme  espion. 

Les  trois  otages  durent  alors  parcourir  la  ville,  escortés  d'un  officier  qui  prévint 
le  doyen  «  qu'il  avait  fusillé  six  de  ses  frères  à  Surice  »  ;  précédés  d'un  tambour, 
ils  devaient  annoncer  que  «  si  quelqu'un  tirait,  ils  seraient  tous  trois  fusillés  et  la 
ville  incendiée  ».  Après  avoir  fait  le  tour  des  rues,  ils  étaient  revenus  en  face  de 
l'école  normale  quand  deux  soldats  amenèrent  devant  sept  ou  huit  officiers 
supérieurs  de  toutes  armes,  à  cheval,  rangés  à  côté,  un  vieillard  de  jy  ans, 
Alexandre  BAUDAUX,  qui  avait  été  pris,  lui  aussi,  comme  suspect.  Il  ne  pouvait  pas 
marcher,  parce  que  la  culotte  lui  était  tombée  sur  les  pieds.  «  Le  connaissez-vous?», 
demanda  brusquement  un  officier  à  M.  le  doyen.  Celui-ci  ne  le  connaissait  pas  et 
le  déclara  à  l'officier,  sans  se  douter  que  la  vie  de  ce  malheureux  fût  pour  cela  en 
danger.  Le  pauvre  vieillard  fut  conduit  séance  tenante  dans  une  ruelle  voisine  et 
abattu.  Il  était  17  heures.  M.  le  doyen  entendit  le  coup  de  feu  :  «  C'est  le  petit 
vieux,  lui  dit  l'officier,  vous  pouvez  l'enterrer  demain  !  » 


«75 

Le  doyen  et  M.  Pamelard  passèrent  la  nuit  comme  otages  à  l'imprimerie  Melin  = 
où  logeait  une  bande  d'officiers  supérieurs  (t). 

C'est  au  moment  de  la  fusillade  générale  que  commença  le  martyre  de 
M.  l'abbé  Paul  GILLES  (fig.  jo),  3o  ans,  docteur  en  philosophie  et  en  théologie  de 
l'Université  grégorienne,  vicaire  de  Couvin  (2). 

Appelé  auprès  d'une  malade,  Mme  Destrée,  il  fut  surpris  par  la  pétarade  près 
de  l'Harmonie  et  voulut  rebrousser  chemin,  mais  des  soldats  du  1 81e  d'infanterie 
qui  l'aperçurent  tirèrent  sur  lui.  Il  put  gagner  sans  être  blessé  la  maison  du  docteur 
Focquet  et  il  s'y  reposait  de  sa  course,  lorsque  des  énergumènes  entrèrent  préci- 
pitamment et  'l'emmenèrent  au  dehors,  avec  le  docteur  et  Mlle  Focquet. 

Arrivés  à  l'entrée  du  Grand  Pont,  ces  derniers  furent  relâchés,  mais  le  jeune 
prêtre  resta  entre  les  mains  des  soldats,  qui  continuaient  à  tirer  et  proféraient  des 
clameurs  confuses. 

M.  Mauer  qui  avait  été  requis  d'accompagner  des  officiers  à  la  gare  et  à  l'hôtel 
de  ville,  passait  à  ce  moment  ;  il  vit  le  vicaire  encadré  de  deux  soldats,  pâle  et 
défait,  agitant  les  bras  pour  [aire  comprendre  qu'il  n'avait  pas  d'armes.  M.  Mauer 
se  rendit  compte  aussitôt  que  sa  vie  était  en  danger,  tant  la  fureur  et  la  haine 
brillaient  dans  les  yeux  des  soldats.  Il  s'avança  pour  expliquer  que  le  jeune  prêtre 
était  l'homme  le  plus  paisible  du  monde;  mais  un  capitaine,  intervenant,  lui  imposa 
silence  et  le  saisissant  lui-même  par  l'épaule,  il  lui  cria,  en  le  menaçant  de  son 
revolver  :  «  Marche  devant  moi,  chien,  ou  je  te  tue  !  a 

Pendant  ce  temps,  les  bourreaux  s'en  prenaient  plus  violemment  à  leur  victime, 
la  frappant  à  coups  redoublés  avec  la  crosse  du  fusil,  sur  la  tête  et  dans  le  dos. 
Lorsque  le  pauvre  vicaire,  déjà  tout  meurtri,  passa  devant  l'atelier  de  M.  Dunand, 
électricien  de  la  ville,  celui-ci  se  trouvait  sur  le  seuil  et  vit  l'un  de  ces  forcenés  lui 
asséner  de  son  arme  un  tel  coup  dans  le  dos  que,  excité  par  la  douleur,  il  fit  en 
avant  un  bond  désespéré  et  distança  de  plusieurs  mètres  ses  assaillants.  Puis, 
réunissant  dans  un  suprême  effort  ce  qui  lui  restait  de  forces,  il  poursuivit  sa 
course  jusqu'à  la  maison  de  M.  Meunier,  à  une  centaine  de  mètres  du  Grand  Pont. 
Là  une  grêle  de  balles  fut  tirée  sur  lui.  Il  tomba,  ses  jambes  étaient  atteintes 
et  le  sang  coulait.  M.  Dunand,  pris  de  pitié,  s'élança  courageusement  pour  lui 
porter  secours,  mais  il  ne  put  l'approcher,  car  il  fut  tefoulé  parmi  les  otages  et 
emmené  avec  eux  sur  la  route  de  Rocroi. 

Le  pauvre  martyr  gisait  donc  sur  le  sol,  en  face  de  la  maison  de  Jules  Hosselet, 
appuyé  sur  le  côté  gauche,  le  bras  droit  levé  vers  les  soldats  en  un  geste  de  terreur 
et  de  supplication.    Il   restait  là,  impuissant  à  se  relever  et  gémissant,  tandis  que 

(1)  Parlant  des  religieux  de  Leffe  qui  avaient  eu  tant  à  souffrir,  un  aumônier  protestant  dit  :  Credo  eos 
fuisse  innocentes,  allamen  non  habebamus  iempus  ad  inquirendum.  Avec  l'aumônier  se  trouvait  un  officier  : 
"  A  Couvin,  dit-il,  on  a  tiré  sur  nos  troupes.  '•>  Le  doyen  répondit  :  «  On  a  tire  à  la  gare,  mais  une  dame  a 
désigné  le  coupable,  un  soldat  allemand,  qui  a  dû  le  reconnaître  " . 

12)   A  ce  moment  se  trouvaient  en.  ville,   au  témoignage  du  Livre  Blanc  Allemand  (Anlage  41,   p.   56),  le 

train  des  177e   et    178e   d'infanterie,   ainsi    que  du   18e   rég.   d'artillerie   de  campagne;  enfin  la  4*  batterie  du 

64*"   rég.   d'artillerie  de  campagne,   que    commandait    l'officier    Mackemehl.    Ce   dernier    a  dû  jouer    un  rôle 

onsidéi-able  dans  les   incidents   de  la  journée,  car  il  signe  le  rapport   publié   au   Livre  Blanc;  mais  il   a  soin  de 

se  taire  sur  le  meurtre  du  vicaire. 


t76 

défilait  à  côté  de  lui  la  troupe.  A  Auguste  Jordan,  qui  passait  vers  ce  moment,  il 
dit  encore  en  montrant  sa  blessure  :  «  Que  dois-je  faire?  »,  comme  pour  le  prier 
délicatement  de  l'arracher  à  ses  ennemis.  M.  Jordan  tenta  en  effet  de  s'approcher 
de  lui,  mais  un  soldat  accourut  et  le  força  brutalement  à  s'éloigner. 

Un  officier  voulut  encore  obliger  le  blessé  à  rentrer  dans  les  rangs,  mais  il  lui 
fit  comprendre  qu'il  en  était  incapable. 

C'est  alors  que,  au  témoignage  de  deux  enfants,  derniers  témoins  du  drame,  un 
canonnier  descendit  de  cheval  et,  s'approchant  du  blessé,  lui  déchargea  un  coup 
de  revolver  dans  le  dos.  Des  soldats  hissèrent  son  corps  pantelant  sur  un  chariot 
de  l'armée,  couvert  d'une  bâche,  qui  l'emporta.  On  croit  qu'il  vivait  encore  et  des 
personnes  qui  l'ont  vu  passer  aux  Fonds-de-1'Eau  ont  affirmé  qu'on  lui  donnait  des 
coups  de  crosse  en  pleine  poitrine. 

Qu'arriva-t-il  ensuite?  Dans  Couvin,  la  terreur  était  telle  que  les  témoins 
eux-mêmes  n'osaient  parler.  On  ne  parvenait  pas  à  savoir  ce  qu'il  était  advenu  du 
pauvre  vicaire.  M.  le  doyen  poursuivait  ses  recherches  :  peut-être  le  blessé  avait- 
il  été  emmené  dans  une  ambulance... 

Huit  jours  plus  tard,  le  cantonnier  Jules  Baudaux  découvrit  une  sépulture  dans 
un  ravin  bordant  la  route  de  Bruly-de-Couvin.  Il  l'ouvrit  et  revint  en  ville  avec  une 
bottine,  un  mouchoir,  un  crayon  et  un  lambeau  de  soutane,  car  le  cadaore  était 
complètement  méconnaissable.  On  fit  appeler  Elise,  la  servante  de  M.  l'abbé,  qui 
s'écria,  après  avoir  examiné  ces  divers  objets  :  «  C'est  bien  lui!  »  Il  fut  inhumé  sur 
place. 

Le  18  octobre  suivant,  nul  n'osait  encore  aviser  l'autorité  allemande  :  fraudu- 
leusement, dans  le  mystère,  à  l'insu  de  l'ennemi,  le  cadavre  fut  exhumé  et  transféré 
au  cimetière  de  Couvin. 

Quant  à  M.  Mauer  et  aux  autres  otages  au  nombre  de  21,  dont  cinq  femmes  et 
une  fillette  de  dix  ans  (1),  que  la  soldatesque  avait  péniblement  ramassés,  ils  furent 
emmenés,  derrière  le  véhicule  qui  emportait  le  vicaire  blessé,  jusqu'au  Gué-d'Hossus 
et  eurent  beaucoup  à  souffrir.  «  Je  ne  trouve  pas  de  mots,  a  témoigné  M.  Mauer, 
pour  décrire  les  vociférations  de  bête  sauvage  que  le  capitaine  du  bataillon  nous 
adressait.  Vous  devinez  quelle  était  l'épouvante  et  la  consternation  des  otages  !  Il 
faut  avoir  vécu  de  pareilles  minutes  pour  en  concevoir  toute  l'horreur.  Je  vis,  par 
exemple,  le  capitaine  frapper  comme  une  brute  avec  un  gros  revolver  dans  le  dos  de 
Louis  Antoine,  père,  parce  que  ce  vieillard  malade  et  à  peu  près  impotent,  soutenu 
par  son  fils  et  sa  femme,  ne  marchait  pas  aussi  vite  que  le  chef  allemand  le  voulait  !  » 

Quand  les  prisonniers  partirent  de  Couvin,  les  maisons  Emile  Moreau,  Marcel 
Moreau,  Alcide  Guislain  et  Jean  Mélin,  «  à  la  Marcelle  »,  étaient  en  feu  et  on 
pouvait  craindre  que  ce  fût,  comme  ailleurs,  le  commencement  de  l'incendie  général 
de  la  ville.  «  Voilà  les  francs-tireurs!  A  mort!  »,  criaient  les  soldats  qu'ils  croisaient 
sur  la  grand'route. 

Près  de  la  chapelle  des  Fonds-de-1'Eau,  on   rebroussa  chemin  pour   prendre 

(1)  Voici  les  noms  de  plusieurs  d'entre  eux  :  Pierre  Boutai,  M-  Antoine,  Emile  Bastin,  Frédéric  Dunand 
et  ses  fils,  Maurice  et  Georges,  M-  et  Mlf|C  Michel  Gouttier  et  leur  fille  âgée  de  10  ans,  Louis  Guérin, 
M.  Mauer,  M.  et  Mme  Emile  Hollogne,  Augustin  Poulain,  Elisa  Galoux  et  deux  étrangers. 


177 

l'ancienne  route,  très  montueuse,  de  Rocroi,  tandis  qu'une  partie  du  charroi  entraî- 
nait sur  la  nouvelle  route  de  Bruly  le  corps  de  M.  l'abbé  Gilles.  C'est  alors  que 
sans  le  moindre  motif  ou  prétexte,  la  soldatesque  se  complut  encore  une  fois  à 
verser,  sous  les  yeux  des  otages  saisis  d'horreur,  le  sang  innocent.  Pierre  BOUTAL 
(f»g-  75)»  53  ans,  fut  placé  contre  le  mur  de  la  maison  Rousseau,  près  de  la  chapelle 
des  Fonds-de-l'Eau,  et  fusillé.  Il  était  i5  heures.  Le  capitaine  hurlait  même  qu'il 
allait  en  abattre  trois,  pour  donner  un  exemple  à  la  ville.  Cet  homme  brutal  se 
tourna  alors  vers  M.  Mauer  qui  parlait  la  langue  allemande  et  servait  d'interprète  : 
«  Proclame  de  suite  devant  mes  troupes,  lui  dit-il,  que  j'ai  eu  raison  de  faire  tuer 
ton  curé,  et  que  nous  faisons  bien  de  fusiller  vos  chiens  de  Belges,  ou  tu  es  mort  !  » 
Pour  éviter  de  nouveaux  malheurs,  le  professeur  dut  répondre  qu'il  avait  raison, 
s'il  possédait  la  preuve  que  ces  gens  avaient  commis  des  actes  contraires  aux  lois 
de  la  guerre.  Vers  ce  moment,  Elisa  Galoux  et  Mariette  Gouttier  —  celle-ci  âgée 
de  dix  ans  —  reçurent  un  passeport  signé  du  baron  Gregory,  pour  regagner 
Couvin  (1). 

A  l'entrée  de  la  forêt,  les  otages  furent  disposés  en  bouclier,  pour  protéger 
les  soldats  contre  toute  attaque  française,  et  on  annonça  qu  ils  seraient  abattus  au 
premier  coup  de  feu  tiré  contre  la  troupe. 

Ils  traversèrent,  dans  la  nuit,  le  village  du  Gué-d'Hossus,  qui  était  en  feu.  Dans 
une  masure,  où  on  les  fit  entrer,  un  officier  procéda  à  22  heures  à  une  sorte 
d'interrogatoire.  Après  une  nuit  pleine  d'angoisse,  le  capitaine  Franck  leur  remit, 
à  5  heures,  un  passeport  de  libération  (2). 

Dans  les  jours  qui  suivirent,  la  situation  ne  s'était  guère  améliorée.  Chaque 
soir,  des  bandes  de  soldats  envahissaient  les  maisons  en  hurlant,  défonçaient  des 
vitrines,  pillaient  ce  quitavait  échappé  à  leurs  devanciers,  chargeaient  et  empor- 
taient des  meubles.  Il  faut  avoir  vécu  cette  période  pour  en  apprécier  l'horreur: 
aucune  plume  n'est  capable  d'en  donner  seulement  une  faible  idée. 

Une  contribution  de  guerre  de  20,000  francs  a  été  exigée  par  le  général  de 
l'Etappen  Inspektion  der  3.  Armée,  logeant  à  Saint-Roch. 

A  BrulydcPesche,  écrit  M.  l'abbé  Etienne,  chapelain,  il  vint  d'Eteignères,  le 
17  août,  un  convoi  français  de  ravitaillement,  bientôt  suivi  de  tout  un  régiment  : 
c'étaient  des  soldats  du  Calvados  (Granville  et  environs).  Les  voitures  couvraient  la 
place  et  les  prairies  voisines.  Les  soldats  s'installèrent  à  l'école,  dans  les  maisons 
et  les  granges,  mais  le  nombre  en  était  si  grand  qu'une  partie  dut  camper  dans  le 
bois.  Us  partirent  le  lendemain  pour  Morialmé. 

Puis  ce  fut  l'arrivée  des  civils  de  Philippeville,  Berzée,  Chastrès,  etc.,  dans 
des  conditions  pitoyables. 

Le  26  août  à  7  h.  io,  les  Allemands  apparurent  sur  la  route  de  Couvin  à 
Cul-des-Sarts,  qui  passe  à  côté  de  Bruly-de-Pesche.  Il  n'y  eut  pas  plus  d'une 
demi-heure  d'intervalle  entre  le  départ  des  Français  qui  lancèrent  les  premiers  le 

(t)   L'original  de  cet  écrit  est  aux  archives  de  la  Commission  d'enquête,  à  Bruxelles;   il  est   ainsi  conçu  : 
«  Madame  E.  Galoux  mit  Kind  hat  Erlaubniss  nach  Couvin  auriickzukehren.  Frhr  v.  GREGORY,  Hptm.  » 

U)   «   .8  Einwohner  von  Couvin,  welche  zur  Sicherung  als  Geisze  mitgenommen  worden,  sind    èntlassen 
(s.)  FRANCK,  O'ocrst  und  Kdr.    » 


11 


i78 

cri  d'alarme,  et  l'arrivée  de  l'ennemi.  En  un  clin  d'ceil,  les  habitants  gagnèrent  les 
bois.  Quelques  uhlans  perquisitionnèrent  dans  le  village  abandonné  entre  8  et 
9  heures.  Après  une  nuit  passée  au  dehors,  les  habitants  revinrent  chez  eux. 


§   i5.   —  Le  Bruly. 

L'ennemi  poursuivait  son  avance  sur  la  route  de  Rocroi.  Un  court 
combat  d'artillerie  s'engagea  quand  les  éclaireurs  parurent  au  Bruly, 
le  26  août,  vers  6  heures  du  matin.  Le  gros  des  troupes  ne  pénétra  dans 
le  village  qu'à  10  h.  3o  et  se  vengea  de  la  résistance  qu'il  avait  ren- 
contrée,  en  mettant  le  feu  à  dix  maisons  et  en  tuant  deux  civils,  ainsi 
que  le  relate  M.  l'abbé  Hiernaux,  curé  de  la  paroisse. 

N°  606.  Le    t5   août,    nous  reçûmes    des   tirailleurs  français.  Le    22   août,    commença 

l'exode  des  fuyards  de  Fosses  et  de  Charleroi,  de  Walcourt  et  de  Philippeville. 

Dans  la  nuit  du  25  au  26,  le  village  fut  mis  en  état  de  défense.  Ce  que  voyant, 
la  plupart  de  mes  paroissiens  s'enfuirent  vers  la  France;  soixante  ne  rentrèrent 
qu'en  1919.  Il  ne  resta  que  quelques  familles,  et  encore  elles  s'étaient  réfugiées 
dans  les  bois  environnants,  où  plusieurs  passèrent  la  nuit  du  26  au  27  août  et  les 
jours  suivants,  pour  rentrer  à  partir  du  3o, 

Le  colonel  et  le  drapeau  d'un  régiment  d'arrière-garde  française  passèrent  au 
presbytère  la  nuit  du  25  au  26  août.  Dans  la  soirée,  quelques  soldats  échappés  du 
combat  de  Mariembourg  vinrent  dire  que  les  Allemands  approchaient,  que  le  lende- 
main matin  ils  seraient  ici. 

De  fait,  le  26  août,  vers  les  6  heures  du  matin,  des  uhlans  apparurent  sur  les 
hauteurs  de  la  ferme  «  du  Capitaine  »,  distante  d'un  kilomètre  de  l'église,  à  vol 
d'oiseau.  Une  batterie  allemande  postée  aux  environs  de  cette  ferme  bombarda 
Rocroi.  Les  canons  français  ripostèrent  quelque  temps.  Le  village,  situé  entre  ces 
deux  hauteurs,  n'eut  guère  à  souffrir  du  duel  d'artillerie  :  la  maison  de  Victor 
Dupont-Gautier,  située  au  «  Moulin-Manteau  »,  fut  fortement  secouée  par  un  obus 
qui  éclata  sur  la  toiture,  et  la  maison  habitée  par  Blin-Renelle,  au  lieu-dit  : 
«  Tauminerie  »  fut  probablement  incendiée  par  un  obus. 

C'est  le  26  août  vers  10  h.  3o  que  les  Allemands  firent  leur  entrée  à  Bruly. 
Aussitôt  les  maisons  sont  livrées  au  pillage  :  les  soldats  boivent,  mangent, 
volent  ici  un  cheval,  là  une  vache;  leurs  bouchers  abattent  le  bétail  sur  place, 
emportent  les  plus  beaux  morceaux  et  abandonnent  tout  le  reste  sur  le  bord  du 
chemin.  A  la  salle  communale,  ils  éventrent  le  coffre-fort  et  détruisent  les 
armes  qui  y  ont  été  déposées.  A  l'église,  ils  fracturent  les  troncs.  Le  presbytère 
échappa  à  l'incendie,  bien  que  le  feu  eût  été  mis  à  une  garniture  de  fenêtre  et  à 
une  chaise  cannelée.  Neuf  maisons  furent  incendiées  (1). 

(1)  L'une    d'elles  (Blin-Renelle)   a   pu   être   brûlée,   comme    nous    l'avons  dit,   par  explosion  d'obus.    La 
maison    Leroy-Carra    a    été   incendiée  prétendument  en  guise  de  représailles.    Les   autres  maisons  incendiées 


'79 

A  la  dernière  maison  du  village,  les  Allemands  entrent,  demandent  des  vivres 
et  obligent  un  vieillard  de  72  ans,  Eugène  LEROY,  en  ce  moment  alité,  à  se  lever; 
ils  sortent,  pour  entrer  au  bureau  des  douanes,  qui  est  voisin,  et  où  se  trouvent 
Alphonse  MILICHE,  44  ans,  succursaliste,  en  fonctions  depuis  un  mois,  ainsi  que 
sa  femme  et  ses  deux  petits  enfants,  arrivés  la  veille.  Tout  à  coup,  M.  Miliche 
entre  en  courant  chez  M.  Leroy,  poursuivi  par  les  balles,  tandis  que  sa  femme  fuit 
à  travers  champs,  emportant  son  enfant,  qui  déjà  est  blessé.  M.  Miliche  fut 
retrouvé  derrière  la  maison,  la  poitrine  percée  de  balles  et  complètement  dévalisé. 
Entre-temps,  M.  Leroy  debout  sur  la  porte  de  la  cave,  est  lui  aussi  mortellement 
atteint  et  tombe  dans  la  cave.  Sa  femme,  Léonie  Carra,  et  sa  belle-sœur  l'y  suivent 
pour  lui  porter  aide,  mais  déjà  la  maison  est  en  feu.  Les  dames,  à  demi-asphyxiées, 
poussent  des  appels  au  secours  désespérés,  auxquels  les  soldats  répondent  par  des 
cris  sauvages.  Ils  finissent  pourtant  par  se  laisser  toucher.  Ils  démolissent  le 
soupirail  et  aident  les  deux  malheureuses  à  sortir,  mais  à  aucun  prix  ils  ne 
consentent  à  arracher  aux  flammes  le  cadavre  de  M.  Leroy.  On  retrouva  sous  les 
décombres  son  squelette  calciné. 

Les  jours  suivants,  les  troupes  continuèrent  à  se  déverser  sur  la  France  à  flots 
pressés.  Chaque  fois  qu'une  colonne  s'arrêtait  au  village,  quelques  hommes 
arrivaient  au  presbytère  baïonnette  au  canon:  «  Si  on  tire,  vous  serez  fusillé! 
Venez  avec  nous,  il  nous  faut  des  poules,  de  l'avoine,  etc.    » 

§   16.  —  Petite-Chapelle. 

En  aoûl  1914  déjà,  le  feu  fut  mis  au  village,  mais  le  dommage  se 
limita  à  la  destruction  de  deux  maisons. 

La  localité  eut  plus  à  souffrir  un  mois  après.  Le  26  septembre, 
des  troupes  appartenant  aux  108e  et  1 8 ie  saxons  envahirent  la  commune. 
Le  curé  et  les  civils  furent  rendus  responsables  de  quelques  coups  de  feu 
tirés  par  des  soldats  installés  à  la  gare.  Une  enquête  fut  ouverte  et  le  com- 
mandant de  Rocroi  dut  reconnaître  que  l'affaire  était  «  ténébreuse  »,  mais 
il  était  trop  tard.  Toute  la  population  avait  enduré,  pendant  trois  jours, 
un  vrai  martyre,  dont  voici  le  bilan  :  une  dame  et  quatre  hommes 
massacrés,  le  feu  mis  à  l'église,  au  couvent,  à  plusieurs  immeubles,  dont 
deux  brûlèrent,  le  curé  brutalisé  pendant  trente-six  heures,  les  hommes 
tenus  sous  la  menace  de  la  mort.  Nous  donnons  ci-dessous  le  fidèle 
récit  de  ces  tragiques  événements,  dû  à  la  révérende  sœur  supérieure  du 
couvent- 

sont  les  suivantes  :  Alphonse  Gallois-Dupont,  isolée  ;  Adolphe  Gallois-Bauduin,  Emile  Saquet-Jacques, 
Joseph  Witmart-Collard,  sous  le  même  toit;  Eugène  Hubert-Goulard,  isolée;  Eugène  Richoux-Druart  et 
Richoux-Dacoin,  réunies  ;  enfin  la  m.iison  habitée  par  Eugène  Leroy,  dont  l'annexe  servait  de  bureau 
de  douanes. 


i8o 

N°  607.  Le    2^   août,    les   Français,    reculant  devant    l'ennemi,   avaient    quitté   Petite- 

Chapelle  vers  9  h.  3o.  Les  premiers  Allemands  apparurent  à  1 1  h.  3o.  Déjà  le 
village  du  Gué-d'Hossus,  éloigné  de  3  kilom.  environ,  était  en  fiammes  et  son 
église  complètement  détruite.  La  panique  devint  presque  générale  et,  de  tous 
côtés,  on  voyait  des  gens  qui  fuyaient.  On  me  pressait  d'en  faire  autant,  mais  j'avais 
vu  la  guerre  de  1870  à  Rcthel  et  j'espérais  que  les  Allemands  de  1914  auraient 
comme  alors  une  conduite  assez  bénigne.  La  communauté  resta  calme,  malgré 
l'arrivée  matinale  de  seize  sœurs  de  la  Providence  de  Couvin.  Les  Allemands  qui 
vinrent  chez  nous  réclamèrent  des  vivres  :  nous  donnâmes  tout  ce  qu'il  était 
possible  de  trouver  et  ils  s'en  montrèrent  reconnaissants. 

Ils  venaient  de  Cul-des-5arts  par  «  Les  Plains  »,  où  ils  avaient  été  bombardes 
par  des  troupes  françaises  postées  plus  au  sud,  sur  le  plateau  de  «  La  Taillette  ».  Ils 
mirent  le  feu  à  la  ferme  de  Mme  veuve  Jules  Robin-Draily,  et  formèrent  un  groupe 
de  personnes  dont  il  se  firent  précéder  pour  aller  vers  la  maison  curiale  ;  ils 
brisèrent  des  portes,  des  fenêtres  et  du  mobilier,  et  pillèrent  plusieurs  maisons. 
Dans  l'après-midi,  ils  mirent  le  feu  à  celle  de  M.  Jacquet,  louée  aux  familles 
Legros  et  Dumont. 

De  nouvelles  troupes  succédèrent  aux  premières.  Quand  le  flot  de  l'invasion 
fut  passé,  nous  restâmes  assez  tranquilles.  On  arriva  ainsi  au  24  septembre. 

Depuis  deux  ou  trois  jours,  les  Allemands  avaient  organisé  des  chasses  dans 
les  bois  voisins.  Dans  lavant-midi  du  24,  les  soldats  qui  occupaient  la  gare  se 
rendirent  au  café  tenu  par  Elie  Collet-Pierot  et  y  tuèrent  quatre  poules  à  coups  de 
fusil."  Petite-Chapelle  ailes  kapout,  Pastor  und  Bénédictines  Kapout  !  »  disaient-ils  à 
ce  moment  déjà.  Vers  17  heures  de  l'après-midi,  l'un  d'eux,  Paul  Brocker,  de 
Gesweilen  (Saarbruck),  qui  remplissait  les  fonctions  de  chef  de  gare,  et  un  second, 
qui  était  connu  sous  le  nom  de  Joseph,  tirèrent  des  coups  de  feu  sur  les  fils 
téléphoniques,  en  présence  de  Rosa  Collet.  Des  balles  atteignirent  déjà  en  ce 
moment  le  jardin  du  presbytère. 

Vers  t8  h.  3o,  je  me  trouvais  à  l'entrée  du  couvent  quand  une  nombreuse 
troupe  de  soldats  vint  à  passer  le  fusil  sous  le  bras;  ils  côtoyaient  la  rue,  glissant 
pour  ainsi  dire  le  long  des  maisons.  Une  seconde  et  une  troisième  bande  passèrent 
de  la  même  façon,  à  quelques  minutes  d'intervalle,  et  un  soldat  qui  marchait  en 
tête  du  dernier  groupe  tira  un  coup  de  fusil  en  l'air  en  criant  :  «  Nicht  schiessen  ! 
Ne  tirez  pas!  »  Pourquoi  dit-il  cela,  me  demandai-je,  puisqu'il  tire?  Puis,  sur  un 
commandement  bref,  les  soldats  se  mirent  sur  deux  rangs  et  tournèrent  leur  fusil 
contre  l'établissement.  «  Rentrez,  fermez  les  portes!  »  cria  un  officier  en  français. 
A  peine  avions-nous  fermé  la  porte  qu'il  éclata  une  fusillade  nourrie  à  laquelle 
prenaient  part  environ  i5o  soldats.  Une  mitrailleuse  fut  actionnée  un  peu  plus  loin 
contre  le  couvent  et  contre  l'église,  dont  trois  vitraux  furent  brisés.  Les  fenêtres 
volèrent  en  éclats,  la  toiture  fut  gravement  endommagée,  la  façade  fut  criblée  de 
balles.  C'est  miracle  que,  sur  les  dix-sept  personnes  qui  circulaient  dans  la  maison, 
aucune  n'ait  été  atteinte.  Je  priai  une  sœur  allemande  d'aller  donner  des  expli- 
cations ;  elle  sortit,  mais  mal  lui  en  prit  :  ces  énergumènes  l'accusèrent  d'être  un 
homme  déguisé  en  femme  et  la  menacèrent  de  mort. 

Pendant  ce  temps,  les  soldats  avaient  fait  irruption  dans  le  presbytère.  «  J'avais 


i8t 

devant  moi,  raconte  M.  l'abbé  Bastin,  des  mines  effroyables.  C'était  chez  eux  de  !a 
rage.  Précipité  violemment  du  haut  de  quelques  marches  dans  le  jardin,  je  me 
trouvai  entouré  de  plus  de  20  baïonnettes.  Ce  n'étaient  que  cris  sauvages.  Mon 
père  subit  le  même  sort.  On  me  fit  rentrer.  Traqué  à  coups  de  poing  et  de  pied, 
je  les  précédai  au  grenier  et  à  la  cave. 

A  19  heures,  je  fus  mené  dans  la  pâture  d'Olivier  Magniette,  où  je  trouvai  la 
sœur  allemande.  On  voulait  d'abord  me  tuer  sur  place,  puis  on  ajourna  l'exécution. 
«  Es-tu  vicaire?,  me  demanda  un  officier.  —  Non  —  Es-tu  curé?  —  Oui.  — 
curé  français?  —  Non.  —  Curé  belge?  —  Oui.  —  Ah!  sale  Belge!  »,  et  il  me 
lança  deux  violents  soufflets.  «  Tu  es  curé!  Et  moi  aussi  »,  ajouta  un  pasteur 
protestant  et  il  me  souffleta  lui  aussi.  Puis  plusieurs  soldats,  prenant  une  corde 
double  munie  de  nœuds  espacés  de  6  à  7  centimètres,  me  la  placèrent  sur  la 
bouche,  la  serrant  si  fortement  que  le  menton  m'entrait  dans  la  gorge  et  qu'il 
m'était  impossible  de  dire  une  parole.  Bientôt,  je  reçus  l'ordre  de  crier  de  toutes 
mes  forces  :  «  Je  suis  le  curé  de  Petite-Chapelle  ;  si  vous  tirez,  vous  serez  fusillés  !  » 
Le  bandeau  me  fut  donc  enlevé  et  servit  à  me  lier  les  poignets  sur  le  dos.  Trois  ou 
quatre  fois  de  suite,  je  reçus  des  volées  de  coups  de  poing  à  en  tomber  assommé  ; 
je  défaillais  et  restais  quelques  instants  sans  connaissance.  Les  ordres  étaient  contra-* 
dictoires  :  tel  officier,  fatigué  de  mes  cris,  m'ordonnait  de  me  taire;  tel  autre  me 
forçait  à  crier  plus  fort.  » 

Vingt  minutes  s'étaient  écoulées  lorsque,  tout  à  coup,  les  cris  redoublèrent. 
M.  le  curé  fut  poussé  brutalement  dans  notre  couvent,  où  les  soldats  voulaient, 
disaient-ils,  tout  saccager.  A  l'aide  de  haches  et  d'autres  instruments,  ils  mirent 
en  pièces  les  portes  et  fenêtres  du  rez-de-chaussée,  en  poussant  des  hurlements  de 
bêtes  fauves.  Des  pâtures  situées  derrière  le  couvent,  vers  lesquelles  nous  avions 
fui,  nous  entendions  le  fracas  des  meubles  et  objets  brisés.  Les  soldats  poussaient 
M.  le  curé  devant  eux,  couraient  à  travers  chambres  et  escaliers  hurlant  comme 
des  démons,  répandant  du  pétrole  et  y  mettant  le  feu  :  bientôt  nous  vîmes  l'incendie 
s'allumer  à  divers  endroits.  M.  le  curé  vit  rassembler  à  ses  pieds  et  arroser  de 
pétrole  les  balustres  et  la  rampe  d'escalier,  brisés  en  morceaux,  et  y  mettre  le  feu, 
si  près  de  lui  que  les  flammes  léchaient  ses  vêtements. 

En  même  temps,  le  feu  était  mis  dans  le  village.  La  maison  d'Emile  Goulard 
fut  détruite  et  deux  personnes  risquèrent  d'y  être  brûlées  vives.  A  la  maison 
communale  et  au  logement  contigu  de  l'instituteur,  le  feu  fut  mis,  mais  ne 
prit  pas.  La  maison  Barré-Magniette  fut  fortement  endommagée.  L'église  elle- 
même  ne  fut  pas  respectée  :  quand  M.  le  curé  fut  emmené  du  couvent,  il  vit  les 
soldats  enfoncer  la  porte  et  l'enduire  de  pétrole  :  «  Regarde,  cochon,  criaient-ils, 
ton  église  va  brûler!  »  La  porte,  bien  encadrée  d'une  solide  maçonnerie,  fut  seule 
à  brûler. 

Quant  au  couvent,  aussitôt  après  le  départ  des  soldats,  nous  parvînmes  à  éteindre 
les  17  foyers  d'incendie  qui  y  avaient  été  préparés.  Nous  passâmes  la  nuit  sur  des 
chaises,  dans  une  salle  commune,  à  prier  et  à  nous  exciter  au  courage. 

M.  le  curé  continue  ainsi  son  récit  :  «  Je  fus  ensuite  mis  en  présence  du 
cadavre  d'ARMAND  DUMONT  (fig.  74),  44  ans,  qui  venait  d'être  tué  près  de  l'église, 
devant  sa  femme  et  ses  enfants,  qui  passèrent  par  d'inexprimables  angoisses. 


182. 

Elie  COLLET,  56  ans,  gisait  inanimé  près  du  cimetière;  il  avait  été  frappé  de 
cinq  balles,  au  moment  où  il  sortait  de  chez  lui  pour  aller  à  la  rencontre  de  sa 
fille  aînée,  qui  tardait  de  rentrer. 

Je  fus  ensuite  conduit  à  Rocroi,  bousculé  et  insulté  sur  tout  le  trajet.  Un  grand 
brasier  avait  été  allumé  sur  une  place  publique  :  je  fus  menacé  d'y  être  jeté.  Dans 
une  petite  habitation  voisine  de  la  prison  où  je  fus  mené,  je  retrouvai  la  religieuse 
allemande  et  Alcide  Dumont,  fils  de  la  victime,  à  qui  je  vis  asséner  plusieurs 
formidables  coups  de  poing  à  la  nuque.  Je  reçus  ensuite  entre  les  épaules  des  coups 
de  crosse  tels  qu'ils  m'ébranlèrent  la  poitrine  :  j'avais  l'impression  que  mes  poumons 
se  déchiraient  et  que  le  sang  me  montait  à  la  gorge. 

J'arrivai  enfin  à  la  prison,  où  un  officier  supérieur  me  dit  :  «  On  a  tué  deux 
soldats  dans  votre  village.  Vous  êtes  responsable.  Vous  avez  caché  des  francs- 
tireurs  dans  votre  église.  Des  villageois  ont  tiré  sur  nos  soldats.  Demain  vous  serez 
fusillé.  »  Je  réfutai  ces  accusations  fantaisistes.  Il  était  minuit  quand  je  pus  me 
retrouver  seul,  sur  un  peu  de  paille,  dans  un  infect  cachot,  dont  le  sol  était  souillé 
d'un  fumier  nauséabond.  Sans  m'arrêter  à  un  premier  refus,  j'insistai  vivement  pour 
qu'on  mît  fin  à  l'horrible  souffrance  que  me  causaient  les  liens  et  la  tension  des 
épaules  :  un  soldat  me  passa  une  baïonnette  entre  les  poignets  et  coupa  les  cordes. 
Je  récitai  mon  chapelet,  puis  je  m'endormis,  tant  j'étais  anéanti. 

Vendredi  28  août,  l'avant-midi  se  passa  en  insultes  et  en  menaces.  A  1 1  heures, 
nous  fûmes  interrogés  tous  trois,  et  on  voulait  nous  faire  avouer  un  complot.  Puis 
on  m'apporta  un  morceau  de  pain  et  de  l'eau  dans  laquelle  les  gardiens  avaient 
craché. 

Nous  fûmes  ensuite  ramenés  à  Petite-Chapelle,  par  «  La  Taillette  ».  Les  reli- 
gieuses furent  encore  expulsées  du  couvent  et  les  soldats  le  pillèrent. 

Pendant  que  les  soldats  ramassaient  tous  les  hommes  du  quartier  «  Verte-Place  », 
pour  leur  faire  subir  un  interrogatoire,  j'appris  que,  à  deux  cents  mètres  d'une 
chapelle  établie  à  la  bifurcation  des  deux  routes  qui  mènent  au  village,  avaient  été 
tués  aussi,  la  veille,  Arthur  DUPONT,  49  ans  et  son  épouse,  Elisa  DRAILY,  3ç  ans, 
honnêtes  et  paisibles  propriétaires  qui,  en  rentrant  des  champs,  avaient  eu  le 
malheur  de  rencontrer  la  sinistre  bande  saxonne. 

On  amena  à  ce  moment  deux  jeunes  gens  de  Cul-des-Sarts,  dont  l'un  avait 
assisté  Jean-Baptiste  MANISE  (fig.  76),  5i  ans,  cinquième  victime  de  la  veille  : 
il  avait  reçu  une  balle  à  la  tête  et  n'expira  que  le  vendredi  au  soir.  » 

Quand  l'enquête  fut  terminée,  M.  le  curé  fut  reconduit  à  Rocroi.  Je  fus 
contrainte  de  m'y  rendre  aussi,  mais  je  fis  état  de  mes  70  ans  pour  refuser  d'y  aller 
à  pied,  et  j'y  fus  menée  en  landau,  en  compagnie  de  trois  officiers. 

Après  un  interrogatoire  assez  insidieux,  je  fus  libérée.  Je  réclamai  la  sœur 
prisonnière  et  nous  pûmes  revenir  en  voiture. 

Quant  à  M.  le  curé,  il  passa  encore  à  Rocroi  une  nuit  très  pénible,  et  fut  délivré 
le  samedi  à  7  heures,  après  être  resté  36  heures  entre  les  mains  de  cruels  bourreaux. 
Il  n'accepta  de  rentrer  que  si  son  compagnon,  Alcide  Dumont,  était  lui  aussi  libéré. 
«  L'affaire  est  ténébreuse  !  »,  c'est  tout  ce  que  le  juge  avait  trouvé  à  dire.  Ce  verdict 
proclamait  clairement  l'innocence  des  civils.  Il  eût  dû,  pour  être  complet,  recon- 
naître l'injustice  des  mesures  prises  par  les  troupes  et  châtier  leur  cruauté. 


i83 


III.  —  L'avance  du  XIXe  corps. 

Le  XIXe  corps  (2e  saxon,  de  Leipzig)  avait  suivi,  pour  arriver 
à  la  Meuse,  l'itinéraire  :  Clervaux,  Tavigny,  Ortho,  Champion, 
Rochefort. 

Le  chef  de  la  IIIe  armée  raconte  dans  ses  mémoires  qu'il  songea 
d'abord  à  pousser  le  XIXe  corps  tout  entier  au  sud  de  Givet,  pour 
séparer  la  5e  armée  française  de  la  4e  et  même  encercler  les  troupes 
françaises  et  anglaises  qui  luttaient  à  l'ouest  de  la  Meuse.  S'il  renonça 
à  ce  dessein,  c'est  en  raison  des  hésitations  du  chef  de  la  IIe  armée,  qu'il 
raconte  longuement  (1). 

Ainsi  que  nous  l'avons  vu  au  tome  IV  (p.  48  et  ss.),  une  faible  partie 
seulement  de  ce  corps  d'armée  fut  dirigée  le  23  août  sur  Willerzie  et 
Hargnies,  à  i5  kilomètres  au  sud  de  Givet.  Ces  troupes,  que  conduisait 
le  général  Gôtz  von  Olenhusen,  perdirent  les  deux  journées  qui  suivirent 
en  cherchant  à  passer  la  Meuse  dans  cette  région.  A  Fumay,  le  pont  était 
détruit.  On  s'adressa  en  vain  au  VIIIe  corps,  qui  avait  besoin  de  son 
matériel  de  pontonniers  sur  la  Semois  et  sur  la  Meuse.  Après  s'être 
arrêtée  le  25  à  Haybes-Hargnies,  la  division  gagna  Revin  qui,  à  vol 
d'oiseau,  n'est  distant  que  de  8  kilomètres,  mais  est  en  réalité  difficilement 
accessible.  Dès  le  26  août,  Fumay  fut  occupé  par  la  partie  du  XIXe  corps 
venue  par  la  rive  gauche,  et  c'est  le  27  seulement  que  Gôtz  von  Olenhusen 
put  passer  le  fleuve  sur  un  pont  jeté  par  lui  à  Revin  (2).  C'est  ainsi  que 
les  hésitations  de  ces  troupes  firent  totalement  échouer  le  projet  qui 
avait  guidé  leur  avance  (3). 

Quant  à  la  majeure  partie  du  XIXe  corps,  elle  passa  la  Meuse,  ainsi 
que  nous  l'avons  raconté  au  tome  IV  (p.  42  et  ss.)  au  pont  du  Colèbi, 
en  regard  de  Lenne. 

L'ordre  de  l'armée  n°  3,  lancé  à  Dinant  le  24  août  à  9  h.  45, 
enjoignait  à  ces  éléments  du  corps  d'armée  de  s'avancer  sur  Romedenne, 
Romerée,  Oignies  et  Fumay  (4). 

(1)  Von   Hausen,  Erinnerungen,  p.  128  et  ss. 

(2)  Baumgarten-Crusius,  o.  c,  p.  38;  et  von  Hausen,  o.  c,  p.  142. 

(3)  Le  179e,  qui  passa  à  Fumay,  s'y  rendit  aussi  coupable  de  crimes,  qu'a  consignés  un  réserviste 
saxon.  Cf.  Les  Violations,  o.  c,  p.  tu.  —  Sur  les  régiments  t34,  1  3ç  et  179  qui  se  dirigèrent  sur  Willerzie.- 
Hargnies-Revin,  voir  le  Journal  d'un  réserviste  saxon  du  /79e  dans  de  Dampierre,  carnets  de  route,  o.  c, 
p.  147  et  ss. 

(4)  BAUMOARTEN--CRUSIUS,    O.    C,    p.    35- 


i84 

Nous  avons  consigné  dans  le  rapport  ci-dessous  tout  ce  qu'on  sait 
sur  l'itinéraire  suivi  par  les  régiments  nos  104,  106,  107,  x 33  et  181 
pour  atteindre  les  hauteurs  à  l'ouest  de  la  Meuse,  ainsi  qu'il  résulte 
surtout  des  minutieuses  recherches  faites  en  1919  par  le  parquet  de 
Dînant  (1). 

Les  premières  troupes  allemandes  qui  ont  pénétré  à  Onhaye  et  y  ont  soutenu 
le  combat  du  23  août  appartenaient  au  XIXe  corps  :  c'étaient  des  éléments  du  1 81e 
et  du  104e,  qui  avaient  passé  la  Meuse  entre  Anseremme  et  Hastière  (2). 

Le  lecteur  se  demandera  ici  pourquoi  ces  troupes  se  sont  écartées  de  l'itinéraire 
qui  était  assigné  au  XIXe  corps;  pourquoi,  au  lieu  de  gagner  Surice  par  Hastière- 
Insemont  ou  bien  par  Hermeton-Gochenée,  elles  se  sont  dirigées  sur  Onhaye.  Cette 
manœuvre  n'avait  vraisemblablement  d'autre  but  que  de  protéger  le  flanc  du  gros 
des  troupes,  engagé  dans  des  chemins  encaissés  et  périlleux,  contre  les  attaques 
dont  il  pouvait  être  l'objet  à  sa  droite. 

Ce  qui  confirme  cette  interprétation,  c'est  que,  après  avoir  fait  l'ascension  du 
plateau  et  envahi  Onhaye  le  23  août  au  soir,  ces  troupes  reprirent  ensuite  la  route 
de  Lenne  et  de  la  ferme  Wilmer  et  redescendirent  dans  la  gorge  de  Tahaut  (route 
d'Hastière),  pour  reprendre  de  là  la  route  d'Insemont,  assignée  au  corps  d'armée. 
Au  matin  du  24  août,  ce  sont  des  troupes  du  XIIe  corps  qui,  venant  de  Dinant,  ont 
pénétré  dans  Onhaye  et  gagné  Anthée. 

Revenons  au  XIXe  corps.  Une  seconde  partie  du  t8ie,  de  Waulsort,  a  gagné 

(1)  Aux  archives  de  la  Commission  d'enquête,   à  Bruxelles. 

(1)  Il  résulte  des  recherches  faites  par  M.  le  juge  Herbecq,  à  Dinant,  et  des  renseignements  fournis  par 
M.  G.  Machuray,  à  Waulsort,  que  le  passage  s'effectua  en  trois  endroits  :  i°  entre  Moniat  et  Freyr,  à  hauteur 
de  la  carrière  (rive  droite)  et  du  passage  à  niveau  (rive  gauche),  en  regard  drun  vallon  qui  gagne  les  hauteurs, 
en  aval  de  la  ferme  de  Lenne.  C'est  affirmé  par  M.  Jules  Remy,  fermier  à  Waux  (Falmignoul),  par  M.  Rolin. 
fermier  à  Chaleux,  et  par  M.  G.  Machuray.  Des  fantassins  appartenant,  croit-on,  au  to6e,  y  passèrent  la 
Meuse  le  23  août  avant  l'aube,  à  la  lueur  de  lampes  prises  à  la  gare  de  Walzin,  au  moyen  de  barques  trouvées 
sur  la  Lesse  à  Walzin  et  transportées  sur  chariots.  Ils  se  dirigèrent  ensuite  sur  Lenne  par  les  sentiers  du 
bois  de  Freyr  ;  2°  à  Waulsort.  des  fantassins  des  te,  2e  et  3*  comp.  du  1 8i °  passèrent  sur  le  barrage  vers 
6  heures;  puis  des  cavaliers,  descendus  de  Falmignoul  par  le  Chestia,  le  Drery,  les  Cascatelles,  traversèrent  le 
fleuve  à  la  nage,  de  la  rampe  du  Drery  à  la  rampe  des  Hôtels,  suivis  de  fantassins  des  tre  et  2e  comp.  du  104e; 
3°  au  Colèbi,  les  premiers  pontons  et  les  matériaux  nécessaires  à  la  construction  du  pont  provisoire  furent 
amenés  de  Falmignoul,  par  le  chemin  du  Colèbi,  et  mis  à  la  Meuse  le  23  août  à  10  heures,  sous  le  feu  d'une 
mitrailleuse  française  postée  au  K  Paradis  des  Chevaux  »,  à  l'éperon  qui  commande  la  combe  de  la  Meuse, 
au-delà  du  château  de  Waulsort.  Cette  mitrailleuse  fit  plusieurs  victimes  et  c'est  peut-être  en  guise  de 
représailles  que  furent  tués  à  cet  endroit  deux  civils  (voir  tome  IV,  p.  47^.  Les  premiers  fantassins  ennemis 
qui  purent  traverser  le  fleuve  en  barquettes  s'abritaient  derrière  le  mur  de  soutènement  de  la  voie  du  chemin 
de  fer.  En  même  temps  des  pionniers  construisaient  des  radeaux  pour  passer  les  chariots  du  ravitaillement. 
A  1  1  heures,  l'artillerie  allemande  postée  sur  la  route  de  Falmignoul  repéra  la  mitrailleuse,  qui  dut  se  retirer  : 
la  mule  qui  la  traînait  [ut  tuée  près  de  la  ferme  de  Lenne.  C'est  vers  i3  heures  que  les  troupes  commencèrent  à 
passer  le  fleuve  sur  le  pont  de  bateaux.  Ces  unités  appartenaient  au  181e  et  au  104e;  on  signala  notamment 
une  compagnie  du  104e  qui  se  trouvait  encore  le  23  août  à  1  heurs  du  matin  à  Blaimont,  descendit  à  la 
pointe  du  jour  à  Hastière-par-delà,  où  elle  commença  les  massacres,  puis,  éprouvant  de  la  résistance  des 
Français,  regagna  Blaimont,  de  'à  Falmignoul,  puis  le  Colèbi,  pour  y  passer  la  Meuse-  Cette  compagnie  avait 
été  remplacée  à   Hastièie-par-deà  rcar  des  éléments  du  1 33e,  qui  continuèrent  l'incendie  de  ce  village. 


t85 

Hastière-Lavaux.  aussitôt  après  les  éclaireurs  de  la  cavalerie,  puis  a  fait  l'ascension 
d'Insemont.  Les  éclaireurs  qui  marchaient  en  tête  atteignirent  la  ferme  du  bois  de 
Lens  dès  7  h.  3o  du  matin.  Onze  fantassins  vinrent  mettre  le  feu  à  cette  ferme  à 
î5  heures.  Une  demi-heure  après  vint  le  régiment,  qui  n'alla  pas  plus  loin,  campa 
à  la  ferme  et  partit  le  lendemain  à  1  heure  du  matin  (1).  Il  y  fut  dépassé  par  le  104e, 
puis  par  le  106e  et  le  107e,  ainsi  que  nous  allons  l'expliquer. 

Le  1 04e  —  déduction  faite  de  la  compagnie  ci-dessus  —  est  monté  sur  le  plateau 
par  la  route  d'Insemont,  suivi  du  106e. 

Le  106e  se  trouvait  le  24  à  it  heures  du  matin  près  de  l'église  de  Hastière- 
Lavaux,  venant  probablement  de  Waulsort.  Il  réquisitionne  chez  Hasquin,  arrête 
M.  l'inspecteur  Pierrard  (c'est  le  2e  bataillon),  pille  et  brûle  l'hôtel  Brouet;  dans 
les  premières  heures  de  l'après-midi,  le  même  2e  bataillon  se  rend  à  Hermeton, 
qu'il  saccage,  tandis  que  le  reste  du  régiment  (2)  suit  le  104e  sur  le  plateau  pour 
gagner  avec  lui,  et  le  107e,  la  route  de  Morville  à  Soulme  et  prendre  part  à  la 
bataille,  puis  aux  massacres  de  Surice. 

Une  compagnie  du  1 33e  s'était  établie  le  il  à  Hermeton-sur-Meuse  dans  les 
bâtiments  de  l'éclusier  (rive  gauche)  et  s'y  était  maintenue  dans  la  journée;  mais  la 
19e  compagnie  (5e  bataillon)  du  3toe  d'infanterie  1 5 1 e  division  de  réserve)  lieutenant- 
colonel  Pigault  (3),  en  délogea  l'ennemi  à  la  soirée  à  l'aide  d'une  pièce  de  canon 
qu'elle  avait  amenée. 

Les  massacres  d'Hermeton-sur-Meuse  ne  sont  pas  toutefois  l'œuvre  du  1 33e, 
mais  bien,  comme  nous  l'avons  dit  ci-dessus,  du  2e  bataillon  du  106e,  qui  y  arriva 
aux  premières  heures  de  l'après-midi,  après  avoir  stationné  jusqu'alors  aux  environs 
de  la  gare  d'Hastière.  Vers  17  heures,  quand  le  massacre  fut  terminé,  ce  bataillon 
voulut  gagner  Gochenée,  par  «  La  Vieille-Justice  »,  et  s'y  heurta,  à  14  heures, 
près  de  la  ferme  des  Onches  (Agimont),  à  quelques  Français.  Il  laissa  sur  le  terrain 
plusieurs  morts  (4),  qu'abrite  une  tombe  collective  près  de  la  ferme.  Puis  il 
rebroussa  chemin  par  où  il  était  venu,  redescendit  dans  la  vallée  et  grimpa  à 
Insemont  pour  rejoindre  le  reste  du  régiment. 

(1)  Archives  de  la  Commission  d'enquête,  rapport  du  fermier  Félix  Lespagne. 

(z)  Auguste  Demanet,  cantonnier  à  Hastière-par~delà,  reçut  à  midi  l'ordre  de  mener  la  troupe  à 
Insemont  et  à  la  ferme  du  bois  de  Lens.  Il  fut  libéré  à  Insemont  à  i3  heures  et  reçut  le  passeport  suivant  : 
«  Le  porteur  a  montré  le  chemin  au  1  06e  d'infanterie  et  peut  regagner  Hastière.  ]s)  Sch roter  III / 106.  B  (Original 
aux  archives  de  la  Commission  d'enquête). 

(3)  Notes  de  la  Section  historique  de  l'F.tal-Major  général  de  l'Armée  française,  à  Paris. 

(4)  Sept  soldats  de  la  68  compagnie  du  to6e,  dont  le  lieutenant  Gérard  Vetter,  tués  sur  le  chemin  de 
terre  dit  «  des  Onches  »,  qui  longe  la  carrière  du  «  Rond-Tienne  »  et  relie  la  métairie  «  des  Onches  »  à  la 
route  Gochenée-Agimont. 

Voici  quelques  détails,  recueillis  sur  place,  de  cet  engagement.  Plusieurs  centaines  de  soldats  du  106e 
arrivèrent  à  la  ferme  des  Onches,  vers  18  heures.  Un  officier  obligea  le  fermier,  M.  Arthur  Masson,  à  les 
conduire  vers  Gochenée  et  Vodelée.  Quinze  hommes  partis  en  avant-garde  avaient  eu  à  peine  le  temps  de 
parcourir  100  mètres  que  les  Français,  masqués  par  des  sapins  et  par  la  carrière  du  Rond-Tienne,  ouvrirent 
sur  eux  un  feu  nourri.  Les  Allemands  battirent  aussitôt  en  retraite,  protégés  par  sept  des  leurs  qui  en  avaient 
reçu  la  mission  et  dont  on  retrouva  les  cadavres  étendus  dans  la  tranchée  rudimentaire  qu'ils  s'étaient  creusée. 
Parmi  les  autres  iept  soldats  seulement  passèrent  la  nuit  à  la  ferme  des  Onches  et  aucun  n'atteignit  ce  jour-là 
Gochenée-  Deux  ou  trois  jours  après,  le  fermier  fut  rendu  responsable.  Accusé  d'avoir  tiré,  il  fut  enlevé  avec 
son   domestique;    il  passa  une  nuit    lié  à    un  chariot,  puis  fut   conduite  Agimont-   Terrifié  par  les  menaces 


i86 

Le  XIXe  corps  atteignit  le  24  août  à  18  h.  5o  Surice  et  Romedenne, 
où  il  se  heurta  aux  Français  qui  n'avaient  pu  pousser  plus  loin  leur 
retraite.  Ces  villages  furent  pour  cela  traités  avec  la  dernière  cruauté 
(voir  p.  194  et  ss.). 

Le  25  août  à  8  heures,  l'ennemi  avait  dépassé  Romerée  (rapport 
(n°  612  et  se  présentait  devant  Matagne-la-Petite  (rapport  n°  61 3). 

Dans  l'après-midi,  les  derniers  villages  belges  furent  occupés  et,  le 
26  août,  le  corps  d'armée  atteignit  la  frontière,  où  fut  engagé  le  combat 
dit  du  «  Trou-du-Diable  »  (1). 

On  pouvait  croire  que,  en  quittant,  le  23  août,  les  rues  de  Waulsort, 
d'Hastière  et  d'Hermeton  saccagés,  le  XIXe  corps  était  saturé  d'ivresse, 
de  feu  et  de  sang  ;  mais  il  n'en  continua  pas  moins  ses  ravages  dans 
l'Entre-Sambre-et-Meuse.  Les  villages  d'Onhaye,  de  Surice  et  de 
Romedenne  gardent  les  traces  et  le  souvenir  de  ces  cruels  Saxons. 

Abordons  maintenant  le  récit  détaillé  de  ces  événements. 

§   1,   —  Onhaye 

L'antique  paroisse  d'Onhaye,  célèbre  par  le  pastorat  de  saint 
Walhère/dont  elle  possède  le  tombeau,  est  la  première  qui  eut  à  souffrir 
de  la  sauvagerie  du  XIXe  corps. 

Situé  à  256  mètres  d'altitude  et  à  trois  kilomètres  seulement  de  la 
Meuse  à  vol  d'oiseau,  ce  village  est  traversé  par  la  route  de  Dinant  à 
Philippeville  et  Beaumont,  ainsi  que  par  les  routes  qui  mènent,  au  nord 
à  Weillen  et  Gérin,  au  sud  à  Waulsort  et  Hastière. 

Des  soldats  du  181e,  du  104e  et  du  106e  (2),  4e  division  d'infanterie, 
auxquels  la  retraite  des  réservistes  français  avait  fait  la  voie  libre,  firent 
dès  le  matin  du  23  août  l'ascension  des  crêtes  qui  bordent  la  Meuse  entre 
Waulsort  et  Anseremme.  A  9  heures,  ils  étaient  aux  abords  de  Lenne  ; 

incessantes  de  mort  et,  notamment,  parce  que  le  domestique,  qui  comprenait  l'allemand,  lui  apprenait  «  qu'on 
allait  les  faire  périr  à  petit  (eu  »,  il  tenta,  dans  un  moment  de  désespoir,  de  s'ouvrir  la  gorge  à  l'aide  d'un 
couteau  de  chasse.  Laissé  d'abord  pour  mort,  sur  place,  il  fut  traîné  par  les  soldats  derrière  une  maison-  Le 
lendemain,  il  revint  à  lui  et  put  regagner  sa  métairie,  tandis  que  le  domestique  et  trois  autres  civils  étaient 
entraînés  jusque  Melreux- 

(t)  Sur  l'itinéraire  de  la  24e  division,  cf.  Sack,  Die  SMachten  und  Gefecble,  o.  c,  p.  16.  On  trouvera 
des  données  sur  l'engagement  du  "  Trou-du-Diable  »  dans  A.  Libermann,  Ce  qu'a  vu  un  officier  de  chasseurs 
à  pied,  Paris,  Pion,  p.  47  et  48. 

(2)   Le  soldat  Franz  Dobratz,  de  la  9e  compagnie  du  to6e.  franchit  la  Meuse  en  barque  le  i3  et  participa 
le  aoir  au  combat  d'Onhaye  (Paris,  Direction  du  Contentieux  et  de  la  Justice  militaire,  dossier  to55,  rapport^). 
Le  parquet  de  Dinant  a  saisi  à  Onhaye  la  marque  d'un  vêtement   militaire  ainsi  conçue  :  Soldat  Rudolf  4  Kp 
7  Inf.  Reg.  Konig  Georg  n°  106. 


,87 

entre  17  et  18  heures,  ils  entraient  dans  Onhaye,  où  une  poignée  de 
réservistes  de  la  5ie  division  les  retint  à  l'extrémité  est  du  village  jusqu'à 
ce  que  vinssent  les  renforts  français. 

En  effet  le  général  Franchet  d'Espérey  avait  été  averti,  vers  midi,  de 
l'avance  allemande.  Estimant  qu'elle  pouvait  devenir  gravement  menaçante 
pour  les  opérations  des  troupes  françaises  et  belges,  il  avait  aussitôt  dirigé 
sur  Onhaye  le  2e  bataillon  du  148e  et  le  ier  bataillon  du  45e,  sous  les 
ordres  du  général  Mangin.  Ces  troupes,  en  un  élan  impétueux,  refoulèrent 
l'ennemi  hors  du  village,  qu'elles  réoccupèrent  jusqu'au  matin  (1). 

Le  24  août,  les  soldats  allemands  du  XIXe  corps  s'étaient  retirés  vers 
la  Meuse;  ils  furent  remplacés  dès  la  première  heure  par  des  troupes  du 
XIIe  corps  (2),  puis  de  la  24e  division  de  réserve,  venues  de  Dinant.  Ces 
troupes  continuèrent  à  s'acharner  sur  cette  localité  vide  de  civils  et  que 
les  Français  avaient  totalement  évacuée  dès  l'aube  du  24  août.  Il  fallut 
deux  jours  entiers  à  ces  sauvages  pour  achever  leur  œuvre  de  destruction. 
Cent  quatorze  maisons  furent  brûlées  sur  144;  quelques-unes  seulement 
avaient  été  légitimement  détruites  par  l'artillerie. 

Les  rares  personnes  qui  avaient  eu  l'imprudence  de  rester  eurent 
beaucoup  à  souffrir.  Les  éclaireurs  du  XIIe  corps  firent  marcher  devant 
eux  deux  vieillards  et  un  prêtre,  et  tirèrent  sur  eux  quand  ils  aperçurent 
quelques  Français.  Six  personnes  trouvèrent  la  mort  à  Onhaye  même, 
dont  trois  accidentellement.  Le  curé,  M.  l'abbé  Ambroise,  compte,  avec 
son  oncle,  son  beau-frère  et  trois  de  ses  paroissiens,  parmi  les  victimes 
de  l'affreux  massacre  de  Surice  (voir  p.  2o3). 

Dans   le  rapport  que  nous  faisons  suivre  sont  fusionnées  les  dépo- 
li)  (<  Nos  soldats  ont  repris  Onhaye  avec  un  entrain  superbe.  Jamais  au  cours  de  la  guerre,  je  n'ai  assisté 
à  une  attaque  aussi  vivement   menée   et   couronnée  d'un   tel   succès!  M  Paroles  dites  à    M.  le  juge   Herbecq,  à 
Dinant,  par  un  officier  qui  avait  participé  à  l'attaque. 

De  son  côté,  le  général  von  Hausen  écrit  :  «  La  24e  division  d'infanterie  réussit  à  gagner  Lenne  à  la 
tombée  du  jour,  puis  chercha  à  se  rendre  maîtresse  d'Onhaye.  Repoussée  par  des  forces  supérieures,  elle  conserva 
cependant  les  bois  de  Freyr  et  de  Lenne  comme  points  d'appui  pour  le  changement  de  rive  de  la  IIIe  armée  au 
24  août  »,  o.  c,  p.  i3o. 

Sur  le  combat  d'Onhaye,  voir  Lanrezac,  o.  c,  p.  t75;  Isaac,  o.  c,  p.  82  et  120;  Hanotaux,  Histoire 
illustrée  de  la  guerre  de  1914,  V,  p.  295  et  VI,  p.  23;  I1 'Enigme  de  Cbarleroi,  p.  71,  79,  85;  Général  Mangin. 
Comment  finit  la  guerre,  p.  27;  Engerand,  o.  c,  p.  538  et  545;  Ginisty,  Histoire  de  la  guerre  par  les  com- 
battanls,  p.  t  39;  Palat,  o.  c,  III,  p,  332;  von  Hausen,  o.  c,  p.  1  3o  ;  Die  Schlacbten  und  Gefechte,  o,  c,  p.  14  ; 
Les  Violations,  o.  c,  p.  89. 

(2)  On  signale  surtout  les  régiments  appartenant  à  la  23e  division.  Le  soldat  Biittner,  du  100e  grenadiers, 
23e  division,  qui  a  traversé  la  Meuse  à  Dinant  le  26  août  et  est  passé  à  Onhaye,  écrit  :  «  Tout  est  détruit,  tout 
est  pillé  »,  Les  Violations,  o.  c.,  p.  89, 

Les  habitants  ont  gardé  le  souvenir  d'un  officier  à  cheval  du  1  08e  fusiliers,  roux,  de  haute  taille,  coiffé  d'un 
shako  à  plumet  :  il  fut  le  chef  des  incendiaires,  le  24  août.  Il  partit  le  25  au  matin,  passa  à  Morville  et  mit  le 
feu  à  L'Assurance.  (Rapport  du  parquet  de  Binant,  aux  Archives  de  la  Commission  d'Enquête,  à  Bruxelles.) 


i88 

sîtions  d'une  dizaine  de  témoins  oculaires  recueillies  de  1915  à  1919, 
ainsi  que  les  nombreux  éclaircissements  fournis  par  M.  l'abbé  Rousseau, 
qui  succéda  dès  le  mois  d'octobre  1914  à  M.  Ambroise  et  administra  la 
paroisse  tout  en  résidant  à  Gérin,  sa  maison  de  cure  étant  incendiée. 

Les  données  militaires  sont  extraites,  pour  la  plupart,  du  récit  du 
combat  que  le  général  Cadoux  a  publié  dans  Vers  l'Avenir,  journal  de 
Namur,  1920,  nos  273  à  275. 

Nc  608.  Avant  te  23  août,  l'infanterie  ei  le  génie  français  avaient  mis  la  partie  sud-est 

du  village  en  état  de  défense,  y  creusant  des  tranchées  dans  les  campagnes  et 
des  meurtrières  dans  les  murs  de  plusieurs  maisons. 

Dans  la  nuit  du  îî  au  23,  le  208e  de  réserve,  relevant  des  éléments  du 
ier  corps,  occupa  les  emplacements  qui  lui  avaient  été  assignés  d'Hermeîon  à 
Anseremme,  par  Hastière,  Waulsort,  Lenne  et  Freyr.  Les  réservistes,  brisés  de 
fatigue,  —  ils  venaient  de  Vierves  et  Treignes  —  ne  se  savaient  pas  si  proches  de 
l'ennemi  qui,  à  travers  l'étroite  vallée,  put  constater  leur  présence,  suivre  leurs 
mouvements  et  repérer  leurs  emplacements.  Le  23  dès  2  heures  du  matin  et  surtout 
à  partir  de  6  heures,  l'artillerie  allemande  commença  à  les  couvrir  de  son  feu,  les 
pourchassant  bientôt  dans  la  direction  de  Lenne  et  d'Onhaye.  Dès  9  heures,  des 
soldats  du  181e  saxon,  venant  de  Waulsort,  étaient  repoussés  aux  abords  des  fermes 
de  Lenne.  A  10  heures,  l'artillerie  de  la  5ie  division  de  réserve  (lieutenant-colonel 
Aillaud)  arriva  à  Onhaye,  mais  à  peine  avait-elle,  vers  midi,  ouvert  le  feu  contre  une 
batterie  ennemie  située  à  Grandchamp,  direction  de  Freyr,  qu'elle  fut  anéantie  (1). 
Les  premiers  obus  allemands  atteignirent  le  village  à  9  heures.  Vers  1 1  heures, 
ce  qui  restait  de  la  population  s'enfuit  vers  Gérin,  Fter,  Serville,  Weillen  et 
Anthée.  L'Etat-Major  de  la  102e  brigade  (général  Leleu)  et  le  général  de  division 
Boutegourd  se  retirèrent  vers  Anthée,  avec  les  batteries  qui  avaient  été  préservées. 

Vers  midi,  le  général  Franchet  d'Esperey,  chef  du  1er  corps,  dont  une  division 
était  échelonnée  de  Sart-Saint-Laurent  à  Lesves,  allait  attaquer  la  Garde,  qui 
constituait  le  flanc  gauche  de  l'armée  de  von  Bùlow,  lorsqu'on  l'informa  du 
fléchissement,  sur  la  Meuse,  des  réservistes  de  la  5ie  division.  On  ajoutait,  par 
erreur  (2),  que  l'ennemi  avait  occupé  Onhaye.  Il  retira  aussitôt  du  front  le  gros  de 
la  division  Deligny,  qu'il  dirigea  sur  Anthée,  et  donna  l'ordre  à  deux  bataillons  de 
la  8e  brigade  Mangin  de  se  porter  aux  environs  d'Ermeton  sur  Onhaye.  Le  général 
de  brigade  Mangin  gagna  lui-même  Onhaye.  et,  découvrant  l'artillerie  Aillaud,  en 
retraite,  il   la   disposa  au  nord  de  la  route  d'Anthée,  d'où  on  avait  vue  sur  Onhaye. 

Le  bombardement  d'Onhaye  par  l'artillerie  tirant  deFalmignoul  et  d'Anseremme 
avait  cessé  à  i5  heures.  La  maison  de  Norbert  Fallay  (plan  7).  avait  pris  feu  à 
14   heures,    mais   on    out   l'éteindre.  L'école    des   filles  (plan  9),  l'étable  de  Joseph 

(1)  Le  capitaine  Gouillard  se  fit  tuer  à  ses  pièces,  en  voulant  les  sauver-  II  tomba  au  fond  de  Foqueux. 
prè~  de  la  route  de  Philippeville,  à  200  vnèîris  du  cimetière  de  Dinant  et  fut  inhumé  dans  le  caveau  de 
M     Herbecq,  à  Dinant. 

(2)  Plusieurs  historiens  ont,  à  leur  tour,  accepté  ce  détail  inexact. 


i«9 


Fig.   59.   —   Plan   d'Onhaye  (t). 


0-  Légende  du  plan  :  N°  1.  Presbytère;  2.  Maison  d'Adelin  Frérotte,  tué  à  Surice  ;  3.  Maison  d'Adolphe 
Pochet,  tué  à  Surice  ;  4.  Maison  de  Cyrille  Colot,  tué  à  Surice  ;  5.  Maison  de  Charles  Laret.  disparu  ;  6.  Maison 
de  l'enfant  Léa  Collignon,  tuée  à  Onhaye  ;  7.  Maison  Norbert  Fallay  ;  8,  Ecole  des  garçons  ;  9.  Ecole  des  fi  lies; 
10.  Etable  de  Joseph  Dujardin;  11.  Ferme  de  la  Sicaille;  12.  Le  Forbot;  i3.  Maison  du  chevalier  Diericx; 
14.  Maison  de  Désiré  Dujardin  ;  i5.  Cimetière  militaire  actuel  ;  16.  Maison  Barvaux,  où  trois  Français  se  tinrent 
cachés;  17.  Verger  du   docteur   Cassart;   18.    Poste;  19,    Chapelle  de   Bon-Air. 

Les   maisons  incendiées  du  village  sont  en  noir;  celles  qui  sont  en  blanc  ont  été  préservées. 


tço 

Dujardin  (plan  10),  le  hangar  de  la  veuve  François  Demaret  (sur  le  chemin 
de  la  ferme  de  la  Sicaille  au  Forbot),  et  la  maison  d'Anna  Demoulin.  épouse 
François  Quoilin  (en  face  de  la  chapelle  de  Bon-Air),  avaient  aussi  été  incendiés 
par  des  obus. 

Cependant  des  troupes  toujours  plus  considérables  de  la  88e  brigade  de 
Chemnitz  (104e  et  181e)  et  quelques  pièces  du  j8e  d'artillerie  de  campagne,  avaient 
passé  la  Meuse  tant  au  pont  de  bateaux  du  Colèbi,  qu'à  plusieurs  barrages  d'écluses 
et  même  en  barquettes.  La  retraite  des  réservistes  français  leur  avait  fait  le  champ 
libre.  Entre  16  et  17  heures,  elles  quittèrent  Lenne  et  s'avancèrent  vers  Onhaye  à 
la  fois  par  le  «  Clavia  »  et  par  la  ferme  Wilmer.  Aux  extrémités  est  et  sud-est  du 
village,  elles  se  heurtèrent  à  des  réservistes  français  qui  gardaient  encore  la  localité. 
Ceux-ci  firent  feu  sur  elles  et  les  empêchèrent  de  s'installer  déjà  à  l'aise  dans  le 
village  presque  désert  (1). 

Vers  ce  moment,  avant  que  ne  vinssent  les  renforts  français,  des  troupes 
allemandes  occupèrent  déjà  le  hameau  de  Froidmont,  la  ferme  de  la  Sicaille  (plan  1 1), 
et  le  quartier  est  du  village  appelé  Forbot  (plan  12),  quartier  auquel  elles  mirent 
le  feu  dès  les  premiers  coups  de  fusil  tirés  contre  elle.  Dans  le  village  même,  elles 
s'avancèrent    jusqu'à    la    propriété    de   M.    le  chevalier  Diericx  (plan  t3),  où  elles 

(t)  Voici  la  liste  exacte  des  habitants  qui  n'avaient  pas  (ui  :  Emile  Frérotte,  son  épouse 
Caroline  Dujardin,  leur  petite-fille  Séraphine  Frérotte,  Félix  François,  son  épouse  Noimi  Godfroid,  Maria 
Bodson,  Héloïse  Bodson,  épouse  Julien  Valtin,  Léopoldine  Guilmin,  épouse  Gillard,  Adèle  Thomas  ;  à  la  ferme 
de  la  Sicaille.  Denis  Biot,  son  épouse  Julie  Vany,  leurs  enfants  Marie,  Alphonse  et  Héloïse;  Jules  François, 
son   épouse  Ida  Raiwez  et  leurs  enfants  Joseph  et  Jean,  Alphonse  Pochet-Frérotte,  Louis  Henrotte. 

La  plupart  de  ces  gens,  terrés  dans  les  caves,  n'ont  rien  vu  de  ce  qui  s'est  passé  à  Onhaye,  dans 
l'après-midi  du  23  août.  Voici  les  seuls  témoignages  intéressants  que  nous  ayons  pu  recueillir. 

Alphonse  Pochet.  au  Forbot,  reçut  encore  à  16  heures  des  Français  qui  se  retiraient  en  courant.  Un  peu 
après  17  heures,  il  vit  devant  sa  maison  trois  Allemands,  qui  lui  demandèrent  à  boire.  Il  prit  un  seau  d'eau, 
auquel  ils  le  firent  boire  le  premier  ;  puis  ils  allèrent  frapper  aux  portes  et  aux  fenêtres  des  maisons  voisines. 
Un  moment  après,  trois  autres  soldats  les  avaient  rejoints.  Quand  ils  arrivèrent  devant  la  maison  de  Jules  Noël 
(la  dernière  maison  du  Forbot  à  droite  avant  d'arriver  au  village),  des  Français  cachés  un  peu  plus  loin  tirèrent 
sur  eux  ;  ils  revinrent  en  arrière.  Alphonse  Pochet  descendit  alors  dans  sa  cave  et  dix  minutes  plus  tard,  il  vit 
des  troupes  allemandes,  précédées  cette  fois  d'un  officier  à  cheval,  qui  traversaient  le  Forbot.  Devant  la  maison 
de  Jules  Noël,  nouveaux  coups  de  feu  et  elles  rebroussèrent  chemin,  mettant  le  feu,  à  ce  moment  même,  à 
plusieurs  maisons  du  Forbot  (les  maisons  de  Jules  Noël,  Jules  Colot,  veuve  Clément  Collard,  Xavier  Frérotte, 
Clément  Collignon,  Joseph  Mathieu,  la  grange  d'Alphonse  Pochet,  brûlèrent  successivement;  pour  cette  dernière, 
le  propriétaire  vit  mettre  le  feu  à  l'aide  d'allumettes).  Il  était  17  h.  3o  ou  18  heures.  Après  s'être  caché  jusqu'à 
la  nuit  noire,  M.  Pochet  parvint  à  gagner  Freyr. 

A  la  ferme  de  la  Sicaille,  des  Français  réquisitionnèrent  encore  une  voiture  vers  17  heures  pour  emmener 
des  blessés  vers  Gérin.  A  peine  un  quart-d'heure  après,  les  Allemands  arrivaient  et  buvaient  le  lait  que  les 
fermières  étaient  occupées  à  turbiner.  Intimidée,  Marie  Biot,  fille  du  fermier,  s'enfuit  vers  17  h-  4.5.  Par  le 
jardin  du  presbytère  et  la  chapelle  de  Bon-Air,  elle  gagna  le  quartier  de  «  L'Abbaye  »,  au  nord,  direction  de 
Weillen  ;  elle  avait  ainsi  traversé  une  bonne  partie  du  village,  sans  rencontrer  âme  qui  vive.  Cachée  derrière 
un  buisson,  elle  vit  des  Allemands  s'approcher  de  deux  Français  qui  faisaient  le  mort,  mais  qui,  en  réalité, 
n'étaient  pas  blessés  et  purent  fuir  ;  puis  elle  se  réfugia  près  de  chez  Alexandre  François,  à  peu  de  distance  du 
Forbot»  dont  elle  vit  brûler  les  maisons,  tandis  que  les  Allemands  qui  se  trouvaient  près  d'elle  et  aux  environs 
tiraient  dans  la  direction  de  Gérin-  C'était  le  combat.  Entre  1  cet  20 heures,  elle  vit  brûler  la  ferme  de  la  Sicaille, 
puis  elle  gagna  Weillen. 

De  son  côté,  le  colonel  Cadoux  a  relaté  que,  à  17  heures,  la  brigade  de  cavalerie  colonel  Champvallier  a 
traversé  le  village  d'Ouhaye,  qui  était  désert.   L'ennemi  n'y  avait  pas  encore  pénétré. 


Photo  1 9 1 5J 


Fig.    6o.    —  Onhaye. 

A  l'extrémité  du  Forbot, 
où  eut  lieu  le  combat  à  l'arme  Marche. 


Photo  1915) 


Fig.    61.    --    Onhaye. 

Fropriété  de  M.  le  chevalier  Diericx  de  ten  Hamme, 

uù  fut  tuée  Léa  Collignou 

et  où  mourut  Joseph  Duboù-,  de   Lenne. 


(Photo  1915) 

Fig.  62. —  Onhaye.  Route  du  Forbot, 

(La  maison  marquée  d'une  croix 

est  celle   d'Adolphe  Pochet, 

fusillé   à   Surice). 


(Photo  1Q15) 

Fig.    63.    —   Onhaye. 
Quartier   incendié  de  Bonair. 


(Photo  1915) 

Fig.    64.    —   Onhaye. 

Ferme  de  Frcidinont,  au  sud-est  du  village, 

aux  environs  de  laquelle  se  livrèrent  plusieurs  combats 

à  l'arme  blanche. 


Onhaye. 


(Photo    1915) 
Fig.   65. 
La   chapelle   de   Bonair. 


VICTIMES  DES   MASSACRES  DE  DOURBES.   DE  NISMES,   DE  COUVIN,   DE  PETlTE-CHAPELLE  ET  DOIGN1ES. 


Fig.  66.  —  Palmyr  TONGLET, 

46  ans,  de  Dourbes, 

tué  au  "   Tienne  Delvaux  ". 


F;g.  69.  —  Emile  PEKLEAUX, 

43  ans,  de  Nismes, 

tué  sur  la  route  de  Petigny. 


Fig.  72.  —  Alfred  GREGOIRE, 

36  ans,  de  Nisnies, 

tué  sur  la  route  de  Petigny. 


Fig.  67.  —  Jules  GODEFROID, 

42  ans,  de  Somzée, 

tué  entre  Dourbes  et  Nisnies. 


Fig.  70.  —  Abbé  Paul  GILLES,  3o  ans, 

docteur  en  Phil.  et  en  Théol., 

massacré  à  Couvin 


Fig.  75.  —  Pierre  BOUTAL,  53  ans, 

de  Couvin,  fusillé 
près  de  la'chapelle  des  Fonds  de  l'Eau. 


Fig.  68.  —   Jules  NICOLAS, 
56  ans,  tué  à  Nismes. 


Fig.  71.  _  Gaston  LAPOTRE, 

22  ans,  de  Nismes, 

tue  sur  la  route  de  Petigny. 


Fig.  73.  —  Achille  COLLART, 

23  ans,  de  Nismes, 

tué  sur  la  route  de  Petigny. 


Fig.  74.  —  Armand  DUMONT, 
44  ans,  tué  à  Petite-Chapelle. 


Fig.   76.  —  Jean-Baptiste  MANISE, 
i5  ans,  tué  à  Oignies. 


«9t 

vidèrent  de  nombreuses  bouteilles  de  vin,  que,  avant  de  se  retirer,  elles  prirent 
la  peine  de  ranger  tout  autour  du  cadavre  de  Joseph  Dubois,  fermier  de  Lenne, 
qui  venait  d'y  être  apporté. 

Cependant,  à  17  h.  45  précises,  le  groupe  du  colonel  Cadoux  quittait  Anthée. 
A  18  h.  25,  le  2e  bataillon  du  148e,  commandant  Graussaud,  qui  avait  pris  la  tête 
de  la  formation  de  marche,  fut  accueilli  par  un  feu  de  mousqueterie  de  l'ennemi, 
déployé  à  la  lisière  ouest  du  village.  Deux  compagnies  furent  disposées  en  première 
ligne,  de  part  et  d'autre  de  la  route,  et  deux  autres  compagnies  furent  placées  en 
soutien,  à  400  mètres  en  arrière.  Le  Ier  bataillon  du  45e,  commandant  Bourdieu,  se 
disposa  en  réserve  à  600  mètres  de  la  2e  ligne. 

A  ce  moment,  on  put  heureusement  faire  appel  à  l'artillerie  divisionnaire, 
sous  les  ordres  du  lieutenant-colonel  Aillaud,  qui  venait  de  se  replier;  des  batteries 
furent  mises  en  position,  avec  ordre  de  battre  Onhaye  par  un  tir  progressif  de 
fauchage  et  d'exécuter  un  tir  de  barrage  en  arrière  du  village,  pour  rendre  impos- 
sible l'arrivée  de  renforts.  Sous  la  protection  de  ce  feu  d'artillerie,  qui  empêchait 
l'ennemi  de  riposter,  l'infanterie  put  progresser  à  bonne  allure  et,  peu  après 
19  heures,  le  148e,  drapeau  déployé,  puis  le  45e,  au  son  de  la  Marseillaise, 
réoccupèrent  le  village.  Il  y  eut  presque  des  corps-à-corps  dans  les  rues,  que  les 
Allemands  évacuèrent  précipitamment.  Déjà  ils  avaient  mis  le  feu  à  toutes  les 
maisons  situées  depuis  la  route  qui  descend  à  l'église,  jusqu'au  bout  du  Forbot, 
ainsi  qu'à  la  ferme  de  la  Sicaille,  occupée  par  M.  Biot,  à  la  ferme  de  Froidmont, 
occupée  par  M.  Navaux,  et  à  la  maison  de  Désiré  Dujardin.  A  20  heures,  il  y  eut 
un  essai  de  contre-attaque,  une  mitrailleuse  ennemie  ayant  tiré  de  la  pointe  du 
village  vers  Waulsort  :  une  section  française  pourchassa  l'ennemi,  baïonnette  dans 
les  reins,  jusqu'au  bout  du  Forbot,  à  l'extrémité  est  du  village,  près  du  cimetière 
militaire  actuel  ;  le  commandant  Graussaud,  du  148e,  et  le  capitaine  Didier,  de  la 
6e  compagnie,  tombèrent  mortellement  blessés,  à  quelques  pas  du  lieutenant 
Woiry,  qui  venait  d'être  tué.  A  21  heures,  les  Allemands,  mis  de  tous  les  côtés  en 
déroute,  avaient  fui  vers  Waulsort  et  Hastière.  Le  bataillon  du  148e  s'établit  en 
pleins  champs  et  le  bataillon  du  45e  campa  sur  la  place  et  garda  les  issues  du 
village.  A  22  heures,  nouvelle  manœuvre  ennemie  dans  la  direction  de  Lenne  :  une 
partie  des  Français,  sortant  du  village,  poursuivirent  cette  fois  l'ennemi  jusque 
Lenne  même,  où  le  lieutenant  Legrand,  de  la  6e  compagnie,  tomba  à  son  tour.  Il 
repose  à  Waulsort. 

Le  24,  à  2  heures  du  matin,  les  Français  se  retirèrent,  sur  ordre,  vers 
Agimont,  par  Miavoye  et  Gochenée. 

Les  premiers  Allemands,  venant  cette  fois  de  Dinant.  réapparurent  au  point 
du  jour.  Trois  soldats  français  étaient  restés  chez  Barvaux  (plan  16)  et  y  furent 
découverts  :  deux  d'entre  eux  se  rendirent,  mais  le  troisième,  Edouard  Mirlier  (1), 
refusa  de  se  constituer  prisonnier  et  répondit  qu'il  se  défendrait  jusqu'à  la  dernière 
cartouche;  sortant  de  chez  Barvaux,  il  se  retira,  pourchassé  par  les  Allemands, 
vers  l'église,   contre  laquelle    plusieurs    habitants    le  virent    tuer.    Il    fut  retrouvé 

(1)   Classe  1903,  de  Lille,  n°  1644. 


inhumé  à  quelques  mètres  de  là,  au  sud  de  l'église, dans  un  verger  appartenant 
à  M.   le  docteur  Gassart  (plan  17)  (1). 

Dès  la  première  heure,  des  Saxons  venant  de  Lenne  par  la  ferme  Froidmont 
se  mirent  à  la  recherche  de  civils  pour  se  protéger  contre  les  Français  qui  pouvaient 
encore  se  trouver  dans  les  environs.  A  4  heures  du  matin,  Joseph  Gillard  et  Julien 
Valtin,  vieillards  respectivement  âgés  de  72  et  de  67  ans,  furent  pris  dans  la  maison 
Gillard,  voisine  de  l'église,  et  emmenés  en  face  de  la  poste  (plan  18),  à  l'extrémité 
ouest  du  village,  où  se  trouvait  l'armée  allemande.  «  Moi  fusiller  vous,  commandant 
l'a  dit!  »,  disait  l'une  des  sentinelles.  Un  troisième  civil  vint  les  rejoindre  :  c'était 
M.  l'abbé  Gaspard,  préfet  de  discipline  au  collège  de  Bellevue,  à  Dinant,  qui  s'était 
enfui  la  veille  au  moment  où  l'établissement  prenait  feu,  en  compagnie  des  religieuses 
et  des  domestiques  attachés  à  l'établissement.  Le  groupe,  après  avoir  erré  toute  la 
nuit,  s'efforçant  d  échapper  aux  éclaireurs  qui  rôdaient  dans  les  campagnes, 
rencontra  une  quarantaine  de  soldats  français  qui,  se  voyant  cernés,  décidèrent  de 
se  rendre.  Civils  et  prisonniers  français  furent  gardés  à  cet  endroit,  à  l'exception 
de  M.  l'abbé  Gaspard,  qui  fut  sommé  de  précéder  deux  cavaliers  dans  leur  marche 
en  avant,  jusqu'à  ce  qu'il  rejoignit  les  deux  vieillards  d'Onhaye. 

Ils  durent  alors  marcher  tous  les  trois  devant  deux  officiers  et  quelques 
éclaireurs,  dans  la  direction  de  Gérin.  «  Ils  devaient  les  conduire  dans  tout  le  pays 
et,  si  un  soldat  français  ou  un  civil  tirait,  ils  seraient  fusillés.  »  S'il  arrivait  à 
1A.  l'abbé  de  tourner  la  tête  de  côté,  il  était  menacé  aussitôt  du  fusil  et  un  soldat 
l'interpellait  :  «  Regarde  avant  toi,  curé!  »  —  «  Français,  ne  tirez  pas!  »,  devait-il 
crier  de  temps  en  temps. 

Au  delà  de  Gérin,  en  regard  de  Maurenne,  on  rencontra  des  soldats  français, 
qui  firent  feu  sur  les  uhlans.  Ceux-ci  ripostèrent  et,  exécutant  la  menace  qu'ils 
avaient  proférée,  ils  tirèrent  aussi  sur  les  civils,  qui  se  trouvaient  devant  eux  à  une 
distance  de  quinze  à  vingt  mètres.  Joseph  Gillard  et  Julien  Valtin  s'affaissèrent  sur 
le  chemin,  gravement  atteints  :  le  premier  avait  reçu  une  balle  dans  le  bras  et  une 
autre  dans  l'abdomen  ;  le  second  avait  la  jambe  transpercée  d'une  balle  de  fusii,  et 
1  épaule  d'une  balle  de  revolver.  Après  le  départ  des  soldats,  ils  parvinrent  à  se 
traîner  d'abord  dans  une  meule  de  froment,  puis  au  village  de  Maurenne,  où  ils  se 
cachèrent  dans  la  cave  de  la  ferme  Lekeux,  jusqu  à  ce  que,  vers  minuit  de  la  nuit 
suivante,  les  Allemands  y  mirent  le  feu;  alors  ils  furent  transportés  à  l'école.  Tous 
deux  ont  survécu  à  leurs  blessures. 

(1)  Environ  200  Allemands  et  2.00  Français  sont  tombés  à  Onhaye.  On  on  a  pu  identifier  les  Français 
dont  les  noms  suivent  :  Jules  Gillon,  du  43",  César  Lefebvre,  du  43e,  Emile  Chaumette,  du  243e,  René- 
Alphonse  Fortier,  du  148e,  Marcel-Eloi  Hau,  du  148e,  Aimé  Drouet,  du  148e,  Joseph  Delattre,  du  273e, 
Alfred  Vincent,  du  148e,  Robert  Dumenil,  du  45e,  Auguste-Edmond  Alidoux,  Louis  Lheur,  du  148e,  Désiré- 
Auguste  Berquint,  du  233e,  Charles  Pâté,  du  148e,  Henri  Cambay,  du  148e,  Lipen  Lannoy,  du  243e, 
Félix-Antoine  Lovera,  sergent  du  48e,  Alphonse  Gochey,  du  430,  lieutenant  Paul-Maurice  Hubert,  du  33e, 
Adolphe  Desrivières,  du  33*%  Prosper-Michd  Coupatetz,  du  243'',  Léon-Lucien  Malot,  capitaine  Gustave 
Didier,  du  148e,  lieutenant  Pol  Woiry,  du  148"',  Eugène  Lalliaux  Baudhuin,  du  208e,  Georges  Murnaer, 
François  Delannoy,  Emile  Joly,  du  208e,  Eugène-Ovide  Gressier,  8  R.  208,  Léopold  Larde,  ~^y°  d'A., 
Dekeyser  (présumé),  Mirlu  (présumé),  Molier  (présumé),  Paul  Vansteene,  adjudant  du  33r,  Joseph  Toussaint, 
sergent  du  233";  enfin  les  suivants,  qui  sont  dans  le  cimetière  mais  non  identifiés  :  Léon  Istace,  du  148°, 
Alphonse  Planquette,   1910,  Lille,  n°  1644,  Gabriel  Saget,   1912,  Lille,  n°  223o. 


iç3 

Les  uhlans  continuèrent  dans  la  direction  d'Anthée,  avec  M.  l'abbé  Gaspard. 
Un  peu  plus  loin,  cinq  soldats  français  attaquèrent  les  uhlans  qui,  se  voyant  en 
nombre  moindre,  tournèrent  bride,  tout  en  faisant  feu  contre  leur  dernier  prisonnier, 
qui  déjà  s'enfuyait  et  eut  la  soutane  traversée  par  plusieurs  balles.  Il  rejoignit 
bientôt  un  groupe  d'officiers  français,  les  instruisit  de  ce  qui  venait  d'arriver  et  les 
suivit  jusque  Rosée.  Après  avoir  pris  un  peu  de  lait  dans  une  maison  «  au  Gros 
Frâne  »,  il  gagna  Surice  où  il  put  raconter  les  détails  qu'on  vient  de  lire  à  l'un  de 
ses  élèves,  Léa  Burniaux;  il  y  fut  fusillé  le  lendemain. 

Revenons  au  village  d'Onhaye,  le  lundi  matin. 

Les  quelques  habitants  restés  au  village  furent  parqués,  au  fur  et  à  mesure  de 
leur  arrestation,  dans  la  serre  de  M.  le  Chevalier  Diericx  de  ten  Ham  (plan  t3)  et 
dans  la  chapelle  Saint-Walhère,  de  «  Bon  Air  (plan  tç)  »,  avec  un  petit  nombre  de 
fugitifs  de  la  veille  qui  s'étaient  trop  pressés  de  rentrer. 

A  1 1  heures,  les  hommes  furent  arrachés  à  leurs  épouses  et  à  leurs  enfants  et 
conduits  à  Rosée,  où  ils  furent  gardés  à  vue  dans  la  ferme  «  de  la  Cour  »,  occupée 
par  le  bourgmestre,  M.  Louis  Valtin,  et  laissés  sans  nourriture  jusqu'au  vendredi. 

Il  ne  resta  ainsi  à  Onhaye  qu'une  poignée  de  femmes,  seuls  témoins  de  la 
destruction  de  leur  beau  village.  Cette  destruction  commença  dans  la  journée  de 
lundi.  Au  fur  et  à  mesure  que  les  maisons  importantes  étaient  pillées,  les  soldats 
tiraient  des  coups  de  feu  dans  les  fenêtres  ou  sur  les  toits  et  le  feu  se  déclarait. 
Séraphine  Frérotte,  une  enfant  de  i3  ans,  chassée  de  sa  maison  vers  17  heures,  vit 
des  soldats  charger  sur  un  véhicule  les  meubles,  les  literies,  la  vaisselle  et  le  linge 
de  M.  Leclef  ;  elle  en  vit  d'autres  monter  sur  un  chariot  qu'ils  avaient  mené  dans 
une  grange,  et  lancer  à  l'intérieur  de  l'immeuble  une  boule  —  sans  doute  une 
grenade  —  par  le  cordon  qui  y  était  attaché  :  aussitôt  les  flammes  s'élevèrent  des 
toitures. 

Une  malheureuse  infirme,  âgée  de  84  ans,  Joséphine  FASTREZ,  veuve  Hubert 
MERVEILLE,  n'avait  pu  être  emportée  hors  de  sa  maison,  située  sur  la  place  :  elle 
y  fut  brûlée  vive. 

Sur  144  maisons,  1 1 4  furent  détruites,  dont  le  presbytère  —  où  périrent  deux 
ostensoirs,  dont  un  de  très  grande  valeur,  un  ciboire,  un  calice  et  les  précieuses 
archives  d'une  antique  paroisse  —  la  maison  communale,  avec  les  archives  civiles, 
et  l'école  des  garçons.  A  l'école  des  filles,  incendiée  par  des  obus,  avait  été  détruit 
un  matériel  du  culte  considérable.  Il  n'est  resté  du  village  qu'un  petit  nombre  de 
maisons  à  côté  de  l'église  et  au  hameau  de  Guelaipont,  sur  la  route  d'Hastière. 

Le  25  août  est  le  jour  où  furent  tués  à  Surice,  où  ils  s'étaient  réfugiés, 
M.  l'abbé  Alphonse  Ambroise,  55  ans,  curé  d'Onhaye,  avec  deux  de  ses  parents  qui 
l'y  avaient  accompagné,  Félix  Ambroise,  son  frère,  54  ans,  professeur  à  Vilvorde, 
et  Gustave  Copienne,  6y  ans,  son  oncle,  d'Evrehailles  ;  également  trois  autres 
habitants  d'Onhaye  :  Hadelin  Frérotte,  59  ans,  Adolphe  Pochet,  28  ans,  et  Cyrille 
Colot,  42  ans  (voir  Surice). 

Comme  de  nouvelles  troupes  de  la  88e  brigade  et  de  la  40e  division  (XIXe  corps), 
ne  cessaient  de  défiler  à  travers  le  village,  à  tout  moment  recommençaient  des 
scènes  de  sauvagerie.  C'est  ainsi  que  le  mardi  25  août,  une  fillette  de  6  ans, 
Lea  COLLIGNON,  fut   tuée   presque   à   bout   portant   par   un   officier.    Sa    mère, 

i3 


'94 

Constance  Merveille,  épouse  Xavier  Collignon,  était  rentrée  à  i3  h.  i5  de  Weillen 
et  de  Ftroul  où  elle  s'était  réfugiée  la  veille,  et  venait  d'être  internée  avec  ses  enfants 
et  un  grand  nombre  d'autres  personnes  dans  la  serre  de  M.  Diericx  lorsque,  à 
t3  h.  3o,  un  officier  qui  passait  sur  la  route,  en  tête  d'une  compagnie,  tira  un  coup 
de  revolver  dans  leur  direction.  Léa  fut  atteinte  à  l'abdomen.  Sa  mère  l'emporta 
dans  la  grotte  du  parc,  puis  dans  un  massif  de  buissons.  Comme  l'enfant  réclamait 
à  boire,  elle  lui  humecta  les  lèvres  avec  sa  propre  salive  et,  dix  minutes  après,  elle 
mourut.  Mme  Collignon  se  cacha,  dans  l'après-midi,  dans  un  parc  de  pois,  tenant 
toujours  sur  les  bras  le  corps  de  la  petite,  et  ayant  à  côté  d'elle  ses  autres  enfants, 
Claire  et  Alice.  Jeudi  27  août,  elle  entra  dans  le  fournil  de  Clément  Roba  et  déposa 
le  cadavre  dans  un  pétrin.  Des  soldats  voulurent  la  contraindre  à  l'enterrer,  mais 
elle  s'y  refusa.  L'inhumation  eut  lieu  à  la  soirée,  par  les  soins  de  Henri  Demoulin 
et  d'Elisée  Liégeois,  aidés  de  quelques  femmes. 

Charles  LARET,  3o  ans,  après  avoir  fui,  rentra  au  village  le  25  août,  pour  se 
rendre  compte  de  l'état  de  sa  maison.  Il  fut  repris  par  des  soldats  féroces  qui  le 
traquèrent  devant  eux  au  trot  de  leurs  chevaux.  Juliette  Frérotte  et  Ida  François  le 
virent  passer  sur  la  route  d'Onhaye  à  Anthée,  près  de  Gérin,  dans  un  état  lamen- 
table. Le  malheureux,  qui  allait  à  la  mort,  put  encore  crier  à  ces  dames  :  «  Je  vais 
être  fusillé.  Prévenez  ma  femme.  Ayez  soin  de  mes  deux  enfants  !  »  On  n'a  plus  eu 
depuis  la  moindre  nouvelle  à  son  sujet  et  on  ne  l'a  retrouvé  dans  aucune  des 
exhumations  faites  dans  la  région. 

Nicolas  SIMON,  63  ans,  et  Anna  FERRAILLE,  son  épouse,  57  ans,  furent 
atteints  par  des  éclats  d'obus  entre  Gérin  et  Anthée. 

Albert  LENGLET,  \-j  ans,  blessé  le  23  août  à  9  h.  3o,  à  Lenne.  par  un  éclat 
d'obus,  fut  emmené  par  Joseph  Demoulin  sur  un  chariot,  avec  Joseph  Dubois, 
fermier  de  Lenne,  blessé  plus  grièvement.  On  croit  que  Joseph  Dubois  était  déjà 
mort  quand  il  fut  déposé  chez  M.  Diericx  ;  quant  à  Albert  Lenglet,  il  fut  transporté 
à  Rosée,  où  il  mourut  exsangue  dans  la  nuit. 

Les  journées  qui  suivirent  furent  encore  marquées  par  des  vexations  conti- 
nuelles, car  le  passage  des  troupes  se  poursuivit  pendant  près  d'un  mois. 


§  2.  —  Surice  et  "Romedenne . 

L'histoire  de  Surice  el  de  Romedenne  constitue  en  réalité  un  drame 
unique.  Ces  villages  furent  condamnés  à  une  ruine  totale  pour  venger  les 
pertes,  d'ailleurs  peu  considérables,  qu'avaient  subies  les  troupes  du 
XIXe  corps  en  entrant  dans  ces  localités. 

C'est  qu'en  effet,  le  ier  corps  français,  venant  de  la  région  de  Sart- 
Saint-Laurent  et  Malonne,  était  loin  d'atteindre,  à  la  soirée  du  24  août,  la 
position  Mariembourg-Vierves  qui  lui  avait  été  assignée  (1).  L'arrière- 
garde  de  la    ire  division  (ter  régiment  d'infanterie)  était  encore  à  Surice  et 

(1)   Section  historique  de  l'État-Majorr-Général  de  l'armée,  à  Paris. 


195 

Romedenne  à  20  h.  3o,  quand  le  104e  allemand  se  présenta  à  l'entrée  du 
village  de  Surice.  Il  s'engagea  alors  un  court  combat,  dont  le  lecteur 
pourra  se  faire  une  idée  précise  en  prenant  connaissance  du  rapport 
suivant,  qui  relate  l'activité  de  la  8e  compagnie  (2e  bataillon)  française  et 
d'une  section  de  mitrailleuses  qui  se  trouvaient  aux  avant-postes. 

Le  24  août  à  16  heures,  après  une  marche  effectuée  par  une  chaleur 
accablante,  le  ier  régiment,  venant  des  environs  de  Sart-Saint-Laurent,  arriva  à 
Romedenne. 

Le  2e  bataillon  fut  envoyé  aux  avant-postes.  La  8e  compagnie  fut  postée  à  l'est 
du  cimetière,  la  7e  et  la  6e  à  l'ouest  du  chemin  de  Surice  à  Romedenne,  la  5e  à  l'est 
de  ce  même  chemin;  le  ter  et  le  3e  bataillon  et  l'Etat-Major  étaient  à  Romedenne. 

L'attaque  du  bivouac  débuta  vers  19  h.  i5,  par  une  fusillade,  à  laquelle  succéda 
le  canon  vers  20  heures.  Dès  que  le  petit  poste  de  la  8e  compagnie  fut  aux  prises 
avec  un  groupe  ennemi,  comprenant  cavalerie,  auto-canon  et  auto-mitrailleuse,  le 
capitaine  Frère  fit  prendre  les  emplacements  de  combat  et  se  porta  sur  les  lieux.  Il 
fut  aussitôt  blessé.  Le  lieutenant  Delgore  prit  le  commandement,  mais  le  déplace- 
ment de  la  compagnie  se  faisait  difficilement,  car  elle  recevait  le  feu  en  avant, 
venant  de  l'ennemi,  et  en  arrière,  venant  des  unités  de  réserve  et  des  mitrailleuses. 
La  section  de  mitrailleuses  du  lieutenant  Carbenay  était  installée  à  5oo  mètres  au 
nord  de  Romedenne,  sur  la  route  de  Surice  et  tira  environ  2,000  cartouches. 

Le  premier  obus  ennemi  tomba  contre  le  mur  du  cimetière,  un  autre  en  avant 
de  la  3e  section,  deux  autres  sur  le  village.  Il  était  20  h.  i5.  La  4e  section,  qui  se 
trouvait  dans  une  zone  particulièrement  battue,  fut  très  éprouvée. 

La  2e  et  la  3e  section  de  la  8e  compagnie  gagnèrent  par  bonds  un  emplacement 
situé  au  nord  de  la  route,  mais  se  trouvèrent  bientôt  isolées.  La  nuit  était  venue. 
Dans  un  moment  d'accalmie,  une  partie  des  4e  et  ire  sections  rejoignit  la  compagnie, 
qui  se  replia  dans  la  direction  de  Surice,  contourna  Romedenne  bombardé  et  gagna 
le  sud.  Le  lendemain  matin,  la  compagnie  rejoignit  le  régiment;  elle  comptait 
52  tués  (x\  blessés  et  disparus;  parmi  les  blessés,  outre  le  capitaine,  le  lieutenant 
Delerne. 

A  Romedenne,  le  bombardement  commença  à  20  heures.  Au  poste  de  police, 
situé  près  de  l'église,  plusieurs  Français  furent  tués  et  blessés  (2). 

(t)  Les  soldats  dont  les  noms  suivent  ont  été  retrouvés  inhumés  sur  le  territoire  de  Surice  :  Léon  Bayet, 
classe  1913,  Péronnes  747  ;  Maurice  Bricourt,  1911,  Cambrai  i632  ;  Constant  Bourlet,  1912,  Cambrai  2140; 
Fernand  Dumont,  1912,  Lille  62  1  8;  Louis  Delroque,  1910,  Cambrai  1921  ;  Désiré  Debarge,  1  909,  Béthune  6i5; 
Constant  Duquenoi,  191 3,  Lille  3373;  Henri  Guillaume,  1908,  Cambrai  683;  Anatole  Orison,  1909, 
Béthune  2476;  Henri  Hetega,  1910,  Lille  41 1  ;  Gédéon  Lorrioux,  19  1 1,  Lille  5o6o  ;  Lucien  Lebret,  1910, 
Béthune  1348;  Henri  Lemaitre  1 9  1 1,  Béthune  2919;  Emile  Mast,  1910,  Arras  735;  Gaston  Martel,  1911, 
Béthune    3838;     Maurice     Maronnier,     1913,      Avesnes     i3;     Marcel    Mayeur,     1913,     Béthune     1687; 

Charles  Mullier,    1913,  Lille   4604;    J.    M poul,    1913,    Cambrai    37;  sse   Monnot,  1911,   Lille  61 56 ; 

Fernand  Ollevier,  1909,  Avesnes  764;  Guislain  Queva,  1910,  Arras  809;  Our  Raditlt,  1908,  Béthune  1816; 
Fernand  Rousseau,  1913,  Saint-Omer  3717  ;  Marcel  Taquet,  1909,  Cambrai;  Charles  Verbreggen,  1910, 
Saint-Omer  906. 

(2)  Ces  données  ont  été  obligeamment  communiquées  par  les  capitaines  Carbonay    et   Lesaint,    qui    partici- 
pèrent comme  sous-officiers  à  l'attaque  de  Suric;. 


iç6 

Dans  la  nuit  qui  suivit  ce  combat,  le  feu  fut  déjà  mis  par  sauvagerie 
à  quelques  maisons  et  plusieurs  habitants  furent  tués  dans  les  rues. 

Le  lendemain  matin,  un  bruit  étrange  courut  parmi  la  troupe  :  «  Une 
jeune  fille  de  16  ans  a  tiré  sur  un  officier  .  »  Ce  fait  est  faux  et  jamais 
les  Allemands  n'ont  essayé  d'en  faire  la  preuve. 

Aussitôt  furent  décidés  l'incendie  des  deux  villages  et  le  massacre 
général  des  hommes.  A  Surice,  t3o  maisons  furent  détruites  sur  1 38  ; 
à  Romedenne,  119  sur  198. 

A  Surice,  69  personnes  furent  massacrés  :  36  étaient  du  village 
même,  33  de  l'étranger  (1);  58  de  ces  victimes  trouvèrent  la  mort  à 
Surice  même,  1  1  dans  les  villages  voisins  (2).  Une  seule  fusillade 
collective,  qui  ne  le  cède  en  rien  aux  monstrueuses  exécutions  de  Dinant, 
de  Tamines  et  d'Andenne,  faucha  38  existences,  l'élite,  peut-on  dire,  de 
la  région. 

Romedenne,  où  un  plus  grand  nombre  d'habitants  avaient  fui, 
compte  moins  de  victimes  ;  mais  si  la  sauvagerie  fut,  de  ce  chef,  limitée, 
elle  trouva  une  compensation  facile  :  ici,  des  femmes,  des  fillettes  et  de 
jeunes  enfants  furent  massacrés  à  l'égal  des  hommes.  Les  familles  Bastin 
et  Penasse,  de  Surice,  surprises  à  Romedenne,  y  furent  exterminées,  à 
l'exception  d'une  enfant  de  7  ans,  laissée  parmi  les  victimes,  mais  qui 
revint  à  la  vie  :  précieux  témoin  d'une  scène  particulièrement  monstrueuse. 

Le  drame  de  Surice  est  l'un  des  plus  émouvants  de  l'invasion. 
L'univers  en  a  lu  le  récit  sous  l'occupation  même,  et  l'horreur  qu'il  a 
suscitée  n'a  pas  peu  contribué  à  soulever  contre  l'Allemagne  les  peuples 
qui  étaient  restés  indifférents  jusque  là  au  déchaînement  de  la  grande 
guerre. 

Le  Livre  Blanc  a  gardé  le  silence  sur  les  événements  de  Surice; 
mais  ils  figurent  au  n°  16,  sur  la  liste  des  23  faits  contraires  au  droit  des 
gens  que  la  Wilhemstrasse  notifia  en  1915  aux  diplomates  accrédités 
auprès  des  pays  neutres  ou  alliés  de  l'Allemagne  (3). 

(1)  A  savoir  1 1  d'Anthée,  5  de  Gérin,  4  d'Onhaye,  4  d'Ermeton-sur-Biert,  2  de  Dinant,  1  d'Evrehailles 
1  de  Gerpinnes,  1  de  Hastière,  1  de  Le  Roux,     1  de  Morvilte,  1  de  Vilvorde,  t  de  Vitrival. 

(2)  9  à  Romedenne,  1  à  Franchimont,  t  à  Soulme. 

(3)  Direction  du  Contentieux  et  de  la  Justice  militaire,  à  Paris,  dossier  762.  En  voici  le  texte  exact  :  «  Le 
24  août  au  soir,  commença  à  Surice  une  attaque  des  habitants  contre  les  troupes  allemandes,  qui  avaient 
devant  elles  l'ennemi  et  dans  le  dos  les  francs-tireurs.  Un  certain  nombre  de  ceux-ci,  dont  trois  prêtres, 
durent  être  fusillés,  en  conformité  des  lois  de  la  guerre  ».  Les  nombreux  témoins  de  la  fusillade  sont  là  pour 
rappeler  ce  qu'a  dit  l'officier  exécuteur  :  les  victimes  n'ont  pas  été  accusées  d'avoir  tiré,  on  les  savait 
innocentes,  mais  on  les  tuait  en  guise  de  représailles,  «  parce  qu'une  jeune  fille  avait  tiré  ». 


VICTIMES    DE    LA     FUSILLADE    COLLECTIVE    DE    SUKICE 


F'g-    77- 

Olivier  RARMENTIER. 

62   ans, 

de  Miavoye. 


André   LIBERT,    46   ans, 
de  Miavoye. 


Fig-  79- 
Auguste    DURDU,  5o  ans, 

échevin    de   Surice. 


Fig.    80. 

Jecn-Bjptisle  LIBERT, 

40   ansi 

de    Miavoye. 


Fig.  S  1  . 

L'abbé  Gustave  GASPARD,  34  ans, 

de  Thon,   professeur 

au  Collège  de  Bellevue,  à  Dinant. 


Fig.    82. 

L'abbé  Alphonse  AMBROISE, 

55  ans. 

curé  d'Onhave, 


Fig.   83. 

Félix  AJHBROISE,  54  an;, 

professeur  à  l'Ecole  d'horticulture  de 

Vilvorde. 


Fig.  84. 
Gustave  COP1ENNE,  67  ans, 

d'Evrehailles, 

oncle  de  M.  l'abbé  Ambroise, 

curé  d'Onhaye. 


Fig.  85. 

Adelin   FRÉROTTE, 

59  ans, 

d'Onhax  e. 


VICTIMES    DE    LA     FUSILLADE    COLLECTIVE    DE    SURICE 


Fig.   86. 

Alphonse  N  ASSAUT, 63  ans, 

d'Anth;e. 


Fig.    89. 
Henri  JACQUES,   xG  ans, 

fils  de  Félix  Jacques, 

élève  au  collège  de  Bellevue 

à    Dinant. 


Fig.  93. 

Edmond   SCHMIT,  37  ans, 

Inspecteur  de    l'enseignement 

primaire  à  Gerpinnes. 


Fig.    87. 

Félix  JACQUES,  57  ans, 

docteur  en  médecine  à  Anthée 


Fig.    88. 

Olivier  DELCOUR,  62  ans, 

d'Authée,  fusillé   avec  ses  fils 

Arthur  et  Léon. 


Fig.    91. 

l'abbé   Oscar   PIRET,    40  ans, 

curé  d'Anthée. 


Fig.  96. 

Jean   QUOILIN,   18  ans, 

fils  de  Jean-Baptiste, 

de  Gérin. 


Fig.    95. 

Jean-Baptiste  QUOILIN, 

54  ans,  de  Gérin 


Fig.    92. 

l'abbé  Marcellin   POSKIN,    55  ans, 

curé   de   Surice. 


Fig-    97- 

Louis   DELCOUR,    54   ans, 

gendre  de  J.-B.  Ouoilin, 

de  Gérin. 


Fig.    90. 
Arthur  DELCOUR.  3o  ans, 

d'Anthée,  fusillé  avec 
son  père  et  son  frère  Léon. 


Fig.    94- 

Léon   DELCOUR,    19  ans 

d'Anthée,  fusillé  avec 

son  père  et  son  frère   Arthur. 


Fig.    98. 

Uismer  DERAVET,    16  ans, 

de  Gérin  (à  l'âge  de|6  ans). 


«97 

Le  soldat  Franz  Dobrats,  de  la  9e  compagnie  du  106e,  a  témoigné 
dans  sa  captivité  qu'  «  il  a  participé,  le  24  août,  à  l'incendie  du  village 
de  Surice  et  qu'il  y  a  fusillé  des  civils;  le  25,  à  7  heures,  six  hussards 
ramenèrent  de  la  forêt  Zj  civils  et  3  prêtres,  ainsi  que  des  femmes  et 
des  enfants.  Les  Z7  hommes  et  les  prêtres  furent  passés  par  les  armes 
sous  les  yeux  des  femmes  et  des  enfants  »  (1). 

Ainsi  se  sont  révélés  les  criminels  dont  il  nous  reste  à  raconter  les 
tristes  agissements.  Nous  publions  deux  travaux,  l'un  relatif  à  Surice, 
l'autre  relatif  à  Romedenne.  Ils  fusionnent,  en  les  résumant,  une  quaran- 
taine de  dépositions,  dont  les  plus  importantes  ont  été  enregistrées  de 
bonne  heure  (celle  de  Mme  Jacques  le  ier  octobre  1914,  celle  de  M.  le 
curé  Baudine  le  t5  janvier  1915);  d'autres  récits  de  témoins  oculaires, 
recueillis  sur  la  fin  de  l'occupation  et  aussitôt  après  l'armistice,  nous  ont 
été  fournis  par  MM.  Dupiereux  et  Dautrebande,  curés  actuels  de  ces 
paroisses. 

L'alerte  fut  donnée  à  Surice  dans  l'après-midi  du  23  août,  lorsque  des  gens 
d'Anthée  vinrent  dire  que  des  obus  allemands  étaient  tombés  dans  le  village  et  que 
les  troupes  françaises  préparaient  leur  retraite.  A  t8  heures,  à  la  sortie  du  salut, 
des  militaires  belges  en  auto  racontèrent  que  «  Namur  était  pris  et  qu'il  fallait 
fuir  ».  A  la  soirée  déjà,  Surice  était  engorgé  de  gens  de  Falaën,  Florennes,  Roux, 
Oret,  Vitrival,  Anthée,  etc.,  qui  y  passèrent  la  nuit. 

Le  24  août,  cinq  prêtres  dirent  la  messe  à  l'église  paroissiale.  A  to  heures,  on 
annonça  que  les  Français,  qui  poursuivaient  fiévreusement  leur  retraite,  fortifiaient 
Romedenne  et  que  beaucoup  de  gens  s'en  allaient.  Des  fugitifs  de  Soulme,  de 
Gochenée,  et  de  maintes  autres  localités  continuaient  à  passer.  Dans  les  premières 
heures  de  l'après-midi,  arriva  M.  l'abbé  Gaspard,  surveillant  au  collège  de 
Bellevue,  à  Dinant.  Il  avait  pu  fuir  de  la  ville  incendiée  et  échapper  deux  fois  à  la 
mort.  Jusque  17  h.  3o,  ce  fut  un  défilé  ininterrompu  de  troupes  belges  et  françaises, 
où  toutes  les  armes  étaient  mêlées.  A  la  soirée,  un  bon  nombre  de  familles  avaient 
déjà  fui  ;  la  plupart  cependant,  ayant  décidé  de  rester  et  ayant  gardé,  malgré  tout, 
confiance  dans  la  correction  des  troupes  allemandes,  ne  quittèrent  qu'au  moment 
du  combat  ou  sous  les  balles. 

Les  Français  s'étaient  quelque  peu  organisés  pour  arrêter  l'ennemi  qui 
semblait  proche  Une  mitrailleuse  était  installée  sur  une  sorte  de  crête,  «  aux 
Fosses  9  (voir  plan  de  Surice,  en  a),  à  mi-chemin  de  Romedenne,  dominant  de  là 
le  chemin  de  Soulme.  Un  autre  groupe  de  Français  avait  pris  place  près  du 
cimetière  (plan,  3). 

(1)  Ibid.  dossier  io55,  rapport  184.  Le  106e  serait,  d'après  cela,  compromis  dans  le  massacre.  D'autre 
part,  Honoré  Marotte  a  retrouvé  près  du  champ  du  carnage  des  débris  de  linge  portant  la  marque  du  104e  régi- 
ment (3e  bat.  2e  comp.).  Arthur  Burniaux  a  retrouvé  des  objets  appartenant  aux  104e  et  107e.  Des  bons 
mentionnent  les  ie,  9e,  10e,  1  te  et  12e  comp.  du  104e,  les  8e,  9e,  106  et  11e  comp.  du  107e,  le  19e  hussards 
(4e  esc.)  et  la  3P  bat    du  77e  rég.  d'art    de  camp  (Archives  de  la  Commission  d'enquête,  à  Bruxelles)- 


tçS 


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Fig.   99-    —   Plan   de   Surice. 
(Les  maÎ3oi"s  en   noir  ont  été  incendiées.) 

Légende.  —  i.  Église  de  Surice;  2.  Ancienne  cure;  3.  Cimetière;  4.  École  des  garçons;  5.  École  des 
filles;  6.  Château  Diericx  et  parc;  7.  Patronage;  8.  Maison  Penasse  ;  9.  Maison  Canton;  10.  Joseph  Hubert; 
il.  Olivier  Dubuisson  ;  12.  Docteur  Bouty;  i3.  Edouard  Burniaux;  14.  Grange  Maron  ;  i5.  Fermier  Laloux  ; 
16.  Ern.  Lebrun,  percepteur  des  postée;  17-  Charles  Colot  ;  18.  Ferme  du  château;  19.  Esther  Mathieu; 
20.  Henri  Burniaux;  11.' Arthur  Burniaux;  22-  Auguste  Durdu  ;  23-  Léopold  Burniaux;  24.  Elisée  Pierard  ; 
25.  J.-B.  Gérard  Balbeur;  26-  Adrien  Maron;  27.  Adèle  Cogniaux;  28.  Baijot;  29-  Victor  Cavillot  ; 
3o.  Camille  Cuvelier;  3t  (ou  III).  Soeurs  françaises  (maison  Félicie  Renson);  32.  Veuve  Laurent;  33.  Monu- 
ment 34.  Cimetière  militaire;  35  Veuve  Brassart  ;  36.  Pères  de  la  Sainte  Famille  (maison  Alice  Renson); 
a.  Endroit  de  la  fusillade;  o.  Grotte. 

Maisons  non  incendiées  :  I  Paulus  Burniaux;  II  Alphonse  Burniaux;  III  Maison  Renson  (Sœurs 
françaises,  nouvelle  cure);  IV  Poste;  V  Maison  Colinet  Ghislain  ;  VI  Maison  Canton;  VII  Maison  Xavier 
Soumoy;  VIII  inoccupée,  appartenant  à  Henri  Burniaux,  habitée  en  dernier  lieu  par  Jacquemot. 


'99 

Il  était  exactement  18  h.  5o  quand  l'ennemi  se  présenta  et  que  commença  la 
fusillade.  Les  habitants  gagnèrent  les  caves.  Tandis  que  fonctionnaient  canons  et 
mitrailleuses,  les  Allemands  se  ruaient  à  l'assaut  du  village.  Des  autos  blindées  en 
amenèrent,  vrais  sauvages,  qui  saccagèrent  plusieurs  maisons  et  les  incendièrent  (1). 
Le  feu  des  mitrailleuses  ennemies  avait  surtout  atteint  les  maisons  situées  au  tour" 
nant,  près  du  château  Diericx  (plan,  6),  et  la  maison  Penasse  (plan,  8)  qui  se 
trouve  dans  un  sentier  voisin. 

«  Vers  20  heures,  écrit  Arthur  Burniaux,  quatre  uhlans  arrivèrent  près  de 
l'école.  Deux  soldats  français  embusqués  près  du  local  du  patronage,  qui  se  trouve 
en  face  de  chez  moi,  en  tuèrent  deux,  puis  se  retirèrent,  tandis  que  les  deux 
uhlans  restés  en  vie  rebroussaient  chemin.  » 

«  Vers  20  heures,  raconte  Joseph  Hubert  (plan,  10),  un  officier,  revolver  au 
poing,  suivi  d'une  troupe  de  soldats,  me  somma  de  les  conduire  à  Romedenne  ; 
lorsque  nous  fûmes  près  de  chez  Canton  (plan,  9),  les  Français  ouvrirent  le  feu;  je 
pus  m'esquiver  et  gagner  le  chemin  de  Vodelée.  Près  du  cimetière,  je  vis  deux 
Français  tués,  et  un  peu  plus  loin  huit  autres.  » 

On  retrouva  cinq  cadavres  de  soldats  allemands  près  de  la  maison  de 
Jules  Canton. 

Des  civils  furent  tués  dès  la  première  heure.  Lambertine  Marchand,  épouse 
d'Olivier  Dubuisson  (plan,  11),  entendant  le  bruit  du  canon  et  apprenant  que 
Romedenne  était  en  feu,  quitta  sa  maison  située  sur  la  place,  pour  fuir.  «  Tout  à 
coup,  raconte-t^elle,  nous  voyons  arriver  des  soldats  habillés  tout  en  gris.  Ma  fille 
me  dit  :  ce  sont  des  Allemands,  ils  ont  des  casques  à  pointe!  Effrayée,  je  fis  un 
mouvement;  et  aussitôt  ils  s'élancèrent  vers  nous,  les  uns  baïonnette  au  canon,  les 
autres  tirant  des  coups  de  feu.  Nous  sommes  rentrés  affolés.  Uue  grêle  de  balles 
pleuvait  dans  la  maison.  Nous  nous  sommes  couchés  à  plat  ventre.  Ma  fille  est 
entrée  dans  une  armoire  de  coin,  autour  d'elle  des  balles  se  figèrent  dans  les 
murailles.  Alors  nous  nous  sommes  traînés  dans  la  basse  cuisine,  hommes,  femmes 
et  enfants,  priant  à  haute  voix.  Après  être  monté  à  l'étage,  mon  fils  Charles  en  est 
redescendu,  criant  que  le  feu  était  au  grenier.  Affolée  par  la  crainte  d'être  brûlée 
vive,  Juliette  GENARD  (fig.  120),  22  ans,  d'Ermeton^sur-Biert,  voulut  partir,  en 
longeant  le  pignon.  Mon  fils  l'avertit  vainement  que  les  Allemands  étaient  au  coin. 
Elle  n'avait  pas  fait  deux  mètres  qu'elle  était  touchée;  elle  tourna  sur  elle-même  en 
jetant  un  cri  et  tomba  sur  le  bord  d'un  fumier  Son  mari,  Alexandre  ROUYRE 
(fig.  1 1 8),  26  ans,  était  parvenu  à  traverser  la  route;  j'ai  vu  les  Allemands  qui  le 
ligotaient  avec  des  cordes  et,  le  lendemain,  il  gisait  tué  près  de  la  maison.  Le 
père  de  Juliette,  Arthur  GENARD,  45  ans,  sa  mère,  Elvire  COPPÉE,  45  ans, 
sortirent  à  leur  tour,  et  furent  abattus.  Le  cadavre  du  père  Genard  gisait  encore 
huit  jours  plus  tard  au  coin  de  l'habitation  du  docteur  Bouty  (plan,  12),  où  l'on 
dut  le  brûler,  à  cause  de  l'état  avancé  de  décomposition  (2). 

(1)  Les  premières  maisons  qui  brûlèrent   furent  celles  du   «   Pauquis   »»    :   la  maison  Brasseur,  la  ferme 
Diericx,  la  maison  de  L.  Pingaut  ;  et  dans  le  centre,  celles  d'Aimé  Sagin  et  de  Joseph  Burniaux^Deroyer. 

(2)  Ces  quatre  habitants  d'Ermeton-sur.-Biert  s'étaient  d'abord  réfugiés  dans  Is  grange  Maron  (plan,  14?; 
quand  le  feu  fut  mis  à  cette  dernière,  ils  réussirent  à  passer  chez  Dubuisson- 


zoo 

»  Nous  avons  ensuite  vu  enfoncer  les  portes  et  les  fenêtres  à  coups  de  hache, 
chez  Edouard  Burniaux  (plan,  i3).  «  Pardon  !  grâce  !  pitié  !  Nous  demandons  la 
paix  I  criaient  des  civils  ou  des  soldats  français.  »  Le  feu  faisait  rage  dans  tout  le 
village.  Jusque  1  h.  3o  du  matin,  on  entendit  les  coups  de  fusil  et  les  détonations 
du  canon  ;  les  mitrailleuses  résonnaient,  les  soldats  poussaient  des  hourras,  les 
bêtes  à  cornes  rôties  dans  le  feu  hurlaient.  Quelle  nuit  épouvantable  ! 

»  A  i  h.  3o,  nous  avons  entendu  les  Allemands  charger  leurs  morts  et  leurs 
blessés  et  s'éloigner.  A  3  heures,  le  silence  s'était  fait.  Mon  fils  Charles,  étant 
sorti,  aperçut  le  fermier  M.  Laloux  (plan,  i5),  qui  se  disposait  à  partir  avec  chevaux 
et  chariot.    » 

Ernest  Lebrun,  percepteur  des  postes  (plan,  16),  fuyant  l'incendie  de  sa  maison, 
s'était  réfugié  avec  son  collègue  d'Anthée  et  sa  famille  dans  son  jardin  ;  à  quelques 
mètres  de  là  fut  tué  Charles  COLOT  (plan,  17),  clerc  de  l'église,  âgé  de  88  ans,  et 
ils  entendirent  le  coup  de  feu  qui  l'abattit  sur  le  seuil  de  sa  maison  (1).  Jules  Mathieu 
en  retrouva  les  restes  calcinés  le  ier  septembre;  il  fut  inhumé  dans  la  «  terre  du 
Gouverneur  »  avec  les  restes  d'un  soldat  français. 

M.  Ernest  Diericx,  fuyant  la  ferme  du  château  en  feu  (plan,  18),  passa  la  nuit 
avec  sa  famille  dans  une  oseraie  marécageuse  située  à  proximité.  Vers  4  heures  du 
matin,  tandis  que  sa  fille  Marguerite,  son  oncle  et  sa  tante  allaient,  comme  nous  le 
raconterons  plus  loin,  se  cacher  dans  une  grotte,  au  parc  de  Mme  Laurent,  il  se 
dirigea  vers  «  La  Caracole  »  et  aperçut,  à  ce  moment,  sur  la  porte  de  l'étable  le 
cadavre  d'ANTOiNE  WAUTELET,  70  ans,  échevin  de  Le  Roux  (Fosses),  qu'il 
retrouva  plus  tard  dépouillé  et  carbonisé. 

Dix-neuf  personnes,  dont  M.  l'abbé  Debatty,  curé  de  Morville  et  M.  l'abbé 
Lamort,  passèrent  la  nuit  dans  une  cave  du  village,  chez  Mme  Esther  Mathieu, 
Vve  Foulon  (plan,  19  et  fig.  104).  Ils  s'y  étaient  barricadés  de  leur  mieux,  fermant 
les  soupiraux  à  l'aide  de  coussins.  Quand  l'ennemi  pénétra  sur  la  place  déserte, 
vers  21  heures,  ils  entendirent  une  mêlée  confuse,  des  cris  gutturaux,  le  son  de 
fifres  et  de  tambours.  Puis  ce  fut  la  ruée  des  soldats  sur  les  maisons  :  ils  enfonçaient 
les  portes,  brisaient  fenêtres  et  volets,  saccageaient  les  meubles  et  mettaient  le 
feu.  Tout  à  coup  la  maison  elle-même  où  ils  se  trouvaient  fut  envahie  et  le  bruit 
des  talons  résonna  durement  sur  les  parquets;  heureusement  la  cave  fut  respectée. 
Puis  un  canon  fut  installé  sur  la  place  et  bombarda  la  maison  presque  à  bout 
portant  (2).  Il  tira  de  même  sur  presque  toutes  les  maisons  de  la  place,  qui 
gardèrent  jusqu'à  leur  démolition  les  traces  et  les  trous  des  obus.  A  4  heures  du 
matin,  quand  le  calme  se  rétablit,  le  curé  de  Morville  jeta,  par  le  soupirail, 
un     coup   d'ceil    sur    la   place    et    aperçut    l'attelage   du    fermier   Edouard   Laloux 

(»)  Charles  Colot  était  déjà  blessé  près  de  la  porte  de  sa  maison,  quand  Louis  Bastin  quitta  sa  demeure 
qui  prenait  feu,  à  22  heures,  et  gagna  son  jardin  par  s'y  cacher  dans  le  ruisseau. 

(»)  On  connaît  l'auteur  de  cet  exploit  brutal  :  c'est  le  lieutenant  Bischoff,  de  Vahr-bei-Bremen,  de  la 
3e  batterie  du  77e  rég.  d'art,  de  campagne,  ainsi  que  l'a  raconté  tout  au  long  l'ouvrage  intitulé  :  Artillerie, 
Hermann  Hillger  Verlag,  Berlin,  p.  26.  Détail  significatif  :  l'officier  a  reçu,  en  récompense  de  ce  fait  d'éclat, 
la  croix  de  fer  de  2e  classe  et  la  croix  de  chevalier  de  l'Ordre  de  Saint-Henri  ! 


20 1 

qu'accompagnait  aussi  le  curé  de  Gérin.   Ils  sortirent  de  leur  cave  (i)  et  gagnèrent 
Lautenne  (a). 

M.  Laloux  raconte  ainsi  ses  impressions  de  la  nuit  tragique.  «  Mon  fils  Moïse 
et  mon  neveu  surveillaient,  d'un  fenil,  les  abords  de  la  ferme.  Ils  virent  arriver  les 
monstres,  qui  jetèrent  des  bombes  à  la  poste  (plan  16,  préservée)  voisine  de  notre 
habitation.  Informés  par  eux  de  ce  qui  se  passait,  nous  allâmes  nous  blottir,  à 
3o  personnes,  dans  les  arbustes  du  jardin  de  M.  Henri  Burniaux  (plan  20).  Terrifiés 
par  les  hurlements  des  soldats,  nous  retenions  notre  souffle,  de  crainte  de  nous 
signaler.  Plusieurs  fois,  nous  entendîmes  des  cris  de  femmes  (3)  :  «  Au  secours, 

(1)  A  ce  moment,  les  maisons  de  la  place  étaient  encore  intactes,  sauf  celles  de  Jules  Hubert,  Julien  Maron 
et  Dubuisson.  Le  (eu  venait  d'être  mis  chez  Edouard  Burniaux  et  l'habitation  de  Mme  veuve  Laurent  ne  brûlait 
pas  encore. 

(2)  L'odyssée  de  ce  groupe  mérite  d'être  relaté.  Quand  ces  gens,  à  peine  sortis  du  cauchemar  de  la  nuit 
précédente,  eurent  dépassé  Lautenne,  des  hussards  de  la  mort  qui  marchaient  en  tête  d'un  régiment  d'artillerie 
leur  firent  lever  les  bras  en  l'air  pendant  un  quart  d'heure,  puis  les  ramenèrent  à  Lautenne.  Ils  y  assistèrent 
vers  5  heures  au  passage  d'importantes  troupes  qui  gagnaient  Surice,  puis  ils  poursuivirent  leur  route  vers 
Rosée,  Morville  et  Anthée,  espérant  toujours  dépasser  le  flot  de  l'invasion. 

Faits  prisonniers  à  leur  arrivée  à  Anthée,  et  parqués  dans  le  verger  de  Joseph  Burton,  ils  assistèrent  à  de 
multiples  scènes  de  sauvagerie  et  à  la  destruction   du  village.  A  17  heures,  les  hommes,  séparés  des  femmes, 
furent   sur   le  point   d'être  fusillés,  mais  ils  eurent  finalement   la   vie   fauve  et  furent   congédiés.  Aussitôt  qu'ils 
eurent  rejoint  le  groupe  des  dames,  ils  furent  repris.  Sous  la  conduite  d'un  jeune  et  brutal  officier  du  100  ,  ils 
reprirent  la  route  de   Rosée  et   longèrent   Morville  en    feu.   Quand   ils  eurent   monté   la   côte,   Gustave  Cléda, 
maréchal-ferrant  à   Anthée,  s'évanouit  devant  eux  :  alors  le  groupe   fut   licencié   à   l'exception  des  trois  ecclé- 
siastiques. Ceux-ci,  traqués  à  coups  de  cravache   et   de  crosse,  furent   rangés  près  la  grille   de  la   propriété  de 
M.  le  comte  van  den  Stegen,  à   Rosée-  Ils  virent   saccager  et    piller   le   château   de   fond   en   comble;   puis,  en 
compagnie  de  deux  gardes,  ils  précédèrent   la   troupe   pour   la   visite   du   parc.  «   Tous  seraient  fusillés,   s'il  y 
avait  un  seul   Français  dans  le  bois.  "  Ils  traversèrent   encore  des  angoisses  mortelles,  puis   l'officier   qui  les 
avait  pris  les  congédia  à  20  heures.  Un  verre  d'eau  avait  été  leur  seul  aliment- 
Deux  cents  mètres  plus  loin,  ils  se  heurtèrent  à  des  soldats  excessivement  brutaux.  L'un   d'eux,  sautant  de 
son  véhicule,  saisit  le  curé  de  Morville  à  la  gorge,  le   menaçant  d'un  énorme  coutelas,  et  s'en  prit  de  même  au 
curé  de  Gérin     Ils  eussent   été  égorgés  sans  l'intervention  d'un   officier  qui    se   montra  bon   pour  eux  et   les 
ramena  à  la  grille  du  château  de  Rosée.  Ils  passèrent   la   nuit   chez  un  garde  et  le  26  août,  à  2  h.  3o  du  matin, 
trompant  la  surveillance  de  leurs  gardiens,  ils  s'enfoncèrent  dans  la  forêt,  vers  Soulme,  Agimont  et  Hermeton- 
sur-Meuse.  Exposés  à  tout  moment  à  se  heurter  à  l'ennemi,  ils  déchirèrent   les   vêtements  ecclésiastiques  qu'ils 
portaient,  de  façon  à  paraître  habillés  en  civils  et  vécurent,  jusqu'au   vendredi  à  midi,  de   feuilles  et  de  racines- 
Exténués  de  fatigue,  démoralisés  et  trempés  jusqu'aux  os,  à  la  suite  d'un  orage  et  de  deux  nuits  pluvieuses,  ils 
arrivèrent    le   28  août,    après   de    multiples    incidents,   à    une    maison    de   garde    sise    à    Crupet-Hastière,   où 
Jules  Léonard  et  Jules  Tumson  les  abritèrent   charitablement,  dans   le   plus  grand  secret,  pendant  dix  et  quinze 
jours.    Encore  ces  ecclésiastiques   ne   purent-ils  rentrer  aussitôt   cIjiis   leurs   paroisses,   car  ils  apprirent    qu'à 
Morville  les  Allemands  avaient  fait,  huit  jours  durant,  des  battues  dans  les  bois  à  la  recherche  du  curé. 

Revenons  au  groupe  des  civils.  Quand  ils  eurent  été  séparés  des  prêtres,  Henri  Laloux,  Honoré  et  Ernest 
Marotte,  le  percepteur  des  postes  d'Anthée  et  son  fils,  M.  Cléda  et  son  fils  se  détachèrent  de  leurs  compagnons 
et  abordèrent  des  officiers,  leur  demandant  un  passeport  pour  regagner  Gérin.  Ils  furent  arrêtés  et  ramenés  à 
Rosée,  puis  à  Gérin,  où  ils  passèrent  la  nuit  dans  l'écurie  d'un  café,  en  face  de  la  ferme  Laloux-  Le  lendemain, 
des  troupes  de  cavalerie  les  ramenèrent  à  Surice,  les  faisant  courir  sur  la  voie  du  tramway  vicinal  au  galop  de 
leurs  chevaux,  puis  les  amenèrent  «  aux  Fosses  » ,  devant  le  tas  des  cadavres  de  civils  dont  nous  allons  raconter 
le  massacre.  Tirant  solennellement  son  sabre,  un  officier  leur  dit  :  "  Voilà  les  francs-tireurs  de  Surice!  Vous 
allez  subir  le  même  sort!  "  Après  un  simulacre  de  jugement  chez  Canton,  et  une  mise  en  scène  d'exécution,  ils 
furent  remis  en  liberté. 

(3)  C'étaient  probablement  les  membres  de  la  famille  Genart,  d'Ermeton-sur-Biert. 


202 

grâce,  pitié  !  »  puis  un  coup  de  feu  éclatait  et  les  cris  cessaient.  A  cinq  mètres  de 
nous,  l'usine  Burniaux  brûlait.  Nous  entendions  pousser  des  hourrahs  chaque  fois 
qu'une  nouvelle  maison  flambait  ;  puis  c'étaient  des  coups  de  sifflet,  des  galops 
de  chevaux,  des  hurlements  de  bestiaux  restés  dans  les  étables  en  feu  :  tout  cela 
était  terrifiant. 

»  Quand  le  jour  commença  à  poindre,  nous  sortîmes  du  jardin.  Notre  maison 
commençait  seulement  à  brûler  et  nous  pûmes  sauver  le  bétail  ainsi  que  les  chevaux 
de  mon  frère  de  Gérin.  Nous  attelâmes  deux  chariots,  et  toute  la  famille  y  prit  place. 
A  ce  moment,  l'artillerie  descendait  ie  village  et  les  soldats  nous  firent  signe  de  les 
laisser  passer.  Ayant  pris  la  direction  de  Lautenne,  nous  rencontrâmes  bientôt  des 
uhlans,  qui  nous  firent  lever  les  bras,  jusqu'à  ce  que  nous  ayons  rejoint  l'armée  qui 
suivait.  A  Lautenne,  l'officier  supérieur  qui  marchait  en  tête  des  troupes,  après 
nous  avoir  questionnés,  dit  :  «  S'il  y  a  un  seul  soldat  français  dans  votre  village, 
vous  serez  tous  fusillés  sans  pitié  !  »  Ils  tirèrent  quelques  coups  de  canon  dans  la 
direction  de  Surice,  Omezée  et  Franchimont,  et  comme  les  Français  ne  répondaient 
pas,  ils  nous  laissèrent  partir.  » 

Revenons  à  Surice.  Dans  la  seconde  partie  de  la  nuit,  le  village  parut  désert, 
mais  vers  6  heures  du  matin,  des  troupes  réapparurent.  Sans  doute  s'étaient-elles 
cachées  jusque-là  dans  des  jardins.  Les  soldats,  de  vrais  tigres,  se  mirent  à 
grouper  les  hommes,  dont  ils  avaient  décidé  l'exécution  en  masse. 

Les  premiers  qui  tombèrent  entre  leurs  mains  étaient  des  gens  de  Miavoye  qui 
avaient  passé  la  nuit  dans  une  dépendance  des  dames  Diericx  et  s'étaient  enfuis  sur 
le  matin,  quand  le  feu  vint  les  menacer.  Menés  une  première  fois  «  aux  Fosses  » 
(plan  a),  à  l'endroit  où  eut  lieu  plus  tard  la  grande  fusillade,  ils  réussirent,  à  force 
de  supplications,  à  être  libérés  ;  mais  revenus  au  village,  ils  furent  aussitôt  repris. 
André  LîBERT  (fig.  j&),  46  ans,  eut  les  mains  liées  derrière  le  dos  ;  Olivier 
PARMENTIER  (fig.  77),  42  ans,  et  Jean-Baptiste  LIBERT  (fig.  80),  40  ans,  furent 
liés  ensemble  par  le  poignet.  Une  jeune  fille  de  16  ans  eut  aussi  les  mains  liées. 
Une  autre  demoiselle  fut  fouillée  à  deux  reprises,  parce  que,  disaient  les  soldats, 
une  jeune  fille  de  16  ans  avait  tiré  sur  eux.  Ils  furent  menés  sur  la  place  de  l'église 
(plan  1),  où  on  les  fit  arrêter. 

Vers  ce  moment  arrivait  devant  l'église  le  groupe  pris  au  presbytère  (plan,  2) 
il  comprenait  M.  l'abbé  Marcellin  POSKIN  (fig.  92),  55  ans,  curé  de  Surice,  sa 
mère  âgée  de  80  ans,  sa  sœur,  son  beau-frère,  M..  Edmond  SCHAIT  (fig.  93), 
37  ans,  inspecteur  de  l'enseignement  à  Gerpinnes,  son  épouse  et  leurs  quatre 
enfants.  Avec  eux  se  trouvait  Edmond  GUILMIN,  24  ans,  de  Vitrival,  qui  fut  sur 
le  point  d'échapper,  avec  la  famille  d'Arthur  Burniaux  (plan,  21),  chez  laquelle  il 
avait  passé  la  nuit;  pendant  que  M.  Burniaux  regagnait  son  chariot  qu'il  avait 
préparé  au  milieu  du  village,  M.  Guilmin  échangea  quelques  paroles,  sur  les 
horreurs  de  la  nuit  écoulée,  avec  M.  l'inspecteur  Schmit,  et  fut  capturé  avec  lui  et 
le  personnel  du  presbytère,  quelques  moments  après. 

On  amena  ensuite  tous  ceux  qui  avaient  été  pris  au  château  fplan,  6),  à  savoir 
M.   l'abbé  Oscar  PIRET  (fig.   91).   40   ans,  curé   d'Anthée;  M.    l'abbé  Gustave 
GASPARD  (fig.  81),  34  ans,  surveillant  au  collège  de  Dinant,  dont  nous  avons  déjà 


203 

parlé  ;  M.  l'abbé  Alphonse  AMBR01SE  (fig.  83),  55  ans,  curé  d'Onhaye,  son  oncle 
Gustave  COPIENNE  (fig.  84),  67  ans,  d'Evrehailles,  son  frère  Félix  AMBROISE 
(fig. 83),  54  ans,  professeur  à  l'école  d'horticulture  de  Vilvorde,  Adelin  FREROTTE 
(fig.  85),  59  ans  et  son  neveu  Adolphe  POCHET,  28  ans,  tous  deux  d'Onhaye,  et 
d'autres  membres  de  leur  famille;  M.  Félix  JACQUES  (fig.  87),  5j  ans,  docteur  en 
médecine,  à  Anthée,  sa  femme  et  son  fils  Henri  JACQUES  (fig.  89),  âgé  de  16  ans; 
Olivier  DELCOUR  (fig.  88),  62  ans,  d'Anthée,  et  ses  deux  fils,  Arthur  DELCOUR 
(fig.  90),  3o  ans,  et  Léon  DELCOUR  (fig.  94),  19  ans  ;  Alphonse  NASSAUT(fig.  86). 
63  ans,  d'Anthée,  son  fils  Fernand  NASSAUT,  19  ans. 

Voici  comment  Mme  Jacques  raconte  leur  arrestation. 

«  Le  25  août  au  matin,  mon  mari  remarqua  que  des  officiers,  revolver  au 
poing,  fouillaient  les  bosquets  du  jardin,  pour  y  découvrir  ceux  qui  auraient  pu 
s'y  cacher. 

»  Tout  à  coup,  vers  6  heures,  des  soldats  crièrent  :  «  Ouvrez!  »;  mais  avant 
qu'on  ait  pu  ouvrir,  les  portes  avaient  volé  en  éclats.  Une  frayeur  profonde 
s'empara  de  nous  tous.  Chacun  recommanda  son  âme  à  Dieu.  M.  le  curé  d'Anthée 
donna  l'absolution  à  ceux  qui  étaient  avec  lui.  M.  l'abbé  Gaspard  la  donna  à  ceux 
qui  étaient  dans  le  vestibule,  puis  il  se  mit  lui-même  à  genoux  devant  Al.  le  curé 
d'Anthée.  Les  soldats  entrèrent  en  hurlant  comme  des  sauvages,  nous  mettant  le 
revolver  sur  la  poitrine.  Tous  instinctivement  levèrent  les  bras.  Les  dames  Diericx, 
pour  bien  montrer  qu'on  était  animé  de  dispositions  bienveillantes,  leur  offrirent 
des  rafraîchissements  et  des  vivres  :  rien  ne  les  calma;  un  soldat  prit  des  œufs  et  se 
mit  à  jouer  avec  eux  sur  la  pelouse.  Brutalement  ils  nous  obligèrent  tous  à  sortir, 
sans  excepter  la  dame  Nassaut,  très  âgée,  des  petits  enfants,  dont  un  bébé  d'Onhaye. 
Quand  parurent  les  trois  prêtres,  les  soldats  grincèrent  des  dents,  leur  montrèrent 
le  poing  et  leur  appuyèrent  la  baïonnette  à  l'endroit  du  coeur.  Une  dame  Diericx 
voulut  prendre  une  petite  valise;  un  soldat  la  frappa  sur  le  bras  pour  l'en 
empêcher;  sa  sœur  fut  bousculée  et  eut  sa  robe  lardée  de  coups  de  baïonnette. 
Nous  stationnâmes  devant  le  perron,  pendant  que  les  soudards  faisaient  le  tour  de 
la  maison  et  brisaient  les  fenêtres  à  coups  de  crosse, 

»  Puis  un  officier  cria  :  «  Quatre  par  quatre!  »  ;  après  nous  avoir  mis  en  rang, 
il  cria  :  «  En  route,  dépêcher!  » 

»  On  s'avançait  sans  penser  à  rien,  et  nous  disions  notre  chapelet.  Les  prêtres, 
qui  nous  avaient  soutenus  pendant  toute  la  nuit,  continuaient  à  nous  réconforter,  à 
nous  inspirer  confiance.  M.  Olivier  Delcour  (fig.  88),  père,  ne  marchait  que 
péniblement,  appuyé  sur  son  bâton  :  on  le  lui  enleva.  Ma  fillette  de  quatre  ans,  qui 
me  donnait  la  main,  ne  marchait  pas  assez  vite  :  elle  était  poussée  en  avant  à  coups 
de  pied.  » 

Au  moment  où  cet  important  groupe  allait  à  la  mort,  il  fut  rejoint  sur  la 
place  de  l'église  par  tous  ceux  qui  avaient  été  pris  chez  Durdu  (plan,  22)  et  qui 
étaient  amenés  par  «  les  ruelles  »  et  la  rue  du  presbytère.  L'un  d'eux,  Léonard 
SOUMOY,  69  ans,  en  passant  à  côté  de  M"e  A.  Diericx  de  Tenham,  lui  glissa  à 
mi-voix  :  «  Cette  fois-ci,  nous  y  sommes  ».  Avec  lui  se  trouvaient  son  épouse 
Célestine  Mathieu,  leur  gendre  Auguste  DURDU  (fig.  79),  5o  ans,  premier  échevin 
de  la  commune,  et  l'épouse  de  ce  dernier,  Marie  Soumoy,  avec  leurs  quatre  petits 


204 

enfants  âgés  de  4  à  9  ans  ;  un  voisin  Camille  SOUMOY,  32  ans,  sa  femme,  son 
enfant  âgé  de  8  ans  et  sa  belle-mère,  Gustavine  Marotte;  enfin  quatre  hommes  de 
Gérin  :  Alexandre  QUOILIN,  78  ans,  son  fils  Jean-Baptiste  QUOILIN  (fig.  95), 
54  ans,  son  petit-fils,  Jean  QUOILIN  (fig.  96),  18  ans,  son  gendre  Louis  DELCOUR 
(fig.  97),  époux  de  Stéphanie  Quoilin,  54  ans,  et  Ursmer  DERAVET  (fig.  98),  16  ans, 
et  quatre  dames  de  Gérin.  Ces  gens,  pendant  l'incendie  de  la  maison  Durdu, 
s'étaient  réfugiés  dans  le  jardin,  puis  étaient  rentrés  dans  une  cave  située  sous  la 
grange  et  donnant  accès  au  jardin,  où  ils  furent  surpris. 

Un  horrible  massacre  ensanglantait  à  l'heure  même  la  maison  du  facteur  des 
postes  (plan,  23)  Léopold  BURNIAUX  (fig.  110),  53  ans.  «  Quand  nous  arrivâmes 
devant  cette  maison,  raconte  M"e  Aline  Diericx,  nous  entendîmes  des  cris  déchirants. 
La  femme  du  facteur,  Eléonore  Hubert,  demandait  grâce.  Son  mari,  son  fils  aîné, 
l'abbé  Armand  BURNIAUX  (fig.  112),  25  ans,  professeur  au  collège  Saint-Louis  à 
Namur,  et  son  fils  cadet,  Albert  BURNIAUX  (fig.  117),  âgé  de  14  ans  —  qui 
reposait  sur  son  matelas,  parce  qu'il  s'était  cassé  la  jambe  la  veille  —  venaient 
d'être  fusillés  à  bout  portant  dans  la  cuisine-cave  où  ils  avaient  passé  déjà  une  nuit 
horrible,  tandis  que  les  soldats  allaient  et  venaient  au-dessus  d'eux,  au  rez-de- 
chaussée  et  à  l'étage.  M.  Burniaux  père  avait  reçu  un  coup  de  feu  dans  ie  côté, 
l'abbé  dans  le  genou,  Albert  dans  la  jambe  qui  n'était  pas  brisée.  La  pauvre  mère  et 
son  dernier  fils,  Gaston  BURNIAUX  (fig.  11 5),  21  ans,  furent  séparés  de  force  des 
trois  blessés,  et  grossirent  le  triste  cortège  de  ceux  qui  étaient  emmenés  vers  le 
lieu  d'exécution,  où  Gaston  devait  périr  à  son  tour.  Ce  n'est  que  jeudi,  27  août, 
que  T\me  Burniaux  put  rentrer  chez  elle  :  le  cadavre  de  son  mari  gisait  près  de  la 
porte  de  la  cuisine,  ceux  de  ses  deux  fils  un  peu  plus  loin.  Outre  le  premier  coup 
de  feu,  chacun  en  avait  reçu  un  second  dans  la  gorge,  en  sorte  qu'ils  avaient  été 
achevés.  Les  Allemands  avaient,  de  plus,  enlevé  le  calice  de  l'abbé  et  une  somme 
importante  qui  avait  été  placée  dans  un  écrin,  avec  le  calice,  sous  le  matelas  du 
petit  blessé.  » 

Quittant  la  place  de  l'église.  —  seules  celle-ci,  ainsi  que  les  écoles  et  la 
maison  communale  étaient  encore  debout  —  tout  ce  cortège  d'hommes,  de  vieillards, 
de  femmes  et  d'enfants  avait  donc  été  dirigé  vers  Romedenne. 

Entre  Surice  et  Romedenne,  au  lieu  dit  :  «  aux  Fosses  »  (plan,  a  et  fig.  106), 
on  s'arrêta.  Il  était  7  h.  1  5.  Dans  les  fossés  qui  longent  la  route,  il  y  avait  des  cadavres 
de  Français  et  de  chevaux.  Le  groupe,  encadré  de  sentinelles,  fut  placé  dans  une 
pâture  appartenant  à  Paul  Burniaux;  à  côté,  des  soldats  avec  des  mitrailleuses 
montraient  le  poing,  menaçaient  du  revolver. 

Vers  ce  moment,  d'autres  civils  furent  joints  à  toutes  les  victimes  que  nous 
avons  déjà  citées.  Elie  PIEROT  (fig.  11 3),  54  ans,  avait  été  aperçu  à  la  lisière 
d'un  bois  où,  accompagné  de  sa  femme  Alphonsine  Pétrizot  et  de  son  fils,  il  avait 
transporté  sur  un  fauteuil  sa  belle-mère  impotente,  Ursémie  Béroudiaux.  veuve 
Pétrizot;  ceux   qui  l'arrêtèrent  avaient  tiré  sur  eux,  mais  sans  les  atteindre. 

Alexis  THIRY  fils  (fig.  114),  3i  ans,  se  trouvait  sur  la  place  avec  le  groupe 
d'Arthur  Burniaux  ;  il  était  revenu  au  village  pour  emmener  la  veuve  Pétrizot,  qui 
habitait  chez  son  gendre,  Elie  Piérot,  près  du  facteur  des  postes,  M.  Burniaux. 


205 

Elisée  PIERARD  (fig.  1 1 6),  71  ans,  n'avait  pas  fui  avec  ses  enfants  et  fut  pris 
dans  "les  ruelles  »,  au  moment  où  il  revenait  de  la  campagne  pour  soigner 
le  bétail. 

On  amena  aussi  trois  hommes  de  Surice  qui  avaient  été  pris  dans  la  cave  de  la 
maison  (plan,  25)  située  près  des  écoles,  au  delà  d'une  drève  d'arbres,  à  savoir  : 
Jean-Baptiste  GÉRARD,  dit  BALBEUR,  54  ans,  Henri  BILLY,  48  ans,  et  son  fils 
Erasme  BILLY,  âgé  de  t8  ans;  enfin  Adrien  MARON,  un  vieillard  âgé  de  85  ans, 
avait  été  découvert  dans  sa  demeure  (plan,  26)  sur  la  place,  et  joint  au  groupe  venant 
du  château  et  de  la  cure. 

«  On  ne  formait  jusque  là,  raconte  Mme  Jacques,  qu'un  groupe  compact.  Tout  à 
coup  on  sépara  les  hommes  des  femmes  et  des  enfants  (\s.  Eut-on  alors  un  pressen- 
timent :  on  fondit  en  larmes,  on  s'embrassa,  on  se  dit  au  revoir.  Mon  fils  Henri 
me  dit  :  «  Maman,  nous  nous  reverrons  au  ciel  !  »  M.  le  curé  d'Anthée  nous 
recommanda  encore  d'être  courageux  et  nous  donna  la  bénédiction.  Comme  l'une 
de  mes  jeunes  filles  lui  offrait  un  biscuit,  —  on  n'avait  plus  rien  mangé  depuis  la 
veille  à  16  heures  —  il  répondit  :  «  Non,  tantôt  je  pourrai  peut-être  dire  la  messe  !  » 
Il  espérait  donc  encore  avoir  la  vie  sauve. 

»  Les  hommes  furent  conduits  à  environ  5o  mètres,  près  des  soldats  qui 
tiraient  les  mitrailleuses.  Ils  y  furent  prestement  mis  par  rangs  de  quatre,  aux 
bords  du  chemin  creux  qui  va  de  la  maison  Canton  (plan,  9)  au  groupe  de  maisons 
appelé  «  Pauquis  »  (plan,  VII),  En  avant  les  quatre  prêtres,  mon  mari  et  mon 
fils.  Maurice  Schmit,  âgé  de  14  ans,  allait  être  mis  avec  eux,  quand  un  soldat  le 
repoussa  parmi  les  femmes. 

»  Un  officier  s'approcha  de  nous  et  dit  :  «  Aux  femmes  et  aux  enfants,  on  ne 
fera  rien;  mais  les  hommes  vont  être  fusillés,  parce  qu'une  jeune  fille  de  16  ans  a 
tiré  sur  un  de  nos  chefs  ». 

»  Ce  qui  se  passa  alors  n'est  pas  à  décrire.  Femmes  et  enfants  se  mirent  à 
crier,  à  implorer  grâce  et  pitié;  elles  se  jetèrent  à  genoux,  elles  demandèrent  à 
être  fusillées.  Un  soldat  allemand  pleurait  avec  elles.  L'officier,  impassible,  avait 
tourné  les  talons  et  préparait  activement  la  fusillade. 

»  Pendant  ce  temps,  un  nouveau  groupe  arrivait  à  travers  champs,  par  le 
sentier  venant  du  «Pauquis».  Il  comprenait  Armand  VAN  DURME  (fig.  ni)» 
43  ans,  de  Dinant,  sa  nièce  Marguerite  Diericx,  la  mère  de  celle-ci,  Mme  Ernest 
Diericx  et  Julia  Hubert.  Ces  gens  avaient  été  surpris  dans  une  grotte  (plan,  o) 
derrière  le  parc  de  Mme  Laurent-Mineur.  M.  Ernest  Diericx,  avait  pu,  comme  nous 
l'avons  dit,  se  cacher  dans  une  oseraie,  puis  gagner  les  bois.  Quand  les  soldats  les 
découvrirent,  ils  tirèrent  dans  la  grotte,  blessant  au  pied  Marguerite  Diericx  et  au 
bras  Julia  Hubert  —  qui  venait  déjà  d'être  atteinte  par  une  balle  à  la  cuisse  au 
tournant  d'une  rue,  au  moment  même  de  l'arrestation  de  M.  le  curé,  chez  lequel 
elle  avait  passé  la  nuit.  Un  domestique,  Gustave  Bernet,  de  Villers-le-Gambon, 
qui  s'y  trouvait  aussi,  ne  fut  pas  vu  et  eut  ainsi  la  vie  sauve.  Tous  les  autres  furent 

(1)  Avant  que  s'opérât  cette  réparation,  M,tie  veuve  Durdu  entendit  M.  l'abbé  Poskin,  curé  de  Surice, 
dire  à  des  officiers  :  «  Je  jure  qu'il  n'y  avait  plus  une  seule  arme  dans  la  commune.  Epargnez  mes  paroissiens  ! 
Prenei-moi  à  leur  place  !  "  Un  Allemand  blessé  —  il  avait  la  tête  bandée  —  vint  le  menacer  de  son  revolver. 
Mlle  Thérèse  Poskin  pria  son  frère  de  ne  plus  insister,  voyant  que  c'était  inutile. 


206 

dirigés  vers  «  les  Fosses  »  (i).  Quand  Ml,e  Diericx  parvint  sur  le  champ  du  massacre» 
un  médecin  allemand  examina  le  pied  blessé  :  «  Balle  française,  mademoiselle  !  » 
dit-il.  «  Non,  monsieur,  balle  allemande  !  »  répondit-elle  avec  fermeté. 

»  Cependant  une  troupe  de  soldats  armés  se  disposait  devant  les  hommes. 
Ceux-ci  étaient  trop  loin  pour  pouvoir  nous  adresser  une  seule  parole.  Mon  fils 
s'appuyait  sur  l'un  des  prêtres,  comme  pour  trouver  refuge  auprès  de  lui  et  on 
l'entendit  dire  :  «  Je  suis  trop  jeune,  je  n'ai  pas  le  courage  de  mourir  !  »  Alors 
nous  les  vîmes  agiter  les  mains  ou  le  chapeau,  en  un  suprême  adieu,  pendant 
qu'éclataient  les  coups  de  feu  et  que  ces  pauvres  et  innocentes  victimes  s'affaissaient 
les  unes  sur  les  autres. 

»  Des  officiers  s'en  approchèrent  ensuite  et  donnèrent  des  coups  de  revolver 
dans  la  tête  à  ceux  qui  vivaient  encore.  » 

A  ce  moment,  on  amena  un  dernier  civil,  Victor  CAVILLOT,  57  ans;  il  était 
sur  le  point  de  fuir  avec  son  beau-frère.  Jules  Canton,  quand  il  songea  à  rentrer 
un  moment  chez  lui;  il  y  fut  découvert,  amené  auprès  des  victimes  et  tué  isolément. 

Un  nommé  Emile  Prangey,  de  Sart-en-Fagne,  qui  devait  être  aussi  fusillé,  dut 
son  salut  à  ce  qu'il  fut  reconnu  par  un  officier  allemand  qui  l'avait  rencontré  avant 
la  guerre  aux  usines  d'Aubrives. 

Heureusement  un  bon  nombre  d'hommes  parvinrent  à  se  cacher,  tel  Louis 
Bastin,  qui  se  blottit  sans  bouger  dans  un  jardin  jusqu'au  mercredi,  témoin  ignoré 
de  toutes  les  horreurs  qui  se  commirent  dans  son  voisinage.  Joseph  Martin,  son  fils 
Emile  et  sa  soeur  Lucie  s'enfoncèrent  dans  le  ruisseau,  au  fond  de  leur  jardin. 
L'instituteur,  M.  Delobbe,  sa  femme  et  ses  trois  filles,  se  cachèrent  au  «  Fond 
des  Vaux  ». 

Pendant  que  coulait  ainsi  à  flots  le  sang  innocent,  tout  ce  qui  restait  de  Surice 
brûlait.  On  apercevait  maintenant  les  flammes  de  l'église  (fig.  loi  et  102),  du 
château,  des  écoles,  de  la  maison  communale  et  des  maisons  qui  avaient  échappé  la 
veille.  Des  i38  maisons  que  comptait  le  village,  huit  furent  préservées  :  celles  des 
religieuses  françaises,  de  Ghislain  Colinet,  d'Alphonse  Burniaux  et  de  son  voisin 
Gillain  Burniaux,  de  Xavier  Soumoy,  le  bureau  des  postes  et  deux  maisons  situées 
aux  extrémités  du  village,  l'une  près  du  cimetière,  qu'habitait  ci-devant  Victor 
Jacquemot,  l'autre  près  du  lieu  du  massacre,  occupée  par  Jules  Canton.  Encore  le 
feu  fut-il  mis  chez  Ghislain  Colinet,  chez  Xavier  Soumoy,  à  la  poste  et  à  la  maison 
des  religieuses. 

Revenons  à  la  scène  du  massacre  et  écoutons  la  fin  du  récit  de  Mme  Jacques. 
«  Ce  n'était  pas  encore  assez  de  cruauté.  «  Partons,  allons-nous  en  d'ici  !  »  ne  cessait 
de  redire  Mme  Léopold  Burniaux,  qui  venait  de  perdre  son  troisième  fils.  On  vint 

(1)  A  l'exception  de  Julia  Hubert,  à  laquelle  ils  firent  faire  trois  fois  le  tour  de  la  place,  avant  de 
s'éloigner.  Laissée  seule  en  face  du  couvent  des  Pères  de  la  Sainte-Famille,  elle  voulut  traverser  une  maison 
qui  achevait  de  se  consumer,  tomba  dans  les  décombres  incandescents  et  se  brûla  gravement  les  bras.  Elle  resta 
quatre  jours  cachée  soit  dans  les  jardins,  soit  dans  une  écurie  de  porcs,  où  elle  s'abritait  contre  la  pluie,  san« 
prendre  pendant  ce  temps  aucune  nourriture.  Un  Allemand  étant  passé  à  côté  d'elle,  alors  qu'elle  gisait,  couverte 
de  sang,  sur  le  sol,  la  crut  morte  et  passa  outre. 


10J 

demander  que  six  femmes  allassent  chercher  des  bêches,  afin  de  creuser  un  trou  et 
d'y  jeter  les  victimes  C'en  était  trop.  Personne  n'accepta.  Nous  demandâmes  à 
prendre  sur  les  morts  les  souvenirs  et  les  valeurs  qu'ils  portaient  :  cela  nous  fut 
refusé.  Les  soldats  se  chargèrent  eux-mêmes  de  dépouiller  la  plupart  des  cadavres. 

»  Les  troupes  continuaient  à  défiler  sur  le  chemin.  Nous  cherchions  à  passer, 
pour  nous  éloigner  de  l'horrible  et  douloureux  tableau  qui  s'offrait  à  nous  :  les 
soldats  nous  rebutaient,  en  nous  menaçant  du  sabre.  Il  fallut  attendre  l'heure  de 
midi  ;  alors  seulement  nous  pûmes  nous  disperser  Tune  d'un  côté,  l'une  de  l'autre. 
Un  groupe  important  passa  la  journée,  la  nuit  suivante  et  le  lendemain  au  bord  d'un 
ruisseau,  dans  le  bois  qui  se  trouve  entre  Morville  et  Omezée.  » 

Les  religieuses,  qui  étaient  restées  pendant  la  nuit  cachées  dans  leur  propriété 
et  étaient  rentrées  de  grand  matin  dans  leur  couvent,  en  furent  expulsées  mardi 
matin  à  6  heures.  D'abord  alignées  au  mur  de  la  cour,  elles  furent  ensuite  poussées 
vers  l'ambulance  de  la  place  et  plus  tard  sur  le  chemin  de  Florennes.  Une  religieuse 
impotente  resta  au  couvent,  avec  une  consœur  infirmière,  qui  fut  prise  à  la  gorge  et 
menacée  du  revolver. 

Entre  les  faits  isolés  de  sauvagerie  dont  nous  pourrions  remplir  de  multiples 
pages,  nous  relèverons  le  suivant. 

Maurice  Galant,  de  Maurenne,  son  épouse  Marie  Libert,  leurs  trois  enfants  et 
un  vieillard  de  80  ans,  de  Miavoye,  Joseph  Libert,  après  avoir  passé  le  lundi  dans 
les  bois,  gagnèrent  Surice,  où  ils  se  réfugièrent  dans  une  dépendance  du  château 
de  Mme  de  Gaiffier.  Le  25,  à  6  heures,  les  Allemands  tirèrent  un  coup  de  feu,  par  le 
soupirail,  dans  la  cave  où  ils  étaient  et  mirent  le  feu  à  la  maison.  Obligés  de  sortir, 
ils  furent  emmenés  vers  Romedenne,  à  l'endroit  où  eut  lieu,  peu  après,  le  massacre 
général  des  hommes.  Avec  eux  se  trouvait  Cyrille  COLOT,  d'Onhaye,  42  ans. 
Comme  il  était  retourné  sur  ses  pas  pour  prendre  des  papiers  qu'il  avait  oubliés,  ils 
le  virent  à  genoux,  les  mains  jointes,  suppliant  ses  bourreaux  d'avoir  pitié  de  ses 
quatre  petits  enfants,  qu'il  avait  à  côté  de  lui.  Ils  répondirent  :  «  Pas  de  pitié  ! 
C'est  la  Belgique  qui  nous  a  déclaré  la  guerre  !  »  Il  fut  tué  sur  le  champ,  tout  près 
de  la  propriété  Diericx. 

Maurice  Galant,  son  épouse  et  leurs  enfants,  arrivés  «aux  Fosses»,  parvinrent 
à  obtenir  leur  liberté  et  s'engagèrent  dans  une  ruelle  qui  conduit  au  village  par  les 
jardins.  Ils  y  furent  aperçus  par  des  soldats  qui  tirèrent  sur  eux  :  Marie  Libert  fut 
atteinte  de  plusieurs  balles  et  s'affaissa  dans  le  fossé.  Un  projectile,  entré  par  la 
clavicule  droite,  était  sorti  par  l'omoplate,  un  autre  avait  traversé  le  bras  droit 
au-dessus  du  coude,  un  troisième  le  poignet  gauche  ;  de  plus,  un  soldat  bondissant 
sur  elle,  lui  fendit  d'un  coup  de  baïonnette  le  sein  droit.  Son  père  et  son  mari 
voulurent  la  relever,  mats  on  les  obligea  brutalement  à  s'éloigner.  Deux  fillettes 
âgées  de  cinq  ans  ne  voulurent  point  quitter  leur  mère  et  purent  rester  auprès 
d'elle.  Dans  l'après-midi,  deux  civils  de  Surice  chargèrent  la  blessée  sur  une 
brouette  et  la  conduisirent  sur  la  prairie  du  massacre,  où  étaient  groupés  des  blessés. 
C'est  alors  qu'un  soldat,  passant  à  côté  d'elle,  lui  offrit  de  l'achever  et  de  tuer  ses 
deux  enfants.  La  mère  demanda  pitié,  cet  homme  sauvage  n'insista  pas  et  s'éloigna. 
Un  p«u  plus  tard,  elle  fut  transportée  à  la  Croix-Rouge  établie  chez  Canton  et 


208 

fut  étendue  sur  une  botte  de  paille.  Le  lendemain,  M.  le  curé  de  Serville  vint  à  passer 
et  lui  conféra  les  derniers  sacrements.  Le  27,  comme  on  annonçait  que  le  fort  de 
Charlemont  pouvait  bombarder  Surice,  elle  fut  évacuée  sur  Waulsort,  où  elle  se 
rétablit  de  ses  blessures. 

Quant  à  Maurice  Galant  et  son  beau-père  Joseph  LIBERT  (fig.  124),  80  ans, 
ils  avaient  pu  s'esquiver  et  fuir  vers  Lautenne.  Des  soldats  tirèrent  sur  eux, 
tuèrent  le  vieillard  et  emmenèrent  son  gendre  à  la  ferme  de  Rosée. 

D'autres  victimes  encore  tombèrent  isolément  dans  cette  affreuse  journée 
du  28  août. 

Adèle  COGNIAUX,  70  ans,  dame  impotente,  ne  put  fuir  comme  on  le  lui 
proposait  et  fut  brûlée  vive  dans  sa  maison  (plan,  27);  on  n'a  retrouvé  d'elle  que 
quelques  ossements. 

Le  25  août  à  i3  heures,  Joseph  BURNIAUX  (fig.  125),  41  ans,  revenait  de 
Roly,  où  il  avait  fui;  il  conduisait  sur  un  chariot  sa  femme,  Hélène  Deroyer, 
Céline  Grégoire  épouse  Sagin  et  Rosalie  PÎÉRARD  (fig.  128),  70  ans;  celle-ci 
portait  sur  ses  genoux  son  petit-fils  âgé  de  2  ans.  Comme  ils  arrivaient  en  vue  de 
Surice,  les  soldats  tirèrent  sur  eux.  Joseph  Burniaux  et  Rosalie  Piérard  furent  tués, 
Hélène  Deroyer  reçut  une  balle  dans  la  jambe  droite  et  resta  sur  place,  abandonnée, 
jusqu'au  soir;  sa  compagne,  affolée,  avait  fui  avec  l'enfant. 

Tous  les  gens  qui  eurent  à  circuler  ce  jour-là  aux  abords  du  village  peuvent 
témoigner  qu'on  ne  cessait  de  tirer  sur  les  civils,  à  la  mitrailleuse  et  au  fusil. 

Jules  Bastin,  organiste  de  l'église  de  Surice  (fig.  119),  3o.  ans,  sa  femme 
(fig.  t2t),  3t  ans  et  leur  enfant,  i5  mois,  ont  été  tués  à  Romedenne  le  25  août, 
aux  environs  de  la  station.  (Voir  Romedenne.) 

René  BAIJOT,  38  ans,  négociant,  son  épouse  Marie-Céline  JACQUEMIN, 
38  ans,  leurs  enfants  NOEMIE,  t2  ans,  et  CHARLES,  1  an,  étaient  restés  chez 
eux  le  24  août,  mais  avaient  disparu  depuis.  Leurs  corps  furent  retrouvés  le 
7  juillet  1915,  dans  la  citerne  de  leur  maison  incendiée  (plan,  28),  par  des 
plafonneurs  qui  avaient  besoin  d'eau.  La  pierre  qui  fermait  l'orifice  avait  été 
placée  incomplètement  pour  permettre  à  l'air  d'y  pénétrer,  mais  elle  était  recouverte 
d'une  légère  couche  de  déblais. 

Le  26  août  ne  ramena  pas  encore  le  calme  à  Surice.  Clémence  SAINT- 
GUILLAIN,  veuve  Xavier  HOWET,  47  ans,  d'Omezée,  revenait  ce  jour-là  de 
Roly,  regagnant  son  village.  Lorsqu'elle  arriva  au  Piche  (Lautenne),  vers  10  heures, 
accompagnée  de  ses  sept  enfants  et  d'autres  personnes  de  son  village,  des  soldats 
tirèrent  sur  elle  :  elle  fut  tuée  sur  le  coup.  Ses  enfants  ne  furent  pas  autorisés  à 
reprendre  l'argent  qu'elle  portait  sur  elle,  ni  à  emporter  son  cadavre. 

Désiré-François  Guislain,  de  Surice  (fig.  129),  a  été  fusillé  à  Soulme  le  26  août, 
sur  le  chemin  de  Rosée,  au  moment  où  il  sortait  du  bois. 

Emile  VISCARDY,  70  ans,  de  Morville,  a  été  tué  à  Surice  dans  des  circon- 
stances qu'on  ignore.  Il  a  été  vu  au  café  Maron  le  24  août  au  soir  et  ses  enfants 
ont  ensuite  reconnu  son  cadavre  aux  chaussures  et  aux  restes  d'habits  qu'il  portait; 
il  avait  été  jeté  dans  la  fosse  commune  avec  les  victimes  de  la  fusillade  collective, 
bien  qu'il  ne  fût  pas  du  nombre  de  celles-ci. 




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iPhoto    1915) 
Fig.   100.  —  Vue  générale  de  Surice,  prise  de  la  route  de  Romederme  à  Franchimont. 
(sur  la  droite,  l'école;  au  centre,  l'église;  à  gauche,  la  maison  des  Pères  de  la  Sainte-Famille.) 


(Photo  novembre   1914) 
Fis>.    101,    —   Surice.  L'église  en  ruines. 

(A  gauche,  maison  Baijot,  où  quatre  personnes  périren 
dans  la  citerne.) 


(Photo    1916) 
Fig.   102.  —  Surice. 
Inttrieut    de   l'église  incendiée. 


(Photo  (in   1914) 

Fig.    io3.  —  Surice. 

Place   située   en   haut   du   village. 
La  chapelle,  épargnée,  de  Notre-Dame  de  Lourdes. 


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(Photo  1915) 

Fig.   104.  —   Place   de   Surice. 

(La  maison  marquée  d'une  croix  est  cell     dans  laquelle  se 
tinrent  cachés,  pendant  la  nuit  du  24  au  25  août, 
le  curé  de  Morville  et    ses  compagnons.) 


20Ç 

Des  témoins  de  la  grande  fusillade,  Rose  Nassaut,  épouse  Joseph  Burton  et  sa 
grand'mère  âgée  de  83  ans,  après  avoir  passé  la  nuit  du  25  au  26  dans  le  bois, 
furent  traquées  à  coups  de  feu  le  lendemain,  dans  la  campagne  de  Morville,  par 
des  soldats  qui  passaient  sur  la  route  de  Soulme. 

Les  auteurs  des  massacres  ne  se  préoccupèrent  même  pas  d'inhumer  leurs 
victimes.  Ils  avaient  mis  en  terre,  dès  la  première  heure,  les  corps  des  Allemands 
tombés  dans  la  bataille,  mais  ils  négligeaient  systématiquement  les  cadavres  des 
Français  et  des  civils.  Le  26  août,  ils  arrêtèrent  Léon  Pierrard,  Ernest  Péters, 
Léon  Goffinet  et  Paul  Toussaint,  qu'ils  avaient  surpris  à  leur  rentrée  au  village. 
Ils  attelèrent  d'abord  ces  hommes  a  un  chariot  chargé  d'épiceries  pillées  chez 
Alphonse  Burniaux,  puis  ils  leur  firent  enterrer  des  chevaux  dans  une  terre 
voisine,  enfin  ils  les  amenèrent  auprès  du  monceau  des  fusillés,  avec  un  jeune 
homme  de  Bambois  (Fosses).  «  Voilà  les  francs-tireurs!  »  leur  dirent-ils.  «  Non, 
répondirent  les  hommes.  Toutes  les  armes  ont  été  remises  et  nous  pouvons  vous 
montrer  où  elles  ont  été  brûlées;  et  notre  curé,  dans  ses  sermons,  nous  a  exhortés 
à  bien  vous  recevoir.  »  Sur  l'ordre  des  soldats,  ils  creusèrent  une  vaste  fosse  et  ils 
étaient  occupés  à  ranger  convenablement  les  premiers  cadavres,  lorsque  ces  brutes 
les  obligèrent  à  les  jeter  les  uns  sur  les  autres,  pêle-mêle,  sans  respect  et  sans  soin. 
Cinquante  fois,  assurent  ces  malheureux,  ils  durent,  sous  la  menace  de  coups  ou 
d'une  balle,  se  mettre  à  genoux,  ou  demander  pardon,  ou  crier  «  Vive  l'Alle- 
magne !  »  Peu  après  ils  virent  ramener  sur  des  autobus  les  blessés  qui  avaient  été 
déposés  chez  Canton. 

Cependant  les  soldats  ne  négligeaient  pas  le  butin  qui  avait  échappé  à  l'incendie. 
Le  pillage  se  poursuivit,  sans  honte  ni  retenue,  pendant  plusieurs  jours.  Ils 
emportaient  tout,  même  des  pots  de  confitures.  M.  Burniaux,  fabricant  de  tabacs, 
vit  charger  sur  des  autos  jusqu'à  des  bronzes  qui  avaient  été  préservés  chez  lui. 
Les  soldats  s'essayèrent  à  fracturer  le  coffre-fort  de  la  poste,  mais  sans  réussir. 
Le  coffre-fort  de  M006  Laurent  fut  dynamité  et  on  y  déroba  des  pièces  d'argenterie 
tordues,  avec  des  titres  et  valeurs. 

L'ordre  d'évacuer  fut  donné  à  Surice,  comme  dans  les  villages  voisins,  le 
28  août,  à  cause  du  fort  de  Charlemont.  En  l'absence  des  quelques  habitants  qui 
étaient  revenus  jusque  là  dans  le  village  détruit,  les  Allemands  jetèrent  des  matières 
inflammables  sur  les  cadavres  d'hommes  et  de  chevaux  qui  traînaient  encore  dans 
les  rues  et  y  mirent  le  feu  ;  mais  ils  n'avaient  fait  les  choses  qu'à  moitié.  Les  civils 
durent,  à  leur  retour,  le  ier  septembre,  s'en  occuper  de  nouveau  et  inhumer  aussi 
les  cadavres  des  soldats  français,  qui  gisaient  encore  dans  les  chemins. 

Bien  plus,  il  devenait  urgent  d'assurer  aux  victimes  du  massacre  une 
sépulture  convenable  et  définitive.  De  la  fosse,  trop  peu  profonde  et  mal  recouverte, 
dépassaient  ici  un  pied,  là  un  bras,  dans  un  état  de  décomposition  très  avancée.  Il 
s'en  dégageait  une  odeur  nauséabonde.  C'est  le  8  septembre  qu'à  l'intervention  de 
M.  le  juge  Allard,  de  Florennes,  on  ouvrit  la  fosse  collective.  Les  cadavres, 
identifiés,  furent  alignés  dans  une  nouvelle  tombe,  en  deux  rangs  superposés,  à 
l'exception  des  corps  de  M.  l'abbé  Poskin  et  de  son  beau-frère,  qui  furent  transférés 
au  cimetière,  et  de  Gaston  Burniaux,  qui  fut  inhumé  dans  le  jardin  de  ses  parents, 

»4 


210 

à  côté  de  son  père  et  de  ses  deux  frères.  Le  io  septembre,  la  famille  de  M..  Piret, 
curé  d'Anthée,  insista  pour  obtenir  le  corps  du  défunt  :  on  crut  devoir  accéder  à 
sa  demande.  Pareille  demande  fut  renouvelée  le  lendemain  pour  M.  l'abbé  Gaspard, 
mais  les  fossoyeurs  n'acceptèrent  plus  à  aucun  prix. 

Le  charnier  fut  cependant  encore  ouvert  à  des  dates  ultérieures,  d'abord  pour 
M.  l'abbé  Ambroise,  curé  d'Onhaye,  puis  le  8  décembre  pour  M.  l'abbé  Gaspard. 

N°  610.  A  Lautenne,  les  maisons  de  Félicien  Defoy  et  de  la  veuve  Donat  Dehaibe  furent 

incendiées  mercredi  26  août  à  6  heures  du  matin.  De  nombreux  habitants  de  ce 
hameau  eurent  beaucoup  à  souffrir.  Plusieurs  furent  emmenés  à  Rosée  et 
entassés  dans  une  grange  de  la  ferme  ;  d'autres  furent  liés  dans  les  campagnes 
voisines  du  village,  à  l'aide  de  grosses  cordes  et  leurs  bourreaux  s'amusaient  à 
les  culbuter. 

Nous  avons  relaté  à  Franchimont  (page  153  et  ss.)  le  martyre  d'Emile  Demeuldre, 
de  Lautenne  ;  son  père  échappa  avec  une  balle  dans  la  jambe. 

N°6ii.  Le    14   août   à    3   heures   du    matin,    les   avant-gardes   françaises  entrèrent  à 

Komedenne.  Un  défilé  de  troupes  se  continua  pendant  la  journée  et  un  bon  millier 
de  soldats,  de  la  région  de  Cambrai,  cantonnèrent  au  village  la  nuit  suivante,  pour 
partir  les  uns  vers  minuit,  les  autres  le  lendemain. 

Le  23  août,  dès  le  matin,  on  vit  arriver  beaucoup  de  civils  fuyant  devant 
l'ennemi,  à  la  fois  du  pays  de  Falisolles-Mettet  et  de  Hastière-Dinant. 

Le  24  août,  ce  fut  le  tour  des  soldats  belges  et  français.  Ceux-là  seuls  qui  en 
ont  été  témoins  peuvent  se  faire  une  idée  exacte  de  ce  que  furent  et  cette  panique 
et  cet  exode.  Pris  dans  le  mouvement  général,  les  gens  de  Romedenne  s'enfuirent 
eux  aussi  les  uns  après  les  autres. 

A  16  heures,  on  annonça  que  les  Français  avaient  installé  des  batteries  à 
Soulme,  pour  couvrir  leur  retraite.  On  croyait  à  un  combat  prochain.  A  17  heures. 
M.  le  baron  de  Fontbaré  passa  à  pied,  avec  son  jardinier,  se  rendant  à  Couvin  :  les 
Allemands,  dit-il,  arrivaient  à  Rosée.  Cependant  des  Français  annonçaient  que 
l'ennemi  était  encore  à  une  journée  de  marche.  A  l'église  (plan,  1),  M.  l'abbé 
Ph.  Thibaut,  aumônier  militaire  de  Cambrai,  faisait  transporter  des  gerbes  de 
paille  pour  la  nuit. 

Les  Français  qui  devaient  loger  au  village  étaient  exténués,  à  la  suite  d'une 
marche  forcée  :  beaucoup  venaient  d'une  position  située  au  nord  de  Malonne.  Ils 
avaient  faim  et  le  service  du  ravitaillement  était  désorganisé. 

A  19  h.  3o,  tandis  qu'au  presbytère  (plan,  2),  un  capitaine,  quatre  lieutenants 
et  un  aumônier  étaient  à  table,  on  entendit  des  coups  de  feu.  Les  officiers  sortirent, 
donnèrent  des  ordres,  puis  se  remirent  à  table.  «  C'était,  dirent-ils,  une  regrettable 
méprise  :  les  hommes  avaient  tiré  sur  leurs  camarades,  un  capitaine  était  blessé.  » 
Un  moment  après,  retentit  un  coup  de  canon.  «  Les  Allemands,  leur  dit  le  curé,  ne 
vous  suivent  pourtant  pas  de  si  près!  »  Puis  la  servante  vint  dire  que  la  pharmacie 
Debin  (plan,  to)  était  en  feu.  L'Etat-Major  constata,  en  effet,  qu'un  obus  venait 
d'embraser  la  toiture:  on  ne  revit  plus  aucun  de  ces  officiers  et  les  derniers  soldats 
restés  au  village  s'ébranlèrent  prestement  vers  le  sud.  Quelque  temps  après,  les 


£11 


maisons  Goffin  (plan,  11)  et  Xavier  Burniaux  (plan,  12)  brûlaient  aussi,  allumées 
par  des  obus  incendiaires. 

M.  Baudine,  curé   de   Romedenne,   raconte  ainsi  l'évacuation  du  village,   au 
début  du  combat,  et  son  voyage  à  Matagne-la-Petite. 


Fig.    109.   —   Plan  de   Romedenne. 
(Les  maisons  en   noir  ont  été  incendiées.) 

Légende.  —  1.  Eglise  de  Romedenne;  2.  Presbytère;  3.  Ecoles;  4.  Cimetière;  5.  Gare;  6-  Endroit 
proche  de  la  gare  où  [ut  tué  Emile  Collard  ;  7.  Endroit  sur  la  route  où  fut  tué  Arthur  Poncelet  ;  8.  Prairie 
où  furent  massacrés  des  membres  des  familles  Penasse  et  Bastin  ;  9.  Ruisseau  de  Chinelle  ;  10.  Pharmacie 
Debin  ;  11.  Maison  Goffin;  12-  Maison  Xavier  Burniaux;  i3.  Maison  Jules  Bastin;  14.  Maison  veuve 
Leclercq  ;  i5.  Maison  Jallet  ;  16.  Endroit  où  fut  tué  Jules  Bastin. 


«  M.  Demeuldre,  voisin  du  presbytère,  m'annonça  que  son  chariot  était  attelé 
et  je  me  décidai  à  partir  avec  lui.  La  nuit  tombait.  Comme  je  me  rendais  à  l'église 
pour  emporter  le  Saint-Sacrement,  arrivé  sur  la  place,  j'entendis  des  Français, 
cachés  derrière  des  murailles,  crier  :  «  Ne  passez  pas,  il  y  a  du  danger!  »  Sortant 
de   l'église,  je  suivis  d'abord   la  route  de  Franchimont;   mais  elle  était  tellement 


212 


encombrée  que  les  Français  me  firent  faire  volte-face.  Je  revins  à  l'église,  où  l'on 
venait  de  transporter  des  blessés,  puis  je  partis  vers  Romerée. 

«  La  route  qui  mène  à  cette  localité  était  encombrée  de  troupes  françaises  qui 
s'avançaient  fiévreusement,  au  pas  de  course.  Attelages  et  piétons  étaient  souvent 
obligés  de  se  garer.  Le  chariot  de  M.  Demeuldre  seul  était  respecté,  parce  qu'on  y 
avait  installé  le  capitaine  blessé.  Près  de  l'école  des  garçons  (plan,  7)  on  cria  : 
«  Couchez-vous  !  »  des  balles  sifflaient  à  nos  oreilles.  A  partir  de  ce  moment,  tout 
danger  cessa. 

«  A  Romerée,  à  21  h.  3o,  à  Matagne-la-Petite,  à  22  h.  3o,  village  et  chemins 
regorgeaient  de  troupes  et  de  fuyards.  Je  passai  la  nuit  au  presbytère  de  Matagne, 
avec  les  curés  de  Serville  et  de  Soulme,  j'y  fus  témoin  le  lendemain  de  l'arrivée  des 
Allemands  et  je  rentrai  à  Romedenne  le  26,  dans  l'avant-midi. 

«  Dans  ce  village  vide  et  abandonné,  quel  désastre  !  Au  presbytère  —  comme 
d'ailleurs  dans  toutes  les  maisons  —  les  vitres  étaient  brisées,  les  portes  enfoncées, 
la  vaisselle  jetée  par  terre,  les  suspensions  arrachées,  les  tableaux  lacérés.  Après 
un  premier  pillage,  assez  superficiel,  celui  des  boissons  et  des  vivres,  il  s'en  était 
fait  un  second  :  des  autos  et  des  voitures  avaient  emporté  denrées,  literies,  linges, 
meubles,  tout  ce  qui  pouvait  convenir  à  l'armée  ou  à  l'Allemagne.  » 

Quelques  familles  seulement,  plus  confiantes  que  les  autres,  avaient  attendu 
l'ennemi  :  combien  elles  eurent  à  le  regretter  ! 

Les  Allemands  entrèrent  à  Romedenne  le  25  août  vers  5  heures  du  matin. 
Désirée  Marotte,  qui  était  restée  avec  son  père  et  sa  sœur,  pour  soigner  sa  mère 
malade,  en  fut  témoin.  Ces  gens  avaient  passé  la  nuit  avec  la  famille  Debin- 
Cogniat  et  Arthur  Poncelet,  jardinier  à  Hastière-Lavaux,  dans  la  cave  de  la  famille 
Debin.  Le  25  août  au  lever  du  jour  —  il  pouvait  être  5  heures  —  en  ouvrant  la 
porte  de  la  rue,  ils  virent  M.  et  M"1''  Penasse  et  leurs  enfants,  de  Surice  —  dont 
nous  raconterons  bientôt  la  fin  tragique  —  se  diriger  vers  une  ruelle  voisine,  pour 
gagner  le  chemin  de  la  gare  (plan,  5);  Auguste  Poncelet,  qui  devait  partager  leur 
triste  sort,  les  suivit.  A  peine  s'étaient-ils  éloignés  que  huit  Prussiens  débouchèrent 
du  chemin  de  Surice,  deux  à  deux,  le  fusil  sous  le  bras  et  dirigé  vers  le  sol,  par 
groupes  distants  de  quelques  mètres,  tirant  des  coups  de  feu.  M.  Marotte,  voyant 
qu'un  soldat  allait  détruire  les  volets  de  sa  maison  à  coups  de  hache,  s'avança  pour 
lui  en  offrir  la  clef.  Une  autre  troupe  plus  considérable  s'avança  alors  vers  eux, 
du  chemin  de  Surice  :  ces  soldats,  revolver  au  poing,  gesticulaient  comme  des 
sauvages;  ils  foncèrent  dans  les  maisons,  firent  main  basse  sur  tout  ce  qu'ils 
trouvèrent,  et  en  chargèrent  le  chariot  d'Emile  Gilbert,  qui  était  prêt  à  partir  avec 
le  groupe  des  civils  dont  nous  avons  parlé.  L'épicerie  Bastin,  la  maison  Debin  et 
plusieurs  voisines  furent  pillées  en  un  moment.  Un  soldat  enleva  même  le  panier 
de  M"e  Marotte,  contenant  des  provisions  de  bouche,  et  elle  ne  réussit,  à  force  de 
supplications,  à  y  reprendre  que  les  médicaments  destinés  à  sa  mère.  Ce  pillage 
était  dirigé  par  l'officier  Haas,  de  la  2e  compagnie  du  104e. 

Avant  de  se  diriger  vers  «  Moirmont  »,  où  ils  vécurent  jusqu'au  27  de 
mûres  et  de  prunelles,  ces  gens  furent  encore  témoins  de  l'incendie  du  village. 
«Tout-à-coup,  a  rapporté  MUe  Marotte,  il  s'est  formé  deux  pelotons  d'une  vingtaine 
d'hommes  chacun,  l'un  placé  sous  l'acacia,  l'autre  à  côté  du  tilleul,  tous  deux  en 


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face  de  notre  demeure.  Aussitôt  une  fusillade  éclata,  partant  des  deux  pelotons, 
dans  la  direction  de  l'église  et  des  maisons  voisines.  Les  ardoises  volèrent  dans  tous 
les  sens,  telle  une  nuée  de  grêle  s'abattant  sur  le  village.  Quelques  instants  après, 
mon  père  vit  la  fumée  sortir  du  clocher,  près  de  la  croix,  et  un  membre  de  la 
famille  Debin  me  fit  remarquer  que  notre  maison  brûlait  »  A  to  heures,  l'église 
tout  entière  était  en  feu. 

Revenons  à  la  famille  Penasse. 

Xavier  PENASSE,  44  ans,  Marie  SAUDMONT,  son  épouse,  40  ans,  et  leurs 
enfants  Bertha,  17  ans,  Léon  (fig.  127),  i3  ans,  Jeanne  (fig.  126),  7  ans,  Marie- 
Louise  (fig.  122),  7  ans,  Emilia,  i5  mois,  avaient  quitté  Surice,  leur  village,  le 
24  août  à  18  heures,  au  moment  où  arrivaient  les  Allemands  et  avaient  passé  la  nuit 
chez  Jules  BASTÎN  (fig.  1 1 9),  3ç  ans,  négociant  (plan,  i3).  Le  25  août  à  5  heures 
du  matin,  Jules  Bastin,  son  épouse  née  Rosalie-Marie  GOBRON  (fig.  t2t),  3o  ans, 
et  un  de  leurs  enfants,  Robert-Louis,  âgé  de  i5  mois,  se  mirent  en  route  avec  tous 
les  membres  de  la  famille  Penasse.  Sur  le  chemin  de  la  gare,  près  de  l'école  des 
garçons,  ils  rencontrèrent  des  Allemands,  qui  les  fouillèrent  M.  Bastin  avait 
emporté,  avec  d'autres  effets,  un  revolver,  qui  était  dans  sa  gaine,  muni  d'une 
baguette  de  sûreté  :  sans  qu'il  lui  fût  possible  de  donner  aucune  explication,  il  fut 
poussé  séance  tenante  contre  la  haie  et  fusillé  à  bout  portant.  Les  balles  lui  avaient 
fait  une  large  plaie  sous  le  menton. 

Le  restant  du  groupe  fut  conduit  à  la  gare,  près  de  la  maison  veuve  Leclercq 
(plan,  14).  Les  Allemands  se  montrèrent  d'abord  bienveillants  à  leur  égard,  distri- 
buant aux  enfants  des  bonbons,  à  M.  Penasse,  père,  du  tabac.  Que  se  passa-t-il 
ensuite  ?  Les  soldats  apprirent-ils  le  massacre  de  Surice  ?  Leur  parla-t-on  de 
francs-tireurs  ou  de  la  prétendue  jeune  fille  ayant  tiré  ?  Brusquement  leurs 
dispositions  changèrent  :  ils  décidèrent  le  massacre  de  tous  les  malheureux,  sans 
distinction  d'âge  et  de  sexe,  qu'ils  retenaient. 

La  première  victime  fut  Arthur  PONCELET  (fig.  28  du  T.  IV),  28  ans,  de 
Hastière-Lavaux,  qui  n'était  déjà  plus  en  leur  compagnie,  ayant  été  retenu  et  lié  à 
un  arbre  de  la  route;  il  fut  fusillé  à  l'endroit  même  (plan,  7). 

A  ce  moment,  un  autre  civil,  Hubert  Grégoire,  né  à  Soulme,  mais  résidant  à 
Romedenne,  —  qui  avait  été  arrêté  le  matin  dans  une  écurie,  où  il  s'occupait  du 
bétail,  puis  conduit  à  Matagne-la-Petite  et  ramené  aussitôt  à  Romedenne,  —  se 
trouvait  devant  l'estaminet  de  Léonard  Burniaux.  Quand  il  vit  tuer  son  voisin 
Arthur  Poncelet.  il  s'élança  dans  la  pâture  de  Mme  Valère  Leclercq  ;  une  grêle  de 
balles  le  poursuivit,  sans  l'atteindre. 

A  la  même  minute,  Mme  veuve  Jules  Bastin,  avec  son  enfant  de  i5  mois,  et  les 
sept  membres  de  la  famille  Penasse  poussés  à  coups  de  crosse  dans  la  prairie 
(plan,  8),  étaient  mis  en  ligne  et  un  peloton  d'exécution,  posté  devant,  tirait  sur  eux. 
Mme  Bastin  et  son  bébé,  M.  Penasse  et  trois  de  ses  enfants,  eurent  à  peine  le  temps 
d'exprimer  leur  émoi,  ils  s'affaissèrent  ensemble,  tués  sur  le  coup.  Mme  Penasse, 
quand  elle  comprit  le  sort  qui  l'attendait,  saisie  d'horreur,  leva  les  bras  vers  le  ciel 
et  s'enfuit  en  criant,  à  l'instant  même  où  allaient  retentir  les  coups  de  feu.  Elle  fut 
suivie  par  l'une  de  ses  enfants,  Marie-Louise.  Peut-être  aperçurent-elles  Hubert 
Grégoire,  qui  venait  de  se  jeter  dans  le  ruisseau  de  Chinelle,  à  3oo  mètres  de  la 


214 

route.  Marie-Louise  tomba  elle  aussi,  ou  se  jeta  dans  le  ruisseau.  Hubert  Grégoire 
put  encore  la  saisir  et  la  déposer  sur  la  berge  opposée,  puis  il  l'entendit  crier 
plusieurs  fois  :  «  Maman  !  »  jusqu'à  ce  qu'une  balle  vint  achever  la  fillette.  Quant  à 
Mm£  Penasse,  elle  ne  courut  pas  loin  :  les  exécuteurs  eurent  vite  dirigé  sur  elle 
leurs  armes  et  elle  fut  touchée  à  75  mètres  du  groupe  des  fusillés.  Hubert  Grégoire, 
que  toutes  les  balles  avaient  épargné,  put  se  blottir  sous  des  racines  d'arbustes 
qui  bordent  le  ruisseau,  plongé  dans  l'eau  jusqu'au  cou;  il  y  était  si  bien  caché 
qu'il  défia  les  recherches  des  exécuteurs.  Le  soir  venu,  il  gagna  le  cimetière  de 
Romedenne  (plan,  4)  où  il  passa  la  nuit  et  se  dirigea  le  26  vers  Soulme.  Repris 
bientôt  près  de  chez  Canton,  à  Surice,  il  fut  attaché  à  une  roue  de  canon  pendant 
une  heure,  puis  libéré. 

Les  soldats,  leur  besogne  accomplie,  ne  se  soucièrent  plus  du  groupe  des 
fusillés.  L'un  de  ceux-ci  était  Jeanne  Penasse  (fig.  126),  qui  avait  été  blessée 
au-dessus  de  la  hanche.  Laissée  pour  morte  dans  la  prairie,  elle  fut  relevée  le 
26  août  et  conduite  à  l'ambulance  de  Romerée,  où  elle  se  rétablit.  Grâce  au  récit  de 
cette  enfant  et  au  témoignage  d'Hubert  Grégoire,  la  vérité  a  pu  se  faire  sur  cet 
affreux  massacre.  Ainsi  fut  déjouée  la  malice  des  bourreaux,  qui  pensaient  avoir 
supprimé  tout  témoin  de  leur  cruauté. 

Joseph  Boidron,  de  Romedenne,  a  relevé  la  position  des  cadavres  sur  le  terrain 
d'exécution.  Mme  Bastin  et  son  enfant,  le  père  Penasse,  sa  fille  aînée,  sa  cadette  et 
son  garçon  gisaient  sur  la  même  ligne,  à  25  mètres  du  chemin  de  Romerée,  dans  la 
pâture  de  Mme  veuve  Leclercq,  au  coin  du  jardin  de  Désiré  Triffoy  ;  Mm,:  Penasse 
était  à  peu  de  distance  du  groupe,  plus  au  nord  dans  la  direction  de  la  rivière  ; 
Marie-Louise  gisait  de  l'autre  côté  de  la  berge. 

Emile  COLLARD,  76  ans,  fut  pris  chez  lui  le  25  au  matin,  malgré  les  cris 
et  les  supplications  de  son  épouse,  conduit  à  la  gare  (plan,  6)  et  tué  à  coups  de 
baïonnette.  On  prétend  que  l'occasion  de  sa  mort  a  été  une  photographie  de  son 
fils.  Louis  Collard,  officier  de  l'armée  belge  et  aide-de-camp  du  général  Léman, 
photographie  que  les  soldats  avaient  découverte  sur  une  cheminée  de  la   maison. 

Le  même  jour  à  g  heures  du  matin,  un  blessé  français  fut  achevé  dans  la 
maison  d'Alfred  Jallet,  voisine  de  l'église,  sous  les  yeux  de  treize  personnes 
d'Hastière,  dont  Hubert  Collignon  et  le  docteur  Maurice  Guillemin,  qui  s'y  étaient 
réfugiées.  Ce  soldat  s'appelait  Georges  Lévêque,  du  127e,  de  Maubeuge;  il  avait 
passé  la  nuit  à  l'église.  Bien  qu'il  eût  reçu  une  balle  à  la  cuisse  et  qu'il  eût  l'avant- 
bras  fracturé,  il  avait  réussi  à  se  traîner  chez  Jallet  à  4  heures  du  matin,  pour 
demander  à  boire.  Des  troupes  allemandes  défilèrent  d'abord  devant  la  maison 
pendant  plusieurs  heures,  sans  entrer.  A  8  h.  3o,  il  vint  un  officier,  escorté  de 
deux  sous-officiers,  qui  voulurent  emmener  le  blessé;  mais  celui-ci  expliqua  qu'il 
était  incapable  de  se  mouvoir,  et  il  fut  autorisé  à  rester.  Un  quart-d'heure  après, 
la  porte  s'ouvrit  tout  à  coup  avec  fracas.  Des  soldats  entrèrent  en  poussant  des  cris 
sauvages  dans  l'appartement  où  le  blessé  était  assis  sur  une  chaise,  et  l'un  d'eux  le 
mit  en  joue,  en  criant  :  «  Kapout,  Françous!  »  Le  malheureux  n'eut  même  pas  le 
temps  de  faire  appel  à  la  pitié  de  ses  agresseurs  :  deux  coups  de  feu  lui  avaient 
transpercé  le  crâne.  La  mort  fut  instantanée.  Le  cadavre  resta  sur  la  chaise,  et  y 
fut  bientôt  carbonisé.  Car  les  sous-officiers  avaient  visité  l'habitation  et  mis  le  feu 


VICTIMES    DES    MASSACRES    DE    SURICE 


Fig.    t  i  i  ■ 

Armand    VAN    DL1RME,  43  ans, 

de  Dînant,  tué  a  la  grande  fusillade. 


Fig.   1  1 o. 
Léopold   BURNIAUX,    53   ans, 

massacré  à  Surice 
avec  ses  fils  Armand  et  Albert. 


Fig.   112. 

L'abbi  Armand  BURNIAUX,  25  ans. 

massacré  à  Surice 

avec  son  père  et  son  frère  Albert. 


Fig.    1  1  3. 

Elie  PIÉROT,  54   ans, 

de  Surice,  tué  à  la  grande  fusillade. 


Fig.   1  14- 

Alexis  THIRY,  54  ans, 

de  Surice,  tué  à  la  grande  fusillade. 


Fig.   1 1 5 

Gaston  BURNIAUX,  21  ans, 

de  Surice,  fils  de   Léopold  Burniaux 

tué  à  la  grande  fusillade. 


Fig.    116 

Elisée   P1ÉRARD,    71  ans, 

de  Surice,  tué  à  la  grande  fusillade. 


Fig.   1  1  y . 
Albert  BURNIAUX,   143ns, 

massacré  à  Surice  avec 
son  père  et  son  frère  Armand. 


VICTIMES    DES    MASSACRES    DE    SURICE    ET    DE    ROMEDENNE- 


Fig.  120.  —  Juliette  GENARD 

26  ans,  ép.  d'Al-  Rouyre. 

d'Ermeton~sur--Biert,  tuée  à  Surice. 


Fig.   124-  —  Joseph  LIBERT, 

82  ans.  de  Maureune, 

tué  à  Surice. 


Fig.  118 Alexandre  ROUYRE,      Fig.   119.  —  Jules  BASTIN,  3c;  ans, 

27  ans,  d'Ermeton^-sur-Biert,  organiste  de  l'église  de  Surice, 

tué  à  Surice.  fusillé  à  Romedenne  avec  sa  femme, 

et  son  enfant  de  quinze  mois. 


Fig.    122- 

Marie-Louise  PENASSE, 

7  ans, 

fusillée  à  Romedenne. 


Fig.   126- 

Jeanne  PENASSE, 

7  ans, 

seule  survivante  de  la  famille. 


Fig.   123. 
Bertha   PENASSE, 

17  ans, 
fusillée  à  Romedenne. 


Fig.   127. 

Léon   PENASSE, 

1 3  ans, 

fusillé   à   Romedenne. 


Fig.  121.  —  Rosalie  GOBRON, 

3o  ans,  épouse  Jules  Bastin. 

fusillée  à  Romedenne. 


Fig.  125.  —  Joseph  BURNIAUX. 

41  ans,  tué  en  vue  de  Surice, 

avec  Rosalie  Piérard. 


Fig-  128-  —  Rosalie  PIÉRARD, 

70  ans,  de  Surice, 

tuée  avec  Joseph  Burniaux. 


Fig.    ,19. —Désiré  GUISLAIN, 

72  ans,  de  Surice. 

lue   près   de   Soulme. 


2l5 

à  l'étage.  Les  treize  civils  sortirent  alors  de  la  maison  qui  brûlait  et  un  commandant 
à  cheval,  qui  passait,  les  accusa  «  d'y  avoir  mis  le  feu,  pour  faire  périr  des  chevaux 
allemands  qui  étaient  à  l'écurie  ».  Le  docteur  Guillemin  s'avança  pour  protester 
et  exhiba  sa  carte  de  médecin  de  la  Croix-Rouge,  sur  laquelle  l'officier  inscrivit 
«  Kônnen  hier  bleiben.  I/104  ».  Peu  de  temps  après,  ils  furent  sur  le  point  d'être 
fusillés.  Au  moment  où  les  soldats  se  rangeaient  déjà  devant  eux  pour  les  abattre, 
il  se  produisit  une  alerte.  On  entendit  quelques  coups  de  feu,  que  les  civils 
attribuent  à  une  contre-attaque  de  soldats  français.  Par  un  passage  situé  entre 
deux  maisons  et  donnant  sur  un  jardin,  ils  purent,  à  la  faveur  du  tumulte,  gagner 
les  campagnes  et  se  coucher  à  plat  ventre,  pendant  l'engagement,  dans  une  épaisse 
haie;  de  là,  guidés  par  M-  Collignon,  ils  gagnèrent  le  moulin  de  Vodelée. 

Un  certain  nombre  d'autres  civils,  surpris  par  l'ennemi,  eurent  beaucoup  à 
souffrir,  mais  eurent  la  vie  sauve  (t). 

Les  incendies  se  poursuivirent  dans  la  journée  du  26  août  :  sur  198  habitations 
que  comptait  le  village,  119  maisons,  dont  l'église  (fig.  107),  l'école  des  garçons 
et  la  gendarmerie  (fig.  to8)  furent  brûlées.  Le  feu  fut  mis  au  presbytère  par  un 
amoncellement  de  paille  sous  une  poutre,  mais  il  s'éteignit.  Les  soldats  firent 
sauter  le  tabernacle  de  l'autel  majeur,  qui  heureusement  était  vide.  La  sacristie  de 
l'église,  qui  avait  échappé  à  l'incendie,  fut  pillée  par  les  Allemands  vers  le 
ier  septembre. 

Le  26  août,  alors  que  les  mauvaises  heures  semblaient  passées,  la  situation 
empira  de  nouveau.  Le  commandant  local,  en  proie  à  une  violente  colère,  prévint 
M.  le  curé  «  qu'il  allait  être  fusillé,  parce  que  l'on  avait  trouvé  à  côté  de  sa  maison 
le  dépôt  des  armes  destinées  au  civil  »  ;  des  soldats  l'emmenèrent  aussitôt  et  le 
placèrent  dans  un  convoi  militaire,  derrière  un  fourgon.  Il  eut  beau  leur  expliquer 
qu'il  s'agissait  d'armes  soustraites  aux  civils  et  consignées  précisément  pour 
s'assurer  qu'ils  n'en  feraient  pas  usage;  que  la  liste  des  propriétaires  était  jointe  au 
dépôt;  que  le  groupement  des  armes,  loin  d'être  suspect  aux  Allemands,  devait 
être  apprécié  d'eux,  puisqu'il  était  fait  en  leur  faveur  ;  il  ne  reçut  pour  toute 
réponse  que  des  injures,  qu'accompagnait  la  menace  :  «  Fusiliert,  Fusiliert!  »  A 
ce  moment  M.  le  curé,  souffrant  depuis  quelques  jours  et  brisé  par  une  série  de 
veilles,  sentit  ses  forces  l'abandonner  et  perdit  connaissance,  ce  qui  ne  lui  valut 
pas,  loin  de  là,  la  pitié  de  ses  gardiens.  Une  seconde  syncope,  plus  longue  que  la 
première,  fit  craindre  pour  sa  vie.  A  t3  heures,  Paul  Sohet,  Orner  Agnaux  et  Henri 
Dive  furent  placés  en  tête  d'une  colonne.  M.  le  curé  fut  hissé  sur  un  véhicule, 
jusque  Romerée,  où  il  réussit  à  se  soutenir.  Paul  Sohet  fut  libéré  à  Matagne-la- 
Petite  et  les  autres  arrivèrent  au  campement  de  Nismes  à  19  heures,  après  avoir 
enduré  un  vrai  supplice  moral,  tant  ils  reçurent  pendant  le  trajet  de  propos  grossiers 
et  de  menaces.  Le  village  de  Dourbes,  qu'ils  traversèrent,  était  en  feu.  A  Nismes, 
ils  comparurent  devant  un  officier  supérieur,  qui  entendit  leur  exposé  et  se  montra 
bon;  il  leur  remit  un  passeport  (2)  de  libération. 

(1)  Le   récit  en  est  consigné  dans  la  publication  Dionantemis,  II  Romedenne,  p.   17  et  ss. 

(2)  En  voici  le  texte  .  «  Drei  Einwohner  (darunter  der  Pfarrer)  aus  Romedenne,  sind,  nach  angestellten 
Verhôre,  als  unschuldig  in  ihre  Heimat  entlassen  worden  und  dùrfen  den  Weg  dahin  ungehindert  passieren. 
Dourbes,  26.  VIII.  14  (s)  FRIEDRICH,  leutnant  II  101.    » 


2t6 

Vendredi  28  août,  M.  le  curé  procéda  à  l'inhumation  des  nombreux  cadavres 
qui  gisaient  encore  ci  et  là  sans  sépulture  :  14  soldats  français  et  les  civils  dont 
nous  avons  donné  les  noms.  A  ce  moment  se  trouvait  au  village  la  3e  batterie  de 
feldartillerie  reg.  n°  48, 

Le  29,  le  village  fut  évacué  et  les  habitants  revenus  campèrent  deux  nuits  dans 
les  bois  voisins  de  Franchimont. 


§  3.  —  'Romerée. 

Les  troupes  du  XIXe  corps  —  nolammenl  des  104e,  to6e  et  107e  (i)  — 
entrèrent  à  Romerée  le  25  août  à  8  heures.  Leur  premier  geste  fut  d'y 
tuer  à  9  heures  deux  étrangers  surpris  aux  environs  de  la  gare.  Elles  ne 
purent  poursuivre  leur  avance,  car  elles  furent  retenues  pendant  tout 
l'avant-midi  par  le  feu  du  27e  d'artillerie  français  (2). 

Le  village  de  Matagne-la-Petite  (rapport  n°  6t3)  se  trouva  pendant 
le  combat  entre  deux  feux  et  ne  fut  occupé  qu'à  i3  heures  par  le  104e 
et  le  106e  (3). 

Deux  heures  après  le  combat,  les  Allemands  mettaient  le  feu  au 
village  de  Romerée,  où  restaient  quatre  hommes,  seuls  témoins  de 
l'incendie  :  douze  maisons  furent  détruites. 

N°  612  A    "Romerée   —    relate    IA.    l'abbé    Leprince,    curé    —    il    passa    d'abord    des 

territoriaux  français,  se  rendant  vers  Namur,  dont  le  défilé  dura  deux  jours  ;   puis 
une  colonne  de  ravitaillement  d'environ  i5o  hommes  s'établit  au  village. 

Au  soir  du  23  août,  apparurent  les  premiers  véhicules  des  gens  effrayés  qui 
fuyaient  devant  l'ennemi.  Pendant  toute  la  journée  du  lendemain  se  poursuivit  le 
défilé  des  réfugiés  du  pays  de  Dinant,  Hastière,  Onhaye,  Fosses,  Mettet,  Charleroi, 
qui  vinrent  jeter  la  consternation  dans  la  commune.  Ces  pauvres  gens  nous  arrivaient 
exténués,  les  vêtements  poussiéreux,  mourant  de  faim  et  de  soif,  accablés  par  la 
chaleur.  Les  uns  transportaient  à  dos  leur  maigre  butin,  ou  sur  une  brouette; 
d'autres  étaient  attelés  à  de  petites  charrettes,  des  plus  disparates,  dans  lesquelles 
reposaient  les  enfants,  au  milieu  de  paquets  de  linges  et  de  vêtements.  La  retraite 
précipitée  des  troupes  françaises  et  des  troupes  de  Namur  en  débandade  ne  fit 
qu'augmenter  la  terreur. 

Tous  mes  efforts  à  maintenir  mes  paroissiens  dans  le  calme  et  à  les  rassurer 

(1)  Le  parquet  de  Dinant  a  relevé  chez  M.  Delobbe  un  bon  délivré  le  25  août  par  le  104e  kronprinz  et 
par  le  3e  bat.  du  107e  ;  un  caleçon  abandonné  par  l'ennemi  porte  aussi  la  marque  de  III/107. 

(2)  Ce  régiment  (divisionnaire  de  la  2  e  division  d'infanterie)  avait  appuyé  les  arrière-gardes  la  veille,  à 
Miavoye  et  Morville,  et  après  avjir  cantonné  la  nuit  suivante  à  Doische,  Gimnée  et  Niverlée,  avait  été  chargé 
le  25  de  protéger  la  retraite  à  Matagne-la-Grande  et  Vierves. 

(3)  Le  soldat  Franz  Dobratz,  9e  comp.  du  to6e,  a  témoigné  qu'il  a  participé  le  25  août  à  1'  «  Assaut  du 
village   de   Matagne-la-Petite  ».   Direction  du  Coni-  et  de  la  Just.  Mil-,  à   Paris,    rapport    184,  dossier    io55. 


217 

devinrent  stériles.  On  n'entendait  parler  que  de  fuite  et  d'atrocités.  Et  lorsque,  au 
soir  du  24,  Surice,  puis  Romedenne  flambèrent,  ce  fut  le  signal  du  sauve-qui-peut. 
Je  dus  me  résigner  à  suivre  mes  paroissiens,  malgré  la  résistance  que  j'avais 
opposée  jusque-là  aux  instances  d'un  officier  français. 

Lorsque,  le  25  août,  à  8  heures  du  matin,  après  quelques  fusillades  d'arrière- 
garde,  les  Allemands  entrèrent  dans  le  village,  gorgés  des  vins  du  sénateur  Focquet. 
qu'ils  avaient  pillés  à  Romedenne,  et  poussant  des  hurlements  sauvages.  Il  restait 
à  Romerée  quatre  hommes  :  Emile  Nenquin,  M.  Lacourte,  Jules  Machurot  et 
Albéric  Sturbois.  Ils  furent  enfermés  dans  l'église  et  la  soldatesque  put  piller  tout 
à  son  aise.  Des  habitants  qui  s'étaient  abrités  dans  les  bois  voisins  voulurent  revenir 
dans  la  journée  :  les  uns  furent  joints  aux  premiers  otages  dans  l'église,  les  autres 
furent  parqués  au-dessus  du  village,  dans  un  champ. Tous  furent  abreuvés  d'insultes, 
collés  au  mur  et  mis  en  joue,  menacés  cent  fois  de  la  mort.  A  l'église,  les  soldats 
fracturèrent  les  troncs,  comme  des  voleurs. 

Dans  l'avant-midi  du  25  août,  un  court  combat  d'artillerie  avait  été  engagé 
entre  les  troupes  françaises  postées  sur  la  hauteur  de  Bieur  (entre  Matagne-la- 
Petite  et  Matagne-la-Grande)  et  les  troupes  allemandes  arrivées  à  Romerée. 
L'artillerie  allemande  donna  peu  ;  quant  à  la  pièce  française  de  Bieur,  elle  fut 
détruite  par  des  obus  ennemis  tirés  du  côté  de  Merlemont  et  de  Villers-en-Fagne. 
Des  mitrailleuses  françaises  couvraient  de  leur  feu  la  vallée  située  entre  Romerée 
et  Matagne-la-Petite.  Le  combat  se  termina  vers  midi. 

Les  pertes  allemandes  furent  assez  élevées.  Henri  Burniaux,  de  Surice, 
prisonnier  à  l'église  de  Romerée,  fut  requis  de  conduire  en  auto  des  officiers  à 
Fagnolles,  et  aperçut  le  long  de  la  route  des  cadavres  et  des  blessés.  A  la  soirée, 
un  monceau  de  cadavres  se  trouvait  sur  la  place  de  l'église,  recouvert  d'une  bâche, 
et  6o  blessés  furent  amenés  à  l'église  pour  la  nuit.  Le  lendemain,  à  6  heures,  les  uns 
et  les  autres  avaient  disparu. 

Deux  étrangers  que  la  troupe  amenait  avec  elle,  furent  fusillés  aux  abords  de 
la  gare  le  25  août,  vers  9  heures  du  matin,  et  restèrent  sans  sépulture  pendant  de 
longues  journées.  Il  fut  impossible  d'établir  leur  identité.  L'un  d'eux,  de  forte 
constitution,  aux  cheveux  noirs  et  crépus,  paraissait  âgé  de  40  ans  ;  l'autre, 
frêle  et  de  petite  taille,  semblait  avoir  18  ou  20  ans  ;  leurs  poches  avaient  été 
retournées. 

Le  25  à  14  heures,  quand  Léon  Delobbe  rentrait  au  village,  la  maison  du  garde 
de  M.  Focquet  et  la  gare  brûlaient.  Vers  16  heures,  ce  fut  le  tour  des  maisons 
Adolphe  Buchet,  Félicie  Gérard,  Adonis  Gilles  (deux  immeubles),  Sidonie  Guilmin, 
Arthur  Gillain,  Virginie  Gilles,  Auguste  Mouchet,  Auguste  Buchet,  Alexandre 
Preillon  (grange).  Des  foyers  d'incendie  furent  aussi  allumés  chez  Mme  Van  den  Halle, 
veuve  Minet,  Joseph  Chaltin  et  Léon  Delobbe.  Pillage  et  incendie  furent  l'œuvre 
notamment  du  104e  (dont  le  3e  bataillon)  et  du  107e.  «  Nous  avons  fusillé  à  Surice, 
dit  un  officier  à  Emile  Nenquin  ;  si  on  tire,  vous  serez  aussi  fusillés  !  »  Romerée 
devait  être  incendié,  lui  dit-il  encore,  et  il  montra,  sur  une  carte,  le  nom  de  la 
localité  souligné  d'un  trait  rouge.  Des  déclarations  identiques  furent  faites  à  Vireux, 
à  Auguste  Nenquin,  et  à  Matagne-la-Petite,  à  Jules  Chayet. 


il8 

Les  prisonniers  restèrent  enfermés  dans  l'église  pendant  deux  jours  et  deux 
nuits.  Ils  furent  ensuite  dirigés  sur  Sart-en-Fagne,  Merlemont  et  d'autres  villages 
voisins,  pendant  le  siège  de  Charlemont. 
N°6i3.  Le  2.3,  écrit  M.  l'abbé  Sohet,   curé  de  Matagne~la~Petiie,   les  troupes  algé- 

riennes qui  occupaient  le  village  partirent  de  bon  matin.  A  la  sortie  des  Vêpres,  il 
passa  une  voiture  venant  de  Morville  :  les  gens  qui  la  montaient  racontèrent  des 
nouvelles  terrifiantes,  auxquelles  on  ajoutait  difficilement  créance.  Le  soir,  en 
revenant  de  la  chapelle  de  Saint-Hilaire,  où  la  paroisse  était  allée  en  pèlerinage 
pour  le  succès  de  nos  armes,  je  rencontrai  des  médecins  et  des  infirmiers,  qui 
accompagnaient  deux  chariots  militaires.  Ils  venaient,  disaient-ils,  de  Saint-Gérard, 
et  l'armée  était  en  déroute. 

Le  24  août,  nous  vîmes  passer  à  la  fois  des  soldats  de  l'armée  de  Namur,  le 
ravitaillement  français  qui  se  trouvait  à  Romerée  et  un  nombre  incalculable  de 
fuyards.  A  22.  heures,  arrivèrent  les  curés  de  Serville,  Romedenne  et  Soulme, 
tandis  que  l'horizon  s'embrasait  du  vaste  incendie  de  Romedenne. 

A  minuit,  le  colonel  qui  logeait  au  presbytère  fut  prévenu  que  des  uhlans 
avaient  poussé  une  reconnaissance  jusqu'à  la  boulangerie  de  Romerée  et  à  la 
fabrique  de  dynamite  de  Matagne-la-Grande.  La  nouvelle  causa  un  grand  émoi. 
Une  dépêche  similaire  fut  apportée  à  1  heure  et  le  colonel  accorda  un  repos  de 
deux  heures  seulement  à  ses  troupes  exténuées.  Leur  départ  eut  lieu  à  3  heures, 
c'étaient  les  dernières  troupes  françaises. 

Fallait-il  fuir  ou  rester?  On  décida  de  rester.  Je  demandai  qu'on  me 
prévînt  de  l'arrivée  des  Allemands,  au  devant  desquels  je  me  rendrais  pour 
parlementer. 

Les  uhlans  furent  annoncés  à  8  h.  3o.  Escorté  de  M.  Arthur  Dambroise,  je  les 
trouvai  à  cent  mètres  du  village,  venant  de  Romerée.  Ils  me  laissèrent  approcher 
et  je  m'offris  comme  otage,  certifiant  que  la  population  était  calme  et  demandant 
qu'elle  fût  respectée.  La  conversation  avait  à  peine  duré  trois  minutes  qu'une  vive 
fusillade  commença.  Les  uhlans  s'enfuirent  et  nous  revînmes  au  village.  Pendant 
mon  absence,  quelques  Français  avaient  reparu  jusque  près  de  l'église.  L'artillerie 
française,  installée  sur  une  hauteur  voisine,  de  laquelle  on  découvrait  le  vaste 
plateau  que  devait  traverser  l'ennemi,  était  entrée  en  action.  Le  colonel  Sauson,  de 
Paris,  et  deux  officiers  la  dirigeaient  du  cimetière  de  Matagne-la-Grande.  Les  obus 
s'entrecroisaient  au-dessus  de  nous.  Une  partie  des  habitants  se  réfugia,  pendant 
le  combat,  dans  les  fermes  de  Matignolles  et  s'y  abrita  dans  les  caves.  L'enga- 
gement se  poursuivit  jusque  ta  h.  3o  et.  à  i3  heures,  les  Allemands  occupèrent 
le  village  et  parquèrent  les  hommes  et  les  femmes  dans  une  maison  voisine 
de  l'église. 

Bientôt,  les  prêtres  qui  se  trouvaient  au  presbytère  y  furent  menés  aussi  et  un 
officier  supérieur,  du  104e  je  pense,  leur  dit  :  «  Si  quelqu'un  tire,  tous  fusillés! 
\  Surice,  une  jeune  fille  de  17  ans,  a  tiré  sur  nos  troupes.  J'ai  fait  prendre  tous  les 
hommes,  tout  ce  que  j'ai  trouvé,  trente-neuf.  Tous  ont  été  fusillés  et  j'ai  brûlé  tout 
le  village  !  » 


219 

Matagne-la-Petite  courut  un  grand  danger  dans  la  journée,  à  la  suite  d'un 
coup  de  feu.  Heureusement,  il  se  fit  une  enquête,  qui  découvrit  qu'un  soldat  avait 
tiré  par  mégarde. 

Le  défilé  des  troupes  commença  à  14  heures  et  se  poursuivit  sans  interruption 
jusqu'au  26  au  soir. 

§  4.  —  Vers  la  frontière. 

Dans  l'après-midi  du  25  août,  les  villages  de  Mazée,  Treignes  et 
Vierves  furent  rapidement  occupés  ;  Oignies  et  le  Mesnil  le  furent  à  la 
tombée  de  la  nuit.  Un  civil  fut  tué  à  Treignes;  à  Oignies  un  civil  fut  tué, 
une  maison  incendiée. 

Le  26  août,  le  corps  d'armée  atteignit  le  frontière  française,  où  fut 
engagé  le  combat  dit  «  du  Trou  du  Diable  ». 

N°  614..  ^*c  l4  aoul  a  3  h.  3o  du  matin,   une  patrouille  de  dragons  traversa  Ma^ée,  se 

dirigeant  vers  Niverlée;  elle  fut  suivie  de  troupes  considérables  qui  défilèrent 
jusque  9  h.  3o.  Le  t6  août,  un  avion  atterrit  à  Matignolles  et  le  pilote,  qui  avait 
survolé  le  Luxembourg,  annonça  qu'  «  il  était  à  feu  et  à  sang  ».  Il  avait  sans  doute 
appris  ou  constaté  les  incendies  de  Rosières,  Gérimont  et  Cobreville. 

Le  22  août,  les  curieux  suivirent  du  haut  «  des  verris  »  le  combat  de  la 
Sambre,  qui  se  déroulait  de  Thuin  à  Mettet. 

Le  23,  les  troupes  françaises  commencèrent  à  battre  en  retraite,  bientôt 
suivies  de  longues  théories  de  fuyards,  qui  défilèrent  toute  la  journée  et  le  lende- 
main. Le  25  août,  entre  6  et  10  heures,  c'était  dans  les  rues  une  cohue  indescrip- 
tible de  troupes,  de  chariots  et  de  civils...  Quand  on  vit  les  Français  installer  des 
mitrailleuses  sur  le  «  Tergniat  »,  on  crut  à  un  combat,  mais  ils  poursuivirent  leur 
retraite  sans  tirer.  Dans  l'après-midi,  deux  uhlans,  revolver  au  poing,  descendirent 
au  galop  la  route  de  Niverlée,  suivis  d'une  avalanche  de  fantassins. 

Ces  soldats  étaient  exténués  et  se  contentèrent  de  boire  et  de  manger.  Hubert 
Gilbert  fut  requis  de  conduire  les  troupes  sur  le  chemin  du  Mesnil. 

Le  26  à  20  heures,  au  moment  où  finissait  le  chapelet,  on  vint  crier  que 
«  Mazée  était  cerné  ».  Des  femmes  tombèrent  en  syncope.  Sur  la  place,  des  uhlans 
réclamaient  le  «  pastor  »  et  le  bourgmestre,  qui  furent  emmenés  à  la  salle  commu- 
nale. A  minuit,  des  troupes  d'infanterie  mirent  le  village  dans  une  panique  extra- 
ordinaire, faisant  irruption  dans  les  maisons,  réveillant  les  habitants  en  sursaut 
et  emmenant  les  hommes  :  deux  vieillards  moururent  des  suites  de  cet  émoi 
intempestif.  On  préparait  la  prise  de  Givet  Des  tranchées  furent  creusées  à  la  route 
de  Niverlée  et  derrière  le  calvaire  de  Saint-Roch  ;  des  carrières  furent  converties 
en  casemates,  les  maisons  du  chemin  de  «Niverlée  et  de  Vaucelles  furent  évacuées 
et  organisées  pour  la  défense  ;  mais  tout  se  borna  à  une  alerte. 

Dans  la  nuit  du  1er  au  2  septembre,  le  village  fut  sur  le  point  d'être  incendié 
et  plusieurs  civils  furent  exposés  à  être  fusillés  à  la  suite  de  coups  de  feu,  dont  on. 
accusait  les  civils.  Le  curé,  M.  l'abbé  Quertinier,  réussit  à  obtenir  une  enquête 
des  soldats  avaient  abattu  un  bœuf  à  coups  de  fusil  dans  une  pâture. 


220 

N°  6i5.  Le  t3  août,  de  8  heures  à  midi,  il  passa  à  Treignes  des  troupes  du  pays  d'Arras 

et  de  Saint-Omer  ;  dans  l'après-midi,  des  soldats  du  33e  cantonnèrent  au  village  et 
y  logèrent;  M.  l'abbé  Vital,  d'Arras,  était  leur  aumônier. 

Des  artilleurs,  venus  le  21  pour  loger,  reçurent  l'ordre  de  partir  dans  la   nuit. 

Le  23,  le  24  et  la  nuit  suivante,  ce  fut  le  passage  des  gens  affolés  de  Tamines, 
Aiseau  et  Walcourt,  mêlés  aux  soldats  en  retraite.  Les  sentiers  eux-mêmes  étaient 
encombrés;  on  coupait  les  fils  des  pâtures  et  le  trop-plein  des  routes  se  déversait 
sur  les  campagnes. 

Le  25  à  i3  heures,  les  derniers  Français  avaient  quitté  Treignes.  A  14  heures 
on  cria  :  «  Les  voilà  !  »  Tandis  que  les  gens  prenaient  la  fuite  vers  le  bois,  quelques 
uhlans  s'avançaient  avec  prudence,  bientôt  suivis  de  troupes  compactes.  Le  drapeau 
belge  qui  flottait  en  face  de  la  gare  fut  arraché,  déchiré,  piétiné.  Deux  Français 
s'étaient  postés  derrière  un  mur  de  l'école  gardienne  pour  faire  feu  sur  les  uhlans  : 
des  civils  les  supplièrent  d'y  renoncer,  pour  empêcher  la  destruction  du  village. 
Mais  il  y  eut  une  rencontre  sur  le  chemin  du  Mesnil.  Un  groupe  de  Français  du  3je, 
égarés,  fut  aperçu  par  l'ennemi,  qui  dirigea  sur  eux  un  feu  de  mitrailleuses.  Deux 
furent  tués,  ainsi  qu'un  civil  de  Doische,  Alcide  CRASSIN,  âgé  de  3o  ans  ;  quatre 
soldats  furent  blessés  (1),  sept  furent  faits  prisonniers. 

N°  616.  Le  25,  vers  t5  heures,  quelques  uhlans  descendirent  les  côtes  abruptes  situées 

au  nord  de  Vierves  et  furent  reçus  à  coups  de  fusil  par  des  Français  attardés  sur 
la  place  ;  ils  tournèrent  bride  et  s'enfuirent  dans  la  direction  de  Matagne.  A  ce 
moment,  le  village  était  bondé  de  réfugiés  et  de  véhicules,  qui  ne  parvenaient  plus 
à  s'écouler  vers  la  France. 

Vers  16  heures,  une  nouvelle  patrouille  de  uhlans  commandée  par  un  officier, 
arriva  jusqu'à  la  grand'place  par  la  grand'route  et  par  la  traverse.  Apercevant  un 
soldat  français  sortant  du  château  et  escaladant  le  mur  du  vieux  cimetière,  l'officier 
tira  plusieurs  coups  de  pistolet  dans  sa  direction,  revint  sur  la  place,  fit  enlever 
les  barricades,  puis  disparut  avec  sa  troupe  dans  la  direction  de  Matagne. 

Vers  16  h.  Zo,  surgirent  des  hauteurs  qui  dominent  le  village  dans  la  direction 
de  Matagne  une  quantité  de  uhlans,  qui  descendirent  la  pente  à  cheval,  tandis  que 
d'autres  se  faufilaient  de  tous  côtés  et  gagnaient,  en  un  ordre  parfait,  tous  les 
débouchés  nord-est  et  ouest  du  village.  En  un  moment,  toute  la  partie  supérieure 
de  la  localité  fut  inondée  de  troupes  allemandes. 

Avant  que  vînt  le  gros  des  troupes,  les  Allemands  avaient  installé  cinq  canons 
sur  les  hauteurs  qui  dominent  Vierves,  Quelques  obus  atteignirent  le  cimetière. 
C'est  alors  que  la  population  gagna  les  bois,  à  l'exception  du  bourgmestre,  de 
Mme  la  baronne  de  Mesnil  et  de  quelques  habitants.  Deux  soldats  français  trouvèrent 
la  mort  (2.),  d'autres  séjournèrent  dans  la  forêt,  d'autres  encore  échappèrent  à 
l'ennemi,  dissimulés  sous  la  charmille  qui  abrite  l'ancien  caveau  des  comtes 
d'Antioche.  Ils  purent,  en  janvier,  regagner  le  front  allié,  par  la  Hollande. 

(1)   L'un  d'eux  mourut  quelques  jours  après.  Les  trois  victimes   s'appelaient  Victor   Perrin,  Abel   Bochaut 
et  Georges  Philippe. 

(a)  Ce  sont  Henri-Joseph  Trachez,  de  Sain-le-Noble  (Douai)  et  Gustave  Boutheny,  de  Harnes  (Béthune). 


221 

A  l'arrivée  de  l'ennemi,  plusieurs  habitants  furent  sur  le  point  d'être  fusillés 
au  mur  des  maisons  Cordier  et  Delpire.  Un  officier  leur  reprochait  «  de  ne  pas  se 
révolter  contre  le  roi  Albert,  qui  avait  déclaré  la  guerre  au  Kaiser  ».  Il  les  obligea  à 
crier  «  Vive  l'Allemagne  ».  Le  général  von  Laffert,  qui  accompagnait  les  premières 
troupes  s'installa  au  'château,  où  le  bourgmestre  et  plusieurs  otages  répondaient  de 
sa  sécurité.  L'intervention  ferme  et  habile  de  Mme  la  baronne  contribua  efficacement 
à  préserver  le  village.  Comme  il  était  question  de  bombarder  la  forêt,  qui  débordait 
de  fugitifs,  on  prévint  ceux-ci  de  rentrer.  Ils  y  avaient  passé,  sous  la  pluie,  une  nuit 
mouvementée,  effrayés  par  les  passages  continuels  de  troupes,  desquelles  partaient 
de  temps  en  temps  des  coups  de  feu. 

Dès  le  25  août,  à  18  heures,  d'importantes  troupes  prenaient  la  direction 
d'Oignies  par  des  chemins  difficiles  et  escarpés. 

Le  25  août  à  18  h.  3o,  Oignies  était  désert  quand  les  premiers  uhlans 
débouchèrent  du  bois,  après  avoir  fait  la  dure  et  pénible  ascension  de  plus  de 
cinq  kilomètres  qui  sépare  Oignies  de  Vierves.  Des  fuyards  attardés  couraient 
encore  à  travers  champs  :  ils  tirèrent  sur  eux.  L'un  d'eux,  Jean-Baptiste  MANISE 
(fig.  76),  i5  ans,  fut  tué;  sa  grand'mère  et  sa  sœur  furent  blessées. 

Les  uhlans  placèrent  devant  eux  pour  s'avancer  d'abord  vers  Rocroi,  puis  vers 
le  bois  qui  sépare  le  village  de  Vierves  et  duquel  le  gros  des  troupes  débouchait, 
le  vicaire,  M.  Dehant,  et  quatre  autres  civils.  Un  hauptman  leur  dit  :  fi  Si  un  coup 
de  feu  est  tiré  pendant  la  nuit,  même  par  des  soldats  français,  vous  serez  fusillés  !  » 

Vers  2î  heures  l'infanterie  occupa  le  village  (1).  Les  soldats  se  ruèrent  sur  les 
maisons,  brisant  portes,  fenêtres  et  meubles  à  coup  de  crosse  et  de  hache,  pillant 
tout  ce  qui  était  à  leur  convenance.  La  maison  Hubert  Guérin.  route  de  Fumay, 
devant  laquelle  les  Français  avaient,  dit-on,  abandonné  une  bicyclette,  fut 
incendiée.  A  minuit,  le  vicaire  comparut  devant  le  général  Kaden,  du  XIXe  corps, 
et  reçut  l'ordre  de  prévenir  la  population,  qui  avait  fui  dans  les  forêts  voisines, 
qu'elle  devait  rentrer.  Outre  les  habitants,  il  s'y  trouvait  des  milliers  de  fuyards  du 
pays  de  Dinant  et  de  la  Sambre;  ils  avaient  construit  des  huttes,  et  beaucoup  y 
restèrent  plusieurs  jours,  tant  ils  redoutaient  la  cruauté  de  l'ennemi. 

Le  lendemain  matin,  un  combat  se  livra  à  la  frontière,  entre  les  arrière-gardes 
françaises  et  les  premières  troupes  allemandes  et  il  y  eut  des  pertes  de  part  et 
d'autre. 

L'ennemi  entra  au  Mesnil  le  25  août  vers  18  heures,  après  avoir  grimpé  une 
côte  abrupte,  presque  sans  chemins.  En  quelques  minutes  le  village  fut  cerné,  sauf 
dans   la    direction    d'Oignies,  par   où    s'échappèrent   les    derniers  Français  (2),  qui 

(1)  On  a  relevé  à  Oignies  des  traces  de  cinq  régiments  (sur  cinq)  du  XIXe  corps  qui  se  sont  avancés 
à  l'ouest  de  la  Meuse  :  les  106e  et  107e  (48°  brigade),  les  104''  et  181e  (88e  brigade)  et  le  1  33e  (89*  brigade). 
Le  cimetière  militaire  du  «  Trou  du  Diable  "  a  groupé,  en  1918,  les  soldats  tombés  à  Oignies,  Treignes, 
Fumay  et  Fépin;  il  comprend  y$  Français  (dont  17  du  33e,  i5  du  148°,  5  du  320e,  3  du  73e,  1  du  42e, 
1  du  245e,  1  du  3i8e,  1  du  18e  chasseurs);  et  22  Allemands  (16  du  181e,  2  du  i33e,  3  du  32e  régiment 
d'artillerie  di  campagne  et  1  du  3e  régiment  d'artillerie  de  réserve)- 

(2)  Hanotaux,  dans  l'Enigme  de  Charleroi,  p.  87,  raconte  dans  quel  état  y  arrivèrent  le  25  août  le  8e  et 
le  t  10e  d'infanterie. 


222 

s'étaient  postés  pour  recevoir  l'ennemi,  mais  n'osèrent  faire  feu.  L'un  de  ceux-ci 
avait  été  tué  à  la  bifurcation  des  chemins  de  Treignes  et  de  Vierves  (i);  il  fut 
inhumé,  sans  cercueil,  au  cimetière  paroissial.  Quatre  ou  cinq  coups  de  canon 
furent  aussi  tirés  vers  les  Français,  qui  ne  répondirent  pas.  Plusieurs  habitants 
durent  précéder  les  troupes  en  France  ou  fournir  des  attelages. 

(i)   Il   s'appelait   Georges   Staelen,  Dunkerque  n°  775. 


ERRATA 


P.  93,  ligne  25.  Au  lieu  de  :  Les  Allemands  ne  mirent  le  feu  à  la  Manufacture  de 
Tissus  que  le  dimanche  soir,  lire  :  que  le  lundi  matin. 

P.   204,  fig.  i63.   Au  lieu  de  François  Collard,  lire  Florent  Collard. 

P.  236,  ligne  2t.  Où  se  trouvent  déjà  les  Pères  Prémontrés,  les  Frères  des  Ecoles 
Chrétiennes,  M.  Van  Ryckevorsel.  Supprimer  les  mots  «  les  Frères  des  Ecoles 
Chrétiennes  »,  car  d'après  leur  propre  témoignage  (p.  249)  ils  n'y  sont  arrivés 
qu'au  commencement  de  l'après-midi. 

P.  261,  ligne  16.  Nous  annonce  que,  probablement,  on  ne  fusillera  plus  personne... 
Supprimer  le  mot  «  probablement  ». 


TABLE    DES    MATIÈRES 


Pages. 

Avant-propos 5 


Chapitre    I. 

Sur  le  front  de  la  Sambre  .     . *  i3 

1.  L'avance  du  Xe  corps 14 

t.   Contre  la  5e  division  française  (de  Hanzinne  à  Tarcienne) 17 

^   1 .  —  Tarcienne 19 

§  2.  —  Hanzinne  :  Incendie  de  cinquante  maisons 20 

?;  3.  —  Hanzinelle  :  Incendie  de  quatre-vingt-trois  maisons 22 

§  4.  —  Tby-le-Baudbuin  :  Meurtre  de  deux  civils 23 

.^5.  —  Morialmé  :  Incendie  de  six  maisons 24 

2.  Contre  la  38e  division  française  (de  Tarcienne  à  Gourdinne)       ....  2.6 

§  1 .  —  Somzée  :  Meurtre  du  curé  d'Acoz  et  de  ses  compagnons  ;  Incendie  de 

trente-deux  maisons  .  28 

$  2.  —  Laneffe  :  Incendie  de  vingt  maisons  ;  Chastrès  :  Meurtre  de  deux  civils  3i 

S  3.  —  Traire  :  Meurtre  de  deux  civils  et  incendie  de  deux  maisons     ...  33 

§  4.  —  Yves-Gomezée  :  Incendie  de  treize  maisons 34 

3.  Contre  la  6e  division  française  (de  Gourdinne  à  Berzée) 35 

§  t.  —  Dans    la    région  de  Gourdinne,  Tb\)-le-Château   (meurtre  de  deux 

civils),  Berzée  et  Pry 36 

?;  2 .  —  Walcourt  (incendie  de  la  Collégiale  et  de  quatorze  maisons)  et  région 

("Rognée,  Fontenelle,  Castillon,  Mertenne,  Clermont) 39 

§  3.  —  Daussois  :  Incendie  de  vingt-sept  maisons 43 

§  4.  —  Silenrieux  :  Incendie  de  trente  et  une  maisons 44 

i3 


22Ô 

Pages. 

II.    L'avance  du  corps  de  la  Garde 46 

§  1 .  —  Sart~Saint~Laurenl 48 

§2.  —  Lesves  :  Meurtre  de  quatre  civils  et  incendie  de  quatorze  maisons.  .  49 
§  3.  —  Furnaux  (incendie  d'une  maison);  Biesmerée  et  Stave  (incendie  de 

soixanle"qualorze  maisons) 52 

§  4.  —  Florennes    (meurtre   de   deux   civils,    incendie    de    quatre  maisons) 

et  Sainl^Aubin  (meurtre  d'un  civil) 56 

§  5.  —  "Vers   la  frontière  :  Jiemplinne,   Chaumont,  Jamagne  (meurtre  d'un 

civil),  Villers~deux~Eglises  (incendie  de  deux  maisons),  Soumoy, 

Senzeilles,  Cerfontaine 62 


Chapitre   II. 

La  retraite  de  Bioul 66 

§  1 .  —  Au  village  de  Denée 69 

§  2.   —  Au  village  de  Bioul 69 

§  3.  —  L'attaque  et  la  retraite  de  la  colonne  d'ambulance  de  la  4e  D.  A.  71 

§  4.  —  Le  combat  de  Warnant 75 

§  5.  —  Le  combat  d'Ermelon~sur~Biert  :  Meurtre  de  trois  civils  et  incendie 

de  quatre-vingt-six  maisons 77 

§6.  —  La  colonne  des  prisonniers  de  Florennes.      .  79 


Chapitre  III. 

Sur  le  front  de  la  Meuse 81 

I.  L'avance  du  XIIe  corps  de  réserve 82 

1.   La  23e  division  de  réserve 82 

§  1 .  —  Anhée  :  Incendie  de  six  maisons 84 

§  2.  —  Haut-le-Wastia  (meurtre  de  trois  civils  et  incendie  de  deux  maisons) 

et  Warnanl  (incendie  de  trois  maisons) 86 

§3.  —  Annevoie  (incendie  d'une  maison)  et  "Rivière  (incendie  d'une  maison)  88 
§  4.  —  Sosoye,  Maredsous  et  Maredrel  :  Meurtre  de  quatre  civils  et  incendie 

de  cinq  maisons 92 

§5.  —  Philippeville  :  Meurtre  de  deux  civils  et  incendie  d'une  maison.     .     .  96 

§  6.  —  Neuville~Samart  :  Meurtre  de  trois  civils  et  incendie  de  seize  maisons.  98 


227 

Pages. 

S  7.   —  Mariembourg  :  Meurtre  de  quatre  civils  et  incendie  de  quatre-vingts 

quinze  maisons 99 

§  8.  —  Frasnes  :  Meurtre  de  douze  civils  et  incendie  de  cent  quarante-cinq 

maisons io3 

1d.  :  Massacre  de  trente-quatre  civils  français 108 

§  9.  —  Vers   la  frontière  :  Geronsarl,   Boussu-en-Fagne,   Aublain,   'Dailly, 

Pesches,  Gonrieux,  Presgaux,  Cul-des-Sarts 112 

2.  La  24e  division  de  réserve 119 

§  1.  —  Gérin  ;  Incendie  de  deux  maisons 121 

§  2.  —  Anlhée  et  Maurenne  ;  Meurtre  de  neuf  civils   et   incendie  de  cent 

dix-huit  maisons 122 

§  3.  —  Agimoni  ;  Incendie  d'une  maison 128 

§  4.  —  Soulme  (meurtre    de  six  civils),    Gocbenée  et  "Vodele'e  (incendie   de 

trois  maisons) i3o 

§  5.  —  Gimne'e,  Doische  (meurtre  d'un  civil),  Vaucelles i33 

II.   L'avance  du  XIIe  corps i35 

§     1.  —  Sommière  :  Meurtre  d'un  civil  et  incendie  d'une  maison      ....  137 

§     2.  —  Weillen  :  Meurtre  de  sept  civils  et  incendie  d'une  maison  ....  i38 

§3.  —  Falaën  :  Meurtre  de  deux  soldats  français  prisonniers 141 

§     4.  —  Morville  :  Meurtre  d'un  civil  et  incendie  de  quarante-deux  maisons  143 

§     5.  —  Flavion  :  Incendie  de  quatre  maisons t44 

§     6.  —  Posée  (meurtre  de  trois  civils   et   incendie   de   quinze   maisons)  et 

Omezée  (incendie  d'une  maison) 145 

§     7.  —  Francbimonl  :  Meurtre  de  quatre  civils  et  incendie  de  cinquante- deux 

maisons 148 

§     8.  —  Villers-le-Gambon,  Vodece'e  (meurtre  de  quatre  civils  et  incendie  de 

deux  maisons)  Sautour,   Merlemonl  (meurtre  d'un  civil)  et  Sart- 

en-Fagne 1 55 

§     9.  —  Villers-en-Fagne  (meurtre  de  cinq  civils  et  incendie  de  cinquante 

et  une  maisons)  et  Poly 160 

§  10.  —  Malagne-la-Grande  et  Fagnolles i63 

§11.  —  Bourbes    (meurtre   de    trois    civils   et   incendie    de    cinquante-huit 

maisons)  et  Olloy i65 

§  12.  —  JVismes  :  Meurtre  de  huit  civils  et  incendie  de  trois  maisons    ...  168 

§  t3.  —  Peligny  .-Meurtre  de  quatre  civils  et  incendie  de  quatorze  maisons  170 
§  14.  —  Couvin  (meurtre  de  cinq  civils  et  incendie  de  huit  maisons)  et  Bruly- 

de-Pesche 171 

§   t5.  —  Le  Bru/y  ."  Meurtre  de  deux  civils  et  incendie  de  dix  maisons.     ■  178 
§   16.  —  Petite-Chapelle    :   Meurtre   de   cinq   civils   et    incendie   de    quatre 

maisons 179 


228 

Pages. 

III.   L'avance  du   XIXe  corps i83 

§     i .  —  Le  combat  d'Onhaye  :  Meurtre  de  quatre  civils  et  incendie  de  cent 

quatorze  maisons 186 

§  2.  —  Le  combat  de  Surice  :  Meurtre  de  cinquante* sept  civils.  Incendie  de 
cent  trente  maisons.  Komedenne  ;  Meurtre  de  onze  civils.  Incendie 
de  cent  dix^neuf  maisons 1 94 

§     3.  —  "Romerée  (meurtre  de  deux   civils.  Incendie   de  douze  maisons)  et 

Matagne"la"Petite 216 

§     4.  —  "Vers  la  frontière  :  Mazée,   Treignes  (meurtre  d'un  civil),  Vierves, 

Oignies  (meurtre  d'un  civil  et  incendie  d'une  maison).  Le  Mesnil   .       219 

Errata  et  addenda 223 


TABLE    DES    ILLUSTRATIONS 


Figures.  rages. 

t.      Yves-Gomezée.  Ruines  du  château  de  Cartier  d'Yve,  incendié  par  les 

troupes  du  Xe  corps 40 

2.  Walcourt.  Vue  de  la  collégiale  de  Notre-Dame  de  Walcourt,  avant  le 

désastre ...  40 

3.  Walcourt.  Vue  panoramique  de  la  ville,  après  l'incendie.      ...  40 

4.  Walcourt.  Vue  de  la  collégiale  incendiée 40 

5.  Walcourt.  Les  maisons  incendiées,  à  l'ouest  de  la  collégiale.  40 

6.  Narcisse  Degraux,  tué  à  Thy-le-Baudhuin, 41 

7.  Valentine  Lefebvre,  tuée  à  Lesves 41 

8.  Victoire  Détaille,  veuve  Antoine  Rondiat,  tuée  à  Haut-le"Wastia  41 

9.  Alphonse  Spilette,  de  Fraire,  lié  à  un  canon  et  massacré  à  Fosses  41 

10.     Jules  Dupéroux,   tué  à  Saint-Aubin 4t 

ti.     L'abbé  Eugène  Druet,  curé    d'Acoz,   fusille  à  Somzée  avec  ses   deux 

compagnons 41 

12.     André  Chermanne,  tué  à  Jamagne 41 

t3.     Mathieu  Detourbe,  époux  d'Aline  Mélot.  de  Haut-le-Wastia,  tué  sur 

la  route  de  Moulins 41 

14.     Ambroise  Léonard,  de  Haut-le-Wastia.  fusillé  à  Les  Floyes  (Sosoye), 

avec  Narcisse  Borsut  et  Charles  Guillaume 41 

i5.     Narcisse   Borsrut,  de   Haut-le-Wastia,   fusillé   à   Les  Floyes   (Sosoye), 

avec  ses  compagnons 41 

16.  Désiré  Sacotte,  époux  de  Caroline  Trillet,  tué  à  Haut-le-Wastia  41 

17.  Hanzinne.  Ferme  Luc  et  grange  Brosse,  après  l'incendie 76 

>8.     Ermeton-sur-Biert.  Rue  du  Village.  Maisons  incendiées  par  les  troupes 

de  la  Garde 76 

19.  Moulins.  Arrivée  de  la  compagnie  du  commandant  Vannière,  du  148e    .  76 

20.  Mariembourg.    Ruines    du     moulin     incendié    par    la    23e  division    de 

réserve 76 

zi.     Mariembourg.  Maisons  incendiées  du  boulevard  de  l'Education.     .     .  76 

22.  Etienne  Patron  (à  l'âge  de  9  ans),   fusillé  à  Neuville    (Philippeville), 

avec  Paulin  Gobillon  et  un  soldat  belge  prisonnier -/7 

23.  Paulin  Gobillon,  fusillé  à  Neuville  (Philippeville) yj 


z3o 

Figures.  Pages. 

24.  Jules  Pirson,  fermier  à  Omezée,  tué  à  Franchimont 77 

25.  Alzir  Anciaux  (à  l'âge  de  9  ans),  martyrisé  à  Franchimont yy 

26.  Camille  Leclercq,  massacré  à  Frasnes yy 

27.  Edgar  Van  Schoor,  de  Mariembourg,  fusillé  à  Eteignières,  avec  son 

frère  et  cinq  autres  civils yy 

28.  Ernest  Van  Schoor,  de  Marienbourg,  fusillé  à  Eteignières      ....  77 

29.  Adolphe  Burton,  d'Anthée,  tué  à  bout  portant  dans  une  haie       ...  yy 

30.  Edouard  Marée,  tué  à  Soulme 77 

3t.     Nestor  Cognaux,  tué  à  Soulme yy 

32.  Félicien  Baudoin,  d'Anthée,  lié  à  une  haie  et  fusillé,  avec  un  inconnu, 

à  l'entrée  du  village  d'Anthée yy 

33.  Frasnes.  Vue  de  l'église  et  du  village,  incendiés  par  la  23e  division  de 

réserve 104 

34.  Frasnes.  Entrée  du  village  incendié,  du  côté  de  Mariembourg  (la  croix 

marque  la  maison  de  l'un  des  fusillés,  Bertrand  Damly)    ....  104 

35.  Frasnes.  Rue  de  la  Brasserie,  après  l'incendie 104 

36.  Frasnes.  Tombes  allemandes,  en  regard  du  village  incendié   ....  104 

37.  Frasnes.  Ruines  de  la  rue  Saint-Roch to5 

38.  Frasnes.  Proclamation  du  commandant  Lacroix,  annonçant  l'exécution 

de  trente-quatre  civils  français to5 

39.  Anthée.  Transept  de  l'église  et  maisons  de  la  place,  incendiées  par  la 

24e  division  de  réserve io5 

40.  Anthée.  Hôtel  Nénon,  après  l'incendie io5 

41.  Anthée.  Les  ruines  du  presbytère  de  M.  l'abbé  Piret,  fusillé  à  Surice.  io5 

42.  Anthée.   Tabernacle    en    cuivre    du    maître-autel,    portant    les    traces 

d'effraction to5 

43.  Henri  Pirlot.  massacré  à  la  ferme  de  Flun  (Falaën)    ....           .      .  140 

44.  Olivier  Mathieu,  père  de  Gaston,  blessé  et  carbonisé  à  la  ferme  de  Flun.  140 

45.  Gaston  Mathieu,  fils  d'Olivier,                                   id.                                  .  140 

46.  Désiré  Deleuze,  fusillé  à  Sommière 140 

47.  Valentin  Mathieu,  fils  d'Octave,  carbonisé  à  la  ferme  de  Flun                 .  140 

48.  Joseph  Pieîte,  carbonisé  à  la  ferme  de  Flun  (à  l'âge  de  9  ans)  140 

49.  Octave  Mathieu,  père  de  Valentin,  tué  à  la  ferme  de  Flun.  140 

50.  Nestor  Wiame,  de  Villers-le-Gambon,  tué  sur  la  route  de  Givet           .  140 
5t.     François  Pierre,  échevin  de  Vodecée,  y  fusillé 140 

52.  Adelin  Woine,   instituteur    à  Villers-en-Fagne,  fusillé  aux  abords  du 

village 140 

53.  Flun.    Corps  de    logis   et  grange   de    la   ferme  qui  fut   le   théâtre   du 

massacre,  du  côté  de  Falaën 141 

54.  Ferme  de  Flun  et  chemin  de  Weillen 141 

55.  Anthée.  Maison  Barbier,  incendiée  sur  la  route  de  Philippeville,   où 

furent  tués  Xavier  Delhaye  et  son  épouse 141 

56.  Morville.    Ecoles    incendiées    des    Religieuses    de    la    Providence,    à 

Lassurance Ht 


z3t 

Figures.  Pages. 

57.  Dourbes.  Panorama  du  village  incendié  par  les  troupes  du  XIIe  corps.  1 41 

58.  Billet  délivré  à  Merlemont  par  le  général  von  Hausen,  commandant  la 

IIIe  armée  allemande 159 

59.  Plan  d'Onhaye,  incendié  par  les  troupes  du  XIXe  corps 189 

60.  Onhaye.  Endroit  situé  à  l'extrémité  du  «Forbot»,  où  eut  lieu  un  combat 

à  la  baïonnette  et  où  périt  le  capitaine  Didier 190 

61.  Onhaye.  Propriété  de  M.  le  chevalier  Diericx  de  ten  Ham,  où  fut  tuée 

Léa  Collignon  et  où  mourut  Joseph  Dubois,  de  Lenne 190 

62.  Onhaye.  Route  du  Forbot  (La  maison  d'Adolphe  Pochet,  fusillé  à  Surice, 

est  marquée  d'une  croix)    ...           190 

63.  Onhaye.  Quartier  incendié  de  Bonair 190 

64.  Onhaye.  Ferme  de  Froidmont,  au  sud-est  du  village,  aux  environs  de 

laquelle  se  livrèrent  plusieurs  combats  à  l'arme  blanche   ....  190 

65.  Onhaye.  La  chapelle  de  Bonair 190 

66.  Palmyr  Tonglet,  de  Dourbes,  tué  au  «  Tienne  Delvaux  » 191 

67.  Jules  Godefroid,  de  Somzée,  tué  entre  Dourbes  et  Nismes.  191 

68.  Jules  Nicolas,  tué  à  Nismes 191 

69.  Emile  Perleaux,  de  Nismes,  tué  sur  ta  route  de  Petigny 191 

jo.     Abbé  Paul  Gilles,  docteur  en  philosophie  et  en  théologie,  vicaire  à 

Couvin,  y  massacré ...  191 

71.  Gaston  Lapôtre,  de  Nismes,  tué  sur  la  route  de  Petigny 191 

72.  Alfred  Grégoire,          id.                              id.                                                    .  191 

73.  Achille  Collard,           id.                              id.  191 

74.  Armand  Dumont,  tué  à  Petite-Chapelle 191 

75.  Pierre  Boutai,  de  Couvin,  fusillé  près  de  la  chapelle  des   «  Fonds  de 

l'Eau  » 191 

76.  Jean-Baptiste  Manise,  tué  à  Oignies 191 

jj.     Olivier  Parmentier,  de  Miavoye,  fusillé  à  Surice      ....  196 

78.  André  Libert,                      id.                      id.  196 

79.  Auguste  Durdu,  échevin  de  Surice 196 

80.  Jean-Baptiste  Libert,  de  Miavoye,  fusillé  à  Surice          , 196 

81.  L'abbé  Gustave  Gaspard,  de  Thon,  professeur  au  collège  de  Bellevue, 

à  Dînant,  fusillé  a  Surice 196 

82.  L'abbé  Alphonse  Ambroise,  curé  d'Onhaye,  fusillé  à  Surice    ....  196 

83.  Félix  Ambroise,  professeur  à  l'école  d'horticulture  de  Vilvorde,  fusillé 

à  Surice 196 

84.  Gustave  Copienne,  d'Evrehailles,  oncle  de  M.  l'abbé  Ambroise,  fusillé 

à  Surice 196 

85.  Adelin  Frérotte,  d'Onhaye,  fusillé  à  Surice 196 

86.  Alphonse  Nassaut,  d'Anthée,           id.  197 

87.  Félix  Jacques,  docteur  en  médecine,  d'Anthée,  fusillé  à  Surice    .      .      .  197 

88.  Olivier  Delcour,  d'Anthée,  fusillé  à  Surice  avec  ses  fils  Arthur  et  Léon.  197 

89.  Henri  Jacques,    d'Anthée,    élève   du    collège   de    Bellevue,    à    Dinant, 

fusillé  à  Surice 197 


232 

Figures.  Pages. 

90.  Arthur  Delcour,  d'Anthée,  fusillé  à  Surice  avec  son  père  et  son  frère 

Léon 197 

91.  L'abbé  Oscar  Piret,  curé  d'Anthée,  fusillé  à  Surice           197 

92.  L'abbé  Marcellin  Poskin,  curé  de  Surice,  y  fusillé 197 

93.  Edmond  Schmit,  inspecteur  de  l'enseignement  primaire,  à  Gerpinnes, 

fusillé  à  Surice 1 97 

94.  Léon  Delcour,  d'Anthée,  fusillé  à  Surice  avec  son  père  et  son  frère 

Arthur 197 

95.  Jean-Baptiste  Quoilin,  de  Gérin,  fusillé  à  Surice     ......  197 

96.  Jean  Quoilin,  fils  de  Jean-Baptiste,  de  Gérin,  fusillé  à  Surice   .  197 

97.  Louis  Delcour,  de  Gérin,  fusillé  à  Surice •  197 

98.  Ursmer  Deravet,     id.                   id.              t97 

99.  Plan  de  Surice,  incendié  par  les  troupes  du  XIXe  corps 198 

00.  Vuegénéralede  Surice.  prise  de  la  route  de  Romedenne  à  Franchimont.  208 

01.  Surice.   L'église   en    ruines,   La    maison   Baijot,  où    quatre   cadavres 

furent  retrouvés  dans  la  citerne 208 

02.  Surice.  Intérieur  de  l'église  incendiée 208 

03.  Surice.  La  place  située  en  haut  du  village,  avec  la  chapelle,  épargnée, 

de  N.-D.  de  Lourdes 208 

04.  Place  de  Surice  et  maison  clans  laquelle  se  tinrent  cachés,  pendant  la 

nuit  du  24  au  25  août,  le  curé  de  Morville  et  ses  compagnons  208 

05.  Surice.  Ruines  de  la  maison  Emond,  à  gauche  de  laquelle  s'ouvre  le 

sentier  par  lequel  le  curé  de  Morville  et  ses  compagnons  purent 

fuir  vers  Pérémont 209 

06.  Surice.  Lieu-dit  ;    «  Les   Fosses  »,  où   eut   lieu   la   grande   fusillade. 

La  maison  Canton 209 

oj.     Eglise  de  Romedenne,  incendiée 209 

08.  Romedenne.  Route  de  Romerée-Couvin  et  ruines  de  la  gendarmerie 

nationale 209 

09.  Plan  de  Romedenne,  incendié  par  les  troupes  du  XIXe  corps      ...  211 

10.  Léopold     Burniaux,     massacré    à    Surice    avec    ses    fils    Armand    et 

Albert , 214 

11.  Armand  Van  Durme,  de  Dinant,  tué  à  la  grande  fusillade  de  Surice.  214 

12.  L'abbé  Armand  Burniaux,   massacré   à  Surice   avec  son  père  et  son 

frère  Albert 214 

i3.     Elie  Piérot,  de  Surice,  tué  à  la  grande  fusillade                             ...  214 

14.     Alexis  Thiry,          id.                          id.                          214 

i5.     Gaston    Burniaux,  fils    de    Léopold,  victime    de    la   grande   fusillade 

«  des  Fosses  »       ..." 214 

16.  Elisée  Piérard,  de  Surice,  tué  à  la  grande  fusillade 214 

17.  Albert  Burniaux,  massacré  à  Surice  avec  son  père  et  son  frère  Armand.  214 

18.  Alexandre  Rouyre,  d'Ermeton-sur-Biert,  tué  à  Surice 2t4 

19.  Jules  Bastin,  organiste  de  l'église  de  Surice,  fusillé  à  Romedenne  avec 

sa  femme  et  son  enfant  de  i5  mois 214 


233 

Figures.  Pages. 

120.  Juliette   Genard,   épouse   d'Alexandre   Rouyre,    d'Ermeton-sur-Biert, 

tué  à  Surice 2i5 

121.  Rosalie  Gobron,  épouse  Jules  Bastin,  fusillée  à  Romedenne,  avec  son 

mari  et  son  enfant  de  t5  mois 2i5 

122.  Marie-Louise  Penasse,  fusillée  à  Romedenne,  avec  son  père,  sa  mère, 

son  frère  et  ses  sœurs 21 5 

123.  Bertha  Penasse,  fusillée  à  Romedenne,  avec  son  père,  sa  mère,  son 

frère  et  ses  sœurs 21 5 

124.  Joseph  Libert,  de  Maurenne,  tué  à  Surice 2t5 

125.  Joseph  Burniaux,  tué  en  vue  de  Surice,  avec  Rosalie  Piérard  2i5 

126.  Jeanne  Penasse,  seule  survivante  de  la  famille zi5 

127.  Léon  Penasse,   fusillé  à  Romedenne,  avec  son  père,  sa  mère  et  ses 

sœurs 21 5 

128.  Rosalie  Piérard,  de  Surice,  tuée  avec  Joseph  Burniaux 21 5 

129.  François  Guislain,  de  Surice,  tué  près  de  Soulme 2i5 

t3o.     Carte  de  la  région  étudiée  dans  la  Ve  partie  (tome  VI) 235 


FIN  DU  SIXIÈME  VOLUME 


Bruxelles 
Imprimerie  Veuve  Monnom 

Société  anonyme 

32,  rue  de  l'Industrie 
1923 


TABLE    DES    MATIÈRES 


Pages. 

Avant-propos 5 


Chapitre    I- 

Sur  le  front  de  la  Sambre i3 

I.   L'avance  du  Xe  corps 14 

1.  Contre  la  5e  division  française  (de  Hanzinne  à  Tarcienne) xj 

§  1.  —  Tarcienne 19 

S  2.  —  Hanzinne  :  Incendie  de  cinquante  maisons 20 

S  3.  —  Hanzinelle  :  Incendie  de  quatre-vingt-trois  maisons 22 

S  4.  —  Tbyj-le-Baudbuin  :  Meurtre  de  deux  civils 23 

S  5.  —  Morialmé  :  Incendie  de  six  maisons 24 

2.  Contre  îa  38e  division  française  (de  Tarcienne  à  Gourdinne)       ....  26 

S   1 .  —  Somze'e  :  Meurtre  du  cure'  d'Acoz  et  de  ses  compagnons  ;  Incendie  de 

trente-deux  maisons  .      .  28 

S  2.  —  Laneffe  :  Incendie  de  vingt  maisons  ;  Chaslrès  :  Meurtre  de  deux  civils  3i 

??  3.  —  Traire  :  Meurtre  de  deux  civils  et  incendie  de  deux  maisons     ...  33 

M  4.  —  Yves-Gomezée  :  Incendie  de  treize  maisons 34 

3.  Contre  la  6e  division  française  (de  Gourdinne  à  Berzée) 35 

Si.  —  Dans    la    région  de  Gourdinne,  Tby-le-Cbâteau   (meurtre  de  deux 

civils),  Berzée  et  Pry 36 

S  2.  —  V/alcourt  (incendie  de  la  Collégiale  et  de  quatorze  maisons)  et  région 

(Rognée,  Fontenelle,  Castillon,  Mertenne,  Clermont) 3o. 

§  3.  —  Daussois  :  Incendie  de  vingt-sept  maisons 43 

§  4.  —  Silenrieux  :  Incendie  de  trente  et  une  maisons 44 

«5 


22Ô 

Pages. 

II.    L'avance  du  corps  de  la  Garde 46 

§  1 .  —  Sart^Saint^Laurenl 48 

§  ï-  —  Lesves  :  Meurtre  de  quatre  civils  et  incendie  de  quatorze  maisons.  .  49 
§  3.  —  Furnaux  (incendie  d'une  maison);  Biesmere'e  et  Stave  (incendie  de 

soixanle~qualorze  maisons) 52 

§  4-  —  Florennes    (meurtre   de   deux   civils,    incendie    de   quatre  maisons) 

et  Saint"Aubin  (meurtre  d'un  civil) 56 

§  5.  —  "Vers   la  frontière  :  "Hemplinne,   Chaumont,  Jamagne  (meurtre  d'un 

civil),  Villers~deux~Eglises  (incendie  de  deux  maisons),  Soumoy, 

Senzeilles,  Cerfontaine 62 


Chapitre   II. 

La  retraite  de  Bioul 66 

§  1 .  —  Au  village  de  Tienée 69 

§  2.   —  Au  village  de  Bioul 69 

§  3.  —  L'attaque  et  la  retraite  de  la  colonne  d'ambulance  de  la  4e  D.  A.        .  j\ 

§  4.  —  Le  combat  de  V/arnant 75 

§  5.  —  Le  combat  d'Ermelon~sur*°Biert  :  Meurtre  de  trois  civils  et  incendie 

de  quatre~vingi<*six  maisons jj 

§  6.  —  La  colonne  des  prisonniers  de  Florennes.     .  79 


Chapitre  III. 

Sur  le  front  de  la  Meuse 81 

I-  L'avance  du  XIIe  corps  de  réserve 82 

1.   La  23e  division  de  réserve 82 

§   1 .  —  Anbée  :  Incendie  de  six  maisons 84 

§2.  —  Haul~le~Wastia  (meurtre  de  trois  civils  et  incendie  de  deux  maisons) 

et  Warnant  (incendie  de  trois  maisons) 86 

§  3.  —  Annevoie  (incendie  d'une  maison)  et  "Rivière  (incendie  d'une  maison)  88 
§  4.  —  Sosoye,  Maredsous  et  Maredret  :  Meurtre  de  quatre  civils  et  incendie 

de  cinq  maisons 92 

§5.  —  Pbilippeville  :  Meurtre  de  deux  civils  et  incendie  d'une  maison.      .      .  96 

§  6.  —  Neuville~Samart  :  Meurtre  de  trois  civils  et  incendie  de  seize  maisons.  98 


227 

Pages. 

%  y.   —  Mariembourg  :  Meurtre  de  quatre  civils  et  incendie  de  quatre-vingts 

quinze  maisons 99 

§  8.  —  Frasnes  :  Meurtre  de  douze  civils  et  incendie  de  cent  quaranle~cinq 

maisons to3 

ld.  :  Massacre  de  trente-quatre  civils  français 108 

§  9.  —  Vers   la  frontière  :  Geronsart,   Boussu-en-Fagne,   Aublain,   Dailly, 

Pesches,  Gonrieux,  Presgaux,  Cul"deS"Sarts ti2 

2.   La  24e  division  de  réserve 119 

§  t.  —  Gérin  :  Incendie  de  deux  maisons 121 

§  2.  —  Antbêe  et  Maurenne  ;  Meurtre  de  neuf  civils  et   incendie  de  cent 

dix"buil  maisons 122 

§  3.  —  Agimonl  :  Incendie  d'une  maison 128 

§  4.  —  Soulme  (meurtre    de  six  civils),    Gocbenée  et  Vodelée  (incendie   de 

trois  maisons) i3o 

§  5.  —  Gimne'e,  Doische  (meurtre  d'un  civil),  Vaucelles i33 

II.  L'avance  du  XIIe  corps i35 

§     1.  —  Sommière  :  Meurtre  d'un  civil  et  incendie  d'une  maison      ....  137 

§     2.  —  V/eillen  :  Meurtre  de  sept  civils  et  incendie  d'une  maison  ....  1 38 

§3.  —  Fala'èn  :  Meurtre  de  deux  soldats  français  prisonniers 141 

§     4.  —  Morville  :  Meurtre  d'un  civil  et  incendie  de  quarante" deux  maisons  14$ 

§     5.  —  Flavion  :  Incendie  de  quatre  maisons 144 

§     6.  —  "Rosée  (meurtre   de  trois   civils   et   incendie   de  quinze   maisons)  et 

Omezée  (incendie  d'une  maison) 145 

§     7.  —  Franchimont  .Meurtre  de  quatre  civils  et  incendie  de  cinquante^deux 

maisons 148 

§     8.  —  Villers"le"Gambon,  "Vodecée  (meurtre  de  quatre  civils  et  incendie  de 

deux  maisons)  Sautour,   Merlemont  (meurtre  d'un  civil)  et  Sari" 

en"Fagne 155 

§     9.  —  Villers"en"Fagne  (meurtre  de  cinq  civils  et  incendie  de  cinquante 

et  une  maisons)  et  Ro/y 160 

§   10.  —  Malagne"la"Grande  et  Fagnolles t63 

§  1 1 .  —  Bourbes    (meurtre   de    trois    civils   et   incendie    de    cinquanle"huil 

maisons)  et  Olloy i65 

§   t2.  —  JVismes  :  Meurtre  de  huit  civils  et  incendie  de  trois  maisons    ...  168 

§  i3.  —  Peligny  .Meurtre  de  quatre  civils  et  incendie  de  quatorze  maisons  170 
§  14.  —  Couvin  (meurtre  de  cinq  civils  et  incendie  de  huit  maisons)  et  Bruly" 

de"Pesche \j\ 

§   t5.  —  Le  Bru/y  ;  Meurtre  de  deux  civils  et  incendie  de  dix  maisons.     .  178 
§   16.  —  Pelite"Chapelle    :   Meurtre   de   cinq   civils   et    incendie   de   quatre 

maisons 179 


2l8 

Pages. 

III.   L'avance  du  XIXe  corps i83 

§     i .   —  Le  combat  d'Onhaye  :  Meurtre  de  quatre  civils  et  incendie  de  cent 

quatorze  maisons 1 86 

§  i.  —  Le  combat  de  Surice  :  Meurtre  de  cinquante^sepl  civils.  Incendie  de 
cent  trente  maisons.  "Romedenne  ;  Meurtre  de  onze  civils.  Incendie 
de  cent  dix"neuf  maisons 194 

§     3.  —  "Romerée  (meurtre  de  deux   civils.   Incendie   de  douze   maisons)  et 

Malagne''la''Petite 216 

§     4.  —  Vers  la  frontière  :  Mazée,   Treignes  (meurtre  d'un  civil),  Vierves, 

Oignies  (meurtre  d'un  civil  et  incendie  d'une  maison),  Le  Mesnil   .       219 

Errata  et  addenda zzi 


TABLE    DES    ILLUSTRATIONS 


Figures.  Pages. 

i.      Yves-Gomezée.  Ruines  du  château  de  Cartier  d'Yve,  incendié  par  les 

troupes  du  Xe  corps 40 

2.  Walcourt.  Vue  de  la  collégiale  de  Notre-Dame  de  Walcourt,  avant  le 

désastre 40 

3.  Walcourt.  Vue  panoramique  de  la  ville,  après  l'incendie 40 

4.  Walcourt.  Vue  de  la  collégiale  incendiée 40 

5.  Walcourt.  Les  maisons  incendiées,  à  l'ouest  de  la  collégiale.  40 

6.  Narcisse  Degraux,  tué  à  Thy-le-Baudhuin, 41 

7.  Valentine  Lefebvre,  tuée  à  Lesves 41 

8.  Victoire  Détaille,  veuve  Antoine  Rondiat,  tuée  à  Haut-le-Wastia  41 

9.  Alphonse  Spilette,  de  Fraire,  lié  à  un  canon  et  massacré  à  Fosses  41 

10.  Jules  Dupéroux,   tué  à   Saint-Aubin 41 

11.  L'abbé  Eugène  Druet,   curé    d'Acoz,  fusillé  à  Somzée  avec  ses   deux 

compagnons 41 

12.  André  Chermanne,  tué  à  Jamagne 41 

i3.     Mathieu  Detourbe,  époux  d'Aline  Mélot,  de  Haut-le-Wastia,  tué  sur 

la  route  de  Moulins 41 

14.     Ambroise  Léonard,  de  Haut-le-Wastia.  fusillé  à  Les  Floyes  (Sosoye), 

avec  Narcisse  Borsut  et  Charles  Guillaume 4t 

i5.     Narcisse   Borsut,  de   Haut-le-Wastia,   fusillé   à   Les  Floyes  (Sosoye), 

avec  ses  compagnons 41 

16.  Désiré  Sacotte,  époux  de  Caroline  Trillet,  tué  à  Haut-le-Wastia  41 

17.  Hanzinne.  Ferme  Luc  et  grange  Brosse,  après  l'incendie 76 

18.  Ermeton-sur-Biert.  Rue  du  Village.  Maisons  incendiées  par  les  troupes 

de  la  Garde 76 

19.  Moulins.  Arrivée  de  la  compagnie  du  commandant  Vannière,  du  148e    .  76 

20.  Mariembourg.    Ruines    du     moulin     incendié    par    la    23e  division    de 

réserve 76 

21.  Mariembourg.  Maisons  incendiées  du  boulevard  de  l'Education.      .     .  76 

22.  Etienne  Patron  (à  l'âge  de  9  ans),  fusillé  à  Neuville    (Philippeville), 

avec  Paulin  Gobillon  et  un  soldat  belge  prisonnier -j-j 

23.  Paulin  Gobillon,  fusillé  à  Neuville  (Philippeville) -jj 


i3o 

Figures.  Pages. 

24.  Jules  Pirson,  fermier  à  Omezée,  tué  à  Franchimont 77 

25.  Alzir  Anciaux  (à  l'âge  de  9  ans),  martyrisé  à  Franchimont 77 

26.  Camille  Leclercq,  massacré  à  Frasnes 77 

27.  Edgar  Van  Schoor,  de  Mariembourg,  fusillé  à  Eteignières,  avec  son 

frère  et  cinq  autres  civils 77 

28.  Ernest  Van  Schoor,  de  Marienbourg,  fusillé  à  Eteignières      ....  77 

29.  Adolphe  Burton,  d'Anthée,  tué  à  bout  portant  dans  une  haie  77 

30.  Edouard  Marée,  tué  à  Soulme 77 

3t.     Nestor  Cognaux,  tué  à  Soulme 77 

32.  Félicien  Baudoin,  d'Anthée,  lié  à  une  haie  et  fusillé,  avec  un  inconnu, 

à  l'entrée  du  village  d'Anthée 77 

33.  Frasnes.  Vue  de  l'église  et  du  village,  incendiés  par  la  23e  division  de 

réserve 104 

34.  Frasnes.  Entrée  du  village  incendié,  du  côté  de  Mariembourg  (la  croix 

marque  la  maison  de  l'un  des  fusillés,  Bertrand  Damly)     ....  104 

35.  Frasnes.  Rue  de  la  Brasserie,   après  l'incendie 104 

36.  Frasnes.  Tombes  allemandes,  en  regard  du  village  incendié    ....  104 

37.  Frasnes.  Ruines  de  la  rue  Saint-Roch to5 

38.  Frasnes.  Proclamation  du  commandant  Lacroix,  annonçant  l'exécution 

de  trente-quatre  civils  français io5 

39.  Anthée.  Transept  de  l'église  et  maisons  de  la  place,  incendiées  par  la 

24e  division  de  réserve io5 

40.  Anthée.  Hôtel  Nénon,  après  l'incendie io5 

4t.     Anthée.  Les  ruines  du  presbytère  de  M.  l'abbé  Piret,  fusillé  à  Surice.  io5 

42.  Anthée.    Tabernacle    en    cuivre    du    maître-autel,    portant   les    traces 

d'effraction io5 

43.  Henri  Pirlot,  massacré  à  la  ferme  de  Flun  (Falaën) 140 

44.  Olivier  Mathieu,  père  de  Gaston,  blessé  et  carbonisé  à  la  ferme  de  Flun.  140 

45.  Gaston  Mathieu,  fils  d'Olivier,                                   id.                                  .  140 

46.  Désiré  Deleuze,  fusillé  à  Sommière 140 

47.  Valentin  Mathieu,  fils  d'Octave,  carbonisé  à  la  ferme  de  Flun                 .  140 

48.  Joseph  Piette,  carbonisé  à  la  ferme  de  Flun  (à  l'âge  de  9  ans)  140 

49.  Octave  Mathieu,  père  de  Valentin,  tué  à  la  ferme  de  Flun.                      .  140 

50.  Nestor  Wiame,  de  Villers-le-Gambon,  tué  sur  la  route  de  Givet           .  140 
5i.     François  Pierre,  échevin  de  Vodecée,  y  fusillé 140 

52.  Adelin  Woine,  instituteur    à  Villers-en-Fagne,  fusillé  aux  abords  du 

village 140 

53.  Flun.    Corps  de    logis   et  grange   de    la   ferme  qui  fut   le   théâtre   du 

massacre,  du  côté  de  Falaën 141 

54.  Ferme  de  Flun  et  chemin  de  Weillen 141 

55.  Anthée.  Maison  Barbier,  incendiée  sur  la  route  de  Philippeville,  où 

furent  tués  Xavier  Delhaye  et  son  épouse 141 

56.  Morville.    Ecoles    incendiées    des    Religieuses    de    la    Providence,    à 

Lassurance 141 


a3i 

Figures.  Pages. 

57.  Dourbcs.  Panorama  du  village  incendié  par  les  troupes  du  XH°  corps.  141 

58.  Billet  délivré  à  Merlemont  par  le  général  von  Hausen,  commandant  la 

IIIe  armée  allemande 159 

59.  Plan  d'Onhaye,  incendié  par  les  troupes  du  XIXe  corps 189 

6j.      Onhaye.  Endroit  situé  à  l'extrémité  du  «  Forbot  »,  où  eut  lieu  un  combat 

à  la  baïonnette  et  où  périt  le  capitaine  Didier 190 

61.     Onhaye.  Propriété  de  M.  le  chevalier  Diericx  de  ten  Ham,  où  fut  tuée 

Léa  Collignon  et  où  mourut  Joseph  Dubois,  de  Lenne 190 

6z.     Onhaye.  Route  du  Forbot  (La  maison  d'Adolphe  Pochet,  fusillé  à  Surice, 

est  marquée  d'une  croix)    ...           190 

63.  Onhaye.  Quartier  incendié  de  Bonair 190 

64.  Onhaye.  Ferme  de  Froidmont,  au  sud-est  du  village,  aux  environs  de 

laquelle  se  livrèrent  plusieurs  combats  à  larme  blanche   ....  190 

65.  Onhaye.  La  chapelle  de  Bonair 190 

66.  Palmyr  Tonglet,  de  Dourbes,  tué  au  «  Tienne  Delvaux  » 191 

67.  Jules  Godefroid,  de  Somzée,  tué  entre  Dourbes  et  Nismes 191 

68.  Jules  Nicolas,  tué  à  Nismes 191 

69.  Emile  Perleaux,  de  Nismes,  tué  sur  ta  route  de  Petigny 191 

70.  Abbé  Paul  Gilles,  docteur  en  philosophie  et  en  théologie,   vicaire  à 

Couvin,  y  massacré 191 

71.  Gaston  Lapôtre,  de  Nismes,  tué  sur  la  route  de  Petigny 191 

72.  Alfred  Grégoire,          id.                              id.                                                    .  191 

73.  Achille  Collard,           id.                              id.  191 

74.  Armand  Dumont,  tué  à  Petite-Chapelle 191 

75.  Pierre  Boutai,  de  Couvin,  fusillé  près  de  la  chapelle  des  «  Fonds  de 

l'Eau  » 191 

76.  Jean-Baptiste  Manise,  tué  à  Oignies 191 

jj.     Olivier  Parmentier,  de  Miavoye,  fusillé  à  Surice 196 

78.  André  Libert,                      id.                      id.  196 

79.  Auguste  Durdu,  échevin  de  Surice 196 

80.  Jean-Baptiste  Libert,  de  Miavoye,  fusillé  à  Surice    .      , 196 

81.  L'abbé  Gustave  Gaspard,  de  Thon,  professeur  au  collège  de  Bellevue, 

à  Dinant,  fusillé  a  Surice 196 

82..      L'abbé  Alphonse  Ambroise,  curé  d'Onhaye,  fusillé  à  Surice    ....  196 

83.  Félix  Ambroise,  professeur  à  l'école  d'horticulture  de  Vilvorde,  fusillé 

à  Surice 196 

84.  Gustave  Copienne,  d'Evrehailles,  oncle  de  M.  l'abbé  Ambroise,  fusillé 

à  Surice 196 

85.  Adelin  Frérotte,  d'Onhaye,  fusillé  à  Surice 196 

86.  Alphonse  Nassaut,  d'Anthée,           id.  197 

87.  Félix  Jacques,  docteur  en  médecine,  d'Anthée,  fusillé  à  Surice    .      .      .  197 

88.  Olivier  Delcour,  d'Anthée,  fusillé  à  Surice  avec  ses  fils  Arthur  et  Léon.  197 

89.  Henri  Jacques,    d'Anthée,    élève   du    collège   de    Bellevue,    à    Dinant, 

fusillé  à  Surice 197 


i32 

Figures.  Pages. 

90.  Arthur  Delcour,  d'Anthée,  fusillé  à  Surice  avec  bon   père  et  son  frère 

Léon 197 

91.  L'abbé  Oscar  Piret,  curé  d'Anthée,  fusillé  à  Surice 197 

92.  L'abbé  Marcellin  Poskin,  curé  de  Surice,  y  fusillé 197 

93.  Edmond  Schmit,  inspecteur  de  l'enseignement  primaire,  à  Gerpinnes, 

fusillé  à  Surice 197 

94.  Léon  Delcour,  d'Anthée,  fusillé  à  Surice  avec  son  père  et  son  frère 

Arthur 197 

95.  Jean-Baptiste  Quoilin,  de  Gérin,  fusillé  à  Surice     ....  197 

96.  Jean  Quoilin,  fils  de  Jean-Baptiste,  de  Gérin,  fusillé  à  Surice  -.  197 

97.  Louis  Delcour,  de  Gérin,  fusillé  à  Surice 197 

98.  Ursmer  Deravet,      id.                    id.               197 

99.  Plan  de  Surice,  incendié  par  les  troupes  du  XIXe  corps 198 

100.     Vuegénéralede  Surice.  prise  de  la  roule  de  Romedenne  à  Franchimont.  208 
10t.     Surice.  L'église   en    ruines,   La    maison   Baijot,  où    quatre   cadavres 

furent  retrouvés  dans  la  citerne 208 

102.     Surice.  Intérieur  de  l'église  incendiée 208 

io3.     Surice.  La  place  située  en  haut  du  village,  avec  la  chapelle,  épargnée, 

de  N.-D.  de  Lourdes 208 

104.     Place  de  Surice  et  maison  dans  laquelle  se  tinrent  cachés,  pendant  la 

nuit  du  24  au  25  août,  le  curé  de  Morville  et  ses  compagnons  .  208 
io5.     Surice.  Ruines  de  la  maison  Emond,  à  gauche  de  laquelle  s'ouvre  le 

sentier  par  lequel  le  curé  de  Morville  et  ses  compagnons  purent 

fuir  vers  Pérémont 209 

106.  Surice.  Lieu-dit  ;    «  Les   Fosses  »,  où   eut   lieu   la   grande   fusillade. 

La  maison  Canton 209 

107.  Eglise  de  Romedenne,  incendiée 209 

108.  Romedenne.  Route  de  Romerée-Couvin  et  ruines  de  la  gendarmerie 

nationale 209 

109.  Plan  de  Romedenne,  incendié  par  les  troupes  du  XIXe  corps      ...  211 
ito.     Léopold    Burniaux,     massacré    à    Surice    avec    ses    fils    Armand    et 

Albert , 214 

tu.      Armand  Van  Durme,  de  Dinant,  tué  à   la  grande  fusillade  de  Surice.  214 

112.  L'abbé  Armand  Burniaux,   massacré   à  Surice  avec  son  père  et  son 

frère  Albert 214 

11 3.  Elie  Piérot,  de  Surice,  tué  à  la  grande  fusillade                       ....  214 

114.  Alexis  Thiry,          id.                           id.                          214 

it5.     Gaston    Burniaux,  fils    de    Léopold,  victime    de    la   grande   fusillade 

«  des  Fosses  »       ...      * 214 

116.  Elisée  Piérard,  de  Surice,  tué  à  la  grande  fusillade 214 

1 17.  Albert  Burniaux,  massacré  à  Surice  avec  son  père  et  son  frère  Armand.  214 

it8.     Alexandre  Rouyre,  d'Ermeton-sur-Biert,  tué  à  Surice 214 

1 19.     Jules  Bastin,  organiste  de  l'église  de  Surice,  fusillé  à  Romedenne  avec 

sa  femme  et  son  enfant  de  i5  mois 214 


233 

Figures.  Pages. 

120.     Juliette   Genard,   épouse   d'Alexandre   Rouyre,    d'Ermeton-sur-Biert, 

tué  à  Surice 2i5 

12t.     Rosalie  Gobron,  épouse  Jules  Bastin,  fusillée  à  Romedenne,  avec  son 

mari  et  son  enfant  de  t5  mois 2i5 

122.  Marie-Louise  Penasse,  fusillée  à  Romedenne,  avec  son  père,  sa  mère, 

son  frère  et  ses  sœurs 21 5 

123.  Bertha  Penasse,  fusillée  à  Romedenne,  avec  son   père,  sa  mère,  son 

frère  et  ses  sœurs 21 5 

124.  Joseph  Libert,  de  Maurenne,  tué  à  Surice 2i5 

125.  Joseph  Burniaux,  tué  en  vue  de  Surice,  avec  Rosalie  Piérard  2i5 

126.  Jeanne  Penasse,  seule  survivante  de  la  famille 2.1 5 

127.  Léon  Penasse,   fusillé  à  Romedenne,  avec  son  père,  sa  mère  et  ses 

sœurs 215 

128.  Rosalie  Piérard,  de  Surice,  tuée  avec  Joseph  Burniaux 2i5 

129.  François  Guislain,  de  Surice,  tué  près  de  Soulme 215 

i3o.     Carte  de  la  région  étudiée  dans  la  Ve  partie  (tome  VI) 235 


FIN  DU  SIXIEME  VOLUME 


Bruxelles 
Imprimerie  Veuve  Monnom 

Société  anonyme 

32,  rue  de  l'Industrie 
1923 


IîiNERAiRES  : 


Xï  Corps 

La  Garde  ,  +  +. .».  + 

23ï  DiVISiON  Je  Réserve, 

24?DÏV,j.r&. 
JŒi  Corps, 
ZEj  Corps, 


»  Jlocroy 

Fig.    i3o.  —  Carte  de  la  région  étudiée  dans  la  cinquième  partie   :   rEntre-Sambre-et'-Meuse. 


La  Bi.blÀo£k&qu2. 
Université  d'Ottawa 
Echéance 


Tho,  LlbKaxy 
University  of  Ottawa 
Date  Due 


a39003     0018820 7 ^b 


D  5    4    1 


D625  1919  V5 


DOCUMENTS    POUR    SERVIR