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"b
L'INVASION ALLEMANDE
DANS LES PROVINCES
DE NAMUR ET DE LUXEMBOURG
Il a été tiré de cet ouvrage z5 exemplaires de luxe,
portant la signature des auteurs.
Ces exemplaires sont numérotés de 1 à XXV
et sont hors commerce.
Tous droits de reproduction et de traduction réservés
pour tous pays.
Copyright by G. Van Oesl et C'e. 1Ç23.
DOCUMENTS POUR SERVIR A L'HISTOIRE
DE
L'INVASION
ALLEMANDE
DANS LES PROVINCES
DE NAMUR ET DE LUXEMBOURG
PUBLIÉS PAR
le Chanoine Jean SCHMITZ et Dom Norbert NIEUWLAND
SECRÉTAIRE DE l'ÉVÊCHÉ DE NAMUR DE l'ABBAYE DE MAREDSOUS
C1JSQV1ÈME PARTIE
(TOME VI)
L'ENTRE^SAMBRE^ET^MEUSE
BRUXELLES & PARIS
LIBRAIRIE NATIONALE D'ART ET D'HISTOIRE
G. VAN OEST & Cie, ÉDITEURS
1923
Ooiversitas
BIBLIOTHECA
Oîtaviens'x*.
5M|
L'ENTRE-SAMBRE-ET-MEUSE
AVANT-PROPOS
Nous étudierons dans ce volume la conduite des armées allemandes
et les souffrances qu'elles ont fait endurer à la population civile dans la
partie de la province de Namur comprise entre la Meuse et la Sambre, à
l'exception de la région située au nord de la route de Rouillon à Fraire,
région qui a déjà été traitée soit dans le tome II, en ce qui concerne le
IIe secteur (sud-ouest) de la position fortifiée de Namur, soit dans le
tome III, où ont été longuement décrits les combats engagés pour la
conquête de la Sambre.
Nous prenons en ce moment les armées belligérantes à l'issue des
combats de Namur, de la Sambre et de la Meuse, et nous les suivons dans
leur course rapide et mouvementée à travers les cantons de Walcourt, de
Florennes, de Philippeville et de Couvin. (Voir la carte finale, fig. i3o).
Ainsi circonscrite pour l'espace, la cinquième partie de notre travail
se limite pour le temps aux journées du 24 et du 25 août 1914; elle est
l'émouvante histoire de la retraite des armées alliées et de la tumultueuse
avance de la IIe et de la IIIe armées allemandes (1 . Après avoir atteint le
(1) A consulter : Fernand Engerand, Le Secret de la frontière, Charleroi, ch. IV : Le Dénouement,
p. 507 et ss., Paris, Bossard. — Id- La Bataille de la frontière, Briey. Paris, Bossard. — Général Lanrezac, Le
Plan de campagne français, Paris, Payot. — Jules Isaac, Le Témoignage du général Lanrezac sur le rôle de la
5e armée. Paris, Chéron, 1922. — Hanotaux, Histoire illustrée de la guerre de 19/4. Paris, Gounoulhiou- —
Hanotaux, l'Enigme de Charleroi, Paris, l'Edition française illustrée. — Général Palat, III, Bataille des Ardennes
et de la Sambre- Paris, Chapelot. — La Grande guerre écrite et illustrée par les écrivains combattants, Paris,
Guillet, 1922, t. I, pp. 70 et ss. — Colonel Grouard, La Conduite de la guerre jusqu'à la bataille de la Marne.
Paris, Chapelot. — Génétal Douchy, Le Grand Etal^Major allemand avant et pendant la guerre mondiale.
Paris, Payot. — Général Mangin, Comment finit la guerre- Paris, Pion- — Lieutenant-colonel Poudret,
A propos de la 1 bataille de la Marne, dans "Revue militaire suisse, LXIVe année, p. 441. — La Campagne de
l'armée belge, 1914 à janvier 1916. Paris, Bloud et Gay. — Chot, La "Furie allemande dans l'Enlre~Sambre~
premier objectif qu'ils poursuivaient — la prise de Namur et la maîtrise
des passages de la Sambre et de la Meuse — , les chefs de ces deux
armées rêvent de capturer, en ces deux journées, les troupes belges et
françaises qui ont dû se résoudre à la retraite ; et lorsque l'ennemi cons-
tate qu'elles se dérobent à son étreinte, il en éprouve une colère, un
dépit qui se traduisent aussitôt en d'innombrables et inutiles excès.
Marquons avant tout le point initial de ces tragiques incidents.
Le 23 août au soir, le général Lanrezac reçoit, à son quartier général de
Chimay, la nouvelle de l'échec de la IVe armée française au nord de la
Semois, à droite de la Meuse ; il apprend aussi la chute de plusieurs
forts de Namur ainsi que la retraite des troupes belges, enfin l'arrêt et le
repli probable de l'armée anglaise. Envisageant alors l'épuisement de sa
propre armée et son encerclement au nord et à l'est, il prend une réso-
lution héroïque qui surprit ses vaillantes troupes et dont on lui tint
longtemps rigueur, mais qui, de l'avis de maints critiques militaires
autorisés, bouleversa te plan ennemi et sauva la France. Plutôt que de
s'exposer à un véritable « Sedan », il ordonne la retraite générale : « La
Ve armée en marche avant le jour le 24 août se repliera sur la ligne
générale Givet-Philippeville-Beaumont-Maubeuge (1). »
Au moment où se déclancha ce recul inattendu, l'État-Major allemand
se crut victorieux, mais Lanrezac savait qu'il n'était pas battu. Tenir
obstinément, dans les conditions les plus défavorables, eût été la défaite
certaine (2). En se dérobant à temps, la Ve armée, sur laquelle reposait
la redoutable mission de défendre la trouée de l'Oise et de barrer la route
de Paris, sortait sans trop de dommages d'une situation critique. Il n'y
eut ni rupture de front, ni encerclement, ni tournement, ni destruction.
Bien qu'elle se déroulât à travers une région difficile, n'offrant qu'un
nombre insuffisant de chemins menant vers le sud, la retraite s'effectua
sans déroute, ni panique. Les soldats ne quittèrent pas le champ de
et-Meuse. Charleroi, Hallet, 1919. — Malburny, La Vague allemande sur le pays de Charleroi. Charleroi,
Hallet, 1919. — Gustave Somville, Dinant. Paris, Perrin. — von Bulow, Mein Bericht zur Marne Scblacbt,
Berlin, August Scherl, et traduction Jacques Netter. Paris, Payot, 1921. — von Hausen, Erinnerungen an den
Marnefeldzug, 1914, Leipzig, Koehler 1920, et traduction avec préface du Général Mangin, Paris, Payot, 1922.
— Baumgartbn--Crusius, Die Marnescblacbt, 1914, Leipzig, Max Lippold, 1919. — Die Schlachlen und Gefecbte
des Groszen Krieges. Berlin, Sack, p. 14-16- — Stegemann, Geschicble des Krieges, I. p. 139 et ss. Berlin,
Deutsche Verlags-Anstalt, 1917. — Tony Kellen, Belgien. Hermann Montanus, Berlin, 1915, p. 22.
(i) Sur l'heure exacte à laquelle furent donnés les ordres de retraite par le général Lanrezac et par le
maréchal French, cf. Jules !saac, o. c. pp. 84 à 88.
(2) « Aujourd'hui que les faits sont mieux connus, écrit Isaac en juillet 1922, il paraît hors de doute que
Lanrezac, en décidant de battre en retraite, a déjoué le plan ennemi, sauvé la Ve armée d'un désastre plus que
certain, sauvegardé l'avenir et rendu possible le redressement sur la Marne » o. c. pp. 91 et 92.
bataille à la débandade, à cause de l'horreur du combat; ce n'est ni la
crainte d'y laisser leur vie, ni la faiblesse devant l'ennemi qui les pous-
sèrent à délaisser la lutte; ils se soumirent à regret et par discipline à la
volonté du commandement (i).
Il y a plus : dans tout le cours de cette retraite, que dictaient maintes
fâcheuses circonstances, la Ve armée garda sa liberté d'allures. Chaque
fois qu'il en fut besoin, par suite de retard ou d'encombrement, on réglait
l'avance de l'adversaire. A Stave, à Chaumont, à Hemptinne, à Walcourt,
à Surice, à Agimont, à Matagne, à Fagnolles, à Mariembourg, des
arrière-gardes attendirent l'ennemi, et le continrent jusqu'à l'instant précis
où son avance cessait d'être un danger.
L'historien devra le proclamer : ce fut une retraite délibérée, calme,
glorieuse (2).
Signalons, dès ce moment, la seule chose que le soldat français
trouva douloureuse. Il ne l'ignorait pas : chaque fois qu'il tirait sur
l'ennemi, il exposait les civils à de cruelles représailles; il mettait en
péril les vies et les biens. Sa légitime résistance était, à chaque pas,
l'occasion d'incendies et de massacres. C'est en pleurant qu'il s'éloigna
souvent du combat, pour se soustraire à cette cruelle responsabilité, ou
qu'il céda parfois aux instances des habitants, qui le suppliaient de s'abs-
tenir de toute résistance, afin d'éviter de nouvelles ruines.
D'autre part, les civils furent inconsciemment pour l'armée en retraite
un grand obstacle. « Sur tous les derrières de l'armée, écrit le général
Lanresac (3), on a le spectacle affreux des populations belges du Bori-
nage qui fuient devant l'invasion allemande ; des milliers d'hommes,
de femmes et d'enfants, emmenant avec eux des véhicules de toute
sorte, de la brouette à l'immense fourragère attelée à quatre bœufs,
couvrent les routes, barrant la circulation à tous les défilés. »
Comment se comporta l'armée allemande, le tableau ci-dessous le
dira, et sa concision est éloquente (4).
(1) Lanrezac, o. c. p. 199; Hanotaux, Histoire illustrée delà guerre de 1914, VIII, p. 79 et l'Enigme
de Cbarleroi, p- 79; Engerand, o. c. pp. 538 à 647.
(i) Jules Isaac relève, de plus, que la retraite a été poursuivie sans accident grave sur un parcours
de a5o kilomètres (o. c, p. ui).
(3) Le plan de campagne français, o. c, p. 177. On lira une autre et émouvante description de la retraite
dans Eue Bahier. Vne ambulance pendant la guerre, Copenhague 1915, p- 7, cité par Hanotaux, VI, p. 18.
(4) En résumé, le Xe corps a détruit totalement 5 villages, incendié partiellement 6 villages, versé le
sang des civils dans 9 villages; la Garde a détruit totalement 1 village, incendié partiellement 7 villages,
versé le sang des civils dans 5 villages ; le XIIe corps de réserve a détruit totalement 5 villages, incendié
8
Maisons
Sur le parcours du Xe corps : vînmes incendiées
Hanzinne i 5o
Hanzinelle — 83
Thy-le-Baudhuin 2
Morialmé — 6
Somzée. , 5 3z
Laneffe — 20
Chastrès 2 —
Fraire 2 2
Yves-Gomesée — i3
Thy-le-Château 2 —
Walcourt 1 i5
Fontenelle 1 —
Daussois — zy
Silenrieux — 3t
Sur le parcours du corps de la Garde :
Lesves 4 14
Furnaux — 1
Stave , 2 74
Biesmerée — t
Florennes 2 4
Saint-Aubin 1 —
Jamagne 1 —
Villers-deux-Eglises — 2
Bioul 1 —
Ermeton-sur-Biert 3 86
Sur le parcours de la 23e division de réserve,
XIIe corps de réserve :
Anhée 1 6
Haut-le-Wastia ' 3 2
Warnant — 3
Annevoie — 1
Rivière — 1
Sosoye 4 5
Philippeville 1 2
Neuville 3 ï6
Mariembourg 4 95
Frasnes , 12 145
partiellement 9 villages, versé le sang des civils dans 14 villages; le XTle corps a détruit totalement 3 villages,
incendié partiellement 8 villages, versé le sang des civils dans 12 villages: le XIXe corps a détruit totalement
3 villages, incendié partiellement z villages, versé le sang des civils dans 6 villages.
9
v- . Maisons
Sur le parcours de la 24e division de réserve, incendiées
XIIe corps de réserve :
Gerin 2 2
Anthée 9 7a
Maurenne — 46
Agimont — 1
Soulme 6 —
Vodelée — 3
Doische ' —
Sur le parcours du XIIe corps :
Sommière
Weillen
Morville
Flavion
Rosée
Omezée
Franchimont
Villers-le~Gambon
Merlemont
Villers-en-Fagne
Dourbes
Nismes
Petigny
Couvin
Le Bruly
Petite-Chapelle
Sur le parcours de XIXe corps :
Onhaye 4 114
Surice 5j i3o
Lotenne — 2
Romedenne it 119
Romerée 2 12
Treignes 1 —
Oignies * 1 1
Voilà le désastre qu'a réalisé en deux jours l'armée allemande
victorieuse.
Ce bilan est particulièrement émouvant si l'on considère que, à
l'arrivée de l'ennemi, le pays était désert. Nous avons pris soin de noter,
village par village, au cours du travail, le nombre des personnes qui y
étaient demeurées. Aussi a-t-il fallu aux auteurs du Livre Blanc un
1
1
7
1
2
42
4
3
t5
l
4
52
4
t
5
2
5l
3
58
8
3
4
t4
5
8
2
\o
5
4
10
extraordinaire cynisme pour parler de francs-tireurs (i) ; il ne restait dans
tout l'Entre-Sambre-et-Meuse qu'un nombre insignifiant d'habitants (2) !
Quand le lecteur apprendra comment furent traités les quelques civils
courageux qui étaient demeurés à Surice, à Romedenne, à Franchimont et
à Frasnes, il se demandera avec effroi ce qui serait advenu si les Français
n'avaient partout conseillé aux habitants de fuir devant un si cruel ennemi.
Les vieillards eux-mêmes, les sourds-muets et les simples d'esprit ne
trouvèrent pas pitié devant ces sauvages. (Voir Qnhaye, Laneffe, Fraire,
Doische, Hansinne, Thy-le-Baudhuin, etc.)
Des soldats belges et français faits prisonniers sont tués sans pitié, à
l'instar des civils, à Anhée, à Falaën, à Bioul, à Ermeton-sur-Biert, à
Neuville, à Frasnes.
A Romedenne, un pauvre blessé français est achevé de deux coups
de fusil.
Ces méfaits, accomplis sous l'œil des généraux et des chefs d'armée,
que nous voyons s'avancer partout en tête de leurs troupes (3), ont
été consignés par beaucoup de soldats allemands dans leurs carnets de
campagne. Nous avons relevé un nombre considérable de ces citations,
dont il sera fait mention aux localités correspondantes. Bornons-nous,
dans cette introduction, à en donner quelques unes.
Le baron von Hodenberg, du 100e grenadiers, XIIe corps, note ses
impressions à Rethel, quelques jours après son passage dans la province.
Il écrit : « La discipline va baissant de plus en plus. Eau-de-vie, vin et
pillage sont à l'ordre du jour. La faute en est à l'infanterie. Ce sont les
(1) Le Livre Blanc est, cette (ois, plutôt discret. Du Xe corps, il publie trois lignes sur Laneffe et Somzée
(annexe 34, p. 5o), et deux courts rapports sur Silenrieux (annexes 39 et 40, p. 55); enfin les annexes 43, 44,
45 et 46 (pp. 57 à 60) tentent de justifier le meurtre du vénérable curé d'Acoz. La 32e division (XIIe corps) a
donné un court rapport sur Anlhée et "Rosée (annexes 38, p. 54), et sur Couvin (annexe 42, p. 56). C'est tout
pour la région étudiée dans ce volume.
(2) C'est l'une des raisons pour lesquelles l'histoire de cette région a été particulièrement difficile à
reconstituer. Les rares témoins des agissements des troupes allemandes se tenaient terrés dans des cachettes.
Lorsqu'on put les consulter, ils déclaraient généralement n'avoir rien vu. Quant à l'ennemi, il n'avait fait que
passer, en une course échevelée, sans laisser d'autres traces que des cadavres sans sépulture, des pans de murs
calcinés, des maisons souillées et saccagées.
(3; On retrouve dès le 24 et 25 août les États-Majors à Anthée, à Gérin, à Rosée, à Merlemont, etc.
Dans son rapport adressé à la commission d'enquête en :oio, le parquet de Dinant « signale la présence, dans
ces journées tragiques, de nombreuses autorités supérieures, qui ont assisté impassibles à ces scènes, si elles
ne les ont pas organisées. Le général von Hausen lui-même, avec l'état-major de la IIIe armée, est à Taviet
le 23, à Gérin le 24, à Merlemont le 25 (fig. 58), d'où il contemple à ses pieds les nombreux incendies
allumés dans toute la région par les troupes sous ses ordres, sans s'en préoccuper autrement que pour les
expliquer par le sempiternel prétexte : on a tiré ! "
1 1
troupes des trains de combat qui se comportent le plus mal » (i). Nos
lecteurs ne penseront pas différemment.
Le sous-officier de réserve Friedrich Bùrger, de la 3e batterie du
4748e régiment d'artillerie de campagne, 23e division, écrit dans une lettre
à ses parents, abandonnée par lui, le 25 août, à Romedenne :
« Les habitants tirent sur nous : voilà pourquoi nous incendions les villages.
Dans la seule nuit d'hier, z3 août, nous avons mis le feu à trois localités : quel
spectacle !... Toute l'organisation est merveilleuse. Des avions, des ballons captifs,
des zeppelins et un nombre incalculable d'autos passent et portent la mort. Tout
est en feu, tout est pillé et massacré. C'est la guerre, Messieurs, c'est la guerre ! »
Les soldats prenaient parfois la peine de motiver et de justifier,
séance tenante, les navrantes dévastations auxquel ils se livraient. « Votre
Roi n'avait qu'à nous laisser passer », déclarent les incendiaires d'Yves-
Gomezée. Le capitaine von Heinelling, de la 83e brigade, XIe corps,
consigne sur un billet de réquisition le texte suivant : « Stave vient d'être
incendié parce que les soldats français ont tiré de ce village. » A Ermeton-
sur-Biert, un officier dit au docteur belge Helsmoortel : « Tout village où
l'on s'est battu doit être incendié. » « S'il y a un seul Français dans votre
village, vous serez tous fusillés sans pitié », déclare un officier à
M. Laloux, fermier à Surice. « Si un coup de feu est tiré pendant la nuit,
même par des soldats français, dit un Hauptmann à Oignies, vous serez
fusillés ! » Il résulte clairement de ces déclarations que, à l'origine,
il n'était pas toujours question de francs-tireurs : c'est le besoin tardif
de se justifier qui a fait naître la légende.
La division de la cinquième partie sera la suivante :
Chap. I : Sur le front de la Sambre ;
Chap. II : La retraite de Bioul ;
Chap. III : Sur le front de la Meuse-
Partant de 1 ouest, à la limite du Hainaut, nous avancerons pas à
pas jusqu'à la Meuse, dont nous remonterons le cours jusqu'à Givet,
prenant chaque division allemande au moment où elle met le pied dans
la région et l'accompagnant jusqu'à la limite de la province.
(1) Cette page est reproduite dans tes Violations des lois de la guerre par l'Allemagne, Paris, Berger-
Levrault, I, p. 101.
CHAPITRE I
SUR LE FRONT DE LA SAMBRE
Ainsi que nous l'avons longuement exposé dans la seconde partie,
c'est le 21 août que la IIe armée allemande (général von Bùlow) (t) et
la Ve armée française (général Lanresac) (2) en vinrent aux prises sur la
Sambre.
La veille au soir, le commandement supérieur français avait donné
comme directive à la Ve armée « de prendre l'offensive au nord de la
Sambre, sa gauche passant par Charleroi ».
Le général Lanrezac décida néanmoins de ne prendre l'offensive
que le 23 août, jour où l'armée anglaise, qui s'avançait à gauche, serait
à hauteur; en attendant, on se bornerait à empêcher l'ennemi de
déboucher au sud de la Sambre, et « il était même interdit d'aller dans
les fonds de Sambre autrement que par des détachements chargés
d'empêcher les éclaireurs ennemis dépasser » (voir t. III, p. 10).
(1) La IIe armée comprenait, du moins à partir du i5 août, date à laquelle le IXe corps passa à la Ie armée,
trois corps actifs : la Garde, le VIIe et le Xe corps, et les trois corps de réserve correspondants.
Le 8 août, ces trois corps actifs avaient respectivement atteint Hamoir, Fraipont, Esneux, et les corps de
réserve Basse-Bodeux, Eupen, La Reid où ils stationnaient en attendant la chute des forts de Liège. La ligne
qui les séparait de la IIIe armée était Malempré-Tohogne-Havelange, ces localités appartenant à la IIIe armée.
L'avance fut ordonnée le 14 août : la 9e division de cavalerie passa la Meuse à midi près de Hermalle, sur
un pont qu'y avait jeté le Xe corps, et gagna Waremme, Puis les troupes d'infanterie s'ébranlèrent. Le 18 août,
le VIIe corps, le Xe corps de réserve et le Xe corps atteignirent Ophey, Wansin, Branchon. Le corps de la
Garde s'échelonnait sur la route Huy, Huccorgne, Ville.-en,-Hesbaye, Moxhe, Ambresin, Wasseiges-
Le 19, la IIe armée fut portée en avant; le Xe corps de réserve jusque Sart-Risbart, le X6 corps actif
jusque Perwez, la Garde jusqu'à Méhaigne-
Le 21 août, les têtes du VIIe corps de réserve atteignirent Nivelles, celles du Xe corps de réserve Frasnes~
lez-Gosselies, celles du Xe corps, Pont-de-Loup et Tamines, celles de la Garde, Auvelais et Jemeppe-
(2) La composition détaillée de la Ve armée française a été donnée tome III, pp. 9 et io-
14
Le combat des z\, zz eî zZ août sur le front du 10e corps français
a été raconté dans la IIIe partie (p. 41 et ss.), mais nous devons revenir,
au cours de ce chapitre, sur les événements militaires qui se sont passés
sur le front du 3e corps.
Ces trois journées constituent en réalité un combat unique :
commencé le 21 sur le front Namur-Roselies, poursuivi le zz sur le
front Namur-Charleroi et, le 23, sur le front Hastière-Thuin, il se
termina le 23 au soir par l'ordre de retraite du général Lanrezac (i)-
Quant aux engagements partiels du 24 août, auxquels est principalement
consacrée la Ve partie de notre ouvrage, ils ne sont que des combats
d'arrière-garde-
Si l'on admire sans réserve la vaillance dont firent preuve les
Français sur la Sambre, il convient d'ajouter que leur courage fut aussi
téméraire qu'héroïque. Les 21 et 22 août, ils se lancèrent à l'attaque, sans
égard aux instructions du général Lanrezac (2), et ils subirent de lourdes
pertes en se heurtant à un ennemi prudent, qui s'était mis partout sur la
défensive et n'allait de l'avant que lorsqu'il voyait son adversaire battu
ou épuisé.
C'est le Xe corps et le corps de la Garde qui, entre Charleroi et
Namur, ont attaqué la Ve armée française. La division logique de ce
chapitre est donc la suivante :
1. — L'avance du Xe corps.
2. — L'avance du corps de la Garde.
I. — 'L'avance du Xe corps.
La région étudiée ici est la partie nord-ouest de la province de
Namur, circonscrite par la ligne Hanzinne-Tarcienne-Berzée-Clermont-
Castillon-Silenrieux-Cerfontaine. (Voir fig. t3o.)
C'est au nord de cette région, sur des localités appartenant à la
province de Hainaut, que s'est déroulé partiellement le combat de la
Sambre (3). Consacrer de longues pages à ce combat serait sortir du
(1) Il conviend.-ait plutôt de l'appeler Combat de Sambre~cl--Meuse- Quant à l'appellation « bataille de
Charleroi» qui a prévalu dès le début dans la littérature française, elle est impropre. V- Hanotaux, Histoire
illustrée de la guerre- o c- IV, p- 114-
(2) cf- Isaac, o-c- pp- 14 et 70 à 73.
(3) A consulter : Engerand, o- c p 507 et 523; Lanrezac, o. c; Hanotaux, Histoire illustrée de la
guerre de J914, V, p- 282, VI, p- 3o ; La grande guerre écrite et illustrée, o. c. (raconte longuement les opéra-
tions de la 5e division, au 22 août); Cornilieau, La ruée sur Paris, Paris, Tallandier, p. 3t.
15
cadre de notre travail ; aussi nous bornerons-nous à consigner ici
quelques données sommaires d'ordre militaire, indispensables à l'intel-
ligence des rapports n° 507 à 529, relatifs aux villages de la province
de Namur.
Au soir du 20 août, le 3e corps français tenait Gerpinnes-
Tarcienne-Nalinnes, prolongé à l'est par le 10e corps qui occupait
Fosses-Vitrival-Le Roux.
Nous renvoyons le lecteur au tome III, p. i3 et ss., pour les
événements du 21 août au 10e corps : l'ennemi s'y empare des ponts
d'Auvelais et de Tamines. Face au 3e corps qui nous intéresse ici,
le Xe corps allemand s'empare de Roselies et d'Aiseau. Sur tout
le cours de la Sambre, von Bùlow transporte ses troupes au sud de
la rivière.
Le 22, au point du jour, le 3e corps est déployé sur la ligne
Gerpinnes-Tarcienne-Nalinnes. La 5e division (général Verrier), placée
à l'aile droite, qui s'est usée à reprendre Roselies par une pénible attaque
de nuit, s'est laborieusement reformée après le désordre dans lequel
cette opération l'a jetée. Alors qu'une prudence pareille à celle de l'adver-
saire eût été de circonstance, la 5e division bondit à l'attaque, elle tente
de reprendre Roselies, mais est rejetée, à 9 heures, sur la ligne Presles-
Bouffioulx. A 10 heures, l'ennemi sortant de Châtelet, s'empare de
Bouffioulx, d'où la division cherche vainement, en un rude assaut, à le
rejeter.
En fin de journée, le 3e corps se reforme sur la ligne Gerpinnes-
Tarcienne-Nalinnes, à la gauche du 10e corps, dont les deux divisions
se sont épuisées, elles aussi, à se ruer, la 20e à Tamines, la 19e à
Aisemont, sur un adversaire bien retranché, et s'arrêtent, à 19 heures,
au sud de Fosses-Vitrival-Scry et Biesme.
Nous sommes au 23 août et le combat, qui se déplace d'heure en
heure vers le sud, s'est maintenant étendu au territoire de la province
de Namur. Pour cette journée, von Bûlow a prescrit de continuer
l'attaque comme suit : la Garde à l'aile gauche, jusqu'à la ligne Tamines-
Mottet-Rosée ; à sa droite le Xe corps, jusqu'à la ligne Charleroi-
Philippeville, puis le Xe corps de réserve jusqu'à la ligne Thuin-
Boussu lez Walcourt-Cerfontaine ; à l'extrême droite le VIIe corps.
A 8 heures, la ligne Fontaine- Valmont-Mettet doit être dépassée par
les troupes d'attaque.
En réalité, l'avance allemande du 23 août fut, comme nous allons
le voir, très insignifiante. « La IIe armée, dit von Bùlow, au prix de
i6
combats sévères (t), atteignit seulement la ligne Merbes le Château-
Thuin-Saint Gérard ». C'est que les trois corps français ont reçu, la
veille au soir, l'ordre de « tenir ferme sur leurs positions ». Ils tiennent,
en effet, pendant toute la journée, malgré l'action intense de l'artillerie
allemande.
Dans la nuit même du 23 au 24, les troupes françaises qui, malgré
l'échec de la veille, avaient magnifiquement contenu l'ennemi sur tout le
front pendant la journée du 23 août, se retirèrent à marches forcées,
mettant entre l'ennemi et elles un espace considérable.
Cette retraite s'accomplit souvent au sein des ténèbres et dans un
grand silence ; les ordres eux-mêmes étaient donnés à voix basse. Ceux
qui en furent les témoins (voir rapport n° 5 11) assurent qu'elle était
impressionnante.
Le 24 août, l'ennemi fit un bond en avant considérable. Nous verrons
les éclaireurs du Xe corps passer près de Thy-le-Baudhuin à 8 heures,
à Thy-le-Château à 10 heures, à Gourdinne à 10 h. 3o. Les villages de
Tarcienne, Hanzinne, Hanzinelle, Berzée, Somzée, Laneffe, Fraire,
Morialmé, Chastrès et la ville de Walcourt furent occupés la plupart
dans l'avant-midi, quelques-uns à la soirée. On ne signale de résistance
qu'à Walcourt.
Un bon nombre de ces localités se trouvaient dans le champ de
bataille du 23 août : des soldats des deux armées sont tombés à
Tarcienne, à Hanzinne, à Hanzinelle, à Somzée, à Gourdinne, à
Chastrès, à Walcourt. Le combat n'avait pourtant guère endommagé ces
villages et, s'ils sont maintenant incendiés, il faut en demander compte
non pas aux nécessités du combat, mais à la sauvagerie allemande.
On jugera aussi sévèrement la témérité avec laquelle l'ennemi a parlé
de francs-tireurs à Somzée (2), à Laneffe (3), à Silenrieux (4), car ces
villages, ainsi que tous les autres, étaient pour ainsi dire déserts. Pour
épargner aux civils les angoisses et les souffrances que leur faisait
endurer un ennemi sans scrupule, les Français avaient partout donné
le mot d'ordre de fuir : on le suivit, et quand les Allemands vinrent,
(1) Von BjIow dit avoir perdu en deux jours 11000 tués et blessés, dont beaucoup d'officiers. Mon
"Rapport sur la Bataille de la Marne, o- <-• p- 57. Von Hausen signale de son côté la désagréable situation
causée à l'armée de von Bulow par les succès que les Français remportèrent sur le Xe corps de réserve,
et affirme que les combats du li août ne répondirent pas à l'attente du chef de la IIe armée- Von Hausen,
Erinnerungen, o- c- p. i3i- Voir aussi Isaac, o. c- p. 83 (note).
(2) Livre Blanc, Anlage 34, p. 5o.
(3) U.
(4) Anlage 39 et 40, p. 55.
«7
ils n'en crièrent pas moins qu' « on avait tiré sur eux » (i) ! On verra
comment furent massacrés ou brutalisés les rares vieillards qui n'avaient
pu fuir. Preuve nouvelle que le feu et le sang étaient admis, au même titre
que le fusil et le canon, parmi les moyens de faire fléchir l'adversaire (2).
Au soir du 24 août, le Xe corps allemand avait presque entièrement
dépassé les limites de la province deNamur et atteint la ligne Barbançon-
Boussu lez Walcourt-Yves Gomezée, ayant à sa gauche la Garde sur la
ligne Boussu-Jamagne.
Le 25 août, le Xe corps gagne Daussois et Silenrieux, obliquant
nettement vers le sud-ouest, dans la direction d'Erpion-Vergnies et
Eppe-Sauvage. (Voir fig. i3o.)
Abordant maintenant plus en détail l'histoire des journées du 23 et
du 24 août sur le front du 3e corps, nous diviserons la région attaquée
par le Xe corps allemand en trois sections :
t . Hanzinne-Tarcienne ;
2. Tarcienne-Gourdinne ;
3. Gourdinne-Berzée.
;. — Les combats sur le front de la 5e division fran-
çaise (3e corps), de Hanzinne à Tarcienne.
Pour la pleine intelligence des rapports relatifs aux diverses localités
situées dans ce secteur, il est indispensable que le lecteur s'instruise
d'abord des opérations militaires qui s'y sont déroulées le 23 elle 24 août,
ainsi que de la part qu'y prirent les régiments français qui composent la
5e division (3).
(1) En une lettre du 25 août retrouvée à Walcourt chez M. Cambier, oit était installée la Kommandantur,
le soldat Fritz Dorrig, de Crefeld, écrit : « Les habitants d'ici prennent partiellement part aux combats et
perdent pour cela leurs biens et leur vie; car à de tels hommes on (ait un court procès. Un village entier est
souvent mis en (eu. " Ce document et trois autres lettres de la même provenance s'expriment sur le même
combat en une phrase stéréotypée, qui paraît dictée par les officiers : (l Nous avons eu les 22, 23 et 24 août
des journées pénibles, mais nous les avons quand même surmontées- » Le soldat Kahle, de Krainhagen
(ObernKirchen) ajoute : « Je ne peux pas vous écrire tout comme je le voudrais, parce que c'est défendu. »
(2) A consulter aussi : Chot, La Furie allemande dans l'EnlrefSambre-~etr*MeiLse, o. c. ; ^Valburny,
La Vague allemande sur le pays de Cbarleroi, o. c.
(3) Ces données ont été puisies à la Section historique de VEtatr-Major général de l'armée française,
à Paris, à laquelle nous exprimons notre vive gratitude- Cf aussi Lanrezac, o. c-, pp- 172 à 179; Hanotaux,
Histoire illustrée de la guerre de 1914, V, p- 282 et ss.; id. VEnigms de Cbarleroi, p- 71 ; Palat, III, p- 3t3;
La grande guerre écrite et illustrée, o. c, p. 80 et 81.
i8
La 5e division française (i) tient, dans le combat de la Sambre, la droite du
3e corps. Très éprouvée le 22 août, ainsi que nous l'avons vu, à Roselies et Châtelet,
elle se reconstitue, au matin du 23, sur le front Hanzinne-Tarcienne, où elle fera
face à la 38e brigade allemande (2).
La 10e brigade, qui s'est retirée dans la nuit jusqu'à Florennes, est revenue à
Hanzinelle à 4 heures et ses deux régiments (le 36e et le 129e) s'emploient à organiser
solidement le village.
A leur droite sont détachés depuis la veille au soir deux bataillons du
4e tirailleurs (38e division) (3) : le ier bataillon entre Hanzinne et Hanzinelle, le
6e bataillon à la côte 271, chargé d'opérer la liaison avec le toe corps. Cette
liaison est aussi assurée par la brigade de cavalerie du 3e corps, qui se poste entre
Hanzinelle et la station d'Oret, et se retire le soir sur Jamagne.
A la gauche de la 10e brigade, prend place l'un des régiments de la 9e brigade,
le 39e; après avoir passé la nuit sans incident à Thy-le-Baudhuin, il avait d'abord
reçu, à 6 heures du matin, la consigne de se replier, mais presque aussitôt arriva
l'ordre de « barrer coûte que coûte la trouée d'Hanzinelle ». A cette fin, le
2e bataillon fut dirigé sur Hanzinelle, le ier bataillon sur la côte 25i et le 3e sur
Thy-le-Baudhuin.
Quant au 2e régiment de la 9e brigade, le 74e, le plus éprouvé des quatre
régiments de la division à Roselies, il est allé se reformer à Silenrieux.
Le 23 de bon matin, toutes les troupes disponibles de la 5e division sont placées
sous les ordres du général Muteau, commandant la 38e division d'Afrique. Il leur
demande, avant tout, d'empêcher que sa droite ne soit débordée. En fait, elles
demeureront en place toute la journée du 23 août, sous un violent bombardement
d'artillerie, empêchant toute avance de l'infanterie allemande. Elles subirent
d'ailleurs des pertes fort légères, car, instruites par l'expérience de deux jours, elles
avaient pris soin de se retrancher.
Dès l'aube du 24 août, l'artillerie allemande prit de nouveau sous son feu les
positions de la 5e division. On pouvait croire que ce fût le prélude d'une grosse
attaque, car déjà l'infanterie ennemie se montrait devant les tranchées du
39e d'infanterie, sur la côte 35t, à l'ouest d'Hanzinelle, et à moins de 200 mètres
des positions du 4e zouaves. Celui-ci eut même de la peine à se dégager et l'artillerie
divisionnaire laissa plusieurs pièces sur le terrain Le 39e reçut l'ordre de rompre
le combat à 6 h. 3o, pour se replier sur Morialmé, où la brigade se reformait. Seul
de cette unité, le ter bataillon ne fut pas touché par le message et continua à tenir
énergiquement, jusqu'à ce qu'il perçut le repli des troupes d'Hanzinelle et de
1 9e brigade
(,)5div. \ gén.TAssiN. : 39e et 74e d'infanterie.
gén- Verrier, f 10" brigade . 36e et .^ d.infanterie.
gén- Léautier.
(2) Cette brigade, comprenant les 72. et 74 de réserve, se rattache à la XIXe div- de rés-, Xe corps de rés.
, s 75e brigade
\Z) 38 division \ : ier zouaves et ier tirailleurs,
gen. Schwarte
d'Afrique
76 brig-ade e .... „ .
gén. Muteau. ' : 4 zouaves, 8P tir. et 4e tir-
gén- Bertin-
'9
Thy-le-Baudhuin. Il se retira alors, mais au prix de pertes élevées, à travers le
vallonnement au sud de la côte 25 1 et, par le bois voisin, gagna la route Donveau-
Fraire, où il rejoignit les fractions de la 20e brigade.
C'est seulement après 10 heures qu'on put former la colonne de division sur
la route de Daussois à Silenrieux.
Au sud-ouest de Silenrieux. la brigade de cavalerie française du 3e corps,
faisant fonction d'arrière-garde, gardait le contact avec la cavalerie allemande ; elle
fut canonnée par une section d'artillerie ennemie mise en batterie au sud du bois
de Fraire; deux hommes furent blessés.
Voyons maintenant, en une série de rapports (n° 507 à 5ti ), les
événements qui marquèrent l'occupation des villages de Tarcienne,
Hanzinne, Hanzinelle, Thy-le-Baudhuin et Morialmé, après la pénible et
difficile retraite des troupes françaises. La plupart de ces données ont été
recueillies au cours d'une enquête faite sur place, du 20 au 22 juin 1915.
§ t . — Tarcienne.
C'est dans ce village qu ont été réunis, en un cimetière collectif, les
soldats des deux armées tombés sur une partie du champ de bataille (1).
Du coté allemand, les victimes appartiennent surtout aux 37e et 38e brigade,
19e division, Xe corps; du côté français, au 3e corps et à l'armée
coloniale, surtout au 4e zouaves (2).
Les faits qui se sont passés à Tarcienne sont consignés dans le
rapport suivant.
N° 507. Le 22. août dans la matinée, les récits des gens affolés venant de Châtelet,
Tamines, Falisolle .et environs semèrent l'épouvante dans le village de Tarcienne.
Les habitants commencèrent à fuir à 14 heures, quand revinrent les troupes françaises
(t) Le cimetière est situé « au Pavé » près de la route de Philippeville, non loin de l'endroit où (ut tué le duc
de Saxe-Meiningen, commandant la 39e brigade de réserve; il contient 79 Allemands et 32 1 Français. Les
Allemands se répartissent ainsi. 37e brigade : 38 soldats du 78e, 7 du 9te ; 38e brigade : 6 soldats du
730 fusiliers, 25 du 74e fusiliers; 39e brigade : 2 soldats du 164e; 1 soldat du 17e hussards. Les Français se
répartissent ainsi : 3e corps ; 12 soldats du 39e, 73 du 5e, 1 du 119e, 21 du 6e, 3 du 239e, 2 du 274e,
1 du 11* d'art., 1 du 32e d'art., 8 du 36e d'art., t du 43e d'art. ; 1e1 corps : t du 8e ; armée coloniale : 23 du
4e tiraill. algériens; 1 du 8e tir. alg. ; 14 du 4e tir. alg. ; 159 du 4e zouaves.
On déplore, une fois de plus, la coupable négligence apportée par les ambulanciers allemands dans
l'identification des victimes de l'armée française. Sur 32 1 cadavres français, i58 n'ont pas été identifiés,
tandis que 7 allemands seulement n'ont pas été identifiés sur 79-
Il y a aussi un petit cimetière militaire à l'entrée de Gerpinnes, en venant de Tarcienne; un autre plus
considérable à Gozée ; un troisième à Nalinnes-Haies. Ce dernier contient des soldats allemands tombés à
Tarcienne.
(2) Ginisty, o, c. a publié pp. 146 et 147 un épisode du combat soutenu par le 4e zouaves à Tarcienne.
V. aussi Hanotaux, Histoire illustrée de la guerre de 1914, V. p. 282; id l'Enigme de Cbarleroi, p. 71
Lanrezac, o. c. pp. 172 à 179; Palat, III p. 3i3.
20
qui avaient combattu à Châtelet et à Presles. A 19 heures, le curé, M. l'abbé Honnay.
restait pour ainsi dire seul. Un capitaine français, à la tête des débris de son régi-
ment, le pressa lui-même de partir : « on se battrait le lendemain, disait-il. dans
l'endroit ». Le curé gagna Chastrès. puis Chimay, où il put grouper les deux tiers
de ses paroissiens et les ramener le 26 août dans leurs maisons intactes, mais pillées.
L'église était dans un état pitoyable ; des excréments souillaient le palier et les
marches de l'autel majeur.
Un combat violent s'est livré dans le village et aux alentours, dans la journée
du 23 et le lendemain matin. L'artillerie allemande était postée derrière les Flâches
(hameau de Gerpinnes) et à Joncret ; l'artillerie française à Somzée. Chastrès, sur
les hauteurs de Laneffe, à la grand'route de Fraire à Rouillon. derrière le bois.
On évalue à deux cents le nombre des obus tombés dans le village, dont plusieurs
autour de l'église, dont toutes les vitres furent brisées. Une maison voisine de
l'église fut démolie, une autre eut le toit défoncé. Au hameau de Limsonry. vers
Nalinnes, deux maisons furent détruites complètement par les obus et d'autres
criblées de balles de mitrailleuses. Beaucoup de bêtes à cornes furent tuées dans
les pâturages.
Des troupes de la 38e brigade allemande (Xe corps) (1) occupèrent le village
le 24 août à 1 1 heures ; le centre était totalement désert ; « au Pavé » à 2 kilomètres
et demi du village, étaient restés Félicien Franquet et son épouse, Joséphine Bolle.
Les victimes du combat furent laissées sans sépulture jusqu'au 27 et au 28 août, date
à laquelle elles furent mises en terre, sur ordre de l'ennemi, par quelques villa-
geois, revenus chez eux. De joo à 800 blessés, d'abord soignés à l'ambulance de
Gerpinnes, furent bientôt transférés à Charleroi.
§2. — Hanzinne.
Hanzinne, sur la grand'route de Châtelet à Florennes, par Gerpinnes,
fut envahi le 24 août au matin par des soldats de la XIXe division, Xe corps
allemand.
Le village fut incendié alors que l'ennemi l'occupait déjà paisiblement
depuis un jour : 5o maisons y furent détruites (voir fig. 17).
Le curé, M. l'abbé Laurent, qui tentait de rentrer dans sa paroisse
le 25 août, échappa comme par miracle à la fureur des soldats qu'il ren-
contra à Morialmé. Voici le récit que nous a dicté cet ecclésiastique
le 2t juin 191 5.
N° 5ù8 L'occupation d'Hanzinne fut précédée d'un combat d'artillerie assez meurtrier,
entre les Allemands qui se trouvaient au nord du village, dans le bois de Fromiée
(Gerpinnes) et les Français, qui tenaient le haut de Thy-le-Baudhuin (2).
(t) On a retrouvé à Tarcienne un havresac du 74e d'infanterie.
(z) Le curé actuel d'Hanzinne, M. Halluent, a assisté à l'exhumation des victimes. En un endroit
reposaient 3o Allemands et un Français, Adalbert Valette. Ce dernier avait pu recevoir avant de mourir
21
Dès le 22 août, le village avait été totalement abandonné par la population. Il
n'y restait que cinq habitants au moment de l'entrée de l'ennemi, le 24 août :
« C'étaient, a déclaré l'un deux, des bêtes furieuses, et je fuirais comme les autres
si la guerre venait à recommencer. 0 Les troupes qui passèrent à Hanzinne, apparu
tenaient au Xe corps ; quelques bons de réquisition accusent notamment la présence
des 78e et 91e d'infanterie (37e brigade) et du 73e régiment de fusiliers (38e brigade).
La destruction du village n'est cependant pas imputable aux troupes de combat qui
l'envahirent et qui, à travers champs, gagnèrent immédiatement Walcourt.
Des habitants virent mettre le feu aux maisons, le mercredi, 26 août, et le
jeudi 27. Ils se rendirent parfaitement compte que les Allemands utilisaient des
pastilles incendiaires de couleur jaunâtre. Quarante maisons, huit granges, la fabrique
Mengeot et la verrerie Manet furent complètement détruites. On ne s'explique guère
qu'une partie du village ait échappé à la sauvagerie de l'ennemi : des tentatives
d'incendie furent constatées dans huit maisons préservées. A l'église même, le curé
découvrit, en rentrant au village, des gerbes de paille brûlées, à côté d'un amon-
cellement de chaises, partiellement atteintes par le feu ; près du foyer avait été
disposée une lampe à pétrole, qui devait provoquer une explosion.
Arsène DARGENT. 55 ans, était parti le 25 août vers 22 heures, à la recherche
du bétail de la ferme de Bevernelle (Hanzinelle) ; une lanterne qu'il portait le
désigna aux soldats, qui tirèrent sur lui : il tomba mort. Ses deux compagnons
furent aussi poursuivis de balles, et l'un d'eux, Arsène Heck, fut blessé au bras.
Un vieillard de 85 ans, Donat Beaurain, repassait à Laneffe, lorsqu'un soldat
tira sur lui presque à bout portant. La balle l'atteignit à la cuisse, mais il guérit.
Le curé de la paroisse, M. Hector Laurent, fut l'un des premiers à tenter le
retour et il faillit payer cher cette imprudence. De Cerfontaine, il regagna Morialmé
le 25 août, avec trois compagnons, croisant des troupes qui paraissaient excitées
au plus haut point et les menaçaient de leurs armes. Arrivé à Morialmé vers midi,
il y fut témoin du pillage des magasins et des maisons.
Arrêté bientôt et conduit au camp, il subit un court interrogatoire, puis un
groupe de soldats le colla au pignon d'une maison voisine et s'apprêta à le fusiller.
Plus de cinq heures durant, il vécut les angoisses et les tortures d'un homme qui,
condamné, va périr de mort violente et se sait innocent. En vain faisait-il appel
à l'humanité de ses gardiens et des officiers, dont un colonel, qui se trouvait
avec eux ; en vain donnait-il tous les renseignements voulus sur son identité et
expliquait-il la raison d'être de sa présence. Apprenant qu'il y avait dans la troupe
un prêtre catholique, il voulut solliciter son appui; les sentinelles s'empressèrent
d'écarter celui qui aurait pu, par confraternité, venir à son secours. « Espion
anglais ! », ne cessait de redire le soldat qui l'avait arrêté. Comme M. l'abbé Laurent
demandait à un officier s'il allait être fusillé, celui-ci lui répondit : « Encore trois
minutes ! Alors le bandeau sur le front et la balle là ! », et il lui posait le doigt sur
la région du cceur. L'abbé s'abandonna alors à l'un de ces efforts suprêmes que l'on
tente pour garder la vie. Se jetant à genoux et secoué jusque dans le fond de son
les secours de la religion et les habitants ont conservé le souvenir de son courage et de ses sentiments
élevés. Une autre tombe, près du cimetière, contenait une dizaine d'Allemands et 6 zouaves.
22
être par l'angoisse, il cria : « Ayez pitié d'un pauvre prêtre! Epargnez-moi, je vous en
supplie ! Si vous me tuez, vous apprendrez que j'étais innocent ! Ayez compassion
de mon vieux père ! Ne faites pas mourir un vieillard aux cheveux blancs ! » En
même temps, il se préparait à la mort, disant à haute voix : « J'offre mon sang pour
ma Patrie et pour la cause de Dieu ! » Pour mettre fin à cette scène qui semblait le
troubler, le colonel lui donna l'ordre de se taire. « Je le veux bien, répondit le
condamné, mais aurai-je la vie sauve ? » Après quelques moments de réflexion, le
colonel ajouta : « Vous partirez quand nous partirons. »
Le danger était passé. M., le curé continua à intéresser à lui cet officier
supérieur, qui parut bientôt pris de pitié : il lui apporta du pain et un peu de vin et
le fit asseoir. A 17 h i5, les troupes s'éloignèrent et M. le curé fut libéré. Il avait
gardé de cette scène atroce un ébranlement de tout l'organisme qu'il ne domina
qu'après plusieurs années.
Rentré dans sa paroisse, il s'occupa des blessés et reçut à cette fin un passeport
d'un lieutenant du 2e régiment des dragons de la Garde (t).
§ 3. — Hanzinelle.
Hanzinelle est situé, comme Hanzinne, sur la grand'route de
Châtelet à Florennes, à 25o mètres d'altitude, près des sources de la
Thyria. qui se jette dans l'Eau d'Heure à Berzée.
Quatre-vingt-trois immeubles, sur deux-cent-quarante-deux, furent
détruits les 24 et 25 août, en l'absence des habitants. Les éléments du
rapport ci-dessous ont été fournis en 1915 par M. le bourgmestre Binard
et par M. Daube, curé de Hanzinelle, et complétés récemment par
M. l'instituteur Yernaux.
N° 509. Des troupes françaises passèrent à Hanzinelle le i5 et le 19 août, se dirigeant
vers Hanzinne et Charleroi.
Le 22 août, la retraite des Français qui refluaient de Chàtelet-Bouffioulx donna
le signal du départ : il resta cinq hommes, seuls témoins de la bataille, et qui furent
entraînés eux-mêmes le 24 août au matin, par l'arrière-garde française.
C'est le 22 août à 21 heures, qu'étaient arrivés à Hanzinelle les Algériens qui
soutinrent le combat. Le village avait été organisé pour la résistance ; des meurtrières
avaient été pratiquées dans les toitures. Des tranchées s'ouvraient depuis le « Trou
du renard » jusque Tarcienne, en passant par le « Petit Fays » , le « Sommet-Cendrie »
et Somzée. L'artillerie s'était d'abord postée « à la petite Sonceau », prairie qui
longe la Thyria et est bordée de bois à l'ouest et au sud-est. Le bois fut criblé
d'obus et presque anéanti. Les canons avaient pu heureusement passer à temps le
ruisseau, par le pont du moulin, et s'établir sur le plateau, à côté du bois « Chenia » ;
mais ils y furent encore repérés par les avions ennemis. On retrouva à cet endroit
(1) Division de cavalerie de la Garde, 3e brigade. Ce document est conservé.
23
un lieutenant décapité, plusieurs artilleurs tués, avec des chevaux. Des canons et
des caissons y furent abandonnés. Un cadavre d'Algérien fut retrouvé assis dans
un trou, près de la tuilerie Hancart, à côté d'un tas de cartouches vides. Un canon
fut aussi retrouvé près du bois du Fays. Quant à l'infanterie, elle s'était postée
surtout le long de la route qui va du « Sommet d'Hanzinelle » à Tarcienne, par le
« Fond des Mais ». Des témoins oculaires affirment que l'artillerie allemande se
trouvait à la ferme de Bertransart (Gerpinne).
A s'en tenir aux chiffres révélés par les tombes, les Français auraient perdu
72 hommes, les Allemands, 2 (t).
Le combat dura du dimanche après-midi au lundi 24 août, vers 7 heures. Le
village et les environs nord et ouest reçurent un nombre considérable de projectiles.
Au village, une cheminée de la tuilerie Emile Compart, l'étable de MmeFélicie Jallay
et le coin de la maison veuve Rose-Denis furent démolis. Dans cette dernière, on
retrouva la jambe d'un soldat français. Les obus n'avaient incendié que l'ancien
calvaire des Pères Jésuites, situé sur la place.
Les troupes allemandes envahirent, le 24 août au matin, le village désert,
car il avait été totalement évacué par les troupes françaises et il n'y eut aucun combat
dans les rues. L'ennemi cependant y mit le feu, sans aucune raison militaire et par
pure rage de destruction. Au cours de cette journée et des deux journées suivantes,
soixante-douze maisons et onze granges furent détruites, tant à Hanzinelle même
qu'au Donveau, territoire de la commune (voir Morialmé) ; la ferme d'Augustin
Rousseaux ne fut incendiée que le mercredi, 26 août. Ce navrant et inutile désastre
était évalué, en 1914. à plus d'un million.
§ 4. — Thy-le-Baudbuin.
Il restait trois vieillards dans ce village quand l'ennemi y parut. L'un
d'eux, Narcisse Degraux, âgé de 84 ans, y fut tué.
Thy-le-Baudhuin, écrit Al. l'abbé Marchant, curé de cette paroisse, est occupé
le i5 août par le 4e régiment de cuirassiers français, du 19 au 21 par les 25e et 47e
d'infanterie. Dès le 21, les gens de la Sambre jettent l'émoi dans le village; le 22
à i5 heures, ce sont des soldats français mis en déroute au combat de Châteleî.
Petit à petit, sur leur conseil, le village se vide, sans qu'aucune considération puisse
retenir les fuyards. Bientôt, au son du canon se joint le crépitement des
mitrailleuses et des coups de fusil.
Le 22 à minuit, il ne reste plus que quelques civils. Les Français occupent
militairement le village et prennent position à 2 heures du matin sur les hauteurs
de Tarcienne, Hanzinne et Hanzinelle, où ils tiendront l'ennemi en respect le
(1) Voici l'emplacement des tombes françaises primitives : t . « à la petite Sonceau », i Algérien;
2. au « Culot d'Hanzinelle », le long de la route de Thy-le-Baudhuin, 7 artilleurs ; 3. « Sur la Cendrie »,
2 grandes tombes d'Algériens ; 4. dans les terres plastiques du « Sommet », quelques fantassins ; 5.
« sur le Fays », 4 ou 5 fantassins. Tous ces corps furent ensuite transférés à Tarcienne.
*4
23 et le 24 août jusqu'à 8 heures. De nombreux obus furent lancés sur le village à
à la fois de Biesme et de Flaches (Gerpinnes) mais aucune maison ne fut atteinte.
Lorsque le 24 août, les Allemands pénétrèrent dans la localité, il y restait trois
civils : un moribond. Félix Dutron, son frère Sylvain qui le veillait, âgé de 66 ans
et Narcisse DEGRAUX (fig. 6), vieillard de 84 ans, dont les facultés mentales
étaient fort affaiblies. Ce dernier fut retrouvé le 26 août au matin assis sur une
pierre derrière son habitation, gémissant et presque exsangue. On ne réussit pas
à savoir ce qui s'était passé. Il semblait avoir reçu un ou deux coups de lance :
l'avant-bras droit était coupé et cassé à deux endroits. Les blessures avaient
reçu un pansement militaire sommaire : un morceau de tablier d'enfant faisait
office de bandage et une traverse de chaise servait à maintenir le bras. Il mourut
le même jour à 22 heures.
Thy-le-Baudhuin compte une seconde victime, Alphonse DELBART, 53 ans.
Frappé de deux atteintes successives au commencement de 1914, il n'avait pas
retrouvé la parole et marchait encore péniblement au moment où la guerre fut
déclarée. Soutenu par sa femme et ses enfants, il parvint à gagner le 23 août, la
ferme de la Botte, entre Fraire et Yves-Gomezée. Arrivés là, les siens durent
l'abandonner et depuis on ne l'a plus revu.
Chacun des jours suivants ramena un certain nombre de villageois dans leur
logis pillé. Quatre-vingts personnes sur quatre cents gagnèrent la France et
soixante-douze ne revinrent qu'à l'armistice.
§ 5. — Morialmé.
Le rapport que nous consacrons à cette localité (1) est dû au curé
de la paroisse, M. l'abbé Bodart; il est l'un de ceux qui donnent une
vision nette du combat de la Sambre aux 22 et 23 août.
Six immeubles furent incendiés par les troupes du Xe corps ou de
la Garde.
j^c 5, , Le général de division Boë passa à Morialmé le t5 août vers 16 heures, avec
d'importantes troupes qui partirent le lendemain à midi, vers Biesme et Châtelet.
Blessé quelques jours plus tard près de la ferme «Belle-Motte» (t. III, p. 175), ce général
fut transporté à 1 ambulance des Pères Jésuites de Florennes, où il fut fait prisonnier.
Ces troupes furent remplacées le jour même par d'autres soldats français qui
ne partirent que le 21.
Le 22 août à 7 heures, il passe une file interminable d'autobus qui font le
service de ravitaillement sur la Sambre, où se livrent de violents combats. A
10 heures, spectacle inoubliable : c'est une lamentable et indéfinie procession de
gens qui fuient. Ils viennent de Châtelet, Couillet, Montignies, etc. L'état dans
lequel ils se trouvent montre assez dans quelles conditions d'épouvante leur départ
(1 ) V. aussi Engerand, o- c, p. 540.
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s'est opéré : la plupart ne sont presque pas vêtus et ils emportent tout ce qu'ils ont
pu recueillir de leurs biens au moment du départ. Ce triste défilé continue sans
interruption jusqu'au soir. La panique se communique de proche en proche : c'est
bientôt de Bouffioulx qu'ils viennent, puis d'Acoz, puis de Gerpinnes, puis
d'Hanzinne et d'Hanzinelle.
Entre-temps, les autobus charrient des blessés et de longues théories de
soldats en retraite viennent de la Sambre. Vers le soir, des troupes régulières se
mettent sur la défensive, barrant les passages avec du fil barbelé, ouvrant des
meurtrières aux portes et aux murs. La panique gagne le village et la plupart des
habitants se mettent à fuir sans savoir où. Le dernier train est rempli de fuyards.
A 20 heures, c'est un singulier spectacle sur la route de Florennes ; des troupes
françaises se replient en grande hâte, entraînant avec elles tous leurs pesants
charrois; en même temps, c'est une mêlée désordonnée de civils, hommes, femmes
et enfants, confondus parmi les soldats ou refoulés sur les bords du chemin.
M. le vicaire et moi, nous nous trouvons à l'ambulance, avec les religieuses
et quelques autres personnes. Bientôt, nous ne pouvons plus faire face à tous les
pansements et aux soins à donner, car la plupart de nos ambulanciers et ambu-
lancières d'occasion ont quitté, et nous sommes seuls. C'est alors que nous prenons
le parti d'évacuer nos malades à Florennes, au grand établissement des Pères
Jésuites. Ceux qui n'ont que des blessures légères et peuvent marcher, nous
les mettons en route à pied, après avoir pansé leurs blessures; quant aux grands
blessés, c'est avec infiniment de peine que nous pouvons trouver au village deux
chariots, où nous les plaçons le moins mal possible. A 23 heures, nous étions à
Florennes et je déposais à la chapelle des Jésuites le Saint-Sacrement, que j'avais
emporté de Moriaïmé.
Le 23, à 5 heures du matin, nous sommes de retour à Moriaïmé. Aux messes
de 6 h. et de 7 h. 3o, assistent à peine une quarantaine de paroissiens. Nous
décidons de ne pas faire d'autre office. Une dizaine de personnes se présentèrent à
l'heure de la grand'messe et récitèrent ensemble le chapelet.
A partir de ce moment, Moriaïmé était désert et faisait une impression lugubre.
La solitude n'était plus interrompue que par le passage, à de rares intervalles,
de l'une ou l'autre voiture d'ambulance qui nous apportait des blessés évacués
d'autres ambulances. Notre office, à M. le vicaire et à moi, était maintenant de
les diriger plus loin, à Florennes ou à Walcourt, car nous étions dans l'impossi-
bilité de les soigner, étant seuls dans un village abandonné.
Vers midi, les rues commencent à se repeupler de gens qui reviennent, et à
17 heures, il y avait assez bien de mouvement sur la place de l'église. A 14 heures
le canon se fait entendre à la fois dans la direction d'Oret, d'Hanzinne, de
Gerpinne et de Tarcienne. Du haut du clocher, on aperçoit la lumière des coups
de feu, sans pouvoir toutefois apprécier les distances. A 17 heures, des soldats à la
débandade reviennent de Tarcienne, annonçant la retraite des Français et
l'approche de l'ennemi. La fuite des civils recommence. On voit la fumée des
incendies allumés à Oret. On prétend que des obus sont tombés sur la paroisse, au
Donveau.
C'est à ce moment que, sur le conseil d'un officier français, j'envoie deux jeunes
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gens faire le tour du village, pour inviter les habitants restés chez eux à partir dans
la direction de Florennes et de Saint-Aubin. Nous partons nous-mêmes à 21 heures,
avec les Religieuses, vers cette dernière localité. Les civils suivent le bord du
chemin, car le milieu est tenu par les troupes françaises en retraite, qui s'avancent
dans les ténèbres, en gardant un complet silence. Les ordres même sont donnés à
voix basse : c'est impressionant au plus haut point.
Le 24 au matin. Saint-Aubin se vide à son tour : il faut fuir vers le sud-est.
Nous ne rentrâmes chez nous que le jeudi 27, après avoir compris que la fuite ne
ne nous laissait que deux alternatives : passer en France pour un temps indéfini,
ou risquer tout et rencontrer les Allemands. On résolut d'adopter cette dernière,
et tout alla bien, à part un revolver braqué sur nous par un officier, avec force
paroles menaçantes « Les prêtres étaient, disait-il, leurs pires ennemis. »
Pendant notre absence de trois jours, les Allemands étaient passés à Morialmé.
Ils y sont entrés le lundi 24 à 10 heures du matin. Neuf ou dix personnes se tenaient
cachées dans les coins les plus reculés de leurs maisons.
Beaucoup de pillages furent accomplis, spécialement des vivres, vins, etc., et à
peine l'ennemi était-il installé au village qu'il mettait le feu à plusieurs endroits,
sans le moindre motif. La maison François Lechat, au hameau de Poucet, sur la
route du Donveau à Fraire, fut incendiée dès le lundi à midi et le feu se communi-
qua à la grange de la veuve François. Quinze maisons furent brûlées au Donveau,
hameau de la paroisse qui dépend de la commune d'Hanzinelle, dans la nuit
suivante, ainsi que les maisons Barbier-Lambert et Servais Falesse à « la Croix-
Meurice ». On ignore le moment où fut détruite la ferme Casin, à « La Petterie ».
A Morialmé même, l'hôtel de ville, auquel était incorporée l'habitation de
M. le vicaire, fut incendié le 24, vers 18 heures. C'est là que périrent les archives
civiles de la localité, qui étaient importantes. On suppose que les soldats auront
mis le feu à cet immeuble, parce que le drapeau belge continuait à y flotter et qu'il
contenait les armes des particuliers, réunies par ordre du bourgmestre.
Les troupes qui passèrent à Morialmé semblent avoir appartenu au Xe corps
et à la Garde; ces dernières se dirigèrent vers Florennes et Saint-Aubin (voir ces
localités).
2. — Les combats sur le front de la 38e division (3e corps),
de Tarcienne à Gourdinne.
Ainsi que nous l'avons fait pour le secteur précédent, résumons
d'abord les données militaires que nous avons trouvées dans les archives
de la section historique de l'État-Major Général, à Paris; elles sont
indispensables à l'intelligence des opérations qui se sont déroulées dans
la région.
Tandis que l'une des brigades de ta 38e division, la 75e, très éprouvée le 22 août
devant Châtelet, se reconstitue le lendemain à Yves-Gomezée, la seconde brigade.
*7
la 76e, est déployée le 23 août sur le front Tarcienne-Linsonry, au nord de Somzée
et de Gourdinne.
Dès l'aube, la lutte d'artillerie est reprise et, dans l'après-midi, elle s'intensifie
jusqu'à l'extrême violence ; mais l'ennemi renonce à l'attaque. Celle-ci sera
déclanchée, comme nous le verrons bientôt, plus à gauche, devant la 6e division,
où l'adversaire trouve un terrain plus propice et une moindre résistance.
Nous retrouvons aussi sur ce front, au 23 août, une brigade du 18e corps,
qui a été mise à la disposition du 3e corps en échange de la 1 Ie brigade (6e division) :
c'est la 69e brigade (35e division) comprenant les 6e et 123e d'infanterie.
Le 6e régiment, dès son arrivée, est dirigé sur Somzée.
Dans l'après-midi, comme on croyait que le io'J corps avait fléchi, les ier et
3e bataillons du 123e furent portés de Chastrès à Laneffe pour couvrir la droite du
3e corps vers Morialmé et intervenir, si possible, dans le flanc des attaques
débouchant d'Oret. C'est ainsi que vers 16 heures de l'après-midi, pour parer au
repli de la 6e division, il ne restait plus à Chastrès que le 2e bataillon du 123e et
un bataillon du 274e.
Quand la 38e division dut, elle aussi, évacuer la position de Somzée et se
replier, il devenait difficile, si Ton ne prenait des mesures spéciales, de limiter le
recul à la ligne Chastrès-Berzée, qu'on avait espéré tenir. La 75e brigade, d'Yves-
Gomezée, fut portée en avant et s'établit pour la nuit au nord d'Yves-Gomezée,
tandis que le 74e (9e brigade, 5e division) occupait les crêtes au nord de Vogenée.
Quant aux 76e et 69e brigades dont il est question ici, elles purent se maintenir en
définitive à Chastrès (1), couvertes par des avant-postes sur la ligne Laneffe-
Thy le Château.
Venons à la retraite (2), à l'aube du 24 août. A droite, la 76e brigade se retira
avant le jour, sans donner l'éveil. La 75e brigade la rallia seulement à 14 heures à
Clermont, après une marche des plus pénibles, le plus souvent à travers champs,
tant les routes étaient encombrées. Ensemble elles organisèrent ce village pour
la défense, couvertes aux avant-postes, entre Strée et Rognée, par le Ie zouaves.
La 69e brigade (18e corps) qui devait, à partir de Vogenée, former l'arrière-
garde de la 38e division, reçut l'ordre de tenir Silenrieux (par le 123e) et Walcourt
(par le 6e).
Par l'exposé qui précède, le lecteur a pu se rendre compte que la
journée du 23 août fut relativement calme sur le front Tarcienne-
Gourdinne.
Les villages que l'ennemi occupa ensuite n'en eurent pas moins à
souffrir : ce sont Somzée, Laneffe, Chastrès, Fraire et Yves-Gomezée,
localités auxquelles nous consacrons une série d'intéressants rapports
(nos 5i2 à 5\j), dont les données ont été recueillies en juin 1915 et
complétées après l'armistice.
(1) Voir Isaac, o. c. p. 83.
(z) A consulter aussi Hanotaux, Histoire illustrée de la grande guerre, V. p. 284 et VIII, p, 58
et 70 ; Palat. o- c- III, p. 314; La grande guerre écrite et illustrée, o. c, p. 80.
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§ i . — Somzée.
Le Livre Blanc nous apprend que Somzée a été incendié par la
6e colonne de transport du Xe corps et justifie ce fait en affirmant que les
civils ont tiré : or, il restait deux vieillards dans ce village délaissé !
On lira ici une page navrante : l'exécution, dans la nuit du 24 août,
du vénérable curé d'Acoz et de ses deux compagnons (1). Von Bùlow
lui-même, chef de la IIe armée, a vraisemblablement sa part de
responsabilité dans cet assassinat : il était le 24 au soir au sud d'Acoz (2)
et en passant le 25 août, à 7 heures, à Somzée (3), il a dû apercevoir les
cadavres des trois victimes.
N° 5i2. Somzée, village de 5io habitants, domine la Thyria, en regard de Chastrès ;
cest là que se croisent les grand'routes de Charleroi-Philippeville-Rocroi et de
Gerpinnes-Walcourt.
Des troupes françaises arrivèrenl le 16 août à 18 heures, venant de Beauraing.
De nouveaux contingents se succédèrent les jours suivants. Le 22 au soir, il passa
des Algériens qui se rendaient à Thy-le-Baudhuin.
Le 22, raconte le curé, M. Serville, nous fûmes témoins de la fuite des habitants
du pays de Châtelet, Gerpinnes, Mettet, etc., qui racontaient l'incendie des villages.
La panique s'accrut quand, à 16 heures, les Français eux-mêmes refluèrent à Somzée;
on remarqua parmi eux le 126e et les mitrailleuses de Pont-à-Mousson. A 19 heures,
(1) A consulter sur ce crime la "Réponse au Livre Blanc allemand, Paris Berger-Levrault 1917, p. 108 ;
et Auguste Mélot, le Martyre du Clergé belge, Paris Bloud. 1916, p. 22.
Le meurtre de M. l'abbé Druet est l'un de ceux dont l'armée allemande a pris la pleine responsabilité.
Acoz [igure au nn 19 sur la liste des 23 faits criminels notifiés officiellement par la Wilhclmstrasse aux
diplomates accrédités dans les pays neutres ou alliés ("Direction du Contentieux et de la Justice Militaire; à Paris,
dossier 762). Un rapport sur les actes d'hostilité commis par les prêtres et religieux, contre les troupes allemandes
en "Belgique, document dont l'abbé Vandenbsrgh put prendre copie au Gouvernement Général de Bruxelles, en
1915, portait ce qui suit : « Acoz, le 24 août, à 8 h. 3o du soir, le curé refusa de recevoir chez lui des voitures
et des chevaux, qu'on voulait y remiser ; il avait pourtant des locaux très vastes. Après qu'on les eut remisé?
ailleurs, on tira de partout sur les soldats. Ceux-ci pénétrèrent dans les maisons, et, entre autres, chez le curé.
On le trouva caché avec deux compagnons au grenier. Sur les trois, on trouva des cartouches vides et remplies.
Il fut exécuté. » Enfin, le Livre Blanc consacre aux événements d'Acoz quatre pages entières (p. 57 à 60,
annexes 43, 44 et 45). L'imprécis des accusations et les contradictions qu'on y relève, suffisent à les démolir.
Le lieutenant Huck, commandant du IIe Pferdedepot, a vu M. le curé et assure qu'il lui a paru suspect ; il ne
connaît les faits que par ouï-dire. Le rittmeister Liidke, chef de la 2e section du train, relate l'incendie du
village et l'arrestation de « trois francs-tireurs ». L'attaque des civils était, dit-il, concertée et s'est faite sur un
signal donné. Il se vante d'avoir découvert, le lendemain, l'arsenal : deux caisses de dynamite, cent fusils et des
cartouches ; sur chaque paquet, le nom du civil auquel les munitions étaient destinées. L'oberleutnar.t Muller
et le lieutenant Schrôder, — ce dernier a interrogé les trois victimes, — relèvent qu'on a tiré avec des fusils de
chasse et que le curé était porteur de la quittance d'un revolver anglais.
Ainsi donc, aux yeux de ces guerriers grossiers et sauvages, le dépôt des armes prescrit par l'autorité et
le reçu de dépôt font la preuve du crime, alors qu'ils devaient clairement établir l'innocence des accusés !
(2) Von Bulow, Mon "Rapport, etc., p. 62.
(3) Von Bulow, Mon Rapport, etc., p. 63.
29
un officier demanda à utiliser l'église pour donner un peu de repos à ses hommes; il
nous exhorta à partir, parce que, le lendemain, on se battrait au village. A ce moment,
on plaçait des canons en batterie et des mitrailleuses aux maisons. A zt h. 3o, tous
mes paroissiens avaient fui, à part deux ou trois, et je partis moi-même.
Des troupes allemandes, d'artillerie surtout, entrèrent à Somzée le lundi soir.
A en croire les témoins, les soldats étaient pareils à des bêtes féroces, et le motif
de leur rage paraît avoir été la mort d'un prince de Saxe-Meiningen, tué par une
balle française «au Pavé». Ce même lundi, dès to heures du matin, Edouard
Pourignaux, revenant de Laneffe, avait vu défiler la cavalerie allemande au lieu dit
Tambois », sur la route de Thy-le-Baudhuin à Laneffe. Camille Polomé reçut
leur visite dans sa maison, au soir du 24 août : sa femme parvint à les écarter, en
leur montrant une dame malade étendue sur un matelas.
Les incendies ne commencèrent que le mardi 25, à partir de midi. Trente
maisons furent brûlées ce jour-là. « On a tiré ici sur mes soldats ! », dit un officier
à Edouard Pourignaux. « Ce n'est pas possible, Monsieur, répondit-il, nous ne
sommes au village que deux vieillards! » Quelques habitants, revenus chez eux dans
l'après-midi, essayèrent d'éteindre le feu ou de sauver quelques meubles et effets,
mais la soldatesque les en empêcha, en tirant des coups de feu sur les maisons.
Mercredi 26 à 9 heures, le feu fut mis chez Famenne et l'on crut que le restant
du village allait périr. Joseph Famenne venait de rentrer avec sa famille, et les
émotions qu'il éprouva, en voyant sa maison en feu, le conduisirent au tombeau.
Dans la nuit suivante, on remit le feu à la maison de Joseph Michaux.
Les incendiaires de Somzée ont écrit dans le Livre "Blanc (1) que « des civils y
furent fusillés » et cela suffit à établir combien leurs allégations sont légères :
personne n'a été tué à Somzée même. Comme on le verra plus loin, le curé d'Acoz
et ses compagnons sont tombés la veille, en dehors du village, pour des faits qui
se sont passés à Acoz.
Jules GODEFROID (fig. 67), 42 ans, fut tué dans sa fuite entre Dourbes et
Nismes, Florent MOUVET, 52 ans, fut réquisitionné le 25 août avec son chariot,
attelé d'un bœuf, au moment où il revenait, pour conduire des blessés à Walcourt.
Le boeuf fut retrouvé à Walcourt; quant à M. Mouvet, on ne l'a plus revu.
Les habitants revinrent à Somzée le 25 août et les jours suivants (2) ; ils
trouvèrent le village saccagé et en partie brûlé. Dans les maisons, les meubles
étaient renversés, tout avait été fouillé et une foule d'objets avaient disparu.
Les ornements de l'église avaient été déposés au presbytère et chez les Reli-
gieuses : ils furent retrouvés tailladés à coups de sabre (3). Des aubes et des orne-
ments de procession étaient souillés.
On remarque entre Laneffe et Somzée la tombe d'un soldat français. Posté au
Quartier Sainte-Barbe, il aurait, dit-on, tiré sur les éclaireurs ennemis, le 24 août,
et aurait ensuite été tué dans sa fuite.
(1) Anlage 34, p. 5o.
(il Une cinquantaine étaient allés jusqu'en France et ne revinrent qu'en 1918
1,3) Au cours de l'enquête qu'ils firent sur place en juin içjiS, les auteurs visitèrent la sacristie de l'église
de Somzée et se rendirent compte de visu des lacérations dont les chasubles, chapes, étoles, manipules, etc.
portaient la trace.
3o
N° 5i3. Le vénérable curé d'Acoz, M. l'abbé Eugène DRUET (fig. 11), 67 ans, a été
tué près de Somzée, sur la route de Tarcienne, le 24 août au soir, avec Archange
BOURBOUSE, d'Acoz, 27 ans et Ernest-Joseph BASTIN, de Montigny-sur-
Sambre (1).
Pour bien mettre en lumière les circonstances de leur fin tragique, reprenons
les faits au 22 août.
Au moment où la population d'Acoz, sur le conseil des Français, prenait la
fuite, M. l'abbé Druet essaya d'abord d'enrayer la panique; quand il vit que ses
efforts étaient inutiles, il bénit les groupes de fuyards qu'il rencontra, et revint au
presbytère.
Il y fut bientôt rejoint par trois de ses paroissiens : Ernest-Joseph Bastin,
Archange Bourbeuse et son épouse; celle-ci venait d'être blessée d'une balle sur
le chemin de Joncret.
Une première bande d'Allemands envahirent la cure et se retirèrent sans faire
de mal, après avoir accepté des vivres. A 22 heures, un officier vint quérir le
prêtre et l'obligea à le conduire avec ses hommes à Joncret. Chemin faisant, on
passa à côté d'un puits et le vieillard fut contraint, sous la menace répétée de
coups de crosse, de tourner le lourd treuil, pour abreuver les chevaux. Au retour,
il fut tellement bousculé par des troupes qui passaient qu'il crut prudent de retour-
ner à Joncret; quand il y fut arrivé, l'officier qu'il venait de quitter accepta de
l'accompagner jusqu'à la Croix-Michel, puis, à travers champs, il put regagner son
presbytère.
Le 23 août, M. le curé, qui était d'une conscience scrupuleuse, ne se
crut pas autorisé à dire la messe, parce qu'il manquait d'enfant de chœur; il se
borna à communier et à consommer les Saintes Espèces. La journée se passa sans
incident.
Le 24 août, les troupes d'attaque étant passées et tout étant redevenu calme,
Archange Bourbouse exprima le désir d'aller à Joncret, pour voir ce qui se passait
à la ferme de sa sœur; M. le curé l'accompagna. Il visita aussi l'ambulance de
Gerpinnes. où il s'intéressa au sort des soldats français blessés, tout en remplissant
auprès d'eux son ministère.
A la soirée, la 2e section du train et la 5e colonne de munitions d'artillerie du
Xe corps entrèrent à Acoz. Ces troupes, qui devaient passer la nuit au village,
pillèrent plusieurs maisons et bientôt des soldats ivres se mirent à tirer des coups
de feu et à pousser d'effrayantes clameurs. M. le curé se trouvait à son bureau
avec sa sœur : jetant un rapide coup d'œil au dehors, il vit des flammes s'élever
de plusieurs côtés du village (2). Alors il dit à sa sœur : « Récitons le chapelet et
demandons à Dieu qu'au moins notre église soit préservée! » Tout à coup, on
entendit de violents coups de hache résonner contre la porte de l'avant-cour.
Joséphine Bolle, parente de M. l'abbé Druet, sortit pour aller ouvrir : un soldat
l'écarta d'un geste brusque et, se tournant vers IA. le curé, il lui demanda raison
(1) L'enquête sur le meurtre du curé d'Acoz a été menée par Al. l'abbé Dubuisson, successeur de
M. l'abbé Druet.
(2) Quarante-sept maisons d'Acoz furent détruites.
3i
d'une blessure qu'il avait à la main. Cependant la troupe s'était répandue dans
la maison de cure et la fouillait. Intimidés par le vacarme, Archange Bourbouse
et Ernest-Joseph Bastin, qui déjà étaient au lit, montèrent au grenier et s'y
cachèrent, mais ils furent surpris et bientôt on entendit retentir dans les escaliers
des hurlements où se mêlaient la joie et la fureur : les soudards tenaient deux
coupables et les poussaient devant eux, en les brutalisant. Ils leurs lièrent les
mains derrière le dos, ainsi qu'à M. le curé, qui fut emmené nu-tête, n'ayant aux
pieds que des pantoufles de feutre. Sous les yeux des femmes éplorécs, les trois
prisonniers s'en allèrent sans un geste, sans un adieu. Il leur était défendu de
prononcer une parole, ou de tourner seulement la tête. Un peu plus loin, le véné-
rable prêtre perdit sa frêle chaussure et ses bourreaux l'obligèrent à marcher
nu-pieds.
Joséphine Bolle songea alors à écrire une lettre au commandant installé
à Gerpinnes. au château de M. de Bruges, pour le supplier de rendre la
liberté aux prisonniers; elle chargea Joseph BOURBOUSE, 41 ans, frère
d'Archange, de la porter en toute hâte. Le malheureux fut lui-même arrêté à
Gerpinnes et fusillé.
On ignore ce qu'il advint ensuite des trois prisonniers. Leurs cadavres furent
retrouvés près de Somzée, sur la route de Tarcienne, et les deux laïques avaient
les yeux bandés.
§2. — Laneffe.
Ce village a été brûlé le 25 août, comme Somsée, par la 6e colonne
de transports du Xe corps (t). On remarquera spécialement les indignes
traitements qu'endurèrent plusieurs vieillards qui n'avaient pu fuir.
A Chastrès (rapport n° 5i5) deux civils trouvèrent la mort.
Le i5 août au soir, écrit le curé, M. l'abbé Prud'homme, il vint à Laneffe une
division volante de cavalerie française, comprenant des hussards, des dragons, des
cuirassiers, des chasseurs et des cyclistes. L'aumônier, vicaire de Vitry-le-François,
et un officier d'intendance, logèrent à la cure. Le 16, à 5 heures, ces troupes,
partirent vers Charleroi.
Le tç, il passa aux environs des troupes françaises considérables. A i5 heures
un bataillon du 47e(Saint-Malo) s'arrêta dans la commune et deux médecins militaires
furent reçus au presbytère. De nombreux soldats de ce régiment, Bretons et
Normands, allèrent prier à l'église et demandèrent à se confesser.
Le 20, ces troupes partirent de bon matin et furent remplacées à 8 heures, par
l'ambulance du ioe corps, dont faisaient partie beaucoup de prêtres. L'aumônier,
vicaire de Fougères, s'installa à la cure, avec un officier du train, prêtre, nommé
Pasturet. Je logeai, dans des lits improvisés, le plus de prêtres possible.
(1) Livre Blanc, Anlage 34, p. 5o. On a retrouvé dans ce village un havresac du 91e d'infanterie
(37e brigade, 19e division, Xe corps).
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Le 21, quatre d'entre eux dirent la Sainte-Messe, que servirent leurs confrères.
Le 22, les armes furent déposées à la maison communale. Dans l'après-midi,
des fugitifs du pays de Chàtelet affolèrent les habitants. Vers le soir, les Français
refoulés de Châteleî, Bouffioulx et Tamines, repassèrent en désordre. Ils reprirent
des positions sur les collines situées entre Laneffe, Fraire et Chastrès, et conseil-
lèrent d'abandonner le village, donnant surtout pour raison que « les Allemands
mettaient les civils en tête des troupes et qu'il fallait prendre des mesures pour
éviter ce procédé barbare ». Nous partîmes dans la nuit et, à part quelques vieil-
lards incapables de suivre les autres, il ne resta personne à Laneffe.
De Chastrès, où je m'étais abrité, j'essayai de rentrer le 23 au matin. Sur la
grand'route, des Français m'en empêchèrent, en disant : « Zone de guerre. »
Dans la journée, les Français tinrent le village, et le duel d'artillerie se
poursuivit. Aucune maison ne fut pourtant atteinte par les obus.
Les Allemands entrèrent à Laneffe le lundi 24, dans l'avant-midi. Un vieillard
de 85 ans, Jean-Baptiste Hancart. fut découvert : des soudards sans pitié le forcèrent
à marcher devant eux jusque Chastrès. Revenu à Laneffe, il dut conduire un autre
groupe à Daussois. où il fut retenu.
Valentin Gautot, son épouse Clotilde Papart, sa mère âgée de 85 ans et une
fillette de it ans, furent aussi surpris chez eux le 24, vers 10 heures. Malgré leurs
supplications, ils durent marcher en tête des troupes, soutenant à tour de rôle leur
vieille mère, qui ne marchait qu'avec difficulté. « S'il survenait quelque chose,
disaient leurs gardiens, ils seraient fusillés. » Ces gens passèrent la nuit près de la
ferme du moulin. Le lendemain, les femmes furent licenciées et rentrèrent à Laneffe
à 7 heures ; mais Valentin Gautot dut encore escorter les troupes vers Walcourt et
revint le soir.
Trois autres octogénaires, Henri Lambert, Félicité Bourtembourg et Jacques
Thomas, passèrent indemnes.
Le 25, il vint des troupes considérables, du côté d'Hanzinne. Elles bombardèrent
le bois de Thy-le-Baudhuin, où se trouvaient encore, pensait-on, quelques soldats
français, puis partirent sur Daussois.
Cette journée fut marquée par le pillage en grand et par l'incendie de vingt
maisons, dont deux fermes. Il est bon de faire observer en réponse à l'accusation
du Livre "Blanc, que, ni au moment du passage, ni après, on n'a reproché aux
vieillards restés au village aucun acte de mauvais gré. Dès i3 heures, le « Tienne
du Moulin » brûlait ; le reste fut allumé à la soirée.
Je rentrai à Laneffe le 26 et j'eus fort à faire pour consoler et réconforter les
quelques personnes qui étaient restées ou venaient de revenir, et étaient profon-
dément terrifiées. Le village ressemblait à un désert. Des cadavres de chevaux en
putréfaction encombraient les rues. Les maisons achevaient de se consumer, au
sein de nuages de fumée nauséabonde. Partout s'étalaient les traces des ripailles
allemandes : bouteilles, bocaux de confiture et de sucre, déchets de viande jon-
chaient le sol.
Le 3o, il vint un bataillon du 7e chasseurs. Deux officiers et dix soldats logèrent
à la cure Ils enfermèrent, on ne sait pourquoi, le bourgmestre à la cave, mais
il réussit à s'évader.
33
Des troupes du Maroc, venues à Chaslrès (1) le 19 août, partirent pour Charleroi
dans la nuit du 21 au 22.
Le 22, ce fut le cortège sans fin des malheureux réfugiés de la Sambre et des
blessés de la bataille.
Aux offices du dimanche. 23 août, il n'y avait que quelques assistants et des
soldats français : presque tous les habitants avaient fui. Au soir, le curé put trouver
une auto et transporter à la gare de Walcourt une quarantaine de blessés qui
avaient été soignés au patronage ; il voulut ensuite rentrer dans sa paroisse, mais
les postes de sentinelles l'arrêtèrent et il fut entraîné dans la retraite. Les batteries
françaises étaient postées entre Walcourt et Chastrès.
Quand l'ennemi, notamment le 74e d'infanterie, entra au village dans l'avant-
midi du 24, il n'y restait aucun civil.
Deux soldats allemands et un français furent tués à Pumont ; deux autres
Allemands furent retrouvés en d'autres endroits, sur le territoire de la commune.
Leurs corps reposent maintenant au cimetière militaire de Tarcienne.
Roger PAULUS, 17 ans, de Tongrinne. parti de son village avec ses deux
sœurs, fut fait prisonnier à Châtelet et marcha en tête des troupes pour les conduire
vers Gerpinnes et Tarcienne. On le retrouva tué à Chastrès, dans le jardin de
Mme Allard.
Jean-Baptiste DRUAUX, 65 ans, fut encore vu le 23 août, alors qu'il se
dirigeait vers la campagne avec un instrument de travail ; depuis lors il n'a plus
reparu.
§ 3. — Fraire.
Ce village se trouva, dans l'après-midi du 23 août, dans la zone de
combat et les troupes françaises ne l abandonnèrent qu'au matin du 2.4 août,
au moment où l'ennemi pénétrait dans Laneffe.
Deux civils furent fusillés et deux maisons furent incendiées.
Dans la semaine qui précéda les combats, Fraire (2) fut occupé par les turcos.
Ils partirent vers la Sambre dans la nuit du 20 au 21. Le 22 à la soirée, des bandes
de fuyards de Charleroi et environs annoncèrent la venue prochaine des incendiaires
et un lamentable cortège de blessés se traîna vers la station. En pleine nuit, un
cri retentit : « A 2 heures du matin, Fraire sera bombardé ! Il faut fuir ! »
Le 23 août, passage incessant de troupes et de blessés. Dans l'après-midi, le
combat se rapprochait. Des canons français étaient échelonnés au nord de la route
de Chastrès (3), à 200 mètres du cimetière de Fraire et entre Somzée et Laneffe,
tirant vers Tarcienne et vers Oret. Le duel d'artillerie se poursuivit violent, jusque
(1) Voir Engerand, o. c. p. 540 ; Palat, III p. 3t3.
(2) Les éléments de ce travail ont été fournis par M. E- Dereine, professeur à l'école moyenne de
Walcourt et par le curé de l'endroit, M. l'abbé Toussaint-
(3) Voir Palat III. p. 3î3.
34
19 heures. Presque tous les habitants avaient fui et les Français eux-mêmes se
retirèrent vers 22 heures.
Le 24 août au matin, des canons étaient installés en batterie à gauche de la
place publique, leurs caissons masqués par des arbres ; des turcos s'échelonnaient
sur le versant de la colline, face au nord et un régiment de zouaves défilait sur la
grand'route. Dans les rues s'alignaient encore des files de caissons. Bientôt des
soldats épuisés vinrent dire que l'ennemi entrait à Laneffe. Les dernières troupes et
les derniers civils s'éloignèrent à 9 h. 3o.
Les Allemands parurent dès 10 heures; ils mirent le feu, sans motif, aux maisons
d'Auguste Taverne et de Vital Poulain.
Le zouave Arthur Boullay, de Versailles, fut trouvé tué près de la place.
Maximilien DELHAYE. 66 ans, commit l'imprudence de sortir, armé d'un
revolver. Surpris et fouillé, il fut pendu, séance tenante, à un arbre, sur la route
d'Yves, à mi-chemin entre Fraire et La Botte. On retrouva son cadavre deux jours
après, dans un fossé, la tête fendue d'un coup de sabre.
Un simplot, Alphonse SPILETTE (fig. 9), 45 ans, fut lié à un canon et
emmené par les troupes ; il fut tué à Fosses et y fut inhumé (Voir T. III, p. 162).
Le 3o août, un régiment de Dusseldorf campa à Fraire.
§ 4. — Yves~Gomezée.
Le feu fut mis à Yves-Gomezée le 24 août par le 164e de Hanovre,
Xe corps.
C'est à ce village que s'arrêta, au soir de cette journée, l'avance
allemande.
Le rapport suivant remonte au mois de juin 1915.
N.0 517. A Tues, les Français en retraite entraînèrent les habitants à leur suite; il ne
resta au village que le curé, M. l'abbé Lemaire, son vicaire et quelques vieillards.
Après le combat d'artillerie, l'ennemi apparut le 24 août et commença les
incendies le jour même. Les maisons Clippe et Anciaux, à « La Botte » (à la limite
territoriale d'Yves-Fraire), furent allumées à 19 heures. Deux heures après, ce fut
le tour des maisons Alexandre Borgniet, et Jules Tassigny, non loin de la gare de
Saint-Lambert. Le 25 à 10 heures, on mit le feu, à Maimbercée, près de Saint-
Lambert, à la maison de Louis Sturbois et, à Yves même, à la maison de J. Dételle.
A 11 heures, Mlle Marguerite de Cartier d'Yves fut arrachée à son château et
amenée au presbytère : elle était conduite par deux soldats, au moyen d'une longue
corde et de lisières qui lui enserraient les poignets. Son visage était couvert d'égra-
tignures et sa robe était déchirée. Vers la même heure, on vit plusieurs chariots
emporter du château le mobilier et des tableaux; puis à 11 h. 3o il en sortit un
mince filet de fumée. Le feu couva longtemps, mais à t5 heures, une énorme gerbe
de flammes s'élança par-dessus les murailles. De cette riche construction, rien ne
fut préservé (fig. 1).
35
Dans les premières heures de l'après-midi, furent incendiées trois maisons
appartenant aussi au château : la villa qu'occupaient les demoiselles Stilmans, la
maison voisine, où résidait la famille Delahaut, et l'usine dénommée « La Foro-e »,
avec ses dépendances.
Le 2e bataillon du 164e de Hanovre, 39e brigade, 20e division, et le 5e hussards,
se trouvaient à Yves le 25 août. Interpellés par Mme Jules Tassigny sur le motif de
ces désastres, des Allemands répondirent : « Votre Roi n'avait qu'à nous laisser
passer ! »
3. — Les combats sur le front de la 6e division,
de Gourdinne à Berzée.
C'est ici que l'ennemi a donné toutes ses forces, le 23 août, pour
enfoncer l'extrême gauche du 3e corps, à l'endroit de sa liaison avec
le 18e. Les Français durent se replier, mais l'ennemi n'osa poursuivre
et de faibles détachements français restèrent à Gourdinne, Berzée et
Thy-le-Château. Voici le récit de ces engagements, d'après les archives
de la Section Historique de l'Etat~Major général de l'armée française,
à Paris.
Seule à l'action, la 12e brigade (1) occupe ici un front de 5 kilomètres. Le
5e régiment prolonge à gauche la 74e brigade depuis la route de Somzée à Charleroi
jusqu'à Pairin ; le 119e est à l'extrême gauche de la ligne du 3e corps (Pairin-
Fontenelle), en liaison avec le 18e corps.
Dans la fin de la matinée du 23, l'ennemi dirigea sur ces deux régiments, du
côté de Limsonry, un feu meurtrier. L'artillerie allemande, à l'est de la route de
Bultia, fut contrebattue par l'artillerie de la 6e et de la 38e divisions. A i3 h. 40,
malgré le feu du 1 19e, l'infanterie allemande déboucha de Nalinnes, se dirigeant vers
Pairin. Un bataillon du 5e et un bataillon du 8e tirailleurs (38e division d Afrique)
continrent un moment l'ennemi. Mais, à t5 h. 3o, de nouvelles batteries allemandes
étant entrées en action, et son infanterie ayant reçu des renforts, l'engagement
reprit avec plus de violence. Un bataillon du 1 19e fut vivement pressé à la lisière
du bois de Baconval (Gourdinne). Le 239e (régiment de réserve du 3e corps), fut
envoyé en face de Limsonry pour renforcer la première ligne, entre le 5e et le 119e,
et les mitrailleurs tinrent encore quelque temps l'ennemi en respect. A 16 h. 3o, la
gauche du 119e est tout à coup menacée et une compagnie du 239e se porte à son
aide. Mais la manœuvre de cette compagnie aggrave la situation, car elle paraît être
'*' / 11e brigade
• 24e et 18e rég.
(,' division } ëén- Hollender
79" rég-
ler.. Bloch) ,ae brigade
6 : 5 et 170e
gén. La visse
36
le signal d'un désarroi général : la droite du 5e lâche à son tour sa position.
A 17 heures, l'ordre est donné à toutes les troupes de se replier. Le général Bloch,
commandant la 6e division, se rend compte qu'il n'a plus assez de réserves pour
assurer la direction du combat et réclame l'appui de toute l'artillerie disponible.
Malheureusement celle-ci, massée sur le plateau d'arrière, ne tarde pas à être
découverte par la retraite de l'infanterie, et elle abandonne de même ses positions :
toute la division, infanterie et artillerie, se replie d'abord sur Berzée et Thy-
le-Château.
C'est alors que, à son tour, la 38e division, sur la droite, est obligée d'évacuer la
position de Somzée et de se replier, par échelons, sur Chastrès et Fraire.
Pour parer au repli de la 6e division, il ne restait plus à Chastrès, comme nous
l'avons vu, que deux bataillons (un du 123e et un du 274e); la division dut se replier
plus en arrière. Seul le ier bataillon du 5e régiment réussit à tenir Berzée, le restant
se retira jusqu'à Walcourt et au-delà. L'Etat-Major du 3e corps se fixa à Silenrieux,
donnant comme points de ralliement aux unités dispersées et mélangées dans
l'encombrement des routes, le Four-à-Verre (voir fig. i3o), au-delà de Boussu-
lez-Walcourt et d'Erpion, en direction du sud-ouest. L'ennemi, heureusement, ne
poursuivit pas.
A la 6e division, à l'heure de la retraite, les troupes étaient déjà en marche sur
Fourbechies lorsque le général Rouquerol, commandant l'artillerie du 3e corps, en
chef énergique, en arrêta une partie et envoya les 5e et 239e à Erpion, le ito/ à
Castillon et Fontenelle, le 274e (rég. de réserve du 3e corps, avec le 239e) à Boussu-
lez-Walcourt, les faisant appuyer par cinq ou six groupes des tie et 22e régiments
d'artillerie de campagne.
§ 1 . — Dans la région de Gourdinne~Berzée.
Nonobstant la violence des combats que nous venons d'exposer, il
résulte des rapports consacrés à Gourdinne, Thy-le-Château, Berzée et
Pry (nos 5 18 à 52. t) que ces villages furent respectés. On signale seulement
deux victimes à Thy-le-Château.
]>jo g, g Le 21, à midi, un Etat-Major français vint à Gourdinne ; à t5 heures, le 129e,
du Havre, défila sur la route de Chastrès à Somzée. Au soir, le 36e d infanterie (1),
venant de Rance, prit ses quartiers pour la nuit et partit le lendemain matin. Le 22,
le mouvement des troupes s'accentua. Il passa un régiment de turcos. Vers le soir,
un régiment d'infanterie cantonna à Gourdinne jusqu'au lendemain à midi. Les
caissons à munitions passaient et repassaient, s'approvisionnant au dépôt de Berzée.
L'exode des habitants commença quand arrivèrent, vers le soir, affolés et en
pleurs, les gens de Tamines, Châtelet et Couillet.
Pendant toute la nuit, ce fut un va-et-vient de convois militaires. Une batterie
française, installée entre Gourdinne et Nalinnes, ouvrit le feu le 23 à 7 heures et
(t) Ces deux régiments forment la 10e brigade, 5e division, 3e corps.
$7
l'infanterie, postée du côté du bois des Coumognes, engagea le combat vers
14 heures. Dans l'avant-midi, un aéroplane français opéra de nombreuses recon-
naissances. Les régiments qui participèrent aux combats d'arrière-garde étaient les
5e, 39e et 1 19e. Les blessés étaient déchargés à l'allée du cimetière, où ils recevaient
un pansement sommaire.
La fuite des habitants se poursuivit le dimanche à midi et, le soir, il restait
19 personnes au village (1). Les Français se replièrent à partir de 18 heures et la
retraite se poursuivit toute la nuit. Un seul canon, posté entre Walcourt et
Gourdinne, continua à tirer jusqu'au matin.
Au soir du 23, le curé, M. Piérart, se rendit chez le bourgmestre, M. Henrion.
« Demeurons au poste, dirent-ils en s'embrassant; mourons ensemble, en accom-
plissant notre devoir ! » Tous ceux qui étaient restés se rendirent à l'église et
ensemble se préparèrent à la mort, en recevant les sacrements.
Le 2.4 à 9 h. 3o, dix uhlans parurent sur la place. Apercevant le curé qui sortait
de la Croix-Rouge, où il soignait 22 Français blessés, ils lui enjoignirent, revolver
au poing, de les conduire au bout du village. Le bourgmestre dut ensuite les conduire
jusqu'au bois de Charnoix.
A i3 heures, on entendit un vacarme de cris, de chants et de charrois : c était
l'infanterie allemande, les 92e et 78e (2), qui entraient au village. Le bourgmestre,
ayant soulevé le rideau d'une fenêtre, fut mis en joue; puis des soldats firent
irruption dans sa demeure, demandant s'il n'y avait pas d'armes. Ils examinèrent des
fusils de chasse qui pendaient aux murs, et les remirent en place. Ils demandèrent à
manger. Quelques coups de feu tirés de Chastrès par des traînards les arrêtèrent
momentanément.
Des bandes de soldats se livrèrent au pillage de toutes les maisons.
Vers le soir, un Etat-Major d'une douzaine d'officiers prit quartier au
presbytère. Au repas du soir, auquel assista le curé, ils mangèrent et burent comme
des goujats.
Le lendemain à 8 heures, la troupe continua sa marche sur Rognée.
Douze soldats français (3) tués à Gourdinne, furent inhumés le 26 par les civils.
A l'église, les Allemands s'attaquèrent au tabernacle, qu'ils labourèrent de
coups de ciseau, sans réussir à le fracturer. Ils détériorèrent aussi au pres-
bytère un coffre-fort où étaient renfermés les vases sacrés.
Le tte d'artillerie, le 3e du génie, des troupes d'infanterie et coloniales
passèrent à Th\}~le~Cbâteau (4) du 19 au 22 août.
Le 22 vers le soir, et la nuit suivante, on nous amena de Charleroi des voitures
(1) i56 passèrent en France et revinrent après l'armistice.
(2) Le 92e se rattache à la 40e brigade, 20e division, Xe corps; le 78e à la 37e brigade, 19e division,
Xe corps.
(3) Voici leurs noms : Gaston Levaillant, 2799; Emile Leblond, 17; René Simon, 2082; Henri Guille-
mette (Le Havre); Narcisse Vret, 804; Adolphe Carly, 4o3 ; René Fournier, 861; Emile Martin, 5o3 ;
Celestin Garcia (Falaise-Paris); Edouard Brault, 1905; Armand Conard, 622; Cyprien Bonnauc, 83. Ils ont
été transférés en 1918 au cimetière militaire de Tarcienne.
(4) Ce rapport émane de la R. Sœur Marie-Louise, des Filles de Marie.
38
remplies de blessés. Nous accordâmes l'hospitalité à de nombreux fugitifs de
Marcinelle, 3ouffioux, Nalinnes, etc. Le dimanche surtout, c'était partout l'encom-
brement, tant était considérable le nombre des gens qui fuyaient devant l'ennemi,
terrifiés.
A 10 heures, un major réquisitionna des chariots pour conduire ses blessés à
Walcourt, où l'on préparait un train de Croix-Rouge; à \j heures notre ambulance
était vide. Pendant ce temps, on poursuivait le combat de Nalinnes, Gerpinnes,
Boisconval, etc. Des obus tombèrent à Thy-le-Château. Un convoi de yo blessés
nous fut encore amené à la soirée (i).
Les premiers uhlans se présentèrent lundi 24 août à to heures. Ils traversèrent
le village désert et tirèrent sur deux femmes que j'avais envoyées dans une prairie
pour traire des vaches et donner du lait aux blessés. Des soldats d'infanterie du
Hanovre vinrent le soir, avec de l'artillerie et de la cavalerie. Ils pénétrèrent dans
les maisons en brisant portes et fenêtres et emportèrent vivres, vins et même effets
d'habillement; ils s'attaquèrent au coffre-fort contenant le trésor d'orfèvrerie de
l'église, mais ne réussirent pas à le fracturer. Chez les PP. Oblats furent hébergés
des soldats du j\e de réserve.
Jules DUBOIS, 45 ans, et Florentin GOBLET, 45 ans, et les membres de
leurs familles furent rencontrés par l'ennemi, le 2.5 août, près de Barbençon. Les
soldats les séparèrent des femmes et des enfants et les obligèrent à marcher devant
eux; on les retrouva fusillés un peu plus loin, entre Vergnies et Erpion.
Paulin Groy. qui était resté chez lui, dut accompagner les soldats à Berzée ; à
son retour, il constata qu'on lui avait enlevé une somme de 4,000 francs.
En septembre, beaucoup de prisonniers français venant de Châlons, passèrent
à Thy-le-Château ; ils mouraient de faim et les Allemands défendaient de leur
donner à manger.
N° 52o. Berzée, écrit M, le curé Prélat, reçut, le 18 août, un peloton de tirailleurs séné-
galais; le 19 dans l'après-midi, le 5e de ligne (garnison à Falaise); le 20 août, le
24e de ligne et i,5oo turcos.
Dans l'après-midi du 22, des gens du pays de Charleroi affolèrent la population
par leurs récits terrifiants. Dans la nuit, ce fut le branle-bas causé par la retraite
des Français. Les ambulances volantes se fixèrent à Berzée.
Le 23 août laisse le souvenir d'une journée tragique, inoubliable. Dès 9 heures,
la grande bataille de Gozée et de Nalinnes battait son plein. Les habitants restés au
village se trouvèrent bientôt en face d'un ciel de fumée, de poudre et de feu.
C'était un roulement ininterrompu et assourdissant du canon.
Vers 14 heures, devant le danger plus pressant, je consommai les Saintes
Espèces et confiai l'église et la paroisse à Notre-Dame de Grâce. A 16 heures,
tandis que la bataille faisait rage, nous montâmes en voiture, M. Léon de Saint-
Hubert et moi. Des hauteurs de Castillon, vers 2t heures, nous vimes tous les
(1) Plusieurs moururent à l'ambulance, entourés des soins maternels des religieuses. Voici leurs noms :
Julien Chandellier, du 3e can. 1 esc. 3 batt.; de Crouy, jeune soldat qui se prépara à la mort comme un saint;
Léon Gaumin 1913, Caen 186; Alexandre Leroyer 1911, Lisieux 5z6 ; André Jouanne 1908, Lisieux 398.
Alain Kéromnès, sergent-major au 5° d'inf., mourut chez les PP. Oblats-
39
villages du pays en feu. Cerfontaine, Chimay et Momignies furent mes dernières
étapes en Belgique. Pendant que d'autres groupes de paroissiens, surpris par
l'ennemi vers Couvin et Froid-Chapelle, étaient obligés rie rebrousser chemin et
regagnaient Berzée, notre caravane, composée de 3ou personnes, poursuivit sa
marche vers Hirson, Vervins, Marie, Laon, Soissons, Compiègne, Beauvais,
Les Andelys, à raison de io à 35 kilomètres par jour. Chaque matin, nous devions
nous remettre précipitamment en route, poussés sans cesse en avant par l'avance
foudroyante de l'ennemi. Le 6 septembre nous pûmes nous fixer dans l'Eure.
Cependant, les Allemands étaient arrivés à Berzée le 24 août. Cinq personnes
demeurées au village ont raconté que cette entrée fut terrifiante(t), accompagnée
d'un vacarme infernal, d'un pillage furieux et d'orgies sans fin. Il est heureux,
déclarèrent-elles, que le curé et le bourgmestre fussent absents. Trois cent
cinquante personnes purent se réinstaller chez elles. Le presbytère fut dévasté.
Les chasseurs d'Afrique arrivés à Pry le 19 août, partirent vers Charleroi dans
la nuit du 21 au 22.
Le départ des habitants, entraînés par les fugitifs de la Basse-Sambre,
commença le samedi soir et se poursuivit le lendemain. De nombreux trains se
formaient à Walcourt.
Le canon tonna jusque 16 heures, de Nalinnes. où l'ennemi avait pris position.
Les Français commencèrent à refluer en désordre vers 16 heures et deux heures
après, le village était complètement évacué.
Pry n'eut pas à souffrir du bombardement qui se fit, le 24, au dessus de
Walcourt.
Le 25, l'ennemi envahit le village, dans lequel quelques familles ouvrières
venaient de rentrer. Les soldats enfoncèrent les portes à coups de hache et
pillèrent les maisons. Les gens furent pris et rangés le long du jardin du presbytère,
pour être fusillés, mais ils eurent la vie sauve.
§2. — Walcourt.
Nous avons vu que, pour couvrir la retraite de la 38e division, le
24 août, le 6e régiment d'infanterie reçut la mission de tenir Walcourt,
tandis que le \z$e occupait Silenrieux.
Tout d'abord l'ennemi n'avait pas poursuivi, mais il reprit rapidement
contact. A midi, il y avait encore un tel encombrement dans les fonds de
l'Heure qu'on pouvait craindre une catastrophe. A peine arrivé sur sa
position de Walcourt, le 6e régiment fut attaqué par des détachements de
cavalerie et de cyclistes, que soutenait une forte artillerie; il y fit une
(0 Au témoignage du soldat H. Albers, Berzée (ut pillé le 25 août par le train du 78e d'infanterie de
réserve, Xe corps de réserve- V. Bédier, Comment l'Allemagne essaie de justifier ses crimes, Paris Colin p. 1 1 :
et Les Violations des lois de la guerre, o- c. p. 76.
4o
belle défense. A 12 h. 40, le 2e bataillon du 6e était menacé sur sa droite :
deux compagnies du 3e bataillon furent envoyées pour le soutenir à la
ferme Baileu, mais, en arrivant à la crête, elles tombèrent elles-mêmes
sous un feu violent d'artillerie. Toute la ligne se replia à 14 heures sur
Walcourt, où les deux autres compagnies du 3e bataillon les recueillirent.
On résista du côté de la station et sur la voie ferrée jusque \6 h. 3o ;
quelques éléments se maintinrent même sur la rive droite de l'Heure
jusque t8 h. 3o, alors que la collégiale de Walcourt, bombardée par
l'artillerie allemande, était déjà en feu. (Voir fig. 2 à 4.)
Le 74e d'infanterie, 19e division allemande, Xe corps, entra dans
Walcourt dans l'après-midi : on trouvera dans le rapport n° 522 d'inté-
ressants détails sur les incidents qui marquèrent l'entrée de l'ennemi,
détails que nous avons relevés à Walcourt même le 20 juin 1915.
Les villages de Rognée, Fontenelle, Castillon et Clermont, à
l'extrême pointe de la province, auxquels nous consacrons plusieurs
rapports sommaires (nos 523 à 527), demeurèrent indemnes. Un civil fut
fusillé à Fontenelle.
N 522. Le gros des troupes françaises (t) arrive à Walcourt le 19 août, pour gagner, le
22 août, Farciennes et la Sambre. Dans l'après-midi du 22, la route de Walcourt à
Somzée est encombrée de pièces d'artillerie et de véhicules qui y paraissent déjà
immobilisés par le recul.
Le 23 août, la dernière ligne de canons français, tirant vers la Sambre, est au
nord-ouest de Gourdinne et se voit de Walcourt.
Dans l'après-midi, la gendarmerie est dirigée sur Philippeville et un matériel
considérable de locomotives et de voitures de chemins de fer est évacué vers la
frontière. A 17 heures, un officier français déclare qu'il y a du danger. En un
moment la panique s'empare de toute la population. On annonce que les autorités
sont parties et que les Allemands sont prêts d'arriver. Alors la ville offre un
spectacle inoubliable. On croirait venue la fin du monde. On court, on se bouscule,
on crie, on pleure... La retraite des Français est commencée, mais combien elle va
être entravée par cette cohue de civils qui envahissent tous les chemins! A la soirée,
il reste en ville 81 personnes (2).
Le 24 août dans i'avant-midi, Walcourt est dans un calme morne. La retraite
des Français se poursuit. Des officiers déclarent que 1 ennemi est à un kilomètre
d'ici, vers Pry.
La bataille continue et, de la ville, on distingue le feu de l'artillerie française
qui tire au sud dans la direction de Pry et de Thy-le-Château, à l'est vers Fraire
et Morialmé.
(1) Sur le passage d'éléments du 4e zouaves, le 16 août, voir Ginisty, o. c, pp. 144-151. V. aussi
Hanotaux, Histoire illustrée de la guerre de 1Ç14, VI, p. 3o.
(2) Environ 73o restèrent absents pendant la guerre et revinrent à l'armistice.
(Photo octobre 1914)
Fig 1. — Yves--Gomezée.
Ruines du château baron de Cartier d'Yve, iiuendié
par les troupes du Xe corps.
(Photo 1915)
Fig. 3. — Walcourt.
Vue pancran.ique de la ville, après l'incendie.
(Photo septembre 1914)
Fig. 4 — Walcourt.
Vue de la collégiale incendiée.
Fig. 2. — Walcourt.
Vue de la collégiale de Notre-Dame de Walcourt,
avant le désastre,
(Photo octobre 1914)
Fig. 5. — Walcourt.
Les maisons incendiées à l'ouest de la collégiale,
VICTIMES DES FUSILLADES ET DES MASSACRES DE THY-LE-BAUDHU1N, DE FRA1RE, DE SOMZÉE,
DE JAMAGNE, DE LESVE, DE H AUT-LE-WASTI A ET DES FLOYES 'SOSCYE)
Fig- 7-
Valentine LEFEBVRE, 17 ans,
tuée à Lesve.
Fig. 8. — Victoire DETAILLE,
Veuve Antoine Rondiat, 78 ans,
tuée à Haut-le-Wastia.
Fig. 6.
Narcisse DEGRAUX,
84 ans,
tué à Thy-le-Baudhuin.
Fig. io-
Jules DUPËROUX, 19 ans,
tué a Saint-Aubin
Fig. i3-
Mathieu DETOURBE, 34 ans,
de Haut-le-Wastia,
tué sur la route de Moulins.
Fig. I 1 .
M. l'abbé Eugène DRUET, curé d'Acoz, 67 ans,
fusillé à Somzée avec ses deuN compagnons.
Fig. 9.
Alphonse SPILETTE, 45 ans,
de Fraire, lié à un canon
et massacré à Fosses.
Fig. 12.
André CHERM ANNE, 44 ans
tué a Jamagne.
Fig. 16.
Désiré SACOTTE,
42 ans,
tué à Haut-le-Wastia.
Fig. 14.
Ambroise LÉONARD, 45 ans,
de Haut-le-Wastia,
fusillé à Les Floyes (Sosoye) avec
ses compagnons.
Fig. i5.
Narcisse BORSUT, 59 ans,
de Haut-le-Wastia,
fusillé à Les Floyes (Sosoye) avec
ses compagnons.
4'
A 14 h. 3o, un premier obus allemand atteint Walcourt : le bombardement a
commencé, il s'intensifie vers t5 h. 3o, pour durer jusque 19 heures. Une maison
avec grange attenante, située « au Calvaire », au sud de la ville, est détruite et
incendiée. Vers t5 heures, les premiers soldats allemands sont aperçus près d'un
chalet en construction, d'autres pénètrent dans la propriété des Sœurs Ursulines (t).
A t8 heures, les Français ne tiennent plus qu'en petit nombre les alentours du
cimetière. Un officier et vingt soldats français furent tués sur le territoire de la
ville, dont six près du cimetière; également trois soldats allemands.
A >o h. 3o, au moment où le combat prenait fin, l'aumônier des Ursulines,
IA. Guillaume, sorti de la cave où il s'était réfugié avec des religieuses et avec
un groupe de civils, aperçut la collégiale en feu (2). La tour était déjà fortement
entamée. La pensée lui vient que le feu peut se communiquer à l'intérieur de
l'édifice et détruire notamment la précieuse statue de Notre-Dame de Walcourt : il
sort aussitôt, traverse la ville en courant et arrive sur la grand'place. Celle-ci
est couverte de soldats allemands, au nombre de près d'un millier, rangés
en un ordre impeccable et l'arme au bras. Trois officiers à cheval occupent
le flanc gauche. II aborde l'un deux, qui le renvoie à l'officier de tête. « Il y a, lui
dit-il, dans cette église une Vierge artistique, miraculeuse et très célèbre, puis-je
la sauver? » L'officier y consent et l'abbé pénètre dans la collégiale. Des étincelles
tombent dans le nef et déjà des chaises prennent feu. Il se dirige vers l'autel de la
Sainte Vierge ; mais la statue est restée dans le grand chœur, fixée par un écrou
au brancard sur lequel elle a été déposée pour la fête de l'Assomption. Il renverse
violemment le brancard, la statue se détache, il l'emporte et, essouflé, va s'asseoir
sur un banc, devant la maison de M. Lechat. De la toiture et de la tour de la collé-
giale s'élancent vers le ciel des colonnes de fumée et de feu avec des myriades
d'étincelles que le vent chasse au loin; des pièces de charpente s'effondrent avec
fracas, le plomb fondu découle des gouttières en petites cascades. Deux officiers
examinent maintenant la statue et autorisent deux soldats à la transporter; au bas
de la côte, ils la remettent à leur guide, qui achève le trajet, avec l'aide de
Mme Massart, et arrive bientôt au couvent. La Vierge y resta exposée jusqu'à ce que
le calme se rétablit en ville.
La chute de matériaux enflammés provoque, dès le 24 août, l'incendie de treize
maisons voisines de l'église. (Fig. 5.)
Dans la journée, les troupes arrachent et jettent par terre le drapeau de la
Croix-Rouge au château de Pumont, quelles saccagent; elles commencent le pillage
de la ville, qui se poursuivra pendant toute la semaine.
En ville, Maria Charlier, épouse Anciaux, est poursuivie de coups de feu, en
sortant de sa maison envahie.
A Gerlimpont, aux confins de Walcourt vers Silenrieux. le cadavre d'un
(1) Les troupes entrées à Walcourt appartiennent, pense-t-on, au 74e d'infanterie.
(.t) « Nous avons dû incendier la collégiale : c'était un trop beau poste d'observation pour les Français. "
Parole d'un officier allemand au doyen de la ville, M. Baré. Un machiniste de PEtat-Belge, M. Maguin, qui
s'était caché dans le bief du cours d'eau, au-dessus de la villa Delenne, vit s'allumer l'incendie. En un clin
d'oeil, les flammes émergèrent du toit et de la tour, d'une extrémité à l'autre.
42
vieillard est aperçu par les passants, puis on ne le voit plus et on ignore où il est
inhumé.
A la soirée, vers 22 heures, passage de convois d'artillerie.
Le 25 août, un ecclésiastique de la ville, M. Van Kerchove, est collé au mur
de la Kommandantur ; on lui arrache violemment le brassard de la Croix-Rouge et
on parle de le fusiller ; finalement, il est chargé de conduire deux officiers auprès
des blessés.
A 9 h. Zo, il se rend, avec M. l'abbé Guillaume, à la collégiale. Du jubé, dit
de Charles-Quint, ils voient s'élever un panache de fumée : le parquet en chêne
avait reçu des tisons enflammés, tombés de la voûte, et avait pris feu. Aidés de
quelques soldats que leur adjoignit un officier, ils font la chaîne et déversent sur le
foyer la quantité d'eau nécessaire pour l'éteindre. Ainsi fut sauvée cette remar-
quable pièce de sculpture.
N<> g23 Les habitants de "Rognée — écrit le curé de l'endroit, M. l'abbé Roland —
s'enfuirent le 23 août et se réfugièrent pour la plupart à Sautain ; ils rentrèrent à
partir du 25, à l'exception de 53 qui émigrèrent en France. Quatre vieillards étaient
restés au village : ils furent enfermés le 24 août dans une grange et subirent toutes
sortes de mauvais traitements. Les envahisseurs emportèrent des maisons les vivres
et le linge. Le château, qu'occupait M. Hubert, fut pillé de fond en comble; au
cours des mois d'août et de septembre, des autos et des camions-automobiles en
emportèrent tout ce qui était transportable; ce qui ne l'était pas (comme la cage
d'escalier, etc.) fut démoli à coups de hache.
|vjo 52. Fontenelle reçut des chasseurs d'Afrique, puis des zouaves et des turcos. Le
23 août au soir, il n'y restait que quatre hommes et quelques femmes. Le 24, à
2 heures du matin, l'ordre leur fut donné de partir, parce qu'un combat devait être
livré dans la région : Vital Noël resta seul au village.
De Fourbechies, où ils s'étaient abrités, le vicaire et la plupart de ses paroissiens
revinrent le 25 août à i5 heures, croisant des troupes allemandes, qui les
accueillirent avec des ricanements. Des soldats du 74e avaient brisé les portes et les
fenêtres des maisons, pillé les vivres, le linge et la vaisselle. A la chapelle, les troncs
étaient fracturés.
Le vicaire, M. Delvigne, et l'échevin, M. Fernand Guislain, furent faits otages
et passèrent la nuit suivante sous la tente.
Le 26 août, Florent LAUVAUX, 59 ans, cantonnier de la commune, fut retrouvé
tué dans une prairie non loin de la route de Castillon. On ignore les circonstances
de sa mort. Peut-être aura-t-il été pris pour un soldat français à cause de sa
casquette d'uniforme.
N° 525. De Caslillon on vit se dérouler le combat de Gozée. On ignore comment se fit
l'entrée des Allemands, car le village était, à leur arrivée, absolument désert. On
devine qu'il s'y est livré des escarmouches : des chevaux étaient tués devant la cure,
des tranchées avaient été creusées sur quelques centaines de mètres et on y décou-
43
vrait des traces de sang; un caporal français, Henri-Joseph-Charles Poissonnier (i),
gisait, transpercé d'une balle, la poitrine labourée d'un coup de baïonnette, les
poches des habits coupées. Le village fut pillé. Au presbytère, le coffre-fort fut
éventré et le portrait de M. Sevrin, doyen de Florennes. lacéré d'un coup de
baïonnette.
A Mertenne, les Allemands surprirent Augustin Noël et Edouard Tracet, qu'ils
forcèrent à danser et à boire en leur compagnie.
Le 18 août, relate M. l'abbé Leclercq, curé de Clermont, il vint au village des
chasseurs d'Evreux, qui partirent le lendemain. Puis ce furent des soldats d'infan-
terie de Tarbes et du 74e, qui quittèrent le 22 pour Tarcienne, au lieu de se rendre
à Farciennes, où ils étaient envoyés.
Le 23, la population commença à fuir.
Le 24, à 8 heures, des officiers français annoncèrent que des canons étaient
postés autour du village et qu'il se préparait une réédition de la bataille de Gozée.
Le reste des habitants s'en alla et il ne demeura au village que t3 personnes.
Des uhlans venant de Castillon apparurent le lundi soir et campèrent « au
blanc Vivier », où ils surprirent quelques zouaves français en état d'ivresse.
L'ennemi occupa le village le 25 au matin. Quatre-vingt-dix habitants avaient gagné
la France.
Al. Charles Bédoret reçut à Fourbechies, le 25 août, un passeport signé d'un
rittmeister du régiment des Hussards de la Garde du corps.
§ 3. — Baussois.
Daussois, sur la grand'route de Philippeville à Beaumont, est la
première localité que le Xe corps occupa au matin du 25 août.
Le feu fut mis à ce village le même jour, bien qu'il n'y restât en
tout et pour tout que deux moribonds : vingt-sept maisons devinrent la
proie des flammes, ainsi qu'on en trouvera le récit dans le document
ci-dessous, écrit par M. le curé Guislain.
Le 23 août dans l'après-midi, les habitants suivirent, des hauteurs voisines, la
bataille qui se livrait sur le front Gozée-Hanzinne, en suivant la ligne Marbaix,
Ham-sur-Heure, Nalinnes, Gourdinne et Somzée.
Le soir, à l'arrivée des fugitifs de la Basse-Sambre, la terreur s'empara de tous.
Le lendemain matin, il n'y avait presque plus personne dans le village. Il se vida
complètement dans 1 après-midi. L'arrière-garde française logea dans les maisons
la nuit suivante et s'empara des vivres qu'elle découvrit.
(1) Né à Saintes en 1892. Est parti au (eu le 22 à t5 h. 45 ; a gagni Rognée, puis Tarcienne. Revenu à
Castillon le 23 au soir, il tomba le 24 août, surpris, oense-t-on, dans une escarmouche.
44
L'ennemi quitta Yves le 25 août au matin (i), jalonnant le chemin de
bouteilles brisées, et se dirigea vers Daussois. Il restait dans ce village deux mori-
bonds. Un octogénaire. Alexandre Charles, fut emporté de sa maison par les
Allemands et déposé en pleine place sur un matelas. Une partie des troupes
stationna en haut du village et mit le feu aux maisons : vingt-sept furent complè-
tement brûlt es (2). Quant à l'autre quartier de la paroisse, un officier et des soldats
se bornèrent à en visiter les habitations. Le maréchal-ferrant fut obligé à fracturer
la serrure de la porte de l'église, et à enlever les drapeaux qui flottaient à la
tour, avec menace d'incendier l'église, s'il s'y refusait. Il eut la clairvoyance de
demander à l'officier une attestation. Elle lui fut délivrée en ces termes :
Luc Dubois à ouvert par mon ordre la porte de l'église de Daussois- Je l'ai fait reclouer.
PriNCE de Wrede,
Chef d'Escadron.
Peut-être l'incendie est-il dû à ce qu'un soldat allemand fut tué à mi-chemin
entre Yves et Daussois.
.^4. — Silenrieux.
Ce village, assis sur la route de Philippeville à Beaumont, fut
traversé par le Xe corps au matin du 25 août, avant qu'il obliquât vers le
sud-ouest.
Trente et une maisons de la localité furent sauvagement détruites, le
26 août, par une colonne de transports.
-Kj0 5 Des troupes françaises occupèrent Silenrieux (3) le 18 août. Le 22, les habitants
furent démoralisés, au retour du 74e d'infanterie, qui revenait décimé des combats
de Roselies et de la Sambre. Le 23, les Français creusèrent des tranchées vers
Boussu. sur les hauteurs qui dominent la route de Philippeville; ils y installèrent
(1) Nous connaissons l'itinéraire précis que suivirent ces troupes- M. Louis Bertrand, fils du bourg-
mestre de Velaine-sur-Sambre, les accompagnait. Réquisitionné avec cheval et voiture pour le transport de
blessés, par la Croix-Rouge du 77e (3* bataillon), 40e brig. 20' div. X'' corps, il est allé à Tamines le 21 et
le 22, en plein combat, ramenant chaque fois des blessés à Velaine, témoin sur tout le trajet du pillage et des
sauvageries des soldats.
Le 23, au matin, son compatriote Emile Guyaux et lui partirent sur Le Roux, menant chacun leur
attelage, puis sur DevanHe-Bois, où ils logèrent. Le 24, ils gagnèrent Yves-Gomezée, qui était en feu; ils
v logèrent à côté de deux saules creux, qui abritaient chacun un civil. Le 25, le convoi se dirigea sur Daussois
et Boussu-lez-Walcourt.
On a retrouvé à Daussois un gobelet en métal aux initiales du 92e régiment d'infanterie (qui forme avec
le 77e la 40e brigade.)
Le 46e d'art- (2e régiment de la brigade, avec le 10e) est aussi passé à Daussois.
(2) A la maison communale périrent les archives civiles et notamment le double de l'état-civil des nais-
sances depuis le XVe siècle . Citons aussi la ferme du château, du XVIIe siècle.
(3) Ce travail a été rédigé le 22 juin 1915, avec le concours du curé de Silenrieux, M. l'abbé Guillaume*
45
quelques pièces d'artillerie, posèrent une mitrailleuse près de l'église et prati-
quèrent dans la flèche du clocher une ouverture donnant sur les routes de Walcourt
et Philippeville. On n'a d'ailleurs tiré de là aucun coup de fusil.
Dans la journée, on assista au repli des Français, en même temps qu'au passage
des fugitifs de la Basse-Sambre, tandis que se déroulait le combat de Nalinnes.
Le 24, on exhorta la population à se retirer. Les derniers habitants partirent
lorsque, à 14 h. 45, une batterie placée à côté de la chapelle Sainte-Anne tira
quelques coups de canon dans la direction nord-est. Quelques obus ennemis, venant
des hauteurs dominant Vogenée, tombèrent dans le village et aux alentours.
Au soir, il restait à Silenrieux une poignée d'hommes.
Trois uhlans apparurent mardi 25 août à 5 h 3o. Un soldat belge se trouvait
encore au village et les regarda passer sans tirer.
A 7 h. i5, il vint une trentaine de uhlans, que suivit de près le gros de la
troupe, venant à la fois de Philippeville et de Walcourt. Ils ne rencontrèrent pas la
moindre résistance et pillèrent tout à leur aise les habitations; ils mirent le feu à la
maison de Jules Lambotte, qui parvint à l'éteindre.
Le défilé des troupes se poursuivit dans la journée, la nuit suivante et le
mercredi. Le 25, vingt personnes qui avaient fui rentrèrent.
Le 26 août à 17 h. 3o, une colonne du train arriva de Walcourt. Ainsi que l'a
rapporté Amour Masset, témoin de la scène, l'officier qui marchait en tête, arrivé à
3o mètres de l'intersection des routes de Philippeville et de Walcourt, tira à terre
un coup de revolver. « On a tiré sur nous ! » crièrent aussitôt les soldats; ils se
livrèrent à une fusillade générale, poursuivant de balles plusieurs civils qu'ils
aperçurent et, descendant de cheval, ils mirent le feu aux maisons (t). Le premier
immeuble incendié fut celui du commissaire-voyer, M. Martiny; puis ce furent les
maisons de Nestor Masset, de M. Piret, etc. Trente et un bâtiments, dont 26 maisons,
furent successivement détruits. D'autres eussent subi le même sort et le centre tout
entier eût péri si la pluie qui tombait n'avait contrarié l'action du feu eî si les habi-
tants n'avaient adouci la fureur des incendiaires en leur offrant des rafraîchissements.
Le calme ne revint que vers 23 heures.
Le 26 août se trouvait aussi à Silenrieux la 2e colonne sanitaire du Xe corps.
(1) Les incendiaires de Silenrieux nous sont connus par le Livre Blanc allemand (Anlage 3ç et 40, p. 55).
L'oberleutnant Stiemcke, commandant la 7** colonne de transports, et l'oberleutnant Schumann, commandant
la 4e colonne du Xe corps, venant de Fleurus, affirment que « les civils ont tiré du clocher, dans lequel ils
avaient pratiqué des ouvertures; l'attaque devait être préparée et le clergé local ne devait pas y être étranger. "
Les habitants de Silenrieux opposent à cela qu'il restait au village quelques hommes seulement, dont aucun
n'était ni à l'église, ni au clocher; le curé lui-même n'était pas chez lui, mais dans une section de la paroisse
située sur les hauteurs. Etrange attaque aussi, qui n'a amené ni tué, ni même blessé I
L'armée a fait grand état des faits de Silenrieux ; ils figurent sous le n° io sur la liste des faits criminels
que la Wilhelmstrasse a signalés à ses diplomates étrangers (Direction du Contentieux et de la Justice militaire,
à Paris, dossier 762); également au 'Rapport sur les actes d'boslililé commis par les prêtres et les religieux contre
les troupes allemandes, dont l'abbé Vanderbergh, de Vienne, put prendre copie, sous l'occupation, au Gouver-
nement général de Bruxelles.
46
IL — L'avance du corps de la Garde.
Dans le chapitre précédent, nous avons vu les ravages causés par le
Xe corps allemand dans la partie nord-ouest de la province de Namur,
après qu'il eut été aux prises avec le 3e corps français sur la Sambre,
entre Charleroi et Tamines.
Abordons maintenant la région située entre Tamines et la position
fortifiée de Namur, dans laquelle la Garde allemande (t) se rencontra
avec le toe corps et, le 23 août après-midi, avec le ier corps français.
Nous avons consacré un volume entier (le tome III) aux combats
qui se livrèrent les t \ , 22 et 23 août sur ce front de bataille : ils amenèrent
la Garde, le 23 août au soir, à la route de Rouillon à Fraire. (Voir
fig. i3o.) Les rapports qui vont suivre compléteront le récit de ces
combats en relatant les faits survenus à Furnaux, Biesmerée et Stave,
villages qu'occupaient, le 23 août, les troupes françaises.
Le présent chapitre est principalement consacré à la retraite du
10e corps français et à l'avance de la Garde jusqu'à sa sortie de la
province de Namur. Voici d'abord quelques données militaires sur le
repli des troupes françaises dans cette région.
Ordonnée le 23 au soir (2), la retraite s'opéra le 24 août de bon matin. A ce
moment, le front entre Oret et la Meuse était tenu par le toe corps, — comprenant
les 19e, 20e et 37e divisions — et par le 1" corps — comprenant la 5ie division de
réserve, la 8e brigade, la ire et la 2e division.
Le ier corps, en partie de la région de Sart-Saint-^Laurent et Lesves, en partie
de la région d'Anthée^Onhaye où il avait repoussé, au soir du 23 août, la menaçante
avance du XIXe corps saxon, se retira le 24 août sur Surice et Fagnolles, où nous
le rencontrerons plus tard, arrêtant pas à pas l'ennemi qui le suit de près.
Quant au 10e corps, qui tenait, le 23 au soir, la ligne Graux-Mettet-
Wagnée (3), au nord de la route de Bioul à Fraire, il ne disposait pour la retraite
que de la route de Philippeville, qu'il ne pouvait atteindre qu'en défilant longuement
en flèche, sous le feu de l'ennemi.
Tous ces éléments se décrochèrent pourtant sans combat, à l'exception des 2e
et 47e régiments d'infanterie (20e division) et de la 74e brigade (37e division^ qui
avaient reçu la mission de protéger la retraite et furent aux prises avec l'ennemi.
(1) Sur ce corps allemand, V. Hanotaux, Histoire illustrée de la grande guerre de 1914, VIII, p. 6o-
(2) Voir le texte de l'ordre d'armée dans Lanrezac, o. c, p. 184. A consulter aussi Hanotaux, o. c, VI,
p. 22 à 3o ; VIII, p. 72 et 76.
(3) V. Lanrezac, o. c, p. 180.
47
La 19e division s'écoula la première (1). A peine avait--elle achevé de s'écouler
au carrefour de Stave, que les obus allemands atteignaient les positions voisines de
la 37e division.
La 20e division avait déjà commencé à se replier par la route directe d'Oret à
Florennes, quand les 2e et 47e d'infanterie, qui constituent la 40e brigade, furent
fortement pressés à l'arrière et obligés de se retirer à travers bois, à l'est de Corroy,
sur la ferme des Pavillons où, jusqu'à \ 1 heures, l'encombrement fut extrême.
Dès 4 heures du matin, les avant-postes de la 37e division, qui devaient
empêcher l'ennemi de déboucher d'Oret et de menacer toute la retraite, étaient aux
prises avec l'ennemi. La canonnade avait repris sur toute la ligne et de violents
corps à corps s'engageaient dans les bois voisins d'Oret et aux abords des hauteurs
défendues par le 3e zouaves et le 3e tirailleurs. La 74e brigade (37e division) subit,
en se dégageant, des pertes sensibles. Elle retraita à partir de 7 heures par échelons
successifs, prise d'enfilade par l'artillerie ennemie. Le colonel Taupin, commandant
la brigade, fut mortellement blessé à 8 heures. Elle dut abandonner une partie du
matériel, mais put s'écouler vers Florennes, sans que l'ennemi osât poursuivre. La
37e division passa la dernière à Florennes et se reforma à la bifurcation des routes
de Philippeville à Rosée et Florennes.
Quand les troupes de la Garde se rendirent compte que les Français
abandonnaient partout le combat, elles allèrent de l'avant, suivant pas à
pas l'armée en retraite. On constate que, immédiatement, elles obliquèrent
vers le sud-ouest, vraisemblablement pour laisser le champ libre, dans
l'Entre-Sambre-et-Meuse, au XIe corps — qui ne fut retiré que le
26 août (2) — , ainsi qu'aux XIIe de réserve et XIXe corps saxons.
La Garde, qui avait occupé le 23 au soir Graux et Denée, traversa
le lendemain, de bon matin, la route de Rouillon à Fraire, pénétra à
Furnaux (rapport n° 532) à 6 heures et à Biesmerée fn° 533) à 9 heures.
Contenue quelque temps au nord de Stave par deux compagnies du
3e zouaves, qui avaient reçu la mission de protéger le repli des divisions
françaises, la Garde envahit Stave (n° 534), Florennes (n° 535), Morialmé
et Saint-Aubin (n° 536) entre 10 et 1 1 heures ; là, l'attendait de nouveau
l'artillerie française, qui ne lui permit pas d'aller plus avant.
En tête des rapports que nous allons publier, viennent deux travaux
relatifs à Sart-Saint-Laurent et à Lesves, villages qui se trouvèrent le
23 août dans le champ du combat de la Sambre.
(1) Le Dr G- Veaux, En suivant nos soldais de l'ouest, p. 69.-71, a consacré des pages intéressantes
à la retraite du 41e d'infanterie, 19e division, qui se fit dès le soir du 23 par Anthée, Florennes et
Mariembourg.
(2) L'ordre de le diriger vers la Russie fut communiqué à 3 heures du matin. Baumgabten Crusius, o. c,
p. 45. — On trouvera mentionné le passage de troupes de ce corps à Biesmerée, à Furnaux, à Stave et
jusqu'à Saint-Aubin
48
§ i • — Sart^Saint-Laurent .
Pendant que les éclaireurs allemands mettaient le feu à la ville
de Fosses, le zZ août vers 8 heures du matin et attaquaient le 10e corps
massé entre Scry et Saint-Gérard, le général Franchet d'Esperey
déployait le iei corps — qui avait quitté la Meuse pendant la nuit —
perpendiculairement au 10e, la gauche à Saint-Gérard, la droite à Sart-
Saint-Laurent.
Vers 1 1 heures, il déclancha contre l'ennemi, qu'il prenait de flanc,
un feu d'artillerie préparatoire à l'attaque; et il allait lancer énergique-
ment son corps d'armée contre la Garde, quand il apprit que le
XIXe corps saxon avait passé le fleuve en face d'Onhaye, menaçant son
propre corps d'armée à l'arrière. Forcé de renoncer à l'offensive, il
retira aussitôt du front la division Deligny, qu'il porta à Anthée, et la
8e brigade (général Mangin), qu'il dirigea sur Onhaye, où elle rejeta les
Saxons sur la Meuse.
La Garde occupa Sart-Saint-Laurent dès 16 heures (1).
N° 53o. Le 22 août, Sarl"Sainl"Laurent fut occupé par l'infanterie française. La nuit
suivante fut très agitée. A la soirée du 22 et le lendemain aux premières heures du
jour, presque toute la population s'enfuit vers Bois-de-Villers. Une première
messe fut dite à 4 h. 3o, à laquelle assistèrent quelques personnes seulement. Une
seconde messe fut dite à 9 h. 3o et il n'y avait pour ainsi dire au village que des
soldats français.
Bientôt ceux-ci se retirèrent vers Lesves, et alors commença, vers 1 1 heures,
un combat d'artillerie assez violent. Les canons français étaient postés au sud du
village. Le feu de l'ennemi, venant de la direction de Ham-sur-Sambre et Taravisée
atteignit l'église, ouvrant une vaste brèche dans le mur ouest, ébranlant le clocher,
endommageant les toitures, l'orgue et le mobilier. Des obus communiquèrent
l'incendie, à 14 heures, aux trois fermes Jacquemart, Defrenne et Boulanger, sises
« au Bijard », ainsi qu'à la grange de Camille Mathieu, dans le village même.
Après le combat, on retrouva « au Cheslon » les cadavres de deux Allemands
et du français Louis Taffin, sapeur au 3e génie, d'Arras; à « Folle-pensée » — où
ils furent mis en terre par des habitants de Saint-Gérard les cadavres de treize
Allemands du 2e régiment de la Garde à pied (2), et du sergent français Dubois.
A 16 heures, commença l'invasion. Les premières troupes, venant de Ham-
sur-Sambre, défilèrent pendant 3 heures dans la direction de Saint-Gérard; elles
furent suivies, le lendemain, des ambulances, qui stationnaient à Deminche.
(1) Cf. Hanotaux, VI, p. 22; Histoire illustrée de la guerre de 1914, Engerand, o. c, p. 537 ; Lanrezac,
o. c, pp. 172, 174, 175 ; La grande guerre écrite et illustrée, o. c. p. 78 et 79.
(2) On enterra aussi à <( Folle-pensée » 18 chevaux de l'armée allemande.
49
Le 24 août, la population revint au village et sauva partiellement les maisons
du pillage.
Le 25, à io heures, de nouvelles troupes, venant de Floreffe, commencèrent à
passer, jusque bien avant dans la nuit. Le bourgmestre, M. Dumay, fut requis de
les conduire à Wépion. Un coup de feu ayant été tiré — assurément par un soldat —
les troupes se livrèrent à des perquisitions, mais il n'y eut pas de représailles.
Le garde-champêtre, âgé de 71 ans, fut sur le point d'être mis à mort, parce qu'il
s'était montré avec arme et képi : les soldats lui lièrent les mains derrière le dos
et le rouèrent de coups.
§ 2. — Lesves.
A la suite de la retraite précipitée du ier corps, dans l'après-midi
du zZ août, la route des Six-Bras à Saint-Gérard, qui eût été si néces-
saire, pour la retraite, aux troupes belges de la division de Namur, fut
abandonnée dès 16 heures à l'ennemi, qui fit son entrée à Lesves.
Le premier geste des soldats de la Garde fut de mettre le feu à cinq
maisons et de se protéger derrière un religieux français et un médecin
belge, pour pousser une timide pointe en avant dans la direction de
Bioul (1). C'est, peut-on dire, grâce à ce manque d'initiative de la Garde
que les troupes belges Je Namur purent opérer leur retraite.
Le 25 août, commença sur la route de Bois-de-Villers à Saint-
Gérard le défilé des troupes du XIe corps et de la Garde qui avaient
participé au siège de Namur. Elles se comportèrent avec sauvagerie : le
feu fut remis à sept maisons et à deux granges et trois civils trouvèrent
la mort (2).
Le 23 août, la retraite de l'armée française délogée de la Sambre s'accentua
vers Fosses, Saint-Gérard et Lesves. Dès 10 heures, les obus allemands éclataient
vers La Levée, entre Bambois, Sart-Saint-Laurent et Lesves; mais le heurt fut parti-
culièrement violent vers midi, aux environs du « Bois-de-Graux », hameau de
Lesves dans la direction de Maison.
« Comme j'avais, raconte M. le curé, conduit à l'ambulance établie au Couvent
des Pères du Sacré-Cœur de Bétharram quelques Français blessés, dont un
capitaine, une estafette vint tout à coup crier : « Sauve qui peut! Les Allemands
« arrivent! » Ce fut une débandade générale. Les blessés valides partirent à pied;
(1) Le général von Biilow, chef de la IIe armée, écrit que, s'il n'est pas intervenu plus tôt pour barrer la
retraite à l'armée belge, c'est qu'il croyait que c'était affaire à l'aile droite de la IIIe armée- Non rapport,
o. c, p. 60.
(2) Le rapport consacré à Lesves contient le procès-verbal d'une enquête faite le 27 avril 1915 et corn»
plétée par des donnée que fournirent ensuite le R. P. François Carrère, religieux de la Congrégalion des
Pères du Sacré-Cœur de Bétharram, et l'abbé Jules Petit, curé de la paroisse-
so
les autres furent hissés dans la voiture d'ambulance qui accompagnait le capitaine
et dans les chariots du village qui stationnaient aux environs et le convoi prit la
direction de Bioul. »
Le R. P. François Carrère, du couvent du Sacré-Cœur établi à Lesves, a été
témoin oculaire de l'arrivée de l'ennemi. Voici ce qu'il raconte : « Il est 16 heures.
Une fusillade s'est fait entendre à proximité et quelques balles s'égarent déjà dans le
parc du couvent. A ce moment, le médecin me prie de l'accompagner dans sa maison,
où il doit prendre une trousse. Parvenus au coin du parc, nous apercevons derrière la
haie qui borde le sentier menant aux « Volées », tout près de la chapelle Saint-Roch,
un officier étranger. A côté de lui une mitrailleuse. Dissimulé derrière le buisson,
il braque ses jumelles sur la route de Saint-Gérard, pour se rendre compte sans
doute du nombre des Français postés près de la « chapelle aux Loups ». L'officier,
en gris, n'a pas de casque à pointe ; je le prends pour un Anglais — on a annoncé
qu'ils sont proches — et je lui demande : « Are you english? » De la main, il nous
fait signe de partir et, faisant demi-tour vers la maison Hemptinne, nous apercevons
devant nous, près de la maison Phileas, une colonne allemande, composée de
cavaliers, de fantassins et de canons, qui encombre la route. Nous nous disposons à
rentrer, mais ils nous ont aperçus. « Halte! otages! », crient deux uhlans. Un
officier braque son revolver sur nous, injurie, menace et crie : « On a tiré sur
nous! » Au docteur, qui lui a dit qu'il soigne des blessés, il répond • « Silence,
cochon ! » Placés en tête de la colonne, nous sommes bousculés et poussés en avant
à coups de crosse. |j On s'arrête devant la maison de l'instituteur : « Dans cette
maison, un homme a tiré sur nous, d'une fenêtre! Si nous le trouvons, vous serez
fusillés! — Mais nous ne pouvons être rendus responsables! — Silence, cochon de
Belge! » Acculés à la haie qui borde notre verger, face à la maison, nous voyons
les soldats briser les vitres à l'aide de leur fusil, visiter l'immeuble et, finalement, y
mettre le feu avec une essence contenue dans des bidons et dont ils enduisent portes
et fenêtres. Puis, en avant ! Deux autres maisons commencent aussi à brûler derrière
nous. Passant devant le chalet et le château, nous nous engageons sur le chemin de
Bioul, toujours poussés et insultés. Arrivés au bouquet de tilleuls, les canons et les
cavaliers entrent dans un chemin creux, les fantassins se couchent sur le sol;
mais l'officier et deux soldats nous conduisent 200 mètres plus loin, dans les champs
qui s'allongent vers la route de Saint-Gérard. Des balles sifflent tout à coup à nos
oreilles et j'aperçois une petite compagnie de Français cachés sous les tilleuls de la
« chapelle aux Loups ». Alors, on nous sépare. L'officier et un soldat, debout, se
placent derrière moi; un autre soldat derrière le docteur. Les balles sifflent toujours,
mais les Français aperçoivent sans doute les civils et cessent bientôt le feu. Puis,
entourés de milliers d Allemands, que nous voyons dévaler des « Voilées » et de
Lesves, ils agitent le drapeau blanc et sont faits prisonniers. A présent, notre
présence n'est plus utile ; nous sommes licenciés et un officier cycliste nous ramène
au village. II est 18 heures. »
Pendant la fusillade — continue M. le curé — je gagnai Besinne, section de la
paroisse, puis je revins à Lesves. La nuit fut fiévreuse, par suite des incendies qui
embrasaient partout l'horizon et des fusillades incessantes.
Le 24 août, comme j'achevais la Sainte-Messe, on me prévint que des blessés
51
gisaient dans les campagnes du Bois-de-Graux et je m'y rendis aussitôt. Le
R. P. Carrère s'y trouvait déjà. Nous confessâmes les plus blessés et les fîmes
transporter au couvent. De nombreux morts s'échelonnaient le long du chemin.
Escorté de deux paroissiens, je dépassai la ferme « des Voilées » et me dirigeai
vers la ferme « d'Hérende ». Comme je me penchais sur un blessé couché dans le
fossé, on m'avertit que les Allemands étaient à côté. Je me jetai à terre, mais déjà
des balles étaient dirigées vers nous : trois soldats tiraient du coin d'une pâture de
la ferme. Comme le blessé me suppliait de le sauver ou de lui procurer un revolver
« pour ne pis tomber aux mains des Allemands >, je regagnai le village, en longeant
le fossé et je revins avec une charrette à bras. Nous parvînmes péniblement à hisser
le malheureux sur le véhicule, tandis que, à plusieurs reprises encore, les trois
soldats déchargeaient leurs armes dans notre direction. Sans doute voulaient-ils
nous effrayer.
Dans l'après-midi, escorté de Vital Hennaux, un enfant de 14 ans, le seul qui
ait consenti à m'accompagner — le bruit s'était répandu qu'on tirait sur l'ambu-
lance — je me rendis de nouveau sur le champ de bataille. Nous agrandîmes en
profondeur des tranchées qu'avaient préparées les Français et nous traînâmes
16 cadavres jusqu'à cette tombe d'occasion.
Le 25 août, il ne fut pas possible de continuer les inhumations: le défilé des
troupes ayant fait le siège de Namur se poursuivit sur la route de Bois-de-Villers
à Saint-Gérard, depuis 6 heures du matin jusqu'au 26 août à midi. Ce fut la journée
de grande épreuve pour la population. Les soldats se ruaient dans les maisons,
l'arme au poing, menaçant, insultant, pillant...
Donat Dewez et son enfant, âgée de 7 ans, furent rencontrés près de leur
demeure et obligés à marcher avec les troupes, vers Bois-de-Villers. Passant près
d'un verger, le père s'offrit à cueillir quelques fruits pour la troupe et un fantassin
lui dit : « Partez vite! » Ils réussirent à gagner une maison voisine, d'où ils virent
quelques instants plus tard flamber leur logis, ainsi que l'habitation adjacente
appartenant à Marie Beaupère.
Vers le même moment, les soldats avaient aussi mis la torche à la maison du
cantonnier, Auguste Piot.
Près de l'arrêt du vicinal « des Auges », Jules Hadelin CRASSET, âgé de
35 ans, cueillait des fruits avec Constant POCHET, âgé de 17 ans, dans l'intention
de les offrir aux soldats. Tout à coup ceux-ci se mirent à tirer : Jules Crasset
tomba pour ne plus se relever. Constant Pochet était gravement atteint ; il fut
dépouillé de sa montre et d'une somme de 400 francs ; il mourut des suites de ses
blessures en décembre suivant.
Des incendies dévorèrent aussi, non loin de la place Verte, les maisons
d'Arthur Lambotte, Julien Tonon et Phileas Pochet, ainsi qu'une remise située de
l'autre côté du chemin. Le prétexte fut « qu'on y avait constaté la présence de
soldats belges et français ». En réalité, quelques retranchements avaient été
creusés le 23 dans le jardin Lambotte.
Victor DEMEUSE, âgé de 45 ans, fut tué d'une balle au moment où il essayait
de sauver quelques meubles chez Phileas Pochet. L'ayant appris dans l'après-midi,
après que j'eus enterré le soldat français Marcel Warocqué, je me fis accompagner
52
de quatre hommes et j'allai charger Victor Demeuse sur une civière. Les soldats
que nous rencontrâmes sur le grand'route étaient surexcités; ils m'accueillirent
par une bordée de cris et d'insultes, telles que « schweinpfarrer ».
On me demanda ensuite de me rendre « aux Bruyères », où je trouvai presque
mourante Valentine LEFEBVRE (fig. 7), âgée de 17 ans. Vers to heures du matin,
une escarmouche s'était produite dans les environs entre Belges et Allemands.
Quand elle fut achevée, les Allemands fouillèrent les maisons, pour capturer
les soldats belges qui s'y tenaient cachés. Chez Lefebvre, un crépitement se fit
entendre et Valentine cria qu'elle était atteinte. Un soldat, passant à vingt
mètres de distance, avait pris plaisir à tirer sur la porte fermée, et la balle,
traversant le bois, avait blessé l'enfant au bas-ventre. Elle mourut à la soirée.
Sortant de là, je passai chez Louis Stavaux où étaient soignés depuis le
matin une quinzaine de soldats belges blessés. Ceux-ci me racontèrent qu'après
avoir passé la nuit précédente dans les bois, ils avaient rencontré un jeune
lieutenant belge qui les avait exhortés à le suivre, disant qu'il les sauverait.
Quand ils débouchèrent, le z5, dans les campagnes de Lesves, entre la
« Guinguette » et la « Levée », un officier allemand les invita à se rendre. Le
lieutenant se retourna vers ses hommes et cria : « Feu! » Au même instant, les
fantassins allemands ripostèrent et les nôtres tombèrent au nombre de sept tués
et quinze blessés, tandis que le lieutenant disparaissait dans le bois avec ses
compagnons restés indemnes.
§ 3. — Vurnaux, Biesmerée et Stave-
II s'est livré le 23 août, à la lisière nord de ces trois localités, un
combat d'artillerie en liaison avec les engagements d'Oret, de Wagnée et
de Mettet, que nous avons relatés dans la IIIe partie (1), et qui eurent
pour effet de contenir l'ennemi jusqu'au lendemain à quelque distance de
la route de Rouillon à Fraire.
Le combat reprit à cet endroit le 24 août de bon matin, au moment
où se décrochaient les troupes françaises. Admirable fut notamment la
résistance du 3e zouaves : des éléments des 17e et 19e compagnies résis-
tèrent à la corne nord-est du bois entre les Croisettes et Wagnée, en
travers du chemin de terre descendant sur Wagnée, jusqu'à ce qu'ils
fussent faits prisonniers par Fennemi, qui débordait la position à droite
et à gauche (2).
La Garde, qui avait occupé Oret et Mettet le 24 août de bon matin,
traversa la route de Rouillon à Fraire et entra à Furnaux à 6 heures, à
Biesmerée à 9 heures et à Stave à 1 1 heures. Elle se conduisit dans ces
villages avec brutalité, mais sans commettre de crimes.
(1) P- 194 et ss.
(2) Voir aussi tome III, p. 190 et iq6.
53
C'est au lendemain que remonte ta malheureuse destruction du
village de Stave par les troupes du XIe corps, qui avaient participé au
siège deNamur. Soixante-quatorze maisons y furent incendiées, en l'ab-
sence des habitants et en dehors de tout combat, sous l'oeil complaisant d'un
général et de l'Etat-Major établis au château, alors que d'autres troupes
occupaient le village depuis un jour. Le capitaine von Heinelling, de la
83e brigade d'infanterie, XIe corps, a révélé le vrai motif de ce désastre :
« des soldats français ont tiré à Stave (i) »; mais il fait erreur en
alléguant que l'incendie est l'œuvre du combat : le canon a mis le feu à
deux maisons seulement; le restant a été incendié à la main et sans le
moindre motif plausible.
A Furnaux (2) le 3i août, l'artillerie française postée sur tes hauteurs con-
finant à Biesmerée et à « la Plate Pierre », tira dans la direction de Devant-les-Bois
et de Bossière.
Au soir, les Français se retirèrent dans le bois allant du « Gros Tilleul » au
chemin de fer Tamines-Dinant, et, pendant ta nuit, ils s'éloignèrent brusquement
vers le sud (3).
Des troupes de la Garde entrèrent à Furnaux le 24 août à 6 heures du matin ;
elles ne firent que passer et se dirigèrent immédiatement sur Ermeton et Biesmerée.
Elles mirent le feu à la maison de Jules Sacré, sur la route de Fraire à Rouillon.
Elles se rencontrèrent avec des soldats belges venant de Denée et se retirant sur
Ermeton, au bois du « Gros Tilleul » et dans les terrains avoisinant ce bois. Il y eut
aussi une escarmouche avec les soldats français (4). Sylvain Cassart, rencontré sur
un chemin, fut emmené sans rime ni raison, et déporté en Allemagne, d'où il ne
fut libéré que le 4 août 1915.
Il vint d'autres troupes de la Garde vers midi — elles se vantaient d'avoir
incendié Saint-Gérard. Elles se montrèrent insolentes, violentes, s'installant en
maîtresses dans les maisons, pillant tout ce qui leur tombait sous la main. Ces troupes
1 1) Voici la traduction intégrale de ce précieux document, daté du jour même de l'incendie, dont l'original
est conservé à Bruxelles aux archives de la commission d'enquête.
83e brig. d'inf. Stave, le 25 août 1914.
Le village de Stave a été incendii aujourd'hui par l'artillerie parce que des soldats français ont tiré de ce
village- Conjointement, l'avoir de la dame Sophie Reiter a été incendié. Elle est Luxembourgeoise et parle
l'allemand. Comme elle est innocente, prière de lui allouer après la guerre le prix de sa propriété détruite.
von Heinelling,
Capitaine et adjudant de brigade.
On relève aussi à Stave, au 26 août, un bon du 71'' d'inf., 76 brig., 38e div., XIe corps.
(2) Données recueillies par M. l'abbé Noël, curé.
(3) Le Dr G. Veaux, dans En suivant nos soldats de l'ouest, raconte une attaque, dont fut déjà l'objet
le 4«e (10e corps) dans la nuit précédente, p. 8t.
(4) Les gens du village enterrèrent sur place le 26 août, i3 Allemands et 21 Français, dont Jean
Chastre, 1907, Tn'le 270; Philibert Darmet, 1901, Toulouse 270; Jacques Roby, 1908, Limoges 2467.
54
partirent le 25 août à 6 heures du matin, conduites par un groupe de civils (i), qui
furent relâchés, les uns à Jamagne vers minuit, les autres à Cerfontaine le 26,
à 4 heures du matin.
Le 25 après-midi, un nouveau régiment, plus brutal encore que la Garde,
envahit le village, drapeau et musique militaire en tête : c'était le 167e, 44e brigade,
22e division, XIe corps. Le colonel s'établit au presbytère et se fit entourer de huit
otages, qui furent enfermés dans une place, étendus sur une couche de paille.
Les affaires commençaient à se gâter dans l'après-midi du 26 août, par suite d'excès
de boisson, lorsque ces troupes firent volte-face, rappelées dare-dare contre le front
russe.
N° 533. Le 23 août, un combat s'engagea entre l'artillerie française installée à la limite
nord du territoire de Biesmerée (2) et l'artillerie allemande postée aux environs de
Fosses. Quelques bombes éclatèrent dans le village, sans y faire de dégâts. Une
seule maison de la commune, sise à trois kilomètres du centre, sur la route de
Florennes-Mettet, fut partiellement détruite.
Lundi 24 août, à 9 heures, les troupes ennemies entrèrent dans le village et y
séjournèrent deux jours. On évalue à to,ooo le nombre de soldats qui y passèrent.
Ils appartenaient notamment au 62e d'infanterie, 40e brigade, Xe' corps.
Comme le bourgmestre, M. Felenne, se portait au devant des ulhans, ceint de
l'écharpe tricolore ; « Enlevez cela, hurla un officier, nous n'aimons pas ces
couleurs-là ! », puis il lui arracha l'écharpe d'un geste brusque et se la mit en
bandoulière. Emmenés une première fois dans les campagnes, avec Jules Ranwez et
Etienne Coilart, puis libérés, le bourgmestre et ses compagnons furent bientôt repris,
joints à un convoi de prisonniers belges et français et conduits à Mettet, où ils
furent internés à l'église. Après 48 heures de jeûne et de tortures morales — on ne
cessait de leur dire : « demain, civilistes, demain matin tous fusillés ! » — ils furent
dirigés sur Fosses, puis Gembloux, en endurant toutes sortes de brutalités. Après
un séjour de trois jours et trois nuits dans une pâture, un train de bestiaux les mena
à Soltau, d'où le bourgmestre revint après trois mois.
Le 26 août, au soir, l'armée cantonnée à Biesmerée partit pour Stave et
Florennes, et se fit précéder d'un groupe de civils, qui furent libérés à Stave.
Tout le village fut pillé. Rien n'échappa à la rapacité de la soldatesque : maisons,
magasins et caves furent partout mis à sac.
Des troupes du 94e (XIe corps) sont aussi passées à Biesmerée (3).
-jsjo 534 C'est en partie à la lisière nord du territoire de Stave (4) qu'eut lieu le
dernier effort des Français pour arrêter l'avance de l'ennemi qui avait passé la
(1) C'étaient M. le chanoine Demanet, professeur a l'Université de Louvain, M. Noël, curé à Furnaux,
MM. Maurice Polomé, Joseph Demanet, Félix et Jules Dinsart et deux étrangers.
(z) Rapport rédigé d'après les notes fournies par le bourgmestre, M. Felenne, et le curé, M. Pirlot.
(3) Les Archives de la Commission d'enquête, à Bruxelles, possèdent un écrit émanant de ce régiment,
qui est intitulé '■ Inf. Rgt. Groszherzog von Sachsen N° 94.
(4) Enquête faite sur place par les auteurs, en juin 1915; le récit émane de M. l'abbé Paquet, curé de Stave.
55
Sambre; leur artillerie était postée derrière les peupliers qui bordent la vieille
route Biesmerée-Oret, tout près du chemin de fer.
Quant aux Allemands, ils tiraient de Biesmes et de Mettet.
Les Français durent battre en retraite, menacés eux-mêmes par les troupes
qui avaient passé la Meuse (i).
Le 24 août, les arrière-gardes françaises traversèrent le village vers 8 heures.
Elles se trouvaient déjà bien loin dans la direction de Philippeville quand parurent
les troupes de la Garde, vers î 1 heures. Elles venaient de Mettet et d'Oret. Le curé
se trouvait pour les recevoir à l'entrée du village, avec l'instituteur. Il ne restait
avec eux que quelques vieillards, incapables de fuir. Un groupe de soldats se mit
à défoncer les portes des maisons et à les fouiller. D'autres se répandirent à travers
les jardins et les prés, à la recherche de soldats français. Cependant le gros des
troupes se forma en colonne et s'avança dans la localité avec, en tête, le curé et un
étranger réfugié au village- On arriva sans encombre dans la cour du château, où
quelques soldats français épuisés de fatigue et endormis furent surpris dans une
remise et faits prisonniers. La porte du château fut enfoncée et l'Etat-Major,
comprenant plusieurs généraux et officiers supérieurs de la Garde, s'y installa.
Vers 1 1 h. 3o, on prétendit que des coups de feu avaient été tirés sur les troupes
et M. l'abbé Paquet fut fait otage au presbytère, sous la garde de trois sentinelles,
jusqu'au lendemain à 8 heures.
Pendant ce temps, les troupes commençaient le pillage de toutes les maisons.
Mardi 25, à 8 heures, ces troupes s'éloignèrent, probablement vers Florennes.
A 14 h. 3o, on entendit tout-à-coup tirer le canon : de nouveaux régiments,
venant cette fois de Biesmerée, lançaient des obus sur un coin de la localité, avant
d'y pénétrer. Plusieurs maisons furent endommagées et deux furent incendiées par
ces projectiles. Les soldats pénétrèrent ensuite dans les rues en tiraillant sauvage-
gement dans tous les sens, bien qu'il n'y eût là ni civils, ni soldats; bien plus, ils
lançaient dans les maisons des cartouches incendiaires et y mettaient le feu. Ce jour-
là brûlèrent les maisons situées de la gare à la ferme de Mme de Blockausen, près de
l'église. Le curé fut, de nouveau, arrêté et les quelques habitants qui étaient restés
ou étaient rentrés furent rassemblés près de l'église. Le chef de la troupe, à cheval,
criait : « On a tiré sur nous, on va incendier le village ! » La conduite d'eau était à
sec : les civils en étaient rendus responsables et il fallait donner de l'eau sous peine
de mort. On finit par en découvrir un peu et, 3près des allées et venues, les habi-
tants furent poussés dans la cour des écoles, où ils restèrent jusqu'au lendemain
matin, sous la garde d'une troupe menaçante, à la lueur sinistre des incendies qui
s'allumaient de toutes parts.
Mercredi, 26, le curé fut de nouveau otage, avec le bourgmestre, dans la
maison où s'était installé un général; ils y restèrent jusqu'au départ, vers Corennes
et Rosée, des troupes incendiaires, dans la nuit de mercredi à jeudi. Pendant toute
la journée du 26, des incendies avaient encore été allumés de divers côtés et le
pillage s'était continué.
(1) Ils laissaient sur le terrain quatre ou cinq morts, dont le capitaine Contraine. qui furent inhu
place. Trois blessés furent soignés au presbytère; vingt-cinq, dans la grange de Mme Lucie Cognaux ; ils appa
tenaient au 8e d'artillerie.
mes sur
r-
56
Jeudi, 27, on put mesurer toute retendue du désastre : 74 maisons ne
formaient plus qu'un amas de décombres. Le centre était détruit, ainsi que les
maisons qui longent le chemin de la gare à Florennes par Cornelle. La ruine eût
été plus considérable sans les efforts qui furent déployés pour éteindre les feux
allumés ou pour décider les soldats à respecter certains immeubles ou pour amener
les chefs à faire cesser cette inutile dévastation.
A Stave, furent tués François KAYSER, 43 ans, de Spontin (Tome IV, p. 117),
qui fut inhumé au cimetière paroissial, et Léon FAUCILLE, 82 ans, de Stave, atteint
d'une balle dans la fusillade, en allant à la recherche de son bétail.
Des bons furent délivrés le 26 août par le capitaine Hôlhil, de la 7e comp. du 71e,
38e division, XIe corps.
§ 4. — Florennes.
Deux uhlans furent lues par un artilleur français le 24 août, à
10 heures, en pleine ville de Florennes, à la jonction des routes de
Philippeville et de Rosée : ce fait fut et resta pour la ville, pendant
de longues semaines, une grave et perpétuelle menace. Soldats, officiers
et généraux ne cessaient de redire « qu'on avait fait périr cinq
uhlans et qu'on soignait mal les blessés .allemands ». Ces propos,
qui avaient déjà provoqué le bombardement de la ville avant l'arrivée
du gros des troupes, déchaînèrent chez les soldats une surexcitation
qui grandit de jour en jour. Pour s'en faire une idée exacte, il faut
lire les incidents renseignés dans le rapport n° 535 et notamment les
brutalités inouïes infligées à un religieux jésuite.
Le 28, la ville fut sur le point d'être saccagée à propos d'un
dépôt d'armes : c'étaient les flingots de la marche militaire de la
Saint-Pierre, qui avaient fait peur à l'occupant!
Les jours de terreur durèrent jusqu'à la mi-septembre.
Dans le travail que nous faisons suivre, sont condensées les
données fournies par MM. le docteur Paul Rolin, Gustave Allard,
juge de paix, le R. P. Lafra, du couvent des Jésuites, et principa-
lement par M. H. Pector, agent-voyer, et M. l'abbé Sevrin, curé-
doyen de la ville. Les auteurs y ont ajouté les renseignements qu'ils
ont recueillis au cours d'enquêtes personnelles faites notamment le
10 septembre 1914 et le 19 juin 1915.
Nous joignons un court rapport sur Saint-Aubin, la dernière
localité que l'ennemi envahit dans la journée du 24 août. Un civil
y fut tué (rapport n° 536).
57
Le 24 août, à ta heures, une patrouille du 17e hussards, commandée par
e sous-officier Hermann Cuina, s'avança jusqu'à la Place Verte. En face
du café Génicot, elle fut attaquée par un artilleur français posté derrière une
cabine électrique, à côté de la gendarmerie. Deux hussards furent tués (1),
avec leurs chevaux; le sous-officier eut deux os fracturés à l'avant-bras. Le
soldat français s'approcha des victimes, ieur enleva quelques objets — de quoi
faire un trophée, — enfourcha un cheval désarçonné et partit dans la direction
de Philippeville.
Porté aussitôt chez le docteur Rolin, le hussard blessé ne tarda pas
d'exhorter celui-ci à arborer la Croix-Rouge et à mander un officier de l'armée,
dès l'arrivée des troupes en ville : le salut de Florennes pouvait en dépendre.
Posté à une lucarne de grenier, M. Rolin vit les Allemands arriver Place Verte et,
escorté d'un frère des Ecoles chrétiennes, Allemand d'origine, il se porta au-devant
d'un officier à cheval, le priant de se rendre chez lui. Ce dernier accepta.
Le blessé narra à son chef l'escarmouche, affirmant qu'il avait été blessé et
ses camarades tués par des culottes rouges. L officier — un général, au dire
du blessé — dit en français à M. Rolin : « Vous avez de la chance! Vous
alliez voir un beau feu! » Le blessé fut, quelques jours après, transporté au
lazaret n° IV du corps de la Garde, établi chez les Pères Jésuites.
Peu de temps après la scène qui vient d'être racontée, les Allemands
lancèrent sur la ville, de Somtet (Metîet), une cinquantaine d'obus. Trois
projectiles endommagèrent sérieusement la tour de l'église et le jubé de la
chapelle de la Congrégation; trois maisons voisines de la gare de l'Est —
elle-même fortement ébréchée, ainsi que la maison Collart — furent détruites;
il y eut aussi quelques dégâts en pleine agglomération.
A 14 h. 3o, le 17e hussards fit son entrée en ville et captura, près de la gare de
l'Est, quelques soldats belges de la retraite de Namur. D'autres régiments
suivirent (2).
(1) Le caporal Willem Bode et le sergent-trompette August Pape, du jc' escadron du 17e hussards.
Ils furent inhumés dans le parc des Pères Jésuites et transférés, en juin 1918, au cimetière militaire.
Quatre autres soldats sont tombés à Florennes, dont deux Allemands, un Français et un Belge;
de plus, 38 blessés sont décédés à l'ambulance des Pères Jésuites, un chez M. le docteur Rolin, un à
l'école communale des filles. Nous connaissons les noms des suivants : Maurice Baudin, 10e d'art. ;
Gustaue Binet, iSô^d'inf.; Victor Boullis, 2e d'inf.; René Cappocq, 8e d'inf.; Jean Chicot, 2e zouaves;
Emile Debrieu, 3e zouaves; sergent H. De Kersaintgilly, 70e d'inf.; Mariville Desainte, 110'' d'inf.;
Julien Dodier, 70e d'inf.; Marcel Favier, 3e zouaves; Gasni, 3e zouaves; François Gillet, 40e d'inf.,
tous décédés à l'ambulance; Pierre Gyomarck, de Quimper ; Joseph Hardy, 2e d'inf.; Albert Jacquart,
33e d'inf.. de Lille; Pierre Janvrin, du génie, de Piouvay ; Emile Lebernicheur, de Rennes; René Legalle,
de Quimper ; Pierre Legallet, de Lorient ; Albert Lefranc, 25'' d'inf., de Grandville ; Maurice Libert,
3r)e d'inf., de Seine; sergent René Micouin, i36e d'inf., de Granville ; Nabi Mohamed, 6e tir. alg.;
Pierre Moisan, 241e d'inf., de Saint-Lô ; Jean Paris, 6e génie, de Saint-Malo ; Sassy, tir. alg.;
Georges Thery, 273e d'inf., de Hénin-Liétard ; Auguste Travert, de Cherbourg.
(2) Les troupes qui sont passées à Florennes appartenaient aux unités suivantes : Leib Garde Husaren ;
Garde Ulanen rég. t et 5 ; icr, 2e, 3e et 4e rég. de la Garde à pied; ier, 2e, 3K et 4e rég. des Grenadiers de
la Garde; 143 rég. d'art- de camp, de la Garde; bat- de pionniers de la Garde; 100e, toic, 102e et io3e rég.
de réserve; 12e bat. de chasseurs de réserve; 23e rég. d'art- de camp- de réserve; rég- des hussards de réserve
de Saxe, etc. Ces renseignements, et d'autres précieux détails, nous ont été communiqués par M. Pector,
à Florennes.
58
Presque tous les habitants avaient fui : il restait le bourgmestre et les
conseillers communaux, M. Gustave Allard, juge de paix, M. Benedix, commissaire-
voyer, les Pères Jésuites du Collège, les Frères des Ecoles chrétiennes, les
religieuses de l'enseignement et de la charité, et un petit nombre de particuliers.
Après s'être présenté chez le juge de paix, M. Allard, le général se fixa dans
une maison voisine. Comme M. Allard lui demandait ce qui avait amené le bombar-
dement, il répondit : « Ici comme ailleurs, les civils ont tiré sur nos soldats. » A
priori et sans examen, il accusait les civils; mais il dut reconnaître son erreur
lorsqu'il eut interrogé le blessé.
Dès l'entrée des troupes, le doyen de la ville demanda à parler à un officier
sachant le français et lui rappela la promesse de l'Empereur d'épargner la population
civile. L'officier se déclara prêt à respecter cet engagement.
Le doyen alla ensuite visiter, vers i5 heures, les malades qu'on n'avait pu
transporter et constata de visu que les troupes pillaient les maisons abandonnées.
En rentrant, il conseilla aux religieuses et à quelques familles réfugiées chez
M. Dupierreux de réoccuper leurs maisons, pour les sauver du pillage. Le soir,
des soldats surexcités par la boisson, saccagèrent les portes et les fenêtres de
plusieurs habitations.
Le 25 août à 8 h. i5, le commandant de place pénétra de force au presbytère,
criant à tue-tête qu'il allait faire fusiller le doyen, parce que l'on avait sonné la
cloche pour la messe. Cet homme brutal écumait; il partit en hurlant. M. le doyen
envoya le clerc pour arrêter l'horloge, mais il avait été devancé par des soidats, qui
avaient déjà coupé les cordes des cloches.
Vers 9 heures, des médecins de la Garde impériale prirent possession du
Collège des Jésuites « au nom de Guillaume II ». La visite était à peine terminée
qu'une troupe en armes envahit la cour et l'officier qui la commandait somma le
R. P. Jean Lafra, ministre de l'établissement, de l'accompagner pour la recherche
des armes dans le couvent. Le P. Recteur se joignit bientôt à eux. Comme on
n'avait pas eu le temps de se munir de toutes les clefs, l'officier fit défoncer quelques
portes, puis il arrêta le Recteur, « à cause de sa lenteur et de sa négligence dans la
perquisition ». En vain, le P. ministre invoqua-t-il sa responsabilité en la matière;
« Vous, lui répliqua l'officier, vous serez fusillé, si on profère à Florennes la
moindre menace contre nous! », Le Recteur fut conduit au local Saint- Jean et.
dans l'après-midi, dirigé sur Mettet.
Un scolastique, le P. Weber, obtint un passeport pour porter à son supérieur
quelques objets indispensables; en réalité, il songeait à se constituer prisonnier à sa
place. Le Recteur fut, en fait, libéré le lendemain, et son subordonné fut conduit à
Marche, où il fut retenu jusqu'à la fin de septembre.
Le prince Eitel, en visitant l'ambulance, avait répondu à un religieux « que le
cas du Recteur relevait du médecin en chef)). Le doyen tenta une démarche auprès
d'un général, qui lui dit : « Ignorez-vous, Monsieur, que dans cette maison on a
fait périr cinq uhlans? — Sur mon honneur, on a soigné vos blessés comme les
autres. — Jurez tant que vous voulez : il y a accusation! ».
Le P. Lafra faisait de son côté des démarches pour délivrer son supérieur, et
s'était fait accompagner d'un médecin et d'un cavalier allemands. Il se rendit à cette
59
fin chez M. l'échevin Pestiaux, puis chez un boulanger, M- Havenne, chez lequel
était en quartier l'officier qui avait procédé à l'arrestation. Chemin faisant, un
sous-officier braqua sur lui son browning, en disant : « Vous, je vais vous tuer! —
Et pourquoi? — Parce que vous soignez mal nos blessés! — C'est faux, nous les
soignons de notre mieux! » Chez M. Havenne, plusieurs sous-officiers prenaient
un repas dans la salle à manger; ils vinrent au religieux avec une curiosité, ou
plutôt une colère peu dissimulée. La sentinelle fit signe de son fusil qu'il allait être
fusillé. A ce moment, déboucha à son tour dans le corridor le sous-officier qui,
peu de temps auparavant, l'avait menacé ; il s'écria d'un ton élevé et dédaigneux :
« Vous, prêtre catholique, la race la plus sale... » A ces mots, la fureur se peignit
sur le visage des autres, qui parurent disposés à se jeter sur lui, au point que
l'insulteur qui avait déchaîné cette rage sembla craindre les résultats trop violents
de ses paroles et interposa lui-même ses larges épaules entre les agresseurs et la
victime. Les efforts du médecin pour dégager le P. Lafra furent vains ; on lui
arracha le brassard de la Croix Rouge et, dans une mêlée rapide, il fut roué de
coups et jeté sur le dallage du corridor, puis précipité dans la cave, d'un énergique
coup de coude. Il réussit à saisir la frêle rampe de l'escalier, le long de laquelle il
se laissa choir, en sorte qu'il tomba moins lourdement sur le sol pavé de la cave.
Il put sortir par une porte qui donnait sur la rue, s'engagea dans un porche ouvert,
où des uhlans étrillaient leurs chevaux, traversa une haie et s'assit sur le sol en
face d'un mur fort élevé ; il sentait le besoin de se reposer de ses émotions et se
recommandait à la Providence.
« Il pouvait être midi, raconte le P. Lafra. Bientôt j'entendis des voix, mes
agresseurs avaient suivi une piste, ils accouraient. J'allai vers eux. Le premier qui
arriva, un simple soldat, me saisit par la main; c'est tout ce que je vis et remarquai
de net. Je me sentis sur le champ renversé, frappé avec force sur la tête, dans le
dos, soulevé, puis rejeté par terre, au milieu de vociférations et d'injures affreuses.
Je ne pus me rendre compte du nombre des assaillants, ni des armes dont ils se
servaient pour me battre; ils devaient avoir des fusils, des fourreaux de sabre ou
de baïonnette, et une fourche.
» Dès le début, j'avais décidé de faire le mort, je ne poussais aucun cri, je ne
remuais aucun membre. Rentrant ma tête dans les épaules ou la laissant retomber
sur la poitrine, je n'étais plus qu'une masse inerte, un homme assommé.
» Soudain ceux qui me battaient se retirèrent. Je n'étais plus à même de
bouger; d'ailleurs je préférais, par prudence, rester immobile...
» Au bout d'un temps que je ne saurais déterminer, mes ennemis revinrent et.
cette fois, leurs coups furent abominables. Je ne me souviens pas de tout, car je
perdis connaissance; mais j'ai gardé le souvenir de ce qu'ils nomment la schlague !
Je me souviens de certains coups, qui devaient mètre portés avec une crosse, dans
le dos, et je me disais : « Mon Dieu, quel sera le dernier de ces coups? Quand
arrivera la syncope finale qui me transportera près de Vous? » Un moment je crus
que mon âme se séparait de mon corps : le sang me monta de la poitrine à la
bouche et à la tête ; puis, à travers les paupières fermées, j'aperçus comme une
aurore douce et brillante. Était-ce la mort?
>> Non ! Je revins à moi ; j'étais sur le dos et mes ennemis me dépouillaient...
6o
» J'entendis aussi parler de baïonnette, de revolver. Ils voulaient peut-être
m'achever de cette façon, mais me croyant sans doute mort, ils se contentèrent de
me retourner et me donnèrent sur la nuque un tel coup de talon et de crosse que
le nés, les joues, la bouche entrèrent dans la cendrée du chemin. J'y aurais rapide-
ment étouffé, si ces hommes ne m'avaient ensuite renversé sur le dos. Je reçus
quelques coups de pied encore, puis ils partirent.
» Je faisais toujours le mort et je ne cessais de répéter mentalement la seconde
partie de Y Ave Maria, demandant la grâce de ne pas mourir loin de nos Pères, dans
ce coin isolé... Une heure, je crois, se passa ainsi. Mes forces diminuaient. Les
mouches, attirées par le sang, me couvraient la tête et le visage. Qu'ailais-je
devenir ?
» Soudain, j'entendsdu bruit, des pas, des voix. Un groupe s'approche de moi.
Ce sont des Allemands. L'un d'eux me pousse du pied, un autre se penche et dit en
français : « Mon Dieu ! Mon Dieu ! » Il met ses bras autour de mon cou et me
dresse sur mon séant. Ce mouvement me cause une grande douleur et une syncope
de quelques instants. Quand je reviens à moi, je sens qu'on me lave avec de la
paille mouillée, un arrosoir tout entier est versé sur ma tête, au risque de me
suffoquer. Alors je fais un mouvement involontaire. Celui qui me lave s'arrête et
approche de mes lèvres sa gourde remplie de vin.
» Le bon Samaritain — je l'appelais ainsi en ce moment — me dit : «Dcminus
vobiscum ! » Je ne répondis pas. « Ami ! reprit-il. vous m'entendez, je suis ami ! »
J'ouvris légèrement l'œil droit, assez pour apercevoir la Croix-Rouge sur l'uniforme
allemand. Je m'enhardis à le prier, très bas, de me procurer un prêtre. Un soldat
partit et ramena bientôt M. le doyen, qui me conféra l'absolution et l'extrême-
onction.
» Le charitable infirmier et ses aides firent un brancard à l'aide de rames de
haricots, me recouvrirent d'une grande toile rouge aux extrémités lacérées —
c'était, me dirent les sœurs, un morceau de drapeau belge — et me transportèrent
au Collège.
» Le docteur Rolin et les majors français ne me cachèrent pas leur inquiétude.
Mon état leur semblait grave. Les balafres de la tête et de la figure ne faisaient
présager rien de dangereux, mais toute la partie supérieure du corps était para-
lysée ; le dos, grièvement contusionné, ressemblait à du foie noirâtre, et des vomis-
sements incoercibles me secouaient douloureusement. J'allais cependant échapper à
la mort, grâce aux soins dévoués des Sœurs de Charité. Je ne devais garder de mon
acccident qu'une propension très marquée aux vertiges et un affaiblissement
général qui, pourtant, semble disparaître.
» Avant son départ de Florennes, l'infirmier de la veille vint me dire adieu.
J'oubliai de lui demander son nom et son adresse. Je sais seulement qu'il est juge
de paix dans une ville d'Allemagne. »
Le P. Lafra avait été laissé pour mort, car un Allemand dit chez M. Bertrand :
« Nous venons de tuer votre Pasteur. »
Florennes compte quelques victimes. Adolphe LAMBOT, 24 ans, revenant de
Vireux le 25 août, a été abattu d'un coup de feu à l'entrée du bois qui relie Soulme
à Rosée.
6i
Muu Lefert, née Angélique Hubert, revenait de Merlemont avec sa vieille
mère, Adolphine DUMONT, veuve J.-B. HUBERT, 86 ans, ainsi que son mari et
sa fille. Ils reçurent des coups de feu le 2.5 août, à 8 heures, près de la gare de
Villers-le-Gambon : Mme Lefert en resta estropiée; sa mère, blessée, vécut encore
quelques heures.
Hortense Bélisandre, épouse de Lucien Dubois, reçut aussi une balle à la
jambe en revenant sur la route de Philippeville à Dinant.
Le 2.6 août, la situation s'était aggravée. Une sinistre rumeur circulait : la
ville serait réduite en cendres si l'on découvrait des armes.
On craignait — à tort, tant la terreur était grande et contagieuse — que l'un
ou l'autre civil, rentrant de son exode et trouvant sa maison dévastée, ne fît un
mauvais coup. Le juge de paix et le doyen de la ville firent une démarche auprès
du général, pour obtenir que la population ne fût pas rendue responsable d'un acte
isolé, mais il s'y refusa formellement. L'affiche suivante fut placardée le jour
même :
A LA POPULATION DE FLORENNES
Les habitants de Florennes doivent remettre aujourd'hui même leurs armes à l'hôtel de ville. Ceux qui
rentrent doivent faire le même dépôt avant de s'installer dans leur maison.
Nous renouvelons la défense que nous avons faite, plusieurs fois, de tirer sur un soldat allemand.
Les habitants du quartier dans lequel on aurait tiré sur un soldat allemand risqueraient d'être passés par
les armes.
Florennes, le 2.6 août 1914.
Le Bourgmestre,
V. Devuyst.
Le 28, nouvelle alerte : les Allemands menaçaient de tout saccager, si on ne
leur dénonçait un dépôt d'armes qu'ils prétendaient exister dans la localité. Comme
M. le doyen demandait des précisions au commandant, il répondit : « Nous savons
que ce dépôt existe, à vous de le dénoncer, c'est la guerre ! » En fin de compte on
se demanda s'il n'était pas question des armes de parade servant à la Saint-Pierre.
Les vieux fusils et les défroques militaires furent livrées aux Allemands, qui
s'apaisèrent.
La ville était encore sous le coup des menaces quand vinrent à Florennes, le
10 septembre, deux délégués de Mgr l'évêque, le vicaire général Debois et le
chanoine Schmitz, qu'accompagnait un officier allemand. Les soldats s'enivraient,
tiraient toute la nuit, puis accusaient la population. C'est en tenant compte de ce
fait qu'il faut lire lavis placardé le 9 septembre (1) informant que « dans la nuit du
8 au 9 septembre, des actes de mauvais gré avaient été tentés contre l'officier
habitant la maison du chef de la gare centrale ». A l'occasion de la visite de ces
délégués ecclésiastiques (2), le doyen dit au lieutenant Maurer, qui les accom-
(1) Souvenirs historiques, Brian HîH, Bruxelles, p. 16.
(2) Le rapport de ces délégués terminait ainsi : '( Nous supplions Votre Grandeur d'intervenir auprès de
l'autorité militaire pour ramener la sécurité et la paix dans ce pays si éprouvé... Florennes vit encore, chaque
jour, sous la menace de l'incendie et de la fusillade. Il est bien établi que les soldats s'y livrent à des excès dans
la boisson. "
02
pagnait : « Vos hommes ne sont plus des soldats, mais des souîards ! » L'officier
demanda à être conduit à l'hôtel de ville, où il harangua les troupes rassemblées.
Depuis, elles se montrèrent relativement paisibles.
N° 536. Sainl"Aubin (i) fut occupé par les Français du 14 au 20 août.
Dans la matinée du 24, les Français résistèrent quelque peu à l'avance
ennemie. Leur ligne de combat s'étendait de la gare d'Hemptinne à Chaumont,
passant à i,5oo mètres au sud de Sainte-Aubin. L'artillerie était postée un peu plus
loin. Des officiers prévinrent les quelques habitants qui n'avaient pas fui, que le
village serait vraisemblablement anéanti dans le combat. Ils ouvrirent le feu
à 9 heures sur Oret, Morialmé, Pavillon et tirèrent une centaine de coups-
L'ennemi ne répondit pas. Les soldats Antonin Canin, de Lyon, et Alfred Auberger,
de Montluçon (126e zouaves), tombèrent sur le territoire de Saint-Aubin (2) et
reposent au cimetière militaire de Florennes.
Vingt-cinq personnes restaient au village quand parurent les premiers Alle-
mands le 24 août, à 10 heures, venant de Florennes. A 17 heures, des masses
évaluées à 10.000 hommes traversèrent les campagnes situées au nord, dans la
direction de Morialmé et envahirent le village, les pâtures et les bois voisins.
Elles y logèrent et partirent ensuite sur Hemptinne, d'où elles se divisèrent entre
Philippeville et Jamagne. On nota la présence du 2e régiment d'artillerie de
campagne de la Garde (2e division de la Garde), oberst. von der Hardt.
Ces troupes furent remplacées par d'autres, presque en aussi grand nombre,
les deux nuits suivantes (3).
Les maisons furent pillées de fond en comble. A l'église, les troncs furent
fracturés.
Jules DUPÉROUX (fig. to), 19 ans, revenait de Philippeville le mardi vers
5 heures du matin, quand il rencontra des soldats qui gagnaient Hemptinne : ils
tirèrent sur lui, une balle lui transperça la tête. Ils lui labourèrent ensuite la
poitrine et les reins de coups de baïonnette. On le retrouva jeté dans un champ
d'avoine, sous quelques gerbes qui le dissimulaient aux yeux des passants.
§5. — Vers la frontière.
L'ennemi fut— il intimidé, le 24 août, par les quelques pièces d'artil-
lerie française qui tirèrent sur lui d'Hemptinne : toujours est-il qu'il ne
dépassa pas ce jour-là Florennes et Saint-Aubin ; ce qui permit l'écoule-
ment sans encombre, non seulement des trois divisions formant
le 10e corps, mais aussi des troupes du 3e corps qui combattaient encore
en ce moment aux environs de Walcourt.
(1) Voir Journal d'un officier de cavalerie, Parts, Berger.-Le\rault, p. 17.
(2) Le soldat belge Charles Henrard, d'Etnines, est aussi tombé à Sainte-Aubin.
(3) Une liste de bons de réquisition conservée aux archives de la Commission d'Enquête à Bruxelles signale
au 24 et au 26 août plusieurs bataillons des 95e. 76e brigade, 38e division, XIe corps.
63
Résumons ici les données militaires (i) concernant ia retraite
du loe corps, de Florennes à la frontière française.
La 19e division acheva de traverser Fîorennes le 24 août entre 9 et \o heures,
et poursuivit paisiblement sa route vers Philippeville. De là, sans cantonner, par
une pénible marche de nuit, elle gagna Lomprez, Aublain, Couvin et Pesche.
La 20e division traversa Florennes en même temps que la queue de la 19e divi-
sion et, par Hemptinne, gagna aussi sans incident Soumoy, Daussois, Falemprise,
où elle arriva à 14 heures. A 16 heures, la cavalerie allemande ayant été signalée
à Silenrieux, l'ordre fut donné précipitamment de se replier sur Cerfontaine.
A 18 heures, les troupes, bien qu'exténuées, gagnèrent à travers bois et dans
l'obscurité la ville de Chimay.
La 37e division passa la dernière à Florennes : la j¥ brigade défila par la lisière
est et la voie ferrée, gagnant Philippeville ; la 74e brigade utilisa la grand'route et se
dirigea sur Neuville et Villers-deux-Eglises. Sans délai, ces unités continuèrent sur
Boussu-en-Fagne et Dailly.
Le 25 au matin, la Garde reprit sa marche en avant, passant succes-
sivement à Hemptinne (rapport n° 537), à Chaumont (n° 538), à
Jamagne (n° 53c) — où fut tué André Chermanne (fig. 12) — , à
Villers-deux-Eglises (n° 540) — où deux maisons furent incendiées — ,
à Soumoy (no 541), à Senzeilles (n° 542) et à Cerfontaine (n° 543).
De là, la Garde, dépassant la limite de la province de Namur, se
dirigea sur Froid-Chapelle, Rance, Chimay et Ohain (voir fig. t3o).
Six cents zouaves de Baïra (Sahara) logèrent à Hemptinne (2) le 21 août et
partirent le samedi 22, à 23 heures, dans la direction d'Oret. Ils repassèrent le 24
à 7 heures, disant que, depuis 3 heures du matin, ils étaient couverts de shrapnels
et qu'ils se retiraient sur Mariembourg. Des troupes de cavalerie étaient aussi venues
le 23, à 23 heures, d'Hanzinne et de Morialmé; elles passèrent la nuit le long des
haies et dans les chemins. Le 24, à 8 heures, un canon prit position entre Saint-
Aubin et Hemptinne; à 9 heures, trois canons ramenés de la région d'Hanzinelle
furent installés à côté du premier et, ensemble, ils tirèrent une dizaine de salves
contre l'ennemi. Celui-ci ne répondit pas, et l'artillerie se retira aussitôt vers
Philippeville.
Les premiers Allemands, des uhlans, parurent le mardi matin, 25 août. Arrivés
à la chapelle de Sainte-Brigitte, à 5 h. 3o, ils prirent l'une et l'autre bifurcation.
L'infanterie suivit à 6 h. 3o ; d'abord deux bataillons, puis à 10 heures, une masse
évaluée à 8.000 ou to.ooo hommes, venant de Saint-Gérard, avec ambulances (3).
(1) Elles ont été puisées à la Section historique de l'Etalr'Major général, à Paris.
(a) Les renseignements si précis contenus dans ce rapport ont été reçus le 22 octobre 1914, de M. l'abbé
Ch. Jos. Bilquin, curé de l'endroit.
(3) Noté sur un bon de réquisition l'indication suivante : 7e compagnie du iet régiment de la Garde.
64
Le village offrit, ce jour-là. un spectacle extraordinaire : on y comptait cinq
campements importants. A i3 heures, le défilé commença dans la direction de
Jamagne, Jamiolle. Villers-deux-Eglises, Senzeilles et Cerfontaine. et se poursuivit
tout l'après-midi. Le curé était resté presque seul au village. Ayant remarqué que
les officiers criaient et hurlaient, il se mit à faire de même, non sans succès. Les
méfaits se bornèrent au pillage et au sac des maisons. Portes et fenêtres furent
brisés. C'était plaisant de voir le va-et-vient des soldats, charriant sans relâche les
vins hors des caves à l'aide de seaux de cuir.
Le 2.6, un dernier passage de troupes mit fin à l'invasion.
N" 53?. A Chaumonl. lundi 24 août, de midi à t5 heures, un feu de shrapnels fut
ouvert par l'ennemi sur les arrière-gardes belge et française (1). Les Allemands
n'entrèrent toutefois au village que le lendemain, à 16 heures, et pillèrent les
maisons abandonnées, emportant jusqu'aux linges et literies.
N° 539. Les habitants de Jamagne s'enfuirent le 23 août.
Le 24, il ne restait que trois hommes deux furent faits otages; le
troisième, André CHERMANNE, 44 ans, fut tué dans un fossé, sur la route de
Philippeville, en voulant se rendre dans le pâturage où paissaient ses chevaux.
Quand les gens revinrent de Géronsart ou de Gonrieux, à travers la forêt
de Senzeilles, ils trouvèrent leurs maisons mises à sac : les portes et fenêtres
étaient brisées ; les provisions, linges et ustensiles enlevés ; les étables et
porcheries vidées; des bouteilles vides jonchaient les chemins, trahissant les
orgies auxquelles s'étaient livrés les soldats de l'ambulance et les artilleurs qui
avaient occupé le village.
j,jo g .0 Les premiers Français arrivèrent à Villers~'DeuX'''Eglises le 14 août. Il en vint
tous les jours qui suivirent, notamment le 270e, le 20 août. Ces braves Bretons
assistaient à toutes les cérémonies religieuses et les officiers prenaient place dans
le chœur.
Le départ des habitants commença le 23 août et se poursuivit le 24 ; ce jour-là,
quand le village fut envahi par 200 à 3oo turcos, harassés et affamés, qui se préci-
pitèrent dans les maisons à la recherche de vivres, il y restait à peine dix personnes.
Ces turcos furent dirigés le soir sur Neuville et Mariembourg.
Beaucoup de fugitifs s'étaient arrêtés dans les bois de Senzeilles et revinrent
dès le lendemain.
(1) Y trouvèrent la mort cinq soldats belges et deux français, à savoir : Sixte, Louis-Joseph, du
i3e de forteresse, de Grand-Leez, atteint à la poitrine dans un champ d'avoine au lieu dit " Saint-
Joseph >' ; Dassy, Louis, de Honnay; Franz, Jean-Joseph, d'Autelbas, et Gérard, Léon, de Suxy, tous
trois du «3e, dont les deux premiers tombèrent à 200 mètres, et le troisième à 3o mètres de la ferme de
Prairie; Légat, René, du i3", de Tilly, blessé à la tête et tombé dans le bois de Reulx, à 180 mètres
de la route de Philippeville; Chollier, Jean-Pierre-Victor, du 2'' zouaves français, tué d'une balle à la
tête, à 8 heures, le long de la route de Philippeville, près du bois des Acaudries ; Dihl, Nicolas, artilleur
français, tombé au bois de Surprêt. Tous ces soldats furent réinhumés en juin 1918 au cimetière militaire
de Saint-Aubin.
La Garde impériale fit son entrée le 25 août, à 8 heures du matin, et le défilé
se poursuivit jour et nuit jusqu'au 27. Ces soldats traitèrent les habitants restés au
village comme des esclaves, ou plutôt comme des bêtes de somme, et leurs biens
comme s'ils eussent été leur propriété. Le bourgmestre, Alexandre Meunier,
et le garde-champêtre, Emile Gobeaux, durent les précéder partout, pénétrer au
presbytère par une fenêtre de la cuisine dont les soldats avaient brisé les vitres, et
à l'église par une porte de remise qu'ils avaient démolie. Ils donnèrent un quart-
d'heure au bourgmestre pour livrer 5oo kilog. d'avoine et 18 lanternes. Malgré ses
70 ans, il passa la nuit à l'école, avec son compagnon, sur une botte de paille.
Le 26 août à i3 h. 3o, les maisons d'Alphonse Bayet-Nicaise et de Joseph
Bertrand-Hennaut, sur la route de Jamiolle, furent incendiées, « parce qu'un civil
avait tiré ». Or le coup de feu venait d'un Allemand à cheval, ainsi qu'en fut témoin
M. Bayet, et avait atteint un monceau de charbon. Repoussés d'abord dans la
maison en flammes par les fusils braqués sur eux, M. et Mme Bayet réussirent à
s'évader, mais durent se mettre à genoux en face du feu, avec un groupe d'autres
civils, et furent menacés de la mort. Quatre d'entre eux restèrent tellement sous
l'impression de ces brutalités qu'ils ne tardèrent pas d'en mourir.
Une scène identique se passa près de l'église, où un groupe de dix-sept
personnes fut sur le point d'être fusillé.
Du i5 au 24 août, des unités françaises cantonnèrent à Soumoy. Le 24, à
i5 heures, les officiers annoncèrent l'installation d'une batterie au sud-est de la
localité et conseillèrent aux habitants de s'enfuir. Il ne resta personne et les
Français se retirèrent eux-mêmes sans livrer combat.
Le 25 août, quelques centaines d'Allemands firent leur entrée au village et,
constatant qu'il ne s'y trouvait pas de Français, ils se dirigèrent sur Senzeilles. Les
habitants rentrèrent la plupart après deux ou trois jours d'absence.
Un bataillon de zouaves et des Algériens vinrent à Senzeilles le t5 août.
Le village était désert lorsque l'ennemi y pénétra le 25 août dans l'avant-midi.
Le défilé des troupes dura trois jours et trois nuits. Les soldats enlevèrent au
presbytère un riche calice.
Un soldat français et trois officiers allemands furent inhumés an cimetière. Le
soldat français Albert Legrand, blessé, fut soigné trois mois à l'ambulance, puis
réussit à s'évader.
Cerfonîaine accueillit avec enthousiasme, le 14 août, des éléments du 10e corps
et du corps algérien, qui se dirigèrent vers Florennes et Mettet.
Grâce au sang-froid et au dévouement du bourgmestre, M. François, une
partie notable des habitants restèrent chez eux, ou même se répartirent entre les
maisons inoccupées, ce qui les préserva considérablement du pillage.
L'ennemi parut le 25, à partir de 8 heures.
CHAPITRE II
LA RETRAITE DE BIOUL
Notre intention n'est pas d'entreprendre ici une histoire complète
et définitive de l'incident militaire qui a pris le nom de « retraite de
Bioul ». Cette tâche restera longtemps difficile, en raison du nombre
et de la complexité des événements qui composent cet émouvant
épisode. Les matériaux que nous possédons nous paraissent néanmoins
assez intéressants pour être publiés : écrits sous l'occupation même
ou au lendemain de l'armistice, par des témoins oculaires et choisis,
ils font partiellement la lumière sur la retraite mouvementée de la
division de Namur.
En lisant ces pages, on ne peut se défendre de l'impression
qu'un peu plus de sang-froid et d'organisation aurait probablement
sauvé toute l'armée de Namur. C'est seulement le 24 août, à
i3 heures, que la Garde fit prisonnières les troupes restées à Bioul
et c'est à 14 heures que le passage fut coupé à Sosoye par l'arrivée
du XIIe corps de réserve ennemi. On disposait donc de la matinée
entière du 24 août pour faire sortir de l'encerclement les troupes qui
encombraient Bioul et les environs.
Peut-être hésitera-t-on, malgré tout, à en faire grief au comman-
dement, si l'on réfléchit que les Allemands se reprochent aussi d'avoir
laissé échapper une importante partie de l'armée belge, qu'ils auraient
pu si facilement constituer prisonnière; car la Garde, qui se trouvait le
z3, à 17 heures, à Saint-Gérard et, à 20 heures, à Denée, n'avait
pas grand effort à faire pour rejoindre les troupes saxonnes du
67
XIIe corps qui avaient passé la Meuse à Yvoir et à Hun, et barrer
la retraite à l'adversaire. Le chef de la IIe armée s'en est excusé :
« il pensait, écrit-il dans ses Mémoires, que c'était affaire à la colonne
de l'aile droite de la IIIe armée d'intervenir de ce côté (t) ».
Groupons, avant tout, les données d'ordre militaire que nous
avons pu recueillir sur la retraite de Bioul et qui serviront comme
de cadre aux travaux particuliers que nous ferons suivre.
C'est le 23, à to heures (2), que le lieutenant-colonel Grumbach, du
45e d'infanterie française, qui commandait le secteur Cognelée-Marchovelette,
ordonna le repli du 3e bataillon du 148e, installé aux environs du village de
Champion; cette troupe fut aussitôt suivie du ier bataillon du 3oe belge.
Le général Henrard, qui commandait le IVe secteur de la position fortifiée
(Marchovelette-Meuse), mis en péril par le repli de ses voisins de l'ouest,
donna à son tour l'ordre de la retraite peu de temps après.
A i3 heures, ce fut le tour du IIIe secteur, dont le flanc et l'arrière
étaient découverts, par l'irruption de l'ennemi dans le IVe secteur; les troupes
furent dirigées sur Malonne, par le pont de Bauce.
Dans te Ier secteur, le général Teyszerski donna le signal à 12 h. 3o.
Le général Michel, gouverneur de la position, arriva à 11 h. 3o à la villa
de P\. le baron Fallon, au Milieu du Monde, puis bientôt à Gros-Buisson; il
traça d'abord comme itinéraire à ses troupes Lesves-Saint Gérard-Ermeton
sur Biert; puis, apprenant le recul des Français à Lesves et Saint-Gérard, il
décida de marcher sur Bioul et Sosoye.
Quelle fut cette retraite, nous l'apprendrons par un témoin oculaire. Le
général Cadoux (3) décrit ainsi le repli du 3e bataillon du 148e, puis du reste
des troupes.
Pendant cette retraite, qui (ut plutôt pitoyable, étant donnés l'affolement et le défaut de liaison,
chacun s'en va au petit bonheur. Le tir de l'artillerie allemande de petit et de gros calibre ne cesse
de faire des ravages dans les rangs des troupes, véritable cohue qui s'enfuit de tous côtés en jetant la
panique sur son passage- A 12 h. 3o, le 3e bataillon, ou plutôt ce qui a pu en être rassemblé à Namur,
se porte à la citadelle pour occuper des tranchées introuvables. Pendant la recherche de celles-ci, une
grêle d'obus s'abat sur le bois dans lequel les compagnies se sont abritées... A 16 h. 3o, sous
une avalanche infernale d'obus de tous calibres, une nuée d'automobiles, de caissons, un torrent de
soldats belges que rien n'arrête disloquent les unités françaises et les entraînent dans leur fuite éperdue
On se cherche, on ne se connaît plus, on ne se trouve plus. C'est la débâcle. Un officier belge qui passe
en auto crie aux troupes françaises . « Rassemblement vers Bioul. » Il n'y a pas d'autre ordre. Chacun
s'oriente vers le village indiqué, dont le nom passe de bouche en bouche. En cours de route, des essaims
se forment, des groupements se constituent. On arrive à Bioul.
Bien qu'une bonne partie de la garnison de Namur eût déjà dépassé Bioul
à la soirée, il y régnait cependant à la tombée de la nuit un encombrement
indescriptible.
(1) Von Bulow, Mon 'Rapport, etc., o. c, p. 60.
(i) A 11 h. «5, écrit le général Cadoux.
(3) Notice manuscrite dont le général a bien voulu nous donner communication.
68
Une importante colonne d'ambulance conduite par le major Petit tenta le
passage et fut attaquée, sur la droite, à la sortie du village (rapport n° 546) (1).
Cette échauffourée, en faisant refluer vers Bioul une partie de la division, eut
des conséquences fâcheuses sur la retraite, dont elle retarda l'écoulement de
plusieurs heures.
Le lieutenant-général Michel se porta de Sosoye, où il était à 23 heures,
à Rosée, où il rencontra, le 24 août, à 1 heure du matin, l'État-Major du
1er corps français; on décida que le ier corps battrait en retraite sur Agimont-
Vodelée, qu'une division française resterait en avant d'Anthée et de Flavion
jusque xi heures, pour la sécurité du passage, et que les troupes belges
seraient autant que possible dirigées sur Franchimont, Villers-en-Fagne, Roly,
Mariembourg, seule route disponible.
A Bioul, un conseil d'officiers supérieurs se tint dans la nuit.
Le 24 août, à 2 heures du matin, le colonel Delmaere, commandant du
28e de ligne, mit en branle des éléments des 8e, ioe, 28e et t3e de forteresse,
avec quelques batteries, sur Sosoye, Flavion, Rosée, Vodelée, Mariembourg.
A 5 heures, un groupe de soldats de l'ambulance du major Petit prit la
route de l'abbaye de Maredsous, où une partie du convoi fut faite prisonnière
(rapport n° 547).
Le général Ghislain dirigea un bataillon sur Warnant et s'y rencontra, à
6 heures, avec l'avant-garde de la 23e division de réserve allemande (XIIe corps),
qui avait passé la Meuse à Yvoir; c'est le combat de Warnant que raconte le
rapport n° 548. Cependant, une partie des troupes belges qui y avaient participé
s'était rabattue à temps sur Bioul : le capitaine-commandant Béchet en sauva
des éléments, auxquels il fit gagner Sosoye; d'autres, dirigés sur Denée, y furent
faits prisonniers, à l'exception de fractions du t3e de ligne et du i3e de
forteresse, qui s'échappèrent encore à l'instar des précédents.
Le 2e bataillon du i3e de forteresse gagna Florennes, où il se heurta à
l'ennemi, et fut fait prisonnier dans les premières heures de l'après-midi
(rapport n° 55o).
Le 3e bataillon du t3ede ligne put encore atteindre Ermeton-sur-Biert par
la route de Rouillon à Fraire, mais il eut à y soutenir un combat contre
la Garde allemande (rapport n° 549).
Les unités belges se reformèrent en partie dans la région d'Eteignères et
de Signy-le-Petit, au sud de Chimay.
« Nous croisons, écrit le docteur Veaux, toute l'armée belge de Namur en retraite. Les uniformes sont
sales, dégoûtants, couverts d'une couche de poussière épouvantable. Les capotes noires sont en partie
déchirées, les képis à grande visière violette, verte, bleue, sont cassés ; beaucoup d'hommes n'ont plus de
coiffure. Voici des artilleurs, quelques-uns à pied, n'ayant plus ni chevaux, ni canons. Nous remarquons
cependant une batterie qui a encore bonne allure. Elle a formé son parc dans une prairie. Les hommes
soignent leurs chevaux, d'autres lavent leurs pieds, se nettoient dans le ruisseau voisin... Un grand écriteau
(1) C'est ce qui a donné lieu au récit de M. Nothomb dans la Belgique martyre. Voir aussi la
"Réponse belge au Livre blanc allemand. Paris, Berger-Levrault, 1917, p. 83. On ne peut cependant en
faire un crime aux troupes de la Garde, qui n'ont pu se rendre compte dans la nuit qu'il s'agissait d'une
ambulance.
69
indique les directions que doivent suivre les troupes belges des différentes divisions et leur lieu de
cantonnement pour la nuit... Nous descendons à Signy-le-Petit. C'est là que s'arrêtent les troupes belges.
A l'entrée du bourg, on les classe par régiments; leurs officiers réorganisent les compagnies, qui se groupen
dans les champs avoisinants... On se met aussitôt au nettoyage des fusils; on remplit des caissons de
cartouches. Dès qu'il y a mille hommes de réunis, on les encadre avec des officiers, les leurs autant que
possible; on les embarque dans des trains qui sont rangés sur toutes les voies avoisinantes... Les trains
partent tous sur le Havre ; l'armée belge de Namur se réorganise petit-à-petit pour être dirigée sur Anvers
par voie de mer. Voilà ce que peut une bonne direction : une déroute est vite transformée en retraite («). »
Cependant quelques milliers de soldats étaient restés le 24 août à Bioul,
engouffrés dans les caves et les jardins du château et dans les maisons parti-
culières; ils étaient démoralisés, mais ne demandaient cependant qu'à marcher
et même qu'à combattre. Ils attendaient encore des directives, qui ne venaient pas.
Soudain, vers 1 1 heures, le village fut bombardé. Bientôt l'ennemi parut et les fit
prisonniers : c'étaient des parties du 8e, du 8e de forteresse, du i3e et de l'ambu-
lance (rapport n° 545) (2).
§ 1 . — Au village de Denée.
544. Les troupes françaises et la garnison de Namur, en retraite, passèrent
à Denée (3) le 23 août dans l'après-midi. Presque tous les habitants, délaissant
leurs maisons, s'étaient réfugiés dans les carrières de marbre situées aux environs,
dont les vastes souterrains offrent des abris sûrs. Les troupes alliées aban-
donnèrent dans les maisons, dans les rues et dans les campagnes, un matériel
considérable en habits, équipements, armes et pièces d'artillerie, camions et
convois, que les gens du village firent disparaître en bonne partie, avant
l'arrivée de l'ennemi, en les jetant dans des puits abandonnés.
Les premières troupes allemandes pénétrèrent dans le village le 23 août
entre 19 et 2.0 heures et firent otage le bourgmestre, M. de Montpellier, le
curé et le secrétaire communal; elles partirent le lendemain à la première heure.
Le 25 août, à 20 h. 3o, le village fut investi par des troupes du 167e,
22e division, XIe corps, qui repartirent le 26 au soir pour la Russie.
§ 2. — Au village de Bioul.
545. L'armée française en retraite repassa à Bioul (4) dans l'après-midi du 23 août,
bientôt suivie de la division de Namur.
Des milliers de soldats belges, la plupart sans chefs et sans armes, séjournèrent
au village dans la nuit suivante, installés dans les maisons particulières, mais surtout
(1) En suivant nos soldais de l'Ouest, o. c, p. 76.
(2) A consulter sur la retrai e de Bioul : La Campagne de l'Armée belge, Paris, Bloud et Gay, p. 64;
Lanrezac, o c, p. 177; baron Buffin, Récits de combattants, Paris, Pion, pp. 100 et ss.; von Bulow,
o. c, p. 60; docteur Georges Veaux, En suivant nos soldais de l'Ouest, pp. 70 et ss.
(3) Ces renseignements ont été recueillis sur place en mai 1916.
(4) Ce rapport groupe des données recueillies auprès des habitants du village et de nombreux témoins
oculaires.
7°
au château et dans la propriété de M. Vaxelaire. Un certain ordre régna dans le
cantonnement. Des sentinelles étaient postées à l'entrée des routes et les relèves
se firent régulièrement.
Une centaine de brancardiers, dont l'aumônier de la 4e division, M. Van Luyten,
et plusieurs prêtres, occupaient l'église paroissiale et le presbytère.
Ce fut une nuit de terreur, sous la menace perpétuelle de l'irruption d'un
ennemi redouté.
A l'église, beaucoup de soldats se confessèrent et M. le curé distribua à
plusieurs reprises la S. Communion. A 2. heures du matin, un religieux capucin,
brancardier, célébra la Sainte Messe et beaucoup de brancardiers communièrent.
Il s'était tenu dans les salles du château, entre zi et zl heures, un conseil de
guerre présidé par le colonel Lebeau, du corps de transport. L'avis du colonel, qui
était de forcer l'encerclement, prévalut et on décida que, de grand matin, on
tenterait de percer les lignes allemandes.
Il y eut, en effet, plusieurs départs, dont quelques-uns seront signalés dans les
rapports suivants.
Trois colonnes attelées du corps de transport de ia 4 D. A., conduites par le
lieutenant Wilmes, arrivèrent encore à Bioul le 24 août dans l'avant-midi et y
furent faites prisonnières dans les conditions que nous allons raconter. Elles avaient
quitté la Marlagne le z3 août à 16 heures, avant même d'avoir reçu l'ordre de
retraite, et avaient subi d'incessants retards, à partir de Gros-Buisson, par suite de
l'irruption de batteries d'artillerie et de troupes d'infanterie. Après s'être aventurées
sur la route de Bois-de-Villers à Saint-Gérard, que venait de leur assigner un
capitaine-commandant, elles avaient rebroussé chemin et gagné Arbre par une
obscurité profonde, puis pris la route de Bioul. A hauteur de la ferme Romiée, la
colonne s'était arrêtée, bloquée par une interminable série de véhicules qui la
précédaient et qui tous avaient fait halte. Les conducteurs dormaient d'un sommeil
de plomb, après plusieurs nuits d'insomnie. Un caisson d'artillerie en essayant de
doubler la colonne, avait roulé dans une prairie sise en contre-bas et les conduc-
teurs, gravement blessés, avaient été transportés à la ferme précitée. La marche
avait repris le 24 août au matin.
La colonne avait dépassé Bioul et s'engageait, vers 1 1 heures, sur le chemin
de Denée quand, à z kilomètres du village, elle fut attaquée sur la droite. Le major
d'artillerie Bonsir fit faire demi-tour et quand on rentra dans Bioul, on apprit que
les Allemands avaient installé des batteries vers Mossiat et la ferme des Bruands,
sur le chemin de Warnant. Deux des colonnes de munitions venaient d'être parquées
à la lisière sud du village et la troisième dans le village même quand l'ennemi
ouvrit le feu.
Deux obus tombèrent sur la colonne n° t, tuant huit chevaux. D'autres coups
furent éparpillés sur tout le village, sans faire toutefois de victimes (t).
(1) Nous ignorons dans quelles circonstances ont été tués les soldats français dont les :ioms suivent,
retrouvés et inhumés sur le territoire de Bioul : Jean Diericx, du 45e d'infanterie ; André Jamotte, du
148e d'infanterie; deux Français non identifiés sont aussi inhumés au cimetière, v.n autre, dans la campagne.
Jules-Louis Robine, du 3e;d'infanterie 6145, Cherbourg 354, est tombé à Bioul et a été inhumé à Biesmes.
7»
A i3 h. 3o, un drapeau blanc fut hissé à la tour de l'église et on députa une
jeune fille, Maria Hotlet, pour aller au devant de l'ennemi en portant, elle aussi,
un drapeau blanc.
L'ennemi pénétra aussitôt dans le village, faisant marcher devant lui jusque
sur la place publique les habitants qui se trouvaient sur son chemin. Le major
Van den Berghe. de l'artillerie, traita de la reddition. Le major Richter, de
l'artillerie saxonne, dit au lieutenant Wilmès : « J'étais en position avec mon
groupe lorsque vous avez fait la tentative de percée vers Denée, mais je savais que
vous ne pouviez passer, autrement j'aurais démoli la colonne en marche sur la
route, que j'enfilais dans toute sa longueur ». Les soldats belges massés sur la
place et sur la grand'route défilèrent, les bras levés, devant un colonel. L'État-
Major s'établit au château, dont trois salles du rez-de-chaussée servirent d'ambu-
lance pendant une semaine.
La colonne de transport, prisonnière, dont nous venons de parler, qu'accompa-
gnaient au total 1,900 hommes, bivouaqua, le soir, près de la ferme d'Ohet en feu,
le lendemain 2.5, à la ferme de Hontoir, le 26, à Thynes, le 27. près de Corbion-
Leignon et le 28, dans le parc du château de Hogne, où elle rencontra les prêtres et
religieux dinantais. Avec elle, le major von Welck et le lieutenant Fuss. ce
dernier du 177e saxon.
Un dernier fait relatif à Bioul. Mardi. 25 août, à i3 heures, cinq soldats belges
qui avaient revêtu des habits civils dans l'espoir d'échapper encore à l'ennemi se
dirigeaient de Bioul vers Maredsous en suivant le chemin dit de Maharenne.
lorsqu'ils aperçurent derrière eux un parti de cavaliers ennemis; ils quittèrent le
chemin et firent semblant de travailler dans un champ de luzerne. Trois uhlans
qui faisaient fonction d'éclaireurs invitèrent les hommes à se rapprocher du chemin
et lorsque vinrent les cavaliers qui suivaient, au nombre de 25, l'officier qui les
commandait dit : « Vous êtes soldats! » « Non », répondirent-ils. Il les fit visiter.
L'un d'eux, Jules Danhier, du 3e régiment d'artillerie n° 1948, portait sa médaille
militaire : l'officier saisit son arme et le tua séance tenante. Ses quatre compa-
gnons regagnèrent le village. Danhier fut inhumé à Bioul et transféré en 1918 au
cimetière militaire d'Anhée. Plusieurs civils, notamment Félicie Thiry, veuve
Hallaux, furent témoins de l'exécution.
§ 3. — A la colonne d'ambulance de la 4e division d'armée (1).
1. L'ATTAQUE DE LA COLONNE
Cantonnée d'abord à Flawinne, puis à Jambes, la colonne d'ambulance de la
4e division d'armée (major Petit) reçut, le 21 au soir, l'ordre de quitter la place.
Elle traversa Namur avec fourgons et bagages et arriva à 22 h. 45 à Salzinnes.
Vers minuit, un cantonnement fut assigné aux quatre sections, chez les Frères
des Ecoles Chrétiennes, dans les écoles, etc.
(1) Les rapports noS 546 et 547 émanent de prêtres et de religieux faisant partie de l'ambulance,
dont nous avons recueilli et confronté les dépositions.
7*
Le 22, des éléments de la colonne se rendirent sur le champ de bataille de
Boninne et jusqu'aux tranchées avancées, relevant les blessés. Cette journée et la
nuit suivante se passèrent sans recevoir aucune indication sur la retraite.
Le 23 août, la colonne fut dirigée sur le « Milieu du Monde » et stationna de
9 heures à \Z heures à « Notre-Dame-au-Bois », où les ambulanciers commen-
cèrent à deviner que la marche était la retraite.
On s'ébranla à i3 heures, mais l'avance devenait difficile, par suite du grand
nombre de convois de tout genre qui s'engageaient sur la route de Bois-de-Villers.
On croisa bientôt un bataillon français (ier régiment de ligne), qui battait aussi en
retraite, en bon ordre. A l'entrée de Bois-de-Villers, passaient des chariots
emmenant des familles du pays de Fosses et de la basse Sambre, l'un de ces
cortèges lamentables comme on en vit tant depuis. A un carrefour, deux de ces
groupes allaient en sens opposé, car le canon grondait à l'est comme au nord, et
ces gens se demandaient anxieusement de quel côté de l'horizon ils pouvaient
diriger leurs attelages. La vue de ces familles éplorées, de ces véhicules disparates,
où des infirmes et des octogénaires voisinaient avec des enfants au berceau, est
restée gravée profondément dans la mémoire de tous, comme un des plus doulou-
reux souvenirs de la grande guerre.
A Bois-de-Villers, sur la place de l'église, on reçut le mot d'ordre de
se diriger sur Sosoye. Le jour commençait à décliner. On avançait assez
rapidement, malgré le poids du sac, la faim et la fatigue. Le long du chemin de
Bioul, par Arbre, on commençait à apercevoir des havresacs de soldats aban-
donnés. L'allure des troupes qui arrivaient de tous les côtés, se dirigeant vers
Bioul, accusait déjà la panique.
A 19 h. i5, la colonne entra à Bioul, à la nuit tombante. Depuis plusieurs
heures il y passait des troupes belges qui gagnaient Denée ou Sosoye; mais
à ce moment, la situation était devenue critique, Denée étant déjà occupé ou
près d'être occupé par l'ennemi. « Nous sommes cernés », disait le général
Ghislain à l'oreille du major Massart.
A Bioul se croisent de nombreuses routes : la chaussée de Rouillon à Fraire
traverse le village par le milieu, de l'est à l'ouest; la route d'Arbre, par laquelle
arrivait la colonne; à quelque distance de l'église le chemin de Warnant; au
centre, le chemin, d'abord unique, qui bifurque plus loin vers Salet, vers Maredsous
et vers Denée. Lequel de tous ces chemins menait à Sosoye, qui avait été assigné
aux brancardiers comme direction?
Tandis que les chefs de la colonne essayaient de le découvrir, on croisa trois
Français, qui portaient un blessé sur un brancard et qui annoncèrent que les
Allemands étaient à Warnant. Or le chemin que l'on suivait en ce moment inclinait
dans la direction de ce village. Après un échange de vues entre le major Petit, le
lieutenant docteur Franck et quelques autres médecins, on décida d'aller rejoindre
les fourgons de l'ambulance qui, avec l'artillerie et d'autres transports, devaient
atteindre Philippeville par la route de Fraire.
On se remit en route. La fraîcheur de la nuit adoucissait la fatigue et l'idée
d'échapper à un ennemi invisible, mais proche, donnait du courage. La consigne
avait été donnée d'éviter tout ce qui pouvait attirer l'attention : on marchait
7$
rapidement, en rangs serrés et en silence. Les fourgons roulaient tous (eux éteints.
Quelques centaines de mètres plus loin, il fallut faire passage à une file d'autos
fermées, contenant, disait-on, l'Etat-Major de la place de Namur, puis nous
continuâmes notre chevauchée.
« Nous avions, raconte un ambulancier, à peu près fait un kilomètre sur
la route de Fraire et nous étions arrivés à la limite des communes de Bioul
et de Denée quand éclata près de nous, sur la droite, une vive fusillade. Les
Allemands nous canardaient. Une panique indescriptible s'ensuivit (i). Les bran"
cardiers s'enfuirent vers la gauche ou en arrière, tandis que les conducteurs
des fourgons et des transports faisaient brusquement tourner bride à leurs chevaux.
Mon groupe et moi, nous entrâmes dans la première maison de Bioul que nous
rencontrâmes, « à la Barrière », où cent vingt-cinq hommes environ s'entassèrent,
pris de terreur à la pensée qu'ils allaient être découverts par cet ennemi féroce,
dont on connaissait déjà les exploits à Andenne et ailleurs. L'horizon était en feu
et, non loin de là, une meule se consumait dans les champs.
» Puis un bruit retentit sur la route : c'étaient les fantassins français, qui
ne parurent guère émus. « Les leurs, dirent-ils, avaient tiré sur nous, par
méprise! » Puis on entendit dans le lointain des « Hourrah ! » « Les nôtres, ajouta
l'officier français, ont repris la position à la baïonnette ! » En réalité, c'était
l'ennemi, qui dévalisait un chariot rempli de biscuits.
» On se remit en marche, plus nombreux que la première fois et avec un
nouvel entrain, lorsque, un peu au delà de l'endroit de la première fusillade, une
pétarade, plus fournie que la première, éclata sur la droite, et se poursuivit
pendant un certain temps. Nous nous jetâmes tous par terre. Je crus entendre
un galop de chevaux : c'était le bruit caractéristique des mitrailleuses. Quand
le moment d'angoisse fut passé, on se dispersa, les uns dans les champs, le
plus grand nombre vers Bioul; des projecteurs allemands fouillaient toute la
campagne.
» Après • être resté quelque temps tapi dans les fossés, le groupe des
ambulanciers, sous la conduite énergique d'un officier français, qui ordonnait
aux hommes d'avancer, affirmant que le feu venait des Français, se remit une
troisième fois en route. Les hommes n'avaient pas fait 5o mètres que la fusillade
reprit. Ils s'abritèrent encore une fois dans les fossés et, vers 2 heures du matin,
regagnèrent le village de Bioul, où les avaient précédés, dès la seconde attaque,
beaucoup de leurs compagnons.
» J'appris plus tard que des avant-gardes ou flanc-gardes allemandes étaient
arrivées, dès cette nuit, entre Saint-Gérard et Bioul, et qu'à l'endroit d'où était
partie la fusillade, au « Bois Petit-Jean », se trouvaient deux mitrailleuses.
Après la première fusillade, des soldats accoururent sur les lieux, pillèrent le
fourgon de biscuits et, au témoignage du sergent belge Skellart, achevèrent à
(1) « Impossible, écrit un second témoin, de dépeindre le désordre qui suivit la [usillade : les soldats
quittent leurs attelages, les chevaux rebroussent chemin, les voitures se cassent contre les arbres de la route,
les hommes se couchent dans les fossés, fuient les uns à travers les campagnes, les autres, vers Bioul. Quelque
temps après, le convoi était réorganisé et on essaya une deuxième et une troisième fois de passer, mais en
vain : la fusillade recommençait toujours- »
74
coups de revolver un Belge blessé qui se trouvait au-dessus de lui, tout en
l'atteignant lui-même dans les jambes.
» Le sergent Poucet raconte ici un beau trait de vaillance. Quelques
gendarmes belges avaient été envoyés à la recherche des deux mitrailleuses : l'un
d'eux vint redire que ses compagnons avaient été pris ou tués. Alors un adjudant
français partit avec douze hommes, surprit les servants et revint avec une roue de
mitrailleuse; ils réussirent ensuite, après plusieurs heures d'attente et d'efforts, à
s'emparer de la seconde mitrailleuse. »
Onze cadavres de soldats belges furent recueillis « au pré al mai », lieu de
l'embuscade, par une équipe d'hommes de Denée (i). Vingt blessés furent amenés,
dès le 23 au soir, à l'école des Sœurs de Denée et plusieurs autres au château de
Biouî, où il s'en trouvait, le 25, une cinquantaine.
2. LE DÉPART DE LA COLONNE
47- Un signal de départ fut donné à Bioul le 24 août vers 3 heures du matin. Le
signal parvint notamment à l'église et l'on éveilla les hommes qui dormaient.
Un premier noyau de 200 à 25o brancardiers, conduit par le commandant
Glorie, du corps de transports de l'ambulance, se constitua sur la place, à peu près
au moment où partait pour Warnant le général Ghislain. Ces hommes se mirent
promptement en route, sans attendre ceux du second groupe (major Petit), qui
discutaient encore, devant un café, sur les moyens de s'échapper; l'un de ceux-ci
s'était déjà procuré un drap de lit à porter en tête de la colonne, en guise de
drapeau blanc.
Les soldats du premier groupe se dirigèrent sur Sosoye : c'était en fait le seul
chemin utilisable. A la sortie du village, ils traversèrent en courant un champ de
betteraves, non loin de soldats postés le long d'une crête et tirant dans la direction
de Warnant. A marche forcée, ils purent gagner Sosoye, Flavion et Rosée, où des
uhlans braquèrent sur eux des jumelles à la sortie d'un bois. A Mariembourg, un
train les conduisit à Couvin.
Le groupe du major Petit se joignit à un nouveau rassemblement de troupes
qui se fit vers 5 heures du matin, environ une heure après le départ du bataillon de
Warnant. L'ordre de marche fut encore donné dans la direction de Sosoye, par le
Charrau et le chemin de Maredsous.
(1) Ils furent inhumés le 25 août, avec trois Belges, deux Français et deux Allemands trouvés dans les
campagnes, et deux Français atteints au combat d'Ermeton et décédés à Denée. On connaît les noms suivants :
L L. P. Jolet, Albert Tellier, de Bohan, Emile Clembos, de Thorembais--les.-Béguines, J.~G. Constant, de
Leignon, A. G. J. Delhaisse, de Chevetogne, tous du i3e de ligne; Achille Garré, de Mineelbeke, chasseur
à pied; Fernand Henri, G- Crabeels, de Perck, A. E. G. Rousseaux, de Frameries, du 8e; A. Huxkaerts, de
Reckem, artill. 10e B. M- Moens, de Louvain, lancier; E. J. Lemmens, de Bolland ; sergent Joseph Arts, du
ioe; Oscar Charles de Leers et Fosteau, I- R. d'art.
Les deux Français trouvés dans les campagnes sont Julien Coppin, d'Arras, du i34e, et Emile Hatquet,
de Giveî. Le lieutenant A. Denis, venant du combat d'Ermeton, a été inhumé à la carrière d'Ermeton.
Ont aussi été identifiés, sous l'occupation, les corps suivants, inhumés, sur le territoire de Denée
Louis Dellille, du 2" zouaves; Mathurin Lecornet, du 41e d'infanterie; Joseph Vaty, du 43" d'inf.
75
On entendit bientôt crépiter sur la gauche une fusillade : c'était le combat de
Warnant.
Au croisement des chemins de Salet et de Maredsous, un groupe belge d'artil-
lerie était en arrêt, observant l'horizon dans la direction de Denée.
Près de Maredsous, le Charrau était obstrué par une série d'autos abandonnées
et de chariots renversés. Dès la nuit précédente, des Allemands avaient été
aperçus, paraît-il, en cet endroit, faisant des signaux lumineux.
On arriva à l'abbaye bénédictine de Maredsous. où l'on décida de prendre un
court repos. Le major Petit, une douzaine de médecins militaires, et la plus grande
partie de la colonne d'ambulance entrèrent dans l'école abbatiale, érigée en ambu-
lance, où se trouvaient déjà une cinquantaine de blessés. Ils croyaient y faire une
courte halte, puis poursuivre leur route- Les religieux leur servirent une réfection,
car la plupart n'avaient plus mangé depuis douze heures.
Quand, une heure après, fut donné le signal du départ, il était trop tard : on
se battait aux environs de l'abbaye. De tous les points de l'horizon on entendait le
canon ou la fusillade. Comme le major Petit insistait vivement pour le départ, on
lui montra un piquet de hussards allemands venus de Maredret, qui se trouvait
devant l'abbaye.
L'après-midi, une délégation des chefs de la colonne se rendit à Ermeton, où
se trouvait un général allemand, pour l'intéresser au sort des brancardiers. Le
général leur délivra des sauf-conduits pour Namur, où ils furent licenciés. Seuls
les médecins militaires et une douzaine de brancardiers restèrent à Maredsous, où
le chiffre des blessés s'éleva bientôt à 175.
§ 4. — Le combat de Warnant (1).
Dans la nuit du z3 au 24 août, à 1 heure du matin, des officiers de l'Etat-Major
de Namur se présentèrent à Warnant. chez les religieuses enseignantes, les priant
de leur désigner « un civil pour aller à Bioul, porter un message qui sauverait le
restant de l'armée belge ». On les mena à Bioul par la gare de Warnant et le
chemin de Falaën, en passant à un demi-kilomètre de « La Batterie », où l'ennemi
était déjà arrivé.
Le 24 août vers 6 heures du matin, le village fut envahi par l'armée allemande
venant de Spontin. par Yvoir. « Spontin, dit au curé un médecin saxon, méchantes
gens ! Eux tiré sur moi ! La balle m'a frôlé l'épaule. » A ce moment était aussi
arrivée, de Bioul, la colonne de soldats belges du i3e de ligne que commandait le
général Ghislain. Une vive fusillade s'engagea aussitôt.
Voici ce que raconte sur les débuts du combat un lieutenant du i3e de ligne.
« Quittant Bois-de-Villers la veille au soir, au sein d'une colonne formée d'élé-
ments divers — infanterie, artillerie et corps de transport — je m'étais trouvé
vers 2 heures du matin, le 24 août, à la ferme du Rouchat, vallée du Burnot, et puis
(1) Si l'on excepte le rapport d'un officier du i3e de ligne, les renseignements relatifs au combat de
Warnant ont été recueillis sur place le 3o avril 1915 et complétés après l'armistice.
76
à l'est de Bioul, sur la route d'Annevoie, où je reçus Tordre de prendre place dans
la colonne qui se dirigeait vers Warnant.
» A l'entrée de ce village, nous fûmes accueillis de coups de feu et je portai ma
compagnie à la sortie sud, où je déployai les hommes en tirailleurs le long du
chemin de fer vicinal. Une troupe allemande peu importante se trouvait dans les
prairies, vers la gare de Warnant, mais des éléments belges étaient aux prises avec
d'autres allemands plus au sud.
» A partir de ce moment — il pouvait être 5 heures — des coups de fusil et de
canon étaient tirés sur nous de plusieurs directions, mais principalement de
Haut-le-Wastia. Nos troupes, qui sortaient de Warnant, refluèrent vers le nord et
alors j'occupai la lisière sud du village, pendant que deux mitrailleuses prenaient
position sur la route de Warnant sud, à gauche de l'école des Sœurs.
» Le village était à peine organisé pour le combat que de l'infanterie ennemie
débouchait du cimetière. C'est alors que je rejoignis les troupes en retraite sur
Bioul, que protégeaient trois compagnies, d'une hauteur au nord de Warnant ; je
ralliai une partie de ma compagnie au hameau de Mont, vers 1 1 heures, et je gagnai,
avec des détachements des 8e et i3e, des chasseurs à pied et deux batteries d'artillerie,
les villages de Denée, Maredsous, Falaën, Mariembourg. »
La retraite fut aussi protégée par un groupe d'artillerie que commandait le
major Massart. Les soldats qui le composaient furent faits prisonniers, ainsi que
leur chef, qui était blessé sérieusement et fut soigné à l'ambulance de Maredsous.
Le combat dura jusque 7 h. 45. Dans le village et aux abords, les habitants
furent témoins d'une déroute, d'une confusion difficiles à décrire. De deux à trois
cents soldats belges furent faits prisonniers. On releva cinq cadavres de soldats
belges (1), également six français (2.).
Plusieurs blessés du combat furent recueillis et soignés chez les religieuses de
la Doctrine Chrétienne. Deux d'entre eux moururent le jour même (3); deux autres,
gravement atteints (4), restèrent chez les religieuses jusqu'au 10 septembre, date à
laquelle ils furent transportés à Maredsous ; une vingtaine d'autres furent bientôt
conduits au château de M. Vaxelaire, à Bioul.
(1) Les soldats Gillart, de Namèche ; Louis Deschamp'", de Maillot ; Joseph Hollogne, de Couvin ;
Joseph Fiirst, de Bonnert ; Marcel Hasaets, de Genval.
'2) Les soldats Georges Brancquart, 5o2, de Calais, inhumé tombe E ; Georges Lu-tard, 2188, d'Annezin,
d'un rég. d'inf. de S. Orner ; Paul Wandenabeele, de Renescure (Pas-de-Calais) ; Auguste Boudden, ou
Bourdon, 1627, de Dunkerque, tombe G; Aristide Boussy, ou Roussy. 25o, de Laon, et un inconnu.
Les corps de Henri Bernard, 2171-2071, de Mézières, tombe G, André V. Alahy, 6242, de Fourmies,
du 148e, le sous-officier Pigot, de Dunkerque, du 3ioe et un inconnu ont aussi été retrouvés sur le territoire
de Warnant.
Ajoutons ici que, parmi les Français qui défendaient le pont d'Yvoir, trois furent tués et enterrés près de
a ' villa des Toutous », trois furent trouvés morts et enterrés près de la ferme de Héneumont ; deux autres,
sérieusement blessés, furent soignés par M. et Mme Woos, à la ferme de Héneumont. Une dizaine d'autres
blessés furent confiés aux religieuses de Warnant, et passèrent de là à l'ambulance de Bioul.
(3) Le capitaine commandant Trentels, du i3e, né à Bruxelles, domicilié à Salzinnes, qui avait eu la tête
traversée d'une balle, et le soldat J. Tisson, du i3e, domicilié à Bruxelles, qui avait reçu plusieurs balles au
genou et à la cuisse.
(4) Le caporal Hector Foucart, de Courcelles, relevé presque exsangue, et Fernand Doyen, de Masbourg,
atteint au poumon et à la tête.
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VICTIMES DES MASSACRES
DE NEUVILLE, DE FRANCHIRONT, DE FRASNES, DE MAR.EMBOURG, D'ANTHEE ET DE SOULME.
Fig. 22. h Etienne PATRON,
20 ans, fusillé à Neuville
(Philippeville). :
(Pholog. à l'âge de 9 ans)
Fig. 23. — Paulin GOBILLON.
3o ans,
fusillé à Neuville (Philippeville)/
Fig. 24. — Jules P1RSON,
53 ans, fermier à Omezée, tué à Fig. 25. — Alzir ANCIAUX,
Franchimont. 20 ans,
martyrisé à Franchimont.
(Photog. à l'âge de 9 ans.)
Fig. 26.
Camille LECLERCQ, 42 ans,
massacré à Frasnes.
Fig. 27. — Edgar VAN SCHOOR,
20 ans, de Mariembourg,
fusillé à Eteignières avec son frère
et cinq autres civils.
Fig. 28. — Ernest VAN SCHOOR,
3o ans, de Mariembourg,
fusillé à Eteignières avec son frère
et cinq autres civils.
Fig. 29.
Adolphe BURTON, 56 ans,
d'Anthée, tué à bout portant
dans une haie.
Fig. 3o. - - Edouard MARÉE,
5o ans, tué à Soulme.
Fig. 3i. -- Nestor COGNAUX,
29 ans, tué à Soulme.
Fig. 32.
Félicien BAUDOIN, 59 ans,
d'Anthée, lié à une haie
et fusillé, avec un inconnu, à
l'entrée du village d'Anthée.
77
§ 5. — Le Combat d'Ermeton~sur-Biert.
54p. Ce pittoresque village, dont le site épouse la forme d'un amphithéâtre, se
compose de maisons assises sur la rive gauche de la rivière, des deux côtés du
chemin de fer, et d'un second groupe dit « sur les Roches », qui couronne,
vers le sud, la hauteur où est construite l'église. Au centre, le château. La
localité est traversée de l'ouest à l'est par les routes de Biesmerée et de
Furnaux, qui se rejoignent devant le château pour former la route qui va à
Maredret, et du nord au sud par la route de Ligny à Givet.
Le 23 août, les habitants furent témoins de la retraite des armées (1). Il
semble que, à la soirée de ce même jour, les Allemands étaient déjà arrivés de
l'autre côté d'un bois proche du village, car on aperçut des Français courant
le long du bois, tirant, se couchant à terre, puis courant plus loin.
Dans la nuit, des balles tombèrent, à deux ou trois reprises, sur les toitures.
Des éclaireurs allemands se présentèrent à l'entrée du village le 24 août
de bonne heure, et rebroussèrent aussitôt chemin. Ils aperçurent, sur le remblai
de la route de Saint-Gérard, des gens de Falisolle qui avaient passé la nuit
chez Lebon, à Ermeton, et essayaient de regagner leur village; ils tirèrent sur
eux. François TERWAGNE, 55 ans, fut tué sur le coup. Louis STEINIER,
son neveu, âgé de 17 ans, fut seulement blessé et put se traîner jusqu'à la
maison Lebon, où il mourut. Son corps y fut réduit en cendres, ainsi que celui
de M. Terwagne, qui y avait été ramené. Mme Charles, de Falisolle, avait
aussi été atteinte d'une balle à l'aine.
Vers 9 heures, un cri retentit : « Les Belges sont là! » Une colonne venant
de Bioul et se dirigeant vers Flavion se heurta dans le village à la Garde
allemande venant de Biesmerée et de Furnaux, puis aussi de Denée et de
Maredret. Cette colonne comprenait surtout le 3e bataillon du i3e de ligne qui
avait quitté le 23 août, à 18 heures, les tranchées de Géronsart (Jambes).
Le médecin-auxiliaire Jean Helsmoortel. attaché au 1e1 bataillon du 28e de
ligne, qui accompagnait la troupe, raconte ainsi l'itinéraire qu'avait suivi cette
colonne et le combat qu'elle eut à soutenir.
« Dans la nuit du 23 août, la route de Lesves à Bioul était encombrée de
charrois. Canons, caissons, mitrailleuses et bagages étaient immobilisés; seule
l'infanterie pouvait se frayer un pénible passage. A droite, un peu sur la
hauteur, on voyait flamber des fermes et, disait-on, Saint-Gérard,
» En entrant dans Bioul, le 24 au matin, je trouvai une compagnie du
8e de ligne déployée en tirailleurs face au bois de Neffe. Dans Bioul même,
c'était le désarroi le plus complet. La colonne d'ambulance occupait la place et
la route de Fraire jusqu'à la sortie du village. L'artillerie et le charroi occupaient
le parc de M. Vaxelaire. Les artilleurs de forteresse étaient mêlés aux fantassins
échappés aux intervalles des forts.
» Au matin du 24 août, après avoir vainement cherché mon unité vers Warnant.
(t) Mme la comtesse Marie de Villermont en a donné une pittoresque description dans la "Reuue
générale, 1921. — A consulter sur le combat : Hanotaux, Histoire illustrée de la guerre de 1914, V, p. 292.
7»
je me joignis au 3e bataillon du i3e de ligne (major Baudot), qui gagnait à travers
champs la route de Bioul à Fraire.
» Cette route avait été attaquée la nuit précédente, comme le prouvaient les
chevaux tués, les caissons renversés, les voitures d'ambulance culbutées dans les
fossés et une auto grise dont les occupants, deux Allemands, étaient tués : l'un
d'eux était tombé mort sur le marchepied, l'autre, ayant voulu fuir, gisait les bras
en croix, face contre terre.
» Arrivés au carrefour de la route de Saint-Gérard à Ermeton-sur-Biert, nous
obliquâmes à gauche. Contre un mur, le long de cette route, un Allemand se
mourait.
» Arrivés au bois de Furnaux, assaillis tout à coup d'une grêle de balles,
nous nous réfugiâmes dans une sorte de carrière. Une patrouille explora le
bois et revint dire que la route était libre. Nous descendîmes alors la côte menant
à Ermeton.
» Quand une compagnie eut traversé le village, la queue de la colonne étant
encore à son entrée, une violente attaque se déclancha à notre droite, venant de
Mettet. Pendant ce temps, la tête de la colonne recevait le choc dans les « Biert ».
La colonne était coupée. Le château du chevalier de Brogniez brûlait comme une
torche. L'incendie gagnait de proche en proche. Nos soldats se défendaient coura-
geusement. Les Allemands s'avançaient droit au milieu des chemins, tandis que
les nôtres tiraient sur eux des maisons.
» Tout à coup, nous nous aperçûmes que nous étions cernés. Les officiers
étaient tués ou blessés. Le nombre des soldats valides était fort réduit. A bout de
munitions et de forces, les soldats se rendirent. Ils étaient une trentaine, dont un
officier, trois brancardiers : Van In, Lombaerts et Delaneux, un médecin le docteur
A. van Schevensteen et moi.
» Les Allemands mirent aussitôt le feu aux habitations que nous venions de
quitter. Ils envoyèrent ensuite l'officier (un commandant) et le brancardier
Delaneux en exploration dans une maison qui flambait, pour voir s'il ne s'y trouvait
pas des blessés. Au moment où le commandant sortait, il fut tué à bout portant par
un soldat qui l'attendait et l'avait épaulé tout tranquillement.
» Deux soldats m'entraînèrent ensuite sur la route de Maredsous, disant que le
village allait être rasé par l'artillerie. Comme je leur demandais, chemin faisant, le
motif des incendies, ils répondirent que « tout village où on s'était battu devait être
brûlé ».
» Je fus ensuite conduit au château des comtesses de Villermont, où se trouvait
le colonel comte d'Eulenbourg, blessé dans le combat, et je fus chargé de soigner
les blessés belges et français. Ces derniers appartenaient aux 33e, 43e, 84e, i«oe
d'infanterie, 6e chasseurs d'Afrique, 2e zouaves, ze tirailleurs. Nos blessés, dont le
commandant Tilot, affreusement défiguré (1), étaient installés dans les annexes,
écuries et remises, les blessés allemands au château. »
Les Allemands, de l'aveu des officiers, subirent des pertes importantes. Un
(1) Un récit reproduit par Vers l'Avenir, journal de Namur, 7 février 1919 n° 32, relate la courageuse
résistance et la mort du commandant Tilot et du lieutenant Denis, du i3e, qui tombèrent après avoir défendu
avec une vingtaine d'hommes un talus naturel, à environ 200 mètres de la route, à l'entrée du village.
79
certain nombre de cadavres de leur soldats furent enterrés, d'autres furent jetés
dans le feu des maisons incendiées. François Licot et Edmond Tocquin ont décou-
vert des débris humains carbonisés, aves des fers de talon et autres fragments
d'uniformes dans les maisons veuve Blaimont, Joseph Purnode, et dans la grange
Licot. Du côté des Belges, on recense 80 soldats tués et quelques prisonniers. Un
soldat belge fut retrouvé à l'état de cadavre devant le poulailler Delforge, dans
lequel, sous les yeux d'Adelin Thibaut, il s'était caché le 24 août dans la matinée.
Les incendies commencés pendant le combat se continuèrent ensuite pendant
la journée (1). François Licot a vu jeter dans les habitations des cartouches incen-
diaires, remplies d'un liquide inflammable; 86 maisons furent détruites (fig. 18). Les
soldats se livrèrent à cette destruction en chantant, en jouant des instruments et en se
livrant à des démonstrations de joie bruyante. L'église fut sur le point d'être
incendiée : on prétendait qu'on avait tiré du clocher. Les officiers y renoncèrent
lorsque le curé, M. Delchevalerie, les eut conduits à la tour et eut fait la preuve
qu'on tirait de l'extérieur.
Léopold DETHY, 46 ans, fut pris par des soldats au moment où il sortait de
sa cave, croyant à une accalmie. Emmené à 200 ou 3oo mètres de là, près du
moulin de Furnaux, il y fut fusillé.
A la soirée, la comtesse Jeanne de Villermont qui s'était rendue, à la demande
d'un officier, à la cabine électrique, fut mise en joue par un cavalier, qui tira
sans l'atteindre; il eût continué à tirer si les deux soldats qui accompagnaient
la comtesse n'avaient fait des signes désespérés.
A l'ambulance du château, un officier français, pris de peur au moment où
l'ennemi entrait, commit l'imprudence de se cacher dans un lit, à côté d'un blessé.
Surpris, il fut expulsé à coups de crosse et fusillé dans l'avenue.
Deux gardes, Jean-Baptiste Vanderelst et Henri Bodart, attendaient la fin du
combat dans la maison du premier nommé lorsque les Allemands entrèrent, les
poussèrent dehors et tirèrent sur eux presque à bout portant. Us tombèrent et on
les crut morts, mais ils n'étaient que blessés. Jean-Baptiste Vanderelst fut amené
au château par sa femme. Henri Bodart se cacha sous un buisson, dans le ruisseau
et put ainsi, le soir venu, gagner le château. Ils guérirent.
Vital Blaimont fut tué à Couvin ; Arthur Genard et Elvire Coppée, son épouse,
Alexandre Rouyre et Juliette Genard, son épouse, sont au nombre des victimes de
Surice.
§ 6. — La colonne des prisonniers de Florennes (2).
Un bon millier de soldats de toutes armes — fantassins, cavaliers, artilleurs,
chasseurs et soldats du génie, dont quelques Français — se groupèrent à Flavion
le 24 août vers midi ou i3 heures, et se dirigèrent sur Philippeville, sous la conduite
du major Fiévez, ff. de lieutenant-colonel du i3e de forteresse. La plupart de ces
(1) Voir la description de l'incendie et de la brutale prise de possession du château dans le récit de la
comtesse de Villermont.
(2) Récit de Victor Falque, du 33*" de ligne i/3.
8o
soldats avaient suivi l'itinéraire Bioul-Maredsous-Sosoye. Quand ils traversèrent
cette dernière localité, deux cadavres de uhlans gisaient auprès d'un pont.
A 5oo mètres de la gare de Florennes-est, un coup de feu ayant retenti d'un
bois situé sur la gauche, l'adjudant Masson disposa des hommes en tirailleurs sur
la gauche de la route. Puis on cria : « Des uhlans à droite ! » Des soldats furent
aussi postés de ce côté avec la hausse à 400 mètres. Un officier ennemi braquait
sur eux des jumelles, tandis que sa troupe se cachait derrière le talus du chemin de
fer situé à quelque distance, et tirait de là sur nous une grêle de balles. Un
canon à droite, une mitrailleuse à gauche, entrèrent aussi en action.
La situation était intenable, sur une grand'route, sans le moindre abri : après
avoir résisté quelque temps, la colonne gagna Florennes au pas de course et se
réfugia dans des maisons abandonnées, sous le bombardement. Un clairon belge
sonna : « cessez le feu ! », mais les obus continuèrent à pleuvoir pendant quelque
temps encore.
Une partie de l'armée en retraite avait pu dépasser Florennes, mais d'autres
soldats au nombre d'environ 3oo, furent faits prisonniers à t8 heures. Réunis à
des zouaves et à des Sénégalais, ils furent dirigés sur Mettet et parqués dans une
prairie, puis le lendemain matin dans l'église paroissiale.
Le 26, on les emmena vers Fosses. Un groupe devait pousser des canons pris
aux Français. « Travaillez, tirez, tas de chiens ! » criaient les gardiens. Par Ham
et Le Mazy, les prisonniers atteignirent Gembloux, où ils furent entassés dans
des wagons à bestiaux et conduits à Celle-lager.
CHAPITRE III
SUR LE FRONT DE LA MEUSE
Bien que le cours de la Meuse entre Dave et Givet ne fût défendu
le 23 août que par une division de réservistes français arrivés la nuit
précédente, les trois corps allemands lancés à la conquête du fleuve et
soutenus par 57 batteries de la IIIe armée, installées d'Yvoir à
Blaimont (1), ne réussirent à faire passer sur la rive gauche, en fin de
journée, que de faibles détachements.
Du château de Taviet, le général von Hausen, chef de la IIIe armée,
rédigea le 23 août au soir l'ordre suivant : « Bien que le gros du corps
puisse se reposer, il faut cependant que la poursuite se fasse, avec des
troupes de toutes armes, par le XIIe corps dans la direction de Philippe-
ville, par le XIXe corps dans la direction de Romerée-Mariembourg (2) ».
Cet ordre venait d'être lancé le 24 août à 2 h. 3o du matin, quand
vint au Grand-Quartier, au témoignage du même général, un inquiétant
message de von Bûlow, chef de la IIe armée, relatant les succès obtenus
par les Français au front de la Sambre, sur le Xe corps de réserve, et
enjoignant à la IIIe armée de soutenir, dans la journée, l'attaque de la
IIe armée en marchant sur Mettet, direction est-ouest.
A 5 h. 5o, von Hausen lança un nouveau message dans ce sens,
sacrifiant en cela, assure-t-il, ses vues personnelles, qui le portaient à
poursuivre l'ennemi dans la direction du sud-ouest. Des informations
reçues par avion l'amenèrent d'ailleurs, dès l'avant-midi du 24, à
reprendre sa conception originelle, en lui notifiant la retraite générale des
(1) Baumgarten-Crusius, o. c, p. 28.
(2) von Hausen, Erinnerungen, p. i3z. Sur l'armée de von Hausen, c[r. Hanotaux, Histoire illustrée de
la guerre de 1Ç14, VIII, p. 276.
Français; et il lança de Dinant, à 9 h. 45, l'ordre du jour n° 3, désignant
à chaque corps la direction à suivre pour la journée (1).
Le général-major Baumgarten-Crusius estime qu'en août 1914, le
haut commandement allemand eût été en situation d'infliger à l'armée
française une défaite écrasante. On eût revu un « Cannes » ou un
« Tannenberg » si la IIIe armée avait conquis, le 23 août, les ponts de
Fumay, Revin et Monthermé et coupé la retraite à la Ve armée française.
Il eût suffi pour cela, affirme-t-il, de diriger vers cette région le
XIe corps — au lieu de le détacher à Namur — ainsi que le XIIe corps
de réserve et le Ier corps de cavalerie (von Richthofen) (2), et non pas
seulement quelques éléments du XIXe corps, ainsi que nous l'avons
relaté au tome IV, p. 68.
I. — L'avance du XIV corps de réserve.
Le XIIe corps de réserve, général von Kirchbach, comprend les 23e
et 24e divisions de réserve.
Celles-ci avaient suivi, pour gagner la Meuse, deux itinéraires tota-
lement différents. Leur marche en avant, après le passage du fleuve, resta
aussi distincte.
De Baillonville, où il était le 20 août, et de Braibant, où il était
le 22, le Quartier-Général gagna le 24 août l'Entre-Sambre-et-Meuse.
Abordons maintenant l'itinéraire que suivirent ces deux unités et
retraçons leur conduite.
t. — La 23e division de réserve.
La 23e division de réserve, comprenant les 100e, 101e, 102e et
io3e régiments, a pénétré en Belgique à Gouvy et s'est dirigée sur
Wibrin, Laroche, Marche, Hogne, itinéraire qu'avait suivi avant elle
le XIIe corps; elle atteignit, le 21 août, la région de Ciney-Sovet.
Ainsi que nous l'avons longuement raconté au tome IV, cette
division de réservistes saxons se rendit tristement célèbre, le 23 août,
(1) von Hausen, o. c, p. i3i ; Baumgarten-Crusius, o. c, p. 45.
(2) Baumgarten-Crusius, o. c, p 43-44. Cfr. aussi Hanotaux, U'slcire illustrée de la guerre de 1914.
VI, p. 23.
83
dans les villages de Spontin, Dorinne, Purnode, Evrehailles et Yvoir,
tandis qu'elle se ruait à la conquête de la Meuse, joignant à son
aile gauche la 32e division active. C'est le io3e de réserve qui
marchait en tête du défilé (t), suivi du 101e. De faibles sections
parvinrent à traverser le fleuve dès le 23 (2) et passèrent la nuit en
pleine rue d'Anhée.
L'ordre de la 3e armée (n° 3) (Dinant 9 h. 45) traçait comme
itinéraire à la 23e division de réserve : Florennes, Philippeville,
Mariembourg, Couvin, Brùly (3). C'est cet itinéraire jalonné de feu,
de sang et de pillage que nous allons suivre maintenant en détail.
« Partout où nous passions, a déposé le soldat Oswald Witthe,
du i33e de réserve, après avoir pillé tous les villages, nous mettons
le feu aux maisons; et c'était la même chose dans tous les vil-
lages (4). »
Le 24 août, de bon matin, la division s'engagea dans la sinueuse
vallée de la Molignée, tout en occupant et en fouillant les coquets
villages qui la dominent : sur la droite, Warnant et Annevoie; sur
la gauche, Haut-le^Wastia. Pas un hameau, pas une maison où
n'aient retenti leurs hurrah ou leurs cris menaçants!
La division passa ainsi successivement à Marteau, à Sosoye, à
Maredsous. Elle gagna le sommet du plateau à Slave et Florennes,
et là se termina son avance au soir du 24 août : nous allons en
reconstituer les péripéties.
(1) Von Hausen. Erinnerungen, o. c, p. 127.
(2) A Yvoir, c'est à partir de 17 h. 3o que l'ennemi put occuper sans danger la rive ouest de la
Meuse, vers Fidevoye, après avoir fait cesser la résistance des derniers Français en dirigeant sur les
coteaux boisés de la rive gauche un tir de mitrailleuses. Quelques Allemands passèrent d'abord la Meuse
en barque, et ce sont eux qui achevèrent en cet endroit un blessé français, le capitaine Gautelet. Les gens
d'Yvoir virent ensuite accoupler des barques « au Rivage », non loin de Fidevoye, à 200 mètres en amont
de l'écluse de Hun, et former les pontons à rames qui servirent au transport des troupes. Celui-ci
commença à 19 heures et se poursuivit jusqu'au matin, à la lueur de lanternes suspendues à un câble,
d'une rive à l'autre. Il passa sur ces pontons non seulement de l'infanterie, mais de l'artillerie, un peu
de cavalerie et des voitures de la Croix-Rouge, qui se dirigèrent vers Anhée. Des civils constatèrent qu?
le premier canon mis sur radeau le fit chavirer, et ce n'est qu'après bien des efforts que les soldats, qui
poussaient des cris de rage, parvinrent à le retirer du fleuve. Très peu de fantassins avaient pu utiliser,
à la soirée du 23 août, le pont endommagé de Houx- Une notable partie des troupes du XIIe corps de
réserve, qui encombrait Yvoir le 23 août, fut dirigée sur Dinant pour y utiliser le pont de bois de Leffe,
car la traversée sur pontons était fort lente.
(3) Bauhgarten-Crusius, o. c, p. 35; v. aussi, au sujet de l'itinéraire de la division : Die Schlachlen
und Gefecbte des Groszen Krieges, o. c, p. 16; Les Violations, o. c, p. 88; Marsckneb, Mit der
23. Heserver-Bivision, p. i5 (ouvrage très détaillé et très intéressant).
(4) Direction du contentieux et de la justice militaire, à Paris, dossier io55, enquête auprès des
prisonniers, rapport n° 154.
84
On remarquera que, le 24 août, dès 8 h. 3o du matin, dix hussards
de la Mort arrivaient à Sosoye, venant de Maredret; ils s'y trouvèrent
isolés, en pleine retraite de Bioul, et deux furent tués. Sans doute,
la Garde, qui occupait déjà Denée et Furnaux, cherchait-elle à faire
la liaison avec la IIIe armée.
§ 1 . — Anhée.
Anhée est assis dans la vallée de la Meuse, non loin du
confluent de la Molignée, que la 23e division de réserve va remonter
jusqu'à sa source.
Cette localité eut à souffrir des combats du i5 et du 23 août.
L'ennemi y pénétra le 23 au soir (rapport n° 55 1) et occupa le
lendemain, à 1 heure du matin, le château de Moulins (Warnant)
(rapport n° 552), où s'ouvre la vallée.
N° 55 1. Le 6 août, à 18 heures, débarquèrent à Anhée (1) les premiers soldats français,
une compagnie du 148e (lieutenant Courty).
Le 9 août, la 4e compagnie (ter bataillon, commandant Vannière [fig. 19]),
du 148e, venue d'Hastière, s'installa entre les 5e et 8e d'une part (à Bouvignes),
et les 2e et 3e d'autre part (à Yvoir). Le chef de bataillon résidait au château de
M. Henry à Moulins; une partie de l'Etat-Major était à Senenne, au château de
M. de Wouters (2).
Le i5 août, les offices de l'église ne purent se faire, à cause du combat.
Sept Français de la 10e compagnie du 1 10e tombèrent sur le territoire de la commune,
« au Bout des Campagnes (3). » Le soir, il y eut une accalmie et, le lendemain, les
troupes en repos remplirent l'église. Quelques braves se détachèrent pour porter
la statue de la S. Vierge au milieu de l'assistance émue et recueillie. Presque tous
ces soldats se confessèrent et les officiers donnaient eux-mêmes l'exemple.
Le 17 à 3 heures du matin, le 148e fut remplacé par le 45e.
Le 20 au matin, le général Mangin, venu en auto de Bioul, s'arrêta à Anhée
pour conférer avec le colonel Grumbach, commandant le 45e ; il y revint le lende-
main, et présida, au château de La Molignée, une réunion d'officiers supérieurs.
Les soldats du 45e quittèrent la localité dans la nuit du 21 au 22, et furent
remplacés de nouveau par le bataillon du commandant Vannière, du 148e, revenu
de Hun. L'après-midi du 22, le 148e quitta définitivement Anhée, où arrivaient le
(t) Dans le présent rapport sont fondus les notes recueillies sur place au jour le jour par dom
Norbert Nieuwland, et les renseignements qu'ont communiqués M. l'abbé Fissette, curé d'Anhée, et
M. Paul Bauchau.
(a) Nous avons enregistré plusieurs reconnaissances opérées par cette compagnie sur la rive droite de la
Meuse (Tome IV, p. 126, 149, 154).
(3) On connaît les noms des soldats Mellet ou Milliet, Plattel ou Platelle, Roussel, Vanoverberghe ou
Vanoverberte, et Lesage.
85
soir des éléments du 8e dans la section de Moulins. Le village d'Année était défendu
par des réservistes du 3ioe.
Le 23 à 9 heures, l'artillerie allemande, dissimulée derrière les montagnes de
la rive droite vers Yvoir et vers Houx, ouvrit le feu sur le village, des deux côtés à
la fois. Plus de 25 obus firent des brèches dans l'église, ébranlant la voûte,
déchiquetant les confessionnaux, endommageant les orgues et le matériel. Dix-sept
obus tombèrent dans le jardin de la cure. Vingt maisons du village furent atteintes
plus ou moins gravement (i), six furent incendiées (2).
Le château, ancien prieuré de Senenne, bombardé de 9 a i5 heures, fut
en partie détruit.
Quarante-sept soldats français (3) étaient tombés çà et là dans le village ou
dans les campagnes. Plusieurs d'entre eux furent tués sans pitié alors qu'ils se ren-
daient. Isidore Scailteur, dont le café avait été envahi entre 16 et 17 heures par un
officier et quelques soldats allemands, aperçut un groupe de soldats français postés
dans les jardins situés en face de sa maison, qui longeaient le chemin de halage
et s'avançaient en levant les bras pour se rendre. Bien que l'officier eût vu le
geste, il donna l'ordre de tirer. M. Scailteur vit tomber l'un des Français; et bien
qu'il n'ait pas été témoin de la suite du drame, il paraît certain que les trois autres
soldats qui se rendirent subirent le même sort. On retrouva leurs cadavres dans les
jardins de Louis Binamé et de J.-B. Donnay. Ils étaient tous les quatre du 3ioe.
Il n'y eut à déplorer qu'une seule victime civile, Narcisse FRÉROTTE, 49 ans,
frappé par une balle en fuyant au cœur de la bataille.
Vers le soir, quand les troupes de la 23e division de réserve, XIIe corps de
réserve, firent leur entrée dans l'endroit, la moitié de la population avait fui. Six
habitants (4), arbitrairement arrêtés, furent joints au célèbre groupe des soi-disant
francs-tireurs de Spontin, de Hun et d'Yvoir, mais ils furent relâchés près de Stave.
(T. IV, p. ti 5). Un autre groupe, comprenant environ 200 personnes, fut colloque
chez M. Bauchau et libéré le lendemain à 6 heures. Pendant ces journées, un bon
nombre de maisons furent pillées ou saccagées.
Le curé, M. Fissette, avait pu gagner Haut-le-Wastia, où il échappa au danger
qu'il courait en revêtant des habits civils.
Le 24 août dans la matinée, M. Bauchau fut témoin de la destruction par la
dynamite du bureau postal et du coffre-fort qui s'y trouvait.
(1) Ce sont les maisons Busseret, Aubreby et veuve Maison (près de l'église), la ferme du vicomte
Vilain XIII I , les maisons Dossogne, Dussart, Demoulin, Michel, Collet, Bodart, Rouyr, Chevalier ; enfin
l'église et le château de Senenne.
(a) Ce sont les maisons Jules Bodart, Alphonse Borsut, Léon Coliard, Victor Pousseur ; celles de
l'éclusier, Louis Coster, et du sous-éclusier, Maurice Lambotte.
O) Les suivants furent inhumés snr la place publique en face de l'église : René Dedonker, Nevians, Tobie
Buroo ou Barroo, Léon Dewart ou Deswart, Jérôme Wills, Arthur Samson ou Sensen, tous du 3ioe de
Dunkerque. On a aussi retenu les noms de Lucien Keval, du 148e, de Boulogne-sur-Mer, et de l'adjudant
Pigot, du 3ioe.
Les corps des soldats français, exhumés en 1916, furent transférés au cimetière militaire d'Anhée
« Près du Petit Bois ».
Sont aussi tombés à Anhée trois soldats allemands 9/177, Dresden, et Paul Lennig, des uhlans de la Garde.
(4) Voici leurs noms : Joseph Blondiaux, Ernest Henry, Adelin Scailteur et son fils Joseph, Joseph
Binamé (lesquels enterraient les morts au moment où ils furent pris) et une dame, Ida Clause.
86
Moulins. — "Rapport de Dom Norbert JSieuwland.
N° 552. ^e fus attaché le 6 août, en qualité d'aumônier, aux troupes françaises
arrivées à Anhée et je pus ainsi suivre de près les escarmouches qu'elles enga-
gèrent, les jours suivants, avec les éclaireurs ennemis (voir tome IV).
A partir du 17, je fus assisté par le R. P. dom Hadelin de Moreau, mon
confrère.
Le 23, nous fûmes réveillés à 6 heures du matin par une vive fusillade. Le
combat commençait ; il se poursuivit pendant toute la journée. A 16 heures, le
quartier de Moulins devint la cible de l'artillerie allemande. Cinq obus atteignirent
le château de M. Henry, où je résidais. A 18 heures, le canon se tut et l'ennemi
franchit le pont de Houx. Avec la famille Henry j'avais gagné le château de Moulins,
transformé en ambulance française, où je passai la nuit au chevet des blessés.
Le 24 août, à 1 heure du matin, un cri retentit : « Les Allemands sont là! » Un
groupe de soldats envahit la propriété. L'officier qui les conduisait braqua sur moi
son revolver en disant : « Si fousils dans le château, vous fousillé ! » Ses hommes
m'empoignèrent, tandis qu'il fouillait les coins de l'habitation. A 3 heures, un régi-
ment envahit la cour; je me présentai au devant d'eux. « Spontin kapout, vociférait
un officier en se démenant comme un possédé; curé kapout, vous aussi fusillé! »
Des blessés furent amenés, deux Français et sept Allemands.
On entendit bientôt, du côté de Warnant, une fusillade nourrie et la troupe
s'éloigna. A 9 heures, nous apprîmes ce qui était arrivé : plusieurs centaines de
soldats belges, faits prisonniers dans la rencontre de ce village, furent amenés dans
la cour de la ferme.
Dans l'après-midi, j'obtins la libération des gens d'Anhée qui s'étaient réfugiés
à l'ambulance. A la soirée, on relâcha les otages, qui étaient parqués dans une
écurie. Je reçus du lieutenant Otto (1), du 100e de réserve, un passeport. Le fermier
de Moulins inhuma, sur ordre, deux soldats ennemis, puis fut délesté, par des
troupes qu'il croisa, des 4000 francs qu'il portait sur lui.
Le 24 août, les blessés furent évacués, sauf 3 Français et 6 Allemands, grave-
ment atteints, qui furent emportés le 26.
§ 2. — Haut-le-Wastia.
Bien que Haut-le-Wastia n'ait pas été défendu le 23 août par les
troupes françaises, qui s'étaient retirées la nuit précédente, ce village a
eu à souffrir de l'invasion. Les soldais du 101e et du io3e de réserve y
pénétrèrent le 24 à 6 heures du matin- On signale aussi le 25 août des
troupes du 102e de réserve. Plusieurs habitants furent fusillés ou bruta-
lisés ; un groupe de vieillards, de femmes et d'enfants fut mitraillé et le
(1) Ce lieutenant est cité dans le carnet de route du sous-officier Burkhardt, du ioo6 de réserve. Voir
Les Violations, o. c, p- 88-
»7
feu fut mis à deux maisons. Voici le récit de ces événements (rapport
n° 553), tel que nous l'a fait le i5 juin 1915 M. J. Balthazar, curé de
la paroisse.
Le rapport n° 554 relève quelques détails relatifs à Warnant.
Haut-le-Wastia, que contourne, au nord, la Molignée, occupe une situation
stratégique de premier ordre; de nombreux points de son territoire, on a vue sur
la vallée de la Meuse.
Au t5 août, nous n'avions vu aucun soldat, ni belge ni français, et nous nous
disposions, dans le calme, à faire la procession de l'Assomption, malgré le bruit
du canon et des mitrailleuses qui nous arrivait de Dinant, lorsque, pendant la
grand' messe, la pluie vint à tomber, empêchant la population de se livrer à cette
manifestation si désirée de sa piété.
Au soir, nous reçûmes le 148e français, venant de Bioul, qui nous quitta dans
la nuit, se rendant à Dinant. Le 16 août dans l'après-midi, vinrent le uoe et le
41e d'artillerie, qui séjournèrent au village jusqu'au 22 à midi, édifiant la paroisse
par leurs sentiments chrétiens : un grand nombre de soldats assistaient chaque
jour à la messe, célébrée à leur intention à 3 heures du matin et y communiaient.
Le 23 août, nous étions sans défenseurs. Dans l'avant-midi, nous eûmes deux
messes basses, les seuls offices religieux de la journée. A 9 heures, les premiers
obus explosaient dans les champs; vers midi, ils arrivèrent en plein village, et alors
les habitants prirent la fuite, les uns se dirigeant sur Falaën, d'autres sur Sosoye,
d'autres sur Salet-Warnant. Environ trente-cinq personnes demeurèrent et vinrent
se réfugier au presbytère. Je les installai dans des caves aménagées sous le choeur
de l'église, et sous les sacristies, où nous passâmes en prière l'après-midi, jusqu'à
ce que le bombardement cessât, vers le soir. Il avait d'ailleurs été intermittent et
de peu d'importance : une trentaine d'obus tombèrent sur le territoire de la
paroisse, endommageant deux maisons et brisant les vitres dans un quartier.
Après une nuit calme, les premiers soldats allemands entrèrent au village le
24, à 6 heures du matin, et trouvèrent les maisons closes. Ils les pillèrent d'une
façon inouïe. Il était 8 heures quand ils se présentèrent au presbytère : mes
paroissiens et moi, nous fûmes enfermés dans l'église et gardés jusqu'à i3 h. 3o;
puis les premières troupes s'éloignèrent.
A peine étions-nous rentrés dans nos maisons, que de nouveaux soldats les
envahirent. Vers i5 heures, des gens qui avaient fui voulurent revenir, mais
quand ils constatèrent, à l'entrée du village, que l'ennemi l'occupait encore, ils
jugèrent prudent de rebrousser chemin et d'entrer dans un taillis. Cette manoeuvre
avait été remarquée. Des soldats organisèrent une battue à travers champs et
mirent en action une mitrailleuse. Il y eut plusieurs victimes. Une infirme, Victoire
DETAILLE (fig. 8), veuve Antoine RONDIAT, âgée de 78 ans, fut tuée sur la
charrette qui avait servi à l'emmener. Désiré SACOTTE (fig. t6), époux de
Caroline Trillet, 42 ans, père de famille, fut retrouvé tué à peu de distance. D'autres
personnes furent blessées : l'une eut la figure traversée de part en part, une autre
fut gravement blessée à la cuisse, une fillette de 6 ans eut la hanche percée d'une
88
balle et est restée estropiée. Pendant ce temps, on mettait le feu aux maisons
voisines de Mathieu Detourbe et de Mme veuve Désiré Mélot, et trois civils étaient
faits prisonniers. L'un d'eux, Mathieu DETOURBE (fig. t3), époux d'Aline Mélot,
père de famille, âgé de 3t ans, fut fusillé une heure après sur la route de Moulins,
territoire de Warnant. Les deux autres, Alfred Wauthier et Jean Polomé, furent
associés au groupe de Spontin emmené à Roly et Hotton. (Tome IV, p. 1 15).
Des fenêtres du presbytère, je fus inconsciemment témoin de cette scène : je
suivais des yeux les soldats s'avançant à travers champs, mettant le feu aux récoltes
non fauchées et tirant sans cesse. Je les croyais à la recherche de soldats français
et je n'appris que le lendemain que les pauvres victimes étaient mes paroissiens.
Trois autres civils (fig. 14 et i5) furent fusillés près des ruines de Montaigle
(voir rapport n° 557). Aucun d'eux n'était porteur d'armes et n'avait commis le
moindre délit.
N° 554. Warnant reçut à plusieurs reprises des Français : le i5 août, quelques
soldats; le t6 août, le 45e de ligne, qui séjourna jusqu'au 21; le 22, au soir,
une forte colonne qui resta deux heures, puis poursuivit sa route.
Le 23, des troupes françaises et des gardes~civiques de Charleroi passèrent
à Warnant, se retirant sur Falaën, Flavion et Philippeville.
L'ennemi entra à Warnant le 24, au matin, et y soutint un combat contre
des troupes belges, ainsi que nous l'avons raconté plus haut (p. 76).
Trois immeubles furent détruits dans la commune. La « Villa des Toutous »
fut incendiée par des obus le 23. La ferme de Heneumont fut pillée à fond la
nuit suivante; les soldats tuèrent poules, porcs et bétail, burent et mangèrent
tout ce qu'ils trouvèrent, puis mirent le feu à l'immeuble, le 24 août, à 8 heures,
pour faire disparaître les traces de leur orgie. La ferme d'Ohey fut brûlée le
24 août par les soldats qui se rendaient à Haut~le"Wastia.
§ 3. — Annevoie et "Rivière.
Ce sont des soldats du to3e de réserve (46e brigade) qui brutali-
sèrent les habitants de Hun et y incendièrent une maison.
A Annevoie (rapport n° 555), il passa des éléments du tote de réserve.
Rivière est l'une des rares localités qui ne furent pas occupées pen-
dant les premières journées de l'invasion. On lira néanmoins avec intérêt
le rapport n° 556 consacré à cette localité : il montre avec quelle légèreté
les troupes y ont détruit un château ancien, rempli d'œuvres d'art.
N° 555. Le 9 août (1), la 2e compagnie du 148e, qui se trouvait jusque là à Dinant,
s'établit à Rouillon; elle fut renforcée le 14 par la section de mitrailleuses du
2e bataillon et, le t5, par la 7e compagnie.
(1) Ce rapport, relatif à Annevoie et Hun, emprunte les données militaires aux notes qu'a bien voulu
nous communiquer le général Cadoux ; les autres renseignements ont été recueillis par le curé de la
paroisse, M. Warnon.
89
A partir du i5, le barrage de Hun (ut aussi gardé par une section. Le
16 août, à 14 h. 25, le sous-lieutenant Trinquant, du 5e chasseurs à cheval,
arriva à Rouillon avec son peloton, pour assurer la liaison avec la 5e division
de cavalerie française. A 16 heures, le pont de Rouillon fut miné par le
capitaine du génie Mascart, de l'armée belge.
La 11e compagnie du 148° (capitaine Roques), qui s'était repliée du pont
de Bouvignes te i5 août, vint se reconstituer à Annevoie le 17 août. Tout le
3e bataillon (commandant Bertrand) s'y trouva dès lors réuni. Le même jour,
dès avant l'aube, la 4e compagnie (de Houx-Anhée), la 3e compagnie (du pont
d'Yvoir), relevées par un bataillon du 45e, vinrent occuper le barrage de Hun.
Les 5e et 7e compagnies et la compagnie hors-rang (de Bioul) s'établirent aussi
à Annevoie et Rouillon, le poste de commandement du colonel Cadoux étant
au château d'Annevoie.
Le 21 août, le général Mangin, commandant la 8e brigade, donna au
3e bataillon l'ordre de gagner Bioul (t). La 4e compagnie, de Hun, se rendit à
Annevoie.
Le 22 août, le passage de Hun fut gardé par la 5e compagnie, le pont de
Rouillon, par les 2e, 7e et 8e compagnies. Une patrouille ennemie se présenta
à 7 heures au barrage de Hun et fut dispersée à coups de fusil.
A 16 h. 20, le pont de Rouillon fut détruit sur les deux tiers de sa portée.
Le 23, la position du versant est du bois de Salzinnes (entre Hun et Rouillon)
fut occupée par la ire compagnie (Delahaye), ramenée de Burnot, et les abords du
pont de Rouillon le furent par la 2e compagnie (Dagalier).
A Hun, la 3e compagnie occupait des tranchées construites au-dessus du village.
(1) Le général Cadoux a bien voulu nous communiquer l'émouvante participation de cette vaillante
troupe au siège de Namur. Mis à la disposition du lieutenant-colonel Grumbach, commandant le 45e,
le 3e bataillon du 148 fut adjoint à deux bataillons du 45' • et ensemble ils arrivèrent à Namur le
22 août, à 7 heures. Le 3 bataillon fut envoyé aussitôt sur la route de Louvain, à 5oo mètres sud de
la borne 6 (bifurcation du chemin de Cognelée). Dans l'après-midi, il fut chargé de reconnaître les abords
nord du bois des Grandes Salles, en vue de reprendre le château de Beauloy, qu'avaient abandonné les
troupes belges du capitaine Dewattines. A 17 heures, l'ordre fut donné aux 9e (Gaune de Beaucoudray)
et 12e compagnies (Boitel) de se porter en avant. Elles commencèrent le mouvement, mais dès leur
arrivée à hauteur de l'église et du cimetière de Cognelée, elles reçurent des coups de fusil des défenseurs
de Beauloy. Le major Melon, du 3oe d'infanterie belge, ayant confirmé l'évacuation de Beauloy par ses
troupes et le capitaine Dewattines ayant conseillé de ne pas aller plus loin, les 9e et 12e compagnies
furent dispersées dans les tranchées voisines, jusqu'à ce que la 10e compagnie leur fut envoyée en
renfort. Alors elles envahirent, baïonnette au canon, le parc du château et une section de la 9e com-
pagnie, avec le lieutenant de Beaucoudray, pénétra dans la redoute, mettant en fuite les derniers défenseurs.
A «9 h. 3o, les tranchées qu'occupaient les 10e et 12e compagnies, prises d'enfilade par l'artillerie
ennemie, durent être évacuées. Le 9e reçut aussi, du chef de bataillon, l'ordre de se replier derrière le
village de Cognelée. Le lendemain, les compagnies occupèrent les abords de Champion, où elles subirent
un feu affolant de batteries lourdes de campagne, invisibles, jusqu'à ce que le lieutenant-colonel Grumbach
ordonna le repli, à 1 1 h. i5.
Le colonel du 45e, avec les 11e et 12e compagnies du 45e et les 9e, 10e, 11e et 12e compagnies
du 148 , bivouaqua le 23, au soir, à i.5oo mètres de Bioul, passa le lendemain par Maredsous. Une
partie du 3 bataillon retrouva son régiment, le 24, à Gochenée et Agimont et gagna de là, le 25,
Doische, Mazée, Treignes Vierves et Rocroi ; le restant se reforma le 24, à 21 heures, à Fagnolles et
gagna aussi Rocroi.
Attaquée dès 5 h. 3o par de l'infanterie et de l'artillerie, elle tint toute la matinée,
s'opposant à la mise à l'eau de barques amenées par l'ennemi. Elle reçut, à t3 h. t5,
l'ordre de se retirer, avec la ire et la 2e compagnies, sur Bioul, où tout le bataillon
devait se mettre sous les ordres du colonel Pétain, pour passer la nuit à la lisière
nord de Falaën, gagner, le lendemain, Flavion et Agimont. Un officier et douze
soldats français (i) du 148e, furent tués à Hun et y restèrent inhumés dans une
tombe collective, à gauche de la route de Namur à Dinant, jusqu'à leur transfert
au cimetière d'Anhée.
Le io3e saxon commença à franchir la Meuse à Hun le 23 août vers le soir ;
il traita les civils du hameau avec une brutalité extrême. Hommes, femmes et
enfants, expulsés des caves où ils se tenaient paisiblement, furent chargés sur des
nacelles et passèrent la nuit sur le pavé dans le bâtiment de la poste. Le lendemain,
les femmes et les enfants furent renvoyés, mais dix hommes (2) furent associés aux
civils de Spontin et emmenés avec eux jusqu'à Roly et Hotton. Nous avons relaté
leurs souffrances tome IV, p. n5. Le 24 août, dès 5 heures du matin, le feu était
mis, au rivage, à la maison d'Alexis Woos, occupée par Clément Lecoq, dans
laquelle les Français s'étaient installés.
L'ennemi ne fit son apparition à Rouillon et à Annevoie que le 24 août.
A 7 heures, 12 uhlans venus par le pont d'Yvoir montèrent la côte de Bioul ; mais,
reçus par les balles de quelques Français qui avaient séjourné dans les bois, ils
rebroussèrent chemin. A i3 heures, des fantassins appartenant, croit'-on, au tote,
et venus de Hun par les campagnes, passèrent à Annevoie, se dirigeant vers
Haut-le-Wasîia, et ne molestèrent pas la population. Les jours suivants, les passages
de troupes furent de peu d'importance.
N 556. Le i3 août (3) à 1 1 heures, le colonel Cadoux reçut du chef du ier corps l'ordre
de se transporter de Dinant à Bioul et de modifier la répartition des bataillons du
i48equ'il commandait, les espaçant depuis Anseremme jusqu'à Burnot"Lusîin inclus.
De ce fait, le secteur Houx-Burnot se trouvait renforcé ; la 2e compagnie s'établit
le soir à Rouillon avec la section de mitrailleuses du 2e bataillon, et la ire compagnie
à Burnot.
Le i5 août à 8 heures, ces effectifs furent encore renforcés à Rouillon par la
7e compagnie, à Burnot par la 8e.
Le t5 à 8 h. 3o, le bourgmestre de Godinne informa le colonel Cadoux, à
Bioul, « que des uhlans s'installaient au sanatorium de Mont et paraissaient vouloir
(1) C'étaient le capitaine Victor Gautrelet ou Gautelet, de Remillies; Gaston Dumont ou Dumour, de
Mézières; Florimond Huleux, de Denain; Julien Jaspart, de Cambrai ; Edouard Juzert ou Gugert, de Mézières;
Charles Millancourt, d'Avesne ; Eugène Petit, de Lens ; Désiré Pichet ou Pihet, de Mézières ; Marcel Trichin
ou Triclin, de Rennes ou Reims ; Léon Ancelle, de Maillencourt ; Georges Havet, de Valenciennes, tous du
148 ; et Henri Nesrians, de Dunkerque, du 3ioe ; enfin, un inconnu.
(i) C'étaient Alexis Woos, Alexandre Legros, Victor Legros, Victor Daffe, Victor Feraille, Léon
Beaupère, Jules Beaupère, Alexandre Stavaux, Victor Pirson et Auguste Defrenne. Les deux premiers
moururent des suites de ces mauvais traitements.
(3) Ce rapport, consacré à Rivière et Burnot, a utilisé les notes du colonel Cadoux, des renseignements
fournis par M. Edouard de Pierpont, à Rivière, et le procès-verbal de l'enquête que nous avons faite sur
place le 3o septembre 1916.
9»
s'y retrancher, et que des Allemands auraient été vus se dirigeant vers la Meuse
avec des barques ».
Le 17 août, la 6e compagnie, avec l'Etat-Major du 2e bataillon (commandant
Graussaud) et la section de mitrailleuses, s'établirent aussi à Burnot-Lustin ; cette
compagnie se disposa le lendemain entre Rivière et Godinne, à hauteur des Iles, à
la lisière du bois de la chapelle S. Hubert. Les coteaux de la montagne de Rivière
étaient préparés pour la défense, spécialement aux lieux dits : campagne des Tries,
Tienne au Collin et au sommet du Sart à Socle, à l'entrée du bois et dans la
pépinière dominant la Meuse. Les retranchements opérés en terrasse au lieu dit :
Tienne au Collin, vers le nord du cimetière communal, étaient armés de mitrail-
leuses et particulièrement bien dissimulés. Ils rendaient l accès du pont impossible.
Le 19, le sous-lieutenant Courty, de la tre compagnie, au pont de Burnot,
donna la chasse à un peloton de cavalerie ennemi, qui s'était approché du pont,
venant de Mont ; le feu de la section tua 6 chevaux. Un officier allemand, en fuyant,
menaça le bourgmestre de Mont du revolver, en vociférant que le village serait
brûlé pendant la nuit. Les habitants affolés demandèrent de la troupe pour les protéger.
Le 21, les Français arrêtèrent par quelques obus tirés de Rivière une troupe
d avant-garde qui s'acheminait vers les fonds d'Hestroy.
Le 22 de bon matin, le pont de Burnot-Lustin fut tenu non plus seulement par
la ire, mais encore par la 6e compagnie, sous les ordres du capitaine Delahaye,
commandant la ire compagnie. On signala aussi les officiers suivants : capitaine
Tréca, lieutenants Létranger et Arthaud.
Le pont de Burnot sauta à tô h. 45 et, une seule pile étant détruite, le comman-
dant demanda par auto au général-gouverneur de Namur, 5o kilogrammes de tonite
pour achever la destruction de l'ouvrage.
Le 23, dès la pointe du jour, la tre compagnie quitta le pont de Burnot-Lustin
détruit, et alla s'établir entre Hun et Rouillon, sur le versant est du bois de Salzinnes,
tandis que les troupes allemandes, venant de Crupet, envahissaient le sanatorium et
se répandaient dans le vallée jusqu'à la gare de Lustin. Dans l'avant-midi, la voie
du chemin de fer du Nord-Belge, la route dite de la corniche et le halage vis-à-vis
de Rivière se couvrirent de soldats.
A i3 heures, tout le ier bataillon du 148e (tre, ie, 3e et 4e compagnies, Burnot,
Rouillon et Yvoir) avait reçu l'ordre de gagner Bioul, Denée et le bois au nord
d'Ermeton-sur-Biert.
Cet ordre n'atteignit pas la section de Capelîis (2e compagnie), qui avait été
envoyée, à midi, à Rivière, et s'était portée à t3 h. 20 dans les broussailles de
l'éperon sud de Rivière. Des cavaliers ennemis, l'ayant remarquée du sanatorium,
firent feu sur elle et bientôt la canonnèrent à l'aide d'une batterie. Ils lancèrent aussi
quelques obus sur le château de M. de Pierpont. Il était 18 heures, et les habitants
venaient de sortir de l'église, où s'était chanté le salut du Saint-Sacrement. La
section se terra sous la canonnade et ne put diriger que des feux mal ajustés sur
de petites fractions ennemies qui cherchaient à traverser la Meuse en barquette. Les
villageois aperçurent soudain un soldat, membre en hercule, traverser la Meuse à
la nage et s'emparer, sur la rive gauche, de l'une des barques que les Français
avaient coulées à fond; il traversa à nouveau le fleuve, entraînant entre deux eaux
92
la lourde embarcation, que l'on répara à la hâte et qui, bientôt, permit à cinq incen-
diaires, dont un officier, de venir, la torche à la main, anéantir en quelques instants
le château Louis XVI de M. de Pierpont (i). Un soldat de la section, Léon Lacroix,
de Saint-Omer, fut tué net par un coup de feu à la face. A 18 heures, la section
regagna Rouillon et, apprenant le départ de la compagnie pour Bioul, se mit à sa
recherche. Elle passa à Bioul la nuit du i3 au 24 et se joignit, le lendemain, à une
colonne de différents éléments dont une partie du 148e (commandant Bertrand)
venant de Namur; elle retrouva son régiment le 25 août à 1 1 heures à Vierves.
Pendant la fusillade, toute la population avait fui vers Boilaîtrie. M. Xavier de
Pierpont, attardé à l'église après le salut, y priait encore tandis que l'incendie battait
son plein. M. Edouard de Pierpont et sa famille, dont de jeunes enfants, ne quit-
tèrent qu'au moment où le feu laissait entrevoir ses premières flammes et c'est
comme par miracle qu'ils échappèrent à la grêle de balles qui les assaillit à leur
départ.
Ce drame du passage de la Meuse par un soldat allemand, qu'un seul franc-
tireur, s'il eût existé, eût aisément empêché, est une preuve irréfutable que les
troupes incendiaient par plaisir et sans utilité militaire.
Le 24 août, les troupes visèrent de la rive droite de la Meuse, sans les
atteindre, quelques hommes rentrés au village, et elles bombardèrent Burnot, dont
9 maisons furent détruites ou très endommagées; puis elles gagnèrent Godinne et
Yvoir.
Le 27, campèrent à Rivière environ 2000 hommes, dont des cavaliers et le corps
de munition de la IIIe batterie d'artillerie à pied, sous le commandement du
rittmeister von Bonin. Celui-ci dit à M. de Pierpont, en montrant les ruines : « Ce
sont vos prêtres qui sont cause de ces désastres ! Ici aussi, il y a eu des francs-
tireurs, dirigés par un curé! »
§ 4. — Sosoye~Maredrel.
Lorsque les éclaireurs de la 23e division de réserve atteignirent, le
24 août, la gare de Falaën, qui est située dans la vallée même, les
soldats belges tirèrent sur eux, du bois voisin, quelques coups de feu.
En punition de ce fait de guerre, cinq maisons furent brûlées, vingt-six
hommes de Foy furent ligotés comme des malfaiteurs et emmenés ; trois
pères de famille de Haut-le-Wastia, surpris par hasard dans les envi-
rons, furent liés à des arbres et fusillés, au lieu dit « Les Floyes ».
Le rapport n° 558 relate ce qui s'est passé à l'abbaye de
Maredsous.
A Maredret (rapport n° 559), Emile Taton fut tué par des uhlans.
(1) Il y périt des tableaux, des sculptures et beaucoup d'objets d'art. On y admirait entre autres un salon
en stuc, œuvre exécutée en 1777 par les frères Moretti et signée; le plafond seul était orné de 60 personnages
représentant, en douze médaillons délicatement exécutés, Cérès et les mois de l'année.
93
La paroisse de Sosoye — écrit M. l'abbé Bruyr, curé de l'endroit — comprend,
outre le centre, les hameaux de Marteau et de Foy. Soldats belges et uhlans se
croisèrent pendant toute la matinée du 24 août dans cette région. En arrivant à
Marteau, les Allemands procédèrent à une visite minutieuse des maisons. Josuë
Binon fut sur le point d'être fusillé, parce qu'on trouva chez lui des douilles de
cartouches qu'il avait conservées en souvenir des manoeuvres militaires faites dans
la région par l'armée belge l'année précédente; emmené par les troupes, il fut
relâché près de Maredret.
Quand l'avant-garde du corps d'armée ennemi atteignit, vers t3 heures, la
gare de Falaën, au lieu-dit « La Forge », au pied de la montagne sur laquelle est
assis le hameau de Foy, elle reçut des coups de feu d'un groupe de soldats belges
postés dans les bois qui, au sud, surplombent la gare. Deux chevaux furent tués.
Après s'être mis à l'abri des balles dans les caves des maisons, les Allemands
sortirent furieux, tirèrent sur la gare et sur les hôtels Couturier (1) et Devigne —
où fut blessée Elvire Devigne — et mirent le feu à deux maisons et à une grange
appartenant à Auguste Baivy-Tonon, ainsi qu'au magasin de marchandises du
chemin de fer (2). La maison de la veuve Delaire, à Foy, fut aussi incendiée.
Les hommes de Foy coururent un sérieux danger : ils furent arrachés à leurs
maisons au nombre de 26, liés deux à deux et les mains derrière le dos et entraînés
jusqu'au château de M. Desclée, à Maredsous.
A Sosoye, dix hussards de la mort arrivèrent le 24 à 8 h. 3o, par la route de
Maredret, et furent assaillis par le feu de quelques soldats belges établis près du
café Urtrel-Lurquin. Deux Allemands furent tués, l'un au pied de l'escalier qui
monte à l'arrêt du train de Sosoye, l'autre, 3o mètres plus loin, au milieu de la
(1) Un témoin oculaire, M. Fernand de Bien, qui se trouvait à l'hôtel Couturier, a fait le récit suivant.
'< Soudain un nuage de poussière s'éleva dans la vallée, venant de la direction de Montaigle : une colonne
saxonne remontait la Molignée. Nous l'aperçûmes au moment où elle arrivait près de Marteau. A cet endroit,
un coup de (usil abattit un cheval; sur le champ, une maison voisine — d'où les Allemands prétendaient qu'on
avait tiré — (ut livrée aux flammes.
» Des fenêtres de l'hôtel, nous pouvions suivre les mouvements de la colonne. Elle avait fait halte, pendant
que deux hussards, détachés en éclaireurs, venaient reconnaître les abords de la gare et que des fantassins se
postaient en vedettes près du pont sur lequel la route franchit la Molignée à Marteau. A c: moment, nous
vîmes un soldat belge, caché dans les broussailles tapissant le versant de la vallée, se lever et, le fusil à la
bretelle, se diriger d'un pas délibéré vers les Allemands; sans s'inquiéter de ses intentions, ceux-ci tirèrent et
le malheureux s'affaissa- On le crut mort, mais il se releva bientôt et disparut en rampant dans les buissons.
» Les Saxons ne se pressaient pas d'avancer. Tout à coup, deux soldats français, qui étaient restés
embusqués derrière la gare, firent feu. L'ennemi riposta et tira notamment sur l'hôtel, dont les vitres volèrent
en éclats. Nous descendîmes dans les souterrains. Bientôt nous entendîmes au-dessus de nous un vacarme
effroyable, des cris, des vociférations : les Saxons faisaient irruption dans le café, prêts à tout saccager- l< On
a tiré d'ici sur nous! » nous dit un officier. Nous répondîmes que ce ne pouvaient être que des soldats.
» Pendant qu'ils fouillaient l'hôtel, d'autres soldats envahirent la gare, emmenèrent le chef de station,
défoncèrent à coups de hache le plancher de la salle d'attente et y mirent le feu. Des hommes dévoués vinrent
à la dérobée jeter quelques seaux d'eau sur le brasier, qu'ils réussirent à étouffer. Quant aux soldats français,
ils furent aperçus dans un bois voisin et ne purent échapper à la mort.
» Des étudiants de Leipzig nous racontèrent qu'à Spontin, ils avaient perdu leur major, tué d'un coup de
feu par un habitant du village. »
(2) Cet incendie semble visé dans Marschneb, o. c, p. ao.
94
route qui mène à Marteau. Un cheval fut tué à côté de son cavalier, un second put
se traîner jusqu'à Chertin, un troisième jusqu'au cimetière. Plusieurs hussards
rebroussèrent chemin vers Maredret, deux continuèrent vers Falaën, un dernier se
cacha dans le bois. Craignant des représailles, le garde-champêtre, aidé de quelques
hommes, se hâta d'enfouir hommes et chevaux. Dans l'entre-temps continuèrent
à défiler des soldats belges, venant à travers champs de Bioul et se dirigeant vers
les Bierts. Il en passait depuis le grand matin (i).
A 14 h. 3o, arriva de Marteau à Sosoye le corps d'armée qui venait d'Anhée
et se dirigeait vers Maredret; il défila sans discontinuer jusqu'à 21 heures. Le
lendemain, il passa de nouveau des troupes pendant trois heures dans la matinée
et pendant deux heures clans l'après-midi. Du 24 au 27 août, 5, 000 Allemands
logèrent dans l'église, dans les maisons et dans les granges.
Un douloureux massacre fut commis le 24 août vers 16 h. 3o, au Heu dit
« Les Floyes », paroisse de Sosoye. Quand on a dépassé le vieux château de
Montaigle, en allant vers Warnant, on atteint l'endroit très pittoresque où le
Flavion se jette dans la Molignée. Trois hommes de Haut-le-Wastia y furent
fusillés dans une prairie qui borde la grand'route, entre deux des nombreux ponts
du chemin de fer. Ambroise LÉONARD (fig. 14), 45 ans, époux de Marie Sacotte, et
Charles GUILLAUME, 42 ans, époux de Marie Benoît, furent pris sur la voie du
chemin de fer; Narcisse BORSUT (fig. i5), 5ç ans, époux de Marie Danthine,
arrêté près de la prise d'eau de Salet, fut amené en auto auprès des deux premiers.
Ils furent liés, Ambroise Léonard à un arbuste, les deux autres à un gros saule,
et tués, séance tenante, à quelques minutes d'intervalle. Un groupe de 23 personnes
(it de Marteau, 5 de Haut-le-Wastia et 7 de Salet) se trouvait caché en face de
l'endroit de la fusillade, dans une sorte de grotte qui borde la voie ferrée.
N 558. L'abbaye de Maredsous (2), commune de Denée, occupe un site remarquable
au sud de la Molignée. Dès l'aube du 23 août, un convoi de six voitures amena
36 blessés français à l'école abbatiale qui avait été aménagée, ainsi que l'école
d'arts et métiers, en ambulance. Ils venaient à peine de recevoir les premiers soins
qu'une estafette apporta l'ordre d'emmener vers la France tous ceux qui étaient
transportables. Il en revint d'autres dans la journée et petit à petit tous les lits se
garnirent.
A la suite des soldats, se présenta à la porte du monastère un lamentable
cortège de fuyards éperdus venant du pays de Saint-Gérard et de la Sambre. Ils
furent installés à la ferme et à l'école d'arts et métiers. Quand le bruit du canon
se rapprocha, (combat de Saint-Gérard;, des centaines de personnes se réfugièrent
dans la grande crypte de l'église. A la soirée et pendant toute la nuit, il passa, sans
discontinuer, des soldats belges et français, fuyant dans la direction de Philippe-
(1) Le 23, à 21 heures, un brancardier bJge, M. l'abbé Demolder, de Louuain, sonna au presbytère
et annonça que le général Michel, le général Henrard et quinze officiers de l'Etat-Major de Namur, se
trouvaient chez Jules Burlet. II3 songèrent d'abord à prendre quartier au presbytère; puis ils dirent qu'ils
n'étaient pas en sûreté et gagnèrent Rosée.
(2) Le carnet de route du sous-officier Butkhardt, du iooe grenadiers de réserve, relate son passage à
Maredsous. V. "Les Violations, o. c. p. 88.
95
ville. La croix-rouge de Namur (médecins, ambulanciers et infirmières) arriva vers
minuit.
Une colonne de plus de 200 ambulanciers (major Petit) vint le 24 août dans la
matinée et ne réussit pas à échapper à l'encerclement. Une patrouille de 25 à
3o hussards allemands parut bientôt devant l'abbaye et demanda à manger.
A11 heures, on amena 71 blessés, dont quelques-uns du combat de Saint-
Gérard.
Nouvelle alerte pendant le dîner : une batterie allemande chercha à atteindre
les fuyards, des hauteurs de Denée, et tira quelques obus dans la direction de
l'Abbaye de Sainte-Scholastique.
Le 26 et les jours suivants, on amena des blessés d'Ermeton ; le chiffre des
soldats soignés à l'ambulance s'éleva à 174, dont 90 Belges et 84 Français (1).
Les derniers blessés furent emmenés en Allemagne le 3o novembre, jour où
fut fermée l'ambulance.
559- Au hameau de Maredret, les premiers Français, des 84e et 284e, parurent
le 2ù août, accueillis comme des sauveurs. Ils partirent le lendemain et furent rem-
placés par des artilleurs, qui placèrent des batteries de réserve sur le terrain en
déclivité qui sépare Denée de Maredret.
Puis ce fut la retraite des civils et des troupes. La journée du 23 août fut très
agitée. A l'issue de la messe basse, on courut vers la gare, où venait d'arriver
un train qui avait essuyé, à Anhée, le feu des mitrailleuses allemandes et en
portait les traces.
Bientôt se croisent dans le village des soldats qui ont combattu vers Saint-
Gérard, sur la Meuse, et à Namur. Des batteries sont postées sur les hauteurs du
Chenoy. A la soirée, tout l'horizon est en feu et une odeur acre prend les habitants
à la gorge. La retraite se poursuit pendant toute la nuit.
Le 24 à 9 h. 3o, un groupe de uhlans traverse te village. A t5 h. 3o, le gros
des troupes débouche par la route de Sosoye. La rue principale, dans la direction
d'Ermeton, était remplie de troupes quand tout à coup éclatèrent des centaines de
coups de feu. « On ne fusillera personne, déclara un officier à l'hôtel Gillaint-
Marlet, mais l'ordre est donné d'inspirer la terreur aux habitants. »
Les occupants de plusieurs maisons furent poussés au mur, pendant que les
logis étaient fouiliés de la cave au grenier.
Emile TATON, 38 ans, s'était hasardé dans Tavant-midi à la rencontre de sa
sœur qui devait arriver de Biert-Flavion : on le retrouva vers 1 1 heures, la tête
percée de balies. On pense qu'il a été abattu par des uhlans.
Le 26 et le 27, une équipe d'hommes courageux parcourut les abords du village
et donna la sépulture à quelques cadavres de soldats qui y furent découverts.
^ (.) Moururent à Maredsous quatre Belge, : Ghislain Macaux, du ,3e (le »3), François Mortier
. ch a p.ed (le z7), Arthur Tillot, capitaine-commandant du 1 3e (le 27), Joseph Paty, du .3e (le 3 sep.!
tembre); également deux Français : Mathurin Lecornet, du 4.0 (le io), Louis Delille, du *e zouaves (le .8)
96
La Molignée prend sa source aux environs de Slave : c'est là
que la 23e division de réserve, quittant Sosoye et Maredret, atteignit
le sommet du plateau, pour prendre la direction de Florennes.
Nous renvoyons le lecteur, pour Stave (i) et Florennes, au cha-
pitre II, p. 52. à 61, ces localités ayant été surtout traversées par les
troupes de la Garde.
C'est à Florennes que s'arrêta, au 24 août, l'avance de la
23e division; la tête de ses colonnes pénétra à la soirée dans cette
petite ville, que terrorisait déjà, depuis 10 heures du matin, la Garde
impériale.
§ 5. — Philippeville.
De Florennes, qu'elle quitta le 25 août au lever du jour, la
23e division de réserve se dirigea vers Philippeville. Le 100e grena-
diers, qui marchait en tête du défilé, pénétra dans cette ville à
6 heures, bientôt suivi des autres régiments de la division. La
coquette bourgade fut relativement respectée. Un commandant de
bataillon, accédant aux instances du doyen et du bourgmestre, fit
éteindre le feu qui était déjà mis à une maison. Un civil paya de sa
vie quelques coups de fusil tirés par des soldats belges sur le chemin de
Neuville-Mariembourg.
Les renseignements que nous faisons suivre ont été obtenus de
M- l'abbé Gosset, curé-doyen de la ville, et ont été complétés à une
date ultérieure par des indications que fournirent les RRdes Sœurs de
Notre-Dame.
N° 56o. ^-e couvent des Sœurs de Notre-Dame avait été transformé en un vaste
hôpital. Le premier blessé français y fut amené le 16 août : c'était le lieutenant
Thuillier, du 35e, d'Arras. Il en vint tous les jours suivants et surtout à partir
du 22 août (2). Le lendemain, non seulement les 82 lits étaient occupés, mais
salles, corridors, cour, jardin, tout en était rempli. Le 24, ceux qui pouvaient
marcher partirent à pied, et des voitures automobiles en transportèrent vers
Mariembourg et Rocroi. Une soixantaine ne purent être évacués, à cause de la
(1) Le 12e chasseurs de réserve, qu'accompagnait Félix Marschner, traversa Stave en (eu à la soirée,
fit halte en pleine nuit dans les campagnes et arriva, au matin du 25, à Florennes. Marschner, o. c,
p. 22. Le pillage des caves de Florennes y est raconté.
(2) Ils appartenaient notamment aux 35e, 36e, 39e, 273e, au 3e tirailleurs algériens et au 3e zouaves.
Moururent à Philippeville : les soldats Claude Martin, de Saint-Fons; Manuel Paris Leclerc, de Nanterre;
Laurent Cerveau, n° 55 1, Le Havre ; Eugène Galhauti n° 474, Rouen-Nord ; Corentin Waeslynck,
n° 853, Dunkerque.
97
gravité de leurs blessures. On leur laissa un médecin français, M. Rigollot-
Simonnet, chirurgien de l'hôpital Saint-Joseph de Paris, et trois infirmiers, qui
furent faits prisonniers avec leurs malades.
La nouvelle des crimes qui jalonnaient partout le passage des Allemands
avait plongé la population dans un véritable effroi. On ne saurait se rappeler
rien de plus lamentable que la panique causée par l'annonce de leur arrivée
prochaine. L'attitude affolée des gens de Tamines et du voisinage qui s'en^
fuyaient au soir du 23 août, activa le départ des habitants. Pendant la nuit
suivante et le lundi matin, il passa des bandes de soldats de la retraite de
Namur: la 19e division française (10e corps) défila aussi, le 24 août, à travers
la ville. A i3 heures, le 48e' régiment d'artillerie y fut arrêté pour mettre en
état de défense les lisières nord de la ville et y résister, éventuellement, avec
un bataillon du 3e tirailleurs; cette résistance n'eut pas lieu et, dès 18 heures,
ces unités rejoignirent la division. Le dernier millier de soldats français fut
retiré de la ville à minuit, dans la nuit du 24 au 25 août.
Il restait à Philippeville à peine cent habitants sur 1,200 quand l'ennemi
y pénétra, sans coup férir, le 25, à 6 heures. C'était le Ier bataillon du
100e régiment de réserve de Saxe. « Le maire et le curé! », demandèrent les
premiers cavaliers qui débouchèrent sur la Grand'Place. M. Eugène Gérard,
bourgmestre, arriva aussitôt, puis le doyen, qui achevait de célébrer la messe.
« Vous êtes Monsieur le Maire? demanda le major baron von Miltitz, com-
mandant du bataillon; cinq cents mille francs de contribution de guerre! »
Après pourparlers, il se contenta de 25, 000 marks et se montra déférent envers
les autorités locales, relâchant à leur demande les habitants arrêtés, sous divers
prétextes, par ses soldats, et faisant même éteindre un incendie qu'ils avaient
allumé.
Entre-temps, les troupes qui continuaient leur route vers Mariembourg furent
accueillies à Neuville, à 3 kilomètres de Philippeville, à coups de fusil, par des
soldats belges qui battaient en retraite de Namur et étaient passés en ville une heure
avant les Allemands. Ceux-ci commencèrent à incendier les maisons qui bordent la
grand'route. L'un des cavaliers blessé rebroussa chemin jusqu'à la maison d'Eugène
F002, à 20 minutes de la ville, et vint tomber de cheval à cet endroit : on trouva
mort à côté de son cadavre un habitant de la ville, Jacques GENETELLI, 45 ans,
et brûlée la maison Fooz, qu'il gardait. On suppose que les troupes en marche ont
fusillé ce malheureux et incendié l'habitation, par représailles.
Le lendemain, la maison de Désiré Bouillon, où des soldats avaient passé la
nuit, flamba à son tour.
Les soldats établis à Philippeville passèrent la journée du 25 août à piller ou à
saccager les maisons abandonnées et à vider les caves. Les portes, les fenêtres et le
mobilier gardèrent longtemps les traces de leur vandalisme : ils ouvraient les
meubles à coups de hache et emportaient tout ce qui était à leur convenance. Maints
coffres-forts furent fracturés, notamment à la gare et à la poste, mais les soldats
s'attaquèrent vainement à ceux de la Banque, qui résistèrent. Ce furent partout des
scènes d'orgie. La place offrait un curieux spectacle : les soudards y avaient amon-
celé de la paille et installé des meubles enlevés dans les plus somptueuses maisons.
9»
On en voyait affublés d'habits de messieurs et de robes de dames et ils buvaient dans
de larges coupes Champagne, vins et liqueurs. Il fallut des journées et des journées
de travail pour déblayer les monceaux qui encombraient la place et les rues de la
ville : débris de meubles, restes de victuailles, boîtes à conserves, tessons de
bouteilles, paille et foin éparpillés, fumier et excréments, etc. (t).
§ 6. — JVeuuille-Samart.
Lorsque la 23e division de réserve arriva à hauteur de Neuville el de
Samarl, elle subit quelques coups de feu de la part de soldats belges
surpris dans leur retraite. Par mesure de représailles, le feu fut mis à
plusieurs maisons espacées le long de la route qui, à la lisière du bois de
Senseilles, gagne Mariembourg.
Le lendemain matin, 2.6 août, deux habitants du village et un
malheureux soldat belge, quittant une retraite sûre qu'ils occupaient dans
la forêt, furent surpris par les troupes qui continuaient à passer et furent
fusillés. Le feu fut remis à plusieurs maisons qui bordent la grand'route;
le chiffre total des incendies s'élève à seize. Voici le détail de ces faits,
ainsi que nous l'ont transmis le bourgmestre de Neuville, M. Alexandre
Mousty> et le curé, M. l'abbé Guyaux.
N° 56i. Neuville reçut le 14 août les premiers Français, artilleurs, puis zouaves. Le 23
et le 24 août, les routes et les campagnes furent encombrées de fuyards. Les derniers
Français quittèrent Neuville et Samart dans la sinistre nuit du 24 au 25 août, durant
laquelle le rougeoiement des incendies voisins augmenta la terreur des quatre
familles restées au village.
Les Allemands arrivèrent le 25 au matin. A 8 h. 3o, à la limite des paroisses de
Philippeville et de Neuville, ils incendièrent la maison d'Eugène Fooz et tuèrent
devant elle Jacques Genetelli, ainsi qu'il a été relaté plus haut (rapport n° 56o).
A l'endroit où la grand'route est traversée par le chemin qui mène à Roly par le
bois de Samart, ils mirent le feu à la maison d'Alfred Benoît, à 10 heures. Vingt"
cinq maisons de la paroisse s'échelonnent ensuite le long de la grand'route de
Mariembourg, sur une distance de 4 à 5 kilomètres. C'est là surtout qu'il y eut du
désastre. Comme l'ennemi était arrivé au milieu de la côte de l'Haie Thomas, il se
heurta à quelques soldats belges cachés dans le bois, qui tirèrent sur lui; deux de
ces derniers tombèrent à l'endroit même (2), avec un soldat allemand.
(1) Le lamentable état de la ville pillée, dans la journée du 25 août, est décrit dans Marsciiner, o. c,
p. 22 et 23.
(2) Ce sont Alphonse Verhaeven, du 23l de ligne, et Joseph De Bruyn, du 28e, 4e bat., 4' comp. de
Liller-Saint-Hubert (Limbourg), que AV. Mousty, bourgmestre de Neuville, conduisit au cimetière le 16 août.
Le cadavre du soldat allemand fut mené à Philippeville. Six autres Belges furent blessés, dont Alphonse Borgers,
du 8e de ligne, de Lierre, et un nomm.- Dupont, de Salzinnes. A 17 heures, M. le bourgmestre, aidé d'un
médecin allemand, les chargea sur un chariot et les conduisit à l'ambulance des Sœurs de Notre-Dame de
Philippeville.
99
Arrivés au sommet de la côte, ils mitraillèrent la maison d'Octave Renauld.
A 10 h. 3o. ils envahirent la ferme de Pierre Gobillon-Piette, au lieu dit « La
Frisette »; ils y enlevèrent quatre chevaux, qu'ils attelèrent à un chariot chargé de
céréales, et ils décapitèrent sur place trois veaux et un porc. Arrivés devant la
maison de M. Baudoux-Patron, ils firent sortir Eugène Fooz et Ida Patron,
prétendant que ceux-ci avaient tiré. A ce moment, brûlaient à proximité la ferme
de Mrae veuve Brogniet et les maisons Laffineur et Robert. Il était i3 h. Zo.
Le 26 à 3 h. 3o du matin, Paulin GOBILLON (fig. 23), 3o ans, et Etienne
PATRON (fig. 22), 20 ans, de Neuville, quittèrent le bois proche de la gare de
Neuville-Sud où ils avaient passé la nuit, pour aller soigner leur bétail. Les
troupes, dont le défilé se poursuivait sans répit, les surprirent, ainsi qu'un soldat
belge qui les accompagnait, Emile LEFEBVRE, de Diest, du régiment des chasseurs.
Quelques heures après, on les retrouva tués à 5o mètres au delà du pont de Grand-
Mont. Paulin Gobillon avait reçu trois balles au front, une à l'eeil et cinq dans la
poitrine ; Etienne Patron avait une balle à l'eeil, une à la joue, plusieurs dans
la poitrine. Les réfugiés entendirent, du bois, la fusillade et virent incendier les
maisons Julien Leroy, Antoine Simon, Paulin Gobillon (écurie et grange), Antoine
Malherbe, Julien Demeure, Louis Baudoux, Aimé Gérard, Maloteaux, et Jamain
(deux maisons). Pierre Villatte inhuma les trois victimes dans l'après-midi du 26.
§ 7. — Le combat de Mariembourg.
A Mariembourg, c'est le 127e d'infanlerie française, ire brigade,
ier corps, qui recul la mission d'arrêter, le 25 août, la trop brusque
avance allemande, qui compromettait la retraite du ier corps. En ce qui
concerne le seul front de marche de la 23e division de réserve allemande,
qu'on se rappelle que, dès 9 heures du matin, le tooe grenadiers de
réserve s'engageait dans les bois qui séparent Neuville et Roly de
Mariembourg.
Avec une bravoure admirable, les troupes françaises continrent
l'ennemi aux portes de Mariembourg jusque 17 heures.
Mais le village paya cher cette résistance. Sur 180 immeubles qu'il
comptait, 65 maisons et 3o granges ou écuries furent incendiées (fig. 20
et 21). La dévastation se continua pendant deux jours et c'est à grand'peine
qu'on arrêta les incendiaires qui, dans leur rage de destruction,
désignaient à tout moment de nouveaux immeubles, de nouvelles rues
pour la destruction (1).
Un habitant fut tué. Trois autres, emmenés par le to3e de réserve,
(1) D'après les bons de réquisition, les incendies du 25 août sont l'œuvre du i 00e grenadiers de réserve,
ceux du z6 août des ioiL, io3e de réserve, du 11e chasseurs de Marburg et du ï3 rég. de rés. d'art, de camp.
100
firent partie du célèbre groupe des fusillés d'Eteignères, dont nous
raconterons plus loin l'histoire. (Voir rapport n° 563.)
Ci-joint deux documents : l'un, extrait de notes puisées à la Section
historique de l'Etat Major Général de l'armée, à Paris, dépeint le combat
de Mariemboug (t) ; l'autre relève les incidents survenus au village.
Un prisonnier allemand du iû3e de réserve, 2e bat. 8e comp.,
Hermann Tscharne, a témoigné « que les maisons furent incendiées par
ordre du capitaine, parce que des civils avaient, paraît-il, tiré sur
nous » (z).
Le prisonnier Emile Flachs, du iooe de réserve, ye comp., a déposé :
« L'officier adjoint au chef de mon bataillon a donné l'ordre d'incendier
une demi-dousaine de maisons desquelles, affirmait— il , des soldais belges
et français avaient tiré sur les nôtres » (3).
Le 25 août, à 4 h. 3o, la tre division française (ier corps) — dont la queue
avait été surprise la veille au soir à Romedenne — reçut l'ordre de couvrir,
avec le 6e chasseurs à cheval mis à sa disposition, le passage du reste du
1er corps d'armée par le défilé de Couvin.
En exécution de cet ordre, le général commandant la ire division donna les
ordres suivants. Le 6e chasseurs se portera vers Fagnolles et couvrira dans la
direction de Matagne-la-Grande ; la i,e brigade, disposant de la compagnie
divisionnaire du génie et d'un groupe de l'artillerie divisionnaire, tiendra sur
le front Frasnes-Mariembourg; le 2e brigade tiendra Nismes avec le ier régi-
ment d'infanterie et une batterie, et organisera avec le zL régiment de la
brigade et deux batteries une position de repli en arrière.
Nous parlons seulement ici de l'action de la ire brigade.
A Mariembourg, la défense fut assurée par le 127e (4) (formant avec le
43e la lre brigade, 1e1 corps), colonel de Fonclare.
Dès 4 h. 3o, le régiment, qui quittait Matagne-la-Grandc, reçut l'ordre
d'organiser le barrage du couloir de Mariembourg. Les unités prirent immé-
diatement leurs positions de combat en avant de cette dernière localité. Le
3e bataillon occupait les haies en avant de Mariembourg, face à Philippeville
et Matagne, la 11e compagnie à l'extrême droite.
A 8 h. Zo, puis à 10 heures, des taubes survolèrent la localité. L'attaque
(1) Sur le combat de Mariembourg, cf. Hanotaux, Histoire illustrée de la guerre de 1914, VI, p. 26,
VIII p. 77, VEnigme de Cbarleroi, p. 78; Pai.at, III, 333. L'incendie du village esl dépeint dans Masschnfr,
o. c, p. 23-24.
(2) Réponse du Gouvernement belge au Livre Blanc allemand, Paris. Berger-Levrault, 1917, p. i5i.
(3) Id., p. 270.
(4) Le 127'' était arrivé le 23, de bon matin, à Saint-Gérard, et y avait combattu, déployé le long de
la route de Lesves, en soutien du 43e, qui avait pris place plus en avant vers Fosses et la Sambre. Il te
replia partiellement à midi, mais la 110 compagnie reçut l'ordre de tenir jusque 18 heures. Le régiment
atteignit le 23, à minuit, Ermetou-sur-Bieit et le 24, au soir, Matagne-la-Grande.
lot
se déclancha à 9 heures par une vive fusillade entre les avant-postes de gauche
et des groupes avancés de cavalerie et de cyclistes ennemis. L'artillerie
allemande entra également en action, arrosant de shrapnells et d'obus explosifs
le village, les abords et la route de Maricmbourg à Frasnes.
Le combat se déroula en plusieurs phases successives, d'abord en avant du
village, puis dans le village même. De 9 à 16 heures, l'infanterie allemande,
malgré ses efforts opiniâtres, fut contenue au nord de Mariembourg. Le
tir des mitrailleuses françaises paraissait très efficace sur les colonnes ennemies
qui tentaient de sortir du bois. L'artillerie, très bien postée, et qui prenait la
précaution de changer de position quand elle se voyait repérée, réussit à prendre
sous son feu et à démonter au moins une batterie adverse.
Vers 17 heures, le 12.7e clu'' grâce au commandement énergique de son
colonel, avait résisté à toutes les attaques et maintenu sa position, reçut avis
d'avoir à préparer son mouvement de retraite vers Frasnes, sa mission retar-
datrice étant remplie; en effet, tous les éléments du corps d'armée avaient
atteint sans encombre le défilé de Couvin. Le général de division donna l'ordre
de rompre le combat sous la protection de l'artillerie. Le 84e (2e brigade,
ire division, qui tenait Nismes) devait se replier le dernier. A 18 heures, le
mouvement de repli des troupes de Mariembourg s'effectua, protégé par les
feux d'une compagnie du génie et de deux bataillons du 43e d'infanterie établis
sur les hauteurs sud du village de Frasnes. Au prix de grands efforts, malgré
les balles et les obus allemands, les éléments du 127e passèrent l'Eau Blanche,
à Mariembourg, et gagnèrent la route de Frasnes. Les dernières fractions,
vivement pressées par l'ennemi, qui avait gagné les abords immédiats du
village, se replièrent, sous les ordres directs du colonel, sur les hauteurs
boisées de Nismes et Petigny, d'où elles gagnèrent Couvin. Ces troupes
rallièrent, à 2-3 heures, leur cantonnement de Cul-des-Sarts, très fatiguées
physiquement de ces efforts successifs, mais le moral intact.
Le 127e avait 7 hommes tués, 124 blessés, dont 3 officiers, et 2 disparus.
Le 9 août arrive à Mariembourg un escadron du 4e chasseurs d'Arras,
lieutenant Vartel, suivi bientôt de troupes d'infanterie. La division d'Oran a ses
effectifs renforcés ; nombre de vétérans des campagnes du Maroc portent des
médailles; on a en eux toute confiance pour le grand choc.
Commencée le 21, la bataille fait immédiatement sentir l'acharnement de la
lutte. Les réfugiés affluent; tous les véhicules sont utilisés; un homme de Châteli-
neau arrive avec une brouette, dans laquelle il transporte sa mère infirme; c'est
navrant. L'église recueille les femmes portant des enfants, le reste envahit tout et
dort même sur les trottoirs. La température heureusement est délicieuse.
Le dimanche vers midi, plus d'illusion à se faire : c'est la retraite. La division
de Namur arrive par petits groupes et une escadrille française reprend, à 16 heures,
son vcl vers Mésières. L'artillerie, qui repasse le lendemain, 24, paraît intacte ; ce
n'est pas un désastre, mais la belle division d'Afrique a bien souffert. Un caporal de
Limoges aligne 12 hommes : c'est ce qui reste d'une compagnie. « On l'a fait, dit-il,
charger à 1200 mètres, sans appui suffisant. » Un turco blessé a fait de son fusil une
102
béquille et il marche. Un lieutenant de réserve de la 20e brigade, l'abbé Lefoul,
vicaire de Rennes, relevé inanimé à Mettet, n'a plus idée de rien, et le dernier train
de blessés, qui part à 17 heures, l'emmène vers Chimay. avec tous les uniformes
bleu-clair des tirailleurs algériens. Le lieutenant-colonel Sibra meurt chez les
religieuses de la rue Saint-Louis; son cadavre sera enterré dans le jardin, dans la
nuit du 25 au 26, à la lueur des incendies.
Le 25, le 1er corps français livre un dur combat. L'artillerie s'établit sur la
chaîne de collines qui va de Nismes à Dailly, tandis que les trois bataillons du
127e de Valenciennes prennent position dans le vallon sur une ligne qui s'étend de
la route de Philippeville. cabane Minet, à la route de Fagnolles.
La localité bondée se vide complètement et les dernières dispositions prises par
le colonel, installé rue de France, sont exécutées dans un silence impressionnant,
parfois troublé par le bourdonnement d'un taube ou le pas d'un cheval. Commencé
vers midi, le combat devient acharné et extrêmement meurtrier. D'après un officier,
les Allemands y auraient perdu 463 hommes.
Le 100e saxon pénètre par la route de Roly, incendiant les maisons sur son
passage; l'Etat-Major s'établit à la gare, café Démasqué. Le io3e, sortant du bois
du Roi, perd beaucoup de monde dans le terrain découvert, terres du Roi, et avance
péniblement le long de la route de Philippeville, où les Français, appuyés par
le remblai du chemin de fer de Chimay (cabane Minet), puis par le mur du cimetière,
le moulin blanc et l'école des garçons, se défendent avec héroïsme. Les Allemands
ne prirent le moulin (fig. 20) qu'après la mort de ses derniers défenseurs.
« Ne soyez pas nerveux, les gas, visez bien! » disait un chef (1). Un de ces héros,
blessés, se débarrassa de sa capote ensanglantée et lira avec sa chemise rougie,
jusqu'au coup de baïonnette final (2). Il était 18 heures. Quarante maisons brûlaient;
les soldats allemands poussaient des hourrah terribles- puis, réunis devant l'usine
Hecq-Lambinon, ils entonnèrent la « Wacht am Rhein ». Le pillage et les incendies
continuèrent dans la nuit. Très peu de maisons échappèrent au pillage.
Le bourgmestre, M. Grambras, et le curé intérimaire, M. Sainmonî, se trou-
vaient dans la maison RosineTichon à 200 mètres du moulin bianc, avec 25 personnes,
dont 9 religieuses venues la veille de Walcourt. On avait prié toute la nuit et il
était 6 heures du matin, le 26 août, quand les soldats enfoncèrent d'un coup de
hache la porte du grillage. Sans attendre que la porte de la maison subît le même
sort, la sœur cuisinière vint ouvrir, et ses explications, données en allemand,
semblaient satisfaire le feldwebel, quand quelques gouttes de sang découvertes sur
les habits de Fernand Huon amènent l'accusation de « francs-tireurs » et les dispo-
sitions pour la fusillade. Les explications sont données, elles sont péremptoires :
Fernand Huon a découpé pour la sœur cuisinière les quartiers de bœuf abandonnés
par les Français. Cette viande cuite pendant le combat fait plus que les discours
pour apaiser les loups affamés. Ils dévorent le tout et se laissent servir comme des
agneaux par les sœurs, parlant presque toutes l'allemand.
(1) Parole entendue c!e la cave du moulin par Stanislas, garçon brasseur d'Achille Jalhay.
(2) Témoignage de Alme veuve Deleuze qui vit la scène de sa maison, à quelques mètres Le soldat
envoyait ses balles, agenouillé, en répétant souvent : " las de salauds! »
io3
Dans la matinée, le feu a éclaté à deux pas, rue de France et l'abbé Sainmont,
aidé de Charles Hennequin et de son fils Jules, met en action la pompe com-
munale; des femmes font la chaîne, des grenadiers prêtent main-forte, et l'incendie
s'arrête après avoir dévoré les maisons Eggermont et Louis.
Cependant l'abbé Sainmont avait été emmené devant le commandant de place,
capitaine Leppin, du 100e grenadiers. Un long entretien en anglais aboutit à un
accord et à une proclamation, affichée à la porte de l'église, et publiée à la
sonnette, selon la coutume, par Jules Desselle. Cette proclamation fut déchirée
plus tard; quelques débris permettent d'en rétablir la première partie :
L'abbé Dr Sainmont est chargé par le commandant de la place, capitaine Leppin, de proclamer qu'un
accord est intervenu entre eux pour ramener le calme et la tranquillité à la population, que les hommes devront
se tenir chez eux, les (emmes pouvant sortir librement pour vaquer à leurs occupations...
Jules Desselle venait d'assister à une scène terrible. Son oncle, Auguste
DESSELLE, 47 ans, avait été tué à bout portant sur le seuil de sa porte. Jules se
réfugia avec ses deux soeurs dans une citerne de la cave, où les Allemands les
poursuivirent et explorèrent même la citerne avec leurs baïonnettes. Ces malheu-
reux restèrent dans l'eau pendant six heures, puis quittèrent la maison en flammes
pour se réfugier dans les jardins et manger des légumes crus,
Edgar et Ernest Van Schoor (fig. 27 et 28), ainsi que Jules Nicolas, furent
entraînés par des troupes de passage du io3e de réserve et conduits à Eteignères,
où ils furent fusillés le 28 août, tandis qu'Achille Agneau et Hubert Carpony,
emmenés par les mêmes troupes, échappèrent à la mort, ainsi que le curé de
Frasnes, après un douloureux calvaire.
Quant aux habitants du village, surpris par l'ennemi, ils furent parqués dans
une prairie, où ils furent forcés de s'agenouiller, de se relever, de s'étendre à
plat, avec défense, sous peine de mort, de relever la tête. Ce manège dura toute
une nuit.
Le 27 août, ce fut encore un passage ininterrompu de soldats qui s'in-
stallèrent en maîtres dans les maisons.
Dans l'après-midi, le conseiller communal Ernest-Désiré Robe, 55 ans,
tomba mort sur le boulevard de l'Est, en rentrant en ville, tant l'avait
impressionné le spectacle de la ville incendiée et saccagée.
§ 8. — Frasnes.
Frasnes fui occupé sans résistance le 25 août, au soir, à l'issue
du combat de Mariembourg. Après une première journée relativement
calme, une soudaine sauvagerie s'empara des troupes de la 2.3e divi-
sion de réserve qui défilaient à travers le village. Alors les soldats
se comportèrent comme des tortionnaires. Parmi les habitants, peu
nombreux, qui avaient eu la confiance de ne pas fuir devant l'enva-
hisseur, douze furent fusillés, Les autres eurent la vie sauve, [ mais
to4
endurèrent, au cours de langues heures de détention, un supplice
aussi cruel que la mort. Qu'on lise surtout l'histoire du groupe
d'Eteîgnères : quand le curé de l'endroit, accusé sans motif d' (( avoir
fait des signaux aux Français et commandé le feu », fut relâché par
ses bourreaux du to3e et rentra dans sa paroisse, après un voyage
de plusieurs jours, il était méconnaissable. Le village fut entièrement
détruit : sur t55 maisons, dix seulement furent accidentellement
préservées (voir fig. 34 à 37).
N 563. Le village de Frasnes (1) est situé à l'extrémité de la colline qui sépare
les vallées de l'Eau-Blanche et de l'Eau-Noire.
Ce fut le 2.3 août que l'inquiétude commença à se manifester parmi les
habitants, lorsque les avions français, quittant le camp d'aviation de Philippe-
ville, regagnèrent la France par la voie de l'air, tandis que les camions qu'on
avait vu passer la semaine précédente, chargés du matériel de l'armée, encom-
braient de nouveau les grand'routes. Toute la soirée du 23, le 24 et la
matinée du 25, ce fut un défilé ininterrompu de troupes mêlées à des civils de
l'Entre-Sambre-et-Meuse, surtout de la région de Fosses. Bien qu'aucun de ces
derniers n'eût vu d'Allemands, ils étaient terrifiés et racontaient sur l'attitude
de ceux-ci les nouvelles les plus alarmantes.
Puis, les Français firent eux-mêmes des préparatifs de combat : les maisons
situées du côté de Mariembourg furent évacuées par ordre et l'infanterie y
établit des mitrailleuses.
En l'absence du bourgmestre et des administrateurs, qui avaient suivi les
fugitifs, M. Moreaux, curé de Frasnes, prit toutes les mesures que réclamait la
gravité de l'heure, placardant des affiches pour exhorter les habitants restés au
village à ne pas poser le moindre acte réprchensible.
Mardi, dans la matinée, le combat battait son plein dans la région de
Fagnolles. Vers midi, quelques obus allemands atteignirent Frasnes, et il en
tomba encore plusieurs dans l'après-midi. L'un d'eux éclata devant le pres-
bytère, dont la façade et les fenêtres furent criblées d'éclats. La canonnade et
la fusillade se poursuivirent jusque 19 heures.
Vers le soir, les derniers canons français défilèrent dans la direction de
Couvin et gagnèrent le parc de Saint-Roch. M. le curé parcourut le village, et
constata que les dégâts causés par l'artillerie n'étaient pas considérables. Rares
étaient les habitants qui n'avaient pas fui. Il se rendit au « trou Hannevart »,
à proximité de la route de Boussu, où un groupe de gens, plus morts que vifs,
avaient fait un campement dans une grotte. Il les exhorta à rentrer chez eux
avant l'arrivée de l'ennemi.
Des uhlans parurent le soir même, vers 22 heures (2). Ils respectèrent
(1) Ce document utilise surtout le récit recueilli de la bouche de M. l'abbé Moreaux, curé de la
paroisse, le icr décembre 1914. A consulter aussi : Léon Rf.my, Frasnes, la journée sanglante. Bruxelles,
Société belge d'imprimerie, rue des Ateliers, 3, 1921.
(2) La publication Dionanlensis prétend (n° 25, p. 87), que ce détachement appartenait au 72e d'infanterie.
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Fig. 37. — Frasnes.
Ruines de la Rue Saint-Roch.
(Photo 1915.)
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1 LACROIX.
Fig. 38. — Frasnes.
Proclamation du commandant Lacroix, ".annonçant
l'exécution de 34 civils français.
Photo 191? )
Fig. 39.
Anthée.
Maisons, de la place, incendiées par la 24e division de réserve.
(Sur la droite de la photographie, l'église );
(Photo novembre «914)
Fig. 40. — Anthée.
Hôtel Nénon, incendié.
(Photo novembre 1914.
Fig. 41 . — Anthée.
Les ri'ines du presbytère.
(Photo novembre 1914.)
Fig. 42. — Anthée.
Tabernacle en cuivre de l'autel
majeur, portant les traces
d effraction.
105
quelque peu les maisons occupées, mais ils saccagèrent avec sauvagerie les
immeubles délaissés, enfonçant portes et fenêtres, brisant les meubles, emportant
ou détruisant vivres, linges et literies. A leur départ, le village offrait déjà un
spectacle écœurant. Un général, un colonel et un officier logèrent au presbytère.
Le mercredi 2.6, les troupes défilèrent pendant toute la journée, et l'avant-midi
se passa sans incident, sauf que le curé, ayant voulu aller à l'église à 7 heures pour
dire la Sainte-Messe, fut mis en joue et dut rentrer en hâte au presbytère. On
remarqua que des réchauds à pétrole étaient allumés en quelques endroits près des
lits ou des couvertures, au milieu du désordre indescriptible des maisons mises à
sac. Aimé Gravier fut sur le point d'être fusillé, parce qu'il avait ramassé quelques
cartouches vides sur la route : il put être sauvé grâce à l'intervention pressante
de M. le curé. Cela aurait dû inspirer des craintes, mais personne ne songeait
encore à la possibilité d'actes de sauvagerie comme ceux qui furent posés dans
l'après-midi. Un officier raconta aussi froidement à M. Adolphe Malter, professeur
à l'école normale de Couvin, en présence de M. le curé, que, par ci par là, on
abandonnait aux soldats l'un ou l'autre village pour le livrer aux flammes. « Les
hommes avaient, ajouta-t-il, un plaisir extrême à contempler ces sortes de
spectacles. »
Vers midi, le village était cerné. Des cruchons de pétrole, de naphte et
d'essence étaient déposés dans les rues. A 14 heures, des coups de feu retentirent,
tirés par les soldats, mais attribués aux civils. Les troupes qui défilaient s'arrêtèrent
et aussitôt fut donné le signal de l'incendie et du massacre. Le feu fut mis en un
moment aux quatre coins du village, qui devint en moins d'une heure un immense
brasier (t).
Les soldats tirèrent sur les civils qu'ils aperçurent et en tuèrent plusieurs
Joseph REMY, 42 ans, père de deux enfants, fut tué à bout portant dans les bras de
sa femme, qui arrivait quelques instants après dans le village, affolée et les bras
pleins de sang, en criant : « Ils ont tué Joseph! » Camille LECLERCQ (fig. 26),
42 ans, père de 3 enfants, fut transpercé d'un coup de baïonnette, puis achevé par
des balles. Son fils, Roger, parvint à fuir et vit la soldatesque s'acharner sur un
prisonnier français, le faisant tomber par terre sous des coups de crosse répétés ;
puis, sur ordre, on lia les mains à ce malheureux et on le précipita dans une ber-
gerie en feu. Désiré BERTRAND, 56 ans, après avoir réussi à fuir d'une maison
incendiée dans laquelle il avait été enfermé, fut tué d'une balle et jeté dans le bra-
sier; sa femme dut ensevelir elle-même, le lendemain, le cadavre carbonisé. Emile
MAWET, 5t ans, fut tué d'une balle au cceur, au moment où il sortait de sa
maison. Sa femme, Marie DEWALQUE, 54 ans, avait été témoin du meurtre;
comme elle exprimait par des cris ses protestations et sa douleur, elle fut emmenée
à l extrémité du village, vers Mariembourg et comparut devant une sorte de conseil
de guerre. La malheureuse y fut accusée d'avoir tué son mari et fut fusillée séance
tenante en présence de la population captive.
Gustave GRAVIER, vieillard manchot, -j-j ans, fut retrouvé contre un mur, le
front percé d'une balle. Joseph GILLOT, percepteur des postes, 41 ans, Auguste
ANCIAUX, 58 ans, garde-champêtre de la commune, et Arthur MANGEOT,
(i) Le P. René de Nantes, dans Couvin pendant la guerre, p. 57, a décrit l'aspect du village détruit.
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ouvrier carrier, 42. ans, furent pris dans une cave et dirigés sur Couvin, où ils
arrivèrent exténués, tant ils reçurent de mauvais traitements; arrivés près de l'usine
« La Couvinoise », ils y furent fusillés, et leurs cadavres déchiquetés furent jetés
dans le fossé qui longe le parc de Saint-Roch. Julien Gillot, fils du percepteur des
postes, âgé de 12 ans, avait été renvoyé à mi-chemin; les soldats le rouèrent de
coups et le firent tomber le long de la route, puis tirèrent dessus. Heureusement
1 enfant, couché à plat, ne fut pas atteint. Célinie ANC1AUX, sœur d'Auguste,
60 ans, périt asphyxiée dans la cave du presbytère. Félicien LEMOINE, 56 ans, et
Achille Robert furent poursuivis de coups de feu et atteints l'un et l'autre; le second
parvint à fuir, mais on n'a jamais été fixé sur le sort de Lemoine, qu'on n'a plus
revu. Hortense ROBERT, jo ans, mourut de saisissement dans sa fuite. Plusieurs
autres personnes furent blessées. Victorine Collin, épouse Edmond Gravier, reçut
un projectile dans le bras. M"le Poucet, repoussée et enfermée dans sa maison en
feu, fut poursuivie de balles dans la cave et parvint à fuir par une fenêtre qui
s'ouvrait sur le jardin.
Pendant ce temps, la soldatesque se précipitait dans les maisons en hurlant,
arrêtait tous les civils qu'elle rencontrait et constituait plusieurs groupes de
prisonniers. Les uns, au nombre de 34, furent conduits à la sortie du village du
côté de Couvin, au lieu dit « Le Congo » ; c'étaient quelques habitants de Frasnes
et des réfugiés de l'Entre-Sambre-et-Meuse. Une mitrailleuse fut placée devant
eux et ils échappèrent on ne sait comment à la mort dont ils étaient menacés. Un
second groupe, composé du curé, des quatre religieuses de la Providence et
d'habitants restés au village, dont une partie s'étaient réfugiés au presbytère, n'eut
pas moins à souffrir. Le curé, M. l'abbé Moreaux, fut frappé et couvert de crachats
sur le talus de la route; on lui reprochait la mort de deux soldats allemands que, à
ce moment même, on enterrait à peu de distance et qui, d'après une enquête faite
par M. le bourgmestre, avaient été amenés de Mariembourg. Quand M. le curé eut
rejoint, à la bifurcation de la route de Nismes et de celle de Mariembourg, ses
paroissiens, qui étaient, eux aussi, menacés de la mort, il fit en leur faveur
plusieurs démarches pressantes auprès des officiers. « Fusilles-moi, répétait-il,
mais épargnes mes paroissiens innocents ! » Les religieuses s'offrirent aussi en
victimes, mais en vain. Rien ne parvenait à calmer leurs féroces gardiens.
Les prisonniers furent alors dirigés sur Mariembourg, où des soldats très
excités les jetèrent dans une écurie, puis les brutalisèrent pendant plusieurs jours,
pour leur faire enfin enterrer les cadavres.
Quant à M. l'abbé Moreaux, qui était plus que tous les autres l'objet des
insultes et des coups, il fut retenu. L'accusation proférée contre lui était la suivante:
•< Nos soldats ont vu le pasteur au clocher, agitant le drapeau et faisant des
signaux ; il a commandé le feu sur les troupes allemandes ! » Emmené vers Couvin
à la nuit tombante, par des soldats du to3e de réserve, il fut joint à un groupe
d'une quinzaine d'hommes de Mariembourg et d'au delà, avec lesquels se trouvait
un turco. Tous les prisonniers, sauf M. le curé, étaient ligotés. Pendant la nuit,
— qu'ils passèrent près de la route de Chimay, non loin du couvent de Pesche, —
ils étaient couchés sur le dos, pieds et mains liés par des cordes qui leur entraient
dans les chairs. Leurs gardiens ne cessaient de les brutaliser, leur crachant au
107
visage, les accablant de coups de pied et de crosse. Il plut pendant une partie de
cette nuit et, comme ils étaient incomplètement vêtus, ils se trouvèrent, le matin,
dans un état si misérable que plusieurs étaient en proie à la fièvre.
Jeudi 27 à 6 heures, on s'avança par de mauvais chemins de bois vers les
« Fonds de l'Eau » et la chapelle Saint-Antoine; on traversa la rivière en passant
dans l'eau jusqu'au genou et l'on arriva à Cul-des-Sarîs. Là, un peu de soupe
fut distribuée aux prisonniers, pour la première fois, et ils y passèrent la nuit.
Vendredi 28, le cortège se dirigea sur Regniowez et Eteignères. A proximité
du chemin de fer de Hirson à Charleville, les soldats prétendirent qu'on avait tiré
sur eux d'une maison — les prisonniers se rendirent nettement compte qu'il n'en
était rien; — ils envahirent la maison et en arrachèrent six ou sept étrangers, La
dame de la maison et un jeune homme furent joints aux prisonniers; on leur fit
faire volte face, pour les ramener à Eteignères, où ils furent promenés à travers
le village jusque 23 heures. M. l'abbé Moreaux s'attendait encore à être
fusillé et il devait à tout moment se défendre de l'accusation qui était proférée
contre lui.
La sauvagerie des soldats n'avait fléchi en rien. Tandis que le curé de Frasnes
était mis à part avec son confrère d'Eteignères, qui l'avait rejoint, ainsi que la
dame et le jeune homme d'Eteignères et quelques autres, sept prisonniers du même
groupe, dont les frères Ernest-Désiré VAN SCHOOR (fig. 28), âgé de Zo ans, et
Edgard-Fernand-Ghislain VAN SCHOOR (fig. 27), âgé de 20 ans, et Jules
NICOLAS, âgé de 42 ans, tous trois de Mariembourg subirent un interrogatoire
sommaire et furent menés devant un banc, sur lequel on les fit asseoir. Ils furent,
à l'instant même, fusillés dans cette position et leurs cadavres tombèrent en arrière.
L'officier qui commandait le feu était catholique, ayant, déclara-t-il, un frère prêtre.
Il envoya dans l'église les prisonniers qui avaient eu la vie sauve, échangea avec
eux quelques paroles et les congédia. Muni d'un passeport, M. l'abbé Moreaux fut
arrêté en route plus de cinquante fois, logea à l'Escallière et rentra à Frasnes dans
l'après-midi du 3o (»). A ce moment, les forts passages de troupes étaient terminés
et on ne rencontrait plus sur les grand'routes que des autos. Les traitements
qu'avait subis le curé de Frasnes avaient eu pour effet de lui faire perdre presque
totalement la vue.
Dans la journée du 27 août, le feu avait été remis aux maisons qui avaient
échappé à l'incendie de la veille, par des soldats de Mariembourg qui en avaient
reçu spécialement mission du commandant Leppin. Ce jour-là brûlèrent les maisons
de Jules Robert, ardoisier, de Jules Tumblez-Hennuy, bourgmestre, les maisons
Fayt. Benoît Laurent et l'école catholique des garçons.
Cent quarante-cinq maisons ont été détruites ; dix seulement ont été préservées
au village même.
Le 16 septembre à ît heures, une vive fusillade mit en émoi les habitants :
34 civils français condamnés, avec une légèreté inouïe, par une cour martiale
siégeant à Couvin, étaient fusillés à la carrière du Lion, payant de leur vie des
crimes imaginaires. Cette exécution barbare fut portée à la connaissance de la
(1 ) Les compagnons du curé de Frasnes reçurent un passeport sïg-né Frhr von Ompteda, dont l'original
a été découvert par le parquet de Dinant et est déposé aux archives de la Commission d'Enquête, à Bruxelles.
io8
population, le lendemain par l'affiche que reproduit la figure 38 (voir rapport
n° 564) (1).
Au lendemain de la catastrophe, les soldats commencèrent un pillage métho-
clique des caves, sous les maisons incendiées. Les familles s'étaient dispersées dans
les environs, pour chercher un abri, et il ne restait plus dans la localité que
quelques personnes habitant dans les caves ou dans de petites dépendances
préservées, se lamentant à cause du manque de vêtements et des objets de première
nécessité. En décembre suivant, i5o habitants étaient revenus, sur 600.
Massacre de lrenle~qualre civils français à Frasnes.
La défaite subie par les Allemands sur la Marne dans les premiers
jours de septembre 1914 eut son épilogue à Frasnes le 16 septembre.
Dès l'instant où les troupes de la IIIe armée, arrivées au delà de la
Marne, dans la région de Montmiraiî, durent reculer, elles s'emparèrent
— selon la méthode de guerre qui leur est couiumière — d'un groupe de
38 civils, dont elles en amenèrent à Frasnes trente-quatre, qu'elles y
fusillèrent. Aucun de ces hommes n'avait été ni interrogé, ni jugé.
Toujours les mêmes accusations : « ils avaient fait des signaux, coupé les
doigts aux blessés, dévalisé des cadavres, etc. »
Par un surcroît de sauvagerie, les exécuteurs interdirent de faire
l'identification des cadavres. Malgré de laborieuses recherches, nous
n'avons pu, après huit années, dresser qu'une liste incertaine et incom-
plète de ces malheureuses victimes, et le rapport ci-dessous, bien
qu'il ne contienne que des données vérifiées, dont nous mentionnons
l'origine, est loin de faire la pleine lumière sur cet horrible drame.
«Le t6 septembre 1914, à 11 heures — a raconté M"e la comtesse de
N° 564. Villermont, au château de Saint-Roch, à Couvin — les soldats cantonnés à
Saint-Roch se précipitèrent, affairés, vers la grand'route, et j'aperçus par la fenêtre,
au travers des arbres, une escorte militaire encadrant des civils. Mon domestique
me dit que c'était « un détrousseur de cadavres » qu'on allait fusiller plus loin.
Emue de la chose, j'en parlai au comte V/ilding de Koenigsbrùck, grand'maître de
la Cour du Roi de Saxe et chef de la Croix-Rouge, logé à Saint-Roch : il répondit
« que je n'avais pas à m'intéresser à ces individus — il y en avait donc plusieurs — ,
misérables apaches, honte de l'humanité, pris à dépouiller les cadavres, dont les
poches étaient pleines de doigts coupés! » Deux heures après, le baron Philippe
von Feilitzsch-Keigersgrùn, officier de la Croix-Rouge, entra au château, excité et
jubilant. « Schrecklich ! » répétait-il avec de grands gestes; je compris qu'il avait
dû commander le feu qui avait mis fin aux jours de ces malheureux.
» Toute consternée, j'allai me renseigner à Couvin et j'appris que, derrière un
(1) P. René de Nantes, Couvin pendant la guerre. Paris, Librairie Saint-François 4, rue Cassette, p. 80.
1^9
convoi de prisonniers français, se trouvaient 34 civils français, parmi lesquels des
vieillards de 70 ans et des jeunes gens de t6 ans, venant par étapes de Montmirail,
localité située au delà de la Marne à l'est de Paris, Meaux et Chàlons-sur-Marne,
au sud de Château-Thierry et de Reims. Cette localité marque l'extrême pointe de
l'avance allemande avant la défaite de la Marne. Ces pauvres gens étaient arrivés
le matin à Couvin, exténués, les habits en loques, beaucoup pieds nus Un grand
vieillard à tête blanche, dont la taille dépassait celle des autres, avait les yeux
hagards et paraissait fou de terreur. On leur marqua sur le dos une grande croix à
la craie blanche, comme à des victimes prêtes à être immolées et, après un arrêt
d'une demi-heure devant la Place Verte, on les dirigea vers Frasnes.
» Ils y furent alignés au pied de la « Carrière du Lion » et fusillés ».
M. Jamme, commissaire de police de Couvin, songea à recueillir les papiers de
ces malheureux, afin de les identifier. Il était au quatrième cadavre quand les
bourreaux lui ordonnèrent de cesser. Il n'avait — est-il besoin de le dire — trouvé
sur eux ni aucun instrument d apache, ni aucun doigt coupé. Le lendemain, l'affiche
suivante (voir fig. 38) fut apposée sur les murs de Couvin : elle relatait un jugement
fictif, qui n'avait pas été rendu; la date du 16 avait été biffée au crayon et remplacée
par le chiffre 17.
PROCLAMATION
La cour martiale a condamné à mort 34 Français.
Ils avaient commis des crimes différents.
Les uns avaient essayé d'espionner les positions des troupes allemandes pour les trahir aux commandants
français.
D'autres avaient tenté d'enflammer un hôpital dans lequel se trouvaient des blessés allemands.
Le reste avait pillé des soldats tombés sur le champ de bataille.
L'exécution a eu lieu.
Couvin, le 17 septembre 1914. le commandant d'étape,
(S) Lacroix.
Le 17 à i5 h. 3o, le commandant Lacroix pria M. Mauer, de Couvin, qui
servait d'interprète à l'hôtel de ville, de signifier à la commune l'ordre de fournir
12 bêches pour creuser la fosse. Comme M. Mauer demandait d'où venaient les
morts, le commandant répondit « qu'il les avait fait fusiller, parce qu'ils détrous-
saient les cadavres de leurs soldats ».
On serait resté sans détails sur l'identité des victimes et sur leur odyssée si l'on
n'avait appris, après l'armistice, qu'il existait un survivant, Alfred-Paulin Chevalier,
âgé de 63 ans, instituteur retraité, demeurant à Etrechy, par Vertus, Marne.
Interrogé, il a pu fournir de précis et intéressants renseignements.
C'est le 6 septembre 1914 que les Allemands installèrent à Etrechy un parc
d'artillerie et pillèrent le village. M. Chevalier fut arrêté le 6 septembre au matin,
sur dénonciation d'un espion allemand, et accusé « d'avoir tinté trois fois la cloche
pour avertir l'artillerie française », ou encore « d'avoir donné aux enfants la haine
des Allemands », accusations fantaisistes et qui ne reposaient sur aucune preuve.
Après avoir été lié pendant deux heures à un rouleau, il comparut devant le
commandant du parc d'artillerie établi à Givry-les-Loisy, puis il fut ramené à
1 10
Etrcchy, et joint à un convoi de prisonniers militaires. Avec lui se trouvaient trois
autres civils, un nommé Hugo, de Brugny, M. Vincent d'Olizy, de Violaine
(Marne), et un troisième d'Avesnes (Nord). Ils restèrent à Etrechy jusqu'au
9 septembre au soir, enfermés dans une grange où ils reçurent des coups de
bâton. Hugo avait été parqué, seul, dans un infect trou à porcs, et chaque fois qu'il
montrait la tête ou les mains pour regarder hors de son taudis ou pour respirer, il
était frappé, à tel point que sa tête et ses mains ne formaient vraiment plus qu'une
plaie, et que, avant le départ, il dut recevoir un pansement dans une ambulance.
C'est le 9 septembre que la débâcle allemande s'esquissa : on se mit en route
et on logea à Soulières. Le to, la marche par étapes forcées commença. Après une
journée d'avance sous un soleil de plomb et sans nourriture, on arriva à Germaine
(Marne), où la nuit se passa dans un hangar. Le 1 i au matin, le convoi prit la
direction de Reims, où le groupe des quatre premiers prisonniers s'accrut d'autres
civils, des cultivateurs, venant de Montmirail et environs : il y en avait onze de
Corfélix, il y en avait cinq du Recoude (mairie de Le-Gault-La~Foret) ; il y en
avait deux de Carrobert, un de Perthuis; il y en avait de Margny et autres pays.
Ils étaient faussement accusés d' « avoir coupé les fils des téléphones, d'avoir
renseigné les avions, d'avoir tiré sur l'ennemi »; d'autres avaient été requis de
conduire des blessés et, à un moment donné, on les avait joints au groupe des
prisonniers. Parmi eux, des septuagénaires, des hommes de quarante ans, des jeunes
gens de vingt; en particulier un enfant de 14 ans, Robert Martin, son père Jules
Martin, 42. ans, son grand-père Louis Martin, jo ans, de Corfélix.
Mme veuve Jules Martin a pu nous donner les détails suivants sur l'arrestation
des siens. « C'est le 5 septembre à 8 heures du matin que les Allemands sont
arrivés à Corfélix. Après trois jours de combat à travers la plaine, ils ont été
obligés de reculer. Honteux de leur défaite, ils ont cherché des moyens barbares
pour se venger et c'est à Corfélix qu'ils commencèrent. Emmenés une première
fois hors de la cave de notre maison, nous pûmes y rentrer à la fin de la journée,
poussés par la faim, et nous étions occupés à préparer un repas quand des soldats
obligèrent nos hommes à les suivre. Ils emmenèrent même mon fils Robert, âgé de
14 ans; seul échappa un de ses oncles qui s'était mis au lit et passa pour malade.
« On les enfermait, nous déclara un Alsacien, pour la nuit seulement, parce qu'on
craignait qu'ils fissent des signaux aux Français. » Le lendemain, au lieu de les
libérer, les troupes les emmenèrent, au nombre de douze. Un peu plus loin, l'un
deux, Paul-Louis-Numance JACQUET, domestique à Corfélix, âgé de 36 ans, qui
ne pouvait plus marcher, fut fusillé. C'était le 8 septembre.
La première étape les mena à Lacaure, la seconde à Epernay, la troisième à
Reims, où le groupe complet fut constitué. »
Au départ de Reims, sous une pluie battante, le cortège, comprenant un millier
de militaires et 38 civils, gagna La Neuvillette, où il fut entassé pour la nuit dans
une grange.
Le 12, longue étape jusqu'à Bazincourt, où deux civils purent s'échapper; il en
restait trente-six, Le >3 à Rethel, le 14 à Attigny, le i5 à Rocroy, où il fut question
d'une exécution, mais leurs gardiens dirent « qu'ils n'avaient pas trouvé un endroit
convenable ».
1 1 1
Tout ce voyage avait été un long martyre. Ces malheureux étaient frappés au
moindre signe de fatigue. Ils devaient souvent porter les havresacs de leurs gardiens.
Dans les villages, les Allemands s'échelonnaient le long des rues et se les renvoyaient
de l'un à l'autre à coups de pied et de poing. Une seule parole revenait sur leurs
lèvres : « ils allaient être fusillés ». Ces centaines de kilomètres furent parcourus
sous une chaleur torride et dans la poussière, sans pour ainsi dire recevoir ni à
boire, ni à manger. On avalait des pommes de terre, des betteraves ou des carottes
trouvées le long des routes, des croûtes de pain moisi ramassées dans les fossés.
Le \6, quand fut passée la frontière belge, un vieillard exténué s'affaissa sur
la route et fut tué de deux coups de feu, puis enfoui au bord du chemin.
A Couvin, dans une prairie, un officier allemand vint demander qui étaient ces
gens : « Des francs-tireurs, des espions, des dévaliseurs de cadavres ! » lui fut-il
répondu ; il prit sa cravache et se mit à les frapper. Alors les 35 civils furent
séparés des soldats, M. Chevalier, grâce à un dolman de pompier que lui avait
passé un sous-officier français, avait été rangé parmi les militaires et y resta. Les
Allemands remarquèrent bientôt qu'il manquait un prisonnier, et vinrent faire une
enquête à Mariembourg, parmi le groupe des militaires, mais leurs recherches
furent vaines : M. Chevalier s'était fait inscrire comme G. V. C. et avait pris un
faux nom (Hadot), qu'il conserva pendant de longs mois, jusqu'à ce qu'il put quitter
le camp des prisonniers d'Alten-Grabow en Allemagne et gagner la Suisse, puis la
France. C'est le 16 février 1916 qu'il rentra à Vertus.
Tous les 34 autres furent fusillés : aucun d'eux n'avait eu à répondre, devant
des juges, d'une accusation quelconque.
Ce n'est que fin juillet 1920 que les cadavres ont été exhumés, par une équipe
de soldats français, et transférés au cimetière de Frasnes. Ils y forment trois rangées:
la première, comprenant les n°s t à 14, ne compte que des inconnus ; la seconde,
nPS i5 à 20, comprend six corps identifiés, à savoir : n° i5 Grégoire Glau...t; n° 16
Jules Martin; n° 17 Louis ot ; n° t8 Narcisse Prieur; n° 19 Elie Henriet ;
n° 20 Lucien Achille Camus ; la troisième rangée, nos 21 à 34, ne compte non plus
que des inconnus.
D'autre part, les renseignements fournis par M. Alfred-Paulin Chevalier et par
Mme veuve Jules Martin ont permis de dresser des victimes la liste provisoire
suivante :
1. ADAM, Alfred-Désiré, 60 ans, cantonnier, à Corfélix.
2. DESPEZELLE, Théodore-Edouard, 54 ans, journalier, id.
3. HEBERT, Auguste-Gustave-Ernest, 67 ans, garde-champêtre, id.
4. HENRIET, Louis-Elie-Théophile, 65 ans, sans profession, id.
5. MARTIN, Louis-François-Gustave, 71 ans, rentier, id.
6. MARTIN, Jules-Auguste, fils du précédent, 42 ans, cultivateur, id.
7. MARTIN, Robert-Jules, fils du précédent, 14 ans, id.
8. PHILIPPON, Léon-Gaston, 32 ans, poseur à la Cie des C. B. R., id.
9. RENE, Auguste-Alexandre, 69 ans, journalier, id.
10. TRUFFAUT, Louis-Paul, 65 ans, manouvrier, id.
il. TRUFFAUT, Georges-Emile, 39 ans, cultivateur, id.
t 12
12. CAMUS, Lucien-Achille, 19 ans, ouvrier agricole à Désiré, habitant au
Recoude, mairie de Le-Gault-La-Forêt.
i3. CAMUS, Henri-Octave, 17 ans, ouvrier agricole à Désiré, habitant au
Recoude, mairie de Le-Gault-La-Forêt.
14. GARNIER, Louis, 60 ans, journalier au Recoude.
i5. PRIEUR, Narcisse-Barthélémy, 55 ans, cultivateur au Recoude.
16. SAVRY, Jules-Louis-Alexandre, 58 ans, manouvrier au Recoude.
17. BEDEL, Alexandre-Omer, 48 ans, cultivateur à Carrobert, de passage au
Recoude.
18. BEDEL, Pierre, 16 ans, ouvrier agricole à Carrobert, de passage au Recoude.
19. BROCHOT, Marie-François, 70 ans, manouvrier à Perthuis, parti de Tréfols
le 7 septembre.
2.0. LEFÈVE (1), Emile, 5o ans, de Talut-Saint-Prix.
2t. COURGIBET, Alexandre, 70 ans, de Fromcntières.
22. DOLIZY, Vincent, de Violaine.
23. HUGO, de Brugny.
24. LABARRE, .... d'Etrechy.
25. ..., d'Avesnes.
$9. — Vers la frontière française.
Parlant de Frasnes au malin du 26 août, la 23e division de réserve
alleignit la France vers midi, par Cul-des-Sarts el L'Escaillière (2). Un
combal d'arrière-garde se déroula à Rièzes, où le général d'artillerie
von Kirchbach, commandant le XIIe corps de réserve, fut légèrement
blessé (3).
Les rapports qui vont suivre (nos 565 à 572) relaient les faits, d'im-
portance secondaire, qui se sont déroulés dans les villages frontières de
Géronsart, Boussu-en-Fagne, Aublain, Dailly, Pesches, Gonrieux,
Presgaux et Cul-des-Sarts-
N° 565. A Géronsart, écrit l'instituteur, M. Paul Bauffet, quand les habitants virent
arriver les émigrés de Moriaimé, d'Acoz et de Couillet, quand surtout ils enten-
dirent les Français en retraite leur crier : « Sauvez-vous! », ce fut une fuite éperdue
(1) Les données sur les nos 20 et suivants ne sont pas officielles, tandis que les précédentes ont été
fournies par les mairies de Corfélix et de Le-Gault-La-Forêt.
(2) L'ordre donné le 25 au soir pour le 26 précisait que la poursuite devait être continuée le 26, par la
23 div. de réserve, sur Le Trembloy, au sud de Rocroi. Von Hausen, Erinnerungen, o. c. p. 146.
Le général von Bûiow note de son côté que la IIIe armée avança le 26 août son flanc droit par Mariem-
bourg-Gonrieux-Regniowe; sur Auvillers, s'écartant dans sa marche de la direction droit au sud-ouest
qu'il était nécessaire de prendre et créant ainsi entre elle et la II armée un trou regrettable. Mon rapport,
o. c, 67.
(3) Vor; Hausen, ibid,, p. 147.
ti3
dans les bois, où des cachettes naturelles ne manquaient pas pour se dissimuler aux
yeux de l'ennemi.
Mardi 25 août, le bruit éloigné d'une fusillade venant de Philippeville tint
tout le monde en haleine. Vers 10 heures, on signala les premiers Allemands
aux confins de Senzeilles-Mariembourg. A midi, les derniers Français battaient
en retraite, tout en combattant. A i3 heures, les Allemands s'avancèrent à travers
bois, l'infanterie précédant l'artillerie. Un canon fut mis en place et tira un coup
sur Frasnes, Deux aéros, un allemand et un français, combattaient au-dessus du
bois. Cependant deux soldats français postés au lieu dit « Tienne Warisse «
tiraient sur l'ennemi et lui tuaient plusieurs hommes, que leurs compagnons
impassibles chargeaient aussitôt sur leurs canons et emportaient. Un officier
allemand tomba raide mort. Plusieurs chevaux furent aussi tués. Les Allemands
couvraient la forêt, au hasard, d'une grêle de balles, mais sans atteindre leurs
adversaires invisibles. Bientôt Allemands et Français s'éloignèrent, se poursuivant
l'un l'autre, et disparurent. Quant aux canons, au nombre de cinq, ils furent
joints à quinze autres et postés dans les prairies ; vers le soir, ils partirent au galop
vers Mariembourg.
A Boussu~eri''Fagne, le 25 août au matin, les autorités militaires françaises
conseillèrent aux habitants d'abandonner leurs maisons; bientôt il ne resta plus au
village que deux ou trois vieillards. Les fugitifs se virent dépassés par l'ennemi aux
environs de Cul-des-Sarts et purent revenir chez eux, à l'exception de quatre
familles qui avaient pénétré plus avant en France. Ils trouvèrent, en rentrant, leurs
maisons intactes, car il n'était passé que deux groupes de uhlans dans la matinée
du 25 : les uns s'engagèrent dans le bois, les autres venaient d'Aublain et deman-
dèrent le chemin de Cerfontaine.
N° 567. Des Bretons — écrit M. l'instituteur Scaillet — prirent quartier à Aublain le
17 août. Le 18, le général Bonnier, qui résidait au presbytère, passa la revue
des troupes et dit ensuite à M. le curé avec un accent qui trahissait l'affection et le
dévouement : « Pauvres enfants, ils ne savent pas où ils vont ! » La revue terminée,
les troupes venues de Couvin par Dailly reprirent le même chemin, pour se diriger
sur Tamines.
Les fuyards qui passèrent ensuite au village étaient principalement de Tamines,
d'Aiseau et de Mettet,
Le 25 au matin, il vint plusieurs centaines de fantassins français démoralisés,
qui battaient en retraite et ne voulaient pas dire d'où ils venaient. On en
disposa dans les campagnes à l'est du village, en ordre de bataille; ils creu-
sèrent des tranchées, aménagèrent des cachettes avec des gerbes d'avoine
et établirent un poste d'observation au clocher. Un taube circula le long du
chemin de fer. Vers midi, ce fut un aéro français, qui transmit sans doute l'ordre
de la retraite, car les troupes prirent le chemin de Mariembourg, où la bataille
s'engagea.
Quand les gens virent, le soir, Mariembourg en feu, ils se réfugièrent « sous
les Roches », dans la vallée de l'Eau Blanche. Les bois furent, pendant deux jours
M4
et deux nuits, leur refuge. Durant le jour, les femmes s'enhardissaient à aller
traire le bétail.
Quelques uhlans passèrent le 26 et le 27, se dirigeant vers Cerfontaine.
Après cela, les gens revinrent dans leurs maisons, qui étaient respectées.
N° 568. A partir du 22 août, la route de Boussu et la grand'route de Chimay, qui passe
non loin du village de Bailly, offraient aux regards le plus navrant et le plus inou-
bliable des spectacles. Des familles entières s'enfuyaient devant i'ennemi, allant au
hasard chercher un refuge... Elles venaient surtout de Charleroi, Marcinelle et
Mettet, les unes en voiture, les autres à pied, poussant des brouettes chargées de
vivres et de couvertures. Ces fuyards, qui paraissaient hantés d'horribles visions,
étaient harassés de fatigue et brisés de chagrin.
Le 24 fut une journée de tristesse et d'angoisse, à cause de la retraite des
troupes belges et françaises. Des pièces d'artiilerie prirent position aux environs
du village. La première ligne de canons se trouvait « aux Longuigneuls », à « la
Haie de Frasnes », et aux « Monts de Boussu » ; tandis que l'infanterie creusait des
tranchées rudimentaires à « La Faligeotte » et « au Tienne de Pesches ». Les
officiers, prévoyant un combat, engagèrent les habitants à fuir; ce qu'ils firent,
vers Cul-des-Sarts ou dans le bois de Gonrieux.
Le 26 au matin, quelques uhlans traversèrent le village.
Le 27, des habitants revinrent dans leurs maisons, qu'ils trouvèrent pillées, et
annoncèrent aux autres que le village était calme et qu'ils pouvaient rentrer.
N° 569. Le 17 août, relate M. l'abbé J. Artus, prit quartier au village de Pescbe un
détachement de turcos et de zouaves français, que la population reçut avec un
enthousiasme délirant. Partis le 18 à midi, ils furent remplacés le même jour par
des soldats de l'armée de Paris ; leur Etat-Major et 3oo militaires furent hébergés
au pensionnat des Filles de Marie. Beaucoup d'entre eux se confessèrent et
témoignèrent le désir de communier le lendemain, mais l'ordre de départ vint
à minuit.
Le 21, 180 chariots, chargés de mitraille, cartouches, grenades et autres
explosifs, et traînés par 700 chevaux, campèrent à l'entrée du village. Ce défilé de
lourds véhicules se dirigea le lendemain à 8 heures vers Mariembourg et Philippeville.
« Venez avec nous ! Nous en avons assez pour faire sauter la tête de Guillaume ! »
criaient plaisamment les conducteurs aux habitants postés le long des chemins pour
les acclamer.
Le 23, tandis que les vitres et les portes des maisons étaient secouées sans répit
par les détonations d'une violente canonnade, la grand'route de Couvin-Chimay
était sillonnée et le village envahi par des bandes de malheureux fuyards arrivant
de Dinant, Tamines, Mettet et autres localités, et qui, affolés et harassés de fatigue,
faisaient aux habitants le lugubre récit de l'horrible spectacle dont ils avaient été
les témoins navrés. Vers 17 heures, une trentaine d'avions français abandonnèrent
le camp de Philippeville et, se dirigeant sur Rocroi, survolèrent le village de
Pesche. Témoins du vol effaré des grands oiseaux, les paysans ne perdaient pas
confiance : « Ils vont chercher la « Turpinite », fameux gaz asphyxiant découvert
115
par Turpin et qui anéantira l'armée allemande! » Chacun, la nuit suivante, reposa
paisiblement, appuyé sur cette ferme espérance.
Le 24 à midi, comme je demandais à un sergent français, prêtre, qui venait de
Tamines et requérait des logements, si l'armée reculait, il répondit encore : «Nous
venons nous reposer un peu ». Deux heures après, un officier à quatre galons,
littéralement recouvert, figure et habits, d'une épaisse couche de poussière et brisé
de fatigue, me demanda un lit et me dit : « Vous êtes prêtre? — Oui. — Alors on
peut vous confier quelque chose : nous reculons. Ou bien nous avons subi une
lourde défaite, ou bien le plan du grand Etat-Major est de fortifier notre aile droite
en Alsace et d'attirer l'ennemi en Belgique. Ce sont des barbares que nous avons
devant nous. Ils brûlent et saccagent tout. Le spectacle de ces pauvres gens dont
nous sommes les défenseurs et qui fuient éperdus devant l'ennemi me crève le cœur!»
Le détachement français ramenait au couvent quelques blessés, parmi lesquels
deux Algériens. Le colonel Maurice Taupan, qui avait commandé les Algériens à
Tamines, mourut dans la nuit du 25 au 26, après avoir reçu avec piété les sacrements
de l'Eglise et fut inhumé le 26 à 19 heures, dans le cimetière du couvent, sans
chant ni cérémonie, pour ne pas attirer l'attention de l'ennemi quioccupait la localité.
Les Français s'étaient préparés, le 25, à la résistance et avaient garni de
canons la colline «la Butte» qui domine le village, pour refouler l'ennemi qui allait
déboucher, disaient-ils, par la grand'route de Couvin-Chimay ; à midi, un ordre
télégraphique leur enjoignit de se diriger sur Rocroi. Alors ce fut dans le village
un affolement général. Les paysans alarmés chargèrent sur des chariots quelques
provisions et objets de première nécessité et s'en allèrent dans la forêt, les uns
chassant devant eux leur bétail, d'autres le laissant dans les prairies ou les écuries.
A 19 heures, le village était désert et dans les ténèbres, l'on n'entendait que le
beuglement de quelques vaches et le craquement des lourds véhicules emportant de
« la Butte » les derniers canons français. L'ennemi était à quelques kilomètres,
comme nous l'annonçait la sinistre lueur des incendies.
Dans la soirée, quelques uhlans battaient déjà la campagne entre Pesche
et Couvin.
Le 26 à 5 h. 3o, une cinquantaine de uhlans, suivis de la masse compacte de
l'infanterie saxonne, se présentèrent à l'entrée du village. Pendant toute la journée,
jusque vers 16 heures, ce fut un défilé ininterrompu de soldats, de chevaux, de
canons, voire même de camions de boulangerie et de lourds chariots de ferme
enlevés à Dînant, Surice et autres localités incendiées. En tête du défilé, marchaient
des civils, dont M. le curé de Frasnes. De temps en temps, ces masses serrées
s'arrêtaient, et, tandis que le déluge d'uniformes gris couvrait les routes et les places
publiques, les fiers soldats germains pénétraient dans les maisons l'arme au poing
à l'instar de brigands, se faisaient ouvrir les armoires, emportaient pain, viande,
lard, boissons et tout ce qui leur tombait sous la main. Si la maison était abandonnée,
ils enfonçaient les portes et la dévalisaient totalement.
Déjà de nombreux soldats escaladant les murs de clôture du couvent, s'étaient
présentés aux portes, terribles et menaçants, tellement défiants qu'ils soupçonnaient
qu'on pût leur présenter du pain empoisonné. C'est ce que me déclara l'un d'eux
qui, en mangeant la tartine que je lui avais donnée, appuyait son arme sur mon côté
m6
gauche, prêta faire feu. Ils étaient des centaines : tous braquaient sur moi leur
arme ou leur revolver. Avertie, la Révérende Mère se fit escorter de quelques
soeurs allemandes et leur fit distribuer des tartines et du café avec tant de bonhomie
qu'ils se montrèrent bientôt convenables.
Le défilé des masses grises se continua pendant toute la journée du lendemain.
N 570. Le 14, de grand matin, écrit M"e Elisa Rousseaux, institutrice, les premières
troupes françaises défilent sur la grand'route Chimay-Mariembourg, qui coupe au
nord le territoire de Gonrieux. Un brouillard épais enveloppe le village, on ne
distingue rien, mais le bruit assourdissant des chariots réveille les habitants. On
s'habille à la hâte, on court au pavé, on se relaie pour porter des rafraîchissements
aux soldats.
Le t5, un régiment algérien cantonne à Boutonville, village à i5 minutes d'ici.
Une véritable procession s'organise dans l'après-midi, les Arabes reçoivent en
abondance lait, œufs, sucre, chocolat.
Le 17, le 125e de Cherbourg arrive par la route de Cul-des-Sarts ; le lendemain
il se dirige vers la Sambre et un jeune fermier conduit en chariot jusque Tongrinne
les soldats dont les pieds sont endoloris par les marches forcées.
A partir de ce jour jusqu'au 22, les régiments des garnisons côtières de
Saint-Lô, Saint-Malo et Saint-Nazaire, composés en grande partie de réservistes,
traversent Gonrieux sans s'arrêter.
Le 20, nous arrive une colonne de ravitaillement (capitaine Holley; chef
d'escadron, comte de Vaubert de Genlis ) ; le 21, elle reçoit l'ordre de rebrousser
chemin et prend la route de Chimay. Presque en même temps la 9e division d'ambu-
lance entre par la route de Cul-des-Sarts : il y a 18 prêtres-soldats. Le 23, ils se
succédèrent aux trois autels de l'église, offrant la divine victime pour la Patrie en
danger. L'église ne désemplit pas de la journée et les offices furent émouvants. Ces
soldats nous ont fort édifiés; un grand nombre s'approchaient chaque matin de la
Sainte-Table et, le soir, ils restaient bien tard à l'église, récitant leur chapelet.
Le 23, les routes de Couvin à Chimay offrent aux regards le plus navrant et le
plus inoubliable des spectacles. Des familles entières de paysans s'enfuient devant
l'ennemi ; elles viennent des bords de la Sambre, traînant derrière elles tout ce
qu'elles ont pu rassembler. La plupart de ces malheureux voyagent à pied et poussent
devant eux de petites charrettes; ils paraissent harassés de fatigue et brisés par le
chagrin. Ils emportent avec eux l'horrible vision de leurs maisons saccagées et
brûlées, de leurs parents ou amis lâchement fusillés.
Les soldats passent une grande partie du 23 août dans les prés voisins de la
rue Doaire, d'où l'on découvre Philippeville. Couchés à plat sur le sol, ils suivent
les péripéties du combat et disent de fois à autre : « Comme ça chauffe là-bas ! »
Vers 17 h. 3o, soldats et habitants, appuyés sur le mur de clôture du grand verger
longeant l'école, regardent dans la direction de Philippeville, écoutant anxieusement
la grande voix du canon. Tout à coup, dans le lointain, un gros oiseau semble surgir
de terre, puis un 2e, un 3e... on en compte 18. Après avoir plané un instant, tous
prennent leur essor vers Rocroy. Ce sont les avions français qui abandonnent
Philippeville : la retraite de nos braves défenseurs commence.
t'7
Le lendemain fut un jour plein de tristesse et d'angoisse. L'ambulance quitte
Gonrieux dans la matinée. Vers midi, plusieurs milliers de soldats belges échappés
de Namur passent sur la grand'route. Avertis par un cycliste, les parents courent
embrasser leurs (ils, mais ceux-ci ne peuvent s'arrêter, ils doivent rejoindre le
général Michel à Rièzes. La vue de ces soldats en déroute, débandés, abandonnés
à eux-mêmes, ne fait qu'accroître la terreur qui règne au village.
Dans l'après-midi, de nombreux fuyards remplissent les rues ; on les loge dans
les granges, les fenils, les hangars, les classes A peine ces malheureux sont-ils
installés que le 75e d'infanterie française arrive. Il vient de Tirlemont. Les soldats
sont exténués, ils marchent depuis cinq jours. A la nuit tombante, ce sont des
troupes échappées à l'ennemi, elles ont quitté Rosée à 3 heures du matin. Noirs de
poudre, harassés, ils se laissent tomber, sac au dos, le long des talus. « Impossible
d'aller plus loin, disent-ils, si l'ennemi arrive cette nuit, nous n'échapperons plus! »
On case les fuyards dans l'église et les soldats ont à leur disposition les locaux
abandonnés par les premiers. Ils reposent tranquillement toute la nuit. Dans la
matinée, un grand nombre viennent se faire masser les pieds et les genoux chez les
sœurs.
Comme les Allemands sont à quelques kilomètres de Mariembourg, les
ambulances sont évacuées, les blessés transportés dans toutes les directions, à
Couvin, au couvent de Pesche. Une charrette conduite par une femme et
chargée d'un Algérien gravement blessé, arrive à Gonrieux au moment où
le clairon sonne le départ des troupes en retraite. Le commandant confie le
malheureux aux autorités locales ; il est déposé à l'école des garçons, en
attendant qu'une voiture puisse le tranporter au couvent de Pesche, ce qui à
lieu le soir même.
Le bruit du canon se rapproche de plus en plus. La plupart des habitants,
affolés, s'enfoncent dans les bois pour attendre les événements.
Le lendemain, 26, les fuyards, cachés au « Fond de l'Eau », voient descendre
une troupe de cavaliers avec lances et oriflammes. « Anglais? » demande-t-on.
— « Allemands! » fut la réponse. Ces uhlans étaient suivis de près par des
colonnes serrées et tout un matériel de campagne. Dans l'espace de deux jours,
42,000 défilèrent par le chemin rocailleux du bois, allant sur Rocroi. Alors les
habitants, rassurés, rentrèrent au village.
Le 3o. pendant les vêpres, un officier en auto arrive chez le bourgmestre
et l'emmène pour faire le tour du village. C'est le lieutenant Marquardt, de
Leipzig, un grand boiteux, qui prend possession de Gonrieux au nom de
l'Empereur. Il s'installe dans la belle habitation de M. Luc, qui a gagné la
Bretagne. Le drapeau national est enlevé du clocher par un soldat, car le clerc
a refusé d'aller le prendre.
Pendant les semaines qui suivent, la commune dut fournir : lard, poules,
vin, bougies, beurre, épiceries, farine, levure, lampes, pétrole, pommes de
terre, produits pharmaceutiques, etc., et réparer les vélos. En même temps,
on réquisitionne paille, avoine, fourrage, ti cochons, 26 bœufs, 6 chariots,
14 chevaux pour le magasin de la 3e armée et la boulangerie (inspecteur
Herman) établie au couvent de Pesche. Sept fermiers sont réquisitionnés et
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partent en France avec attelages pour 5, 7, 9 et même 19 jours. L'un alla
jusque Châlons et dut transporter des morts et des mourants. Trois revinrent
sans chariots, ni chevaux.
N°57i. Presgaux (paroisse de Gonrieux) ne (ut non plus visité par les Allemands
que le 3o août : une auto venant de Cul-des-Sarts vint y réquisitionner des
vivres.
N° 572. Cul~des~Sarts (1), relate M. l'abbé Seron, curé, confine aux villages français
de Regniowez et La Taillette et est à 6 kilomètres nord-ouest de Rocroi.
Le 26 à 8 heures, les premiers uhlans apparurent au hameau de la Rièze et
firent quelques patrouilles dans les environs. Ils furent suivis de troupes d'infan-
terie et d'artillerie, qui se dirigèrent plutôt du côté de Petite-Chapelle et eurent à
soutenir, du quartier « Les Plains », un combat contre les troupes françaises de
Rocroi et des environs; trois soldats allemands succombèrent à cet endroit et
furent pius tard inhumés au cimetière paroissial.
A ce moment, les habitants s'étaient presque tous retirés dans les bois ; un
certain nombre avait précédé les troupes françaises et resta exilé.
Dans le centre du village, on ne vit de troupes que vers 11 heures, d'abord des
cavaliers, puis des cyclistes. Une compagnie de ceux-ci était aux abords de l'église
comme j'allais sonner l'Angelus; leur chef me dit qu'ils avaient dû forcer des
portes pour se restaurer et me remit un bon pour ce que ses hommes avaient pris.
Je pouvais, ajoutait-il, rassurer mes paroissiens.
Le gros des troupes, infanterie et artillerie, n'arriva dans le centre du village
que vers 17 heures. Deux patrouilles m'enlevèrent successivement, d'abord pour
perquisitionner dans l'église, puis pour m'emmener au poste de commandement.
La commune était, me dit l'interprète, très suspecte. On me prenait, me dit ensuite
un officier, pour deux raisons : i° un des leurs avait été tué; j'avais en effet appris
que vers i5 heures, un officier (2) en bicyclette avait été blessé par les Français
aux environs du village et qu'il avait tiré un coup de revolver sur un villageois,
M. Hubert-Arthur Collin, qui voulait lui porter secours et qui fut blessé griève-
ment ; 20 des officiers avaient été empoisonnés par du vin. Le lendemain, je fus
requis pour les conduire jusque près de Regniowez, puis je fus libéré et je pus
encore, en rentrant, célébrer la Sainte-Messe, un peu avant midi.
Le 28 août, un officier fit marcher plusieurs civils devant ses soldats, arme au
poing, les forçant à crier : « Si vous tirez, nous sommes fusillés les premiers! » A
Regniowez, ils furent relâchés.
(i) Cf. Masschner, o. c, p. 25.
(2) Le lieutenant Otto von Boyneburgh, de Wichmannshausen (Hesse), décédé le 26 août.
ii9
2. — La 24e division de réserve.
La 24e division de réserve (général von Ehrenthal) comprenait les
47e et 48e brigades, formées des 104e, 106e, 107e et 1 33e régiments de
réserve, appuyés d'un régiment de uhlans de réserve et du 24e régiment
d'artillerie de réserve.
Partie de la région de Saint-Vith, la division s'est dirigée sur
Vielsalm, la baraque de Fraiture, Erezée, Melreux, Heure, suivant pas
à pas le XIe corps, et elle est arrivée le 22 août dans la région de Natoye.
Nous la retrouvons ce jour-là et le lendemain terrorisant les villages de
Crupet, Durnal et Spontin ; elle couvre de ruines et arrose de sang
humain toutes les routes qui mènent à la Meuse.
La division demeura le 24 août à Dinant et dans la vallée de la
Meuse, pour couvrir les ponts et en assurer la sécurité (1); ses troupes
ne furent pas étrangères aux cruautés et aux dévastations qui se conti-
nuèrent, pendant cette journée, dans la ville martyre.
La division commença à passer la Meuse dans la nuit du 24 au
25 août, à minuit (2), au pont de Leffe devenu libre, et se dirigea sur
Anthée, en partie par Sommière et Gérin (3), en partie par la grand'route
de Philippeville (4). Le 25 août, elle fut chargée par le chef de la
IIIe armée de l'attaque de la forteresse de Givet (5) et reçut à cette fin
deux batteries et demi d'artillerie à pied et deux batteries de mortiers
autrichiens de 3o.5 (6). Commencé le samedi 29, le bombardement se
poursuivit jusque dans la nuit du 3o au 3i août. Avant que commençât le
siège, toute la population civile avait été expulsée des villages de la
région, dans lesquels les troupes s'établirent en maîtres.
C'est le ier corps français qui les y avait précédées. Aussi convient-il
d'étudier tout d'abord les incidents qui marquèrent sa retraite (7).
Le 1er corps français, comprenant la ire et la 2e division, reçut dans la nuit du
23 au 24 août l'ordre de retraite du général Lanrezac : « La 5e armée, en marche
avant le jour, le 24, se repliera sur la ligne générale Givet-Philippeville'-Beaumont-
Maubeuge ».
(t) Von Hausen, Erinnerungen, p. 140.
(2) BAUrtGARTEN-CRUSIUS, O. C.» p. 35.
(3) Id., p. 36.
(4) Von Kausen, carte, Anlage 4.
(5) Von Hausen, o. c, p. 146 ; Baumgarten.-Crusius, o. c, p. 45.
(6) Baumgarten-Crusius, o. c, p. 41.
(7) D'après les archives de la Section historique de l'armée française. A consulter aussi sur la retraite du
t r corps st de la 5i® division de réserve, Hanotaux, Histoire illustrée de la guerre de 1914, VI, p. 22, et
VIII, p. 76.
i2o
La tre division (irc et 2e brigades) s'est repliée à l'ouest de la 2e; la irR brigade
atteignit à la soirée le cantonnement des Matagne : le 43e, Matagne-la-Grande ;
le 127° Matagne-la-Petite ; la 2e brigade ne réussit pas à dépasser Romerée et
Romedenne, où elle fut surprise à la soirée, ainsi que nous le raconterons plus tard.
A la 2e division (3e et 4e brigades), c'est la 3e brigade qui s'est repliée la
première, dès 9 h. 3o, et est allée cantonner à l'arrière, le 73e, à Gimnée, le 33e, à
Niverlée et Masée.
La 4e brigade (8e et 110e) avait reçu l'ordre de couvrir la retraite, la route de
Rosée à Gochenée et Agimont étant menacée dès l'avant-midi du 24 août par les
troupes allemandes du XIXe corps qui avaient passé la Meuse la veille ou au matin
à Hastière, à Waulsort et au Colèbi (Lenne). Le 1 10e est resté à Miavoye le dernier,
faisant fonction d'arrière-garde : le ter bataillon et la 10e compagnie occupaient le
hameau, le 3e bataillon (moins la 10e compagnie) était posté au château de Fontaine,
le 2e bataillon au sud-ouest de Miavoye. A 11 heures, le régiment reçut l'ordre de
se replier : tandis qu'il se dirigeait vers Doische. où il cantonna à la soirée, les
3e et 1"* bataillons formèrent un repli sur le mamelon situé entre Omezée et Soulme.
où le général Deligny, commandant la 2e division, se trouvait en personne à i3 h. 40.
Bien que l'artillerie ennemie fût signalée au nord-est de Soulme, les 3e et 1e1 batail-
lons ne furent pas engagés et rejoignirent, le soir même, leurs unités.
Quant au 8e régiment, il arriva à 14 h. 3o dans la région de Vodelée, où le
1er bataillon prit les avant-postes au nord du village, se reliant à l'ouest avec le
ier régiment (ire division), qui occupait alors Romedenne, et à l'est avec le
2e bataillon du 45e, qui avait quitté Morville à 10 heures et s'était arrêté à Gochenée ;
le 3e bataillon du 8e s'établit au nord-est de Vodelée en soutien d'artillerie et le
2e bataillon se porta vers Agimont, où il releva un bataillon du 3 10e dans la
surveillance du secteur Givet-Hermeton. Les 3 bataillons, formant l'arrière-garde
de la 2e division, quittèrent Vodelée le 25 août à 4 heures, pour gagner Gimnée,
Mazée et Dourbes.
La 8e brigade (général Mangin) était réduite à deux bataillons : l'un du 45e,
l'autre du 148e, qui avaient combattu la veille au soir à Onhaye. Nous verrons que
ce sont eux encore qui soutinrent le combat d'Agimont, après lequel ils se retirèrent
sur Treignes et Rocroi.
Sur l'itinéraire suivi par la 24e division, les villages d'Anlhée, de
Maurenne et de Morville rediront longtemps la cruauté des réservistes
saxons.
Les autres localités furent relativement épargnées. Une maison fut
brûlée à Agimont. Six civils furent tués à Soulme. Deux maisons furent
brûlées à Vodelée. Un sourd-muet fut martyrisé à Doische. A Gimnée,
la population, enfermée la nuit dans l'église illuminée, fut exposée à être
exterminée par les obus du fort de Givet.
Les rapports qui suivent vont nous relater le détail de ces
cruautés.
12.1
$ t . — Gérin .
Quand la 24e division de réserve eut escaladé la côte qui borde
la Meuse et pénétra dans Sommière, au matin du 25 août, elle y
avait été précédée par les troupes du XIIe corps; c'est pourquoi
nous omettrons de parler ici de ce village (voir rapport n° 582, p. 137).
La division gagna de là Gérin, où se trouvait déjà depuis la
veille le commandement général de la IIIe armée (tj. Le village était
presque désert. Un groupe d'habitants, qui y fut surpris, fut malmené
à l'extrême et cinq hommes tombèrent dans l'hécatombe de Surice.
Gérin (2) est situé à 267 mètres d'altitude, à 8 kilomètres de Dinant. Ce
village fut occupé avant le 23 août par les troupes françaises, qui édifièrent
la paroisse par leurs sentiments chrétiens. Au salut de chaque soir, l'église
était comble; ces braves récitaient le chapelet à haute voix et chantaient des
cantiques. Après l'office, M. l'abbé Thibaut, aumônier militaire de Cambrai,
se trouvait au confessionnal avec le curé de la paroisse; ensemble, ils prêtaient
leur ministère à ceux qui le demandaient. Le lendemain, les troupiers français
s'approchaient nombreux de la Sainte Table.
Le 23 août, à \o heures, les premiers obus allemands, tirés des hauteurs
de Blaimont, tombèrent au sud-est du village et, une heure après, ils le
dépassèrent. A 12 h. 3o, Nicolas SIMON et son épouse Anna FERAILLE,
d'Onhaye, après avoir traversé Gérin, se dirigeaient vers Anthée par le vieux
chemin, lorsqu'ils y furent tués par des obus, à un kilomètre au-delà du village.
A 19 h. 3o, des obus mirent le feu aux maisons voisines de François Piot et
de Henri Colot.
Les habitants avaient tous quitté leurs maisons à partir de 1 1 heures, à
l'exception d'un vieillard, Désiré Colin.
L'arrière-garde française quitta Gérin à l'aurore du lundi, 24 août. Les
éclaireurs allemands arrivèrent par l'extrémité nord-ouest du village, en suivant
le ravin situé entre Gérin et Weillen ; ils firent prisonniers cinq soldats français.
D'autres cavaliers arrivaient au même moment par le chemin qui traverse le
dessus du village et d'autres encore par le sud.
Le presbytère et de nombreuses maisons furent pillées; un calice de l'église
et les bijoux de la statue de la sainte Vierge furent emportés.
Le 26 août, un groupe de gens qui s'étaient réfugiés à Gérin — après
(1) Von Hausen, o. c, p. 141. MUe Bertrand, qui hébergeait l'Etat-Major, reçut l'écrit suivant
dont l'original, découvert par le parquet de Dinant, est déposé aux archives de la Commission d'enquête :
Das Armée Oberkommando 3 bescbeinigt Mdm. Bertrand, dass es hier beste Aufnabme gefunden bal und
bile um môgliscbste "Rùcksicblnabme und Schonung. Gérin, 35. 8. 14. A. B.
Steiger, Oherleulnant d- "R.
(*) Nos premiers renseignements sur Gérin ont été pris sur place le 10 septembre 1914; ils ont été
ensuite complétés par M. le curé Boursoit.
122
avoir échappé aux massacres de Surice et assisté à la destruction d'Anthée (t),
— furent surpris « à la Barrière de Gérin » ; un officier leur enleva et déchira
le passeport qui leur avait été remis et, comme des criminels, les ramena à
Surice, où il les mit en présence de l'horrible monceau des quarante cadavres
de civils qui avaient été fusillés la veille. Parmi les victimes se trouvaient
cinq notables de Gérin. L'officier se disposait encore à tuer tous ces hommes.
« Sales francs-tireurs, leur dit-il, vous allez subir le même sort! » Lorsqu'il
entendit proférer ce mot de francs-tireurs, un vieillard, Henri Tongleî, ne put
contenir son indignation; il répliqua avec énergie à l'officier qui allait com-
mander l'exécution : « Monsieur, nous ne sommes pas des francs-tireurs, car là
où vous prétendez qu'il y a des francs-tireurs, vous massacrez les habitants et
vous incendiez les villages; or, à Gérin, vous n'avez ni massacré, ni incendié! »
Que se passa-t-il? L'officier libira les gens de Gérin. Comme un homme affolé
avait la faiblesse de remercier l'Allemand, M. Tonglet ajouta : « Cesse ces
remerciements et reviens avec nous! Pourquoi remercier? Tu es innocent, tout
comme nous, de ce qu'on te reproche ! »
§ 2. — Anthée et Maurenne.
Le magnifique village d'Anlhée fut entièrement pillé, incendié et
détruit pendant les deux journées du 25 et du 26 août, alors qu'il ne s'y
était livré aucun combat et que l'ennemi l'occupait paisiblement depuis
trente-six heures.
ïl a fallu à l'ennemi une singulière impudeur pour affirmer qu'il y
avait été attaqué par la population civile : il restait à Anthée en tout et
pour tout neuf vieillards, dont nous donnons ci-dessous les noms.
Les crimes que nous allons relater sont l'œuvre non seulement
des 104e et to6e régiments de réserve, qui forment la 47e brigade (24e divi-
sion de réserve) (2), mais aussi de la 23e division active (XIIe corps) qui a
utilisé la route de Dinanî à Philippeville jusque Rosée, et surtout du train
de la 32e division active (XIIe corps) qui est passée par Anthée pour
rejoindre à Rosée l'itinéraire de sa division. C'est ce que nous apprend
le Livre Blanc.
Les gens d'Anthée et du voisinage qui tombèrent entre les mains de
ces cruels Saxons endurèrent des sévices inouis. Les premiers habitants
qui revinrent au milieu des ruines retrouvèrent les cadavres, laissés sans
(1) Leur odyssée est racontée ci-dessous (Anthée, rapport n11 574, p. 124).
(1) Le 1 33e de réserve, célèbre à Spontin, est aussi passé à Anthée. M. Libert a découvert en 1915, en
bêchant le jardin des religieuses, un cadavre de soldat allemand ; on ne put l'identifier, mais les bottes en cuir
portaient l'inscription suivante : « i33 R, 1 bat. 3e corps ». Ce régiment forme, avec le 107e, la 48e brigade
de réserve.
123
sépullure, de quatre de leurs concitoyens et de cinq inconnus, qu'à cette
heure on n'a pas encore pu identifier.
Douze hommes, dont le curé, le médecin, des jeunes gens de 19 et
de 16 ans, périrent dans les massacres de Surice.
Soixante-douze maisons furent brûlées à Anthée centre (fig. 09342):
il ne resta debout que l'église et trois maisons.
A Maurenne, hameau important delà paroisse, quarante-six maisons
furent détruites sur cinquante-neuf.
Miavoye, autre dépendance de la paroisse, fut préservé, mais
plusieurs habitants périrent à Surice.
Ce n'est pas sans labeur qu'a été reconstituée l'histoire d'Anthée,
tant sont rares les témoins. Les vieillards, terrés dans leurs caves,
n'avaient généralement rien vu; mais des gens du voisinage, entraînés
par la soldatesque, ont stationné quelque temps à Anthée et y ont vu
chacun l'une ou l'autre scène isolée de sauvagerie, dont ils nous
ont fait le récit. C'est à l'aide de ces données qu'a été rédigé le rap-
port n° 574.
Anthée resta un désert pendant une bonne partie de l'occupation.
Une impressionnante horreur se dégageait de ces maisons détruites et la
plupart endeuillées. L'église, profanée par les troupes, fut rendue au culte
à la fête de l'Ascension de 1915.
Anthée occupe l'un des points culminants de l'Entre-Sambre~et-Meuse. La
paroisse comprend les villages d'Anthée, de Maurenne et de Miavoye.
Anthée fut occupé pendant dix jours par des troupes françaises, et le général
Franchet d'Esperey y séjourna avec son Etat-Major. Les soldats creusèrent des
tranchées du côté de Dinant et ouvrirent des meurtrières à la Villa Philippe, dans
la même direction. Les débris d'un taube capturé à proximité séjournèrent quelque
temps dans une cour de ferme.
Les Français se retirèrent dans l'après-midi du zZ (1). Alors les habitants
s'enfuirent épouvantés, parfois sans prendre avec eux ni vêtements ni vivres. Les
uns se réfugièrent dans les grands bois situés derrière le château de Fontaine,
d'autres vers Florennes, Couvin et la France, enfin un groupe de 35 personnes,
celui qui fut le plus éprouvé, s'abrita à Surice. Il resta au village une arrière-garde
française qui se retira dans la matinée du 24 août.
Une poignée d'habitants restait au village quand l'ennemi y entra le 24 août
(1) On lira dans Ginisty, Histoire de la guerre par les combattants, Paris, Garnier, p. 39 et ss., une
crnouvan'e description de la cohue aux abords d'Anthée, dans l'après-midi du 23 août, à l'heure où se prépa-
rait la retraite.
«M
à i5 h. t5 il), sans le moindre combat, car il ne s1y trouvait plus un seul combattant.
La première journée ne fut guère marquée que par des pillages (2).
« Vers 18 heures, raconte Mme Scailteur, il vint des flots de soldats, à la
fois de Dinant et d'Ermeton-sur-Biert. Ces derniers étaient assez humains, mais
les Saxons, des fantassins, étaient de vrais lions. Ils avaient de petites haches,
à l'aide desquelles ils enfonçaient portes et fenêtres, brisaient les meubles et
cassaient les vaisselles. Ils grinçaient des dents, vous empoignaient à tort et
à travers, vous battaient comme des gerbes, à coups de pied et de poing,
même avec la crosse de fusil, en disant « Vous avez caché des sales
Franzous ! » Ils tuaient les uns des poules, d'autres des cochons, des moutons,
des vaches, ils n'épargnaient rien. « Le curé, prétendaient-ils, avait fait tirer les
hommes sur les troupes, il avait dit aux femmes de jeter de l'eau bouillante ».
alors que notre brave curé nous avait encore prêché le 23, à la messe, que
l'ennemi allait arriver et que, s'il nous demandait quelque chose, nous devions
faire un sacrifice, pour épargner les habitants. »
L'incendie du village d'Anthée remonte au 25 août. Les premiers coupables
du désastre se sont fait connaître dans le Livre Blanc (3). C'est le train de
l'Etat-Major de la 32e division (Rittmeister Heltzer, du 18e huss. de réserve).
En quittant Anthée, ils allèrent incendier Rosée.
Un groupe de civils qui avaient échappé le matin au massacre de Surice
et qui, faits prisonniers, subirent un martyre de plusieurs jours, furent amenés
le 25 août à Anthée et y furent témoins de l'incendie du village. « Vers
14 heures, raconte l'un d'eux, M. Debatty, curé de Morville, nous nous trouvions
depuis midi parqués au fond du village, dans un verger appartenant à Joseph
Burton, lorsqu'une bande d'incendiaires arriva par la route d'Hastière en
hurlant, la même bande probablement qui avait incendié Maurenne (4). Elle
mit le feu à la maison du garde Louis Renard, dépendance du château de
Fontaine. En moins d'une heure, tout le village d'Anthée était en feu. Le
presbytère et l'habitation du docteur Jacques ne flambèrent qu'après : sans
doute leur fallut-il plus de temps pour les piller, car en avons-nous vu passer
des chariots chargés de matelas, de meubles, de fauteuils, de chaises, etc !
Puis nous vîmes se consumer la maison des religieuses, l'école des filles, toute
la rue : nous entendions tirer quelques coups de feu et les maisons flambaient
comme des torches... Le feu commençait toujours par la toiture. Les maisons
(1) C'étaient les frères Julien, Jacques et Lucien Hubert, Augustin Corbiau, frère du vétérinaire,
François Dechambre père, Gustave Cleda, maréchal-ferrant, Maurice Collard, plafonneur et le vieux ménage
Barbier (Félicien Barbier et son épouse Charlotte Sarto). Tels sont les francs-tireurs qui auraient pu s'attaquer
à l'armée allemande I
(2) On les attribue à des troupes que commandait le général von Morgenstein, qui passa la nuit du
24 au 25 août au château de La Forge, à Anthée-
(3) Anlage 38, p. 54.
(4) Henri Laloux, cultivateur à Gérin, reçut dans la prairie Defacqz un bon de réquisition de trois
chevaux, d'un nommé Scheffer ou Scheffler, qui accompagnait le convoi en question, venant d'Hastière,
et qui annonça qu'on allait brûler le village. « L'incendie commença, confirme Henri Laloux, par la
maison du garde Renard, puis l'officier mit lui-même le feu à la maison Burton, en tirant sur le toit de
la grange- *
125
voisines de notre campement brûlèrent à leur tour, la chaleur devînt insuppor-
table, on recula comme on put, on s'étendit sur le sol...
» Mais voici qu'une nouvelle bande, venant toujours d'Hastière, nous avait
aperçus et dirigeait sur nous une fusillade nourrie. La garde qui nous retenait
prisonniers, officiers en tête, s'éclipsa derrière les murs et nous restâmes seuls
au milieu de la fusillade... »
En même temps que commençait l'incendie, les soldats s'acharnaient sur les
quelques civils qu'ils découvrirent au village et sur ceux qu'ils retenaient
prisonniers. Plusieurs furent tués et nous allons raconter leur martyre; les
autres furent mis en joue, frappés, torturés, traînés d'un village à l'autre, pour
être enfin, épuisés de faim et de fatigue, rendus à la liberté.
Joseph Burton fut témoin du meurtre de son père. Il raconte que, rentré
chez lui à 7 heures du matin, il dut, pendant toute la matinée, pomper de
l'eau pour l'armée. Il entendit lui aussi les coups de feu tirés dans la direction
d'Hastière et vit brûler la maison du garde et la salle de musique qui se trouve
à peu de distance. La fusillade redoubla, puis ce furent l'école des filles, les
maisons Lamarche et Botin qui prirent feu, et ainsi de suite jusqu'à la place.
On n'entendit bientôt plus que des hurlements et de sauvages cris de fureur.
Vers i5 heures, alors qu'il continuait à débiter de l'eau, il fut saisi à la gorge,
collé contre un mur et menacé d'être fusillé si l'on trouvait chez lui des
armes. La perquisition fut infructueuse. Jeté ensuite dans les rangs des soldats,
il parcourut « comme un ballon de football », dit-il, une distance de 5o mètres;
puis, couché sur une brouette, ies soldats lui déboutonnèrent la jaquette, faisant
signe de le percer de leur baïonnette. Libéré par un officier qui passait et
qu'il supplia de l'autoriser à se rendre dans la maison, toute voisine, de ses
parents, il y trouva les siens terrifiés et blottis dans un réduit. Le feu venait
d'être mis à la maison; on chercha à fuir par une fenêtre de derrière, donnant
dans le verger de M. Defacqz. Au moment où son père, Adolphe BURTON (fig. 29),
56 ans, escaladait la fenêtre, un soldat braqua sur lui son fusil. « Ne tirez pas,
c'est mon père! », cria Joseph Burton; son père put encore atteindre une haie
voisine, dans laquelle il se blottit. Peu de temps après, Joseph Burton, joint à
un groupe de prisonniers civils, vit deux soldats quitter les rangs, entrer dans
un champ attenant au verger où était son père, et tirer. Le vieillard se redressa,
puis retomba en poussant un grand cri : il était mort. Le curé de Morville,
put, à une distance de dix mètres, lui donner l'absolution.
Joseph Burton et ses compagnons furent encore témoins d'un second meurtr».
Un inconnu qui faisait partie de leur groupe chercha aussi à se cacher dans la haie du
verger Defacqz ; mais il fut aperçu par des soldats, qui lui arrachèrent son paletot,
lui lièrent les mains derrière le dos et le frappèrent violemment à l'aide de crosses
de fusil; puis ils le poussèrent contre les fils de fer d'une clôture et lui tirèrent
trois coups de fusil en pleine poitrine. Le malheureux s'affaissa sur les genoux, à
demi retenu par la clôture métallique. On le vit encore faire un effort pour
se redresser, le sang lui jaillit de la bouche et il retomba mort, le dos contre
terre. Sous les yeux des prisonniers, deux porcs vinrent fouiller et retourner le
cadavre.
12Ô
Félicien BAUDOIN (fig. 32), 5ç ans, arrêté au moment où il tâchait de rentrer
dans sa maison, jusque là préservée, [ut mené à une extrémité du village et lié à une
haie par une grosse corde, à côté d'un étranger âgé d'environtrente ans. Ils y furent
tués. Joseph Libert aperçut leurs cadavres près de l'école des filles, le 26 août à
4 heures du matin. Un autre civil inconnu gisait dans le fossé, la face contre terre,
dans le vieux chemin de Gérin, au croisement de la route d'Hastière.
Cinq cadavres non identifiés furent retrouvés à Anthée et nous n'avons réussi
à obtenir de détails sur aucun d'eux.
Xavier DELHAYE, ardoisier, 41 ans. et son épouse Céline CRÉPIN, 45 ans,
voulurent revenir à la soirée dans leur maison ravagée (fig. 55); ils furent surpris et
fusillés séance tenante. Deux enfants de 8 et de 6 ans qui les accompagnaient s'en-
fuirent et purent se réfugier au château d'Anthée.
Revenons au groupe des échappés de Surice dont nous avons parlé. Ils furent,
eux aussi, bien près d'être mis à mort dans l'après-midi du 25 août. Des soldats
s'élancèrent sur le curé de Gérin, en vociférant et en le menaçant de leur arme. Il
passait pour le curé d'Anthée, car quelque temps après, un officier demanda à un
civil : « Ce n'est donc pas le curé d'Anthée? » Vers 17 heures, les hommes furent
séparés des femmes. On leur annonça qu' « ils allaient être fusillés parce qu'on
avait tiré sur les troupes ». Ils furent emmenés à travers le village qui n'était plus
qu'un immense brasier et alignés le long de la haie Defacqs. « On a tiré, criait
un officier supérieur, nous allons vous juger et votre sort dépend de la sentence. »
Il tint conseil avec deux subalternes, puis vint annoncer qu'ils pouvaient retourner
à leur village.
Ils regagnèrent le groupe des femmes au verger Burton, et croyaient venue la
délivrance, lorsqu'ils furent repris au nombre de 17. par des soldats du iooe régi-
ment, qui arrivait à Anthée entre 17 et 18 heures et qui les emmena vers Rosée,
ainsi que nous le raconterons plus loin.
On vit se continuer le 26 août les mêmes scènes de sauvagerie. Joseph Aneuse
passa à Anthée à 16 heures, regagnant Weillen. « Nous ne vîmes, écrit— il, aucun
civil, mais des troupes passaient toujours à grande allure sur la route de Philippe-
ville. Hommes et chevaux étaient fleuris. Nous fûmes invités avec ironie à saluer
le mannequin en paille d'un soldat français, lié sur un canon. Bousculés par des
officiers, nous dûmes escalader le talus qui longeait la route; puis nous fûmes
rejetés sur la chaussée, avec menace d'être fusillés si nous quittions encore les
grands chemins. Nous arrivâmes sur la grand'place exténués et nous nous laissâmes
choir sur des chaises d'église que les soldats y avaient amenées. Le feu commen-
çait à consumer les maisons de la place. Les Allemands assis sur la margelle d'un
puits chantaient et jouaient des instruments, tandis que leurs camarades empor-
taient des maisons un butin de toute espèce. A peine étaient-ils sortis d'un
immeuble qu'il prenait feu. L'église, ouverte, présentait un aspect lamentable. Je
crus bien que, elle aussi, était condamnée à périr, car j'y vis s'élever de grandes
flammes ». On trouva une quarantaine de chaises brûlées dans la nef et il est
permis de croire que les soldats allumèrent ce foyer pour faire disparaître, avec
1 église incendiée, ies traces de ieurs saletés. Le bel idifice avait été transformé
en écurie; les planchers du maître-autel et de la sacristie avaient été brûlés, ainsi
127
que quatre socles de statue et la porte d'un confessional ; les soldats avaient essayé
de fracturer le tabernacle, où se trouvait la sainte réserve (fig. 42). Heureusement un
aumônier catholique allemand avait transporté au château de la Forge, à la
demande de Mme la baronne de Rosée, l'ostensoir contenant le Saint Sacrement, qui
était resté exposé dans le tabernacle, pendant la journée du zZ août.
Après deux jours de sauvagerie incendiaire, il ne restait debout à Anthée que
l'église et trois maisons dans le fond du village, à savoir la maison de Joseph Burton,
qui fut respectée, parce qu'elle est proche de la cabine électrique contenant les
accumulateurs; la maison de Gustave Toussaint, où il y eut un commencement
d'incendie, et celie d'Alexandre Watrice.
Les habitations furent toutes pillées avant d'être incendiées.
Au presbytère (fig. 41) et à la maison des religieuses périrent les archives parois-
siales, trois calices, un riche ostensoir et un matériel du culte considérable. La
commune a aussi perdu les archives civiles.
Les trois maisons sises « au Grand Bon Dieu » et la petite section de La Forge
furent préservées.
Le hameau de Maurenne, paroisse d'Anthée, fut presque complètement détruit
par une poignée de soldats, dans la journée du 25 août, sous les yeux des habitants
qui étaient restés dans leurs maisons et que les incendiaires parquèrent ensuite dans
la chapelle. Sur 59 maisons, i3 restèrent indemnes (1).
Miavoye seul fut respecté.
Près de 400 blessés français furent soignés au château d'Anthée (2), où ils
encombraient les appartements et la cour. Dans la journée du 25 août, la paille
souillée sur laquelle gisaient ces malheureux fut brûlée dans une prairie. Quelques
cartouches, tombées par mégarde des vêtements des blesses, vinrent à exploser,
sans d'ailleurs atteindre personne. A ce moment passaient des batteries allemandes.
Officiers et cavaliers sautèrent en bas de leur monture et, en un geste fou, déchar-
gèrent fusils et revolvers sur le monceau de paille, en criant qu'il s'y cachait des
francs-tireurs. Plusieurs canons furent braqués sur l'ambulance, comme pour la
détruire, et on menaçait de fusiller les hommes, malgré toutes leurs protestations
d'innocence. Il fallut des pourparlers de plus d'une heure pour calmer ces forcenés.
Ils emmenèrent sur une 3uto du château les armes des blessés, avec un otage, qui
put heureusement s'esquiver la nuit suivante et ramener l'auto.
Le village d'Anthée a été particulièrement éprouvé à Surice dans la
journée du 25 août. C'est là que furent surpris et fusillés M. l'abbé Oscar Piret, curé
(1) A savoir les maisons Vital Roly, Louis Vandegiste, ferme Jules Lequeux (où écuries et granges furent
biûlées), Félix Pierrard, l'école et l'habitation de l'instituteur, Félicien Bertrand, Maurice Bertrand, Germiat,
Stampe, Martin et Vanderest.
(2) Le 13^ bataillon de chasseurs séjourna huit jours au château, à partir du 25 août, chargé de la
protection dis convois et de l'ambulance. Direction du Contentieux et de la Justice militaire, à Paris, dossier 317.
Le 16 a_.it, s'établit, au château d'Anthée, le commandant de la 14° division (XII" corps de réserve),
général von Ehrenthal. Il parut s'appliquer à faire oublier les ravages causés par ses troupes et qu'il ne pouvait
ignorer. Il mit fin à l'ère de la terreur. Son corps sanitaire, composé d'une dizaine de médecins, prodigua des
soins habiles aux blessés français, qui furent emmenés le 2 septembre.
Aucun soldat français n'est tombé à Anthée.
128
d'Anthée, 40 ans; P\. Félix Jacques, docteur en médecine, 57 ans; Henri Jacques
son fils, 16 ans; Olivier Delcour, 62 ans; ses deux fils, Arthur, 3o ans, et Léon,
19 ans; Alphonse Nassaut, 63 ans, et son fils Fernand, 19 ans, tous d'Anthée;
également trois habitants de Miavoye, André Libert, 46 ans; Jean-Baptiste Libert,
40 ans, et Olivier Parmentier, 62 ans. Joseph Libert, 82 ans, de Maurenne, fut aussi
tué à Surice au moment où il cherchait à fuir (voir Surice et fig. yy à 98).
Quittant le village d'Anthée, la 2.4e division de réserve se dirigea sur
Morville, pour gagner de là les localités qui sont à la périphérie de
Givet-Charlemont. Le chef de la IIIe armée raconte dans ses Mémoires
que le 24 août, vers 14 ou i5 heures, lorsqu'ayant traversé le champ de
bataille de Lenne-Onhaye, il se rendit à Anthée, un combat se déroulait
sur la hauteur située au sud-ouest de Morville entre la tête de la
24e division et une arrière-garde française (1).
§ 3. — Agimonl.
Dans la journée du 24 août et à la soirée, les troupes de la 8e brigade
française (général Mangin) continrent au nord d'Agimont et refoulèrent
sur la Meuse des éléments du XIXe corps allemand, notamment le
2e bataillon du 106e qui, après s'être rendu coupable des massacres
d'Hermeton-sur-Meuse, avait gagné la ferme des Onches.
Le rapport ci-dessous fait le récit de ces combats, d'après les notes
qu'ont bien voulu nous communiquer le général Cadoux et la Section
historique de l'armée française ; il relate aussi les événements survenus
au village.
N° 575. Le 143e d'infanterie (colonel Proie) s'installa à Agimont le 14 août. Les
habitants vécurent rassurés jusqu'au 23, car les soldats affirmaient que l'ennemi ne
passerait jamais la Meuse. Le 22, le 143e partit pour Ermeton-sur-Biert et fut
remplacé par des troupes de réserve, le 5e bataillon (commandant Faugier) du 3ioe
(lieutenant-colonel Pigault).
Ce bataillon détacha, le 23 août, la 19e compagnie au « Bac-du-Prince » : c'est
elle qui chassa les Allemands de la maison de léclusier d'Hermeton-sur-Meuse.
Le 24 août, la 19e compagnie fut relevée au « Bac-du-Prince » par les 17e et
20e compagnies, qui firent le coup de feu toute la matinée contre l'ennemi qui
passait à Hastière et Hermeton. Attaquées dans l'après-midi, elles se replièrent,
recueillies par la t8e compagnie. A ce moment, le bataillon recevait l'ordre de
rallier la 5ie division de réserve à Mariembourg, où il arriva le lendemain matin à
6 heures. Quant au restant de la division, il s'était replié, le matin, d'Onhaye et
d'Anthée, sur Mariembourg et Frasnes, par Rosée. Vodecée et Sautour.
(1) Von Hausen, o. c, p. i3g.
129
Le même 24 août à t3 h. 3o ou 14 heures, le colonel Cadoux, du 148e, et son
Etat-Major arrivèrent à Agimont, avec le 2e bataillon du i48c(commandant Graussaud)
et la compagnie hors-rang (1). Le village était occupé par des cuirassiers, qui
avaient disposé des vedettes sur les crêtes nord, dans les bois des Onches et de
Vagne, et qui reçurent, à 16 heures, l'ordre de se replier dans la direction de
Rocroi. Le ier bataillon du 148e, commandant Vannière, qui venait aussi d'arriver
de Hun-Rouillon, fut chargé de les remplacer et prit les avant-postes, s'établissant
sur les hauteurs boisées au nord d'Agimont, depuis le ruisseau de Soulme à l'ouest,
jusqu'à la Meuse. La liaison avec le 45e, que commandait à Gochenée le général
Mangin, chef de la brigade, se fit sur le ruisseau. A \g h. 3o, l'alerte fut donnée
dans la direction du N. E. (gare de Heer-Agimont) ; des patrouilles allemandes
s'étaient infiltrées dans le bois de Vagne et des Onches. A 21 heures, l'ennemi
débordait de toutes parts dans les bois et la fusillade commença. A 22 heures, il
atteignait les hauteurs qui dominent Agimont vers le N. O. On signala même un
groupe de cavalerie et des cyclistes poussant leur reconnaissance jusqu'à Gochenée.
L'ennemi vint bientôt à l'attaque, enfilant de ses feux la rue principale du village.
D'autres troupes ennemies se glissaient vers le «Bac du Prince», le long de la rive
gauche de la Meuse et commençaient à encercler tes Français. Ceux-ci, un moment
surpris, s'étaient ressaisis et se défendirent courageusement. Deux blessés furent
amenés à l'école des Religieuses et bientôt évacués par l'ambulance. Il y eut, à
d'autres endroits, quelques blessés, mais aucun mort. A 22 h. 5o, le colonel Cadoux,
averti d'une menace de débordement et incapable d'atteindre le général commandant
la 8e brigade, dut se résigner à abandonner Agimont sans ordre, tant il y courait
de risque. Il dirigea les trains et le régiment sur Petit-Doische (Maison Blanche)
et installa ses troupes dans les fossés de la route de Givet à Philippeville, tandis
que le train gagnait Doische. La retraite se poursuivit le 25 août à 3 h. 3o sur
Doische, qu'occupait le colonel Pétain avec le 1 10e régiment (4e brigade). A la suite
de ce dernier régiment, les troupes du colonel Cadoux gagnèrent Vierves, qu'elles
eurent la mission de défendre et où les rejoignit la section de Capellis, que la
2e compagnie avait laissée le 23 à Rivière.
Dans la matinée du 25 août, des civils d'Agimont se rendirent sur les trieux
avoisinant le village et y trouvèrent les cadavres de 7 soldats allemands, qu'ils
enterrèrent sur place ; un huitième, atteint de deux balles, était presque mourant ;
il fut transporté, avec tous les ménagements possibles, à l'hôpital de Givet.
Cependant, il fallut attendre le vendredi 28 août à 10 heures avant que l'ennemi
prît possession du village. Dix otages, dont le bourgmestre et le curé, furent conduits
(1) Ces troupes avaient soutenu la veille le combat d'Onhaye et couvraient encore ce village, au matin
du 24, dans les directions de Sommière, Bouvignes, Dinant, Waulsort et Hastière. Le bataillon Bourdieu,
du 45", tenait les issues du village et campait sur la grand'place. Le départ (ut ordonné à 3 heures du matin.
A 4 heures, le 2e bataillon du 148e se mit en route vers Maurenne et Miavoye, avee le 45e comme avant-garde ;
à 5 h. 3o, il organisa pour la défense la clairière au sud de Miavoye, où il (ut remplacé à 8 h. 3o, par le
bataillon du 4s9. Il gagna de là, sans incident, le village d'Agimont, par le bois du Roi et Gochenée. Il [ut
rejoint à Gochenée par le détachement du capitaine Boitel, venant de Namur, et à Agimont par le icr bataillon
du 148 . A ce moment, un bataillon du 3ioe, qui gardait la route Givet-Hermeton, {ace au nord, avait déjà
été attaqué par des forces ennemies venant d'Hermeton, et avait été remplacé par un bataillon du 8e d'infanterie
(brigade Pétain).
i3o
à Vodelée et mis en présence du major Kuchens, du i 33e d'infanterie. «M. le curé,
dit celui-ci à M. l'abbé Marloie, vous avez tort de vous allier aux Français! Ils sont
en déroute. Moi, je dois porter la guerre en France ; après dans le Angleterre et
puis peut-être dans le Russie ! » Les otages furent ramenés à Agimont, à la nuit
tombante, et presque tous les hommes du village furent enfermés dans l'église, où
ils passèrent la nuit gardés par deux soldats.
Le 29 au matin, la population reçut l'ordre d'évacuer le village dans le délai
d'un quart d'heure. Les gens gagnèrent Rosée et Florennes, pendant le bombarde-
ment de Charlemont, et trouvèrent en rentrant, le ier septembre, leurs maisons
pillées et prodigieusement souillées. Une maison avait été incendiée. Deux vieillards,
Jean-Baptiste Cotiaux et Jules Caussin, et quelques hommes, qui n'avaient pas
quitté leurs maisons, passèrent ces journées dans la terreur, molestés et menacés
de mort par leurs féroces gardiens.
§4. — Soulme.
Sans les instantes supplications de quelques habitants restés à Soulme,
le village eût été détruit par le feu : il était condamné et l'ordre de brûler
fut donné le 25 août. Les Allemands se montrèrent sans doute vexés de
ce que l'artillerie française, qui avait occupé le 24 août la localité,
avait tiré dans la direction de la Meuse.
Six civils furent massacrés sur le territoire de la commune.
Nous annexons deux courts rapports sur les villages voisins de
Gochenée et de Vodelée, où deux maisons furent détruites.
No 6 Des artilleurs d'Arras logèrent à Soulme (1) le 14 août et se dirigèrent
le lendemain sur Onhaye. Un taube survola le village pendant qu'ils défilaient.
Le i5 au soir, il vint 3oo pontonniers.
Les Français en retraite commencèrent à passer le 24 à to heures du matin.
Plusieurs milliers de soldats creusèrent des tranchées. Le 27e régiment d'artillerie
installa une douzaine de canons près de l'église. On croyait engager un combat
contre les Allemands venant de Morville et protéger la retraite des régiments
d'arrière-garde (8e, 1 10e, 148e et 45e). L'avant-garde du XIXe corps allemand passa
en effet, vers 17 heures, à proximité du village et prit la direction de Surice :
quelques éclaireurs d'abord, suivis de troupes en rangs serrés. Les Français les
laissèrent passer sans tirer un coup de fusil, mais leur artillerie était entrée en
action à i3 heures dans la direction de Lenne et d'Hermeton-sur-Meuse (2).
(1) Ce récit a été recueilli de la bouche du curé de la paroisse, M. l'abbé Rifflet, le 16 janvier 1915.
(z) C'était tout au moins la ir6 batterie du 27e d'artillerie, régiment divisionnaire de la s." division, et
peut-être le rr groupe de ce régiment qui avaient pris place entre Gochenée et Soulme. Il est à croire que
l'artillerie française n'a pas aperçu à temps la colonne allemande. Il ne faut pas oublier non plus que le rôle
d'une arrière-garde n'est pas de rechercher le combat, quand sa mission a pris fil, car on ne sait pas en prin-
cipe à quelle force on risque de rester accroché.
i3t
Dans la journée, toute la population avait fui, à l'exception de quelques
personnes : M. et Mllc Rigaux, M. Demareschal et la famille Dubois.
Le 25 août, à 4 heures du matin, des troupes allemandes refluant de Surice
arrivaient à Soulme, pour s'emparer de l'artillerie française, mais celle-ci avait
gagné, dans la nuit, Vodelée et Gimnée. Ces soldats étaient de vrais forcenés, ils
poussaient des hurlements et saccagèrent en un moment tout le village, brisant portes
et fenêtres, pillant les maisons. MM. Dubois, Rigaux et Demareschal durent aider
à charger le butin sur des camions qui furent dirigés sur Matagne.
L'officier qui commandait ces bandits donna l'ordre d'incendier le village : on
les vit, munis de récipients de pétrole et d'essence, allumer plusieurs foyers
d'incendie. Une villageoise, Mme Dubois, se jeta aux genoux de l'officier, deman-
dant grâce. D'abord rebutée, elle insista tellement qu'elle obtint gain de cause : on
éteignit le feu qui avait pris à plusieurs maisons. Déjà la fumée s'échappait des
fenêtres brisées du presbytère : des membres des familles Dubois et Rigaux purent
jeter au dehors les matelas enflammés et empêcher le désastre.
Six civils avaient trouvé la mort à l'arrivée de l'ennemi.
Adolphe LAMBOT, 24 ans, de Florennes, qui retournait chez lui en vélo,
venant de Vireux, muni d'un passeport régulier, fut arrêté sur le côté du village
et fusillé séance tenante.
Trois villageois Ernest MARÉE (fig. 3o), 5o ans, Nestor COGNAUX (fig. 3t),
29 ans et Joseph Dubois, qui étaient à la garde du bétail, s'avancèrent au milieu des
champs pourvoir défiler les troupes. Voyant des cavaliers descendre de cheval et
mettre le genou en terre, en épaulant leur fusil, Joseph Dubois se jeta sur le sol et
s'enfuit en rampant. Ses deux compagnons essuyèrent la fusillade et tombèrent
blessés; puis les cavaliers se précipitèrent sur eux et, malgré leurs supplications,
les achevèrent à coups de crosse et de hachette. On les retrouva la tête fendue.
Jean-François-DésiréGUISLAIN (fig. 12g), 71 ans, échappé de Surice, fut tué à l'orée
du bois de Dave.
Deux inconnus, âgés l'un d'environ 40 ans, l'autre d'environ 25 ans, furent
fusillés le 25 août, près du moulin, au lieu dit « Dorélu » ; on retrouva leurs cadavres
liés ensemble.
Mercredi, 26 août, la plupart des habitants étaient rentrés lorsque, vers
17 heures, le 1 33e saxon occupa le village, jusqu'au lundi suivant. Des batteries de
siège autrichiennes s'installèrent près de la scierie, entre Soulme et Gochenée, et
se préparèrent au bombardement du fort de Charlemont. Celui-ci commença le
samedi et cessa dans la nuit de dimanche à lundi.
Le curé et le bourgmestre furent retenus tout le temps comme otages, au
corps de garde.
Le 27 août à 17 heures, on annonça l'arrivée de chasseurs français, qui firent,
en effet, une courte démonstration dans la direction de Soulme, puis regagnèrent
Charlemont. Craignant une débâcle, les soldats se préparèrent à fusiller les otages,
et ceux-ci croyaient leur fin arrivée, quand un officier décommanda l'exécution.
Samedi 29 août, les habitants durent évacuer le village, pour gagner Merlemont
et Villers-le-Gambon ; ils revinrent le lendemain et les jours suivants. Lorsqu'ils
traversèrent, le 2 septembre, le village de Surice, des cadavres de soldats français
et de femmes gisaient encore sans sépulture.
»32
N° 577. Dans l'après-midi du 24, des uhlans voulurent pénétrer à Gocbenée, mais les
Français, qui occupaient le village — leurs postes les plus avancés ne dépassaient
probablement pas les jardins des deux maisons de « Butia » près de l'ancienne
cure — tirèrent sur ces éclaireurs et en tuèrent deux (1); les autres rebroussèrent
chemin. Pendant l'escarmouche, on entendit les balles siffler dans les rues et les
habitants s'enfuirent vers Doische et Treignes, où les rejoignirent, le lendemain,
les troupes allemandes.
Les*Saxons avaient aussi essayé de passer le 24 août par la ferme des Onches,
mais nous avons raconté ailleurs qu'ils avaient rebroussé chemin.
Des uhlans arrivèrent le 24 août au soir à l'hôtel Dumont, sur l'Hermeton,
entre Gochenée et Soulme.
Le 2,5 de bon matin, des fantassins venant de Morville ou d'Insemont vinrent
camper au-dessus de Soulme.
Ce n'est que dans l'après-midi du 26 que les premiers Allemands occupèrent
le village même : ils venaient de Spontin et appartenaient au 1 33e de réserve. Le
28, le père de l'instituteur fut arrêté et jeté, les mains liées, dans une écurie : on
avait trouvé dans sa grange quelques cartouches abandonnées par les Français. Le
soir, il fut mis en tête des troupes qui partaient vers Givet. Les émotions de cette
arrestation le conduisirent au tombeau.
Le 29, de lourdes pièces de siège, installées au village, entrèrent en action
contre le fort de Charlemont et tirèrent jusqu'au mardi suivant. La population passa
trois nuits dans les bois de Rosée. Au retour, elle trouva les maisons pillées.
N° 578. Le 14 août, à 9 heures, Vodelée reçut avec enthousiasme les artilleurs
français, qui partirent le lendemain à 4 heures.
Dans l'après-midi du 24 août, des Français firent halte pour se ravitailler et
annoncèrent que l'ennemi était proche. S'il ne vint pas le jour même, c'est qu'il fut
repoussé à la carrière du « Rond Tienne », territoire d'Agimont.
Dans la nuit suivante, presque tous les habitants s'enfuirent affolés par les
clameurs qui venaient de Surice.
Le 25 août à 8 heures, une avant-garde de uhlans traversa Vodelée. Elle fut
suivie à 8 h. 3o d'une première colonne, et à 1 3 heures d'une seconde colonne de
soldats appartenant au XIXe corps et venant de Surice. Vexés de trouver le village
abandonné, ils brisèrent portes et fenêtres et pillèrent de nombreuses maisons. Le
feu fut mis chez la veuve Joseph Dossart-Dumont et chez Joseph Bouty-Golinvaux,
ainsi qu'à la grange du bourgmestre, M. Anatole Minet.
Tout le village aurait péri si quelques habitants restés chez eux n'avaient réussi
à parlementer. A 22 heures, les troupes s'étaient éloignées.
Le 27 août à 4 heures, le major Kuchens, du i33e de réserve de Chemnitz,
obligea le curé, M. Sibille, à se lever, à rassembler la population dans l'église et à
lui lire une proclamation sévère.
Le 29, les gens se retirèrent dans des carrières ou gagnèrent la région de
Florennes-Philippeville, jusqu'à la chute du fort de Givet.
(1) L'un d'eux (ut inhumé au bois de La Croisette, l'autre près du bois Plantet. Les chevaux qu'ils
montaient tombèrent à 5oo mètres de distance l'un de l'autre; on retrouva près d'un cheval les restes d'un
petit (eu de papier, comme si le cavalier, d'abord blessé, avait eu le temps de brûler les documents qu'il portait.
i33
§ 5. — Gimnée.
A Gimnée, ni massacres, ni incendies ; mais la population a gardé
le souvenir d'une scène atroce. Dans la nuit du 26 au 27 août, l'église
illuminée se signalait comme un phare au fort de Givet, qui se mit à la
bombarder. Or les Allemands, dans un sentiment d'inexplicable cruauté,
y avaient enfermé tous les hommes! Ils passèrent une nuit horrible,
tandis que les obus sifflaient autour d'eux; ils n'attendaient que le
moment où ils seraient écrasés sous les décombres de l'édifice. Le récit
de ces faits a été obtenu, en 1915, de M, l'abbé Bouchât, curé à Gimnée.
Les faits concernant Doische — où fut massacré un pauvre sourd-
muet — et Vaucelles sont consignés dans les rapports nos 58o et 58 1.
N° 579. Le 20 août, un convoi de ravitaillement et de munitions de l'armée française
campa à Gimnée. Le i3 fut une journée de fièvre; des gens venant des régions
envahies fuyaient devant les barbares et nous criaient leur horreur. Le 24 au
matin, des soldats de la garnison de Namur arrivèrent, noirs de poussière et
harassés de fatigue, se dirigeant vers Mariembourg et Couvin. Le soir, on vit
refluer des troupes françaises qui arrivaient de Surice et Romedenne; elles
passèrent la nuit au village, pour prendre un peu de repos. Vers 20 heures, on vit
des flammes jaillir de Surice et de Romedenne. Durant toute la nuit, les gens se
tinrent prêts à partir à la moindre alerte. La fuite s'acheva le 25, vers 4 heures du
matin, « Sauvez-vous, criait un officier français en parcourant le village, les
Allemands mettent tout à feu et à sang! » Une douzaine de civils, dont le bourg-
mestre, restèrent chez eux
Le 25 août à 8 heures, on vit venir les uhlans, bientôt suivis du gros des
troupes. A midi le village était rempli d'artillerie. La journée se passa sans autres
incidents que des bris de portes et de fenêtres et des faits de pillage. A la soirée,
les habitants qui avaient fui dans les environs, apprenant que les soldats s'abste-
naient de violences graves, revinrent peu à peu et assistèrent au départ des troupes
qui s'en allaient, en chantant victoire, à la poursuite des Français. Ils veillèrent
pendant toute la nuit suivante, Surice et Romedenne achevaient de se consumer et
formaient encore deux immenses brasiers. On redoutait le même sort, car des
officiers avaient dit que Gimnée serait brûlé.
La matinée du 26 août fut calme. Vers 20 heures, la tranquillité cessa
subitement, pour faire place à la terreur et à l'effroi. En quelques minutes, le
village fut cerné et de nouvelles troupes l'envahirent à l'instar de bêtes féroces,
défonçant les portes et les fenêtres à coups de hache, chassant les gens des
maisons, rangeant les hommes le long des murs, comme pour les fusiller. Bientôt
on mena les hommes — villageois et étrangers, au nombre de plus de quatre cents
— dans l'église paroissiale. Les soldats firent allumer les lampes et tout le
luminaire disponible. Il était 23 heures et l'église était illuminée comme pour la
messe de minuit, au jour de la Noël, lorsque retentit soudain, dans le silence de la
i 34
nuit, le fracas d'un obus qui venait d'éclater dans les environs. Le fort de Charle-
mont prenait comme objectif l'édifice éclatant de lumière. Alors ce fut une panique
épouvantable. On s'étendit en dessous des bancs, le long des murailles et dans les
coins. Tout le monde tremblait, priait, se préparait à la mort. Le point semblait bien
repéré et on n'en pouvait clouter, l'édifice allait s'écrouler, ensevelissant la foule
sous les ruines. Fuir était impossible, car des sentinelles, l'arme au poing, veillaient.
L'émoi s'accrut quand, du jubé, des soldats se mirent à tirer des coups de feu.
Enfin, ils firent éteindre les lumières. Mais le bombardement se poursuivit encore
pendant quelque temps, jusqu'à ce que, a-t-on dit, un habitant de Vaucelles eut
prévenu le commandant du fort de Givet. Plus de vingt obus vinrent, en sifflant,
s'écraser aux alentours de l'église.
Le lendemain, nouvel émoi. Le bruit s'était répandu qu'on précéderait les
troupes à l'attaque du fort de Givet. De profondes tranchées avaient été creusées à
l'est, le cimetière avait été converti en forteresse, des réseaux de fils de fer étaient
tendus de tous côtés.
Après avoir passé dans ce lamentable état deux jours et deux nuits, les hommes
furent libérés. Ils avaient vieilli de plusieurs années.
Le vendredi à midi, il fallut partir pour Matagne, Merlemont et Sautour,
jusqu'au 1er septembre.
Quand les habitants revinrent, après la chute de Givet, ils trouvèrent les
maisons saccagées. A l'église, les soldats avaUnt dormi dans les ornements sacer-
dotaux, et utilisé les linges d'autel pour nettoyer leurs armes. Douze otages
passèrent encore la nuit à l'église et accompagnèrent les troupes, le lendemain,
dans la direction de Mazée.
N° 58o. Doische est situé à cinq kilomètres de Givet.
Quatre uhlans se présentèrent le 28 août à 10 heures, venant de Gimnée. En
l'absence du bourgmestre, le curé, M. Pirmez, alla à leur rencontre. A 14 heures,
une douzaine d'autres éclaireurs, venus aussi de Gimnée, se dirigèrent vers Foische
(France). A 19 heures, plusieurs compagnies ayant avec elles de l'artillerie vinrent
prendre position, en vue de l'attaque de Givet.
Le 29 août, à 4 heures du matin, le bourgmestre fut requis de porter de maison
en maison l'ordre d'évacuation. Celle-ci dura jusqu'au ter septembre.
Un pauvre sourd-muet, Joseph DUMONCEAU, 44 ans, né à Opont, occupé à la
ferme d'Hector Anceau, était resté à Doische. Quand les réservistes saxons entrèrent
à la ferme, ils le harcelèrent de questions. Comme le malheureux ne répondait pas,
ils le rouèrent de coups, le poussèrent brutalement au dehors et le fusillèrent en
face de l'église, où il resta sans sépulture jusqu'au retour des habitants.
Quand ceux-ci revinrent, le 2 septembre, les maisons étaient pillées et souillées,
le linge emporté ou détérioré, les meubles enlevés. Au presbytère, les soldats
avaient pris la coupe d'un calice et une pièce d'un riche ostensoir, ils avaient brisé
le reliquaire de saint Georges.
Cinquante personnes avaient gagné la France et ne revinrent qu'après
l'armistice.
En regagnant sa paroisse le 1er septembre, le curé fut arrêté à Vodecée, conduit
à Rosée et à Dinant, où il réussit à obtenir un passeport de libération.
i35
En ces journées, des troupes allemandes passèrent à Gimnée et à Niverlée, mais
elles n'osèrent pénétrer à Vaucelles, que protégeait Charlemont. Ce n'est que le
samedi 29 août, à 2 heures du matin, qu'une colonne d'infanterie, précédée d'un
piquet de cavalerie, se répandit dans le village. Les soldats envahirent tout, non
sans effrayer les habitants par le récit de leurs exploits à Spontin et à Dinant.
« Moi, pastor Spontin, pan! », disait l'un d'eux à l'instituteur, M. Maistriaux.
« Fouî! la belle Dinant, kapout! », criait un autre. A 10 heures, un officier donna
l'ordre d'évacuer le village. On se rendit à Mazée, à Treignes, à Matagne et à
Vil!ers~le-Gambon; et lorsqu'on revint, le mercredi suivant, on constata qu'aucune
maison n'avait échappé au vandalisme de ces féroces saxons. Des soldats parcou-
raient plaisamment les rues affublés des soutanes du desservant.
II. — L'avance du XIIe corps.
Le XIIe corps actif (général von Eisa) (1), IIIe armée allemande,
atteignit la Meuse au matin du 23 août. « Sous la protection du feu
de l'artillerie, écrit le général von Hausen, le XIIe corps avança sa
32e division sur Houx et sa 23e division sur Dinant (2). » «La 32e division,
écrit-il ensuite, réussit à prendre pied à Leffe et la 23e aux Rivages, avec
de faibles sections (3). »
C'est plutôt dans la région de Houx-Leffe que la 32e division avait
atteint la vallée. Le 178e était arrivé le premier à Leffe, s'avançant à la
fois par les hauteurs et par le ravin dans lequel est situé le populeux
faubourg ; c'est l'auteur des monstrueux massacres qui ensanglantèrent
cette paroisse. Le io3e quitta Lisogne à 16 h- 3o et vint prêter main-forte
au 178e : on le retrouve déjà à Bouvignes à 17 h. 3o, tuant les civils qui
paraissent dans les rues. Quant aux 102e et 177e, qui avaient combattu
du côté de Houx, ils arrivèrent à Leffe à 22 heures; le 177e y fusilla
encore des civils en pleine nuit et le 102e s'y distingua par le massacre
de deux religieux Prémontrés.
Ces régiments passèrent la Meuse au pont de Leffe et se dirigèrent
sur Rostenne, Sommière, Weillen, Falaën, Morville, Rosée.
La 23e division envahit la ville même de Dinant. Le to8e et le 182e,
descendus dès 7 heures du matin par la rue Saint-Jacques, versèrent le
sang des civils à la ferme de Malaise, à la rue des Tanneries et dans de
nombreux massacres isolés du quartier Saint-Pierre. Le sinistre 100e qui,
(1) Voir tome IV, p. 12 et 81.
(2) Von Hausbn, Erinnerungen, o. c, p. 126.
'3) Ibid. , p. i3o.
t36
dès 6 heures du matin, dévalait en ville par la Montagne de la Croix et
commençait la chasse à l'homme dans le faubourg Saint-Nicolas, et
te 101e, arrivé aux premières heures de l'après-midi par la route du
Froidvau, sont les régiments dont les noms resteront attachés aux
massacres du mur Tschoffen, du rocher Bayard et de l'aqueduc deNeffe.
Les régiments 108e et 182e passèrent la Meuse au pont de Leffe,
les 100e et 101e la traversèrent aux Rivages; ils rejoignirent la 32e division
à Rosée, par la route d'Onhaye, Gérin, Anthée (1). A partir de Rosée,
leur itinéraire fut commun (2).
Que fallait-il attendre de troupes qui s'étaient fait ainsi la main à
tous les crimes? Telles elles avaient été à Dînant, telles elles furent dans
l'Entre-Sambre-et-Meuse. Relevons entre autres que le 100e et le io3e
ont saccagé Franchimont, le 100e, le'ioi6 et le 102e Villers-en-Fagne ;
le 108e et le 182e se sont distingués à Onhaye, à Flavion, à Couvin et y
ont massacré l'abbé Gilles; le 178e est l'auteur de la tuerie de Flun. Tous
ont leur part dans les destructions et les meurtres que nous allons relever
presque à chaque pas : à Sommière. à Weillen, à Onhaye, à Anthée, à
Morville, à Rosée, à Villers-le-Gambon, à Nismes, à Petigny...
Von Hausen écrit que, arrivant, le 25 au soir, au château de Merle-
mont (voir fig. 58), « il apprit que les troupes, dans le courant de la
journée, n'avaient pas seulement eu à briser la résistance d'arrière-gardes
françaises, notamment à Samart, à Villers-en-Fagne et à Mariembourg,
mais qu'elles avaient aussi eu fort à souffrir de l'hostilité de la population
civile. En maint endroit, les habitants étaient sortis des maisons,
combattant et soutenant les Français; mais, de préférence, ils laissaient
les Allemands traverser tranquillement une localité et ils s'attaquaient
alors de façon sournoise et par derrière aux Etats-Majors, aux trains
d'arrière et même aux transports de blessés (3) ».
C'est ainsi qu'un chef d'armée allemande écrit l'histoire! Il était là.
en tête de ses troupes, et il a pu se rendre compte par lui-même que,
partout, devant lui, les habitants avaient fui. Que pouvaient donc faire
quelques vieillards, quelques infirmes, contre des troupes nombreuses
et exercées !
(t) Bien que les villages d'Onhaye, Gérin et Anthée se trouvent sur l'itinéraire du XIIP corps, nous avons
été amenés à traiter ailleurs leur histoire. La première de ces localités intéresse le XIXe corps, qui y a soutenu
le combat du 23 août, et les deux dernières ont aussi été traversées par la 24e division de réserve.
(2) A consulter sur cet itinéraire : von Hausen, Erinnerungen, o. c, p. 16; Die Schlachien und Gefecble,
p. 16 ; de Dampierre, Carnels de route, o. c, p. 27 ; Les Violai ions, o. c, p. 89 et 114.
(3) 'Erinnerungen, p. 145.
i37
i . — oommiere.
Ce village, situé au sommet du plateau qui domine Bouvignes, fut
violemment bombardé le 23 août et la population s'enfuit, à l'exception
d'une femme et de trois hommes, dont un fut tué le lendemain.
L'ennemi arriva le 24 août de bon matin. A en croire un témoin
allemand qui est passé à Sommière, « le 178e régiment avait déjà fait
une marche de nuit sur la hauteur, par une route en lacets, vers
Rostenne (t) » où il arriva à 5 heures. Il ajoute que, de Sommière, le
178e « fit un grand crochet en quittant la route de Philippeville, pour
gagner Morville par Weillen et Falaën ». Arrivé à Morville le 24 à
22 heures, il en partit le 25 à 9 heures pour gagner Rosée (2).
Le rapport que nous faisons suivre est du curé de Sommière,
M. l'abbé Gilles.
N° 582. Du t5 au a3 août, le village fut occupé par plusieurs milliers de Français, du
pays de Saint-Omer, qui ont laissé d'excellents souvenirs. Le capitaine About, com-
mandant la 11e compagnie du 8e d'infanterie, occupa le presbytère. Les troupes et
l'artillerie s'installèrent dans les fermes voisines de l'église, creusant des tranchées
aux abords du village et surveillant l'activité de l'ennemi. Presque tous les soldats
s'approchèrent des sacrements, bien qu'ils l'eussent déjà fait avant de quitter la
France. Le i5 août, la grand'messe fut troublée par le son, tout proche, du canon
et, à la sortie de l'office, vers 1 1 h Zo, un officier nous prévint que le village allait
être bombardé. Beaucoup de familles partirent aussitôt pour Weillen, Falaën et
Sosoye. Le curé se rendit jusqu'au lendemain à la ferme d'Hontoir.
Le 23 août, le canon commença à gronder à 6 heures. On apercevait au-dessus
des lignes allemandes un ballon captif. Une messe basse fut dite à 7 h. 3o et suivie
par une vingtaine de personnes. A l'évangile, on vint crier que des obus allemands
tombaient dans le village, venant de Gemmechenne, qui n'est guère distant à vol
d'oiseau que de deux kilomètres; alors les derniers habitants, affolés déjà par les
incendies qu'ils avaient aperçus sur l'autre rive, s'enfuirent; le curé emporta le
Saint-Sacrement et se rendit à la ferme de Ftrout (Weillen).
Dix-huit obus tombèrent autour de l'église et la tour fut atteinte à 9 h. Zo. Ce
sont des obus qui mirent le feu à la ferme d'Alexis Gérard, à Rostenne, et à l'étable
de la ferme Bouchât, à côté de l'église.
Le 27e d'artillerie français riposta de la drève des fermes d'Hontoir, de
16 à 18 heures.
Trois hommes et une femme (3) restaient au village quand le 178e y pénétra
dans la matinée du 24 août, en poussant des cris sauvages, qui les glacèrent
(1) De Dampierre, Carne/s de roule, o. c, p. 24.
(2) Ibid. , p. 26-27.
(3) Joseph Rolin, Désiré Dave, Désiré Deleuse et Mathilde Jacquet, épouse Ferdinand Pierre.
i38
d'effroi. Les maisons furent pillées; les chevaux, le bétail, la volaille furent enlevés
des étables. Treize chevaux furent pris, notamment à la ferme Jules Bouchât.
La porte de l'église fut fracturée, les troncs violés, les bijoux de la statue de la
Vierge enlevés.
Désiré DELEUSE (fig. 46), 62. ans, ancien garde-champêtre et sous-officier de
l'armée, fut tué le 2.5 à 10 heures, dans les circonstances suivantes. Des soldats
lui demandèrent de leur renseigner, sur une carte, le chemin de Weillen. Comme
il le leur indiquait, ajoutant quelques explications, ils se saisirent brusquement de
lui et le fusillèrent dans la cour de sa maison, à laquelle ils mirent ensuite le feu.
Cinq autres habitants furent fusillés à Flun, dans une métairie située sur la
route de Falaën à Weillen (voir rapport n° 584 et planche n° 4) (fig. 43 à 49,
53 et 54).
Le drapeau national qui flottait à la tour de l'église fut abattu à coups de fusil
et brûlé dans une écurie voisine.
La terreur continuait à régner. Quelques hommes qui avaient voulu revenir
furent mis au mur et on ne sait comment ils eurent la vie sauve; ils durent pendant
des journées donner à boire aux hommes et aux chevaux.
Environ joo prisonniers, belges et français, venant de Bioul, passèrent à
Sommière le 25 août.
Cependant les soldats recherchaient activement le curé. Prévenu à temps,
celui-ci revêtit des habits civils et s'abrita d'abord à la ferme de Stroul, puis au
presbytère de Falaën. Un mois se passa avant qu'il pût reprendre ses fonctions
sans danger.
§ 2. _ Weillen.
Le 23 août, pendant la messe de 10 heures, un cri retentit : « Ils
ont passé la Meuse ! » Les assistants se précipitèrent au dehors et toute
la population s'enfuit.
Il restait quelques personnes seulement dans les maisons quand
l'ennemi parut, le 24 août, à 6 heures du matin.
Le village fut pillé (1) ; une maison fut incendiée (rapport n° 583).
Un horrible drame se déroula à Flun, sur le chemin de Falaën, le
24 août à 14 h. 3o. Cinq personnes de Sommière qui s'y étaient réfugiées
dans la ferme d'Olivier Mathieu, y furent massacrées, avec le propriétaire
et son fils, par les éclaireurs qui précédaient le 178e (rapport n° 584 et
fig. 43 à 49, 53 et 54).
(1) Le sou.i-officier Hugo Hoppert, de la 3e batt. du 2r/ rég. d'art, de camp, du XIIe corps de réserve,
prisonnier de guerre, a déposé ce qui suit. « Le 25 août, nous arrivâmes à 4 h. i5 du matin à Weillen. La cure
et l'école furent pillées, parce que le curé avait promis 20 mks par tête d'Allemand. Il {ut pendu. » Allusion aux
accusations proférées contre le curé de Dorinne, jugé à Weillen. Cf. tome IV, p. 137. "Direction du Contentieux
ei de la Justice Militaire, à Paris, dossier io55.
t3ç
Le i5 août au matin, écrit M. Joseph Aneuse, de Weillen, dès avant 3 heures,
arrivent des troupes françaises, le 8e d'infanterie et le 27e d'artillerie qui, après une
longue marche de nuit, vont prendre part à la bataille de Dinant. Placés immédia-
tement à l'arrière du front de combat, nous passons une journée très mouvementée.
A un moment donné, un détachement se fortifie à l'est du village, sur la route
Onhaye-Sommière, tandis qu'un autre s'établit au nord-ouest, sur la hauteur du
Liez, qui domine Weillen. La population est, en même temps, avertie de se tenir
prête à évacuer le village. Un peu plus tard, le 6e escadron du 6e chasseurs, qui
restait ici en réserve, part pour Dinant, et l'ambulance n° 4 de la 2e division du
t€r corps se retire dans la direction de Florennes.
A l'heure même où les habitants ont commencé à fuir, nous apprenons le recul
de l'ennemi, la reprise de la citadelle et la victoire des troupes françaises.
Comme les voitures d'ambulance ne doivent arriver qu'à la soirée, des
villageois se rendent sur le champ de bataille avec des chariots de ferme, pour
relever les blessés. Je les accompagne. Sur les hauteurs qui dominent la rive
gauche, le château de Meez et la ferme Cézaire achèvent de se consumer. A cet
endroit, environ yo Français sont tués. Les blessés sont très nombreux; nous les
ramenons à l'ambulance installée au château du baron de Giey, à Weillen. Huit
d'entre eux y moururent les jours suivants, un adjudant, six soldats du 8e, un soldat
inconnu du 73e; ils furent enterrés au cimetière paroissial (t).
Pendant la semaine du 16 au 23 août, les paysans se remettent aux travaux des
champs, persuadés que l'ennemi ne passera pas la Meuse. Les troupes françaises
les édifièrent profondément par leur assiduité aux offices de l'église et par leurs
communions fréquentes.
Samedi 22, le canon se fait entendre de nouveau. Dès le matin du 23, la
bataille fait rage. Toutes les troupes de réserve sont parties vers la Meuse.
Pendant la grand'messe de io heures, on crie tout-à-coup du dehors de l'église :
« Les Allemands sont passés! » Alors c'est la panique. La foule se précipite au
dehors. Déjà des fuyards passent en courant et des blessés reviennent du champ de
bataille. A midi, une batterie s'installe aux abords du village, sur le « tienne
d'Onhaye » et ouvre le feu dans la direction d'Hastière. Une heure plus tard, des
mitrailleuses s'établissent au même endroit. Des groupes se forment et prennent des
directions diverses.
Par la route de la gare arrivent bientôt des gardes-civiques et des soldats
belges. Tous ces éléments se mêlent et prennent la direction de Rosée, par
Flavion. La foule grossit à chaque croisement de route, formant bientôt une cohue
indéfinissable, qui se continuera sur tous les chemins de l'Entre-Sambre-et-Meuse
pendant les jours de la retraite.
Auprès de « Belle-Vue », des soldats français dispersés parmi les civils tirent
individuellement sur un taube allemand qui passe et repasse au-dessus de nos
têtes. Plus loin, nous rencontrons un détachement d'une centaine d'hommes qu'un
officier a groupés et qu'il dirige sur Weillen, dans le but d'entreprendre la défense
(1) Voici leurs noms : Alphonse Busin, adjudant au 8e; Ernest Egels, Henri Wiels, Victor Brebion,
Robert Maze, François Leroy et Lucien Delattre, soldats du 8°. Ils [urent transférés en 1916 à Anhée.
140
à outrance du village. Il y renonça, M. le curé lui ayant objecté qu'un combat
isolé en cet endroit causerait la destruction du village, sans aboutir à un résultat
certain.
Durant la nuit suivante, nous contemplons avec effroi la chaîne de feu qui se
développe le long de la Meuse et de la Sambre, d'Hastière à Namur et de Namur
à Charleroi.
Le 24 août à 6 heures, l'ennemi entre au village et commence par dévaliser
le château. Il se montre grossier, exigeant, cruel, envers les quelques habitants
restés dans leurs maisons ou surpris après leur retour. C'est ainsi que Gustave Petit
et son épouse, qui ont passé la nuit dans les bois et viennent de rentrer, sont arrêtés
vers u heures, avec la famille Storm, d'Onhaye, et celle d'Adelin Côme; les
hommes sont emmenés sur la route de Sommière, où ils restent trois heures à côté
d'un prisonnier français attaché à un arbre, puis vers Flavion; ils finissent par
obtenir un passeport de libération. Paul Mathieu, qui est revenu pour soigner son
bétail, doit accompagner les Allemands pendant deux jours entiers et leur
procurer tout ce dont ils ont besoin ; le mardi soir, en rentrant chez lui, il tombe
exténué et meurt.
A 14 h. 3o, se déroule à Flun le massacre qui fait l'objet du rapport n° 584.
Le 26 août, le bourgmestre, M. Louis Waha, est fait prisonnier à son tour et
enfermé pendant quatre jours, sans nourriture, dans une annexe du château,
menacé à tout moment de la mort. De là, il voit les soldats se promener affublés de
chasubles et d'ornements sacerdotaux, et s'acharner à briser des crucifix et des
emblèmes religieux. Le curé, qui a eu la prudence de revêtir les habits civils, est
activement recherché. On n'entend que ces mots : « Où est le Pastor? Pastor
Kapout ! »
A mesure que les habitants reviennent, ils trouvent les maisons bouleversées,
les meubles brisés ou emportés. Tout est couvert d'ordures. Le presbytère et la
maison des Religieuses ont particulièrement souffert : portes, rampes, tables, lits,
meubles, tout est brisé ou défoncé; mobilier, vaisselle et bibliothèque sont jetés
dans le jardin. Un grand Christ a la tête brisée, des ornements d'église sont foulés
aux pieds.
A l'église, le désordre est grand : le tabernacle du maître-autel est ouvert; le
coffre-fort placé derrière l'autel porte des traces d'effraction, les soldats emportent
un calice et un reliquaire. Les linges d'autel servent à envelopper des quartiers
de viande. Le jubé est couvert d'immondices.
Dans les écoles, les images de nos Souverains sont brisét s, piétinées. Les
encriers sont jetés violemment contre les murs.
A plusieurs reprises le village est menacé d'être incendié. Parmi les habitants
qui sont demeurés dans leurs maisons ou y sont revenus, il n'est personne qui n'ait
enduré de grandes souffrances, morales et physiques.
On relève la présence à Weillen en ces journées de la 24e col. de munitions
de réserve, du i3e chasseurs de réserve, du 104e d'inf., de la 4e col. de munitions
d'artillerie de réserve et de la 2e batt. du 24e rég. d'art, de camp, de réserve.
VICTIMES DES MASSACRES DE FLUN, DE VILLERS-LE-G AMBON, DE VODECÉE ET DE VILLERS-EN-FAGNE
Fig. 43. — Henri PIRLOT, 47 ans
massacré à la ferme de Flun.
F'g- 44-
Olivier MATHIEU, 52 ans
père de Gaston, blessé et carbonisé
à la ferme de Flun.
Fig. 45. — Gaston MATHIEU, 25 ans
tué à la ferme de Flun.
Fig. 46.
Désiré DELEUZE, 62 ans
fusillé à Sommière.
F'g- 47-
Valentin MATHIEU, 29 ans
carbonisé
à la ferme de Flun.
Fig. 48-
Joseph PIETTE, 20 ans
(à l'âge de 9 ans)
carbonisé à la ferme de Flun.
Fig. 49.
Octave MATHIEU, 54 ans
père de Valentin,
tué à la ferme de Flun.
Fig. 5o. — Nestor WIAME,
46 ans, de Villers~le~Gambon,
tué sur la route de Givet.
Fig. 5 1 . — François PIERRE, 58 ans
Echevin de Vodecée,
y fusillé.
Fig. 52. - Adelin WOïNE, 53 ans
Instituteur à Villers^en-Fagne,
fusillé aux abords du village.
(Photo 1 9 1 5J
Fia-. 53- — Flun.
Corps de logis et grange de la ferme qui fut le théâtre du massacre
(du côté de Falaën).
(Photo 1915)
Fig. 54.
Ferme de Flun et chemin de Weillen.
Phoîo 1 0 1 5)
Fia;. 55. — Anthée.
Maison Barbier, incendiée sur la route de Philippeville,
où urent tués Xavier Delhaye et son épouse.
(Photo 1915)
Fig. 56. — Morville.
Ecoles incendiées des Religieuses de la Providence,
à Lassurance.
(Photo novembre 1914)
p;,, 5-,. — Dourbes. Panorama du village incendié par les troupes du XII corps.
141
Le 24 août, a déposé M. Oger Mathieu, un groupe de personnes de Sommière
qui s'étaient réfugiées à Falaën pendant le bombardement de leur village et qui s'en
retournaient chez eux, s'arrêtèrent dans la métairie nous appartenant, située à Flun,
sur le chemin de Weillen à Falaën (fig. 53 et 54).
Il était 14 h. 3o. Les hommes qui composaient notre groupe étaient assis sur le
seuil de la grange quand douze uhlans arrivèrent près de la ferme. Deux d'entre
eux se détachèrent, dépassèrent la ferme Pirson qui borde la route et se posèrent à
l'autre entrée de la ferme située vers Falaën. Les autres pénétrèrent en courant
dans la cour, par le chemin situé vers Weillen. Mon père et moi, nous allâmes à
leur rencontre, pour leur offrir un rafraîchissement. « Que faites-vous ici? »,
demanda l'un d'eux en français. « Ce sont, répondit mon père, des parents de
Sommière, qui sont ici à cause du bombardement du village. » Le soldat ajouta :
« N'y a-t-il pas de Français? » Tous trois, nous répondîmes : «Non », leur faisant
comprendre qu'ils pouvaient visiter la maison. Pendant ces courtes explications, un
uhlan mettait déjà le feu à une charrée de foin qui se trouvait dans la cour, d'autres
entraient en hurlant, se précipitant vers nous avec leurs baïonnettes et leurs
revolvers. Le premier coup de lance m'était destiné : je l'évitai par un brusque
écart et me glissai derrière la porte de la maison, jusqu'au seuil de la cave, d'où je
pus voir toute la scène. M'ayant manqué, le soldat perça de son deuxième coup mon
cousin Stanislas MILCAMPS, 53 ans, qui mourut sur le champ. Alors commença
la fusillade. Je vis mon oncle, Henri PIRLOT (fig. 43), 47 ans, tomber sur la porte
de la grange, atteint d'un coup de revolver. Mon père, Olivier MATHIEU (fig. 44),
52 ans, blessé lui aussi par une balle, se traîna dans la grange et s'y cacha sous une
voiture : nous l'y retrouvâmes carbonisé, ainsi que Henri Pirlot. Puis je vis mes
deux cousins, Valentin MATHIEU (fig. 47), fils d'Octave Mathieu, 19 ans, et
Joseph PIETTE (fig. 48), 20 ans, entrer en se sauvant dans l'écurie, où ils périrent
carbonisés, sans même avoir été blessés. Les soldats tirèrent aussi sur mon cousin
Octave MATHIEU (fig. 49), 54 ans, et sur mon frère Gaston MATHIEU (fig. 45),
25 ans, qui tombèrent morts sur le seuil de la maison.
De l'entrée de la cave, je rentrai par le corridor dans la maison, et en passant
devant les fenêtres, je faillis être atteint par trois balles tirées du dehors. Je
rejoignis les femmes et les enfants qui se trouvaient à l'intérieur, et tandis que nous
montions à l'étage, nous pûmes examiner ces barbares qui s'amusaient à tirer des
coups pour mettre le feu à la maison, à la grange et même au fumier. Ils contem-
plèrent l'incendie qui faisait rage et lorsqu'ils furent persuadés qu'aucun de nous
n'échapperait à la mort, ils partirent dans la direction de Falaën. Il était grand
temps de fuir, car la fumée allait nous asphyxier. Enjambant les cadavres, nous
pûmes fuir par la porte du jardin et gagner le bois voisin, où nous passâmes la nuit.
§ 3. — Falaën.
Plusieurs patrouilles de cavalerie ennemie sillonnaient déjà les
abords de Falaën dans l'avant-midi du 24 août, ce qui donna lieu à de
multiples rencontres avec les soldats belges et français qui poursuivaient
leur retraite.
i4i
C'est peut-être en guise de représailles que deux soldats, un Belge
et un Français, qui étaient tombés aux mains de l'ennemi, furent froidement
fusillés à la ferme de Bellevue, vers 17 heures, en présence des habitants
terrifiés, ainsi qu'il va être raconté dans le rapport suivant, qui résulte
d'une minutieuse enquête faite auprès des témoins du drame.
N° 585. Le 24 août dès 7 h. 3o du matin, dix uhlans pénétrèrent à Falaën. Jutes Lekeux
les aperçut qui traquaient un soldat français sans armes, venu de Sommière. Quand
ce soldat fut arrivé dans le jardin de la forge, les uhlans tirèrent sur lui et le
blessèrent ; le malheureux put encore se traîner quelques mètres plus loin et fut
achevé d'un coup de revolver par un cavalier descendu de sa monture. De Falaën
les uhlans allèrent à Sosoye, où ils laissèrent plusieurs victimes. Un second soldat
français fut tué à Falaën dans l'avant-midi, près de la maison de Désiré Demanet,
qui l'enterra en même temps que le premier.
De nombreux soldats belges se trouvaient encore à Falaën dans les premières
heures de l'après-midi. Un groupe de quatre-vingts, sous les ordres du lieutenant
Caussin, qui étaient arrivés à la ferme de Bellevue à g heures, purent s'évader à
14 heures et gagner la France. Quatorze autres soldats belges se heurtèrent à des
Allemands vers t5 heures au lieu dit « Boly » ; ils purent fuir à l'exception d'un
seul, Arsène Pirson, de Sommière, qui se cacha derrière une haie, tira sur eux et
y fut tué.
Deux autres soldats belges furent retrouvés tués près du château de Beauchêne.
Vers i5 heures, des cavaliers saxons passèrent à la ferme de Bellevue, et
n'inquiétèrent pas les gens qui s'y trouvaient. Des fantassins (1). un officier
supérieur en tête, s'y présentèrent à 17 heures et expulsèrent la famille du fermier,
à savoir M. Sylvain Navaux père et son fils, M. Dételle, de Fosses, et sa dame née
Navaux ; les frères Amaury et Joseph Hosselet, de Falaën, et deux ouvriers
flamands qui faisaient la moisson. Menés dans un bosquet de sapins, à cinquante
mètres de l'habitation, ils durent se mettre, tour à tour à genoux, puis se relever, etc.,
et crurent leur dernière heure arrivée, car les soldats semblaient vouloir les fusiller.
Quand ce jeu eut duré une demi-heure, on amena un soldat belge en tenue militaire
et sans arme et un soldat français, habillé en civil. Ils venaient, croit-on, de Bioul
et avaient été pris dans le bois de Fayat. Officiers et soldats échangèrent quelques
paroles qui décidèrent de leur sort, puis on leur lia les mains derrière le dos et
dix soldats vinrent se poster devant eux, cinq à genoux et cinq debout. On fit
approcher les membres de la famille Navaux, afin qu'ils vissent de très près la scène
du massacre; puis sur un signal de l'officier, les exécuteurs tirèrent : les deux
victimes s'affaissèrent sans pousser un cri. Les civils terrifiés furent reconduits à la
ferme. Peu de temps après, ils reçurent l'ordre de prendre des outils et d'enterrer
les cadavres. Quand la fosse fut creusée, M.me Dételle les y déposa et les recouvrit
d'un peu de paille, puis on referma la tombe. « C'est moi, dit l'officier, qui ai fait
détruire et fusiller Spontin et Dinant. » Il paraissait pressé de partir et il s'éloigna
(1) Le ioo*" Grenadiers est signalé le 24 août près de Falaën. V. de Dampierre, o. c, p. 27.
t43
avec la troupe. Quelques semaines plus tard, les Allemands remplacèrent la croix
de bois qu'y avait mise le fermier, par une autre croix qui portait l'inscription
suivante (i) : « Ici reposent un soldat français et un soldat belge tués par une
patrouille. » Les cadavres furent exhumés en 1917 et transférés au cimetière de
Mont (2).
§ 4. — Morville.
Dans ce village, où bifurquent les grand'routes de Namur à Givel
et de Dinanl à Philippeville, il passa des troupes considérables : celles
de la 23e et de la 3ze division allemande, se dirigeant vers Rosée; celles
aussi de ta 24e division de réserve, se rendant dans la périphérie de Givet,
pour le siège de cette forteresse (voir p. 128).
Les quelques habitants restés à Morville attestent que ce fut, pendant
plusieurs jours, un enfer, tant était élevé le diapason de la férocité et de
la sauvagerie. Le curé de l'endroit, après avoir été dix fois exposé à la
mort, parvint à être libéré et resta pendant quinze jours caché au fond
des bois, revêtu d'habits civils. Quarante-deux maisons furent incendiées
(voir fig. 56), en dehors de tout combat; deux civils furent tués, dont
un à Surice.
N° 586. Les habitants délaissèrent Morville le 23 août, après le passage de la Meuse
par l'armée allemande. Les Français avaient pris possession du presbytère vers
19 heures et y avaient creusé des meurtrières dans les murs pour y installer des
mitrailleuses.
L'ennemi fit son entrée le 24 août, sans combat, et mit toutes les maisons à sac.
Quarante-deux maisons furent brûlées par pure sauvagerie, dans la journée du
25 août. Le curé de Morville, M. l'abbé Debatty, vit brûler le hameau de
L'Assurance, d'Anthée, où il était retenu prisonnier : vers midi le feu y consumai!
la maison des religieuses (fig. 56), l'école des soeurs, les maisons Braibant, Mottint,
Galand et Jourdain. C'est devant ce brasier que fut fusillé un civil qui n'a pu être
identifié, et dont le corps repose au cimetière d'Anthée. Une disaine de personnes,
dont Lucien Roba, d'Anthée, y furent malmenées à l'extrême et contraintes à rester
devant les flammes, à genoux et les bras en croix, pendant des heures. A 18 heures,
le curé de Morville, emmené vers Rosée avec ses compagnons de captivité, longea
de nouveau son village où la rue principale était en feu. «Vous, curés belges, tous
crapules ! lui disait avec rage l'officier du tooe saxon qui les brutalisait. Vous avez
commandé à vos gens de tirer sur nos soldats! Vous viendrez en promenade avec
(1) Cette mensongère inscription n'a malheureusement pu être conservée.
(2) Il ne nous a pas été possible d'identifier sûrement les deux victimes. On connaît les noms de trois
soldats tombés à Falaën : J.-B. Waegemans, belge, de Turr.hout ; Erveld, belge, i3e de ligne, 24369;
Edouard Alion, français, de Béthune. On croit que les deux Belges en question ont été tués près de Beauchêiie.
144
nous jusque Paris ! Vous nous servirez de sécurité ! » Les incendies se poursuivirent
pendant toute la nuit suivante.
L'église de Morville échappa à l'incendie, mais fut extraordinairement souillée
et pillée. Chaises et bancs, jetés au dehors, furent mis en pièces et brûlés ; la lampe
du Sainte-Sacrement fut brisée, les ornements sacerdotaux lacérés, un calice, les
boîtes des saintes huiles, des coussins d'autel, des livres liturgiques, un costume de
bedeau, des bannières furent enlevés, les nappes et linges d'autel emportés et
déchirés, les troncs fracturés.
Les archives civiles périrent dans l'incendie de la maison communale.
On évaluait, en 1914, les dégâts causés en une journée dans la commune
à 1, zoo, 000 francs.
Hortense DELOBBE, 40 ans, fut tuée sur les escaliers de la cave, d'une balle
en pleine poitrine, tirée de l'extérieur à travers la porte d'entrée. Les meurtriers
s'opposèrent au transfert de la victime au cimetière.
Emile Viscardy, yo ans, fut tué à Surice, en dehors de la fusillade collective
(voir Surice).
Outre les troupes venant d'Anîhée, le 1 33e est passé à Morville.
§ 5. — Flavion.
Les premiers éléments du XIIe corps entrèrent dans Flavion désert
le 24 août à 17 h. 45.
C'est le 108e, 46e brigade, 23e division, qui mit le feu au village le
25 août. On signale aussi la présence, le 26 août, du io3e (32e division).
Les notes qu'on va lire ont été partiellement données, le 2 novem-
bre 1915, par M. l'abbé Lambiotîe, curé de l'endroit au moment des
événements, et complétées ensuite par son successeur, M. l'abbé Mauclet.
|yjo 53.7 L'ambulance établie au château de M. Closon reçut, après le combat du
i5 août, 32.5 blessés du 33e de ligne, dont 75 l'étaient gravement ; il en mourut
quatre (1).
Le 23, le viilage entier s'ébranla vers le sud quand vint le flot de la Basse"
Sambre, que suivit, le lendemain, une partie de l'armée belge coupée à Namur.
Les derniers soldats se heurtèrent à l'armée allemande et neuf d'entre eux furent
tués dans les Bierts (2).
L'avant--garde ennemie pénétra dans Flavion désert le 24 août à 17 h. 45 ; le
gros de l'armée, venant de Sosoye, Falaën et Weillen, vint à 22 heures. Un soldat
français, Ernest Barrant, surpris dans le village, fut traqué chez Antoine François
et se blottit en dessous d'un lit; il y fut tué par des balles tirées de l'étage
(1) Dont Emile Coupart, de Lille, et Albert Ravaux, de Lille.
(2) On connaît les noms de Pierre Noë, de Vi!lers--rÉvêque, du ior, d'Arthur Lemailleux, de Septon, et
de J.-B. Charles, de Jemeppe-sur-Sambre, du ii'; un autre appartenait aux chasseurs. Deux furent inhumés
sur la route d'Ermeton, un aux confins de Falaën, trois au " Fond Susset » et trois sur la route de Falaën.
145
inférieur, à travers le plancher. Les Allemands traînèrent ensuite son cadavre au
dehors et le jetèrent dans le jardin.
Le lendemain à 17 heures, ils mirent le feu à la maison de la veuve Mottint ;
puis le 26 août aux maisons veuve Vassaux-Petit, veuve Collignon et veuve Robe.
On en accuse les troupes du 108e. Le 2.8 août, le feu fut remis au presbytère, mais
il put être éteint Les ornements sacrés qui y avaient été déposés furent retrouvés
lacérés.
§ 6. — Rosée.
Le 101e saxon (23e division) esl entré à Rosée sans combat au soir
du 24 août ; il mit le feu le lendemain dans trois quartiers différents du
village. Les incendies étaient déjà, semble-1-il, terminés quand parut le
178e (32e division), dans l'après-midi du 25 août (t).
Deux habitants du village furent tués à Fagnolles.
Le Livre Blanc a désigné les incendiaires : c'est le train de l'Etat—
Major de la 32e division d'infanterie (rittmeister Heltzer). On reconnaît
dans le rapport de ce dernier (Anlage 38, p. 54) le cliché habituel :
« On a tiré par derrière, au signal donné ; i attaque était préparée » .
Le curé, M. l'abbé Collard, fut déporté en Allemagne et y resta
à la prison d'Ohrdruf jusqu'au 6 octobre (2) ; c'est à son retour
d'Allemagne qu'a été reçu son témoignage, reproduit dans le rapport
qui va suivre.
De Rosée, le XIIe corps se mit en marche au matin du 25 août, la
23e division en tête. Nous savons par le carnet d'un officier saxon du
178e que la 32e division quitta Morville à midi, formant une colonne de
marche de sept kilomètres de longueur. On fit un arrêt d'une demi-heure
à la soirée. A Merlemont, deux civils furent empoignés et relâchés à
Dourbes seulement, où la division arriva le 26 à 5 heures du matin.
Quand elle traversa Villers-en-Fagne, ce village était déjà en feu (3).
Nous annexons un court travail sur Omezée, village qui eut moins
à souffrir de l'invasion.
N° 588. Sur le territoire de 'Rosée se trouve le point culminant de l'Entre^Sambre'-
et-Meuse, à 3i3 mètres d'altitude.
Les Français y arrivèrent le 14 août et organisèrent plusieurs cérémonies
religieuses, très impressionnantes par le nombre des soldats qui y assistèrent, autant
que par leur ferveur dans la prière et dans les chants.
(1) De Dampierre, Carnets de route, o. c, p. 28. Des bons relevés à Rosée accusent le passage du 1780
et aussi du 38 bataillon du io6p de réserve, XIIe corps de réserve,
(i) Cf. à son sujet Van Langbnhove, Comment naît un cycle de légendes. Paris, Payot, p. 46.
(i) De Dampierhe, Carnets de roule, p. 27.
10
»46
La population, affolée par la retraite des troupes et des civils le 23 août, s'enfuit
le lendemain de grand matin, à l'exception de quelques vieillards, d'une famille
voisine de l'église et du personnel du presbytère. Des blessés français soignés dans
la première maison du village craignaient d'être achevés : je leur promis de
me trouver auprès d'eux au moment de l'arrivée de l'ennemi et d'aller à sa
rencontre.
Au soir, quand les premiers Allemands, une douzaine de uhlans, arrivèrent au
galop de leurs chevaux, je me plaçai devant eux les bras levés, et leur dis quelques
mots en allemand. Ils n'inquiétèrent pas les blessés. Un colonel et un capitaine
soupèrent au presbytère, et me demandèrent « si les gens n'étaient pas cachés dans
les caves pour tirer ». Comme je les rassurais, ils ripostèrent « qu'on disait la
même chose à Dinant et qu'ils avaient vu une jeune fille tirer sur un de leurs
officiers ». Ils rentrèrent à minuit, se faisant accompagner d'une quinzaine de
grenadiers.
Le 2.5 dans la matinée, les soldats se mirent à piller les maisons et à en incen-
dier quinze. Une veuve, fort âgée, qui habitait « les ruelles », à l'est du village, et
était revenue de bon matin, fut témoin de l'incendie de huit maisons de ce
quartier (i). Le pillage étant terminé, les soldats tiraient des coups de feu sur les
toits des maisons, qui bientôt prenaient feu. La dame éloigna sa vache, puis s'assit
sur le seuil de sa demeure en pleurant; elle les supplia comme elle put d' « avoir
pitié d'une pauvre femme qui n'avait fait de mal à personne ». Comme les soudards
répondaient « qu'ils avaient reçu des ordres », elle se mit à pleurer de plus belle.
Un officier mandé aussitôt lui dit : « On a tué nos frères, nos amis, nos camarades.
Nous devons venger nos morts. Les bons pâtiront pour les mauvais ». Il lui
permit d'emmener un veau et quelques vêtements, puis il mit le feu à la modeste
habitation.
Trois maisons situées sur la route de Philippeville avaient été touchées le
24 août au soir par des obus, qui y avaient mis le feu. Deux maisons voisines, dont
le local du patronage, furent encore incendiées, sans motif, dans l'après-midi du
mardi (2).
Enfin, le même jour à 14 heures, on vit des soldats tirer dans les toitures de
deux belles habitations voisines de l'église, qui furent bientôt consumées (3).
Une centaine de civils, rencontrés pendant la journée, furent emprisonnés à la
ferme du bourgmestre. J'y fus mené aussi le soir, avec les religieuses, que j'avais
reconduites chez elles.
Mercredi 26 vers 1 1 heures, des officiers supérieurs me demandèrent dans la
cour de la ferme. « On avait tué à Rosée un officier (4) et le meurtrier était
probablement un villageois ; les curés étaient la cause que les soldats allemands
(1) Maisons veuve Honoré André, Léon Collinet, Joseph Riffont, Albert Denis, Léandre Dubois, Benoni
Gilliard, Dumont (rères et sœurs, Emile Cléda.
(a) Maisons Félicien Riffont, Alexis Posset, Léopold Achez (occupée par Céline Fécherolle), Edouart Hubot
et le patronage.
(3) Maisons Zéphyr Gillain et Léon Moriamé.
(4) Une enquête fut faite sur place par l'ennemi en juillet 1915. L'officier tué s'appelait, dit-on, le capi-
taine von Eisa, fils d'un général qui se trouvait à Laon. Les recherches restèrent sans résultat.
>47
étaient attaqués par les civils; ils avaient une grande influence sur le peuple; pour
cela je serais déporté en Allemagne ». Conduit dans une salle voisine, où se
trouvaient deux officiers belges prisonniers, j'en sortis à t3 heures. « Le chariot
était prêt, me dit-on, il fallait partir. » Je ne fus pas autorisé à faire mes adieux à
ma famille et je dus avant le départ haranguer les prisonniers, leur recommandant
le calme, dont ma vie dépendait. Puis je partis pour Dinant, accompagné d'officiers,
d'ambulanciers et de quelques blessés montés avec moi sur le chariot; quant aux
soldats non blessés, ils suivaient à pied.
A Dinant, un capitaine me laissa entendre que je serais libéré le lendemain ;
mais jeudi 27, je dus suivre la colonne, qui gagnait Leignon, Marche et Melreux.
Là, on m'avait déclaré, de rechef, que je n'irais pas plus loin, lorsqu'un train
entra en gare : j'y fut poussé en hâte à la suite des prisonniers et nous arrivâmes
samedi à Coblence, puis à Ohrdruf, où je fus mis au cachot.
Pendant tout le voyage, j'avais été copieusement insulté. A la prison, le com-
mandant, baron von Moffling, n'avait reçu aucun dossier à mon sujet. Il me traita
avec beaucoup d'égards. Quant aux subalternes, ils m'appelaient « franc-tireur ou
espion » et me menacèrent souvent de la mort. Je fus bientôt associé à un groupe
de civils de Neufchâteau, qui avaient été déportés comme moi, et je fus rendu à la
liberté le 6 octobre.
Armand ANTOINE, 20 ans, et Joseph GILLAIN, 44 ans, avaient fui et reve-
naient en vélo le 26 au matin, devançant les membres de leur famille, lorsqu'ils
tombèrent entre les mains des Allemands dans les environs de Fagnolle. Le curé et
le bourgmestre de cette localité les aperçurent, ainsi qu'un troisième civil dont on
ignore le nom, couchés par terre, les mains liées derrière le dos, violentés par des
Allemands aux allures sinistres qui leur tenaient le genou sur la poitrine et leur
faisaient subir un interrogatoire. D'après ce qu'ils purent saisir, il était question d'une
convocation de garde civique trouvée sur eux. Vers t5 heures, ils furent emmenés
dans la direction de Mariembourg et on est resté, depuis lors, sans nouvelles à
leur sujet.
Eugène VISÉE, 29 ans, né à Ghlin, garçon d'hôtel chez Adelin Henroteaux, à
l'Hôtel des Voyageurs, à Dinant, avait quitté cette ville le 22 août. Le 2.5 août, il se
trouvait dans les campagnes de Rosée, lorsqu'il fut aperçu par les Allemands qui
passaient sur la grand'route et abattu comme un vulgaire gibier. Enterré d'abord
sur place, les Allemands le transférèrent ensuite dans leur cimetière.
N° 589. Un détachement français — écrit M. l'abbé Genin, curé — passa à Omezée la
nuit du 23 au 24 août. Le 24 dans l'après-midi, d'autres Français, venant de
Morville par les bois, gagnèrent Surice. A tô h. 3o, il en vint encore, par les
campagnes de Soulme, qui engagèrent les habitants à fuir : « Les Allemands avaient,
disaient-ils, fusillé le doyen de Dinant et d'autres prêtres ».
Le 25 août à 4 heures du matin, les derniers civils restés au village, terrifiés
par l'incendie de Surice, se dirigèrent vers Franchimont, sous la conduite de leur
curé, et y arrivèrent au moulin une heure avant les Allemands. Ceux-ci passèrent
à 7 heures, venant de Surice, où ils avaient enlevé un fils du jardinier Debuisson ;
c'étaient des soldats du 101e. Ils obligèrent les gens d'Omezée à donner à boire à
148
leurs chevaux, puis un capitaine remit à M. le curé un passeport collectif (») pour
regagner Omezée, Il ajouta qu'il venait d'incendier le village, parce qu'on avait tiré
de ce côté; en réalité, il avait, à 6 heures, de Lautenne, à une distance d'un kilo-
mètre, bombardé le hameau de « Champelle ». La maison de la veuve Chaltin prit
feu et trois autres maisons furent plus ou moins détériorées par des obus. Ces
troupes passèrent à Franchimont à 7 heures, y enlevèrent Frédéric Delvaux,
d'Omezée, pour le conduire à Merlemont et gagnèrent de là Villers-en-Fagne.
A Omezée même, il passa le 25 août à 6 h, 3o environ 200 cavaliers allemands,
qui contournèrent le village, venant de Soulme et se rendant à Surice. Le même
jour au soir, deux autos traversèrent la localité.
Jules Pirson (fig. 24), 53 ans, fut tué à Franchimont, le 25 août, vers 23 heures;
Clémence Saint-Guillain, veuve Xavier Howet, 47 ans, fut tuée « au Piche », à
Lautenne (Surice), le 26 août à 10 heures: elle était mère de sept enfants, qui sont
orphelins (voir Surice).
Le 28 août, sur l'ordre du commandant de Lautenne, le village fut évacué sur
Florennes, en vue de l'attaque de Charlemont. Ces habitants furent reçus chez les
Frères des Ecoles Chrétiennes. Lorsqu'ils revinrent, après quatre jours, ils
trouvèrent leur village entièrement pillé.
§ 7. — Franchimont.
Elle est particulièrement émouvante l'histoire de Franchimont. Ce
petit village était presque désert quand parurent les premières troupes, le
25 août à 6 h. 3o. Elles passèrent sans s'arrêter; un faible détachement,
laissé sur place, se borna à piller les maisons.
D'autres troupes du XIIe corps, excessivement sauvages, arrivèrent
à 20 h. 3o et mirent le feu au village : cinquante-deux maisons, sur 83,
furent détruites. Quatre civils furent massacrés. Une trentaine de civils, dont
beaucoup d'étrangers, furent faits prisonniers; les soldats du to3e infli-
gèrent un vrai martyre à onze d'entre eux, et surtout à Emile Demeuldre,
un brave jeune homme qui fut finalement assassiné par deux officiers,
par pur plaisir de répandre le sang humain. On signale aussi la présence
dans le village, aux heures des massacres, du 48e d'artillerie.
Le précis et intéressant rapport qu'on va lire est extrait des notes
qu'a écrites, sous l'occupation, le curé de l'endroit, M. l'abbé Patron, et
qu'on trouve consignées dans un registre de la fabrique d'église.
(1) En voici la traduction «Franchimont, 25 août 1919. La commune de Franchimont s'est montrée
pendant le passage des troupes très convenable et secourable. J'ai délivré au curé de la commune, sur sa
demande, cette attestation, afin de le mettre en état de ramener les autres habitants de la localité.
(s) von Zenbau (?), capitaine au 101e régiment (XIIe corps) ».
149
N° 590. La journée du 25 août.
Nous pensions que notre petit village serait préservé des horreurs de la guerre,
séparé qu'il est des grand'routes par des bois, des collines et des vallées profondes ;
mais telle était la multitude envahissante qu'elle eut besoin de tous les chemins.
Les habitants avaient fui le 24 août, entraînés par l'exemple de tant d'étrangers
qui, pendant la journée, avaient, en une lamentable procession, traversé nos rues
sans savoir où ils allaient, poussés en avant les uns par les autres comme les
moutons d'un troupeau. Restaient au village, avec le curé et le garde-champêtre,
quatre hommes et deux femmes pour le haut, trois familles pour le bas, dont deux
quittèrent aussi leurs demeures l'après-midi du 25.
L'ennemi parut le 25. Dès 7 heures, des chemins escarpés de Lautenne, Omezée
et Surice dévalaient des troupes de toutes armes, usant, dans la traversée du village,
des routes les plus étroites, les plus rocailleuses, les plus montueuses. Un contingent
d'environ 3oo hommes bivouaqua dans la terre dénommée « Petite campagne »,
dont le grain déjà mis en gerbes fut livré aux chevaux, piétiné et gaspillé de toute
façon. Ces soldats visitèrent les maisons, brisant les fenêtres et les portes qu'ils
trouvaient fermées, enlevant les boissons, les vivres, surtout les jambons dont, après
leur départ, on retrouva un grand nombre dans les fossés des chemins. Ils firent
surtout de longues stations dans les cabarets, buvant, chantant, dansant, activant
des « harmonica » et des « orgues de barbarie ». Ce qu'on vit dans la suite de
bouteilles vides et de verres brisés!
J'avais dû me rendre de grand matin à Villers-le-Gambon ; quand j'appris que
les Allemands étaient à Franchimont, j'y retournai, et je fus témoin, dès mon
arrivée, du pillage et du sac des maisons. Etant entré dans la cour de l'école, je
rencontrai deux officiers, qui m'accompagnèrent à la cure en disant : « Wein,
Wein! » Je leur servis du vin. « Nous avons tout le monde contre nous, me dit l'un
d'eux, mais nous avons la volonté de vaincre et nous vaincrons tout le monde ! Déjà
Liège tombé, Namur tombé ! »
Le presbytère fut ensuite visité par des bandes de soldats, dignes descendants
des Germains dont César fait le portrait dans ses Commentaires : ils emportèrent
sur leur dos, comme des sacs de blé, des charges de bouteilles; dans la montée,
celles-ci se brisaient et les sacs saignaient abondamment... Abusant de mon igno-
rance de la langue allemande, l'officier Scheppel me remit en tout et pour tout deux
bons, l'un de 5 bouteilles pour la 4e batterie du 48e, l'autre de 8 bouteilles pour la
tre batterie. Une petite réserve que j'avais dissimulée dans les coins et recoins du
presbytère, ainsi que la provision de vin de messe furent découvertes. « Plus de
messe! », me dit en emportant ce dernier, un sergent, digne fils de Luther.
Le soir, les pillards partirent et il vint une autre compagnie, celle qui incendia la
localité(i).lvl.Piret-Leclercq rentrait au village en même temps que ces soldatsy arri-
vaient et leur commandant lui dit : « Inutile d'aller plus loin, nous allons brûler! »
J'avais accueilli au presbytère, pour la nuit, un voisin E. Defoin, et
M. Jules Pirson, d'Omezée, avec sa fille Maria. A peine nous étions-nous retirés
(1) Les incendiaires venaient de Lautennc-Omezée-Surice. Ils n'étaient guère qu'une cinquantaine, affirme
le garde-champêtre du village, et étaient de vrais sauvages-
t5o
pour nous reposer que commencèrent la fusillade et l'incendie du village. Des coups
de feu crépitèrent autour du presbytère, des balles y creusèrent des éclats dans la
pierre. Un coup d'ccil jeté à la hâte par une fenêtre nous fit apercevoir en face, à
quelque deux cents mètres, la grande ferme transformée en une immense fournaise,
d'où jaillissaient d'énormes gerbes de flammes et d'épaisses colonnes de fumée.
Thomas Demeuldre, de Lautenne, qui a été mêlé de si près au drame de
Franchimont, me raconta plus tard comment procédaient les soldats. A la nuit
tombante, il essayait de regagner son village avec sa famille et son attelage
lorsqu'il arriva à Franchimont. Il y avait, me dit-il, des soldats « tout massif ».
Quand il fut à mi-côte d'un chemin escarpé « à la Basse-Voie », des soldats du
haut de la côte tirèrent sur eux, puis accoururent, prirent ses chevaux et les vivres
qu'il emportait et le firent prisonnier avec les siens. Un officier le rudoya, le
bouscula, le frappa d'un fort coup de crosse à la tête et força ce vieillard septua-
génaire à parcourir à la course le village désert en criant : « Villageois, ne tirez
pas! » En face du presbytère, l'officier épaula son fusil et allait tirer ses balles
incendiaires lorsqu'une fenêtre s'éclaira : il laissa alors retomber la crosse du fusil
et ne tira pas. Le tour du village fini, M. Demeuldre fut mené au camp « à la
petite campagne », trébucha dans les fils de fer et reçut de l'officier un coup de
revolver à bout portant, qui lui blessa la cuisse, puis il fut porté sur un tas de
paille, où sa femme vint le rejoindre, puis bientôt après son fils Emile, pour y
être assassiné, comme nous le verrons bientôt.
La vue de l'incendie avait été au presbytère le signal du sauve-qui-peut. L'un
de mes hôtes, Jules PIRSON (fig. 24), 53 ans, qui avait voulu retourner à la ferme
Baudhuin pour ne pas laisser périr ses quatre chevaux dans le feu, fut retrouvé
assassiné dans un étroit sentier; il portait une blessure à la poitrine et la tête
était fendue verticalement au-dessus de la nuque. Sa fille fut emmenée au bivouac,
où les soldats la ligotèrent, ainsi que Marthe Henrard. Quant à moi, je m'enfuis
par l'enclos des poules, je dévalai les pentes du « Pachis du curé » et pareil à une
bête fauve pourchassée, j'allai me blottir immobile, soufflant de chaud, dans les
buissons du fond. M. Defoin était à côté de moi, sans me voir, ni m'entendre.
Je n'avais pas en vue le village, mais le feu devait faire rage et l'incendie se
propager, car le ciel étoile était tout assombri par des nuages de fumée se poussant
et se succédant sans cesse. A travers le feuillage des grands arbres qui me
couvraient, une pluie de flammèches et d'étincelles tombait tout autour de moi et
jusque sur mes vêtements. Une odeur de paille, de foin et de bois brûlés emplissait
l'air. Dans la clarté de l'incendie, je voyais seulement s'élever la masse de l'église
et du clocher, et les fenêtres étincelaient d'un sinistre éclat. Si je ne pouvais rien
voir, j'entendais le roulement d'un char et des décharges de fusil, le tout entremêlé
de cris, de vociférations et de chants. Il me semblait que les incendiaires célé-
braient à l'égal d'une victoire pour la puissante Allemagne chaque nouvelle maison
qui prenait feu. Alors, le cœur gonflé d'indignation et de colère, je me jetai à
genoux et je mis sur mes lèvres la prière du Psalmiste qui, dans ses psaumes
imprécatoires, invoque les vengeances du Seigneur contre les ennemis de son
pays : "Redde vicinis nostris sepluplum... Sicut ignis qui comburil silvam, ita perse"
queris eos in tempeslate tua !
i5t
Les incendiaires ne firent pas leur besogne à demi. Les quartiers auxquels ils
mirent le feu à l'aide d'explosifs ou de grenades furent tout détruits. Pas une
maison ne demeura debout. Cinquante-deux belles habitations devinrent la proie
des flammes, avec les écuries et les granges adjacentes, remplies de foin et de
grains nouvellement remisés, ainsi que Técole, la salle communale et les archives.
Deux petits quartiers ont été épargnés : en tout une bonne vingtaine de maisons.
Il était 23 heures, et les soldats s'étant éloignés, le silence commençait à se
rétablir. Je me décidai à aller demander, par de grands détours, l'hospitalité à
mon confrère de Villers-le-Gambon.
Avant de poursuivre le récit, revenons au début de l'incendie, pour relater la
mort de deux autres victimes, Jean Scieur et Alzir Anciaux, son beau-frère, telle
que me l'ont racontée les survivants du drame.
La famille Anciaux comprenait Julien Anciaux, ses enfants Elvire et Alzir,
Jean Scieur, époux en secondes noces d'Elvire, Marthe Henrard, fille d'Elvire, d'un
premier mariage. Cette famille avait été la dernière à fuir et fut la première à
rentrer : le 25 août à la tombée du jour, elle arrivait au tilleul Sainte-Anne, à trois
minutes du village. Les troupes qui campaient en cet endroit ne les inquiétèrent
point et leur dirent de rentrer bien tranquilles. Ces gens purent revenir chez eux
avant l'incendie du village, ils déchargèrent leur chariot, déposèrent caisses,
matelas et vivres et lièrent le cheval fatigué à l'écurie. Tout à coup, ils entendirent
une bande de soldats accourir et la frayeur les fit sursauter. Cinq soldats se
précipitèrent vers eux en poussant des hurlements de bêtes fauves. L'un d'eux, la
crosse du fusil en avant, s'élança sur Jean SCIEUR, 45 ans, en criant : Kapout !
Le malheureux se jeta à genoux, leva les bras en un geste de supplication et dit :
« Grâce ! Pardon ! Ne nous faites pas de mal ! » Mais déjà un coup de crosse l'avait
terrassé. Les soldats l'entraînèrent dehors, avec Alzir ANCIAUX (fig.25), 20 ans, et
Marthe Henrard et le jetèrent à cent mètres de là, sur la place du village. Ils mirent
aussi le feu à la maison, en jetant sur la toiture une grenade incendiaire.
Cependant, le grand'père, Julien Anciaux, entendant cette horrible scène, sauta
par la fenêtre, enjamba une haie et se blottit, avec sa fille Elvire, dans un fossé
servant à l'écoulement des eaux, que masquaient d'épais buissons.
Peu de temps après, en présence de Marthe, un soldat enfonça sa lance dans
le ventre, puis dans le crâne de Jean Scieur, et un autre déchargea sur lui son
revolver. « Tuez-moi aussi ! » criait sa fille. « Non, vous pas fusillée, mais autre
chose! » Laissant là le cadavre, qui portait une plaie béante à la tête et était inondé
de sang, ils emmenèrent Alzir et sa nièce et leur firent faire trois fois la même
randonnée dans les alentours, assénant sans cesse à Alzir des coups de crosse, de
pied et de poing. Lorsqu'ils furent arrivés auprès d'un champ de pommes de terre,
ils séparèrent l'oncle de la nièce. Alzir suppliait Marthe, en lui prenant la main,
de ne pas l'abandonner ; Marthe voulait le suivre, mais les soldats la retinrent sur
la route, d'où elle entendit un officier, à peu de distance, redire au malheureux la
sempiternelle et stupide accusation : « Vous avez tiré ! » puis retentirent quelques
coups de revolver. Alzir n'était plus. La victime fut enfouie dans le champ de
pommes de terre. Tandis que Marthe allait rejoindre Mlle Pirson au campement, où
elles passèrent une nuit atroce, liées, mises à genoux, menacées de la mort, les
i5z
soldats amenèrent table et chaises et s'amusèrent longtemps à boire à côté du
cadavre encore chaud. Plus tard la famille explora vainement le champ à sa
recherche : le sol avait été entièrement nivelé et le corps de la victime ne fut
retrouvé qu'au moment de l'arrachage des pommes de terre.
La journée du 26 août. Les deux groupes de prisonniers. Supplice des prisonniers
du premier groupe et exécution de l'un d'entre eux.
Dès le matin du 26 août, bien qu'on me le déconseillât comme une grave
imprudence, je voulus revenir à Franchimont. Arrivé à mi-chemin du sentier de
Sainte-Anne, j'aperçus un soldat qui me faisait de grands gestes d'appel. J'allai
vers lui. Brusquement il m'empoigna au collet par derrière, et, me poussant devant
lui, il me culbuta dans le fossé d'un champ où était le bivouac des troupes. Trois, cinq,
dix soldats se ruèrent sur moi en hurlant, me rouèrent de coups et me mirent sur le
cceur des cartouches en criant : fousiilé ! «Vraiment, me dit une de mes paroissiennes,
j'ai cru assister à une scène de la Passion ! » Au centre du bivouac, se trouvaient déjà
sur de la paille une disaine d'hommes, deux du village, les autres de Lautenne et
de Surice, qui avaient été arrêtés le matin dans les rues ou sur les routes, et étaient
étroitement gardés par deux sentinelles. De leur nombre Julien Anciaux, qui était
revenu pleurer sur les ruines fumantes de sa maison. Ce fut le premier groupe de
prisonniers, qui eut le plus à souffrir.
Plus loin, avait pris place un second groupe de prisonniers, non gardés, ayant
des chaises pour s'asseoir et des vivres à manger, dont Marthe Henrard, Maria
Pirson, le garde-champêtre, la famille Z. Arnould, la seule qui ait passé la nuit
dans son habitation, une petite et modeste maison, située à l'écart, qui ne fut pas
non plus respectée. La famille de ce pauvre ouvrier comprenait le mari, sa jeune
femme et trois petits enfants. La nuit de l'incendie, à 23 heures, une grosse pierre
fut lancée avec violence à travers l'unique fenêtre. A 4 heures du matin, des
soldats chassèrent les gens hors du lit, ils leur permirent seulement d'emporter les
enfants endormis et quelques hardes, puis ils mirent le feu à la chaumière. Les
derniers incendies furent allumés le 26, car, durant la première expédition incen-
diaire, deux ou trois maisons n'avaient pas pris feu, d'autres n'avaient pas encore
subi l'attaque des grenades, entre autres le magasin d'un négociant, qu'il fallait
sans doute piller au préalable. Dans la matinée du mercredi, il sortit du campement
un détachement de soldats qui vint achever la sinistre besogne. Quand les flammes
nouvellement allumées montèrent dans les airs, comme nous les contemplions avec
douleur, un officier nous dit : « La guerre ! C'est la guerre ! Ce sont les lois de
la guerre ! »
A ce second groupe on adjoignait, au fur et à mesure de leur capture, des
Franchimontois et des gens des villages voisins arrêtés en revenant chez eux,
auxquels les soldats commençaient par dire : « Pastor, fousiilé ! » au point qu'ils
croyaient tous ma dernière heure arrivée.
Peu après mon arrestation, l'officier qui surveillait le camp me fit subir un
court interrogatoire, puis je fus l'objet de la curiosité malveillante et des sarcasmes
des soldats. L'un d'eux me jeta à la tête, en ricanant, un chapelet de Lourdes à gros
t53
grains, un autre se frottait le ventre en disant : « Guter Wein, Pastor », un autre me
montrait le linge qu'il avait pillé au presbytère. Comme j'avais exhorté mes
paroissiens à penser à Dieu et que, étendu tout de mon long, j'étais absorbé dans
l'accomplissement de mon ministère, un cavalier recula pour prendre son élan,
puis lança à bride abattue sa monture sur notre groupe, en sorte que le sabot du
cheval me frôla la tête, bien qu'un cri d'épouvante poussé par mes voisins me
l'eût fait retirer. Un sergent, après m'avoir dit : Loquor paululum linguam latinam,
audi me, s'assit solennellement derrière notre groupe et continua ainsi : Odio ego
habeo ecclesiam romanam ; sacerdos romanus fur est et lalro! (i)
Le plus à plaindre de nos compagnons d'infortune fut assurément le pauvre
Emile DEMEULDRE, 3ù ans, de Lautenne. Fuyant les coups de feu, comme nous
l'avons raconté, il parvint à regagner la maison paternelle. Elle était occupée par
l'ennemi : il voulut s'en aller de nouveau et fut encore arrêté. Le voilà donc défini-
tivement entre les mains des soldats, pauvre agneau tombé dans les griffes de loups
furieux ! Il reçut d'abord une volée de coups de pied, de poing et de crosse,
puis amené au campement de Franchimont, il y fut, en notre présence, renversé,
roulé à terre, battu comme plâtre. Son père, Thomas Demeuldre, dont la jambe
était déchirée et bandée, eut la force de se lever et s'avança au devant des tortion-
naires, implorant pitié pour son fils : il fut brutalement repoussé. Les soldats firent
asseoir Emile sur un coffre qu'ils avaient pris au village et lui lièrent les mains
derrière le dos par une grosse et solide corde. Ils lui poussaient contre la poitrine
leurs lances, leurs baïonnettes, ou le canon de leur revolver, comme pour lui faire
entendre qu'il n'échapperait pas à la mort : « Vous, tiré, vous fusillé! » répétaient"
ils; « Je n'ai rien fait », répondait chaque fois le jeune homme. Tout le long du
jour, ce ne fut de la part d'Emile qu'une plainte, qu'un cri. Il se débattait, il faisait
des efforts inouïs pour dégager ses mains, il pleurait, il suppliait qu'on lui rendît
la liberté, il implorait miséricorde : « Pardon! répétait-il, je suis innocent! » Et
les soldats de s'amuser, de rire, de se moquer de ses efforts, de le secouer
violemment, de le battre pour l'obliger au repos, à un repos impossible : le pauvre
garçon était dans la fièvre, le terrible fousillé retentissait sans cesse à ses oreilles,
la pensée de la mort, d'une mort imméritée, ne le quittait plus. Dans l'après-midi,
sa raison paraissait sombrer, ses propos devenaient incohérents. Chaque fois que
paraissait l'officier, il redoublait ses larmes et ses prières. « Tais, tais », lui
criait le brutal Allemand, dans son langage inculte ; et d'autres fois : « Taisez,
taisez, ou bien fousillé de suite ! » Ce qui rendait cette scène encore plus navrante,
c'est que son vieux père et sa vieille mère se faisaient aussi suppliants, protestaient
de la douceur et de la bonté de leur enfant. Non seulement ces hommes cruels ne
les écoutaient pas, mais ils leur refusèrent brutalement ce qu'ils finirent par
demander comme une faveur, comme une grâce : être autorisés à rester au camp
avec leur fils et ne pas être séparés de lui; car seules, leurs caresses parvenaient
à le calmer. A \6 heures, la liberté fut rendue aux prisonniers ordinaires;
M. et Mme Demeuldre durent abandonnner leur pauvre enfant sans compagnie,
entre les mains de ces tigres assoiffés de sang.
(i) Traduction : " Je parle un peu le latin, écoutes-moi... Je hais l'Eglise romaine; le prêtre romain est
un voleur et un larron. »
i54
Vers le milieu du jour, sa corde, à force d'être tirée, avait fini par se délier :
vite les soldats reprirent la besogne, ils y mirent à eux trois toutes leurs forces, ils
serrèrent le nœud si violemment, me dit un de nos compagnons placé tout près,
qu'il semblait qu'on entendît craquer les os du patient, qui hurlait de douleur.
Après sa mort, on trouva la corde profondément entrée dans les chairs et le
couteau ne put couper l'une sans entamer les autres.
La nuit s'avançait. Emile Demeuldre était toujours prisonnier avec les dix
hommes du premier groupe, plus compromis aux yeux des Allemands, et qui
formaient une catégorie à part. Pour moi, j'avais été en fin de compte mené au
bout du camp, comme otage, et on avait mis à ma disposition une chaise,
une couverture, un pot de crème pour ma nourriture et une sorte d'abri fait
de paille.
Vers le soir, on délia les mains à Emile Demeuldre. Etait-ce enfin la délivrance?
Hélas! non... Des loups lâchent-ils leur proie? Au contraire, il allait être soumis
pour la nuit à un ligotage plus douloureux, il allait être torturé non plus seul, mais
avec ses dix compagnons, de façon à ne faire d'eux tous qu'une seule chaîne...
Des soldats les lièrent les uns aux autres, bras contre bras, le bras droit de
chacun étant attaché par plusieurs tours d'une corde solide au bras gauche de son
voisin de droite, et le bras gauche étant fixé de même au bras droit du voisin de
gauche. La corde enserrait fortement les deux bras depuis l'épaule jusqu'au poignet,
puis faisait plusieurs tours autour du corps pour aller rejoindre les deux autres bras.
« Malheureux, disais-je longtemps après, à une victime de ce ligotage odieux,
Julien Anciaux, vous avez dû gémir toute la nuit. — Gémir, me répondit-il, dites
donc hurler! Mes poignets étaient tout en sang; mes bras demeurèrent paralysés
pendant plusieurs mois; il suffisait d'une légère poussée exercée contre l'un d'entre
nous pour nous faire tomber tous avec lui à la renverse, sur le tas de paille. Nous
sommes demeurés onze heures d'horloge dans cette position, couchés sur le dos, la
figure en l'air, la tête sans appui. La nuit, il est tombé une forte averse : nous
devions fermer les yeux pour les protéger de l'eau. — Mais, ajoutai-je, vous n'avez
plus été gardés, c'était peine inutile. — Deux soldats se relayaient toutes les heures,
l'un se mettait du côté des pieds, l'autre du côté des têtes. Et parce que nous
hurlions comme des malheureux, et que nous remuions les jambes tant que nous
pouvions, ils nous injuriaient, ils nous frappaient. Ce n'est pas pour cela que nous
sommes demeurés tranquilles : ils pouvaient nous fusiller de suite, autant maintenant
que plus tard, disions-nous. Finalement plusieurs étaient dans la fièvre, ils diva-
guaient, ils battaient la campagne, ils disaient les choses les plus drôles, en sorte
qu'il y avait à la fois à rire et à pleurer... Un tel disait ses Paler comme un saint,
quand tout à coup, au milieu d'un Ave, il se mettait à blasphémer contre les Boches,
à les traiter des plus sales noms d'animaux qui lui passaient par la bouche... »
Jeudi 27, à 7 heures, il vint un officier supérieur. Il parut s'apitoyer sur le sort
de ces malheureux et les fit délier. Les troupes s'éloignaient à ce moment et la fin
de la tragédie approchait.
Trois officiers, restés sur place, congédièrent l'un après l'autre les dix hommes.
Julien Anciaux ne se hâta pas de partir, car il désirait savoir ce qui allait advenir
d'Emile Demeuldre.
155
Bien qu'il eût été délié comme les autres, cet infortuné jeune homme ne s'était
pas relevé. Il était tranquillement couché par terre, exténué, à bout de forces. Ce
n'était plus qu'une loque humaine. Les indicibles souffrances qu'il avait endurées
l'avaient rendu presque inconscient, fl Relevez-vous ! », commanda l'un des officiers.
Il se leva lentement et, se retournant vers eux, il dit en pleurant : « Je ne saurais
marcher... j'ai mal au bras... » A l'instant même, l'un d'eux lui mit le revolver sur
la poitrine, et tira ; les deux autres en firent autant, et la victime s'affaissa à leurs
pieds. Puis ils s'en allèrent en riant .. se hâtant pour rejoindre la troupe. La justice
allemande était satisfaite.
Pour la nuit du 26 au 27, je fus autorisé à rentrer au presbytère. En compagnie
d'un officier et de six soldats, nous traversâmes notre pauvre village abandonné et
désert, par le quartier sinistré, dont toutes les maisons, des deux côtés, étaient
encore en pleine combustion. A l'église, deux soldats sonnèrent les cloches à toute
volée pour convoquer la population et l'officier m'obligea à faire une proclamation,
» pour engager les gens à ne pas tirer sur les troupes ». Il vint quatre personnes
et je leur débitai ma harangue. Comme cet exercice oratoire me paraissait passa-
blement ridicule, je terminai ainsi : « Du reste, tirez ou ne tire2 pas : votre curé
est foulu ».
Je devais rentrer au camp le lendemain à 7 heures, mais les troupes s'étaient
éloignées et le village était vide.
§ 8. — Villers~le~Gambon et Vodecée.
Les éclaireurs du XIIe corps entrèrent à Villers-le-Gambon
(rapport n° 591) et à Vodecée (rapport n° 592) le 25 août à 8 heures et
s'y conduisirent comme des bandits. Quatre habitants furent fusillés, deux
maisons incendiées.
Relevons spécialement que l'échevin de Vodecée, François Pierre,
fut abattu pour venger la mort d'un uhlan tué, sous les yeux de l'ennemi,
par des soldats français (1).
C'est le 100e grenadiers qui est entré le premier à Villers; le 182e
y est signalé le 26 août (2).
De Villers-le-Gambon, une partie des troupes se dirigèrent sur
Villers-en-Fagne, par Sautour (rapport n° 593), tandis que d'autres
allaient par Merlemont (rapport n° 594) et Sart-en-Fagne (rapport n° 595).
A Merlemont, vers 10 heures, les Allemands subirent un court arrêt,
l'artillerie française, de Fagnolles, les ayant contenus pendant une heure.
(1) Le chef de la IIIe armée, général von Hausen> a dû être témoin de cette scène, qu'il raconte dans ses
Mémoires, p. 145.
(2) O.i a retrouvé quelques bons de réquisition délivrés par la 1 îe comp. du 100e Leib Grenadier
(le a5 août), par la 8e du t82e (le 26 août), et par le 129 bat. de pionniers (le 26 août).
156
N°59i- La paroisse de VillerS"le~Gambon et Vodecée - écrit M. l'abbé Bouchât,
curé (i) — est située sur la ligne de faîte de l'Entre-Sambre-et-Meuse, entre les
routes de Philippeville à Dinant et de Philippeville à Givet. Elle est bordée au nord
et à l'est par une forêt touffue, que traverse la première de ces routes.
Il fut beau le départ de nos soldats rappelés sous les armes ! Ils étaient animés
d'un grand enthousiasme et pleins de courage ; ils consolaient leurs familles éplorées
et juraient de faire tout leur devoir. « Nous mourrons s'il le faut, disaient-ils, mais
nous ne céderons pas ! »
Les troupes françaises s'installèrent le 14 août dans la paroisse, suivies chaque
jour d'autres colonnes. Lors de leur départ vers Dinant, la sainte communion leur
fut distribuée à une heure du matin.
Le 2.5 août à S heures, tous les chemins déversèrent des Allemands dans nos
villages. Quand les habitants entendirent les hurlements de bêtes fauves, véritable-
ment assoiffées de carnage, que poussaient ces soldats, ils furent pris d'une panique
générale et la plupart des habitants qui n'avaient pas encore quitté leurs maisons
les jours précédents allèrent se cacher dans les carrières et dans les bois. On ne
pouvait pas comprendre, ni se faire une idée de cette façon de faire la guerre. Tous
les habitants de Vodecée avaient aussi quitté leur village dès le lundi 24 août.
A Villers-le-Gambon, j'étais resté avec une vingtaine de paroissiens, dont une
douzaine s'étaient réfugiés au presbytère. En arrivant, les Allemands pillèrent
quelques maisons, mais ils s'acharnèrent surtout sur quelques victimes qu'ils
rencontrèrent à l'intérieur.
Il arriva d'abord une colonne composée d'automobiles, qui descendit la
grand'rue ; les soldats qui les montaient tenaient le fusil braqué sur les habitants
et sur les émigrés qu'ils rencontraient et les terrorisèrent par leurs menaces.
Le chemin de la gare déoersa ensuite une seconde colonne venant vraisemblable-
ment de Franchimont et composée de vrais démons, qui poussaient des hurlements
effrayants. Enfin des uhlans, suivis de près par de l'infanterie, vinrent du côté de
Vodecée par la route de Philippeville.
Ces fantassins firent prisonniers Edmond Dricot, Victor Masson, puis plus
tard Lucien Mottuit, qui portait dans ses bras son petit enfant, ainsi que Emmanuel
Defoin, de Franchimont. Ces quatre civils racontent de la façon suivante les scènes
dont ils furent témoins.
« La bande en tête de laquelle nous marchions pénétra d'abord chez Thomas.
Un officier y tira à bout portant sur un jeune homme, Raoul Thomas : la balle
lui traversa le soulier et le pied de part en part.
» Puis, les soudards dépassèrent la gare, après avoir fouillé toutes les maisons;
ils allèrent jusqu'aux usines des Dolomies et d'eaux gazeuses, puis revinrent par le
même chemin : tout était vide.
» En descendant, les uns escaladèrent le grenier d'Alfred Bayenet. d'autres se
postèrent sur la route entre cette dernière maison et celle de Victor Masson, et de
ces deux endroits à la fois, ils tinrent sous leurs fusils toute la place Verte. Celle-ci
était déserte. Un seul homme la traversa, Jean-Baptiste BRISBOIS, 74 ans, qui
allait à la recherche des siens. Une fusillade éclata aussitôt, il tomba criblé de
(1) La plupart des données contenues dans ce rapport ont été recueillies le 19 juin 1915.
i57
balles, les bras étendus, la face contre terre. Alors on nous poussa en avant vers
Vodecée. Quand nous fûmes à cinq cents mètres des premières maisons, sur la
route de Philippeville, la colonne se divisa en trois groupes de vingt hommes. De
chaque côté de la route, un groupe organisa une battue dans les champs d'avoine,
tandis que les autres nous faisaient avancer. Soudain des coups de feu éclatèrent :
c'étaient deux soldats français cachés dans les hautes herbes, derrière une meule,
qui tiraient leurs dernières cartouches, mais les Allemands leur répondirent et ils
tombèrent foudroyés (i).
» Vis-à-vis de la maison d'Arthur L'Koest, on nous montra le cadavre d'un
officier (2) et un cheval à côté de lui : c'était l'œuvre des deux Français qui
venaient de tomber. « Civils, voilà votre œuvre ! » nous dit l'officier. A ce
moment, un paisible habitant de Vodecée et échevin de la commune, François
PIERRE (fig. 5i), 58 ans, venait de rentrer et regagnait sa maison à deux cents
mètres plus loin. On l'appela, on le força à venir. Un officier le renversa d'un coup
de pied dans les reins et, lorsqu'il se fut relevé, il le mit en présence du cadavre.
« Qui a tiré? Sont-ce des civils? Sont-ce des militaires? » lui demanda-t-il. Le
pauvre homme balbutiait, les mains jointes, implorait pardon. Après un court
instant de délibération, on le fit mettre à genoux à deux mètres de nous et dix
soldats le tuèrent à bout portant. Impossible de décrire cette scène d'horreur :
nous vîmes les sursauts du cadavre, qui retomba inerte à nos pieds.
» Les Allemands mirent ensuite le feu à trois maisons qui bordent la route. La
maison Joseph Limborg-Bayot, la grange de Louise Luc, veuve Arthur L'Hoest, et
la meule qui avait abrité les soldats français, furent incendiées ; le feu fut mis
aussi à la maison de François Pierre, mais il s'éteignit.
» Toujours en tête de ces monstres, qui nous maltraitaient de toute façon,
nous revînmes à Villers et nous fûmes congédiés sur la route de Givet, aux abords
des Sablonnières, à to h. 3o. Nous avions vécu deux heures atroces. »
Pendant ce temps, à 9 h. 3o, sur le quai de la gare, Adolphine DUMONT,
86 ans, de Florennes, revenait de Merlemont avec sa fille, son gendre Lefer et sa
petite fille. Une patrouille passa sans les inquiéter, puis arrivée vers la fabrique
des eaux gazeuses, à une distance de 3oo à 400 mètres, elle ouvrit le feu sur le
groupe de civils : la fillette eut les vêtements troués de balles, sa mère eut la
jambe brisée au-dessus du genou et Adolphine Dumont eut les deux cuisses
fracassées; elle en mourut le 27 août.
Nestor W1AME (fig. 5o), 46 ans, père de cinq enfants en bas-âge, voulut
aller rejoindre sa famille réfugiée à Sart-en-Fagne ; à peine avait-il franchi deux
kilomètres sur la roule de Givet, vers io h. 3o, qu'il tomba sous les balles, près
des Sablonnières, dans le fossé du chemin.
Le soir, avec l'aide du R. P. Amand, bénédictin de Maredsous, et de quelques
habitants, je donnai la sépulture religieuse à J.-B. Brisbois. A peine avais-je déposé
les ornements sacrés que des Allemands, qui me guettaient, me firent otage et
m'emmenèrent dans une maison où je passai la nuit sous la garde de vrais bandits.
Je ne raconterai pas les horreurs de cette nuit, ni ce que j'ai souffert, ni combien
(1) L'un d'eux se nommait Auguste Montuit, 29 ans, le second était d'Oran.
(1) Major-médecin, croit-on, qui a été inhumé à Philippeville.
158
de fois j'ai cru ma dernière heure arrivée! Pendant deux longues heures, je restai
collé contre un mur sur la place Verte.
Le 26 à 5 heures, je fus mis en tête de la colonne qui quittait le village, pour
la conduire à Merlemont.
A ma rentrée, je m'occupai des morts, que j'enterrai, ainsi que des malades
et des blessés que j'avais recueillis chez moi.
Quatre fois encore, il vint d'autres troupes et je fus chaque fois fait otage.
N° 592. "Vodecée reçut, le 17 août, un détachement de soldats français du 20e et un
groupe d'artillerie, qui se dirigèrent le 20 sur Agimont, et furent remplacés par
1,200 zouaves; ceux-ci partirent dans la nuit suivante pour Fosses.
Ils revinrent le 23 en annonçant qu'ils avaient fait des pertes dans les bois de
Biert; les chariots transportèrent leurs blessés vers Mariembourg. Le 24 à
14 heures, toute la population avait fui, à la suite des gens de Tamines, Mettet,
Stave, Morialmé, Hanzinne, etc., qui étaient passés depuis la veille.
Le 25 août à 1 1 heures, une patrouille allemande de 20 hommes apparut sur
la route de Givet et fut reçue par des coups de feu de deux Français. Ce fut
l'occasion du meurtre de François Pierre, ainsi qu'il a été raconté au rapport
précédent.
Le même jour, deux fils du bourgmestre, arrêtés à Villers-en-Fagne, furent
conduits, ligotés, à Merlemont, puis à Rosée et enfin à Dinant, où ils durent
enterrer des cadavres. Ils rentrèrent méconnaissables, quelques jours plus tard.
N° 5ç3. Saulour, site pittoresque, occupe en partie la colline où se trouvait l'ancienne
place forte, en partie la vallée que traverse la roule de Philippeville à Villers-en-Fagne.
Le village fut plongé dans l'épouvante lors de l'incendie de Villers-en-Fagne :
on entendait distinctement les chants de joie des Allemands, mêlés au son des cris
et des instruments. Les habitants attendaient, affolés, l'arrivée de ces troupes
barbares, mais elles ne vinrent pas. Ce n'est que deux jours après qu'une douzaine
de soldats traversèrent le village, se dirigeant vers Philippeville.
N° 594. Merlemoni est situé en îlot sur une éminence, faisant face aux hauts plateaux
des Fagnes (Niverlée, Romerée, Matagne-la-Grande, Matagne-la-Petite et
Fagnolles), à proximité de la route de Philippeville à Givet.
Des régiments français, troupes de combat et train de ravitaillement, arrivèrent
au village à partir du 14 août à 5 heures. Des troupeaux de bestiaux furent
abattus à Merlemont et les quartiers de boucherie étaient emportés dans toutes les
directions par des autobus de Paris.
Une ambulance fut établie par l'armée française au château de M. le baron
Nothomb et dans le local des oeuvres paroissiales. Six cent quatre-vingt-sept
blessés du combat de Dinant furent soignés au château du 16 au 20 août, puis
dirigés sur la France. Un blessé, Arcadius Le Telle, instituteur à Auchel (Pas-de-
Calais), succomba et fut inhumé au cimetière paroissial.
Les premiers uhlans parurent le 25 août à 7 h. 20 venant de Villers-le-Gambon.
De 10 à u heures, des batteries françaises établies à Fagnolles tirèrent sur
Merlemont quelques obus, qui ralentirent un peu de temps l'allure de l'armée
i5ç
allemande à Merlemont, sans d'ailleurs faire de dégâts dans le village. Aussitôt
après, l'avalanche allemande suivit son cours. Le général Freiherr von Hausen.
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Fig. 58. — Billet délivré à Alertement par le général von Hausen,
commandant la IIIe armée allemande.
commandant la IIIe armée, et son état-major, comprenant 60 officiers, dont ie
Kronprinz de Saxe, s'établirent au château le mardi à «5 heures (1) et le quittèrent
(1) von Hausen relate dans ses mémoires, p. 147, sa rencontre avec M. le baron Nothoinb, auquel il
délivra, le 27 août, l'écrit ci-dessus (fig. 58). Traduction. " Alerlemont, 27 août 1914. Aux troupes et postes
de l'armée allemande. Le baron Eugène Nothomb, qui a hébergé le commandement supérieur delà IIIe armée,
a reçu l'autorisation de se rendre à Bruxelles, par Namur. Tous les postes sont requis de le laisser passer sans
ennui, lui et ses compagnons. Le baron Nothomb voyage en compagnie de son épouse, née Louise Craecker,
ainsi que des personnes de service dont les noms suivent : Maria Klein, Joséphine Gervais, Rachel Gilles,
(s.) Baron von Hausen, generaloberst. » Le général von Hausen eut aussi, le 27 août, une conférence avec le
général von Ehrenthal, commandant la 24e division de réserve, qui assiégeait Givet.
i6o
au matin du 27 août. Le prince Joachim, fils de l'Empereur, arriva mystérieusement
le 28 au soir, exténué de fatigue.
Un jeune homme, Sylvain SCIEUR, âgé de 3o ans, fut retrouvé tué dans un
buisson, à quelques centaines de mètres de sa maison, et les circonstances de sa
mort sont restées incertaines.
Au presbytère, les soldats arrêtèrent M. l'abbé Faucomont, curé de Saint-
Aubin, qui s'y était réfugié avec sa famille, et l'emmenèrent dans la direction de
Villers-en-Fagne.
Au soir du 25 août, quelques habitants restés au village purent contempler le
sinistre spectaclede l'incendie des villages de Surice, Romedenne, Villers-en-Fagne
et Franchimont.
N° 595. Sart~en~Fagne, écrit M. l'abbé Péters, curé, est privé pour ainsi dire de
communications avec l'extérieur, et n'est relié qu'avec Merlemont et Villers-
en-Fagne par des chemins communaux. Le curé de la paroisse, M. Botte, partit à
la mobilisation comme brancardier.
Trois mille Français du 6e tirailleurs algériens et de la compagnie d'Oran
furent reçus le 16 août et transformèrent pour un jour le village en une vaste
caserne.
Les villageois portèrent, les jours suivants, des linges, des vêtements et des
douceurs à l'ambulance de Merlemont.
L'ennemi pénétra au village le 25 août. Trois uhlans vinrent dans l'avant-midi.
A i3 heures, il passa un détachement d'artillerie de i5o hommes, allant vers
Matagne, et à ij heures, un millier d'hommes, dont les deux tiers étaient des
fantassins. Ces troupes furent correctes à l'égard des rares habitants qui avaient
résisté à l'affolement général ; vers minuit ceux qui avaient logé continuèrent leur
marche en avant.
Un convoi de ravitaillement arriva le 26 vers \-j heures, pour partir à son tour
le 27 à 6 heures du matin. Les gens rentrèrent aussitôt et tout redevint calme.
§ 9. — Villers-en-Fagne .
Village perdu au milieu des bois, à l'écart des grand'roules, Villers-
en-Fagne comptait, en 1914, 185 habitants.
Le tooe grenadiers, 23e division, XIIe corps, venait d'y pénétrer le
25 août vers 9 heures, quand l'artillerie française chargée d'arrêter
l'avance allemande ouvrit le feu. A l'issue du combat, vers 14 heures, les
grenadiers et les hussards s'acharnèrent sur le village presque désert : sur
72 immeubles, 5i furent détruits à partir de 16 heures. Quand la 32e divi-
sion traversa la localité, dans la nuit suivante, elle était tout en feu (1).
Un officier saxon du 178e, qui passa à Villers-en-Fagne à la soirée,
(1) de DA.npiERRE, Carnets de route, p. 28-29.
tôt
justifie ainsi ce désastre : « La population avait averti les Français de
l'approche des grenadiers, par un signal fait du haut du clocher-
L'artillerie ennemie avait tiré dessus quelques shrapnells et blessé ou tué
des grenadiers. Là-dessus des hussards avaient mis le feu au village. Le
curé et d'autres habitants ont été fusillés (i). »
En réalité, cinq civils furent massacrés, mais le curé, qui était
absent, eut la vie sauve. On verra dans le rapport ci-joint — dont les
éléments essentiels ont été recueillis le 24 juin 1915 — ce qui a donné
lieu à cette légende.
Roly, village situé sur la route de Mariembourg, fut préservé (voir
rapport n° 597).
Du to au 24 août, Villers~en~Fagne fut occupé par des troupes françaises.
Cinq uhlans arrivèrent le 25 août à 9 heures et furent suivis à 9 h. 3o
du gros de ta troupe. Plusieurs taubes avaient déjà évolué au-dessus du village vers
S heures.
Le premier acte de l'ennemi fut de fusiller un soldat français. Celui-ci revenait
de la direction de Fagnolles et se heurta, dans le bas du village, vers 9 heures, à
un détachement ennemi. Il leva les bras et fut fait prisonnier, sans résistance. Séance
tenante il fut fusillé, en présence d'Amour Haulin et de Joseph Wallon. Ce dernier
fut tué lui-même peu de temps après.
Un fort contingent de cavaliers, qui avait suivi les premiers uhlans, était
parvenu au-dessus du village lorsqu'un obus français vint éclater dans leurs rangs
et les mit en déroute ; on vit repasser à la hâte des Allemands blessés, des chevaux
sans cavaliers et des soldats désarçonnés. Peu de temps après, de nombreuses
batteries allemandes prirent place sur la côte dite «Tienne à Gahi », s'étendant sur
une ligne d'environ un kilomètre et demi jusque près d'Ingremez. Elles entrèrent
aussitôt en action et fonctionnèrent jusque 14 heures. Des obus français tombèrent
en maints endroits du village, mais surtout au « Tienne à Gahi », où furent tués de
nombreux chevaux et, croit-on, des soldats allemands (2).
C'est à l'issue du combat que le village eut à souffrir, car les Allemands
rendirent les habitants responsables de la défense française.
Le feu fut mis en premier lieu au presbytère (3) vers 16 heures et se poursuivit
(1) Ibid. p. 19. Le parquet de Dînant a relevé à Villers-en-Fagne un bon délivré par le 2e bat. du loi et
par le 28e d'art.; une inscription découverte chez Joséphine Noël accuse la présence du 2ebat.du io3e ; le
secrétaire communal a signalé une paire de chaussettes marquées au 101e et Léontine Gerin, épouse Bour-
mbourg, 2 chemises du 102e rég. 2 bat. (Archives de la Commission d'enquête, à Bruxelles.)
(2) On signale au village les tombes de 6 officiers-
(3) Dans les jours qui suivirent, les soldats — notamment un officier saxon du nom de Rosbecq — se
glorifièrent à plusieurs reprises d'avoir « brûlé le curé » dans la maison de cure, parce qu' « il avait fait des
signaux aux Français à l'aide d'un drapeau » . Or, le curé était absent au moment de l'incendie du viltage, s'étant
rendu à Roly, le 24 août, pour la fête de l'Adoration perpétuelle du Saint-Sacrement. Ce qui a pu donner
occasion à cette rumeur et faire croire aux habitants eux-mêmes que le propos tenu par les Allemands était
fondé, c'est qu'un aumônier volontaire de la 5ie division, le P. Zimmermann, religieux français de la Compagnie
1Ô2
pendant la nuit suivante et la matinée du 26 août (1). Camille Belvaux, d'Ermeton-
sur-Biert, qui se trouvait en ce moment à Villers-en-Fagne, raconte ainsi les
premiers incendies : « A i5 heures, comme il nous semblait que toute la troupe
était passée, nous nous décidâmes à partir. A peine avions-nous fait quelques
mètres que des uhlans qui sortaient du bois nous arrêtèrent, puis nous laissèrent
continuer notre route. Quand nous fûmes un demi-kilomètre plus loin, nous vîmes
qu'en un instant toutes les maisons étaient la proie des flammes.
» Dans les rues, ce n'étaient plus que soldats et cavaliers, canons et fourgons,
se rendant vers Mariembourg. Nous voulûmes rebrousser chemin, mais ce fut
impossible, tant nous étions noyés dans la troupe. Au fond du village, une ferme,
transformée en croix-rouge, était remplie de blessés. Un peu plus loin, nous vîmes
couchés dans le fossé deux Allemands tués. Plus loin, on transportait dans un
jardin le cadavre d'un capitaine. A ce moment nous vîmes des soldats tirer des
coups de feu sur une maison et elle fut, en un instant, réduite en flammes. Une
autre ferme qui était devant nous fut aussi incendiée, après que la troupe eut fait
sortir le bétail des écuries et emporté les meubles sur un chariot, auquel peu de
temps après, ils mirent aussi le feu. « Sales Belges, tué nos soldats ! » nous dit
en nous mettant le revolver sur la poitrine un officier de cavalerie, qui précédait
sa troupe. »
Céli-JosephDUMONT,6o ans, qui habitait chez son frère, secrétaire communal,
fut retrouvé carbonisé.
Félix DEFOIN, 66 ans, fut arrêté après le combat, dans sa maison, où il était
retourné pour chercher des vivres. Il fut emmené sur la route de Merlemont, à
200 mètres du village, et fusillé. Les soldats avaient trouvé sur la cheminée de sa
maison quelques cartouches abandonnées par les Français.
Adelin WOINE(,fig. 52), 53 ans, instituteur communal, fut surpris et fouillé aux
abords du village au moment où il y revenait; trouvé porteur d'un revolver non
chargé, il fut arraché aux étreintes de son épouse et abattu à un détour du sentier,
puis dépouillé de l'argent qu'il portait sur lui.
Joseph-Constant WALLON, 57 ans, fut d'abord contraint à abreuver les
chevaux sur la place, puis il fut conduit à la sortie du village, du côté de Merlemont,
et fusillé le long d'un mur.
Hubert NOËL, 34 ans, fut réquisitionné avec ses chevaux, au moment du
combat, pour conduire des vivres à Fagnolles. Son cadavre fut retrouvé dans le
bois, le long d'un fossé.
de Jésus, se trouvait le 14 août après-midi à Villers~en-Fagne, ayant quitté Rosée dans la nuit précédente avec
l'ambulance dirigée par le docteur Ernest Faucon. Il partit de Villers-en-Fagne à la soirée même du 24, afin
de céder son lit au colonel de Riols de Fonclare, qui venait d'arriver à Villers-en-Fagne et y regroupait son
régiment décimé. A Merlemont, où il se rendit en quittant Villers-en-Fagne, l'alerte (ut donnée dans la nuit
même et le 2.5 au matin l'aumônier disait la messe à Petigny. Plusieurs habitants de Villers-en-Fagne, qui
avaient aperçu le religieux la veille et le croyaient hébergé au presbytère, ont pu supposer qu'il avait été surpris
dans l'incendie de la maison du curé et carbonisé.
(1) Sur 71 maisons, les suivantes furent préservées : la ferme Noël et la maison Rihoux, dans lesquelles se
trouvaient des blessés; les maisons François Haulin, Nicolas Demotte, Braibant, Auguste Defoin, Félicien Jomot,
Théophile Gérin, Félix Jomot, Emile Lotin, Jules Gérin, Michel Dumont, Désiré Gérin, Arthur Colonval et
l'école.
i63
La plupart des habitants restés au village (t) y endurèrent un vrai martyre,
que partagèrent bientôt tous ceux qui y revinrent, après avoir fui vers Mariembourg.
Plusieurs furent parqués à l'étage de la maison, non incendiée, de Théophile Gérin,
où la soldatesque les terrorisait en leur montrant le pétrole qui allait servir à les
brûler vifs. Le 26, à \j heures, ils furent emmenés à Sart-en-Fagne avec défense
de revenir encore au village.
N° 597. A Ro/y, écrit M"e G. Braibant, institutrice communale, le z3 août dans
l'après-midi, un flot d'étrangers dont les visages reflètent l'épouvante, envahit les
rues et les maisons. Ils viennent de Fosses, de Tamines, de Dinant. Ils racontent
leur triste sort et nous prédisent le nôtre.
Le 24 août, la journée est consacrée aux préparatifs du départ. Les chariots
s'emplissent de provisions, les familles se groupent, on décide de partir ensemble.
Les heures deviennent angoissantes. Bientôt fantassins et cavaliers belges arrivent
et se confondent en un pêle-mêle affreux. Les locaux publics sont aménagés pour
servir d'ambulance, et de pauvres blessés y sont déposés par centaines. Mais
l'ennemi approche et la troupe doit partir. Les malheureux blessés sont de nouveau
hissés sur des camions ou des autos et la retraite continue.
Le 25 août va décider du sort du village. Partira-t-on ou restera-t-on ? La
généralité opine pour cette dernière alternative. Quelques familles se réfugient
dans les bois voisins, tandis que d'autres cherchent un abri dans leur cave. Vers
i3 heures, le combat s'engage dans les environs. A 16 heures, les Allemands, l'arme
au poing, l'air menaçant, font leur entrée au village. Les autorités vont à leur
rencontre, elles satisfont à leurs exigences et... les loups s'apaisent.
§ 10. — Matagne-la~Grande et Fagnolles.
Le combat qui s'est livré sur le territoire de ces localités et aux
environs, dans l'avant-midi du 25 août, se rattache à l'effort général
tenté par les Français pour enrayer l'avance ennemie et permettre aux
ter et 10e corps français de s'écouler vers le sud.
Le 25 août, à 4 h. 3o du matin, la ire division (ier corps) avait reçu
l'ordre de couvrir le passage du ier corps par le défilé de Couvin. A
cette fin, le 6e chasseurs à cheval, mis à sa disposition, se porta vers
Fagnolles, couvrant dans la direction de Matagne-la»-Grande. Tandis
qu'il se portait vers Matagne-la-Petite, il tomba sous le feu d'une
batterie ennemie installée en arrière du village. Les escadrons se
replièrent en hâte et on les vit repasser à Dourbes, à 1 1 heures, au sein
(t) Vingt hommes et un petit nombre de femmes et d'enfants-
Joseph Bourtembourg a raconté dans la publication « Dionantensis " n" 23, p. S9, comment il échappa à
la mort, dans la cave de sa maison en feu. Mme Firmin Gérin et son mari, paralysé, furent mis au mur de
l'école et menacés d'être bombardés à bout portant, (ibid., p. 60.)
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d'un nuage de poussière. Le lieutenant-colonel Sanson fut tué, le colonel
de Gramont fut porté comme disparu, trois officiers furent blessés, plus
de 5o hommes mis hors de combat.
La tre brigade (43e et 127e régiments), avec la compagnie division-
naire du génie et un groupe de l'artillerie divisionnaire, devait tenir sur
le front Fagnolles-Mariembourg-Frasnes.
Nous joignons deux rapports qui contiennent quelques détails sur
ces opérations.
N° 5o8. Dans la nuit du 24 au 25 août, écrit M. Pierre, instituteur, les maisons de
Matagne~la~Grande regorgeaient de Français. Vers 1 heure du matin, des hommes
vinrent frapper aux portes, prétendant qu'un uhlan, dont ils avaient reconnu la
silhouette, avait traversé au galop la localité. Les lignards ne parurent pas accorder
la moindre importance à ce bruit et achevèrent leur sommeil. Vers 5 heures, deux
à trois cents dragons français poussèrent une reconnaissance jusqu'à la fabrique de
dynamite et, à leur retour, engagèrent habitants et réfugiés à fuir. Le départ fut
fort laborieux, tant était compacte l'armée française : canons, charrois, hommes
couchés sur les chemins obstruaient tout passage. Il fallut quatre heures à certaines
gens pour s'avancer d'un demi-kilomètre. A ce moment quelques centaines de
fantassins prirent position au pied du grand « Tienne », qui domine le petit cime-
tière. Sur la crête s'établirent plusieurs batteries. Vers 8 heures, le duel d'artillerie
commença, sur les indications d'un colonel français, installé à quelques mètres du
cimetière. Bientôt des uhlans apparurent aux portes de Matagne et se répandirent
dans les prés, suivis d'autres cavaliers, toujours plus nombreux, que l'on voyait
s'avancer en courant. Pendant une heure, ils furent tenus en échec par les canons
et les mitrailleuses françaises.
Mais leur masse croissait toujours, au point de pouvoir bientôt prendre de
flanc les batteries françaises, qui occupaient les sommets de la même ligne de
crête, tirant à la fois de Romerée, de la route de Bieure, et de « Gramemont ».
Pendant que les pièces d'artillerie de Bieure, maintenant repérées, essayaient
d'éviter les projectiles ennemis en se déplaçant sans cesse dans la campagne,
l'interminable théorie des convois militaires et civils, émue par le son du canon
et le bruit de la fusillade, poursuivait le plus rapidement possible sa marche tumul-
tueuse et encombrée. Les Français durent les suivre à leur tour, laissant trois morts
près du cimetière (1).
Peu de temps après, les Allemands occupèrent le sommet du « Tienne ».
Au village, une maison voisine de l'église avait été incendiée par des obus;
l'église elle-même avait été plus ou moins endommagée par des éclats.
N'1 599. A Fagnolles, écrit M. l'abbé Derselle, curé de la paroisse en 1919, lorsque la
population vit refluer les troupes françaises, elle fut prise d'affolement et gagna les
forêts voisines. Seuls le curé, le clerc et quelques habitants attendirent l'ennemi.
(1) Jules Delain et Alexandre Douly, de Saintr-Omer et Le Coester, de Dunkerque. Maurice Hallain,
atteint au flanc, put se traîner dans un bois voisin, où on retrouva son cadavre. Un officier fut blessé.
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Un combat, qui marque la dernière résistance française, fut ouvert le 25 août,
vers 7 heures du matin. Au village combattirent le 43e de Lille et le 127e
de Dunkerque, appuyés par de l'artillerie. Un escadron français de chasseurs
à cheval, muni de deux mitrailleuses, avait à peine commencé l'installation de
celles-ci que déjà il était dépisté par un taube et couvert de grenades, qui
firent plusieurs victimes. Tués et blessés furent enlevés séance tenante par les
ambulanciers.
La bataille battait son plein vers tu heures. Des batteries françaises tiraient
à 200 mètres du presbytère, celles de l'ennemi occupaient les hauteurs de Villers-
en-Fagne. Forcée de quitter les avant-postes par un tir nourri, l'infanterie
française se retira à l'arrière. Une ligne de tranchées resta cependant garnie pour
recevoir l'ennemi : c'est là que cinq soldats du 43e furent tués par un shrapnel
tombé à quelques mètres derrière eux(i).
Les Allemands parurent à 14 h. 3o et défilèrent sans s'arrêter, pendant deux
heures, dans la direction de Dourbes; on remarqua notamment des troupes du
tooe régiment.
Le 26 août vers 7 heures, Casimir Seilleur fut sur le point d'être fusillé : on
avait trouvé chez lui un fusil chargé et une caisse de cartouches à ballettes. Le
curé, M. l'abbé Guyaux, parvint à le sauver.
Dans la journée, le curé fut sommé d'accompagner un officier en auto à
Mariembourg.
Cinq soldats français et un Allemand furent tués à Fagnolles. Joseph Machelard,
de Fagnolles, 48 ans, a été fusillé à Petigny. Deux civils de Rosée (voir p. 147)
furent tués à Fagnolles.
§11. — Dourbes.
Dourbes, coquel village de 36o habilants, qu'arrose le Viroin, fui
respecté par la 23e division qui y passa le 25 août, et même par les
premières troupes de la 32e division qui le traversèrent le lendemain.
C'est ce que nous croyons conclure du fait que le 178e entra à Dourbes
le 26 à 5 heures du matin et en partit à 8 h. 3o, croisant en gare de
Nismes le 64e d'artillerie et le 18e hussards (32e division) (2). Les
incendies commencèrent dans la journée et se continuèrent le lendemain :
58 maisons, soit les deux tiers, furent détruites (voir fig. 57). Cet
inutile désastre devait punir quelques coups de feu tirés par l'arrière»
(1) Ce sont le caporal Bourgain, de Lille, et les soldats Blanchat, de Roubaix, Bufquin, de Roubaix,
Derudder, de Saint-Omer, et Bekaert, de Dunkerque. Un hussard allemand fut aussi retrouvé mort à
100 mètres des Français.
(z) de Dampiehrb, o. c- p. 29. Arrivé à Dourbes le i5 août, le lieutenant Reisland, du 177e, écrit :
« Encore de nombreux incendies- Un village haut perché flambait presque tout entier. A le regarder de loin,
je pensai aussitôt à l'embrasement de la Walhalla dans le Crépuscule des "Dieux. Tableau merveilleux, mais
émouvant. » Les Violations, o- o p. 114.
i66
garde française. Trois civils furent tués. On lira avec un vif intérêt le
récit de M. le curé Husquin, témoin oculaire, récit qui a été recueilli
dès le 28 octobre 1914.
OUoy est l'un des rares villages qui ne connurent pas l'invasion
(rapport n° 601).
N" 600. Il passa à Dourbes, vers le 10 août, des troupes des 8e, 73e et iio' d'infanterie
française (3eet 4e brigades, 2e division, icr corps). Le 127e était à Pétigny. Le 21 août,
il passa des convois de ravitaillement et d'ambulance.
Le 23 et les deux jours suivants, les chemins furent encombrés par le triste
défilé des gens du pays de Bioul, Fosses, Auvelais. ainsi que des chariots et
charrettes qu'ils emmenaient avec eux. Des centaines d'étrangers logèrent dans les
granges et à la belle étoile.
Le 25 août à 7 heures, lorsque j'eus dit la messe, les trois quarts des habitants
s'étaient enfuis à leur tour et les dernières troupes françaises se retiraient. Une
douzaine de canons étaient restés près du village, au lieu dit : « Es valli », et purent
tirer de 10 h. 3o à i3 h. 3o sans être repérés ; des obus allemands tombèrent dans
les campagnes voisines, sans atteindre ni les artilleurs, ni le village.
Vers 1 1 heures, une bande de chevaux sans cavaliers dévala de Matagne, dans
un nuage de poussière ; ils étaient suivis d'un escadron du 6e chasseurs à cheval
français, qui venait d'être décimé près du cimetière de Matagne-la-Grande. A la
demande d'un capitaine, je donnai quelques soins à un sous-lieutenant blessé, qui
fut aussitôt remis sur la voiture d'ambulance, puis le capitaine conseilla aux quinze
habitants qui restaient d'abandonner le village.
Je rejoignis mes paroissiens qui, pour la plupart, s'étaient déjà abrités dans un
taillis, entre deux rochers, dans la direction d'Olloy.
A i3 h. 3o, les batteries françaises se retirèrent, abandonnant un canon dont
le timon était brisé, et le combat prit fin.
Nous rentrâmes à quelques-uns au village, mais nous dûmes nous retirer
précipitamment, poursuivis par les éclaireurs allemands qui arrivaient par la route
de Matagne. « Couchez-vous ! » me crièrent subitement mes compagnons, qui
avaient aperçu l'ennemi tirer dans ma direction ; deux balles me frôlèrent la tête.
Nous parvînmes à regagner notre abri.
En ce moment les troupes ennemies envahissaient les rues et se livraient au
pillage des maisons. Celles-ci furent pour la plupart non seulement dépouillées
de ce qu'elles contenaient, mais saccagées.
Dépassant le village, l'ennemi se trouva bientôt en contact avec les Français
dans les campagnes qui séparent Dourbes de Nismes. L'après-midi, nous assistâmes
de loin à leur rencontre le long du Viroin, dans les prairies voisines de la tannerie ;
nous entendîmes pousser des clameurs et des cris.
Nous passâmes la nuit suivante sur les pierres, à côté des rochers.
Le 26 août, je revins au village avec une vingtaine d'hommes. A ce moment
les troupes de la veille étaient parties dans la direction de Nismes et trois soldats
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français cachés dans les environs tiraient sur elles du lieu dit : « Hinry », à environ
3oo mètres, tuant un major et blessant deux soldats (i).
Cependant d'autres troupes avaient pris possession du village et s'attaquaient
aux civils qui y avaient été surpris. Sortant du presbytère, j'aperçus plusieurs de
mes paroissiens qui rampaient dans les fossés ou se glissaient contre les murailles.
Trois hommes furent atteints. Palmyr TONGLET (fig. 66), 46 ans, eut les deux
tempes percées d'une balle sur le « tienne Delvaux », un peu en dehors du village;
sa femme et sa fille, qui s'étaient penchées sur lui, durent l'abandonner pour échapper
à la mort. Clément COGNIAUX, 68 ans, fut atteint au dos d'une balle qui le
transperça de part en part, devant l'école des religieuses ; Jules GODEFROID
(fig. 67), de Somzée, 42 ans, reçut deux balles dans la poitrine et tomba hors du
village, sur la route de Nismes.
Un groupe de civils qui ne réussit pas à fuir fut arrêté et eut beaucoup à
souffrir. Il comprenait Honorine Hurion, épouse Clément Gaye, son fils Désiré Gaye,
Clément Hurion et sa fille Marthe. Le feu venait d'être mis au village vers t o heures ;
ils durent le traverser et furent menés jusqu'à la maison du garde Cyprien Jacmart,
où l'officier allemand avait été tué le matin ; ils furent sur le point d'y être fusillés.
Honorine Hurion, sous la menace du revolver, dut visiter toute la maison pour
s'assurer que personne n'y était caché. On leur fit retraverser le village et on les
aligna au bord de la route de Nismes ; puis ils furent relâchés.
Le 26 août furent incendiés le château et les maisons de « la cour », celles de
la route de Nismes, de la place et de la route de Fagnolles.
Le 27 août, les troupes continuèrent leur marche en avant. Il en vint d'autres,
qui poursuivirent la destruction du village en incendiant la maison communale, où
périrent les archives civiles, les maisons voisines et une partie de celles de la route
de Matagne-la-Grande. Il ne resta de Dourbes que la rue conduisant à l'église,
dans le bas du village, avec l'église, les écoles et le presbytère.
Cinquante-huit maisons furent détruites, soit les deux tiers, au cours de ces
deux journées.
Le 25 août, après la retraite française et le passage des populations qui fuyaient,
quelques obus allemands atteignirent Olloy vers i5 heures. Tirés des hauteurs de
Maîagne-la-Petite, ils tombèrent aux environs de la ligne du chemin de fer et en
deçà du bois qui s'étend jusqu'à Oignies. Une batterie française de 75 fut alors
installée à Neviaux, non loin du cimetière, dans les prairies qui longent le Viroin ;
découverte par un taube, elle eût été aussitôt couverte par les shrapnels qui furent
envoyés vers elle si déjà elle ne s'était retirée vers Couvin, par Petigny. Au bruit
de la canonnade, le petit nombre d'habitants qui étaient restés se rendirent dans
les bois voisins, où ils passèrent la nuit. Les Allemands suivirent en partie la voie
Dourbes, Nismes et Petigny, en partie celle de Vierves et Le Mesnil. Ainsi contour-
nèrent-ils Olloy sans y entrer, et, le lendemain à 6 heures, la messe put être dite
(1) C'est le fait qui a amené la destruction du village. Un officier a déclaré à plusieurs reprises, les jours
suivants, qu' " à Dourbes, un civil a tiré trois coups à balleltes sur les Allemands ; un capitaine a été tué, deux
soldats blessés ».
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comme de coutume. Un cycliste ennemi passa le 26 à 9 heures, et demanda le
chemin de Saint-Joseph (Nismes) ; deux heures après, vingt-cinq fantassins
demandèrent à boire, puis se dirigèrent vers Couvin.
§ 12. — JSismes.
C'est la 2e brigade (ire division, ier corps français) qui reçut, au
matin du 25 août, la mission de tenir Nismes, avec le ter régiment
d'infanterie et une batterie, et d'organiser, avec le 2e régiment de la
brigade et deux batteries, une position de repli à l'arrière.
Les défenseurs se comportèrent avec vaillance : l'ennemi, qui débou-
chait déjà de Dourbes vers 14 heures, ne put entrer à Nismes qu'à
18 h. 3o (1).
Le lendemain, le feu fut mis à 3 maisons et sept civils furent
massacrés. Voici ce qu'a écrit à ce sujet le curé de la paroisse,
M. l'abbé Gruslin.
N° 602 ^e village de Nismes est traversé par l'Eau Noire, qui se réunit un kilomètre
plus loin à l'Eau Blanche, au pied de la Roche à Lomme, pour former le Viroin.
Le 25 août, au matin, les derniers habitants, quand ils virent que la retraite
française était terminée et que l'arrière-garde effectuait sur les Tiennes quelques
travaux de défense et barricadait les quatre ponts de l'Eau Noire, se réfugièrent
dans les bois de Regniessart, à 4 kilomètres de la localité. Il ne resta que le curé
et un petit nombre de personnes, la plupart des vieillards et des infirmes.
Dans les premières heures de l'après-midi, l'ennemi se dirigeait en rangs
serrés vers la tannerie Houben quand des Français embusqués dans un bosquet et
le long de la rivière, au pied de la Roche à Lomme, ouvrirent le feu. Une vive
fusillade se poursuivit de part et d'autre et des ouvriers qui se trouvaient à la
gare de Nismes entendirent distinctement un capitaine français crier à quelque
5o soldats qu'il avait sous ses ordres : « Courage, mes amis, tenons ferme! » Plus
loin les Allemands vociféraient, poussaient des cris.
L'artillerie ennemie vint à l'aide des fantassins et la poignée de défenseurs
français dut battre en retraite, gagnant le village de Nismes (2). On vit encore un
(t) Voir de Dampierre, o. c. p. 29. — M. Fettweis, substitut du procureur du Roi à Dinant, a relevé les
tr?ces, le 25 au soir, du 102e et de l'Etat--Major de la 23e division, qui y a passé la nuit.
(2) Un témoin oculaire, Auguste Deprez, habitant la " Montagne aux Buis », face à la gare, a fait le récit
suivant du combat, auquel il a assisté de la montagne, à environ 3oo mètres de sa maison. « Les Français
étaient placés le long du Viroin et de l'Eau Blanche, et sur les coteaux boisés qui séparent Nismes de Petigny ;
le commandant se trouvait au « Tienne du Fourneau », face à la Roche à Lomme et à la gare. Les Allemands
se présentèrent vers t6 heures, venant de Fagnolles et de Dourbes; ils disposèrent cinq canons entre la
Montagne aux Buis et la Roche à Lomme, d'où ils tirèrent quelques coups seulement, ayant été repérés aussitôt
par les Français. Une quinzaine de ceux-ci, commandés par un officier et formant arrière-garde, se repliaient
tout en gardant contact avec l'ennemi. Arrivés derrière un tas de perches, je les vis encore ouvrir le feu.
Trois de leurs officiers vinrent à leur aide et l'un d'eux fut fait prisonnier. Un soldat français qui se trouvait
t6ç
soldat, près d'être fait prisonnier, se jeter dans la rivière et chercher un abri sous
de fortes racines. Un autre fit le dernier coup de feu, dissimulé dans un monceau
de perches, près de la gare (t).
Puis des Allemands s'avancèrent, les canons traversèrent la rivière, escala-
dèrent le remblai du chemin de fer, franchirent les haies et gagnèrent la route.
A 18 h. Zo, les premiers uhlans pénétrèrent à Nismes, venant de Matagne et
de Dourbes et se dirigeant sur Petigny et Couvin. Le défilé dura jusque 2t h. 3o.
En passant devant l'église, des soldats firent une large brèche à la porte d'entrée,
forcèrent la porte du jubé et enlevèrent le drapeau qui flottait au clocher.
Dans la nuit suivante et le lendemain, 26 août, les soudards s'acharnèrent sur
les maisons, brisant portes et fenêtres, pillant tout ce qui était à leur convenance.
Les troupes de passage commencèrent le pillage du château Licot, qui se
poursuivit pendant des semaines (2). Meubles, tableaux, vaisselle et tout ce qui s'y
trouvait furent brûlés et détruits ou emportés, au point que bientôt il ne resta plus
que les murs.
Le 26 août, vers 16 heures, les soldats mirent le feu, sans motif aucun, aux
maisons de Victor Fichet et d'Agathan Danis, ainsi qu'aux deux maisons Magotaux-
Danis, occupées par François Hallard et François Delvaux, enfin au chantier de
bois d'Octave Danis, entrepreneur. Une tentative d'incendie chez la veuve Laurent
resta sans suite.
Le même jour, sept civils trouvèrent une mort atroce.
Victor FICHET, vieillard de 72 ans, fut trouvé affreusement blessé et à moitié
carbonisé sur un fumier, en face de sa maison incendiée.
Emile PERLEAUX (fig. 69), 43 ans, père de trois enfants, Alfred GRÉGOIRE
(fig. 72), 36 ans, Gaston LAPOTRE (fig. 71), 22 ans, et Achille COLLART (fig. 73),
23 ans, furent arrêtés le 26 août sur la route de Petigny, en revenant du bois, avec
le docteur Morren. Celui-ci put échapper en invoquant sa profession; mais les autres
furent aussitôt garrottés. Emile Perleaux et Gaston Lapotre furent tués à coups de
fusil ou de revolver à mi-chemin de Petigny. Alfred Grégoire et Achille Collart
furent tués à l'entrée de Petigny. Ce dernier fut achevé par de nombreux coups de
baïonnette, et des habitants de Petigny, cachés dans une cave voisine du lieu de
l'exécution, furent les témoins épouvantés de son agonie, sans oser se porter à son
secours, tant le danger était grand.
seul sur la route de la gare y fut tué. Les soldats envahirent alors les environs de la gare, nous les entendîmes
qui brisaient portes et fenêtres en hurlant et nous les vîmes ramasser les morts et tes blessés. Quand ces
troupes — des grenadiers — partirent vers Nismes le lendemain, à 4 heures du matin, les prairies étaient
couvertes de matelas, de tables, de chaises et de quartiers de viande.
(1) Nous avons relevé les sépultures suivantes de soldats français du 127e. A la gare, Florimond Tachery,
1910, Lille, n° 552 ; sous Saint-Roch, François Pau, 1908, Lille, n° 2897, Albert Hennebert, 1910, Lille,
n° 2464, et deux soldats non identifiés; à la Croix de Frasnes : Constant Vandeputte, 1910/ Lille, n° 818,
Oscar Des Fontaines, 1910, Arras, n° 171, Jules Bray, 1910, Lille, n° 5950, Pierre Van Hove, Lille, 19131
n° 5809 et un inconnu.
Furent aussi inhumés : à la gare le major allemand Schrôdel, du i 02e ; dans le parc de Mme Moreau.-
Philippe, le capitaine Walter von Eisa, fils d'un général, du 102e; dans le parc du château, un officier
inconnu du 102e.
(2) Le 3o août s'y trouvait l'Etapp. Fuhrpark Kolonne 5 (XIX, 2 K. S. Armée Korps).
170
Jules NICOLAS (fig. 68), 56 ans, père de cinq enfants et Ernest MOREAU,
i3 ans, deux voisins, furent fusillés en rentrant chez eux, alors qu'ils revenaient de
la montagne aux buis. Quelques civils cachés à peu de distance les entendirent faire
appel à grands cris, mais en vain, à la pitié de leurs bourreaux.
A ces victimes, il faut ajouter un septuagénaire originaire d'Oignies,
Joseph TIBAUT, qui fut abattu sur la voie ferrée, en cherchant à atteindre
Mariembourg.
Après les longues heures d'un séjour très pénible dans la forêt, les habitants
revinrent au village et n'y trouvèrent plus qu'une poignée de soldats.
Le prince Max de Saxe célébra la messe à l'église paroissiale le 27 août et fit
remettre au curé un billet ainsi conçu :
En passant par ici, je me suis permis de dire la messe à votre maître-autel avec les ornements et le calice
que j'ai avec moi.
Max, ptince de Saxe,
D theol. etjuris.,
en ce moment aumônier militaire de la i3e division (ire de Saxe) (1).
Le 5 septembre, le curé et le secrétaire communal furent emmenés par une
escorte de soldats, vrais léopards, qui les internèrent dans une maisonnette, à la
sortie du village vers la gare. Ils y furent l'objet de menaces de la part d'un
capitaine et furent libérés après quelques heures.
§ t3. — Petigny.
L'ennemi entra à Petigny sans la moindre résislance, au soir du
2.5 août. Il restait dans ce village un moribond et quelques vieillards. Il
n'empêche que le feu fut mis, le lendemain, à quatorze maisons. Quatre
étrangers surpris aux abords de la localité y furent massacrés, ainsi qu'on
le lira dans le récit de M. l'abbé Capelle, curé de Petigny.
N" 6o3. Toute la population, sur te conseil du curé, s'enfuit dans les bois dans la journée
du 25 août et y resta jusqu'au matin du 28. Lorsque le 25 au soir l'ennemi occupa
le village, il y restait trois vieillards.
Les troupes se livrèrent à un pillage complet. Bien qu'il n'y eût pas un soldat
français pour les inquiéter, elles mirent le feu, sans autre motif que le plaisir de
détruire et le souci de terroriser, à 14 maisons situées dans la rue principale du
village, reliant Oiloy à Couvin. Ces bâtiments sont : une grange isolée appartenant
au moulin; un pâté de quatre habitations, dont deux nouvellement construites.
flanquées chacune de grange et écurie; une ancienne habitation avec écurie; le
local du patronage, comprenant corps de logis et salle de concerts; une grange
spacieuse, reliée à six habitations finissant la rue vers Couvin, qui avec une
grange-remise intercalée furent la proie des flammes ; une habitation et une
grange neuve.
(1) L'original est conservé" à Bruxelles, aux archives de la Commission d'enquête ; également un billet signé
d'un médecin du 3" bat du 102e
'7'
Le 26 août à 5 heures, un vieillard, Désiré Chabot, fut aperçu par deux uhlans.
au moment où il chassait du bétail dans une pâture. A quelques mètres de distance,
ils tirèrent sur lui quatre coups de feu. « Kapout ! » cria l'un d'eux, et ils se
retirèrent. M. Chabot resta sur place trente-neuf heures, baignant dans son sang.
Deux civils de Couvin vinrent le charger sur une brouette. Il guérit après un mois
de soins, mais resta infirme.
Le même jour, les troupes rencontrèrent un groupe d'étrangers qui avaient
commis l'imprudence de sortir du bois. Ils furent fusillés près du moulin, sous les
yeux de Victor Masson. Ce sont Omer LOTHIER, 24 ans, de Mariembourg;
Joseph MACHELARD, 48 ans, de Fagnolles ; Louis DERNIÉVOIX, 41 ans. et son
fils Ernest, de Bouffioulx, et les quatre civils de Nismes dont nous avons déjà
donné les noms (voir Nismes).
Le 26 au malin, le XIIe corps poursuivit son avance et entra de bon
matin à Couvin, à Bruly-de-Pesche et autres villages voisins. La
23e division marchait en tête. La 3ze passa à Le Bruly, qui était déjà
en feu, à 16 heures (t) ; le 178e, qui fait partie de cette division, passa
la frontière à 16 h. 45 (2) et arriva à 17 heures au Gué-d'Hossus, qui
était aussi en flammes. Les pages qui vont suivre retraceront l'histoire de
cette journée du 26 août.
C'est seulement lorsqu'elle eut mis le pied sur le sol français que
l'armée allemande semble s'être rendu compte de la sauvagerie dont elle
avait fait preuve en traversant la Belgique. « La division, écrit alors un
soldat allemand, intervient une bonne fois, Dieu merci, énergiquement,
contre ce brûlage et ce massacre de civils. Le ravissant village du Gué-
d'Hossus aurait été tout à fait innocemment livré aux flammes. Un
bicycliste serait tombé, ce qui aurait fait partir son fusil. On a simple-
ment jeté les habitants mâles dans les flammes. De pareilles horreurs ne
se reproduiront plus, il faut l'espérer (3). »
§ 14. — Couvin.
Dans Couvin se réunissent trois grand'routes : celle de Philippeville,
celle de Matagne et Fagnolles, celle de Nismes et Petigny; de la ville
partent ensuite les voies qui mènent à Chimay et à Rocroi.
Bien qu'il n'y restât pas un soldat français et seulement une poignée
de civils, cette petite ville fut sérieusement exposée à une ruine totale.
Le feu fut mis à deux reprises par le 102e et huit maisons furent
détruites.
(1) de Dahmerbf, Carnets de roule, p. 3o
U) n.
(3) lb., P. Si.
172
Les troupes avaient défilé paisiblement pendant la journée du 26
lorsqu'à la soirée, une fusillade menaça d'amener les plus grands
malheurs. Un prêtre que toute la population estimait pour sa science et sa
piété, sa bonté et sa douceur, et qu'elle vénère maintenant comme un
martyr, M. l'abbé Paul Gilles (fig. 70), vicaire de Couvin, fut surpris
par des soldats du 182e au moment où il allait visiter un malade. Il fut
cruellement massacré. Les soldats emportèrent son corps meurtri —
peut-être son cadavre — sur un chariot et le déversèrent dans un ravin,
en dehors de la ville (1).
Un groupe de 21 prisonniers, dont plusieurs femmes et une fillette
de dix ans, fut entraîné jusqu'au Gué-d'Hossus, village français de la
frontière, lui aussi incendié; ces otages endurèrent des angoisses
mortelles; un des leurs, Pierre Boutai (fig. 75), fut fusillé sous
leurs yeux.
Au rapport sur Couvin (n° 604), nous joignons un court travail
sur Bruly-de-Pesche (n° 605). hameau perdu au sein de la forêt, dans
la direction de Cul-des-Sarts.
>^o *.Q. Vendredi 7 août, dans l'avant-midi, un escadron de chasseurs, commandé par
le comte de Boisset, fit son entrée à Couvin; il partit pour Mariembourg le lende-
main au soir. D'autres troupes se succédèrent les jours suivants jusqu'au 22 août.
Le 23, d'interminables convois de fugitifs de l'Entre~Sambre-et-Meuse jetèrent
les Couvinois dans une grande panique, qu'accrut bientôt le passage des avions
français regagnant Rocroi (2). Le 24, ce fut la retraite des troupes françaises, qui
s'effectua en un ordre parfait. Il n'en était pas de même des soldats belges qui
avaient pu s'échapper de la place forte de Namur. « La vue de ces soldats en
déroute, dépareillés et débandés, abandonnés entièrement à eux-mêmes, ne fit
qu'accroître la terreur qui régnait déjà dans la ville (3). »
En pleine nuit du lundi au mardi, le général Franchet d'Espérey, qui avait
pris quartier chez le docteur Lambotte, fut prévenu que les Allemands avaient
passé la Meuse à Revin. Il se leva et donna des ordres.
Le 25 à 14 heures, combat de Mariembourg, que soutint le 127e français. Les
(1) On a notamment relevé à Couvin le passage des 108e et i8ie et du 48e d'art. (i3e div. XIIe corps),
des ioie, io3e et 178e et du 18e hussards (3ie div- XIIe corps), des chasseurs de Marbourg (1 ie bat.), du 100e
de réserve (XIIe de réserve).
(2) Mme la comtesse Henriette de Villermont décrit ainsi cette retraite: « Dans un nuage de poussière, un
flot incessant d'hommes, de femmes, d'enfants, de vieillards, passent harassés, la plupart chargés de valises,
de paquets, au milieu de chariots, de voitures, de charrettes de toute espèce, traînées par des chevaux, des ânes,
des chiens, et aussi par des hommes. Des piles de meubles, de matelas, d'objets de toute sorte y ont été entassés
en hâte et se balancent comme pour s'écrouler. Une figure livide de malade en émerge quelquefois. Tout cela
défile sans trêve, tandis que les fantastiques automobiles des aérostatiers, des autos de toute espèce, traversent
en trombe cette foule qui s'ouvre, se déplace, se referme dans une soumission et un silence impressionnant. »
(3) P. René de Nantes, Couvin. Librairie Saint--François, rue Cassette, à Paris.
i73
derniers défenseurs repassèrent à la soirée, couverts de poussière et exténués de
fatigue, et prirent le chemin de Rocroi. A ce moment il ne restait à Couvin qu'une
poignée d'habitants pour recevoir l'ennemi, des femmes et des vieillards.
Le 26 août, de bonne heure, on cria : « Voilà les Anglais ! » C'était l'avant-
garde allemande, bientôt suivie de troupes plus considérables, qui défilèrent
d'abord assez paisiblement à travers la ville, sans rencontrer d'ailleurs le moindre
obstacle. Dès 4 h. 3o, Désiré Chabot fut blessé grièvement par des uhlans sur la
route de Petigny. La maison voisine de la sienne, appartenant à M. Magotteaux-
Poulain, fut incendiée à 5 h. 3o. Quelques hommes, surpris sur la rue, furent
requis de conduire les premières colonnes jusqu'au village voisin.
Vers 9 heures la situation empira. Une centaine de Saxons envahirent le
château des comtesses de Villermont et le couvent des Pères Capucins, et y
semèrent l'épouvante. « Nous étions assemblés, a écrit le P. René de Nantes, dans
notre salle d'études, ne nous doutant pas de ce qui se passait autour de nous.
Soudain, un grand bruit se fait entendre, la porte extérieure du couvent s'ouvre
avec fracas, et les crosses de fusil résonnent dans le couloir. En même temps, des
cris désespérés de femmes et d'enfants (fugitifs d Ermeton), mêlés aux cris féroces
de la soldatesque, frappent nos oreilles et nous glacent d'effroi... « Heraus !
Sortez! », crient à tue-tête ces énergumènes; et le revolver braqué sur nous, les
yeux menaçants, ils nous saisissent vivement par notre habit et nous forcent
d'évacuer la place. La foule ahurie, ne comprenant rien au langage qu'elle
entendait, pousse des cris de terreur et cherche à se répandre dans le
couvent (1). Quelques-uns même de ces malheureux se rappelant le chemin
de la cave, conçoivent l'idée de s'y réfugier; mais nous nous y opposons
de toutes nos forces... » Les soldats procédèrent à une perquisition générale,
aussi minutieuse que grotesque, durant laquelle ils commirent, à 9 h. 3o, leur
premier crime.
L'un des réfugiés, jardinier du château d'Ermeton, Vital BLAIMONT, 48 ans,
trompant la surveillance des religieux, avait réussi à gagner la cave. Un soldat se
mit à sa poursuite, l'aperçut blotti dans l'angle d'un escalier et déchargea trois fois
sur lui son revolver.
A ce moment, les Saxons s'étaient répandus dans toute la ville et saccageaient
furieusement les maisons abandonnées. Le pillage se poursuivit pendant l'après-
midi. Dès 8 h. 3o du matin, la ville avait été condamnée à fournir 20,000 rations de
pain pour le lendemain. Toutes les femmes y travaillèrent, M. Pamelard courut
chercher des levures à Nismes et les Allemands défoncèrent les portes de toutes les
boulangeries. Mais on avait beau cuire des pains à tour de bras : les troupes qui
passaient venaient les enlever au fur et à mesure.
Vers 17 heures, on entendit une fusillade qui s'étendit de proche en proche.
Beaucoup de soldats étaient remplis de vin et de liqueurs et tiraient. « Caché derrière
(1) Au même moment, Mme la comtesse H. de Villermont était entraînée dans la cour par un officier;
devant elle se plaçait un double rang de soldats, le premier un genou en terre, le second debout, la tenant en
joue. Les soldats criaient : « Feuer, Tod ! » et tiraient dar.s les moindres buissons. Deux femmes, dont une
jeune fille de 16 ans, surprises dans un buisson où elles s'étaient cachées, furent amenées auprès de Alnie la
comtesse- La jeune fille s'accrochait à elle, poussant des cris de terreur : « Sauvez-nous ! on va nous fusiller ! »
'74
l'une des fenêtres de la bibliothèque, écrit encore le P. René, je pus observer sans
peine les mouvements désordonnés de cette bande furieuse. Les uns visent dans la
direction du parc, comme s'ils venaient d'apercevoir l'ennemi au milieu des bois;
d'autres dirigent leur tir vers l'usine Saint-Roch et sur l'épaisse charmille qui,
longeant l'étang, conduit au cimetière. Ils tirent encore, ils tirent toujours, et leur
visage et leurs gestes trahissent manifestement la surprise et l'effroi. »
<( Nous allons tout brûler, et fusiller tous les civils comme à Dinant », dirent
des soldats près de la maison Louis Antoine, en présence de M. Mauer, régent de
langues modernes à l'école moyenne. Le feu fut mis, en effet, à ce moment « au Petit
Village » à deux maisons appartenant aux comtesses de Villermont. Il y eut aussi
plusieurs victimes. Trois hommes de Frasnes furent massacrés le long du parc de
Saint-Roch (voir Frasnes, p. io3). Un ouvrier attardé dans une pâture fut grièvement
blessé et un jeune homme de 25 ans, en manches de chemise, vêtu comme un
cultivateur au travail, tomba mort, atteint de plusieurs balles. On retrouva son
cadavre dans l'étang du parc de Saint-Roch. « Il n'en a plus pour longtemps à vivre »,
avait dit le matin à M. Pureur, vétérinaire à Couvin, un officier, qui se vantait
d'avoir déjà tué quatorze civils ce jour-là.
Dès le début de la fusillade, le doyen de la ville, M. Demanet, le Frère Léon,
capucin âgé de 80 ans, et M. Pamelard, pharmacien et échevin — le bourgmestre
et autres autorités avaient suivi les fugitifs et les troupes en retraite — furent arrêtés
au moment où ils étaient à la recherche de cercueils pour enterrer les morts « Vous
êtes nos garants! » leur dirent les sentinelles. Comme ils se trouvaient devant
l'ambulance établie à l'école normale, un officier demanda à M. le doyen :
« Connaissez-vous Karl Marx? — « Non », répondit-il. Le doyen et M. Pamelard
furent mis le visage au mur. On amena le civil en question, puis M. le doyen fut
invité à le regarder. « Le connaissez-vous? » Il l'avait précisément vu, le matin
même, à l'église de Couvin, escorté de sa jeune fille; il répondit : « C'est le chef
de gare intérimaire ». L'officier lui mit le revolver sur la tempe : « Pourquoi dites-
vous que vous ne le connaissez pas, alors que vous le connaissez? — Je savais qu'il
était chef de gare intérimaire, arrivé depuis quelques jours à Couvin, mais je ne
connaissais pas son nom. » Charles-Augustin Marx avait la vie sauve; non reconnu,
il eût été vraisemblablement fusillé comme espion.
Les trois otages durent alors parcourir la ville, escortés d'un officier qui prévint
le doyen « qu'il avait fusillé six de ses frères à Surice » ; précédés d'un tambour,
ils devaient annoncer que « si quelqu'un tirait, ils seraient tous trois fusillés et la
ville incendiée ». Après avoir fait le tour des rues, ils étaient revenus en face de
l'école normale quand deux soldats amenèrent devant sept ou huit officiers
supérieurs de toutes armes, à cheval, rangés à côté, un vieillard de jy ans,
Alexandre BAUDAUX, qui avait été pris, lui aussi, comme suspect. Il ne pouvait pas
marcher, parce que la culotte lui était tombée sur les pieds. « Le connaissez-vous?»,
demanda brusquement un officier à M. le doyen. Celui-ci ne le connaissait pas et
le déclara à l'officier, sans se douter que la vie de ce malheureux fût pour cela en
danger. Le pauvre vieillard fut conduit séance tenante dans une ruelle voisine et
abattu. Il était 17 heures. M. le doyen entendit le coup de feu : « C'est le petit
vieux, lui dit l'officier, vous pouvez l'enterrer demain ! »
«75
Le doyen et M. Pamelard passèrent la nuit comme otages à l'imprimerie Melin =
où logeait une bande d'officiers supérieurs (t).
C'est au moment de la fusillade générale que commença le martyre de
M. l'abbé Paul GILLES (fig. jo), 3o ans, docteur en philosophie et en théologie de
l'Université grégorienne, vicaire de Couvin (2).
Appelé auprès d'une malade, Mme Destrée, il fut surpris par la pétarade près
de l'Harmonie et voulut rebrousser chemin, mais des soldats du 1 81e d'infanterie
qui l'aperçurent tirèrent sur lui. Il put gagner sans être blessé la maison du docteur
Focquet et il s'y reposait de sa course, lorsque des énergumènes entrèrent préci-
pitamment et 'l'emmenèrent au dehors, avec le docteur et Mlle Focquet.
Arrivés à l'entrée du Grand Pont, ces derniers furent relâchés, mais le jeune
prêtre resta entre les mains des soldats, qui continuaient à tirer et proféraient des
clameurs confuses.
M. Mauer qui avait été requis d'accompagner des officiers à la gare et à l'hôtel
de ville, passait à ce moment ; il vit le vicaire encadré de deux soldats, pâle et
défait, agitant les bras pour [aire comprendre qu'il n'avait pas d'armes. M. Mauer
se rendit compte aussitôt que sa vie était en danger, tant la fureur et la haine
brillaient dans les yeux des soldats. Il s'avança pour expliquer que le jeune prêtre
était l'homme le plus paisible du monde; mais un capitaine, intervenant, lui imposa
silence et le saisissant lui-même par l'épaule, il lui cria, en le menaçant de son
revolver : « Marche devant moi, chien, ou je te tue ! a
Pendant ce temps, les bourreaux s'en prenaient plus violemment à leur victime,
la frappant à coups redoublés avec la crosse du fusil, sur la tête et dans le dos.
Lorsque le pauvre vicaire, déjà tout meurtri, passa devant l'atelier de M. Dunand,
électricien de la ville, celui-ci se trouvait sur le seuil et vit l'un de ces forcenés lui
asséner de son arme un tel coup dans le dos que, excité par la douleur, il fit en
avant un bond désespéré et distança de plusieurs mètres ses assaillants. Puis,
réunissant dans un suprême effort ce qui lui restait de forces, il poursuivit sa
course jusqu'à la maison de M. Meunier, à une centaine de mètres du Grand Pont.
Là une grêle de balles fut tirée sur lui. Il tomba, ses jambes étaient atteintes
et le sang coulait. M. Dunand, pris de pitié, s'élança courageusement pour lui
porter secours, mais il ne put l'approcher, car il fut tefoulé parmi les otages et
emmené avec eux sur la route de Rocroi.
Le pauvre martyr gisait donc sur le sol, en face de la maison de Jules Hosselet,
appuyé sur le côté gauche, le bras droit levé vers les soldats en un geste de terreur
et de supplication. Il restait là, impuissant à se relever et gémissant, tandis que
(1) Parlant des religieux de Leffe qui avaient eu tant à souffrir, un aumônier protestant dit : Credo eos
fuisse innocentes, allamen non habebamus iempus ad inquirendum. Avec l'aumônier se trouvait un officier :
" A Couvin, dit-il, on a tiré sur nos troupes. '•> Le doyen répondit : « On a tire à la gare, mais une dame a
désigné le coupable, un soldat allemand, qui a dû le reconnaître " .
12) A ce moment se trouvaient en. ville, au témoignage du Livre Blanc Allemand (Anlage 41, p. 56), le
train des 177e et 178e d'infanterie, ainsi que du 18e rég. d'artillerie de campagne; enfin la 4* batterie du
64*" rég. d'artillerie de campagne, que commandait l'officier Mackemehl. Ce dernier a dû jouer un rôle
onsidéi-able dans les incidents de la journée, car il signe le rapport publié au Livre Blanc; mais il a soin de
se taire sur le meurtre du vicaire.
t76
défilait à côté de lui la troupe. A Auguste Jordan, qui passait vers ce moment, il
dit encore en montrant sa blessure : « Que dois-je faire? », comme pour le prier
délicatement de l'arracher à ses ennemis. M. Jordan tenta en effet de s'approcher
de lui, mais un soldat accourut et le força brutalement à s'éloigner.
Un officier voulut encore obliger le blessé à rentrer dans les rangs, mais il lui
fit comprendre qu'il en était incapable.
C'est alors que, au témoignage de deux enfants, derniers témoins du drame, un
canonnier descendit de cheval et, s'approchant du blessé, lui déchargea un coup
de revolver dans le dos. Des soldats hissèrent son corps pantelant sur un chariot
de l'armée, couvert d'une bâche, qui l'emporta. On croit qu'il vivait encore et des
personnes qui l'ont vu passer aux Fonds-de-1'Eau ont affirmé qu'on lui donnait des
coups de crosse en pleine poitrine.
Qu'arriva-t-il ensuite? Dans Couvin, la terreur était telle que les témoins
eux-mêmes n'osaient parler. On ne parvenait pas à savoir ce qu'il était advenu du
pauvre vicaire. M. le doyen poursuivait ses recherches : peut-être le blessé avait-
il été emmené dans une ambulance...
Huit jours plus tard, le cantonnier Jules Baudaux découvrit une sépulture dans
un ravin bordant la route de Bruly-de-Couvin. Il l'ouvrit et revint en ville avec une
bottine, un mouchoir, un crayon et un lambeau de soutane, car le cadaore était
complètement méconnaissable. On fit appeler Elise, la servante de M. l'abbé, qui
s'écria, après avoir examiné ces divers objets : « C'est bien lui! » Il fut inhumé sur
place.
Le 18 octobre suivant, nul n'osait encore aviser l'autorité allemande : fraudu-
leusement, dans le mystère, à l'insu de l'ennemi, le cadavre fut exhumé et transféré
au cimetière de Couvin.
Quant à M. Mauer et aux autres otages au nombre de 21, dont cinq femmes et
une fillette de dix ans (1), que la soldatesque avait péniblement ramassés, ils furent
emmenés, derrière le véhicule qui emportait le vicaire blessé, jusqu'au Gué-d'Hossus
et eurent beaucoup à souffrir. « Je ne trouve pas de mots, a témoigné M. Mauer,
pour décrire les vociférations de bête sauvage que le capitaine du bataillon nous
adressait. Vous devinez quelle était l'épouvante et la consternation des otages ! Il
faut avoir vécu de pareilles minutes pour en concevoir toute l'horreur. Je vis, par
exemple, le capitaine frapper comme une brute avec un gros revolver dans le dos de
Louis Antoine, père, parce que ce vieillard malade et à peu près impotent, soutenu
par son fils et sa femme, ne marchait pas aussi vite que le chef allemand le voulait ! »
Quand les prisonniers partirent de Couvin, les maisons Emile Moreau, Marcel
Moreau, Alcide Guislain et Jean Mélin, « à la Marcelle », étaient en feu et on
pouvait craindre que ce fût, comme ailleurs, le commencement de l'incendie général
de la ville. « Voilà les francs-tireurs! A mort! », criaient les soldats qu'ils croisaient
sur la grand'route.
Près de la chapelle des Fonds-de-1'Eau, on rebroussa chemin pour prendre
(1) Voici les noms de plusieurs d'entre eux : Pierre Boutai, M- Antoine, Emile Bastin, Frédéric Dunand
et ses fils, Maurice et Georges, M- et Mlf|C Michel Gouttier et leur fille âgée de 10 ans, Louis Guérin,
M. Mauer, M. et Mme Emile Hollogne, Augustin Poulain, Elisa Galoux et deux étrangers.
177
l'ancienne route, très montueuse, de Rocroi, tandis qu'une partie du charroi entraî-
nait sur la nouvelle route de Bruly le corps de M. l'abbé Gilles. C'est alors que
sans le moindre motif ou prétexte, la soldatesque se complut encore une fois à
verser, sous les yeux des otages saisis d'horreur, le sang innocent. Pierre BOUTAL
(f»g- 75)» 53 ans, fut placé contre le mur de la maison Rousseau, près de la chapelle
des Fonds-de-l'Eau, et fusillé. Il était i5 heures. Le capitaine hurlait même qu'il
allait en abattre trois, pour donner un exemple à la ville. Cet homme brutal se
tourna alors vers M. Mauer qui parlait la langue allemande et servait d'interprète :
« Proclame de suite devant mes troupes, lui dit-il, que j'ai eu raison de faire tuer
ton curé, et que nous faisons bien de fusiller vos chiens de Belges, ou tu es mort ! »
Pour éviter de nouveaux malheurs, le professeur dut répondre qu'il avait raison,
s'il possédait la preuve que ces gens avaient commis des actes contraires aux lois
de la guerre. Vers ce moment, Elisa Galoux et Mariette Gouttier — celle-ci âgée
de dix ans — reçurent un passeport signé du baron Gregory, pour regagner
Couvin (1).
A l'entrée de la forêt, les otages furent disposés en bouclier, pour protéger
les soldats contre toute attaque française, et on annonça qu ils seraient abattus au
premier coup de feu tiré contre la troupe.
Ils traversèrent, dans la nuit, le village du Gué-d'Hossus, qui était en feu. Dans
une masure, où on les fit entrer, un officier procéda à 22 heures à une sorte
d'interrogatoire. Après une nuit pleine d'angoisse, le capitaine Franck leur remit,
à 5 heures, un passeport de libération (2).
Dans les jours qui suivirent, la situation ne s'était guère améliorée. Chaque
soir, des bandes de soldats envahissaient les maisons en hurlant, défonçaient des
vitrines, pillaient ce quitavait échappé à leurs devanciers, chargeaient et empor-
taient des meubles. Il faut avoir vécu cette période pour en apprécier l'horreur:
aucune plume n'est capable d'en donner seulement une faible idée.
Une contribution de guerre de 20,000 francs a été exigée par le général de
l'Etappen Inspektion der 3. Armée, logeant à Saint-Roch.
A BrulydcPesche, écrit M. l'abbé Etienne, chapelain, il vint d'Eteignères, le
17 août, un convoi français de ravitaillement, bientôt suivi de tout un régiment :
c'étaient des soldats du Calvados (Granville et environs). Les voitures couvraient la
place et les prairies voisines. Les soldats s'installèrent à l'école, dans les maisons
et les granges, mais le nombre en était si grand qu'une partie dut camper dans le
bois. Us partirent le lendemain pour Morialmé.
Puis ce fut l'arrivée des civils de Philippeville, Berzée, Chastrès, etc., dans
des conditions pitoyables.
Le 26 août à 7 h. io, les Allemands apparurent sur la route de Couvin à
Cul-des-Sarts, qui passe à côté de Bruly-de-Pesche. Il n'y eut pas plus d'une
demi-heure d'intervalle entre le départ des Français qui lancèrent les premiers le
(t) L'original de cet écrit est aux archives de la Commission d'enquête, à Bruxelles; il est ainsi conçu :
« Madame E. Galoux mit Kind hat Erlaubniss nach Couvin auriickzukehren. Frhr v. GREGORY, Hptm. »
U) « .8 Einwohner von Couvin, welche zur Sicherung als Geisze mitgenommen worden, sind èntlassen
(s.) FRANCK, O'ocrst und Kdr. »
11
i78
cri d'alarme, et l'arrivée de l'ennemi. En un clin d'ceil, les habitants gagnèrent les
bois. Quelques uhlans perquisitionnèrent dans le village abandonné entre 8 et
9 heures. Après une nuit passée au dehors, les habitants revinrent chez eux.
§ i5. — Le Bruly.
L'ennemi poursuivait son avance sur la route de Rocroi. Un court
combat d'artillerie s'engagea quand les éclaireurs parurent au Bruly,
le 26 août, vers 6 heures du matin. Le gros des troupes ne pénétra dans
le village qu'à 10 h. 3o et se vengea de la résistance qu'il avait ren-
contrée, en mettant le feu à dix maisons et en tuant deux civils, ainsi
que le relate M. l'abbé Hiernaux, curé de la paroisse.
N° 606. Le t5 août, nous reçûmes des tirailleurs français. Le 22 août, commença
l'exode des fuyards de Fosses et de Charleroi, de Walcourt et de Philippeville.
Dans la nuit du 25 au 26, le village fut mis en état de défense. Ce que voyant,
la plupart de mes paroissiens s'enfuirent vers la France; soixante ne rentrèrent
qu'en 1919. Il ne resta que quelques familles, et encore elles s'étaient réfugiées
dans les bois environnants, où plusieurs passèrent la nuit du 26 au 27 août et les
jours suivants, pour rentrer à partir du 3o,
Le colonel et le drapeau d'un régiment d'arrière-garde française passèrent au
presbytère la nuit du 25 au 26 août. Dans la soirée, quelques soldats échappés du
combat de Mariembourg vinrent dire que les Allemands approchaient, que le lende-
main matin ils seraient ici.
De fait, le 26 août, vers les 6 heures du matin, des uhlans apparurent sur les
hauteurs de la ferme « du Capitaine », distante d'un kilomètre de l'église, à vol
d'oiseau. Une batterie allemande postée aux environs de cette ferme bombarda
Rocroi. Les canons français ripostèrent quelque temps. Le village, situé entre ces
deux hauteurs, n'eut guère à souffrir du duel d'artillerie : la maison de Victor
Dupont-Gautier, située au « Moulin-Manteau », fut fortement secouée par un obus
qui éclata sur la toiture, et la maison habitée par Blin-Renelle, au lieu-dit :
« Tauminerie » fut probablement incendiée par un obus.
C'est le 26 août vers 10 h. 3o que les Allemands firent leur entrée à Bruly.
Aussitôt les maisons sont livrées au pillage : les soldats boivent, mangent,
volent ici un cheval, là une vache; leurs bouchers abattent le bétail sur place,
emportent les plus beaux morceaux et abandonnent tout le reste sur le bord du
chemin. A la salle communale, ils éventrent le coffre-fort et détruisent les
armes qui y ont été déposées. A l'église, ils fracturent les troncs. Le presbytère
échappa à l'incendie, bien que le feu eût été mis à une garniture de fenêtre et à
une chaise cannelée. Neuf maisons furent incendiées (1).
(1) L'une d'elles (Blin-Renelle) a pu être brûlée, comme nous l'avons dit, par explosion d'obus. La
maison Leroy-Carra a été incendiée prétendument en guise de représailles. Les autres maisons incendiées
'79
A la dernière maison du village, les Allemands entrent, demandent des vivres
et obligent un vieillard de 72 ans, Eugène LEROY, en ce moment alité, à se lever;
ils sortent, pour entrer au bureau des douanes, qui est voisin, et où se trouvent
Alphonse MILICHE, 44 ans, succursaliste, en fonctions depuis un mois, ainsi que
sa femme et ses deux petits enfants, arrivés la veille. Tout à coup, M. Miliche
entre en courant chez M. Leroy, poursuivi par les balles, tandis que sa femme fuit
à travers champs, emportant son enfant, qui déjà est blessé. M. Miliche fut
retrouvé derrière la maison, la poitrine percée de balles et complètement dévalisé.
Entre-temps, M. Leroy debout sur la porte de la cave, est lui aussi mortellement
atteint et tombe dans la cave. Sa femme, Léonie Carra, et sa belle-sœur l'y suivent
pour lui porter aide, mais déjà la maison est en feu. Les dames, à demi-asphyxiées,
poussent des appels au secours désespérés, auxquels les soldats répondent par des
cris sauvages. Ils finissent pourtant par se laisser toucher. Ils démolissent le
soupirail et aident les deux malheureuses à sortir, mais à aucun prix ils ne
consentent à arracher aux flammes le cadavre de M. Leroy. On retrouva sous les
décombres son squelette calciné.
Les jours suivants, les troupes continuèrent à se déverser sur la France à flots
pressés. Chaque fois qu'une colonne s'arrêtait au village, quelques hommes
arrivaient au presbytère baïonnette au canon: « Si on tire, vous serez fusillé!
Venez avec nous, il nous faut des poules, de l'avoine, etc. »
§ 16. — Petite-Chapelle.
En aoûl 1914 déjà, le feu fut mis au village, mais le dommage se
limita à la destruction de deux maisons.
La localité eut plus à souffrir un mois après. Le 26 septembre,
des troupes appartenant aux 108e et 1 8 ie saxons envahirent la commune.
Le curé et les civils furent rendus responsables de quelques coups de feu
tirés par des soldats installés à la gare. Une enquête fut ouverte et le com-
mandant de Rocroi dut reconnaître que l'affaire était « ténébreuse », mais
il était trop tard. Toute la population avait enduré, pendant trois jours,
un vrai martyre, dont voici le bilan : une dame et quatre hommes
massacrés, le feu mis à l'église, au couvent, à plusieurs immeubles, dont
deux brûlèrent, le curé brutalisé pendant trente-six heures, les hommes
tenus sous la menace de la mort. Nous donnons ci-dessous le fidèle
récit de ces tragiques événements, dû à la révérende sœur supérieure du
couvent-
sont les suivantes : Alphonse Gallois-Dupont, isolée ; Adolphe Gallois-Bauduin, Emile Saquet-Jacques,
Joseph Witmart-Collard, sous le même toit; Eugène Hubert-Goulard, isolée; Eugène Richoux-Druart et
Richoux-Dacoin, réunies ; enfin la m.iison habitée par Eugène Leroy, dont l'annexe servait de bureau
de douanes.
i8o
N° 607. Le 2^ août, les Français, reculant devant l'ennemi, avaient quitté Petite-
Chapelle vers 9 h. 3o. Les premiers Allemands apparurent à 1 1 h. 3o. Déjà le
village du Gué-d'Hossus, éloigné de 3 kilom. environ, était en fiammes et son
église complètement détruite. La panique devint presque générale et, de tous
côtés, on voyait des gens qui fuyaient. On me pressait d'en faire autant, mais j'avais
vu la guerre de 1870 à Rcthel et j'espérais que les Allemands de 1914 auraient
comme alors une conduite assez bénigne. La communauté resta calme, malgré
l'arrivée matinale de seize sœurs de la Providence de Couvin. Les Allemands qui
vinrent chez nous réclamèrent des vivres : nous donnâmes tout ce qu'il était
possible de trouver et ils s'en montrèrent reconnaissants.
Ils venaient de Cul-des-5arts par « Les Plains », où ils avaient été bombardes
par des troupes françaises postées plus au sud, sur le plateau de « La Taillette ». Ils
mirent le feu à la ferme de Mme veuve Jules Robin-Draily, et formèrent un groupe
de personnes dont il se firent précéder pour aller vers la maison curiale ; ils
brisèrent des portes, des fenêtres et du mobilier, et pillèrent plusieurs maisons.
Dans l'après-midi, ils mirent le feu à celle de M. Jacquet, louée aux familles
Legros et Dumont.
De nouvelles troupes succédèrent aux premières. Quand le flot de l'invasion
fut passé, nous restâmes assez tranquilles. On arriva ainsi au 24 septembre.
Depuis deux ou trois jours, les Allemands avaient organisé des chasses dans
les bois voisins. Dans lavant-midi du 24, les soldats qui occupaient la gare se
rendirent au café tenu par Elie Collet-Pierot et y tuèrent quatre poules à coups de
fusil." Petite-Chapelle ailes kapout, Pastor und Bénédictines Kapout ! » disaient-ils à
ce moment déjà. Vers 17 heures de l'après-midi, l'un d'eux, Paul Brocker, de
Gesweilen (Saarbruck), qui remplissait les fonctions de chef de gare, et un second,
qui était connu sous le nom de Joseph, tirèrent des coups de feu sur les fils
téléphoniques, en présence de Rosa Collet. Des balles atteignirent déjà en ce
moment le jardin du presbytère.
Vers t8 h. 3o, je me trouvais à l'entrée du couvent quand une nombreuse
troupe de soldats vint à passer le fusil sous le bras; ils côtoyaient la rue, glissant
pour ainsi dire le long des maisons. Une seconde et une troisième bande passèrent
de la même façon, à quelques minutes d'intervalle, et un soldat qui marchait en
tête du dernier groupe tira un coup de fusil en l'air en criant : « Nicht schiessen !
Ne tirez pas! » Pourquoi dit-il cela, me demandai-je, puisqu'il tire? Puis, sur un
commandement bref, les soldats se mirent sur deux rangs et tournèrent leur fusil
contre l'établissement. « Rentrez, fermez les portes! » cria un officier en français.
A peine avions-nous fermé la porte qu'il éclata une fusillade nourrie à laquelle
prenaient part environ i5o soldats. Une mitrailleuse fut actionnée un peu plus loin
contre le couvent et contre l'église, dont trois vitraux furent brisés. Les fenêtres
volèrent en éclats, la toiture fut gravement endommagée, la façade fut criblée de
balles. C'est miracle que, sur les dix-sept personnes qui circulaient dans la maison,
aucune n'ait été atteinte. Je priai une sœur allemande d'aller donner des expli-
cations ; elle sortit, mais mal lui en prit : ces énergumènes l'accusèrent d'être un
homme déguisé en femme et la menacèrent de mort.
Pendant ce temps, les soldats avaient fait irruption dans le presbytère. « J'avais
i8t
devant moi, raconte M. l'abbé Bastin, des mines effroyables. C'était chez eux de !a
rage. Précipité violemment du haut de quelques marches dans le jardin, je me
trouvai entouré de plus de 20 baïonnettes. Ce n'étaient que cris sauvages. Mon
père subit le même sort. On me fit rentrer. Traqué à coups de poing et de pied,
je les précédai au grenier et à la cave.
A 19 heures, je fus mené dans la pâture d'Olivier Magniette, où je trouvai la
sœur allemande. On voulait d'abord me tuer sur place, puis on ajourna l'exécution.
« Es-tu vicaire?, me demanda un officier. — Non — Es-tu curé? — Oui. —
curé français? — Non. — Curé belge? — Oui. — Ah! sale Belge! », et il me
lança deux violents soufflets. « Tu es curé! Et moi aussi », ajouta un pasteur
protestant et il me souffleta lui aussi. Puis plusieurs soldats, prenant une corde
double munie de nœuds espacés de 6 à 7 centimètres, me la placèrent sur la
bouche, la serrant si fortement que le menton m'entrait dans la gorge et qu'il
m'était impossible de dire une parole. Bientôt, je reçus l'ordre de crier de toutes
mes forces : « Je suis le curé de Petite-Chapelle ; si vous tirez, vous serez fusillés ! »
Le bandeau me fut donc enlevé et servit à me lier les poignets sur le dos. Trois ou
quatre fois de suite, je reçus des volées de coups de poing à en tomber assommé ;
je défaillais et restais quelques instants sans connaissance. Les ordres étaient contra-*
dictoires : tel officier, fatigué de mes cris, m'ordonnait de me taire; tel autre me
forçait à crier plus fort. »
Vingt minutes s'étaient écoulées lorsque, tout à coup, les cris redoublèrent.
M. le curé fut poussé brutalement dans notre couvent, où les soldats voulaient,
disaient-ils, tout saccager. A l'aide de haches et d'autres instruments, ils mirent
en pièces les portes et fenêtres du rez-de-chaussée, en poussant des hurlements de
bêtes fauves. Des pâtures situées derrière le couvent, vers lesquelles nous avions
fui, nous entendions le fracas des meubles et objets brisés. Les soldats poussaient
M. le curé devant eux, couraient à travers chambres et escaliers hurlant comme
des démons, répandant du pétrole et y mettant le feu : bientôt nous vîmes l'incendie
s'allumer à divers endroits. M. le curé vit rassembler à ses pieds et arroser de
pétrole les balustres et la rampe d'escalier, brisés en morceaux, et y mettre le feu,
si près de lui que les flammes léchaient ses vêtements.
En même temps, le feu était mis dans le village. La maison d'Emile Goulard
fut détruite et deux personnes risquèrent d'y être brûlées vives. A la maison
communale et au logement contigu de l'instituteur, le feu fut mis, mais ne
prit pas. La maison Barré-Magniette fut fortement endommagée. L'église elle-
même ne fut pas respectée : quand M. le curé fut emmené du couvent, il vit les
soldats enfoncer la porte et l'enduire de pétrole : « Regarde, cochon, criaient-ils,
ton église va brûler! » La porte, bien encadrée d'une solide maçonnerie, fut seule
à brûler.
Quant au couvent, aussitôt après le départ des soldats, nous parvînmes à éteindre
les 17 foyers d'incendie qui y avaient été préparés. Nous passâmes la nuit sur des
chaises, dans une salle commune, à prier et à nous exciter au courage.
M. le curé continue ainsi son récit : « Je fus ensuite mis en présence du
cadavre d'ARMAND DUMONT (fig. 74), 44 ans, qui venait d'être tué près de l'église,
devant sa femme et ses enfants, qui passèrent par d'inexprimables angoisses.
182.
Elie COLLET, 56 ans, gisait inanimé près du cimetière; il avait été frappé de
cinq balles, au moment où il sortait de chez lui pour aller à la rencontre de sa
fille aînée, qui tardait de rentrer.
Je fus ensuite conduit à Rocroi, bousculé et insulté sur tout le trajet. Un grand
brasier avait été allumé sur une place publique : je fus menacé d'y être jeté. Dans
une petite habitation voisine de la prison où je fus mené, je retrouvai la religieuse
allemande et Alcide Dumont, fils de la victime, à qui je vis asséner plusieurs
formidables coups de poing à la nuque. Je reçus ensuite entre les épaules des coups
de crosse tels qu'ils m'ébranlèrent la poitrine : j'avais l'impression que mes poumons
se déchiraient et que le sang me montait à la gorge.
J'arrivai enfin à la prison, où un officier supérieur me dit : « On a tué deux
soldats dans votre village. Vous êtes responsable. Vous avez caché des francs-
tireurs dans votre église. Des villageois ont tiré sur nos soldats. Demain vous serez
fusillé. » Je réfutai ces accusations fantaisistes. Il était minuit quand je pus me
retrouver seul, sur un peu de paille, dans un infect cachot, dont le sol était souillé
d'un fumier nauséabond. Sans m'arrêter à un premier refus, j'insistai vivement pour
qu'on mît fin à l'horrible souffrance que me causaient les liens et la tension des
épaules : un soldat me passa une baïonnette entre les poignets et coupa les cordes.
Je récitai mon chapelet, puis je m'endormis, tant j'étais anéanti.
Vendredi 28 août, l'avant-midi se passa en insultes et en menaces. A 1 1 heures,
nous fûmes interrogés tous trois, et on voulait nous faire avouer un complot. Puis
on m'apporta un morceau de pain et de l'eau dans laquelle les gardiens avaient
craché.
Nous fûmes ensuite ramenés à Petite-Chapelle, par « La Taillette ». Les reli-
gieuses furent encore expulsées du couvent et les soldats le pillèrent.
Pendant que les soldats ramassaient tous les hommes du quartier « Verte-Place »,
pour leur faire subir un interrogatoire, j'appris que, à deux cents mètres d'une
chapelle établie à la bifurcation des deux routes qui mènent au village, avaient été
tués aussi, la veille, Arthur DUPONT, 49 ans et son épouse, Elisa DRAILY, 3ç ans,
honnêtes et paisibles propriétaires qui, en rentrant des champs, avaient eu le
malheur de rencontrer la sinistre bande saxonne.
On amena à ce moment deux jeunes gens de Cul-des-Sarts, dont l'un avait
assisté Jean-Baptiste MANISE (fig. 76), 5i ans, cinquième victime de la veille :
il avait reçu une balle à la tête et n'expira que le vendredi au soir. »
Quand l'enquête fut terminée, M. le curé fut reconduit à Rocroi. Je fus
contrainte de m'y rendre aussi, mais je fis état de mes 70 ans pour refuser d'y aller
à pied, et j'y fus menée en landau, en compagnie de trois officiers.
Après un interrogatoire assez insidieux, je fus libérée. Je réclamai la sœur
prisonnière et nous pûmes revenir en voiture.
Quant à M. le curé, il passa encore à Rocroi une nuit très pénible, et fut délivré
le samedi à 7 heures, après être resté 36 heures entre les mains de cruels bourreaux.
Il n'accepta de rentrer que si son compagnon, Alcide Dumont, était lui aussi libéré.
« L'affaire est ténébreuse ! », c'est tout ce que le juge avait trouvé à dire. Ce verdict
proclamait clairement l'innocence des civils. Il eût dû, pour être complet, recon-
naître l'injustice des mesures prises par les troupes et châtier leur cruauté.
i83
III. — L'avance du XIXe corps.
Le XIXe corps (2e saxon, de Leipzig) avait suivi, pour arriver
à la Meuse, l'itinéraire : Clervaux, Tavigny, Ortho, Champion,
Rochefort.
Le chef de la IIIe armée raconte dans ses mémoires qu'il songea
d'abord à pousser le XIXe corps tout entier au sud de Givet, pour
séparer la 5e armée française de la 4e et même encercler les troupes
françaises et anglaises qui luttaient à l'ouest de la Meuse. S'il renonça
à ce dessein, c'est en raison des hésitations du chef de la IIe armée, qu'il
raconte longuement (1).
Ainsi que nous l'avons vu au tome IV (p. 48 et ss.), une faible partie
seulement de ce corps d'armée fut dirigée le 23 août sur Willerzie et
Hargnies, à i5 kilomètres au sud de Givet. Ces troupes, que conduisait
le général Gôtz von Olenhusen, perdirent les deux journées qui suivirent
en cherchant à passer la Meuse dans cette région. A Fumay, le pont était
détruit. On s'adressa en vain au VIIIe corps, qui avait besoin de son
matériel de pontonniers sur la Semois et sur la Meuse. Après s'être
arrêtée le 25 à Haybes-Hargnies, la division gagna Revin qui, à vol
d'oiseau, n'est distant que de 8 kilomètres, mais est en réalité difficilement
accessible. Dès le 26 août, Fumay fut occupé par la partie du XIXe corps
venue par la rive gauche, et c'est le 27 seulement que Gôtz von Olenhusen
put passer le fleuve sur un pont jeté par lui à Revin (2). C'est ainsi que
les hésitations de ces troupes firent totalement échouer le projet qui
avait guidé leur avance (3).
Quant à la majeure partie du XIXe corps, elle passa la Meuse, ainsi
que nous l'avons raconté au tome IV (p. 42 et ss.) au pont du Colèbi,
en regard de Lenne.
L'ordre de l'armée n° 3, lancé à Dinant le 24 août à 9 h. 45,
enjoignait à ces éléments du corps d'armée de s'avancer sur Romedenne,
Romerée, Oignies et Fumay (4).
(1) Von Hausen, Erinnerungen, p. 128 et ss.
(2) Baumgarten-Crusius, o. c, p. 38; et von Hausen, o. c, p. 142.
(3) Le 179e, qui passa à Fumay, s'y rendit aussi coupable de crimes, qu'a consignés un réserviste
saxon. Cf. Les Violations, o. c, p. tu. — Sur les régiments t34, 1 3ç et 179 qui se dirigèrent sur Willerzie.-
Hargnies-Revin, voir le Journal d'un réserviste saxon du /79e dans de Dampierre, carnets de route, o. c,
p. 147 et ss.
(4) BAUMOARTEN--CRUSIUS, O. C, p. 35-
i84
Nous avons consigné dans le rapport ci-dessous tout ce qu'on sait
sur l'itinéraire suivi par les régiments nos 104, 106, 107, x 33 et 181
pour atteindre les hauteurs à l'ouest de la Meuse, ainsi qu'il résulte
surtout des minutieuses recherches faites en 1919 par le parquet de
Dînant (1).
Les premières troupes allemandes qui ont pénétré à Onhaye et y ont soutenu
le combat du 23 août appartenaient au XIXe corps : c'étaient des éléments du 1 81e
et du 104e, qui avaient passé la Meuse entre Anseremme et Hastière (2).
Le lecteur se demandera ici pourquoi ces troupes se sont écartées de l'itinéraire
qui était assigné au XIXe corps; pourquoi, au lieu de gagner Surice par Hastière-
Insemont ou bien par Hermeton-Gochenée, elles se sont dirigées sur Onhaye. Cette
manœuvre n'avait vraisemblablement d'autre but que de protéger le flanc du gros
des troupes, engagé dans des chemins encaissés et périlleux, contre les attaques
dont il pouvait être l'objet à sa droite.
Ce qui confirme cette interprétation, c'est que, après avoir fait l'ascension du
plateau et envahi Onhaye le 23 août au soir, ces troupes reprirent ensuite la route
de Lenne et de la ferme Wilmer et redescendirent dans la gorge de Tahaut (route
d'Hastière), pour reprendre de là la route d'Insemont, assignée au corps d'armée.
Au matin du 24 août, ce sont des troupes du XIIe corps qui, venant de Dinant, ont
pénétré dans Onhaye et gagné Anthée.
Revenons au XIXe corps. Une seconde partie du t8ie, de Waulsort, a gagné
(1) Aux archives de la Commission d'enquête, à Bruxelles.
(1) Il résulte des recherches faites par M. le juge Herbecq, à Dinant, et des renseignements fournis par
M. G. Machuray, à Waulsort, que le passage s'effectua en trois endroits : i° entre Moniat et Freyr, à hauteur
de la carrière (rive droite) et du passage à niveau (rive gauche), en regard drun vallon qui gagne les hauteurs,
en aval de la ferme de Lenne. C'est affirmé par M. Jules Remy, fermier à Waux (Falmignoul), par M. Rolin.
fermier à Chaleux, et par M. G. Machuray. Des fantassins appartenant, croit-on, au to6e, y passèrent la
Meuse le 23 août avant l'aube, à la lueur de lampes prises à la gare de Walzin, au moyen de barques trouvées
sur la Lesse à Walzin et transportées sur chariots. Ils se dirigèrent ensuite sur Lenne par les sentiers du
bois de Freyr ; 2° à Waulsort. des fantassins des te, 2e et 3* comp. du 1 8i ° passèrent sur le barrage vers
6 heures; puis des cavaliers, descendus de Falmignoul par le Chestia, le Drery, les Cascatelles, traversèrent le
fleuve à la nage, de la rampe du Drery à la rampe des Hôtels, suivis de fantassins des tre et 2e comp. du 104e;
3° au Colèbi, les premiers pontons et les matériaux nécessaires à la construction du pont provisoire furent
amenés de Falmignoul, par le chemin du Colèbi, et mis à la Meuse le 23 août à 10 heures, sous le feu d'une
mitrailleuse française postée au K Paradis des Chevaux », à l'éperon qui commande la combe de la Meuse,
au-delà du château de Waulsort. Cette mitrailleuse fit plusieurs victimes et c'est peut-être en guise de
représailles que furent tués à cet endroit deux civils (voir tome IV, p. 47^. Les premiers fantassins ennemis
qui purent traverser le fleuve en barquettes s'abritaient derrière le mur de soutènement de la voie du chemin
de fer. En même temps des pionniers construisaient des radeaux pour passer les chariots du ravitaillement.
A 1 1 heures, l'artillerie allemande postée sur la route de Falmignoul repéra la mitrailleuse, qui dut se retirer :
la mule qui la traînait [ut tuée près de la ferme de Lenne. C'est vers i3 heures que les troupes commencèrent à
passer le fleuve sur le pont de bateaux. Ces unités appartenaient au 181e et au 104e; on signala notamment
une compagnie du 104e qui se trouvait encore le 23 août à 1 heurs du matin à Blaimont, descendit à la
pointe du jour à Hastière-par-delà, où elle commença les massacres, puis, éprouvant de la résistance des
Français, regagna Blaimont, de 'à Falmignoul, puis le Colèbi, pour y passer la Meuse- Cette compagnie avait
été remplacée à Hastièie-par-deà rcar des éléments du 1 33e, qui continuèrent l'incendie de ce village.
t85
Hastière-Lavaux. aussitôt après les éclaireurs de la cavalerie, puis a fait l'ascension
d'Insemont. Les éclaireurs qui marchaient en tête atteignirent la ferme du bois de
Lens dès 7 h. 3o du matin. Onze fantassins vinrent mettre le feu à cette ferme à
î5 heures. Une demi-heure après vint le régiment, qui n'alla pas plus loin, campa
à la ferme et partit le lendemain à 1 heure du matin (1). Il y fut dépassé par le 104e,
puis par le 106e et le 107e, ainsi que nous allons l'expliquer.
Le 1 04e — déduction faite de la compagnie ci-dessus — est monté sur le plateau
par la route d'Insemont, suivi du 106e.
Le 106e se trouvait le 24 à it heures du matin près de l'église de Hastière-
Lavaux, venant probablement de Waulsort. Il réquisitionne chez Hasquin, arrête
M. l'inspecteur Pierrard (c'est le 2e bataillon), pille et brûle l'hôtel Brouet; dans
les premières heures de l'après-midi, le même 2e bataillon se rend à Hermeton,
qu'il saccage, tandis que le reste du régiment (2) suit le 104e sur le plateau pour
gagner avec lui, et le 107e, la route de Morville à Soulme et prendre part à la
bataille, puis aux massacres de Surice.
Une compagnie du 1 33e s'était établie le il à Hermeton-sur-Meuse dans les
bâtiments de l'éclusier (rive gauche) et s'y était maintenue dans la journée; mais la
19e compagnie (5e bataillon) du 3toe d'infanterie 1 5 1 e division de réserve) lieutenant-
colonel Pigault (3), en délogea l'ennemi à la soirée à l'aide d'une pièce de canon
qu'elle avait amenée.
Les massacres d'Hermeton-sur-Meuse ne sont pas toutefois l'œuvre du 1 33e,
mais bien, comme nous l'avons dit ci-dessus, du 2e bataillon du 106e, qui y arriva
aux premières heures de l'après-midi, après avoir stationné jusqu'alors aux environs
de la gare d'Hastière. Vers 17 heures, quand le massacre fut terminé, ce bataillon
voulut gagner Gochenée, par « La Vieille-Justice », et s'y heurta, à 14 heures,
près de la ferme des Onches (Agimont), à quelques Français. Il laissa sur le terrain
plusieurs morts (4), qu'abrite une tombe collective près de la ferme. Puis il
rebroussa chemin par où il était venu, redescendit dans la vallée et grimpa à
Insemont pour rejoindre le reste du régiment.
(1) Archives de la Commission d'enquête, rapport du fermier Félix Lespagne.
(z) Auguste Demanet, cantonnier à Hastière-par~delà, reçut à midi l'ordre de mener la troupe à
Insemont et à la ferme du bois de Lens. Il fut libéré à Insemont à i3 heures et reçut le passeport suivant :
« Le porteur a montré le chemin au 1 06e d'infanterie et peut regagner Hastière. ]s) Sch roter III / 106. B (Original
aux archives de la Commission d'enquête).
(3) Notes de la Section historique de l'F.tal-Major général de l'Armée française, à Paris.
(4) Sept soldats de la 68 compagnie du to6e, dont le lieutenant Gérard Vetter, tués sur le chemin de
terre dit « des Onches », qui longe la carrière du « Rond-Tienne » et relie la métairie « des Onches » à la
route Gochenée-Agimont.
Voici quelques détails, recueillis sur place, de cet engagement. Plusieurs centaines de soldats du 106e
arrivèrent à la ferme des Onches, vers 18 heures. Un officier obligea le fermier, M. Arthur Masson, à les
conduire vers Gochenée et Vodelée. Quinze hommes partis en avant-garde avaient eu à peine le temps de
parcourir 100 mètres que les Français, masqués par des sapins et par la carrière du Rond-Tienne, ouvrirent
sur eux un feu nourri. Les Allemands battirent aussitôt en retraite, protégés par sept des leurs qui en avaient
reçu la mission et dont on retrouva les cadavres étendus dans la tranchée rudimentaire qu'ils s'étaient creusée.
Parmi les autres iept soldats seulement passèrent la nuit à la ferme des Onches et aucun n'atteignit ce jour-là
Gochenée- Deux ou trois jours après, le fermier fut rendu responsable. Accusé d'avoir tiré, il fut enlevé avec
son domestique; il passa une nuit lié à un chariot, puis fut conduite Agimont- Terrifié par les menaces
i86
Le XIXe corps atteignit le 24 août à 18 h. 5o Surice et Romedenne,
où il se heurta aux Français qui n'avaient pu pousser plus loin leur
retraite. Ces villages furent pour cela traités avec la dernière cruauté
(voir p. 194 et ss.).
Le 25 août à 8 heures, l'ennemi avait dépassé Romerée (rapport
(n° 612 et se présentait devant Matagne-la-Petite (rapport n° 61 3).
Dans l'après-midi, les derniers villages belges furent occupés et, le
26 août, le corps d'armée atteignit la frontière, où fut engagé le combat
dit du « Trou-du-Diable » (1).
On pouvait croire que, en quittant, le 23 août, les rues de Waulsort,
d'Hastière et d'Hermeton saccagés, le XIXe corps était saturé d'ivresse,
de feu et de sang ; mais il n'en continua pas moins ses ravages dans
l'Entre-Sambre-et-Meuse. Les villages d'Onhaye, de Surice et de
Romedenne gardent les traces et le souvenir de ces cruels Saxons.
Abordons maintenant le récit détaillé de ces événements.
§ 1, — Onhaye
L'antique paroisse d'Onhaye, célèbre par le pastorat de saint
Walhère/dont elle possède le tombeau, est la première qui eut à souffrir
de la sauvagerie du XIXe corps.
Situé à 256 mètres d'altitude et à trois kilomètres seulement de la
Meuse à vol d'oiseau, ce village est traversé par la route de Dinant à
Philippeville et Beaumont, ainsi que par les routes qui mènent, au nord
à Weillen et Gérin, au sud à Waulsort et Hastière.
Des soldats du 181e, du 104e et du 106e (2), 4e division d'infanterie,
auxquels la retraite des réservistes français avait fait la voie libre, firent
dès le matin du 23 août l'ascension des crêtes qui bordent la Meuse entre
Waulsort et Anseremme. A 9 heures, ils étaient aux abords de Lenne ;
incessantes de mort et, notamment, parce que le domestique, qui comprenait l'allemand, lui apprenait « qu'on
allait les faire périr à petit (eu », il tenta, dans un moment de désespoir, de s'ouvrir la gorge à l'aide d'un
couteau de chasse. Laissé d'abord pour mort, sur place, il fut traîné par les soldats derrière une maison- Le
lendemain, il revint à lui et put regagner sa métairie, tandis que le domestique et trois autres civils étaient
entraînés jusque Melreux-
(t) Sur l'itinéraire de la 24e division, cf. Sack, Die SMachten und Gefecble, o. c, p. 16. On trouvera
des données sur l'engagement du " Trou-du-Diable » dans A. Libermann, Ce qu'a vu un officier de chasseurs
à pied, Paris, Pion, p. 47 et 48.
(2) Le soldat Franz Dobratz, de la 9e compagnie du to6e. franchit la Meuse en barque le i3 et participa
le aoir au combat d'Onhaye (Paris, Direction du Contentieux et de la Justice militaire, dossier to55, rapport^).
Le parquet de Dinant a saisi à Onhaye la marque d'un vêtement militaire ainsi conçue : Soldat Rudolf 4 Kp
7 Inf. Reg. Konig Georg n° 106.
,87
entre 17 et 18 heures, ils entraient dans Onhaye, où une poignée de
réservistes de la 5ie division les retint à l'extrémité est du village jusqu'à
ce que vinssent les renforts français.
En effet le général Franchet d'Espérey avait été averti, vers midi, de
l'avance allemande. Estimant qu'elle pouvait devenir gravement menaçante
pour les opérations des troupes françaises et belges, il avait aussitôt dirigé
sur Onhaye le 2e bataillon du 148e et le ier bataillon du 45e, sous les
ordres du général Mangin. Ces troupes, en un élan impétueux, refoulèrent
l'ennemi hors du village, qu'elles réoccupèrent jusqu'au matin (1).
Le 24 août, les soldats allemands du XIXe corps s'étaient retirés vers
la Meuse; ils furent remplacés dès la première heure par des troupes du
XIIe corps (2), puis de la 24e division de réserve, venues de Dinant. Ces
troupes continuèrent à s'acharner sur cette localité vide de civils et que
les Français avaient totalement évacuée dès l'aube du 24 août. Il fallut
deux jours entiers à ces sauvages pour achever leur œuvre de destruction.
Cent quatorze maisons furent brûlées sur 144; quelques-unes seulement
avaient été légitimement détruites par l'artillerie.
Les rares personnes qui avaient eu l'imprudence de rester eurent
beaucoup à souffrir. Les éclaireurs du XIIe corps firent marcher devant
eux deux vieillards et un prêtre, et tirèrent sur eux quand ils aperçurent
quelques Français. Six personnes trouvèrent la mort à Onhaye même,
dont trois accidentellement. Le curé, M. l'abbé Ambroise, compte, avec
son oncle, son beau-frère et trois de ses paroissiens, parmi les victimes
de l'affreux massacre de Surice (voir p. 2o3).
Dans le rapport que nous faisons suivre sont fusionnées les dépo-
li) (< Nos soldats ont repris Onhaye avec un entrain superbe. Jamais au cours de la guerre, je n'ai assisté
à une attaque aussi vivement menée et couronnée d'un tel succès! M Paroles dites à M. le juge Herbecq, à
Dinant, par un officier qui avait participé à l'attaque.
De son côté, le général von Hausen écrit : « La 24e division d'infanterie réussit à gagner Lenne à la
tombée du jour, puis chercha à se rendre maîtresse d'Onhaye. Repoussée par des forces supérieures, elle conserva
cependant les bois de Freyr et de Lenne comme points d'appui pour le changement de rive de la IIIe armée au
24 août », o. c, p. i3o.
Sur le combat d'Onhaye, voir Lanrezac, o. c, p. t75; Isaac, o. c, p. 82 et 120; Hanotaux, Histoire
illustrée de la guerre de 1914, V, p. 295 et VI, p. 23; I1 'Enigme de Cbarleroi, p. 71, 79, 85; Général Mangin.
Comment finit la guerre, p. 27; Engerand, o. c, p. 538 et 545; Ginisty, Histoire de la guerre par les com-
battanls, p. t 39; Palat, o. c, III, p, 332; von Hausen, o. c, p. 1 3o ; Die Schlacbten und Gefechte, o, c, p. 14 ;
Les Violations, o. c, p. 89.
(2) On signale surtout les régiments appartenant à la 23e division. Le soldat Biittner, du 100e grenadiers,
23e division, qui a traversé la Meuse à Dinant le 26 août et est passé à Onhaye, écrit : « Tout est détruit, tout
est pillé », Les Violations, o. c., p. 89,
Les habitants ont gardé le souvenir d'un officier à cheval du 1 08e fusiliers, roux, de haute taille, coiffé d'un
shako à plumet : il fut le chef des incendiaires, le 24 août. Il partit le 25 au matin, passa à Morville et mit le
feu à L'Assurance. (Rapport du parquet de Binant, aux Archives de la Commission d'Enquête, à Bruxelles.)
i88
sîtions d'une dizaine de témoins oculaires recueillies de 1915 à 1919,
ainsi que les nombreux éclaircissements fournis par M. l'abbé Rousseau,
qui succéda dès le mois d'octobre 1914 à M. Ambroise et administra la
paroisse tout en résidant à Gérin, sa maison de cure étant incendiée.
Les données militaires sont extraites, pour la plupart, du récit du
combat que le général Cadoux a publié dans Vers l'Avenir, journal de
Namur, 1920, nos 273 à 275.
Nc 608. Avant te 23 août, l'infanterie ei le génie français avaient mis la partie sud-est
du village en état de défense, y creusant des tranchées dans les campagnes et
des meurtrières dans les murs de plusieurs maisons.
Dans la nuit du îî au 23, le 208e de réserve, relevant des éléments du
ier corps, occupa les emplacements qui lui avaient été assignés d'Hermeîon à
Anseremme, par Hastière, Waulsort, Lenne et Freyr. Les réservistes, brisés de
fatigue, — ils venaient de Vierves et Treignes — ne se savaient pas si proches de
l'ennemi qui, à travers l'étroite vallée, put constater leur présence, suivre leurs
mouvements et repérer leurs emplacements. Le 23 dès 2 heures du matin et surtout
à partir de 6 heures, l'artillerie allemande commença à les couvrir de son feu, les
pourchassant bientôt dans la direction de Lenne et d'Onhaye. Dès 9 heures, des
soldats du 181e saxon, venant de Waulsort, étaient repoussés aux abords des fermes
de Lenne. A 10 heures, l'artillerie de la 5ie division de réserve (lieutenant-colonel
Aillaud) arriva à Onhaye, mais à peine avait-elle, vers midi, ouvert le feu contre une
batterie ennemie située à Grandchamp, direction de Freyr, qu'elle fut anéantie (1).
Les premiers obus allemands atteignirent le village à 9 heures. Vers 1 1 heures,
ce qui restait de la population s'enfuit vers Gérin, Fter, Serville, Weillen et
Anthée. L'Etat-Major de la 102e brigade (général Leleu) et le général de division
Boutegourd se retirèrent vers Anthée, avec les batteries qui avaient été préservées.
Vers midi, le général Franchet d'Esperey, chef du 1er corps, dont une division
était échelonnée de Sart-Saint-Laurent à Lesves, allait attaquer la Garde, qui
constituait le flanc gauche de l'armée de von Bùlow, lorsqu'on l'informa du
fléchissement, sur la Meuse, des réservistes de la 5ie division. On ajoutait, par
erreur (2), que l'ennemi avait occupé Onhaye. Il retira aussitôt du front le gros de
la division Deligny, qu'il dirigea sur Anthée, et donna l'ordre à deux bataillons de
la 8e brigade Mangin de se porter aux environs d'Ermeton sur Onhaye. Le général
de brigade Mangin gagna lui-même Onhaye. et, découvrant l'artillerie Aillaud, en
retraite, il la disposa au nord de la route d'Anthée, d'où on avait vue sur Onhaye.
Le bombardement d'Onhaye par l'artillerie tirant deFalmignoul et d'Anseremme
avait cessé à i5 heures. La maison de Norbert Fallay (plan 7). avait pris feu à
14 heures, mais on out l'éteindre. L'école des filles (plan 9), l'étable de Joseph
(1) Le capitaine Gouillard se fit tuer à ses pièces, en voulant les sauver- II tomba au fond de Foqueux.
prè~ de la route de Philippeville, à 200 vnèîris du cimetière de Dinant et fut inhumé dans le caveau de
M Herbecq, à Dinant.
(2) Plusieurs historiens ont, à leur tour, accepté ce détail inexact.
i«9
Fig. 59. — Plan d'Onhaye (t).
0- Légende du plan : N° 1. Presbytère; 2. Maison d'Adelin Frérotte, tué à Surice ; 3. Maison d'Adolphe
Pochet, tué à Surice ; 4. Maison de Cyrille Colot, tué à Surice ; 5. Maison de Charles Laret. disparu ; 6. Maison
de l'enfant Léa Collignon, tuée à Onhaye ; 7. Maison Norbert Fallay ; 8, Ecole des garçons ; 9. Ecole des fi lies;
10. Etable de Joseph Dujardin; 11. Ferme de la Sicaille; 12. Le Forbot; i3. Maison du chevalier Diericx;
14. Maison de Désiré Dujardin ; i5. Cimetière militaire actuel ; 16. Maison Barvaux, où trois Français se tinrent
cachés; 17. Verger du docteur Cassart; 18. Poste; 19, Chapelle de Bon-Air.
Les maisons incendiées du village sont en noir; celles qui sont en blanc ont été préservées.
tço
Dujardin (plan 10), le hangar de la veuve François Demaret (sur le chemin
de la ferme de la Sicaille au Forbot), et la maison d'Anna Demoulin. épouse
François Quoilin (en face de la chapelle de Bon-Air), avaient aussi été incendiés
par des obus.
Cependant des troupes toujours plus considérables de la 88e brigade de
Chemnitz (104e et 181e) et quelques pièces du j8e d'artillerie de campagne, avaient
passé la Meuse tant au pont de bateaux du Colèbi, qu'à plusieurs barrages d'écluses
et même en barquettes. La retraite des réservistes français leur avait fait le champ
libre. Entre 16 et 17 heures, elles quittèrent Lenne et s'avancèrent vers Onhaye à
la fois par le « Clavia » et par la ferme Wilmer. Aux extrémités est et sud-est du
village, elles se heurtèrent à des réservistes français qui gardaient encore la localité.
Ceux-ci firent feu sur elles et les empêchèrent de s'installer déjà à l'aise dans le
village presque désert (1).
Vers ce moment, avant que ne vinssent les renforts français, des troupes
allemandes occupèrent déjà le hameau de Froidmont, la ferme de la Sicaille (plan 1 1),
et le quartier est du village appelé Forbot (plan 12), quartier auquel elles mirent
le feu dès les premiers coups de fusil tirés contre elle. Dans le village même, elles
s'avancèrent jusqu'à la propriété de M. le chevalier Diericx (plan t3), où elles
(t) Voici la liste exacte des habitants qui n'avaient pas (ui : Emile Frérotte, son épouse
Caroline Dujardin, leur petite-fille Séraphine Frérotte, Félix François, son épouse Noimi Godfroid, Maria
Bodson, Héloïse Bodson, épouse Julien Valtin, Léopoldine Guilmin, épouse Gillard, Adèle Thomas ; à la ferme
de la Sicaille. Denis Biot, son épouse Julie Vany, leurs enfants Marie, Alphonse et Héloïse; Jules François,
son épouse Ida Raiwez et leurs enfants Joseph et Jean, Alphonse Pochet-Frérotte, Louis Henrotte.
La plupart de ces gens, terrés dans les caves, n'ont rien vu de ce qui s'est passé à Onhaye, dans
l'après-midi du 23 août. Voici les seuls témoignages intéressants que nous ayons pu recueillir.
Alphonse Pochet. au Forbot, reçut encore à 16 heures des Français qui se retiraient en courant. Un peu
après 17 heures, il vit devant sa maison trois Allemands, qui lui demandèrent à boire. Il prit un seau d'eau,
auquel ils le firent boire le premier ; puis ils allèrent frapper aux portes et aux fenêtres des maisons voisines.
Un moment après, trois autres soldats les avaient rejoints. Quand ils arrivèrent devant la maison de Jules Noël
(la dernière maison du Forbot à droite avant d'arriver au village), des Français cachés un peu plus loin tirèrent
sur eux ; ils revinrent en arrière. Alphonse Pochet descendit alors dans sa cave et dix minutes plus tard, il vit
des troupes allemandes, précédées cette fois d'un officier à cheval, qui traversaient le Forbot. Devant la maison
de Jules Noël, nouveaux coups de feu et elles rebroussèrent chemin, mettant le feu, à ce moment même, à
plusieurs maisons du Forbot (les maisons de Jules Noël, Jules Colot, veuve Clément Collard, Xavier Frérotte,
Clément Collignon, Joseph Mathieu, la grange d'Alphonse Pochet, brûlèrent successivement; pour cette dernière,
le propriétaire vit mettre le feu à l'aide d'allumettes). Il était 17 h. 3o ou 18 heures. Après s'être caché jusqu'à
la nuit noire, M. Pochet parvint à gagner Freyr.
A la ferme de la Sicaille, des Français réquisitionnèrent encore une voiture vers 17 heures pour emmener
des blessés vers Gérin. A peine un quart-d'heure après, les Allemands arrivaient et buvaient le lait que les
fermières étaient occupées à turbiner. Intimidée, Marie Biot, fille du fermier, s'enfuit vers 17 h- 4.5. Par le
jardin du presbytère et la chapelle de Bon-Air, elle gagna le quartier de « L'Abbaye », au nord, direction de
Weillen ; elle avait ainsi traversé une bonne partie du village, sans rencontrer âme qui vive. Cachée derrière
un buisson, elle vit des Allemands s'approcher de deux Français qui faisaient le mort, mais qui, en réalité,
n'étaient pas blessés et purent fuir ; puis elle se réfugia près de chez Alexandre François, à peu de distance du
Forbot» dont elle vit brûler les maisons, tandis que les Allemands qui se trouvaient près d'elle et aux environs
tiraient dans la direction de Gérin- C'était le combat. Entre 1 cet 20 heures, elle vit brûler la ferme de la Sicaille,
puis elle gagna Weillen.
De son côté, le colonel Cadoux a relaté que, à 17 heures, la brigade de cavalerie colonel Champvallier a
traversé le village d'Ouhaye, qui était désert. L'ennemi n'y avait pas encore pénétré.
Photo 1 9 1 5J
Fig. 6o. — Onhaye.
A l'extrémité du Forbot,
où eut lieu le combat à l'arme Marche.
Photo 1915)
Fig. 61. -- Onhaye.
Fropriété de M. le chevalier Diericx de ten Hamme,
uù fut tuée Léa Collignou
et où mourut Joseph Duboù-, de Lenne.
(Photo 1915)
Fig. 62. — Onhaye. Route du Forbot,
(La maison marquée d'une croix
est celle d'Adolphe Pochet,
fusillé à Surice).
(Photo 1Q15)
Fig. 63. — Onhaye.
Quartier incendié de Bonair.
(Photo 1915)
Fig. 64. — Onhaye.
Ferme de Frcidinont, au sud-est du village,
aux environs de laquelle se livrèrent plusieurs combats
à l'arme blanche.
Onhaye.
(Photo 1915)
Fig. 65.
La chapelle de Bonair.
VICTIMES DES MASSACRES DE DOURBES. DE NISMES, DE COUVIN, DE PETlTE-CHAPELLE ET DOIGN1ES.
Fig. 66. — Palmyr TONGLET,
46 ans, de Dourbes,
tué au " Tienne Delvaux ".
F;g. 69. — Emile PEKLEAUX,
43 ans, de Nismes,
tué sur la route de Petigny.
Fig. 72. — Alfred GREGOIRE,
36 ans, de Nisnies,
tué sur la route de Petigny.
Fig. 67. — Jules GODEFROID,
42 ans, de Somzée,
tué entre Dourbes et Nisnies.
Fig. 70. — Abbé Paul GILLES, 3o ans,
docteur en Phil. et en Théol.,
massacré à Couvin
Fig. 75. — Pierre BOUTAL, 53 ans,
de Couvin, fusillé
près de la'chapelle des Fonds de l'Eau.
Fig. 68. — Jules NICOLAS,
56 ans, tué à Nismes.
Fig. 71. _ Gaston LAPOTRE,
22 ans, de Nismes,
tue sur la route de Petigny.
Fig. 73. — Achille COLLART,
23 ans, de Nismes,
tué sur la route de Petigny.
Fig. 74. — Armand DUMONT,
44 ans, tué à Petite-Chapelle.
Fig. 76. — Jean-Baptiste MANISE,
i5 ans, tué à Oignies.
«9t
vidèrent de nombreuses bouteilles de vin, que, avant de se retirer, elles prirent
la peine de ranger tout autour du cadavre de Joseph Dubois, fermier de Lenne,
qui venait d'y être apporté.
Cependant, à 17 h. 45 précises, le groupe du colonel Cadoux quittait Anthée.
A 18 h. 25, le 2e bataillon du 148e, commandant Graussaud, qui avait pris la tête
de la formation de marche, fut accueilli par un feu de mousqueterie de l'ennemi,
déployé à la lisière ouest du village. Deux compagnies furent disposées en première
ligne, de part et d'autre de la route, et deux autres compagnies furent placées en
soutien, à 400 mètres en arrière. Le Ier bataillon du 45e, commandant Bourdieu, se
disposa en réserve à 600 mètres de la 2e ligne.
A ce moment, on put heureusement faire appel à l'artillerie divisionnaire,
sous les ordres du lieutenant-colonel Aillaud, qui venait de se replier; des batteries
furent mises en position, avec ordre de battre Onhaye par un tir progressif de
fauchage et d'exécuter un tir de barrage en arrière du village, pour rendre impos-
sible l'arrivée de renforts. Sous la protection de ce feu d'artillerie, qui empêchait
l'ennemi de riposter, l'infanterie put progresser à bonne allure et, peu après
19 heures, le 148e, drapeau déployé, puis le 45e, au son de la Marseillaise,
réoccupèrent le village. Il y eut presque des corps-à-corps dans les rues, que les
Allemands évacuèrent précipitamment. Déjà ils avaient mis le feu à toutes les
maisons situées depuis la route qui descend à l'église, jusqu'au bout du Forbot,
ainsi qu'à la ferme de la Sicaille, occupée par M. Biot, à la ferme de Froidmont,
occupée par M. Navaux, et à la maison de Désiré Dujardin. A 20 heures, il y eut
un essai de contre-attaque, une mitrailleuse ennemie ayant tiré de la pointe du
village vers Waulsort : une section française pourchassa l'ennemi, baïonnette dans
les reins, jusqu'au bout du Forbot, à l'extrémité est du village, près du cimetière
militaire actuel ; le commandant Graussaud, du 148e, et le capitaine Didier, de la
6e compagnie, tombèrent mortellement blessés, à quelques pas du lieutenant
Woiry, qui venait d'être tué. A 21 heures, les Allemands, mis de tous les côtés en
déroute, avaient fui vers Waulsort et Hastière. Le bataillon du 148e s'établit en
pleins champs et le bataillon du 45e campa sur la place et garda les issues du
village. A 22 heures, nouvelle manœuvre ennemie dans la direction de Lenne : une
partie des Français, sortant du village, poursuivirent cette fois l'ennemi jusque
Lenne même, où le lieutenant Legrand, de la 6e compagnie, tomba à son tour. Il
repose à Waulsort.
Le 24, à 2 heures du matin, les Français se retirèrent, sur ordre, vers
Agimont, par Miavoye et Gochenée.
Les premiers Allemands, venant cette fois de Dinant. réapparurent au point
du jour. Trois soldats français étaient restés chez Barvaux (plan 16) et y furent
découverts : deux d'entre eux se rendirent, mais le troisième, Edouard Mirlier (1),
refusa de se constituer prisonnier et répondit qu'il se défendrait jusqu'à la dernière
cartouche; sortant de chez Barvaux, il se retira, pourchassé par les Allemands,
vers l'église, contre laquelle plusieurs habitants le virent tuer. Il fut retrouvé
(1) Classe 1903, de Lille, n° 1644.
inhumé à quelques mètres de là, au sud de l'église, dans un verger appartenant
à M. le docteur Gassart (plan 17) (1).
Dès la première heure, des Saxons venant de Lenne par la ferme Froidmont
se mirent à la recherche de civils pour se protéger contre les Français qui pouvaient
encore se trouver dans les environs. A 4 heures du matin, Joseph Gillard et Julien
Valtin, vieillards respectivement âgés de 72 et de 67 ans, furent pris dans la maison
Gillard, voisine de l'église, et emmenés en face de la poste (plan 18), à l'extrémité
ouest du village, où se trouvait l'armée allemande. « Moi fusiller vous, commandant
l'a dit! », disait l'une des sentinelles. Un troisième civil vint les rejoindre : c'était
M. l'abbé Gaspard, préfet de discipline au collège de Bellevue, à Dinant, qui s'était
enfui la veille au moment où l'établissement prenait feu, en compagnie des religieuses
et des domestiques attachés à l'établissement. Le groupe, après avoir erré toute la
nuit, s'efforçant d échapper aux éclaireurs qui rôdaient dans les campagnes,
rencontra une quarantaine de soldats français qui, se voyant cernés, décidèrent de
se rendre. Civils et prisonniers français furent gardés à cet endroit, à l'exception
de M. l'abbé Gaspard, qui fut sommé de précéder deux cavaliers dans leur marche
en avant, jusqu'à ce qu'il rejoignit les deux vieillards d'Onhaye.
Ils durent alors marcher tous les trois devant deux officiers et quelques
éclaireurs, dans la direction de Gérin. « Ils devaient les conduire dans tout le pays
et, si un soldat français ou un civil tirait, ils seraient fusillés. » S'il arrivait à
1A. l'abbé de tourner la tête de côté, il était menacé aussitôt du fusil et un soldat
l'interpellait : « Regarde avant toi, curé! » — « Français, ne tirez pas! », devait-il
crier de temps en temps.
Au delà de Gérin, en regard de Maurenne, on rencontra des soldats français,
qui firent feu sur les uhlans. Ceux-ci ripostèrent et, exécutant la menace qu'ils
avaient proférée, ils tirèrent aussi sur les civils, qui se trouvaient devant eux à une
distance de quinze à vingt mètres. Joseph Gillard et Julien Valtin s'affaissèrent sur
le chemin, gravement atteints : le premier avait reçu une balle dans le bras et une
autre dans l'abdomen ; le second avait la jambe transpercée d'une balle de fusii, et
1 épaule d'une balle de revolver. Après le départ des soldats, ils parvinrent à se
traîner d'abord dans une meule de froment, puis au village de Maurenne, où ils se
cachèrent dans la cave de la ferme Lekeux, jusqu à ce que, vers minuit de la nuit
suivante, les Allemands y mirent le feu; alors ils furent transportés à l'école. Tous
deux ont survécu à leurs blessures.
(1) Environ 200 Allemands et 2.00 Français sont tombés à Onhaye. On on a pu identifier les Français
dont les noms suivent : Jules Gillon, du 43", César Lefebvre, du 43e, Emile Chaumette, du 243e, René-
Alphonse Fortier, du 148e, Marcel-Eloi Hau, du 148e, Aimé Drouet, du 148e, Joseph Delattre, du 273e,
Alfred Vincent, du 148e, Robert Dumenil, du 45e, Auguste-Edmond Alidoux, Louis Lheur, du 148e, Désiré-
Auguste Berquint, du 233e, Charles Pâté, du 148e, Henri Cambay, du 148e, Lipen Lannoy, du 243e,
Félix-Antoine Lovera, sergent du 48e, Alphonse Gochey, du 430, lieutenant Paul-Maurice Hubert, du 33e,
Adolphe Desrivières, du 33*% Prosper-Michd Coupatetz, du 243'', Léon-Lucien Malot, capitaine Gustave
Didier, du 148e, lieutenant Pol Woiry, du 148"', Eugène Lalliaux Baudhuin, du 208e, Georges Murnaer,
François Delannoy, Emile Joly, du 208e, Eugène-Ovide Gressier, 8 R. 208, Léopold Larde, ~^y° d'A.,
Dekeyser (présumé), Mirlu (présumé), Molier (présumé), Paul Vansteene, adjudant du 33r, Joseph Toussaint,
sergent du 233"; enfin les suivants, qui sont dans le cimetière mais non identifiés : Léon Istace, du 148°,
Alphonse Planquette, 1910, Lille, n° 1644, Gabriel Saget, 1912, Lille, n° 223o.
iç3
Les uhlans continuèrent dans la direction d'Anthée, avec M. l'abbé Gaspard.
Un peu plus loin, cinq soldats français attaquèrent les uhlans qui, se voyant en
nombre moindre, tournèrent bride, tout en faisant feu contre leur dernier prisonnier,
qui déjà s'enfuyait et eut la soutane traversée par plusieurs balles. Il rejoignit
bientôt un groupe d'officiers français, les instruisit de ce qui venait d'arriver et les
suivit jusque Rosée. Après avoir pris un peu de lait dans une maison « au Gros
Frâne », il gagna Surice où il put raconter les détails qu'on vient de lire à l'un de
ses élèves, Léa Burniaux; il y fut fusillé le lendemain.
Revenons au village d'Onhaye, le lundi matin.
Les quelques habitants restés au village furent parqués, au fur et à mesure de
leur arrestation, dans la serre de M. le Chevalier Diericx de ten Ham (plan t3) et
dans la chapelle Saint-Walhère, de « Bon Air (plan tç) », avec un petit nombre de
fugitifs de la veille qui s'étaient trop pressés de rentrer.
A 1 1 heures, les hommes furent arrachés à leurs épouses et à leurs enfants et
conduits à Rosée, où ils furent gardés à vue dans la ferme « de la Cour », occupée
par le bourgmestre, M. Louis Valtin, et laissés sans nourriture jusqu'au vendredi.
Il ne resta ainsi à Onhaye qu'une poignée de femmes, seuls témoins de la
destruction de leur beau village. Cette destruction commença dans la journée de
lundi. Au fur et à mesure que les maisons importantes étaient pillées, les soldats
tiraient des coups de feu dans les fenêtres ou sur les toits et le feu se déclarait.
Séraphine Frérotte, une enfant de i3 ans, chassée de sa maison vers 17 heures, vit
des soldats charger sur un véhicule les meubles, les literies, la vaisselle et le linge
de M. Leclef ; elle en vit d'autres monter sur un chariot qu'ils avaient mené dans
une grange, et lancer à l'intérieur de l'immeuble une boule — sans doute une
grenade — par le cordon qui y était attaché : aussitôt les flammes s'élevèrent des
toitures.
Une malheureuse infirme, âgée de 84 ans, Joséphine FASTREZ, veuve Hubert
MERVEILLE, n'avait pu être emportée hors de sa maison, située sur la place : elle
y fut brûlée vive.
Sur 144 maisons, 1 1 4 furent détruites, dont le presbytère — où périrent deux
ostensoirs, dont un de très grande valeur, un ciboire, un calice et les précieuses
archives d'une antique paroisse — la maison communale, avec les archives civiles,
et l'école des garçons. A l'école des filles, incendiée par des obus, avait été détruit
un matériel du culte considérable. Il n'est resté du village qu'un petit nombre de
maisons à côté de l'église et au hameau de Guelaipont, sur la route d'Hastière.
Le 25 août est le jour où furent tués à Surice, où ils s'étaient réfugiés,
M. l'abbé Alphonse Ambroise, 55 ans, curé d'Onhaye, avec deux de ses parents qui
l'y avaient accompagné, Félix Ambroise, son frère, 54 ans, professeur à Vilvorde,
et Gustave Copienne, 6y ans, son oncle, d'Evrehailles ; également trois autres
habitants d'Onhaye : Hadelin Frérotte, 59 ans, Adolphe Pochet, 28 ans, et Cyrille
Colot, 42 ans (voir Surice).
Comme de nouvelles troupes de la 88e brigade et de la 40e division (XIXe corps),
ne cessaient de défiler à travers le village, à tout moment recommençaient des
scènes de sauvagerie. C'est ainsi que le mardi 25 août, une fillette de 6 ans,
Lea COLLIGNON, fut tuée presque à bout portant par un officier. Sa mère,
i3
'94
Constance Merveille, épouse Xavier Collignon, était rentrée à i3 h. i5 de Weillen
et de Ftroul où elle s'était réfugiée la veille, et venait d'être internée avec ses enfants
et un grand nombre d'autres personnes dans la serre de M. Diericx lorsque, à
t3 h. 3o, un officier qui passait sur la route, en tête d'une compagnie, tira un coup
de revolver dans leur direction. Léa fut atteinte à l'abdomen. Sa mère l'emporta
dans la grotte du parc, puis dans un massif de buissons. Comme l'enfant réclamait
à boire, elle lui humecta les lèvres avec sa propre salive et, dix minutes après, elle
mourut. Mme Collignon se cacha, dans l'après-midi, dans un parc de pois, tenant
toujours sur les bras le corps de la petite, et ayant à côté d'elle ses autres enfants,
Claire et Alice. Jeudi 27 août, elle entra dans le fournil de Clément Roba et déposa
le cadavre dans un pétrin. Des soldats voulurent la contraindre à l'enterrer, mais
elle s'y refusa. L'inhumation eut lieu à la soirée, par les soins de Henri Demoulin
et d'Elisée Liégeois, aidés de quelques femmes.
Charles LARET, 3o ans, après avoir fui, rentra au village le 25 août, pour se
rendre compte de l'état de sa maison. Il fut repris par des soldats féroces qui le
traquèrent devant eux au trot de leurs chevaux. Juliette Frérotte et Ida François le
virent passer sur la route d'Onhaye à Anthée, près de Gérin, dans un état lamen-
table. Le malheureux, qui allait à la mort, put encore crier à ces dames : « Je vais
être fusillé. Prévenez ma femme. Ayez soin de mes deux enfants ! » On n'a plus eu
depuis la moindre nouvelle à son sujet et on ne l'a retrouvé dans aucune des
exhumations faites dans la région.
Nicolas SIMON, 63 ans, et Anna FERRAILLE, son épouse, 57 ans, furent
atteints par des éclats d'obus entre Gérin et Anthée.
Albert LENGLET, \-j ans, blessé le 23 août à 9 h. 3o, à Lenne. par un éclat
d'obus, fut emmené par Joseph Demoulin sur un chariot, avec Joseph Dubois,
fermier de Lenne, blessé plus grièvement. On croit que Joseph Dubois était déjà
mort quand il fut déposé chez M. Diericx ; quant à Albert Lenglet, il fut transporté
à Rosée, où il mourut exsangue dans la nuit.
Les journées qui suivirent furent encore marquées par des vexations conti-
nuelles, car le passage des troupes se poursuivit pendant près d'un mois.
§ 2. — Surice et "Romedenne .
L'histoire de Surice el de Romedenne constitue en réalité un drame
unique. Ces villages furent condamnés à une ruine totale pour venger les
pertes, d'ailleurs peu considérables, qu'avaient subies les troupes du
XIXe corps en entrant dans ces localités.
C'est qu'en effet, le ier corps français, venant de la région de Sart-
Saint-Laurent et Malonne, était loin d'atteindre, à la soirée du 24 août, la
position Mariembourg-Vierves qui lui avait été assignée (1). L'arrière-
garde de la ire division (ter régiment d'infanterie) était encore à Surice et
(1) Section historique de l'État-Majorr-Général de l'armée, à Paris.
195
Romedenne à 20 h. 3o, quand le 104e allemand se présenta à l'entrée du
village de Surice. Il s'engagea alors un court combat, dont le lecteur
pourra se faire une idée précise en prenant connaissance du rapport
suivant, qui relate l'activité de la 8e compagnie (2e bataillon) française et
d'une section de mitrailleuses qui se trouvaient aux avant-postes.
Le 24 août à 16 heures, après une marche effectuée par une chaleur
accablante, le ier régiment, venant des environs de Sart-Saint-Laurent, arriva à
Romedenne.
Le 2e bataillon fut envoyé aux avant-postes. La 8e compagnie fut postée à l'est
du cimetière, la 7e et la 6e à l'ouest du chemin de Surice à Romedenne, la 5e à l'est
de ce même chemin; le ter et le 3e bataillon et l'Etat-Major étaient à Romedenne.
L'attaque du bivouac débuta vers 19 h. i5, par une fusillade, à laquelle succéda
le canon vers 20 heures. Dès que le petit poste de la 8e compagnie fut aux prises
avec un groupe ennemi, comprenant cavalerie, auto-canon et auto-mitrailleuse, le
capitaine Frère fit prendre les emplacements de combat et se porta sur les lieux. Il
fut aussitôt blessé. Le lieutenant Delgore prit le commandement, mais le déplace-
ment de la compagnie se faisait difficilement, car elle recevait le feu en avant,
venant de l'ennemi, et en arrière, venant des unités de réserve et des mitrailleuses.
La section de mitrailleuses du lieutenant Carbenay était installée à 5oo mètres au
nord de Romedenne, sur la route de Surice et tira environ 2,000 cartouches.
Le premier obus ennemi tomba contre le mur du cimetière, un autre en avant
de la 3e section, deux autres sur le village. Il était 20 h. i5. La 4e section, qui se
trouvait dans une zone particulièrement battue, fut très éprouvée.
La 2e et la 3e section de la 8e compagnie gagnèrent par bonds un emplacement
situé au nord de la route, mais se trouvèrent bientôt isolées. La nuit était venue.
Dans un moment d'accalmie, une partie des 4e et ire sections rejoignit la compagnie,
qui se replia dans la direction de Surice, contourna Romedenne bombardé et gagna
le sud. Le lendemain matin, la compagnie rejoignit le régiment; elle comptait
52 tués (x\ blessés et disparus; parmi les blessés, outre le capitaine, le lieutenant
Delerne.
A Romedenne, le bombardement commença à 20 heures. Au poste de police,
situé près de l'église, plusieurs Français furent tués et blessés (2).
(t) Les soldats dont les noms suivent ont été retrouvés inhumés sur le territoire de Surice : Léon Bayet,
classe 1913, Péronnes 747 ; Maurice Bricourt, 1911, Cambrai i632 ; Constant Bourlet, 1912, Cambrai 2140;
Fernand Dumont, 1912, Lille 62 1 8; Louis Delroque, 1910, Cambrai 1921 ; Désiré Debarge, 1 909, Béthune 6i5;
Constant Duquenoi, 191 3, Lille 3373; Henri Guillaume, 1908, Cambrai 683; Anatole Orison, 1909,
Béthune 2476; Henri Hetega, 1910, Lille 41 1 ; Gédéon Lorrioux, 19 1 1, Lille 5o6o ; Lucien Lebret, 1910,
Béthune 1348; Henri Lemaitre 1 9 1 1, Béthune 2919; Emile Mast, 1910, Arras 735; Gaston Martel, 1911,
Béthune 3838; Maurice Maronnier, 1913, Avesnes i3; Marcel Mayeur, 1913, Béthune 1687;
Charles Mullier, 1913, Lille 4604; J. M poul, 1913, Cambrai 37; sse Monnot, 1911, Lille 61 56 ;
Fernand Ollevier, 1909, Avesnes 764; Guislain Queva, 1910, Arras 809; Our Raditlt, 1908, Béthune 1816;
Fernand Rousseau, 1913, Saint-Omer 3717 ; Marcel Taquet, 1909, Cambrai; Charles Verbreggen, 1910,
Saint-Omer 906.
(2) Ces données ont été obligeamment communiquées par les capitaines Carbonay et Lesaint, qui partici-
pèrent comme sous-officiers à l'attaque de Suric;.
iç6
Dans la nuit qui suivit ce combat, le feu fut déjà mis par sauvagerie
à quelques maisons et plusieurs habitants furent tués dans les rues.
Le lendemain matin, un bruit étrange courut parmi la troupe : « Une
jeune fille de 16 ans a tiré sur un officier . » Ce fait est faux et jamais
les Allemands n'ont essayé d'en faire la preuve.
Aussitôt furent décidés l'incendie des deux villages et le massacre
général des hommes. A Surice, t3o maisons furent détruites sur 1 38 ;
à Romedenne, 119 sur 198.
A Surice, 69 personnes furent massacrés : 36 étaient du village
même, 33 de l'étranger (1); 58 de ces victimes trouvèrent la mort à
Surice même, 1 1 dans les villages voisins (2). Une seule fusillade
collective, qui ne le cède en rien aux monstrueuses exécutions de Dinant,
de Tamines et d'Andenne, faucha 38 existences, l'élite, peut-on dire, de
la région.
Romedenne, où un plus grand nombre d'habitants avaient fui,
compte moins de victimes ; mais si la sauvagerie fut, de ce chef, limitée,
elle trouva une compensation facile : ici, des femmes, des fillettes et de
jeunes enfants furent massacrés à l'égal des hommes. Les familles Bastin
et Penasse, de Surice, surprises à Romedenne, y furent exterminées, à
l'exception d'une enfant de 7 ans, laissée parmi les victimes, mais qui
revint à la vie : précieux témoin d'une scène particulièrement monstrueuse.
Le drame de Surice est l'un des plus émouvants de l'invasion.
L'univers en a lu le récit sous l'occupation même, et l'horreur qu'il a
suscitée n'a pas peu contribué à soulever contre l'Allemagne les peuples
qui étaient restés indifférents jusque là au déchaînement de la grande
guerre.
Le Livre Blanc a gardé le silence sur les événements de Surice;
mais ils figurent au n° 16, sur la liste des 23 faits contraires au droit des
gens que la Wilhemstrasse notifia en 1915 aux diplomates accrédités
auprès des pays neutres ou alliés de l'Allemagne (3).
(1) A savoir 1 1 d'Anthée, 5 de Gérin, 4 d'Onhaye, 4 d'Ermeton-sur-Biert, 2 de Dinant, 1 d'Evrehailles
1 de Gerpinnes, 1 de Hastière, 1 de Le Roux, 1 de Morvilte, 1 de Vilvorde, t de Vitrival.
(2) 9 à Romedenne, 1 à Franchimont, t à Soulme.
(3) Direction du Contentieux et de la Justice militaire, à Paris, dossier 762. En voici le texte exact : « Le
24 août au soir, commença à Surice une attaque des habitants contre les troupes allemandes, qui avaient
devant elles l'ennemi et dans le dos les francs-tireurs. Un certain nombre de ceux-ci, dont trois prêtres,
durent être fusillés, en conformité des lois de la guerre ». Les nombreux témoins de la fusillade sont là pour
rappeler ce qu'a dit l'officier exécuteur : les victimes n'ont pas été accusées d'avoir tiré, on les savait
innocentes, mais on les tuait en guise de représailles, « parce qu'une jeune fille avait tiré ».
VICTIMES DE LA FUSILLADE COLLECTIVE DE SUKICE
F'g- 77-
Olivier RARMENTIER.
62 ans,
de Miavoye.
André LIBERT, 46 ans,
de Miavoye.
Fig- 79-
Auguste DURDU, 5o ans,
échevin de Surice.
Fig. 80.
Jecn-Bjptisle LIBERT,
40 ansi
de Miavoye.
Fig. S 1 .
L'abbé Gustave GASPARD, 34 ans,
de Thon, professeur
au Collège de Bellevue, à Dinant.
Fig. 82.
L'abbé Alphonse AMBROISE,
55 ans.
curé d'Onhave,
Fig. 83.
Félix AJHBROISE, 54 an;,
professeur à l'Ecole d'horticulture de
Vilvorde.
Fig. 84.
Gustave COP1ENNE, 67 ans,
d'Evrehailles,
oncle de M. l'abbé Ambroise,
curé d'Onhaye.
Fig. 85.
Adelin FRÉROTTE,
59 ans,
d'Onhax e.
VICTIMES DE LA FUSILLADE COLLECTIVE DE SURICE
Fig. 86.
Alphonse N ASSAUT, 63 ans,
d'Anth;e.
Fig. 89.
Henri JACQUES, xG ans,
fils de Félix Jacques,
élève au collège de Bellevue
à Dinant.
Fig. 93.
Edmond SCHMIT, 37 ans,
Inspecteur de l'enseignement
primaire à Gerpinnes.
Fig. 87.
Félix JACQUES, 57 ans,
docteur en médecine à Anthée
Fig. 88.
Olivier DELCOUR, 62 ans,
d'Authée, fusillé avec ses fils
Arthur et Léon.
Fig. 91.
l'abbé Oscar PIRET, 40 ans,
curé d'Anthée.
Fig. 96.
Jean QUOILIN, 18 ans,
fils de Jean-Baptiste,
de Gérin.
Fig. 95.
Jean-Baptiste QUOILIN,
54 ans, de Gérin
Fig. 92.
l'abbé Marcellin POSKIN, 55 ans,
curé de Surice.
Fig- 97-
Louis DELCOUR, 54 ans,
gendre de J.-B. Ouoilin,
de Gérin.
Fig. 90.
Arthur DELCOUR. 3o ans,
d'Anthée, fusillé avec
son père et son frère Léon.
Fig. 94-
Léon DELCOUR, 19 ans
d'Anthée, fusillé avec
son père et son frère Arthur.
Fig. 98.
Uismer DERAVET, 16 ans,
de Gérin (à l'âge de|6 ans).
«97
Le soldat Franz Dobrats, de la 9e compagnie du 106e, a témoigné
dans sa captivité qu' « il a participé, le 24 août, à l'incendie du village
de Surice et qu'il y a fusillé des civils; le 25, à 7 heures, six hussards
ramenèrent de la forêt Zj civils et 3 prêtres, ainsi que des femmes et
des enfants. Les Z7 hommes et les prêtres furent passés par les armes
sous les yeux des femmes et des enfants » (1).
Ainsi se sont révélés les criminels dont il nous reste à raconter les
tristes agissements. Nous publions deux travaux, l'un relatif à Surice,
l'autre relatif à Romedenne. Ils fusionnent, en les résumant, une quaran-
taine de dépositions, dont les plus importantes ont été enregistrées de
bonne heure (celle de Mme Jacques le ier octobre 1914, celle de M. le
curé Baudine le t5 janvier 1915); d'autres récits de témoins oculaires,
recueillis sur la fin de l'occupation et aussitôt après l'armistice, nous ont
été fournis par MM. Dupiereux et Dautrebande, curés actuels de ces
paroisses.
L'alerte fut donnée à Surice dans l'après-midi du 23 août, lorsque des gens
d'Anthée vinrent dire que des obus allemands étaient tombés dans le village et que
les troupes françaises préparaient leur retraite. A t8 heures, à la sortie du salut,
des militaires belges en auto racontèrent que « Namur était pris et qu'il fallait
fuir ». A la soirée déjà, Surice était engorgé de gens de Falaën, Florennes, Roux,
Oret, Vitrival, Anthée, etc., qui y passèrent la nuit.
Le 24 août, cinq prêtres dirent la messe à l'église paroissiale. A to heures, on
annonça que les Français, qui poursuivaient fiévreusement leur retraite, fortifiaient
Romedenne et que beaucoup de gens s'en allaient. Des fugitifs de Soulme, de
Gochenée, et de maintes autres localités continuaient à passer. Dans les premières
heures de l'après-midi, arriva M. l'abbé Gaspard, surveillant au collège de
Bellevue, à Dinant. Il avait pu fuir de la ville incendiée et échapper deux fois à la
mort. Jusque 17 h. 3o, ce fut un défilé ininterrompu de troupes belges et françaises,
où toutes les armes étaient mêlées. A la soirée, un bon nombre de familles avaient
déjà fui ; la plupart cependant, ayant décidé de rester et ayant gardé, malgré tout,
confiance dans la correction des troupes allemandes, ne quittèrent qu'au moment
du combat ou sous les balles.
Les Français s'étaient quelque peu organisés pour arrêter l'ennemi qui
semblait proche Une mitrailleuse était installée sur une sorte de crête, « aux
Fosses 9 (voir plan de Surice, en a), à mi-chemin de Romedenne, dominant de là
le chemin de Soulme. Un autre groupe de Français avait pris place près du
cimetière (plan, 3).
(1) Ibid. dossier io55, rapport 184. Le 106e serait, d'après cela, compromis dans le massacre. D'autre
part, Honoré Marotte a retrouvé près du champ du carnage des débris de linge portant la marque du 104e régi-
ment (3e bat. 2e comp.). Arthur Burniaux a retrouvé des objets appartenant aux 104e et 107e. Des bons
mentionnent les ie, 9e, 10e, 1 te et 12e comp. du 104e, les 8e, 9e, 106 et 11e comp. du 107e, le 19e hussards
(4e esc.) et la 3P bat du 77e rég. d'art de camp (Archives de la Commission d'enquête, à Bruxelles)-
tçS
^nAWfHIMOKT
Fig. 99- — Plan de Surice.
(Les maÎ3oi"s en noir ont été incendiées.)
Légende. — i. Église de Surice; 2. Ancienne cure; 3. Cimetière; 4. École des garçons; 5. École des
filles; 6. Château Diericx et parc; 7. Patronage; 8. Maison Penasse ; 9. Maison Canton; 10. Joseph Hubert;
il. Olivier Dubuisson ; 12. Docteur Bouty; i3. Edouard Burniaux; 14. Grange Maron ; i5. Fermier Laloux ;
16. Ern. Lebrun, percepteur des postée; 17- Charles Colot ; 18. Ferme du château; 19. Esther Mathieu;
20. Henri Burniaux; 11.' Arthur Burniaux; 22- Auguste Durdu ; 23- Léopold Burniaux; 24. Elisée Pierard ;
25. J.-B. Gérard Balbeur; 26- Adrien Maron; 27. Adèle Cogniaux; 28. Baijot; 29- Victor Cavillot ;
3o. Camille Cuvelier; 3t (ou III). Soeurs françaises (maison Félicie Renson); 32. Veuve Laurent; 33. Monu-
ment 34. Cimetière militaire; 35 Veuve Brassart ; 36. Pères de la Sainte Famille (maison Alice Renson);
a. Endroit de la fusillade; o. Grotte.
Maisons non incendiées : I Paulus Burniaux; II Alphonse Burniaux; III Maison Renson (Sœurs
françaises, nouvelle cure); IV Poste; V Maison Colinet Ghislain ; VI Maison Canton; VII Maison Xavier
Soumoy; VIII inoccupée, appartenant à Henri Burniaux, habitée en dernier lieu par Jacquemot.
'99
Il était exactement 18 h. 5o quand l'ennemi se présenta et que commença la
fusillade. Les habitants gagnèrent les caves. Tandis que fonctionnaient canons et
mitrailleuses, les Allemands se ruaient à l'assaut du village. Des autos blindées en
amenèrent, vrais sauvages, qui saccagèrent plusieurs maisons et les incendièrent (1).
Le feu des mitrailleuses ennemies avait surtout atteint les maisons situées au tour"
nant, près du château Diericx (plan, 6), et la maison Penasse (plan, 8) qui se
trouve dans un sentier voisin.
« Vers 20 heures, écrit Arthur Burniaux, quatre uhlans arrivèrent près de
l'école. Deux soldats français embusqués près du local du patronage, qui se trouve
en face de chez moi, en tuèrent deux, puis se retirèrent, tandis que les deux
uhlans restés en vie rebroussaient chemin. »
« Vers 20 heures, raconte Joseph Hubert (plan, 10), un officier, revolver au
poing, suivi d'une troupe de soldats, me somma de les conduire à Romedenne ;
lorsque nous fûmes près de chez Canton (plan, 9), les Français ouvrirent le feu; je
pus m'esquiver et gagner le chemin de Vodelée. Près du cimetière, je vis deux
Français tués, et un peu plus loin huit autres. »
On retrouva cinq cadavres de soldats allemands près de la maison de
Jules Canton.
Des civils furent tués dès la première heure. Lambertine Marchand, épouse
d'Olivier Dubuisson (plan, 11), entendant le bruit du canon et apprenant que
Romedenne était en feu, quitta sa maison située sur la place, pour fuir. « Tout à
coup, raconte-t^elle, nous voyons arriver des soldats habillés tout en gris. Ma fille
me dit : ce sont des Allemands, ils ont des casques à pointe! Effrayée, je fis un
mouvement; et aussitôt ils s'élancèrent vers nous, les uns baïonnette au canon, les
autres tirant des coups de feu. Nous sommes rentrés affolés. Uue grêle de balles
pleuvait dans la maison. Nous nous sommes couchés à plat ventre. Ma fille est
entrée dans une armoire de coin, autour d'elle des balles se figèrent dans les
murailles. Alors nous nous sommes traînés dans la basse cuisine, hommes, femmes
et enfants, priant à haute voix. Après être monté à l'étage, mon fils Charles en est
redescendu, criant que le feu était au grenier. Affolée par la crainte d'être brûlée
vive, Juliette GENARD (fig. 120), 22 ans, d'Ermeton^sur-Biert, voulut partir, en
longeant le pignon. Mon fils l'avertit vainement que les Allemands étaient au coin.
Elle n'avait pas fait deux mètres qu'elle était touchée; elle tourna sur elle-même en
jetant un cri et tomba sur le bord d'un fumier Son mari, Alexandre ROUYRE
(fig. 1 1 8), 26 ans, était parvenu à traverser la route; j'ai vu les Allemands qui le
ligotaient avec des cordes et, le lendemain, il gisait tué près de la maison. Le
père de Juliette, Arthur GENARD, 45 ans, sa mère, Elvire COPPÉE, 45 ans,
sortirent à leur tour, et furent abattus. Le cadavre du père Genard gisait encore
huit jours plus tard au coin de l'habitation du docteur Bouty (plan, 12), où l'on
dut le brûler, à cause de l'état avancé de décomposition (2).
(1) Les premières maisons qui brûlèrent furent celles du « Pauquis »» : la maison Brasseur, la ferme
Diericx, la maison de L. Pingaut ; et dans le centre, celles d'Aimé Sagin et de Joseph Burniaux^Deroyer.
(2) Ces quatre habitants d'Ermeton-sur.-Biert s'étaient d'abord réfugiés dans Is grange Maron (plan, 14?;
quand le feu fut mis à cette dernière, ils réussirent à passer chez Dubuisson-
zoo
» Nous avons ensuite vu enfoncer les portes et les fenêtres à coups de hache,
chez Edouard Burniaux (plan, i3). « Pardon ! grâce ! pitié ! Nous demandons la
paix I criaient des civils ou des soldats français. » Le feu faisait rage dans tout le
village. Jusque 1 h. 3o du matin, on entendit les coups de fusil et les détonations
du canon ; les mitrailleuses résonnaient, les soldats poussaient des hourras, les
bêtes à cornes rôties dans le feu hurlaient. Quelle nuit épouvantable !
» A i h. 3o, nous avons entendu les Allemands charger leurs morts et leurs
blessés et s'éloigner. A 3 heures, le silence s'était fait. Mon fils Charles, étant
sorti, aperçut le fermier M. Laloux (plan, i5), qui se disposait à partir avec chevaux
et chariot. »
Ernest Lebrun, percepteur des postes (plan, 16), fuyant l'incendie de sa maison,
s'était réfugié avec son collègue d'Anthée et sa famille dans son jardin ; à quelques
mètres de là fut tué Charles COLOT (plan, 17), clerc de l'église, âgé de 88 ans, et
ils entendirent le coup de feu qui l'abattit sur le seuil de sa maison (1). Jules Mathieu
en retrouva les restes calcinés le ier septembre; il fut inhumé dans la « terre du
Gouverneur » avec les restes d'un soldat français.
M. Ernest Diericx, fuyant la ferme du château en feu (plan, 18), passa la nuit
avec sa famille dans une oseraie marécageuse située à proximité. Vers 4 heures du
matin, tandis que sa fille Marguerite, son oncle et sa tante allaient, comme nous le
raconterons plus loin, se cacher dans une grotte, au parc de Mme Laurent, il se
dirigea vers « La Caracole » et aperçut, à ce moment, sur la porte de l'étable le
cadavre d'ANTOiNE WAUTELET, 70 ans, échevin de Le Roux (Fosses), qu'il
retrouva plus tard dépouillé et carbonisé.
Dix-neuf personnes, dont M. l'abbé Debatty, curé de Morville et M. l'abbé
Lamort, passèrent la nuit dans une cave du village, chez Mme Esther Mathieu,
Vve Foulon (plan, 19 et fig. 104). Ils s'y étaient barricadés de leur mieux, fermant
les soupiraux à l'aide de coussins. Quand l'ennemi pénétra sur la place déserte,
vers 21 heures, ils entendirent une mêlée confuse, des cris gutturaux, le son de
fifres et de tambours. Puis ce fut la ruée des soldats sur les maisons : ils enfonçaient
les portes, brisaient fenêtres et volets, saccageaient les meubles et mettaient le
feu. Tout à coup la maison elle-même où ils se trouvaient fut envahie et le bruit
des talons résonna durement sur les parquets; heureusement la cave fut respectée.
Puis un canon fut installé sur la place et bombarda la maison presque à bout
portant (2). Il tira de même sur presque toutes les maisons de la place, qui
gardèrent jusqu'à leur démolition les traces et les trous des obus. A 4 heures du
matin, quand le calme se rétablit, le curé de Morville jeta, par le soupirail,
un coup d'ceil sur la place et aperçut l'attelage du fermier Edouard Laloux
(») Charles Colot était déjà blessé près de la porte de sa maison, quand Louis Bastin quitta sa demeure
qui prenait feu, à 22 heures, et gagna son jardin par s'y cacher dans le ruisseau.
(») On connaît l'auteur de cet exploit brutal : c'est le lieutenant Bischoff, de Vahr-bei-Bremen, de la
3e batterie du 77e rég. d'art, de campagne, ainsi que l'a raconté tout au long l'ouvrage intitulé : Artillerie,
Hermann Hillger Verlag, Berlin, p. 26. Détail significatif : l'officier a reçu, en récompense de ce fait d'éclat,
la croix de fer de 2e classe et la croix de chevalier de l'Ordre de Saint-Henri !
20 1
qu'accompagnait aussi le curé de Gérin. Ils sortirent de leur cave (i) et gagnèrent
Lautenne (a).
M. Laloux raconte ainsi ses impressions de la nuit tragique. « Mon fils Moïse
et mon neveu surveillaient, d'un fenil, les abords de la ferme. Ils virent arriver les
monstres, qui jetèrent des bombes à la poste (plan 16, préservée) voisine de notre
habitation. Informés par eux de ce qui se passait, nous allâmes nous blottir, à
3o personnes, dans les arbustes du jardin de M. Henri Burniaux (plan 20). Terrifiés
par les hurlements des soldats, nous retenions notre souffle, de crainte de nous
signaler. Plusieurs fois, nous entendîmes des cris de femmes (3) : « Au secours,
(1) A ce moment, les maisons de la place étaient encore intactes, sauf celles de Jules Hubert, Julien Maron
et Dubuisson. Le (eu venait d'être mis chez Edouard Burniaux et l'habitation de Mme veuve Laurent ne brûlait
pas encore.
(2) L'odyssée de ce groupe mérite d'être relaté. Quand ces gens, à peine sortis du cauchemar de la nuit
précédente, eurent dépassé Lautenne, des hussards de la mort qui marchaient en tête d'un régiment d'artillerie
leur firent lever les bras en l'air pendant un quart d'heure, puis les ramenèrent à Lautenne. Ils y assistèrent
vers 5 heures au passage d'importantes troupes qui gagnaient Surice, puis ils poursuivirent leur route vers
Rosée, Morville et Anthée, espérant toujours dépasser le flot de l'invasion.
Faits prisonniers à leur arrivée à Anthée, et parqués dans le verger de Joseph Burton, ils assistèrent à de
multiples scènes de sauvagerie et à la destruction du village. A 17 heures, les hommes, séparés des femmes,
furent sur le point d'être fusillés, mais ils eurent finalement la vie fauve et furent congédiés. Aussitôt qu'ils
eurent rejoint le groupe des dames, ils furent repris. Sous la conduite d'un jeune et brutal officier du 100 , ils
reprirent la route de Rosée et longèrent Morville en feu. Quand ils eurent monté la côte, Gustave Cléda,
maréchal-ferrant à Anthée, s'évanouit devant eux : alors le groupe fut licencié à l'exception des trois ecclé-
siastiques. Ceux-ci, traqués à coups de cravache et de crosse, furent rangés près la grille de la propriété de
M. le comte van den Stegen, à Rosée- Ils virent saccager et piller le château de fond en comble; puis, en
compagnie de deux gardes, ils précédèrent la troupe pour la visite du parc. « Tous seraient fusillés, s'il y
avait un seul Français dans le bois. " Ils traversèrent encore des angoisses mortelles, puis l'officier qui les
avait pris les congédia à 20 heures. Un verre d'eau avait été leur seul aliment-
Deux cents mètres plus loin, ils se heurtèrent à des soldats excessivement brutaux. L'un d'eux, sautant de
son véhicule, saisit le curé de Morville à la gorge, le menaçant d'un énorme coutelas, et s'en prit de même au
curé de Gérin Ils eussent été égorgés sans l'intervention d'un officier qui se montra bon pour eux et les
ramena à la grille du château de Rosée. Ils passèrent la nuit chez un garde et le 26 août, à 2 h. 3o du matin,
trompant la surveillance de leurs gardiens, ils s'enfoncèrent dans la forêt, vers Soulme, Agimont et Hermeton-
sur-Meuse. Exposés à tout moment à se heurter à l'ennemi, ils déchirèrent les vêtements ecclésiastiques qu'ils
portaient, de façon à paraître habillés en civils et vécurent, jusqu'au vendredi à midi, de feuilles et de racines-
Exténués de fatigue, démoralisés et trempés jusqu'aux os, à la suite d'un orage et de deux nuits pluvieuses, ils
arrivèrent le 28 août, après de multiples incidents, à une maison de garde sise à Crupet-Hastière, où
Jules Léonard et Jules Tumson les abritèrent charitablement, dans le plus grand secret, pendant dix et quinze
jours. Encore ces ecclésiastiques ne purent-ils rentrer aussitôt cIjiis leurs paroisses, car ils apprirent qu'à
Morville les Allemands avaient fait, huit jours durant, des battues dans les bois à la recherche du curé.
Revenons au groupe des civils. Quand ils eurent été séparés des prêtres, Henri Laloux, Honoré et Ernest
Marotte, le percepteur des postes d'Anthée et son fils, M. Cléda et son fils se détachèrent de leurs compagnons
et abordèrent des officiers, leur demandant un passeport pour regagner Gérin. Ils furent arrêtés et ramenés à
Rosée, puis à Gérin, où ils passèrent la nuit dans l'écurie d'un café, en face de la ferme Laloux- Le lendemain,
des troupes de cavalerie les ramenèrent à Surice, les faisant courir sur la voie du tramway vicinal au galop de
leurs chevaux, puis les amenèrent « aux Fosses » , devant le tas des cadavres de civils dont nous allons raconter
le massacre. Tirant solennellement son sabre, un officier leur dit : " Voilà les francs-tireurs de Surice! Vous
allez subir le même sort! " Après un simulacre de jugement chez Canton, et une mise en scène d'exécution, ils
furent remis en liberté.
(3) C'étaient probablement les membres de la famille Genart, d'Ermeton-sur-Biert.
202
grâce, pitié ! » puis un coup de feu éclatait et les cris cessaient. A cinq mètres de
nous, l'usine Burniaux brûlait. Nous entendions pousser des hourrahs chaque fois
qu'une nouvelle maison flambait ; puis c'étaient des coups de sifflet, des galops
de chevaux, des hurlements de bestiaux restés dans les étables en feu : tout cela
était terrifiant.
» Quand le jour commença à poindre, nous sortîmes du jardin. Notre maison
commençait seulement à brûler et nous pûmes sauver le bétail ainsi que les chevaux
de mon frère de Gérin. Nous attelâmes deux chariots, et toute la famille y prit place.
A ce moment, l'artillerie descendait ie village et les soldats nous firent signe de les
laisser passer. Ayant pris la direction de Lautenne, nous rencontrâmes bientôt des
uhlans, qui nous firent lever les bras, jusqu'à ce que nous ayons rejoint l'armée qui
suivait. A Lautenne, l'officier supérieur qui marchait en tête des troupes, après
nous avoir questionnés, dit : « S'il y a un seul soldat français dans votre village,
vous serez tous fusillés sans pitié ! » Ils tirèrent quelques coups de canon dans la
direction de Surice, Omezée et Franchimont, et comme les Français ne répondaient
pas, ils nous laissèrent partir. »
Revenons à Surice. Dans la seconde partie de la nuit, le village parut désert,
mais vers 6 heures du matin, des troupes réapparurent. Sans doute s'étaient-elles
cachées jusque-là dans des jardins. Les soldats, de vrais tigres, se mirent à
grouper les hommes, dont ils avaient décidé l'exécution en masse.
Les premiers qui tombèrent entre leurs mains étaient des gens de Miavoye qui
avaient passé la nuit dans une dépendance des dames Diericx et s'étaient enfuis sur
le matin, quand le feu vint les menacer. Menés une première fois « aux Fosses »
(plan a), à l'endroit où eut lieu plus tard la grande fusillade, ils réussirent, à force
de supplications, à être libérés ; mais revenus au village, ils furent aussitôt repris.
André LîBERT (fig. j&), 46 ans, eut les mains liées derrière le dos ; Olivier
PARMENTIER (fig. 77), 42 ans, et Jean-Baptiste LIBERT (fig. 80), 40 ans, furent
liés ensemble par le poignet. Une jeune fille de 16 ans eut aussi les mains liées.
Une autre demoiselle fut fouillée à deux reprises, parce que, disaient les soldats,
une jeune fille de 16 ans avait tiré sur eux. Ils furent menés sur la place de l'église
(plan 1), où on les fit arrêter.
Vers ce moment arrivait devant l'église le groupe pris au presbytère (plan, 2)
il comprenait M. l'abbé Marcellin POSKIN (fig. 92), 55 ans, curé de Surice, sa
mère âgée de 80 ans, sa sœur, son beau-frère, M.. Edmond SCHAIT (fig. 93),
37 ans, inspecteur de l'enseignement à Gerpinnes, son épouse et leurs quatre
enfants. Avec eux se trouvait Edmond GUILMIN, 24 ans, de Vitrival, qui fut sur
le point d'échapper, avec la famille d'Arthur Burniaux (plan, 21), chez laquelle il
avait passé la nuit; pendant que M. Burniaux regagnait son chariot qu'il avait
préparé au milieu du village, M. Guilmin échangea quelques paroles, sur les
horreurs de la nuit écoulée, avec M. l'inspecteur Schmit, et fut capturé avec lui et
le personnel du presbytère, quelques moments après.
On amena ensuite tous ceux qui avaient été pris au château fplan, 6), à savoir
M. l'abbé Oscar PIRET (fig. 91). 40 ans, curé d'Anthée; M. l'abbé Gustave
GASPARD (fig. 81), 34 ans, surveillant au collège de Dinant, dont nous avons déjà
203
parlé ; M. l'abbé Alphonse AMBR01SE (fig. 83), 55 ans, curé d'Onhaye, son oncle
Gustave COPIENNE (fig. 84), 67 ans, d'Evrehailles, son frère Félix AMBROISE
(fig. 83), 54 ans, professeur à l'école d'horticulture de Vilvorde, Adelin FREROTTE
(fig. 85), 59 ans et son neveu Adolphe POCHET, 28 ans, tous deux d'Onhaye, et
d'autres membres de leur famille; M. Félix JACQUES (fig. 87), 5j ans, docteur en
médecine, à Anthée, sa femme et son fils Henri JACQUES (fig. 89), âgé de 16 ans;
Olivier DELCOUR (fig. 88), 62 ans, d'Anthée, et ses deux fils, Arthur DELCOUR
(fig. 90), 3o ans, et Léon DELCOUR (fig. 94), 19 ans ; Alphonse NASSAUT(fig. 86).
63 ans, d'Anthée, son fils Fernand NASSAUT, 19 ans.
Voici comment Mme Jacques raconte leur arrestation.
« Le 25 août au matin, mon mari remarqua que des officiers, revolver au
poing, fouillaient les bosquets du jardin, pour y découvrir ceux qui auraient pu
s'y cacher.
» Tout à coup, vers 6 heures, des soldats crièrent : « Ouvrez! »; mais avant
qu'on ait pu ouvrir, les portes avaient volé en éclats. Une frayeur profonde
s'empara de nous tous. Chacun recommanda son âme à Dieu. M. le curé d'Anthée
donna l'absolution à ceux qui étaient avec lui. M. l'abbé Gaspard la donna à ceux
qui étaient dans le vestibule, puis il se mit lui-même à genoux devant Al. le curé
d'Anthée. Les soldats entrèrent en hurlant comme des sauvages, nous mettant le
revolver sur la poitrine. Tous instinctivement levèrent les bras. Les dames Diericx,
pour bien montrer qu'on était animé de dispositions bienveillantes, leur offrirent
des rafraîchissements et des vivres : rien ne les calma; un soldat prit des œufs et se
mit à jouer avec eux sur la pelouse. Brutalement ils nous obligèrent tous à sortir,
sans excepter la dame Nassaut, très âgée, des petits enfants, dont un bébé d'Onhaye.
Quand parurent les trois prêtres, les soldats grincèrent des dents, leur montrèrent
le poing et leur appuyèrent la baïonnette à l'endroit du coeur. Une dame Diericx
voulut prendre une petite valise; un soldat la frappa sur le bras pour l'en
empêcher; sa sœur fut bousculée et eut sa robe lardée de coups de baïonnette.
Nous stationnâmes devant le perron, pendant que les soudards faisaient le tour de
la maison et brisaient les fenêtres à coups de crosse,
» Puis un officier cria : « Quatre par quatre! » ; après nous avoir mis en rang,
il cria : « En route, dépêcher! »
» On s'avançait sans penser à rien, et nous disions notre chapelet. Les prêtres,
qui nous avaient soutenus pendant toute la nuit, continuaient à nous réconforter, à
nous inspirer confiance. M. Olivier Delcour (fig. 88), père, ne marchait que
péniblement, appuyé sur son bâton : on le lui enleva. Ma fillette de quatre ans, qui
me donnait la main, ne marchait pas assez vite : elle était poussée en avant à coups
de pied. »
Au moment où cet important groupe allait à la mort, il fut rejoint sur la
place de l'église par tous ceux qui avaient été pris chez Durdu (plan, 22) et qui
étaient amenés par « les ruelles » et la rue du presbytère. L'un d'eux, Léonard
SOUMOY, 69 ans, en passant à côté de M"e A. Diericx de Tenham, lui glissa à
mi-voix : « Cette fois-ci, nous y sommes ». Avec lui se trouvaient son épouse
Célestine Mathieu, leur gendre Auguste DURDU (fig. 79), 5o ans, premier échevin
de la commune, et l'épouse de ce dernier, Marie Soumoy, avec leurs quatre petits
204
enfants âgés de 4 à 9 ans ; un voisin Camille SOUMOY, 32 ans, sa femme, son
enfant âgé de 8 ans et sa belle-mère, Gustavine Marotte; enfin quatre hommes de
Gérin : Alexandre QUOILIN, 78 ans, son fils Jean-Baptiste QUOILIN (fig. 95),
54 ans, son petit-fils, Jean QUOILIN (fig. 96), 18 ans, son gendre Louis DELCOUR
(fig. 97), époux de Stéphanie Quoilin, 54 ans, et Ursmer DERAVET (fig. 98), 16 ans,
et quatre dames de Gérin. Ces gens, pendant l'incendie de la maison Durdu,
s'étaient réfugiés dans le jardin, puis étaient rentrés dans une cave située sous la
grange et donnant accès au jardin, où ils furent surpris.
Un horrible massacre ensanglantait à l'heure même la maison du facteur des
postes (plan, 23) Léopold BURNIAUX (fig. 110), 53 ans. « Quand nous arrivâmes
devant cette maison, raconte M"e Aline Diericx, nous entendîmes des cris déchirants.
La femme du facteur, Eléonore Hubert, demandait grâce. Son mari, son fils aîné,
l'abbé Armand BURNIAUX (fig. 112), 25 ans, professeur au collège Saint-Louis à
Namur, et son fils cadet, Albert BURNIAUX (fig. 117), âgé de 14 ans — qui
reposait sur son matelas, parce qu'il s'était cassé la jambe la veille — venaient
d'être fusillés à bout portant dans la cuisine-cave où ils avaient passé déjà une nuit
horrible, tandis que les soldats allaient et venaient au-dessus d'eux, au rez-de-
chaussée et à l'étage. M. Burniaux père avait reçu un coup de feu dans ie côté,
l'abbé dans le genou, Albert dans la jambe qui n'était pas brisée. La pauvre mère et
son dernier fils, Gaston BURNIAUX (fig. 11 5), 21 ans, furent séparés de force des
trois blessés, et grossirent le triste cortège de ceux qui étaient emmenés vers le
lieu d'exécution, où Gaston devait périr à son tour. Ce n'est que jeudi, 27 août,
que T\me Burniaux put rentrer chez elle : le cadavre de son mari gisait près de la
porte de la cuisine, ceux de ses deux fils un peu plus loin. Outre le premier coup
de feu, chacun en avait reçu un second dans la gorge, en sorte qu'ils avaient été
achevés. Les Allemands avaient, de plus, enlevé le calice de l'abbé et une somme
importante qui avait été placée dans un écrin, avec le calice, sous le matelas du
petit blessé. »
Quittant la place de l'église. — seules celle-ci, ainsi que les écoles et la
maison communale étaient encore debout — tout ce cortège d'hommes, de vieillards,
de femmes et d'enfants avait donc été dirigé vers Romedenne.
Entre Surice et Romedenne, au lieu dit : « aux Fosses » (plan, a et fig. 106),
on s'arrêta. Il était 7 h. 1 5. Dans les fossés qui longent la route, il y avait des cadavres
de Français et de chevaux. Le groupe, encadré de sentinelles, fut placé dans une
pâture appartenant à Paul Burniaux; à côté, des soldats avec des mitrailleuses
montraient le poing, menaçaient du revolver.
Vers ce moment, d'autres civils furent joints à toutes les victimes que nous
avons déjà citées. Elie PIEROT (fig. 11 3), 54 ans, avait été aperçu à la lisière
d'un bois où, accompagné de sa femme Alphonsine Pétrizot et de son fils, il avait
transporté sur un fauteuil sa belle-mère impotente, Ursémie Béroudiaux. veuve
Pétrizot; ceux qui l'arrêtèrent avaient tiré sur eux, mais sans les atteindre.
Alexis THIRY fils (fig. 114), 3i ans, se trouvait sur la place avec le groupe
d'Arthur Burniaux ; il était revenu au village pour emmener la veuve Pétrizot, qui
habitait chez son gendre, Elie Piérot, près du facteur des postes, M. Burniaux.
205
Elisée PIERARD (fig. 1 1 6), 71 ans, n'avait pas fui avec ses enfants et fut pris
dans "les ruelles », au moment où il revenait de la campagne pour soigner
le bétail.
On amena aussi trois hommes de Surice qui avaient été pris dans la cave de la
maison (plan, 25) située près des écoles, au delà d'une drève d'arbres, à savoir :
Jean-Baptiste GÉRARD, dit BALBEUR, 54 ans, Henri BILLY, 48 ans, et son fils
Erasme BILLY, âgé de t8 ans; enfin Adrien MARON, un vieillard âgé de 85 ans,
avait été découvert dans sa demeure (plan, 26) sur la place, et joint au groupe venant
du château et de la cure.
« On ne formait jusque là, raconte Mme Jacques, qu'un groupe compact. Tout à
coup on sépara les hommes des femmes et des enfants (\s. Eut-on alors un pressen-
timent : on fondit en larmes, on s'embrassa, on se dit au revoir. Mon fils Henri
me dit : « Maman, nous nous reverrons au ciel ! » M. le curé d'Anthée nous
recommanda encore d'être courageux et nous donna la bénédiction. Comme l'une
de mes jeunes filles lui offrait un biscuit, — on n'avait plus rien mangé depuis la
veille à 16 heures — il répondit : « Non, tantôt je pourrai peut-être dire la messe ! »
Il espérait donc encore avoir la vie sauve.
» Les hommes furent conduits à environ 5o mètres, près des soldats qui
tiraient les mitrailleuses. Ils y furent prestement mis par rangs de quatre, aux
bords du chemin creux qui va de la maison Canton (plan, 9) au groupe de maisons
appelé « Pauquis » (plan, VII), En avant les quatre prêtres, mon mari et mon
fils. Maurice Schmit, âgé de 14 ans, allait être mis avec eux, quand un soldat le
repoussa parmi les femmes.
» Un officier s'approcha de nous et dit : « Aux femmes et aux enfants, on ne
fera rien; mais les hommes vont être fusillés, parce qu'une jeune fille de 16 ans a
tiré sur un de nos chefs ».
» Ce qui se passa alors n'est pas à décrire. Femmes et enfants se mirent à
crier, à implorer grâce et pitié; elles se jetèrent à genoux, elles demandèrent à
être fusillées. Un soldat allemand pleurait avec elles. L'officier, impassible, avait
tourné les talons et préparait activement la fusillade.
» Pendant ce temps, un nouveau groupe arrivait à travers champs, par le
sentier venant du «Pauquis». Il comprenait Armand VAN DURME (fig. ni)»
43 ans, de Dinant, sa nièce Marguerite Diericx, la mère de celle-ci, Mme Ernest
Diericx et Julia Hubert. Ces gens avaient été surpris dans une grotte (plan, o)
derrière le parc de Mme Laurent-Mineur. M. Ernest Diericx, avait pu, comme nous
l'avons dit, se cacher dans une oseraie, puis gagner les bois. Quand les soldats les
découvrirent, ils tirèrent dans la grotte, blessant au pied Marguerite Diericx et au
bras Julia Hubert — qui venait déjà d'être atteinte par une balle à la cuisse au
tournant d'une rue, au moment même de l'arrestation de M. le curé, chez lequel
elle avait passé la nuit. Un domestique, Gustave Bernet, de Villers-le-Gambon,
qui s'y trouvait aussi, ne fut pas vu et eut ainsi la vie sauve. Tous les autres furent
(1) Avant que s'opérât cette réparation, M,tie veuve Durdu entendit M. l'abbé Poskin, curé de Surice,
dire à des officiers : « Je jure qu'il n'y avait plus une seule arme dans la commune. Epargnez mes paroissiens !
Prenei-moi à leur place ! " Un Allemand blessé — il avait la tête bandée — vint le menacer de son revolver.
Mlle Thérèse Poskin pria son frère de ne plus insister, voyant que c'était inutile.
206
dirigés vers « les Fosses » (i). Quand Ml,e Diericx parvint sur le champ du massacre»
un médecin allemand examina le pied blessé : « Balle française, mademoiselle ! »
dit-il. « Non, monsieur, balle allemande ! » répondit-elle avec fermeté.
» Cependant une troupe de soldats armés se disposait devant les hommes.
Ceux-ci étaient trop loin pour pouvoir nous adresser une seule parole. Mon fils
s'appuyait sur l'un des prêtres, comme pour trouver refuge auprès de lui et on
l'entendit dire : « Je suis trop jeune, je n'ai pas le courage de mourir ! » Alors
nous les vîmes agiter les mains ou le chapeau, en un suprême adieu, pendant
qu'éclataient les coups de feu et que ces pauvres et innocentes victimes s'affaissaient
les unes sur les autres.
» Des officiers s'en approchèrent ensuite et donnèrent des coups de revolver
dans la tête à ceux qui vivaient encore. »
A ce moment, on amena un dernier civil, Victor CAVILLOT, 57 ans; il était
sur le point de fuir avec son beau-frère. Jules Canton, quand il songea à rentrer
un moment chez lui; il y fut découvert, amené auprès des victimes et tué isolément.
Un nommé Emile Prangey, de Sart-en-Fagne, qui devait être aussi fusillé, dut
son salut à ce qu'il fut reconnu par un officier allemand qui l'avait rencontré avant
la guerre aux usines d'Aubrives.
Heureusement un bon nombre d'hommes parvinrent à se cacher, tel Louis
Bastin, qui se blottit sans bouger dans un jardin jusqu'au mercredi, témoin ignoré
de toutes les horreurs qui se commirent dans son voisinage. Joseph Martin, son fils
Emile et sa soeur Lucie s'enfoncèrent dans le ruisseau, au fond de leur jardin.
L'instituteur, M. Delobbe, sa femme et ses trois filles, se cachèrent au « Fond
des Vaux ».
Pendant que coulait ainsi à flots le sang innocent, tout ce qui restait de Surice
brûlait. On apercevait maintenant les flammes de l'église (fig. loi et 102), du
château, des écoles, de la maison communale et des maisons qui avaient échappé la
veille. Des i38 maisons que comptait le village, huit furent préservées : celles des
religieuses françaises, de Ghislain Colinet, d'Alphonse Burniaux et de son voisin
Gillain Burniaux, de Xavier Soumoy, le bureau des postes et deux maisons situées
aux extrémités du village, l'une près du cimetière, qu'habitait ci-devant Victor
Jacquemot, l'autre près du lieu du massacre, occupée par Jules Canton. Encore le
feu fut-il mis chez Ghislain Colinet, chez Xavier Soumoy, à la poste et à la maison
des religieuses.
Revenons à la scène du massacre et écoutons la fin du récit de Mme Jacques.
« Ce n'était pas encore assez de cruauté. « Partons, allons-nous en d'ici ! » ne cessait
de redire Mme Léopold Burniaux, qui venait de perdre son troisième fils. On vint
(1) A l'exception de Julia Hubert, à laquelle ils firent faire trois fois le tour de la place, avant de
s'éloigner. Laissée seule en face du couvent des Pères de la Sainte-Famille, elle voulut traverser une maison
qui achevait de se consumer, tomba dans les décombres incandescents et se brûla gravement les bras. Elle resta
quatre jours cachée soit dans les jardins, soit dans une écurie de porcs, où elle s'abritait contre la pluie, san«
prendre pendant ce temps aucune nourriture. Un Allemand étant passé à côté d'elle, alors qu'elle gisait, couverte
de sang, sur le sol, la crut morte et passa outre.
10J
demander que six femmes allassent chercher des bêches, afin de creuser un trou et
d'y jeter les victimes C'en était trop. Personne n'accepta. Nous demandâmes à
prendre sur les morts les souvenirs et les valeurs qu'ils portaient : cela nous fut
refusé. Les soldats se chargèrent eux-mêmes de dépouiller la plupart des cadavres.
» Les troupes continuaient à défiler sur le chemin. Nous cherchions à passer,
pour nous éloigner de l'horrible et douloureux tableau qui s'offrait à nous : les
soldats nous rebutaient, en nous menaçant du sabre. Il fallut attendre l'heure de
midi ; alors seulement nous pûmes nous disperser Tune d'un côté, l'une de l'autre.
Un groupe important passa la journée, la nuit suivante et le lendemain au bord d'un
ruisseau, dans le bois qui se trouve entre Morville et Omezée. »
Les religieuses, qui étaient restées pendant la nuit cachées dans leur propriété
et étaient rentrées de grand matin dans leur couvent, en furent expulsées mardi
matin à 6 heures. D'abord alignées au mur de la cour, elles furent ensuite poussées
vers l'ambulance de la place et plus tard sur le chemin de Florennes. Une religieuse
impotente resta au couvent, avec une consœur infirmière, qui fut prise à la gorge et
menacée du revolver.
Entre les faits isolés de sauvagerie dont nous pourrions remplir de multiples
pages, nous relèverons le suivant.
Maurice Galant, de Maurenne, son épouse Marie Libert, leurs trois enfants et
un vieillard de 80 ans, de Miavoye, Joseph Libert, après avoir passé le lundi dans
les bois, gagnèrent Surice, où ils se réfugièrent dans une dépendance du château
de Mme de Gaiffier. Le 25, à 6 heures, les Allemands tirèrent un coup de feu, par le
soupirail, dans la cave où ils étaient et mirent le feu à la maison. Obligés de sortir,
ils furent emmenés vers Romedenne, à l'endroit où eut lieu, peu après, le massacre
général des hommes. Avec eux se trouvait Cyrille COLOT, d'Onhaye, 42 ans.
Comme il était retourné sur ses pas pour prendre des papiers qu'il avait oubliés, ils
le virent à genoux, les mains jointes, suppliant ses bourreaux d'avoir pitié de ses
quatre petits enfants, qu'il avait à côté de lui. Ils répondirent : « Pas de pitié !
C'est la Belgique qui nous a déclaré la guerre ! » Il fut tué sur le champ, tout près
de la propriété Diericx.
Maurice Galant, son épouse et leurs enfants, arrivés «aux Fosses», parvinrent
à obtenir leur liberté et s'engagèrent dans une ruelle qui conduit au village par les
jardins. Ils y furent aperçus par des soldats qui tirèrent sur eux : Marie Libert fut
atteinte de plusieurs balles et s'affaissa dans le fossé. Un projectile, entré par la
clavicule droite, était sorti par l'omoplate, un autre avait traversé le bras droit
au-dessus du coude, un troisième le poignet gauche ; de plus, un soldat bondissant
sur elle, lui fendit d'un coup de baïonnette le sein droit. Son père et son mari
voulurent la relever, mats on les obligea brutalement à s'éloigner. Deux fillettes
âgées de cinq ans ne voulurent point quitter leur mère et purent rester auprès
d'elle. Dans l'après-midi, deux civils de Surice chargèrent la blessée sur une
brouette et la conduisirent sur la prairie du massacre, où étaient groupés des blessés.
C'est alors qu'un soldat, passant à côté d'elle, lui offrit de l'achever et de tuer ses
deux enfants. La mère demanda pitié, cet homme sauvage n'insista pas et s'éloigna.
Un p«u plus tard, elle fut transportée à la Croix-Rouge établie chez Canton et
208
fut étendue sur une botte de paille. Le lendemain, M. le curé de Serville vint à passer
et lui conféra les derniers sacrements. Le 27, comme on annonçait que le fort de
Charlemont pouvait bombarder Surice, elle fut évacuée sur Waulsort, où elle se
rétablit de ses blessures.
Quant à Maurice Galant et son beau-père Joseph LIBERT (fig. 124), 80 ans,
ils avaient pu s'esquiver et fuir vers Lautenne. Des soldats tirèrent sur eux,
tuèrent le vieillard et emmenèrent son gendre à la ferme de Rosée.
D'autres victimes encore tombèrent isolément dans cette affreuse journée
du 28 août.
Adèle COGNIAUX, 70 ans, dame impotente, ne put fuir comme on le lui
proposait et fut brûlée vive dans sa maison (plan, 27); on n'a retrouvé d'elle que
quelques ossements.
Le 25 août à i3 heures, Joseph BURNIAUX (fig. 125), 41 ans, revenait de
Roly, où il avait fui; il conduisait sur un chariot sa femme, Hélène Deroyer,
Céline Grégoire épouse Sagin et Rosalie PÎÉRARD (fig. 128), 70 ans; celle-ci
portait sur ses genoux son petit-fils âgé de 2 ans. Comme ils arrivaient en vue de
Surice, les soldats tirèrent sur eux. Joseph Burniaux et Rosalie Piérard furent tués,
Hélène Deroyer reçut une balle dans la jambe droite et resta sur place, abandonnée,
jusqu'au soir; sa compagne, affolée, avait fui avec l'enfant.
Tous les gens qui eurent à circuler ce jour-là aux abords du village peuvent
témoigner qu'on ne cessait de tirer sur les civils, à la mitrailleuse et au fusil.
Jules Bastin, organiste de l'église de Surice (fig. 119), 3o. ans, sa femme
(fig. t2t), 3t ans et leur enfant, i5 mois, ont été tués à Romedenne le 25 août,
aux environs de la station. (Voir Romedenne.)
René BAIJOT, 38 ans, négociant, son épouse Marie-Céline JACQUEMIN,
38 ans, leurs enfants NOEMIE, t2 ans, et CHARLES, 1 an, étaient restés chez
eux le 24 août, mais avaient disparu depuis. Leurs corps furent retrouvés le
7 juillet 1915, dans la citerne de leur maison incendiée (plan, 28), par des
plafonneurs qui avaient besoin d'eau. La pierre qui fermait l'orifice avait été
placée incomplètement pour permettre à l'air d'y pénétrer, mais elle était recouverte
d'une légère couche de déblais.
Le 26 août ne ramena pas encore le calme à Surice. Clémence SAINT-
GUILLAIN, veuve Xavier HOWET, 47 ans, d'Omezée, revenait ce jour-là de
Roly, regagnant son village. Lorsqu'elle arriva au Piche (Lautenne), vers 10 heures,
accompagnée de ses sept enfants et d'autres personnes de son village, des soldats
tirèrent sur elle : elle fut tuée sur le coup. Ses enfants ne furent pas autorisés à
reprendre l'argent qu'elle portait sur elle, ni à emporter son cadavre.
Désiré-François Guislain, de Surice (fig. 129), a été fusillé à Soulme le 26 août,
sur le chemin de Rosée, au moment où il sortait du bois.
Emile VISCARDY, 70 ans, de Morville, a été tué à Surice dans des circon-
stances qu'on ignore. Il a été vu au café Maron le 24 août au soir et ses enfants
ont ensuite reconnu son cadavre aux chaussures et aux restes d'habits qu'il portait;
il avait été jeté dans la fosse commune avec les victimes de la fusillade collective,
bien qu'il ne fût pas du nombre de celles-ci.
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iPhoto 1915)
Fig. 100. — Vue générale de Surice, prise de la route de Romederme à Franchimont.
(sur la droite, l'école; au centre, l'église; à gauche, la maison des Pères de la Sainte-Famille.)
(Photo novembre 1914)
Fis>. 101, — Surice. L'église en ruines.
(A gauche, maison Baijot, où quatre personnes périren
dans la citerne.)
(Photo 1916)
Fig. 102. — Surice.
Inttrieut de l'église incendiée.
(Photo (in 1914)
Fig. io3. — Surice.
Place située en haut du village.
La chapelle, épargnée, de Notre-Dame de Lourdes.
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(Photo 1915)
Fig. 104. — Place de Surice.
(La maison marquée d'une croix est cell dans laquelle se
tinrent cachés, pendant la nuit du 24 au 25 août,
le curé de Morville et ses compagnons.)
20Ç
Des témoins de la grande fusillade, Rose Nassaut, épouse Joseph Burton et sa
grand'mère âgée de 83 ans, après avoir passé la nuit du 25 au 26 dans le bois,
furent traquées à coups de feu le lendemain, dans la campagne de Morville, par
des soldats qui passaient sur la route de Soulme.
Les auteurs des massacres ne se préoccupèrent même pas d'inhumer leurs
victimes. Ils avaient mis en terre, dès la première heure, les corps des Allemands
tombés dans la bataille, mais ils négligeaient systématiquement les cadavres des
Français et des civils. Le 26 août, ils arrêtèrent Léon Pierrard, Ernest Péters,
Léon Goffinet et Paul Toussaint, qu'ils avaient surpris à leur rentrée au village.
Ils attelèrent d'abord ces hommes a un chariot chargé d'épiceries pillées chez
Alphonse Burniaux, puis ils leur firent enterrer des chevaux dans une terre
voisine, enfin ils les amenèrent auprès du monceau des fusillés, avec un jeune
homme de Bambois (Fosses). « Voilà les francs-tireurs! » leur dirent-ils. « Non,
répondirent les hommes. Toutes les armes ont été remises et nous pouvons vous
montrer où elles ont été brûlées; et notre curé, dans ses sermons, nous a exhortés
à bien vous recevoir. » Sur l'ordre des soldats, ils creusèrent une vaste fosse et ils
étaient occupés à ranger convenablement les premiers cadavres, lorsque ces brutes
les obligèrent à les jeter les uns sur les autres, pêle-mêle, sans respect et sans soin.
Cinquante fois, assurent ces malheureux, ils durent, sous la menace de coups ou
d'une balle, se mettre à genoux, ou demander pardon, ou crier « Vive l'Alle-
magne ! » Peu après ils virent ramener sur des autobus les blessés qui avaient été
déposés chez Canton.
Cependant les soldats ne négligeaient pas le butin qui avait échappé à l'incendie.
Le pillage se poursuivit, sans honte ni retenue, pendant plusieurs jours. Ils
emportaient tout, même des pots de confitures. M. Burniaux, fabricant de tabacs,
vit charger sur des autos jusqu'à des bronzes qui avaient été préservés chez lui.
Les soldats s'essayèrent à fracturer le coffre-fort de la poste, mais sans réussir.
Le coffre-fort de M006 Laurent fut dynamité et on y déroba des pièces d'argenterie
tordues, avec des titres et valeurs.
L'ordre d'évacuer fut donné à Surice, comme dans les villages voisins, le
28 août, à cause du fort de Charlemont. En l'absence des quelques habitants qui
étaient revenus jusque là dans le village détruit, les Allemands jetèrent des matières
inflammables sur les cadavres d'hommes et de chevaux qui traînaient encore dans
les rues et y mirent le feu ; mais ils n'avaient fait les choses qu'à moitié. Les civils
durent, à leur retour, le ier septembre, s'en occuper de nouveau et inhumer aussi
les cadavres des soldats français, qui gisaient encore dans les chemins.
Bien plus, il devenait urgent d'assurer aux victimes du massacre une
sépulture convenable et définitive. De la fosse, trop peu profonde et mal recouverte,
dépassaient ici un pied, là un bras, dans un état de décomposition très avancée. Il
s'en dégageait une odeur nauséabonde. C'est le 8 septembre qu'à l'intervention de
M. le juge Allard, de Florennes, on ouvrit la fosse collective. Les cadavres,
identifiés, furent alignés dans une nouvelle tombe, en deux rangs superposés, à
l'exception des corps de M. l'abbé Poskin et de son beau-frère, qui furent transférés
au cimetière, et de Gaston Burniaux, qui fut inhumé dans le jardin de ses parents,
»4
210
à côté de son père et de ses deux frères. Le io septembre, la famille de M.. Piret,
curé d'Anthée, insista pour obtenir le corps du défunt : on crut devoir accéder à
sa demande. Pareille demande fut renouvelée le lendemain pour M. l'abbé Gaspard,
mais les fossoyeurs n'acceptèrent plus à aucun prix.
Le charnier fut cependant encore ouvert à des dates ultérieures, d'abord pour
M. l'abbé Ambroise, curé d'Onhaye, puis le 8 décembre pour M. l'abbé Gaspard.
N° 610. A Lautenne, les maisons de Félicien Defoy et de la veuve Donat Dehaibe furent
incendiées mercredi 26 août à 6 heures du matin. De nombreux habitants de ce
hameau eurent beaucoup à souffrir. Plusieurs furent emmenés à Rosée et
entassés dans une grange de la ferme ; d'autres furent liés dans les campagnes
voisines du village, à l'aide de grosses cordes et leurs bourreaux s'amusaient à
les culbuter.
Nous avons relaté à Franchimont (page 153 et ss.) le martyre d'Emile Demeuldre,
de Lautenne ; son père échappa avec une balle dans la jambe.
N°6ii. Le 14 août à 3 heures du matin, les avant-gardes françaises entrèrent à
Komedenne. Un défilé de troupes se continua pendant la journée et un bon millier
de soldats, de la région de Cambrai, cantonnèrent au village la nuit suivante, pour
partir les uns vers minuit, les autres le lendemain.
Le 23 août, dès le matin, on vit arriver beaucoup de civils fuyant devant
l'ennemi, à la fois du pays de Falisolles-Mettet et de Hastière-Dinant.
Le 24 août, ce fut le tour des soldats belges et français. Ceux-là seuls qui en
ont été témoins peuvent se faire une idée exacte de ce que furent et cette panique
et cet exode. Pris dans le mouvement général, les gens de Romedenne s'enfuirent
eux aussi les uns après les autres.
A 16 heures, on annonça que les Français avaient installé des batteries à
Soulme, pour couvrir leur retraite. On croyait à un combat prochain. A 17 heures.
M. le baron de Fontbaré passa à pied, avec son jardinier, se rendant à Couvin : les
Allemands, dit-il, arrivaient à Rosée. Cependant des Français annonçaient que
l'ennemi était encore à une journée de marche. A l'église (plan, 1), M. l'abbé
Ph. Thibaut, aumônier militaire de Cambrai, faisait transporter des gerbes de
paille pour la nuit.
Les Français qui devaient loger au village étaient exténués, à la suite d'une
marche forcée : beaucoup venaient d'une position située au nord de Malonne. Ils
avaient faim et le service du ravitaillement était désorganisé.
A 19 h. 3o, tandis qu'au presbytère (plan, 2), un capitaine, quatre lieutenants
et un aumônier étaient à table, on entendit des coups de feu. Les officiers sortirent,
donnèrent des ordres, puis se remirent à table. « C'était, dirent-ils, une regrettable
méprise : les hommes avaient tiré sur leurs camarades, un capitaine était blessé. »
Un moment après, retentit un coup de canon. « Les Allemands, leur dit le curé, ne
vous suivent pourtant pas de si près! » Puis la servante vint dire que la pharmacie
Debin (plan, to) était en feu. L'Etat-Major constata, en effet, qu'un obus venait
d'embraser la toiture: on ne revit plus aucun de ces officiers et les derniers soldats
restés au village s'ébranlèrent prestement vers le sud. Quelque temps après, les
£11
maisons Goffin (plan, 11) et Xavier Burniaux (plan, 12) brûlaient aussi, allumées
par des obus incendiaires.
M. Baudine, curé de Romedenne, raconte ainsi l'évacuation du village, au
début du combat, et son voyage à Matagne-la-Petite.
Fig. 109. — Plan de Romedenne.
(Les maisons en noir ont été incendiées.)
Légende. — 1. Eglise de Romedenne; 2. Presbytère; 3. Ecoles; 4. Cimetière; 5. Gare; 6- Endroit
proche de la gare où [ut tué Emile Collard ; 7. Endroit sur la route où fut tué Arthur Poncelet ; 8. Prairie
où furent massacrés des membres des familles Penasse et Bastin ; 9. Ruisseau de Chinelle ; 10. Pharmacie
Debin ; 11. Maison Goffin; 12- Maison Xavier Burniaux; i3. Maison Jules Bastin; 14. Maison veuve
Leclercq ; i5. Maison Jallet ; 16. Endroit où fut tué Jules Bastin.
« M. Demeuldre, voisin du presbytère, m'annonça que son chariot était attelé
et je me décidai à partir avec lui. La nuit tombait. Comme je me rendais à l'église
pour emporter le Saint-Sacrement, arrivé sur la place, j'entendis des Français,
cachés derrière des murailles, crier : « Ne passez pas, il y a du danger! » Sortant
de l'église, je suivis d'abord la route de Franchimont; mais elle était tellement
212
encombrée que les Français me firent faire volte-face. Je revins à l'église, où l'on
venait de transporter des blessés, puis je partis vers Romerée.
« La route qui mène à cette localité était encombrée de troupes françaises qui
s'avançaient fiévreusement, au pas de course. Attelages et piétons étaient souvent
obligés de se garer. Le chariot de M. Demeuldre seul était respecté, parce qu'on y
avait installé le capitaine blessé. Près de l'école des garçons (plan, 7) on cria :
« Couchez-vous ! » des balles sifflaient à nos oreilles. A partir de ce moment, tout
danger cessa.
« A Romerée, à 21 h. 3o, à Matagne-la-Petite, à 22 h. 3o, village et chemins
regorgeaient de troupes et de fuyards. Je passai la nuit au presbytère de Matagne,
avec les curés de Serville et de Soulme, j'y fus témoin le lendemain de l'arrivée des
Allemands et je rentrai à Romedenne le 26, dans l'avant-midi.
« Dans ce village vide et abandonné, quel désastre ! Au presbytère — comme
d'ailleurs dans toutes les maisons — les vitres étaient brisées, les portes enfoncées,
la vaisselle jetée par terre, les suspensions arrachées, les tableaux lacérés. Après
un premier pillage, assez superficiel, celui des boissons et des vivres, il s'en était
fait un second : des autos et des voitures avaient emporté denrées, literies, linges,
meubles, tout ce qui pouvait convenir à l'armée ou à l'Allemagne. »
Quelques familles seulement, plus confiantes que les autres, avaient attendu
l'ennemi : combien elles eurent à le regretter !
Les Allemands entrèrent à Romedenne le 25 août vers 5 heures du matin.
Désirée Marotte, qui était restée avec son père et sa sœur, pour soigner sa mère
malade, en fut témoin. Ces gens avaient passé la nuit avec la famille Debin-
Cogniat et Arthur Poncelet, jardinier à Hastière-Lavaux, dans la cave de la famille
Debin. Le 25 août au lever du jour — il pouvait être 5 heures — en ouvrant la
porte de la rue, ils virent M. et M"1'' Penasse et leurs enfants, de Surice — dont
nous raconterons bientôt la fin tragique — se diriger vers une ruelle voisine, pour
gagner le chemin de la gare (plan, 5); Auguste Poncelet, qui devait partager leur
triste sort, les suivit. A peine s'étaient-ils éloignés que huit Prussiens débouchèrent
du chemin de Surice, deux à deux, le fusil sous le bras et dirigé vers le sol, par
groupes distants de quelques mètres, tirant des coups de feu. M. Marotte, voyant
qu'un soldat allait détruire les volets de sa maison à coups de hache, s'avança pour
lui en offrir la clef. Une autre troupe plus considérable s'avança alors vers eux,
du chemin de Surice : ces soldats, revolver au poing, gesticulaient comme des
sauvages; ils foncèrent dans les maisons, firent main basse sur tout ce qu'ils
trouvèrent, et en chargèrent le chariot d'Emile Gilbert, qui était prêt à partir avec
le groupe des civils dont nous avons parlé. L'épicerie Bastin, la maison Debin et
plusieurs voisines furent pillées en un moment. Un soldat enleva même le panier
de M"e Marotte, contenant des provisions de bouche, et elle ne réussit, à force de
supplications, à y reprendre que les médicaments destinés à sa mère. Ce pillage
était dirigé par l'officier Haas, de la 2e compagnie du 104e.
Avant de se diriger vers « Moirmont », où ils vécurent jusqu'au 27 de
mûres et de prunelles, ces gens furent encore témoins de l'incendie du village.
«Tout-à-coup, a rapporté MUe Marotte, il s'est formé deux pelotons d'une vingtaine
d'hommes chacun, l'un placé sous l'acacia, l'autre à côté du tilleul, tous deux en
2l3
face de notre demeure. Aussitôt une fusillade éclata, partant des deux pelotons,
dans la direction de l'église et des maisons voisines. Les ardoises volèrent dans tous
les sens, telle une nuée de grêle s'abattant sur le village. Quelques instants après,
mon père vit la fumée sortir du clocher, près de la croix, et un membre de la
famille Debin me fit remarquer que notre maison brûlait » A to heures, l'église
tout entière était en feu.
Revenons à la famille Penasse.
Xavier PENASSE, 44 ans, Marie SAUDMONT, son épouse, 40 ans, et leurs
enfants Bertha, 17 ans, Léon (fig. 127), i3 ans, Jeanne (fig. 126), 7 ans, Marie-
Louise (fig. 122), 7 ans, Emilia, i5 mois, avaient quitté Surice, leur village, le
24 août à 18 heures, au moment où arrivaient les Allemands et avaient passé la nuit
chez Jules BASTÎN (fig. 1 1 9), 3ç ans, négociant (plan, i3). Le 25 août à 5 heures
du matin, Jules Bastin, son épouse née Rosalie-Marie GOBRON (fig. t2t), 3o ans,
et un de leurs enfants, Robert-Louis, âgé de i5 mois, se mirent en route avec tous
les membres de la famille Penasse. Sur le chemin de la gare, près de l'école des
garçons, ils rencontrèrent des Allemands, qui les fouillèrent M. Bastin avait
emporté, avec d'autres effets, un revolver, qui était dans sa gaine, muni d'une
baguette de sûreté : sans qu'il lui fût possible de donner aucune explication, il fut
poussé séance tenante contre la haie et fusillé à bout portant. Les balles lui avaient
fait une large plaie sous le menton.
Le restant du groupe fut conduit à la gare, près de la maison veuve Leclercq
(plan, 14). Les Allemands se montrèrent d'abord bienveillants à leur égard, distri-
buant aux enfants des bonbons, à M. Penasse, père, du tabac. Que se passa-t-il
ensuite ? Les soldats apprirent-ils le massacre de Surice ? Leur parla-t-on de
francs-tireurs ou de la prétendue jeune fille ayant tiré ? Brusquement leurs
dispositions changèrent : ils décidèrent le massacre de tous les malheureux, sans
distinction d'âge et de sexe, qu'ils retenaient.
La première victime fut Arthur PONCELET (fig. 28 du T. IV), 28 ans, de
Hastière-Lavaux, qui n'était déjà plus en leur compagnie, ayant été retenu et lié à
un arbre de la route; il fut fusillé à l'endroit même (plan, 7).
A ce moment, un autre civil, Hubert Grégoire, né à Soulme, mais résidant à
Romedenne, — qui avait été arrêté le matin dans une écurie, où il s'occupait du
bétail, puis conduit à Matagne-la-Petite et ramené aussitôt à Romedenne, — se
trouvait devant l'estaminet de Léonard Burniaux. Quand il vit tuer son voisin
Arthur Poncelet. il s'élança dans la pâture de Mme Valère Leclercq ; une grêle de
balles le poursuivit, sans l'atteindre.
A la même minute, Mme veuve Jules Bastin, avec son enfant de i5 mois, et les
sept membres de la famille Penasse poussés à coups de crosse dans la prairie
(plan, 8), étaient mis en ligne et un peloton d'exécution, posté devant, tirait sur eux.
Mme Bastin et son bébé, M. Penasse et trois de ses enfants, eurent à peine le temps
d'exprimer leur émoi, ils s'affaissèrent ensemble, tués sur le coup. Mme Penasse,
quand elle comprit le sort qui l'attendait, saisie d'horreur, leva les bras vers le ciel
et s'enfuit en criant, à l'instant même où allaient retentir les coups de feu. Elle fut
suivie par l'une de ses enfants, Marie-Louise. Peut-être aperçurent-elles Hubert
Grégoire, qui venait de se jeter dans le ruisseau de Chinelle, à 3oo mètres de la
214
route. Marie-Louise tomba elle aussi, ou se jeta dans le ruisseau. Hubert Grégoire
put encore la saisir et la déposer sur la berge opposée, puis il l'entendit crier
plusieurs fois : « Maman ! » jusqu'à ce qu'une balle vint achever la fillette. Quant à
Mm£ Penasse, elle ne courut pas loin : les exécuteurs eurent vite dirigé sur elle
leurs armes et elle fut touchée à 75 mètres du groupe des fusillés. Hubert Grégoire,
que toutes les balles avaient épargné, put se blottir sous des racines d'arbustes
qui bordent le ruisseau, plongé dans l'eau jusqu'au cou; il y était si bien caché
qu'il défia les recherches des exécuteurs. Le soir venu, il gagna le cimetière de
Romedenne (plan, 4) où il passa la nuit et se dirigea le 26 vers Soulme. Repris
bientôt près de chez Canton, à Surice, il fut attaché à une roue de canon pendant
une heure, puis libéré.
Les soldats, leur besogne accomplie, ne se soucièrent plus du groupe des
fusillés. L'un de ceux-ci était Jeanne Penasse (fig. 126), qui avait été blessée
au-dessus de la hanche. Laissée pour morte dans la prairie, elle fut relevée le
26 août et conduite à l'ambulance de Romerée, où elle se rétablit. Grâce au récit de
cette enfant et au témoignage d'Hubert Grégoire, la vérité a pu se faire sur cet
affreux massacre. Ainsi fut déjouée la malice des bourreaux, qui pensaient avoir
supprimé tout témoin de leur cruauté.
Joseph Boidron, de Romedenne, a relevé la position des cadavres sur le terrain
d'exécution. Mme Bastin et son enfant, le père Penasse, sa fille aînée, sa cadette et
son garçon gisaient sur la même ligne, à 25 mètres du chemin de Romerée, dans la
pâture de Mme veuve Leclercq, au coin du jardin de Désiré Triffoy ; Mm,: Penasse
était à peu de distance du groupe, plus au nord dans la direction de la rivière ;
Marie-Louise gisait de l'autre côté de la berge.
Emile COLLARD, 76 ans, fut pris chez lui le 25 au matin, malgré les cris
et les supplications de son épouse, conduit à la gare (plan, 6) et tué à coups de
baïonnette. On prétend que l'occasion de sa mort a été une photographie de son
fils. Louis Collard, officier de l'armée belge et aide-de-camp du général Léman,
photographie que les soldats avaient découverte sur une cheminée de la maison.
Le même jour à g heures du matin, un blessé français fut achevé dans la
maison d'Alfred Jallet, voisine de l'église, sous les yeux de treize personnes
d'Hastière, dont Hubert Collignon et le docteur Maurice Guillemin, qui s'y étaient
réfugiées. Ce soldat s'appelait Georges Lévêque, du 127e, de Maubeuge; il avait
passé la nuit à l'église. Bien qu'il eût reçu une balle à la cuisse et qu'il eût l'avant-
bras fracturé, il avait réussi à se traîner chez Jallet à 4 heures du matin, pour
demander à boire. Des troupes allemandes défilèrent d'abord devant la maison
pendant plusieurs heures, sans entrer. A 8 h. 3o, il vint un officier, escorté de
deux sous-officiers, qui voulurent emmener le blessé; mais celui-ci expliqua qu'il
était incapable de se mouvoir, et il fut autorisé à rester. Un quart-d'heure après,
la porte s'ouvrit tout à coup avec fracas. Des soldats entrèrent en poussant des cris
sauvages dans l'appartement où le blessé était assis sur une chaise, et l'un d'eux le
mit en joue, en criant : « Kapout, Françous! » Le malheureux n'eut même pas le
temps de faire appel à la pitié de ses agresseurs : deux coups de feu lui avaient
transpercé le crâne. La mort fut instantanée. Le cadavre resta sur la chaise, et y
fut bientôt carbonisé. Car les sous-officiers avaient visité l'habitation et mis le feu
VICTIMES DES MASSACRES DE SURICE
Fig. t i i ■
Armand VAN DL1RME, 43 ans,
de Dînant, tué a la grande fusillade.
Fig. 1 1 o.
Léopold BURNIAUX, 53 ans,
massacré à Surice
avec ses fils Armand et Albert.
Fig. 112.
L'abbi Armand BURNIAUX, 25 ans.
massacré à Surice
avec son père et son frère Albert.
Fig. 1 1 3.
Elie PIÉROT, 54 ans,
de Surice, tué à la grande fusillade.
Fig. 1 14-
Alexis THIRY, 54 ans,
de Surice, tué à la grande fusillade.
Fig. 1 1 5
Gaston BURNIAUX, 21 ans,
de Surice, fils de Léopold Burniaux
tué à la grande fusillade.
Fig. 116
Elisée P1ÉRARD, 71 ans,
de Surice, tué à la grande fusillade.
Fig. 1 1 y .
Albert BURNIAUX, 143ns,
massacré à Surice avec
son père et son frère Armand.
VICTIMES DES MASSACRES DE SURICE ET DE ROMEDENNE-
Fig. 120. — Juliette GENARD
26 ans, ép. d'Al- Rouyre.
d'Ermeton~sur--Biert, tuée à Surice.
Fig. 124- — Joseph LIBERT,
82 ans. de Maureune,
tué à Surice.
Fig. 118 Alexandre ROUYRE, Fig. 119. — Jules BASTIN, 3c; ans,
27 ans, d'Ermeton^-sur-Biert, organiste de l'église de Surice,
tué à Surice. fusillé à Romedenne avec sa femme,
et son enfant de quinze mois.
Fig. 122-
Marie-Louise PENASSE,
7 ans,
fusillée à Romedenne.
Fig. 126-
Jeanne PENASSE,
7 ans,
seule survivante de la famille.
Fig. 123.
Bertha PENASSE,
17 ans,
fusillée à Romedenne.
Fig. 127.
Léon PENASSE,
1 3 ans,
fusillé à Romedenne.
Fig. 121. — Rosalie GOBRON,
3o ans, épouse Jules Bastin.
fusillée à Romedenne.
Fig. 125. — Joseph BURNIAUX.
41 ans, tué en vue de Surice,
avec Rosalie Piérard.
Fig- 128- — Rosalie PIÉRARD,
70 ans, de Surice,
tuée avec Joseph Burniaux.
Fig. ,19. —Désiré GUISLAIN,
72 ans, de Surice.
lue près de Soulme.
2l5
à l'étage. Les treize civils sortirent alors de la maison qui brûlait et un commandant
à cheval, qui passait, les accusa « d'y avoir mis le feu, pour faire périr des chevaux
allemands qui étaient à l'écurie ». Le docteur Guillemin s'avança pour protester
et exhiba sa carte de médecin de la Croix-Rouge, sur laquelle l'officier inscrivit
« Kônnen hier bleiben. I/104 ». Peu de temps après, ils furent sur le point d'être
fusillés. Au moment où les soldats se rangeaient déjà devant eux pour les abattre,
il se produisit une alerte. On entendit quelques coups de feu, que les civils
attribuent à une contre-attaque de soldats français. Par un passage situé entre
deux maisons et donnant sur un jardin, ils purent, à la faveur du tumulte, gagner
les campagnes et se coucher à plat ventre, pendant l'engagement, dans une épaisse
haie; de là, guidés par M- Collignon, ils gagnèrent le moulin de Vodelée.
Un certain nombre d'autres civils, surpris par l'ennemi, eurent beaucoup à
souffrir, mais eurent la vie sauve (t).
Les incendies se poursuivirent dans la journée du 26 août : sur 198 habitations
que comptait le village, 119 maisons, dont l'église (fig. 107), l'école des garçons
et la gendarmerie (fig. to8) furent brûlées. Le feu fut mis au presbytère par un
amoncellement de paille sous une poutre, mais il s'éteignit. Les soldats firent
sauter le tabernacle de l'autel majeur, qui heureusement était vide. La sacristie de
l'église, qui avait échappé à l'incendie, fut pillée par les Allemands vers le
ier septembre.
Le 26 août, alors que les mauvaises heures semblaient passées, la situation
empira de nouveau. Le commandant local, en proie à une violente colère, prévint
M. le curé « qu'il allait être fusillé, parce que l'on avait trouvé à côté de sa maison
le dépôt des armes destinées au civil » ; des soldats l'emmenèrent aussitôt et le
placèrent dans un convoi militaire, derrière un fourgon. Il eut beau leur expliquer
qu'il s'agissait d'armes soustraites aux civils et consignées précisément pour
s'assurer qu'ils n'en feraient pas usage; que la liste des propriétaires était jointe au
dépôt; que le groupement des armes, loin d'être suspect aux Allemands, devait
être apprécié d'eux, puisqu'il était fait en leur faveur ; il ne reçut pour toute
réponse que des injures, qu'accompagnait la menace : « Fusiliert, Fusiliert! » A
ce moment M. le curé, souffrant depuis quelques jours et brisé par une série de
veilles, sentit ses forces l'abandonner et perdit connaissance, ce qui ne lui valut
pas, loin de là, la pitié de ses gardiens. Une seconde syncope, plus longue que la
première, fit craindre pour sa vie. A t3 heures, Paul Sohet, Orner Agnaux et Henri
Dive furent placés en tête d'une colonne. M. le curé fut hissé sur un véhicule,
jusque Romerée, où il réussit à se soutenir. Paul Sohet fut libéré à Matagne-la-
Petite et les autres arrivèrent au campement de Nismes à 19 heures, après avoir
enduré un vrai supplice moral, tant ils reçurent pendant le trajet de propos grossiers
et de menaces. Le village de Dourbes, qu'ils traversèrent, était en feu. A Nismes,
ils comparurent devant un officier supérieur, qui entendit leur exposé et se montra
bon; il leur remit un passeport (2) de libération.
(1) Le récit en est consigné dans la publication Dionantemis, II Romedenne, p. 17 et ss.
(2) En voici le texte . « Drei Einwohner (darunter der Pfarrer) aus Romedenne, sind, nach angestellten
Verhôre, als unschuldig in ihre Heimat entlassen worden und dùrfen den Weg dahin ungehindert passieren.
Dourbes, 26. VIII. 14 (s) FRIEDRICH, leutnant II 101. »
2t6
Vendredi 28 août, M. le curé procéda à l'inhumation des nombreux cadavres
qui gisaient encore ci et là sans sépulture : 14 soldats français et les civils dont
nous avons donné les noms. A ce moment se trouvait au village la 3e batterie de
feldartillerie reg. n° 48,
Le 29, le village fut évacué et les habitants revenus campèrent deux nuits dans
les bois voisins de Franchimont.
§ 3. — 'Romerée.
Les troupes du XIXe corps — nolammenl des 104e, to6e et 107e (i) —
entrèrent à Romerée le 25 août à 8 heures. Leur premier geste fut d'y
tuer à 9 heures deux étrangers surpris aux environs de la gare. Elles ne
purent poursuivre leur avance, car elles furent retenues pendant tout
l'avant-midi par le feu du 27e d'artillerie français (2).
Le village de Matagne-la-Petite (rapport n° 6t3) se trouva pendant
le combat entre deux feux et ne fut occupé qu'à i3 heures par le 104e
et le 106e (3).
Deux heures après le combat, les Allemands mettaient le feu au
village de Romerée, où restaient quatre hommes, seuls témoins de
l'incendie : douze maisons furent détruites.
N° 612 A "Romerée — relate IA. l'abbé Leprince, curé — il passa d'abord des
territoriaux français, se rendant vers Namur, dont le défilé dura deux jours ; puis
une colonne de ravitaillement d'environ i5o hommes s'établit au village.
Au soir du 23 août, apparurent les premiers véhicules des gens effrayés qui
fuyaient devant l'ennemi. Pendant toute la journée du lendemain se poursuivit le
défilé des réfugiés du pays de Dinant, Hastière, Onhaye, Fosses, Mettet, Charleroi,
qui vinrent jeter la consternation dans la commune. Ces pauvres gens nous arrivaient
exténués, les vêtements poussiéreux, mourant de faim et de soif, accablés par la
chaleur. Les uns transportaient à dos leur maigre butin, ou sur une brouette;
d'autres étaient attelés à de petites charrettes, des plus disparates, dans lesquelles
reposaient les enfants, au milieu de paquets de linges et de vêtements. La retraite
précipitée des troupes françaises et des troupes de Namur en débandade ne fit
qu'augmenter la terreur.
Tous mes efforts à maintenir mes paroissiens dans le calme et à les rassurer
(1) Le parquet de Dinant a relevé chez M. Delobbe un bon délivré le 25 août par le 104e kronprinz et
par le 3e bat. du 107e ; un caleçon abandonné par l'ennemi porte aussi la marque de III/107.
(2) Ce régiment (divisionnaire de la 2 e division d'infanterie) avait appuyé les arrière-gardes la veille, à
Miavoye et Morville, et après avjir cantonné la nuit suivante à Doische, Gimnée et Niverlée, avait été chargé
le 25 de protéger la retraite à Matagne-la-Grande et Vierves.
(3) Le soldat Franz Dobratz, 9e comp. du to6e, a témoigné qu'il a participé le 25 août à 1' « Assaut du
village de Matagne-la-Petite ». Direction du Coni- et de la Just. Mil-, à Paris, rapport 184, dossier io55.
217
devinrent stériles. On n'entendait parler que de fuite et d'atrocités. Et lorsque, au
soir du 24, Surice, puis Romedenne flambèrent, ce fut le signal du sauve-qui-peut.
Je dus me résigner à suivre mes paroissiens, malgré la résistance que j'avais
opposée jusque-là aux instances d'un officier français.
Lorsque, le 25 août, à 8 heures du matin, après quelques fusillades d'arrière-
garde, les Allemands entrèrent dans le village, gorgés des vins du sénateur Focquet.
qu'ils avaient pillés à Romedenne, et poussant des hurlements sauvages. Il restait
à Romerée quatre hommes : Emile Nenquin, M. Lacourte, Jules Machurot et
Albéric Sturbois. Ils furent enfermés dans l'église et la soldatesque put piller tout
à son aise. Des habitants qui s'étaient abrités dans les bois voisins voulurent revenir
dans la journée : les uns furent joints aux premiers otages dans l'église, les autres
furent parqués au-dessus du village, dans un champ. Tous furent abreuvés d'insultes,
collés au mur et mis en joue, menacés cent fois de la mort. A l'église, les soldats
fracturèrent les troncs, comme des voleurs.
Dans l'avant-midi du 25 août, un court combat d'artillerie avait été engagé
entre les troupes françaises postées sur la hauteur de Bieur (entre Matagne-la-
Petite et Matagne-la-Grande) et les troupes allemandes arrivées à Romerée.
L'artillerie allemande donna peu ; quant à la pièce française de Bieur, elle fut
détruite par des obus ennemis tirés du côté de Merlemont et de Villers-en-Fagne.
Des mitrailleuses françaises couvraient de leur feu la vallée située entre Romerée
et Matagne-la-Petite. Le combat se termina vers midi.
Les pertes allemandes furent assez élevées. Henri Burniaux, de Surice,
prisonnier à l'église de Romerée, fut requis de conduire en auto des officiers à
Fagnolles, et aperçut le long de la route des cadavres et des blessés. A la soirée,
un monceau de cadavres se trouvait sur la place de l'église, recouvert d'une bâche,
et 6o blessés furent amenés à l'église pour la nuit. Le lendemain, à 6 heures, les uns
et les autres avaient disparu.
Deux étrangers que la troupe amenait avec elle, furent fusillés aux abords de
la gare le 25 août, vers 9 heures du matin, et restèrent sans sépulture pendant de
longues journées. Il fut impossible d'établir leur identité. L'un d'eux, de forte
constitution, aux cheveux noirs et crépus, paraissait âgé de 40 ans ; l'autre,
frêle et de petite taille, semblait avoir 18 ou 20 ans ; leurs poches avaient été
retournées.
Le 25 à 14 heures, quand Léon Delobbe rentrait au village, la maison du garde
de M. Focquet et la gare brûlaient. Vers 16 heures, ce fut le tour des maisons
Adolphe Buchet, Félicie Gérard, Adonis Gilles (deux immeubles), Sidonie Guilmin,
Arthur Gillain, Virginie Gilles, Auguste Mouchet, Auguste Buchet, Alexandre
Preillon (grange). Des foyers d'incendie furent aussi allumés chez Mme Van den Halle,
veuve Minet, Joseph Chaltin et Léon Delobbe. Pillage et incendie furent l'œuvre
notamment du 104e (dont le 3e bataillon) et du 107e. « Nous avons fusillé à Surice,
dit un officier à Emile Nenquin ; si on tire, vous serez aussi fusillés ! » Romerée
devait être incendié, lui dit-il encore, et il montra, sur une carte, le nom de la
localité souligné d'un trait rouge. Des déclarations identiques furent faites à Vireux,
à Auguste Nenquin, et à Matagne-la-Petite, à Jules Chayet.
il8
Les prisonniers restèrent enfermés dans l'église pendant deux jours et deux
nuits. Ils furent ensuite dirigés sur Sart-en-Fagne, Merlemont et d'autres villages
voisins, pendant le siège de Charlemont.
N°6i3. Le 2.3, écrit M. l'abbé Sohet, curé de Matagne~la~Petiie, les troupes algé-
riennes qui occupaient le village partirent de bon matin. A la sortie des Vêpres, il
passa une voiture venant de Morville : les gens qui la montaient racontèrent des
nouvelles terrifiantes, auxquelles on ajoutait difficilement créance. Le soir, en
revenant de la chapelle de Saint-Hilaire, où la paroisse était allée en pèlerinage
pour le succès de nos armes, je rencontrai des médecins et des infirmiers, qui
accompagnaient deux chariots militaires. Ils venaient, disaient-ils, de Saint-Gérard,
et l'armée était en déroute.
Le 24 août, nous vîmes passer à la fois des soldats de l'armée de Namur, le
ravitaillement français qui se trouvait à Romerée et un nombre incalculable de
fuyards. A 22. heures, arrivèrent les curés de Serville, Romedenne et Soulme,
tandis que l'horizon s'embrasait du vaste incendie de Romedenne.
A minuit, le colonel qui logeait au presbytère fut prévenu que des uhlans
avaient poussé une reconnaissance jusqu'à la boulangerie de Romerée et à la
fabrique de dynamite de Matagne-la-Grande. La nouvelle causa un grand émoi.
Une dépêche similaire fut apportée à 1 heure et le colonel accorda un repos de
deux heures seulement à ses troupes exténuées. Leur départ eut lieu à 3 heures,
c'étaient les dernières troupes françaises.
Fallait-il fuir ou rester? On décida de rester. Je demandai qu'on me
prévînt de l'arrivée des Allemands, au devant desquels je me rendrais pour
parlementer.
Les uhlans furent annoncés à 8 h. 3o. Escorté de M. Arthur Dambroise, je les
trouvai à cent mètres du village, venant de Romerée. Ils me laissèrent approcher
et je m'offris comme otage, certifiant que la population était calme et demandant
qu'elle fût respectée. La conversation avait à peine duré trois minutes qu'une vive
fusillade commença. Les uhlans s'enfuirent et nous revînmes au village. Pendant
mon absence, quelques Français avaient reparu jusque près de l'église. L'artillerie
française, installée sur une hauteur voisine, de laquelle on découvrait le vaste
plateau que devait traverser l'ennemi, était entrée en action. Le colonel Sauson, de
Paris, et deux officiers la dirigeaient du cimetière de Matagne-la-Grande. Les obus
s'entrecroisaient au-dessus de nous. Une partie des habitants se réfugia, pendant
le combat, dans les fermes de Matignolles et s'y abrita dans les caves. L'enga-
gement se poursuivit jusque ta h. 3o et. à i3 heures, les Allemands occupèrent
le village et parquèrent les hommes et les femmes dans une maison voisine
de l'église.
Bientôt, les prêtres qui se trouvaient au presbytère y furent menés aussi et un
officier supérieur, du 104e je pense, leur dit : « Si quelqu'un tire, tous fusillés!
\ Surice, une jeune fille de 17 ans, a tiré sur nos troupes. J'ai fait prendre tous les
hommes, tout ce que j'ai trouvé, trente-neuf. Tous ont été fusillés et j'ai brûlé tout
le village ! »
219
Matagne-la-Petite courut un grand danger dans la journée, à la suite d'un
coup de feu. Heureusement, il se fit une enquête, qui découvrit qu'un soldat avait
tiré par mégarde.
Le défilé des troupes commença à 14 heures et se poursuivit sans interruption
jusqu'au 26 au soir.
§ 4. — Vers la frontière.
Dans l'après-midi du 25 août, les villages de Mazée, Treignes et
Vierves furent rapidement occupés ; Oignies et le Mesnil le furent à la
tombée de la nuit. Un civil fut tué à Treignes; à Oignies un civil fut tué,
une maison incendiée.
Le 26 août, le corps d'armée atteignit le frontière française, où fut
engagé le combat dit « du Trou du Diable ».
N° 614.. ^*c l4 aoul a 3 h. 3o du matin, une patrouille de dragons traversa Ma^ée, se
dirigeant vers Niverlée; elle fut suivie de troupes considérables qui défilèrent
jusque 9 h. 3o. Le t6 août, un avion atterrit à Matignolles et le pilote, qui avait
survolé le Luxembourg, annonça qu' « il était à feu et à sang ». Il avait sans doute
appris ou constaté les incendies de Rosières, Gérimont et Cobreville.
Le 22 août, les curieux suivirent du haut « des verris » le combat de la
Sambre, qui se déroulait de Thuin à Mettet.
Le 23, les troupes françaises commencèrent à battre en retraite, bientôt
suivies de longues théories de fuyards, qui défilèrent toute la journée et le lende-
main. Le 25 août, entre 6 et 10 heures, c'était dans les rues une cohue indescrip-
tible de troupes, de chariots et de civils... Quand on vit les Français installer des
mitrailleuses sur le « Tergniat », on crut à un combat, mais ils poursuivirent leur
retraite sans tirer. Dans l'après-midi, deux uhlans, revolver au poing, descendirent
au galop la route de Niverlée, suivis d'une avalanche de fantassins.
Ces soldats étaient exténués et se contentèrent de boire et de manger. Hubert
Gilbert fut requis de conduire les troupes sur le chemin du Mesnil.
Le 26 à 20 heures, au moment où finissait le chapelet, on vint crier que
« Mazée était cerné ». Des femmes tombèrent en syncope. Sur la place, des uhlans
réclamaient le « pastor » et le bourgmestre, qui furent emmenés à la salle commu-
nale. A minuit, des troupes d'infanterie mirent le village dans une panique extra-
ordinaire, faisant irruption dans les maisons, réveillant les habitants en sursaut
et emmenant les hommes : deux vieillards moururent des suites de cet émoi
intempestif. On préparait la prise de Givet Des tranchées furent creusées à la route
de Niverlée et derrière le calvaire de Saint-Roch ; des carrières furent converties
en casemates, les maisons du chemin de «Niverlée et de Vaucelles furent évacuées
et organisées pour la défense ; mais tout se borna à une alerte.
Dans la nuit du 1er au 2 septembre, le village fut sur le point d'être incendié
et plusieurs civils furent exposés à être fusillés à la suite de coups de feu, dont on.
accusait les civils. Le curé, M. l'abbé Quertinier, réussit à obtenir une enquête
des soldats avaient abattu un bœuf à coups de fusil dans une pâture.
220
N° 6i5. Le t3 août, de 8 heures à midi, il passa à Treignes des troupes du pays d'Arras
et de Saint-Omer ; dans l'après-midi, des soldats du 33e cantonnèrent au village et
y logèrent; M. l'abbé Vital, d'Arras, était leur aumônier.
Des artilleurs, venus le 21 pour loger, reçurent l'ordre de partir dans la nuit.
Le 23, le 24 et la nuit suivante, ce fut le passage des gens affolés de Tamines,
Aiseau et Walcourt, mêlés aux soldats en retraite. Les sentiers eux-mêmes étaient
encombrés; on coupait les fils des pâtures et le trop-plein des routes se déversait
sur les campagnes.
Le 25 à i3 heures, les derniers Français avaient quitté Treignes. A 14 heures
on cria : « Les voilà ! » Tandis que les gens prenaient la fuite vers le bois, quelques
uhlans s'avançaient avec prudence, bientôt suivis de troupes compactes. Le drapeau
belge qui flottait en face de la gare fut arraché, déchiré, piétiné. Deux Français
s'étaient postés derrière un mur de l'école gardienne pour faire feu sur les uhlans :
des civils les supplièrent d'y renoncer, pour empêcher la destruction du village.
Mais il y eut une rencontre sur le chemin du Mesnil. Un groupe de Français du 3je,
égarés, fut aperçu par l'ennemi, qui dirigea sur eux un feu de mitrailleuses. Deux
furent tués, ainsi qu'un civil de Doische, Alcide CRASSIN, âgé de 3o ans ; quatre
soldats furent blessés (1), sept furent faits prisonniers.
N° 616. Le 25, vers t5 heures, quelques uhlans descendirent les côtes abruptes situées
au nord de Vierves et furent reçus à coups de fusil par des Français attardés sur
la place ; ils tournèrent bride et s'enfuirent dans la direction de Matagne. A ce
moment, le village était bondé de réfugiés et de véhicules, qui ne parvenaient plus
à s'écouler vers la France.
Vers 16 heures, une nouvelle patrouille de uhlans commandée par un officier,
arriva jusqu'à la grand'place par la grand'route et par la traverse. Apercevant un
soldat français sortant du château et escaladant le mur du vieux cimetière, l'officier
tira plusieurs coups de pistolet dans sa direction, revint sur la place, fit enlever
les barricades, puis disparut avec sa troupe dans la direction de Matagne.
Vers 16 h. Zo, surgirent des hauteurs qui dominent le village dans la direction
de Matagne une quantité de uhlans, qui descendirent la pente à cheval, tandis que
d'autres se faufilaient de tous côtés et gagnaient, en un ordre parfait, tous les
débouchés nord-est et ouest du village. En un moment, toute la partie supérieure
de la localité fut inondée de troupes allemandes.
Avant que vînt le gros des troupes, les Allemands avaient installé cinq canons
sur les hauteurs qui dominent Vierves, Quelques obus atteignirent le cimetière.
C'est alors que la population gagna les bois, à l'exception du bourgmestre, de
Mme la baronne de Mesnil et de quelques habitants. Deux soldats français trouvèrent
la mort (2.), d'autres séjournèrent dans la forêt, d'autres encore échappèrent à
l'ennemi, dissimulés sous la charmille qui abrite l'ancien caveau des comtes
d'Antioche. Ils purent, en janvier, regagner le front allié, par la Hollande.
(1) L'un d'eux mourut quelques jours après. Les trois victimes s'appelaient Victor Perrin, Abel Bochaut
et Georges Philippe.
(a) Ce sont Henri-Joseph Trachez, de Sain-le-Noble (Douai) et Gustave Boutheny, de Harnes (Béthune).
221
A l'arrivée de l'ennemi, plusieurs habitants furent sur le point d'être fusillés
au mur des maisons Cordier et Delpire. Un officier leur reprochait « de ne pas se
révolter contre le roi Albert, qui avait déclaré la guerre au Kaiser ». Il les obligea à
crier « Vive l'Allemagne ». Le général von Laffert, qui accompagnait les premières
troupes s'installa au 'château, où le bourgmestre et plusieurs otages répondaient de
sa sécurité. L'intervention ferme et habile de Mme la baronne contribua efficacement
à préserver le village. Comme il était question de bombarder la forêt, qui débordait
de fugitifs, on prévint ceux-ci de rentrer. Ils y avaient passé, sous la pluie, une nuit
mouvementée, effrayés par les passages continuels de troupes, desquelles partaient
de temps en temps des coups de feu.
Dès le 25 août, à 18 heures, d'importantes troupes prenaient la direction
d'Oignies par des chemins difficiles et escarpés.
Le 25 août à 18 h. 3o, Oignies était désert quand les premiers uhlans
débouchèrent du bois, après avoir fait la dure et pénible ascension de plus de
cinq kilomètres qui sépare Oignies de Vierves. Des fuyards attardés couraient
encore à travers champs : ils tirèrent sur eux. L'un d'eux, Jean-Baptiste MANISE
(fig. 76), i5 ans, fut tué; sa grand'mère et sa sœur furent blessées.
Les uhlans placèrent devant eux pour s'avancer d'abord vers Rocroi, puis vers
le bois qui sépare le village de Vierves et duquel le gros des troupes débouchait,
le vicaire, M. Dehant, et quatre autres civils. Un hauptman leur dit : fi Si un coup
de feu est tiré pendant la nuit, même par des soldats français, vous serez fusillés ! »
Vers 2î heures l'infanterie occupa le village (1). Les soldats se ruèrent sur les
maisons, brisant portes, fenêtres et meubles à coup de crosse et de hache, pillant
tout ce qui était à leur convenance. La maison Hubert Guérin. route de Fumay,
devant laquelle les Français avaient, dit-on, abandonné une bicyclette, fut
incendiée. A minuit, le vicaire comparut devant le général Kaden, du XIXe corps,
et reçut l'ordre de prévenir la population, qui avait fui dans les forêts voisines,
qu'elle devait rentrer. Outre les habitants, il s'y trouvait des milliers de fuyards du
pays de Dinant et de la Sambre; ils avaient construit des huttes, et beaucoup y
restèrent plusieurs jours, tant ils redoutaient la cruauté de l'ennemi.
Le lendemain matin, un combat se livra à la frontière, entre les arrière-gardes
françaises et les premières troupes allemandes et il y eut des pertes de part et
d'autre.
L'ennemi entra au Mesnil le 25 août vers 18 heures, après avoir grimpé une
côte abrupte, presque sans chemins. En quelques minutes le village fut cerné, sauf
dans la direction d'Oignies, par où s'échappèrent les derniers Français (2), qui
(1) On a relevé à Oignies des traces de cinq régiments (sur cinq) du XIXe corps qui se sont avancés
à l'ouest de la Meuse : les 106e et 107e (48° brigade), les 104'' et 181e (88e brigade) et le 1 33e (89* brigade).
Le cimetière militaire du « Trou du Diable " a groupé, en 1918, les soldats tombés à Oignies, Treignes,
Fumay et Fépin; il comprend y$ Français (dont 17 du 33e, i5 du 148°, 5 du 320e, 3 du 73e, 1 du 42e,
1 du 245e, 1 du 3i8e, 1 du 18e chasseurs); et 22 Allemands (16 du 181e, 2 du i33e, 3 du 32e régiment
d'artillerie di campagne et 1 du 3e régiment d'artillerie de réserve)-
(2) Hanotaux, dans l'Enigme de Charleroi, p. 87, raconte dans quel état y arrivèrent le 25 août le 8e et
le t 10e d'infanterie.
222
s'étaient postés pour recevoir l'ennemi, mais n'osèrent faire feu. L'un de ceux-ci
avait été tué à la bifurcation des chemins de Treignes et de Vierves (i); il fut
inhumé, sans cercueil, au cimetière paroissial. Quatre ou cinq coups de canon
furent aussi tirés vers les Français, qui ne répondirent pas. Plusieurs habitants
durent précéder les troupes en France ou fournir des attelages.
(i) Il s'appelait Georges Staelen, Dunkerque n° 775.
ERRATA
P. 93, ligne 25. Au lieu de : Les Allemands ne mirent le feu à la Manufacture de
Tissus que le dimanche soir, lire : que le lundi matin.
P. 204, fig. i63. Au lieu de François Collard, lire Florent Collard.
P. 236, ligne 2t. Où se trouvent déjà les Pères Prémontrés, les Frères des Ecoles
Chrétiennes, M. Van Ryckevorsel. Supprimer les mots « les Frères des Ecoles
Chrétiennes », car d'après leur propre témoignage (p. 249) ils n'y sont arrivés
qu'au commencement de l'après-midi.
P. 261, ligne 16. Nous annonce que, probablement, on ne fusillera plus personne...
Supprimer le mot « probablement ».
TABLE DES MATIÈRES
Pages.
Avant-propos 5
Chapitre I.
Sur le front de la Sambre . . * i3
1. L'avance du Xe corps 14
t. Contre la 5e division française (de Hanzinne à Tarcienne) 17
^ 1 . — Tarcienne 19
§ 2. — Hanzinne : Incendie de cinquante maisons 20
?; 3. — Hanzinelle : Incendie de quatre-vingt-trois maisons 22
§ 4. — Tby-le-Baudbuin : Meurtre de deux civils 23
.^5. — Morialmé : Incendie de six maisons 24
2. Contre la 38e division française (de Tarcienne à Gourdinne) .... 2.6
§ 1 . — Somzée : Meurtre du curé d'Acoz et de ses compagnons ; Incendie de
trente-deux maisons . 28
$ 2. — Laneffe : Incendie de vingt maisons ; Chastrès : Meurtre de deux civils 3i
S 3. — Traire : Meurtre de deux civils et incendie de deux maisons ... 33
§ 4. — Yves-Gomezée : Incendie de treize maisons 34
3. Contre la 6e division française (de Gourdinne à Berzée) 35
§ t. — Dans la région de Gourdinne, Tb\)-le-Château (meurtre de deux
civils), Berzée et Pry 36
?; 2 . — Walcourt (incendie de la Collégiale et de quatorze maisons) et région
("Rognée, Fontenelle, Castillon, Mertenne, Clermont) 39
§ 3. — Daussois : Incendie de vingt-sept maisons 43
§ 4. — Silenrieux : Incendie de trente et une maisons 44
i3
22Ô
Pages.
II. L'avance du corps de la Garde 46
§ 1 . — Sart~Saint~Laurenl 48
§2. — Lesves : Meurtre de quatre civils et incendie de quatorze maisons. . 49
§ 3. — Furnaux (incendie d'une maison); Biesmerée et Stave (incendie de
soixanle"qualorze maisons) 52
§ 4. — Florennes (meurtre de deux civils, incendie de quatre maisons)
et Sainl^Aubin (meurtre d'un civil) 56
§ 5. — "Vers la frontière : Jiemplinne, Chaumont, Jamagne (meurtre d'un
civil), Villers~deux~Eglises (incendie de deux maisons), Soumoy,
Senzeilles, Cerfontaine 62
Chapitre II.
La retraite de Bioul 66
§ 1 . — Au village de Denée 69
§ 2. — Au village de Bioul 69
§ 3. — L'attaque et la retraite de la colonne d'ambulance de la 4e D. A. 71
§ 4. — Le combat de Warnant 75
§ 5. — Le combat d'Ermelon~sur~Biert : Meurtre de trois civils et incendie
de quatre-vingt-six maisons 77
§6. — La colonne des prisonniers de Florennes. . 79
Chapitre III.
Sur le front de la Meuse 81
I. L'avance du XIIe corps de réserve 82
1. La 23e division de réserve 82
§ 1 . — Anhée : Incendie de six maisons 84
§ 2. — Haut-le-Wastia (meurtre de trois civils et incendie de deux maisons)
et Warnanl (incendie de trois maisons) 86
§3. — Annevoie (incendie d'une maison) et "Rivière (incendie d'une maison) 88
§ 4. — Sosoye, Maredsous et Maredrel : Meurtre de quatre civils et incendie
de cinq maisons 92
§5. — Philippeville : Meurtre de deux civils et incendie d'une maison. . . 96
§ 6. — Neuville~Samart : Meurtre de trois civils et incendie de seize maisons. 98
227
Pages.
S 7. — Mariembourg : Meurtre de quatre civils et incendie de quatre-vingts
quinze maisons 99
§ 8. — Frasnes : Meurtre de douze civils et incendie de cent quarante-cinq
maisons io3
1d. : Massacre de trente-quatre civils français 108
§ 9. — Vers la frontière : Geronsarl, Boussu-en-Fagne, Aublain, 'Dailly,
Pesches, Gonrieux, Presgaux, Cul-des-Sarts 112
2. La 24e division de réserve 119
§ 1. — Gérin ; Incendie de deux maisons 121
§ 2. — Anlhée et Maurenne ; Meurtre de neuf civils et incendie de cent
dix-huit maisons 122
§ 3. — Agimoni ; Incendie d'une maison 128
§ 4. — Soulme (meurtre de six civils), Gocbenée et "Vodele'e (incendie de
trois maisons) i3o
§ 5. — Gimne'e, Doische (meurtre d'un civil), Vaucelles i33
II. L'avance du XIIe corps i35
§ 1. — Sommière : Meurtre d'un civil et incendie d'une maison .... 137
§ 2. — Weillen : Meurtre de sept civils et incendie d'une maison .... i38
§3. — Falaën : Meurtre de deux soldats français prisonniers 141
§ 4. — Morville : Meurtre d'un civil et incendie de quarante-deux maisons 143
§ 5. — Flavion : Incendie de quatre maisons t44
§ 6. — Posée (meurtre de trois civils et incendie de quinze maisons) et
Omezée (incendie d'une maison) 145
§ 7. — Francbimonl : Meurtre de quatre civils et incendie de cinquante- deux
maisons 148
§ 8. — Villers-le-Gambon, Vodece'e (meurtre de quatre civils et incendie de
deux maisons) Sautour, Merlemonl (meurtre d'un civil) et Sart-
en-Fagne 1 55
§ 9. — Villers-en-Fagne (meurtre de cinq civils et incendie de cinquante
et une maisons) et Poly 160
§ 10. — Malagne-la-Grande et Fagnolles i63
§11. — Bourbes (meurtre de trois civils et incendie de cinquante-huit
maisons) et Olloy i65
§ 12. — JVismes : Meurtre de huit civils et incendie de trois maisons ... 168
§ t3. — Peligny .-Meurtre de quatre civils et incendie de quatorze maisons 170
§ 14. — Couvin (meurtre de cinq civils et incendie de huit maisons) et Bruly-
de-Pesche 171
§ t5. — Le Bru/y ." Meurtre de deux civils et incendie de dix maisons. ■ 178
§ 16. — Petite-Chapelle : Meurtre de cinq civils et incendie de quatre
maisons 179
228
Pages.
III. L'avance du XIXe corps i83
§ i . — Le combat d'Onhaye : Meurtre de quatre civils et incendie de cent
quatorze maisons 186
§ 2. — Le combat de Surice : Meurtre de cinquante* sept civils. Incendie de
cent trente maisons. Komedenne ; Meurtre de onze civils. Incendie
de cent dix^neuf maisons 1 94
§ 3. — "Romerée (meurtre de deux civils. Incendie de douze maisons) et
Matagne"la"Petite 216
§ 4. — "Vers la frontière : Mazée, Treignes (meurtre d'un civil), Vierves,
Oignies (meurtre d'un civil et incendie d'une maison). Le Mesnil . 219
Errata et addenda 223
TABLE DES ILLUSTRATIONS
Figures. rages.
t. Yves-Gomezée. Ruines du château de Cartier d'Yve, incendié par les
troupes du Xe corps 40
2. Walcourt. Vue de la collégiale de Notre-Dame de Walcourt, avant le
désastre ... 40
3. Walcourt. Vue panoramique de la ville, après l'incendie. ... 40
4. Walcourt. Vue de la collégiale incendiée 40
5. Walcourt. Les maisons incendiées, à l'ouest de la collégiale. 40
6. Narcisse Degraux, tué à Thy-le-Baudhuin, 41
7. Valentine Lefebvre, tuée à Lesves 41
8. Victoire Détaille, veuve Antoine Rondiat, tuée à Haut-le"Wastia 41
9. Alphonse Spilette, de Fraire, lié à un canon et massacré à Fosses 41
10. Jules Dupéroux, tué à Saint-Aubin 4t
ti. L'abbé Eugène Druet, curé d'Acoz, fusille à Somzée avec ses deux
compagnons 41
12. André Chermanne, tué à Jamagne 41
t3. Mathieu Detourbe, époux d'Aline Mélot. de Haut-le-Wastia, tué sur
la route de Moulins 41
14. Ambroise Léonard, de Haut-le-Wastia. fusillé à Les Floyes (Sosoye),
avec Narcisse Borsut et Charles Guillaume 41
i5. Narcisse Borsrut, de Haut-le-Wastia, fusillé à Les Floyes (Sosoye),
avec ses compagnons 41
16. Désiré Sacotte, époux de Caroline Trillet, tué à Haut-le-Wastia 41
17. Hanzinne. Ferme Luc et grange Brosse, après l'incendie 76
>8. Ermeton-sur-Biert. Rue du Village. Maisons incendiées par les troupes
de la Garde 76
19. Moulins. Arrivée de la compagnie du commandant Vannière, du 148e . 76
20. Mariembourg. Ruines du moulin incendié par la 23e division de
réserve 76
zi. Mariembourg. Maisons incendiées du boulevard de l'Education. . . 76
22. Etienne Patron (à l'âge de 9 ans), fusillé à Neuville (Philippeville),
avec Paulin Gobillon et un soldat belge prisonnier -/7
23. Paulin Gobillon, fusillé à Neuville (Philippeville) yj
z3o
Figures. Pages.
24. Jules Pirson, fermier à Omezée, tué à Franchimont 77
25. Alzir Anciaux (à l'âge de 9 ans), martyrisé à Franchimont yy
26. Camille Leclercq, massacré à Frasnes yy
27. Edgar Van Schoor, de Mariembourg, fusillé à Eteignières, avec son
frère et cinq autres civils yy
28. Ernest Van Schoor, de Marienbourg, fusillé à Eteignières .... 77
29. Adolphe Burton, d'Anthée, tué à bout portant dans une haie ... yy
30. Edouard Marée, tué à Soulme 77
3t. Nestor Cognaux, tué à Soulme yy
32. Félicien Baudoin, d'Anthée, lié à une haie et fusillé, avec un inconnu,
à l'entrée du village d'Anthée yy
33. Frasnes. Vue de l'église et du village, incendiés par la 23e division de
réserve 104
34. Frasnes. Entrée du village incendié, du côté de Mariembourg (la croix
marque la maison de l'un des fusillés, Bertrand Damly) .... 104
35. Frasnes. Rue de la Brasserie, après l'incendie 104
36. Frasnes. Tombes allemandes, en regard du village incendié .... 104
37. Frasnes. Ruines de la rue Saint-Roch to5
38. Frasnes. Proclamation du commandant Lacroix, annonçant l'exécution
de trente-quatre civils français to5
39. Anthée. Transept de l'église et maisons de la place, incendiées par la
24e division de réserve io5
40. Anthée. Hôtel Nénon, après l'incendie io5
41. Anthée. Les ruines du presbytère de M. l'abbé Piret, fusillé à Surice. io5
42. Anthée. Tabernacle en cuivre du maître-autel, portant les traces
d'effraction to5
43. Henri Pirlot. massacré à la ferme de Flun (Falaën) .... . . 140
44. Olivier Mathieu, père de Gaston, blessé et carbonisé à la ferme de Flun. 140
45. Gaston Mathieu, fils d'Olivier, id. . 140
46. Désiré Deleuze, fusillé à Sommière 140
47. Valentin Mathieu, fils d'Octave, carbonisé à la ferme de Flun . 140
48. Joseph Pieîte, carbonisé à la ferme de Flun (à l'âge de 9 ans) 140
49. Octave Mathieu, père de Valentin, tué à la ferme de Flun. 140
50. Nestor Wiame, de Villers-le-Gambon, tué sur la route de Givet . 140
5t. François Pierre, échevin de Vodecée, y fusillé 140
52. Adelin Woine, instituteur à Villers-en-Fagne, fusillé aux abords du
village 140
53. Flun. Corps de logis et grange de la ferme qui fut le théâtre du
massacre, du côté de Falaën 141
54. Ferme de Flun et chemin de Weillen 141
55. Anthée. Maison Barbier, incendiée sur la route de Philippeville, où
furent tués Xavier Delhaye et son épouse 141
56. Morville. Ecoles incendiées des Religieuses de la Providence, à
Lassurance Ht
z3t
Figures. Pages.
57. Dourbes. Panorama du village incendié par les troupes du XIIe corps. 1 41
58. Billet délivré à Merlemont par le général von Hausen, commandant la
IIIe armée allemande 159
59. Plan d'Onhaye, incendié par les troupes du XIXe corps 189
60. Onhaye. Endroit situé à l'extrémité du «Forbot», où eut lieu un combat
à la baïonnette et où périt le capitaine Didier 190
61. Onhaye. Propriété de M. le chevalier Diericx de ten Ham, où fut tuée
Léa Collignon et où mourut Joseph Dubois, de Lenne 190
62. Onhaye. Route du Forbot (La maison d'Adolphe Pochet, fusillé à Surice,
est marquée d'une croix) ... 190
63. Onhaye. Quartier incendié de Bonair 190
64. Onhaye. Ferme de Froidmont, au sud-est du village, aux environs de
laquelle se livrèrent plusieurs combats à l'arme blanche .... 190
65. Onhaye. La chapelle de Bonair 190
66. Palmyr Tonglet, de Dourbes, tué au « Tienne Delvaux » 191
67. Jules Godefroid, de Somzée, tué entre Dourbes et Nismes. 191
68. Jules Nicolas, tué à Nismes 191
69. Emile Perleaux, de Nismes, tué sur ta route de Petigny 191
jo. Abbé Paul Gilles, docteur en philosophie et en théologie, vicaire à
Couvin, y massacré ... 191
71. Gaston Lapôtre, de Nismes, tué sur la route de Petigny 191
72. Alfred Grégoire, id. id. . 191
73. Achille Collard, id. id. 191
74. Armand Dumont, tué à Petite-Chapelle 191
75. Pierre Boutai, de Couvin, fusillé près de la chapelle des « Fonds de
l'Eau » 191
76. Jean-Baptiste Manise, tué à Oignies 191
jj. Olivier Parmentier, de Miavoye, fusillé à Surice .... 196
78. André Libert, id. id. 196
79. Auguste Durdu, échevin de Surice 196
80. Jean-Baptiste Libert, de Miavoye, fusillé à Surice , 196
81. L'abbé Gustave Gaspard, de Thon, professeur au collège de Bellevue,
à Dînant, fusillé a Surice 196
82. L'abbé Alphonse Ambroise, curé d'Onhaye, fusillé à Surice .... 196
83. Félix Ambroise, professeur à l'école d'horticulture de Vilvorde, fusillé
à Surice 196
84. Gustave Copienne, d'Evrehailles, oncle de M. l'abbé Ambroise, fusillé
à Surice 196
85. Adelin Frérotte, d'Onhaye, fusillé à Surice 196
86. Alphonse Nassaut, d'Anthée, id. 197
87. Félix Jacques, docteur en médecine, d'Anthée, fusillé à Surice . . . 197
88. Olivier Delcour, d'Anthée, fusillé à Surice avec ses fils Arthur et Léon. 197
89. Henri Jacques, d'Anthée, élève du collège de Bellevue, à Dinant,
fusillé à Surice 197
232
Figures. Pages.
90. Arthur Delcour, d'Anthée, fusillé à Surice avec son père et son frère
Léon 197
91. L'abbé Oscar Piret, curé d'Anthée, fusillé à Surice 197
92. L'abbé Marcellin Poskin, curé de Surice, y fusillé 197
93. Edmond Schmit, inspecteur de l'enseignement primaire, à Gerpinnes,
fusillé à Surice 1 97
94. Léon Delcour, d'Anthée, fusillé à Surice avec son père et son frère
Arthur 197
95. Jean-Baptiste Quoilin, de Gérin, fusillé à Surice ...... 197
96. Jean Quoilin, fils de Jean-Baptiste, de Gérin, fusillé à Surice . 197
97. Louis Delcour, de Gérin, fusillé à Surice • 197
98. Ursmer Deravet, id. id. t97
99. Plan de Surice, incendié par les troupes du XIXe corps 198
00. Vuegénéralede Surice. prise de la route de Romedenne à Franchimont. 208
01. Surice. L'église en ruines, La maison Baijot, où quatre cadavres
furent retrouvés dans la citerne 208
02. Surice. Intérieur de l'église incendiée 208
03. Surice. La place située en haut du village, avec la chapelle, épargnée,
de N.-D. de Lourdes 208
04. Place de Surice et maison clans laquelle se tinrent cachés, pendant la
nuit du 24 au 25 août, le curé de Morville et ses compagnons 208
05. Surice. Ruines de la maison Emond, à gauche de laquelle s'ouvre le
sentier par lequel le curé de Morville et ses compagnons purent
fuir vers Pérémont 209
06. Surice. Lieu-dit ; « Les Fosses », où eut lieu la grande fusillade.
La maison Canton 209
oj. Eglise de Romedenne, incendiée 209
08. Romedenne. Route de Romerée-Couvin et ruines de la gendarmerie
nationale 209
09. Plan de Romedenne, incendié par les troupes du XIXe corps ... 211
10. Léopold Burniaux, massacré à Surice avec ses fils Armand et
Albert , 214
11. Armand Van Durme, de Dinant, tué à la grande fusillade de Surice. 214
12. L'abbé Armand Burniaux, massacré à Surice avec son père et son
frère Albert 214
i3. Elie Piérot, de Surice, tué à la grande fusillade ... 214
14. Alexis Thiry, id. id. 214
i5. Gaston Burniaux, fils de Léopold, victime de la grande fusillade
« des Fosses » ..." 214
16. Elisée Piérard, de Surice, tué à la grande fusillade 214
17. Albert Burniaux, massacré à Surice avec son père et son frère Armand. 214
18. Alexandre Rouyre, d'Ermeton-sur-Biert, tué à Surice 2t4
19. Jules Bastin, organiste de l'église de Surice, fusillé à Romedenne avec
sa femme et son enfant de i5 mois 214
233
Figures. Pages.
120. Juliette Genard, épouse d'Alexandre Rouyre, d'Ermeton-sur-Biert,
tué à Surice 2i5
121. Rosalie Gobron, épouse Jules Bastin, fusillée à Romedenne, avec son
mari et son enfant de t5 mois 2i5
122. Marie-Louise Penasse, fusillée à Romedenne, avec son père, sa mère,
son frère et ses sœurs 21 5
123. Bertha Penasse, fusillée à Romedenne, avec son père, sa mère, son
frère et ses sœurs 21 5
124. Joseph Libert, de Maurenne, tué à Surice 2t5
125. Joseph Burniaux, tué en vue de Surice, avec Rosalie Piérard 2i5
126. Jeanne Penasse, seule survivante de la famille zi5
127. Léon Penasse, fusillé à Romedenne, avec son père, sa mère et ses
sœurs 21 5
128. Rosalie Piérard, de Surice, tuée avec Joseph Burniaux 21 5
129. François Guislain, de Surice, tué près de Soulme 2i5
t3o. Carte de la région étudiée dans la Ve partie (tome VI) 235
FIN DU SIXIÈME VOLUME
Bruxelles
Imprimerie Veuve Monnom
Société anonyme
32, rue de l'Industrie
1923
TABLE DES MATIÈRES
Pages.
Avant-propos 5
Chapitre I-
Sur le front de la Sambre i3
I. L'avance du Xe corps 14
1. Contre la 5e division française (de Hanzinne à Tarcienne) xj
§ 1. — Tarcienne 19
S 2. — Hanzinne : Incendie de cinquante maisons 20
S 3. — Hanzinelle : Incendie de quatre-vingt-trois maisons 22
S 4. — Tbyj-le-Baudbuin : Meurtre de deux civils 23
S 5. — Morialmé : Incendie de six maisons 24
2. Contre îa 38e division française (de Tarcienne à Gourdinne) .... 26
S 1 . — Somze'e : Meurtre du cure' d'Acoz et de ses compagnons ; Incendie de
trente-deux maisons . . 28
S 2. — Laneffe : Incendie de vingt maisons ; Chaslrès : Meurtre de deux civils 3i
?? 3. — Traire : Meurtre de deux civils et incendie de deux maisons ... 33
M 4. — Yves-Gomezée : Incendie de treize maisons 34
3. Contre la 6e division française (de Gourdinne à Berzée) 35
Si. — Dans la région de Gourdinne, Tby-le-Cbâteau (meurtre de deux
civils), Berzée et Pry 36
S 2. — V/alcourt (incendie de la Collégiale et de quatorze maisons) et région
(Rognée, Fontenelle, Castillon, Mertenne, Clermont) 3o.
§ 3. — Daussois : Incendie de vingt-sept maisons 43
§ 4. — Silenrieux : Incendie de trente et une maisons 44
«5
22Ô
Pages.
II. L'avance du corps de la Garde 46
§ 1 . — Sart^Saint^Laurenl 48
§ ï- — Lesves : Meurtre de quatre civils et incendie de quatorze maisons. . 49
§ 3. — Furnaux (incendie d'une maison); Biesmere'e et Stave (incendie de
soixanle~qualorze maisons) 52
§ 4- — Florennes (meurtre de deux civils, incendie de quatre maisons)
et Saint"Aubin (meurtre d'un civil) 56
§ 5. — "Vers la frontière : "Hemplinne, Chaumont, Jamagne (meurtre d'un
civil), Villers~deux~Eglises (incendie de deux maisons), Soumoy,
Senzeilles, Cerfontaine 62
Chapitre II.
La retraite de Bioul 66
§ 1 . — Au village de Tienée 69
§ 2. — Au village de Bioul 69
§ 3. — L'attaque et la retraite de la colonne d'ambulance de la 4e D. A. . j\
§ 4. — Le combat de V/arnant 75
§ 5. — Le combat d'Ermelon~sur*°Biert : Meurtre de trois civils et incendie
de quatre~vingi<*six maisons jj
§ 6. — La colonne des prisonniers de Florennes. . 79
Chapitre III.
Sur le front de la Meuse 81
I- L'avance du XIIe corps de réserve 82
1. La 23e division de réserve 82
§ 1 . — Anbée : Incendie de six maisons 84
§2. — Haul~le~Wastia (meurtre de trois civils et incendie de deux maisons)
et Warnant (incendie de trois maisons) 86
§ 3. — Annevoie (incendie d'une maison) et "Rivière (incendie d'une maison) 88
§ 4. — Sosoye, Maredsous et Maredret : Meurtre de quatre civils et incendie
de cinq maisons 92
§5. — Pbilippeville : Meurtre de deux civils et incendie d'une maison. . . 96
§ 6. — Neuville~Samart : Meurtre de trois civils et incendie de seize maisons. 98
227
Pages.
% y. — Mariembourg : Meurtre de quatre civils et incendie de quatre-vingts
quinze maisons 99
§ 8. — Frasnes : Meurtre de douze civils et incendie de cent quaranle~cinq
maisons to3
ld. : Massacre de trente-quatre civils français 108
§ 9. — Vers la frontière : Geronsart, Boussu-en-Fagne, Aublain, Dailly,
Pesches, Gonrieux, Presgaux, Cul"deS"Sarts ti2
2. La 24e division de réserve 119
§ t. — Gérin : Incendie de deux maisons 121
§ 2. — Antbêe et Maurenne ; Meurtre de neuf civils et incendie de cent
dix"buil maisons 122
§ 3. — Agimonl : Incendie d'une maison 128
§ 4. — Soulme (meurtre de six civils), Gocbenée et Vodelée (incendie de
trois maisons) i3o
§ 5. — Gimne'e, Doische (meurtre d'un civil), Vaucelles i33
II. L'avance du XIIe corps i35
§ 1. — Sommière : Meurtre d'un civil et incendie d'une maison .... 137
§ 2. — V/eillen : Meurtre de sept civils et incendie d'une maison .... 1 38
§3. — Fala'èn : Meurtre de deux soldats français prisonniers 141
§ 4. — Morville : Meurtre d'un civil et incendie de quarante" deux maisons 14$
§ 5. — Flavion : Incendie de quatre maisons 144
§ 6. — "Rosée (meurtre de trois civils et incendie de quinze maisons) et
Omezée (incendie d'une maison) 145
§ 7. — Franchimont .Meurtre de quatre civils et incendie de cinquante^deux
maisons 148
§ 8. — Villers"le"Gambon, "Vodecée (meurtre de quatre civils et incendie de
deux maisons) Sautour, Merlemont (meurtre d'un civil) et Sari"
en"Fagne 155
§ 9. — Villers"en"Fagne (meurtre de cinq civils et incendie de cinquante
et une maisons) et Ro/y 160
§ 10. — Malagne"la"Grande et Fagnolles t63
§ 1 1 . — Bourbes (meurtre de trois civils et incendie de cinquanle"huil
maisons) et Olloy i65
§ t2. — JVismes : Meurtre de huit civils et incendie de trois maisons ... 168
§ i3. — Peligny .Meurtre de quatre civils et incendie de quatorze maisons 170
§ 14. — Couvin (meurtre de cinq civils et incendie de huit maisons) et Bruly"
de"Pesche \j\
§ t5. — Le Bru/y ; Meurtre de deux civils et incendie de dix maisons. . 178
§ 16. — Pelite"Chapelle : Meurtre de cinq civils et incendie de quatre
maisons 179
2l8
Pages.
III. L'avance du XIXe corps i83
§ i . — Le combat d'Onhaye : Meurtre de quatre civils et incendie de cent
quatorze maisons 1 86
§ i. — Le combat de Surice : Meurtre de cinquante^sepl civils. Incendie de
cent trente maisons. "Romedenne ; Meurtre de onze civils. Incendie
de cent dix"neuf maisons 194
§ 3. — "Romerée (meurtre de deux civils. Incendie de douze maisons) et
Malagne''la''Petite 216
§ 4. — Vers la frontière : Mazée, Treignes (meurtre d'un civil), Vierves,
Oignies (meurtre d'un civil et incendie d'une maison), Le Mesnil . 219
Errata et addenda zzi
TABLE DES ILLUSTRATIONS
Figures. Pages.
i. Yves-Gomezée. Ruines du château de Cartier d'Yve, incendié par les
troupes du Xe corps 40
2. Walcourt. Vue de la collégiale de Notre-Dame de Walcourt, avant le
désastre 40
3. Walcourt. Vue panoramique de la ville, après l'incendie 40
4. Walcourt. Vue de la collégiale incendiée 40
5. Walcourt. Les maisons incendiées, à l'ouest de la collégiale. 40
6. Narcisse Degraux, tué à Thy-le-Baudhuin, 41
7. Valentine Lefebvre, tuée à Lesves 41
8. Victoire Détaille, veuve Antoine Rondiat, tuée à Haut-le-Wastia 41
9. Alphonse Spilette, de Fraire, lié à un canon et massacré à Fosses 41
10. Jules Dupéroux, tué à Saint-Aubin 41
11. L'abbé Eugène Druet, curé d'Acoz, fusillé à Somzée avec ses deux
compagnons 41
12. André Chermanne, tué à Jamagne 41
i3. Mathieu Detourbe, époux d'Aline Mélot, de Haut-le-Wastia, tué sur
la route de Moulins 41
14. Ambroise Léonard, de Haut-le-Wastia. fusillé à Les Floyes (Sosoye),
avec Narcisse Borsut et Charles Guillaume 4t
i5. Narcisse Borsut, de Haut-le-Wastia, fusillé à Les Floyes (Sosoye),
avec ses compagnons 41
16. Désiré Sacotte, époux de Caroline Trillet, tué à Haut-le-Wastia 41
17. Hanzinne. Ferme Luc et grange Brosse, après l'incendie 76
18. Ermeton-sur-Biert. Rue du Village. Maisons incendiées par les troupes
de la Garde 76
19. Moulins. Arrivée de la compagnie du commandant Vannière, du 148e . 76
20. Mariembourg. Ruines du moulin incendié par la 23e division de
réserve 76
21. Mariembourg. Maisons incendiées du boulevard de l'Education. . . 76
22. Etienne Patron (à l'âge de 9 ans), fusillé à Neuville (Philippeville),
avec Paulin Gobillon et un soldat belge prisonnier -j-j
23. Paulin Gobillon, fusillé à Neuville (Philippeville) -jj
i3o
Figures. Pages.
24. Jules Pirson, fermier à Omezée, tué à Franchimont 77
25. Alzir Anciaux (à l'âge de 9 ans), martyrisé à Franchimont 77
26. Camille Leclercq, massacré à Frasnes 77
27. Edgar Van Schoor, de Mariembourg, fusillé à Eteignières, avec son
frère et cinq autres civils 77
28. Ernest Van Schoor, de Marienbourg, fusillé à Eteignières .... 77
29. Adolphe Burton, d'Anthée, tué à bout portant dans une haie 77
30. Edouard Marée, tué à Soulme 77
3t. Nestor Cognaux, tué à Soulme 77
32. Félicien Baudoin, d'Anthée, lié à une haie et fusillé, avec un inconnu,
à l'entrée du village d'Anthée 77
33. Frasnes. Vue de l'église et du village, incendiés par la 23e division de
réserve 104
34. Frasnes. Entrée du village incendié, du côté de Mariembourg (la croix
marque la maison de l'un des fusillés, Bertrand Damly) .... 104
35. Frasnes. Rue de la Brasserie, après l'incendie 104
36. Frasnes. Tombes allemandes, en regard du village incendié .... 104
37. Frasnes. Ruines de la rue Saint-Roch to5
38. Frasnes. Proclamation du commandant Lacroix, annonçant l'exécution
de trente-quatre civils français io5
39. Anthée. Transept de l'église et maisons de la place, incendiées par la
24e division de réserve io5
40. Anthée. Hôtel Nénon, après l'incendie io5
4t. Anthée. Les ruines du presbytère de M. l'abbé Piret, fusillé à Surice. io5
42. Anthée. Tabernacle en cuivre du maître-autel, portant les traces
d'effraction io5
43. Henri Pirlot, massacré à la ferme de Flun (Falaën) 140
44. Olivier Mathieu, père de Gaston, blessé et carbonisé à la ferme de Flun. 140
45. Gaston Mathieu, fils d'Olivier, id. . 140
46. Désiré Deleuze, fusillé à Sommière 140
47. Valentin Mathieu, fils d'Octave, carbonisé à la ferme de Flun . 140
48. Joseph Piette, carbonisé à la ferme de Flun (à l'âge de 9 ans) 140
49. Octave Mathieu, père de Valentin, tué à la ferme de Flun. . 140
50. Nestor Wiame, de Villers-le-Gambon, tué sur la route de Givet . 140
5i. François Pierre, échevin de Vodecée, y fusillé 140
52. Adelin Woine, instituteur à Villers-en-Fagne, fusillé aux abords du
village 140
53. Flun. Corps de logis et grange de la ferme qui fut le théâtre du
massacre, du côté de Falaën 141
54. Ferme de Flun et chemin de Weillen 141
55. Anthée. Maison Barbier, incendiée sur la route de Philippeville, où
furent tués Xavier Delhaye et son épouse 141
56. Morville. Ecoles incendiées des Religieuses de la Providence, à
Lassurance 141
a3i
Figures. Pages.
57. Dourbcs. Panorama du village incendié par les troupes du XH° corps. 141
58. Billet délivré à Merlemont par le général von Hausen, commandant la
IIIe armée allemande 159
59. Plan d'Onhaye, incendié par les troupes du XIXe corps 189
6j. Onhaye. Endroit situé à l'extrémité du « Forbot », où eut lieu un combat
à la baïonnette et où périt le capitaine Didier 190
61. Onhaye. Propriété de M. le chevalier Diericx de ten Ham, où fut tuée
Léa Collignon et où mourut Joseph Dubois, de Lenne 190
6z. Onhaye. Route du Forbot (La maison d'Adolphe Pochet, fusillé à Surice,
est marquée d'une croix) ... 190
63. Onhaye. Quartier incendié de Bonair 190
64. Onhaye. Ferme de Froidmont, au sud-est du village, aux environs de
laquelle se livrèrent plusieurs combats à larme blanche .... 190
65. Onhaye. La chapelle de Bonair 190
66. Palmyr Tonglet, de Dourbes, tué au « Tienne Delvaux » 191
67. Jules Godefroid, de Somzée, tué entre Dourbes et Nismes 191
68. Jules Nicolas, tué à Nismes 191
69. Emile Perleaux, de Nismes, tué sur ta route de Petigny 191
70. Abbé Paul Gilles, docteur en philosophie et en théologie, vicaire à
Couvin, y massacré 191
71. Gaston Lapôtre, de Nismes, tué sur la route de Petigny 191
72. Alfred Grégoire, id. id. . 191
73. Achille Collard, id. id. 191
74. Armand Dumont, tué à Petite-Chapelle 191
75. Pierre Boutai, de Couvin, fusillé près de la chapelle des « Fonds de
l'Eau » 191
76. Jean-Baptiste Manise, tué à Oignies 191
jj. Olivier Parmentier, de Miavoye, fusillé à Surice 196
78. André Libert, id. id. 196
79. Auguste Durdu, échevin de Surice 196
80. Jean-Baptiste Libert, de Miavoye, fusillé à Surice . , 196
81. L'abbé Gustave Gaspard, de Thon, professeur au collège de Bellevue,
à Dinant, fusillé a Surice 196
82.. L'abbé Alphonse Ambroise, curé d'Onhaye, fusillé à Surice .... 196
83. Félix Ambroise, professeur à l'école d'horticulture de Vilvorde, fusillé
à Surice 196
84. Gustave Copienne, d'Evrehailles, oncle de M. l'abbé Ambroise, fusillé
à Surice 196
85. Adelin Frérotte, d'Onhaye, fusillé à Surice 196
86. Alphonse Nassaut, d'Anthée, id. 197
87. Félix Jacques, docteur en médecine, d'Anthée, fusillé à Surice . . . 197
88. Olivier Delcour, d'Anthée, fusillé à Surice avec ses fils Arthur et Léon. 197
89. Henri Jacques, d'Anthée, élève du collège de Bellevue, à Dinant,
fusillé à Surice 197
i32
Figures. Pages.
90. Arthur Delcour, d'Anthée, fusillé à Surice avec bon père et son frère
Léon 197
91. L'abbé Oscar Piret, curé d'Anthée, fusillé à Surice 197
92. L'abbé Marcellin Poskin, curé de Surice, y fusillé 197
93. Edmond Schmit, inspecteur de l'enseignement primaire, à Gerpinnes,
fusillé à Surice 197
94. Léon Delcour, d'Anthée, fusillé à Surice avec son père et son frère
Arthur 197
95. Jean-Baptiste Quoilin, de Gérin, fusillé à Surice .... 197
96. Jean Quoilin, fils de Jean-Baptiste, de Gérin, fusillé à Surice -. 197
97. Louis Delcour, de Gérin, fusillé à Surice 197
98. Ursmer Deravet, id. id. 197
99. Plan de Surice, incendié par les troupes du XIXe corps 198
100. Vuegénéralede Surice. prise de la roule de Romedenne à Franchimont. 208
10t. Surice. L'église en ruines, La maison Baijot, où quatre cadavres
furent retrouvés dans la citerne 208
102. Surice. Intérieur de l'église incendiée 208
io3. Surice. La place située en haut du village, avec la chapelle, épargnée,
de N.-D. de Lourdes 208
104. Place de Surice et maison dans laquelle se tinrent cachés, pendant la
nuit du 24 au 25 août, le curé de Morville et ses compagnons . 208
io5. Surice. Ruines de la maison Emond, à gauche de laquelle s'ouvre le
sentier par lequel le curé de Morville et ses compagnons purent
fuir vers Pérémont 209
106. Surice. Lieu-dit ; « Les Fosses », où eut lieu la grande fusillade.
La maison Canton 209
107. Eglise de Romedenne, incendiée 209
108. Romedenne. Route de Romerée-Couvin et ruines de la gendarmerie
nationale 209
109. Plan de Romedenne, incendié par les troupes du XIXe corps ... 211
ito. Léopold Burniaux, massacré à Surice avec ses fils Armand et
Albert , 214
tu. Armand Van Durme, de Dinant, tué à la grande fusillade de Surice. 214
112. L'abbé Armand Burniaux, massacré à Surice avec son père et son
frère Albert 214
11 3. Elie Piérot, de Surice, tué à la grande fusillade .... 214
114. Alexis Thiry, id. id. 214
it5. Gaston Burniaux, fils de Léopold, victime de la grande fusillade
« des Fosses » ... * 214
116. Elisée Piérard, de Surice, tué à la grande fusillade 214
1 17. Albert Burniaux, massacré à Surice avec son père et son frère Armand. 214
it8. Alexandre Rouyre, d'Ermeton-sur-Biert, tué à Surice 214
1 19. Jules Bastin, organiste de l'église de Surice, fusillé à Romedenne avec
sa femme et son enfant de i5 mois 214
233
Figures. Pages.
120. Juliette Genard, épouse d'Alexandre Rouyre, d'Ermeton-sur-Biert,
tué à Surice 2i5
12t. Rosalie Gobron, épouse Jules Bastin, fusillée à Romedenne, avec son
mari et son enfant de t5 mois 2i5
122. Marie-Louise Penasse, fusillée à Romedenne, avec son père, sa mère,
son frère et ses sœurs 21 5
123. Bertha Penasse, fusillée à Romedenne, avec son père, sa mère, son
frère et ses sœurs 21 5
124. Joseph Libert, de Maurenne, tué à Surice 2i5
125. Joseph Burniaux, tué en vue de Surice, avec Rosalie Piérard 2i5
126. Jeanne Penasse, seule survivante de la famille 2.1 5
127. Léon Penasse, fusillé à Romedenne, avec son père, sa mère et ses
sœurs 215
128. Rosalie Piérard, de Surice, tuée avec Joseph Burniaux 2i5
129. François Guislain, de Surice, tué près de Soulme 215
i3o. Carte de la région étudiée dans la Ve partie (tome VI) 235
FIN DU SIXIEME VOLUME
Bruxelles
Imprimerie Veuve Monnom
Société anonyme
32, rue de l'Industrie
1923
IîiNERAiRES :
Xï Corps
La Garde , + +. .». +
23ï DiVISiON Je Réserve,
24?DÏV,j.r&.
JŒi Corps,
ZEj Corps,
» Jlocroy
Fig. i3o. — Carte de la région étudiée dans la cinquième partie : rEntre-Sambre-et'-Meuse.
La Bi.blÀo£k&qu2.
Université d'Ottawa
Echéance
Tho, LlbKaxy
University of Ottawa
Date Due
a39003 0018820 7 ^b
D 5 4 1
D625 1919 V5
DOCUMENTS POUR SERVIR